les toucouleurs du fouta toro

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Histoire des Peuls du Fouta-Djallon

Yaya Wane

Les Toucouleur du Fouta Tooro : Stratification sociale et structure familialeUniversit de Dakar. Institut Fondamental d'Afrique NoireCollection Initiations et Etudes Africaines. NXXV. Dakar. 1969. 250 p.Prface

Cet ouvrage porte un titre modeste, mais derrire l'intitul se dissimule une double richesse: celle du peuple toucouleur et celle du savoir qui rsulte de l'interrogation de son histoire et de sa culture. M. Yaya Wane, avec les outils du talent et de la comptence, avec la patience du chercheur qui ne se satisfait pas de rsultats approximatifs, a compos cette premire sociologie de l'univers social que les sicles ont faonn dans les frontires du vieux Tkrour. Car il s'agit bien l d'une histoire de longue dure, et turbulente, qui rend drisoire l'affirmation expulsant les socits dites traditionnelles hors du champ historique. C'est avec de justes raisons scientifiques que Yaya Wane situe dans l'histoire du Tkrour la socit dont il trace la figure actuelle. Il montre que cette socit porte les sdiments provenant des grandes priodes du pass: priode des Satigi, priode de l'imamat durant laquelle se forme la monarchie thocratique, priode coloniale confisquant tout moyen politique, mais dbouchant ncessairement sur la dynamique de l'indpendance. Sans connatre ces mouvements qui ont, des rythmes trs divers, compos et recompos la socit toucouleur, le chercheur se trouverait dmuni de toute possibilit de comprendre et expliquer cette dernire.L'ouvrage comporte deux sections majeures. L'une est relative la parent, entendue lato sensu ; elle prsente, sous une forme systmatique, la premire information complte et rigoureuse concernant le mode de ces rapports sociaux primaires en pays toucouleur; elle suggre quel degr les pratiques et les stratgies, individuelles ou collectives, sollicitent le systme. La parent n'est pas simplement vue sous l'aspect de sa charte thorique les appellations et la logique des relations , mais en fonction des reprsentations ambigus qu'elle provoque et des rapports rels qu'elle rgit selon les circonstances, les situations. On saisit notamment quel degr le principe d'ingalit, toujours prsent dans cette socit fortement hirarchise, et les valeurs lies l'honneur, si oprantes comme l'a montr M. Boubakar Ly dans une thse remarque, affectent ces relations et ces reprsentations collectives.C'est d'ailleurs dans la section consacre la stratification sociale donc aux systmes d'ingalit que Yaya Wane propose les lments les plus propices au dbat scientifique. Les diffrences de position dans la socit, selon le statut personnel, et les fonctions assumes, inscrites dans une hirarchie portant au sommet le dtenteur du pouvoir et, la base, l'esclave, dterminent les classes d'ingalit. Et ces dernires ont pu, et peuvent encore, se manifester sous l'aspect de classes spatiales ou gographiques : dans un grand nombre de villages , les habitants appartiennent une caste unique, qui pourra tre soit professionnelle soit servile ; dans d'autres villages, se trouvent des quartiers que leurs dnominations dsignent comme territoires anciennement dvolus telles castes dtermines . La distribution dans l'espace fait ainsi apparatre, malgr une certaine confusion actuelle, des groupements localiss qui se diffrencient par leur statut et leur fonction ; la hirarchie fondamentale selon laquelle s'organise la socit se projette spatialement et provoque une sorte d'amnagement hirarchique du pays toucouleur.Hirarchie ou hirarchies fondamentale(s) ? Yaya Wane retient le terme caste, en marquant ses limites, afin de dcrire et dfinir l'ordre toucouleur. En fait, des systmes d'ingalit de nature diffrente s'imbriquent selon des rgles fluctuantes d'une extrme complexit. D'une part, les ingalits primaires dtermines partir des catgories de sexe, d'ge et de parent ; elles constituent, pourait-on dire, une instance domine, mais toujours prsente et parfois prvalente en certaines situations. D'autre part, un ordre englobant d'ordres ou tats : aristocrates, paysans libres, gens de mtier, esclaves , o chaque catgorie amnage en son sein des ingalits spcifiques. Celles qui dfinissent la hirarchie des gens de mtiers ont les plus remarquables : elles semblent les plus contestables (au point de mettre en question leur propos l'existence d'un ordre hirarchique interne), mais en mme temps, elles prsentent certaines des caractristiques du systme des castes. Il faut bien qu'il en soit ainsi si elles marquent des positions dans une stratification globale.L'ordre des ordres (ou tats) rgit les relations de dpendance personnelle, les rapports de pouvoir et d'exploitation, d'un niveau suprieur aux niveaux infrieurs. Une idologie essentiellement ingalitaire justifie ces rapports et voque les attributs et les valeurs spcifiques de chacune des catgories : au premier rang, ceux qui sont assimils en toute plnitude aux personnes, dtenant intelligence, savoir, biens et autorit, soumis aux lois de l'honneur et de la gnrosit; ensuite, ceux qui matrisent les techniques et les arts, et se caractrisent par l'absence d'amour-propre ; enfin, eux qui sont assimils aux choses, aux biens, et condamns la soumission totale et l'humilit. Mais on ne retrouve rien qui voque la thorie indienne des castes, l'opposition fondamentale pur/impur, la sacralisation de l'ordre et de la hirarchie. L'ordre toucouleur, produit d'une longue histoire qui a intgr dans un mme ensemble des lments disparates et ingalement puissants, ne s'efface cependant qu'avec une extrme lenteur. Le Toucouleur ressent encore la dmocratie comme une atteinte sa personnalit culturelle.Yaya Wane a su prsenter avec rigueur l'actuelle socit toucouleur et sa problmatique; son appartenance n'a jamais oblitr sa passion d'objectivit. Il a su galement montrer la ncessit de l'interrogation sociologique dans une socit en mouvement, aux prises avec les contraintes de la modernit et du dveloppement. Par lui, par son effort, la sociologie africaine passe un peu plus avant de l'tat de sociologie subie l'tat de sociologie assume.

Georges Balandier

Avertissement

I. Recherche sociologique et chercheurs africains. Voil bientt une dcennie qu'au beffroi de l'histoire des hommes retentissait un carillon puissant et prolong : l'Afrique, serve de toujours, brisait enfin son joug et ressaisissait d'une certaine manire ses destines politiques. Certes, cette libration s'opra davantage en ordre dispers, chaque nouvelle nation semblant n'avoir rien de plus urgent si ce n'est de prenniser les frontires artificielles et le systme conomique hrits de la colonisation, transformant alors progressivement d'immenses esprances collectives en amres dceptions...Mais l'essentiel est nanmoins sauf, car le pouvoir politique est retrouv; et si troitement jugul soit-il par des impratifs occultes, ce pouvoir ouvre cependant la voie une rupture indispensable d'avec l'alination culturelle, pour la rcupration de quelques lments de l'authenticit africaine. En tout tat de cause, ce retour l'authentique constitue un combat obscur mais quotidien fort heureusement men dans quelques rares nouvelles nations d'Afrique, dont la vise fondamentale, qu'il convient de saluer avec respect, n'est rien de moins que la redcouverte de leur tre pass, de leurs civilisations communes, bref d'elles-mmes. Quel instrument privilgi et quelle arme redoutable serait dans ce combat la recherche sociologique, d'autant qu'elle compte dans ses rangs un nombre toujours accru d'Africains !Mais, hlas ! ces nations africaines d'avant-garde sont rarissimes, et la recherche sociologique mene par des Africains authentiques, en dpit de son irrversible ncessit, recle plus d'une ombre son tableau, ombres tenant probablement la nature mme des choses.En effet, tout d'abord, lorsque le chercheur et son problme font un tout, inextricablement li, ce que le premier peut dire du second est sujet caution. Car, le chercheur n'est peut-tre pas suffisamment dpouill de la subjectivit naturelle, et les jugements qu'il porte sont peu prs srement tributaires des ides parses que tout homme reoit de la socit o il est n et o s'est forge sa personnalit. Et, semble-t-il, rien n'est autant * nocif que ce savoir plus apparent que rel, que chacun croit naturellement possder sur sa civilisation ancestrale. Car c'est la porte ouverte aux jugements de valeur, fussent-ils anodins, d'autant plus facilement et inconsciemment mis que leur auteur subit l'cartlement dchirant entre civilisation ancestrale globale et valeurs reues l'occasion de la formation universitaire europenne. C'est ds lors, assurment, que s'installe cette propension trs nette comparer constamment la premire aux secondes, mesurer celles-l l'aune de celle-ci, par exemple insrer subrepticement voire nostalgiquement des valeurs occidentales, l o l'authentique altrit africaine est seule en question, et devrait par consquent tre, en tant que telle, scrupuleusement respecte. A moins de rcuser radicalement cette altrit africaine dans le quotidien, tout en l'exaltant l'infini dans les mots...La subjectivit, voil sans doute l'ennemie pourchasser sans relche. Mais la recherche sociologique conduite par le chercheur africain peut, l'inverse, comporter cet avantage considrable, qui est de mettre immdiatement le sujet de l'exprience de plain-pied avec la ralit sociale qui constitue l'objet de son investigation. La qute du sociologue africain dans son milieu n'achoppe certainement pas l'cueil monumental de la langue, du moins le cas serait plutt rare. Par consquent, l'investigateur africain reoit pour ainsi dire la totalit du sens vhicul par l'information recueillie dans sa langue naturelle. Faute de quoi, si la communication de l'informateur l'inform devait malgr tout comporter son rsidu d'incompris ou d'informul, alors il est probable que ledit rsidu apparatra bien moins considrable quand les interlocuteurs parlent la mme langue, et que leur dialogue n'a besoin du truchement d'aucune traduction, cette porosit de l'erreur.Et il importe au premier chef que le dialogue informateur-inform se passe hors de tout dpaysement pour celui-ci, et de toute rticence anesthsiante pour celui-l. L'informateur est en confiance, car le comportement gnral de l'enquteur (observ secrtement), comme les questions poses, sont parvenus convaincre l'entourage qu'il avait affaire une personne encore intgre pour l'essentiel sa socit naturelle, en dpit de sa formation europenne qui n'aura pas fatalement dnatur en lui l'Africain originel.Alors, le dialogue informateur-inform devient fcond, et se mue en monologue du premier, qui se fait obligation de ne plus rien celer de son savoir son compatriote chercheur. Ce que l'informateur rpugnait dire aux trangers parfois mme volontairement induits en erreur , il consent maintenant le rvler, en souhaitant qu'il n'en soit pas fait trop mauvais usage pour le renom de la commune ethnie d'appartenance.Sans doute, il ne faut jamais s'illusionner sur le contenu vritable de ces rvlations , qui savent toujours jusqu'o il ne faut pas aller trop loin, moins qu'il ne s'agisse tout simplement de vritables secrets de Polichinelle, dnus par consquent d'intrt. Mais l'essentiel c'est cette atmosphre de franche collaboration, et l'ouverture certaine de l'informateur. Le reste, qui dpend strictement du chercheur, viendra de surcrot, pourvu qu'il soit arm de la patience et de l'indiscrtion ncessaires. En tout cas, le chercheur est condamn une longue patience. Car pour accder un certain savoir, nulle source ne lui est ouverte si ce n'est la tradition orale. Tradition orale qu'il convient d'examiner avec svrit sans jamais l'accepter pour argent comptant, car sa transmission de gnration en gnration quivaut dformation continue. C'est ainsi qu'elle sera par exemple embellie soigneusement par la vanit naturelle de ceux qu'elle concerne, dont la complicit tacite et inconsciente voudra laisser l'histoire une image amliore du groupe.

Difficult d'adquation l'objectivit scientifique requise, mais cependant une certaine facilit d'ajustement ou rajustement la socit : en vrit, la recherche en sociologie africaine par les Africains est plutt assimilable une lame double tranchant.Mais, par-del un tel dilemme au bout du compte susceptible de rsolution, il convient aussi de prter attention deux catgories de faits, expriments par l'auteur de ces lignes dans l'exercice de sa fonction de sociologue sngalais.Le premier de ces faits c'est la mfiance suscite par le chercheur, qui prend contact initial avec le terrain. Il est sr que la population visite n'hsite gure bien longtemps assimiler le chercheur l'agent camoufl de l'Administration, ayant reu mission de contrler discrtement les prix ou de dtecter les fraudes fiscales, voire d'examiner la situation politique, ou sonder l'tat d'esprit des masses.Quant aux tenants locaux du pouvoir central, ils se mprendront aussi entirement que leurs administrs. Ils imaginent tout de go avoir affaire un inspecteur de l'administration, du seul fait que le passage du chercheur ne leur aura pas t pralablement signifi par la capitale. Alors, voil des victimes faciles et trs prolixes sur leur repentir. Il faut dployer toutes les ressources du langage pour dissiper l'erreur, mais il n'empche que la victime compltement rassure garde une rancune tenace au chercheur, pour avoir t la cause et le spectateur combien involontaires d'une effroyable terreur.A moins que le reprsentant local du pouvoir tout est problme de temprament individuel matrisant son imagination, mais trs imbu de ses prrogatives, et dcid les exercer concrtement, ne dcrte souverainement l'interdiction de son territoire au chercheur. Celui-ci a le choix entre l'attente d'instructions dont il n'est pas sr qu'elles aient t effectivement demandes au chef-lieu et le dpart vers une autre destination, tout en souhaitant d'y trouver des autorits moins sourcilleuses dans l'application de la loi.

Ici deuxime fait majeur c'est vritablement la grande misre de la recherche sociologique par le chercheur africain qui est en question. En effet, le sentiment gnral des autorits est que la recherche fondamentale est simple alibi pour fainants, sinon fonction purement alimentaire, voire paravent providentiel pour contempteurs et saboteurs de cette sacro-sainte construction nationale . L'effectif encore drisoire des chercheurs africains relativement la masse trs considrable des problmes de tous ordres qui sont tudier, atteste non point l'absence des vocations, mais davantage le peu de cas que l'on fait l'chelon le plus lev de cette activit scientifique, rpute par certains superftatoire, et, par d'autres, assimile un luxe dvolu aux riches, donc incompatible avec la pauvret des nouvelles nations, qui doivent d'abord vivre correctement avant de songer philosopher...Certes, voil un grave malentendu! Car, si le dveloppement des nouvelles nations doit se raliser, il faudra bien qu'un jour ou l'autre la culture soit rtablie dans tous ses droits, qu'au nombre des voies et moyens de cette culture, la recherche scientifique fondamentale reoive son insertion, et ne soit plus cet appendice honteux qu'elle est encore demeure dans bien des cas !En matire de sciences humaines, par exemple, il est urgent de cerner les tenants et les aboutissants des socits africaines, d'apprhender leurs rsistances et leurs motivations, de sonder les dimensions de leur permabilit l'indispensable transformation moderniste.Trs prcisment, la recherche scientifique vise, entre autres objectifs, la saisie des ralits sociales mouvantes, afin de fournir l'efficience dsirable aux actions de dveloppement exerces sur ces ralits.

Pourtant, en dpit des ombres que voil brivement esquisses, l'optimisme et l'assurance doivent l'emporter sur le dcouragement inhibiteur.Tout d'abord, il faut proclamer avec force que nul n'est autant ajust la recherche en Afrique que l'Africain lui-mme, qui a un sens pour ainsi dire instinctif en tout cas plus aigu des problmes de son continent, parce qu'il les vit de l'intrieur. Et par-dessus tout, l'Africain ne doit-il pas revendiquer la responsabilit culturelle, pour faire pendant cette souverainet internationale dsormais acquise ? N'est-il pas pour le moins paradoxal que l'Afrique, reprsente dans toutes les instances politiques et conomiques internationales, soit pratiquement absente des assises o a culture est en question, laissant aux autres le soin d'occuper sa place, et pour parler d'elle encore !Il est certain que l'assistance culturelle fournie aux Africains ne saurait, sauf dmission coupable des assists, se poursuivre indfiniment. Peut-tre, le soliloque du matre europen devrait-il enfin tre relay par un dialogue plusieurs voix, o l'ancien lve africain devenu grand apportera srement sa contribution singulire.En tout cas, voil une contribution ncessaire et urgente, o l'Africain est concern au premier chef, car c'est le dveloppement des sciences en Afrique qui est en question, ce dveloppement des sciences qui conditionne troitement le dveloppement conomique, politique et social du continent.

Pour le disciple que nous sommes encore, c'est maintenant le lieu de nous acquitter du devoir, combien agrable, d'exprimer notre gratitude nos matres, MM. Jean Stoetzel et Georges Balandier, professeurs la Sorbonne, pour l'appui tutlaire qu'ils ont donn notre carrire de chercheur. M. le professeur Jean Stoetzel, dont nous avons suivi l'enseignement en Sorbonne, a parrain de manire dcisive notre entre au Centre national de la recherche scientifique, aux autorits duquel nous rendons un trs dfrent hommage pour leur accueil.Quant M. le professeur Balandier, notre directeur de recherche, nul n'tait mieux dsign que lui pour assumer cette fonction. Car, c'est par la mdiation de ses crits que nous prmes conscience de la passionnante complexit de notre pays, et qu'alors, peut-tre, notre vocation de chercheur se dessina.Nos remerciements iront galement M. le professeur Louis-Vincent Thomas, de la Facult des lettres de Dakar, pour avoir second M. le professeur Stoetzel dans la fonction de parrain et de conseiller averti; MM. les professeurs Thodore Monod, Abdoulaye Ly, Vincent Monteil, directeurs de l'Institut franais d'Afrique noire ; ils nous ont trs largement ouvert les portes de leur tablissement, et offert, sans rserve, l'usage des grands moyens dont dispose la maison I.F.A.N. Le personnel tout entier de cet I.F.A.N., chercheurs, cadres administratifs et agents techniques ont droit une part immense de notre gratitude, pour l'intgration immdiate du chercheur solitaire leur grande et vieille famille.Enfin, nos remerciements s'adresseront nombre de personnalits parisiennes ou sngalaises : nous pensons Mme le docteur Falad, M. le docteur Gessain, MM. les professeurs Lejeune et Eric de Dampierre ; nous songeons galement MM. les directeurs Tidiane Aw, Ben Mady Ciss, Amadou Moktar Sakho. Toutes ces personnalits, dont nous nous honorons de l'amiti, ont apport, chacune sa manire propre et selon les moyens de sa charge, une contribution effective notre travail, qui bnficia, par ailleurs, de la collaboration dterminante d'une foule considrable d'informateurs et guides toucouleur.Que les derniers nomms veuillent bien ne pas nous tenir rigueur de les omettre dans ce palmars, parce que plusieurs dizaines de pages seraient insuffisantes pour les mentionner tous. Et pourquoi mentionner encore ces amis innombrables que nous comptons de Jalmac Njot, dans le jeeri et le waalo, comme sur le rewo et le worgo, puisqu'ils sont dj prsents dans les lignes mmes du texte ci-dessous, dont vrai dire ils ont t les premiers compositeurs.

II. Mthodologie et transcription.

C'est sur les conseils de notre directeur de troisime cycle, M. le professeur Jean Stoetzel (Sorbonne), que le prsent travail s'ouvrit par un pralable documentaire, consistant faire le point des connaissances crites relatives l'ethnie toucouleur que nous avions dessein d'tudier. Il convenait par consquent, avant tout, de procder l'tablissement d'une bibliographie exhaustive des Toucouleur, afin de mesurer ce qui restait faire, et vers quels domaines prcis orienter la recherche, pour viter de tomber dans les sentiers battus.Plusieurs mois durant, Dakar et Saint-Louis-du-Sngal notamment, il fut procd au dpouillement des archives de la colonisation, revues et journaux anciens, microfilms rcents de documents rares, voire manuscrits indits. Dans le mme temps s'oprait la compilation de monographies et d'ouvrages relatifs l'Afrique de l'Ouest, et plus particulirement aux quatre territoires du Sngal, de la Mauritanie, de la Guine et de l'ex-Soudan franais (Mali).Le rsultat de cette investigation publi en son temps, et figurant in fine revu et augment s'avra rvlateur. S'il y avait vritable inflation bibliographique sur les Toucouleur, en revanche, cette plthore ne fermait pas la porte la recherche : non seulement il subsistait des domaines inexplors, mais encore les questions abordes rpondaient plus souvent des impratifs immdiats actuellement dpasss, et non aux proccupations de la recherche fondamentale. Celle-ci pouvait donc faire son office, et contribuer encore largement la connaissance du Fouta Tooro, et de sa population toucouleur majoritaire.

Le sujet de la recherche une fois arrt, c'est alors la phase active du travail qui intervenait, savoir essentiellement l'information et l'observation. Et pour ce faire, rien n'tait plus urgent que d'aller sur le terrain, sinon pour une priode de plusieurs mois conscutifs, au moins pour des missions brves effectues intervalles rapprochs.Il n'tait videmment pas question de mobiliser la classique expdition sociologique, avec le personnel que suppose semblable entreprise. Car il aurait t ncessaire pour cela de disposer de crdits importants, en l'absence desquels il fallut plus modestement aller d'un informateur au suivant, tous informateurs galement slectionns sur le tas, c'est--dire dans le village mme, lequel tait choisi au hasard, parmi les localits directement accessibles par les moyens habituels du transport moderne ou traditionnel.Nos renseignements, recueillis au cours de plusieurs dplacements, procdent donc d'interviews opres carnet de notes en main ou magntophone en marche, l'exclusion, naturellement, de tout sondage sur chantillon, ou de toute autre forme d'enqute.Toutefois, outre l'aire gographique traditionnelle des Toucouleur (Fouta Tooro), il s'avrait indispensable d'explorer au moins sommairement les lots toucouleur des villes sngalaises, notamment l'agglomration dakaroise, This, MBour, Diourbel, Kaolack, Saint-Louis, voire Ziguinchor, etc.Au demeurant, cette dmarche comparative nous fut instamment recommande par M. le professeur Balandier, qui dirigeait galement nos recherches.Il est certain qu'en milieu urbain, il y a chance de dceler de profondes mutations quant au particularisme toucouleur, mutations dues l'exode rural et, partant, au contact de valeurs diffrentes, europennes et wolof, qui sont parmi les plus saillantes.Par-l mme, le milieu urbain offrait la possibilit concrte de cerner une certaine dynamique sociale toucouleur, de tester pour ainsi dire le degr d'acculturation, en servant de contre-preuve vivante relativement aux modles traditionnels prescrits, alors que ceux-ci semblaient tre demeurs inchangs, ou fort peu modifis parmi l'lment toucouleur non urbanis.

A l'exclusion de certains noms, dont l'orthographe semble pour ainsi dire universellement fixe, tels Fouta, Toucouleur, Sngal, etc., qui ne subissent donc nul changement, si ce n'est dans leur pluriel simplifi, les mots pulaar figurant dans le texte ci-dessous ont t transcrits selon les principes de l'International African Institute 1.En rgle gnrale, toutes les lettres constitutives d'un mot doivent tre articules, tel qu'il est d'usage en latin ou en espagnol.Le son e est toujours ouvert, soit comme voyelle finale, ou entre consonnes, soit enfin voyelle longue , auquel cas la rduplication ee sera de prfrence utilise. Cette mme rduplication supprimera les , , , , qui deviendront aa, ii, oo, uu, cette dernire voyelle u ayant, d'autre part, valeur de ou, comme dans bouche .Quant aux lettres b, d, g, j, elles figurent des consonnes dures, alors que B, D, G, J, simples ou redoubles seront, sauf indication contraire, des consonnes claquantes. Toutefois, tant donn que ces lettres capitales sont souvent les initiales de patronymes, anthroponymes et toponymes, o elles restent majuscules aussi bien dures que claquantes (par exemple Baa dure et Baas claquante), il fallait peut-tre trouver un moyen pour marquer la variation phontique d'une graphie constante. Nous avons d'abord pens recourir la lettre elle-mme, mise entre parenthses, et prcdant immdiatement le nom dont elle est l'initiale claquante. Ainsi, (B) Baas aurait par exemple marqu l'initiale claquante, alors que Baa dpourvu de ce repre conventionnel aurait t le signe d'identification de l'initiale majuscule dure. Mais, le texte risquait d'tre considrablement surcharg, ce qui aurait probablement nui la clart souhaitable, et compliqu inutilement la lecture.L'emploi du signe (') marque d'attaque glottale, ne nous a pas davantage paru ncessaire, la fois parce que ladite attaque frquente en peul est rare en pulaar, et parce qu'elle tait tout aussi bien rendue par la consonne claquante D : par exemple, l'on a transcrit mawniraaDo (ane) et non mawniraa'o.La lettre C-c figure le t mouill, et se substitue donc au thi de Thiais ou Thiam. F-f remplace le ph de phare et alpha . H-h sera fortement aspir, comme dans haute , ou dans hoot (rentre la maison !). + aura la consonance anglaise de joker ou enjoyment , et sera par consquent substitu au dj de Djenn, ou au di de Dia. Quant au J, nous avons dj vu qu'il s'agissait d'une claquante, comme dans HorkaJere (village du Fouta-Damga), et non Orkadir, comme indiqu dans les manuels. K-k sera l'quivalent de c, comme Coran, et -q-, comme qacida ou qitab.M-m et N-n marqueront la nasalisation des consonnes, dont elles seront suivies sans apostrophes, contrairement l'usage tabli dans la transcription de certains patronymes. Ainsi, M'Baye sera dpouill en Mbay, M'Boumba simplifi en Mbumba, Njaay substitu N'Diaye, et Nium N'Dioum. En particulier, ny prendra le relais du gn de M'Bagne et Thilogne, qui deviendront respectivement Mbaany et Cilony.Le S-s sera mis pour , comme dans a va , ou substitu au C de Civol, qui sera orthographi Siwol ; le cas chant, sh prendra la place du ch de chaud .Enfin, W-w systmatiquement utilis de prfrence au v sera, par ailleurs, employ dans tous les cas o l'on aura affaire au son ou moyen, et qu'en consquence ni la lettre u ( ou bref), ni sa rduplication uu ( ou long) ne paratront trs nettement indiques.

IntroductionLe Tekrour, le Fouta Tooro et les Toucouleur

1. Approche historique, gographique et conomique.

Le territoire sngalo-mauritanien actuel, qui a reu le nom de Fouta Toro 1, portait vers le Xe sicle de notre re la dnomination de Tkrour, lequel tait habit par diverses populations peul, berbre, maure, malink, manding, sonink, wolof, serer, ainsi que toucouleur vraisemblablement. Le Tkrour de cette poque tait surtout un agrgat de peuples, plus ou moins soumis un mme pouvoir monarchique. Ce pouvoir s'exerait de manire effective ou nominale, selon les groupements constitutifs du pays: tel peuple, plus turbulent, dtenait la couronne, tandis que les groupes voisins subissaient sa domination. Mais, il est probable que la suzerainet que s'arrogeait le plus puissant demeurait essentiellement provisoire, l'un quelconque des vassaux la remettant certainement en question, ds qu'il se sentait assez puissant pour russir sa rvolte. Le peu que l'on sait du Tkrour atteste l'anarchie permanente, due aux guerres sans trve, qui affrontaient les peuples voisins mais ennemis. Le pouvoir procdait, avant tout, de la force dont on disposait, le conqurant de la veille cdant la place celui du lendemain, et ainsi de suite.Entre le XIe et le XIIe sicles, ce Tkrour anarchique sera facilement domin par l'empire sonink du Ghana, puis annex non moins aisment par l'empire manding du Mali. Au cours du XVIe sicle (1512 ?), le Peul Denyanke 2 Koli Tengela Baa met fin l'hgmonie manding, par une conqute gnralement rpute sanglante. Originaire de Bajar (Badiar, en pays manding), moins que ce ne soit de Jaara (Diara), venu en tout cas de l'Est la tte de 3.333 hommes, Koli reprend le Tkrour ses matres manding, et rebaptise le pays conquis du nom de sa propre contre d'origine, savoir le Fouta (Kingi), dont la capitale tait Jaara prcisment. L'ancien Tkrour devient alors Fouta Tooro avec Koli Tengela pour souverain, sous le titre de Satigi ou Siratik, ou encore Selatigi (le guide en malink). Cette dynastie paenne des Satigi connatra deux sicles et demi d'existence. Sa capitale, d'abord Silla s'agit-il du village du mme nom, situ sur la rive gauche du fleuve Sngal, une dizaine de kilomtres en amont de KayhayDi (Kadi) ? se serait ensuite dplace vers le dclin de la dynastie HorkaJere (Orkadir), sis une soixantaine de kilomtres environ au sud-est de Matam, sur la route menant Bakel. Quoi qu'il en soit, les deux capitales prsumes sont distantes de plus de 100 km, et l'histoire ne semble pas avoir retenu la raison de ce dplacement.Aprs la mort du premier Satigi Koli Tengela (1586 ?), l'on compterait bien une trentaine de successeurs, mais reste savoir si le titre a toujours t transmis de la mme manire. Au dbut, ce pouvoir fut certainement hrditaire, c'est--dire dvolu du pre au fils an, ou bien de l'an au cadet. Mais la famille de Koli s'largissant par la suite, il est probable que le pouvoir aura subi d'importantes rotations, puisqu'il aura pu tre transmissible l'an de l'ensemble des descendants mles du premier Satigi: ce qui quivaut en somme une sorte de monarchie grontocratique tournante.Quant aux limites territoriales probablement variables de la couronne des Satigi, ses institutions propres et sa politique effective, ce sont des problmes demeurs encore tant soit peu obscurs, et que la recherche historique devra tirer au clair.

2. Succession

Labba Tengela (4 ans). Il succde son pre (?) Koli. Ensuite, la chronique orale 3 indique :

3. YalaDi JaaJe (? ans)4. Yero Gido (30 ans)5. Bookar Tabakadi JaaJe Garmi (23 ans)6. Sire Tabakadi (30 ans)7. Gelaajo Bambi (20 ans)

8. Sire Garmi 1er (12 ans)9. Gelaajo Tabara I (10 ans)10. Samba Laamu (2 ans)11. Yero Jam Koli Tengela (13 mois)12. Bokar Samba Laamu (l an)

13. Niaay Hule (23 ans)14. Gata Kumba Fr (23 ans)15. Sire Dulmi (30 ans)16. Gata Kumba 11 (45 jours)17. Gelaajo Dulmi (20 ans)

18. Gelaajo Jeegi (20 ans)19. Gelaajo Tabara II (23 ans)20. Konko Buubu Muusa (10 ans)21. Samba Gelajeegi (10 ans)22. Suley Njaay II (30 ans)

23. Gelaajo Gaysiri (10 ans)24. Sire Garmi 11 (30 ans)25. Suley Njaay II (2 ans)26. Suley Buubu (10 ans)27. Bubakar Fatimata (1 an)

Ce qui reprsente plus de quatre sicles, si l'on tient compte des quelques soixante-quatre annes qu'aura dur le rgne du fondateur de la dynastie, indpendamment de celui du troisime Satigi, YalaDi JaaJe, dont le temps de passage est inconnu. Or, ces quatre sicles de pouvoir Denyanke constituent presque le double de l'approximation la plus courante, qui considre gnralement que la prsence des Satigi n'excde gure les deux sicles et demi (1512 ?-1776).En tout cas, la dernire priode du pouvoir des Satigi aurait t plutt conciliante l'gard de l'Islam. Certains Satigi, abjurant le paganisme, se convertirent la religion de Mahomet, au moins superficiellement d'autres, tel Suley Njaay II, se firent les protecteurs de grands militants de l'Islam, ou se concilirent leurs bonnes grces, en leur reconnaissant le droit de proprit sur de gigantesques domaines fonciers (Ceerno Sidiiki Daf de Kanel-Celol et Seeno-Paalel), voire en leur donnant pour pouse leur propre fille richement dote (Tapsiiru Amadu Hamat Wan de Kanel-Laao). C'est que l'Islam, dj fort ancien cette poque-l, tait en passe de gagner tout le pays, de manire pacifique toutefois, et de saper en consquence les frles assises du pouvoir paen. Les marabouts propagateurs se bornaient plutt prcher en cachette pour recruter en masse des adeptes l'Islam, dont le prestige tait grand et suscitait un engouement certain. Les musulmans devenaient progressivement l'crasante majorit, tout en prenant conscience de leur situation, tandis que les exactions du pouvoir Denyanke favorisaient indirectement une plus grande implantation de l'Islam. Le parti maraboutique est n de cette majorit musulmane toucouleur, mais il est peu probable que ledit parti ait eu recours la moindre guerre civile pour abattre les DenyankooBe. Il apparat plutt que sous la conduite de son chef Suleymaan Baal (originaire de Boode-Laao), cette immense majorit musulmane ait, sans coup frir, dpos le Satigi. Celui-ci vraisemblablement Suley Njaay le jeune pouvait d'autant plus aisment accepter sa dposition , qu'il tait gagn l'Islam, dont il protgeait les marabouts, et qu'il conservait malgr tout une parcelle de son -ancien pouvoir, continuant de rsider dans sa capitale avec ses rang et titre, mais n'ayant plus de juridiction que sur un fief rduit. C'est, sans doute, ce qui aura permis Suley Buubu (10 ans) et Bubakar Fatimata (l an) de maintenir quelque temps encore une fiction du pouvoir Denyanke. Du moins, telle est l'hypothse que l'on peut dgager des chroniques orales traditionnelles.C'est en 1776 que le parti maraboutique dsign ainsi par simple analogie et n'ayant pas t vraiment tel parvint son objectif, qui tait de mettre fin l'hgmonie paenne. Mais, Suleymaan Baal, personnalit la plus marquante de cette masse de musulmans irrdentistes, ne voulut pas le pouvoir pour lui-mme, peut-tre par pressentiment de sa mort prochaine (1778), ou bien par modestie et ralisme de sa part. Car, il n'tait certainement pas ais de prsider aux destines de ce territoire si vaste et si contrast, que formaient d'ouest en est les provinces assez autonomistes du Dimar, du Tooro, du Laao, des YirlaaBe-HebyaaBe, du Boseya, du Ngenaar et du Damga. Ce pouvoir demeura donc pratiquement vacant jusqu'en 1778, date d'intronisation du premier Almaami (Emir-el-Muuminin Commandeur des Croyants) du Fouta Tooro, le pays lui-mme devenant une fdration thocratique, ou Emirat (Imamat, ou Almamiat). Cinquante-un Almaami 4, dont certains revinrent plusieurs fois au pouvoir, se succdrent la tte de la fdration :

1. Abdul Kader Kan de KoBillo-Boseya (30 ans)2. Abdul Sire Talla, dit Moktar Kondeeje de Sincu-Bamambe-Damga (1 an)3. Haniat (ou Haamidu) Lamin Baal de BoodeLaao (3 ans)4. Yusuf Sire Aaba Ly de Jaaba-YirlaaBe (4 ans)5. Bookar Lamin Baal de Boode (8 ans, frre de 3)

6. Yusuf Sire (deuxime mandat, 1 an)7. Sire Amadu Ly de Oogo-Ngenaar (1 an)8. Yusuf Sire (troisime mandat, 2 ans)9. Aaly Ceerno Ibra Hamat Wan de Mbumba-Laao (1 an)10. Yusuf Sire (quatrime mandat, 1 an)

11. Mamadit Mamuudu Sire Aan de Ngijilon-Ngenaar (18 mois)12. Yusuf Sire (cinquime mandat, 6 mois)13. Sire Hasan Lamin Tuure de HayreLaao (1 an)14. Yusuf Sire (sixime mandat, 1 an)15. Bubakar Moddibo Kan de Doondu-Ngenaar (6 mois)

16. Yusuf Sire (septime mandat, 18 mois)17. Ibra Jaatara Aany de Gaawol-Ngenaar (1 an)18. Yusuf Sire (huitime mandat, 1 an)19. Biraan Ibra Wan de Mbumba-Laao (1 an, frre de 9)20. Mamuudu Sire Maalik Ja de Wuro Sire-Boseya (1 an)

21. Baabaly Amadu Ly de Oogo (6 mois, frre de 7)22. Yusuf Sire (neuvime mandat, 6 mois)23. Biraan Ibra (deuxime mandat, 6 mois)24. Yusuf Sire (dixime mandat, 6 mois)25. Biraan Ibra (troisime mandat, 6 mois)

26. Yusuf Sire (onzime mandat, 6 mois)27. Biraan Ibra (quatrime mandat, 7 mois) ; sa mort Buubu Aaba Ly de Jaaba assure l'intrim du pouvoir pendant un an28. Baabaly Tamsir Amadu Ly de Jaaba (1 an)29. Mamadu Amadu Ja de Wuro Sire (2 mois, fils de 20)30. Mamadu Biraan Wan de Mbumba (l an, fils de 19)

31. Sire Aaly Wan de Mbumba (18 mois, fils de 9)32. Amadu Hamat Ly de Pete-YirlaaBe (6 mois)33. Raasin Mamuudu Njaac de Madiina-Laao (2 ans)34. Mamadu Biraan Wan (deuxime mandat, 1 an)35. Siibe Sire Ly de Oogo (2 ans, fils de 7)

36. Mustafa Abdulay Maalik Baa de Hoorefoonde-Boseya (2 mois)37. Mamadu Maalik Biraan Wan (troisime mandat, 3 mois)38. Amadu Biraan Wan de Mbumba (6 mois, frre de 30)39. Amadu Demba Ly de Jaaba (18 mois)40. Mamuudu Elimaan Baa de BaabaaBe Looti-Laao (3 mois)

41. Amadu Demba Ly de Jaaba (deuxime mandat, 18 mois)42. Njaay Hamat Baro de BarooBe Hayre-Laao (9 mois)43. Raasin Mamadu Wahabu Talla (?) de Sincu-Bamambe (6 mois)44. Saada Ibra Wan de Mbumba (18 mois); 45. Mamadu Mamuudu Baal de Golleere-Laao (?);

46. Saada Ibra Wan de Mbumba (deuxime mandat, 1 mois)47. Maalik Mamadu Caam de Jaaba (1 mois)48. Raasin Mamadu Wahabu Talla (?) de Sincu-Bamambe (deuxime mandat, (?) dure)49. Njaay Sidiiki de Baroobe-Jaaba (6 mois ?)50. Mamadu Lamin Amadu Ly (?) de LyduBe Pete (? dure); devint cadi Sald et Kadi sous l'occupation franaise

51. Sire Baabaly Ly dit Buubu Aaba de Jaaba, fils de 28 : le dernier almaami, dpos en 1881 par le colonisateur franais, qui annexa le Fouta Tooro

Le rgime d'imamat aura totalis un peu plus d'un sicle d'existence. En fait, il aura dur beaucoup moins, car partir de 1859 (Almaami Raasin Mamadu Wahabu), le Fouta dmembr par les Franais tait rduit la province du Laao, o se limitait la juridiction de l'Almaami, tandis que le Dimar tait rattach la colonie du Sngal, le Damga, le Boseya et le Tooro gardant un semblant d'autonomie.Et quelles furent au juste les caractristiques distinctives de ce rgime d'imamat, qui ne semble pas avoir dispos d'un pouvoir vritable. A ses dbuts, l'imamat parat avoir t surtout proccup par l'application d'une certaine politique, savoir le triomphe de l'Islam. Le premier almaami, Abdul Kader Kan, aura davantage t un dfenseur des croyants qu'un souverain. C'est lui, en effet, que le Fouta est redevable de la rupture de suzerainet maure et du refus d'acquitter le tribut annuel dit muudo horma, soit 5 kg d'or. Par ailleurs, Abdul Kader fut un btisseur de mosques (les plus anciennes ont t difies sur ses instances directes), un combattant des infidles (guerre (jihaad) de Bungoy ou Bongoy contre le Damel du Kayor, Amari Ngoone, alli au Burba du Jolof et au Brak du Waalo ; c'est cette occasion que l'almaami fut fait prisonnier par ses ennemis paens et dtenu pendant environ trois ans, avant d'tre relch dans des circonstances considres comme miraculeuses). Pour avoir t le premier almaami, et exerc le mandat le plus long (30 ans), Abdul Kader Kan sera probablement parvenu agir d'une certaine manire sur le pays, qu'il dirigea effectivement.Les almaami suivants apparaissent au contraire comme des dignitaires dpourvus de pouvoir rel. Sans doute, ils taient lus, mais l'lectorat tait rduit quelques superdignitaires, dont les fiefs hrditaires portaient le nom de jagorDe, au nombre de sept environ :

arDo JaawBe

almaami DenyankooBe

kamalinku Guuriiki

joom Kundel

arDo JooBe

arDo Kaawel

arDo Humaynaat

Ces grands lecteurs et encore ne l'taient-ils pas tous les sept en mme temps dtenaient le pouvoir de faire et dfaire l'almaami, selon que celui-ci acceptait ou non d'tre soumis aux intrts particuliers de ses mandants. A cet gard, chaque almaami semble avoir t plutt le simple porte-fanion des factions qui le portaient la dignit suprme. Les intrts des diffrentes provinces n'taient pas forcment en harmonie et leurs chefs respectifs Elimaan Dimar, Laam Tooro, Almaami Laao, Elfekki Ngenaar, etc., jaloux de leurs prrogatives, n'taient pas fatalement soumis l'Almaami du Fouta. Et il fallait celui-ci tenir le plus grand compte des petites souverainets locales, ces vritables principauts hrditaires peul et tooroodo, tels :

Ardo Ngiril (Wurosoogi-Ngenaar)Elimaan Lewa (HorkaJereDamga)Elimaan LuBoreej (Boseya)oCeerno Jigel, Ceerno Wocci et Elimaan DemBe (HammadihunaareDamga)Ceerno Ngapugu (Sincu Bamambe-Damga)

Ceerno FayfayooBe (Banaaji-Damga)Ceerno Celol (Kanel-Damga)Ceerno WanwanBe (Kanel-Damga)Ceerno FuneeBe (Oogo-Ngenaar)Joom Matam (Ngenaar)

Ceerno Sarajubayru (Boynaaji-Ngenaar)Ceerno Siwol (Nabaaji-Ngenaar)Ceerno Saadel (Ngenaar)Ceerno Tillere (Ngijilon-Ngenaar)Ceerno Ciwel (Ngenaar)

Elimaan Neega (Bokkijawe-Ngenaar)Elimaan Duga (Ngenaar)Elimaan Rinjaw (Ngenaar)Ceerno Moole (Cilony-Boseya)Ceerno Njambaala (Anyam-Wuro-SireBoseya)

Ceerno Hoorefoonde (Boseya)Ceerno Bogel-Jaaba (YirlaaBe)Satigi Jaaba (YirlaaBe)Elimaan Mbolobiran (YirlaaBe)Satigi Mbolobiran (YirlaaBe)

Joom Lugge (YirlaaBe)Joom Galoya (YirlaaBe)Elimaan Galoya (YirlaaBe)ArDo Boke-jalluBe (YirlaaBe)Ceerno WanwanBe Mbumba (Laao)

Joom Mbumba (Laao)Joom Meri (Laao)Ceerno BusooBe Golleera (Laao)Ceerno NjaacBe (Madiina-Laao)Ceerno BarooBe Hayre (Laao)

Elimaan Boode (Tooro)ArDo Edi (Tooro)

Outre ces matres locaux, dont la liste est videmment trs loin d'tre complte, il y avait les farba, souverains antrieurs Koli, guerriers indomptables et paens impnitents, d'autant plus redoutables qu'ils taient rgulirement arms, et prts se mler de toutes les querelles, quand ils ne les provoquaient pas eux-mmes. Tels taient les SeBBe wurankooBe, dont les plus connus furent :

Farba Jowol (Diowol) Ngenaar le Samba Gelaajeegi lgendaire est de Jowol

Farba Erem

Farba Waalalde

Farba Njum (N'Dioum)

Farba ou Farmbal KayhayDi (Kadi)

Bumuy Hoorefoonde, etc.

Or, ces matres locaux, grands marabouts et gros propritaires fonciers, taient de vritables souverains de fait. Loin de dpendre de l'almaami et d'obir ses dcisions, ils jouaient au contraire le rle d'excutifs locaux de droit, dont les pires agissements laissaient l'almaami le plus nergique absolument dsarm, si ce n'tait plutt avec sa bndiction. En tout cas, il s'agissait l de fodalits ayant prcd et devant survivre l'imamat : comment ces tats dans l'Etat n'auraient-ils pas fait de l'almaami le chef d'une anarchie camoufle en fdration, une fdration qui avait pour objectif combien ambitieux d'unir des intrts trs divergents ! D'o ce pouvoir central, davantage nominal qu'effectif. En effet, la capitale de l'imamat se dplaait avec chaque nouveau mandataire, tandis que la demeure du prdcesseur tait sacrifie la coutume de la mise sac, comme pour signifier que son habitant n'tait plus rien. Par ailleurs, l'almaami ne disposait ni d'une force arme permanente, ni de la moindre garde prtorienne (certains almaami furent assassins sans difficult).Quant au peuple , il ne pouvait se sentir concern, dans la mesure o il n'tait ni lecteur ni ligible, l'almaami comme ses mandants appartenant aux seules grandes familles du pays. D'autre part, l'lection ou la dposition d'un almaami ne modifiait vraiment en rien la soumission du peuple son chef provincial ou ses matres locaux.La dure trs variable du mandat de l'almaami atteste bien la faiblesse de son pouvoir, savoir la ncessit dans laquelle il se trouvait de composer pour durer, ou intriguer pour obtenir un second voire un onzime mandat (tel Yusuf Sire Ly de Jaaba). Or, un pouvoir qui compose ou qui intrigue a finalement une action pour le moins limite, car il ne peut gure avoir d'autre proccupation que celle de durer...C'est peut-tre la raison pour laquelle le colonisateur, jouant de ces intrigues, voire entretenant savamment la division, parvint en 1881 s'annexer la totalit du Fouta, sans que ses diffrents chefs et son almaami Sire Baabaly Ly aient pu opposer une quelconque rsistance une opration, au demeurant prpare de trs longue date. Sans doute la conqute ne s'achvera vritablement qu'en 1891, quand le dernier rsistant Abdul Bubakar Kane de Dabya-Boseya aura succomb la force suprieure du colonisateur franais. Il est vrai qu'il fallut armer des assassins maures (les Shratit de la tribu des Idawaysh), pour rduire au silence dfinitif le turbulent nationaliste...La fin du rgime d'imamat, c'est l'organisation franaise du Fouta Tooro en Fouta sngalais, lequel semble avoir conserv ses limites d'alors, savoir les cercles contigus (dpartements depuis 1964) de Podor l'ouest et Matam l'est, comprenant les sept provinces dj mentionnes. Cette organisation ampute le Fouta Tooro d'un certain nombre de territoires. En effet, le pays des Toucouleur avait pour limite occidentale le centre de la ville actuelle de Dagana (100 km l'est de Saint-Louis-du-Sngal), capitale du royaume wolof du Waalo, et pour frontire orientale la muraille (tata Bacily) prsume du Tunka de Tyabu, le souverain des Soninke (Sarakolle) du Gidimaka traditionnel. Le tata Bacily, difi 40 km environ l'ouest de Bakel, longeait approximativement la valle du Njorol, qui est une rivire aujourd'hui tarie, mais qui fut jadis une eau relevant de la juridiction territoriale du Fouta Tooro. En ce temps-l, l'actuel village de Dembankaani tait le dernier poste avanc toucouleur face aux invasions de l'est. A l'heure actuelle, ce village est considr comme la charnire tout la fois gographique et linguistique entre Sonink et Toucouleur, c'est--dire entre dpartements de Bakel et Matam.Quant aux frontires septentrionale et mridionale de l'ancien Fouta Tooro, elles se trouvaient respectivement plusieurs dizaines de kilomtres des deux rives du fleuve Sngal, aux confins du Sahel et du Ferlo, jouxtant au nord les Emirats du Trarza, du Brakna et autres pays de souverainet maure, et s'adossant au sud au royaume wolof du Jolof.Et d'o vient que les Toucouleur soient aujourd'hui la population majoritaire, voire exclusive, d'un pays qu'ils auraient l'origine habit conjointement avec des Peul, Berbre, Maure, Manding, Serer, Wolof, etc. ? Comment une minorit parmi d'autres minorits est-elle parvenue sa situation actuelle majoritaire ?Ce problme a longtemps proccup et proccupe encore les chercheurs, tandis que deux thses se trouvent en gros affrontes. La premire, thse extrme, affirme que les Toucouleur n'existaient pas encore au temps du Tkrour ghanaen ou malien (entre le Xe et le XVIe sicles), et qu'ils sont apparus seulement avec le rgime monarchique des Satigi, la suite du brassage entre les peul DenyankooBe et les populations tkrouriennes conquises par ces Peul, savoir les Berbres, Maures, Manding, Sonink, Wolof, etc. Aux termes de la seconde thse moyenne , les Toucouleur taient dj des nationaux du Tkrour au moment de la conqute de Koli, nationaux trs mlangs aux autres minorits locales, ces mlanges bilatraux tant simplement accrus par le fait de l'apport ethnique supplmentaire, savoir les Peul DenyankooBe.Le champion par excellence de la thse extrme est sans doute le gnral Louis Faidherbe, ancien gouverneur du Sngal, selon lequel ... les Pouls (Peul) se croisrent (Toucouleurs) avec les ngres Ouolofs et Mandingues, qu'ils avaient vaincus... Cette modification semble rendre les Toucouleurs du Fouta Tooro capables de crer de puissants empires 5 ... Faut-il entendre par l que les Toucouleur sont issus de Peul et ngre, moins que la deuxime phrase et particulirement le terme modification ne signifie que les Toucouleur taient dj prsents, et que leur effectif seul s'accrut du fait de ces croisements ?Brenger-Fraud 6, empruntant une autre voie, aboutit nanmoins au mme avis que Faidherbe quant l'origine mtisse des Toucouleur. Selon lui, en effet, la dnomination de l'ethnie procde de l'anglais two colours, postulat d'un mlange entre les deux teintes de peau, noire et rouge, respectivement distinctives du ngre et du Peul.Mais, si l'on tient pour accord que les Toucouleur sont exclusivement issus du mlange Peul-ngre, il conviendra alors de prciser quels ngres sont viss parmi tous ceux qui habitaient le Tkrour. S'agit-il, comme c'est probable, des seBBe wurankooBe ou seBBe worgankooBe (les farba), qui sont considrs comme l'une des populations noires les plus anciennement tablies au Tkrour ? Plus prcisment, ces seBBe (sing. ceDDo) taient-ils soninke, wolof, ou serer, car tous trois sont dsigns du nom de seBBe par les Peul (et les haal-pulaaren) ? Mais une fois dtermine l'ethnie d'appartenance de ces seBBe admettons serer il se pose alors la question de savoir pourquoi le Toucouleur, issu de Peul et Serer, ne s'est assimil effectivement ni l'un ni l'autre de ses gniteurs ? Sans doute, il existe nombre de points communs entre Toucouleur et Serer, d'une part, Toucouleur et Peul, d'autre part, niais c'est toujours sur fond d'altrit culturelle. Et comment se fait-il, une fois Peul et Serer allis pour donner naissance au Toucouleur, non seulement qu'aucune des souches parentales ne se soit rsorbe dans l'autre, mais que la rsultante toucouleur enfant dcidment gnial se soit encore radicalement carte de l'un et l'autre parents ? En effet, les Peul, Serer et Toucouleur ont poursuivi sparment leur volution historique. C'tait probablement fatal pour les Serer qui allaient s'tablir ailleurs (Siin et Saalum notamment), mais paradoxalement c'est aussi ce qui est arriv aux Peul et Toucouleur, demeurs troitement lis par la gographie et l'histoire.Pourquoi donc les Peul, qui auraient mis les Toucouleur au monde et partagent avec eux la langue comme le territoire, pourquoi aujourd'hui ceux-l n'changent-ils qu'exceptionnellement des femmes avec ceux-ci ? Et mme sans cela comment peut-on comprendre que les Toucouleur aient une organisation castes multiples, alors que les Peul connaissent peine cette forme d'organisation sociale, tant presque toujours et avant tout pasteurs, quelle que soit la tribu dont ils se rclament. Au reste, lesdites tribus sont en nombre considrable, leur diaspora travers le Fouta Tooro s'tant opre par vagues successives, avant comme aprs Koli Tengela. Sans toujours parvenir les localiser avec prcision, l'on citera pour mmoire :

les JaawBe (parpills sur tout le territoire du Fouta et considrs comme la souche la plus ancienne, tablie depuis la priode tkrourienne et ayant donn naissance beaucoup d'autres tribus)

les NduyeeBe et les JooBe du Boseya

les BunngunaaBe, NjaakirnaaBe et HojonaaBe autour de Anyam-Hoorefoonde, comme dans le Boseya

les JowgelnaaBe de Caski

les BalaajinaaBe, les JalluBe, les HumbaynaaBe autour de KoBillo

les KaawelnaaBe, les YaalalBe, les MbalmbalBe, les SandaraaBe, les HaaBooBe, les FabaaBe, les DenyankooBe de Koli Tengela qui furent donc parmi les derniers s'installer

les SaybooBe, etc.

Comment ces groupements peul, bien distincts et fort conscients de leurs diffrences, sont-ils tous parvenus chapper aux brassages historiques avec les ngres, pour conserver leur puret originelle ? Et supposer qu'ils aient pris ces brassages leur juste part, mais aujourd'hui efface, quelle poque les brassages ont-ils connu leur terme ?En fait, la diffrence entre le Toucouleur et le Peul apparat aujourd'hui certaine. Peut-tre y a-t-il eu une sorte de diffraction des Toucouleur partir de leur mergence, c'est--dire partir du moment o les Peul leur donnaient naissance. Mais, alors, c'est une diffraction trs ancienne ce qu'il parat, car il n'est l'heure actuelle que de voir les sites toucouleur et peul tablis sur le mme territoire, pour constater combien le village du premier et le campement du second sont maints gards diffrents, singulirement au plan de la simple configuration spatiale. Comment peut-on alors admettre que les Toucouleur viennent des Peul, tout en s'en loignant sur autant de points, sur l'habitat, les techniques et l'organisation sociale ?Il n'est certainement pas niable que les Toucouleur soient mlangs de Peul, mais la rciproque est tout aussi vraie, ce qui semblerait attester une contemporanit probable des deux groupes. Ainsi, des Toucouleur authentiques sont :

Aan

Baa

Bary

Deh

Dem

Ja Jallo

Kaa

NgayDo

Soh, etc.patronymes spcifiquement peul

de mme, les Toucouleur partagent avec les Peul les anthroponymes de ceux-ci, tels :

MasculinFminin

HammadiSira

SambaKumba

DembaPenda

PaateTakko

YeroDaado

En revanche, toutes les nuances de peau, du rouge originel au noir fonc, sont reprsentes parmi les Peul, d'o l'apport assez peu contestable de sang tranger la race . Sans compter ces Peul passs dfinitivement chez les Toucouleur et intgrant forcment leur hirarchie sociale, savoir les JaawamBe, dont il est coutumier de dire qu'ils taient initialement des Peul de stricte tradition; ils semblent en tout cas en avoir conserv un certain profil. Les WambaaBe griots guitaristes ne sont-ils pas eux aussi des Peul toucouloriss , tant donn que Baa est leur patronyme quasi exclusif ?Or donc, la thse pour ainsi dire unilatrale de l'origine ngro-peul des Toucouleur n'est certainement pas sans faille. En tout cas, le problme apparat beaucoup plus complexe que ne le donnaient entendre Faidherbe 7 et Brenger-Fraud 7. Pour sa part, Delafosse 8, s'insurgeant contre l'interprtation des auteurs prcdents avancera que les Toucouleur taient des autochtones du Tkrour originel. Les Wolof, voisins mridionaux (Jolof) et occidentaux (Waalo) du Tkrour, en firent, selon Delafosse, Tokolor et Tokoror pour dsigner indiffremment le pays comme ses habitants. Tokolor et Tokoror devinrent toucouleur pour la transcription franaise. Tandis que les autres voisins des Toucouleur, savoir les Maures, nommaient Takruur le pays, et Etkaarir (sing. Tekruurii) ses habitants. Aujourd'hui encore, n'importe quel boutiquier maure install au Sngal connat le Toucouleur sous ce mme nom de Tekruurii. Enfin, il convient d'ajouter cette vritable inflation de dnominations, le nom que les Toucouleur se sont donn, soit Haal-pulaaren (les pularophones), soit FutankooBe (habitants du Fouta).Quant la langue toucouleur, ou pulaar, que Faidherbe rputa poul (peul), elle est au contraire considre par Delafosse comme ayant strictement appartenu aux Toucouleur du Tkrour, auxquels les Peul migrants judo-syriens vinrent l'emprunter au passage, pour la substituer leur dialecte initial paradoxalement oubli en cours de migration...

Par-del ces controverses, il faut reconnatre dment la difficult majeure du problme des origines. Chacune des thses en prsence dispose d'une argumentation tout aussi persuasive que rfutable. Pour notre modeste part, nous admettrons provisoirement que les Toucouleur contemporains du haut Tkrour, ou lui tant bien postrieurs taient des mtis au mme titre que les autres populations, s'il est vrai que le Tkrour tait comparable au melting pot , o des groupes sociaux autochtones guerroyaient les uns contre les autres et se mlangeaient, les plus forts rduisant les plus faibles en esclavage et s'emparant de leurs femmes. Combien de Toucouleur du Fouta Tooro actuel se reconnaissent une ascendance maure, soninke, wolof et peul naturellement ? Combien de Lebou du Cap-Vert, et de Wolof de maintes rgions du Sngal, admettent volontiers tre de descendance toucouleur et peul, en ne remontant gure plus loin qu' leurs grands-parents ? Combien de Serer dclarent leur parfaite identit ethnique originelle avec les Toucouleur ?A cet gard, il ne s'agit peut-tre pas des lgendes ou ides reues, indfiniment transmises par l'oralit travers les gnrations successives. Il y a au contraire une part certaine de ralit dans tous ces apparentements, quoique l'explication n'en soit jamais bien aise.Si l'on admet que l'histoire fut entre autres soubresauts une suite de guerres et de famines, du coup l'on accepte qu'aucune population du Tkrour ne parvint sans doute jamais se fixer dfinitivement o elle tait tablie ni, plus forte raison, ne demeura stable au plan biologique. La condition humaine de l'poque ne le permettait certainement pas. Ainsi, pour s'en tenir un seul exemple justement clbre, l'on citera le cas de Njajan Njaay, anctre lgendaire des Wolof, partant de son Jolof natal en simple chasseur, y revenant rgner longtemps aprs, non sans au pralable avoir t farba Nium (toucouleur), puis brak du Waalo...Il est clair que les Toucouleur sont mtisss, comme les autres groupes sociaux. Les Toucouleur ont sans doute reu des valeurs, mais ils en ont certainement cd de leur ct, dans cet change fatal entre civilisations et cultures confrontes par la communaut territoriale. Tmoins, ces patronymes trangers qui ont intgr l'ethnie toucouleur, tels :

Patronymes Wolof emprunts par les Toucouleur

Gay, Gey, Joop, Mbooc, Njaay, Saar, Sek

Patronymes Toucouleur emprunts par les Wolof

Kan, Ley (Ly) Sal, Sy

Patronymes Serer emprunts par les Toucouleur

Fay, Jaak, Sook

Patronymes Toucouleur emprunts par les Serer

Bakhum (Bookum), entre autres

Patronymes soninke (sarakolle) emprunts par les Toucouleur

Darame, Jaginte, Kadisokho, Kebbe, Gasamma, Sakho

Patronymes arabo-berbres emprunts par les Toucouleur

Faal, Jaabi, Jaany, Haydara, Hameyti

Patronymes manding emprunts par les Toucouleur

Keyta, Kante, Kulibaly, Taraore, etc.

La liste risquerait d'tre fort longue s'il fallait numrer les apports rciproques ou changes entre les Toucouleur et leurs voisins. Non seulement, il y eut de nombreux changes d'anthroponymes, ce qui d'une certaine manire correspond des changes matrimoniaux, mais encore, il intervint des changes de techniques, d'ides et de valeurs. L'on peut, par consquent, dire qu'il s'est produit une vritable interpntration de civilisations, celles-ci tant d'autant plus compatibles qu'elles appartiennent une mme aire gographique. Encore de ce point de vue des changes rciproques, et par-del les contacts aux frontires territoriales des ethnies, ces dernires se retrouvent actuellement dans les villes du Sngal, par exemple, o elles vivent au mme rythme, sont soumises des lois uniques qui ne sont plus tribales mais nationales accomplissent un labeur semblable, pour l'obtention d'un salaire gal, qui subvient peut-tre des besoins peu prs similaires.Est-ce que cette standardisation acculturation qui puise ses valeurs des sources communes ne contiendrait pas, l'horizon de l'histoire, mais dans un dlai difficilement chiffrable, la ncessaire fusion des ethnies sngalaises ? Et si cette hypothtique fusion des ethnies devait triompher un jour, lesquelles des valeurs actuellement en comptition l'emporteraient, et quelles d'entre elles seraient effaces ?Ou bien cette standardisation doit-elle demeurer une simple tension vers l'assimilation des ethnies les unes dans les autres, tension inacheve sinon identification asymptote, chaque groupe parvenant au maintien irrductible de son particularisme et digrant pour ainsi dire les valeurs reues, qui se trouvent par le fait mme dment remanies ?En un mot, est-il raisonnable de penser l'mergence plus ou moins loigne de nations africaines uniformes, ou bien est-il au contraire plus raliste de songer un processus d'volution sociale complexe, o les citadins seraient radicalement dtribaliss , alors que les habitants des zones rurales suivraient distance une mme tendance la mutation, mais selon des voies propres et des rythmes de moindre acclration, en raison de la rsistance tenace des particularismes ethniques ?

Mais, en dfinitive, que les Toucouleur procdent simplement du mtissage, qu'ils constituent le clan d'une tribu (quelle tribu ?), ou apparaissent comme tribu d'une ethnie dterminer, voire ethnie linguistique , le fait majeur est qu'ils sont aujourd'hui la population dominante du Fouta Tooro. C'est, par consquent, ce titre d'entit territoriale distincte et majoritaire que la population toucouleur 9 va tre tudie.

L'aire gographique du Fouta Tooro actuel constitu par les deux dpartements de Podor et Matam, adosss au fleuve Sngal et confinant la steppe du Ferlo totalise 25.093 km2 10. Chacun de ces deux dpartements comprend quatre arrondissements, lesquels recouvrent approximativement les anciennes rgions traditionnelles, soit :

Dimar (chef-lieu actuel Cile-Bubakar)

Tooro (chef-lieu actuel Njum)

Laao (chef-lieu actuel Kaskas)

YirlaaBe (chef-lieu actuel Salde)

Boseya (chef-lieu actuel Cilony)

Ngenaar (chef-lieu actuel Wuro Soogi)

Damga (chef-lieu actuel Kanel). Toutefois, le Damga, qui a t scind en deux arrondissements (1957), a par consquent un second chef-lieu, savoir Semme.

Le Fouta Tooro actuel comprend 588 villages, c'est--dire l'ensemble des hameaux groupant parfois moins de 10 personnes, et des bourgs qui rassemblent plus de 3 000 mes, tels Kanel (3.041) et Cilony (3.437). Tandis que les deux prfectures (Matam : 6.000 habitants, et Podor : 4.682 habitants, selon le recensement de 1960) sont pour l'instant les seules communes du Fouta, mais aussi les seules agglomrations en voie d'urbanisation.A s'en tenir au seul territoire des deux dpartements prcits, les Toucouleur avoisineraient 229.000 personnes ; toutefois, ce nombre parat insuffisamment pondr, et il convient d'y inclure dment tous les migrants Toucouleur absents au moment des oprations de recensement, et compts dans les villes du Sngal o ils se trouvaient (50.000 dans la rgion dakaroise), ou alors non recenss en fait, parce que provisoirement installs hors du pays (France, Libria, Congo, et dans plusieurs villes de l'Afrique noire). Il est d'autre part ncessaire de retrancher de ce nombre de 229.000 les non Toucouleur qui s'y trouvent indment compris, savoir les Peul, Maures, Wolof et Sarakolle, galement fixs dans ces deux dpartements de Matam et Podor. Il est probable que le nombre inclure dpasserait de beaucoup celui soustraire 11.

3. Les genres de vie toucouleur.

Le Toucouleur du Fouta quels que soient respectivement sa caste d'appartenance, son sexe et son ge est d'abord un terrien, c'est--dire qu'il est adonn l'agriculture (ndema), en vue de la production quasi exclusive du mil, denre fondamentale de son alimentation traditionnelle. Deux varits de cette crale se partagent l'activit annuelle du cultivateur: d'une part, le petit mil (suuna), et le gros mil (samme), d'autre part, rcolts successivement l'issue de deux campagnes agricoles distinctes. La premire campagne commence avec les pluies de juin, et s'achve en novembre avec la moisson du petit mil, dont la terre de prdilection est le jeeri (hautes terres). La seconde campagne consiste gnralement en ces cultures de dcrue opres dans le waalo (basses terres) aprs l'inondation annuelle, et s'tale de novembre avril, tandis que mai apporte au village la moisson du juteux samme, la douceur vocatrice du lait.Il faut ajouter cette double rcolte une autre production agricole, mais somme toute secondaire, tant donn qu'elle se rduit de faibles quantits de mas (makka), haricot (nyebbe), arachide (gerte), patate (fataata), citrouille (jayeere) et courge (dene). En revanche, certaines autres denres seront gnreusement offertes par la nature, tels fruits et feuilles (Bohe e laalo) du baobab (Adansonia digitata), fruits (jaBBe) du tamarinier, etc.Les mthodes agricoles comme les instruments de production sont, dans l'ensemble, demeurs tels que les anctres les avaient lgus, savoir le dur labeur de l'aurore au crpuscule, courbant littralement l'homme sur la glbe. Le cultivateur ne dispose que de la houe (jalo) et de la hache (jambere). Et il ne connat ni engrais ni fongicide, si ce n'est sa sueur fcondante. Quant aux amliorations mcaniques, elles sont inexistantes, l'utilisation de l'animal de trait tant par ailleurs exclusivement rserve au transport des rcoltes, en vue de leur engrangement au village. Certes la puissance publique, ds la priode coloniale dj, a tent de remdier l'anachronisme des mthodes et l'insuffisance de la production. Mais, ces tentatives de l'administration, qui taient orientes vers une certaine amlioration ont gnralement connu un succs limit. C'est que la force d'inertie de toute tradition est considrable. Sans compter que les amliorations prnes impliquaient souvent un investissement priv, dont il apparat que le paysan ne possdait et ne possde toujours pas les moyens le revenu annuel par habitant plafonnant autour de 15.000 F CFA alors que la puissance publique, quant elle, ne semble pas tre en passe d'y pourvoir massivement.De sorte que le statu quo semble devoir se maintenir encore pour une dure prolonge, dans le mme temps que les rendements agricoles continueront d'accuser leur mdiocrit chronique, tout la fois cause d'une proprit foncire trop concentre ou trop morcele selon les terroirs, et en raison d'une insuffisance de la main-d'oeuvre migre dans les villes. Ces dernires sont gnralement considres par les campagnards toucouleur comme davantage propices la vie humaine, car il est certain que l'indispensable numraire y sera plus accessible.L'agriculture, activit traditionnelle et universelle des Toucouleur, n'est pas agriculture de march, puisque la production en apparat dficitaire et non excdentaire. Au Fouta, c'est peu prs la seule agriculture de subsistance qui est pratique, contrairement d'autres rgions du Sngal o la culture de l'arachide, en pays Wolof surtout, donne lieu commercialisation et constitue pour le paysan, au moins une fois l'an, une maigre perspective d'entre d'argent.Le Toucouleur, quant lui, devra sortir priodiquement de son Fouta pour avoir chance de trouver dans les zones urbaines, naturellement l'appoint montaire qui satisfera ses besoins sociaux accrus. D'o l'exode rural, dont l'importance numrique et les consquences sociologiques apparaissent considrables 12.La seconde activit des Toucouleur, quant aux effectifs engags, est probablement la pche (awo). Toutefois, il s'agit d'une activit spcialise, ouverte en majorit par consquent la caste des pcheurs (subalBe), et plus rarement d'autres castes, tels maccuBe (esclaves), seBBe, etc. Il va de soi que les seuls professionnels, savoir les subalBe, en font mtier, se transmettent les secrets (cefi), et investissent par ailleurs volontiers pour crer et renouveler les instruments de pche. Les autres sont en quelque sorte des amateurs, cherchant simplement leur subsistance quotidienne.La pche est surtout productive pendant la priode des hautes eaux, au cours de laquelle les villages les plus loigns du fleuve peuvent consommer du poisson bon march. Apparemment, il n'existe pas de circuit commercial du poisson, du moins un circuit de grande envergure, tant donn la difficult voire l'absence du transport. Le plus souvent, le poisson sera commercialis aux abords immdiats du lieu de pche, dans les chefs-lieux d'arrondissements et les prfectures, toutes agglomrations gnralement dotes de marchs couverts. Le poisson pourra galement tre troqu contre le mil du cultivateur, ou bien le lait du pasteur peul.

L'levage (ngaynaako ou coggal) vient ensuite, aux trois quarts domin par les Peul, les Toucouleur se rpartissant le dernier quart. Les grands leveurs sont gnralement peul, et ils vivent le plus souvent proximit immdiate des cultivateurs toucouleur, parce que ceux-ci sont les clients de ceux-l pour le lait, le beurre et la viande, en mme temps que fournisseurs de mil et de toutes les denres agricoles. Sans doute, les Peul prfrent se mettre l'cart, mais pas trop loin cependant, dans ces campements provisoires, qu'ils quittent priodiquement pour suivre la transhumance, car ils sont d'abord proccups de la vie de leurs troupeaux. C'est ainsi que les JaawBe ont essaim travers tout le Fouta, se retrouvant mme jusque dans le Jolof et le Saalum. Cependant, en dpit de cette nomadisation qui est leur caractristique dominante, les leveurs peul n'en sont pas moins les habitants majoritaires de certains villages sdentaires et qui sont de tradition peul fort ancienne, tels que Mbanntu, Gamaaji, LeeraaBe, Galoya FulBe, Njaakir, GuduDe, Fumihaara, Yarimale, etc.L'levage des bovids est beaucoup plus important que celui des caprins et ovins. Gnralement toucouleur, un petit levage familial de poules et animaux de charge, tels que chevaux et nes, vient complter le tableau. Il faut noter que l'levage comme l'agriculture excluent toute considration de caste, except en ce qui concerne l'ne traditionnellement rserv en priorit aux lawBe (boisseliers), notamment pour le transport des pices de bois sculpter.En tout cas, l'levage du Fouta Tooro trouve d'importants dbouchs dans les villes du Sngal: Louga, Kaolack, Diourbel et Dakar, naturellement, chacune d'elles possdant son march aux bestiaux (daral), o les bouchers urbains s'approvisionnent quotidiennement en viande sur pied, et les turfistes et cochers viennent quelquefois faire acquisition de chevaux.Localement, savoir dans le Fouta mme, l'levage donne lieu commercialisation de moindre envergure videmment que celle d'un quelconque daral urbain. Il y aura, bien sr, un troc du lait frais ou ferment, produit par les Peul, contre le mil, dont les Peul ne pourraient autrement disposer, puisqu'ils s'excluent de toute activit conomique qui n'est pas le seul levage.

En complment l'levage, il faudrait peut-tre ajouter la chasse (waanyo, ou raddo). Mais, elle a t soumise tant de servitudes administratives, qu'elle semble sur le point de tomber en dsutude complte. Jadis, le chasseur tait une personnalit sociale considrable et redoute, cause de son commerce nocturne avec les animaux, et peut-tre aussi avec les esprits. Le nemrod (baanyoowo) tait d'une certaine manire le magicien, vivant l'cart de ses concitoyens, mlangeant ses poudres et ses clats de fonte. Le seul homme qui ne redoutait pas le chasseur tait probablement le forgeron, parce que celui-l dpendait de celui-ci pour la fabrication de son arme meurtrire aux animaux. Les premiers chasseurs taient de caste ceDDo, celle qui donnait la mort et ne la craignait pas, celle qui savait faire parler la poudre contre les hommes combattre, et contre les animaux froces, dont il fallait se dfendre voire se nourrir.L'anctre des chasseurs, venu du Jolof, poursuivit son gibier jusqu'au bord du fleuve Sngal. Il tait cheval, portant arc (laanyal) et fusil (fetel), suivi de son chien fidle. L'aventure le fit aboutir Njum, dont il devint farba, aux termes de la lgende de Njajan Njaay dj rencontre.Aujourd'hui, le chasseur reprsente une catgorie sociale en voie de disparition, parce que les forts sont classes et y veille, d'autre part, le garde-forestier, galement garde-chasse. L'on peut bien sr transiger avec lui, qui ne demande qu' fermer les yeux, si l'on sait y mettre le prix. Encore que le braconnage soit monnaie courante, il est certain que la chasse ne constitue plus gure une activit conomique srieuse. En outre, la chasse n'est l'apanage d'aucune caste, mais une simple condition sociale comme l'agriculture et l'levage.

Quant aux activits de la catgorie artisanale, elles sont aussi diverses que les castes sont spcialises. En raison d'une certaine industrie locale implante surtout dans la rgion dakaroise mais sans envergure encore, quoique prenant timidement le relais de l'importation en raison galement de l'volution des mentalits, devenues exigeantes quant la qualit de la marchandise, il est clair que les activits artisanales sont soumises rude concurrence, du fait de la fabrication europenne, qui n'est pas forcment moins bon march. Par exemple, le vtement ne ressortit plus gure qu' cette petite industrie sngalaise (conjointement avec l'importation). Il en va de mme de la chaussure, et de quantit d'autres articles d'usage courant.De sorte que les artisans apparaissent d'une certaine manire limits, quant leur production traditionnelle, parce qu'ils trouvent de moins en moins de dbouchs ou rentabilit leurs professions respectives.Peut-tre le travail des mtaux n'est-il pas rellement menac pour le moment, car la fabrication des bijoux correspond une esthtique toucouleur spcifique, dont le seul artisan (baylo caayako) du cru dtient le secret, pour donner forme au prcieux mtal (or ou argent). D'autre part, les instruments traditionnels agraires ou culinaires notamment n'tant pas tout fait suranns, le forgeron (baylo Baleejo), le boisselier (labbo), le potier-cramiste (buurnaajo), voire le cordonnier-bourrelier (sakke) trouveront encore localement de substantiels dbouchs, mme si c'est quelquefois par l'entremise du troc, qui leur permet d'obtenir les denres alimentaires, dont ils ne sont les producteurs directs qu'assez rarement, sinon en trs faibles quantits.Les genres de vie traduisent par consquent une conomie toucouleur caractre peu prs exclusivement domestique, encore sans doute trop partiellement investie par la monnaie. Pourtant, ce numraire quasi absent demeure une ncessit irrfragable. Car la fiscalit n'pargne nul citoyen valide, et la rcupration de l'impt est toujours seconde par le garde rpublicain (ex-garde cercle), redout congnitalement pour ainsi dire par le paysan sngalais de n'importe quelle ethnie. Au besoin, l'on vendra ce que l'on possde de plus prcieux la maison pour donner l'Etat ce qu'il rclame : le minimum fiscal rural est pass en 1961 de 250 400 francs CFA par tte d'habitant. Et faute de s'acquitter de cet impt de capitation, l'on risque srement d'tre malmen, sinon de connatre la prison dpartementale...

Notes1. Le Tooro (dpartement de Podor), capitale Gede (Gud), aurait t assez longtemps l'unique territoire du Fouta actuel, territoire ayant par consquent largement rayonn, soit par les conqutes de son roi (laam Tooro), soit par le dplacement de ses habitants, qui allaient la recherche de pturages et de terres de culture, par suite de surpeuplement. Quoi qu'il en soit, l'adjonction de Tooro Fouta vite toute confusion avec d'autres pays du mme nom, notamment Fouta Kingi (Kingui-Mali), Fouta Bunndu (Boundou-Sngal) et Fouta Jalon (Diallon-Guine). Car, il apparat que tout tablissement toucouleur ou peul reoit habituellement le nom de Fouta.2. Selon l'histoire lgendaire, les premiers occupants du Tkrour furent les Ja-Oogo (Dya-Ogo), des arabo-berbres, dont le rgne aurait totalis cent quarante ans. Ils furent remplacs par les Manding SosBe (Manna), qui conservrent le pouvoir pendant trois cents ans. Aprs quoi, c'est la premire priode peul, celle des Jallunke (Diallonk), appele aussi Tonjong (Tondiong) viennent ensuite les Sarakolle (Tuge). Puis d'autres Jallunke (Laam-Termes) s'installent, pour tre finalement chasss par Laam-Taaga (Tagant?), celui-l mme qu'aurait remplac Satigi Koli Tengela. Tonjong, Tuge, Termes, Taaga et Satigi auraient totalis entre quatre et six sicles, sous rserve de la dilatation du temps qu'opre gnralement l'histoire lgendaire. Le Tkrour aurait donc connu, depuis ses origines jusqu'au XVIIIe, sicle, sept dynasties distinctes, dont deux arabo-berbres, une malink, une sonink et trois peul, l'histoire traditionnelle ne semblant pas faire beaucoup de diffrence entre peul et toucouleur.3. Cette liste est extraite d'un des nombreux Tarikh-el-Fuutiyu, que possde chaque marabout toucouleur jouissant de quelque renom. Il s'agira gnralement de quelques feuillets soigneusement calligraphis en langue arabe, et qui disent retracer en se servant amplement de lgendes l'origine du Fouta Tooro et de ses habitants actuels, tous descendants authentiques du prophte Mahomet! selon certains de ces manuscrits...4. La monarchie thocratique lective du Fouta , ou Suite chronologique des Almaami , Gossas, 1960, 3 pages dactylographies, texte que son auteur, M. Buubu Sal, instituteur hors classe, nous a aimablement communiqu.5. Faidherbe (L.), Voyage de MM. Mage et Quintin dans l'intrieur de l'Afrique (Annales des voyages, IV, 1866, p. 10).6. Brenger-Fraud (J.-L.), Les Peuplades de la Sngambie Paris 1879.7. Faidherbe (L.), op. cit. ; Brenger-Fraud (J.-L.), op. cit.8. Delafosse (M.), Haut Sngal-Niger, Paris, 1912, 3 vol., t. 1, p. 119 et passim.9. A l'exclusion, naturellement, des Toucouleur du Bunndu (Sngal), du Masina (Mali) et de Dingiray (Guine).10. Le dpartement de Podor, plus tendu (12.947 km2) que celui de Matam (12.146 km2), compte en revanche moins de villages (252 contre 336), moins d'habitants (97.966), et une moindre densit au km2 (25 contre 50 en tenant compte des maxima). En consquence, le dpartement de Matam lira quatre des sept reprsentants du Fouta Tooro l'Assemble nationale du Sngal, qui compte quatre-vingts dputs.11. Selon des sondages administratifs trs approximatifs (Service de la statistique et de la mcanographie), le Sngal comporterait actuellement 3.200.000 habitants se rpartissant en :

Wolof (et Lebu) : 1.152.000

Peul : 560 000

Serer: 528.000

Toucouleur: 442.000

Diola: 180.000

Divers: 308.000, soit Manding, Bambara, Malinke, Koniagi, Basari, et autres minorits ethniques

trangers non africains: 50.000 (Franais, Libano-Syriens, etc.) (cf. galement: La dmographie du Fouta Tooro , MISOES, juillet 1959).

12. Diop (A) Socit toucouleur et migration Dakar, I.F.A.N., 1964.

Chapitre premierLa stratification sociale toucouleur

I. Classe d'ge et Caste.

Le groupe social toucouleur pourrait certes tre envisag du point de vue des classes d'ge qui le constituent, et qui sont de vritables microcosmes de la socit globale.

Mais, s'il est certain que l'ensemble des gnrations masculines comme fminines d'un mme quartier de village se trouvent rparties dans un nombre fini de classes d'ge, et que par ce biais il soit possible de cerner une forme de hirarchie sociale, celle-ci resterait cependant nominale. Car, les rapports entre les classes d'ge ne sont pas aussi nettement codifis, ni mme aussi permanents que ceux existant entre les castes. Les castes rendent plus srement compte de la stratification sociale que les classes d'ge, pour la raison majeure que celles-l sont plus durables que celles-ci. En effet, les classes d'ge ont une existence plutt limite dans le temps, tant mme compltement dnues de fonction pratique partir du moment o leurs membres deviennent pres ou mres de famille, et se trouvent par consquent nantis de responsabilit sociale. Ds lors, la classe d'ge (fedde) devient plus apparente que relle, davantage classificatoire qu'effective. Elle n'aura plus gure s'exprimer comme classe d'ge, qu' des intervalles toujours plus irrguliers, par exemple lors d'vnements sociaux comme la naissance et le deuil. Et encore, en ces occasions l'expression de la classe d'ge est trop partielle ou trop diffuse, parce qu'elle est constamment masque, voire oblitre par la socit globale, laquelle videmment il incombera davantage d'effectuer l'vnement social en question.En fait, la classe d'ge ne prend sa pleine importance sociale que pendant la jeunesse et l'adolescence de ses membres. Car, la classe d'ge est tout d'abord un groupe de jeux, o se retrouvent naturellement tous les enfants d'un mme voisinage (quartier), ayant mme sexe et d'ge relativement proche, une diffrence de l'ordre de trois ans, voire davantage restant encore tolrable. C'est seulement quand ses membres ont atteint l'ge de 10-12 ans que le groupe de jeux se transforme solennellement en classe distincte, l'instigation des parents. Dsormais, et pour le restant de ses jours, l'individu appartient telle classe d'ge du village, moins qu'il ne rejette cette appartenance ou n'en soit rejet par le groupe, la suite d'une faute grave. Auquel cas, il est souvent mis durablement l'index par ses camarades solidaires, qui cessent de le frquenter et de s'intresser son existence. Mais, le temps finit toujours par arranger ce genre de conflits internes, les parents aidant, ainsi que les ans des classes antrieures.Chaque classe d'ge masculine (fedde worde) aura pour complment une classe fminine (fedde rewre). Et toute classe considre formera avec celle qui prcde (fedde dow) et celle qui suit (fedde les), la trinit de la gnration sociale au sens large. Gnration sextuplement compose, au reste, puisque les trois classes masculines correspondent trois classes fminines qui les compltent.A dater de sa formation, et jusqu'aux premires annes de la maturit sociale que confre l'ge adulte, la classe d'ge jouera donc son rle, qui est d'entraide, d'ducation et d'apprentissage de la vie collective. L'entraide prendra toutes formes requises par la solidarit sociale, notamment l'effectuation collective (Doftal) de tous les travaux incombant aux membres de la classe d'ge dans leurs familles respectives.La fonction ducative est, par exemple, l'ostracisme collectif inflig au membre rcalcitrant. C'est galement la correction qui lui est administre : le coupable, qui ne se doute de rien, est sous un prtexte quelconque entran hors du village, par deux ou trois de ses camarades dment dsigns pour excuter la sentence, arrte clans le plus grand secret par le groupe. Celui qui reoit la correction mrite par sa conduite n'a nul recours, si ce n'est de garder le silence et rentrer dans le rang, non sans ruminer sa vengeance, que la classe d'ge lui offre volontiers, en en faisant un excuteur de choix la correction collective suivante.L'apprentissage de la vie sociale active c'est la structure de la classe d'ge qui en rend compte, d'une certaine manire. En effet, tout membre de la classe d'ge y entre en tant qu'il est dj originaire d'une caste dtermine : l'on occupe au sein de la classe d'ge le rang que rserve la caste. Non seulement ce rang ad valorem, mais encore la fonction, ou le mtier de ladite caste. Par exemple, le chef de la classe d'ge ne saurait tre que de caste tooroodo, c'est--dire appartenir en fait l'aristocratie politique et religieuse de la socit globale 1.Ds lors, il ne semble pas indispensable notre propos d'envisager le dtail de la constitution et du fonctionnement de la classe d'ge, pour trois raisons fondamentales : parce que la classe d'ge a une existence limite dans l'histoire individuelle de ses membres ; en outre, parce qu'il s'agit d'un groupement tant soit peu prcaire, la classe d'ge tant une organisation sociale sans vritable caractre contraignant : l'on y entre au moyen du seul critre de l'ge, et l'on demeure en somme libre d'en sortir quand bon vous semble ; enfin, parce que la classe d'ge est une reproduction simplifie, plutt tronque de la socit globale, dont elle copie tant bien que mal la hirarchie effective.C'est plutt cette hirarchie relle que l'on va donc tenter de cerner, en examinant les castes toucouleur et leur mode d'agencement spcifique.

II. Les castes (leJJi)

L'emploi pour ainsi dire gnral du terme de caste, pour la description des socits ngro-africaines, n'est-il pas quelque peu contestable, et ne constitue-t-il pas un rapprochement par trop sommaire avec l'Inde, o cette forme d'organisation sociale a tout d'abord t observe ?Le terme de caste conserve-t-il un sens univoque pour l'Inde et l'Afrique noire, malgr la diffrence fondamentale entre une socit strictement endogame excluant les intouchables, et une quelconque ethnie africaine o la pratique plus souple de l'endogamie est connue, comme l'ingalit des individus, mais sans que cette ingalit se traduise dans une antinomie sacre entre suprieur et infrieur ?L'analogie ne manque pas d'tre superficielle entre castes de l'Inde, d'une part, et castes africaines, d'autre part. Nanmoins, faute d'un concept davantage appropri la ralit africaine, l'on continuera de faire usage du terme de caste pour la description de la socit toucouleur. Mais l'on fera beaucoup de rserves, toutefois, dans la mesure o il nous a sembl avoir affaire moins des castes proprement dites qu' des catgories sociales complexes, catgories plutt juxtaposes, sans tre pour autant trs nettement diffrencies les unes relativement aux autres.Tout d'abord, l'on passera en revue lesdites castes toucouleur. Aprs quoi, il sera tent sinon de dterminer la limite de la notion de caste, tout le moins de dgager la logique du systme social des Toucouleur du Fouta Tooro.De prime abord, l'tude des castes toucouleur suggre la correspondance avec une certaine configuration de l'espace villageois, o lesdites castes se rpartissaient jadis en fonction directe du rle social, soit encadrement (chefferie temporelle et spirituelle), soit production conomique. Grosso modo, les castes de l'encadrement social s'installaient au centre de l'agglomration, tandis que les castes productrices se situaient la priphrie, et d'autant plus loignes du centre que leur fonction conomique les mettait en contact troit avec la nature, dont il fallait en consquence se rapprocher.Toutefois, l'origine de maints villages toucouleur, il y a gnralement l'initiative d'un ou plusieurs fondateurs le plus souvent de caste libre. Et c'est par la suite seulement que l'initiateur, ou le groupe restreint des fondateurs, aura t progressivement rejoint (nooteede) par d'autres personnes, qui plantaient leur cases un peu au hasard et au fur et mesure de leur arrive. De sorte que la configuration spatiale villageoise, dans la majorit des cas observables, obit rarement la rgle de partage harmonique de l'agglomration en secteurs rservs ses diffrentes castes constitutives. En rgle pour ainsi dire gnrale, telle caste dtermine se trouvera parpille au sein du village, dont le clivage social est donc davantage familial. L'ancienne et hypothtique sgrgation de l'habitat en fonction des castes semblerait plutt avoir fait place une certaine confusion ou anarchie de la configuration spatiale villageoise.Sans doute, il existe au Fouta un grand nombre de villages spcifiques, dont les habitants appartiennent une caste unique, qui pourra tre soit professionnelle soit servile. Tandis que d'autres villages du Fouta Tooro auront et l conserv des quartiers que leurs dnominations dsignent comme territoires anciennement dvolus telles castes dtermines, leegal koreeji, leegal seBBe, leegal tooroBBe, subalo, etc. Actuellement, toutefois, par-del les quartiers (leeDe) constitutifs du village, il est courant que les habitants soient organiss en kinnDe, ou groupements des personnes appartenant la mme caste (hinnde jaawamBe, hinnde maabuBe). Ou bien, le hinnde sera l'une des principales familles locales (en nombre variable) qui, outre leurs membres authentiques, intgrent une vritable clientle , savoir les gens de castes infrieures, dpendant traditionnellement de ces grandes familles depuis la plus lointaine origine.

En second lieu, les castes peuvent tre cernes sous l'angle du labeur qui leur est dvolu dans la division gnrale du travail, savoir la fonction de l'homme de telle caste dtermine. Cette fonction pourra tre un mtier que l'on se transmet de pre en fils, ou bien une condition qui ne trouve plus d'exutoire, en raison des mutations sociales qui en limitent l'exercice, ou le rendent impossible. Le mtier c'est, par exemple, celui du savetier (sakke), alors que la condition sera essentiellement celle du tooroodo, ancien cadre social traditionnel, dchu par la colonisation et une certaine forme de dmocratie sociale. La condition peut encore tre celle de l'esclave de naissance qui, pour les mmes raisons sociales prcdentes, ne sera pas fatalement soumis un matre.A ces rserves prs, les castes correspondraient une certaine division du travail social. La fonction d'encadrement, l'autorit politique autrement dit, aurait initialement appartenu aux seBBe (guerriers) avant que se substituent eux les tooroBBe, ces derniers s'emparant en outre de l'autorit religieuse (ceerno). Les jaawamBe auraient intgr par la suite cette classe dirigeante politique et religieuse, au titre de conseillers (sooma) avertis des princes tooroBBe.Quand ils se trouvrent compltement destitus de leur rle social prminent, la majorit des seBBe furent rduits l'oisivet, tandis que certains d'entre eux prenaient la fonction de gardiens (jagaraf) de la terre, moins de rallier le groupe des subalBe (pcheurs), lesquels, en leur qualit de matres incontests des eaux (jaaltaaBe), forment le quatrime lment de l'encadrement social toucouleur.Aprs les castes d'autorit tooroBBe, seBBe, jaawamBe et subalBe viennent les travailleurs manuels, dont la spcialit dpend videmment de la matire qu'ils doivent transformer. Les professionnels stricto sensu 2 sont :

les tisserands (maabuBe)

les forgerons et orfvres (wayilBe)

les peaussiers (sakkeeBe)

les boisseliers (lawBe)

les cramistes (buurnaaBe)

A ces diffrents travailleurs manuels viennent se joindre ceux que l'on pourrait appeler les techniciens de la diffusion, c'est--dire tout la fois les musiciens, chanteurs, laudateurs et autres amuseurs publics. Ce groupe, fort diversement constitu, comprend :

les griots gnalogistes (awluBe) des tooroBBe

les guitaristes (wambaaBe), les glorificateurs des seBBe (lawBe gumbala)

les courtisans des peul et subalBe (maabuBe suudu Paate), et ceux des jaawamBe (maabuBe jaawamBe)

Enfin, au bas de l'chelle se situe la caste des serviteurs, c'est--dire les esclaves de tous ordres (maccuBe), dont les matres seront soit de la catgorie sociale dirigeante, soit de la catgorie professionnelle des travailleurs manuels et des griots.

Toutefois, la fonction dvolue l'homme, dans la division du travail social, ne rend pas suffisamment compte de la notion de caste. Car si l'on envisage uniquement la profession, voire la condition correspondant la caste, les hirarchies sociales restent dans l'ombre, alors qu'elles sont fondamentales. En effet, la caste apparat toujours comme une valorisation intrinsque de la personne, ou au contraire sa dvalorisation foncire. En d'autres termes, la profession ou condition ouverte par la caste exprime le dehors de la caste, pour ainsi dire son aspect objectif et apparent ; tandis qu'il subsiste un second aspect interne de la caste, sa valeur subjective, savoir la place qui lui e