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« Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire. » (Lénine, 1902, Que faire ?) Les dossiers du PCMLM Maïmonide et la Kabbale Parti Communiste Marxiste-Léniniste-Maoïste de France

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« Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire. »

(Lénine, 1902, Que faire ?)

Les dossiers du PCMLM

Maïmonide et la Kabbale

Parti Communiste Marxiste-Léniniste-Maoïste de France

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Table des matières1. Introduction......................................................................................................................................22. La conception de base......................................................................................................................43. Maïmonide théoricien du « libre-arbitre »........................................................................................64. Les impressions chez Avicenne et la possibilité de les interpréter...................................................75. Averroès dépasse Avicenne...............................................................................................................86. Maïmonide interprète Avicenne à sa manière...................................................................................97. Maïmonide et le Dieu « pensant »..................................................................................................118. Maïmonide et Aristote....................................................................................................................129. Kabbale comme complément de Maïmonide.................................................................................1410. La base de la kabbale....................................................................................................................1511. Le principe de la kabbale..............................................................................................................1712. Les "émanations"..........................................................................................................................1813. Signification mystique de l'alimentation cachère.........................................................................1914. « L'unification » cosmique...........................................................................................................2015. Le Char céleste.............................................................................................................................2216. le Livre hébreu d'Hénoch..............................................................................................................2417. Les « interdictions » dans la connaissance ..................................................................................2618. Sabbataï Tsevi et Menachem Mendel Schneerson .......................................................................2719. La providence comme lieu d'effondrement du judaïsme .............................................................2820. Karl Marx et la question juive .....................................................................................................31

1. Introduction

Le judaïsme est une religion qui a eu une grandeimportance culturelle dans notre pays, pour lasimple raison qu'il s'agissait du pendant de lareligion dominante, le catholicisme, qui s'envoulait la suite directe.

Il y a eu ainsi de multiples rapports historiquesentre les deux communautés religieuses, avec desdynamiques tant positives que négatives sur leplan historique.

En effet, l'existence d'une minorité au sein d'unpays a permis au capitalisme de contourner ladomination féodale sur la majorité. C'est ce queKarl Marx explique dans l'un de ses textes dejeunesse, écrit à 25 ans et excessivement difficileà saisir, La question juive.

L'antisémitisme, comme moteur anti-capitalisteromantique, est également une réalité

idéologique très forte dans l'histoire de notrepays. Cependant, il ne s'agit pas ici d'établirl'histoire de la composante juive de notrenation, de cerner l'antisémitisme à la française,il s'agit de définir la religion juive commeidéologie.

Toute religion est une idéologie, qu'il s'agit deréfuter. Il faut comprendre les dynamiquesreligieuses, pour triompher de l'idéalisme.

En l'occurrence, la conception d'Averroès avaittellement bouleversé le catholicisme, que cedernier a dû faire sa révolution, parl'intermédiaire de Thomas d'Aquin. Or, lejudaïsme fut également totalement bouleversé.

Le judaïsme existait, de plus, principalementdans les zones géographiques dominées par lareligion musulmane, et donc marquées parl'influence de la falsafa arabo-persane.

Ainsi, le judaïsme était déjà profondément

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Maïmonide et la Kabbale

ébranlé par la montée de l'Islam et ses succès. Àcela s'ajoute que le judaïsme consistait encorealors en des rites très précis mais sans disposerd'une base théorique ni idéologique unifiée etd'un niveau conséquent.

Il s'agit de saisir que lorsqu'on parle de «judaïsme », même aujourd'hui, c'est de manièreerronée, au sens strict.

En effet, le catholicisme romain est centraliséavec le Vatican, le protestantisme ne reconnaîtque les textes bibliques traditionnels et lesIslams sunnite et chiite possèdent des écolesjuridiques centrales.

Le judaïsme, toutefois, ne possède aucun centre,ni même d'écoles juridiques principales. Il a desprincipes, des traditions et des rites, mais dontla conception et l'interprétation diffèrenttotalement selon les rabbins.

En fait, ce n'est que depuis l'après 1945 que lejudaïsme connaît des échanges généralisés en sonsein et que ses courants fusionnent, comme nousle verrons.

La raison tient précisément à la question del'averroïsme. Face en effet à cette menacematérialiste, il fallait alors l'équivalent d'unThomas d'Aquin au judaïsme. Ce futMaïmonide (1138-1204).

De la même manière que Thomas d'Aquin le fitpour le catholicisme, Maïmonide tenta deformuler la philosophie d'Aristote d'une manièreacceptable pour le judaïsme. Pour cela, iltentera de faire repartir la roue en arrière, etd'en revenir à Avicenne, voire Al Farabi, pourrejeter Averroès.

Évidemment, tout comme Thomas d'Aquin dansle catholicisme, Maïmonide dut affronter unecontre-offensive massive de la part de la religionofficielle, les positions de Maïmonide étantconsidérées comme hérétiques.

Et lorsqu'en 1231 le pape Grégoire IX interditl'enseignement de la physique et de lamétaphysique d'Aristote, il tente de combattreau fond l'averroïsme, non pas de « l'intégrer »

de manière déformée, et il a le soutienidéologique du judaïsme conservateur.

Pourtant, inévitablement la démarche deMaïmonide devait triompher dans le judaïsme,tout comme celle de Thomas d'Aquin dans lecatholicisme : le développement historiquerendait cela inévitable.

Le judaïsme n'était plus en mesure de teniridéologiquement face à l'Islam et aumatérialisme averroïste. Il lui fallait Maïmonide.Il lui fallait un idéologue capable de maintenir le« libre-arbitre » et d'élaborer une théorie du «prophète », ce que fera Maïmonide avec Moïse,en se servant de la conception prophétiqued'Avicenne.

Cependant, Maïmonide ne suffisait pas, carMaïmonide a surtout connu l'Islam. Saconception du « prophète », avec Moïse au lieude Mahomet, provient directement de là. Ilfallait également faire face au catholicisme,c'est-à-dire en fait au platonisme devenul'idéalisme catholique.

De plus, le judaïsme disposait déjà d'un fondmystique historique, se fondant sur laconception des « palais » et du « char ».

Ainsi, de la même manière que Maïmonide aintégré Aristote « platonisé », le kabbalisme aintégré le platonisme « aristotélisé », ayant ainsiune influence tant sur l'idéalisme de laRenaissance que sur le romantisme.

Nous verrons par conséquent précisément enquoi consiste les positions de Maïmonide et dela kabbale, car celles-ci ont façonné le judaïsme– de fait, le judaïsme put ainsi se maintenir,mais au prix de grandes contradictions, deprofondes déchirures qui se lisent dans toute sonhistoire, le dernier exemple en date étant le «scandale » provoqué par l'affirmation ducaractère messianique du dernier rabbin deLoubavitch, Menachem Mendel Schneerson(1902-1994).

Ce « triomphe » des Loubavitch était en réalitéinévitable, comme nous le verrons également,car le judaïsme finit par s'appuyer

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principalement et finalement sur la conceptionprophétique de Maïmonide et le mysticismekabbaliste : le dernier rabbin de Loubavitch a lepremier réussi à synthétiser les deux courants,autour de sa personne.

Il put faire aboutir le « judaïsme » à sa dernièrelogique, mais également, donc, à sa proprefaillite en tant qu'idéalisme, avec l'écheccomplet de la réalité « messianique » devant seproduire et, de fait, ne s'étant pas produite.

Ce qui confirme la thèse de Karl Marx, commequoi le judaïsme doit se dissoudre dans la causerévolutionnaire universelle.

2. La conception de base

Quel est le problème fondamental qui a donnénaissance aux conceptions de Maïmonide et dela Kabbale ? En fait, si leurs conceptions sontdifférentes, tant Maïmonide que les kabbalistesont tenté de résoudre un seul et mêmeproblème, amené par le développement dumatérialisme.

Voilà comment se pose cette question. Si onadmet l'idée d'un « Dieu » tout puissant,omnipotent, omniscient, etc., alors on acceptede fait que ce « Dieu » soit pur et parfait,n'ayant jamais besoin de rien.

Or, les religions juive, chrétiennes et musulmaneexpliquent qu'il y a eu la création du monde.Dans la Genèse, texte reconnu par le judaïsmeet le christianisme, il est ainsi dit :

« Au commencement, Dieu créa lescieux et la terre. La terre était informe etvide : il y avait des ténèbres à la surfacede l'abîme, et l'esprit de Dieu se mouvaitau-dessus des eaux. Dieu dit : Que lalumière soit ! Et la lumière fut (…). Dieucréa l'homme à son image, il le créa àl'image de Dieu, il créa l'homme et lafemme. Dieu les bénit, et Dieu leur dit :Soyez féconds, multipliez, remplissez laterre, et l'assujettissez ; et dominez sur les

poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel,et sur tout animal qui se meut sur laterre. »

L'islam ne reconnaît pas l'authenticité complètedu texte, mais le Coran explique la mêmechose :

« Votre Seigneur, c'est Allah, qui acréé les cieux et la terre en six jours. »

(sourate 7 / verset 54 )

« C'est Lui qui, en six jours, a créé lescieux, la terre et tout ce qui existe entreeux. »

(sourate 25 / verset 59)

Cependant, le matérialisme a exposé unecontradiction essentielle dans ce principe decréation. Comment Dieu, en effet parfait de parson principe même, pourrait être amené à «créer » quelque chose ?

Cela signifierait qu'il a créé quelque chose « enplus », or Dieu est tout et il ne saurait y avoirde chose « en plus » de lui.

A cela s'ajoute que s'il a créé le monde, c'estque celui-ci « devait » exister et était donc un «manque ». Or, Dieu, par définition, ne peut pasconnaître de « manque ».

La question se posait ainsi : comment Dieu quiest tout a pu être amené à donner existence àquelque chose comme le monde ?

Mais alors un autre problème se pose encore.Dieu est éternel et infini, de par sa définition.Or, à quel « moment » aurait-il pu donc «choisir » de donner naissance au monde ?

Comment Dieu qui est parfait aurait pu,subitement, prendre une décision, comme siquelque chose lui manquait ou « devait » sefaire ?

Voici comment Maïmonide, dans Le guide deségarés, résume cette question, dont il a comprisla dangerosité :

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Maïmonide et la Kabbale

« V. L'une d'elles (est celle-ci) : Si,disent-ils, Dieu avait produit le monde dunéant, Dieu aurait été, avant de créer lemonde, agent en puissance, et en lecréant, il serait devenu agent en acte. Dieu aurait donc passé de la puissanceà l'acte, et, par conséquent, il y aurait euen lui une possibilité et il aurait eu besoind'un efficient qui l'eût fait passer de lapuissance à l'acte. C'est là encore une grande difficulté,sur laquelle tout homme intelligent doitméditer, afin de la résoudre et d'enpénétrer le mystère. VI. Autre méthode : Si un agent,disent-ils, tantôt agit et tantôt n'agit pas,ce ne peut être qu'en raison des obstaclesou des besoins qui lui surviennent ou (quisont) en lui ; les obstacles donc l'engagentà s'abstenir de faire ce qu'il aurait voulu,et les besoins l'engagent à vouloir ce qu'iln'avait pas voulu auparavant. Or, comme le créateur n'a pas debesoins qui puissent amener unchangement de volonté, et qu'il n'y a pourlui ni empêchements, ni obstacles, quipuissent survenir ou cesser, il n'y a pas deraison pour qu'il agisse dans un temps etn'agisse pas dans un autre temps ; sonaction, au contraire, doit perpétuellementexister en acte, comme il est lui-mêmeperpétuel. »

(Le guide des égarés)

Il n'y a que deux réponses possibles, sur le planlogique, et les religieux, tant juifs, catholiquesque musulmans, en étaient conscients :

1. Soit le monde a toujours coexisté àDieu, et par conséquent il est éternel : c'est leprincipe d'Aristote, qui se prolongera par lasuite finalement dans le « déisme » desLumières, qui voit Dieu comme un « horloger »(Rousseau notamment).

2. Soit il n'y a pas eu de création dumonde et Dieu revient à être l'univers, ce quedit Spinoza, et à la suite de lui le matérialismedialectique, et avant lui en fin de compte

Averroès, voire Avicenne (pour qui on a aumoins un Dieu-Univers).

Ce problème était insoluble pour les religions.Cependant, il n'y avait pas le choix, il fallaittrouver des solutions théoriques, sans quoi tousles fondements allaient être ébranlés.

Celle de Maïmonide est simple, et strictementparallèle à celle de Thomas d'Aquin : il s'agit dereprendre Aristote, mais de le faire tendre versla religion, c'est-à-dire vers l'affirmation del'individualité, du « libre-arbitre ».

Le matérialisme, avec Averroès, puis Spinoza,etc. jusqu'à Gonzalo, rejette le statut « à part »de l'individu : les humains ne « pensent » pas,ce qu'ils conçoivent est le reflet, adéquat ou non,de la réalité.

Logiquement, Maïmonide et Thomas d'Aquinpartent dans l'autre direction. S'il leur futimpossible de nier Aristote, pour autant ilspurent le « rediriger » dans une autre direction.

Et Maïmonide d'alors expliquer que lescontradictions entre la religion juive et Aristotepar le fait que Dieu dispose d'un autre mode deconnaissance, que ses choix ne peuvent pas êtrecompris, etc.

Comme il le formule ouvertement dans Le guidedes égarés :

« Si donc on demandait : PourquoiDieu s'est-il révélé à tel homme et pas àtel autre ? Pourquoi Dieu a-t-il donnécette Loi à une nation particulière, sansen donner une à d'autres ? Pourquoi l'a-t-il donnée à telle époque et ne l'a-t-ildonnée ni avant ni après ? Pourquoi a-t-ilordonné de faire telles choses et défendude faire telles autres ?... pourquoi a-t-ilsignalé le prophète par tels miracles qu'onrapporte, sans qu'il y en eût d'autres ?Qu'est-ce que Dieu avait pour but danscette législation ? La réponse à toutes ces questions seraitcelle-ci : c'est ainsi qu'il l'a voulu ou bienc'est ainsi que l'a exigé sa sagesse... Toutdépend de cette question ; sache-le bien. »

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Les Kabbalistes utilisèrent quant à eux Platon(avec des éléments d'Aristote, inévitablement).Ils dirent que Dieu qui, par définition, peut toutn'a pas ajouté quelque chose en plus, mais a aucontraire enlevé quelque chose : il s'estcontracté, freinant sa puissance, donnant ainsinaissance au monde. C'est le « tsimtsoum »,terme signifiant « contraction » en hébreu.

Mais là encore, on est dans le « choix » de Dieu.C'est l'apologie du libre-arbitre, dans un espritbourgeois (nous sommes au tout début ducapitalisme), mais appliqué à revivifier unereligion féodale, voire antique.

Telle est la clef conceptuelle, anti-matérialiste,de Maïmonide et des kabbalistes.

3. Maïmonide théoricien du « libre-arbitre »

Comment Maïmonide justifie-t-il le libre-arbitre ? En fait, il fait exactement commeThomas d'Aquin, pour qui par ailleursMaïmonide est « l'aigle de la synagogue ». TantMaïmonide que Thomas d'Aquin reprennentAristote, pour le dévier vers une direction où ilest affirmé que la partie supérieure de l'âme est« libre. »

Chez Averroès, cette partie supérieure estuniverselle, c'est l'intellect, il n'y en a qu'un ;les humains ne pensent pas. Chez Maïmonide etThomas d'Aquin, les humains peuvent « penser».

Dans Le traité des huit chapitres, écrit en judéo-arabe (dialecte de la population juive dans lespays arabes, retranscrit en écriture hébraïque),Maïmonide pose par exemple le même principeque Thomas d'Aquin ; d'emblée, il affirme :

« Sache que l'âme de l'homme est une,mais que ses opérations sont nombreuseset diverses et que certaines d'entre ellessont parfois appelées âmes, ce qui peutfaire croire que l'homme a plusieurs âmes,

comme le croient, en effet, les médecins ;c'est ainsi que le plus illustre d'entre eux(Hippocrate) commence (son ouvrage) endisant que les âmes de l'homme sont aunombre de trois, l'âme naturelle, l'âmeanimale et l'âme spirituelle. On les appelle aussi parfois facultés ouparties, de sorte que l'on dit les parties del'âme. Et ces appellations sont souventemployées par les philosophes ; cependant,en parlant de parties, ils n'entendent pasque l'âme se diviser à la manière descorps, mais ils énumèrent seulement par làses actes divers, lesquels sont à l'égard del'âme toute entière comme les parties àl'égard du tout. »

Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire quel'âme humaine est un tout, c'est-à-diredisposant également de l'élément appelé «intellect. »

Chez Averroès, les humains ne pensent pas, carl'intellect est extérieur à eux. Chez Thomasd'Aquin et Maïmonide, l'âme englobe tout, il ya l'intellect et elle est indépendante, il y a lelibre-arbitre, etc.

C'est là le cœur de l'idéologie de Maïmonide.Tout son travail vise à justifier le libre-arbitre,et s'il accepte Aristote, c'est pour y ajouterl'âme individuelle, contrant la direction prisepar Averroès.

Cependant, il faut se justifier, et Maïmonide apour cela deux arguments « massues » : toutd'abord, le fait qu'on ne pourrait pas réellementcomprendre Dieu, et ensuite, découlant parailleurs du premier argument, que la plupart destermes seraient homonymes, mais différents ensubstance (les anges peuvent « choisir » et leshumains aussi, mais leur substance différentefait que ce « choisir » va être différent ; libre-arbitre chez les humains et chez Dieu n'a pas lemême sens, etc.).

Ici, on retrouve une apologie du libre-arbitretout à fait dans l'esprit de Descartes, qui ne faitque prolonger la perspective ouverte parThomas d'Aquin pour le catholicisme.

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Maïmonide et la Kabbale

Voici comment, dans Le guide des égarés,Maïmonide « justifie » le libre-arbitre :

« La raison que Dieu a fait émaner surl'homme, et qui constitue sa perfectionfinale, est celle qu'Adam possédait avantsa désobéissance, c'est pour elle qu'il a étédit de lui qu'il était (fait) « à l'image deDieu et à sa ressemblance », et c'est àcause d'elle que la parole lui fut adresséeet qu'il reçut des ordres, comme dit(l’Écriture) : « Et l’Éternel, Dieu ordonna,etc. » (Genèse 2:16), car on ne peut pasdonner d'ordres aux animaux ni à celuiqui n'a pas de raison. »

En affirmant le « libre-arbitre », Maïmonide asauvé « Dieu. » Cependant, il n'était pas unthéoricien protestant, mais juif.

A ce titre, Maïmonide – ou le RAMBAM(acronyme de Rabbi Mosheh Ben Maimon)comme l'appelle la littérature religieuse juive –avait également écrit le Mishné Torah, la «Répétition de la Torah », une compilation écritedes lois orales juives (qui furent rassemblés dansle Talmud), qui est encore largement utilisé etreconnu par le judaïsme aujourd'hui.

Pour que donc Maïmonide puisse « sauver » lejudaïsme, il dut justifier également « l'actualité» du judaïsme, la dimension messianique, sonaspect unique, « à part. » Pour cela, ilemprunta directement le schéma d'Avicenne,l'interprétant dans une perspective religieuse, oùMoïse remplace Mahomet.

4. Les impressions chez Avicenne et lapossibilité de les interpréter

Regardons la conception, très intéressante,d'Avicenne sur la « prophétie », ce quipermettra de voir comment Maïmonide ne faitque la reprendre à son compte.

Ce que fait Avicenne, c'est établir une typologiedes différents niveaux de compréhension «

prophétique. » Voici comment il conçoit leschoses, avec différents niveaux selon la capacitéà saisir les impressions que l'on a.

Il faut, en effet, bien noter que chez Avicenne laporte est (grande) ouverte pour que lesimpressions des individus, en tant que reflet del'intellect, soit le reflet de la réalité générale... etnon pas simplement d'un « Dieu » fournissantdes informations par l'intermédiaire d'un ange -intellect.

Premier niveau : incapacité desynthétiser par plongée dans ladistraction

Il faut être préparé à synthétiser et être capablede synthétiser au moins un minimum. Or, il yen a qui ne disposent pas de cette capacité, nimême de la préparation.

Exemple moderne: quelqu'un consommant desdrogues dures ou bien passant son temps àregarder des matchs de football n'ira pas dans lesens d'une tentative de synthèse. C'est ici ladémarche de la plèbe, écrasée par les conditionsd'existence, happée par elle, incapable de saisirles impressions que la réalité lui imprime.

Second niveau: capacité d'interprétationde réflexions fulgurantes

L'individu, par moments, est capable de passerd'une chose à une autre, parce qu'une premièrechose l'amène pour ainsi dire « naturellement »à une autre, et il est capable en revenant enarrière d'établir un rapport entre les deuxchoses.

L'individu interprète des réflexions fulgurantesqu'il a et les rattache au moment qui leur ontdonné naissance.

Exemple moderne: il est connu que les écrits deBaudelaire sur le romantisme témoignent parmoments de véritables analyses fulgurantes et

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pénétrantes, comme s'il avait réussi à déchiffrerle fond d'une question (sa lecture « mystique »du monde, avec les « correspondances », estnettement un fétichisme de cette approchevisant à s'imprégner de culture et à attendrel'inspiration).

Troisième niveau: capacité deconcentration

Ici, l'individu est capable d'avoir plus que deséclairs lumineux: il parvient à stabiliser sapensée dans les hauteurs; en clair, il parvient àrester concentré et à ne pas se disperser. Il n'y apas besoin d'interprétation: l'individu sait « àquoi il pense. »

Quatrième niveau: premier stade «prophétique »

L'individu parvient ici non seulement à seconcentrer, mais ils le font de telle manièrequ'ils fusionnent pratiquement avec ce à quoi ilsréfléchissent. Ils ne sont pas « parasités » parquelque autre pensée ou sensation que ce soit.

Pour Avicenne, l'individu voit sa pensée icidirectement « imprimée »; il saisit sansinterprétation une connaissance qu'il connaît del'intérieur.

Cinquième niveau: second stade «prophétique »

Ce niveau est le même que le précèdent, à ceciprès que l'individu est capable de ne pasconfondre ce qu'il a compris avec d'autres chosesprovenant de son imagination, et qu'ilmélangerait par analogie.

Il faut bien voir ici qu'Avicenne entrevoit lasynthèse, mais ne saisit pas le moteur

dialectique. Il en reste au principe d'analogiedéveloppé par Aristote. En clair, lorsqu'on voitun interrupteur sur un mur, on le « reconnaît »par analogie avec d'autres interrupteurs qu'on avu.

Dans « Retour vers le futur 2 » justement,l'amie de Marty McFly est dans le futur (chosepar ailleurs impossible) et ne sait pas allumer lalumière, car elle raisonne par analogie et ne «trouve pas » l'interrupteur.

A ce stade donc, l'individu entrevoit des véritéset y reste, il ne mélange pas, il n'assimile pasces vérités à d'autres choses différentes ensubstance.

Sixième niveau: le prophète

A ce niveau, non seulement la connaissance eststabilisée et reste en l'individu, il garde cela enmémoire, mais en plus il peut retranscrire pourainsi dire en temps réel cette puissanceintellectuelle qui s'est imprimée en lui.

5. Averroès dépasse Avicenne

Il y a un problème essentiel dans leraisonnement d'Avicenne. On ne voit pas eneffet pourquoi un individu pourrait être à unniveau de « prophétie », et pas à un autreniveau. De fait, il doit y avoir la possibilité deprogresser sur cette échelle.

Cela amène cependant un autre problème. Si onadmet en effet qu'il est possible de progressersur cette échelle, alors le prophète Mahometn'est plus qualitativement différent. Il estseulement plus avancé sur l'échelle, n'étant pasmoins ou plus humain pour autant.

L'Islam dans ses variantes sunnites rejette donccatégoriquement Avicenne. L'Islam dans sesversions chiites (duodécimaine et ismaélienne)par contre est d'accord sur le principe, le

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Maïmonide et la Kabbale

véritable croyant (le mumin) parcourant lesdifférentes lectures cachées au sein du Coran etdécouvrant plusieurs niveaux de vérité.

Après Mahomet, il y a eu ici des imams dont ledernier est caché mais toujours présent, et enfait il aurait toujours été présent, mais demanière cachée même pour les prophètes avantMahomet; rechercher cet imam à la fois dans cemonde et dans d'autres est le chemin mystiquedu musulman authentique, etc. Le chiismeismaélien pousse d'ailleurs la logique jusqu'aubout et met de côté Mahomet au profit de laquête mystique de l'imam.

Dans l'Islam chiite, on dira ainsi que « LeCoran est l'imam muet, l'imam est le Coranparlant ».

Cette interprétation mystique ne nous intéressepas le moins du monde; elle n'est qu'un mélangede platonisme et d'aristotélisme, une sorte dedélire où il faudrait rejoindre le « Dieu-Un » quiaurait formé le monde en plusieurs niveaux qu'ilfaudrait remonter petit à petit. La kabbale suitexactement le même principe, comme nous leverrons.

Ce qui nous intéresse, c'est le matérialisme. Ilest tout à fait possible de pouvoir faire partir lalogique d'Avicenne dans le mysticisme, c'est unaspect de la réalité de sa philosophie.Cependant, nous choisissons l'autre, avecAverroès.

Celui-ci a très bien compris que si les humainsne faisaient que refléter, à différents niveaux,l'intelligence ou sphère ou ange, alors il n'yaucune raison qu'il y ait des « prophètes »divins; il s'agissait simplement d'individus «inspirés ».

S'il ne l'a jamais dit ouvertement (et pourcause), la logique d'Averroès aboutit forcémentà la thèse qu'on lui a attribué: celle qui consisteà parler des « trois imposteurs » pour désignerMoïse, Jésus et Mahomet.

Averroès a simplement poussé Avicenne jusqu'aubout de son raisonnement, dans la directionmatérialiste: si la pensée peut avoir plusieurs

niveaux selon la capacité de compréhension de «l'intelligence » globale, alors il n'y a qu'unepensée, comprise à différents niveaux.

La thèse de la pensée de Mao et de Gonzalo nedit pas autre chose.

Maïmonide, lui, fait partir Avicenne dans lamême direction que l'Islam chiite, avec uneconception très proche du prophète. Dans laseconde partie du XXe siècle, le rabbin deLoubavitch sera à l'origine d'une véritable «imamologie » dans une même veine chiite.

Mais voyons comment Maïmonide a procédé...

6. Maïmonide interprète Avicenne à samanière

Dans Le guide des égarés, Maïmonide (ou «Rambam ») expose trois conceptions de laprophétie. La première conception, que leRambam rejette, est celle des païens qui pensentque Dieu choisit un homme pour lui faire porterun message.

Or, cela signifie que Rambam rejette le fait d'un« choix » et qu'il est obligé d'accepter laconception prophétique du « reflet » qu'ontrouve chez Al Farabi, Avicenne et Averroès...Et Rambam le reconnaît lui-même ; il puiseouvertement dans Aristote.

Voici ce qu'il dit :

« La deuxième opinion est celle desphilosophes, à savoir que la prophétie estune certaine perfection (existant) dans lanature humaine ; mais que l'individuhumain n'obtient cette perfection qu'aumoyen de l'exercice, qui fait passer àl'acte ce que l'espèce possède enpuissance, à moins qu'il n'y soit misobstacle par quelque empêchement tenantau tempérament ou par quelque causeextérieure. Car, toutes les fois que l'existenced'une perfection n'est que possible dansune certaine espèce, elle ne saurait exister

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jusqu'au dernier point dans chacun desindividus de cette espèce, mais il fautnécessairement (qu'elle existe au moins)dans un individu quelconque ; et si cetteperfection est de nature à avoir besoind'une cause déterminante pour se réaliser,il faut une telle cause. Selon cette opinion, il n'est paspossible que l'ignorant devienne prophète,ni qu'un homme sans avoir été prophète laveille le soit (subitement) le lendemain,comme quelqu'un qui fait une trouvaille. Mais voici, au contraire, ce qu'il enest : si l'homme supérieur, parfait dans sesqualités rationnelles et morales, possèdeen même temps la faculté imaginative laplus parfaite et s'est préparé de la manièreque tu entendras (plus loin), il seranécessairement prophète, car c'est là uneperfection que nous possédonsnaturellement. Il ne se peut donc pas, selon cetteopinion, qu'un individu, étant propre à laprophétie et s'y étant préparé, ne soit pasun prophète, pas plus qu'il ne se peutqu'un individu d'un tempérament sain senourrisse d'une bonne nourriture, sansqu'il en naisse un bon sang et autreschoses semblables. La troisième opinion, qui est celle denotre Loi et un principe fondamental denotre religion, est absolument semblable àcette opinion philosophique, à l'exceptiond'un seul point. En effet, nous croyons que celui qui estpropre à la prophétie et qui y est préparépeut pourtant ne pas être prophète, ce quidépend de la volonté divine. »

Et plus loin, de manière tout à faitaristotélicienne :

« Sache que la prophétie, en réalité, estune émanation de Dieu, qui se répand, parl'intermédiaire de l'intellect actif, sur lafaculté rationnelle d'abord, et ensuite surla faculté imaginative ; c'est le plus hautdegré de l'homme et le terme de laperfection à laquelle son espèce peutatteindre, et cet état est la plus hauteperfection de la faculté imaginative. »

Et enfin, de manière totalement similaire àAvicenne :

« Tu connais aussi les actions de cettefaculté imaginative, consistant à garder lesouvenir des choses sensibles, à lescombiner, et, ce qui est (particulièrement)dans sa nature, à retracer (les images) ;son activité la plus grande et la plus noblen'a lieu que lorsque les sens se reposent etcessent de fonctionner, c'est alors qu'il luisurvient une certaine inspiration, (qui est)en raison de sa disposition, et qui est lacause des songes vrais et aussi celle de laprophétie. Elle ne diffère que par le pluset le moins, et non par l'espèce. »

Et plus loin encore, de manière encore une foisparfaitement conforme à ce que dit Avicenne(sauf pour la troisième partie de son exposé) :

« Cela étant, il faut que tu saches que,si cette émanation de l'intellect (actif) serépand seulement sur la faculté rationnelle(de l'homme), sans qu'il s'en répande riensur la faculté imaginative [soit parce quel'émanation elle-même est insuffisante, soitparce que la faculté imaginative estdéfectueuse dans sa formation primitive,de sorte qu'elle est incapable de recevoirl'émanation de l'intellect], c'est là (ce quiconstitue) la classe des savants qui selivrent à la spéculation.

Mais si cette émanation se répand à lafois sur les deux facultés, je veux dire surla rationnelle et sur l'imaginative [commenous l'avons exposé et comme l'ont aussiexposé d'autres parmi les philosophes], etque l'imaginative a été crééeprimitivement dans toute sa perfection,c'est là (ce qui constitue) la classe desprophètes.

Si, enfin, l'émanation se répandseulement sur la faculté imaginative, etque la faculté rationnelle reste en arrière,soit par suite de sa formation primitive,soit par suite du peu d'exercice, c'est (cequi constitue) la classe des hommes d’Étatqui font les lois, des devins, des augures et

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de ceux qui font des songes vrais ; et demême, ceux qui font des miracles par desartifices extraordinaires et des artsoccultes, sans pourtant être des savants,sont tous de cette troisième classe. »

On a donc Maïmonide reconnaissant le « reflet», mais attribuant cela non pas à une impressionde l'intellect dans l'esprit, comme le faitAverroès, mais comme une captation d'uneémanation divine.

Au lieu de pousser Aristote jusqu'au bout,Maïmonide en revient à Platon, au « un » et ses« émanations », qu'il considère même commeétant faites par un Dieu « conscient », «pensant. »

7. Maïmonide et le Dieu « pensant »

Pour que Maïmonide puisse parfaire sonsystème, il doit justifier que Dieu pense. Si Dieune pense pas, il ne peut pas en effet pas avoirchoisi non seulement de révéler des choses, maiségalement d'avoir accordé le libre-arbitre auxhumains.

Pour cette raison, Maïmonide est obligé de faireun savant mélange entre judaïsme, platonisme etaristotélisme. Voici comment il formuleprécisément sa manière de voir les choses :

« Tu connais cette célèbre propositionque les philosophes ont énoncée à l'égardde Dieu, savoir qu'il est l'intellect,l'intelligent, et l'intelligible, et que cestrois choses, en Dieu, ne font qu'une seuleet même chose, dans laquelle il n'y a pasde multiplicité. »

Défendant cette proposition, Maïmonide attaqueimmédiatement l'aristotélisme non seulementdans sa perspective averroïste, mais mêmeavicennienne, au nom d'un aristotélisme juif :

« Sans doute, celui qui n'a pas étudiéles livres traitant de l'intellect [lesquels ?Il ne peut s'agir que de ceux d'Aristote],qui n'a pas saisi l'essence de l'intellect, quin'en connaît pas le véritable être et quin'en comprend qu'autant qu'il comprendl'idée de blanc et de noir, aura beaucoupde peine à comprendre ce sujet, et quandnous disons que Dieu est l'intellect,l'intelligent et l'intelligible, ce sera pourlui comme si nous disions que lablancheur, la chose blanchie et ce quiblanchit sont une seule et même chose ! Et en effet combien y a-t-il d'ignorantsqui se hâteront de nous réfuter par cetexemple et par d'autres semblables ! »

Ici, on voit comment Spinoza est un penseurjuif. Il admet le principe de l'unité, de l'unicitédivine, mais il est d'accord pour dire, enquelque sorte, que « la blancheur, la choseblanchie et ce qui blanchit sont une seule etmême chose. » Dieu se confond avec l'univers.

Mais Maïmonide est un penseur qui veutretourner en arrière, et non pas faire commeSpinoza et pousser Aristote jusqu'au bout,même au-delà d'Averroès !

Maïmonide veut retourner en arrière. Il ne peutpas admettre que les sphères célestes, les anges,etc. aient des capacités « productives. » Celaserait contraire à la religion, à ses yeux (lekabbalisme lui prendra cette direction, aumoyen de Platon).

Et il ne peut pas utiliser Platon de manièreprincipale, car son Dieu est « un » dans unmode passif. Maïmonide veut maintenir lafiction d'un Dieu qui choisit, prend desdécisions, etc., le tout « à sa manière » unique.

Il n'y a donc qu'un seul moyen pourMaïmonide : faire un Dieu éternellement actif,éternellement penché sur l'humanité – c'estl'origine de la fameuse culture juive du « si Dieuveut ».

Maïmonide dit ainsi :

« Il est très évident que toute chose

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née a nécessairement une cause prochainequi l'a fait naître ; cette cause (à sontour) a une cause, jusqu'à ce qu'on arriveà la cause première de toute chose, c'est-à-dire à la libre volonté de Dieu. »

Et voici comment Maïmonide formule saconception d'un Dieu toujours actif (là où lekabbalisme formulera la conception d'un Dieujamais actif, toujours passif) :

« Or, comme il est démontré que Dieu(qu'il soit glorifié!) est intellect en acte, etcomme il n'y a en lui absolument rien quisoit en puissance, - ce qui est clair (en lui-même) et sera encore démontré, - de sortequ'il ne se peut pas que tantôt il perçoiveet tantôt il ne perçoive pas, et qu'aucontraire il est toujours intellect en acte, ils'ensuit que lui et la chose perçue sontune seule et même chose, qui est sonessence ; et (d'autre part) cette mêmeaction de percevoir, pour laquelle il estappelé « intelligent », est l'intellect mêmequi est son essence. Par conséquent, il est perpétuellementintellect, intelligent et intelligible. Il estaussi que, si l'on dit que l'intellect,l'intelligent et l'intelligible ne formentqu'un en nombre, cela ne s'applique passeulement au Créateur, mais à toutintellect. Dans nous aussi, l'intelligent, l'intellectet l'intelligible sont une seule et mêmechose toutes les fois que nous possédonsl'intellect en acte ; mais ce n'est que parintervalles que nous passons de lapuissance à l'acte. De même l'intellect séparé, je veux direl'intellect actif (universel), éprouvequelques fois un empêchement à sonaction ; et bien que cet empêchement nevienne pas de lui-même, mais du dehors,c'est une certaine perturbation (quisurvient) accidentellement à cet intellect. Mais nous n'avons pas maintenant pourbut d'expliquer ce sujet ; notre but estplutôt (d'exposer) que la chose quiappartient à Dieu seul et qui lui estparticulière, c'est d'être toujours intellecten acte et de n'éprouver aucunempêchement à la perception, ni de lui-

même, ni d'autre part. Il s'ensuit de là qu'il est toujours etperpétuellement intelligent, intellect etintelligible ; c'est son essence même quiest intelligente, c'est elle qui estl'intelligible, et c'est encore elle qui estl'intellect, comme cela être dans toutintellect en acte. »

Qu'est-ce que cela signifie, dit simplement ? Enfait, Dieu « porte » le monde : il lui donnenaissance, mais il n'est pas « parti » (c'estinversement la thèse de la kabbale).

Maïmonide reprend la thèse d'Aristote selonlaquelle une « âme » donne une « forme » à la «matière », ce qui a été appelé « hylémorphisme» (des termes grecs hulè, matière et morphè,forme).

Et il l'applique au monde : Dieu ne fait pas que« créer » le monde, il en est à la « forme », leprincipe essentiel.

Ainsi, selon Maïmonide, « Dieu est la findernière de toute chose ; tout aussi a pour fin delui devenir semblable en perfection, autant quecela se peut. »

Tout part de Dieu, mais tout est également «porté » par Dieu, et donc tout lui reviendra.

8. Maïmonide et Aristote

Le problème fondamental des affirmations deMaïmonide, c'est qu'elles en font un discipled'Aristote, d'un « philosophe » qui n'utilise pasdirectement les écrits sacrés ou la traditionorale.

Le guide des égarés s'est, pour cette raison, faitlittéralement écharpé par nombre de rabbins,justement pour cette tendance « philosophique».

En effet, comme nous l'avons vu, il estabsolument évident que Maïmonide reprend leschéma mélangeant Platon à Aristote, où on a :DIEU => premier ange (ou sphère) => second

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ange => etc. jusqu'à => 10e sphère => notremonde.

Maïmonide dit ouvertement :

« Nous avons déjà donnéprécédemment, dans ce traité, un chapitreoù l'on expose que les anges ne sont pasdes corps. C'est aussi ce qu'a ditAristote ; seulement il y a ici unedifférence de dénomination : lui, il dit «Intelligences séparées », tandis que nous,nous disons « anges. » Quant à ce qu'il dit, que cesIntelligences séparées sont aussi desintermédiaires entre Dieu et les (autres)êtres et que c'est par leur intermédiaireque sont mues les sphères, - ce qui est lacause de la naissance de tout ce qui naît, -c'est aussi ce que proclament tous leslivres (sacrés) ; car tu n'y trouverasjamais que Dieu fasse quelque choseautrement que par l'intermédiaire d'unange. »

(Le guides des égarés)

C'est le schéma que l'on retrouve chez Al Farabiet Avicenne : le Dieu « bon » en soi produitindirectement une première sphère, qui alorscréé de fait le multiple (Dieu n'est plus « seul»), et donc créé une seconde sphère, qui en crééune troisième, etc.

Naturellement, Maïmonide ne parle jamaisd'Avicenne, il attribue sa conception aujudaïsme authentique, mais qui aurait été perdu,etc. C'est une démarche d'attribution à un passémythique que l'on retrouvera systématiquementdans la kabbale.

Cependant, ce n'est pas tout. Maïmonide suit icitellement Aristote qu'il parle lui-même desphères et reconnaît tout à fait l'importance del'astrologie. Maïmonide reconnaît ainsi tout àfait le système où tout vient par en haut parune succession d'étapes, d'anges, mais sa visiondu monde emprunte très largement au néo-platonisme, à la lecture « magique » du monde.

Le « un » s'épanche sur le monde, et leshumains doivent remonter à la source.

Normalement, Aristote considère que l'humainest heureux en méditant sur le monde, car lemoteur divin est loin et tourné vers lui-même.

Mais Maïmonide a besoin d'un Dieu « pensant», pour justifier le libre-arbitre. Qu'à cela netienne, il reprend le thème néo-platonicien du «Dieu-Un » comme source où il faut retourner. Ila juste besoin d'ajouter que Dieu a choisi defaire des émanations.

Il dit ainsi, de manière conforme au néo-platonisme :

« Il en est de même dans l'univers :l'épanchement, qui vient de Dieu pourproduire ces Intelligences séparées, secommunique aussi de ces intelligencespour qu'elles se produisent les unes lesautres, jusqu'à l'intellect actif avec lequelcesse la production des intelligencesséparées. De chaque intelligence séparée, ilémane également une autre production,jusqu'à ce que les sphères aboutissent àcelle de la lune. Après cette dernière vient ce (bas)corps qui naît et périt, je veux dire lamatière première et ce qui en est composé.De chaque sphère il vient des forces (quise communiquent) aux éléments, jusqu'àce que leur épanchement s'arrête au terme(du monde) de la naissance et de lacorruption. »

(Le guides des égarés)

Et voici comment il présente le rôle des «planètes », des « sphères », des angesintermédiaires :

« On sait, et c'est une chose répanduedans tous les livres des philosophes, quelorsqu'ils parlent du régime (du monde),ils disent que le régime de ce mondeinférieur, je veux dire du monde de lanaissance et de la corruption, n'a lieuqu'au moyen des forces qui découlent dessphères célestes. Nous avons déjà dit cela plusieurs fois,et tu trouveras que les docteurs disent demême (Beréchit Rabbâ 10) [commentaire

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de la Torâ datant des V-VIe siècles] : « Iln'y a pas jusqu'à la moindre plante ici-basqui n'ait au firmament son mazzâl (c'est-à-dire son étoile), qui la frappe et luiordonne de croître, ainsi qu'il est dit (Job38:33) : « Connais-tu les lois du ciel, ousais-tu indiquer sa domination (soninfluence) sur la terre ? » - (par mazzâl ondésigne aussi un « astre », comme tu letrouvers clairement au commencement duBeréchit Rabbâ, où ils disent : « Il y a telmazzâl (c'est-à-dire tel astre ou telleplanète) qui achève sa course en trentejours, et tel autre qui achève sa course entrente ans). Ils sont donc clairement indiqué par cepassage que même les individus de lanature sont sous l'influence particulièredes forces de certains astres ; car quoiquetoutes les forces ensemble de la sphèrecéleste se répandent dans tous les êtres,chaque espèce cependant se trouve aussisous l'influence particulière d'un astrequelconque. Il en est comme des forces d'un seulcorps, car l'univers tout entier est un seulindividu, comme nous l'avons dit. »

(Le guides des égarés)

Nous touchons ici le cœur de la vision du mondede Maïmonide :

a) il accepte la vision d'Aristote : moteur divin=> 1ère sphère => 2de sphère, etc.

b) mais comme il a besoin d'un Dieu actif etnon pas passif comme le moteur divin, il puisedans Platon le principe du « Dieu-Un » penchésur le monde produit de ses émanations divines.

Le système tient, mais est contradictoire. C'estprécisément là qu'intervient la kabbale, pourcombler le système en modifiant l'ordrehiérarchique et en faisant placer Platon et son «Dieu-Un » avant Aristote et sa division ensphères.

9. Kabbale comme complément deMaïmonide

La conception de Maïmonide tient debout, maisil saute aux yeux que le rapport entre Dieu et lemonde n'est pas très clair, il n'est pas trèsexplicite.

Il y a Dieu d'un côté, le monde de l'autre, avecle « libre-arbitre » des deux côtés, il y a les loisorales résumées par le Talmud, il y a le messiequi va arriver... Mais comment s'y retrouver ?

C'est là qu'intervient la kabbale. Celle-cicritique Maïmonide, mais nous verrons commentil s'agit de deux faces d'une même pièceidéaliste, qui finirent par se rejoindre.

Voyons d'abord la critique effectuée par leskabbalistes. Ceux-ci disent : avec Maïmonide,l'humain rationnel obéit aux lois de Dieu. Maisil ne dit pas pourquoi ces lois ont un sens parrapport à Dieu, il sépare ces lois de Dieu, or làserait la clef du judaïsme.

Une critique kabbaliste dit ainsi :

« La première chose intelligible est quele Seigneur de tout, que l'on ne peut sereprésenter dans l'intellect par un concept,ni par une limite et un changement, neprofite et ne manque de rien ; de même enest-il des Intellects séparés et de toutes lesIdées séparées : rien ne les avantage etrien ne leur manque. C'est pourquoi, lorsque vinrent lesJuifs philosophants, ils ne trouvèrentnullement que les prières matérielles - carla parole et la voix sont matérielles -soient profitables par elles-mêmes, si bienque le maître, l'auteur du Guide [deségarés], dit que leur but est de méditer etde contempler les réalités, et qu'il ne fautpas dire que ces paroles matérielles et cessuppliques parviennent jusqu'au Créateuret qu'il les entend et exauce la demandede celui qui prie. En vérité, ces propos ruinent toutes lescroyances et la prophétie. »

(R. Chem Tov ben Chem Tov, Seferha-Emounot, XVe siècle)

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Maïmonide et la Kabbale

Dans un autre écrit, on peut pareillement lire ausujet de Maïmonide :

« Lui [à savoir donc Maïmonide dansLe guide des égarés] pense que ces actesn'ont aucun effet et que les anciensidolâtres trompaient les foules avec deschoses qui n'ont rien de consistant etn'opèrent aucune action dans le monde,leur but étant seulement de s'ériger enmaître et de gouverner la populace par deschoses mensongères dépourvues de touteréalité. Il pense aussi que la Torah n'arepoussé de telles pratiques hors de lanation israélite que parce qu'elles sontvaines et ne possèdent aucune efficience.On pourrait déduire de ses propos que sielles avaient été utiles, la Torah ne lesaurait pas repoussées. Mais selon l'avis de nos maîtres, que lapaix soit sur eux, et selon l'avis des sagesde la cabale, il n'en va pas ainsi : lesanciens agissaient en ce monde au moyende ces pratiques en fonction des cultesqu'ils rendaient aux puissances d'en haut,aux étoiles, aux constellations et aux êtresqui les gouvernent, et par leurs rites etleurs cultes, ils obtenaient des résultats enfaisant descendre la spiritualité des astresici-bas. »

(R. Siméon Labi, Ketem Paz, XVIesiècle)

Les kabbalistes ne sont pas d'accord pourséparer complètement le monde de Dieu.

Le grand paradoxe, rendant la chose à peu prèsincompréhensible, est que Maïmonide sépareDieu et le monde, avec un Dieu tout le tempspenché sur le monde, regardant et choisissant,mais de loin (sans qu'on ne sache pourquoi, nimême qu'on puisse savoir pourquoi).

Dans la kabbale, c'est l'inverse, Dieu est trèslointain, il n'est plus présent, mais donc il est «connecté » au judaïsme. La raison de cela estfacile à comprendre. Les options de Maïmonideet de la kabbale obéissent à deux impératifs :

- affirmer le libre-arbitre de la communautéjuive isolée, son « choix » envers « son » Dieu,pour maintenir l'unité ;

- justifier la dispersion de la communauté juivepar une présence de Dieu affaiblie qu'il faudraitrenforcer.

La notion de temps est ici différente. Maïmonideconsidérait l'avènement du messie commeproche, voire très proche (50, 100 ans), alors quepour la kabbale il s'agissait d'un processus encours pouvant durer bien plus longtemps (sansqu'une date soit posée).

La double fonction idéologique est ici bienentendu de maintenir idéologiquement l'unité dela communauté juive, de justifier sa situation.

10. La base de la kabbale

La kabbale puise ses racines dans le néo-platonisme, à partir du mysticisme juif, dont lareligion juive disposait déjà d'une solide base.

Elle était déjà elle-même issue de rituels de typepaïens élémentaires, comme en témoigne cespassages de la genèse (8, 20-21) et de l'exode(24, 4-8) qui témoigne des restes du culte «sacrificiel » propre aux premières religions :

« 20. Noé bâtit un autel à l’Éternel; ilprit de toutes les bêtes pures et de tousles oiseaux purs, et il offrit desholocaustes sur l'autel. 21. L’Éternelsentit une odeur agréable, et l’Éternel diten son cœur : Je ne maudirai plus la terre,à cause de l'homme, parce que les penséesdu coeur de l'homme sont mauvaises dèssa jeunesse; et je ne frapperai plus tout cequi est vivant, comme je l'ai fait. »

« 4. Et Moïse écrivit toutes les parolesde l'Éternel, et il se leva de bon matin, etbâtit un autel au bas de la montagne, etdressa douze colonnes pour les douzetribus d'Israël. 5. Et il envoya les jeunes

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gens des enfants d'Israël, qui offrirent desholocaustes, et sacrifièrent des sacrificesde prospérité à l'Éternel, savoir de jeunestaureaux. 6. Et Moïse prit la moitié dusang, et le mit dans les bassins, et ilrépandit l'autre moitié sur l'autel. 7. Puisil prit le livre de l'alliance, et il le lut aupeuple qui l'écoutait et qui dit: Nousferons tout ce que l'Éternel a dit, et nousobéirons. 8 Moïse prit donc le sang, et lerépandit sur le peuple, et dit: Voici le sangde l'alliance que l'Éternel a traitée avecvous selon toutes ces paroles. »

Qu'est-ce que le kabbalisme ? Le kabbalismeregroupe de nombreux auteurs, mais tous ont lemême but : expliquer l'origine du monde, toutcomme Maïmonide.

Leur direction va toutefois à l'opposé donc deMaïmonide, celui-ci considérant qu'on ne peutpas comprendre pourquoi Dieu agit (ni au fondce qu'est Dieu réellement), et que l'origine dumonde se tient dans la « sagesse » de Dieu.

Ici, Maïmonide suit clairement la visiond'Aristote selon laquelle le moteur divin, tournévers lui-même, a « produit » par sa bonté unecertaine vision de lui-même, ce qui a amené parconséquent quelque chose en plus, d'où découlele monde, etc. etc.

Les kabbalistes, eux, ne se tournent pas versAristote, mais vers Platon et ses « successeurs »appelés néo-platoniciens. Ils puisentmassivement dans les néo-platoniciens,reprenant directement leurs thèses.

Rappelons les deux principales :

a) l'origine des êtres humains repose dansl'émanation d'une âme unifiée totale dans leCiel ; chaque humain doit quitter son corpspour faire en sorte que son âme « retourne » àson point de départ initial. Le grand théoricienest ici Plotin.

b) le monde matériel est composé d'une sorted'émanation multiple depuis en haut, et on peutdonc saisir, de manière magique, les forces

régissant cette descente, afin de se lesapproprier, de les modifier, etc. (c'est le principede la magie, des mages, etc.).

Les kabbalistes puisent donc toutes leursconceptions dans le néo-platonisme, qu'ils vontmélanger avec le judaïsme. Le terme de kabbalesignifie ainsi « réception » en hébreu : c'est laréception de l'émanation divine.

Citons ici un texte kabbaliste, sur la réceptionde la lumière divine et sur la manière de la faireresplendir en lui « obéissant » :

« Un des principes auxquels l'hommedoit croire est que tout ses actes « fontimpression » en haut, qu'ils soient bons oumauvais. En accomplissant les commandementsque le Seigneur son Dieu a ordonnés, ilillumine, fait resplendir et met en lumièrela dimension [supérieure] dont dépend lecommandement qu'il a accompli. Selon la grandeur du commandementqu'il aura accompli et la qualité de sonintention lors de cet accomplissement,ainsi sera l'intense irradiation quil'éclairera par son biais. L'épanchement s'accroîtra dans lescanaux pour faire prospérer le monde et lemonde se nourrira par son intermédiaire,en ce qu'il l'illuminera et le fera resplendirquand il fera remonter [les canaux] vers lasource pour qu'ils reviennent à leur étatde subtilité et de pureté qui était le leurlà-bas à l'origine, avant l'émanation. »

(R. Salomon Alkabets, Liquoutéhaqdamot le-Hokhmat ha-Qabalah, texte

du XVIe siècle)

Rappelons au passage que ce néo-platonisme estune bricolage mélangeant de manière erronée lesthèses de Platon et d'Aristote (en faveur d'unPlaton « religieux »).

Et rappelons, comme cela a été vu, queMaïmonide puise lui dans Aristote et en faitsurtout Avicenne (expliquant Aristote), pourmélanger ces conceptions avec le judaïsme (touten étant donc influencé par Platon, puisque lapensée d'Avicenne est elle-même marquée par

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celle de Platon, pour la dimension religieuse, cequ'on a plus chez Averroès).

Tout cela forme un savant bricolage auvocabulaire très technique, ainsi que desconcepts mystiques ; on ne peut donc êtreétonné de la dimension fascinante pour desesprits religieux comme il y en a au Moyen-Âge.

Voyons maintenant la vision kabbaliste dumonde.

11. Le principe de la kabbale

En fait, le principe de la kabbale a déjà étéétudié par la grande majorité des gens enFrance, avec la conception des «correspondances » chez Baudelaire.

Il y a des « parallèles », des portes, des accès,entre ce qui se passe dans le monde matériel etdans le monde spirituel.

Il y a des clefs, des signes, des «correspondances » qui sont autant de portesouvertes d'un monde à l'autre : tout correspond.

L'étoile de David symbolise deux triangles, enhaut et en bas, se « correspondant », commeune sorte de miroir.

Un texte kabbaliste dit ainsi :

« Tu as déjà reçu la tradition selonlaquelle toute action accomplie ici-bas faitimpression en haut, car rien n'est fait surterre qui ne fasse impression en haut : lemonde supérieur tout entier est comme lemiroir du monde inférieur et de même quetout acte que l'homme accomplitimpressionne le miroir par sa puissance dumiroir, ainsi l'action des êtres d'en bas sereflète dans le monde d'en haut. »

(R. Siméon Labi, Ketem Paz, XVIesiècle)

Toute l'idéologie « romantique » puise dans lenéo-platonisme et le kabbalisme, où tout répondà tout ; lorsque Baudelaire parle des «

correspondances » entre en haut et en bas, ilemprunte cela directement au mystique suédoisSwedenborg, qui lui-même puise cela dans lenéo-platonisme et la kabbale.

Lorsque dans A une passante, Baudelairetémoigne d'une rencontre avec une femme etd'un coup de foudre (échouant car la femme n'apas été à la hauteur), il raconte une «correspondance », une possibilité (« Ô toi quej'eusse aimée, ô toi qui le savais ! »).

La kabbale est la théorie de ce miroir. Etl'énergie vient bien entendu de tout en haut, dela première Cause, Dieu.

Voici ce qu'on lit par exemple dans uneExplication sur le commentaire de Nahmanide ,datant de 1875 :

« C'est une chose reçue par lescabalistes de vérité que les créations de cemonde-ci descendent d'en haut comme lelong d'une chaîne, il n'y aucune créaturequi n'ait se puissance en haut, ainsi que ledisent nos maîtres : « Le moindre brind'herbe a un astre en haut qui le frappe etlui dis : Crois ! » (Gen. Rabba 10:6). Si c'est le cas de l'herbe, point n'estbesoin de le préciser pour les animaux, lesvolatiles, les arbres et toutes les autrescréatures. Déjà le Hassid [c'est-à-dire R. Isaacl'Aveugle], que sa mémoire soit unebénédiction, a écrit une chose merveilleuseà ce propos, dont je transcriraipartiellement les dires, sans reprendre lemot à mot. Il dit : Toutes les créatures de la terresont suspendues à des puissancessupérieures et celles-ci à d'autres encorequi leur sont supérieures et celles-ci àd'autres encore qui leur sont supérieuresjusqu'à la Cause qui est sans fin, à lafaçon dont il est (marqué) : « Unsupérieur au-dessus d'un supérieur montela garde » (Ecc. 5:7). »

C'est le principe de « l'émanation », tout émanepar en haut, par strates. Et naturellement, c'estdu néo-platonisme, d'où la théorie des «

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sephiroth », des émanations : au lieu d'avoir dixsphères ou dix anges comme chez les mystiquesmusulmans issus d'Aristote, on a dixémanations.

Ces dix émanations se combinent, leurcombinaison permet l'unification de la premièreet de la dernière.

12. Les "émanations"

La théorie kabbaliste est une continuation dunéo-platonisme, son prolongement le plusultime.

Non seulement on a la théorie de l'émanation :l'énergie vient d'en haut, il faut que sa propreâme rejoigne la source divine... Mais on a, enplus, la conception selon laquelle on peutenvoyer de l'énergie du bas vers le haut, par laprière.

Nous avons vu comment la Bible mentionne dessacrifices satisfaisant Dieu ; la Kabbale a lamême conception pour la prière.

Un texte kabbaliste résume cela ainsi :

« Le souffle qui sort de la bouche del'homme [lors de la prière] est comme unsacrifice, une odeur apaisante, et il est lediadème du Saint béni soit-il, qu'il soitbéni et exalté, et [ce souffle] chemine etnourrit les puissances du cosmos. La partie limpide du souffle est unenourriture pour les anges assurant leservice divin. La partie la plus limpide, letiers, est destiné au culte de son Nom,béni soit-il, comme une allusion l'indique :« Le tiers d'Israël sera (…) unebénédiction » (Es. 19:24). La prièred'Israël est la chose principale de l'universet elle est la nourriture de tous lesmondes. » (R. Joseph de Hamadan, Sefer Ta'amé

ha-Mitsvot)

Pour autant, la prière doit être adéquate, il fautbien prononcer les mots ; de plus, ici chaque

lettre en hébreu est en même temps un chiffre etil y a un important jeu sur les chiffres, leséquivalences, etc. (c'est la gematria, où soi-disant des informations scientifiques cachées, desprophéties, etc. se cacheraient dans la Bible, ouencore d'ailleurs le Coran pour les musulmans,etc.).

A cela s'ajoute une grande « sagesse » de lapersonne priant. Le Bahir, ouvrage kabbalisted'importance, explique ainsi, en se fondant surce principe des « parallèles » et de l'analogie(approches anti-matérialistes et anti-dialectique):

« A chaque fois qu'un homme étudie laTorah de façon désintéressée, la Torahd'en haut se réunit au Saint béni soit-il(…). Cette Torah [d'en haut] dont tu parles,quelle est-elle ? C'est une fiancée qui estornée, couronnée et parée de tous lescommandements, elle est le trésor de laTorah et elle est la fiancée du Saint bénisoit-il, ainsi qu'il est écrit : « La Torahque nous a prescrite Moïse est un héritagepour l'assemblée de Jacob » (Deut. 33:4).Ne lis pas morachah (héritage), maisme'ourassah (fiancée). Et de quelle manière ? Quand lesIsraélites s'adonnent à la Torah de façondésintéressée, elle est la fiancée du Saintbéni soit-il et quand elle est la fiancée duSaint béni soit-il, elle est un héritage pourIsraël. »

Il y a ici des allusions typiques : prier demanière correcte permet à la « fiancée », c'est-à-dire la communauté juive, de s'unir à Dieu.

La kabbale utilise ici dix étapes entre Dieu et lacommunauté juive, dix sephirot (« émanations») :

1. Kether - Couronne

2. Ḥokhma - Sagesse

3. Bina - Compréhension

4. Ḥessed - Miséricorde

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Maïmonide et la Kabbale

5. Guebhoura - Force

6. Tiph'ereth - Beauté

7. Neṣaḥ - Victoire

8. Hod - Gloire

9. Yessod - Fondation

10. Malkhouth - Royaume

Kether est en fait Dieu, l'infini (en sof) et touten bas il y a le monde. La réunion des deux, parles prières adéquates, permet de redonner sapuissance à la Chekhina, la « résidence » deDieu dans la communauté juive.

Le grand classique de la kabbale, le Zohar, duXIIIe siècle, dit ainsi :

« Au début, par les chants et leslouanges que les anges du Très-Hautdisent en haut, et par l'arrangement deslouanges que les Israélites disent en bas,Elle [la Chekhina] se pare et s'embellit deses bijoux comme une femme qui se parepour son époux. »

On doit noter l'importance de l'allégorie du «couple. » C'est de la théorie du « miroir » quevient toute une série de remarques comme quoitout est complémentaire : l'homme et la femme,l'animal et son abattage, etc., dans une logiquede la dépendance d'une chose à une autre quipour le coup est totalement emprunté à Aristote(qui en arrivait, dans la même logique d'unechose n'existant que de par sa fonction, àexpliquer que l'esclave était là pour le maître, etinversement).

13. Signification mystique del'alimentation cachère

L'alimentation cachère s'est vue attribuer, dansun esprit proche de la kabbale, une significationpour l'accès au monde supérieur.

La religion juive est en effet une religiond'observance ; prier n'est possible, encore plusdans la kabbale, que si l'âme est « correcte. »

Voici ce que dit l'un des principaux auteurskabbalistes, sans doute d'ailleurs à l'origine duZohar :

« On augmente, au moyen del'intention de la prière et de soneffectivité, la puissance de l'en haut et lasurabondance de flux dans les dimensionsparticulières, sublimes et élevées, qui sontle secret du Nom du Saint béni soit-il. C'est à ce quoi se rapporte le secret duverset : « Tu béniras YHVH ton Dieu »(Deut. 8:10). Puisque, par la prière, onattire l'influx de la Source supérieure, quisoutient et nourrit tout, sur toutes lesdimensions, secret de son Nom, commenous venons de le dire. De cette façon, son nom est béni parl'accroissement de l'influx descendant. Eneffet, celui qui prie avec une intention ducœur et qui sait L'unifier dans sa prière ety mettre son esprit et son âme, travaillepour son Créateur en lui rendant un cultevalable, car il augmente et fait s'épancherun flux de bénédictions de la Sourceoriginale [des « dimensions »] jusqu'aulieu où elles campent. » (Moïse de León, Sefer ha-Rimon, XIIIe

siècle)

Dans un autre texte, il est dit pareillement :

« Tout homme d'Israël qui récite leChéma' deux fois [par jour] en prononçantses lettres avec précision, c'est comme s'ilattachait une couronne au Saint béni soit-il, comme s'il édifiait le monde entier etcomme s'il construisait le ciel et la terre. Comment cela ? Lorsque les Israélitesfont régner le Nom du Saint béni soit-il etrécitent le texte du Chéma' [Chmâ, Israël,Ado-nay Elo-henou, Ado-naï Ehad' -Écoute, Israëla, l'Éternel, notre Dieu,l'Éternel est un], leur voix est entenduejusqu'au Rideau intérieur et cette voixpoursuivant son chemin attache les sefirotles unes aux autres et fait d'elles unechose une. »

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(R. Joseph de Hamadan, Sefer Ta'améha-Mitsvot)

Prononcer les lettres avec précision, être « sage», nécessite l'observance de la loi orale.L'alimentation « correcte » se voit alorsattribuer une signification pour l'âme. Voici ceque disent deux textes du XIIIe siècle, avec desnuances notables entre les deux points de vue.

« La Tora nous éclaire également ennous enseignant le secret de la cause etl'effet [notions forgées par Aristote]. Elle nous a interdit la consommationde certains animaux, oiseaux et poissons.Ceci est en relation avec le reste des loisde la Tora, qui sont bénéfiques autantpour le corps que pour l'âme [en bas / enhaut]. Car tous ces aliments interdits sontréputés mauvais pour la santé. De plus, ilsabîment l'âme. C'est pourquoi la Tora écrit : « Ils vousrendent obstrués ("נטמתם") », sans lalettre aleph ("נטמאתם" ayant le sens de« vous deviendrez impurs »), pour nousenseigner qu'ils bouchent le cœur. La liste des animaux non cachèresillustre bien ce point. À part deux d'entreeux, ce sont tous des oiseaux de proie etils représentent toutes les catégoriesd'oiseaux de proie existantes. Ils sont touscruels. À travers la consommation de leurchair et leur sang, l'âme s'imprègne deleur cruauté. C'est pourquoi il convientque ces espèces soient défendues au peuplejuif, qui a reçu l'ordre d'êtremiséricordieux et d'aimer son prochain. » (Ramban (Na'hmanide), Torat Hashem

Temima, XIIIe siècle)

Voici le second extrait:

« Les raisons de la mitsva (decacherout) : le corps est un outil pourl'âme, et à travers le corps, l'âmeaccomplit ses tâches. Sans le corps, l'âmene pourrait pas exécuter sa mission... Si le corps connaît la moindredéficience, l'âme sera limitée dans son

travail en fonction de cette déficience. LaTora nous enjoint donc de nous abstenirde consommer tout aliment susceptible decauser un dommage. Tel est le sens simpledes aliments qui ont été interdits par laTora. Si certaines de ces nourrituresdangereuses sont connues de nous et nondes médecins, n'en soyez pas surpris, parceque le fidèle Médecin qui nous a informésà ce sujet est de loin plus sage que nousou les docteurs. Combien stupide seraitcelui qui considérerait, en fonction de sesconnaissances, que ces nourritures necomportent pas de dangers ! Il faut également savoir que c'est pournotre bien que la Tora n'explique pas lesraisons (de l'interdiction de certainsaliments) ou le dommage qu'ils causent :en effet, des gens pourraient se prétendretrès sages, et nous raconter que lesdangers auxquels la Tora fait référenceconcernant une certaine nourrituren'existent pas ou qu’ils existent seulementdans un certain endroit ou pour certainespersonnes. Pour ne pas risquer d'être influencéspar leurs paroles et de suivre les imbéciles,la Tora ne nous a pas révélé les raisons(de l'interdiction), afin de nous épargnercet obstacle qui pourrait nous fairetrébucher. »

(Séfer Ha'hinoukh, mitsva 73, XIIIesiècle)

L'observance de la loi permet d'élever son âme,de lui donner une capacité à aller vers « enhaut. » L'idéalisme est ici total.

14. « L'unification » cosmique

Le kabbalisme a une conséquence terrible pourle judaïsme : en effet, le judaïsme affirme latoute-puissance de Dieu, or là on pourrait agiren Dieu, « si on peut dire » (« si on peut dire »est une formule classique, visant à relativiser unpropos allant « trop loin » de la part d'unkabbaliste).

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Maïmonide et la Kabbale

Dans la kabbale, si on prie bien, on agitpositivement « en haut », mais l'inverse estpossible. Voici une explication :

« Tu sais que les inférieurs sont nourrispar les supérieurs et que les supérieurssont reliés aux inférieurs et reçoiventpuissance et épanchement lorsque nousfaisons le bien et le juste aux yeux denotre Dieu, surajoutant épanchement etsubsistance. Nous disposons en nous-mêmes de lafaculté de donner puissance à l'en-haut ouau contraire – Dieu préserve – de causerun dommage, et cela en faisantqu'interrompre (l'effusion) du bien etl'épanchement, ainsi qu'il est dit : « Cesont seulement vos iniquités qui ont misune séparation entre vous et votre Dieu etvos péchés lui on fait cacher sa face devous (mikém) » (Es. 59:2). Le prophète dit [en réalité] « à partirde vous » (mikém), à savoir : lorsque nousfaisons le bien et le juste, l'épanchementdescend à travers les canaux spirituels ;quand nous faisons le mal, il descend àtravers un autre chemin vers un autre côtéet l'effusion du bien cesse de parvenir auxsupérieurs, ne passant plus par un chemindroit de sefira en sefira ; la sefira restedonc desséchée de tout bien, c'est donc àcause de nos iniquités qu'elle vient àmanquer de tout et aucun dommage n'estpour elle plus grand que celui-là. »

(R. Isaac d'Acre, Méirat 'Enayim,XIVe siècle)

Cela semble naturellement en contradictionformelle avec le judaïsme, et la kaikjbbale alongtemps été combattue au sein du judaïsme.Elle ne gagna ses « lettres de noblesse »qu'après avoir formulé sa théorie de l'existencedu monde.

Cette théorie fut formulée par Isaac Louria, auXVIe siècle, sous le nom de « tsimtsoum », le «retrait », la « contraction. »

En voici une définition :

« Lorsque le Nom, béni soit-Il, voulut

créer le monde, il n’y avait pas de placepour le créer, car le tout était infini. De cefait, Il contracta la « lumière » sur lescôtés et par l’intermédiaire de ce retrait(tsimtsoum) se forma un « espace vide » Et à l’intérieur de cet « espace vide »sont venus à l’existence les jours (temps)et les mesures (espaces) qui constituentl’essentiel de la Création du Monde. »

(Rabbi Nahman de Breslev, LiqoutéMoharan, XIXe siècle)

La kabbale dit, afin d'échapper à sacontradiction comme quoi on pourrait «renforcer » un Dieu censé être tout puissant,que Dieu a « enlevé » de sa puissance pour faireexister le monde.

Et là, de la même manière qu'il y aurait un bigbang, il y aura un big crunch : combler lacontraction c'est ramener le monde en Dieu,mettre fin à la contraction : c'est l'unification.

On a là un délire néo-platonicien total, unerefusion complète avec le « Dieu-Un » qui seraitpossible. Voici une explication kabbaliste :

« D'après la véritable cabale,l'adhésion à Dieu, qu'il nous a ordonnée,se rapporte au sujet de l'unification. Comment ? Tout homme d'Israël quiaccomplit un commandement avec lapensée intellectuelle du cerveau, parcequ'il comprend la Torah clairement grâceà l'exercice de l'intelligence, mérite dedonner, si l'on peut dire, de la puissance àla Couronne suprême, et il augment el'énergie, la force et l'éclat lumineux decette Couronne d'en haut, qui est lecerveau de la Forme supérieure, sainte etpure ; c'est pourquoi nos maîtres ont dit :« Un organe renforce un organe » de laForme supérieure, pour cette raisonl'homme a été fait à l'image de Dieu, afinde pouvoir renforcer la Forme supérieure,ainsi que l’Écriture dit : « Oui, l'hommechemine selon une image » (Ps. 39:7),selon l'image de la Forme supérieurechemine le juste en ce monde, car il estappelé « homme. » De même, il donne de l'énergie – bienqu'Il n'en ait pas besoin, béni soit-il – à la

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Forme supérieure, qu'elle soit bénie. C'est pourquoi le Saint béni soit-il adonné à Israël 613 commandements. Les commandements positifs qui sontau nombre de 248 correspondent aux 248organes du corps humain et ilscorrespondent à 248 forces appeléesYHVH, qui correspondent à 248 rameaux,248 sortes de lumières émergeant de laForme supérieure, qu'elle soit bénie. A partir de chaque rameau qui émergede la Forme supérieure, est créé un angedont le nom est comme celui de sonmaître, il est donc appelé YHVH, et [cetange] possède pour lui-même un char. Ces 248 anges dont le nom est commecelui de leur Maître constituent levêtement de la Chekina et et de chaquerameau sans exception est créé uncommandement et est créé un organe enl'homme. Il en résulte maintenant que, à partirde la puissance des 248 rameaux qui ontémergé dans le monde des anges, est crééeune forme unique en laquelle s'enveloppela Chekhina, constituée des 248 angesdont le nom est comme le nom de leurMaître. » (R. Joseph de Hamadan, Sefer Ta'amé

ha-Mitsvot)

15. Le Char céleste

Il est nécessaire de se pencher sur lemysticisme juif pour comprendre comment lakabbale a pu se développer. Le mysticisme juifqui s'est développé une centaine d'années avant« Jésus-Christ » et qui a continué par la suites'appuie sur le Livre du prophète Ézéchiel, dansla Bible.

Dedans, Ézéchiel y raconte comment il auraitvu le Chariot de Dieu, la « merkabah », tirédans le ciel par quatre animaux.

En voici deux extraits, témoignant de lavision totalement illuminée prévalant et ayantune grande influence dans une cultureapocalyptique, au moment de la dispersion dupeuple juif.

« Chapitre 1

1. La trentième année, le cinquièmejour du quatrième mois, comme j’étaisparmi les captifs du fleuve du Kebar, lescieux s’ouvrirent, et j’eus des visionsdivines. 2. Le cinquième jour du mois, c’était lacinquième année de la captivité du roiJojakin, 3. la parole de l’Éternel fut adressée àÉzéchiel, fils de Buzi, le sacrificateur, dansle pays des Chaldéens, près du fleuve duKebar ; et c’est là que la main de l’Éternelfut sur lui. 4. Je regardai, et voici, il vint duseptentrion un vent impétueux, une grossenuée, et une gerbe de feu, qui répandaitde tous côtés une lumière éclatante, aucentre de laquelle brillait comme del’airain poli, sortant du milieu du feu. 5. Au centre encore, apparaissaientquatre animaux, dont l’aspect avait uneressemblance humaine. 6. Chacun d’eux avait quatre faces, etchacun avait quatre ailes. 7. Leurs pieds étaient droits, et laplante de leurs pieds était comme celle dupied d’un veau, ils étincelaient comme del’airain poli. 8. Ils avaient des mains d’homme sousles ailes à leurs quatre côtés ; et tous lesquatre avaient leurs faces et leurs ailes. 9. Leurs ailes étaient jointes l’une àl’autre ; ils ne se tournaient point enmarchant, mais chacun marchait droitdevant soi. 10. Quant à la figure de leurs faces, ilsavaient tous une face d’homme, tousquatre une face de lion à droite, tousquatre une face de bœuf à gauche, et tousquatre une face d’aigle.

11. Leurs faces et leurs ailes étaientséparées par le haut ; deux de leurs ailesétaient jointes l’une à l’autre, et deuxcouvraient leurs corps. 12. Chacun marchait droit devant soi ;ils allaient où l’esprit les poussait à aller,et ils ne se tournaient point dans leurmarche. 13. L’aspect de ces animauxressemblait à des charbons de feu ardents,

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Maïmonide et la Kabbale

c’était comme l’aspect des flambeaux, etce feu circulait entre les animaux ; il jetaitune lumière éclatante, et il en sortait deséclairs. 14. Et les animaux couraient etrevenaient comme la foudre. 15. Je regardais ces animaux ; et voici,il y avait une roue sur la terre, près desanimaux, devant leurs quatre faces. 16. À leur aspect et à leur structure,ces roues semblaient être en chrysolithe, ettoutes les quatre avaient la même forme ;leur aspect et leur structure étaient telsque chaque roue paraissait être au milieud’une autre roue. 17. En cheminant, elles allaient deleurs quatre côtés, et elles ne se tournaientpoint dans leur marche. 18. Elles avaient une circonférence etune hauteur effrayantes, et à leurcirconférence les quatre roues étaientremplies d’yeux tout autour. 19. Quand les animaux marchaient, lesroues cheminaient à côté d’eux ; et quandles animaux s’élevaient de terre, les rouess’élevaient aussi. 20. Ils allaient où l’esprit les poussait àaller ; et les roues s’élevaient avec eux, carl’esprit des animaux était dans les roues. 21. Quand ils marchaient, ellesmarchaient ; quand ils s’arrêtaient, elless’arrêtaient ; quand ils s’élevaient de terre,les roues s’élevaient avec eux, car l’espritdes animaux était dans les roues. 22. Au-dessus des têtes des animaux, ily avait comme un ciel de cristalresplendissant, qui s’étendait sur leurstêtes dans le haut. 23. Sous ce ciel, leurs ailes étaientdroites l’une contre l’autre, et ils enavaient chacun deux qui les couvraient,chacun deux qui couvraient leurs corps. 24. J’entendis le bruit de leurs ailes,quand ils marchaient, pareil au bruit degrosses eaux, ou à la voix du Tout-Puissant ; c’était un bruit tumultueux,comme celui d’une armée ; quand ilss’arrêtaient, ils laissaient tomber leursailes. 25. Et il se faisait un bruit qui partaitdu ciel étendu sur leurs têtes, lorsqu’ilss’arrêtaient et laissaient tomber leursailes. 26. Au-dessus du ciel qui était sur leurs

têtes, il y avait quelque chose desemblable à une pierre de saphir, en formede trône ; et sur cette forme de trôneapparaissait comme une figure d’hommeplacé dessus en haut. 27. Je vis encore comme de l’airainpoli, comme du feu, au dedans duquelétait cet homme, et qui rayonnait toutautour ; depuis la forme de ses reinsjusqu’en haut, et depuis la forme de sesreins jusqu’en bas, je vis comme du feu, etcomme une lumière éclatante, dont il étaitenvironné. 28. Tel l’aspect de l’arc qui est dans lanue en un jour de pluie, ainsi étaitl’aspect de cette lumière éclatante, quil’entourait : c’était une image de la gloirede l’Éternel. À cette vue, je tombai surma face, et j’entendis la voix de quelqu’unqui parlait. »

Le second extrait:

« Chapitre 10

1. Je regardai, et voici, sur le ciel quiétait au-dessus de la tête des chérubins, ily avait comme une pierre de saphir ; onvoyait au-dessus d’eux quelque chose desemblable à une forme de trône. 2. Et l’Éternel dit à l’homme vêtu delin : Va entre les roues sous les chérubins,remplis tes mains de charbons ardents quetu prendras entre les chérubins, etrépands-les sur la ville ! Et il y alla devantmes yeux. 3. Les chérubins étaient à la droite dela maison, quand l’homme alla, et la nuéeremplit le parvis intérieur. 4. La gloire de l’Éternel s’éleva dedessus les chérubins, et se dirigea vers leseuil de la maison ; la maison fut rempliede la nuée, et le parvis fut rempli de lasplendeur de la gloire de l’Éternel. 5. Le bruit des ailes des chérubins se fitentendre jusqu’au parvis extérieur, pareilà la voix du Dieu tout-puissant lorsqu’ilparle. 6. Ainsi l’Éternel donna cet ordre àl’homme vêtu de lin : Prends du feu entreles roues, entre les chérubins ! Et cethomme alla se placer près des roues. 7. Alors un chérubin étendit la main

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entre les chérubins vers le feu qui étaitentre les chérubins ; il en prit, et le mitdans les mains de l’homme vêtu de lin. Etcet homme le prit, et sortit. 8. On voyait aux chérubins une formede main d’homme sous leurs ailes. 9. Je regardai, et voici, il y avaitquatre roues près des chérubins, une roueprès de chaque chérubin ; et ces rouesavaient l’aspect d’une pierre dechrysolithe. 10. À leur aspect, toutes les quatreavaient la même forme ; chaque roueparaissait être au milieu d’une autre roue. 11. Tout le corps des chérubins, leurdos, leurs mains, et leurs ailes, étaientremplis d’yeux, aussi bien que les rouestout autour, les quatre roues. 12. En cheminant, elles allaient deleurs quatre côtés, et elles ne se tournaientpoint dans leur marche ; mais ellesallaient dans la direction de la tête, sansse tourner dans leur marche. 13. J’entendis qu’on appelait les rouestourbillon. 14. Chacun avait quatre faces ; la facedu premier était une face de chérubin, laface du second une face d’homme, celle dutroisième une face de lion, et celle duquatrième une face d’aigle. 15. Et les chérubins s’élevèrent.C’étaient les animaux que j’avais vus prèsdu fleuve du Kebar. 16. Quand les chérubins marchaient, lesroues cheminaient à côté d’eux ; et quandles chérubins déployaient leurs ailes pours’élever de terre, les roues aussi ne sedétournaient point d’eux. 17. Quand ils s’arrêtaient, elless’arrêtaient, et quand ils s’élevaient, elless’élevaient avec eux, car l’esprit desanimaux était en elles. 18. La gloire de l’Éternel se retira duseuil de la maison, et se plaça sur leschérubins. 19. Les chérubins déployèrent leursailes, et s’élevèrent de terre sous mes yeuxquand ils partirent, accompagnés desroues. Ils s’arrêtèrent à l’entrée de laporte de la maison de l’Éternel versl’orient ; et la gloire du Dieu d’Israël étaitsur eux, en haut. 20. C’étaient les animaux que j’avaisvus sous le Dieu d’Israël près du fleuve du

Kebar, et je reconnus que c’étaient deschérubins. 21. Chacun avait quatre faces, chacunavait quatre ailes, et une forme de maind’homme était sous leurs ailes. 22. Leurs faces étaient semblables à cellesque j’avais vues près du fleuve du Kebar ;c’était le même aspect, c’était eux-mêmes.Chacun marchait droit devant soi. »

16. le Livre hébreu d'Hénoch

Un autre ouvrage, qui ne fait pas partie de laBible, a marqué le mysticisme juif : le Livrehébreu d’Hénoch, appelé aussi Livre des Palaisou III Hénoch, qui existe également dans uneversion éthiopienne, et a sans doute été écritentre le IVe et le VIIIe siècle à Babylone.

Dans le Livre hébreu d'Hénoch, on a doncRabbi Ismael qui est « emmené » par «Métatron », et raconte son expérience, en nouspriant de le croire :

« Or, je vous le jure, ô justes, par lagrandeur de sa splendeur, par sonroyaume et par sa majesté ; je vous jureque j’ai eu connaissance de ce mystère,qu’il m’a été donné de lire les tables duciel ; de voir l’écriture des saints, dedécouvrir ce qui y était inscrit à votresujet. »

« Métatron » l'a emmené en fait « en haut »,où il a pu compléter le secret :

« Ensuite je vis les secrets des cieux etdu paradis dans toutes les parties, et lessecrets des actions humaines, chacuneselon leur poids et leur valeur. Jecontemplai les habitations des élus, lesdemeures des saints. Là aussi mes yeuxaperçurent tous les pécheurs qui ontrepoussé et nié le Seigneur de gloire, etqui en ont été repoussés. Car le châtimentde leurs crimes n’avait pu encore êtredécrété par le Seigneur des esprits. Là encore mes yeux contemplèrent lessecrets de la foudre et du tonnerre, les

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Maïmonide et la Kabbale

secrets des vents, comment ils se divisentquand ils soufflent sur la terre ; les secretsdes vents, de la rosée et des nuées. Je visle lieu de leur origine, l’endroit d’où ilss’échappent, pour aller se rassasier de lapoussière de la terre. Là je vis les réceptacles d’où sortent lesvents en se séparant ; les trésors de lagrêle, les trésors de la neige, les trésorsdes nuages, et cette même nuée qui, avantla création du monde, planait sur lasurface de la terre. Je vis également les trésors de la lune,où ses phases prenaient naissance ; leurcommencement, leur glorieux retour ;comme l’une est plus brillante quel’autre ; leur progrès éclatant, leur coursinvariable, leur amitié entre elles, leurdocilité, et leur obéissance qui les portesur les pas du soleil, d’après l’ordre duSeigneur des esprits. Oh ! que son nom estpuissant dans tous les siècles ! »

Ce « Métatron » a une importanceconsidérable, ou centrale, selon lesinterprétations de la religion juive. Le principeest le suivant : dans la Bible, on peut lire « EtÉnoch marchait avec Dieu, et il ne fut plus carDieu le prit » (Genèse 5, 24), et cela futprétexte à assimiler Énoch (ou Hénoch) àMétatron, une sorte de super ange que l'onpeut, en réalité, assimiler à l'intellect chezAristote, mais en mode religieux, en tantqu'ange.

D'ailleurs, Metatron dit même dans cetouvrage :

« Il (le Saint béni soit-Il)… m’a appelé« le petit YHVH ». »

Et naturellement, ce Métatron est le « moyen» de s'élever spirituellement, de rejoindre en faitle Chariot de Dieu, car Métatron a été pris parDieu et a traversé six palais célestes, afind'arriver au bout.

Pour passer les palais, il fallait affronter lesquestions mystiques des anges : on a ici une

base de « l'angélogie », qui joue un rôle centraltant pour le judaïsme que l'Islam chiite.Naturellement, les « puissances » en jeu sonténormes. Un texte cabaliste raconte ainsi :

« Rabbi Akiba demanda à RabbiEliezer le grand : « comment peut-on fairedescendre l’Ange de la Présence (Sar ha-Panim, le « Prince de la Contenance »)sur terre afin de révéler aux hommes lesmystères de l’En haut et de l’En bas, etsur les spéculations de la fondation deschoses terrestres et célestes, et sur lestrésors de la sagesse ? » Il me dit alors : « Mon fils ! Je l’ai faitdescendre une fois, et il a presque détruitle monde, car il est un prince puissant etplus grand que toutes les cohortes célestes,et il administre sans cesse devant le Roide l’Univers, avec pureté et avec peur, carla Shekhinah est toujours avec lui. »

Et au sujet de Rabbi Akiva, la légenderacontée par le Talmud et le Zohar veut que :

« Nos Sages ont enseigné : 4 hommessont entrés au Pardès : Ben Azaï, BenZoma, A'her et Rabbi Akiva. Rabbi Akiva leur dit : « Lorsque vousarriverez devant des pierres de marbrepur, ne dites pas : ' De l'eau, de l'eau »,car il est dit : 'Celui qui débite desmensonges ne subsistera pas devant Mesyeux »

(Psaumes 101:7)

Ben Azaï contempla (la gloire divine) etmourut. A son propos, il est écrit : « Une choseprécieuse aux regards de l'Eternel, c'est la mortde ses pieux serviteurs » (Psaumes 116:15). BenZoma contempla et perdit ses esprits.

A son propos, il est écrit : « As-tu trouvédu miel, manges-en à ta suffisance, mais évite det'en goinfrer, tu le rejetterais » (Proverbes25:16). A'her coupa les racines (renia sa foi).Rabbi Akiva entra en paix et sortit en paix. »

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17. Les « interdictions » dans laconnaissance

L'avantage de parler de « danger » dans lesétudes religieuses est bien entendu de maintenircomme centrale la fonction des rabbins. Lejudaïsme n'est pas comme le protestantisme ; sile rabbin n'est pas un « intermédiaire »nécessaire comme l'est le prêtre dans lecatholicisme, il est celui qui porte laconnaissance et permet « l'accès. »

Les interdictions de « révéler » les connaissancessont donc innombrables, et dans la communautéjuive les croyants s'imaginant que seuls lesrabbins ont ces connaissances, que les textes etles interprétations ne sont connus que d'eux,etc.

Maïmonide, par exemple, est adepte d'unprincipe « classique » du judaïsme : laconnaissance ne doit être acquise queprogressivement, car elle est compliquée,dangereuse pour l'esprit humain. Seule une élitepeut comprendre et disposer de cesconnaissances.

Dans Le guide des égarés, il est ainsi dit :

« Sache qu'il serait très dangereux decommencer (les études) par cette science,je veux dire par la métaphysique ; demême (il serait dangereux) d'expliquer (deprime abord) le sens des allégoriesprophétiques et d'éveiller l'attention surles métaphores employées dans lesdiscours et dont les livres prophétiquessont remplis. Il faut, au contraire, élever les jeunesgens et affermir les incapables selon lamesure de leur compréhension ; et celuiqui se montre d'un esprit parfait etpréparé pour ce degré élevé, c'est-à-direpour le degré de la spéculationdémonstrative et des véritablesargumentations de l'intelligence, on le feraavancer peu à peu jusqu'à ce qu'il arrive àsa perfection, soit par quelqu'un qui luidonnera l'impulsion, soit par lui-même. Mais lorsqu'on commence par cette

science métaphysique, il en résulte nonseulement un trouble dans les croyances,mais la pure irréligion (…). Elles [les vérités métaphysiques] ont étéenveloppées parce que les intelligences,dans le commencement, sont incapables deles accueillir, et on les a fait entrevoir,afin que l'homme parfait les connût ; c'estpourquoi on les appelle « mystères » et «secrets de la Torâ » comme nousl'expliquerons. »

Or, on sait bien que si Averroès a tenu lediscours des deux vérités – philosophique etreligieuse – c'était par pure tactique. SiAverroès expliquait, dans ses dernières œuvrespubliques, que les masses ignorantes ne devaientpas avoir accès à la philosophie, c'était un choixtactique pour calmer les dirigeants religieux etpour ne pas se mettre les masses fanatisées àdos.

Quel intérêt, par contre, cela a-t-il pourMaïmonide, puisque lui croit en la « révélation» et utilise la religion dans sa « philosophie » ?

Quel intérêt de « masquer » l'enseignement,alors que rien de ce qui est dit n'est, du pointde vue de l'auteur, en contradiction avec lareligion ?

Selon l'auteur, c'est parce que ces vérités sontdifficiles à digérer, en quelque sorte. En réalité,c'est parce que le système est idéaliste et qu'ilfaut le préserver de la critique.

En refusant l'accès démocratique aux textes, enles réservant à une élite valorisée socialement, lareligion se préserve de la critique matérialiste.Toute la religion juive est imprégnée de cetteapproche.

La tradition, en fait non respectée vraiment,veut certains secrets religieux (et les plusimportants de fait) ne devraient être expliquésqu'à partir de 30 ans (histoire bien entendu quel'homme marié et devenu rabbin ne puisse plus« s'échapper » en pratique de la communauté etde son idéologie).

De la même manière, une formule connue est «

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on n'interprétera pas le Ma'asé beréchîth devantdeux personnes. » Il y a également le principe «On n'interprétera pas la mercabâ, même à unseul, à moins que ce ne soit un homme sagecomprenant par sa propre intelligence, et alorson lui en transmettra seulement les premierséléments. »

Ici, on ne touche pas que l'aspect anti-démocratique : l'aspect mystique, qui vise àsauvegarder la valeur du système de pensée (defait contradictoire), est en contradictioncomplète avec la religiosité populaire.

Cela provoqua deux ébranlements complets dujudaïsme, la première au XVIIe siècle avecSabbataï Tsevi qui fut considéré par de largesmasses comme le messie, puis au XXe siècle avecle Rabbi de Loubavitch.

18. Sabbataï Tsevi et Menachem MendelSchneerson

La preuve que le judaïsme, en tant que religiond'une communauté, s'est fondé finalement surMaïmonide et la kabbale, est le succès completde Sabbataï Tsevi (1626-1676) et du Rabbi deLoubavtich, Menachem Mendel Schneerson(1902-1994).

Né à Izmir dans l'empire ottoman, Tsevi futdéjà un kabbaliste d'envergure à 18 ans, et dès1648 il se proclama le messie, avec unepropagande messianique commençant lentement,pour finir par avoir un impact idéologiquetraversant tous les pays où existaient unecommunauté juive, y compris dans les grandesvilles comme Constantinople, Salonique,Livourne, Amsterdam, Hambourg.

Tsevi, s'il était illuminé, ne faisait en réalitéqu'assumer ce qui était en latence dans laconception religieuse juive : mener une vie «sage » permettait d'accéder aux vérités divines,et par conséquent de mettre un terme à ladispersion du peuple juif.

La base populaire des communautés juives,

imprégnée du messianisme, tentait de fairesauter le couvercle de la domination rabbinique,au moyen de la religion elle-même. L'étude de lakabbale était vue de plus comme le moyend’accélérer l'unification, de réaliser le tiqoun, la« réparation », la « restauration », la «réintégration. »

Le problème était que l'affirmation messianiquene pouvait, par conséquent, que se fonderdirectement sur principe kabbaliste. Celasignifiait que le messie devait être issu d'unmonde « coupé » de Dieu, pour réaliserl'unification.

Il portait en lui à la fois le mal et le bien, pourfaire triompher le bien, unifiant l'en haut et l'enbas. Cela façonna de manière complètel'idéologie de Sabbataï Tsevi et du messianisme.

En effet, l'idée qui s'imposa est que la capacitéà s'arracher au mal dépend de la force de lacommunauté juive à renforcer les « sephiroth. »Cette idée était déjà présente dans la loi oralejuive, témoignant du même mysticisme : il yaurait à chaque génération un Messie potentiel,mais ne pouvant se révéler comme tel que si leprocessus « d'unification » est assez développée.

Il s'agit naturellement d'une reprise de laconception prophétique d'Avicenne, utilisée icidans le cas concret de la dispersion du peuplejuif.

Au lieu d'aller dans le sens matérialiste de lathéorie du reflet, avec une pensée-guidesynthétisant son époque, on a une « unification» mystique.

Cette interprétation fut catastrophique pour lejudaïsme. Lorsque Sabbataï Tsevi se proclama lemessie, il eut une très grande partie de lapopulation juive mondiale qui le suivit, mais ilfut obligé de se convertir à l'Islam en raison dela répression de l'Empire ottoman.

Il prétendit alors que c'était nécessaire afin defaire semblant par rapport au mal, pour fairetriompher le bien. Une nouvelle religion, enapparence musulmane et en réalité juive, sedéveloppa alors dans l'empire ottoman (les «

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sabbatéens » ou dönmeh).

En Pologne, Jakob Franck (1726-1791) seprétendit le successeur de Sabbataï Tsevi ettenta plus ou moins la même opération avec lecatholicisme.

Plus proche de nous, à la mort du RabbinMenachem Mendel Schneerson, il fut affirmé parune grande partie du mouvement chabad(connue de manière populaire sous le nom de «Loubavtich ») qu'il s'était « voilé », qu'il étaitencore présent mais ne pouvait encore s'affirmercomme messie.

Menachem Mendel Schneerson était un Juifd'Ukraine expulsé d'Union Soviétique durant lesannées 1920 et devenant la grande figureaméricaine du judaïsme mystique etconservateur.

A ce titre, il fut porté aux nues parl'impérialisme américain, qui fit de sonanniversaire une journée annuelle en avril le «Education and Sharing Day », à partir de 1978,donc du vivant même du rabbin. Et chaqueannée, le président américain appelle àl'éducation, en prenant comme exemple « RabbiMenachem Mendel Schneerson, the LubavitcherRebbe. »

Cela signifie que le judaïsme a connu ces 400dernières années trois « messies » ou fauxmessies majeurs, marquant l'ensemble despersonnes croyantes : Sabbataï Tsevi, JacobFrank, Menachem Mendel Schneerson.

Et à chaque fois ce fut l'échec, car la religion atourné en roue libre et naturellement, la réalitén'a pas suivi !

Sabbataï Tsevi dut justifier ses pratiquescontraires à la loi juive par une « manipulation» des forces maléfiques, qu'il fallait tromperpour en triompher ; les partisans de MenachemMendel Schneerson comme messie célèbrentquelqu'un qui est mort, son avènement commemessie en ferait une sorte de Jésus, alors quejustement le judaïsme réfute cette possibilité de« renaissance » et nie que le messie puisse fairedes « miracles. »

Le commentaire de la Torah fait par Maïmonide,le Michné Torah, accepté dans les communautésjuives, donne d'ailleurs des critères très clairs(chapitre 11 des Lois des Rois du 14ème livre) :

« Et s’il s’élève un Roi de la lignée deDavid, érudit dans la Loi, adonné auxcommandements comme David son aïeul,selon les préceptes de la Loi écrite et de laLoi orale, qui amène tout Israël à ensuivre les chemins et à en fortifier lespositions, et qui mène les guerres de D-ieu, on présume qu’il est le Machia’h. S’il agit ainsi et réussit, et qu’ilreconstruit le Sanctuaire à sonemplacement et rassemble les exilésd’Israël, c’est le Machia’h avec certitude.Il corrigera le monde entier pour servir D-ieu ensemble, ainsi qu’il est dit "alors jedonnerai aux peuples un langage clairpour qu’ils invoquent le nom de D-ieu etpour le servir d’un même élan. »

Le judaïsme a ici le même problème que lechiisme (duodécimain comme ismaélien) :l'avènement du messie marque une nouvelleépoque, que faire alors des anciennes lois ?Devraient-elles être dépassées, avec la nouvelleépoque ? Et le problème est encore plus granddans le judaïsme, car la tradition veut que leslois donnés par Moïse restent indépassables pourl'éternité.

La nouveauté est rupture, mais est forcémenthérétique par rapport à l'ancien temps (commele catholicisme par rapport au judaïsme) : c'estlà une contradiction inévitable de l'idéalisme etde l'avènement d'une prétendue spiritualitédivine.

19. La providence comme lieud'effondrement du judaïsme

L'échec du messianisme et l'apparition d'unmessie « caché » avec le rabbin de Loubavitchpuisent au cœur même de l'idéalisme du

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judaïsme : la providence est le lieu idéologiquede l'effondrement inéluctable de cette religion.

Voyons pourquoi, dans une démonstrationdifficile à suivre.

Tout d'abord, il y a donc un Dieu qu'on ne peutpas connaître ; dans Le guide des égarés, il estainsi dit :

« Sache qu'il y a pour l'intelligencehumaine des objets de perception qu'il estdans sa faculté et dans sa nature depercevoir ; mais qu'il y a aussi, dans cequi existe, des êtres et des choses qu'iln'est point dans sa nature de percevoird'une manière quelconque, ni par unecause quelconque, et dont la perception luiest absolument inaccessible. »

Le second point est qu'on a un humain avec lelibre-arbitre ; Maïmonide dit ainsi :

« De même, pour se préserver de lachaleur à l'époque des chaleurs et du froiddans la saison froide et se garantir contreles pluies, les neiges et les vents, l'hommeest obligé de faire beaucoup de préparatifsqui tous ne peuvent s'accomplir qu'aumoyen et de la pensée et de la réflexion. C'est donc à cause de cela qu'il a étédoué de cette faculté rationnelle parlaquelle il pense, réfléchit, agit et, à l'aided'arts divers, se prépare ses aliments et dequoi s'abrite et se vêtir ; et c'est par elleaussi qu'il gouverne tous les membres deson corps, afin que le membre dominantfasse ce qu'il doit faire, et que celui quiest dominé soit gouverné comme il doitl'être. C'est pourquoi, si tu supposais unhumain privé de cette faculté etabandonné à la seule nature animale, ilserait perdu et périrait à l'instant même. Cette faculté est très noble, plus noblequ'aucune des facultés de l'animal ; elleest aussi très occulte, et sa véritablenature ne saurait être de prime abordcomprise par le simple sens commun,comme le sont les autres facultésnaturelles. De même, il y a dans l'univers quelque

chose qui en gouverne l'ensemble et qui enmet en mouvement le membre dominant etprincipal, auquel il communique la facultémotrice de manière à gouverner par là lesautres membres ; et s'il était à supposerque la chose en question put disparaître,cette sphère (de l'univers) toute entière,tant la partie dominante que la partiedominée, cesserait d'exister. C'est par cette chose que se perpétuel'existence de la sphère et chacune de sesparties ; et cette chose, c'est Dieu (queson nom soit exalté!). C'est dans ce sens seulement quel'homme en particulier a été appelémicrocosme, (c'est-à-dire) parce qu'il y aen lui un principe qui gouverne sonensemble ; et c'est à cause de cette idéeque Dieu a été appelé, dans notre langue,« la vie du monde », et qu'il a été dit : «Et il jura par la vie du monde » (Dan.12:7). »

(Le guide des égarés)

Maïmonide reprend également la thèsed'Avicenne (qui lui-même suit Al Farabi etAristote) : certains individus peuvent atteindrecertains « degrés » de connaissance. Citons iciMaïmonide assimilant les « sphères », les «intelligences » issues de Dieu, aux anges : « Lesanges non plus n'ont pas de corps ; ce sont, aucontraire, des Intelligences séparées de toutematière. Cependant, ce sont des êtres produitset c'est Dieu qui les a créés. »

Et voici donc ce qui est dit dans Le guide deségarés :

« Il en est absolument de même dansles perceptions intelligibles de l'homme,dans lesquelles les individus de l'espècejouissent d'une grande supériorité les unssur les autres, ce qui est également trèsclair et manifeste pour les hommes descience ; de sorte qu'il y a tel sujet qu'unindividu fait jaillir de lui-même de saspéculation, tandis qu'un autre individune saurait jamais comprendre ce mêmesujet, et quand même chercherait à le luifaire comprendre par toute sorte delocutions et d'exemples et pendant un

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long espace de temps, son esprit ne peutpoint y pénétrer et il se refuse, aucontraire, à le comprendre. Mais la supériorité en question ne vapas non plus à l'infini, et l'intelligencehumaine, au contraire, a indubitablementune limite où elle s'arrête. »

(Le guides des égarés)

Quelle est la raison de pourquoi la raison a seslimites ? C'est la matière elle-même ;Maïmonide explique ainsi :

« La matière est un grand voile quiempêche de percevoir l'Intelligenceséparée, telle qu'elle est, fût-ce même lamatière la plus noble et la plus pure, jeveux dire la matière des sphères, et à plusforte raison cette matière obscure ettrouble qui est la nôtre. C'est pourquoi, toutes les fois quenotre intelligence désire percevoir Dieu, oul'une des Intelligences (séparées), ce grandvoile vient s'y interposer. »

(Le guides des égarés)

On est ici dans le néo-platonisme : l'âme issuedu « Dieu-Un » est brimée dans son élan, carprisonnière de son alliance avec la matière.

Maïmonide dit également :

« Sache aussi que chaque prophète aun langage à lui propre, qui est en quelquesorte la langue (particulière) de cepersonnage ; et c'est de la même manièreque la révélation, qui lui est personnelle,le fait parler à celui qui peut lecomprendre. »

(Le guide des égarés)

C'est là tout à fait semblable à ce que ditAvicenne. Or, la logique de cette penséed'Aristote, puis d'Avicenne, a été affirmée parAverroès : Dieu ne connaît pas les particuliers. Ilest comme le distributeur des sites internet,mais ne sait pas qui vient consulter ces sites. Ilconnaît les universaux, mais pas les particuliers.

On peut prendre des informations, mais on nepeut pas être choisi pour les recevoir : il fautsavoir se « connecter ».

Or, Maïmonide ne veut pas que n'importe quiait accès à la prophétie, il faut le choix de Dieu,sans quoi il n'y a plus de Dieu « pensant ».

Pourtant, Maïmonide explique :

« Il faut que comprennes mon opinionà fond. Certes, je suis loin de croirequ'une chose quelconque puisse êtreinconnue à Dieu, ou de lui attribuerl'impuissance ; mais je crois que laProvidence dépend de l'Intelligence àlaquelle elle est intimement liée. En effet, la Providence ne peut émanerque d'un être intelligent etparticulièrement de celui qui est uneIntelligence parfaite au suprême degré dela perfection ; d'où il s'ensuit que celui-làseul auquel il s'attache quelque chose decet épanchement (de l'Intelligence divine)participera à la Providence suivant lamesure selon laquelle il participe del'Intelligence. Telle est, selon moi, l'opinion quis'accorde avec la raison et avec les textesde la Loi. »

Maïmonide se contredit ici. Il explique qu'unêtre, s'il est sage, croyant, etc., peut seconnecter à un certain niveau de l'intellect, etpar là « obtenir » quelque chose de lui, unereconnaissance.

Cela signifie que la providence l'accepte en sonsein, le soutient. Or, normalement c'est Dieu quiest censé « choisir », alors que là cela dépenddes « qualités » de l'individu.

Le problème est que Maïmonide pense que Dieuest « incompréhensible », donc il ne peut pasexpliquer les modalités du « choix. »

C'est là qu'intervient la kabbale. De manièreproche de Maïmonide, elle dit que l'actioncorrecte a un impact. Chez Maïmonide, commechez Aristote, l'action sage permet de recevoirles « informations » d'en haut.

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Maïmonide et la Kabbale

Chez les kabbalistes, ce n'est pas la morale quiest en jeu : il y a une action mystique en haut –cela « explique » la providence.

Un texte kabbaliste explique :

« Si tu demandes comment le son duchofar d'en bas peut déclencher unébranlement en haut, selon le secret duson perçu avec miséricorde, il te fautsavoir ceci : Lui, béni soit-il, manifestason existence et ses essences de haut enbas, et il fit exister [son existence] à partirde la Pensée supérieure. De là, toutes les essences se sontdéployées selon le secret des vivantscélestiels, secret du Char d'en haut, lorsde l'édification du monde et del'épanchement des choses intérieures etspirituelles de nature saphirique,constituées et structurées pour que de làprocèdent toutes les essences vers l'en bas. Sache et considère que toutes les chosesqui sont du côté du Créateur, béni soit-il,sont toutes, en haut, faites de souffleintérieur et sont dépourvues de touteréalité corporelle, mais l'existence duCréateur s'est déployée jusqu'à la dernièreplace. L'ébranlement qui monte d'en bas ne seproduit donc qu'à travers Son existencemanifestée de haut en bas. Et quand il monte d'en bas, il y a cequi monte et ce qui descend. »

(Rabbi Moïse de leon, Michkan ha-edout - le tabernacle du témoignage, XIIIe

siècle)

C'est précisément là où le judaïsme échoue : lecritère de vérité du prophète est une action «mystique », qui par définition est totalementidéaliste. Seuls des faux messies peuvent se «réaliser. »

20. Karl Marx et la question juive

Averroès a réfuté le fait que l'intellect connaisseles particuliers. Il n'y a pas de « choix » ; voicicomment Staline résume fort justement cette

question, en répondant à l'écrivain allemandEmil Ludwig :

« Ludwig. — Ma question est lasuivante. Vous avez maintes fois couru desrisques et des dangers. Vous avez étépersécuté. Vous avez participé à descombats. Plusieurs de vos amis les plusproches ont péri. Vous êtes resté vivant.Comment expliquez-vous cela ? Croyez-vous à la destinée ? Staline. — Non, je n’y crois pas. Desbolchéviks, des marxistes ne croient pas àla « destinée ». La notion même dedestinée, la notion de « Schicksal »[destinée, en allemand] est un préjugé, uneabsurdité, une survivance de lamythologie, comme celle des anciens Grecsselon lesquels la déesse du destin réglaitles destinées des hommes. Ludwig. — Le fait que vous ayezsurvécu serait donc un pur hasard ? Staline. — Il est des causes intérieureset extérieures dont la conjonction a faitque j’ai survécu. Mais tout à faitindépendamment de cela, un autre auraitpu se trouver à ma place, car quelqu’undevait occuper cette place. La « destinée », c’est quelque chosed’illogique, quelque chose de mystique. Jene suis pas mystique. Certes, si lesdangers ont passé près de moi sansm’atteindre, il y a des raisons à cela. Maisil pouvait y avoir d’autres éventualités,d’autres causes qui auraient pu conduire àun résultat diamétralement opposé. Cequ’on est convenu d’appeler la destinéen’y est pour rien. »

C'est pour cette raison que Karl Marx a pucomprendre la question juive, dans un de sestextes de jeunesse, de 1843, un texte difficile àcomprendre car Marx ne fait que traverser laquestion de manière philosophique.

Son point de vue est cependant compréhensiblesi l'on a saisi ce qu'est le judaïsme : une religionqui vise à maintenir l'identité d'un peuple

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dispersé, par l'intermédiaire d'un mélange deplatonisme et d'aristotélisme, aboutissant dansun messianisme totalement idéaliste.

Or, Karl Marx veut l'émancipation, pas unmessianisme totalement idéaliste. Parconséquent, il doit réfuter l'identité religieusejuive, et il constate un fait simple : le judaïsmea coexisté avec le christianisme, sondéveloppement authentique en tant que religionen fait partie :

« Le judaïsme s'est maintenu à côté duchristianisme non seulement parce qu'ilconstituait la critique religieuse duchristianisme et personnifiait le doute parrapport à l'origine religieuse duchristianisme, mais encore et tout autant,parce que l'esprit pratique juif, parce quele judaïsme s'est perpétué dans la sociétéchrétienne et y a même reçu sondéveloppement le plus élevé. Le Juif, qui se trouve placé comme unmembre particulier dans la sociétébourgeoise, ne fait que figurer de façonspéciale le judaïsme de la sociétébourgeoise. Le judaïsme s'est maintenu, non pasmalgré l'histoire, mais par l'histoire. »

Naturellement, les rabbins expliquent aucontraire que les enseignements du judaïsmedatent de Moïse, mais cela est totalement faux :tant Maïmonide que la kabbale datent de la findu Moyen Âge, leurs pensées se construisant surdes restes mystiques datant de l'effondrementnational du peuple juif.

Or, cet effondrement est allé de pair avecl'affirmation du christianisme ; il y a coexistencehistorique ; Marx constate donc :

« La forme la plus rigide del'opposition entre le Juif et le chrétien,c'est l'opposition religieuse. Commentrésout-on une opposition ? En la rendantimpossible. Comment rend-on impossibleune opposition religieuse ? En supprimantla religion. Dès que le Juif et le chrétien ne verront

plus, dans leurs religions respectives, quedivers degrés de développement de l'esprithumain, des « peaux de serpent »dépouillées par le serpent qu'est l'homme,ils ne se trouveront plus dans uneopposition religieuse, mais dans unrapport purement critique, scientifique,humain. La science constitue alors leurunité. Or, des oppositions scientifiques serésolvent par la science elle-même. »

La science est la voie de l'unité, mais si l’Étatdoit être démocratique, il faut également que lesgens le soient : l’État libéré de la religion aégalement besoin de gens émancipés de lareligion.

Karl Marx explique par conséquent que lesreligions doivent s'abolir chez les gens, en plusde par rapport à l’État :

« L'émancipation politique du Juif, duchrétien, de l'homme religieux en un mot,c'est l'émancipation de l'État dujudaïsme, du christianisme, de la religionen général. Sous sa forme particulière,dans le mode spécial à son essence, commeÉtat, l'État s'émancipe de la religion ens'émancipant de la religion d'État, c'est-à-dire en ne reconnaissant aucune religion,mais en s'affirmant purement etsimplement comme État. S'émanciper politiquement de lareligion, ce n'est pas s'émanciper d'unefaçon absolue et totale de la religion,parce que l'émancipation politique n'estpas le mode absolu et total del'émancipation humaine. La limite de l'émancipation politiqueapparaît immédiatement dans ce fait quel'État peut s'affranchir d'une barrière sansque l'homme en soit réellement affranchi,que l'État peut être un État libre, sansque l'homme soit un homme libre. »

Karl Marx dit alors qu'il faut que les personnesjuives s'émancipent complètement, en tantqu'humaines, et non pas en tant que personnesreligieuses. Sinon, l'émancipation politique vaêtre un piège qui va renforcer la mainmise

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Maïmonide et la Kabbale

religieuse, et donc l'aliénation.

De plus, cette affirmation religieuse va s'opposerà l'universalisme de l'émancipation, et c'est là lepoint que Marx souligne. Il dit ainsi :

« Nous ne disons donc pas, avec Bauer,aux Juifs : Vous ne pouvez être émancipéspolitiquement, sans vous émanciperradicalement du judaïsme. Nous leurdisons plutôt : C'est parce que vouspouvez être émancipés politiquement, sansvous détacher complètement etabsolument du judaïsme, quel'émancipation politique elle-même n'estpas l'émancipation humaine. Si vous voulez être émancipéspolitiquement, sans vous émanciper vous-mêmes humainement, l'imperfection et lacontradiction ne sont pas uniquement envous, mais encore dans l'essence et lacatégorie de l'émancipation politique (…). Aussi longtemps qu'il sera juif,l'essence limitée qui fait de lui un Juifl'emportera forcément sur l'essencehumaine qui devait, comme homme, lerattacher aux autres hommes; et ellel'isolera de ce qui n'est pas juif. Il déclare,par cette séparation, que l'essenceparticulière qui le fait Juif est sa véritableessence suprême, devant laquelle doits'effacer l'essence de l'homme. »

Ce n'est pas tout : maniant la dialectique, KarlMarx constate l'impact sur la religion juive, quidevient une célèbre manière de s'auto-référencer,sans plus aucune référence à la réalité. Elledevient un simple moyen de pression de la partde gens adhérant à une religion :

« Le judaïsme s'est maintenu, non pasmalgré l'histoire, mais par l'histoire. C'estdu fond de ses propres entrailles que lasociété bourgeoise engendre sans cesse leJuif. Quelle était en soi la base de la religionjuive ? Le besoin pratique, l'égoïsme. Lemonothéisme du Juif est donc, en réalité,le polythéisme des besoins multiples, unpolythéisme qui fait même des lieuxd'aisance un objet de la loi divine.

Le besoin pratique, l'égoïsme est leprincipe de la société bourgeoise et semanifeste comme tel sous sa forme pure,dès que la société bourgeoise acomplètement donné naissance à l'étatpolitique. Le dieu du besoin pratique et del'égoïsme, c'est l'argent. »

Ici, Karl Marx ouvre la porte à unecompréhension de l'antisémitisme : en effet, ilest évident que le capitalisme a utilisé laminorité juive au cours du féodalisme, afin decontourner l'interdiction catholique du prêt àintérêt.

Le prêt à intérêt était également interdit dans lejudaïsme, mais comme il y a une situation avecdeux religions, alors le prêt est possible enversceux d'une autre religion.

Si les catholiques n'étaient pas en mesure de lefaire, car ils formaient la majorité, au sein de lacommunauté juive minoritaire, cela revenait àêtre possible.

La minorité n'existe alors qu'en tentant des'intégrer à l'ensemble, en apparence de manièreparasitaire : là est l'origine de l'antisémitisme.

Karl Marx l'a bien vu, et il traite non pas de lareligion juive en général, mais de l'existence del'idéologie religieuse dans son rapport à lasociété comme minorité obligée de profiter des «failles » du féodalisme et de s'appuyer sur lecapitalisme pour exister.

Il va de soi que cette compréhension permet desaisir parfaitement ce qu'est l'antisémitismecomme anticapitalisme romantique.

Voici ce que dit Karl Marx :

« Une organisation de la société quisupprimerait les conditions nécessaires dutrafic, par suite la possibilité du trafic,rendrait le Juif impossible. La consciencereligieuse du Juif s'évanouirait, telle unevapeur insipide, dans l'atmosphèrevéritable de la société. D'autre part, du moment qu'ilreconnaît la vanité de son essence pratiqueet s'efforce de supprimer cette essence, le

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Juif tend à sortir de ce qui fut jusque-làson développement, travaille àl'émancipation humaine générale et setourne vers la plus haute expressionpratique de la renonciation ou aliénationhumaine. Nous reconnaissons donc dans lejudaïsme un élément antisocial général etactuel qui, par le développementhistorique auquel les Juifs ont, sous cemauvais rapport, activement participé, aété poussé à son point culminant du tempsprésent, à une hauteur où il ne peut quese désagréger nécessairement.

Dans sa dernière signification,l'émancipation juive consiste à émanciperl'humanité du judaïsme. »

Cette dernière phrase a été incomprise des nonmarxistes et largement utilisée par lapropagande bourgeoise. Mais il ne s'agit pasd'un apologie de l'antisémitisme, mais de saréfutation, par l'affirmation de l'humain au-delàde la religion.

Karl Marx éclaire ici parfaitement la situation.

Publié en septembre 2013Il lustration de la première page :

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