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CLUB FINANCE
LIVRE BLANC« CAPITAL HUMAIN »
LES ÉTUDES DU CLUB
N° 89
MAI 2011
Consécutif au groupe de travail conduit par
Messieurs Bernard MAROIS et Henri GHOSN
Rédigé par Madame Patrizia VALERO
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Avant propos
« Rien de ce qui est humain ne m’est étranger ».
Cette phrase fameuse du poète latin Terence qui a traversé tout l’âge classique pourrait à elle seule servir de fil d’Ariane à notre propos.
De manière plus circonscrite, l’analyse de l’homme et de son labeur nourrit depuis longtemps la réflexion des grands philosophes, y compris dans leurs projections les plus épurées. Thomas More ou Campanella dans leurs cités idéales (Utopia ou la « Città del Sole ») font une large place au travail, estimant que chaque personne, si elle doit apporter le plus grand zèle à la tâche qui lui est impartie, doit également en retirer la plus grande satisfaction.
Certes « Utopie » a donné naissance dans le langage courant au substantif que l’on connaît, synonyme de rêve inaccessible, mais, à la condition de le coupler au principe de réalité, il n’est pas interdit de garder un certain idéal à l’esprit.
Plus concrètement, il nous a paru intéressant de montrer dans le monde moderne de l’économie, que, loin d’être une simple charge dans le compte d’exploitation (encore qu’il ne faille pas l’oublier), la richesse humaine d’une entreprise pouvait être son facteur de succès le plus important.
Nous dûmes bien sûr faire face à quelques écueils.
En premier lieu, ayant admis l’importance du sujet, étions‐nous légitimes à en faire, sans jeu de mots, un « objet » d’étude loin des terres traditionnellement dévolues aux « sciences humaines » ?
Rappelons que même pour ces dernières il est de tradition de leur dénier régulièrement le statut de sciences tant le champ d’analyse est vertigineux.
A cela il nous fallait répondre avec la plus grande modestie. Il n’était évidemment pas question pour nous de mettre l’humain « en boîte ». Si les contributeurs au présent travail ont essayé quelquefois de quantifier un certain nombre de facteurs, de dégager quelques règles, parfois telle ou telle classification, c’est en gardant toujours à l’esprit que les approches proposées étaient des éclairages, des outils d’aide à la décision, et jamais l’expression de lois immuables.
Dans un autre ordre d’idée, nous avons également pris soin de ne pas nous poser en donneurs de leçons. L’on sait depuis Pascal que la vraie morale se moque de la morale et il ne s’agissait pas pour nous d’accabler les entreprises en ignorant les redoutables contraintes qui pèsent sur elles. Nous ne pouvons réellement les aider à tirer le meilleur de leurs richesses humaines qu’en ayant fait au préalable l’effort de comprendre le contexte mondial dans lequel elles se meuvent.
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A l’heure où tant d’idéaux sont dévoyés, nous sommes restés vigilants à ce que nos propositions ne soient pas une invite à la médiocrité, mais ravivent bien au contraire l’aspiration au travail bien fait et le goût de l’excellence.
Nous invitons à présent le lecteur à prendre connaissance des travaux effectués ces derniers mois, conscients des limites de l’exercice mais heureux d’espérer que l’humain redevienne « capital ». C’est en soi une victoire.
Henri Ghosn
Président du Club Finance HEC
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Remerciements
Ce travail est le fruit d’un partenariat entre le Club Finance HEC et Pergus. Il a été réalisé dans le cadre d’un Groupe de travail qui s’est tenu entre mai 2009 et décembre 2010.
Nos remerciements vont d’abord à l’ensemble des membres de ce Groupe pour leurs commentaires judicieux, ainsi qu’à la société Oddo, membre du Club, qui nous a aimablement accueillis dans ses locaux lors de nos séances de travail.
Une reconnaissance spéciale est adressée à Laurence Jacquot, conseil en sélection de gérants, en particulier ISR, qui a été tout au long des travaux une source d’information inépuisable.
Les différentes sessions n’auraient pu être réussies sans le concours d’intervenants extérieurs, issus d’entreprises, sociétés de gestion et fonds d’investissement, cabinets conseil et agences de notation, venus exposer, en séance privée ou publique, leurs pratiques et réflexions. Nous les remercions tout particulièrement de la confiance qu’ils nous ont témoignée et de la générosité avec laquelle ils ont accueilli notre initiative.
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Sommaire
Avant propos 1
Remerciements
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Sommaire 4
Introduction
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Partie I : La notion de capital humain et la mesure de son apport
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1. Le capital humain et sa valorisation : les concepts fondamentaux
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1.1. Quelles significations revêt, aujourd’hui, l’expression « capital humain » ? 1.2. Le capital humain dans la doctrine juridique, financière et comptable
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2. Dimension historique
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3. Les différentes approches
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3.1. Approche comptable 3.2. Approche financière : les ratios financiers 3.3. Approche gestionnaire et managériale 3.4. Le pilotage de la performance RH : le capital humain dans l’approche Balanced
ScoreCard 3.4.1 L’intégration de l’approche développement durable dans le tableau de bord
stratégique : Sustainable Balanced ScoreCard 3.5. Leiff Edvinsson et le Business Navigator 3.6. Les tableaux de bord du capital humain 3.7. La valorisation du capital humain dans la mesure du capital immatériel
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4. Corrélation entre gestion du capital humain et performance
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4.1. Human Capital Index de Watson Wyatt 4.2. Les travaux de Molina et Ortega 4.3. Focus sur l’apport de l’utilisation des outils de gestion du capital humain 4.4. Focus sectoriel : le lien entre gestion du capital humain et performance dans le marché
obligataire
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Partie II : Le capital humain dans l’approche des acteurs de l’investissement
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1. Le capital humain dans le pilier social et sociétal de la responsabilité d’entreprise
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1.1. Concilier approche responsable et approche économique Kingsmill Report
1.2. La responsabilité sociale holistique ‐ Audition de Gérard Schoun*, Directeur Général, Agence Lucie
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2. L’approche « investisseurs »
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2.1. Les fonds de pensions 2.2. Le point de vue des syndicats
‐ Audition de Jean Philippe Liard, syndicaliste CFDT et membre de conseils de surveillance de fonds d’épargne salariale
2.3. Les fonds d’investissement Les fonds engagés Une approche ESG plus marquée du capital humain ‐ Audition de Patrick Savadoux, Gérant, Mandarine Engagements Les fonds ISR de Allianz Global Investors Financière de l’Échiquier : exemple d’approche intégrée de l’ISR
2.4. L’approche « thématique » et « matérialiste » du capital humain Parnassus WorkPlace ‐ Audition d’Emmanuelle Alleau, Gérante, Amazone Euro Fund, AMM Finance : le « gender empowerment » ‐ Audition de Pascale Sagnier, Responsable de la Recherche Investissement Responsable, AXA IM : Une approche risque plus marquée
‐ Audition de Jean‐Philippe Desmartin, Responsable de l’analyse ISR, Oddo 2.5. L’évaluation du capital humain par les investisseurs dans les moments forts de
la vie de l’entreprise Le capital humain dans le capital investissement ‐ Audition de Magdalena Svensson, Directrice des Participations, XAnge Le capital humain dans les fusions/acquisitions et les réorganisations ‐ Audition d’Estelle Mironesco, Directrice de la recherche ISR, Vigeo
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Partie III : Pratiques et communication de l’entreprise,Perception par les acteurs de l’investissement
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1. La responsabilité d’entreprise, puissant levier de valorisation des pratiques sociales et sociétales
‐ Audition de Vincent Bouznad, Directeur du Pôle Sociétal, Service Développement Durable, SNCF
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2. L’investissement dans la gestion du capital humain : pratiques et mise en perspective
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2.1. Focus sur le critère « rémunération », outil d’attraction et fidélisation ‐ Audition d’Alain Mauriès*, VP Employee Relationship, Coca Cola Europe 2.1.1. De quelle rémunération parle‐t‐on ? ‐ Audition de Jean Lambrechts, Responsable Département Rémunération des Dirigeants, Aon Hewitt
2.1.2. Quels indicateurs de performance liés à la rémunération ? 2.2. Focus sur les critères « gestion des talents et développement des compétences »
‐ Audition de Chantal Thomasino, Responsable Département Gestion des Talents, Aon Hewitt ‐ Audition de Patrick Martigny, Responsable gestion internationale des cadres
supérieurs et dirigeants, Michelin 2.2.1. Mise en regard des pratiques de Michelin et des perceptions dans la notation
de la valeur 2.3. Focus sur le critère « formation » : point de vue d’experts et pratiques d’entreprise
2.3.1. Pratiques innovantes : VINCI, un groupe qui fait de la formation son principal atout
‐ Audition de Patrick Plein, Directeur du Développement des Ressources Humaines Groupe, Vinci
2.4. Focus sur le critère « diversité », axe d’investissement des entreprises et critères de notation de la responsabilité 2.4.1. Une méthodologie innovante de la mesure de la richesse par la diversité, avec
Goodwill Management La mesure de la diversité chez Vinci
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3. Entreprises et indicateurs : je t’aime, moi non plus ? 3.1. Et le rôle du DRH, dans tout cela ? 3.2. Les freins au pilotage du capital humain par indicateurs 3.3. Pourquoi mesurer ? la vision des parties prenantes et des acteurs externes à
l’entreprise
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4. Reporting et communication autour de la notation 4.1. Normalisation et transparence de l’information 4.2. Le chemin vers l’harmonisation et l’intégration
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Conclusion 133
Annexes 135
Bibliographie 216
* A noter : cet intervenant a quitté l’organisation depuis son intervention.
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Introduction
Au creux de la vague de la crise financière de 2008, lorsqu’il était clair que les conséquences allaient bientôt s’étendre au plan social, des voix se sont élevées pour appeler au retour aux fondamentaux de l’entreprise, de la bonne gouvernance et de la gestion « éthique » des affaires. Dans ce désarroi, une antienne bien connue a refait son apparition dans tous les discours : « notre force, ce sont nos hommes et nos femmes ». L’importance de cette richesse est soudain apparue à tous comme un rempart aux dérives du monde du business. Avec Bernard Marois1 et Henri Ghosn2, nous partagions les mêmes questions sur le capital humain, que ce soit dans la vie de l’entreprise ou sur les places de marché : de l’avis de tous, première richesse de l’entreprise, mais comment mesure‐t‐on ses apports à la performance globale de l’entreprise ? quelle perception et quelle mesure, pour les marchés financiers, de cet actif si difficilement saisissable et définissable ? et, surtout, comment les différents acteurs et parties prenantes intègrent‐ils le capital humain dans la performance extra‐financière ? Les travaux du groupe de travail, réunissant durant 18 mois plusieurs experts issus de l’entreprise, des marchés financiers et de l’analyse extra‐financière, du domaine juridique et du monde académique, ont permis de faire un état des lieux de la question à travers les témoignages d’intervenants ayant quotidiennement affaire aux questions du capital humain. Notre objectif a été d’aborder la question de façon pragmatique en partant du terrain et avec une démarche ouverte, mettant le capital humain au centre des multiples approches d’univers apparemment éloignés. Les praticiens d’entreprises ont apporté leur contribution, au même titre que les agences de notation, les cabinets conseil, les représentants de syndicats, les fonds d’investissement, les gérants de portefeuille ou les brokers. En partageant leurs pratiques innovantes et leurs modes d’évaluation de l’humain, tous ces professionnels ont permis d’enrichir notre vision pour parvenir ainsi à une définition plus complète du sujet. S’agissant de l’état de la recherche académique et de terrain, ce rapport s’appuie sur les travaux, français et internationaux, qui depuis plusieurs années contribuent à la mesure de l’apport de l’humain et à sa prise en compte dans la responsabilité globale de l’entreprise. Ainsi, les trois parties proposées dans ce rapport explorent chacune une thématique propre à la prise en compte du capital humain :
‐ la notion de capital humain et la mesure de son apport, ainsi que les outils de mesure couramment utilisés en entreprise : la performance économique est ici à l’honneur, avec toutes les limites imposées par les instruments utilisés.
‐ l’approche des acteurs de l’investissement, induite depuis une dizaine d’années par l’essor de la notion de responsabilité de l’entreprise, que ce soit dans une optique d’investissement
1 Professeur Emérite à HEC Paris et Président du Club Finance HEC de 1990 à décembre 2010. 2 Président du Club Finance HEC depuis janvier 2011.
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responsable ou plus matérialiste et thématique. La prise en compte du capital humain dans la performance extra‐financière est ici au cœur du sujet.
‐ le capital humain et sa mesure dans les pratiques de l’entreprise, avec une mise en regard perspective par rapport à la perception des acteurs du marché : le décalage entre actions, perceptions et communication autour des actions est exploré au travers de quelques exemples de critères et indicateurs de mesure choisis parmi tant d’autres. La difficulté de compréhension entre les parties et la problématique de la mise en place de systèmes d’évaluation lisibles, harmonisés et transparents constituent la trame de fond de cette partie.
Le tour d’horizon proposé ici ne se prétend pas exhaustif : les résultats d’études et de recherches à l’appui du rapport ne couvrent pas l’ensemble des travaux existants, pas plus que les pratiques d’entreprise exposées ne sont censées représenter l’ensemble des bonnes pratiques. L’indisponibilité des données pour d’autres organisations que les entreprises (sociétés coopératives et participatives, associations, établissements publics…) limite quelque peu nos recherches. Sous cet aspect, un travail collaboratif de longue haleine devrait être envisagé afin de prétendre à l’exhaustivité. Le rapport a toutefois le mérite de proposer, sur la base du matériel disponible, une vision possible de la valeur du capital humain qui conjugue plusieurs facteurs à la fois tels que retenus par les différentes parties, et qui réconcilie « business » et « responsabilité ». Il s’agit d’une approche méthodologique de conciliation entre langages et finalités divergentes seulement en apparence, selon notre avis : car, pour reprendre les mots d’un intervenant qui est en même temps directeur des ressources humaines et directeur financier, « les objectifs d’un directeur financier et d’un directeur des ressources humaines sont les mêmes, mais ne portent pas les mêmes noms et on n’y arrive pas par les mêmes chemins ».
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PARTIE I
La notion de capital humain et la mesure de son apport
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1. Le capital humain et sa valorisation : les concepts fondamentaux
Nombre d’acteurs du monde économique, de leaders d’opinion et d’intellectuels affirment encore aujourd’hui après Jean Bodin3, philosophe français du XVIème siècle, qu’ « il n’est de richesse que d’hommes ». Cette formule fait clairement état de l’intuition d’une richesse intrinsèque à l’homme, et il semble que pour beaucoup l’éducation et la formation aient été au cœur de l’explication.
Sans en utiliser explicitement le terme, l’économiste libéral Adam Smith4 fut le premier à parler, dans ses travaux sur le système éducatif anglais, d’ « un capital » déterminé par « …les talents et les capacités d’un individu … » et à l’identifier comme étant « …fixé et réalisé dans sa personne… ».
« Ces qualifications (skills) ou aptitudes (abilities) ont été acquises par les individus par l'éducation familiale, les études et l'apprentissage. Cette acquisition entraîne des dépenses réelles qui correspondent à un capital fixe et incorporé dans l'individu. Ce capital fait alors partie de sa fortune comme de celle de la communauté à laquelle il appartient. …. Ces qualifications représentent un élément déterminant du progrès économique. Elles doivent donc être introduites dans la définition du capital fixe de l'économie. »
L’approche de Smith, suivie au 19ème par celles de Karl Marx5, H. Von Thünen6 et jusqu’au 20ème par celle de A. Marshall7, restent confinées à l’analyse du capital humain au travers du prisme du système éducatif et de la richesse nationale.
Outre sa théorie sur la valeur du travail, Karl Marx évoque marginalement la question de la formation au travers de la production du travail qualifié, qui se distingue du travail simple en ce qu’il « exige du travail sous forme d'éducation ». Il est intéressant de noter ici la prémisse de l'idée que le Capital humain (homme et qualifications acquises) est produit (par l'individu lui‐même) grâce à l'éducation, qui est donc un facteur de production dans ce processus.
Au début du 20ème siècle, la réflexion sur la question du capital humain offre peu d’avancées majeures : J.R. Walsh 8 met en évidence ‐ dans une analyse coûts‐bénéfices liés à l’investissement éducatif ‐ un rendement positif de l’investissement éducatif pour certaines professions et négatif pour d’autres.
3 Jean Bodin, 1576, Les Six Livres de la République. 4 A. Smith, 1776, The Wealth of Nations. 5 Karl Marx, 1867, Le Capital, section 2 du chapitre 1. 6 H. Von Thünen, 1875, Costs of Education as Formation of Productive Capital. L’auteur reconnaît pleinement la contribution de ce « capital humain » à la richesse d’une nation : « Il n’y a aucun doute sur la réponse à la question très controversée de savoir si les biens immatériels (services) des hommes font partie de la richesse nationale ou non… puisqu’une nation très éduquée, équipée des mêmes biens matériels, crée une richesse beaucoup plus grande qu’un peuple non éduqué ». 7 Alfred Marshall, 1842 – 1924 : Concept de richesse personnelle, correspondant au concept de capital humain d’A. Smith. Le motif de profit intervient dans les décisions d’investissement humain comme dans les décisions d’investissement matériel. L’éducation ayant des bénéfices directs et indirects, le subventionnement public est admis car source d’externalité positive. 8 J.R. Walsh, 1935, Capital Concept Applied to Man, The Quarterly Journal of Economics 49/2: 255‐285. (p. 256).
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Par cette liaison éducation – revenu, il pose les prémisses de la théorie du capital humain9 : de nombreux courants se développeront à partir des années 60, notamment avec les travaux de Schultz (1961) et Becker (1965), prix Nobel 199210. En établissant le postulat de la corrélation entre la performance à long terme et le capital humain d’une organisation, les deux économistes de l’école de Chicago déplacent le débat d’un terrain collectif (éducation comme investissement de la société) à celui de l’entreprise. L'idée sous‐jacente est de considérer que du point de vue de l'individu, l'éducation est un investissement profitable tant pour la société que pour l’employeur ; l’individu reçoit une éducation générale et une formation spécifique, qui produit de la richesse pour l’employeur11.
En parallèle, les réflexions sur le capital humain bénéficient également des apports des théories de l’organisation du travail, de la sociologie et de la psychologie des organisations, qui s’appuient sur l’idée, déclinée sous plusieurs formes, d’une corrélation entre les conditions de travail et la productivité des salariés. L’approche mécaniste et scientifique dite OST (Organisation Scientifique du Travail12) se développe depuis la fin du 19ème et le début du 20ème siècle, dans le but d’améliorer la productivité par la planification scientifique des tâches. Par opposition à l’organisation scientifique se déploie à partir des années 30 un courant qui pose l’existence d’un « facteur humain » jouant un rôle essentiel dans la détermination de la productivité : parmi les précurseurs des théories de management, aujourd’hui couramment appliquées, rappelons les travaux d’Elton Mayo13 dans le cadre de l’école des relations humaines, avec une approche plus relationnelle que mécaniste. Le psychologue Abraham Maslow14 introduit la théorie de la motivation au travail par la recherche de satisfaction d’un besoin ; Douglas Mac Gregor15 pointe la notion de capital d’imagination et de créativité détenu par le salarié, qui possède des savoirs partiellement utilisés par l’organisation, et Chris Argyris16 soutient l’hypothèse de l’ ‘organisation apprenante’ comme outil d’accomplissement du salarié et par là d’amélioration de l’efficacité de l’organisation via le management participatif.
9 In Pierre Gravot, 2007, unité d’enseignement « Économie de l’éducation –2E », http://foad.refer.org/IMG/pdf/ETH0‐_Introduction.pdf. Pour les bénéfices, Walsh actualise au taux de 4 % le flux de revenus futurs, compte tenu des probabilités de survie donnée par une table de mortalité appropriée. En ce qui concerne les coûts, il retient : les droits d'inscription, les frais de logement, les livres et autres fournitures scolaires, les dépenses d'habillement, de loisir et le coût d'opportunité correspondant aux revenus perdus en raison de la poursuite des études (déduction faite des gains éventuellement perçus pendant les études ou les vacances) ; ces coûts sont eux aussi actualisés au taux de 4 %. Les résultats obtenus sont divers ; pour certaines professions les bénéfices excédent les coûts, pour d'autres, c'est l'inverse, ce qui conduit Walsh à penser que ces professions peuvent avoir des attraits non‐pécuniaires. 10 TW Schultz, 1961, Investment in human capital , American Economic Review. Schultz définit le capital humain comme la somme des compétences, de l’expérience et des connaissances de l’individu. G.S. Becker, 1964, "Human Capital », National Bureau of Economic Research : Becker rajoute la personnalité, l’apparence et la réputation et montre que l’entreprise est un lieu de formation et d’investissement en capital humain. 11 Pour l’éducation comme investissement, cf plus loin. 12 l’OST trouve son expression dans la pensée de Taylor, Ford, Weber et, en France, Henri Fayol. 13 Elton Mayo (1880‐1949), réalise le premier des travaux de nature empirique sur des organisations industrielles aux États‐Unis, et théorise une corrélation positive entre la prise en compte des facteurs psychologiques liés à l’organisation du travail, y compris les interrelations entre individus, et la productivité. 14 Abraham Maslow (1908‐1970) est à l’origine de la théorie de la pyramide des besoins des individus. Selon Maslow, les besoins de l’homme relèvent de six catégories hiérarchisées du plus au moins matériel, et sont à l’origine de la motivation de l’homme, qui cherche à les satisfaire dans un ordre établi. 15 Douglas Mac Gregor (1906‐1964) recherche l’adéquation entre les besoins de l’organisation et des individus, en donnant à ces derniers une plus ample liberté d’autocontrôle et de recherche de responsabilités en vue d’atteindre l’accomplissement. 16 Chris Argyris, (1923‐), chercheur cogniticien qui place les savoirs et l’apprentissage de l’homme au cœur de l’organisation.
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Les recherches sur l’apport du capital humain dans la sphère collective et macro‐économique continuent, notamment dans la recherche des facteurs explicatifs des écarts de croissance dans les régions. L’économiste américain Robert Solow, prix Nobel d’économie en 1987, indique que les théories et modèles économiques différents dans les régions du monde n’expliquent que pour moitié les écarts de croissance dans les régions : la cause principale des différences est due à l’investissement différent en capital humain. Parmi d’autres travaux, une étude de A. Bassanini et S. Scarpetta, du département d’économie de l’OCDE17, met en évidence la corrélation entre le capital humain et la croissance et montre notamment l’impact de la formation sur la fonction de production. Ainsi, une année supplémentaire de formation se traduirait par une croissance de la production de 4 à 6%.
Bien que remis en cause, notamment par les dérives de « diplômanie » et par l’inexactitude de certains éléments d’évaluation, les travaux de Becker ouvrent la voie à la notion de capital humain telle que Joseph Stiglitz a pu récemment la définir18: « l'ensemble des compétences et de l'expérience accumulées qui ont pour effet de rendre les salariés plus productifs : le capital humain représente entre 2/3 et 3/4 du capital total ».
1.1. Quelles significations revêt aujourd’hui, l’expression « capital humain » ?
Parmi les différentes définitions proposées, on citera la version de Schultz19 qui pose directement le lien avec la théorie du capital humain et qui contient les prémisses de sa mesure:
«I propose to treat education as an investment in man and to treat its consequences as a form of capital. Since education becomes a part of the person receiving it, I shall refer to it as human capital (...) Nevertheless, it is a form of capital if it renders a productive service of value to the economy ».
Selon l'OCDE, et dans une optique plus macro‐économique, « le capital humain désigne les connaissances, les aptitudes, les compétences et les autres attributs de la population qui présentent de l'intérêt pour l'activité économique. ». La Banque Mondiale propose « l'ensemble des connaissances et aptitudes acquises par les individus par voie d'investissements au cours de leur vie et qui va leur permettre de mieux gagner leur vie en augmentant leur productivité économique ».
Ainsi, la définition de capital humain dépend du contexte d’analyse, individuel ou collectif ou bien encore public ou privé. Quel que soit le contexte, l’idée sous‐jacente reprend la théorie du capital humain et fait référence à la notion de capital comme richesse, susceptible de générer des revenus actuels et futurs sous l’impulsion d’investissements et pouvant se détériorer si les conditions d’entretien adéquates viennent à manquer.
17 A. Bassanini, S. Scarpetta, 2001, Does human capital matter for growth in OECD countries? Evidence from pooled mean‐group estimates, OCDE, Département des affaires économiques, documents de travail, No. 282. 18 Joseph Stiglitz et alii, 2007, Principes d'économie moderne, Broché, p.190. P.A. Samuelson, W.D. Nordhaus, 2000, Économie, éd. Economica, incluent également le « stock de connaissances techniques et de qualifications caractérisant la force de travail d'une nation et résultant d'un investissement en éducation et en formation permanente ». 19 Théodore W. Schultz, 1960, Capital Formation by Education, Journal of Political Economy.
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Cette notion s’applique aussi bien à l’univers macro‐économique qu’à celui de l’entreprise : dans les deux cas, un investisseur – l’état ou l’entreprise – investit en éducation, formation et santé pour améliorer les conditions de vie mais également d’activité de l’homme – individu ou collectivité ‐ afin d’en retirer des bénéfices sociaux, économiques, et d’améliorer ainsi le capital initial par l’accumulation du bien être, des savoirs et de l’expérience. Notions ici que chaque individu, membre de la population active, est co‐investisseur, en ce sens qu’il engage son temps et son énergie tout au long de sa vie active, et plus particulièrement lors de ses périodes de formation, facilitées voire organisées et financées par l’État ou l’entreprise. L’homme, individu ou collectivité, est ainsi un facteur de production et de génération de richesse à travers le travail, tout comme le capital financier est générateur de richesse à travers une gestion avisée des capitaux investis. Notons également que dans les deux perspectives, il est supposé que l’homme – individu ou collectivité – possède des capacités innées à tirer profit de l’investissement en le transformant en gains et bénéfices.
Il en va du capital humain comme de tout autre capital, physique, financier ou autre : sa valeur intrinsèque est variable, et la valeur obtenue par l’investissement plus ou moins rentable. Ainsi, la théorie du capital humain trouve son fondement dans l’idée que la valeur actualisée nette des coûts en éducation et des avantages est positive : les externalités positives – pour l’homme et la société ‐ produites par l’accumulation de l’éducation ou de la formation sont supérieures aux coûts engagés. Théodore Schultz avait bien posé le problème :
Although it is obvious that people acquire useful skills and knowledge, it is not obvious that these skills and knowledge are a form of capital, that this capital is in substantial part a product of deliberate investment, that it has grown in Western societies at a much faster rate than conventional (nonhuman) capital, and that its growth may well be the most distinctive feature of the economic system.”
Or, si la vérification est plus aisée au niveau collectif et national, en observant par exemple le développement des pays qui investissent en éducation, il en est tout autrement du niveau individuel : la théorie ainsi exprimée s’est exposée à de nombreuses critiques, car le lien entre accroissement du niveau d’éducation et niveau du salaire, considérée comme externalité positive principale, ne se fait pas automatiquement, et nécessite l’utilisation de concepts intermédiaires comme la productivité20.
Dans un contexte d’entreprise et surtout d’économie de la connaissance telle que nous la vivons aujourd’hui, cette « capacité intrinsèque » de l’individu indique un potentiel de richesse (capacités créatives et productives) actuel et futur. Cela place le capital humain au cœur de complexes systèmes d’évaluation afin de trouver la juste adéquation entre salaire, compétences et justification des investissements en formation.
Les conséquences sont multiples : c’est sur cette notion de « richesse innée » et inaliénable à l’homme ‐ ou encore non‐transférable ‐ que se basent les différentes structures du salaire comme reconnaissance de différents niveaux de capacité et d’expérience, donnant ainsi lieu à certaines formes de rigidités sur le marché du travail.
20 À ce sujet, cf. plus loin la mesure par les ratios de productivité.
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C’est encore dans cette notion que sont ancrés les programmes de « développement du capital humain » et d’ « employabilité », par l’utilisation de leviers appropriés, en vue d’un retour sur investissement. C’est également de cette notion de « richesse productive des hommes » que découle la question du rôle et de l’importance à attribuer au capital financier et au capital humain en tant qu’éléments de création de richesse : l’opposition entre dividendes, reconnaissance du rôle des actionnaires et du capital, stricto sensu, et salaires, simple « location d’un potentiel humain productif », trouve in fine ses racines dans la question du capital humain. Mais si l’intérêt d’investir dans l’homme paraît évident dans un contexte d’économie d’un État ou d’une région du monde, les choses ne vont pas de même dans le contexte de l’entreprise, qui investit en fonction de notions de risques et de coûts d’opportunité : l’inaliénabilité est un facteur de limite dans l’investissement (un employé peut quitter l’entreprise, dans ce cas l’effort de formation est estimé perdu), tout comme son âge, ses aptitudes personnelles ou même sa localisation géographique (les seniors sont jugés moins aptes à apprendre et à produire, par conséquent le taux d’investissement en formation décroît avec l’âge de l’employé ; dans le cas des délocalisations et de la montée en puissance des marchés asiatiques, l’entreprise peut choisir d’investir davantage dans ces pays afin de mieux former les nouveaux relais de croissance). Réciproquement, tout ou partie de l’investissement en formation n’est pas nécessairement ou directement utile, pérenne ou reconnu par l’entreprise laquelle, sauf exception légale ou conventionnelle, ne donne pas de garantie d’utilisation de cet investissement, ni de garantie d’emploi et ne calcule pas d’amortissement correspondant. La rupture à l’initiative de l’employeur solde, en théorie, l’investissement fait par l’entreprise et constate souvent la perte du capital humain lorsqu’il s’agit d’un individu senior.
La question est ici de savoir si, dans ces conditions, l’expression « capital humain » ne porte pas en soi une antinomie irréductible : quel sens peut avoir la prise en compte de cet « actif » lorsque l’amélioration des rendements se fait dans une optique de court terme, par le biais de mesures et décisions affectant négativement ce capital humain, individu ou collectivité, qu’il s’agisse de réduction globale des effectifs (en nombre ou en coût de masse salariale), de jeunisme (seniors et retraite), d’externalisation, de délocalisation et souvent de politiques de restructuration vigoureuses conduisant à des suppressions d’emplois (susceptibles d’entraîner une destruction de capital humain), dénoncées certes mais encore d’actualité et probablement justifiées sur d’autres plans? La question étant : ne se sépare‐t‐on pas du capital humain en tant qu’actif à l’identique des autres actifs parce qu’il s’agit bien d’un simple actif ou stock de main d’œuvre et en tant que tel potentiellement peu ou moins apte à produire de la richesse ou des retours sur investissement ?
Cette posture économique, qui fait l’objet de travaux rapportés plus loin dans ce texte21, met en évidence d’une part toute la difficulté de définir le capital humain et d’autre part le lien étroit avec la notion de « responsabilité sociale et sociétale» de l’entreprise qui dépasse la notion juridique d’obligation. La multiplicité des acteurs impliqués et les attentes contradictoires de chaque partie ne font qu’ajouter à la complexité de la question, déjà chargée de nuances économiques, politiques, sociales et éthiques. En effet, et sans compter les considérations éthiques, le « capital humain » ne revêt pas la même signification pour une entreprise, pour les pouvoirs publics nationaux ou pour les autres « parties prenantes » que sont les organisations syndicales, les salariés ou les entreprises de la chaîne de sous‐traitance.
21 Cf. les auditions d’AXA IM et de Vigeo au sujet des restructurations bien menées.
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Le cas de la restructuration par délocalisation de l’activité et des emplois et donc de la masse salariale est emblématique : il s’agit, pour une même entreprise et pour des raisons économiques et financières, de transférer d’un pays vers un autre la capacité actuelle du personnel à créer de la valeur ajoutée – alors que le capital humain représenté par le personnel existant avant mesure de délocalisation (et éventuellement celui des sous traitants) est par définition intransférable mais substituable ‐ selon des opportunités géographiques, culturelles, organisationnelles identifiées par l’entreprise et estimées moins coûteuses. Si l’on assume, pour l’entreprise qui délocalise, un simple déplacement d’origine de création de valeur, qu’en est‐il de l’activité, de l’employabilité des salariés et du niveau d’emplois dans les pays délaissés ? Ces activités et emplois sont censés produire pour l’état et les collectivités territoriales concernées un retour sur investissement sous forme de création de richesses locales (cercle vertueux du développement économique) et d’impôts (activité, résultat, foncier), en échange de l’investissement parfois massif en infrastructures, en éducation et formation initiale et continue du citoyen‐salarié.
La perspective économique et financière sans‐frontière adoptée naturellement par l’actionnaire, lui‐même souvent apatride, fonctionnant dans une économie globalisée et enclin à la recherche permanente d’un meilleur profit à court terme pour maximiser résultats, dividendes et création de valeur actionnariale, va‐t‐elle de pair avec les attentes en termes social et politique des économies territoriales et des bassins d’emploi, des salariés concernés et de leurs représentants syndicaux ? Cette confrontation d’intérêts est‐elle évitable ou totalement négative ? Dans ce rapport, notre attention se concentre principalement sur la France et sur le périmètre français de l’action des entreprises, mais le débat, loin d’être national et français, est évidemment le même dans tous les pays. Les interventions de l’État se multiplient au sujet des délocalisations, et paraissent suggérer une récente prise de conscience de la notion d’investissement utile pour l’État investisseur tant en infrastructure qu’en capital humain par hypothèse « national », mais la confrontation des intérêts publics et privés ainsi que les structures de gouvernance supra‐nationales (notamment à travers les actions anti‐dumping dans le cadre de l’OMC et de l’UE) n’offrent pas de réponse totalement pertinente sur ces sujets. Nous proposons une définition de capital humain qui tient compte de plusieurs éléments et replace l’homme, individu et collectivité, au centre d’une dynamique de création de richesse :
Ensemble de talents, compétences, connaissances accumulées et savoir‐être propres à la personne et interagissant dans le collectif d’une organisation qui, sous l’impulsion de systèmes de management, valorisation et reconnaissance adéquats, créent la valeur ajoutée propre à l’organisation dans une dynamique de performance durable.
1.2 Le capital humain dans la doctrine juridique, financière et comptable
D’un point de vue strictement financier, juridique et comptable, l’expression est dépourvue de sens : aucune de ces trois disciplines ne reconnaît le « capital humain » comme notion fondamentale ou accessoire de son corpus doctrinal.
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Dans les actes fondateurs de la vie de l’entreprise ‐ que ce soit la création, toute opération de rapprochement, rachat ou fusion, comme dans l’évaluation préalable à la mise sur le marché ‐ on ne retrouve aucune trace, ni en stock ni en flux, de la valeur individuelle ou collective des hommes et des femmes ou de leur apport à la création de valeur. L’ « humain » n’apparaît, dans les bilans, qu’au passif comme dette, en tant que « masse salariale » ou « dette sociale» de l’entreprise. Or, on pourrait remarquer que le mot « employés » fait plutôt penser à l’utilisation d’une richesse, ce qui remettrait de plein droit le capital humain dans les actifs de l’entreprise…
En comptabilité, le mot « capital » est traditionnellement réservé à la notion plus formelle et solide de « capital social » qui désigne les capitaux propres investis et donnant lieu, par le biais de calculs appropriés, à un droit d’attribution de rémunération annuelle en fonction de la plus‐value dégagée. Les polémiques sur les ratios de partage de cette valeur ajoutée, notamment pour la part qui revient aux actionnaires, mettent en évidence la recherche d’un nouvel équilibre dans le rapport de force « travail – capital » et appellent à une redéfinition des rôles entre bénéfices générés par le travail et par le capital. Il ne nous revient pas, dans le cadre de ce rapport, de prendre position sur ces sujets ou d’aller outre le constat du primat actuel de l’actionnariat dans l’équilibre de force : notons toutefois que cette question pose bien un lien entre « hommes » et « capital » par le biais juridique de l’actionnariat salarié, encadré par deux lois fondamentales22, et de l’attribution de stock options23.
L’actionnariat salarié ne découle pas d’une reconnaissance explicite de la valeur du capital « hommes », et il n’est pas une valorisation chiffrée de l’apport des collaborateurs à la réussite de l’entreprise. Le concept toutefois pose implicitement un lien entre « production » des salariés à titre collectif et « droit à bénéficier d’une part – à quantifier ‐ de la création de valeur produite».
Le parallèle est fait avec l’actionnaire et sa mise de fonds : cela revient à reconnaître que ce sont bien les salariés qui sont à l’origine d’une partie des bénéfices, au même titre que l’outil de travail ou le capital financier, et qui ont ainsi droit à une forme de rémunération sur ces bénéfices, tout comme l’actionnaire a droit à une rémunération pour l’effort fourni dans sa mise de fonds. L’actionnariat salarié et toute forme de participation et intéressement sont aujourd’hui considérés comme des indicateurs avancés de la posture « sociale » de l’entreprise, en ce qu’ils permettent une forme de reconnaissance de la valeur créée par les collaborateurs. L’entreprise s’en sert ainsi comme outil de motivation24 et les affiche comme preuve tangible de son niveau de responsabilité sociale, ainsi reconnue et perçue par les acteurs de l’investissement.
Mais ce faible lien juridique est insuffisant à faire basculer les frontières comptables : l’humain reste bel et bien une dette, et n’est en aucun cas comptabilisé comme une ressource ou richesse de l’entreprise. La valeur d’actif de l’humain, en tant que ressource disponible susceptible de générer des revenus, ne saurait se justifier que sur la base de méthodes de valorisation qui à ce jour n’ont pas encore été universellement admises car la mesure de l’humain souffre, par définition, de quelques défauts estimés insurmontables : 22 ‐ Loi du 27 décembre 1973 relative à la souscription et à l'acquisition d'actions dans les sociétés cotées par les salariés à titre collectif et préférentiel. ‐ Loi des 30 décembre 2004 et 30 décembre 2006 relatives à la distribution gratuite d'actions (jusqu'à 10%) dans les sociétés cotées et non cotées. 23 Stock‐options dont l'attribution est désormais conditionnée par des critères de performance (la loi du 8 février 2008) voire étendue à tous les salariés ou compensée dans le cadre des accords de participation et d'intéressement (loi du 3 décembre 2008). 24 À ce sujet, cf. plus loin, Partie III.
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‐ une ressource qui n’appartient pas à l’entreprise, contrairement à l’actif financier ou le matériel technique : l’homme « prête » ses compétences et son travail à l’entreprise, mais est libre à tout moment de s’en séparer – notons au passage que la réciproque est vraie, et souvent utilisée ! Quelques exemples pour illustrer le propos : comment distinguer la valeur des savoirs propres, possédés par l’entreprise en tant qu’entité, par opposition aux savoirs et compétences mis en œuvre par les collaborateurs et susceptibles de disparaître des comptes du jour au lendemain car, comme le précisait déjà Adam Smith, « fixés dans l’individu » ? On peut certes dire que les savoirs collectifs appartenant à l’entreprise sont le résultat, entre autres, des savoirs individuels de chacun de ses collaborateurs, mais ces derniers ne recouvrent pas la totalité du capital savoirs, et d’autre part certains savoirs des collaborateurs ne sont pas utiles ou exploités par l’entreprise !
‐ une ressource dont la valeur intrinsèque est difficilement mesurable à ce jour par d’instruments fiables, normalisés et inopposables. Notons à cet égard que les notions de mesure comme « valorisation chiffrée » ou comme « notation qualitative ou comparative » ne sont pas équivalentes au sens comptable, et que d’autre part il ne faut pas confondre « flux » et « stock » : le fait qu’il soit parfois possible de mesurer le retour sur investissement d’une action de l’homme, donc d’un flux – le retour sur investissement en formation, par exemple – ne signifie pas que l’on puisse mesurer la valeur intrinsèque de l’actif humain. De même, le fait que l’on puisse noter et comparer les efforts menés dans la gestion de la formation par deux entreprises par exemple, en attribuant un coefficient plus ou moins orienté positivement, ne signifie pas que l’on puisse déduire la valeur chiffrée de l’action ou de la personne qui a reçu la formation.
La notion de capital humain serait‐elle donc une illusion, voire une imposture, car dépourvue de fondement juridique et comptable, créée de toute pièce pour justifier l’activité des services de gestion du personnel ou l’activité des consultants ? Si des économistes reconnus s’y penchent, c’est bien avec l’intuition que l’humain serait en mesure d’expliquer une partie de la valeur globale d’une entreprise. Selon les théories du capital immatériel, l’humain fait bel et bien partie de la richesse inexpliquée de l’entreprise qui n’est pas signalée dans le bilan mais qui concourt à sa valeur de transaction. Comme nous le verrons au sujet des approches de valorisation du capital humain, il est possible, par des méthodes innovantes, de calculer approximativement la part de valeur globale qui réside dans l’humain. C’est ce qui justifie l’expression de Stiglitz citée plus haut, ainsi que toute la littérature actuelle sur le sujet.
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2. Dimension historique
Au 19ème siècle, la question de la mesure de l’investissement réalisé dans le système éducatif et des retours sur cet investissement est abordée de façon liminaire, et ne paraît pas revêtir d’importance majeure pour les économistes. Les différents modèles de calcul se dessinent dans les réflexions de Engel et Wittestein et quelques autres, comme le résume brillamment Pierre Gravot25 :
Après la mise en évidence par les économistes du caractère d’investissement de certaines initiatives prises par les individus, il était naturel d’étendre ce raisonnement à l’entreprise, et plus particulièrement à l’investissement que représentent les dépenses destinées à recruter et former le personnel, en vue d’un rendement futur. L’essor de la comptabilité au 20ème siècle met en évidence le difficile exercice de la mesure du capital humain : si les rémunérations, dépenses de formation et de recrutement, sont bien inscrites aux charges de l’entreprise, l’actif obtenu par les connaissances, aptitudes et savoir‐faire n’est pas retenu. Le bilan social26 apporte quelques éléments complémentaires qui toutefois compliquent la tâche, car d’une part le nombre d’indicateurs n’est pas homogène et varie selon la taille de
25 Cité dans Pierre Gravot, op.cit. 26 En France, il a été instauré pour les entreprises de plus de 300 salariés par un décret en date du 8 décembre 1977. Art. L.438‐8 du Code du Travail : Rubriques et indicateurs obligatoires : emploi, rémunération et charges accessoires, conditions d’hygiène et de sécurité, autres conditions de travail, formation, relations professionnelles, conditions de vie dans l’entreprise.
Pour Ernst Engel (1883) et Theodore Wittstein (1867), la valeur d'un homme est égale à la valeur des ressources dispensées dans sa "production" (i.e. le coût de l'investissement humain). Pour Engel, il convient de prendre en compte les soins nataux et prénataux, les coûts alimentaires, d'habillement, d'éducation, de loisir, engagés jusqu'à ce que l'individu soit "totalement produit", en l'occurrence, toujours selon Engel, l'âge de 27 ans. Wittstein pour sa part prend également en considération le taux d'intérêt, les coûts de maintenance et le nombre d'individus survivant à chaque âge selon les tables de mortalité.
Peu avant eux, William Farr (1853) choisit l’approche d’évaluation du capital humain à partir des revenus courants et futurs (anticipés) actualisés, déduction faite du coût de la vie et en tenant compte de la probabilité de décès en fonction d'une table de mortalité. Sur le principe, nous sommes très proches des méthodes adoptées par les économistes contemporains, alors que l'optique des coûts pèche par le fait qu'il n'y a pas, a priori, de relation entre les coûts engagés et la valeur "de marché" (du travail) d'un individu.
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l’entreprise, et d’autre part le tableau brossé est un instrument statique donnant une photo de la main d’œuvre de l’entreprise à un moment donné27. Trois approches de mesure du capital humain se dessinent, prenant en compte tour à tour les coûts engendrés dans la gestion des ressources humaines (approche comptable), les gains futurs espérés (approche financière, présentant des points communs avec la valorisation du capital immatériel) et les objectifs de gestion poursuivis par la comptabilisation (approche managériale, plus axée sur la valorisation d’indicateurs non financiers pour permettre à l’entreprise de se comparer, dans le temps et dans un univers déterminé, à d’autres entreprises). Plus récemment, la notion de capital humain est revisitée par la théorie du capital l’immatériel, qui reconnaît son statut de capital et propose des méthodes de valorisation pertinentes.
Dans les sections successives, nous présenterons rapidement les différentes approches utilisées pour rendre compte de l’apport du capital humain à la valeur globale de l’entreprise, dont certaines sont couramment utilisées dans les entreprises à défaut de systèmes de mesure plus précis et appropriés.
27 Pour une brillante histoire du HR Accounting, voir Eric G. Flamholtz, 2002, HR Accounting in Management Decision, a historical perspective and future implications, vol. 40, issue 10 http://www.emeraldinsight.com/journals.htm?issn=0025‐1747&volume=40&issue=10&articleid=865361&show=abstract .
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3. Les différentes approches
3.1. Approche comptable
Autour des années 60 on assiste à l’émergence de la prise en compte de la valeur de l’individu à son travail et de la notion de comptabilité des ressources humaines, ou Human Resources Accounting, HRA, qui recherche des moyens comptables de mesurer le coût et la valeur du capital humain en l’inscrivant au bilan de l’entreprise. L’approche est fondée sur des travaux28 qui recommandent aux entreprises de traiter certaines dépenses (recrutement, intégration, formation, développement) comme des dépenses de capital et d'en faire un élément d'actif amortissable sur plusieurs années.
Plusieurs méthodes d’évaluation, basées sur l’évaluation économique et l’actualisation, ont été proposées chacune avec ses atouts et ses inconvénients29, car leur limite principale réside dans l’obtention de données quantifiables et facilement analysables pour toutes les entreprises considérées. ‐ la méthode du coût historique : proposé par Brummet, la méthode se base sur l’idée que les coûts d’investissement dans le capital humain à l’instant t (coût de recrutement, de formation, d’intégration dans l’entreprise, d’adaptation à l’emploi et de promotion…) donnent lieu à des bénéfices futurs et doivent par là être considérés comme des actifs comptables en dépit des doctrines classiques. Mais les coûts ne reflètent pas la valeur du capital humain acquise : la performance globale doit être prise en compte et rapportée à l’ensemble des coûts capitalisés. E. Marquès propose d’amortir ces investissements en fonction de la durée de vie des individus, de leur état de santé, de l’âge de la retraite. ‐ la méthode du coût de remplacement : le capital humain d’une entreprise est évalué sur la base des coûts qu’il faudrait engager pour le reconstituer à l’identique, au niveau individuel et collectif. Mais ce calcul reste hypothétique et ne reflète pas les coûts réels ainsi que la globalité des contributions du capital humain à la performance de l’entreprise. ‐ la méthode de l’évaluation économique : B. Lev et A. Schwartz proposent d’évaluer le capital humain à partir des dépenses de recrutement et formation augmentées de la valeur actualisée des salaires que recevra un employé pendant toute la période d’activité dans l’entreprise ; la version de Flamholz introduit dans le calcul la variable du « poste » que la personne occupe et les conséquences des mutations successives de l’individu, avec toutes les réserves qu’une telle prédictibilité présente
28 Hermanson,1964 et ses successeurs E. Flamholtz (1972), R. Likert (1973), W. Pyle (1976) et L. Brummet. Pour un panorama exhaustif des démarches en comptabilité RH, voir Léontine Rousseau, 1983, Monographie 15 : La comptabilisation des RH : des notions et une recherche empirique, dans Publication annuelle de l’école de Relations industrielles de Montréal, École polytechnique de Montréal, directeur de collection Michel Brossard : https://papyrus.bib.umontreal.ca:8443/jspui/.../A1.144%20REV%2015.pdf. 29 Parmi les approches comptables, une est restée célèbre : au début des années 1970, R. G. Barry Corporation a publié un bilan « bis » intégrant une « valeur de l’actif humain ». Cependant, l’impact de cette initiative est resté au stade académique, et ces « jeux d’écriture comptables », qui suscitent une interrogation sur leur impact réel, n’ont jamais été intégrés aux normes comptables, tant nationales qu'internationales.
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au niveau statistique ; la version de Hermanson introduit une pondération en regard de la performance obtenue au cours des cinq années précédentes et propose d’inscrire au passif le montant des salaires sur cinq ans. Mais ce faisant, la méthode suppose les mêmes résultats pour des causes égales : le profit est uniquement obtenu par les efforts du personnel, les facteurs externes à la réalisation des profits et dépendant de la contextualisation de l’entreprise (taille, localisation, marché) ne sont pas pris en compte. ‐ la méthode du coût d’opportunité : dans ce modèle, l’allocation des ressources monétaires et humaines est fonction des activités les plus lucratives, selon le calcul des opportunités d’obtention des ‘hommes clés’ en fonction des retours sur investissement attendus30. ‐ la méthode du modèle comportemental behavioral: dans ce modèle, des ensembles interdépendants de variables sont appliqués pour évaluer les conditions de travail dans l’organisation à travers des tests psycho‐sociaux et en fonction d’objectifs à atteindre. L’investissement en termes de ressources humaines est amorti sur plusieurs années, en fonction des conditions atteintes. Ce modèle demeure toutefois peu fiable du point de vue de l’évaluation du capital humain, car le lien n’est pas clairement fait entre la performance et la mesure psycho‐sociale des conditions du système d’organisation. Dans les années 80‐9O, l’approche de l’utilité économique est employée pour estimer les coûts et les bénéfices d’une activité ou d’un programme de gestion des ressources humaines. D’abord appliquée à la sélection du personnel, cette théorie a permis d’estimer en dollars les gains de productivité réalisés par une entreprise qui utilise une technique de sélection du personnel efficace (un test ou une entrevue). L’approche a ensuite été étendue à un centre d’évaluation du potentiel, à la formation et à d’autres programmes de ressources humaines. Bien que séduisante sur papier, la théorie de l’utilité économique a fait l’objet de nombreuses critiques de la part des chercheurs et des professionnels de la gestion des ressources humaines. On lui reproche d’être compliquée, de donner des estimations de gains trop importants et d’être de ce fait peu crédible, de fournir des estimations en «monnaie virtuelle», les sommes estimées n’étant que de l’argent sur papier qui n’entre jamais dans les caisses de l’entreprise. Résultat : après vingt ans de recherches, la technique de l’utilité économique est tombée en désuétude. Au début des années 1990, Wayne Cascio31 a proposé une autre approche, qui consiste à chiffrer les coûts des comportements au travail. Par exemple, Cascio avance une méthode pour estimer les coûts de l’absentéisme ou ceux du roulement du personnel. Ses techniques sont relativement simples et donnent des résultats assez parlants : en effet, elles reviennent, pour l’essentiel, à estimer la part de la masse salariale que l’entreprise «jette par les fenêtres », c’est‐à‐dire les salaires qui sont versés, par exemple, à l’employé absent et au superviseur qui doit consacrer du temps de travail à la gestion des absences, salaires contre lesquels l’entreprise n’obtient aucune prestation de travail. Malgré
30 Ex. dans un service visant un retour sur investissement de 16% sur un capital de 100 unités avec un bénéfice de 130 mais inférieur de 30 unités aux attentes, on envisage l’opportunité de s’adjoindre les compétences d’un directeur qui pourrait rapporter 40 unités. Le profit serait alors de 170, soit 10 unités en plus que le profit espéré : le juste prix à payer pour ce directeur est 16% des 10 unités. 31 Cascio, W.F., 2000, Costing Human Resources: The Financial Impact of Behavior in Organizations, 4e éd., PWS‐Kent Publishing.
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l’attrait de ces techniques, elles n’ont pas encore véritablement pris pied dans les services des ressources humaines.
Les différents courants de pensée « comptable » n’ont pas révolutionné la méthode de valorisation du capital humain : pour l’anecdote, signalons qu’il en reste une trace dans le traitement des engagements de retraite32 et pour le référentiel comptable des clubs sportifs33. Ainsi, plus de trente ans après, le capital humain ne figure toujours pas dans la comptabilité bilancielle des entreprises mais figure toujours dans les charges, au même titre que les matières premières.
Pourtant, le sujet demeure d’actualité, car les dirigeants et les professionnels éprouvent de plus en plus le besoin de quantifier les résultats de leurs politiques de gestion des ressources humaines.
3.2. Approche financière : les ratios financiers
Au tournant des années 1998‐2000, T.Davenport 34 et J.Fitz‐Enz35, parmi les plus connus, proposent d’utiliser les ratios financiers pour estimer le retour sur investissement des sommes d’argent que l’entreprise investit dans ses ressources humaines. Cette approche sur base comptable présente l’avantage d’une part d’être spécifiquement adaptée aux complexités de l’évaluation de la matière de l’humain et d’autre part d’utiliser des facteurs bien définis et exprimés en comptabilité. Elle a donné lieu à des modèles couramment utilisés aujourd’hui et familiers aux DRH mais, comme d’autres modèles, n’assure pas une évaluation exhaustive du capital humain, concept beaucoup plus large que celui de « ressources humaines », et n’est efficace que si le pilotage est effectué par comparaison (dans le temps, ou avec d’autres entreprises dans le secteur, ou bien par rapport à des moyennes généralisées).
Parmi les ratios encore aujourd’hui les plus utilisés par les entreprises :
la rémunération moyenne par personne, (coûts de la main‐d’œuvre sur effectif équivalent temps plein), très populaire car simple, qui donne une estimation moyenne (mais non équitable) de la productivité36 à travers l’investissement annuel moyen d’une entreprise dans un employé. Mais il
32 Solène Cacot, Christelle Rebouissoux, 2005, Le Capital humain : «… c’est le cas pour la constatation d’une dette potentielle à long terme (Art. 9 du Code de Commerce en France et IAS 19 au plan international) …» http://www.oeconomia.net/private/cours/economieentreprise/themes/capitalhumain.pdf. 33 Solène Cacot, Christelle Rebouissoux, op.cit. : « Le référentiel comptable applicable aux clubs sportifs tient toutefois compte du concept de capital humain. En effet, les coûts liés aux joueurs distinguent les coûts de mutation et les coûts de formation. Les coûts de mutation peuvent être traités de deux façons distinctes : soit en tant que charge (avec étalement possible) soit enregistrées comme un élément d’actif incorporel». 34 T.Davenport, 1999, Human capital. Davenport, qui était responsable du bureau de Towers Perrin à San Francisco, propose de mesurer le chiffre d’affaires par employé, le ratio de turnover sur les postes clefs et le niveau d’implication des employés. 35 J.Fitz‐Enz, 2000, The ROI of human capital”, Amacom. L’auteur propose de mesurer la valeur ajoutée du capital humain selon la formule suivante : chiffre d’affaires ‐charges totales + charges de personnel)/nombre de collaborateurs, ou la valeur de marché du capital humain : valorisation boursière – valeur comptable/nombre de collaborateurs. 36 La productivité est l’un des indicateurs qui ont le plus grand nombre de définitions et de systèmes de mesure, par conséquent l’un des moins précis : CA/effectif moyen ; frais personnel/valeur ajoutée ; frais personnel/effectif moyen ; masse salariale/frais personnel ou CA.
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peut amener à penser, surtout par temps de restructuration, qu’en diminuant l’effectif on augmente la productivité du personnel restant!
le chiffre d'affaires par personne, qui ne tient pas compte des apports différenciés des collaborateurs, ne permet pas la comparaison et n’est valable que pour des comparaisons dans un même secteur ou lorsqu’on compare les valeurs d’une même entreprise dans le temps.
le profit avant impôts par personne, ratio de profitabilité
les coûts de la main‐d’œuvre en proportion des revenus, ratio qui indique le poids du «facteur travail» dans la création de revenus. Ce ratio ne tient pas compte des conjonctures économiques différentes pour une même entreprise, ou des choix stratégiques (de rémunération par exemple) et organisationnels effectués par les entreprises. En revanche, il peut se révéler utile lorsqu’on souhaite, par exemple, maîtriser sa masse salariale globale ou faire évoluer son effectif en qualité.
le budget de la formation du personnel en pourcentage de la masse salariale, ratio financier populaire et inscrit dans les lois, très critiqué car il n’indique que l’effort fourni et non le résultat obtenu. Il peut être complété par le ratio de rendement de l’investissement en capital humain, rapprochant annuellement l’effort budgétaire de formation du surcroît de valeur générée par l’entreprise.
le rendement de l'investissement en capital humain (ou return on investment on human capital, ROI‐CH), plus récent que les autres, qui indique la «productivité de la rémunération» et aide l’employeur à savoir s’il « en a pour son argent», i.e. combien l’entreprise retire pour chaque euro investi dans son personnel. Pour qualifier le ROI‐CH il faut le comparer à d’autres ROI‐CH, dans la même industrie ou le même secteur, par rapport aux concurrents, ou dans le temps.
3.3. Approche gestionnaire et managériale
Dès les années 20, la Harvard Business Review recommandait la méthodologie du Return On Investment comme outil de mesure des résultats d’une action managériale. Développée par Du Pont pour calculer les retours sur investissements dans ses unités décentralisées, cette méthodologie est encore aujourd’hui couramment utilisée comme outil managérial de contrôle.
Dans les années 70, la théorie fut utilisée par Lockeed‐Martin et reprise par le ROI Institute, qui l’a développée et adaptée à plusieurs domaines d’action. D’abord utilisée pour mesurer l’impact de la formation, elle s’adapte aujourd’hui à différents volets de l’action en ressources humaines37 et est utilisée par 10 à 15% des responsables des ressources humaines selon les évaluations du ROI Institute, avec un réseau de consultants certifiés dans le monde. Cette méthodologie s’apparente du Benefits on Costs Ratio ou méthode coûts – bénéfices, largement utilisée pour évaluer l’utilité d’un investissement et plus largement d’une action en fonction de critères strictement économiques. La possibilité de calculer le ratio sur plusieurs années est toutefois limitée, et la méthodologie ne traduit pas entièrement les éléments non directement monétisables.
37 Jack J. Phillips and Patricia Pulliam Phillips, 2007, Show Me the Money: How to Determine ROI in People Projects and Programs, San Francisco, Berrett‐Koehler Publishers, Inc., In http://www.roiinstitute.net/applications/human‐resources/.
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La comparaison des deux méthodes – BCR et ROI Institute ‐ fait toutefois apparaître une divergence significative dans les résultats, ce qui affecte le niveau de fiabilité : pour le même dollar investi dans le même programme d’actions, par exemple, le ROI évalue le retour sur investissement à 1,5 alors que le BCR serait de 2,5 !38 On pourrait également reprocher à ces réflexions le fait qu’elles traduisent des recherches menées essentiellement dans le milieu des sociétés industrielles : le secteur tertiaire, à forte « densité » de capital humain, nécessite d’autres approches car le capital immatériel y est plus important.
A la base des méthodes de BCR et ROI, issues d’une vision comptable, se trouve le postulat selon lequel le capital humain de l’entreprise correspond à la valeur économique des individus, elle‐même déterminée par les coûts qu’ils génèrent et leur « valeur de marché ». Or, ce postulat a été rejeté car il n’exprime pas la globalité de l’apport du capital humain. L’impasse de l’approche comptable a ainsi favorisé le courant de recherche qui prévaut aujourd’hui, à savoir l’approche managériale ou « gestionnaire » du capital humain, qui laisse une large place à la responsabilité sociale et sociétale de l’entreprise.
Vers le milieu des années 90 se dessine une nouvelle posture sous l’influence des travaux fondateurs d’une part de Kaplan et Norton aux Etats‐Unis, avec la notion de Balanced ScoreCard « tableau de bord stratégique » ou modèle de pilotage, et d’autre part d’Edvinsson et Malone, en Europe, sur le capital immatériel. La nouvelle approche élargit la question de l’évaluation du capital humain à toutes les ressources intangibles rares et de qualité et qui par là peuvent procurer un bénéfice concurrentiel se traduisant par des performances financières supérieures. Les ressources immatérielles, (sous les appellations courantes de capital structurel, relationnel , ou avec des définitions plus affinées39), font l’objet de travaux de recherche de plus en plus aboutis qui visent à les identifier et les mesurer pour mieux prendre en compte les retours sur investissement. Dans cette perspective, le capital humain est le pilier fondamental parmi toutes les ressources immatérielles.
3.4. Le pilotage de la performance RH : le capital humain dans l’approche Balanced ScoreCard
L’écart entre valorisation comptable et financière et valorisation de marché pose la nécessité d’une réflexion autour des méthodes de valorisation de l’entreprise : l’intégration d’informations autres que financières dans la mesure de la performance apparaît comme une nécessité.
Les publications en 199240 de Kaplan et Norton sur le Balanced ScoreCard ont véritablement entraîné une redéfinition des systèmes de mesure de la performance, notamment aux États‐Unis où prédominait jusqu’alors le concept de «responsibility accounting ».
38 Jack Phillips and Patricia Pulliam Phillips, 2004, The business case for ROI: Measuring Return on Investment in Human Resources, ROI Institute. 39 Pour le capital immatériel et sa mesure, cf. plus loin, Alan Fustec, Bernard Marois, 2006, Valoriser le capital immatériel de l’entreprise, Groupe Eyrolles, Edition d’Organisation. 40 R.Kaplan, D.Norton, 1992, The Balanced Scorecard ‐ Measures that Drive Performance, Harvard Business Review.
25
La nouvelle approche repose sur l’hypothèse d’un modèle universel de performance donnée par une série d’enchaînements : selon cette approche, il existerait une chaîne de causalité qui préside à la création de valeur, identifiée comme performance et mesurée avec des instruments financiers et économiques.
Orientée vers la prise de décision, l’approche permet de prendre en compte les actions dans leur articulation avec la stratégie de l’entreprise ; elle permet également de cartographier les liens de cause à effet entre actions et résultats financiers (grâce aux indicateurs de mesure mis en place) et d’interpréter les relations selon quatre axes d’analyse (financiers, satisfaction clients, process internes et organisation pour l’innovation).
Le tableau de bord stratégique qui en découle attribue un rôle au capital humain et impose une nécessaire cohérence de la gestion de celui‐ci avec la stratégie globale de l’entreprise et sa recherche de performance : dans le tableau de bord, la fonction RH est « légitimée » et reconnue comme facteur clé de performance au même titre que les autres éléments stratégiques de business, car ses actions sont orientées vers la stratégie globale et s’appuient sur la mesure d’indicateurs chiffrés.
Dans le tableau de bord stratégique adapté aux ressources humaines, la composition des axes utilisés reflète l’approche Balanced ScoreCard :
‐ coût de la fonction RH ‐ maîtrise des processus ‐ maîtrise de l’avenir ‐ maîtrise de ses équipes
Toute la difficulté est d’identifier des indicateurs pertinents avec la stratégie d’entreprise et clairement mesurables : la littérature montre que, sauf exception pour les entreprises qui ont mené un travail approfondi d’identification des éléments de mesure de la performance de la fonction RH, les indicateurs les plus fréquents restent la productivité (avec toutes les questions que la mesure de la productivité pose), le turnover, les compétences et la satisfaction du personnel41, car facilement mesurables et clairement opposables.
Dans cette approche, l’évaluation des retours sur investissement de la gestion du capital humain est la laissée pour compte, au profit de la mesure du progrès effectué et de la comparaison avec son environnement.
Mais plusieurs questions demeurent :
‐ de tels indicateurs sont‐ils véritablement représentatifs ? ‐ le tableau de bord peut‐il vraiment devenir un instrument de pilotage utile si les axes et les
mesures retenus ne sont pas en totale résonance avec la situation de l’entreprise dans son environnement ?
‐ l’hypothèse de la chaîne de causalité est‐elle pertinente ? ‐ comment restituer l’impact de « la culture et l’esprit maison » et du charisme du
management ?
41 Dans le chapitre suivant, nous présenterons les indicateurs utilisés par les entreprises que nous avons rencontrées au cours de notre groupe de travail.
26
3.4.1. L’intégration de l’approche développement durable dans le tableau de bord stratégique : Sustainable Balanced ScoreCard
Encore très soucieux de l’impact sur les résultats, le modèle de Kaplan et Norton ne permet pas de prendre en compte toutes les composantes non financières de la performance et les différentes sources de création de valeur.
S’agissant de la performance sociétale en particulier, Kaplan et Norton au fil du temps finissent par considérer que celle‐ci doit être intégrée à l’axe des process internes, selon le schéma admis de création de valeur financière, qui relie l’apprentissage à l’amélioration des process internes, à la satisfaction clients et, à terme, aboutit à l’atteinte des objectifs économiques et de création de valeur pour l’actionnaire (Fig.1).
Figure 1 : Schéma de création de valeur financière pour l'actionnaire dans le tableau de bord stratégique
Mais la remise en cause depuis le début du 21ème siècle est plus profonde : avec l’essor de la notion de développement durable42 , la nature des objectifs de l’entreprise tels que reflétés dans le tableau de bord stratégique est loin de satisfaire les nouveaux impératifs pour l’entreprise responsable, et la performance sociale et sociétale induite dans le tableau de bord stratégique ne paraît pas constituer un véritable élément à part entière mais plutôt un instrument au service de la performance financière43.
La prise en compte de la dimension pérenne à travers des indicateurs de performance environnementale et sociale/sociétale apparaît dans le « Sustainablity Balanced ScoreCard » de K. Hockerts44 (2001); la dimension sociale/sociétale émerge comme axe à part entière et devient le cinquième axe du Balanced ScoreCard dans les travaux de T. Bieker45 (2002), à côté des quatre axes
42 Avec la prise en compte de la dimension « stakeholder » face au « shareholder », et la notion de mesure du « progrès continu ». 43 Cf. les travaux de D. Otley, 1998, Performance Management and Strategy Implementation, 4th international Management Control Systems Research Conference, Université de Reading ; D. Bessire, 2000, Du tableau de bord au pilotage : l’entreprise au risque de se perdre, Congrès de l’association française de comptabilité, Angers, 2000. 44 Hockerts K., 2001, Corporate Sustainability Management: Towards Controlling Corporate Ecological and Social Sustainability, in Greening of Industry Network Conference, Bangkok. 45 Bieker T., 2002, Managing Corporate Sustainability with the Balanced ScoreCard : Developing a Balanced ScoreCard for Integrity Management, Oikos PhD summer academy.
apprentissage
amélioration
du process
qualité
clientsrésultats
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traditionnels de résultats financiers, satisfaction des clients, processus internes et apprentissage organisationnel.
Une vision plus large et exhaustive, incluant la responsabilité due à l’égard des parties prenantes « clients » internes et externes46, est proposée par la «Total Balanced ScoreCard » de Supizet47 (2002), qui met en place une série de six relations causales entre les parties prenantes : les actionnaires, les clients, les usagers, l’entreprise elle‐même en tant que personne morale, le personnel et la collectivité.
Toutefois, ces approches ne résolvent pas la question de l’ordre d’influence d’un axe sur les autres et de la place de la performance sociale/sociétale dans les axes : fonctionnent‐ils en système, comme pour Bieker 48, ou bien sont‐ils subordonnés à la raison ultime de la performance financière, comme pour Hockerts ?
Ce dilemme reproduit entièrement le flou entourant la raison d’être de l’entreprise et la nature de ses objectifs stratégiques, et sert les discours creux de « green washing » ou « human washing » auxquels se livrent encore certaines structures.
Dans les modèles de type Balanced ScoreCard , la notion de temps et de continuité revêt une importance particulière et se traduit dans l’idée de « progrès continu ». L’horizon de « performance globale » se situe ainsi dans une échelle unique et propre à chaque entreprise et tient compte des perturbations propres à chaque entreprise, issues d’éléments extérieurs au système.
La démarche lancée par Kaplan et Norton, modifiée et enrichie par l’apport de nombreux chercheurs, est néanmoins critiquée et contestée : les critiques portent sur le périmètre pris en compte (quels axes ? indicateurs ? quel type de performance ? quel lien de subordination entre eux ?) mais concernent également le postulat de base, c’est‐à‐dire l’existence d’un lien direct et prouvé de causalité structurant le processus de création de performance et de valeur49. Est contestée par exemple l’idée du lien entre formation des collaborateurs et création de richesse pour l’actionnaire : l’applicabilité de ce principe à toute entreprise, quels que soient son activité ou ses objectifs, ne va pas de soi.
De même, au sujet du « Total Balanced ScoreCard », certains chercheurs ont montré par le biais empirique que l’effet inverse peut se produire : les entreprises les plus attentives à leurs clients et à leurs fournisseurs encourent des pertes financières plus importantes, notamment en période de récession. Le groupe de travail a pu échanger autour de l’expérience de AXA IM: les entreprises sélectionnées par le fonds AXA WF Human Capital pour leur gestion exemplaire du capital humain,
46 Les actionnaires, les clients, les usagers, l’entreprise elle‐même en tant que personne morale, les partenaires, le personnel et la collectivité. 47 Supizet J., 2002, Total Balanced ScoreCard, un pilotage aux instruments, in L’informatique professionnelle n° 209, pp. 15‐20. 48 « The linkages between the elements reflect this idea and also emphasize the fact that every single component influences the other ones » Bieker, op.cit. 49 Plusieurs auteurs ont souligné la fragilité d’un tel postulat. Otley, op.cit. relève par exemple que la logique du « Balanced ScoreCard », selon laquelle des employés bien formés conduisent à des processus plus performants, donc à des clients plus satisfaits et, pour finir, à des actionnaires plus heureux, est très discutable. On peut aussi arguer du fait que le modèle causes‐effets présidant à l’élaboration d’un système de pilotage est spécifique à la stratégie et à l’environnement de chaque entreprise, et que de surcroît sa construction résulte d’une analyse du système d’activité de l’entreprise.
28
ont étonnamment sous‐performé l’index de référence en 2008 et 2009, période de crise économique et financière50 .
3.5. Leiff Edvinsson et le Business Navigator
Sur la trace du postulat de la chaîne de valeurs et des liens de causalité structurant la relation entre valeurs et performance, se développe en Suède une approche qui met résolument au centre le capital intellectuel et qui s’appuie sur les théories économiques de croissance endogène. Selon ces théories, le capital humain est un facteur d’accélération de la croissance d’un pays, à côté de facteurs exogènes comme la population active, l’investissement financier et le progrès scientifique et technique. La filiation avec les travaux de Becker est évidente.
L’outil de Leif Edvinsson, utilisé pour la première fois dans le rapport d’activité de 1994 de Skandia AFS, se base sur le concept d’arbre de valeur mis au point par Edvinsson et Roos. Il cherche à répondre à l’éternelle question de la différence entre valeur comptable et valeur de marché. L’arbre détaille précisément les différentes formes de capital immatériel et les met en lumière sous forme schématique, en identifiant plusieurs facteurs qui composent le capital humain : les compétences (savoirs et savoir‐faire), les attitudes (motivations, comportements, conduite) et l’agilité intellectuelle (le désir d’approfondir les connaissances, la capacité d’imitation et d’adaptation, que l’on peut relier au degré d’innovation).
Le navigateur d’Edvinsson reprend les quatre axes du tableau de bord stratégique en mettant définitivement les ressources humaines au centre du dispositif de création de valeur : dans l’axe humain, les compétences des salariés et les efforts de capitalisation et pérennisation représentent clairement l’essentiel de la notion de performance sociale/sociétale de l’entreprise.
Bien que l’on puisse regretter que ni le navigateur de Skandia, ni le tableau de bord stratégique ne soient explicites au regard de la finalité de la performance sociale/sociétale versus la performance économique, dans l’ensemble les versions les plus récentes du navigateur et du tableau de bord représentent les formes les plus abouties en termes d’outils de pilotage, grâce à l’intégration d’une part de la problématique du capital immatériel et d’autre part, de la mesure de la performance sociétale.
Dans le navigateur, toutefois, le capital intellectuel et surtout le capital humain sont clairement le noyau dur de la performance, alors que dans le tableau de bord, tout en prenant en compte l’apport de l’investissement sur cet axe, la perspective de performance est davantage centrée sur les clients et les actionnaires.
On peut par ailleurs regretter que toutes ces approches, « Balanced ScoreCard » ou navigateur de Skandia, « Sustainability Balanced ScoreCard » ou « Total Balanced ScoreCard », aient un caractère trop standard et normatif, et souffrent de limites dues à la prise en compte partielle des logiques qui président au pilotage de la performance.
50 Sur la sous‐performance des entreprises avec un bon score ESG, cf. plus loin et Annexe n°6, audition de AXA IM.
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3.6 Les tableaux de bord du capital humain
Le modèle de tableau de bord CORE d’Alain Chamak et Céline Fromage51 tire les leçons des difficultés de mesure économique et financière de l’immatériel représenté par le capital humain, et propose une approche « utilitariste » plus orientée vers la stratégie et le pilotage des actions RH.
Dans cette approche, la valorisation en termes économiques ou financiers du capital humain ne paraît plus pertinente : le tableau de bord organise des indicateurs essentiels pour le pilotage de la gestion du capital humain mais ne se substitue pas aux tableaux de bord financiers, dans lesquels le capital humain doit être plutôt repris, selon Alain Chamak, sous la forme des indicateurs classiques de « return on investment ».
Dans le CORE (fig 2), les axes pertinents reflètent davantage la « responsabilité sociétale » de l’entreprise face à ses collaborateurs plutôt que la mesure éco‐financière de leur apport : leur structuration selon des indicateurs à la fois qualitatifs et quantitatifs pose le problème de l’homogénéité et de l’universalité de la mesure, tout en essayant de répondre globalement aux questions de la valorisation.
Figure 2 : Tableau de bord du capital humain CORE
51 Alain Chamak, Céline Fromage, 2006, Le Capital Humain : comment le développer et le valoriser, éditions Liaisons.
30
3.7 La valorisation du capital humain dans la mesure du capital immatériel
Dans la lignée des travaux de Edvinsson et Malone sur le capital immatériel, se développent des travaux qui cherchent à résoudre la question de la valorisation des actifs et de l’écart entre prix comptable et prix de marché d’une entreprise. En effet, l’hypothèse de l’immatériel se fonde sur une richesse inexpliquée et non comptabilisée qui constitue l’avantage concurrentiel principal d’une entreprise qui laisse présager d’une capacité à dégager des bénéfices dans le futur, pour lesquels l’investisseur est disposé à payer au‐delà des ratios classiques de valorisation. Comme le soulignent Bernard Marois et Alan Fustec dans leur approche52, cette question devient cruciale dans l’ère post‐industrielle que nous traversons, marquée par une économie du savoir de plus en plus immatérielle : la création de valeur est une affaire parfois inexpliquée et souvent difficile à capter par les outils classiques de la comptabilité.
Si des définitions normalisées des différentes classes d’actifs immatériels n’ont pas encore émergé, force est de constater que les travaux sur le sujet vont bon train et ont déjà orienté les standards de comptabilité internationale. En effet, une partie d’entre eux a déjà trouvé sa place au sein des normes IAS‐IFRS: il est aujourd’hui possible, pour les entreprises cotées, de faire état dans le bilan de la richesse représentée par les marques, brevets, licences et propriétés artistiques, systèmes d’information et autre patrimoine en recherche et développement. Ces composantes propres à l’entreprise, crées ou acquises mais toujours identifiables séparément et mesurables avec fiabilité, sont susceptibles de générer des flux futurs appréciés par les investisseurs et d’expliquer ainsi une partie de la richesse non visible. Les brevets par exemple, reconnus comme une richesse essentielle à l’entreprise car en relation directe avec sa capacité à innover et à créer de la nouvelle richesse, sont séparables des autres capitaux de l’entreprise, et ont une valeur propre : Google, entreprise de l’économie immatérielle s’il en est une, est prêt à acquérir le portefeuille de 6000 brevets de Nortel Networks, en procédure de faillite, pour la modique somme de 900 millions de dollars53 ! Or, il est indéniable que les brevets, comme l’innovation, sont le produit du travail des hommes et des femmes de l’entreprise, que l’on peut ainsi appeler de plein droit « capital » humain. Mais d’autres composantes immatérielles, comme les savoirs de l’entreprise ou son organisation, rentrent dans le process de création de valeur induit par les brevets.
La question est ainsi de savoir quelle importance attribuer à chaque classe d’actif immatériel et comment prendre en compte les interactions possibles entre classes. Pour le capital humain, la proposition de Bernard Marois et Alan Fustec paraît très pertinente : l’humain, ensemble des richesses possédées par les salariés, se définit comme « la capacité de développement de tous les autres actifs » et représente les deux tiers de la valeur globale de l’entreprise.
L’approche propose ainsi une méthodologie analytique de segmentation qui note chaque actif, selon des critères et indicateurs pertinents, et ensuite le valorise, par le coût de remplacement par exemple, pour aboutir à une estimation financière fiable propre à l’entreprise. Il s’agit de mesurer un stock plutôt qu’un flux : pour ce qui est du capital humain, principal actif immatériel, on évalue le « stock de richesse » et son augmentation, plutôt que de noter ou évaluer les flux générés par des
52 Alan Fustec, Bernard Marois, 2006, Valoriser le capital immatériel de l’entreprise, Groupe Eyrolles, Edition d’Organisation. 53 Cité dans La Tribune.fr, 4 avril 2011.
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actions de gestion de ressources humaines, comme dans l’approche managériale. Toute considération non économique, comme l’application d’un système de management éthique ou bien d’une politique de gestion des ressources humaines responsables, n’est pas prise en compte : seuls sont comptabilisées les flux qui donnent lieu à une création de valeur effective pour l’entreprise. Cette approche, encore récente, permet essentiellement la comparaison dans le temps de la même entreprise : la comparaison entre entreprises sera plus aisée et fiable à mesure que la méthode bénéficiera d’une plus large diffusion et application.
Le capital humain est ainsi noté (fig 3) en fonction de critères pertinents (fidélité, compétence, motivation…) et d’indicateurs (fig.4) organisés en système et donnant lieu à des valeurs. Des notes sont attribuées aux valeurs, ce qui permet ensuite de pondérer l’actif humain par rapport à l’ensemble des actifs immatériels et d’en déduire sa valeur approximative en appliquant des méthodes de calcul comme par exemple le rendement, le remplacement, l’étude des comparables.
Figure 3 : Exemple de notation du capital humain, selon Alan Fustec et Bernard Marois
Figure 4 : Exemple de critères, indicateurs, valeurs et notes attribuées au capital humain, selon Alan Fustec et Bernard Marois
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Trop peu répandue encore, l’avancée méthodologique contenue dans cette proposition de valorisation est remarquable, car elle permet à la fois de piloter l’actif au sein d’une structure, entreprise ou autre organisation, et de justifier comptablement d’une valorisation financière fiable de chaque actif.
Dans l’ensemble, les méthodologies brièvement présentés font état d’une évolution de la mesure au sens « comptable » vers une mesure plus économique ou managériale. Les trois approches cohabitent, chacune orientée sur un objectif différent. L’utilisation conjointe de deux ou plusieurs approches permettrait d’appréhender l’ensemble des problématiques à partir de points de vue et finalités différents mais tout aussi légitimes : que mesure‐t‐on ? comment ? quel est le lien avec la stratégie ? Pour ce qui est du capital humain, la méthode de l’immatériel suppose un lien de corrélation fort entre valeur des actifs immatériels et valeur de marché de l’entreprise, et a fortiori entre cette dernière et l’actif qui est à l’origine de tous les autres, l’humain. Mais quelles sont les autres réflexions autour de la définition de cette corrélation ?
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4. Corrélation entre gestion du capital humain et performance
De nombreux travaux de recherche ont été menés afin de prouver le lien entre management du capital humain, ou Human Resources Management, et performance économique et financière. Selon une recherche effectuée par Huselid sur les études menées aux USA54, 85% des travaux aboutissent à des résultats qui confortent cette corrélation positive. Nous avons sélectionné quelques exemples en fonction de leur pertinence avec les axes de travail du groupe.
4.1 Human Capital Index de Watson Wyatt Au tournant du siècle, le cabinet Watson Wyatt lance une étude de la mesure de l’apport du capital humain à la valeur de l’entreprise, dans le but d’établir une corrélation entre la gestion du capital humain et la création de valeur pour l’actionnaire55. Le noyau dur méthodologique est le mode de corrélation entre investissement en management du capital humain, ou HMC, et performance. Ce lien de cause à effet s’établit entre des actions HCM,
54 Cité dans David Guest, 2005, Human Resource Management and Corporate Performance: Recent Empirical Evidence, http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=906023. 55 In http://au.hudson.com/documents/Watson‐Wyatt‐Human‐Capital‐Index.pdf “Thirty key HR practices were associated with a 30 percent increase in market value. Summary HCI scores were created for individual organizations so that results could be expressed on a scale of 0 to 100. An HCI score of 0 represents the poorest human capital management, while a score of 100 is ideal.” …. “The higher a company’s HCI score, the higher its shareholder value. In other words, the better an organization is doing in managing its human capital, the better its returns for shareholders.”
Méthodologie Watson Wyatt examine les performances financières sur 3 et 5 ans de 400 entreprises américaines et canadiennes choisies dans le S&P’s Compustat, pour la vague d’étude de 1999, et de 250 entreprises européennes en 2000, appartenant à l’Euro 500 et Global 500. Après avoir identifié 30 « key HR drivers » (indicateurs clé de ressources humaines) et par le biais de questionnaires, l‘étude constate à l’aide du Tobin’s Q et du TRS que les entreprises avec un meilleur score de management du capital humain (HCM) voient leur performance boursière supérieure à celle des entreprises totalisant un moins bon HCM. En regroupant les indicateurs en unités adaptées à chaque entreprise et en les comparant entre eux, Watson Wyatt obtient des scores individuels sur une base de 0 à 100, 0 étant le niveau le plus faible de HCM. Dans la version européenne de l’étude, en 2000, 19 indicateurs supplémentaires sont identifiés, qui correspondent à une surperformance financière de 26%.
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considérées comme pertinentes et cohérentes, et leur mise en œuvre et communication, qui ont un impact positif sur l’engagement des collaborateurs : cela se traduit à son tour par d’une part un turnover optimal, et d’autre part une augmentation de la productivité. Un score Human Capital Index est introduit, de 0 à 100, pour représenter la qualité des actions HCM considérées pour chaque entreprise.
Figure 5 : Schéma de corrélation entre actions de management du capital humain et création de valeur, selon Watson Wyatt
Les résultats de deux vagues d’étude sont fusionnés en 2001, pour donner lieu à des constats56 pour le moins étonnants57 : 1. les deux études se confirment, mettant en évidence qu’un meilleur HCI correspond à une meilleure performance pour l’actionnaire.
2. les trois groupes d’entreprises, triées en fonction de leur score HCI, ont une performance variable (fig. 6) : au score le plus bas correspondent les plus faibles performances financières pour les actionnaires.
56 Globalement, les résultats ont été largement diffusés sous la formule : les 25% entreprises mieux gérées surperforment de 30% les 25% entreprises moins bien gérées. 57 Watson Wyatt, 2001/2002, Human Capital Index, http://au.hudson.com/documents/Watson‐Wyatt‐Human‐Capital‐Index.pdf et 2006, Lessons from Watson Wyatt’s 2005 HCI, http://www.watsonwyatt.com/us/pubs/insider/showarticle.asp?ArticleID=15673.
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Figure 6 : Classement des retours sur investissements pour les actionnaires en fonction des catégories des scores HCI, selon Watson Wyatt
3. l’étude, dans sa globalité, précise quelles pratiques de management des ressources humaines ont un impact plus important sur la « bottom line » financière (fig.7). L’étude 2002, par exemple, identifie 49 pratiques spécifiques qui ont le plus d’impact sur la création de valeur pour l’actionnaire, les divise en 6 groupes et établit le ratio entre amélioration58 dans un groupe et augmentation de la valeur de marché. Ainsi, par exemple, une amélioration significative dans 43 pratiques clé est associée avec une augmentation de 47 points dans la valeur de marché.
Figure 7 : Classement des impacts sur la valeur de marché de l'entreprise en fonction des pratiques appliquées de management des ressources humaines, selon Watson Wyatt
4. l’étude montre que ces pratiques ne sont pas seulement associées à de bons résultats « business », mais qu’elles créent les opportunités pour obtenir ces résultats. Cela répond à la
58‘ What constitutes a “significant improvement”? A one standard deviation increase. Most answers to HCI questions are on a 1 – 5 scale, so a significant change is a one‐scale‐point movement from a 1 to a 2, a 2 to a 3, and so on. ‘ Ibidem.
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question éternelle, irrésolue pour les systèmes de mesure type Balanced ScoreCard, de l’ordre d’influence entre cause et effet.
5. enfin, l’étude montre que le lien entre pratiques de management des ressources humaines du passé et performance financière future est plus fort que la relation entre performance financière passée et pratiques successives, ce qui répond également aux questions de l’ordre d’influence entre cause et effet.
4.2 Les travaux de Molina et Ortega A peu près à la même époque, une étude de Raquel Ortega59 et José Antonio Molina pour l’université de Zaragoza reformule l’éternelle hypothèse ‘that effective human capital management can lead to increased firm performance.’60 L’étude réalise une vaste recherche empirique pour établir le lien de corrélation par le biais de deux mesures spécifiques à la valorisation économique et financière, Tobin’s Q et TRS, ou Total Return to Shareholder, ainsi que d’un nouvel indicateur de capital humain « ICH ». L’étude est menée en 2000 sur un échantillon représentatif de la base de données S&P’s COMPUSTAT comprenant 405 entreprises cotées nord‐américaines et canadiennes analysées par Watson Wyatt et interrogées par des questionnaires envoyés au senior management RH. L’idée de la méthodologie est de segmenter le lien de corrélation en plusieurs parties à démontrer chacune individuellement en utilisant les mêmes mesures et sur la base des mêmes critères, de manière à prouver la corrélation en passant par les notions de « employees satisfaction » et de « clients loyalty », et d’aboutir à une nécessaire meilleure performance économique :
59 Il faut noter que Raquel Ortega travaillait à cette époque pour le bureau espagnol de Watson Wyatt. 60 José Alberto Molina, Raquel Ortega, 2002, Can effective human capital management lead to increased firm performance?, in Social Science Research Network, http://ssrn.com/abstract=1024549.
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Figure 8 : Schéma de segmentation des chaînes de causalité, selon Molina‐Ortega : du management des ressources humaines à la création de valeur pour l'actionnaire
1. La première hypothèse établit que les entreprises nord‐américaines obtiennent des valeurs de marché plus importantes par l’utilisation d’un management efficace du capital humain qui s’appuie sur des niveaux de communication sociale, technique et stratégique61 : « Pour tester cette hypothèse, nous identifions 4 indicateurs spécifiques du capital humain qui peuvent avoir un impact important sur la performance de l’entreprise, comme l’excellence du recrutement, des conditions de travail flexibles et une prise de décisions collective, la transparence
61 Dans le texte: “The first hypothesis establishes that North‐American firms achieve higher levels of market value using effective human capital management that combines strategic, technical and social explanations.”
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dans la communication et dans le système de rémunération, et la « accountability » du système même : nous mesurons ces indicateurs à l’aide du Tobin’s Q et du TRS. »
2. et 3. Selon la deuxième et la troisième hypothèses, dans les entreprises nord‐américaines le management efficace du capital humain conduit à une plus forte satisfaction des employés (fig.9), qui à son tour conduit à une fidélité des clients plus élevée (fig.10). Pour tester ces deux hypothèses, on utilise les mêmes indicateurs de performance, Tobin’s Q and TRS, ainsi que le nouvel indicateur « IHC », qui est défini comme la moyenne pondérée des quatre indicateurs de capital humain identifiés dans la première hypothèse.
4. la quatrième hypothèse, selon laquelle une fidélité des clients plus élevée conduit à une performance de l’entreprise plus élevée, est testée sur la base des deux indicateurs principaux, à savoir Tobin’s Q and TRS.62
En résumé : pour l’étude, quatre facteurs (drivers) de gestion du capital humain ont été retenus, chacun ayant un impact sur la performance de l’entreprise, et deux indicateurs de performance financière, Tobin’s Q et Total Return to Shareholders. Les drivers humains retenus sont l’excellence du recrutement, des conditions de travail collégiales et flexibles, une communication claire et transparente ainsi que des méthodes de rémunération claires et opposables. Les résultats montrent un lien effectif entre les hypothèses, toute possible influence d’autres facteurs étant également prise en considération ; toutefois, comme les auteurs le soulignent, ce lien n’est ni automatique ni universel et d’autres facteurs peuvent également avoir une influence :
« it would be wrong to assume that the link between a set of HRM practices and high firm performance is universal or automatic. In this regard, one important qualification to the validity of our results is that the statistical model employed in this paper relies on the assumption that HRM success has a strong link with firm performance. However, we must recognize that other causal links may also exert an influence.”
62 ‘We use Tobin’s Q as the measure of intellectual capital, with this capital being defined as anything that enables a firm to earn above market returns on its physical and financial assets. Tobin’s Q is the ratio of the firm’s market value of its tangible assets, measured at their current replacement cost and the value the firm creates though its business operations above the cost of replacing its physical and financial assets. Although Tobin’s Q and TRS are related, Tobin’s Q is only the relative value of the firm’s intellectual capital, whilst TRS includes both tangible assets and intellectual capital. In other words, Tobin’s Q measures the reduction in the firm’s intellectual capital, while TRS accurately captures the change in the value of the firm, but does not capture the specific reduction in intellectual capital.’
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Figure 9 : Performance des entreprises, mesurée par le score ICH et les indicateurs Tobin’s Q et TRS, en fonction de l'indicateur Satisfaction des Employés, selon Molina‐Ortega
Figure 10 : Performance des entreprises, mesurée par le score ICH et les indicateurs Tobin’s Q et TRS, en fonction de l'indicateur Fidélité des Clients, selon Molina‐Ortega
Bien sûr, l’étude pose l’éternelle question de l’antériorité des liens de causalité : les entreprises choisissent‐elles les actions « au hasard » ou bien en fonction des résultats attendus ? de résultats financiers ou autres ? comment font‐elles le lien avec la performance et comment mesurent‐elles l’efficacité des stratégies de management ainsi retenues? Il serait intéressant, à partir des résultats de ces travaux, de poursuivre la recherche afin de définir précisément le rôle du management dans la performance globale et d’isoler d’autres indicateurs pertinents pour toute entreprise. Dans l’ensemble, notons que les deux études, dont celle de Watson Wyatt qui a été reconduite jusqu’en 2005, sont très similaires dans leur méthodologie et leurs objectifs, et partagent également plusieurs points innovants :
‐ l’utilisation simultanée d’indicateurs économiques et financiers et de critères de notation qualitatifs au sujet du management du capital humain : les études cherchent à élargir les modes de calcul pour représenter de la manière la plus globale et complète possible la valeur financière et extra‐financière réelle de l’entreprise,
‐ la définition et hiérarchisation selon le niveau d’impact sur la « bottom line » des indicateurs de management des ressources humaines,
‐ la corrélation entre ces derniers et la valeur économique et financière de l’échantillon considéré.
L’apport principal réside dans le basculement de l’approche : la recherche de corrélation se fait non pas à travers la mesure économique (ROI, BCR…) ou comptable mais par l’adjonction d’une interface supplémentaire, les drivers et leurs indicateurs de mesure, qui permettent d’expliciter le lien avec la
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stratégie des ressources humaines et la stratégie globale de l’entreprise. En ce sens, l’approche est nettement plus complète et repose sur un ensemble d’éléments qui se renforcent mutuellement. « HCM » et mesure de la performance des ressources humaines ne sont plus un corollaire de l’utilité économique mais deviennent un véritable élément en soi du système de la stratégie globale. De plus, l’approche empirique se renforce, et les systèmes couplant critères/indicateurs assument une importance nouvelle.
4.3 Focus sur l’apport de l’utilisation des outils de gestion du capital humain Au Royaume‐Uni, David Guest63 fait état au milieu de la décennie de ses travaux de recherche sur un échantillon significatif d’entreprises, élargi ensuite avec la même méthodologie à l’Australie et Nouvelle Zélande. L’objectif est de montrer que les entreprises utilisant plus d’outils de management des ressources humaines (48 outils considérés, réunis dans 9 critères comme recrutement et sélection du personnel, formation et développement, rémunération, communication et consultation du personnel, définition des tâches des postes…) ont une performance financière exprimée en profit par employé plus élevée pour l’année qui suit la collecte des données et un turnover plus limité.
Les résultats – au Royaume Uni d’abord, puis confirmés par les résultats en Australie et Nouvelle Zélande – paraissent indiquer une corrélation positive entre nombre d’outils utilisés d’une part, turnover et profit par employé de l’autre. La corrélation, plus marquée dans le secteur de l’industrie par rapport au secteur des services, ne résout pas l’éternel problème de la causalité entre bonnes pratiques de gestion des ressources humaines et meilleures performances64.
63 Guest D., 2005, Human Resource Management and Corporate Performance: Recent Empirical Evidence , p. 106 et succ, DTI Economics Paper n°13, http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=906023. 64 Les résultats mettent en évidence un lien entre utilisation des pratiques de management des relations humaines et taux de satisfaction des employés : ce dernier peut être relié au turnover, comme le montre toute la recherche sur les « Great Places to Work ».
“The UK component consisted of surveys of human resource directors and chief executives in a number of companies drawn from the Dun and Bradstreet data base. Their responses to questions about strategy and human resource practices were matched to financial data over a number of years both before and after the survey data were collected. We also collected information about a number of other outcomes including labor turnover. The core sample consisted of 610 HR directors or the most senior person responsible for HR policy and practice and 462 chief executives or, where that person was unavailable, their nearest deputy. There were 237 organizations where data were collected from both managers.
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Figure 11 : Tableau des profits par employé en fonction du nombre des pratiques RH utilisées, selon David Guest
Figure 12 : Tableau du taux de rotation en fonction du nombre des pratiques RH utilisées, selon David Guest
4.4 Focus sectoriel : le lien entre gestion du capital humain et performance dans le marché
obligataire De nombreuses études font état d’augmentation de la productivité et de la rentabilité, de la valeur de marché et de la valeur pour l’actionnaire suite à une bonne gestion des relations sociales65.
Dans l’étude “Employee Relations and Credit Risk”66, le secteur étudié spécifiquement est celui du marché obligataire, sur l’idée que les relations sociales auraient une influence sur l’appréciation du risque crédit.
L’hypothèse de fond se base sur l’observation du secteur : les maisons qui appliquent de bonnes conditions de relations sociales ont statistiquement un coût inférieur de financement de la dette, de meilleures conditions de crédit et des risques inférieurs. L’étude montre que les conclusions résistent à plusieurs batteries de test.
Les clients‐investisseurs sont en relation directe avec la principale partie prenante de la société, à savoir ses employés : au cœur des efforts de management se trouve la relation sociale aux employés, qui participent avec leurs compétences et leur engagement à la réussite par l’innovation, la qualité,
65 Huselid, 1995; Ichniowski et al., 1997; Ichniowski and Shaw, 1999, in Bauer R., Derwall J., Hann D., 2009, Employee Relations and Credit Risk, Edmans, Université de Maastricht et Tilburg. 66 Employee Relations and Credit Risk, ibidem.
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la rapidité et l’adaptation. Une saine gestion des relations sociales générerait des cash flows plus stables et plus élevés, et en même temps diminuerait les conséquences des comportements négatifs des employés non satisfaits. A l’opposé, de mauvaises relations sociales limiteraient l’accès aux talents, favoriseraient le départ des employés de valeur, augmenteraient le risque réputationnel, le risque de litige et les coûts de transaction.
L’étude utilise pour sa démonstration l’index Employee Relations Index ou ERI, qui mesure la qualité des relations sociales sur la base d’indicateurs de performance de la gestion des ressources humaines, et les données de KLD Domini Research & Analytics (aujourd’hui MSCI ESG), spécialisé dans la recherche sur les sujets de responsabilité sociale et de gouvernance. Le lien est ensuite fait entre les indicateurs et les coûts de la dette et des ratings de crédit, sur la base des émissions de dette et du rating des émetteurs.
Les indicateurs pris en compte dans l’index de référence sont multiples et affinés67, et concernent des sujets comme :
‐ les représentations des minorités et de la diversité, y compris des populations fragiles, aux postes de présidence et dans les comités de direction ;
‐ la prise en compte de l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle ;
‐ la politique très large, en faveur de la majorité des salariés, pour la redistribution des profits, la motivation par les stock‐options ;
‐ des pratiques de communication financière transparente vis‐à‐vis des employés, et un style de management participatif.
Selon l’étude,
‐ des relations sociales fortes conduisent à un coût inférieur de financement de la dette. L’augmentation d’un point du ERI est lié à la diminution annuelle de 2 à 4 points base du spread de rendement annuel ;
‐ les maisons jouissant de relations sociales fortes bénéficient de ratings obligataires plus élevés.
L’étude utilise également d’autres paramètres d’analyse financière des risques par le biais d’une association avec les critères de notation des relations sociales, et trouve un lien négatif significatif avec la volatilité spécifique.
67 Liste des critères en Annexe n°1.
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Dans ce chapitre, nous avons exploré les différentes facettes de la notion de capital humain qui, d’abord limitée à une optique macro‐économique et au domaine éducatif, s’ouvre progressivement à l’entreprise, où son évaluation se fait d’abord par des méthodes comptables (afin de l’inclure dans les bilans de l’entreprise), ensuite par des méthodes plus financières (afin d’en mesurer l’apport aux actionnaires), sur la base du postulat de corrélation entre les investissements en gestion du capital humain et les résultats de l’entreprise. Face aux difficultés de normalisation des méthodes et à la difficulté de prouver le lien de façon inopposable, la mesure se tourne vers une approche plus managériale, dans l’objectif de piloter la gestion des employés et de justifier son existence par rapport à la stratégie globale de l’entreprise. On aperçoit dans cette dernière approche l’influence des notions de développement durable et de RSE. Avec l’essor du capital immatériel, des méthodologies sont proposées afin de noter et valoriser le capital humain en tant que richesse propre à l’entreprise et principale source de création de valeur par tous les autres actifs immatériels. La recherche sur la corrélation entre performance du management des ressources humaines et création de valeur se poursuit, et l’approche se fait plus empirique. Les différents travaux s’appuient sur des indicateurs de plus en plus précis, afin de traduire les impacts positifs mesurés : la profitabilité, le Tobin’s Q, le retour aux actionnaires, la loyauté et la satisfaction client, le coût du financement de la dette, et autres encore68. Les outils de mesure suivent chaque étape de cette évolution : de l’approche Balanced ScoreCard et Return on Investment, à des indicateurs plus qualitatifs pour exprimer une notation, ou encore, plus récemment, à la valorisation de l’actif humain par l’approche du capital immatériel. Dans cette configuration, l’essor des méthodologies issues du développement durable et de l’ISR apporte un renouveau à la fonction de RH et à la mesure de la gestion du capital humain : à côté des objectifs de rentabilité et profitabilité, la mesure intègre la notion d’éthique et de « durable », et l’on s’interroge ainsi sur la notion de « performance durable » de l’entreprise. Dans le schéma de la figure 13, nous proposons une représentation synthétique des principales méthodes d’évaluation et notation du capital humain en fonction des approches retenues et des objectifs poursuivis: il en résulte une certaine dispersion qui nuit à la lisibilité de la véritable valeur de l’actif humain.
68 La littérature est très riche à cet égard, mais la pluralité des indicateurs considérés est un indice de la complexité de la démonstration : corrélation positive entre le HRM et la performance de l’entreprise exprimée en termes de turnover (Huselid, 1995), de taux de production de rebuts dans une usine (Arthur, 1994; Ichniowski, Shaw and Prennushi, 1997), de productivité (Huselid, 1995; Arthur, 1994; Ichniowski et al, 1997; MacDuffie, 1995), de qualité (Arthur, 1994; MacDuffie, 1995), surtout du Tobin’s Q (cf. Huselid, 1995).
44
Figure 13 : Schéma récapitulant les principales approches utilisées dans l'évaluation du capital humain, avec les respectives méthodes d’évaluation et les outils de mesure
APPROCHE METHODE D’EVALUATION OUTILS
Approche macro économique :
Capital humain = « éducation collective » et richesse des nations
Coût historique, remplacement, opportunité, évaluation économique, comportemental, …. Méthode comptable
Méthode financière
Méthode managériale
Ratios financiers, ROI , BCR … Approche micro économique :
capital humain = richesse, actif, ressource
de l’entreprise Pilotage : (S)BSC , Tableaux de bord, indicateurs qualitatifs.
Mesure : corrélation entre la stratégie RH exprimée par des indicateurs de HCM (ex : ERI, HCI, n° d’outils …) et la performance économique/financière, exprimée par Tobin’s Q, TRS, profitabilité, volatilité spécifique, ….
Notation par indicateurs qualitatifs et scoring, risques/rendement, avantage concurrentiel, …
Reporting social, bilan sociétal, ….
Approche RSE,
Sociale et sociétale
Méthodes extra‐financières
Approche du
Capital Immatériel
Méthodes financières + extra‐
financières
Notation de chaque actif par indicateurs, pondération + valorisation par les méthodes financières, en fonction des fondamentaux de l’entreprise.
Bilan aux normes IAS‐IFRS.
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Les travaux à ce jour sont principalement axés sur la démonstration du lien entre bonne gestion et performance, sans pour autant pouvoir prendre en compte, dans un modèle plus global, toutes les spécificités de l’entreprise, notamment de la PME, et tous les impacts sur les parties prenantes, notamment pour ce qui est de la responsabilité et de la réputation. De même, le lien avec la stratégie n’est pas toujours explicité, bien que certains outils comme les tableaux de bord puissent mieux représenter ces enjeux. Par ailleurs, l’émergence de la fonction de contrôle de gestion des ressources humaines69 pousse vers une comptabilisation des apports du capital humain : sans résoudre l’ensemble des difficultés, cette fonction présente l’avantage d’aider à la construction d’un langage commun entre finance et ressources humaines, et pourrait par là contribuer à la prise en compte bilancielle des apports du capital humain. Toute initiative de construction de langage commun, à travers un référentiel commun de pratiques compréhensibles et admises par les deux parties, nous semble bienvenue, en tant que tremplin vers une meilleure valorisation du capital humain dans la gestion et le pilotage de l’entreprise. Mais la performance est aujourd’hui plus que jamais, qu’on le déplore ou non, une affaire de marché : comment les acteurs du marché financier définissent‐ils et mesurent‐ils le capital humain?
69 Cf. Partie III de ce rapport.
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Partie II
Le capital humain dans l’approche des acteurs de l’investissement
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1. Le capital humain dans le pilier social et sociétal de la responsabilité d’entreprise
L’apparition des notions de développement durable et de responsabilité de l’entreprise a eu un impact certain sur les méthodes de gestion du capital humain en entreprise ainsi que sur le regard porté par les investisseurs. Pour les entreprises, le renforcement des exigences en termes de suivi et reporting a influencé les méthodes de mesure du retour de l’investissement en capital humain et la valorisation de l’actif « capital humain ». Le discours institutionnel a évolué, et la notion de responsabilité s’appuie sur des leviers plus classiques, différents dans leur finalité : on parle tour à tour d’éthique, ou bien de renforcement de la compétitivité, ou encore d’amélioration de la prévention du risque. Toutefois, les applications concrètes de la notion de responsabilité demeurent globalement peu structurées, complexes dans la mise en œuvre et la comparaison, au‐delà des contraintes de la régulation, car, comme le souligne le texte fondateur de l’Union Européenne70, tout repose sur des bases « volontaires ». Les méthodes de travail des directions des ressources humaines ont également été touchées : les outils issus de l’univers de mesure du « développement durable », comme les critères, indicateurs et référentiels, ou comme la démarche de progrès continu, ont ainsi trouvé de nouvelles applications dans les pratiques de gestion et mesure du capital humain. Tout en étant encore peu harmonisées, ces pratiques font l’objet d’une attention particulière de la part des investisseurs. Dans l’univers de l’investissement, l’essor de la notion de développement durable et de responsabilité a marqué les modes de mesure et valorisation du capital humain, avec la montée en puissance d’une part de nouveaux acteurs comme les fonds ISR ou thématiques ou les agences de notation extra‐financière, et d’autre part de nouveaux instruments de mesure et valorisation de l’humain, comme les critères d’investissement socialement responsable. La typologie et l’objectif de l’investissement déterminent les critères d’analyse, et dans cette perspective les regards portés sur le capital humain peuvent différer. Ainsi, l’approche de l’investissement responsable, qui intègre essentiellement des considérations d’éthique, côtoie l’approche « risque/rendement », qui vise à la détection précoce des risques pour optimiser l’investissement, et l’approche plus matérialiste et économique, qui repose sur l’idée que la bonne gestion du capital humain conduit à une meilleure performance. Par ailleurs, une certaine « confusion des genres » s’est installée : la notion de capital humain, qui renvoie à la richesse interne à l’entreprise en termes de « social » ‐ avec son corollaire de mesure et reporting – est souvent absorbée et refondue dans le pilier à proprement dire « sociétal », dérivé de
70 Commission Européenne : la notion de responsabilité est « Un concept qui désigne l'intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes ».
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l’anglais Corporate Social Responsibilty, plus largement centré sur la responsabilité de l’entreprise en termes d’acteur de son univers économique, culturel et environnemental. Dans ce contexte, il importe de distinguer les différentes visions et d’analyser les approches des intervenants du secteur, ainsi que les critères pris en compte par chacun, en fonction des différents objectifs, afin de reconstituer la complexité du système. Notons, par ailleurs, que le pilier social reste un sujet pour les grandes entreprises : dans les sociétés de taille moyenne, il tarde à rentrer dans les mœurs et à trouver sa place par rapport aux piliers « gouvernance » et « environnement », comme le montre Ethifinance dans la présentation de son index « petites valeurs » Gaia71. Dans cette deuxième partie du rapport, nous proposons un tour d’horizon des différents points de vue sur la prise en compte du capital humain, exprimés par des intervenants issus du monde de l’investissement. Notre objectif n’est pas d’évaluer ou comparer les approches, mais plutôt d’identifier les différents courants et dégager d’éventuelles orientations consensuelles.
1.1. Concilier approche responsable et approche économique, Kingsmill Report Au cours des 20 dernières années, les débats autour de la gouvernance d’entreprise et l’émergence de la notion de responsabilité sociale et sociétale ont largement renforcé et orienté la recherche sur
71 Rapport Gaia Index mid‐cap 2009, www.gaia‐index.com.
Ethifinance, agence de notation spécialisée dans les valeurs moyennes, a souhaité entreprendre une démarche de sensibilisation des entreprises et des acteurs du monde financiers sur les sujets ISR et de performance extra‐financière. L’index Gaia d’Ethifinance évalue les données publiées ou communiquées par 230 sociétés moyennes issues du service (hors financier) et de l’industrie, en les complétant par un contact direct avec les dirigeants. Les valeurs ont été évaluées sur la base de 27 questions actives, sur un ensemble de 70 questions, dans trois domaines : Gouvernance/Social/Environnemental, donnant lieu à une note de 0 à 2. La note, additionnée et transformée en pourcentage consolidé, a permis de mesurer l’implication globale de la valeur dans les trois domaines. Les résultats de l’index sont surprenants :
les taux de réponse marquent une distinction nette entre le thème de la gouvernance et le thème social et environnemental. La gouvernance est un sujet d’actualité depuis déjà plusieurs années alors que les 2 autres domaines sont encore des questions presque marginales dans le reporting des sociétés de taille moyenne.
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le postulat de la corrélation entre le management des ressources humaines et les performances boursières et économiques de l’entreprise, en l’orientant sur ce que le Kingsmill Report appelle
« Human Capital Management – an approach to people management that treats it as a high level strategic issue and seeks systematically to analyse, measure and evaluate how people policies and practices create value – …. is winning recognition as a way of creating long‐term sustainable performance in an increasingly competitive world”72.
La posture du Kingsmill Report repose sur un corpus académique de recherche empirique très riche, essentiellement américain, datant du début des années 90, qui, tout en se posant la question de l’importance de l’alignement de la stratégie du management des ressources humaines (HRM) avec la stratégie de l’entreprise, trouve une corrélation positive entre HRM et performance de l’entreprise. Toutefois, la taille non significative de l’échantillon de cette littérature ainsi que la variété de la mesure de la performance, à chaque fois exprimée par des indicateurs différents, rend son interprétation complexe. L’intérêt du Kingsmill Report, comme pour la loi des Nouvelles Régulations Économiques, est de concilier l’approche soutenable et responsable avec l’approche économique et financière recherchée par les entreprises et les actionnaires. Dans cette optique, le groupe de travail du Kingsmill Report recommande d’inclure dans le bilan des éléments d’évaluation de la performance du capital humain, calculée à partir de critères de responsabilité de l’entreprise, et justifie l’approche par le lien étroit entre la stratégie de l’entreprise et la performance économique et financière durable.
72 DTI‐sponsored Kingsmill Report, 2003, Accounting for People, www.bis.gov.uk/files/file38839.pdf.
Kingsmill Report Réalisé en 2001 au Royaume Uni grâce aux financements publics du Department of Trade Industry, le rapport recommande que des aspects importants de la performance du capital humain soient inclus dans le Operating and Financial Review (OFR), équivalent du bilan français. Le rapport promeut, entre autres, les notions de santé et sécurité au travail, la pratique de la non‐discrimination dans l’embauche ainsi que plus de place à la communication, l’implication et la consultation des salariés. Pour autant, le rapport ne répond pas aux questions essentielles de la tangibilité de la corrélation entre responsabilité et performance, et n’impose pas de priorité dans les domaines d’action des entreprises, leur reporting et évaluation des actions de gestion des ressources humaines. Toute chose étant égale par ailleurs, le rapport se rapproche des principes qui ont présidé en France à la mise en œuvre de la loi NRE, tout en gardant un caractère plus pragmatique.
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Parmi les indicateurs clés facilement applicables, le Kingsmill Report suggère :
• satisfaction et implication des employés
• recrutement / taux de rétention / taux de turnover / taux d’absentéisme
• formation et développement des compétences
• management des talents / planning des successions
• rémunération et distribution des bénéfices
• non‐discrimination dans l’emploi
• profitabilité ou bénéfice par employé, retour sur investissement dans le capital humain
• culture de l’entreprise, éthique et codes de conduite. 1.2 La responsabilité sociale holistique Dans cette même lignée, de nombreuses initiatives ont vu le jour, s’appuyant d’une part sur une démarche de responsabilité globale de l’entreprise à l’égard de ses parties prenantes internes et externes, et d’autre part sur des considérations d’ordre économique. En France, la Charte « Lucie » propose aux petites et moyennes entreprises, plus en retrait que leurs grandes sœurs sur ces questions stratégiques, un corpus cohérent et des outils efficaces d’évaluation du positionnement RSE global de l’entreprise. La Charte répond ainsi aux questions des associations de consommateurs sur la responsabilité des PME, qui ne sont pas soumises aux contraintes d’information de la NRE. La démarche présente en outre l’originalité de coupler la mesure de la responsabilité avec la justification économique dérivée de la valorisation du capital immatériel.
Audition de Gérard Schoun73, Directeur Général, Agence Lucie Le label LUCIE est une initiative conjointe de QFA (Qualité France Association), d’AFNOR Certification et de VIGEO, ce dernier ayant mis au point le référentiel d’évaluation. S’appuyant sur la notion de responsabilité sociétale définie par la nouvelle norme internationale ISO26000 (publiée en novembre 2010) et sur les normes internationales de comportement élaborées par des organismes supranationaux reconnus comme légitimes (OCDE, ILO, ONU, …), le label s’adresse aux nombreuses parties prenantes de l’entreprise : consommateurs, donneurs d’ordre, collaborateurs, bailleurs de fonds, assureurs, société civile… Les thématiques au centre de l’analyse reprennent les sept questions centrales de l’ISO26000, en plaçant au centre la gouvernance de l’organisation. Notons que les thématiques relatives au capital
73 Audition de Gérard Schoun, Agence Lucie (http://www.lucie‐qfa.fr/), 18 novembre 2009, cf. Annexe n°2. A noter : Gérard Schoun a quitté Lucie depuis l’intervention.
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humain sont reprises dans les deux questions « droits de l’homme » et « conditions et relations de travail ». Les auditeurs de VIGEO ou d’Afnor Certification analysent l’engagement en matière de responsabilité selon le volet politique, le déploiement et l’efficacité des actions mises en œuvre ; en balayant ces trois volets, il est possible d’objectiver un jugement sur l’engagement de l’entreprise.
Figure 14 : Axes d'évaluation de la responsabilité de l'entreprise, selon Lucie
La démarche Lucie est un exemple intéressant de recherche de lien entre l’approche financière, l’approche de responsabilité sociale et sociétale et la prise en compte de l’immatériel. Le lien entre performance et responsabilité renvoie à l’analyse du capital immatériel de l’entreprise, que Lucie utilise pour évaluer les retombées pour l’entreprise de la responsabilité envers ses parties prenantes. Pour prendre un exemple : la formation des membres du conseil d’administration, qui sont clairement des parties prenantes, « rapporte » à l’entreprise et à l’ensemble des « stakeholders » une gouvernance et un conseil plus éclairés. La qualité de l’apport des membres du conseil d’administration est par conséquent une valeur pour l’entreprise, qu’il convient de développer. Notons également la place importante donnée à l’ensemble des parties prenantes, dans une perspective holistique.
Figure 15 : L'approche capital immatériel dans la responsabilité de l'entreprise, selon Lucie
52
2. L’approche investisseurs Parmi les différentes typologies d’investisseurs, les parties prenantes internes ont une place singulière. Les mécanismes d’investissement des instruments financiers comme l’épargne salariale ou le fonds de pensions revêtent un intérêt particulier pour nous, car ils se trouvent à la croisée de critères à la fois économiques et de responsabilité sociale. Nous avons ainsi exploré leur vision du capital humain et l’intégration de cette thématique dans leurs critères d’investissement.
2.1. Les fonds de pensions Les fonds de pension ont été parmi les premiers à imposer une démarche d’investissement responsable, notamment dans les pays anglo‐saxons. En France, la Caisse des Dépôts et Consignation est certainement le pionnier dans la réflexion et la prise en compte des critères d’investissement responsable pour tous les fonds dont elle assure la gestion. Engagée dès le milieu des années 90 sur ces sujets, l’institution financière publique a intégré depuis longtemps dans son pilotage central les problématiques environnementales, sociales et de gouvernance. Principal investisseur français et européen de long terme, la CDC veille en particulier à impulser le développement de l’actionnariat salarié, par exemple, et à s’impliquer activement aux côtés des entreprises dont elle est actionnaire. Membre du groupe d’experts et du groupe des investisseurs qui ont élaboré les PRI, dont elle est signataire, la CDC déploie ces principes de façon adaptée à chaque classe d’actifs et entité du Groupe, notamment le Fonds de réserve pour les retraites (FRR) et le Régime additionnel de la Fonction publique (Erafp), également signataires des PRI. Ainsi, le FRR annonce sa raison d’être dans son objet social, décliné sur le long terme : ‘obtenir la meilleure performance possible au service des 16 millions de futurs retraités (les plus modestes) du régime général privé’. Dans ses principes directeurs, on remarque des critères spécifiques sur la bonne gestion du capital humain, dans le respect des notions de responsabilité définies par les instances internationales :
‐ l’alignement de la stratégie de gestion des ressources humaines sur la stratégie de l’entreprise, pour développer l’emploi à travers la formation tout au long de la vie professionnelle, l’anticipation de mutations économiques, …
‐ les conditions de travail : hygiène, sécurité, santé mentale et physique ‐ le dialogue social et la transparence : droit à la négociation collective, promotion du dialogue
et de la participation des salariés ; négociation avec les partenaires sociaux
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‐ les politiques anti‐discrimination en matière d’emploi et de profession. ‐ la rémunération comme outil de « bonne gouvernance » de l’entreprise, à travers
l’intéressement des salariés aux résultats. Notons la place octroyée à la promotion du dialogue social et à la rémunération et le partage des bénéfices en tant qu’élément clé pour la « gouvernance » de l’entreprise, au‐delà de l’objectif de motivation reconnu par les entreprises. Créé en 2003, l’ERAFP est engagé dans ‘une démarche attentive aux conséquences sociales, économiques et environnementales des placements et dans le respect de règles protectrices pour les bénéficiaires du régime’. L’ensemble des classes d’actif du portefeuille de cet organisme public est concerné par les principes du PRI et des conventions de l’Organisation Internationale du Travail. Ses critères d’investissement sont regroupés en plusieurs axes. Dans l’axe Progrès Social, qui concerne spécifiquement le travail dans ses différentes dimensions, l’attention est portée sur les émetteurs qui favorisent explicitement le développement des salariés et de leur employabilité et qui :
‐ contribuent au développement de l’emploi tant sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif
indicateurs retenus : formation, promotion et développement professionnel, parité hommes‐femmes …
‐ ont des projets d’investissement spécifiques qui favorisent le développement de l’emploi
indicateurs retenus : recherche et développement.
‐ ont des stratégies anticipatrices en matière d’emploi indicateurs retenus : formation tout au long de la vie, valorisation des acquis
de l’expérience, requalification. L’axe Démocratie Sociale met en avant le respect du dialogue social, ainsi que :
‐ l’existence et le rôle d’organismes participatifs ou consultatifs (comités d’entreprise, comités de groupe, comités techniques paritaires, ou équivalents…), en particulier dans le domaine de la vérification des informations économiques, sociales et environnementales fournies par l’émetteur.
‐ la capacité de tels organismes de faire des propositions et le niveau de prise en compte de
ces propositions. On remarque l’attention portée à la transparence de l’information fournie par l’émetteur et le rôle de contrepoids attribué aux organisations syndicales dans la « vérification » des informations de responsabilité sociale ; on remarquera également l’importance accordée à la prise en compte, de la part de l’entreprise, des propositions émises par les organisations syndicales.
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2.2 Le point de vue des syndicats Il est intéressant de noter, à ce sujet, les commentaires d’un intervenant issu du monde syndical et rompu à l’analyse ISR. Jean‐Philippe Liard est membre du conseil de surveillance du fonds d’épargne salariale EDF et a participé à la mise en place du fonds AXA WF Human Capital d’AXA IM74 ; il représente la CFDT, co‐fondatrice du CIES 75, et signataire depuis décembre 2010 des PRI en tant qu’investisseur et détenteur de 350 millions d’euros de réserves financières76. Sa vision nous éclaire sur la place des outils de rémunération et de partage des bénéfices, l’un des critères de gestion du capital humain pris en compte par le syndicaliste au moment de l’analyse de la responsabilité de la valeur du portefeuille. La politique globale de rémunération doit être prise en compte, au‐delà du niveau de rémunération individuelle, car la rémunération est un élément de reconnaissance et de comparaison pour les salariés. La présence de l’intéressement, au lieu de la participation, est vue comme outil de bonne gestion des ressources humaines : l’intéressement, plus souple et proche de la réalité économique de l’entreprise, récompense la qualité du travail, alors que l’entreprise a du mal à sortir du schéma « participation » qui est obligatoire.
Audition de Jean‐Philippe Liard, syndicaliste CFDT77 et membre de conseils de surveillance de fonds d’épargne salariale
La politique de vote d’un syndicaliste présent dans le conseil de surveillance d’un fonds prend en compte plusieurs indicateurs, tout en respectant le cahier de charge du mandat de gestion du fonds et en gardant la neutralité dans la gestion du fonds et dans la politique d’achat des titres, qui sont du ressort du gérant. Le rôle prioritaire du syndicaliste dans le conseil de surveillance est de valider la gestion à posteriori sur la base d’une charte ISR préalablement établie et sur la base d’indicateurs spécifiques :
1. Implication du PDG dans la politique RSE et prise en compte du capital humain ‐ Le Pdg accepte‐t‐il de rencontrer les délégués syndicaux de son entreprise ? ‐ Qui présente le budget à l’UES (Unité Economique et Sociale réunissant les instances de
représentation du personnel de plusieurs filiales de la même entreprise) ? ‐ Le comité central d’entreprise est‐il représenté au conseil d’administration ? A‐t‐il un
véritable pouvoir de décision ? ‐ Articulation de la fonction Ressources Humaines et Direction Financière.
74 Cf. plus loin, audition de Pascale Sagnier, AXA IM p 152. 75 CIES : Comité Intersyndical de l’épargne salariale, http://comite.cies.free.fr/index_fichiers/slide0001.htm . 76 Cf. Les Echos, 13 décembre 2010. 77 Audition privée de mars 2010, cf. Annexe n°3.
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2. Dialogue social : le dialogue social se mesure aux moyens de dialogue que l’entreprise se donne et se valide à la présence des syndicats
a. Rôle d’opposition ou de force de proposition des syndicats (si le climat est dégradé, certains syndicats peuvent fonctionner en opposition)
b. Nombre de réunions des représentants syndicaux et taux de présence c. Type de syndicats présents (radical/autonome/maison….) d. Taux de participation aux élections professionnelles et résultats e. Respect des accords et réglementations et moyens alloués pour la mise en œuvre et
le suivi.
3. Formation a. Ventilation du budget et des actions en fonction des catégories
professionnelles/âge/proportion totale sur l’ensemble des salariés b. Présence d’une mesure de la qualité de la formation.
4. Mobilité
a. Peut être un indicateur lorsque les salariés sont dans l’ensemble trop attachés au territoire et ne souhaitent pas partir.
5. Bien être social a. Présence et activité du Comité d’Entreprise (rôle social de service du CE, qui devrait
s’amplifier dans les entreprises : conseil aux salariés, ex. sur les investissements ou les retraites)
b. Insertion du CE dans son bassin d’emploi c. Forte pression exercée par les salariés pour l’embauche d’un membre de la famille.
6. Accueil des nouveaux arrivants
a. Présence d’un membre du syndicat lors de la présentation de l’entreprise aux nouveaux arrivants
b. Aides et moyens mis à disposition des nouveaux arrivants (toute catégorie confondue) pour la solution de problèmes logistiques comme le logement ou l’école des enfants.
Les indicateurs extra‐financiers des entreprises du portefeuille peuvent être renseignés non seulement à travers la rencontre avec le directeur financier, mais également par le biais d’interlocuteurs comme le DRH et le secrétaire du Comité d’Entreprise : ces deux fonctions sont essentielles à l’établissement d’un bon reporting social et financier, et permettent de vérifier la correspondance entre les informations délivrées publiquement et les informations fournies en séance close. S’agissant du Directeur de Développement Durable, Jean‐Philippe Liard préconise un entretien avec la fonction si elle est rattachée aux instances de gouvernance, aux sphères du corporate, car sa vision du risque est alors pertinente dans l’analyse de la politique RSE de l’entreprise.
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2.3. Les fonds d’investissement
Dans la décision d’investissement, les critères extra‐financiers représentent aujourd’hui un facteur prédominant pour anticiper les risques et évaluer la performance à long terme de l’entreprise78, bien que le débat reste ouvert sur l’intérêt purement économique d’un investissement ISR par rapport à l’investissement classique79 et que le dialogue entre gérants et entreprises, notamment les valeurs moyennes et les PME, soit complexe. Nos réflexions nous conduisent à examiner l’appropriation des critères ESG par les acteurs de la place et plus particulièrement à étudier leur prise en compte de l’humain. Un bref tour d’horizon des fonds d’investissement les plus actifs dans l’ISR permet de distinguer deux démarches différentes parmi les nombreux acteurs de la place:
‐ la première plus globalement orientée « éthique et responsabilité sociale/sociétale de l’entreprise », dans laquelle l’analyse de la gestion du capital humain est nécessaire mais ne représente pas le principal critère de choix d’investissement. Ces fonds se caractérisent par une attention importante aux intérêts des parties prenantes et une conscience développée de l’importance du rôle de l’entreprise dans son environnement. Cette approche, plus globale, est largement dominante et s’appuie généralement sur le respect des trois critères définis par les piliers ESG.
‐ la deuxième, une approche thématique davantage axée sur la notion de capital humain. La démarche se base sur le postulat de la création de valeur pour l’actionnaire par la bonne gestion du capital humain comme levier de performance économique et financière. Moins répandue, cette approche peut inclure d’autres critères environnementaux et de gouvernance, sans que leur poids soit déterminant dans la sélection des valeurs retenues.
Les fonds engagés Dans cette optique, il est intéressant de remarquer comment certains fonds ‐ non spécifiquement de pension ‐ se positionnent en actionnaires et parties prenantes de « contre poids », sur la base de leurs propres critères sociaux et sociétaux. Calvert, fonds américain majeur, a eu un rôle initiateur dans le mouvement d’influence ou « advocacy », bien connu dans le monde anglo‐saxon: le fonds applique depuis les années 80 des
78 Selon les données annuelles de Novethic, à fin 2009 les encours ISR représentaient 10% de la gestion d’actifs aux USA et 1 000 milliards en Europe ; en France, ils représentent 2,39% des encours recensés par l'AMF (données au 31 décembre 2009) contre 1,02% en 2007. 268 fonds ISR sont distribués en France, parmi les principaux acteurs citons Allianz Global investors France, Natixis AM, Dexia AM, BNP PAM et SGAM. Pour un recensement des fonds ISR disponibles en France, voir http://www.novethic.fr. 79 Les nombreuses variables qui interviennent, les différences de contexte économique avec la crise de 2008 et le peu de recul de l’ISR ne permettent pas de poser avec certitude l’intérêt sur le moyen et long terme de ce type de choix d’investissement.
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critères ESG à son portefeuille et se sert de sa puissance d’investisseur actif et de son vote pour orienter et infléchir la politique des entreprises qu’il suit dans le long terme. Le fonds applique également une approche « best efforts », destinée à accompagner les entreprises qui ne répondent pas entièrement aux critères ESG établis mais qui entreprennent une démarche de progrès dans leur stratégie. Calvert fixe ainsi des objectifs à l’entreprise, qui sont régulièrement revus et validés avec le concours du management dans un esprit de dialogue constructif. En cas de blocage, Calvert applique la menace du vote et aboutit dans la moitié des cas à infléchir la politique de l’entreprise. La grille de critères ESG80 appliqués montre une attention particulière au positionnement de l’entreprise comme acteur dans son environnement social (droits de l’homme, respect des droits des populations indigènes, relations avec les communautés). Notons que, selon le fonds, la rémunération des dirigeants doit être en ligne avec la performance sociale, environnementale et avec la gouvernance de l’entreprise. Les critères spécifiques à la gestion du capital humain, sous le titre « Workplace », portent sur la diversité, les relations au travail et la santé/sécurité des employés. Pour Calvert, les entreprises doivent :
‐ faire preuve d’une politique positive de diversité et d’un juste traitement de tous les employés. La transparence dans la communication sur les données concernant la politique de diversité est également un indicateur important.
‐ fournir des codes de travail solidement construits, en ligne avec les standards de l’OIT ; des règles de participation salariale aux bénéfices ; des opportunités prouvées de formation et développement, et un historique de bonnes relations avec les employés.
‐ soutenir activement des politiques de santé et sécurité des employés, avec des formations transverses et d’autres spécifiques au secteur ; elles doivent en outre faire preuve de systèmes de management de la sécurité et d’un historique positif de performance dans la sécurité.
La solidité de ces critères fait de Calvert l’un des investisseurs les plus attentifs dans le marché américain, sans que pour autant la thématique de l’humain soit prédominante ; il s’agit donc d’une approche ESG classique, couplée à une forte volonté d’influencer les politiques responsables de la valeur.
Une approche ESG plus marquée du capital humain Dans le vaste panorama français des fonds qui appliquent des critères ISR, nous avons sélectionné quelques fonds, dont certains labellisés ISR par Novethic, afin d’illustrer cette approche et de mieux comprendre sur quels critères de gestion et de mesure repose leur prise en compte du capital
80 Investments that make a difference, www.calvert.com.
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humain. En particulier, nous avons essayé de montrer comment les postures peuvent varier au sujet de la pondération entre les axes E,S,G, par exemple, ou de l’approche « best in class »/« best efforts », ou encore sur les indicateurs retenus pour la mesure de la gestion du capital humain.
Audition de Patrick Savadoux, Gérant, Mandarine Engagements Mandarine Engagements est un jeune fonds créé en 2009 mais déjà labellisé comme fonds ISR par Novethic : représentatif de l’approche idéologique et éthique, il pose un regard particulier sur la dimension de l’homme dans l’entreprise. Son Gérant, Patrick Savadoux, exprime la philosophie globale du fonds : « remettre la finance dans le système économique et dans la réalité » et retrouver la place de l’homme dans l’entreprise, dans la conviction qu’ « il est possible de concilier comportement socialement responsable des entreprises, développement durable et performance financière » et que « la combinaison de critères extra‐financiers et financiers est source de performance à part entière »81. Ainsi, le fonds vise un niveau élevé de performance, tout en acceptant des risques de décorrélation à court terme. Il s’adresse à une clientèle fidèle et engagée qui mise sur le long terme et qui pense qu’ « il n’y a pas que la performance dans la vie ». Selon Patrick Savadoux, l’entreprise doit mettre l’homme au cœur du dispositif, non seulement dans la gestion des ressources humaines mais également dans sa relation à toutes les parties prenantes. L’ISR doit ainsi replacer la question du sens au centre pour pouvoir survivre, et la méthode de l’exclusion est par sa clarté et sa simplicité le moyen le plus simple pour y parvenir, surtout vis‐à‐vis du particulier. Aux fonds engagés qui se posent en vecteur de changement pour l’entreprise par le biais de l’ISR, Patrick Savadoux oppose une autre vision : l’entreprise est davantage sensible au comportement des consommateurs qu’aux notations des sociétés de gestion. C’est pourquoi dans Mandarine Engagements la notion de « démarche de progrès en cours » que certains fonds retiennent n’est pas prise en compte : selon Patrick Savadoux, une entreprise doit prouver son engagement par des résultats tangibles avant d’être sélectionnée, et non pas seulement s’engager dans un parcours d’amélioration. L’approche « best in class » est donc privilégiée, ce qui implique d’une part une stricte surveillance de la valeur, notamment sur les actions RH en fonction de la conjoncture économique
« Tout événement extra‐financier impactant la notation est analysé et une mise sous surveillance de la société est effectuée », « Tout changement de notation se traduisant par un passage en négatif implique une sortie du portefeuille »,
et d’autre part la rencontre avec les parties prenantes extérieures (Ong, associations, partenaires sociaux, collectivités locales par exemple). Ces rencontres viennent compléter les données fournies par Vigeo et permettent la comparaison avec les informations fournies par l’entreprise : le
81 Audition privée d’octobre 2010, cf. Annexe n°4.
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comportement en cas de licenciement est particulièrement suivi, et peut être à l’origine de l’exclusion d’une valeur du portefeuille.
Figure 16 : Les axes de notation ESG, selon Mandarine Engagements
En matière de ressources humaines, les questions abordées couvrent :
‐ les relations au travail ‐ la gestion de carrière ‐ la santé et sécurité au travail ‐ le jugement porté par les organisations syndicales.
Les critères classiques de l’axe « ressources humaines » tels que mixité, conditions de travail, rémunération, traitement des licenciements, diversité et handicap, turnover et hommes clés, ne sont pas exhaustifs de la gestion du capital humain, selon Patrick Savadoux : d’autres indicateurs pertinents sont intégrés à l’axe « gouvernance », ou « relations clients‐fournisseurs ». Le comportement des constructeurs automobiles est un bon exemple : ceux qui n’ont pas « joué le jeu » après les aides octroyées sont exclus du fonds. De plus, Patrick Savadoux souligne la difficulté d’obtenir des informations exhaustives et fiables de la part des entreprises. C’est pourquoi le gérant scrute davantage le comportement de l’entreprise que sa déclaration. La veille est ainsi un élément fondamental dans son travail. Notons que dans l’approche de Mandarine Engagements, les trois piliers ESG sont équi‐pondérés mais que le mauvais comportement dans la bonne gestion du capital humain peut conduire à l’exclusion de la valeur du portefeuille pour ce seul axe. Les fonds ISR d’Allianz Global Investors Les fonds ISR d’Allianz82 se distinguent par la posture d’investisseur actif et à long terme, en vue d’influencer la politique de responsabilité sociale de l’entreprise via par exemple le vote à l’Assemblée Générale ou l’établissement de partenariats avec les Ong.
82 Signataire des principes PRI.
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Le processus de gestion ISR, pour le fonds actions Allianz Valeurs Durables par exemple, repose sur des procédés classiques, comme la prise en compte de plusieurs sources de données (les données fournies par les Ong, les informations publiquement disponibles, les rencontres avec l’entreprise et l’analyse fournie par Innovest, Vigeo et Eiris), l’évaluation globale de la valeur selon les critères de notation propres à la maison et éventuellement une approche sectorielle.
Figure 17 : Les critères ESG Allianz Valeurs Durables
A la lecture des critères « maison », inspirés par les principes internationaux de responsabilité d’entreprise, on remarque que les pondérations ne sont pas les mêmes pour tous les critères, et que le non respect des droits de l’homme vaut exclusion pour la valeur. Par ailleurs, si un pourcentage important du portefeuille doit être noté positivement à l’analyse ESG, le fonds garde dans l’ensemble une approche « best efforts »83, contrairement à Mandarine Engagements. La valeur Imerys par exemple – note Droits Humains à 1,97 – est reconnue pour sa ‘Stratégie RSE en progrès notable avec un engagement croissant sur les thématiques environnementales en matière d’économies d’énergie et de réhabilitation des sites miniers’. Notons également que, comme pour Mandarine Engagements, les questions plus spécifiquement « capital humain » relèvent d’au moins deux critères. En effet, si le critère « social », qui pèse de 20 à 40% de la note ESG, contient des indicateurs de bonne gestion du capital humain (qualité de conditions de vie au travail : santé et sécurité ; qualité de relations sociales et développement de l’emploi), une partie d’autres indicateurs typiques de la gestion du capital humain se retrouve dans le critère éliminatoire « respect des droits de l’homme », à savoir : le respect de la liberté syndicale et du droit à la négociation collective, ou encore la non discrimination, par exemple.
83 Cf. plaquette du fonds http://www.allianzgi.fr/fileadmin/contribution/pdf/ISR/Process_ISR/Process%20ISR%20Allianz%20Valeurs%20Durables.pdf.
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Compte tenu des périmètres de reporting internationaux, la question du respect de droits de l’homme peut donner lieu à de curieuses conséquences lorsqu’on élargit l’évaluation à la sous‐traitance : comment, en fait, évaluer équitablement ces entreprises qui ont d’excellentes notations en termes de gestion du capital humain, mais qui ont des difficultés à imposer le respect des droits de l’homme dans la chaîne de sous‐traitants et fournisseurs, notamment en Chine ? A ce sujet, Financière de l’Échiquier84 souligne que la gestion des sous‐traitants est une difficulté bien identifiée par les entreprises traditionnellement bien notées. Selon l’Oréal, par exemple, « il n’y a pas d’autre solution que de s’inscrire dans une démarche de progrès », ce qui correspond à la philosophie ISR de la maison de gestion. Financière de l’Échiquier : exemple d’approche intégrée de l’ISR Financière de l’Échiquier85 adopte une politique ISR représentative de l’intégration des critères ESG à la sélection de toutes les valeurs dans le portefeuille : l’ESG devient ainsi instrument de performance accrue car il permet de mieux appréhender et connaître les valeurs et de mieux anticiper les risques. Plus de 80% des valeurs suivies par cette maison (sur 2000 au total) sont aujourd’hui notées avec le prisme ISR et, pour les meilleures, intégrées dans une base de données après vérification directe des informations au cours d’entretiens86. Il est intéressant de se pencher sur les critères d’analyse du capital humain de cette maison d’investissement, et sur la politique de leur fonds laboratoire87 Valeurs Humaines, construit sur le biais des valeurs humaines. Le fonds de laboratoire « Valeurs Humaines » s’appuie sur l’univers de valeurs déjà présentes dans le portefeuille de l’Échiquier, auquel sont donc déjà appliqués les filtres ESG, avec une sélection supplémentaire en fonction des meilleures notes ESG pour obtenir un ensemble de 30 à 35 valeurs essentiellement européennes. Financière, signataire des PRI, note les entreprises selon deux axes : l’axe financier, à 60% et l’axe responsabilité à 40% (fig. 18). Dans les critères d’analyse, la qualité du management – l’un des deux piliers de la notation ISR ‐ est transversale à toutes les entreprises. La " responsabilité", deuxième pilier, est évaluée au travers d'un questionnaire (fig.19), élaboré en partenariat avec Ethifinance. Construit autour des 4 axes du développement durable (gouvernance, ressources humaines, environnement et parties prenantes), le questionnaire se décline en 9 questions et sert de fil conducteur à des entretiens qui sont menés par les équipes internes.
84Marie‐Ange Verdickt, Lettre de l’information mensuelle Financière de l’Échiquier, 1er septembre 2010, http://www.planete‐echiquier.fr/index.php?option=com_content&view=category&layout=blog&id=35&Itemid=57: « L’Oréal considère que 53% de ses fournisseurs chinois ne sont pas conformes à la charte du groupe et d’après eux, « c’est un bon chiffre ! Un taux beaucoup plus bas serait révélateur de réponses fausses ! ». 85 Financière de l’Echiquier figure à la 8ème place des Great Places to Work 2010 pour la section « entreprises française de moins de 500 personnes » (rappelons que le classement se fait sur la base de d’appels à candidatures volontaires). 86 Financière de l’Échiquier a présenté son Livre Blanc de l’ISR et ses principes d’investissement ISR lors de la Semaine de l’ISR à Paris (du 4 au 10 octobre 2010). 87 Les deux fonds laboratoires « valeurs humaines » et« environnement » sont nés officiellement en mars 2010 sur les fonds propres de Financière mais étaient en gestation depuis deux ans.
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Notons que l’analyse des valeurs se fait par le biais de rencontres avec les dirigeants et que Financière de l’Échiquier n’utilise pas de données d’agence de notation : contrairement à d’autres sociétés, elle s’appuie uniquement sur les données recueillies et élaborées en interne.
Figure 18 : Axes d’évaluation ISR de la Financière de l’Échiquier
Figure 19 : Questionnaire "responsabilité" de Financière de l'Échiquier
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Dans l’axe social, Financière de l’Échiquier se penche plus particulièrement sur :
‐ les modalités de restructuration mises en œuvre par l’entreprise ‐ la force de la culture d’entreprise et la fierté des salariés d’y appartenir ‐ la qualité du dialogue social ‐ le taux d’accidents et les efforts mesurés sur l’amélioration de la qualité et sécurité des
conditions de travail ‐ la formation pour tous les salariés ‐ le turnover ‐ la représentation des femmes cadre.
En fonction de ces critères, le papetier UPM et le groupe SEB sont cités comme bons élèves. Contrairement à d’autres approches ISR, la maison ne pratique pas l’exclusion sectorielle de principe, mais adopte une démarche « best in class » et « best efforts » pour les entreprises issues d’univers comme l’alcool, la défense, le jeu en ligne, pour récompenser le travail supplémentaire d’organisation de la prévention des risques. En revanche, une mauvaise note de gouvernance peut entraîner l’exclusion. Financière de l’Échiquier porte un regard différent sur les questions de disponibilité et fiabilité de l’information par rapport à ce que certains intervenants ont exprimé lors des auditions : selon la société, l’information ESG est de plus en plus disponible, via les rapports développement durable, par exemple, et se formate de plus en plus, grâce à la standardisation des réglementations (NRE, Grenelle, Iso 26000, GRI) et des modes d’analyse des agences de notation et brokers de la place. Ainsi, Financière ne sanctionne pas systématiquement l’absence d’information, tout en notant que le reporting décroît avec la taille de l’entreprise. L’information peut parfois paraître hétérogène et mal formatée, mais elle existe, selon la Financière, et le travail du gérant et de l’analyste consiste à utiliser toutes les sources possibles pour la trouver. Comme pour Mandarine Engagements, la subjectivité du gérant, qui apparaît au moment d’analyser cette masse d’information qualitative et à juger de sa validité, est donc à assumer. Ainsi, la valeur Amadeus (plateforme informatique de réservation de billets d’avions, capitalisation de 6mds €) ne publie aucune information, tout en ayant des pratiques de ressources humaines extrêmement responsables : diversité très représentée, avec plus de 100 nationalités, politique de promotion très active, turnover très bas, actionnariat salarié très développé. La Financière présente Michelin88 comme exemple de valeur bien notée, parmi les entreprises responsables sélectionnées dans le fonds. Sa fiche fait apparaître d’excellentes notes financières et ISR globale, avec des points forts comme la qualité du management, notée à 6,7, et la responsabilité, notée à 8. Les points forts soulignés concernent :
‐ le fort sentiment d’appartenance, 8 /10 ‐ l’attractivité de la marque
88 Michelin fait partie des entreprises que nous avons interrogées, cf. Partie III.
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‐ la bonne gestion des ressources humaines pendant la crise (cf. plan Michelin Développement)
‐ une politique de sécurité exigeante, avec un taux d’accidents du travail divisé par 2,5 en 4 ans.
La faiblesse de la gouvernance fermée du système en commandite par action est compensée par la compétence des dirigeants et la bonne composition du conseil d’administration (8 indépendants, 2 femmes, 1 étranger), malgré le faible turnover du renouvellement du mandat d’administrateur. Dans l’ensemble, ce bref aperçu de la prise en compte de l’humain dans l’investissement ISR montre la variété des pratiques actuellement adoptées par les maisons d’investissement dans la pondération des axes, les critères et les indicateurs retenus, les méthodologies de recueil de l’information et la place du « subjectif » dans l’évaluation, les tendances à l’exclusion ou aux approches « best efforts/best in class ». En particulier, nous avons souligné que les critères définissant l’humain se retrouvent, par l’appropriation et la personnalisation que chaque maison en fait, disséminés entre axe de la gouvernance parfois, axe sociétal, ou bien axe « droits de l’homme », ou encore « management »… Un véritable corpus de critères universellement acceptés ne s’impose pas encore, et une claire définition de « l’humain » n’émerge pas. Cela est certainement source de richesse pour l’investissement responsable en général, mais peut compliquer la comparaison entre fonds et surtout rendre plus complexe la tâche des entreprises au moment de fournir les informations aux analystes ou de se comparer par rapport à son secteur. Notons au passage que si le postulat à la base de l’investissement responsable est de mieux prendre en compte le risque et de mieux identifier les entreprises créatrices de valeur ajoutée, le critère de la gestion du capital humain devrait peser plus que les autres, car, selon le principe de l’évaluation des actifs immatériels, le capital humain est à l’origine de la création de valeur par tous les autres actifs. De plus, une entreprise avec une bonne gestion du capital humain mais une note moyenne sur un autre axe ESG voit baisser sa note globale, ou peut être exclue du portefeuille, alors que les travaux présentés dans la première partie tendent à montrer que sa bonne gestion du capital humain lui assure une bonne performance économique et boursière ! Nous pensons qu’un effort de recherche sur la corrélation positive entre gestion du capital humain et performance pourrait contribuer à améliorer la lisibilité et la définition des critères sociaux et sociétaux, et conforter par là le rôle de l’ESG comme levier de prise de conscience et changement des comportements de l’entreprise. Cela pourrait également permettre le développement, en dehors de l’investissement responsable, des fonds thématiques « capital humain », nettement moins nombreux que les fonds thématiques « environnement », comme on le verra plus loin. L’axe « environnement », traditionnellement très investi par les entreprises, a en effet atteint un niveau de maturité d’analyse et d’application qui favorise l’existence d’un véritable marché concurrentiel structuré centré sur cette thématique (cf. rapport précédent du Club Finance HEC, « Finance et Développement Durable »), alors que l’humain, encore immature, est presque exclusivement pris en compte dans l’ISR.
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2.4. L’approche « thématique » et « matérialiste » du capital humain
Certains fonds thématiques, davantage présents dans l’univers anglo‐saxon qu’en Europe, misent plus particulièrement sur la richesse et la valeur créées par une gestion avisée du capital humain, et contribuent aux efforts de mesure de celui‐ci à travers les hypothèses de meilleure performance pour l’actionnaire. Parnassus WorkPlace A titre d’exemple de fonds anglo‐saxon, Parnassus Work Place89 reprend la thématique très débattue du bien‐être sur le lieu de travail, à côté de facteurs ESG plus classiques que la maison applique sur l’ensemble de ses fonds. Fonds engagé, Parnassus intervient activement comme actionnaire à travers son vote, notamment sur les questions de rémunération des dirigeants. Ses lignes directrices de vote pour les questions sociales (fig.20) couvrent les thématiques de diversité et respect des minorités, le rôle de l’entreprise dans son environnement, l’éthique dans la pratique du business et, surtout, le respect de bonnes conditions de travail et de rémunération pour toutes les parties prenantes de l’entreprise, y compris la chaîne de sous‐traitance et les fournisseurs.
. Figure 20 : Orientations de vote sur les questions sociales et sociétales pour Parnassus Work Place
89 http://www.parnassus.com/parnassus‐mutual‐funds/workplace/, http://www.parnassus.com/downloads/funds/WorkplaceFund‐FactSheet.pdf.
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La philosophie du fonds, qui existe depuis 2005, est de rechercher l’avantage compétitif de la valeur et la surperformance par le biais des conditions de travail : l’hypothèse de base repose sur l’idée que les entreprises qui fournissent un environnement de travail favorable ont des employés satisfaits, retiennent mieux les talents et favorisent la productivité. Cela n’est pas sans rappeler toute la littérature, présentée dans la première partie du rapport, sur la corrélation entre gestion du capital humain et performance accrue de l’entreprise, avec toutefois un nombre plus élevé d’indicateurs. Les évaluations sont validées par les analystes du fonds et s’appuient sur les informations d’agence (Bloomberg), la recherche spécialisée (KLD Research et index, aujourd’hui partie des MSCI ESG Indices) et sur les enquêtes publiques, comme le classement annuel du Fortune Magazine et autres classements spécifiques au marché américain. Le fonds applique les principes d’exclusion des valeurs liées aux secteurs de l’alcool, des armes, du tabac, des jeux et de l’électricité dérivée du nucléaire. Ce fonds est un « multi‐cap » et investit dans des valeurs avec de bons fondamentaux et de bonnes perspectives de valorisation. Il se positionne plutôt bien sur le long terme par rapport au S&P500, son benchmark. La ventilation sectorielle fait apparaître une large majorité d’entreprises issues des nouvelles technologies et de l’informatique, secteurs qui concentrent une forte densité de capital humain et capital savoirs : Google et IBM sont respectivement les 3ème et 5ème positions, ce qui est conforme aux attentes, Google étant réputé pour les conditions de travail qu’il offre à ses collaborateurs. Un autre fonds thématique construit sur un biais capital humain paraît particulièrement intéressant dans son approche épurée et dans la recherche qui le sous‐tend.
Audition d’Emmanuelle Alleau*, Gérante, Amazone Euro Fund, AMM Finance : le “gender empowerment”
Bien que le « gender empowerment » soit un thème cher à la littérature ESG (c’est un axe majeur pour Calvert, par exemple), Amazone n’est pas un fonds ISR, car il n’applique pas les critères classiques ESG. Il s’agit plutôt d’un fonds thématique construit sur l’hypothèse de la surperformance induite par la mixité en entreprise. Selon Emmanuelle Alleau, Gérante du fonds, la mixité serait en effet à l’origine d’une meilleure identification des besoins clients et d’une meilleure utilisation des ressources humaines en entreprise : il existerait une surperformance financière des sociétés à forte mixité à la lumière des marchés boursiers. Les hypothèses de base, envisagées dès 2003, s’appuient sur les études d’experts (Michel Ferrary, enquêtes McKinsey), qui tendent à montrer, entre autres, que le management au féminin serait plus prudent et moins optimiste, le leadership des femmes plus fort, et que les femmes seraient plus assidues dans les comités et les conseils d’administration. Les femmes favoriseraient davantage les écarts resserrés entre les rémunérations et rendraient davantage compte des mauvaises performances du prix des actions.
*Audition privée, octobre 2010, cf. Annexe n° 5.
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Le fonds est construit ainsi sur deux critères équi‐pondérés, le critère financier et le critère mixité. La baisse de notation dans l’un des deux entraîne l’exclusion du titre. Après une sélection des valeurs selon le filtre classique de la performance économique et opérationnelle, le scoring « mixité » spécifique du fonds est appliqué, et des points sont attribués à la valeur sur la base de plusieurs indicateurs différemment pondérés :
‐ La présence de femmes dans les instances de direction, avec attribution de points selon la fonction et la hiérarchie, pondérée à 60% :
o CEO, 50pts o CFO ou bien COO, 25pts o Direction de division, 15 pts o Directeur fonctionnel, 10 pts.
‐ Le respect de l’équité de mixité dans les postes de management, pondéré de 40 à 60% :
l’équilibre maximal est obtenu par un taux de diversité 40%‐60% (quel que soit le genre en question : le fonds ne privilégie pas la présence des femmes, mais le respect de la mixité), étant entendu qu’un équilibre de 50% entraîne 0 points.
‐ La présence d’au moins deux femmes au conseil d’administration, qui vaut 10 points.
‐ L’engagement diversité affiché par l’entreprise et la diversité dans les taux d’embauche, indicateurs déclaratifs relevés dans les outils de communication publics (rapport annuel, site, communiqués de presse).
Figure 21 : Construction du scoring mixité d'Amazone Euro Fund
Un score « mixité » d’au moins 60 points donne accès au portefeuille final, régulièrement révisé. Le portefeuille, qui bénéficie d’un taux de rotation assez bas, se compose d’environ 30 positions (entre autres, L’Oréal, Essilor, Hermes, Swatch, Statoil, Pepsico, Pearson), principalement large/mid caps
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issues de la zone euro, dans les secteurs de l’édition, du luxe, de la restauration collective, des services aux entreprises et les services financiers. Il est intéressant de noter que pour ce fonds aucune considération éthique ou responsable ne vient soutenir les hypothèses de base. Le biais s’appuie uniquement sur une approche « matérialiste » du capital humain, et aucune analyse ESG ne vient compléter les critères d’investissement. Ce type de fonds thématiques sur le capital humain et disjoints de toute considération de responsabilité est assez peu courant sur le marché. D’autres fonds ont une approche thématique de l’humain plus tournée vers une perspective d’anticipation de risque.
Pour l’équipe de recherche « Investissement Responsable » chez AXA IM, l’analyse de la gestion du capital humain peut donner des indications, voire des alertes, sur l’état de santé d’une entreprise. En effet, la capacité d’anticiper les conséquences de la pyramide des âges qui va dans les prochaines années générer de nombreux départs à la retraite , la capacité à attirer les talents dans un marché marqué par la rareté de main d’œuvre qualifiée dans certains secteurs, la gestion des fusions/acquisitions et le besoin de maintenir les coûts dans un monde globalisé affectent certaines entreprises ou certains secteurs. Citons, en guise d’exemple, Siemens qui n’a pas atteint ses objectifs de rentabilité il y a quelques années à cause du manque de main d’œuvre pour honorer les contrats, ou encore le secteur pétrolier, qui manque actuellement et va manquer dans l’avenir d’une main d’œuvre qualifiée pour l’activité exploration.
Audition de Pascale Sagnier90, Responsable de la recherche Investissement Responsable, AXA IM
Une approche risque plus marquée En tant que gestionnaire d’actif, AXA IM s’intéresse à tous les facteurs extra‐financiers qui peuvent avoir un impact sur la valeur de l’entreprise. L’intégration des critères ESG entre dans le cadre d’une analyse fondamentale approfondie et répond à une demande croissante des investisseurs. Ainsi, à la demande d’une grande entreprise française, AXA IM a créé un fonds d’épargne salariale, portant sur des valeurs moyennes sélectionnées sur des politiques sociales intégrant la santé/sécurité/diversité et, surtout, la création d’emplois en France.
Cela a donné lieu à une réflexion importante chez Axa IM sur l’importance du management du capital humain dans le succès (ou échec) d’une stratégie de fusion ou de développement d’une entreprise. La réflexion a été confortée en s’appuyant sur de nombreuses études académiques sur le sujet (McKinsey, Gallup, Watson Wyatt) mettant en avant un lien sur le long terme entre gestion du capital humain et performance financière et boursière d’une entreprise.
A partir de ces constats, AXA IM a sélectionné des critères dans la base de données de Vigeo. Les études menées par AXA IM sur le lien entre les indicateurs sociaux et la performance financière et boursière de l’entreprise ont permis de sélectionner 3 critères parmi les 13 critères sociaux
90 Audition de janvier 2010, cf. Annexe n°6.
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pertinents en fonction de leur corrélation avec la productivité ( elle‐même strictement liée dans les graphiques à la performance boursière), la rentabilité et la croissance durable à long terme :
Qualité des conditions de travail : Rémunération/ Santé / Heures travaillées (équilibre vie personnelle/professionnelle). Développement de carrière et formations : Gestion de carrières / Budget de formations. Évolution de l’emploi (critère choisi par Axa IM comme indicateur de bonne/mauvaise santé de l’entreprise, cf. étude restructurations de Mme Sagnier pour Axa IM): ex, pourcentage des emplois pourvus en interne, critère qui commence à apparaître dans les déclarations des sociétés.
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Une moyenne pondérée des 3 critères retenus
Le poids de chaque critère a été fixé selon sa corrélation avec la performance de l’action
Les critères de stratégie CH (Développement de carrières, Conditions de travail) sont surpondérés
L’évolution de l’emploi permet de capter la bonne santé de l’entreprise ou l’effet « croissance »
Evolution de l’emploiVariation sur 3 ans* du nombre total d’employés
Critères
Qualité des conditions de travailRémunération
SantéHeures travaillées
Développement de carrière et FormationGestion de carrières
Budget de formations professionnelles
Score AXA IM, Capital Humain
* Variation sur 2 ans dans le cas d’une fusion
Figure 22 : Construction du score AXA IM Capital Humain
Les critères retenus ont ensuite été pondérés et la pertinence des pondérations a été également « backtestée » (un nouveau backtest était en cours au moment de l’audition). Sur les 3 critères du score, 2 sont qualitatifs (conditions de travail + gestion des carrières) et un quantitatif (croissance de l’emploi, indicateur de la santé de l’entreprise), pondérés selon la corrélation avec la performance de l’action. Le score des trois critères pondérés – sur la base des scores Vigeo – est ensuite appliqué aux entreprises sélectionnées pour donner lieu au score AXA IM Capital Humain (note sur 10). Dans la construction du portefeuille (fig. 23), les critères d’Environnement et Gouvernance sont également pris en compte, et peuvent entraîner l’exclusion d’une valeur ; le fonds applique par
70
ailleurs une approche Best in Class sectorielle, et pratique l’exclusion pour les valeurs de tabac et de défense.
Figure 23 : Construction du portefeuille pour le fonds à thématique "capital humain" de AXA IM
La comparaison entre les sociétés qui ont le meilleur et le moins bon score, selon les bases Vigeo et les critères retenus de capital humain, montre que les premières surperforment en marge opérationnelle le panel des deuxièmes, ce qui permet de conclure à un lien entre gestion du capital humain et marge opérationnelle.
Néanmoins, remarquons que cela est surtout vrai dans la situation d’avant crise et pendant la crise : la reprise du marché en 2009 n’a pas été payante pour les sociétés à meilleur score. En effet, pendant la crise les sociétés qui avaient un mauvais score avaient beaucoup baissé, et ont remonté en profitant de la remontée du marché, au détriment des sociétés de qualité qui avaient moins baissé mais qui ont moins remonté en conséquence. Plusieurs constats s’imposent :
‐ plus le score Capital Humain est élevé, plus la productivité (CA/Employé) est élevée. On constate donc un lien entre la qualité du management du capital humain et la productivité.
‐ meilleur le score Capital Humain, meilleures la marge opérationnelle et la performance
boursière.
25
3. La construction du portefeuille
Secteurs et ThématiquesExposition active
- Tendances macroéconomiques- Spécificités par pays- Réglementation- Consolidation
Contraintes internes de gestion
- Contrôle ex-post de la tracking error
- Maximum 4% par ligne
- Maximum 3% de la market cap d’un titre
-Maximum 10% en cash
- Exclusion des titres worst in class sur les critères Sociaux
- Analyse spécifique par l’équipe RI des titres ayant un score RI < 3/10 sur l’un des 2 critères E ou G
Critères ESG- Critères sociaux:Visites de sociétés, succession,licenciement de managers clés…
-Autres critères extra-financiers:Gouvernance d’entreprise, environnement
Selon la stratégie d’investissement utilisée, l’information ci-dessus pourrait être plus détaillée que l’information contenue dans le prospectus. De telles informations (i) ne constituent pas une représentation ou un engagement de la part du gérant; (ii) sont subjectives et (iii) peuvent être modifiées à tout moment dans les limites du prospectus du fonds.
Environ 70-80 valeurs
71
Au sujet de l’amélioration de la productivité91, considérée comme ratio revenu/effectifs, Pascale Sagnier remarque que les entreprises agissent le plus souvent sur le dénominateur, c’est‐à‐dire les effectifs (en les réduisant) car le résultat est plus prévisible à court terme, alors qu’agir sur le numérateur c’est‐à‐dire sur les revenus (par l’innovation, la motivation, les conditions de travail et l’optimisation) implique un résultat plus long et plus incertain. Selon une étude comparative d’Axa IM, à parité d’amélioration de productivité, les entreprises qui améliorent la productivité en agissant sur le numérateur ont une meilleure performance que les autres, et surtout plus durable dans le temps92.
Ainsi que l’ont fait d’autres intervenants, Pascale Sagnier souligne que le processus de prise en compte d’indicateurs sociaux est encore perfectible : d’une part les informations en provenance des entreprises sont inégales selon les pays et les entreprises, ce qui introduit des difficultés supplémentaires d’évaluation et de comparaison, et d’autre part il s’agit de données non auditées.
Dans l’ensemble, on remarque, comme pour Amazone Euro Fund, un lien important avec la recherche sur les apports d’une bonne gestion du capital humain et une attention particulière aux choix de ces critères et indicateurs qui mieux identifient une bonne politique de gestion du capital humain. Les critères de gouvernance ou d’environnement peuvent être présents dans la sélection des valeurs, mais ne constituent pas l’élément essentiel dans la décision d’investissement. Pour Parnassus ou AXA IM par exemple, ils sont intégrés dans le choix de l’univers éligible au même titre que les critères d’analyse fondamentale mais ne rentrent pas dans le scoring final, et pour Amazone ils ne sont pas pris en compte dans le processus de construction du portefeuille. On remarque également que la performance boursière sur ce type de fonds est une affaire de longue haleine : les portefeuilles construits sur la thématique de la bonne gestion du capital humain subissent un ralentissement dû au fait que les effets de l’investissement en capital humain ne sont pas immédiats. Par ailleurs, les comportements en période de crise montrent que si l’investissement en capital humain est un bon rempart, et permet aux valeurs du fonds de mieux résister, la reprise leur est moins favorable. C’est pourquoi ces fonds se situent dans un horizon d’investissement de long terme. Afin de compléter ce panorama des différentes prises en compte du capital humain dans l’investissement, nous avons souhaité explorer des approches plus matérialistes, et avons rencontré Oddo, le pionnier de la place de Paris sur ces sujets. Oddo se positionne comme broker, offrant à ses clients un système rigoureux d’analyse et de recommandations globales, et développe à ce titre un modèle d’analyse de la gestion des ressources humaines par secteur qui a vocation à couvrir, avec le temps, tous les secteurs, avec une priorité claire pour les secteurs à forte intensité de ressources humaines, comme les services, avec des métiers très qualifiés (R&D dans les labo pharma ou la biotechnologie, logiciels… ) ou moins qualifiés (ex. la restauration, hôtellerie, …).
91 Pour les différentes définitions de productivité, cf. Partie I. 92Voir également Pascale Sagnier, Corporate Restructuring : Handle with Care, http://www.axa‐im.fr/index.cfm?pagepath=espacepresse/research/ri_inside_research/ri_Inside_review&CFNoCache=TRUE&servedoc=DC936C30‐1708‐7D7E‐1B20CDBC802B517D .
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Audition de Jean‐Philippe Desmartin, Responsable de l’analyse ISR, Oddo Securities93 Pour Oddo, la matérialité est une notion incontournable : sur l’analyse RH et sur l’ensemble de l’analyse ESG, Oddo ne retient que ce qui permet de mieux comprendre et anticiper le business modèle (ex. l’ « offshoring » dans les services informatiques), de valider la qualité du management (à travers des indicateurs de gestion de la relation humaine, de la qualité du management intermédiaire et opérationnel) et de creuser les états financiers (les passifs sociaux, les pyramides des âges). Ce qui est recherché est l’impact sur la performance pour l’investisseur: les critères d’analyse ISR sont construits plus en fonction de la dimension performance (matérialité pour l’investisseur) que sur l’aspect responsabilité (vis‐à‐vis des parties prenantes notamment), le focus responsabilité relevant du terrain de prospection des agences de notation. Par exemple, dans les relations sociales, le fait que le secteur des biotechnologies n’ait pas de syndicat n’est pas pénalisant pour l’analyse ISR performance chez Oddo, alors que cela l’est pour l’ISR de responsabilité. Dans le secteur automobile, en revanche, les relations sociales sont importantes et susceptibles d’avoir un lien, positif comme négatif, sur la performance. La matérialité et la corrélation entre enjeux financiers et capital humain sont au cœur de la recherche d’Oddo : sur la base des secteurs déjà étudiés94, Oddo pense que dans 80 à 90% des cas l’analyse RH et l’analyse ESG ne font pas le lien direct avec la valorisation financière de l’entreprise, mais cela permet de travailler sur des approches de scoring et de construire des modèles, pour ensuite « backtester » année après année la performance boursière et la volatilité associées aux indicateurs et critères retenus. Les modèles aboutissent à une recommandation Ressources Humaines secteur par secteur à destination de l’investisseur :
opportunité forte (1), 15% de l’univers étudié et opportunité (2), 35% de l’univers étudié, risque modéré (3), 35% de l’univers étudié et risque élevé (4), 15% de l’univers étudié.
Il est important de noter que la notion de secteur est importante dans le modèle : le poids de l’analyse RH dans l’ensemble du modèle ESG de Oddo est variable en fonction du secteur, plus important par exemple dans la publicité, la restauration collective, l’hôtellerie, les services informatiques et dans le pharma/R&D. Ainsi, des primes spécifiques de risque RH sont à l’étude, avec des pilotes qui pourraient être généralisés à l’horizon de 5 ans à l’ensemble des secteurs et des entreprises couverts. Par exemple, dans le secteur des média, où le capital humain est particulièrement dense, les valeurs ont d’ores et déjà été dotées au cas par cas d’une prime de risque RH spécifique.
93 Audition privée de Jean‐Philippe Desmartin, 29 janvier 2010, cf. Annexe n°7. 94 Pour certains secteurs, le lien est très fort : par exemple, dans le transport aérien la corrélation est directe entre dégradation du climat social, grève à Charles de Gaulle et impact allant jusqu’à 50 M € sur le résultat d’exploitation par jour.
73
Le modèle est construit sur la base de critères qui se sont révélés pertinents dans le temps et qui « paient » : par rapport aux critères utilisés par Arese, Vigeo ou Innovest, certains ont été conservés, comme l‘effort de formation (taux d’accès à la formation, efficacité de la formation) et la gestion des carrières (taux de tenue des entretiens annuels, mobilité interne). D’autres ont été renforcés et ont aujourd’hui un poids plus important, comme la gestion des réorganisations et des restructurations, l’exposition aux passifs sociaux (surtout dans certains secteurs comme les services télécoms, l’acier, l’automobile), les départs et arrivées des compétences clés. D’autres encore, communément retenus historiquement, ne sont pas pertinents, comme par l’exemple l’évolution des effectifs : le critère reste, mais peu de poids lui est attribué dans la pondération. Ainsi, dans le modèle de croissance organique, on trouve :
‐ la capacité à prendre des parts de marché avec le capital humain en place et la politique de recrutement
‐ la capacité d’intégration des acquisitions dans la durée à l’instar de BNP avec Paribas, BNL ou encore Fortis
‐ la gestion des restructurations et réorganisations ‐ l’arrivée et le départ de compétences clés ‐ la qualité du management intermédiaire.
La tendance est à la réduction, pour les critères ESG comme pour les critères plus spécifiquement RH: il y a 10 ans, les critères ESG portaient sur 300 à 400 indicateurs, alors qu’aujourd’hui ils portent sur une centaine. Pour les RH, Oddo travaille aujourd’hui sur une vingtaine d’indicateurs par secteur, dont 2/3 systémiques transversaux (tous secteurs) et 1/3 activés par secteur spécifique. L’objectif est de travailler à terme sur un total de 50 ou 60 indicateurs ESG, dont une dizaine RH, selon l’expérience et les résultats des modèles en cours de test et d’amélioration continue. A titre d’exemple, les critères et indicateurs communs retenus pour les quatre grands métiers dans le secteur de la santé sont les suivants :
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Figure 24 : Modèle d'analyse RH du secteur de la santé selon Oddo, avec poids par critère
On notera, parmi d’autres95, les points d’intérêt suivants :
‐ La présence du DRH au Comex assure la cohérence de la Stratégie/Organisation/RH, qui doivent être associées en amont à la stratégie ; Oddo évalue aussi qualitativement le DRH lorsque cela est possible (dans les entretiens par exemple).
‐ Sur la diversité, la recherche académique est pour l’instant limitée et insuffisamment crédible ; ce critère est d’ores et déjà activé dans trois situations qui peuvent se cumuler :
o métiers à forte présence de femmes (cosmétique, 90% CA généré par des femmes ; agence de publicité, 65% décisions prises par des femmes),
o dans les secteurs à enjeux d’attractivité (restauration collective, services à la santé),
o dans les entreprises exposées au monde anglo‐saxon, où le risque juridique et financier associé à la diversité est significatif.
‐ Le salaire est considéré dans le critère de performance « résultat d’exploitation par salarié » ou « cash flow par salarié », plutôt que comme indicateur d’attractivité de l’entreprise. Selon Oddo, il est intéressant de regarder le salaire dès lors que le salarié est performant (l’entreprise où le salarié est performant et bien payé est appréciée, l’entreprise où le salarié bien payé est non performant est mal notée).
‐ Le poids de l’actionnariat salarié96 dans le modèle Oddo a diminué dans le temps, car cela est intéressant pour le salarié mais pas forcément pour la performance boursière. Le poids de
95 Cf. texte intégral de l’audition, cf. Annexe 7. 96 Au sujet de l’actionnariat et de la participation salariale, cf. l’audition de Jean‐Philippe Liard.
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l’actionnariat salarié est très variable selon les secteurs et peut atteindre jusqu’à 10% du modèle RH d’Oddo (biotechnologies par exemple).
‐ Sur la gestion des carrières, la priorité d’Oddo est l’entretien annuel pour tous les salariés ; le taux d’accès à la formation est également important (une formation par an et par salarié : pour les seniors, on est sur une logique de mobilité des salariés et d’employabilité et préservation des compétences de la part des entreprises). L’efficacité de la formation est également un élément important, mesurée à chaud et à froid du retour du salarié et de son manager97.
‐ Dans la restructuration, ce qui est important pour Oddo est l’anticipation, la limitation du périmètre concerné qui traduit l’absence de dilemme stratégique, la rapidité d’exécution aussi bien pour les partants que pour ceux qui restent (syndrome du survivant !) et l’accompagnement social.
‐ Pour la gestion du capital « savoirs », dans le critère des départs et arrivées d’hommes clés, les compétences clés sont identifiées par secteur (ex. dans l’informatique, l’homme clé est le patron de la filiale US, car c’est là que 50% du CA est fait ; dans le secteur des laboratoires/pharma, c’est le patron de la R&D ou des affaires publiques). La qualité de la gestion des hommes clés est évaluée sur la stabilité (ex. AstraZeneca, sur lequel Oddo est prudent depuis quelques années, avec une rotation d’hommes clés de R&D plus importante que la moyenne du secteur depuis le milieu des années 2000), mais Oddo indique que malheureusement cet indicateur est difficile à obtenir par les entreprises, car stratégique et sensible.
Les sources d’information pour les modèles sont en 360°: 80% de l’input viennent de l’expérience accumulée d’Oddo Securities et 20% viennent de l’extérieur, en priorité du dialogue avec les entreprises, puis des clients, experts RH et parties prenantes (syndicats de salariés par exemple). Au sujet du recueil d’information, Oddo s’appuie sur plusieurs sources :
‐ l’accès direct aux entreprises, qui restent de loin le meilleur lieu de collecte d’information ; ‐ la presse et les réseaux d’experts, recherche sur les événements sociaux et analyse
approfondie des états financiers ; ‐ un modèle intégré reposant sur des bases de données brutes sectorielles faites par les
équipes, car cela permet de mieux expliquer le modèle et la traçabilité à l’investisseur. Oddo préfère s’appuyer sur les informations ESG de Bloomberg et Reuters, en cours de montée en puissance, plutôt que les informations des agences qui ne fournissent pas suffisamment les données brutes des recherches.
Pour Jean‐Philippe Desmartin, l’enjeu capital est l’accès à des informations pertinentes, consolidées et pérennes : notons que Oddo note les entreprises sur leur transparence avec un poids plus
97 Sur la mesure de la formation, cf. plus loin, Partie III.
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important que par le passé (5% en 2009 au lieu de 2% en 2005), qui croît en fonction de la transparence avérée des concurrents. Par ailleurs, pour Jean‐Philippe Desmartin la mise à niveau des informations RH par les entreprises dans leur reporting externe prendra 10 ans : le travail à faire se situe au niveau du dialogue et de l’amélioration des outils de reporting, une bonne régulation pouvant compléter et accélérer l’édifice. L’analyste remarque que le noyau du problème se situe au niveau des échanges entre les services Rh et Finance de l’entreprise, sujet sur lequel nous reviendrons plus loin:
« Le langage commun entre DRH et DAF, c’est 3% des mots » Jean‐Philippe Desmartin
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2.5. L’évaluation du capital humain par les investisseurs dans les moments forts de la vie de l’entreprise
Afin d’élargir notre aperçu de la prise en compte du capital humain dans l’investissement, nous avons souhaité explorer les comportements des acteurs qui accompagnent la vie de l’entreprise dans ses moments forts. La métaphore de l’entreprise comme système ouvert et comme être vivant peut servir nos propos : l’entreprise se développe autour d’un homme et d’une idée, grandit avec lui en traversant des périodes de risque, entreprend une série de mutations et recherche des capitaux pour accompagner sa croissance, s’organise et se redéploie en fonction du marché et du jeu des alliances. De la start‐up qui recherche la confiance des investisseurs au groupe international qui traverse une fusion/acquisition, le capital humain est au cœur du changement, et l’enjeu des mutations est de garder et développer cette richesse. Le capital humain dans le capital investissement Dans le capital investissement, par exemple, la prise en compte du capital humain de l’entreprise est un facteur déterminant pour l’investisseur : XAnge Private Equity98, filiale du groupe La Poste, a défini un ensemble de critères d’aide à la prise de décision d’investissement dans une société.
Audition de Magdalena Svensson99, Directeur des participations, XAnge Private Equity
Dans le processus de rachat, l’évaluation de l’équipe dirigeante de l’entreprise et la question du « bon manager » sont certainement les éléments le plus discutés et le plus longuement soupesés au cours des 9 mois du process qui aboutit à la décision d’investir dans une société. Le cahier de charges des diligences est construit autour de l’analyse des capacités du manager et les critères de sélectivité sont très stricts, au point qu’en 2008 seulement 10 dossiers ont été retenus sur un potentiel de 2000 dossiers présentés. Le management est donc le principal facteur d’échec ou de réussite. L’outil de mesure du dirigeant Dans son évaluation du manager, XAnge s’intéresse à des facteurs de succès liés à des compétences spécifiques du dirigeant :
• vision stratégique et capacités de développement (particulièrement prisées en phase d’amorçage et proof of concept) ;
• leadership ; • gestion (pour le développement).
98 XAnge Private Equity intervient en phase d’amorçage, risque, développement et transmission, rachat et réorganisation en vue d’une succession ou d’une diversification de patrimoine, ou d’un OwnerBuy Out. 99 Audition du 13 mai 2009, cf. Annexe n° 8.
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Pour effectuer l’évaluation, XAnge a mis au point une méthodologie d’analyse (fig 25) et un outil de scoring propres (fig. 26).
L’outil repose sur un ensemble de critères qualitatifs, dont la traduction « quantitative » en score, menée par un expert, est soumise à des biais de subjectivité.
Figure 25 : Méthodologie d'évaluation du manager, selon XAnge
Les opérations de diligence s’attachent à évaluer quatre axes propres de la personnalité et des compétences du dirigeant, de sa motivation personnelle et de son engagement, comme par exemple, sa disposition à investir son capital personnel dans l’entreprise. Ces axes représentent les facteurs clés de la réussite, et sont analysés par questionnaire à choix multiples. Le questionnaire est rempli par l’associé XAnge qui instruit le dossier, et reçoit une notation sur une échelle de 1 à 5 :
‐ Expérience & type de leadership (34 questions) ; ‐ « Business judgement » : créativité, adaptabilité, anticipation (12 questions) ; ‐ Capacités d’exécution (16 questions) ; ‐ Engagement personnel (8 questions).
Les résultats donnent lieu à une restitution graphique (fig. 26) qui, avec les résultats issus des diligences (rencontres « one to one », rencontre avec l’ensemble du management, rencontres des parties prenantes et éventuellement évaluation des dirigeants par un professionnel du recrutement), constituent la base fondamentale sur laquelle l’équipe de XAnge fonde sa décision finale d’investissement.
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Figure 26 : Restitution graphique de l'évaluation du manager, selon XAnge
L’outil de scoring est donc un facteur de choix « go/no go » pour la décision d’investissement.
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Le capital humain dans les fusions/acquisitions et les réorganisations L’importance de la prise en compte du capital humain apparaît de manière évidente dans les fusions/acquisitions, autre moment clé de la vie de l’entreprise : dès 2002, Jeffrey Schmidt, directeur de la recherche et de l’innovation au sein du cabinet Towers Perrin, proclamait l’importance de l’humain, « HR can make or break an M&A”100. L’étude Schmidt‐Towers Perrin101 sur l’intérêt de la bonne gestion du capital humain dans les fusions/acquisitions pointe le doigt sur l’humain comme principal motif de la plupart des échecs de rapprochement : selon l’étude, qui porte sur plus de 400 responsables de ressources humaines, le management des hommes serait aussi crucial pour une fusion réussie qu’une bonne stratégie ou une bonne due‐diligence. Ainsi, parmi les principaux obstacles à l’atteinte des synergies attendues, l’étude cite le problème de la différence des cultures et des styles de gestion, ainsi que la perte des talents.
Lors d’une vaste étude européenne, Hewitt s’attache à identifier la perception des risques liés au capital humain102, et signale la difficulté de valorisation du risque « capital humain » :
100 Andrew F. Giffin, Jeffrey A. Schmidt, 2002, Why HR Can Make or Break Your M&A, Towers Perrin. 101 Jeffrey A.,Schmidt, 2004, Making Mergers Work : The Strategic Importance of People, Towers Perrin/SHRM Foundation. 102 Etude Hewitt ‐ ARFA (Association Française des responsables de Fusions&Acquisitions), 2006, sur un échantillon total de 57 entreprises paneuropéennes tous secteurs confondus, représentant plus de deux millions de salariés.
Le succès des F/A ?
L’atteinte des synergies prévues
Comment s’expliquent les écarts de création de valeur ? Quels sont les obstacles ?
‐ La mauvaise performance financière 64% ‐ La baisse de la productivité 62% ‐ L’incompatibilité des cultures 56%
‐ La perte des talents 53% ‐ La cohabitation difficile entre plusieurs styles de gestion 53%
Figure 27 : Principaux obstacles à l’atteinte des synergies attendues dans une fusion ou acquisition, Schmidt‐Towers Perrin
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Figure 28 : Le risque "capital humain" dans les fusions/acquisitions, selon Hewitt
Ainsi, si le risque paraît bien identifié d’un point de vue qualitatif, sa mesure d’un point de vue quantitatif demeure insuffisante, et la prise en compte opérationnelle quasi inexistante. Comment évalue‐t‐on le capital humain dans les entreprises qui restructurent ? Pour aider les investisseurs à évaluer le risque, Vigeo a développé une approche des restructurations centrée sur la posture ISR, dans laquelle les indicateurs de gestion de capital humain sont intégrés dans un ensemble plus large de critères ISR. Selon Vigeo, l’étude du facteur de risque dans une restructuration doit nécessairement inclure la responsabilité sociétale de l’entreprise et sa capacité à prendre en compte les attentes des parties prenantes, car une mauvaise prise en compte peut être un facteur aggravant de risque. Ainsi, pour Vigeo la restructuration peut représenter une opportunité de saine gestion du risque. Selon les travaux menés par Vigeo en partenariat avec les équipes de Société Générale Securities, les bénéfices attendus d’une restructuration conduite de façon responsable permettent de contrôler le risque juridique et, au niveau de la gestion des ressources humaines (rétention des talents et du savoir‐faire, maintien du climat social et de la motivation), d’augmenter l’efficacité opérationnelle (capacité à éviter le conflit dans le dialogue social et maintien de la productivité) et préserver le capital réputationnel.
Les entreprises savent qu’il existe un risque « capital humain » :
‐ 77% identifient les risques « capital humain » pendant la transaction
‐ 32% seulement utilisent cette information pour la négociation ‐ 32 % avouent ne pas savoir valoriser les risques « capital humain »
mais ne l’intègrent pas opérationnellement :
‐ 7% seulement évaluent les risques liés à la perte des compétences des dirigeants
‐ 4% seulement mesurent les risques liés aux talents clés. Les obstacles à la réussite : le risque « capital humain » en troisième position
‐ non‐conformité réglementaire 88% ‐ risques opérationnels 84%
‐ risques liés au capital humain 70%
‐ l’environnement 68% ‐ image et réputation 63%.
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Audition d’Estelle Mironesco103, Directrice de la recherche ISR, Vigeo Pour définir ce qu’est une restructuration perçue comme responsable, Vigeo s’appuie sur un corpus de textes internationaux 104et mesure la capacité des entreprises d’une part à informer les collaborateurs en amont et pendant le processus, et d’autre part à mettre en place des mesures pour réduire les effets négatifs de la restructuration sur les collaborateurs.
Dans l’axe de notation « Gestion des Ressources Humaines », qui fait partie de l’ensemble des six axes de notation de la responsabilité d’entreprise, Vigeo prend en compte sept critères spécifiques, pondérés par secteur :
HRS1.1 la promotion du dialogue social
HRS1.2 l’encouragement de la participation des salariés
HRS2.3 la gestion responsable des restructurations
HRS2.4 le développement de carrière et la promotion de l’employabilité
HRS3.1 la qualité du système des rémunérations
HRS3.2 l’amélioration de la santé et des conditions de travail
HRS3.3 le respect du temps de travail.
Sur la base des informations fournies par l’entreprise et les syndicats, les analystes de Vigeo notent la politique et les engagements de l’entreprise sur ces thèmes, les moyens et le périmètre de la mise en œuvre, les résultats obtenus et le niveau de communication. L’application de cette méthodologie d’évaluation sociale à un échantillon d’entreprises européennes ayant procédé à une restructuration entre 2007 et 2009, a permis de dégager des tendances générales : une large marge de progrès serait possible, seules 23% des entreprises ayant une performance sociale solide ou avancée en termes de restructuration. En particulier, les entreprises se montrent plus réactives que proactives dans la restructuration, (fig. 29), et peu d’entre elles vont au‐delà des obligations légales dans la gestion des conséquences sociales. Vigeo a noté qu’en plus des différences sectorielles, les entreprises dont la responsabilité sociale paraît mieux intégrée se caractérisent soit par une présence majeure des organisations syndicales, soit par une main d’œuvre qualifiée, soit encore par le rôle historique de l’état, qui peut agir comme contrepoids. Le dialogue social (capacité de négociation) ressort comme élément clé : globalement, Vigeo a remarqué une corrélation de 0.6 entre d’une part la performance sociale de l’entreprise sur les questions de restructuration et d’autre part son niveau de dialogue social et son engagement dans la formation et la gestion de carrière (fig.30), comprise comme anticipation des évolutions de carrière et de métier, adéquation entre compétences et besoins. 103 Audition du 18 novembre 2009, cf. Annexe n° 9. 104 EU Directive on Collective Dismissals (98/59/EC) / ILO conventions (C 158, R 166) / OECD guidelines for multinationals.
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Figure 29 : Comportement social des entreprises dans les restructurations, étude VIGEO/Société Générale
Figure 30 : Corrélation entre capacité à conduire une restructuration responsable et capacité de négociation et gestion de la formation/développement de carrière, selon Vigeo
Et la performance financière ? Le Net Restructuring Risk
Avec les équipes de la Société Générale Securities, Vigeo a entrepris une approche innovante de l’analyse des restructurations, combinant des critères financiers et sociaux, dans le but de rechercher les liens entre performance financière et performance sociale dans la restructuration et répondre aux questions suivantes :
‐ est‐ce que des indicateurs financiers peuvent annoncer une restructuration imminente ?
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‐ est‐ce que le management responsable des restructurations est un coût additionnel ou bien un moyen de contrôler les risques associés à la restructuration ?
‐ est‐ce qu’il existe un lien entre la performance financière de l’entreprise et son appétit et sa capacité à mener une politique de restructuration responsable ?
Sur la période analysée (Q1 2007 à Q1 2009) on remarque un parallélisme entre l’évolution du ratio de frais de personnel/résultat d’exploitation et le nombre de plans de restructuration. Ce ratio, ou risque de restructuration, peut donc être considéré comme un indicateur de probabilité de restructuration imminente (fig. 31).
Figure 31 : Risque de restructuration : le Ratio Frais de personnel/Résultat d’exploitation, comme indicateur des probabilités de restructuration selon Vigeo/Société Générale Securities
Le rapport entre le risque de restructuration et la capacité de mener la restructuration de façon responsable détermine ainsi le « net restructuring risk ».
Cet indicateur a été utilisé par les équipes de Vigeo et Société Générale Securities pour étudier les restructurations intervenues entre 2001 et 2008. D’après les résultats de l’étude, le secteur est un élément important : le software par exemple (cf. Alten, Altran, Atos, Logica…) apparaît très exposé au risque de restructuration mais a une capacité limitée à le gérer de façon socialement responsable. Par comparaison, le secteur de l’automobile (constructeurs et équipementiers) apparaît également très exposé au risque de restructuration, mais démontre une meilleure capacité à le gérer sur le plan humain (fig. 32).
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Figure 32 : Comparaison sectorielle du risque net de restructuration, selon Vigeo et Société Générale Securities
De la même manière, l’analyse a été réalisée au niveau des valeurs, afin de déterminer pour chaque entreprise par rapport à son secteur son exposition au risque de restructuration d’un point de vue économique et sa capacité à le gérer correctement d’un point de vue social.
Par un « backtest » effectué sur la période 2007 à 2009, la Société Générale Securities obtient deux résultats qui peuvent éclairer l’investisseur :
‐ investir dans des entreprises avec de bonnes compétences sociales ou dans des entreprises moins sujettes au risque de restructuration, peut amener l’investisseur à surperformer le secteur (fig. 33);
‐ les entreprises qui combinent les deux caractéristiques peuvent délivrer une performance supérieure (fig.34).
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Figure 33 : Backtest, Faible risque net de restructuration ou fortes capacités de restructuration, selon Vigeo et Société Générale Securities
Figure 34 : Backtest, Faible risque net de restructuration et fortes capacités de restructuration, selon Vigeo et Société Générale Securities
Il nous paraît important de remarquer que l’approche Vigeo/Société Générale Securities, tout en s’appuyant sur la mesure globale de la gestion des ressources humaines, accorde une importance particulière à trois indicateurs spécifiques : dialogue social, formation et développement des carrières. Nous avons déjà eu l’occasion de constater la différente prise en compte du dialogue social par d’autres intervenants, et nous verrons plus loin comment d’autres témoins d’entreprise appliquent et mesurent la formation et le développement des carrières.
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Dans cette deuxième partie, nous avons exploré les différentes approches de la prise en compte du capital humain par les acteurs de l’investissement et dans les moments forts de la vie de l’entreprise, comme les restructurations et l’intervention d’un capital investisseur. Les témoignages ont mis en exergue le poids de la notion de responsabilité sociale et sociétale dans la prise en compte de l’humain par les acteurs de l’investissement ISR, qui l’intègrent dans l’analyse globale des portefeuilles pour mieux appréhender le risque et mieux connaître les valeurs. Nous avons également exposé des exemples de démarches plus matérialistes et thématiques, davantage axées sur la notion de performance et de retour sur investissements. Au‐delà des différences, qui restent significatives notamment sur le choix et le poids des critères – comme pour le dialogue social ou la prise en compte des parties prenantes, par exemple – on peut d’ores et déjà noter que l’évaluation de la gestion du capital humain est souvent intégrée dans une évaluation plus large ESG, avec une superposition parfois de la notion de social et sociétal. C’est ainsi que certains indicateurs de gestion du capital humain, comme la non discrimination ou le respect de la liberté syndicale, se retrouvent parfois dans un critère plus large de « respect des droits de l’homme », ce qui nuit à la lisibilité au moment d’intégrer les données de périmètres plus larges. On remarque aussi que le besoin de quantifier les apports de l’humain à la globalité de l’entreprise passe parfois en second ordre par rapport à une notation plus qualitative, et ne pousse pas l’entreprise à fourbir ses armes en matière de mesure. En même temps, comme nous l’avons vu avec AXA IM, XAnge et Vigeo, l’humain trouve sa place à côté des autres piliers E et G, bien que les pondérations des trois piliers puissent varier. La valorisation et la quantification de l’humain en termes extra‐financiers sont un instrument essentiel dans la mesure du risque, et ne peuvent être compensées par une meilleure notation E ou G. Si les avis peuvent diverger au sujet de l’approche « best in class » et « best efforts », et si les pratiques sont différentes en matière de sources d’information, il est certain que la question de la subjectivité de la notation reste un point central pour tous les intervenants, qui l’assument pleinement. De manière générale, l’approche « matérialiste et thématique » de l’humain paraît moins répandue que l’approche ISR. Une question se pose alors avec force : est‐elle moins répandue à cause du manque d’outils de mesure fiables, harmonisés et pertinents ? Comment faire en sorte que, à l’instar des questions environnementales, elle soit davantage reliée à la performance ? Comment impliquer davantage les entreprises dans la mesure ? Le cas du critère de la formation est flagrant, mais probablement pas unique : alors que l’entreprise a encore du mal à trouver et appliquer les bons indicateurs (cf. plus loin, Partie III), les parties prenantes et les acteurs de l’investissement proposent des mesures précises (cf. CFDT, Oddo) et en font même un élément essentiel en cas de restructuration (Vigeo). Dans la partie suivante, nous allons explorer la prise en compte du capital humain par l’entreprise à travers quelques critères choisis, et nous allons tenter de comprendre la difficulté, signalée par tous les intervenants, d’obtenir de l’information fiable, pertinente, consolidée, auditée et harmonisée, notamment pour les petites et moyennes valeurs.
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PARTIE III
Pratiques et communication de l’entreprise, Perception par les acteurs du marché de l’investissement
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1. La responsabilité d’entreprise, puissant levier de valorisation des pratiques sociales et sociétales
L’impulsion de la vision « développement durable » et l’essor de la responsabilité, avec ses corollaires de risque de réputation et de mise en conformité juridique ou « compliance », a été un levier puissant pour l’entreprise dans la prise en compte du capital humain. Si les entreprises dans l’ensemble mesurent encore peu les apports de l’humain, elles consacrent toutefois du temps à réfléchir à la définition et à la mise en œuvre d’actions pour en améliorer la gestion et pour préserver leur image de marque « employeur ». Le risque de réputation, par exemple, pousse l’entreprise à améliorer son image globale et à adopter des pratiques plus conformes de gestion des ressources humaines et des relations avec les parties prenantes. En France, la perception de la réputation est très liée à l’humain : l’étude 2010 du cabinet I&E et Reputation Institute105montre que les français placent les enjeux de responsabilité, comme la citoyenneté et la capacité à générer des emplois, en tête des facteurs déterminant la réputation. 105 Étude I&E, Reputation Institute, 2010, disponible sur http://www.management‐reputation.fr/2010/05/27/reputation‐des‐entreprises‐du‐cac‐40‐les‐resultats‐de‐l‐etude‐i‐et‐e‐reputation‐institute/.
L’enjeu « réputation » revêt aujourd’hui une importance capitale pour les entreprises, et le développement durable est un outil incontournable d’amélioration de la réputation. En effet, l’opinion du public se traduit en comportements directement corrélés au pouvoir de recommandation ou de nuisance : ce pouvoir de recommandation laisse aujourd’hui peu de comités de direction insensibles, tant l’impact peut être important dans la conduite du projet d’entreprise. L’étude classe les valeurs du Cac40 en fonction de la réputation perçue et évalue la qualité des opinions émises sur ces entreprises, qu’elles soient favorables ou défavorables. Dans l’échantillon interrogé, seules les personnes connaissant suffisamment l’entreprise sont entendues. Il n’est donc pas question de notoriété ici donc, mais bien de « qualité » des opinions.
Dans sa méthodologie, l’étude a classé les 7 facteurs composant la réputation pour les français : en France, la gouvernance, les produits/services et la citoyenneté sont considérés comme les facteurs les plus structurants de l’opinion sur la réputation. Suivent les critères « emploi, leadership, innovation » et, en dernier, la performance, qui est nécessaire mais non suffisante pour établir un lien fort avec l’entreprise. On voit clairement que les Français se montrent les plus critiques sur les 3 critères qui relèvent de l’éthique de l’entreprise : gouvernance, citoyenneté et emploi. Les entreprises ont ensuite été notées en fonction des réponses à un questionnaire qui fait appel à des perceptions émotionnelles de l’opinion, comme la confiance, l’estime, l’admiration et l’affinité. On retrouve dans les trois premières positions des entreprises comme Michelin, l’Oréal et Danone.
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Ainsi, la « réputation » rejoint l’avantage compétitif comme facteur d’engagement pour l’entreprise dans la démarche sociale/sociétale. La bonne gestion du capital humain est un facteur clé pour l‘image de la « marque employeur », et devient une arme de taille dans la guerre de talents comme dans le développement de la performance. De manière générale, on remarque que le risque de réputation et son importance varient selon le secteur, l’activité et autres critères propres à l’entreprise, qui s’engage de façon pragmatique dans des domaines qui correspondent aux principaux risques réputationnels encourus dans son secteur d’activité (par exemple la sécurité sur le lieu du travail pour les entreprises du BTP). Parfois, le lien entre les risques propres à l’activité et les axes d’engagement et investissement retenus se traduit par une prise en compte affinée des enjeux, par des instruments d’analyse rigoureux et par un reporting structuré, dont la qualité est sans cesse évaluée. L’anticipation du risque « métier » peut ainsi donner lieu à des politiques exemplaires de responsabilité : Rhodia est pour la troisième année consécutive distingué par le DJSI pour son niveau de responsabilité parmi les entreprises de l’index dans le secteur chimie. La lecture du Rhodia Way106 et du rapport de développement durable met en évidence des préoccupations clairement reliées à la santé et sécurité des collaborateurs, enjeu défini comme « priorité » du groupe avec plus de 40% du total des investissements en Hygiène‐Sécurité‐Environnement pour 2009. Les indicateurs Santé/Sécurité107 spécifiques à l’entreprise côtoient ainsi les indicateurs sociaux plus classiques. La politique de ressources humaines, au service du développement économique, rejoint la politique de responsabilité et va au‐delà de la simple « compliance ». Les efforts de Rhodia sont reconnus et servent sa réputation et son avantage compétitif. Nous avons recueilli le témoignage du groupe SNCF, une entreprise qui, depuis longtemps, investit dans des actions d’ordre social et sociétal et mesure, y compris financièrement, les bénéfices de ses efforts. Dans la vision de Vincent Bouznad 108, l’angle sociétal doit participer à la réussite globale de l’activité et de la production : c’est le concept de « societal business ».
Audition de Vincent Bouznad, Directeur du Pôle Sociétal, Service Développement Durable, SNCF
Le pôle sociétal s’est consolidé à partir de l’histoire d’une entreprise publique de services « généreuse » qui mène, depuis le milieu des années 90, des actions citoyennes et solidaires. Cet axe historique a été intégré à la stratégie globale de recherche de croissance, performance et qualité dans les projets d’activités industrielles et commerciales. Les actions menées visent dans l’ensemble à injecter de la cohésion sociétale et à influencer l’impact que certaines situations
106 Rhodia Way : référentiel de démarches d’amélioration continue du système de management du développement durable de l’entreprise, http://www.rhodia.com/fr/sustainability/our_stakeholders/index.tcm. 107 Dans le détail des indicateurs santé/sécurité et des indicateurs sociaux de Rhodia : ‐ Analyse des risques santé et sécurité Évaluations des substances CMR sur les sites. ‐ Identification des dangers et évaluations des risques Fiches de données sécurité. ‐ Mobilisation des hommes et des femmes du Groupe Implication des collaborateurs. ‐ Analyse et suivi des accidents Accidents procédés / Accidents de transport/Plan d'urgence/Management HSE‐Audits ‐ Indicateurs sociaux : Évolution des effectifs / Temps de formation / Rapport d’entrées‐sorties / Mobilité interne des
managers / Investissements en formation / Mobilité géographique. 108 Audition du 30 septembre 2009, cf. Annexe n° 10.
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difficiles peuvent avoir sur le fonctionnement local de la SNCF : la grande pauvreté, l’emploi et la réinsertion, la prévention des actes de violence et la promotion de l’égalité des chances et de la diversité sont les grands thèmes directeurs. Pour Vincent Bouznad, le volet sociétal est une différentiation et un avantage concurrentiel dans les compétitions qui opposent le groupe à d’autres entreprises sur des marchés lancés par les collectivités locales. Par ses contributions, le pôle sociétal est de plus en plus considéré, autant à l’interne qu’à l’extérieur, et se positionne comme co‐auteur aux côtés des élus des territoires où il intervient (par exemple, dans le marché de Bordeaux, le volet sociétal proposé aux décideurs du bassin local comprend des volets comme l’accès à l’emploi, la formation, l’investissement, la redistribution de la taxe professionnelle, la prévention de la délinquance et la relation aux acteurs associatifs). Vincent Bouznad a recensé les axes d’intervention pertinents pour chaque filiale du groupe et a entrepris de faire la preuve de l’intérêt économique des actions ainsi construites et choisies, par le biais d’une méthodologie innovante et créative. Avec l‘aide d’un cabinet extérieur 109 , une méthodologie a été mise en place : les actions sont mesurées, suivies et évaluées grâce à un tableau de bord qui montre l’impact financier sur le groupe et sur l’extérieur, parties prenantes ou collectivité locale dans leur globalité. La mesure (fig. 35) prend en compte le coût de production et le risque ou coût évité (accident, risque économique, nettoyage renforcé, matériel détérioré) pour aboutir au rapport coûts/bénéfices. Des pondérations en relation avec l’action spécifique sont introduites dans la formule de calcul des gains, et le calcul varie selon que l’on considère les bénéficiaires internes ou externes de l’action.
| La stratégie d'éco-mobilité | Direction du développement durable | 30/10/201019
Les principes de la méthode sont très simples…..
Isoler une action générique (exemple: la prévention par l’Intervention en Milieu Scolaire (IMS)
En calculer son coût
Mesurer les coûts évités grâce à l’action
- Méthode avant / après
- Méthode ici / là
- Méthode estimation si cela n’existait pas.
En déduire sa rentabilité (+ ou -)
Méthode de travail
Figure 35 : Principes de méthodologie de mesure des actions sociétales, selon le groupe SNCF
Des indicateurs ont été définis pour chaque action, afin de prouver que la SNCF et la collectivité locale sont bénéficiaires.
109 Goodwill Management, spécialisé dans la mesure de l’immatériel.
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Plusieurs difficultés se présentent dans l’évaluation des actions, et la démarche est contraignante et consommatrice de temps. Il s’agit en premier lieu de définir à quel résultat de mesure on veut parvenir, de trouver les bons indicateurs en se posant les bonnes questions, et de recueillir les informations nécessaires à l’évaluation financière. Il est en effet indispensable de s’assurer de la fiabilité et de l’exhaustivité des informations récoltées, que ce soit à l’interne de la grande maison ou à l’extérieur, avec les partenaires, les sous‐traitants et autres parties prenantes. Dans les exemples cités, on remarque que tous les bénéfices ne sont pas calculables et « financiarisables », comme l’amélioration de la qualité d’une prestation ou bien l’utilité sociale et le développement de l’économie locale suite à l’action réalisée. Comme le précise Vincent Bouznad, la mise en œuvre est également difficile :
- Ce genre de travail est avant tout un exercice de créativité. - Les calculs et les résultats ne sont pas certains: ils sont probables. - Par conséquent, pour que les conclusions soient convaincantes, on maximise
toujours les débits et on minimise les crédits. - Au final, l’ordre de grandeur ou le signe du résultat compte plus que sa valeur. - Enfin, si le résultat n’est pas certain, démontrer le contraire est très difficile
(hypothèse hautement improbable). L’évaluation de l’ensemble des actions menées est faite au moyen d’indicateurs définis pour chaque action spécifique, que l’entreprise met à jour annuellement : le suivi montre que le résultat est positif pour l’entreprise et pour la société civile (fig. 36) :
p. 6
Le résultat de cette étude permet de montrer très clairement que la politique sociétale de la SNCF est rentable à la fois pour l’entreprise elle-même, mais également pour la Société Civile.
Le bénéfice net pour la SNCF est de 5 millions d’euros
Celui de la Société civile s’élève à 6,4 millions d’euros
Résultats obtenus
Bénéfice/Déficit net SNCF Bénéfice/Déficit net Société civileInsertion 961 424 2 456 824
IMS 127 599 Médiation 452 050
TIG 20 841 99 900 Réparation pénale -42 055 113 627 Achats solidaires 3 311 922 1 584 840 Errance en gare 603 870 85 200
Rentabilité totale 5 435 652 € 6 454 477 €Autres coûts politique sociétale
Mediation postée -130 640 €IMS primaire -238 033 € investissement
Total Bénéfice 5 066 979 €
2 114 087
Figure 36 : Évaluation globale des coûts/bénéfices des actions sociétales de la SNCF
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Ces données vont appuyer les politiques des modes de management, et orienter les relations avec les parties prenantes. Elles répondent également à une préoccupation plus strictement économique de rentabilité et avantage compétitif, dans un défi d’innovation et de créativité continue au service de la SNCF. Ainsi, grâce à l’impulsion donnée par la responsabilité de l’entreprise, le cercle vertueux s’installe, et la responsabilité sociale trouve sa place dans le business et le profit.
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2. L’investissement dans la gestion du capital humain : pratiques et mise en perspective
A l’aune de la démarche innovante entreprise par la SNCF, qui concerne aujourd’hui essentiellement l’engagement sociétal, le groupe de travail s’est interrogé sur les pratiques des entreprises autour de l’engagement dans la gestion du capital humain, et sur la perception qu’en retiennent les acteurs de l’investissement, de la notation et les parties prenantes en général. Ainsi, ce document présente quelques pratiques exemplaires, qui ne prétendent pas couvrir l’ensemble des bonnes pratiques actuellement engagées par les entreprises et n’ont pas vocation à être comparées entre elles. Elles illustrent plutôt une approche spécifique que nous avons adoptée, afin de relever les différentes perspectives et les écarts qui existent, dans la prise en compte du capital humain, entre des populations différentes amenées à travailler sur le même sujet. En fonction de chaque domaine d’action retenu, nous avons mis en regard le point de vue d’un directeur des ressources humaines et, tout à tour, d’experts‐conseil, d’acteurs du monde de l’investissement ou de représentants des parties prenantes. Les témoignages concernent des domaines d’action variés, comme la rémunération, la gestion des talents, la formation ou la diversité, que nous avons retenus parmi tant d’autres possibles, en fonction d’un découpage, que nous avons ébauché, des principaux domaines d’action de la gestion du capital humain.
Figure 37 : Proposition de découpage des principaux domaines d'action de la gestion du capital humain
Les DRH qui sont intervenus sont issus d’entreprises de taille et secteur différents, connues pour leurs pratiques innovantes. Un certain biais existe mais n’affecte pas nos propos à ce stade : l’objectif de notre travail n’est pas de comparer les pratiques entre elles, mais plutôt d’explorer l’hypothèse de nouvelles modalités de communication efficace entre les différents acteurs de la gestion et de la mesure du capital humain.
Recrutement
Intégration
Accueil
Gestion des Talents
Evaluation
Développement
Formation
Rétention
Politique salariale
Avantages sociaux
Rémunération
Bien‐être social
Diversité
Motivation
Sécurité et Santé au travail
Mobilité interne/externe
Départ :retraite, licenciement,
restructuration ..
Plans de Succession
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2.1. Focus sur le critère « rémunération », outil d’attraction et fidélisation.
Coca Cola Entreprises a mis en place des outils spécifiques de gestion des ressources humaines au niveau européen faisant la part belle aux actions de fidélisation, évolution et rétention des talents, et au bien‐être en entreprise. Les politiques de rémunération appliquées ont donné des résultats tangibles, pour le directeur des ressources humaines de cette entreprise de taille intermédiaire qui bénéficie d’une image internationale. Les efforts faits depuis 10 ans en matière de gestion du capital humain ont donné lieu à la mise en place de bonnes pratiques éprouvées et innovantes dans cette société qui compte, en France, 1300 commerciaux sur 2500 salariés, et se positionne comme la force de vente la plus importante derrière Danone.
Audition d’Alain Mauriès110, VP Employee Relationship, Coca Cola Europe La motivation financière est un outil important pour Coca Cola Entreprises : des enquêtes de marché sont régulièrement effectuées pour positionner les salaires au‐dessus du marché. Afin de garder une politique de motivation active, la part variable et l’intéressement ne sont pas trop important pour les commerciaux, et l’écart entre le plus bas et le plus haut salaire ne dépasse pas le ratio de 1 à 5. Les augmentations pour l’ensemble du personnel s’élèvent à 3‐5% annuel ; pour les hauts potentiels, une enveloppe budgétaire est dégagée afin de renforcer les augmentations. Parmi d’autres pratiques, l’épargne salariale est en place, et investie dans le fonds Coca Cola, avec intéressements (14% de la masse salariale est servie au titre de l’intéressement participatif). Le plan d’actionnariat date de 1998, avec un taux d’adhésion de 98%. Coca Cola Entreprises a également mis en place un plan de retraite complémentaire pour tous les salariés, avec des cotisations définies individuellement et surabondement des versements par l’entreprise dans le plan individuel. Pour les dirigeants et les hommes clés, Coca Cola Entreprises a mis en place des outils spécifiques comme la retraite surcomplémentaire, élément de compensation qui fait partie du statut privilégié de reconnaissance attribué à 40 cadres dirigeants ; en ce qui concerne les stock options pour les dirigeants, les options sont levées après 4 ans. Pour tous les salariés, une commission de prévoyance fait un bilan annuel et assure des prestations de haut niveau, notamment dentaire.
110 Audition du 10 mai 2009, cf. Annexe n° 11; Monsieur Mauriès a quitté l’entreprise depuis.
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Il est intéressant de noter que la partie soumise à variable repose sur l’appréciation de la performance dans le cœur de métier et dans le management. Cela se mesure au résultat : pour les commerciaux, par exemple, en plus de l’évaluation des objectifs de vente, le comportement et l’attitude sont pris en compte. Des entretiens destinés à fixer les objectifs de performance sont régulièrement menés, ainsi que des entretiens d’appréciation avec suivi sur système informatique centralisé. Un changement de poste en interne ou en externe est proposé si l’évaluation est négative. Pour les managers, en plus des indicateurs relatifs à leurs missions « métier », l’évaluation se base sur leur capacité à faire évoluer les équipes, critère qui préside à tout avancement de carrière. Les critères d’évaluation couvrent la capacité à organiser le travail en équipe, le développement des collaborateurs, le respect des procédures et des règles de sécurité, et les objectifs atteints en termes de volume. Chez Coca Cola Entreprises, une importance particulière revêtent les actions de prévention de la souffrance au travail et du harcèlement, dont certaines sont citées comme bonnes pratiques par la Halde. Ainsi, seuls deux cas de harcèlement ont été dénombrés dans les dernières années. Compte‐tenu de l’étendue des outils, l’entreprise s’est dotée d’un système global au niveau européen de reporting systématisé, ce qui facilite la tâche de recueil et compilation des données. Les référentiels et les supports sont donc communs, y compris pour l’évaluation des managers, notamment des managers de terrain qui sont considérés comme des hommes clés. Les efforts entrepris au niveau européen par Coca Cola Entreprises ont porté leurs fruits, qu’Alain Mauriès mesure sur la base d’indicateurs simples : ‐ le taux de turnover est extrêmement bas (6%) ; ‐ les salariés sont fiers d’appartenir à leur entreprise : le taux d’engagement – qui est mesuré
tous les deux ans par une enquête d’opinion et d’engagement (qui donne la vision des salariés sur leurs responsables et managers) – s’élève à 54%, ce qui est en général considéré comme un très bon résultat ;
‐ du point de vue économique, les résultats de l’entreprise montrent aussi un retour sur investissement important : Coca Cola Entreprises Europe produit, seul, 50% du chiffre d’affaires mondial, et l’augmentation en France est constante (+4% en 2008 par rapport à 2007).
Ainsi, la réussite de la politique globale de gestion des ressources humaines de Coca Cola est mesurée et suivie par une batterie de critères et indicateurs qui comprennent entre autres la fidélité des collaborateurs, exprimée par le taux de turnover et le taux d’engagement, et les résultats économiques affichés dans le périmètre soumis à cette politique.
Au sujet de l’efficacité des politiques de rémunération comme outil de motivation, rétention et fidélisation des talents, on peut légitimement se poser quelques questions :
‐ Quels autres indicateurs pourraient mesurer l’efficacité des politiques de rémunération ? ‐ Quels autres éléments de la politique de gestion des ressources humaines pourraient
influencer la motivation des salariés ?
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Et, surtout, quelle relation peut‐on établir entre politique de rémunération et performance individuelle et collective dans l’entreprise ? Les avis des praticiens des ressources humaines sont partagés : s’il ne fait pas de doute que la politique de rémunération est un élément essentiel de motivation, d’aucuns rappellent que d’autres éléments, plus intangibles et moins reliés à la rémunération, sont susceptibles de créer un lien durable avec les collaborateurs. Le système de valeurs de l’entreprise, le leadership de ses dirigeants, leur capacité à inspirer la confiance par une communication transparente et adaptée, et à traduire en acte la reconnaissance et la valorisation des apports de chacun, sont autant d’éléments favorables à la motivation des collaborateurs et doivent, à ce titre, faire partie intégrante des stratégies de gestion des ressources humaines.
2.1.1. De quelle rémunération parle‐t‐on ?
D’un point de vue académique, plusieurs travaux ont abordé la relation entre rémunération et performance. Parmi d’autres, Molina et Ortega111 ont étudié la question de la nature de la relation entre rémunération et performance, et le rapport entre performance et récompenses individuelles et collectives. Dans les hypothèses des deux chercheurs, un système de récompenses claires et opposables, « clear rewards and accountability », est parmi les leviers les plus efficaces pour augmenter la performance de l’entreprise mesurée en termes de Tobin’s Q et TRS. Les constats de ces travaux112 confortent les pratiques de Coca Cola Entreprises : en particulier, le fait d’élargir la base d’éligibilité aux programmes d’achat d’actions, par un plan d’actionnariat salarial par exemple, aurait l’impact le plus important sur le ratio Tobin’s Q ; le fait de rémunérer significativement davantage les salariés les plus performants par rapport à la rémunération des salariés à performance moyenne serait également associé à un ratio plus élevé ; en général, rémunérer en fonction de la performance individuelle aurait un impact très positif sur la performance de l’entreprise.
111 Op.cit, José Alberto Molina et Raquel Ortega, http://ssrn.com/abstract=1024549. 112 Op.cit, page 11.
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En France, comme le rappelle Jean Lambrechts du cabinet Aon Hewitt, la motivation par la rémunération est largement utilisée par les entreprises, mais les politiques d’évaluation de la performance qui sous‐tendent cette approche doivent être rigoureusement encadrées.
Audition de Jean Lambrechts113, Responsable du département Rémunération des Dirigeants, Aon Hewitt :
L’approche Balanced ScoreCard dans la rémunération
Les entreprises françaises se sentent très à l’aise avec les objectifs financiers, alors que la crise a bousculé leurs modes d’évaluation en remettant en question la validité d’une rémunération basée sur ces seuls critères. Pour les accompagner à déterminer leur politique de rémunération et d’attribution des bonus, Aon Hewitt a donc développé une méthodologie d’évaluation de la performance basée sur le principe du Balanced Scorecard.
Dans le principe du Balanced Scorecard, on dégage de la valeur durable pour l’actionnaire lorsqu’on est excellent dans un domaine et au moins bon/très bon dans tous les autres. Dans le schéma
113 Audition du 18 mai 2010, cf. Annexes n° 12.
First, we see that positioning pay above the market rate (0.67%), using pay to engage employees in improving business performance (0.53%), linking pay to the firm's business strategy (0.49%) and using performance appraisals more as a tool to set pay than as a career development tool (0.37%) are all associated with higher Tobin’s Q values.
The largest effect (1.53%) is associated with increasing the percentage of employees who are eligible to participate in stock option and stock purchase programs.
We also find that paying top performers significantly more than average performers is associated with a large increase in Tobin’s Q (1.26%). On the other hand, we find a very limited positive effect (0.31%) associated with increasing the percentage of employees who participate in profit sharing plans based on overall firm success, and a negative effect (‐0.65%) associated with increasing the percentage of employees who participate in profit sharing plans based on the success of their division or operating unit.
The evidence indicates that pay‐for‐performance based on individual performance has a very powerful effect on firm performance, as is to be expected, given that there is no free rider problem. Compensation based on divisional performance has a weak negative effect, since free rider problems are present and this may discourage cooperation across operating units. By contrast, programs based on overall firm success, and particularly stock plans, have a strong positive effect, since they can encourage cooperation across the firm.
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traditionnel, la réalisation du « quoi » correspond à la réalisation des objectifs business, opérationnels et financiers, qui toutefois ne sont pas, selon Aon Hewitt, les seuls indicateurs pour l’attribution de bonus et rémunérations attrayantes.
Aon Hewitt a donc développé une approche structurée du « quoi » et du « comment » (fig. 38) dans laquelle les objectifs de performance business sont reliés à des objectifs et indicateurs qui mesurent les modalités de réalisation de la performance et qui s’appuient sur les comportements de leadership du manager. Cette double approche permet notamment de mieux évaluer les performances en période de crise. C’est le travail fait, entre autres, par l’Oréal.
Figure 38 : Modèle de Balanced ScoreCard proposé par Aon Hewitt pour la détermination de la part variable de la rémunération
Cela implique un travail de réflexion sur le modèle managérial propre à l’entreprise et les compétences attendues pour la définition du leadership, et garantit la cohérence des actions d’évaluation, recrutement et intégration des collaborateurs et hauts potentiels. Dans ce mode opératoire, les indicateurs servant à l’appréciation du bonus des individus découlent naturellement de la définition du modèle de leadership, et permettent la transparence et le feedback demandés par les équipes.
Le modèle Aon Hewitt s’appuie sur la définition de leadership de l’entreprise (fig. 39) et répond à la question : « Qu’est‐ce qu’un comportement de leader, dans une entreprise donnée, à un moment donné de sa vie (croissance, transformation, évolution, recherche de retour sur investissement) et pour une fonction donnée, qui respecte les valeurs clés et contribue à la réussite de la stratégie ? ». La contextualisation et le respect des valeurs propres à l’entreprise sont donc les éléments nécessaires pour l’évaluation du modèle unique de leadership totalement orienté business.
100
Figure 39 : Modèle de définition de leadership, selon Aon Hewitt
Pour chaque étape de la vie de l’entreprise, Aon Hewitt a mis au point des critères d’évaluation de l’attitude de leadership et a associé à chaque critère des compétences et des comportements qui deviennent des indicateurs, sur la base desquels le manager est évalué avec une note ou scoring allant de 0 à 6 selon le niveau de réalisation du comportement observé. L’individu est noté et rémunéré selon le scoring obtenu et en fonction de la pondération du critère dans le portefeuille global d’objectifs de leadership (fig. 40). Ce modèle sert également à la préparation de la feuille de route d’un leader en devenir, qui peut ainsi se mesurer par rapport à sa cible au moyen d’entretiens individuels, d’évaluations 360° ou de tests réalisés dans les centres d’évaluation.
Figure 40 : Modèle d'évaluation de leadership, selon Aon Hewitt
101
Selon les études de Aon Hewitt, les entreprises qui intègrent ces critères de performance dans le mode de rémunération variable sont plus performantes.
2.1.2. Quels indicateurs de performance liés à la rémunération ?
Pour quelques entreprises du Cac40, la performance extra‐financière fait déjà partie intégrante des éléments d’évaluation des résultats des managers, comme le souligne l’étude CapitalCom/Orse/IFA114 publiée en avril 2010. L’étude relève que 12 entreprises indexent les revenus de leurs dirigeants sur des critères extra‐financiers (Axa, Credit Agricole, GDF Suez, VINCI, Schneider, Vivendi…) et que l’ensemble des critères se décline en trois champs (managériaux, création de valeur sociétale et satisfaction clients).
Quelques exemples :
‐ chez GDF Suez, la part variable des managers est déterminée pour 15% en fonction d’objectifs de solidarité ;
‐ chez Schneider, les critères comprennent la santé et la sécurité des collaborateurs ; ‐ chez Danone, le développement des hommes (mesuré par le taux de promotions internes et
la hausse du nombre d’heures de formation par salarié) est un objectif social intégré dans les objectifs de performance des 1500 directeurs, à côté de la sécurité (baisse du nombre d’accident de travail avec arrêt). Cela a conduit à des résultats probants, mesurés en termes d’heures de formation (stables, malgré la crise) et de taux d’accidents de travail (net recul de 20% par an).
Cela n’exclut pas de possibles dérives avec certains indicateurs : ‐ Le taux d’accident peut, par exemple, pousser les managers à faire pression sur les salariés
accidentés pour prendre un congé maladie sans déclarer l’accident. ‐ L’enquête interne comme outil de mesure de la satisfaction ou du bien être peut être
faussée par des réponses complaisantes des collaborateurs. Il est à espérer qu’avec le temps, le système saura favoriser de bonnes pratiques simples et efficaces, au détriment des abus et des dérives.
2.2. Focus sur les critères « La gestion des talents et le développement des compétences » : exemple de mise en regard entre pratiques et perceptions
L’axe d’investissement « cultiver les talents et les compétences » est depuis de nombreuses années en tête de toutes les enquêtes et baromètres des priorités des directions des ressources humaines et présidents de société. Dans un contexte de crise financière, (qui génère un sentiment d’insécurité et 114 CapitalCom, 13 avril 2010, Baromètre annuel de la gouvernance extra‐financière : émergence d’une dimension extra‐financière au sein de la gouvernance en 2009’, http://www.capitalcom.fr/5.aspx?sr=1 .
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d’incertitude parmi les salariés) et de globalisation (plus de 2/3 des salariés des entreprises du CAC40 travaillent hors de France), la guerre des talents et la nécessité d’optimiser les ressources ne font qu’augmenter l’importance de cet axe, largement reconnu comme facteur de compétitivité par les conditions de créativité, productivité et innovation qu’il favorise dans l’entreprise.
D’ailleurs, le lien entre « formation » et « productivité » est à la base de toute la théorie du capital humain : dès le 18ème siècle, l’éducation est reconnue comme élément fondamental de la richesse d’un peuple (cf. première partie du rapport).
Mais, que recouvrent exactement en entreprise les notions de « gestion des talents et développement des compétences » ? quels indicateurs pour mesurer l’efficacité des actions mises en œuvre ? quelles sont les meilleures pratiques ? Nous avons sollicité l’opinion d’une experte de la place, Chantal Thomasino, qui étudie depuis longtemps les bonnes pratiques des entreprises en matière de gestion des talents.
Audition de Chantal Thomasino115, Responsable du département Gestion des Talents, Aon Hewitt
Aon Hewitt réalise des enquêtes mondiales portant sur la politique de gestion des talents et l’engagement des collaborateurs. L’enquête biennale « Top Companies for leaders », dont la première édition remonte à 2002, mesure l’efficacité des pratiques des entreprises leaders sur leur marché dans les différents processus de gestion des leaders et hauts potentiels (identification, sélection, développement, rétention, reconnaissance, motivation).
115 Cf. Annexe n° 13.
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Les points‐clés de l’étude 2009, et quelques indicateurs en relevant
L’analyse des pratiques des Top Global Companies fait apparaître des points récurrents dans la gestion des leaders et des hauts potentiels : 1. En dépit de la crise, le leadership est le sujet clé de l’investissement dans les ressources
humaines, et l’entreprise le positionne comme un enjeu « business ». Le lien entre Business Strategy et Leadership Strategy est fort, et le management est responsabilisé sur les questions de gestion des talents et des viviers. Toutes les Top Global Companies ont par ailleurs un modèle défini de performance dans le leadership, qui correspond à la projection d’image souhaitée par l’entreprise. Les indicateurs traduisent cette responsabilisation : les cadres dirigeants, à partir du niveau de direction de l’unité de production, sont évalués, au même titre que sur les résultats business, sur leur niveau de motivation et d’engagement dans le développement des talents
Top Companies for Leaders : méthodologie
Dans un premier temps, les entreprises, généralement au nombre de 550‐600, répondent sur la base du volontariat à un questionnaire via internet. Les critères analysés par Aon Hewitt lors de ce premier filtre portent sur la qualité et la cohérence des process clés dans la gestion du capital humain. Sur la base de l’évaluation des bonnes pratiques et des process décrits par l’entreprise, et en fonction de l’appréciation de Aon Hewitt, un score est attribué par le cabinet : le score permet de sélectionner les finalistes qui répondent à la définition globale et essentielle de Aon Hewitt de la bonne gestion des ressources humaines. Pour la 5ème édition, 537 participants ont répondu, parmi lesquels Aon Hewitt a retenu 211 finalistes.
Dans un deuxième temps, le cabinet procède à une série d’interviews avec les principaux dirigeants et le directeur des ressources humaines des finalistes. En fonction des réponses, l’entreprise reçoit une deuxième note, qui est croisée avec l’analyse de la performance financière en fonction de son secteur. Il est important de noter que le critère financier est un critère de GO/NO GO pour Aon Hewitt, et qu’il intervient après l’évaluation extra‐financière de la gestion du capital humain et des talents.
Sur la base de ces deux filtres, 47 entreprises ont été sélectionnées par Aon Hewitt en 2009 parmi les 211 finalistes : pour chacune, un dossier complet est remis à un jury d’experts, qui assure la troisième phase d’évaluation. Le jury, composé de panels régionaux de chercheurs, universitaires et personnes qualifiées indépendantes du cabinet, sélectionne parmi les 47 finalistes les 25 Global Top Companies, qui se ressemblent plus par l’orientation et la méthodologie engagées dans la gestion des leaders que par la complexité des process utilisés, en fonction des tailles et secteurs d’appartenance. Pour la dernière édition, il est intéressant de noter que très peu d’entreprises européennes sont présentes, alors que parmi d’autres grandes entreprises françaises l’Oréal était encore présente en 2007.
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et d’un vivier étoffé, sur leur capacité à générer des hauts potentiels mobiles géographiquement et transversalement sur des marchés émergents par exemple, en investissant en temps, moyens, formation, malgré la tendance naturelle à la rétention des éléments clés. 2. La qualité d’exécution des process de gestion des hauts potentiels et leaders est présente au
niveau mondial et à tous les niveaux dans les strates du middle management, ce qui amène à une globalisation et une simplification des pratiques. C’est l’excellence.
Le repérage est fait non plus par le responsable RH, mais par le manager de terrain, sur la base de critères fournis et appliqués de manière cohérente dans le monde, alors que la direction des ressources humaines apporte le support technique au process. Il se fait de plus en plus tôt et de plus en plus vers le bas de l’échelle de management. Les critères d’identification sont les mêmes partout dans le monde au sein d’une même entreprise, alors que les critères de management des talents sont adaptés aux cultures et aux pays. 3. Ce qui compte pour les Top Global Companies est avant tout la manière dont le management
parvient aux objectifs recherchés de gestion des potentiels et des leaders en toute cohérence avec les valeurs affichées de l’entreprise.
La notion de résultat est considérée comme insuffisante dans l’évaluation de la politique de gestion des talents : le « comment » on génère les talents et on développe les collaborateurs marque la différence par rapport aux concurrents (on peut relier cette notion à l’essor de la notion de « marque employeur »). Des grilles de modèle managérial propres à l’entreprise sont ainsi créées, basées sur quelques indicateurs communs à l’ensemble du management et simples à repérer :
‐ l’implication active dans le développement des leaders de demain, notamment en termes de temps consacré à ces responsabilités ;
‐ le lien avec les valeurs de l’entreprise et le respect de son image dans le process de gestion des talents ;
‐ la capacité à porter et faire partager la vision aux collaborateurs, à les entraîner et développer ;
‐ la capacité à rebondir, la flexibilité et l’adaptabilité, la créativité dans les modes managériaux de développement des ressources ;
‐ la transparence et la clarté de communication sur ces enjeux.
La bonne connaissance du vivier de succession est nécessaire au comité d’administration pour la bonne gouvernance, afin de rompre la dépendance conservatrice des profils « uniques », la chaîne de la « loyauté confortable mais peu créative » et le biais du « réseau ».
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4. Dans les Top Global Companies, l’accent est mis sur l’enjeu du développement, de la réflexion et de la mise en œuvre rapide du repérage du leadership : les programmes imposent des rythmes rapides de professionnalisation du développement des leaders.
Anticiper le développement est un véritable sujet : l’entreprise cherche un résultat immédiatement exploitable, et investit dans l’accélération de ces programmes non seulement pour une question de rentabilité, mais également pour favoriser la création d’une culture commune via le partage des connaissances utiles (Knowledge Management). C’est dans ce cadre que se développent de nombreuses expérimentations pour la capitalisation des savoirs au sein de l’entreprise, comme les universités d’entreprise : 95 des Top Global Companies positionnent leurs leaders comme « mentors », et 96% ont des programmes de leadership internes. Ces pratiques reflètent essentiellement la situation au niveau international et pour les grands groupes : en France, selon l’enquête « Performance Managériale » 2010 du cabinet Hommes et Performance116 seulement 36% des entreprises ont un référentiel de management défini, ce qui limite les possibilités d’évaluation des modes de repérage, développement ou suivi des viviers de leaders. Dans cette perspective, il est intéressant de se plonger dans les bonnes pratiques d’une entreprise reconnue pour sa bonne gestion du capital humain comme Michelin, et de croiser ensuite les pratiques décrites par l’entreprise avec les avis des agences de notation et des investisseurs. Face aux enjeux démographiques des années à venir, avec le départ de trente mille personnes et l’embauche de vingt mille, et aux enjeux de la globalisation, avec des pays matures et d’autres en croissance, le défi de Michelin est d’attirer, retenir et motiver les talents, principalement à travers la compétitivité de l’emploi que l’entreprise saura proposer. Michelin, qu’Aon Hewitt accompagne dans sa définition de la politique de gestion des talents, a mis en place un système original et efficace de développement du capital humain, en lien avec la rémunération. L’audition de Patrick Martigny117a donné lieu à une présentation détaillée des points clés de la « gestion de carrière », de la détection de potentiel et du développement des compétences des collaborateurs.
Audition de Patrick Martigny, Responsable de la Gestion Internationale des Cadres Supérieurs et Dirigeants, Michelin
La philosophie d’action de Michelin repose sur l’idée que chaque personne est porteuse d’un potentiel d’évolution qui lui est propre et que le manager opérationnel doit accompagner et développer, en liaison avec le « Service du Personnel », qui a un réel pouvoir et est dirigé par un vice‐président de l’entreprise. Le service gère depuis le siège un réseau mondial de 1800 personnes dédiées aux plus de cent mille hommes et femmes de l’entreprise, qui ne sont pas considérés comme ressources mais comme personnes.
116 Hommes et Performance, 2010, Développer la performance managériale : ce que font vraiment les entreprises. 117 Pour la totalité de l’audition de Patrick Martigny, Michelin, cf. Annexe n°14.
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On remarque d’emblée que le lien est très fort entre manager opérationnel et responsable des ressources humaines de proximité, et que la responsabilité du développement des collaborateurs est partagée. Le dispositif de gestion de carrière repose sur un triangle interactif formé par le gestionnaire de carrière, le collaborateur et son manager opérationnel (fig. 41). Ensemble, ils définissent et suivent les étapes de développement de carrière de la personne en fonction de trois variables, pour garantir des pratiques homogènes (fig. 42): le niveau géographique (groupe, pays et sites), le niveau professionnel (ouvriers, middle management, cadres supérieurs et dirigeants), et les différents métiers. Dans le dispositif en triangle mis en place par Michelin, le collaborateur est au centre des échanges avec deux responsables de son évolution dans l’entreprise :
‐ le gestionnaire de carrière, acteur fondamental de l’échange : il pilote le développement du collaborateur vers une « cible » qui n’est pas connue de la personne même, définit le parcours professionnel à travers le parcours de carrière, et garantit le développement de l’employabilité de chacun. La relation très ouverte entre gestionnaire et collaborateur permet l’identification de dysfonctionnements dans le dispositif.
‐ le responsable hiérarchique, chargé d’apprécier la performance du collaborateur sous l’aspect métier, relationnel et managérial : il prépare un plan de formation individuel et aide à détecter les meilleurs potentiels pour les mettre à disposition de l’entreprise.
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La personne
Hiérarchique
Gestionnaire
➥Détecte le potentiel
➥Apprécie la performance
➥ pilote le plan de développement
➥Répond aux attendus de son poste
➥Exprime ses souhaits d’évolution
➥Est moteur pour le développement de ses compétences
➥Valide le potentiel
➥Construit un parcours de carrière et en garantit la réalisation
➥est un recours
Les rôles de chaque acteur du triangle de gestion
La Gestion de CarrièreAvancer ensemble
Figure 41 : Le triangle de gestion de carrière chez Michelin
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Gestionnaires Groupe NRIA-G
Gestionnaires PaysNRIH-K
Gestionnaires Site NRIL-V
Par métier : Industrie Marketing et Ventes RDI et Services Groupe (SGA, SGCM, SGF, SGP, SGSI, SGSC…)
Organisationde la Gestion de Carrière
RÉS
EAU
X G
ESTI
ON
MÉT
IER
Figure 42 : Niveaux de gestion de carrières chez Michelin
A chacune des 109 000 personnes du groupe est attribué de façon transparente un chiffre qui correspond au potentiel individuel et à un niveau de responsabilité identifiée : chaque collaborateur connaît sa cible de carrière et le parcours qui s’y rattache, qui toutefois reste souple en raison de possibles changements. A partir de ce dispositif découlent d’une part la détection du potentiel et d’autre part l’évaluation de la performance et l’attribution de la rémunération. La détection du potentiel de l’individu repose sur une méthodologie118 basée sur la performance de chaque collaborateur et sur la pratique des valeurs (fig. 43). Michelin veille en effet, à préserver ses acquis fondamentaux et ses valeurs distinctives, comme par exemple l’identité, le sens d’appartenance à la « maison », avec son histoire et ses traditions.
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PRE-REQUIS
6- INFLUENCE ET IMPACT
5- MAITRISE DES SITUATIONS
4- DETERMINATION3 - ADAPTABILITE
CRITERES
1 - PERFORMANCE 2 - VALEURS
Méthodologie de détection du potentiel
Détection du Potentiel
Le manager et le gestionnaire détectent le potentiel d’évolution de chaque personne
Le Potentiel d’évolution =Le niveau de responsabilité
qu’une personne peut assumer dans le futur
Figure 43 : Schéma de détection du potentiel chez Michelin
118 Michelin travaille avec Aon Hewitt sur ces sujets.
108
L’appréciation de la performance est déconnectée de l’appréciation du potentiel : la première a lieu en début d’année et concerne la réalisation des objectifs du poste, alors que la deuxième a lieu en fin d’année sous forme d’entretien de « bilan de développement ». Ce bilan pose les souhaits d’évolution du collaborateur et implique également le niveau hiérarchique. A partir des souhaits exprimés, le gestionnaire de carrière définit les postes qui donneront à la personne les compétences nécessaires pour réaliser ses objectifs et être au poste souhaité à horizon de 5/10 ans. Le niveau de responsabilité du collaborateur dans son poste (fig. 44), que la personne connaît, est le pilier de l’évaluation et de la rémunération: il remplace la traditionnelle « fiche des compétences » par poste utilisée dans les entreprises, et fait le lien entre les métiers pour favoriser les passerelles. Le niveau de responsabilité individuelle exprime le niveau auquel la personne est gérée : une échelle propre à Michelin de A à Z permet de positionner le collaborateur sur le marché et de positionner le salaire selon son métier, en fonction des marchés et de la concurrence.
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Niveau de Responsabilité du Poste (NRP) : connu du Manager
sert de référence à l’évaluation de la performance globale dans la durée par rapport aux attendus du poste tenu
assure une cohérence entre métiers par le choix et le positionnement de postes repères
Niveau de Responsabilité Individuelle (NRI) : connu de la Personne.
- L’affectation du NRI est de la seule responsabilité du gestionnaire personne
- Le NRI sert à la gestion de la carrière de la personne et à la gestion de sa rémunération globale (Cash + Benefits)
Niveaux de Responsabilité
Figure 44 : Définition de la responsabilité et lien avec l'évaluation et la rémunération
La rémunération se base sur la notation reçue du collaborateur et faite par le manager : dans la notation, les indicateurs mesurent la capacité de la personne de transmettre la vision, de piloter et exécuter l’activité ainsi que sa capacité à développer le personnel de son service. Ce parcours est étroitement lié aux objectifs de développement des compétences de chaque collaborateur. Michelin attribue une place importante aux différents volets de formation tout au long de la carrière : l’investissement est très important, et les indicateurs de suivi de performance mis en place très affinés, comme nous le verrons plus loin. On remarque dans l’ensemble que le système de détection du potentiel et l’évaluation du collaborateur s’appuient à la fois sur une réussite d’objectifs métier et d’objectifs sociaux, et que la rémunération intègre des critères de performance extra‐financieres. Il existe un réel partage de
109
vision entre responsable opérationnel et responsable des ressources humaines, qui sont au service d’objectifs communs à tous les collaborateurs dans l’entreprise : développer le potentiel de chaque personne, préserver la pérennité du métier et transmettre le système de valeurs de la maison.
2.2.1. Mise en regard des pratiques de Michelin et des perceptions dans la notation de la valeur
Ainsi, par son système innovant, Michelin illustre parfaitement les concepts exprimés plus haut par les experts : le lien est fait entre performance sociale, comprise comme développement du potentiel de chaque collaborateur, et performance business, exprimée par les objectifs métier. La rémunération découle de la notation sur ces deux critères, ce qui contribue à réaffirmer les valeurs propres à l’entreprise; la responsabilité de gestion des collaborateurs est partagée par les opérationnels et les responsables de ressources humaines, et la proximité avec le terrain est très forte. Il est intéressant, à ce stade, de mettre en regard ces informations avec l’appréciation que les analystes et investisseurs font des pratiques de gestion des talents et développement des compétences, par exemple, ou de formation. Nous avons sélectionné deux exemples d’analyse sociale de la valeur Michelin, qui incluent dans la notation les critères de formation et de développement des compétences :
‐ Comme on l’a vu plus haut119, Financière de l’Échiquier sélectionne le titre parmi les « TOP ESG » pour la qualité du management et la responsabilité globale de l’entreprise ; des notes positives sont attribuées, pour ce qui est du capital humain, au fort sentiment d’appartenance que Michelin a su créer, à l’attractivité de la marque et à sa bonne gestion du capital humain pendant la crise.
‐ Par ailleurs, dans sa fiche d’analyse sociale 2009 de la valeur Michelin120 Société Générale
Gestion évalue positivement l’entreprise et souligne la présence du directeur des ressources humaines au comité exécutif comme indicateur d’importance de la gestion du capital humain dans la stratégie d’entreprise. Au sujet de l’employabilité et de la gestion de carrière, Michelin remporte la note de 4 sur 5, qui lui est attribuée en fonction d’indicateurs comme le nombre d’heures de formation, le taux d’entretien annuel et le taux de rotation.
On remarque que certains points forts de la démarche de Michelin (le parcours de développement, le partage de la responsabilité de gestion du collaborateur entre RH et manager de proximité, le lien entre performance sociale et business dans la rémunération) dépassent les indicateurs spécifiques de notation utilisés, notamment au sujet de la formation comme nous le verrons plus loin, mais que Michelin est perçu comme un très bon gestionnaire du capital humain, grâce aussi à sa bonne gestion des restructurations.
119 Cf. Partie II. 120 Cf. Annexe n° 15. Fiche Valeur Sociale S2G Michelin : document publié par Société Générale Asset Management en juillet 2009 afin d’illustrer sa méthodologie ISR ayant cours à cette époque.
110
On notera d’autre part que si Michelin communique amplement sur sa gestion de capital humain (ce qui n’est pas toujours le cas pour toutes les entreprises), les analystes demeurent exigeants sur la question de la communication et transparence des données. Il est donc légitime de se demander comment on pourrait créer un système de communication fiable et efficace entre les acteurs de la notation et les gestionnaires du capital humain en entreprise, afin de faire ressortir, en toute transparence et le plus fidèlement possible, toutes les finesses des efforts entrepris par ces derniers et leur niveau d’engagement. Afin de poursuivre notre approche méthodologique, nous avons élargi la réflexion à l’engagement dans le domaine d’action de la formation, nécessaire corollaire des bonnes politiques de gestion des compétences.
2.3 Focus sur le critère « formation » : point de vue d’experts et pratiques d’entreprise
Le cas de la formation est emblématique des questions qui entourent la validité de la mesure des ressources humaines. Avec des contraintes clairement identifiées pour les entreprises (obligation faite de consacrer un pourcentage de la masse salariale à la formation, obligation de publier les ratios en termes d’heures et de budget consacrés), les indicateurs de la formation sont les plus utilisés par les organisations et également très scrutés dans le monde de l’investissement. Comment mesurer l’impact d’une formation métier, ou d’une formation au management, sans mettre en place des indicateurs appropriés au cas par cas ? D’ailleurs, faut‐il mesurer à court ou à moyen terme ? à « chaud » ou à « froid »121 , selon le jargon des spécialistes? Sous la pression des contraintes budgétaires en entreprise et de la rationalisation des investissements que les opérateurs publics ont entamée, l’enjeu des années à venir est de trouver le moyen simple et lisible de mesurer l’efficacité des dépenses par le retour sur investissement et la qualité des actions menées. Une remarque s’impose : les méthodes de mesure existent et sont connues de tous les spécialistes du métier, mais elles ne sont pas souvent appliquées. Citons, par exemple, le modèle très connu de Donald Kirkpatrick122, à 4 niveaux d’évaluation, et le modèle à 5 niveaux du ROI Institute123, qui s’appuie sur le précédent en incluant un cinquième niveau pour mesurer le retour sur investissement à moyen et long terme. Dans ces modèles, comme le rappelle Jean‐Yves le Louarn124, l’évaluation ne se limite pas à la perception que les stagiaires ont de la qualité de la session de formation (niveau 1) : le modèle
121 Ces expressions indiquent la mesure de l’impact de la formation prise respectivement à l’issue de l’action ou bien après un lapse de temps déterminé. 122 Donald Kirkpatrick, 1959, Techniques for evaluating training programs, in Journal of American Society of Training Directors, 13 (3): pp. 21 – 26. Le texte est publié plus tard: Donald Kirkpatrick, 1975, Evaluating Training Programs, éditions D. L. Kirkpatrick , Alexandria, VA. 123 Pour une présentation du ROI Institute et de son fondateur, Jack Phillips, se reporter à la première partie de ce rapport. 124 Jean‐Yves le Louarn, Professeur Titulaire HEC Montréal, dans « Comment évaluer efficacement ses formations », revue Personnel n° 500.
111
propose également l’évaluation des apprentissages réalisés par les stagiaires (niveau 2), la mesure du transfert des contenus appris sur les comportements au travail (niveau 3), la mesure de l’impact de la formation sur les résultats de l’entreprise et les gains ou économies – retours sur investissement ‐ ainsi générés (niveau 4 et 5). Selon Jean‐Yves le Louarn, « l’expérience montre que ce qui est mesuré dans 70% des cas par les entreprises est le niveau 1 … les niveaux 2 et 3 sont rarement évalués, et l’évaluation des niveaux 4 et 5 est, elle, anecdotique ». Les indicateurs couramment utilisés témoignent mal de la contribution de cet investissement à la performance et au développement du capital humain. On peut penser que la réticence des entreprises à mettre en place des indicateurs de mesure pertinents tient au fait qu’il faut beaucoup de temps et de moyens pour mener en amont une réflexion approfondie sur les différents facteurs de réussite de l’action et sur les véritables objectifs de chaque formation individuelle. Mais existe‐t‐il des contre‐exemples ? Il est intéressant d’explorer les pratiques de VINCI, un groupe international du BTP qui, par la prédominance de métiers techniques, appuie son modèle sur l’effort de formation et la capacité à adapter les métiers et les compétences en fonction des changements de marché, ce qui impose un management expérimenté et pro actif.
2.3.1 Pratiques innovantes : VINCI, un groupe qui fait de la formation son principal atout
La réussite du modèle de VINCI est basée sur la centralité de l’homme et des relations humaines établies au sein de l’équipe, nécessaires à l’expertise technique pour la réussite du projet. Ces principes ont été résumés en 2006 dans le manifeste de Xavier Huillard, dans lequel une place importante est accordée à la formation.
Audition de Patrick Plein125, Directeur du Développement des Ressources Humaines Groupe, VINCI
Le manifeste de Xavier Huillard engage l’entreprise à proposer une formation à chacun : les compétences étant essentielles, la formation est le levier principal de développement de l’entreprise. L’engagement de proposer à chaque salarié une formation adaptée a été tenu : chaque entité a ainsi pu mettre en place sa gestion prévisionnelle des emplois et compétences, en associant les partenaires sociaux, dans un objectif d’optimisation managériale (transformation de la « contrainte » juridique en avantage managérial) avec un bénéfice d’amélioration du dialogue social autour du projet d’entreprise. Un livret d’accompagnement à la mise en place de la GPEC a été édité (recueil de bonnes pratiques observées dans le groupe), et la démarche a été reprise – avec une forte
125 Patrick Plein est en charge de la gestion des ressources, de la politique emploi et marque employeur, de la formation des potentiels et dirigeants, et de l’animation du réseau des ressources humaines du groupe. Pour l’audition complète de Vinci, se référer à l’Annexe n° 16.
112
appropriation et personnalisation, selon les enjeux ‐ dans la grande majorité des business units. 160 accords GPEC ont été signés entre2008 et 2009. Le groupe VINCI s’est lancé dans une politique de développement d’académies internes propres à chaque pôle (ex. École VINCI Park) qui prennent le pas sur les formations externes. Les tailles peuvent être importantes : CESAME, centre de formation dans la construction, a déployé 10 centres sur toute la France. Par ailleurs, des programmes de formation au management existent en partenariat avec les grandes écoles (Ponts & Chaussée par exemple) pour accélérer la prise de fonction managériale des jeunes cadres et assurer ainsi la relève. Parmi les programmes de formation spécifiques :
o Programme prévention accident (20000 personnes) : comment informer et changer
d’attitude sur le chantier (VINCI Construction) ; o Orchestra (5000 personnes) pour améliorer l’organisation et les méthodes (VINCI
Construction).
13
Proposer une formationà chacun
CAMPUS
ACADEMIE VINCI
Un fort développement des Académies Internes
2007 2008 2009Nbred’heures de formation (monde)
2 500 000 3 100 000 3 000 000
Nbred’heure par salarié 16 heures 19 heures 18 heures
Nombre d’heuresdispensées par les académies internes 402 000 576 000 682 000
Pas de réussite économique durable sans projet humain ambitieux
Mesurer pour progresser
Figure 45 : Tableau récapitulatif de l'effort en termes de formation de VINCI
Les indicateurs utilisés par VINCI pour évaluer son engagement dans la formation
o nombre d’heures moyen par an, en augmentation entre 2007 et 2008 à tous les échelons (presque 20h/an/personne) ;
o taux d’accès aux équipes permanentes : 80% ; o nombre de personnes n’ayant pas eu de formation par an ; o taux d’accès par âge ;
et pour évaluer l’efficacité de la formation :
113
o qualité et retour sur investissement de la formation: mesurés par l’évaluation à chaud (le collaborateur déclare avoir tiré parti de la formation) et par l’évaluation à froid, avec un indicateur en cours de développement (6 mois après la formation, ou lors de l’entretien d’évaluation, on mesure le changement concret perçu par le salarié dans son travail suite à la formation).
Chez Michelin, la formation est également un pilier fondamental de la gestion du personnel. Patrick Martigny 126 souligne que l’effort est déployé à chaque stage de la carrière du collaborateur, de l’intégration dans l’entreprise à la prise de nouveau poste en passant par un programme plus personnalisé en fonction des besoins de la personne (fig. 46). Ainsi, un stage d’intégration de 3 mois est consacré à tous les nouveaux entrants, afin de leur transmettre la culture d’entreprise et de créer le premier réseau de contacts. A chaque changement de poste, un programme de formation de prise de poste est préparé par le manager et suivi par le collaborateur, et en fin d’année, en fonction de l’entretien annuel, un bilan des besoins détectés, appelé « plan de formation continue », est proposé par le manager.
Présentation SGP Auteur/Sce : B. Catalan SGP Date de création : juillet 2010 Classification : D3 Conservation : AR Page : ‹N°›
Formation continue :•individuelle •Collective (formations prioritaires)
Vous arrivez chez Michelin
Programme Individuel de Formation (PIF) établi avec votre manager à partir du Plan Type de Formation lié à votre poste
Stage d’intégrationDes programmes d’intégration pour tous : entre 4 semaines et 3 mois pour les cadres, 3 jours pour les agents.
Dès que vous prenez un poste
En poste
Pour vous accueillir, faciliter votre intégration
et vous donner envie de rester
Pour être vite à l’aise et opérationnel dans votre poste
Développer vos compétenceset votre professionnalisme
Formation et développement
Figure 46 : Étapes de formation du collaborateur tout au long de la carrière, selon Michelin
L’engagement est important : l’entreprise dispense 2 semaines de formation par an et par collaborateur en moyenne, ce qui correspond à 5 à 7% du temps de travail, avec 75% de l’effort dévolu à la formation des agents. L’évaluation de la performance se fait par des indicateurs quantitatifs et qualitatifs que l’entreprise suit sur une base régulière :
‐ l’indice de satisfaction du mouvement, qui évalue les actions de la hiérarchie et du gestionnaire de carrière dans l’accompagnement au changement de poste du collaborateur.
126 Pour le texte intégral de l’audition, cf. Annexe n° 14.
114
Il s’agit d’un questionnaire de 15 points que le collaborateur remplit à chaque mouvement. L’indicateur, qui est publié, est un outil de mesure de la qualité des pratiques des 400 gestionnaires, et son taux doit être au moins égal à 75% ;
‐ le taux de promotion interne, un indicateur qui donne la mesure de la capacité du
gestionnaire à faire évoluer les collaborateurs qui dépendent de son action ;
‐ le taux d’accès à la formation, qui indique le taux de formation continue reçue, et qui est surtout utilisé pour les formations métier des agents, alors que pour les cadres les formations couvrent essentiellement les sujets généraux et de management. Les résultats de cet indicateur sont également publiés, par pays, par région et par métier.
A partir des témoignages de Michelin et VINCI, il est intéressant de faire quelques constats. L’entreprise reconnue pour la gestion de ses ressources humaines est susceptible de mettre en place une approche affinée de mesure sur un axe d’engagement qui répond à ses objectifs de gestion des ressources humaines, dans ce cas la formation. Elle est susceptible de personnaliser les indicateurs utilisés et de créer des indicateurs innovants, comme l’indice de satisfaction du mouvement ou l’évaluation de la qualité de la formation à froid, et pertinents comme le taux de formation par âge ou le nombre de personnes n’ayant pas reçu de formation. Or, la grille de lecture utilisée par les acteurs de l’investissement peut parfois ne pas être aussi affinée, et ne considérer que les indicateurs classiques, comme le taux global de formation ou le nombre d’heure. La grille peut également ne pas valoriser à la juste hauteur l’engagement dans des actions très innovantes comme la mise en place d’une politique de capitalisation des savoirs, tout simplement parce que les indicateurs correspondants ne sont pas couramment utilisés. Inversement, certains acteurs du marché peuvent utiliser des indicateurs très affinés, comme le taux de rotation sur les postes clés, qui donnent des indications sur la maturité de la gestion du capital humain de l’entreprise mais que l’entreprise ne communique pas, soit par manque d’information soit pour des questions de confidentialité. Il apparaît évident que la communication entre les deux monde n’est pas aisée, car d’une part les instruments utilisés manquent d’harmonisation et d’autre part l’apport de l’humain est difficilement quantifiable. La subjectivité de l’analyste, qui creuse et interprète les données, peut être une solution, mais cela ne garantit pas la comparabilité entre entreprises, notamment à cause des difficultés d’obtention de l’information. La réalité peut se compliquer encore davantage dans le cas des petites et moyennes valeurs, dont l’engagement peut être important sur certains axes mais en même temps manquer de lisibilité pour des questions de moyens. Poursuivant la même démarche méthodologique, nous avons abordé un autre sujet majeur d’investissement de la part des entreprises, la diversité.
115
2.4 Focus sur le critère « diversité », axe d’investissement des entreprises et critères de notation de la responsabilité
Le sujet a fait couler beaucoup d’encre depuis 2004, année de création de la Charte de la Diversité pour les entreprises, avec plus de 1800 signataires à ce jour ; d’autres initiatives, comme la création de la Halde en 2005 et le lancement en 2008 du Label Diversité AFNOR/ANDRH, font état de l’importance des enjeux. Force est de constater 127qu’il existe encore une certaine méconnaissance du sujet : L’obtention du Label Diversité est un bon indicateur de ces difficultés : seules 400 des 1800 entreprises signataires de la Charte ont soumis leur candidature pour le label, et pas plus de 18 ont été labellisées. Cela serait dû, selon l’Afnor128, à la mauvaise interprétation des indicateurs de discrimination de la part des entreprises, qui concentrent leur attention sur l’égalité entre les hommes et les femmes, sur les seniors ou les handicapés. « Comme par hasard, ce sont les trois critères où il existe des indicateurs. Mais il reste 15 autres critères de discrimination à passer en revue pour dresser un diagnostic global ! » Alors que la prise en compte des critères de diversité dans l’analyse ESG des entreprises est bel et bien installée au sein des fonds responsables, Calvert129 ayant été le précurseur, les entreprises en Europe ne paraissent pas toutes avoir saisi l’intérêt économique de la démarche et l’importance que les investisseurs lui accordent. Elles commencent à se plier à la contrainte sous le poids de la menace de la notation : « Nos clients nous demandent de plus en plus de trouver des candidates de haut niveau, car les entreprises cotées savent que leurs pratiques seront scrutées par les agences de notation », constate Chantal Berard, du cabinet de chasse de tête international Neumann130.
127 Thierry Geoffroy, responsable des labels chez Afnor Certification, in http://discrimination‐travail.novethic.fr/discrimination‐au travail/discrimination_au_travail/les_actions_en_faveur_de_la_diversite/label_diversite_beaucoup_candidats_peu_elus.jsp . 128 Aline Orain, responsable du Pôle Services et Labels de l’Afnor, ibidem. 129 Pour la grille de critères Workplace de Calvert, voir Partie II. 130 Les Echos, 6 janvier 2011, section Services.
« Beaucoup d’entreprises, notamment parmi les grandes, n’ont pas mis en place les processus de gestion des ressources humaines nécessaires pour garantir l’égalité des chances. La formalisation, et donc la traçabilité de ces processus, n’est pas suffisante. Dans les grandes entreprises, elle peut poser des problèmes informatiques et d’organisation pour récupérer et consolider toutes les données nécessaires au suivi des processus. Autre difficulté, la méconnaissance du cadre juridique. Certaines entreprises ont ainsi présenté des fichiers sur les origines ethno‐raciales de leurs salariés à l’Afnor, une pratique proscrite par la loi. Malgré le débat médiatique sur la question, cette interdiction n’est pas toujours connue ».
116
Ainsi, une étude de CapitalCom et RiskMetrics131 portant sur les publications des rapports de développement durable des entreprises montre que la diversité peine à prendre ses marques, et que le champ d’analyse reste franco‐français :
‐ une faible prise en considération des enjeux financiers de la diversité : moins d’un tiers de nos fleurons considère la diversité comme un véritable levier de performance et une seule société intègre la non‐discrimination dans sa politique de gestion des risques (BNP Paribas) ;
‐ une politique diversité encore très souvent limitée à la France et peu volontariste : si 65% des entreprises signent des accords sociaux relatifs à la diversité, seuls deux accords dépassent le cadre strictement français (Danone et Total) et moins de la moitié des sociétés communiquent sur des objectifs chiffrés.
2.4.1 Une méthodologie innovante de la mesure de la richesse par la diversité, avec Goodwill Management
Quelques facteurs de réussite dans l’application de mesures en faveur de la diversité peuvent être identifiés, comme la volonté forte de la direction générale, la définition d’objectifs clairs en amont de la réflexion, la recherche de méthodes d’évaluation qui prennent en compte les spécificités du métier et les problématiques propres à l’entreprise, et la démarche d’inclusion progressive de tout le périmètre. Mais apparemment ces facteurs ne suffisent pas : face aux réticences et malgré le contexte réglementaire et juridique, on peut se demander si la question de la preuve de l’intérêt économique n’est pas le seul moyen de prise de conscience valable. C’est la posture adoptée par Goodwill Management, dans une étude réalisée à l’initiative de l’association IMS – Entreprendre pour la Cité132 et mandatée entre autres par notre entreprise témoin VINCI. L’étude s’attache à évaluer la performance économique résultant du management de la diversité en entreprise sous quatre thématiques : les seniors, les personnes handicapées, la féminisation et la diversité d’origine des salariés. Les résultats quantitatifs sont sans appel : bien managée, la diversité est source de richesse et d’avantage compétitif pour l’entreprise, et participe à la bonne gestion de ses risques d’image et réputation, par exemple, ce qui rajoute à sa note globale RSE et par conséquent à sa performance boursière133.
131 Capital Com et Risk Metrics, 04/02/2009, Pratiques et communication extra‐financières des entreprises du CAC 40, http://www.capitalcom.fr/documents/cpfinal.pdf . 132 Goodwill Management, 2010, Diversité du capital humain et performance économique, in http://www.goodwill‐
management.com/images/stories/pdf/mission‐diversite‐et‐performance‐ims‐goodwill‐management‐11‐2010.pdf. 133 Cité dans l’étude de Goodwill Management, p.78 et suivantes : « l’étude du département Equity Research de la Société Générale a montré que les entreprises ayant une bonne politique RSE ont un cours de bourse plus élevé que celles qui sont en retard dans ce domaine ».
117
VINCI a participé à l’étude IMS Entreprendre : la diversité est un sujet fondamental pour l’entreprise et fait partie des cinq engagements du manifeste de Xavier Huillard, au titre de la promotion de l’égalité des chances et de la lutte contre les discriminations. Lors de son audition, les résultats de l’étude n’étaient pas disponibles mais Patrick Plein a présenté un focus sur les pratiques de diversité du groupe. La mesure de la diversité chez VINCI La politique de diversité du groupe est centrée sur quatre champs particuliers (mixité hommes/femmes, handicap, collaborateurs issus de l’immigration, seniors) et avalisée par un audit diversité annuel réalisé et publié par un organisme indépendant. Vinci travaille sur une grille d’indicateurs spécifiques, préparés par Vigeo à partir de sa méthodologie et en fonction de la demande de VINCI et du secteur considéré. Les critères analysent l’engagement des filiales européennes sous l’angle de la pertinence des politiques, de la cohérence du déploiement et de l’efficacité des résultats. L’audit scrute sous l’angle de la diversité plusieurs processus (fig. 47) de la gestion des ressources humaines, en plus du traditionnel recrutement :
22
Femmes
Catégories
Seniors
Personnes issues de l’immigration
Personnes handicapées
Rec
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men
t
Acc
ès à
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Évolu
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de
pér
imèt
re
Processus RH
Pas de réussite économique durable sans projet humain ambitieux
L’audit diversité : une évaluation croisée des catégories et des processus RH
Mesurer pour progresser : focus sur la politique diversité
Figure 47 : Processus RH objets d'audit diversité chez VINCI
La méthodologie prévoit la rencontre avec un échantillon représentatif des différentes populations, y compris les représentants du personnel. L’audit couvre environ 40 filiales par an ; les notes attribuées concernent le niveau d’engagement : 1= non tangible ; 2= amorcé mais à progresser; 3= probant, bonne appropriation ; 4= avancé. Pour 2008, les résultats font état d’une démarche très avancée :
118
25
Les femmes
Les personnes handicapées
Les personnes issues de
l’immigration
Les seniors
+
+
-
P D R Global Tendance
Pas de réussite économique durable sans projet humain ambitieux
Les résultats de l’audit diversité
Mesurer pour progresser : focus sur la politique diversité
Figure 48 : Résultats de la notation 2008 sur la politique diversité chez VINCI
Patrick Plein indique que cet exercice de reporting se heurte à plusieurs difficultés de constitution des données, en raison de l’étendue géographique du groupe avec 90 pays à consolider, et des différentes définitions des indicateurs entre les pays. Néanmoins, la palette des indicateurs utilisés est très riche, et fait état d’une réflexion avancée. Parmi les indicateurs utilisés par VINCI :
‐ l’indicateur mixité représentatif est la présence de femmes dans un métier traditionnellement d’hommes : le taux de la profession est à 9% alors que le taux relevé par VINCI dans le groupe est à 13%, tous métiers confondus ;
‐ d’autres indicateurs pertinents sont le nombre de femmes sorties des écoles d’ingénieur, actuellement à 25%, ou le taux de recrutement de jeunes diplômées : VINCI est actuellement en phase avec le marché avec 26% pour 2008. Il existe par ailleurs au sein du groupe des postes de directeurs régionaux tenus par des femmes ;
‐ concernant la population des seniors, la pyramide est très équilibrée : 22% des collaborateurs ont plus de 50 ans, l’âge moyen est de 40 ans et l’indicateur de recrutement montre que 7% des personnes recrutées en CDI en France ont plus de 50 ans. Par ailleurs, le groupe vise à garder un management essentiellement local.
Un reporting affiné sur le critère de la diversité, comme pour la formation, est donc possible, bien que complexe dans son exécution, comme le souligne Patrick Plein. Le rapprochement entre ce qui est mesuré globalement dans l’entreprise et dans le monde de l’investissement montre, encore une fois, des disparités importantes.
119
Pour la mixité, les indicateurs les plus utilisés par les acteurs de l’investissement concernent généralement la présence de femmes, y compris dans les postes de direction, mais quelques agences de notation134 vont plus loin et prennent en compte la différence dans la rémunération par genre (fig. 49) qui est rarement mesurée dans les entreprises.
Figure 49 : Indicateurs de respect de la parité de rémunération dans la mixité, selon une grande agence de notation.
On constate, pour cet axe d’engagement comme précédemment pour la formation, que le manque d’harmonisation dans les outils de mesure se conjugue à la difficulté d’obtenir des données complètes et auditées. L’entreprise éprouve des difficultés au moment de mettre en place des systèmes d’indicateurs, et doit gérer un flux de demandes d’information important et peu harmonisé. La lisibilité des efforts des entreprises et la comparaison entre valeurs résultent difficiles. S’il est possible, avec un investissement certes important, de mieux mesurer et afficher l’efficacité de la bonne gestion du capital humain, on peut légitimement se demander à ce stade pourquoi les indicateurs ne sont pas plus présents dans la panoplie des outils de mesure et dans la communication des entreprises.
134 Pour le questionnaire complet de cette agence de notation, anonyme pour des raisons de confidentialité, cf. Annexe n° 17.
120
3. Entreprises et indicateurs : je t’aime, moi non plus ?
Les travaux de recherche de corrélation entre performance financière et pilotage du capital humain (ex. Watson Wyatt HCI, Molina et Ortega, Kingsmill Report135) ont fait une large place à la notion d’indicateur pertinent et ont cherché à prouver un lien entre quantité d’indicateurs pertinents utilisés et efficacité de la gestion des ressources humaines. Le Kingsmill Report par exemple place le management du capital humain dans une perspective de responsabilité sociale de l’entreprise et va jusqu’à préconiser l’inclusion d’indicateurs dans le bilan. Cependant, cela n’est pas inscrit dans la réalité encore : on peut se demander si les entreprises ont intégré les résultats de cette abondante littérature et quelle posture elles adoptent par rapport au pilotage de leur capital humain par indicateurs. Certaines agences de notation136 estiment que les professionnels des ressources humaines seraient restés en dehors du sujet global de la responsabilité d’entreprise à cause d’une faible prise de conscience des enjeux et d’un manque de volontarisme, sauf en cas de risque juridique ou d’image :
BMJ Ratings, Pascal Bello : « L’émergence des concepts de responsabilité d’entreprise, de développement durable ou de notation extra‐financière n’a pas été le résultat d’une action volontariste et éclairée des responsables de ressources humaines (…) Faut‐il y voir une absence de lucidité ou un refus conscient de modifier ses habitudes de fonctionnement et ses projets déjà identifiés et planifiés ? En revanche, je crois qu’il est urgent pour les entreprises aujourd’hui de se saisir du sujet. » Vigeo, Sophie Thiéry : « Là où il y a un risque juridique, ou d’image, les entreprises ont progressé. Mais il y a encore beaucoup à faire au‐delà des directions des ressources humaines des sièges ; en particulier dans les filiales et entités à l’égard de managers qui ne sont pas formés.
Les témoins du groupe de travail, notamment Oddo, sont plutôt enclins à penser que la situation est disparate et varie selon la taille et le secteur d’activité de l’entreprise. On peut également penser que des facteurs plus intangibles interviennent dans le choix : la force de conviction du « patron » est, comme pour l’implication dans le développement durable, un facteur essentiel dans l’adoption de cette démarche ; le rôle et le charisme de la direction des ressources humaines peuvent également influencer les choix de l’entreprise. Dans ce contexte, il est intéressant de se pencher sur le rôle du directeur des ressources humaines, pilier central dans l’identification et la mise en place de systèmes d’évaluation de la gestion du capital humain.
135 Cf. Partie I du rapport. 136 Sophie Thiéry, Vigeo, et Pascal Bello, BmjRatings, in http://www.miroirsocial.com/actualite/rh‐attention‐vous‐etes‐notes par Alain Gavand Consultants.
121
3.1. Et le rôle du Directeur des Ressources Humaines, dans tout cela ?
L’évolution de la fonction de gestion du « personnel » au cours des vingt‐cinq dernières années a été marquée par l’essor de la notion de ressources humaines et de capital humain. Bien représentée dans le schéma de Besseyre des Horts 137, la fonction a parcouru dans un continuum les étapes de professionnalisation depuis une gestion administrative de la masse salariale jusqu’à remplir le rôle de « business partner » et, selon Murielle Pénicaud138, Directrice des Ressources Humaines de Danone, à dépasser ce rôle en faveur d’une conception plus axée sur l’accompagnement au changement : « La conception du Directeur des Ressources Humaines (DRH) aussi « business partner » est dépassée : le DRH est au cœur de la transformation de l’entreprise. C’est bien davantage que de comprendre des enjeux business et de se servir d’une boîte à outils efficaces ». Le Directeur des Ressources Humaines s’adresse à plusieurs publics : la direction générale de l’entreprise, les directions opérationnelles, les collaborateurs eux‐mêmes, et leurs instances représentatives. Il doit équilibrer les besoins et les forces qui s’opposent. On demande au DRH :
‐ d’être centre de profit au même titre que les services de production,
‐ de suivre, évaluer et mesurer la performance des actions RH, justifier les investissements et les retours obtenus par un reporting fiable au comité exécutif ou de direction,
‐ d’anticiper et accompagner les besoins de la stratégie d’entreprise en termes de gestion des talents, motivation, choix des rémunérations, et tant d’autres sujets épineux.
Mais, bien que le Directeur des Ressources Humaines participe aux décisions stratégiques de la direction et soit membre des organes de direction, l’évolution de la fonction ne se fait pas automatiquement, notamment en dehors des grandes entreprises, et l’approche stratégique des ressources humaines demeure limitée : les résultats d’une étude139 menée régulièrement depuis plus de 10 ans confirment que le rôle stratégique du DRH ne progresse pas, bien que désormais 83% des DRH en France soient membres du comité exécutif de leur société. Le baromètre 2010 Deloitte‐Misceo de la Gouvernance des ressources humaines vient compléter et confirmer cette analyse : l’enquête menée auprès de plus de 40 entreprises du CAC 40, du SBF 120 et de quelques grands groupes non cotés montre en particulier que la maîtrise des politiques de ressources humaines par le Comité Exécutif varie selon la nature de l’entreprise, et que la performance est rarement évaluée :
137 Besseyre des Horts, C.H., 1987, Typologies des pratiques de gestion des ressources humaines, Revue française de gestion, n°65‐66, novembre – décembre, Pp.149‐155. 138 Les Echos, 5 octobre 2010, section Compétences. 139 Martine le Boulaire, Didier Retour, 2008, Gestion des compétences, stratégie et performance de l’entreprise : quel est le rôle de la fonction RH ?, IAE Grenoble.
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Il est à noter que, toujours selon le baromètre, la majorité des entreprises ne procède pas à une évaluation de son capital humain, ce qui conforte l’hypothèse selon laquelle que la fonction éprouve des difficultés au moment de valoriser et mesurer ses actions en termes économiques. D’autres études confirment la tendance : quatre présidents sur dix jugent que leur entreprise n’est pas performante lorsqu’il s’agit de donner des conseils stratégiques de ressources humaines ! Cette situation s’expliquerait par le fait que peu de directeurs des ressources humaines sont en mesure d’expliquer, en termes économiques, comment leur service peut être à la base d’un avantage compétitif durable et le rôle que la fonction joue dans ce processus140. Les Directeurs des Ressources Humaines souhaitent être impliqués davantage en amont des décisions stratégiques141, et professionnaliser leur fonction. En tête de leurs priorités se trouve « l’évaluation plus efficace de la contribution directe des activités RH au résultat de l'entreprise ». 74 % des professionnels interrogés estiment que les indicateurs utilisés sont pauvres ou inadaptés, et plus d’un tiers déclarent être à la recherche d'outils de mesure quantitatifs pertinents pour prouver le retour sur investissement de leurs actions. Par ailleurs, la réalité de l’entreprise pousse les Directions des Ressources Humaines à axer leurs priorités sur les gains de productivité et d’efficacité et sur la mesure de la performance de leurs actions. L'identification et la mise en œuvre de mesures susceptibles d'améliorer la productivité sont prioritaires, et les Directions des Ressources Humaines se focalisent sur la recherche d’un meilleur équilibre entre les mesures plus « défensives » de rationalisation de production, coûts et effectifs et les initiatives orientées vers la croissance. Dans ce contexte, il paraît intéressant de se pencher sur les rapports de la Direction des Ressources Humaines avec les autres fonctions « régaliennes » de l’entreprise, et principalement la fonction
140 Martine le Boulaire, Didier Retour, ibid. 141 Selon le 5ème Baromètre Européen Aon Hewitt – ECHR, European Club of Human Resources.
Dans les entreprises du Cac40, le Directeur des Ressources Humaines est membre du comité exécutif et, à ce titre, est un acteur de la stratégie de l’entreprise. Les équipes de direction participent ainsi à l’élaboration de la politique RH …
o … mais le suivi des pratiques RH ne fait pas l’objet d’un reporting formalisé ; o les entreprises du CAC 40 seules utilisent des indicateurs de performance RH ; o le management de la performance RH est le domaine qui rencontre le moins
d’adhésion, quels que soient les répondants, avec une note particulièrement sévère pour les Présidents/Directeurs Généraux et Administrateurs.
Dans les entreprises du SBF 120 et les entreprises non cotées, le baromètre révèle des pratiques plus contrastées : o le Directeur des Ressources Humaines est moins souvent membre du Comité
Exécutif, en particulier chez les non cotées ; o la performance RH ne fait pas partie des tableaux de bord de l’entreprise ; o le reporting RH est considéré comme faible.
123
finance. La question de la communication entre les deux fonctions est au cœur de l’avancée des sujets de mesure et valorisation du capital humain, comme l’a souligné Jean‐Philippe Desmartin, Analyste Senior ISR chez Oddo. Sous la pression de la mondialisation, des objectifs économiques et du reporting, les deux fonctions se trouvent obligées à trouver de nouveaux terrains d’échange et d’entente. Les grandes entreprises commencent à mettre en place des fonctions de contrôle de gestion des ressources humaines, ou de gestion sociale, à la croisée des deux chemins, ou encore des comités de pilotage pluri‐disciplinaires pour définir en amont les indicateurs à suivre et pour mieux les faire vivre. Mais dans les plus petites entreprises les choses vont autrement : nous avons recueilli les témoignages de deux Directeurs Financiers de PME ayant simultanément en charge les ressources humaines. Les points de convergences sont particulièrement intéressants : selon les témoins, les deux fonctions poursuivent des objectifs similaires mais exprimés et mesurés différemment. De ce fait, les deux fonctions se trouvent face à des difficultés opérationnelles lors des prises de décisions, notamment d’investissement ou de rémunération. Les deux témoins concordent sur plusieurs manques :
‐ pas d’outils de mesure du capital humain, ni des retours sur les investissements, ni d’évaluation de la performance des actions de ressources humaines ;
‐ concordance des visions sur l’importance du développement des compétences et sur la motivation, en tant que leviers de création de valeur (sous forme d’innovation et développement), sans toutefois qu’aucun outil spécifique de mesure et évaluation n’ait été mis en place ;
‐ importance de l’amélioration des conditions de travail, sous l’angle du risque, comme facteur de réduction des coûts (arrêts de travail).
Mais quels sont les freins à l’adoption d’une approche structurée de mesure ? de quelle nature sont‐ils ?
3.2. Les freins au pilotage du capital humain par indicateurs
La recherche britannique pointe un certain nombre de facteurs qui freinent l’application de pratiques de gestion des ressources humaines. Dans les travaux de Guest et King142 par exemple, une étude qualitative a été menée auprès des Managers, Responsables Opérationnels et Directeurs de Ressources Humaines pour explorer les facteurs de freins :
‐ déficit de connaissance de la corrélation, ou non acceptation de la solidité du lien de causalité entre gestion des ressources humaines et meilleure performance ;
142 Cf. Dti Economics Paper n 13, August 2005, Corporate Governance, Human Resource Management and Film Performance ‐ Papers from a joint Dti/King’s College London Seminar, http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=906023&rec=1&srcabs=370845.
124
‐ ne pensent pas que les recherches les concernent, parce que ce qui paraît vrai dans un secteur n’est pas forcément vrai dans un autre secteur (et de même pour la taille de l’entreprise) ;
‐ ont d’autres priorités, plus importantes, ou pensent qu’ils implémentent déjà un
ensemble suffisant d’indicateurs de mesure ;
‐ manquent de ressources pour introduire de nouvelles mesures, ne savent pas comment implémenter plus de pratiques, quelles priorités définir, par où commencer.
En France, une étude143 de Markess International fait le point sur les indicateurs retenus par les entreprises et ébauche un état des lieux de la mesure de la performance administrative, opérationnelle et stratégique de la fonction ressources humaines. L’enquête met en avant des conclusions similaires à celles exprimées par Guest :
‐ le niveau de performance opérationnelle de la gestion des ressources humaines est moins mesuré que le niveau de performance administrative de la fonction ;
‐ pour la mesure de la performance opérationnelle, les ressources humaines disposent bien d’indicateurs multiples précis : administratifs (ex. recrutement, mobilité, formation, gestion compétences et gestion talents), sociaux (nombre d’accords d’entreprise signés, qualité du management, taux d’absentéisme et mesure de la santé des collaborateurs) et financiers ;
‐ les responsables interrogés ont une idée assez précise des indicateurs de performance clés
(ou KPIs – Key Performance Indicators) à suivre plus particulièrement, et savent que certains indicateurs peuvent révéler des coûts cachés non négligeables pour les organisations. Près d’une centaine d’indicateurs différents ont spontanément été cités, certains quantitatifs et concrets, d’autres plus qualitatifs mais aussi plus abstraits et complexes à mesurer, mais à peine un quart d’entre eux assoient leur évaluation sur des indicateurs clairement définis et suivis dans le temps.
Figure 50 : Freins à la mise en place d'indicateurs pertinents, selon Markess
143 Markess International, 2010, Performance de la fonction RH & indicateurs associes, référentiel de pratiques.
125
Selon Markess, les entreprises utilisant effectivement des indicateurs ou ayant des réflexions avancées à ce sujet se focalisent sur des indicateurs simples, quantifiables et faciles à mettre en œuvre et à interpréter (taux de réalisations des entretiens annuels, n° d’heures de formation par an par collaborateur, taux du turnover, taux de satisfaction). A contrario, les autres perçoivent comme adaptés des indicateurs plus intangibles, plus qualitatifs, mais également plus difficiles à valoriser et à quantifier. Par ailleurs, Markess International remarque que l’absence d’outils de mesure et de suivi appropriés sur lesquels faire reposer les indicateurs de performance est particulièrement marquée dans les Pme. Markess signale également que les organisations qui déploient une communication régulière autour de leurs indicateurs clés le font essentiellement dans le cadre de la responsabilité sociale d’entreprise et des actions de communication obligatoires en France, ou bien dans une politique de valorisation de l’image auprès des cibles externes, parmi lesquels les analystes financiers. Encore une fois, le monde de l’investissement est reconnu pour le levier essentiel qu’il détient dans l’avancée de la mesure.
3.3. Pourquoi mesurer ? La vision des parties prenantes et des acteurs externes à l’entreprise
La question de l’intérêt de la mesure est essentielle pour l’harmonisation des pratiques. L’aversion au risque, les obligations juridiques et l’incitation de la réputation sont des facteurs entraînants bien identifiés, mais les principaux bénéfices de la mesure sont moins largement reconnus comme tels par les entreprises. L’entreprise reconnaît que la mise en place d’un système de mesure et pilotage de l’extra‐financier participe, in fine, à l’amélioration de la performance économique et financière, mais la réalité en va tout autrement, car la corrélation entre les deux – comme nous l’avons vu – n’est pas encore acceptée. L’article de Patrick d’Humières et Robert Eccles144 pointe bien les difficultés des chefs d’entreprises, peu concernés encore par tout ce qui n’est pas clairement « lisible par les actionnaires et interprétable en termes économiques et financiers ». L’entreprise serait‐elle en retard sur ces questions par rapport aux parties prenantes et aux acteurs de l’investissement ? Les acteurs du marché demandent des données harmonisées, fiables et consolidées ; les agences soulignent que l’intégration de la notation dans la gestion des ressources humaines apporte une légitimité à la fonction et participe du dialogue social en interne, tout en améliorant l’attractivité des entreprises145. Le Cabinet Alpha146, pour sa part, pointe le manque d’enthousiasme des entreprises à l’heure de développer et standardiser les pratiques de mesure et de reporting. Représentatif d’une
144 Respectivement Président de l’institut Rse Management et Professeur à la Harvard Business School, in Les Echos, 10 novembre 2010, section Idées. 145 Sophie Thiéry, Vigeo, et Pascal Bello, BmjRatings, in http://www.miroirsocial.com/actualite/rh‐attention‐vous‐etes‐notes par Alain Gavand Consultants, op. cit. 146 Cabinet Alpha, 2005, Le reporting social des entreprises : un enjeu du dialogue social ?, in http://www.groupe‐alpha.com/data/document/rse‐enjeu‐dialogue‐social‐06‐07‐051.pdf.
126
certaine prise en compte des parties prenantes internes, le cabinet fait de l’amélioration du dialogue social un élément essentiel d’une bonne politique de responsabilité, et souligne l’importance de la mesure de l’humain pour la légitimité de la fonction. Le cabinet propose un découpage de critères, qui combine performance des ressources humaines et performance sociétale :
Figure 51 : Proposition de critères de performance RH et sociétale par le cabinet Alpha
La normalisation internationale est un levier supplémentaire d’harmonisation dans la définition des pratiques de gestion de ressources humaines. Une initiative de l’ANSI147, organisation américaine consœur de l’AFNOR, a récemment lancé un projet d’ouverture de domaine de normalisation international sur les ressources humaines, avec pour objectif la définition d’un périmètre de travail sur plusieurs pistes de normalisation possibles : structuration, classement et évaluation des compétences, lignes directrices pour les contrats d’embauches, mesure de l’efficacité des actions et codes de conduite pour la fonction, process de transfert de compétences et identification des savoir faire pour répondre au défi démographique mondial. La normalisation internationale pourrait ainsi, comme l’annonce l’AFNOR148, répondre aux besoins d’évaluation économique du capital immatériel des ressources humaines, mais également participer au mouvement d’optimisation des pratiques et réduction des coûts, contribuer à améliorer les conditions du travail et la satisfaction du personnel, en plus de favoriser la compatibilité des systèmes d’information dédiés. Il ne fait pas de doute que cette démarche favorisera une bonne communication entre les services ressources humaines et financiers de l’entreprise, et qu’elle contribuera à rendre possible l’harmonisation des systèmes de notation et d’évaluation du capital humain de l’entreprise et à diffuser le reporting et la communication sur les pratiques.
147 ANSI/ AFNOR/CoS 12 N 588, http://www.afnor.org/liste‐des‐actualites/actualites/2010/novembre‐2010/norme‐internationale‐sur‐la‐gestion‐des‐ressources‐humaines‐aidez‐nous‐a‐valoriser‐la‐position‐francaise. 148 Pour une liste exhaustive des documents existants applicables au niveau international, régional et national publiés par l’AFNOR, cf. http://www.afnor.org/content/download/30137/275906 .
Développement local, territorialPolitique de sous-traitance
Politique de non-discrimination
FormationDialogue social
Politique de rémunérationEgalité Hommes / Femmes
EffectifsHygiène et sécurité
Indicateurs de gestion
Indicateurs de développement RH
Indicateurs « sociétaux »
Gestion des risques. Politique RH préventive (gestionde l’emploi et de la sécurité) ;
Gestion du développement des salariés(compétences, employabilité, etc.) ;
Gestion de la relation entre l’entreprise etson environnement, avec la société.
127
4. Reporting et communication autour de la notation Du point de vue de l’entreprise, la question du reporting évoque d’une part les difficultés de recueil, compilation et traitement de l’information, et d’autre part la nécessité de gérer son image globale, liée aux informations publiées, à leur exhaustivité et véridicité. A cela s’ajoute la difficulté de la définition d’un indicateur : résultant d’une volonté politique et d’une construction sociale, sa définition peut souvent faire débat au sein de l’entreprise et de ses parties prenantes. Sans oublier que, au delà de l’exercice du bilan social ou du rapport développement durable, l’entreprise est soumise quotidiennement à des sollicitations de communication autour de sa gestion du capital humain :
‐ en vue de suivre en interne les progrès réalisés dans la gestion de cette composante de l’actif immatériel (par exemple, dans le cadre d’un Balanced ScoreCard ou d’un outil de pilotage du management et de la performance) ;
‐ en réponse à des questionnaires d’agences de notation extra‐financière. Il existe en effet plus de 30 agences bien établies, chacune avec des questionnaires différents en fonction des objectifs recherchés : difficile pour l’entreprise de standardiser les réponses ;
‐ dans le cadre d’investigations plus poussées sur la valeur pour la gestion d’actifs et en vue
d’inclusion dans un fonds particulier ou dans tout autre instrument d’investissement. Les débats autour des difficultés de remontée et consolidation des données pour le rapport développement durable ont ponctué la décennie, notamment au sujet des paramètres à définir et à prendre en compte dans le reporting, comme le périmètre géographique ou juridique, en termes de filiales, maisons mères, sociétés contrôlées ou à statuts divers. Bien que les entreprises se soient dotées de moyens humains étoffés et de méthodologies et outils de recueil informatisés149 plus performants par rapport aux premiers rapports développement durable, la remontée et le traitement des informations brutes demeurent complexes. D’autre part, les réglementations, variables selon le pays, posent problème au moment de la consolidation des données : le cas de l’accident de travail est emblématique à cet égard, car la définition n’est pas la même selon les pays. De plus, les différentes spécificités sectorielles présentes au sein d’un même groupe peuvent entraver la conciliation des données, car les indicateurs pertinents pour une activité ne le sont pas forcément pour une autre branche d’activité.
Ainsi, les entreprises présentent souvent dans leur rapport développement durable des informations qualitatives très riches, mais peu d’indicateurs, parfois limités à une seule filiale ou un seul pays, ou en témoignage de « best pratices » très avancées qui ne concernent qu’une entité parmi toutes ; de même, elles écartent tous les indicateurs qui n’ont pas la même définition à travers les pays.
149 Comme Enablon, solution logicielle leader sur le marché pour la maîtrise des risques et le reporting de développement durable : selon l’éditeur, 75% des entreprises du Cac40 font appel à ses solutions.
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L’attitude des entreprises à l’égard de la communication sur leurs actions et sur la notation reçue est mitigée : une étude de KPMG150 note qu’en 2008 seuls 10% des groupes du CAC40 et 3% du SBF120 publient un document consacré aux indicateurs. A peine plus d’un tiers des entreprises du Cac40 et 18% du SBF120 communiquent autour des évaluations faites par les agences de notations, alors que, selon CapitalCom151, près de la moitié des groupes du Cac40 sont référencés dans 3 indices ISR et près d’un quart dans 2 indices ISR152.
Figure 52 : Référencement des sociétés du Cac40 dans les indices ISR, selon CapitalCom
Il est par ailleurs étonnant de constater que malgré les efforts et les investissements méthodologiques requis pour le reporting, les entreprises ne se soient pas encore mobilisées de façon volontariste pour réclamer et développer des principes d’harmonisation transversale des outils et des pratiques. Les entreprises échangent certes sur les bonnes pratiques, avec des initiatives souvent très discrètes ou au contraire trop claironnées pour masquer d’évidents manques, mais ne paraissent pas franchement militer pour l’harmonisation inter et intra sectorielle, ou pour davantage de standardisation des indicateurs, qu’ils soient de performance ou de responsabilité sociale. Une certaine mobilisation en revanche est en cours de la part des acteurs de la notation et de la gestion des actifs, afin de favoriser le dialogue émetteur –investisseur, la qualité de la recherche ISR, la transparence et la diffusion des bonnes pratiques. Au‐delà du fait que le manque d’informations chiffrées, comparables et vérifiées rend ardu le travail de l’analyste extra‐financier, car la comparaison inter ou intra – sectorielle est impossible, la question de la volonté sous‐jacente de transparence se pose, et à ce jour aucun instrument de vérification ne permet de sanctionner les mauvaises pratiques. Lorsqu’on considère le seul cadre réglementaire français, si à peine 20% des entreprises appliquent correctement la loi sur le reporting NRE selon le FIR (Forum pour l’Investissement Responsable), comment accompagner le 80% restant vers plus d’engagement, d’exhaustivité et de transparence ?
Si le marché financier est censé « sanctionner la performance économique» d’une valeur – ce qui n’est pas toujours automatique, quelle autorité sanctionne in fine le manque de responsabilité et de transparence dans l’extra‐financier ? et comment sanctionner sans information claire et fiable ?
150 Cf. KPMG, http://www.kpmg.fr/fr/news/etude‐dev‐durable‐2008.asp. 151 CapitalCom, 02/12/2009, Très forte montée en puissance des groupes du CAC 40 dans l'extra‐financier en 2009, http://www.capitalcom.fr/Documents/CPA_RSE.pdf. 152 Parmi les bons élèves, rappelons VINCI qui, dans son audition, a fait largement état des indices auxquels le groupe appartient et a présenté ses scores et comparaisons sectorielles.
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4.1 Normalisation et transparence de l’information La multiplicité des référentiels internationaux de normalisation dans les sujets de la responsabilité sociale et de gestion du capital humain rend complexe la tâche de reporting pour l’entreprise et la lisibilité des informations fournies. La notion d’indicateur, au cœur de tous les référentiels mais jamais identique d’un texte à l’autre, est elle‐même ambiguë : qualitatif et/ou quantitatif, tantôt rapporté à la mesure de l’apport du capital humain à la performance globale de l’entreprise, tantôt utilisé pour mesurer la responsabilité sociale de l’entreprise envers ses parties prenantes internes voire externes … Les textes qui cernent la gestion du capital humain sont tour à tour normatifs ou non contraignants, obligatoires ou d’application volontaire, et peuvent avoir comme objet la responsabilité, mais également l’amélioration des systèmes de management, de la qualité et de la performance. La liste est longue et non exhaustive, et les critères et indicateurs proposés varient en fonction du modèle : on trouve, parmi les plus connus, les directives Global Reporting Initiative, avec tous les développements sectoriels, les textes de l’Organisation Internationale du Travail, les normes OCDE ou de la Fondation européenne pour le travail, mais également les directives de l’Union Européenne, les normes de management de la santé et sécurité OHSAS, la SA 8 000 pour le respect des droits fondamentaux des travailleurs, l’ISO 9000 ou les lignes directrices non certifiables et à application volontaire de l’ISO 26000 récemment apparues et spécifiques à la responsabilité sociétale, en plus des référentiels non certifiants comme l’EFQM, des certifications spécifiques au management des ressources humaines comme Investors in People. Prenons par exemple le seul champ de la mesure de la responsabilité de l’entreprise envers ses collaborateurs, à travers les référentiels internationaux reconnus. L’Orse153publie une synthèse du découpage du champ social selon l’Oit, le Gri et la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de travail. La synthèse montre clairement les différentes approches des référentiels sur les mêmes sujets.
A titre d’exemple encore, l’Orse publie un tableau de concordance des indicateurs sociaux GRI/NRE : des écarts subsistent dans le choix des critères et la définition des indicateurs. Par exemple, peu de place est consacrée dans le GRI – y compris la version 3 ‐ aux heures supplémentaires, difficultés de recrutement et motifs de licenciement, qui sont plus présents dans les articles de la NRE. Sans compter que parfois, les textes d’application internationale se heurtent à la législation nationale : pour le critère « diversité, égalité des chances », par exemple, le GRI fait référence à des « affirmative actions » ou actions de discrimination positive qui sont interdites en France, comme « l’embauche prioritaire de personnes ayant fait historiquement l’objet d’une discrimination »
153 Observatoire de la Responsabilité Sociale des Entreprises, association regroupant une centaine de grandes entreprises, des sociétés de gestion de portefeuille, des organisations syndicales, Ong, institutions de prévoyance et mutuelles. Etude Orse n° 7, 2004, Reporting Social International des Entreprises Françaises, http://www.reportingrse.org/_travail‐p‐69.html, cf. Annexe n° 19.
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Ainsi, pour la mesure de la responsabilité comme pour la mesure de l’apport du capital humain, les méthodologies et les référentiels se multiplient. Aucun standard n’a pour l’instant émergé auprès des entreprises au niveau international, bien que le GRI soit sans doute très diffusé en France. Une étude CapitalCom et RiskMetrics sur la communication extra‐financière de 2009 indique en effet que le GRI est le standard le plus utilisé154 pour construire les rapports développement durable des entreprises, mais qu’il n’est utilisé que par la moitié des entreprises du Cac40 ; quant au SBF 120, KPMG155 note que seuls 31% déclarent l’utiliser, bien que 95% d’entre elles présentent une démarche développement durable.
Il est dès lors concevable que cette multiplicité génère un état de confusion et fournisse un rempart aux entreprises moins responsables, d’autant plus que la transparence, avec son corollaire de certification des données, est encore loin d’être acquise. La loi de Grenelle II156 a clairement posé les enjeux de la véridicité et de l’exhaustivité des informations rendues publiques. Les décrets doivent fixer les seuils d’application, le périmètre à consolider et le calendrier de mise en place, mais les concertations au moment du vote ont quelque peu rendu moins ambitieux l‘esprit de départ de l’article. Les points de vue divergent notablement autour de l’utilisation d’indicateurs établis, en lieu et place de thématiques et critères plus larges, comme souhaité par les entreprises. De même, la prise en compte du niveau de dialogue avec les parties prenantes, déjà bien intégrée par la notation extra‐financière, fait l’objet de négociations. Les organisations syndicales sont particulièrement investies : dans son audition, Jean‐Philippe Liard propose que le syndicat puisse se positionner en partenaire et contrepoids dans la validation des rapports extra‐financiers comme le rapport de développement durable, et préconise l’adoption du rapport par les instances représentatives du personnel avant qu’il soit soumis aux actionnaires en AG157. Le cabinet Alpha, dans sa dernière analyse des rapports développement durable des entreprises cotées158, déplore la suppression par le parlement d’un alinéa de l’article 225, qui précisait que les institutions représentatives du personnel et les parties prenantes peuvent présenter leur avis sur les démarches de responsabilité sociale, environnementale et sociétale des entreprises159. Le cabinet note également que « aujourd’hui, à quelques exceptions près, dont celles de Danone et de Lafarge, les directions d’entreprise ne communiquent pas sur la manière dont les représentants des salariés considèrent la démarche de RSE qu’elles proposent. »
154 CapitalCom et Risk Metrics, 04/02/2009, Pratiques et communication extra‐financières des entreprises du CAC 40. 155 Op.cit. 156 L’article 225 fait obligation aux entreprises de présenter dans le bilan annuel « les conséquences sociales et environnementales de leurs activités et les engagements pris en faveur du développement durable » et « la liste de ces informations en cohérence avec les textes européens et internationaux, ainsi que les modalités de leur présentation de façon à permettre une comparaison des données ». En ce qui concerne la vérification des données, l’article propose que celles‐ci fassent « l’objet d’une vérification par un organisme tiers indépendant». « Cette vérification donne lieu à un avis qui est transmis à l’assemblée des actionnaires ou des associés en même temps que le rapport du conseil d’administration ou du directoire ». 157 Cf. audition privée en Annexes. 158 Le cabinet Alpha analyse les rapports développement durable depuis 2003, disponibles sur http://www.groupe‐alpha.com/fr/etudes‐prospective/publications/bilans‐application‐repor.html. 159 Précisons que l'ensemble des documents transmis annuellement à l'Assemblée Générale est d'ores et déjà communiqué au Comité d'Entreprise en application de l'article L. 2323‐8 du code du travail. Dans ce cadre, le Comité d'Entreprise peut formuler toute observation concernant notamment les informations sociales et environnementales figurant dans le rapport de gestion. Ces observations sont ensuite transmises systématiquement à l'assemblée générale des actionnaires.
131
Le cabinet évalue les rapports développement durable en fonction de la qualité des informations, des thématiques traitées et de la conformité avec la NRE, et place le plus grand nombre des entreprises dans une moyenne plutôt décevante (notons la bonne position de VINCI et Michelin). Selon le cabinet, les entreprises traitent en priorité des sujets consensuels et d’image, comme la formation ou la diversité, au détriment de thématiques plus controversées comme les restructurations, la sous‐traitance et les rémunérations.
Figure 53 : Cartographie d'évaluation des rapports développement durable 2009, par le cabinet Alpha
Il est certain qu’avec les nouvelles contraintes imposées par la loi, le changement est en marche : le monde de l’entreprise devra à termes choisir entre subir un système d’indicateurs standard imposés par la loi ou convenus par le marché, ou participer activement à leur définition, dans un esprit de construction collective avec les parties prenantes internes et externes. S’il ne nous appartient pas d’apporter un jugement dans ce débat, on souligne toutefois que la dispersion actuelle des systèmes d’évaluation et la non certification des données sont avant tout préjudiciables à l’image de l’entreprise et à sa valorisation extra‐financière.
4.2. Le chemin vers l’harmonisation et l’intégration
La multiplicité des normes de reporting de la responsabilité et la nécessité d’intégrer l’extra‐financier dans les normes de reporting financier sont au cœur de plusieurs propositions émanant de différents organismes, de la société civile et des acteurs de l’investissement. Pour ce qui est de la normalisation des standards du reporting, L’OCDE et le GRI ont récemment annoncé une coopération sur trois ans afin d’améliorer le reporting responsable des multinationales en apportant cohérence et robustesse et en incitant les entreprises à utiliser les deux cadres.
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Le Forum citoyen pour la RSE, lieu d’expression de la société civile très actif en faveur de la responsabilisation des entreprises, est particulièrement attentif au rôle des parties prenantes dans le reporting et propose un modèle de rapport développement durable issu du dialogue avec syndicats et organisations non gouvernementales. Il ne fait pas de doute que le dialogue entre investisseurs et émetteurs et la sensibilisation des entreprises sont au cœur de l’évolution des pratiques. Pour leur part, les acteurs de l’investissement sont très mobilisés dans deux directions160 :
‐ d’une part, en faveur d’initiatives pour une recherche sociétale de qualité, plus professionnalisée, standardisée et guidée par des codes de conduite communs et par une plus grande transparence de communication à l’investisseur final, en vue de mieux prendre en compte l’impact de l’extra‐financier sur l’investissement de long terme161 ;
‐ d’autre part, ils sont à l’origine d’initiatives destinées à rapprocher investisseurs et émetteurs, comme la Charte de l’investissement responsable de la Place de Paris162, qui se propose entre autres de favoriser le dialogue dans un cadre européen et « faciliter l’émergence d’un modèle composé d’un nombre restreint d’indicateurs communs à l’ensemble des entreprises, d’une part, et de déclinaisons par secteur d’activité et par taille d’entreprise, d’autre part ». Pour sa part, l’association multipartite du FIR, Forum pour l’investissement responsable, œuvre au développement d’une plateforme consensuelle entre partenaires d’horizon différent comme agences de notation, organisations non gouvernementales et syndicats, investisseurs et sociétés de gestion.
Concernant l’intégration de l’extra‐financier dans les normes de reporting financier, une récente initiative163 internationale s’est formée afin de « créer un cadre global international pour rendre compte de la responsabilité … réunissant l’information financière, environnementale, sociale et de gouvernance dans un format intégré clair, concis, comparable et pertinent ». Le projet se propose de faire le lien entre financier et extra‐financier, de contrebalancer l’accent sur la performance à court terme, d’aider les investisseurs de long terme à disposer d’information sur la portée des choix des entreprises et de faciliter à ces dernières le rapprochement entre reporting et information utilisée quotidiennement dans la stratégie et le business. On peut espérer que cette initiative montrera l’intérêt de concilier les deux approches sous‐jacentes aux indicateurs de mesure du capital humain, l’approche « indicateur de performance » et l’approche « indicateur de responsabilité », point central dans la prise en compte du capital humain dans le reporting. Concilier approche étique et approche économique, comme il en est déjà en grande partie pour le pilier environnemental, nous paraît être la réponse aux hésitations qui encore entravent le chemin de la mesure en entreprise, apporter la certitude que les efforts sont compris à leur juste valeur et que la démarche est génératrice de performance économique et financière. « The business of business » pourrait ainsi enfin être, sans complexe, le business.
160 Un riche panorama des initiatives est disponible dans le guide ISR de l’ORSE, 2009, http://www.orse.org/ . 161 Initiatives de l’Association Française de Gestion, de l’Association Française des Investisseurs en Capital, ou encore la plateforme internationale de standard Association for Independent Corporate Sustainability and Responsibility Research. 162 Parmi les signataires, AF2I, AFG, FBF, FFSA, FIR, SFAF. 163 International Integrated Reporting Committee (IIRC), http://www.theiirc.org/.
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Conclusion
S’il est communément admis que dans l’humain tout n’est pas mesurable, force est de constater que la mesure et la notation sont devenues un élément incontournable dans la relation entre entreprise, parties prenantes et acteurs de l’investissement. Cette question nous a conduits à faire le point sur les différents regards portés sur le capital humain par les acteurs principaux de la relation. Ainsi, dans la première partie de ce rapport, nous avons posé le cadre de définition du capital humain du point de vue juridique et comptable, et avons exploré les différentes modalités de sa prise en compte dans la performance économique. Nous avons présenté les avantages et les limites des outils couramment utilisés en entreprise, comme l’approche financière avec ses ratios, l’approche managériale et la notion de pilotage ou encore l’approche du capital immatériel. Nous avons exploré, dans la deuxième partie, le regard porté par le monde de l’investissement sur la gestion du capital humain en entreprise. Les témoignages de gérants, d’experts et d’analystes ont permis de cerner les principales visions et les méthodologies de notation, d’une responsabilité sociale plus marquée à une approche plus matérialiste. Les échanges ont conforté notre conviction sur la contribution du capital humain à la performance globale de l’entreprise, et sur l’importance du développement de la mesure pour la comparaison des pratiques. Dans la troisième partie, nous avons mis l’accent sur quelques‐unes des bonnes pratiques d’entreprise dans la gestion des ressources humaines et sur le regard porté par les acteurs du marché du conseil, de la notation et de l’investissement. Nous avons exploré le rapport complexe que les entreprises entretiennent avec la mesure, que ce soit en termes de performance sociale ou de retours sur investissement. Les difficultés de la normalisation, du reporting et de la communication sur les pratiques responsables de l’entreprise ont été abordées, ainsi que les principales initiatives de rapprochement des visions divergentes. Au cours de ce travail, nous avons pu faire le constat d’une certaine dissonance entre les actions et les systèmes de mesure mis en place par l’entreprise d’une part et la perception du marché dans son évaluation d’autre part. Certes, le domaine est encore récent, mais la prise de conscience sur l’importance de la responsabilité sociale de l’entreprise avance à grands pas et s’impose comme une évidence. L’élément humain, bien que difficilement mesurable dans toutes ses facettes, est à la fois au cœur du discours économique, comme principal actif, et du discours de la responsabilité sociale : cette double position est source de tensions et intérêts divergents, et nous sommes bien conscients des difficultés et des contraintes que cela induit, notamment dans certains secteurs ou à certains moment de la vie de l’entreprise. Sans verser dans une attitude d’idéalisme utopique, nous pensons que les deux intérêts visent in fine le même objectif et que le chemin pour y parvenir passe par la démarche de la mesure et du progrès continu, basés sur une volonté consensuelle de débat et construction commune. Notre conviction nous conduit à souhaiter une approche collective et intégrée de sensibilisation sur les bonnes pratiques de gestion et de mesure en place dans l’entreprise, accompagnée d’une harmonisation des critères et indicateurs les plus simples et pertinents, utilisés par les acteurs de l’investissement, dans le respect des normes internationales.
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Car, si d’un côté un effort est à accomplir afin de mieux mesurer et suivre la richesse humaine et l’apport de celle‐ci à la performance économique et financière, de l’autre côté les grilles d’analyse de l’extra‐financier sont multiples et discordantes, leur finesse d’analyse est inégale, tantôt surdimensionnée par rapport à la conscience que l’entreprise a de son capital humain, tantôt inadaptées à percevoir l’innovation de certaines pratiques. Les acteurs de l’investissement peuvent jouer un rôle dans le changement des pratiques de l’entreprise, d’autant plus puissant que celle‐ci participe de façon volontariste à l’harmonisation souhaitée. Cela implique consensus et transparence : au‐delà de la contrainte juridique actuelle et à venir, qui modifiera les comportements de l’entreprise, l’intérêt de toutes les parties est de pouvoir se comprendre autour de critères d’analyse et d’indicateurs communs, transversaux à tous secteurs et toute taille, reposant sur un découpage convenu des principaux axes d’investissement dans la gestion du capital humain. Cela aurait l’avantage de permettre à l’entreprise de rendre ses pratiques plus lisibles et d’en finir avec un reporting que les parties prenantes estiment encore trop parcellaire, en optimisant ainsi le dialogue social. L’effet d’émulation dans la diffusion des bonnes pratiques pourrait être important et se conjuguer au levier que détiennent déjà les acteurs de la notation et de l’investissement. Dans cette dynamique, nous pensons que la clé de voute se trouve dans la mesure des retours sur investissement d’une saine gestion du capital humain. Aujourd’hui encore peu diffusée, cette mesure améliore le pilotage du capital humain et renforce le rôle des directions de ressources humaines, tout en contribuant à la performance économique globale de l’entreprise. La mesure de l’intérêt économique dans les questions environnementales a été un levier puissant pour l’amélioration des pratiques de l’entreprise, et il est à espérer que cela sera de même pour les sujets du pôle social et sociétal. La vraie question est plus complexe : les entreprises et les acteurs de l’investissement sont ils‐prêts pour cette vision « collective » et ce travail de partage ? Compte tenu des récentes initiatives décrites dans cette troisième partie, nous pensons que oui. Dans l’univers des acteurs de la responsabilité d’entreprise, de nombreux signes de volonté de standardisation sont perceptibles et les initiatives se multiplient. La recherche de dialogue entre acteurs de l’investissement responsable, les pressions en faveur d’une standardisation internationale et pour l’intégration du reporting extra financier dans le reporting classique, conjugués à la contrainte juridique, sont autant de signes forts du changement en cours. La voie est ouverte, et le chemin tracé : au‐delà des discours, donner au capital humain sa place en tant que facteur de performance durable n’est plus qu’une question de temps.
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ANNEXES
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N. 1 Etude « Employee Relations and Credit Risk » : tableau des critères retenus pour l’étude N. 2 Audition de Gérard Schoun*, Directeur Général, Agence Lucie N. 3 Audition de Jean‐Philippe Liard, CFDT, membre de conseils de surveillance de fonds
d’épargne N. 4 Audition de Patrick Savadoux, Gérant du fonds Mandarine Engagements N. 5 Audition d’Emmanuelle Alleau, Gérante du fonds Amazone Euro Fund, AMM Finance N. 6 Audition de Pascale Sagnier, Responsable recherche Investissement Responsable, AXA IM N. 7 Audition de Jean‐Philippe Desmartin, Responsable de la recherche ISR, Oddo N. 8 Audition de Magdalena Svensson, Directrice des participations, XAnge N. 9 Audition d’Estelle Mironesco, Directrice de la recherche ISR, Vigeo N. 10 Audition de Vincent Bouznad, Directeur du Pôle Sociétal, Service Développement Durable,
SNCF N. 11 Audition de Alain Mauriès*, VP European Employee Relationships, Coca Cola Entreprises N. 12 Audition de Jean Lambrechts, Responsable du département Rémunération des Dirigeants,
Aon Hewitt N. 13 Audition de Chantal Thomasino, Responsable du département Gestion des Talents, Aon
Hewitt N. 14 Audition de Patrick Martigny, Responsable de la Gestion internationale Cadres Supérieurs et
Dirigeants, Michelin N. 15 Fiche d’analyse ISR de Michelin, Société Générale Gestion N. 16 Audition de Patrick Plein, Directeur du Développement des Ressources Humaines, Groupe
VINCI N. 17 Questionnaire adressé aux entreprises par une grande agence de notation N. 18 Auditions de FN et de EF, Directeurs Financier et Ressources Humaines de Pme N. 19 ORSE : Comparatif de découpage du champ social OIT/GRI/Fondation de Dublin,
* À noter : intervenants ayant quitté l’organisation depuis la date de l’intervention.
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Étude « Employee relations and Credit Risk » : tableau des critères choisis, issus de « Employee Relationship Index – ERI », (KLD) MSCI ESG Research
Annexe n. 1
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Audition de Gérard Schoun, Directeur Général, Agence Lucie1 Le label Lucie est une initiative de QFA (Qualité France Association) née initialement pour répondre au besoin de consommateurs et entreprises, d’avoir, au‐delà des informations sur les produits (y compris d’ordre environnemental), des repères sur le comportement des Pme en matière de responsabilité sociétale. Le label est délivré suite à un audit de Vigeo ou d’AFNOR Certification, Vigeo ayant également mis au point le référentiel d’évaluation Lucie. En effet, alors que les entreprises du CAC40 sont soumises à des réglementations de publication de données de responsabilité sociétale, parfois auto‐déclaratives (ce qui affecte la confiance des consommateurs), les Pme ne diffusent encore à ce jour que très peu d’informations sur leurs comportements en la matière. Lucie éclaire le consommateur et les parties prenantes : le label est le témoin du comportement de l’entreprise, à laquelle il est attribué en fonction de la mesure de ses engagements visant à obtenir un niveau satisfaisant sur l’ensemble des thématiques de la responsabilité sociétale définies par la nouvelle norme internationale ISO 26000 (publiée en novembre 2010). A ce jour, plus de vingt entreprises sont engagées dans la démarche de labellisation Lucie, dans les secteurs de l’industrie, de l’agro‐alimentaire, des produits d’entretien, de la chimie verte, mais aussi dans les services par exemple (agence de communication, agence évènementielle…). L’Agence Lucie, qui gère le label depuis 2009, souhaite faire de celui‐ci un standard national de référence sur le marché émergeant des Pme. Les principes de base La notion clé porte sur la responsabilité : en fonction d’une règle (normative, morale, éthique, déontologique, prescriptive …) on démontre la conformité d’un acte (action, événement, ….) et on applique une sanction/récompense. La responsabilité est le fait d’être comptable d’un acte et de pouvoir le justifier. La responsabilité sociétale, selon la définition de Vigeo, est le fait de prendre en compte les attentes légitimes des parties prenantes et de rendre compte de ses actes. Dans une vision de démarche continue et de cercle vertueux, plus on prend en compte les attentes, plus on réduit les risques et plus on améliore son capital image. Les attentes légitimes prises en compte émanent de toutes les parties prenantes (consommateurs, donneurs d’ordre, collaborateurs, bailleurs de fonds, assureurs, société civile…) et s’organisent autour de la notion de maîtrise des risques financiers et extra‐financiers.
1 Audition de Gérard Schoun, Agence Lucie, 18 novembre 2009. http://www.lucie‐qfa.fr/. A noter : cet intervenant a quitté l’organisation depuis son intervention.
Annexe n. 2
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Figure 1 : Définition de la responsabilité sociétale, selon Lucie
La Charte d’engagement de Lucie reprend les 7 questions centrales de l’ISO 26000, avec au centre la gouvernance :
Figure 2 : Les questions centrales de la Charte Lucie
L’approche de Lucie est basée sur le référentiel construit par Vigeo et adossé aux normes internationales de comportement élaborées par des organismes supranationaux reconnus comme légitimes (OCDE, ILO, ONU, …). Fonctionnement Les auditeurs de Vigeo analysent l’engagement en matière de responsabilité sous trois aspects:
‐ Volet politique : présence d’orientations exprimées par l’entreprise, d’objectifs connus, de politique formalisée et de chaîne managériale qui se sent investie
‐ Volet déploiement : les processus qui conduisent à l’obtention des objectifs et les moyens dont sont dotés ces processus ; le système de reporting
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‐ Volet efficacité : mesurée selon les indicateurs construits par l’entreprise, par l’appréciation des parties prenantes, ainsi qu’au travers d’éventuelles controverses concernant l’entreprise. Depuis début 2011, les entreprises candidates à la labellisation ont également la possibilité de choisir AFNOR Certification comme organisme évaluateur (la méthode employée est alors différente, bien que conduisant aux mêmes résultats)
En parcourant ces trois volets, il est possible d’objectiver un jugement sur l’engagement de l’entreprise.
La démarche Lucie est un exemple intéressant de recherche de lien entre l’approche financière, l’approche de responsabilité sociale et sociétale et la prise en compte de l’immatériel. Le lien entre performance et responsabilité renvoie à l’analyse du capital immatériel de l’entreprise, que Lucie utilise pour évaluer les retombées pour l’entreprise de la responsabilité envers ses parties prenantes. Pour prendre un exemple : la formation des membres du conseil d’administration, qui sont clairement des parties prenantes, « rapporte » à l’entreprise et à l’ensemble des « stakeholders » une gouvernance et un conseil plus éclairés. La qualité de l’apport des membres du conseil d’administration est par conséquent une valeur pour l’entreprise, qu’il convient de développer. La démarche facilite l’élaboration d’un tableau de bord enrichi, et donne une place importante à l’ensemble des parties prenantes, dans une perspective holistique.
Figure 3 : Axes d'évaluation de la responsabilité d'entreprise, selon Lucie
Figure 4 : L'approche capital immatériel dans la responsabilité d'entreprise, selon Lucie
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Audition privée de Jean‐Philippe Liard, syndicaliste CFDT et membre de conseils de surveillance de fonds d’épargne salariale2
Jean‐Philippe Liard est membre du conseil de surveillance du fonds d’épargne salariale EDF et a participé à ce titre à la mise en place du fonds AXA WF Human Capital d’AXA IM. Par son rôle de syndicaliste, délégué général à la fédération chimie‐énergie, et par son implication dans la gestion financière, Jean‐Philippe Liard nous livre des éléments d’éclairage sur le regard porté par un syndicat dans la gestion de l’épargne salariale et les indicateurs spécifiques utilisés. Rôle du syndicat dans l’entreprise Le syndicat est essentiel dans l’établissement d’une relation de confiance entre entreprise et salariés et dans la garantie de la qualité de cette relation. Selon Jean‐Philippe Liard, la présence d’un syndicat dans l’entreprise est un atout lorsque le syndicat n’est pas politisé mais qu’il représente le salarié en mode humaniste. La posture du syndicat doit bénéficier à l’entreprise et à l’organisation elle‐même, et donner lieu à une notion d’équipe pour le bien de l’entreprise dans sa globalité, comme c’est le cas pour Michelin. Dans les sociétés de plus petite taille, la présence et la nature des syndicats est un indicateur de l’importance que l’entreprise attache à l’information de ses salariés par le rôle d’information que les syndicats jouent. Rôle d’un syndicat dans la gestion d’un fonds : politique de vote spécifique Le syndicat présent dans le conseil de surveillance d’un fonds respecte le cahier de charge du mandat de gestion de fond, qui établit une ligne de conduite dans la politique de vote, dans le respect de la vision de la maison qui gère le fonds. En aucun cas il ne s’immisce dans la gestion du fonds et dans la politique d’achat des titres, qui est du ressort du gérant ; son rôle prioritaire est de valider la gestion à posteriori sur la base d’une charte d’investissement responsable préalablement établie et sur la base d’indicateurs spécifiques. Le regard d’un syndicaliste accompagne celui du gérant tout en étant différent, et peut lui suggérer des questions et des interlocuteurs à rencontrer dans l’entreprise. En particulier, le positionnement du syndicat en tant que « gérant » se définit par l’approche « best in class », dont les éléments essentiels sont d’une part le respect du code de travail et des normes du Bureau International du Travail, et d’autre part le respect des droits de l’homme, et notamment l’attention portée à ce qui se passe en Chine.
2 Audition privée de mars 2010.
Annexe n. 3
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Il est à souligner que les organisations syndicales ne sont pas rompues à ce type de travail, car moins habituées, dans l’ensemble, au fonctionnement des codes de commerce ou à l’étude des résolutions : elles se professionnalisent et siègent de plus en plus dans les fonds. Reporting social et ressources humaines : quels interlocuteurs pour un syndicaliste ? Lors de l’évaluation des entreprises d’un portefeuille, le premier contact est le directeur financier, souvent interrogé sur le bilan social sans pour autant être le meilleur interlocuteur. Pour Jean‐Philippe Liard, il est très important de rencontrer le directeur des ressources humaines et le secrétaire du comité d’entreprise, et séparément, afin d’être pleinement renseigné sur l’ensemble des indicateurs extra financiers pour évaluer le comportement de l’entreprise et la façon dont elle considère le personnel. Par ailleurs, cela permet de vérifier la correspondance entre les informations délivrées publiquement et les informations fournies en particulier. L’enquête menée par les syndicats peut parfois aboutir à dévoiler des informations liées aux projets de l’entreprise et fournir ainsi des informations privilégiées : une formation spécifique en cours peut par exemple indiquer un développement dans un métier ou un pays, et donner ainsi des renseignements sur les intentions de l’entreprise. S’agissant du directeur de développement durable, Jean‐Philippe Liard préconise un entretien avec lui si la fonction est rattachée aux instances de gouvernance, aux sphères du corporate, car sa vision du risque est alors pertinente dans l’analyse de la politique de responsabilité sociale de l’entreprise. Sur la question de la validation du rapport développement durable, Jean‐Philippe Liard estime par ailleurs que le syndicat a son rôle à jouer, et préconise l’adoption et le vote par les actionnaires en assemblée générale. Indicateurs spécifiques Nombreux sont les critères et indicateurs pris en compte par l’analyse du syndicaliste au moment de l’analyse de la responsabilité sociale de la valeur:
1. Implication du Président dans la politique de responsabilité sociale et dans la prise en compte du capital humain
‐ Le Président accepte‐t‐il de rencontrer les délégués syndicaux de son entreprise ? ‐ Qui présente le budget à l’UES ? (unité économique et sociale réunissant les représentants
du personnel de plusieurs filiales de la même entreprise). ‐ Le comité central d’entreprise est‐il représenté au conseil d’administration ? A‐t‐il un
véritable pouvoir de décision ? ‐ Articulation de la fonction ressources humaines et fonction finances.
2. Dialogue social : le dialogue social se mesure aux moyens de dialogue que l’entreprise se
donne et se valide selon les syndicats présents
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a. Rôle d’opposition ou de force de proposition des syndicats : si le climat est dégradé, certains syndicats peuvent fonctionner en opposition
b. Nombre de réunions des représentants syndicaux et taux de présence c. Type de syndicats présents (radical/autonome/maison….) d. Taux de participation aux élections professionnelles et résultats e. Respect des accords et réglementations, et moyens alloués pour la mise en œuvre et
le suivi.
3. Rémunération comme élément de reconnaissance et de comparaison pour les salariés a. Politique globale de la rémunération, au‐delà du niveau de rémunération individuelle b. Présence de l’intéressement, au lieu de la participation, comme outil de motivation :
l’intéressement récompense la qualité du travail, alors que l’entreprise a du mal à sortir du schéma de la participation.
4. Formation
a. Ventilation du budget et des actions en fonction des catégories professionnelles, de l’âge, et de la proportion totale sur l’ensemble des salariés
b. Présence d’une mesure de la qualité de la formation.
5. Mobilité a. Peut être un indicateur lorsque les salariés sont dans l’ensemble trop attachés au
territoire et ne souhaitent pas partir.
6. Bien être social a. Présence et activité du comité d’entreprise : son rôle social de service devrait
s’amplifier dans les entreprises, et fournir davantage de conseil aux salariés, par exemple sur les investissements ou les retraites
b. Insertion du comité d’entreprise dans son bassin d’emploi c. Forte pression exercée par les salariés pour l’embauche d’un membre de la famille.
7. Accueil des nouveaux arrivants
a. Présence d’un membre du syndicat lors de la présentation de l’entreprise aux nouveaux arrivants
b. Aides et moyens mis à disposition des nouveaux arrivants, toute catégorie confondue, pour la solution de problèmes logistiques comme le logement ou l’école des enfants.
Jean‐Philippe Liard voit l’intégration de l’investissement responsable dans l’analyse des valeurs comme une tendance inéluctable, devant laquelle le gérant se trouve dans l’obligation de prendre en compte un certain nombre de critères extra financiers et de valeurs éthiques qui ne relevaient pas de son domaine auparavant. D’ailleurs, la crise a permis de distinguer un avant et un après dans la gestion ISR : les fonds responsables offrent un rempart, car, selon l’intervenant, ils n’ont pas perdu pendant la crise, au contraire ils ont dans l’ensemble mieux résisté.
144
Audition privée de Patrick Savadoux3, Gérant de Mandarine Engagements
Après 32 ans d’expérience professionnelle dans la finance, dont 18 ans dans la gestion de fonds ISR et solidaire dans des institutions prestigieuses comme la CDC, et Natixis AM, Patrick Savadoux a été appelé à rejoindre les équipes de Mandarine Gestion pour mettre en œuvre le postulat fondamental de la ligne de gestion ISR de cette maison, en cohérence avec ses convictions personnelles.
La naissance du fonds coïncide donc avec la rencontre d’un homme, Marc Renaud, fondateur de Mandarine Gestion, dont la conviction est qu’il faut « remettre la finance dans le système économique et dans la réalité ».
Le marché de l’ISR, en quête de sens et de méthodes
Selon Patrick Savadoux le marché est en phase de mutation et de restructuration: l’ISR est actuellement l’objet de multiples débats, concernant non seulement sa performance (comment la mesurer, et dans quel but rapprocher les concepts d’ISR et de performance), mais également sa place au sein des instruments de gestion.
Le concept ISR a subi une profonde évolution : au départ, il trouvait son origine dans une démarche de recherche de sens et de valeurs. La diversité des interprétations et des méthodes de gestion et la multiplicité des acteurs de marché ne font que rendre encore plus illisible ce concept, qui oscille entre méthode de gestion de risques pour les uns, promotion de valeurs pour les autres.
Mais l’ISR est avant tout une notion pour l’investisseur institutionnel, le grand public adoptant plus aisément la notion « d’éthique ».
Selon Patrick Savadoux, retrouver le sens est primordial pour la survie de l’ISR, et la méthode de l’exclusion est par sa clarté et sa simplicité le moyen le plus simple pour y parvenir, surtout vis‐à‐vis du particulier.
En effet, la naissance de l’ISR résultait d’échanges informels et en vase clos dans de petites communautés qui n’avaient pas d’intérêt spécifique autre que le partage de leur philosophie éthique et de leur modèle de gestion financière. A ce titre, Patrick Savadoux cite l’étude de Elise Penalva Icher4, selon laquelle il existe :
3 Audition d’octobre 2010. 4 Elise Penalva, Le Rôle des relations de collaboration et d’amitié dans la création d’un nouveau marché financier. L’Investissement Socialement Responsable : L’imposition d’une convention de qualité par des « entrepreneurs institutionnels».
Annexe n. 4
145
« un processus social de régulation qui témoigne d’une stratégie relationnelle des financiers contre les acteurs historiques de l’ISR. Cette stratégie vise à recentrer des acteurs périphériques pour acquérir plus d’autonomie. Ainsi, on peut affirmer que les financiers et leurs alliés reprennent les rênes de la définition de l’ISR. Ce processus peut être compris
comme le produit d’un capital social collectif »
Enfin, le fonds ISR sera‐t‐il un vecteur de changement pour l’entreprise comme l’ISR tente de le déclarer ? Patrick Savadoux n’y croit pas : l’entreprise est davantage sensible au comportement des consommateurs plutôt qu’aux notations des sociétés de gestion. C’est pourquoi dans Mandarine Engagements la notion de « démarche de progrès en cours » que certains fonds retiennent n’est pas prise en compte : selon Patrick Savadoux, une entreprise doit prouver son engagement par des résultats tangibles avant d’être sélectionnée, et non pas seulement s’engager dans un parcours d’amélioration.
La prise en compte de la subjectivité
Patrick Savadoux s’interroge également sur le rôle du gérant, qui lui semble essentiel dans la conduite du fonds ISR : c’est en effet au fil des échanges et des réflexions que le gérant mûrit ses convictions et affine son mode de gestion, car, comme il le dit, la finance n’est pas une science mais un art. La part du subjectif est donc non seulement assumée mais également légitimée par le besoin permanent d’échange et confrontation que le gérant doit ressentir.
Méthodologie de Mandarine Engagements
Le fonds est construit sur la conviction qu’il ‘est possible de concilier comportement socialement responsable des entreprises, développement durable et performance financière’ et que ‘la combinaison de critères extra‐financiers et financiers est source de performance à part entière’.
Dans un univers de 700 sociétés européennes notées, le gérant sélectionne 400 sociétés de la zone euro ; un ensemble de valeurs notées positivement5 est retenu, correspondant à 150 sociétés environ ; à cet échantillon est appliquée l’analyse financière et fondamentale classique et le portefeuille aboutit à environ 50 sociétés6. Dans ce modèle de sélection, le filtre extra‐financier est donc appliqué en amont de l’analyse financière.
Le portefeuille est ainsi constitué de :
‐ Une sélection de sociétés qui s’inscrit dans un horizon de placement à long terme ‐ Une allocation sectorielle résultant de l’analyse extra‐financière réalisée en amont
5 Une note positive est comprise entre 0 et +2 sur une échelle allant de ‐2 à +2 ; le modèle de référence pour la notation est celui de Vigeo. 6 Indices de références : DJ EuroStoxx Large et ASPI Eurozone.
146
‐ Un nombre restreint de sociétés en portefeuille, environ 50.
L’analyse extra‐financière sur laquelle s’appuie le fonds est celle de Vigeo qui, pour Patrick Savadoux, présente l’avantage d’être en cohérence avec la méthodologie de la maison Mandarine. A ces critères, s’ajoute une analyse ESG propre qui repose sur une double approche source d’information ESG + entretiens. Ceux‐ci concernent la direction et un panel représentatif des principaux responsables de l’entreprise : Directeur Développement Durable, Directeur de Ressources Humaines,…., mais également partenaires sociaux, organisations non gouvernementales, collectivités locales et associations.
La notation interne ESG se décline en 6 critères, tous équi‐pondérés en fonction des objectifs de gestion car le fonds ne souhaite pas privilégier un axe particulier. Les valeurs du portefeuille sont notées individuellement et doivent obtenir une notation extra‐financière à minima neutre sur chacun des critères (sur une échelle de ‐2 à +2)
Figure 5 : Les axes de notation ESG, selon Mandarine Engagements
Les critères de notation sur la gestion du capital humain : une surveillance accrue sur l’entreprise
En matière de ressources humaines, les questions abordées couvrent :
‐ Les relations au travail ‐ La gestion de carrière ‐ La santé et sécurité au travail ‐ Le jugement porté par les organisations syndicales.
Patrick Savadoux indique aussi que l’axe ressources humaines n’est pas exhaustif de la gestion du capital humain dans l’entreprise : d’autres indicateurs sont à prendre en compte, qui rentrent dans le pilier de la gouvernance, par exemple le système de management, ou de la relation clients fournisseurs, par exemple le comportement des constructeurs automobile qui « n’ont pas joué le jeu après les aides octroyées ». En conséquence, et en application des principes du gérant sur l’exclusion, il n’y a pas de constructeurs automobile dans le portefeuille de Mandarine Engagements.
147
Les indicateurs classiques tels que mixité, conditions de travail, rémunération, traitement des licenciements, diversité et handicap, turnover et hommes clés, sont selon Patrick Savadoux un élément incomplet et peu fiable dans l’analyse de l’entreprise, car d’une part « on leur fait dire ce que l’on veut », et d’autre part « on a du mal à obtenir l’information ».
C’est pourquoi Patrick Savadoux « suit de près la gestion des ressources humaines en fonction de la situation économique » : « Tout événement extra‐financier ayant un impact sur la notation est analysé et une mise sous surveillance de la société est effectuée », et « Tout changement de notation se traduisant par un passage en négatif, implique une sortie du portefeuille ». D’ailleurs, des cas d’exclusion du fonds pour mauvais comportement en situation de licenciement ont pu se vérifier dans le passé. Le gérant complète son jugement par l’entretien avec les parties prenantes, précieux car il permet de faire la lumière sur des éléments dissimulés.
Le fonds vise un niveau élevé de performance, tout en acceptant des risques de décorrélation à court terme. Il s’adresse à une clientèle fidèle et engagée qui mise sur le long terme et qui pense qu’ « il n’y a pas que la performance dans la vie ». Tel est le sens de l’ISR pour Patrick Savadoux.
Figure 6 : Tableau des performances, selon le prospectus de Mandarine Engagements
148
Audition privée d’Emmanuelle Alleau7, Gérante d’Amazone Euro Fund, AMM Finance
Bien que le « gender empowerment » soit un thème cher à la littérature ESG (c’est un axe majeur pour Calvert, par exemple), il ne s’agit pas avec ce fonds de considérer l’aspect ISR de la mixité. Amazone Euro Fund n’est pas un fonds ISR (les critères ESG classiques ne sont pas appliqués) ni un fonds éthique, bien que les normes internationales contre la production de mines anti‐personnel et les bombes à sous‐munitions soient appliquées. Ainsi, le fonds ne pratique pas d’exclusion sectorielle de principe, et a pendant un temps inclus Imperial Tobacco. Amazone est un fonds thématique construit sur l’hypothèse de la surperformance induite par la mixité en entreprise. Selon Emmanuelle Alleau, Gérante du fonds, la mixité serait en effet à l’origine d’une meilleure identification des besoins client et d’une meilleure utilisation des ressources humaines en entreprise.
Contexte Les hypothèses de base ont été envisagées dès 2003 : il existerait une surperformance financière des sociétés à forte mixité à la lumière des marchés boursiers. Il s’agit donc de prouver par ce fonds les externalités positives de la mixité dans les entreprises, plutôt que de prouver que les femmes sont plus performantes que les hommes.
7 Audition privée, octobre 2010.
Ces hypothèses ont été confirmées par l’étude de Michel Ferrary* « La féminisation des entreprises facteur de performance » qui ‘… après avoir scruté les statistiques de 42 entreprises du CAC 40 sur la période de croissance économique et boursière 2002‐2006, aboutit à un résultat paradoxal : le seuil de 35% de femmes franchi (tant au niveau global qu’au niveau de l’encadrement), la productivité, la croissance, l’emploi et la rentabilité de l’entreprise sont en moyenne toujours meilleurs que dans les entreprises moins féminisées. En revanche, leur cours de Bourse se situe 34% en dessous de celui des entreprises comprenant moins de 35% de femmes ! Un paradoxe que le chercheur n’observe pas sur la période 2008‐2009.’
Selon Michel Ferrary, interviewé par le Journal des Finances, cette apparente irrationalité du marché s’explique par la différente réaction des acteurs économiques entre période de crise et de croissance : « Les marchés ont tendance à accorder une prime à l’optimisme des prévisions en périodes fastes. Au contraire, les fondamentaux sont privilégiés en cas de crise »
* étude publiée par la revue «Travail, Genre et Société» du CNRS et menée par Michel Ferrary, Professeur de Gestion des Ressources Humaines à Nice
Annexe n. 5
149
Le management au féminin serait plus prudent et moins optimiste, ce qui ne séduit pas les marchés mais qui est confirmé par plusieurs études. Dans l’enquête intitulée Women Matter8, McKinsey constate notamment la supériorité des femmes en matière de leadership. Sur neuf critères d’évaluation élaborés par le cabinet de conseil9, les femmes en remplissent cinq mieux que les hommes, essentiellement relatifs à l’attention aux autres et à l’exemplarité, quand les hommes n’en remplissent que deux mieux (la prise de décision individuelle et le contrôle). Une étude publiée dans le Journal of Financial Economics10 sur la présence des femmes dans les conseils d’administration souligne également leur présence plus assidue, et leur tendance plus marquée à réunir et participer à des comités d’audit, de nomination ou de gouvernance interne. La présence des femmes favoriserait les écarts resserrés entre les rémunérations, et les femmes rendraient davantage compte des mauvaises performances du prix des actions. Des qualités qui ne trouvent pas toujours grâce auprès des actionnaires, souligne l’étude, qui conclut qu’une présence accrue des femmes dans les CA ne sert pas l’entreprise à tous les coups, mais seulement quand le pouvoir des actionnaires est relativement faible.
Le fonds Amazone Euro Fund est basé sur deux critères équi‐pondérés : le critère financier et le critère mixité. La baisse de notation dans l’un des deux entraîne l’exclusion du titre : le départ d’une femme de l’entreprise peut en effet changer les équilibres du scoring mixité et entraîner l’inéligibilité de la valeur par rapport au critère thématique. Le critère financier pour l’éligibilité au fonds, au‐delà de la capitalisation, concerne la liquidité et le volume quotidien de transactions. Dans l’analyse des valeurs, l’approche long terme est privilégiée et tous les ratios sont examinés selon le filtre classique de la performance économique et opérationnelle : valorisation boursière par rapport au secteur, rentabilité opérationnelle et des capitaux propres, capacité d’endettement et visibilité à long terme. A cette première sélection, est appliqué le scoring « mixité » du fonds, attribué en points sur la base de plusieurs indicateurs différemment pondérés:
‐ La présence de femmes dans les instances de direction, pondérée à 60%, avec attribution de points selon la fonction et la hiérarchie :
o CEO, 50pts o CFO ou bien COO, 25pts o Direction de division, 15 pts o Directeur fonctionnel, 10 pts.
8 Mc Kinsey , octobre 2008, Women matter: le cabinet a collaboré avec Amazone pour la préparation des données de l’étude. 9 Les entreprises obtenant les meilleures notes sur chacun de ces critères sont aussi celles qui ont une marge opérationnelle deux fois plus élevée que les moins bien notées. 10 Adams, Renee B. and Ferreira, Daniel, October 22, 2008, Women in the Boardroom and their Impact on Governance and Performance , http://ssrn.com/abstract=1107721 .
150
‐ Le respect de l’équité de mixité dans les postes de management, pondéré de 40 à 60% :
l’équilibre maximal étant obtenu par un taux de diversité 40%‐60% (quel que soit le genre en question : le fonds ne privilégie pas la présence des femmes, mais le respect de la mixité), étant entendu qu’un équilibre de 50% entraîne 0 points.
‐ La présence d’au moins deux femmes au conseil d’administration, qui vaut 10 points.
‐ L’engagement diversité affiché par l’entreprise et la diversité dans les taux d’embauche, indicateurs déclaratifs relevés dans les outils de communication publics (rapport annuel, site, communiqués de presse).
Figure 7 : Construction du scoring mixité, Amazone Euro Fund
Un score « mixité » d’au moins 60 points donne accès au portefeuille final, régulièrement révisé. Le portefeuille, qui bénéficie d’un taux de rotation assez bas, se compose d’environ 30 positions (entre autres, L’Oréal, Essilor, Hermes, Swatch, Statoil, Pepsico, Pearson), principalement large/mid caps issues de la zone euro, dans les secteurs de l’édition, du luxe, de la restauration collective, des services aux entreprises et les services financiers. S’agissant de performance, le fonds – qui est actif depuis 2006 – a comme indice de référence le MSCI Total Return : depuis le 1er janvier 2010, le fonds surperforme son indice (+ 6% vs 1,5%) ; en 2009 il a surperformé de 7%, après l'avoir sousperformé de 8% en 2008. Le fonds a montré sa force en période de market stress, mais, selon Emmanuelle Alleau, les véritables plus‐values boursières seront plus tranchées sur le long terme (durée conseillée 6 ans).
151
Figure 8 : Performances du fonds Amazone Euro Fund
152
Audition de Pascale Sagnier11, Responsable de la recherche Investissement Responsable, AXA IM
Pour l’équipe de recherche « Investissement Responsable » chez AXA IM, l’analyse de la gestion du Capital Humain peut donner des indications, voire des alertes, sur l’état de santé d’une entreprise. En effet, la capacité d’anticiper les conséquences de la pyramide des âges qui va dans les prochaines années générer de nombreux départs à la retraite , la capacité d’attirer les talents dans un marché marqué par la rareté de main d’œuvre qualifiée dans certains secteurs, la gestion des fusions/acquisitions et le besoin de maintenir les coûts dans un monde globalisé affectent certaines entreprises ou certains secteurs. Citons, par exemple, Siemens qui n’a pas atteint ses objectifs de rentabilité il y a quelques années à cause du manque de main d’œuvre pour honorer les contrats, ou encore le secteur pétrolier, qui manque actuellement et va manquer dans l’avenir d’une main d’œuvre qualifiée pour l’activité exploration.
AXA IM est une société gestionnaire d’actifs, et à ce titre s’intéresse aux facteurs extra‐financiers de gouvernance, d’environnement et de social, pouvant avoir un impact sur la valeur de l’entreprise. En effet, l’intégration des critères ESG entre dans le cadre d’une analyse fondamentale approfondie et répond à une demande croissante des investisseurs. Pourtant, dans le cadre de l’analyse de la dimension sociale, Pascale Sagnier souligne les limites de l’exercice, liées à l’insuffisance des données en provenance des entreprises dans certains pays, dont les pays anglo‐saxons ou du sud de l’Europe.
Le fonds : historique et description
L’origine du fonds sur le capital humain remonte à l’année 1998, lorsqu’une grande entreprise française demande à AXA IM de créer un fonds d’épargne salariale portant sur des valeurs moyennes sélectionnées sur des politiques sociales intégrant la santé/sécurité/diversité et, surtout, la création d’emplois en France.
L’expérience acquise grâce à ce fonds a donné lieu à une réflexion importante chez AXA IM sur l’importance du management du capital humain dans le succès (ou échec) d’une stratégie de fusion ou de développement d’une entreprise. La réflexion a été confortée en s’appuyant sur de nombreuses études académiques sur le sujet (McKinsey, Gallup, Watson Wyatt) mettant en avant un lien sur le long terme entre gestion du capital humain et performance financière et boursière d’une entreprise.
Les critères
A partir de ces constats, AXA IM a sélectionné des critères parmi la base de données de Vigeo.
11 Audition de janvier 2010.
Annexe n. 6
153
Selon Pascale Sagnier, le processus de prise en compte d’indicateurs sociaux est encore perfectible : d’une part les informations en provenance des entreprises sont inégales selon les pays et les entreprises, ce qui introduit des difficultés supplémentaires d’évaluation et de comparaison, et d’autre part il s’agit de données non auditées.
Les études menées par AXA IM sur le lien entre les indicateurs sociaux et la performance financière et boursière de l’entreprise ont permis de sélectionner 3 critères parmi les 13 critères sociaux pertinents en fonction de leur corrélation avec la productivité ( elle‐même strictement liée dans les graphiques à la performance boursière), la rentabilité et la croissance durable à long terme :
Qualité des conditions de travail : Rémunération/Santé / Heures travaillées (équilibre vie personnelle/professionnelle).
Développement de carrière et formations : Gestion de carrières / Budget de formation.
Évolution de l’emploi (critère choisi par AXA IM comme indicateur de bonne/mauvaise santé de l’entreprise, cf. étude restructurations de Mme Sagnier): ex, pourcentage des emplois pourvus en interne, critère qui commence à apparaître dans les déclarations des sociétés.
15
Nos critères
Les critères retenus
Back testing de la corrélation de tous les critères d’évaluation du capital humain vs la productivité
d’une entreprise
3 critères retenus1. Qualité des conditions de travail
Forte corrélation avec les indicateurs de productivitéSource de rentabilité futureSource de croissance durable
2. Développement de carrière et formationsForte corrélation avec les indicateurs de productivitéSource de rentabilité futureSource de croissance durable
3. Evolution de l’emploiDynamique de développementForte corrélation avec la croissance de long terme
Définir les critères les plus à même d’anticiper la performance future de l’entreprise
Back testingdes critères d’évaluation
du capital humain(13 critères)
Figure 9 : Critères pertinents retenus selon leur corrélation avec la productivité, rentabilité et croissance durable, selon Axa IM
Selon Pascale Sagnier, pour améliorer la productivité (Revenu/Effectifs), les entreprises agissent le plus souvent sur le dénominateur, c’est‐à‐dire en réduisant les effectifs, car le résultat est plus prévisible à court terme, alors qu’agir sur le numérateur c’est‐à‐dire sur les revenus (par l’innovation, la motivation, les conditions de travail et l’optimisation) implique un résultat plus long et plus incertain. Selon une étude comparative d’AXA IM, à parité d’amélioration de productivité, les
154
entreprises qui améliorent la productivité en agissant sur le numérateur ont une meilleure performance que les autres, et surtout plus durable dans le temps.
Les critères retenus ont ensuite été pondérés et la pertinence des pondérations a été également « backtestée » (un nouveau backtest était en cours au moment de l’audition).
Le score des trois critères pondérés – sur la base des scores Vigeo – est ensuite appliqué aux entreprises sélectionnées pour donner lieu au score AXA IM Human Capital (note sur 10).
Le score se compose des 3 critères, dont 2 qualitatifs (conditions de travail + gestion des carrières) et un quantitatif (croissance de l’emploi, indicateur de la santé de l’entreprise), pondérés selon la corrélation avec la performance de l’action.
16
Une moyenne pondérée des 3 critères retenus
Le poids de chaque critère a été fixé selon sa corrélation avec la performance de l’action
Les critères de stratégie CH (Développement de carrières, Conditions de travail) sont surpondérés
L’évolution de l’emploi permet de capter la bonne santé de l’entreprise ou l’effet « croissance »
Evolution de l’emploiVariation sur 3 ans* du nombre total d’employés
Critères
Qualité des conditions de travailRémunération
SantéHeures travaillées
Développement de carrière et FormationGestion de carrières
Budget de formations professionnelles
Score AXA IM, Capital Humain
* Variation sur 2 ans dans le cas d’une fusion
Figure 10 : Construction du score AXA IM Capital humain
Réflexions et constats
On note que plus le score Human Capital est élevé, plus la productivité (CA/Employé) est élevée. On constate donc un lien entre la qualité du management du capital humain et la productivité.
De même, on constate que meilleur le score Human Capital, meilleures sont la marge opérationnelle et la performance boursière.
155
Figure 12 : Lien entre performance boursière et management du capital humain, selon AXA IM
La comparaison entre les sociétés qui ont le meilleur et le moins bon score, selon les bases Vigeo et les critères Human Capital, montre que les premières surperforment en marge opérationnelle le panel des deuxièmes, ce qui permet de conclure à un lien entre gestion du capital humain et marge opérationnelle.
25
40
50
60
70
80
90
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140
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30/12/05 30/06/06 30/12/06 30/06/07 30/12/07 30/06/08 30/12/08 30/06/09 30/12/09 30/06/10
Best in Class HCF Worst in Class HCF
Lien entre la performance boursière et le management du Capital Humain
Sources: Vigeoratings , Thomson Reuters, AXA IM
Performace des actions « Best in class » vs performance des actions « Worst in class »du 01/01/06 au 30/09/10
18
… qui se traduisent par des marges opérationnelles supérieures à la moyenne
Le score Human Capital: indicateur avanc é de marges opérationnelles plus élevées
Note HC: 3 indicateurs pond é r é s (50% Qualité des conditions de travail, 30% Evolution de carrière et formation, 20% Croissance de l’ emploi).HCF score moyenne 2004 -2005 et Marge opérationnelle moyenne 2005-2006Chaque catégorie de marge est dé finie par un univers de 4 quartiles (1er quartile: les plus fortes marges, dernier quartile: les plus fa ibles marges).
Sources: Vigeo , Datastream, AXA IM
Figure 11 : Lien entre score Human Capital et marge opérationnelle, selon AXA IM
156
Remarquons que cela est surtout vrai dans la situation d’avant crise et pendant la crise : la reprise du marché en 2009 n’a pas été payante pour les sociétés à meilleur score. En effet, pendant la crise les sociétés qui avaient un mauvais score avaient beaucoup baissé, et ont remonté en profitant de la remontée du marché, au détriment des sociétés de qualité qui avaient moins baissé mais qui ont moins remonté en conséquence. Le processus d’investissement initial est établi sur un ensemble de 260 entreprises environ, parmi lesquelles l’équipe d’investissement responsable d’AXA IM (7 personnes, la plupart seniors) mène les analyses sociales, au‐delà des 3 critères du score, par le biais d’entretiens avec les entreprises, et applique l’analyse fondamentale.
Le portefeuille est ensuite construit par le gérant (en fonction des valeurs, pays, performances…), qui le suit en coordination avec les équipes d’investissement responsable. Une réunion mensuelle entre les équipes permet de définir les performances en gouvernance et environnement des valeurs choisies (la performance sociale ne préjuge pas des performances E ou G ; une valeur peut de ce fait être exclue du portefeuille.) Une approche Best in class sectorielle est appliquée.
On remarque par ailleurs que le fonds est orienté vers les grosses‐moyennes entreprises européennes (jusqu’à 10 milliards d’euros).
24
2. Recherche fondamentale:une analyse approfondie des opportunités d’investissement
Le g é rant s é lectionne ses meilleures actions au sein de l’univers é ligible
Pr évisions financi ères:
Croissance des ventesProgression des margesCroissance des bénéfices
Croissance des actifs Ratios d’endettementGénération de cash - flow
Pérennité du modèle:
Tendances de l’industrieModèle économiqueStratégie (E/S/G)Situation financièreQualité du management (G)Exécution du Management (S)
Contacts réguliers avec l’entreprise
Cours Objectif
Valorisation absolue et relative au secteurMomentum
Figure 13 : Critères d'analyse des valeurs, selon AXA IM
157
Figure 14 : Construction du portefeuille final, selon AXA IM
Biais et performance Dans la comparaison avec son indice de référence (50% DJStoxx Mid + 50% DJStoxx Small), l’empreinte équipondérée fait apparaître que le score Capital Humain des valeurs choisies est bien supérieur au score du benchmark ; dans la comparaison des scores Gouvernance et Environnement, l’écart est inférieur par rapport à l’écart S. Pour le G, cela s’explique par un biais de choix (sociétés choisies moins anglo‐saxonnes, à bonne gouvernance).
Le fonds Capital Humain de AXA IM –Décembre 2009
Empreinte pondérée ESG * contre l’indice de référence** (50% DJStoxx Mid + 50% DJStoxx Small)
Figure 15 : Comparaison des scores E, S et G entre le fonds Capital Humain de AXA IM et son indice de référence
25
3. La construction du portefeuille
Secteurs et ThématiquesExposition active
- Tendances macroéconomiques- Spécificités par pays- Réglementation- Consolidation
Contraintes internes de gestion
- Contrôle ex-post de la tracking error
- Maximum 4% par ligne
- Maximum 3% de la market cap d’un titre
-Maximum 10% en cash
- Exclusion des titres worst in class sur les critères Sociaux
- Analyse spécifique par l’équipe RI des titres ayant un score RI < 3/10 sur l’un des 2 critères E ou G
Critères ESG- Critères sociaux:Visites de sociétés, succession,licenciement de managers clés…
-Autres critères extra-financiers:Gouvernance d’entreprise, environnement
Selon la stratégie d’investissement utilisée, l’information ci-dessus pourrait être plus détaillée que l’information contenue dans le prospectus. De telles informations (i) ne constituent pas une représentation ou un engagement de la part du gérant; (ii) sont subjectives et (iii) peuvent être modifiées à tout moment dans les limites du prospectus du fonds.
Environ 70-80 valeurs
7,46,4 6,15,6 5,6 6,0
0,0
1,0
2,0
3,0
4,0
5,0
6,0
7,0
8,0
9,0
10,0
AXA IM score Capital Hum ain *** Score Environnem ent Score Gouvernance
AXA WF Framlington Human Capital Indice de référence (DJStoxx Small+Mid)
158
Nombre de titres dans le portefeuille (cash exclu) au 31/12/09 : 93
* Couverture du Portefeuille (positions cash exclues): 100% score Capital Humain, 93% score Environnement, 100% score Gouvernance
** Couverture du Benchmark: 83% score Capital Humain, 79% score Environnement, 95% score Gouvernance *** Le score Capital Humain est calculé sur 3 critères: Gestion du développement de carrière, conditions de
travail et l’évolution des effectifs. SOURCE: AXA IM, Worldscope Vigeo, GMI, Innovest, Juin 2009
Le fonds permet de promouvoir la politique de gestion de long terme, car l’humain est un investissement de long terme.
Depuis sa création, le fonds performe son indice de référence à fin 2009.
Figure 16 : Performance du fonds
3
Performance depuis la créationDU FONDS
Source: AXA Investment Managers (Part F) au 31/12/2009. les performances sont nettes de frais.Les chiffres cités ont trait aux années ou aux mois écoulés et les performances passées ne sont pas un indicateur fiable des performances futures.
-28.86%49.24%6.62%50% DJStoxxMid200 + 50% DJStoxxSmall200
4.70%-7.32%0.18%Performances nettes relatives
-24.16%41.92%6.80%Performances nettes
SL (29/10/2007)1Y1M
Performances nettes depuis la création du fonds (29/10/07)
159
Audition privé de Jean‐Philippe Desmartin12, Responsable de la recherche ISR,
Oddo Securities
Jean‐Philippe Desmartin a créé l’analyse ISR chez Oddo en 2005 en s’appuyant sur son expérience de financier et d’analyste de la gestion RH qu’il a contribué à développer au sein des agences de notation extra‐financière Arese et Innovest. L’expérience de Jean‐Philippe Desmartin a été déterminante dans l’impulsion : son passé d’analyste pour le compte d’entreprises de taille moyenne dans le private equity a mis en évidence un besoin de compléter l’analyse financière classique de l’entreprise (stratégie/comptabilité/finance…) par une analyse poussée de la gestion du capital humain, en particulier la qualité du management et des équipes, y compris celle du management intermédiaire, pour comprendre la performance de long terme de l’entreprise. Oddo développe un modèle d’analyse des RH par secteur et a vocation à couvrir, avec le temps, tous les secteurs, avec une priorité claire pour les secteurs à forte intensité ressources humaines, comme les services, avec des métiers très qualifiés (R&D dans les labo pharma ou la biotechnologie, logiciels… ) ou moins qualifiés (ex. la restauration, hôtellerie, …). Chez Oddo, la première étude a porté sur la gestion RH dans le secteur des services informatiques, secteur à très forte intensité humaine (lien fort entre prestation et satisfaction client, contact direct entre une majorité des salariés et les clients, corrélation forte entre chiffre d’affaires et nombre de personnes, poids important de la masse salariale dans la structure des coûts). Les secteurs déjà couverts par les études d’Oddo présentent une matérialité très forte et un lien direct évident entre les enjeux financiers et le capital humain : par ex., dans le transport aérien la corrélation est directe entre dégradation du climat social, grève à Charles de Gaulle et impact allant jusqu’à une perte de 50 M € sur le résultat d’exploitation par jour. Pour Oddo, la matérialité est une notion incontournable : sur l’analyse RH et sur l’ensemble de l’analyse ESG, Oddo ne retient que ce qui permet de mieux comprendre et anticiper le business modèle (ex. l’ « offshoring » dans les services informatiques), de valider la qualité du management (à travers des indicateurs de gestion de la relation humaine, de la qualité du management intermédiaire et opérationnel) et de creuser les états financiers (les passifs sociaux, les pyramides des âges). Dans 80 à 90% des cas, l’analyse RH et l’analyse ESG ne font pas le lien direct avec la valorisation financière de l’entreprise, mais cela permet de travailler sur des approches de scoring et construire des modèles pour ensuite « backtester » année après année la performance boursière et la volatilité associées aux indicateurs et critères retenus.
12 Audition du 29 janvier 2010.
Annexe n. 7
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Oddo construit sur cette base une recommandation Ressources Humaines secteur par secteur à destination de l’investisseur : opportunité forte (1), 15% de l’univers étudié,
opportunité (2), 35% de l’univers étudié, risque modéré (3), 35% de l’univers étudié, et risque élevé (4), 15% de l’univers étudié.
Le poids de l’analyse des RH dans l’ensemble du modèle ESG de Oddo est variable selon le secteur (importante dans la publicité, la restauration collective, l’hôtellerie, les services informatique et dans le pharma/R&D, aux côtés de la gouvernance et de la capacité d’innovation). A long terme, le pôle ISR d’Oddo vise à proposer des primes de risque ESG spécifiques, y compris RH. Des pilotes sont aujourd’hui en place et pourraient être généralisés à l’horizon de 5 ans à l’ensemble des secteurs et entreprises couverts. Par exemple, dans le secteur des média, où le capital humain est particulièrement dense, les valeurs ont d’ores et déjà été dotées au cas par cas d’une prime de risque RH spécifique. Construction des critères Oddo construit ses critères d’analyse ISR en se basant plus sur la dimension performance (matérialité pour l’investisseur) que sur l’aspect Responsabilité (vis‐à‐vis des parties prenantes notamment), le focus responsabilité relevant du terrain de prospection des agences de notation. Par exemple, dans les relations sociales, le fait que le secteur des biotechnologies n’ait pas de syndicat n’est pas pénalisant pour l’analyse ISR performance chez Oddo, alors que cela l’est pour l’ISR de responsabilité. Dans le secteur automobile, en revanche, les relations sociales sont importantes et susceptibles d’avoir un lien, positif comme négatif, sur la performance. Le critère des relations sociales, toujours pris en compte, est le taux global de couverture des salariés par des accords collectifs dans le périmètre global de l’entreprise. Le critère n’est considéré et activé dans l’analyse d’un secteur que s’il est significatif sur le long terme en termes de performance boursière : par exemple, il n’est pas activé dans les biotechnologies, parce que ce n’est pas dans la culture du secteur. C’est donc bien la matérialité pour l’investisseur qui oriente les choix d’Oddo. Tous les résultats RH et ESG sont « backtestés », et les critères qui paient sont, par exemple, dans le modèle de croissance organique :
‐ la capacité à prendre des parts de marché avec le capital humain en place et la politique de recrutement
‐ la capacité d’intégration des acquisitions à l’instar de BNP dans la durée avec Paribas, BNL ou encore Fortis aujourd’hui
‐ la gestion des restructurations et réorganisations ‐ l’arrivée et le départ de compétences clé ‐ la qualité du management intermédiaire.
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Regards et constats Par rapport aux critères utilisés par Arese, Vigeo ou Innovest, certains éléments ont été conservés dans le système de critères d’Oddo, comme l‘effort de formation (taux d’accès à la formation, efficacité de la formation) et la gestion des carrières (taux de tenue des entretiens annuels, mobilité interne). D’autres critères et indicateurs ont été renforcés et ont aujourd’hui un poids plus important, comme la gestion des réorganisations et des restructurations, l’exposition aux passifs sociaux (surtout dans certains secteurs comme les services télécoms, l’acier, l’automobile), les départs et arrivées des compétences clés. Certains critères communément retenus historiquement ne sont pas pertinents, comme par l’exemple l’évolution des effectifs : le critère reste, mais peu de poids lui est attribué dans la pondération. La tendance est à la réduction des critères RH : il y a 10 ans, les critères ESG portaient sur 300 à 400 indicateurs, alors qu’aujourd’hui ils portent sur une centaine. Concernant les RH, Oddo travaille aujourd’hui sur une vingtaine d’indicateurs par secteur, dont 2/3 systémiques transversaux (tous secteurs) et 1/3 activés par secteur spécifique. L’objectif est de travailler à terme sur un total de 50 ou 60 indicateurs ESG , dont une dizaine de critères et indicateurs RH, selon l’expérience et les résultats des modèles en cours de test et d’amélioration continue (selon les tests à ce jour, le modèle RH doit être adapté par secteur ). Les modèles sont construits avec les analystes financiers sur la base de l’expérience, du dialogue avec les entreprises et à partir des travaux académiques. Il est ainsi toujours intéressant de regarder et tester la matérialité de chaque indicateur mais également de considérer des grappes d’indicateurs : par ex. taux d’absentéisme/turnover/taux de fréquence d’accident de travail. Oddo fait du 360° et interroge les clients, les fournisseurs, les investisseurs et autres parties prenantes sur des critères plus qualitatifs comme la qualité du management intermédiaire et de proximité13, ce qui pour Oddo couvre des thématiques vastes, comme la culture client, la culture qualité, la gestion de projets. Les modèles présentés aux DRH et aux syndicalistes suscitent des réactions positives quant à la crédibilité et à la pertinence, même si les opinions sur les contenus peuvent diverger sur certains indicateurs (ex. prise en compte de la représentativité syndicale). A titre d’exemple, les critères et indicateurs communs retenus pour les 4 grands métiers dans le secteur de la santé sont les suivants :
13 Jean‐Philippe Desmartin rappelle les mots de Xavier Fontanet, Essilor : « la stratégie élaborée représente 10% de l’enjeu, et son implémentation par le management intermédiaire 90% ».
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Figure 17 : Modèle d'analyse RH du secteur de la santé, selon Oddo, avec poids par critère
On notera les points d’intérêt suivants :
‐ La pyramide des âges peut affecter la matérialité financière. ‐ La présence du DRH au comité exécutif assure la cohérence de la Stratégie/Organisation/RH,
qui doivent être associées en amont à la stratégie ; Oddo évalue aussi qualitativement le DRH lorsque cela est possible (dans les entretiens par exemple).
‐ Sur la diversité, la recherche académique est pour l’instant limitée et insuffisamment crédible ; ce critère est d’ores et déjà activé dans 3 situations qui peuvent se cumuler :
o métiers à forte présence de femmes (cosmétique, 90% du CA généré par des femmes ; agence de publicité, 65% des décisions prises par des femmes),
o dans les secteurs à enjeux d’attractivité (restauration collective, services à la santé),
o dans les entreprises exposées au monde anglo‐saxon, où le risque juridique et financier associé à la diversité est significatif.
‐ Concernant son pouvoir d’attractivité lors du recrutement, l’attractivité métier et le périmètre international sont considérés, ainsi que l’attractivité économique ; le salaire est considéré dans le critère de performance « résultat d’exploitation par salarié » ou « cash flow par salarié ». Selon Oddo, il est intéressant de regarder le salaire dès lors que le salarié est performant (l’entreprise où le salarié est performant et bien payé est appréciée, l’entreprise où le salarié bien payé est non performant est mal notée).
‐ Le poids de l’actionnariat salarié14 dans le modèle Oddo a diminué dans le temps, car cela est intéressant pour le salarié mais pas forcément pour la performance boursière. Le poids de l’actionnariat salarié est très variable selon les secteurs et peut atteindre jusqu’à 10% du modèle RH d’Oddo (biotechnologies par exemple).
‐ Sur la gestion des carrières, la priorité d’Oddo est l’entretien annuel pour tous les salariés ; le taux d’accès à la formation est également important (une formation par an et par salarié :
14 Au sujet de l’actionnariat et la participation salariale, cf. l’audition de Jean‐Philippe Liard.
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pour les seniors, on est sur une logique de mobilité des salariés et d’employabilité et préservation des compétences de la part des entreprises). L’efficacité de la formation est également un élément important, mesuré à chaud et à froid du retour du salarié et de son manager.
‐ Dans la restructuration, ce qui est important pour Oddo est l’anticipation, la limitation du périmètre concerné qui traduit l’absence de dilemme stratégique, la rapidité d’exécution aussi bien pour les partants que pour ceux qui restent (syndrome du survivant !) et l’accompagnement social.
‐ L’absentéisme (ex. France Télécom en France, taux d’absentéisme largement supérieur à la moyenne du secteur) et le turnover sont également pris en compte.
‐ L’indicateur de pilotage de la masse salariale est considéré et contribue à l’évaluation de la qualité du DRH (c’est l’objectif numéro 1 donné à tout DRH dans le monde).
‐ Dans le critère des départs et arrivées d’hommes clés, les compétences clés sont identifiées par secteur (ex. dans l’informatique, l’homme clé est le patron de la filiale US, car c’est là que 50% du CA est fait ; dans les laboratoires pharma, c’est le patron de la R&D ou des affaires publiques). La qualité de l’homme clé est évaluée sur la stabilité (ex. AstraZeneca, sur lequel Oddo est prudent depuis quelques années, avec une rotation d’hommes clés de R&D plus importante que la moyenne du secteur depuis le milieu des années 2000). Malheureusement, Oddo confirme que cet indicateur est difficile à obtenir par les entreprises, car stratégique et sensible.
Conclusions
Les difficultés de l’analyse du capital humain Il est utile de rappeler que l’enjeu premier des 10 prochaines années est l’accès à des indicateurs RH pertinents, consolidés et pérennes, qui permettent une visibilité sur plusieurs années. Chez Oddo, les entreprises sont d’ailleurs notées sur leur transparence avec un poids plus important que par le passé (5% en 2009 au lieu de 2% en 2005). Au sujet de la transparence de l’entreprise, il est à noter qu’une entreprise peut être pénalisée si elle ne fournit pas l’information, lorsque son univers concurrentiel est majoritairement ouvert sur la diffusion de cette information. Selon Jean‐Philippe Desmartin, la mise à niveau des informations RH par les entreprises dans leur reporting externe va prendre 10 ans ; le travail à faire en entreprise se situe au niveau du dialogue et de l’amélioration des outils de reporting. Une bonne régulation compléterait et accélèrerait l’édifice à créer. L’analyste remarque que le noyau du problème se situe au niveau des échanges entre les services RH et Finance de l’entreprise :
Jean‐Philippe Desmartin : « Le langage commun entre DRH et DAF c’est 3% des mots »
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Au sujet du recueil d’information, Oddo s’appuie sur plusieurs sources : ‐ l’accès direct aux entreprises, qui restent de loin le meilleur lieu de collecte de l’information ‐ la presse et les réseaux d’experts ‐ un modèle intégré reposant sur des bases de données brutes sectorielles faites par les équipes, car cela permet de mieux expliquer le modèle et la traçabilité à l’investisseur. Oddo préfère s’appuyer sur les informations ESG chez Bloomberg et Reuters, en cours de montée en puissance, plutôt que les informations des agences, qui ne fournissent pas suffisamment de données brutes des recherches. Le regard porté sur les activités et méthodologies RH de Oddo Securities est très positif. En plus de ce modèle de scoring, Oddo complète sa démarche par des recherches sur les évènements sociaux et creuse également les états financiers. 80% de l’input du modèle viennent de Oddo Securities et 20% viennent de l’extérieur, d’abord en priorité des entreprises, puis des clients, experts RH et parties prenantes (syndicats de salariés par exemple). Parties prenantes Pour Jean‐Philippe Desmartin, il est à noter que les syndicats de salariés en France, au‐delà des discours, ne paraissent pas forcément intéressés à contribuer concrètement à des échanges directs, de même que les Ong d’ailleurs, et n’avancent pas forcément sur ces sujets aussi rapidement que dans d’autres pays (Canada, Pays‐Bas, Scandinavie, Suisse). Acteurs de l’investissement Les structures comme Oddo sont un levier pour l’actionnaire. Dans le même temps, les analystes ESG doivent être toujours plus rigoureux et professionnels pour crédibiliser la démarche. De leurs côtés, les agences historiques sociales et environnementales doivent aujourd’hui trancher le vieux dilemme stratégique entre fournir l’information brute (choix de Asset4 racheté récemment par Reuters) et/ou acquérir la crédibilité d’experts. Parmi les investisseurs institutionnels finaux, on notera qu’ils demandent de plus en plus une capacité d’analyse ESG aux sociétés de gestion.
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Audition de Magdalena Svensson, Directeur de participations, X Ange Private Equity15
La société
XAngePrivateEquity est une société d’investissement filiale du groupe La Poste. Née en 2003, la société gère un portefeuille d’environ 350 millions d’euros avec une équipe de 12 investisseurs basés à Paris et Munich.
La société intervient, toujours en position minoritaire, en phase d’amorçage, risque (XAnge Capital, 65 millions d’euros en investissement sectoriel et capital risque pour 205 millions d’euros), développement et transmission (XPansion, 50 millions d’euros), dans les secteurs de l’innovation, des métiers annexes aux métiers postaux, des technologies de l’information et plus largement dans l’industrie, les services et la distribution.
Le suivi se fait sur une période d’au moins 5 ans, au cours de laquelle XAnge intervient en conseil en vue de contribuer au développement, d’améliorer la rentabilité, repositionner la stratégie produit ou changer de marché si le déroulement n’est pas conforme aux prévisions initiales.
XAnge intervient également et de plus en plus souvent aux côtés du chef d’entreprise en phase de rachat et réorganisation, en vue d’une succession ou d’une diversification de patrimoine, ou d’un OwnerBuy Out.
La sortie de XAnge peut se négocier de différentes façons : introduction en bourse, rachat par un investisseur industriel (le manager quitte son entreprise) ou encore par une opération secondaire de vente des titres à un autre fonds.
La relation entre XAnge et le management des sociétés accompagnées
En tant qu’actionnaire minoritaire, XAnge ne se substitue jamais au manager : la société appuie dans son choix l’entrepreneur ou le dirigeant, qui demeure le principal actionnaire. En revanche, XAnge peut contribuer au renforcement ou au remaniement d’une équipe de gestion, s’ils ne parviennent pas à conduire la société au point convenu.
Dans un pacte d’actionnaire, par exemple, avec des lignes de conduite clairement définies, XAnge se réserve des droits d’information ainsi qu’un droit de veto sur certains sujets bien particuliers qui peuvent altérer le projet d’entreprise initial.
La relation avec le dirigeant repose initialement sur une phase de ‘prise de connaissance’, pendant laquelle XAnge est souvent en concurrence avec d’autres fonds d’investissement ou avec un financement par dette bancaire. Les arguments utilisés par XAnge reposent sur la garantie et l’apport
15 Audition du 13 mai 2009.
Annexe n. 8
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du capital investissement, ainsi que sur le constat, selon les statistiques de l’Association Française des Investisseurs en Capital, que la croissance d’une société financée et accompagnée par le capital investissement est supérieure à celle d’une société qui se développe seule.
Par la suite, XAnge installe une relation de proximité avec le dirigeant, qu’elle accompagne pendant une phase de « mariage » de 5 à 6 ans en moyenne, au rythme de réunions trimestrielles et de points d’information réguliers.
Pendant ces années de « mariage », XAnge est particulièrement attentive à la qualité de la relation instaurée avec le dirigeant, tout en se préservant du risque de s’attacher au dirigeant même et de perdre ainsi son jugement objectif d’investisseur.
Sans intervenir directement dans les choix de management, XAnge s’investit beaucoup sur les sujets de recrutement, et peut par ailleurs demander au fondateur d’ouvrir le capital aux collaborateurs salariés pour renforcer la motivation.
Par ailleurs, XAnge veille à garder une réserve de stock‐options en vue du recrutement de personnes clés à mi‐chemin du parcours d’accompagnement. De même, en cas de transmission, XAnge suit de près la bonne gestion du capital humain et veille plus particulièrement à faire évoluer le management intermédiaire.
Le poids de l’analyse du management dans les choix d’investissement
Dans le processus de rachat, l’évaluation de l’équipe dirigeante de l’entreprise est certainement l’élément le plus discuté et le plus longuement soupesé : les critères de sélectivité sont très strictes, au point qu’en 2008 seulement 10 dossiers ont été retenus sur un potentiel de 2000 dossiers présentés. Le management est le principal facteur d’échec ou de réussite.
La question du « bon manager » est donc cruciale dans le long process ( environ 9 mois) qui aboutit à la décision d’investir dans une société, et le cahier de charges des diligences est construit autour de l’analyse des capacités du manager, que ce soit pour l’amorçage et la phase de validation du concept ou pour le développement.
L’outil de mesure du dirigeant
Dans son évaluation du manager, XAnge s’intéresse à des facteurs de succès liés à des compétences spécifiques du dirigeant :
• vision stratégique et capacités de développement (particulièrement prisées en phase d’amorçage et « proof of concept ») ;
• leadership ; • gestion (pour le développement).
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Pour effectuer l’évaluation, XAnge a mis au point une méthodologie d’analyse et un outil de scoring propres. L’outil repose sur un ensemble de critères qualitatifs, dont la traduction « quantitative » en score, menée par un expert, est soumise à des biais de subjectivité.
Figure 18 : Méthodologie d'évaluation du manager, selon XAnge
Les opérations de diligence s’attachent à évaluer quatre axes propres de la personnalité et des compétences du dirigeant, de sa motivation personnelle et de son engagement, comme par exemple, sa disposition à investir son capital personnel dans l’entreprise. Ces axes représentent les facteurs clés de la réussite, et sont analysés par questionnaire à choix multiples. Le questionnaire est rempli par l’associé XAnge qui instruit le dossier, et reçoit une notation sur une échelle de 1 à 5 :
‐ Expérience & type de leadership (34 questions) ; ‐ « Business judgement » : créativité, adaptabilité, anticipation (12 questions) ; ‐ Capacités d’exécution (16 questions) ; ‐ Engagement personnel (8 questions).
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Figure 19 : Les 4 critères de l'outil de scoring pour l'évaluation du manager, selon XAnge
Les résultats donnent lieu à une restitution graphique qui, avec les résultats issus des diligences (rencontres « one to one », rencontres avec l’ensemble du management, rencontres des parties prenantes et éventuellement évaluation des dirigeants par un professionnel du recrutement), constituent la base fondamentale sur laquelle l’équipe de XAnge fonde sa décision finale d’investissement.
Figure 20 : Restitution graphique de l'évaluation du manager, selon XAnge
L’outil de scoring est donc un facteur de choix « go/no go » pour la décision d’investissement.
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Audition d’Estelle Mironesco16, directrice de la recherche ISR, Vigeo
Comment évalue‐t‐on le capital humain dans les entreprises qui restructurent ?
Pour aider les investisseurs et répondre à une préoccupation de risque, Vigeo a développé une approche des restructurations centrée sur la posture ISR : les drivers de gestion de Capital Humain sont intégrés dans un ensemble plus large de drivers ISR.
La restructuration peut être une opportunité de saine gestion du risque : les bénéfices attendus d’une restructuration conduite de façon responsable couvrent plusieurs domaines dont les RH (rétention des talents et du savoir‐faire, maintien du climat social et de la motivation), peuvent augmenter l’efficacité opérationnelle (capacité à éviter le conflit dans le dialogue social et maintien de la productivité), et préservent le capital réputationnel.
Vigeo pense que dans une restructuration responsable, les bénéfices permettent de contrôler les risques, notamment le risque juridique. Selon Vigeo, l’étude du facteur de risque dans une restructuration doit nécessairement inclure la responsabilité sociétale de l’entreprise et sa capacité à prendre en compte les attentes de ses parties prenantes, car une mauvaise prise en compte peut être un facteur aggravant de risque.
Vigeo note la performance des entreprises sur 6 domaines, déclinés en critères:
‐ Les droits humains ‐ La gestion des RH ‐ L’engagement sociétal ‐ La gouvernance ‐ L’éthique des affaires ‐ L’environnement.
Concernant la gestion RH, sept critères sont intégrés (fig.21), et pondérés en fonction des secteurs étudiés :
HRS1.1 la promotion du dialogue social
HRS1.2 l’encouragement de la participation des salariés
HRS2.3 la gestion responsable des restructurations
HRS2.4 le développement de carrière et la promotion de l’employabilité
HRS3.1 la qualité du système des rémunérations
HRS3.2 l’amélioration de la santé et des conditions de travail
HRS3.3 le respect du temps de travail.
16 Audition du 18 novembre 2009.
Annexe n. 9
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Figure 21 : Les critères d'analyse du capital humain, selon Vigeo
Comment définir ce qui est perçu comme une restructuration menée de façon responsable ?
Afin d’évaluer la responsabilité de l’entreprise dans la restructuration, Vigeo s’appuie sur un corpus de textes internationaux (EU Directive on Collective Dismissals (98/59/EC) ; ILO conventions (C 158, R 166) ; OECD guidelines for multinationals) et mesure la capacité des entreprises à informer les collaborateurs en amont et pendant le processus et à mettre en place des mesures pour réduire les effets négatifs de la restructuration sur les collaborateurs. Les analystes de Vigeo se basent sur les informations fournies par l’entreprise et les syndicats. Ils analysent :
‐ la politique et les engagements des entreprises sur ces thèmes (accords, engagements, accords cadre),
‐ les moyens mis en œuvre et le périmètre de déploiement (comme la retraite anticipée ou l’indemnité financière, ou encore les mesures plus élaborées telles que le soutien à la mobilité interne/externe et à la création d’entreprise par les salariés),
‐ les résultats obtenus et la manière dont l’entreprise communique.
Le scoring
Les équipes de Vigeo et de la Société Générale ont croisé leurs données et ont constaté une accélération des restructurations depuis le 3ème trimestre 2007. Parmi les 206 entreprises européennes analysées, les résultats obtenus par la notation sociale attestent d’une large marge de
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progrès (moyenne 31/100, max. 88/100.) Seules 23% des entreprises ont une performance solide ou avancée.
Figure 22 : Performance des entreprises sur la restructuration responsable, selon le modèle Vigeo‐Société Générale
D’après l’analyse menée par Vigeo, les entreprises paraissent globalement plus réactives que pro‐actives (peu d’accords cadres mis en place, pas de mesure d’accompagnement à la mobilité, pas d’engagements au‐delà des obligations légales).
Figure 23 : Comportement social des entreprises dans les restructurations, étude VIGEO‐Société Générale
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Du point de vue géographique, les entreprises issues de pays avec un modèle de négociation et de concertation performant (Allemagne, Pays Bas) sont généralement mieux notées. A l’inverse, celles qui opèrent dans un cadre juridique peu contraignant (UK, Irlande) sont en retard.
Du point de vue du secteur, les entreprises dont la responsabilité sociale paraît mieux intégrée se caractérisent soit par une présence plus importante des organisations syndicales, soit par une main d’œuvre qualifiée, soit encore par le rôle historique de l’état, qui peut agir comme contrepoids.
Globalement, Vigeo a remarqué une corrélation de 0.6 entre d’une part la performance sociale de l’entreprise sur les questions de restructuration et d’autre part son niveau de dialogue social (capacité de négociation) et son engagement dans la formation et la gestion de carrière (anticipation des évolutions de carrière et de métier, adéquation entre compétences et besoins).
Figure 24 : Corrélation entre capacité à conduire une restructuration responsable et capacité de négociation et gestion de la formation/développement de carrière, selon Vigeo
Et la performance financière ? Le Net Restructuring Risk
Avec les équipes de la Société Générale Securities, Vigeo a entrepris une approche innovante de l’analyse des restructurations, combinant des critères financiers et sociaux. L’objectif était de répondre aux questions suivantes :
‐ est‐ce que des indicateurs financiers peuvent annoncer une restructuration imminente ?
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‐ est‐ce que le management responsable des restructurations est un coût additionnel ou bien un moyen de contrôler les risques associés à la restructuration ?
‐ est‐ce qu’il existe un lien entre l’appétit et la capacité de l’entreprise à mener une politique de restructuration responsable et sa performance financière ?
Sur la période analysée (Q1 2007 à Q1 2009) on remarque un parallélisme entre l’évolution du ratio de frais de personnel/résultat d’exploitation et le nombre de plans de restructuration (fig. 25). Ce ratio peut donc être considéré comme un indicateur de probabilité de restructuration imminente.
Figure 25 : Risque de restructuration : le Ratio Frais de personnel/Résultat d’exploitation, comme indicateur des probabilités de restructuration, selon Vigeo/Société Générale Securities
Une analyse par secteurs de l’indicateur qualitatif du risque net de restructuration a été menée sur la période 2001 à 2008. Le « net restructuring risk » est défini comme le rapport entre le risque de restructuration (ratio frais de personnel/REX) et les capacités de restructuration (c’est‐à‐dire la capacité à mener à bien une restructuration de façon responsable).
Le secteur du software (cf. Alten, Altran, Atos, Logica…) apparaît par exemple très exposé au risque de restructurations mais a une capacité limitée à les gérer de façon socialement responsable. Par comparaison, le secteur de l’automobile (constructeurs et équipementiers) apparaît également très exposé au risque de restructuration mais démontre une meilleure capacité à le gérer sur le plan humain.
De la même manière, l’analyse a été réalisée au niveau des valeurs afin de croiser, pour chaque entreprise d’un même secteur, son exposition au risque de restructuration d’un point de vue économique et sa capacité à le gérer adéquatement d’un point de vue social.
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Figure 26 : Comparaison sectorielle du risque net de restructuration selon Vigeo et Société Générale Securities
Par un backtest effectué sur la période 2007 à 2009, la Société Générale Securities obtient deux résultats qui peuvent éclairer l’investisseur :
‐ investir dans des entreprises avec de bonnes compétences sociales ou dans des entreprises moins sujettes au risque de restructuration peut amener l’investisseur à surperformer le secteur (fig.27);
‐ les entreprises qui combinent les deux caractéristiques peuvent délivrer une performance supérieure (fig.28).
Figure 27 : Backtest, Faible risque net de restructuration ou fortes capacités de restructuration, selon Vigeo et Société Générale Securities
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Figure 28 : Backtest, Faible risque net de restructuration et fortes capacités de restructuration, selon Vigeo et Société Générale Securities
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Audition de Vincent Bouznad17, Directeur du Pôle Sociétal, Service Développement Durable, SNCF
Le « Pôle Sociétal » Le pôle sociétal s’est consolidé à partir de l’histoire d’une entreprise publique de services « généreuse » qui mène, depuis le milieu des années 90, des actions citoyennes et solidaires. Cet axe historique a été intégré à la stratégie globale de recherche de croissance, performance et qualité dans les projets d’activités industrielles et commerciale. Le pôle sociétal est composé de 7 personnes et dispose de moyens propres. Avec le pôle environnement (sécurité industrielle et environnementale, veille et prospective), le pôle gouvernance (relations parties prenantes, traçabilité, indicateurs, reporting) et le service de communication, il fait partie de la direction Développement Durable, qui siège au COMEX. Le volet sociétal est une différentiation et un avantage compétitif dans les compétitions qui opposent la SNCF à d’autres entreprises sur des marchés lancés par les collectivités locales. Par ses contributions, le pôle sociétal est de plus en plus considéré, autant à l’interne qu’à l’extérieur, et se positionne comme co‐auteur aux côtés des élus des territoires où il intervient (par exemple, dans le marché de Bordeaux, le volet sociétal proposé aux décideurs du bassin local comprend des volets comme l’accès à l’emploi, la formation, l’investissement, la redistribution de la taxe professionnelle, la prévention de la délinquance et la relation aux acteurs associatifs.) Les actions du Pôle
‐ éducation et prévention des risques ferroviaires, civisme ferroviaire ; ‐ prise en compte de la grande pauvreté, qui influence la vie de la SNCF ; ‐ prévention et justice, pour appliquer des mesures de justice alternatives et rapides aux
actes qui se produisent à l’intérieur des espaces SNCF ; ‐ emploi et insertion économique par l’emploi (parcours et chantiers d’insertion pour les
publics éloignés de l’emploi, avec l’objectif d’injecter de la cohésion sociétale à partir d’un point SNCF, en plus des activités marchandes courantes déjà présentes) ;
‐ promotion de l’égalité des chances et de la diversité, en liaison avec la direction des ressources humaines.
En vue de faire de la SNCF une marque, un groupe et une unité « corporate », Vincent Bouznad s’est attaché, depuis janvier 2008, à réaliser une comparaison des actions menées par les grands groupes français et par la concurrence directe et indirecte, nationale et internationale ; ce travail a montré qu’au niveau international, rares sont les groupes qui s’investissent autant et sur une palette d’actions aussi riche (peu d’entre eux sont sur l’emploi, l’éducation, les nouveaux services à valeur
17 Audition du 30 septembre 2009.
Annexe n. 10
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sociétale). Les organisations aussi sont différentes : en Allemagne, les actions sont par exemple axées sur le mécénat et externalisées aux acteurs locaux associatifs. L’Italie et l’Espagne sont davantage proches de la posture régalienne de la France, et la Pologne est très centralisée en mode « ministère du transport ». Concernant les actions sociétales, la médiation ou éducation au civisme revêt une importance particulière, et a donné lieu à d’importants investissements humains et financiers dans l’objectif de réduire le nombre d’incidents. Le principe qui sous‐tend ces actions est d’impliquer le personnel interne pour expliquer les principes du civisme aux jeunes. Le dispositif est relayé dans les écoles par les enseignants et par l’intermédiaire d’un site. La prévention « Mieux Voyager Ensemble » est basée sur un dispositif qui s’insère entre le contrôleur et la police de la gare, afin de développer le dialogue proactif avec les jeunes sur les lignes sensibles par le biais d’éducateurs spécialisés et d’équipes formées en parcours d’insertion sous la tutelle d’associations locales. Ces dispositifs sont organisés et encadrés de façon à bien s’insérer dans le spectre d’actions de la SNCF et à bien respecter les rôles des autorités en place (police SNCF des gares, contrôleurs, police urbaine locale) L’éco‐mobilité, défi majeur de réduction des émissions de CO2, vise entre autres à favoriser la cohésion sociale des territoires, systématiquement intégrée à la réflexion (un fonds d’amorçage a été lancé dans ce sens, pour aider les jeunes entrepreneurs œuvrant dans l’innovation technologique du « green business »). L’exemple « label » est l’Eurostar, avec une prévision croissante de niveaux d’investissements. La prise en charge de l’errance, qui lutte contre l’exclusion sociale de publics très fragiles, compte 31 dispositifs qui visent la fluidité des publics et la coopération avec les collectivités locales. Un dispositif prouvé rentable financièrement et extra‐financièrement pour la SNCF comme pour les partenaires extérieurs est en voie de déploiement. Il prévoit la formation et la sensibilisation des agents et des prestataires externes (sociétés de nettoyages, par ex.) ainsi que la prise en charge des publics fragiles. Les actions d’insertion sociale et professionnelle (entretien du patrimoine de la SNCF par des équipes techniques recrutées par les associations de réinsertion par le biais de contrats aidés) ont un taux de sortie positive de 65%, et participent du réseau national de chantiers‐écoles qui obéit à une charte qualité rigoureuse. Les modalités d’action et la méthodologie de mesure des retours sur investissement La tendance est actuellement à la capillarité des actions et aux initiatives opérationnelles locales : le pôle de Vincent Bouznad imagine et lance les actions innovantes, agit comme laboratoire pilote qui teste et mesure les concepts et la rentabilité des actions, et diffuse ensuite aux acteurs de terrain qui agissent localement. On compte 23 coordinateurs d’actions sociétales dans les régions, doublés de responsables de développement durable.
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Vincent Bouznad a recensé les axes d’intervention pertinents pour chaque filiale du groupe et a entrepris de faire la preuve de l’intérêt économique des actions ainsi construites et choisies par le biais d’une méthodologie innovante et créative. Les actions sont mesurées, suivies et évaluées grâce à un tableau de bord qui montre l’impact économique. Des indicateurs de satisfaction clientèle montrent le bon accueil réservé à ces initiatives. Vincent Bouznad est très attaché à la mesure des investissements : avec l‘aide d’un cabinet extérieur18, un système de mesure a été mis en place afin de soutenir l’investissement sociétal par la preuve de l’intérêt économique des actions. La mesure permet de :
‐ démontrer l’intérêt des actions entreprises, ‐ corriger certaines pratiques qui seraient inefficaces, ‐ choisir les actions les plus pertinentes (aide à la décision).
La mesure prend en compte le coût de production et le risque ou coût évité (accident, risque économique, nettoyage renforcé, matériel détérioré) pour déterminer le rapport coûts/bénéfices. Des indicateurs ont été cherchés pour chaque action spécifique, afin de prouver que la SNCF et la collectivité locale sont bénéficiaires dans ce type d’action sociétale.
| La stratégie d'éco-mobilité | Direction du développement durable | 30/10/201019
Les principes de la méthode sont très simples…..
Isoler une action générique (exemple: la prévention par l’Intervention en Milieu Scolaire (IMS)
En calculer son coût
Mesurer les coûts évités grâce à l’action
- Méthode avant / après
- Méthode ici / là
- Méthode estimation si cela n’existait pas.
En déduire sa rentabilité (+ ou -)
Méthode de travail
Figure 29 : Principes de méthodologie de mesure des actions sociétales, selon le groupe SNCF
18 Goodwill Management, spécialisé dans la mesure de l’immatériel.
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| La stratégie d'éco-mobilité | Direction du développement durable | 30/10/201024
Le modèle de mesure extra financière que nous allons mettre au point intègre 3 dimensions:
L’utilité socio-économique de la politique (ou utilité externe)
L’utilité business pour l’entreprise
La robustesse de la politique
Méthode de travail
Figure 31 : Résultats attendus de la mesure extra‐financière, selon SNCF
La difficulté de l’évaluation de ces opérations consiste à définir à priori à quel résultat de mesure on veut parvenir, à trouver les bons indicateurs en se posant les bonnes questions, et à recueillir les informations nécessaires à l’évaluation financière. Comme le précise Vincent Bouznad, la mise en œuvre est plus difficile :
- Ce genre de travail est avant tout un exercice de créativité. - Les calculs et les résultats ne sont pas certains: ils sont probables. - Par conséquent pour que les conclusions soient convaincantes, on maximise
toujours les débits et on minimise les crédits. - Au final, l’ordre de grandeur ou le signe du résultat compte plus que sa valeur. - Enfin, si le résultat n’est pas certain, démontrer le contraire est très difficile
(hypothèse hautement improbable). La démarche de mesure, que Vincent Bouznad va appliquer à l’ensemble des actions sociétales et à la politique d’achat solidaire, est contraignante et consommatrice de temps: il est indispensable de s’assurer de la fiabilité et de l’exhaustivité des informations récoltées, que ce soit à l’interne de la grande maison ou à l’extérieur, avec les partenaires, les sous‐traitants et autres parties prenantes. Un exemple de mesure : rentabilité de l‘action sociétale Vincent Bouznad nous livre les résultats de la mesure de l’action « Insertion ». Dans cet exemple, il s’agit de mesurer la rentabilité des actions menées à bien par le groupe, autant d’un point de vue de la rentabilité interne qu’externe, c’est‐à‐dire pour la société civile.
181
On remarquera que tous les bénéfices ne sont pas calculables et « financiarisables », comme l’amélioration de la qualité de la prestation effectuée par le biais de l’insertion par rapport à une prestation classique, ou bien l’utilité sociale et le développement de l’économie locale suite à l’action réalisée. On remarquera également que des pondérations en relation avec l’action spécifique ont été introduites dans la formule de calcul des gains, et que le calcul est différent selon que l’on considère les bénéficiaires internes ou externes.
p. 9
InsertionRentabilité interne 1/2
Coût de l’opération pour la SNCF : 1 874 252€
Bénéfice
D’après les donneurs d’ordre SNCF la prestation est d’aussi bonne qualité qu’avec un prestataire classique. Or le coût d’un j.h en insertion= 48€ (prix du marché = 120€)
Pondération du gain
Toutes les actions ne présentent pas la même utilité. Au prix de marché, la SNCF n’aurait peut être pas réalisé toutes les actions? D’où un facteur de Pondération du gain brut constaté:Prestation A: action obligatoire (100% du gain est compté), Prestation B: action recommandée (50% est compté), Prestation C: action utile
(0% est compté) Prestation D: action de confort (pénalité de -50% appliquée)
Chiffres sévères afin que le bilan ne puisse être contesté
Modèle:
Calcul du gain: Economie réalisée - Coût de gestion SNCF
Avec Economie réalisée = Σ (Budget des chantiers au prix du marché –Budget au prix insertion) x pondération
Figure 30 : Exemple de méthodologie de mesure de la rentabilité interne appliquée à l'action "insertion", 1/2
p. 10
Région Nombre de contrats
aidés
Classification Pondération Nombre heure
Nombre jour
homme
Prix marché
Prix ACI
Budget SNCF Economie brute
Economie pondérée
Amiens 7 B 0,5 7 896 1 128 120 48 73 341 7 875 3 938 Bordeaux 10 B 0,5 11 280 1 611 120 48 22 729 93 294 46 647 Bordeaux 14 B 0,5 15 792 2 256 120 48 63 642 98 790 49 395 Bordeaux 8 B 0,5 9 024 1 289 120 48 18 183 74 635 37 317 Bordeaux 8 B 0,5 9 024 1 289 120 48 18 183 74 635 37 317 Bordeaux 16 B 0,5 18 048 2 578 120 48 72 733 112 903 56 452 Bordeaux 8 B 0,5 9 024 1 289 120 48 18 183 74 635 37 317 Chambéry 6 C 0 6 768 967 120 48 17 547 52 067 - Chambéry 3 C 0 3 384 483 120 48 21 945 12 862 - Chambéry 4 C 0 4 512 645 120 48 23 395 23 014 - Dijon 7 B 0,5 7 896 1 128 120 48 73 331 7 885 3 942 Lille 20 B 0,5 22 560 3 223 120 48 39 718 192 327 96 164 Lille 13 B 0,5 14 664 2 095 120 48 25 817 125 013 62 506 Lille 18 B 0,5 20 304 2 901 120 48 35 747 173 095 86 547 Lille 19 B 0,5 21 432 3 062 120 48 37 733 182 711 91 355 Marseille 10 B 0,5 11 280 1 611 120 48 104 759 11 264 5 632 Metz Nancy 12 B 0,5 13 536 1 934 120 48 160 860 21 632 - 10 816 - Montpellier 6 B 0,5 6 768 967 120 48 62 855 6 758 3 379 Montpellier 6 B 0,5 6 768 967 120 48 62 855 6 758 3 379 Paris Est 12 C 0 13 536 1 934 120 48 68 879 70 349 - Paris Nord 10 B 0,5 11 280 1 611 120 48 91 797 24 226 12 113 Paris Nord 6 C 0 6 768 967 120 48 55 078 14 536 - Paris Nord 8 B 0,5 9 024 1 289 120 48 73 437 19 381 9 690 Paris Nord 8 B 0,5 9 024 1 289 120 48 73 437 19 381 9 690 Paris Nord 8 B 0,5 9 024 1 289 120 48 73 437 19 381 9 690 Paris Rive Gauche 11 B 0,5 12 408 1 773 120 48 58 622 69 003 34 501 Paris Rive Gauche 10 A 1 11 280 1 611 120 48 53 293 62 730 62 730 Paris Rive Gauche 8 C 0 9 024 1 289 120 48 42 635 50 184 - Paris St Lazare 7 C 0 7 896 1 128 120 48 53 069 28 147 - Paris St Lazare 7 C 0 7 896 1 128 120 48 44 300 36 916 - Paris Sud Est 14 B 0,5 15 792 2 256 120 48 40 443 121 989 60 994 Paris Sud Est 8 C 0 9 024 1 289 120 48 23 110 69 708 - Paris Sud Est 14 A 1 15 792 2 256 120 48 40 443 121 989 121 989 Paris Sud Est 10 C 0 11 280 1 611 120 48 28 888 87 135 - Reims 6 A 1 6 768 967 120 48 49 912 19 702 19 702 Rennes 6 B 0,5 6 768 967 120 48 49 912 19 702 9 851
348 392 544 56 078 120 48 1 874 252 2 163 344 961 424
InsertionRentabilité interne 2/2
Figure 31 : Exemple de méthodologie de mesure de la rentabilité interne appliquée à l'action "insertion", 2/2
182
p. 11
InsertionRentabilité externe
Emploi d’une personne en insertion=1 chômeur en moins
Economie pour la société entre un chômeur et une personne en ACI: 9 507€ par personne par an
Moyenne pondérée de deux études (OPUS 3 et Avise)
Economie société civile grâce à la SNCF:
Autres éléments de bénéfices pour la société civile:
Développement de l’économie locale
Réduit le mal-être des bénéficiaires et les risques associés
Pour toute l’argumentation liée à ce modèle, voir annexes
Société civileNombre de J/H 56078Nombre jour travaillé sur un an 217Equivalent temps plein 258Economie/pers comparé à un chôme 9 507 €Economie pour la société civile (ETPxEconomie) 2 456 824 €
Figure 32 : Exemple de méthodologie de mesure de la rentabilité externe appliquée à l'action "insertion"
Dans l’évaluation globale, les résultats, synthétisés à partir de l’analyse de chaque action d’investissement sociétal, prouvent l’intérêt de la démarche pour le groupe SNCF et pour la société civile :
p. 6
Le résultat de cette étude permet de montrer très clairement que la politique sociétale de la SNCF est rentable à la fois pour l’entreprise elle-même, mais également pour la Société Civile.
Le bénéfice net pour la SNCF est de 5 millions d’euros
Celui de la Société civile s’élève à 6,4 millions d’euros
Résultats obtenus
Bénéfice/Déficit net SNCF Bénéfice/Déficit net Société civileInsertion 961 424 2 456 824
IMS 127 599 Médiation 452 050
TIG 20 841 99 900 Réparation pénale -42 055 113 627 Achats solidaires 3 311 922 1 584 840 Errance en gare 603 870 85 200
Rentabilité totale 5 435 652 € 6 454 477 €Autres coûts politique sociétale
Mediation postée -130 640 €IMS primaire -238 033 € investissement
Total Bénéfice 5 066 979 €
2 114 087
Figure 33 : Évaluation globale des coûts/bénéfices des actions sociétales de la SNCF
Ces données vont appuyer les politiques des modes de management, et orienter les relations avec les parties prenantes. Elles répondent également à une préoccupation plus strictement économique de rentabilité et avantage compétitif, dans un défi d’innovation et de créativité continues au service du bénéfice de la SNCF.
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Audition d’Alain Mauriès19, VP Employee Relationships, Coca Cola Europe
Alain Mauriès est en charge des relations humaines de Coca Cola Entreprises depuis 15 ans, après avoir affiné ses talents de négociateur chez Hoechst, premier chimiste européen, Metaleurope et Danone. VP Employee Relationship pour Coca Cola Europe, il supervise les sujets collectifs et de gestion individuelle des 10 mille salariés de l’entreprise en France, Royaume Uni et Benelux. L’entreprise La société, qui remonte à 1892, se développe de façon originale autour de deux entités juridiquement distinctes liées par des contrats de franchise : ‐ Coca Cola Company, qui fabrique dans quelques usines la recette du concentré de Coca Cola, et qui possède 400 marques différentes. L’entreprise, présente dans plus de 200 pays dans le monde par le biais de petites structures dédiées au marketing consommateur, fonctionne comme une holding et est cotée à New York. Ses activités sont entièrement tournées vers le service aux distributeurs de Coca Cola, et s’appuient sur la notoriété de la marque et du produit. ‐ Coca Cola Entreprises, qui est le premier embouteilleur au monde de CC Company, et opère essentiellement en Europe, aux USA et au Canada. CC Entreprises fait partie de Coca Cola Système, l’ensemble d’embouteilleurs présents dans le monde entier, dont l’activité est entièrement industrielle : fabriquer, sous des contrôles de qualité très stricts, embouteiller et distribuer le produit fini à partir du concentré, dont Coca Cola Company garde précieusement le secret. Également coté à New York, CC Entreprises est détenu à 36% par Coca Cola Company. Coca Cola Entreprises, 3ème opérateur mondial d’eau, derrière Danone et Nestlé, compte 14 000 salariés dans le monde entier, dont 10 000 en Europe. Sa production atteint 42 milliards de bouteilles et canettes, dont 9 pour la seule Europe. En France, Coca Cola Entreprises est une ETI (entreprise de Taille intermédiaire, effectif entre 250 et 5000 personnes) et compte 15 sites dont 5 usines, après le rachat en 1989 de l’embouteilleur indépendant Pernod Ricard sur Marseille. Avec 2500 salariés, dont 1300 commerciaux, Coca Cola Entreprises se positionne comme la force de vente la plus importante derrière Danone. Coca Cola et le développement durable La politique de développement durable porte sur trois axes principalement, le transport, l’emballage et la consommation d’eau. ‐ Depuis 3 ans, Coca‐Cola Entreprise a réduit le volume nécessaire à la production d'un litre de boisson de deux litres à 1,46 litre d'eau.
19 Audition du 10 mai 2009 ; Monsieur Mauriès a quitté l’entreprise depuis.
Annexe n. 11
184
‐ Les emballages de l'ensemble de ses produits sont recyclables à 100%, et le poids de la bouteille PET a été réduit. ‐ Des efforts de planification et régionalisation des transports sont faits pour réduire les émissions de CO². La politique globale de gestion des ressources humaines Toute la politique de gestion des ressources humaines de Coca Cola Entreprises en Europe est tournée vers l’attraction, la fidélisation et l’évolution de ses talents, à quelque niveau que ce soit. D’importants efforts ont été faits depuis 10 ans en la matière, ce qui a donné lieu à la mise en place de bonnes pratiques éprouvées et innovantes :
1. Politique salariale, avantages sociaux
‐ La motivation financière est un outil important pour Coca Cola Entreprises : des enquêtes de marché sont régulièrement effectuées afin de positionner les salaires au‐dessus du marché. La part variable et l’intéressement sont fluctuants et pas trop importants pour les commerciaux (actuellement, de l’ordre de 30 à 50% pour les cadres supérieurs). L’écart du plus bas et du plus haut salaire ne dépasse pas le rapport 1 à 5. Les augmentations pour l’ensemble du personnel s’élèvent à 3‐5% annuel ; pour les hauts potentiels, une enveloppe budgétaire est dégagée afin de renforcer les augmentations.
‐ Un plan de retraite complémentaire est appliqué pour tous les salariés. Le système de
cotisations est défini individuellement, avec surabondement des versements par l’entreprise dans le plan individuel. Le plan d’actionnariat date de 1998, avec 98% de taux d’adhésion. L’épargne salariale est investie dans le fonds Coca Cola, avec intéressements (14% de la masse salariale est servie au titre de l’intéressement participatif).
‐ Il existe une commission de prévoyance santé pour tous les salariés, qui assure des prestations
de haut niveau, notamment dentaire. ‐ En ce qui concerne les stock‐options pour les dirigeants, les options sont levées après 4 ans.
2. Politique de gestion et évaluation des compétences
La gestion des ressources humaines se fait à l’échelle européenne, avec un reporting systématisé sur SAP. Le service des ressources humaines Europe a depuis longtemps mis en place des référentiels et des supports communs pour l’évaluation des managers, notamment des managers de terrain qui sont considérés comme des hommes clés.
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Dès le recrutement, un plan d’intégration est prévu, avec un système d’évaluation des performances sur le plan personnel, un parcours de carrière et un plan de transmission et succession, notamment pour tous les postes clé. En plus des indicateurs relatifs à leurs missions « métier », les managers sont évalués sur la base de leur capacité à faire évoluer les équipes, critère qui préside à tout avancement de carrière. Les critères d’évaluation couvrent la performance commerciale, la capacité à organiser le travail en équipe, le développement des collaborateurs, le respect des procédures, le respect des règles de sécurité et les objectifs atteints en termes de volume. Une part importante est attachée aux plans de développement personnel et comportemental : depuis 1998, tous les managers sont formés au coaching, et l’entreprise dispose en interne de formateurs de coach. La performance se mesure au résultat : pour les commerciaux, par exemple, en plus de l’évaluation des objectifs de vente, le comportement et l’attitude sont pris en compte. Un changement de poste en interne ou en externe est proposé si l’évaluation est négative. Des entretiens destinés à fixer les objectifs de performance sont régulièrement menés, ainsi que des entretiens d’appréciation avec suivi sur SAP. Les hauts potentiels sont identifiés et clairement repérés, avec un plan d’évolution rapide si les postes sont disponibles. 40 cadres dirigeants jouissent d’un statut de reconnaissance privilégié, comprenant entre autre des éléments de compensation comme la retraite surcomplémentaire. Un Comité Carrières au niveau européen est en place, et consolide les informations et les opportunités de carrière au niveau européen et régional.
3. Dialogue social Le dialogue social est particulièrement constructif chez Coca Cola Entreprises : les conflits sont très rarement généralisés par les partenaires sociaux, et depuis 1998 il existe un Comité d’Entreprise Européen (hors Royaume Uni, non syndiqué).
4. Bien être au travail
L’entreprise est très attentive aux sujets touchant au harcèlement : un plan de prévention, reconnu et cité comme bonne pratique par la Halde, est en place. Tous les managers sont formés, et les supports de formation sont disponibles en ligne. Parallèlement, une hot line dédiée aux problèmes psychologiques et à la souffrance sur le lieu de travail est en place, sous la gestion d’une société externe qui garantit l’anonymat des appels. Des capteurs de signaux de souffrance ont d’ailleurs été mis en place, afin de prévenir toute situation de pénibilité.
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Cette politique de prévention a porté ses fruits : seuls deux cas de harcèlement ont été dénombrés dans les dernières années. Alain Mauriès estime que les efforts entrepris par Coca Cola Entreprises au niveau européen ont été récompensés et se traduisent par des indicateurs positifs : ‐ le taux de turnover est extrêmement bas (6%) ; ‐ les salariés sont fiers d’appartenir à leur entreprise : le taux d’engagement – qui est mesuré
tous les deux ans par une enquête d’opinion et d’engagement (qui donne la vision des salariés sur leurs responsables et managers) – s’élève à 54%, ce qui est en général considéré comme un très bon résultat ;
‐ du point de vue économique, les résultats de l’entreprise montrent aussi un retour sur
investissement important : Coca Cola Entreprises Europe produit, seul, 50% du chiffre d’affaires mondial, et l’augmentation en France est constante (+4% en 2008 par rapport à 2007).
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Audition de Jean Lambrechts20, Responsable du département
Rémunération des Dirigeants, Aon Hewitt
Rémunération et bonus : quels critères ?
Les entreprises françaises se sentent très à l’aise avec les objectifs financiers, alors que la crise a bousculé leurs modes d’évaluation en remettant en question la validité d’une rémunération basée sur ces seuls critères. Pour les accompagner à déterminer leur politique de rémunération et d’attribution des bonus, Aon Hewitt a donc développé une méthodologie d’évaluation de la performance basée sur le principe du Balanced ScoreCard.
Dans le principe du Balanced ScoreCard, on dégage de la valeur durable pour l’actionnaire lorsqu’on est excellent dans un domaine et au moins bon/très bon dans tous les autres. Dans le schéma traditionnel, la réalisation du « quoi » correspond à la réalisation des objectifs business, opérationnels et financiers, qui toutefois ne se sont pas, selon Aon Hewitt, les seuls indicateurs pour l’attribution de bonus et rémunérations attrayantes.
Aon Hewitt a donc développé une approche structurée du « quoi » et du « comment » dans laquelle les objectifs de performance business sont reliés à des objectifs et indicateurs qui mesurent les modalités de réalisation de la performance et qui s’appuient sur les comportements de leadership du manager. Cette double approche permet notamment de mieux évaluer les performances en période de crise. C’est le travail fait, entre autres, par l’Oréal.
Figure 34 : Modèle de Balanced ScoreCard proposé par Aon Hewitt
20 Audition du 18 mai 2010.
Annexe n. 12
188
Cela implique un travail de réflexion sur le modèle managérial propre à l’entreprise et les compétences attendues pour la définition du leadership, et garantit la cohérence des actions d’évaluation, recrutement et intégration des collaborateurs et hauts potentiels. Dans ce mode opératoire, les indicateurs servant à l’appréciation du bonus des individus découlent naturellement de la définition du modèle de leadership, et permettent la transparence et le retour demandés par les équipes.
Le modèle Aon Hewitt s’appuie sur la définition de leadership de l’entreprise et répond à la question : « Qu’est‐ce qu’un comportement de leader, dans une entreprise donnée, à un moment donné de sa vie (croissance, transformation, évolution, recherche de retours sur investissement) et pour une fonction donnée, qui respecte les valeurs clés et contribue à la réussite de la stratégie ? ». La contextualisation et le respect des valeurs propres à l’entreprise sont donc les éléments nécessaires pour l’évaluation du modèle unique de leadership totalement orienté business.
Figure 35 : Modèle de définition de leadership, selon Aon Hewitt
Les éléments du Balanced ScoreCard de Aon Hewitt
Pour chaque étape de la vie de l’entreprise, Aon Hewitt a mis au point des critères d’évaluation de l’attitude de leadership et a associé à chaque critère des compétences et des comportements qui deviennent des indicateurs, sur la base desquels le manager est évalué avec une note ou scoring allant de 0 à 6 selon le niveau de réalisation du comportement observé. L’individu est noté et rémunéré selon le scoring obtenu et en fonction de la pondération du critère dans le portefeuille global d’objectifs de leadership.
Ce modèle sert également à la préparation de la feuille de route d’un leader en devenir, qui peut ainsi se mesurer par rapport à sa cible au moyen d’entretiens individuels, d’évaluations 360° ou de tests réalisés dans les centres d’évaluation.
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Figure 36 : Modèle d'évaluation de leadership, selon Aon Hewitt
Aon Hewitt estime que les entreprises qui intègrent ces critères de performance dans le mode de rémunération variable sont plus performantes.
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Audition de Chantal Thomasino,
Responsable du département Gestion des Talents, Aon Hewitt
Aon Hewitt réalise des enquêtes mondiales portant sur la politique de gestion des talents et l’engagement des collaborateurs. L’enquête biennale « Top Companies for leaders », dont la première édition remonte à 2002, mesure l’efficacité des pratiques des entreprises leaders sur leur marché dans les différents processus de gestion des leaders et hauts potentiels (identification, sélection, développement, rétention, reconnaissance, motivation).
Top Companies for Leaders : méthodologie
Dans un premier temps, les entreprises, généralement au nombre de 550‐600, répondent sur la base du volontariat à un questionnaire via internet. Les critères analysés par Aon Hewitt lors de ce premier filtre portent sur la qualité et la cohérence des process clés dans la gestion du capital humain. Sur la base de l’évaluation des process et des bonnes pratiques décrits par l’entreprise, et en fonction de l’appréciation de Aon Hewitt, un score est attribué par le cabinet : le score permet de sélectionner les finalistes qui répondent à la définition globale et essentielle de Aon Hewitt de la bonne gestion des ressources humaines. Pour la 5ème édition, 537 participants ont répondu, parmi lesquels Aon Hewitt a retenu 211 finalistes.
Dans un deuxième temps, le cabinet procède à une série d’interviews avec les finalistes et interroge les principaux dirigeants et le directeur des ressources humaines. En fonction des réponses, l’entreprise reçoit une deuxième note, qui est croisée avec l’analyse de la performance financière en fonction du comparatif de son secteur. Il est important de noter que le critère financier est un critère de GO/NO GO pour Aon Hewitt, et qu’il intervient après l’évaluation extra‐financière de la gestion du capital humain et des talents.
Sur la base de ces deux filtres, 47 entreprises ont été sélectionnées par Aon Hewitt en 2009 parmi les 211 finalistes : pour chacune, un dossier complet est remis à un jury d’experts, qui assure la troisième phase d’évaluation. Le jury, composé de panels régionaux de chercheurs, universitaires et personnes qualifiées indépendantes du cabinet, sélectionne parmi les 47 finalistes les 25 Global Top Companies, qui se ressemblent plus par l’orientation et la méthodologie engagées dans la gestion des leaders que par la complexité des process utilisés, en fonction des tailles et secteurs d’appartenance. Pour la dernière édition, il est intéressant de noter que très peu d’entreprises européennes sont présentes (parmi lesquelles Titan, TNT, ..), alors que l’Oréal était encore présente en 2007.
Annexe n. 13
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Les points‐clés de l’étude 2009, et quelques indicateurs en relevant
L’analyse des pratiques des Top Global Companies fait apparaître des points récurrents dans la gestion des leaders et des hauts potentiels :
1. En dépit de la crise, le leadership est le sujet clé de l’investissement dans les ressources humaines, et l’entreprise le positionne comme un enjeu « business ».
Les dirigeants sont formels : le talent est la condition nécessaire pour le développement de l’entreprise. Et les investissements ont très peu diminué (moins de 10%), malgré la situation financière mondiale.
En tant que sujet « business », le management est responsabilisé sur les questions de gestion des talents et des viviers, et de nombreux indicateurs surgissent, traduisant le lien Business Strategy – Leadership Strategy. Le management répond de l’application de ces orientations, et les cadres dirigeants (à partir du niveau de direction d’unité de production) sont évalués sur leur niveau de motivation et d’engagement dans le développement des talents, au même titre que sur les résultats business.
Parmi les indicateurs servant de base à la reconnaissance économique des patrons d’unité, on remarque l’inclusion de critères d’évaluation de la gestion de talents dans les critères globaux de performance, ainsi que la capacité à entretenir un vivier de talents suffisant pour que l’entreprise puisse déployer sa stratégie sur le long terme.
Exemples d’autres indicateurs : capacité à générer des hauts potentiels mobiles géographiquement et transversalement, sur des marchés émergents par exemple, en investissant en temps, moyens, formation, malgré la tendance naturelle à la rétention des éléments clés.
Par ailleurs, les Top Global Companies utilisent toutes un modèle défini de performance de leadership, qui correspond à la projection d’image souhaitée par l’entreprise.
2. La qualité d’exécution des process de gestion des hauts potentiels et leaders (exemple : identification, intégration…) est présente au niveau mondial et à tous les niveaux dans les strates du middle management, ce qui amène à une globalisation et une simplification des pratiques. C’est l’excellence.
L’identification se fait de plus en plus tôt et de plus en plus vers le bas de l’échelle de management.
Cela implique que le repérage est fait non plus par le responsable des ressources humaines, mais par le manager de terrain, sur la base de critères fournis et appliqués de manière cohérente dans le monde, alors que le responsable des ressources humaines apporte le support technique au process.
Les critères d’identification sont les mêmes partout dans le monde au sein d’une même entreprise, alors que les critères de management des talents sont adaptés aux cultures et aux pays.
192
Le repérage est soumis à un processus d’accélération, poussé par le besoin et par les souhaits des personnes repérées.
3. Ce qui compte pour les Top Global Companies est avant tout la manière dont le management parvient aux objectifs recherchés de gestion des potentiels et des leaders (repérage, identification, développement, suivi) en toute cohérence avec les valeurs affichées de l’entreprise.
Dans ces sociétés, la notion de résultat (« achiever ») est considérée comme insuffisante dans l’évaluation de la politique de gestion des talents : le « comment » on génère les talents et on développe les collaborateurs marque la différence par rapport aux concurrents (on peut relier cette notion à l’essor de la marque employeur).
Des grilles de « modèle managérial » propre à l’entreprise sont ainsi créées, basées sur quelques indicateurs communs à l’ensemble du management et simples à repérer :
‐ l’implication active dans le développement des leaders de demain (en termes de temps, il est à noter que 11 à 20% du management de direction des Top 25 passe 40% de son temps dans les tâches de people review, planification des successions et préparation de plans de développement des leaders ; 21 à 30% des CEO des top 25 passent jusqu’à 44% de leur temps sur ces activités).
‐ Le lien avec les valeurs de l’entreprise : compte tenu de la culture d’entreprise et de son image, quels sont les meilleurs comportements à adopter pour réussir dans la gestion des talents et leaders ?
‐ La capacité à porter et faire partager la vision aux collaborateurs, à les entraîner et développer.
‐ La capacité à rebondir, la flexibilité et l’adaptabilité, la créativité dans les modes managériaux de développement des ressources, ainsi que la capacité à transmettre à l’équipe, notamment en situation de diversité, la créativité nécessaire pour réaliser une gestion efficace des leaders.
‐ La notion de résultat et performance de l’entreprise.
‐ La transparence et la clarté de communication sur ces enjeux.
La bonne connaissance du vivier de succession est nécessaire au comité d’administration pour la bonne gouvernance, afin de rompre la dépendance conservatrice des profils « uniques », la chaîne de la « loyauté confortable mais peu créative » et le biais du « réseau ».
193
4. Dans les Top Global Companies, l’accent est mis sur l’enjeu très fort du développement, de la réflexion et de la mise en œuvre rapides du repérage du leadership : anticiper le développement est un véritable sujet. Les programmes imposent des rythmes rapides de professionnalisation du développement des leaders.
Dans ces sociétés, la tendance est à la mise en place rythmée, par les équipes internes, de programmes de développement des managers : l’entreprise cherche un résultat immédiatement exploitable, et investit dans l’accélération de ces programmes non seulement pour une question de rentabilité, mais également pour favoriser la création d’une culture commune via le partage des connaissances utiles (Knowledge Management). C’est dans ce cadre que se développent de nombreuses expérimentations pour la capitalisation des savoirs au sein de l’entreprise (ex. les universités d’entreprise, où les intervenants internes sont presque plus présents que les personnalités extérieures). Il est à noter que 95% des Top 25 positionnent leurs leaders comme « mentors », et que 96% ont des programmes de leadership internes.
194
Audition de Patrick Martigny21, Responsable de la Gestion Internationale Cadres Supérieurs et Dirigeants, Michelin
Patrick Martigny a intégré la Compagnie des Établissements Michelin en 1982 après une formation en chimie et un parcours de chercheur au sein du CNRS. En 1992, après une dizaine d’années passées au centre de recherche « technologie et matériaux » du groupe, le service du personnel lui propose une ouverture de carrière sur la fonction personnel : il intègre ainsi le service de gestion du personnel (SGP) et remplit successivement les fonctions de directeur des ressources humaines du centre de recherche, responsable de la négociation syndicale et de la mise en place de l’UES groupe, responsable de la gestion de carrière des cadres France et directeur des ressources humaines pour l’Amérique du Sud entre 2002 et 2009, période de forte croissance pour ce marché, notamment au Brésil.
Le groupe Michelin, faits et chiffres
Groupe mondial de 110 000 collaborateurs sur 170 pays, Michelin se positionne en deuxième place sur le marché des pneus, avec un chiffre d’affaires de 17,9 milliards d’euros pour 2010 et un milliard d’euros de résultat net.
Avec plus de 150 millions de pneus fabriqués dans ses 72 sites de production répartis sur 19 pays, Michelin est aujourd’hui un acteur de taille dans la chaîne de valeur autour de l’utilisation du pneu, proposant un service intégré allant de la distribution (Euromaster, TCI) aux services d’assistance (Michelin OnWay, EuropAssist) et au conseil et gestion des pneus de flotte, sans oublier l’activité de production des guides de tourisme.
Ses principales sources de rentabilité se trouvent dans la technologie de pointe et dans les activités de spécialité, comme la production de pneus pour le génie civil et les mines.
L’ambition de Michelin est de contribuer au progrès de la mobilité, au travers de valeurs fortement ancrées dans la culture d’entreprise : le respect des clients, des personnes et des actionnaires, ainsi que le respect de l’environnement, qui est un axe fort de la stratégie. Une des valeurs propres à Michelin est le respect des faits : en tant qu’entreprise industrielle, l’expérimentation et la preuve se sont érigées en philosophie interne, « je prouve ce que je dis ».
La « Gestion du Personnel » chez Michelin La politique de Michelin est, depuis toujours, de considérer que les hommes et les femmes ne sont pas des ressources mais des personnes, et le service qui leur est dédié est le Service du Personnel. Au‐delà de la valeur symbolique de cette affirmation, le Service du Personnel a un réel pouvoir et est dirigé par un vice‐président de l’entreprise. L’axe fort, en plus des piliers plus classiques comme le dialogue social ou la formation, est la gestion des carrières et le développement des compétences clé.
21 Audition de juillet 2010.
Annexe n. 14
195
L’équipe du siège du Service Général du Personnel anime un réseau mondial de 1800 personnes dédiées aux ressources humaines et réparties dans le monde, avec plus de 400 gestionnaires de carrière pour les agents de production (55%), les employés non cadres (30%) et les cadres (15%). Chaque collaborateur de Michelin, à quelque niveau que ce soit, a un gestionnaire de carrière. Les enjeux de la Gestion du Personnel L’enjeu majeur pour Michelin est le départ de 30 000 personnes dans les cinq ans à venir et l’embauche de 20 000 personnes, sans que les deux mouvements soient géographiquement liés. Le différentiel de nombre de collaborateurs est compensé par l’augmentation de la productivité, qui sera obtenue par la modernisation de l’outil : beaucoup d’usines reposent sur des techniques qui peuvent être améliorées et modernisées. Le jeu des départs des anciens, notamment dans les pays matures, et de l’arrivée des jeunes, dans les pays en croissance, pose le problème de la transmission de l’expérience et de la pérennité du métier. L’enjeu sous‐jacent pour Michelin est d’être capable d’attirer, retenir et motiver les talents, principalement à travers la compétitivité de l’emploi que l’entreprise saura proposer. Se posent en corollaire les sujets de la diversité – passer d’un groupe historiquement franco‐français à un groupe multi‐national – pour pouvoir capter toute la richesse sur les sites, ainsi que la capacité à recruter et développer les talents dans les zones de croissance. Chez Michelin, la mobilité géographique est fortement encouragée, et l’expérience réussie à l’international est reconnue comme outil de développement des personnes : un cadre sur deux a une expérience à l’international. La gestion de carrière et du potentiel d’évolution Face à ces enjeux, la philosophie d’action de Michelin repose sur l’idée que chaque personne est porteuse d’un potentiel d’évolution qui lui est propre et que le manager opérationnel doit accompagner, en liaison avec le Service du Personnel. La gestion de carrière, point fort de la politique de ressources humaines, se charge non seulement de gérer les compétences mais surtout de développer le potentiel de chacun. En même temps, Michelin veille à préserver ses acquis fondamentaux, comme par exemple l’identité, le sens d’appartenance à la « maison », avec son histoire et ses traditions, et la place attribuée à la performance des hommes dans leur mission, qui ne se limite pas à l’atteinte d’objectifs économiques.
C’est ainsi que la relation des collaborateurs à la hiérarchie et au Service du Personnel repose sur de nombreux échanges au sujet du développement des compétences et de la carrière. La gestion de carrière peut se représenter sous forme d’un triangle reliant le collaborateur à deux acteurs principaux :
‐ le gestionnaire de carrière, acteur fondamental de l’échange : il pilote le développement de la personne vers une « cible » qui n’est pas connue de la personne même, définit le parcours professionnel à travers le parcours de carrière, et garantit le développement de l’employabilité de chacun. La relation très ouverte entre gestionnaire et collaborateur permet l’identification de dysfonctionnements dans le dispositif.
196
‐ le responsable hiérarchique, chargé d’apprécier la performance du collaborateur sous
l’aspect métier, relationnel et managérial : il prépare un plan de formation individuel et aide à détecter les meilleurs potentiels pour les mettre à disposition de l’entreprise.
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La personne
Hiérarchique
Gestionnaire
➥Détecte le potentiel
➥Apprécie la performance
➥ pilote le plan de développement
➥Répond aux attendus de son poste
➥Exprime ses souhaits d’évolution
➥Est moteur pour le développement de ses compétences
➥Valide le potentiel
➥Construit un parcours de carrière et en garantit la réalisation
➥est un recours
Les rôles de chaque acteur du triangle de gestion
La Gestion de CarrièreAvancer ensemble
Figure 37 : Le triangle de gestion de carrière chez Michelin
Afin que les pratiques soient homogènes dans tout le groupe, ce dispositif en triangle s’organise autour de 3 variables : le niveau géographique (groupe, pays et sites), le niveau professionnel (ouvriers, middle management, cadres supérieurs et dirigeants), et les différents métiers. Les gestionnaires de carrières animent en outre des réseaux par métier, et le directeur des ressources humaines anime l’ensemble du réseau.
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Gestionnaires GroupeNRIA-G
Gestionnaires PaysNRIH-K
Gestionnaires Site NRIL-V
Par métier : Industrie Marketing et Ventes RDI et Services Groupe (SGA, SGCM, SGF, SGP, SGSI, SGSC…)
Organisationde la Gestion de Carrière
RÉS
EAU
X G
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ON
MÉT
IER
Figure 38 : Niveaux de gestion de carrières chez Michelin
197
A chacune des 109 000 personnes du groupe est attribué de façon transparente un chiffre qui correspond au potentiel individuel et à un niveau de responsabilité identifiée : chaque collaborateur connaît sa cible de carrière et le parcours qui s’y rattache, qui toutefois reste souple en raison de possibles changements. Le gestionnaire de carrière est ainsi un élément fondamental de l’évolution du collaborateur, et tout le système repose sur une réelle volonté d’application du dispositif à l’ensemble des collaborateurs, y compris aux cadres dirigeants.
‐ La détection du potentiel La détection du potentiel chez Michelin repose sur une méthodologie22 basée sur la performance de l’individu et sur la pratique des valeurs propres à la maison. L’appréciation de la performance est déconnectée de l’appréciation du potentiel : la première a lieu en début d’année et concerne la réalisation des objectifs du poste, alors que la deuxième a lieu en fin d’année sous forme d’entretien de « bilan de développement ». Ce bilan pose les souhaits d’évolution du collaborateur et implique également le niveau hiérarchique. A partir des souhaits exprimés, le gestionnaire de carrière définit les postes qui donneront à la personne les compétences nécessaires pour réaliser ses objectifs et être au poste souhaité à horizon de 5/10 ans.
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PRE-REQUIS
6- INFLUENCE ET IMPACT
5- MAITRISE DES SITUATIONS
4- DETERMINATION3 - ADAPTABILITE
CRITERES
1 - PERFORMANCE 2 - VALEURS
Méthodologie de détection du potentiel
Détection du Potentiel
Le manager et le gestionnaire détectent le potentiel d’évolution de chaque personne
Le Potentiel d’évolution =Le niveau de responsabilité
qu’une personne peut assumer dans le futur
Figure 39 : Schéma de détection du potentiel chez Michelin
La durée de vie dans les postes n’est pas longue (en moyenne trois ans pour un poste de cadre), car d’une part Michelin favorise la mobilité (Michelin est le deuxième groupe en France en matière de
22 Michelin travaille avec Aon Hewitt sur ces sujets.
198
mobilité), et d’autre part les gens sont demandeurs de mobilité géographique et fonctionnelle, que ce soit sur site ou au siège. Le turnover, traditionnellement très bas en Europe et dans les pays matures, est beaucoup plus élevé en Asie et dans les pays en croissance, par exemple supérieur à 10% au Brésil ou en Chine. D’un point de vue d’intelligence stratégique, Patrick Martigny admet que l’évolution de la mobilité et des flux de collaborateurs peut poser des problèmes en termes de garantie du secret du savoir faire : le know‐how à protéger est important, notamment face aux partenaires asiatiques et principalement chinois, malgré les nombreuses joint ventures et alliances établies. Pour le moment, Michelin ne souhaite pas construire de centre de recherche en Chine, alors que dans d’autres pays, comme le Japon, le problème ne se pose pas.
‐ Le niveau de responsabilité, socle de l’évaluation et de la rémunération Le niveau de responsabilité du collaborateur dans son poste, que la personne connaît, est le pilier de l’évaluation et de la rémunération: il remplace la traditionnelle « fiche des compétences » par poste utilisée dans les entreprises, et fait le lien entre les métiers pour favoriser les passerelles. Le niveau de responsabilité individuelle exprime le niveau auquel la personne est gérée : une échelle propre à Michelin de A à Z permet de positionner le collaborateur sur le marché et de positionner le salaire selon son métier, en fonction des marchés et de la concurrence. La rémunération se base sur la notation reçue du collaborateur et faite par le manager : dans la notation, les indicateurs mesurent la capacité de la personne de transmettre la vision, de piloter et exécuter l’activité ainsi que sa capacité à développer le personnel de son service.
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Niveau de Responsabilité du Poste (NRP) : connu du Manager
sert de référence à l’évaluation de la performance globale dans la durée par rapport aux attendus du poste tenu
assure une cohérence entre métiers par le choix et le positionnement de postes repères
Niveau de Responsabilité Individuelle (NRI) : connu de la Personne.
- L’affectation du NRI est de la seule responsabilité du gestionnaire personne
- Le NRI sert à la gestion de la carrière de la personne et à la gestion de sa rémunération globale (Cash + Benefits)
Niveaux de Responsabilité
Figure 40 : Définition de la responsabilité et lien avec l'évaluation et la rémunération
199
‐ Les dispositifs de formation et développement Chez Michelin, une attention particulière est consacrée aux différents volets de formation du collaborateur à chaque stage de sa carrière : le stage d’intégration, le programme individuel de formation et la formation continue en poste. L’effort de formation est par ailleurs très important : l’entreprise dispense 2 semaines de formation par an et par collaborateur en moyenne, ce qui correspond à 5 à 7% du temps de travail, avec 75% de l’effort dévolu à la formation des agents.
Michelin accorde une place importante au développement des compétences de ses collaborateurs dès leur entrée dans l’entreprise. Un stage d’intégration de 3 mois est ainsi consacré à tous les nouveaux entrants, afin de transmettre la culture d’entreprise et de créer le premier réseau de contacts. A chaque changement de poste, un programme de formation de prise de poste est préparé par le manager et suivi par le collaborateur, et en fin d’année, en fonction de l’entretien annuel, un bilan des besoins détectés, appelé « plan de formation continue », est proposé par le manager.
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Formation continue :•individuelle •Collective (formations prioritaires)
Vous arrivez chez Michelin
Programme Individuel de Formation (PIF) établi avec votre manager à partir du Plan Type de Formation lié à votre poste
Stage d’intégrationDes programmes d’intégration pour tous : entre 4 semaines et 3 mois pour les cadres, 3 jours pour les agents.
Dès que vous prenez un poste
En poste
Pour vous accueillir, faciliter votre intégration
et vous donner envie de rester
Pour être vite à l’aise et opérationnel dans votre poste
Développer vos compétenceset votre professionnalisme
Formation et développement
Figure 41 : Étapes de formation du collaborateur tout au long de la carrière
Pour mieux évaluer la performance de la formation et du développement, Michelin a développé un tableau de bord d’indicateurs quantitatifs et qualitatifs qui mesurent :
‐ l’indice de satisfaction du mouvement, qui évalue les actions de la hiérarchie et du gestionnaire de carrière dans l’accompagnement au changement de poste du collaborateur. Il s’agit d’un questionnaire de 15 points que le collaborateur remplit à chaque mouvement. L’indicateur, qui est publié, est un outil de mesure de la qualité des pratiques des 400 gestionnaires, et son taux doit être au moins égal à 75% ;
200
‐ le taux de promotion interne, un indicateur qui donne la mesure de la capacité du gestionnaire à faire évoluer les collaborateurs qui dépendent de son action ;
‐ le taux d’accès à la formation, qui indique le taux de formation continue reçue, et qui est
surtout utilisé pour les formations métier des agents ; pour les cadres, les formations couvrent essentiellement les sujets généraux et de management. Les résultats de cet indicateur sont également publiés, par pays, par région et par métier.
D’autres indicateurs mesurent la diversité, par exemple des genres ou des nationalités : ils s’appliquent également à la composition des 500 dirigeants du groupe (français/non français, hommes/femmes). Il est à noter que Michelin a des objectifs de diversité homme‐femme très ambitieux : la présence des femmes se situe aujourd’hui à 14%, en dessous de la moyenne du secteur, car le métier très physique de manufacturier en atelier convient peu aux femmes. Avec l’arrivée d’Édouard Michelin en 1996, le système très protégé qui entourait la marque a été transformé pour tenir compte des objectifs business et de l’internationalisation. Michelin s’est ouvert depuis quelques années aux pratiques de communication de ses efforts en matière de gestion du capital humain et, plus largement, de développement durable; le service « développement durable » entretient des relations étroites avec les agences de notation extra‐financière et centralise toute l’information pertinente sur la gestion du capital humain. Dans ce cadre, les responsables de la gestion du personnel continuent de préserver leurs dispositifs de gestion du capital humain en faisant en sorte que les événements extérieurs n’influencent pas la philosophie de l’humain qui caractérise l’entreprise. L’équipe de direction générale est convaincue de l’importance de ces sujets et suit de très près l’activité de management des hommes et la gestion de carrière.
201
Fiche de valeur sociale de Michelin, 2009 (Document publié par Société Générale Asset Management en juillet 2009
afin d’illustrer sa méthodologie ISR ayant cours à cette époque)
Annexe n. 15
202
203
Audition de Patrick Plein23, Directeur du Développement des Ressources Humaines Groupe, VINCI
L’intervenant En qualité de directeur du développement des ressources humaines groupe, Patrick Plein est en charge de la gestion des ressources, de la politique emploi et marque employeur, de la formation des potentiels et dirigeants, et de l’animation du réseau des ressources humaines du groupe. L’entreprise Le groupe VINCI est leader mondial dans plusieurs domaines :
‐ construction (travaux publics, technologies du sol, terrassements, tunnels, ponts, infrastructures, génie civil et sanitaire, bâtiment fonctionnel de bureaux / hôpitaux / logement sociaux, métiers du nucléaire) ;
‐ routes et ferroviaire (construction, pose rail ferroviaire et caténaires) et carrières ; ‐ métiers de l’énergie (maintenance industrielle, éclairage public, mise en valeur du
patrimoine, technologie de l’information, sécurité incendie, thermique et climatisation) ; ‐ métier des concessions (exploitation d’infrastructures comme les autoroutes, les parking,
les plate‐forme aéroportuaires).
Le modèle économique concessionnaire‐constructeur permet à VINCI d’intégrer toute la chaîne de valeur de l’acte de construire : financement, conception, construction, maintenance, exploitation. Ce business modèle permet de concilier avec équilibre les temps d’investissement longs et courts, avec une certaine récurrence entre capitaux engagés et trésorerie/bénéfices.
23 Audition du 17 mars 2010.
Quelques chiffres 2009: CA 32 Mds €, dont 40% à l’international. Résultat net maintenu sur 2009 : 1,6Mds €. 2500 filiales / business units. 240 000 chantiers par an (allant de quelques milliers à des milliards d’euro) 162 000 salariés (hors acquisition de Cegelec) effectif arrêté au 31 12 2009 (globalement stable par rapport à l’année précédente). Présence dans 90 pays. Effectifs par métier : 17 000 salariés pour les concessions (essentiellement cadres et ingénieurs). Energie : 32 000 salariés. Route : 42 000 salariés. Construction : 71 000 salariés. Dans le contracting, 145.000 salariés sur 162 000 : 60% compagnons ouvriers, 20% techniciens agents de maîtrise, 20% cadres et ingénieurs.
Annexe n. 16
204
Sur le plan de la gestion de ressources humaines, cela implique une forte proactivité, un management expérimenté et une grande capacité à adapter les métiers et les compétences en fonction des changements de marché. Significative à cet égard est la signature d’un partenariat avec la Chaire Eco‐conception de Paris Tech. Un métier à forte intensité managériale
Le besoin de proximité avec le décideur final et l’évolution rapide des métiers imposent un modèle décentralisé au niveau géographique, avec un fort ancrage territorial, qui est bien exprimé dans la formule « Un homme, un territoire, un métier ». VINCI est composé de 2500 business units (de 15 à 1000 personnes), qui maillent le territoire de manière large pour se rapprocher du client final.
Du point de vue de la gestion des ressources humaines, cela signifie que l’autonomie et la prise de responsabilité en mode entrepreneurial sont fortement encouragées par le groupe : un patron de chantier gère son projet comme un entrepreneur proactif et responsable de sa globalité (management équipe, budget, délai) dans une logique de cohérence de groupe. Chaque chantier est un prototype, et aucun modèle n’est duplicable.
Les passerelles entre les secteurs sont donc possibles à certains niveaux (les métiers étant assez techniques dans l’ensemble) et sur des compétences essentiellement managériales ou d’activités support transversales.
La réussite de ce modèle est basée sur la centralité de l’homme et des relations humaines établies au sein de l’équipe, complément nécessaire à l’expertise technique pour la réussite du projet.
Le turnover est plutôt faible, comme chez tous les concurrents après la période d’euphorie de 2004 à 2008, liée à une forte croissance de l’activité et à un marché de compétences pénurique. Cela a dynamisé le marché du recrutement et a augmenté le taux de démission (le profil type du démissionnaire était de 33 ans, 5 à 7 ans d’expérience en moyenne) et le taux de promotion interne (avec des risques de manque d’expérience).
VINCI mène par ailleurs une politique de ressources humaines favorable à l’expérience et aux seniors : cette vision a été récompensée par le Trophée du Capital humain 2009. VINCI a aussi été cité par le Ministère du Travail en juin 2009 dans son recueil des bonnes pratiques en matière de gestion des seniors.
Le projet humain de VINCI : engagements, mesure et reporting
« Pas de réussite économique durable sans projet humain ambitieux » Xavier Huillard, 2006 et son corollaire « Les vraies réussites sont celles que l’on partage ».
La démarche, très engagée chez VINCI et largement impulsée par le haut, s’est traduite par un manifeste qui contient cinq engagements en écho à la culture d’entreprise et à la vision partagée de la RSE.
‐ Créer des emplois durables en 2007, l’engagement pris d’embaucher et former 12000 CDI en France a été tenu. Dans les années suivantes, la crise de marché a modifié la donne :
205
en 2008 l’objectif de 12000 a été partiellement tenu (10000 embauches) ; en 2009, la fourchette annoncée de 6 à 8000 a été respectée (6000 embauches environ). Pour 2010, les prévisions sont de 3000. Ces données sont à comparer avec les rythmes réguliers d’embauche du groupe dans les années fastes (25000 environ en emploi durable dans le monde). Le taux de démission moyen (hors conjoncture) est également mesuré (moins de 5%). Il est à noter que VINCI a gardé une politique d’investissement constante dans le capital humain (notamment la formation et le recrutement) sur les deux dernières années, et cela en dépit de la crise. La fonction RH a par ailleurs été amenée à réfléchir, dans le cadre de séminaires et de groupes de travail, à la manière de contribuer à la marge/cash du groupe sans pour autant désinvestir dans l’humain.
‐ Proposer une formation à chacun les compétences étant essentielles, la formation est le levier principal de développement de l’entreprise. L’engagement de proposer à chaque salarié une formation adaptée a été tenu : chaque entité a ainsi pu mettre en place sa gestion prévisionnelle des emplois et compétences, en associant les partenaires sociaux, dans un objectif d’optimisation managériale (transformation de la « contrainte » juridique en avantage managérial) avec un bénéfice d’amélioration du dialogue social autour du projet d’entreprise. Un livret d’accompagnement à la mise en place de la GPEC a été édité (recueil de bonnes pratiques observées dans le groupe), et la démarche a été reprise – avec une forte appropriation et personnalisation, selon les enjeux ‐ dans la grande majorité des business units. 160 accords GPEC ont été signés entre2008 et 2009. Le groupe VINCI s’est lancé dans une politique de développement d’académies internes propres à chaque pôle (ex. École VINCI Park) qui prennent le pas sur les formations externes. Les tailles peuvent être importantes : CESAME, centre de formation dans la construction, a déployé 10 centres sur toute la France. Par ailleurs, des programmes de formation au management existent en partenariat avec les grandes écoles (Ponts & Chaussée par exemple) pour accélérer la prise de fonction managériale des jeunes cadres et assurer ainsi la relève. Les indicateurs utilisés par VINCI :
o nombre d’heure moyen de formation, en augmentation entre 2007 et 2008 à tous les échelons (presque 20h/an/personne) ;
o taux d’accès aux équipes permanentes : 80% ; o nombre de personnes n’ayant pas eu de formation par an ; o taux d’accès par âge ; o qualité et retour sur investissement de la formation : mesurés par l’évaluation « à
chaud » (le collaborateur déclare avoir tiré parti de la formation) et par l’évaluation « à froid » avec un indicateur en cours de développement (6 mois après la formation, ou lors de l’entretien d’évaluation, on mesure le changement concret perçu par le salarié dans son travail suite à la formation).
Parmi les programmes de formation spécifiques : o programme prévention accident (20000 personnes) : comment informer et changer
d’attitude sur le chantier (VINCI Construction) ;
206
o Orchestra, programme administré à 5000 personnes pour améliorer l’organisation et les méthodes (VINCI Construction).
13
Proposer une formationà chacun
CAMPUS
ACADEMIE VINCI
Un fort développement des Académies Internes
2007 2008 2009Nbred’heures de formation (monde)
2 500 000 3 100 000 3 000 000
Nbred’heure par salarié 16 heures 19 heures 18 heures
Nombre d’heuresdispensées par les académies internes 402 000 576 000 682 000
Pas de réussite économique durable sans projet humain ambitieux
Mesurer pour progresser
Figure 42 : Tableau récapitulatif de l'effort en termes de formation de VINCI
‐ Promouvoir l’égalité des chances et lutter contre les discriminations la politique de diversité du groupe est centrée sur 4 champs particuliers (mixité hommes/femmes, handicap, collaborateurs issus de l’immigration, seniors) et avalisée par un audit diversité annuel réalisé et publié par un organisme indépendant. VINCI travaille sur une grille d’indicateurs spécifiques, préparés par Vigeo à partir de sa méthodologie en fonction de la demande de VINCI et du secteur considéré. Les critères analysent l’engagement des filiales européennes sous l’angle de la pertinence des politiques, de la cohérence du déploiement et de l’efficacité des résultats. La méthodologie prévoit la rencontre avec un échantillon représentatif des différentes populations, y compris les représentants du personnel. L’audit couvre environ 40 filiales par an ; les notes attribuées concernent le niveau d’engagement : 1= non tangible ; 2= amorcé mais à progresser; 3= probant, bonne appropriation ; 4= avancé.
Pour 2008, les résultats font état d’une démarche très avancée :
25
Les femmes
Les personnes handicapées
Les personnes issues de
l’immigration
Les seniors
+
+
-
P D R Global Tendance
Pas de réussite économique durable sans projet humain ambitieux
Les résultats de l’audit diversité
Mesurer pour progresser : focus sur la politique diversité
Figure 43 : Résultats de la notation 2008 sur la politique diversité chez VINCI
207
L’indicateur mixité représentatif est la présence de femmes dans un métier traditionnellement d’hommes : le taux de la profession est à 9% alors que le taux relevé par VINCI dans le groupe est à 13%, tous métiers confondus. D’autres indicateurs pertinents sont le nombre de femmes sorties des écoles d’ingénieur, actuellement à 25%, ou le taux de recrutement de jeunes diplômées : VINCI est actuellement en phase avec le marché avec 26% pour 2008. Il existe, par ailleurs, au sein du groupe des postes de directeurs régionaux tenus par des femmes. Concernant la population des seniors, la pyramide est très équilibrée : 22% des collaborateurs ont plus de 50 ans, l’âge moyen est de 40 ans et l’indicateur de recrutement montre que 7% des personnes recrutées en CDI en France ont plus de 50 ans. Par ailleurs, le groupe vise à garder un management essentiellement local. Patrick Plein indique que cet exercice de reporting se heurte à plusieurs difficultés de constitution des données, en raison de l’étendue géographique du groupe, avec 90 pays à consolider et des définitions d’indicateurs différentes entre les pays.
‐ Favoriser l’actionnariat salarié VINCI a mis en place un plan épargne groupe avec un
abondement favorable, qui couvre aujourd’hui 87% des salariés : 9% du capital est détenu par les salariés, qui sont les premiers actionnaires, représentés par un administrateur salarié. Par ailleurs, la politique de signature d’accords d’intéressement mise en place couvre plus de 90% des salariés en France. La distribution au titre de l’abondement, l’intéressement et la participation en 2009 s’élève ainsi à 275 Millions d’euros.
‐ Favoriser l’engagement citoyen des collaborateurs, à travers la Fondation VINCI pour la Cité : dotée d’un budget annuel de 2 millions d’euros, la fondation aide les projets de 15 à 20 mille euros parrainés par les collaborateurs, qui favorisent le lien social dans la cité et le retour à l’emploi des populations exclues du marché de l’emploi. L’objectif est également de faire levier sur l’insertion et intégrer les populations ainsi formées au sein du groupe, voire de développer des projets d’activité entre les associations locales et le groupe. A ce jour, on comptabilise 121 projets soutenus par la fondation VINCI en Europe en 2008 ; plus de 2 millions d’euros de soutien et 150 collaborateurs engagés.
Autres indicateurs La sécurité est un sujet primordial dans le métier, et VINCI s’est doté de 3 indicateurs de mesure (fréquence/gravité/nombre d’entités sans accident) et d’une politique de prévention qui a permis de diviser par deux les accidents en 5 ans, sur une base mondiale. Patrick Plein indique que le groupe a par ailleurs remarqué une tendance, qui demanderait à être plus scientifiquement prouvée pour être appelée « corrélation », entre le résultat de la business unit et le nombre d’accidents de travail. Concernant la rémunération, VINCI utilise les critères classiques : le groupe ne prend pas trop en compte à ce jour de critères « soft » dans la partie variable. Le dialogue social est mesuré par les critères classiques du nombre d’heures, et concernant la productivité, la mesure est difficile et les indicateurs clés sont peu nombreux, compte tenu de la variété des métiers.
208
Depuis 2005, VINCI est régulièrement noté par les agences de notation (Vigeo, SAM) en matière de responsabilité d’entreprise et de politique de ressources humaines. Il est présent dans les indices sustainable Aspi Eurozone, Ethibel et DJSI. VINCI est reconnu comme employeur à forte image humaine : cela constitue un élément important de son capital immatériel et de sa réputation. Sa politique engagée de capital immatériel est évidente lorsque l’on analyse son taux de brevets déposés.
Patrick Plein présente les notations reçues par Vigeo et les scores de VINCI dans le DJSI :
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RSE : Résultats de VINCI 2009 par Vigéo Group
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RSE : Résultats de VINCI 2009 par Vigéo Group
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RSE : Vigéo - comparatif VINCI 2005 - 2009
La notation est sur 6 domaines. Chaquedomaine est noté sur un score de 100 et faitl’objet d’un rating variant de - - à ++.
2005 2007 2009
RESSOURCES HUMAINES 52 + 60 ++ 55 ++
ENVIRONNEMENT 41 + 47 ++ 49 ++
BUSINESS BEHAVIOUR 44 + 47 + 48 +
GOUVERNANCE 53 + 51 + 55 +
COMMUNITY 58 + 59 ++ 59 +
HUMAN RIGHTS 56 + 58 ++ 58 ++
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RSE : Vigéo - VINCI 2005 - 2009
Ressources humaines : VINCI maintient ses positions maisle critère « restructuration » a été activé.
2005 2007 2009
PROMOTION DES RELATIONS 65 1 65 1 65 2
MANAGEMENT DES RESTRUCTURATIONS - - - - 42 2
MANAGEMENT DES CARRIERES 56 2 74 3 58 2
REMUNERATIONS 46 1 - - - -
SANTE/SECURITE 51 3 44 3 55 3
MANAGEMENT HEURES DE TRAVAIL 36 1 - - - -
Figure 44 : Notations de VINCI par Vigeo
39
RSE : VINCI est dans le DJSIDJSI World Résultats et Comparaisons 2007 2008 2009 Tendance 2009 2009
Score VINCIScore VINCIScore VINCI VINCI score moyen du secteur
Score du meilleur
Total Score 62 67 69 48 82 - économie 76 75 77 61 87 - environnement 51 63 68 40 80 - social 65 65 65 48 83score pour le critère Economiecorporate gouvernance 84 90 86 69 91risque et management de crise 62 62 64 54 99codes de conduite/corruption 86 83 86 65 99relations clients fournisseurs 67 60 67 53 87évaluation non financière des projets 76 76 76 58 100environnementreporting 82 72 72 42 87politique environnementale 82 99 99 61 99éco-efficacité 10 28 37 23 82économie de ressource et efficacité énergétique 56 60 60 37 88transport et logistique 63 63 63 35 100stratégie climat 58 60 75 27 90matériaux de construction 63 63 73 51 85socialindicateurs de pratiques du travail 80 63 58 58 90développement du capital humain 67 67 67 38 94attractivité et fidélisation 26 43 41 36 64corporate citizenship et philanthropie 54 50 63 40 87reporting social 80 71 71 41 93santé et sécurité au travail 73 73 73 58 97standards pour les fournisseurs 71 71 71 48 95
Figure 45 : Scores ESG de VINCI dans le DJSI
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Questionnaire adressé aux entreprises par une grande agence de notation
Annexe n. 17
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211
212
Audition privée de deux directeurs financier et ressources humaines, Pme
M. est directeur financier et des ressources humaines dans une entreprise de logistique pharmaceutique non cotée, de 200 personnes, filiale à 100% d’un groupe allemand, réalisant un chiffre d’affaires de 600 millions d’euros et ayant comme clients les laboratoires français et européens. Par ses fonctions, M. fait partie du Comité de Direction, avec le directeur commercial et le directeur métier (pharmacien responsable des opérations). La fonction ressources humaines est de la responsabilité officielle du Président, avec l’appui du directeur financier. Selon lui, la conciliation des deux fonctions est possible dès lors que l’on met en avant les bénéfices obtenus par les actions engagées : cela est particulièrement vrai dans le traitement du turnover (la valorisation des coûts induits est donc nécessaire, ce qui permet de justifier des investissements importants dans des actions correctives) ou dans le traitement des taux d’absence (seul indicateur présent au tableau de bord RH, interprété comme un baromètre du moral des salariés). La qualité du service est un objectif commun aux deux fonctions, qui le poursuivent chacune de manière différente – d’un côté l’optique de rentabilité et performance, de l’autre la montée en compétence des salariés – et qui le mesurent différemment –la cohérence devant se placer pour l’un entre rémunérations et stratégies de l’entreprise, pour l’autre entre attentes des salariés et cercle vertueux de gestion des talents. Cette vision commune traduit ainsi la solidité stratégique de l’entreprise, et les deux rôles sont en symbiose. Dans cette entreprise, à forte composante capital humain, les axes principaux d’investissement en ressources humaines se déclinent autour des objectifs principaux de rétention des talents, via la motivation par la formation, les promotions et la rémunération.
La formation, outil de développement et d’amélioration de la performance de l’entreprise, est au cœur des investissements, avec un plan annuel très ambitieux à hauteur de 200% de l’obligation légale. La liste de sujets de formation demandée est très importante, notamment pour ce qui est des sujets de management, car les cadres intermédiaires et de proximité sont plutôt jeunes ; le DAF/DRH centralise les demandes venant des entretiens annuels et y accède volontiers, considérant que cette dépense est en effet un réel investissement. Les ROI ne sont pas pour autant évalués, ni la qualité des formations dispensées.
Compte tenu du métier de stockage et distribution de l’entreprise, l’amélioration constante des conditions de travail et de sécurité (ergonomie, propreté, confort) est également au cœur des efforts, et les indicateurs sont suivis de près par le DAF/DRH.
La rémunération est étudiée avec l’aide d’un cabinet de conseil extérieur : la partie variable suit le modèle classique d’indexation aux objectifs et critères individuels fixés selon la fonction du collaborateur par le N+1.
Annexe n. 18
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M. est directeur financier et ressources humaines dans un groupe industriel non coté de sous‐traitance dans l’équipement ferroviaire. L’entreprise familiale fondée il y a plus de 100 ans réalise un chiffre d’affaires de 140 millions d’euros et emploie 1200 personnes. Le comité de direction se compose du président et des directeurs généraux adjoints commercial, industriel, directeur ingénierie et financier. Ce dernier chapote une structure dédiée et opérationnelle de gestion de l’administratif des ressources humaines ; il donne l’impulsion pour l’action ressources humaines et s’appuie sur la compétence métier d’une responsable expérimentée. La répartition claire des rôles et la bonne entente permettent un équilibre constructif des pouvoirs. L’entreprise n’est pas soumise aux obligations de reporting des données sociales, hormis le bilan social annuel, et n’a pas une démarche volontaire d’intégration des axes ESG en dehors de la nécessaire certification ISO 14000 des sites de production. Les principes de responsabilité sociale sont néanmoins fortement présents dans la vision du patron et dans toute sa communication interne, mais ne sont pas relayés sur le terrain de façon opérationnelle par des outils et une méthodologie précise. Selon le témoin, le rôle concomitant de directeur financier et ressources humaines ne sont pas contradictoires dans la plupart des cas de prises de décision ; la question de la négociation salariale, très présente dans un groupe à faible présence syndicale, met toutefois en évidence les tendances divergentes que le directeur financier et ressources humaines doit gérer. Il est d’ailleurs significatif que le poids du dialogue social et le rôle d’interlocuteur des instances du personnel soient assumés par le directeur financier en toute sérénité et dans un esprit d’efficacité et de construction. Les axes d’investissement dans les ressources humaines couvrent le développement des talents, la sécurité au travail et la rémunération comme outil de motivation :
‐ Successions et gestion des hauts potentiels
Sans avoir mis en place une véritable gestion des emplois et des compétences, le directeur financier et ressources humaines a évalué les risques de perte des compétences clés et de la mauvaise gestion des hauts potentiels. Une procédure d’identification des key people au niveau cadre a été mise en place ; l’entretien individuel, auquel tous les responsables d’équipe sont formés, est l’occasion de décliner la stratégie et de valider les requis pour les key people. Deux comités de direction annuels évaluent les hommes clés et préparent les plans de successions.
‐ Formation et évolutions dans les cœurs de métier : ingénierie et développement,
sécurité et amélioration des conditions de travail
Le regard du directeur financier a détecté des dispersions importantes et des moyens insuffisants de mesure de l’efficacité dans le budget formation : la dépense a ainsi été rationnalisée et concentrée sur les axes stratégiques du cœur de métier et orientée sur les collaborateurs à haut potentiel. Aucune mesure spécifique de l’efficacité et des retours sur investissement n’a en revanche été mise en place. En parallèle, le budget a été redéployé vers l’amélioration des conditions de travail, dans l’objectif de réduction des arrêts maladie.
214
‐ Rémunération
Le chantier de négociation salariale, tenu par le directeur financier, a donné lieu à un système de rétribution et d’augmentation à trois niveaux : ainsi, l’obligation légale d’augmentation pour tous les salariés et le pourcentage de rémunération individuelle sur la base d’objectifs individuels (fixés par le manager lors des entretiens annuels) peuvent s’enrichir, hors enveloppe, de primes de rendement pour les hauts potentiels et les cadres supérieurs, sur la base d’objectifs individuels et d’équipe. En tout cas, la rémunération reste liée à des objectifs métier clairement mesurables, sans prise en compte d’objectifs de management et développement des équipes.
215
ORSE : Comparatif du Découpage du Champ Social OIT/GRI/FONDATION DE DUBLIN
Annexe n. 19
216
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