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LSS FEMMES DAWS LSS ROMANS PillNCIPAUX
DE CHARLES-FEEDINAHD RAMUZt
ROLE ET PRESENTATION
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VI ill lams, Gadrmi B., Les Femrass dans les remans princi-
p a l de Charles Ferdinand Bsxmz: rble et nr £senta11 on.
Raster of Arts (French), August, 19?1» 90 pp., bibliography,
2? titles.
The thesis states that women characters in the works of
Baams hare ranch more depth, life and. variety than first meets
the eye. In order to demonstrate this, It was decided to show
•women characters, •aaln, secondary and in groups, and to look
st their presentation in the novels recognized generally as
the nost important. Sources used, were the writer*s complete
works as vicll as as many critical works as seemed, pertinent
to the study.
The purpose of the study is twofold. One is to show
the presentation of women by examining the author's special
•ays of making his characters live. The other is to look at
wauefi from the point of view of their role and function in
the novels.
R&rmz* literary career has been divided into three main
periods, studied respectively in Chapters II, III and IV.
The first period, from 1905 to 191**, is the one which
shows the greatest variety of types of characters, although
all of the?a are very simple and basic in their passions.
There is but little outer description of the women, although
saaewh&.t more in the first oeriod than later. Ramuz sketches
the women, giving only the most striking features* Inner
life is sometimes pictured with appropriate metaphors» As'
to types of women, they range from faithful to adulterous,
indicating.that this is a period of searching and experi-
menting for the author.
The second period, from 191^ to 1925# marks a special
interest in mysticism, in the power of woman to express a
higher form of love, that is, love for humanity* In terms
of character, these women do not express much personality of
their own since their actions are guided by a higher power.
They fit into the theme of the novels, and their function is
to create hope and faith in the people surrounding them.
During this period bhe most striking factor is the appear-
ance of the group as, in a sense, the main character. The
heroines and 'cheir actions are described by members of these
groups, who therefore lend much color to the presentation
and interaction of characters.
The third period, from 1925 to 193?» In which Ramuz •
•reaches a simplicity that is classical in its quality, marks
the height of his literary career. The individual becomes
once again more important than the group, but the characters
are still only sketchily presented. The women gradually
take on a special grace; they become the symbol of the eter-
nally feminine, of beauty, and more and more that of fecun-
dity.
It is the conclusion of this study that, by Hamus®
selection and presentation of important colorful traits,
through the use of scant dialogue and inner monologues, he
is able to .portray very real persons which are memorable to
the reader. In spite of the lack of traditional psycho-
logical analysis, the artist paints in very few words very
convincing and varied women. It is also possible to trace
the development of the role of woman from that of a variety
of aspects of human relationships in the first period,
through a supra-worldly love in the second, to a devoted,
graceful marital and maternal love in the last period.
LES FEKFiES DANS I,ES ROMANS PliINCIPAUX
DE CHARLES-FEEDHi AND HANUZ:
ROLE ET PRESENTATION
THESIS
Presented to the Graduate Council of the
North Texas State University in Partial
Fulfillment of the Requirements
For the Degree of
MASTER OP ARTS
By
Gudrun B. Williams, B. A.
Denton, Texas
. August. 1971
Chapitre Page
I. INTRODUCTION . . 1
II. PREMIERE PERIODS (1905-191*0 12
Aline, Les Clrconstances de la vie, Jean-Luc pers^cuti, Vie de Samuel Belet
• III. DEUXIEME PERIODE (1914-1925) 35
Le Regne de 1' esprit mal3nt La Gu6_rison des maladies, Passage du £Oc;_te
IV. TROISIEME PERIODS (1925-1937)". . . . . . . . . . 60
Grande Peur dang la montagne, La Beauty sur "la terre , Farinet ou la fausse monhale, Derborence " * ~ ~™ " "
V. CONCLUSION 79
BIBLIOGRAPHIE 89
lii
CHAPITJRE I
INTHODU CTION
Un livre pour le vrai lecteur n'a pas besoin de
finir bien, il n'a pas besoin d'fitre "moral", 11
n'a pas besoin d'apporter des faits, d'etre in-
struct if, de vous apprendre quelque chose, comae
on dit, de rien expliquer; ou plutot il explique
tout, et enseigne tout, et tire toute sa moralitd
de vous mettre d'abord prof ond<£ment en communi-
cation avec un Stre et a travers cet etre avec
les autres Stres. le inonde des creatures et meme
le raonde incr££. Ni-
cest avec ces lignes qu'en 1929 C.-F.rEamuz explique dans
sa Lettre a Henry-Louis Mermod, son dditeur, ses iddes sur
sa philosophie d'dcrivain, On sent dans ces paroles l'h citrate
qui a cherchd toute sa vae a trouver la perfection de la
forme et ce qui serait sa v<Srit<S, sans se soucier d'Scrire
seulement pour un public limits, qui serait "le vr&i lec-
teur." L'id^e finale et centrale est que l'Stre est fonda-
mental dans son oeuvre, qu'a travers un etre dans une oeuvre
les hommes se sentent plus proches les uns des autres, Ramus
appuie done lui~meme sur 1*importance des personnages dans
ses oeuvres, et e'est ainsi qu'on peut Stre surpris, cornnie
on va voir, que si peu de travail de recherche a 6t<5 fait a
ce sujet. II serable done nature! de dgvouer une <5tude aux
personnages de Ramuz, plus specialement aux femmes, conune il
1 C.-P. Ramuz, Oeuvres completes (Lausanne, 196?), XII,
300. (C i -aprfes cities comme 0»c.)
x
sera expllqu5 un peu plus tard.
C.-P. Harauz est encore connu et appr^cid par un nombre
trfes restreint de lecteurs, merne en France et en Suisse. S* 11
est assez peu connu dans les pays francophones, Rarauz I'est
encore moins aux Etats-Unis et, au fait, en Angleterre. D'une
trentalne d' oeuvres Importantes publi£es eri vlngt-trols vo-
lumes pour la premiere fois par H. L. Mermod entre 19 -0 et
195^, puis r£vls£e en une nouvelle Edition de vingt volumes,
(prdsentde par Gustave Roud et Daniel Simond) aux Editions
Rencontre a Lausanne en 1967» seulement six romans ont
2
traduits en anglais, dont deux aux Etats-Unis. II y a cer-
taines difficult£s h bien traduire le langage podtique de
Ramuz, mais ce n'est pas une tache impossible. Tr&s peu de
recherches ont £td faites dans ce pays au sujet de Ramuz et
de son art; seulement quelques articles et peu de theses
doctorales ont paru.
Le travail de recherches qui a e3te§ fait en Suisse et en
Prance au sujet de Ramuz traite presque entl&rement de son
art, son style po<5tique et ses qualitgs de peintre, comme
l'indjquent les titres des oeuvres.^ Gilbert Gulsan et Albert
O Marilyn Yalom, "Views and Reviews; Prophet within his
own Language," ADAM International Review, Nos. 319-20-?.! (196?), ?6.
3 Voir, par exemple, AndrsS T is sot, C. -F. Ramuz ou le dram e
de la po^sie (Neuchatel, 19^-8).
h
B£guin appuient sur la "patience" de Ramuz, c'est-a-dire, son
travail continuel vers la perfection. Maxence Dichamp, de
son cbt&, s1int^resse surtout a "l'authentique"-* chez Ramuz,
et Marguerite Nicod parle du style et de 1*esthgtique
C'est sans doute surtout par sa force podtique que
Ramuz s'est ddja £tabli, et qu'il continuera a St re reconnu
comme maltre, mais les critiques et les homines de lettres ont
en grande partie voulu donner une place secondaire aux per-
sonnages de Ramuz. Au cours des recherches pour cette £tude,
Maxence Dichamp a £t£ estim£ 1'auteur qui apprdcie le plus les
personnages de Ramuz. Dichamp adraet qu'il ri'est pas toujours
facile pour le lecteur de voir que 1'enquSte fondamentale de
Ramuz est l'homme, son ame et sa destin^e. II continue:
"Sans doute les romans de 1'artiste ne sont pas h. propremerit
parler des analyses psychologiques. Mais ce serait une gros-
sikre erreur que de les croire d^pourvus de toute psycholo-
7
gie . . . Quand on pense a l'analyse psychologique, il
est naturel de penser a des £crivains comme Balzac, Flaubert
et Stendhal, qtii tous donnent beaucoup plus de details, soit h. Voir, par exemple, Gilbert Guisan, C.-F. Ramuz ou le
gdnie de la patience (Geneve, 1958)t et Albert BiSguin, Patience de Ramuz ("Boudry-Neuchatel, 1950)-
• Voir Maxence Dichamp, Ramuz ou le goflt de 1•autheu-t Ique (Paris, 19 -8).
Voir Marguerite Nicod, Du r£alisme a la r£alit£. Evo-lution artistique et itingraire spirituel de Ramuz (Genfeve, 196577 ~ ~ ~ ' ^ " "
7 Dichamp, p. 121.
de ce qui entoure leurs personnages, solt des motifs de
leurs actions. Mais, cette etude-ci n*est pas une etude
comparative et ainsi n'inclura pas d'examen des personnages
feminins d'autres romanciers. En outre, l'on suppose que le
lecteur connalt la presentation de tels auteurs qui repre-
sent ent peut-§tre ce qu'on appelle le roman traditionnel.
Dichamp appuie sur le fait qu'un ecrivain peut rdaliser 1*in-
trospection sous autre forme, et que Ramuz montre une con-Q
naissance sftre et approfondie du coeur humain, II finlt
par dire: "Et il suffit de parcourir l'oeuvre pour se persua-
der que le hdros ramuzien apporte sur I'homme un temoignage
complet et authentique.En consequence, il est clair qu*il
existe un besoin d'etudier en profondeur les personnages de
Ramuz, et que la thfese en deviendra d'autant plus valable.
Voici done 1*essence de cette etude: les personnages
ramuziens, et plus precisement les femmes, ontbeaucoup de pro-
fondeur et de relief, ainsi que de variete, beaucoup plus que
ce qu'il apparait a premiere vue. Parall&lement a lranalyse
de la presentation des personnages feminins, ces femmes seront
analysees du point de vue de leur r&le dans les oeuvres, et 10
du developpement de la conception de la femme chez Ramuz.
8 Ibid., p. 122. 9Ibid., p. 123.
Au cours de la lecture, il est devemi clair que la por-tde de 1*etude dut §tre limitee; ainsi le choix de se borner aux personnages feminins. II aurait ete possible de choisir soit les hommes, soit les femmes, puisqu'il n'existe au fait d'etudes specifiques, ni des uns, ni des autres.
L'emploi du mot r51e ici suit deux definitions donndes dans
Le Petit Robert (3e Edition, 1968): "Conduite sociale de
quelqu'un qui joue dans le monde un certain persomiage," et
"Action, influence que I'on exerce, fonction que l'on rem-
plit." Le lecteur trouvera dans les trois chapitres suivants
une analyse syst£matique des personnages f^minins dans les
oeuvres principales de Ramuz, repr£sentant les trois pdriodes
de sa carrikre litt^raire. Ces trois p£riodes seront expli-
qudes un peu plus tard dans ce chapitre.
Puisque Ramuz est si peu Gonnu dans ce pays, il sercble
judicieux d'inclure quelques observations sur cet dcrivain,
pour mieux comprendre les oeuvres individuelles. Ces re-
marques concerneront surtout le sujet de ses oeuvres, leur
cadre, et les id<5es personnelles de Ramuz sur le choix et la
presentation de ses personnages.
D£ja en 190^, dans une notation dans son Journal, dat£e
le 11 avril, Ramuz exprime ses iddes sur le sujet de ses
oeuvres quand il dit: "II n'y a d'£ternellement neuf que
1'eternellement vieux. II n'y a d*indpuisable que les lieux
cornmuns. II n'y a que deux choses qui int^ressent: 1'amour
et la mort. Tout sujet qui sort de 1*ordinaire de la vie ne
1 1
u)£rite aucune a t t e n t i o n . L e 23 octobre 1905 Ramuz ajoute:
"Les *p£rip£ties' ne m*int^ressent pas. L'invention ne doit
pas Stre' dans le sujet; elle doit etre dans la manifere de le
1:lC»-F. Ramuz, Journal, 1896-1942 (Paris, 19^5), p. 10?.
12
rendre. Elle est dans le ton, dans le choix." Dans les
deux notations pr£c£dentes, Ramuz montre ce que le lecteur
volt dans toutes ses oeuvres, que l'dcrivain choisit des his-
tolres & trfes peu d*intrigue et des personnages aux passions
£l£mentaires. Comme le dit Henri Pourrat: "A peine une his-
toire parfois, mais toujours un sujet, et peut~§tre tcujours
le m§me sujet: lfhomme'et son destin."-^ En 191^ dans Ralson
d*etre, Ramuz reprend ces ni6ra.es id<5es, appuyant sur I'univer-
sel de son choix du simple: "La vie, l'amour, la mort, les
choses primitives, les choses de part out, les choses de tou-
jours. . . . cette mati&re universelle (et qui est aussi bien
africaine, ou chinoise, ou australienne que de ' chez nous')
II sernble clair en lisant le prdc^dent que Ramuz recherche le
g£n£ral, I'universel, et qu'il ne peut Stre classS simple-
men t, comme on l'a fait, avec les auteurs dits rustiqucs
Charles Ko4'lla ajoute a ce sujet; "II faut ndanmoins consi-
ddrer Ramuz comme un Pokte-Paysan; son oeuvre c'est le Chant
de celui qui cultive la terre et qui obdit au rythme de la
nature.""^ II ne s'int^resse pas au folklorique en soi, ce
12lbid., p. 128.
"'3 " R a m u z et le paysan," Cahlers de la Quinzalne, Premier cahier de la dix-~sept i&me s£rie ^1926), lE?.
lZ|Q. c., VII, 58.
1--'Tour une analyse de Ramuz et le roman rustique, voir
Paul Vernois, Le Roman rustique de George Sand a Ramuz (Paris, 1962), le~ chapitre X V p p . <507 328."
^"A la recherche de l'ame primitive," PKLA, XLVI1 (December, 193?-) a 1198.
qui est exprimg dans Ralson d'etre corame suit: MLe mot
[folklore] . . . nous semble aussi d^plaisant que la chose.
. . . Le particulier ne peut Stre, pour nous, qu'un point
de depart. On ne va au particulier que par amour du ggngral
et pour y atteindre plus sftrement.
Pourtant, bien que Ramuz appuie sur 1*universality, ce-
la n'empSche pas qu'il situe tous ses romans en Suisse. Une
notation dans son Journal, dat£e dgcembre 1$?05, montre com-
bien Ramuz fut lid h. son pays natal, quand il dit que Paris
ne put £tre pour lui "qu'un stage, et un lieu de s£jour pro-
visoire, et peut-on dire un bain ndcessaire, parce qu'il fait
mieux appr^cier le large, 1'atmosphere, I'espace grand ouvert,
toute naturelle beaut<5." Ces lignes expliquent pourquoi,
m§me pendant ses ann£es a Paris, 11 situa tous ses romans
presque entikrement en Suisse, ou plus prScis£ment dans les
cantons de Vaud et du Valais. II connaissait cette region
intimement de son enfance et de ses nombreux sSjours qu'il y
faisait pendant qu'il habitait Paris. Le 20 mars 1903 il
gcrivit dans son J ournal au sujet du paysage qu'il aimait
comrne fond pour ses romans: "Le lac et la montagne m'obse-
dent par ce qu'ils off rent de g£n«5ral qui convient a in on dtat
d'esprit. Je ne cherche dans les choses que des images et,
plus ces images sont vastes, plus elles m'attirent."-*-9
17o.c., v i i , 57.
18P. 132. 19Pp. 82-83
8
Comme il a d£ja ^tabli, les personnages de Ramuz,
h pen d'exceptions pr&s, sont tous des hommes et des femraes
trks simples, des paysans tels qufil avait vus pendant des
2.0
scours a la campagne et h la montagne. ' Dans le Journal,
on lit: "Je mettral en scfene des paysans, parce que c'est en
eux que je trouve la nature a l'£tat le plus pur et qu'ils
sont tout entourds de ciel, de prairies et de bois." Pour
montrer la ndcessitd chez Ramuz de se limiter a cette classe
de personnages, Albert Bdguin cite Ramuz qui, dans la preface
b. un livre de Bernard Voyenne, dit: "II m'est impossible de
parler de gens et de choses que je n'aie pas d'abord v£cus par
22
le dedans," indiquant qu'il devait choisir pour ses h^ros
des Stres auxquels lui-m§me £tait "nativement apparent^.
Le paysan est pour Ramuz 1* horome primitif que Charles Koella 2 4'
d^finit comme "celui obgissant aux lois permanentes," Dans
s a Lettre a Henry-Louis Mermod, Ramuz critique l'dcole quand
il dcrit: L'^cole a ddtruit quelque chose d* inf injment pr?5-cieux au fond de beaucoup d'hommes, ou tend sans cesse (et d'ailleurs sans le vouloir et le savoir) k le ddtruire; c'est sans doute ce quelque chose qu'instinctivement, a y r^fldchir, je cherche chez on On peut noter ici que, curieusement, Ramuz £tait d'un
milieu bourgeois et tr&s bien gduque.
P. 108. "p. 11.
23Ibid. ' 1199.
ces autres hommes, ceux qu'elle a le moins fajon-n£s, ceux qu'on appelle les primitifs (je ne les aime pas en tant que "primitifs" comme on semble le croire; il ne faut pas §tre seulement un pri-mit if, il faut Stre aussl un primitif).^5
Dans Besoin de grandeur, Ramuz compare le paysan aux rois de
Racine, disant que les paysans et les rois dchappent aux obli'
gat ions sociales: "L'homme, dans le monde bourgeois, est en
proie a la nature ou a Dieu; c'est-a-dire, a la fatality des p/£
lois naturelles . . . et ils peuvent ainsi suivre leurs
instincts. Dans Tallle de 11homme, Ramuz continue, sou-
lignant 1'importance du paysan dans sa pens£e. Le paysan a
ses activit^s 'ddtermindes par la terre.. et le ciel, par les
saisons, par la pluie, la gel^e, . . . toutes les choses na-
turelles . . . c1est-a-dire un ordre, C*est-a-dire un
rythme . . . . Lucille Zoller, dans sa th&se doctorale,
tire la conclusion, qui soutient ce que dit Ramuz de 1'im-
portance de l'homine primitif, pas ngcessairement si simple:
. . . "basic" man, "elemental" man . . . emerges, not as a barbarian, but as a well-disciplined, necessarily hard-working, freedom-loving, self-dependent being, with integrity of spirit, a fata-listic patience in adversity and a nobility com- R parable to that of the heroes of classical tragedy. Chacun des trois chapitres suivents contient 1*analyse
des personnages f^minins de quelques oeuvres d'une p^riode
25p.c., XII, 292.
260.c., XV, 262. 27Ibld. P Q "1 Primitivef Man as Protagonist in Certain Works of
C.-F. Ramuz," unpublished doctoral dissertation, University of Pittsburgh, Pittsburgh, Pennsylvania, 1952.
10
de la carrikre de Ramuz. L*auteur a accepts l*autorit£ de
plusieurs sp^cialistes qui conviennent de cette division.^
Cette division est simple mais logique pour presenter d'une
fa^on claire les points les plus importants h l'dgard des fem-
mes. II sera ainsi possible de comparer et contraster
d'une p^riode h la suivante et de montrer le d£veloppement du
r&le de la feme a travers la trentaine d'ann^es de la pro-
duction importante de l'artiste, c'est-a~dire, de 1905 a 1937*
La premiere p^riode comprend les amines de 1905 a 191^.
que Ramuz passa principalement a Paris. Pendant ces anndes
11 dcrivit surtout d'Stres solitaires dans tin climat tragi-
que. La deuxi&me p<5riode, de 191^ a 1925» marquee au d€but
par les influences de la Grande Guerre, r^vele 1*obsession
de Ramuz avec les pouvoirs mystiques. La troisi&me, de 1.925
h, 1937» montre Ramuz tournant son attention vers les forces
de la nature et I'homme en face de celles-ci. Comme on va
voir, cette dernifere p^riode est considdr£e celle de la mai~
trise par le style d<5pouill£ et clair qui permet h Ramuz
d'arriver a une universality presque classique. Le choix'
des romans pour representer chaque pdriode a £t£ dictg par
les titres donnas dans les oeuvres importances consult^es.
Pour aider le lecteur, dans chacun des trois chapitres
suivants, quelques remarques g<5n£rales sur les romans et les
personnages seront suivies par 1*analyse des personnages
2%oir, par exemple, Dichamp, Tissot et B^guin (oeuvres ddja cit£es).
11
principaux et secondaires f&ninins, puis des groupes, pcur
ehacun des romans nomm^s.
Fulsque la presentation stylistique contribue tant a
rendre vivants les personnages de Ramuz, il a jug6 n&-
cessaire de donner de nombreuses citations directes, souvent
assez longues, pour que l'effet gdngral ne soit pas perdu.
Pour rafraichir la m^moire du lecteur, il a dgalement semblg
judicieux de donner de brefs r£sum£s des romans.
II est a espdrer que cette dtude contribuera a une plus
grande appreciation de l'art de Ramuz en montrant la richesse
et la profondeur des personnages f£minins de Ramuz, aussi
bien que leur role dans ces oeuvres.
CHAPITRE II
PREMIERE PERIODE (1905-191*0
Blen que touts la vie de C.-F. Ramuz flit marquee par le
d£sir de toujours chercher et se d^velopper, la premiere p£-
riode, qu'il passa a Pai'is, est celle qui reflate la plus
grande vari£t£ d'oeuvres et de styles, clairement une pdriode
oti l'£crivain cherche a trouver sa voie."*" four expliquer ses
premiers efforts littdraires, il est intdressant de lire la
notation dans son Journal du 11 avril 190^ qui lit corarae suit:
MJe cominencerai par ne rien faire d'autre que de peindre avec
scrupule ce que j'ai autour de moi le plus simplement pos-
sible; je n*ai pas le droit d*agir autrement. . . . J'es-
saierai de mettre dans ce que je ferai de la piti£, de la
9
tendresse et de l'arnour."
Seuleraent en lisant les titres des oeuvres dtudi^es
Aline (1905). Les Circonstances de la vie (190?), «Jean-
Luc pers€cut<§ (1909), et Vie de Samuel Be let (1913)» le lec-
teur peut noter que Ramuz voulut presenter "'l'histoire de
quelqu'un.C'est I'individu qui intdressat l'^crivain a
cette £poque de sa vie, "l'homme solitaire marqud pour la
•'"Tissot, p. 26.
2P. 108.
% is sot, p. 1 -2.
12
13
solitude par une designation myst^rieuse.
Le premier roman de Ramuz, Aline, est la tr&s simple
histoire d'amour d' une petite paysanne, Aline, pour un jeune
homme, Julien, qui la ddlaisse bient&t seule avec son b£bg.
A la fin, Aline £touffe son enfant et se perid elle-mSme.
Ramuz ne donne qu'une impression ggngrale de la personne
ext^rieure dfAline. Ndanmoins, le lecteur sent imm£diatement
l'amour de Ramuz pour la peinture dans ces descriptions. Le
peintre se rdvkle quand, au d£but du livre, Julien rentre de
faucher et voit une femme, de qui Ramuz dit qu'elle "semblait
avoir une robe en poussikre rose."^ Les deux jeunes gens se
rencontrent sur le chemln, et l'auteur d£crit alors Aline en
traits simples: maigre, p&le, &gde de dix-sept ans, avec des
taches de rousseur. On lit alors: "Pourtant elle gtait jo-
lie. Son grand chapeau faisait de 1*ombre, sur sa figure,
jusqu'li sa bouche qu'elle tenait f ermeJe.Ramuz ajoute
aussi qu'elle a les cheveux blonds, liss^s, nouds en lourdes
tresses. Elle porte un panier, de gros souliers et une jupe
courte. Un peu plus tard, le lecteur voit encore une fois
Aline, cette fois comme elle apparait dans les pens<3es de
Julien, toujours avec peu de details: "Et il se representalt
Aline dans sa t§te, avec ses pet its bras minces, son cou brun
en haut, blanc en bas, sa poitrine qui bougeait."? Seulement
^B^guin, p. 5?. ^O.c., I, 88.
6 7 Ibid. 'Ibid,, p. 102.
In-
line fois plus tard, quand Aline va dire a Julien qu'elle est
enceinte, Ramuz nous d^crit encore bri&vement sa figure et
ses vStements: "Elle avait les pommettes rouges comme deux
pet its feux allumds. Elle avait un corsage de toile bleue, O
une vieille jupe brune."
Plus ddvelopp^s que 1'aspect physique d'Aline sont les
sentiments de son amour naissant. Aline est uri.des meilleurs Q
exemples de la pelnture dite "du dedans," c'est-a-dire,
celle oti la vie intgrieure des personnages principaux donne
le ton au roman. Ramuz £voque les Amotions en se servant
souvent de comparaisons tres simples et terrestres qui s'ac-
cordent bien avec la simplicity du personnage principal.
Quand par exemple Julien, a la premiere rencontre dSja men-
tionnge, cherche les mots pour demander a Aline qu'ils se
revoient, on lit: "Ce fut le moment oti elle hgsita, et son
coeur se balangait comme une ponune au bout d'une branche;
puis l'envie fut la plus forte."10 Plus tard, seule, pen-
sant a Julien, Aline se rend compte que "peu a peu, elle
avait eu plaisir h le voir, parce que 1'amour entre dans le
coeur sans qu'on l'entende; mais une fois dedans, il ferme 11
la porte derri&re lui."
Dans toutes ses actions Aline agit selon ses instincts,
fait ce que lui dicte son coeur. Evidemment alors, la 80.c., I, 150. %issot, p. 233. 1Q0.c., I, 90. 1XIbid., p. 91.
15
question de morale entre trks peu dans ses pensdes, bien
qu'on sente quand m£me que son instruction religieuse a eu
son influence: "Elle savait bien que les baisers <3taient dd-
fendus. Gelles qui se laissent embrasser, on se les montre
entre filles en se poussant du coude. Et il y a encore le
12 •
cat^chisme." On peut remarquer que dans cet exemple l'em-
ploi du 11 on" donne une na2vet<§ spdciale aux pensdes d*Aline.
Julien, ayant davantage d'experience, encourage Aline, et
les instincts triomphent, comme on voit quand on lit: Aline
"chercha bien a se dǤfendre, mais le cr^puscule la poussait,
l'herbe aussi . . . 1*ombre qui disait: 'Va vers lui.1 . . ,
Elle sentit la bouche de Julien sur sa bouche, et son corps
se fondit comme la neige dans le soleil.
Poussde par son amour, Aline revoit Julien, mais un
soir Henriette, m&re d1Aline, s'inqui&te de ce que sa fille
rentre tr&s tard. Apr&s lui avoir menti, Aline est frappde
par sa conscience, et on lit alors: Elle ne pouvait pas la voir, ayant d£tourn<5 la tete, mais elle sentait ses yeux comme deux brCt-lures sur sa peau. Puis son sang commenga a re~ muer, d'abord tout au fond, ensuite en montant, et il vint bientot dans sa gorge, comme de l'eau bouillante qui fit un flot rouge sous ses joues et chanta dans ses oreilles; toute sa t£te fut en feu.l*
Encore, la nature est la plus forte et, quand la mfere defend
a sa fille de voir Julien, Aline voit "que son amour, ayant
12Ibid., p. 94. 13ibld. ^Ibid., p. 104.
16
grand! comme une plante sous une dalle, ddrangea ses rai-
sonnements. II poussa toujours plus fort, elle souffrit
IS
toujours plus." ^ Dans ses penstSes elle revolt le bois et
le prd oti lis ont eu des rendez-vous, "car 1* esprit a la li-
berty et il est raplde, mais le corps est attach^ et 1*es-
prit se raoque de lui. Elle enviait les hirondelles qui sont
libres dans le del." Sa mire lui dit que tout passe,
mais "Aline sentit son coeur qui se levait tout droit, ayant
retrouvg le courage et la volont£. . . . Alors elle connut
le veritable amour; il dclata soudain comme un feu dans la
n u i t . C ' e s t aprfes cette separation que culmine 1'amour,
mais chez Ramuz l1amour ne dure pas, comme on voit dans ces
paroles: Comme elle se peignait devant son miroir,
Aline vit la joie qui £tait cach^e dans le fond de son coeur se lever prfes d'elle et I'appeler par son nom. Elle sourit. Ses cheveux lisses £clairaient son front: elle 4ta.it lav£e d'eau fraiche. Et ce fut le Jffur de la plenitude,
mais ce jour est court.-*-"
Peu a peu 1*amour de Julien se refroidit, lis se re~
voient plus rarement, et Aline ressent la cruaut£ des homines.
Les pens^es de la mort lui paraissent presque douces: "Aline
dprouvait qu'il est quelquefois tellement difficile de vivre
qu'on aimerait mieux en finir tout de suite. On ferraerait
les yeux et on se laisserait ailer comme la feuille dans le
r u i s s e a u . C e n'est que quand Aline dit a Julien qu'elle
1^Ibld., p. 106. l6Ibid. 17Ibid., p. 10?.
l8Ibid. , p. 123- 19Ibid., p. 1*1-5.
17
est enceinte qu'elle se rend, vraiment compte qu'il ne veut
plus d'elle. La sant£ d'Aline empire, et le bdb<§ est n«5 trfes
faible. Aline ne rdagit presque plus. On sent qu'elle meurt
tout doucement, et il semble presque naturel qu'elle se pend.
Le lecteur ressent une piti£ pour elle et m§me un soulage-
ment.
Le personnage secondaire de Henriette, en servant a
mettre en relief les actions instinctives d'Aline, est bien
d^crit • et pr^sentd. Son age et son amour dur frappent im-
m^diatement. La premifere fois que Ramuz pr^sente Henriette,
il r^ussit d'une fajon remarquable k £voquer en un seul para-
graphe le milieu ainsi que l'ext<§rieur et l'int£rieur de cette
pauvre f emme:
La vieille Henriette aimait 1*argent qui est doux a toucher, come du velours, et il a une odeur aussi. Mais, si elle aimait 1'argent, c'est qu'elle avait tant travaill6 pour le gagner qu'il lui en restait un cou tordu, un dos voCitg et des poignets comme deux cai].loux. Les veirtes de ses mains ressemblaient a des taches d'encre. Comme elle n'avait plus de dents, son menton remontait jusqu'a. son nez quand elle mangeait. Elle alia it dans la vie avec tranquillity et sans hesitation, ayant fait ce qu'il fallait faire; elle voyait ce qui est bien, ce qui est mal; et puis elle atten-dait de mourir & son heure, car Dieu est juste, et on ne va pas contre sa volontiS. Elle avait un bonnet noir sur les cheveux tir£s aux tempes. Les jours s'en venaient, les jours s'en allaient et les plantes poussaient, chacune en sa saison.
Evoquant tous les sens, l'^crivain exprime 1*avarice de la
vieille femrae, mais on la comprend. quand on volt sa dure vie,
que Ramuz montre par moyen de la peinture ext^rieure: le dos
20Ibid., p. 90.
18
vofttd, les poignets, les veines compar<5es a des taches d'en-
ere. La sympathie est cr5£e aussl par la simple et dmouvante
expression de la resignation, l'acceptation de 1'inevitable,
dm rythme des saisons, dont depend la vie des paysans. C'est
non seulement la conscience du devoir accompli, mais aussi un
fatalisme trfes r£pandu a la campagne.^
En d^pit de sa resignation, Henriette se montre tres ri-
gide et dure envers sa fille en se rendant compte que celle-
ci est enceinte:
Henriette eut de la peine a comprendre, mais une fois qu'elle eut compris, ce fut fini. Son amour allait b. rebours. II y a un amour sev&re et rude qui chatie. Quand on est honn§te on a des enfants honnStes. Elle eut d'abord une grande colere; elle disait:
--Es-tu ma fille? Puis cette colore durcit le coeur. --Une fille, une seule, et la voilal Je de~
vrais te dire: "Va voir ailleurs comme il y fait." Je te garde, mais va droit k present; si tu vas courbe . . .
Elle ferma la porte, Les id^es se dressaient dans sa t§te comme le bois vert dans le feu; elle remuait le bras et toute sa bouche remuait avec. 2
Ainsi, Henriette semble reJeter sa fille, mais peut-Stre que
c'est sa fa^on d'exprimer le sentiment d'une m&re d'avoir
echoue dans ses efforts de lui donner son propre sens moral.
Cette m§me durete apparalt encore plus fort quand on lui
apporte le corps de sa fille qui s'est pendue: "Se dres-
sant toute droite, elle cria:
^Gulsan, p. 23-
220.c., I, 52.
19
--C'est M e n fait1. C'est bien fait! Elle ne I'a pas
volS!"23
Vers la fin du roman, Henriette inspire de nouveau la
piti<§ quand elle souffre de sa solitude. On la trouve nsSgli-
geant son jardin dont elle avait si fikre:
Quand on n'est plus utile h rien, on ne sait pas que faire, ni oti aller. Elle gtait toute seule.
Elle gtait comme une vieille vigne qui ne donne plus de fruits et dont les feuilles sont tombdes, mais qui. tient ferme h la muraille et resiste au vent. ^
Elle continue ses activit^s d'une fag on m<5canique, comme on
voit dans le suivant: "Henriette buvait son caf£. Elle man-
geait son pain. Elle vivait. C'est le sang qui va quand
mSme, monte au coeur et en redescend, quand le reste est
presque mort."2-5 on sent qufil n'y a plus rien dans la vie
de la vieille femme sauf 1*instinct de rester en vie.
De la simple atmosphere du petit village montagnard, on
passe a un milieu bourgeois, en consid^rant le deuxi&me roman
de cette p^riode, Les Clrconstances de la vie. Ce roman est
le seul dont les personnages soient bourgeois dans le cadre
de deux villes vaudoises. II peut Stre int^ressant de noter
que Ramuz avait dft gagner sa vie quelque temps comme institu-
teur dans la petite ville d'Aubonne, vine p£riode dont il gar-p /
dait de mauvais souvenirs. Cette oeuvre d'un style tvbs
different de celui d'Aline, semble §tre pour Ramuz "une cure
23lbid. , p. 1?6. 2^Ibld., p. 187. 2-^Ibld., pp. 189-190
2^Tissot, p. 63.
20
27
de rdalisme flaubertien." Le ton satirique qui apparait
en plusieurs endroits dans le roman montre 1'attitude anti-
bourgeoise de l*£crivain, et en contraste avec Aline, oti il
pr^sentalt seulement, on sent ici que I'auteur veut exprimer
aussi un jugement.
Le h6ros des Ciroonstances est Emile Magnenat, notaire
mediocre et faible, qui, apres etre devenu veuf, se fait
£pouser par une servante suisse-allemande, Frieda, puis est
trahi par celle-ci.
Comme on a vu dans les pages pr<5c£dentes, Aline est r£-
vdlde presque enti&rement de I'int^rieur. Frieda, au con-
traire, £tant ferame de paroles et d'actions, est vue la plu-
part du temps de l'ext^rieur. (Juand par exemple, elle arrive
chez Mme Buttet, belle-mere d'E raile, c'est par ses v§tements
que nous la rdvfele Ramuz, puisque ceux-ci montrent 1'impres-
sion qu'elle veut donner: "Elle ota ses gants de fil blanc, O A
son manteau beige et son chapeau." On lit plus loin, con-
tinuant 1 * observation precise de ses vetements: Sa robe £tait de drap vert avec des parements de velours aux Blanches; le devant du corsage s'ouvrait sur une esp&ce de faux gilet en satin cr^me; elle avait une grande chaine d*argent, une ceinture a boucle de m^tal et des bottines de cuir jaune. "
II est clair que Frieda fait beaucoup d'impression sur
Emile qui est assis a cStd d.'elle au diner. Puisque la femrne
d'Emile, H£lene, est maigre et pale, la volupt6 de Frieda est
^^Charly Guyot, Comment lire C.-F. Ramuz (Paris, 19^6), p. 27.
28 O.c., II, 67. 29lbid., p. 68.
21
d'autant plus frappante quand il tourne les yeux de 1'une a
1'autre. II faut noter ici la description assez longue et
precise des details:
Lui, la regardait aussi par moments. Elle etait beaucoup plus jolie en r£alit£ que sur la photo-graphie qu'elle leur avait envoy <§e. Elle avait des masses de cheveux, lis ^talent "blonds et roux aussi, ou plut&t blonds avec des reflets roux; relev^s par deyant et sur les oreilles, nouds par derrifere en un gros chignon. Alors le front des-sous paraissait tr&s £troit et les sourcils fai-saient tine ligne droite. Elle avait aux joues un petit rond rouge corauie une poupde; la bouche 3tait grande, le menton fort. Pour ses yeux, ils gtaient bleus.^O
Frieda represente pour Emile ce qu'il y a au dehors de
sa petite vie bourgeoise, et il se demande s'il est aussi heu-
reux qu'il pourrait I'Stre."^ Plus tard H lfene meurt d'une
pneumonie et Emile cede a son d£sir de Frieda. Pour elle,
c'est une fajon de gagner une position sociale, de se marier
et de pouvoir obtenir des biens mat^riels. Longtemps Frieda
profite de la faiblesse d'Emile, mais un jour il ose la con-
trarier au sujet d'un chapeau qu'elle a achet£. Puis il com-
mence aussi a lui reprocher de ndgliger le bi3b£. Elle n'a
plus que le plaisir de se sentir admirde par d'autres hommes,
surtout un M. Lambert qui sait la flatter. Frieda n'a plus
besoin d'Emile, ce qui se voit dans le suivant oh elle montre
line froideur marquee;
Seulement Frieda semblait se d^sint^ressei> du no-taire toujours davantage; et plus il avait besoin d'elle, plus il 6ts.it Sloignd d'elle. S'il ren-trait, elle tournait vers lui ses yeux qui ^talent
3°Ibid., pp. 69-70. 3 1Ibid., p. 73-
22
froids et vides; s'il lui demaiidalt quelque chose, elle lui r^pondait par un mot, rien de plus. II 6tait devenu pour elle ce qu'est un meuble dans une chambre, c'est une chose qui est la tous les jours et on s'en sert.32
Apr&s blen des insultes de Frieda, Emile comprend enfin et
il la chasse. Puis suit la resignation ramuzienne; Emile
regarde la lune se lever, et on lit, dans un beau passage
lyrique qui explique bien Ramuz le styliste:
On dprouvait cette harmonie, il y avalt une lepon. Et il avait puni. Cependant il allait plus au fond de lui-m§me, subissant cet enseigne-ment: est-ce qu'il n*y a pas des choses ngces-saires? et de m§me la plante fleurit en sa saison et le fruit mftrit k son heure et l'ann^e vient aprfes I'ann^e et le mois vient aprfes le mois et le jour vient aprfes le jour.33
Les deux personnages secondaires f^minins d*importance
dans Les Clrconstances sont H<51ene, premiere femme d*Emile,
et Mme Buttet, mbre d'H^lfene. II est difficile de s^parer
1'analyse des deux puisque Mme Buttet domine la vie de sa
fille, mSme apr&s le mariage de celle-ci.
Mme Buttet est pr^sentde coxnme une m&re et belle-m&re
extrfemement d£sagr£able et tyrannlque, ce qui se montre d'une
fa^on tr&s distincte dans les observations suivantes:
On remarqua que Madame Buttet laissait rarement sortir sa fille et qu'on ne la voyait presque jamais sortir en compagnie de son mari. Sans doute que, des trois, "c'^tait la m&re qui por-tait les culottes."3^
Plus loin, le caract&re soumis d'H^lfene se voit blen quand on
lit:
32Ibld., p. 296. 33ibid., p. 325. 3^rbid., p.
23
Quant a Hdlfene, sa vie demeurait apres le mariage ce qu'elle avait 6t.£ avant. Elle avait depuis longtemps apprls h ob£ir et ne souffrait pas d'ob^ir. Peut-§tre meme qu'elle aimait a obdir, parce que, pour certains caract&res, il n'y a rien de plus p^nibie que de prendre une
decision.35
Entre Emile et H£l£ne on sent qu'il y a nganmoins ten-
dresse et respect, mais leur timiditd emp£che un rapport plus
intime, comme il apparaSt dans le suivant: Avant de sortir, il allait embrasser sa
femme. Elle n'avait pas encore appris; elle ne tendait pas la bouche, mais se tournant sur l'o-reiller, c'£tait la joue qu'elle donnait; une joue toute froide. II se demandait quelquefois; "Est-ce une femme ainsi qu'il m'aurait fallu?"36
H^lene et Frieda repr^sentent deux aspects de l'amour
dont l'homme a besoin, l'un l'amiti£ et la devotion, 1*autre
l'amour charnel. Un des rares soirs oti il sent le bonheur
complet avec Frieda, Emile comprend qu'il lui faut les deux:
"II apercevait clairement comment sa vie devait §tre, avec
ces deux sortes d'amour, rtSunis en un cette fois, celui du
coeur et l'autre, qu'il avait, mais qui ne suffit pas. Ou
qui ne lui suffisait pas, a lui.1'^
Le r&le special que joue Frieda est celui d'£veiller
en Emile le d£sir de quelque chose en dehors des conventions
bourgeoises, de le lib£rer provisoirement de celles-ci, mais
de lui montrer qu'il appartient tout de m&me h cette soci^td
qui & un moment donn£ lui avait sembl£ trop dtroite. Se ren-
dant compte de ce qu'il s'est lanc<5 au dela de lui-m§me, il
35ibid., p. 9. 36Ibld< t p# 5 ^ 3?ibid,, p. 239.
24
en arrive k une "resignation h un monde ott la souffranee doit
§tre acceptde comme un Pigment de I'ordre universel.
Avec Jean-Luc persdeutg, le troisieme rornan examing dans
cette dtude, Ramuz revient au cadre montagnard et au m£me
th&me que dans Aline, c*est-a-dire, celui de 1*amour trahi.
Dans son Adieu a beaucoup de personnages, qui marque la tran-
sition de la premiere a la deuxi&me p^riode, Ramuz indique
qu'il considfere ces deux personnages comme tr&s prochement
apparentgs quand il dit, s'addressant a Aline: "Car, sauvage
encore plus que vous, ce Jean-Luc, mais pareil a vous, vdri-
tablement votre fr&re, tourment£ lux aussi d'une manifere im-
p£tueuse qui l*emp§che de rien caeher. . . ."39 ^line choisit
la mort rdsign^e pendant que Jean-Luc, devenu fou de jalousie,
trouve dans la mort une sorte de triomphe et de libeSration.^
Christine, le personnsge principal f^minin du roman, est
plus compliqu^e que les autres femmes d£ja vues. Elle est la
jeune femme adult&re de Jean-Luc et m£re d'un petit gargon
d*un an. II semble surprenant de trouver une feinme de son
point de vue moral et, comme le dit Maurice Zermatten:
Le thkme du mari tromp<§ n'appartient gukre a cette population fidele; l'aaultfere est rare, en ces pe-tite villages, et l'on pourrait s'dtonner de voir Ramuz choisir si mal le motif de son Evocation. Mais on s'apergoit bien vite que l'adultere n'est ici qu'un prdtexte.
^®Guyot, p. 28.
40 Guyot, p. 30.
41
^^C.~F. Ramuz, Morceaux choisis (Neuchatel, 1967), p. 196,
Connaissance de Ramuz (Lausanne, 1966), p. 18.
25
Sa fonction est de causer la solitude et enfin la folie de
Jean-Luc.
Le roman commence avec 1*inquietude de Jean-Luc quand
il d^couvre que sa femme n'est pas k la maison; il suit ses
traces dans la neige et la trouve avec un autre. Quand elle
revient enfin tard dans 1'apr&s-midi, elle semble calme.
Comme pour Frieda, Hamuz pr^sente Christine de l'extgrieur,
et ce sont ses actions et ses paroles qui la r£v&lent. Eamuz
ne nous donne pourtant que quelques' traits essentiels qui sont
ceux que remarquent Jean-Luc quand elle rentre:
Elle s'^tait mise b allumer le feu. Soudain elle fut en pleine lumi&re. $lors on vit ce qu'on n'avait pas vu. A ses cheveux un peu d^faits et tombant sur le front en petits frisons (eux si bien liss^s d'habitude), des gouttes brillaient, rest^es prises; l*£pingle en faux or qu'elle avait au col de son caraco £tait agraffe de travers: sur ses gpaules, et sa poitrine, il y avait des taches de mouillg.^2
Aprbs avoir r^pondu avec assurance aux questions de Jean-Luc,
elle rappelle cruellement a son mari ce qu'elle lui avait dit
quand il lui faisait la cour. Elle r<5pkte qu'elle pr ffere en-
core August in, son amant, et qu'elle le laisserait 1'embrasser
s'il le voulait. Elle se montre dure et arrogante quand elle
explique ce qui s'est pass£: "Alors quoi? II est revenu, il
m'a invito, on a €t<5 voir pour le foin ensemble. Et si, toi,
tu es venu par derrifere, qu'est-ce que j'y peux?"^
hp
C.~F. Ramuz, Jean-Luc persecute (Lausanne, 1966), p. 18.
^Ibid. , pp. 20-21.
26
Jean-Luc emrakne 1*enfant chez sa mfere pendant quelques
mois, mais se lalsse enfin persuader par sa femme de retour-
ner chez lui. II se casse la Jambe en coupant un arbre, et
h. ce moment Christine surprend par sa tendresse qui fait un
contraste frappant avec sa duret£ dans la situation pr£cd~
dente. Ce n'est pourtant pas une situation forcde, mais une
devotion naturelle, quand elle veille son mari aprbs le de-
part du m^decin:
Elle itait la couchde, couch£e toute habillde, dtendue pr&s de son mari, lui passant doucement la main dans les cheveux, - et lui sous la ca-resse avait fermd les yeux. Elle r^pdtait: "Tu es bien, dis, mon gros?" . . -, Elle l'em-brassa, il lui rendit son baiser.
C'est alors que Jean-Luc retrouve son ancien amour, mais
bientSt il sent que Christine change d'une fajon presque im-
perceptible. II pense que peut-§tre elle est fachde de le
voir brouilld avec Augustin, et il invite celui-ci a venir
chez eux prendre un verre de vin. Apr&s quelques moments
d'embarras, Christine se moque de son mari d'une mani&re tr&s
effront^e. Jean-Luc se fUche enfin, mais aprbs le depart
d*Augustin, Christine rdvele a son mari qu'elle croit Stre
enceinte de nouveau.
Les doutes accroissent, et Jean-Luc apprend bient&t que
sa femme l'a encore tromp£. Une nuit elle rentre trfes tard
et explique que son p&re est malade. Jean-Luc perd patience,
va chercher un crucifix et ordcnne qu'elle jure encore qu'elle
^Ibid,, pp. 51-52.
2?
a dit la vdritg. Son orgueil la domine comme on voit dans
le passage suivant, oti la piti£ de Ramuz se montre quand m§me:
Elle avait d£tourn<§ la tfite et, faisant un. . effort de tout le polds de son corps qu'elle avait jet£ de c&t<§, cherchait a s'dchapper; aiais 11 ser-ra ses doigts nouds autour de son poignet, tene-ment fort que les larm'es lui vinrent aux yeux. Pourtant elle ne jura point, h. cause du Christ mis devant elle et dont elle avait le nom. Et tout son sang £tant descendu b. son coeur, avec sa taille d jS. lourde, elle dtait bien triste et miserable, qui reculait ainsi, et cependant cherchait a se re-dresser, ayant gard«5 de 1* orgueil au fond d'elle, et souffrant d1etre humili^e. ^
Confrontde par ia question de qui est le p&re du b^b^
qui va naitre, elle dit qu'elle ne sait pas. C'est alors que
Jean-Luc chasse Christine de la maison, et mSme en ce dernier
moment elle est cruelle envers son mari. Le lecteur devrait
remarquer les phrases courtes et les exclamations qui ex--
priment bien la violence de la jeune femme:
Tout a coup, elle £clata de rire, elle remonta l'escalier en courant, elle tapa du poing contre la porte:
—Puisque j'en ai un, criait-elle, qu'est-ce que j a me fait? qu'estj-ce que £a me fait? Tu as le tien, j'ai le mien. "
Encore une fois Jean-Luc doit s'occuper de son petit gar-
pon, mais peu It, peu il le neglige, et un jour on lui apporte
la nouvelle que le petit s'est noy6. La folie le gagne et il
croit maintenant s'occuper d'un enfant imaginaire qu'il pense
perdre s'il ne tue pas Christine. Aprks avoir pri<5, prostern^
devant une grande croix, il trouve sa femme en train de faire
les regains. Cfest au moment oti elle se repose paisiblement
^5Ibid., p. 79. ^Ibid., p. 83.
28
dans un fen.il que Ramuz ddcrit la sc&ne. En quelques phrases
il salt rendre l'essentiel: les traits saillants de la jeune
femme et 1*atmosphere qui I'entoure:
Christine dtait tout pr£s de lui, allongde sur le foin: elle s'dtait assoupie; 1*enfant, qui avait glissd de ses bras, dormait en travers de ses jupes. Elle, la t£te un peu fldchie et le haut du corps penchd de cSt£, une main posde sous sa nuque, elle sommeillait doucement, avec ses r£ves sous son front. Jolie & voir ainsi, avec ses minces paupiferes bleues, abaissdes et tendues sur ses beaux yeux saillants, et le mou-vement sous son caraco, tandis que son autre main pendait ddplide contre la jarabe forte, dd-couverte jusau'au mollet sous le gros bas de coton bleu. '
Aprfes cette description de beauts maternelle suivent en con~
traste les paroles saccaddes et inquiktes de Christine quand
elle se rend compte de ce que Jean-Luc va mettre le feu au
fenil. Elle implore sa pit id, lui demande pardon, puis de-
vient furieuse et l'insulte et, en fort contraste avec la
sc&ne paisible ci-dessus, elle se jette alors contre la porte,
griffe et gcorche le mur, tandis qu*ironiquement, Jean-Luc Jt, O
Mfut content et se mit a sourire." Quand on ddcouvre le
feu, cinq hommes du village poursuivent Jean-Luc jusque dans
la montagne. Arrlvd au haut des rochers, il jette "1'enfant"
dans le vide et le suit peu aprfes.
Le seul personnage secondaire fdminin est la mfere de
Jean-Luc qui ne joue qu*un petit r&le dans le roman. Comme
chez la mfere d*Aline, le sens du devoir est la plus forte expression de son amour, et c'est la duretd qui se montre
fy?Ibid., p. 16?. ^8Ibid., p. 1?0.
29
dans ses paroles. Quand Jean-Luc, apr£s avoir quitt£ Chris-
tine pour la premiere fols, decide de remonter rejoindre sa . ij-9
femme, sa m&re crle: M,Si tu vas, tu es mort pour moi.1"
Plus tard, elle est vue comme une femme d*action puisqu'on
lit, en courtes phrases energiques: "Ayant entendu les bruits
sur son fils, I'argent jet£ loin, sa rage k boire, et £tant
d1autre part encore plus int^ressde que fifere, elle s'dtait
dit: 'II faut que j'y a i l l e . ' E l l e trouve Fdlicie, la
simple d*esprit, s*occupant du petit, et on lit: "Elle la
chassa. Elle troussa sa jupe, frotta et lava jusqu*au soir."-^
Dans sa folie Jean-Luc croit avoir perdu son petit gar-
j>o n, le cherche part out et descend chez sa m&re. C'est alors
que Ramuz donne la seule description physique de la m&re qui,
bien que plus breve, fait penser beaucoup a celle de la rnbre
d'Aline: les yeux gris, un bonnet tird sur les yeux et des
mains "comme des noeuds de vigne."-^ Comme dans Aline, la
mbre se plaint de ce que son enfant ne lui resseinble pas
quand elle dit: Et maintenant comment vis-tu? dis, et de qui es-tu? lis disent que tu es de moi, eh bien! je ne peux plus le croire; quand je te regarde je pense: HEst~ce que c'est mon fils?" Je te rdpbte, mange et bois, et ensuite^tu remonteras, parce que je ne te connais plus.--
Dans ses paroles et ses actions, la m&re rdvfele le rejet de
son fils, ajoutant au sentiment de solitude de Jean-Luc.
^9Ibid., p. 36. 5°ibid.f p, 107. 51Ibid.
^2Ibid., p. 142. 53Ibid.
30
Vie de Samuel Belet est l'oeuvre finale de cette pre-
miere pdriode, rnarquant sa culmination par le th&me de ^ac-
ceptation de la solitude. Samuel, calmeinent install^ comme
p§cheur solitaire au bord du Lac L6man vers I'age de soixante
ans, passe en revue sa vie et ses amours, et voit qu'il a dft
mettre toute sa vie a apprendre a aimer: "Je ne savais pas
aimer, il a fallu que j'.apprenne; quand j'ai su, c'^talt trop
tard. Ceux-la s'en dtaient all£s loin de moi qui auraient eu
besoin de moi et de ma science n o u v e l l e . I I est enfin
arrivd a accepter sa solitude: "mais h present j'aime en
arri&re. . . . je suis en eux et ils sont en moi Iceux que
j'aimais") . J'ai tout accepts, je suis libre. Les chalnes
du dedans sont tomb£es et celles du dehors aussi."^
Puisque toute sa vie est vue du point de vue de Samuel,
il est difficile d'analyser les personnages objectivement.
II y a, ndanmoins, deux femraes dans le roman dont on peut
parler brifevement. Tout jeune, Samuel tombe amoureux de
Mdlanie, jolie jeune fille capricieuse. Elle perd int<5r§t
en Samuel quand elle sent qu'il est compl&tement sa proie.
D ^ u de ce qu'elle ne l'aime pas comme lui elle, il quitte
le pays, va travailler a Paris, plus tard en Savoie, oti il
Spouse une jeune veuve, Louise, mkre d'un petit garpon, qui
souffre encore des mdmoires de son premier mari. Samuel
n'arrive jamais complbtement a accepter le garpon qui n'est
^O.c. t V, 358. 55 I b i d > ) p # 359.
31
pas de lul. Louise, maladive, fait tout ce qu'elle peut pour
cr^er un bon manage pour son mari, mais elle raeurt £puisde.
Comme d£jh indiqu£, ces deux femmes sont vues a travers les
yeux de Samuel, et Ramuz ne peut donner au lecteur d*autre
point de vue que celui de Samuel Belet qui, encore trop na'if
dans sa jeunesse, ne salt ni percer le transparent de la ca-
pricieuse Mdlanie, ni accepter la ddvotion de Louise h. son
fils. Ce sont surtout les actions qui sont ddcrites, mais la
fonction de ces femmes est surtout de causer que Samuel ar-
rive a l'acceptation de sa solitude.
Dans ces quatre oeuvres de la premiere p^riode, on a
vu une vari£t6 de jeunes femmes, toutes en proie a 1'amour.
Elles reprdsentent des personnalit^s et des points de vue
moraux trfes varies. A une extrgmitd se trouve la naive et
bonne petite Aline, a l'autre, Frieda, des Circonstances,
belle fille charnelle et ambitieuse. Suit alors une autre
paysanne, Christine, femme adult&re, et enfin, dans Vie de
Samuel Belet, Mdlanie, fille capricieuse, et Louise, jeune
veuve et m&re d£vou£e. Leurs passions sont trfes 61&nen-
taires; le fond est simple et il y a peu d'intrigue.
Leanalyse a illustr<§ comment fiamuz montre ses person-
nages au lieu de les expliquer. II n'y a pas de longues et
profondes analyses des motifs des h<5ros, mais on sent la v^-
rit6 des passions. Comme le dit Marguerite Nicod: " . . .
dans tous ces romans, c'est la vie psychologique qui importe.
Le d£cor et les dv^nements y sont en rapport avec l'dtat
32
d'esprit des' personnages; le style, le rythine des phrases se
mod&lent sur leurs mouvements int^rieurs.
Surtout Aline est d^crite avec beaucoup de details, en
tout cas, quand on la compare avec les personnages des p£-
rlodes suivantes. Son ext^rieur n'est qu'esquissd, mais sa
vie int^rieure frappe par la richesse des mdtaphores dont se
sert Ramuz, simples et bien accorddes a la simplicity na'ive
de la jeune fille. Aprks la trahison, on sent que la mort
est la seule solution possible pour Aline, a cause de la pro-
fondeur de son amour pour Julien. Frieda et Christine, tou-
tes deux directes dans la trahison de leurs maris, sont vues
de l'ext^rieur par leurs paroles et leurs actions. II y a
tout de m§me une difference essentielle: Frieda est toute
intrigue, mais Christine est pr^sentde aussi dans ses moments
de devotion et d'amour pour son mari, des moments qui sur-
prennent, mais qui apparaissent sincferes. M^lanie n'est
qu'une petite capricieuse, et elle agace Bamuz avec sa futi-
57
litd de fille d'Eve. Ainsi elle ressemble a Frieda qui,
d£ja plus &g£e, est aussi plus -intrigante. Finaleraent,
Louise manifeste 1*amour materne1 que Samuel Belet ne pourra
comprendre que plus tard quand il aura perdu sa femme et
1'enfant de celle-ci.
56Nicod, p. 1*H.
H lfene Cingria, Ramuz notre parrain (Bienne, 1956), p. 163.
33
En analysant les femmes secondaires de cette premiere
p^riode, il faut noter le rble important que jouent les m&res
ou belle-m&res des personnages principaux. Dans Aline et
Jean-Luc persdcutd, les m&res se ressemblent beaucoup. Ce
sont des femmes mftres et veuves dont 1*amour est dict£ par
un sens du devoir et de la responsabilitd pour leur enfant.
Toutes deux sont dures dans leurs actions et leurs paroles,
et ce sens du devoir met en relief les actions instinctives
d'Aline et de Jean-Luc. On sent tout de m§me qu'il y a un
amour fondamental, et le lecteur ressent de la piti£ pour
ces vieilles femmes quand elles perdent leur enfant qui est
tout ce qu'elles ont. Le personnage qui est pr^sent^ avec
le moins de sympathie de cette p^riode est Mme Buttet qui est
toute domination et dgo:£sme envers sa fille et son beau-fils.
II n'a pas £t£ ngcessaire dans ce chapitre de parler
de groupes puisqu'ils nfont pas encore de grande importance
dans les romans du ddbut. On pourrait pourtant noter que
dans Aline et Jean-Luc persdcutd, les groupes des villageois <8
forment "un fond plus ou moins hostile, plus ou moins actif."^
Dans Aline, les femmes critiquent les actions de l'h^rol'ne;
dans Jean-Luc, on sent la pit id des villageois pour le hdros
innocent et le ddpit pour l'adultbre Christine.
Cette premiere p^riode est marquee par I'int^rSt de
Ramuz pour I'individu, agissant selon ses instincts, suivant
son coeur. II faut conclure que les femmes du ddbut, m§me
58Tissot, p. 1^2.
34
avec leur manque d'analyse psychologique directe et leurs
traits seulement esquissds, sont des creations varices et
frappantes. Ramuz a su dvoquer des Stres vivants et intd-
ressants.
CHAPITRE III
DEUXIEME PERIODE (191^-1925)
Quand Ramuz rentra d£finitivement de Paris a son pays
natal il marqua la transition en icrivant Adieu a beaucoup
de personnages (191^). Dans cette oeuvre il prend congg des
personnages de ses premiers romans, c • est-li-dire, des "desti-
nies individuelles aux prises de leur solitude."-'- Dans cette
petite oeuvre lMcrivain exprime son grand amour pour Aline
et ses autres h£ros d'avant 1913 > mais il dit qu'il lui faut
aller au-dela d*eux et renaitre libre: "De mSme que vous
Stes morts quand II a fallu, de meme j'ai appris qu'il faut
que je meure h. moi-m§me, non point me reniant, mais m'ou-
bliant sans cesse, consentant a finir pour me recommencer.
La deuxi&me p^riode est celle ok Ramuz se tourne vers
la collectivity et le mysticisme. En mSrne temps que parais-
sait Adieu a beaucoup de personnages,
Ramuz publiait en feuilleton dans le Mercure de France un roiaan dont 1' int^rSt porte non plus"~sur les probifemes personnels ou sur la passion de cer-tains h£ros, mais sur la manifestation de grandes forces mystiques et sur les reactions collectives qu'elles provoquent dans un milieu humain. Le Rfegne de 1*esprit malln est la preinibre de ses
"grandes oeuvres "mystiques," dans le sens que lul-m§me donne h ce t e r m e . 3
^O.c., I, x.
2
Ramuz, Horceaux choisls, p. 200.
^Nicod, p. 131. 35
36
Les oeuvres qui suivent sont vou^es a 1*Evocation de dramas
collect if s oti "tel groupe hujjiain en devient le veritable per-
sonnage, victime ou vainqueur de forces naturelles ou surna-
turelles d d c h a i n d e s . L e s romans de cette pgriode qui
seront examines sont Le Regne de I'esprit malln (1917), La
Gudrison des maladies (1917) et Passage du po&te (1923) •
Les forces qui semblent largement avoir frappg Ramuz,
surtout pendant les anndes de la Premiere Grande Guerre sont,
comme le dit Tissot, "les phdnom&nes collectifs de la vie re-~
ligieuse. S'inspirant de la Bible telle qufelle peut §tre
sentie par des paysans, il recrSe a sa mani&re les mysteres
de la foi."5 Bien que la Suisse ftLt dpargn^e de la plupart
des tragedies de la guerre, elle souffrit tout de m6me "du
6
climat moral et restrictions causes par la guerre." Cfest
au-dela de la vie mesquine de tous les jours que Ramuz cher-
cha les valeurs dont il avait besoin, dans le spirituel.
Les romans de cette deuxi&me pdriode ne portent plus le
nom d'un individu, mais celui d'un th&me choisi, comme on
peut le voir dans les oeuvres que comprennent cette £tude,
Les titres meme indiquent que le thfeme devient plus important
que les individus. Le th&me commun de ces oeuvres est la pre-
sence de la mort.
^O.c., I, x.
^Tissot, p. 79.
^Dichamp, p. 132.
3?
Comme cn.le salt peut~£tre, Le Rhgne de 1* esprit mal in
raconte l'histoire d*un village montagnard oti p&nbtrent tou-
tes sortes de manifestations du mal. La presence d*un nouveau
cordonnier, Branchu, semble provoquer ce mal ainsi que de nois-
breux incidents funestes. Les villageois essaient tout et
font appel au curg, mais en vain. On en arrive a un dtat
presque de frondsie avant que la petite Marie Lude, se sentant
appel^e, sauve le village et y remette l'ordre et la bontg.
Ce n'est que dans la dernifere douzaine de pages que Marie
intervient et qu'on sent ce retour au bonheur. La personne
de Marie Lude ne joue done pas un tr&s long rSle.
La soif de foi est un th&me important de ce roman et,
bien que Marie Lude n'apparaisse qu'S, la fin du rdcit, on sent
tout au long du roman cette soif qui culniinera dans l1 appa-
rition de Marie Lude. Par exemple, quand Branchu execute une
gu^rison, et son ami Lh&te croit que e'est J£sus revenu, les
villageois h£sitent, mais veulent le croire aussi: "'Peut-
Stre?' se disait-on. En effet, est-on sftr de rien? et il y
a au-dedans de nous une si grande soif de croire!"''
Marie Lude est pr£sent£e absolument sans aucune des-
cription physique, simplement comme une innocente petite
fille, vue et interpr£t£e par les villageois comme ils se la
rappellent plus tard. lis disent qu'elle avait appel^e
pour chercher son p£re qui 3tait un de ceux que le mal avait
frapp£ le plus fort. Marie entend une voix et, comme le dit
?0.c., VIII, 47.
38
Ramuz: ,5Sa grande force fut de ne pas hdsiter. Son pere
l*appelait; il fallait bien qu'elle ob£it [sic.]."® Quand
elle arrive au village, on sent l1atmosphere chargde de son
influence:
Est-ce toujours la crainte, ou seulement la pi-ti£, ou encore qu*on est curieux? mais de maison en maison, de toit en toit, de porte en porte, dans l'air a la fois et sur la terre, comme avec des ailes et des pieds, la bonne nouvelle allait circulant, ils recommen^aient de vivre.°
On sent l'effet de Marie Lude sur Branchu qui, ayant eu le
seul pouvoir jusque la, semble bien moins assure. C'est en-
core le surnaturel qui rfegne, agrandi dans la mdmoire des
vjllageois: "Ils ont racontd depuis qu'une grande lueur
rouge avait rempli le ciel; la terre se mit h. bouger, les
maisons pencherent tellement ou'on pensa qu'elles allaient
tomber."1^ Ramuz explique qu*a cause de I'apparition de
Marie le village est comine refait a neuf; enfin suit la foi:
"alors ils comprirent, et bien tard, .mais il n'est jamais
trop tard."11 Ramuz continue dans un langage presque bi-
blique: C'est elle!* Ils se levferent partout pour l'aller 1 ?
voir.H
Quant aux personnages secondaires dans Le Rkgne, ce sont
surtout les homines qui sont <§voqu£s: Branchu, le cordonnier,
qui reste un mystkre jusqu'au bout; Luc, le proph&te du mal-
heur; Lh&te, ami de Branchu; Lude, £gar£ par le mal; Joseph, 8Ibid., p. m-2. 9Ibid., p. xi),9.
10Ibid.
11Ibid., p. 150. 12Ibid.
39
jeune p&re; et le curd, curieuse figure qui n'a pas de com-
passion pour les villageois.
Bien que les homines dominent Le R&gne, deux ou trois per-
sonnages secondaires f£minins frappent par de courtes carac-
tdrisations sans presentation physique, Toutes trois symbo-
lisent "1'amour du coeur,", mais toutes trois n'apparaissant
que bri&vement, Marguerite pourtant un peu plus que les deux
autres. Hdloise Amphion, jeune femme enceinte de Joseph, une
de celles dont la mort semble se rapporter a la presence de
Branchu, montre le tendre amour d'une ferame pour son mari et
pour 1*enfant qui va venir. Ad&le, femme de Lude, montre
aussi la force de 1*amour quand, abandonee par son mari,
elle sent quelle doit quitter le village avec sa fille Marie,
Ramuz exprime d'une fa^on tr&s belle cet amour profond et
cette resignation au destin, quand on lit: "Mais il n'y a
point de vraie solitude pour le coeur, quand il s'est donne.
Un trou se fait, 1'amour le comble. II rdpare It mesure les
ruines, et remplit les vides mesurej un grand courage ve-
nait a Ad&le, parce qu'elle avait accepte."^ Marguerite,
mkre de Lh&te, qui a ete guerie par Branchu, souffre de ce
que son fils suit le cordonnier, quand celui-ci est chasse
du village. Espdrant que les villageois lui rameneront son
fils, elle leur rdv&le oti se cache Branchu. Quand ils re-
viennent sans son fils, on sent 1*amour profond d'une m&re
dans ses actions et ses paroles: " . . . elle leva les bras:
1^ibid., p. 79-
kO
'Alors k quoi a-t-il servi . . . et'elle secouait la t£te, a
quoi a-t-il servi que j'aie trahi celui qui m'a gu£rie, si
mon fils n'est pas retrouvd?' Quand Lh&te revient enfin,
il repousse sa mbre et, coimne la m&re d'Aline, elle voit que
tout est fini pour elle: "On n*avait plus besoin d'elle."-^
Et voila que la mort devient une bonne pens^e; elle prend son
ch&le, sort dans la neige et va vers la foret de pins: "Le
lieu oti je me rends, tous les chemins y m&nent, tous les che-
mins qui y m&nent sont bons. Une esp&ce de grande indiffd-
1 f)
rence lul venait . . . Finalement, le path£tique de sa
mort touche quand on lit: Elle n'eut qu'a se laisser aller de c6t£
contre le talus, oti elle se sentit entrer dans quelque chose de mou.
Elle releva ses genoux, ramena ses pieds et ses mains, enfonpa sa t§te entre ses dpaules.
II neigeait de plus en plus fort. '
La Gu^rlson des maladies est une oeuvre d'un point d.e
vue beaucoup plus posit if que Le R&gne de 1* esprit malin.
La petite ville au bbrd du Lac L£man forme un cadre plus pai-
sible que le village montagnard du R^gne. La pauvret^ des
habitants et les maladies des vignes forment le fond du ro-
man, mais on sent une certaine douceur, une acceptation. En
comparant les titres de ces deux livres, on peut en d^duire
que si, dans la premiere, le mal est accentu^ que, dans la
seconde, ce sont plutSt la gudrison et I'espoir qui sont plus
Ibid., p. 98. 1^Ibid», p. 106.
16Ibid. 17Ibld., p. 107.
41
importants.
La Gudrlson des maladies, comme on s'en souvient, est
I'histoire d'une jeune fille, Marie, qui, apres avoir perdu
son araant, souffre, puis se r£signe et prend sur elle toutes
les maladies d'un village, restituant la foi et 1*amour aux
hommes.
Marie Grin est la fille d'un pauvre vigneron qui aime
trop le vin et qui laisse a sa femme la dure responsabilitd
pour la famille. Par sa nai'vetd et son apparence Marie res-
semble a Aline de la premiere p^riode, mais elle est peinte
avec encore moins d'attraits. Ce manque de description phy-
sique fait ressortir encore plus sa beauts int^rieure plus
tard. Ramuz pr<5sente Marie rentrant de l'<§cole pendant que
sa mfere est en train de frotter le plancher:
C'est dans ce m£me moment qu'elle entra, qui avait . encore sur le dos son sac d'£cole de petite fille, bien qu'elle allat sur ses seize ans.
Ce sac d'<gcoli&re recouvert de poils avec un losange de cuir rouge au milieu, c'est quelque chose qui prouve encore le peu d'argent dont on dispose; il faisait rire les camarades de Marie. On avait dQ. rallonger, comme on avait pu, les^ courroies. Marie alia le pendre h son clou,^°
Ramuz passe alors de 1*image de la pauvretg du manage des
Grin h 1*image extdrieure de Marie qui ressemble au genre de
descriptions qu'on trouve pendant la premifere pdriode. C'est
la seule description physique de la jeune fille qu'aura le
lecteur. On peut remarquer les couleurs ternes des vetements
et 1'strange presentation de la figure comme une masse informe;
18Ibid., p. 163.
kz
Elle dtait vilaine h voir. Son tablier lui tombait sur les pieds, lui montait jusqu'au men-ton. II avait 6t6 taill£ dans une pibce de cou-til de couleur sale, ni noire, ni grise, ni bleue, une couleur entre ces trois couleurs. Dessous ve-naient de gros souliers sans forme. Et, au-dessus, venait une pauvre petite mine ingrate; une couleur de teint comme celle du tablier; quelque chose de terreux, d'osseux, des tempes creuses, des cheveux tir£s en arribre; les yeux seuls auralent pu Stre beaux s'ils l'avaient seulement os6, mais on sen-tait qu'ils n'osaient pas. °
Apres cette description de Marie suit un exemple de la
nouvelle technique de Ramuz, c'est-li-dire, la presentation
d'un personnage vu par d'autres. Marie est observde de nuit
par les vieilles soeurs Chappuis, assises sur leur balcon.
Puisqu'elles ne savent pas ce qui se passe a l'int^rieur de
la jeune fille, elles ne peuvent que deviner son 6taX d'ame
par ses mouvements. Dans les deux derniers paragraphes, les
reactions morales et en m§me temps 1*expression de compas-
sion r£vblent trbs bien la personnalitd des vieilles filles.
Elle fMariel continuait d'avancer, mais pas h. pas, avec un arrSt entre chaque pas, et comme avec hesitation et plus que de l'hdsitation; on voyait en avant d'elle cette devanture 6clair£e entre des pots de lauriers-roses.
De nouveau se faisait entendre confus^ment a l'int^rieur un bruit de voix; —elle, on voyait son petit dos, ses maigres petltes gpaules noires, un peu voftt<5es; qui se votltbrent davantage, qui se firent encore plus petites, parce qu'elle se penchait en avant.
Elle tendit en avant sa figure, elle la pro-menait de dz'oite et de gauche, cherchant sans doute h glisser un regard entre les rideaux. "Pauvre petite, pensbrent en mSme temps les deux
1 9 lb id. , pp. 163-16/4-.
^3
demoiselles Chappuis, c'est pour son pkre qu'elle est venue."
Et puis: MEst-ce qu'elle va oser entrer? Cet affreux caf£ plein d'hommes ivres!" et se sen-talent tordues a la fois d'amour et de crainte, fibres a la fois de son courage, et qui auraient voulu pourtant la retenir.2®
Marie entre dans le cafd, mais ressort bientot, toujours ob-
serve par les deux soeurs. II faut encore lire dans les
mouvements ext^rieurs et expressifs de la t§te, des mains et
des dpaules la vie intdrieure de Marie:
Et elle fut de nouveau seule dans la nuit, mais avec un espoir en moins, comme on voyait k ses mains qui pendaient, sa t§te qui pendait de meme, ses dpaules plus rentrges que jamais sous le fichu noir.
C'est alors qu'elle est rejointe par le "gargon a casquette
et k meche," et on lit les reactions des vieilles filles
dont le sens moral et la pitl£ se r^v&lent encore:
D'abord les demoiselles Chappuis furent d<5-£ues et choqu^es. Si jeune, seize ans k peine, c'est quand m§me trop tSti Mais, tout k coup, songeant a sa misere et k sa dure vie, un atten-drissement leur vint, parce gu'elles dtaient bonnes, Elles l'excus&rent.23
On voit dans les lignes ci-dessus un brin d'humour si rare
chez Ramuz.
L'£crivain ne dit jamais que Marie tombe amoureuse de ce
"garpon a la mfeche," mais suivant les sections cities ci-
dessus, il ddvoile que c'est le "Farisien" qui, de nouveau,
est vu selon ce que disent ceux qui le connaissent.
2QIbid., p. 1?6. 21Ibid., p. 17?.
22Jbid. 23ibid.
44-
Ramug ddcrit la seule rencontre entre Marie et le Pari-
sien, quand elle rentre apr&s une longue journ^e de travail
chez une couturifere. Comme pour Aline, c'est 1*amour naissant,
mais irresistible: "II y eut tout a coup une autre Marie,
une Marie pas connue encore, qu*elle~m§me ne connaissait pas.
Immobile pour le plaisir maintenant, et maintenant prslte au
9h
plaisir. Toutes les bonnes choses qui existent, quand memei"
Puis, comme on le voit souvent chez Ramuz, les sentiments
s*accordent avec la nature. Marie voit le paysage paisible
avec le lac, les cygnes et la lune, et on lit: On sent que tout devient possible. Une beautd est suspendue devant nous dans le vide, et il nous est dit: "Profitezi" Est-ce que je ne profiterai pas? Et, comme elle ouvrait largement la bouche, toute cette ti^deur d'air est entree, sentant bon la gi-rofl£e h cause des jardins qu'il y avait derrifere les murs. ^
Encore, comme dans Aline, il faut se soumettre h. ce que
dicte la nature. Le Parisien sort tout a coup des buissons,
mais Marie "n,en ressentit aucune frayeur, elle n'en fut merne
pas surprise. Tout £tait devenu possible. II y avait un
ordre nouveau."^0 Mais, comme dans les romans de la premiere
p^riode, le bonheur ne dure pas et, rentrant a la maison,
Marie trouve son pkre souffrant aprbs Stre tomb<5 devant le
caf£. Elle sent que son devoir est envers ses parents, et
qu'elle doit renoncer au Parisien.
Aprks la mort du Parisien, Marie tombe malade, souffre
des souvenirs de ce qui aurait pu Stre, mais tout a coup elle
2^Ibid., p. 18?. 25ibid. 2 6 Ibid.
Il,5
est transform^, elle arrive a un amour supra-terrestre.
Personne ne fut la pour entendre, personne non plus ne fut lk pour voir quelle lumikre ce fut sur elle, et son visage s'£clairer comme fai-sait le ciel a ce mime moment.
Mais, quand, up. peu plus tard, Mme Grin en-tra, elle a cri<5: 7
—Elle est gu€rie! '
C'est d'un groupe de femmes parlant a la fontaine que le
lecteur apprend comment Marie apparait dans son nouvel £tat.
On gprouve le mouvement du groupe, la sensation du merveil-
leux un peu effrayant:
Alors une rumeur s'gleva, elle grandit, elle grandit encore: "C'est qu'elle est gu£rie!" — "Non, justement, elle n'est pas gugrie, mime elle est plus malade que jamais; a peine si elle peut bouger."
On continuait cependant: "Celles qui l'ont vue disent qu'elle a change de figure, elles n'o-saient plus la regarder."
"On vous disait bien, c'est qu'elle est gu<3-rie'." Mais au mime instant, vine voix: "C'est de la terre qu'elle est gudrie!"
II se trouvait que la nuit gtait maintenant venue tout a fait; il y eut cette voix, elle a recommence:
—Gu6rie de la terre et des maux de la terre^
gu^rie des maux de l'ame et des choses d'en bas.°
Passant aux personnages secondaires, on trouve la mbre
de Marie, Mme Grin, qui ressemble assez aux mkres vues dans
la premiere p^riode, mais elle mcntre moins de duretg dans
son amour pour sa fille. C'est une femme bonne, travail-
leuse, d<§voude h sa familie, avec les deux pieds sur la terre.
Ramuz d^peint son sort difficile, quand elle demande h. sa fille
si elle a pass<5 chez la boulang&re. C'est alors que Marie lui
27Ibld. , p. 223. 28Ibid. , pp. 233-23 -.
46
r£pond: "lis disent qu'ils ne veulent pas, tant qu'on ne les
aura pas pay^s."^^ Dans les paragraphes suivants, le silence
extgrieur de Mme Grin et son monologue intgrieur rdvklent les
sentiments de ddsespoir et d'une certaine resignation:
Mme Grin s'y attendait, pourtant le coup fut dur. Mon Dieu! c'est done ainsi: oti qu'on se tourne, tout est mis&re. A peine sortie d'une peine il faut qu'on entre dans une autre. Et, difficilement mise debout, voila qu'elle s'af-faissait de nouveau et ployait tout enti&re contre l'angle de la commode.
On a beau faire, il y a des moments oti on ne peut plus. II y a des moments oti la machine m&me refuse. II y eut un moment de refus de la machine, qui le lui a cri£ par tous ses engre-nages usds, ses rouages qui jouaient mal. II y eut ce grand cri qui dtait: "A quoi bon?" Est-ce qu'on n'a pas fait tout ce qu'on pouvait faire? Alors, n'est-ce pas? se la,isser aller, §tre d£ja un peu comme si on £tait morte, car on ne tient plus a la vie, et, au moins, on sen reposerait, et on en aurait tellement besoin.-'
Puis suit un rapide changement en Mme Grin, montrant par ses
actions et ses paroles la femme d^terminde:
Seulement sa nature n'^tait pas de consentir. A-peine eut-elle touchy ce fond qu'elle donna
un coup de talon comme le plongeur: —-Tu n'as pas su faire, dit-elle. Et, avec la duretS dans le regard et dans la
voix: —Je vais y aller moi-m§me. S'ils refusent,
lis m'entendront . . . .31
Plus tard, sortant de l'^picerie, Mme Grin est vue par
deux messieurs. Ce sont encore les mouvements qu'ils obser-
vent, comme ceux de la main couvrant les yeux et la fa^on de
se laisser tomber qui indiquent au lecteur les sentiments de
la pauvre femme:
29Ibid., p. 164. 3°lbid., p. 164-165. 31Ibid., p. 165.
47
Mme Grin £tait sortie trbs vite de la bou-tique, avait fait quelques pas trbs vite dans la rue; tout a coup elle s'arrilta, ne sachant pas qu'on I'observait. Elle regarda un instant ses pieds comme quelqu'un qui r6fl£chit; elle secoua la t§te. Puis, levant lentement la main, elle s'en couvrit les yeux.
Juste s'il faisait assez clair pour qu'on pftt distinguer, non pas son expression, ni le de-tail de sa personne, mais l'attitude qu'elle avait; on la vit pencher toute entibre et puis elle s'est laiss^e tomber contre le mur.^
Mme Grin est une femme solide et, plus tard, pendant que
les femmes du voisinage sont heureuses des pouvoirs de Marie,
Mme Grin reste toujours la m§me: "Les autres avaient pu
changer, mais non pas Mme Grin. Elle restait une bonne fem-
me qui a sa fille malade, et qui, parce qu'elle l'aime bien,
se r£jouit de la voir entour£e."33 Mais, inquibte de ce que
sa fille devienne de plus en plus malade, Mme Grin fait venir
le m^decin qui ne peut pas trouver les causes de sa maladie.
Ayant aussi fait venir une ambulance qui a enlev£ Marie, elle
sent qu'elle a trahi sa fille. Aprbs le d^sespoir chez les
villageois que cause le depart de Marie, suit une vision de
lumibre qui redonne l'espoir a tous, excepts & Mme Grin qui,
trbs pratique, resiste encore. L'image finale de la mere est
d'une grande douceur, et on sent la sympathie de l'6crivain;
II y eut cette autre, cette pauvre Mme Grin, et celle-ci se refusait a voir, parce qu'elle se disait: "M§me si elle revenait pour tout le monde, elle ne reviendrait pas pour moi."
Mais elle dut voir pour finir qu'elle reve-nait m§me pour elle; alors se cachant la figure
32ibld., p. 171. 33ibid., p. 239.
48
dans les mains, elle se mit a pleurer; seulement c'est les bonnes larmes, les profitables, celles qui a mesure gu'elles coulent, vous lavent un peu le coeur.^
Un autre persortnage secondaire intgressant est celui de
la Br£il£e, une prostitute avec laquelle le Parisien avait
rompu en faveur de Marie. La plus frappante des gu<5risons
effectu<§es par Marie est celle de la BrCil£e, amende, d'abord
contre sa volont£, par M. Grin. A son arriv^e les specta-
teurs s'exclament avec des cris de scandale, mais Grin leur
dit calmement: "C'est la plus malade de toutes, et m§me de
deux maladies, mais ce sera la plus facilement gugrie, parce
que la oti est le mal, 1& aussi elle se repent. . . . Dans
un ton presque biblique Grin dit qu'il la m&ne a la source
pour qufelle boive, parce qu'elle a soif. La Brftlte n'ose
pas s'approcher, et elle est accablde par la vue de Marie:
. . . on vit la Brftlge plier toute. Elle gtait tomb<§e a genoux, elle leva les
mains, elle s'y cacha le visage; en mSrae temps un petit bruit venait, comme quand, aprks une , longue sdcheresse, vine fontaine se met a couler.^
La mttaphore de la fontaine complete bien les mots de M. Grin
quand il l'am&ne. On sent la profondeur de l'effet de Marie
dans la douceur des paroles. Le lecteur per^oit l'angoisse
de la Brftlde quand elle dit a Marie qu'elle la ddteste et
qu'elle. a toutes les maladies; mais on voit alors la force •
Intgrieure de Marie et l'effet qu'elle a sur la Brfllge:
^ibld., p. 318. 35ibid., p. 255- 36Ibid., p, 259.
4 9
Mais alors elle se sentit' prise par deux mains (quand m§me ces mains n*avaient plus beau-coup de force), elle se sentit prise, sa t§te fut soulev^e. Le premier baiser qui vint fut pour son front, ensuite il y en eut un pour cha-cun de ses yeux, et voila qu'a present elle ten-dait tout son visage, sans qu'on put savoir si c'^tait pour vous braver ou pour demander pardon, mais ce dernier baiser venait d£ja; elle voulut crier, elle voulut dire: "Je vous defends'. „ . . ."son cri lui fut pris sur la bouche . .
Deux personna.ges secondaires dvoqu<5s avec beaucoup de
relief, et qui contribuent aussi consid^rablement a faire
ressortir le personnage de Marie, sont les soeurs Chappuis,
deux vieilles filles romanesques que le lecteur a d^ja ren-
contr^es dans cette £tude. Ces deux femines donnent 1'im-
pression de tenir une place sp^ciale dans le coeur de Ramuz.
Les details de 1*atmosphere qui les entoure, de leurs pet its
gestes, mdritent les citations assez longues qui suivent:
. . . tEllesl tenaient une petite gcole et aimaient les fleurs et les animaux. Ces belles nuits <3toi-l£es les faisaient rever a des choses comme si elles avaient eu vingt ans (bien plus peut-§tre encore que si elles avaient eu vingt ans); alors elles venaient s*installer sur leur galerie a colonnettes de bois peintes en gris, tout enguir-land^es de jasmin, et s'y oubliaient jusqu'a des minuit, des deux heures, assises l'une a cotg de l'autre dans des fauteuils d'osier, bien emmitou-fl£es dans des chales, les mains crois^es sur „ leurs genoux.
Elles ne parlaient pas, rien qu'un soupir de temps en temps; c*£tait assez pour qu'elles se comprissent. Cette petite communication d'un soupir dans la nuit suffisait, ou encore les mains qu'on ddcroise, son chale qu'on ram&ne parce qu'il a gliss£.3°
37Ibld., p. 261. 38jbld., p. 175.
50
C'est apr&s cette premiere presentation que suit la sc&ne
cit£e plus haut, montrant Marie vue par les deux soeurs pres
du caf £.
Les soeurs Chappuis forment un lien entre les petites
gens avec leur simple acceptation des miracles entourant
Marie et ceux de "I'autre c5t£." Elles appartiennent en TSSL-
lit£ a ce dernier groupe, mais par leur bont£ et une certaine
naSvetd, ainsi que par leurs sentiments fdminins, elles sont
attir^es vers Marie. Quand celle-ci tombe malade, elles
viennent, panier au bras, avec de bonnes choses a manger.
Le pouvoir myst£rieux et "intgrieur" que Marie a sur ces
deux femmes est tellement fort, que la seule action de tenir
sa main est suffisante:
Comment done se fit-il que la chose put se passer, qui se passa corame elles allaient sortir? est-ce qu*elles se retourn&rent, ou bien si elles furent intdrieurement rappel^es? Mais voila tout & coup qu*elles revinrent sur leur pas.
Et une main leur fut tendue, et la question fut alors de savoir si elles allaient la prendre, elles qui s'en jugeaient si peu digrj.es, mais une force les y poussait. Seulement tenir un instant cette main, comme elles ont fait; ensuite elles se sauvferent.39
II est difficile dans cette deuxikme pgriode de s£pa-
rer les individus du groupe, puisqu'ils sont si ^troitement
lids. Le lecteur a ddja vu Marie du point de vue des villa-
geoises. Maintenant on peut revenir h cette scfene a la fon-
taine, et la regarder du point de vue de la presentation des
femmes. Ramuz se montre bon psychologue f^minin puisqu'on
39ibid.f p. 2^3.
51
peut s'imaginer d'une mani&re vivante les diffdrents types et
leurs coming rage; L'anaiyse psychologique est faite par moyen
de caractgrisations extgrieures, c*est-a-dire, par les mouve-
ments des bras et de la t§te, des chuchotements et des excla-
mations. En lisant ce passage assez long on peut remarquer,
comme il est souvent le cas chez Ramuz, comment il passe tres
efficacement sans transitions de la narration au dialogue,
puis au monologue intgrieur;
Elles furent trois, puis sept, puis plus nom-breuses encore. Tandis que la rue allait et venait, elles se racontaient a tour de role leurs histoires. Une grande maigre gcoutait la main a plat sous le menton. Les rondes et les petites tenaient plut&t les leurs croisges sur leur tablier. "Est-ce vrai?" Des cris de surprise. "Pas possible!" --"C'est la v£rit<3 je vous dis." Des hochements de t§te. Et il y en a une qui se penche, se mettant b. dire des choses dans l'oreille de sa voisine.
Toujours ces mSmes malheurs, ces m£mes ennuis. Mais, comme c'est a autrui qu'ils sont arrives, on en ressent soi-m§me du plaisir. C'est mime le seul plaisir qui nous reste. Con-tentement de voir que personne n'est b. l'abri et que, quand il grele, c'est pour tout le monde. Tant mieux aprfes tout si Jenny Chauvy, cette faiseuse d'embarras, a dt£ remise a sa place par son honline. ®
Apr&s les ^changes de nouvelles a la fontaine. la soli-
darity des femmes, le besoin de constater elles-mSmes 1'effet
que Marie aurait sur elles, les fait passer ches les Grin.
L'hesitation naturelle h sembler curieuses s'exprime quand
les femmes heurtent k la porte et disent: "--Est-ce que
vous permettez? . . . Oh! un tout petit moment seulement,
IlQ Ibid., pp. 232-233,
52
kl
on ne voudrait pas vous ddranger." Toutes ces femmes sont
comme "appel^es." Leur embarras, puis la joie de cette ex-
perience spirituelle jusque la inconnue, sont bien exprims§s
dans le suivant. Le lecteur doit surtout noter ici l'effet
du "sourire11 de Marie: . . . alors il y a eu devant elles ce sourire qui n'gtait plus de la terre, il y eut cette figure qui dclairait comme un autre soleil.
Mais comment faut-il dire? nous, on ne sait pas s^xprimer. Les femmes ne disaient rien, elles se tenaient 1& sans rien dire. Elles se contentaient de sentir, y employant toutes leurs forces, et se contentaient d'etre heureuses le plus qu'elles pouvaient, le plus longtemps qu'elles pouvaient, comme 1*enfant qui a un pot de miel va jusqu'au fond.^2
Apr&s le d^couragement qui suit le depart de Marie, il y
a une menace de temps orageux, qui se dissipe de nouveau et,
comme miraculeusement, le soleil parait. C'est alors qu'une
femme s'exclame: "'C'est elle'. Elle qui revient co-rime elle
a promis. . . .•" Et le roman finit sur une note d'espoir
et de foi, les femmes se rendant compte qu'elles ont eu tort
de douter, mais se sentant pardonnges parce qu'elles avaient
cru, au commencement du moins.
La troisi&me oeuvre analysde de cette p^riode est Pas-
sage du polite, qui est moins un roman qu'un pokme en prose.
II est ainsi difficile de parler de personnages ou d*intrigue,
et I'oeuvre ne sera ainsi que corament^e brikvement. Le vannier
Besson arrive un jour dans un village de vignerons. II n'est
^Ibid., p. 238. 42Ibid., pp. 238-239.
^3Ibid., p. 316. ^Ibid. , p. 318.
53
pas d£crit du tout, h l'exception de sa hotte et de ses pa~
niers empilgs dessus qui semblent refl^ter la lumibre. II de-
vient clair que Besson repr^sente le po&te, liant les osiers
comme I'^crivain ses vers, et toujours solitaire. Sa pre-
sence cause les hommes a voir la pogsie dans leur vie; ils
s'expriment et se sentent plus proches les uns des autres.
Au dehors de belles descriptions du travail des•vignerons,
le seul £v£nement est une fSte pour laquelle on se prepare.
C'est pendant cette f§te que Besson sent qu'on n'a plus be-
soin de lui; il a £voqug la po^sie et l'unitd; il peut quitter
le village pour aller autre part.
Uri seul personnage f«5minin repoit plus qu'attention pas-
sag&re dans Passage du pofete. C'est une Mile Mathilde, sym-
bole du po^tique dans la femme et son amour. Pour la f£te
elle s'est fait faire une nouvelle robe blanche sans manches,
mode trfes audacieuse de ses jours. Elle est en train de de-
cider si elle ose la mettre. Sans qu'on sache m§me qui est
le "lui" dont elle parle, on lit:
Elle a os6 aller prendre sa" belle robe, elle pense; "Ce sera pour lui." L'amour revient, il a dt£ partout: dehors, dedans, dans I'air, en elle. Dans ce qui est, dans ce qu'elle est et dans les choses; et, quand, le soleil est en~ tr6, il a dans le soleil. •5
Un peu plus tard, Mathilde fait partie d'une procession du
village et, encore plus clairement, elle symbolise la femme,
objet d'amour et de po^sie:
^o.c., X, 226.
5^
. . . leurs demoiselles d'honneur en blanc, qui sont huit, dont Mathilde, marchant deux par deux. Et a present qui paraisserit deux par deux tenant des fleurs, sortent de 1'ombre, dans leurs robes blanches, sous leurs beaux cheveux,-~les femmes qui nous sont promises aprhs nos peines, les fem-mes qui seront a nous une fois, a nous ou a toi, avec qui tu seras au lit en recompense, et tu lui donneras un baiser,, puis un balser, puis un troisi^me, plus appuyg. °
Ces deux paragraphes r^vklent le po&te plus que le romancier.
II vaut ndanmoins la peine de les mentionner, puisqu'ils sont
typiaues de Ramuz et au'on trouvera des Evocations semblables
dans La. Beaut6 sur la terre dans la pdriode suivante. La
conception de la femme comme l'objet d* amour et d'inspiration
de l'homme continuera aussi a se d^velopper, ce qui fait que
Passage du po&te marque la transition entre les deux pdriodes.
En conclusion, pour cette deuxifeme p^riode, il n'est
done pas possible de parler de heroines ni de personnages
principaux ou secondaires dans le sens qu'on pouvait le faire
pour la premiere. Les femmes principales sont des jeunes
filles naSves et innocentes douses de pouvoirs surnaturels
auxquels elles sont soumises et par lesquels elles sont me-
nses a restituer la foi et I'espoir. Marie Lude remet le bon
sens et l'honn£tet£ dans son village, pendant que Marie Grin
est capable de prendre sur elle les maux des autres et de gu£~
rir ainsi les petites gens de son village. Bien stir que Marie
Grin est le personnage principal fdminin de La Gudrison des
maladies, mais sauf dans la oremifere partie du roman, elle
^6Ibid., p. 230
55
n'agit pas d'elle-m^me. Elle est soumise a un pouvoir sup£~
rleur, jamais nomm^, qui la guide. Comme le dit Tissot:
"Les personnages se fondent de plus en plus dans le collec-tlO
tif, ils ne commandent pas, ils ne peuvent plus qu'obdir." '
II ajoute que les fbrces surnaturelles portent Ramuz "a refu-
ser a ses creatures toute liberty, toute invention de leur
vie ou de leur mort. . . . Les personnages deviennent des t£~
moins plut&t que des acteurs; ils tendent de plus en plus a
• 4 8
symboliser." Dichamp, par exemple, appuie fortement sur la
valeur symbolique du personnage de Marie Grin, affirmant que
"Marie repr^sente done l'attente d'un salut, le besoin d'un
r a c h a t . p a u l Vernois volt dans les romans de cette pdriode
la lutte entre les personnages mal^fiques, proph&tes du mal~
heur, . . . qui ne trouveront devant eux que les nal'ves paysannes, incarnation du Bien et conjuratrices des mdfaits d&moniques par la puret£ de leur coeur et les souffranees de leur chair. Telle Marie Grin, la stigmatis^e, telle Marie Lude, dchappde & la corruption villageoise, vierge immaculde ter-ras sant le dragon, qui viendra rappeler ses com-patriotes a l'honn§tet£ et a la vie.50
Dans les oeuvres antdrieures k 191^. on a vu la femiue
et son amour pour l'hoiome, soit un amour1 fiddle, soit 1* am our
adultbre. Dans la deuxifeme pdriode examinee ici, on a ren-
contre ce que Ramuz appelait un autre "(Stage" de l1amour.
^7P. 1^3• 48Ibid., p.
13^.
5°P. 420.
56
Da.ns Chant de not re Rhone, Ramuz exprime que "toute chose
premi&rement est amour. RIen ne nalt que d'amour, et rien ne
se fait que d'amour; seulement il faut tacher de connaitre
les differents stages de l'amour."^' Dicharcp cite Ramuz qui
reprend 1'id.de pr<5c<§dente: "511 y a trois amours, trois
stages de l'amour: la chair, le coeur, 1* esprit. *"52
fond, Ramuz ne voit pas de profonde difference .entre l'amour
de Marie Grin pour les malheureux dans La Gudrison, et celui
de la fille et du gar^on.^3 Mais il voit chez la femme la
possibility d'un amour plus £lev<5, d'une quality mystique,
spirituelle. La femme peut done jouer un rSle unique a elle:
"A cause de sa constitution psychologique, mieux que tout
autre, la femme est de nature a hausser les offres de son
coeur aux investigations sup^rieures oti le mobile de l'amour
devient I'id^al d£sir d'aimer le monde.^
En meme temps e'est ms.intenant en un sens un amour act if,
non pas seulement contemplatif. II Ste les peines de dessus
les gpaules des hommes: "Marie Grin, pauvre petite, bien
miserable et pourtant baign^e d4une grande lumifere, Marie
Grin donnera sa vie pour gudrir les malades.
Quant a la description ext^rieure de Marie Grin et de
Marie Lude, il n'y en a point du tout pour la dernifere, tandis
510^c., X, 40.
•^^Dichamp, pp. 44-45<
^^Tissot, p. 92.
-^Dichamp, p. 132.
•^Tissot, p. 89.
57
que Ramuz consacre deux paragraphes a l'exterieur de Marie
Grin, corame on a vu. II nous decrit suitout ses vetements,
mais dit aussi quelques mots sur son teint terreux et ses
yeux effrayes, mais rien de ses traits precis. Cette des-
cription sert surtout a rehausser sa lumi&re intdrieure.
Pour ce qui est de la vie interieure de ces personnages
principaux, il y en a seulement pour la premiere partie de
la presentation de Marie Grin, pendant que ses sentiments
sont encore "de cette terre." Plus tard, elle est guidde par
des forces au-dela d'elle-mSme, et on ne peut pas parler de
caracterisations, seulement de I'effet qu'elle a sur ceux
qui l'entourent.
En g^n^ral, on peut remarquer que, du point de vue de la
presentation, dans les oeuvres de la premiere periode, le
narrateur s'identifiait de temps en temps avec le heros "avec
un * on' indetermine et prenait place parmi ses personnages.
Quelquefois aussi il intervenait pour expliquer un geste ou
pour tracer un bref p o r t r a i t D a n s cette deuxi&me periode,
avec La Gudrlson des maladies, la presentation des personnages
change. Le recit n'est plus conduit et commente par le narra-
teur, mais ce sont "les personnages eux-mdmes qui, par un
systfeme de references multiples, de feux croises ou de prises
de vues, se voient et s'expliquent mutuellement.Les per-
sonnages principaux sont vus par d'autres en images exterieures,
56Ibid., p. 2^1. ^7Ibid. 58Ibid., p. 2^2.
58
et ces personnages voient le monde en images intdrieures,
se reprdsentant leur vie actuelle, pass£e et future. "De
m§me qu'il adopte cette vision multiple, Ramuz ne laisse plus
au seul narrateur le soin de raconter; ce sont les t^moins di-
vers et diversement intentionngs qui parlent les gv<5nements
au fur et h. mesure de leur d<§roulement.Done, pour cor-
responds a l'id£e du groupe, Ramuz se sert de nouveaux moyens:
"Ainsi au roman collectif correspond une esth^tique nouvelle
qui abandonne le point de vue unique et objectif de 'l'auteur1,
pour sugg^rer la r£alite par un complexe de representations
subject ives.
Pendant la premiere pdriode, l'individu est de grande
importance, mais ce qui est le plus frappant apres 191 - est
1'apparition et la predominance du groupe de personnages.
Ces groupes prennent presque la place des personnages prin-
cipaux. II y a aussi de nombreux personnages secondaires
bien traces, mais ceux-ci ont de 1'importance surtout comme
membres d'un groupe. Ce sont eux qui expliquent les person-
nages prlncipaux et qui sont sous leur influence. C'est la
psychologic des actions et des reactions collectives qui im-
porte. Ramuz produit de belles caractdrisations dans ses
personnages secondaires ainsi que dans les groupes. On se
rappelle ici des exemples comme Mme Grin, les soeurs Chappuis,
et les villageoises de La Gudrison des maladies, toutes bien
59Ibid. 60Ibid.
59
peintes. Blen que toutes ces femraes soient prdsentges avec
simplicity et avec peu de description extdrieure, les mouve-
ments du corps, les monologues intgrieurs, les quelques pa-
roles £nonc£es, rendent d'une fa^on tr&s vivante les groupes
ainsi que les individus auxquels ils r^agissent.
CHAPITRE IV
TROISIEME PERIODE (1925-193?)
Ce chapitre analysera quatre oeuvres de la troisibme
p<5riode de Ramuz, celle de la maitrise. Elle comprerid une
douzaine d'ann^es pendant lesquelles Ramuz £crivit sept on
huit romans importants et plusieurs oeuvres philosophiques
et journalistiques de contenu varig. Sa production diminua
peu h. peu vers 19 -0, a mesure qu'une maladie pendant ses
derni&res anndes de vie le gagna. Tissot, qui appelle cette
p^riode celle de la maitrise, explique:
Dans cette dernibre p^riode, Ramuz abandonne tout ce qui pouvait §tre outr£. Son art se d^cante et trouve sa plenitude dans une forme presque clas-sique. II atteint de la sorte h une grandeur sereine, a une humanity et a une universality sans d^faut.
Tissot parle aussi des scenes et des hommes plus nuances, oti 2
le collectif s*efface et I'homme revient au premier plan.
Dans 1*Introduction aux Oeuvres completes, les £diteurs ex-
priment que dans ce troisieme cycle, . . . chaque oeuvre apparalt plus ouvertement con-certs, comme si le romancier avait pris un l<5ger recul, d^sireux de maintenir sa liberty de mouve-ment en face de ses personnages, aussi soucieux de leur dormer leur piein de presence individuelle que de les int^grer a sa peinture dans un vivant ^quilibre entre le ddcor et l'humain.3
"'"P. I85. ^Ibid., p. 186. - 1, xvi.
60
6l
D^ja dans la p^riode pr£c£dente, on a YU que le th&me
plut&t que l'individu devint l'£l£ment le plus important dans
les romans. Dans cette troisifeme p^riode, le thbme continue
k §tre central, mais le fantastique et le surnaturel cedent k
la place aux lois naturelles. Vers 1925 les romans partent
du th&me de 1'homme en face des "puissances obscures, des
mal^fices de la n a t u r e . L a montagne devient presque un
§tre humain, un g£ant cruel: "Le paysan, homme du contact,
T6vhle ses secrets en face d'une nature anim£e et indomp-
table."^ L'homme est soumis aux lois et aux rythmes de la
nature, ainsi que le dit Vernois: Le sol propose une discipline, code de conjuration du mal, par le travail et le sens de sa propre me-sure. En m§me temps il impose des drames inh^rents h la condition plus qu'a la nature humaine: drame du corps a corps de 1*homme avec l'univers plus que conflits de passions et de r§ves individuels.
Dans les romans de cette p^riode, La Grande Peur dans la
montagne (1926), La Beaut6 sur la terre (192?), Farlnet ou la
fausse monnale (1932), et Derborence (193M» Ramuz alterne
entre les romans du lac et les romans a'lpestres coirmie s'il a O
besoin de se renouveler 1'inspiration. Yvonne Guers dit de
ces milieux que "tous les tomans d*atmosphere lyrique se si-
tuent. autour du lac . . . Au contraire les romans de la
montagne sont apres et pessimistes et le style devient plus
4-, Tissot, p. 186. .^Vernois, p. 4-25, 1 *
8Tissot, p. I??.
6Ibid. 7Ibid.
62
sobre et concis."^ Des quatre romans qui seront analyses,
seul La Beauts sur la terre se d^roule au bord du lac, les
trols autres ont comme cadre la montagne.
Dans une bonne partie des oeuvres de cette p^riode, le
personnage principal est encore le groupe, ou 1*ensemble de
personnages, mais c'est l*individu, non le groupe, qui est le
plus important. Comme I'explique Henri Pourrat"Ce qui in-
tdresse Ramuz, ce sont les individus avec leur ame a eux, non
l'Stre collectif qui peut naitre des individus.""*"® Tlssot in-
dique aussi 1*importance du groupe, mais en meme temps il
appuie sur le fait que les personnages sont distincts et "r<5-
sistent & la psychose collective . . . le collectif s*efface
et l'homme revient au premier plan.n
La Grande Peur dans la montagne, un des chefs-d'oeuvre
de Ramuz, raconte la lutte d*un groupe d'hommes isol^s sur un
pHturage de haute montagne, consid£r£ par les vieux du village
comme maudit depuis une catastrophe vingt ans plus tSt. La
maladie dgcime le troupeau et les hommes font face aux 615-
ments, chacun selon sa capacity.- A la fin, tous meurent, vic-
times d'une catastrophe, et le roman termine avec ces mots:
"C'est que la montagne a ses iddes h elle, c'est que la
9,,L'Esth**tique de C.-F. Ramuz,» Symposium, XLVII (Pall, 1963), 219-220.
"*"®P. 167. II est intdressant de noter que des critiques comparent Ramuz avec Jules Romains, mais Pourrat ne voit pas d'unanimisme chez Ramuz.
1:LP. 186.
63
12
montagne a ses volontds." Ce sont les descriptions de la
montagne, le "haut-pays" malgfique, les devoirs quotidiens,
la peur et la reaction des individus formant le groupe, qui
composent le roman.
Les personnages de La Grande Peur sont presque tous des
homines, et on peut a peine parler de personnages principaux,
mais les jeunes fiances, Joseph et Victorine, sont tout de
mSme pr£sent£s en plus de details que les autres villageois.
On rencontre le jeune couple pour la premiere fois pendant le
rendez-vous oti Joseph parle de ses plans de vouloir monter au
pHturage d'£t£.
Ramuz montre h. peine la physionomie de Victorine. Au
moment ofc. elle passe a travers une haie pour rejoindre son
fiancd, on lit qu'elle a une figure brune, et une m&che noire
et fris£e tombe jusqu'a son nez. Elle sourit alors "avec
toutes ses dents qui faisaient une barre blanche au bas de
sa figure brune. . . ."-*-3
La tendre histoire d'amour de ces deux jeunes gens est
tr&s bien rendue par les actions et les paroles qui se rap-
portent bien aux simples personnages. La lenteur, les phrases
incompletes du dialogue, les regards, correspondent admirable-
ment a 1*hesitation qu'ils ont a la pens^e que Joseph monte
au paturage. La tendresse se voit dans le mouvement chaste
1? ~C.-F. Ramuz, La Grande Peur dans la montagne (Paris,
I925)* P* 271* 13Ibid., p. 28.
6k
de la main de Joseph sur l'^toffe du caraco de coton de
Victorlne
Plus tard, quand les hommes sont months et qu'on apprend
au village d'en bas que la fibvre aphteuse a frapp<5 le trou-
peau sur 1'alpage, on decide d'isoler ceux d'en haut. D£ter-
min^e dans son amour, Victorlne d^fie tous les dangers pour
rejoindre Joseph. Elle part la nuit pour ne pas Stre vue et
remonte le long du torrent. La technique de presentation re-
hausse ici le suspens quand Ramuz passe du narratif direct
aux pensdes, puis a ce que racontferent plus tard les villa-
geols de la mort de Victorine, donnant un point de vue nou-
veau, comme on le voit dans ce qui suit:
. . . au moment oti elle allait §tre forc£e de quitter la berge, qui devenait rocheuse et trop abrupte, elle est entree sous les pins.
Lh, on pense qu'elle a d& se reposer un moment . . .
"On a trouv£ une place, disent-ils, oti des plantes de forSt montraient qu'on s'^tait assis."1^
Le lecteur se souviendra que le corps de Victorine est alors
retrouv^ dans la riviere, mais de peur que Joseph ne redescende,
on decide de ne. pas l'avertir de sa mort. C'est pourquoi, ne
comprenant pas pourquoi il n'a pas re^u de lettre de Victorine,
lui aussi, d£fie les d^crets et fait un long trajet p^rilleux
pour aller la voir au village. La derni&re fois qu'on voit
Victorine est le moment oti Joseph l'dpie de l'autre c&t£ de
la rue et qu'il la voit couch^e sur un lit, un crucifix sur
121 Ibid., p. 34
15Ibid., p. 160
65
la poitrlne et deux bougies au chevet du lit. Aprks avoir
compris que Victorine est morte, Joseph remonte sur la mon-
tagne, continue jusqu'au bas des glaciers, oti il meurt quand
une grande poche d'eau s'arrache du glacier et descend la val-
ine, engloutissant aussi le reste du groupe d'hommes.
Les groupes, comme il a 3te5 indique, jouent le r&le
principal dans La Grande" Peur, et, bien qu'ils consistent
presque exclusivement d'hommes, il vaut la peine de noter une
certaine ressemblance entre ces groupes et les membres du
choeur de thdatre grec. Bien stir que les paysans de Ramuz ne
parlent pas en unison, mais on volt d'un cSt£ les vieux, qui
se rappellent ce qui s'est pass£ il y a vingt ans, qui ex-
priment le point de vue de 1*experience, et, de 1'autre c&t£,
les jeunes, qui pensent a 1'avantage £conomique qu'il y aurait
h. remonter au paturage d£laiss£. Paul Vernois exprime cette
comparaison en disant que wle groupe paysan agit comme le
choeur de la trag^die antique: a 1*inquietude des anciens
rassemblds, r<3pond la voix insolente et t£m<5raire de la jeu-
nesse.,,±D Plus tard, k plusieurs reprises au cours du roman,
Ramuz se sert du "nous" pour exprimer le point de vue de ceux
"d'en bas" ou ceux "d'en haut." Au lieu de lire le "ils"
narratif, le lecteur peut s'identifier beaucoup plus £troite-
ment avec ces groupes, se mettant dans le rSle de chacun.
On passera maintenant h une oeuvre tres diff^rente, pla-
c^e dans le doux cadre du bord du Lac Ldman. La Beauts sur
l6P. ^24.
66
la terre appartient done au groupe des oeuvres d*atmosphere
lyrique. Le th&me en est tres simple. Les hommes ont le d<3-
sir de la beauts, et quelques Stres purs pourraient 1'accep-
ter, mais la presence de la beauts d^soriente et dvoque le
ddsir de la possession. II n'y a done pas de place pour la
beauts sur notre terre.
L'actlon du roman, elle aussi, est simple. Juliette,
jeune fille de dix-neuf ans, arrive d'Am^rique apr&s la mort
de son pfere pour §tre recueillie par son oncle, I'aubergiste
Milliquet. Les hommes de la contrde se sentent soudain atti-
res, et quelque chose semble s*ajouter Si leur vie. Au d^but,
Milliquet voit ses affaires ara31ior£es puisque bien des cu-
rieux sont attires. Bient5t pourtant, Juliette suscite la
violence entre les hommes, et Mme Milliquet chasse la jeune
fille de la maison. Elle s*installe alors chez Rouge, un pe-
cheur dans sa cinquantaine, lui apportant beaucoup de joie.
Wais elle est toujours poursuivie et se sent repouss^e par le
d£sir que les hommes ont pour elle. Milliquet demande une
enquSte contre Rouge pour d^tournement de mineure. Enfin,
consciente du trouble qu*elle a cr^, Juliette quitte le vil-
lage avec le petit bossu, jcueur d'accordion.
Le personnage principal f€minin de Juliette est une fi-
gure extraordinaire, delicate et symbolique dont Dichamp dit:
L'emprise qu'elle exerce sur les hommes les plus divers ressemble moins an confus app<5tit sensuel qu'a un sentiment inappreciable d* admiration. La puret£ de sa physionomie nimble d'inconnu lui
6?
donne-cette distance qui repose 1'esprit et place la'contemplation sur son plan veritable. '
Ce: ne_ sont certainement pas les traits extdrieurs qui f rap-
pent:.. Ramuz:n?en donne gufere, mais ^videmment, elle est
fiort: vlvante par 1*atmosphere qu*elle cr<5e autour d'elle.
Hiehamp..continue: "Avec Juliette, Ramuz a atteint un sommet
&b~- lar realisation d'une telle figure montre a quel point
r*artiste est maltre de ses moyens, avec quelle acuitd il 1 O
salt, rendre sa vision."x Quand Juliette arrive a la gare
de : la petite-Ville, Milliquet n'est certainement pas frapp<5
par: une: beautg. , Au contra ire, il voit sur le quai une pauvre
petite-: ch.ose :grise. On lit: "Une personne sans pieds, ni
bras-, tout emmitoufl^e qu'elle £tait dans un manteau de pluie
S£ capuchon, etMilliquet n'a m£me pas vu sa figure.""^ Elle
apparalt.plus5tard-dans le caf6 v§tue d'une petite robe noire
avec un mouchoir:de dentelle noire autour de ses cheveux. Ce
qui: est,important est l'effet qu'elle a sur les autres; on
n'bse: pas - la:regarder de face . . parce qu'alors il semble 20
qxt* 11- vous-entre vine longue dpingle a tricoter dans le coeur."
Lar musique et" la beaut £ s'accordent, et c'est au son de l'ac-
c.oraSon que Juliette semble s'^veiller. Mais elle dveille
Xes~d^sirs chez les hommes. Le Savoyard surtout la poursuit,
jaloux du joueur.d'accorddon, dont il fend 1*instrument. 17P.i,13 5..
1 8 Ibid.
190.c., XII, 18. 20Ibid., p. 37.
68
BientSt Juliette dolt aller se rdfugier chez Rouge, oh
Ramuz £voque sa presence presque surnaturelle. On la volt
sur la plage, se d£plagant presque sans toucher a terre. Tout
brille autour dtelle; m&me les poissons sautent hors de l'eau.
Une fois elle s'habille sp^cialement pour le dimanche et sort
de la maison. Encore une fois, la vision plastique ramuzienne
nous montre le pouvoir de Juliette au lieu de nous 1'expllquer.
C'est alors qu'elle dtait reparue; et il y avait eu une grande joie sur les montagnes. Elle s'est avanc<5e, elle s'avan^ait sous le chale de sole; dans le mouvement en avant de la marche, on voyait les longues franges monter en glissant le long de ses jambes, puis aller de chaque c5t6 de leur rondeur en s'^cartant. Elle a pos£ ses beaux pieds nus sur les cailloux. Et tout a coup le chUle jaune 1'a quittde . .
M§me Rouge qui jouit simplement et purement d'aller b. la
pSche avec Juliette, commence a sentir de la jalousie envers
ceux qui la recherchent, et il voit qu'il "faut tuer en soi O O
les choses pas possibles." ^ II semble que personne ne puisse
accepter la beauts sans d£sir de possession, et Ramuz dit:
. .rien ne dure sur terre, que nulle part la beauts n'y a
sa place blen longtemps. . . . "23
II n'y a presque pas de personnages secondaires fdraining
dans La Beaut6 sur la terre. La femme de Milliquet est la
seule qui mdrite d'etre mentionn^e. Sa personnalitg aigre
fait contraste avec le bon coeur de son mari et, naturellement,
surtout avec la personne ldgfere et reveuse de Juliette. Chose
rare chez Ramuz, un peu d'humour entre dans la description du
21Ibid., p. 116. 22Ibld., p. 167. 23Ibid., p. 187.
69
rapport entre les deux gpoux. Mme Milliquet s*oppose a la
presence de Juliette chez eux et, quand la jeune fille entre
dans la cuisine, elle feint de ne pas la voir, "ne serablant
pas 1*entendre quand celle-ci [Juliette! lui souhaitait le
bonjour, et glevant parfois la voix pour une plainte ou urie
remarque d^sobligeante, mais s'addressant uniquement a son
oh,
mari, qui ne disait rien', parce que c'est plus simple."
Mme Milliquet accuse Juliette d'avoir causd leur ruine par
les disputes d'hommes qu'elle pr^cipite, et elle ne veut plus
d'elle chez eux.
Quant au groupe dans La Beaut6, 11 est compost d'hommes
individuels, tous £pris de Juliette. Puisque ce sont des horn-
mes, on ne peut les considgrer ici que du point de vue de
l'effet que Juliette a sur eux. II y a Rouge et son ami
Bolomey, Chauvy, le Savoyard, etc., tous influences par la
beauts de Juliette, comme on voit dans le passage suivant: Les choses ont £t£ ainsi qu'k peine les mar-
chands de b£tail avaient-ils disparu au tournant de la rue, le Savoyard, lui, est paru ou reparu; et c'est qu'on tourne autour de la beautd. C'est sur la terre, et on n'a pas assez de voir sur la terre. On y est gourmand, on y a faim; on veut poss<5der. Le Savoyard est reparu; il avait £t£ s'installer sur la terrasse, il avait command6 un demi-litre. ^
Avec Farinet on retourne h un ddcor montagnard qui res-
semble plut6t aux romans de la premibre p^riode, puisqu'on
trouve ici un personnage central et, surtout dans la premiere
24 Ibid., p. 37. 25ibid., p. 69
70
moiti£ du roman, tin style narratif et bien des details sur le
personnage principal et 1'Intrigue. Mais, en m§me temps, le
th&me en est aussi important, ce qui l'approche de la deuxikme
et de la troisi&me p^riode. Le thfeme est le conflit entre la
m£diocritd d'une vie soumise aux lois de la soci£t£ et le r£ve
d'une liberty totale.
Quant h. 1*act ion du roman, on se rappellera que Maurice
Farinet fabrique ses pieces d'or avec de 1'or qu'il mine lui-
m§me dans la montagne. II est poursuivi par les autorit^s et
s'est gchapp<§ de prison deux fois, mais le peuple 1'admire
pour son audace et parce que ses pieces soi-disant fausses
sont sup£rieures en quality a celles du gouvernement. La bonne
et simple servante Josephine, se ddvoue complfetement a le te-
nir cachd de la loi. Lui voit bien la bontd de Josephine,
mais il se sent attir6 par la jolie fille du president du vil-
lage. Celui-ci donne a Farinet la possibility de finir sa
sentence et de recommencer une vie honndte. II h^site entre
la liberty et son amour qui le forcerait a se soumettre a la
soci£t£, mais il finit par voir que la mort en liberty serait
pr<5fArable, et il meurt dans la montagne poursuivi par les
gendarmes.
II y a peu de femmes dans Farinet; m§me Josephine, femme
principale, n'est pas pr£sent£e avec beaucoup de relief ou de
description extgrieure. C'est une femme tr&s simple dans son
amour et sa ddvotion complete, ressemblant a Victorine de La
Grande Peur, mais moins sympathique. Elle voit bien que
71
Earlnet". ne: ltaime pas en retour, mais vers la fin elle esp&re
le: gagner. en ltaidant h s'£chapper et en se joignant a lui.
Kdanmoins; aveugl£e par la jalousie, elle decide de le ddnon-
CB-r:.. Puis: elle se repent, mais c'est trop tard. Apr&s la
nrort. de- Farinet, on la trouve pendue.
Legroupe ne joue pas un r&le tres important dans Farinet,
EL suffit de dire qu'il reflate en g£n6ral, comme d£ja indi-
q.ud, la:sympathie pour le hdros et son d£sir de liberty.
Le-: quatrieme roman, Derborence, off re le message le plus
optimiste des oeuvres analysges. Bien qu'on sente tout au
ILong; le: ppuvoir:et la superiority de la nature, le roman finit
par: le: triomphe :de 1* am our sur la mort. C'est la femme qui d<5-
£le: toutes~les^conventions et les superstitions pour faire
face"a;larmontagne toute-puissante et qui r^ussit a la vaincre
parr la~ f orce -: d e s on am our.
L1action de Derborence se ddroule dans un cadre tres
semblable h' ceiui de La Grande Peur, c'est-&-dire, un milieu
&pre: de:haute:montagne. L* intrigue est extrbmement simple,
"bien que peu commune. Antoine, jeune mari de Th^r^se, est
mont6 depuis deux mois au paturage pour l'£t4 avec d'autres
hommes'de deux ou trois villages de la region. lis sont en-
sevelis par vine avalanche, mais Antoine a rdussi a survivre
et' ressort de :dessous l'£boulement presque deux mois plus
tard.. II redescend au village, mais remonte, obs<5d6 par l'i~
djSe:que son compagnon est encore en vie et qu'il doit le
sauver. Th rfese le suit avec quelques hommes du village qui,
72
pourtant, ne veulent pas aller jusqu'au bout, mais elle con-
tinue seule et ram&ne son mari.
Thgrese est la manifestation de 1'amour conjugal et ma-
ternel. Elle est peinte avec une grande simplicity et ten-
dresse avec, en m£me temps, des reactions de faiblesse tr&s
humaines comne le d£couragement et 11 impatience. D'ailleurs,
comme le dit Tissot, "elle devient aussi le mythe de la f <3-
conditd."26
C'est par les pens^es d'Antoine que le lecteur voit
Th£r&se pour la premiere fois. II r£ve d'elle portant son
rUteau et s'asseyant au-dessous de lui sur un talus, r£v£lant
un peu de peau brune entre son chignon et son fichu rouge.
A part cette impression, Ramuz ne peint que brikvement sa
robe brune a beaucoup de plis et sa chemise en grosse toile
de chanvre quand, un peu plus tard, elle est vue directement, AO
assise devant leur maison, h son tour pensant a son mari.
C'est tout ce qu'on apprend de son apparence, mais elle
est r£v£l£e de l'int^rieur par ses sentiments et ses pensges.
Elle montre une grande tendresse quand elle devine qu'elle
est enceinte. C'est h ce moment qu'elle se demande pourquoi
elle ne se sent pas bien et pense: "'Parce que si c'est ga,
je ne serai plus seule. Et on sera deux pendant qu'il est 29
loin, et, quand il sera redescendu, on sera trois. . .
26P. 222.
270.c., XIV, 216. 28Ibid., p. 235* 29Ibid., p. 238
73
Elle est typiquement fdminine quand, peu aprks, elle s'amuse
& imaginer comment elle taquirxera doucement son mari avant de
lui raconter la bonne nouvelle. Plus tard on essaie de lui
cacher les nouvelles de la catastrophe sur la montagne, mais
elle volt la civifere qu'on apporte avec un mort, et dans son
inquietude elle s'exclame qu'elle ne veut pas I'enfant d'An-
tolne s'il n'aura pas de pfere.3®
Le temps passe et les veuves de la catastrophe continuent
& vivre, comme le fait aussi Thgrese: "Elles vivent . . .
c'est comme £a. L'arbre qu'on fend par le milieu se cica-
trise. Le cerisier qui est bless<3 dlabore une gomme blanche
dont il recouvre sa blessure.Cette m^taphore, employant
une image si famili^re au paysan, rend fort bien l'acceptation
paysanne du passage du temps et son effet salutaire. Th^r&se
travaille au jardin, essayant d'accepter son sort, sentant
quelaue joie a la pens^e de I'enfant: " . . . quand elle se
penchait en avant, elle sentait son enfant remonter contre sa
poitrine. 'Mon Dieul pensait-elle, heureusement qu'il est la,
lui, et 3.ui, du moins ne m'a pas quittge, et, lui, il m'est
rest£ fid&le.'"^ Quand Antdine revient aprfes sa longue ab-
sence, elle le reconnait a peine, et elle ne peut pas com-
prendre pourquoi il semble si distant; "Elle aurait voulu
aller a lui, lui tendre les bras, le serrer contre elle: elle
n'osait pas."33 Elle voudrait lui dire la surprise, mais lui
3°Ibid. , p. 278. ' 1 lb id., p. 299
32Ibid. 33Ibid., p. 325.
7^
droit rapprendre h. vivre; il n'a mSme pas remarqu£ qu'elle
enceinte-,
Quand: Antoine .-re part le jour suivant pour chercher a
sauver: son amllS^raphin, Th£rese sent une voix qui lui re-
proche: de-n.'avoir: pas ;tout fait pour retenir son mari, et lui
dll7. d'aller: le: chercher. Elle est pouss^e par un grand cou-
rage: .. ..dans ces deserts ofr. jamais une femme n'aurait os£
s.;lengager seule, mais elle n'est pas seule, parce qu'il y a
r.'&mour, et" l?amour: I'.accompagne et la pousse en avant."^
La? dernifere scene du roman rend d'une fagon frappante
31,,'6norme pierrier: et" llinsignif iance de I'homme, puis le tri-
ctmphe: de Th^r^se, observde par les hommes qui n'ont pas os6
suiivre: la- jeune;femme. Pour bien ressentir l'effet, il est
pr^f-Srable: de-:donner: les derniers paragraphes en entier.'
Ramuzi ar le: ddn:\de-:mettre le lecteur en plein la situation.
On. aent 1"*effort qu'.il '.faut pour voir si loin dans la distance,
X'&tonnement" des:hommes .et leur admiration du courage de la
jjteune: femme-. et: la-realisation du pouvoir de 1'amour:
C?est alors qu'ayant ramen£ la t§te en avant ei. ll'ayant eux . aussi lev£e, ils ont vu & leur tour bouger: la~haut dans le pierrier; et c'est elle la-haut ou quoi? et c'est elle, et elle le ramfene.
Pas. possible . . . Que si 1 c'est elle, et ils Kont deux.
C'est un hornme avec une femme. Les-cinq qui gtaient Ik avaient en face d'eux
lir nrontagne avec ses murailles et ses tours; et eOJle est mdchante, elle est toute-puissante; mais voila. qu'une faible femme s'est lev^e contre elle et.qu'elle l'a vaincue, parce qu'elle aimait, par-ce: qu' elle os£ .
3^ Ibid., p. 366.
75
Elle aura trouv£ les mots qu'il fallait dire, elle sera venue avec son secret; ayant la vie, elle a la oti il n'y avait plus la vie; elle ram&ne-ce qui est vivant du milieu de ce qui est mort
Notez le pouvoir de la technique de l'^crivain: trfes peu de
narration directe, les exclamations, et le manque de repro-
duction directe de ce qu'ont dit Antoine et Th£rfese. Ces pro-
e£d£s laissent au lecteur le plaisir d'imaginer et attestent
le talent de Ramuz pour cr^er de fortes images en peu de mots.
Un personnage f^minin secondaire vaut la peine d'etre
inclu: la mfere de Th^rese, Philom&ne. Comme presque toutes
les m&res qu1 on a vues df§ja, elle est la femme silencieuse,
assez dure dans son amour, mais d£vou£e. Au d£but du roman,
S^raphin, frfere de Philom&ne, apprend au lecteur que sa soeur
s'^tait oppos^e au mariage de sa fille, mais que lui "avait
fini par avoir le dessus."-^ Quand Th^rese vient manger chez
sa mkre pendant l'absence de son mari, on sent que Philomfene
n*est pas une personne agrdable. C'est une femme de peu de
paroles, mais qui s'intdresse tout de m§me a sa fille. On
sent de la sympathie pour Philom&ne quand celle-ci devine
que sa fille est enceinte, et on lit:
Thdrese s'est tue. Et on a vu que Philomkne s'^tait mlse a sourire, ce qui ne lui £tait pas arrive depuis le mariage de sa fille, regardant sa fille; puis:
—Oh! dit-elle, si c'est ca, c'est une bonne maladie; c'est une de ces maladies, ma foi, a qui on fait la r^vdrence quand elles viennent vous trouver . .
3^Ibid.s p. 371. 36Ibid., p. 208. 37Ibid., p. 2kl.
76
Un peu plus tard, quand on a apportd la civi&re avec le corps
d*un mort, on sent encore les soucis maternels de Philom&ne
qui essaie d'empScher que sa fille apprenne les mauvaises
nouvelles. La couleur de son visage et les mouvements de ses
mains r^vfelent ses fortes Amotions. Philom&ne a "une couleur
de papier sale" quand elle se retourne vers sa fille. Elle
sent qu'il faut dire quelque chose, mais ne trouve rien a
dire. "Les mains de Philomkne bougeaient toujours plus fort
sur son tablier h rayures."-^ Elle veut prot^ger sa fille,
mais ne pourra pas empScher la vdritd de sortir.
Pour terminer, on peut remarquer que dans Derborence,
comme dans Farinet, le groupe ne joue pas un grand role. On
sent la solidarity des villageois dans les moments de la cata-
strophe et l*unit£ des femmes dans la resignation, mais,
comme analyses ici, ce sont les individus qui sont soulign^s
dans cette oeuvre.
En passant en revue les quatre oeuvres de cette dernibre
p^riode, il devient clair que le r5le de la femme s'affermit,
Dans la p^riode pr6c£dente, la femine £tait dou£e d*une grace
sup<3rieure, le ddsir d'aimer le raonde. On remarque que "les
ann^es semblent avoir rendu le pofete toujours plus sensible b.
la grace feminine dont le sens £ternel liii apparait peu a «
peu."39 Dans La Beauts sur la terre, elle est encore un r£ve
38 Ibid., p. 263.
^^Tissot, p. 225.
77
presque impossible a attelndre, encore symboliquement le 6.6-
sir d'un absolu jamais r^alisd. Tissot explique; "D&s La
Beauts sur la terre, la grace de la femme, li£e au pouvoir de
la lumi^re, fait l'objet d'une sorte de culte.*1^® Elle de-
vient "comme 1'image de cet Ewig-weibliche faustien, promesse
d'un amour qui est accomplissement, une fois rompus les liens
de notre prison terrestre.Dans La Grande Peur dans la
montagne et dans Farinet, Victorine et Josephine montrent une
devotion complete envers les hommes qu'elles aiment; elles
donnent leur tout, risquant la mort pour leur amour. Mais le
bonheur ne dure pas. Dans Derborence, Th^rbse, en dgpit de,
ou plut&t h. cause de sa simplicity, montre la vraie grandeur.
La femme, dans Derborence, est devenue le symbole de la beau-
ts et surtout de la fdcondit<5: "Des 1'instant ofr. elle a con-
li-P
£U, la femme devient un Stre sacr£, une esp^rance radieuse."
Avec la conscience de la naissance qui aura lieu, elle a le
pouvoir de faire renaltre Antoine, de l'arracher de la mort.
Ainsi, dans la lutte mythique entre la vie et la mort, c'est
enfin la vie qui triomphe.
Du point de vue de presentation des personnages, cette
p^riode montre Ramuz laissant de c&td tout exces. II atteint
une sorte de classicisme, une universality par le d^pouille-
ment. Ses personnages sont pr^sentds avec encore moins de
^°Ibid., p. 226.
^Guyot, p. 73.
42 Tissot, pp. 222-223.
78
traits ext^rieurs que dans la premiere p^riode. Quant a
leurs pens^es et leurs actions, elles sont r^duites aussi au
minimum, mais elles sont toutes profond£ment humaines. Ce
ne sont toujours pas des personnages compliquds, peut-§tre
m§me encore moins qu'auparavent, mais lis r^sistent, comme on
a dit, & la psychose du groupe et se montrent comme des in-
dividus avec du relief.
Bien que toutes les femmes principales de cette derni&re
p£riode soient simples et directes dans leurs Amotions, cha-
cune est peinte avec des faiblesses humaines, et Ramuz les
peint aone si vraies en si peu de mots qu'elles s*impriment
dans la m£moire avec force.
CHAPITRE V
CONCLUSION
Au cours de l'analyse des trols pdriodes de la carri&re
littdraire de Ramuz, une varidtd de figures fdminines ont £td
prdsentdes. II est bien vrai que la plupart d'elles sont des
paysannes, comme on s'imagine quand on pense a l'oeuvre de
Ramuz, mais il est clalr qu'elles reprdsentent tout de mSme
une diversitd de passions, et qu'elles montrent une grande
profondeur d'Amotions. Comment pourrait-on dire qu'Aline,
Frieda, Christine, Marie Grin, Juliette et Thdr&se sont
toutes les m§mes?
II a dtd bien montrd par les dxemples des chapitres prd-
cddents que Ramuz n'analyse pas la vie psychologlque de ses
personnages, corame le font les romanciers soi-disant tradi-
tionnels. Dichamp explique: "Peut-Stre sa facon de tran^ J*
scrire est-elle moins brillante; peut-Stre risque-t-elle de
para?.tre, h certains lecteurs, inachevds et insuffisamenfc ex-
p licite.Mais cela n'empSche pas qu'il y ait une riche vie
intdrieure que le lecteur doit chercher lui-m6me:
Le travail technique du psychologue n'appa-rait pas, la patiente recherche lui donnera le seul geste significatif et dvocateur; tout le la-boratoire de 1*analyse est a 1*intdrieur. Mais les arguments ont leur poids d'ame, les gestes sont lourds de signification.2
XP. 122. 2Ibid., p. 123.
79
80
Yvonne Guers £labore sur la m§me idde, ajoutant quelques re-
marques sur la combinaison de po^sie et de r^alit^:
Que Hamuz n'ait pas cherche a rendre la rea-lity telle que ses yeux seuls la voyaient mais telle que son coeur la sentait, explique l'atmos-ph&re podtique qui £mane de son oeuvre en m§me temps que la forte impression de rdalite qui s'en ddgage. . . . Derri&re les gestes et les silences se pressent l'dpaisseur d'une vie humaine ancrde dans le temps et les profondeurs mystdrieuses de l'^me.^
Avec si peu d'analyse psychologique directe on peut se
demander comment il est possible que les personnages ramuziens
puissent frapper le lecteur et laisser une forte impression
dans sa m£moire. Car, ce ne sont jamais des surhommes:
. . . I'orgueil douloureux de Ramuz ne s'accom-pagnait d'aucun orgueil de la d£mesure. II n'a pas connu l'homme surnaturalise par la foi, l*es-p^rance et la charity. II a refuse l'homme vainement exalte au-dessus de sa mis&re, de sa deception, de sa tristesse. Et de cette juste mesure, de cette confession de certaine pleni-tude absente, vient la haute noblesse du temoignage.
Peut-5tre est-ce que ces personnages si ordinaires ressentent
des passions eiementaires, mais universelles, avec lesquelles
chacun peut s1 identifier. <r
Quant h. la presentation extdrieure des personnages,
Tissot la trouve vague:
Si les personnages de Ramuz sont tres pr&s-de nous dans la mesure oti leurs sentiments et leurs meditations sont aussi les notres, leur silhouette semble au contraire se dessiner dans un lointain
3p. 219.
^Bdguin, p. 102.
81
relatif. C'est qu'ils n'existent pas en tant qu*individus, lis sont encore tout pris dans leur entourage d'oti lis Emergent a peine.
On volt leur silhouette, leur chapeau, leur blouse, un geste . . . une demarche, mais rien ou presque rien de leur visage sinon un trait saillant comae des dents blanches dans une figure brune, une grande moustache, ou une barbe.*
II semble que ce sont prdcis&nent ces traits saillants bien
choisis qui font partie de la force de Ramuz, c'est-a-dire,
cells d'esquisser un personnage universel, et de laisser
quelque chose a 1'imagination du lecteur. Yvonne Guers dit
de cette simplicity que, ce qui frappe est "la solidity et
le relief avec lequel les personnages se a^tachent sur un
fond non moins net et compact."^ Dichamp montre le fort de
cette technique quand il dit:
Pour subir totalement certaine Amotion n'est-il pas, en fait, indispensable que l'ame du tdraoin participe a I'action par un quelconque apport de soi. C'est en tout cas la condition ngcessaire de se m§ler tout de suite k la vie du h^ros au lieu de le consid^rer de l'extgrieur avec plus ou moins d*indifference.'
et plus loin, parlant de 1*influence de Cezanne sur Raiauz:
Au lieu de se perdre en une multitude de details et d'expliquer longuement son objet, RAMUZ se borne a en marquer avec vigueur et nettet£ les points essentiels en ayant soin de les fixer d'abord sur une solide assise. . . . mais il n*en remplit pas la charpente . . . Au lecteur de combler les vides.
5pp. 290-291. 6P. 217.
7P. 7A-. 8 Ibid., p. 100.
82
Dans la premiere p£riode Ramuz donne davantage de details
physiques que plus tard, Men qu'on ait remarqud que ce n'est
certainement pas beaucoup. Frieda, par exemple, toute phy-
sique, est d^crite par ses vStements et ses cheveux, pendant
qu'Aline, d'line nature plus solitaire, n'est trac^e que 1<S-
g&rement de l'ext^rieur. Dans les deux p<3riodes suivantes,
l'extgrieur se simplifie de plus en plus, indiquant la ten-
dance vers le classicisme.
II y a ^galement beaucoup de force dans la simplicity
du dialogue: MLe dialogue surtout est saisissant, ramass£,-~
comme le paysage et le r€cit,—en traits heurt^s et simples,
si parlants dans leur concision. De pauvres mots dchapp^s,
a demi renfoncds.Cette raSme impression est poursuivie
par Henry Poulaille qui dit: "Justement parce que nous n*a~
vons que le principal de ce qu'ils disent, tout nous apparalt
en relief. II y a 1^ une science, trks approfondie, du choix,
et la preuve d*une maitrise rare."'*"'®
Souvent prochement li<5 au dialogue est le monologue in-
t^rieur qui peut Stre entrem§16 de dialogue et de narratif.
Quelquefois ce monologue qui " . . . peut fort bien §tre incon-
scient—est une dtape de 1'Elaboration en nous de la pens^e,
1 1 un stade auquel, avant de s'affirmer, toute Amotion s'arr§te."
^Pourrat, p. 1.62.
10,il» Homme,w Cahiers de la Quinzalne, Premier cahier de la dix-septikme s^rie (192FJ, 32". ~
^Di champ, p. 107.
83
Par consequent, le lecteur peut se sentlr trks proche du
personnage en question qui est en train d'examiner ses Amo-
tions. On en est alors de retour au fait que c'est la vie
int^rieure, le coeur, qui int£resse Ramuz.
Passant de la presentation des personnages a la question
du r&le de la femme dans les romans de Ramuz, il est int^res-
sant de noter d'abord 16 peu de mention que fait l'^crivain
des femmes dans son Journal, sauf quelques remarques braves
qui indiquent plutot sa peur des femmes. II n'y a meme pas
mention de sa femme qu'il epousa en 1913• H est, n£anmoins,
devenu trbs clair au cours de 1'etude, que Ramuz a dtt con-
naitre une varidte de femmes et qu'il appr^cie leur person-
nalite. II est cependant possible de suivre le ddveloppement
du rSle de la femme chez l'^crivain.
Pendant la premiere p^riode, il est difficile de voir un
certain type de femme entre les hdroSnes, sauf qu'elles sont
toutes jeunes, ce qui est d'ailleurs vrai aussi pour toute sa
carrikre. Ramuz semble sentir un amour special pour la naive
et pale Aline de son premier roman. II l'entoure de tant d'i-
mages po£tiques pour rendre sa vie intdrieure que le lecteur
ne peut s'empScher de souffrir avec elle. II est Strange que
cette petite est suivie du personnage principal f&minin que
Ramuz d£crit avec le plus de froideur, c'est-a-dire, Frieda
^ e s Circonstances de la vie. Elle reflate une attitude en~
vers la femme que Ramuz inscrit en forme tr&s breve dans son
Journal du 15 avril 1908: "La femme toujours despotique, si
84
12
longtemps du moins qu'elle est ferame." Deux jours plus
tard, 1'artiste note ses sentiments ambivalents sur la femme
quand il dit: Amour. On le peint simple, du moins infiniment plus simple qu'il n'est—ses gternels retours— c'est h. tout moment, du moins chez la femme, comme si rien ne s'^tait pass£—elle est avant tout com£dienne--non point fausse—elle ne ment point n^cessairement, elle varie, et puis surtout elle ne se comprend pas. Elle est instinct, elle se laisse aller, en quoi elle est ddlicieuse. *
C'est peut-§tre cette strange combinaison de sentiments que
Ramuz voit chez Christine, la femme de Jean-Luc. M^lanie
et Louise, les femmes dans la vie de Samuel Belet, font con~
traste l'une b. 1*autre: la "despotique" d'un c&t£, et la
mkre conscientieuse de l'autre.
Dans la deuxi&me pSriode apparait la curieuse jeune
femme doude d'un pouvoir surnaturel qui devient symbole de
confiance et de reconciliation. Marie Lude dans Le Rfegne de
11 esprit malln ne joue qu' un r&le trks limits, pendant qu*on
voit Marie Grin de La Gu^rison des maladies faire la tran-
sition d'une tr&s jeune fille simplement amoureuse, qui est
frappee d'une dtrange maladie, a celle qui se libfere des maux
de la terre et devient capable de gudrir'les maladies ter-
restres. Toutes deux, ces jeunes femmes sont complfetement
sujettes a quelque force mystique, et elles ne peuvent ainsi
pas agir ind^pendamment. On voit pourtant que Ramuz consid&re
la femme capable d'une spirituality sp£ciale h son sexe.
12P. 148. 13p. 149.
85
La troisi&me p^riode r£vele la femme dans un nouveau
r&le plus terrestre que celul de la pdriode pr£c£dente. On
a d£jli cit£ Tissot qui voit que Ramuz devient de plus en . Ik
plus sensible au sens £ternel de la grace f&ainine. V.Da&s
La Beauts sur la terre, le personnage de Juliette est encore
entour<§ d'une nimbe de surnaturel; la beauts est une sorte
d*iddal surhumain que I'homme ne peut atteindre-. Puis, dans
les oeuvres suivantes, la femme devient le symbole de Isamour
d£voud et surtout de la fdcondit<5, le rSle final qu'atteint
la femme chez Ramuz. Victorlne de La Grande Peur dans la
montagne, et Josephine dans Farinet, montrent la devotion to-
tale, pendant que Thdr&se dans Derborence, ajoute l'amour
maternel et un amour conjugal si fort qu'elle est capable de
conqu^rir la mort, II est bien possible que cette vision
plutSt id£alis<5e de la femme fftt inspirde par l'amour de sa
femme, Cdcile, ddcrite ainsi: II est certain que sa tache d'dcrivain [Ramuzjl lui fut singuli&rement facilit^e par les soins constants et discrets dont I'entourait sa femme, effac^e mais comprehensive. Seule, je suppose, sa timidity 1'empSchait de •s'exprimer devant ce maitre autoritaire et un tantinet raSprisant.
H£l&ne Cingria dit de Ramuz dans sa maturity que "pour lui,
la femme est l'ame du foyer, la maltresse de son int^rieur, 1 fi
mais une maltresse qui sait s'effacer aux yeux du monde."
^P. 225. 15 Anne-Marie Monnet, "Quand j'ai connu Ramuz," ADAM
International Review, Nos. 319-20-21 (1967), pp. 41-427™" l6Cingria, p. 162.
86
L'£tude des femmes secondaires des onze romans analyses
r<3v&le le fait surprenant que dans six de ceux-ci une m£re
lig£e joue un rSle considerable. Cinq de celles-ci se res-
semblent beaucoup, pleines d'un amour s£v&re et silencieux
qu'elles ont beaucoup de difficulty a exprimer, sauf par
leur sens du devoir et leur sentiment de solitude a la perte
de leur enfant. H<31&ne Cingria, qui a bien conrru Ramuz, ex-
plique que lui et sa m&re "ne parlaient gubre entre eux,
mais se coraprenaient a demi-mot et si Ramuz a consacrS tant
de ses plus belles pages aux mferes silencieuses mais atten-
tives, c'est qu'il eut pour la sienne une trhs haute estime."U
La seule m&re qu'on sent que l'£crivain detests est la bour-
geoise Mme Buttet, belle-mbre d'Emile Magnenat des Circon-
stances de la vie, dgoSste, mdchante et tracassifere.
Chaque roman n'a que peu de personnages, et ainsi, sauf
pour les m&res, il nfy a pas beaucoup d*autres personnages
secondaires. Plus importants sont les groupes, comme on a vu
surtout pendant la deuxi&me et la troisibme p^riode. Pendant
la pdriode mystique surtout, 1'experience collective est de
grand int£r£t, rnais en m§me temps, il est clair que Ramuz
s'intdresse davantage aux individus qui forment les groupes.
Chacun est bien caract£ris£ et se distingue parmi le groupe
auquel il appartient.
Les groupes sont Importants de plusieurs pointsde vue.
Dans La Gugrison des maladies, par exemple, les groupes
• • Ibid., p. 51-
87
servent plusieurs fonctions. D'un c&te, les individus qui
les composent subissent 1*influence de Marie Grin et r£agis-
sent h son effet; de l'autre, cfest par leurs yeux que le
lecteur voit Marie. Cela donne une presentation de 1'heroine
de plusieurs points de vue et permet a l'ecrivain de prendre
distance. C'est dans La Guerison des maladies qu'on voit les
seuls groupes de femmes des oeuvres etudiees. Dans La Beauts
sur la terre, de la troisifeme p^riode, ce sont les hommes qui
forment le groupe, trfes individualist, qui rdagit h. la pre-
sence de Juliette. Dans La Grande Peur dans la montagne, les
groupes sont aussi composes d*hommes, et ils n'ont ainsi pas
ete commentes en detail, mais on doit noter le rSle de con-
traste entre ces deux groupes de jeunes et d'anciens, donnant
des points de vue opposes. Enfin, dans Derborence, on trouve
des groupes de villageois subissant une catastrophe collective,
mais les personnages f^minins principaux sont de nouveau de
beaucoup plus d*importance et sont peints avec bien des de-
tails .
Ainsi, corame il fut indique au debut de ce chapitre, les
personnages feminins ont beaucoup contribu<§ au pouvoir des
roroans de Ramuz. Les femmes, individuelles ou en groupes,
jouant un rSle principal ou secondaire, ont une fonction im-
portante dans ses oeuvres, et, mSine sans profond d^veloppe-
ment psychologique ni presentation exterieure eiaboree,
restent inoubliables.
88
En fin de compte, on peut revenir au fait que Ramuz est
difficile a comparer avec d'autres £crivains; il est unique,
un "cas" particulier. Apr&s avoir 6tudi£ les femmes dans
ses romans, on peut bien comprendre pourquoi Dichamp, dans
la citation suivante, insiste sur la nouveautd de l'oeuvre
ramuzienne. Et, c'est avec cette idde d'originality qu'on
va terminer cette £tude, tout en esp^rant qu'on-a montr<5
quelques nouvelles valeurs de l'art ramuzien a travers les
personnages fSminins:
Sa position est d'autant plus personnelle qu'il "tend en some k la disparition du reman ott c'est l'£l£ment int^rieur et psychologique, la conscience, qui ccnditionne les actes" et a son remplacement par une formule nouvelle oti le drame humain n'est plus seulement une Stape de la vie du h£ros, mais, d^bordant I'individu, se trouve agi par des forces ext^rieures-qui en font un drame cosmique et universel.
18P. 184.
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