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2LE V ER L A MA L D I C T I O N D E S R E SSO U RC E S N ATUR E L L E S

LE PTROLEGuide de lnergie et du dveloppement lintention des journalistes

Revenue Watch Open Society Institute Initiative for Policy Dialogue

LE PTROLEGuide de lnergie et du dveloppement lintention des journalistes

2LEVER LA MALDICTION DES RESSOURCES NATURELLES

LE PTROLEGuide de lnergie et du dveloppement lintention des journalistesPubli sous la direction de Svetlana Tsalik et Anya Schiffrin

Revenue Watch Open Society Institute Initiative for Policy Dialogue

OPENSOCIETYINSTITUTE New York

Copyright 2005 Open Society Institute. Tous droits rservs. Aucun extrait de cette publication ne peut tre reproduit, mis en mmoire dans un systme de recherche documentaire, ou transmis sous quelque forme ou par quelque procd que ce soit sans laccord pralable de lditeur. Publi par Open Society Institute 400 West 59th Street New York, New York 10019 USA www.soros.org

Maquette: Jeanne Criscola/ Criscola Design Photographie de couverture par Lester Lefkowitz/ CORBIS

Table des matiresAvant-propos Remerciements 1. Pour que les ressources naturelles soient une bndiction Par Joseph E. Stiglitz Comprendre la maldiction des ressources Par Terry Lynn Karl Introduction la problmatique du ptrole Par John Roberts Les compagnies ptrolires et le march ptrolier international Par Katherine Stephan Notions de base sur les contrats ptroliers : Contrats de concession, joint ventures, et contrats de partage deproduction Par Jenik Radon Protger les conomies en dveloppement des fluctuations de prix Par Randall Dodd Impacts de lexploitation ptrolire sur lenvironnement, les conditions sociales et les droits de lhomme Par David Waskow et Carol Welch 7 11 13

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Annexe Initiative sur la transparence des industries extractives Publish What You Pay Remarques Glossaire Ressources et References propos des auteurs

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LOpen Society Institute, fondation prive octroyant des subventions des causes choisies, se donne pour objectif dinfluencer les politiques publiques afin dencourager la gouvernance dmocratique, les droits de lhomme et des rformes conomiques, juridiques et sociales. Au niveau local, lOSI met en uvre toute une srie dinitiatives visant la promotion de ltat de droit, de lducation, de la sant publique et de lindpendance des mdias. Paralllement, lOSI tablit des alliances au-del des frontires et des continents, sur des problmes tels que la lutte contre la corruption et les violations des droits de lhomme. LOSI a t cre en 1993 par linvestisseur et philanthrope George Soros, pour soutenir ses fondations en Europe centrale et de lEst, ainsi quen ex-Union sovitique. Ces fondations ont t cres partir de 1984 pour aider ces pays effectuer leur transition post-communiste. LOSI a largi le champ des activits du rseau des fondations Soros dautres zones gographiques o la transition vers la dmocratie est particulirement proccupante. Le rseau des fondations Soros couvre plus de soixante pays, dont les tats-Unis. Le programme Revenue Watch de lOSI voit dans la transparence de lutilisation des revenus gnrs par la vente et le transport de ressources naturelles un enjeu primordial pour le dveloppement rgional et la promotion de la socit civile. Ce programme vise susciter et faire connatre des tudes, des informations et des documents de campagne sur la faon dont ces revenus sont investis et dpenss, et sur la rponse apporte par les gouvernements et les compagnies dextraction aux demandes de responsabilit sociale que leur adressent les citoyens. Il sefforce aussi de renforcer la capacit des groupes locaux surveiller la gestion gouvernementale des revenus ptroliers, et sassurer que les revenus actuels et futurs des ressources naturelles seront investis et dpenss dans le souci de lintrt public. www.revenuewatch.org

Lconomiste et prix Nobel Joseph Stiglitz a cr lIPD (Initiative for Policy Dialogue) en juillet 2000, pour aider les pays en dveloppement tudier des politiques alternatives et renforcer la participation communautaire llaboration des politiques. Toutes les politiques conomiques supposent des compromis qui bnficient plus certains groupes qu dautres. Pourtant, au lieu dtudier toute la palette des solutions conomiques envisageables, le dbat international sest souvent limit un petit nombre de politiques alternatives. LIPD reprsente une rponse positive face ces enjeux, permet une analyse des compromis lis diffrentes orientations, et propose des alternatives conomiques srieuses, tout en laissant le choix de la politique aux institutions politiques du pays. LIPD est un rseau mondial de plus de deux cents conomistes, politologues et acteurs de terrain du Nord et du Sud, reprsentant une large diversit de parcours et dopinions. Lorganisation est base lUniversit de Columbia, New York. www.gsb.columbia.edu/ipd/

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Avant-proposDe nombreux pays abondamment pourvus en ressources naturelles exploitent et dilapident ces richesses pour la prosprit dune minorit. Par ailleurs, la corruption et la mauvaise gestion du pays conduisent la majorit de la population un appauvrissement. Il est difficile de rompre avec cette tendance. Du fait de leurs richesses en ressources naturelles, ces pays nont pas besoin demprunter de largent auprs des organismes de prt multilatraux qui exigent une transparence fiscale et de bonnes pratiques budgtaires. Les plus grandes dmocraties du monde, qui dpendent des importations de ptrole, de gaz et de minerais, montrent souvent peu dempressement recourir la pression diplomatique pour exiger de meilleures pratiques fiscales dans les pays riches en ressources naturelles. Et il est tout aussi improbable que les compagnies multinationales du secteur de lnergie, qui dpendent de leurs bonnes relations avec les gouvernements des pays htes pour continuer extraire ces ressources, fassent pression en faveur dune bonne gestion conomique. De ce fait, les citoyens des pays riches en ressources, qui sont les vritables propritaires des richesses naturelles de leurs pays, se voient investis dune responsabilit particulire. Ils doivent en effet inciter leurs gouvernements la transparence et les amener engager des dpenses qui rpondent aux besoins de la population. Et pour permettre ces citoyens dtre informs, les journalistes doivent transmettre des informations fiables et prcises sur la gestion gouvernementale de lexploitation des ressources naturelles du pays. Pour ce faire, les journalistes doivent euxmmes tre bien

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informs et capables de couvrir le sujet et dcrire librement. Au cours des deux dernires annes, lInitiative for Policy Dialogue et Revenue Watch, en collaboration avec des acteurs locaux et dautres partenaires, ont organis des ateliers pour les journalistes dans les pays exportateurs de ptrole que sont lAzerbadjan, le Kazakhstan et le Nigeria, sur le thme Informations sur la richesse en ressources naturelles . Cet ouvrage est laboutissement de ces ateliers, au cours desquels les journalistes ont exprim un important besoin dinformations, pour mieux comprendre lindustrie ptrolire et limpact que pourraient avoir le dveloppement et lexportation ptrolire pour leurs pays. Des journalistes du monde entier nous ont expliqu quel point il est difficile de rendre compte de la gestion gouvernementale des revenus ptroliers, gaziers et miniers. La pnurie dinformations sur les projets du secteur de lextraction, labsence de comptence technique, les dlais de bouclage trop courts et la rpression gouvernementale lencontre de la presse libre dans de nombreux pays sont autant de facteurs qui mettent en cause la qualit de linformation sur ces sujets. Les journalistes ne sont gnralement pas qualifis en tant quconomistes ou ingnieurs, et ne possdent pas de formation en conomie, ingnierie, gologie, financement des entreprises ou dans dautres domaines, qui leur serait utile pour comprendre le secteur de lnergie et limpact de la richesse en ressources naturelles. Ne disposant pas de ces connaissances thoriques et de laccs aux informations, les journalistes se trouvent souvent dans limpossibilit de proposer un traitement pertinent de lactualit lie aux ressources naturelles. De plus, certains journalistes, souvent sous-pays, se laissent tenter par les cadeaux et les sommes verses par les compagnies locales, aux dpens de leur intgrit et de leur objectivit, mais aussi de leur volont dinformer de manire honnte et prcise. Ce guide ne peut suffire surmonter les obstacles que sont la rpression et lexploitation de la presse, mais le savoir est un outil puissant qui peut aider des journalistes courageux et soucieux de dontologie sy confronter. Le ptrole : Guide de lnergie et du dveloppement lintention des journalistes offre aux journalistes, dans un langage accessible, des informations pratiques sur lindustrie ptrolire et limpact du ptrole sur les pays producteurs. Le rapport contient des fiches conseils indiquant aux journalistes des sujets traiter et des questions poser. Il comporte aussi des exemples darticles. Une partie ressources donne des conseils de lecture pour approfondir le sujet. Un glossaire dfinit les termes les plus importants dans les domaines financier, gologique et juridique, qui peuvent aider les journalistes mieux comprendre les documents consacrs lexploitation ptrolire. Cet ouvrage est destin donner aux journalistes les informations de base dont ils ont besoin pour rdiger des articles danalyse approfondis, critiques et informatifs sur lnergie et le dveloppement sujet qui influence la vie de millions de personnes dans le monde entier. Le chapitre 1, Pour que les ressources naturelles soient une bndiction , aborde certains des dilemmes politiques les plus importants pour les gouvernements des pays

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riches en ressources qui cherchent tirer le meilleur profit de leurs ressources : quelle vitesse largent doit-il tre dpens, et dans quels domaines ? Comment faut-il rviser les cadres comptables pour quils permettent de traiter les flux financiers arrivant dans le pays ? Quelles seront les consquences distributives de la richesse en ressources naturelles ? Le chapitre 2, Comprendre la maldiction des ressources , explique le problme paradoxal de la maldiction des ressources , situation trange par laquelle de nombreux pays riches en ressources naturelles souffrent plus souvent de problmes conomiques, de conflits et de mauvaise gouvernance que les pays dpourvus de ces ressources. Ce chapitre explique comment la volatilit des cours ptroliers, la pression sur les secteurs agricoles et manufacturiers, le dveloppement des ingalits, les effets dissuasifs de la fiscalit et la faiblesse des institutions se conjuguent pour aboutir un chec des politiques adoptes et un effondrement de la croissance. Le chapitre 3, Introduction la problmatique du ptrole , fournit des informations de base sur le ptrole. Ce chapitre aborde certaines des questions cruciales de gopolitique tournant autour du ptrole. Allons-nous bientt manquer de ptrole ? Quelles sont les implications pour la scurit internationale de la dpendance vis--vis du ptrole ? Et quelles sont les consquences dune dpendance vis--vis du ptrole pour lenvironnement ? Le chapitre 4, Les compagnies ptrolires et le march ptrolier international , donne des informations gnrales sur lindustrie ptrolire. Quelles sont les plus grandes compagnies ptrolires, comment sont-elles parvenues une position dominante ? Quels sont les enjeux auxquels ces titans seront confronts dans les dcennies venir ? Comment le ptrole est-il achet et vendu sur les marchs internationaux ? Ce chapitre tudie aussi la pression croissante qui est exerce sur les compagnies pour leur faire adopter des pratiques de responsabilit sociale, notamment une plus grande transparence sur leurs paiements aux gouvernements htes. Le chapitre 5, Notions de base sur les contrats ptroliers aborde lun des aspects les plus importants et pourtant les moins connus du dveloppement ptrolier : les contrats passs entre les pays producteurs et les compagnies ptrolires. Ces contrats, qui dterminent les sommes que rapporteront aux gouvernements les revenus de lexploitation des ressources naturelles du pays, peuvent tre contraignants pour des priodes de vingt trente ans, ou plus encore. Comment les journalistes peuvent-ils savoir si leur gouvernement reoit une part quitable ? Ce chapitre prsente les diffrents types de contrats signs par les gouvernements des pays producteurs, les principales composantes de ces contrats, et les risques qui doivent tre connus des gouvernements et du public. Le chapitre 6, Protger les conomies en dveloppement des fluctuations de prix , traite de lun des principaux enjeux auxquels sont confronts les pays exportateurs de p-

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trole : comment protger leur conomie des fortes fluctuations des cours internationaux du ptrole ? Le prix du ptrole tant particulirement fluctuant, les gouvernements fortement dpendants des revenus du ptrole sont confronts une importante instabilit. La planification budgtaire devient difficile. Les gouvernements dpensent souvent trop lorsque le prix du ptrole est lev, puis rduisent fortement les dpenses lorsque le cours baisse. Ces changements brusques peuvent gnrer des bouleversements macroconomiques et des troubles politiques. Le chapitre 6 explore certains des outils que les gouvernements peuvent utiliser pour rduire leur vulnrabilit face la volatilit des cours, notamment des fonds de rserve et de stabilisation et des instruments de couverture. Le chapitre 7 tudie les Impacts de lexploitation ptrolire sur lenvironnement, les conditions sociales et les droits de lhomme . Le ptrole est une ressource qui peut apporter des avantages financiers aux communauts locales si elle est gre de manire transparente et quitable, mais ces avantages potentiels peuvent et doivent tre tudis dans le contexte des consquences sociales et environnementales ventuelles pour ces mmes communauts. Le chapitre 7 prsente les diffrents risques relatifs de nombreux projets de production ptrolire, notamment les dversements accidentels, le dplacement des communauts locales et les violations des droits de lhomme, la destruction des cosystmes environnants et la contribution au rchauffement climatique. Ce chapitre identifie les types de questions que les journalistes doivent poser sur les projets de dveloppement ptrolier, afin que leurs lecteurs puissent comparer les avantages et les cots potentiels. Le ptrole : Guide de lnergie et du dveloppement lintention des journalistes est le deuxime dune srie de guides publis par le projet Revenue Watch de lOpen Society Institute, destins des publics diffrents dans le but de les aider sortir de ce que lon appelle maintenant la maldiction des ressources . Suivez largent, guide destin aux organisations non gouvernementales assurant une surveillance des revenus gouvernementaux issus du dveloppement de ressources naturelles, est disponible sur le site In-

ternet: www.revenuewatch.org.Anya Schiffrin Svetlana Tsalik

Directrice du programme Journalisme Initiative for Policy Dialogue

Directrice des programmes Revenue WatchOpen Society Institute

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RemerciementsLe ptrole : Guide de lnergie et du dveloppement lintention des journalistes naurait pu tre publi sans laide dun grand nombre de personnes. Avant tout, nous souhaiterions remercier Karen Matusic pour son travail de prparation des textes pour la publication de louvrage. Nous tenons aussi remercier Ari Korpivaara et Will Kramer du service communication de lOpen Society Institute, pour laide quils ont apporte la rdaction, et Jeanne Criscola pour la maquette et la mise en page. Ce guide est issu dune srie de confrences organises pour les journalistes par le programme Revenue Watch de lOSI et lInitiative for Policy Dialogue (IPD), Bakou, Almaty et Lagos. Farda Asadov et Rovshan Bagirov, de lOpen Society Institute Assistance Foundation, en Azerbadjan, et Inglab Akhmedov, Nazim Imanov et Sabit Bagirov, du Centre de surveillance des finances politiques (Public Finance Monitoring Center) de Bakou, ont apport une aide trs prcieuse, tout comme Anton Artemyev et Darius Zietek, de la Fondation Soros au Kazakhstan, et Asel Karaulova, du Kazakhstan Press Club. Nous sommes trs reconnaissants des efforts fournis par Vincent Nwanma et nos partenaires, notamment Anthony Dioka du bureau du Pnud Lagos, et par le bureau de lOSCE et lambassade des tats-Unis Almaty. Le financement de cet ouvrage a t fourni par une subvention du prsident de lOSI lInitiative for Policy Dialogue et par le programme Revenue Watch. Nos plus vifs remerciements vont galement Shana Hofstetter, Akbar Noman, et Shari Spiegel de lIPD. Julie McCarthy et Morgan Mandeville de Revenue Watch ont accompagn le livre jusqu la phase finale de son laboration, en fournissant un soutien professionnel et comprhensif tout au long du processus.

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1. Pour que les ressources naturelles soient une bndictionPar Joseph E. StiglitzIl existe un phnomne trange que les conomistes appellent la maldiction des ressources . Il se trouve quen moyenne, les pays riches en ressources naturelles ont des rsultats bien infrieurs ceux qui sont moins bien dots, exactement linverse de ce que lon pourrait imaginer. Mais tous les pays riches en ressources naturelles ne sont pas dans la mme situation. Il y a environ trente ans, lIndonsie et le Nigeria avaient un revenu par habitant comparable, et tous deux dpendaient trs largement des revenus du ptrole. Aujourdhui, le revenu par habitant de lIndonsie est quatre fois suprieur celui du Nigeria. Le revenu par habitant du Nigeria a en fait chut de 302,75 dollars en 1973 1 254,26 dollars en 2002. La Sierra Leone et le Botswana sont tous deux des pays riches en diamants. Le Botswana a connu un taux de croissance moyen de 5,2 pour cent entre 2 1974 et 2002, alors que la Sierra Leone a plong dans une guerre civile motive par le contrle de ses richesses en diamants. Les checs socio-conomiques du Moyen-Orient, pourtant riche en ressources ptrolires, sont lgion. Mais, mme lorsquils connaissent des rsultats globalement bons, les pays riches en ressources sont souvent caractriss par une grande ingalit : ce sont des pays riches avec une population pauvre. Les deux tiers de la population du Venezuela, pays membre

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de lOpep, vivent dans la pauvret, car une minorit accapare largent de la manne ptrolire du pays. Et puisque les recettes fiscales des pays producteurs de ptrole pourraient servir tablir une socit plus galitaire, on pourrait sattendre, dans un pays comme le Venezuelalun des principaux exportateurs de ptrole dAmrique latine une rduction des ingalits, et non leur augmentation. Ces nigmes ncessitent une explication, qui permettrait aux pays concerns dagir pour conjurer cette maldiction des ressources. Au cours des dix dernires annes, les tudes ralises par les conomistes et les politologues ont beaucoup contribu amliorer notre comprhension de ces enjeux. Nous comprenons, en particulier, quune bonne partie du problme est de nature politique. Cet ouvrage repose sur la conviction quune meilleure comprhension des forces en prsence pourra aider modifier les processus politiques, de manire rendre plus probables des rsultats positifs. Nous pensons aussi que cette comprhension viendra soutenir les rformes institutionnelles ncessaires pour garantir une utilisation de ces ressources qui bnficie lensemble de la population de ces pays, et quune information approfondie et quilibre assure par les journalistes pourra aider limiter une partie des abus les plus importants. Des politiques macroconomiques et microconomiques doivent donc tre mises en place pour sassurer que le pays tire le meilleur profit de ses ressources, que ses ressources permettent damliorer la croissance, et que les bnfices associs sont largement redistribus.

Politiques macroconomiquesLes pays producteurs sont notamment confronts des questions complexes : quelle vitesse les ressources doiventelles tre extraites, et comment les revenus doivent-ils tre utiliss ? Le pays doit-il augmenter ses liquidits par un emprunt ? Et quelles rformes institutionnelles faut-il adopter pour garantir la mise en place de mesures macroconomiques appropries ?

Le rythme dextractionLes ressources qui ne sont pas extraites aujourdhui seront disponibles demain, elles ne disparatront pas. Dailleurs, il pourrait bien tre absurde dextraire les ressources naturelles aussi vite que possible. Si un pays nest pas capable de bien utiliser ses fonds, il peut tre prfrable de laisser les ressources dans le sol, ce qui accrot leur valeur au fur et mesure que les ressources deviennent plus rares et que le cours augmente. Une dictature militaire peut utiliser la richesse en ressources naturelles du pays pour rprimer la population et acheter des armes pour financer ses projets de guerres. Les populations peuvent ainsi se retrouver dans des conditions plus dfavorables que si le pays ne pos3

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sdait pas de ressources naturelles. De plus, lextraction des ressources amoindrit les richesses dun pays, sauf si les fonds ainsi gnrs sont investis dune autre manire. Lextraction elle-mme rend le pays plus pauvre, parce que les ressources telles que le ptrole, le gaz et les minerais ne sont pas renouvelables. Une fois quelles sont extraites du sol et vendues, elles ne peuvent tre remplaces. Seul le rinvestissement ultrieur des fonds en capital (physique ou naturel) peut compenser la perte de ces richesses naturelles et rendre le pays plus riche. tant donn que les ressources naturelles constituent un actif, il serait prfrable de considrer lextraction comme une simple raffectation de portefeuille, qui convertit une partie des actifs lis aux ressources naturelles en une autre forme. Un pays comme le Bangladesh, qui possde des rserves de gaz naturel limites, pourrait vouloir faire preuve de prudence dans la vente de son gaz, car il na pas dautre moyen efficace de se prmunir contre une augmentation des prix de lnergie long terme.

Emprunts : mise en gardeLes banques internationales contribuent souvent renforcer la tendance des gouvernements des pays exportateurs de ptrole vivre au-dessus de leurs moyens. Lorsque les prix du ptrole sont levs, les banques sont prtes leur prter de largent pour augmenter le niveau de leurs dpenses. Toutefois, les marchs financiers sont des amis inconstants qui disparaissent quand les ennuis arrivent. Lorsque le prix du ptrole baisse ou lorsque les taux dintrts augmentent, les bailleurs de fonds sont prompts exiger le rglement des emprunts. La grande maxime des banquiers, cest quils prfrent prter ceux qui nont pas besoin de leur argent. Lorsque le prix du ptrole baisse, le pays a besoin dargent, mais cest ce moment l que les bailleurs de fonds veulent rcuprer leurs fonds. Cest pour cette raison que les mouvements de capitaux, en particulier les mouvements de capitaux court terme, ont tendance tre procycliques et aggravent les fluctuations entranes de toute manire par la chute des cours de la ressource naturelle. Si les gouvernements dpensaient cet argent bon escient dans des investissements haut rendement, rapportant beaucoup plus que les taux dintrts quils doivent payer, il ny aurait aucun problme. Mais cela nest souvent pas le cas. Laugmentation nette de linvestissement rsultant de lemprunt peut savrer limite, en gnral bien infrieure au montant emprunt. Et lorsque les fonds emprunts sont utiliss pour financer les dpenses nationales, ces dernires peuvent contribuer la survaluation du taux de change, ce qui constitue en fait un handicap pour les exportateurs et fournisseurs nationaux, travers un processus que lon appelle le syndrome hollandais .4

Cadres comptablesLa pitre gestion des revenus par les gouvernements sexplique en partie par les cadres comptables standard couramment utiliss. Les gouvernements souhaitent naturellement

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afficher leur comptence bien grer leur conomie. Sils parviennent augmenter le taux de croissance, ils pensent tre dans une situation plus favorable. Mais le produit intrieur brut (PIB) ne fournit pas une mesure fidle du bien-tre conomique. Comme nous lavons soulign plus haut, si le pays extrait plus de ressources, et si les fonds ne sont pas bien investis, le pays devient plus pauvre, et non plus riche. Des cadres comptables alternatifs, que lon appelle parfois PIB vert , sefforcent de mesurer plus prcisment le bien-tre durable. De la mme manire que les cadres comptables dune socit prennent en compte la dprciation de ses actifs, les cadres comptables dun pays devraient prendre en compte lpuisement de ses ressources naturelles et la dtrioration de son environnement. En outre, ils devraient aussi considrer les actifs comme les passifs, suivant lexemple des cadres comptables dune socit , tout en vrifiant sil existe des augmentations du passif (dettes) ou des actifs. Un pays qui brade ses ressources naturelles, privatise sa compagnie ptrolire et emprunte de largent sur la base de ses futurs revenus, peut connatre une rue vers la consommation qui fait augmenter le PIB, mais le cadre comptable devrait montrer que le pays sest en fait appauvri.5

Rformes institutionnelles fonds de stabilisationLes cours mondiaux des produits de base sont soumis une volatilit trs importante, qui fournit une motivation majeure pour la cration de fonds de stabilisation ( pour les mauvais jours ), qui permettent dabsorber les fluctuations des dpenses. Mais ces fonds de stabilisation peuvent se prter dautres usages. Ils peuvent, par exemple, permettre de veiller ce que la structure des dpenses ne donne pas lieu dimportants problmes lis au syndrome hollandais . En mettant de ct des fonds sur un compte distinct, les fonds de stabilisation peuvent reprsenter une garantie par rapport la propension naturelle des gouvernements dpenser la totalit des ressources leur disposition. Ils peuvent aussi aider sassurer que les fonds sont dpenss sur des investissements, de manire ce que lpuisement des ressources naturelles soit compens par une augmentation du capital humain et physique. Les fonds de stabilisation peuvent aussi tre utiliss pour rduire la recherche de rente. En offrant une procdure ouverte et transparente pour dfinir la faon dutiliser largent, les fonds de stabilisation peuvent permettre de prvenir et de rduire les conflits, souvent violents, qui ont si fortement marqu les pays riches en ressources.

Politiques microconomiquesLes gouvernements peuvent prendre toutes sortes de mesures destines accrotre la probabilit daugmenter les revenus et sassurer que ceux-ci sont dpenss bon escient.

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TransparenceLes mesures peut-tre les plus importantes sont celles qui engendrent une meilleure transparence grce une augmentation des informations sur la manire dont le gouvernement entretient des rapports avec les acteurs de lextraction des ressources naturelles, les contrats signs, les montants reus par le gouvernement, la quantit de ressources naturelles produite et les utilisations assignes aux fonds obtenus. Une telle transparence restreint le champ de la corruption. Il est bien souvent moins coteux pour les compagnies de verser des pots de vin au gouvernement dun pays producteur que de payer les prix du march pour obtenir le droit dexploiter un gisement ptrolier. Ainsi, la transparence limite les opportunits de corruption ou, au minimum, permet de soulever des questions : pourquoi le gouvernement na-t-il pas reu la totalit de la valeur des ressources du pays ? Lorsque la compagnie ptrolire BP a pour la premire fois propos de rendre publiques les sommes quelle versait au gouvernement dAngola, ce dernier a refus. Mais de nombreux autres pays producteurs, notamment le Nigeria, ont commenc exiger que les compagnies publient ce quelles paient , et que les responsables gouvernementaux rendent publique la destination des fonds.7 6

Mcanisme denchresLes types de contrats conclus par les pays producteurs de ressources naturelles avec les compagnies multinationales pour lexploitation des ressources peuvent avoir des consquences importantes sur le volume des revenus que le gouvernement percevra ultrieurement. Le problme de la passation des contrats est complexe, et il fait lobjet de dveloppements plus importants au chapitre 5. Certaines manires dengager des socits trangres peuvent entraner une trs nette rduction de la concurrence, qui aboutit ensuite des revenus infrieurs pour le gouvernement. Par exemple, les ventes au rabais (fire sales), au cours desquelles les gouvernements ouvrent, coup sur coup, de grandes tendues de champs ptroliers lexploitation commerciale, risquent daboutir des prix infrieurs. Il semble bien que mme les grandes compagnies ptrolires nont quun got modr pour le risque, et sont prtes acheter de plus en plus doptions pour lexploration (avant de connatre le rendement des concessions dj obtenues), mais uniquement pour un prix rduit. Le fait dautoriser une socit sinstaller dans un pays avant les autres peut dissuader la concurrence par la suite. Une socit qui est invite raliser lexploration initiale profitera dune asymtrie dinformations : cette socit disposera en effet de plus dinformations sur le potentiel de la concession ptrolire ou gazire quelle aura explor, mais aussi sur les concessions voisines. Mme si le gouvernement met alors dautres zones de recherche aux enchres, lasymtrie des informations (ainsi que la relation de la premire9 8

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compagnie avec les responsables officiels) entranera une rduction de la concurrence et une baisse des revenus pour le gouvernement. Chacun des concurrents sera conscient de ce dsavantage informationnel : sil remporte les enchres, ce sera parce que son offre est trop leve, suprieure celle de la socit concurrente informe, qui connat la valeur relle du site. De ce fait, les nouvelles compagnies feront des offres moins agressives. Les gouvernements peuvent organiser les appels doffres de diffrentes manires pour attribuer la concession des zones de recherche ptrolires. Les appels doffres prime ( bonus bidding ) obligent les compagnies se placer en concurrence sur la base de limportance de la prime quelles paieront au gouvernement hte au dbut du contrat. De mme, les appels doffres prime obligent les producteurs payer davance des sommes importantes, sans information sur la quantit de ressources naturelles ou sur les cots de lextraction. Ces risques associs aux appels doffres prime peuvent dissuader les compagnies dentrer dans la comptition. Les appels doffres avec redevances, par lesquels les concurrents proposent une offre sur la part des revenus quils versent au gouvernement sous forme de redevances, entranent moins de risques et gnrent plus de concurrence que les appels doffres primes. Les appels doffres primes sont particulirement problmatiques dans les pays en dveloppement, o lon observe un plus grand risque dexpropriation ou de modification des termes du contrat par le gouvernement. En consquence, les appels doffres avec redevances peuvent gnrer plus de revenus pour les gouvernements que les appels doffres primes, du fait de labsence dinvestissements significatifs requis lavance, et du moindre risque de perte importante pour les compagnies, dans le cas o un gouvernement manquerait ses engagements par la suite. Dans certaines rgions (notamment aux tats-Unis), on sest inquit du fait que les conditions de concession pourraient entraner une fermeture prmature des puits ou, dans dautres cas, une extraction trop rapide. Le paiement de redevances, qui rduisent les revenus nets perus, pourrait influencer la dcision dune compagnie ptrolire de fermer un puits avant que ce ne soit ncessaire. Des contrats bien conus pourraient donc prvoir une disposition permettant, au fur et mesure de lextraction du ptrole et de laugmentation des cots dextraction, de rduire (voire mme dliminer) les redevances verses moyennant paiement dun montant fixe. Dans le dtail, la situation est complexe, mais lessentiel est simple : la manire choisie par un pays pour engager les producteurs peut faire toute la diffrence. Que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, la nature des appels doffres pour les frquences utilises par la radio, la tlvision, les tlphones portables et autres (ce que lon appelle les spectrum actions ) a eu une influence majeure sur lamlioration des revenus des gouvernements. Les pays doivent valuer leurs procdures dappels doffres en tudiant la part de revenus des ressources naturelles quils reoivent, et en comparant ces sommes celles qui sont perues par des pays prsentant des cots et risques dextraction comparables.12 11 10

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Rle des pays dveloppsCest en premier lieu aux pays riches en ressources de sassurer que leurs gouvernements tirent le meilleur profit possible de leurs ressources naturelles, et quils utilisent les fonds pour amliorer le bien-tre long terme de la population. Mais il existe des mesures que les pays dvelopps et la communaut internationale peuvent prendre pour renforcer les chances de russite. La liste qui suit est donne titre indicatif, et ne prtend pas tre exhaustive. Premirement, les pays dvelopps peuvent exercer une pression sur les compagnies ptrolires et productrices de ressources naturelles, pour les inciter plus de transparence et publier ce quelles paient . Une exigence simple pourrait apporter une importante contribution : nautoriser une dduction fiscale que sur les paiements rendus publics. Deuximement, les pays peuvent mettre en application des lois draconiennes pour lutter contre la corruption et les pots-de-vin. Troisimement, les comptes bancaires secrets encouragent la corruption, en leur fournissant un sanctuaire. La communaut financire internationale a fait un grand pas en empchant lutilisation des comptes bancaires secrets par les terroristes. Toutefois, les restrictions sur les comptes bancaires secrets devraient tre tendues, pour que les revenus ptroliers transitent plus difficilement par le systme bancaire international, et aillent directement dans les caisses des pays en dveloppement. Enfin, le Fonds montaire international (FMI) devrait encourager les pays en dveloppement tablir des fonds de stabilisation. Ceci lobligera modifier ses cadres comptables, qui traitent les augmentations de dpenses prleves sur les fonds de stabilisation, par exemple pendant une rcession, comme nimporte quelle autre dpense. Les fonds sont ainsi exposs de svres critiques pour les dficits quils occasionnent, ce qui aboutit en supprimer lun des principaux avantages. De plus, le FMI ne devrait pas exercer de pression injustifie sur les pays pour quils privatisent leurs industries extractives. (Dans de nombreux pays en dveloppement, la privatisation revient vendre les ressources naturelles des socits trangres, puisquil nexiste aucune socit nationale disposant du capital et des comptences requises pour entreprendre lextraction.) La privatisation se rsume alors une manire dengager des socits trangres pour lextraction des ressources naturelles. Il existe des approches alternatives (arrangements contractuels), qui gnrent des revenus plus importants pour les pays en dveloppement.13 On a vu que la recherche de rente entrane souvent des conflits, eux-mmes responsables de la maldiction des ressources . Les gouvernements des pays occidentaux peuvent essayer de rduire ces conflits en encourageant des processus dmocratiques ouverts.

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En outre, le monde dvelopp pourrait prendre des mesures peut-tre encore plus utiles pour rduire les bnfices que certains tirent de ces conflits, en largissant par exemple la campagne contre les diamants de la guerre dautres domaines. Une grande partie des revenus sert lachat darmes : en consquence, des restrictions sur la vente darmes pourraient sans doute reprsenter une contribution significative. Il ny a pas de solution simple, pas densemble unique de recommandations qui garantisse la croissance et le dveloppement. Mais si des rformes sont adoptes par les pays riches en ressources naturelles et la communaut internationale, la maldiction des ressources pourra tre supprime et passer dans les livres dhistoire. Les ressources naturelles peuvent et doivent tre une bndiction.

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2. Comprendre la maldiction des ressources Par Terry Lynn KarlLexprience accumule depuis quarante ans montre que lexportation du ptrole elle seule ne suffit pas transformer les pays pauvres en des conomies florissantes en lespace dune gnration. Au dbut des recherches sur la question, de nombreux experts pensaient que cet or noir amnerait richesses et dveloppement conomique. Aujourdhui, ils nourrissent des espoirs beaucoup plus limits. Pour dcrire les pays exportateurs de ptrole, il est plus exact de dire quils souffrent dun paradoxe de labondance , du problme du roi Midas , ou de ce que Juan Pablo Perez Alfonso, fondateur de lOrganisation des pays exportateurs de ptrole (Opep), a un jour nomm lexcrment du diable . Leur ralit donne rflchir : les pays qui dpendent du ptrole comme principale source de revenu figurent parmi les rgimes les plus autoritaires au niveau mondial, parmi ceux qui souffrent le plus de conflits et prsentent les difficults conomiques les plus graves.

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La maldiction des ressources naturelles : ce quelle est et ce quelle nest pasLes quarantes dernires annes montrent que les consquences dun dveloppement bas sur lexportation de ptrole ont eu tendance tre ngatives. Au nombre des effets nfastes figurent une croissance conomique plus lente que prvu, une faible diversification conomique, des indicateurs de bien-tre social lamentables, des niveaux levs de pauvret et dingalit, des impacts environnementaux effroyables au niveau local, une corruption endmique, une gouvernance exceptionnellement mauvaise et une forte frquence de conflits et de guerres. Les pays exportateurs de produits miniers ou ptroliers souffrent dun niveau tonnamment lev de pauvret, de soins de sant inadquats, de malnutrition gnralise, dun taux lev de mortalit infantile, dune faible esprance de vie et de mauvaises performances, notamment compar aux pays dpendants de lexportation de produits agricoles. tant donns les revenus financiers des pays riches en ressources naturelles, cette pitre situation ne peut qutonner. Du fait de lextrme volatilit des marchs ptroliers, les pays exportateurs sont souvent victimes de baisses brutales de leur revenu par habitant et deffondrements gigantesques de leur croissance. Les statistiques sont saisissantes : en Arabie saoudite, le pays dont les rserves prouves en ptrole brut sont les plus importantes au monde, le revenu par habitant est pass de 28 600 dollars en 1981 6 800 dollars en 2001. Au Nigeria et au Venezuela, le revenu rel par habitant est repass aux niveaux des annes 1960, alors que celui de nombreux autres pays (lAlgrie, lAngola, le Congo, lquateur, le Gabon, lIran, lIrak, le Kowet, la Libye, le Qatar et Trinit et Tobago) a retrouv son niveau des annes 1970 et du dbut des annes 1980.2 1

Ces rsultats tonnamment ngatifs des pays dpendant des ressources ptrolires et minires sont connus sous le nom de maldiction des ressources. Avant dtudier ce quest la maldiction des ressources, toutefois, il est utile de clarifier ce quelle nest pas. Parler de maldiction des ressources ne veut pas dire, comme le croient certains, que labondance des ressources naturelles est toujours, ou invitablement, mauvaise pour la croissance conomique ou le dveloppement. Au contraire, il existe dimportants exemples historiques de russite dun dveloppement bas sur les ressources naturelles, notamment aux tats-Unis (qui taient la premire conomie dextraction mondiale avant de devenir le leader mondial du secteur manufacturier), au Canada, en Australie, au Chili et en Norvge. Toutefois, il nexiste presque aucun cas de russite dun dveloppement bas sur lexportation de ptrole. La maldiction des ressources ne renvoie pas la simple possession de ptrole ou dautres minerais, mais plutt aux pays qui dpendent trop fortement des revenus p-

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troliers. Cette dpendance est gnralement mesure par la proportion dans laquelle les exportations ptrolires dominent le total des exportationsen gnral de 60 95 pour cent du total, ou par le ratio des exportations de ptrole et de gaz par rapport au produit intrieur brut : chiffre pouvant aller de 4,9 pour cent (au Cameroun, qui approche de lpuisement de ses rserves ptrolires) 86 pour cent (en Guine quatoriale, lun des exportateurs les plus rcents). La maldiction des ressources ne signifie pas non plus que les exportateurs ptroliers et minraux seraient dans une situation plus favorable sils possdaient moins de ressources naturelles, car cela reviendrait dire par exemple que la situation est meilleure Hati quau Venezuela. Le ptrole nest quune substance noire et visqueuse qui peut apporter des avantages comme des dsavantages : ce qui compte, ce nest pas la nature de la ressource elle-mme, mais la manire dont la richesse issue du ptrole est partage et utilise. Dans son acception la plus limite, la maldiction des ressources renvoie la relation inversement proportionnelle entre dpendance leve vis--vis des ressources naturelles et taux de croissance conomique. Plusieurs tudes rcentes ont dmontr que les pays en dveloppement riches en ressources ont eu des rsultats infrieurs ceux des pays en dveloppement dpourvus de ressources naturelles. Mais toutes les ressources ne sont pas sur un pied dgalit. Les pays dpendant des exportations de ressources naturelles ponctuelles (cest--dire les ressources extraites dune zone gographique ou dune base conomique limite, comme le ptrole ou les minerais) sont plus fortement corrls une croissance plus faible. En fait, les pays riches en ressources principalement ptrolires ou minires figurent parmi ceux qui ont la plus faible croissance, alors quils prsentent une forte capacit dinvestissement et dimportation. Une tude sur les pays membres de lOpep, ralise entre 1965 et 1998, a dmontr que leur produit intrieur brut par habitant avait baiss en moyenne de 1,3 pour cent par an, alors que dans les pays en dveloppement dpourvus de ptrole il avait progress en moyenne de 2,2 pour cent au cours de la mme priode. Ces tudes font apparatre que la croissance est dautant plus dsastreuse que la dpendance vis--vis du ptrole et des ressources minires est importante. Les pays dpendant des revenus des exportations ptrolires ont non seulement des rsultats infrieurs ceux des pays sans ressources naturelles, mais galement des revenus bien plus faibles que ceux quils devraient obtenir, compte tenu de leurs sources de revenus.3

Comment expliquer la maldiction des ressources Les hypothses avances pour justifier ces mauvaises performances conomiques sont trs diverses et discutables, mais une combinaison de facteurs entrane dans les pays exportateurs de ptrole une tendance lchec politique et leffondrement de la croissance.

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Volatilit des prix du ptrole : Le march ptrolier international est sans doute le plus instable au niveau mondial, et les responsables politiques ont des difficults grer les soudaines fluctuations des prix ainsi que les cycles conomiques dexpansion et de rcession qui les suivent. La volatilit du cours exerce un effet ngatif important sur la discipline budgtaire de contrle des finances publiques, ainsi que sur les efforts de planification publique. Elle est galement accompagne dun impact nfaste sur les investissements rels, la rpartition des revenus et la rduction de la pauvret.

Le syndrome hollandais : les pays dpendant du ptrole souffrent souvent de ce que lon appelle le syndrome hollandais , un phnomne par lequel le secteur ptrolier provoque une hausse du taux de change de la devise locale, ce qui rend les autres exportations non comptitives. En effet, les exportations de ptrole prennent toute la place et bloquent dautres secteurs dexportation porteurs, notamment lagriculture et la fabrication, ce qui rend la diversification conomique particulirement difficile. En raction, les responsables politiques adoptent de strictes politiques protectionnistes pour soutenir des activits conomiques de moins en moins comptitives, en faisant reposer le poids du financement sur le secteur ptrolier. Lagriculture et lindustrie manufacturire devenant dpendantes de ces transferts du secteur ptrolier, la dpendance par rapport au ptrole est renforce, ce qui supprime toute motivation rechercher une utilisation plus efficace des capitaux. long terme, ceci peut entraner une perte dfinitive de la comptitivit.

Retard dans laccumulation des comptences et progression des ingalits : Lindustrie ptroliresecteur exigeant le plus de capitaux et de technologie au niveau mondialcre peu demplois, et les comptences requises par ces emplois ne correspondent gnralement pas au profil des chmeurs des pays exportateurs de ptrole. Au contraire, la main-duvre hautement qualifie est envoye ltranger, ou bien des employs trangers sont installs sur place pour raliser ces travaux, ce qui prive les pays exportateurs de lavantage norme dcoulant de lapprentissage sur le tas, qui est la base du dveloppement conomique. Le contraste est flagrant avec les pays sans ressources naturelles, o la demande de formation initiale est importante, particulirement pour le secteur manufacturier. Laccumulation des comptences se fait plus rapidement, et les ingalits de richesses ont tendance tre moins frquentes dans ces pays. Le taux de croissance conomique saccrot travers laugmentation de la productivit, et pas seulement par un transfert financier de ptrodollars. Limpact net est vident : selon le deuxime Rapport sur le dveloppement humain dans le monde arabe, publi par les Nations unies en 2003, la dpendance leve vis--vis du ptrole

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dans certaines parties du Moyen Orient a entran une concentration excessive des richesses entre les mains dun petit nombre , et une croissance conomique chancelante , ce qui a affaibli le besoin de connaissances .4

Le problme de lenclavement et des impts : Dans de nombreux pays, les projets ptroliers sont le plus souvent de grande envergure, exigent des capitaux importants et sont dtenus par des socits trangres. De ce fait, les liens de production avec les autres secteurs de lconomie de ces pays sont faibles. En gnral, les revenus issus de lexploitation ptrolire vont directement au gouvernement, soit sous forme de redevances ou de loyers pays par les compagnies ptrolires trangres, soit sous forme dimpts et bnfices gagns par des entreprises publiques. Cet arrangement nincite pas la mise en place de systmes fiscaux distincts du ptrole, ce qui exacerbe encore la dpendance vis--vis du ptrole. Les responsables politiques qui contrlent les caisses de ltat nont pas besoin de faire payer dimpts la population, ce qui vient briser un lien crucial entre fiscalit, reprsentation et responsabilit de ltat. La dpendance vis-vis du ptrole agit comme un obstacle aux activits plus productives et abolit la ncessaire obligation de rendre des comptes pour rpondre aux exigences et la surveillance des contribuables.

Au cur du problme : des institutions faibles et des tats rentiersDiffrentes propositions ont t faites pour chapper la maldiction des ressources : des fonds de stabilisation des produits de base, permettant de rduire les consquences de la fluctuation des cours, une plus grande ouverture conomique et des mesures sophistiques sur les oprations de change pour attnuer les effets du syndrome hollandais , des investissements plus efficaces dans les ressources humaines, particulirement dans lducation et lacquisition de comptences, une plus grande transparence et de nouvelles politiques fiscales. Mais il nest pas vident dutiliser efficacement les richesses ptrolires. La russite de la mise en uvre de ces politiques ncessite des tats comptents et des niveaux relativement levs de bonne gouvernance. Et si les institutions politiques labores du monde dvelopp ont du mal mener terme des politiques interventionnistes ambitieuses, comment peut-on attendre des institutions des pays moins dvelopps quelles grent des politiques encore plus ambitieuses et complexes ? Une dpendance excessive lgard des exportations de ptrole saccompagne souvent dune faiblesse des institutions publiques, qui nont gnralement pas les comptences requises pour relever les dfis dun dveloppement centr sur le ptrole. Cest en

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partie un problme rsultant de lenchanement des vnements : si les institutions qui existaient auparavant sont faibles ou si ltat nest que partiellement form, lafflux des rentes ptrolires a tendance entraner la cration dun tat rentier, vivant des bnfices du ptrole. Dans les tats rentiers, linfluence conomique et le pouvoir politique sont particulirement concentrs, les frontires entre le public et le priv sont trs floues, et la recherche de rente, en tant que stratgie de cration de richesse, est endmique. Les dcideurs restent au pouvoir en dtournant les fonds pour leur propre intrt et celui de leurs partisans par le biais de subventions et de protections, par la cration demplois publics et par des dpassements budgtaires. Les tats ptroliers ont une tendance chronique dpasser leurs possibilits financires, en encourageant une culture de recherche de rente auprs de leur population. Dans les pays sans ressources naturelles, une pression intense de la population sur des ressources limites a toutes les chances de rduire la tolrance vis--vis de linefficacit et de la prdation, et lconomie ne peut soutenir un protectionnisme complet et des bureaucraties envahissantes sur une longue priode. Mais dans les tats ptroliers, les richesses ptrolires affaiblissent les institutions de contrainte. Ceci cre des tats qui semblent puissants mais qui ne sont que des coquilles vides. La dmocratie peut galement tre victime de cette dynamique rentire : les dirigeants autoritaires utilisent les ptrodollars pour rester au pouvoir, empcher la formation de groupes dopposition et crer dnormes appareils militaires et rpressifs. On ne stonnera pas de constater que ces rgimes ont tendance rester longtemps au pouvoir, et que tout changement dmocratique est bloqu. Dautres problmes politiques rendent les tats ptroliers particulirement susceptibles de connatre des checs politiques. Ltat tant une poule aux ufs dor , il risque fortement dtre investi par des intrts puissants et une corruption gnralise. Globalement, les pays exportateurs de ptrole sont largement plus corrompus que la moyenne au niveau mondial (mme si lon inclut le Canada et la Norvge). Le Nigeria, lAngola, lAzerbadjan, le Congo, le Cameroun et lIndonsie se disputent le rang de pays le plus corrompu au classement annuel de Transparency International, organisation non gouvernementale ddie la lutte contre la corruption des institutions et des pratiques commerciales internationales. Un niveau lev de corruption contribue la maldiction des ressources en faussant les choix politiques. Par exemple, les dcideurs des pays exportateurs de ptrole ont tendance privilgier les mgaprojets qui permettent de camoufler et de recueillir plus facilement des pots-de-vin, et vitent en mme temps des investissements productifs long terme qui sont plus transparents. Les niveaux de croissance et de revenus en sont leur tour affects. Les pays dpendant du ptrole sont particulirement susceptibles de connatre des checs politiques. tant donn que le cadre institutionnel est gnralement incapable de traiter les manifestations conomiques de la maldiction des ressources, il finit par les5

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renforcer travers un cycle de dveloppement vicieux ou pige du produit de base ( staple trap ). Puisque les rgimes politiques distribuent et utilisent les ressources pour se maintenir au pouvoir, cette rpartition politique des rentes entrane dautres distorsions conomiques, rduit lefficacit des investissements, renforce lopposition aux rformes conomiques et permet des distorsions de concurrence de se constituer derrire des barrires protectionnistes. Les emprunts ltranger peuvent prolonger la dure de ce pige , mais un effondrement de la croissance, souvent accompagn de violences, est lissue la plus probable. Trs logiquement, lorsque les perspectives de richesses sont si importantes, le ptrole entretient un lien troit avec la guerre civile et le conflit, plus quaucun autre produit de base. Les pays dpendant du ptrole sont plus susceptibles que les pays sans ressources de connatre des guerres civiles, qui risquent leur tour souvent dtre des conflits scessionnistes, et dtre plus longs et intenses compars aux conflits do le ptrole est absent. Le ptrole peut tre le catalyseur dune guerre, les ptrodollars et les pipelines peuvent servir financer lun ou lautre des adversaires et prolonger le conflit. Et ceci, bien sr, reprsente la plus grande maldiction des ressources.

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AIDE-MMOIRE

Questions propos de lconomie du ptrole

Comment la production ptrolire a-t-elle affect votre pays au fil du temps ? Les revenus ptroliers sont ils utiliss pour aider rduire la pauvret ? Les indicateurs de pauvret se sont-ils amliors ? Laccs leau potable et des coles et hpitaux de bonne qualit sest-il amlior au cours du temps ? Le nombre de personnes terminant des tudes suprieures a-t-il augment depuis le dbut de la production ptrolire ? Des propositions sont-elles tudies dans le but dutiliser les revenus ptroliers pour combattre la pauvret ?

L es problmes de corruption se sont-ils aggravs ou amliors depuis le dbut de la production et de la vente de ptrole par votre pays ?

emplois supplmentaires ont-ils t crs depuis le dbut de la production Desptrolire de votre pays ?

Comment les secteurs non ptroliers ont-ils t affects ? Les secteurs manufacturier et agricole se sont ils dvelopps, sont-ils rests au mme niveau, ou sontils tombs un niveau infrieur ?

gouvernance sest-elle amliore depuis le dbut de la production et de lexLaportation de ptrole ? Les lections sont-elles considres comme libres et justes dans votre pays ? La libert dexpression est-elle respecte ? Les partis dopposition ont-ils le droit de sorganiser et de se prsenter librement aux lections ?

Regardez de plus prs o va largent : Examinez le budget de votre gouvernementpour voir quoi servent les revenus ptroliers. Comparez les dpenses de votre gouvernement celles dautres pays dans la mme rgion et dans dautres rgions du monde.

revenus ptroliers sont-ils utiliss pour financer des conflits arms ? Y a-t-il Lesdes conflits ou une agitation sociale dans les rgions productrices de ptrole ?

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EXEMPLE D ARTICLE

La pauvret domine labondance dans lconomie ptrolire du VenezuelaPar Robert Collier, du San Francisco Chronicle

CABIMAS, Venezuela, 27 sept. 2000 Fredy Valero pose sa bire et donne un coup de pied hargneux dans la poussire. Vous savez combien de richesses sortent de ces terres? , demande-t-il. Creusez un trou nimporte o, et vous verrez le ptrole sortir. Je nimagine mme pas combien dargent a reprsente. Et combien je possde, moi ? Ou nimporte qui dautre ici ? Il brandit son bras droit, et dsigne les quartiers ouvriers miteux qui stendent aux alentours. Presque rien. Bienvenue au pays du ptrole, faon Venezuela. Cabimas est situ au cur de la rgion du lac Maracabo, do lon pompe du ptrole brut pour une valeur de 13 milliards de dollars par an. Selon les conomistes, lhistoire de la rgion pourrait tre entendue de nombreuses zones dautres pays de lOpep. Valero est un ouvrier du ptrole sans emploi, lun de ceux, nombreux, qui vivent dans cette ville pauvre et touffante. Limmense richesse produite dans la rgion bnficie trs peu la population locale. Le cot de la vie est exorbitant, la plupart des

biens de consommation sont imports, et le chmage est valu 25 pour cent. Les conomistes disent que la rgion de Maracabo et le Venezuela sont des exemples classiques du syndrome hollandais, terme tir de lexprience des Pays-Bas dans les annes 1970, aprs la mise en production de vastes champs de gaz naturel dans la mer du Nord. Au lieu de la manne laquelle le pays sattendait, lafflux massif de liquidits avait alors fauss lconomie en amenant les citoyens dpendre des largesses du gouvernement et des importations, plutt que des revenus des exportations et des produits nationaux. Le syndrome hollandais est bien vivant ici, et cest la cause de tous nos problmes , dclare Pedro Garcia, copropritaire dune entreprise dimport et prsident de la Chambre de commerce de Maracabo. Le ptrole a compltement fauss notre conomie . M. Garcia est bien plac pour le savoir. Il fait partie de la petite lite de la rgion, qui vit depuis longtemps dans leluxe ostentatoire des richesses ptrolires

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de la nation. Au Venezuela, comme dans dautres pays de lOpep, ceux qui possdent ces richesses en font talage. Certains trouvent cela normal de prendre lavion pour Miami le vendredi afin dacheter des chaussures pour mettre une rception organise ici le samedi soir , commente Norka Marrufao, chroniqueur socit pour Panorama, le plus important quotidien de Maracabo. Bref, un monde totalement inconnu pour F. Valero. 25 ans, cet ouvrier qui travaille sur les bateaux naviguant en permanence sur les eaux parsemes de derricks du Lac Maracabo apprcie son salaire, quand il parvient lobtenir : environ 560 dollars par mois, plus les soins mdicaux et autres prestations gnreusement offertes par Petroleos de Venezuela, le monopole ptrolier de ltat. Par rapport aux salaires normaux dans les pays du tiers monde, la somme quil reoit est correcte. Mais il est rest sans emploi pendant presque toute lanne passe et une partie importante des annes prcdentes. Malheureusement, la corruption est trop rpandue du fait du caractre compltement fluctuant de cette activit , analyse Pastor Lopez, reprsentant du syndicat des travailleurs du ptrole. Il remarque par ailleurs que les paris sur les chevaux et les jeux dargent tels que les dominos absorbent une bonne partie des revenus de nombreux rsidents. En outre le Venezuela se distingue dans un autre domaine peu

enviable, que les experts associent lafflux dargent driv du ptrole : le pays est le cinquime plus gros consommateur au monde de whisky par habitant. Alors quils pourraient avoir plus de travail si lOpep augmentait la production pour rduire les cours, Valero et ses compatriotes expriment un fervent soutien aux tentatives du Prsident Hugo Chavez visant maintenir les cours un niveau lev. H. Chavez a t lu dans la liesse gnrale parce quil promettait de mettre fin la corruption au Venezuela. De nombreux Vnzueliens se rappellent avec motion la priode dexpansion des annes 1970 et du dbut des annes 1980, lorsque lOpep avait russi faire passer les cours mondiaux du ptrole plus de deux fois le cours actuel, si lon prend en compte linflation. Un rcent sondage ralis sur lensemble du pays a fait apparatre que 80 pour cent de la population pense que le pays est parmi les plus riches au monde, alors quau moins deux tiers vivent dans la pauvret. Ceci justifie donc, dans lesprit de millions de gens, le fait que la principale tche du gouvernement consiste redistribuer des richesses existantes plutt qu en crer de nouvelles. Le Venezuela na dvelopp quasiment aucune industrie de haute technologie et, en dehors du ptrole, ne produit presque rien hormis les biens de consommation destins la population.

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Aujourdhui, les coffres des pays de lOpep regorgent de richesses : ces pays devraient gagner plus de 200 milliards de dollars cette anne, par rapport aux 160 milliards de lanne dernire, et les recettes issues du ptrole correspondent environ la moiti des 26,7 milliards de dollars du budget du Venezuela Lorsque le prsident Chavez a prt serment lan dernier, le ptrole se vendait 13 dollars le baril et il a rapidement chut 8 dollars. Parmi ses premires mesures, il a radicalement rduit les dpenses publiques. Le gouvernement de lancien et charismatique co-

lonel de larme bnficie maintenant de 10 milliards de dollars de plus de revenus ptroliers par rapport lan dernier.Reproduit avec laimable autorisation du San Francisco Chronicle. Note du Rdacteur: Cet article emploie une technique efficace, puisquil utilise le tmoignage dun citoyen ordinaire pour rsumer les problmes de la socit. Cette mme technique pourrait tre utilise dans la plupart des pays riches en ressources o les habitants les plus pauvres ne profitent pas des bnfices associs. Le journaliste taye ces dclarations en utilisant des statistiques issues de sources crdibles. Larticle russit trs bien rendre le contraste dans le mode de vie des populations riches et pauvres au Venezuela qui, comme cest le cas dans la plupart des pays riches en ressources, souffrent dune mauvaise rpartition des richesses. Larticle aurait pu tre complt par une citation dun responsable gouvernemental.

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3. Introduction la problmatique du ptrolePar John RobertsLe ptrole est une ressource abondante, mais son cot est lev. On trouve le ptrole dans des couches gologiques diverses ; toutefois la plupart des rgions les plus riches en ptrole dans le monde sont galement les plus dangereuses gologiquement comme politiquement. Bien que le rle historique du ptrole ait chang au fil des dcennies, il continue bien souvent faire la une des journaux. Linvasion du Kowet par lIrak en 1990 a prcipit la Guerre du Golfe de 1991, et a dclench des dbats houleux sur la guerre pour le ptrole . Certains soutiennent que la guerre en Irak de 2003 et la poursuite de limplication militaire amricaine dans le pays a aussi eu pour objectif le ptrole. La dpendance des tats-Unis et dautres grands pays dvelopps vis--vis des importations de ptrole signifie que ce produit de base joue un rle central dans la faon denvisager la scurit nationale et les relations internationales. Le ptrole est utilis depuis des milliers dannes pour alimenter des flammes sacres et depuis presque aussi longtemps pour fabriquer des mdicaments. Aujourdhui, il sert principalement de combustible pour les avions et les automobiles. Dans le monde industrialis, pas moins de 97 pour cent des moyens de transport fonctionnent avec des

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drivs ptroliers, et aucune alternative disponible un prix abordable ne pointe lhorizon. En outre, le ptrole est vital dans certaines parties du monde pour le chauffage, et il est galement largement utilis dans lindustrie ptrochimique pour la fabrication de plastiques, et, dans sa forme la plus brute, pour les revtements de chausses. La question de savoir si la production ptrolire va bientt atteindre un pic figure parmi les proccupations majeures du XXI sicle En dautres termes, allons-nous bientt manquer de ptrole ? court terme, les pays producteurs seront-ils mme de couvrir la demande habituelle des pays consommateurs ? Le problme le plus important moyen et long terme est peut-tre la contribution du ptrole au rchauffement climatique. Ce chapitre commence par une explication des aspects gologiques du ptrole, la faon dont il est mesur et les modes de consommation nergtique au niveau mondial. Il aborde ensuite ces trois questions essentielles : dabord, allons-nous bientt manquer de ptrole ? Ensuite, quelles sont les implications de la dpendance vis--vis du ptrole en termes de scurit ? Et enfin, quelles sont les consquences dune dpendance excessive vis--vis du ptrole pour lenvironnement ?e

Quest-ce que le ptrole brut ?Le ptrole brut (ou simplement brut , ces deux termes ayant tendance tre utiliss de manire interchangeable) est dun point de vue technique un mlange de pentanes et dhydrocarbures plus lourds, gnralement extraits de rservoirs gologiques de ptrole brut. Lorsque les pentanes et les hydrocarbures lourds se trouvent dans des rservoirs de gaz naturel, ils sont appels condensats . Dans la pratique, le condensat est trait comme le ptrole brut. De plus, les rservoirs de ptrole peuvent produire des hydrocarbures liquides plus lgers tels que le propane et le butane, qui entrent dans la catgorie des gaz naturels liqufis (GNL). de nombreux gards, le ptrole brut, le condensat et les GNL peuvent tre considrs comme de proches parents. Mais il est intressant de remarquer que lorsque des organisations parlent de production ptrolire ou de rserves ptrolires, elles peuvent inclure ou exclure les GNL et/ou le condensat dans leurs chiffres. LOrganisation des pays exportateurs de ptrole (Opep) exclut les GNL et le condensat des quotas de production de ses membres, alors mme quils peuvent contribuer de manire significative la production dhydrocarbures globale de certains pays membres. La composition du ptrole brut varie dun champ ptrolier lautre. La densit du ptrole brut est gnralement mesure en degrs, conformment une chelle mise au point par lInstitut amricain du ptrole (American Petroleum Institute - API). La Confrence mondiale de lnergie (World Energy Conference) dfinit le brut lourd comme un

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ptrole situ au-dessous de 22 API, le brut moyen comme un ptrole situ entre 22 et 31 API, le brut lger dsignant tout ptrole situ au-dessus de 31 API. Certains condensats prsentent un indice de gravit de 60. Les ptroles bruts lgers, moyens et lourds sont considrs comme des bruts conventionnels . Certaines qualits de ptrole peuvent tre mlanges pour produire la qualit globale approprie qui intresse les entreprises de raffinage. Les condensats ou les GNL sont souvent mlangs avec des bruts plus lourds pour viter un colmatage des pipelines. Les bruts lgers sont gnralement vendus plus cher que les bruts lourds, principalement du fait du rendement lev des produits raffins de grande valeur, tels que lessence ou le carburacteur (carburant aviation). Les ptroles de la mer du Nord, comme le Brent et lEkofisk, le brut nigrian (comme le Bonny Light) et dautres ptroles africains sont des bruts lgers, alors que la plus grande partie du ptrole du Moyen-Orient est de type brut lourd. Le ptrole prsentant une gravit infrieure 10 API est gnralement appel bitume et il ncessite un traitement spcial. Le bitume est extrait du sable, du grs ou dautres roches sdimentaires, alors que les bruts conventionnels sont extraits par forage. Le bitume, lun des nombreux bruts non conventionnels, est actuellement produit partir des sables bitumineux du Canada et du Venezuela. Le bitume est soumis diffrents lavages et traitements visant sparer le ptrole du sable, de leau et des minraux, puis il est dilu avec du condensat. Aprs avoir subi tous ces traitements, le bitume est devenu ce que lon appelle du ptrole synthtique , parfois abrg sous le nom de syncrude , bien que stricto sensus il ne soit pas du tout synthtique.

Mesurer les volumes de ptroleLe ptrole est habituellement mesur en barils ou en tonnes. Les units de mesure les plus courantes dans la production ptrolire sont le baril par jour (b/j) ou la tonne par an (t/an). Les barils tant une unit de mesure du volume, et les tonnes une mesure du poids, il ny a pas de corrlation prcise, car les diffrentes qualits de ptrole brut ont des poids diffrents. Mais une rgle empirique veut quil y ait 7,33 barils par tonne, et que 1 b/j corresponde 49,8 t/an. Lessence la pompe est dans la majorit des cas mesure en litres, mais, aux tats-Unis, elle est mesure en gallons (un gallon est gal 3,75 litres, et 42 gallons quivalent un baril), et, dans certains pays, elle peut encore tre mesure en gallon imprial britannique (un gallon est alors gal 4,5 litres, et 35 gallons quivalent un baril). Une tonne quivalent ptrole (tep) est un terme utilis pour exprimer la production ou lutilisation dautres formes dnergie primaire, comme par exemple le gaz, le char-

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bon, lnergie nuclaire ou hydraulique, (qui ont tous leurs propres systmes de mesure spcifique), de manire pouvoir les comparer directement avec le ptrole et entre elles.

Place du ptrole dans le mix nergtique mondialLe ptrole est, dans lensemble, le produit de base le plus important au niveau mondial. Cest le combustible le plus couramment utilis au niveau mondial, en particulier parce que la plupart dentre nous conduisons des voitures ou dpendons de transports en commun fonctionnant avec des drivs du ptrole. Mais il est galement important de signaler que, bien que le ptrole corresponde toujours la plus grande part de la production mondiale de combustible commercial (3,637 milliards de tonnes en 2003, ou 37,3 pour cent de la production mondiale de 9,741 milliards de tep), quelque deux milliards de personnes dpendent toujours du combustible le plus primaire de tousle bois et les dchets combustiblespour se chauffer et faire la cuisine. Pour comprendre la place du ptrole dans le mix nergtique mondial, il faut tudier la fois les volumes de consommation pour les principaux types de combustibles, et les diffrents marchs qui dpendent principalement de types dnergie spcifiques. Le bilan nergtique mondial en 2003, en termes de consommation de combustibles commercialiss, est rsum dans le Tableau 1.1

TABLEAU 1Bilan nergtique mondial en 2003(en millions de tonnes quivalent ptrole - MTEP) MTEP 3636,6 2331,9 2578,4 598,8 595,4 9741,1 % 37,33 23,94 26,47 6,15 6,11 100,00

Ptrole Gaz naturel Charbon Energia Nuclear nergie nuclaire Total

Source : BP Statistical Review of World Energy, (tude statistique ralise par BP sur lnergie mondiale) juin 2004 galement disponible sur Internet : www.bp.com/statisticalreview2004

Ce bilan comporte des diffrences de march considrables, en particulier en termes de consommation nergtique par habitant. Par exemple, aux tats-Unis, la consommation nergtique par habitant est deux fois plus importante que celle de lUnion europenne, alors que les deux zones prsentent un niveau de vie peu prs similaire (voir Tableau 2).

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TABLEAU 2Bilan nergtique mondial par rgion et consommation par habitant en 2003(Volume total en millions de tonnes quivalent ptrole (MTEP) ; consommation par habitant en tonnes quivalent ptrole par personne) Ptrole Amrique du Nord tats-Unis Amrique centrale et Amrique du Sud Brsil Europe (englobant la CEI) UE (15 pays) France Allemagne Russie Turquie Royaume-Unido Moyen-Orient Iran Arabie saoudite Afrique gypte Afrique du Sud Asie-Pacifique Bangladesh Japon Chine* Inde Pakistan Core du Sud Monde entier Gaz naturel686,3 566,8 98,6 14,3 975,7 363,5 77,0 39,4 365,2 18,9 85,7 200,4 72,4 54,9 22,1 1048,1 11,0 68,9 29,5 27,1 19,0 24,2 2331,9

Charbon

nergie Hydranuclaire ulique201,1 181,9 4,7 3,0 285,3 204,0 37,3 99,8 34,0 20,1 60,7 3,0 1306,2 52,2 9,9 4,1 0,4 29,3 598,8 133,9 60,9 127,8 68,9 174,3 68,3 5,7 14,8 35,8 8,0 1,3 3,0 2,0 90,6 3,2 0,8 104,7 0,2 22,8 64,0 15,6 5,6 1,6 595,4

Total

Population

TEP/pc

1093,2 914,3 216,6 84,1 942,3 639,7 125,1 94,12 124,7 31,9 76,9 214,9 54,0 67,0 25,0 24,2 4,2 248,7 275,2 113,3 17,0 105,7 3626,6

612,7 573,9 17,7 11,0 535,9 222,7 87,1 12,4 111,3 15,5 39,1 8,6 0,7 118,6 0,7 88,9 310,9 0,4 112,9 799,7 185,3 2,7 51,1 2578,4

2727,3 2297,8 465,5 181,4 2913,4 1498,1 332,3 260,6 679,8 74,3 223,2 426,8 129,1 121,9 2,9 52,0 116,0 137,5 15,9 504,3 1178,3 345,3 44,8 212,0 9741,1

291,0

7,896

176,3

1,029

397,0 82,4 59,9 144,1 70,3 59,1 68,1 23,5 18,5 70,51 44,76 2908,4 143,8 127,5 1294,9 1049,6 149,9 47,4 6400**

3,953 4,033 4,351 4,718 1,057 3,777 1,896 5,187 291,0 0,737 2,592 0,111 3,956 0,910 0,329 0,299 4,473 1,522

* lexclusion de Hongkong ** Estimation de lauteurSource : BP Statistical Review of World Energy, (Revue statistique de BP sur lnergie dans le monde), juin 2004 Chiffres de population issus du FMI, Statistiques financires internationales, dcembre 2003. Chiffres de population de lUE issus dEurostat.

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Dans son valuation des tendances nergtiques mondiales pour 2003, lAgence internationale de lnergie (AIE) a prvu que les nergies renouvelables non nuclaires et non hydrauliques (en dautres termes, lnergie olienne, lnergie solaire et peut-tre lnergie des vagues) reprsenteraient le secteur la plus forte croissance sur le march mondial de lnergie, doublant sa part de march et la triplant en termes de production absolue. Toutefois, cette croissance des nergies renouvelables ne reprsenterait quune augmentation de 2 pour cent de la part de march (de 2 4 pour cent). Les combustibles fossiles devraient quant eux accrotre leur part de march de 2 pour cent, soit de 87 89 pour cent. Et bien que le ptrole perde bien du terrain, cest principalement pour laisser place un autre combustible fossile, le gaz. titre de comparaison, le nouveau secteur des renouvelables vient simplement compenser une stagnation de production attendue de lnergie nuclaire, qui devrait produire autant dnergie en 2030 quen 2000, mais qui va perdre une partie de sa part de march, puisque le secteur mondial de lnergie devrait saccrotre de prs de 66 pour cent sur ces trente ans. Alors que le ptrole devrait perdre une petite partie de sa part de march globale, puisque son augmentation sur trente ans devrait tre de 60 pour cent, certaines rgions du monde devraient connatre un emballement spectaculaire de leur consommation de ptrole. Par exemple, la consommation ptrolire de la Chine devrait slever environ 5 Mb/j (250 tonnes par an) en 2000 12 Mb/j (600 Mt/an) en 2030. Cette envole de la demande chinoise a contribu aux prix record du ptrole brut en 2004.

TABLEAU 3Demande dnergie primaire mondiale entre 11 et 2030 (en MTEP)1971 2000 2010 2030 Moyenne taux de croissance annuelle 2000-2030 (%) 1,6 2,4 1,4 0,1 1,6 3,3 1,7

Ptrole Gaz Charbon nergie nuclaire Hydraulique Autres renouvelables Total

2450 895 1449 29 104 73 4999

3604 2085 2355 674 228 233 9179

4272 2794 2702 753 274 336 11 132

5769 4203 3606 703 366 618 15 267

Source : World Energy Outlook 2002, Agence internationale de lnergie, Paris, Octobre 2002.

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Allons-nous bientt manquer de ptrole ?Rserves : quelles quantits de ptrole le monde possde-t-il ?Lun des sujets les plus controverss dans le dbat houleux sur lnergie mondiale est la quantit de ressources ptrolires mondiales. On dit gnralement que le monde dispose denviron mille milliards de barils de ptrole. Si ce chiffre semble raliste premire vue, il nen reste pas moins beaucoup plus complexe. La Revue statistique de BP sur lnergie dans le monde (BP Statistical Review of World Energy), actualise chaque anne, reprsente une source respecte en matire de statistiques sur les rserves ptrolires mondiales. Le chiffre donn par BP pour le volume de rserves prouves est rvis chaque anne, et reflte pour lessentiel les dclarations des institutions officielles pour les rserves dun pays donn, prenant en compte les dernires dcouvertes, lamlioration des connaissances relatives aux champs dj exploits, et la quantit de ptrole pompe partir de champs connus. En gnral, on accorde peu dattention la description prcise de ce qui entre dans le total des rserves prouves . BP indique simplement que ce vocable recouvre gnralement les quantits de ptrole qui, selon les informations gologiques et techniques disponibles, ont une probabilit raisonnable dtre rcupres lavenir, partir des gisements connus et dans les conditions technico-conomiques existantes. Cette dfinition changera, bien sr, au fur et mesure de lvolution technologique. lpoque de lge de pierre, les rserves ntaient ni prouves ni pertinentes, parce que le travail de production revenait pour lessentiel recueillir et utiliser le ptrole qui scoulait jusqu la surface. Lamlioration de la technologie a dabord permis aux hommes de creuser des puits la pelle, et de puiser le ptrole dans un seau, puis de raliser des forages pour extraire le ptrole situ 3 6 mtres sous terre. Actuellement, les prospecteurs peuvent rechercher du ptrole dans des zones jusque-l inaccessibles, par exemple quelques milliers de mtres de profondeur sous un fond marin, qui peut luimme se trouver quelques milliers de mtres sous la surface de locan. La technologie a galement amlior les types de ptrole qui peuvent tre extraits. Le Canada reprsente un bon exemple de la difficult lie au calcul des rserves. LOffice national de lnergie (On) du Canada estime officiellement que les sables bitumineux de lAthabasca contiennent jusqu 174,7 milliards de barils de ce quil appelle des rserves tablies . Ce terme est utilis pour englober la fois les rserves prouves et la moiti des rserves probables dun pays, les rserves probables tant elles-mmes dfinies comme des rserves contigus aux rserves prouves dont lexistence est dmontre avec un degr raisonnable de certitude. En affirmant ceci, le Canada proclamait officiellement quil considre maintenant ses rserves comme arrivant la seconde place aprs celles de lArabie saoudite. Il est intressant de comparer cette position avec le chiffre de

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6,9 milliards de barils indiqu par la Revue statistique de BP pour 2003 pour la taille des rserves prouves du Canada pour tous les types de ptrole, ou avec le chiffre fourni par lOn lui-mme, de 4,3 milliards de barils pour les rserves prouves de ptrole brut conventionnel du pays. Pour lessentiel, il sagit dun problme de dfinitionet de cot. Le ptrole est l, mais la question, comme toujours, est de savoir combien nous sommes prts payer pour lobtenir. Le cours du ptrole de 2004, soit 50 dollars par baril, signifie que la quantit de ptrole pouvant tre extraite dans les conditions techniques et conomiques actuelles sera suprieure.

TABLEAU 4Accroissement de la demande mondiale de ptrole entre 2000 et 2030 (en Mb/j)Accroissement en Mb/j OCDE - Amrique du Nord Chine Est asiatique Amrique latine Asie du Sud Moyen-Orient Afrique conomies en transition OCDE Europe OCDE Pacifique 9,5 7 5 4,5 4,5 3,8 3,5 2,5 2,5 2,0 % annuel daugmentation 1,1 3,0 2,75 2,4 3,5 2,2 3,25 1,5 1,0 0,8

Source : World Energy Outlook 2002, Agence internationale de lnergie, Paris, Octobre 2002.

Le problme se complique encore lors des dclarations des entreprises prives relatives limportance de leurs rserves et destines leurs banques ou aux organismes de rglementation.. En effet, ces processus impliquent gnralement que des programmes spcifiques soient dj en place pour lexploitation relle des ressources. Ainsi, lorsquon tudie le problme des rserves, il est important de signaler que mme si les gologues et experts du forage peuvent savoir que le ptrole existe, il peut peut-tre ne pas tre plac dans la catgorie des rserves prouves ou certaines, pour des raisons diverses. Le problme des dclarations de rserves a fait la une des journaux en 2004 aprs que Royal Dutch / Shell, lune des plus anciennes et des plus grandes compagnies ptrolires mondiales, a reconnu avoir exagr les chiffres donns pour ses rserves prouves.

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A la fin du mois de mai 2004, la compagnie avait en effet rduit quatre reprises la taille de ses rserves de ptrole et de gaz prouves en lespace de cinq mois, dans un scandale stupfiant pour ses actionnaires et les marchs financiers, et qui a oblig trois dirigeants dmissionner. Au dbut de lanne 2005, Shell a annonc une rduction supplmentaire de 10 pour cent de ses rserves.

Cots et prixLe problme du cot est une question rcurrente. Les compagnies ptrolires exercent leurs activits avec des marges serres, et ne veulent pas dpenser plus de 10-15 dollars par baril, pour le cot complet de lexploration, du dveloppement de la rserve, et du transport jusqu la mise sur le march. Et pourtant, mme si lon considre le chiffre de 12 dollars par baril comme un chiffre dexploitation raisonnable, il est trs faible par rapport aux autres prix du ptrole. Le prix du march du ptrole brut (qui est pour lessentiel dfini par un ensemble de facteurs allant de loffre et de la demande aux tensions gopolitiques, en passant par laction de lOpep et des spculateurs du march terme, dont la position peut exacerber toute volution du cours) sest situ en moyenne largement au-dessus des 30 dollars par baril depuis deux ans, avec des pics bien suprieurs 50 dollars par baril. Le prix des produits raffins contient galement une composante fiscale, ce qui rend le prix pay par les consommateurs beaucoup plus lev que celui du ptrole brut. Certains produits, notamment le carburacteur, ne sont pas taxs, mais la plupart des types dessence automobile font lobjet dune taxation, souvent trs lourde. Le prix de lessence la pompe en Europe de lOuest, o elle est fortement taxe, peut slever 180 dollars le baril. Au Royaume-Uni, la fin du mois de mars 2004, le prix du ptrole la pompe allait de 76 82 pence par litre, 82 pence tant lquivalent de 4,65 dollars par gallon U.S ou 195 dollars par baril. Mme si lon calculait un prix de vente au dtail moyen pour tous les barils de ptrole vendus sous diffrentes formes dans le monde entier, on pourrait raisonnablement sattendre un prix suprieur deux fois le cours quotidien du brut sur le march libre. Et le cot physique rel de la production ptrolire pourrait bien tre de seulement 15 pour cent du prix moyen pay par les consommateurs, voire encore bien moins que cela. Ceci signifie, en fin de compte, quil y a largement moyen dabsorber laugmentation des cots de production pour accder des formes de ressources ptrolires toujours plus complexes. Ces problmes permettent dexpliquer en partie pourquoi la U.S Geological Survey (USGS) pose comme principe que les ressources rcuprables (la quantit de ptrole que lon peut raisonnablement sattendre extraire du sol) pourraient effectivement doubler le total des rserves mondiales prouves actuellement mentionnes par BP pour les trente prochaines annes.

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Rserves et ressourcesLes ressources ne sont pas tout fait la mme chose que les rserves. Elles sont dfinies comme tant les rserves plus toutes les accumulations dune source dnergie fossile (par exemple le ptrole, le gaz naturel ou le charbon) qui pourraient un jour devenir disponibles. Pour un homme politique qui sinquite des problmes de scurit nergtique, ou pour un non-spcialiste qui sangoisse lide que le monde pourrait bientt manquer de ptrole, une analyse rationnelle des ressources est probablement plus adapte quune simple estimation des rserves. En rsum, lUSGS, dans une valuation publie en 2000, a chiffr les rserves moyennes restantes (pour lessentiel les rserves que nous savons dj en notre possession) 859 milliards de barils, un niveau quelque peu infrieur au chiffre de BP de 1 047 milliards de barils pour les rserves prouves. Mais ce chiffre, lUSGS a ajout 612 milliards de barils de ce quil appelle la croissance moyenne des rserves conventionnelles , correspondant pour lessentiel une augmentation de la production des champs ptroliers existants, due lamlioration des techniques de rcupration. Sont galement ajouts 649 milliards de barils de dnommes rserves conventionnelles moyennes non dcouvertes , cest--dire le ptrole qui devrait provenir de nouvelles dcouvertes. Ces trois catgories de rserves additionnes donnent une base de ressources mondiales prsume de 2 120 milliards de barils, mme si ce total nest pas dfinitif. En effet, dune part, les chiffres de lUSGS excluent les tats-Unis. En 1995, lUSGS estimait les ressources techniquement rcuprables de ptrole brut des tats-Unis 165 milliards de barils. Dautre part, ltude de 2000 fixe le chiffre des rserves existantes de GNL 68 milliards de barils, la croissance des rserves conventionnelles 42 milliards de barils, et les ressources non dcouvertes 207 milliards de barils. Ces quatre lments additionns donnent 482 milliards de barils supplmentaires. Si lensemble des prvisions de lUSGS est correct, la base des rserves disponibles au niveau mondial jusquen 2030 ne correspondra pas lestimation classique actuelle denviron mille milliards de barils, mais en ralit au moins 2 602 milliards de barils, soit 355 milliards de tonnes.

Le problme de la consommationLe temps restant avant lpuisement de ce volume de ptrole disponible, et par consquent le temps permettant de trouver une alternative moins coteuse et plus cologique, dpendront tous deux de la vitesse laquelle nous le consommons. Le chiffre donn par la Revue statistique de BP pour les rserves prouves mondiales, soit 1 048 milliards de barils, correspond environ 143 milliards de tonnes de ptrole. Lutilisation actuelle du ptrole, si lon prend les chiffres de 2002 (une utilisation de 75,7 millions de barils par jour ou 3,52 milliards de tonnes par an), donne pour le ratio rserve-production standard

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(R/P) un chiffre de 40,6 annes. Si lon utilise les estimations gnrales contenues dans la Revue statistique de BP, nous avons donc assez de ptrole pour quarante ans, condition de nous en tenir aux niveaux dutilisation actuels. Toutefois, la consommation ptrolire mondiale est bien partie pour saccrotre, et des prvisions srieuses de lAdministration de linformation sur lnergie du ministre amricain de lnergie prcisent quelle pourrait atteindre 117 millions de barils par jour dici 2025. titre dexemple purement hypothtique, on pourrait dire que la consommation moyenne entre aujourdhui et 2030, cest--dire la priode couverte par le rapport de lUSGS, pourrait entraner une utilisation annuelle moyenne denviron 100 millions de barils par jour, soit 4,65 milliards de tonnes par an. Si les rserves restent inchanges, le monde serait alors cours de ptrole dici environ trente ans. Mais si les estimations de ressources de lUSGS taient converties en rserves, nous aurions assez de ptrole pour soixante-seize ans. Il est vrai que les prvisions des tendances nergtiques long terme se sont souvent rvles fausses par le pass. Un rapport de 1972 ralis par le Club de Rome, intitul Limits to Growth, prvoyait que si le ptrole continuait tre consomm au mme niveau quen 1972, et sil ny avait pas daugmentation des rserves dans la mme priode, les ressources mondiales de ptrole seraient puises en 2003 ! Mme dans le scnario le plus optimiste du rapport, avec une multiplication par cinq des rserves, le Club de Rome sattendait ce que toutes les ressources mondiales de ptrole soient consommes avant 2022. Heureusement, cette prvision tait errone, bien que les arguments du Club de Rome aient bien pu aider donner limpulsion ncessaire une rduction du gaspillage. En effet, lutilisation de lnergie a t rendue beaucoup plus efficace au cours des trente dernires annes. Mais son hritage le plus durable se rvlera peut-tre dans un changement de notre faon de considrer les sources dnergie en gnral et le ptrole en particulier. Les hypothses conventionnelles relatives la production nergtique partent gnralement du principe quil existe un approvisionnement limit dnergie qui est mesurable. Mais il est extrmement compliqu dintgrer ces calculs un cadre temporel, du fait des volutions technologiques. Pour utiliser limage cre par Peter McCabe de lUSGS, nous ferions peut-tre mieux de considrer les ressources comme une pyramide enterre. La partie mesurable de la pyramide, qui est situe au-dessus du sol, volue au cours du temps. Au fur et mesure des progrs de notre technologie, une partie plus importante de la pyramide se dvoile. Ceci ne signifie pas forcment que les ressources sont illimites, mais simplement que nos capacits mesurer ces ressources sont limites. Ce quil faut en retenir, cest que le monde possde beaucoup plus de ptrole que nous le pensons gnralement. Mais la quantit de ce ptrole pouvant tre produite lavenir dpendra largement la fois des taux de consommation et des sommes que le

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monde est prt payer pour extraire le ptrole existant mais ne pouvant pas encore tre class dans la catgorie des rserves prouves.

Les utilisations du ptroleLe rle du ptrole lavenir dpend de la manire dont il est utilis. cet gard, les tatsUnis sont dans une catgorie part. En bref, chacune des 6,4 milliards de personnes de la population mondiale utilise, en moyenne, un peu plus dun tiers de tonne de ptrole chaque anne (environ 0,36 mtep en 2002). Les principaux pays les plus industrialiss du monde, lexception des tats-Unis, ont une consommation dix fois suprieure cette moyenne mondiale. La consommation des tats-Unis reprsente quant elle plus de vingt fois la moyenne mondiale. Ceci signifie que, bien que les tats-Unis soient lun des premiers pays producteurs mondiaux de ptrole, ils sont galement le premier consommateur et le premier importateur au monde, laissant les autres pays loin derrire, car ils importent plus de la moiti du ptrole quils consomment chaque jour. Cette norme consommation de ptrole des Etats-Unis et leur dpendance vis--vis du ptrole import ont des consquences importantes, plusieurs niveaux. Elles rendent les tats-Unis responsables dune partie disproportionne de la pollution entrane par lnergie en gnral et le ptrole en particulier. Au niveau politique, cette situation amne les tats-Unis redouter linscurit nergtique et vivre dans une trange symbiose avec lArabie saoudite, le plus gros exportateur mondial de