newsletter_"in other words"_ décembre 2012
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Journalisme et discriminationTRANSCRIPT
“ In Other Words “ est un projet de l’Union européenne, soutenu et financé par la Commission des Affaires juridiques
B U L L E T I N M E N S U E L D E L ’ U N I T É L O C A L E E U R O C I R C L E
Marseille, 12-2012 “ In Other Words “ est un projet de l’Union européenne, soutenu et financé par la Commission des Affaires juridiques
In Other WordsNEWS
Journaliste, vous avez dit “journaliste” ?
Comment devient-on journaliste ?
A cette question en apparence triviale,
de beaucoup répondront de manière simple :
“En faisant une école de journalisme”.
En France, certaines écoles de journalisme
représentent certes un sésame important pour
entrer dans le métier. J’insiste ici sur l’adjectif
“certaines”, car d’autres écoles ne bénéficient
pas au contraire de l’aura nécessaire pour
permettre à ses anciens élèves de montrer
patte blanche dans le secteur médiatique.
Inutile de nier le fait qu’une formation est
toujours bienvenue dans le parcours de
chacun et chacune et je ne m’aventurerai pas
à remettre en cause de manière uniforme
l’éducation post-baccalauréat. Par contre, je
trouve utile de poser la question du type de
formation. Un journaliste sera-t’il plus apte
à effectuer son travail s’il est passé par une
des grandes écoles de renom ? Que celles-
ci lui permettent l’accès à un portefeuille de
contacts intéressant est certain, mais sera-
t’il pour autant un “meilleur” journaliste ?
Quid de toutes celles et tous ceux qui ont choisi
une autre voie ? Quid de la formation qu’on
qualifie parfois presque péjorativement de “sur
le tas” ? Et puis, quid de celles et ceux dont on
pense qu’ils et elles partent avec un ou plusieurs
“handicaps” de départ, que ce soit de part leur
origine sociale, géographique, ou en raison de
leur situation physique ? Ne sont-ils pas à même
de devenir aussi d’excellents journalistes ?
Si l’on prend le cas de ce qu’on appelle les
“minorités visibles”, les rares exceptions
comme Harry Roselmack ou Audrey Pulvar
ne sauraient masquer le manque flagrant de
representativité sociale dans son ensemble.
Dans cette optique, il est intéressant de
considérer l’approche d’autres pays, à
commencer par l’Allemagne, où l’accent au
sein des rédactions est davantage mis sur les
qualités et competences personnelles que
sur le parcours universitaire ou académique.
Le monde des médias français n’est
pas le reflet de la société et il est
temps qu’il commence à le devenir.
Editorial
Sommaire
Editorial
Vie de l’équipe
Point presse
Recadrage
Agenda
1
2-3
4
5-9
10
Soirée-débat à Eurocircle : “Journalisme et discrimi-nation”
Point Presse : Journal i ste et v ict ime de raci sme
Des journalistes témoignent
Agenda : les recommandations du mois
“Milestones”
Elif KAYI
Coordinatrice de l’équipe
In Other Words NEWS Page 2 Vie de l’équipe
In Other WordsNEWS
Edité mensuellement à Jaén y Almeria (Espagne),
Mantova (Italie), Mortagua (Portugal),Marseille (France),
Timisoara (Roumanie) et Tallin (Estonie)
avec l’approbation et le soutien de la Commission des Affaires Juridiques de
l’Union Européenne.
L’édition française est assurée par Eurocircle
L’entreprise éditrice ne peut être tenue responsable pour les commentaires de
ses collaborateures
De gauche à droite : Clara Martinez, Ursulla Duplantier, Elif Kayi et Samir Akacha
«Le pouvoir du journaliste ne se fonde pas sur le droit de poser
une question, mais sur celui d’exiger une
réponse. »
Milan Kundera
Le 4 décembre, Eurocircle a accueilli dans ses
locaux trois journalistes, Samir Akacha, Ursula
Duplantier et Clara Martinez, pour échanger autour
du sujet « La discrimination dans le journalisme :
Comment devient-on journaliste ? ». La soirée s’est
déroulée dans le cadre du projet « In Other Words » et
est venue clore une année de travail d’observation des
médias locaux autour des sujets liés à la discrimination.
Chaque participant(e) s’est tout d’abord présenté(e),
rappelant son parcours personnel, comment il ou elle
est arrivé(e) dans le monde du journalisme, les premiers
pas dans le métier, les difficultés ou facilités à exercer,
etc. Pour plus d’informations, vous pouvez retrouver un
portrait détaillé de chacun dans la présente newsletter.
La discussion s’est portée ensuite sur le sujet spécifique
de ce qu’on appelle aujourd’hui la « diversité » dans les
médias. Une courte vidéo a été visionnée, montrant
Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart, lors d’une
émission télévisée. Ce dernier répondait au présentateur
qui venait de lui indiquer qu’il n’y a « que des Blancs
» au sein de la rédaction de Mediapart. Fabrice Arfi
a alors immédiatement réagi en expliquant qu’ils ne
travaillent « pas avec des quotas ». L’intérêt de cette très
courte vidéo est la réaction du journaliste qui aborde
spontanément le sujet des quotas, laissant l’impression
que la question de la « diversité » est uniquement liée
à une question de « quotas ». Le présentateur dira
à la fin qu’il voulait juste le « taquiner », laissant aussi
l’impression que le sujet n’est pas pris au sérieux.
Nous nous sommes aussi attardés sur l’édito du blog
« C’est quoi l’histoire », réalisé par de jeunes journalistes
en herbe, dans le cadre de l’Atelier Journalisme
de Marseille et auquel Samir avait participé. Nous
retiendrons principalement cette phrase : « Et si ce sont
toujours les mêmes : des hommes, blancs, parisiens,
de 40 ans, d’origine judéo-chrétienne certifiée, ayant
fait de bonnes études, qui racontent ces histoires,
c’est embêtant. Il faut que d’autres puissent aussi
en être. Ce n’est pas une question de « respect de la
diversité » (air du temps), c’est une question politique:
il manque dans toutes les rédactions de France des
journalistes issus des classes et des quartiers populaires. »
Un spectateur est intervenu pour demander le
sens de cette phrase. Il a expliqué y comprendre
une question de légitimité et s’interrogeait sur le
fait qu’être « issu des classes et quartiers populaires
» puisse donner une légitimité pour parler de ces
quartiers. Samir a répondu en expliquant qu’il
s’agissait d’une question de représentativité. Il a ajouté
qu’aujourd’hui, de nombreux jeunes issus de ces
Soirée-débat organisée à Eurocircle, “La discrimination dans le journalisme :
Comment devient-on journaliste ?”
Marseille, 12-2012 n°15
Page 3Vie de l’équipe
priment pour les rédactions allemandes. Les participants se sont
accordés pour parler d’une situation « élitaire » en France, où il est difficile
d’accéder aux rédactions quand on ne dispose pas d’un portefeuille de
contacts ou qu’on n’est pas passé par une grande école de journalisme.
Clara a enfin présenté les différences entre ce qu’elle appelle « le
journalisme » et le « nouveau journalisme », qui concerne principalement
les médias en ligne. Clara, qui a expliqué avoir choisi le second pour la
spécialité de son Master, a souligné que cette spécialité est encore très peu
reconnue dans la profession qui préfère embaucher ou faire travailler
des journalistes spécialisés dans les médias traditionnels. Pour elle, il
s’agit un peu d’une sorte de « pari sur l’avenir », car elle pense que les
médias vont être amenés à se développer de plus en plus sur Internet.
Débat : “Comment devient-on journaliste ?” à Eurocircle
quartiers par exemple ont fait des études supérieures mais qu’on en
trouve encore peu voir pas au sein de rédactions de médias traditionnels.
D’où la question : comment expliquer cette situation aujourd’hui ?
Samir a insisté sur le fait qu’il y a un problème de représentativité
de la société dans son ensemble au sein des rédactions.
Un autre point abordé lors de la soirée concernait les différences de
formation entre la France et l’Allemagne. Ursula a expliqué avoir fait
des études portant sur la politique, l’économie et la littérature française,
et avoir appris beaucoup lors de stages qu’elle a effectués auprès de
différentes rédactions, mais surtout lors de son « Volontariat ».
Le « Volontariat » allemand est une sorte de contrat en
alternance, qui dure plusieurs mois et durant lequel le volontaire
– qui est rémunéré – travaille au sein de la rédaction du média qui l’a
sélectionné et bénéficie en plus d’une formation théorique dispensé
par des professeurs et professionnels. Ursula a insisté sur le fait que les
connaissances pratiques et les compétences sont valorisées en Allemagne
beaucoup plus que la formation académique. Elle a aussi précisé que
dans le cadre d’un travail en freelance, c’est le sujet et son intérêt qui
In Other Words NEWS Page 4 Point Presse
“J’en parle souvent à mes collègues : ils peinent à me croire lorsque je
leur décris cet «apartheid mental», lorsque je leur détaille les petites
humiliations éprouvées quand je suis en reportage, ou dans la vie ordinaire.
A quoi bon me présenter comme journaliste au Monde, on ne me croit
pas. Certains n’hésitent pas à appeler le siège pour signaler qu’« un
Mustapha se fait passer pour un journaliste du Monde ! »”
Mustapha Kessous explique aussi comment il “s’adapte”
à cette situation :
“J’ai dû amputer une partie de mon identité, j’ai dû effacer ce prénom
arabe de mes conversations. Dire Mustapha, c’est prendre le risque
de voir votre interlocuteur refuser de vous parler. Je me dis parfois que
je suis parano, que je me trompe. Mais ça s’est si souvent produit...”
Mais la discrimination vécue dans le cadre de son travail de
journaliste dépasse la discrimination dans le simple cadre du travail
pour toucher à son identité même. Ainsi en témoigne Mustapha
Kessous dans le dernier paragraphe lorsqu’il rappelle la triste
réalité de nombreuses personnes d’origine immigrée en France :
“Des histoires comme celles-là, j’en aurais tant d’autres à raconter.
On dit de moi que je suis d’origine étrangère, un beur, une racaille, un
islamiste, un délinquant, un sauvageon, un «beurgeois», un enfant issu
de l’immigration... Mais jamais un Français, Français tout court.”
Journaliste et victime de racisme
Retrouvez l’intégralité de l’article :
h t t p : / / w w w . l e m o n d e . f r / s o c i e t e / a r t i -
c l e/2009/09/23/ca - f a i t - b i en - long temps -que -
je -ne -prononce -plus -mon-prenom-quand- je -me-
p re s e n t e - a u - t e l e p h o n e _ 124 4 0 9 5 _ 3 2 24 . h t m l
“Moi, Mustapha Kessous, journaliste au «Monde»
et victime du racisme” par Mustapha Kessous
L’article date déjà un peu, puisqu’il a été publié par le journaliste
Mustapha Kessous le 23 septembre 2009 dans le quotidien
Le Monde, journal auprès duquel Mustapha Kessous est employé.
Dans cette tribune, le journaliste rapporte comment on l’a pris
pour le chauffeur de son collègue journaliste alors qu’ils couvraient
ensemble le Tour de France, ou comment on l’a confondu après
le prévenu alors qu’il couvrait un procès. Si elles restaient isolées,
ces anecdotes auraient presque de quoi faire sourire. Mais leur
recurrence impressionne. Certes les traits qu’elles prennent
semblent divers mais le fond reste le même : à de trop nombreuses
reprises, Mustapha Kessous n’est pas identifié comme un journaliste :
“Je pensais que ma «qualité» de journaliste au Monde allait enfin me préserver
de mes principaux «défauts» : être un Arabe, avoir la peau trop basanée,
être un musulman. Je croyais que ma carte de presse allait me protéger des
«crochets» balancés par des gens obsédés par les origines et les apparences. Mais
quels que soient le sujet, l’endroit, la population, les préjugés sont poisseux.”
Plus loin Mustapha Kessous rapporte l’incrédulité de
ses collègues quand il leur fait part de cette situation :
Marseille, 12-2012 n°15
Page 5Recadrage
Mon parcours de journaliste a commencé par un stage de
deux mois dans une radio locale, que j’ai effectué un an
après le bac. Au cours de ce stage, j’ai réalisé des sondages, j’ai
fait du montage et un reportage. Cela m’a donné un bon petit
aperçu du travail d’un journaliste. Ensuite, j’ai commencé mes
études pluridisciplinaires sur la France à Berlin. Ces études
comportent de la littérature, de la linguistique, des sciences
politiques, de l’histoire et de l’économie, axés sur la France.
Pendant mes études, j’ai fait un stage
de six semaines au sein de la radio de
l’université. C’était un travail qui m’a mise
dans les vraies conditions du métier : con-
férence le matin et parfois faire un report-
age pour l’émission du soir. Par moments,
c’était assez dur, car je n’avais pas encore
appris comment construire un bon report-
age par exemple, mais ça a été au final une
bonne « formation sur le tas » pour moi.
Cette expérience m’a beaucoup aidé pour décrocher un
stage auprès de la rédaction allemande de Radio France
Internationale à Paris, où j’ai toute de suite pu travailler
de manière autonome. Après mes études, j’ai aussi fait un
stage de trois mois dans la rédaction « Soirée Théma » chez
Arte à Strasbourg. Ce domaine était nouveau pour moi, car
jusque là, je n’avais encore jamais travaillé pour la télévision.
Après le stage à RFI, je suis parti en Chine, où j’ai com-
mencé par proposer mes services en tant que pigiste pour
des radios et journaux allemands. Malgré le contexte -je ne
maitrisais pas le chinois et je n’avais pas d’accréditation
presse- j’ai pu réaliser de nombreux sujets, aussi grâce à ma
copine chinoise. Cette expérience m’a sans doute beaucoup
aidé pour être sélectionnée au concours de « Volontariat »
de la chaîne publique NDR (radio/télé). Cette formation,
très reconnue en Allemagne, consiste à intégrer une chaîne
pendant un an et demi. C’est un peu comme un travail en
alternance : on travaille dans diverses rédactions (télé et
radio) pendant quelques semaines tout en recevant des
formations pratiques et théoriques sur le journalisme.
Le « volontariat » m’a permis d’enchaîner tout de
suite en décrochant plusieurs contrats à durée déter-
minée. Ces CDD sont très classiques en Allemagne
pour les auteurs. On est payé à la tâche mais on bé-
néficie de congés payés, d’assurance-maladie, etc.
Après avoir travaillé pour une rédaction de télévision
pendant quelques années en Allemagne, je me suis in-
stallée en France. Je travaille à présent comme pigiste
et/ou correspondant libre pour des radios allemandes.
En ce qui concerne la discrimination dans le métier de jour-
naliste, j’ai pu observer une fois au sein de mon ancienne
rédaction de télé allemande, qu’une
collègue n’avait pas été choisi pour
un poste de chargée de programme,
selon elle, parce qu’elle n’avait pas en-
core d’enfant et pourrait encore en
vouloir. Au lieu de la choisir pour ce
poste - c’était une collègue qui avait
beaucoup d’années d’expérience dans
cette rédaction - on a choisi un collègue
masculin tout jeune, qui venait juste
de terminer son « Volontariat ». Sinon, j’ai eu un ou deux
collègues d’origine étrangère - turque notamment - dans
cette rédaction, qui ne maitrisaient pas parfaitement
l’allemand et qui avaient un léger accent. Ils faisaient ré-
gulièrement des reportages, mais qui n’étaient pas soumis
aux contraintes de temps liées à l’actualité du moment.
Je n’ai malheureusement pas vraiment matière à comparer
concernant la France. Mes essais pour prendre contact avec
des sociétés de production françaises n’ont pas abouti, et
ma candidature auprès de France 3 est restée sans réponse.
Mon impression, et aussi mon expérience, me laissent pens-
er qu’il est plus difficile en France de proposer ses services
en tant que travailleur indépendant sans réseau, surtout
quand on ne sort pas du parcours classique de journalisme
(école de journalisme française reconnue, etc.). Il me sem-
ble qu’ici tout est plus formaté, que les journalistes forment
une élite, presque une caste. En Allemagne, on valorise
plus l’expérience et la qualité du produit fourni. Ainsi, on
a plus de facilités à décrocher une commande de report-
“J’aimerais bien être en contact avec des collègues français”
Ursula Duplantier
Par Ursula Duplantier, journaliste allemande
Marseille, 12-2012 n°15
Page 6Recadrage
age. On donne une chance si le produit est satisfaisant,
sans regarder l’origine ou la formation du journaliste.
C’est en tout cas mon impression liée à mon expérience.
Pour la pratique de mon métier en France, je ne ressens
pas d’obstacles particuliers dans la réalisation de report-
ages. C’est gratifiant pour moi de travailler en tant que
correspondante pour l’Allemagne, mais en même temps,
j’aimerais bien être plus en contact avec des collègues fran-
çais. Radio France, à qui je m’étais par exemple adressé,
m’a dit qu’il y avait déjà une équipe sur place. Je n’ai
pas encore pu découvrir comment il est possible de ven-
dre des reportages en tant que pigiste en France. Mais
en tous cas, cela a l’air plus compliqué qu’en Allemagne.
Par Clara Mª Martínez Rodríguez, journaliste espagnole
J’avais huit ans quand j’ai décidé que je voulais être journaliste.
J’avais eu la chance de pouvoir m’asseoir au micro, avec des autres
amies, pour faire une émission hebdomadaire pendant quelques
années. Je ne peux pas appeler cela vraiment du journalisme, car
on faisait du copier-collers de magazines d’adolescentes, mais cela
a été l’élément déclencheur de mon amour pour le journalisme.
A dix-huit ans, j’ai commencé mon périple à la faculté
de journalisme. On a étudié beaucoup d’histoire, de
l’économie, du droit, l’écriture journalistique, c’est-à-dire
plein de différentes matières qui devaient être la base de
nos connaissances pour la suite. Pour moi, l’essentiel nous a
manqué : mettre tout cela en pratique. Je pense pas que la base
soit la théorie, car finalement le journaliste se fait « sur le tas ».
Un jour, j’ai eu la chance de rencontrer un grand journaliste
espagnol, Enrique Meneses - il est aujourd’hui âgé de quatre-
vingt-trois ans et il écrit toujours - et il m’a expliqué que les élèves
ne devraient pas aller dans des écoles de journalisme, mais au
contraire faire des formations telles que les sciences politiques ou
économiques, pour que leur travail soit ensuite plus pertinent.
Je partage en partie son avis, parce qu’au final, dans une école,
on apprend un peu de tout et rien de concret. Mais d’un autre
côté, je pense que les journalistes ont besoin d’avoir certaines
notions pour écrire ou faire un reportage pour la télévision
ou la radio. Sinon, ensuite, et comme c’est le cas en Espagne,
des personnes sans connaissances se retrouvent à occuper
un poste de « journaliste » et cela décrédibilise la profession.
Pendant ma deuxième année à l’université, j’ai commencé
à prendre contact avec des médias locaux. J’ai fait un stage
pendant quelque mois pour une petite radio. C’était intéressant
car je faisais tout le travail : chercher l’info, prendre les sons,
écrire le texte, etc. Je me confrontais avec différents problèmes
: plus de batterie, plus de disque pour enregistrer, mais il y
avait toujours des collègues d’autres médias qui étaient là pour
me sauver. A cette époque, je n’ai pas senti de discrimination
à mon égard, bien au contraire, il y avait une fraternité entre
membres de « la même communauté ». Cette expérience m’a
donné encore plus envie de continuer à faire ce que je voulais.
“Pourquoi un média te prendrait, toi, au lieu d’un journaliste français ?”
Recadrage
Marseille, 12-2012 n°15
Page 7
Pendant ma troisième année, j’ai fait un stage au sein d’un
magazine régional. C’était une expérience complètement
différente : la façon de travailler, l’ambiance. Le magazine
était trimestriel, donc nous avions beaucoup de temps pour
écrire nos reportages. Mais c’était moins intéressant d’un
point de vue journalistique car on faisait du publi-reportage.
On était là pour écrire de belles choses sur une ville, un
restaurant ou pour l’entité qui avait acheté de la publicité.
En septembre, j’ai pris un avion et je
suis partie en Corse pour faire mon
année d’étudiante Erasmus. C’est une
année qui restera gravée dans ma tête
pour le reste de ma vie. Pas au niveau
de la formation, car il y avait beaucoup
de matières que j’avais déjà faites, mais
au niveau personnel. L’expérience m’a
permise de faire une exposition photo,
et de commencer à me familiariser
avec le français. Après une année
magique, je suis rentrée chez moi pour
finir mes études. En juillet, j’ai eu
mon diplôme, et j’ai commencé un
nouveau stage. Cette fois, je l’ai fait
dans une agence de communication.
Dès le premier jour du stage, j’ai dû
tout faire : des nouvelles pour la radio régionale, des articles
pour notre site web, des communiqués de presse, etc. Cette
expérience m’a montré les deux côtés de la communication :
le journalisme et en même temps la communication dans son
sens pur. Je préférais sortir couvrir une nouvelle plutôt que
rester au bureau pour travailler sur un dossier de presse. J’ai
eu la chance dans tous mes stages de trouver de gens ouverts,
qui m’ont beaucoup appris, et qui m’ont surtout donné la
possibilité d’exercer ma profession. Après un an de stage, je
suis partie car il n’y avait pas d’argent pour garder une stagiaire.
Nous étions alors en 2010, et la crise se faisait déjà sentir en
Espagne. Trouver un travail commençait à devenir compliqué,
et cela a été mon excuse pour faire mes valises et rejoindre mon
copain, en France. Quand je suis arrivée à Marseille, j’avais
mon diplôme, et je croyais donc que j’avais tout ce qu’il me
fallait. Mais trouver une première expérience n’a finalement
pas été si facile que ça. J’ai envoyé des CV aux offres qui me
convenaient le plus. Mais la réponse était toujours la même : «
Non ». J’ai vite compris que sans un diplôme français, j’allais
avoir du mal à trouver un travail en tant que journaliste.
Mais je ne perdais pas espoir, et en novembre 2010 j’ai rejoint
le Marseille Bondy Blog. Ils m’ont donné la possibilité d’écrire,
et je les en remercie énormément. Dans cette équipe, la
discrimination n’a pas la place. Certaines personnes peuvent
penser qu’un blog ce n’est pas du vrai journalisme… Mais le
rédacteur en chef du site était un journaliste
avec un diplôme ! Je continue toujours à
écrire pour ce blog, car je peux ainsi faire
du journalisme sans pression. En avril
2011, j’ai fait mon Service Civique auprès
de l’association marseillaise Eurocircle, et
j’ai commencé à travailler pour le projet
In Other Words. En septembre, j’ai dû
arrêter parce que j’ai été prise à l’Ecole de
Journalisme et Communication de Marseille.
J’ai commencé mon Master 2 en
Communication et Contenus Numériques,
spécialité Nouveau Journalisme. Mon
année a été dirigée vers la notion de
nouveau journalisme, c’est-à-dire des
médias sur Internet. C’est à l’école où
j’ai commencé à sentir la discrimination
de l’élite journalistique. En tant que « Nouveau journaliste
», on se trouvait un degré au-dessous des « vrais J » (« Vrai
Journalisme »), on ne travaillait pas avec le même matériel, on
n’avait pas la même formation, ni les mêmes espaces de travail
et on n’avait pas en besoin de faire un test de connaissances
pour commencer la formation. Mais je suis très contente
du Master que j’ai choisi, j’ai trouvé des gens merveilleux,
compétents et solidaires lors de travaux de groupes. J’ai vu
aussi comment certains personnes n’hésitaient pas à marcher
sur les autres si nécessaire, pour leurs propres intérêts. C’est
ici qu’on commence à se former, et si on pense et agit déjà
comme ça au début, il sera très difficile de changer après,
quand vraiment on aura besoin de « lutter » pour un vrai poste.
L’année s’est très bien terminée, et malgré mon français j’ai
réussi à bien m’en sortir. Pour avoir le diplôme, on devait faire
un stage de trois mois dans un média. C’était compliqué pour
moi, je ne savais pas très bien vers où je voulais aller : vidéo,
Clara Martinez
In Other Words NEWS Page 8 Recadrage
“Comment j’ai plongé dans la marmite.”radio, presse écrite… La seule chose dont j’étais sûre, c’était
est que je ne voulais pas travailler dans un média quotidien,
car même aujourd’hui je ne me sens pas prête. J’avais peur de
ne trouver personne pour me prendre en stage, parce que ma
langue maternelle n’était pas le français. Finalement, MAGMA
(magazine trimestriel étudiant) m’a donné acceptée. J’écrivais
des articles pour le magazine papier, mais également pour le site
web. En même temps, comme ils font aussi de la vidéo, j’ai eu
la possibilité de « jouer » avec la caméra et les programmes de
montage. Encore une fois, je n’ai pas senti de discrimination
du fait que j’étais étrangère. Au contraire, ils m’ont toujours
aidée et ils m’ont accordé beaucoup de confiance lors de la
rédaction de mes articles. Quand la rédactrice en chef devait
corriger mes articles, elle me disait : « Ne t’inquiète pas, je
corrige aussi les Français ». Et ces mots me soulageaient,
même si la correction était plus importante pour moi.
En septembre dernier, j’ai fini mon stage et je me suis retrouvée
face à un marché du travail très compliqué, principalement en
raison du contexte économique dans lequel nous évoluons
aujourd’hui. Je devais chercher un travail en tant que journaliste,
et je ne savais pas vers où et qui me tourner. Je voulais, et je veux
encore, chercher un magazine faisant montre d’une sensibilité
écologique et sociale. Mais la plupart des contrats ne s’adaptent
pas aux circonstances. C’est ici, dans un contexte en dehors
de la faculté, que je ressens de la discrimination. Le fait d’être
étrangère me complique les choses. Un jour une dame m’a dit
: « Pourquoi un média te prendrait toi, au lieu d’un journaliste
français ? ». Je dois avouer que cette phrase m’a fait croire que
je ne travaillerais jamais comme journaliste en France. Mais
depuis, son discours a changé, et maintenant elle pense que «
mon français est formidable ». Donc je reprends la morale, et
je pense qu’un jour, je trouverai un média où j’aurai une place.
Je pense profiter de Marseille 2013 Capitale Européenne de la
Culture pour travailler pour des médias espagnols, et pourquoi
pas, pour des médias français qui cherchent un nouvel angle
pour cet événement. Nouvelle année, nouvelles chances !
Par Samir Akacha, journaliste français
C’est peut-être à cause de Tintin. Ou encore de Clark
Kent. Je ne me souviens pas enfant de mon premier
déclic pour le journalisme, mais entre devenir président,
égyptologue ou pilote de vaisseau spacial, le désir d’être
reporter est celui que j’ai nourri le plus longtemps.
A la faveur d’une découverte fortuite dans le journal,
j’apprends l’existence d’un atelier de journalime gratuit,
encadré par deux membres de la profession. C’était il y a trois
ans. A cette époque, la croyance la plus fortement partagée
par la population française, et par mes parents, était le
mythe du diplôme. Peut-être devrais-je préciser mon parcours
universitaire. J’obtiens mon Bac L il y a six ans, avant de me
diriger vers une classe prépa. Objectif: obtenir le concours
d’entrée à Sciences Po. Mon choix se porte sur l’histoire
l’année suivante, n’ayant pu obtenir le graal. Mauvais choix.
Malgré un fort intérêt pour la matière, je ne me sens pas à ma
place, même si cet essai m’offre l’opportunité durant tout un
semestre d’apprendre le roumain : «Bonjour, je suis Samir, je
suis de l’université de Provence, merci, père Noël». Il n’en reste
pas grand chose, mais je me familiarise avec une culture et
une langue magnifique, bien loin des clichés colportés par ces
hordes médiatiques sensationnalistes. Au mois de décembre
donc, face à ce malaise insupportable, je prends la décision
de quitter l’université. Ce fut un choc pour mes parents, qui,
comme le reste de la population française, pensaient ma réussite
à jamais compromise. Ce fut la meilleure décision de ma vie.
Perdu, mais rompant avec un modèle de réussite stéréotypé,
je me convaincs que le reste de l’année, j’en profiterai pour
me construire, élaborer mon projet d’avenir et apprendre par
moi-même et sur moi-même. Oubliant ces bonnes résolutions
une fois devant mon écran d’ordinateur, je me crée un avatar
et me plonge dans Second Life, cette simulation de vie en
ligne, qui a bien failli devenir ma seule et unique réalité. Mais
une chose extraordinaire en est ressortie. A force de parler à
d’autres personnes du monde entier à travers mon avatar, je
finis par maitriser la langue de Shakespeare, exploit qu’il me
fut presque impossible à réaliser durant ma scolarité. Trop de
grammaire et pas assez de conversation sans doute. Avec cette
connaissance, je me rends compte qu’il est possible d’évoluer
concrêtement en dehors de tout cadre institutionnel.
Marseille, 12-2012 n°15
Page 9Recadrage
Mais n’ayant pas nombre d’options devant moi, je reviens
vers l’université, pour rassurer mes parents, et peut-être aussi
moi-même. Cependant, ma liberté me manque, et je profite
de chaque opportunité pour échapper à une monotonie
affligeante. Je rejoinds le Pandore Libéré, journal étudiant,
qui m’offre là la chance d’envisager ce métier sérieusement.
Pendant un peu plus d’une année, je m’occupe des pages
débat, développe mon réseau et me familiarise avec le monde
associatif. Cette connexion entre media et monde associatif
n’allait plus jamais me quitter. A la
faveur d’un vaste mouvement de
protestation étudiant, conduisant
au blocage de la faculté, j’en profite
pour quitter une nouvelle fois le
système. J’avais dédié cette année
aux Lettres Modernes. Matières
passionnantes, mais sans chemin
sûr vers un avenir certain. C’est à ce
moment là que je rejoins l’Atelier
Journalisme de Marseille (AJM).
En parallèle de mes «études», j’apprends donc les bases du
journalisme, discute d’actualité et de presse, jusqu’à avoir la
certitude qui manquait à ma vie : j’allais devenir journaliste.
Ce monde s’est ouvert à moi, et ma vie a commencé à
s’accélérer. Après cette formation, direction Paris pour
un stage au mensuel Regards, puis la Grèce avec Safar
Expéditions Jeunesse, une association média, afin de réaliser
un documentaire sur la révolte des jeunes. Après un service
civique à Animafac et un réseau encore plus étendu, je
pousse les portes d’Eurocircle cette fois, pour donner une
dimension internationale à mon parcours. Pologne, Slovénie,
Allemagne, Luxembourg, Espagne, je multiplie les échanges
de jeunes et les trainings, me formant sur la créativité, les
nouveaux médias et d’autres problématiques européennes.
Mais l’expérience la plus emblématique reste la Suède, où
j’effectue un service volontaire européen de sept mois.
Avec une équipe de mon centre de jeunesse à Göteborg,
nous créons un club média, qui se conclut par l’organisation
d’un grand débat. Trois partis politiques et le mouvement
Occupy Göteborg répondent à l’appel, pour discuter du
traité ACTA. Ce fut une sorte de consecration : il m’était
donc possible de tout faire, même de devenir journaliste,
à force d’expériences, de rencontres et de voyages. Ces
expériences me confortent dans mes choix, je commence
même à cultiver une certaine fierté de ne pas être diplomé,
d’avoir un parcours atypique, quand je vois tout autour de
moi les difficutés de certains amis à s’accomplir, malgré
leurs masters. Le mythe du diplôme s’effondre, et la société
qui me pensait perdu me regarde avec un oeil différent.
De retour à Marseille, et après un stage au mensuel Le Ravi,
l’association qui organise l’AJM et s’occupe du Marseille
Bondy Blog, auquel je collabore
depuis trois ans, m’engage pour
développer de nouveaux projets,
notamment autour de la vidéo.
Aujourd’hui, j’ai pour objectif
de retourner en Suède en tant
que journaliste freelance. Je veux
devenir reporter parce que j’ai soif
d’apprendre, de connaître et savoir.
J’aime également échanger, partager
et débattre. L’écriture, la photo et la
vidéo viennent compléter ces motivations. J’ai l’impression
que c’est l’un des seuls métiers que je serais heureux
d’exercer. Confucius a dit un jour: «Choisis un travail que tu
aimes, et tu n’auras pas à travailler un seul jour dans ta vie».
Samir Akacha
EUROCIRCLE47 rue du Coq13001 Marseille
Tel : +33-(0)491429475Fax : +33(0)491480585
E-Mail : [email protected]
Agenda
www.inotherwords-project.eu
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Dictionnaire de l’homophobie (PUF, 2003).
Ce dictionnaire a pour objectif d’expliquer
et d’étudier l’homophobie. C’est un ou-
vrage collectif, rédigé par des universi-
taires et des spécialistes de l’homophobie
et dirigé par Louis-Georges Tin.
Ce dictionnaire représente un véritable état
des lieux de l’homophobie dans le monde.
Marseille, 12-2012 n°15
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concernant les médias, réalisé par Gilles Balbastre et Yannick Kergoat.
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