les grans dieux du vodou haitien

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  • Emile Marcelin

    Les grands dieux du vodou hatien.In: Journal de la Socit des Amricanistes. Tome 36, 1947. pp. 51-135.

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    Marcelin Emile. Les grands dieux du vodou hatien. In: Journal de la Socit des Amricanistes. Tome 36, 1947. pp. 51-135.

    doi : 10.3406/jsa.1947.2357

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jsa_0037-9174_1947_num_36_1_2357

  • LES

    GRANDS DIEUX DU VODOU HATIEN

    Par Emile MARCELIN.

    INTRODUCTION PAR ALFRED MTRAUX. i

    L'atmosphre mystrieuse et quivoque qui entoure vodou a viciai h. saine comprhension des faits religieux et sociaux coin-paris sous ce terme. Mme en Hati, o les rites vodous peuvent facilement tre observs .par tous, l'lite a partag l'horreur gnrale pour des pratiques qui ses yeux nuisaient sa rputation de culture et d'urbanit.

    Cet effroi devant de simples manifestations folkloriques n'a pas toujours t favorable la recherche scientifique et une presentation objective de ces phnomnes. C'est au snateur Price Mars que revient le grand mrite d'avoir exorcis le fantme et mme de l'avoir rendu attrayant. Plus tard des ethnographes amricains comme Herskovits, Courlander, Elsie Clews Parsons, Leybuicn et Stimpson ont complete le tableau trac par Price Mars et ont analys la structure de ce curieux systme religieux. La fondation d'un Bureau d'ethnologie en Hati, dont le crateur et l'animateur fut le jeune savant et crivain Jacques Roumain, donna une grande impulsion aux enqutes scientifiques sur le vodou. Jacques Roumain, lui-mme, Mme Odette Rigaud, le major Maximilien et d'autres crivirent d'excellentes monographies sur certains cultes vodous. La tradition de recherches tablie par le crateur du Bureau d'ethnologie est aujourd'hui continue par Lorimer Denis et ses collaborateurs.

    L'attitude de dfiance et de dgot, jadis si accuse, le cde donc peu peu une curiosit sympathique, mais les prjugs envers Le vodou sont encore tenaces. Seule l'ethnographie, en expliquant la nature de cette religion, pourra dissiper les visions de cauchemars qu'elle inspire beaucoup d'honntes gens, malheureusement mal informs son sujet. Car qu'est-ce que le vodou ? Rien d'autre qu'une simple religion populaire, ne du syncrtisme entre diffrents cultes de l'Afrique occidentale et les croyances et

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    pratiques catholiques imposes la lgre aux esclaves africains. L'indiffrence des colons pour la vie spirituelle de leurs esclaves a entrav leur evangelisation. Les prtres rguliers et sculiers qui ont sans cesse rclam le droit de gagner des mes paennes la foi, ont t dbouts de leur demande et tenus l'cart de ce btail humain. Plus tard, la guerre d'indpendance, les luttes intestines et la misre gnrale ont maintenu les masses dans leur ignorance. Le Concordat, qui organisait le clerg hatien sur le modle du clerg franais, est aussi responsable de la persistance des cultes africains. Si les hommes d'tat hatiens avaient eu le courage de regarder en face la ralit sociale de leur pays, ils auraient fait appel des missionnaires qui eussent vanglis les campagnes comme s'il se ft agi d'un pays paen ; Hati a prfr vivre, tout comme les autres tats de l'Amrique latine, sur la fiction d'un pays identique n'importe quelle rpublique europenne. Un effort systmatique et-il t fait, il y a un sicle, pour enseigner les rites et les croyances catholiques aux fils des esclaves librs, les superstitions qui aujourd'hui scandalisent le clerg et l'lite auraient disparu ou ne vivraient que sous une forme de ples survivances. En 1941, le clerg d'Hati, qui dans sa majorit est franais, s'employa extirper la superstition par la force. Un grand nombre de sanctuaires vodous furent dpouills de leurs objets rituels qui furent brls dans des sortes d'autodafs. Ces mesures brutales n'eurent naturellement d'autre rsultat que de multiplier les miracles et d'affermir la foi des vodouisants. L'glise dut abandonner la lutte.

    Le vodou occupe dans la vie des classes paysannes d'Hati une place analogue celle des anciens cultes dans les socits paennes ou celle du catholicisme populaire au moyen ge. Il procure ses fidles le confort spirituel, les protge contre les atteintes du sort et des maladies et leur fournit en plus les distractions esthtiques qui rompent la monotonie de l'existence. Les sanctuaires vodous ou houmfors sont la fois des glises, des hpitaux, des clubs, des salles de danse et des thtres. Le hougan et la mambo sont des conseillers spirituels et des praticiens. Aussi le vodou ne disparatra-t-il que lorsque d'autres institutions auront assum chacune des fonctions qu'il remplit en ce moment.

    Les chapitres d'une mythologie hatienne qui sont publis dans ce numro du Journal des Amricanistes sont l'uvre d'un jeune Hatien, M. Emile Marcelin, frre de Philippe Toby et Pierre Marcelin dont le roman folklorique Canap Vert s'est vu dcern un prix littraire fort envi aux tats-Unis. Emile Marcelin appartient donc une famille qui s'est signale par son amour de la vie populaire et pour sa connaissance de la psychologie du paysan des mornes >>. Les textes et les rcits que nous prsentons ici ont t recueillis selon un plan que j'avais soumis

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    M. Marcdin. Les rsultats de ses enqutes ont t en partie revus et corrigs, du point de vue de la forme, par l'auteur de ces lignes. Dans la mesure du possible, l'expression originale a t maintenue.

    Au cours de mes trois sjours en Hati, j'ai t frapp par le comportement des possds pendant les crmonies. La personne qui reoit un dieu en elle, change non seulement d'apparence et de ton de voix, mais cherche aussi par des dguisements divers ressembler la divinit qu'elle incarne. Le dsir d'identification avec la divinit force les possds jouer un rle dont les lignes gnrales sont dictes par la tradition ou conformes l'ide que les spectateurs se font du dieu qui est descendu sur eux. Ils deviennent des acteurs, conscients ou inconscients, qui s'exhibent dans un acte dramatique. Ce caractre des possessions est particulirement frappant lorsque plusieurs personnes sont possdes simultanment par des dieux diffrents ou par le mme dieu. D'un commun accord, ils donnent un impromptu dont le ton est tantt gai, tantt grave, selon le caractre des dieux prsents. Ces scnes improvises sont fort gotes de la galerie qui s'esclaffe et n'hsite pas intervenir dans le dialogue ou manifester son assentiment ou son dplaisir. Si chaque possd adopte sans hsiter les gestes familiers, les tics, l'accent et les attributs des dieux, au point que ceux-ci sont immdiatement reconnus par l'assistance, c'est qu'il existe une mythologie familire tous. C'est cette image du panthon vodou que j'aurais voulu voir cristallise dans une sorte de trait desdieux et des desses hatiens. Quelques ethnographes ont senti tout l'intrt d'un catalogue des divinits et de leurs attributs. Courlander1, en particulier, nous en a donn une liste o leur nom est suivi de quelques dtails sur leur personnalit, mais ces nomenclatures des tres surnaturels sont trop schmatiques et d'une scheresse excessive. Les dieux d'Hati qui, comme tous les dieux, ont t crs l'image de leurs adorateurs, sont certainement anims de sentiments plus divers et plus nuancs qu'on ne peut en conclure des pages qui leur ont t consacres. Cette riche humanit des dieux hatiens se dgage quelque peu des notes d'Emile Marcelin, bien qu'encore trop brves. Les dieux, ou pour leur donner leur nom hatien, les loa ou les mystres , sont de vrais paysans des mornes, ambitieux, susceptibles, parfois paillards, amis de la bonne chre, roublards et malicieux, terriblement jaloux et sujets de violents accs de colre. Leur nature se rvle dans des incidents qui se sont produits dans le pays o ils habitent ou plus souvent encore ici-bas lorsqu'ils viennent se mler aux hommes. Une mythologie complte du vodou serait un prcieux document pour saisir sur le vif la psychologie du paysan hatien.

    1. Courlander, Harold, Haiti Singing. Chapel Hill. The University of North Carolina Press, 1939.

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    Les courtes tudes sur les grands dieux du vodou ont t faites avec h. collaboration de quelques informateurs de la rgion de Petionville,. prs -de Port-au-Prince. Il ne fait aucun doute que des enqutes plus pousses, entreprises dans d'autres rgions et avec d'autres informateurs, auraient daian des rsultats encore plias satisfaisants. Tel qu'il est, cet essai peut servir de cadre d'autres recherches du mme ordre. M. Emile Marcelin est particulirement & qualifi pour atteindre ce but et nous esprons qu'il conti- noaera recueillir des renseignements, et des anecdotes de plas en plus nombreux sur chacun des loa vodous.

    Le nombre des dieux adors en Hati est lgion,. Cet essai ne traite que de quelques grandes divinits, pour la plupart venues d'Afrique occidentale, et connues de tous les paysans hatiens. Les dieux sont groups en diverses catgories ou nations {nanchons) dont les plus clbres portent le nani de rada, petro, ibo., congo, etc. Les dieux, dont le nom apparat dans cette tude, appartiennent presque tous la classe des loa rada qui est la plus nombreuse et la plus populaire. Ces classes ou catgories se divisent en familles de dieux, comme par exemple la famille des Ogoa, des Gud, des Zaka, etc. Les dieux d'une classe ou d'une famille sont apparents par des traits et des attributs communs qui, parfois, contrastent avec les caractres propres autre famille.

    Une des sources les plus importantes de la mythologie hatienne nous est fournie par le texte des chants que les servants du culte (houns) entonnent lorsqu'ils (ou elles) dansent en l'honneur d'un dieu. Ces quelques vers numrent les noms du dieu, font allusion son caractre ou quelque incident de sa vie. Ils sont parfois railleurs ou mme insultants. Leur sens n'est pas toujours clair et les prtres qui sont appels les traduire en donnent des interprtations fort diffrentes. Il est galement vrai que le texte en varie considrablement selon les sanctuaires ou les informateurs. Souvent leur sens s'claircit l'aide des mythes ou de la tradition concernant les dieux qu'ils clbrent. Une difficult supplmentaire, dj remarque Courlander, est constitue par le brusque changement de personnes dans le cours du chant. C'est tantt le chanteur qui s'adresse au loa, tantt le loa qui s'adresse au chanteur, tantt une allusion un mythe ou un incident trivial. Ces trois aspects sont parfois inextricablement mls.

    Nous avons donc en Hati un norme folklore potique et musical' d'essence religieuse qui se transmet d'un bout l'autre du pays et d'une gnration l'autre. Cette riche, matire potique n'est pas stable, les vers sont dforms, modifis ou radapts par les chefs de chur des diffrents sanctuaires. D'autres chants sont composs en l'honneur de nouveaux dieux et, selon leur mrite, se propagent ou meurent. Hati nous offre, une fois encore, Timage des socits antiques ou moyengeuses traverses par un

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    grand courant lyrique. Une tude systmatique de cette production artistique nous offrirait, n'en doutons pas, des lumires sur l'origine de la littrature populaire l'aube de notre civilisation.

    Pour faciliter la lecture et la comprhension des documents mythologiques recueillis par M. Emile Marcelin, il- n'est pas inutile de dfinir quelques-uns des termes techniques du vodou et d'expliquer certaines attitudes psychologiques propres aux milieux vodouisants.

    Les dieux hatiens portent le nom de loa, terme d'origine africaine, ou de mystres . Ils descendent dans leurs fidles, provoquant ainsi un phnomne de possession ou crises de loa. La personne qui devient le rceptacle du dieu est dite le cheval ou choual du dieu. Cette assimilation permet l'usage d'un vocabulaire religieux d'inspiration questre ; par exemple, le dieu monte ou chevauche son cheval. Le possd est saisi de convulsions si la crise est forte. En ce cas, le prtre cherche l'apaiser en agitant sa sonnaille faite d'une calebasse recouverte d'une sorte de treillis en perles de verre ou de vertbres de serpents (assmi). Si le possd s'croule par terre, il le maintient entre ses jambes jusqu' ce qu'il ait repris ses sens. Le cheval , une fois calm, danse, salue les spectateurs, s'entretient avec eux ou se livre des pantomimes ou tient des propos en harmonie avec le caractre du dieu qu'il incarne.

    Lorsque, dans les anecdotes rapportes par Emile Marcelin, il est dit que le dieu fit ceci ou cela, ou pronona telle ou telle parole, il faut entendre la personne possde. Mais comme, aux yeux des fidles, un individu pris de loa perd sa personnalit pour devenir le dieu lui-mme, c'est donc au dieu que ses actions et ses propos sont attribus. Lorsqu'il se rveille de la transe, il assure ne pas garder le souvenir de ce qu'il a fait ou dit. Jamais je n'ai rencontr de possds qui aient admis avoir t saisis par un dieu. Mme aprs des crises d'une grande violence, ceux qui en avaient donn le spectacle coutaient le rcit de leurs actions avec une surprise affecte ou relle, personne ne sait.

    Le prtre du vodou est un hougau et la prtresse une mambo. Les hounsi kan^o, ou hounsi tout court, sont les serviteurs, hommes et femmes, du sanctuaire ou houmfor et les danseurs attitrs pendant les crmonies. Le chef de chur est Y houngenikov . Le laplace est le matre de crmonie qui, arm d'un sabre, conduit les saluts rituels, et prend la tte des cortges et processions. Il est suivi par deux porte-drapeaux.

    Les ftes et crmonies ont lieu sous un pristyle ou tonnelle, sorte de hangar ouvert. Le poteau central qui soutient la toiture est dit le poteau- milan. Il est hautement sacr et joue un rle important dans les sacrifices et les pratiques rituelles. Les services en l'honneur des loa comportent un rituel compliqu qui varie selon les dieux, selon leur classe et aussi selon

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    l'objet immdiat de la crmonie. Les danses en sont presque toujours un lment essentiel. Elles sont excutes dans un ordre rigoureux et leur rythme ainsi que les mouvements changent plusieurs reprises au cours de la crmonie. Elles sont classes par les indignes eux-mmes en t3Tpes qui correspondent souvent aux classes des loa. Les principales danses du vodou sont dites rada, yanvalou, yanvalou dos-bas, yanvalou-^-paules , nago, kita- moy, ibo, marlinique, etc. Une liste de ces danses, avec une brve description des mouvements qui les caractrisent, se trouve dans l'ouvrage deCourlander cit plus haut. La musique est fournie par les chants des danseurs, mais surtout par un orchestre de tambours dont le nombre et la l'orme diffrent selon le type de danse. Les danses Rada exigent trois tambours cheville, les danses Petro, deux tambours plus petits. Le ogan est une sorte de cloche en fer accompagnant souvent le rythme du tambour.

    L'endroit prcis o un sacrifice va avoir lieu est en quelque sorte sacralis par un dessin rituel (vvf) que l'on trace avec de la farine sur le sol. Le hougan ou son assistant reprsente ainsi les symboles des dieux qui vont tre appels.

    La plupart des grands dieux du vodou sont' identifis des saints catholiques. Cette assimilation se fonde sur l'interprtation donne aux attributs des personnages divins reprsents sur les grossires chromolithographies, imprimes en France, qui sont importes en Hati. La physionomie et les attributs de chaque saint ont t interprts d'aprs la mythologie vodou et il a suffi souvent d'un dtail insignifiant pour tablir une quivalence. Saint Patrick est le dieu Serpent Damballah, parce qu'il a chass les serpents d'Irlande et que ceux-ci sont figurs sous ses pieds. Le casque, au pied de saint Expedit, est une tte de mort, etc.. Ces images sont places sur les autels vodou et, leur tour, ont inspir de nouveaux mythes tiologiques. L'usage que les paysans font de ces chromos est en abomination an clerg qui s'est vu rduit l'obligation de dtruire, dans ses autodafs, des images de la vierge et des saints qui ailleurs dcorent les chapelles et les foyers les plus chrtiens.

    Dans la transcription des textes en crole nous nous sommes heurts aux mmes difficults que nos prdcesseurs. Le crole parl par la majorit des Hatiens est une langue nouvelle, drive du franais en usage la colonie au xvme sicle. Il s'est suffisamment diffrenci de la langue mre pour qu'i soit impossible de le regarder comme dialecte. Il est au franais ce que le roman du moyen ge tait au latin. La grammaire crole est imprgne d'africanismes et le systme phontique prsente des particularits qui s'expliquent uniquement par des habitudes articulatoires d'origine africaine. Il et donc t plus simple et plus logique de transcrire ces textes selon un alphabet phontique, d'autant plus que le Dpartement d'ducation hatien

  • LES GRANDS DIEUX DU VODOU HATIEN
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    Legba voit et entend tout ce qui se passe sur les routes, sentiers, carrefours, maisons, cours et jardins :

    Alegba tl ' ga(r)d-m! Ou pas ou-l, li oum. Tout a qui dit bien, Li l, ' (e)couter. Tout a qui dit mal, Li l, ' (e)couter. Yo signin nom-m Alegba > Yo pa signin pied-m. Mand ct (yo) ou-m ! Abobo.

    Alegba est l, il me regarde. Vous ne le voyez pas, il me voit. Tous ceux qui disent du bien, II est l, il coute. Tous ceux qui disent du mal, II est l, il coute. On signe mon nom Alegba, Mais on ne peut signer mes pieds (sans doute : on ne peut m'arrter) Je me demande o ils me verront. Abobo.

    On se le reprsente sous les traits d'un vieillard, cass par l'ge, demi paralys, qui s'avance pniblement avec l'aide d'une canne ou d'une bquille. Le nom de Legba-pied-cass, qui lui est parfois donn, traduit bien l'aspect pitoyable sous lequel on se l'imagine. Legba est coiff d'un chapeau de paille large bord, il porte une macoutte (sacoche en feuilles de latanier) et i fume sans arrt une longue pipe en terre cuite. Son grand chapeau lui permet de protger les loa de Guine (d'Afrique) contre les ardeurs du soleil :

    Papa-Legba nan houmfor} moin ! Atibon-Legba nan houmfo(r) moin ! Alegba-papa nan houmfo(r) moin ! Ou minm qui po(r)t drapeau nan Guinin. Ou minm qui po(r)t chapeau Guinin. C'est ou minm qui a par soleil /() loa yo, Papa Legba, Atibon Legba, Alegba Papa. Abobo !

    Papa-Legba est dans mon houmfor ! Atibon-Legba est dans mon houmforl Alegba-papa est dans mon houmforl Toi-mme qui portes drapeau en Guine. Toi-mme qui portes chapeau en Guine. C'est toi-mme qui arrtes le soleil pour les loa. Papa-Legba, Atibon-Legba, Alegba-Papa. Abobo.

    Legba est identifi saint Antoine l'ermite et saint Antoine de Padoue. Comme le premier, il est ennemi des plaisirs charnels. De mme, le Legba des Santerias cubaines s'emploie interrompre les amours de Shange et d'Ochun.

    Mais Legba est aussi saint Pierre qui, tout comme lui, est un portier divin. Les jours de fte ou lors de la commmoration d'un saint patron

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    naux avant de. leur arracher la tte en leur tordant brutalement le cou. Il asperge le vv avec leur sang et les envoie la cuisine o ils sont prpars. Les cuisinires les ouvrent le long du dos et frottent leur chair avec du sel et des pices, mais jamais avec de l'ail qui est un condiment interdit aux loa de Guine. Elles les arrosent aussi de sirop et d'huile d'olive, mais vitent le beurre et la graisse qui sont galement tabous. Un individu que Ton appelle Vi-^-o Legba, Legba-aux-vieux os, est charg de la prparation du koklo (jeune coq).

    Legba reoit, comme offrandes, des bananes, des patates, des ignames, des malangas, des mirlitons, des giraumonts, des gteaux, de la kola et du sirop d'orgeat. Au moment o le sacrifice est offert, certains aliments prennent un nom spcial : les bananes sont dites s-masko : les patates, malangas et ignames, courante-t (courant de terre); le giraumont, joucour;'

    le mirliton, christophine . Legba, comme la plupart des loa, a une danse, le crabignan- Legba, qui est

    vive et gaie et aisment reconnaissable au boitillement des danseurs. Cepen dant pour saluer Legba, on excute, comme l'exige le rite Rada, une danse mahi son arrive, ensuite un yanvalou et enfin un nouveau mahi lorsqu'il part.

    La vengeance de Legba contre ceux qui l'offensent peut tre terrible. En voici un exemple : le grant d'une habitation avait abattu un mapou gant consacr Legba, sur l'ordre de son matre qu'il eut tort de craindre plus que Legba. Plusieurs mois se passrent sans que rien d'anormal ne lui arrivt. En se rveillant un matin, il s'aperut qu'il perdait du sang par le fondement. Il fit venir une bonne femme (rebouteuse) qui lui administra un lavement compos d'corce de bois d'orme, de feuilles de goyave, de pois- congo et d'une pince de bi-carbonate de soude. Elle rpta ce traitement pendant plusieurs jours sans aucun rsultat. Alors le chef de section, son compre, conseilla au malade d'aller se faire voir par les mdecins. Son cas fut jug suffisamment grave pour qu'il ft intern. On avait diagnostiqu une hmorragie intestinale ou une pousse d'hmorrodes. Le malade s'affaiblissait vue d'il et les mdecins furent heureux de le renvoyer chez lui pour ne pas tre accuss d'incomptence. Ils souponnaient un cas d'empoisonnement que l'on ne gurit que si le criminel qui a administr la potion fournit lui-mme le contre-poison.

    La famille fit venir le plus habile hougan de la rgion qui le malade raconta l'histoire de l'arbre abattu et ses msaventures l'hpital. Le hougan lui demanda le nom du loa qu'il servait, qui, en l'occurrence, tait Marinette- bois-chche, une des divinits les plus redoutes du rite Petro. Il lui conseilla de faire un service pour ce loa, le lendemain mme qui tait un jeudi, jour consacr cette divinit. Au moment de commencer le service, le

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    bougan s'adressa comme de coutume Legba, mais le dieu fit la sourde oreille. Il devint vident alors que le cas tait sans espoir, puisque le portier divin se refusait pardonner le sacrilge. Effectivement le malade mourut le lendemain l'aube.

    AYIZAN.

    Legba a pour pouse la desse Ayizan. C'est une vieille .femme d'o le qualificatif de grande qui lui est donn qui, comme son mari, veille sur les marchs, les places publiques, les portes, les barrires et les routes- II existe un lien entre elle et les eaux courantes, peut-tre cause de l'animal dans lequel elle s'incarne, la couleuvre madeleine.

    Ayizan recevait jadis un culte propre. Avant de servir manger aux dieux du vodou, on faisait deux parts de la nourriture : l'une pour Ayizan et l'autre pour les dieux. Un informateur nous assura mme qu' Ayizan tait la plus ancienne divinit et que, pour cette raison, elle avait droit tre servie premire.

    Grand' yizan, Salue^ Legba-! A l'h quil est, La(f)gent cass roche. M'ap mand comment nous y Sl Lba- !

    Crole sond miroi(j) Legba ! Legba, Ayizan, vie, vie ! Crole sond miroi(r) Legba ! Crole sond miroi(r) Alibon Legba ! Abobo.

    Grande Ayizan, Saluez Legba ! A l'heure qu'il est, L'argent casse les pierres (On fait tout avec de l'argent). Je demande comment tes-vous. Saluez Legba, eh!

    Les Croles sondent le miroir de Legba. Legba, Ayizan, vieux, vieux. Les Croles sondent le miroir de Legba. Legba, Ayizan, vieux, vieux ! Les Croles sondent le miroir d'Atibon-Legba !

    Les individus possds par Ayizan marchent courbs en deux, tremblent et haltent comme de vieilles femmes.

    Malgr son grand ge, Ayizan est constamment sur les routes :

    Ayizan, Ayizan, Ayizan march! Ayizan, Ayizan, Ayizan ponminnin ! Ayi^an, Ayi^an, ponminnin ! Ai ma{r)che, Ayizan ponminnin !

  • 62 SOCIT DES AMRICANISTES

    Ayi^an-d ! Ayizan all ponminnin, Li ma(r)ch, all ponminnin, Ayi\an d!

    Ayizan, Ayizan Belekou, ! M'a dit Ayi^an, Ayizan Belekou, ! Ou cest y, ! C'est la y. Ayizjin Belekou ma{f)ch !

    Ayizan, Ayizan, Ayizan marche ! Ayizaa se promne. Ayizan, Ayizan, Ayizar* se promne. Ayizan, Ayizan, Ayizan se promne ! Ayizan marche, Ayizan se promne.

    Ayizan-deux, Ayizan est alle se promener. Elle marche, elle est alle se promener. Ayizan-deux.

    Ayizan-Belekou, oh ! Je dis Ayizan, Ayizan-Belekou, oh C'est toi, oh C'est: l que nous sommes. Ayizan-Belekou marche.

    Ayizan accorde ses fidles le pouvoir. Elle a pour emblme le palmier royal ou palmiste qui est un symbole de puissance et de libert. Elle est reprsente dans les vive par le dessin schmatique du palmier et par son monogramme compos des deux lettres A et V superposes dont les jambages se croisent (Ayizan Veique). Rappelons ici que le palmiste figure dans les armes de la Rpublique hatienne dessines par Ption et que le palmiste tait aussi peint sur les autels de la patrie qui s'levaient, avant: l'occupation amricaine, sur les places publiques.

    On attribue Ayizan le pouvoir de tenir l'cart les mauvais esprits. Les pristyles, c'est--dire les hangars o se clbrent les danses vodou, sont couverts de feuilles de palmier et si leur toit est en tle, comme c'est le cas, aujourd'hui, des feuilles de palmier sont places dans l'enceinte.

    Les hounsi qui dansent pour Ayizan portent gauche, sur la poitrine,, un Ayizan, c'est--dire quelques feuilles de palmier effiloches. Les malades,, les femmes enceintes ou qui ont leurs rgles sont frapps d'impuret et ne peuvent participer une crmonie que s'ils attachent sur leur personne quelques feuilles de palmier pour contrecarrer les mauvaises influences dont ils sont le vhicule.

    Par une curieuse inconsquence, cette divinit fminine est identifie au Christ, mais au Christ baptis par saint Jean. Le Christ tait une femme noire qui portait une couronne d'pines, alors qu' Ayizan tait ceinte de- lauriers blancs :

    Rhl Ayizan pou(r) moin ! Ayizan ou min tu gui po^r^te laurier blanc. Rhl Ayizan pou(j) moin. Bade ouanim, ouanim, Ayizan-o !

  • LES GRANDS DIEUX DU VODOU HATIEN 63

    Sobo ouanim, ouanim, - ! Ayizan ou min m qui po(r)te laurier blanc. Rhl Ayizan. Abobo.

    Appelle Ayizan pour moi ! Ayizan, toi qui portes le laurier blanc. Appelle Ayizan pour moi! Bade ouanim, ouanim, Ayizan-oh ! Sobo ouanim, ouanim, Ayizan-oh ! Ayizan, toi qui portes le laurier blanc. Appelle Ayizan ! Abobo.

    Ayizan est une grande mambo (prtresse) qui vient danser (qui possde) dans la tte des mambos d'ici-bas :

    Mambo Ayizan, hounsi la-yo dos dos. Hounsi kan^o, hounsi bossales. Pa(r)l hounsi croles. Mambo Ayizan, hounsi la-yo dos dos.

    Mambo Ayizan, les hounsi sont dos dos (elles se sont querelles). Hounsi hnnxpy hounsi novices. Disent hounsi croles. Mambo Ayizan, hounsi sont dos dos.

    Ayizan porte parfois l'pithte de complot . Dans les deux chants suivants o elle figure avec cet attribut, il est dit qu'elle est plus forte que les wanga (charmes magiques).

    Ayizan complot pi fo(rf) pass wanga ! Ga(i)d chita mes- amis. Yo vl manger raison moin. Ayizan complot pi fo(rt) pass wanga ! Dechouqu yo vl manger raison moin, M' dis complot pi fo(rt) pass wanga.

    Moin dis Ayizan complot, M' panco (pas encore) riv. Pou(r) pa(f)ler parole-la, Crole mang raison moin. a oui la-a, Non pas pa(r~)l- ! Ayizan complot Nou panco (pas encore) riv. Pou(r) ni pa(r)l paroi' l Crole mang raison.

    Ayizan complot est plus forte que les wanga ! Voyez, mes amis, comme je suis assise. Ils veulent prendre ma raison. Ayizan complot est plus forte que les wanga Dracine (pithte d'Ayizan), ils veulent prendre ma raison. Je dis Ayizan complot est plus forte que les wanga !

    Je dis Ayizan complot, Je ne suis pas encore arriv.

  • 6/\ SOCIT DES AMRICANISTES

    A dire cette parole, les Croles (les loa) ont pris ma raison. Ce que nous voyons l, Nous ne pouvons pas le dire, oh ! Ayizan complot, II n'est pas encore temps pour moi, De vous raconter . Les Croles ont pris ma raison.

    Ayizan, Legba et Loko marchent ensemble au dbut de toute crmonie et il est obligatoire de les invoquer ; Legba d'abord, puisqu'il est l'introducteur des loa, ensuite Loko, matre des houmfors et chef de la suite de Legba, et enfin Ayizan, divinit qui exorcise et purifie. Voici la formule par laquelle on s'adresse cette desse :

    Par pouvoir Ayizan Vlque, Ayizan Poumgou, -Belekou, Grande Ayizan, Mambo Ayizan, Ng(r)esse Freda Dahonmin, Ng(re) Fredassy, Ng(f)esse Mannou-lade, Ng{f)esse-cisa-fleur-vodou, vie (vieille), vie, vie, Ayi- \an. Ago, agosy, agola.

    Ayizan joue un rle fort important dans la crmonie funraire du rhl loa en bas d'i'eau ou l'an govi (appel des morts dans une cruche).

    Pour l'occasion, les femmes de la famille du mort et les hounsi se mettent en blanc. Un govi (cruche), plein d'eau, est plac devant l'autel. Deux chaises couvertes d'un drap blanc supportent une longue palme. Les hounsi s'alignent devant elle et le hougan, muni de sa sonnaille (asson), s'assied sur une chaise en face de la cruche. On chante :

    Rhl Ayizan pou(r) moin ! Ayizan, pr all rhl loa en bas eau. Rhl Ayizan- pou(r) moin! Pr all rhl loa en bas eau !

    Appelle Ayizan pour moi ! Ayizan nous allons appeler les ha sous l'eau. Appelle Ayizan pour moi ! Allons appeler les loa sous l'eau !

    Une hounsi prend la palme, alors que ses compagnes effilochent les feuilles avec leurs ongles jusqu' ce qu'elles pendent comme une frange extrmement fine.

    Le hougan fait tinter son hochet pour appeler le loa. On entend, au bout d'un certain temps, une sorte de remous dans l'eau. C'est le loa qui sort de sa demeure aquatique. Il ne possde personne, mais, parlant directement du fond de la nuit, il dit d'une voix spulcrale": Tout le monde, bonsoir . Ensuite il s'enquiert poliment de la sant de chacun et demande si quelqu'un veut bien l'adopter. La personne qui dsire assumer cette responsabilit, dit : C'est moi, Papa , le loa rpond : Merci pitit moin .

    Le hougan enferme le loa dans une cruche qu'il recouvre d'un morceau de satin blanc et qu'il place sur l'autel. Si plusieurs loa mergent de l'eau pour se faire adopter, on les met chacun dans une diffrente, car deux loa ne sauraient partager le mme rceptacle.

  • LES GRANDS DIEUX DU VODOU HATIEN 6$

    Une ou deux semaines plus tard, on se runit de nouveau dans le houmfor et, tout comme la premire fois, honnsi et parentes sont en blanc. On dpose devant l'autel un grand plateau en bois (bac) avec du pain, de la cassave et toute sortes de bonbons. Le hougan agite son hochet (assort) et dit : Adorez les loa . Chacun se sert dans le plateau et y dpose cinq centimes, en prononant ces mots : Adorez la madeleine (couleuvre). La madeleine est sortie dshabille .

    Une hounsi prend la cruche contenant le loa, la met sur sa tte et se rend la caye-mystre, suivie de toute l'assistance qui chante :

    Yo ba moin %in-a Po(r)ttont mare! Yo ba moin %ina ) i . Zin-a dj fl! ) D1S Yo ba moin 7Jn-a Po(r)t tout mare!

    On m'a donn le \in (cruche) A porter tout amarr (le mot amarr ici doit tre pris dans un sens rituel, il est plein de pouvoirs surnaturels). On m'a donn le lin. Le lin est dj fl (bis). On m'a donn le \in A porter tout amarr.

    La hounsi dpose son prcieux fardeau sur le p (autel), dans la maison des loa. Dornavant, si un membre de la famille est malade, point ne sera besoin de recourir un hougan, le loa lui-mme entreprendra le traitement. D'ailleurs il n'est circonstance dans la vie o l'on ne puisse lui demander assistance.

    Les offrandes que l'on fait Ayizan sont dposes au pied de son reposoir qui est gnralement un mdicinier bni (Jatropha curcas), aux branches duquel on suspend sa macoutte (sacoche). Les mets et les boissons prfrs de ce loa sont : les bananes, les patates, les ignames, les malangas, les mirlitons, les salaisons, le riz blanc, les gteaux, le sirop de canne, les sirops et l'eau. On lui sacrifie aussi des poules dites cannelles .

    DAMBALLAH-WDO ET ADA-WDO.

    Damballah-Wdo occupe un rang fort lev parmi les loa du rite Rada. Il est le dieu des sources et des rivires et, pour dfinir ses principales fonctions, les vodouisants disent qu'il travaille dans l'eau. On le qualifie souvent de Ma de l'eau surtout lorsqu'il est associ une source o les couleuvres abondent.

    Damballah-Wdo se manifeste souvent sous l'apparence d'une couleuvre grise ou verte. Il y a cent ans, il tait ador dans les houmfors sous la forme d'une couleuvre vivante que l'on gardait dans une jarre et dont on le faisait

    Socit des Amriainistes, 1947. S

  • 66 SOCIT DES AMRICANISTES

    sortir les jours de crmonie. Aujourd'hui il est symbolis par une couleuvre en fer forg place sur le bagui (autel).

    Les chants en l'honneur de Damballah se plaisent signaler son identit avec la couleuvre :

    Coulve-, coulve- ! Damballah-wdo, Papa. Ou coidve- ! Coulve, coulve- ! Damballah -wdo , Ou coulve- ! M' ap rhl coulve- ! Coulve pas a pa(r)l. Dnmballah, Papa, ou c'est coulve- !

    Couleuvre, oh, couleuvre, oh ! Damballah-Wdo, Papa ! Tu es une couleuvre,, oh ! Couleuvre, couleuvre, oh ! Damballah-Wdo ! Tu es une couleuvre, oh ! J'appelle la couleuvre, oh ! La couleuvre ne peut pas parler. Damballah, Papa. Tu es une couleuvre, oh !

    Damballah-Wdo, c'est coulve eau. Cherche^ Damballah, qui bo(id) ou a ou-li? Papa Damballah, est coulve , Lo plong en bas dt eau.

    Damballah est une couleuvre d'eau. Cherchez Damballah. O le verrez-vous t Papa Damballah est une couleuvre d'eau. Il a plong dans l'eau.

    Les sources habites par Damballah lui sont consacres, et, lors des crmonies clbres en son honneur, ses mangers lui sont servis mme la source. On chante alors :

    A l loa ma(r)ch nan d'l'eau ! C'est Damballah- ! A l loa () Veau ! Cest Damballah- ! Papa Damballah, c'est tte eau ! Papa Damballah est tte Veau. Abobo.

    Ah! voil un loa qui marche dans l'eau! C'est Damballah! Ah! Voil un loa qui marche bien dans l'eau ! C'est Damballah ! Papa Damballah est la tte de l'eau. (source). Papa Damballah est la tte de l'eau. Abobo.

    Damballah appartient la catgorie des loa blancs. Beaucoup de gens l'identifient avec saint Patrick, qui, sur les chromos, est reprsent avec une longue barbe blanche, une mitre, une tunique bleue, une tole et un grand manteau parsem de croix. Des serpents s'enfuient sous ses pas et devant la crosse qu'il tient la main. Quelques prtres disent que saint Patrick n'est pas Damballah-Wdo, mais son fils Odan-Damballah-Wdo. Ils sont

  • LES GRANDS DIEUX DU VODOU HATIEN 6j

    plutt ports identifier Damballah-Wdo avec Mose sauv des eaux, et ils font remarquer que les possds de Damballah bgaient comme le prophte. D'autres concilient les deux opinions en admettant l'existence de deux Damballah, l'un du rite Rada, qui serait identique Mose, et un autre Damballah du rite Petro, appel Damballah-le-flambeau ou saint Blanc, qui, lui, ne serait autre que saint Patrick.

    Les mardis et jeudis, qui sont les jours de Damballah, ses fidles installent prs de leur lit, o ils ont mis des draps tout propres, un oratoire. Celui-ci n'est qu'une petite bote carre au fond de laquelle ils pinglent l'image de saint Patrick et celles des autres loa qui marchent avec lui. Ils dposent l'intrieur de cette niche une soucoupe avec de la farine, dans laquelle un uf est fich sur la pointe, un paquet de sucre, une bouteille de kola, une tasse de caf, un savon, un peigne, une brosse cheveux, une houppe, de la poudre de riz, et un flacon de parfum. Ils font galement brler un cierge blanc, symbole de puret. Le serviteur du loa doit demeurer chaste sous peine d'tre tu par ce loa. Si c'est un homme, sa femme doit mme quitter sa chambre.

    Le houmfor, sanctuaire de Damballah, est une petite case ordinaire qui peut tre divise en deux chambres : l'une pour le dieu et les loa de son groupe, et l'autre pour les dieux Congo. Dans la chambre de Damballah se trouve un p (autel) sur lequel sont rangs divers objets : un crucifix, qui indique que le houmfor est vou des divinits bienveillantes, une couleuvre en fer forg, symbole du dieu, une clochette, un hochet (assori), des pots contenant des loa, le pot bleu de Mme Travaux, le govi (pot) que le prtre emploie pour invoquer les dieux, le pot rafrachissoi(re) , le pot arc-en- ciel ainsi nomm cause de ses diverses couleurs, les plats marassa (plats des Jumeaux diviniss), des canari (jarres), des bouteilles de sirop, des tasses, et une soucoupe sur laquelle est pose la pierre de Damballah (gnralement une hache indienne) que Sobo, dieu de la foudre, a lance du ciel dans l'enclos des papa-loa (prtres) favoriss. A terre, devant l'autel, sont places une lampe remplie d'huile de palma-christi et une bougie blanche. D'autres accessoires sont entasss dans les coins : drapeaux, tambours, sabres de laplace (matre de crmonie).

    Damballah aime la fracheur. On construit prs du p (autel) ou sur l'autel lui-mme, un petit bassin son intention. C'est l qu'il se plat travailler. Le chant suivant fait allusion au bain de Damballah :

    Papa Damballah, moin besoin baingnin l-a ! D l'eau-a lan bassin ! Damballah-Wdo, M besoin baingnin l-a D' - lan bassin loa yo !

  • 68 SOCIT DES AMRICANISTES

    (Moi) Papa Damballah, j'ai besoin de me baigner l. L'eau est dans le bassin. Oh ! (moi) Damballah-Wdo, J'ai besoin de lue baigner l. De l'eau est dans le bassin des loa.

    Le reposoir (arbre sacr) de Damballah est toujours entour d'un petit enclos mur formant un bassin que l'on remplit d'eau les jours consacrs ce dieu. L'arbre qui lui est ddi est un calebassier, un orme ou un cotonnier.

    Damballah n'accepte les prires que dans les houmfors et dans les glises. Son autel ne peut tre plac que dans un sanctuaire. Cependant, dans les caye-my stres, c'est--dire dans les maisons consacres aux dieux, mais qui ne sont pas prcisment des houmfors, on voit parfois sur le p (autel), ct des couis (calebasses vides et dessches), ddies aux loa croles (c'est--dire ns en Hati) et aux loa Guinnin (c'est--dire venus d'Afrique), un plat blanc, une pierre-tonnerre, un collier maldioc (qui protge contre les mauvais esprits), qui sont l pour Damballah. Sur les murs de la case, des peintures reprsentent des fleurs et une couleuvre qui sont les attributs de Damballah.

    Damballah n'accepte pas non plus que ses serviteurs invoquent les esprits qui font indiffremment le bien et le mal, sauf les marassa (jumeaux) qui occupent une place part dans les houmfors. Les marassa sont de vritables protecteurs que l'on rvre depuis des gnrations et que personne ne pourrait rejeter sous peine de s'exposer toutes sortes de malheurs.

    Damballah est un loa converti au catholicisme. Quand il a besoin de communier, il demande un de ses serviteurs de s'en acquitter pour lui. Le serviteur, au moment o il se dirige vers la sainte table, est possd par le dieu ou tient dans sa main la pierre-tonnerre qui est le symbole du dieu.

    Une personne qui pratique le vodou ne peut communier qu'aprs en avoir demand la permission au loa qu'elle sert. Si ce loa est Damballah, le serviteur doit faire les libations devant l'image du saint qui le reprsente ou devant la pierre qui symbolise le dieu. Il lui dit :

    Papa Damballah, avec ta permission, je vais communier. Fais que tout aille bien pour moi et que j'en tire le plus grand profit.

    Une femme nous a racont ce sujet l'anecdote suivante qui jette un jour intressant sur l'atmosphre mystique dans laquelle se meut le paysan hatien : C'tait une nuit de Nol. Ma grand'mre allait communier, mais elle avait oubli de demander Damballah, qui tait son mystre , la permission de le faire. Au moment de s'approcher de la sainte table, elle fut prise d'une crise violente. Elle gesticulait, ses muscles se contractaient, sa physionomie changea d'expression. La sueur lui coulait abondamment

  • LES GRANDS DIEUX DU VODOU HATIEN 69

    sur le corps et elle mettait des sons inarticuls. Elle fut aussitt transporte la sacristie. Ma tante, qui s'tait rendu compte que ma grand'mre tait possde par Damballah qui, sans aucun doute, tait irrit contre elle, le supplia de ne pas la punir dans l'glise de Dieu. Damballah, estimant qu'il avait suffisamment chti son cheval , se laissa accompagner la sainte table et communia.

    Tous ceux qui avaient remarqu l'tat dans lequel se trouvait ma grand'mre tait persuade qu'elle allait mourir. Cependant, le lendemain, la surprise de tous, ma grand'mre fut compltement remise et, ce qui est encore plus tonnant, elle trouva sur son oreiller la pierre de Damballah qui tait dans la caye-mystre. Or celle-ci tait une assez grande distance de la maison. Quand on lui demanda qui avait plac la pierre sous son oreiller, elle rpondit que la pierre tait venue toute seule.

    L'anne suivante, la Nol, ma grand'mre alla communier, mais, cette fois-ci, avec la permission de Damballah. Le dieu lui avait ordonn de porter sur elle la pierre-tonnerre. Ma grand'mre, l'ayant oublie, envoya une de ses petites-nices la chercher. L'enfant obit. A son retour, elle rencontra sur la route un hougan qui connaissait sa famille. Celui-ci lui demanda o elle allait. La petite fille lui dit qu'elle apportait sa grand'tante la pierre de Damballah qu'elle avait oublie chez elle. Le hougan, qui tait cheval, lui offrit de prendre la pierre et de l'apporter lui-mme. L'enfant la lui remit sans dfiance. Ma grand'mre, ne voyant, pas revenir sa petite-nice, devint inquite et s'imagina mme qu'elle avait t crase par une auto. Lorsque la petite fille arriva, la grand'mre lui demanda : O est la pierre. L'enfant lui raconta sa rencontre avec le hougan. La grand'mre attendit en vain la venue de celui-ci. Or ce personnage tait en train de boire des grogs avec des amis dans un caf. Il fut arrt par un gendarme sans raison aucune. On le fouilla, mais on ne trouva pas la pierre qu'il portait sur lui ; celle-ci tait alle se loger dans la poche du caraco de ma grand'mre. C'tait le mystre , c'est--dire Damballah, qui avait fait arrter le hougan pour le punir de son indlicatesse.

    Les hougans qui servent Damballah soignent parfois les malades avec sa pierre. L'un deux nous a cit le cas d'une jeune fille qui souffrait d'un mchant abcs au pied. On avait essay diverses herbes sans aucun succs jusqu'au jour o la pierre de Damballah, venant on ne sait d'o, tomba sur son pied et la gurit d'un coup.

    Les services en l'honneur de Damballah se clbrent gnralement le jeudi. On dresse dans le houmfor une grande table couverte d'une nappe blanche sur laquelle on trace un cercle avec de la farine de mas et de la farine de bl ( farine France ) mlanges. Au milieu de la table, on place une image du saint identifi Damballah et l'on fait brler une lampe

  • 70 SOCIETE DES AMERICAN1STES

    huile devant elle. On dispose galement sur la table des fruits, de la ptisserie, des bouteilles de kola, des liqueurs et des sirops (Damballah ne prend jamais d'alcool), deux tasses blanches : l'une pour le caf doux et l'autre pour le caf amer. On met aussi sur la table une soucoupe avec de la farine de froment sur laquelle repose un uf, symbole du dieu. On ajoute galement une soucoupe blanche contenant un morceau de pain tremp dans du vin blanc, une tasse remplie d'eau bnite dans laquelle nage un rameau de basilic et un verre de vin blanc. On lui sert aussi, dans une assiette soupe, son dessert, dit dessert de Damballah . Il consiste en un plat de riz, de vermicelle et de farine cuits avec du lait, en bananes mres frites, saupoudres de sucre.

    Au bas de la table, sur le sol, on place une assiette contenant du mas et des arachides grilles, une soucoupe remplie d'huile de palma-christi o flottent des mches de coton allumes.

    Au cours des services en l'honneur de Damballah, l'officiant, vtu de blanc, trace sur le sol devant l'autel, avec de la farine de mas, le vive (dessin symbolique) de Damballah, qui est une couleuvre. Puis il rcite une prire et une invocation dans laquelle il appelle Damballah :

    Au nom de- Monsieur .Damballah-Wdo, Tocan-rairois, dame Salavantior passa wilibo wilimin. Odun cosi-cosa. Adan aica siucan, Odan-, Wdo, ymin, Odan missou Wdou, Damballah-wdo, diengu, Damballah-Wdo tingui, ngre arc-en-ciel fil, aprs Dieu, aprs Dieu, aprs Dieu.

    L'officiant possd par le dieu se dirige vers l'autel qu'il baise par trois fois, en rcitant une autre oraison. Il asperge, avec un rameau de basilic tremp dans de l'eau bnite, les membres de la famille, les assistants et enfin la maison elle-mme, aux quatre points cardinaux. Il retourne l'autel qu'il baise encore par trois fois. Il prend ensuite une soucoupe contenant du pain et une bouteille de vin blanc. Le chur chante alors :

    Damballah-, Damballah, sacr ! (bis) Damballah- ! Damballah, nom sacr ! Damballah- Wdo !

    Damballah, eh ! Damballah, tu es sacr (bis). Damballah, eh ! Damballah, tu es sacr. Damballah-Wdo.

    Ensuite, il offre tous ceux prsents, en commenant par les membres de la famille, un morceau de pain et un peu de vin. Lorsque Damballah se retire (c'est--dire la personne possde par le dieu), il distribue de vigoureuses poignes de main. S'il est content de ses enfants, il leur donne de sages conseils, car il est un dieu plein de prudence.

  • LES GRANDS DIEUX DU VODOU HATIEN 71

    Les individus possds par Damballah dploient au cours des danses une grande agilit. Ils se tranent sur le ventre et sur le dos et tout en rampant ondulent avec tout leur corps. En un mot, ils s'efforcent d'imiter les mouvements rapides d'un serpent qui glisse sur le sol.

    Damballah, tout comme d'autres loa, a aussi sa danse. Mais, la diffrence des autres, celle-ci ne peut tre excute que par lui-mme ou l'officiant (hougan ou mambo). Il se contente aussi d'un yanvalou ou de toute autre

  • 72 SOCIT DES AMRICANISTES

    Un jour Damballah, voulant en finir une fois pour toutes, se dcida aller demander des explications Agou. Le dieu de la mer, voyant arriver Damballah, pointa ses canons vers lui, prt faire feu. Damballah, se rendant compte du danger, clata de rire et demanda : Que fais-tu, Agou ? Ne reconnais-tu pas Damballah ? Agou, rassur par ces mots, leva l'afft de ses canons et tira une vole vers le ciel pour saluer le Grand Damballah. Ils s'entretinrent amicalement et il ne fut pas question d'Ada dans la conversation.

    Lorsque Aida se baigne dans la mer ou lorsqu'elle fait l'amour avec Agou, elle laisse son bonnet sur le rivage. Celui qui russira s'en emparer sera riche jusqu' la fin de ses jours, car il est plein d'or.

    Damballah et Ada-Wdo descendent parfois en mme temps dans la tte de danseurs. Les individus -qui sont possds par ce couple se mettent ramper sur le sol cte cte.

    L'un et l'autre sont symboliss par deux couleuvres peintes sur les parois du boumfor, de faon que leurs ttes semblent tre plonges dans un bassin, dit bassin de. Damballah . Il est toujours plein d'eau et il est frquent que les individus possds par les loa aquatiques viennent s'y plonger. Les cuvettes naturelles, prs des sources, sont souvent consacres Damballah et sa femme, surtout si on voit des couleuvres dans le voisinage. Ada partage l'antipathie de son mari pour l'alcool et a les mmes prfrences culinaires.

    Elle est identifie Notre-Dame de l'Immacule-Conception qui est reprsente sur les chromos comme une femme de grande beaut portant couronne et une aurole d'toiles, les pieds sur un globe terrestre ou foulant aux pieds un serpent. Les rayons qui manent de la Vierge apparaissent aux yeux de ses fidles comme une image de l'arc-en-ciel.

    AGOU-TAROYO.

    Agou-Taroyo ou Woyo fait partie, lui aussi, du groupe des loa blancs. II est le matre de la mer et de ses les. Son pre est, dit-on, Papa-Agou qui est retourn en Afrique.

    Il lui arrive de s'offrir aux yeux des fidles sous l'apparence d'un poisson. A la gnou bel' pousson Qui so(r)ti lan la tn(r) (bis). Si ou cot pousson a-a, Ou a mouri malhr.

    Ah ! Quel joli poisson qui sort de la mer (bis)\ Si vous coutez ce poisson, Vous mourrez malheureux.

  • LES GRANDS DIEUX DU VODOU HATIEN 73

    C'est cause de cet avatar qu'il est identifi saint Ulrich qui, sur les chromos, est gnralement reprsent avec un poisson dans la main. Ces chromos s'tant fait rares en Hati pendant la guerre, Agou devint saint Ambroise et, pour qu'il ne subsistt aucun doute cet gard, on lui mit un poisson dans la main. Jadis, lorsqu'un esclave disparaissait, ses amis se consolaient de leur perte en disant qu'un poisson avait d l'emporter sur son dos en Guine.

    Le rceptacle du dieu, son symbole, est un petit voilier construit avec beaucoup d'art que l'on peut voir sur l'autel des houmfors, et qui est port en grande pompe lors de la fte d'Agou. Ce bateau a la rputation de faciliter les vasions. La lgende veut qu'un politicien hatien, qui avait fidlement servi le dieu, fut mis en prison. Il y tait gard vue et n'aurait jamais pu s'vader, s'il n'avait eu l'heureuse inspiration de dessiner sur le sol de sa cellule un petit bateau. Se plantant sur cette image, il appela le dieu et, quelques instants plus tard, il tait en lieu sr.

    Un poisson en fer blanc et un petit bateau sont gnralement accrochs au plafond de son houmfor et ses emblmes sont peints sur les parois. Il est symbolis aussi par un trident peint en vert sur lequel on figure les vertbres d'un animal marin.

    On peint galement ses emblmes (bateau, poisson, ocan) sur les calebasses destines recevoir sa nourriture. Il en est de mme pour les calebasses consacres aux autres loa. Par exemple, sur celles de Damballah-Wdo on voit une couleuvre d'eau , sur celles de Baron Samedi une tte de mort, un cercueil et une balance, sur celles d'Ogou-Badagri, un sabre ou un poignard, etc.

    Agou rgne aussi sur les eaux douces, rivires, lacs, tangs et sources. On raconte qu'un des treize terrassiers qui creusrent, il y a quelques

    annes, un rservoir Petionville, fut subitement possd par Agou. Le dieu, par la bouche de son choual , demanda d'un ton irrit : Est-ce que vous m'avez demand la permission de faire ce que vous faites l ? Les ouvriers pouvants tombrent genoux et dirent : Pardon Papa, pardon Papa, nous sommes tes enfants, aie piti de nous. Non, leur dit le loa, vous n'tes pas mes enfants, si vous l'tiez, vous n'auriez pas agi ainsi envers moi. Bientt vous aurez de mes nouvelles. Sur cette menace, le dieu partit. Peu de jours aprs, un des travailleurs tomba malade et mourut, ce fut ensuite le tour d'un autre et en moins d'un mois tous les autres eurent le mme sort.

    Agou est aussi un dieu du tonnerre et de la foudre. Il n'est pas recom- mandable de se trouver sur son chemin lorsque le tonnerre gronde, que le ciel est sillonn d'clairs et que la mer est dmonte : c'est qu'alors Agou est en colre et fait feu de ses canons.

  • 74 SOCIT DpS AMRICANISTES

    Agou vit dans la mer un endroit appel Lan-z-lets (dans les lets) ou Trois-Iiets .

    Agou-Taroyo cot m' t demeur, Ti mount pas demeur l. Lan l'tang m' t y, Lan rile m' t y. Ct m' t dmr, Ti moune pas dmr l, Agou- Taroyo.

    Agou-Taroyo, l o j'habite, les enfants n'habitent pas. C'est dans l'tang (la mer) que j'tais. Aux lets que j'tais. O je demeurais, les enfants ne demeurent pas. Agou-Taroyo.

    Agou est un loa violent et terrible comme l'pithte Taroyo le fait entendre, ce mot signifiant en crole un homme qui crase tout sur son passage avec une fureur dbordante. Agou aime tirer le canon :

    Agou rt sous la ni(r) Li tir- ! li tir- ! Agou-Taroyo (bis).

    Agou vit dans la mer. Il tire (ses canons) ! il tire (ses canons) ! Agou- Taroyo !

    Agou est la fois amiral et ministre de la marine. Quand un bateau de guerre tranger et le port changent des saluts, on dit que les coups de canons sont tirs en l'honneur Agou -Taroyo.

    Un chant, dont le sens est obscur, fait allusion des coups de canon tirs par Dessalines pour Agou :

    Agou, Agou ! M' dis Agou, Agou ! Agou-taroyo, Dessalines-o ! Dessalines rt l ! Li tir cannon, est pour Agou. Agou, Agou-Taroyo, Dessalines-o !

    Agou, Agou ! Je dis Agou, Agou. Agou-Taroyo, Dessalines, oh ! Dessalines se tient l. Il tire le canon, c'est pour Agou. Agou, Agou-Taroyo, Dessalines, oh !

    Un fidle appelle Agou son secours, mais l'amiral est occup signer des ordres :

    Agou-o ! Signin l'o(f)dre-ou . Jour) m'engage m'a rhl Agou. Agou- Woyo m pas press. CoquiQle) an m(j) m pas press. Gaingnin gnou coup, dy, Papa ma par tend' yo.

  • LES GRANDS DIEUX DU VODOU HATIEN 75

    Agou oh ! Signe tes ordres. Le jour o je serai dans l'embarras j'appellerai Agou. Agou-Woyo, je ne suis pas press. Coquille de la mer (surnom d'Agou), je ne suis pas press. On nous prpare un mauvais coup. Mais Papa, ils me trouveront prt.

    Chaque anne, les pcheurs clbrent une fte en l'honneur d'Agou pour le remercier de les avoir protgs sur mer et de leur avoir accord une pche fructueuse. Les fidles se runissent dans le houmfor et, prcds par les hougan et les hounsi vtus de blanc, ils escortent le bateau jusqu'au rivage. Ils y lvent une tonnelle au toit de laquelle ils suspendent le bateau. Une table est dresse en guise d'autel face au poteau-mitan. Elle porte des calebasses pleines de poissons bouillis, arross d'huile d'olive, du pain, des bananes, un coq et des poulets rtis. Tout autour des calebasses sont ranges des assiettes blanches contenant des drages, des oranges, des tranches de melon, des raisins. Il y a aussi ct de ces mangers des bouteilles de sirop et de kola et des tasses de caf.

    Le hougan dessine sur le sol, avec de la farine, un bateau, symbole du dieu qu'il invoque en ces termes :

    Par pouvoir Mr. Agou-Taroyo, Matr(r) Agoul-Woyo, ng(r), coqui(lle) lan mre), ng(re) ttard l'tang, ng{r) angui (l'anguille), ng(re) d'i'eau sala, ngre) trois-hts, (ngre)-mainfort , ng(re) sous la m(r). Aprs Dieu, Mprs Dieu, aprs Dieu.

    Puis ils chantent : Signal Bod Ouatn, oul-l Papa. Signal signal- ! Agou-Taroyo, Papa. Signal !

    A ce moment Agou possde le hougan ou quelqu'un de sa famille. Le laplace, sabre au clair, court en sautillant sur le rivage. Il entre dans la mer jusqu' la ceinture et excute des moulinets avec son sabre. Ensuite il fait le tour de la tonnelle, taillant l'air coups de sabre pour chasser les mauvais esprits.

    Aprs ces rites prliminaires, l'assemble monte dans les barques pavoi- ses de petits drapeaux en papier et de mouchoirs aux couleurs du dieu, et s'en va un lot pour y jeter les mangers dans la mer. Parfois une barque, charge d'offrandes pour Agou et portant trois bougies blanches allumes, est abandonne au courant qui doit l'amener aux Trois-Ilets chez Agou. Si la barque retourne son point de dpart ,on en conclut qu' Agou est mcontent de ses enfants et refuse leur sacrifice. En ce cas, un autre service doit lui tre offert pour apaiser son courroux.

    Les crmonies en l'honneur d'Agou sont clbres par les nuits de

  • SOCIT DES AMRICANISTES

    pleine lune et peuvent durer plusieurs jours. Elles ne doivent pas ncessairement avoir lieu au bord de la mer, mais peuvent aussi se drouler prs d'un tang ou sur la berge d'une rivire.

    Voici la complainte d'un pcheur :

    Sou lan m(j') m t y. a tria soupe tta lan l'eau, a m'a soupe coqui(Jl) lan m(j) ? N'ap navigu, Sou lan m(r) m' l y. M'ap navigu, Agou-Taroyo, M'pdi ^-aviron loa-moin, viande Aroyo. a m'a soupe ?

    Sur la mer j'tais. De quoi souperai-je, Ttard (surnom d'Agou) dans l'eau? De quoi souperai-je, coquille de la mer? Je navigue. J'tais sur la mer. Je navigue, Agou-Taroyo. J'ai perdu les avirons de mon loa. Je demande Aroyo. De quoi souperai-je ?

    Un autre pcheur confiant en la protection d'Agou chante :

    Vie m'assure, Agou-Taroyo. Agou-Taroyo, vie' m'assure. Sou lan m{r) Doquoi la m{f) f(rf). Ago, ago, ago.

    Ma vie est assure, Agou-Taroyo. Agou-Taroyo, ma vie est assure. Sur la mer Doquoi (terme incomprhensible), la mer est forte. Ago, ago, ago.

    Une barque est en danger et ses occupants appellent le dieu leur secours :

    Mat(r) Agou, ct ou y ? Ou pas ou moin nan rcif? Agou-Taroyo, ct ou y ?

    Ou pas ou moin sou la m{r) ? M' gain ^-aviron nan main moin, M' pas sa tounain dy.

    M douvant dj, M' pas sa tounain dy. Mait(r) Agou, ivoyo cot ou yi ? Ou pas ou moin rcif?

    Matre Agou-Woyo, o es-tu? Ne me vois-tu -pas sur le rcif? Agou-Taroyo, o es-tu? Ne me vois-tu pas sur la mer? J'ai en main mes avirons. Je ne puis retourner en arrire. Je suis dj en avant. Je ne puis retourner en arrire. Mat(re) Agou o donc es-tu? Ne me vois-tu pas dans les rcifs ?

  • LES GRANDS DIEUX DU VODOU HATIEN 77

    Lorsqu'un voilier est en dtresse,- son capitaine, s'il est en rgle avec Agou, peut l'appeler son secours. Le dieu descend en lui et, fort de cette prsence, il ne craint pas de se jeter la mer pour conduire sa barque bon port. Parfois le dieu se contente d'envoyer un gros poisson qui remorque le voilier en lieu sr.

    Ce dieu marin vit entour de monstres : Lan-lan m(j), toutes btes mauv-! Gain la Sirne, gain la Baleine. Lan-lan m(j) toutes btes mauv- ! Gain congue, gain requin tou1 . Toutes btes manv-! Agou-Taroyo. Lan-lan tn(r)y toutes btes mauv- !

    Dans la mer toutes les btes sont mauvaises, oh ! Il y a la Sirne, il y a la Baleine. Dans la mer toutes les btes sont mauvaises, oh ! Il y a le congre, il y a aussi le requin. Toutes les btes sont mauvaises, oh! Agou-Taroyo. Dans la mer toutes les btes sont mauvaises.

    La danse d'Agou s'excute avec d'amples mouvements des bras comme ceux d'un nageur ou avec des gestes qui suggrent le flux ou le reflux des vagues. On l'honore aussi par des danses du rite Rada telles que des yanvalou.

    Les individus possds par Agou se jettent plat ventre sur le sol et font semblant de nager. Parfois ils gonflent leurs joues et soufflent pour imiter le sifflement du vent qui est galement une des manifestations du dieu. Parfois aussi ils s'assoient califourchon sur une chaise et rament avec deux planches.

    Agou-Taroyo fait partie du groupe des quatre divinits qui prsident l'initiation du hougan et de la mambo. Le collier que les prtres et les prtresses portent en son honneur est fait de perles blanches et vertes. Le blanc est de rigueur pendant ces crmonies. Les madrpores lui sont consacrs et son arbre-reposoir est le calebassier. Ses jours sont le mardi et le jeudi.

    ERZILI.

    Grande.

    Grande Erzili ou Azili, souvent appele Erzili-Freda-Dahomin ou Bonne Erzili pour la distinguer des autres Erzili, est la protectrice des foyers, la desse des eaux douces et l'amie de la puret. Les vodouisants l'identifient la Mater Dolorosa dont les images sont extrmement populaires. La Vierge

    i . Tou vient du franais rgional itou.

  • 78 SOCIT DES AMRICANISTES

    est reprsente sur ces chromos comme une femme en pleurs dont le cur est travers d'une pe.

    On rend hommage Erzili en se montrant honnte et propre de sa personne. Les fidles sont prompts se mettre sous sa protection s'ils se sentent malades ou si leurs affaires vont mal. Ils lui consacrent un jour de la. semaine, le mardi ou le jeudi, pendant lequel ils observent la continence.

    Ceux qui servent cette divinit sont vtus de blanc, mais elle a aussi un penchant pour le bleu. Son reposoir est le palmiste, arbre sur lequel elle fait ses apparitions.

    Ses mets prfrs sont : des tranches d'ananas sucrs, du riz au lait, dui pain, de la cassave, des arachides, du mas grill, des bananes, des gteaux,, des drages, du sirop d'orgeat, de l'eau de rose. Comme Erzili est troitement associe avec Damballah, ou, pour nous servir de la terminologie du vodou, marche avec ce loa, on lui fait aussi des offrandes d'ceufs, de farine, de sucre, de caf sucr ou amer.

    Grande Erzili, comme tous les loa du groupe de Damballah- Wdo, ne boit jamais d'alcool. Cette abstinence de la part de la desse donna lieu l'incident suivant : au cours d'une crmonie, un fidle, sans doute par distraction, voulut lui offrir de la boisson rserve Gud, c'est--dire du dairm dans lequel on avait fait infuser de la muscade et du piment. Dans son, indignation, Grande Erzili menaa de tuer son cheval , c'est--dire la. personne dans laquelle elle s'tait momentanment incarne. Heureusement, pour le pauvre cheval , Damballah se trouvait prsent et, la prire des spectateurs, consentit apaiser Erzili qui revint de meilleurs sentiments..

    Les individus qui sont possds par Grande Erzili se reconnaissent leurs membres recroquevills et leur faon de se dplacer sur leur train arrire. Cette dmarche est due, explique-t on, au grand ge de la desse qui ne se meut que difficilement.

    Grande Erzili passe pour avoir eu une jeunesse agite. On s'accorde dire qu'elle n'a jamais eu beaucoup de chance :

    Er^ili-o ! a pas Er^ili a ? (bis) Erzili mari, H pas gangnin chance ! Erzili fait jenesse, H pas gangnin chance ! Gnou sel li pitile li gangnin, L'all navigu lan-lan m(r). Canot chavir avec li. Lan-lan tn(j), canot chavir avec H !

    Erzili oh! n'esl-ce pas Erzili? (bis). Erzili s'est marie, elle n'a pas eu de chance. Erzili s'est prostitue, a a mal. tourn pour elle. Un seul petit enfant qu'elle avait est all naviguer sur la mer. Son canot a sombr avec lui. Dans la. mer, le canot a sombr avec lui.

  • LES GRANDS DIEUX DU VODOU HATIEN 79

    Elle se se serait repentie de sa conduite aprs la mort de son fils. C'est pourquoi les paysans aiment se la reprsenter sous les traits douloureux de la Vierge pleurant sur son fils. Les prostitues en font gnralement leur patronne, car, comme elle, elles comptent bien se repentir de leurs pchs.

    Au dire de quelques-uns, la Grande Erzili serait la femme de Mat'Agou, d'autres, par contre, assurent que ce dieu marin serait plutt le mari de Matresse Erzili. Il est un chant qui fait allusion aux rapports de Grande Erzili avec Agou :

    Moin tende gnou can- qui tir ! Mes amis-! M' mand a H y! Btiment- a Agou- Taroyo, drap ! Btiment-a coquille) la m{r), drap ! Erzili malade- ! Papa, val' trait-li !

    J'entends le bruit d'un canon ! Mes amis, oh ! je demande ce que cela signifie ! Le btiment d'Agou-Taroyo a dmarr ! Le btiment, cette coquille de la mer, a dmarr! Erzili est malade, oh! Papa Agou va la traiter !

    Matresse Erzili.

    Tout comme son homonyme, Matresse Erzili est la gardienne des eaux douces, mais elle est en plus la divinit de la beaut et de l'amour et, ce titre, la protectrice des hommes. On l'invoque souvent sous le nomade Freda-Tocan-Dahomin. Elle est aussi assimile la Mater Dolorosa des chromos, mais les images qui sont censes la reprsenter sont celles o la Vierge est peinte comme une jeune femme, couverte de bijoux, entoure d'objets luxueux. Certains chromos nous montrent aussi une petite fille Urzule, dont il est question plus loin.

    Pour beaucoup de fidles Matresse Erzili n'est pas distincte de la Grande Erzili, mais simplement la mme desse dans son jeune ge. On la regarde comme une divinit pagnole parce qu'elle serait originaire de la Rpublique Dominicaine. Elle ne serait autre que la Vierge noire d'Alta- gracia, vnre Higuey et fort populaire en Hati. Autrefois, sous le gouvernement du Prsident Ption, les Hatiens, qui n'avaient pas de lieu de plerinage national, se rendaient Higuey pour y adorer la Vierge. Quelques annes plus tard, un sacristain de la cathdrale, du nom de Porte- croix, ramena en Hati une reproduction de l'image de la Vierge d'Altagracia. Il l'installa sur sa proprit Mayamand, bourg situ quelques kilomtres de Ptionville, mais elle s'obstina ne pas renouveler ses miracles. Ce qui n'empcha pas que, deux fois par an, le 21 janvier et le 16 juillet, date de sa fte, elle n'attirt de grandes foules.

  • 80 SOCIT DES AMRICANISTES

    Le 16 juillet 1849, aprs la fermeture de la frontire par les Dominicains, la Bienheureuse du Mont-Cirmel, si longtemps attendue, apparut non pas Mayamand, mais Saut-d'eau ou Ville Bonheur qui, plus tard, de bourg devint un quartier. La Vierge se manifesta dans un bouquet de palmistes sur la proprit d'un certain M. Fortun. Cette mme anne la Vierge descendit sur le Champ de Mars le jour o Soulouque fut sacr empereur. Le plerinage de Saut-d'eau est l'un des plus clbres de la Rpublique et le plus frquent. Le 16 juillet, jour de la fte de la Vierge, dvots catholiques et vodouisants accourent en foule, usan.t de tous les moyens de locomotion possibles, pour faire leurs dvotions la Vierge miraculeuse de Saut-d'eau.

    D'autres paroisses l'ont galement prise pour patronne. Par exemple, la Vierge d'Altagracia, partant Matresse Erzili, est vnre au bourg des Ermites, prs de Ptionville, dont l'glise possde une Vierge introduite en Hati par une dame pieuse l'poque coloniale. Notre-Dame des Ermites veille sur les mariages. Les femmes qui par son entremise trouvent un mari, lui consacrent leur couronne de fleurs d'oranger, leur voile blanc et parfois mme leur robe de marie.

    Matresse Erzili, qui a un got prononc pour les hommes, n'aime pas tre servie par les femmes. A l'instar de nombreux loa, elle est fort jalouse et quiconque se place sous sa protection doit non seulement rester chaste le jour qui lui est consacr, mais encore s'abstenir de boire, de fumer, de jouer et de danser. Les hommes maris sont soumis au mme interdit et, s'ils le violaient, la desse jetterait le trouble dans leur mnage et ferait en sorte qu'ils soient abandonns par leur femme.

    L'autel que l'on dresse pour Matresse Erzili est une simple table couverte d'une nappe blanche sur laquelle on pose un peigne, un miroir, du rouge lvres, un cure-ongle et un flacon de parfum. L'image de la desse est place au milieu de ces objets, sous deux vases contenant des fleurs blanches, daturas et bgonias.

    Matresse Erzili est la femme de Damballah-Wdo et, en cette qualit, la matelote (co-pouse) d'Ada-Wdo. Elle aurait quitt Damballah par jalousie aprs avoir dcouvert sa liaison avec la desse Clemerzine. Elle se serait alors mise en mnage avec Agou. En fait, Erzili a eu de nombreux amants dans le panthon vodou. Sa grande passion a t Ogou-Badagri, dieu de la guerre. Sa fille Urzule passe pour tre le fruit de cet amour. C'est du moins ce que les informateurs ne manquent pas d'insinuer lorsqu'ils vous expliquent la qualit des personnages reprsents sur les chromos de sainte Anne. Celle-ci est identifie avec Grande d'Antan, mre d'Ogou- Badagri et une petite fille prs d'elle est Urzule, dont la ressemblance avec son pre est frappante, ce qu'assurent des voduisants.

  • LES GRANDS DIEUX DU VODOU HATIEN 8l

    Sobo, dieu de la foudre et Don Juan divin, compte parmi les amants d'Erzili et elle aurait t mme la plus jolie femme qu'il ait sduite.

    Compte^ combien fem{mes) Sobo gangnin ! Moin compt gnoun, moin compt d, Moin compt trois femtnes) Sobo gangnin ! Main pi belQe) fem(m) Sobo, C'est Er^ili, Er^ili-! C'est ou-minm qui matresse - !

    Comptez combien de femme a Sobo ! J'en ai compt une, deux, trois. Voici la plus belle femme de Sobo, c'est Erzili, Erzili, oh ! C'est toi qui en es la matresse, oh !

    Gud-Nibo ferait galement la cour la jolie desse, mais sans aucun succs. tant tout noir, il ne saurait plaire Erzili qui a des prjugs de couleur. Gud-Nibo apparat souvent dans les crmonies lorsque Erzili s'est manifeste ; il la suit aspirant son parfum et marmottant avec un fort accent nasal : Mes amis, vous ne pouvez savoir combien j'aime cette femme, mais elle ne veut pas de moi parce que je suis noir.

    Lorsque Erzili entre dans un cheval , c'est--dire possde un fidle, au cours d'une crmonie, on l'invite s'asseoir dans un fauteuil. On dnoue ses cheveux qu'en tant que multresse, elle a fort longs. On la parfume, on la poudre et on lui nettoie les ongles. Quel que soit le sexe de la personne possde, il lui faut revtir un jupon brod, puis une robe blanche orne

  • 82 SOCIT DES AMRICANISTES

    Si nan point lotion, M'a rous avec dTeau.

    Erzili, oh ! Erzili, oh ! Ta maison a besoin d'tre arrose ! S'il n'y a pas de- parfum, Je l'arroserai avec de l'eau.

    Sa toilette acheve, Erzili se lve majestueusement et fait le tour de la tonnelle; elle salue ddaigneusement toutes les femmes, en leur tendant les. deux petits doigts de la main pour mieux leur marquer sa jalousie. Comme elle aime tous les hommes, les autres femmes ne peuvent tre que ses rivales. Elle sourit aux hommes, leur offre sa bouche et les treint dans ses bras. Si elle est chez elle, elle se dirige lentement aux bras de deux hommes, vers son houmfor o elle est suivie par tous les hommes prsents. A ce spectacle, les femmes battent des mains et chantent en chur : Quelle femme putain est Erzili. Regarde comme ses amoureux la suivent.

    La couleur d'Erzili est le rose; ses jours sont le mardi et le jeudi. Son repo- soir est un palmiste ou un ciroueiller. Ses fidles s'habillent en blanc.

    Comme toutes les divinits du vodou, la desse est reprsente dans les vv, c'est--dire dans les dessins symboliques que les fidles tracent avec de la farine sur le sol. Le dessin qui lui correspond est un cur couvert d'un quadrill, bord de lignes denteles, et travers par une flche. Son blason est plac entre ceux de ses amants ; on peut l'invoquer sur le vv de l'un d'eux.

    La Vierge Caridad.

    Caridad est une Vierge cubaine dont le nom complet est Virgen de la Caridad del Cobre. Elle est identifie dans cette le Chun. Son culte a t introduit en Hati par les emigrants revenus au pays natal aprs un long sjour Cuba. Ils la dcrivent comme une belle multresse la chevelure ondoyante. C'est une desse marine qui voyage en bateau. Un des informateurs assura mme qu'il l'avait vue marchant sur les eaux comme le Christ.. Elle tait alors vtue d'une robe blanche longues manches et chausse de bas blancs et de saptes neuves. Elle portait des gants blancs et tenait un mouchoir blanc dans sa main. En tant que desse marine, Caridad marche avec Agou.

    Voici les offrandes qu'elle aime recevoir : de la bouillie, du lait vapor^ de la farine France , c'est--dire de bl, du riz, du mas pil, du phoscao, des ananas, des pains de sucre, des figues bananes, des gteaux, des drages et du sirop d'orgeat. Son autel consiste en une table sur laquelle on place un cuvette blanche, du basilic ti feuille , du savon cachemire bouquet > une bouteille de lotion cachete et enfin une bote de poudre la Crole

  • LES GRANDS DIEUX DU VODOU HATIEN 83

    On lui adresse la chanson -suivante : Yo te voy m Cuba Poui} moin te mouri! Vierge Caridad, dis M' pas p mouri- ! Caridad qui ct ou y ? Caridad qui ct ou y mannum ? Cou gnou paroV pa(f)U yo dis est moin minm !

    On m'a envoy Cuba pour mourir ! Vierge Caridad, dis-nous que je ne mourrai pas. Caridad, o es-tu ? Caridad, maman, o es-tu ? Quand on entend quelque chose, on dit que a vient de moi !

    Sainte Elisabeth.

    Cette sainte est galement une divinit marine associe Agou. tant originaire de Cayes, eile est peu connue- Port-au-Prince, bien qu'elle se soit manifeste il n'y a pas longtemps Petionville. Elle a pour mari un loa du nom de Nouvelle. Sa couleur et ses offrandes prfres sont les mmes que celles d'Erzili.

    LA SIRNE.

    Agou-Taroyo a pour femme Mme la Sirne, qui ne diffre ni par la forme ni par ses attributs des sirnes du folklore europen. Des pcheurs assurent l'avoir entendue chanter sur le rivage d'un lot. Elle ne vit pas exclusivement dans la mer et on l'aperoit parfois prs d'une source ou d'une fontaine, en train de coiffer sa belle chevelure blonde avec un peigne en or. Au moindre bruit elle disparat dans l'eau. Son peigne est un objet hautement convoit, car il a, dit-on, la vertu d'enrichir ceux qui le possdent.

    La Sirne n'a pas autant de dvots qu'Erzili. Ce sont surtout les pcheurs et les marins qui lui rendent un culte. Ils jettent la mer des bouteilles de sirop d'orgeat pour qu'elle les tire d'un mauvais pas. Parfois elle sort de l'eau pour s'accrocher l'avant ou l'arrire d'une barque.

    On accuse la Sirne de voler les petits garons pour les entraner au fond d l'eau o ils restent ses prisonniers. C'est pourquoi on vite d'envoyer les enfants puiser de l'eau la fontaine les nuits de lune.

    Matresse la Sirne, la Baleine et Matresse Erzili marchent le plus souvent ensemble dans la mer. Les liens qui unissent la Sirne et la Baleine sont fort troits, mais leur nature n'est pas claire.

    La Sirne- 1 Cest ou minm qui Bakine- ! (bis) Aprs Saint, c'est moin qu af command.

  • 84 SOCIT DES AMRICANISTES

    Sirne ! c'est toi-mme la Baleine, oh ! (bis) Aprs les saints, c'est moi qui commande.

    Certains hougans qui servent ces divinits mannes disent que la Baleine est l'amant de la Sirne et le chef de l'escorte d'Agou. Ce serait pour cette raison que ces deux loa marchent toujours ensemble.

    Erzili dsire que son sanctuaire soit aussi prs que possible de la mer pour qu'elle puisse tre dans le voisinage de son mari Agou-Taroyo. La Sirne est fort jalouse de sa rivale et lui cherche noise :

    Matresse Erzili , ! Pinga ou nonmin nom' . Si on nonmin nom y cannon va tir-. Matresse bel' femme, 0 pou(f) qui ou nonmin nom ? Si ou nonmin nom, Matresse cannon va tir- ! Cannon va tir- ! Cannon va tir, Matresse- !

    Matresse, oh! ne mentionne pas mon nom. Si tu mentionnes mon nom, le canon tirera, oh ! Matresse, belle femme, oh ! Pourquoi mentionnes-tu mon nom ? Si tu mentionnes mon nom, Matresse, le canon tirera, oh! Le canon tirera, oh! Le canon tirera, Matresse, oh! (Comme son poux, la Sirne tire aussi le canon.)

    Le culte de la Sirne rappelle celui d'Erzili. Un rite en est particulirement frappant. Lorsqu'elle est invoque, une robe de soie rose, confectionne pour la circonstance, est expose devant le poteau-mitan sur un fauteuil couvert d'un drap blanc. Deux hommes font trois reprises le tour du poteau-mitan avec le fauteuil et les hounsi chantent pour faire descendre la Sirne dans la tte de la prtresse :

    Moin pas one Matresse la Sirne mand Agou-Taroyo pou(r) H La Sirne la n ap ga(f)d-ou Nou pas ou-ou M' ap mand Agou-Taroyo pou(r) ou Nou la n ap ga(f)d ou.

    Baleine-, rhl Sirne- ! Baleine-, rhl Sirne- ! Nan point %-anmi Tancou Sirne-. Nan point %-ammi tancou Baleine- ! Baleine-, rhl Sirne !

    Je ne vois pas Matresse la Sirne. Je demande Agou-Taroyo pour elle. La Sirne, nous sommes l te regarder. Nous ne te voyons pas. Je demande Agou-Taroyo pour toi. Nous sommes l te regarder.

  • LES GRANDS DIEUX DU VODOU HATIEN 85

    Baleine, oh ! Appelle la Sirne, oh ! Baleine, oh ! Appelez la Sirne. Il n'y a pas d'amis comme la Sirne, oh ! Je dis qu'il n'y a pas d'amis comme la Baleine, oh ! Baleine, oh! Appelez la Sirne, oh !

    A ce moment la prtresse est gnralement possde et l'on s'empresse de lui apporter une cuvette blanche remplie d'eau, un savon, une serviette, une bouteille de lotion, une brosse dents et de la pte dentifrice, une houppe et une bote poudre, un peigne et une brosse.

    La possde procde alors sa toilette. Aprs s'tre parfume et habille, elle se dresse sur son fauteuil. Elle est saisie d'un tremblement qui fait ondoyer sa robe et elle chante : .

    A moi congue de la Baleine et de la Sirne ! a qui nonmin mon moin? A moi congue de la Baleine et de la Sirne. Ou a dit yo, Ou a dit yo moin engag.

    A moi, congre de la Baleine et de la Sirne ! Qui a mentionn mon nom? A moi, congre de la Baleine et de la Sirne. Tu leur diras que je suis engage.

    On lui remet alors des feuilles de basilic dont elle fait un bouquet pour son corsage. Puis elle embrasse sur la bouche, par trois fois, tous les hommes prsents.

    Les offrandes traditionnelles faites la Sirne consistent en riz au lait, en un pigeon blanc, en farine, en une bouillie de farine de mas (cur mas) et en drages.

    Au moment de se retirer la mambo possde par la Sirne chante : Matresse la Sirne, M'a pr all, ma pr all ! La Sirne, la Sirne Rhl sous lan m(r). Li tir cannon.

    (Moi) Matresse la Sirne, Je m'en vais, je m'en vais. La Sirne, la Sirne]jse. tient sur la mer. Elle tire le canon.

    OGOU.

    Les Ogou forment une famille nombreuse dont les membres sont des dieux forgerons et guerriers.

    Ogou- ! Ng(r) gurre) ! (bis) Can- tir, fusil tir. Nou pas peu{r) la gu(rr), Ogou- ! Ng(j') gu(rr) !

  • 86 SOCIT DES AMRICANISTES

    En tant que dieux guerriers,. Leur couleur prfre est le rouge. Les individus possds par un Ogou -s'habillent en rouge, se coiffent d'un kpi ou d'un bonnet rouge et nouent un foulard de cette couleur autour de leur cou. Ils s'attachent aussi des mouchoirs rouges au bras et portent un bton envelopp d'une toffe rouge.

    C'est pour Ogou que plusieurs hommes de guerre hatiens arborrent cette couleur. Dessalines, dit-on, portait toujours un foulard rouge et, lors de la rcente rvolte des Caco, Desorme Joasar, un de leurs chefs, avait coutume de placer la tte de son arme son fils vtu de rouge. A ce qu'on raconte, au plus fort de la mle, l'enfant ne semblait manifester aucune crainte et ne fut d'ailleurs jamais bless. Lorsqu'en 1897, deux bateaux de guerre allemands, la suite de l'affaire Luders, vinrent exiger- une indemnit de 20.000 dollars et le salut au drapeau imprial, un journaliste se vtit de rouge et parcourut les rues de la capitale appelant le peuple aux armes. Un incident analogue se produisit aux Gonaives quelques annes plus tard, lorsque le Panther menaa d'effectuer un dbarquement.

    Les Ogou tant des loa redoutables, leurs possessions sont particulirement violentes. Les individus pris du dieu rugissent comme des fauves, parlent d'une voix de tonnerre, tremblent de tous leurs membres, caracolent comme des chevaux et mangent avidement tout ce qui leur tombe sous la main y compris les morceaux de verre. Ils marchent sur des braises, jonglent avec des barres et des boulets rougis au feu et vont mme jusqu' les lcher. Les possds d'Ogou ont galement la facult de boire plusieurs bouteilles de rhum, sans prouver les effets de l'ivresse.

    MaW Ogoun hotte, bon, Jammin soun ! Ogou-F err aille boue, H boue, Jammin soun ! M'a rhl Olisha- ! Ogoun boue, li boue, Janmin sou !' Ou oui si non mare. Sobo, ma lagu.

    Matre Ogou boit, il boit, Jamais ivre ! Ogou-Ferraille boit, il boit, Jamais ivre. Je crierai Olisha, oh ! Ogou boit, il boit, Jamais ivre. Tu vois comme nous sommes lis. Sobo, je me dlivrerai.

    La plupart des Ogou sont des dieux Nago (nom du peuple Yoraba). C'est ainsi qu'ils sont q-ualifis dans les chants :

    Nago,, vini ou ct m dmr. Si ou oui cote m' 'dmen,,

  • LES GRANDS DIEUX DU VODOU HATIEN 87

    Ou a troqu dolla(f) pou(f) a. Nago, Ngo vini ou ct derrire.

    Nago, viens voir o je demeure. Si tu voyais o je demeure, Tu donnerais pour cela des dollars. Nago, Nago, viens voir o je demeure.

    Les loa Nago sont prtentieux et vantards, comme le chant suivant le fait entendre :

    Moin, c'est ng(re) Nago. Tout temps que tambou(f) Nago pas bat La pluie pap' tomb. Moin, cest Ng(re) Nago.

    Je suis un Ngre Nago. Tout le temps que l'on ne battra pas du tambour, La pluie ne tombera pas. Je suis un Ngre Nago.

    Si, au cours d'une crmonie, un individu possd d'un loa dahomin rencontre un individu possd par un loa rada, il en rsulte une dispute que l'on arrte en faisant intervenir un dieu Nago :

    Nago, Nago eh !. Vini ou ct m' dml ! Si ou ou ct m dml, Ou a pay bonbon pou{f) a. Nago, Nago, eh !

    Nago, Nago, eh ! Viens voir comment je me tire d'affaire. Si tu, vois comme je m'en tire, Tu seras si content, Que tu donneras des bonbons pour cela. Nago, Nago, eh !

    Le chef de la famille des Ogou est saint Jacques le Majeur, appel aussi loa saint Jacques ou Gnral Ma Ogou. Il a le rang de ministre de la Cuerre. On le considre comme l'anctre de ces loa et on lui attribue l'usage

  • 88 SOCIT DES AMRICANISTES

    enfourcherons notre cheval. Nous enfourcherons notre cheval devant, derrire. Si je te manque, je te prendrai. Ngre saint Jacques, nous sommes l. Ogou- Badagri, nous sommes l. Ngre terrible. Si je te manque, je finirai bien par te prendre.

    Au Cap, Ogou est assimil saint Jacques le Majeur, mais on regarde comme son portrait l'image d'un saint en costume de plerin avec le chapeau sur le dos et un bton la main. Ogou aurait abandonn le Cap aprs l'explosion qui fit sauter le palais national avec le prsident Cincinnatus Lecomte. On ignore s'il s'est retir quelque part dans l'le ou s'il est retourn en Afrique. Quoi qu'il en soit, Ogou continue chevaucher ses fidles.

    Saint Jacques envoie des maladies qu'il consent gurir si on l'invoque : Saint Jacques- ! Trait H pou{r) moin. Ou mintn ba li v, Trait H pou(j) moin . Ou minm ba H maligne Jan dos. Trait H pou(f) moin. Li me gaingnain v, Li me gaingnain maligne lan dos, Trait H pou{r) moin.

    Saint Jacques, oh ! Traite-le pour moi. Toi qui lui as donn des vers, Traite-le pour moi. Toi qui lui as donn des plaies au dos, Traite-le pour moi. Mme s'il a des plaies au dos, Traite-le pour moi.

    Saint Jacques le Majeur a son houmfor, mais il peut aussi tre reprsent dans les houmfors d'autres dieux rada et mme sur l'autel p du rada.

    Une des particularits d'Ogou est de craindre l'eau. On raconte qu'une fois, voyageant sur mer, il tomba du bateau et se serait noy si Agou ne l'avait sauv. Pour ne pas l'effaroucher, on ne lui fait pas de libations d'eau comme aux autres loa, mais on se contente d'incliner trois fois la cruche d'eau sans en verser une seule goutte. En revanche, Ogou aime le rhum. Lorsqu'il monte cheval il rclame le coup del'trier d'une faon dtourne : Graines moin frtt. (Mes graines, c.--d. mes testicules, sont froids).

    Les objets que l'on trouve sur les autels d'Ogou sont : une assiette en faence avec sa pierre et celle de ses satellites, une bougie en cire rouge, une clochette, un hochet (asson), trois cruches, un plat marassa, une chaudire trois pattes, un morceau de fer, une cruche (govi) dans lequel on invoque tous les loa qui marchent avec lui : Loko, Sobo, Erzili, etc. Des chromos censs reprsenter ces dieux sont clous contre les panneaux et, au fond, sont placs les drapeaux de la Socit du houmfor.

  • LES GRANDS DIEUX DU VODOU HATIEN 89

    Les diffrents Ogou sont galement reprsents par leurs symboles : l'pe d'Ogou-Ferraille est fiche en terre devant l'autel contre lequel les sabres d'Ogou-Badagri sont appuys. On peut aussi voir contre le mur le drapeau national consacr au premier de ces dieux et le drapeau paillet du second.

    Enfin ajoutons que le mercredi est le jour des Ogou, que le grenadier est leur reposoir et que, dans les dessins sacrs, ils sont symboliss par un sabre et un drapeau croiss.

    OGOU-BADAGRI.

    Ogou-Badagri est un dieu terrible qui envoie les orages : Badagri- ! Gnral sanglant ! Badagri qui himb V orage, Ou c'est gnral sanglant. Z -clair fait kao oo, C'est qui voy ^-clair. Tomirr) grond, C'est qui voy tonnire). Badagri-, Gnral sanglant.

    M' rhl, m' rhl. M' servi Badagri.

    Moin di : eh ! A pa Ogou a ? M' pa vl loa a tu moin !

    M' bless, m' bless, oh ! Jodi-a yo content oui moins, Demain ya fch. Ogou Badagri Ngre)' N ago- Roy 0 !

    Badagri, oh ! Gnral sanglant ! Badagri qui tiens l'orage. Tu es un gnral sanglant. L'clair fait katao-o-o. C'est toi qui lances l'clair. Le tonnerre gronde. C'est toi qui envoies le tonnerre. Badagri, oh ! Gnral sanglant !

    Je crie, je crie. Je sers Badagri. Je dis : eh ! N'est-ce pas Ogou a ? Je ne veux pas que le loa me tue.

    Je suis bless, je suis bless, oh ! Aujourd'hui on est content de me voir. Demain on sera fch. Ogou-Badagri. Ng(re) Nago-Royo !

    Le chant suivant a pour thme les reproches que ce dieu adresse ses fidles qui le dlaissent :

    Dpi temps m' l ! Dpi temps m l !

  • 90 SOCIETE DES AMRICANISTES

    Ogou-Badagri, M' dit ' lagu-m. Depi temps m l, Co(f)de mare co(r)de. Dpi temps m Ici, Yo pas connain m c'est Ogou, Dpi temps ni l.

    Depuis le temps que je suis l ! Depuis le temps que je suis l ! (Moi) Ogou- Badagri, Je dis que vous m'abandonnez. Depuis le temps que je suis l, La corde attache la corde. Depuis le temps que je suis l, On ne sait pas que je suis Ogou, Depuis le temps que je suis l.

    Il existe au sujet de ce dieu un mythe fort intressant. Agou, dieu de la mer, invita Ogou-Badagri venir dner chez lui aux Trois Ilets. Il le reut luxueusement et lui fit servir de l'orgeat, du pippermint et du rhum. Mais au milieu du festin, Agou chercha querelle son hte, lui reprochant d'avoir sduit Matresse Erzili. Ogou rpondit qu'Erzili lui appartenait et que c'tait lui qui avait lieu de se plaindre d'Agou. Agou fit tirer le canon sur Badagri qui, en sa qualit de forgeron, fondait les boulets mesure qu'ils arrivaient sur lui. Il fut entour par la garde d'Agou, commande par le gnral Clermeil, mais il se dfendit vaillamment avec son sabre. Voyant qu'il allait succomber sous le nombre, Badagri appela son secours son cousin Asstor Micho. Aussitt. un norme tambour asstor arriva aux Ilets et se posa prs de lui. Agou rompit le cercle de ses ennemis et, enfourchant son tambour, s'enfuit- travers les airs. Agou se lana sa poursuite avec sa flotte. Ogou, dieu du feu, fit bouillir la mer et se dissimula derrire un cran de feu et de fume. Agou, finalement, dut rebrousser chemin. Badagri debout sur son tambour agita son foulard rouge et chanta au rythme de Y asstor :

    Ogou-Badagri, c'est ngre) politique- ! Ogou-Badagri, est ng(re) politique- ! L-ou entrav, c'est laiss coul. Ogon-Badagri, c'est ng(j) politique- ! Pas quitt ngre) tu-ou ! Tempt'

    mare, lan mer mauve. Ogou Badagri-, c'est ngre) politique ! Gliss, coul, gliss all fait route-ou. Ogou-Badagri, c'est ngre) politique- !

    Ogou-Badagri est un ngre politique (avis), oh ! Ogou-Badagri est un ngre politique, oh ! Lorsque vous tes embarrass, laissez faire. Ogou-Badagri est un ngre politique, oh! Ne laissez pas les ngres vous tuer. La tempte clate, la mer est mauvaise. Ogou-Badagri, oh ! est un ngre politique ! Ne t'en occupe pas, fais ton chemin. Ogou-Badagri est un ngre politique, oh !

  • LES GRANDS DIEUf DU VODOU HATIEN 91

    On lui sacrifie des coqs et des poules rouges. Son arbre favori est le laurier rouge avec lequel il s'identifie, comme il est dit dans le chant que voici :

    Eh ! laurier, cest moin Ogou- ! Moin laurier (bis). Dahomin acco(rd), eh ! C'est moin Ogou, Cest moin, est moin Ogou, c'est moin laurier. Abobo.

    Eh ! laurier, c'est moi Ogou, oh ! Moi laurier (bis). Le Dahomey est d'accord, h ! C'est moi Ogou, C'est moi, c'est moi Ogou, c'est moi laurier. Abobo.

    La fte d'Ogou-Badagri se confond avec celle de saint Georges qui est observe le 23 avril.

    OGOU-FERRAILLE OU FER.

    Ce loa est le dieu des armes, le patron des forgerons, le protecteur des braves. Il a l'pe ou le machete (coupe-liane) comme symbole. C'est un gros fermier multre, comme d'ailleurs les autres membres de la famille.

    Les chromos qui reprsentent saint Jacques le Majeur couvert d'une armure sont interprts comme des portraits d'Ogou-Ferraille. Pour les uns la visire de son casque est un bandeau qui, en l'empchant de voir clair, restreint sa fureur ; pour d'autres c'est un voile dont il a t affubl par Badagri, son. pre, qui est jaloux de la cour assidue qu'il fait Matresse Erzili et des faveurs qu'il obtient d'elle.

    Ce cavalier bard de fer est aussi appel saint Philippe et on en fait le frre jumeau de saint Jacques le Majeur. L'un et l'autre seraient ns le Ier mai, date laquelle l'glise commmore saint Jacques le Mineur. Ogou- JFerraiile est aussi ft le 25 juillet qui est le jour de saint Jacques le Majeur.

    Ogou-Ferraille est sans doute le loa qui compte le plus de serviteurs. Ceux-ci lui dressent des rogatoires dans leurs chambres. Ce sont de petits autels dcors d'images de Damballah, d'Erzili, d'Ogou-Badagri et d'autres dieux de la mme famille. Ils sont couverts galement d'objets htroclites comme des cierges rouges, du coton, des rcipients contenant du baume tran- quille de palma-christi ou de l'huile d'olive, des bouteilles de rhum et -d'orgeat, des tasses de caf, des feuilles de basilic et un rameau de cette plante dans un verre d'eau, des cigares, etc. Le dieu est. aussi reprsent par deux barres de fer (pinces) fiches en terre dans la cour de la maison. Le mardi et le samedi, qui sont ses jours, on allume un feu autour de ces fers et si une crmonie est clbre pour le dieu, on veille ce qu'il ne s'teigne

  • 92 SOCIT DES AMRICANISTES

    pas. Les serviteurs du dieu observent la continence les jours consacrs ce dieu.

    Ferraille est un loa dispensateur d'argent, comme l'anecdote suivante en fait foi. Nous la reproduisons telle qu'elle fut conte par un informateur : Une nuit Ogou-Ferraille, le loa principal de ma famille, m'apparut en rve. Il por