nagarjuna et vacuite

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Nagarjuna Et Vacuite

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. ******************************************************* TO READ THIS FILE SAVE IT TO DISK FIRST; AND READ IT USING NOTEPAD OR ANY OTHER TEXT EDITOR. ******************************************************* . Nagarjuna et la doctrine de la vacuit Vivenza . Sub-section titles are in the form: L#: [ ]. These can be used to regenerate the structure using a Word Processor. . . ******************************************************* ******************************************************* ******************************************************* . L1: [Table des Matires Dtaille] :L1 . L1: [Table des Matires Dtaille] :L1 L1: [Introduction] :L1 L1: [Premire partie La pense de Nagarjuna] :L1 L2: [1. Contexte et perspective de la pense de Nagarjuna] :L2 L3: [I. Nagarjuna: sa place dans l'histoire] :L3 L3: [II. Nagarjuna et le Trait du Milieu] :L3 L3: [III. L'absence de nature propre (svabhava-sunyata)] :L3 L4: [La ngation nagarjunienne de l'tre et de l'essence] :L4 L4: [La non-nature du vide] :L4 L3: [IV. L'objectif du Trait du Milieu] :L3 L2: [2. L'entreprise thorique de Nagarjuna] :L2 L3: [I. La non-consistance ontologique] :L3 L3: [II. La Voie du Milieu, face aux coles Vaibhashika et Sautrantika] :L3 L4: [Le ralisme Vaibhashika et l'idalisme Sautrantika] :L4 L4: [Un dilemme difficile] :L4 L4: [La rponse libratrice de Nagarjuna] :L4 L3: [III. Nagarjuna et le Yogacara] :L3 L3: [IV. Thorie des deux vrits] :L3 L3: [V. La logique du vide] :L3 L4: [La logique indienne] :L4 L3: [VI. La rfutation nagarjunienne de la logique indienne] :L3 L3: [VII. L'identit manquante de l'tre] :L3 L4: [La non-voie] :L4 L2: [3. La dialectique de la non-substance] :L2 L3: [I. La Loi (dharma) et la notion de loi] :L3 L3: [II. De l'ontologie ngative la ngation de l'ontologie] :L3 L3: [III. L'tre et le temps] :L3 L4: [Ngation catgorique] :L4 L4: [La ngation du temps] :L4 L3: [IV. Ngation ontologique et non-substantialit] :L3 L3: [V. Le non-tre comme vide de substance propre] :L3 L2: [4. La doctrine de la vacuit (sunyatavada)] :L2 L3: [I. La vrit manquante de l'tre absent] :L3 L4: [Ni tre ni non-tre] :L4 L3: [II. Le non-soi comme vide d'identit de l'tre et du non-tre] :L3 L4: [Ni production ni annihilation] :L4 L3: [III. Le Nirvana comme absence de Nirvana] :L3 L3: [IV. Le caractre propre du vide] :L3 L1: [DEUXIME PARTIE - La continuit historique de la doctrine nagarjunienne] :L1 L2: [5. L'hritage de la pense de Nagarjuna] :L2 L3: [I. Aryadeva: le matre de la ngation radicale] :L3

L4: [Ni cause ni effet] :L4 L4: [L'arme de la critique du Madhyamika] :L4 L4: [Un dsir vain] :L4 L4: [Tout est vide] :L4 L3: [II. Le dveloppement de la logique bouddhique aprs Nagarjuna] :L3 L4: [L'infrence rduite de Dignaga] :L4 L2: [6. Evolution de la doctrine Madhyamika] :L2 L3: [I. Les coles Svatantrika et Prasangika] :L3 L3: [II. Chandrakirti et le Madhyamakavatara] :L3 L4: [Les seize formes de vacuit] :L4 L3: [III. Shantideva et le Bodhicaryavatara] :L3 L4: [L'illusion chez Shantideva] :L4 L4: [L'analyse critique de Shantideva] :L4 L2: [7. Les ultimes aspects de la doctrine de la vacuit] :L2 L3: [I. Au Tibet] :L3 L3: [II. Le tantrisme (Vajrayana)] :L3 L3: [III. En Chine] :L3 L4: [Les sept coles] :L4 L4: [Les cinq grandes tendances] :L4 L4: [L'originalit du Ch'an] :L4 L3: [IV. Au Japon] :L3 L4: [La pratique de la vacuit (zazen)] :L4 L4: [La doctrine de la vacuit au c ur du Zen] :L4 L4: [La mtaphysique nagarjunienne du vide chez Dgen] :L4 L1: [Notes] :L1 L4: [I. Contexte et perspective de la pense de Nagarjuna] :L4 L4: [2. L'entreprise thorique de Nagarjuna] :L4 L4: [3. La dialectique de la non-substance] :L4 L4: [4. La doctrine de la vacuit (sunyatavada)] :L4 L4: [5. L'hritage de la pense de Nagarjuna] :L4 L4: [6. Evolution de la doctrine Madhyamika] :L4 L4: [7. Les ultimes aspects de la doctrine de la vacuit] :L4 L1: [Appendices] :L1 L2: [I. Le nant chez Matre Eckhart] :L2 L2: [II. La problmatique mtaphysique de l'tre et de l'essence] :L2 L2: [III. Ncessit et contingence selon Ren Guenon] :L2 L2: [IV. La contingence dans la mtaphysique occidentale] :L2 L2: [V. Bouddhisme et nihilisme] :L2 L2: [VI. Shankara et la non-dualit (advata)] :L2 L2: [VII. La philosophie du Lankavatara-sutra] :L2 L2: [VIII. Le Vimalakrtinirdesa (Vkn), et l'enseignement de Vimalakrti sur la vacu it] :L2 L2: [IX. La pense de Lin-tsi] :L2 . . ******************************************************* ******************************************************* ******************************************************* . L1: [Introduction] :L1 . La doctrine de la vacuit n'est pas un thme, une notion que l'on puisse ranger faci lement au milieu des conceptions thoriques diverses qui croisent les rivages de l a rflexion mtaphysique. La pense de Nagarjuna, dans sa souveraine et fascinante dia lectique ngative, est de nature bouleverser les schmas classiques et souvent simpl istes l'aide desquels nous voudrions plier le monde notre vision. Nagarjuna est incontestablement un matre de l'esprit, une figure majeure parmi les figures de l a pense universelle. Disciple fidle de l'enseignement du Bouddha, dans les pas duq uel, prcisons-le, il voulut scrupuleusement et concrtement placer les siens, il a

contribu, plus qu'aucun autre, rendre de nouveau sensible la porte authentique du message de l'Eveill. Il tenta, sans aucun doute de manire incomparable, de redonne r une juste comprhension de la Voie qui conduit l'Eveil. . Certes, son langage, son discours, sa technique argumentaire sont parfois ardus et d'un accs difficile, la technicit de sa mthode analytique peut elle-mme crer comme un cran, un frein la pleine comprhension de son message. Mais ces obstacles dpasss, lorsqu'on est peu peu acclimat la phrasologie nagarjunienne, on dcouvre une rflexio n d'une immense et inpuisable profondeur. Une pense d'une richesse extraordinaire qui est de nature nourrir un authentique questionnement mtaphysique, et parallleme nt comme complmentairement, mais aussi invitablement, une vritable pntration de la Vo ie de l'Eveil elle-mme. . La doctrine de la vacuit, grce la rare plasticit formelle de sa dialectique, se per met, sans aucune crainte, de dnouer avec aisance et habilet l'ensemble des problmes que la raison ne manque pas de lgitimement se poser. Cependant, loin de fournir des rponses strotypes et finalement incompltes car limites, sources constantes de cris es et de dchirements multiples et nombreux, la pense nagarjunienne introduit direc tement dans une perspective libratrice incomparable. Bien sr, sa radicale original it peut surprendre, mais c'est l'enseignement mme du prince Gautama qui se dresse derrire les thormes de Nagarjuna. En effet, Nagarjuna est un rvlateur de la dimension relle du message transmis par le Bouddha, il ne se voulut pas un innovateur, mai s uniquement canal de restitution de l'essence exacte de la Doctrine de l'Eveill; cela explique sans doute qu'il soit aujourd'hui reconnu comme matre fondamental par l'ensemble des branches Mahayana du bouddhisme: les coles tibtaines Kagyupa, S akyapa, Nyingmapa, Gelugpa, l'cole tantrique (Vajrayana) et les coles chinoises et japonaises Tendai, Shingon, Ch'an et Zen. . Pour Nagarjuna, se pencher sur la question du sens du message du Bouddha tait une ncessit qui relevait quasiment d'un impratif doctrinal. Rendre de nouveau percepti ble le caractre exact des paroles prononces sous l'arbre de l'Illumination tait une mission qui ne pouvait faire l'objet d'un doute. L'importance d'une juste perce ption du souverain discours librateur commandait, prioritairement, toute action d 'approfondissement de la Voie qui conduit l'Eveil. Tel est le sens du travail tho rique de Nagarjuna, telle est l'origine de sa doctrine de la vacuit. Bien entendu , et on le remarque sans peine, l'enseignement de Nagarjuna n'est pas dtachable, isolable d'un contexte religieux spcifique, d'une tradition spirituelle bien prcis e, qui joueront un rle minemment important, tant dans sa formation que dans l'expr ession de son discours. Mais il ne serait pas juste, il ne serait pas objectif d e ne pas reconnatre, de ne pas percevoir la porte d'une telle pense, porte dont la v alidit ne s'arrte pas aux frontires du seul bouddhisme, mais dborde trs largement sur les larges domaines de la pense philosophique universelle. La doctrine de la vac uit n'a pas de sphre de validit limite, un territoire rserv l'intrieur duquel sa per ence s'exercerait; mme si, bien videmment, son ancrage historique n'est pas niable , si sa pertinence pratique semble difficilement extirpable des vhicules propres du bouddhisme Mahayana, elle s'applique nanmoins trs largement tous les domaines d e la pense, sans se cantonner aux frontires culturelles et spirituelles, aujourd'h ui parfois plus fictives que relles, de l'Orient. . La vacuit, vide de contenu, vide de tout concept, prsente la caractristique spcifiqu e d'tre vide d'elle-mme. Dpourvue de dtermination, elle ne peut, par la mme, faire l' objet d'une appropriation objectifiante puisque trangre toute position fixe. La va cuit ne se laisse donc pas possder, elle ne peut faire l'objet d'une conqute, elle c happe toute volont limitative; vide de spcificit, si ce n'est celle de ne pas en po ssder une, elle ne se donne que dans son abolition; vide d'elle-mme, aucune ralit ne lui est trangre. Si, d'autre part, elle ne peut pas tre l'objet purement livresque d'une spculation thorique abstraite, c'est que la doctrine nagarjunienne de la va cuit est, avant toute chose, une formidable entreprise de libration, la mise en oe uvre d'un processus rel de comprhension de la nature vritable du concret. Ce concre t fit d'ailleurs l'objet d'une tude trs serre de la part de Nagarjuna. En effet, at

tentif aux multiples aspects contradictoires du rel, il dveloppa sa doctrine avec un souci vigilant de comprendre les mcanismes complexes de la mouvante ralit phnomnal e. Il n'est pour cela qu se pencher sur les questions qu'il aborde dans sa rflexion : analyse des conditions et de la causalit, analyse du mouvement, analyse des fac ults de l'entendement, analyse des lments, analyse de l'agir et de l'agent, analyse du temps, etc. La liste est longue des domaines tudis par le penseur indien, elle l'est d'autant plus que sa vigilance, visant ne pas laisser voil le moindre aspe ct de l'tre, l'amnera tendre toujours plus avant sa recherche. L'lment cl de sa rfle n, qui introduit la totalit de son discours, est, bien videmment, la notion de pro duction conditionne (pratitya-samutpada), mais l'norme champ d'action de cette not ion oblige Nagarjuna embrasser de nombreux problmes, qui se trouvent tre en dpendan ce directe de cette notion premire. Ceci a pour effet de mettre en lumire les mcani smes complexes qui fondent secrtement la ralit et, de par cet clairage, permettre un e connaissance plus fine, plus profonde des lois existentielles. Permettre galeme nt une saisie trs claire de l'impermanence qui dirige l'tre, le commande et le sou met son imprative loi. Comprendre enfin que le fond de la question n'est rien d'a utre que l'absolue identit entre Nirvana et samsara; qu'il n'y a jamais eu un tem ps o le parfait Eveil ne ft dj accompli, que depuis toujours tout est apais, complteme nt ralis. . Nous le percevons aisment, les perspectives ouvertes par Nagarjuna sont extraordi nairement riches et profondes; de ce fait, l'actualit de sa pense reste minemment p ertinente, au moment d'ailleurs o s'imposent les problmes aigus d'un monde enferm d ans ses raisonnements quantitatifs et positifs, o est plus que jamais ncessaire un e attitude renouvele vis--vis de l'existence. De ce point de vue, la rflexion nagar junienne possde d'videntes qualits; parmi celles-ci, la plus frappante est certaine ment le caractre librateur de sa mthode. L'approche amicale du vide, laquelle nous invite le matre indien, peut, bien entendu et naturellement, surprendre, en ralit e lle ouvre un nouvel horizon aux dimensions insouponnables. Dans un premier temps, plus on intgre la mtaphysique nagarjunienne, plus se cre une vritable et chaleureus e intimit entre celui qui s'y risque et la vacuit elle-mme, puis, insensiblement, l a thorie se fait transparente jusqu disparatre, jusqu s'effacer et enfin devenir comme n'tant pas. Mystre incomprhensible de l'invisible dtachement du sunyata (vide); doc trine du vide vide d'elle-mme, absente de sa prsence, existante dans son inexisten ce. . On peut l'affirmer sans crainte, Nagarjuna se propose rien de moins que d'offrir la possibilit d'un nouveau rapport l'tre, non par une ontologie particulire, mais par l'auto-abolition de l'ontologie commune, non par une ontologie ngative, mais par la ngation de toute ontologie possible. Pense vide du vide, la doctrine de la vacuit est une pense de l'au-del de l'tre et du non-tre. Une pense souveraine de la ne science, une science libratrice de la non-pense. . En proclamant que tout ce qui existe est vide d'identit, Nagarjuna, de par une lo gique de l'enchanement extrmement pertinente, rend vidente la caducit des contradict oires traditionnels, des antinomies classiques (oui/non, lumire/tnbres, Nirvana/ sa msara, etc.). Cette attitude dbouche sur une comprhension plus fine, plus rigoureu se de la dialectique des opposs et, de ce fait, permet une vritable rvlation de la n ature sans nature propre des phnomnes, une perception prcise de l'absence de substa nce de toute chose, de la non-substance universelle. Non une pense du rien, mais une non-pense. La vacuit, insistons sur ce point, n'est pas une rhtorique rifie du na elle n'est pas une strile glose sur le vide. Bien au contraire, vide de tout con cept, elle ne s'attache aucun point de vue au sujet de ce qui ne se pense pas, r ejetant toute conception particulire elle n'en possde aucune. Pense sans pense, le s unyatavada est une pratique concrte du non-attachement, une discipline effective de la mise distance, une ascse de l'auto-abolition, une pense de la non-pense, une pense du trfonds de la non-pense, selon la clbre expression de Dgen Zenji. . Rendre perceptible l'imperceptible vrit, comprendre que tout chappe la comprhension, c'est la le sens rel de la Voie du Milieu; Voie au contenu invisible car situ nul

le part. Le signe de la vacuit, qui n'a pas de localisation particulire, agit comm e une dialectique perptuelle de la ngation; son mouvement ne connat pas de terme ca r il n'a jamais commenc; n'ayant jamais commenc, il n'est jamais apparu; n'tant jam ais apparu, il fut toujours prsent; tant toujours prsent, il est et demeure non vis ible; invisible dans sa visibilit, il a son sjour dans le Parfait Silence. . Si la Voie du Milieu a pu tre parfois qualifie de Voie extrme, c'est qu'en ralit elle est une Voie de l'extrme vrit. . ******************************************************* ******************************************************* ******************************************************* . L1: [Premire partie La pense de Nagarjuna] :L1 L2: [1. Contexte et perspective de la pense de Nagarjuna] :L2 L3: [I. Nagarjuna: sa place dans l'histoire] :L3 . Nagarjuna, moine bouddhiste du IIe-IIIe sicle originaire de l'Inde, est clbre pour t re le fondateur de l'cole philosophique dite du Milieu. Sa vie, dont nous ne savons en ralit que peu de chose, nous est rapporte par un important corpus littraire hist orique, elle est, bien videmment, mle de lgendes et de mythes d'une richesse caractri stique des hagiographies religieuses traditionnelles1. Selon ces sources, Nagarj una tiendrait son nom de Nga, qui signifie serpent, et d'Arjuna, une varit d'arbre, ce qui, symboliquement, indiquerait qu'il serait n sous un arbre et que des serp ents fussent les instruments de la transmission de sa science et de son savoir. Ayant un jour guri Mucilinda, le roi des Nga, ces derniers, en remerciement, lui r emirent, dit la tradition, les cent mille vers du Prajnaparamita-sutra. On dit ga lement que dans le palais des Nga, Nagarjuna dcouvrit sept coffres prcieux contenan t de trs nombreux Mahayanasutra. En quatre-vingt-dix jours il mmorisa les cent mil le gth qui rsument l'essence de la doctrine de la Prajnaparamita. En forme de respe ct vis--vis de son savoir, et de reconnaissance pour son geste envers leur roi, p lus tard, lorsqu'il instruira ses disciples, les mmes Nga feront de leurs corps un e sorte d'ombrelle afin de le protger des morsures du soleil et de l'agression de s lments; ceci expliquant l'origine des trs nombreuses reprsentations iconographique s nous montrant Nagarjuna la tte nimbe de sa protection reptilienne caractristique. . Il semble, plus concrtement, qu'il soit originaire du Vidarbha, qui tait alors par tie intgrante du royaume d'Andhra, sur lequel rgnait la dynastie indienne du Dekka n, dont les rois, qui contrlaient toute la partie sud-est de l'Inde, taient de fer vents adeptes du bouddhisme. On dit qu'il fut l'lve d'un brahmane nomm Rhulabhadra, auteur d'un Prajnaparamita-sutra qui figure en tte de trs nombreux manuscrits sans krits. Parmi les nombreux crits2 que nous possdons de Nagarjuna, sont signaler bie n sr et en premier lieu son fameux Madhyamakakarika (Trait du Milieu), mais aussi le Suhrllekh (Lettre un ami), le Rajaparikatha-ratnamala (La Prcieuse Guirlande de s avis au roi) ainsi que le Vigrahavyavartini (Refus d'un dbat philosophique), ce dernier ouvrage se prsentant comme une vritable mthode de dialectique argumentaire , en rponse aux attaques des adversaires de son cole de la voie mdiane. Il prit l'o rdination monastique du mahasiddha Saraha Nalanda, et devint, apparemment en trs peu de temps, l'abb de l'universit. Il est vraisemblable, selon ce que nous en liv rent les tmoignages, que par l'effet de la protection royale dont il bnficiait, il ait pu sereinement finir sa vie Sriorvata dans un monastre. Le rayonnement et l'i mmense influence de sa pense lui permettent d'occuper aujourd'hui une place de pr emier ordre l'intrieur du bouddhisme Mahayana, tel point d'ailleurs que le bouddh isme tibtain le regarde comme l'un de ses matres les plus importants, et que le Ch 'an, ainsi que le Zen, le reconnaissent comme le quatorzime patriarche indien dan s la succession des matres depuis le Bouddha. . Se pencher sur l' uvre et la pense de Nagarjuna, c'est sans conteste dcouvrir une pe rsonnalit de premier ordre, un mtaphysicien de grande envergure et un redoutable d

ialecticien. Esprit brillant, il a le got de la prcision des formules, il cherche sans relche, lorsqu'il se penche sur un argument, pousser son maximum la rigueur analytique et l'examen critique des propositions tudies. On peut, sans crainte d'e xagration, affirmer que le visage du bouddhisme n'aurait certainement pas celui q ue l'histoire nous prsente actuellement, sans l'apport philosophique de la Voie n agarjunienne du Milieu. Rle central et moteur, influence capitale dans le dveloppe ment des thses fondatrices du Mahayana, telle est la place vritable que toutes les coles, unanimement, lui reconnaissent aujourd'hui. Le souci constant de Nagarjun a, qui l'habita dans l'ensemble de son uvre, qui commanda toute sa pense, fut de m aintenir fidlement la doctrine du Bouddha dans sa puret primitive, de lui conserve r sa force initiale et premire. Pour ce faire, il n'eut de cesse de combattre san s relche, inlassablement, les tendances qui travestissaient la pense originelle de l'Eveill. . A son poque, une multitude de courants et d'coles philosophiques se disputaient su r les sujets les plus divers, ainsi que sur les thmes classiques du dbat mtaphysiqu e indien. Bien videmment, les doctrines dominantes se situaient dans la perspecti ve de la tradition vdique et du substantialisme des Upanishad. On y trouvait galem ent les Nyayika et les adeptes des systmes logiques qui prnaient une mthode d'inves tigation rationnelle pour connatre les lois du rel, les crationnistes qui attribuai ent l'origine du monde un Etre premier, Dieu ou Ishvara. Les partisans de l'exis tence du soi ou de l'tman, de l'immortalit de l'me, du temps (kala} de l'ternit du mo nde, etc. Sans oublier les sceptiques, les matrialistes ou volutionnistes, qui plaa ient dans la matire ou la nature l'lment unique du mouvement et de la vie. En ralit, c'est l'ensemble des philosophies du Darshana3 indien qui sera vis par la critiqu e nagarjunienne, c'est la totalit de l'ontologie brahmanique qui fera l'objet d'u ne rfutation prcise et mthodique. . Toutefois, il serait faux d'imaginer que le travail thorique de Nagarjuna ne s'ad ressa qu'aux reprsentants des divers Darshana du systme vdique orthodoxe; en effet, Nagarjuna n'oublia pas de diriger le faisceau de sa critique en direction des co les et tendances bouddhiques qui, elles aussi, avaient la faveur du temps et des circonstances dvelopp des positions philosophiques inacceptables. Positions juges inacceptables car en contradiction directe avec la conception doctrinale initial e du Bouddha, c'est--dire l'affirmation primordiale qui fonde et structure la pos ition primitive du prince Gautama: l'enchanement causal et l'interdpendance rciproq ue des phnomnes comme seules et uniques lois de dtermination du rel, lois auxquelles est soumis l'univers dans son ensemble. . L'immense effort thorique de la dialectique (prasanga) nagarjunienne est de rendr e toute son ampleur cette loi de la production conditionne (pratityasamutpada), for mule pour la premire fois dans l'histoire par le Bouddha, loi qui dans la pense de Nagarjuna est absolument quivalente la vacuit (sunyata) elle-mme. Il est hors de qu estion pour lui, et il insiste vigoureusement sur ce point, que des disciples de Shakyamuni puissent se fourvoyer dans des formes insidieuses de restauration de s conceptions substantialistes. Ce serait perdre ainsi l'essence du message de l 'Eveill, et compromettre de ce fait toute possibilit de parvenir la libration (Nirv ana). C'est donc d'une question cruciale qu'il s'agit dans l'entreprise doctrina le de Nagarjuna: il en va tout simplement de la possibilit mme de mettre en uvre le processus de dlivrance. Or ce processus figure comme pierre angulaire de la Voie d e la libration, il en lgitime mme la validit. . La structure argumentaire des Quatre Nobles Vrits ne tiendrait plus, en effet, si la perspective de la cessation (Nirvana) venait tre compromise par une incomprhens ion du fondement principal du discours du Bouddha concernant l'origine de la sou ffrance (dukkha). Comprendre l'origine, c'est de manire quivalente comprendre galem ent l'extinction, cela se tient. L'origine de la souffrance est aussi l'origine de la libration; une seule erreur analytique, et c'est la validit et la possibilit mme de la Voie qui se trouvent remises en question. Nagarjuna ne lutte donc pas t horiquement pour le simple plaisir de manipuler des concepts et des ides, pour s'a

donner aux joies des joutes dialectiques, il est, bien au contraire, au service de la perspective intime de la mission du Bouddha: annoncer aux hommes, certes l 'origine, mais aussi, et surtout, la possibilit de la cessation de la souffrance. . L3: [II. Nagarjuna et le Trait du Milieu] :L3 . Nagarjuna, dans son principal ouvrage, le Trait du Milieu (Madhyamakakarika / MK)4, affirme que le principe de vacuit (sunyatavada) fonde la ralit, c'est--dire qu'il e n est la loi la plus essentielle, la plus intime. Nous verrons cependant plus lo in ce qu'il convient d'entendre, de comprendre, par ce terme de vacuit, qui donna l ieu, comme on le sait, une niasse norme de contresens. L'ouvrage, rdig dans un styl e exigeant, se compose de vingt-sept chapitres qui reprsentent quatre cent quaran te-sept stances (karika) auxquelles on doit ajouter deux stances ddicatoires cara ctre uniquement introductif. Les stances sont structures comme des distiques class iques, c'est--dire qu'elles prsentent un ensemble de doubles phrases, formant un s ens complet; le style mme du Trait d'ailleurs, c'est--dire le genre karika, relve d'un e conomie de moyens qui voisine troitement avec le dpouillement et la volont d'aller l'essentiel. Le Trait fut l'objet d'un nombre important de commentaires; on considr e cependant qu l'intrieur de cette masse impressionnante d'crits et de documents, qu elques auteurs se distinguent par leur valeur analytique; ces commentateurs maje urs sont: Devasharma, Gunamati, Gunashri, Sthiramati, Buddhapalita, Bhavaviveka et, certainement le plus connu et le plus illustre d'entre eux, Chandrakirti. . Le Trait, dont l'objectif est de battre en brche les opinions errones des penseurs su bstantialistes et des logiciens brahmaniques, est aussi dirig, plus prcisment encor e, contre les Abhidharmika qui, bien que relevant de la doctrine du Bouddha et p rofessant l'absence de ralit du moi, soutenaient nanmoins l'existence effective d'u n constitutif formel la base des phnomnes. En effet il est possible, tout en admet tant que les choses et les tres soient vides d'tman, que nul phnomne ne possde de soi , que la relativit universelle dtermine toute forme d'existence, de tomber tte prem ire dans le pige aportique visant faire de cette absence de substance, de ce non-so i, de cette non-substance, une essence. Les Abhidharmika en vinrent ainsi affirm er que, certes, les choses ne possdaient pas d'identit, qu'elles n'taient rien, mai s qu'elles avaient prcisment pour essence de possder en propre ce rien, que leur tre , leur essence taient de ne pas avoir de consistance. Face ce dangereux type d'er reur, Nagarjuna rpondit: ~ Les choses produites en relation sont vides, non seulement d'tman, mais encor e de nature propre (svabhava), de caractre propre (svalakshana). Il ne s'agit plu s de la vacuit de substance, de l'inexistence de principes permanents (...), mais de l'inexistence, en vrit vraie, du relatif comme tel: ce qui nat de causes ne nat pas en ralit. (...) La logique montre l'irralit du relatif5. .

L3: [III. L'absence de nature propre (svabhava-sunyata)] :L3 . Ce qui n'a pas de nature propre, ce qui est sans substance, relatif, qui est dpou rvu de consistance ontologique, ne possde mme pas pour essence cette absence de co nsistance. Dans la pense de Nagarjuna, le vide n'est pas une situation, n'est pas un constitutif formel concret; ce qui n'est pas, en toute logique, on ne peut a bsolument pas attribuer une identit propre. Le vide de nature est l'unique nature du vide, il n'en possde et ne peut en possder aucune autre. . Toute volont, imaginant fixer une dtermination spcifiante au vide, est une tentativ e voue irrmdiablement et radicalement l'chec et l'erreur. ce qui n'est que relatif, dpendant, caus, il ne peut tre permis de confrer une essence. Ce qui nat d'une cause n'est donc pas rellement existant pour Nagarjuna; natre en dpendance, pour lui, ce n'est pas natre vritablement, ce n'est pas possder d'existence propre. ce titre, ri en n'existe puisque tout relve de la relation de cration et de dpendance, et si don c rien n'existe, il ne peut y avoir d'attribution d'une essence nulle chose. Tel

est, en dfinitive, le sens de l'expression si frquemment rencontre chez Nagarjuna: absence de nature propre (svabhavasunyata). Dans cette optique, un tre contingent, un tre caus, dpourvu de nature propre, ne possde strictement parlant aucune essence ; en dernire analyse, il n'existe pas; ou plus justement il existe dans son inexist ence. . On cite trs souvent, afin d'tablir des parallles parfois risqus, car oublieux de la spcificit des traditions, la dfinition de Matre Eckhart au sujet de la nature des tre s, on ne peut cependant s'empcher de la rappeler tant sa formulation est identiqu e la doctrine nagarjurnienne de la vacuit: ~ Toutes les cratures sont un pur nant, affirme Matre Eckhart, je ne dis pas qu'e lles sont peu de chose, c'est--dire quelque chose, non je dis qu'elles sont un pu r nant. Ce qui n'a pas d'tre est nant. Mais aucune crature n'a d'tre (...)6. . L4: [La ngation nagarjunienne de l'tre et de l'essence] :L4 . C'est exactement ce que, d'une certaine manire, tente d'expliquer Nagarjuna: de p ar leur caractre contingent les tres sont vides de toute essence, ils sont un pur nant. Parler comme le fait Nagarjuna de l'inexistence en vrit vraie, c'est refuser l'existence ce qui est contingent, ce qui est caus, ce qui est relatif. L'essence , qui est considre en mtaphysique comme ce par quoi un tre est ce qu'il est en se di stinguant des autres tres, correspond gnralement la substance seconde, qui dsigne le ontenu intelligible de ce qui est apte exister en une chose et non une autre. Sa int Thomas d'Aquin dira: L'essence nonce que par elle et en elle, l'tre possde l'exi stence7. L'infrence de l'tre est donc subordonne l'essence, ceci impliquant bien que si les tres ne possdent pas d'essence ils ne peuvent prtendre participer de l'exis tence; dpourvus d'essence ils sont donc inexistants. . Sans essence il ne peut y avoir d'accs, pour personne et aucune chose, l'existenc e, car exister consiste toujours tre ceci ou cela, une chose ou une autre, un hom me, un animal, un vgtal ou un minral; tre c'est toujours tre quelque chose: L'existenc e n'est rien d'autre que la modalit d'tre propre l'essence prise en chacun des tats o elle se trouve8. Aristote, le premier en Europe, parlera des liens de dterminati on entre l'essence et l'existence, ce sera d'ailleurs la question de l'origine s ecrte de l'existence qui constituera l'objet formel de la recherche dveloppe dans s a Mtaphysique. Se demander qu'est-ce que l'tre?, c'est donc se demander en premier qu 'est-ce que cette essence qui existe?. Toute chose a de l'tre, toute chose est, ex iste, par prsence sensible, mais cette prsence, si on veut bien y tre attentif, n'e st rien d'autre que son essence, essence qui est l'acte concret, rel, de sa prsenc e au monde. Tout tre est d'abord en ce qu'il est, et par le fait qu'il soit, une essence, une nature individue, une forme distincte et spcifie. . L'existence se manifeste donc imprativement par l'essence, or si l'essence vient a faire dfaut, a disparatre, l'existence elle-mme disparat. Il ne peut y avoir d'tre dpourvu d'essence, la notion d'tre ne se situant invitablement qu l'intrieur d'une ess ence concrte. Il n'y a pas d'tre abstrait, si ce n'est les constructions de raison qui n'ont d'existence que mentale, l'tre est toujours l'tre de quelque chose. Le primat de l'essence sur l'tre est conscutif du constat que tout tre, de par le fait qu'il est, est d'abord une nature (homme, animal, vgtal, etc.). Tout tre qui exist e est une essence ralise et dtermine en son tre. Tout tre qui existe est une essence p ar laquelle il est ce qu'il est, par laquelle il subsiste dans l'tre. C'est de ce tte essence qu'il tient son tre, et par la mme son existence propre. Sans essence constitutive, pas d'existence possible, c'est une loi mtaphysique axiomatique. . Nier comme le fait Nagarjuna que les tres soient pourvus de svabhava, c'est--dire de nature ou d'essence, c'est donc nier qu'ils possdent en propre une nature ou u ne essence (et non que leur nature ou leur essence est de ne pas en avoir). Cela ne signifie bien videmment pas que les choses n'existent pas, mais qu'elles sont simplement, en tant que vides de nature propre, comme des apparences dnues de tou te consistance relle. La comprhension de la production en dpendance (pratitya-samut

pada) entrane la mise en miettes de l'difice conceptuel substantialiste. Il n'y a pas de production, car il n'y a pas de disparition, il n'y a pas de disparition, car il n'y a pas de production, la dialectique nagarjunienne est une dialectiqu e sans prdicat; les contraires se renvoient ds lors perptuellement entre eux, comme un jeu de miroir se projetant l'infini, une perspective auto-rflchissante de conv ergences, divergences et complmentarits. . L'enchanement sans fin des ngations et des affirmations aboutit la ruine de toute formule positive ou ngative fixe. Seul demeure ce qui ne demeure pas: au sein du vide, l'inconsistance sans production ni disparition est attributive de rien. On comprend que la dialectique nagarjunienne (n'ait) pas de valeur intrinsque et con stitue un simple moyen pour dblayer la voie de l'exprience mystique. L'absolu n'es t pas le vide, il est uniquement vide de dualit, de pluralit comme d'unit, en un mo t de tout concept. Nagarjuna ne soutient jamais l'annihilation, le rien, l'inexi stence en soi, mais seulement l'inexistence des constructions que nous surimposo ns la ralit. Seul celui qui se libre des dichotomies et des limites conceptuelles p eroit les choses telles qu'elles sont9. . L4: [La non-nature du vide] :L4 . C'est pourquoi la plus grande mprise des Abhidharmika consistera donc bien, aprs a voir accept la loi de production conditionne (pratitya-samutpada), de rifier cette lo i et, en se mprenant profondment sur sa porte vritable, d'attribuer aux phnomnes une e ssence par le fait qu'ils sont sans nature propre. Si les phnomnes sont vides de s ubstance propre, ils sont donc, par consquence et par quivalence, vides de toute e ssence. Leur essence n'est pas de ne pas possder de soi; de la facticit existentie lle des phnomnes, il ne peut tre possible de substantialiser une nature, fut-elle u ne nature du vide. Sur ce point, et en parfaite cohrence avec lui-mme, Nagarjuna s e montrera toujours d'une intransigeance inflexible. La vacuit, et Nagarjuna le r appellera constamment, n'est pas une base partir de laquelle on puisse faire sub sister une nature. L'absence de nature propre, c'est l'absence absolue de toute nature, car le vide ne possde pas et ne peut possder une nature. Il est mme radical ement erron de parler d'une nature du vide: le vide n'est rien, ne possde rien, ne se spcifie par rien, et tout particulirement ne se rduit ni l'absence ni la prsence , ni l'tre ni au non-tre, concepts dualistes, qui restent encore des modes limits d e l'ontologie substantialiste. . L'absence de nature propre est une vritable destitution de l'essence; la dominati on du relatif dans l'tre, regarde comme l'unique vrit des existants, aboutit a les v ider de toute essence singulire, et donc de toute existence relle. Pour asseoir so n affirmation, Nagarjuna utilisera un exemple devenu clbre: ~ Pousse et semence n'ont pas de naissance relle, puisqu'elles ne sont que la t ransformation d'tats vgtaux antrieurs, pas de disparition non plus, puisque leur dis parition apparente concorde avec l'apparition d'autres semences et d'autres pous ses; pas d'ternit, puisqu'elles sont en perptuel devenir; pas de devenir rel, puisqu 'elles tournent dans le mme cycle; pas d'unit, puisqu'elles ne cessent de se subdi viser en graines et en pousses nouvelles, et pas de pluralit relle, puisque la mme espce originelle les englobe10. . N'existe et ne subsiste donc dans l'tre que la relation en dpendance; permanente s uite de production, corruption et disparition, cycle sans origine et sans fin du mouvement et de sa cessation. Ni vie, ni mort, ni essence, ni existence, tout e st, et depuis toujours jusqu jamais, une suite ternelle du vide au sein de la vacui t. Comme il n'y a plus ni production ni destruction de phnomnes, les choses perdent toute consistance quoi on et pu encore se raccrocher11. En fait d'tre il n'y a que le vide, en fait d'essence il n'y a que l'absence; jamais dans l'histoire une si forte critique ne fut exprime l'encontre de la ralit et des phnomnes, jamais on n'en gagea un procs si radical de la substance et des concepts qui permettaient son ex pression. .

L3: [IV. L'objectif du Trait du Milieu] :L3 . Toutefois, malgr la perspective critique du Trait, Chandrakirti (comme nous l'avons signal, l'un des disciples les plus importants de Nagarjuna, fervent continuateur de la pense Madhyamika, auteur du principal commentaire du Trait, la Prasannapada s ur le Madhyamaka) juste titre rappellera que Nagarjuna composa son Trait en ayant p our objectif premier l'obtention de la ralisation et de l'Eveil: Dans le "Trait", d it-il, Nagarjuna ne discute pas par amour de la controverse, il montre l'ainsit en vue de la libration12. La libration, pour Nagarjuna, ne peut s'tablir que sur les r uines de la ralit mondaine (laulika sattva), sur l'effondrement des certitudes ill usoires et limites. C'est un vritable travail de dconditionnement auquel Nagarjuna invite son lecteur; il lui demande, et en cela son exigence est extrme, d'accepte r de rompre avec les schmes conceptuels classiques de la certitude ou de la convi ction. Nagarjuna propose de franchir une barrire gnosologique, qui est, en vrit, la mise en uvre d'un authentique saut qualitatif. Certes, cette exprience peut affole r la pense de celui qui accepte de la tenter, mais pass le premier moment d'tonneme nt et d'angoisse, devant la fuite et la disparition de toutes les certitudes, ap parat alors l'immense champ de l'Eveil, le domaine invisible, vide de substance p ropre, non diffrenci de la vacuit (sunyata}. . Etre conscient que le Trait du Milieu est ordonn la libration, est finalis la mis e d'un processus d'Eveil, est ncessaire afin de mieux cerner l'intention intime d e Nagarjuna. Le Trait a pour but de faire pntrer le lecteur dans la Voie, dans le che min subtil de la ralisation. Nous sommes donc en prsence d'une uvre, dont l'intenti on vritable est de permettre une dmarche qui a pour perspective de donner accs la c omprhension profonde des phnomnes, la juste vision, de contribuer l'apaisement de la multiplicit. C'est un ouvrage pratique, en ce sens qu'il propose un engagement, u ne orientation en vue de la cessation; le Trait est donc de ce fait, et en ralit, un authentique outil. Il convient de l'aborder comme tel, et de maintenir, lors de son tude, toujours prsente la mmoire cette dimension spcifique du texte. . Le Trait, trs certainement, est un livre d'une grande audace; non content de repense r et, par la mme, de renouveler toutes les problmatiques antrieures qui constituaie nt les fondements des anciennes coles bouddhistes, il dgage une immense perspectiv e hermneutique. Tordant le cou toutes les formes fixes, traquant les positions ar rtes, dtruisant les convictions les plus stables, il agit comme une dialectique per manente, mobile et insaisissable. Le Trait l'efficacit d'un vritable art martial pou 'esprit, s'en dgage de ce fait une mthode d'une tourdissante souplesse. Comprendre la pense Madhyamika, rentrer dans la doctrine du Trait, c'est en accepter la pratiqu e, on pourrait dire qu'il n'est pas possible de rentrer vritablement dans la doct rine du Trait sans pntrer soi-mme dans l'exprience de la vacuit. Il n'y a quasiment p d'en dehors, pas d'extriorit possible cette uvre. Il faut s'y donner, s'y livrer, s ous peine de n'en rien percevoir, elle ne se laisse dcouvrir qu'en la pratiquant. . Le Trait peut, sans aucun doute, tre qualifi d'acroamatique, il ne s'ouvre qu celui e mrite, et ce mrite se paie d'un seul et unique prix: l'exprience. Vouloir compren dre, c'est accepter qu'il puisse s'avrer tre ncessaire de pratiquer la doctrine, c' est accepter de cheminer dans la Voie, accepter, plus exactement et plus justeme nt encore, d'tre saisi par la Voie; c'est la galement le seul et unique objectif d u prsent ouvrage, permettre cette exprience vritable de l'engagement dans la Voie, inviter la vrification concrte des thses nagarjuniennes, leur offrir une possibilit de mise en uvre, les confronter la ralit elle-mme. . Pntrer la doctrine du Trait c'est donc, dans une certaine mesure, rendre vivantes les thses Madhyamika; vivantes non pas seulement par un usage purement abstrait, c'e st--dire en les utilisant comme une mcanique intellectuelle, mais en s'immergeant soi-mme au c ur de la vacuit, en entreprenant vritablement l'ascension du mont du Sil ence, celui de l'exprience libratrice. .

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L2: [2. L'entreprise thorique de Nagarjuna] :L2 L3: [I. La non-consistance ontologique] :L3 . On n'hsite pas aujourd'hui prsenter Nagarjuna comme l'un des plus importants philos ophes du bouddhisme, tant pour la profondeur et l'absolue rigueur de sa pense, qu e pour avoir labor un systme ontologique complet, cohrent, qui reprsente la grande rvo lution philosophique du Mahayana1. L'originalit de Nagarjuna est surtout de reveni r avec force l'enseignement du Bouddha. Pour ce faire, il reprendra, l'occasion de la rdaction de ses crits, la position du refus d'attribution de consistance ont ologique dvolue aux tres et aux choses, comme de faon parallle la position du refus de non-attribution. . La Voie du Milieu, labore par Nagarjuna, consiste mettre en lumire l'impossibilit d' asseoir un jugement exact au sujet des phnomnes, car la complmentarit des contraires interdit, en dernire analyse, qu'il puisse validement s'exprimer une opinion jus te si celle-ci est btie sur une position fragmentaire: ~ La vrit se trouve donc au milieu (...) dans le vide. La vacuit de l'univers se dmontre donc par la relativit des contraires, qui n'existent que les uns par les a utres, c'est--dire comme construction illusoire de l'esprit. D'o l'on ne peut que conclure l'inexistence relle des choses2. . L'inexistence des phnomnes fait l'objet d'une longue, profonde et patiente descrip tion tout au long du Trait de Nagarjuna, l'affirmation des huit ngations donne d'ail leurs une excellente image du discours nagarjunien: . \ ### \ Ni abolition, ni cration, ni anantissement, ni ternit, ni unit, ni multipli cit, ni arrive, ni dpart (MK, XXVI, 12)3. (i.e. Cette rfrence n est pas bonne. Il s agi es deux premires stances d introduction.) . \ ### \ Hommage au Parfait veill, \ Le Suprme Orateur, qui enseigne \ Que ce qui apparat en dpendance \ -- Est libre de cessation et de production, \ -- D'anantissement et de permanence, \ -- D'alle et de venue, \ -- De diversit et d'unit, \ -- L'apaisement de la pense discursive, la flicit. . \ ### \ "I salute him, the fully-enlightened, the best of speakers, who preac hed \ -- the non-ceasing and the non-arising, \ -- the non-annihilation and the non-permanence, \ -- the non-identity and the non-difference, \ -- the non-appearance and the non-disappearance, \ -- the dependent arising, the appeasement of obsessions and the auspi cious." . Cependant, il faut imprativement se garder de rifier, comme on beaucoup trop tenda nce le faire, la position de Nagarjuna l'gard de l'inexistence du monde, ~ la doctrine de la vacuit ne se confond aucunement avec l'inexistence ou le no n-tre (...) irrductible l'tre comme au non-tre la vacuit est l'vacuation de ces deux atgories4.

. Nagarjuna prcise mme avec fermet: . \ ### \ Dire existence est une vue de permanence, dire non-existence est une v ue d'annihilation. C'est pourquoi les sages ne demeurent pas dans l'existence ou la non-existence (MK, XV, 10). . \ ### \ 10. Dire existe est une saisie de permanence; \ Dire n'existe pas est une vue d'annihilation. \ C'est pourquoi les sages ne devraient pas demeurer \ Dans l'existence ou la non-existence. . \ ### \ "It is" is a notion of eternity. "It is not" is a nihilistic view. \ Therefore, one who is wise does not have recourse to "being" or "nonbeing." . La vacuit (sunyata) est donc une rfutation de tous les points de vue, l'essence du sunyata est de n'avoir aucune essence particulire, . \ ### \ les Vainqueurs ont dclar que la vacuit est l'extirpation de toutes les vu es, ils ont proclam incurables ceux qui font de la vacuit une vue (MK, XIII, 18). ( i.e. Cette rfrence n est pas bonne. Il s agit de 13:8) . \ ### \ 8. Les Vainqueurs ont dclar que la vacuit \ Est l'extirpation de toutes les vues \ Et ont proclam incurables \ Ceux qui font de la vacuit une vue. . \ ### \ Emptiness is proclaimed by the victorious one as the refutation of al l viewpoints; \ But those who hold "emptiness" as a viewpoint [the true perceivers] hav e called those "incurable" (asadhya). . L'objectif vident de Nagarjuna est de librer l'esprit de son lecteur de toute conc eption immobile, de tout concept fixe et fig. Sa rfutation de toutes les positions particulires deviendra d'ailleurs le thme central des commentaires qu'il effectue ra de la collection des textes dsigns sous le nom de Prajnaparamita-sutra5 (Sutra de la Sagesse qui atteint l'autre rive). . Nagarjuna fonde son attitude sur l'ide majeure que toute volont de possession, dan s un univers soumis intgralement au changement, l'volution et la mort, est non seu lement une faute grave, mais de plus une tragique futilit. Face au perptuel deveni r, la contingence universelle des tres et des choses, il ne peut tre envisageable de s'emparer vritablement d'une forme, d'un phnomne; nul bien, spirituel ou matriel, qui puisse constituer une proprit authentique, rien ne peut tre possd car il n'y a r ien, strictement et radicalement rien saisir; dans un monde soumis au changement , mme le Nirvana ne peut tre atteint, car de toute manire rien ne peut tre atteint p uisqu'il n'y a rien atteindre. . ~ Ceux qui craignent les souffrances engendres par la discrimination de la nais sance et de la mort (samsara), avait dj prvenu le Bouddha, recherchent le Nirvana, ignorant que samsara et Nirvana sont insparables. Voyant que toutes choses sujett es la discrimination n'ont aucune ralit, ils imaginent que le Nirvana consiste en une annihilation future des sens et de leur souffrance (Lankavatara-sutra, II, 18

). . Partant de ce principe, Nagarjuna affirmera que si rien n'existe, puisque tout e st vide de nature propre (svabhava), rien n'a besoin d'tre annihil; telle est l'es sence intime du sunyatavada nagarjunien, telle est galement la source originelle et mystrieuse du Zen, la dlivrance rside au c ur mme de la servitude; car, au niveau d e l'absolue vrit, la servitude c'est la dlivrance, et la dlivrance est elle-mme, auss i surprenant que cela puisse paratre, non diffrente de la servitude. . Nous sommes donc autoriss affirmer, en toute et lgitime raison, que l'absence de n ature propre supprime la ncessit d'une cessation perue comme une annihilation. Si l es choses n'ont pas d'existence, il n'est donc pas ncessaire qu'elles soient supp rimes. Si l'tre des choses est vide de nature propre, alors rien ne peut tre qualif i d'existant, ce qui explique finalement que l'existence soit synonyme de vide. P rcisons cependant que le vide, la vacuit pour Nagarjuna, n'est surtout pas prendre comme lment objectif, le vide c'est l'absence de vue propre, car il est impossibl e d'avoir une vue propre et spcifie sur ce qui ne possde en propre aucune nature. D u vide dont il est question, Nagarjuna dit: . \ ### \ On ne peut le qualifier de vide, ni de non vide, ou des deux ou d'aucu n, mais pour le dsigner on l'appelle le vide (MK, XV, 3)6. (i.e. Cette rfrence n est p as bonne. Peut-tre 22:11) . \ ### \ 11. On ne peut dire (Tathagata) est vide, \ Ni il est non vide, \ Vide et non vide la fois ou ni vide ni non vide. \ Ces (mots) ne servent que comme dsignations. . \ ### \ One may not say that there is "emptiness" (sunya) (1) \ nor that there is non-emptiness. (2)" \ Nor that both [exist simultaneously] (3), \ nor that neither exists (4); \ the purpose for saying ["emptiness"] is for the purpose of conveying knowledge. . L3: [II. La Voie du Milieu, face aux coles Vaibhashika et Sautrantika] :L3 . Pour parvenir cette affirmation, Nagarjuna exercera sur la ralit une attention par ticulirement aiguise. Les thses nagarjuniennes ne sont pas le pur produit d'une ima gination mtaphysique spcialement chauffe, bien au contraire elles relvent d'un examen objectif et scrupuleux des structures fondatrices du concret, d'une tude intrans igeante de ce qui dtermine l'existence, un examen sans concession des lois intime s de l'tre. Nous sommes trs loin, ici, d'un subjectivisme thologique, o le religieux viendrait saturer la rflexion par une coloration d'ordre apriorique, mme si, bien videmment, il ne saurait tre question d'oublier que Nagarjuna baigne profondment l 'intrieur d'une culture religieuse laquelle il est grandement redevable, et dont il ne peut tre spar. Nous savons que le Madhyamakakarika, qui d'ailleurs t crit pour utter contre les positions des anciennes coles substantialistes, dveloppe sa singu lire dialectique partir des bases argumentaires des coles Vaibhashika et Sautranti ka, tout en les dpassant de faon catgorique et en radicalisant et enrichissant leur s propres positions argumentaires. . L4: [Le ralisme Vaibhashika et l'idalisme Sautrantika] :L4 . Les coles Vaibhashika et Sautrantika sont deux coles philosophiques issues du Hnaya na (ou Vhicule des auditeurs), qui nous sont mieux connues par l'Abhidharma koa ast

ra (Le Fourreau de la mtaphysique), uvre compose au Cachemire vers le Ve sicle par V asubandhu. Ce texte, divis en deux parties, l'une de 600 vers, l'Abhidharma ko kari ka, qui compose le corps proprement dit du texte, suivi d'un commentaire en pros e, l'Abhidharma ko bhashya, est une sorte d'essai de mise en ordre, de classificat ion des doctrines et des positions philosophiques du bouddhisme initial. Cette tu de, qui frappe par son caractre trs dtaill et particulirement fouill des diffrentes op nions thoriques des coles historiques du bouddhisme, constitue certainement la plu s haute autorit en matire de dogmatique et de mtaphysique. Il est ainsi montr, dans ce texte fondamental, que l'cole des Vaibhashika tire son origine d'une des plus anciennes sectes du bouddhisme, celle des Sarvastivadin ou ralistes intgraux (de s arvam asti, qui signifie en sanskrit: tout existe). Les Vaibhashika, comme leurs m atres sarvastivadin, se caractrisent par un ralisme proclamant l'objectivit concrte d es phnomnes; ils se prsentent presque comme des positivistes: Le visible que voit un e personne, affirment-ils, peut tre vu par plusieurs, par exemple la lune, une re prsentation scnique, etc. Il est commun. Si nous regardons les objets comme commun s, disent-ils, c'est qu'ils peuvent l'tre7. La reconnaissance de l'existence vritab le des phnomnes passe donc pour cette cole par la mdiation des cinq sens; toutefois est-il prcis: L'objet n'en existe pas moins indpendamment des organes (...) mme quand un visible n'est pas pris comme objet (alambyate) par la connaissance visuelle, il reste objet, car, qu'il soit pris ou non comme objet, sa nature reste la mme8 . . II est, par ailleurs, intressant de voir comment s'applique pour cette cole raliste la thorie des deux vrits: ~ Bhagavat proclam deux vrits, disent-ils, la vrit relative (samvritisatya) et la it absolue (paramarthasatya). Si l'ide d'une chose disparat lorsque, par l'esprit, on dissout cette chose, cette chose doit tre regarde comme existant relativement. Par exemple l'eau; si dans l'eau nous retirons des dharma tels que couleur, save ur, etc., du point de vue relatif ou conformment l'usage conventionnel (samvritit as), sont donns diffrents noms. Si donc on dit, du point de vue relatif (samvritiv aena): il y a de l'eau, il y a une cruche, on dit vrai, on ne dit pas faux, car c eci est relativement vrai (samvritisatya). Mais lorsqu'une chose tant dissoute pa r l'esprit, l'ide de cette chose continue, cette chose existe absolument (paramar thasat); par exemple le rupa (l'ide de forme ou de matrialit). On peut rduire le rup a en atomes, on peut en retirer par l'esprit la saveur et les autres dharma, l'i de de la nature propre du rupa persiste. De mme en va-t-il de l'ide de sensation. C omme ceci existe absolument (paramarthasat), c'est vrai absolument (paramarthasa tya)9. . Le ralisme des Vaibhashika est, comme on le voit, d'une rare intransigeance en ce qui concerne l'objectivit des phnomnes, mme, ce qui peut paratre tout fait surprenan t, dans le cadre du domaine propre de la vrit absolue (paramarthasatya). Poursuiva nt dans le mme sens, et renforant encore plus, comme s'il en tait besoin, la positi on raliste, l'Abhidharma ko karika rapporte ce raisonnement des Vaibhashika, au suj et de la ralit objective des phnomnes: ~ Le Bouddha dit: la connaissance (vijnana) est produite en raison de deux cho ses, l'organe de la vue et le visible, l'oue et le son..., le manas et les dharma . Si les dharma... n'existaient pas, la connaissance mentale (manovijnana) qui l es a pour objet ne natrait pas... Etant donn l'objet, la connaissance peut natre, n on pas si l'objet n'est pas donnI0. . II est donc clairement affirm que la pense, les conceptions mentales sont secondes par rapport l'tre, que la pense est dtermine par le rel, que la pense provient du r et non l'inverse. . L'cole Sautrantika de son ct, en complte opposition avec les Vaibhashika, se spcifier a et se distinguera par sa volont de rester fidle la lettre mme des sutra du Bouddh a. Les historiens nous apprennent qu'elle fut constitue originellement par Kumrala bdha qui vivait, semble-t-il, au IIe sicle de notre re. L'opposition des Sautranti ka au ralisme des Vaibhashika est vritablement sans appel: le monde pour les Sautr

antika est une pure illusion, de par l'inconsistance des tats de conscience: ~ La srie (prabandha) des phnomnes conditionns (samskara), ou encore la srie des ta s de conscience (vijnana-samtana), chacun de ces tats n'existant que dans un deve nir infinitsimal. Cette srie, ce samtana, est sans samtanin, sans substrat qui rel ie entre eux les membres de la srie comme le fil relie les perles du collier. Ell e ressemble une ligne de fourmis. Son unit rside tout entire dans le rapport de cau se effet des tats d'esprit successifs dont elle est forme11. . Si les phnomnes apparaissent et disparaissent de manire simultane, c'est donc que no n contents d'apparatre l'existence pour une trs courte dure, ils ne sont en ralit qu' inexistants, sans dure. La srie phnomnale ne peut donc plus tre considre comme drive ssue d'une cause unique, d'une Cause premire, mais bien au contraire de causes su ccessives (pratitya-samutpanna): Chaque chose est une instantanit, parce qu'elle n' existe qu'au moment de sa production. On ne peut sparer en elle le caractre de l'a pparition de celui de la disparition. Le moi n'est donc que la srie successive des phnomnes qui, par leur simultanit, crent l'illusion de la permanence. Mais si cette permanence n'est, en ralit, qu'une pure et simple illusion, c'est que ce qui va s'a nantissant pendant un temps est tout de suite, dans ce mme temps, dj non existant12. . L4: [Un dilemme difficile] :L4 . On mesure donc trs bien, de par cette radicale divergence thorique entre les coles Sautrantika et Vaibhashika, comment se posa pour Nagarjuna la difficile question consistant savoir laquelle des deux avait raison, laquelle tait dans le vrai. Le dilemme intellectuel fut trs certainement vcu chez lui trs vivement, et devait san s aucun doute troubler galement les fidles et les moines de l'poque; d'ailleurs les consquences ngatives de ces opinions, strictement divergentes, se faisaient senti r jusque dans la problmatique touchant la notion ultime du Nirvana. . Le ralisme des Vaibhashika les amenait considrer comme des phnomnes positifs objecti fs les trois inconditionns, c'est--dire l'espace (ka) et les deux formes de cessation s des phnomnes (pratisamkhyanirodha, ou Nirvana, et apratisamkhyanirodhd); pour le s Sautrantika, au contraire, les inconditionns n'avaient qu'une valeur ngative: ~ Ce qu'on nomme espace, disaient-ils, c'est seulement l'absence du tangible ( sprashtavya): quand, ttons dans l'obscurit, nous ne rencontrons pas d'obstacle, on dit qu'il y a espace (...). Le Nirvana de mme est l'absence de renaissance, c'es t la non-production (anutpada)13. . Plus loin, afin de ne point trop s'loigner de l'orthodoxie ils ajoutaient: ~ Nous ne disons pas que les inconditionns ne sont pas. Ils sont, en effet, de la manire dont nous disons qu'ils sont. Par exemple, avant que le son ne soit pro duit, on dit: il est (ast) une inexistence (abhava) antrieure du son. Aprs que le s on pri, on dit: il est une inexistence postrieure du son. Et cependant il n'est pa s tabli que l'inexistence existe (bhavati). De mme pour les trois inconditionns. Bi en qu'inexistant, un inconditionn mrite d'tre lou, savoir l'absolue future inexisten ce. Cet inexistant, parmi les inexistants, est le meilleur, et les fidles doivent concevoir son endroit joie et affection 14. . On imagine, bien sr, la raction des Vaibhashika: ~ Si le Nirvana est inexistence, rpliqurent-ils, comment peut-il tre une des vrits? comment peut-il tre lou? Si les inconditionns sont des inexistants, la connaissanc e qui a pour objet l'espace et le Nirvana aura pour objet une non-chose! Si le N irvana est inexistence, nant (abhava), comment un moine qui obtient le Nirvana ds cette vie, peut-il dire l'avoir obtenu? . Les Sautrantika tenteront de rpondre en s'appuyant sur les textes sacrs: ~ Le Nirvana, ce n'est pas seulement l'abandon complet (aeshaprahna), la purific ation (vyantibhava), l'puisement (kshaya), le dtachement (virago), l'apaisement (v yupaama), le passage dfinitif (astagama) de cette douleur; c'est aussi la non-rena issance (apratisamdh), la non-prise (anupdna}, la non-apparition (aprdurbhava) d'une

autre douleur. Cela est calme (nta), cela est excellent (pranitam), savoir le rej et de toute catgorie ou conditionnement (upadhi), l'puisement de la soif (trishnsha ya), le dtachement (virga), la destruction (nirodha), le Nirvana. Le Nirvana est d onc avastuka, irrel, sans nature propre. Les docteurs Vaibhashika ne manqueront ce pendant pas de rappeler: ~ Si les textes sacrs disent qu'il n'y a plus apparition de douleur dans le Nir vana, ce locatif indique que le Nirvana est un lieu, une chose. Quant au terme a vastuka appliqu au Nirvana par les textes sacrs, il faut le traduire non pas par i rrel, sans nature propre, mais sans causalit, inconditionn15. . L4: [La rponse libratrice de Nagarjuna] :L4 . La Voie du Milieu nagarjunienne est donc, comme nous le voyons, une rponse direct e cette impossible conciliation des vues antagonistes, c'est une formulation sou veraine et libratrice face la difficile et, disons-le, irrsolue question consistan t connatre l'exacte vrit entre les opinions opposes. La Voie du Milieu ne peut se co mprendre vritablement si on mconnat la situation du dbat thorique qui agita le bouddh isme avant Nagarjuna. Dbat qui agitait le bouddhisme, non seulement dans le cadre des joutes oratoires entre les docteurs des diffrentes coles, mais qui de plus tai t la cause d'un trouble profond concernant la comprhension de la doctrine origine lle du Bouddha. . En engageant son entreprise thorique, Nagarjuna eut pour objectif de revenir l'es sence mme de l'enseignement de l'Eveill et donc, prioritairement, de permettre l'a uthentique mise en uvre du processus de libration rvl par le Bouddha. On mesure en ce la en quoi rside l'immense apport de la doctrine de Nagarjuna; en contribuant la redcouverte du processus propre l'enseignement du Bouddha, du dpassement de toutes les opinions parcellaires et vues contradictoires fragmentaires, elle rendait d e nouveau possible la ralisation effective de l'extinction de l'illusion et la li bration des identifications trompeuses. . Nagarjuna, dans son Trait, met en lumire la loi directrice de l'interdpendance univer selle des phnomnes, lesquels, vides de substance propre et apparaissant en une suc cession continuelle de morts et d'existences, ne peuvent tre qualifis ni d'existan ts ni de non existants: ~ Les choses, enseigne Nagarjuna, ne sauraient disparatre ni apparatre, se produ ire ni tre ananties. Aucun mouvement rel ne les commande. Seraient-elles alors terne lles? pas davantage. De mme elles ne sauraient tre ranges sous les catgories de l'un it ou de la pluralit (...) la critique nagarjunienne, partant des donnes du phnomnism e universel, va dtruire systmatiquement les conditions mmes de ce phnomnisme16. . Cependant, Nagarjuna regarde avec une impressionnante exactitude les mcanismes au xquels sont soumis les phnomnes. Les faits sont analyss avec une rigueur tout empre inte d'une stricte discipline, qui pourrait tre dfinie comme une disposition de la pense aux lois du rel. Sa critique des positions philosophiques des coles Abhidhar mika, comme nous l'avons vu dans un prcdent chapitre, est une rfutation de leurs vu es errones vis--vis de la ralit. C'est d'ailleurs l'argument principal de sa critiqu e; rien n'est plus important, pour lui que cette clarification exacte concernant la nature de l'tre des choses, car l'extinction (Nirvana), pour Nagarjuna, n'est rien d'autre que l'absence de vue fausse, c'est l'radication de l'incomprhension au sujet de la nature des choses, c'est la vritable perception de la nature de ce qui est. Ce n'est pas un anantissement, une absorption dans le rien, une dissolu tion, une disparition dans le vide informel. C'est, bien au contraire, la claire vision, la juste comprhension de la nature de ce qui est. Or, cette juste comprhe nsion permet en parallle la juste perception d'un principe immanent tous les tres: le principe d'impermanence. Qu'nonc ce principe, que rvle cette loi? Tout simplemen t que le rel n'est pas fixe, qu'il est en transformation perptuelle, qu'il change, se modifie, qu'il est entran dans le grand fleuve du devenir et du mouvement. . Puisque l'ensemble des tres et des choses baignent au sein de la relativit, dont l

e mouvement est l'unique force directrice, le rel ne doit donc jamais tre peru comm e une substance stable; non duel, il relve du vide, de l'absence de nature propre : ~ Comme Nirvana et samsara, toutes les choses sont non-deux. Il n'y a pas de N irvana sauf l o est samsara; il n'y a pas de samsara sauf l o est Nirvana. La condit ion de l'existence n'a pas un caractre mutuellement exclusif, c'est pourquoi tout es choses sont non duelles, comme Nirvana et samsara (Lankavatara-sutra, II, 28). . Cela signifie, aussi trange que cela soit au regard de la logique classique arist otlicienne, que les choses existent et que dans le mme temps elles n'existent pas. .

L3: [III. Nagarjuna et le Yogacara] :L3 . Prcisons nanmoins, car cela s'avre trs souvent ncessaire, que Nagarjuna n'est pas un idaliste, un irraliste; nous sommes trs loin avec lui des positions spiritualistes adoptes par le Yogacara, qui apparatront au IVe sicle, avec les matres Vasubandhu et Asanga, matres pour lesquels le rel n'tait qu'une vue de la pense, les phnomnes qu'un e construction de l'esprit. Nagarjuna, bien au contraire, maintient que si rien n'existe, alors la pense elle-mme ne peut pas tre dite existante; affirmer l'existe nce de la pense c'est retomber dans l'illusion spiritualiste. Lorsque les matres d u Yogacara soutiennent que si la pense est illusionne, si sa vision est par dfinitio n fausse, c'est donc que c'est une pense et qu'elle existe en tant que telle, immdi atement Chandrakirti, en fidle et consquent disciple de Nagarjuna, rfute avec vigue ur l'argument: ~ En raison de la prsence, pour le monde, d'une paisse ignorance semblable une n ue, les objets apparaissent faussement (...). De mme, sous l'influence des fautes de l'erreur l'intelligence de l'ignorant connat la varit des composs 17. . La doctrine du Yogacara, galement nomme Vijnanavada, c'est--dire l'cole qui enseigne la connaissance, affirme l'inexistence du monde extrieur, tout comme la Voie du Mi lieu, mais dans un sens bien diffrent. En effet, pour cette doctrine, le monde n' est que le fruit des constructions mentales, le monde n'est que le produit de la pense, il ne possde en soi aucune ralit autre que dans l'esprit, si toutefois cette prsence peut tre qualifie de ralit. Cet idalisme radical donn des uvres importan i lesquelles on peut citer: le Yogacarabhmisstra (Trait des terres du Yogacara), te xte clbre pour tre le plus long de toute la littrature bouddhique; le Mahayanastralan kra (L'Ornement des sutra du Mahayana), le Vimsatik-Vijnaptimtratsiddhi (La Preuve q ue tout n'est que connaissance), ainsi que le Dharmadharmat du Vibhanga, l'Uttara tantra et le Saptadabhmi. . Il importe de voir tout d'abord que le systme du Vijnanavada ne peut se concevoir , ne peut se comprendre sans la doctrine du Madhyamaka, qui sert de base de dpart aux penseurs idalistes. ~ Tous les phnomnes, avait proclam le Madhyamaka et l'on sait que le bouddhisme, repoussant l'absolu, n'admettait que des phnomnes , ne sont qu'une illusion, une va cuit. Soit, pense le Vijnanavadin, dont tel est aussi le point de dpart mais qu'es t-ce que l'illusion? un mirage intellectuel, donc une pense. Qu'est-ce que la vac uit? la vacuit de la pense, donc encore une donne psychique. L'existence de l'ide pur e, notera Vasubandhu, se trouve tablie par la connaissance mme qu'on a de l'irralit (objective) de l'ide (Vimakakarikaprakarana). Dire avec les Madhyamika que le mond e n'est qu'illusion et vacuit, c'est avouer qu'il n'est que reprsentation et pense (vijnapati, citta), esprit (mana), connaissance (vijnana). Et voila restaur, malg r le criticisme nagarjunien, grce mme ce criticisme, l'idalisme absolu (...)18. . II est donc permis d'affirmer avec justesse que ~ la doctrine du Vijnanavada est profondment originale et semble paradoxale. El le affirme en effet que l'univers tout entier est esprit, conscience pure (citta , qui correspond alors ainsit). Les choses et les sujets n'ont pas de ralit en euxmmes, mais ne sont que des dveloppements intellectuels, ils n'existent que dans la

pense que nous en avons. Ce que nous prenons pour le monde extrieur n'est que de l'esprit19. . On comprend facilement que cette position soit totalement rejete par les Madhyami ka; Chandrakirti l'exprime de la manire suivante: ~ De mme qu'il n'y a pas de connaissable, il n'y a pas de connaissance. C'est c e qu'il faut savoir. Si, sans objet et dpourvu de sujet, existent des essences dpe ndantes vides des deux, par quoi leur existence sera-t-elle connue20? . Les Vijnanavadin, pour affermir leur thorie, se fondaient, non sans quelque lgitim it, sur les paroles attribues au Bouddha: Ce triple monde n'est que pense (cittamtra) . Chandrakirti et les autres Madhyamika rtorquent cependant que, par cette formule prcise, les Ecritures voulaient uniquement faire comprendre qu'il n'y avait pas d'agent personnel, pas de sujet de la pense autre que la pense elle-mme. Il s'agiss ait donc seulement de dissocier dans la pense impersonnelle et impermanente l'age nt soi-disant personnel et permanent, nullement de confrer une valeur relle, la se ule valeur relle cette pense: ~ Le Hros pour l'veil de la terre connat que cette dclaration: "Les trois mondes n e sont que conscience", a pour but de faire comprendre qu'il n'y a pas en tant q ue crateur de soi permanent21. . Pour la doctrine de la Voie du Milieu, la pense pas plus que la matrialit n'ont de ralit, l'expression du Bouddha au sujet de la pense veut uniquement exprimer que la pense joue un rle prpondrant, nullement que l'objet de la connaissance doive tre ni e qu'il n'existe que la pense ou connaissance sans objet22. . L3: [IV. Thorie des deux vrits] :L3 . Pour Nagarjuna, prendre appui sur l'usage ordinaire de la vie, c'est la considrer en ce qu'elle est, c'est fonder son raisonnement thorique partir des formes donne s de la ralit concrte. Nagarjuna ne ngligera, pour ce faire, ni la spcificit du singul ier ni l'universalit des lois de l'tre; tout en niant toute affirmation et toute ng ation au sujet de ces lois. Cependant, il dgage de par sa rflexion propre une doub le dtente l'intrieur du rel, non pas un double langage, mais un double aspect du co ncret. Le consentement au rel, qui participe dans un premier temps de son attitud e d'ouverture objective face aux dterminations multiples de l'existence, amne Naga rjuna comprendre que la premire consquence de l'absence de nature propre aboutit l a distinction entre, d'une part, la vrit dite suprme (paramartha), celle que ralisen t les Eveills qui parviennent la ralisation de la pleine comprhension de l'absolu e n tant que vacuit (sunyata) et, d'autre part, la vrit conventionnelle (samvrti), qu i est le fait des tres qui restent plongs dans l'illusion et l'ignorance mondaine, l o rgnent encore les voiles de l'apparence. Ceci s'explique car, puisque notre lan gage et nos concepts sont relatifs au monde, ils sont impuissants exprimer la ral it supra-mondaine, et la ngation de tout ce qui constitue l'exprience ordinaire est donc la seule attitude approprie23. C'est d'ailleurs la mise en uvre de cette ngati on qui, d'une certaine manire, va mobiliser et surtout caractriser l'entreprise cr itique de Nagarjuna. . La subtilit de la thorie nagarjunienne vient du fait que si les coles antrieures con sidraient que Nirvana et samsara taient antithtiques l'un l'autre, constituaient qu elque chose de radicalement diffrent, pour la Voie mdiane, bien au contraire, le m onde de la ralit et le monde de l'illusion ou de l'ignorance sont un seul et mme mo nde, leur diffrence porte simplement sur le fait que la ralit est atteinte par l'Ev eil, et l'ignorance perue par les tres encore plongs sous le joug des apparences. . Il n'y a donc pas vritablement d'opposition entre Nirvana et samsara, ~ la dlivrance ne s'obtient pas par l'extinction du dsir et l'arrt de la roue inc essante de la transmigration, mais par la conversion de l'ignorance en illuminat ion, de la vrit conventionnelle en vrit suprieure24.

. Nagarjuna l'affirme avec une grande clart: . \ ### \ C'est en prenant appui sur deux vrits que les Bouddhas enseignent la Loi , d'une part la vrit conventionnelle et mondaine, d'autre part la vrit de sens ultim e. \ Ceux qui ne discernent pas la ligne de partage entre ces deux vrits, ce ux-la ne discernent pas la ralit profonde qui est dans la doctrine des Bouddhas (MK , XXIV, 8-9)25. . \ ### \ 8. L'enseignement de la Doctrine par les veills \ S'appuie parfaitement sur les deux vrits: \ La vrit relative du monde \ Et la vrit ultime. . \ ### \ The teaching by the Buddhas of the dharma has recourse to two truths: \ The world-ensconced truth (T1) and the truth which is the highest sen se (T2). . \ ### \ 9. Ceux qui ne comprennent pas \ La diffrence entre ces deux vrits \ Ne comprennent pas la profonde ainsit \ De la Doctrine de l'veill. . \ ### \ Those who do not know the distribution (vibhagam) of the two kinds of truth \ Do not know the profound "point" (tattva) (T3) in the teaching of the Buddha. . La ligne de partage, la ligne invisible entre les contraires, c'est finalement l a fameuse Voie mdiane o le rel se dvoile dans sa nature paradoxale et insaisissable. Si Nagarjuna reconnatra toujours une vrit au rel, c'est justement celle de la vacui t. La vacuit nagarjunienne, qui n'est pas quivalente au nant, montre simplement que les phnomnes, en tant que tels, existent comme apparence concrte d'un certain point de vue limit, et n'existent pas sous une perception plus profonde: ~ II existe donc deux niveaux de ralit (et d'existence, ce qui est indissociable ): une vrit conventionnelle et une vrit ultime. Si l'on se place au niveau de la pre mire, alors le monde des phnomnes et la doctrine bouddhique elle-mme possdent une cer taine valeur, ou, si l'on veut, une sorte de ralit empirique (...). Mais du point de vue de la vrit ultime, rien de cela n'existe, le Nirvana abolit toute diversit, ce qui inclut la loi de production en dpendance elle-mme. Mais Nagarjuna va encore plus loin, en montrant que le Nirvana et les phnomnes ne sont, en dernire analyse, que les expressions d'une mme non-ralit: ce qu'on appelle phnomne du point de vue du conditionn est Nirvana si l'on se place du point de vue de l'inconditionn26. . Le formidable mystre de l'quation d'quivalence entre Nirvana et samsara trouve ains i s'exprimer avec une force singulire dans la doctrine nagarjunienne. Ce mystre ha bite l'ensemble du corpus doctrinal du Mahayana, et se trouve expos avec force da ns les commentaires que Nagarjuna effectuera des Prajnaparamita-sutra, commentai res qui constituent sans aucun doute une synthse ingale du sunyata. Par le fait qu' elle participe d'une trs grande attention porte au changement et la perception de la complmentarit des contraires, l'entreprise thorique de Nagarjuna n'est donc pas un jeu intellectuel, une scolastique abstraite et purement thorique; c'est une vri table mthode de libration, une concrte discipline de l'esprit ayant pour objectif d e librer l'homme du pige des vues parcellaires et fragmentaires. C'est une rfutatio

n vigoureuse des doctrines philosophiques marques par l'attachement substantialis te et objectifiant, un essai ambitieux d'chapper au pervers processus des opinion s contraires et contradictoires, une maeutique incomparable de l'Eveil, une exprience religieuse aux limites de l'vanescence, une dialectique si intimement libratrice qu'elle se supprime en s'exerant: auto-abolitive27; il n'y a plus chez Nagarjuna d e croyance en la persistance d'une vrit unidimensionnelle et ontique, telle en part iculier que nous l'avons hrite d'Aristote28; l'existence pour lui est non-existence , la non-existence est existence. .

L3: [V. La logique du vide] :L3 . Cette affirmation d'quivalence entre existence et non-existence ne manque pas de plonger celui qui aborde la doctrine nagarjunienne dans une profonde et naturell e perplexit. Il importe donc de comprendre, en premier lieu, que cette logique es t une logique de l'impermanence, c'est pourquoi elle chappe toute tentative de co mprhension fonctionnant sur le mode binaire du oui ou non, du systme du tiers excl u, qui considre qu'une chose ne peut tre vraie et fausse en mme temps. Lorsque nous disons qu'elle chappe la raison binaire, nous sous-entendons qu'instruite des mo des opratifs de la logique exclusive, elle met en uvre un mcanisme original de dpass ement des impratifs catgoriques du sens commun, ce en quoi elle apparat comme profo ndment dsorientante pour un esprit constitu et form par le jugement habituel de la r aison ontique. En effet, la logique laquelle nous somme familiariss, celle qui st ructure profondment, non seulement notre mode d'tre mais aussi notre mode de pense r, obit depuis des sicles au principe de l'incompatibilit des contradictoires. Cett e logique puise ses fondements chez les Grecs, et plus prcisment chez Aristote, qu i fut certainement celui qui contribua le plus formaliser les lois du raisonneme nt analytique du concret. N'oublions pas, cependant, que l'Inde connaissait et u tilisait dj les mmes et quasiment identiques outils intellectuels, et que les logic iens indiens possdaient un appareil analytique en tout point comparable, pour ce qui est de sa capacit effective matriser les lois du rel, la logique aristotlicienne . . L4: [La logique indienne] :L4 . Le systme de la logique indienne, un des six systmes orthodoxes du Darshana hindou , t exprim dans les Nyaya-sutra qui sont attribus gnralement Akshapada. On pense qu a rdaction des sutra se situe dans une priode localise entre le IIe et le IIIe sicle de notre re, toutefois Gautama, qui passe pour tre le fondateur de cette cole, vcut entre le VIe et le IIIe sicle avant notre re. L'cole Nyaya avait pour objet de fou rnir un fondement rationnel aux multiples croyances du panthon indien; pour cela on mit en uvre un appareil argumentaire fonctionnant sur la base d'une logique de la causalit et du jugement analytique, qui seront placs l'origine de la science vd ique. Les diffrents sutra feront l'objet de nombreux commentaires, les plus clbres sont ceux de Vatsyayana au IVe sicle, Uddyotakara Bharadvaja au VIIe, Vacaspatimir a au IXe et Udayana au Xe, on mesure ainsi l'influence qu'exercrent ces textes. O n aurait cependant tort d'imaginer les Nyaya-sutra comme des textes uniquement c entrs autour des problmes du jugement analytique: La doctrine classique des Nyaya-s utra n'est pas la premire manifestation d'un souci de logique. Les controverses d ont les Upanishad et les plus anciens textes mdicaux dits de l'Ayurveda donnent m aints exemples ont dvelopp de bonne heure la critique de validit des jugements et d es opinions29. D'autre part, il est intressant de constater l'troite intimit, en Ind e, du dveloppement de la logique et de la mdecine, puisqu'il a t suppos que la logique avait pris naissance dans les milieux mdicaux (...), toutefois la mthode logique dborda trs rapidement ce contexte pour dboucher sur des thmes plus philosophiques, c ar un des exemples majeurs de raisonnement donn par ankara est une dmonstration de l'existence du soi-mme, cho manifeste d'une utilisation simultane de la logique des fins autres que la solution des problmes mdicaux de diagnostic et de pronostic, q uoique le problme de l'existence du soi-mme (tman) comme substrat de l'tre psychique (sattva) intresse l'Ayurveda qui considre l'homme dans son ensemble psychique et

corporel 30. . Rappelons que les Nyaya-sutra distinguent dans leur analyse seize fondements ou objets des mots (padartha): On traduit habituellement padartha plus ou moins heur eusement par catgorie ou topique selon qu'on veut voquer une analogie de l'analyse du Nyaya avec la logique d'Aristote ou avec celle de la scolastique mdivale; ces c atgories d'une grande prcision sont les suivantes, du moins pour ce qui concerne l es six lments premiers de l'tablissement du jugement: 1. Les pramana, terme qui rec ouvre les critres du jugement (pratyaksha: la constatation directe, anumna: l'infre nce, upamna: la comparaison assimilatrice, abda: le tmoignage de l'autorit); 2. Les prameya, les objets du jugements; 3. Samaya, le doute; 4. Prayojana, le motif; 5. Drshtanta, l'exemple; 6. Siddhnta, la conclusion tablie. Il n'est peut-tre pas inu tile de regarder un instant le septime padartha appel avayava, et qui correspond n otre syllogisme: ~ Les avayava, ou membres du raisonnement typique aboutissant l'infrence, sont au nombre de cinq et le raisonnement lui-mme est souvent appel nyaya dans l'Inde e t syllogisme en Occident, par comparaison avec les syllogismes d'Aristote. Les m embres avec l'exemple classique sont les suivants: La proposition (pratijna): la montagne du feu. La raison d'tre (hetu): du fait qu'elle fume. L'assertion exemp lifie (udaharana): tout ce qui fume du feu, comme la cuisine. L'application (upan aya): et c'est le cas. Le rsultat (nigamana): il est donc ainsi (qu'il a t avanc)31. . Comme on le voit, le systme de la logique possdait ses propres mcanismes et des out ils rflexifs extrmement dvelopps, on donc pu, et juste titre, dcrire cette mthode un examen critique des objets de la connaissance par la dmonstration logique (Vat syayana, Nyaya-Bhashya). . Il n'est toutefois pas inutile de rappeler que la logique indienne n'a pas les mme s buts que la logique aristotlicienne (sur laquelle elle n'a eu aucune influence) . Alors que la deuxime s'efforce de construire les rgles d'un raisonnement valide en lui-mme (d'o son nom de logique formelle), la logique indienne est une logique de connaissance32. Le Nyaya, ou cole de la logique, qui est bien l'art de raisonne r au sens classique du terme, est une authentique science de la pense, se particu larisant en ce sens qu'elle a pour but premier de dlivrer de l'erreur, de l'illus ion, et de travailler en affranchir l'esprit. Plus prcisment, l'infrence originale de la mthode de la logique indienne a pour but de montrer l'existence d'une chose invisible, en partant d'un signe rel, et cela en dmontrant le lien existant ncessa irement entre le signe et la chose invisible. La science indienne du concret est donc une logique qui renvoie la ncessit d'admettre une Existence premire, une Caus e initiale dans l'tre que les docteurs indiens nommrent Isvara. Cependant, si le Ny aya reconnat l'existence du Seigneur (Isvara), car il faut bien trouver une cause efficiente au jeu de la rtribution des actes, la thologie n'est pas l'objet propr e du Nyaya33. Effectivement cette science de la logique un objectif unique: parve nir la dlivrance finale (apavarga); le Nyaya est un instrument de raisonnement et de science, mais aussi instrument de salut spirituel car la dlivrance ne s'obtien t que par la connaissance correcte: on arrive la dlivrance finale (apavarga) quan d on cart successivement la fausse connaissance (mithyajnana), les fautes (dosa), l'activit (pravrtt), la naissance (janma) et le malheur (duhkha). Comme chaque ter me de la srie engendre le suivant, le malheur de l'existence est caus en dernire an alyse par la fausse connaissance34. Ce souci de libration, de dlivrance, qui spcifie la logique indienne, se retrouve galement dans la logique nagarjunienne. Mais, s i les objectifs sont identiques, les analyses, l'examen, s'avrent divergentes sur de trs nombreux points, pour ne pas dire, d'ailleurs, sur pratiquement tous les points. . Les raisonnements nagarjuniens relvent d'une position initiale totalement diffrent e l'gard de la ralit concrte. On cite assez rgulirement les Nyaya-sutra (II, I, 37-40 , qui voulurent rfuter les arguments des auteurs Madhyamika au sujet de la problma tique du temps. Comme nous le verrons, Nagarjuna critique vigoureusement la poss ibilit de l'existence du temps car le mouvement interdit la capacit de pouvoir se

saisir d'une chose qui serait nomme du titre de prsent: . \ ### \ On n'apprhende pas un temps variable, et puisqu'un temps invariable ne peut tre apprhend, comment dsignera-t-on un temps non apprhend? (MK, XIX, 5). . \ ### \ 5. On n'apprhende pas un temps variable, \ Et puisqu'un temps invariable \ Ne peut tre apprhend, \ Comment dsignera-t-on un temps non apprhend? . \ ### \ A non-stationary "time" cannot be "grasped"; and a stationary "time" which can be grasped does not exist. \ How, then, can one perceive time if it is not "grasped"? . Les logiciens indiens rpliqueront en faisant remarquer que sans le prsent, le pass et l'avenir ne peuvent exister, que leur existence ne peut plus tre soutenue, or le pass et le futur existent bien, disent-ils, en se fondant sur une preuve de crd ibilit tire de l'exprience immdiate de la vie: les tres et les choses ont bien un pas s, un futur et donc un prsent. .

L3: [VI. La rfutation nagarjunienne de la logique indienne] :L3 . C'est prcisment le c ur de l'argumentation de la logique indienne que rfute Nagarjuna . Prenant comme point de dpart l'absence de nature propre des tres et des choses, il dmontre l'impossibilit thorique d'un jugement qui voudrait asseoir une affirmati on partir d'une vue partielle et donc incomplte, ses yeux, de la ralit, c'est--dire ne tenant pas compte du fait que ce qui est relatif n'a pas de ralit. Face aux poin ts de vue (drst) soutenus par ses adversaires, la dialectique de Nagarjuna se dplo ie en rfrence un double critre: l'intelligibilit des noncs, leur positivit. L'intell bilit se subdivise, elle-mme, en deux aspects: la rigueur logique ou la cohrence pu rement formelle d'une part, la possibilit ou l'impossibilit relle d'autre part selo n que la prtention s'accorde avec l'exprience ou bien est dmentie par elle. Quant l 'autre ple, l'exigence de positivit, il consiste se demander: de quoi parle-t-on? C'est le constat factuel qui rpond35. Ce constat dmontre que par l'absence de natur e propre des phnomnes, il est thoriquement et pratiquement impossible de leur confre r l'tre qui leur fait dfaut. Pour Nagarjuna, nous sommes en face d'un vide, d'une vacuit, qui empchent que puisse tre exprime une affirmation de l'existence l'gard des tres et des choses. . Tout baigne dans une universelle absence de consistance ontologique, ceci imposa nt que soit imprativement observ, vis--vis de l'ensemble des tants, un juste silence . Le refus nagarjunien d'admettre la proprit d'une essence dvolue aux phnomnes expliq ue que leur unique ralit soit qu'ils n'en possdent aucune, mme pas celle de ne pas e n avoir. Cela aura de trs importantes consquences sur le systme logique de Nagarjun a, dont la premire, parmi un certain nombre d'autres, est d'interdire toute forme de position arrte, d'o l'utilisation permanente de la rfutation comme mthode privilgi de sa critique. Dans le cadre de son argumentaire, Nagarjuna utilise trois types de rfutation: l'impossibilit logique (na yujyate), l'impossibilit relle (nopapadyat e), le constat d'inexistence (na vidyate)36. Cette triple rfutation fonctionne com me un mcanisme trs efficace, on constate sans peine d'ailleurs que son rejet des p ositions ou opinions limites et fragmentaires est d'une rare puissance. Toute aff irmation, fonde en raison, peut se voir rduite quasiment rien sous l'effet de la t riple rfutation nagarjunienne, il suffit pour cela de constater comment l'ensembl e des propositions qui constituent le rservoir permanent des discours susbstantia listes cde trs aisment sous le poids de la triple attaque en ngation. Logique rcurren te, logique ablative, on n'en finirait pas d'accumuler les qualificatifs les plu

s expressifs et les plus frappants pour tenter de cerner l'exacte appellation de la mthode critique de Nagarjuna. Nous sommes indniablement en prsence d'un systme q ui possde parfaitement sa cohrence; face la mthode caractristique de la logique ngati ve de la non-substance, tout, absolument tout peut tre rfut, mme la rfutation elle-mme , et la rfutation mme de cette rfutation. . L3: [VII. L'identit manquante de l'tre] :L3 . La vacuit nagarjunienne, qui se dfinit par le fait de refuser et d'chapper tous les points de vue, trouve un tonnant prolongement opratif dans sa mise en uvre lorsqu' elle fait l'objet d'une utilisation l'intrieur d'un dbat thorique. Comme mthode logi que, elle se comporte comme un outil critique, utilisable universellement en con tre, ngation et rfutation. Applique l'analyse des phnomnes, cette mthode brise toute a thorie classique et habituelle de l'identit (que l'on rsume gnralement ainsi: est A , donc n'est pas B). Cependant une chose ou un tre n'tant jamais ce qu'ils sont po ur la thorie nagarjunienne, rien ne peut se voir attribuer une proprit dans l'tre (A n'est donc pas A). Logique abolitive, elle implique galement son auto-abolition (si n'est pas A, alors n'est ni ni B); Nagarjuna montre bien en quoi, dans son Tr ait, ce qui n'a pas d'identit n'est identifiable aucune proposition: . \ ### \ Les Vainqueurs ont dclar que la vacuit est l'extirpation de toutes les vu es, et ont proclam incurables ceux qui font de la vacuit une vue (MK, XIII, 18). (i .e. Cette rfrence n est pas bonne. Il s agit de 13:8.) . \ ### \ 8. Les Vainqueurs ont dclar que la vacuit \ Est l'extirpation de toutes les vues \ Et ont proclam incurables \ Ceux qui font de la vacuit une vue. . \ ### \ Emptiness is proclaimed by the victorious one as the refutation of al l viewpoints; \ But those who hold "emptiness" as a viewpoint [the true perceivers] hav e called those "incurable" (asadhya). . Cette vritable profession de foi conduit obligatoirement l'vacuation du principe d u tiers exclu, et donc l'adoption du principe de l'identit des contraires et de l a non-identit de l'tre. . L'aboutissement invitable d'une telle attitude est l'vacuation, la cessation de to ute formulation en affirmation ou en ngation au sujet de l'tre ou du non-tre. La se ule solution, laisse la disposition de celui qui entreprend de pntrer et de s'immer ger authentiquement dans la logique du vide, reste le silence. L'identit manquant e de l'tre ne permet plus de confrer une singularit personnelle, individuelle, part iculire A, c'est--dire au traditionnel symbole de l'objet identifi, la proposition universelle affirmative. . Il n'est pas inutile ici de prciser que la logique classique considre qu'une propo sition est universelle, particulire, ou singulire, en fonction de sa quantit. Ce mot de quantit peut d'ailleurs lgitimement surprendre, mais il dsigne une notion importan te qui est celle de l'extension du sujet, ceci expliquant qu'une proposition est appele universelle lorsque son sujet est lui-mme universel, c'est--dire pris dans to ute son extension; elle est nomme particulire lorsque son sujet est particulier, c'e st--dire pris dans toute son extension. Cependant, une proposition est dite indfini e quand l'extension de son sujet n'est pas prcise. Mais cette extension rsulte de l a matire de la proposition. En matire ncessaire et impossible, le sujet est pris un iversellement; en matire contingente et possible, il est pris particulirement. Par

ailleurs, les propositions singulires sont assimiles aux particulires dans la suit e de la logique. Si maintenant on combine la qualit et la quantit des propositions , on obtient quatre types de propositions qu'on dsigne (arbitrairement) par les q uatre premires voyelles: -- universelle affirmative, A, -- universelle ngative, E, -- particulire affirmative, I, -- particulire ngative, O37. . Les coles mdiviales forgrent d'ailleurs, afin de faciliter la mmorisation de ces lois par les tudiants, une formule versifie et concise, caractre purement technique que l'on retrouve pour la premire fois dans le manuel de Pierre d'Espagne au XIIIe s icle: -- asserit A, negat E, verum generaliter ambo -- asserit I, negat O, verum particulariter ambo. . On aura soin, toutefois, de bien distinguer, lors de l'utilisation de l'universe lle affirmative A, le sujet logique qui est ce que l'on affirme ou nie l'intrieur d'une proposition, du prdicat qui, lui, se rfre l'attribut du sujet dans cette mme proposition. . A donc, entendu comme modle de ce qui est quelque chose et non une autre, n'est p lus, dans le systme nagarjunien, qu'une convention grammaticale, une facilit de la ngage. Le syllemme qui, en logique, nonce une conjonction d'identit, A et B la foi s, n'est lui-mme plus en mesure de pouvoir cerner le moteur dialectique de la vac uit, et il est d'ailleurs refus par Nagarjuna lorsqu'il dnonce plusieurs reprises c et amalgame: . \ ### \ Un agent qui est et n'est pas n'effectue pas une (action) qui est et n 'est pas; o aurait-on, dans