les jeux dangereux en cycle 3 - ijvs.org · « jeux » chez les jeunes de 6 à 15 ans ... c’est...

29
67 I NTERNATIONAL JOURNAL OF VIOLENCE AND SCHOOLS, 16, OCTOBRE 2015, 67-95 LES « JEUX DANGEREUX » EN CYCLE 3 : ÉTAT DES LIEUX AU SERVICE DUNE POLITIQUE DE SENSIBILISATION ET DE PRÉVENTION DES RISQUES ENCOURUS AVANT LENTRÉE AU COLLÈGE "DANGEROUS GAMES" OF PRIMARY SCHOOL KEYSTAGE 2 PUPILS: AN INVENTORY IN THE SERVICE OF A POLICY OF AWARENESS AND PREVENTION OF THE RISKS BEFORE SECONDARY SCHOOL MICKAËL VIGNE LABORATOIRE RECIFES (EA 4520), ESPE/LILLE NORD DE FRANCE RÉSUMÉ Les « jeux dangereux », phénomène en recrudescence au regard des annonces médiatiques régionales ou nationales. Pour autant, il n’existe pas d’enquête sociologique sur ce sujet. Cet article propose une première approche quantitative et comparative à propos de la connaissance et de la pratique de ces « jeux » chez les jeunes de 6 à 15 ans. Après la présentation des différents modes de pratique et un questionnement terminologique de l’expression elle- même, nous proposons une réflexion sur ces pratiques physiques méconnues. Par exemple, ces « jeux » sont-ils le reflet d’une société en mal de vivre ? À travers cette interrogation se pose la question de la sensibilisation auprès des jeunes scolarisés. En effet, la sensibilisation constitue-t-elle un risque de pratique initiatique ou permet-elle vraiment de limiter les dangers ?

Upload: dangdan

Post on 12-Sep-2018

214 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

67

INTERNATIONAL JOURNAL OF VIOLENCE AND SCHOOLS, 16, OCTOBRE 2015, 67-95

LES « JEUX DANGEREUX » EN CYCLE 3 : ÉTAT DES LIEUX AU

SERVICE D’UNE POLITIQUE DE SENSIBILISATION ET DE

PRÉVENTION DES RISQUES ENCOURUS AVANT L’ENTRÉE AU

COLLÈGE

"DANGEROUS GAMES" OF PRIMARY SCHOOL KEYSTAGE 2

PUPILS: AN INVENTORY IN THE SERVICE OF A POLICY OF

AWARENESS AND PREVENTION OF THE RISKS BEFORE

SECONDARY SCHOOL

MICKAËL VIGNE

LABORATOIRE RECIFES (EA 4520), ESPE/LILLE NORD DE FRANCE

RÉSUMÉ

Les « jeux dangereux », phénomène en recrudescence au regard des

annonces médiatiques régionales ou nationales. Pour autant, il n’existe pas

d’enquête sociologique sur ce sujet. Cet article propose une première approche

quantitative et comparative à propos de la connaissance et de la pratique de ces

« jeux » chez les jeunes de 6 à 15 ans. Après la présentation des différents

modes de pratique et un questionnement terminologique de l’expression elle-

même, nous proposons une réflexion sur ces pratiques physiques méconnues.

Par exemple, ces « jeux » sont-ils le reflet d’une société en mal de vivre ? À

travers cette interrogation se pose la question de la sensibilisation auprès des

jeunes scolarisés. En effet, la sensibilisation constitue-t-elle un risque de

pratique initiatique ou permet-elle vraiment de limiter les dangers ?

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 68

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

MOTS-CLÉS

Sensibilisation, « jeux dangereux », jeu du foulard, violence, école, jeux

d’apnée.

ABSTRACT

"Dangerous games" is, according to the many regional and national

headlines, a phenomenon on the rise. However, no sociological surveys have

been conducted on this topic. This article proposes a first quantitative and

comparative approach about the knowledge and practice of these "games"

played by the young between 6 and 15 years old. After the presentation of the

different kinds of practice and some terminology questioning on the expression

itself, we propose a reflection on these quite unusual physical practices. For

example, can these "games" be the reflexion of an anxiety-provoking society?

And this question leads to another reflection on our young pupils’awareness.

Indeed, does awareness represent a risk of initiatory practice or does it really

allow to limit potential risks?

KEYWORDS

Awareness, "dangerous games", « jeu du foulard » (choking game),

violence, school, apnea games.

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 69

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

1. INTRODUCTION

Le jeu est souvent associé à la notion de plaisir, tandis que l’école renvoie

plutôt à des notions de sérieux ou de travail. C’est le lieu où les enfants doivent

apprendre une multitude de compétences disciplinaires et fournir

concomitamment d’importants efforts de comportement ou de concentration. A

priori le monde ludique et l’espace scolaire s’opposent à tous égards. Pour

autant, le jeu s’est toujours invité à l’école et leur pratique est fortement

encouragée par les programmes en Education Physique (Instructions Officielles

de 2008 et de 2012). Dès lors que l’enfant n’est plus au travail, c’est tout

naturellement qu’il joue. En effet, un enfant qui ne joue pas est un enfant

mutilé. C’est en ce sens que le jeu constitue un outil d’éducation par lequel

l’individu peut accéder à l’autonomie en société. Il participe à la fabrication

des citoyens de demain en permettant le développement de la « débrouillardise

motrice » (Rainis, 2001, p. 24), en contribuant au maintien de la santé et en

favorisant la découverte d’un patrimoine culturel, ainsi que de nouvelles

pratiques sociales de référence. D’une manière ou d’une autre, par son

omniprésence, le jeu demeure l’un des piliers majeurs de l’existence d’un

individu en le modelant à travers lui et sa pratique.

Cependant, le jeu ne renferme pas seulement quelques vertus épanouissantes

mais peut être également source de souffrance ou de traumatisme. Il devient

alors un élément de dysfonctionnement individuel ; il est alors déviance. La

société fait de l’école un lieu qui n’échappe pas à ce constat. En effet, depuis

quelques années les cours d’école sont le théâtre de jeux devenus de plus en

plus dangereux, vécus parfois selon Yan Bour comme des « rites de passage »

par les enfants qui, « dans la tradition, équilibrent les rapports sociaux et

scandent, bien souvent de façon douloureuse, l’entrée dans la vie adulte »

(2008, p.161). Derrière cela se cache une problématique largement développée

par Le Breton (2002) : celle des conduites à risques. Qu’ils s’agissent de jeux

ou de rites (Bour, 2008), de plaisirs ou de souffrances, ces pratiques corporelles

d’un nouveau genre, qui dateraient d’un peu plus de trente ans selon

Debarbieux (1996), renvoient à un phénomène actuel très largement développé

: celui des violences à l’école. Au sein de celles-ci, les « jeux dangereux »

constituent en 2015 un indicateurs de premier ordre pour rendre compte de

l’augmentation « du phénomène de violence à l’école en France qui s’est

constitué en problème social dans les années 1990 » (Carra, 2009, p.1).

D’ailleurs, Pierre Parlebas annonce le jeu comme « un révélateur social »

(1999, p.199). Pour l’auteur, la pratique des jeux apparait comme un miroir de

la société dans laquelle ils sont mis en œuvre. Quel sens prend alors

l’accroissement de la pratique des « jeux dangereux » à l’école ? Que nous dit

la société de ces pratiques largement installées dans les écoles de France ?

Sont-elles l’expression d’un mal être croissant qui viendrait déteindre sur la

jeunesse par le prisme de pratiques dites ludiques ? Les vertus éducatives des

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 70

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

jeux sont ici bouleversées par l’augmentation de la pratique des « jeux

dangereux » qui font plusieurs victimes chaque année. Yan Bour apporte un

élément de réponse sur ces nouvelles pratiques : « les épreuves ludiques qu’ils

(les jeunes) s’imposent traduisent très certainement une incompréhension, un

manque de confiance à l’égard d’autrui, de l’avenir, voire un mal-être

existentiel en lien avec l’insuffisance, l’absence, voire la disparition des rites

de passage dans les systèmes sociaux marqués par le changement et le

progrès » (2008, pp.154-162). Ce regard anthropologique apporte certes un

éclairage sur les causes de ce nouveau phénomène mais n’interroge pas la

manière dont nous pourrions en limiter les effets. Si ces pratiques sont, comme

le montrent différentes études, en augmentation, il nous semble alors

important, dans un cadre pédagogique scolaire, de nous poser la question de la

sensibilisation de la pratique des « jeux dangereux » à l’école. Il ne s’agit pas

tant de savoir si les enseignants doivent sensibiliser les enfants de cycle 3 à la

pratique des « jeux dangereux » – les instructions officielles de janvier 2012

sont très claires à ce sujet – mais davantage de savoir comment les enfants

doivent-ils être « avertis » des conséquences auxquelles ils s’exposent. Face au

jeune âge des enfants du primaire (cycle 3), à l’appétence qu’ils ont parfois à

vouloir braver l’interdit et à la méconnaissance dont ils font preuve à propos

des « jeux dangereux », une question demeure : faut-il exposer les jeunes aux

effets (parfois mortels) qu’engendrent ces pratiques d’un nouveau genre ? À

cette question, l’hypothèse que nous émettons renvoie clairement à la

sensibilisation puisque nous supposons que les effets d’une telle démarche

permettraient de mieux identifier les risques, et donc peut-être de les atténuer !

Afin d’apporter un premier éclairage à cette problématique, nous appuierons

notre réflexion sur les résultats de deux enquêtes : l’une, lancée à l’initiative de

l’association APEAS1 et réalisée par l’institut de sondages IPSOS en 2011 ;

l’autre, une enquête que nous avons menée dans le secteur arrageois (62)

auprès de l’Inspection Académique en 2014. Ces deux études distantes de

plusieurs années permettent de s’interroger sur la pratique des « jeux

dangereux » par le prisme du « jeu du foulard » à l’école primaire2, parfois au

collège, et d’en comprendre ses évolutions. L’analyse comparative entre deux

études quantitatives nous parait être la meilleure méthode pour appréhender les

éventuelles transformations du phénomène dans la mesure où il n’existe pas

d’études sociologiques semblables portant sur la question des « jeux

dangereux » à l’école primaire.

1 APEAS : association de parents d’enfants accidentés par strangulation. Nous remercions à

cette occasion la présidente, Madame Françoise Cochet, de nous avoir permis le traitement des

résultats de l’enquête IPSOS parus en janvier 2011 sur le « jeu du foulard » pour réaliser cet

article. 2 Une enquête du même type a été réalisée en 2007 auprès de jeunes âgés de 15 ans et plus.

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 71

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

2. UNE DEFINITION DES « JEUX DANGEREUX » ET UN

PARADOXE ?

La notion omniprésente du « vivre ensemble », développée dans bon

nombre de textes officiels, perd tout son sens dès lors que l’école devient un

lieu de vie menaçant. En effet, moqueries, insultes, coups, exclusion ou

indifférence font naître des comportements dangereux et autres pratiques à

risques. Les « jeux dangereux » font partie de ces pratiques qui opèrent dans

les écoles. Nous ne parlons pas des jeux qui nous semblaient innocents comme

les billes, les petites voitures, la corde à sauter ou la marelle ; il s’agit du « jeu

du foulard », du « jeu de la canette », du « rêve indien », du « jeu de la

tomate »… Mais que sont réellement ces pratiques dénommés « jeux » ?

Leur nombre est méconnu d’autant que certains « jeux » identiques

portent des noms différents, ce qui rend la constitution d’un répertoire

exhaustif très difficile. Cependant, il est possible de les classer selon trois

types : les jeux d’agression, les jeux de défi et les jeux dits d’évanouissement

ou d’apnée. Ces dernières pratiques dangereuses provoquent des souffrances

cérébrales et conduisent bien souvent à des syncopes, voire coma, de gravité

variable. Ce sont ces pratiques physiques d’asphyxie qui feront l’objet des

analyses de cet article. Le docteur Romano explique qu’elles sont pratiquées de

trois manières différentes : la première, « freiner, de façon volontaire,

l’irrigation sanguine du cerveau par strangulation, apnée ou compression des

carotides, du sternum ou de la cage thoracique, pour ressentir des sensations

intenses et des visions pseudo-hallucinatoires » (2012, p. 67). Cette manière de

faire conduit parfois à la mort, c’est celle-ci qui est associée au « jeu du

foulard ». Une hypothèse qui demande à être vérifiée évoque que la privation

d’oxygène accentuerait un plaisir d’ordre sexuel qui faciliterait alors une

dépendance (Resnick, 1972). La deuxième manière de pratiquer se fait par une

hyperventilation alors que le pratiquant est en position accroupie. Ce dernier

remonte rapidement, nez pincé, en forçant l’air hors de ses poumons, par ses

soins ou à l’aide d’un camarade qui exerce une forte poussée sur le sternum.

Enfin, la troisième pratique, plus connue, consiste à se mettre en apnée

prolongée, soit en retenant sa respiration, soit en se plongeant la tête dans un

sac hermétique. C’est l’augmentation importante en gaz carbonique qui peut

rapidement conduire à une perte de conscience et entrainant parfois des lésions

irréversibles. Le risque de ces pratiques d’asphyxie est d’autant plus grand

lorsque l’individu qui s’y adonne est seul. En effet, l’hypoxie est obtenue assez

rapidement et les lésions sont plus ou moins graves selon que l’anoxie soit plus

ou moins longue. De fait, lorsqu’il n’y a pas de témoins, le malaise persiste

(parce que personne ne peut vous ramener à la vie !), c’est ainsi que le

pratiquant encourt le coma avec des séquelles variables ou la mort.

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 72

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

À propos de l’expression en elle-même, le mariage des termes « jeux

dangereux » mérite une réflexion. Le B.O. du 5 janvier 2012 reprend cette

formule « interdiction aux jeux dangereux » ; « jeux » et « dangereux » ne

constituent-ils pas une expression antinomique ? Dans l’esprit d’un enfant,

comment le ludisme peut-il demeurer un danger pour la santé ? De manière

simplifiée, le dictionnaire Larousse (2011) définit le jeu comme étant une

« activité d'ordre physique ou mental, non imposée, ne visant à aucune fin

utilitaire, et à laquelle on s'adonne pour se divertir, en tirer un plaisir ».

Concernant le terme « dangereux », les définitions sont les suivantes : « qui

peut nuire, être redoutable ; qui constitue un danger ou qui expose à un risque,

à un mal ». Indépendamment l’une de l’autre, les deux définitions sont

parfaitement claires et compréhensibles, mais dès lors qu’elles sont associées,

elles deviennent beaucoup moins limpides de sens. Ce malentendu peut

constituer le premier danger chez l’enfant qui pratique ou souhaite découvrir

ces « jeux » peu ordinaires. La difficulté de poser clairement du sens sur une

pratique ne peut-il pas favoriser son exploration ? Le manque de connaissances

peut être un alibi suffisant pour minimiser les risques encourus à l’égard d’une

activité physique. À l’instar du docteur Romano, nous posons clairement la

question : est-il judicieux de maintenir l’utilisation terminologique « jeux

dangereux » ? Il y a une opposition trop importante des termes pour que la

confusion ne s’installe pas dans l’esprit des jeunes enfants. Cette contradiction

pourrait agir auprès d’eux comme une marche en avant vers un processus

d’euphémisation de la prise en compte des risques auxquels ils s’exposeraient.

Le manque de clarté lexicale de ce que définissent les « jeux dangereux »

constitue pour nous les premiers pas vers cette pratique physique encore trop

mal connue. D’autant que cette appellation est très récente, puisqu’elle date des

années 1990. « Lorsque la violence s’agit avec des comportements pouvant

conduire à la mort, le terme jeu ne peut plus y être associé car il n’y a plus

aucune co-construction intersubjective, plus aucun espace potentiel pour

penser, plus de plaisir, plus de jeux » (Romano, 2012, p. 66). Le simple fait

que la mort soit parfois l’issue fatale de la pratique des « jeux dangereux »

suffit à légitimer l’idée qu’il serait nécessaire de changer cette expression

douteuse. Celles de « pratique physiques dangereuses » ou « pratiques

dangereuses » sembleraient bien mieux convenir. Au moins elles excluent

quelques doutes. Avec des termes plus forts comme « jeux de mort » par

exemple, les enfants seraient choqués. La peur n’évitant pas le danger, il s’agit

davantage de mettre en place une démarche de prévention plutôt que de

répression où d’ailleurs le spectre de la peur ne produit jamais les effets

attendus.

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 73

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

3. ASPECTS METHODOLOGIQUES

L’étude3 a été réalisée entre le 29 novembre et le 8 décembre 2011. C’est

l’Association des Parents d’Enfants Accidentés par Strangulation (APEAS) qui

a démarché auprès de l’institut de sondages d’opinion français dans le but

d’obtenir davantage de précisions sur les pratiques et les connaissances des

enfants de 6-15 ans. Cette enquête a permis d’obtenir les premiers résultats

quantitatifs concernant le « jeu du foulard » à l’école primaire. 1012 enfants

ont répondu au questionnaire. Ce corpus représente un échantillon national

représentatif d’une tranche de la population âgée de 6 à 15 ans. L’enquête a été

réalisée on-line via le panel de l’organisme de sondages4. L’étude présente des

résultats soumis aux marges d'erreur inhérentes aux lois statistiques5. Nous

avons délibérément choisi de mener une analyse comparative à partir de cette

enquête (APEAS) et de nouveaux résultats obtenus récemment à partir d’une

enquête par questionnaires que nous avons menée auprès des élèves de cycle 3

de la circonscription d’Arras 16. Cette enquête arrageoise contribuera à

dévoiler les contours que prend le phénomène « jeux du foulard » pour des

enfants âgés de 8 à 11 ans. L’étude s’est concentrée sur 14 écoles (10 urbaines

et 4 rurales), elle représentait un corpus théorique de 1236 élèves7. Nous avons

procédé par questionnaires en respectant l’anonymat et en demandant

systématiquement aux enseignants référents de sortir de la classe pendant la

passation. Les résultats ont été traités avec le logiciel « Sphinx ». Le

questionnaire comporte 136 questions réparties en quatre sections (une partie

pour climat scolaire et trois parties sur les types de « jeux dangereux »). Nous

l’avons dit, seuls les résultats des jeux d’apnée ou d’évanouissement feront

l’objet de notre analyse. Enfin, l’enquête s’est déroulée de mars 2014 à fin juin

20148. Les résultats obtenus portent sur 1067 répondants, avec un taux de

3 « Ipsos Public Affairs / A.P.E.A.S »

4 Aucune base de données n’existant sur le sujet, c’est la méthode des quotas qui a été

suivie. Notons que cette méthode peut parfois présenter quelques inconvénients. En effet, cette

dernière peut parfois fournir un échantillon biaisé. En pratique, il faut considérer cependant que

la marge d’erreur des sondages par quotas est égale ou inférieure à celle des sondages

aléatoires. Cela a permis de s’assurer de la représentativité du corpus au regard de la population

française dans son ensemble, ainsi que d’obtenir rapidement des données quantitatives sur le

sujet. La distinction des répondants s’est faite par le biais de différentes variables telles que le

sexe, l’âge, la profession de la personne de référence du foyer, la région et la catégorie

d’agglomération. 5 Ce rapport a été élaboré dans le respect de la norme internationale ISO 20252 « Etudes de

marché, études sociales et d’opinion ». 6 Ce territoire compte 4 circonscriptions. Les premiers résultats de la circonscription

d’Arras 1 ont suscité un vif intérêt auprès de Monsieur le Directeur Académique. En

conséquence, l’enquête se poursuit sur plusieurs années auprès des autres circonscriptions

(Arras 2, Arras 3 et Arras 4). Nous estimons pouvoir interroger un corpus avoisinant les 7000

élèves. 7 408 élèves en CE2, 412 en CM1 et 416 en CM2

8 Nous tenons à remercier très sincèrement l’investissement de 5 étudiantes de notre

séminaire de recherche de Master 1 pour la passation des questionnaires qu’elles ont réalisée :

Elvire Baelden, Emilie Maerten, Charlotte Baudens, Audrey Top et Elise Dernaucourt. Sans

ces étudiantes, cette enquête n’aurait jamais abouti avant la fin de l’année scolaire 2014/2015.

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 74

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

participation de 86,3 %. Après avoir distribué les autorisations parentales au

préalable, nous avons fait face à 6,7 % de refus. Les parents appartenant aux

professions régaliennes (gendarmerie, police…), de la santé (infirmière…) et

de l’éducation (professeurs de collège ou lycée…) sont ceux qui ont davantage

refusé à ce que leur(s) enfant(s) participe(nt) à l’enquête. L’écart de 7 % qu’il y

a pour garantir la totalité du corpus théorique correspond au pourcentage des

élèves absents lors de différents passages dans les écoles. Nous avons choisi les

questionnaires sur la violence à l’école pour le rôle critique que consent cet

outil. L’enquête de victimation permet de donner la parole aux enfants et

mieux orienter les actions éducatives qui peuvent être mises en place après les

premiers résultats. En effet, « les enfants sont les meilleurs experts en

violence » (Canada, 2001). Ce sont les individus les mieux placés pour dire

comment ils sont en danger, par qui et à quel(s) endroit(s). Enfin, la

« quantification de la violence a un rôle à la fois diagnostique et évaluatif »

(Debarbieux, 2011). Il s’agit pour les pédagogues et autres professionnels de

l’éducation de savoir où porter l’action après les premiers diagnostiques. Ce

procédé a permis d’orienter les réflexions sur la question de la sensibilisation

des élèves et implicitement de la formation des enseignants. Par cette analyse

comparative, il s’agit pour nous de comprendre l’évolution du phénomène et

d’informer objectivement les responsables académiques sur les réalités de

terrain9 d’aujourd’hui. Ainsi, la compréhension évolutive du phénomène est

facilitée par la mise en perspectives de notre enquête quantitative menée dans

l’une des quatre circonscriptions d’Arras avec celle lancée trois années

auparavant par l’APEAS auprès d’un organisme de sondage. La partie suivante

sera donc parfois agrémentée de quelques résultats statistiques concernant le

collège issus de la même enquête APEAS/IPSOS. Il ne s’agit donc pas d’une

enquête des « jeux dangereux » d’une circonscription mais bien d’une enquête

menée à partir des « jeux dangereux » ayant pour mobile une meilleure

compréhension d’un phénomène social émergeant et en pleine progression.

4. RESULTATS ET ANALYSES

4.1. CONNAISSANCE DES JEUX D’APNEE OU D’EVANOUISSEMENT

Les premiers résultats de l’enquête IPSOS montrent qu’une bonne partie des

enfants ont connaissance des jeux d’apnée ou d’évanouissement (56 %). Sur 14

jeux proposés10

, le « jeu du foulard » et le « jeu de la tomate » représentent les

9 Ce travail est d’ailleurs en cours avec les différents inspecteurs de l’ensemble des

circonscriptions d’Arras. 10

Jeu du foulard, jeu de la tomate, jeu de la serviette, jeu du sandwich, jeu de la grenouille,

Rêve indien, jeu des poumons, jeu de la pince, jeu du coma, jeu du sommeil, 30 secondes de

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 75

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

jeux les plus connus. Un enfant sur deux, âgé de 6 à 15 ans connaît le « jeu du

foulard » ou le reconnaissent lorsqu’on leur décrit. La description du jeu se

substitue parfois à son nom, mais dans ces deux cas, l’enfant possède une

connaissance ou même bien une représentation de ces différents jeux, sans pour

autant en mesurer les effets. Au sein de cette majorité d’enfants, qui

connaissent au moins un jeu d’évanouissement, ce sont plutôt les adolescents

de 12 à 15 ans qui connaissent davantage le « jeu du foulard » (79 %), le « jeu

de la tomate » (43 et le « jeu de la serviette » (23 %) que les enfants de 6 à 11

ans. Pour autant, le tableau ci-dessous le démontre, un enfant de 6 à 11 ans sur

deux connait le « jeu de la tomate » ainsi que le « jeu du foulard ». Cette forte

proportion interroge et doit interpeller les différentes structures éducatives, tant

au niveau de l’école que des centres de loisirs, des colonies de vacances et des

clubs sportifs. Les enfants passent fréquemment d’une structure à l’autre dans

leur vie quotidienne, ce qui a pour effet de favoriser le maintien des pratiques

physiques dangereuses de moins en moins à la marge.

Tableau 1 : répartition de la connaissance qu’ont les enfants sur les 3 jeux d’apnée ou

d’évanouissement les plus connus (APEAS/IPSOS, 2011). Les résultats en rouge sont ceux

obtenus lors de l’enquête réalisée dans la circonscription d’Arras 1 en 2014.

Les adolescents (12-15 ans) connaissent mieux les trois jeux cités dans le

tableau 1 que les plus jeunes. De ce point de vue, le passage au collège

constitue une étape majeure, importante dans la socialisation de la jeunesse.

Les probabilités de côtoyer la violence s’accentuent à cette période. C’est ce

que montre la première enquête IPSOS pour l’association APEAS de 2007 : 48

% des 1013 répondants indiquent avoir pratiqué le « jeu du foulard » pour la

première fois entre 10 et 14 ans. L’entrée dans le collège constitue une rupture

critique avec l’école primaire quant à la découverte de pratiques physiques plus

ou moins dangereuses. De fait, la méconnaissance des « jeux dangereux » en

général et des « jeux » de non-oxygénation en particulier des plus jeunes doit-

elle inciter à la mise en place d’une sensibilisation de la part des différents

acteurs éducatifs (parents, enseignants, éducateurs…) ? Les résultats de

l’enquête d’Arras 1 semblent donner quelques éléments de réponse puisque

nous constatons une forte augmentation du taux de connaissance des jeux

bonheur, jeu de la sieste, jeu du sternum et jeu du cosmos. À signaler : ce sont plus d’une

centaine de dénominations différentes dans le monde qui définissent ce genre de pratiques dites

d’évanouissement.

Enfants de 6 à 11 ans Enfants de 12 à 15 ans

APEAS APEAS/IPSOS ARRAS 1

Jeu du foulard 32 % 51,2 % 79 %

Jeu de la tomate 27 % 50,7 % 43 %

Jeu de la serviette 3 % 9,7 % 23 %

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 76

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

d’asphyxie. Le passage de 32 % à 51,2 % en trois années nous permet de

penser que les jeunes connaissent malheureusement de mieux en mieux ce type

de jeux. Cette augmentation n’est pas un effet lié à un plan de formation, ni à

des actions de sensibilisation programmée. Reste à voir ce que les effets dits

« Internet » pourraient avoir sur la question portant sur la connaissance des

jeux d’apnée ou d’évanouissement.

Parmi les enfants ne connaissant aucun des noms des 14 jeux proposés (n =

276), un peu moins d’un quart (24 %) reconnaît toutefois au moins l’un d’entre

eux dès lors que l’on procède à une description des formes de pratique11

. Les

enfants semblent davantage attirés par la règle ou la pratique que par le nom du

jeu. Entre eux, ils ne parlent pas ou peu du jeu, ils le vivent, le font vivre ou

l’observent. Il s’agit peut-être alors, pour l’enfant, de faire comme tout le

monde. Un enfant s’investit dans une pratique « nouvelle » sous prétexte que

les autres le font. À ce propos, une étude menée en 2007 pour l’association

« SOS Benjamin » montre que 26 % des enfants se sont déjà vus proposer de

participer à un « jeu » dangereux. Nous pouvons ainsi émettre l’hypothèse

selon laquelle la méconnaissance des pratiques considérées comme ludiques

mais risquées accentuerait leur dangerosité ou au moins leur fréquence

d’engagement dans l’action par les jeunes. A fortiori si cet enfant pense jouer,

le danger s’intensifie de fait. Ainsi, comme le montre l’enquête

IPSOS/APEAS, 63 % des jeunes connaissent au moins un jeu d’apnée ou

d’évanouissement. Cela représente 49 % des enfants de 6 à 11 ans et 84 % des

jeunes de 12 à 15 ans. Peut-on en conclure que la connaissance ou

méconnaissance d’un jeu oriente plus aisément les jeunes vers les différentes

formes de pratiques plus ou moins connues et potentiellement dangereuses ?

Nous émettons l’hypothèse qu’un enfant informé est un enfant mieux

préparé aux dangers et, donc, plus sécurisé pour lui-même. Pour autant, bon

nombre de parents et d’enseignants sont réticents à la sensibilisation. Ils

pensent que les enfants qui ne connaissent pas de « jeux dangereux » seraient

tentés de les essayer. À cette crainte nous répondons que les enfants ont toutes

les capacités pour comprendre qu’une activité présente ou non un danger. Il ne

s’agit pas pour autant de mésestimer ces craintes, au contraire, cela doit nous

inciter à bien penser les actions de sensibilisation auprès des jeunes. Le B.O. du

5 janvier 2012 (compétence ICM) constitue en ce sens une excellente base de

départ pour organiser des séquences d’apprentissage à l’instar des « jeux

dangereux », sans même exposer les enfants à ces pratiques. Il s’agit de

réfléchir de la manière dont nous souhaitons prévenir des risques encourus en

cas d’éventuelle tentative. Il ne s’agit pas de former aux jeux mais d’informer

aux risques. Pour Patrice Huerre, « la prise de risque existe dès l’enfance, alors

11

« Bloquer sa respiration jusqu’à devenir tout rouge », « Prendre de grandes inspirations

et arrêter de respirer en se pinçant le nez », « bloquer sa respiration en se serrant le cou avec

une petite corde, une écharpe, une ceinture », « bloquer sa respiration en se faisant serrer le

cou ou la poitrine par un copain ».

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 77

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

qu’elle semble surtout présente à l’adolescence. Dans la plupart des cas, il

s’agit d’un non contrôle du comportement, d’une agitation non régulée, qui

conduisent l’enfant à se mettre en danger en grimpant, en sautant, avec, à la

clé, le risque d’accident » (2007, p. 11). Ainsi, la prise de risque appartient au

développement de l’enfant et de sa construction personnelle. Elle est même

nécessaire pour que l’enfant prenne conscience de ses actions, mais elle doit

pouvoir être mesurée en étant apprise. De plus, l’auteur rappelle qu’un enfant

de moins de 8 ans « n’a pas une conscience claire de la mort, et surtout de son

caractère irréversible » (Huerre, 2007, p. 12) ; c’est pourquoi les Instructions

Officielles ne permettent pas d’évoquer les conséquences mortelles des « jeux

dangereux » avant la classe de CM2. Les enseignants ont trois années pour que

la sensibilisation constitue un accélérateur pédagogique dans la capacité des

enfants à pouvoir mesurer les risques encourus. Précisons que nous n’avons

recensé aucun enfant sur les 1067 interrogés s’essayant à la pratique d’un jeu

dangereux après avoir distribué nos questionnaires dans les 14 écoles

arrageoise.

4.2. FACTEURS ET RISQUES DE LA PRATIQUE DES JEUX D’APNEE

OU D’EVANOUISSEMENT

4.2.1. Les copains et Internet

L’école primaire semble être le lieu dans lequel les enfants entendent

parler pour la première fois des jeux d’apnée ou d’évanouissement. Sur le

corpus IPSOS/APEAS des enfants ayant répondu avoir déjà entendu parler

d’un tel jeu (n = 636), l’enquête révèle que 82 % d’entre eux affirment avoir

pris connaissance de ces pratiques avant la 6ème

. La période capitale se situe

donc entre le CE2 le CM2 puisque cumulé, cela représente 54 % des élèves. Le

cycle 3 constitue une période charnière à bien des égards (socialisation,

connaissances culturelles, savoirs…), notamment pour optimiser l’entrée au

collège. Cette proportion importante du nombre d’élèves, connaissant au moins

une pratique dangereuse, montre que leur prise en compte d’un point de vue

pédagogique devient une nécessité d’utilité publique. En effet, les enfants

connaissant les « jeux dangereux » n’en sont pas pour autant aussi éclairés

quant aux conséquences qu’ils génèrent :

- d’une part, 6% de ces connaisseurs chez les enfants de 6-11 ans disent que

leur première fois était en maternelle. Ce constat amène diverses interrogations

: le phénomène de la violence est-il en train de se déplacer en touchant des

enfants de plus en plus jeunes et notamment dès la maternelle ? Nous pourrions

supposer que le partage des cours de récréation entre la maternelle et le

l’élémentaire inciterait les plus jeunes à reproduire les pratiques de leurs ainés.

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 78

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

Hormis ces relations plus ou moins amicales de cour d’école, qui incitent la

mise en jeu des corps en action par le jeu notamment, cette question des

influences se pose aussi entre les fratries : ces dernières sont-elles facilitatrices

des pratiques dangereuses ?

- d’autre part, une distinction entre les deux tranches d’âge : les 6-11 ans

affirment plutôt avoir entendu parler des jeux d’apnée ou d’évanouissement

entre le CP et le CE1 (62 %), tandis que les 12-15 ans prétendent en avoir pris

connaissance entre le CM1 et la 6ème

(64 %). Peut-on en déduire que les risques

soient supérieurs au collège qu’à l’école ?

Quelques éléments de réponse apparaissent : la connaissance de ce type de

« jeux dangereux » se transmet essentiellement par les copains/copines (71 %

des 6-15 ans). Ce qui parait plus surprenant c’est qu’un tiers (33 %) de

l’ensemble12

des répondants affirment en avoir pris connaissance par un adulte.

Internet ne constitue pas encore une source d’information majeure à ce sujet

puisque ce sont « seulement » 5 % des enfants de 6-11 ans et 11 % des enfants

de 12-15 ans qui disent en avoir eu recours pour découvrir ces pratiques

d’apnée. La sensibilisation récurrente des problèmes relatifs aux dérives du net

explique probablement en partie ce résultat. Les formations proposées au B2i et

au contrôle parental constituent des outils pédagogiques de premier ordre pour

limiter les abus ou les mauvaises rencontres.

En revanche, les résultats de l’enquête d’Arras 1 sont deux fois plus

importants que ceux de l’APEAS puisque 11,6 % (contre 5 %) des enfants

disent avoir connu ces jeux par Internet. Cette augmentation relative est à

prendre très au sérieux auprès des générations qui sont nées avec le numérique.

Les enfants maîtrisent de plus en plus tôt les outils informatiques, ce qui pose

quelques problèmes au regard de ce que la toile du net peut mettre à disposition

du public et l’usage qu’il peut en faire. En effet, un nombre important de

vidéos malsaines et dangereuses pour les enfants sont disponibles sur le net et

constituent de véritables enseignements techniques aux différentes pratiques

des « jeux dangereux » (Rêve indien, jeu de l’aérosol13

…). À propos des

pratiques dites « Internet » se pose une question simple : un recours à la loi

permettrait-il de pouvoir imposer des interdictions de diffusion de vidéos trop

explicites quant à la pratique des « jeux dangereux » ? L’objectif étant de

protéger les enfants les plus vulnérables des risques encourus par toutes ces

pratiques dangereuses. De ce point de vue, la sensibilisation semble constituer

la toute première arme de défense de ces jeunes enfants trop souvent en

manque de connaissances sur le sujet. La loi constituerait alors une seconde

armure.

12

L’ensemble représente l’union des résultats concernant les 6-11 ans d’une part et les 12-

15 ans d’autre part. 13

Une adolescente ayant tenté l’expérience du jeu de l’aérosol a trouvé la mort lors de

l’écriture de cet article.

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 79

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

4.2.2 Rapports entre « jeux dangereux », famille et témoins ?

Environ 40 % des enfants qui connaissent au moins un jeu d’apnée ou

d’évanouissement disent n’en avoir jamais en parlé à un adulte. Cette

proportion non négligeable renforce l’idée selon laquelle la sensibilisation

semble être une nécessité pour atténuer le nombre d’accident annuel. En effet,

combien d’articles de presse révèlent que les parents ayant un enfant victime

d’une pratique de « jeux dangereux » les découvrent au moment où les

accidents proviennent ? Ceci montre combien la part du travail de

sensibilisation est importante si celle-ci est orientée à plusieurs niveaux :

enfants, parents, enseignants, personnels médical ou social… Ce travail, qui

vise l’ensemble des partenaires socio-éducatifs, doit être organisé de manière

adaptée à chacun des publics concernés. Ainsi nous parlerons de formation

auprès des professionnels et de sensibilisation auprès des jeunes. Ceci étant dit,

l’enquête IPSOS révèle par ailleurs que ceux qui osent aborder le problème

ouvertement le font en priorité avec un parent. En effet, 96 % des 6-15 ans en

ont parlé à leur papa et/ou maman. Seuls 14 % disent en avoir parlé à leur

professeur. Après les parents, ce sont les frères et/ou sœurs qui constituent le

deuxième choix pour les confidences (18 %). Les méthodes de sensibilisation

et leur orientation doivent donc prendre en compte l’omniprésence des frères et

des sœurs. En effet, l’influence positive que peut exercer une fratrie sur chacun

des individus la constituant permet d’envisager qu’elle peut engendrer un outil

efficace dans la lutte contre la pratique des jeux d’apnée. L’enquête d’Arras 1

apporte les mêmes enseignements avec d’autres proportions : un peu moins de

55 % des enfants qui connaissent un jeu d’apnée ont appris la pratique par un

ou une camarade. 49 % de ces enfants disent n’en avoir jamais parlé à un

adulte. Ce silence, qui concerne un enfant sur deux, représente ainsi un risque

mortel majeur. Un enfant mal informé est un enfant en danger. L’importante

proportion d’enfants enfermés dans une certaine loi du silence n’est-elle pas un

alibi suffisant pour convaincre les professionnels indécis à transmettre les

connaissances nécessaires pour limiter toute forme de risques ? Notre enquête

montre que les enfants qui osent en parler le plus facilement le font auprès de

leurs parents (39,8 %). Nous avons observé, lors de nos différents passages

dans les écoles arrageoises, que les parents sont beaucoup moins réticents que

les enseignants à affronter la réalité des chiffres. Autrement dit, plus de 85 %

des parents ont accepté que l’on interroge leurs enfants. Il y a là une piste

sérieuse d’un travail collaboratif possible. En effet, si le dernier référentiel de

compétences des professeurs14

incite au rapprochement école/famille15

,

pourquoi ne pas tenter des expériences de sensibilisation aux « jeux

14

BO n°30 du 25 juillet 2013. 15

(Compétence 12 : Œuvrer à la construction d’une relation de confiance avec les parents)

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 80

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

dangereux » en partenariat avec les parents ? Cela serait peut-être une manière

de rassurer l’ensemble de la communauté éducative.

Les résultats sont plus importants lorsque l’on demande aux enfants

s’ils connaissent quelqu’un qui aurait déjà « joué » à un jeu d’apnée ou

d’évanouissement. En effet, dans l’enquête de l’APEAS, un enfant sur trois

l’affirme. Plus précisément, cela représente 32 % (n = 636) des enfants des

cours d’écoles et des collèges réunis (27 % des 6-11 ans et 40 % des 12-15

ans). Ces résultats pourraient laisser penser que la pratique est plus intense au

collège qu’à l’école. Ils ne s’établissent que sur une certaine forme de croyance

dans la mesure où la diffusion de la connaissance se réalise principalement sur

le simple mode du « bouche à oreilles ». Par contre, les chiffres se précisent

puisque nous observons que c’est un enfant sur quatre qui affirme avoir déjà vu

quelqu’un pratiquer un « jeu » d’apnée ou d’évanouissement. Pour l’ensemble

des 636 répondants, cela représente 26 % des enfants (23 % des 6-11 ans et 30

% des 12-15 ans). Basé sur l’observation directe des faits, nous constatons que

la réalité de la pratique de cette forme de « jeux dangereux » est loin d’être un

épiphénomène. Ce qui surprend en revanche c’est la faible communication de

ce problème de société, que ce soit de la part des médias (même si la tendance

semble s’inverser actuellement, notamment dû au travail des associations) ou

pire encore, du corps pédagogique et/ou scientifique. L’institution publique

aurait-elle à se préserver de tabous qui pourraient discréditer sa légitimité

éducative ? Un certain nombre de documentaires journalistiques ont souligné

l’omerta de certains responsables éducatifs face aux violences scolaires16

. Il

semble préférable (souvent pour des raisons de carrière professionnelle

individuelle ou d’image de marque de l’établissement (Debarbieux, 2006) de

tenter de résoudre les problèmes en « interne » que de s’exposer

médiatiquement en recherchant des solutions collectives. Le poids de la

hiérarchie est peut-être un élément explicatif aux réticences voire aux craintes à

exprimer les problèmes de violence. De surcroit, lorsque l’issue d’un acte de

détresse est rendue fatale. Si tel était le cas, il semble alors légitime de penser

que la sensibilisation (dite pédagogique) aux phénomènes de violence doit être

menée à tous les niveaux institutionnels, c'est-à-dire des surveillants de cour de

récréation aux chefs d’établissement, des médecins aux assistantes sociales, des

juges aux jeunes coupables, des enseignants aux parents et des victimes elles-

mêmes17

.

16

Pour des raisons de confidentialités et par respect de la famille nous resterons

volontairement imprécis sur une affaire de harcèlement qui se terminera par le suicide d’une

collégienne de 12 ans dans un collège du Pas-de-Calais en 2012. Les parents porteront plainte

contre l'établissement en estimant que l'équipe éducative n'avait pas pris en compte le

harcèlement dont leur fille faisait l'objet de la part de trois élèves. La plainte est classée sans

suite. 17

Lorsqu’il s’agit de harcèlement scolaire le problème est beaucoup plus difficile à

affronter. En effet, les preuves matérielles sont souvent difficiles à faire valoir. Il est très

délicat de faire un lien direct entre le harcèlement dont est victime un enfant et son suicide.

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 81

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

4.2.3 L’école, les clubs et les colos ?

L’école représente le lieu « d’apprentissages » ou de découverte des

pratiques des « jeux » d’apnée ou d’évanouissement. Selon l’enquête IPSOS,

parmi les enfants ayant répondu avoir été témoin (n = 263), 92 % d’entre eux

disent avoir vu cette pratique dans la cour de récréation (89 % des 6-15 ans) ou

à la cantine (15 % des 6-15 ans). Cependant, les directeurs et animateurs de

centres aérés ou de colonies de vacances, ainsi que les responsables des

organismes d’éducation doivent à présent être conscients du phénomène des

« jeux dangereux » ou des jeux d’apnée, puisque 11 % des jeunes disent avoir

vu pratiquer dans ces lieux de vacances (7 % des 6-11 ans et 16 % des 12-15

ans). La teneur de ces résultats montre qu’un potentiel danger se développe

parallèlement hors de l’école. Ce phénomène semble plus sournois puisqu’il est

encore plus discret que ce que nous en savons pour l’école. La formation

touche alors tous les acteurs du milieu de l’éducation populaire (Ceméa,

Francas, UFCV…). Sur les 636 enfants ayant affirmé avoir vu un autre enfant

pratiquer le « jeu du foulard », 4 % d’entre eux disent avoir constaté un

évanouissement (3 % des 6-11 ans et 6 % des 12-15 ans). Parallèlement et de

manière inquiétante, ce sont près de 30 % des élèves d’Arras 1 qui ont pu

constater un évanouissement ! La comparaison des deux tranches d’âges

montre une nouvelle fois que le collège semble être le lieu où la mise en œuvre

de la pratique du « jeu du foulard » est la plus active. La taille de ce type

d’établissement pourrait expliquer les différences quantitatives. Nous pouvons

émettre l’hypothèse que la grandeur des établissements, comparativement à la

taille moyenne des écoles, poserait davantage de problème de surveillance, ce

qui faciliterait la pratique des « jeux » illicites et dangereux. Ceci montre

également que le passage de l’école au collège constitue une étape importante

et risquée pour les ex-élèves de CM2 ; d’autant plus, s’ils sont peu ou pas

informés de la dangerosité de certaines de ces pratiques que l’on nomme

usuellement « jeux ».

Un article du journal « l’Express » datant du 3 décembre 2009 indique que

le « jeu du foulard » a tué 13 enfants cette même année, après une douzaine en

2008 selon Isabelle Thomas18

. Rapporté à l’ensemble de la population, nous

pouvons affirmer que ces profils dont l’issue fut fatale, correspondent à la

catégorie des 6-15 ans de l’enquête IPSOS (n = 636) qui représentent 16% de

pratiquants. Un enfant sur dix (pour les 6-15 ans) affirme avoir essayé au

moins une fois la pratique d’un jeu d’apnée ou d’évanouissement et 6 % ont

Dans ce cas, il ne s’agit plus que d’un problème exclusivement éducatif mais relevant

également de la justice. De ce point de vue, outre les acteurs œuvrant dans le secteur social,

éducatif ou médical, c’est à présent ceux de la justice qu’il faut intégrer dans un processus

global de formation à la sensibilisation des « jeux dangereux » en particulier et des violences

scolaires en général. 18

Vice-présidente de l’APEAS

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 82

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

tenté l’expérience plus d’une fois. En rapportant ces résultats à l’ensemble de

la population, ce sont 10 % des enfants de 6-12 ans qui ont déjà pratiqué un jeu

de ce type. En revanche, l’enquête d’Arras 1 permet d’observer une évolution

du phénomène. En effet, à la même question posée auprès des 1067 élèves en

2014, 19,2 % (n = 205) ont répondu avoir déjà joué au moins une fois. 10,7 %

disent avoir pratiqué plusieurs fois et 8,5 % ont joué une fois à l’un de ces jeux.

Parmi cette population de pratiquants, 60 % sont des garçons. Nos travaux

montrent que la pratique des jeux d’apnée dans les écoles semble être un

phénomène en augmentation. L’intégration des « jeux dangereux » au B.O. du

mois de janvier 2012 montre que les pouvoirs publics se sont emparés de la

gestion du problème en orientant les pratiques pédagogiques des professeurs

des écoles avec une série de prescriptions. Ceci étant, nos observations de

terrain, notamment lors des passations, conduisent à penser que peu

d’enseignants abordent la question des « jeux dangereux ». Ils disent très

souvent avoir peur de devenir l’initiateur d’éventuelles pratiques des enfants ne

connaissant pas le phénomène. C’est, selon nous, cet élément factuel qui est à

la source de la problématique de la sensibilisation. La question n’est donc plus

de savoir s’il faut sensibiliser puisque les I.O. invitent chaque enseignant à le

faire, mais plutôt de savoir comment faire, et surtout, comment l’initier en

prenant en compte le niveau de la classe ?

Une des réponses envisageables se trouve dans les programmes de 201219

:

en effet, en CE2 la sensibilisation portera davantage sur la notion de risque et

de sécurité en apprenant à respecter « les principales règles de sécurité de la

vie quotidienne ». Il s’agit pour l’enseignant de « faire découvrir à ses élèves

les objets, les matériels familiers et leur condition d’usage pour éviter les

traumatismes, saignements, brulures, asphyxie ou intoxication ». En CM1,

c’est la posture comportementale qui est abordée. Les enfants doivent

apprendre à adapter leur conduite « face à des situations spécifiques pour se

protéger et préserver les autres ». Ils doivent prendre conscience de la

nécessité de « s’interdire toutes formes de violences, verbales comme

physiques, notamment dans la cour de récréation ». En CM2, sera étudiée la

notion de conséquences au regard des actes engagés. Les enfants doivent savoir

en quoi leurs « comportements sont bénéfiques ou nocifs pour leur santé et

celle des autres ». Les programmes stipulent clairement que les « jeux

dangereux » devront être identifiés en connaissant les conséquences de leur

pratique. Il s’agira pour le futur collégien de « savoir si une activité ou un geste

de la vie courante présente un danger vital ». Cette progression dévoile une

adaptation des connaissances à acquérir au regard du développement

psychologique des enfants. Il ne s’agit pas de les traumatiser mais bien de les

informer aux risques qu’ils encourent. Considérons qu’un enfant informé est un

enfant moins exposé au danger.

19

BO n°1 du 5 janvier 2012.

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 83

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

Les autres élèves constituent aussi une part potentielle importante du

danger. Les enfants doivent savoir dire non aux plus âgés. Considérant que la

« violence se construit dans la répétition oppressive de la loi du plus fort »

(Debarbieux et al., 2003 ; Rubi, 2005), nous concevrons que le devoir des

enseignants est d’apprendre aux enfants des écoles primaires à se protéger

contre les dangers d’une vie future et proche au collège. La transition dans ce

modèle d’établissement si différent de l’école constitue incontestablement une

charnière à haut risque pour les enfants. Pour le sociologue François Dubet, un

enjeu majeur pour le collège réside dans « notre capacité de faire des

établissements des endroits éducatifs, des endroits accueillants. Des

établissements dans lesquels la vie collective a une fonction éducative, dans

lesquels on apprend à vivre avec les autres, où être gentil, coopératif avec les

autres est une vertu, reconnue scolairement. C’est une notion très difficile à

faire passer, notamment tant que le métier d’enseignant sera défini uniquement

autour de la maîtrise disciplinaire. Mais on pourrait imaginer que l’école ne se

donne pas pour unique objectif de fabriquer des gens savants : elle pourrait

fabriquer des citoyens confiants, épanouis »20

. Gageons que le nouvel élan de

l’esprit d’une culture commune permette d’unifier deux mondes

(écoles/collèges) que tout oppose ou presque !

4.3. PRATIQUE, PERCEPTION DES JEUX D’APNEE ET

ENVIRONNEMENT

4.3.1 Ces enfants qui jouent seuls

Sur la totalité des enfants ayant répondu à l’enquête 102 enfants (10,1

%) évoquent leur pratique effective du « jeu du foulard ». Ces pratiquants

confirment l’un des précédents résultats obtenu avec les enfants qui se

déclaraient avoir été témoin : 86 % ont pratiqué le jeu à l’école (89 % des 6-11

ans et 82 % des 12-15 ans). En conséquence, c’est avec les copains que 91 %

déclarent avoir expérimenté la pratique du « jeu du foulard » (89 % des 6-11

ans et 95 % des 12-15 ans). 85% de ces derniers ont tenté l’expérience avec un

copain plus âgé. 11% évoquent une pratique en mode « solo » (11 % des 6-11

ans et 9 % des 12-15 ans) et 6 % avec leur(s) frère(s) ou sœur(s) (7 % des 6-11

ans et 5 % des 12-15 ans). Un risque majeur est exprimé à travers ces résultats

lorsque l’on constate qu’un enfant sur dix dit avoir essayé seul. Cela constitue

pour nous la source de risque la plus importante dont il faut résolument porter

la plus grande des attentions. En effet, dans ce cas de pratique isolée, personne

ne peut intervenir auprès d’un enfant qui s’évanouit puisque celui ou celle qui

s’essaie à l’expérience le fait à l’abri des regards. C’est précisément dans ce

20

Site « le Lab’ » : http://www.lab-afev.org/francois-dubet-lecole-pourrait-fabriquer-des-

citoyens-confiants-epanouis/

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 84

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

genre de cas que des séquelles irréversibles surviennent, et parfois la mort.

Pour les pratiquants dits « isolés », le résultat de l’enquête d’Arras 1 interpelle

au premier rang puisqu’il est supérieur à celui de l’enquête IPSOS (15,2 %).

De ceux qui annoncent pratiquer seuls, c’est à la maison que le « jeu » se

déroule. Cette tendance confirme que les parents doivent être intégrés aux

différents programmes de sensibilisation notamment pour savoir détecter les

signes avant-coureurs de la pratique du « jeu du foulard » et autres « non-

jeux ». Les résultats de l’enquête d’Arras sur ces questions imposent une

importante réflexion de la part des professionnels. Nous l’avons vu, nos

chiffres indiquent que 19,2 % des enfants du corpus arrageois (n =1067) disent

avoir pratiqué au moins une fois. Cette proportion représente près de 53 % des

connaisseurs des jeux d’apnée (205 joueurs/pratiquants sur 387 connaisseurs).

Entre les deux enquêtes distantes de trois années, nous constatons une

augmentation de près de 10 %. Les quelques entretiens informels réalisés

auprès de certains enseignants montrent là encore que ces derniers préféraient

s’abstenir de parler des « jeux dangereux » de peur d’inciter les non-initiés aux

risques de la pratique. Sans agir, les résultats révèlent qu’un enfant sur deux

connait déjà (avant le CM2) au moins un jeu dangereux. À l’instar de ces

résultats, devons-nous persévérer dans une posture favorisant la loi du

silence ou encore celle de l’évitement ?

4.3.2. Motivations et pratiquants

Trois principales raisons sont évoquées par les 102 protagonistes

quant aux motivations qui les poussent à tenter l’expérience du « jeu du

foulard » : la première fait référence à la notion de groupe et aux effets de

mode qu’il peut en générer. Pour la moitié d’entre eux, il s’agit de faire comme

les copains à un moment propice (50 % des 6-11 ans et 51 % des 12-15 ans).

Ensuite, c’est le caractère amusant de la pratique qui attire les jeunes : 32 %

des enfants trouvent « rigolo » le « jeu du foulard » (31% des 6-11 ans et 32 %

des 12-15 ans). Enfin, la troisième raison importante renvoie aux sensations

ressenties : 16 % des « joueurs » évoquent les « effets particuliers et bizarres »

que le jeu procure (15 % des 6-11 ans et 17 % des 12-15 ans). Le « jeu du

foulard » renvoie à un certain modèle de jeu que Roger Caillois classait en

1958 dans une des quatre familles de sa classification nommée « Ilinx ». Pour

l’auteur, ces jeux de vertige provoquent un certain affolement des sens.

Initialement Caillois faisait référence aux sports de glisse, aux manèges de

fêtes foraines et autres balançoires. Aujourd’hui le « jeu du foulard » semble

procurer (avant l’évanouissement ou le coma) un étourdissement lié à l’absence

prolongée d’oxygène. Pour la professeure Anne Corrêa Guedes, l’hypoxiphile

« ne recherche que l’euphorie induite par la diminution de l’apport d’oxygène

au cerveau et l’état modifié de conscience qui s’ensuit. Il semble naturel qu’y

soient éventuellement associés des fantasmes érotiques, que l’on aurait tort

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 85

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

d’assimiler ou de réduire à une simple sexualité autocentrée » (2010, p. 98).

La typologie d’Olivenstein sur les produits psychoactifs, reprise par Porchet

(1995), permet de distinguer des usages récréatifs, abusifs ou toxicomaniaques.

Les effets « bizarres » que certains enfants expliquent pourraient conduire à

cette troisième catégorie. Le plaisir ressenti serait une des sources du besoin ou

de la nécessité de répéter le geste. À ce stade de réflexion, aucune étude

épidémiologique ne permet d’avancer des éléments de réponse. Pour autant la

piste addictive des conduites à risques constitue une hypothèse sérieuse depuis

la fin des années 1990 et le début des années 2000. C’est à cette même époque

que Pommereau (1997 et 2001) constate une augmentation importante des

troubles des conduites chez les jeunes en recherche de plaisir. La psychologue

Sylvianne Spitzer21

propose une approche très intéressante du phénomène

appelé asphyxie auto-érotique. Pour l’auteur, ces pratiques seraient liées à la

montée de la pulsion sexuelle chez les jeunes, ainsi qu’à la personnalité.

Historiquement, la pratique de l’asphyxie auto-érotique remonterait au Moyen-

âge dès lors que l’on constata une érection suivie d’une éjaculation chez les

hommes pendus. Ces pratiques sont d’ailleurs détaillées dans certaines œuvres

littéraires écrites par des auteurs aussi divers que le Marquis de Sade (1791) ou

Samuel Becket (1952). Dans la même lignée, et plus récemment, Elise

Pelladeau et Pierre G. Coslin en 2013 se sont interrogés sur le caractère

ordalique du « jeu du foulard » et aux risques d’addiction. Les études sur le

sujet se développent mais demeurent encore à la marge. Elles semblent

cependant apporter une hypothèse commune qui consiste à penser que la

pratique du « jeu du foulard » pourrait être liée à un plaisir d’ordre sexuel qui

conduirait à la répétition du geste, et donc, à l’augmentation du risque encouru.

Cette piste est une tentative d’explications que des études scientifiques, de type

psychologiques ou épidémiologiques par exemple, devront développer et

affiner davantage. Enfin, une autre réponse pour la moins surprenante est

signalée : 9 % des répondants disent jouer pour se « décontracter ». Faut-il y

voir les prémices d’éventuelles recherches de solutions face au stress subi par

les enfants dans les différents établissements scolaires ? À l’instar de l’enquête

IPSOS, les résultats de l’enquête arrageoise montrent que la notion de groupe

est une nouvelle fois un facteur facilitateur de la mise en pratique du « jeu du

foulard ». Juste après les 32,2 % de réponses évoquant l’aspect « rigolo » du

jeu, ce sont 30,3 % des enfants qui avouent vouloir « faire comme les

copains ». Vient ensuite le facteur lié aux émotions et au plaisir que nous

évoquions plus haut. Enfin, ce sont 11,2 % des élèves qui pratiquent le jeu pour

se décontracter. Nous le constatons, les résultats des deux enquêtes montrent

que les motivations des enfants sont assez similaires par leur nature et leur

degré d’importance. Ainsi, l’effet groupe constitue un déterminant initiatique

des pratiques important. Les résultats ici obtenus confirment les propos tenus

dans le guide de la Direction Générale de l’Education Nationale « jeux

21

http://profiling.free.fr/article%20autoerotisme%20investigation.htm

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 86

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

dangereux et pratiques violentes » qui précise : « l’influence négative des pairs

est indéniable dans l’expérimentation des conduites à risques et donc des jeux

dangereux, mais aussi et surtout dans la poursuite, voire l’aggravation, de ces

comportements risqués » (2007, p.18). D’ailleurs, Zuckerman et Cloninger

(1996) ont démontré que certains jeunes développaient favorablement des traits

de personnalité propices à la recherche de nouvelles sensations fortes dans des

situations sportives, dangereuses ou de désinhibition. Pour Michel et Purper-

Ouakil (2006), ce profil type favorise les conduites d’expérimentation et de

maintien des comportements à risque pour ceux qui renouvellent sans cesse

l’expérience. Ce même Michel avec Aubron (2008 et 2009) affirment que ce

sont ceux qui sont avides de fortes stimulations qui entrent plus aisément dans

un processus de renouvellement, même de façon solitaire.

À travers les résultats de l’enquête d’Arras, nous avons montré

ultérieurement que le risque majeur chez les jeunes se situait surtout auprès de

ceux qui pratiquent en mode « solo », à l’abri des regards (15,6 %).

4.3.3. Jeu du foulard et connaissances des risques encourus

Nous l’avons largement décrit, les résultats de l’enquête arrageoise

peuvent paraitre alarmant au regard de l’évolution qu’ils affichent par rapport à

l’enquête IPSOS de 2011. Mais, ce qui peut susciter davantage d’inquiétude

réside dans le fait qu’une grande partie des pratiquants du « jeu du foulard » ne

connaissent pas les conséquences d’une telle pratique. En effet, la question des

risques a été posée. Comme l’indique le tableau 2 ci-dessous, les enfants ont

une importante méconnaissance des dangers auxquels ils s’exposent quand ils

entrent dans le jeu. Environ 60 % (IPSOS) admettent qu’il y a bien une

possibilité d’évanouissement. C’est peut-être pour cette raison que les enfants

essaient le « jeu du foulard » sans trop se poser de questions ? Après tout, un

évanouissement ce n’est guère mortel ! Pourquoi donc ne pas tenter sa chance ?

Cette hypothèse se confirme lorsque l’on s’aperçoit que plus d’un enfant sur

deux ignore qu’il peut en mourir ou subir des séquelles irréversibles pour le

cerveau. En réunissant les deux enquêtes, 40 % des jeunes répondants

admettent être conscients de la mort. Au regard de cette proportion importante

de ces jeunes lucides, nous ne pouvons pas ne pas nous interroger sur les

motivations qui animent ces jeunes bien au fait des risques à « jouer » malgré

tout !

L’ignorance s’exprime davantage lorsque qu’est évoquée la question

du handicap ou des convulsions. De ce point de vue, les trois quarts des enfants

répondent qu’ils ne courent pas de risques. 75 % des répondants pensent qu’ils

ne peuvent pas devenir handicapés à la suite d’un jeu d’apnée. Les résultats de

l’enquête arrageoise sont moins importants en proportion mais montrent de la

même manière que la méconnaissance des risques encourus constitue un réel

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 87

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

danger pour qui accepte d’entrer dans une pratique dangereuse. À cet égard,

32,7 % des enfants de la circonscription d’Arras 1 pensent qu’ils ne risquent

rien en jouant au « jeu du foulard ».

Il parait intéressant de poser cette même question dans deux ou trois ans,

dans la même circonscription, après la mise en place d’une démarche

pédagogique de sensibilisation afin d’en mesurer, comme nous le pensons, les

possibles bénéfices d’une telle action. Nous sommes convaincus que les

premiers effets bénéfiques se mesureraient sur l’observation d’une meilleure

connaissance des risques qui impliqueraient de facto une baisse du nombre de

pratiquants.

Tableau 2 : Connaissances des risques encourus à la pratique du « jeu du foulard ».

Synthèse des résultats les plus significatifs selon les enquêtes IPSOS et Arras 1 (Vigne,

2014)22

.

« D’après toi, en jouant à ce

jeu, risques-tu : » IPSOS/APEAS ARRAS 1

De t’évanouir ou de perdre

connaissance 60 % 49.8 %

De faire arrêter ton cœur 50 % 30.7 %

De mourir 48 % 33.2 %

D’abîmer ton cerveau 36 % 14.1 %

De rester handicapé ou paralysé 23 % 15.6 %

Rien - 32.7 %

Pour autant, la sensibilisation ne règlerait pas tout de manière aussi

systématique. En effet, au-delà des risques encourus, se pose la question du

plaisir ressenti et celle de l’addiction. Pour Caillois, les jeux de l’Ilinx

permettent de rechercher une forme de vertige par une « tentative de détruire

pour un instant la stabilité de la perception et à infliger à la conscience lucide

une sorte de panique voluptueuse » (1958, p. 67). Pour l’auteur « il s’agit

d’accéder à une sorte de spasme, de transgression ou d’étourdissement qui

anéantit la réalité avec une souveraine brusquerie » (1958, p. 68). C’est la

volonté de rompre avec la monotonie quotidienne qui pousserait les enfants à

agir ainsi. Pour les adolescents, le « jeu du foulard » serait-il un substitut aux

substances illicites qui permettent également une « panique voluptueuse » ?

22

La réponse « Rien » n’avait pas été proposée lors de l’enquête IPSOS mais nous avons

délibérément fait le choix de l’insérer dans la colonne Arras 1 de notre tableau comparatif pour

la simple raison que 32,7 % constitue un résultat important dans la méconnaissance des

conséquences de la pratique de jeux d’apnée. Cette proportion devrait interpeler les plus

réticents à la sensibilisation.

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 88

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

À l’instar des nouvelles pratiques physiques des années 1980 décrites

par Le Breton, le « jeu du foulard » représente un produit dérivé de ces

activités que les jeunes générations utilisaient jadis pour dominer le vertige.

Bon nombre d’études actuelles relèvent le problème de la consommation de

drogue et/ou d’alcool chez les adolescents en quête d’un autre « moi ». Ces

pratiques constituent pour l’auteur un signe inquiétant d’une certaine difficulté

à intégrer le monde social (Le Breton, 2002). Valérie Debrot explique que

« tout ce qui est désiré est susceptible d’être dangereux pour soi-même ou pour

autrui, et que la paire « désir-danger » nécessite la formulation d’interdits »

(2004, p. 8). Ceci expliquerait en quoi la notion de risque soit indissociable de

celle des limites. Nous faisons l’hypothèse que le « jeu du foulard » s’inscrit

dans cette logique. Pour nous, l’ignorance accroit les risques. Une

connaissance plus affinée permettrait aux pratiquants de s’imposer des limites

qui, in fine, les exposeraient moins aux pratiques risquées. Dit simplement, il

s’agit dans ce cas de prévenir pour mieux guérir. Prévenir à l’école pour guérir

des « dangers » potentiels du collège que représentent les « jeux dangereux ».

L’adolescence est une période propice aux confrontations avec soi et avec les

autres. Il existe dans cette période-là un besoin fort d’éprouver ses limites. Pour

Pommereau, le terme « éprouver » est « ici à saisir dans une double

acception : mettre à l’épreuve, c’est-à-dire tester la solidité et la permanence

des limites internes et externes ; les ressentir, c’est-à-dire les reconnaitre et

admettre leur réalité, qu’elle soit matérielle ou psychique. L’heure des

premières vraies prises de risques – qui constituent autant de vérifications de

ces repères – est bien celle de l’adolescence » (1997, p. 123). Pour se sortir de

l’emprise des parents pour exister en tant qu’individu à part entière,

l’adolescent doit explorer de nouveaux espaces qui, parfois, comportent des

risques. Cette confrontation force à en distinguer les limites. Pour que le jeu de

cette confrontation ne soit pas inégal entre le jeune et une pratique physique à

risques, il conviendra à l’adulte d’apporter toutes les armes de la connaissance

afin que chaque adolescent puisse prendre les mesures de la portée de chacun

de ses actes. Ainsi, le danger serait moindre. Pour Debrot, « mieux sont

représentés les seuils à ne pas franchir et moins l’adolescent est amené à se

mettre en danger pour en ressentir la consistance. Pour l’adolescent, la

question ne se pose pas en terme de respect scrupuleux de tous les interdits,

avec l’objectif de ne prendre aucun risque. L’essentiel est plutôt de donner du

sens à ces interdits, de pouvoir se situer face à eux, et en fonction de cela

expérimenter ou pas ». Ceux qui ne sont pas en mesure de donner du sens aux

pratiques dangereuses sont les plus vulnérables. D’ailleurs l’auteure

ajoute « certains adolescents, incapables de trouver ‒ en eux et autour d’eux ‒

les limites et les étayages susceptibles de donner un cadre à leur existence,

vont jusqu’à se transformer en véritables « têtes brulées », en multipliant les

conduites à risques » (2004, p. 9).

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 89

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

Les résultats ci-dessous abondent en ce sens. Ils montrent combien il

est nécessaire et urgent de mettre en place des actions concertées et communes

de sensibilisation. Nous connaissons ce que les drogues et alcools provoquent

chez les jeunes par le biais des médias et des campagnes de sensibilisation

ministérielles ; malgré cela, les résultats ne sont guère satisfaisants. Le nombre

de morts ou de comas annuels ne diminue pas de manière systématique, bien au

contraire. L’ignorance d’une grande majorité de la population française quant

aux méfaits et même à l’existence des « jeux dangereux » en général et du « jeu

du foulard » en particulier peut laisser envisager une recrudescence de ces

modes de pratique dans les années à venir. Il s’agit bien en l’état d’un

problème national de santé publique qu’il conviendrait de combattre

instamment. En affinant les résultats de la question du tableau 1, l’étude montre

que les risques encourus par ignorance ne s’arrangent pas avec l’âge. En effet,

les adolescents ont à peine plus conscience des dangers que les plus jeunes

enfants. La différence la plus importante entre les 6-11 ans et les 12-15 ans est

portée par la perte de connaissance ou l’évanouissement : 77 % des enfants de

12-15 ans ont conscience de ces conséquences contre 48 % chez les plus

jeunes. En revanche, il n’y a pas de différence significative à propos des

risques mortels, de paralysies ou de convulsions (cf. figure 1 ci-dessous).

Figure 1 : conscience des risques encourus selon les catégories d’âge

(APEAS/IPSOS).

Plus globalement, les résultats des deux enquêtes réunies montrent

clairement qu’un tiers des enfants et adolescents connaissent mal les risques

auxquels ils s’exposent en pratiquant un jeu d’apnée ou d’évanouissement.

Cette proportion n’inciterait-elle pas à la mise en place de mallettes

pédagogiques pour aider les enseignants, par exemple, à aborder la délicate

question des « jeux dangereux » à l’école ?

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 90

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

CONCLUSION

Le « jeu du foulard » et le « jeu de la tomate » sont les jeux les plus connus

des jeux d’apnée ou d’évanouissement. C’est principalement à l’école

élémentaire, dans les cours de récréation ou les toilettes, que les enfants

découvrent pour la première fois ce type de jeux. Le mode de transmission ou

de découverte se fait par l’intermédiaire d’un copain (71 % de ceux qui

connaissent un jeu). 10 % d’entre eux ont réellement joué à des jeux d’apnée

ou d’évanouissement. Ce résultat nouveau doit appeler à la plus grande des

vigilances : nous l’avons vu, l’enquête arrageoise montre que ce sont un peu

plus de 19 % de jeunes enfants qui ont pratiqué au moins une fois le « jeu du

foulard ». Le nombre de pratiquants a donc quasiment doublé en moins de cinq

ans. Dans la même lignée, les résultats d’une récente thèse en médecine sur

« Pratique des jeux d’asphyxie en milieu scolaire chez les jeunes enfants »

(2014) de Caroline Cortey dirigée par Isabelle Claudet23

, confirment la

tendance observée sur la circonscription d’Arras 124

. Ces deux enquêtes

montrent que nous devons considérer, avec la plus grande vigilance, les

hausses respectivement observées dans deux régions françaises diamétralement

opposées. Ces résultats en progression ne peuvent être le fruit du hasard.

Enfin, il semble que ce soit davantage les garçons qui tentent l’expérience

que les filles25

. C’est essentiellement à partir d’un effet de mode, « pour faire

comme les copains », que la mise en jeu du corps dans ce type d’expérience se

réalise. L’élément le plus troublant s’exprime par le fait qu’une majorité des

enfants ne soit pas consciente des risques encourus (51% IPSOS/APEAS).

Dernier élément troublant ressortant de l’enquête d’Arras est la proportion des

pratiquants à jouer « seuls » à la maison au « jeu du foulard » : en effet, le

caractère solitaire de cette pratique renforce l’exposition au danger de mort. D’une manière générale, l’enquête montre combien les enfants des écoles

sont exposés aux jeux d’apnée ou d’évanouissement. Malgré la prise de

conscience des institutions (B.O. du 5 janvier 2012), puisque l’interdiction des

« jeux dangereux » au cycle 3 a été intégrée dans la compétence « estime de

soi », le chemin n’est pour autant pas abouti. Il reste toute l’action pédagogique

des acteurs du système éducatif à mettre en ordre de bataille afin que les

enfants apprennent à se protéger, à dire non et surtout à connaître la

dangerosité de telles pratiques. Il conviendrait donc de former les futurs

23

Responsable « Equipe médicale des Urgences Pédiatriques » l’hôpital de Toulouse. 24

Auprès de 1023 enfants répondants d’une moyenne d’âge de 8,2 ans, l’auteure observe

« une prévalence de 40% de pratiquants parmi les interrogés. Les trois jeux les plus connus

sont : le jeu de la Tomate (65 %), le jeu du Foulard (61 %), Jouer à s’étrangler (58 %) – Les

trois jeux les plus pratiqués sont les mêmes respectivement 59, 50 et 26 % ». Cette enquête

relève également une augmentation, bien plus élevée que celle que nous observions avec

l’enquête d’Arras 1 (un peu moins de 20 %), par rapport aux résultats de l’enquête IPSOS de

2011. Le caractère fortement accentué de ces résultats incite à la prudence. 25

Observation également faite dans l’enquête de Caroline Cortey

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 91

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

enseignants à la sensibilisation des pratiques dangereuses26

. Il s’agit bien de

fait d’une question de formation. C’est au travers des Ecoles Supérieures du

Professorat et de l’Enseignement (ESPE) qu’une réponse émerge : en effet,

former l’ensemble des futurs professeurs permettrait, sûrement à terme, de

canaliser le phénomène inquiétant de la pratique des « jeux dangereux ».

Par ailleurs, le nouvel esprit de « culture commune », impulsé par le

ministère, est une mise en œuvre opportune pour répondre et faire face au

problème des « jeux dangereux » dans la mesure où la sensibilisation aux

pratiques dangereuses pourra s’effectuer de l’école primaire au lycée.

L’interdisciplinarité peut à cet égard constituer un bon levier pour la mise en

œuvre pédagogique du principe de sensibilisation : par exemple, les

enseignants peuvent travailler la question de l’apnée à travers les sciences et

notamment le phénomène physiologique de la respiration en cycle 3. L’EPS

permettrait aussi de travailler le concept de respiration à partir d’un travail

mené dans différentes Activités Physiques Sportives ou Artistiques (APSA)

telles que la natation ou la course de longue durée. L’approche

interdisciplinaire permettrait ainsi de ne pas affronter directement le sujet par

une entrée à partir des « jeux dangereux ». Il ne s’agit pas de transformer une

sensibilisation sensée protéger les enfants en « guide technique » qui exposerait

tous les enfants (initiés et non-initiés) à des dangers certains. Nous le pensons,

confortés par les résultats de notre enquête, la sensibilisation aux risques des

pratiques des « jeux dangereux » constitue le moyen le plus efficace dans la

lutte contre des violences inter et intra-personnelles d’une part, et la possibilité

de voir baisser le nombre de pratiquants d’autre part. Maîtriser le phénomène

nécessite d’en connaitre ses contours. La sensibilisation doit faire l’objet d’un

travail réfléchi et organisé en progression dans le cadre des apprentissages,

l’instruction civique et morale (ICM) est une autre piste27

.

Dans le cadre des actions pour prévenir les violences à l’école et améliorer

le climat scolaire, le ministère de l’éducation nationale a mis en place des outils

concrets pour accompagner les démarches éducatives des enseignants. Ainsi,

un site Internet collaboratif dédié au climat scolaire propose des ressources en

ligne ; un guide28

pratique est à la disposition des professionnels ; des

« groupes académiques climat scolaire » et « lutte contre le harcèlement » ont

été créés dans toute la France. Des personnels sont à la disposition des équipes

éducatives, au niveau des rectorats, pour apporter leurs connaissances et leur

aide technique sur tous les problèmes relevant des violences à l’école. Nous le

constatons, les autorités prennent le sujet à bras le corps afin d’aider les

26

A partir de la rentrée 2014/2015 les « jeux dangereux » seront intégrés dans la maquette

de formation des futurs professeurs des écoles de l’ESPS Lille Nord de France. 27

Cf. BO n°1 du 5 janvier 2012, p.30/34 28

Guide d’intervention en milieu scolaire (2007), Jeux dangereux et pratiques violentes,

Ministère de l’éducation nationale ; Direction générale de l’enseignement scolaire ; Bureau de

la santé, de l’action sociale et de la sécurité. CNDP.

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 92

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

enseignants qui se sentent démunis dans la mise en place d’action de

prévention, de sensibilisation ou de protection dans le cadre de la lutte contre

les violences à l’école.

Certes, la sensibilisation n’évitera pas les risques de pratique mais, à

l’inverse, l’absence d’action pédagogique de prévention ne permettra pas

d’affaiblir un phénomène que nous estimons en expansion. Il est important que

les équipes éducatives s’inscrivent plus généralement dans un travail qui vise à

améliorer le climat scolaire29

. C’est pourquoi nous préconisions plus haut que

le travail de formation des personnels devait se faire auprès de toutes les

professions de l’éducation nationale, allant aussi bien du chef d’établissement

qu’aux personnels d’animation des activités périscolaires ou des agents de la

cantine. Au-delà de l’éducation nationale, ce sont tous les personnels de

l’éducation en général et de la santé qui sont aussi concernés : ainsi, les

formations BAFA et BAFD, les entraineurs des clubs sportifs, les médecins

urgentistes pour préciser les bilans diagnostiques d’admission, les étudiants des

ESPE, les CPE des collèges/lycées, les infirmières, les psychologues… Aux

trois propositions faites par Pommereau, nous y en ajouterons une quatrième :

la gestion des espaces des cours de récréation. Nous pensons que la régulation

de l’utilisation des espaces de jeux des cours des écoles permettrait de limiter

significativement la violence en général et donc de la pratique des « jeux

dangereux » en particulier.

Trop de personnels de diverses institutions éducatives ignorent les

conditions et modalités de mise en œuvre des « jeux dangereux » et encore trop

d’acteurs et responsables institutionnels ferment les yeux sur ces pratiques.

Bien souvent l’inaction est guidée par la peur du fait d’une méconnaissance

profonde du phénomène des « jeux dangereux », qu’il conviendrait de nommer

autrement. Gageons que les résultats de nouvelles enquêtes, comme celles du

docteur Isabelle Claudet de l’hôpital de Toulouse, puissent convaincre les

acteurs les plus réticents de l’ensemble du système éducatif, de l’impérieuse

nécessité de sensibiliser les élèves aux risques des pratiques violentes et

dangereuses, ne serait-ce que pour les protéger…

29

http://www.reseau-canope.fr/climatscolaire/accueil.html

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 93

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

BIBLIOGRAPHIE

Aubron, V., Puper-Ouakil, D., Mouren, M.-C., & Michel, G. (2008). Études

des liens entre conduite à risques et hyperactivités, in congrès de la Société

française de psychologie, du 10 au 12 septembre 2008, Bordeaux.

Aubron, V. (2009). Les Conduites à risques et le trouble déficitaire de

l’attention hyperactivité (TDAH) chez l’enfant et l’adolescent : l’exemple

des jeux dangereux, thèse de doctorat en psychologie clinique et

psychopathologie, université Victor-Segalen Bordeaux 2, soutenue le 24

novembre 2009.

Beckett, S. (1952). En attendant Godot. Paris : les éditions de Minuit.

Bour, Y. (2008). Des pratiques corporelles entre ludisme et ritualité : danger

et violence à l’adolescence, in Rémi Casanova et Alain Vulbeau (dir.),

Adolescences,entre défiance et confiance, Nancy, Presses Universitaires de

Nancy, 154-162.

Breton, D. (2002). Conduites à risque. Paris : PUF.

Caillois, R. (1958). Les jeux et les hommes. Paris : Gallimard.

Canada, G. (2001). Etats-Unis : des enfants et des armes, Traduction française

Blaya, C. & Mancel, C., Paris : ESF, collections Confrontations.

Carra, C. (2009). Violences à l’école élémentaire. Paris : PUF.

Corrêa Guedes, A. (2010). Hypoxiphilie : trois cas dont un double in « Jeu du

foulard et autres jeux d’évanouissement. Pratiques, conséquences et

prévention », Cochet F. (dir.). Paris, L’Harmattan.

Cortey, C. (2014). Prévalence des pratiques asphyxiques chez des enfants en

classe de CE1 et CE2 dans le département de la Haute-Garonne, thèse

d’exercice en médecine spécialisée. Université de Toulouse III – Paul

Sabatier.

Debarbieux, E. (1996). La violence en milieu scolaire, un état des lieux. Paris :

ESF.

Debarbieux, E. (1998). La violence à l’école en France : 30 ans de construction

sociale de l’objet (1967-1997). Revue Française de Pédagogie, 123, 93-

121.

Debarbieux, E., Montoya, Y., Blaya, C., Dagorn, J., & Rubi, S. (2003). Micro-

violences et climat scolaire : évolution 1995-2003 en écoles élémentaires et

en collèges. Rapport au ministère de l’éducation nationale.

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 94

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

Debarbieux, E. (2006). Violence à l’école : un défi mondial ?. Paris : Ed.

Armand Colin.

Debarbieux, E. (2011). À l'école des enfants heureux... enfin presque. Une

enquête de victimation et climat scolaire auprès d'élèves du cycle 3 des

écoles élémentaires. Unicef France.

Debrot, V. (2004). Le jeu du foulard, une conduite à risque adolescente : en

quête de sensations…en quête de sens à soi. Mémoire de recherche en

sciences de l’éducation, 64, université de Neuchâtel, 61 p.

Enquête IPSOS (2007), « Notoriété et pratique du jeu du foulard », Enquête

IPSOS Public Affairs / APEAS.

Enquête IPSOS (2011), « Connaissance et pratiques du « jeu du foulard » et

autres jeux d’apnée ou d’évanouissement chez les enfants âgés de 6 à 15

ans », Enquête IPSOS Public Affairs / APEAS.

Huerre, P. (2007). Les jeux dangereux et les pratiques violentes. Prévenir,

intervenir, agir. Rapport d’un groupe de travail sur la prévention de la

violence. Direction générale de l'enseignement scolaire – MENESR.

Document Eduscol.

Huizinga, H. (1951). Homo Ludens, essai sur la fonction sociale du jeu. Paris :

Gallimard.

Le Breton, D. (2002). Des jeux de mort au jeu de vivre. Paris : PUF.

Michel, G. (2006). Les jeux dangereux et violents chez l’enfant et l’adolescent

: l’exemple des jeux d’agression et de non-oxygénation. Journal de

pédiatrie et de puériculture, vol. xix, 8, 304-312.

Parlebas, P. (1999). Jeux, sports et société. Lexique de praxéologie motrice,

Paris, INSEP.

Pelladeau, E., & Coslin, P. G. (2013). Le jeu du foulard pourrait-il conduire de

l'ordalie à l'addiction ? Perspectives Psy, 4(52), 355-365.

Pommereau, X. (1997). Quand l’adolescent va mal, l’écouter, le comprendre,

l’aimer, Mesnil-sur-L’Estré, France, J.-C. Lattès.

Pommereau, X. (2001). L’adolescent suicidaire. Paris : Ed. Dunod.

Purper-Ouakil, D., Wohl, M., Cortese, S., Michel, G., & Mouren, M.-C.

(2006). Le trouble déficitaire de l’attention hyperactivité chez l’enfant,

Annales médico-psychologiques, 164, 63-72.

Les « jeux dangereux » en cycle 3 : état des lieux au service d’une politique 95

de sensibilisation et de prévention des risques encourus avant l’entrée au collège International Journal of Violence and Schools – 16 – Octobre 2015

Porchet, P.-A. (1995). Toxicomanie : les dépendances de la souffrance et les

souffrances de la dépendance, in rapport d’activité du Drop-In de

Neuchâtel, Neuchâtel.

Rainis, M. (2001). Histoire des clubs de plage au XXe siècle. Paris :

L’Harmattan.

Resnick, H. (1972). Herotized repetive hangings : a form of self-destructive

behavior, in Am J psychother.

Romano, H. (2012). L’enfant et les jeux dangereux. Paris : Ed. Dunod.

Rubi, S. (2005). Les Crapuleuses. Délinquance et déviance des filles de

quartiers populaires. Paris : PUF.

Sade (1973). Justine ou Les malheurs de la vertu. Paris : Le livre de poche.

Zuckerman, M., & Cloninger, C.-R. (1996). Relationships between

Cloninger's, Zuckerman's, and Eysenck's dimensions of personality.

Personality and Individual Differences, 2(21), 283-285.