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REPUBLIQUE DU CAMEROUN REPUBLIC OF CAMEROON ELECTRICITY DEVELOPMENT CORPORATION Electricity Development Corporation _ Société à Capital Public _ Capital social : 5 000 000 000 FCFA Siège social : BP 15 111 Yaoundé _ Tél. : +(237) 22 23 19 30 - 22 23 10 89 _ Fax : +(237)22 23 11 13 Site web : www.edc-cameroon.com _ Mail : [email protected] RC/YAO/2008/B/1227 _ N° contribuable : M1106000025048Z LES MBORORO DU LOM-PANGAR Mission sociologique (Banque mondiale/EDC) Christian Seignobos (IRD) 23 février 2011 Public Disclosure Authorized Public Disclosure Authorized Public Disclosure Authorized Public Disclosure Authorized Public Disclosure Authorized Public Disclosure Authorized Public Disclosure Authorized Public Disclosure Authorized

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REPUBLIQUE DU CAMEROUN REPUBLIC OF CAMEROON

ELECTRICITY DEVELOPMENT CORPORATION

Electricity Development Corporation _ Société à Capital Public _ Capital social : 5 000 000 000 FCFA Siège social : BP 15 111 Yaoundé _ Tél. : +(237) 22 23 19 30 - 22 23 10 89 _ Fax : +(237)22 23 11 13

Site web : www.edc-cameroon.com _ Mail : [email protected] RC/YAO/2008/B/1227 _ N° contribuable : M1106000025048Z

LES MBORORO DU LOM-PANGAR Mission sociologique

(Banque mondiale/EDC)

Christian Seignobos (IRD)

23 février 2011

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Ce rapport, issu de la mission sur le terrain du Lom-Pangar en février 2011, a

pour but de répondre aux questions posées par l’O.P. 4.10. Les Mbororo, dans le Lom-Pangar, ne souscrivent à aucun des critères tels qu’énoncés par la Banque mondiale, qui feraient d’eux un peuple autochtone. L’étude du système d’élevage et de transhumance des Mbororo fait apparaître une grande disparité de situations, mais globalement on se trouve en présence d’une société pastorale en crise et qui s’appauvrit. Le barrage va, indéniablement, créer une nuisance supplémentaire : perte d’un pâturage d’inondation exceptionnel, les na’d’dere du Lom, d’une part, gêne de circulation du bétail par disparition des gués, d’autre part. Dès lors, il convenait de leur trouver des mesures d’atténuation spécifiques, ce qui a été intégré dans cette même mission. Ces propositions de mesures d’atténuation ont dû s’adapter à la situation sociale qui prévalait dans le cadre de la future retenue. Elles seront plus globales pour la centaine de familles mbororo impactées par la retenue, mais qui ne veulent pas se désolidariser de leurs voisins et parents transhumants. Ces mesures sont versées au PIR/barrage. Quant au compte-rendu même de la mission, que l’on m’a demandé d’étoffer, il apporte, outre les étapes de ma réflexion sur le sujet, un certain nombre de données qui appuient ou illustrent le corps du rapport.

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Les communautés Mbororo du Lom-Pangar

L’histoire des grandes fractions Mbororo contenue dans mon rapport de démarrage

de février 2010 apportait en elle-même une partie des réponses concernant leur qualification selon l’OP 4.10 Indigenous people (B.M.). Le rapport signalait les grands parcours, les principales étapes et les dates clés de certains séjours par rapport au périmètre du site de la retenue du Lom-Pangar. Les trois cartes (migrations Wodaa’be, Jaafun et Aku) s’avèrent très explicites, aucune trajectoire migratoire n’a touché la région avant la pré-indépendance du pays.

Une mission sur le terrain devait le préciser. Nous reprenons les quatre principaux points de l’OP 4.10.

1. Les intéressés s’identifient-ils comme appartenant à un groupe culturel autochtone et reconnu comme tel par d’autres ?

Si les Mbororo s’identifient facilement et répondent à des caractéristiques culturelles et économiques spécifiques, les populations voisines leur dénient toute ancienneté et ce même si nous sommes dans une région où toute autochtonie est relative.

Les populations d’agriculteurs Gbaya (Laï, Doka et Yayuwe) de la région de Bétaré-Oya ne cessent de rappeler aux Mbororo leur statut de nouveaux venus1

1 Les Gbaya v iennent de l’Est. Ceux venus les premiers dans la région de Bétaré-Oya seraient originaires de Baboua, accompagnant comme chasseurs un groupe de Hausa au tout début de la période coloniale. Ensemble ils s’installent dans une région alors vide.

. Ils les désignent comme des « venants » et leur ont donné l’appellation de Wari-wari (du fulfulde, la langue peule war = viens). Les Gbaya le signalent avec insistance à chaque conflit sur la terre. Par exemple les familles Mbororo parties en transhumance revenant

Durant le XIXe siècle la zone avait subi les razzias des deux puissants lamidats peuls de Tibati et de Ngaoundéré. La population autochtone mbum au nord du Lom qui était en lien avec les Kepere était clairsemée. Après le soulèvement des Gbaya (« la guerre de Karnou », contre l’administration coloniale) à la fin des années 1920, les Gbaya accentuent leur progression vers l’ouest phagocytant les Mbum. Aujourd’hui ils poursuivent leur avancée, toujours vers l’ouest, à Ngaoundal et à Tibati. Ainsi les Gbaya seraient arrivés dans la région du Lom-Pangar, pour la plupart quelque trente à quarante ans avant les Mbororo ; ce que ces derniers ne manquent pas de leur rappeler.

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sur leurs campements à bétail (waalde) de départ les voient occupés par des cultivateurs gbaya qui reprennent ces emplacements enrichis par le bétail pour cultiver maïs et légumes. Les Mbororo cèdent alors systématiquement la place pour reconstruire leur waalde ailleurs.

Mbororo et Gbaya ne vivent pas moins une sorte de symbiose économique. Les Mbororo animent la totalité des marchés où se commercialise la viande de leur bétail et où les femmes écoulent le lait. Ils achètent la production de maïs, de manioc et de légumes des Gbaya Dans les vi llages Gbaya du bord des routes, les Mbororo construisent de plus en plus des maisons alors que les jeunes ouvrent de petites boutiques. Ils conservent néanmoins leur waalde à quelques kilomètres de là.

2. Le groupe est-il collectivement attaché à des territoires ancestraux géographiquement délimités situés dans la zone du projet ?

Les chroniques administratives locales, celle des assesseurs des tribunaux et des

représentants des éleveurs de Bétaré-Oya, celles également des différentes communautés mbororo font remonter l’arrivée des éleveurs mbororo dans la région à 1955 – 19562

.

Le premier fut Ardo Mamuda, un Mbororo aku parti du nord de Meiganga. Il ne resta qu’une saison, chassé par les mouches (3 types de glossines = silongji). Une deuxième tentative toujours conduite par Ardo Mamuda avec deux autres Ardo’en A. Bakana et A. Jay, tous aku, eut lieu depuis Garoua-Boulaï. Toutefois la pression glossinaire à partir des forêts galeries se révélait une contrainte majeure. Ils ne purent rester.

L’administration coloniale et les services de l’élevage les encouragèrent alors à venir dans la région de Bétaré-Oya en leur fournissant gratuitement des produits vétérinaires et en pratiquant des pulvérisations systématiques des forêts galeries le long du Lom. Au moment de l’indépendance en 1960 de petits groupes mbororo sont installés autour de Bétaré-Oya à Ndokayo, Mbéri, Bézéké et près du fleuve à Nakoyo.

On enregistre par la suite l’arrivée de plusieurs vagues successives. On retient surtout l’arrivée de grandes familles à la tête de nombreux troupeaux (tokke). Celle d’Ardo Tumbaw par exemple, un Aku qui s’installe à Ndokayo avant la mise en place du vaste ranch de la SODEPA. Il sera suivi par Alhadji Galdima, un Wodaa’be venu de Tibati et qui s’installe à Mali.

2 Hadj Kassimou Aboubakari de Bétaré-Oya représentant des éleveurs à la sous-préfecture. Les Ardo’en mbororo = Alhadji Garga de Bétaré-Oya (Aku), Ardo Moussa de Ndokayo (Aku), A. Abdoulay Rago de Mborgéné (Aku), Ardo Nuo Jibbo de Borongo (Jaafun). Lamido Sale de Mabélé II (Aku). Alhadji Oumarou de Zembé (Wodaa’be). Alhadji Hamidou Hari de Danpatou (Aku) …

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Les années 1970 connaissent un nouvel afflux, conséquence de la période de

sécheresse de 1973 dans la zone soudano-sahélienne, Ardo Aliuta et Alhadji Ballu arrivent à cette époque. Par la suite, arrivées et départs sont continus.

De 2005 à 2007, ce sera la venue des réfugiés de RCA. Des regroupements affinitaires vont avoir lieu par exemple Ardo Alhadji Oumarou regroupe les Wodaa’be alors que Lamido Sale héberge les Aku …

Même si de nombreuses familles (suudu) wodaa’be et jaafun sont représentées dans la région, les Mbororo majoritaires sont les Aku, qui possèdent les bœufs blancs.

La région du Lom-Pangar ne constitue pas un territoire pastoral délimité. C’est une zone d’étapes pour de nombreux éleveurs venus du nord (versant méridional de l’Adamaoua et de la région de Meiganga). En plus des Mbororo, on compte des Ful’be3

et des Mayiine, groupe d’éleveurs intermédiaires entre Mbororo et Ful’be.

3. Les institutions culturelles, économiques, sociales ou politiques traditionnelles du

groupe sont-elles dissemblables de celles de la société et de la culture camerounaise ?

Elles sont naturellement dissemblables de celles des populations d’agriculteurs de la

région depuis leur encadrement politique (traditionnel) jusqu’à leur culture matérielle en passant par les structures sociales, les Mbororo appartiennent à une aire culturelle d’éleveurs transhumants supraétatique qui va du haut sahel jusqu’aux blocs forestiers guinéens, la limite écologique de leurs troupeaux.

Leur mode d’organisation politique est dominé par le pouvoir des Ardo’en, les chefs qui conduisent plusieurs groupes familiaux en transhumance et lors de migrations. Les Ardo’en sont toujours à l’interface de leur communauté et du monde extérieur. Un grand Ardo qui a plusieurs autres ardo’en sous ses ordres peut être appelé Lamido comme chez les Ful’be. L’Ardo désigne un Sarkin saanu, le notable pour le bétail. Les services de l’élevage feront de certains d’entres eux des surveillants d’épizooties.

Les Ardo’en mbororo sont administrativement soumis aux chefferies de canton mises en place durant la période coloniale et entièrement aux mains des Gbaya : canton Yayuwe, canton Laï (Bétaré-Oya), Bodomo (Garga Sarali), Mararaba, Bitom.

3 Les Fu l’be dans le nord du Cameroun sont les Peuls qui ont conquis de vastes espaces à travers l’Empire de Sokkoto au début du XIXe siècle.

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Les Mbororo sont présentés comme « le poumon des communes rurales ». Ils s’acquittent de taxes surtout, depuis l’achat et la vente de bétai l, la vente d’animaux de boucherie sur les gros foirails qu’ils ont créés dans la zone : Tiké à Ndokayo, Zembé à Borongo, Garga-Sarali, Danpatou… Ils subissent des prélèvements divers et continus de la part de différentes administrations.

Les Mbororo obéissent à un code moral le pulaaku qui s’accommode d’une islamisation ou plutôt un affermissement dans l’islam depuis deux décennies qui les transforment peu à peu en « Peuls de vi llages » = Ful’be. Les Mbororo auraient tendance à intégrer par ce biais la culture dominante des provinces septentrionales du Cameroun.

4. Les membres du groupe parlent-ils un idiome différent de la langue officielle de la région ?

Les Mbororo du Lom-Pangar parlent une langue différente de celles des populations

de la région (Kaka, Kepere, Pol, Gbaya..). Ils s’expriment en Fulfulde qui lui-même appartient à l’ensemble de langues peules (groupe atlantique, famille Niger-Congo) qui va du Sénégal au Soudan. Dans le nord du Cameroun, i l s’apparente étroitement à celui des Ful’be. Il y a intercompréhension. Ce parler ful’be est également au Cameroun la langue véhiculaire d’une aire qui s’étend de Mora au nord jusqu’à l’Adamaoua, au sud de Ngaoundéré, les Mbororo du Lom-Pangar se situant à l’extrémité méridionale de cette zone.

Les Mbororo du Lom-Pangar ne sont pas, à l’évidence, éligibles à la qualification de peuple autochtone selon la grille de classification de la B.M4

.

Toujours pour rester dans le système classificatoire de la Banque Mondiale, nous nous sommes orientés vers ce qui pourrait le mieux convenir aux Mbororo du Lom-Pangar en les désignant comme « groupe pastoral fragilisé ».

Ils le sont à la fois par les contextes englobants mais bien entendu par la présence de la retenue qui entraînera une réduction, voire la disparition des zones de pâturages stratégiques et une désorganisation générale des circuits de transhumance.

C’est ce que nous allons essayer de documenter avant que d’exposer les mesures d’atténuations proposées.

4 Par ailleurs, nous avons signalé dans une note préliminaire et confidentielle de novembre 2009, dans celle du 3 juillet 2010 et encore dans un rapport de janvier 2011 ce que la désignation de « peuple autochtone » pouvait poser de problèmes dans la région et au plan national au Cameroun.

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Le système d’élevage des Mbororo du Lom-Pangar et l’impact de la retenue

Nous envisageons les formes de transhumance, les pâturages clés, la composition des troupeaux avant d’aborder la crise du monde pastoral mbororo.

1. Les formes de transhumances

La zone du Lom-Pangar appartient au système de transhumance du revers méridional de l’Adamaoua qui englobe des éleveurs ful’be et mbororo. Les éleveurs de Banyo, de Tibati et de Ngaoundal descendent pour la saison sèche vers le sud-est. Ils croisent alors au niveau du Lom d’autres écheveaux de transhumance en provenance de Rey et de Meiganga et qui pratiquent une résultante plus nord-sud. A cela s’ajoutent des mouvements de bétail plus modestes venus de la frontière de la RCA, émanant de colonies de réfugiés de RCA ayant conservé du bétail. Les réfugiés envoient également leurs reliquats de troupeau en direction du sud-ouest de la RCA vers Berberati ou vont rejoindre des familles apparentées disséminées de Yoko à Ntui, sur des pâturages guinéens au contact forêt-savane.

- L’intérêt pastoral de la région repose essentiellement sur les pâturages d’inondation du Lom, les na’d’dere. Selon les éleveurs, ils sont utilisés de trois à cinq mois après le retrait des eaux.

La plupart de ceux qui disposent d’un certain cheptel opèrent une transhumance par degrés ou en échelle. Une fois le sureeji composé - il s’agit d’un lot de bétail, animaux faibles et vaches lactantes, devant rester au campement ou village d’attache - le départ vers le sud est décidé.

Soit le gros du troupeau descend en même temps, soit les départs vont s’échelonner. Les bœufs bons marcheurs, les bo’deeji partent les premiers aux mains des bergers les plus entreprenants. Ils ne feront qu’un bref passage sur les na’d’dere du Lom et poursuivront vers Ketté, Kenzou, la Kadei et en direction de Batouri ou de Berberati en RCA.

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La deuxième partie du troupeau composée de daneeji, bœufs blancs, vont eux occuper à la fois les na’d’dere du Lom et utiliser très tôt le regain des interfluves, dès avant les premières pluies.

La troisième partie du troupeau est formée de gudaali et de bakaleeji (croisement taureau gudaali et vaches daneeji ou bo’deeji). Marcheurs médiocres, ils vont, en revanche, rester pendant toute la transhumance sur les na’d’dere. Dès qu’ils sont installés, les éleveurs savent que la saison de la transhumance est bien en place.

- Lorsque les premières pluies vont apparaître, tous remonteront vers le nord pour passer la saison des pluies dans leur zone de pacage spécifique de saison des pluies (ruumirde). Ils le feront de façon toujours opportuniste au gré de l’appétibilité pour le bétail du regain (geene gulde) rencontré.

- Toutefois un certain nombre de familles resteront autour des pâturages du Lom. Elles opèrent donc ici des formes de transhumance de proximité, parfois sur le mode circulaire. Ces derniers particulièrement affectés par la retenue ont été retenus dans le cadre du premier recensement – expert (Oreade-Brèche).

On peut également signaler que chaque groupe d’éleveurs se réserve deux

possibilités de transhumance selon l’état des pâturages, celui du troupeau et les capacités familiales à l’encadrer. Par exemple, certains éleveurs du Lom-Pangar engageront une petite transhumance vers Toktoyo, Sagayni, Ketté, s’arrêtant devant la Kadey ou la Boumbé qui font frontière avec la RCA, ou ils opéreront une grande transhumance qui les conduira à Kenzou, Berbérati et Nola.

Les na’d’dere du Lom

Pour tous les éleveurs, la richesse du Lom se trouve dans ses zones de na’d’dere toujours vertes et aussi dans ses pâturages d’inondation saisonnière (fadamaare). Leur ennoiement va profondément affecter les conditions des éleveurs de la région.

Ce qui fait dire à Lamido Sale de Mabélé II « Ce n’est pas l’argent que nous voulons (c’est) la disparition du na’d’dere qui nous fait le plus mal ». (Na ceede ’be ngi ’di, halkere na’d’dere ‘buri mettugo ‘be). Pour les éleveurs, le jeu des différents niveaux d’eau de la retenue fera disparaître ce pâturage d’exception (na’d’dere watataako). Il s’agit d’associations graminéennes particulièrement riches, qui après retrait des eaux fin décembre vont toujours garder l’humidité et donner sans cesse des repousses.

Les éleveurs se sont rapidement partagés ces espaces. La plus grande superficie de na’d’dere se situant à Lom à l’emplacement du barrage. De Lom à la plaine de Mba,

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on relève un certain nombre de pâturages qui souvent prennent le nom d’un affluent du Lom comme Suwe où se rend depuis 20 ans Lamido Sale ; parmi les plus connus on retient : Boyo, Nanbwi, Luggerewo, Nakoyo, Mali… Ces pâturages inondés, particulièrement attrayants, sont pour les éleveurs des points d’ancrage plus pérennes que les villages de saison de pluies.

Chaque éleveur aménage une place (dabirde) en face de « son » na’d’dere un peu en position élevée et qu’il conservera jalousement. Là, tous les soirs le bétail remontera des na’d’dere pour y passer le nuit. Ce partage s’est effectué au prorata de l’importance des troupeaux occasionnant un certain nombre d’ententes. Sur ces pâturages, on n’a jamais enregistré de conflits majeurs. Certains donc resteront là aussi durant la saison des pluies utilisant les pâturages voisins des interfluves.

Sur les na’d’dere qui sans cesse se régénèrent, la conduite et la surveillance du bétail sont aisées. Les veaux qui naissent ne risquent pas, comme dans les interfluves de tomber dans les ravines (guaruuji). Ils naissent et suivent leurs mères. Les bêtes prennent rapidement du poids et une bonne corpulence (tirtataako) avant de reprendre la transhumance retour.

Ce couvert herbacé aurait mérité une étude. On ne peut que regretter que les pâturages ne fassent pas l’objet d’une attention particulière comme patrimoine collectif et que leur qualité ne figure pas dans la grille des préservations écologiques.

Les éleveurs de la région ont bien observé l’évolution assez peu favorable des pâturages d’une autre retenue, celle voisine de Mbakaou. Ils pensent que les pâturages de bordure de la retenue du Lom risquent de pourrir dans un climat jugé plus humide que celui de Tibati avec une saison froide encore moins marquée. Pour eux le na’d’dere est irremplaçable, il n’existe pas de pâturage de substitution.

Les pâturages des interfluves sur les yoolde (geene diime, g. takamalooji, g. abindal – qui restent à déterminer) seront donc le seul recours. Dès lors les éleveurs reprennent leurs récriminations sur l’irréversible diminution des pâturages. Ils dénoncent leur envahissement par les arbres ou des espèces indésirables. Le surpâturage entraîne le recul des graminées pérennes devant des annuelles incapables ensuite de rivaliser avec les ligneux. En raccourci le discours des Mbororo est le suivant : sur les sols durs de l’Adamaoua, il s’agit d’embuissonnement ; dans la région de l’Est, celle du Lom-Pangar où les sols légers (voire pulvérulents = diggugo) dominent, c’est l’envahissement par Chromolaena odorata (Bokassa Grass). Quant à Spondianthus preussi (kanngoy) et une Ipomoea sp. (layngel) qui croissent dans les parcelles de bas-fonds, les Mbororo de RCA les présentent comme des plantes dangereuses pour le bétail. Selon les éleveurs du Lom-Pangar, elles n’offriraient qu’une toxicité très aléatoire.

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La retenue va également gêner les mouvements de troupeaux dans leur franchissement à l’aller et au retour de transhumance. Il existe de nombreux gués (regorde) sur le Lom. Les trois principaux Dumbaw, Berké et Baguti espacés de 5 et 7 kilomètres seraient remplacés par le pont (double pont ?) de Touraké. Les Mbororo se montrent très réservés sur la largeur du pont et l’utilisation que peuvent en faire les autorités pour un contrôle, qui autrefois leur échappait à travers la multitude des chemins à bétail (burti) et les différents regorde. Ils citent un précédent fâcheux : un passage obligé pour les troupeaux à Jereng, entre Gaoundal et Tibati, où les éleveurs subiraient un racket de la part des Services de l’Elevage, de la commune, de la gendarmerie.

Les Mbororo pensent que la transhumance de l’Adamaoua va se reporter vers la RCA, vers Baboua, ce qui ne manquera pas de renforcer le surpâturage dans toute cette zone frontalière. Une demande annexe de la Banque mondiale concernait les conflits entre éleveurs et leurs résolutions. Je n’ai pas eu connaissance de ce type de conflits dans la région du Lom-Pangar. Les guerres de pâturages (habre geene) qui ont opposé, en particulier, les Jaafun éleveurs de bœufs rouges et les Aku nouveaux venus éleveurs de bœufs blancs ont éclaté dans les années 1930, dans la région de Tibati et de Lomta au sud de l’Adamaoua et ce jusqu’à la deuxième guerre mondiale, poussant l’administration coloniale à intervenir. Chaque groupe accusait l’autre de mal exploiter les pâturages. Lorsque peu à peu, les grands éleveurs ont recomposés leurs troupeaux avec des parts dévolues à d’autres races de zébus (bo’deeji, daneeji, gudaali, mayneeji…), l’exploitation différentielle des pâturages en fonction du comportement des animaux a été reprise au sein d’un même cheptel. Cela permettait de mieux répartir les risques sur des pâturages de différentes natures et selon l’état, forcément changeant, d’une campagne de transhumance à l’autre. Il n’y a pas de conflits – en tous cas majeurs – car les brousses de la zone du Lom-Pangar sont encore immenses et que les rapports entre éleveurs sont régulés par des comportements obéissants à des formes de réflexes déontologiques. Le premier arrivé sur tel pâturage est un ayant-droit qui peut en accorder une part à un deuxième groupe apparu ultérieurement. Lorsqu’un troisième fait irruption, i l contournera la zone, mais si son bétail souffre et présente des traits d’amaigrissement, les deux premiers céderont momentanément la place et poursuivront une descente vers le sud déjà programmée, tous ces gestes étant bien entendu à charge de revanche. Les conflits entre éleveurs et cultivateurs encombrent néanmoins les tribunaux des chefferies de canton et ceux du premier degré des sous-préfectures.

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La composition des troupeaux

Les troupeaux homogènes composés d’un même bétail appartiennent à de grands élevages qui ont eu le temps et les moyens de les sélectionner. Il s’agit des bœufs dits asliiji (hérités de la tradition). Les Wodaa’be et les Jaafun possèdent le fameux bo’deeji, le bœuf rouge ; quant aux Aku, ils élèvent les bœufs blancs purs (daneeji tan) ou des sous-catégories (à oreilles rouges, noires, …). Tous possèdent également un lot de bétail emprunté aux Ful’be de l’Adamaoua, les gudaali ou les adamankeeji de Kontcha appelés encore dewaaji (du nom d’un riche Mayiine qui a créé cette race). La composition des troupeaux correspond à des stratégies de la part de l’éleveur pour faire face aux épizooties et à la sécheresse. Un troupeau composite exprime une répartition des risques. Sarkin saanu et Ardo, comme Abdoulaye Rago de Mborgene, s’en expliquent fort bien. Leur dosage est souvent parfaitement étudié dès le franchissement d’un certain seuil du nombre de bêtes.

Dans le Lom-Pangar, on garde encore des bo’deeji bien que l’animal soit peu approprié au milieu. Il est désigné comme animal d’ornement (naï pawne). Il n’en sert pas moins, à conduire les transhumances, au franchissement de rivières. Les bo’deejum (très rouges) sont vus par les Mbororo « comme des hommes, ils comprennent l’homme, partagent ses angoisses ». C’était le bovin des temps difficiles, celui des fuites devant l’administration ou encore plus récemment, des bandes armées du brigandage transfrontalier.

- Les daneeji, à la différence des bo’deeji, sont des animaux plus rustiques. Ils ne choisissent pas leur pâturage et peuvent subir des pénuries d’herbe. Ils trouvent encore leur nourri ture sur des pacages salis, piétinés (koo saleté majji) et consomment aussi des herbes sèches (huudo ‘yorko) et acceptent également, à la différence des bo’deeji, les feuillages. La « prédisposition » de ces différents animaux peut être quelque peu corrigée par l’éleveur lui-même, selon la manière dont il conduit son élevage.

- Les gudaali et en général tous les bœufs empruntés aux Ful’be sont plus en chair et donnent plus de lait. Ils résistent également mieux sur les pâturages appauvris. La proportion de la part de gudaali et de bakaleeji dans les troupeaux mbororo signe toujours une volonté d’aller vers des formes de sédentarisation. Du reste les Mbororo qui demeurent à l’année sur le Lom-Pangar offrent ce type de troupeau. J’ai pu l’observer à Touraké, Mali, Bouli, Ndokayo et Bangbel sous réserve que certains ne soient pas des sureeji laissés à dessein au village.

- La transformation de leurs troupeaux en fonction de stratégies de transhumance soit dans leur relance, soit au contraire dans la réduction des parcours s’applique à des cheptels prospères. Cela est loin d’être le cas pour la plupart des élevages mbororo qui sont plutôt dans une gestion de survie.

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2. Un monde pastoral en crise, l’exemple du Lom-Pangar

Une idée reçue : le Mbororo est riche. Tout le démontre : le passage des transhumances, troupeaux regroupés, « coffre fort sur pieds », des Mbororo qui leur permettent de disposer de disponibilités financières tout au long de l’année, cela leur permet également de circonvenir les administrations, la justice. L’animation qu’ils font régner sur les marchés, la clientèle qu’ils représentent pour les agences Express-Union entretiennent également cette idée.

La réalité est tout autre : s’il existe de grandes familles d’éleveurs riches, la population d’éleveurs est globalement pauvre et elle ne cesse de s’appauvrir ces dernières années.

La paupérisation des Mbororo se comptabilise moins à travers le nombre de têtes de leur troupeau que par sa composition. Après une sécheresse, une épizootie, fièvre aphteuse (mboru), piroplasmose (samoore) ou encore heartwater (gilowa)… le Mbororo tente de reconstituer son cheptel. Il rassemblera des têtes, un peu par opportunisme, n’importe quelles bêtes, pourvu que cela fasse nombre. Comme le dit non sans exagération Ardo Calaldi, Aku de Tongo-Gandima « emporté par le courant, on lui tend un couteau, il le prend pour se sauver » (joolii’do kam, koo liiana la’bi o nangan haa o he’ba, o wurto). Mais quand il s’agit de s’exprimer sur son troupeau et de maintenir son état d’éleveur, rien n’est exagéré pour le Mbororo.

- On assiste donc à un mélange de bétails divers (wala ‘di ngala), daneeji, gudaali, mayneeji, … sans véritable dominante.

- L’appauvrissement apparaît plus encore dans les soins accordés au bétail. Pour ce qui concerne les soins pour la trypanosomose (wadawnde = qui exprime à la fois le milieu où gîtent les glossines et la maladie) les soins préventifs sont aujourd’hui rarement administrés. Seul le curatif est appliqué à la vue d’animaux atteints, généralement au retour de la transhumance.

La paupérisation touche les éleveurs qui, perdant leur bétail se louent comme

simples bergers auprès d’autres propriétaires ful’be ou mbororo. Les salaires des bergers sont toujours aussi bas : un taurillon de deux ans tous les six mois et une somme de 50 000 FCFA. Ils s’engagent pour « faire le commerce de bouche » (rakasa) sur les marchés. Ils jouent le rôle d’intermédiaires pour écouler le bétail, le vendant au prix réclamé par le propriétaire et empochant le surplus. Le convoyage du bétail de boucherie (palke) vers les villes du sud demande une mise de fonds qu’ils n’ont plus. Ils ne serviront alors que de bouviers.

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- Mais le problème des Mbororo est plus profond. Ils subissent une véritable crise de société ; l’autorité des Ardo’en et des aînés est remise en question par les cadets. Par ailleurs, les Mbororo tentent de tenir un équilibre entre religion (diina) et le code moral peul qui les a toujours régis (pulaaku). La « connaissance » (andal nasti) conférée par l’islam transforme peu à peu la gestion du patrimoine. L’héritage s’aligne de plus en plus sur la charia d’abord chez les Jaafun et depuis 30 ans chez les Aku et même chez les Wodaa’be. Cela aboutit souvent à un émiettement du patrimoine-bétail.

- Les familles mbororo sont aujourd’hui devenues pléthoriques. Les femmes chargées d’enfants, assidues dans les centres de santé et pour les campagnes de vaccination, refusent de partir en transhumance. Elles pèseront désormais sur le choix de formes de sédentarisation, or elles étaient particulièrement actives dans l’accompagnement des bergers sur les pâturages de saison sèche. Mais ce peut être aussi les jeunes qui refusent les longues et pénibles transhumances.

Les Ardo’en comme Nuhu Jibbo de Borongo voient leurs fils se distribuer en

plusieurs catégories. Il y a ceux (les joddo’be) qui suivent une double scolarité : école publique et école coranique, ceux (les ‘diloo’be ladde) qui poursuivent la transhumance, ceux (les ‘diloo’be service) qui réussissent à avoir un emploi rémunéré et enfin la majorité d’entre eux partis à l’aventure (suuki ‘be).

Les jeunes Mbororo ont pris des « jobs » de moto-taxi et sont de tous les chantiers d’orpaillage du Lom. Pendant « qu’ils creusent l’or », i ls gardent un œil sur leur bétail comme les jeunes Gbaya qui, après avoir posé leur batée, vont relever leurs pièges à proximité. Ils prennent, toute la journée, du Tramol et du Valium (venus de Douala et du Nigéria) sans parler du chanvre toujours présent.

De nombreux jeunes Mbororo sont entrés dans différentes formes de délinquance y compris celle armée (zarginaaku) développé en RCA et sur la zone frontalière. La jeunesse (derkaaku) pose un énorme problème aux communautés mbororo. Ce serait pour l’opinion locale une pépinière de voleurs, de coupeurs de route, surtout ceux issus des familles de réfugiés, tenue en respect pour l’instant par le BIR (Bataillon d’Intervention Rapide) fortement implanté à Ketté et à Mombal.

Les Ardo’en et les aînés en général se sentent dépassés (majjugo), comme on le dit d’une bête qui n’arrive plus à suivre le troupeau, devant l’impatience (fam’dugo munyal) de ces jeunes qui affrontent la modernité.

Ainsi une majorité de Mbororo vivote avec des troupeaux qui ne sont plus capables de faire vivre leur vaste maisonnée. Pourtant la majorité des Mbororo cherche à maintenir leur « genre de vie » et sont demandeurs d’appui à leur activité première l’élevage.

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3. Identification des Mbororo requalifiés en « groupe pastoral fragilisé » en

voie de semi sédentarisation, du Lom-Pangar

Les services d’Elevage recensaient en 2004 : 425 troupeaux de 75 têtes chacun, ce qui constitue effectivement la moyenne par tokkere, unité de gardiennage dans les cheptels mbororo, soit un peu plus de 30 000 têtes de bétail. Il ne semble pas qu’en 2010, les chiffres aient varié, même après des sécheresses aussi sévères qu’inattendues (2007–2009) dans la région à cette latitude. Ce cheptel serait comparable à celui de la vallée du Noun vers 1975, avant son ennoyage par la retenue de Bamendjing, avec toutefois une concentration beaucoup moins forte dans l’espace. Ces transhumances mobiliseraient de 8000 à 9000 personnes.

Les Mbororo impliqués seraient donc ceux enquêtés par Oreade Brèche (2005). Il s’agirait d’une centaine de familles, soit entre 500 et 600 personnes, occupant une petite dizaine de waalde distribués autour du Lom. Une partie de ces familles ont reconverti leurs pâturages de saison sèche en pâturages de saison de pluies. Dès lors leurs campements de saison sèche se transforment en villages d’attache. Ils peuvent à partir de là engager une transhumance plus méridionale à deux vitesses, réduite ou longue. Chez les transhumants, même en voie de sédentarisation, l’habitat de référence sera toujours le village d’attache où toute la famille séjourne durant la saison des pluies.

Les Mbororo se trouvent dès lors impliqués dans la PO 4.12 relative aux déplacements involontaires et à l’effritement d’une partie de leur base de production.

Toutefois au vu de la situation sur le terrain du Lom-Pangar en février 2011, ils ne pouvaient faire l’objet d’un nouveau recensement5

des ménages conduisant à décrire les biens et les ressources perdues ou à perdre.

Ma mission du 3 au 10 février 2011 ne permettait pas, dans ce laps de temps de réaliser une telle enquête. Il convient donc de rester dans le PIR barrage (cf. G. Jay) où les Mbororo ont, semble-t-il, été traités comme l’ensemble de la population : sites de waalde inventoriés, arbres fruitiers signalés… Les pâturages ne sauraient entrer dans une quelconque estimation. Le peu d’emprise immédiatement perceptible sur l’espace exploité par l’éleveur donne l’impression qu’il n’existe pas d’aménagement du milieu et que les éleveurs peuvent sans gêne reconduire ailleurs leurs activités. La revendication collective de pâturage peine à entrer dans les critères fondés, c'est-à-dire chiffrables, l’indemnisation de l’éleveur transhumant connaît toujours des difficultés6

.

5 Lors du passage du Bureau d’Etude « Air Développement » en 2009, les Mbororo étaient absents de la région, aussi ne purent-ils être pris en compte par l’enquête. 6 En 2010, on ne prend plus en compte l’UBT (Unité Bétail Tropical), surface théorique dont aurait besoin un bovin de 250 kg, critère commode pour l’expert ise technique, mais peu en phase avec la réalité.

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- Sur place à Bétaré-Oya, nous avons été confrontés à l’existence d’un second recensement sous tutelle du gouvernorat de la région de l’Est ? Il s’est déroulé récemment en 2010 engageant un nombre très supérieur d’impactés par le barrage7

.

Au cours de ma mission, j’ai été assailli par un grand nombre de récriminations dont je ne donnerais que trois exemples :

- Assan Abou, sarkin hausa, chef du « quartier mosquée » à Bétaré-Oya possède une caféière à Bangbel près du Lom qui, dans le premier recensement-expert a été prise en compte et refusée dans le second.

- Pour Ardo Alhadji Garga également de Bétaré, parmi ses gens pris en compte par le premier recensement, la majorité a été écartée dans le second.

- Dès le début de mes enquêtes, le jeudi 3 à Ndokayo, Ardo Moussa, fils du grand Ardo Tumbaw me présentait une lettre de doléances suivie en annexe d’une liste de 60 noms de chefs de famille touchés par la retenue sans commentaire sur le type de dommages projetés. Je m’empressais de ne pas prendre le document. J’apprenais par la suite que 8 Ardo’en mbororo et des chefs gbaya, les plus engagés étant à Ndokayo et dans l’interfluve Lom-Pangar, avaient également constitué des listes de 50 et 80 personnes touchées par la retenue. Elles ont été déposées auprès du Gouverneur lui-même à Bertoua, lequel Gouverneur demanda de « temporiser ». Certains seraient même allés jusqu’à la Présidence. Ces lettres n’étaient pas le produit d’associations, comme Mboscuda qui n’a pas été sollicitée, les intéressés ne désirant pas politiser leurs demandes, elles ont suivi la voie hiérarchique administrative.

En 2008, (Seignobos, rapport sur les réfugiés Mbororo de RCA, HCR – SCAC) et

même lors du recensement-expert en 2005, les attentes des Mbororo n’allaient pas à des compensations financières mais à des soins pour le bétail. Les demandes financières d’aujourd’hui seraient, d’après les intéressés, de pouvoir par ce biais relancer leurs élevages.

Les rumeurs les plus diverses courent : si « indemnisation » il y a, elle ne concernera que les Gbaya, les Mbororo seront écartés. « L’indemnisation » de la

7 Ce recensement aurait été conduit par P.N., Délégué de l’Agricu lture de Bétaré-Oya. Gbaya de Ndokayo. Cela ne faisait pas de lui l’animateur impart ial de ce recensement. Une rumeur insistante l’accuse donc

- d’avoir favorisé les Gbaya au détriment des Mbororo et autres musulmans, - d’avoir enregistré des faux concernant des surfaces cultivées en palmiers, en ananas, des chantiers

d’orpaillage imaginaires… - d’avoir enfin reçu de l’argent pour ces faux enregistrements.

Le gouvernorat lui aurait un temps demandé de réduire le nombre d’impactés mais il ne pouvait faire marche arrière. Il fut alors désavoué et suspendu.

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retenue relève d’ores et déjà du fantasme mais elle favorise une suspicion généralisée qui ne peut qu’aviver les tensions latentes entre communautés.

Je n’avais donc ni le temps, ni surtout la volonté de prendre le risque de rajouter de

la confusion à la confusion.

Compte tenu de mes consultations auprès des Mbororo touchés par la retenue, les propositions de mesures d’accompagnement ne seront pas personnalisées mais devront servir la communauté d’éleveurs locaux impactés, certains brandissant même le distinguo de « natifs ». Toutefois, les intéressés eux-mêmes aimeraient que les réalisations de ces mesures d’accompagnement n’écartent pas totalement les autres éleveurs au sein desquels ils vivent une partie de l’année.

Certaines propositions concernant les mesures d’atténuation ont été écartées. Si la

sécurisation des parcours de bétail et celle des pâturages de saison des pluies (hurum) ont alimenté les demandes prioritaires auprès de projets de développement pendant la décennie 1990 et début 2000 par les Mbororo de la Bénoué, ceux de la région de l’Est n’éprouvent pas ce même besoin. Le mitage du paysage par des parcelles de manioc dans les interfluves et de maïs dans les forêts galeries reste encore très lâche.

Il n’empêche qu’une demande a été réitérée : que soient respectées les décisions de créer des espaces, les uns dédiés à l’élevage, les autres à l’agriculture. Depuis les années d’indépendance, ces décrets préfectoraux ou du gouvernorat n’ont jamais été respectés. Il va sans dire que certaines demandes n’ont pu entrer dans des mesures d’atténuation compte-tenu de leur côté irréaliste comme, par exemple, l’éradication de la Bokassa–grass (l’herbe du Laos) qui imposerait tout un programme de recherche à long terme.

Les propositions retenues vont dans trois directions : - Au cours de cette mission, j’ai eu confirmation que les Mbororo qui affrontent les

pâturages guinéens éprouvent des difficultés à soigner leur bétail. Ne sachant pas lire les notices de prescription, les Mbororo désignent les produits vétérinaires par des couleurs ou certaines appellations : « rouge » (bo’deehi) pour Trypanidium, « jaune » (ooli) pour Veriben, « noir khôl » (baleehi pinaarii) pour Bayticol, « père du corral » (‘baaba waalde) pour Tetracycline…Mais c’est la posologie (doses et rythme des injections notamment) qui serait à revoir et il conviendrait d’entreprendre avec ces éleveurs des séances de recyclage. Après avoir fait le point sur les trois principales épizooties : piroplasmose (samoore), trypanosomose (wadawnde), fièvre aphteuse (joobu ou mboru), que les Mbororo n’arrivent pas à dominer, il conviendrait de voir avec des organismes compétents

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les dernières prophylaxies et les produits disponibles et par quel biais (service de l’élevage – ONG ?) les faire parvenir aux communautés intéressées.

- L’installation d’un dipping tank (bac à détiqueur = wawuru giiwol) permet justement de lutter contre la piroplasmose, la babéliose et aussi la trypanosomose. On le positionne à l’endroit le plus stratégique voulu après débat par les éleveurs consultés (cf. l’échec de la COTCO à Danpatou pour une installation comparable),

- Les Mbororo du Lom-Pangar ont marqué un intérêt certain pour la mise en place

de pâturage artificiel à base de Stylosenthes, de Brachiaria et de Mucuna. Des expériences sont par ailleurs en cours avec des Mbororo à Baturi et Touboro, …

Ces mesures d’atténuation nous semblent indispensables, même si elles ne représentent qu’un coût modeste. Pour la première fois, dans un projet de barrage de retenue, du moins dans la région (cf. barrages de Mbakaou, la Mobé et Bamendjing), les éleveurs transhumants seront pris en compte et échapperont enfin à une forme de discrimination. Les propositions seront développées et intégrées dans le PIR/barrage.

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Méthodologie et déroulement de la mission de

février 2011 La méthodologie a consisté à engager prioritairement la démarche historique afin

de connaître qui étaient ces Mbororo du Lom-Pangar, notamment leurs origines et leurs dates d’installation dans la région. Ce fut l’objet de mon rapport de démarrage de février 20108

Il nous a ensuite fallu « qualifier » les Mbororo selon l’O.P.4.10 de la Banque Mondiale tout en signalant les désignations récentes (2007) données par des ONG avec la caution de certains ministères camerounais. Nous avons replacé ces désignations dans le contexte régional. Cela a impliqué de notre part une note confidentielle dès octobre 2009, reprise et développée dans un rapport intermédiaire d’avril 2010.

, « Eléments d’histoire des Mbororo du Cameroun, pour servir une approche des Mbororo du Lom-Pangar », 40 p.

En janvier 2011, dans un rapport rédigé pour l’atelier de finalisation de Gennevilliers, la qualification des Mbororo comme « population vulnérable » étant difficilement acceptable au vu des présentations faites dans les études préliminaires au projet. Ils étaient présentés – ce qui n’est pas tout à fait faux – comme des éleveurs nantis, apportant de la richesse à travers les différents marchés de la région… Or, la situation réelle de l’élevage mbororo est peu reluisante. Contraint de descendre toujours plus au sud, multipliant ainsi les risques sanitaires pour le bétail, ce mode de transhumance est en crise, crise renforcée par une profonde mutation sociale interne : paupérisation des bergers, fronde des cadets contre les aînés et les ardo’en. Il a alors été nécessaire de présenter les arguments soulignant que la richesse de certains éleveurs masquait l’indigence d’une majorité. La qualification qui s’imposait alors, retenue le 24 janvier 2011, était celle de populations d’éleveurs impactées par le barrage éligibles à des mesures d’accompagnement spécifiques. La confrontation sur le terrain avec les intéressés qui, dès lors, répondaient aux perspectives de l’O.P. 4.12, s’avérait nécessaire et fut ainsi déclenchée à l’issue de l’atelier de finalisation de Gennevilliers (janvier). Nous tenons à signaler que cette mission, qui aurait pu utilement se dérouler avec plus de sérénité dès février 2010, a été reportée pour des raisons indépendantes de la volonté du consultant.

8 Il a fallu collecter des chroniques des différentes grandes fractions mbororo et réaliser une histoire des Mbororo au sud de la Bénoué. Aucun document de synthèse n’étant disponible, nous avons eu recours aux données existantes et à des notes de terrain rassemblées lors de différentes directions de projets de développement et pendant ma mission pour le HCR/SCAC en 2008 auprès des réfugiés mbororo de RCA, aujourd’hui également présents dans le Lom-Pangar.

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La mission dans le Lom-Pangar du 2 au 11 février 2011

Cette mission devait, selon les recommandations issues de Gennevilliers (mai 2010) se dérouler « à bas bruit » compte tenu du climat général d’attente des compensations liées à la retenue. De plus, il convenait d’éviter les grands forums mbororo qui prennent du temps et ne donnent jamais les résultats escomptés. En effet, seuls s’expriment ceux qui ont un poids social. Si l’aréopage est composé des ardo’en, seuls les plus puissants, ceux issus des lignées les plus prestigieuses, vont s’exprimer dans une langue de bois dans laquelle i ls sont experts. Tous les poncifs y seront énoncés, engagés sur leur propre diagnostic. Les Mbororo, peu scolarisés, disposent de trop peu d’élites dans les rouages de l’Etat et subissent donc une marginalisation au niveau économique. Les intéressés eux-mêmes ressassent ce qu’ils vont perdre : un patrimoine de pâturage inestimable pour leur bétail, des chantiers d’orpaillage productifs, qui mêlent Gbaya et Mbororo… Quant au développement futur de la pêche sur la retenue, elle ne favorisera – comme à Lagdo, Mbakaou et ailleurs – que les pêcheurs étrangers rompus aux techniques de pêche sur les retenues… ce discours aboutit invariablement à la question des compensations. J’ai donc dû d’entrée sortir des récriminations stériles et de l’imbroglio des recensements des populations impactées pour échapper à ce que G. Koppert appelle « compensation fever ». La méthodologie employée au cours de cette mission passe naturellement par des entretiens entre le semi-directif et le semi-participatif. Chaque mission induit sa propre méthodologie, que l’on voit d’ailleurs se préciser plus clairement a posteriori. Les missions aussi contraintes par le temps (8 jours pleins) ne peuvent puiser dans les classiques démarches de recherche participative instillées au Cameroun dès le début des années 1990 et qui, aujourd’hui, ont fait florès par le biais d’un flot d’ONG et de bureaux d’études. Elles ont apporté une sorte de novelangue du développement, déjà maîtrisée par une partie des communautés villageoises qui renvoient ainsi leurs propres réponses stéréotypées.

Ces missions courtes se construisent sur une suite d’opportunités qu’il convient de savoir saisir. Pour nous, ce fut la rencontre, au moment des présentations à la sous-préfecture, de Kassimou Aboubakari, intermédiaire depuis de nombreuses années entre l’administration et les éleveurs, et qui, par ailleurs, a longtemps été l’adjoint au maire de Bétaré-Oya. Il s’est immédiatement impliqué dans cette mission.

La seconde opportunité s’est présentée à Bétaré-Oya le mardi 8 février avec la passation de pouvoir entre deux sous-préfets. A cette cérémonie devait participer l’ensemble des ardo’en de la circonscription. J’ai pu ainsi démultiplier les entretiens dans des lieux neutres de Bétaré-Oya. Cela m’évitait de courir inuti lement les campements en brousse, d’autant que des pluies précoces poussaient les dits ardo’en à partir visiter leurs troupeaux plus au sud pour déclencher les remontées et en programmer les modalités. Ce premier tour d’horizon des problèmes globaux et forcément ceux intéressant la retenue du Lom-Pangar et les conséquences sur leur avenir, il a alors été possible de convenir de rendez-vous dans leurs campements de brousse (waalde) respectifs pour recueillir des réponses plus personnelles et rencontrer également de simples bergers et des femmes.

Ces premières rencontres, bien que tactiques, sont cruciales. Cette entrée en matière permet de sonder leur réceptivité à ma démarche. Pour leur part, ils évaluent

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mon ancienneté dans le pays et la connaissance que j’ai de leur société, de leur langue… ce qui déterminera par la suite le degré de confiance.

Quant aux entretiens eux-mêmes, il eut été pour le moins malhabile de

commencer par un questionnement frontal concernant la retenue. Nous n’aurions reçu que des discours convenus et d’entrée véhéments. J’ai donc engagé ces entretiens avec les Mbororo par le sujet qu’ils aiment par-dessus tout : leur bétail et leurs pâturages. Comme pour les premiers entretiens, l’intervention des ardo’en était incontournable et nous avons recueilli les étapes de leurs migrations (peerol) et les récits de leur arrivée sur le Lom (tous éléments à verser à la P.O. 4.10). L’histoire de la constitution de leurs troupeaux est également un thème de prédilection. Quant aux débats sur les épizooties locales, les problèmes de pâturage, les réponses permettaient déjà de documenter la partie sur les compensations et de préciser certaines questions quant à d’éventuelles actions d’accompagnement.

La question de la retenue devait enfin s’imposer, mais ce sont alors nos interlocuteurs qui, spontanément, s’expriment sur le sujet. Ils mettent alors à plat tout leur malaise quant à la disparition de leur capital herbeux et certains font part d’éventuelles stratégies pastorales de substitution pour l’après-barrage.

Ce premier questionnement ne pouvait donc passer que par les ardo’en,

accompagnés chacun de son Sarkin saanu (notable délégué au bétail) et d’éléments âgés de leurs communautés. Il est indispensable de respecter cette hiérarchie sociale. J’ai néanmoins escamoté une procédure trop longue, celle de la hiérarchie administrative, qui m’aurait imposé de passer par les chefs de canton gbaya qui coiffent administrativement les ardo’en mbororo. La rencontre de ces derniers dans un lieu plus neutre, la sous-préfecture de Bétaré-Oya, m’a permis de gagner un temps précieux.

La connaissance que j’ai du monde mbororo, j’entends un peu la langue,

l’excellence de mon interprète rompu à ce genre d’entretien avec les éleveurs devaient faire le reste. Je n’ai retenu de la rhétorique du spécialiste que le minimum afin de ne pas alourdir le texte du rapport en évitant, par exemple, les taxons latins des flores. J’ai retenu, en revanche, quelques phrases clefs des débats en fulfulde. Ce n’est pas de ma part une posture d’autorité que de citer dans la langue, mais pour faire passer plus directement les dires des intéressés.

Déroulement journalier de la mission Jeudi 3 février Passage à la sous-préfecture pour une présentation officielle ; puis à la

gendarmerie qui jouxte le bariki (bureau de la sous-préfecture). J’ai accès, dans ce bureau, à des cartes coloniales (années 1950) sur la répartition des groupes gbaya et le découpage des cantons. Je suis immédiatement mis en relation avec Kassimou Aboubakari, un hausa intermédiaire entre l’administration et les communautés mbororo, qui est assesseur au tribunal de premier degré et fut également adjoint au maire de Bétaré-Oya. Nous établissons un programme de visites aux communautés mbororo impactées par la retenue et d’autres qui ne le sont pas.

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Dès ce jour, je me déplace le matin à Ndokayo où nous sommes certains de rencontrer quelques ardo’en. Nous ferons nos premières rencontres avec Ardo Moussa, un Aku Ba’en, et un aréopage d’une vingtaine de Mbororo, en présence de quelques chefs de quartiers gbaya soupçonneux quant à notre démarche. Dans tout le pays où cohabitent étroitement Gbaya et Mbororo, les Gbaya s’invitent et se mêlent à la conversation lors des entretiens avec les Mbororo. Les Gbaya se veulent maitres de la terre et apprécient assez peu que des intervenants extérieurs s’adressent directement aux Mbororo sans passer par les chefs gbaya. Il y a, de plus, compétition entre Gbaya et Mbororo quant aux compensions induites par le barrage, les Gbaya voulant imposer qu’ils sont les seuls ayants droit. Je plaide ici la spécificité de nos enquêtes auprès des éleveurs.

Dans l’après-midi, nous visitons les archives et les souvenirs de vieux Hausa qui ont gardé la meilleure connaissance du passé de la région. Première visite à un ardo de proximité, installé à Bétaré-Oya, Ardo Alhadji Garga, un Aku Ba’en. Je rode auprès de lui mon questionnaire : histoire de la migration de sa famille, leur arrivée dans la région, composition de son cheptel, utilisation des pâturages, problèmes sanitaires du bétail, relations agriculteurs/éleveurs, relations avec les administrations… et, enfin, la question de la retenue et tout ce qui s’y rattache. Les gens de l’ardo sont particulièrement concernés par la retenue. C’est un homme fin connaisseur de la région, très ouvert et nous lui promettons de venir le revoir pour éclaircir certaines interrogations qui ne manqueront pas d’apparaître lors de nos enquêtes ultérieures. Ardo Alhadji Garga appartient à l’association jaafun-aku « Mboscuda » dont les Wodaa’be se sont retirés pour fonder en 2003 l’association « Abodado ». « Mboscuda », créée en 1992 à Bamenda, est la plus ancienne et la plus représentative. Active avec ses élites lors du projet du pipe line Cotco, mais échaudée par des échecs, elle est absente du projet Lom-Pangar.

Vendredi 4 février Tôt le matin, visite dans la brousse de Bangbel du Sarkin saanu Djibrila Boboy,

un Aku bo’di, et de quelques bergers. On parle composition des troupeaux, posologie des soins pour le bétail. Nous passons en revue le répertoire des épizooties (piye) de la zone. Vient ensuite la dégradation du statut de berger, toujours indexé depuis des décennies sur le même contrat, que nous évoquons dans notre rapport et regrettons le faible nombre d’emplois rémunérateurs liés au bétail et dans lesquels les Mbororo peuvent s’investir et, enfin, on écoute les doléances à propos du barrage.

Sur le chemin du retour, visite de deux quartiers de Mbororo réfugiés de RCA, familles en pleine déréliction et condamnées à l’agriculture9

L’après-midi, visite à Tongo-Gandima auprès de Ardo Calali Adamou et son entourage, que nous connaissons depuis 2008 comme réfugié. Avec lui, je peux aborder plus directement les problèmes de la région et la question du barrage. N’ayant pas encore réussi à reconstituer leurs troupeaux, ils ont un discours plus décalé sur le barrage et nous rapportent les incertitudes qui imprègnent les conversations des éleveurs qui, eux, se trouvent impliqués. Nous rencontrons là des Mbororo qui ont participé à des fêtes récemment commanditées par le HCR près de Bertoua, à Boulembé, les Mbororo sont en effet très demandés comme objets folkloriques. D’autres, en août 2010, ont participé à Mandjou (au nord de Bertoua) à la « journée mondiale des peuples autochtones » sous la présidence de la ministre des affaires

.

9 Rappelons que le canton Laï et Yaouwé (Ndokayo) enreg istre 7400 Mbororo réfugiés de RCA.

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sociales. Les pygmées, co-invités avec les Mbororo, ont fait ensemble le spectacle avec démonstration de danse. Les Aku devant leur public – ils sont le groupe mbororo majoritaire dans la Région de l’Est – ont obtenu un grand succès avec leur danse : le barabal.

Samedi 5 février Avec Kassimou, nous consultons encore les archives et les confrontons aux

« traditions orales » : l’arrivée des Mbororo est maintenant datée (1955-1956) et le rôle de l’administration coloniales et des Services de l’élevage de Bertoua et de Nagoundéré, rôle qui s’est avéré déterminant pour qu’ils se maintiennent sur les pâturages des interfluves touchés par les glossines.

Les registres de justice de Bétaré-Oya ne sont qu’une suite dans fin de conflits pour des champs ravagés par le bétail, de mise à feu pour le regain, feu qui emporte plantations et campements d’agriculture gbaya avec leurs gros greniers à tubercules et maïs perchés sur de hauts pilotis (gam). Toute l’enquête repose alors sur l’endroit de la mise à feu.

Nous passons l’après-midi en compagnie de Ardo Nuhu Jibbo, un Jaafun Ahanko’en et avec son sarkin saanu, Naywa, de quelques bergers au village de Borongo. Nous reprenons le répertoire des questions : migration, composition des troupeaux, épizooties. On recherche des maladies nouvelles ou de nouvelles manifestations de ces maladies, de celles qui, comme la fièvre aphteuse (mboru), semble muter après de mauvaises vaccinations. Nuhu Jibbo est le premier à m’exposer l’intérêt des prairies d’inondation du Lom, bien que lui-même n’y ait pas accès. Au cours de nos enquêtes, l’importance de ce pâturage sur fond humide et qui constamment se régénère, ira en se confirmant. Dans un rapport précédant cette descente sur le terrain, j’avais mal évalué l’importance des pâturages du Lom et je pensais qu’il ne faisait pas système avec des pâturages adjacents de saison des pluies, comme ce fut le cas pour d’autres retenues, celle du barrage de Kainji (Nigeria) en 1968 pour les Peuls-Mbororo de la région de Sokkoto, ou encore celle de Bamendjing pour ceux des hautes terres de Bamenda en 1978… Au fur et à mesure de l’avancée de la mission, les informateurs nous apportaient la preuve que les pâturages inondés du Lom (na’d’dere) constituent la matrice du système de transhumance de la région. De nombreux éleveurs ont commencé à venir en transhumance sur le Lom avant de rapprocher peu à peu leurs villages d’attache de saison des pluies dans la région.

Je regrette alors de disposer de si peu de temps pour relever un échantillon de graminées et consulter la littérature et l’incontournable flore « Les graminées du Cameroun » d’A. Van der Zon (1992). Ce n’était pas non plus le moment des inflorescences qui permettent une meilleure détermination.

Les Mbororo qui sont avec Ardo Nuhu Jibbo présentent une amorce de sédentarisation en village de bordure de route, reproduisant un modèle de sédentarisation amorcée en RCA il y a déjà quelques décennies.

Dimanche 6 février Lamido Sale, de Mabélé II, Mbororo Aku Joranko’en, chef « décisionné » par

l’administration, est sans doute l’Ardo le plus puissant et il compte d’autres ardo sous ses ordres. Même questionnement de départ. Nous essayons ensuite d’en savoir plus sur l’utilisation des na’d’dere, leur composition, leur rôle stratégique à partir de

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l’exemple du sien, celui de Suwé. La retenue va donc lui enlever le pâturage pivot de sa transhumance. Aussi sa question sera-t-elle la même que celle de nombreux autres éleveurs : « maintenant je fais quoi avec mon troupeau ? ».

J’aborde les desiderata des éleveurs. Ici encore, j’avais sous-estimé le besoin en bacs détiqueurs, au motif que les soins de l’éleveur devaient être suffisants. L’éleveur verse le Bayticol sur la ligne du dos de l’animal et pulvérise le Butox sous le ventre de la bête. On m’a alors fait l’éloge du dipping-tank du ranch de la Sodepa. On me commente l’échec de celui de la Cotco à Danpatou. Son besoin ne fera que se confirmer par la suite. Il faut alors construire cet ensemble : tranchée, forage, fosse endoréique… mais où ?

Après une pause, nous abordons la question de l’appauvrissement des Mbororo, de la situation de l’héritage et du partage du troupeau…avec l’évolution récente des pratiques de l’héritage qui s’aligne sur la charia. Les Mbororo ont beaucoup de mal à s’exprimer sur le drame de leur société quant à la délinquance des jeunes.

Lundi 7 février Nous avons rendez-vous au village de Mborgéné chez Ardo Abdoulay Rago, que

nous retrouvons entouré d’une vingtaine des siens. C’est un Aku Ba’en. Même procédure introductive. On revient sur le na’d’dere du Lom, les leurs se situent à Luggerewo et à Nakoyo et se confirme aussitôt le rôle exceptionnel de ces pâturages. Nous avons droit de la part de l’Ardo à un cours magistral sur la gestion des troupeaux et aussi une prospective concernant les choix futurs de transhumance post-retenue.

Description des maladies pour lesquelles les Mbororo se disent « dépassés » : pharmacopée antérieures, dégradation des produits vétérinaires, rôle des commerçants illettrés, ces « pharmaciens de brousse ». L’évocation du dipping-tank provoque l’intervention des vieux qui ont connu ceux mis en place par l’emblématique Dr vétérinaire J. Desrotour en RCA (1955-1970). Emotion. C’est l’époque de la conquête par les Mbororo des pâturages guinéens méridionaux de RCA. Interrogation : où mettre le dipping-tank ? comment le gérer ?

L’après-midi : retour à Bétaré-Oya, rendez-vous avec les ardo’en venus pour la réception du nouveau sous-préfet. Grâce à M. Kassimou, également « président de la commission du pavoisement » de cette cérémonie, on trouve une case-vestibule (zawleeru), celle du chef de quartier hausa, Assan Abou, pour se réunir. Nous nous entretiendrons, séparément d’abord, avec Alhadji Umara, un Wodaa’be Yayanko’en, puis avec Ardo Alhadji Hamidou Hari, Aku Daoranko’en, accompagné de son Sarkin saanu Jubeiru Hamadou, sur la première partie de notre questionnement. Par la suite nous les réunissons sur les problèmes communs concernant les conséquences du barrage et les actions d’accompagnement envisageables pour les éleveurs touchés.

Il faut souligner qu’à aucun moment les Mbororo n’ont présenté la retenue comme un problème unique, ils l’ont toujours englobée dans un faisceau d’autres préoccupations comme l’envahissement des pâturages des interfluves (yoolde durngol) par les mauvaises herbes10

10 Ces pâturages sont menacés par Cromolaena odorata. Selon les Mbororo cette mauvaise herbe qui brûle mal et que l’on extirpe difficilement du sol est apportée par le vent et les camions. Ils peinent à admettre qu’elle se répand le long des chemins à bétail (burti) et que le bétail – qui, pour les Mbororo, ne peut être qu’innocent – pourrait être le vecteur de sa diffusion jusqu’à envahir les riches espaces des waalde . Ce débat sur Cromolaena n’intéresse en rien la retenue. J’utilise ce passage où chacun a son mot à dire comme un moment d’échange à bâtons rompus avant de passer à autre chose.

. A la différence des na’d’dere préservés par l’inondation, les pâturages des yoolde eux se dégradent. Par ailleurs, la circulation du bétail deviendra

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problématique avec le franchissement du Lom. On retrouve encore les mêmes interrogations sur le dipping-tank : site, organisation, rentabilisation.

Pour les épizooties qui sont les plus redoutées, sont définitivement retenues : la piroplasmose (samoore), la fièvre aphteuse (mboru = joobu), la trypanosomose (wadawnde).

Les problèmes d’insécurité sont spontanément évoqués. Les Mbororo ont été contraints d’abandonner leurs waalde depuis l’époque troublée des années 2004-2005. Toute la famille partait en transhumance car c’était dangereux de laisser seuls femmes, enfants et vieillards. En leur absence, les Gbaya faisaient main basse sur l’emplacement des waalde avec toujours le prétexte qu’ils occupaient l’emplacement d’anciens champs de leurs parents. « Des champs depuis l’époque de leur grand-père, de leur arrière grand-père… »… (ngesse daga maamaji, kaakaji… ) raillent les Mbororo qui ne sont pas dupes de l’argument.

Soirée de travail avec Victor Saa, Délégué de l’Elevage de l’arrondissement de Bétaré-Oya. Nous avons débattu du choix par l’administration des sarkin saanu comme « surveillants d’épizooties », du déroulement des vaccinations avant le départ en transhumance : quatre maladies : les deux charbons, PPCB et les maladies nodulaires des bovins (‘bolle). Et forcément de l’intérêt d’un dipping-tank dans la région… et de ce que lui ont également rapporté les éleveurs à propos de la retenue.

Mardi 8 février Nouvelle visite auprès d’Ardo Alhadji Garga. Je recherche auprès de lui un

certain nombre d’informations, en particulier sur le choix discuté d’un dipping-tank pour une utilisation optimale. Selon lui il faut naturellement mettre d’accord les Mbororo les plus touchés par le barrage, mais tenir également compte des transhumants avec qui ils vivent une partie de l’année. La région de Touraké à Nokoyo, et plus précisément le luggere de Tibanga, semblerait le meilleur emplacement en ce qu’il est situé à un carrefour de transhumance. L’organisation du GIC d’éleveurs s’impose, présidé par un ardo et avec des sarkin saanu élus. On ne peut écarter ni la commune, ni les services de l’Elevage.

Les questions du diina (la religion) et du pulaaku (code de comportement des Peuls) sont également abordés avec un groupe d’une dizaine de Mbororo venus nous rejoindre dans la case-vestibule d’Alhadji garga. Lui-même héberge chez lui des ardo’en en visite à Bétaré-Oya pour la cérémonie.

Mercredi 9 février Nous allons dans l’interfluve visiter des villages gbaya pour connaître le contre-

point des rapports Gbaya/Mbororo et recueillir leur idée sur un abandon possible de la région – ou au moins une forte diminution – par les Mbororo après l’installation de la retenue.

Nous trouvons le vi llage de Biboko en pleine séance d’exorcisme. La délégation d’un « charlatan » - ainsi nommé - a été invitée à cet effet. Danses, transes, poudre sur des incisions sur les poignets, poudres dans les yeux, arbres du village jugés « sites de blocage » abattus. Diagnostic : « le village n’avance pas », l’économie est bloquée, les gens ont fui en brousse, dans leurs campements au milieu de leurs parcelles de manioc. Le chef de canton de Mararaba a détourné la route du village…

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Les groupes gbaya-yayuwe, engagés dans une sorte de monoculture du manioc (19 variétés dans le village), avec un apport du maïs, nous expliquent le problème des parcelles de manioc impossibles à protéger du bétail et dont les cycles de production s’échelonnent de six mois à sept ans et qui, souvent, restent en brousse les seules zones vertes et partant les seules à attirer le bétail. L’entretien se déroule avec un groupe de jeunes villageois : D. Ndoyama, F. Boubagui… (moto-taxis, cultivateurs et pêcheurs).

Pour eux, la conséquence de la retenue sur le couple économique Gbaya/Mbororo serait dramatique. Il y aura alors déséquilibre entre l’offre et la demande de vivrier avec, pour conséquence, un appauvrissement de la région par le seul déplacement des courants de transhumance. Ces Gbaya sont pêcheurs sur le Pangar, mais avec la retenue ils ne sauront pas s’équiper pour y pêcher. La retenue ne serait d’aucun secours sauf peut-être à leur fournir une nouvelle clientèle, les pêcheurs, pour vendre leurs produits.

Comme dans tous les villages gbaya, les jeunes mbororo se mêlent aux jeunes Gbaya. Nous sommes alors témoin d’un échange mi-moqueur mi agressif sur le thème identitaire. Pour répondre à mes questions sur les échanges économiques, un Gbaya m’affirme qu’en tant que Gbaya, il ne boit pas de lait, ce breuvage de Mbororo. Alors que deux femmes gbaya passent avec des cuvettes remplies de pousses fraiches de Pennisetum purpureum (tolore en fulfulde et toro en gbaya), un jeune Mbororo lui rétorque que lui ne mange pas les légumes gbaya tolore, que c’est juste pour ses vaches… La cohabitation de ces groupes de jeunes peut parfois se révéler tumultueuse, ce dont rendent compte les registres de justice.

Au retour, arrêt chez les Mbororo réfugiés de Bouli, ceux d’Alhadji Saïdu, un Aku

Solanko’en. On y retrouve les mêmes récits tragiques de RCA : kidnappings d’enfants, décapitalisation des troupeaux pour payer les rançons. Rappel aussi de l’impossible retour en RCA où ils ne sont pas reconnus comme « peuple autochtone ». Ils ont fui jusqu’à Yoko, puis ils sont revenus là pour se rapprocher du HCR. Ils se sont lancés à fond dans l’agriculture (maïs, ignames) et semblent peu concernés par la retenue.

Jeudi 10 février Avec Assan Abou, Sarkin hausa, chef du quartier Mosquée de Bétaré-Oya, et

quelques vieux informateurs, nous tentons de brosser un historique rapide de la région. Au nord de Bangbel, j’avais observé des paysages mbum, oppidum et vastes rôneraies en contrebas. Les Mbum auraient bien occupé la région du XVIIIe siècle et jusqu’au milieu du XIXe, en contact avec les Képéré. Ce seraient donc les véritables « autochtones » de la région, aujourd’hui absorbés par les Gbaya au nord. Leur premier village, Monoy, apparaît au nord sur le Lom.

On nous informe des problèmes politiques ambiants. Bétaré-Oya est un véritable conservatoire d’une circonscription coloniale avec ses vieux bâtiments, depuis la résidence, la prison et, à l’autre bout de la ville, les structures missionnaires. Entre les deux : la nouveauté : marché, mairie, maison du parti. Fief du RDPC, le parti au pouvoir, les gens de Bétaré-Oya se disent déçus de ne pas être devenus chef-lieu de département. Ils craignent avec le barrage de voir se développer Dengdeng qui concurrencerait administrativement Bétaré. On fait alors un dernier tour d’horizon avantages/inconvénients de la retenue. Les problèmes de sécurité se réinvitent dans le débat, la région ayant été profondément touchée il y a peu de temps par le phénomène des « coupeurs de route ».

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J’avais ensuite prévu dans mon programme de rencontrer des Mbororo chez

eux, dans leur intimité. Je devais passer une nuit à Mabélé II, chez Lamido Sale et une autre à Danpatou chez Alhadji Amadou Hari, et élargir ainsi ma base de consultation. Malheureusement il a fallu écourter ma mission pour rédiger dans l’urgence le pré-rapport demandé.

Je le regrette d’autant plus que ces entretiens à domicile, le soir, sont toujours porteurs de paroles vraies. C’est là seulement et non sur les marchés et lors de rencontres sur les chemins que l’on peut s’entretenir avec les femmes. Je n’ai pu le faire qu’une seule fois, à Ndokayo, auprès de femmes qui, en raison de leur nombreuse progéniture, ne pouvaient suivre les transhumances. Elles voient leur avenir dans des villages de bord de route, avec des mouvements de troupeaux réduits effectués par les seuls hommes – comme le font du reste les Ful’be. Alors, pour elles, qu’importe la retenue ?

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Calendrier de la mission

Date Localité Interlocuteurs Nombre de personnes

Jeudi 3 février Bétaré-Oya Ndokayo Bétaré-Oya

Kassimou Aboubakari Ardo Moussa et chefs de quartiers gbaya Ardo Alhadji Garga

2 30 9

Vendredi 4 février Bangbel Tongo-Gandima

Sarkin Saanu Djibrila Boboy Ardo Calali Adamu

9 16

Samedi 5 février Bétaré-Oya Borongo

Kassimou Aboubakari Ardo Nuhu Jibbo

2 6

Dimanche 6 février Bétaré-Oya Visite sur 4 na’d’dere de Mali

Lamido Salé de Mahélé II, Sali Ibrahima Mohina Groupe éleveurs (Wayna’be)

4 6

Lundi 7 février Mborgéné Bétaré-Oya

Ardo Abdoulay Rago Assan Abou, chef de quartier hausa Ardo Alhadji Umara, Ardo Hamidou Hari, Victor Saa, Délégué de l’Elevage

21 4

Mardi 8 février Bétaré-Oya Ardo Alhadji Garga, Wayna’be et Ardo Alhadji Hamidou Hari

9

Mercredi 9 février Biboko Bouli

Paysans gbaya, chef de quartier Groupe d’Alhadji Saïdou

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Jeudi 10 février Bétaré-Oya Ndokayo

Assan Abou Groupe wayna’be

6 10

Comme il nous l’avait été demandé, nous n’avons pas cherché à réunir de grands forums.

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