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Notes du mont Royal
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www.notesdumontroyal.com 쐰
RETOURÀL’ENTRÉEDUSITE ALLERALALISTEDESAUTEURSARABES
FERDOWSI/FIRDOUSI
LIVREDESROIS
TomeI:Préface—Introduction—Kaïoumors,1erroidePerse —Houscheng—
Thahmouras,LevainqueurdesDivs—Djemschid—Zohak—Feridoun—Minoutchehr
—Newder—Zew,filsdeThahmasp —Guerschasp—Keïkobad—KeïKaous:Guerre
contreleMazenderan.
TomeII:Préface—KeïKaous(suite) :ExpéditiondeKeïKaousdansle
Berberistan,etautreshistoiresHistoiredeSiawusch-HistoiredeSohrab-
HistoiredeSiawusch.-.DépartdeKhosroupourlepaysd'Iran —KeïKhosrous
:PremièreguerrecontreAfrasiab.
TomeIII :Préface—KeïKhosrous(suite):HistoiredeKamousdeKaschan-
CombatdeRustemetduKhakandelaChine-HistoireducombatdeRustemcontre
leDivAkwan-HistoiredeBijenetdeMenijeh-Histoireducombatdesdouze
champions.
TomeIV:Préface—KeïKhosrous(suite):LagrandeguerredeKeïKhosrou
contreAfrasiab—Lohrasp—Guschtasp-histoiredesseptstations- Combat
d'IsfendiarcontreRustem.-AventuredeRustemetdeScheghad
TomeV:Préface—Bahman,filsd'Isfendiar—Homaï—Darab—Dara,filsde
Darab—Iskender—DynastiedesAschkanides—DysnastiedesSassanides:
ArdeschirBabekan-Schapour(filsd'Ardeschir),SaporI-Ormuzd(filsde
Schapour),HormisdasI-Bahram(filsd'Ormuzd),VaranesI-Bahram(filsde
Bahram),VaranesII-Bahram(filsetpetit-filsdeBahram)VaranesIII-Nersi
(filsdeBahram),NarsesI-Ormuzd(filsdeNersi)HormisdasII-Schapour
DhoulAktaf,SaporII-ArdeschirleBon,ArtaxerxesII-Schapour(filsde
Schapour),SaporIII-Bahram(filsdeSchapour),VaranesIV-Yezdeguerdle
Méchant,IsdegertesI-BahramGour(1èrepartie),VaranesV.
~TomeVI:Préface—BahramGour(2èmepartie),VaranesV-Yezdeguerd
(Sipahdost),IsdegertesII-Hormuz,HormisdasIII-Pirouz,Peroses-Balasch,
Balasces-Kobad,Cavades-KesraNouschirwan,Chosroës-Hormuzd,Hormisdas.
~TomeVlI:Préface—KhosrouParviz,ChosroësII-Kobad(filsdeParviz)ou
Schirouï,CavadesII(Siroës)-Ardeschir(filsdeSchirouï),ArtaxerxesIII-
GurazappeléFérayîn,Schahr-Barz-Pourandokht,reine-Azermidokht,reine-
Farrukhzad-Yezdegird,IsdegertesIII—Tableanalytiquedesnomspropreset
desprincipalesmatières.
OeuvrenumériséeparMarcSzwajcer
RETOURÀL’ENTRÉEDUSITETABLEDESMATIÈRESDEFIRDOUSI
FERDOWSI/FIRDOUSI
LELIVREDESROISTOMEIV(partieI-partieII)ŒuvrenumériséeparMarcSzwajcer
TomeIIIpartieV
précédent
FERDOWSI
LELIVREDESROIS.
FERDOWSI
LELIVREDESROIS
TOMEIV
PRÉFACE.
Cevolumecontientl'histoireépiquedel'époquelaplusbrillantedelaPerse,pendantlaquellecepaysaleplus
agisurlemondeparl'épéeetparlesidées.Nousyvoyonsletriomphedel'IransurleTouran,l'apparitionde
Zoroastre et l'extension desa religion, le pouvoir des grands rois arrivé à son pointculminant, et les signes
précurseurs de sa décadence prochaine. Lesdernières grandes figures épiques du poème, Keï Khosrou et Afrasiab,
Isfendiar et Rustem, disparaissent ; la tradition antique va cesser,et il ne reste plus à remplir que le court
intervalle entrel'avènementautrônedeBahmanetlaconquêtedelaPerseparAlexandreleGrand.Jusqu'àcette
époqueletondulivrenechangepas,etlesmatériauxdontFirdousidisposecontinuentàêtredelamêmenature:
ilsconsistentavanttoutdanslesrécitspopulairesrecueillissouslesSassanides,auxquelslepoèteajouteles
traditionsqu'ilapuretrouveretdontilindiqueparfoisl'origine.C'estainsiqu'ilnousdonnequelquesdétails,
malheureusementbienincomplets,surlasourced'oùilatirélerécitdelamortdeRustem.
Plus on étudiera l'œuvre de Firdousi, plus on seconvaincra,jecrois,qu'iln'arieninventé,etqu'ils'est
contenté de revêtir de son brillant coloris les traditions quiformaient l'histoire populaire de la Perse. Ces
traditionsdevaientreposerdanscepays,commecheztouslespeuples,surdessouvenirsantiquesconservésdansdes
chantspopulaires,perpétuésparlatransmissionorale,ets'altérantgraduellementparl'introductiond'aventures
merveilleusesetromanesques,quisouventfinissentparrecouvrirlefondoriginalaupointdelefairedisparaître
sous leflotdesfablesaumilieudesquellesilseperd.Onpeutenvoirunexempleextrêmedanslesaventuresde
GuschtaspàRoum,quiconserventàpeineunetracedesrapportsquionteulieuentrelesPersesetlesGrecs.Rien
n'estplusintéressantpourlacritiquelittérairequelafablehéroïquedesPerses;car,paruneexceptionrare
dans l'histoire des littératures, nous pouvons la contrôlerjusqu'à un certain point, à l'aide de documents
authentiques,etnousformerparanalogieuneopinionsurledegréd'importancehistoriquequ'onpeutattribueràla
traditionpopulairechezd'autresnations,oùaucunmonumentcertainnevientànotreaide.Aureste,toutcequeje
désirefaireobserverestquenousnedevonstraiterleLivredesRoisnicommeunehistoirenicommeuneinvention
dupoète,maiscommeunereprésentationexactedelatraditionpersane,tellequ'elleexistaitauXesiècle.Tousles
fragmentsdecettehistoirepopulairequenoustrouvonsdansleslivresdesGuèbres,dansMoïsedeKhorèneetdans
leshistoriensarabesantérieursàFirdousi,coïncidenttropavecleLivredesRoispourlaisserundouteraisonnable
sur ce point. Quelquefois la forme d'une ancienneballade est si bien conservée qu'on pourrait presque la
reconstituer,comme,parexemple,cellequiadûfournirlefonddelapetiteaventureracontée.D'autresfoison
aperçoitun certain travail littéraire par lequel on s'est efforcé decoordonner des récits différents d'un même
événement, ou de réuniren une seule narration les récits de faits différents, maisanalogues. Le présent volume
offreunexempledecegenredanslerécitdesexpéditionsdeKeïKhosroucontreGangueDiz.Jenesaissiondoit
attribueràFirdousi,ouauxcompilateursdurecueildontilseservait,cetravaildecombinaison,quin'apasrendu
clair cequiauparavantétaitprobablementassezobscur;maisilestévidentquesil'auteuravaitinventécette
histoire,ill'auraitarrangéed'unefaçonplusintelligible.
LapartieduvolumelapluscurieusepourlacritiquelittéraireduLivredesRoisestlefragmentcomposépar
Dakiki,etconservéparFirdousi,unpeuparpitiépourlamémoiredesonprédécesseur,unpeuparvanitéd'auteur
quiveutmontrersapropresupériorité.Ilparleavecpeud'estimedutalentdeDakiki,etmêmeunlecteureuropéen
aperçoit la différence entre la manière de raconter des deux poètes; mais les matériaux dont ils se servaient
étaient à peu près lesmêmes, et, sous le rapport du fond et du contenu, l'œuvre de Dakikiaurait été pour nous
l'équivalentduLivredesRois.
Ilaparu,depuislapublicationdutroisièmevolume,quelquesouvragesrelativeàFirdousi;voiciceuxdontj'ai
eu connaissance :Mohammed Mehdi, d'Ispahan, a publié à Téhéran, l'an 1267 de l’hégire(1850), une édition
lithographiéedeFirdousi,enunvolumein-folio…C'est,autantquej'aipum'enassurer,lareproductionexactede
l'éditiondeTurnerMacan,depuislapréfacepersanedecelui-cijusqu'àl'appendice.
M.Nasarianz,professeuràl'InstitutarméniendeLazarow,àMoscou,abienvoulum'envoyerlasecondepartied'un
essaidecritiquelittéraireethistoriquedeFirdousiqu'ilapublié…(Aboul-KasimFirdousi.deThous,auteurdu
LivredesRois,etc.parStephanNasarianz;Moscou,1851,in-8°).
EnfinM.deSchackafaitparaîtreàBerlindeuxchoixdetraductions,enversallemands,desépisodeslesplus
importantsduLivredesRois,souslestitressuivants:HeldensagenvonFirdusi,zumerstenMalemetrischausdem
Persischenübersetzt,nebsteinerEinleitungüberdasiranischeEpos,vonA.F.vonSchack;Berlin,1851.in-8°;et
EpischeDichtungenausdemPersischendesFirdusi,vonA.F.vonSchack;Berlin,1853,2vol.in-8°.
L'impressionduprésentvolume,commencéeen1847,puisinterrompueen1848parsuitedesévénementspolitiques,
n'aétéreprisesérieusementqu'en1851.Celongintervallemeservirapeut-êtred'excusepourquelqueschangements
danslatraductionetdansl'orthographe;c'estainsiqu'ontrouveraaucommencementlelacdeZereh,etplustard
lamerdeZereh;demêmelamerdeKeïmak,etplustardlamerde Kaimak,etpeut-êtred'autresirrégularitésdu
mêmegenre.
FERDOWSI
LELIVREDESROIS
SUITEDUREGNE
DEKEÏKHOSROU
*****************
LAGRANDEGUERREDEKEÏKHOSROUCONTREAFRASIAB
LOUANGEDUSULTANMAHMOUD.
QuelesbénédictionsdeDieusoientsurceroiquifaitlesdélicesdutrône,delacouronneetdusceau;surle
maîtredelagloireetdesrichesses,lemaîtredel'épée,delacottedemaillesetdestravauxdelaguerre!Son
trésor souffre de seslargesses,maissonpouvoiretsafortunes'enaccroissent;sonarmées'étendd'unemerà
l'autre;lemondereposesouslesailesdesondiadème.Ilnerestepasd'ordanslesminesdelaterrequinesache
qu'ildoiveêtredistribuéparlui.Leroiprendl'oràsesennemisetledonneàsesamis;Dieu,quiaccordela
victoire,estsonsoutien.Ilprodiguesestrésorsdanslesfestins;maisquandarrivelecombat,ilprouvequ'il
sait endurer les fatigues ; il fait porter fruit aux branchesdel’arbre de la foi et de l'intelligence, et une
simpleopiniondeluiestplussagequelaraison desautres;saprévoyancelegarantitdetoutmal,etDieuest
toujourssonrefuge.Quandilattaqueavecsonépéetranchante,ilbouleverselemonde;samain,quifrappeavecle
fer,répanddesjoyaux;ilnedemandesurlaterrequelagloiredemériterduciellenomd'unemerdegénérosité,
quandilestassisaubanquet,etd'unlionàvisagedesoleil,quandilestaumilieudelabataille.Laterreetla
mer,etlesoleildanslescieux,témoignentquejamaisiln'yaeuunroipareilàluiencourage,engénérosité,en
ardeurpourletravail,engloireetenrenom;et,s'ilnemêlaitpaslatendresseàlabravoure,ileffraieraitles
astresparsonregard.Soncorpsestpleindeforce,etsonarméesiserréequeleventnepeutpasserautravers;
derrièresestroupessetiennentseptcentséléphantsterribles;Dieuetl’angeGabrielsontsesalliés.Ildemande
destributsàtouslesrois,àtouslesgrands,àtouslesbraves;ets’ilss'yrefusent,ilprendleursprovinces,
leurstrésors,leurscouronnesetleursdiadèmes.Quioseraenfreindresestraitésoudésobéiràsesordres?Ilfait
brillerletrônedelaterre,etdanslabatailleilestcommeunemontagnecouverted'unecuirasse.
LeroiAbou'lkasim,levaillanthéros,quiarracheraitunonagredesgriffesdulion,Mahmoud,lemaîtredumonde,
qui dans le combat abaisse dans la poussière les têtes lesplus hautes, puisse-t-il rester roi, et son puissant
drapeau formerlediadèmedelaluneaussilongtempsquelemondeseramonde!carilestl'ornementducielqui
tourne;assisaufestin,ilestlenuagequilaissetomberlapluie.C'estunroiintelligent,glorieuxetjuste;
puisselemonden'êtrejamaisprivédesatêteetdesondiadème!Ilaunearméeetducourage,destrésorsetun
conseiller;ilaimeégalementlescombats,lesfêtesetlesfestins.Unseultapis(domination)aétéétendusurle
monde,etsatracenes'effaceraplus;etlàoùsetrouventsurcetapislecoussinetlesiège,estlaplacede
Fadhl,filsd'Ahmed,surquireposelapaixdecetempire,etquiestlasourcedel'intelligencedanslatêtedes
grands. Jamais les Khosroès n'ont euun ministre comme lui, modéré, généreux, croyant, sage, éloquent,sincère,
incorruptible,dévouéauroietadorateurdeDieu.Ceministre,savantetjuste,amisfinàmespeinesinnombrables.
J'aimisenverscelivredetraditionsempruntéesàunvieuxrecueil,espérantqu'auxjoursdemavieillesseil
porteraitfruitetmedonneraitdelagrandeur,del'oretundiadème.Maisnevoyantpasderoigénéreuxbrillersur
letrônedesKeïanides,jegardaismonlivrejusqu'àcequejevisseparaîtreunhommelibéral,dontlamunificence
n'auraitpasbesoindeclef;undéfenseurdelafoi,ungardiendelacouronne,quiillustreraitlediadèmeetle
trôned'ivoire,quiseraitpuissantdanslecombatdesbraves,quiconnaîtraitlesecretdeschoses.C'estainsique
j'ai traversé soixante-cinq années dans lapauvreté, la misère et les fatigues ; lorsque cinq années se furent
ajoutéesauxsoixante,jefuslasetcommeivredessoixante-six.Majoue,quiavaitressembléàlatulipe,était
devenuejaunecommelapaille;etmescheveux,noirscommelemusc,avaientprislacouleurducamphre;mastature
droitesecourbaitsousl'âge,etmesyeuxdenarcisseperdaientleuréclat.Quandj'euscinquante-huitans,j'étais
encorefort,quoiquemajeunessefitpassée;j'entendisungrandcridanslemonde,annonçantquelestêtesétaient
délivréesdessoucisetlescorpssoustraitsauxdangers;queFeridounlesageétaitressuscité;quelesiècleet
laterreétaientsesesclaves;qu'ilavaitconquiscemondeparsajusticeetsamunificence;qu'ilportaitlatête
plushautquelesroisdesrois,etquelestracesdesonhistoireétaientbrillantes.Puissentl'empreintedeson
piedetsesracinesdureréternellement!Depuisquej'aientenducecri,jeneprêtel'oreilleàaucunautrebruit.
J'aicomposécelivreaunomduroi;puissenttouteslesgrandeursêtresonpartage!Carlemaîtredel'épée,dela
couronne et du trône sera mon soutiendans la vieillesse ; et je ne demande au Créateur tout-puissant quede
m'accorderassezdeviepourachevercelivreaunomduroidumonde,etfaireentendremavoix;ensuitemonvil
corpsappartiendraàlapoussière,etmonâmevivanteauxsaintesminesduparadis.
Legénéreuxmaîtredumonde,ledispensateurdelajustice,quiafaitparaîtresurlaterrelabravoure,lemaître
del'IndeetdelaChine,del'IranetdupaysdeTouran,lemaîtredelasplendeuretdupouvoirsuprême,luique
n'osentapprocherlescalomniesetlesmauvaisesparoles,luidontlavoixfendlesmontagnesetlesrochers,quiest
uncrocodiledansl'eauetunléopardsurlaterre,lemaîtredumonde,Mahmoud,quiressembleausoleil,leliondes
combatsquifrappedel’épée,memettraau-dessusdetouslesbesoins,etmeferaporterhautlatêteaumilieudes
héros.Puissentsatêteetsontrôneêtreéternels!puissesafortuneégalerledésirdesesamis!Quandilest
assisaufestin,l'orn'estpourluiquedelapoussière,etsoncœurnecraintpasdelerépandre.Vaillantserait
celuiquisauraitlecélébrer,etsijelecélèbre,quiest-cequimecomprendra?Carc'estunroiau-dessusde
touteimaginationetdetoutepuissance;ilestcommelediadèmesurlatêtedeJupiter.
J'aifaituneœuvre,ôroi,quiresteracommeunsouvenirdemoidanslemonde.Lespalaisquel'onélèvetombent
enruinessouslapluieetl'ardeurdusoleil;j'aiconstruitavecmesversunpalaismagnifique,auquellatempête
etlapluienenuirontpas;lesannéespasserontsurcelivreettousleshommesdesensleréciteront.Queleroi
maîtredumondesoitbéni!quejamaispersonnenevoieletrôneprivédelui!Sesœuvressontseslouanges,etla
terre entière est remplie de ses traces. Hélas ! jesuis impuissant à le louer, mais je veux au moins bénir la
poussièredesespieds.Quelemondeentierviveparsagrâce,quel'intelligencecélèbresafortune.Soncœurest
toujoursjoyeux,commelegaiprintemps,aumilieudecemondequichange,etilrendjoyeuxlecœurdupeuple;il
esttoujoursvictorieuxetsaparoleesttoujourssublime.Puisseleroidesroisdemeurerdanssagloireetdansson
bonheur!puisselemauvaisœilresterloindelui!puisse-t-ilêtreau-dessusdetoutbesoin,aussilongtempsque
tourneralecielsphériqueetquelesastresletraverseront!Jecontinueraiàmettreenverscevieuxlivrecomposé
detraditionsvéridiques.Jen'aipasbesoindesavisd'unmaîtrepourmontrerlesrévolutionsdusort;etpuisqueje
suisarrivéauxcombatsdeKeïKhosrou,ilfaudraentendredesaventuresdemagie;jeferaipleuvoirdesperlessur
cettehistoire,jesèmeraidestulipessurlespierres.J'aipumaintenanttissercedrapd'or,parcequej'aitrouvé
depuislongtempscequifaitvivrelaparole.Otoiquiobserveslepassé,tantôttuesjoyeux,tantôttuesremplide
chagrin ! Que cette voûte du ciel au mouvement rapide est étonnante! l'âme en est accablée de peines toujours
nouvelles.Lapartdel'unn'estquemieletsucre,santé,viedélicateetgrandefortune;lesannéesd'unautresont
rempliesdedouleursetdefatigues,etsoncœurestserrédanscemondepassager;laviedutroisièmes'écouledans
lesdéceptions;tantôtilestenhaut,tantôtenbas.C'estainsiquelesortnousélève,etladouleurproduitepar
lesépinesestplusgrandequeleplaisircauséparlacouleurdelarose.Quiconqueentredanssasoixantièmeannée
ne peut plus comptersur ce qui est au-delà ; peu d'hommes dépassent soixante et dixans, et moi, qui ai subi
l'influencedesrotationsduciel,jesaisque,sionlesdépasse,iln'yaplusquemalheurs;etilfautpleurer
unetellevie.Silessoixantefiletsdesannéesétaientdesfiletsàpoisson,l'hommeintelligentytrouveraitune
issue;maisnousn'échapponspasaucielquitourneniàlavolontédumaîtredusoleiletdelalune.Lemaîtrede
laterreabeaulutterpéniblement,aimerlescombats,jouirdesestrésors,ilfautqu'ilpartepourl'autremonde
etlaisseicitoutcequiétaitlebutdesesefforts.PrendslesortdeKhosroucommeunexemple,acceptecomme
nouvellescesvieilleshistoiresdumonde;apprendsqueKhosrou,avecl'épée,laruseetlesstratagèmes,apunison
grand-pèredelamortdesonpère.Ilatuésongrand-père;maislui-mêmen'estpasrestésurlaterre,etlemonde
acessédeliresesordres.Telleestlaloidecemondepassager;efforce-toideresteréloignédetoutepeine.
*******************
COMMENCEMENTDURÉCIT.
KEÏKHOSROUREUNITUNEARMEECONTREAFRASIAB.
LaluttedeGouderzetdePiranétantterminée,leroivictorieuxsepréparapourunenouvelleguerre,etdetous
côtésarrivèrentlesgrands,accompagnésd'arméesinnombrables.Lebruitdestrompettesmontaversleciel,etl’on
dressadanslaplainelesenceintesdestentes;onplaçasurledosd'unéléphant un trône de turquoise, et la
surfacedelaterreondoyaitcommeleNil.Leroi,ceintdelacouronne,montasurcetrône,etunbruits'élevadela
plaineetdelacour;iln'yavaitpasdeplacepourdormirdanslavillenipourmarcherdanslacampagne.Lorsque
leroi,assissursonéléphant,eutdonnélesignaldelaguerreenjetantlesboulesdanslacoupeetens'armant
pourlecombat,iln'étaitpluspermisàpersonnedansl'empirededemeurerautrepartqu'àlacourduroi:telétait
lecommandementdel'illustreKhosrou,quiportaithautlatête.Ilenvoyadesordressurtouteslesfrontièresoùil
avaitdirigédesarméespourvuesdesesconseilsetdesesinstructions,àLohrasp,Aschkeschpromptàfrapper,qui
tiraitlecrocodiledufonddelamer,puisàl'illustreRustem,lePehlewanbien-aimé,nobleettoujourscalme;et
ilrappelaàlacourtousceuxquiétaientbravesetavidesdecombats.Ensuiteilouvritsestrésorsetpayala
solde del'armée;ilparlabeaucoup desmânesdesonpèreetdistinguaparmilafouletroishommesàlaparole
facile,aucœurserein,etpromptsàfrapperdel’épée:Rustem,legrandPehlewan;Gouderzlesagace,levieuxloup
; enfinThous,lePehlewanauxbottinesd'or,quiportaitledrapeaudeKaweh.Leroidumondeleurdit:Hommes
illustres, princes fortunés!lesdignitésetleshonneursquejevousaccordedépassenttoutcequ'aucunhommea
jamaisrêvé.Mettez-vousenroutedetroiscôtésetpréservez mon arméedescoups de l'ennemi. Je necesserai de
combattreAfrasiabnipendantlejourbrillantnipendantlesheuresdusommeil.J'aiappeléunearméedetoutesles
provinces,etjemèneraiàbonnefincetteguerreetcettevengeance.
Il choisit dans sa cour des envoyés éloquents, intelligents et bonsconseillers ; il fit écrire dans chaque
province,àtousceuxquiavaientdurenometdel'indépendance,unelettredisant :KeïKhosrou,levictorieux,a
donnélesignalsurledosdesonéléphant,etlemondeestdevenusemblableauNil.Nevouslivrezdoncniaurepos
niausommeil,maispréparez-vousàlaguerrecontreAfrasiab.Cettelettreayantétéluepartouslesprincesqui
commandaientdansl'empire,lesbravesdumondeentierpoussèrentuncriquifitbondirlaterrecommebondissentles
vaguesdelamer,etlesgrandsdetouteslesprovincessedirigèrentavecleurstroupesverslacourduroi.
Touslesgrandsdetouslespaysayantéquipéleurstroupespourlaguerre,Khosrouvisitacesdifférentesarmées
etétablitdetouscôtésdescamps.Ilchoisitparmicestroupesrenomméestrentemillecavalierspromptsàfrapper
del'épée,etplaçaauprèsdelui,aucentredel'armée,ceshommesquiavaienttrempélesmainsdansdusangpourse
préparerau combat. Ilassignad'uncôtéuneplaceàThous,puisàMenouschanetKhouzanauxsagesconseils,qui
étaientroisdansleKischwerdeFarsetqu'accompagnaientdesgrandsauxcasquesd'or;l'unétaitroiduKhouzistan,
etdanslescombatslecompagnondelafortune;l'autreétaitroideKerman,etilnepensait,àl'heuredela
bataille,niauxconseilsniauxretards;plusloinilplaçaArischavidedecombats,etleroideGouran,lehéros
destructeurdesarmées;Sabbah,lesavantroiduYémen;Iredjaucœurdelion,aucorpsd'éléphant,lemaîtredu
monde,levictorieuxetpuissantroidupaysdeKaboul;SchemmakhSouri,roidesSouriens,armépourlecombat;plus
loin, Guiweh, le guerrier toujours victorieux, ledestructeurdesarmées,leroidupaysdeKhawer,lemaîtredu
monde,lesavant,lepur.IlplaçaàsagauchetouslesdescendantsdeKeïkobad,princesdistinguésparlesavoiret
lanaissance,etlesmitsouslecommandementdeDilafrouz.LesgrandsdelafamilledeZerir,quifrappaientavec
leurépéependantlanuit,malgrélesombrebrouillard;BijenfilsdeGuiv,avecRehhamlebrave,queleroicomptait
parmisesgrands;GourguinfilsdeMilad,etleshérosdeReï,quiétaienttousarrivésselonl’ordreduKeïanide;
enfinlefilsdeZerasp,l'adorateurduglorieuxAdergouschasp, se placèrenttous derrièreKhosrou pourformer sa
garde,etleurslancesperçaientlebrouillard.
EnsuiteilconfiaàRusteml'ailedroite,corpsdetroupesquiétaitcommeunseulcœuretunseulhomme;ilplaça
àdroitetousceuxquivenaientduZaboulistan,mêmelesprincesetlesparentsduDestan,pendantqu'ilréclamait
pourlui-mêmetoutl'honneurettouteladirectionducombat.Ilchoisitensuitepourformerl'ailegaucheunearmée
brillante comme le soleil au signe duBélier. Le Sipehdar Gouderz fils de Keschwad s'y trouvait avec leSipehdar
Hedjir,FerhadetlesgrandsdeBerdaetd'Ardebil,formantdesescadronsdevantlemaîtredumonde,ilsdemandèrent
àêtrecommandésparGouderzetseplacèrentàgauchedesestroupes.EnsuiteKhosrouordonnadecouvrirlecentrede
l'arméeparunerangéed'éléphantsdeguerre;onplaçalestourssurledosdeséléphants,etlaterretremblasous
euxcommeleseauxduNil.Onfitmonterdanslestoursdesmilliersd'archersvaillantsdanslecombat;ettrois
centscavaliers,tousavidesdebataillesetguerriersillustres,formaientlagardedechaqueéléphant.Ilordonna
auxhérosdeBagdad,quiaccompagnaientZenguehfilsdeSchaweran,àcettetroupechoisieparmileshommesdeKarkh,
deserangeràpied,armésdeleursarbalètes,devantleséléphants.Siunemontagneprofondededeuxmilless'était
trouvéedevanteux,ilsauraientpercélecœurdurocheravecleurstraits;personnenepouvaitrésisteràleurs
coups. Derrière les éléphants se tenaientdes fantassins portant des lances longues de neuf coudées, faitespour
percer les têtes ; ils tenaient devant eux des boucliers duGhilan, et le sang bouillonnait dans leurs cœurs.
Derrière ceshommes qui portaient des lances se trouvait une lignede braves couverts de boucliers et armés de
flèches qui perçaientlescuirasses,etderrièreeuxdescavaliersvaillantsdontlescarquoisétaientremplisde
flèchesenboisdepeuplier.Ensuiteleroiformauncorpschoisidetroupesdel'Occidentmuniesdeboucliers,de
cuirasses et de casques de Roum ; c'étaient trentemille braves qui portaient haut la tête, et qu'il confia à
Feribourz,levaleureuxcavalier,etàTokhar,roiduDehistan,quiméprisaitsesennemis;Tokharétaitissudela
racedel'illustreDeschmeh,famillealorstrèspuissante.ÀcôtédeFeribourzsetrouvaitNestouh,autourduquelse
pressaitunefouledegrandsetdechefsaguerrisquivenaientdudésert,descavaliersarmésdelances.Àleurtête
marchait Hedjirdevant lequel un lion n'étaitqu’une faible gazelle.Khosrou lui ordonna de se placer à côté de
Nestouh, et l'aile gauchede l'armée devint comme une montagne. Il y avait encore les troupesdu Roum et du
Berberistan, sous un chef nommé Leschkersitan :c'étaient trente mille hommes, fantassins et cavaliers, qui se
rangèrentàlagaucheduroi.EnsuiteilyavaitunearméedebravesduKhorasan,ambitieuxetconnaissantleshommes
; leur chef étaitMinoutcher, fils d'Ariseh, qui les conduisaitaux lieux où s'acquiert la gloire. Au-delà se
trouvaitunhommeillustre,delafamilledeKeroukhan,unprincedelaracedeKeïkobad,appeléleroiFirouz,un
chef qui enflammait les cœurs etanimait lesarmées ; il était roi de Garteheh et ressemblait à un lion qui
terrasserait un éléphant furieux. Le roi les plaça à côté deMinoutcher, et nomma le chef de cette famille
ordonnateur del'armée.Ensuites'avancèrentlesgrandsdumontKaf:ilsmarchaientfièrement,armésdelanceset
d'épées;c'étaitunetroupedelasouchedeFeridounetdeDjamschid,dontlecœursegonflaitdesangquand ils
pensaientàlaracedeZadschem.Ilchoisittrentemillegrandsderaceroyalequifrappaientdel'épée,etconfia
cettearméeàGuiv,filsdeGouderz,cequiremplitdejoietoutecettefrontière.DerrièreGuivsetrouvaitYaweh,
filsdeSemkenan,etlesprincesetlesgrandsarrivèrentaccompagnésdehérospleinsdeprudenceetdecourage,et
se rangèrent derrière le Sipehdar Guiv pour le soutenir.Ensuite Khosrou envoya à leur droite dix mille braves
cavaliers quiperçaientles ennemis avec leurs poignards ; il plaçadix mille autres héros pleins de bravoure
derrière Gouderz fils deKeschwad. Berteh, qui frappait de l'épée, s'avançait au milieu decette armée avec des
montagnardsformésparpelotons,pourveniràl'aidedeGuiv;c'étaitunetroupequiportaithautlatêteetqui
étaitcomposéedevaillantsguerriers.Ilenvoyaàl'ailegauchetrentemillecavalierschoisisetpropresaucombat
;Zewarehconduisaitàlabataillecettearméedejeunesgenspleinsd'uneardeurguerrière.Ensuiteleroichoisit
dix mille braves, toushommesillustres, tous armés de lances, commandés par Karen, levaillantchefdececorps
renommé,enordonnantàcehéros,quilançaitsonchevaletdésiraitlecombat,d'occuperl'intervalleentrelesdeux
armées.PuisildonnaàGustehemfilsdeGuejdeheml’ordred'accompagnerlevaillantKaren,etaufilsdeThousdese
rendrepartoutavecdestrompettesetdestimbales;d'empêcherlesméchants,ettousceuxquin'adoraientpasDieu,
decommettredesinjustices;deveilleràcequepersonnenemanquâtdevivres,etàcequenulnefûtopprimé;de
demanderauroitoutcedontonauraitbesoin,etd'êtreentouteschosesauprèsdeluil'interprètedel’armée.
LemondeétaitcouvertdechariotsetdubétailquelefilsdeThousamenaitpourservirdenourritureàl’armée.
Il fit faire des reconnaissancesde tous les côtés par des éclaireurs ; il réveilla de leur sommeilceux qui
dormaient.Sesespionsserépandirentpartout,et,veillantsanscesse,ils'informaitdetoutcequisepassait;il
établitdes sentinelles sur toutes les hauteurs et ne laissait pass'éparpiller les troupes. Les vallées et les
montagnes, les désertset les plaines étaient remplis de la poussière que soulevait cettearméede braves qui
entrelaçaientlesrênesdeleurschevaux,quitousportaienthautlatêtepourlecombat,etdontaucunnesentaitla
fatigueoulapeur.Leroimenaitavecluisestrésors,et,ayantainsidisposésestroupes,illevajusqu'auciel
sondiadèmedeKeïanide.Lescœursdesméchantsetdesbonsn'avaientd'autredésirquelecombat.
AFRASIABAPPRENDLAMORTDEPIRANETLESPREPARATIFSDEGUERREDEKEÏKHOSROU.
LeroiduTouranétaitassisenreposdel'autrecôtédeDjadj,sursontrôned'ivoire;ilétaitassissurles
bordsduGulzarriounavecquelquesamis,tousdesgrandsetdeshéros.Ilavaitréunideuxtiersdesesmillefois
milleguerriers,unearméepourvuedetoutl'appareildeguerre,dévoranttoutsurlafrontièredupaysdeKerouschan,
feuillesdesarbres,semencesetmoissons,fruitsetbourgeons;lamortconvoitaitlemondeentier.LeroidesTurcs
setenaitàBeïkend,entouréd'ungrandnombredeparentsetd'alliés;touslesgrandsdeMatchiuetdelaChine
campaientsurlafrontièredupaysdeKeschan.Lemondeétaitremplidetentesgrandesetpetites;ilnerestait
plusd'espacelibresurlaterre.Afrasiablesage,l'ambitieux,résidaitàKunduz,jouissantdelavieetdurepos;
ilavaitfaitsademeuredecettefrontière,parcequeFeridounavaitfondéKunduzetyavaitbâtiuntempledefeu,
surlesmursduquelonavaitincrustéenlettresd'ortoutleZendavesta;CenomdeKunduzestpehlewi,commetu
dois savoir, si tu connais cette langue ; maintenant on a changé ce nom enBeïkend,car notre temps est rempli
d'imposturesetdefraudes.Afrasiab,quiétaitdescendantdeFeridoun,nesepressaitpasdequitterKunduz.Luiet
sesamiss'établirentdanslaplaine,ettoutesonarméedéfiladevantlui.Soncampétaitentouréd'uneenceinteen
brocartdeChineetcontenaitungrandnombred'esclaves.Danscetteenceintesetrouvaientdestentesenpeaude
léopard, selon la coutumeintroduite par Pescheng, roides Turcs. Dans la tenteprincipale était placé un trône
incrustéd'oretdepierresprécieuses,etleroideTourans'yasseyait,unemassuedanslamainetundiadèmesur
latête.Devantlaportedel'enceinteétaitplantéungrandnombrededrapeauxdesbraves;carquiconqueoccupait
un poste d'honneur auprès du roi,comme son frère, quelques-uns de ses vaillants fils et les plusdistingués des
grands,étrangers àsafamille,plaçaitsatenteprèsdecetteporte.Sondesseinétaitdepartirpoursoutenirson
arméeetderejoindrePiransurlechampdebataille.Maisunmatinaccourut,rapidecommelapoussière,uncavalier
qui lui rendit compte du sort de Piran, et tous les blessésrevinrentl'unaprèsl'autreenpleurantetlatête
couvertedepoussière.ChacunracontacequiluiétaitarrivéetlemalquelesIraniensavaientfait;ilsparlèrent
dePiran,deLehhak,deFerschidwerdetdetouslesgrandsquis'étaientmontrésaujourducombat;ilsracontèrent
lesmalheursquiétaientarrivéssurcechampdebataillependantlecombatetpendantlaretraite,etcomment,le
jouroùKeïKhosrouavaitparucouvrantlepaysdesestroupesd'unemontagneàl'autre,toutel’arméeétaità sa
merci,commeuntroupeaueffrayéquiavaitperdusonpâtre.
Afrasiabentenditcerécit,etsatêtesetroubla,sesyeuxsevoilèrentetsoncœurs'assombrit;ildescenditde
sontrôned'ivoireenpoussantdescris;iljetasacouronneauxpiedsdesgrands;onentenditleslamentationsde
sonarmée,etlesjouesdeshérospâlirentdedeuil;onfitsortirdelatenteduroilesétrangers,etlesmembres
desafamilleseréunirentenconseil.Afrasiabpleuraitdedouleur;ilarrachaitsescheveuxetversaitdeslarmes
ens'écriantavecamertume:Omon filsRouïn,quiportaissihautlatête;ôLehhak,quiambitionnaislapossession
dumonde;ôFerschidwerd,ôcavaliersetlionsaujourducombat!Cettebatailleneluilaissaitplusnifrères,ni
fils,nigrands,nichefsd'armées.Ilselamenta,etpritenfinunenouvellerésolution;ladouleuretleregret
qu'iléprouvaitdelapertedesonarméedevenantpluspoignants,ilprononça,danssadétresseetl'amertumedeson
cœur,cesermentsolennel:JejureparDieuquejenemesoucieplusdemontrône,etquejenecouvriraiplusma
têtedudiadème;unecuirasseseramatunique,unchevalmontrône,uncasquemondiadème;unelanceseral'arbre
souslequeljeme reposerai. Je neveux plus jouir des délices de la vie, ni vivre comme un homme quiporte la
couronne,avantd'avoirvengésurKeïKhosrou,issud'uneracemaudite,lesangdemesgrands,demescavaliersqui
frappaientdel'épée.PuisselafamilledeSiawuschdisparaîtredumonde!
Ilpoussaitencorecescris,lorsqu'ilreçutdesnouvellesdeKeïKhosrou,etappritqu'unearméeétaitarrivée
surleDjihoun,quelepaysentierétaitcouvertdetroupes.Danssadouleuretsondésespoir,ilréunitsonarmée et
parlalonguementdePiran,dusangdesonfrèreFerschidwerd,deRouïnetdetantdebraves,lionsaujourducombat.
Voicilemoment,dit-il,denousvenger,deverserdusangetd'attaquerGuivetRustem.Jemedonnetoutentieràmon
amourpourlesmensetàlavengeancequejeveuxtirerdel’Iranetdesonroi.LesgrandsduTouranrépondirentà
Afrasiab,lesyeuxremplisdelarmes:Noussommestouslesesclavesduroi,nousbaissonslatêtedevantsesordres
etsesdesseins.Jamaismèren'amisaumondedesfilstelsquePiran,RouïnetlenobleFerschidwerd.Nousvoici
maintenantdevantleroi,noustous,grandsetpetits,etquandnousverrionslesmontagnesetlesvalléesconverties
enunemerdesang,nosguerriersrenversésetétendussurlesol,aucundenousnequitteraitlechampdebataille.
Puisselemaîtredelalunenousêtrefavorable!
LecœurduroidesTurcsrajeunitàcesparoles;ilsouritetpritdenouvellesmesures;ilouvritlaportede
sontrésoretdistribualasolde;soncœurétaitgonflédudésirdelavengeance,etsatêteétaitrempliedevent.
Il abandonna à sonarmée tous les troupeaux de chevaux qu'il possédait dans le désertet dans la montagne ; il
choisit cent mille cavaliers armés d'épéeset propres à la guerre, et les envoya à Balk-Bami, munis de ses
instructionsetdesesordres;carGustehemfilsdeNewdersetrouvaitlàavecdescavaliersintelligentsetprêtsà
luimontrerlechemin.Ensuiteilchoisittrentemillecavaliersdignesdelivrerbataille,etleurordonnadelonger
leDjihounetd'explorersurdesbarqueslehautdelarivièrepourqu'onnepût,pendantlanuit,fairesubitement
une attaque avec des bateaux. Ilenvoya partout des troupes et mit en œuvre des ruses de touteespèce. Mais la
volontédeDieuletoutpurétaitqueleroiinjustepérit.
Pendantlanuitnoireils'assitaveclessages,aveclesmobedsexpérimentésetdebonconseil,quiluitinrent
beaucoupdediscours,etdisposèrenttoutselonleurfantaisie;tousétaientd'avisqueleroidevaitpasserde
l'autrecôtéduDjihoun.Ilcherchaàseprémunircontrelemalquesesennemispourraientluifaire,etdivisason
arméeendeuxparties;ilordonnaàKarakhan,sonfilsaîné,deparaîtredevantlui;onauraitditquec'était
Afrasiablui-même,tantilluiressemblaitparlastature,parl'aspect,parl'intelligenceetlaprudence.Illui
confialamoitiédesonarmée,composéed'hommesexpérimentés,renommésetvaillants;illuiordonnadeserendreà
Boukhara,deformerderrièresonpèreunrempartcommeunrocher,d'envoyerincessammentauxcampsdesarmesetdes
troupes,etdefoiretransporterdesvivresàdosde chameau.
AfrasiabfitsortirsonarméedeBeïkendetl'amenaentoutehâteauDjihoun;ilcouvritlesbordsdufleuvede
sestroupes,réunitmillebarquesetcanotsetlesfitpasseretrepasserpendantunesemaine.Lesplainesetles
montagnesn'étaientqu'unemassed'hommesarmés,etlamultitudedeséléphantsetdeslionsdeZemremplissaitde
leurbruitlesguésduDjihoun;l'eaudisparaissaitsouslesbarques,l'arméecouvraitledésertd'Amouï.Afrasiab
suivitsonarméeetpassalarivière,toutoccupédeplanspourlecombat;ilenvoyadetouscôtésdesdromadairesde
course,chacunmontéparunhommeprudentetintelligent.Regardez,leurdit-il,àdroiteetàgauche,etexaminezoù
ilsetrouveunespacesuffisantpourunesivastearmée.Lorsquecesbravesrevinrentdeleurscourses,und'euxdit
auroiquiportaithautlatête:Unetellearmée,pourfairelaguerre,abesoindefourrages,dematérieldetoute
sorteetd'unlieuoùellepuissecamper.OrilsetrouvesurleborddelamerdeGhilanuneroute,desprairiespour
leschevauxetdelaplacepourlecampement,etleprévoyantKarakhanyamèneradesvivres,pareau,denoirecôté
duDjihoun.Entrelesdeuxarméessetrouverontdessablesetunlargedésert,oùl’ondresseralestentesetleurs
enceintes,quitiendrontlieudemaisons.Lecœurd'Afrasiabrajeunitàcettenouvelle,etilgranditsursontrône
impérial;ilavaitbeaucoupd'expérienceetneseréglaitpassurlesparolesd'unmaître.Ildisposalecentrede
l'arméeetlesailesducentre,ilenvoyadesdétachementspourobserverl'ennemi,fixaunendroitpourlaréserveet
lesbagages,etassignaleurplaceauxdeuxailes.Ilfitdesdispositionsdignesd'unroipourl’ordredebataille,
plaça au centre cent mille hommes armés d'épées, en seréservant ce poste, car il était lui-même le chef et
ordonnateurdel'armée;ilmitàsagauchePescheng,quiétaitfortcommeunléopardvaillant,quin'avaitsonégal
niparmilesgrandsdel'arméeniparmilescavaliersdumondeentier,quilançaitsoncheval,saisissaitlaqueuedu
léopardetl'arrachaitparlaforcedesonbras,quiportaitunelancedeferetenperçaitlesmontagnesdansle
combat.SonnométaitPescheng,maissonpèrel’appelaitSchideh(lebrillant), parce qu'ilressemblait au soleil
brillant.Leroiluidonnacentmillebravesportanthautlatêteetprêtspourlecombat.
Schidehavaitunfrèreplusjeunequelui,maissonglorieuxégalenbravoure;cehérosportaitlenomdeDjehn,
etsonpiederrantavaitfoulélemondeentier.Sonpèreleprenaitpourconseiller,cariln'yavaitpasd'esprit
plus sage dans toute lacour.AfrasiabluidonnatrentemilleChinois,cavaliersdignesdelivrer combat, et lui
confia l'aile gauche, en disant : Puisse tabonne étoile ne jamais te quitter ! Son quatrième fils s'appelait
Afrasiab;ilseprésentaenarmesdevantsonpère,quiluidonnatrentemilleTurcsdeTchiguil,cavaliersportant
hautlatêteetarmésdelances,etluiordonnadegarderlesderrièresdel’arméedePescheng,etdenepasfléchir
quandmêmeilpleuvraitdespierres.EnsuiteilconfiauncorpsdetroupesàKehilaetunautreaufilsd'Ila,petit-
filsduroiAfrasiab,quiauraitarrachédelachairdudosdeslionspourlafairerôtir;c'étaientdeuxbraves,
deuxcavaliersduTouran,dontlescœursétaientcommedesrochers.Pourformerl'ailedroite,ilchoisitunearmée
devantlaquellelesoleildisparaissaitdumonde,leshommesdeTharaz,lesGouzzetlescavaliersdeKhallukh,en
touttrentemillehommespropresaucombat,auxquelsildonnapourchefsoncinquièmefils,hérosillustreetavide
de batailles ; son nom était Gurdguir ; il perçaitles montagnes de son épée et de ses flèches. Démour fils de
KhirindjasraccompagnapourvolerausecoursduvaillantDjehn.Ensuitepartirenttrentemillebraves,ardentspour
lecombat,armésdepoignardsbrillants.Nestouh,leguerrierpleind'expérience,lescommandaitsouslesordresdu
valeureux Pescheng. Après euxs'avancèrenttrentemillehéros,desTurcomansarmésdemassues,d'épées et d'arcs,
sous la conduite du Sipehbed Aghrirès qui brûlaitde combattre, et qui, assis sur son cheval,ressemblait à une
montagne.Ensuiteleroichoisitparmilesguerriersillustresquarantemillehommesarmésd’épées;leSipehdarde
cettetroupeétaitGuersiwezaucorpsd'éléphantàl'âmeambitieuse.Leroiquiportaithautlàtête,lechefdes
grands, lesoutien de l'armée, lui donna le commandement des éléphants. Puis ilchoisit dix mille braves qui
n'étaientjamaislasdecombattre,etleurordonnadesecouvrirleslèvresd'écumeaumilieudesdeuxarmées, de
lancerisolésleurschevauxsurl'ennemietdejeterlaterreurparmilesIraniens.
Lestroupestournèrent ledosà l'orient;etlanuitétanttombée,onattachaleséléphantssurlaroute,etle
roiquifaisaitlagloiredumondeordonnaquel'arméesedirigeâtverslemidi.
KEÏKHOSROUAPPRENDQU'AFRASIABS'AVANCEPOURL'ATTAQUER.
Lorsquelemaîtredumonde,Khosrou,eutreçuparlabouchedesesespionsvigilantslanouvellequelesTurcs
étaientenmarcheetqueleroiAfrasiabamenaitsestroupesdel'autrecôtédufleuveetfaisaitpasserleDjihoun
unearméesouslaquelledisparaissaientlesrochersetlesable,ilappelaleshérosetleurrépétatoutcequ'il
avaitentendu.Ilchoisitunearméedeguerriersetdegrandsdel'Irantellequelescirconstancesl'exigeaient,des
hommesquiavaientéprouvélesmalheursetl'amertumedelavie;ilsdevaientalleràBalkhausecoursdeGustehem
filsdeNewder.IlordonnaàAschkeschdeconduiredestroupes,deséléphants,destrésorsetdel'argentàZem,pour
empêcherl'ennemidetombersurlesderrièresdesIraniensetdedéconcerterleursplans.Ensuiteilfitmonter à
chevalleshéros,fitbattrelestimbalesd'airainetdonnal'ordredudépart;ils'avançaprudemment,sagementet
aveclenteur,carlaprécipitationdanslaguerreamènelerepentir.
Arrivédansledésert,Khosrous'occupadelamarcheetdel'ordonnancedesonarmée:elleavaitàsadroitele
Kharezm,oùlessablesdudésertpermettaientdelivrerbataille,àsagaucheleDehistanetunegrandequantité
d'eau,aumilieu,dusable,etdevantelle,Afrasiab.LuiavecRustem,Thous,Gouderz,Guivetunenombreuseescorte
dehérosillustres,fitletourdecethéâtredelaguerreetexaminaledésertentoussens.Ileutdesnouvellesde
l'armée de son grand-père, et son cœur en fut troublé ; car cettearmée, ces éléphants de guerre et ces braves
étaientplusnombreuxqu'ilnel'avaitcru.Ilentourasoncampd'unfossé,envoyadeséclaireursdetouscôtés,et
pendantlanuitilfitremplird'eaulesfossésducôtéoùsetrouvaitAfrasiab.
Lorsquelesoleil,quibrillaitdanslesigneduBélier,jetasesrayonssurtoutelasurfacedelaterre,leroi
desTurcsvitl'ennemi;ilfitsonnerdestrompettesd'airainetavancersestroupes.Lemondefutremplidusondes
claironsetdubruitdel'armée,tous lesbravessecouvrirentdeleurscasquesdefer;onauraitditquelasurface
delaterreétaitd'acieretquelecielportaitunecuirassedelances.Lesdeux,arméesdemeurèrentainsideux
joursetdeuxnuits,personneneprononçantunmot,lescavaliersrestantàchevaldesdeuxcôtes,etlesfantassins
setenantdevanteux.Onauraitditquelemondeétaitchangéenunemontagnedeferetquelavoûteducielétait
revêtue d'une cuirasse. Les astrologues étaient assisdevant les deux rois, réfléchissant profondément et tenant
devanteuxleurstablesastronomiques;ilscherchaientàl'aidedesastrolabeslesecretducielpourdécouvrirsur
quiiltourneraitavecfaveur;maislecielregardaitlechampducombat,etlesastrologuesnesavaientquedire.
PESCHENGSEPRÉSENTEDEVANTSONPEREAFRASIAB.
Lequatrièmejour,quandvintlemomentd'agir,levaillantPeschengseprésentadevantsonpèreetluidit:O
maîtredumonde,quiporteshauttatêteparmilesgrandsetlespetits,iln'yapassouslecielunroiglorieux
comme toi, et le soleil et la lune ne sont pas tes ennemis ! Unemontagne de fer fondrait en entendant le nom
d'Afrasiab ; la terrene résisterait pas à ton armée, ni le soleil brillant à ton casque ;aucun roi n’oserait
s'opposeràtoi,sicen'estKhosrou tonparent,cethommedemauvaiserace,quin'apasdepère.Tuavaistraité
Siawuschcommeunfils,tuluiavaisprodiguélessoinsetlestendressesd'unpère,tun'auraispaspermisqu'un
ventnuisible,venuduciel,eûtsoufflésurlui;maistul’asprisendégoûtlorsquetut'esas-taurequ'ilvoulait
teravirlacouronne,letrôneetd'armée;etsileroimaîtredumondenel'avaitpasmisàmort,ilseserait
emparédusceauetdudiadème.
Maintenantvoicicethommequivienttecombattre,maisquineresterapaslongtempssurlaterre;carquiconque
oublielesbienfaitsauralesortdeSiawusch.Tuasélevécetinfâme,cepérirversKhosroucommeun tendrepère,tu
n'aspaspermisquesonpiedtouchâtlaterre;tul'asgardéjusqu'àcequ'ilfutdevenugrandetque,grâceàtes
soins,ilfutpropreàporterunecouronned'or;alorsils'estenfuiduTourandansl'Irancommeunoiseau;on
aurait dit qu'iln'avaitjamaisvusongrand-père.Rappelle-toicequePiranafaitparcharitépourcettehomme
déloyaletindigne,quiaoubliétoutelatendressedePiran,aremplisoncœurdehaineetsatêted'agitation,et,
danssoningratitude,atuécegénéreuxPehlewanlorsqu'ilesttombéentresesmains.Maintenantilvientdel'Iran
avecsesgriffesaiguës,àlatêted'unearmée,pourcombattresongrand-père;ilnesecontentenid'or,nide
diadème,nidechevaux,nid'épées,nidetrésors,nid'untrône,ildemandelesangdesesparents;cesontles
seules paroles qu'on entend desa bouche. Mon père, tu es roi, tu es un homme savant et vertueux,tu rendras
témoignageàlavéritédemesparoles.LesIraniensnevalentpastantdediscours;nebrisedoncpasainsilecœur
detonarmée;qu'a-t-ellebesoind'astrologues?C'estavecl'épéequelesbravesaccomplissentdeshautsfaits.Les
cavaliersquisontavecmoiàl'ailedroitesonttous,corpsetâme,pourlecombat,etsileroimelepermet,jene
laisseraipasunIranienenvie;jecloueraileurscasquessurleurstêtesavecdesflèches,sansm'inquiéterde
leursfossésnideleursrigoles.
Afrasiabécoutacesparolesetrépondit:Netehâtepas,n'agispasdanslacolère.Toutcequetudisestvrai,
etilnefauttenirenhonneurquelavérité;maistusaisquelevaillantPirann'afoulésurlaterrequelaroute
dubien;soncœurneconnaissaitpasl'injusticeetlemensonge;ilnecherchaitquecequiétaitbonetvrai;il
étaitfortcommeunéléphantaujourducombat;soncœurétaitcommelameretsajouecommelesoleilbrillant.Lui
etsonfrèreHouman,quiétaitunléoparddanslabataille,levaillantLehhaketFerschidwerdetcentmilleTurcs,
cavaliers avides de vengeance, tous désireux de gloireetpropresaucombat,partirentd'icipleinsd'uneardeur
bouillante;maismoij'étaisensecretpleindesoucisetdesoupirs.C'estainsiqu'ilfuttuésurlechampdela
vengeance,etquesousluilaterredevintunebouesanglante.ToutlepaysdeTouranenalecœurbrisé,etlesâmes
sedéchirentdanscettegrandedouleur;tousnerêventquelePiranmort,personnen'invoquepluslenomd'Afrasiab.
Attendonsquemeshéros,mesgrands,lescavaliersdemonarméesesoientaccoutumésàvoirlesIraniens,quele
deuil,ladouleuretlesouciaientdisparudeleurscœurs,etquelesIraniensaussiaientvuunesigrandearmée
avecsestrésors,sestrônesetsesdiadèmes.Ceseraitunfunesteprojetquedevouloirlivreruncombatgénéral,
nous serions battus et il ne nous resterait en mainque du vent. Faisons avancer des champions isolés, et nous
inonderonslaplainedusangdesIraniens.
Pescheng luirépondit:Oroi!sic'estainsiquetuveuxlivrercombat,alorsc'estmoiquiserailepremier
championdel'armée;carjesaislancermoncheval,jesuisunéléphantaucorpsd'airain,jeneconnaispersonne
quiosât,aujourducombattre,souleverunepoussièrequeleventferaitvolerjusquesurmoncheval.Jebrûlede
combattreKeï-Khosrou, car c'est le jeune roi du monde, et s'il accepte ledéfi, comme je n'en doute pas, il ne
sortira pas vivant de mes mains; alors le cœur etle dosde cette armée seront brisés, et elle sera réduite à
l'impuissance;etsiunautrechampionvientlessecourir,j'abaisseraisur-le-champsatêtedanslapoussière.
Afrasiab répondit: Ojeunehommesansexpérience!c'estmoiqueleroidesroisvoudracombattre,ets'ille
fait,j'accepterailalutte,etjefouleraisousmespiedssoncorpsetsagloire;s'ilseprésentesurlechampde
batailleenlacedemoi,toutel'arméepourrasereposerdesescombats.Schidehluidit:Ohommepleind'expérience
!siKhosrouvientt'attaquer,songequecinqfilssetiennentdevanttoi,etquenousneresteronspasspectateurs
oisifs,quandmêmetuvoudraisaccepterlecombat;carnil'arméenilesadorateursdeDieun'approuveraientquetu
temissesenavantpourtemesureraveclui.
AFRASIABENVOIEUNMESSAGEÀKEÏKHOSROU.
Le roi dit àPescheng:Omon filsquiporteshautlatête,puisselamauvaisefortuneêtreloindetoi!Tu
attaquerasKhosroudanslabataille,net'affligedoncpas.Sorsd'ici,rends-toiaumilieudel'armée,choisisun
hommesage,etpars.QueDieuleCréateurteprotège,etquelatêtedetesennemissoitabaissée!
PorteàKeïKhosroumonmessage,etdis-lui:Cequetufaisestcontrelacoutumeetlaloidumonde,etlatête
d'unpetit-filsquicombatsongrand-pèredoitêtrepleinedeméchancetéetdedésordre.LavolontéduCréateurest-
elledoncquelemondesoitremplideluttesetdehaines?Siawuschn'apasététuésansl'avoirmérité,caril
s'estdétournédesesmaîtres.Etsij'aifailli,qu'ontdoncfaitPiran,Rouïn,LehhaketFerschidwerd,pourqu'il
aitfallulesliersurleurschevaux,inondésdesangetsemblablesàdeséléphantsivres?Situdisquejesuisun
méchanthomme,auxpenséesperverses,etnédelaraced'Ahriman,faisattentionquetuesissudemafamilleetque
ton insulte retombesurtoi-même.LaissecettevengeanceàGouderzetàKaous,quisehâterontd'amenerunearmée
contremoi.Jene parlepasainsiparcequej'aipeuretquejesuisdevenucraintifenvieillissant.Mestroupes
sontnombreusescommelesabledelamer;cesontdeslionsvaillantsetdesbravesqui,surmesordres,ômonfils,
fonttrembleraujourducombatlemontGanguecommelesvaguesdelamer.NéanmoinsjecrainsDieu,lesangverséet
la mauvaise fortune quifera tomber sur ce champ de bataille les têtes de tant de hérosinnocents. Et si tu ne
renoncespasàmecombattre,necrains-tupaslahontequipourraitrejaillirsurtoi?
Situveuxfaireavecmoiuntraitésoussermentetl'exécutersérieusement,jet'aideraiàconservertestrésors
et tonarmée. Si tu veux oublier le sort de Siawusch et traiter tongrand-père dans le Touran comme s'il était
Siawusch,alorsDjehnetlevaillantPescheng,quifaittremblerdanslecombatlemontGanguecommelesvaguedela
mer,seronttesfrères;quantauxpaysqueturéclamespourl'Iran,j'enferaisortirlesTurcs,ettoutcequeje
possèdedestrésorsdemesaïeux,enor,encouronneset-entrônes,enchevauxetenarmes,toutcequimerestede
l'héritagedemongrand-pèreZadschem,lesrichessesdesgrands,leurstrônesetleursdiadèmes,enfintoutcequetu
peux,désirerpourtonarmée,jeterenverrai.MonfilsestunPehlewan,etsonpèreesttonparent;lesdeuxarmées
sereposerontdesfatiguesetdescombats,etnospeinessechangerontenfêtes.
MaissiAhrimanpoussetonâmeàterevêtirdetonlinceul,situneveuxquecombattreetverserdusang,s'iln'y
apasdeplacedanstoncerveaupourmesconseils,alorsavance-toiau-devantdetonarméepouressayersitesvœux
serontcomblésdanscettelutte,ettousdeuxnousnousmesureronssurlechampdebataillependantquecesgrandes
arméessereposeront.Sijesuistué,lemondeseraàtoi,mestroupesseronttesesclaves,monfilsseratonparent
;etsitutombesdemamain,jeneferaidemalàaucundestiens;tonarméeserasousmaprotection,tousseront
desgrandsauprèsdemoietserontmesamis.Situneveuxpasmecombattre,situn'osespast'opposeraucrocodile
plein d'expérience, voici Pescheng quiseprésentedevanttoienarmes;n'hésitepasàaccepterlecombatqu'il
t'offre.Lepèreestvieux,maissonfilstiendrasaplace;ilestjeune,prudent,fortetglorieux;ilt'attaquera
surlechampdebataille,ilyapporterauncœurdelionetdesgriffesdeléopard,etnousverronsalorssurquile
cieltomberafavorablement,surlatêtedequiilplaceralacouronnedesagrâce.Ouencoresituneveuxpasdelui
commeadversaire,situveuxquelecombatsoitlivréd'uneautremanière,attendsquemonarméesesoitreposée
cettenuit;etdemain,quandlesmontagnesseserontceintesdeleurdiadèmed'or,quandlanuitsombreauraretiré
d'elleslepandesarobeetcachésatêtesoussonvoiledefeutre,nouschoisironsdansnosrangsdesbravesportant
hautlatêteetarmésdelourdesmassues;lesangteindralaterrecommedubrocart,nouscoucheronssurlesolnos
ennemis.Le second jour, à l'heure où chante le coq, nous planerons lestimbales surle dosdes éléphants, nous
amèneronsleshérosdenosarméespournousseconder,etnousferonscoulerdesruisseauxdesang.Letroisièmejour
nousmèneronsaucombatdesarméessemblablesàdesmontagnes,nouslivreronsunebataillegénérale,etnousverrons
lequeldenouslecielsublimerejette,etlequelilhonore.—Simonennemirefused'obéiraumessagequetuportes,
s'il recule et ne veut pas consentiràce que je propose, alors provoque-le àun combat corps à corps, loin de
l'armée.
Peschengchoisitparmiles chefsintelligentsquatrehommesquiavaientsouventsouffertlachaleuretlefroiddu
monde,ensuiteilrenditseshommagesauroi,etsortit;sonpèreavaitlesyeuxremplisdelarmesetlecœurgonflé
de sang. Pescheng prit dans l'armée mille braves, hommes de sens,habiles au combat,et partit. Les vedettes
iraniennesl'aperçurentdeloin:ellesvirent l'étendardbrillantdeTour,etlesTurcsquiformaientlatêtedu
cortège,jeunesgenssansexpérience,attaquèrentlesvedettessurlarouteetcommencèrentàl’improviste,avantque
Schidehfûtarrivé,àverserdusang.QuelquesIraniensétaientblessésetlecombatétaitengagélorsqueSchideh
survintetaperçutlechefdesIraniens.Soncœurseserra,ilrappelasesbravesducombatetditauxIraniens:
Envoyezuncavalierauprèsduroi,selonlesusagesetlescoutumes,etfaites-luidirequ'ilestarrivéunbrave,du
nomdeSchideh,quiporteauroiunmessaged'Afrasiab,lemaîtredelaChine,lepèredelamèreduroidel'Iran.
Uncavalierquittaentoutehâtelesavant-postesetcourutauprèsduroidel'Iran,disant:Unmessagerduroide
Touran,unhérospleindedignité,accompagnéd'undrapeaunoir,estarrivé,etdéclarequesonnomestSchideh;il
demandelapermission de s'acquitter de son message. Le cœur duroifut ému de ces paroles, il versa des larmes
brûlantes,etdit:Schidehestmononclematernel,ilestmonégalenstatureetenbravoure.Ilregardal’assemblée
pourchoisirundesgrands,etnevitqueKaren,delaracedeKaweh;illuidit:Rends-moiauprèsdeSchidehavec
empressement,porte-luimessalutationsetécoutesonmessage.Karensortitducamp,ilvitlebrillantdrapeaunoir,
s'approchadeSchidehetlecombladesalutationsdelapartduroietdesIraniens.Lejeuneprince,àsontour,
ouvritsaboucherempliedeparolesdouces,carilavaitunespritéveilléetuneâmesereine.Ilrépétalesparoles
Afrasiabsurlereposetlesfêtes,sur les combats etlesdangersde laprécipitation.Karenécoutalesparoles
caressantesdecetillustrefilsd'unpèrepleindesagacité,puiss’enretournaversleroidel'Iran,etluirépéta
lemessage,carc'étaientdesparolessensées.
KEÏKHOSROUREPONDAAFRASIAB.
KhosrouécoutalesparolesdeKaren,ilserappelacequis'étaitpasséautrefois,etsemitàriredelatentative
de songrand-pèreetdelamanièredontilcherchaitàruseretàleduper.Ensuiteildit:Afrasiabserepent
d'avoirpassélefleuve.Sesyeuxdébordentdelarmesetseslèvressontpleinesdeparoles;maismoncœurestgros
d'anciennesdouleurs.Ilessayemaintenantdemefairetrembler,dem'effrayerparlasupérioritédesonarmée;mais
ilnesaitpasquelecieltout-puissanttourne,aujourdumalheur,sansobéiràl'ordredepersonne,orMaintenant,
cequimeresteàfaire,c'estdem'avancercontrelui,lecœurremplidehaine.Jememesureraiavecluidansle
combat,jenechercheraipasdedélaiaumomentdelalutte.
Touslessagesettouslesgrandsdel'arméedirentd'uneseulevoix:Cedesseinn'estpasraisonnable.Afrasiab,
quiestunhommed'expérienceetdesagesse,nerêvequedesexpédients;ilneconnaîtquelafraudeetlesarts
magiques,quelatromperie,lahaineetlaméchanceté.IlamaintenantchoisidanssonarméeSchideh,parcequ'ila
vuenluiuneclefpourouvrirlaportedumalheur,etilprovoqueaucombatleroidel'Iran,pourremplirnosjours
dedouleur.Neméprisepassavieillesse,nemetspasendangerl'Iranettontrône.Sic'estSchidehquicombatle
roi,ilnousferapâlird'inquiétude;carsiSchidehtombedetamain,cen'estqu'ungranddemoinsdanscette
armée;maissitut'éloignesdenousetsituestué,toutl'Iranpérira;aucundenousneresteraenvie;aucune
ville,aucuneprovincedel'Iranneserontsauvées;carnousn'avonspersonnedelaracedesKeïanidesquipuisse
s'armerpourtevenger.l’ongrand-pèreestunvieillardpleind'expérience,ilestaimédansleTouranetenChine;
ildemandepardondumalqu'ilafaitetneveutcombattrequequandilneluiresteraplusd'autreressource;il
offre de tirer de ses trésors et de teremettre les richesses, les chenaux, l'argent que Tour a amasséspour
Zadschem,etlestrônesd'or,lescouronnes,lesceinturesd'oretleslourdesmassuesdesgrands,pourracheterles
crimesquiluipèsent;iloffredefairequitterauxTurcstouteslesvillesqueturéclamespourl'Iran.Rentrons
doncdansl'Iranvictorieuxetcontents,etoublionscequis'estpasséautrefois.
C'estainsiqu'ilsparlèrenttous,vieuxetjeunesexceptéRustem,l'illustrePehlewan,quidétournaitlatêtede
lapaixetdontlecœurdésiraitvengerSiawusch.Leroisemorditleslèvresetjetaunregardsombresurlesgrands
;ensuiteildit:Nousnedevonspasquittercechampdebataillepourrentrerdansl'Iran.Oùsontdonclescombats
quenousdevionslivrerlesserments quenousavonsfaits,lescaissesd'oretlesprisonniers quenousvoulions
prendre,leschaînes quenousavonspréparées?Commentnousexcuserions-nousdevantKaous,commentoserions-nous
paraîtredevantlui,siAfrasiabresteenvieetsursontrônecommemaîtredumonde,pendantquel'Iranestdévasté
?Sais-tuquelcrimeacommisTourcontreIredjlefortuné,pourluiravirsacouronneetsontrône,etcequ'Afrasiab
a fait souffrir à Newder ? Puisse-t-il n'être jamais heureux, même en songe ! Ensuite Afrasiab atué innocent
Siawusch,pours'emparerdesestrésors,desontrôneetdesondiadème.MaintenantunTurcrusédecettecourse
présentedevantnousetdemandeàmecombattre;pourquoipâlissez-vous?Celam'étonnedevotrepart,etmonancien
désirdevengeances'enaccroîtencore.Jamaisjen'auraiscruquelesIraniensreculeraientdevantcetteguerre.Je
ne vois dans l'armée de l'Iran que Rustem, mon ami,le héros au cœur droit, qui se hâte d'accepter le combat
lorsqu’Afrasiablefourbenousl’offre.
QuandlesIraniensentendirentcesparolesduroi,ilsserepentirentdeleurfaute;ilstâchèrentdes'excuser,
endisant : Nous sommes tes esclaves, mous n'avons parlé que partendresse pour toi. Le roi des rois ne cherche
qu'unebonnerenomméeetuneheureusefinàcetteentreprise;maisleglorieuxmaîtredumonde,dontlavolontéest
suprême, ne voudra pas qu'on nous blâme,que l'on dise qu'il n'y avait parmi les Iraniens personne qui eûtose
combattreSchideh,qu'aucuncavaliernes'estprésentésurlechampducombat,etqueleroiseulavaitlecouragede
lefaire.LeroidesMobedsnevoudrapasnouscouvrird'unehonteéternelle.
Leroileurrépondit : OMobeds !vousquiêtesmesguides,sachezqueceSchideh,aujourdelabataille, ne
comptepassonpèrepourunhommedignedecombattre.Afrasiabluiaforgéunearmureavecunartmagique,impie,
étrangeetméchant;etvosarmesnevousservirontpascontrecettecuirasseetcecasqued'acier.Sonchevalest
d'uneracededivs,ilauncœurdelion,ilcourtcommelevent.Iln'yaqueceuxàquiDieuadonnéladignité
royalequipuissentrésisteràSchidehetluiéchapperdanslecombat.D'ailleursilnedaignerapassemesureravec
vous;ilcroiraitdéshonorersadignitéetsanaissance.Maislepetit-filsdeFeridounetlefilsdeKobadsont
deuxcombattantségauxencourageetenrang.EntuantSchideh,jebrûlerailecœurcrimineldesonpèrecommeila
brûlélecœurdeKaousparlemeurtredesonfils.Lesbravesetleslionsdupaysd'Iranaccueillirentavecdes
acclamationscesparolesduroi.
KEÏKHOSROUREPONDAAFRASIAB.
LeroiordonnaàKaren,sondévoué serviteur,departiretdeporteràSchidehcetteréponse:Lalutteentrenous
estancienneetterrible,etcequiaétéfaitadépassétoutemesure.Unhommeconsidérable,quiaacquisdurenom
danslaguerre,necherchepasdesdélaisaumomentducombat.Maintenantnousverronsàquilemaîtredusoleilet
delaluneserafavorablesurcechampdebataille.JenedemandepaslepaysdeTourannitestrésors,carcette
demeurepassagèreneresteàpersonne;maisjejureparlapuissancedeDieuquiacréélemonde,parlediadèmede
Kaousquim'aélevé,quejenevouslaisseraipasletempsdevoirl'âpreventdel'automnepassersurlesroses.
Ensuitetuparlesderichesses,dechevaux,d'oraccumulé:nousn'avonspointbesoindecestrésorsquiproviennent
del'oppressionetdel'injustice;carquiconqueestsoutenudeDieuseratoujoursheureuxetlafortuneluisourira
toujours.Tonpays,testrésors,tonarméesontàmoi,àmoitontrôneettondiadèmed'or.Peschengestvenucouvert
d'unecuivrasse,avecuneescorteetbeaucoupdepompe,etm'aprovoquéaucombat;demain,àl'aubedujour,ilsera
monconvive,ilmeverraabattredestêtesavecmonépée.Jeneveuxpasqu'aucunhommedel'arméed'Iranseprésente
devaetluiauchampdebataille,ilsuffitdemoietdeSchideh,dudésertetdemonépéetranchante,etj'amènerai
àlafinladestructionsursatête.Etsijesuisvainqueurdanscecombat,jen'accepteraipaslesdélaisquetu
proposes;desdeuxcôtésnousferonspousserdescrisparnoschampions,etlaplaineserateintedusangquenous
verserons.Ensuitenousconduironsaucombatnoshérosentroupesserrées,semblablesàdesmontagnes.
Leroiajouta:TudirasensuiteàSchideh :Oprinceavidedegloire,maisdépourvudesens,tuesvenutoutseul
duTourantejeterdansdesfilets,monpaspourychercherlerenometlagloire,nilacausedumessageAfrasiab,
maisparcequetesmauvaisesactionssontimpatientesdetedétruire.C'estDieuquit'apousséhorsdecettearmée,
ettonlinceulteserviraicidetombeau;ceprinceinnocent,qu'onaégorgécommeunagneau,teporteramalheur,et
tonpèreverserasurtoideslarmesamèrescommeKaousenversesursonfils.
KarenquittaleroientoutehâteetserenditauprèsdePeschengaudrapeaunoir,àquiilrépétatoutesles
parolesqu'onluiavaitdites,necachantnilebonnilemauvais.Schidehs'enretournaauprèsd'Afrasiab;soncœur
cuisaitcommelachairplacéesurlefeu.LeroidesTurcsfutconsternédecetteréponse,et,danssadouleur,il
poussaungrandsoupir,caranciennementilavaitfaitunrêvedontiln'avaitjamaisparléàpersonne;satête
tourna,soncœurtrembla,ilsentitapprochersachute,ets'écria:Demaintantdemortscouvrirontlechampde
bataillequelesfourmisnepourrontplusletraverser.EnsuiteilditàSchideh:Apartirdedemainlaissepasser
deux jours sansparler de combat. On dirait que mon âme est brisée parl'idée de cette bataille, et je suis si
malheureuxquejevoudraism'arracherlecœur.Sonfilsrépondit:Oroi desTurcsetdelaChine!netedécourage
pasainsiaujourdelavengeance.Lorsquelesoleilélèverasonétendardbrillantetéclaireralavoûtesombredu
ciel,moietKhosrounousseronssurlechampdebaille,etjeréduiraiceroienpoussière.
COMBATDEKHOSROUAVECSCHIDEHFILSD'AFRASIAB.
Lorsquelevoileazuré duciel futéclairé,etquelemondefutdevenusemblableàunjoyaujaune,levaillant
Pescheng, la tête remplie du vent de la jeunesse, nerespirant que les combats, monta à cheval ; il couvrit sa
poitrinebrillanted'unecuirasse;ilplaçasursatêteuncasqueroyaldefer,mitsondrapeaudanslamaind'un
Turc courageux et se renditfièrement sur le champ de bataille. Lorsqu'il fut arrivé auprès desIraniens, un des
grandsaccourutversleroietluidit:Uncavaliers'estavancéentrelesdeuxarmées,hautlatête,poussantdes
etcris,etl’épéeàlamain.Ceguerrierillustreetpromptàfrapperdemandequ'onannonceauroiquePeschengest
arrivé. Le roisourit et demandasa cottedemailles;ilélevadroitenl'airl'étendard,signedesonpouvoir,
plaçauncasqued'orsursatêteetremitsonétendardàRehhamfilsdeGouderz.
Toussesbravesétaientdansl'angoisseetdansleslarmes;ilsétaientcommesiunfeuardent,lesconsumait,et
ils'élevaaumilieud'euxungrandcri:Oroi!nefatiguepastoncorpsdecettearmuredefer.Laplacedesrois
estsurletrône;queceluiquiteforcederevêtircettearmuredecombatnetrouved'autredemeurequedansla
terrenoire;quenuldesesdesseinsneluiréussisse!Leroi,armédesacuirasse,desamassueetdesoncasque,
leurenvoyalemessagesuivant:Quepersonnenequittelecamproyal,niladroitenilagauche,nilecentrenises
ailes;quepersonnenerecherchelecombatnines'agite;quetousobéissentàRehhamfilsdeGouderz.Quandle
soleil sera arrivé au faîte du ciel, vous irez voir sur qui lemalheur est tombé, et si vous trouvez que c'est
Pescheng qui estvainqueur, Rustem aura la direction de la guerre ; soyez tous devantlui comme des esclaves
obéissants,etvoustrouverezbientôtunremèdeàvotredouleur;carlesmoyensdesalutetlescombatssontfaciles
pourunearméequiaunchefcommeluiAinsinelaissezpasvoscœurs,seresserrer;telestlecommencementetla
findesguerres,quetantôtonestenhautettantôtenbas,tantôtonestdanslajoieettantôtdanslaterreur.
IllançaBehzad,sonchevalcouleurdenuit,quiauraitroulédevantluilevent,tantilallaitvite.Ilportait
unelance,uncasqueetunecuirasse,etlapoussièrequesoulevaitsonchevalmontaitauxnuages.Schideh,quise
tenaitentrelesdeuxcamps,l'aperçut;ilpoussadesapoitrineungrandsoupir,etluidit:Tueslefilsdunoble
Siawusch,ôhommesageetadmiré!tueslepetit-filsduchefdel'arméedeTouran,dontlecasquefroisselasphère
delalune;maistun'agispascommeondevraitl'attendred'unhommequiadel'expérienceetquiaéténourripar
lasagesse;carsituavaisdusens,tuneseraispassiimpatientd'attaquerlefrèredetamère.Maissituveux
combattre,éloigne-toidesarmées;choisisunlieuécarté,pourqueniIraniensniTouraniensnenousvoient,car
nousnevoulonspasd'amisnid'aides.
Leroiluirépondit :Olion quidéchiresdanslecombat!jesuislefilsdecetinnocentSiawuschquifuttuépar
leroi,etmoncœurestulcéré;jesuisvenusurcetteplainepourmevenger,etnonpaspourconquériruntrôneet
unsceau.Tum'asprovoquéaucombat,unseuldetous,commetuenavaisprisl'engagementdevanttonpère;tum'as
provoqué, et personne n'estd’unrang assez élevépourque j'ose l'envoyer à la rencontre. Maintenant désigne un
champdebatailleloindenosarmées.
Ilsconvinrentquedesdeuxcôtéspersonneneviendraitàleuraideetneprendraitpartaucombat,etqu'aucun
malheur ne devait assombrir les jours de leur porte-étendard. Ilss'éloignèrent ensemble de leurs armées, joyeux
commedeshommesquivontàunefête,etchoisirent,dansuneplainepropreaucombatetfaisantpartiedudésertde
Kharezm,unlieusistérileetsidépourvud’eauqueleslionsetlesléopardsn'ymettaientpaslepied,queles
aiglesn'ytraversaientpasleciel;c'étaitenbasundésert,stérile,enhautunmirage.Làilscommencèrentun
grand combat ; c'étaient deux chevaux et deux bravessemblables à des loups, deux cavaliers pareils à des lions
affamésetpleinsderageaujourdelachasse.Ilss'attaquèrentavecleurslongueslances,etlorsquelesoleil
devintplusardentdansleciel,leurslancesn'avaientplusdeferetlescaparaçonsetlesrênesdeleurschevaux
étaienttrempésdesueur.IlssecombattirentalorsimpitoyablementaveclesmassuesdeRoum,aveclesflèchesetles
épées;laterredevintnoiredusangdescavaliers,maisilsnesentirentpasdefatiguesurlechampdebataille.
Lorsque Schideh vit le courage et la force deKhosrou, les larmes tombèrent de ses cils sur ses joues, et il
reconnut que cette puissance était le don de Dieu et qu'il ne luirestaitqu'àpleurersursapropreperte.Son
chevalétaitépuiséparlasoifetilsentaitlui-mêmefaiblirsesforces.Danscettedétresseilréfléchit,etse
dit:Sijeproposaisauroidemettretouslesdeuxpiedsàterrepourlutteretnouscouvrirdesueur,ilrefuserait
ungenredecombatqu'iltrouveraithonteuxetqu'ilcroiraitindigned'unroi.Etpourtant,sijeneréussispasà
luiéchapperdelasorte,jemetrouveraiinfailliblementdanslagueuledudragon.Alorsildit:Oroi !toutle
mondesebatavecl'épéeetlalanceetmanieenmêmetempslesrênes;maisilvaudraitmieuxnouscombattreàpied
etnousattaquercommedeslions.Khosrou,lemaîtredumonde,compritàl'instantlapenséedesonennemi;ilsedit
enlui-même:sijelaissepartircelionavecsaforceetsesgriffes,cedescendantdeFeridoun,cepetit-filsde
Pescheng,ilabattrabiendestêtes,ileffrayerabiendeshérosaucœurdelion,etsij'acceptelecombatàpied,
j'affligerailesIraniens.Rehhamluidit:Otoi quiporteslacouronne!nedéshonorepastafamilleparunetelle
action.SiKhosrousebatàpied,pourquoialorsya-t-iltantdecavalierssurcetteplaine?Siquelqu'un doit
mettrepiedàterre,mevoici,moiquisuisdelaracedeKeschwad;resteici,pourquejem'avancecontrelui,prêt
aucombat;tuesleroi,lemaîtredumondequiportehautlatête.LeroiréponditàRehham:Omonami,ôvaillant
Pehlewan ! SchidehestunhérosdelafamilledePescheng;sachedoncqu'ilnevoudrapassebattreavec toi ;
ensuite,tun'espasdeforceàluirésister,carlesTurcsn'ontpasdechefcomparableàloi.C'estunbravedela
racedeFeridoun,etjamaismèren'amisaumondeunfilsaussivaillant;cen'estdoncpasunehontepourmoide
marcheràlui,etnousallonslivreràpieduncombatdeléopards.
Del'autrecôté,l'interprètedeSchidehs'approchadeluietluidit:Eloigne-toiplutôtqued'attendrelemal
queteferatonennemi.Tun'asd'autrepartiquedet'enretourner,cartunepeuxrésisteràKhosrou .S'enfuirà
tempsdevantl'ennemivautmieuxqued'affronterlescoupsetlebruitetletumultedelabataille.Schidehrépondit
àsonillustreinterprète:Ilneconvientpasauxbravesdesecacher.Sacheque,depuisquej'aiprislesarmes,
j'élèvematêtejusqu'ausoleil;jamaisjen'aivusurunchampdebatailleunhérosaussifort,aussiglorieux,
aussi vaillantqueSchideh ;maisilvaudraitmieuxpourmoiêtremisautombeauquedefuir,unefois que j'ai
commencélecombatNousnepouvonsnoussoustraireàlarotationduciel,quandmêmenousposerionslepiedsurles
yeuxdudragon;etsijedoismouriricidesamain,niunenneminiunaminepeutmepréserver.Jesaisd'où
viennentcetteforceetcettebravoure:c'estlagrâcedeDieuquireposesurcehérosillustre.Peut-être,étantà
pied,levaincrai-je,etdanscecombattreverserai-jesonsangpartorrents.
LeroidumondeditàSchideh :Ohérosdelaracedesgrands!certesiln'yajamaiseuunhommedelafamille
desKeïanidesquiaitcombattuàpied;néanmoins,sitelesttondésir,jenerefusepasdetesatisfaire.
KHOSROUTUESCHIDEH.
Leroidescenditdesonchevalcouleurdenuit;ilôtadesatêtesoncasqueimpérial,remitàRehhamsonnoble
destrierets'avançasemblableàAdergouschasp.Peschenglevitdeloinàpied;levaillantcrocodilemitaussipied
àterre,etilss'attaquèrentsurlaplainecommedeséléphants;ilstrempèrentdesangtoutelapoussière.Quand
Schidehvitlapoitrineetlastatureduroi,etqu’ilsentitcettepuissancedonnéeparDieuetcettevigueur,il
prialecieldelesauver;carilsavaitquelecorps duTourann'auraitplusdevaleurquandlatêteenserait
abattue.Khosrous'aperçutdesespenséessecrètes,etvoyantsoncorpsquifléchissait,illesaisitaveclavigueur
queluiavaitdonnéeDieulecréateur,commeunlionquimetlagriffesurunonagremâleetleterrasse.Illeprit
aveclamaingaucheaucou,avecladroiteaudos,lesoulevaetlejetarudementparterre.Touteslesvertèbresde
Schidehfurentbriséescommedesroseauxparlaviolenceducoup,etsesjambesfurentcassées;Khosroutirason
épéetranchante,perçalapoitrineduprince illustre ettaillaenmorceauxlacuirassesursapoitrine.Ensuite,
danssadouleur,ilversadelapoussièresursapropretêteetditàRehham;Ceméchantsanségal,ceetvaillant
Schidehétaitlefrèredemamère;témoignez-luidelapitiéaprèssamort;élevez-luiuntombeauroyal;embaumez
satêteavecdumusc,del'ambreetdel'eauderose,etsoncorpsavecducamphrepur;suspendezàsoncouune
chaîne d'or et placez sur sa tête un casquerempli d'ambre. L'interprète de Schideh se tenait sur la route en
observantsonmaître;ilcontemplaitlecorpsduprinceillustre;etlorsqu'onl'eutsoulevédusableetemporté
verslecampduroi,ils'approchadeKhosrouens'écriant:Oroi glorieux,distributeurdelajustice!j'étaisun
faibleesclavedeSchideh,etjene-suispasuncombattant,unPehlewan.Fais-moigrâceparpitié,ôroi!pourque
lecielseréjouissedetavie.Leroirépondit:Raconteàmongrand-père,aumilieudesacour,toutcequetum'as
vufaire.
Lecœuretlesyeuxdesgrands deTouranétaientfixéssurlaroute,attendantleretourdeSchidehduchampde
bataille;uncavalierparutcourantsurlamolleroutedesable,latêtenue,lesyeuxremplisdechaudeslarmesde
sang.Illeurdévoilalemystèrecaché,ilracontatoutdevantleroidesTurcs.Lemaîtredelaterredésespéradesa
vie ; il arracha ses cheveuxblancs comme le camphre et répandit sur sa tête des flots depoussière. Tous les
Pehlewansdel’arméearrivèrent,etquiconquevoyaitlevisageduroidesTurcsmettaitenlambeauxsesvêtementssur
sapoitrine,touslescœursétaientdéchirés,etils'élevaaumilieudel'arméeunetellelamentationquelesoleil
etlaluneenfurentémus.
Afrasiab dit en pleurant : Dorénavant je nechercheraiplusnireposnisommeil.Soyezmescompagnonsdansce
deuil,voustous,pleurezmonfils!Lapointedenosépéesneverrapluslefourreau,jenemelivreraiplusjamais
àlajoie.Lionsensemblelespansdenoscottesdemailles,dévastonstoutlepaysd'Iran;necomptonspaspourun
homme,maispourunebêtefauve,quiconquen'apaslecœurpercédedouleur.Puisseaucunœilneverserjamaisdes
larmesdepitiésurceuxdontlesyeuxnepleurentpasavecdechaudeslarmesdesangnotredouleursurlapertede
cevaillant,cavalierauvisagedelune,dececyprèsquicroissaitauborddufleuve!Dévoréd'unepeinequ'aucun
médecinnepouvaitguérir,ilversaitdeslarmesdesang.Touslesgrandsouvrirentleslèvresetrépondirentauroi,
disant:PuisseDieulejustetefairesupportercemalheur,puisse-t-ilfairetremblerlecœurdetesennemis!
Aucundenousnes'occuperauninstant,lejouroulanuit,d'autrechosequedesadouleuretdelavengeancede
Pescheng.Nousferonsrugirlecœurdel'armée,nous la conduirons au champ de bataille, où ellemoissonnera des
têtes.DéjàavaientdisparuPiranetHouman,etmaintenantils'élevaitvengeancesurvengeance;l'arméeavaitle
cœurbrisé,l'âmeduroiétaitrempliededouleur,etlecampentierretentissaitdecristumultueux.
COMBATGÉNÉRALDESDEUXARMÉES.
Lorsquelesoleilmontrasatêteau-dessus dudosdutaureauetquelechantdel'alouettes'élevadelaplaine,on
entenditdanslespavillonsdesdeuxroislesondutambouretlebruitdestimbalesetdestrompettes.Djehnamena
trente mille héros prêts à frapper del'épée, propres au combat ; et Khosrou, voyant ces préparatifs,ordonna à
Karen,quiétaittoujoursprêtpourlabataille,desortirducentredel'arméeavecuncorpsdetroupessemblableà
une montagne, et le vaillant Djehn entressaillit de peur. A l'aile droite s'avança, rapide comme lapoussière,
GustehemfilsdeNewder,avecsonétendarddecombat.Lemondedevintvioletsouslapoussièrequesoûleraientles
héros, laterre fut couverte d'hommeset l'airremplid'étendards. Pendant ce combat, ni Khosrou niAfrasiab ne
quittèrentlecentredeleursarmées,maislaluttedevinttellequeleshérosetlesbravesn'enavaientjamaisvue
depareille.OntuatantdeTouraniensquelechampdebatailledevintunemerdesang,etcelacontinuajusqu'àce
quelecielsecouvrîtdeténèbresetquel’œildescombattantss'obscurcit.LevaillantKarenfutvictorieux,etle
courageuxDjehnfutbattu.Lorsquelalunes'assitsurletrônedusoleil,leshérosrevinrentduchampdebataille;
le roi fut content des Iraniens, car ils avaient vaincudans le combat. Ils se préparèrent toute la nuit à une
nouvellebataille,etneselivrèrentniausommeilniauxbanquets.
Lorsque le soleil leva sa tête dans le signe duCancer, le monde fut plein depréparatifs pour le combat, de
musiqueguerrièreetdebruit.Lesarméesdesdeuxempiresformèrentleursrangs,leurslèvresécumèrentdansleur
ardeurpourlabataille.Khosrous'éloignadesderrièresdel'armée,accompagnéd'unamihumble,mitpiedàterreà
quelquedistanceetglorifiaDieulonguement.Ilsefrottalevisagecontrelaterresombre,disant:Osaint maître
delajustice,tusaisquej'aiétéopprimé,etquejemesuissoumisàtavolontédansceslongsjoursdemalheur!
Paisexpierescrimesauméchantparlesang,tuesleguidedeceluiquiasouffert.Delàilserenditaucentrede
sonarméeenpoussantdescrisdeguerre,lamerempliededouleur,lecœurpleindecolèrecontrelaracedeZadschem,
etplaçasursatêtesoncasquefortuné;lebruitdelamultitude,lesondestrompettes,lesouffledesclaironset
descymbalesd'airainmontèrentversleciel.Del'autrecôtés'avança,semblableàunemontagne,unearméeagitée,
forméeencorpsunearméesemblableauxflotsdelamer,aucentredelaquellesetrouvaientDjehnetAfrasiab.
Lorsque ces deux armées s'ébranlèrent, on aurait ditquelesvalléesetledésertsemouvaient,lesoleilfut
obscurciparlapoussièreetparlespointesd'acieretlesplumesd'aigledesflèchesqu'onlançaitLebruitdes
trompettes,lapoussièresoulevéeparleshommesetlescrisdescavalierssurcechampdebatailleétaienttels,que
le fer, lesmontagnesetlesrochers,lescrocodilesdanslameretlesléopardsdansledésertenfondaient.La
terreétaitrempliedeclameurs,lecielétaitenébullition,etlesondestimbalesfendaitlesoreillesdulion
féroce.TuauraisditquelemondeentierétaitunAhriman,ouquelecielcombattaitlaterre.Detouscôtés on
voyaitdesmontagnesdemortdesarméesdel'IranetduTouran;toutledésertdesablen'étaitquesang,ettêtes,
etmains,etpieds;lecœurdumondetremblait;toutcepays,fouléparlesfersdeschevaux,ressemblaitàundrap
trempédanslesang.Leshérosd'Afrasiabarrivèrentcourantcommeunvaisseausurl'eau,etsedirigèrentversles
toursrempliesd'archersqueportaientleséléphants;c'était,devantlecentredel’arméedesIraniens,commeune
fortificationélevéesurledosdeséléphantsetbarrantlechemin.Iltombadestoursunepluiedetraits,etle
bruitdescoupsdonnesetreçussefitentendre.Leséléphantsetlescavaliersarmésdelancess'avancèrentetun
grandcorpsdetroupessortitducentredel'armée.Afrasiabobservad'unedistancededeuxmillescettearmée,ce
combat,cestoursetceséléphants;ilfitavancerseséléphantsdeguerreetsonarmée,etlemondedevintobscur,
lalumièredujourdisparut.Ils'écria:Oillustres guerriers!pourquoivousrendez-vouslecombatsidifficile?
Vousresteztousenfacedecestoursetdeceséléphantspendantquel'arméedesIraniensestgrandeets'étendà
desmillesau-delà:portez -vousàdroiteetàgauche,etéloignez-vousducentreetdestours.IlordonnaàDjehn,
qui avait de l'expérience dans la guerre, de partiravec les grands de l'armée, d'emmener dix mille cavaliers
aguerris,armésdelancesetpropresaucombat.Thuwurg,levaillantéléphant,partitdesoncôtéavecseshérosvers
l'ailegauche,semblableàunloup.LorsqueKeïKhosrouvitcetteattaquedesTurcs,quandilvitquelesoleilavait
disparudumonde,ilsetournaverslesprincesdeSemengan,ceslionsavidesdecombats,etleurordonnadeseporter
àl'ailegauche,brillantscommelesoleildansleBélier;ilspartirentavecdixmillecavaliersillustres,ardents
pourlecombatetperçanttoutavecleurslances; ensuiteleroiditàSchemmakh,roideSour:Choisis,parmiles
hérosdel'Iran,dixmilleguerrierscouvertsdecottesdemaillesetarmésdemassuesàtêtedebœuf;tirel'épée
dansl'espacequiséparelesarméesetnelaissepersonnereleverlatêteimpunément.Lesdeuxarméesse jetèrent
l’une sur l'autre : tu aurais dit qu'elles étaient fondues l'une dans l'autre.On entendit detouscôtés le
retentissementdescoups,etdestorrentsdesangs'écoulaientdelascèneducarnage.
Lorsquelapoussières'élevaitàdroiteetàgauche,lemaîtredumondedemandasacottedemaillesdecombat;on
envoya d'un autre côté les éléphants et lestours, le monde devint comme les flots du Nil ; Khosrou s'avança du
centreaccompagnédeRustem,deMenouschanetdeKhouzan,lessoutiensdel'armée;lesondestrompettesetdes
claironsmontaversleciel.D'uncôtédeKhosrousetenaitleSipehdarThous;touslesPehlewansauxbottinesd'or
s'avancèrent le cœur aigri,portant l'étendard de Kaweh, et formèrent l'aile gauche du roi. A ladroitedu roi
marchaitRustem,avidedecombat,avecsonfrèreZewareh;GouderzfilsdeKeschwad,leguerrierexpérimenté,etun
nombredegrandsetdenoblessetinrentprèsdeRustem,demêmequeZeraspetMenouschan,lesageconseiller.On
entenditlebruitdescoupsdonnésetreçussurlechampdebataille.Personneneverraplusunpareilcombat:tout
ledésertdesableétaitcouvertdeblessésetdemorts,d'hommesdontlejourétaitpassé;ilyavaittantde
cadavresquelepiednetrouvaitpasdeplacepours'yposer;laplaineinondéedesangressemblaitauDjihoun,on
nevoyaitquedeshommesanstêteoulatêteenbas;lescrisdescavaliersetdeschevauxcouvraientlesondes
tambours;onauraitditquelecœurdesmontagnessefendaitetquelaterres'envolaitaveclescavaliers:ily
avaitdestêtessanscorps,descorpssanstêtes;lescoupsdeslourdesmassuesrésonnaient,lespoignardsetles
épéestranchantesflamboyaient,etlesoleilcherchaitlechemindelafuite;tuauraisditqu'unnuagenoirétait
arrivéetversaitunepluiedesangsurlechampdebataille.
Khirindjasfuttué,àl'ailegauche,delamaindeFeribourzfilsdeKaous;etKerila,quiàluiseulvalaitcent
éléphants,tombaàl'ailedroitesouslescoupsdeMinoutchehr.Unouragans'élevaàl'heuredemidietunnuage
couvritlafacedusoleilquiéclairelemonde,laterres'obscurcitetlesyeuxsetroublèrentdanslesténèbres.A
l'heureoùlesoleilbaissait,lecœurduroidesTurcsbonditd'angoisseenvoyantcetourbillondecavaliersdetous
tes pays, de toutes les frontières, de tous lesroyaumes,couverts de cuirasses de toutes formes, portant des
drapeaux de toutes couleurs, qui diapraient le monde entier derouge, de jaune et de violet. Guersiwez, qui
commandaitlaréserveduroi,voyantcequisepassait,amenatoutessestroupesdanslamêlée;ilenvoyaàdroite
deshérosillustresunisdecœuretdecorps,etdéployademême,verstoutel'ailegauche,destroupespoursoutenir
lalutte;c'étaientquarantemillecavaliersvaillants,touschoisispourlecombat.Enarrivantdesderrièresde
l'armée, Guersiwez accourut auprès de son frère, qui, à sa vue,sentit renaître son courage et fit avancer ses
troupes. Alors onentendit le bruit des coups donnés et rendus, et la face du ciel futvoilée par les flèches.
Lorsquelesoleildisparutetquelejourpâlitàl'aspectdelanuit,Guersiwez,leruséPehlewan,accourutauprèsde
sonfrèreetluidit:Quidenosbravesvoudramaintenantlivrercombat?Laterreestcouvertedesang,lecielest
rempli depoussière. Rappelle ton armée, ne fais plus d'effort, puisque lanuit est venue ; dans un instant tu
entendraslecridedétressedesTurcs,tutetrouverasaumilieudelamêlée,tonarméeseraenfuite;n'exposepas
ainsitapersonne.Maislecœurd'Afrasiabbouillonnaitdecolère;danssonemportementiln'avaitpas d'oreilles
pourcesparoles;illançasonchevalau-devantdel’arméeets'avançarapidement,suividudrapeaunoir.Iltua
quelques-unsdesplusrenommésparmilesIraniens,etKhosrou,quis'enaperçuts'élançaàleursecours.Lesdeux
roisdesdeuxpayss'approchèrentremplisdehaineetaccompagnésdecavaliersordinaires.MaisGuersiwevetDjehnne
voulurentpasqu'AfrasiabsebattitavecKhosrou;ilssaisirentlabridedesoncheval,latournèrentetcoururent
avecleroiversledésertdesabled'Amouï.
Lorsqu'ilfutparti,Ustukilas'élançarapidement,commelapoussière,pourcombattreKhosrou.Ilétaitaccompagné
duroiIla,quiressemblaitàunvaillantcrocodile,etdeBurzouïla,quiportaithautlatêtedanslabataille.
C'étaienttroiscavalierstouraniens,deshommesviolentsetrenommés.Leroilesaperçut;illançasonchevaldu
milieudel'armée,s'avançacommeunemontagne,frappalehérosUstukilaaveclalance,lesoulevadu dosde son
chevaletlejetasurlesol.LeroiIlacourutsurlefrontdel'arméeetdonnauncoupdelancesurlaceinturedu
roi;maislalanceneputentamerlacuirasse,etlecœursereindeKhosrouneressentitaucunecrainte.Leroi,
voyantlecourageetlaforced'Ila,tirasoudainsonépéetranchante,lefrappaaumilieuducorps,lecoupaendeux,
et remplit de peur l'âme des grands.Burzouïla, voyant ce coup, et l'ardeur, la force et la puissance duroi,
s'enfuitdanslesténèbres;tuauraisditquesapeausefendaitdeterreursursoncorps.
QuandlesTurcsvirentlavaleurvictorieusedeKhosrou,aucundeleursbravesnerestasurlechampdebataille,
etcefutcommeunarrêtdemortpourAfrasiabd'êtreforcédemontrerledosà Khosrou.Quandils'aperçutdela
fuitedescavaliersturcs,tuauraisditquesesjoursétaientfinis,etpendantqu'ilsabandonnèrenthonteusementle
champdebataille,ilfitcrieràKhosrou:Toncouragedelionvientdesténèbres,etnousnenousretironsque
parcequec'estuncombatdenuit.Aujourd'huileventapourunefoissoufflépourluiett'acomblédebonheur;
mais regarde-nousdemain,quandlejourbrillera,regardealorsnotredrapeauquiremplitdejoienosâmes;alors
nousconvertironslasurfacedel'Iranenunemerdesang,nouschangeronslesoleilenpléiades.C'estainsiqueles
deuxroisdesdeuxpaysseretirèrentdansleurcamp,prêtsàrecommencerlecombat.
FUITED'AFRASIAB.
Lorsque la moitié de la nuit sombre fut écoulée, etque la moitié du ciel eut passé au-dessus des montagnes,
Afrasiabfitchargerlesbagages,distribuaàtoutel’arméedescasquesetdescuirasses,etordonnaunerondededix
millecavaliersturcsmontéssurdeschevauxcaparaçonnés.Ensuiteilditàsonarmée:JevaisrepasserleDjihoun,
etilfautquevouspassiezàmasuite,enbonordre,uncorpsaprèsl'autre.DanslanuitsombreAfrasiabquittaavec
sonarméeledésertd'Amouïetpassalefleuve,etlasurfacedupays,danstouteslesdirections,restaitcouverte
detentesgrandesetpetites,abandonnéesparlestroupes.Lorsquelespremièreslueursdujourvibrèrentducôtédu
Levant, les vedettes iraniennes ne virent plusd'ennemi sur la plaine, et allèrent annoncer au roi qu'il était
dispensédelabataille,quetoutelaplaineétaitcouvertedetentesetdeleursenceintes,maisqu'onn'yvoyait
pas un seulcavalierennemi.Acettenouvelle,Khosrousehâtadeseprosternerdanslapoussièrepouradorerle
saintMaîtredelajustice,disant:Ocréateur resplendissantdelumière,maîtredumonde,toiquiveillessurtous
etnourristous;tum'asdonnéladignitéroyale,lediadèmeetlepouvoir,tuasaveuglélecœuretlesyeuxde
l’ennemi.Faisdisparaîtredelaterrel'oppresseur,rends-lemisérablepardesterreursincessantes.
Lorsquelesoleilélevasonbouclierd'oretquelanuitsecouvritdesacheveluredeturquoises,lemaîtredu
mondes'assit sur son trône d'ivoire et posa sur sa tête la couronne quiréjouissait les cœurs. Son armée vint
l'adorer,souhaitantqueceroidignedutrônevécûtéternellement;elleétaitrassasiéedestrésorsquel'arméedu
roidelaChineavaitlaissés.Chacunseditqu'ilétaitfâcheuxqu'Afrasiabeûtréussiàs'échapperavecsonarmée,
avecsesclaironsetsestimbales,etqueceprinceillustresefûtdérobéainsisainetsauf,danslanuitsombre,
auxmainsdesPersans.Leprudentroileurdit: Ograndsdel'arméed'Iran,quandl'ennemiduroiesttué,c'est
bien;quandils'enfuitdelabatailleets'envaerrant,c'estmieux.Puisqueledistributeurdesvictoiresnousa
donnélagloire,lapuissance,lediadèmeetladignitéimpériale,faitesmonterversluivosactionsdegrâces,et
quandviendralanuitdumalheur,adorez-leégalement,carilrendetmalheureuxquiilveut,etfaitmontersurle
trône,quandilluiplaît,unhommesansvaleur.Voseffortsetvosinterrogationsdesastresn'ypeuventrien,car
sesesclavesnepeuventrésisteràsavolonté.Jeresteraicinqjourssurcechampdebataille;lesixièmeestle
jourdeHormuzdquiéclairelemonde,leseptièmenouspartirons,carAfrasiabnefaitqu'augmenternotredésirde
vengeance,etnousvoulonslecombat.
Pendant ces cinq jours ils cherchèrent sur le champde bataille tous les morts de l'armée iranienne et les
lavèrent,etleroiconstruisitunmausoléedignedecesmorts.
KHOSROUANNONCESAVICTOIREÀKAOUS.
Khosroufitvenirunscribemunidepapier,demuscetd'ambre,etl’onécrivitunelettreàKaous,danslesformes
qu'exigentlacoutumeetlerespect.OncommençalalettreparleslouangesdeDieu,notreguideverslabonneetla
mauvaisefortune.Ensuiteleroicontinua:Leroi,monmaître,quitremblepourmaviecommeferaitunpère,puisse
sonpouvoirdurerautantquelesrochers,puisselecœurdesesennemisêtrepercé!Jesuisvenudel'Iranjusqu'aux
sablesduFarab,etpendanttroisnuitsj'ailivrétroisgrandesbatailles.Lenombredescavaliersd'Afrasiabétait
telqu'unhommedesensnelerévéraitpasmême.J'envoieauroilestêtescoupéesdetroiscentshéros;c'étaient
son frère et desparentsetdesfilsetd'illustresgrandsetvassauxd'Afrasiab;ensuite j'envoie captifs deux
centsdecesnobles,dontchacunestégaldanslecombatàcentlions.Toutescesbataillesontétélivréesdansle
désertdeKharezm,ettoutesontétébéniesparleciel.Afrasiabestparti,etnouslesuivonsentoutehâte,pour
voircequ'amèneralarotationdumonde.Onapposasurlalettreunsceaudemusc,etKhosrousemitàtraverserle
désertdesable,disant:Bénissonscechampdebataille,etpuissechaquearméeêtregouvernéeparuneétoilequi
portebonheur!
AFRASIABARRIVEÀGANGUEDIZ.
Lorsqu’AfrasiabsefutdéterminéàrepasserleDjihoun,iltraversalefleuverapidementcommeunouragan,son
arméeseréunitàl’arméede Kara-khan,etchacunracontacequiluiétaitarrivédanslabataille.LeroidesTurcs
ettousceuxdesaracequisurvivaientversaientdeslarmesabondantessurlamortdesonfilsillustre,deses
grands,desesparentsetdesesalliés,etl’onentenditdeslamentationstellesqu'onauraitditquelesnuages
faisaientpleuvoirdusangdesyeuxdulion.
Il fit une halte à Boukhara, parce qu'il désiraitfairerecommencerlecombatdeslions.Ilconvoqualesplus
courageuxdesgrandsdesacourquirestaientenvie;maislorsquelesnoblesettouslesbravesquiétaientadmisà
donnerunavisfurentrassemblés,ilsdéclarèrentauroiqu'ilsdésespéraientdelaguerre.Touslesplusvaillants
denotrearméesontmortsetnotrecœurensaigne.Decentiln'ensurvitprobablementpasvingt,etilnenousreste
qu'àpleurerlesmorts.Nousetungrandnombredenosalliésavonsrenoncéànosrichessesetànosenfants, et
avons livré sur l'autre rive du Djihoun une batailletelle que le roi l'avait ordonnée. Tu sais ce qui nous est
arrivéparsuitedenotrefolie,cartuesleroietnoussommestessujets.Sidoncleroiveutsuivreunavissensé,
ilconduiral'arméed'iciàDjadj,etquandKhosrouviendrapourlecombattre,ilseratempsdemettresurpiedune
armée.Puisse-t-ilplaireauroideseretirerderrièreleGulzarriounetdesetenirenreposdanssonparadisde
Gangue,quiestledépôtdesestrésorsetsonchampdebataille!Tousseréunirentàcetavis,etpersonnen'en
ouvritunautre.
IlspartirenttouspourleGulzarrioun,lesyeuxremplisdelarmes,lesjouesinondéesdesang.LeroidesTurcs
resta trois jours sur les bords du Gulzarrioun et se délassa enchassant au faucon et au guépard. De là ils se
dirigèrentversGangue,sanss'arrêterlongtempsnullepart.Leroiypossédaitunevillesemblableauparadis,dont
lesolétaitdemuscetlesbriquesétaientd'or.Ils'yreposaheureuxetsouriant;tuauraisditquelasécurité
était sa compagne. Il appela de tous côtés une arméeBans nombre, des grands qui portaient haut la tête, et des
héros,etsemitàjouirduviaetdesbosquetsfleuris,dusondesharpesetdesrebecs,desroses,desjacintheset
descoupes.Iljouitainsidelavieenattendantqu'ilvîtcommentlesorttourneraitetquelsecretsecachaitsous
cequiétaitapparent.Maisbientôtarrivèrentdesespionsquiluidirentensecret:Khosrouaconduitsonarméede
cecôtéduDjihoun,ilaquittéleborddufleuveetarrivedansledésert.Faisattention,etpréparesur-le-champce
qu'ilfaut,carl'ennemivaparaîtreinopinément.
KEÏKHOSROUPASSELEDJIHOUN.
LorsqueKeïKhosroueutpassédel'autrecôtéduDjihoun,iloublialafaim,lereposetlesommeil.Aussitôtque
sonarméeeuttraversélefleuveilenvoyadesmessagersàtouslesgrandspourlesexhorterànepass'effrayerde
sonarrivéeetàprierpourluiDieuletrèssaint.Ildistribuadegrandstrésorsauxpauvres,endonnantdavantageà
ceux qui étaient heureux de levoir. Ensuite il s'avança sur la frontière de Soghd, où il trouva unmonde tout
nouveau,quiétaitlademeuredeshiboux.Ildistribuaencoredestrésorsdanscepaysetdésiraqu'ilfûtcultivé.A
chaque station arrivait une escorte de cavaliers pour protéger leroi. Khosrou reçut des nouvelles de Gangue et
d'Afrasiabetdesonarmée;ilappritqueKakuleh,undescendantdeTour,pleindehaineetderancuneetimpatient
devoirlejourdelabataille,étaitarrivéauprèsd'Afrasiabavecunearméequiressemblaitàdeslionsdéchaînés;
qu'AfrasiabavaitenvoyéunepartiedeseshérosàDjadjpourfaireapporterletrôneetlacouronnedesTurcs;
qu'il avaitexpédié,souslecommandementdeThuwurg,unegrandearméedansledésert, et que tous lesprince du
désertavaientacceptélaguerrecontreKhosrou,etpromisdecouperlecheminauxIraniens.
Khosrou, le maitre du monde, méprisa ces mouvements ;son esprit ne s'occupait que d'Afrasiab. Il ordonna à
l'armée,quiarrivaitdeBerdaetd'Ardebil,des'avancerpardivision,deleprécéderetdeluirendrecomptedes
braves, des Mobeds et desgouverneurs d’Afrasiab. Celte armée partit sous le commandement deGustehem, qui ne
s'effrayait pas du combat des lions. Ensuite ilordonna à l'armée venue du Nimrouz de partir avec Rustem, le
destructeurdesbraves,etdemontersurdeschevauxfortscommedesdromadairesardentsàlacourse,entenanten
laissedeschevauxfrais,pour surprendrelesTurcsparunemarcherapide.Cesdeuxchefs,l'honneurdescouronnes
qu'ilsportaient,partirent,l'unversledésert,l'autreversDjadj.
Leroilui-mêmerestaunmoisdanslepaysdeSoghd,quiluidevinttoutdévoué;ildonnadel'argentàsonarmée
etlafitreposer,ilguettaitlemomentoùilfaudraitlivrerbataille.Ilrassemblatousceuxquiétaientpropresau
combat, quiconnaissaientl'artetlesrusesdessièges;ils'enfitdesamisetremplitdeterreurlatêtedes
méchants.Ensuiteilpartitdu pays de Soghd et de Kaschan avec une armée fière, couverted'armures, préparée au
combat et telle que le monde en restaconfondu. Les Turcs apprirent que l’armée de Khosrou, quiambitionnait la
possessiondumondeetquicherchaitlavengeance,s'avançait:tousseréfugièrentdansleschâteauxforts,lemonde
seremplitd'agitationetdebruit.KeïKhosrouadressalaparoleàsonarmée,disant:Maintenantilfautfairela
guerresurunplannouveau.CeuxparmilesTurcsquinousobéiront,quiregretterontdenousavoircombattus,neles
attaquezpas,neversezpasleursang,nepermettesàpersonnedeleurfairedumal;maisceuxquis'aviseraientde
nousattaquer,ceuxdontlecœurhaineuxneveutpassuivrelabonnevoie,ilvousestpermisdeverserleursang,de
lesattaquerpartoutetdelespiller.Onproclamadevantl'arméequ'ilnefallaitpasprendrelesvivres,nimontrer
delahaine,nifairelaguerreàquiconqueneportaitpasdanssoncœurdelahainecontreleroi.
C'estainsiqu'ilssedirigèrentversleTouran;lemondefutremplidetumulteetdeclameurs;l'arméeduroi
desroisnefitaucuneattentionàceuxquiluiobéissaient;maislesTurcs,depeurd'Afrasiab,refusaientl'eauà
ceuxdontleslèvresétaientaltérées,etsiquelqu'undel'arméeduroirestaitenarrière,ontrouvaitbientôtsur
laroutesoncorpsprivédelatête.LesIraniensmarchèrentcontrelesforteresses,etpartoutoùsetrouvaitun
hommequivoulûtsedéfendre,lesmursdisparaissaientàl'instant,etl'arméenelaissaitderrièreellenichâteaux,
nipalais,niesclaves,hommesoufemmes,nichevaux,niriendebonoudemauvais.C'estainsiqueKhosroutraversa
centfarsangs,nelaissantdeboutniunchâteaudanslamontagneniunedemeuredanslaplaine.
Lorsqu'ileut amenél’arméesurlesbordsduGulzarrioun,ilvisitatouslesalentoursavecunguide,etytrouva
un pays semblable à un jardin au printemps ; lesvallées et les plaines, les montagnes et les terres pleines de
beauté. Les montagnes étaient remplies de bêtes fauves, les plainescouvertes d'arbre et la terre digne d'être
habitéeparceuxauxquelslafortuneestpropice.Ilenvoyadesvedettesetdesespionspourêtregarantidedangers
cachés ; on plaça le camp du jeune roi surles bords de l'eau ; le maître du monde s'assit sur son trône d'or,
entourédesgrands,sesserviteurs,etilpassasesnuits,jusqu'auretourdelapurelumièredujour,dansdesfêtes
quifaisaientsortirlesmortsdeleurstombesdanslaterrenoire.
Del'autrecôté,Afrasiab, quisetenaitàGangue,necessaitnipendantlejourbrillant,nipendantletempsdu
sommeil,dedireàtoussesconfidents,auxgrandspleinsdevigilanceetdesagesse:Maintenantquel'ennemiest
arrivéjusqu'ànotrechevet,commentpourrions-nousrestertranquillesàGangue?Tousluirépondirent:Notreennemi
étantproche, nous ne voyons que le combat, car pourquoi nous soumettrionsnous ? Ils le dirent, se levèrent et
passèrenttoutelanuitàmettreenordreleurarmée.
SECONDEBATAILLEENTREKEÏKHOSROUETAFRASIAB.
Al'aubedujour,àl'heureoùl’onentendlecoq,lebruitdestimbalesmontadansl’airdupalaisd'Afrasiab,
unearméesortitdeGanguedansledésert,unearméetellequelaplacemanquaitauxfourmisetauxmouches;elle
s'approchaduGulzarrioun,etlaterredevintcommelemontBisoutoun;ellemarchatroisjoursettroisnuits;le
mondeseremplitdeterreur,dedésordreetderapine;elleétenditsesrangssurseptfarsangs;elleétaitplus
nombreusequelesfourmisetlessauterelles.Lequatrièmejourelleseformaenordredebataille,etl'écumedela
rivière monta jusqu'au soleil. Afrasiabet ses grands, des cavaliers portant haut la tête et pleins desagesse,
occupaientlecentre;àl'ailedroitesetrouvaitDjehnfilsd'Afrasiab,quiélevaitsalanceau-dessusdusoleil;
à l'ailegauchesetenaitThuwurg,lelionducombat,semblableàunloup,entourédecavaliersexpérimentés;à
l'arrière-gardeétaitGuersiwez,lehaineux,quidevaitêtrel'appuidel'arméecontrel'ennemi.Khosrou,del'autre
côté, occupait lecentre de l'armée, dont il était le soutien, semblable à unemontagne ; ilétait entouré de
Gouderz,deThousfilsdeNewder,deMenouschanetKhouzan,lesprinces victorieuxetjoyeux,deGourguinfilsde
Milad,etdeRehham,lelion,deHedjiretdeSchidousch,levaillant,lebraveFeribourzfilsdeKaoustenaitl'aile
droiteavecunearméequineformaitqu'uncœuretuncorps;àl'ailegauchecommandaitMinoutchehr,quinecédait
jamais dans le combat des héros ; Guiv fils de Gouderz, le soutienet le protecteur des frontières, commandait
l'arrière-garde.Lesclousdessabotsfaisaientdelaterreunemontagnedefer,etlesangconvertitenrubisl'eau
dufleuve;lapoussièresoulevéeparl’arméeformaitunnuageau-dessusdestêtes,etlesondestamboursfendaitle
cœurdesrochers;l'airdevintcommeunvoilenoir,etlebruitdestimbalesfaisaittremblerlesastres,laterre
vacillait comme un nuage noir ; tu aurais dit que lesarmées ne pourraient y tenir ; la plaine se couvrait de
cervelles,demainsetdepieds,etiln'yavaitplusdeplacelibresurlesol;lessabotsdeschevauxfendaient
lestêtesdesmorts,etlesétincellesdeleursfersmontaientdansl'air.Leshommesdesenssetenaientàl'écart;
lesdeuxarméesconvenaientque,siellesrestaientlongtempssurcetteplainedeladésolationetdelavengeance,
pasuncavaliernesurvivraitetlecielmêmes'écroulerait.Lebruitdeshachesquifracassaientlescasquesétait
tel,quelesâmesdisaientadieuauxcorps.
Quand Keï Khosrou vit les convulsions de la bataille,il sentit le monde peser sur son cœur ; il se retira
derrièrel’armée,et se présenta devant le Créateur, demandant justice etdisant: O toi qui es au-dessus de la
sagessedessaints,maîtredumonde,roiau-dessusdetouslesrois!Sijen'avaispasétévictimedel'injustice,
sijen'avaispasététorducommeleferdanslaforge,jenedemanderaispaslavictoire,jenet'importuneraispas
de mes prières. Il parlaainsi en frottant ses joues dans la poussière, et lemondefut rempli de ses cris
d'angoisse.Àcemomentmêmes'élevaunoragequibrisaitlesbranchesjoyeusesdesarbres,soulevaitlapoussièredu
champdebatailleetlalançaitcontreleroietl'arméedesTurcs.LesTouraniensfurentébranlés,lesunsétaient
blessésoumorts,lesautresprisonniers;maisquandAfrasiabapercevaitunTurcquiquittaitlabataille,illui
coupaitlatêteavecsonépéeetneluidonnaitpourlinceulquelapoussièreetlesable.Lecombatcontinuajusqu'à
cequelecieletlaterrefurentobscurcis,etqu'ungrandnombredeTurcsfurentcaptifs;lanuitvint,revêtuede
sonvoilecouleurdemusc,desortequ'onnepouvaitplussebattre;lesroisrappelèrentleursarméesduchampde
bataille,lorsquelecieleutrépandusesténèbressur la face de la terre ; toutelaplaine depuis lepied des
montagnesjusqu'auborddufleuveétaitcouvertedecottesdemailles,decuirassesetdecasques;onallumapartout
desfeux,etdespatrouillesparcoururentlesenvironsdescamps.
Afrasiabsepréparaitàunnouveaucombat;ilvoulaitattendrequelesoleilfûtlevé,eûtéclairélesflancsdes
montagnesetrendulaterrebrillantecommeunrubisdeBadakhschan.MaisleCréateurenavaitordonnéautrement,et
l’onnepeutrésisteràsavolonté.
AFRASIABSEREFUGIEAGANGUI-BEHISCHT.
Lanuitétaitnoirecommelevisaged'unnègre,lorsqu'unmessagerdeGustehemfilsdeNewderarrivaauprèsde
Khosrou,disant:Puisseleroidumondevivreéternellement!Noussommesderetour,contentsetvictorieux.Nous
avons surpris leshéros d'Afrasiab pendant le temps du sommeil. Ils n'avaient pas unseul cavalier en vedette,
personneparmieuxn'avaiteuunpeudeprudence;pendantqueleurschefsseréveillaient,noustirâmesnosépéeset
noslourdesmassues,etlorsquelanuiteutfaitplaceaujour,ilnerestaitplusenviequeKarakhanetunpetit
nombredeseshommes.Toutelaplaineestcouvertedeleursmembresetdeleurstêtes;laterreestleuroreilleret
lapoussièreleurcouverture.
IlsurvintdegrandmatinunmessagerdeRustem,montésurundromadaire,etporteurdebonnesnouvelles,disant:
Nousavonsapprisdansledésertoùsetrouvaientlesennemis,etavonssuivientoutehâtecetteindication;Rustem
marchait jour et nuit, et s'il avait été seul,il n'en aurait pas moins continué sa route. Nous avons atteint
l'ennemiàl'heureoùlesoleilquiéclairelemondelèvesatêteau-dessusdesmontagnes;Rustembandasonarc,et
lorsqu'ilfutplusprès,ilmitsoncasquesursatête,et,aveclapremièreflèchequ'ilfitpartirdesamain,le
désertfutdélivrédel'arméedesTurcs.MaintenantilestentrédansleTouran,poursuivantsavengeance,etleroi
enauraprochainementdesnouvelles.
UneclameurjoyeuseremplitlecampetfrappalesoreillesduroidesTurcs,quiordonnaàl'instantàtousses
serviteursdemonteràcheval.Aumêmemomentarriva,engrandehâte,uncavalierauprèsd'Afrasiabenpoussantdes
crisetannonçantqueKarakhansurvivaitpresqueseuldesonarméeetarrivaitavecsoixantehommes,pendantqueles
Iraniensentraient dans le Touran, en si grand nombre qu'ils épuisaient l'eaudes ruisseaux. Afrasiab dit à ses
conseillers:Lafortunenoustrahitencoreunefois:siRustemsaisitmonpalais,noussommesperdus d'un seul
coup.MaisilcroiraquenoussommessansnouvellesetengagésàcombattreKhosrou.Allonslesurprendrerapidement
commelefeu;inondonslaterred'untorrentdesangcommeleDjihoun,etsiKhosrounoussuit,ilestprobableque
deuxtiersdesonarméenereverrontpluslesterrassesetlesmursdesaville.Toutel'armée,touslessagesetles
chefspartagèrentcetavis;onabandonnalesbagages,etl'armées'élançadansledésertrapidementcommelefeu.
Maisbientôtunéclaireurarrivadudésert,annonçantàKhosrouquel'airétaitobscurcidelapoussièresoulevée
parl'arméedesTurcs.IlavaitvuquelesTurcsavaientdisparuetvintdireauroidupeuplequetoutelaplaine
étaitcouvertedetentesdetouteespèce,maisquepersonnenes'ytrouvaitplus.Khosroucompritqueleroidela
Chineavaitquittélechampdebataillesiinopinémentparcequ'ilavaitreçudesnouvellesdeGustehemetdeRustem
quiavaientprécipitésamarche.Ilfitpartirsur-le-champunmessager,qu'ilenvoyaengrandehâteàRustem,etlui
fitdire:Afrasiabarenoncéàlabataillequ'ilallaitmelivrer,etsansdouteilvasejetersurtoi.Tiensprête
tonarméeetsoissurtesgardes;nequittenijourninuittoncarquoisettesflèches.Lemessagerétaitunhomme
d'expérience et tel qu'il le fallait ; il connaissaitla route et ce qui était hors la route ; il partit, et
lorsqu'ilarrivaauprèsdeRustem,iltrouvalehérosaucœurdeliontoutarmé,etsestroupeslamassuesurl'épaule
etl'oreilletendueversunbruitlointain.IlfitàRustemsonmessage,dontlebutétaitd'assurersasécurité.
DesoncôtéKeïKhosrou,leroiavidedevengeance,s'assitenreposetenpaix;ildistribuaàl'arméetoutce
qu'onavaittrouvé,lesgrandesetlespetitestentesetlestrônesdetouteforme.IlfitrechercherlesIraniens
morts, les fit laverpour enlever le sang et la boue, les fit mettre dans des linceuls etleur construisit un
mausoléeroyal.Lorsqu'ilsefutdébarrassédusangetdelapoussièreducombat,ilfitplierlesbagages,monterà
chevalsestroupesetsemitàsuivrerapidementlestracesduroidesTurcs.
Afrasiabétantarrivéprèsdesaville deGangue,crutqueRustemdevaitêtrelivréausommeil,etilditaux
chefsdesestroupes:Allonslesurprendre,allonsledétruireluietsonarmée.Maisilaperçutdanslesténèbres
uneronde;ilentenditdanslaplaineunbruitdechevaux;ilfutconfondudelavigilancedeRustem,s'arrêtaetse
mitàréfléchirquesonarméeétaitaffaiblieetbattue,queseshommestenaientàladoucevie,queRustempromptà
frapperétaitdevantlui,etderrièreluileroietsesvaillantscavaliers.Ilappelaceuxquisetrouvaientprèsde
sapersonne,leurparlalonguementdesesinquiétudesetdemandaleuravis.Undesesconseillersditauroiillustre
:Pourquoiendurerions-nousdenouveaulesfatiguesdelaroute?VoiciGangue-Dizoùsontlestrésorsduroi;c'est
unendroitquiahuitfarsangsdelongueuretprèsdequatreenlargeur,quiestremplidefemmes,d'enfants,d'hommes
et d'unegrandearmée;c'estlesiègedupouvoiretdel'empire,dutrôneetdelacouronne.Aucunaiglenepeut
volerau-dessusdesesmurs,personnemêmeensongen'enavudeplushauts;ils'ytrouvedesvivres,tonpalais,
ton diadème et une armée ; tu y jouiras de testrésorspendantquel'ennemiauraàsupporterlesfatiguesdela
route.Voicicepaysqu'onappelleleparadis,oùtoutestplaisir,reposetdélices;danschaquecoinsontune
sourceetunbassind'eaulongetlarged'uneportéedeflèche;tuyasamenédesMobedsdel'IndeetdeRoum,tuen
asfaitunedemeurecommeleparadis,etduhautdelatouronobservefacilement,àladistancedevingtfarsangs,
ceuxquisetrouventdanslaplaine.N'as-tudoncpasautrechoseàfairesurlaterrequedelivrerdesbatailles?
Àlafinlemondeneresteàpersonne.
Leroiécoutacesparoles;ellesluiconvinrent,etilrepritconfiancedanslesort.Ilentrajoyeusementdans
Gangui-Behischtavecsonarméeettoutsonappareildeguerre;ilfitletourdelavilleetn'ytrouvapasunpouce
deterreinculte.Ilyavaitunpalaisdontletoits'élevaitjusqu'auxnues,etquiavaitétébâtiparlepuissant
roi.Ilentradanslasalled'audienceetytintsacour;ildonnaàsestroupesdel'argent,illeurdonnadel'or
;ilenvoyadetouscôtésdesarméesàlatêtedesquellesilplaçadesprinces.Surlatoursetenait debout un
guetteur,pendantlejourungardien,pendantlanuitunesentinelle.Àladroitedurois'assirentlesnoblesetles
Mobeds,etilappeladevantluil'hommequiécrivaitseslettres.
AFRASIABÉCRITAUFAGHFOURDELACHINE.
OnécrivitunelettreauFaghfourdelaChine,auquelleroi,aprèsmillesalutationsdit:Larotationducielne
m'amènequedescombats.J'airelevéunhommequej'auraisdûtuer,etmaintenantilmerendlaviedure!Jeserais
heureuxsiunprincecommeleFaghfourvenaitici,carmonâmeesttémoindel’affectionquejeluiporte.Maiss'il
ne peut pas venir lui-même, qu'il envoieune armée et qu'elle s'avance de ce côté, prête au combat. L'envoyé
d'Afrasiab arriva à lacourde Chine à l'heure dusommeil. Le Faghfour, qui portait haut la tête, le reçut avec
politesseetluiassignaunpalaisagréable.
PendantcetempsAfrasiabperditàGuanguelerepos,l'appétitetlesommeil;ilfitplacerdesbalistessurles
mursetmettrelesbastionsenétatdedéfense;ilordonnaauxmécaniciensdeporterdelourdespierressurlatour
;ilappelaungrandnombred'artificierduRoum;ildistribuasestroupessurlesmursdelaforteresse,etunchef
pleindevigilancedisposasurlatourlescatapultesetlesbalistes,lesarbalètesetlesboucliersenpeaude
rhinocéros.Touslesbastionsétaientremplisd'hommescouvertsdecottesdemaillesetdecasques;unefoulede
forgeronssefatiguaientàplacerpartoutdescrochetsd'acierattachésàdelongueslances,poursaisiravecces
griffesaiguësceuxquis'approcheraientdesmarsoulesforceràs'enfuir.Ildistribuadel'argentàl'arméeetla
pourvut de tout ; il fit à chacun des largesses de toute espèce ;il distribua des casques, des épées, des
caparaçons, des bouclierschinois, des flèches et des arcs sans nombre à son armée, enn'omettant personne qui
pouvaitsebattre.
Lorsqu'ileutremplicedevoir,ils'assitjoyeusement,luietsesserviteursquil'avaientaidéàpréparerle
combat;touslesjourscentjoueursdeharpeauxvisagesdePérisserassemblèrentdevantletrôneduroi;jouret
nuitiltintsacouretfitchanterdesesclavesenbuvantduvin;chaquejouriljetaauventuntrésor;ilne
pensaitniaujourniaulendemain.Quandl'avenirl'inquiétait,ilpensaitquepeut-êtreilnelefrapperaitpaset
qu'ilnefallaitpass'entourmenter.Ilvécutainsidanslesplaisirspendantdeuxsemaines.Quisaitquelestle
cœurquidemainserajoyeux?
KEÏKHOSROUARRIVEDEVANTGANGUE.
DanslatroisièmemarcheKeïKhosrouarrivadevantGangue;ilentenditlebruitdesflûtesetlesondesharpes,
etsourit;ilfitletourdesfortificationsetrestaconfondudecechangementdelafortune,sedisant:Celuiqui
aconstruitcesmursnel’apasfaitpourrésisteràdesennemisetaumalheur;maislorsqu'ileutversélesangdu
roi de l'Iran, il s'est réfugiédans ces murs devant nous. Il regarda avec étonnement cette ville ;il la vit
semblable à la sphère céleste qui réjouit le cœur. Il dità Rustem : O Pehlewan ! ton esprit lucide peut-il
comprendrequedegrâces,quedevictoiresdanslescombatsDieu,lemaîtredumonde,nousaaccordées!Ceméchant,
pluscélèbrequetouslesméchants,poursacolère,saperversitéetsadémence,s'estenfuidevantnousdanscette
forteresse,poursesoustraireauxcombats;ceméchant,quiestlechefdetouslesméchantsdecemonde,estdevenu
encoreplusmauvais,maintenantqu'ilestvieux.SijenerendaispasgrâcesàDieu,jenemériteraispasdedormir
danslanuit,carc'estluiquidonnelavictoireetladomination;c'estluiquiacréélesoleiletlalune.
D'uncôtélavilleétaitadosséeàunemontagne,etlàelleétaitgarantiecontretouteattaque;del'autrecôté
coulaitunfleuvequiréjouissaitl'âmedeshommes.Ondressasurtoutelaplainelesenceintesdestentes,onplanta
ledrapeaudesKeïanides;l'arméeoccupaunespacedeseptfarsangs,ettoutelaterresesoumitàelle.Rustem
plaçasoncampàdroiteetdemandaauroi,maître de la terre,lecommandement d'un corps d'armée; à gauche se
trouvaitFeribourzfilsdeKaous,dontlecœurseréjouissaitdusondesclaironsetdestimbales,etseshommes
vinrentetdressèrentl'enceintedesestentes;ensuitelefilsdeGouderzchoisitlaplacedesoncamp.Lanuit
vint;detouscôtésonentenditdesclameurs;lemondeseremplitdeluttesetdebruit;lecœurdelaterrebondit
dusondetantdeclairons,detrompettesetdefifres.
Lorsquelesoleilenvoyasesrayonsdelavoûteducieletqu'ileutdéchirélevoilenoirdumonde,lerois'assit
sursonchevalcouleurdenuitetfitletourdel'armée;ilditàRustemaucorpsd'éléphant:Omonami,chefde
l'armée!j'espèrequelemondeneverraplusAfrasiab,mêmeensonge;soitqu'ilpérissedanslecombat,soitqu’il
tombevivantentremesmains,ilsentiralapointedel’épéed'unserviteurdeDieu.Jecroisquedetouscôtésdes
troupes arriveront à son aide, car sa puissance estgrande ; on le craint, et c'est par crainte qu'on voudra le
secourir,etnonparhainecontrenousoudegaietédecœur.Mais,avantqu'ilpuisseréunirsonarmée,nousferons
tousnoseffortspourluicoupertouteretraite,nousdémolironslesmursdesaville,nousenjetteronslespierres
etlaterredanslefleuve.Lesjourspéniblessontpasséspourl'armée,etlafatiguevasechangerenrepos.Quand
l'ennemichercheunrefugederrièredesmurailles,unearméen'aplusàcraindrelescombatsetlalutte.Afrasiab
estdécouragédanscetteville,quicertainementneseraplusqu'unhallier.Rappelons-nouslesparolesdeKaous;
portonstouteslesforcesdenosâmesàfairejustice.Iladit:cettevengeance,avectoutessesramifications,ne
serajamaisrecouverteparlarouilleetlapoussièredestemps;unegénérationaprèsl'autrepérira,jusqu'àceque
centfoissoixanteanssoientpassés.Ceseracommeunarbrequipoussetoujoursdesfeuillesvertes;et,danscette
vengeancedesrois,lecœurnetremblerapasdevantlamort.Lepèrepassera,maislavengeancerestera,etlefils
deviendraleguidequitransmettracettedouleuràunautre.Lesgrandsluirendirenthommage;ilsl'appelèrentle
roiàlafoisainte,disant:Puisses-tuterminerlavengeancedetonpère!puisses-tuêtretoujoursheureuxet
toujoursvictorieux!
DJEHNVIENTPORTERUNMESSAGED'AFRASIAB.
Lelendemain,lorsquelesoleilsemontraau-dessusdescimesdesmontagnesetqu'ilplaçasonflambeaud'orsous
lavoûteduciel,onentenditungrandbruitdanslaforteresse,etKhosrouendevintinquiet.Toutàcouponouvrit
la porte du château etcesecretmystérieuxfutdévoilé.Djehn,accompagnédedixcavaliers,sortitdelaville.
C'étaitunprinceprudent,richeetpleindeconnaissances.Ils'avançajusqu'àlaportedel'enceintedes tentes
royales,ouilmitpiedàterreavecsoncortègeillustre.Legrandchambellanentraauprèsduroietluiannonça
l'arrivée de Djehn avec dix cavaliers. Le roi des rois s'assit surson trône d'ivoire et plaça sur sa tête la
couronnequiréjouissaitlescœurs;ensuitelevaillantMenouschansortitetamenaDjehn,leprinceprudent.Lorsque
celui-cifutarrivéenprésenceduroi,Khosrouversadeslarmesquiinondaientsesjoues;Djehns'arrêtaconfondu;
ilôtadesatêtesoncasqueroyal,s'avançajusqu'aupieddutrône,rendithommageauroietl'adora,endisant:O
roiillustre,puisses-tufaireéternellementlebonheurdumonde!puissenotrepaysteporterbonheur!puissentle
cœuretlesyeuxdetesennemisêtrearrachés!puisses-tuêtretoujoursfortuné,toujoursservirDieu,ôtoiquias
étendutamainsurnotrepays!Puissenttondépartettonretouravoirétéheureux!Puisses-tuêtredisposéàde
bonnesparoles!J'apporteunmessaged'Afrasiab,sileroialapatiencedem'écouter.
LeroiayantentenducesparolesdeDjehn,ordonnadeplacercethommesagesuruntrôned'or.Djehns'assitet
s'acquittadumessagedesonpère,disant:Afrasiabestassissursontrônedansladouleur,etlescilsdesyeux
mouillésdelarmes.D'abordjeporteauroilessalutationsduchefdel'arméedeTouran,aucœurdéchiré ;ilm’a
dit:GrâcessoientrenduesàDieu,enquiestnotrerefuge,decequemonpetit-filsestparvenuàunteldegréde
puissance,qu'ilconduitl'armée,qu'ilgouvernel'empire,qu'ilmontesurlavoûteducielquitourne!Ducôtédu
père,sesaïeuxontétérois,depuisKeïKobad;ducôtédelamère,ildescenddeTour;satêtedépasselestêtes
desroisdelaterre,etsonnomestlediadèmequisurmonteletrôneimpérial.L'aiglequivoledanslesnuesetle
vaillantcrocodiledanslesflotsdelamersontlesgardiensdetontrône;lesbêtesfauvesseréjouissentdeta
fortune,etlesprinces,avecleurscouronnesetleursjoyaux,sonttesinférieurs.C'estl'œuvrelaplusétonnante
duDiv,lemaudit,qu'iln'aitjamaisetvouluquemaperte.Commentmoncœura-t-iltellementfailli,quemalgréma
tendresseetmadroiture,j'aituédemamainlenobleSiawusch,lefilsinnocentdeKaous!Monâmeenestdéchirée,
jesuisassisdansmadouleur,ayantperdulafaimetlesommeil.Cen'estpasmoiquil'aitué,c'estleDivimpur,
qui aenlevé de mon cœur la crainte de Dieu. Le monde lui appartenait, jen'avaiscontre lui qu'un prétexte, je
n'avaispourmoidanscetteluttequ'unmensonge.Maintenanttuesdevenuhommedesensetroi,tuapprouveslesbons
;regardedoncquedegrandesvilles,rempliesdejardinsdepalais,deplacesetdemaisons,ontétédévastéesdans
cette guerre de vengeance, dontSiawusch et Afrasiab sont le prétexte ;pense à tous cescombats de cavaliers
vaillants,auxcorpsd'éléphantsetfortcommedescrocodiles,quin'onteud'autrelinceulquelagueuledeslions
et dont les têtes ont été séparéesde leurs corps ;pense qu'il n'est pas resté un lieu derepos, même dans le
désert,etquetoutecettepartiedumondeestdésoléeetdepeuplée;pensequenotrenomnerappellera auxhommes,
jusqu'aujourdelarésurrection,quedescombatsetdescoupsd'épéestranchantes.Dieulecréateurnepeutnous
approuver ; et à la fin nous nous tordrons sous la douleur dumalque nous avons fait. Si tu veux lecombat,
certainementtoncœurnesereposerajamaisdelaguerre.Réfléchisàlarotationdusort,etnepuisedesleçonsque
danselle.Carnoussommesdansunevillefortifiéeettun'asquelacampagneouverte,ettatêtepleinedevengeance
ettoncœurremplidesang.J'appellemavilleGangue;c'estmonparadis,quiaétécrééparmonpaysetplantépar
moi;c'estlàqu'estmonarmée,etmontrésor,làmonsceauetmondiadème;c'estlàquejesèmeetquejejouis;
c'estlàqu'estlademeuredemeslionsducombat,pendantquelebeautempsetleschaleurssontpasséspourtoi,et
quelesrosesetlestulipesauxtrcouleursbrillantessontfanées;l'hiveretlefroidvontveniretgèleronsles
mainssurleshampesdeslances;etquandlesnuagesmontrerontleursridessurleversantdesmontagnes,laterre
decepaysdeviendracommedelapierre.Desarméesarriverontdepartoutoùjelesappelle,ettunerésisteraspas
àlarotationdusoleiletdelalune.Supposequelafortunequichanget'abandonnedanslabataille:alorslesort
t'accableraau-delàdetoutcequetuaspucraindre,etunautrequetoiprofiteradetapeine.Etsitudis:Je
prendrailepaysdesTurcsetlaChine,jeferaiécroulerlecielsurlaterre,j'extermineraicettecouravecl'épée
etAfrasiabtomberadansmamain,necroispasquecelasoitdansl'avenir,carcelui-làneserajamaisbroyé,qui
n'estpasdestinéàpérir.Jesuislepetit-filsdeZadschem,leplusgranddesrois,jesuisdelatracedeFeridoun
etdeDjamschid,jepossèdelasagesseetladignitéqueDieudonneauxrois,jesuiscommeleSeroschetj'aides
ailes comme lui.Quand le malheur me serrera de près, je ne demanderai te conseil àaucun maître, et, selon la
volontédeDieu,jedisparaîtraiàl'heuredusommeil,commeuneétoiledisparaîtdevantlesoleil.Jetraverseraila
merdeKaimak,jet'abandonneraimonarméeetmonempire.Gangue-dizseratarésidenceetmonpaysetmonpeupleneme
verrontplus;maisquandlejourdelavengeanceauraparu,alorsaiesoindetenirprêtetonarmée,carjeviendrai
mevengerdetoietrétablirentoutlieumafoi.
Maissituveuxrenonceràtouteidéede guerre,situveuxrendreheureuxcepayspartaclémence,j'ouvriraimes
trésorsdecouronnesetdeceintures,mestrésorsd'argent,d'oretdepierreries,ettuprendrascequeFeridoun
n'avait jamais donné àIredj,etneparlerasplusdevengeance.SitudemandeslaChineetle Matchin, tu es le
bienvenu,etcarilfautallerlàoùlecœurnouspousse.LeKhorasanetleMekransontdevanttoi,etjeconsensà
tout ce que tu voudras. J'enverrai autant de troupes que tudésireras sur la route que le roi Kaous a éprise ;
j'enrichiraitonarmée,jetedonneraiuntrôned'oretondiadème;jetesoutiendraidanstouteslesbatailles,et
devantmacourjetereconnaîtraicommeroi.Discequetuveux,cequetudésires,réfléchissurlepasséetsurton
avenir. Mais si tu refuses monconseil, si tu médites vengeance contre ton grand-père,alors prépare-toi à la
bataille,aussitôtqueDjehnserarevenu:jesuisprêtpourlecombatcommeunléopard.
KEÏKHOSROUREPONDÀDJEHN.
LeroiécoutalemessagedeDjehnetleregardaensouriant;ensuiteilluidit:Otoiquirechercheslecombat,
j'aiécoutétesparolesducommencementàlafin.D'abord,quantauxsouhaitsquetuasfaitspourmoi,puissent-ils
se vérifier pour mon trône, ma couronne et mon sceau !Quant aux salutations que tu m'as portées de la part
d'Afrasiab,dont les yeux sont remplis de larmes, selon ton récit, je les aientendues ; puissent-elles porter
bonheuràmacouronneetàmontrône,quej'espèrevoirtoujoursheureuxetvictorieux!Ensuite,quantàcequetu
dissurlesgrâcesqu'ilrendauCréateurdevoirsonpetit-filsdévouéàDieu,plusheureuxquetouslesroisdela
terre,etleprinceleplusaiméetleplusvictorieux,jeterépondsqueDieum'adonnétoutcequeditAfrasiab;
puissemonméritenepasêtreau-dessousdecettefortune!Quoiquetuaieslaparoleséduisante,tun'espaspurde
cœur,niunvraiserviteurdeDieu.Quandonestpuissantparl'esprit,ilfaudraitquelesactionsvalussentencore
mieuxquelesdiscours.Feridoun,lebienheureux,n'estpasdevenuunastre,etsoncorpsn'apasquittélaterre
noire,ettudisquejem'élèveau-dessusduciel;tuasdoncrenoncéàtoutepudeur?Tonespritnecomptequesur
lafraude,etlaparoledansbouchen'estqu'unornement.Teslèvressontpleinesdeparolesettoncœurpleinde
mensongesquinepeuventéblouirunsage.N'appellepasmonpère,quetuasassassiné,roidelaterre,maintenant
qu'il ne reste plus même les ossements de Siawusch. De même, par excès de haine, tu as traînéma mère de
l'appartementdesfemmessurlavoiepublique,etmoi,quin'étaispasencorenédemamère,tuasversédufeusur
matête.Quiconquesetrouvaitdevanttontrôneamaudittonâmeperverse,carjamaispersonnedanslemonden'avait
agiainsi,niunroi,niunhéros,niunhommequelconque.Unprincequitraîneunefemme,saproprefille,devantles
hommesetlalivreauxbourreaux,quilafrappentdefouets,pourqu'ellefasseunefaussecouche!LesagePiranest
survenu:ila vucequejamaisiln'avaitvunientendu.MaislavolontédeDieuétaitquej'élèveraismatêteau-
dessusdelafoule;iladétournédemoilemalquetuvoulaismefaire,carlesortavaitsurmoidesdesseins
secrets.Plustard,lorsquemamèrem'eutmisaumonde,tum'asenvoyéchezdespâtres,commeunenfantsansvaleur,
tum'aslivréenpâtureaulion;deschèvresétaientmesnourrices,desbuffles,mesgardiens;jen'avaispasde
reposlejour,jenedormaispaslanuit.Ainsipassaletemps ;àlafinPiranmeramenadudésertetmeconduisit
auprèsdetoi;tuavaispenséquej'étaisdignedutrôneetdelacouronne,ettuvoulaismetrancherlatêtecomme
àSiawuschetn'accorderpasmêmeunlinceulàmoncorps;maisDieuletrèssaintm'aliélalangue,etjesuis
restéconfonduàlaplaceoùj'étaisassis;tum'astrouvéunêtresanscœuretsanstête,etalorstuasajournétes
mauvais dessins. Ensuite pense à ce que Siawusch a faitdans sa droiture, et ce qu'il a souffert de maux et de
privations.Ilt'achoisidanslemondeentiercommesonrefuge,commeilconvenaitàunbrave;ilaabandonnépour
toiletrôneetlacouronne,ilestvenuett'asaluécommeroidelaterre.Ilaagidebonnefoietarenvoyéson
cortègepourquetunel'accusespasdeperfidie.
Lorsquetuasvusapoitrineetsonnombril,sapuissance,sabravoureetsesmanières,tamauvaisenatures'est
émueettuastuécethommeaucœurpur;tuascoupécettenobletêtequiportaitunecouronne,commesic'étaitune
têtedemouton.DepuisletempsdeMinoutchehrjusqu'aujourd'huitun'asétéqu'unméchantetunmalveillant.Le
malheur a commencépar Tour, qui s'est livré à sa méchanceté en face de son père ; etainsi, de génération en
génération,iln'yaeuniconduiteroyale,nifoi,niloi;tuasfrappélecoudel'illustreNewder,lepèreduroi
etnéderaceroyale,tuastuétonfrèreAghrires,quiétaitdouxetnecherchaitqu'unebonnerenommée.Depuisque
tu existes tuas été méchant et de mauvaise race, et tu as suivi la voied'Ahriman.Sil'onvoulaitcomptertes
méfaits,ondépasseraitlenombredesrotationsduciel;tuesunrejetonenvoyédel'enfer,nedispasquetuesde
naissancehumaine.
EnsuitetudisquelemauditDivatournétoncœurettavolontéverslemal;c'estainsiqueZohaketDjamschid,
lorsqu'ilsontrenoncéàlavertu,ontditqu'Iblisajetéleurâmehorsdelavoie,etlesarendusimpuissantspour
lebien.Maislemalheurnelesapasabandonnés,àcausedeleurmauvaisenatureetdesconseilsdeleurmaîtrele
Div.Quiconquedétournesatêtedelavoiedroite finiraparêtrecourbéetaffaibli.
Encore,danslecombatcontrePescheng,oùPiranatuétantdecavaliers,laterreaétérougieparsangdesfils
deGouderz,cartunecherchesfairedelapeineetnesuisquelavoiedumal.Etmaintenanttuesvenuavecmille
foismillecavaliersturcsprêtspourlabataille,tuasamenétonarméeàAmouïpourmecombattre,etPeschengs'est
présentédevantmoi;tuasenvoyépourqu'ilmetranchâtlatête,etensuitetuseraispartipourdévastermonpays.
MaisDieu,lemaîtredumonde,m'estvenuenaideetaabaissélafortunedemesennemis.Dis-moiàprésentsimon
cœurpourraitseréjouirdetonbonheur,sijepourraisêtreheureuxdetevoirsurletrône?Réfléchis-dansquels
termesjedoisparlerdetesactionsquandjeveuxêtresincère?Dorénavant,etjusqu'àlarésurrection,jenete
parleraiplusqu'avecmonépéetranchante.Jelutteraicontretoiavectoutelapuissancedemestrésorsetdemes
armées,àl'aidedemabonneétoileetdelarotationdusoleiletdelalune;jemetiendraihumblementdevantDieu,
jenedemanderaid'autreguidequelui,dansl’espoird'arracherlesmauvaisesherbesdujardin,derajeunirlemonde
parlajusticeetlagénérosité,dedétruiremesennemis,etd'ôterlediadèmeauxméchants.Répèteàmongrand-père
toutesmesparoles,etqu'ilnecherchepasunprétextepouréviteruneluttepareille.
IldonnaàDjehnunecouronneincrustéedechrysoprases,uncollierd'oretdeuxbouclesd'oreilles.Djehns'en
retournaauprèsdesonpèreetluirapportatoutcequis'étaitpassé.Afrasiabs'émutdelaréponsedeKhosrou,son
cœur se remplit de douleur et sa têted'impatience ; il distribua à son armée des trésors et de l'argent,des
massues,desépées,desmorionsetdescasques.
KEÏKHOSROUATTAQUEAFRASIABETS'EMPAREDEGANGUE-DIZ.
Pendanttoutelanuit,etjusqu'àcequelesoleilsefûtlevéàl'horizoneteûtfaitbrillerlamontagnecommele
dosd'unéléphantblanc,Afrasiabs'occupaàmettreenordresonarmée,etaucunTurcneselivraausommeil.Lorsque
lesondestimbalessefitentendreàGangue,laterresecouvritdeferetl'airseremplitd'unepoussièrenoire,
etKhosrou,lechefdesMobeds,leroibienveillant,montaàchevalàfautedujour.Ilfitletourdelavilleet
formasonplandebataille.IlordonnaàRustemdeseportersuruncôtédelavilleavecuncorpsd'armée,qui
ressemblaitàunemontagne;d'unautrecôtédevaitsetenirGustehemfilsdeNewder;dutroisième,Gouderz,dontte
conseil portait bonheur ; enfin auquatrième côté resta le roi, qui accomplissait toujours sa volonté,avec ses
timbales,seséléphantsetsesvaillantecavaliers.Ildistribuaàsestroupestouteslesarmesdontellesavaient
besoinet s'avança contre la ville. Il ordonna à l'armée de creuser unfossé autour des murs, et tous ceux qui
étaientpropresàcetravailetpouvaientservirdansl'attaquedelaville,qu'ilsfussentdelaChineoudupaysde
Roum, qu'ils fussent des Mobeds ou des hérosexpérimentés de tous les pays, entourèrent rapidement la ville et
employèrenttouteleurhabileté.Ilfitcreuserainsiunfosséprofonddedeuxlongueursdelanceetrangeasonarmée
toutautour,pourquelesTurcsnepussentpasfaireunesortieinattenduependantlanuit.Ilfitplacerenfacede
chaque porte deux centsbalisteset établir derrière les troupes deux cents catapultes ;ensuite il disposa deux
centsarbalètesauprèsdechaqueporte,desorteque,lorsqu'unennemisemontreraitsurlesmurs,lescatapultes
versassentunegrêledepierressurluietluiécrasassentlatête,pendantqueleshommesdeRoum,armésetmunisde
leursarbalètes,setiendraientderrièrelalignedescatapultes;enfinilordonnaquedeuxcentséléphantsfussent
placéstoutautourdesfortificationsdelaville.
Le fosséqu'oncreusait entamait lesfondationsdumur;onyplaçaitdescolonnesdebois, et l’on soutenait
ainsilemurenluifaisantunebasedetroncsd'arbres;ensuiteonrecouvraitceboisd'unecouchedenaphtenoir:
c'étaitleroiquiavaitordonnécetteruse.Lespierresquelançaientlesmachinesetlesflèches des arbalètes
firentpâlirlesjouesdesbraves:au-dessoussetrouvaientlefeu,lenaphteetleboisetau-dessus,lescoupsdes
lourdesmassues.
Ayantpréparéainsil'attaquedesquatrecôtéscommeondoitfairedansunsiège,leroidelaterres'éloigna
pour prierDieu;ilquittal'armée,serenditaulieudesprièresets'adressaensecretauMaîtredumonde;il
invoqua Dieu ; dans son désir devengeance, il se tordit dans la poussière comme un serpent, disant :
L'accomplissementdesvœuxetlapuissanceviennentdetoi;entoutdanger;lesecoursvientdetoi.Situvoisque
cequejeveuxestjuste,nemeforcepasd'abandonnercelieu,renversecesmagiciensdeleurtrône,contentemon
cœur,etrends-moifavorablelafortune.
Ilrelevalatêteaprèssaprièreetrevêtitd'unecuirassesapoitrinebrillante,pritsesarmesets'élançaau
combat,rapidecommelafumée.Ilordonnaquechaqueportefutattaquéefortementparuncorpsd'armée;onmitle
feu au bois et au naphte ; on lança despierres à la tête desassiégés. Le bruit des arbalètes et lafumée
obscurcirent la face radieuse du soleil ; la terre devintbleue, le ciel couleur de lapis-lazuli à cause de la
poussièrequefaisaientleverlesbalistesetlescatapultes;onentendaitlescrisdeséléphantsetlesvoixdes
chefs ;on voyait les éclairs des épées et des lourdes massues, onaurait dit que la lune et le soleil se
combattaient, tant ilpleuvaitdes coups d’épées et tant la poussière était noire.Lenaphte incendia les troncs
d'arbres,qui,parlapermissiondeDieu,brûlaientcommeduboisdechauffage;onauraitditquelamuraillese
soulevaitets'écroulaitcommeunemontagne.UngrandnombredeTurcsvaillantsfurentprécipitésdecesmursainsi
que des lionsquitombentinopinémentdansunefosse,etlaviedeceshommesquelafortuneavaitabandonnésse
termina.
Uncridevictoires'élevadel'arméeduroiaumilieuducombat;toustournèrentleursyeuxverslabrèchedela
forteresse,etRustemaccourutavidedecombats.Afrasiabappritaussitôtdequelcôtélemurdelavilles'écroulait
;ilarrivarapidecommelapoussièrequivoie,criantàDjehnetàGuersiwez
Qu'importe la muraille ? c'est avec les épées qu'unearmée doit former ses murs. Pour sauver le pays et vos
enfants, poursauvervostrésorsetvosparents,liezensemblelespansdevoscottesdemailleetnelaissezpas
autourdevouscesennemis.TouteunearméedeTurcs,semblableàunemontagne,sejetasurlabrècheenbataillons
serrés ; ils combattirent comme des lions, et uneimmense clameur s'éleva des deux côtés ; les cavaliers Turcs
tremblaientcommelesfeuillesdusauleetdésespéraientdusalutdeleurpays.AlorsleroiordonnaàRustemde
fairemettrepiedàterreàtousceux,quiportaientdeslances,etdelesfaireavancercontrelabrèche;ungrand
nombredehérosillustres,avidesdecombats,armésdecarquois,d'épées,deflèchesetdehachesd'armessetinrent
à cheval derrièreRustem, le glorieux ; levaillant roi lui-même les dirigeait au plus fort de la lutte. Les
cavaliersetlesfantassinsdesdeuxarméessejetèrentdanslecombatparmassessemblablesàdesmontagnes.Rustem,
avidedevengeance,amenatoutessestroupessurlabrèche,commeunlionfurieux;ils'avançaàpied,rapidement
commelapoussière,abattitledrapeaunoird’Afrasiabetplantasurlemurledrapeauvioletduroidel'Iran,qui
portaitunefiguredelion;lecrivictorieuxdel'arméeduroid'Iranretentitduchampdebataille,ungrandnombre
deTurcsfurenttués,etlafortunedesTouraniensbaissa.Aumomentoùlecombatfutleplusacharné,Rustemsaisit
desamainetjetaparterredeuxhommes,GuersiwezetlevaillantDjehn,lessoutiensdutrônedeTouran,lefrère
etl'illustrefilsd'Afrasiab,etc'estainsiqu'ilssuccombèrentàleurmauvaisefortune.
L'arméedesIraniensentradanslaville,unearméeaucœurulcéréetavidedevengeance;ellesemitàsaccager
etàtuer,etl'onn'entenditquedesclameursetdeslamentations;lesenfantsetlesfemmespoussaientdescriset
abandonnaientleursmaisonsauxIraniens;maisquedefemmes,qued'enfantsenbasâgequidisparurentsousles
piedsdeséléphants!Toutelavillefuyaitcommelevent,personnenepensaitplusàsonpays,touslesyeuxétaient
remplisdesangdanscettedétresse,carlafortunedeshérosduTouranétaitvaincue;leursfemmesetleursenfants
étaientcaptifs,leurstrésorspris,leursâmesblesséesparleciel,leurscorpspercésdeflèches.
AFRASIABS'ENFUITDEGANGUE.
Afrasiabserenditdanssonpalais,lecœurgonflédesang,lesyeuxremplisdelarmes;ilmontasurlatouroùse
trouvaitsonpalais;ilmontaetregardasaville.Ilvitquedeuxtiersdeseshommesdeguerreétaientmorteet
quelerestes'étaitenfuiducombat;ilentenditlesvoixdescavaliers,lescrisdesfemmesetlesondestimbales
qu'onbattaitsurledosdeséléphants;ilvitleséléphantsqu'onfaisaitpassersurdeshommes,qu'ilslaissaient
écrasésetcouchéssurlaterre;ilvitlavillerempliedefuméeetdelamentations;ilvitl'incendie,lepillage
etlatempête;ilvitlesunsjoyeuxetlesautresaccablésdedouleursetdefatigue.Ilenestainsidans cemonde
passager.
Lorsqu’Afrasiabvitcetétatdeschoses,cesmassacresetcetabandondelafortune,quandilcompritqu'ilavait
perduDjehnetsonfrère,sonpays,sacouronne,saroyauté,sontrôneetsaceinture,ilditenlui-même,lecœur
navréetdéchiré:Dequelsmalheursm'accablelasphèrecéleste!Jevoisdesjourstelsqu'êtretuéetmourirneme
paraît-plusunmalheur.Ildescenditdelatour,remplidedouleur;ilditadieuautrônedelaroyautéens'écriant
:Quandtereverrai-jedansunjourdebonheur,dereposetdedélices?Ilquittacelieu,danssontrouble, et
disparut;sonespritetsaraisons'envolèrentcommeunoiseau.Ilavaitfaitconstruiresoussonpalaisunchemin
souterrain;personne,danssonarmée,nesavaitquececheminexistaitsouslaforteresse.Ilchoisitdeuxcentsde
sesgrandsetdisparutparcechemininconnu;delàils'enfonçadansledésertetlaissatoutsonpaysétonnéde
sonabsence;personnedanslemondenesutcequ’ilétaitdevenu,tantsafuiteavaitétéprécipitée.
KeïKhosrouentradanssonpalaisetfoulaauxpiedssonétoile;lerois'assitsurletrôned'oretfitchercher
Afrasiab de tous côtés. On le chercha pendant longtemps, mais on netrouva aucune trace du chef des hommes qui
portaienthautlatête;leroidemandadenouveaucequ'étaientdevenusGuersiwezetDjehn,etlechefdel'arméedu
Touran,commentilétaitpartietoùilsecachait,oùétaitsonlieuderefuge,puisqu'ilnesetrouvaitpluslà.De
touscôtésonréponditàKhosrouqu'enn'avaitdécouvertaucunetracedelui.Leroivictorieuxécoutacesparoleset
dit aux Iraniens : Mon ennemi s'estenfui comme un lâche ; mais sa gloire et sa puissance étant passées,il est
indifférentqu'ilsoitmortouqu'ilsoitvivant.
KHOSROUPROTÈGELESFEMMESD'AFRASIAB.
Ensuite Khosrou choisit dans son armée des hommes desens, des nobles qui avaient de l'expérience et de la
bravoure,etleurdit:Puissentvoscorpsêtreenbonnesanté;puissentvoscœursêtreremplisdejustice!Jevous
confielagardedelaportedupalaisdeceTurc,dontlafortuneestmauvaise;faitestousvoseffortspour la
défendre;carilnefautpasquemêmelesoleilduhautdelavoûtedesrieuxpénètredanslepalaisd'Afrasiab,et
je ne veux pas qu'on entende dans la rue la voix desesfemmesauvisagevoilé.Ilenvoyadessurveillantspour
prendresoindestroupeauxdechevauxquipaissaientlibrementautourdeGangue,etilnefitdumalàaucunmembre
delafamilled'Afrasiab,commeilconvientàunroi.
Quandl'armée iranienne,vitcequefaisaitleroi,elleéclataenmurmures,disant:KeïKhosrousecomporteici
demanièrequ'ondiraitqu'ilestdanslamaisond'unhôte!Ilneserappellepaslesangdesonpère,àquiona
tranchélatêteparfolieetparinjustice;iloubliesamère,qu'onatiréedusanctuairedesontrôneetdeson
palais pourlatraînerdanslarue!Ceroinepeutdoncfairedumalàpersonne,parcequ'ilaétéélevépardes
pâtresetasucélelaitdesbrebis!Pourquoinedétruit-ilpaslademeured'Afrasiab,commeunléopardauxgriffes
aiguës?Pourquoineréduit-ilpasenruinessonpalaisetsasalled'audience?Pourquoilesflammesnes'élancent-
ellespasdelagrandeplace?
OnrapportaàKeïKhosroucesproposdesIraniens,motpourmot;ilenvoyaunmessagerpourconvoquerlessages
etleurfitunlongdiscours,disant:Ilnefautjamaismontrerdelacolère,nilouerceuxquiagissentfollement.
Ilvautmieuxque,malgrémondésirdevengeance,jesoisjuste,etquandjepourraissatisfairemespassions,queje
pense à mon renom, car les bienfaitssont les souvenirs qu'on laisse sur la terre. Le monde ne reste àpersonne
éternellement,etlarotationducielpeutrépandredesmalheurssansnombresurquielleveut.
Ensuite le roi du monde ordonna qu'on amenât ensecret les femmes d'Afrasiab, toutes filles de rois, toujours
couvertes de voiles, et dont aucune n'était jamais sortie de l'appartement des femmes dans larue. Lorsque les
Iraniensrapprirent,ilscoururentaupalais,remplisdedésirsdevengeance,carceshéroscroyaientqueKhosrou
mettraitàmortlesfemmes,etilsvoulaientlestraiteravecindignitéets'apprêtaientàlespilleretàlestuer.
Onentenditsortirdel'intérieurdupalaisdesvoixlamentablesdisant:Oroisage,distributeurdelajustice!tu
saisquenoussommesentièrementsansdéfense,etpourtantnousn'avonspasméritéd'êtrecouvertesd'indignitéset
d'opprobre.Lareineprincipale,accompagnéedesesfilles,parutenchancelantdevantleroi;uneesclavesetenait
devantchacunedecesfemmes;chacuneportaitundiadèmederubissurlatête,etdespierreriesbrillaientcommele
soleilsurleursrobesbrodéesd'or.Lecœurivredelaterreurqueleurinspiraitleroidesrois,ellesportaient
chacuneunecouped'orrempliedeperles,derubis,demuscetdepierresprécieuses,etleurstêtess'abaissaient
dansleurhonte.D'unemainellesportaientlacoupe,del'autreunencensoirdanslequelbrûlaientdel'ambreetdu
boisdesandal;onauraitditqueSaturneversaitduhautdescieuxdesétoilessurlaterre.
La grande reine s'avança vers le trône ; elle renditdes hommages au roi, et toutes ces idoles, élevées si
délicatement,se mirent à l'adorer de la même manière, toutes pleurant amèrementet survivantà peine à leur
disgrâce.Soisgénéreuxaujourdubesoinenversceuxquin'ontconnuqueleluxeetl'accomplissementdeleursdésirs
!Ellesluirendirenthommagedansleurdouleur,etlareineluidit:Onoble roi,dontlestracessontfortunées!
quelbonheur,silepaysdeTourann'avaitpasremplitoncœurdepeinesdudésirdelavengeance!Tuseraisvenuici
heureuxetpourêtrefêté;tuseraisvenul'alliéetlebienvenudesprinces;commeroietmaîtredecepays,tu
auraisplacélepiedsurletrônedetongrand-père,etSiawuschn'auraitpasététuéparlafolied'Afrasiab. Et
pourtantc'estcequ'aamenélarotationdusoleiletdelalune;c'estcequ'afaitAfrasiab,issud'unemauvaise
race,quinedoitpascompter,mêmeensonge,surtonpardon.Jeluiaidonnédesconseils,maisiln'enapasprofité
;ilafollementdétournésatêtedemesavis.Dieum'esttémoinquemesyeuxontversédeslarmesdesang.Ensuite
Djehn,monfilsettonparent,quines'estdétachéqu'avecdouleurdesliensquil'attachentàtoi,esttémoinde
l'anxiétéqu'ilyavaitdansmoncœuretdansmonâmepourSiawusch,quandilsetrouvaitchezmoi,etcombiende
conseilsAfrasiab,teméchant,arefuséd'entendreetdesuivre,jusqu'aumomentoùlafortunel'aabandonné,oùson
royaume a été boule versé, où sa couronne et sa ceinture ont étélivrées pillage, ses jours assombris, sa tête
humiliée, et sa vie rendue pire que la mort. Il est étonnant quesa peau ne se soit pas fendue sur son corps.
Maintenant jette unregardderoisurnousquisommesinnocentes.Noussommestoutesdépendantesde Khosrou, nous
n'entendons dans le monde d'autre nomque le sien, et il ne voudra pas faire souffrir ces femmesinnocentes des
mauvaises actions d'Afrasiab, le magicien, ets'attaquer sans réflexion ù celles qui n'ont pas fait de mal, les
affliger, les blesser et verser leur sang. Car il n'est pas digned'un roi de trancher une tête qui n'est pas
coupable.Toi,ôroi,tuasd'autresintentions;personneneresteéternellementdanscemondepassager:faisdonc
quetun'aiespasàtremblerdehonteaujouroùilfaudrarendrecomptequandDieut'interrogera.
Lorsque Khosrou entendit ces paroles, il s'attendritsur ces femmes aux beaux visages, que la fortune avait
abandonnées,dontlesjouesvoiléesbrillaientcommedeslampes,dansleurdouleuretleurangoisse,etlecœurdes
hommesdesenstremblaitd'émotion,carchacunpensaitàsafemmeetàsesenfants.Leschefsdel'armée,lesprinces
vaillantsrendirentdeshommagesaupuissantroi,priantleglorieuxKhosrou,aunomduCréateurdumonde,denepas
fairetombersavengeancesurcesfemmes,tesageKhosrouleurrépondit:Malgrétoutcej'aiàmeplaindre,jene
feraidemalà.personne,siavidedevengeancequesoitmonâme.Jesuissoucieuxdecequefaitceprincepuissant,
maislemalheurdesesfemmesmepeine,etquoiqu'ilaitagiméchammentenversmamère,pleinedevertus,jeneveux
pasfairelemêmemalàd'autres.Lemaîtredumonde,cefilsdeparentssaints,ordonnaauxfemmesd'Afrasiab de
rentrer dans leur demeure, en leur disant :Ayez confiance et ne croyez pas ceux qui vous diraient de mauvaises
paroles.Necraignezdorénavantriendemoi;jenesuispastraîtrecommeunmisérable;personnen'oseravousfaire
dumal,etlaviedequiconquel'essaieraitneseraitpaslongue.Restezavecconfiancedansvotrepalais,vouantà
Dieuvoscorpsetvosâmes.
KEÏKHOSROUADRESSEDESCONSEILSAUXIRANIENS.
LeroivictorieuxditauxIraniens:Puissentletrôneetlacouronnedureréternellement!Touteslesvillesdu
Touranquevousavezconquisesserontdesdemeurespourvouscommel'Iran.Écartezdoncdevosâmestouteidéede
vengeance,rendezheureuxcepaysparvotreclémence;carlecœurdeshabitantsestremplideterreur,etpartoutla
terre est pétrie de sang versé. Jevous donne tous les trésors du Touran, et je n'adresse à ceux quej'enrichis
qu'uneseuleprière:faitesdeseffortspourpratiquerlebien;vousavezéprouvélefroid,amenezleprintemps.
D'iciàpeujevaisrassasiercettearméeentièredetrésorsetd'or,maisilfautvousabstenirdeverserdusang,il
nefautpastrancherlatêtedesinnocents;iln'estpasdigned'unhommedes'agiterfollement,defrapperles
vaincus;détournezvosyeuxdesfemmes,détournez-lesdetoutepersonnequisortiravoiléedanslarue,respectezle
biendesautres,carcesontlesbiensquichangentenennemislesamis.Fairedumalà-ceuxquin'enontpasfaitne
trouvepasgrâcede-motDieu.Quiconquevoudrameplaire,qu'ils'abstiennededésolermonempire,etqu'onappelle
injusteetmauditquiconquerenddésertlepaysoùjeréside!
Ensuiteleroiordonnaàsonarméed'ouvrirletrésorpublicduTouran,àl'exceptiondutrésorprivédunoble
Afrasiab,auquelpersonnen'avaitaccès.Ildistribuatoutleresteàl'armée,l'argent,lesarmes,lestrônesetles
couronnes. De tous côtésl'armée innombrable des Turcs, qui s'était dispersée, revint auprèsdu roi, qui leur
pardonna,lestraitaavecbontéets'empressad'arrangerleursaffaires.IldistribualepaysdeTouranparmiles
chefsdesonarmée,àchaquehérosillustreildonnauneville,etdanslepaysentier,quiconquen'obéitpasauroi
nesauvapassatêtedesmainsdesbraves.Aussitôtqueleslettresdesgrandsfurentparvenuesdanslesprovince,
toutlepayssesoumit,etdetouscôtésarrivèrentauprèsduroides-envoyésquiseprosternaientàterredevant
lui,portantdesprésentsetdeslettresdesgrands,quitoussedéclaraientsessujets.
LETTREDEKEÏKHOSROUÀKAOUSPOURLUIANNONCERSAVICTOIRE.
Khosrouappelaceluiquiécrivaitseslettres,luidittoutcequiétaitnécessaire,etcomposaunelettrepour
KeïKaoussurleTouranetcequis'étaitpasséavecl'arméedesTurcs.IlcommençaparleslouangesdeDieu,quia
délivrélaterredesesmaux,réveillél'astreendormidel'empire d'unemanière siéclatanteetabaissélestêtes
des magiciens ; dequivienttoutpouvoir,toutesagesse,toutejustice,quiréjouitlecœurdeceuxquiontété
opprimésdanslemonde.Ensuiteilcontinua:Parl'étoiledeKeïKaouslepuissant,l'expérimenté,leroiauxtraces
heureuses,Gangue,lavilled'Afrasiab,aétépriseetlafortunedeceTurcs'estendormie.Surunseulchampde
bataille et dans un seul combat, quarante mille de sesvaillants chefs, portant haut la tête, armés de lourdes
massues, ontététuéssurlesbordsduGulzarrioun.Ensuites'estélevéunoragequiaarrachélesracinesetles
branchesdesonarbre.Unepartiedesonarmée,quicherchaitànousrésister,futjetéedansl'eau,etlui-mêmese
retiraàGangui-behischt,uneplaceforteremplied'hommesetàdéfendre.Al'assautdelaforteresse,noustuâmes
bientrentemillehommesdanslecombat;letyransedéfenditbravement,maisnisonartnisafortunenepouvaient
lesauver:sonarméesedispersasurtoutelasurfacedupays,etlui-mêmeadisparu.Plustardj'enverraiauroi
desnouvelles,quandlafortunem'auraaccordéd'autresfaveurs.
EnsuiteKhosrous'établitjoyeusement,entouréd'échansonsauvisagedepéris,tenantenmaindescoupesdevin,
etilsereposaainsijusqu'àcequeleprintempssemontraetquelemondedevintunparadisremplidecouleursetde
parfums.Toutledésertétaitdiaprédefleurscommedelasoiebrodée,etl'airtachetédenuages commele dosdu
léopard;lesonagresetlesgazellescouraientdansledésert;etc'estainsiqueKhosroupassaquelquetempsdans
le bonheur, enchassant avec des guépards et avec des faucons ailés, en buvant duvin au parfum de musc, et en
compagniedefemmesbellescommelesidolesdeTharaz.Leschevauxtraversaientledésert,courantcommedesonagres,
remplisdeforce,lecoufortcommelecoudulion,l'oreilledresséeetlatête finecommelescerfs.Pendantce
tempsleroienvoyadetouscôtésdesespionspourchercherdanslemondeentierl'injusteAfrasiab.
KHOSROUAPPRENDQU'AFRASIABAREJOINTL'ARMÉEDUFAGHFOUR.
OnreçutdelaChineetduKhotenlanouvelle qu'Afrasiabs'ytrouvait,queleFaghfourdelaChineavaitfaitune
allianceaveclui;quetoutelaChineétaitrempliedu bruitdesarmes;quetoutlepaysentrelaChineet le
GulzarriounétaitoccupéparunearméesouslecommandementduKhakandelaChine;quepersonneneconnaissaitla
valeurdesprésents,lenombredesesclavesetdeschevauxcaparaçonnésqueleKhakandelaChineluiavaitenvoyés;
qu'onluirendaitdeshommagesenluidonnantletitrederoi;qu'ils'étaitemparédetouslestrésorsdePiran,
dontl’orformaitlachargedesixmillechameaux;qu'ilavaitemportétoutescesrichessesduKhoten,etqu'il
amenaitunearméeformidable.
Lorsquecesnouvellesd'AfrasiabsefurentrépanduesparmisesanciennestroupesauxquellesKhosrouavaitaccordé
lavie,ellesquittèrentlesIraniensetsepréparèrentàvengerleurdéfaite;desorteque,lorsqu’Afrasiabsortit
duKhoten,unearméeseréunitautourdelui,tellequ'onauraitditquelemondeneluirésisteraitpasetqueles
astresnel'égalaientpasennombre.IlsedirigeadelaChineducôtédeKeïKhosrou,lecœurirritéetaccompagné
d'une armée avide de vengeance. LorsqueKeï Khosrou appritlamarche de cette armée, ilenvoya sur la route des
éclaireurs;ensuiteilordonnaàGouderzfilsdeKeschwad,auSipehdarGourguinetàFerhadderesteràGangue,
d'êtrejustesetprudents,etdefairefairedesrondes,jouretnuit.IlditàGouderz:Cestroupessontàtes
ordres;siledangervient,ellesteserontfidèles;situvoisunTurcquiparledel'ennemisipeuquecesoit,
pends-leàl'instantaugibet,lespiedsenhautetlatêteenbas;maisnefaispasdemalàceuxquin'enfontpas
;aiesoindel'arméeetdutrésor.
Lebruitdestamboursetlesondesclochettesdeschameauxetdeséléphantssefirententendredel'enceintedu
palais,etunearméetellequelesoleilfutsaisidel'ardeurducombatsortitdeGangue.Khosrouformaseslignes
debatailleaussitôtquesestroupesfurenthorsdelaville,ets'avançaàleurtêteverslesmontagnes.Lorsqu'il
nerestaentrelesdeuxarméesqu'unedistancededeuxjournées,lemaîtredumondeappelaleshérosquiportaient
hautlatêteetleurdit:Tenez-voustranquillescettenuit,etgardezvosarmespendantlesommeiletlerepos.Il
envoyadesrondesquitraversaientlaplaineetfaisaientletourducampduranttoutelanuit;ils'arrêtaainsi
pendantunesemaine,qu'ilemployaàfairetouslespréparatifspourlecombat.Lehuitièmejour,unevedetterevint
etannonçaàKhosrouqu'unearmées'avançait,etleroiplaçasestroupesenordredebataille,demanièreàexciter
lacuriositédusoleiletdelalune.
Lorsqu’Afrasiab vit cette armée, il forma ses lignesen face d'elle, et dit à ses conseillers : Ce champ de
batailleestpourmoiunepromenadeetunfestinquej'auraisacceptéavecjoie,mêmeàl'heuredusommeil,etsile
combatnes'étaitpasprésenté,jel'auraisprovoqué.J'aiétélongtempsenfuite,matêteestrempliedeplansde
vengeanceetmoncœurpleind'ardeurpourlecombat.JenesaissiceciprésagelafortunedeKeïKhosrou,ouunsort
plus heureux pour moi ; mais jesuis décidé à le combattre en personne, et à y trouverl'accomplissement de mes
désirsouladouleuretlamort.Toussesconseillers,qu'ilsfussentsesparentsoudesétrangers,répondirent :
S'ilfautqueleroicombattelui-même,pourquoialorscettearméeetcettepompeguerrière?EnChineetdansle
Touran,toussontàtesordres,qu'ilssoientdetaraceouderaceétrangère.Quenotreviesoittarançon,tela
éténotreserment,defidélitédepuislecommencement.Quecentparminoustombentoudixmille,qu’importe?maisne
metspasendangertavie.Noustesommestousdévouésdecœur,carnousnevivonsqueparlagrâcedetondiadème.Un
criimmenses'élevadel'armée,lemondeseremplitdetumulteguerrier;lesétoilesparurentaufirmamentsombre,
etlafaced'ordusoleils'obscurcit.
LETTRED'AFRASIABAKEÏKHOSROU.
LeroidesTurcschoisitdanscetteassembléetrois hommepleinsd'expérience,etenvoya pareuxàKhosrouce
message:Tuasfaitbeaucoupdecheminpourmesuivre.Ilya,ôroi,millefarsangsdupaysd'Iranjusqu'àGangue,
etdeuxarméesnombreusescommelesfourmisetlessauterellesonttraversélesmontagnesetlesplaines,lessables
etlesmarais;lesterressontdevenuesdesmersdesangverséparlavengeancedepuisGangueetlaChinejusquedans
l'Iran,etsil'ordredeDieuletrèssaintréunissaitdansunevalléelesangdetouscesmortsquiestrépandusur
lapoussière,ilformeraitunemercommelamerdeKolzoum,etlesdeuxarméesdisparaîtraientdanslesang.Situ
veuxmestrésors,oumonarmée,oulepaysdeTouran,oumontrôneetmacouronne,jetelesabandonneraietje
disparaîtrai;maismavie,tunel'aurasqueparl'épée.Neletentepas,puisquejet'aiservidepèreetdemère,
etquejesuisdelaracedeFeridounl'enchanteur;neletentepas,quoiquetoncœursoittroubléparl'enviede
venger tonpère,etquelerespectquetumedoisaitététerniparlamortdeSiawusch,qui,aprèstout,était
coupableetavaitremplimonâmededouleuretdesoucis.Ensuiteréfléchissurlarotationdesastrespuissants,qui
apportenttantôtlesalut,tantôtlaperte.Soixanteannéesontpassésurmatêtedepuisquej'aifaitmapremière
campagneàlatêtedesgrands;tuesjeuneetroidel'Iran,tuaslagriffeduliondanslabataille;choisisun
champdecombatécartéetloindeshommesquiadorentDieu,etnousnousybattrons,loindenosarmées.Sijetombe
soustamain,tonfilettireralecrocodiledufonddeseaux,maisn'attaquepasmafamillenimesalliés,pardonne-
leur,etnetelaissepasalleràcetteragedevengeance.Si,aucontraire,jetetue,jejureparlaprotectionque
jedemandeàDieuquejenepermettraipasqu'unseulparmilestiensaitàsouffrir,ouqu'ilentendelebruitdes
armesdanslecombat.
Khosrouécoutalesparolesdumessager,puisilditaufilsdeZal,filsdeSam:CeTurcmalfaisantetfourbene
distingueradoncjamaisquandsafortunes'élèveetquandelles'abaisse?Ilaéchappéparuneruseaumalheurdont
il étaitmenacéparnous,maisquivoudraattendrequ'ilsoitremontésurletrône du Touran.Il parlemaintenant
d'uncombat;est-cequ'ilchercheletombeaudeSchideh?Ilestpetit-filsdeFeridounetfilsdePescheng,etje
nedérogeraipasenlecombattant.Rustemluirépondit:Oroi !neplacepasainsidufeudanstonsein.Ceserait
unehontepourtoidecombattreenpersonne,quandmêmeceseraitPeschengquisetrouveraitenfacedetoi.Ensuite
iltepriedenepasattaquersonarmée,safamilleetsonpays;maistuasunearméequiremplitlaterred'unemer
àl'autre,etquiestd'uneautreopinion.Pourfaireavectongrand-pèreuntraitédevantDieu,ilnefaudraitpas
qu'ilyeûtdelafaussetédanslescœurs.Conduistonarméeentièreaucombat,etméprisecesparolestrompeuseset
vaines.
suite
RETOURÀL’ENTRÉEDUSITETABLEDESMATIÈRESDEFIRDOUSI
FERDOWSI/FIRDOUSI
LELIVREDESROISTOMEIV(partieI-partieII-partieIII)ŒuvrenumériséeparMarcSzwajcer
précédent
FERDOWSI
LELIVREDESROIS.
TOMEIV
COMBATENTRELESIRANIENSETLESTOURANIENS.
Khosrou,àcesparolesdeRustem,changead'avisetditaumessager:Cethommeauxmauvaisesintentionss'attache
à moipourquejemebatteaveclui.IladonnéàSiawuschdesassurancesencoreplussolennelles,maissalangue
étaitpleinedemensongesetsoncœurpleind'injustice.LechefdesTurcsnegagnerapasdegloireparsaperversité
:sonespritestétrangementconfusetsoncœurremplidefausseté.S'ilveutabsolumentsebattre,ilyenad'autres
quemoiavecquiilpeutsemesurer:voiciTehemtenetlevaillantGuivquirecherchentlecombatcontrele lion
mâle.Carsilesroisdevaientsebattreaveclesrois,àquoiserviraientlesarméesettoutcetappareildeguerre
?Dorénavantjen'auraiplusàluttercontretoi,cartuvasvoirlejourdesténèbresetdumalheur.
Lemessagerpartitrapidecommelevent,etrépéta àAfrasiabtoutcequ'ilavaitentendu.Lecœurduroise
remplitdesoucis,iln'avaitaucuneenviedelivrerbataille;maisKhosrouamenaitsonarmée,etcelledesTurcs
futobligéedes'ébranlerdesoncôté.L'unes'avançaitentoutehâte,l'autremarchaitavechésitation,etlaterre
remuaitcommelesflotsdelamer.Ilpleuvaitdesflèches,commesilesnuageseussentversédelagrêlesurles
casquesetlescuirasses.Depuisl'aubedujourjusqu'àcequelesoleilsecouchât,semblableàunrubis,laterre
futtrempéedesangetfouléeparlessabotsdeschevaux;mais,àlatombéedelanuit,lesarméesrentrèrent,car
lesyeuxdescavaliersétaientobscurcis.
Khosrou, en arrivant à son camp, entouré des pompesde la royauté et de la guerre, dit à Thous : Le fils de
Pescheng nepeut pas être satisfait de la bataille qu'il a livrée aujourd'hui,et je pense qu'il voudra nous
surprendrecettenuit,etdélivrerainsisonâmedeseslongssoucis.Ilfitcreuserunfosséàtraverslaroute,du
côtéoùl'arméeduTouranpouvaitarriver,etdéfenditd'allumerdesfeuxoudelaisserentendrelaclochetted'un
cheval.
Ilchoisitlescavalierslesplusbravesdel'armée,etendonnalecommandementàRustem;ensuiteilfitun
seconddétachement d'Iraniens, leur ordonna de revêtir leurs armes decombat, et en confia le commandement au
SipehdarThous,enluiordonnantdeseporterducôtédesmontagnes.Ainsi Tehemtendevaitconduiresestroupesdu
côtédesplaines,etThousducôtédesmontagnes,etleroileurordonnades'avanceràunegrandedistance,maisde
restertouslesdeuxdanslaplaine,l’unàdroiteetl’autreàgauche,sansmontrerdelumièresnidetorches,soit
ducôtédudésert,soitducôtédelamontagne,pourqu'Afrasiab,s'ilpréparaituneattaquedenuit,futprispar
derrièreentrelesdétachements,etrestâtcommeunjeunefaucondanslacage:devantluilefossé,derrièreluiles
corpsdétachés,etenarrièredufossé,leroiavecsonarméeetseséléphants.
AFRASIABFAITUNEATTAQUEDENUIT,ETESTBATTUPARKEÏKHOSROU.
LeroidesTurcs,aussitôtquelanuiteutenvahi leciel,revêtitsesarmesdecombat,luietsonarmée.Il
appelalesplusexpérimentésdesesguerriers,etparlalonguementdeschosespassées;ensuiteilajouta:Cethomme
vil et traîtres'est approché follement de l'armée de son grand-père. Sans doute àcette heure ses troupes sont
endormies,disperséesdanslaplaineetsurlamontagne;rejetonsdoncdenoscœurstoutecrainte,etsurprenonsles
Iraniensàl'aubedujour.Sinousréussissonsàlesvaincrecettenuit,vousmeverrezremontersurmontrône;mais
s inotre fortune ne retrouve pas sa splendeur, c'est que tout n'est quedéception, et la bravoure n'est qu'un
mensonge.
Lesgrandsapprouvèrentceplan,etselevèrentpourseprépareraucombatdenuit.Afrasiabchoisit cinquante
millecavaliersdesonarmée,deshommespleinsd'expérience,quifrappaientdupoignard.Ilsefitprécéderpardes
éclaireurs, de vieux soldats remplis d'ardeur pour lecombat. Le guide des éclaireurs se rendit près du camp de
Khosrou,nullepartiln'entenditunevoixdegardedenuit;iltrouvatoutlemondeenrepos;iln'aperçutniune
ronde, ni du feu, ni unsouffle de vent ; personnen'avaitl'air de penser aux Touraniens. Voyant cela, il s'en
retournaencourant,etdit:Personneparmieuxn'al'espritlucide;ilsdormenttousd'unsommeildemort,ouils
ontpasséleurjournéeàboireduvin;onnevoitnullepartuneronde,etdanstoutelaplaineiln'yadeboutque
lesbroussailles.
Afrasiabentenditcesparoles,etsoncœurenfutremplidejoie.Ilfitpartirsonarmée,montaàchevallui-
même,etluietseshérosprirentleursarmesdecombat.LesTurcspartirent,semblablesauxflotsdelamer;ils
avaienthâtedesejetersurl'ennemi.Leurmarchesefittranquillement,sansbruit,sanssondeclairon,sanscris;
maislorsqu'ilsfurentprèsducampdesIraniens,lestrompetteséclatèrent,lestimbales suspenduesauxpommeauxdes
selles se firent entendre, etle drapeau noir s'éleva hautdansl'air. Toute l’avant-garde de l'armée lança ses
chevauxetpoussadescris,maisunepartiedescavalierstombadanslefossé,etlerestesedérobaaucombat.D'un
côtés'avançaRustem,quirevenaitdelaplaine,etl'airseremplitdelapoussièrequefaisaientleverseschevaux
; de l'autrecôtéarrivèrentGuiv,ThousetGouderz,précédésdeclaironsetdetimbales ;enfinleroidesrois
s'avançaavecledrapeaudeKaweh,etl’airdevintvioletparlamassedesépéesdesescavaliers.Alorsonvitdes
coupsdonnésetreçus,deshommescaptifsetmorts;etleschevauxperdirentbaleineetleshommeslaraison.Ilne
restapasenviedixTouranienssurcent,etceuxquisurvécurentfurentforcésdes'enfuirparleurmauvaiseétoile.
Lorsque le roi de Touran reçut ces nouvelles du champde bataille, il en fut tellement affligé, que même les
blessés quipleuraientetselamentaientsemirentàgémirsursadouleur.Ildit:Iln'yapasdesagessequi
puisse échapper à la rotationdu-ciel. Qu'importe que l'ennemi nous ravisse la vie ? frapponsencore un coup
désespéré ! Il faut ou pétrir jusqu'au dernier, ouressaisir la couronne d'Iredj. Les cris des combattants
s'élevèrentdesdeuxcamps,lemondefutremplidusondestrompettesd'airain,et lesdeux armées, occupant une
lignedetroisfarsangs,saisirentlesjavelotsetlesépées;lechampdebatailledevintcommeunemer,onnevoyait
plusnilesoleilbrillantnilalune.Lestroupess'avancèrentparcorpsd'armée,commelesvaguesquesoulèvela
tempête.Onauraitditquelesvalléesetlesplainesn'étaientquedusang,etquelesoleilavaitdisparudela
sphèrecéleste;personnen'avaitpitiédesonproprecorps,etlafaceducielétaitcommecouvertede goudron.
Alorss'élevaunventtelquepersonnenesesouvenaitd'unpareil:ilsoulevalapoussièreduchampdebatailleet
lalançasurlatêteetdanslesyeuxdesTouraniens,leurarrachalescasques,etleroidesTurcsrestaconfondu.
Toutelaplainen'étaitquesangetcervelles,etlesablepritlacouleurdujujube.Lescavaliersturcs,qui,dans
leursjoursdeloisir,regardaientcommerienlachasseauxléopards,virentqu'ilsnepouvaientluttercontre le
cielquisoulevaitlaterreetlapoussièredudésert.Khosrou,lorsqu'ilvitcettetourmentequis'élevaitetle
courageetlafortunedesIraniensquis'affermissaient,s'avançaducentredesonarmée,accompagnédeRustem,de
Guiv,deGouderzetdeThous,etprécédéparlestimbales;lecentreentierdel'armées'ébranla;d'uncôtémarchait
le roi, de l'autre Rustem; l'airétait rempli de poussière comme d'un brouillard, mais d'un brouillard d'oùil
pleuvait des coups de massue et d'épée ; partout on voyait desmonceaux de morts comme des montagnes, et des
fontainesdesangjaillirentsouslesdeuxarmées;l'airdevintcommeunvoilebleu,laterrecommeunemerdesang,
ettantdeflèchestraversaientleciel,qu'ilressemblaitàl'ailedel'aigle.Afrasiabregardaconsterné,ilvit
paraîtrelebrillantdrapeauvioletdeKhosrou,etcachalesienaucentredesestroupes.Ilabandonnasonarmée
rangéeenbataille,luietlesgrandsduTourans'enfuirent;ilemmenamillehommesvaillantsdesesalliés,des
hommes propresau combat, et chercha à travers la campagne la route du désert,sauvant sa vie des mains de ses
ennemisenfatiguantsoncorps.Khosroucherchasongrand-pèredanslesrangs del'armée,ilseprécipitaversle
centredesTurcs,pressantsonchevalavecl'étrieretsehâtant,maisilnevitpasunetraced'Afrasiab.LesTurcs
regardèrent le centre de leur armée, et nevirent plus le drapeau noir ; alors ils implorèrent la grâce du roi
Keïanideetjetèrentleursarmes.Khosroulesreçutavecbonté,etleurassignaunlieuséparédesestroupes;il
fitplaceruntrôned'or,parerl'intérieurd'unetented'ornementschinois,apporterduvinetamenerdesmusiciens
appelaengrandnombreleschefsdesonarmée,etpassalanuit,jusqu'àlaclartédujour,dansunefêtequifaisait
sortirlesmortsduseindelaterrenoire.
Lorsquelesoleilélevasamaindanslavoûtecéleste,etdéchiraavecsesongleslesjouessombresdelanuit,le
roidesrois,roidel'Iran,selavalatêteetlecorps,etcherchaunlieupoursesprières,oùaucundesIraniens
nepûtlevoir,oùaucunebêtefauvenepûtentendresavoix.Depuislematinjusqu'àcequelalunefutmontéesur
sontrôned'ivoire,eteutplacésursatêtesacouronnequiravitlescœurs,leroirestaenadorationdevantDieu,
leremerciantdecettetournureheureusedesafortune,frottantsanscessesonfrontdanslapoussièreetinondant
sesjouesdedeuxruisseauxdelarmes.Delàilrevintverssontrôneetsacouronne,marchantfièrement,joyeuxde
cœuretcomblédebonheur.OnrelevadelapoussièreduchampdebatailletouslesIraniensquigisaientparterre,
qu'ilsfussentmortsouencoreenvie,maisonjetadecôtéavecdédainlescorpsdesennemis,etamesurequele
champdebataillefutdéblayédeleurscadavres,onlecouvritdetombeauxpourlesIraniens.Khosrouabandonnaàson
armée tout le butin qu'on trouva sur le champ debataille, et s'en retourna à Gangui-behischt avec ses troupes
pourvuesdetoutcequ'ilfautpourlecombat
LEKHAKANDELACHINEENVOIEUNAMBASSADEURÀKEÏKHOSROU.
Lorsqu'onsutdansleMadjinetenChinecequis'étaitpasséentrelesTurcsetleroidel'Iran,leFaghfouret
leKhakansetordirentdedouleur,etl'onneparlaquedutrônepuissantdel’Iran.Ilsserepentirentdessecours
qu'ils avaient fournis à Afrasiab, et, dans leur inquiétude, se mirent à chercher unremède. Le Faghfour dit :
DorénavantAfrasiabneverrapluslafortune,pasmêmeensonge,etsansdoutenousseronspunispourluiavoirenvoyé
destroupesetdestrésors;notrepartseralerepentir,etnotrepaysseradévasté.Onpréparaalorsdesprésents,
produitsdelaChineetduKhoten,etl’onréunitainsiungrandtrésor;leFaghfourappelaunenvoyédontlecœur
étaitbon,etlechargeadebeaucoupdeparolesconvenables.ToutcequelaChineproduitdeplusrare,del'oretdes
perlesnonpercées,ilenvoyaauroipourseleconcilier,etlesmessagerssemirentenroute.CesgrandsdelaChine
cheminèrentsanss'arrêter,etarrivèrentàGangueenseptjours.
Levictorieuxmaîtredumondelesreçutgracieusement,leurassignaunedemeureconvenable,etacceptacequ'ils
lui apportaient, des raretés, des caissesrempliesd'or et des esclaves. Ensuite il dit à l'envoyé : et Dis au
Faghfour:N'encourspasfollementmadisgrâce.Ilnefautpasqu'Afrasiabserendeauprèsdetoi,mêmedanslanuit
sombre,àl'heuredusommeil.L'envoyépartit,ilcourutcommelevent,etrépétaauFaghfourlemessageentierqu'il
avaitreçu.LeFaghfourl'écouta,etenvoyadanslanuitquelqu'unauprèsd'Afrasiab,etluifitdire : Tiens-toi
loindesfrontièresdelaChineetduKhoten,etsubislapeinedetesmauvaisesactions.Leméchantquis'égare
trouvetoujourslapunitiondesesméfaits.
AFRASUBPASSELELACDEZEREH.
Afrasiab,àcesparoles,serepentitdecequ'il avaitfaitautrefois.Ilrenonçaauxpompesdupouvoirpoursauver
savie,etpritlaroutedudésertàtraverslepays.Chaquejourcen'étaientquesoucis,lassitudeetchagrins,et
c'estainsiqu'ilarrivaaumontAsprouz,étantauxaguetsjouretnuit,depeurdesesennemis,etnevivantquedu
produitdesachasse.Ilcontinuaainsi,jusqu'àcequ'ilatteignîtlelacdeZereh,lesreinsbrisésdefatigueet
delagênedescourroiesetdesboutonsdesonarmure.Lorsqu'ilfutsurlerivagedecettemerprofonde,iln'envit
nilemilieu,nilebord,etunmarinierluidit:Oroi ,tunepeuxpassercettemerprofonde.J'aisoixanteetdix-
huitans,etjen'aijamaisvuunebarqueniunvaisseaulatraverser.LenobleAfrasiabluirépondit:Heureuxcelui
quimeurtsurl'eau!Puisquel'épéedel'enneminem'apastué,jenemelaisseraipasfaireprisonnier.Ilordonna
àtoussesgrandsdemettredesbarquesàl'eau,etfitvoileversGangueDiz;c'étaitunhommequiportaithautla
têtedanslebonheuretdanslemalheur.ArrivéàGangueDizetsetrouvantensûreté,ilsemitàdormir,àfestoyer
etàsereposerdesfatiguesdelaguerre,disant:Restonsici,libresdesoucisetdansmajoie;nepensonsplusau
passé.Quandmonétoileobscurcieseraredevenuebrillante,jerepasseraisurmesvaisseauxlelacdeZereh,jeme
vengeraidemesennemis,jejetteraidelagloiresurmarouteetsurmonrègne.
LorsqueKeïKhosrouappritcequis'étaitpasséetquelevieillardavaittentéunenouvellevoie,ilditàRustem
: Afrasiab a passé l'eau et est allé à Gangue Diz. Il a prouvé par lefait ce qu'il m'avait dit : que le ciel
puissantnel'abandonnaitjamais.Ilapassésurdesvaisseauxl'eaudeZereh,ettoutenotrepeineestperdue;mais
jeneparleraijamaisàmongrand-pèrequ'avecl'épée,etnelaisseraipasvieillirmavengeance.Aveclaforceque
m'adonnéeDieu,lemaîtredelavictoire,jemeceindraipourvengerSiawusch,jerépandraimonarméedanstoutela
ChineetdansleMekran,jetraverserailamerdeKeimak,etquandlaChineetleMadjinmeserontsoumis,jen'aurai
plusbesoindel'aidedupaysdeMekran.JeferaipasseràmonarméelelacdeZereh,silecielquitourne veut
m'êtrefavorable,etquelquelongsquesoientlesretardsquenousauronsàsubir,ilfautespérerquecethommede
sangtomberadansnosmains.Vousavezsupportébiendesfatigues,vousavezlaisséderrièrevouslespayscultivés;
prenez sur vousencore cettenouvelle peine, cela vaut mieux que d'abandonnerle monde à votre ennemi, et l’on
célébrerajusqu'àlarésurrectionvotrevictoireetladéfaited'Afrasiab.
CediscoursirritalesPehlewans,leursbouchesseremplirentdeparolesvaines,leurssourcilssefroncèrent;
ilsdirent:C'estunemerpleinedevagues,etl'arméeesttropnombreusepourlalivreraitventetàunenavigation
desixmois.Quisaitquienreviendra?Afrasiabportemalheuràl'armée.Surterre,noussommestoujoursdansla
bataille;surmer,noussommesdanslagueuleducrocodile.Chacuntintdesproposdetouteespèce,etlesclameurs
devinrentgrandes,maisRustemdit:Ograndsdel'empire,ôchefsexpérimentésetéprouvésdanslesfatigues,ilne
fautpasquenospeinesrestentinfructueusesets'enaillentaugréduventdelamollesse;ensuiteilfautquece
roivictorieuxrecueillelefruitdesabonnefortune.Noussommesvenusdel'Iranjusqu'àGangue,etnousn'avons
rencontréquedesmainsavidesdecombat.IlfautqueKhosroujouissedecequ'ilapréparé;c'estpourcelaqu'il
estvenuici,etpourcelaqu'iliraplusloin.
AcediscoursdeRustem,l'arméefituneréponseunanimedansunnouveausens;lessagesetpuissantschefsse
levèrentetprononcèrentdebonnesparoles,disant:Noustoussommeslesesclavesduroi,sesesclavesetsesamis;
lecommandementestàtoisurlaterreetsurl'eau,noussommestessurjetsettesféaux.
KEÏKHOSROUENVOIEAKAOUSLESCAPTIFSETDESPRÉSENTS.
Leroifutheureuxdecesparoles,etreçutgracieusementlesgrands,qu'ilfitasseoirselonleurrang.Ilouvrit
laportedestrésorsdesongrand-père,et,sansparlerdesaparentéetdesesdevoirsdepetit-fils,ilfitcharger
defortsdromadairesd'oretdebrocartbrodédeperles,etdixmillebœufsdehautestatured'armesdeguerre;
enfinonchargeadevantluideuxmillechameauxdetrésorsd'argent.Ensuiteleroiordonnaquetouteslesparentes
et toute la familled’Afrasiab, que ce fussent des princesses ou des esclaves,fussent amenées la nuit dans des
litières,etportéesdupalaissurlaplacedevantsarésidence;enfinilfitvenircentprincesetnobles,tous
renomméspourleurbravoure,tousparentsetalliésd'Afrasiab,quiavaientlesyeuxremplisdelarmesde pitiésur
leurmaître,commeDjehnetGuersiwez,etquiétaientsesserviteursdepuisleberceau,etmilleprisonniersturcset
chinois, que Khosrou avait pris comme otages qui lui répondaient deleurs villes ; puis il choisit dix mille
Iraniens,endonnalecommandementàGuiv,etluidit:Ohommedontlepiedlaissedestracesfortunées,rends-toi
aveccecorpsd'arméeauprèsdeKaous.Ilordonnaqu'onappelâtunscribe,quidevaitapporterdupapieretdelasoie
delaChine,etluifitécrire,surlesaffairesd'Afrasiab,unelettreavecdunoirdefumée,dumuscetdel'eaude
rose.Quandleroseauduscribefutmouilléavecdumuscetdunoir,leroicommençaparleslouangesduCréateur,
quiconserveetquidétruit;c'estluiquiadonnésaformeàl'univers;ilestlecréateurdelafourmietde
l'éléphant,de tout, depuis le brin d'herbe sansvaleur jusqu'aux flots du Nil ; devant sa puissance tout est
égalementimpuissant;ilestlemaîtredel'existenceetlemaîtredunéant;lasphèrecélestenetournepasavec
duretéau-dessusdeceuxqu'ilprotègetendrement.Puissentreposersurleroidelaterrelesbénédictionsdecelui
quicréalatrameetlachaînedutissudurepos!Jesuisarrivéà GangueDiz,qu’Afrasiababâtipourluiservirde
lieuderefugeetderepos,etoùsetrouvaientsontrôneetsacouronne,sapuissance,sondiadème,sestrésorset
sonarmée.Nousavonslivrédescombatsincessantspendantquarantejours,etlemondeestdevenuétroitpournotre
ennemi;àlaetfinils'estdérobéànosmains,ettousceuxdessiensquisontparvenusàsesauveronteulecœur
percédedouleur.Guivvaraconterauroi,l'unaprèsl'autre,touslesévénementsdecettelutte.Quandtuouvrestes
lèvresenprièredevantDieu,prietendrementpourmoi,lejouretlanuit.J'aiconduitl'arméedansleMadjinetla
Chine,etdelàjelamèneraidanslepaysdeMekran;ensuitenouspasseronslelacdeZereh,siDieuletrèssaint
veutnousêtresecourable.
Guivquittaleroidesrois,et semitenmarcheavecunearméenombreuseetdevaillantshéros;après avoir
marchérapidementcommeleventetdévorélaroute,ilarrivaprèsdelarésidenceduroiKaous.Lorsquecelui-ci
reçutdesnouvellesdecefilsdePehlewan,dontlespiedslaissaientdestracesfortunées,ilenvoyaau-devantde
luidestroupes,etlesgrandsallèrentàsarencontre.LevaillantGuivparutdevantleroiavecuneescortedehéros
;c'étaitcommeundésertremplidelions.Lorsquel’œilduSipehbedtombasurleroi,ilbaisalaterredevantson
trône;Kaouslevit,selevaensouriantetluipassasesmainssurlesjoues.Illuifitdesquestionssurleroi
etl'armée,surlafaçondontlesoleiltournaitetlaluneluisaitsureux.
LevaillantGuivluiracontacequ'ilsavaitdeshérosetdupuissantroi,etlevieuxlionserajeunitsousces
paroles.EnsuiteKaousremitlalettredeKhosrouàsonscribe,quilalutauroidel'Iran,ettouterassemblée
restadansl’étonnement,tousfurentcontentsetjoyeux,etdeslarmesdejoiemouillèrentleursjoues.Tousfirent
desaumônesauxpauvres,etmaudirentlemécréantAfrasiab.LeroiKaousdescenditdesontrône,ôtadesatêtela
couronnedesKeïanides,sortit,seroulasurlaterresombre,etfitdesprièresdevantDieuletrèssaint.Delàil
revint dans sonpalais,etordonnaunefêteroyale,dans,lajoiedesoncœur.Guivracontaauroitoutcequ'il
avaitvuettoutcedontleroidel'Iranl'avaitchargé.
Kaousfitapporterduvinetappelerdesmusiciens;ilconvoqualeschefsguerriersdel'Iranetpassalanuità
parleretàécouterlesréponses.Quandlanuitsombrecommençaàdisparaître,sesconviveslequittèrentprécédésde
flambeauxetrentrèrentdansleurspalais,lecœurenjoieetengaieté.
Lorsquelesoleilmontraduhautduciellespointesbrillantesdesesrayons et que la nuit secouales rênes
rassembléesdeseschevaux, onentenditletambouràlaportedupalais,etlesgrandsserendirentàlacour.Le
maîtredumondefitappelerGuiv,lefitasseoirsursonillustretrôneroyaletluiordonnadefaireapporterles
présentsdeKhosrou,etdefaireamenerlesnoblesetvaillantechefsprisonniers,lesfemmesvoiléesetinnocentes
qui avaient souffert de la tyrannied’Afrasiab dans l'intérieur de son palais, enfin Djehn, et Guersiwez aux
intentionssinistres,luiquiavaitrenverséparterreSiawusch.QuandilvitleméchantGuersiwez,ilmauditcet
hommequiméritaitdesmalédictions,etfitemmenerdedevantsontrôneDjehnchargédefers;ensuiteiljetales
yeux sur les filles de l'illustreAfrasiab et ses cils se mouillèrent de larmes ; il leur accorda unasile dans
l'appartementdesesfemmes,etleurdonnaunintendantetdesserviteurs.Quantauxprisonniersetauxotages,il
fixa lesortdechacunàpart:lesunsfurentconfiésàdesgardiens,lesautresjetésdanslesfers,etonles
emmenahorsdelaprésencedupuissantroi.EnsuiteildistribuaauxIraniensdestrésorsdetouteespèce,deforet
desperlesnonpercées,pourqu'ilsinvoquassentlesgrâcesdeDieusurleroidelaterre.Ildistribuaauxgrands
lesprisonniersdeguerre,dontiln'envoyaaucundanssonproprepalais,dequelquequalitéqu'ilsfussent.Ensuite
ilfixalademeuredeDjehn,sonentretien,sesserviteursetsonsurveillant.Ilyavaitunsouterrainsombredans
lechâteau,tristeàvoiretressemblantàunetombe:cefutlelieuqu'ilassignaàGuersiwez.Telleestlamanière
d'agirdelafortuneinstable.Heureuxceluiquiestroi,s'ilalamaingénéreuseetlecœurpur!ilsaitquece
mondepassera,etiléviteraleshommesinsensés;maissisonintelligenceestfaibleetsisesdésirssontvicieux,
ilressembleraàceuxqu'unmédecinappellefous.
Quandleroieutdisposédetoutlemonde,ilrenvoyadupalaistouslesétrangers;unscribepréparadupapier,
renditlapointedesonroseau finecommedel’acier,etl’onécrivitdeslettresdanschaqueprovince,àtousles
grandsetàchaqueprince,pourannoncerquelepaysdesTurcsetlaChineétaiententièrementsoumisauroi,etque
le léopard etla brebis allaient ensemble à l'abreuvoir. Kaous donna de l’or et del'argent aux pauvres, qu'ils
fussentétrangersousespropressujets, et la foulequisepressaitpour recevoir ses largesses était telle que
pendantdeuxsemainesonnevoyaitpaslesoldevantlepalaisduroi.Latroisièmesemaine,ils'assitsurletrône
du pouvoir, en paix et dans toute sa majesté ; les flûtesetleschansonsrésonnèrent;lescœurssaluèrentles
coupesdevin,etpendantseptjourslevinrougecoulaitàflotsdanslepalaisduroiKaous.Àlafindumoisil
préparadesprésentspourGuiv,parmilesquelsbrillaientforetlesturquoises;c'étaientdesplateauxd'oretdes
coupesdeturquoise,desceinturesd'oretdesbridesd'or,desesclavesornésdechaînesprécieusesetdeboucles
d'oreilles,desbraceletsetdescouronnesincrustéesdepierresfines,desrobes,destrônes,destapisdebelles
couleurs etparfumés, et d'autres présents. Ensuite il fit appeler Guiv, le fitasseoir sur un trône d'or ; on
apportalesprésentsdevantlui,etGuivseprosternadevantletrôneduroi.
RÉPONSEDEKAOUSALALETTREDEKEÏKHOSROU.
Ensuiteentraunscribe,apportantdupapier,dumuscetdel'ambre,etilécrivitlaréponseduroi:Dieunousa
donnédelajoieetlafortunenousacomblédebonheur,carnotrefilsestvictorieux,ilaestdignedupouvoir,de
lacouronneetdutrône.Ceméchantquitenaitlemondeentierdansl'angoisse,quilepossédaitpourledévasteret
fairelaguerre,s'estenfuidevanttoietvaerrantdanslemonde,etpersonneneprononceplussonnomqu'ensecret.
Toutesavieiln'afaitqueverserdusang,commettredesbassessesetexciterlesdiscordes;ilafrappéaucou
Newder,lecouronné,l'héritierdesroisnosancêtres;ilestlemeurtrierdesonfrère,assassinduroi;c'estun
méchanthomme,dontlesintentionssontmauvaises,dontlenomestdéshonoréetl'intelligenceperverse.Nepermets
pasquesonpiedfoulelaterredansleTouran,ouleMekran,ousurlesbordsdelamerdeChine,etespéronsque
l'universenseradélivré,etquelaterreseraguériedesesmaux.Purifielemondedelasouilluredesméchants,
desparolesetdesactesdeceshommesinsensés.Réjouis-toidelajusticedeDieulecréateur,soispourlemondele
commencementd'uneèredebonheur,etespéronsquejetereverraijoyeusementquandtuaurasremplidedouleur le
cœurdenosennemis.DorénavantjemetiendraienprésencedeDieu,letrèssaint,dequiviennentl'espoiretla
crainte,jusqu'àcequetureviennesvictorieuxetremplidebonheur.Puissetatêteresterjeuneettoncœurplein
dejustice!puisseDieuêtretonguide!puisseletrônenejamaiscesserd'êtreoccupépartoi!
Onplaçasurlalettrelesceauduroi,etGuivquittalepalaisetsemitenroute;ilnes'arrêtanullepart
danssonchemin,etarrivaàGangueauprèsdeKhosrou.
Iloffritseshommagesauroi,luiremitlalettreetluirapportalemessagedesongrand-père.Leroifutheureux
decesparoles,ilfitapporterduvinetappelerleschanteursetleséchansons,etselivrapendanttroisjoursaux
festins,joyeuxdesesvictoires.Lequatrième,lorsquelesoleilquiéclairelemondeallumasesrayons,Khosrou
distribua àsestroupesdescasquesetdescuirasses,etleurcommuniqualemessagedesongrand-père.Ildonnaà
GustehemfilsdeNewderlecommandementd'unegrande,glorieuseetvaillantearmée,etsemitenmarchedeGangue,sa
villechoisie,verslaChine,soumettantpartoutlespeuplesavecl'épée.Aucunjournesepassaitsanscombat,ni
mêmelanuitsombre;pendantlejouronenvoyaitdesvedettes,pendantlanuitonplaçait des sentinelles.C'est
ainsiqueKhosroucontinuasaroute,consumédedouleuretlecœurgonflédesang,jusqu'àcequ'ileûtatteintla
villequ'avaitfondéesonpère;ilerradanslejardindeSiawuschetvitlelieuoùlevaseavaitdébordédeson
sang,etdelà.ils'enretournaverssontrôneets'adressaensecretaujugesuprême,disant:SiDieu,l'unique,le
jugequidistribuelajustice,veutêtremonguide,jeverseraiici,etdelamêmemanière,commedel'eau,lesang
d'Afrasiab.
KEÏKHOSROUENVOIEUNMESSAGEAUFAGHFOURDELACHINEETAUROIDUMEKRAN.
Ilchoisitdansl'arméedesmessagersquisavaientparleretécouter,lesenvoyaauprèsduKhakandelaChine,du
FaghfouretduroiduMekran,etleurfitdire:Sivousvoulezvousconvertiràlajusticeetm'obéir,sivousvous
repentez de vos mauvaises tractions, envoyez des vivresau-devant de l'armée, que vous verrez infailliblement
paraîtresurlaroute;maisquiconquemedésobéit,simêmeils'abstientdem'attaquer,quiconquenemereçoitpas
avecdesfestins,qu'ilpréparesonarméepourlecombat.Unmessagerserenditdanschaquepays,àchaqueendroitoù
ilyavaitunprince.LeFaghfouretleKhakandelaChineetlesgrandsdetouslespaysfurenteffrayés;ils
parlèrentauxmessagerschaleureusement,ilsprononcèrentdesparolesdoucesavecdesvoixdouces,disant:Noustous
sommeslessujetsduroi,nousnerégnonsqueparsapermisesion.Nousinspecteronsleslieuxoùpasserontles
braves,ets'ils'ytrouvedesendroitsdifficiles,nouslesaplanironsdepuislafrontière,etnousyapporterons
desvivresetdesprésents.Tousleshommesdesensdirent:S'ilpasseparnotrepayssansyfairedemal,nous
ferons de grandes largesses aux pauvres, nous luipréparerons des présents et des vivres. Le messager reçut des
cadeauxinfinis,etrevintàlacourcontentetheureux.
MaislemessagerillustrequiallachezleroiduMekranletrouvadansunetoutautredispositiond'esprit.Ilse
renditdevantsontrône,luiremitlalettreets'acquittadumessagequ'ilgardaitdanssamémoire.Leroiéclata
soudaineninjurescontrelui,etremplitdeterreurlecœurdel'assembléeens'écriant:Disauroidel'Iran:Ne
cherchepasàétablirsurmoiunesupérioritéinconnuejusqu'ici;l'époqueestsoumiseàmafortune,lemondeest
brillant,grâceàmontrôneetàmacouronne.Quandlesoleilselèvedansleciel,c'estsurcepaysqu'iljetteses
premiersrayonsavectendresse.J'aidelasagesseetuntrésorrempli,unearméedegrandsetdebraves,etunemain
vaillante.Situmedemandeslepassagepourtoi,c'estbien;cartoutêtrevivantestlemaîtredemarchersurla
terre,etjenet'empêcheraipasdepasser,situnefaispasdedommagedansmonpaysetsituvienssansarmée.
Mais si tu entresdans ce pays avec des troupes,sache que tu n'as aucun droitdans mon royaume, et je ne te
permettraipasdeletraverseretdefoulerunendroitquelconquedecettefrontière;jenetelaisseraipasla
gloirederesterleroivictorieux,sifavorablequetesoittabonneétoile.
AussitôtqueKhosroueutreçucetteréponse,ilmitenmarchesonarmée,etlemaîtredumondearrivafièrement
danslepaysdeKhoten,accompagnéd'unearméeglorieuse.LeFaghfouretleKhakandelaChineallèrentau-devantde
lui pour lui offrir leursexcuses et leurs hommages ; ils s'avancèrent vers lui à troisstationsau-delà de la
frontièredelaChine,euxetleursgrands;toutelarouteétaitaplaniecommelamain,etlesvalléesetledésert
étaientornéscommeunerésidenceroyale.Partoutsurlarouteétaientpréparésdesvêtementsetdesvivres,apprêtés
desfestinsetétendusdestapis.Amesurequel'armées'approchadelaville,ellefutreçueavecdesfêtesentout
lieu ; on suspendaitaux murs des brocarts de Chine, on versaitsur les troupes du safran et de l'argent. Le
Faghfour,quis'étaitmisàsonaiseavecleroi,leprécédaetsedirigeaverssonpalais.Làilluidit:Nous
sommeslessujetsduroi,simêmenoussommesdignesdel'être;lemondeestheureuxparl'effetdelafortune,etle
cœurdetesamisseréjouitàcausedetoi.Sinotrepalaisn'estpasdigneduroi,aumoinsjepensequ'ilvaut
mieuxquelaroute.Leroientradanslepalaislatêtehauteets'assitdanslamagnifiquesalled'audience;le
Faghfourfîtapportercentmillepiècesd'orchinoisescommecadeaudebienvenue,etsetintdeboutdevantKhosrou
aveclesgouverneursdesprovinces,sessagesconseillers.
KhosrourestatroismoisenChine,entourédesgrandsdel'arméed'Iran,ettouslesmatinsleFaghfourvintlui
rendrehommageetluiporterdenouveauxprésents.Lequatrièmemoisleroidel'IranquittalaChineetsedirigea
versleMekranenlaissantRustemàKhoten.
BATAILLEENTREKEÏKHOSROUETLEROIDUMEKRAN;MORTDECELUI-CI.
KeïKhosrous'avançait,etlorsqu'ilfutprèsduMekran,ilchoisitdanssonarméeunhommeplein d'expérience,
l'envoyaauprèsduroiduMekranetluifitdire:«llfautquelesroisaientdel'intelligence.Regarded'oùje
suisvenu;jenesuispasivreetnem'endorspassurmesplans.Montrôneetmacouronnerendentlemondebrillant,
ettouteroyautéestdépendantedemafortune.Préparedoncpourmonarméedelanourritureetuneroute,prépare
pourmoiunbeaupalais.Quandunearméen'apasdevivres,tusaiscequiarrive,carpersonneneconsentàêtre
livréàladétresse;touteslesmainsenlèverontlanourritured'autrui,sijenepeuxpasfaireparveniràchacun
lasienne.Simeshommesnetrouventpasdevivres,ilsvousapporterontlaguerre,ilsrendrontétroitelaterre
devant leursennemis. Ainsi, si tu ne veux pas écouter mes paroles, tu marcherasdans le sang d'une multitude
d'hommes;situattaquesceslions,contrelesquelstun'asaucunevengeanceàexercer,tuferasdévastertoutlepays
duMekran.»
Lemessagerpartitets'acquittadesonmessage;maislesconseilsetlajusticen'avaientpasaccèsdanscette
âme; cette tête insensée bouillonnadecolère,etsacervelleseremplitdemauvaisespensées. Leroi réunit son
arméeéparse,sepréparaàlivrerbatailledansledésert,etréponditàl'envoyé:«Va-t'en;retourneauprèsde
monennemi,etdis-luiquelarotationdelafortuneincertainet'arendujoyeuxetpuissant;maisiléprouveranotre
supérioritéquandils'avancera:ilsauraquisontlesbravesetleshéros.»
Aussitôtquel'envoyéduroifutparti,toutleMekranseremplitdeclameurs,l'arméeoccupatoutlepaysd'une
chaînedemontagnesàl'autre,elleoccupaledésertetleMekran.Leroifitamenerdeuxcentséléphantsdeguerre;
onauraitditqu'iln'yavaitplusd'espacelibresurlaterre;lehennissementdeschevauxetlescrisdel'armée
étaienttelsquelalunes'égaraitdansleciel.UnevedetteaccourutauprèsdeKhosrouetluiditqueleMekran
étaitobscurciparlapoussièrequesoulevaitl'armée,quelepaysentierétaitcouvertdedrapeauxetd'éléphants,et
queleroipouvaitlesvoiràunedistancededeuxmilles.Leroiordonnaauxtroupesdeformerlesrangsetdesaisir
lesmassuesetlesépées.
UncavalierduMekrans'avançadanslaplaineetpassalanuitàfaireletourdel'arméedesIraniens.Tokhar,le
gardien du camp iranien, quin'avait jamais peur d'un combat, arriva sur lui, et l'attaqua commeun lion féroce
attaqueunéléphantpleindefierté.Illefrappadel'épéeetlecoupaendeux,etlecœurduroiduMekranse
remplitdeterreur.Lesdeuxarméesformèrentleurslignesetlecieldisparutsouslapoussièrequ'ellessoulevaient
;elless'approchèrentcommedeuxmontagnesetsejetèrentl’unesurl'autreavectouteleurmasse.LesipehdarThous
s'avançaducentre,etlemondefutremplidusondesclaironsetdestimbales;Thousétaitprécédéparledrapeau
deKawehetsuiviparleshérosauxbottinesd'or;l'airfutobscurciparlesjavelinesetlesplumesdesflèches,
laterredevintcommeunemerdepoix.ThousfrappaleroiduMekranaumilieudesonarmée,etl'âmedurois'envola
parlablessure.
Unhommedit àKhosrou:Oroi ,coupons-luilatête!maisilrépondit:Nesoyonspascruelsenverslui.Celui
quitranchelatêteàunroinevautpasmieuxqu'unfilsd'Ahriman.Ilnefautpasmettreànucethommequiaété
ainsifrappéàtraverssacuirasse.Préparez-luiuntombeauetversezdumuscetdel'eauderosesurluicommesi
c'étaitdel'eausimple;couvrezsonvisageavecdesbrocartsdeChine,carilestmortdelamortdesgrands.
Dixmillehommesdecettearmée,descavaliersetdeshérosquiperçaientleursennemisavecl'épée,furenttués,
millecentquarantefurentfaitsprisonniers,etlatêtedeceuxquisurvivaientétaitrempliedeterreur.Ons'empara
deséléphantsetdestrésors,destentesetdestrônesprécieux.Ensuitelesbravespleinsd'ardeurpourlecombatse
mirentàtoutdévaster.Lesgrandsdel'Irans'enrichirent,etungrandnombred'entreeux,s'emparèrentdetrôneset
dediadèmes.Onentenditdanslesvillesetlescampagnesleslamentationsdesfemmes;toutledésertettoutle
Mekranétaientremplisdeterreur.Onmitlefeuauxportesdesvilles,etlecielsemblaits'écroulersurlaterre.
Onperçabeaucoupd'hommesavecdesflèches,ons'emparadesfemmesetdespetitsenfants.
A la fin la colère du roi contre ce peuple s'apaisaet il ordonna à son armée de se retirer ; il commanda à
Aschkesch,dontl'intelligenceétaitprompte,demettrefinàcepillage,àcescombatsetàcetteeffervescence;de
nepermettreàpersonneunactedecruauté,pourqueceuxquinepouvaientsedéfendren'eussentpasàsouffrir.Tous
leshommesdebiendecepaysvinrentauprèsduroipourdemanderpardon,disant:Noussommesinnocentsetréduitsau
désespoir,nousavonstoujoursétéoppriméspardestyrans.Siunroivoituninnocent,ilestdignedeluid'en
avoirpitié.Lorsqueleroifortunéentenditcesparoles,ilfitfaireuneproclamationàl'armée,etl'oncriaà
hautevoixsouslaportede l'enceintedelatenteroyale;ôPehlewans,hommesdebonconseil,sidorénavantil
s'élèveunseulcriprovoquéparl'injustice,larapine,lesrixesetlaturbulence,jeferaicouperendeuxceuxqui
commettentdesviolencesetquinecraignentpasDieu,ledistributeurdelajustice.
LeroidumonderestaunandansleMekran ;ilfitamenerdetouscôtésdesconstructeursdenavires,etlorsque
leprintempsvint,quelaterreverdit,quelesmontagnessecouvrirentd'anémonesetlesplainesd'herbages.,etque
lespâturagesdeschevauxetlesréservesdechasseseparèrentderosesetdesfleursdesarbresfruitiers,leroi
enjoignitàAschkeschderesteravecunearméedansleMekran,avecl'ordred'ymaintenirsonautorité,denefaire
quecequiestbienetdroit,etden'enfreindreenrienlajustice.Lui-mêmequittalavilleetpritlechemindu
désert,déterminéàsupportertouteslesfatigues.
LavolontédeDieuletrèssaintfutqu'onnetrouvâtpasdepoussièredansledésert; l'airétaitrempli de
pluie,laterrepleinedeverdure,lemondeentiercouvertdetulipesetdefenugrec.Leshommesamenèrentau-devant
del’arméedesvivressurdeschariotsroulantsattelésdebuffles,toutelaplaineétaitverte,partoutonpouvait
camper,lecielétaitremplidenuages,etlaterresaturéed'eau.
KEÏKHOSROUPASSELAMERDEZEREH.
LorsqueleroifutsurlesbordsdelamerdeZereh,lesbravesdéboutonnèrentleurscottesdemailles. Le roi
rassemblatouslesmarinsdelaChineetduMekran,ilfitfaireàterretoutcequedoiventfaireleshommesquand
ilsveulentlancerdesvaisseauxsurl'eau.Ilfitréunirdesvivrespouruneannée,pourservirpendantlepassage.
Lemaîtredumonde,leroial'étoileheureuse,quicherchai!,lechemindeDieu,s'éloignaduborddelamer,le
visageresplendissant;ilsemità prierhumblementetàadorerleCréateurdumonde.IldemandaauTout-Puissantde
leconduiresainetsaufàl'autrerive,luietsonappareildeguerre,sonarmée,lesgrandsdel'Iranettoutesa
cour,disant:OCréateurdumonde,tusaiscequiestconnuetcequiestsecret,tueslemaîtredelaterreet.de
lamer,turègnessurlapluieetlespléiades,tueslegardiendemavieetdemonarmée,demontrône,de mes
trésorsetdemacouronne.
Lamerétaitsiagitéequepersonnen'échappaitaumaldecœur;pendantsixmoislesvaisseauxnaviguèrent,et
tout lemondeétaitobligéd'ytrouverunlieuderepos.Leseptièmemois,etaprèsquelamoitiédel’année fut
écoulée,leventdunordpoussaleroiversl'autrecôté,lesvoilesseretournèrent,lesvaisseauxallaientlapoupe
devantetsortirentdelarodequ'ilétaitraisonnabledesuivre,sedirigeantversunlieuquelesmarinsappelaient
la Gueule-du-lion ;mais Dieu fit de manière que les vents du ciel ne fussent pascontraire à l'étoile du roi.
L'arméerestaconfonduedecequ'ellevoyaitdanscetteeau,etchacunlemontraitàKhosrouavecledoigt.Ony
voyaitdes lions et des taureaux, et les taureaux sebattaientavecleslions;onyvoyaitdes hommes dont les
cheveuxétaientcommedeslacets,etlapeaucouvertedelainecommecelledesbrebis;lesunsavaientuncorpsde
poissonetunetêtedeléopard,lesautresunetêted'onagresuruncorpsdecrocodile;d'autresavaientdestêtes
debuffle,etdeuxmainsparderrièreetdespiedspardevant;d'autresencoreavaientdestêtesdesangliersurdes
corpsdemouton.Toutelamerétaitrempliedecescréatures;chacunlesmontraitauxautres,etinvoquaitDieule
distributeur de la justice; et par la grâce du Créateur duciel,l’air se calma et la tempête cessa. Ils
traversèrentlamerenseptmois,sansquelatempêterecommençât.
QuandKhosrouabordalaterreferme,quandilvitlesplainesetlaterrehabitable,ilseprésentadevantDieule
Créateur et se prosterna à plusieurs reprises le visage sur le sol.Il fit tirer de l'eau les vaisseaux et les
barques:ilavaithâted'agir,etc'étaitlemomentpoursehâter.Ilavaitdevantluiundésert,dessablesetdes
plaines;maisils'engageadanslessablesmouvants,lecorpsdispos.IltrouvadesvillesquirappelaientlaChine,
maislalanguedeshabitantsressemblaitàcelleduMekran.Ilsereposadanscesvillesetdemandadesvivrespour
sonarmée;ilconfiacepaysàGuiv,endisant:Lafortunet'afavorisétoujours.Nesoispassévère,mêmeenvers
lescoupables,carcepaysettoutechosen'ontaucunprixàmesyeux;jen'attacheplusaucunevaleuràpersonne;
je ne veux plus que me tenir en prièredevant Dieu. Ensuite il choisit dans l'armée un guerrier illustre,qui
comprenaittoutesleslangues,etenvoyaparluiunmessageàtouslesprinces,disant:Quiconqueveutlereposet
l'accomplissementdesesdésirs,qu'ilvienneavecconfianceàmacour,qu'ilaitlecœurjoyeux,lamainouverte,
les intentionsamicales;maisquiconquedésobéitàcetordreporteralapeinedesamauvaisedisposition.Pasun
seuldecesprincesnedésobéit;ilsarrivèrentàlacourcommedessujets,etleroilesreçutavecbienveillance
lorsqu'ils parurent, et éleva leurs têtes jusqu'ausoleil. Ensuite il demanda des nouvelles de Gangue Diz et
d'Afrasiab,etdutrônadupouvoir,etparmilafouledesprinces,l'und'euxpritlaparoleetluidit:Tune
rencontreras ni desrivières ni des montagnes, et, en comptant tout, les bons et lesmauvaischemins, il n'y a
jusqu'à Gangue que cent farsangs.Du côté où le roi de Touran est allé, il ne se trouve plus beaucoupd'hommes
injustes, mais lui-même est à Gangue avec ceux qu'il aamenés, depuis qu'il a passé la merde Zereh. Le roise
réjouitdecesnouvelles,etlesfatiguesqu'ilvoyaitdevantluin'effrayaientpassoncœur.Onpréparadesprésents
pour les princes, puis on demanda les chevaux de ces hommespleins d'expérience ; le roi leur ordonna de s'en
retourner,etlui-mêmesemitenrouteversGangueavecsonarmée.
KEÏKHOSROUARRIVEÀGANGUEDIZ.
Khosroumitenordresestroupesetleurdistribualasolde,ensuiteilleurparladeDieudequivienttoutbien,
disant:QuiconquerecherchelemalsetetordrasouslespunitionsqueDieuluiinfligera.Ilnefautpasquevous
entriezenmassedanslavilledeGangue,afinquepasunepattedefourmin'aitàsouffrir.Quandlemaîtredumonde
aperçutGangueDiz,sesjouesdisparurentsousseslarmes;ildescenditdechevaletoffritseshommagesàDieu,la
têtedanslapoussière,disant:Otoiquieslejugesuprêmeetsaint,jesuistonesclave,lecœurremplidecrainte
etdeterreur;tum'asdonnéunehautestatureetladignitéroyale,unearmée,ducourage,unebonneétoileetdu
pouvoir,desortequej'aipuvoirces-mursetcettevillequemonpèreaélevésau-dessusdusol.C'estSiawusch
qui,parlapuissancequeDieuletrèssaintluiadonnée,afaitsortirdesfossésunepareillemuraille.Letyrana
étendulamainsurluietadéchirétouslescœursparsonmeurtre.
L'arméesemitàpleurersurcesmursenpensantavecdouleuràl’innocentSiawusch,quifuttuéparlamainde
sonennemi,cequiavaitsemédanslemondeunesemencesifécondedevengeance.
Afrasiabavaitreçulanouvellequeleroimaîtredumondeavaitpassélamer;ilavaittenusecretcequ'ilavait
appris et était parti dans une nuitsombre, sans le dire à personne. Il avait abandonné ses chefs pleins
d'expérience,ets'étaitenfuitoutseul,lecœurremplideterreur.LorsqueKeïKhosrouentradansGangue,latête
pleine de tristesse,le cœur gonflé de sang, il vit ce jardin enchanteur qui ravissaitles âmes, et ces arbres
fruitiersplantésparSiawuschetquiressemblaientauxlampesduparadis;partoutonvoyaitdessourcesd'eauet
des bosquets de roses ; la terre était couverte de fenugrecet les branches des arbres étaient la demeure des
rossignols ;chacun dit : Voici unebelledemeure,nouspourrionsyvivreheureuxjusqu'ànotremort.Ensuitele
prudentroiordonnaauxIraniensdes'assurerduroideTouran;ilslecherchèrentdansledésert,danslesjardins
et les palais, ils prirent desguides pour les conduire partout. Ceux qui le poursuivirentpartirent comme des
insensés,espéranttrouverquelquepartunetracedelui.Danscetteardenterecherche,ilsdécouvrirentunefoulede
sesgrands,ettuèrentbiendesinnocents,maisnetrouvèrentaucunetraceduroiinjuste.
Le roi resta pendant une année à Gangue Diz dans lesfêtes et les banquets. Le monde était comme un paradis
enchanteur,pleindebosquetsderoses,deparcsetdejardins.Leroinepouvaitserésoudreàpartir;ilrestaità
Gangue,victorieuxetcontent;maislesPehlewansdel'arméed'Iranseprésentèrentdevantluitousensemble,etlui
dirent:Silecœurduroineveutpass'émouvoir,c'estqu'ilnesesoucieplusdutrônedel'Iran;probablementton
grand-pèreAfrasiabapassédel'autrecôtédel'eau,etlevieuxroiKaous,quiestassissurletrône,n'aplusde
puissanceetdemajestéroyale,nidetrésorsetd'armée;sidoncAfrasiabs'estdirigé,emplidehaine,versl'Iran,
quiprotégeranotrepays?EtsijamaisAfrasiabrecouvreuntrôneetundiadème,toutesnosfatiguesaurontété
stériles.
Le roi répondit aux Iraniens : Votre conseil estutile, et il convoqua tous les grands de la ville,il parla
longuementde ces hommes qui avaient souffert de si grands maux, ensuite ilprit l'homme le plus digne, le plus
respecté,lepluscapabledupaysetlerevêtitd'unerobed'honneur,choisissantainsidansGangueDizunamipour
gouverneur,etluidit:Resteicijoyeusement,net'inquiètepasdenotreennemi.Ildistribuaensuitetoutcequ'il
avaitdechosesprécieuses,dechevauxetdetrésorsaccumulés;toutelavillefutenrichieparluietpourvuede
bracelets,detrônesetdediadèmes.
KHOSHOUPARTDEGANGUEDIZETSERENDASIAWUSCHGUERD.
Aumomentoùseréveillelecoq,onentenditlesondestimbaless'éleverdupalais,etunearméeempressée et
avidedepartirsemitenrouteversledésert.Touslesgrandsdetouslesdistrictsaccoururent,etdechaquelieu
oùsetrouvaitunprinceonapportaitsurlaroutedesvivrespourleroietsonarmée,etpartoutoùpassaientles
troupes, les vallées et les plaines ressemblaient à un marché.Personne n'eut envie de lever la maincontre les
Iraniens,nidanslesmontagnes,nidansledésert,nipendantqu'ilscheminaient,nipendantqu’ilssereposaient.
Lesgrandssetrouvaientsurlaroute,attendantKhosrouavecdesprésentsetdesoffrandesd'argent,etàontouril
leurdistribuadesrobesd'honneurtiréesdesontrésor,etnepermitpasqu'ilssefatiguassentàraccompagner.
Guiv alla à sa rencontre avec son armée et avec tousceux qui avaient du pouvoir dans ce pays, et lorsqu'il
aperçut latêtemajestueuseduroi,ilmitpiedàterreetl'adora.Lemaîtredumondelesreçutgracieusementet
leur prépara des demeures avecla magnificence d'un Keïanide. Quand Khosrou fut arrivé auprès desvaisseaux, il
descenditsurlaplageetinspectalesvoiles;ilrestadeuxsemainessurleborddelameretparlasanscesseavec
Guiv,àquiildit:Quiconquen'apasvuGanguenedoitparrienaumondeselaisserempêcherd'yaller.
Ensuiteilfitfairetouslespréparatifsdedépart,etlorsquelesbarquesfurentmisesàl'eau,ilordonnaà
tousceuxquiseconnaissaientennavigationetquimontraientducouragesurlamerprofonde,dedéployerlesvoiles
etdes'avancersurleseauxsansfond.Lesventsquisoufflaientétaientsivifsquecettemer,pourlepassagede
laquelleilfallaitordinairementunan,futtraverséeenseptmoisparleroietl'armée,sansqu'unemancheeûtété
mouilléepar l'effet d'un vent contraire. Le roi fit débarquer l'armée etattacher les navires ; il regarda la
plaine,s'avançaetfrottasesjouescontrelaterre,enfaisantsaprièreàDieuletrèssaint.Ildistribua en
abondancedesvivresetdeshabitsauxmatelotsetàceuxquiavaientétéaugouvernail;ilfittirerdesontrésor
del'argentetdesprésentspourtousceuxquiavaientsupportédesfatigues.Ensuiteilquittaleborddel'eauet
s'avança dans ledésert,etleshommesleregardèrentavecadmiration.Aschkescheutdesesnouvellesets'avança
avecunearméetouteéquipéeàsarencontre;ildescenditdecheval,baisalaterreetrendithommageàKhosrou.On
ornatoutledésertettoutleMekran,onfitvenirdetouscôtésdesmusiciens;partoutsurlesroutesetdansles
endroits éloignés on entendait le son des instruments; l'airsemblait la chaîne, et les cordes des instruments
formaientlatrame;onsuspenditdespiècesdebrocartauxmurs,onversadel'argentetdusucresouslespiedsdu
chevalduroi.TouslesprincesdupaysdeMekrantousleshommesillustres,tousleshérosarrivèrentavec,des
présentsetavecdesoffrandesd'argentauprèsduroivictorieux,etAschkeschapportatoutcequecepaysproduitde
plusprécieux.Leroiapprouvatoutcequ'ilvitdelamanièredontAschkeschavaitgouvernécepays,etilchoisit
undesgrands,lenommaprinceduMekran,luifitbeaucoupdeprésentsetlesaluacommeroidupays.
Lorsqu'ilarrivaduMekranauxfrontièresdelaChine,luietlesgrandsdel'arméed'Iran,RustemfilsdeZal,
filsdeSam,vintàsarencontreavecsonarmée,quiétaitheureuseetréjouiederevoirleroi.QuandKeïKhosrou
parutdanslelointain,lehéros,quiaperçutsonparasol,mitpiedàterredeloinetl'adora;leroipleinde
fiertéleserradanssesbrasetluiracontalesmerveillesqu'ilavaitvuessurmer,etcommentAfrasiablemagicien
avaitdisparu.
Ildevintl'hôtedeRustemdanslaChine;maisaprèsunesemaineilquittalaChineetleMudschin,etarrivaà
Siawuschguerdlevingt-cinquièmejourdumoisdeSefendarmuz.Étantentrédanscettevilledesonpère,lesjoues
inondéesdelarmesetlecœurbrisé,ilserenditàl'endroitoùGuersiwez,leméchant,etGueroui,lemaudit,le
meurtrier,avaienttranchélatêteauroid'Irancommeàunêtrevil;ilpritdecetteterrenoireetlarépandit
sursatête;ilsedéchiralesjouesetlapoitrine,etRustemfrottasonvisagesurcetteterreetnoircitlaface
deGuerouiparsesmalédictions.KeïKhosroudit:Oroi !tum'aslaissédanslemondecommeunsouvenir,etjemie
laisserai rien debout dans ma vengeance ; madouleur durera tant que le monde existera ; j'ai détruit le trône
d'Afrasiab,etdorénavantjenejouirainidureposnidusommeiltantquej'aurail'espoirdelesaisirdemamain,
etderendrelemondesombreetétroitdevantlui.Ensuiteilsedirigeaversletrésordesonpère,quesamèrelui
avaitindiqué;ilouvritlaportedutrésoretdistribualasoldeàsestroupes.Ilrestadeuxsemainesdanscette
ville,donnaàRustemdeuxcentstonnesd'oretfitàGuivdegrandsprésents.
LorsqueGustehemfilsdeNewderfutinforméqueleroiavaitprislaroutedelavilledesonpère,ilsemiten
marchepourlerejoindre,avecunearméenombreusedegrandsetdehérosiraniens,etquandilreconnutdeloinla
têteetlacouronneduroi,ildescenditdechevaletparcourutàpiedunegrandedistance.Toutel'arméed'uneseule
voix rendithommageauroidelaterre,audistributeurdelajustice,etleroiordonnaàGustehemderemonterà
cheval,etpartitaveclui,heureuxettenantdanssamainlamaindufilsdeNewder.
IlsserendirentàGanguiBehischt,etleroihonoragrandementsonarmée,àlaquelleilsefiaitcommeàunarbre
fruitier,quichaquesaisonproduitdenouveauxfruits.Personnenecessadeselivrerauxbanquetsetàlachasse,ni
leroiniunseuldesescavaliers.Ilfutsibonpourtoutcequ'ilyavaitdevaillantsparmilesTurcs,qu'ilne
leurrestaitrienàdésirer;pendantlaclartédujouretpendantletempsdusommeililnecessadeleurdemander
desnouvellesd'Afrasiab;maispersonneparmieuxneputluienindiquerunetraceetiln'étaitplusquestionde
lui dans le monde. Un soir lemaître du monde se lava la tête et le corps, s'en alla au loin avecle livre du
ZendavestaetsetintpendanttoutelanuitdevantleCréateurenpleurantetlefrontprosternéparterre.Ildit:
Tonfaible serviteur a l'âme éternellement remplie de douleur. Il nevoit pas de traces d'Afrasiab, ni dans les
montagnes,nidanslesable,nidansledésert,nidansl'eau.Cethommenemarchepasdanstesvoies,ôDistributeur
delajustice!etnerespectepersonnedanslemonde;tusaisqu'ilestloindelajusticeetdelabonnevoie,et
qu'ilaversébeaucoupdesanginnocent.Est-cequeDieu,l’unique,lejuste,neserapasmonguidepourdécouvrirce
méchant;car,bienquejesoisunserviteurindigne,aumoinsadoreDieulecréateur?Lenometlavoixd'Afrasiab
ontdisparudumonde,sonséjourestunsecretpourmoi;maispourtoiiln'yapasdesecret.Situessatisfaitde
lui,ôDieudelajustice,alorsdétournedematêtel'enviedelecombattre,éteinsdansmoncœurcefeudela
vengeanceetfaisquetavolontédeviennelamienne.Lejeuneetfierprince,surlequelveillaitlafortune,quitta
lelieudesesprièresetmontasursontrône.IlrestapendantunanàGanguiBehischtetsereposadesémotionset
destravauxdelaguerre.
KEÏKHOSROUS'ENRETOURNEDUTOURANDANSL'IRAN.
Après son long séjour à Gangue, il sentit le besoinde revoir Kaous ; il confia le commandement de ce pays à
GustehemfilsdeNewder,depuisKaschgarjusqu'àlamerdelaChine,etluilaissaunearméeinnombrable,disant:
Veille et sois heureux,étendstamainsurlaChineetleMekran,envoiedesmessagersavecdeslettresàchaque
prince,cherchedesnouvellesd'Afrasiab,pourquenouspuissionsendélivrerlafacedelaterre.Ilemporta du
musc,desesclaveshommesetfemmes,desbridesd'or,desrobes,destrônes,deschevaux,destapistelsqueles
fournitlaChine,deschosesprécieusesdetouteespèceproduitesparlepaysdeMekran,etfitpartirdevantluidix
millebœufstrainantdeschariotschargés.Chacundisaitquejamaisonn'avaitvuetquejamaisiln'avaitexistédes
richessespareilles.Sonarméeétaitsinombreusequ'elleremplissaitsursonpassage,jouretnuit,lesmontagneset
lesplaines;lorsque,l'arrière-gardechargeaitlesbêtesdesomme,l’avant-gardearrivaitaugîte,dejourenjour.
DecettemanièreilatteignitDjadj,oùilsuspenditsacouronneau-dessusdutrôned'ivoire.Ilrestaplusd'une
semaineàSoghd,oùTelimanetKhouzanseprésentèrentdevantlui;delàilserenditàlaville de Boukhara,où
l'airfutobscurciparlapoussièresoulevéeparsonarmée;ils'ylivraauxfêtesetaurepospendantunesemaine
;lasecondesemaineilentra,couvertd'unvêtementneuf,dansletempledufeu,enpoussantdescrisetenpleurant
lestempspassés,cetemplequeTour,filsdeFeridoun,avaitfondéetdontilavaitélevélestours.Ilversade
l'oretdel'argentsurlesMobedsetjetadespierresfinesdanslefeu.Ilsedécidaàquittercepays,etpartit,
heureux d'avoir satisfait les désirs deson cœur. Il passa le Djihoun du côté de Balkh, après avoir éprouvéles
luttesetl'amertumedelavie;ildemeuraunmoisàBalkh,ensuiteilseremitenmarche,etdanschaquevilleun
grandl'attendaitavecsestroupes,etl’onpréparadesfêtesdanstouslesendroitsoupassaientleroietsonarmée.
IlarrivaàThalikanetàMervroud,oùlemondeétaitremplidessonsdesflûtesetdesinstrumentsàcordes.Delà
leroimarchaversNichapouravecseséléphants,sestrésorsetsonarmée.Iltrouvatoutelavilleparée;onappela
lesmusiciensetleschanteurs,onversasurlui,pendanttoutletrajet,del'argentetdusafran,etqued'oretque
demusc!Ildistribua,desestrésors,del'argentàtousceuxdelavillequiPaientpauvresouquivivaientdeleur
travail, etépuisa ainsi cinquante-cinq caisses d'argent. Au bout d'une semaineil se dirigea vers Reï, trouvant
partoutsurlaroutedeschants,delamusiqueetduvin.Pendantdeuxsemainesils'occupadanscettevilleàfaire
du bien ;la troisième il partit pour Schiraz, après avoir envoyé de Reïquelquesmessagers montés sur des
dromadairesauprèsdeKaous,danslepaysdeFars.
RETOURDEKEIKHOSROUAUPRÈSDESONGRAND-PERE.
Lecœurduvieuxroirajeunitparcesnouvelles;tuauraisditqu'ilenavaitgrandi.Ilfitplacerdestrônes
d'ordanslessallesd'audienceetfitparersonpalaisd'ornementschinois.Onpréparadesfêtesdanslescampagnes
etsurlaroute;onpavoisapartoutlesmaisons,lesruesetlesmarchés.Touslesgrandsetlespuissants,tousles
gouverneurs des villesallèrent au-devant de Khosrou ; partout on érigea des arcs detriomphe, et le monde
ressemblaitàdubrocartd'or;partoutonmêladumuscetdespierreriesetonlesversasurlestêtesduhautdes
arcs.
KeïKaoussortitdelavilleavecleshérosauxtracesfortunées;lejeuneroiaperçutauloinsongrand-père;
illançasonchevalardent,Kaousetluis'embrassèrent,etlegrand-pèrelebaisaàplusieursreprisessurlatête
et sur lesjoues. Tous les deux versèrent des larmes amères d'avoir vécu silongtempspresque sans espoirde se
revoir.KeïKaouscélébraleslouangesdeceprinceheureux,dontlestracesétaientfortunées,disant:Puissentle
monde,letrônedupouvoiretlaplacedesroisn'êtrejamaisprivésdetoi!Jamaislesoleiln'avuunprincecomme
toi,niunecuirasse,ouuncheval,ouuncasquecommelestiens.Lecieletlaterren'ontpasvuuneroyautécomme
latiennedepuisquelepouvoirestdescendudeDjamschidàFeridoun.Aucunprincen'asupportéautantdefatigueset
n'avucommetoitoutcequiestconnuetcequiestsecretsurlaterre.Puisses-turendreheureuxlemondebrillant
! puissent le cœur et l'âme de ton ennemi périr !PuisseSiawuschrevenir,fût-cepourunseuljour!tagloire
combleraittoussesvœux.Leprinceluirépondit:Toutcelaestdûàtafortune;unebranchedetonarbreaporté
fruit.
Legrand-pèrebaisaKhosrousurlatêteetsurleslèvres,disant:Puisses-tunejamaismequitter,nijourni
nuit!Khosroufitapporterdeschrysoprases,desrubisetdespiècesd'or,etlesversasurlatêteduroi,jusqu'à
cequecetteoffrandecouvrîtentièrementlespiedsdutrôneincrustédepierresfines.Kaousfitentrerlacouret
placerdestablesdansuneautresalle;etlesgrands,comblésderichesses,s'assirentavecluidanslasalledorée
des festins.Le jeune roi raconta les merveilles qu'il avait vuessur mer et celles que ses grands lui avaient
racontées.IlparladelameretdeGangueDiz,etàsesrécitsleshérossoupiraientaprèscettebelleville,ces
plainesetcesvallées,cesprairiesetcesjardinsbrillantscommedeslampes.
KeïKaousrestadansl'admirationdesonpetit-filsetcommençaàcomprendrelagrandeurdesesactions;illui
dit:Lesparolesjeunesd'unjeuneroirajeunissentlejouretlalune.Personnen'avudanslemondeunroicomme
toi,aucuneoreillen'ajamaisentendudepareilsrécits.Maintenantcélébronscettenouvelleétoile,célébronstous
Khosrou,lacoupeenmain.Ilfitornerlasalledoréedesfestins,apporterduvinetappelerdeséchansons aux
lèvresderubis.PendantseptjourslevincoulaàflotsdescoupesdanslepalaisdeKeïKaous;lehuitièmejourle
roiouvritsestrésorsetrécompensa,selonlesdegrés,lesfatiguesqueceshommesavaientéprouvées.Auxgrandsqui
n'avaient pasquittéKhosroudanslescombatsetdanslesfêtes,danslajoieetdanslechagrin,onpréparades
présentsselonleurmériteetl'onchoisitcequ'ilyavaitdeplusprécieuxdansletrésor.Chacunpartitpoursa
province, portant haut la tête et accompagné d'unearmée glorieuse. Ensuite le roi s'occupa des troupes et leur
distribualasolded'uneannée.
Alorslegrand-pèreetleroiquiambitionnaitlapossessiondumondes'assirentseulspourtenirconseil.Khosrou
ditau roi Kaous : A qui pouvons-nous demander la direction si ce n'estau Créateur ? Moi et mon armée avons
parcouru,lecœurblessé,lesdéserts,lesmontagnesetunemerquiexigeuneannéedetraversée;maisnousn'avons
trouvéaucunetraced'Afrasiab,nidanslesplaines,nidanslesmontagnes,nisurl'eau.S'ilparvientpourunmoment
àrentreràGangue,unearméeserassembleraautourdeluiàl'instantdetouslescôtés,etnousauronsdevantnous
lesmêmestravauxetlesmêmesfatigues,quandmêmeDieunousdonneraitlavictoire.Legrand-pèreréponditàson
petit-fils par unsageconseildevieillard,disant:Courons,nousdeuxàchevalautempled'Adergouschasp.Nous
laveronsnostêtesetnoscorps,nospiedsetnosmains,commec'estlacoutumedeshommesquiadorentDieu.Nous
offrirons en secret noshommagesàDieuenmurmurantdesprières.Nousnoustiendronsdeboutdevant le feu, avec
l'espoirqueDieuletrèssaintnousguidera,etqueceluiquimontrelechemindelajusticenousindiqueralaroute
quiconduitaulieuderefuged'Afrasiab.
Ilsconvinrentdeceplanetilsl'exécutèrentsanssedétournerduchemindroit.Ilsmontèrentàchevalentoute
hâteetcoururentautempled'Adergouschasp;ilsyentrèrentvêtusderobesblanches,lecœurtremblantetpourtant
pleind'espérance;envoyantlefeu,ilsversèrentdeslarmes,puisilss'approchèrentetrépandirentdessusdes
pierreries.Cesdeuxroisydemeurèrentengémissant,enpleurantetdansladouleurquiremplitlessuppliants;ils
adressèrentdesprièresauCréateur,ilsversèrentdespierreriessurlesMobeds,etKhosrou,lesjouesinondéesde
larmesquicoulaientdesescils,couvritdepiècesd'orleZendavesta.IlsrestèrentainsiunesemainedevantDieu;
maisnecroispasqu'ilsadorèrentlefeu,carlefeu,danscetemple,n'étaitquelelieuverslequelonsetourne
dans la prière. Lesyeux des adorateurs étaient remplis de larmes. Si profondes quesoient tes pensées, tu as
toujoursbesoindeDieuletrèssaint.Leroietlesnoblespassèrentunmoisdansletempled'AderAbadgan.
AFRASIABESTPRISPARHOUM,DELAFAMILLEDEFERIDOUN.
PendantcetempsAfrasiaberraitpartoutsanstrouverdenourritureetderepos.Sonespritétaitinquiet,son
corpss'usait;ilcraignaittoujoursundanger.Alorsilvoulutchoisirdanslemondeunlieuoùsonâmepûtjouir
detranquillitéetsoncorpsdesanté;orilyaprèsdeBerdaunecavernesurlehautd'unemontagnerocheusequi
touchelesnues,etAfrasiab,nevoyantniau-dessusdeluiunfauconquivolât,niau-dessousdestracesdelionsou
destanièresdesangliers,yportadesvivres,yfitsademeuredepeurdelamort,ettailladanslacaverneune
chambreélevée;c'étaitunlieuéloignédetoutevilleetprèsd'uncoursd'eau:appelle-lel'antred'Afrasiab.
Ildemeurapendantquelquetempsdanscette caverne,serepentantdesesactionsetlecœurgonflédesang.Un
princequidevientsanguinairenerestepaslongtempssurletrôneroyal.Voiciunroi,maîtredutrône,nésousune
bonneétoile,favoridelafortune,quiaeudesennemisaussitôtqu'ileutcommencéàverserdusang.Heureuxleroi
quin'ajamaisvucoulerlesangdesrois!
Danscetempsunhommedebien,unsagedelafamilledeFeridoun,qui,danstoutelamajestéetlapuissanced'un
Keïanide, était un adorateurhumble de Dieu eten toute chose prêt à servir le roi, avait fait de toute cette
montagnesonlieudeprières,etvivaitloindesplaisirsetdelafoule.Lenomdecethommepleindevertusétait
Houm;iladoraitDieuloindesterreshabitées.Danslacimedelamontagnesetrouvaitunefentederocher,tout
près de sa demeure et éloignéedes hommes.L'ermite vêtu du froc y faisait ses prières,lorsque son oreille fut
frappéed'uneplaintesortantdelafentedurocher:Otoi quiasétéunroinoble,illustre,grandetpuissant,
quiasétélejugedesjuges,toiquiasétélemaîtredelaChineetdupaysdesTurcs,toidontlestraitesliaient
tous les pays, tu possèdesmaintenant une caverne pour ta partdans le monde. Où sont tes gens de guerre et ta
couronne?Oùsonttonpouvoir,tavaleur,toncourage,taforceettonintelligence?Oùsonttapuissance, ton
trôneettoncasque?Oùsonttesprovincesettesarméesnombreuses,ôtoiquiesmaintenantdanscetantreétroit,
quiesréfugiédanscetteforteressederochers?
Houmentenditcesplaintesfaitesenlangueturque;ilabandonnasesprièresetquittacelieuendisant:Ces
lamentations au milieu de la nuit ne peuvent être que les crisd'Afrasiab.Cettepenséesefortifiaenlui;il
chercha pendantquelque temps l'entrée de la caverne obscure, monta sur la montagnependant le temps du sommeil,
découvritl'ouverturedel'antred'Afrasiab,arrivacommeunlionfurieux,sedépouillabravementdesonfroc,saisit
lelacetqu'ilportaitenguisedecordonetquiluiassuraitlaprotectiondumaîtredumonde,etentradansla
caverne.Quandilfutprèsd'Afrasiab,celui-cisautasurlui,lesdeuxhommesluttèrentlongtemps;maisàlafin
Houmamenaleroisouslui,leterrassaetluilialesbraspendantqu'ilétaitàterre.Ensuiteilpartit,traînant
Afrasiab,et,malgrésarésistance,courantcommeuninsensé.Ilestnaturelqu'ons'étonnedecetteaventure.Mais
quand on est roi dans ce monde, il ne fautambitionner que la gloire de la bonté, il ne faut pas se livrer aux
jouissances.Afrasiabavaitraisondechoisirunecaverne commesapartdanslemonde;commentpouvait-ilsavoir
qu'elledeviendraitlelieudesaperte?
AFRASIABÉCHAPPEAHOUM.
HoumliaainsilesbrasàAfrasiabetl'entraînadulieudesaretraite.Afrasiabluidit:Ohommeintelligentet
pieux,quiadoresDieuletrèssaint,queveux-tudemoi,quisuisunroisurlaterre,demeurantdanscettecaveet
metenantcaché?Houmluirépondit:Taplacen'estpasici,lemondeestremplidetonnom,dunomdeceluiquia
tuéunfrèreparmilesroisdelaterre,quiaoffenséDieuparlemeurtred'Aghrires,del'illustreNewderetde
Siawusch,l'héritierdesKeïanides.Neversepaslesangdesrois,pourn'avoirpasàéchangertonpalaiscontreune
cavernesansfond.Afrasiabluirépondit:Ohommepuissant,quitrouves-tusansfautedanslemonde?Larotationdu
cieltout-puissantafaitdemoiuninstrumentdepeine,defatiguesetderuine;maispersonnenepeutsesoustraire
auxordresdeDieu,quandmêmeilposeraitsonpiedsurlecoududragon.Jesuismalheureux,aiedoncpitiédemoi,
quoique j'aie commis desinjustices.Jesuislepetit-filsdeFeridounlebienheureux;relâchelesliensde ton
lacet.Oùveux-tumeconduireliéignominieusement?Necrains-tupasDieuetlejouroùtuluirendrascompte?
Houmrépondit:Ohommeméchantetmalveillant,probablementilneterestepasbeaucoupdetemps.Tesparoles
sontdouces comme unfrais jardin de roses ; mais ton sort est entre les mains deKhosrou.Néanmoins son cœur
souffraitdecetétatmisérable,etilrelâchalesnœudsdesonlacetroyal.Afrasiab,voyantquecesaint homme
étaitémudesplaintesd'unroi,s'arrachadesesmainsparuneffortviolent,etplongeadanslelac,oùildisparut.
OrilarrivaqueGouderzfilsdeKeschwads'amusaitàcourirdanslesenvironsdelarésidenceduroiavecGuivet
d'autresnobles,etqu'ils'approchadulacavecsoncortège.IlaperçutHoumquitenaitsonlacetetcouraitsurle
borddel'eaucommeunhommeivre.Ilvitaussiquel'eauétaittrouble;ilobservaceserviteurdeDieuquiavait
lesyeuxégarés,etditenlui-même:Est-cequecesainthommepécheraitdanslelacdeKhandjest?Uncrocodile
aurait-ilsaisil'hameçondestinéàunpoisson,etl'hommeserait-ilconfonduàcetaspect?IlditàHoum:Osaint
homme,fais-moiconnaîtretonsecret;quecherches-tudanscetteeaudulac?est-cequetuveuxylavertoncorps
malpropre?Houmluirépondit:Otoiquiporteshautlatête,faispouruninstantattentionàcequim'arrive.J'ai
unedemeuresurlehautdecettemontagne,oùunserviteurdeDieupeutadorerloindelafoule.Jemetenaisdevant
Dieudanslanuitsombre,livréàl'adorationpendanttoutelanuit;mais,àl'heureoùdesoiseauxfontentendre
leurs voix, des accentsplaintifs ont frappé mon oreille. A l'instant mon esprit lucide m'adonné l'idée que je
pouvaisarracherdumondelaracinedetantdevengeances,parcequedetellesplaintes,àl'heuredusommeil,ne
pouvaientvenirqued'Afrasiab.Jemesuislevé,j'aicherchédanstoutelamontagneetdanstouteslescavernes,et
j'aifiniparvoirl'entréedelarentraitedel'hommequiseplaignait.Lemisérableétaitcouchédanssonantre,
pleurantamèrementsacouronneetsontrône.Lorsquejesuisentré,ils'estmisdeboutets'estroidiaveclesdeux
piedscontrelerocher;maisjeluiailiéavecmoncordonlesdeuxmainssiserréesqu'ellesdevinrentdurescomme
une pierre,de sorte que le sang sortait de ses ongles ; ensuite je l'ai traînéen courant hors de la montagne
pendantqu'ilcriaitetselamentaitcommeunefemme;ils'esttantplaint,atantcriéetfaittantdeserments,
qu'àlafinj'airelâchésesliens,etc'esticiqu'ilaéchappéàmamain,etmoncœuretmonâmesontbrisésdesa
fuite.Ils'estcachédanscelacdeKhandjest.Jet'aidittoutselonlavérité.
LorsqueGouderzeutentenducerécit,illuivintenmémoired'anciennesprophéties;ils'enretournaversle
templed’Adergouschasp,toutpensifetcommeunhommequiaperdularaison.Ilcommençaparadorerlefeuetadressa
desprièresauCréateurdumonde;ayantfinisesdévotions,ildévoilasonsecretetracontaauxdeuxroiscequ'il
avaitvu,etlesroismontèrentàl'instantàchevaletquittèrentlepalaisattenantautempled'Adergouschasp.
KAOUSETKHOSROUSERENDENTAUPRESDEHOUM.
Kaousétaitabsorbédanssespenséessurcetévénement,pendantqu'ilserendaitauprèsdel'ermite.LorsqueHoum
aperçutlevisageetlacouronnedesrois,illeurrenditleshommagesquileurétaientdusetlesroisinvoquèrent
surluilesgrâcesdeDieulecréateurdumonde.Kaousluidit:GrâcessoientrenduesàDieu,quiestnotrerefuge,
decequej'aivuunhommepieux,puissant,sageetfortHoum,leserviteurdeDieu,répondit:Puisselaterreêtre
heureuse par ta justice ! Puisse la vie de cejeune roi être prospère ! Puisse le cœur de ses ennemis périr !
J'adoraisDieusurcettemontagne,lorsqueleroiapassépouralleràGangueDû;maprièreétaitqueleCréateurdu
monde renditheureuseparluilafacedelaterre.Quandilrevint,j'étaiscontentetjoyeux,etj'adressaisde
nouveaumesprièresàDieu.UnenuitlebienheureuxSeroschetmedévoilatoutàcouplesecretdusort,descris
sortirent de cette caverne sans fond,je les entendis et j'écoutai attentivement cette voix. Quelqu'unpleurait
amèrementlapertedesestrésorsetdesacouronne,desonarmée,desonpaysetdesontrôned'ivoire.Jedescends
delacimedelamontagneverscettecaverneétroite,tenantenmainlelacetquimesertdecordon,etj'aperçoisla
têteetidesépaulesd'Afrasiab,quis'étaitarrangéunlieudereposdanslacaverne.Jeleliedurcommepierre
avecmonlacet,jeletraînemisérablementhorsdel'antreétroit;sursesinstancesjerelâchelesnœudsdulacet,
et,arrivéauborddulac,ilsedéfaitdesesliens;danscemomentilestcachédansl'eau;maisondoitespérer
danslejugesuprêmedumonde.Silecielveutleperdre,ceseraparGuersiwez,pourlequelsonsangbouillonnede
tendresse,etsilegrandroiveutordonnerqu'onamènesonfrèrelespiedsliés,etqu'ilsoitcousudansunepeau
devachejusqu'àcequ'ils'évanouisse,alorsAfrasiabsortirasansdoutedel'eau,quandilentendralescrisdeson
frère.
LeroiordonnaauxgardesdupalaisdepartirarmésdeleursépéesetdeleursboucliersduGhilan,etl'onamena
lemalheureuxGuersiwez,quiavaitcausétantdetroubledanslemonde.Kaousditaubourreaudeletraînerdevant
lui,deluiarracherduvisagelevoilequicouvraitsahonte,decoudresursesépaulesunepeaufraîchedevache,
demanièreàôtertouteforceàsoncorps.LapeaudeGuersiwezsefenditsurluideterreur, ildemandagrâceet
invoqualesecoursduCréateur.Afrasiabentenditsescris,etparutàlasurfacedel'eau,émuetenlarmes;ilse
mitànagerdanslelac,etarrivaàuneplaceoùilpouvaitprendrepied.Quandilentenditlescrisducôtédela
terre,lescrisdesonfrère,lamortluiparutpréférableàcequ'ilvoyaitGuersiwezl'apercevantdansl'eau,les
yeuxremplisdesang,lecœurpleind'horreur,poussaungrandcri:Oroi delaterre,chefdeshéros,couronnedes
rois,oùsonttapompeettonentourageroyal,oùsonttacouronne,tontrésorettonarmée?Oùsonttonsavoiretla
puissancedetamain,oùsontlesgrandsdévouésauroi?Oùsonttagloireettonrenomdanslescombats,oùsontton
palaisettacoupecélèbresdanslesfestins,pourquemaintenanttuaiesbesoindetecachersousleseaux?Voici
donclesortquel'étoileduDivt'apréparé!Afrasiabsemitàpleurerlorsqu'ilentenditcesparoles,etversades
larmesdesangdansl'eaudulac.Ilrépondit:J'aierrédanslemondeentier,enpublicetensecret,espérant
changercettemauvaisefortune,maismaintenantmonmalheurs'estencoreempiré;laviem'estdevenueodieuseetton
sortaremplimontramededouleur.Oh!faut-ilqu'undescendantdeFeridoun,qu'unfilsdePeschengsoitainsi
tombédanslesfiletsducrocodile!Tapeausefendsouscecuirdevache,etjenevoispersonnequidansl’âmeait
pitiédetoi.
APRASIABESTPRISPOURLASECONDEFOISETMISAMORTAVECGUERSIWEZ.
Pendantquecesdeuxprincesseparlaientainsi,l'espritdudévotHoumcherchaituneruse.Lorsqueceserviteur
deDieueutreconnuAfrasiabetqu'ileutentendusesplaintesamèresetsescris,ils'avançaunpeusurlapointe
deterreoùilsecachait,jusqu'àcequ'ilpûtl'entrevoirdeloin.IldétachasonlacetdeKeïanidequiluiservait
decordon,seglissaenrampantcommeuntigre,lançalelacetrouléetpritlatêteduroidanslenœud.Illetraîna
dansl'eauverslaterre,etAfrasiabperditconnaissance;lesainthommelesaisitparlesbrasetlespieds,le
tira de l'eau comme unvil fardeau, le lia, le livra auxdeux rois, et partit ; tuaurais dit qu'il était le
compagnonduvent.
Khosrous'approcha,uneépéetranchanteenmain,latêterempliedehaine,lecœurpleind'hostilité;Afrasiab
l'insenséluidit:J'aivuensongecejourdetriomphepourtoi.Lecielatournélongtemps,etàlafinila
déchirélevoiledessecrets.Ensuiteilajoutad'unevoixforte;ôméchant,quiiraschercherlavengeance,dis-moi
pourquoituveuxtuertongrandpère?Khosrourépondit:Omalfaiteurdignedetoutreprocheetdetouteignominie,
jevaisd'abordteparlerdumeurtredetonfrère,quin'avaitjamaisfaitdemalàunroi;ensuitedeceluide
Newder,leroiillustre,ledescendantetl'héritierd'Iredj;tuluiascoupélatêteavecl'épéetranchante,etas
jetédanslemondeundésordreterrible;enfinjeteparleraideSiawusch,lecavalierleplusvaillantparmitous
leshéros:tuluiastranchélatêtecommeàunebrebis,etceméfaitadépassélavoûteduciel.Pourquoias-tutué
mon père, pourquoi n'as-tu pas prévu un jour de malheurcomme celui-ci ? Tu t'es précipité dans les crimes, et
aujourd'huituentrouveslarétribution.
Afrasiabrépondit:D'unmauvaishommeonnepeutattendrequelemeurtreetl'insulte.Lepasséaétécequetu
dis;cequidevaitarriverestarrivé;maintenantilfautquej'écoutecequetudis,maispermetsquejevoiele
visagedetamère,ensuiteturaconterasceshistoires.Khosrouluidit:Quantàcedésirdevoirmamère,rappelle-
toilesmauxquetuasaccumuléssurmatête.Monpèreétaitinnocent,moijen'étaispasencorené,etpourtantque
demalheursn'as-tupasdéverséssurlemonde!Tuastranchélatêteàunroiquelacouronneetletrôned'ivoire
ontpleuré amèrement ; mais aujourd'hui est le jour de la vengeance deDieu, et la récompense qu'il donne aux
méchantsestlemalheur.
Khosroulefrappaaucouavecsonépéeindienneetjetadanslapoussièresoncorpsdélicatementélevé;lesang
coloracommeunrubissonvisageetsabarbeblanche,etsonfrèredésespéradelavie.C'estainsiqueletrônedes
roisrestavidedeluietquesafortunesetermina.Sesmauvaisesactionsamenèrentlemalheursurlui-même.Mon
fils, ne cherche pas la clef de la chaînequi retient le mal ; si tu la cherches, sache que le crime finit par
détruirelecriminel.UnroiàquiDieuadonnélamajesténedoitemployerdanssacolèrequeleschaînesetla
prison;s’ilversedusang,ilresteraabhorréetlecielsublimelepunira.UnMobedaditàBahramleviolent:Ne
verse pas le sang des innocents; si tu veux que la couronne te reste, sois toujours clément etbienveillant.
Réfléchisàcequelecorpsaditunjouràlatête:Otête !puisselaraisonêtretoujourslacompagnedeta
cervelle!
Guersiwezfuttémoindusortdesonfrèreaîné,sesjouespâlirent,soncœursetroubla.Lesexécuteursdeshautes
œuvresl'entraînèrent,chargédelourdeschaînes,accablédesonmalheur,entourédegardesetdebourreaux,commeil
convientauxméchants.QuandilarrivadevantKeïKhosrou,ilinondadanssadouleurseslèvreslividesdelarmesde
sang. Le roi des rois, roide l'Iran, se mit à lui parler du vase et du poignarddontil s'était servi pour le
meurtre de Siawusch, de Tour, fils de Feridoun et du faroucheSelm, et d'Iredj, qui avait été un puissant roi.
Ensuite il donnasesordresaubourreau,quitirasonépéetranchante,s'approchalecœurpleinderésolutionet
coupaleSipehbedendeuxparlesreins.Toutel'escortedesroisavaitlecœurremplideterreur;onjetaentas
lesrestesdesdeuxfrères,etlafouleformaitunlargecercleautour.
KAOUSETKHOSROUS'ENRETOURNENTDANSLEPAYSDEFARS.
LorsqueleroieutainsiobtenudeDieul’accomplissementdesesvœux,ils'enretournadulacautempledufeu.
Luietsongrand-pèreversèrentbeaucoupd'orsurlefeu,récitèrentleursprièresenmurmurantetrestèrentdebout
unjouretunenuitdevantleJuge,leGuidesuprêmedumonde.QuandZerasp,letrésorierdeKeïKhosrou,arriva,
Kaous donna tout un trésor à Adergouschasp, et auxMobeds des robes d'honneur, de l'or, de l'argent et beaucoup
d'autreschoses;ildistribuaunautretrésorauxpauvresdelavilleetàceuxquivivaientdutravaildeleurs
mains,etrajeunitlemondeparsajusticeetsalibéralité.EnsuiteilmontasurletrônedesKeïanides,ouvritla
portedelasalled'audienceetrestasilencieux.
On écrivit une lettre dans chaque province, à chaqueseigneur et à chaque prince ; depuis l'orient jusqu'à
l'occidentilyeutunelettrepourchaqueendroitoùsetrouvaitunprinceillustre,annonçantquelaterreétait
délivrée de l'oppression dudragon par l'épée de Keï Khosrou, qui, grâce à la force queDieu, le maître du la
victoire,luiavaitdonnée,n'avaitprisaucunreposetn'avaitjamaisôtésonarmure;quelesmânesdeSiawusch
étaientrendusheureuxparlui,quetouslespaysdelaterreluiétaientsoumis,etqu'ilavaitfaitd'abondantes
largesses auxpauvres, aux serviteurs de Dieu et à ses hommesdeguerre.Ensuite le roi du mondedit : Ohommes
illustres,fortunésetpuissants!faites-sortirvosfemmesetvosenfantsdelaville,etportezavecvousdansla
plainedesvivresetdelamusique.Ilexécutaceplanetnes'occupaquedecettefête;tousleshérosdelafamille
royaleetdelafamilledeZeraspserendirentautempled'Adergouschasp,etleroiKeïKaouspassaquarantejoursen
fêtes,avecdeschantsetdescoupesdevin.
Lorsquelanouvelleluneparutaucielbrillantecommelesoleil,etsemblableàlacouronned'orsurlatêted'un
jeuneroi,lesgrandssemirentenroutepourlepaysdeFars,rassasiésdecombatsetdediscours;danschaqueville
qu'ilstrouvèrentsurleurroute,lafoulesepressaitautourduroi,etKaousouvraitsescaissesd'oretenrichit
tousleshommesdebien.
MORTDEKEÏKAOUS.
LorsqueKaouseutretrouvésasécurité,ilénonçadevantDieutouteslespenséessecrètesdesoncœur,disant:O
toiquiesau-dessusdusort,toiquinousinstruisentoutcequiestbien,c'estdetoiquej'aireçumadignité
royale, ma gloire, mafortune, ma puissance, mon diadème, ma valeur et mon trône. Tu n'asdonné à personne des
trésors,untrôneetungrandrenomcommeàmoi.Jet'aiadressédesprièrespourqu'unvengeurprîtlesarmespour
vengerSiawusch,etaivumonpetit-fils,lajoiedemesyeux,mevengeretsevengerlui-même.Ilestambitieux,
pleindedignité,deforceetd'intelligence,ildépassetouslesroisdelaterre;maiscentcinquanteansont
passésurmoi,etmatêteetmabarbe,noirescommedumusc,sontdevenuesblanchescommeducamphre;mataillede
cyprèss'estcourbéecommeunarc,etjeneregarderaispascommeunmalheurquemafinarrivât.
Peudetempsaprèsilnerestaitdeluidanslemondequelesouvenirdesonnom,etKeïKhosrou,leroidumonde,
montasurletrôneets'assit,lemaîtredecetteterrepleinedeténèbres.TouslesIraniensillustresarrivèrentà
pied,labouchepleinedeparoles,touscouvertsderobesbleuesetnoires,etrestèrentpendantdeuxsemainesportant
ledeuilduroi.Ilsbâtirent,pourletombeaudeKaous,unédificeélevédelahauteurdedixlacets;ensuiteles
grandsdelacourapportèrentunepiècedesalinnoirdeRoum,brochéd'or;onyrépanditdugui,ducamphreetdu
musc,etonyenveloppalecorpsdesséchéduroi;onleplaçasuruntrôned'ivoireetl’onposasursatêteune
couronnedecamphreetdemusc.QuandKeïKhosrousefutéloignédecetrône,onfermal'entréedulieuderepos,et
personnenerevitplusleroiKaous,quisereposaitdesbataillesetdelavengeance.Telleestlaloideceséjour
depassage,tunerestespastoujoursàt'yfatiguer.Leplussagenepeutéchapperauxgriffesdelamort,niles
plusbraves,sousleurscottesdemaillesetleurscasques;etfusses-turoi,fusses-tuZerdehischt,tacouchesera
laterreettonoreillerseralabrique.Essayed'êtrejoyeux,chercheàatteindrel'objetdelesdésirs,etquandtu
l'asobtenu,rechercheunebonnerenommée;maissachequelemondeesttonennemi,quelaterreseratonlitetla
poussièretonvêtement.
Pendantquarantejoursleroiportaledeuildesongrand-père,setenantloindelajoie,delacouronneetdu
trône ;au quarante et unième jour, il s'assit sur son trône d'ivoire etplaça sur sa tête la couronne qui
réjouissaitlescœurs.L'arméeserassembladevantsonpalais:lesnoblesetlesgrands,portantdesdiadèmesd'or,
lesaluèrentcommeroietversèrentdespierreriessursacouronne;lemondeentiercélébraunegrandefêtelorsque
leroivictorieuxs'assitsurletrône,etc'estainsiquetoutelaterreobéitàKhosroupendantquesoixanteannées
passèrentsurlemonde.
KEÏKHOSROUPRENDLAVIEENDEGOUT.
L'âmedeceroi,quiétaitcomblédesbiensdumonde,seremplitdepenséessurlesjoursquis'écoulaientetsur
lepouvoirqu'ilexerçait.Ilsedit:Partout,danstouslespayshabités,depuisl'IndeetlaChinejusqu'auRoum,
depuisl'Occidentjaserqu'auxlimitesdel'Orient,danslesmontagnesetlesdéserts ,surlaterreetsurlesmers,
partoutj'aidétruitmesennemis,partoutjesuismaîtreetroi,etlemonden'aplusàcraindrelesméchants.Bien
desjoursontpassésurmatête;Dieum'adonnétoutcequejedésirais,quoiquemoncœurtoutentier,n'aitété
dévouéqu'àlavengeance.Maismonespritnetrouvepasdesécuritécontremespassions,ilpenseaumaletàlafoi
d'Ahriman.JedeviendraiméchantcommeZohaketDjamschid,jedeviendraicommeTouretSelm.D'uncôtéj'aiungrand-
pèrecommeKaous,del'autrejesuisdemaracedeTouran,pleinedemagie.CommeKaousetcommeAfrasiablemagicien,
quinevoyait,mêmeenrêve,quedusangetdelafraude,jedeviendraiunjourinfidèleàDieu,etlaterreur
envahira monesprit serein, la grâce de Dieu me quittera, je m'adonnerai àl'injustice et à la folie, enfin je
m'avanceraidanscesténèbresjusqu'àcequematêteetmacouronnetombentdanslapoussière,etilnemerestera
qu'unmauvaisrenomdanslemondeetunemauvaisefindevantDieu.Cettechairetcesjouescoloréespériront;mes
ossementsserontdispersésdanslaterre.Toutcequiestbienenmoidisparaîtraetseraremplacéparl'ingratitude
enversDieu,etmonâmedemeureraobscuredansl'autremonde.Quandunautreaurasaisimacouronneetmon trône,
quandmafortuneauradisparu,ilneresterademoiqu'unnommaudit,etlarosedemesfatiguespasséesserachangée
enépine.
Maintenantquej'aivengélesangdemonpère,quej'aibienordonnélemondeentier,quej'aifinisàmorttous
ceuxquileméritaientcommevicieuxetrebellesàlavoiedeDieu,qu'ilnerestepasunendroitdansledésertet
dansleslieuxhabitésquineconnaisselestitresdemahautefortune,quetouslespuissantsdelaterresontmes
sujets,sigrandsquesoientleurstrésors,sirichesquesoientleursjoyaux,maintenantquejerends moregrâceà
Dieu,quim'adonnécettemajestéroyale,cetterotationfavorabledesastresetcepouvoir,ilvautmieuxqueje
m'empressedeparaîtredevantDieu,avantquemagloires'évanouisse,espérantqu'ilvoudra,danscetétatdebonheur
etpendantquej'adoreensecretleCréateur,transportermonâmedansleséjourdesbons,puisqu'ilfautquecette
couronneetcetrônedupouvoirpérissent.Personnenepeutacquérirunnomplusgrand,mieuxsatisfairesesdésirs,
avoirplusdepouvoir,debonheur,dereposetdedignitéquemoi.J'aivuetj'aientendutoutcequiregarde le
monde,sonbonheuretsonmalheur,secretsouconnus,etj'aivuquel'homme,qu'ilcultivelaterreouqu'ilporte
unecouronne,finitparpasserparlamort.
Leroiordonnaàsongrandchambellanderenvoyertousceuxquiseprésenteraientàlacour,maispoliment,avec
tousleségardspossiblesetsansrudesse.IlfermalacourdesKeïanides,etallaensoupirant,etlesvêtementsen
désordre, selaverlatêteetlecorpspourlaprièreetchercherlavoiedeDieuavecleflambeaudelaraison.
Ensuiteilrevêtitunerobeblancheetneuve,pouradorerDieuavecuncœurpleind'espérance;ilserenditaulieu
desprièreseténonçadevantleJugebienveillantsespensées secrètes:Otoi quiesau-dessusdesâmeslesplus
saintes,quiascréélefeuetfaterresombre,dirige-moidonne-moidelasagesse,préservemonintelligence de
l'erreur.Jet'adoreraitantquej'existerai;j'essayeraidefairemieuxquejen'aifait;pardonne-moimespéchés
passés,donne-moilesoucidubienetdumal.ÉcartedemavielesmalheursdusortetlesrusesduDiv,quienseigne
toutmal,pourquelespassionsnedominentpasmonâmecommeellesontdominéKaous,ZohaketDjamschid.Quandle
Div me cache la porte de la vertu, quand ses mensongesacquièrent du pouvoir sur moi, éloigne de moi ses
machinations,pourquemonâmeneseperdepas.Conduis-laauséjourdesbons,etprendssoustagardemavoieetmon
honneur.
Il se tint debout, jour et nuit, pendant une semaine;soncorpsétaitlà,maissonâmeétaitautrepart.La
semaineterminée,ildevintsifaiblequ'ilneputplussetenirdanslelieudesprières;illequittalehuitième
jouretmontarapidementsurletrônedesrois.
LESGRANDSSEPLAIGNENTDECEQUEKHOSROUFERMESACOUR.
TouslesPehlewansdel'arméed'Iranrestèrentconfondusdecequefaisaitleroi,ettousceshommesillustres
dans les combats eurent chacun une idée différente. Lorsque le roiglorieux fut monté sur le trône, le grand
chambellan parut à laporte de la salle d'audience et ordonna qu'on levât le rideau etqu'on laissât entrer les
braves.Lesgrands,lesvainqueursdeséléphants,leshommesauvisagedelion,commeThous,Gouderz,levaillant
Guiv, Gourguin, Bijen et Rehham le lion, entrèrent, lesmains respectueusement croisées ; en voyant Khosrou ils
l'adorèrent,ensuiteilsluidévoilèrentleurspenséessecrètes,disant:Oroi,ôhéros,ôhommevaillant,ôjuge,ô
maîtredumonde,ôpuissantparmilespuissants!Jamaisunroicommetoines'estassissurletrôned'ivoire;le
soleiletlacouronneempruntentdetoileursplendeur;c'esttoiquidonnesleurforceauxcuirasses,auxépéeset
auxchevaux,toiquiallumeslefeudubienheureuxAdergouschasp.Lesfatiguesnet'effrayentpas,lestrésorsne
t'amollissent pas,ettesrichessessontau-dessousdesfatiguesquetuaséprouvées.Nous,lesPehlewans,sommes
toustesesclaves;nousnevivonsqueparcequenoustevoyons.Tuasjetédanslapoussièretoustesennemis,etil
neresteplusdanslemondeunobjetdecrainteetdeterreurpourtoi.Lesarméesetlestrésorsdetouslespays
t'appartiennent,etchaquelieuoùtuplacestonpiedportelestracesdetestravaux.Nousnesavonspourquoiles
penséesduroisontdevenuessombresaumilieudecettefortune.Letempsdesjouissancesestarrivépourtoidansce
monde,etnonpaslemomentdessoucisetdudépérissement.Sileroinousenveutpourquelquechose,sisatristesse
estlasuitedenosfautes,qu'illedise,etnousrendronslajoieàsonâmeennousrepentantavecdeslarmesde
sangetdufeudanslecœur;ou,s'ilaensecretunennemi,queleroidelaterrenousl'indique;touslesrois
quiportentdescouronnesmettentl'honneurdeleurtrôneetdeleurdiadèmeàtuertesennemisouàperdreleurvie
unefoisqu'ilsontplacésurleurtélélecasquedesbraves.Queleroi?nousdisesonsecretetchercheavecnousle
remèdeàsonmal.
Leroiillustreleur répondit:OPehlewansquidemandezlavoieàsuivre!aucunennemidanslemondenemecause
desouci;aucundemestrésorsn'estdissipé;l’arméenemedonneaucunchagrin,etaucundevousn'acommisde
fauteenversmoi.Depuisquej'aivengémonpère,j'airétablipartoutlajusticeetlafoi,etilnerestepasune
poignéedeterrenoirequin'aitreçul'empreintedemonsceau.Mettezdoncvosépéesdansleursfourreaux,laissez
lacoupedominerleglaive;faitesretentir,aulieudubruitdesarcs,lesondesflûtesetdesrebecsaccompagnant
unbanquetpleindedélices.PendantseptjoursjemesuistenudeboutdevantDieuenméditantdespenséespieuses:
J’aiundésirsecret,jel'aisoumisauCréateuretjelediraiàtouslorsqu'ilm'aurarépondu,etqu'ilm'auradonné
sesordresquiconduisentaubonheur.Etvousaussi,allezadorer-Dieu;allezleprierdem'accordermondésiretma
joie,carc'estluiquidonnelepouvoirsurle-bienetlemalàceuxauxquelsilmontrelavoie;ensuitelivrez-
vousàlajoieetnesoupçonnezpasdemalenmoi.SachezqueleCiel,quines'arrêtejamais,neconnaîtnisujetni
roi;ilnourritlesjeunesetlesvieux,ettoutcequinousarrivedejusteoud'injustenousvientdelui.Les
Pehlewans quittèrent le roi, remplis de douleur et d'incertitudes,et Khosrou ordonna au grand chambellan de
s'asseoirderrièrelerideaudelasalled'audience,etdenelaisserentrerpersonneauprèsdelui,nidesétrangers
ni ses familiers. A la nuit il serendit au lieu de ses prières et ouvrit les lèvres devant Dieu lejuste, le
Seigneur,disant:Otoi quiesplusgrandquelesplusgrands,quifavorisesceuxquisontpursetbons,soismon
guideversleciel,pourquejepuissequitterceséjourpassagersansquemoncœursesoittournéverslemal,etde
manièrequemonâmetrouveuneplacedansleséjourdesheureux.
LESIRANIENSAPPELLENTZALETRUSTEM.
Unesemaines'étantpasséesansqueleroisefûtmontré,onentenditdesmurmuresetdesparolesconfuses.Tous
l e sPehlewans, les grands, les hommes sages et de bon conseil, commeGouderz, et Thous fils de Newder,
s'assemblèrent,etparlèrentlonguementdecequiestjusteetinjuste,decequ'avaientfaitlespuissantsrois,tant
ceuxquiadoraientDieuqueceuxquiétaientméchants.Lesgrandsetlessagesayantainsirappelélesactionsdes
rois,lepèredeGuivditàsonfils:Otoi quelafortunefavorise,toiquiastoujoursrévéréletrôneetla
couronne,toiquiassupportétantdefatiguespourl'Iran,quiasquitté silongtempstonpaysettafamille,voici
une affaire ténébreuseet que nous ne devons pas négliger. Il faut que tu ailles dans leZaboulistan auprès du
SipehdardeKaboul,etquetuportesàZaletàRustemcemessage:LeroisedétournedeDieuets'égare.Ilafermé
saporteauxgrands,etnouscraignonsqu'ilnes'associeauDiv.Nousluiavonsexposénosregretsetnosprières;
nous l'avonsimploréd'agirenversnousselonlajustice.Ilnousaécoutéslonguementetn'apasrépondu;nous
voyonsquesonâmeesttroubléeetsoncœurremplidevent;nouscraignonsqu'ilnesepervertissecomme le roi
Kaous,etqueleDivneledétourneduchemindroit.VousêtesdesPehlewans,lesplussagesdeshommesetlesplus
puissantspouragirentoutechose.MaintenantrassemblezdeKanoudjetdeDambar,deMarghetdeMaïtousleshommes
debonconseil,etlesastrologuesdeKabouletlessagesduZaboulistan,etamenez-lesavecvousdansl'Iran;carce
royaumeestpleinderumeursdepuisqueKhosrounousrefuseaccèsetconseil;nousnoussommesconsultésdetoute
manièreetnousn'espéronsunesolutionqueduDestan.
Guiv,ayantécoutélesparolesdeGouderz,choisitdansl'arméedeshommesvaillants,et,pousséparsessoucis,
sehâta.desemettreenroutepourleSéistan.Lorsqu'ilfutarrivéauprèsduDestanetdeRustem,illeurracontales
chosesétrangesqu'ilavaitvuesetentendues.Zaldevintsoucieuxetréponditàl'illustreGuiv:C'estungrand
malheurquinousarrive.EnsuiteilditàRustem:AppelleduZaboulistanlessages,lesastrologuesetlesMobeds,
etfais-lesveniràKaboul,pourqu'ilsnousaccompagnent.TousceshommesseréunirentauprèsduDestan,etilsse
mirentenrouteensemblepourl’Iran.
Khosroucependants'étaittenutouteunesemainedeboutdevantDieuetlehuitièmejour,lorsquelesoleil qui
éclairelemondeseleva,ilmontasursontrôned'or,etlegrandchambellanouvritlerideaudelaportede la
salled'audience.TouslesPehlewansetlesMobedsseprésentèrentdevantleroidelaterre,etlemaîtredumonde,
lorsqu'illesvit,lesreçutgracieusementetleurassignaleursplacesselonlacoutumedesKeïanides.Lesgrands
pleins de sagesseet de bons conseils se tinrent longtemps debout devant lui ;personne parmi ces serviteurs
illustresduroines'assit,tousgardèrentleursmainscroisées.Àlafinilsouvrirentleslèvresetdirent:Oroi
desMobeds,quiporteshautlatête,toilejusteàl'âmesereine,lepouvoiretlamajestédelaroyautésontàtoi
;tout,depuislesoleiljusqu'audosdupoissonquisupportelaterreestàtoi.Tonespritclairconnaîttoutce
quiexiste;adresse-nousdesparolesdesagesse;noustoussommestesesclaves,deboutdevanttoi,tesPehlewans,
tessagesconseillers.Qu'ilplaiseauroidenousdirequellefautenousavonsfaiteetpourquoiilnousexclutdesa
présence.Depuislongtempsnoscœurssontpleinsdetourmentsetd'affliction.Queleroidécouvresonsecretànous,
lesgardiensdesesfrontières,ànous,quinesavonsplusquellevoiesuivre;etsic'estlamerquil'importune,
nousladessécherons,nouslacouvrironsd'unecouchedepoussièredemusc;sic'estunemontagne,nousl'arrache-
feronsdesesfondements,nousperceronsdenospoignardslecœurdesennemisduroi.Sidestrésorspeuventguérir
sonmal,iln'auraplusjamaisàs'affligerdumanquederichesses,carnoustoussommestestrésoriers;noussommes
tousremplisdetristesse,noustouspleuronssurtespeines.
Lemaîtredumonderépondit:JenesuisjamaissansavoirbesoindemesPehlewans;moncœurn'estaffligénipar
ladiminutiondesforcesdemamain,nipar lacraintedeshommes,niparlemanquedetrésors;aucunennemin'a
paru dans mes provinces, et je n'ai à avouer aucune crainte dece genre. Mais mon cœur a conçu un désir qui ne
cesseraplusdansmonâme.Pendantlanuitsombre,jusqu'àcequelejourbrillantparaisse,jem'occupedel’espoir
d'accomplircedésir,et,letempsvenu,jevousdiraimonsecret,jedévoilerailescrismystérieuxdemon âme.
Retournezchezvous,heureuxdevosvictoires,etnedonnezpasaccèsdansvoscœursàdemauvaisespensées.Tousles
Pehlewans,ceshommesnobles,luirendirentleurshommages,latristessedansl'âme.
KEÏKHOSROUVOITENRÊVELESEROSCH.
Lorsqu'ils furent partis, le roi vigilant ordonna debaisser le rideau de la salle d'audience et s'assit en
pleurantdanssadouleur,setordantetlesjouespâles.IlserenditdevantDieu,lemaîtresuprême,etlepriapour
qu'illeguidât,disant:OCréateurduciel,sourcedetoutbien,detoutejustice,detoutamour!cetteroyauté
n'aaucunevaleurpourmoi,sileSeigneurn'estpascontentdemoi.J'aifaitbeaucoupdebienetbeaucoupdemal,
accorde-moicependantuneplacedansleparadis.
C'estainsiqu'ilrestadeboutpendantcinqsemainesenimplorantleMaîtredel'univers.Durantunenuitsombre
sespeinesnelaissèrentaucunreposauroi;aumomentoùlaluneparutauciel,ils'endormit;maissonesprit,
quiavaittoujoursl'intelligencepourcompagne,nedormitpas.IleutunrêvependantlequellebienheureuxSerosch
lui dit à l'oreille ces parolessecrètes: O roi à l'étoile heureuse, favori de la fortune, tu as usé bien des
colliers,desacouronnesetdestrônes.Maintenantquetuasobtenutoutcequetudésirais,situétaisenlevé
soudaindecemonde,tutrouveraisuneplacedanslademeureduJugesuprême;nerestedoncpassur cetteterre
sombre. Quand tu distribuerastes biens, donne tes trésors à ceux qui en sont dignes ; laisse àd'antres cette
demeurepassagère,enrichislespauvres,rendsjoyeuxceuxquitesontdévoués.
Quiconqueéchappeàlagueuledudragondoitêtremisàl'abridesgriffesdumalheur;quiconqueasupportédes
fatiguespourtoi,sachequ'ilnelesasupportéesquedansl'espoirdegagnerdesrichesses.Quandtupartiras,fais
deslargessesauxIraniens,cartuneresteraspluslongtempsici.Choisispouroccuperletrôneunroiquiprotège
touteslescréaturesjusqu'àlafourmi,etquandtuaurasdisposédumonde,netereposepas,carlemomentdeton
départarrive.
Quandleroi,quiavaitéprouvétantdefatiguesdanssavie,seréveilla,ilvitquelelieudesprièresétait
inondéd'untorrentdeseslarmes;ilrecommençaàpleurer,posasonfrontsurlaterreetadressaseshommagesau
Créateur,disant:Sijemeurssoudain,j'auraiobtenudeDieutoutcequedésiremoncœur.Ilmontaalorssurson
trône,siègedelaroyauté,serevêtitd'unerobequin'avaitjamaisservi,ets'assitsurletrôned'ivoire,comme
lemaîtredumonde,maissanscollier,massuenicouronne.
ZALFAITDESREPRÉSENTATIONSÀKEÏKHOSROU.
AlafindecettesemaineZaletRustemarrivèrentenfin,lecœurpleindetristesse.QuandlesIranienseneurent
lanouvelle, ils s'empressèrent d'aller à leur rencontre, tous l'âmeulcérée, et lorsque Rustem et Zal parurent,
accompagnésdeleursMobedsaccomplisdanstouteslesvertus,tousceuxquiétaientdelafamilledeZeraspfirent
caparaçonnerleurschevauxpourlesrecevoir;demêmeThous,quiportaitledrapeaudeKaweh,ettouslesgrandsaux
bottinesd'or.LorsqueGouderzfutarrivéprèsdeTehemten,deslarmesdesangcoulaientdesescilssursesjoues;
toutel'armées'avança,touslesvisagesétaientpâles,touslescœursnavrésetdésolésàcausedeKhosrou;les
IraniensdirentàZaletàRustem:Leroiaétéégaréparlesconseilsd'Iblis.Toutesacourestrempliedeson
armée,maisdepuisbiendesjoursetdesnuitspersonnen'apulevoir.Chaquesemaineonouvre unefoislaportede
lasalled'audience,etnousyallonsetnousentrons;maisetKhosroun'estplusceroi,ôPehlewans,quevousavez
vuheureuxetl'espritserein.Satailledecyprèsestcourbée,etlaroseauxcouleursbrillantesdesonbonheurest
cueillie.Jenesaisquelmauvaisœilesttombésurlui,etpourquoicettefleurfraîches'estfanée.Est-cequela
fortunedesIraniensseraitobscurcie,oulesastresvoudraient-ilsperdreleroi?
LevaillantZalleurrépondit:Ilparaîtqueleroiestlasdutrône.Tantôttoutvabiendanslavie,tantôttout
nousestcontraire,tantôtnoussommesdanslebonheur,tantôtdanslemalheur;maisn'abandonnezpasainsivotre
cœurauxsoucis,carlessoucistroublentl'âmesereine.Nousferonstousnosefforts,nousdonneronsdesconseilsà
Khosrou,etnosconseilsluirendrontfavorableslesastres.Lesnouveauxarrivésserendirententoutehâteàla
cour;onouvritàl’instantlerideaudelaporteetonlesadmitavecplaisir,dansl’ordredeleur rang.D'abord
le Destan, et Rustem au corps d'éléphant,puis Thous et Gouderz et leurs compagnons, ensuite Gourguin, Bijen,
Gustehemettousleshérosqu'ilsamenaient.
Leroidesrois,envoyantlevisageduDestanetenentendantsouslerideaulavoixdeRustem,selevaplein
d'étonnementdesontrône,leurfitlesquestionsd'usageensetenantdeboutetleurtendantlamain;iladressala
parole à chacun des sages qui étaient venus deKaboul, de Kanoudj, de Dambar et du Zaboulistan, les reçut
gracieusementetassignaàchacunsaplaceselonlamanièredesKeïanides;ensuiteildonnadesplacesd'honneur,
d'aprèsleursrangs,àtouslesIraniensquiétaiententrés.
Zalluiadressaseshommagesàplusieursreprises,disant:Puisses-tuvivreheureuxaussilongtempsqu'ilyaura
desmoisetdesannées!DepuisletempsdeMinoutchehrjusqu'àKeïkobad,depuiscestroisillustresdontnousnous
souvenonsdepuisZewfilsdeThamaspetKeïKaous,depuistouscesroispuissantsdontlestracésétaientfortunées,
depuisSiawusch,quiétaitpourmoicommeunfils,quiétaitunprincepleindemajesté,degrandeuretdegloire,
nousn'avonspasvuunroiaussisage,aussiillustre,aussifavoriséparlagrâcedeDieuquetoi.Puissetaroyauté
dureréternellementpartesvictoires,partabravoure,partabontéettasagesse!Tuasparcourulemondepoury
répandrelajustice;maintenant,àtonretour,jouisdetavictoire.Quelestleroiquinesoitpasdelapoussière
soustespas,quelestlepoisonquetonnommeguérissepas?
Maisj'aiapprisunechosequin'estpasconvenable,etjesuisaccouruaussitôt:unhommeestvenudel'Iranme
direqueleroivictorieuxaordonnéaugrandchambellandeneplusouvrirlerideaudelasalled'audience,etde
nouscachersonvisageroyal.JesuisaccouruaucridedouleurdesIraniens,commeunaigle,commeunvaisseausur
l'eau,pourdemanderauroidumondequelestsonetsecret.Lesastrologuesetlesgouverneursdesprovinces,les
chefs de tous les pays que je connaisse Kanoudj, deDambar, de Margh et de Maï sont arrivés avec leurs tables
astronomiquesindiennespourapprofondirlesecretducieletsavoirpourquoiilrefusesesfaveursàl'Iran.Ilfaut
troischosespourmenerbonnefintouteaffaireetpourpréserverdetoutmalletrônedesrois,cesont:untrésor,
letravailetdeshommesvaillants;horsdelàiln'yanihonneuràgagnernibatailleàlivrer.Ensuiteilreste
unquatrièmepoint:c'estd'adorerDieu,deprierdevantluijouretnuit,carilvientenaideàsesserviteurset
repousseceux,quipourraientlesperdre.Nousferonsdeslargessesauxpauvres,nousdonneronscequenousavonsde
plus précieux, pour que Dieutranquillise ton âme, pour qu'il protège ton esprit par la raisoncomme par une
cuirasse.
KEÏKHOSROUREPONDÀZAL.
KhosrouécoutacesparolesduDestan et luiréponditparunsagediscours.Illuidit:Ovieillardàesprit
clair,tesparolesettesconseilssontbienveillants.DepuisletempsdeMinoutchehrjusqu'àcemomenttuasvécu
sanstourmenteretsanssoupçonnerpersonne;etl'illustreRustemaucorpsd'éléphant,lesoutiendesKeïanides,les
délicesdel'armée,aélevéSiawuschetn'ajamaislaisséarriverjusqu'àluiquelebien.Maintefoisunearméeen
voyantsamassue,satêted'éléphant,lacrinièredesonchevaletsonbras,s'estenfuiesanscombattre,ensemant
lesflèchesetlesarcsdanslesvalléesetsurlesplaines,etc'estainsiqu'ilamarchédevantmesancêtres,quand
ils allaient aucombat,commeunguidequiportebonheuretmontrelechemindelavictoire.Sijerappelaistes
glorieusesfatigues,j'auraisquelquechosedenouveauàdirependantcentgénérations,etpourtantsil’oncomparait
meslouangesavecteshautsfaits,ellesparaîtraientpresqueunblâme.
Quantàlaquestionquetum'asadresséesurmestractions,surmesmalaisesetmacourfermée,jevaistedire
tout,pourquetulesaches,ôhéros!MondésiruniqueestdirigéversDieu;j'airenoncéaumondeavecmépris;je
metiensjouretnuitdeboutenprière,suppliantleJugeetleGuidesuprêmequ'ilmepardonnemespéchéspasséset
qu'iléclairemarouteobscure;qu'ilm'enlèvedecettedemeurepassagère,qu'ilneréservepluspourmoidesfêtes
etdesfatiguesdanscemonde;qu'ilm'accordeunséjourheureuxdanslesjardinsduparadisetqu'ilmeguidevers
lebien.Ilnefautpasquejem'écartedecettevoiedroiteetquematêtes'égarecommecelledesroisanciens.J'ai
demandéetobtenubeaucoupdanslemonde,maisilfautquejemeprêtepareaudépart,carlesbonnesnouvellessont
arrivées. Hier matinmesyeuxsesontendormisetlebienheureuxSeroschestarrivé,envoyéparDieu,redisant:
Prépare-toi,lemomentdetamortestproche,ettesmalheursettesinsomniessontterminés.Monrègneetlessoucis
del'empire,delacouronne,dutrôneetdelaceintureroyalesontfinis.
LecœurdesIraniensétaitaffligéparleroi;ils setroublaientetleuresprits'égarait.Zal,àcesparolesde
Khosrou,semitencolère,poussaungrandsoupiretditauxIraniens:Cecin'estpasbien.Iln'yapasdeplace
pourlaraisondanscecerveau.Depuisquejeportelesarmes,jemesuistenudevantletrônedesKeïanides,mais
jamaisjen'aivuunroiquiaitparléainsi;etpuisqu'ilnousaparléfranchement,ilnefautpasnoustaire,il
nefautpasdonnernotreapprobationquandilfaitdesdiscourspareils.JecrainsqueleDivnel'aitinspiré et
n'aitdétournésatêtedelavoiedeDieu.FeridounetHouscheng,lesadorateursdeDieu,n'ontjamaisportélamain
surcetarbredumal.Jevaisluidiretoutelavérité,quandmêmejedevraisenperdrelavie.
LesIraniensluirépondirent:JamaisunKeïaniden'aproférédesparolescommelui,etnousappuieronstoutceque
tudirasàKhosrou.Puisse-t-ilnepasabandonnerlescoutumesetlavoiedesrois.
ZALFAITDESREPROCHESÀKEIKHOSROU.
Zal,àcesparoles,semitdeboutetdit :OKhosrou,lenoble,lejuste!écoutecequeditunvieillardquiade
l'expérience;sisonavisestfaux,nelesuispas;maissisaparoleestamèreetvraie,siellefermelaporteà
laperversitéetalaruine,nem'enveuillepasdecequejeparlesifranchementdevantcetteassemblée.Tamère
t'amisaumondedanslepaysdeTouran;c'estlàqu'ontététonberceauettademeure.D'uncôté,tuespetit-fils
d'Afrasiab,quinevoyaitquedelamagie,mêmeenrêve.Kaous,leméchant,étaittongrand-père;sonvisageétait
plein derides,etsoncœurremplidefraudes.Sonpouvoir,sontrône,sacouronneetsaceintureétaientrévérés
depuis le levant jusqu'aucouchant;maisilvoulaits'éleverau-dessusducieletcompter tous les cercles dans
lesquelssemeuventlesastres.Jeluiaidonnébeaucoupdeconseilslà-dessus,jeluiaiparléavecamertume,ila
écoutélesconseilsetn'enapasprofité,etjemesuisdétournédelui,blesséetpeiné.Quandils'estélevédans
l’air,ilafaitunechutedanslapoussière;Dieuletrèssaintluiafaitgrâcedelavie,etl'ingratestrevenu
latêtepleinedepoussière,lecœurremplidel’erreur.
Tuesvenudansl’IranetasrangésurlesplainesduKharezmcentmillehommesarmésd'épées,couvertsdecottes
demailles,tenantenmaindesmassuesàtêtedebœuf,prêtspourlecombatcommedeslionsféroces;ensuitetues
sortiduetfrontdel'arméepourlebattre,tuesalléàpiedau-devantduvaillantPescheng;etpourtantlemonde
n'étaitpasdépourvudehérosportantdesmassues,pourqu'ilt'aitfalluplacersurlatêtetoncasquedecombat.
CarsiPeschengt'avaitvaincu,tuauraisdonnéaccèsdansl'IranaupuissantAfrasiab;lesfemmesetlesenfants
desIraniensneluiauraientpaséchappé,etpersonneneluiauraitrésisté.Dieut'afaitsortirsainetsaufdes
mainsdePescheng,ilaeupitiédetoietafaitréussirtesplans.Tuasmisàmortquiconqueinspiraitdela
terreuretn'adoraitpasleSeigneurdistributeurdelajustice.
Lorsquenousdisionsquelemomentétaitarrivépourlerepos,pourleshabitsdefête,pourlesprésentsetles
coupesdevin,lestempssontdevenusencoreplusdifficilespourlesIraniens,lesmauxplusgrands,lescœursplus
affligés.MaintenanttuasabandonnélesvoiesdeDieuetasprisdesvoiestortueusesdumal,quineteporteront
pasprofitetneplairontpasauCréateurdumonde.Sitelleesttonintention,ôroi,personnenesegrouperaautour
detoipourt'obéir,ettut'enrepentiras;réfléchisetnefaispaslavolontéduDiv;carsitusuissesvoies,le
Maître del'univers t'arrachera ta majesté royale, tu resteras accablé depeines et de péchés, et personne ne
t'appelleraplusroi;c'estauprèsdeDieuqu'estl'asile,vadoncàlui,c'estluiquidisposedubonheuretdu
malheur.Siturejettesentièrementmesconseils,situtefiesàAhrimanleméchant,personnenetesalueraplus;
ilneteresteranifortune,nihommagesroyaux,nicouronne,nitrône.Puisselaraison guidertonâme,puisseton
cerveauêtrepréservéd’égarementpardespenséessaintes!
LorsqueleDestaneutcessédeparler,leshérosdirentd'uneseulevoix:Noustousapprouvonslesparolesdu
vieillard;ilnefautpascacherlaportedelavérité.
RÉPONSEDEKEÏKHOSSOUETREPENTIRDEZAL.
KeïKhosrouécoutalediscoursduDestan,etsecontintpendantuntempsenétouffantseslarmes,ensuiteildit
gravement:OZal ,hommepleind'expérience,toiquiasvécudesannéesinnombrablesenmontranttouteslesvertus
d'un homme, si je te parlais sévèrementdevant toute l'assemblée, Dieu n'approuverait pas que je tetraitasse
durement,ensuiteRustemenseraitaffligé,etl'Iranauraitàsouffrirdesadouleur.EtRustemestunhommetel,que
sij'énuméraistouteslesfatiguesqu'ilasupportées,ellesdépasseraienttoutessesrichesses;ilafaitdeson
corps unbouclier pour moi, et n'a laissé à mes ennemis ni sommeil nijouissance. Aussi vais-je te répondre
doucement,etnepasbrisertoncœurparmesparoles.
Ensuiteilditàhautevoix :Ohérosàlafortunevictorieuse,j'aiécoutétoutcequeleDestanaditdevantmes
sujets!JejureparDieu,leseigneur,lemaîtredumonde,quejesuisloindesvoiesduDiv.Toutemonâmetend
versDieu,c'estlàquechercheleremèdeàmessoucis.J'aiobservéce-mondeavecunespritserein,etlaraisona
étélacuirassequim'apréservédesesmaux.
Alorsils'adressaàZal,disant:Netelaissepasalleràlapassion;metsdelamesuredanstesparoles.Tuas
ditd'abordquejamaisunhommedesensetderaisonn'étaitsortidelaracedeTouran.Jesuislemaîtredumonde,
filsdeSiawusch,jesuisunroidelafamilledesKeïanides,etnesuispasuninsensé.Jesuislepetit-filsdu
maitre du monde, Keï Kaous, du roi fortuné,plein de sagesse, qui a fait les délices des hommes. Par ma mère
j'appartiensàlafamilled'Afrasiab,dontlahainem'aprivédelafaimetdusommeil,d'Afrasiabquiétaitpetit-
filsdeFeridounetfilsdePescheng.Jen'aipasàrougirdemarace,carleslionsdel'Iransesontréfugiéssur
lesbordsdelamerdepeurd'Afrasiab.Ensuitetum'asrappeléqueKaousafaitpréparerunecaisseatteléed'aigles
etqu'ilavoulus'éleverau-dessusdesonrangderoi;maissachequemêmelespluspuissantsnes'emportentpas
contrelesrois.
Quantàmoi,puisquej'aivengémonpère,soumislemondeparmesvictoires,misàmortquiconqueméritaitun
châtimentoufaisaitpesersurlaterrel'injusticeetlatyrannie,jen'aiplusrienàfairedanslemonde,carla
dominationdesméchantsestfinie.Toujours,quandjeréfléchisprofondémentsurlaroyautéetcettedominationqui
duredepuistantdetemps,jecrainsdedevenircommeDjamschidetKaous,etdeperdrecommeeuxlaraison,oucomme
Zobakl'impuretlevaillantTour,quiontfatiguélemondeparleuroppression.Jecrainsqueletemps,enamenant
laglacedelavieillesse,nem'emmène,commeeuxversl'enfer.
Ensuitetum'asreprochéd'avoircombattuSchidehcommeunléopardpleindecourage;or,jel'aifaitparcequeje
nevoyaisdansl'Iranaucuncavalier,aucunhommequipûtlancersonchevaldanslabataille,quiauraitvouluse
mesureravecluitoutseul,ouqui,s'ils'étaitélancépourlecombat,n'auraitdenouveauhésité.Touthommesur
quinereposaitpasunedignitédonnéeparDieu,ouàquilesastresn'auraientpassouri,n'eûtétédanslamainde
Schidehqu'unepoignéedepoussière;c'estpourquoijel'aicombattuenpersonne.Depuiscinqsemainesj'ouvremes
lèvresjouretnuitpouradorerDieu,pourquelemaîtredumonde,letrèssaint,medélivredemessoucisetdu
séjoursurcetteterresombre.Jesuislasdemonarmée,demontrôneetdemacouronne;jesuisimpatientdepartir
etj'aifaitmebagages.Toi,ôvieuxetsageDestan,filsdeSam,tudisqueleDivm'atenduunpiège;maisjene
mesuispaségarédanslesténèbresetlesdétoursduchemin,monâmequiestépuiséeetmoncœurquiestvide.Jene
saispasoùtutrouvesdansmavielespunitionsdeDieuetlesmalheursdusort.
Acesparoles,le Destanfutconfonduetsesyeuxsetroublèrent.Ilselevaenpoussantuncri,etrestadebout,
s'écriant:Oroi ,adorateurdeDieu!j'aiparléàlahâteetcommeuninsensé;tuesunsaintetunsagebénide
Dieu.Puisses-tumepardonnerlafauteàlaquellem'aentraînéleDiv!Pendantdesannéesinnombrablesjemesuis
tenudevantlesrois,ceintpourleurservice;maisjamaisjen'aivuunroidemanderdecettemanièreàDieu,le
créateurdusoleiletdelalune,lavoieàsuivre.Khosrouestdevenunotreguide,puisselemalheurresterloinde
lui ! J'aurais voulu ne pasme séparer de toi ; ma raison en est témoin pour mon âme troublée ;cependant ta
résolutiondenousquitter doitprévaloirdansl'Iran,auprèsdetouslesamisduroi,surlapeinequ'elle leur-
donne.Maisnousnedésirionspasnousséparerdetoi,ôKhosrou,notrejusteetbienveillantmaître!Quandleroi
eutentendulesparolesduDestan,ilapprouvalesexcusesdesonvieilami;ilétenditsamain,saisitcelledeZal
etleconduisitsurletrôneàcôtédelui,carilsavaitqu'iln'avaitparléainsiquepartendressepourleroiau
visagedesoleil.
KHOSROUANNONCEAUXIRANIENSSESDERNIERESVOLONTÉS.
Ensuite le roi dit à Zal-Zer : Maintenantapprêtez-vous tous, toi, Rustem, Gouderz, Guiv et tous les hommes
illustresetvaillants;faitestransporterhorsdelavilledestentes;emportezdanslaplaineledrapeauimpérial
;preneztouteslestentesgrandesetpetites,etpréparezunendroitpourvotredemeuredanslaplaine;prenezles
drapeauxdesgrands,deséléphantsetuncortège,etétablissezgaiementuncamp.Rustemfitcequeleroiavait
ordonné ; on tira des magasinsles tentes et on les emporta, et les Iraniens se rendirent tous dansla plaine,
obéissantàl'ordredeKhosrou.Lesolsecouvritd'unemontagneàl'autredetentesblanches,noires,violetteset
bleues;aumilieus'élevaitledrapeaudeKaweh,quijetaitsurlaterresesrefletsrouges,jaunesetviolets.
Auprès ducampement du roi se trouvait celui de Zal, surmonté d'un drapeaunoir ; à sa gauche était le Pehlewan
Rustem,aveclesgrandsdeKaboulàl'espritserein;au-devantducampduroiétaientcampés.Thous,Gouderz,Guiv,
Gourguin,SchapouretlevaillantKhorrad;derrièrelui,BijenetGustehem,aveclesgrandsquiraccompagnaient.
Leroidesroiss'assitsurletrôned'or,ayantenmainunemassueàtêtedebœuf;d'uncôtésetenaientZalet
Rustem,semblablesàunéléphantquiportehautlatêteetàunlionféroce;del'autrecôté,Thous,Gouderz,Guiv,
Rehham,SchapouretGourguinlebrave,ayanttouslesyeuxattachéssurluietattendantcequ'ildécideraitsurle
sortdesonpeuple.Alorsleroiditd'unevoixforte:Ohommes illustres,favorisdelafortune,quiconqueadu
sensetdel'intelligencesaitquelebienetdemalnedurentpas;noustoussommesnéspourmourir,etlemondeest
fugitif:pourquoidonccettetristesse,cessoucisetcespeines?Pouvons-nousemporterquelquechosedanschacune
denosmains?Nousdevonstoutlaisserànosennemisetpartirnous-mêmes.Aujourd'huilebutdemesfatiguesest
atteint,maisd'autresrécompensesetd'autresrétributionsrestentdevantmoi.CraigneztousDieuletrèssaint,ne
vousattachezpasàcetteterresombre;carcejourpasserasurnous,etletempscomptechacunedenospulsations.
DeHouscheng,deDjamschidetduroiKaous,quionttousjouidutrône,deshonneursroyauxetdelacouronne,ilne
restedanslemondequedesnoms,etpersonnenelitlesordonnancesdesmorts.Beaucoupd'entreeuxontétéingrats
enversDieu,et,àlafin,ontdûtremblerdevantleursmauvaisesactions,lesuiscommeeuxunesclavedeDieu,et
quoiquej'aiepassémaviedanslesluttesetlesfatigues,quej'aiefaitbiendeseffortsetsupportébiendes
peines,jemourrai, car j'ai vu que personne ne reste ici, et maintenantj'aidétachémoncœuretmonâmedece
séjourdepassage,j'enaifinidemessoucisetdemestravaux;j'aiobtenutoutcequej'aidésiré,etjedétourne
mesyeuxdutrônedesKeïanides.
Ceuxquiontsupportédesfatiguesdansmonservice,jeleurdonnetoutcequ'ilsveulentdemestrésors.Ceuxà
quijedoisdelareconnaissance,jeraconteraileursactionsdevantDieu,quiconnaîtcequiestbien.Jedonneaux
Iranienstoutcequej'aideprécieux,mesarmes,monor,mestrésorstramasses;quiconqueestpuissantparmivous,
jeluidonneuneprovince;jemesouviendraidetoutesmestonnesd'or,demesesclavesetdemeschevaux, j'en
apporterailalisteetjelesdistribuerai,carjesuisprêtpourledépart,etmoncœurs'estdétachédesténèbres
decettevie.Maisvous,portezunemainjoyeuseaufestinetlivrez-vousauplaisirpendantunesemaine.PriezDieu
quejetrouvedélivrancedecettedemeurepassagèreetquejepuissemereposerdemesfatigues.
LorsqueKeïKhosrouleureutdonnécesconseils,leshérosdel'Iranrestèrentconfondus.L'undit:Ceroiest
possédéduDiv,etlaraisonestdevenueétrangèreàsonespritJenesaiscequiluiarrivera,etoùcetrôneet
cettecouronnetrouverontsécurité.Ilssedispersèrentpargroupes,etlesplaines,lesvalléesetlesmontagnesse
remplirentd'hommes.Lebruitdesflûtesetlescrisdeschevauxdanslaplainefurenttelsquetuauraisditqu'ils
perceraientleciel.C'estainsiqu'ilsselivrèrentauxfêtespendantunesemaine,etpersonneneserappelaitplus
seschagrinsetsesfatigues.
KHOSROUINDIQUEÀGOUDERZSESDERNIERESVOLONTÉS.
Lehuitièmejourlerois'assitsursontrône,sanssoncollier,samassueetsoncasquedeRoum.Commeletempsde
sondépartapprochait,onouvritlaported'undesestrésors.Aussitôtquelaportedecenobletrésorfutouverte,
le roi donna à Gouderzfils de Keschwad ses instructions, disant : Observe ce qui se passedans le monde, non
seulementcequisepasseaugrandjour,maiscequisefaitensecret.Ilyauntempsoùilfautamasserpéniblement
destrésors,etuntempsoùilfautlesdépenser.Aiesoindespostesfortifiésetdespontssurlesfrontièresde
l'Iran,quisontenruines,etdesréservoirsd'eaudansl'Iran,quiontétédétruitspendantlesguerresd'Afrasiab
;recherchelesenfantssansmère,lesveuvessansabri,lesvieillardsquisontdanslebesoinetquicachentleur
misère;ouvrepoureuxlaportedutrésor,soisgénéreuxenverseuxetcrainslamauvaisefortune.Ensuiteprendsun
autre de mes trésors, celui qu'on appelle Badawer,et qui est rempli de couronnes, de joyaux et de pierreries,
emploie-ledanslesvillesdévastées,quisontdevenuesdestanièresdeléopardsetdelions;danslesendroitsoù
ilyadestemplesdufeudésertsetsansprêtres,etpoursecourirleshommesinfirmesquiontdépenséleurfortune
dans leurs jours dejeunesse;enfintureconstruirasaveccenobletrésorlespuitsquisontsanseaudepuisun
nombred'années.Traitel'argentcommeunechosevile,etpenseàlamort.
EnsuiteilprescrivitàGouderzdeprendreletrésorappeléArous,queKaousavaitamassédanslavilledeThous,
etdeledonneràZal,àGuivetaumaîtredeRaksch.Ilfitcomptertouteslesrobesqu'ilpossédait,lesregardaet
enfitprésentàRustem,demêmequedescolliersetdeschaînesqueportentleshéros,descuirassesetdelourdes
massues.Touslestroupeauxdechevauxqu'ilpossédait,etquipaissaientenlibertédansdeslieuxquelconques,il
lesdonnaauSipehbedThous.IlfitprésentàGouderzdetoussesparcs,desesjardinsetdequelquespalaisqu'il
nomma.Touteslesarmesdontils'étaitservi,desarmesprécieusesdanslesquellesilavaitsouffertlesfatiguesde
laguerre,onlesremitauvaillantGuiv,lorsqueKhosroufutlas dutrône.IldonnaàFeribourzfilsdeKaousle
restedesespalais,sestentesgrandesetpetitesetleursenceintes,sesécuriesetlesbêtesqu'ellescontenaient.
Ensuiteilpritunecuirasse,uncasque,une couronned'or,unechaîneplusbrillantequeJupiter,etdeuxanneauxde
rubisétincelantssurlesquelsétaitgravélenomduroidelaterreetquiétaientconnusdumondeentier,etles
donnaàBijen,disant:Prends-lescommeunsouvenir,etnesèmejamaisquelasemencedubien.
EnfinilditauxIraniens:Montempsarriveetmesvœuxvontêtreexaucés.Quechacundevousmedemandecequ'il
désire,carlemomentestvenuoùcettecourvaêtredispersée.Touslesgrandsétaienttristesetenlarmes;ilsse
consumaientdedouleurparcequ'ilsallaientperdreleroidesrois,etchacunsedit:AquiKhosroulaissera-t-il
l'héritagedutrône?
ZALDEMANDEAKHOSROUUNEINVESTITUREPOURRUSTEM.
LorsqueZal,ledévouéserviteurduroi,entendit cesparoles,ilbaisalaterre,serelevaetdit :Omaîtredu
monde!jenepuistecachermondésir.TusaistoutcequeRustemafaitdansl'Iran,danslescombats,dansles
fatigues,danslesdangersetdanslesguerres.LorsqueKeïKaousalladansleMazandéran,paruneroutelongueetun
chemindifficile,etquelesDivsl'eurentenchaîné,lui,ThousetGouderz,quiportehautlatête,Tehemtenpartit
seul,aussitôtqu'ilreçutlanouvelle,sedirigeaentoutehâteversleMazandéran,forçaavecmillefatigueset
mille dangers le passage à travers des déserts, des ténèbres, des Divs, des lions, desmagiciens et des dragons
terribles,etarrivaauprèsduroi.IldéchiralecôtéduDivblancetlesreinsdeBidetd'AuladfilsdeGhandi;il
coupad'unseulcouplatêteàSendjeh,etsescrisdetriomphemontèrentjusqu'auxnuages.Ensuite,quandKaousfut
revenudansleHamaveran,onlechargeadelourdeschaînes,etavecluiThous,GouderzetGuiv,sesvaillantset
sageschampions.Tehemtensemitenrouteavecunegrandearmée,avecdeschefschoisisdansl'IranetleZaboulistan,
et délivra de leurschaînesKaous,Gouderz,GuivetThous.Quand,danslesguerresdeKaous,ileuttuésonfils
Sohrab,unfilstelquen'enontjamaiseudanslemondenigrandsnipetits,ill'apleurépendantdesmoisetdes
années.QuandilacombattuKamous,ilaréduitenpoussièretoutlepaysparsabravoure.Maisj'auraisbeauparler
deseshautsfaits,jenepourraisjamaislesénumérertous.Sileroiestfatiguédutrôneetdelacouronne,que
laisse-t-ilàcetamiaucœurdelion.
Leroirépondit:Sesgrandesactions,sesfatiguesetlesdangersqu'ilasubispourmoi,quipeutlesconnaître
entièrement,sicen'estleCréateurduciel,lemaîtredelajustice,dureposetdel'amour?Maissavienes'est
pas passéedans le secret et je ne connais pas son semblable dans toutes lesparties du monde.Il fitvenir un
scribe,quiapportadupapier,del'ambreetdumusc,etl’onécrivitunbrevetduroidelaterre,deKeïKhosrou,à
lafoipure,quiportaithautlatête,enfaveurduSipehbed,duhérosaucorpsd'éléphant,célébrépoursabravoure
partoutelacour,lechampiondel'arméedanslemondeentier,lemaîtredumonde,levigilantetjeunechefde
l'armée,luiattribuantleZaboulistanjusqu'àlamerduSind,toutleKaboul,Dambar,Maietl'Inde;ensuiteBost,
GhazninetleZaboulistan,ettouslespaysjusqu'auKaboulistan;toutleKischvrerdeNimrouzfutdonnéauSipehdar
victorieuxquifaisaitlagloiredel'armée.Onapposasurlebrevetunsceaud'or,selonlacoutumedeKeïKhosrou,
le distributeur delajustice.LeroiluiremitlebrevetetpriaDieuquelemondefûtheureux par Rustem. Les
grandsquiétaientvenusavecZal,lefilsdeSam,lecavalier,entenantsurlapoitrineleurstablesastronomiques,
reçurentdeKhosroudesrôles,del'argentetdel'or,etchacununecouperempliedepierresfinesdetouteespèce.
KEÏKHOSROUDONNEUNELETTRED'INVESTITUREÀGUIV.
LegageGouderzselevaetadressaauroiundiscourspleindedroiture,disant:Oroi àlafortunevictorieuse!
jen'aipasvusurletrôneunmaîtredumondecommetoi,depuisMinoutchehrjusqu'àKeï-Kobad,depuisKaousjusqu'à
toi,ôroidenobletenaissance!J'aitoujoursétéenarmesàlatêtedesgrands,jamaisjenemesuisreposéun
seuljourdemesfatigues.J'avaissoixanteetdix-huitfilsetpetits-fils:maintenantilm'enrestehuitetles
autressontmorts.EnsuitelevigilantGuivapasséseptansdansleTouran,sanssavoircommentsenourriretse
reposer;lesonagresétaientsanourrituredansledésert,etlespeauxdesbêtesfauvesformaientsonvêtement.À
lafinleroiestvenudansl’Iran,avutoutcequis'étaitpasséetcombienGuivavaitsouffertpourlui.Maintenant
lemaîtredumondeestlasdutrôneetdelacouronne,etGuivespèredeluiunbienfait.
Leroirépondit:Guivafaitplusquecela.Qu'ilsoitmillefoisbéni!queleMaîtredumondeleprotège!que
lecœurdesesennemissoitremplid'épines!Toutcequej'aiestàtoi;puissetonâmerestersereineettoncorps
sain!Ilordonnaauscribed'écrireavecdumuscetdel'ambre,surdelasoie,unelettreaunomduroi,contenant
l'investituredeKoumetd'Ispahan,quiestlarésidencedesgrandsetlademeuredesprinces.Onapposaunsceaud'or
surlalettre,etleroiprononçadesbénédictionssurelle,disant:PuisseDieuêtresatisfaitdeGouderz,puissele
cœurdesesennemisêtreremplid'angoisses!EnsuiteilditauxIraniens:Puisse-t-ilnejamaisêtrelasdefaire
degrandesactions!Sachezqu'ilestlesouvenirquejelaisseaprèsc'estledéfenseurquejevouslaisseàma
place.Obéissez-lui, vous tous, et ne vous écartez pas des volontés deGouderz. Tous les héros de la famille de
Gouderzcomblèrentdenouveauleroideleursbénédictions.
KHOSROUACCOUDEUNEINVESTITUREÀTHOUS.
Gouderz s'assit et Thous se leva, s'avança versKhosrou, baisa la terre et dit: O roi, puisses-tu vivre
éternellement!puisselamaindumalheurrestertoujoursloindetoi!MoiseuldecesgrandsdescendsdeFeridoun;
j'étais le chef de la maison jusqu'à ce que Keï-Kobad sefût élevé. J'ai porté les armes au premier rang des
Iraniens,etjamaisjen'aidéfaitlaceinturequiserremesreins.AumontHemawen,moncorpsaétéblesséparma
cuirasse,quiétaitmonseulvêtement;danstoutecetteguerre,faitepourvengerSiawusch,l'arméeaétésousma
gardechaquenuit.ALawen,jen'aipusauverl'armée,etjesuisrestémoi-mêmedanslagueuledudragon.Dansle
Hamaveran,Kaousfutfaitprisonnier,etThouseutàporterunechaîneaucou.Jamaisjen'aiabandonnél'armée,
jamaispersonnenes'estplaintdemoi.Maintenantleroiestlasdelacouronneetdutrésor,ilveutquittercette
demeurepassagère;quelordremedonne-t-il,quelpouvoirmelaisse-t-il?oumeshautsfaitsdeviendront-ils un
objetdereprochepourmoi?
Leroiluirépondit:Tesfatiguesdépassentcequelafortuneafaitpourtoi.Restedonclegardiendudrapeau
deKaweh;resteSipehdaretgardeledroitdeporterlesbottinesd'or.TapartdanslemondeestleKhorasan,et
lesgrandsdecepaysaurontsoindetasécurité.Onécrivitundécretdanscesens,devantlesgrandsetlesnobles,
onyapposaunsceaud'or,etleroiluidonnaunechaîned'oretuneceintured'or,prononçabiendesbénédictions
surlui,disant:Puisseuncœurnejamaistehaïr!
KEÏKHOSROUDONNELAROYAUTÉÀLOHRASP.
Quandlesaffairesdesgrandsfurentarrangées,leroidesroisétaitmaladedefatigue;maisilrestaitunnom,
parmiceuxdesgrands,quin'avaitpasparusurcettelistededécretsduroi:c'étaitceluideLohrasp.Leroi
ordonna àBijen d'amener Lohrasp devant lui, couvert de son casque. Quand lemaître du monde le vit, il se leva
vivement,lebénit,étenditlamainverslui,descenditdesonillustretrôned'ivoire,ôtadesatêtelacouronne
quiréjouissaitlescœurs,laremitàLohraspetlesaluaroidupaysd'Iran,disant:Quetonnouveautrôneteporte
bonheur,quelemondeentiersoittonesclave!Jetedonnemaroyautéetmestrésors,aprèsavoiréprouvébiendes
chagrinsetdesfatigues.Dorénavantneprononceplusuneparolequinesoitjuste,carc'estparlajusticequetu
obtiendraslàvictoireetlebonheur.NedonnepasaccèsauDivdanstonâme,situveuxquetafortunerestetoujours
jeune.Soisprudent,netelaissepasalleràlacolère,observetoujourstesparoles.EnsuiteilditauxIraniens:
Puissiez-vousjouirdubonheuràl'ombredesontrôneetparl'influencedesafortune!
LesIraniensétaientconfondusdecesparoles,ettousrugirentcommedeslionsfurieux;ilsrestèrentstupéfaits
decequ'ilsauraientàdonneràLohraspletitrederoi.Zalselevaaumilieud'euxetditfranchementcequ'il
avaitdanslecœurenadressantaugrandroicesparoles:Ilpeutteplairedevouloirrendrehonorécequin'estque
vile poussière ; maisquiconque appellera sérieusement Lohrasp roi, que la tête de safortune soit couverte de
poussière!quelathériaquesechangeenpoisondanssabouche!Jamaisnousnenoussoumettronsàcetteinjustice.
QuandLohraspestarrivédansl'IranauprèsdeZerasp,jel'aivu;ilétaitpauvreetn'avaitqu'unseulcheval.Tu
l'asenvoyéàlaguerrecontrelesAlains,tuluiasdonnéunearmée,undrapeauetuneceinture,etleroin'apas
penséunseulinstantàtantd'autresdesesgrands,desdescendantsdesrois.Jeneconnaispassonorigine,jene
saisquelleestsafamille;jamaisjen'aientenduparlerd'unroidecetteespèce.
LorsqueleDestanfilsdeSameutprononcéces paroles, toute l'assemblée lui témoigna sa sympathie,et l’on
entenditlesvoixdesIraniensquis'écriaient:Dorénavant,ôroi,nousneteservironsplus!Aucundenousn'iraà
laguerre,sileroiplaceLohraspau-dessusdenous.
KhosrouécoutalesparolesduDestanetluirépondit:Neparlepas avecprécipitationetencolère,carquiconque
dit une chose injusten'obtient du feu que la fumée. Dieu n'approuve pas en nous le mal,et les méchants ont à
tremblerdevantlarotationdusort.C'estDieuquidonneàunhommelabonnefortune,lerenddignedelaroyautéet
enfaitunornementpourletrône.LeCréateurdumondem'esttémoin,quandj'assurequeLohrasppossèdetoutesces
vertus;iladelamodestie,delapiétéetunegrandenaissance;ilseraunroinoble,victorieuxetamidela
justice.IlestdescendantdeHouscheng,lemaîtredumonde;iladelaprudence,delasagacitéetdel'intégrité;
ilextermineralesmagiciens,ilmettraenévidencelavoiedeDieuletrèssaint.Sonépoqueserarajeunieparses
conseils,etsonfils,dontlafoiestpure,agirademême.Saluez-lecommeroi,et,paramourpourmoi,nevous
écartezpasdemonavis.Quiconquedésobéiraàmesdernièresvolontésperdraleprixdetouteslesfatiguesqu'il
aurasupportéespourmoi,ildeviendrarebelleàDieu,etdetoutepartsoncœurseraenvahideterreurs.
LorsqueZaleutentenducesparolessaintes,ilétenditsesbrasetposasesdoigtssurlaterre;ilsouillases
lèvresenbaisantlapoussièrenoire,reconnutàhautevoixLohraspcommeroi,etditauroidumonde:Puisses-tu
êtreheureux!puisselamaindumalheurnejamaisl'atteindre!Quipouvaitsavoir,sicen'estleroinobleet
victorieux,queLohraspétaitderaceroyale?Enluiprêtantserment,prosternésurlaterrenoire,j'aisouillémes
lèvres;nemel'imputepasàfaute.LesgrandsversèrentdespierreriessurLohraspetluirendirenthommagecommeà
leurroi.LeroibienheureuxditauxIraniens:Adieu,ôtrônequiravislecœur!Quandj'auraiquittécettevile
terre,jeprieraiDieu,letrèssaint,pourqu'ilvousréunissedenonveauàmoi.Ilbaisasurlajouetousles
grands,pourprendrecongé,etenversantbeaucoupdelarmes.Ilembrassatousleshérosenfaisantentendredescris
d'angoisse,etdisant:Oh!sijepouvaisemmeneravecmoitoutecetteassemblée!
Toutel'arméedel'Iranpoussauncritelquelesoleils'égaradanslescieux;lesenfants,leshommesetles
femmes derrière les rideaux,la foule dans les rues etles marchés, et les assemblées firentretentirl'air de
lamentations et de soupirs, et de chaque carrefour on entendit lescris du deuil du roi. Khosrou dit alors aux
Iraniens:Demainvousprendrezlamêmeroutequemoi.Voustousquiavezunbeaunometunegrandenaissance,soyez
contentsdecequefaitleSeigneur.Jevaismaintenantpréparermonespritàlamort.Jeparsenlaissantunebonne
renommée;jen'aipasattachémoncœuràcettedemeurepassagère,desortequeleSeroschdaignemeservirdeguide.
Ayantainsiparié,ilfitamenerduvestibulesoncheval,etserenditàsonpalaisroyal,levisagetristeetsa
tailledecyprèscourbée,pendantquesonarméeinvoquaitlesecoursdeDieu.
KEÏKHOSROUDITADIEUÀSESFAVORITES.
Ilavaitquatrefemmes, bellescommelesoleil;personnen'enavaitvudepareillesmêmeenrêve.Illesappelade
leurappartementauprèsdelui,etdévoilalesecretdesonâmeàcesidoles,disant:Jevaisquittercemonde
fugitif;nevousabandonnezpasàladouleuretauxsoucis.Vousnemereverrezplusjamais;jesuislasdecemonde
pleind'injustice.JevaisallerauprèsdeDieu,lejuge,letrèssaint;jenesaispaspourquoijeresteraisici.
Lesquatrebellesauvisagedesoleilperdirentlaraisonetpoussèrentdescrisdedouleuretd'amour,elles se
déchirèrentlesjoues,elless'arrachèrentlescheveux,ellesmirentenlambeauxleursparuresmusquées.Àmesure
qu'ellesretrouvèrent leur raison, elles dirent en gémissant et en selamentant : Emmène-nous de ce séjour de
passage,soisnotreguideverslebonheur!Lenobleroileurdit:Plustardvoussuivrezlamêmeroute.Oùsontles
sœursdeDjamschid,lemaîtredumonde,oùsonttantdetêtescouronnéesetleurpompe,oùestmamère,lafille
d'Afrasiab,quiatraversésivaillammentlesflotsduDjihoun.OùestMahAférid,lafilledeTour,unefemmecomme
personnen'enavudanscesiècle?Toutesellesontpourcouchelapoussièreetlabrique,etjenesaissielles
sontdansl'enferondansleciel.Quetuplacesundiadèmesurtatêteouquetutecouvresd'uncasque,lesgriffes
etlesdentsdelamortlesatteindront.C'estdelavertuqu'ilfautseparer,carlamortnepeutl’enleverà
personne.Netâchezpasdem'effrayerdesterreursdelamort,carlaroutequejevoisdevantmoiestaisée.
IlpoussauncrietappelaLohrasp,àqui ilparlalonguementdesefemmes,disant:Voicimesidoles!voici
celles qui ont rendubrillante ma chambre à coucher. Laisse-leur le même établissementet le même palais aussi
longtempsquetuvivras,carilnefautpasqueDieu,quandilt’appelleradevantlui,couvretonâmedehontedece
quetuaurasfait.Crainsd'avoiràrougirdevantdeuxroisquandtumetrouverasavecSiawusch.Lohraspluipromit
toutcequ'ildemandait,etqu'ilgarderaitdansleurretraitecesfemmesquepersonneneverrait.EnsuiteKhosrou
serrasaceintureetrevintaumilieudesIraniens,àquiildit:Retournez-vous-enàvospalais;neremplissezpas
voscœursdeplaiesetd'angoissesàcausedemoi;nevousfamiliarisezpastropaveccemonde,carilestnotre
ennemisecret.Soyeztoujoursfiersetjoyeux;nepensezàcemoiqu'enbien.SoyezcontentsetconfianteenDieu;
quand vous partirez,soyezheureuxetsouffriez.Touslesgrandsdel'arméed'Iranposèrentleurtêtesurlesol
devantleroi,s'écriant:Lesconseilsduroinousserontcherscommelavie,etceaussilongtempsquedureranotre
vie!
KEÏKHOSROUSERENDDANSLAMONTAGNEETDISPARAÎTDANSLANEIGE.
IlordonnaàLohraspdes'enretourner,etajouta:Mesjourssontpassés.Toi,va,occupeletrônedelaroyauté
enrespectantlescoutumes;nesèmedanslemondequelasemencedubien.Quandtuserasexemptdesoucis,nete
laisse,pasenorgueillirparletrôneetparlestrésors.Rappelle-toiquetunetarderaspasàpartir,quelaroute
quiteconduitauprèsdeDieuestdifficileàpercevoir.Cherchetoujourslajusticeetexerce-latoujours;honore
ceuxquisontlesmeilleursdanslemonde.Lohraspdescenditdechevalàl'instant,baisalaterreetrestaabsorbé
parladouleur.Leroiluiditadieu,ajoutant:Soislatrameetlachaînedelajustice.
Quelques chefs de l'armée, des grands pleins devigilance et des héros partirent avec Khosrou : c’étaient le
Destari,Rustem,Gouderz,Guiv,ensuiteBijenlevaillant,etlecourageuxGustehem;leseptièmeétaitFéribourz
filsdeKaous;enfinlehuitième,l'illustreThous.Leurcortègesemitenroutepartroupes,etleroimontadela
plaine jusque sur la crête d'unemontagne. Là ils restèrent une semaine à se reposer et à mouillerleurs lèvres
desséchées, en se lamentant et en se désespérant de ceque faisait le roi ; personne ne devinait comment cette
affairedouloureuse se passerait, et chaque Mobed disait en secret quejamais personne n'avait raconté une chose
pareilledanslemonde.
Lorsquelesoleillevasatêteau-dessusdelamontagne,ils'assemblaunefouledetouslescôtésdumonde;cent
mille Iraniens, hommes et femmes, vinrent entourer le roi avec descrisetdeslamentationsquiremplissaientla
montagne etébranlaientlesrochers;ilss'écrièrenttous:Oroi !ques'est-ilpassé,quetonespritsereinse
soitremplidedouleuretdetristesse?Situasàteplaindredetonarmée,situesarrivéàméprisercetrône,
dis-nousenlaraisonetnequittepaslepaysd'Iran,nedonnepasunnouveaumaîtreàcevieuxmonde.Nous tous
seronslapoussièresouslespiedsdetoncheval;noussommes les adorateurs de tonange gardien Adergouschasp.
Qu'as-tufaitdetonsavoir,detonintelligenceetdetasagesse,toiquiasvuleSerosch,quin'étaitpasapparu,
mêmeàFeridoun?NousprieronstousDieu,nousferonstousnosadorationsdansletempledufeu,espérantqueDieu,
letrèssaint,aurapitiédenousetqu'iléclaireratoncœurdeMobedennotrefaveur.Leroidesrois,confondu,
appelalespluspuissantsparmiceuxquisetrouvaientdanscettefoule,etleurdit:Toutvabienici,etilnefaut
paspleurersurcequivabien.SoyezreconnaissantsenversDieu;soyezpieuxetapprenezàconnaîtreleCréateur.
Nousseronsbientôtréunisdenouveau,nevousaffligezdoncpasdemondépart.
Ensuiteilditauxgrands quil’avaientaccompagné:Retournez-vous-endecettemontagnesansleroi.Lechemin
quiestdevantmoiestlong;onn'ytrouvenieau,niherbes,nifeuillesd'arbres.Épargnez-vouslarouteetle
retour;dirigezvosespritsverslalumièredeDieu.Personnenepeuttraversercessablesàmoinsd'êtredouéde
beaucoup de force de puissance. Trois parmi les héros qui portaienthaut la tête, le Destan, Rustem et le vieux
Gouderz,quiétaitpleind'ambitionetdesagacitéetn'oubliaitrien,écoutèrent,leroietpartirentMaisThous,
Guiv,Feribourz,BijenetlevaillantGustehemnevoulurentpaslequitter;ilscontinuèrentàmarcheraveclui
pendantunjouretunenuit,maisledésertetlasécheresselesépuisaient,Onaperçutalorssurlarouteunesource
d'eau,etKhosrou,lemaîtredumonde,s'yrendit.Ilss'arrêtèrentauprèsdecetteeaulimpide,ilsenburentetse
reposèrent.Leroiditàcesgardiensdesfrontièresdel’Iran:Aujourd'huinousnedépasseronspascelieu.Nous
parleronsbeaucoupdupassé,carvousnemeverrezpluslongtemps.Quandlesoleilauralevésondrapeaubrillantet
couvertd'orliquidelasombresurfacedelaterre,alorslemomentoùjedoisvousquitterseravenu,etj'estepère
êtreencompagnieavecleSerosch.Simoncœurserévoltaitcontremarésolution,j'arracheraisdemoncorpscecœur
troublé.Quandunepartiedelanuitnoiresefutécoulée,leroiillustreseprosternadevantDieu;illavasatête
et son corps dans l'eaulimpidedelasource, et récita par devers luile Zendavesta. Ensuite il dit aux grands
pleinsdeprudence:Jevousfaisdesadieuxéternels.Lesoleilvamontrersesrayons,etdèscemomentvousneme
verrezplusqu'enrêve.Nerestezpasdemaindanscedésertdesable,quandmêmeilpleuvraitdumusc;carilviendra
delamontagneungrandoragequiarracheralesbranchesetlesfeuillesdesarbres,etiltomberaducielsombreune
neigetellequevousneretrouveriezpaslaroutedel’Iran.
LESPEHLEWANSSONTENSEVELISSOUSLANEIGE,
Lestêtesdesgrandsfurentrempliesdesoucisàcesparoles,etilss'endormirenttristement.Lorsquelesoleil
levasafaceau-dessusdesmontagnes,leroiavaitdisparudesyeuxdesgrands.Ilssedispersèrentpartoutpourle
chercher ; ilsparcoururentlessablesetledésert.IlsnevirentnullepartunetracedeKhosrou,etrevinrent
commedeshommesquiontperdularaison,lecœurserréettourmenté,carilsavaientpartouttraversélepayset
n'avaientpastrouvéleroi.Ilsrevinrentàlasourced'eauenselamentant,lecœurpleindedouleuretd'angoisse,
ettousceuxquiyétaientréunisrenoncèrentàl'espoirderevoirleroidumonde.Feribourzdit:Quantàceque
Khosrounousadit(puisselaraisonêtretoujourslacompagnedesonâme)!,voicimonavis,quandnousnousserons
reposésetauronsmangé,nousresteronsauprèsdecettesourcepourunenuit,carlaterreestchaudeethumideetle
cielestserein;jenevoispaspourquoinousquitterionscetendroit.Ilsseplacèrentdonctousauprèsdelasource
et parlèrent longuement de Khosrou, disant : Personne neverra jamais une chose si étonnante, si longtemps qu'il
restesurlaterre;jamaisnousn'avonsentendudireparleshérosquelquechosequiressembleàcettedisparition
duroi.Hélas!quesontdevenussapuissanteétoileetsa sagesse,sonpouvoir,sabravoureetsahautestature?
Leshommesdesensrirontquandonleurdiraquequelqu'unestallétoutvivantdevantDieu.Quipeutsavoircequi
luiestarrivé,etquedirons-nous,carlesoreillesrefuserontd'entendrelavérité!Guivditauxgrands:Jamais
il n'y a eu dansle monde un homme aussi grand que lui en bravoure, en générosité, enjustice et en vertus, en
beauté,enstature,enrenomméeetennaissance.Danslecombatetàlatêtedesonarmée,c'étaitunéléphant;dons
lefestin,c'étaitunelunecouronnéed'undiadème.
Aprèscelailsmangèrentcequ'ilsavaientets'empressèrentdes'endormir.Maisenmêmetempsilselevaunvent
quiamenaitdesnuages,etlecielpritl'aspectdel'œildulion;laneiges'étenditsurlaterrecommelavoile
blanched'unvaisseau,etleslancesdeshérosdisparurentsouselle;uneneigeprofondeetlourdetombaetcouvrit
partout laterre d'une surface égale. Les vaillants héros Thous, Bijen,Feribourz et Guiv ne surent comment se
préserver;ilsfurententièrementcouvertsdeneige:jenesaispourquoiilsrestaientenplace.Pendantquelque
tempsilspiétinèrentsouslaneigeetformèrentuntrouescarpédetouscôtés;maisleursforcess'épuisèrent,età
lafinlavielesquitta.
CependantRustemrestadanslamontagneavecZal,Gouderzetquelquescavaliers;ilsypassèrenttroisjoursen
pleurant;lequatrième,lorsquelesoleilquiéclairelemondeseleva,ilsdirent:Cetteaffaireestbienlongue;
voicidéjàquelquetempsquenousrestonsdanscesmontagnesetcesrochers.Sileroiadisparudelaterrelorsque
leventduciels'estdéchaîné,oùsontdoncalléslesautresgrands?Ilestàcraindrequ'ilsn'aientpassuivile
conseildeKhosrou.Ilspassèrentunesemainesurlehautdelamontagne,etfurententièrementdécouragésauboutdes
septjours.Ilserraientçàetlàenselamentantetenpleurant;ilsseconsumèrentaufeudecettedouleur.Gouden
fils de Keschwad arrachait ses cheveux, versait deslarmes, se déchirait les joues ; à la fin il dit : Jamais
personnen'aéprouvécequim'estarrivéparlefaitdelaracedeKaous.J'avaisunearméedefilsetdepetits-
fils,quiétaientlesmaîtresdumonde,etdontchacunportaitundiadème.LesguerresquidevaientvengerSiawusch
lesonttoustués,etcettevengeanceadétruitmafamille.Voiciencoreundemesfilsquidisparaîtdevantmoi!
Quiajamaisetéprouvélesmalheursétonnantsquim'arrivent?LeDestanluiparlalonguement,disant:Ilfautque
laraisonseréconcilieaveccequefaitDieu.Amoinsqu'ilsnereviennenteux-mêmesetretrouventlaroute,comment
enverrait-onunetracedanslaneige?Ilnefautpasrestersurcettemontagne,oùiln'yapointdenourriture;
ilfautnousenretourner.Nousenverronsicideshommesàpied,quiretrouverontunjourlestracesducortègedu
roi.
Ilsquittèrentlamontagneenpleurantdedouleur,chacunpariantsanscesseoud'unfils,oud'unparent,oud'un
ami,oudeceroiquiavaitétécommeuncyprèsdansunjardin.Leshommesàpiedpartirent,trouvèrentlesmorts,
lesenlevèrentdelamontagneetlesportèrentdanslaville:voilàcommentleurs familles revirent ces grands.
Chacuned'ellesleurconstruisitunetombeetportalonguementleurdeuil.Telssontlacoutumeetl'étatdumonde,
qu'il ne reste paséternellement, même aux meilleurs ; il élève l'un en le prenant dansla poussière noire, il
arrachel'autreautrônedesKeïanides,etilneseréjouitpasdel'un,ilnes'attristepasdel'autre;telleest
lanaturedeceséjourpassager.Oùsontmaintenantceshérosetcesroisdelaterre?Écartedetoncœurlessoucis
aussilongtempsquetulepeux.
LOHRASPAPPRENDLADISPARITIONDEKEÏKHOSROU.
LorsqueLohraspeutapprislesortduroi,l'arméeserenditdesoncampauprèsdelut.Ils’assitsurletrône
avec sacouronne d'or, et les héros arrivèrent avec leurs ceinturée d'or ;tous les hommes importants, les plus
illustresparmilesgrandss'assirentdevantlui,Lohrasplesregarda;seleva,etleuradressaavecbienveillance
des paroles vraies endisant à haute voix: Ochefs de l’armée, vous qui avez entendu tous les conseils et les
dernièresvolontésduroi,quiconquen'acceptepasvolontiersmonrègneoublielesavisdeKhosrou.Toutcequ'ilm'a
ditetenjoint,jel'exécuterai;jeferaimeseffortspourlebien,jesuivraisesordres,etvousaussi,nerefusez
pas d'obéir à ses dernièresvolontés et n'ayez pas de secret pour moi. Quiconque ne répète passouvent les
recommandationsd'unroimourantestcriminelenversDieu;toutcequevoussavezdebonetdemauvais,ilfauttout
meconfier.
LefilsdeSamluirépondit:Khosrout'adonnéletitrederoi;jemesuissoumisàsesconseilsetàsavolonté,
etjenem'enécarteraipas.Tuesroi,etnoustoussommestessujets;nousnedésobéironspasàcequetudésires
etordonnes;moietRustem,ettoutcequivitdansleKaboul,nousnecesseronsdet'êtredévoués,etquiconquene
marchepasdanscettevoieneserajamaisheureux.Lohrasp,ayantentenducesparoles,leremerciaetrespiraplus
librement;illuidit:Puissentvotrejusticeetvotredroiturevouspréserverdetoutmaletdetoutediminution
devotrefortune!carDieuvousacrééstels,quelessoucisetlesmalheursdoiventvousresterinconnus.Lemaître
du monde, dont l'étoile étaitfortunée,dontlesjoursétaientheureux,vousadonnéleNimrouz;maintenant j'y
ajoutelegouvernementdetouslespaysdontvousvoudrezvouschaîner.Jen'aipasàpartageravecvousdestrésors;
carmoi,mafamille,monempire,toutestàvous.
EnsuiteilditàGouderz :OPehlewandumonde!dis-moilessecretsquecachetoncœur.Gouderzluirépondit:Je
suisdésormaisunhommeseul,j'aiperduGuiv,RehhmetBijen.Lesouvenirdelapertedesafamillel'émut,etil
dit en se lamentant et en poussant des cris: O Guiv , héros au corps d'airain ! ô Bijen, qui ambitionnais la
possessiondumonde,vainqueurdeslions!IlleditetdéchiradelatêteauxpiedssarobedesaiedeChineetsa
toniquedebrocartdeRoum.EnsuitelevieuxGouderzajoutaens'adressantauxnobles:Heureuxceluidontlatombe
estlacompagne!J'approuvetoutcequeleDestanadit;jen'aipasunsecretdevantlui.Tuesleroietnoustous
sommestessujets;nousnenousécarteronspasdutraitéquinouslieetdel'obéissanceenverstoi.Touslesgrands
rendirenthommageauroietplacèrentleurironthumblementsurlaterre.LecœurdeLohrasprajeunitsousleurs
paroles,satailleserelevaetsastaturegrandit.Ilchoisitunjourfortunépourplacersursatêtelacouronnede
laroyauté;etcommeFeridoun,denaissanceillustre,avaitposélacouronnesursatêtelejourdeMihrgan,cejour
bénidumoisdeMihroùlesoleilatteintlemilieuduciel,luiaussipara cejourlasalled'audiencedesrois,et
fitbrillerl'Irand'unenouvellesplendeur.
Tel est le monde, tantôt il élève, tantôt il rabaisse; il guide l'un, il précipite l'autre, et ne laisse à
personneledroitdeluiimposercequ'ilfera,nilamanière,niladuréedesonaction.Puisquej'aiterminélavie
deKhosrou,jemetourneversLohrasp,jevaism'occuperdesacouronneetdesaroyauté;jevaisleplacersurson
trône,parlapermissiond'ungrandroivictorieux,dequidépendentl'espérance,lacrainteetlaruine,quiremplit
debonheurlecœurdesesamisetdétruitlesméchants.Tellessontlacoutumeetlanaturedumonde;iltournede
celui-civerscelui-là,etdecelui-làverscelui-ci.Quanduneâmeestrouilléeparlemalheur,levieuxvinenlève
cetterouille;quandlavieillessesurprendunhomme,levieuxvinlerajeunit.Parlevinapparaissentlesqualités
del'homme,c'estlui,quiestlaclefd'uncœurfermé.Quandunpoltronleboit,ildevientunhéros;quandun
renardleboit,ildevientunliondévorant;quandunmalheureuxleboit,ildevientjoyeuxetsesjouesbrillent
commelafleurdugrenadier;quiconqueenprendenmainunecoupeneveutplusquedesfêtes,etdesflûtes,etdes
rebecs.Maisàmoitumedemandesdeshistoiresanciennessurlesparolesetleshautsfaitsdeceshommesdebien:
écoutedonccequeraconteunvieuxDihkan,etrappelle-toitoutessesparoles.
suite
RETOURÀL’ENTRÉEDUSITETABLEDESMATIÈRESDEFIRDOUSI
FERDOWSI/FIRDOUSI
LELIVREDESROISTOMEIV(partieI-partieII-partieIII-partieIV)ŒuvrenumériséeparMarcSzwajcer
précédent
FERDOWSI
LELIVREDESROIS.
TOMEIV
XIV
LOHRASP
(Sonrègnedura120ans.)
LOHRASPFONDELETEMPLEDUFEUÀBALKH.
LorsqueLohraspsefutassissurletrônedelajusticeetqu'ileutplacésursatêtelacouronnedesroisdes
rois, il se mit à célébrer le Créateur et à lui rendre des grâcesinnombrables. Ensuite il dit : Soyez pleins
d'espérance,decrainteetderespectpourleJugesuprêmeetsaint.C'estluiquiacréélecielquitourne,qui
augmenteladignitédesesserviteurs.Quandileutcréélamer,lesmontagnessetlaterre,ilétenditsurellesle
cielsublime.Lecieltournerapidement,laterreestimmobileetleCréateurneluiapasdonnédepiedspourse
mouvoir.Pendantquetoncœurseréjouit,laMortauxgriffesaiguësteguettecommeunlionférocepleinderancune.
Abandonnonsledésirdenousagrandir,convenonsdenotreignorance,nenousservonsdecettecouronneroyaleetdece
trônepuissantquepourrendrejustice,pourdonnerlatranquillitéetobtenirdesconseils,pourquenotrepartdans
cemondefugitifnesoitpaslavengeance,lamalédictionetlafatigue.Jeferaiplusquenem'aordonnéKhosrou;
j'écarteraidemoncœurtoutehaineettouteenvie.Soyezjustesetlajusticevousrendraheureux;jouissezdu
reposetoubliezleshaines.Lesgrandsdelaterreluirendirenthommageetl'appelèrentroidumonde,etlenoble
Lohraspjouitdureposetfutsage,richeetcontinuellementprospère.
PlustardilenvoyadeshommesàRoum,dansl’Inde,enChineetdanstouteslescontréeshabitées.Quiconque
étaitsavant,quiconqueétaithabilearpenteursemitenrouteetserenditentoutehâteauprèsduroi.Lui-même,
quiavaitgoûtétoutel'amertumedelascience,partitàl'instantpourBalkh,oùilfitconstruireunevilleremplie
decarrefours,deruesetdemarchés.DanschaquecarrefourtrouvaitunendroitpourcélébrerlafêtedeSedeh,quele
roifaisaitentourerd'untempledefeu.Ensuiteilconstruisituntempledefeu,quiportaitlenomdeBerzin,un
templemagnifique,grandetriche.
GUSCHTASPQUITTELOHRASPENCOLERE.
Lohraspavaitdeuxfils,beauxcomme deuxlunes,dignesdelaroyauté,dutrôneetdudiadème;l’uns'appelait
Guschtasp,l’autreZerir;ilsabattaientlestêtesdeslionscourageux,ilsdépassaientleurpèreentoutescience,
ilstenaientlapremièreplacedansl'arméeparleurbravoure;c'étaientdeuxprincesfiers,dontlestracesétaient
fortunées, des petits-fils de Keï Kaous, le maître du monde.Ils faisaient la joie de Lohrasp ; mais il ne le
témoignaitpasàGuschtasp,carlatêtedecelui-ciétaitpleinedevanité,etLohraspenétaitinquiet.
Ilsepassaainsibeaucoupdetemps,etlecœurdeGuschtasps'aigritcontresonpère.Orilarrivaqu'unjouron
plaçadanslepaysdeFarsletrôneduroisousunarbrequirépandaitdesfleurs;Lohraspinvitaquelquesgrands
parmileschefsdel'armée.Ilsdemandèrentàtabledescoupesdevin,etilsmirentdebonnehumeurlecœurduroide
laterre.Guschtasp,aprèsavoirbuduvin,selevaetdit:Oroipleindejusticeetdedroiture,puissetonrègne
être heureux,puisse ton nom vivre à jamais ! Dieu et Keï Khosrou, le roi juste,t’ont donné le diadème et la
ceintureroyale.Moijesuisunesclavedevanttoijesuisleserviteurdetonétoileetdetacouronne.Jeneconnais
personne, parmi les hommes les plus braves,qui oserait se présenter devant moi au jour du combat, si ce n'est
Rustem,lecavalier,lefilsdeZalfilsdeSam,aveclequelpersonnenepeutsemesurer.LorsqueKeïKhosroueut
conçudesinquiétudessurtoi,ilt'aremisletrôneetestparti.Simaintenanttuveuxmedonner,àmoiquisuis
parmi ceux qui sontdignesderégner, le trône et la couronne desKeïanides, je me tiendrai devant toi comme un
esclave,ainsiquejelefaisaujourd'hui,etjet'appellerairoi.
Lohrasp répondit:Omon filsprudent,laviolencenesiedpasàunprince.Sijeterappelleles dernières
parolesdeKeïKhosrou,écoute-moietnedétournepastatêtedecequiestjuste.Ceroi,distributeurdelajustice,
m'adit:Ilfautuncourantd'eaudansunjardinprintanier;maisquandl'eauyafflue,quelecourantdevient
fort,toutlejardinestdévastéparlui.Tuesencorejeuneneetdemandepastantdepouvoir;pèsetesparoleset
parleavecmesure.
Guschtasp,àcediscours,semitencolère,etquittasonpère,lesjouespâlesderage,ens'écriant:Traite
biendesétrangers,resteainsietrepoussetesfils!
Ilavaituncortègedetroiscentshommes,tousdesbraves,tousprêtsàcombattre;ilserenditauprèsd'eux,
appela ces hommes, leurexpliqua tous ses secrets, et ajouta : Faites vos préparatifs pourpartir cette nuit ;
détachezvoscœursetvosyeuxdecettecour.Und'entreeuxluidit:Quelcheminprendras-tu?situpars,quel
lieuderepostrouveras-tu?Ilrépondit:Dansl'IndeonmerecevrabienetavecplaisirJ'aiunelettreduroide
l'Inde,écritesurdelasoieavecdumuscnoir,danslaquelleilmemandeque,sijevienschezlui,ilseregardera
commemonsujetetnes'écarteraenriendemesvolontésetdemesordres.Aussitôtquelanuitfutdevenuesombre,il
montaàchevalavecsatroupe,etpartitbouillantdecolèreetlamassueenmain.
DèslegrandmatinLohraspeneutlanouvelle:ilenfutaffligéettoutsonbonheurs'évanouit.Ilappelales
plussagesdesonarméeetleurexposal'étatdeschoses,ajoutant:VoyezcequeGuschtaspafait:ilaremplimon
cœurdesoucisetcouvertmatêtedepoussière.Jel'aiélevéjusqu'àcequ'ilfûtgrandetfûtdevenuunhérossans
égaldanslemonde;maisaumomentoùjemedisaisqu'ilallaitporterfruit,ildisparaîtdemonjardin.Ildit,et
restalongtempsabsorbé,danssespensées;àlafinilfitvenirZeriretluiparlaainsi:Choisismillehommesdans
l'armée,descavaliersvaillantsetprêtsaucombatetmarcheentoutehâteducôtédel'Inde,et,s'illefaut,dans
lepaysdesMagiciens.GustahemfilsdeNewdersemitenrouteversle.Roum,etGourazehs'empressademarchervers
laChine.
ZERIRRAMÈNEGUSCHTASP.
CependantGuschtaspcontinuaitsaroutelesyeuxenlarmes,lecœurremplidehaine,decolèreetdepassion;il
marchajusqu'àcequ'ilfûtprèsdeKaboul.Ilvitdesarbreschargésderoses,uneprairieetdel'eau,etluiet
lessienss'arrêtèrentdanscelieuagréableets'yreposèrentunjour.Toutelamontagneluioffraitleplaisirde
lachasse,etdansleruisseaucoulaituneeaudélicieusecommeduvinoudulait.Danslanuitsombre,ildemandadu
vinàsonéchanson,etl'onportadesflambeauxsurlebordduruisseau.Lorsquelesoleilquiéclairelemondefut
sorti brillant des montagnes, ils quittèrent leur bosquetavec des guépards et des faucons ;d'autres de ces
cavaliersvaillantslaissaienterrerlibrementleurschevaux,etbeaucoupd'entreeuxsemirentàdormirsurlebord
del'eau.
PendantcetempsZeriravaitlancésonchevalsurlestracesdeGuschtasp,nes'arrêtanullepartlongtemps.
Lorsqu'onentendit un bruit de chevaux sur la route, les hérosqui accompagnaient Guschtasp sortirent de leur
campement ;Guschtaspécoutaattentivementetditauxgrands:Cecinepeutêtrequelehennissementduchevalde
Zerir,quialavoixd'unlion,etsic'estZerirquitient,iln'arrivepasseul,maisilestaccompagnéd'unearmée
avidedecombats.Danscemomentapparurentsurlarouteunepoussièrevioletteetundrapeauàfigured'éléphant,et
l’on vit le Sipehbed Zerir courantdevant ses troupes avec la rapidité du vent. Quand il aperçutGuschtasp, il
s'avançapied,toutseul,lesyeuxfixéssurlui,courant,rendantgrâceauCréateurdumondeetsaluantsonfrère.
Ils s'embrassèrent et s'assirent joyeusement sur la prairie.Guschtasp, le vaillant prince, appela tous ceux qui
étaientdeschefsdansl'armée;onlesappelaetilss'assirent,etlesparolesvolèrentdetouslescôtés.
UndeschefslesplusillustresditàGuschtasp:Ohérosàlaceintured'orllesastrologuesdupeupled'Iran,
tousceuxquenoussavonsavoirapprofondilascience,prononcentsurtonhoroscopequetuesunKeïKhosrou,quetu
serasassiscommeroisurletrônedupouvoir;mais,maintenantquetuvasdevenirsujetderoidel'Inde,nousne
t'approuvonspas.Iln'yapasparmilessiensunadorateurdeDieu,etjamaisilsnes'entendrontavectoi.Prends
gardequecequetuveuxfairesoitconformeàlaraison.Tonpèretetraitetoujoursavecbontéetjenesaiscequi
apul'affliger.Guschtaspluirépondit:Otoiquicherchesungrandrenom!jenesuispasrespectéparmonpère,
ilneveutdubienqu'àlafamilledeKaous,c’estàellequ'ildestinelepouvoiretlacouronnedesrois.Nimoini
toin'avonsnotreplaceauprèsdelui;ilneveutquenousréduireàlaservitude.Jevaism'enretourneràcausede
toi,maismoncœursegonfledesangquandjepenseàLohrasp.S'ilmedonneletrônedel'Iran,jel'adoreraicomme
leSchamaneadoresesidoles;sinonjeneresteraipasàsacour,moncœurnesecalmerapassouslerayonsdesa
lune,j’iraioùl'onnemedécouvrirapasetjelaisseraiàLohraspl'empireettoutlereste.
Ildit,quittacetteprairieetserenditauprèsduroiillustre.QuandLohraspetsesgrandseurentnouvellede
sonapproche,ils allèrent au-devant de lui avec un grand cortège.Enrevoyantsonpère,l'ambitieuxjeunehomme
descendit de cheval etl'adora. Lohrasp le serra, sur sa poitrine, et le repentir de sonfils lui rendit la
tranquillité;ildit:Puissetacouronneêtrebrillantecommelacouronnedelalune!puisses-tuvaincreleDiv,
carilt'enseigneraitsanscesselesvoiesdumal,commeunméchantDestourauprèsd'unméchantroi!Jenesuis
maîtredelacouronneetdutrônequedenom,c'estàtoiqu'appartiennentl'amourdessujets,lecommandement,les
alliancesetlafortune.Guschtasprépondit:Oroi,jemetiensdevanttaportecommeunserviteur,etquandmêmetu
diminueraismeshonneurs,jet'obéirai,etmavieseralegagedemafidélité.
Lesgrandspartirentavecluienmarchantpompeusementetencaracolantjusqu'aupalaisduroi,quifitparerla
salle d'audience incrustée de pierreries, placer des tables etapporter du vin bon pour la santé. On célébra un
banquettelquelesétoilesdecercledelalunepouvaientsurlasalle,etlesgrandfurentivresàcepointque
chacunplaçaitsursatêteunecouronnederoses.LohraspmontrabeaucoupdefaveuràlafamilledeKaousetnecessa
deparlerdeKeïKhosrou.Guschtaspversaitdedépitdeslarmesdesangettintàsonconfidentdesdiscoursdetoute
sorte,disant:J'aibeaulutteravecmaraison,jenepuistrouverunmoyendesupporterceci;sijeparsavecdes
cavaliers,commeilconvientàunprince,monpèreenverraencorequelqu'unavecunearmée,pourmeramenerpartous
lesmoyensetilm'accableradedemandesetdeconseils,etsijeparsseul,j'enauraidelahonteetenvoudraià
Lohrasp.SonâmeestdévouéeàlafamilledeKaous,etsatendressen'estjamaispoursesenfants.Ehbien,sijepars
seul,comment,enmequestionnant,saura-t-onquej'aiétéprince?
GUSCHTASPPARTPOURLEROUM.
Quandlanuitfutdevenuesombre,Guschtaspplaçaunesellequiluiappartenaitsurunchevalnoirquiétaità
Lohrasp.IlrevêtitunetuniquedebrocartdeRoum,attachauneplumed'aigleàsondiadèmeetemportaautantqu'il
luienfallaitd'oretdepierreriesdignesd'unroi.IlquittalepalaisetsedirigeaversleRoum,lecœuravide
d'untrône,l'espritanxieuxdetrouverlavraieroute.Lorsqueson pèreappritcequ'ilavaitfait,ilsetordit de
douleurettoutesajoies'évanouit;ilappelaauprèsdeluitouslessagesetleurparlalonguementdeGuschtasp,
disant:Cethommeaucœurdelionabaisseradanslapoussièrelatêtedetouslesrois.Quepensez-vous,quelremède
voyez-vous?Neprenezpaslégèrementcetteaffaire. Un Hirbed répondit:Oroi ,àquilafortuneestfavorable,
puissentleshommesrévérertoujourstontrôneetlacouronne!Personnen'aeuunfilscommeGuschtasp,jamaisun
desgrandsn'aentenduparler,dequelqu'unquiluifûtcomparable.Ilaagranditonroyaume,tesennemishaïssent,
latêteparcraintedelui.Envoiedetouscôtésdeshommesdesgrandspleinsdecœuretquipeuventtevenirenaide
;ets'ilrevientneluimontrepasdel'aigreur;faispreuvedevertuetneprétendspasêtrel'égalducielquia
vubiendesroiscouronnéscommetoi,maisquin'aaccordésafaveuràpersonnepourtoujours.ConfieàGuschtaspune
armée,posesursatêteundiadèmeglorieux.Jenevoispasdanslemondeentierdehéroscommelui,sicen'est
Rustem, le Pehlewan illustre ; jamais oreille n'a entendu parlerd'un prince son égal en stature, en beauté, en
prudenceetenintelligence.Lohraspenvoyaquelques-unsdesesgrandsetfitcherchersonfilsdanslemondeentier.
Ils se mirentenroute, mais ils revinrent ayant perdu tout espoir, car ils étaient partissous une étoiletrop
lente.Lohraspeuttoutleblâmedecetteaventure,maisGuschtaspeutpoursapartlesfatiguesetlessoucis.
GUSCHTASPARRIVEAROUM.
LorsqueGuschtasparrivaàlamer,ildescenditdechevaletunreceveurdepéageslevit;c'étaitunvieillard
dunomdeHeischoui,hommegénéreux,debonconseil,prudentetheureux.Guschtasplesaluaetluidit:Puissela
raisonêtretoujourslacompagnedetonâmepure!Jesuisunscribedupaysd'Iran,quichercheàacquérirunnom;
jesuisintelligentetd'unespritsereinetobservateur.Situmefaispassercettemerdansunebarque,jet'en
auraiunereconnaissanceéternelle.Heischouiluirépondit:Tuesdigned'unecouronneouaumoinsd'unecuirasseet
d'uneépée,etpropreàdévasterunpays.Dévoiletonsecretetconfie-le-moi,maisn'essayepasàtraverserainsila
mer.Ilfautoumefaireunprésentoumedirelavérité,cartun'asnil'airnilesmanièresd'unscribe.Guschtasp
écoutaHeischouietluidit:Jen'aipasdesecretpourtoi,etjetedonneraivolontierstoutcequetudemanderas,
cediadèmeoucesceau,oudel'oronmonépée.Illuidonnaunepoignéedepiècesd'or;lereceveurenfutcontent,
semitsur-le-champàdéployerlavoiled'unebarqueetamenal'ambitieuxjeunehommedanslavilleoùrésidaitle
Kaisar.
C'était une ville dans le pays de Roum, dontl’étendue était de plus de trois farsangs ; elle avait été
construiteparlepuissantSelm,etétaitdevenuelesiègedesvaillantsKaisars.LorsqueGuschtaspyentra,ily
cherchapourgîte un endroit désert et erra pendant une semaine dans Roum,demandantdutravaildanscetteville
riche,carilavaitdépenséetdonnétoutcequ'ilpossédait,desortequesoncœurpleindejusticen'étaitpas
satisfait.Enerrantainsidanslaville,ilentradanslepalaisetdanslesbureauxduKaisar,etditauchefdu
divan:Ohommesecourable,jesuisunscribedupaysd'Iranquichercheàacquérirunnom;jevoudraist'aiderdans
tabesogneetferaibientoutcequiestàfairedanslebureau.Lesscribesquisetrouvaientaupalaissefirentdes
signesl'unàl'autreendisanttoutbas:Cethommeferaitcrierunroseaud'acieretsamainbrûleraitlepapier;
ilfaudraitlemontersurunpuissantdestrieretsuspendreàsonbrasunarc,àsaselleunlacetEnsuiteilslui
direntàhautevoix:Nousavonsdéjàplusd'écrivainsqu'ilnenousenfaut,ôhommeintelligent
AcesparolesGuschtaspsortitdubureau,lacœurpleindedouleur,lesjouespâles,etsedirigea,enpoussant
ungrandsoupir,verslegardiendeschevauxduroi.C'étaitunhommegénéreux,vaillant,prudentjuste,dontlenom
était Bessad. Lejeune homme qui portait haut ta tête s'approcha de Bessad, le bénit et le salua humblement. Le
gardienleregardaetlereçutamicalement,lefitasseoiràcôtédeluietluidit:Quies-tu,dis-le-moi,cartu
as la dignité et l'aspect d'un roi ?Guschtasp lui répondit: O homme illustre, je puis monter un jeune cheval
bravementetcommeilconvientàuncavalier.Situveuxmegarder,jemerendraiutile,jet'aideraiquandtuauras
delapeineetdumal.Bessadluirépondit:Neparlepasainsi,tuesunétrangerettuparaisunhommedistingué.
Il y a là le désert et la mer, et les chevaux courent enliberté, comment pourrais-je confier un troupeau à un
inconnu?
Guschtasp l'écouta et partit soucieux ; on aurait ditque la peau se fendait sur son corps ; il se dit :
Quiconque fait delapeineàsonpèrerecueillelui-mêmedespeinesplusgrandes.Ensuiteils'élançarapidement,
courantversleschameliersduroietditàleurchef:Puissetonespritresteréveilléetserein!Quandcethomme
desensvitGuschtasp,ils'avançaversluietluiassignalaplaced'honneur;ilétenditentoutehaieuntapiset
luiapportaquelquechoseàmanger.Guschtaspluiadressadenouveaulaparoleetluidit. :Oami fortunéetàl’âme
tranquille!confie-moiunecaravanedechameauxet,s'ilteplaît,assigne-moiunepaie.Lechamelierluirépondit:
Ohommeaucœurdelion,cettebesogneneteconviendrajamais.Pourquoimedemanderquelquechoseàmoi?Tuferais
mieuxdet'adresserauKaisar,quitemettraau-dessusdubesoin;net’adressequ'àlacour,etsituveux,jete
donneraiunchevaldebonnemineetunhommequiteserviradeguide.
Guschtasplesaluaetlequitta,sedirigeantverslaville,engrandedétresse;sessoucispesaientsurson
esprit, etilserenditauquartierdesforgerons.LàilyavaitunhommenotablenomméBourab,unbonetjoyeux
forgeron, qui ferrait leschevauxduroi,etqueleKaisarestimaithautement;ilavaittrente-cinq ouvriers et
apprentisquisefatiguentaveclemarteauetleferGuschtasprestalongtempsassisdanssonatelier,etàlafin
l'artisans'ennuyadelevoirlàetluidit:Ohommebienveillant,quedésires-tudansmonatelier?Guschtasplui
répondit:Ohomme àlafortunepropice,jen'aipointpeurdumarteauetd'unrudetravail.Situveuxmegarder,je
t'aiderai et je travailleraivaillamment avec ce marteau et cette enclume. Quand Bourab entenditces paroles, il
consentitàsefaireaiderparlui;ilchauffaunegrandemassedeferdanslefeuetlatraînasurl'enclumequand
ellefutchaude.OndonnaàGuschtaspunlourdmarteau,etlesforgeronsformèrentcercleautourdelui.Ildonnaun
coupdemarteauetbrisal'enclumeetlamassedefer,ettoutlemarchéretentitd'exclamations.Bourabfuteffrayé
etluidit:Ojeunehomme,nil'enclume,nilemarteau,nilefer,nilapierre,nilesouffletnerésistentàtes
coups!Guschtaspfutdésespéréàcesparoles,jetalemarteauetpartitdévorédefaimcariln'avaitaucunmoyende
seprocurerdelanourritureetunlogis.Maisnilamisère,nilarichesse,nilerepos,nilajoie,nilesfatigues
nedurentpourpersonne;lebienetlemalpassentégalementsurnousetquiconqueadusensneselaissejamais
abattre.
UNDIHKANREÇOITGUSCHTASPCHEZLUI.
Guschtasppartit,lecœurensouci,enpoussantdescrisetenmaudissantlecielsublimedecequesapartdans
lemonden'étaitquedupoison.Prèsdelaville,ilvitunbourgavecdesarbresfleurisetdeseauxcourantes:
c'étaitungaiséjourpourdeshommesvaillants.Ilaperçutsurleborddel'eauunarbrequijetaituneombrelarge
etsouslequelonétaitàl'abridusoleil;lejeunehommes'assitdansl'ombre,setordantdanssadétresse et
l'âmenoiredesoucis,etdit:OJugetout-puissant!cettevienem'adonnépourmapartqueduchagrin;jevois
quemonétoileestmauvaiseetjenesaispourquoitantdemalheurstombentsurmatête!Unhommenotabledecebourg
agréable,unhommepuissantdanslepays,passaauprèsdeGuschtaspetlevoyantlesyeuxremplisdelarmesdesanget
lementonappuyésurunemain,luiadressa ces paroles: Onoblejeunehomme!pourquoies-tusi soucieux et si
sombred'esprit?Situveuxquittercelieuetvenirdansmamaison,tupeuxjouirpendantquelquetempsde mon
hospitalité,etpeut-êtrecesdouleursdetoncœurdisparaîtront,ettespaupièressécheront.Guschtaspluidit:O
homme qui cherches un bon renom ! dis-moi quelle est ta famille ? Le chefdu bourg lui répondit : Pourquoi
m'adresses-tucettequestion?JesuisdelaraceduvaillantroiFeridoun,etavecunetelleparentépersonne ne
peut être méprisé par le monde. Quand Guschtasp eutentendu ces paroles, il se mit en route et accompagna le
personnageillustre,quilemenadanssamaisonetlaparapourlerecevoir.Sonhôteletraitacommeunfrèreet
satisfitpendantquelquetempsàtoussesdésirs.Ainsis'écoulauncertaintemps,ainsisepassèrentquelquesmois.
HISTOIREDEKITABOUN,FILLEDUKAISAR.
OrilarrivaqueleKaisaravaitl'intention,lorsqu'ilauraitunefilledevenuegrandeetdésirantsemarier,et
qu'ilverraitarrivéletempsdeluidonnerunépoux,detenirdanssonpalaisuneassembléedesgrands,dessages,
deshommesdebonconseil,enfindetousceuxquiétaientseségauxetlespluspuissantsparmileshommesillustres,
puisalorsdefairetraverseràcettefilleauvisagedelunetoutecetteassembléeréuniedanslepalais,pourse
choisirunmari,maisenrestantentouréed'esclaves,desortequ'aucunhommenepûtapercevoirmêmesondiadème.
OrleKaisaravaitalorsdansl'appartementdesfemmestroisfillescélèbresdanslemondepourleurstature,
leurbeauté,leurgrâce,leurvertuetleurmodestie.L'aînéeportaitlenomdeKitaboun;elleavaitdel'espritet
uncaractèresereinetjoyeux.Unenuitellevitenrêvetoutlepayséclairéparlesoleil;ellevitparaîtreune
massed'hommestellequelesPléiadess'enfuirentdevantcettefoule;àlatêtedecetteréunionsetrouvait un
inconnu,unétranger,lecœurpleindesoucis,latêtepleinedesavoir;ilétaitgrandcommeuncyprès,beaucomme
lalune,ets'asseyaitcommeun.roiquis'assiedsursontrône.Kitabounluiremitunbouquetdefleursetenreçut
undelui,pleindebeautéetdeparfum.
Lematin,lorsquelesoleilcommençaàrayonner,etquelesommeilquittalestêtesdesgrands,leKaisarréunit
unegrandeassembléedetouslesbravesetdetousleshéros;ilss'assirentgaiementdanscetteréunion,ensuiteon
appelaKitaboun au visage de lune. Elle quitta sa chambre, entourée de soixante esclaves, et tenant en main un
bouquetderoses;elletraversalafoulejusqu'àcequ'ellefûtfatiguée,maispersonneneluiconvint,etelles'en
retourna de la salled'audience dans l'appartement des femmes, marchant fièrement, maispleuranten secret et
désirantdanssoncœurunmari.Laterreétaitalorsnoirecommeleplumageducorbeau;maislorsqueleflambeaudu
soleilselevaau-dessusdesmontagnes,leKaisarordonnaderéuniraupalaisimpérialtouslesnotablesriches,mais
d'unranginférieur,espérantqu'und'euxplairaitparsabeautéàKitaboun.Lorsquecettenouvelleserépanditparmi
lesgrands,leshommesrenommésetleschefs,leprudentchefdubourgditàGuschtasp:Combiendetempsveux-tu
doncrestercaché?Vaaupalais,carilsepeutquelacouronneetlatrônedupouvoirt'échoient,etquetoncœur
soitdélivrédesessoucis.
Guschtaspl'écoutaetpartitaveclui;ilentrarapidementdanslepalaisduKaisar,oùilseplaçadansun
coin,séparé des grands, et s'assit tristement et l'âme désolée. Desesclaves pleines d'intelligence arrivèrent,
ensuite Kitabounentouréedeservantesauxjouesderose;ellefitletourdelasalledesonpère,précédéeet
suiviedesesesclaves.QuandelleaperçûtdeloinGuschtasp,ellesedit:Voilàmonrêvequis'éclairaetsur-le-
champelleparadesonricheetnoblediadèmelatêteheureuseduprince.LorsqueleDestourquil'avaitinstruite
vitcetacte,ilcourutàl'instantauprèsduKaisar,s'écriant:Elleachoisidansl'assembléeunhommedontla
tailleestcelled'uncyprèsdanslaprairie,dontlesjouessontunjardinderoses,etlesbrasetlesépaulestels
qu'ilsjettentdansl’étonnementceuxquilesvoient.Maisnesavonsquiilest,maisondiraitquetoutcequeDieu
peutdonner de majesté repose sur lui. Le Kaisar répondit : A Dieu neplaise que j'aie une fille qui amène de
l'appartement,desfemmesledéshonneursurmafamille!Sijedonnaismafilleàcethomme,j'auraisàcourberle
frontdehonte;ilfautdoncqu'ontranchedanslepalaislatêteàelleetàceluiquelleachoisi.LeDestourlui
répondit:Cen’estpasuneaffairesigrave.Ilyaeuavanttoibiendesprinceschoisisdecettemanière.Ortuas
dit à mafille de prendre un mari, et non pas de prendre un prince illustre ;etelleachoisiceluiquiluia
convenu;nedétournepastonespritdelavoiedeDieu.Cettecoutumevientdetesancêtres,tespèrespleins de
fierté,dedévotionetdevertus,etc'estparellequeRoums'estfortifié;n'introduispasdenouvellesvoiesdans
cepaysflorissant,ceneseraitpasdigned'unroi;neprononçapasdepareillesparoles,etnemarchepasdansune
voieoùtun'asjamaismarché.
LEKAISARDONNEKITABOUNAGUSCHTASP.
LeKaisarl'écoutaetsedécidaàdonnersafilleillustreàGuschtasp.Illuidit:Parsavecelle;tune
recevrasdemoinitrésors,nitrône,nisceau.Guschtaspvoyantcelarestaconfonduetadressadelonguesprièresau
Créateurdumonde;ensuiteilsetournaverscettejeunefemmequiportaithautlatête,etluidit:Otoi quies
élevéedélicatementetdansl'abondance;pourquoitonchoixest-iltombésurmoiparmitantdechefs,tantd’hommes
portantdesdiadèmesglorieux?Tuaspréféréunétrangerquinepeutpastedonnerdesrichessesetavecquitu
vivras pauvrement.Choisisundeteségauxparmilesgrands,pourquetunetedéshonorespasauprèsdetonpère.
Kitabounluidit:Ohommedepeudeconfiance!net'affligepasdecequelecielamène;sijemecontentedeton
sort,pourquoidemanderundiadème,untrôneetunecouronne?
KitabounetGuschtaspsortirenttristementetensoupirantdupalaisduKaisar.Quandilsfurentarrivéschezle
chefdubourg,illeurdit:Soyezcontentsetheureux!Illeurfitpréparerunemaisondanslebourg,etyfit
porterdesvivresetlesplusbeaux,tapis.QuandGuschtaspvitcela,ilenrenditgrâcesàcetillustreetglorieux
seigneur.Kitabounpossédaitdesparuressansnombreetunequantitédepierresfinesdetoutesorte.Ellechoisit
parmiellesunjoyautelquel'œildusagen'enajamaisvudepareil;ilsleportèrentàunhommequiseconnaissait
enpierreries:illereçutavecuneadmirationinfinie,etleleurpayasixmillepiècesd'or,unesommedigned'un
roi.Ilsachetèrentcequileurétaitnécessaireetcequiétaitconvenabledansleurpauvreté.Avecle reste de
l'argent,ilsvécurent;tantôtilsétaientheureux,tantôtilspleuraient.
Toutel'occupationdeGuschtaspétaitlachasse,toutelajournéeilportaitsoncarquoisetsesflèches.Orun
jour,auretourdelachasse,soncheminleconduisitprèsdeHeischoui;ilétaitchargédeproduitsdesachassede
toute espèce etmarchait, le carquois encore rempli de flèches ; il porta toute sachasse, grande et petite, à
Heischoui. Quand celui-ci l'aperçut, ilcourut au-devant de lui gaiement et l'âme réjouie, étendit un tapispour
qu'ils'y assît, et apporta quelque chose qu'il pût manger.Guschtaspsereposaetmangea,etpuiss'enretourna
auprèsdeKitaboun,aussirapidequelapoussière.QuandGuschtaspfutdevenul'amideHeischoui,ils'attachaàlui
commeunesclave,àcausedesasagesse;quandilsortaitdubourgpourtuerunchevreuil,ilenportaittoujoursà
Heischouideuxparts,latroisièmeétaitpourlechefdubourgoupourundesprincipauxhabitants.C'estainsique
Guschtaspvivaituniaveclechefdubourg,jouissantdelaviepaisiblementetsagement.
MIRINDEMANDEENMARIAGELASECONDEFILLEDUKAISAR.
IlyavaitunhommeàRoum,dunomdeMirin,quienvoyaunmessageauKaisaretluifitdire:Jesuisunhomme
de haut rang, riche et puissant;lagloirede ma bravoure est arrivée jusqu'au ciel. Donne-moi ta noble fille,
rajeunis par moi tondiadème et ton nom. Le Kaisar répondit : Dorénavant je ne prendraiplus de gendre comme
autrefois.Kitabounetcethommederienqu’elleachoisim'ontdétournédecettevoie.Maintenantquiconque veut
s'allieràmafamille,etfût-ceunhommed'unrangplusélevéquelemien,devrafaireunegrandeaction,pourque
lespuissants reconnaissent son pouvoir, qu'il devienne illustre dans lemondeetqu'ilmeservedesoutien.Que
Mirinailleàl'entréedelaforêtdeFasikoun,etqu'iltrempesoncœur,samainetsoncerveaudansdusang.Ily
verraunloupgrandcommeunéléphant,dontlecorpsestcommelecorpsd'undragonetlaforcecommecelled'un
crocodile;iladesdéfensescommeunsanglierdescornes,etunéléphantn'oseraitpastenircontrelui.Niunlion
mâle, ni un éléphant, ni un tigre, ni un homme,si vaillantqu'il soit, n'ose traverser cette forêt. Quiconque
parviendraàluifendrelapeauserapourmoiunappui,ungendreetunami.
Mirinsedit:Danscenoblepays,mesancêtresnesesontjamaisbattusqu'avecdelourdesmassuesetcontredes
princes,depuisqueDieuafondéRoum.QuedemandedoncmaintenantleKaisar?est-ceparhainequ'ilmeparleainsi
? Il faut que je trouvemoyen de faire ce qu'il veut, il faut que je m'y prenne de lameilleure manière que je
pourrai.Cethomme,quiétaitlefavoridetous,rentradanssonpalaisetfitdesréflexionsdetouteespèce;il
apportadeslivres,lesplaçadevantlui avec untableaudesconstellationsetsonhoroscope,etvitquedansun
certaintemps,ildevaitvenirunhommeillustredel'Iranquiferaittroisgrandesactionsdépassanttousleshauts
faitsdesgrandsdeRoum.D'abordildeviendraitlegendreduKaisaretbrilleraitcommelediadèmesurlefront
impérial;ensuiteilparaîtraitdansleRoumdeuxbêtessauvagesquiferaientdumalàtoutlemonde,ettoutesles
deuxseraienttuéesparcethomme,àquiaucunennemi,sipuissantqu'ilfût,neferaitpeur.
Quandilappritl'histoiredeKitaboun,quiavaitunisonsortàceluiduvaillantGuschtasp,etl'amitiéqui
liaitcelui-ciavecHeischouietlechefillustredubourg,ilaccourutauprèsdeHeischoui,luiracontatoutcequi
s'étaitpassé,et luiexpliqua la constellation qui, selon les savants de Roum, annonçait lesmerveilles qui se
passeraientdanscepays.Heischouiluidit:Resteaujourd'huijoyeusementetamicalementchezmoi.L'hommequetu
m'asindiquéestunhommeillustre,etportehautlatête;toutelajournéeilnes'occupequedelachasse,etne
pensepasautrôneduroidel'Occident.Hier,iln'estpasvenuchezmoietn'apasréjouimonâmeparsaprésence,
maisilvasansdoutedirigericisespasaussitôtqu'ilreviendradelachasse.Ilapportaduvinetilssemirentà
boire,assisaumilieudeparfumsetdefleurs,lescoupesd'orenmain;lorsqu'ilseurentvidéquatrecoupesdevin,
levaillantcavalierparutdanslaplaine.HeischouietMirinl'aperçurent,etcoururentau-devantdeluidanscette
plainefaitepourlescombats.MirinleregardaetditàHeischoui:Personnen'estsonégaldanslemonde;cehéros
illustre,aveccettestature,cesbrasetcettegrandemine,doitêtredefamilleroyale.Heischouiluirépondit:
Cet hommegénéreux n'est heureux que sur un champ de bataille, et sa bravoure,sa modestie, sa noblesse et son
intelligencesontencoreplusgrandesquen'indiquesamine.QuandGuschtasps'approchad'eux,ilsdescendirent de
leursdestriersetHeischouiarrangeauneplaceauborddelamer,fitapporterentoutehâteunenouvelletable,fit
venirduvinetdejeuneséchansons,etpréparaunbanquetd'uneespècenouvelleavecsesjeunesamis.Quandlevin
couleurderubiseutrougilesjouesdesconvives,HeischouiditàGuschtasp:Ohéros!tum'appellestonmeilleur
ami sur la terre, tu ne connaispersonnemieux que moi ; or Mirin a pris refuge auprès de moi; c'est un homme
illustreetriche,ilsaitécrire,c'estunsavantetunhommehabile,quipeutcalculerlemouvementducielsublime
;ilsaitprédire,d'aprèslessagesdeRoum,laprospéritéouladésolationdetoutpays;iltiresonoriginedela
familledeSelm,dontilconnaîtlesnomsdepèreenfils;ilpossèdel'épéedeSelm,l'épéequeSelmnequittait
jamais;c'estuncavalier,unhéros,unlionvaillant,quiatteintavecsaflècheunaigledansleciel.Maintenant
il voudraitencoregrandirets'allierauKaisardeRoum;ilaparléauKaisaretareçuuneréponse,etcette
réponsefaittremblersoncœur.LeKaisarluiadit:TutrouverasdanslaforêtdeFasikoununloupgrandcommeun
dromadaire,etlorsquetul'aurastué,tudeviendrasdansleRoummonhôtehonoré,tudeviendrasunprincepuissantet
mongendre,etlemondem'accorderacequiestmondroit.MaintenantsituveuxaiderMirin,jeseraitonesclave,et
cethommeillustredeviendratonparent.
Guschtasprépondit:Cetteaffairem'agrée,tellequevouslaproposez.Maintenantoùestcetteforêt?Comment
peut-ilyavoirunebêtefauvequifaitlaterreurdesgrandsetdespetits?
Heischouidit:Cevieuxloupaunestatureplushautequ'unfortdromadaire;sesdeuxdéfensessontcommeles
défensesd’éléphant,sesyeuxsontrougescomme lafleurdujujubier,sapeauestdurecommecelleducrocodile,ses
cornessontcommedespoutresdeboisd'ébène,etquandilestencolère,ilperced'unseulcoupdeuxchevaux.Bien
desprincesillustressontpartisd'iciavecdelourdesmassues,etsontrevenusdecetteforêtsans avoiratteintle
but,couvertsdehonteetlecœurfondudepeur.Guschtasprépondit:Apportez-moicetteépéedeSelmetamenezun
chevalfieretardent.J'appellecettebêteundragonetnonpasunloup,carsachezqu'iln'yapasdeloupgrand
commeundromadaire.
Acesparoles,Mirinpartitetcourutàsonpalais;ilchoisitdanssesécuriesunchevalnoir,unecottede
maillesmagnifiqueetuncasquedeRoumpritcettericheépéed'acierqueSelmavaitdamasquinéeavecdupoisonetdu
sang,ettiradesontrésorbeaucoupdeprésents,desrubisetd'autrepierreries,cinqdechaqueespèce.Lorsquele
soleileutdéchirésachemisecouleurdesuieetfutsortidesonvoile,Mirin,quiambitionnaitlapossessiondu
monde,quittasonpalaisetcourutauprèsdeHeischoui.Guschtasp,desoncôté,revintdelachasseetsedirigeavers
eux;Heischoui,quiétaitauxaguets,levit,etluietMirinallèrentàsarencontre,étonnésdelafacedeson
cheval etdelagrandeurdesonépée.GuschtaspregardalesprésentsdeMirin,choisitparmiletoutlechevalet
l'épée,donnaleresteàHeischouietréjouitl'âmedecethommeambitieux.Ilserevêtitrapidementdelacottede
mailles,montasurlechevaldebataille,bandasonarc,suspenditlelacetaucrochetdelaselle,etlecavalier
quiportaithautlatête,etsonchevalnoir,étaientprêts.HeischouietMirin,quidésiraitlapossessiondumonde
et était venu ensuppliant, l'accompagnèrent jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés sur lalisière de la forêt de
Fasikoun,entremblantpourluietlecœurgonflédesang.
GUSCHTASPTUELELOUPDEFASIKOUN.
Quandilsfurentarrivésprèsdelaforêtetdelatanièreduloup,Mirintremblaenpensantàceloupterrible
etmontraàGuschtasp,avecsondoigtétendu,lelieuoùsetenaitledragon,etluietHeischouis'enretournèrent
dansleurterreur,lecœurgonfléetlesyeuxpleinsdelarmesdesang.Heischoui,enquittantcethommequiportait
hautlatête,dit:Nousneleverronsplus.Hélas!quelletaille,quelbras,quelvisage,quelleforceetquelle
massue!Guschtasps'approchadelaforêt,soncœuravidedecombatsdevintsoucieux.;ildescenditdesondestrier
pleindefierté,etsemitàprierleMaîtredumonde,disant:ODieu!letrèssaint,lenourricier detousles
êtres,toiquidirigeslarotationdusort,viensàmonaidedanscedanger,aiepitiédel'âmeduvieuxLohrasp.Si
cepuissantdragon,queleshommesdépourvusdesensappellentunloup,parvientàmevaincre,monpère,quandille
saura,pousseradescrisetenperdralesommeil;ilresteradansl'excèsdesadoubleurcommeuninsensé,errant
partout,poussantdescrisetcherchantmestraces;etsijem'enfuis,effrayéparcettebêteméchante,j'auraià
voilermatêtedehontedevantlafoule.Ildit,etremontasursondestrier,poussantdescris,bouillantd'ardeur,
tenantenmainsonépée,etl’arcsuspenduaubras,c'estainsiqu'ils'avançaprudemmentetlecœurgonflédesang.
Quandilfutarrivédanslefourré,ilfitéclatersavoixcommeletonnerrequisortd'unnuagedeprintemps.Leloup
l'aperçutàl'entréedelaforêt,poussauncriquimontajusqu'auxnuagesnoirs,etdéchiradesesgriffeslasurface
dusolcommeunlionouunvaillantléopard.Guschtaspvitcedragon,ilfrottasonarcetletendit;rapidement
commeleventilfitpleuvoirdesflèchessurleloup:sonarcfutpourluicommeunnuageprintanierquilancela
foudre.LabêteféroceayantétéblesséeparlestraitsdeGuschtasp,ladouleurréveillasoncourage;saisiede
fureur,elles'élançaencourantcommeungranddromadairelescornesenavant,àlamanièredescerfs,lecorps
endoloriparsesblessuresetlecœurgonflédesang.Arrivéeprèsducavalier,elledonnauncoupdedéfensecontre
leflancnoirduchevaletledéchiradepuislestesticulesjusqu'aunombril.Guschtasptirasonépée,mitpiedà
terre,frappaleloupaumilieudelatêteetluifenditlesépaules,ledosetlapoitrine.
GuschtaspseprosternadevantleMaîtredesbêtesféroces,lemaîtredetoutescience,lemaîtredubonheuretdu
malheur,etrendithommageauCréateur,disant:Otoi quiascréélemonde,tuesleguidedeceuxquisesont
égarés,tueslemaîtresuprême,ledistributeurdelajustice,leDieuunique.Toutaccomplissementdenosvœuxet
toutevictoirenedépendentquedetavolonté,toutemajestéettoutescienceneportentquetonnom.Ilsereleva
aprèscetteprière,arrachaauloupsesdeuxlonguesdéfensesetsortitàpieddelaforêt;ilmarchajusqu'àce
qu'ileûtatteintlamer.Làétaientassisauborddel'eauHeischouietMirin,pleinsdesoucis,neparlantquedece
quis'étaitpâmé;leursdiscoursroulaientsurGuschtaspetleloup,etilsdirent:Hélas!cebraveetvaillant
cavalierestmaintenantengagédansungrandcombatetdéchiréparlesgriffesduloup.
Quand Guschtasp parut à pied, les joues couvertes desang et rouges comme la fleur de fenugrec, ils
l'aperçurent,selevèrentbrusquementetsemirentàpousserdescrisdedétresse.Ilslepressèrentdansleursbras
avec pitié, les joues pâles, lescilsinondésde larmes comme d'une pluieprintanière, demandant comment s'était
passésoncombatcontreleloup,etracontantcombienleurscœursavaientéprouvéd'anxiétépour.lui.Guschtaspdità
Heischoui:Ohommedebonconseil,iln'yadoncdansRoumaucunecraintedeDieu,pourquedepuisdelonguesannées
onlaissedecettefaçonvivredanslepaysundragonféroce,quituetousleshommesquipassent,etpourquile
Kaisarn'étaitpasplusqu'unepoignéedepoussière?Jel'aifenduendeuxavecl’épéedeSelm,etjevousaidélivré
detoutecetteterreur.Allez,ethâtez-vousdevoircettemerveille,regardezcevilmonstreauquelj'aidéchiréla
peau.Alevoir,ondiraitquec'estunéléphanténormeetquiremplittoutelaforêtparsalargeuretsalongueur.
Touslesdeuxserendirentàlaforêtencourant,heureuxdecesparolesetl'âmetranquille.Ilsyaperçurentun
loupgrandcommeunéléphant,avecdesgriffesdelion,etdelacouleurd'uncrocodile,fenduendeuxd'unseulcoup,
depuislatêtejusqu'aumilieuducorps,commesil'onavaittaillédeuxlionsdansuneseulepeau.Acettevue,ils
s'étendirentenlouangessurcethommeillustre,quiétaitcommelesoleildelaterre.Ilsrevinrentdelaforêtle
cœurjoyeux,etdescendirentdechevalauprèsdecelionvaleureux;Mirinluioffritdesprésentsdignesd'unhomme
vaillant,maisiln'acceptaqu'unautrecheval,ets'enretournaàsamaison.
Quandilarrivaduborddelamerverslelieudesonrepos,Kitabounaucœurclairvoyantallaàsarencontreet
lui dit :Où as-tu trouvécettecottedemailles, puisque tu n'es parti d'ici que pour la chasse, et cetteépée
damasquinéequifendraituneenclume?Illuirépondit:Otoidontlesjouesressemblentàlalune,écoute-moi!
Sache,monâme,qu'ilestvenuunecompagnied'hommesrichesdemonpays,etquelques-unsdemesparentsm'ontfait
présent decettecottedemailles,decetteépéeetdececasqueenprenantcongédemoi.Kitabounapportaduvin
parfumécommedel'eauderoses,etenbutavecsonmarijusqu'àcequ'ilfûttempsdedormir.Cesdeuxjeunesgens,
quiobservaientlesastres,secouchèrentheureux,maisGuschtasp bondit à tout momentdanssonsommeil ; car il
rêvaitdesoncombatavecceloupquiressemblaitàunvaillantetfurieuxdragon.KitabounluiditQu'ya-t-ildonc
cettenuit,quetutremblesainsi,quoiquepersonnenetetouche?Ilrépondit:J'airêvédemafortuneetdemon
trône. Alors Kitabouncomprit que par sa naissance il était de rang tout à fait royal,qu'il était un grand
personnage,maisqu'ilnevoulaitpasleluidirenidemanderdupouvoirauKaisar.
Guschtaspluidit encore:Otoi ,auvisagedelune,àlastaturedecyprès,auseind'argent,auparfumdemusc
!préparetoutpourquenouspuissionspartirpourl'Iranetnousrendredanslepaysdesbraves:tuyverrasun
royaumeremplidesplendeuretunroijusteetgénéreux.Kitabounluirépondit:Neparlepasfollement,netedécide
pasàpartirdansunmomentd'impatience.Situasl'intentiondequittercepays,entends-toid'abordavecHeischoui
;ilsepeutqu'iltefassetraverserlamersursabarque,carquandilt'aamenédanscettebarque,lemondeena
étérajeuni.Quantàmoi,jeresteraiicidansunlongdeuil,carjenesaisquandjetereverrai.Ilssemirentalors
àpleurer,dansleurlit,surl’aveniretàseconsumerdufeuintérieurdeleurdouleur.Maislorsquelesoleildans
sa rotation commença à briller dans la voûte du ciel,les jeunes époux, pleins de prévoyance et le cœur rempli
d'espoir,selevèrentdeleurlitmoelleuxetfirentdespréparatifspourleurdépart,disant:Dequellemanièrele
cielva-t-iltournerau-dessusdenous,est-ceaveccolèreouavecfaveur?
Mirin,desoncôté,partitcommelevent,serenditentoutehâteauprèsduKaisar,etluidit:Oillustreet
puissantmaître!lesravagesdeceloupsontfinis,lecorpsdecedragonremplittoutelaforêt,etjevoudraisque
tuallassesvoircettemerveille.Ilestarrivésurmoipourm'attaquer,maismonbrasluiaassenéuncoupquil’a
fendu de la tête jusqu'aumilieu du corps, et le cœur du Div a tremblé de ce coup. A cesparoles, le Kaisar se
redressa, ses joues pâles se colorèrent, ilordonna qu'on fit partir de la ville des bœufs, des voitures et des
tentes,qu'onpréparâtunlieudefestinetqu'onyenvoyâtduvin,delamusiqueetdeséchansons.
Ilssemirentenroute,avecdesbœufsquitraînaientdesvoitures,pourcetteforêtcélèbreàcauseduloup;en
arrivant,ilsvirentcetéléphantfurieuxfenduparuncoupd'épéedelatêtejusqu'aumilieuducorps,lefirent
traînerdehorssurlaprairiepardefortsbœufsattelésauxvoitures,etlemonderegardacevieuxloup,quedis-je,
unloup!ceterriblelion.QuandleKaisarvitlecorpsdecetéléphantfurieux,ilsefrottadejoielesmains,et
lemêmejourilappelalechefduDiwandanssonpalais,donnasafilleàMirinetfitécrireunelettreàtousles
grands,àtouslesévêques,àtouslespatriciensetàtousleschefs,queMirin,lelion,leplusfierdesfilsdu
Roum,avaitdélivrélepaysduloupformidable.
AHRENDEMANDEENMARIAGELATROISIEMEFILLEDUKAISAR.
IlyavaitunhommeplusjeunequeMirin,dontlatailledépassaitcelledetouslesgrandsduRoum:c'étaitun
hérospleindedignité;sonnométaitAhren,ildescendaitd'uneracepuissante,soncorpsétaitd'airain.Cefils
duroiserenditauprèsduKaisaretluidit:Puissecepaysprospérersoustoi!JesuissupérieuràMirinentoute
chose,jesuisplusriche,monépéeestplusforte,moncourageplusgrand.Donne-moitafillecadetteetjerendrai
brillantstonarméeettondiadème.LeKaisarrépondit:Tuaspeut-êtreentenduquelsermentj'aifaitdevantle
Créateur.J'aijuréquemafillenechoisirapassonmari,etquejedévieraidescoutumesdemesancêtres.Ilfaut
faireuneactioncommecelledeMirin,ensuitetuserasmonégal.IlyadanslemontSekilaundragonquidévaste
pendanttoutel’annéecepays;situdélivresleRoumdecedragon,jetedonneraimafilleetdestrésors,etune
province. Il est l'égal de ce loup quiabattait les lions, et son souffle empoisonné est un piège que noustend
Ahriman.Ahrenluirépondit:Jeferaicequetuordonnes:quemaviesoitgarantedemabonnevolonté.
IlquittaleKaisar,suffoquédesesparoles.Ilditàsesamis:Cecoupdemortduloupn'apuêtredonnéque
parl'épéed'unhéros;commentMirinaurait-ilpufaireunetelleaction?LeKaisarnesaitpasdistinguerunhomme
d'unautre.J'iraiauprèsdeMirinetluiferaidesquestions:ilm'indiquerapeut-êtrequelqu'unquiaitunmoyen
desalut.IlcourutaupalaisdeMirinetenvoyaunserviteurpourannoncersavisite.OrMirinavaitunesalletelle
que la lune n'en possède pas une semblabledans son orbite ; c'était un homme ambitieux, hautain et brave, qui
portaitsurlatêteundiadèmecommeleKaisar.Unesclaveluiditqu'Ahrenaucorpsd'éléphantarrivaitavecune
escorte;alorsilfitarrangersasalleencoreplusmagnifiquement,etsesprincipaux,domestiques sortirentpour
recevoirAhren.QuandMirinlevit,ill'embrassaetluidemandadesnouvellesdesasanté.Ensuiteilsrenvoyèrent
tout le monde de la salle d'audience, et les deux princess'assirent tout seuls sur le trône. Ahren lui dit :
Réponds-moi,etnecherchepasàmetromperdanscequejetedemande.JedésireépouserlafilleduKaisar,quiest
laplusgrandedameduRoum.Je l'ai ditauKaisar, et il m'a répondu que je devaiscombattreledragondansla
montagne;raconte-moidonctoncombatavecleloup,etsers-moideguideetdemaître.
Mirin,àcesparolesd'Ahren,setroublaetréfléchitques'ilrefusaitdedireàAhrencequeGuschtasp, le
championdumonde,avaitfait,celanéanmoinsneresteraitpascaché;qu'unhommedevait,avanttout,agiravec
droiture,pendantquelesvoiesténébreusesettortueusesneconduisaientqu'àdeslarmes;qu'ilvalaitdoncmieux
direlavérité;quepeut-êtrececavaliervaillantabattraitlatêtedudragon,etqu'alors,luietAhrenétantamis
etsesoutenant,ilneresteraitdanslesmainsdeleursennemisqueduvent;plustardilspourraientdétruirele
cavalier,carleursecretresteraitbiencachéquelquetemps.IlditàAhren:Jetediraicequis'estpasséavecle
loup,quandtum'aurasprêtéungrandsermentdenejamaisparlerdecesecretnijourninuit,etdenejamaisouvrir
les lèvressur ce sujet. Ahrens'engagea sur-le-champ par un serment solennel et accepta en toutpoint cette
convention.AlorsMirinappliqualeroseausurlepapieretécrivitunelettreàHeischoui,dans laquelleildit:
Ahren,quidescenddelafamilledesKaisars,estunprinceambitieux,riche,justeetpossesseurd'untrône;il
demandeàépouserunefilleduKaisar,ladernièrequiluireste;maisledragonluitendraunpiègeettâcherade
ledétruire.Ilestvenuchezmoipourmedemanderunmoyendesalut,jeluiaidévoilécequis'estpasséetluiai
racontéexactementl'histoireduloupetduvaillantcavalier.Celuiquim'atiréd'affairevoudrasansdouteaussi
tirerd'affaireAhren,donnerainsidelapuissancedanscepaysàdeuxhommes,etplacersursonproprefrontun
diadèmebrûlantcommelesoleil.
Ahren,quicherchaitunmoyendesalut,serenditentoutehâteauprèsdeHeischoui,etlorsqu'ilfutarrivéau
borddelamer,l'ambitieuxHeischouil'aperçut,reçutdeluicettelettrefaitepourleflatter,lesaluahumblement
etrompitlefilquifermaitlalettre.Ensuiteilluidit :Ohommeillustre,puissentlesâmesnoblesnejamais
êtreaffligées!UnjeuneetglorieuxétrangeradonnéàMirinsaviepourgageetmaintenant,quandilcombattrale
terribledragon,ilfautespérerqu'ilnepérirapasdanscettelutte.Jenepuisqueparler,c'estàtoid'agir;
mais c'est toujours quelque chose que de donner debonnes paroles. Contente-toi, cette nuit, de cette maison ;
établis-toiici,etréjouis-toidel’aspectdelamer,carlehérosillustreviendrademainetjeluidiraitoutce
quetuvoudrasquejeluidise.
Ilsplacèrentdesflambeauxsur leborddelameret.semirentàmangeretàboireduvinjusqu'àcequeles
lueursdumatinserépandissentdusoleilsurlasurfacevertedelaterreetlavoûtebleueduciel.Danscemoment
unvaillantcavalierparutsurlaplaine;l'illustreAhrenl'aperçutduborddelameretditàHeischoui:Cet
hommeglorieuxarrive;regarde,lecielestremplidelapoussièrequesoulèvesoncheval.Quandilfutplusprès,
lesdeuxhommesaucœurjoyeuxcoururentàpiedau-devantdelui;levaillantcavaliermitpiedàterreetdemandaà
Heischouiduvinetdelanourriture.Heischouis'empressadeluiadressercesparoles:Puisses-tuêtreheureuxjour
et nuit, ô homme-illustre ! Regarde cedescendant des Kaisars, qui fait la joie du ciel qui tourne. Il estnon
seulementdelaracedesKaisars,maisiladupouvoir,ungrandrenom,destrésorsettoutcequ'ilfaut.Ildésire
devenirlegendreduKaisar,etcherchequelqu'unquipourraitleguider.Iln'yapersonnequelesKaisarsquisoit
desonrang;ilestbrave,puissantethautdetaille.Ilafaitsademande,etonluiaréponduparunenouvelle
exigence,carleKaisarluiadit:Deviensvainqueurdedragons;situesdemarace,faisuneempreintedeKaisar.
Devantlesgrands,ilneparle,jouretnuit,quedeMirin,enrépétantquequiconqueveutdevenirunornement du
trônedoitêtrel’émuledurenometdelafortunedeMirin.Or,ilyanonloind'iciunehautemontagne,quioffre
partoutdeslieuxpropicesauxfêtesetauxbanquets;maisundragondemeuresurlesommetdelamontagne,ettout
lepaysdeRoumestterrifiéparsesravages.Iltireduseindesairslevautour,ilarrachelecrocodileterribledu
fonddelamer;sonhaleineetsonveninbrûlentlaterre;jamaispersonnen'arienvudesemblable.Situparviens
àletuer,tujetterasdansl'étonnementlemondeentier;etsiDieuletrèssainttevientenaidedanscette
entreprise,lesoleilnetourneraplusqueselontongré.Nousneconnaissonsaucunhommedeguerrequisoittonégal
enstatureetenforcevictorieuse.Guschtaspluirépondit:Va,etprépare-moiunlongkhandjar,quidoit,avecla
poignée,mesurercinqempans;ilfautqu'ilaitdesdeuxcôtédesdentsaiguëscommeunserpent,qu'ilporteune
pointe semblable à une épine, qu'il ait été trempéavec du poison et du sang, qu'il soit tranchant et d'un poli
brillant;donne-moiundestriercaparaçonné,unemassue,uneépéeetunerobeindienne,etavecl'aidedeDieuetde
mafortunevictorieuse,jeprécipiterailedragonduhautdesonarbre.
GUSCHTASPTUELEDRAGON,ETLEKAISARDONNESAFILLEÀAHREN.
AhrenpartitetapportatoutcequeGuschtaspavaitdemandé,etquandtoutfutpréparé,celui-cimontaàcheval
surleborddelamer,etsesamispartirentaveclui.LorsqueHeischouiaperçutlemontSekila,illeluimontradu
doigtetseretira.LuietAhrens’enretournèrent;maislehéros,quiambitionnaitlapossessiondumonde,arriva,
aumomentoùlesoleilcommençaitàlancersesrayons,devantlamontagneoùétaitlademeuredecetaffreuxserpent.
Quandledragonvitsahautestature,ilessayadel'attirerversluiavecsaqueue;maislejeunehommesuspendit
soncarquois aucrochetdelaselleetfitpleuvoirunegrêledetraits.Ledragons'approchaplusprès,alorsle
héros rassemblatoutes ses forces et lui enfonça le khandjar dans la gueule, eninvoquant le nom de Dieu, le
distributeurdelajusticeetdetoutbien.Ledragonserrasesdentsaiguëssurlekhandjar,maisl'armeentratout
entièredanssonpalais;ilversaduveninjusqu'àcequ'ilfûtépuisé,lamontagnefutinondéedeceveninetde
sonsang.AlorsGuschtasp,lelion,saisitsonépéeetenfrappauncoupsurlatêteduvaillantdragon,dontla
cervellejaillitsurtoutcegrandrocher.Lehéros,àquilafortuneétaitfavorable,descenditdecheval,arracha
sur-le-champdeuxdentsdelagueuledudragon,puisallaselaverlatêteetlecorps.Ilseprosterna,lefront
contrelaterreetenpoussantdescris,devantleCréateur,lemaîtredelavictoire,quiluiavaitaccordécegrand
triomphesurledragonetsurlevieuxloup.Ils'écria:LohraspetlenobleZerirétaientfatiguédeGuschtasp,
corpsetâme,etpourtantmonespritbrillant,moncœurpuretlaforcedemonbrasontsuffipourabattreunpareil
dragon;maislesortnem'aapportéquedessoucisetdelamisère,etm'aversédupoisonaulieudethériaque.
PuisseDieum’accorderdelaviejusqu'àcequej'aierevupouruneseulefoislestraitsduteroi!Jeluidirais:
Aquoim'aservilarecherchedutrône?Jel'aipoursuivie,maislafortunem'aabandonné.
Ensuiteilmontasursondestrier,lajoueinondéedelarmesetsonkhandjarbrillantenmain;arrivéprèsde
Heischouietd'Ahren,illeurracontacequiluiétaitarrivédemerveilleux.IlditàAhren:Cekhandjartranchant
adétruitledragon.Vousavezeupeurdel'haleinedupuissantdragonetdecombatcontreleloup;maismoije
crainsbiendavantagelalutteavecdeschefsvaillants,fiersetarmésdelourdesmassues,quelecombatavecon
crocodilequisortdesprofondeursdel’eau,armédesesgriffes.J'aivubiendesdragonscommecelui-cietneme
suispasrefuséàlescombattre.HeischouietAhrenécoutèrentcejeunehéros,dontlesparolesetlasagesseétaient
dignes d'unvieillard, et ces deux hommes, qui portaient haut la tête, lesaluèrent humblement lorsqu'ils eurent
entendusondiscours,etluidirent:Ovaillant lion,jamaisunemèrenemettraaumondeunhéroscommetoi.Ahren
luioffritbeaucoupdechosesprécieusesetdeschevauxmagnifiques,couvertsdeparures;maisiln'acceptaqu'une
épée,unchevalnoir,unarc,desflèchesàtripleboisetunlacet,etdonnaàHeischouitoutl'oretlespièces
d'étoffe.Guschtaspditalorsàsesdeuxpuissantsamis:Ilnefautpasquequiquecesoitapprenneriendececi,
niquej'aivucevaillantdragon,niquej'aientendulecriduloup.Ensuiteilpartit,heureuxetcontent,etse
renditentoutehâteauprèsdeKitaboun.
Ahrenpartit,amenadesbœufsetdeschariots,etlivralecorpsdudragonàsesserviteurs,disant:Conduisez-
leaupalaisduKaisar,mettez-ledevantlesyeuxdeschefsdel'armée.Lui-mêmedevançalesbœufsetleschariots,
etcourutauprèsduKaisar.OnappritalorsàRoumcequis'étaitpassé,etleshommesquiavaientdel'expériencese
hâtèrentdevenir,etilsvirentcepuissantdragonquelevaillanthérosavaitabattu.Lorsquelesbœufssortirent
delamontagneetarrivèrentdanslaplaine,lafoulepoussauncriimmenseàl'aspectdelablessurequ'avaitreçue
ceterribledragon,quifaisaitunelourdechargepourlesbœufsetleschariots.Lavoixdelamultitude montait
jusqu'auciel,etl’onauraitditquelesbœufssuccomberaientsouslepoids.Quiconquevoyaitlablessurefaitepar
le coup d'épée etentendaitlebruitdesbœufsetdeschariotsdisait:C'estuncoupdonnéparAhriman,quoique
l'épéequiafrappésoitcelled'Ahren.
CependantleKaisarsortitdesonpalais,rassemblalesgrandsetlessagesetcélébraparunfestinlamortdu
dragon,depuisl'aubedujourjusqu'àcequelemondefûtcouvertdeténèbres.Aussitôtquelesoleilsursontrône
eut posé lacouronne sur sa tête et queles feuilles des platanes furent dorées par ses rayons, le Kaisar fit
chercherleDestour,demandadesnouvellesdesasantéetlefitasseoirsurletrôned'or;touslespatricienset
tous les docteurs de la villequi avaient un nom honoré se réunirent devant l'évêque avec leKaisar et ses
conseillers,etl’ondonnaàAhrenlafilleduKaisar,duconsentementdesamèrepleinedetendresse.Aussitôtque
cettefouleeutquittélasalled'audience,lecœurduKaisarillustres'épanouitetildit:Cejourestmongrand
jouretlepuissantcielremplitmonâmedejoie,carpersonnedanslemonde,parmilesgrandsetparmilespetits,
n'ajamaiseudeuxgendrescommemoi.Ilfitécrireunelettreàtouslesprincesquipossédaientuntrôneouun
diadème,pourleurdirequelevaillantdragonetlefierloupétaienttombéssouslescoupsdedeuxhéros.
GUSCHTASPSEDISTINGUEDANSLECIRQUE.
LeKaisarfitconstruiredevantsonpalaisunetribunequiressemblaitàsontrônebrillant;sesdeuxgendres
serendirentaucirque,etréjouirentsoncœurenchanté,entirantdesflèchesenjouantàlaballe,enjoutantavec
deslances;enfaisanttournerleurschevauxavecunartparfaitilss'élançaientàgaucheetàdroite,onaurait
ditquel’équitationn'étaitfaitequepoureux.Quelquetempss'étantainsipassé,lasageKitabouns'approchade
Guschtaspetluidit:Otoiquiesassistristement,pourquoiaffligertonâmedesoucis?IlyaàRoumdeuxgrands
pluspuissantsquelesautres;ilspossèdentdescouronnes,destrésorsetdesdiadèmes:l'und'euxestceluiquia
tuélevaillantdragon,ilaaffrontébiendesdangerssanstournerledos;l'autreestceluiquiafendulapeauau
loup,ettoutleRoum,estpleindesagloire.OrilssetrouventsurlecirqueduKaisar,recueillantdel'honneur,
combattantetfaisantvolerlapoussièrejusqu'auciel.Vaàl'endroitoùsetientleKaisaretregarde:ilsepeut
queleschagrinsdetoncœurensoientsoulagés.Guschtaspluirépondit:Omonépousefidèle!lorsquetonpère,le
chefdecepeuple,chassedelavillesongendre,commentveux-tuqu'ilagissecommeilconvientàunhomme,quandil
mevoit?Néanmoins,situledésires,jesuivraitonavis,ômonguide!
Ildemandaalorsqu'onplaçâtlasellesurunchevalquienroulaitlaterresoussespieds;ilpartitetarriva
aucirqueduKaisar,s'avançajusqu'àcequ'ilpûtvoirlescoupsderaquette,demandaauxjoueursuneballeetune
raquetteetlançalaballedroitparmilescavaliers,toutenpoussantsoncheval.Lesmainsetlespiedsdeshéros
s'arrêtèrent,personnenerevitdanslecirquelaballequeGuschtaspavaitlancée:elleavaitdisparusouslecoup
desaraquette.Oùdoncuncavalieraurait-ilpulatrouver,sivitequ'ileûtcouru?Lescavalierspâlirent,toute
laplaceétaitenconfusionetpleinedubruitdesvoix.Ilssedécidèrentalorsàprendrelesarcsetlesflèchesde
boisdepeuplieretquelques-unsdesplusbravess'avancèrent.Guschtasp,voyantcetumulte,sedit:Voicilemoment
demontrersontalent,jetalaraquette,saisitunarc,ettoutRoumlevalesmainsau-dessusdelatêted'étonnement
desescoups.
LeKaisarregardacethommequiportaithautlatête,ilregardasesmains,sesbrasetseslongsétriers,et
demanda:D'oùvientcecavalierquis'élanceainsiàdroiteetàgauche?J'aivubiendesbravesquiportaienthaut
latête,maisjamaisjen'aientenduparlerd'unhommecommelui.Appelez-lepourquejeluidemandequiilest,si
c'estunangeouunhommecommenous?OnappelaGuschtaspdevantleKaisar,dontl'âmesoupçonneusetremblait;il
prodiguaàGuschtasplesnomsdevaillantcavalier,chefdesbraves,diadèmesurlefrontdesgrandsetluiadressa
desquestionssursapatrie,sonnometsafamille.Lejeunehommeneréponditpasàsesquestions;maisilluidit
:JesuiscevilétrangerqueleKaisaraéloignédelaville.Lorsquejesuisdevenusongendre,ilm'achassédela
ville,etpersonnen'alumonnomsurlalistedelacour.KitabounaétéinjustementtraitéeparleKaisar,parce
qu'elleachoisiunmariétranger;ellen'arienfaitqueconformémentauxmœursdupays,etcetactededroiturelui
avaludemauvaistraitements.Leloupmalfaisantdanslaforêt,ledragonterribledanslamontagne,ontétéabattus
parmescoups,etHeischouiaétémonguidedanscesaffaires.J'aiencoredansmamaisonlesdentsdecesbêtes,et
lesbrèchesdemonépéesontmespreuves.QueleKaisarinterrogelà-dessusHeischoui;carc'estunehistoiretoute
récenteetnonuneaffaireancienne,
Lorsque Heischoui fut arrivé et eut apporté les dentset raconté ce qui s'était passé, le Kaisar se mit à
demander pardonàGuschtaspetluidit:Ojeunehomme,letempsdecetteinjusticeestpassé.Oùestcettenoble
Kitaboun ? Si tu m'appelles son tyran, ce n'est pas sans raison. Il se mit en colèrecontre Mirin et Ahren et
remarquaquejamaisriennerestesecret.Ensuiteilmontasurunchevalauxpiedsdevent,etallachezcettefemme
auxmœurspures.Ilrendithommageàsafille,labeautéouseindelis,àl'espritsage,disant:Omafilleau
visagedelune!tuaschoisiunmariquiestdignedetoi,tuasfaitleverplushautlatêteàtoutetafamillepar
cebonacierquetuasfaçonné.Quandsafillelevitdanscetteattitudehumble,elles'approchadelui,lesmains
croiséesetluirendithommageenl'adorantetenparlantpendantlongtempstoutbasdanslapoussière.Alorsillui
dit:Neluias-tujamaisdemandéquiétaitsafamille?Peut-êtret'a-t-ildévoilésonsecret.Ellerépondit:Je
l'aisouventquestionné,maisjenel'aijamaisvumêmes'approcherdelavérité.Ilneveutpasdiresonsecret
devantmoi;ilcacheàtousquelleaétésademeure,quelestsonpays,quelleestsanaissance;ilditquesonnom
estFarrukhzad.Monopinionestqu'ilestdegrandefamille,carilestavidedecombatsetunvaillanthéros.Là-
dessus le Kaisar rentra dans son palais, et leciel tourna ainsi pendant quelque temps sur le monde. Un matin
Guschtaspseleva,etcejeunehommepleindesensserenditauprèsduKaisar.Celui-cirestaconfonduàsonaspect;
illefitasseoirsurletrôned'or,etfittirerdutrésoruneceinture,unanneauetunmagnifiquediadèmeimpérial
;ensuiteill'embrassa,luiplaçasurlatêtelediadèmeetsemitàparlerdecequis'étaitpassé.Ensuiteildit
àtousceuxquiétaientprésents:Faitesattention,vous,jeunesetvieux!voustousobéirezàFarrukhzad,nousne
vousécartereznidesesordresnidesonexemple.Lemêmeavisfutdonnédanstoutl'empireàchaqueroietàchaque
prince.
LETTREDUKAISARAILIAS,AQUIILDEMANDEUNTRIBUT.
LesplusprochesvoisinsduKaisarétaientlesKhazars,quiavaienttoujoursassombrisesjours.Leprincedu
paysdesKhazarsétaitIlias,filsdeMihras,lemaîtredumonde.LeKaisarécrivitunelettreàIlias,tellequ'on
aurait dit qu'ilavait mis du sang sur la pointe de son roseau. Tu t'es longtempsjoué de nous, à Khazar, mais
maintenantdesjoursdetonrepossontfinis.Envoie-moiàl'instantuntribut,delourdesredevancesetquelques-uns
detesgrandscommeotages,sinonFarrukhzadviendracommeunéléphantenfureuretfouleraauxpiedstonpayspour
mevenger.Iliaslutlalettre,trempasonroseaudansdupoisonetrépondit:Autrefoisiln'yavaitpastantde
valeurdansleRoum;sijenevousdemandepasdetribut,vousdevriezêtrecontentsdansvotrepays.Vousdeveztout
cecourageàunseulcavalier,àcethommequiatrouvéunrefugeauprèsdevous;maissachequececiestunpiège
d'AhrimanetqueFarrukhzadn'estqu'unseulhomme,fût-ilsemblableàunemontagnedefer.Nelefatiguepasavec
unepareilleguerre,carjenelaisseraipastraînerenlongueurcetteaffaire.
LorsqueMirinetAhrenentendirentparlerdetoutceci,d’Iliasetdupiègequ'ilpréparait,Mirinenvoyaau
Kaisarunmessageetluifitdire:Iliasn'estpasundragonquiselaisseprendredansunpiège,niunloupqu'on
peut tuer par une ruse etqui se tord quand on l'asperge de poison. Lorsque allias attaqueradans sa colère,
Farrukhzad,quiambitionnelapossessiondumonde,pleureradeslarmesdesang;attends-toidoncàcequecethomme
pleind'orgueilsetordedeterreursurlechampdebataille.
CesparolesrendirentsoucieuxleKaisar,etilpâlitenpénétrantleursmenéesténébreuses.IlditàFarrukhzad
:Tuesunnoblehomme,tuescommeunornementplacésurlefrontdecepays.Sachequ'Iliasestunvainqueurde
lions;quandilestencolère,ildevientunéléphantaucorpsd'airain;dis-moisituesdeforceàluttercontre
lui,etnecherchepasencelaàtefairehonneurenmetrompant;carsitunecroispaspouvoirluitenirtête,je
m'arrangeraiavecluiamicalement,jeleferairevenirparladouceur,jeverseraisurluidebonnesparolesetdes
trésors.
Guschtaspluirépondit:Pourquoitouscesdiscoursettoutecettehésitation?Quandjeseraimontésurmon
destrierdontlespiedsimprimentleurstracesdanslaterre,jenecrainspointtoutlepaysdesKhazars;maisil
nefautpasqu'aujourducombatilsoitquestiondeMirinetd'Ahren,carilsneporteraientdanslabatailleque
leurhainecontremoi,leurfaussetéetleur dispositiondigned'Ahriman.Quandl’arméedesKhazarssortiradeson
pays,prendsavecundetesfilslecommandementdemestroupes,etalors,parlaforcequem'adonnéeDieul’unique,
levictorieux,jem'avanceraiaveclesbravesetnelaisseraienvieniIliasnisonarmée;jedétruiraisagrande
puissance,sontrôneetsacouronne;jelesaisiraiàlaceinture,jel'enlèveraidudosdesoncheval,jerelèverai
jusqu'auxnuagesetlejetteraisurlesol.Lelendemain,lorsquelesoleileutparueteutréfléchidansl'eauson
bouclierd'or,lebruitdestrompetteséclataducôtédesKhazarsetlapoussières'élevadroitjusqu'ausoleil.Le
Kaisar,quiportaithautlatête,ditàGuschtasp:MaintenantfaisparaîtretestroupesetGuschtaspsortitdeRoum
;ilaperçutl'arméeetleshérosdesKhazarsdanslaplaine,s'avança,tenantunemassueàtêtedebœuf,semblableà
un cyprès élancé sur le bord d'uncourant d'eau, choisit dans la plaine son champ de bataille et fitvoler la
poussièrejusqu'auxnuages.QuandIliasvitlapoitrineetlastaturedecethommeetcommentsamainbrandissaitla
massue,ilenvoyauncavalierauprèsdeluipourtrompersonespritsubtil.Lemessagers'avançaetluidit:Ohomme
pleindefierté!nedéploiepastantdebravourepourleKaisar;carmaintenanttuesleseulcavalierdecette
armée, tu es sonprintemps, tu es son héros. Ecarte-toi du milieu des deux armées ;pourquoi te tiens-tu ainsi,
l'écumesurlalèvre?Iliasestunlionaujourducombat,ilviendraterejoindreplusrapidementquelapoussière
;situveuxdesprésents,ilestriche,etilestinutilequetuusestamaindanslesfatiguespourobtenirceque
tupeuxdésirer;choisisunepartdelaterre,ettuenseraslemaître;Iliasseratonamiettonsubordonné,etne
sedétacherajamaisdetonalliance.
Guschtaspluirépondit:ilesttroptard!Onaprononcédesparolessansmesure,tuascommencécettequerelle
etmaintenantturevienssurcequetuasdit;maislesdiscoursneserventplusàrien,ilesttempsdelutteret
d'engagerlecombatLemessagers'enretourna,allantcommelevent,etapportaàIliaslaréponsequ'ilavaitreçue
;maiscommelesoleilpâlissaitsurlacrêtedesmontagnes,ilétaittroptardpourlivrerunebataille;lanuit
vintetenveloppad'unvoilecouleurd’ébènelafacerougedusoleil.
COMBATDEGUSCHTASPETD’ILIAS,ETMORTDECEDERNIER.
Lorsquelesoleils'aperçutdecevoile,ilmontasursontrônedanslesigneduSagittaire;lasourcedujour
devintrougecomme la sandaraque, et partout s'éleva le bruit desclaironsetdestimbales.Onentenditdesdeux
côtéslefracasdesarmes,etlechampdebataillesetransformaenunfleuvedesang.LeKaisars'avançarapidement
surl'ailedroite,ayantlaissésesdeuxgendresauprèsdesbagages;àl'ailegauchesetenaitsonfilsSekil, à
l'ailedroiteleKaisaraveclestimbalesetleséléphants;lesdeuxarméess'ébranlèrentparescadrons;onaurait
ditquelaluneetlesoleilsecombattaient.Guschtasps'élançaau-devantdesrangs,montésurundestrier,tenant
danssamainuneépéesemblableàunserpent.
Iliasditauxsiens:LeKaisarmedemandedeluipayertribut,parcequ'iladanssacourundragonpareil;
c'estdelàqueviennentsesprétendions.EtGuschtaspditenvoyantIlias:C'estmaintenantqu'ils'agitdemontrer
sabravoure.Lesdeuxcavalierspoussèrentleurschevaux;ilsétaientarmésdelancesetdeflèchesquitraversaient
lescuirasses.Iliasfitvolerdesamainuneflèche,espérantfaireàGuschtasplapremièreblessure;maiscelui-ci
lefrappasurlacuirasseavecsalance,etlevaillanthérosblessaàl'instantsonennemi;ille précipitadeson
chevalcommeunhommeivre;puis,allongeantlebrasetluisaisissantlamain,ilremportaloindesescavaliers,en
le traînant, et, arrivé près du Kaisar, le jetadevant lui. Ensuite il conduisit ses troupes contre l'arméedes
Khazars,courantsurlaroutecommeunouragan,tuantetprenanttantd'ennemisquelemondeenrestaconfondu.Toute
l'arméede Roum s'étant précipitée après lui en poussant des cris, Guschtasps'arrêta pour la regarder, et s'en
retourna.IlrevintauprèsduKaisaraprèsavoirlancésestroupes,etparutdevantluivictorieuxetlatêtelevée.
QuandleKaisarlevitquitterl'arméeetparaîtresurlaroute,ils'avançadanssajoieversluiavecsestroupes,
le baisa sur la tête et sur les yeux, et se répandit engrâces envers le Créateur du monde. Ensuite ils s'en
retournèrentgaiement;lechefdel'arméeluiplaçasurlatêteundiadème,ettoutleRoumreçutleprinceavecdes
présents et des offrandes. Onpara la terre entière pour des fêtes, on fit venir du vin, de lamusique et des
chanteurs.Telleestlacoutumedusortquivarie,tantôtilt'abreuvedemiel,tantôtdepoison.
LEKAISAREXIGEDELOHRASPUNTRIBUTPOURL'IRAN.
C'estainsiquelecieltournapendantquelquetemps,cachantsesdesseins,danssoncœuretnelesmontrantpas
ouvertement. EnsuiteleKaisar,avidededomination,ditàGuschtasp:Demandeunepartiedumondependantquetu
vis.Réfléchissurmesparolesdanstonesprit,carc'estparlaréflexionqu'ilgranditetqu'iljouit.J'enverrai
unmessagerdansl'Iran,unhommed'expérience,sageetnoble,etjeferaidireàLohrasp:Tuesheureuxdeposséder
lamoitiédumondeetdedisposerdestrésorsdesgrands.Situveuxmepayertributpourtonpays,tupourrasjouir
detesrichessesetdetagrandeur;sinon,j'enverrailescavaliersduRoum,quiferontdisparaîtrelaterresous
lessabotsdefleurschevaux.Guschtasprépondit:Tuleveux,etlemondeestsouslaplantedetonpied.
OrilyavaitunhommeillustredunomdeKalous,unhommeprudent,sage,debonconseiletheureuxdansses
entreprises.LeKaisarl'appelaetluidit:Pars,vaàlacourduroietdis-lui:Situveuxpayertributpour
l'Iran,obéiràmesordresetabaissertatête,jetelaisserailetrôneetlacouronnedel'Iran,tuseraslemaître
dumondeàlafortunevictorieuse;sinon,j'aidestroupesnombreusestiréesduRoumetdudésertdescavaliers
armesdeélances.Prendsdoncgarde;laplaineretentiradubruitdesarmes,etFarrukhzadseraàlatêtedemon
armée;jedévasteraitonpaysentier,j'enferaiunrepairedelionsetdecrocodiles.Lemessagerpartit,rapide
commelevent,latêtepleinedesagesse,lecœurremplidejustice.
Quandilfutarrivéprèsdupuissantroi,ilvitcetteportesublimeetcepalaisélevé.Legrandchambellaneut
avisdesavenue,accourutauprèsduroietdit:Ilyaàlaporteunvieillardpleind'expérience,quiestsans
douteunmessagerduKaisar;ilamènebeaucoupdecavaliersillustres,etdemandeuneaudienceduroi.Acesparoles,
Lohrasps'assitsursontrôned'ivoireetposasursatêtesacouronnequiréjouissaitlescœurs,etlesgrandsde
l'Iran,auxcœursjoyeux,àlafortuneprospère,s'assirentsoussontrône.Ilordonnaalorsdeleverlerideaudela
porte et de faire entrer lemessager ; celui-ci se présenta devant le trône, rendit hommage auroi et le salua
humblement ; ensuite il s'acquitta du message dupuissantKaisar,maisenseconduisantlui-mêmeavecsagesseet
modération. Le roi fut blessé de ses paroles, il fut confondu decette tournure du sort. Il fit arranger
magnifiquementunappartement,etdemandaduvin,delamusiqueetdeschanteurs;ilenvoyaaumessagerdestapisde
brocart,desvêtementsetdelanourriture.C'estainsiqu'ill'accueillitpardesfêtes,commes'iln'avaitpasreçu
unmessagedeguerre;maisdanslanuitilsecoucha,setordantdanssessoucis;tuauraisditqueladouleuretle
chagrinétaientsescompagnons.
Lorsquelesoleilfutmontésursontrôned'oreteutdéchirédesesongleslajouedelanuitsombre,Lohrasp
fitappelerdevantlui.Zeriretluiparlalonguementdetoutechose.Al'aubedujour,Kalousdemandauneaudience,
etonl'admitauprèsduroi;onfitsortirdelasalleroyaletouslesétrangers,etl'onfitasseoirlemessager
devantLohrasp,quiluidit:Ohommepleindesens!puissentlesâmesnejamaisnourrirquedespenséesprudentes!
Jevaistefaireunequestion,donne-moiuneréponsevraie.Situesunhommesensé,tunetelaisseraspasallerà
l'enviederuser.AutrefoisleRoumn'étaitpassivaillantetleKaisarétaithumbledevantlesrois,etmaintenant
ilenvoiedanstouslespaysdesmessagerschargésderéclamerdestributs,ildemandelestrônesdesautres;c'est
ainsiqu'Ilias,quiétaitunhérosrenomméetbelliqueuxdanslepaysdesKhazars,aétésaisiparluietréduitavec
sonarméeenesclavage.Quiest-cequiamontréauKaisarcetteroutedel'ambition?Lemessagerrépondit:Oroi
pleindeprudence!c'estmoiquifusenvoyédanslepaysdesKhazarspourréclamerletribut;j'aieuàsupporter
biendumaldanscetteambassade,etpersonnenem'aadressédesquestionscommetufais;maispuisqueleroim'a
reçusicourtoisement,ilneseraitpasjustequejemepermissedeletromper.Uncavalierestarrivéauprèsdu
Kaisar,unvainqueurdelionsquiestsortidesforêts;ilseritdesplusbravesaujourdelabatailleetdes
coupesdevinautempsdesfestins;jamaisl'œildepersonnen'avuuncavaliercommeluiaucombat,aubanquetetà
lachasse.LeKaisarluiadonnélaplusbelledesesfilles,quiétaitsonplusprécieuxdiadème.Ilestlesujetde
touslescontesdansleRoum,carilatuéleterribledragon;ensuiteilyavaitunloupquiressemblait à un
éléphantdansledésert,etleKaisarn'osaitpasallerducôtéoùilsetrouvait:lejeunehommel’aabattu,luia
arrachélesdéfensesetenadélivrélepaysdeRoum.
Lohrasp lui dit :O homme véridique ! à qui ressemblecehérosbelliqueux,devantquiasuccombéleterrible
dragonetquiestdevenul'objetdescontesdupeupledeRoum?Kalousrépondit:Ondirait,aupremieraspect,qu'il
ressembleexactementàZerir,etl’onterépondraitsur-le-champquec'estlevaillantZeriravecsastatureetsa
mine,sasagesseetsonbonconseil.
Acesparoles,levisagedeLohrasps'épanouit,etilrépandittoutessesgrâcessurcethommedupaysdeRoum;
il luidonnaungrandnombred'esclavesetdescaissesrempliesd'or,etlelaissapartirdesacour,heureuxet
content,enluidisant:RapportemaintenantauKaisarquejeviensavecunearméeavidedecombats.
ZERIRPORTEAUKAISARUNMESSAGEDELOHRASP.
Lohrasprestalongtempsassis,absorbédanssespensées;ensuiteilfitappelerdevantluiZerir,àquiildit;
Cethommen'estautrequetonfrère;préparedoncunmoyend'arrangercetteaffaire,etnerestepasici.Si tu
tardes,ilensortirapournouslaruine;ainsinetereposepasetnedemandepasunchevalparesseux.Emmèneun
chevaldemain,remporteuntrône,desbottinesd'or,unecouronneetledrapeaudeKaweh.Jedonneraiàtonfrèrema
couronneetneluiimposeraipasdereconnaissancepourcela.Vad'icijusqu'àHaleb,prêtàlivrerbataille,etne
parleàtonarméequedecombats.LeSipehbebZerirrépondit:Nousdécouvrironscesecret.Sic'estlui,ilestle
maîtreetleroi,etlesplusgrandssontsessujets.
Ildit,etsemitàfairesespréparatifsetàchoisirunearméeillustre.Lespetits-filsd'hommespuissantset
nobles,deKaousetdeGouderzdelafamilledeKeschwad,ensuitelesfilsdeZerasp,Bahram,levainqueurdeslions,
etRivniz,enfinSchirouieh,leconquérantdumonde,etArdeschir,petit-filsdufieretvaillantGuivetfilsde
Bijen,deuxnobleslions,deuxhérosquiportaienthautlatête,deuxhommesderacepure;tousceschefsvinrent,
amenant,chacundeuxchevaux:ilsbrillaienttouscommeAdergouschasp,Onnes'arrêtapasjusqu'aupaysd'Haleb,et
le mondefutremplidecombatsetdubruitdeshommesetdesarmes.Onplantaledrapeauimpérial,ondressades
tentes et leurs enceintes, et leSipehbed Zerir plaça l'armée sous les ordres de l'orgueilleux Bahram. Lui-même
partitdéguisécommeunhommequiporteunmessageouunebonnenouvelleàunroi;ilemmenaavecluicinqdeses
amis,deshommesdesens,prudentsetbraves.
ArrivéauprèsdupalaisduKaisar,ilfutaperçuparlegrandchambellan,quisetenaitsurlaporte;leKaisar
lui-mêmeétaitdanslepalais,sonhumeurétaitsombre,etKalousetGuschtaspétaientaveclui.QuandleKaisar
entenditannoncerunenvoyé,ilordonnadelefaireentrer,etGuschtaspfutbienaisedecettearrivée.Zerirentra,
semblableàuncyprèsélancé,ets'assitenfacedutrônedunobleprince.Ildemandadesnouvellesdelasantédu
Kaisar, lui adressasesexcusesetfitdespolitessesàtousleshommesdeRoum.LeKaisarluidit:Tun'aspas
adressélaparoleàFarrukhzad,lajusticeestétrangèreàtoncœur.LenobleZerirréponditauKaisar:C'estun
esclavequis'estlassédesaservitude;ils'estenfuidupalaisduroi,etmaintenantjeletrouvedanscehaut
rang.Guschtaspl'écoutasansrépondre,sansdouteparcequ'ilpensaitàl'Iran;maisleKaisar,enentendantces
parolesdujeunehomme,sentitlereposdesonâmetroublépardessoupçons,etseditqu'ilfallaitpourtantquece
discoursn'exprimâtaufondquelavérité.
Ensuite il reprit : O messager, annonce-nous lesnouvelles que tu apportes, qu'elles soient hostiles ou
amicales.ZerirdonnaauKaisarlemessagedeLohrasp:Quandceluiquidoitrendrelajustices'endétourne,ilne
trouveraplusnullepartunlieuderepos;sidonctut'écartesdel’anciennecoutume,j'établiraidorénavantle
siègedemonempireàRoumetnelaisseraipasbeaucoupdemondedansl'Iran.Ainsi,parsd'ici,ouprépare-toiau
combat ; tu as entendu mesparoles, décide-toi, car l’Iran n'est pas le pays des Khazars, etmoi je ne suis pas
Ilias,aupouvoirduqueletdesacourtut'essoustrait.LeKaisarrépondit:Jesuistoujoursprêtàcommencerle
combat. Aujourd'hui tu es un ambassadeur ; retournedoncensûreté ; il ne nous reste qu'à préparer unchamp de
bataille.ZerirécoutalaréponseduKaisar,enfutblesséetpartitsansretard.
GUSCHTASPS'ENRETOURNEDANSL'IRANAVECZERIR,ETLOHRASPLUIABANDONNELETRONE.
Zerirs'étantlevé pourpartir,leKaisardemandaàGuschtasppourquoiiln'avaitpasfaitentendreuneréponse.
Guschtasp lui dit : J'ai été autrefois au service du roid'Iran, et toute l'armée et toute la cour du roi
reconnaissent meshauts faits. Il vaut donc mieux que je me rende auprès d'eux, que jeleurparleetquejeles
écoute.J'obtiendraid'euxtoutcequetudésires,jeferaibrillertonnomdanslemondeentier.LeKaisarrépondit
:Tuesleplussagedeshommesetlepluscapable defaireréussirmesdésirs.
Guschtasp,ayantécoutécesparoles,montasurunchevalardentetserenditaucampdeZerir,undiadèmesurla
tête,unchevalauxpiedsdeventsouslui.LorsquelestroupesaperçurentGuschtasp,lefilsorgueilleuxdeLohrasp,
ellesseportèrentàsarencontreàpied,lecœurpleindedouleur,levisageinondédelarmes.Tousseprosternèrent
devantlui,joyeuxdecequeleurspeines,quiavaientdurésilongtemps,étaientterminées.Aussitôtqu'ilfutprès
deZerir,ilmitpiedàterre,lasdecesluttes;illeserradanssesbrascommeunfrèreaîné,et,aussitôtqu'il
putparler,ilsemitàluifairedesquestions.Ilss'assirentsurletrône,entourésdesgrands,despuissantset
deshérosdel'Iran.LefortunéZerirditàGuschtasp:Puisselebonheurêtretoncompagnonpendanttoutetavie!
Notrepèreestvieux,tuesjeunedecœur!Pourquoiévites-tulesregardsdesvieillards?Notrepèreestmalàson
aisesurcetrône,ilsetourneversladévotionenversDieuletrèssaint.Ilt'envoieuntrôneetdestrésors,etil
est inutile que tu exposes ton corps auxfatigues. Il a dit que l'Iran entier était à toi ; à toi le trône,la
couronne et l'armée ; qu'un coin lui suffisait dans le monde, etqu'unautrequeluidevaitoccuperletrônedu
pouvoir.
AlorsZerirluifitapporterlamagnifiquecouronne impériale,lesbracelets,uncollieretletrôned'ivoire.
LorsqueGuschtaspvitletrônedesonpère,ilmontadessus,lecœurjoyeux,etplaçasursatêtelacouronne.Les
petits-fils de Keï Kaous, qui avait étéle maître du monde, tous les descendants fortunés de Gouderz, telsque
Bahram,SchapouretRivniz,tousceuxquiavaientunedistinctionquelconque,luirendirenthommagecommeàleurroi
etl'appelèrentroidelaterre,ettousleshommesdeguerresetinrentdeboutdevantluidansleursarmures.Quand
Guschtaspvitcesbonnesdispositions,cettedéterminationetcetaccomplissementdesesdésirs,ilenvoyaauKaisar
un message et lui fit dire : Toutce que tu peux désirer de l'Iran est accompli, et les paroles quej'entends
dépassenttouteespérance.Zeriretl'arméecomptentquetuviendrasenpompedanscelieu;tousselierontàtoi
paruntraité,tousdonnerontleurvieengagedeleurloyauté.Situnecrainspaslafatigue,traverseledésert,
carlesaffairesdecemondevontàtongré.
LorsquelemessagerfutarrivéauprèsduKaisar,illuiracontatoutcequ'ilavaitvuetentendu,etleKaisar
selevaaussitôt,montaàchevaletpartit.Ilcourutainsijusqu'àcequ'ilfûtarrivéauprèsducampdesIraniens,
auprèsdeleursbravesetdeleurslions.Guschtasplevit,selevaàl'instant,demandaàsesserviteursunchevalde
main,allaau-devantdelui,leserrasursapoitrineetluiadressaunelongueallocution.LeKaisarreconnutalors
queFarrukzad était Guschtasp, quidonnaitdel'éclatàlacouronnedeLohrasp;illecombladelouanges et lui
rendithommage;ensuiteilss'enretournèrentversletrône.LàleKaisars'excusadecequ'ilavaitfaitautrefois,
cariltremblaitdevantcetteétonnantefortune.Leroiacceptasesexcuses,serrasatêtecontresapoitrineetlui
dit:Quandl'airdevientsombre,ilfautrallumerdesflambeaux.Envoie-moicellequim'achoisi,carelleapartagé
mesdouleursetmeslonguespeines.
LeKaisars'éloigna,souffrantdefatigueetdehonte,eténumérantdanssoncœurméchantbiend'autresgriefs.
IlenvoyaàKitaboundestrésors,undiadèmerougeetcinqrubis,milleesclavesetservantesdeRoum,uncollier
orné de joyauxdignes d'une reine. cinq charges de chameaux de brocart chinois, etun homme intelligent, comme
gardiendecestrésors.Ensuiteunenvoyéremitauroietcomptaunàundevantsontrésorierdeschevaux arabes
caparaçonnés,descottesdemailles,desrobesd'étoffeindienne,del'or,desbrocarts,descouronnes,dessceauxet
toutcequel'onacoutumedefairevenirduRoumetdelaChine; il fit distribuerdesarmesetdel'argentà
l'arméedel’Iranetenvoyabeaucoupdeprésentsauxgrandsdecepays,àquiconqueétaitdelaracedesKeïanides,à
quiconque était unPehlewan,frappant de l'épée, portant haut la tête ; il voulutquechacuneûtsapart,etil
accompagnatouscesdonsd'actionsdegrâcesadresséeàceluiquiavaitcrééletempsetl'espace.
LorsqueKitabounfutarrivéeauprèsduroi,lebruitdestimbaleséclataàl'entréedesoncamp,l'arméesemit
enrouteversl'Iranetlapoussièresoulevéeparleschevauxenvahitlesairs.LeKaisarl'accompagnapendantdeux
journées,maisalorsGuschtaspdétournalesrênesdesonchevalardent,illerenvoyadecepaysenluijurantamitié
;illefitretournerversleRoumencomblantsesvœuxetdisant:Aussilongtempsquejevivrai,jenedemanderai
pas de tribut du Roum, car j'ai été heureux dans cepays. Il continua sa route en toute hâte, jusqu'à ce qu'il
touchâtl'Iran,qu'ilarrivâtdanscepaysdeshérosetdesbraves.QuandLohraspappritqueZerir,lesgrandset
Guschtasplevaillantlion,arrivaient,ilallaau-devantd'eux,accompagnédetouslesprinces,detousleshommes
puissantsetillustresdupaysdel'Iran.Guschtaspdescenditsur-le-champdecheval,baisalaterreettémoignasa
joie,etLohrasp,envoyantsonfils,leserracontresapoitrineetselamentadetoutcequelesortluiavaitfait
souffrir.Ilsarrivèrentaupalaisdesrois;ilsbrillèrentcommelesoleildanslesigneduPoisson.Lohraspdità
sonfils:Nem'enveuxpas,carc'étaitlavolontéduCréateur.Ilétaitécritenhautquetudevaisquitterton
pays.Ill'embrassa,luiposalacouronnesurlatête,luirendithommageetfutheureuxdelerevoir.Guschtasplui
dit:Oroi!puisselemonden'êtrejamaisprivédetoi!Sihautquetum'élèves,jeresteraitoujourstonsujetet
jem'efforceraiàmarcherdanslapoussièrequimarquelestraces de tespieds.Puissetonsortresterheureux;
puissions-nousnejamaisêtreprivésdetonglorieuxnom!L'empiredumonden'appartientlongtempsàpersonne,et
tantqu'onlepossèdeilaccabledefatigue.
Telestlemondeinstable!Nesèmepaslagrainedumal,autantquetupeuxt'enempêcher.JeprieleSeigneur,
Dieul'unique, de me laisser assez longtemps sur la terre pour quej'achève dans mon beau langage ce livre des
anciensrois;ensuitemoncorpsquiaétévivantappartiendraàlapoussièreetmonâmeéloquenteausaintparadis.
XV.
GUSCHTASP.
(Sonrègnedura100ans.)
FIRDOUSIVOITDAKIKIENSONGE.
Unenuitlepoèterêvaitqu'iltenaitenmainunecouperempliedevinparfumécommedel'eauderose.Toutà
coupDakikiparutdevantluietsemitàluiparlerdecettecoupedevin.IlditàFirdousi:Neboisduvinque
selonlamanièredeKaousleKeïanide,cartuaschoisipourmaîtredanscemondeunroiàquilesortjettedes
couronnesdesdiadèmesetdestrônes:Mahmoud,leroidesrois,leconquérantdesvilles,quifaitparticiperchacun
àsafortuneroyale,dontlestrésorsnediminuerontpas,dontlespeinesn'augmenterontpasd'iciàquatre-vingt-
cinq ans, qui mènera son armée en Chine, à qui tous lesprinces ouvriront la route et qui n'a besoin de parler
durement àpersonne, car toutes les couronnes des rois tomberontelles-mêmes dans sa main. Tu as fait quelques
progrèsdanscelivre,etmaintenanttuasatteinttoutcequetudésirais;etmoiaussij'avaisdelamêmemanière,
avantlui, commencé ce poème ; si tu retrouvesmes vers, nesois pas avareenvers moi ; j'avais composé mille
distiquessurGuschtaspetArdjasplorsquemavies'estterminée;maissicetrésorarriveauprèsduroidesrois
monâmes'élèveradelapoussièrejusqu'àlalune.Jevaisdoncrépéterlesparolesqu'iladites,carjesuisenvie
etluiestlecompagnondelapoussière.
LOHRASPSERETIREABALKHETGUSCHTASPMONTESURLETRONE.
LorsqueLohraspeutdonnésacouronneàGuschtasp,ildescenditdesontrôneets'apprêtaàpartir.Ilserendit
à Balkhlachoisie,danscetempleduNoubeharquiétaitalorspourlesadorateurs du feuunlieu de pèlerinage,
commelaMecquel’estaujourd'huipourlesArabes.Cethommepleindedévotionserenditdanscetemple,s'yétablit
etseceignitdukoschti.Ilfermalaportedutempleglorieux,ilnesouffritaucunhommed'uneautrereligiondans
sonenceinte;ilrevêtitlarobedelindesprêtres;c'estainsiqu'ilfautadorerl'Intelligencesuprême.Ilse
dépouilladesesbracelets,laissapendresescheveuxnonfrisésettournasonvisageversleJuge,ledistributeur
delajustice.IlrestaainsitrenteansdeboutdevantDieu;c'estdecettemanièrequ'ilconvientdel'adorer.Il
adressasanscessedesprièresausoleil:telleavaitétélacoutumedeDjamschid.
LorsqueGuschtaspfutmontésurletrônedesonpère,qu'ileuthéritédesapuissanceetdesahautefortune,il
plaçasursatêtelacouronnequ'ilavaitreçuedeLohrasp.Oqu'unecouronneornebienlatêted'unhommenoble!Il
dit : Je suis leroi, l'adorateur de Dieu le très saint qui m'a donné ce diadème. Ilme l’a donné, ce puissant
diadème, pour que je pusse chasser lesloups du troupeau des brebis. Ma main ne s'appesantira pas sur ceuxqui
m'aideront ; je ne rendrai pas étroite la terre aux hommesnobles, et, à mesure que j'appliquerai les règles de
conduitedesrois,jeramèneraiaucultedeDieulesméchants.Etilrenditlajusticedetellefaçonquelesbrebis
pouvaientboireauruisseauàcôtédesloups.
Plustard,lafilleillustreduKaisar,dontlenométaitNahidetàquilepuissantroiavaitdonnélenomde
Kitaboun,mitaumondedeuxfilssemblablesàdeslunesbrillantes.L'und'euxétaitlefortunéIsfendiar,unprince
guerrier,uncavaliervaillant;l'autreétaitBeschouten,unhérosquifrappaitdel'épée,unprinceillustre,un
destructeurdesarmées.Lorsqueceroieutsoumislemonde,ilvoulutêtreunautreFeridoun;touslesroislui
payèrent tribut, et il s'attacha les cœurs de tous ceux quiavaient de la loyauté. Seulement le roi Ardjasp, le
maîtreduTouran,devantlequellesDivssetenaientcommedesesclaves,nefîtpasparvenirsontributetnevoulut
recevoiraucunavis;maiss'ilrefusad'écouterdesconseils,ilfutobligédesubirdeschaînes.Ardjaspdemandait
mêmetouslesansuntributauroi;maispourquoipayertributàceluidontonestl'égal?
ZERDOUSCHTPARAÎTETGUSCHTASPADOPTESARELIGION.
Quelquetempss'étantainsipassé,unarbreparâtsurlaterre,unarbrequipoussadanslepalaisdeGuschtasp,
s'élevantjusqu'autoit,avecdesracinesabondantesetdesbranchesnombreuses;sesfeuillesétaientdesconseils,
son fruit étaitl'intelligence, et comment pourrait mourir celui qui s'en nourrirait? Les traces de ses pieds
étaientbénies,sonnométaitZerdouscht:c'estluiquiatuéAhrimanquifaitlemal.Ilditauroidumonde:Je
suisleprophète,jesuistonguideversDieu.Ensuiteilapportaunbassinremplidefeu,disant:Jel'aiapportédu
paradis,etleSeigneurdumondetedit:Acceptelafoi,regardececieletcetteterre,quej'aicrééssansargile
etsanseau,regarde-les,pourvoircommentjelesaifaits.Réfléchisàquiilseraitpossibledecréerdeschoses
pareilles,sicen'estàmoiquisuisleSeigneur.Situreconnaisquec'estmoiquiaicréécemonde,ilfautquetu
m'appellesleCréateur.Acceptedemonmessagersabonnecroyance,apprendsdeluisavoieetsonculte,aiesoinde
fairecequ'iltedit,choisispourguidel’intelligenceetmépriselemonde.Apprendslevraiculteetlareligion
véritable,carlaroyauténevautriensanslacroyance.
Lorsqueleroiexcellententenditdeluilabonnedoctrine,ilacceptadeluilavraievoieetlevraiculte;
sonvaillantfrère,lefortunéZerir,quiabattaitlesplusterribleséléphants,ensuitelevieuxroidesrois,qui
s'étaitretiréàBalkh,parcequesoncœurblesséavaittrouvéamerlemonde,enfinleschefs,lespuissants,les
savants,lesmédecins,lessagesetlesbravesserendirenttousauprèsduroidelaterre,seceignirentdukoschti
etseconvertirentàlanouvellefoi.AlorssemontrèrenttouteslesgrâcesqueDieuaccorde,lemaldisparutducœur
desméchants,lecultedesidolespéritetceluidufeus'étendit,lestombeauxseremplirentdelumièredivine,les
semencesfurentpuresdetoutesouillure.LenobleGuschtaspmontasursontrôneetenvoyadesarméesdanstoutesles
partiesdelaterre;ilfittraverserlemondeentierpardesMobeds,etfonda,selonlesrègles,destemplesdu
feu.Ilétablitd'abordlefeubrillantdeMihr;regardequelculteilfondadanstouslespays!Ilyavaitun
noble cyprès venu du paradis ;Guschtasp le planta devant la porte du temple du feu, écrivit surcet arbre que
Guschtaspavaitadoptélabonnecroyance,etilpritpourtémoinlenoblecyprèsquec'estainsiqu'ilrépandaitla
foidonnéedeDieu.
Quelquesannéespassèrent,lecyprèscontinuaàcroître,etdevintsigrandqu'onn'auraitpaspuentourerson
troncavecunlacet;lorsqu'ileutpoussébiendehautesbranches,leroijetaautourdel'arbrelesfondementsd'un
palais haut dequarante coudées et large de quarante, dans lequel on n'employadepuis les fondations ni eau ni
argile.Ilyconstruisitunesallecouverted'orpurdontlesmursétaientd'argentetlesold'ambre;ilyfit
sculpterDjamschidadorantlesoleiletlalune,ilyfitreprésenterFeridounavecsamassueàtêtedebœuf,etles
figuresdetouslesgrands.Regardequiajamaisdonnéunepareillepreuvedepuissance!Lorsquecepalaisd'orfut
achevédanstoutesabeauté,leroidelaterreenincrustalesmursdepierreries,entoural'édificed'uneenceinte
deferetenfitsarésidence.Ensuiteilenvoyapartoutcemessage:Oùdanslemondesetrouve-t-ilquelquechose
qui ressemble au cyprès de Kischmer ?Dieu me l'a envoyé du paradis et m'a fait dire que c'est de ce lieuque
j'entrerai au paradis. Maintenant, vous tous qui entendez monconseil, rendez-vous à pied devant le cyprès de
Kischmer;adoptezlavoiedeZerdouscht,ettournezledosauxidolesdelaChine.Ceignez-voustousdukoschtiau
nomduroidesIraniensetparrespectpourlui;nepensezàvosanciennescoutumes,reposez-voustousàl'ombrede
cecyprès,etdirigez-vous,selonl’ordreduprophètevéridique,versletempledufeu.
Ses ordres furent répandus dans le monde entier,parmi les grands et parmi les princes, et tous ceux qui
portaientdescouronnesserassemblèrent,selonsavolonté,autourducyprèsdeKischmer;c'estainsiquecelieu
d'adorationdevintunparadis,etZerdouschtyenchaînaleDiv.Appellelecyprèsarbreduparadis,situnesaispas
pourquoituluidonneraislenomdecyprèsdeKischmer.Pourquoinerappellerais-tupasrejetonduparadis,carqu'y
a-t-ildanslemondequiressembleaucyprèsdeKischmer?
GUSCHTASPREFUSEAARDJASPLETRIBUTDEL'IRAN.
Quelquetempss'étantainsipassé,lemaîtreâgéseprésentadevantleroi.LevieuxZerdouschtditauroidu
monde:Iln'estpasconvenablepournotrereligionquetupayestributaumaîtredelaChine,cen'estpasdignede
notre foi. Je ne puis yconsentir ; car nos rois, dans les temps anciens, n’ont jamais payéun tribut et des
redevances aux Turcs, qui étaient un peuple sansreligion, sans puissance et sans force. Guschtasp accueillitce
discoursetrépondit:Jenelaisseraipluspayeraucuntribut.UnvaillantDiveutnouvelledecequisepassait,se
renditàl'instantauprèsduroidelaChineetluidit:Oroidelaterre!danslemonderentierlespetitsetles
grandsobéissentàtesordres,etpersonnen'osesesoustraireauxtraitésquetuluiasimposés,sicen'estlefils
deLohrasp,leroiGuschtasp,quiveutconduireunearméecontrelesTurcs,quideplusaétabliunenouvellerégion
etarenoncéàlavoiedesadorateursdesidoles.Ilmontreouvertementtoutesoninimitié,iloseraprétendreàêtre
indépendantdetoi.Orj'aiplusdecentmillecavaliersquejet'amèneraitous,situledésires,pourquenous
examinionscequ'ilfait,etgarde-toibiend'avoirpeurdelecombattre.
QuandArdjasp,lemaîtredesTurcs,entenditlesparolesduDiv,ildescenditdesontrône;l'inquiétudesur
Guschtasplerenditfaibleetmalade,etilfutremplidecrainteduroidelaterre.Ensuiteilrassemblatousses
Mobedsetleurrépétatoutcequ'ilavaitappris,disant:Guschtaspaquittél'ancienculteetlafoi;lasagesse
et la sainte grandeurquirésidaientenlui l’ont abandonné. Un vieux fous'estprésentédevantluidansl'Iran,
prétendant être un prophèteet lui disant : Je viens du ciel, je viens d'auprès du Maître dumonde. J'ai vu le
Seigneurdansleparadis,quiaécrittoutceZendavesta;j'aivuAhrimandansl'enfer,maisjen'aipaspusupporter
sonvoisinage;alorsleSeigneurm'aenvoyéauprèsduroidelaterrepour luienseignerlareligion.Lechefdes
grandsdupeupleded'Iran,lepuissantfilsduroiLohrasp,quelesIraniensappellentGuschtasp,s'estceintdu
koschti;ensuitesonfrère,levaillantcavalier,leSipehdardel'Iran,dontlenomestZerir,quiparmisesbraves
atoujoursétécommeunpèreetparmisesscribescommeunœil,ettouslesautres,ontexaminésadoctrineetonteu
peurdecevieuxmagicien;ilsonttousadoptésareligion,lemondes'estégarédanssavoieetsonculte.
C'estpardetelsmensongesetdetellesfoliesquelevieillardaréussiàs'établirdansl'Irancommeprophète.
Ilaordonnéauroideplanterdesamainuncyprèsetafermélavoieancienneparladoctrinequ'ilaapportée.Il
amontréàceroiorgueildeuxunbassinremplidefeuetunlivre,etluiadit:CeciestleZendavesta,etc'està
cefeuquedoivents'adresserlesprières.Ilfautmaintenantécrireunelettreàcethommequisesoustraitàmes
ordres,ilfautluifairebeaucoupdeprésents,carlesprésentsqu'onn'apasdemandéssontbienreçus,etluidire
dequittercetteroutedeperdition,etdecraindreleMaîtreduparadis,d'éloignercevieillardimpieetdecélébrer
unefêteselonnotremanièreantique.S'ilsuitnotreconseil,satêteetsespiedséchapperontànoschaînes;mais
s'il refuse de nousécouter, s'il échange son ancien visage contre un nouveau, nous rassemblerons nostroupes
dispersées,nousconduironsdanslaplaineunegrandearmée,nousentreronsdansl'Iranpourdétruiresonœuvre,nous
n ecraindrons pas son inimitié et sa résistance, nous le pousseronsdevant nous et nous l'abaisserons, nous le
lieronsetlependronsvivantaugibet.
LETTRED'ARDJASPAGUSCHTASP.
LesbravesdelaChinefurentdesonavis;ilschoisirentparmieuxdeuxhommes,dontl’unétaitlepuissant
Bidirefsch,unvieuxetvaillantmagicien,unlouphargneux;l'autreétaitunmagiciendunomdeNamkhast,etdontle
cœurnecherchaitqueladestruction.
Ardjaspécrivitunebellelettre,pleinededignité,àl'illustreKhosrou,quiavaitembrassélanouvellefoi.Il
écriviteninvoquantleMaîtredumonde,quiconnaîtcequiestcachéetcequiestouvert,etdisantquec'était
Ardjasp,lechefdesbravesdelaChine,lecavaliermaîtredelaterre,lehéroschoisi,quiadressaitunelettre
digned'unroiauchefdescavaliersdel'Iran,auvaillantGuschtasp,roidumonde,auKeïanideillustreetdignedu
trône,aupossesseurdelaterre,augardiendutrône,aufilsaînéetpréféréduroiLohrasp.Ilditdans cette
lettreroyaleremplied'hommagesetécriteencaractèresturcs:Oillustreroidumonde,toiquientouresdegloire
lacouronneduroidesrois,puissetatêteresterjeuneettonâmeettoncorpsrestersains!Puissentlesreinsdu
Keïanide ne jamaisfléchir!J'aientenduquetuaschoisiunevoieperverse,ettuasobscurcipourmoilejour
brillant.Ilestvenuunvieillard,ungrandfourbe,quit'aremplil'âmedecrainteetdeterreur;ilt'aparléde
l'enferetduparadis,etaeffacédetoncœurtoutejoie;tul’asaccueilli,luietsadoctrine,tuluiasaplanila
voie ettu as célébré son culte ; tu as rejeté les coutumes de tes ancêtres,les grands de la terre qui t'ont
précédé,tuasdétruitlareligiondesPehlewans;pourquoin'as-tupasregardédevantetderrièretoi?Tuesle
filsdeceluiqueleroibienheureuxKeïKhosrouachoisiaumilieudesonarméepourluidonnerlacouronne;le
Créateur, Ormuzd letout-puissant, qui a formé le ciel et la terre, t'a choisi parmi sesélus et t'a donné une
majestéplushautequ'aufilsdeDjamschid.KeïKhosroulevindicatifettoiavezjouideplusgrandshonneursque
touslesKeïanides.Oprinceorgueilleux!lepouvoir,laroyauté,lafortune,lapuissance,lamajesté,lagrâce,
desdrapeauxbrillants,deséléphantsparés,unegrandearméeetdestrésorsinépuisables,toutt'aétéaccordé,et
touslesroissesontsoumisàtoi;tuasbrillédanslemondeentiercommelesoleilaumoisd'Ardibehischtdansle
signeduBélier;Dieut'achoisidanslemondeentier,ettouslesprincessetiennentdevanttoideboutcommedes
esclaves.
Maistun'aspasadoréleSeigneurdumonde,tun'aspassutrouverlavraieroute,ôhommeégaré!etlorsque
Dieueutfaitunroidetoi,unvieuxmagicient'afaitdévierdelavoie.Quandlanouvellem'enestarrivée,j'aivu
enpleinjourlesétoiles,etjet'écriscettelettreamicale;carnousavonsétéamisetsoutiensl'undel'autre.
Lorsquetuauraslucettelettre,lave-toilatêteetlecorps,nevoisplusjamaiscetimposteur,détachelekoschti
donttut'esceint,etcommenceàteréjouiravecduvinbrillant.Nerejettepaslescoutumesdesroistesancêtres,
lespuissantsmaîtresdumonde,quit'ontprécédé.Situteconformesàcebonconseil,ilnet'arriveraaucunmalde
lapartdesTurcs,etlepaysdeKaschan,laChineetlepaysdesTurcsserontàtoitoutcommel'Iran.Jetedonne
cestrésorsinfinisquej'aiaccumulésavectantdepeines,deschevauxauxcouleursdebonaugure,auxcaparaçons
d'oretd'argent,auxbridesornéesdepierreries;jet'enverraidesesclaveschargésdeprésents,debellesfemmes
auxcheveluresparées.Maissiturepoussesmonconseil,tespiedsserontprisdansmeschaînesdefer;jepartirai
unmoisoudeuxaprèscettelettre,jedévasteraientièrementtonpays;j'amèneraiunearméedeTurcsetdeChinois
dontlestentesseront sinombreusesquelaterre nepourralesporter;jerempliraidemusclelitduDjihoun;
j'épuiserai l’eau de la mer avec des outres ; je brûleraiton palais couvert de sculptures ; je te détruirai
entièrement,racinesetbranches,jedévasteraitonpaysparlefeud'unboutàl'autre;jecoudraiavecdesflèches
tousvoslinceuls.TouslesvieillardsparmilesIraniensquinevalentpluslapeinequ'onenfassedesesclaveset
dontonnepeutplustirerungrandprix,jelesdécapiteraitous;j'emmènerailesfemmesetlesenfants,etenferai
desesclavesdansmonpays;jeferaiundésertdevosterres,j'arracheraiparlesracinestousvosarbres.J'aidit
maintenantdepuis le commencement jusqu'à la fin tout ce que j'avais à dire ;médite profondément cette lettre
d'exhortation.
ARDJASPENVOIEDESMESSAGERSAGUSCHTASP.
LorsqueleDestourduroieutterminélalettre,enprésencedetouslesgrandsdel'armée,Ardjasplaplia,y
apposasonsceau,laremitàcesvieillardsdupaysdesmagiciensetleurdonnasesordres,disant:Soyezprudents,
rendez-vousensembledanssonpalais;quandvousleverrezassissursontrôneetàsaplaced'honneur,courbez-vous
jusqu'àterre,saluez-lecommeonsaluelesrois,sansjeterunregardsursacouronneetsontrônedeKeïanide ;
quandvousserezassisdevantlui,alorslevezvosyeuxverssacouronnebrillante,acquittez-vousdemonmessagequi
porte bonheur et écoutezattentivement sa réponse. Quand vous l'aurez entendue jusqu'au bout,baisez la terre et
parlez.
Bidirefsch,avidedevengeance,quitta ArdjaspetdirigeasondrapeauversBalkhlacélèbre,accompagnédeson
amiNamkhastlepervers,queceuxquicherchaientunebonnerenomméedevaientéviter.ArrivésdupaysdeTouranà
Balkh,ilsdescendirentdechevaldevantlepalaisduroi;ilsallèrentàpiedjusqu'auprèsdeluietjusqu'àceque
leursyeuxtombassentsurleseuildelasalled'audience.Quandilslevirent,assissursontrône,brillantdanssa
place d'honneur comme le soleil, ils se prosternèrent commedes esclaves devant le Keïanide, le roi d'unpeuple
heureux,et lui remirent la lettre royale écrite en caractères turcs. Le roiayant déplié cette lettre, en fut
confonduetsemitàtremblerdecolère;ilfitappelerl'illustreDjamasp,quiétaitsonguide,etlesélusde
l'Iran,lesSipehbeds,lesgrandspleinsd'expérienceetlesMobeds.Ilappelaauprèsdeluitouscesgrandsetils
apportèrentleZendavesta;ilappelaZerdouscht,sonprophèteetsonMobed,etZerir,sonbien-aimé,lechefdeson
armée.LeSipehbedZerirétaitsonfrère,lechefdesbravesdesonarmée;ilétaitalorsPehlewandumonde,car
Isfendiar le cavalierétait encoretrop jeunepour cette dignité ; il était l'asile du monde et le soutien de
l'armée,etcommandaitauxtroupescommeleroilui-même;ilavaitdélivrélaterredesméchants, et danschaque
combatonvoyaitsalance.AlorslemaîtredumondeditàZeriretauvaillantetfortunéDjamasp:Ardjasp,lechef
desTurcsdelaChine,m'écritunelettrequevoici,etilleurmontralesparolesrudesqueleroidesTurcslui
avaitadressées,ajoutant:Quepensez-vousdececi,quedites-vous,quelleetquandseralafindecetteaffaire?
Quelmalheurd'avoirétél'amid'unhommequipossèdesipeudesagesse!Moijesuisdelaraced'Iredjlesaint;
et lui est de la race de Tour lemagicien. Comment pourrait-il y avoir entre nous la paix quepourtant j'avais
espérée?Quiconqueadebonsavisàdonner,qu'illesdonnedevanttous!
ZERIRRÉPONDAARDJASP.
Pendantqueleroiprononçaitcesparoles,leSipehdarZeriretIsfendiartirèrentleursépéesets'écrièrent:
S'ilyaquelqu'undanslemondeentierquirefusedereconnaîtreZerdouschtcommeprophète,quineveuillepasse
soumettre à sesordres, qui ne vienne pas à la cour du bienheureux roi, qui ne setienne pas, ceintcomme un
serviteur,devantsontrônebrillant,quin'adoptepasdeluilavraievoieetlabonnedoctrine,quinesoitpasle
serviteurdelavraiereligion,nousluiferonsrendrel'âmeavecnosépées,noussuspendronssatêteauplushaut
gibet. Zerir, le Sipehdar de l'Iran, le vaillantcavalier, le lion bondissant, dit au roi de la terre : Oroi
illustre!situveuxm'endonnerlapermissionjerépondraiàArdjasplemagicien.LeroiGuschtaspyconsentitet
luidit:Ehbien,pars;fais-luisur-le-champuneréponse,etfais-laluitellequ'ellebrûletouslesbravesde
Khallakhcommeuncharbonardent..
Zerir,lenobleIsfendiaretDjamasp,leDestourheureuxentoutechose,lequittèrenttouslestroisensemble,
leursvisagesfroncés,leurscœurspleinsdecolère.IlsadressèrentàArdjaspunelettresévère,uneréponsetelle
quesalettrel'avaitméritée.LeSipehbedZerirlapritdanssamainetl'emportatoutouverteetsanslaplier.Il
laportaauroietlaluilut,etGuschtasp,lemaîtredumonde,restaconfondud’admirationpourlesageSipehbed
Zerir,lecavalier,pourDjamaspetIsfendiar,lefilsduroi.Ilfermalalettreetécrivitsonnomdessus;on
appelaauprèsdeluilesmessagers,etilleurdit:Prenezmaréponseetportez-la-lui,etnemettezplusjamaisles
piedssurlecheminquiconduitchezmoi;sileZendavestanegarantissaitpasdetoutmallesmessagers,jevous
auraisréveillésdevotresommeil,jevousauraispendusvivantsaugibet.Puissecethommesansvaleurapprendrepar
toutceciqu'ilnedoitpointleverlatêteenfaceduroi!
Illeurjetalalettreenajoutant:Partez,etportezceciàceTurcmagicien;dites-luiquesaperte est
proche,quelemomentarriveoùl'eauetlaterreluimanqueront.Puissesoncouêtrefrappéetsataillebrisée,
puissentsesosêtredispersésdanslaterre!S'ilplaîtàDieu,jerevêtiraipourlecombatencoredanscemois-ci
macottedemaillesdefer,jemèneraimonarméedansleroyaumedeTouran,jedévasterailepaysdesKergsars.
LESENVOYÉSD'ARDJASPS'ENRETOURNENTAVECLARÉPONSEDEGUSCHTASP.
Leroidelaterre,ayantterminésondiscours,fitappelerSiyah-Piletluiconfiatesdeuxguerrierschinois,
endisant:Emmène-lesetconduis-leshorsdel'Iranetau-delàdenosfrontières.LesenvoyésduSipehdardela
Chinequittèrentlemaîtredumonde,roidelaterre,humiliés,renvoyésettraitésavecméprisparGuschtasp.Ilsse
rendirentdelavillefortunéedeBalkhàKhallakh,maisilsn'yfurentpasfortunés.Lorsqu'ilsaperçurentdeloin
lepalaisduroi,surlequelétaitplantéledrapeaunoir,ilsdescendirentdeleursmonturesbondissantes,lecœur
brisé,lesyeuxaveuglésparleslarmes.Ilsallèrentainsiàpiedjusqu'auprèsdelui,vêtusdenoiretlevisage
pâle;ilsluiremirentlalettreduroiqueZerir,lecavalier,avaitécriteenréponseàArdjasp.Ilfitconvoquer
sesscribesetleshommesjeunesetvieuxduTouran,etordonnaauxscribesdeluilired'abordtoutelalettredu
commencementàlafin.Unscribeouvritlalettreetlalutà ceroideraceturque.
Voicicequisetrouvaitdanscettelettreduroi,dusoutiendel'Iran,duvaillantcavalier,deGuschtaspfils
deLohrasp,dumaîtredumonde,dignedutrône:Dieuaenvoyéauprèsdemoiunprophète,devantlequeltousles
grands se tiennent deboutcomme des esclaves, et qui te fait dire : O homme vil et audacieux,dont le visage
ressembleàceluideslionsetdesloups,tut'essoustraitauvraiculteetàlareligionsainte,ettoncœurs'est
remplideperversitéetd'erreurs.Lalettreméprisablequetuasadresséeauroiestarrivée,etnousavonsentendu
desparolesquin'auraientpasdûvenirdetoi,desparolesquepersonnen'auraitdûniécrire,nimontrer,nilire,
nientendre.Tuasditquedansquelquesmoistuconduirasunearméecontrecebeaupays;maisilnesepasserani
beaucoupdemoisnibeaucoupdejoursavantquenousamenionsnoslionsdecombat.Dispense-toidetedonnerbeaucoup
depeine,carnous-mêmesavonsouvertlesportesdutrésor,nousamèneronsdesmilliersdemilliersdebraves,tous
deshommescommedeslions,quifrappentavecleurslances,tousdelaraced'Iredj,tousdesPerses,etnonpasde
laraced'Afrasiab,nonpasdesTurcs,tousauvisagedelune,tousàfigurederoi,tousdescyprèsélancés,tous
disantlavérité,tousdignesdelaroyautéetdutrône,tousdignesdetrésors,decouronnesetdecommandements,
toustenantdeslancesetvainqueursdelions,tousdesornementsdesarméesetdestructeursdesarmées,tousayant
acceptélafoi,toushommesdesens,tousdignesdebraceletsetdebouclesd'oreilles,touslalanceaupoinget
montés sur desdestriers, tous portant monnom gravé surs leurs anneaux. Quand ils sauront quej'ai placé les
timbalessurmonéléphant,ilsaplanirontlesmontagnesaveclessabotsdeleurschevaux;quandilsmettrontleurs
cuirassesaujourdelabataille,ilsferontvolerlapoussièreau-delàdelavoûtesublimeduciel;assissurleurs
chevauxcommedesrochers,ilsbriserontlesrochersavecleursépées.Deuxhommeschoisisparmieux,deuxvaillants
cavaliers, le SipehdarZerir et Isfendiar, quand ils revêtentleurscottes de mailles de fer, n'hésitent pas à
attaquerleciel;quandilslèventau-dessusdel'épauleleurslourdesmassues,ilenjaillitdelagloireetdela
puissance.Lorsqu'ilsviendrontàlatêtedel'armée,ilfaudrabienquetufassesattentionàeux;ilsressemblent
ausoleilavecleurscouronnesetsurleurtrône,etleurvisageresplenditdemajestéetdebonheur;cesontdes
hérosetdeschefschoisis,deshommeslouéspartous,agréablesàtousetdesMobeds.NecomblepasleDjihounde
musc,carj'ouvriraimoi-mêmelesportesdetontrésoravare,et,s'ilplaitàDieu,jetecombattraiaujourdela
batailleetjejetteraitatêtesousmespieds.
LeroidesTurcs,ayantlucettelettre,descenditdesontrôneetrestauninstantconfondu,puisilordonnaà
sonSipehbedd'appelerdèslelendemaindegrandmatinsestroupesdetouteslespartiesduroyaume.Lesbravesde
l’armée,leschampionschoisisdelaChineserépandirenttousdanslepaysdeTouran,etréunirentsesarméesetles
chefsdesfrontièresdesonempire.IlavaitpourfrèresdeuxAhrimans,dontl'unsenommaitKehreml'autreEndirman
;onleurdonnadestimbales,deséléphantsetdesdrapeauxrouges,jaunesetviolets,etArdjaspleurconfiatrois
centmillehommeschoisis,tousdescavaliersvaillants.Ilouvritlaportedesontrésoretdistribualasolde;il
fit sonner les trompettes d'airain et préparer les bagages,ensuite il appela son frère Kehrem et lui donna le
commandementd'uneailedel’armée;ilmitl'autreailesouslesordresd'Endirman,etlui-mêmepritlecentre.Ily
avaitunTurcdunomdeGurgsar,unhommedéjàvieux:onauraitditqu'ilneconnaissaitquelemal;Ardjasplui
donnalecommandementenchef;ensuiteilremitàsonfrèreBidirefschundrapeauavecunefiguredeloup.Unautre
Turc,appeléKhaschaschlevaillant,qu'unlionn'eûtpasoséattaquer,futnomméchefdeséclaireursetdel'avant-
garde;ilreçutd'Ardjaspundrapeau;c'étaitluiquidevaitparleraunomduroi.EnsuitelechefdesTurcsenvoya
àundessiens,nomméHouschdiv,unmessageetluifitdire:Gardelesderrièresdel'armée,etsiquelqu'undes
nôtress'enretourne,tue-leaussitôtquetulerencontreras,etacquitte-toidecettemissionavecintelligence.
C'est ainsi qu’Ardjasp partit dans une colèreterrible, le cœur gonflé de sang, les yeux pleins de larmes,
dévastant tout, brûlant les maisons, détruisant les arbres, brancheset racines ; c'est ainsi que le chef des
mécréantsconduisitsonarméedanslepaysd'Iran,lecœurremplidehaine.
GUSCHTASPRASSEMBLESONARMEE.
LorsqueleroiGuschtaspentenditqueleroidesTurcsetdelaChinesepréparait,luietsonarmée,avait
quittélelieudesarésidenceetenvoyéau-devantdeluileféroceKhaschasch;lorsqu'ilsutqu'Ardjaspétaitparti
avecunearméepourdévastertoutlepaysd’Iran,ilordonnaàsonSipehbedd'équiperdèslelendemainmatintousles
éléphantsettouteslestroupes,etécrivitunelettreauxcommandantedesesfrontières,disant:LeKhakanaquitté
lavoiedeshommesdebien;amenezvostroupesàmacour,carmonennemiestsortideslimitesdesonpays.Aussitôt
quelescommandantsdesfrontièreseurentreçulalettrequileurannonçaitl’approchedel'ennemiquiambitionnait
lapossessiondumonde,ilparutàlacourduroiunearméeplusnombreusequelesbrinsd'herbesurlaterre.Les
héros du monde entier s'armèrent pour le maître de laterre, le chef des Keïanides ; tous les commandants des
frontièressedirigèrent,sursonordre,verssacourroyale,etilnesepassapasbeaucoupdetempsavantquemille
foismillehommesfussentarrivésetfussentcampésauprèsduroi,duhérosillustre,dumaître bienveillant pour
tous.
Leroi fortuné se rendit au camp, inspecta l'armée etchoisitceuxquiétaientpropresaucombat;ilétait
heureuxdecequ'ilvoyait,etsonespritétaitconfondud'unsigrandconcours.LelendemainGuschtasp,accompagné
desMobeds,desnobles,desgrandsetdesSipehbeds,ouvritlesportesdecetrésorqueDjamschidavaitrempli,et
payaàl'arméelasoldepourdeuxans.Ayantdistribuélasoldeetdonnédescuirasses,ilfitsonnerlestrompettes,
battrelescymbalesetfairelesbagages.Ilordonnadeporterdevantl'arméeledrapeauimpérialdubienheureuxroi
Djamschid,etconduisitsestroupesàlaguerrecontreArdjasp,destroupestellesquepersonnen'enavaitjamaisvu
depareilles.Lapoussièrequesoulevaientleschevauxetleshommesétaitsinoirequ'onnevoyaitplusnilejour
brillantnilalune,etleshennissementsdeschevaux,etlebruitdelafouleétaienttelsquele.sondestimbales
n'arrivaitpasauxoreilles.Desdrapeauxnombreuxsedéployaient,lespointesdeslancesperçaientlesnuagescomme
des arbres croissant sur les montagnes ou des champs deroseaux au printemps. C'est ainsi que, par ordre du roi
Guschtasp,l'arméetraversalesprovincesl'uneaprèsl'autre.
DJAMASPDÉVOILEAGUSCHTASPL'ISSUEDELABATAILLE.
AyantquittéBalkhlaglorieuseetétantarrivéssurleDjihoun,leroietsonarmées'arrêtèrent.Guschtasp
sortitducamp,descenditdechevaletmontasuruntrône;ilfitappelerl'illustreDjamasp,songuidespirituel,
lechefdesMobeds,leroidesnobles,leflambeaudesgrandsetdesSipehbeds,unhommed'uncorpssipuretd'une
âmesisaintequel'avenirétaitouvertpourlui;ilétaitgrandastrologueetavaitatteintlepremierrangen
sagesseetensavoir.Leroiluiadressadesquestions,disantDieut'adonnélavraiedoctrineetuneintelligence
lucide;iln'yapersonnedanslemondequitesoitcomparable,etleMaîtredumondet'aaccordétoutsavoir.Il
fautquetucalculeslesastresetquetumediseslesortquim'attend,quelseralecommencementetquelleserala
findececombat,etquiserafrappéparlemalheurdanscelieu.
CesquestionsaffligèrentlevieuxDjamasp,etilréponditàGuschtaspd'unairdésolé:J'auraisdésiréque
Dieu,ledistributeurdelaJustice,nem'eûtpasdonnécetteintelligenceetcettefaculté,carsijenelapossédais
pas,leroinem'auraitpasdemandédeluiprédirel'avenir.Jenelediraipas,carsijeledisais,leroidesrois
meferaitmourir;àmoinsque,parjusticeenversmoi,ilnes'engagesolennellementànepasmefairenimelaisser
fairedumal.Leroiluidit:JejureparlenomdeDieu,parlenomdusaintquinousaapportélavraiefoi,par
laviedeZerir,levaillantcavalier,parl'âmedunobleIsfendiar,quejamaisjeneteferaidemat,quejamaisje
n'ordonneraiàd'autresdet'enfaire,quetun'aurasrienàcraindredemoi.Distoutcequetuvois,cartuconnais
desmoyensdesalut,etmoijelescherche.
Lesagerépondit:Onobleroi,puissetacouronneresteréternellementjeune!Net'affligepasdecequedira
tonesclave,n'écoutepastacolère,carheureuxestceluiquinevoitpasdesesyeux!Sache,ôvaillantetillustre
Keïanide, qu'au moment où la bataille amèneraface à face les héros, et où ils pousseront leurs cris et leurs
clameurs,tucroirasqu'onarrachetouslesrochersdeleurbase.Lesplusbravess'avanceront,l’airseraobscurci
parlapoussièreducombat;tuverrasalorslecieldevenirgris,laterrepleinedefeu,l'airremplidefumée;à
travers tout ce bruit des épées etles coups des lourdes massues qui tombent comme les marteaux d'acierdes
forgerons,lesonaigudescordesarcsperceralescerveaux;lemondeserempliradusoufflebrûlantdelalutteet
ducombat,etlavoûteetlescerclesducielserontbrisés;lescourantsd'eauserontsouillésparlesang des
hommes,ettuverrasbiendesfilsprivésdeleurspèresetbiendespèresprivésdeleursfils.
Ardeschir,leKeïanideillustre,lechefdesprinces,levaillantguerrier,lanceralepremiersonchevalrapide
etabattraquiconques'opposeraàlui;ilrenverseradeleurschevauxtantdecavaliersturcsqu'onnesaurajamais
leur nombre ; mais àla fin il sera tué, et son grand nom disparaîtra. Ensuite Schidasp,de naissance royale,
pousserasondestriernoirsurlestracesd'Ardeschir,pourvengersamort;ilsemettraencolèreettirerasonépée
;iltueradanscecombatbiendeshommesmaissamauvaisefortuneleperdraàlafin,etcettetêtequiportaitune
couronne en sera privée. Alors mon fils s'élancera ceint de maceinture, il s'élancera au milieu du champ de
bataille,semblableàRustem,pourvengerSchidasp,lefilsduroi,etnombreuxsontlesgrandsetleshérosdela
Chinequecelionvaillantcoucherasurlaterre.Ilsupporterabeaucoupdefatiguesdanscettelutte,maisoserai-je
dire au roi des rois comment, lorsque les Iraniens aurontjeté le drapeau brillant de Kaweh, mon fils Guerami,
apercevant duhaut de son chenal ce drapeau impérial gisant dans le sang et la poussière, sautera à bas de son
cheval, le saisira etl'emportera bravement, comment il tiendra le drapeau violet dans unemain et l'épée dans
l'autre,renverseraainsilesennemisetarracheralavieauxAhrimans?Maislemomentviendraoùunennemiacharné
abattraavecsonépéetranchantelamaindeGuerami,quisaisiraledrapeauavecsesdents,quiporteradansses
dentsledrapeauviolet,jusqu'àcequ'uneflècheluitraverselemilieuducorps,etquelehérosdisparaissepour
toujours.
Alors le noble Nestour, fils de Zerir, sortira àcheval des rangs, semblable à un lion courageux ;il fera
disparaîtrebiendesennemis;personnen'aurajamaisvuuncombatplusglorieuxquelesien,etàlafinilreviendra
victorieux, ayant fait sentiraux ennemis la force de son bras. Nivzar, le fils du maître dumonde, le cavalier
d'élite,s'avancera,ilseruerasurcesAhrimans,abattraparmieuxsoixantebravesetdéploieraunevaleurdigne
d'unPehlewan;maislesTurcsfinirontparlefrapperàlatêteetjetterontsurlesolsoncorpsdehéros.Le
vaillantlion,lecavalieravidedecombats,quiportelenomdeZerir,s'avanceraalors,armédulacetetmontésur
un destrier isabelle appartenant àIsfendiar, brillant dans sa cuirasse d'or comme la lune et jetantdans
l'admirationtoutel'armée.Ils'emparerademillebravesdel'arméedesTurcs,leslieraetlesenverraauprèsdu
roi, et partout où il montrera son visageroyal le sang de nos ennemis coulera en ruisseaux. Tous éclateronten
louangesdecehéros,enlevoyantdétruireunsigrandnombredesplusbravesparmilesTurcs,quin'oserontplus
tenirdevantlui,etleroidupeuplequidemeuresousdestentestremblera.Zerirapercevralecorpsdupuissant
Ardeschir,dontlevisageseranoircietlesmembresjaunis;illepleureraamèrement,sacolères'allumera,il
exciterasonchevalarabedecouleurisabelle,sedirigeraversleKhakan,rempliderageetdudésirdelavengeance,
commes'ilallaitl'arracherdesoncheval;envoyantArdjaspaumilieudesonarmée,ilchanteraleslouangesduroi
Guschtasp,détruira des rangs entiers d'ennemis, et ne s'inquiétera de personnesur la terre ; il récitera le
Zendavesta de Zerdouscht, et neplacera sa confiance dans le monde qu'en Dieu ; mais à la fin safortune
s'assombrira,etcetarbrechoisiseraabattu.UnTurcnomméBidirefschs'avanceraverslehérosarméd'unelanceet
portantledrapeauviolet,maisilnes'aventurerapasàsemettreenfacedelui,etseplaceraenembuscadesurson
chemin;ils'ytiendracommeunéléphantfurieux,uneépéetrempéeavecdupoisonenmain;etquandleroidela
terrereviendraducombat,sonarmuredéchirée,sahached'armesbrisée,ceTurcluilancerauneflèche,sansoserse
montrer,etleroideshommeslibresmourradelamainduvilBidirefsch,quiemporterachezlessiensledestrieret
laselledeZerir.Quiest-cequilevengeralepremier?
Toutenotrearméeglorieuseetpuissantetomberasurl'ennemicommedeslionsetdesloups;ilyauraunemêlée
générale,etlaterreserarougieparlesangdeshéros.Levisagedetouslesbravespâlira,etleshommestomberont
les uns sur lesautres en chancelant ; une poussière noire volera jusqu'au soleil,et à travers cette poussière
personneneverralafacedelalune.Lespointesdeslances,desflèchesetdesépéesétincellerontcommedesastres
dontl'éclatpercelebrouillard.Qued'hommesmortssouslescoupsdeshérosetjetéslesunssurlesautres,tous
blessés,tous couchés d'un sur l'autre, le père sur le fils, le fils sur lepère ! Au milieu des cris et des
lamentationsdesblessés,onferaprisonniersceuxquirestentdebout,ettantd'hommesdecettearméeseronttués
quelechampdebatailleserainondédeleursang.
AlorsleviletviolentBidirefschs'avanceracommeunloupvorace,uneépéetrempéeavecdupoisondanslamain
etmontésurundestrierbondissant,semblableàunéléphantfurieux;ungrandnombredehérosillustresdel'armée
duroitomberontsoussescoups,jusqu'àcequelefortunéIsfendiar,suividesestroupes,protégédeDieu,lance
sonchevalardentcontrelui,lesyeuxpleinsdesang,lecœurremplidehaine.Illefrapperadesonépéeindienne,
etlamoitiédesoncorpstomberaduhautdesoncheval.Isfendiarsaisirasamassuedeferetferabrillersaforce
etsahautestature.ParuneseuleattaqueilébranleralesTurcs,etquandilaurarompuleursrangs;pourquoiles
laisserait-ilenvie?Illesmoissonneraaveclapointedesalance,illesdétruiraentièrementetlesdispersera,
etàlafinleroidelaChines'enfuiradevantIsfendiar,lehérosglorieux;ilsetourneradanssafuiteversle
Touran,lecœurbrisé,lesyeuxversantdeslarmesdesang;iltraverseraledésertavecunepetiteescorte,leroi
seravictorieux,etsesennemisserontdéfaits.
Sache,ôroidesrois,l'élu deDieu,quejet'aiditmaintenanttoutcequisepassera,ettun'entendraspasde
moiuneparoledeplus.Cessedejetersurmoidesregardscourroucés,car,cequejet'aidit,jenel'aiditque
surtonordre,ôroivictorieux!Quantauxautresquestionsquem'afaitesleroifortunésurcettemerprofondeet
cette route ténébreusedudestin,jen'airienvuquej'aiecachéauroi;s'ilenétaitautrement,pourquoilui
aurais-jedévoilélessecretsquej’airévélés?
Lorsqueleroimaîtredu.mondeeutentenducessecrets,ils'affaissadanslecoindesontrône,samassued'or
s'échappa,desesmains;tuauraisditquetoutesagloireetsaforcel'avaientabandonné;ils'appuyasur son
visageetrestasilencieux,ilneprononçaplusuneparoleets'évanouit.Lorsqu'ilfutrevenuàlui,ildescenditde
sontrôneetpleuraamèrement,disant:Aquoimeserventletrôneetlaroyauté,puisquemesjoursvonts'assombrir,
puisquemes fils beaux comme des lunes, mes braves, mescavaliers, mes rois vont périr ? A quoi me serviront
l'empireetlafortune,lepouvoir,l'armée,lacouronneetletrône,puisqueceuxquimesontlespluschers,les
meilleursdel'arméeetlesplusillustresvontdisparaîtreetm'arracherducorpscecœurdéchiré?
EnsuiteilditàDjamasp:Puisqu'ilenestainsi,jen'appelleraipasmonvaillantfrèreaumomentoùilfaudra
allersurlechampdebataille;jenedésoleraipaslecœurdemavieillemère,jedéfendraiàZerirdeprendrepart
au combat, jeconfierai le commandement de l'armée au fortuné Gurezm. J'appelleraidevant moi mes nobles et mes
jeunesfils,dontchacunm'estchercommemoncorpsetmavie,jenelesrevêtiraipasdeleurscuirassespourles
placeràlatêtedestroupes.Commentlapointed'uneflèchedeboisdepeuplierarriverait-ellesurcettemontagne
etcesrochersquis'élèventau-dessusduciel?
Lesageréponditaumaîtredelaterre:Oroi glorieuxettendredecœur!siceshommesnesetrouventpasau-
devantdesrangsdel'armée,leurscasquesdeKeïanidessurlatête,quioseras'opposerauxhérosdelaChine,qui
ramèneralasplendeurdenotrereligionpure?Lève-toidecettepoussièreetmontesurletrône;nelaissepasse
perdrelamajestédelaroyauté,carceciestlesecretdeDieu,iln'yapointderemède,etcequelaitleSeigneur
n'estpasunechoseinjuste.Ilnetesertàriendetelivreràtadouleur,carcequidoitsefaire est comme
accompli.Nelaissepastonâmes'abattredavantage,acceptelajusticedeDieu.C'estainsiqueDjamaspluidonna
beaucoupdeconseils;leroil’écouta,redevintbrillantcommelesoleiletremontasursontrône;ils'yassitet
se mit à penser autombâtqu'il allait livrer au maître de Djiguil, quiambitionnait la possession du monde ;
l'anxiétédesonâmel'empêchaitdedormir,etil.avaithâtedecommencerlalutteetlabataille.
suite
RETOURÀL’ENTRÉEDUSITETABLEDESMATIÈRESDEFIRDOUSI
FERDOWSI/FIRDOUSI
LELIVREDESROISTOMEIV(partieI-partieII-partieIII-partieIV-partieVI)
ŒuvrenumériséeparMarcSzwajcer
précédent
FERDOWSI
LELIVREDESROIS.
TOMEIV
GUSCHTASPETARDJASPMETTENTENORDRELEURSARMÉES.
Selon le conseil de Djamasp, le roi quitta ce lieu àl'aube du jour, aussitôt que l'éclat des étoiles eut
disparu, et serendit au camp ; il plaça cette armée choisie dans un endroit où levent du matin apportait des
jardinsjusquedanslesmaisonsleparfumdesroses.Ilenvoyadetouscôtésdeséclaireurs,commec'étaitlacoutume
desPerses.Undecescavaliersrevintetditauroi:Oroi, l’arméedesTurcsesttoutprès;c'estunearmée,ô
maîtredelaterre,tellequ'iln'enestjamaissortidupaysdesTurcsetdelaChine;elles'estarrêtéeprèsde
nousetacouvertdesestenteslamontagne,lesvalléesetlaplaine.LechefdesTurcsachoisideséclaireurs,les
aenvoyés,etilssesontrencontrésaveclesnôtres.
AlorslenobleGuschtasp,levaillantroi,appelaauprèsdeluisonSipehbed,lefortunéZerir,luidonnaun
drapeauetluiordonnadepartirentoutehâte,depréparerleséléphantsetdefaireprendrelesarmesauxtroupes.
LeSipehbedpartitetmitenordrel'armée,quitoutentièrenedésiraitquecombattrelesTurcs.Leroidumonde
plaçasouslecommandementd'Isfendiarcinquantemillecavaliersd'éliteetluiconfial’unedesailesdel'armée,
carilavaituncœurdelionetunepoitrinedetigre.Al'autreailedel'arméeleroimitdemêmeunbeaucorps
d'élite,qu'ilconfiaàSchidasp,cenobleguerrier,sonfilsetsonégal.Ensuiteildonnacinquantemillebraves
cavaliersàZerir,sonSipehbed,etlecommandementducentredel'armée,carc'étaitunlionfurieuxetleDestourdu
roi.Enfinilchargeadel'arrière-gardeleflambeauduroi,Nestouràlanaissancefortunée.Ayantainsidisposéses
troupes,ilremontasurlamontagne,l'âmerempliededouleuretlecorpsbrisédefatigue;ils'yassitsurson
trônebeauetbrillant,etobservadelàlesarmées.EnsuiteArdjasp,leroidescavaliersdelaChine,mitdemême
sestroupesenordredebataille;ildétachadestroupesvenuesdeKhallakhcentmillehommes,descavaliersbraves
etexpérimentés,etlesenvoyaauprèsdeBidirefsch,quiavaitlesgrandestimbalesetundrapeaud'or,etàquiil
confiaunedesailesdel’armée,carlelionlepluscourageuxn'osaitpaslecombattre.Ildonnalecommandementde
l'autreaileàGurgsaretmitsoussesordrescentmillecavaliersd'élite;ensuiteilplaçadanslecentredeson
arméeuncorpsdetroupesbonnesetchoisies,etlesconfiaàcemagicienobstinéquiportaitlenomdeNamkhast,
filsdeHazaran.Ilgardacommeréservecentmilleautrescavaliersquiavaientmontréleursprouessesdanslemonde,
etlesplaçademanièreàpouvoirsecourirchaquepartiedesonarmée.Enfinunhommeglorieux,expérimentéetqui
portaithautlatêtedanslescombats,setrouvaitderrièrelalignedebataille:Kehremétaitlenomdecenoble
cavalier,surquilabonneetlamauvaisefortuneavaientsouventpassé;c'étaitunfilsd'Ardjasp,quienfitle
gardiendel'armée,etnommaordonnateurcethommeaccoutuméàdisposerlestroupes.
COMMENCEMENTDELABATAILLEENTRELESIRANIENSETLESTOURANIENS.
Lorsquelanuitfutpassée,quelejoureutparuetquelesoleilquiéclairelemondeeutcommencéàbriller,
les deuxarméesmontèrentàchevalpendantqueleroiGuschtasplesobservaitduhautdelamontagne.Leglorieux
roi,voyantd'enhautquelesguerrierssemettaientenselle,fitamenerRehzad,sonchevalnoir:tuauraisditque
c'étaitlemontBisutoun.Onrevêtitledestrierdesescaparaçons,etlevaillantPehlewanlemonta.Lesdeuxarmées
s'approchèrentl'unedel'autre,etl'onsonnadesclaironsd'airainsurledosdes éléphants;lesrangsdesbraves
seformèrent,etleshérosprovoquaientceuxquiétaientdignesdelescombattre.
Onfitd'abordtomberunepluiedeflèchesquiressemblaitàunegrêledeprintemps,etlesoleildisparutdu
mondé:quiconquen'apasvuunesemblablemerveillenepourraitlecroire.Lafacedusoleilétaitcachéeparles
pointesdesflèches,quiformaientcommeuntorrentd'eau;tuauraisditquel'airportaitunnuagedontilpleuvait
del'acier.Lamassedescavaliersarmésdemassuesetportantdeslancesquisejetaientlesunssurlesautres,
étaittellequel'airdisparutdumonde,ayantpris,lacouleurdelanuit,etquelaterreentièrefuttrempéede
sang.
Lepremierquis'avançafutuncavalierpleindedignité,Ardeschir,lefilsduroidumonde;ilentrasurle
champde bataille comme un éléphant ivre ; tu aurais pu croire que c'étaitle Sipehbed Thous. C'est ainsi qu'il
courutdecôtéetd'autreaumilieudesarmées,sanssedouterdusortquelaluneetlesoleilluipréparaient;mais
uneflèchelefrappaaumilieuducorpsettraversasalourdearmure;leprincetombadesoncheval,etsoncorps
royalfutcouvertdesangetdepoussière.Hélas!cehérosaubeauvisage,resplendissantcommelalune;leroisage
nedevaitpaslerevoir!
Aprèsluis'avançaOrmuzd,l'hommeaucœurdelion,dontlesjouesbrillaientcommedestulipesaumilieudela
verdure.Ils'avançatenantenmainuneépéetrempéeavecdupoison;ilpoussadesrugissementscommeunlionquiva
abattreunonagre,ettuamillecavaliersennemispourvengerlehérosfilsduroi.Mais,aumomentoùilvoulait
quitterlecombataprèsavoircolorédesanglafacedelaterre,uneflècheperça sacottedemailles,etceroi,
filsderoi,succomba.Hélas!cenoblehommedeguerremourutsansquesonpèrel'eûtrevu!
EnsuiteseprésentaSchidasp,quiressemblaitauroietbrillaitcommelalune;ilétaitassissurundestrier
pareilàuncrocodile,rapidecommeleventetaveclapuissanced'unéléphant.Ilparutsurlechampdebatailleen
faisanttournersalance;ilfaisaittournercommeunbâton,toutengouvernantsoncheval.Ils'écria:Oùestle
vaillantKehrem,quiressembleàuntigreetàunloup?UnDivsortitdesrangs,disant:C'estmoi,etjesuis
celuiquisaisitdesdentsunlionaffamé.Ilss’escrimèrentavecleurslancesrapidementcommelevent,etlefils
duroifrappaleTurcdesalance,l'enlevadelaselle,luicoupalatêteetjetaparterrelecorpsdecethommequi
portait une ceinture d'or. Ensuite il s'avança vers le front deshéros de la Chine ; assis sur son cheval, il
ressemblait à un rocher;jamaisœiln'avaitvuunhommecommelui:ilétaitsibeauqueles yeux le suivaient
partoutoùilallait.MaisunTurclançacontreluiuneflèche,etceroi,filsderoi,périt.Hélas!ceprinceélevé
délicatement,sonpèrenerevitjamaissonvisage!
MORTDEGUERAMI,FILSDEDJAMASP.
Alorsuncavaliersortitdesrangs del’armée,lenoblefilsdeDjamasp,leDestourduroi,uncavaliervaillant
dontlenométaitGuerami,etquiressemblaitàRustemfilsdeDestan,filsdeSam.Ilétaitmontésurundestrier
couleurisabelle,etunlacetétaitrouléautourducrochetdesaselle.Ils'arrêtadevantlesrangsdesChinoiset
invoquaDieu,ledistributeurdelajustice;ensuiteils'écria:Quelestparmivousl'hommeaucœurdelionqui
osebraverunelancequidétruitlavie?Oùestcemagicienquineveutfairequesesvolontés,etquis'appelle
NamkhastfilsdeHazaran?
Namkhast s'avança sur-le-champ vers lui ; tu auraisdit qu'un rocher était assis sur son cheval. Les deux
cavaliersagiless'escrimèrentaveclesmassuesetleslances,aveclesépéesetlesflèches.Gueramiétaitunhéros
fort comme un lion, levaillant Namkhast ne pouvait lui résister, et cet homme de guerres'enfuit quand il eut
éprouvélaforceduKeïanideetvusonépéetranchante.Gueramis'élança,brûlantdecolère,lecœurgonflédesang
etremplidudésirdelavengeance,l’âmepleined'ardeurpourlecombat,etsejetaaumilieudesrangsdesennemis.
Levents'élevaalorsducôtédesmontagnes;lesdeuxarméesseprécipitèrentl’unesur l'autre,etsoulevèrentune
poussièreépouvantable.Aumilieudecechocdesarmées,decescoupsd'épéeetdecettepoussièrenoire,ledrapeau
brillantdeKawehéchappadesmainsdesIraniens.Gueramiaperçutcedrapeaubleuqu'onavaitlaissétomberdudos
d'unéléphant,mitpiedàterre,lesecouapourenfairetomberlapoussièreetlenettoya.LesbravesdelaChine
virentqueGueramiappuyaitlalancedudrapeausurlaselledesoncheval,enôtaitlaterreetlenettoyaitdela
poussière;lesplusvaillantsd'entreeuxl'entourèrent,l'attaquèrentdetouscôtésetluiabattirentunemainpar
uncoupd'épée.AlorsilsaisitledrapeaudeFeridounavecsesdents,et,ômerveille!ilfrappadelamassueavec
lamainquiluirestait;maisàlafinilsletuèrentmisérablement,etlejetèrentsurcesolchauddesangversée
commeunechosevile.Hélas!cevaillantcavalierpleindecœur,lesagevieillardnelerevitplus!
Nestour, le lion, le vaillant Keïanide, le fils deZerir, s'avança sur-le-champ ; il tua des ennemis sans
nombre,carilavaitapprisdesonpèrel'usagedesarmes,etàlafinilrevintvictorieuxetheureux,etseplaçade
nouveau devant son père.Ensuitelecavalierchoisi,Nivzar,filsduroidumonde,s'élança,monté sur un cheval
rapideettelqu'iln'avaitpassonpareilparmidesmilliers.C'estainsiqu'ilparutsurlechampdebataille,où
il s'écria d'une voix forte: Oguerriers d'élite ! y a-t-il parmi vous un homme illustre, plein d'expérience,
vaillantetsachantmanierlalance,quiveuilleveniràmarencontre,lalanceàlamain,carvoicidevantvousun
hommedecœur?Lescavalierschinoiscoururentsurluietcherchèrentàlerenverser,maislecourageuxNivzar,le
cavalierillustredanslemondeentier,traversaentoussenscettemassedebraves,semblableàunéléphantfurieux
ouàunlionféroce;tuauraisditqu'ilenroulaitlaterresoussespieds;iltuacentvingtdeceshéros,tous
élevésaumilieudesbatailles;maisàlafinlaflèched'unearbalètelefrappa,uneflèchelancéecommesic'était
un-foudreduciel;iltombaduhautdesonchevalrapide,auxbellescouleurs,etmourut;telestlesortdes
batailles!Hélas,encoreunnoblecavalierquifuttuéavantd'avoirremplisadestinée!Ilressemblaitàsonpère
etétaitsonégal;hélas!quelbeauvisageetquellehautestature!
Lorsque ce héros aux beaux traits fut mort, desmilliers de milliers de cavaliers qui l'entouraient se
précipitèrentdanstouslescoinsduchampdebataille,etsoulevèrentlapoussièredelasurfacedelaterre.C'est
ainsique deux semaines se passèrent dans des combats incessants, pendantlesquels pas un cavalier ne dormit un
instant;lesterresétaientcouvertesdemortsetdeblessés,lapoussièreempêchaitleventdepasser,lesvallées
et les plaines étaient couleur de tulipe, lesang coulait dans les campagnes et dans le désert, et le champ de
batailleétaittellementencombrédecorpsquepersonnenepouvaitymarcher.
MORTDEZERIR,FREREDEGUSCHTASP.
Deuxsemainessepassèrentainsi,etàchaqueinstantlecombatdevintplusvif.AlorsparutlevaillantZerir,
montésurunpuissantchevaldecouleurisabelle:ilsejetasurlecampdesennemiscommeuneflammequi,poussée
parlevent,dévorelesherbes.Iltualesunsetrenversalesautres,etquiconquelevitneputtenirdevantlui.
QuandArdjasps'aperçutquecefilsdeLohraspallaitanéantirsonarmée,ils'adressaàhautevoixàsestroupes,
s'écriant : Voulez-vous donc livrer au vent le pays deKhallakh : voici deux semaines qui se passent dans cette
lutte,etjen'envoispasencorepoindrelafin.LeshérosduroiGuschtaspontdéjàtuéungrandnombredesplus
illustresparminous,etmaintenantvientZerir,commeunloupfurieux,commeunlionquidéchiretout,etiltue
tousmeshommes,mesTurcsquiportenthautlatête,meshéros.Ilfautpenseràunmoyendesalut,oureprendrele
chemindupaysdesTurcs;carsiZerircontinueainsipendantquelquetemps,ilnelaisseraexisterniArdjasp,ni
Khallakh,nilaChine.Quelestparmivousl'hommedésireuxdegloirequiosesortirdesrangsdel’armée,allerau-
devantdelui,seuletcommeunhomme,etacquérirunrenomillustredanslemondeentier?Quiconquepousserason
chevalhorsdenosrangsetjetteraZerirdanslapoussièreenfaceduciel,jeluidonneraimaproprefille,jelui
confieraimondrapeau.
Lestroupesneluirépondirentpas,cartoutel'arméed'Ardjaspétaiteffrayéedecesanglier.Danscemomentle
SipehbedZerir,lePehlewandumonde,arrivasemblableàunloupettombasurlesTurcscommeunlionoucommeun
éléphantfurieux,tuantlesunsetrenversantlesautres.AcetaspectArdjaspsetroubla,lemondedevintsombre
devantsesyeux,etilditencoreunefois:ObravesdelaChine,grandsethérosetTurcsdelaChine,nevoyez-vous
pasvosparentsetvosalliés,n'entendez-vouspaslescrisdesblessésfoulésauxpiedsdecethommefurieux,qui
frappedelamassuecommeSametdesflèchescommeArisch,dontlefeuconsumetoutemonarmée,etquivalivreraux
flammesmonpaysentier?Quelestparmivousl'hommeàlamainvaillantequis'opposeraàcetéléphantenfureur?
Quiconquesaisiracedestructeurdesbravesetlejetteraàbasdesondestrier,jeluidonneraiuntrésord'or,
j'élèveraisondiadèmeau-dessusduciel.
Maispersonnenerépondit,etArdjaspenfutétonné,etsajouepâlitIIrépétatroisfoislesmêmesparoles,et
restaconfondudenepointrecevoirderéponse.Alafin,Bidirefsch,lecolère,levil,lechien,lemagicien,le
vieuxloup,ditàArdjasp:Opuissantsoleil!toiqui,delaracinejusqu'àlacime,esl'imaged'Afrasiab,jet'ai
apportémavie,jeteladonne,jelaplacedevanttoi.Jem'avanceraiverscefurieuxéléphantivre,etj'espèrele
vaincreetjetersurlaterresoncorps,sileroiveutmedonnerlecommandementdecettearméeinnombrable.
ZERIRESTTUEPARBIDIREFSCH.
Leroifutheureuxdel'entendreetcélébrases louanges.Illuidonnasonpropredestrieretsaselle,illui
donnasonjavelottrempéavecdupoison,javelotquiauraitpercéunemontagnedefer.Lemagicienhaineuxetimpur
s'avançacontrelevaillantetprudentcavalier;maisquandillevitdeloin,sifortetsianimé,levisagecouvert
depoussière,lesyeuxremplisdelarmes,tenantenmainunemassuecommeSamlehéros,quandilvitdevantluiune
montagne de morts, il n'osa passe présenter en face de Zerir. Il se glissa inaperçu derrière lui,et lança son
javelottrempéavecdupoisonsurlecavalier,filsderoi,quines'yattendaitpas.Lejavelottraversalacuirasse
d uprince, son corps royal fut inondé de sang et il tomba de cheval.Hélas ! ce vaillant fils de roi ! Le vil
Bidirefschmitpiedàterre,ledépouillaentièrementdesonarmure,amenalechevaldeZeriraumaîtredelaChine
etluiportasaceinture,sonbeaudrapeauetsondiadèmecouvertdepierreries.Toutel’arméedesTurcspoussaun
cridejoie,etl'onplaçaledrapeausurledosd'unéléphant.
Guschtaspregardaduhautdelamontagneetn'aperçutpluscettelunequitournaitaumilieudelapoussière;il
dit:Jecrainsquecettelunequitournait,etdontlalumièrenecessaitd'éclairercettearmée,quemonvaillant
frère, le fortuné Zerir,quiabattaitleslionsféroces,n'aitétérenversédecheval,carles braves cessent de
s'élanceretd'attaquer;jen'entendspluslescrisdesfilsdesgrands;est-cequelechefdesnoblesseraittué?
Ilenvoyadeshommesàchevalsurlechampdebataille,làoùl’onapercevaitledrapeaunoir,etleurdit:Allez
voircequ'estdevenumonroyalfrère,carmoncœurétouffedesangdansmoninquiétudepourlui.Leroidelaterre
étaitdanscetétatlorsqu'undesmessagersrevintenversantdeslarmesdesang,etluidit:Talune,legardiende
ta couronne et de ton armée, lePehlewan du monde, le vaillant Zerir, hélas ! a été tuémisérablement par les
cavaliersturcs!Bidirefsch,lechefdetouslesmagiciensdelaterre,l’ajetéàterreetaemportéledrapeaude
Kaweh.
LorsqueleroidumondeappritqueZerirétaittué,l'imagedelamortsedressadevantlui;ildéchiratousses
vêtements jusqu'au nombril, versa de la poussière sur lacouronne royale, et dit au sage Djamasp : Que dirai-je
maintenantauroiLohrasp?Commentoserai-jeenvoyerunmessageràsacour,quedirai-jeàmonvieuxpère?Hélas!
cehéros,filsderoi!hélas!iladisparucommelalunebrillantedanslebrouillard!Amenez-moiGulgoun, le
destrierbaideLohrasp,etplacezsursondoslaselledemoncheval;jepartirai,jelevengerai,carjepérisde
ladouleurquemecausesamort;jeveuxessayerdelevenger;jeveuxrépandresafoietsareligion.
Le Destour plein d'expérience lui dit : Reste ; cen'est pas à toi de chercher à le venger ; si Guschtasp,
obéissantauxordresduDestourquiconnaissaitlessecretsdel’avenir,mitpiedàterre,serassit,etditàses
troupes :Qui parmi vous est le lion qui vengera le noble Zerir, qui lancerason destrier pour ce combat, qui
ramènera le cheval et la selle demon frère ? Je fais une promesse devant Dieu le maître du monde, unepromesse
d'honnêtehommeetderoi!Quiconques'avancerapourcecombat,jeluidonneraimafilleHomaï.Maisaucunhommede
l'arméenes'avança,personnenefitunpas.
ISFENDIARAPPRENDLAMORTDEZERIR.
CependantIsfendiarappritquecefilsderoi,cehéros,étaittué,quesonpèreenpérissaitdedouleur,et
qu'ilvoulaitvengercettemortlui-même.Lehérosillustresetorditlesmains,disant:Quenoustientdoncen
réservenotremauvaisefortune?Chaquejour,quandj'aivuZeriraumilieudelabataille,j'aitremblédevantce
sort;hélas!cecavalier,cehéros,ceprinceàquilesortaenlevésacouronnedelatête!Quiest-cequiatué
unpareiléléphantdeguerre,quiaarrachédusolcettemontagnedefer?Ilremitàl’undesesfrèressondrapeau,
sonarméeetsonposte,etseportaenavant:ilserenditaucentredel’armée,oùilrevêtitsonarmuredecombat,
etpritdansamainledrapeauimpérial.Ilavaitcinqfrères,tousdignesdutrône,tousillustres,touségauxdu
roi,quitoussetenaientdeboutdevantIsfendiar,carc'étaitluiquidétruisaitlesarmées.
Ilseplaçaaucentredel'armée,aupostedeZerir,ilseplaçaaucentrecommeunvaillantlion;ensuitece
soutiendel’arméeditauxnobles:Ohommesillustresetchampionsduroi!écoutezcequej'aiàdiredebon,et
ayezconfiancedanslareligiondumaîtredumonde!Sachez,ôrois,quevoicilejouroùl'ondistingueraentrela
bonneetlamauvaisedoctrine.Gardez-vousdecraindrelamortouautrechose,carpersonnenemeurtqu'aumoment
assigné,etsilafortuned'unhommedoitchanger,qu'ya-t-ildemieuxquedemourirsurlechampdebataille?Ne
faitespasattentionaumorts,necherchezpasdesecours,necomptezpourrienvostêtes.Gardez-vousd'espéreren
la fuite,gardez-vous decraindrelalutte,baissez les pointes de vos lances pour combattre luttez longtemps et
agissez avec bravoure. Si vous vous conduisez selon mes ordres,alors mon âme restera dans mon corps, votre nom
deviendraillustredanslemondeentier,ettoutel'arméed'Ardjasp,levieuxloup,périra.
Isfendiarenétaitlà desaharangue,lorsqu'onentenditlavoixdesonpère,quis'écriaitsurlamontagne:O
mes grands ! mes héros,vous qui m'êtes tous chers comme mon corps et mon âme, ne craignezpas les lances, les
flèchesetlesépées,caraucundenousnepeutéchapperàsonsort.Jejureparnotresaintereligion,parlavie
d’Isfendiarlehéros,parl'âmedeZerir,lecavaliergénéreux,quivientd'êtrereçudansleparadis,quej'aiécrit
unelettreàLohrasp,danslaquellej'aipromisaunomduvieuxroique,silafortunem'accordelavictoire,je
remettraiàIsfendiarlacouronneetletrôneaumomentdemonretourdecechampdebataille,quejeluidonneraila
couronnedelaroyauté,commemonpèremel'adonnée,quejemettraitoutemonarméesouslesordresdeBeschouten,
quejeplaceraisursatêteunecouronneroyale.
ISFENDIARATTAQUEARDJASP.
Quand Isfendiar, le héros au corps d'éléphant, lemaître de la prudence, l'homme doué d'une force terrible,
entenditcescrisdesonpère,ilbaissalatête,navrédedouleur;ils'avança,lalanceaupoing,latêtecourbée
de honte pour son père,monté sur un puissant destrier couleur de cendre,furieux comme un Div qui vient de
s'échapperdesesliens,sejetasurl'arméeennemiecommeunouraganquitombesurdesfeuillesderoses,ettuades
Turcs et coupa des têtes, tellement qu'en levoyant chacun reculait devant lui. Nestour, le fils de Zerir, le
cavalier,sortitdesatente,sedirigeaverslegardiendeschevauxdesonpère,etluidemandaunchevalreposé,bon
coureur, un destrier bondissant, rassasié d'orge ; il plaça surle dos du cheval une selle d'or, le brida, le
caparaçonna,etattachaaucrochetdelasellesonlacetdeKeïanide;ilrevêtitsacuirasse,montaàcheval,et
s'avançadanslaplaine,lalanceenmain;ilchevauchaainsijusqu'auchampdebataille,etcherchauncheminpour
parvenirjusqu'aucorpsdesonpère.Ilsehâtaetpressalepasdesondestrier;ilselivraàlavengeanceettua
desennemis;àchaquePersequ'ilrencontrasursoncheminildemandaoùiltrouveraitlehérosdel'armée,disant:
OùesttombéZerir,monpère,levaillantcavalier?
IlyavaitunhommedontlenométaitArdeschir,uncavaliergénéreux,unhéros,unlion;lejeuneprincelui
demandalecheminverslecorpsdesonpère,etlehérosleluiindiqua,disant:Ilest tombéaucentredel'armée,
prèsdecedrapeaunoir;vas-ysansdélai,carc'estlàqu'ilgît,etilsepeutquetulerevoiesencoreunefois.
Leprincelançasoncheval,tuadesTurcs,poussadescrisdedouleuretsuivitlestracesdesonpère,jusqu'àce
qu'ilfûtarrivéauprèsdelui.Lorsqu'ilvitZerirmortetgisantsurlesol,etqu'ilfutassezprèspourvoirson
visage,sesyeuxs'obscurcirent,lecœurluimanqua,ilperditlaraisonetsejetaduhautdesonchevalparterreet
surlecorpsdesonpère,décriant:Otoi,malunebrillante,flambeaudemoncœur,demesyeuxetdemonâme,toi
quim'asélevéavectantdepeineetdesoins,maintenantquetuesparti,àquimeconfies-tu?Depuisqueleroi
Lohraspt’adonnélecommandementdel'arméeetàGuschtaspletrôneetlediadème,tuasdirigél'arméeetgouverné
lesprovinces,tuasappelélaguerredetoustesvœux.Lemondeacélébrétonnomselontesdésir,maistuesmort
avantd'avoirfaitcequetuvoulais,jevaisallerauprèsdetonfrère,leroifortuné,etluidire:Descendsdeton
beautrône,carmonpèren'apasméritédetapartcetteindifférence;va,ettirevengeancedetesennemis!
Ildemeuralongtempsencetétat,ensuiteilremontasursondestrieretserenditenpoussantdescrisauprèsdu
roi,quiétaitassissurlahauteur,au-dessusduchampdebataille;illuidit:Oroibienveillant,vaetdemande
vengeancedelamortdemonpère;monseigneuresttombé,etsabarbenoireparfuméedemuscreposesurlapoussière
sèche. LorsqueNestoureutditcesparolesauroi,lejourbrillantdevintnoirdevant les yeuxde Guschtasp, le
mondedevintsombredevantlemaîtredemonde,etsoncorpsdehérosserapetissa.Ils'écria:Amenez-moimoncheval
noir,apportezmacottedemaillesetmoncasque,caraujourd'huimêmejevaisfairecoulerpartorrentslesangdes
hérospourvengermonfrère,jevaisjeterdanslemondeunfeudontlafumées’elèverad'icijusqu'àSaturne.Mais
quandlesgrandsregardèrentcechampdebataille,cesarméesetcelieudeleurlutte,oùleroisepréparaità
commander,oùilvoulaitallerpourvengerZerir,ilsluidirentd'uneseulevoix:Ochefdelareligion,ilnefaut
pasquetupartesainsi;ilnefautpasquetoi,leroi,tucombattes,carArdjaspsejetteraitsurtoi.Nousne
souffrironspasquelaroidesrois,lemaîtredumonde,ailleaucombatpoursevenger.Pourquoifaudrait-ilqu'il
commandâtlui-même ses troupes ? Djamasp, le noble Destour, lui dit: Tu ne dois pas te rendre sur le champ de
bataille ; donne àNestourledestrierque tu voulais monter, et envoie-le combattre tes ennemis, car ilvengera
mieuxlamortdesonpèrequetunepourraislefaire.
NESTOURETISFENDIARTUENTBIDIREFSCH.
GuschtaspdonnaàNestoursonchevalRehzad,sacuirasseetsoncasqued'acier;lefilsquiavaitperduson
pèrerevêtitcettearmure,montasurRehzad,ledestriernoir,etsemitàchevaucherverslechampdebatailleassis
surcechevaldebellecouleur;ilseplaçadevantlesrangsdesennemis,poussaunsoupirets'écria:Jesuis
Nestour,lefilsdeZerir,contrelequelleplusvaillantlionn'osepass'avancer.OùestBidirefsch,lemagicien,
quis'estemparédudrapeaudeKaweh?PersonneneréponditaunobleNestour.IllançaRehzad,ledestriercouleurde
nuit,ettuaungrandnombredebraves,maispersonnenes'avançacontrelui.Desoncôté,Isfendiarabattitunefoule
innombrabledeTurcs.
QuandleroidelaChineaperçutNestour,cerejetondelaracedesKeïanides,cefilsdePehlewan,ilditaux
siens:Quelpeutêtrecethommequisaitdonnerdepareilscoupsdelance?Ilatuéunnombreinfinidemesbraves
;est-cequeZerir,lecavalier,seraitencoreenvie?Quandilm'aattaquéd'abord,c'estainsiqu'ilalancéson
destrier.OùestdoncBidirefsch,lehéroschoisi?Appelez-leàl'instantdevantmoi.
Bidirefschparutsur-le-champ,tenantdanssamainledrapeaudeKaweh,montésurledestrierroyal deZerir,et
revêtudelacuirassedecePehlewan;ils'avançajusqu'auprèsduprinceNestour,leflambeaudel'armée,lefilsdu
frèreduroi;ettouslesdeux,leTurc,chefdesmagiciens,etlefilsdeZerirsecombattirentavecl'épéeetles
flèches.OndonnaavisdececombataufortunéIsfendiarfilsdeGuschtasp,etilsehâtadevenirauprèsd'eux.Le
chefdesmagicienslevitetexcitasonchevalpourseretirerducombataussitôtqu'ilsefutaperçuquec'étaitsur
lui qu'arrivait lehéros ; il lança son épée empoisonnée à la tête d'Isfendiar,espérant faire pâlir ce visage
brillant;maisl'armetrempéedansdupoisonmanqualehéros.IsfendiarlasaisitetenfrappaBidirefschsurle
côté,commefrappentlesPehlewans,etdemanière à faire sortir la pointedel’épée de l'autrecôté. Bidirefsch
tombadesonchevaletmourut:ilavaitétévaincuparlefilsduKeïanide.
Isfendiardescenditdesondestrier,dépouillalevilmagiciendel'armuredel'illustreZerir,luiséparala
têteducorps,s'emparaduchevaldeZerirauxbellescouleursetdesondrapeau,etemportalatêtedeBidirefsch.
Toutel'arméepoussadescrisdejoie,desacclamationsquimontaientplushautquelavoûteducieletannonçaient
queleroiétaitvainqueur,avaittuésonennemi,rapportéledrapeauetramenéledestrierisabelledeZerir.Lefils
duroi,levaillantcavalier,s'approchaàchevaldeGuschtaspetplaçadevantluilatêteduvieuxmagicien.Il
avaittuéceluiquiavaittué:c'estainsiqueleveulentlacoutumeetlaloi.
ARDJASPS'ENFUITDELABATAILLE.
Ayant ainsi mené à bonne fin cette noble vengeance,Isfendiar fit placer une selle sur le cheval de Zerir,
retournaauchampdebatailleetdivisal'arméeduKeïanideentroiscorps;ildonnalepremieràNestour,cehéros,
l'honneurdel'armée,leprinceàlanaissancefortunée;ilconfialesecond,composédegrandsdel'Iranetd'hommes
vaillants,àsonfrèreetilseréservaletroisième,quipoussaitdescriscommeunnuaged'oùsortletonnerre.
Nestour,àlatêtehauteetaucorpspur,etNousch-Ader,levictorieux,seplacèrenttouslesdeuxdevintIsfendiar,
ledestructeurdesarmées,ets'engagèrentparunsermentsolennelànepasrevenirvivantsdececombat,ànepas
reculer devant le méchant Ardjasp, quand même leglaive de leurs ennemis fendrait la terre. Les trois cavaliers
s'étantainsiengagés,ilspartirentpourlecombat;lorsqu'ilss'élancèrentdumilieudeleurstroupes,leshéros
etlesbravesdel'Irans'ébranlèrenttousensembleetremplirentlemondedurefletdeleurscuirasses.Ilstuèrent
tantd'hommesdel'arméeturque,quelaplacemanquaitpoursebattre,etlesanginondaittellementlesvalléeset
lesplaines,quedesruisseauxdesangfaisaienttournerlesmoulins.
Ardjasp, voyant cela, s'avança accompagné de sesgrands et de ses braves ; et Isfendiar, le destructeur des
héros,abaissa sa lance contre ces vaillants Divs de race turque ; il leurcloua la poitrine contre le dos, et
continuaainsijusqu'àcequ'ileûtabattulesplusfiersdeleurschefs.LeKhakancompritquedorénavantpersonne
n'oseraitpluss'opposeràIsfendiar,quel'arméeétaitébranléeetlabatailleperdue;ilrestaenplacejusqu'àce
quelejoureûtbaissé,setenanttoutcetempsaumilieudutumulte,ensuiteilpartitetsedirigeaversledésert,
pendantquelesiraniensseruèrentsurcettearméeinnombrabledesChinois;ilslestuèrentdetouscôteseten
grandnombre;mais,àmerveille!unhommeeneutpitié.
ISFENDIARFAITGRACEAUXTURCS.
Lorsque les Turcs virent qu'Ardjasp était parti etque de tous côtés ils étaient frappés par des épées
brûlantes,tousleursgrandsmirentpiedàterreets'approchèrentd'Isfendiar;ilssedépouillèrentdeleurscottes
de mailles, ils jetèrent leurs arcsturcs et lui dirent dans leur détresse : O roi, fais grâce de la vie à tes
esclaves!Nousaccepteronstareligion,nousnousyinstruirons,nousadoreronstouslesfeuxsacrés.LesPersesne
firentaucuneattentionàcesparoles,ilslesfrappèrentdeleursépéesetentuèrenttantqueleursangcouvritle
monded'unrougebrillant.MaisIsfendiarécoutaleurscris,etleurfitgrâcedansleurvieetdansleurpersonne;
le héros au corps d'éléphant, leroi, fils de roi, fit proclamer parmi ses troupes victorieuses : O illustres
Iraniens ! cessez de tuer lesChinois ; maintenant que cette armée ennemie est vaincue, arrête ceshorreurs, ce
carnage,carilssontaffligés,abaissésetsansressources;laissezdonclavieàceschiens,abstenez-vousde
fairedenouveauxprisonniers,neliezpluspersonne,neversezplusdesang,necourezplusainsi,nefoulezpasaux
piedscemorts,faitesletourduchampdebatailleetcomptezlesblessés;pourl'amourdel'âmedeZerir,neles
faitespasprisonniers;nerestezpaspluslongtempssurvoschevauxdeguerre.
Quandlestroupeseurententendusaproclamation,ellesserendirenttoutesauprèsduvaillanthéros,rentrèrent
dansleurcampetbattirentletambourpourcélébrerleurvictoire.Ellesnedormirentpasdejoiependanttoutela
nuit,carellesavaientremportéunevictoiredignedeRustem.Lorsquecettenuitsombrefutpassée,lesangs'était
écoulédanslaplaineetledésert;l'illustreKeïanide,accompagnédesgrandsdel'armée,allavoirlechamp de
bataille;ilerraparmitouscesmorts;quandilenreconnutun,illepleura,continuantsoncheminjusqu'àce
qu'iltrouvâtsonfrère,misérablementtué,etgisantsurlechampdebataillecommeunechosevile;quandillevit
danscetristeétat,ildéchirasesvêtementsroyaux;ildescenditdesonchevalauxbellescouleursetsaisitsa
barbedesesdeuxmains,s'écriant:OroideshérosdeBalkh,toute mavieestdevenueamère;hélas!cechef,ce
prince,ceroi,ceflambeaudumonde,cediadèmedel'empire!
Il se baissa et le souleva de terre, il essuya levisagedumortdesespropresmains,etleplaçadansun
cercueild'or;tuauraisditqueZerirn'avaitjamaiséténé.EnsuiteilplaçalesKeïanidesetsesjeunesfils
mortsdansdescercueils,etordonnadecompterlesmortsetd'emporterceuxquiétaientblessés.Onparcouruttout
l'espaceoùl’ons'étaitbattu,surleshauteurs,dansledésert,surlaplaineetsurlesroutes,etl'ontrouvaque
trente mille Iraniens étaient tombés, dont sept centschefs illustres ; mille quarante chefs étaient blessés et
avaientéchappéaudangerd'êtrefoulésauxpiedsdeséléphants;ducôtédesTurcsilyavaitcentmillemorts,dont
onzecentsoixantetroisnotables,ettroismilledeuxcentsblessés.Nerestepasdansunpareilendroit,situpeux
l'éviter.
GUSCHTASPS'ENRETOURNEABALKH.
LeKeïanideillustre,levaillantroiGuschtasps'enretournaduchampdebatailleàBalkh,etordonnaàson
Destour demettre le lendemain matin l'armée en marche vers le glorieux paysd'Iran. Dès le matin le Sipehbed
illustrefitsonnerdestrompettesd'airainetchargerlesbagages;l'arméesetournaversl'Iran.Touslescœurs
étaientfiers,tousdésiraientdenouveauxcombats.Onenlevalesblessés,onn'enabandonnaaucun;onlesporta
tousdanslepaysd'Iran,enlesconfiantàdesmédecinssavants.
Lorsqueleroidumondefutderetour,ilfiançaàsonfilsaînésafilleHomaïlafortunée:telleétaitla
coutumeetlaloichezlesPerses.IlconfiaàNestourunearméecomposéedecentmillehommes,tousdevaillants
cavaliers,quiperçaientavecleurslances,etluidonnasesordres,disant:Ohérosquisaiscombattre,retourne
surtespas,courssurlesTurcs,pénètredanslepaysdeKhallakh,tuetoutcequetutrouverasafinderongerle
sangdetonpère.Ilordonnaqu'onpourvûtNestourdetoutcequiluiétaitnécessaireetdetoutcequipouvaitlui
êtreutile.Nestourpartitàl'instantavecsestroupes,etleroi,s'étantassissursontrôneetayantplacésursa
têtelacouronnedesKeïanides,donnaaccèsàtoutesonarmée;ilouvritlesportesdesontrésoretdistribuaà
toussesguerriersdesornementsprécieux;ensuiteildonnaauxchefslecommandementdesvillesetnelaissapasser
personnesansluiavoiraccordéquelquechose:ceuxquiétaientdignesdegouvernerunroyaume,illeurenconfiaun
;ceuxquiavaientméritédesdignités,illesélevaauxdignités,etayantainsirécompenséchacunselonsonmérite,
illesrenvoyatousdansleursdemeures.
Plustardilsedirigeaverssontrôneetdéfenditl'entréeàlacour;ils'assitsurletrôneimpérialetfit
construireuntempledefeupourybrûlerduboisd'aloèsindien;onyfitunpavéd'orpur,toutelacharpenteétait
en bois d'aloès, et l’on répandit surle sol de l'ambre gris. Il fit exécuter tout selon les règles et les
proportions, donna à cet édifice le nom de la maison de Guschtasp,fit écrirece nom au-dessus de la porte du
sanctuaire,etyétablitDjamaspcommeMobed.Ensuiteiladressaunelettreàtoussesgouverneurs,danslaquelleil
dit : Le Seigneur ne nous apas laissé avilir ; il a converti en jours nos nuits devenuessombres, il a rendu
victorieux les Keïanides en tout lieu. Ardjaspest parti accablé de malédictions, et nous sommes couverts de
bénédictions ; qui auraitfaire cela, si ce n'est le Créateurdumonde ? Quand vous entendrez la nouvelle de la
victoiredevotremaître,envoyezvostributsautempledufeu.LeKaisar,roideRoum,enapprenantqueleroiétait
heureuxetArdjaspdansl'infortune,expédiadesmessagersavecdesprésentsd'esclavesetdechevauxcaparaçonnés,
etleroiduBerberistanetlesprincesdel'IndeetlesroisduSindenvoyèrentleurstributs.
GUSCHTASPENVOIEISFENDIARDANSTOUSLESPAYSPOURLESCONVERTIRÀLARELIGIONDEZERDOUSCHT.
Alorslehérosillustres'assitsursontrôneroyal;ildonnaaccèsauxgrandsdesonempire,auxpuissants,
auxprincesdenaissanceroyale.LevaillantIsfendiarseprésentadevantlui;iltenaitdanssanainlamassueà
têtedebœuf,ilportaitsurlatêteuncasquedeKeïanideetsonvisagebrillaitau-dessousdececasquecommela
lune. Il se plaça devant Guschtasp dans la positiond'un esclave, la tête penchée, les mains placées sous les
aisselles.Leroidumondeleregardaetl'auraitpréféréàsaproprevieaumondeentier.Ilsouritetluidit:O
hérosIsfendiar!n'as-tupasenviedecombattre?Lehérosquifrappaitdel'épéerépondit:Lecommandementestà
toi,cartuesleroietl'Irant'appartient.L'illustreKeïanideluidonnaunecouronned'oretouvritdevantluila
portedutrésor;illuiconfiatoutpouvoirdansl'Iran,carilavaitlaforced'unvraiPehlewan;illuidonnaun
drapeau,destrésorsetunearmée,enajoutant:Iln'estpasencoretempsetpourtoidet'asseoirsurletrône.
Ensuiteildit:Monteenselle,convertisàlavraiefoitouslespaysetdelaterre.
Lefierfilsduroi, lehérosquifrappaitdel'épée,partitpourfaireletourdetouslespaysavecsonarmée.
IltraversaleRoumetl'Hindoustan,iltraversalesmersetlesténèbres,interprétantpartoutlesmystèresdela
religion,selonl'ordredeDieu,parquitoutecréaturesubsiste.Lorsquecespeuplesentendirentlafoivraiequ'il
leurapportait,ilsadoptèrentsesvoiesetsonculte,ilsreçurentcettebonnereligion,allumèrentlefeusacré
danslestemplesdesidoles,etécrivirenttousdeslettresauroi,disant:Nousavonsreçud'Isfendiarlareligion,
nousnoussommesceintsdukoschti,etIsfendiarnousafaitremisedutribut,ainsiilnefautplusnousledemander,
car nous sommes rentrés dansl'ordre, et cette religion est la vraie ; envoie-nous maintenant leZendavesta de
Zerdouscht.Guschtasp,ayantluleslettresdesrois,s'assitsursontrôneetrassemblasesamis;ilenvoyaun
Zendavestadanschaquepays,àchaqueprinceetàchaqueroi,etilordonnaàl'illustrePehlewandeparcourirles
quatrecoinsdumonde.
Quelquepartqueceroisemontrât,ilnetrouvapersonnequieûtosélecombattre;toussesoumirentàses
ordres,etlesméchants,danslemondeentier,secachèrent.AyantainsiassujettiàGuschtasptoutelaterrer,il
ôta sa ceinture d'or,s'assitcommeunKeïanidesuruntrôneroyal,etsereposaquelquetempsavecsestroupes.
Ensuite il appela son frèreFerschidwerd, réunit une armée d'hommes vaillants, lui en donna lecommandement, lui
remitbeaucoupd'argentetdejoyaux,luiconfialegouvernementduKhorasanetlefitpartir.
Ainsisepassaquelquetemps;lemondeétaitpurifiéetsoumisàlafoisainte;alorsIsfendiarenvoyaun
messageràsonpèreetluifitdire:Oroiillustreetvictorieux!j'aiépurélemondeparlagrâcedeDieu,et
l'ombredel'aigleroyalcouvretouslespays;personnenecraintplusriendelapartdepersonne,aucunhommedans
lemondenemanqued'ornid'argent,laterrebrillecommeleparadis,lemondeentierestcultivéetcouvertde
moissons,lescavaliersprotègenttouslespays,etleslaboureurssontoccupésauxtravauxdelaterre.Lemonde
étant ainsi en repos,et les hommes qui suivent de mauvaises voies étant dispersés, quem'ordonnes-tu, ô roi des
hérosquiportenthautlatête!Fais-moisavoircequetudésiresdecesdeuxchoses:ouquejemerendeàtacour
pourtevoir,ouquej'exécutetoutautreordrequetuauraisàmedonner?Lemessagerallaporterauroicesbonnes
nouvellesd'Isfendiar.
GUREZMCALOMNIEISFENDIAR.
Le conteur m'a raconté que, dans le temps où le roiavait donné un trône à Isfendiar, il y avait un homme
orgueilleux,dontlenométaitGurezm,unhérosrenomméquiavaitlivrémaintcombat.Ilnourrissaitdanssoncœurde
la haine contre Isfendiar,je ne sais quelle en était l'origine. J'ai entendu dire qu'il étaitde la famille de
Guschtasp,etquedetouttempsilavaitvouludumalaufilsduroi;touteslesfoisquelenomd'Isfendiarétait
prononcé,ilparlaitcontreluietledépréciait.
Orunjourleroiillustreétaitassissursontrônedegrandmatin,ilavaitadmisleschefsdesonarmée,les
grands,lesroisetleshommesdehautenaissance.Gurezmvintetpritsaplacedevantleroifortuné,cherchantun
prétexteetunmoyendeheurterlavieillebranchedel’arbreroyalaveclanouvelle,etderenversercelle-ci.Onse
mitàparlerdufilsduroi,etvoicidequellemanièrel'hommemalveillantarrivaàsesfins.Ilcommençaaussitôtà
setordrelesmainsetdit:Lepiredesennemisestunmauvaisfils,etilfautsegarderdelegrandirenfacede
soi.VoicicequenousaditunMobedàlafoipure:Quandunfilsdevientfortetpuissant,lesortdupèreenest
plusmalheureux,etquandunesclavesesoustraitinsolemmentàl'obéissancedueàsonmaître,ilfautluitrancher
latête.Lorsquej'aid'abordentenducetteparoledel'hommequiconnaîtlessecrets,ellenem'apasparujuste.
Le roi du monde s'écria : Que veut dire ceci ? Quiestlemaître de cesecret, et quel est ce secret ? Le
Keïaniderépondit: Ohommevéridique,cen'estpaslemomentdedévoilercemystère.Leroidesroisquittason
trôneetditaufourbe:Viensprèsdemoi,dis-moitout,ducommencementàlafin,disquelestlesecretdemes
ennemis qu'on me cache. Leméchant Gurezm répondit : Il faut qu'un homme intelligent ne fasseque ce qui est
convenable.Leroim'amisau-dessusdetoutbesoindanslemonde,jenedoispasavoirdesecretpourlui.Jene
refuseraiauroiaucunconseil,quandmêmeilnel'approuveraitpas;jeneluicacheraijamaisrien,quandmêmeil
aimeraitmieuxquejen'eussepasparlé,carsijeparleets'ilnem'écoutepas,ilvauttoujoursmieuxdévoilerun
secretqued'enfairemystère.Sachedonc,ômaîtredumonde,qu'Isfendiarméditedeluttercontretoi;beaucoupde
troupessesontrenduesauprèsdelui,toutel'arméetournelesyeuxverscehéros,etsonintentionestdetejeter
danslesfers,cariltesupporteimpatiemmentàlatêtedel'empire;etunefoisqu'ilt'aurasaisietenchaîné,il
s'empareradumondeentier.Tusaisqu'Isfendiarestunhommequin'apassonégaldanslecombat,etquandila
formélenœuddesonlacetroulé,lesoleilmêmen'oseraits’opposeràlui.Voicicequej'aientendudire,jete
l'airépétéselonlavérité,maintenanttusaurasfairepourlemieux,carlasagesseetlecommandementsontàtoi.
Pendant ce récit de Gurezm, le roi illustre de l'Iranresta confondu, et dit : Qui a jamais entendu chose
pareille?Ildevintsombreetpritenhainesonfils;ilnebutplusdevin,ilneselivraplusàlajoie,et
s'assitloindufestinenpoussantdessoupirs.Toutecettenuitlessoucisl'empêchèrentdedormir,ilétaitindigné
contre Isfendiar. Lorsque les premières lueurs du jourrayonnèrent du haut des montagnes, et que la lumière des
astreseutdisparu,leroiGuschtaspappelasonDestourDjamasp,l'hommepleind'expérience,etluidit:Rends-toi
auprèsd'Isfendiar,appelle-leetamène-lesansdélaiauprèsdemoi.Dis-luideseleveretdevenirauprèsdemoi,
deliremalettreetdenepastarderuninstant,carils'agitdegrandesaffaires,etlui,lepluspuissantprince
dupays,doityassister;dis-luiquelemondevaluiappartenir,carjenepuisconduirelesaffairessanslui.Il
écrivitunelettrepressanteàsonfils,danscestermes :OillustreetfortunéIsfendiar,j'envoielevieuxDjamasp
quiaconnuLohrasp;aussitôtquetuleverras,tuceindrastesreinsetpartirasaveclui,montésuruncheval
rapide;s'iltetrouveendormi,lève-toiàd'instant;situesdebout,netardepasunmoment.Lesagepartit,
emportantlalettreduroi;ilfitgrandehâteetfranchitlesmontagnesetlesplaines.
DJAMASPARRIVEAUPRESD'ISFENDIAR.
Isfendiarsetrouvaitalorsdansledésert,selivrantàlachasse;quelqu'unluirapportaqueleroi,disait-
on,avaitenvoyéDjamaspverslui.QuandIsfendiarentenditcebruit,ilenfutétonné,émuetsouritamèrement.Il
avaitquatrefilsexcellents,tousavidesdecombats,tousarmésdelances,dontl'uns'appelaitBahman,lesecond
Mihrinousch, letroisièmeAder-Afrouz,lehérosprudent;enfinlequatrièmeportaitlenomdeNousch-Ader;c'est
luiquiétablissaitlestemplesdufeu.Bahmanditauroidelaterre:Puissetatêteresterverteàtoutjamais!
Leroia souri amèrement, je n'y comprends rien, Isfendiar lui répondit:Omon fils, dans ce moment, quelqu'un
arrivepourmoidelacourdemonpère.Leroiestencolèrecontremoi,soncœurs'estdétournédesonserviteur.Son
noblefilsluidemanda:Pourquoicela?Qu'as-tufaitaumaîtredel'empire?Lechefdesprincesluidit: Omon
fils,jen'aipasconscienced'avoircommisunefauteenversmonpère,sicen'estd'avoirenseignélavraiefoi,
d'avoirallumépartoutdanslemondelefeusacré,d'avoirpurifiélaterreavecmonépéetranchante.Commentlecœur
duroipourrait-ilm'envouloir?MaisilparaîtqueleDivl’atrompé,pourqu'ilaitcettefolleenviedemejeter
danslesfers.
Pendantqueleprinceselivraitàcesréflexions,onvitdeloinlapoussièrequesoulevaitunetroupearmée:
c'était leflambeaudumonde,leDestourduroi;luietIsfendiarsereconnurent,descendirentdeleurschevaux
bondissants,etlehérosetlevieillards'avancèrenttouslesdeuxàpied.LefortunéIsfendiardemandaàDjamasp
commentseportaitleroi,levaillantmaître.Lesageluirépondit:Ilestenbonnesantéetcontent;ilbaisala
têteduprince,luiremitlalettredesonpèreetl'informaexactementdel'étatdeschoses,etcommentleDivavait
pervertileroi.IsfendiarditauprudentDjamasp:Quemeconseilles-tudanscescirconstances?Sijemerendsàla
couravectoi,monpèrememaltraitera,etsijemerefuseàparaîtreauprèsdemonmaître,jesorsdel'obéissance
quejeluidois.Trouveunmoyendesalut,ôsagevieillard,carjenepuisresterdanscetteincertitude.Lesagelui
dit:Oprince, gardiendesfrontières,vieuxdesavoiretjeunedecorps!tusaisquemêmelacolèred'un père
contresonfilsestplustendrequeleplustendreamourdufilsenverslepère.Ilfautquetupartes,telestmon
avis,car,quoiqu'ilfasse,tonpèreestleroi.
Lemessagerduroietleprincequiportaithautlatête,étanttombésd'accord,s'enretournèrentensemblechez
Isfendiar,quifitdescendreDjamaspdansunbeaupalais,etensuiteilssemirentàboire.Onfitbrûlerdevant
Djamasp du boisd’aloès;onauraitditqu'oncélébraitunefêtejoyeuse.LelendemainIsfendiars'assitsurson
trône,etungrandnombredesesbravesserassemblèrentautourdelui;lenobleprincedonnalecommandement de
l'arméeàBahman,partitavecquelqueshéros,arrivaàlacourduroi,serevêtitdesesarmesetplaçalecasquesur
satête.
GUSCHTASPFAITCHARGERDECHAÎNESISFENDIAR.
Lorsqueleroisutquesonfilsétaitarrivéetqu'ilavaitcouvertsatêteducasquedesKeïanides,ilréunit
les grandsetlespetits,etfitplacerdevantluileZendavestaentier;ilfitasseoirsurdessiègestousles
Mobeds,ensuiteonappelaceprincequifrappaitdel’épée.Lehérosparut,lesmainslevées;ils'approchadeson
pèreetluirendithommage;ilsemitdeboutdevantleroicommeunesclave,latêtebaissée,lesmainsplacéessous
lesaisselles.LeroidesroisditauxMobeds,auxgrandsetauxchefsdel'armée:Supposezqu'unhommenobleeût
élevéunfilsavecbeaucoupdesoin,l'eûtconfiéàunenourriceautempsoùilavaitbesoindelait,luieûtmissur
latêteunecouronneroyale,l'eûtgardéjusqu'àcequ'ilfûtdevenufort,luieûtenseignéàboiredu vin et à
monteràcheval,quecethommeillustresefûtdonnébeaucoupdepeinepourlui,eteneûtfaituncavalierexpert
danslescombats,quelefilsfûtarrivéàl'âged'homme,brillantcommel'orquisortdelamine,quelesambitieux
l'eussent recherché, que lespoètes l'eussent célébré, qu'il fût devenu un bon cavalier,victorieux dans les
batailles,lehérosdetouslescombatsetdetouslesfestins,qu'ileûtmissoussespiedslemondeentier,qu'il
sefûtrendudignedudiadèmeimpérial,quelepèreeûtgardéqueletrôneetlacouronne,secontentantderester
danslepalaiscommegardiendesbiensdelafamille,quelefilseûtétélemaîtredumonde,desdrapeauxetde
l'armée,lepèreréduitàunecouronned'oretàuntrône,etquelefils,pourcetrôneetcediadème,eûtvoulu
trancherlatêteàsonpère,eûtconspiréavecsonarméecontrelui,eûteulecœurenflammédudésirdelecombattre,
setrouverait-ilunhommequiapprouvâtcela?Enest-ilunseulparmivousquiaitjamaisentenduchosepareille?
Quedites-vous,vieillards,decefils,etquedoitfairelepère?
Lesgrandsrépondirent:C'estunechosequel'onnepourraitconcevoir.Unpèreenvieetlefilsrecherchantle
trône,jamaisiln'yeutriendeplushonteux.Leroileurdit:Voicicefilsquienveutàlaviedesonpère!mais
jelefrapperaiavecunbâton,jelefrapperaipourenfaireunexemple;jelejetteraidanslesfers,commeill'a
mérité, je l'enchaînerai comme personnen'a été enchaîné. Le fils lui dit: O mon père à l'âme noble, pourquoi
désirerais-jetamort.Jen'aipasconscienced'unefautequej'auraiscommisecontretoipendanttoutemavie;mais
tuesleroi,tueslemaître,jet'appartiens,etleschaînesetlaprisonsontàtoi.Ordonnequ'onmelie,et,si
tuveux,qu'onmetue!moncœurestenreposetmonespritestcalme.
Le roi des rois ordonna d'apporter les chaînes, deles mettre à son fils et de l'emmener. On appela des
forgerons,quivinrentavecdesmenottes,descolliersetdelourdeschaînes,et,enprésenceduroimaîtredumonde,
enchaînèrentlesmainsetlespiedsduhéros,etleslièrentsifortementquequiconquelevitversadeslarmesde
pitié.Quandoneutentourélecoud'Isfendiard'uncercledefer,leroiordonnadeleconduireàuneforteresse,
disant:Amenezunéléphantmâlequicourecommeunoiseauvolantàtired'aile.Onfitvenirunéléphantvigoureux
etl'onplaçaIsfendiarsursondos;onemmenad'auprèsdesonpèreillustre,lesyeuxremplisdelarmesetlecœur
blessé;onleconduisit,gardéetentourédeSipehbeds,verslechâteaudeGunbedan,oùonleplaçasurlehautdela
montagne.Onyapportaquatrecolonnesdeferauxquellesonl’attachafortement:c'estainsiqu'ilfutprécipitédu
trône et que sa fortune périt. Le roilui donna quelques gardiens, et le cœur du fils du Pehlewan futrempli de
douleursetdesoucis:c'estainsiqu'ilcontinuaàvivreenchaînéetversantdetempsentempsdeslarmesamères.
GUSCHTASPSERENDDANSLESEISTANETARDJASPREUNITDENOUVEAUSONARMÉE.
AinsisepassaunlongtempspendantlequelleroiserenditdansleSéistan,pouryintroduireleZendavestaet
enprendre pour témoins les Mobeds. Lorsque le roi illustre y arriva,le Pehlewan de l'armée, Rustem, le roi du
Nimrouz,lecavalierpleind'expérience,l'égaldeSam,vintàsarencontreavecsonpère,levieuxDestan,avecses
grandsettousleschefsdesonarmée;ilsplacèrentsurlesroutes,d'unefrontièreàl'autre,desmusiciensqui
jouèrentdeleursinstruments;ilsallèrentjoyeusementau-devantdelui,etlefortunéroienfutréjoui;ilsle
conduisirentàZaboulcommeleurhôte,selouanttousdeboutdevantluiainsiquedesesclaves;ilsapprirentla
doctrineduZendavesta,serevêtirentdukoschtietallumèrentlefeusacré.
Deuxanssepassèrentpendantcettevisite,etdurantcetempsGuschtaspetlefilsdeZaljouirentdelavie.
Mais touslesrois,quelquepartqu'ilsfussent,apprirentcequeGuschtaspavaitfait;ilsapprirentqu'ilavait
misdansleschaîneslePehlewandumonde,qu'ilavaitcourbésouslesferslecorpshéroïquedeson fils, qu'il
étaitallédansleZaboulistanpourrépandresareligionetmaudirelespuissantesidoles,ettousserévoltèrent
contrelui,tousbrisèrentlestraitésquilesliaientenverslui.
LorsqueBahmaneutapprisquesonpèreillustreavaitétéenchaînéparordreduroi,sansavoircommisdefaute,
luietsesfrèreslicencièrentleurarméeetprirentlalongueroutedeGunbedan:ilsarrivèrentauprèsIsfendiar.
CesfilsduKeïanidearrivèrentcommedeslions,etdemeurèrentauprèsdeluipourl'égayer;ilsnevoulurentpasle
laisserseuldanssaprison.
CependantleroidelaChinefutinforméquelaluneavaitdisparudusigneduSagittaire,queGuschtasps'était
mis encolèrecontreIsfendiar,qu'ill'avaitenvoyéignominieusementenprisonetchargédechaînes,quelui-même
étaitallédeBalkhdansleZaboulistan,qu'ilavaittraverséledésertetpasséleDjihoun,qu'ilétaitétablià
ZaboulcommehôtedeZal,etquedeuxarméess'étaientdéjàpasséesainsi;qu'àBalkhilnerestaitdesIranienset
deleurarméequeleroiLohrasp,avecseptcentsadorateursdufeu,tousuniquementoccupésàprierdevantl'autel,
qu'ils étaient seuls dans la ville, sans aucun des grands,excepté les gardiens du palais de Homaï, et qu'en
conséquenceilfallaitseleversansaucunretard.
LemaîtredeDjiguilappelatoussesgrandsetsepréparaàattaquerLohrasp.Sachez,leurdit-il,queleroi
GuschtaspestallédansleSéistanavecsonarmée;ils'estétabliavecelleàZaboul,etdanstoutsonroyaumeil
n'yapasuncavalier.C'estlemomentdeprendreunerevanche,etilnousfautmettresurpiedunegrandearmée.Le
noble Isfendiar, son fils, estenprisonetchargédelourdeschaînes.Quelestl'hommehabileàapprofondir les
secretsquiveutexplorercettelongueroute,laparcouriravecdesdétoursetenévitantlescheminafréquentés,et
examinerlasituationdesIraniens?
OrilyavaitunmagiciennomméSutouh,quisavaitpasserpartouslescheminsetpénétrertouslessecrets;il
dit:Jesuisunhommesoupleettoujoursprêtpourlaroute;quefaut-ilfaire?dis-moitoutcequ'ilfaut.Leroi
delaChineluirépondit:Vadansl'Iran,observeavecintelligenceetpénètrepartout.
L'espionparcouruttoutelarouteetentradansBalkhlaglorieuse,pourvoirsileroiyétait.Iln'ytrouva
pasGuschtasp,etnevitqueLohraspetdeshommesquiadoraient;ils'enretournaauprèsduKhakan,etluiraconta
commentilavaitappriscelaensecret.Ardjaspfutheureuxdecesnouvelles,etsesentitdélivrédeseslongssoucis
; il appela auprès de lui tous les chefs de l'armée, etleur ordonna de partir et de rassembler leurs troupes
dispersées.Tousleshérossemirentenroutepourlesmontagnesetlesplainesetpourlespâturagesdestroupeaux,
etrappelèrentauprèsduroisonarmée,lescavalierschoisisdesonempire.
FIRDOUSIFAITLACRITIQUEDEDAKIKI.
Lorsquecelivretombaentremesmains,ilmemanquaitunmoispouravoirsoixanteans.J'examinaicesvers,et
ilsmeparurentfaibles;biendesdistiquesmesemblèrentmalfaits,maisjelesaicopiésici,pourqueleroivoie
cequ'estunrécitdépourvud'art.Lejoaillierapporteicideuxjoyaux;queleroiveuilleprêterl'oreilleàses
paroles.Sil’onestréduitàraconterdecettefaçonilvautmieuxsetaireetnepasfatiguersonesprit;quandon
penseàlafatiguedel'espritetducorpsqu'ons'impose,ilvautmieuxnepascreuserunemineoùl’onnedoitpas
trouverdepierresfines;quandletalentn'égalepasl'élan,ilestplussagedenepasentreprendreunlivredes
rois,etquandilfautquelaboucherestevidedenourriture,ilvautmieuxnepasdresserunetabledépourvuede
mets. J'avais trouvé un livre plein d'histoires, et dontles paroles étaient graves et vraies ; c'étaient des
traditionsanciennesécritesenprose,etleshommesdetalentétaientbienloindel'idéedelesmettreenvers;
personnen'ysongeait,etmoncœurenchantésemitàypenser.Deuxmilleansavaientpassésurcelivre,siles
recherches ont indiqué le nombrevéritable. Jebénissais donc le poète (Dakiki) qui avait donné l'exemple de le
mettreenvers;ilestvraiqu'iln'enavaitriméquepeu,unrécitdefêtesetdebataillesentremille;néanmoins
ilavaitmontréauxpoèteslecheminpourmettresursontrônecetteroyauté.Ilavaitreçudesprincesdeshonneurs
etdestrésors,etcen'étaientquesesmauvaisespassionsquiluiavaientattirédespeines.Ilavaitcélébréles
roisetornéparseslouangeslefrontleshommesillustrescommeundiadème;maissaparolepoétiqueétaitfaible,
etilneréussitpanàrajeunislestempsantiques.
Jemesuisemparéavecbonheurdecelivrecommed'unprésagedefortune,etjeluiaiconsacrémontravail
pendant biendesannées;maisjenevoyaispasd'hommeéminent,généreuxetbrillantsurletrônedesrois:mon
poèmedevintpourmoiunsoucicontrelequeljen'avaisd'autreremèdequelesilence.Jevoyaisunjardin plein
d'arbres,unlieudignedeservirderésidenceàunhommefortuné,maisnullepartonn'yvoyaituneporte;ilse
portaitd'autre parure que le nom de la royauté ; il mefallait une entrée digne du jardin, et si elle eût été
étroite,ellenem'auraitpasconvenu.J'aigardémonpoèmependantvingtans,jusqu'àcequej'aietrouvéquelqu'un
quifûtdignedecetrésor.AlafinAboulKasim,lemaîtredumonde,luiquiarajeunilacouronnedesroisdes
rois,lepuissantMahmoud,lemajestueux,legénéreux,auquellaluneetSaturnerendenthommage,estvenuets'est
assissurletrônedelajustice!Quiasouvenird'unmaîtredelaterrecommelui?Sonnomestdevenulacouronne
surlefrontdemonœuvreetsagloirearendumoncœursombrebrillantcommel'ivoire;jamais,depuisquelemonde
existe,iln'yaeudeprincecomparableàluiengénérosité,ensagesse,engloireetenbravoure;ildépassetous
lesroisanciens,etilnes'élèvepasunsouffledeblâmecontresesactions.L'argentn'estàsesyeuxquedela
poussière;ilnecraintnilesfêtesnilescombats;autempsdesfêtesildonnedel'or,autempsdescombats,des
coupsd'épée,etjamaisilnerefusenil'unnilesautresàceuxquilesrecherchent.
L'ARMEED'ARDJASPARRIVEABALKHETTUELOHRASP.
JevaismaintenantrajeunirlerécitdelaluttecontreArdjaspet,parmontalent,délivrerdemauvaisesherbes
l ejardin. Ardjasp ordonna que Kehrem, toujours prêt à frapper del'épie, parât devant lui, le maître de cette
assembléedegrandsduTouran:c'étaitsonfilsaîné,quilevaitsatêtejusqu'ausoleilbrillant.Illuidit:
Choisisdansl'arméedescavaliers,deshérosdignesdecombattre,etparsd'ici;marcheentoutehâtejusqu'àBalkh,
carc'estdelàquenosjoursontétérendusamers.Coupelatêteàtousnosennemis,àtouslesadorateursdufeu,à
touslesAhrimansqueturencontreras,brûleleursmaisons,convertispoureuxennuitlejourbrillant.Ilfautque
la fumée dupalais de Guschtasp fasse voler les flammèchesde l’incendie jusqu'à la voûte bleue du ciel. Si tu
trouvesIsfendiarenchaînéparlespieds,metsfinàsavie,tranche-luilatêteetremplislemondedetagloirepar
cehautfait.Toutlepaysd'Irant'estlivré,tuesl'épée,etl'ennemiesttonfourreau.Souspeujequitteraià
montourKallakhetmarcheraiparétapesetrapidement;jerassembleraimonarméedispersée,etjedépenseraimes
trésorsamassés.Kehremluirépondit:Jevaisobéir;quemavierépondedel'accomplissementdetesordres.
Lorsquelesoleileuttirésonépéerayonnanteetquelanuitsombreeutretirédevantluilepandesarobe,
Kehrementraavecsestroupesdansl'Iran,etlaterredevintnoirecommelevisaged'unnègre.Aussitôtqu'ileut
envahicepays,Kehremlâchalamainauxméchantsetauxadorateursdesidoles;ilsdépouillèrentleurscœursde
toutevertu,ilsnes'appliquèrentqu'àdévasteretàtuer.QuandlesTurcsfurentarrivésprèsdeBalkh,labouche
rempliedeparolesamères,etquandLohraspeutnouvelledeKehrem,ilenfutaffligé etlechagrindevintson;
compagnon.IlditàDieu:OCréateur,tuesau-dessusdelarotationdusort,tuestout-puissant,éternel,tusais
tout,tueslemaîtredusoleilbrillant,leprotecteurdemafoi,demoncorpsetdemonesprit,demonâme,demes
forcesetdemavigueur.Nemelaissepasdevenirprisonnierdanslesmainsdeceshommes,cartueslesoutiende
ceuxquit'implorent!
IlnesetrouvaitalorsàBalkhaucundesgrandsaucundescavaliersarmésdemassues,maisilseprésentamille
artisansdubazar,deshommespeupropresaucombat.Quandl'arméedesTurcsfutproche,Lohrasprevêtitsonarmure
deguerre,etserenditdutemplesurlechampdebataille,latêtecouverted'uncasquedeKeïanide.Malgrésonâge,
ilpoussadescriscommeunéléphantivre,tenantdanssamainunemassueàtêtedebœuf,etàchaqueattaqueil
abattitavecsalourdemassuequelques-unsdeschefsdesTurcs.Chacunditqueceguerrierillustredonnaitdescoups
commeIsfendiarseul en donnait. Il pétrissait de sang lapoussière,dequelquecôtéqu'illançâtsondestrier;
quiconqueentendait la voix de Lohrasp sentait son courage faiblir. Kehrem ditaux Turcs : Ne l'attaquez pas
isolément,faitesuneffortcommun,enveloppez-le,pousserdescriscommedeslionsfurieux!
Alors s'éleva le bruit des haches d'armes quibrisaientles cuirasses et le tumulte des cavaliersavides de
combats.Lohrasp,restéseulaumilieudesennemis,invoquadanssadétresselenomdeDieu;ilsesentitaccablé
parlepoidsdesannéesetl'ardeurdusoleil,etsafortunebaissait.Uneflècheturquefrappalevieillard,etce
vaillantadorateurdeDieufutrenversé;satêtecouronnéetombadanslapoussière,etunefouledecavaliersse
rassemblaautourdelui.IlsbrisèrentsonarmuredeKeïanide,ilstaillèrentenpiècessoncorpsavecleursépées;
tousavaientpenséquec'étaitunjeuneguerrier;maislorsqu'ilseurentôtélecasquedelatêteduroi,ilsvirent
sescheveuxblancscommelecamphreetsonvisagecélestenoirciparleferdesoncasque.
Tousrestèrentdevantlui,confondus, disant:Commecevieillardamaniésonépée!SiIsfendiaravaitétéici,
notrearméeauraitpéridanscetteplaine.Pourquoisommes-nousvenusensipetitnombre,carnoussommesvenuscomme
untroupeauquivaaupâturage?Kehremréponditàsescompagnons:C'étaitlàcequenousavionsàfaire,etlebut
denosfatiguesétaitcecombat,carceprinceétaitleroiLohrasp,lepèredeGuschtasp,lemaîtredelaterre;il
aétélemaîtredumonde,entourédelamajestéqueDieuaccordé;toutesavies'étaitpasséedanslesfestinsetsur
leschampsdebataille,maisdanssavieillesseils'étaitconsacréàDieu,etsoncœuravaitrenoncéàlacouronneet
autrône.MaintenantqueGuschtaspaperducesoutien,iltremblerapoursondiadèmeimpérial.LesTurcsentrèrent
dansBalkh,etlemondefutdésoléparlesdévastationsetlesmeurtresqu'ilscommirent;ilssedirigèrentversle
templedufeu,verslepalaisetlasalledoréeduroi;ilsbrûlèrenttoutleZendavesta,ilsconsumèrentparlefeu
toutcequ'ilyavaitdeplusprécieux.Ilsetrouvaitdansletemple quatre-vingts prêtres,dont les langues ne
cessaient de prononcer le nom de Dieu : ils lestuèrent tous devant le feu sacré, ils mirent fin à leur vie de
dévotion,etleursangéteignitlefeudeZerdouscht.Jenesaisquiatuéceprêtrelui-même.
GUSCHTASPAPPRENDLAMORTDELOHRASPETMARCHEVERSBALKH.
OrGuschtaspavaitunefemmepleinedesens,prudente,rempliedesagesseetd'uneintelligencepuissante;elle
pritdanslesécuriesuncoursieretlemonta;elles'habillaàlamanièredesTurcs,sortitdupalaisetpritla
routeduSéistan.Toutémuedecequis'étaitpassé,ellenesemitpasàdormirquandelleatteignitunestation,
maisparcourutdansunjourladistancededeuxjournées,etcontinuaainsijusqu'àcequ'ellefûtarrivéeprèsde
Guschtasp,etpûtluidonnerdesnouvellesdelapertedeLohrasp.Elleluidit:Pourquoias-tutardésilongtemps;
pourquoias-tuquittéBalkh,lavilleillustre?IlyestarrivéunearméeduTouran,etlejourestdevenuameraux
hommesdeBalkh;toutlepaysestpleindepillageetdemeurtres,etilfautquetut'enaillesd'ici.Guschtasp
lui répondit : Pourquoi tant de soucis ?pourquoi cette douleur et ce deuil à cause d'une attaque ? Quand jeme
mettrai en route avec une armée, tout le pays de la Chinefléchiradevantmoi.Ellerépliqua:Neparle,passi
follement,carilt'estarrivéunechoseterrible.Onatué,devantBalkh,Lohrasp,leroidesrois,etnosjoursen
sontdevenussombresetpleinsd'amertume.PuislesTurcssontentrésdansle templeNousch-Aderetonttranchéla
tête au vénérableZerdouschtetàtouslesprêtres,etlefeubrillants'estéteintdanscesang.Onnedoitpas
fairesipeudecasdepareilsméfaits!Ensuiteonaremmenécaptivestesfilles;necomptepaspourpeuunsi
grandmalheur!Sicen'eûtétéqueladétressedeHomaï,lecœurd'unhommedesensenseraitbrisé!EtBeh-Aferid,
tafille,quelesouffledel'airn'avaitjamaistouchée,ilsl'ontenlevéedesontrôned'or,ilsluiontarrachésa
couronneetsesbracelets!
CesparolesremplirentdedouleurGuschtasp,etdeslarmesdesangcoulèrentdesescils;ilconvoqualesgrands
de l'Iran et leur raconta tout ce qu'ilavait entendu. Il fit venir celui qui écrivait ses lettres ; il ôtasa
couronneetquittasontrône;ilenvoyadetouscôtésdescavaliersetexpédiadeslettresàtouteslesfrontières,
disant:Neprenezpasletempsdelavervostêtes,nefaitespasattentionauxmontagnesetauxvallées,accourez
tousàmacour,armésdecottesdemailles,demassuesetdecasquesdeRoum.Onportacettelettreàchaqueprince
quiavaitdupouvoirdansl'empire..
Lorsqu'unearméedecavaliers,prêtepourlecombat,sefutrenduedetouteslesprovincesàlacourduroi,il
distribualasolde,quittaleSéistan,etsuivitlaroutedeBalkh,lavilleillustre.Ardjasp,apprenantquel'armée
deGuschtasp,lemaîtredumonde,lemaîtredutrôneetdelacouronne,étaitenmarche,amenaduTourantantde
troupesquelafacedusoleiletdelalunefutobscurcie;ilcouvritdesonarméetoutl'espacedemerenmer,et
nullepartonnevoyaitpluslasurfacedusol.Lorsquelapoussièrequesoulevaientlesdeuxarméessefutconfondue,
quelaterrefutdevenuenoireet l'aircouleurdelapis-lazuli,lesarméesétendirentleursrangsdesdeuxcôtés,
tenantenmaindeslances,desépéesetdesjavelots.Al'ailedroitedesIranienssetrouvaitFerschidwerd, lefils
duroi,quiaimaitàcombattreleslionsféroces;àl'ailegauchesetenaitlevaillantNestour,àquilecielqui
tourneempruntaitsalumière;leroiGuschtaspétaitaucentreetsurveillaitsestroupessurtouslespoints.Du
côté des Touraniens,Kender commandait l'aile droite, ayant derrière lui les fantassins,etlebagage;àl’aile
gauchesetrouvaitKehrem,quifrappaitdel'épée,etaucentreArdjasp,entourédesacour.
La voix des timbales se fit entendre des deux côtés,la terre était couverte de fer, le ciel était couleur
d'ébène;onauraitditquelavoûteduciels'envolerait,quelaterresebriseraitsouslepoidsdesannées;les
rocherscachaientleurscimes,frappésdeterreurparlehennissementdeschevauxetlescoupsdeshachesd'armes;
laplainesecouvraitdecorps,sanstête,couchésdanslapoussièreetbrisésparleslourdesmassues;lesépées
flamboyaient,lesflèchespleuvaient,leshérospoussaientdescrisendonnantetenrecevantdescoups,lesastres
cherchaientàs'enfuir,lesarméesprodiguaientleurvie,lesfersdeslancesetlesmassuessecourbaient,lechamp
debatailleétaitjonchédemortsgisantàterre.Biendeshommesétaientfoulésauxpiedsdeschevaux,lagueuledes
lionsétaitleurlinceul,etlesangleurservaitdecercueil;onnevoyaitquedestêtessanscorps,descorpssans
tête;lescavaliersressemblaientàdeséléphantsécumants,etlespèresn'avaientpasletempsdes'apitoyersur
leursfils.C'estainsiquetournaitlavouteduciel,etl'onsebattitpendanttroisjoursettroisnuits,avec
haineetavecrage,avecardeuretenpoussantdesclameurs.Lechampdebatailleétaitdansunétattelquelaface
delalunefutrougieparlesangquijaillissait.Danslamêlée,FerschidwerdsejetacommeunlionsurKehrem,qui
frappaitdel'épée;maisilfuttellementblesséquesonâmesortitdesoncorpsgracieux.BiendesIraniensfurent
tués,etlaterrefutcouvertedusangdesbraves.Guschtaspavaittrente-huitfils,vaillantsdanslamontagneetdm
héros dans la plaine : tous tombèrent sur ce champde bataille, et le roi, que la fortune avait abandonné, se
désespéra.
GUSCHTASPS'ENFUITDEVANTARDJASP.
AlafinlesortaccablatellementGuschtaspqu'ilfutforcédefuir.LesTurcslepoursuivirentpendantdeux
stations,espérantleprendre;maisunemontagnesetrouvadevantlui,couvertedeverdure,etsurlaquelleily
avait dessourcesquipouvaientfairetournerdesmoulins.Cettemontagne,danstoutsonpourtour,n'offraitqu'un
seulchemin,etGuschtaspleconnaissait.Ilmontadanslamontagne,lecœurbrisé,accompagnédesestroupes,et
laissaunepartiedeseshéroscampéssurcechemin.LorsqueArdjasparrivadansceslieuxavecsonarmée,ilfitle
tourdelamontagnesanstrouverunaccès,etoccupaalorstoutlepaysd'alentour,cherchantunmoyenderéussite.
Guschtasp,leroiaunoblecaractère,sevoyaitsansressource;onallumadesfeuxdanslamontagne,etl’onybrûla
desépinesetdesbroussailles;chacundesgrandstuaundestrierpours'ennourrir,etilssemirentàméditersur
leurpositionsansissue.
Leroi,pleindegrandeurd'âme,sevoyantentourépar l'ennemi, prit,dedésespoir, sa tête dans sesmains,
appelalesageDjamasp,luiparlalonguementdesastres,etajouta:Dis-moicequetusaisdelarotationduciel,
hâte-toidel'interroger:ilfautabsolumentquetumedisescequipeutmesauverdanscemalheur.Djamasp,àces
paroles, seleva et s'écria: O roi plein de justice, si tu veux m'écouter, si tu veux avoir confiancedans la
rotationdesastres,jetediraitoutcequejesais,pourvuquetumeregardescommeunhommevéridique.Leroilui
répondit:Toutcequetusaisdessecretsduciel,confie-le-moi,etnemecacherien;car,quandmêmematêtese
heurterait contre les nuages, je ne pourrais échapper à la rotationduciel.Djamaspluidit: O roi, écoute ma
paroleetprête-moil'oreille!Jesais,ôroi,qu'Isfendiaruseseschaînes,plongédanslemalheur.Situveuxlui
rendrelaliberté,tuneresteraspasenfermédansceshautesmontagnes.Guschtasprépliqua:Ohommevéridique,ce
quetudisestlavérité,cequetudemandesestlevrai.J'avaischargédechaînes,dansmonproprepalais,monfils
innocent,surlesparolesd'unennemi;depuiscetempsjem'ensuisrepenti,moncœurétaitblesséetjecherchaisun
remède.SijevoisIsfendiarparaîtresurcechampdebataille,jeluidonneraimontrôneetmacouronne.Maisqui
oseraserendreauprèsdemonnoblefils,quidélivreradeseslienscethommeinnocent?
Djamasplui répondit:Oroi,jevaispartir,carc'estuneaffairegrave.Leroi,maîtredumonde,ditàDjamasp
:Puisselaraisonêtretoujourstacompagne!Parspendantlanuitsombrepourallertrouvercetami,quenousavons
affligémalgrésoninnocence;porte-luimesbénédictions,soisbonpourlui,parle-luibien,soisbonpourluiplus
quejamais.Dis-luiquel'hommequiafaitcommettrecetteinjusticeaquittécemonde,larageaucœur,etquemoi,
quimesuisprêtéauxintentionsdecetinsensé,jemesuistordudedouleuraprèsavoirétéinjuste,etquejesuis
prêtàfairelebienenexpiationdumal.S'ilveutrejeterdesoncœurtoutepenséedevengeance,ilabaisseradans
lapoussièrelatêtedenosennemis;sinon,ceroyaumeetcetrônesontperdus,etcetarbredesKeïanidessera
arrachéavecsesracines;s'ilvient,jeluidonneraimontrôneetmestrésorsdetousgenresquej'aiaccumulés
péniblement;DieuetDjamasp,quiestmonguide,sonttémoinsdecetteparole.
Djamasprevêtitunearmuretouranienne,descenditdelamontagnesansprendreunguideet,arrivédanslaplaine,
iltraversaprudemmentl'arméeturquependantlanuit;ensuiteilfitcourirsonchevalrapidementcommelevent,
jusqu'àcequ'ilfûtarméauprèsdufilsduroi.Unefoisqu'ilfutprèsduchâteaudeGunbedan,ilétaithorsdes
atteintesdesortetdesmainsdesméchante.
DJAMASPSERENDAUPRESD'ISFENDIAR.
Unnoblefilsd’Isfendiar,dontlenométaitNousch-Ader,setenaitsurlesrempartsduchâteau,regardantla
routepourvoirsiquelqu'unvenaitdel'arméed'Iran,etledireàsonpère;ildevaitdescendredèsqu'ilverrait
quelqu'un.Lorsqu'ilaperçut Djamasp chevauchant sur la route, un beau casquetouraniensurlatête,ilsedit:
VoiciuncavalierduTouranquiarrive,jevaismehâterdel'annonceràmonpère.Ildescenditpromptementdurempart
et s'écria: OillustrePehlewan!j'aivadeloinsurlarouteuncavalierdontlatêteestcouverted'uncasque
noir.Jevaism'enretournerpourvoirsic'estunsujetdeGuschtasp,ousic'estunennemi,unhommed'Ardjasp.Si
c'estunTurc,jeluitrancherailatête,jejetteraidanslapoussièresoncorpsmaudit.
LenobleIsfendiarluirépondit:Unhommequiprendcetteroutesansescorte,quipeut-ilêtre?Probablement
c'estquelqu'unquiarrivedel'arméed'Iranavecunmessagepournous,etmmpèreauraplacésursatêtececasque
turcdepeurdenosvaillantsennemis.Nousch-Ader,àcesparolesduPehlewan,s'enretournaencourantauxremparts
duchâteau,etlorsqueDjamaspfuttoutprèssurlaroute,leprincelereconnutdescenditetannonçaàsonpèreque
lefortunéDjamaspétaitdevantlaporte.Isfendiarfitouvrirlesportes,lesageDjamaspentra,luirendithommage,
et lui répéta, du commencement jusqu'à la fin,le message de Guschtasp et toutes les bénédictions dont il était
chargé. Isfendiar lui répondit:Otoi ,héritier des héros, homme sage, puissant et fier, comment peux-turendre
hommageàunhommeenchaîné?Quandonadesfersauxmainsetauxpieds,onn'estpasunenfantdeshommes,maisun
Ahriman.Tum'apporteslesbénédictionsdugrandroidel'Iran,toncœurestdoncdépourvudetoutsentimentduvrai
?C'estArdjaspquim'aenvoyédesbénédictions,puisqu'ilainondéledésertdusangdesIraniens.Onm'achargéde
chaînes, moi, innocent, parce que sansdoute c'est Gurezm qui est le fils du roi, et qu'il fallait que jefusse
enchaîné.MaisjeprendsmesfersàtémoindevantDieuqueGuschtaspm'afaitinjustice,etqu'Ahrimans'estréjoui
desparolesdeGurezm.Voicilarécompensedemespeines!etletrésorqu'onaapprêtépourmoi,cesontdesfers!A
Dieuneplaisequejel'oublie,etquetesparolesmerendentinsensé!
Djamasp lui dit : Otoi qui parles vrai, toi le conquérant du monde, le vainqueur des héros, l’homme
bienveillant,situdétournesainsitoncœuravecdégoûtdetonpère,alorsletrônedecerois'écroule!Maisque
ton cœur s'apitoie sur le roi Lohrasp, l'hommepieux, que les Turcs ont tué dans la bataille, et sur les vieux
Hirbeds,cesadorateursdeDieu,quisetenaientdevantl’autelensilenceetlebarsomenmain,cesMobedsdontona
tuéquatre-vingts,cessagesvouésauculteetpursdecœur,dontlesangaéteintlefeudanslesanctuaire!Ilne
faut pas traiterlégèrementunpareilméfait.Quetoncœurs'apitoiedoncsurtongranditpère,quetacolèrese
montre,quetesjouespâlissent!Silavengeancequetudoisàtongrand-pèrenetefaitpast'élancerdecelieu,
Dieuleguideteréprouvera.Isfendiarlui répondit:Ohommedegrandrenom,dontl'étoileestpuissante,ôhéros
quiatteinsl'objetdetoustesvœux,réfléchisdoncquecevieuxLohrasp,ledévot,lepèredeGuschtasp,seramieux
vengéparsonfils,quiaraviàsonpèreletrôneetleshonneursroyaux!
Djamaspdit:Situneveuxpasvengertongrand-père,situn'asaucunevergognedanslecœur,apprends que
HomaïlaprudenteetBeh-Aferid,tessœurs,dontlesvisagesn'ontjamaisétévusmêmeparlesouffle del'air,sont
prisonnièresdesTurcs,qu'ellessontaffligéesetmalheureuses,qu'ellesvontàpiedetqueleursjouesontpâli.
Isfendiarrépondit:Est-cequeHomaïs'estsouvenuedemoiunseuljourpendantquej'étaisenchaînédanscelieu?
EtlanobleBeh-Aferid,ilsemblaitqu'ellenem'avaitjamaisvudanslemonde.
Djamasp répondit: OPehlewan, l'esprit de ton père est troublépar son sort ! Il est maintenant dans la
montagne, entouré de sesgrands,lesyeuxremplisdelarmes,leslèvresprivéesdenourriture;ilestcernépar
l'arméedesTurcs,ettuneleverrasplus,niluinisondiadème.Dieulecréateurn'approuverapasquetudétournes
toncœurdelatendresseetdelafoi.Tuaseutrente-huitfrères,desléopardsdesmontagnes,deslionsdudésert;
tous ils ont pour couche la terre et la brique, car nos ennemisn'en ont pas laissé un seul en vie. Isfendiar
répondit:J'aieutantdefrèresillustres,ettousontpasséleursannéesdanslesfêtesetmoidanslesfers,sans
qu'ils se soient souvenus de moidansmamisère;etsimaintenantjememettaisàlivrerbataille,àquoi cela
servirait-il,puisqueleursennemislesontanéantis?
QuandDjamaspentenditunepareilleréponse,sonâmefutblesséeetremplied'angoisses;ilseleva,lecœuren
colèreetdeslarmesdedésespoircoulantdesesyeux;ildit:OPehlewandumonde,sitroublésquesoienttoncœur
et ton âme,écoute-moi ! Que diras-tu du sort de Ferschidwerd, qui a été sans cesseaffligé et attristéde tes
malheurs, qui, dansles batailles et dans les fêtes, partout où il se te trouvait, étaitrempli de colère et de
malédictionscontreGurezm,etquej'aivucouvertdeblessuresfaitesparl’épée,lecasqueetlacuirassefendus
sursoncorps?Monâmesebriseparl'excèsdemondésirdetefléchir;aiedoncpitiédemesyeuxquibrûlent
AcesparolesdeDjamaspsurFerschidwerd,lesjouesd’Isfendiarsecouvrirentdelarmesdesang,soncœurse
erraetils'écria;Hélas!monvaillantfrère,lehéros,lebrave,leprinceaucœurdelion,leroi!c'estmoi
quedéchirenttesblessures,mesjouessontinondéesdusangdemoncœur!Quandilfutdevenupluscalme,ildità
Djamasp:Pourquoim’avais-tucachécela?Faisvenirdesforgeronspourqu'ilslimentsurlechamplesferssurmes
pieds.Djamaspamenadesforgeronsavecdesenclumesd'acieretdelourdsmarteaux;ilslimèrentleschaînes,les
clous,lecollierunebarredeferduRoumsemblableàunpont;maistouscesfersneselimaientquelentement,et
leprisonnierdevintimpatientdecettelenteur.Ilditauforgeron:Omaladroit,tuasfaitcesfers,ettunesais
paslesbriser!Ildégageasamain,semit deboutet,danssacolère,étenditsesmembreschargésdechaîne;il
roiditsesjambes,iltorditsesmainsetbrisad'uncouptouslesfersettoutesleschaînes;mais,leschaînes
tombées,ilétaitépuiséils'affaissadefatigueetperditconnaissance.L’astrologuefitcetexploitmerveilleux,
etinvoqualesgrâcesdeDieusurleprinceillustre.Lehéros,douédecetteforceétonnante,lorsqu'ileutrepris
sessens,plaçadevintluitouslesfersettoutesleschaînes,disant:VoicilesprésentsdeGurezm,quimesontsi
utiles pour les batailles et pour les fêtes ! Puis ilplongea son corps endolori dans un bain, car ses membres
étaientfroissésparleschaînesetsapoitrineparlesfers.
Ensuite il demanda une cuirasse de roi et une tuniquede Pehlewan, et se fit amener son destrier ardent et
apportersoncasqueetsonépée;maisenjetantlesyeuxsursoncheval,ilinvoqualenomdeDieu,ledispensateur
de toute grâce,en s’écriant : Si j'ai commis une faute, je l'ai expiée dans les fers ; mais qu'adonc fait ce
destrierbarbe,quimarchaitsifièrement,pourqu'onl’aitfaitmaigrirainsi?Lavez-le,nelaissezpasunetache
sursarobe,etdonnez-luiàmangerpourqu'ilreprennesesforces.Puisilenvoyacherchertouslesforgeronsqui
étaientmaîtresdansleurart;ilsarrivèrent,luifirentdesmailles,etréparèrentsonarmureentière.
ISFENDIARVOITSONFREREFERSCHIDWERD.
Lanuitvint, noirecommeAhrimanlevindicatif,etlebruitdesclochettessefitentendredanslechâteau;
IsfendiarmontasursondestrierdePehlewan,tenantenmainuneépéeindienne,etlui,etBahmanetNousch-Ader,qui
portaithautlatête,partirentpourleurlongueroute,précédésdeDjamasp,leDestourdufortunéGuschtasp,qui
leurservaitdeguide.Lorsquecesvaillantscavaliersfurenthorsdesmursduchâteauetdanslaplaine,leSipehbed
tournasonvisageverslecieletdit:OJuge suprêmeetvéridique!tueslecréateurtout-puissant,tuasremplide
joiel'âmed’Isfendiar.Sijesuisvictorieuxdanscecombat,sijepuisrendreétroitlemondepourArdjaspetfaire
tombersurluilavengeancedueauroiLohrasp,àcesvieillardsinnocentsetàmestrente-huitfrèresquiontrougi
deleursanglapoussièredudésert,jem'engagedevanttoi,lemaîtredelajustice,ànepasmevengerdemonpère
pourlesfersdontilm'achargé.J'établiraidanslemondecentnouveauxtemplesdufeu,jepurifierailaterrede
tous les tyrans ; personne neverra mon pied sur un tapis avant que j'aie construit centcaravansérails dans le
désert,dansdeslieuxdésolés,oùaucunebêtefauvenepasse,quel'onagreettoutgibierévitent;jecreuseraidix
millepuitsetplanteraidesarbresautour.J'amèneraiàlavraiefoiceuxquin'ontpasdeguide,j'abaisseraià
terrelatêtedesmagiciens;jemetiendraienadorationdevantDieu,etpersonnenemeverrajamaismelivrerau
repos.
Ildit,etlançasondestrier;ilarrivaauprèsdeFerschidwerdetlevitétendusurunecouche,endormi,blessé
etdéfait;sesyeuxversèrenttantdelarmesquelemédecinfuttouchédesadouleur.Isfendiarditàsonfrère:O
lionquirecherchaislecombat,quiest-cequit'afaitcesblessures?Dis-lemoi,pourquejetevengedansle
combat,tonennemifût-ilunvaillantlionouunléopard.Ilrépondit:OPehlewan,c'estGuschtaspquim'ablesséà
mort. S'il n'avait pas jeté dansles fers un homme comme toi, les Turcs ne m'auraient pas traitéainsi. De même
Lohrasp,levieuxroi,ettoutBalkhontpériparsafaute.Personnen'ajamaisvunientenduparlerdemauxpareils
àceuxquenousavonsendurésparsuitedesparolesdeGurezm.Maisnetemetspasencolère,sonmets-toiàla
justicedeDieu;restedanslemondecommeunarbrequiportefruit.Moi,jeparspouruneautredemeure;maistoi,
ilfautqueturestesiciéternellement.Quandj'auraiquittélaterre,garde-moiunsouvenir,etréjouismesmânes
parlesbienfaitsqueturépandras.Adieu,ôPehlewandumonde,puisses-tuêtreheureuxetvivreéternellement!
Ildit,sesjouespâlirent,etFerschidwerd,lelionglorieux,mourut.Isfendiarfrappadesamainsacuirasse,
ildéchiratouslesvêtementsdesoiesursoncorps,s’écriant:ODieu,lesaint,lesublime!soismonguidedans
lemonde,pourquejepuissevengerFerschidwerd,fallût-ilréduireenpoussièrelespierresetl'eau!Jeverserai
lesangd'Ardjasp,jecalmerailesmânesdeLohrasp.Ilplaçasonfrèremortsurlaselledesoncheval,lecœurplein
devengeance,latêteéperdue.Ilserenditdanslaplainesurunehautemontagne,emportantsonfrèreliésurun
chevalisabelle,etsedisant:Maintenantquepuis-jefairepourtoi?Commentpourrai-jeéleveruntombeau!Je
n'aiavecmoiniargent,nior,nijoyau;jen'ainidesbriques,nidel’eau,nidesmaçons.Alafinleprince
illustreplaçasonfrèreaupiedd'unarbrequidonnaitdel'ombre;illuiôtasonarmuredeguerreetluifitun
linceuldesatuniqueetdel'étoffequiprotégeaitsatête.
Delàilpartitpourl'endroitoùsetrouvaitGuschtasp,leroiégarédelavraieroute.Ilvittantd'Iraniens
tués que la terre et le sable en avaient disparu ; ilpleuraamèrementlesmorts,cesmalheureuxdontlesjours
étaientpassés.Dansunlieulecombatavaitétérude,sonœilfutfrappéparlevisagepâledeGurezm,àcôtéduquel
gisaituncheval,etsurlequelonavaitjetéunpeudepoussière.Isfendiar,s'adressantaumort,s'écria:Ohomme
insensé et misérable ! réfléchis sur les parolesqu'un sage de l'Iran a prononcées quand il a révélé le profond
secret,qu'unsageennemivautmieuxqu'unami,carlasagesseestbonnechezunamietchezunennemi.Unhommesage
réfléchitsurcequ'ilpeutfaire,etnesefatiguepasl'espritàrechercherunechosequiestau-dessusdeson
pouvoir.Tuasvoulut’emparerdemaplacedansl’Iran,ettuasamenéparlàtoutecettemisèredanslemonde,tuas
détruitlasplendeurdecetempire,tuasuséderuse,tuasproféréunmensonge,etturépondrasdansl'autremonde
detoutlesangquiaétéversédanscettebataille.
Ensuiteildétournasatêtedecesmortsenpleurant,ets'approchadugrosdel'arméedesTouraniens.Ilvitun
camps'étendentdanslaplainesurseptfarsangs,ettelquelecielenétaitdanslastupeur;unfosséétaitdressé
toutautour,pluslargequelaportéed'uneflèche.Iltraversacefosséparmilleefforts,etlançasonchevaldans
laplaine;unerondedeTurcs,composéedequatre-vingtscavaliers,traversadanscemomentlechampdebataille,et
arrivasurluitouteendésordre,poussantdescrisetluiadressantdesquestions.Unhommeaucœurde lion lui
demandacequ'ilcherchaitsurlechampdebataille.Ilrépondit:Vousnepensez,surlechampdebataille,qu'au
reposetauxfêtes;etlorsqueKehremareçuavisquevousaviezlaissépasserIsfendiar,ilm'aordonnédeprendre
monépéetranchanteetdevousdétruire.Iltirasonépéeetsejetasureux,eninvoquantlesouvenirdelabataille
qu'ilsavaientlivréeàGuschtasp;ilrenversaungrandnombred'entreeuxsurlaroute,etserenditdelàauprèsdu
roi.
ISFENDIARARRIVEDANSLAMONTAGNE,AUPRÈSDEGUSCHTASP.
Ilarrivasurlamontagnerocheuse,aperçutsonpèreetluirendithommage.Lepère,dontlecœurétaitnavré,se
leva,lebaisaetluipassalamainsurlevisage,endisant:GrâcessoientrenduesàDieu,ôjeunehomme,deceque
jet'airevu,lecœurenjoie!Nem'enyeuxpasdanstonâme,net'indignepascontremoi,etn'emploiepastaforce
àtevenger.Gurezm,cethommeméchantetdemauvaisenature,aaveuglémonâmeetl’adétournéedemesfils.Ses
mauvaisesparolesontamenélemalheursurlui-même,etsesmauvaisesactionsontperducemauvaishomme.Maisje
jure par le Créateur du monde, qui sait tout ce quiest connu et ce qui est caché, qu'aussitôt que je seraide
nouveauheureuxetvictorieux,jeteremettrail'empire,letrôneetlacouronne.Jefonderaibiendestemplesdans
lemonde,jetedonneraitouslestrésorscachésquejepossède.
Isfendiarrépondit:Puisseleroiêtrecontentde moi.carsonapprobationestlacouronne,letrôneetle
diadèmequej'ambitionne!Quelemaîtreduamondesacheque,lorsquej'aivusurlechampdebatailleGurezmcouché
surlaterre,j'aipleurésurcethommequim'avaitcalomnié,j'aipenséavecl’angoisseauxpeinesquelecœurdu
roiavaitendurées.Ilm'estarrivécequiétaitdansmadestinée;maiscequiestpasséjeleregardecommedu
vent.Maintenant,quandjetirerail'épéedelavengeance,quandjesortiraidecesrochers,jenebaisseraiexister
niArdjasp,nileKhakandelaChine,niKehrem,niKhallakh,nilepaysdeTouran.
Lorsquel'arméesutqu'Isfendiarétaitdélivrédeseslourdeschaînesetdesamauvaisefortune,ellearrivapar
troupessurlacimedelamontagne,auprèsdumaîtredelaterre;touslesgrands,qu'ilsfussentdesafamilleou
étrangers,posèrentleurfrontsurlesoldevantlui.Isfendiar,àl'étoilefortunée,leurdit:Ohommesillustres,
quipercezavecvosépées,tirezvosglaivestrempésavecdupoison,allezaucombatettuezlesennemis!Lesgrands
luirendirentleurshommages,s'écriant:Tuesnotrediadème,tuesleglaivedenotrevengeance,nous t'offrons
tousnotreviecommegage;nosâmessontréjouiesdetavue.Ilsemployèrenttoutelanaîtàmettreenordrel'armée
etàpolirleurscuirassesetleursépées.DenouveauGuschtaspparlatristementaufortunéIsfendiardesmalheursdu
sort;etsesyeuxinondèrentsesjouesdedeuxtorrentsdelarmeslorsqu'ilparladelamortdesesjeunesfils,
pleinsd'ardeurpourlecombat,quifurenttuéssurlechampdebataille,etportaientsurleurtêteunecouronnede
sang.
CettemêmenuitArdjaspappritqueGuschtaspavaitétérejointparsonfils,quecelui-ci,sursaroute,avait
tué denombreusesvedettes,etquelerestes'étaitenfuidevantlui.Ildevint soucieux, convoqua ses grandset
parlalonguementens'adressantàKehrem:Nousavionscomptésurautrechoseencommençantcetteguerre.Lorsque
l'armées'estmiseenroute,j'aiditquelemondeétaithorsdedangersinoustrouvionsceDivdanslesfers,queje
seraislemaîtredestrônesdel'IranetdelaChine,etquetouslespaysnousrendraienthommage.Maisaujourd'hui
quecefilsduDivestenliberté,noussommesinquietsducombat,etnostêtessontlivréesauvent.Personne,parmi
lesTurcs,n'estsonégaletnepeuttenirdevantluidanslabataille,etilvautmieuxquenousnousenretournions,
contentsdenotrefortuneetdenotrevictoire,dansleTouran,avecnoscouronnesetnostrônes.Ilfitréunirtout
ce qu'il avait de précieux, tous lestrésors, les chevaux caparaçonnés, tout ce qu'il avait enlevé deBalkh, la
glorieuse,etlefitremettreàKehrem.IlavaitencorequatrefilsplusjeunesqueKehrem,quifurentchargésde
fairelesbagagesetdelesplacersurcentchameaux,quipartirentpartouteslesroutes,chacunmontéparunguide.
Maislecœurd'Ardjaspétaitpleindecrainte,satêteremplied'impatience,etlafaim,lereposetlesommeil
lefuyaient.OrilyavaitunTurc,nomméKergsar,quisortitdesrangsdel'armée,s'approchaduroi,etluidit:O
maîtredesTurcsetdelaChine,nelaissepasfoulerauxpiedstagloireparunseulhomme!Regardeleur armée
défaite,battueetenfuite,leurfortunetouteébranlée,lesfilsduroimortsetlui-mêmedésespéré.Ilneluiest
venuenaidequeleseulIsfendiar,ettubriseraislecouragedetonarmée,tulalaisseraivaincrepardesparoles
etsanscombat!Jesuisl'égald'Isfendiardanslabataille,etjejetteraisurlaterrelecorpsduhéros.Ardjasp
écoutacesparoles,vitquec'étaitunhommevaillantetprudent,etluirépondit:Ohérosavidedecombats!tuas
du renomunehautenaissanceetdelavaleur;situfaiscequetupromets,sitabravourevaaussiloinqueta
langue,jetedonneraitout,depuisleTouranjusqu'àlamerdelaChine;jetedonnerailestrésorsduTouran,tu
seraslechefdemonarméeetj'obéiraitoujoursàtesordres.Etsur-le-champillemitàlatêtedel'armée,etlui
promitlegouvernementdesdeuxtiersdumonde.
Lorsquelesoleileutlevésonbouclierd'oretquela nuit sombre eut pris,dedésespoir, sa tête dansses
mains,qu'elleeutjetésatuniquecouleurdemuscetquelafacedumondefutdevenuebrillantecommeunrubis,une
grande arméesortitdelamontagne,conduiteparIsfendiar,levaillantmaîtredumonde.Lui-mêmesetenaitdevant
l'armée,unemassueàtêtedebœufsuspendueàsaselle;leroiGuschtaspaucentre,l'âmerempliedudésirdese
vengerd'Ardjasp;Nestour,lefilsdeZerir,pleindepenséesprofondesdevantlequelleslionsférocess'enfuyaient
de laforêt, se plaça à l'aile droite ; il commandait en chef et veillaitàl'ordonnancedesestroupes;enfin
Kerdouï,levaillant,avaitl'ailegaucheets'avançaitbrillantcommelesoleilausigneduBélier.Del'autrecôté
Ardjaspformaitsesrangs;lesastresnevoyaientpluslaplaine,tantilyavaitdelancesetd'épéessombres,et
l'airétaitrempli de drapeaux de soie brodée. Le centre, où Ardjasp se tenait,était noir comme de l'ébène ; à
l’ailedroiteétaitKehrem,aveclesclaironsetlestimbales;àl'ailegauchesetrouvaitleroideDjiguil,auquel
lelionaujourducombatauraitvouluemprunterducourage.
Ardjasp,voyantcettemassedecavaliersvaillantsetarmésdelances,partitetchoisitunecollineélevée,
d'oùilobservaitlesarmées,detouscôtés;soncœurétaitterrifiéparsesennemis,lemondeétaitsombreetnoir
devantsesyeux.Ilfitamenerparlesconducteursdeschameauxdixcaravanesdedromadaires.,etditensecretàses
grands:Silabatailleduretroplongtempspournous,sielleneparaîtpasnousapporterlavictoire,lagloireet
lajoieded'âme,moietmesintimesnoustrouveronsmoyendefairenotreretraiteavecsécuritésurdesdromadaires
rapides.
LorsqueIsfendiaraumilieudesdeuxarmées,semblableàunlionfurieuxetlaboucheécumante,s'ébranlacomme
lecielquitourne,samassueàtêtedebœufenmain,tuauraisditqu'ilremplissaittoutelaplaineetquesapeau
se fendrait, àcause du feudelacolèrequi le consumait. Le bruit de la bataille et le son des trompettesse
faisaient entendre, les héros de l'armée s'ébranlèrent, la plainesemblait une mer de sang, et les épées
scintillaientdansl'aircommelesPléiades.Isfendiarappuyaitsurlesétriersilpoussaitdescrisdetonnerreen
frappantavecsamassueàtêtedebœuf;ilserraitdanssamainsamassued'acier,ettuatroiscentsbraves au
centre de l'armée, s'écriant : Aujourd'hui je réduirai enpoussièrelamer,pourvengerlamortdeFerschidwerd.
Ensuiteilsejetasurl'ailedroite,abandonnalesrênesàsondestrierardent,ettuacentsoixantehéros.Kehrem,
voyantcela,s'enfuit,etIsfendiars'écria:Voicicommentjevengemongrand-père,dontlamortaremplidetrouble
lecœurduroi!Ensuiteiltournalesrênesverslagauche,ettoutelaterredevintcommeunemer desang.Iltua
centvingt-cinqdesplusvaillants,tousdesgrands,possesseursdecouronnesetdetrésors,etils'écria :Voici
commentjevengemestrente-huitnoblesfrèresquisontmorts.
Acettevue,ArdjaspditàKergsar:Cettearméeinnombrableestdétruite;iln'yaplusunhommedeguerre,il
neresteplusunseulhommedevantlesrangs.J'ignorepourquoituesdemeurésilencieux,etpourquoitum'asconté
toutesceshistoires.CesparolesréveillèrentlecouragedeKergsar,etilallaau-devantd'Isfendiarlehéros;il
s'avança,unarcroyaletuneflèchedeboisdepeuplieràtêted'acierenmain.Quandilfuttoutprès,ilplaçala
flèchesurl'arcetlalançacontrelapoitrineduPehlewan.Isfendiars'affaissasurlasellepourfairecroireà
KergsarquelaflècheavaittraversésacuirasseetavaitblessélapoitrinebrillanteduKeïanide.Kergsartiraune
épéed'acierluisantetvouluttrancherlatêteàIsfendiar;celui-cieutpeurd'êtreblessé,détachaducrochetde
sasellesonlacetroulé,etlelança,enprononçantlenomdeDieulecréateur,surlecoudeKergsar;satêteet
soncoufurentprisdanslenœud,etIsfendiarjetaparterresoncorpstremblant;puisilluilialesdeuxmains
fortementsurledos,serraleboutdusudsurlanuque,enlevaKergsardedevantlesrangsdesarméesetletraîna
danslecampiranien,labouchecouverted'uneécumesanglante. OenvoyasonennemiauprèsdeGuschtasp,lelivraaux
mainsduroiaucasqued'or,etdit:Attachecethommedansl'enceintedetestentesetgarde-toidelemettreà
mort,jusqu'à ce quetuvoiescontrequilafortunesedéclareetquiseravictorieuxdanscecombat.Ensuiteil
retournaàlabatailleetamenatoutesonarméeaucombat,endisantauxbraves:OuestdoncKehrem?onnevoit
plus son drapeau à l’aile droite. Etoù est Kender, le vainqueur des lions, qui frappe del’épée et perce les
montagnesavecsalanceetsesflèches?
OnrapportaàArdjaspqu'IsfendiarétaitalléattaquerKergsar,quel'airétaitdevenuvioletdurefletdeleurs
épées,etqueledrapeauàfiguredeloupavaitdisparu.Ceprodigeremplitdesoucil’âmed'Ardjasp;ildemandaun
dromadaireetsedirigeaversledésert;luietsesintimesmontésaussisurdesdromadairespartirentenmenant
leurschevauxàlamain;illaissal’arméesurlechampdebatailleetpritavecsesgrandslaroutedeKhallakh.
Isfendiarpoussadescris,etsavoixfaisaittremblerlesmontagnes;ilcriaauxIraniens:Netenezpasvosépées
dansvosmainssansvousenservir,faites-leurdesfourreauxdanslecœuretaveclesangdevosennemis,faitesdu
pays de Touran une montagne de Karen.Lesbraves, avides de vengeance, se raffermirent sur leurs étriers,et les
arméessejetèrentl’unesurl'autre;laterre,lespierresetl'herbedisparaissaientsousdestorrentsdesangqui
faisaient tourner les moulins. Toute la plaineétait jonchée de pieds, de têtes et de troncs dont les poitrines
étaientfenduesetdontlesmainstenaientencorelesépées;lescavalierss'élancèrentsurlechampdebataille,
maissanspouvoirramassertouteslesparuresquilecouvraient.
Quand les Turcs apprirent qu'Ardjasp était parti, lapeau se fendait sur leurs corps ; ceux qui avaient des
chevauxs'enfuirent, les autres jetèrent leurs casques et leurs cuirasses,et se rendirent auprès d’Isfendiar en
poussant des cris de détresse,et leurs yeux versèrent des larmes comme les nuages du printemps. Lehéros leur
accordaleurgrâce,etdecemomentnetuapluspersonne.Ilimposasilenceàsoncœursurlemeurtredesongrand-
père,etchargeaungranddelagardedesTurcs.Luietsonarméeserendirentauprèsduroi,leurspoitrines,leurs
épéesetleurscasquesd'orcouvertsdesang;sonépéeétaitcolléeàsamainparlesang,sapoitrineetsesépaules
étaientfroisséesparlacuirasse.Ontrempasamainetsonépéedansdulaitpourlesséparer,ontiralesflèches
desacottedemailles;ensuitecehéros,quiambitionnaitlapossessiondumonde,semitdansl'eau,selavalatête
etlesmembres,joyeuxdecœuretsaindecorps.Ildemandaunvêtementdedeuiletseprésentadevantlemaîtredela
justiceetdelavérité,etGuschtaspetsonfilsrestèrentrespectueusementetentremblant,pendantunesemaine,
devantDieu,letrèssaint,enadorantleCréateur,ledispensateurdelajustice.LehuitièmejourIsfendiarse
montra,etKergsars'approchadesontrône,désespérantdanssonâmedeladoucevie,etlecorpstremblantdepeur,
commelafeuilledusaulequ'agitelevent.Ildit:Oroi !cetteassembléenetesaurapasgrédemamort.Jeserai
tonesclave, je me tiendrai derrière toi, je te servirai toujours deguide pour la fortune, j'amoindrirai chaque
malheurquipeutt'arriver,jeteconduiraiauchâteaud'airain.Isfendiarordonnaqu'onlereconduisîtàsestentes,
lesmainsetlespiedsliés.EnsuiteilserenditaucampquiavaitappartenuàArdjasp,lemeurtrierdeLohrasp;il
distribualeschosesprécieusesquis’ytrouvaient,etenparalescavaliersetlesfantassins;ilmitàmort,parmi
lesTurcsqu'ilavaitemmenésprisonniers,ceuxquiavaientfaitdumalàsonarmée.
GUSCHTASPENVOIEISFENDIARDENOUVEAUCONTREARDJASP.
Ensuiteilserenditauxtentesduroi,etluiparladetouteschoses,deLohrasp,deFerschidwerd,desesfils
glorieuxauxjoursdescombats,etdelamanièredontillesavaitvengés.Guschtaspluirépondit:Ohommevaillant
!tuteréjouispendantquetessœurssontdansl’esclavage!Heureuxceuxquisonttombéssurleschampsdebataille
et dontlestêtesnesontpascourbéessouscettehonteinfligéeparlesTurcs!Quandonmeverraassissurle
trône,quedirontmessujets?Jepleureraisurcedéshonneuraussilongtempsquejevivrai,etmatêteestremplie
defeu.J'aipromisdevantleCréateurtout-puissantque,situentresvaillammentdanslepaysdesTurcssans y
périr, si tu braves l'haleine du dragon et délivres tes sœursdu pouvoir des Turcs, je te donnerai la couronne
impériale,letrônedupouvoir,enfintousmestrésors,quinet'aurontcoûtéaucunepeine.Isfendiarluirépondit:
Puisse le monde n'être jamais privédetoi!Jesuisesclavedevantmonpère,etcen'estpaslaroyautéque je
recherche.QuemoncorpsetmonâmetesoientgarantsquejenedésirepastonIrèneettonpouvoir.Jepartirai,je
me vengeraidenouveaud'Ardjasp,jedétruiraitoutlepaysdeTouran,jeramèneraimessœursdelacaptivitésur
leurstrônes,grâceàlafortunedumaîtredumonde,dugrandroi.Guschtasplebénit,disant:Quelaraisonsoit
toujourstacompagne!QueDieuteprotègeenroute,queletrônesoitàtoujourstaplaceauretour!
Guschtaspappeladestroupesdetouslescôtés,departoutoùsetrouvaitunMobedouun.seigneur;ilchoisit
parmiellesdouzemillehommes,tousdescavaliershabilesàmanierunchevaletdebonrenom.Illeurdistribuades
trésors et de l'argent, et n'en laissa aucun mécontentde ses présents ; il donna à Isfendiar un trône et une
couronneincrustéedepierreriesdignesd'unroi.Onentenditdesvoixdemandantdanslacourduroiqu'onamenâtpour
lesprincesdeschevauxtenanthautlatête.Onportadanslaplainelestentesetledrapeauàfigured'aigleroyal
;l'armées'ébranla,etlapoussièreobscurcitlesoleilbrillant.Isfendiarquittalepalaisetserenditdansla
plaine,oùiltrouvaunearméeprêteaucombat.
*********************
suite
RETOURÀL’ENTRÉEDUSITETABLEDESMATIÈRESDEFIRDOUSI
FERDOWSI/FIRDOUSI
LELIVREDESROISTOMEIV(partieI-partieII-partieIII-partieIV-partieV-partieVI)
ŒuvrenumériséeparMarcSzwajcer
précédent
FERDOWSI
LELIVREDESROIS.
TOMEIV
HISTOIREDESSEPTSTATIONS.
LOUANGESDUROIMAHMOUD.
Maintenantjevaisconterl'aventuredesseptstations;jelaconteraidansunbeauetfraisrécit,pleinde
combatsetd'entreprises,deconseilsetderésolutions,d'actesdevengeanceetdejustice,debataillesetdefêtes,
etsilafortuneveutpourunefoisveniràmonaideetdonnerunlibreessoràmontalent,jeparleraisousles
auspicesduroiMahmoud,desonglorieuxrègneetdesacouronneroyale.Puisseleroidumondevivreéternellement,
etlesgrandsdelaterrerestersesesclaves!Quandlesoleilbrillants'estmontré,quandilatendrementparéla
facedelaterreetposésursatêtelacouronnedanslesigneduBélier,l'Occidentetl'Orientenontétéheureux;
lesmontagnesontétépleinesderoulementsdutonnerre,lesbordsdesruisseauxsesontcouvertsdenarcissesetde
tulipes;lesnarcissesontdonnédesenchantements,lestulipesdelapatience,lenarddesangoissesetlafleurdu
grenadierdesparures.Lecœurdesnuagesestremplidefeuetleurœilpleindelarmes,c'estlebruitd'unemusique
pleinederageetdecolère;quandlafoudres'éteintetl'eautombeentorrents,lestêtess'endormentsousce
bruit;maisquandtuteréveilles,regardelaterre,quiestbellecommedusatinpeintenChineparMani.Lorsque
laterrebrillesouslesoleil,ellevoitlesjouesdunarcisseetdelatulipecouvertesdelarmes,ellesouritet
dit:Ocoquettes,c'estd'amourpourvousquejepleure,etnonpasdedouleuroudecolère.Eneffetlaterrene
souritquequandlecielpleure,aussinecomparerai-jepasauciellamainduroi,carlecielnefaitpleuvoir
qu'auprintemps,etneressemblepasàlagénérositéincessantedesrois:c'estausoleil,quandilsecouvredeson
diadèmedanslesigneduBélier,queressemblelamainduroi.Quesestrésorsproviennentdelaterreoudel'eaude
lamer,quecesoitdel'oroudumusc,jamaisilnecachesasplendeur,nidevantlepauvre,nidevantleprince
pleindefierté.LamainduroiAboulkasem,cegrandprince,estégalementgénéreuseenverslesbonsetenversles
méchants ; jamais il ne recule devant une largesse, jamais il ne serepose au jour de l'action ; quand il a à
combattre, il livrebatailleetsaisitlatêtedesrois,maisàquiconquebaisselatêtedevantluiildonneses
trésorsetnepensepasàlapeinequ'ilsluiontcoûtée.PuisseMahmoudresterlemaîtredumonde,répandreses
bienfaits et rendre justice ! Maintenant fais attention à ce queraconte du château d'airain le vieillard plein
d'expérience,etconserves-enlesouvenir.
PREMIÈRESTATION.—ISFENDIARTUELESDEUXLOUPS.
LorsqueleDihkanquiraconteleshistoireseutplacélatable,ilfitlerécitdesseptstations;ilsaisitde
la mainunecouped'or,etsemitàparlerdeGuschtasp,duchâteaud'airain,deshautsfaitsd'Isfendiar,desa
routeetdesinstructionsdonnéesparKergsar,disant:IsfendiarétaitsortideBalkh,laboucheetl'âmeremplies
deparolesamères;ilquittasonpèreetpritlarouteduTouranenemmenantKergsar.Ilcontinuajusqu'àcequ'il
fûtarrivéàunendroitoùdeuxroutesseprésentèrent;ilyfitdressersestentesetcellesdel'armée,placerles
tables,etdemanderduvinetdelamusique.Tousleshérosdel'arméearrivèrentets'assirentàlatableduroidu
peuple.Ensuiteilordonnaqu'onamenâtdevantluiKergsaraucœurulcéré,etqu'onluiremplitcoupsurcoupquatre
foisunecouped'or,puisilluidit:Otoi ,dontlafortuneestassombrie,jeteferaiparvenirautrôneetàla
couronne;siturépondsselonlavéritéàtoutesmesquestions,toutlepaysdeTouranseraàtoi;jeteledonnerai
quandjeseraivictorieux;j'élèveraitatêtejusqu'ausoleilbrillant;jeneferaidemalàaucundetesalliésni
àceuxdetesfils;maissituessayesdemementir,tonmensongen'aurapasdesuccèsauprèsdemoi;jetecouperai
endeuxavecmonépée,jerempliraideterreurcetteassembléepartonexemple.Kergsarluirépondit:Oillustreet
fortuné Isfendiar ! tu n'entendras de moi que des paroles vraies; de ton côté, fais ce qui convient à un roi.
Isfendiarluidit:Maintenantindique-moioùestlechâteaud'airainquisetrouvesurlafrontièredel'Iranetdu
Touran. Combien de routes y conduisent,combien de farsangs y a-t-il et quel est le chemin le moinsdangereux ;
combiendetroupesytient-ontoujours,etcombiensonthautslesmurs?Dis-moitoutcequetuensais.
Kergsar lui répondit : OIsfendiar,ô roi aux traces fortunées ! trois routes conduisent d'ici à cettecour
d’Ardjasp,àlaquelleildonnelenomdesonchâteaufort;l'uneexigetroismois,lasecondedeuxmois,etl'on
peutconduireunearméeparl'uneetparl'autre;surlapremièreontrouvepartoutdel'eau,desfourragesetdes
villes,etelletraverselespossessionsdedeuxtiersdesgrandsduTouran.Surlaseconde,quiexigedeuxmois,tu
serasdansl'embarraspourlesvivres;iln'yapasd'herbagesnideréservoirsd'eaupourlesbêtes,ettun'y
trouveras pas de lieu ou l'arrêter. La troisième route se parcourtdans une semaine, et l'armée arriverait le
huitième jour devant lechâteau d'airain ; mais elle est pleine de lions, de loups et dedragons vaillants, aux
griffesdesquelspersonnen'échappe.Ensuiteilyaunemagiciennedontlesrusessontpiresquelesloupsetles
lionsetmêmequelespuissantsdragons.Elleprendunhommeetleportedelamerjusqu'àlalune,etelleprécipite
unautredansunabîme.Onrencontresurcetteroutedesdéserts,dessimourghs,etunfroidaffreuxquifaitéclater
lesarbresquandlevents'élève.Ensuiteonsetrouvedevantlechâteaud'airain,unchâteautelquepersonnen'ena
vudepareilnin'enaentenduparler.Lacrêtedesesrempartss'élèveplushautquelesnuagesnoirs,ilestrempli
detroupesetd'armesetentouréd'unerivièred'eaucourantedontlavuetroublel'espritetqueleroipasse en
bateauquandilserenddanslaplainepourchasser. SiArdjaspétaitassiégécentansdanscefort,iln'aurait
besoinderientirerdelacampagne,carilyadanslechâteaudeschampsensemencésetdesprairies,desarbres
fruitiersetdesmoulins.
Isfendiarécoutacesparoles,secoua latêtependantquelquetempsetsoupira;à lafinildit:C’estlaseule
routepournous,cariln'yariendemieuxdanscemondequ'unchemincourt.Kergsarrépondit:Oroi ! jamais
personnen'aentreprisdepasserparlaforceetenfaisantdubruitparlaroute desseptstations,àmoinsd'avoir
renoncéàlavie.Lehérosrépliqua:Situesavecmoi,tuverrasmoncourageetmaforced'Ahriman.Dis-moiquije
trouveraid'abordenfacedemoietquiilfautquejecombattepourm'ouvrirlaroute.Kergsarrépondit:O roi
fortuné, ô cavalier élu, deux loups viendront t'attaquerd'abord, un mâle et une femelle, chacun semblable à un
éléphantterrible;ilsportentsurlatêtedescornescommedescerfsetsontavidesdecombattredeslions;ils
ont desdéfensescommedeséléphantsfurieux,despoitrinesetdesmembreslargesetdesflancsmaigres.Isfendiar
ordonnaalorsqu'onramenâtlemalheureuxdanssatentechargédeseschaînes;ilfitpréparerunefêteetplaçasur
satêtesondiadèmedeKeïanide.
Lorsquelacouronnedusoleildescenditversl'horizonetquelecieldévoilaàlaterresessecrets,lebruit
destimbaless'élevadelaporte,laterresecouvritdefer,lecieldevintcouleurd'ébène.Isfendiarpritlaroute
duTouranparlesseptstations,etpartitavecsonarméeheureuxetcontent.Ayantmarchéjusqu'àlastation,il
choisitdanssonarméeunhommeillustre,Beschouten,unhommepleindevigilance,etquigardaitl'arméecontreles
embûchesdel'ennemi.Illuidit:Maintiensl'arméedansl'ordre;jesuisinquietdecequem'aditKergsar;je
suislechef,ets'ilm'arrivemalheur,ilnefautpasqu'ilenarriveautantauxautres.
AlorsIsfendiarserevêtitdesonarmuredecombat;onaffermitlessanglesdesonchevalnoir,etils'avança
verslesloups,enserrantlesjambesaveclaforced'unéléphantterrible.Lesloupsvirentsapoitrineetsesbras,
saceinture,samainetsamassue;ilsdirigèrentleurcourseversluidanslaplaine,commedeuxéléphantsfurieux
etavidesdecombat.Lehérosbandasonarc,etpoussauncriterrible,commeunlionrugissant;ilfitpleuvoirdes
flèchessurcesAhrimans,etseprécipitadansledangerquijusque-làavaitaccablé touslescavaliers. Lesloups
souffrirentdespointesdesesflèches;aucunneputapprocherdeluisansêtreatteint.Isfendiarlesregardale
cœurtranquille,etvitquelesdeuxbêtesfauvesétaientaffaibliesetendétresse;iltirauneépéetrempéeavec
dupoison,poussasonchevalets'élança;illeurfenditlatête,leurdéchiralapoitrine,etfitnaîtredeleur
sangdesrosessurlapoussière.Ildescenditdesondestriercélèbre,etreconnutdevantDieuquesapropreforce
n'aurait passuffi.Ilfitdisparaîtredesoncorpsetdesesarmeslestracesdusangdesloups,choisitdansce
lieuunendroitpurdesang,ettournasonvisagecoloréverslesoleil;lecœurencorepleindesoucisetlatête
couvertedepoussière,ildit:OJuge ,dispensateurdelajustice,c'esttoiquim'asdonnédelaforce,dusenset
delabravoure.Tuascouchécesbêtesfauvesdanslapoussière,tuserasmonguidepouraccomplirlebien.
Quand les troupes et Beschouten arrivèrent, ilstrouvèrent le héros dans l’endroit où il avait prié ; ils
restèrentconfondusdesonexploit,ettoutel'arméesemitàfairedesréflexionsetdit:Faut-ilappelercethomme
unloupouunéléphantfurieux?Puissentcecœur,cetteépéeetcettemaindureréternellement!Queletrôneduroi,
etlepouvoir,etlesfêtes,etl'arméenesoientjamaisprivésdelui!Leshéros,pleinsdesagesse,firentdresser
leurstentesauprèsd'Isfendiar;ilspréparèrentunetabled'or,mangèrentetburentduvin.
SECONDESTATION.—ISFENDIARTUELESLIONS.
Kergsarn'avaitenpartagequelechagrin devoirsafortune des hommes de guerre etd'Isfendiar. Celui-ci,
ordonnaqu'onluiamenâtleprisonnier,quivintentremblantetlesyeuxremplisdelarmes;illuidonnatrois
coupesdevin,etluidemanda:Quedis-tumaintenant?quellemerveillevais-jevoir?Kergsarréponditauprince:
Omaîtredelacouronne,roiaucœurdelion!àlaprochainestationtuserasattaquépardeslions,aux griffes
desquelslecrocodilenerésistepas;etl'aiglecourageux,sivaillantqu'ilsoit,n'osepasvolerau-dessusdela
routedeslions,Isfendiar,aucœurserein,semitàsourire,etluidit:OTurc infortuné,tuverrasdemaincomme
jeseraibraveenfacedeslionsetenlescombattant.
Lorsquelanuitfutdevenueprofonde,leroiordonnaàl'arméedequittercelieu,etarméesemitenmarchedans
lesténèbresetencélébrantselouanges.Quandlesoleileutconvertile sombre voiledelanuitenunvoilede
brocartjaune,leSipehbedarrivaaulieuducampementdesbravesetdanslaplaineoùildevaitcombattreleslions
;ilfitappelerBeschouten,luidonnadesconseilssansnombre,etluidit:Jeteconfiecettenoblearmée,etje
parspourlivrercombat.
Alorsilpartit,etlorsqu'ilfutprèsdeslionslemondedevintsombredevantleursâmes.L'unétaitunmâleet
l'autreunefemelle;ilsarrivèrentsurluivaillammentetbravement.Lemâles'étantapproché,Isfendiarlefrappa
d'uncoupd'épéequidonnaàsafacelacouleurducorail,etlefenditendeuxdepuislatêtejusqu'aumilieududos
;lecœurdelalionnefutremplideterreur,maisellebonditcommeavaitfaitlemâleets'élançasurlui;lehéros
lafrappadesonépée,etfitroulersatêtedanslapoussière.Lamainetlapoitrineduhérosétaientcouvertesde
sang;ilsejetadansl'eauetselavalatêteetlecorps,endemandantdel'aideàDieuseul,letrèssaint.Ildit
aumaîtresuprêmedelajustice,autrèssaint:C'esttoiquiastuécesbêtesfauvesparmamain.
Pendantcetempslestroupesétaientarrivées;Beschoutenregardalespoitrinesetlesmembresdeslions,et
toutel'arméerendithommageàIsfendiaretl'appelaleprinceleplusillustredelaterre.Ensuitelehérosqui
leuravaitservideguideserenditautentesducamp;ondressalestables,etlechefdel’armée,àl'espritpur,
fitapporterdesmetsdélicats.
TROISIÈMESTATION.—ISFENDIARTUELEDRAGON.
AlorsIsfendiarordonnaqueleméchantetmalheureuxKergsarparûtdevantlui.Illuidonnatroiscoupesdevin
couleurderubis,etquandlescoupesdevineurentégayécetAhriman,illuidit:Ohommemalheureuxetmisérable,
révèle-moi ce que tu saisde ce que je dois voir demain. Il répondit : O roi, dont la grandeurdépassetoute
grandeur,quetoutmalsoitloindetoi!Tut'esélancétoutd'uncoupcommelefeu,etc'estainsiquetuaspassé
parcesdangers;maistunesaispascequeturencontrerasdemain!Aiepitiédelafortunequiveillesurtoi!
Quandtuarriverasdemainàlastation,tutrouverasdevanttoiundangerbienplusgrand:ilviendraàtarencontre
undragonterrible,quiattireavecsonhaleinelepoissondelamer,dontlesoufflebrûlantmettoutenfeu,dontle
corpsestunemontagnederoche.Tuferaismieuxdet'enretourner,ettonintelligenceattesteraquececonseilest
bon.Tuneteménagespastoi-même,maisménagedonccettebellearméequetuasrassemblée.Isfendiarluirépondit:
Ohommedemauvaisenature,jetetraîneraiavecmoidansteschaînes,ettuverrasquedanslecombatledragon
n'échapperapasàmonépéetranchante!
Ilordonnaalorsqu'onamenâtdescharpentiersetqu'onapportâtdespieuxsolidesetlourds;ilfitfaireun
bonchariot de bois, qu'on garnit tout autour d'épées, et sur lequel onplaçaunebellecaisse.Lescharpentiers
ingénieux construisirenttoutcela;leprinceambitieuxdelacouronnedevaits'asseoirdanslacaisseetatteler
devantdeuxnobleschevaux.Ils'assitdanslacaissepourfaireunessai,etsefittraînerainsipendantquelque
tempsparleschevaux,revêtud'unecottedemailles,tenantenmainuneépéedeKabouletlatêtecouvertedeson
casquedehéros.Quandleprinceeuttoutpréparépourlecombatcontreledragonetqu'ileutachevécetravail,le
mondedevintnoircommelevisaged'unnègre,etlalunemontrasontrôneplacéausignedeBélier.Isfendiars'assit
sursonchevalSchoulek,etpartit,suiviparsonarméeillustre;lelendemain,quandlemondefutpleindelumière
etqueledrapeaudelanuitsombreeutdisparu,Beschoutenseprésentadevantleprinceavidederenom,accompagné
desgrandsetdesesparents.Lehérosmaîtredumonderevêtitsacottedemailles,etconfiaaufortunéBeschouten
lecommandementdel’armée;cethommeaucœurdelionfitamenerlechariotetlacaisse,etlevaillantrois'y
assit;onyatteladeuxnobleschevaux,etilsedirigearapidementducôtédudragon.Celui-cientenditdeloinle
bruitdesrouesetvitbondirleschevauxardents;ilarriva,semblableàunemontagnenoire;tuauraisditqu'il
obscurcissaitlesoleiletlalune;sesdeuxyeuxétaientcommedeuxfontainesrempliesdesangbrillant,etlefeu
sortait de sa gueule. Il ouvrit une bouche qui ressemblait à unecaverne noire, et jeta un regard furieux sur
Isfendiar, qui, àl'aspect de ce monstre, demanda la protection de Dieu et retint sarespiration. Les chevaux
cherchaientàsesoustraireàl'attaquedudragon;maisillesaspiraavecsonsouffleetlesengloutitainsiquele
chariot.Lehéros,quisetrouvaitdanslacaisse,devintinquiet;maislesépéesentrèrentdanslagueuledudragon
et s'yfixèrent;ilvomituntorrentdesangetneputsedégager,carlesépéesétaientcommedeslames,etsa
gueulecommeleurfourreau.Ilétaitembarrasséduchariotetdesépées,etsaforcecommençaitàfaiblir;alorsle
hérossortitdelacaisse,tenantdanssamaindelionuneépéetranchante;etluifenditlecrâne.Lesexhalaisons
duveninrépandus'élevaientdelaterreetétourdirentIsfendiar;iltombacommeunemontagneets'évanouit.
CependantBeschoutenlesuivaitetarrivaitavecsonarméenombreuse;ileutpeurqu'unmalheurn'eûtatteintle
prince;soncœursegonfladesangetsonvisagesecouvritdelarmes;toutel'arméeéclataenlamentations,tous
mirentpiedàterreetabandonnèrentleurschevaux.Beschoutenaccourutetluiversasurlatêtedel'eauderose,et
leprince,quiambitionnaitlapossessiondumonde,ouvritlesyeuxetditàcesguerriersquiportaienthautlatête
:Lesexhalaisonsdupoisonm'ontfaitévanouir,maisjen'aireçuaucuneblessure.Ilselevaets'approchadel'eau,
commeunhommeivredesommeil;ildemandaàsontrésorierunvêtementfrais,entradansl'eau,etselavalatêteet
lecorps.Ils'adressaàDieu,letrèssaint,touttremblant,etserouladanslapoussière,s'écriant:Quiauraitpu
tuercedragonsansêtresoutenuparleMaîtredumonde?Toutel'arméerenditgrâceàDieu,enseprosternantdevant
ledispensateurdelajustice;maisKergsarfutpleindedouleurdecequ'Isfendiar,qu'ilavaitcrumort, était
encorevivant.
QUATRIÈMESTATION.—ISFENDIARTUELAMAGICIENNE.
Leroifitplacerl'enceintedesestentessurleborddel'eau,ettoutel'arméedressalessiennesautourde
lui.Ilfitmettreduvinsurlatableetinvitadesconvives;ilbutdeboutàlasantédeGuschtasp,lemaîtredu
monde.Ensuiteilordonnaqu'onamenâtensaprésenceKergsar,quiétaitblesséaucœuretmarchaitentremblant;il
luidonnadeuxcoupesdevinroyal,souritetluiparladudragon, disant: Ohommevildecorpsetsansvaleur,
regardecevaillantdragonquienveloppaitsesvictimesavecsaqueue,etdis-moicequiseprésenteraàlastation
prochaine,etquellesnouvellesfatiguesetquelsdangersj'auraiàsubir.
Kergsar répondit: O roi victorieux, puisse ta bonne étoile te servir ! Demain, quand tut'arrêteras à la
station, tu seras salué par une magicienne qui a vubien des armées avant celle-ci, et dont le cœur n'a jamais
tremblédevantpersonne.Quandelleveut,elleconvertitenmerledésert,etfaitdescendreàl'horizonlesoleil
quiestauzénith,Onluidonne,ôroi,lenomdeGhoul.Netelaissepasentraînerdanssesfiletsparlafouguede
tajeunesse.Retournedansl'Iran,contentd'êtrelevainqueurdudragon;carilnefautpasmettretagloireen
péril. Isfendiar, qui ambitionnait la possession du monde, luidit: O homme méchant et impudent, tu raconteras
demain ce que tu me verrasfaire, car je traiterai cette magicienne de manière à briserle dos et le cœur aux
magiciens.Parlavictoirequ'accordeDieu,l'unique,ledispensateurdelajustice,jemettrailatêtedesmagiciens
sousmespieds.
Lorsquelejoureutrevêtusatuniquepâle dusoir,etquelesoleil,quiéclairelemonde,futdescenduversle
couchant,Isfendiarmitenroutesonarmée,fitchargerlesbagages,etadressauneprièreàDieu,dequivienttout
bien.Leroifitmarcherl'arméependanttoutelanuit,etlorsquelesoleilélevasoncasqued'or,semblableàun
rubisdanslesigneduBélier,lasurfaceentièredelaterresourit,etIsfendiarremitlecommandementdel'arméeà
Beschouten;ilpritunecouped'or,demandaunebelleguitare,etseparacommepourunefête,luiquiallaitlivrer
uncombat.Ilvituneforêtsemblableauparadis;tuauraisditqueleciels'étaitconvertienunetulipe;onn'y
apercevaitpaslesoleilàtraverslesarbres,etpartoutonvoyaitdessourcesdontl'eauétaitpareilleàl'eaude
rose.Ildescenditdecheval,commel'endroitleméritait,choisitdanslaforêtlebordd'unefontaine,pritdanssa
mainlacouped'or,etquandilsesentitégayéparlevin,ilappuyalaguitarecontresapoitrineetse mit à
chanterdetoutesonâme.Ildit:LemalheureuxIsfendiarnevoitjamaisdevin,n'apointdecompagnonspouren
boire, nerencontrequedeslionsetdesdragonsvaillants,n'estjamaisdélivrédesgriffesdumalheur,n'éprouve
jamaisunpeudeplaisirencemondeparlavued'unebelleauvisagedePéri,etDieuaccompliraittouslesdésirs
de son cœur, s'il voulait lui donnerune de ces femmes dont le traits ravissent l’âme, dont la statureégale le
cyprès,dontlevisagebrillecommelesoleil,dontlescheveuxdemuscdescendentjusqu'auxpieds.
Lamagicienneentenditlesparolesd'Isfendiar,ets'enépanouitcommelaroseauprintemps;ellesedit:Voici
unlionquiestentrédansmesfilets,paré,chantant,etunecoupepleinedans la main. Cette créature impure,
pleinederidesethideuse,semitàécriresesformulesdemagiedanslesténèbres,etsechangeaenunebellefille
turque,avec des joues comme de brocarts de Chine et des cheveux noirs commele musc. Elle s'approcha ainsi
d'Isfendiar,lesdeuxjouessemblablesàunjardinderoses,etdesfleursdanslesein.Quandleprincel'aperçut,
ilchantaplushaut,jouaplusgaiementetbutdavantage,disant:ODieu,l'unique,ledistributeurdelajustice,tu
esleguidedanslamontagneetdanslaplaine!Jeviensdedésirerqu'unefilleauvisagedePériviennemerendre
heureuxdanscetteforêt,etvoiciqueleCréateurmeladonne,queleDistributeurdelajusticemel'accorde!Que
moncœuretmonâmel'adorent!
Illui donna une coupe remplie d'un vin parfumé de musc, et ses jouesen devinrent couleur de rubis. Or il
possédait une belle chaîned'acier,qu'iltenaitprête,maiscachéedevantlamagicienne.Zerdouscht, qui l'avait
apportéeduparadispourGuschtasp,laluiavaitattachéeaubras.Leprincelançacettechaîneautourducoudela
magiciennedemanièreàluienleversesforces.Ellepritlaformed'unlion,maisiltirasonépéeetluidit:Tu
nepeuxmefairedumal,quandmêmetuauraislepouvoird'entasserdesmontagnesdefer.Reprendstaformeréelle,
etjevaistedonnermaréponseavecmonépée.Alorsparut,prisedanslachaîne,unevieillefemmepuante,caduque,
dontlatêteetlescheveuxétaientblancscommelaneige,etlevisagenoir,etIsfendiarlafrappad'uncoupdeson
glaivetranchant.Puisses-tunejamaisvoirunepareilletêteetunpareilsein!
Aumomentoùlamagicienneexpira,lecieldevintsombre,desortequelesyeuxnevoyaientplus;unorage
s'éleva,etunepoussièrenoirerenditinvisibleslesoleiletlalune.Isfendiarmontasurunehauteuretpoussaun
cricommeletonnerrequiéclate.Beschoutenaccourutavecl'armée,etdit:Oroiglorieux!nilescrocodiles,ni
lesmagiciens,nileslions,nilesloups,nilesléopardsnerésistentàtescoups.Puisses-turesterainsi,portant
hautlatête,carlemondeabesoindetaprotection!Maislesvictoiresd'Isfendiarmettaientenfeulatêtede
Kergsar.
CINQUIÈMESTATION.—ISFENDIARTUEUNSIMOURGH.
Leprince,quiambitionnalapossessiondumonde,seprésentadevantleCréateur,etrestalongtempslefront
prosternécontreterre;ensuiteilfitdressersestentesdanslaforêt,etl'oncouvritunetabledetoutcequi
étaitnécessaire.Ilordonnaàl'exécuteurdeshautesœuvresdeluiamenerlemalheureuxKergsar;onl'amena,et
lorsqueIsfendiarlevit,illuidonnatroiscoupesdevinroyal.Kergsarfutréjouiduvincouleurderubis.Le
princeluidit:OTurc infortuné,regardelatêtedelamagiciennesurcegibet.Tum'avaisditqu'ellejetterait
monarméedanslamer,etqu'elleélèveraitsapropretêtejusqu'auxPléiades.Maintenantdis-moicequejeverraià
laprochainestation,puisquenousavonsvucequevalaitlamagicienne.
Kergsar lui répondit : O toi qui es un éléphant deguerre au jour du combat ! à cette station tu trouveras
quelquechosedeplusdifficile;réfléchis-ybien,etsoissurtesgardesplusquejamais.Tuverrasunemontagne
dontlacimeestdanslesnuages;c'estlàquedemeureunoiseaupuissant;lesvoyageursl'appellent simourgh,
c'estcommeunemontagneailéeetavidedecombat.S'ilvoitunéléphant,ill'emportedanssesserres;ilenlèvede
lameruncrocodile,etdelaterreunléopard,etn'aaucunepeineàlesporter.Nelecomparepasauxloupsouàla
magicienne.Iladeuxpetitsquisontgrandscommelui,etilsagissenttoujoursdeconcert.Quandils'élancedans
lesairsetétendsesailes,laterreperdsesforcesetlesoleilsamajesté.Situt'enretournaismaintenant,tuy
gagnerais;cartunepeuxluttercontrelesimourghetlahautemontagne.Lehérosaucœurpuissantsouritetdit:O
prodige!jeluiclouerailesdeuxépaulesaveclespointesdemesflèches,jeluifendrailapoitrineavecmonépée
indienne,jeferairoulerdanslapoussièresatêtesihaute.
Lorsquelesoleilbrillantbaissaetquesondospesasurlecouchant,lechefdesbravesmitenmarchel'armée,
enréfléchissantsur ce qu'il avait entendu dire du simourgh. Ilaccompagnal'arméependanttoutelanuit;mais
lorsquelesoleils'élevaau-dessusdesmontagnes,queleflambeaudumonderajeunitlaterreetchangeal'aspectdes
valléesetdesplaines,ilremitlecommandementdel'arméeàBeschoutenetpartitavecseschevaux,sacaisseetson
chariot.Lepuissantprincepartitrapidecommelevent,etvitunemontagnedontlacimes'élevaitjusqu'auciel;il
plaçaseschevauxetsonchariotdansl'ombredelamontagne;sonesprits'abandonnaàsespensées,etilpriaDieu,
l'unique,parl'ordreduquellemondeestné.Quandlesimourghaperçutd'enhautlacaisseetqu'ilentenditauloin
lebruitdel’arméeetlesondesclairons,ils'élançadesonrocher,commeunnuagenoir,etlesoleiletlalune
disparurent. Il voulutsaisiravecsesserreslechariot,commeunléopardsaisitsaproie;maisilenfonçales
épéesdanssesdeuxailesetsesdeuxailerons,etsaforceetsamajestéypérirent.
Pendantquelquetempsilfrappaaveclebecetlesgriffes;maisàlafinilfutépuiséetsetinttranquille.
Quandsesdeuxpetitsvirentlesimourghpousserdescrisetverserdeslarmesdesang,ilss’envolèrentdecelieu,
demanièrequeleurombreaveuglaitlesyeux.Lorsquelesimourghfutaffaibliparsesblessures,etqu'ileutinondé
desonsangleschevaux,lacaisseetlechariot,Isfendiarsortitdelacaisse,poussantdescrisdetonnerre,armé
pourlabataillecouvertd'unecottedemaillesettenantuneépéeindienne.Commentunoiseaupourrait-ilrésister
aucrocodile?Ilfrappalesimourghdesonépée,jusqu'àcequ'ill'eûtcoupéenmorceaux;etc’estainsique.
péritlepuissantoiseau.Isfendiars'adressaauMaîtredelalune,quiluiavaitdonnélaforcedevaincretousles
dangers,etdit:OJugesuprême.quidistribueslajustice,maîtredelapureté,delaforceetdetoutevertu!
c'esttoiquiarenversélesmagicien,c'esttoiquiasétémonguideverscettenouvellevictoire.
Dans ce moment les trompettes résonnaient, etBeschouten arrivait avec les tentes, avec les armes, avec ses
frères,avecl'armée,avecsesfilsetaveclesgrandsdel'Iran,quiportaientdescouronnesetdesceintures.La
plaineavaitdisparusouslesimourghmort;onnevoyaitquesoncorpsetsesserressanglantes;laterre,n'était
quedusangd'unemontagneàl'autre,etlesailesdel'oiseauétaientsigrandesqu'onauraitditqu'iln'yavait
pasdeplaine.LesIraniensvirentleroitoutcouvertdesang;ilauraiteffrayélalune;etleurschefs,les
vaillants cavaliers, et les héros lui rendirent hommage. Kergsarapprit sur-le-champ que le roi illustre avait
remportélavictoire;soncorpssemitàtrembler,sonvisagedevintsombre,iléclataenlarmes,etsoncœurfut
rempli de douleur. Le jeune roi fit dressersestentes,etlesbravesetleshéroscampèrentautourdelui;on
étenditsurlesoldestapisdebrocart,etilssemirentàtableetburentduvin.
SIXIÈMESTATION.—ISFENDIARTRAVERSELESNEIGES.
EnsuiteIsfendiarfitamenerentoutehâteKergsar;illuidonnacoupsurcouptroiscoupesdevin,etsesjoues
devinrentcommelafleurdufenugrec.Isfendiarluidit:Ohommemauvaisdecorpset d'âme,regardecequefaitle
monde. On ne voit plusdesimourgh,nidelion,nideloup,nideterribledragonauxgriffesaiguës;quidonc
jetteralaterreurdanslastationprochaine,etyaura-t-ildel'eauetdel'herbepourleschevaux?Kergsarlui
réponditàhautevoix:OillustreetfortunéIsfendiar!iln'yauraitriend'étonnantàcequetut'enretournasses
maintenant;ilfautquetuprenneslamesuredetafortune.Dieut'aétéenaidejusqu'ici,ôfavoridelafortune,
etcetarbreroyalaportéfruit;maisdemaint'attendundangerencomparaisonduquelunhommevaillanttiendrait
pourrienunjourdebataille.
Tun'ypenserasniàtamassue,niàtonarc,niàtonépée;tun'ytrouverasniportepourlecombat,nivoie
pour lafuite. Tu auras de la neige haut comme une lance, tu te trouveras enface d'un sort invincible, et tu
resteras,ônobleIsfendiar,danslaneigeavectonarméeglorieuse.Ilestnaturelquetut'enretournes,etilne
fautpasm'envouloirdecequejedis:tudeviendraislemeurtrierdetonarmée.Turéfléchirasdoncetprendras
uneautreroute;carilestcertainpourmoiquel’orageferatomberteshommescommedesfruitsquitombentde
l'arbre.Ensuite,quandtuserasarrivédanslaplaine,tuaurasdevanttoiunemarchedetrentefarsangsàtravers
dessablesbrûlants,delapoussièreetdesterresstériles,surlesquelsnilesfourmis,nilesserpents,niles
sauterellesnepassent;tun'ytrouverasnullepartunegoutted'eau,etlesolybouillonnesousl'ardeurdusoleil
;aucunchevalnepeutpassersurcetteterre,aucunaigleauxailesrapidesnepeuttraverserceciel;danscesoi
stérileetcessablesnepousseaucuneherbe,etlaterren'yestqu'unsablemouvantcommelapondredetutie.
Tuaurasàparcourirdecettemanièrequarantefarsangs,sanspouvoirporterdebagagessurdeschevaux,etavec
unearméedécouragée.Delàtonarméearriveradevantlechâteaud'airain,ettun'ytrouveraspaslamoindreombre;
c'estuneterredépourvuedetout,etunchâteaudontlescréneauxconversentensecretaveclesoleil.Horsdesmurs
aucunanimalnetrouveradelanourriture,etpasuncavalierdel'arméen'yarriveramonté.Sicentmillebraves,
accoutumésàfrapperavecleursépées,venaientdel'IranetduTouran,restaientcentanscampésautourduchâteau
et y faisaient pleuvoir des flèches,ce serait en vain ; leur nombre, petit ou grand, serait indifférent, car
l'enneminepeutpasfaireàœchâteauplusdemalquel'anneaudelaporte.
LesIraniens,àcetteannoncedemalheur,furentremplisd'inquiétude;ilsdirent:Onobleroi,net'approche
pasinutilementdudanger;siKergsaraditvrai,etcelaserabientôtapparent,nousneserionsvenusiciquepour
périr,etnonpaspourchâtierlesTurcs.Tuastraversécetteroutedifficile,tuassoutenulesattaquesdesbêtes
féroces;aucundeshommeslesplusillustresetdesroislesplusvaillantsnepeutsevanterd'avoirsupportédes
fatigues comme celles que tu as trouvées du cessept stations. Rends-en grâce à Dieu, et quand tu seras revenu
victorieux de cette route, présente-toi, heureux et le cœur en joie,devant ton père, Quand tu recommenceras la
guerreparunautrechemin,toutlepaysdeTouransesoumettraàtoi.AprèslesparolesdeKergsar,ilnefautpas
mépriseràcepointlavie,etaprèstesvictoiresettesjoies,ilnefautpasquetudonnesauventtatête.
Acesparoles,levisageheureuxd'Isfendiars'assombrit,etilditauxhéros:Etes-vousvenusdel'Iranpourme
donnerdesconseils?N'êtes-vouspasvenuspourgagnerungrandrenom?Oùsontdonctouslesprésentsduroiet
toussesconseils?Oùsontlesceinturesd'oretlesdiadèmesd'or,oùsonttoutesvospromesses,vossermentsetce
quevousavezjuréparDieuetparlesastresquidonnentlafortune,pourquevospiedssoientfatiguésetquevos
résolutionssesoientévanouiessurlaroute?Retournez-vous-endoncheureuxetvictorieux;maismoi,jenecherche
autrechosequelecombat.PuisquevotrecœurestdécouragédelabatailleparlesparolesdecevilDiv,jeneveux
plusd'aucundevouspourcompagnon,etmesfilsetmesfrèresmesuffiront.LeMaîtrevictorieuxdumondeestmon
soutien,etjeportedansmonseinmonétoile.Jejureparmabravourequ'aucundevousnem'accompagnera,et,queje
tueouquejesoistué,jemontreraiàl'ennemicequepeuventlavaleurvictorieuseetlaforéedesmains;etvous
aurezsansdoutedesnouvellesdemagloireroyale,etdecequej'auraifaitdecechâteauavecmesmainsetma
force,etaunomduMaîtredeSaturneetduSoleil.
QuandlesIraniensjetèrentlesyeuxsurlui,ilsvirentsonvisagepleindecolère;ilss'avancèrentversle
roipours'excuser,disant:Puisse-t-ilplaireauroidepardonnercettefaute!Quenoscorpsetnosâmessoientta
rançon,telaétédetouttempsnotreengagementenverstoi;noussommesinquietsdelavieduroi,maisnousne
sommespasdécouragésdesluttesetdesbatailles.Aussilongtempsqu'unseuldesgrandsseraenvie,personne ne
refuseralecombat.LeSipehbedlesécouta,etcessadeleuradresserdesparolesirritées;illesbénitetleur
dit:Jamaisleshautsfaitsnerestentobscurs;quandnousseronsrevenusvictorieux,nouscueilleronslesfruits
denosfatiguespassées;toutesvospeinesserontoubliées,maiscertainementvostrésorsneresterontpasvides.
Ilcontinuaàseconsulter aveclesgrands,jusqu'àce quel'airserefroiditetqu'ilvintdelamontagneun
vent léger ; alors la voixdestrompettessefitentendresouslaporteducamproyal,etl'onmit en route les
troupes,quimarchèrentrapidementcommelefeu,eninvoquantlenomduCréateur.Lorsquel'auroreeutparuau-dessus
desmontagnes,quelanuiteutenveloppésatêtedanssonvoilefroid,etcachésafacedevantlesoleilbrillantqui
lasuivait,cettetroupenombreuse,arméedemassuesetdejavelots,arrivaàlastation.C'étaitunebellejournée
de printemps, qui réjouissait le cœur et paraît laterre ; le Keïanide ordonna de dresser les tentes et leurs
enceintes,ilfitcouvrirdemetsunetableetapporterduvin.
Danscemomentvintdelamontagneunventsiviolentquelecœurduprinceillustreenfuteffrayé.Lemonde
entierdevintnoircommel'aileducorbeau,etl'onnedistinguaitpluslaplainedesvallées;lamontagneétait
obscurcieparlaneige.,etlaterreenfutcouverte;unventterriblesouffla,etpassasurlaplaine, pendant
troisjoursettroisnuits,avecuneviolenceextrême.Lestentesetleursenceintesétaientpénétréesd'humidité,et
lefroidnelaissaitdeforcesàpersonne.L'airétaitcommelachaîneetlaneigecommelatrame,etleSipehdarne
savaitplusquefaire.IlditàhautevoixàBeschouten:Notrepositiondevientinquiétante.Jemesuisbravement
présentédevantl'haleinedudragon,maisicilaforced'unhérosnesertàrien.PrieztousDieu,adressez-vousà
lui,célébrezsagloire,peut-êtredétournera-t-ildenouscesmaux;sinonaucundenousnefoulerapluslaterre.
Beschouten se présenta devant Dieu, le guidedans le bonheur et dans le malheur ; toute l'armée leva des mains
suppliantesetfitdesprièresinfinies.Sur-le-champunventdouxseleva-etchassalesnuages,etl'airredevint
serein.LesIraniensreprirentcourageetrendirentgrâceàDieu.
Leshérosrestèrentencoretroisjoursdanscelieu;maislequatrième,lorsquelesoleilquiilluminelemonde
parut, leSipehbedconvoqualesgrandsetleurfitbeaucoupdediscourssages,disant:Laissezicivosbagages,
n'emportezquevosarmesdecombat.Quetousceuxquisonthommesdesensetquipossèdentcentbêtesdesommeen
chargentcinquanted'eauetdevivres,etlesautresd'ustensilesdeménage;laissezicilerestedevosbagages,
carlaportedescombatss'ouvrepournous.Quiconquecessed'espérerenDieunedoitpluss'attendreàbeaucoupde
bonheur ;c'estparlaforcequeDieunousadonnéequenousvaincronscethommequifaitlemaletquiadoreles
idoles.Voustousdeviendrezrichesdanscechâteau,vousaureztousdestrésorsetdesdiadèmes.
Lorsquelesoleileutplacélevoilepâle dusoirsursatête,etquelecouchantfutdevenurougecommelafleur
dufenugrec,tousleshérosfirentleursbagagesetpartirentavecleroidupeuple.Quandunepartiedelanuitfut
passée,onentenditdanslesairslavoixd'unegrue;Isfendiarfutsaisid'étonnementàcebruit,etenvoyadireà
Kergsar:Tuasprétenduqu'iln'yavaitpasd'eausurcettestation,etquenousn'ytrouverionspasdeplacepropre
aureposetausommeil;maintenantonentenddansleciellavoixd'unegrue:pourquoinousas-turendusinquiets
pourdel'eau?Kergsarrépondit:Apartird'ici,leschevauxnetrouverontquedessourcesd'eausaumâtre;tu
rencontrerasencoredessourcesd'uneeauamèrecommedupoison,etlesoiseauxetlesbêtesfauvesn'enont pas
d'autre.Leroidit:J'aiprisdansKergsarunguidequichercheànousperdre,ParsuitedesparolesdeKergsar,il
fitmarcherl'arméeplusrapidement,enadressantdesprièresàDieu,ledistributeurdetoutbien.
SEPTIÈMESTATION.—ISFENDIARTRAVERSEL'EAUETTUEKERGSAR.
Quanduneveilledelanuitsombrefutpassée,delatêtedelacolonneonentenditdesclameursconfuses.Le
jeuneroimontasurundestrier,serenditducentredel'arméeàl'avant-garde,et,ayantdépassélestroupes,il
vit une masse d'eauprofondeetdontonn'apercevaitpasl'autrerive.Undromadairedelacaravane,quelechef
faisaitmarcherlepremier,s'étaitenfoncédansl'eau;leSipehbedsehâtadelesaisirparlesdeuxcuissesetde
le retirer de la vase, et le malveillant Turc de Djiguiltrembla. Isfendiar ordonna d'amener Kergsar, chargé de
chaînes,humilié,lecœurblessé,etluidit:Vilimposteur,captifentremesmains,nem'as-tupasditquejene
trouveraispasd'eauici,quel'ardeurdusoleilmeconsumerait?Pourquoias-tureprésentél’eaucommedelaterre,
e tprédit la perte de toute l'armée ? Kergsarrépondit : La destruction de ton armée serait pour moi une joie
brillantecommelesoleiletlalune.Qu'ai-jereçudetoi,sicen'estdesfers?Quepuis-jedésirerpourtoi,si
cen'estlemalheuretlaruine?
LeSipehbedsouritetleregarda;ceTurcl’étonnait,maisilneluimontrapasdecolère;illuidit: O
Kergsar,hommedepeudesens!quandjeseraivictorieuxdanscetteguerre,jeferaidetoilemaîtreduchâteau
d'airain.ADieuneplaisequejamaisjetefassedumal!Toutl'empireseraàtoisitumedislavérité.Jene
feraidumalniàtesenfantsniauxhommesdetonpaysetdetonalliance.Kergsarécoutacediscoursduroiqui
remplitd'espoirsonâme;dansl'étonnementqueluicausaientcesparoles,ilbaisalaterreetdemandapardonà
Isfendiar.Leroirépondit:Jetepardonnecequetuasdit;tesvainesparolesn'ontpuconvertirenterrecette
eau;maisoùsetrouveleguédecettemerd'eau?ilfautquetumemontreslevraichemin.Kergsarrépliqua:Une
flècheailéenepourranagerdansl'eauquandelleestchargéed'unfer.Lehérosrestastupéfait,etledélivraà
l'instantdeseschaînes.
Kergsarentradansl'eau,tenantundromadaireparlabride,etmarchadansunendroitoùl'eau,peuprofonde,
permettaitlepassage:l'arméelesuivitàlafile.LeSipehbedfitremplird'airentoutehaielesoutresàeau,
qui,ainsiallégées,servaientdemoyensdetransportsurl'eau,ettoutel'arméepassa.Quandles.troupesetles
bagageseurentatteintlaterre,etquel'ailedroiteetl'ailegauchefurentégalementformées,l'armées'avança
vers lechâteaud'airain,dontelleétaitencoreéloignéededixfarsangs.Alorslechefdel'armées'assitpour
manger, et ses serviteurs setinrentdevantlui,lescoupesdevinenmain.Lelionsefitapportersa cotte de
mailles,soncasque,sacuirasseetsonépée;ensuitelehéros,heureuxdesonsuccès, ordonna qu'on lui amenât
Kergsar,àquiildit:Maintenantjesuissauvé;quantàtoi,ilfaudraittebienconduireetparlerselonla
vérité.Quandj'auraiséparédesoncorpslatêted'ArdjaspetréjouiparsamortlesmânesdeLohrasp;quand,pour
vengermongrand-père,j'auraitranchélatêteàKehrem,quiaremplidesangetdedouleurlecœurdemonarméepar
lemeurtredeFerschidwerd;etàEnderiman,quiatuétrente-huitdenosgrandsdansunmomentdesuccès;quand
j'auraiassouvimarancunedetoutemanière,quandj'auraifaitdecepayslaproiedeslions,quandjel'aurailivré
aubonplaisirdesIraniens,quandj'auraipercédemesflècheslecœurdesTouraniensetemmenéencaptivitéleurs
femmesetleursenfants,alorsseras-tucontentoumécontent?Dis-moitoutcequetuasdanslecœur.
LecœurdeKergsarsegonfla desang,sonespritetsalanguedébordèrentdecolère,etilrépondit:Jusqu'où
continueras-tuàparlerainsi?Puisses-tuêtremaudit,puissenttouslesastresdemalheursecombinercontreta
vie,puissetonflancêtredéchiréparl'épée,toncorpssanglantêtrejetésurlesol,laterreteservird'oreiller
etlatombedechemise!Lerois'irritadecesparoles;ils'élançacontrelemalheureuxKergsar,lefrappasurla
têteavecsonépéeindienne,etlefenditendeuxdepuislecrânejusqu'àlapoitrine.Onlejetasur-le-champdans
l'eau,etlecorpsdecethommehaineuxdevintlaproiedespoissons.
EnsuiteIsfendiarmontasursondestrieretrevêtitsonarmure,encoretoutencolère;ilgravitunehauteuret
regardalechâteau:ilvitunmagnifiquemurdeferenfermantunespacelongdetroisfarsangsetlargedequarante,
etdontaucunepartien'étaitconstruiteavecdel'eauetdelaterre;l'épaisseurdelamurailleétaittelleque
quatrecavaliersdefrontpouvaientcourirdessus.Isfendiarregardacettemerveille,etunsoupirs'échappadesa
poitrine ; il dit : Cette place estimprenable ; j'ai choisi une mauvaise route, et elle me conduit aumalheur.
Hélas,toutesmesfatiguesetmesluttes!J'auraidoncàmerepentirdetoutesmespeines!Ilregardaautourdelui
dansledésert,etvitdeuxTurcchevaucherdanslaplaine,précédésdequatrechiensdel’espècequiprendlegibier
àlacourse.Isfendiardescenditdelacolline,tenantenmainsalancedecombat;aveccettelanceilenlevales
deuxhommesdedessusleurschevaux,etlesramenaàpiedsurlahauteur.Illeurdemandaquelleétaitcettebelle
forteresse etcombien elle contenait de cavaliers. Ils lui parlèrent longuementd’Ardjasp et luifirentla
descriptionduchâteau,ajoutant:Regardecechâteau,commeilestlargeetprofond;unedesesportesouvresurla
terred'Iran,etl'autresurleterritoiredelaChine;ilcontientcentmillehommesquifrappentdel'épée,tous
des cavaliers fiers et illustres, tous se tenant devant Ardjaspcomme des esclaves,baissantla tête devant ses
ordresetsavolonté.Onytrouvedesvivressansmesure,etquandiln'yenaplusdefrais,ilyaduvieuxblé
conservéenépis.Sileroitenaitlesportesferméespendantdixans,ilyauraitautantdevivresqu'ilenfaudrait
àsonarmée;ets'ildemandaitdescavaliersdanslaChineetleMadjin,illuienarriveraitcentmillehommesde
troupesrenommées.Iln'abesoinderiendelapartdepersonne,cariladesvivresetdeshommespourladéfense.
Isfendiarsaisitsoudainsonépéeettuacesdeuxbraves,simplesdecœur.
ISFENDIARS'INTRODUITDANSLECHATEAUD'AIRAIN,DÉGUISÉENMARCHAND.
DelàIsfendiarserenditàsoncamp,etl’onrenvoyadesatentetouslesétrangers.Beschoutenentrachezlui,
etilsdiscutèrentdetoutemanièresurlecombatqu'ilsavaientàlivrer.Lehérosdit:Cechâteaunetomberaitpas
entrenosmainsparlaforcependantbiendesannées;ilfautdoncquejerisquemavieetquej'essayeuneruse
contremesennemis.Tuveillerasicijouretnuitetgarantirasl’arméecontreunesurprisedel'ennemi. Un homme
n'estdigned'honneursetpropreàl'empireetautrônedupouvoirquelorsqu'ilnecraintlecombatnicontretoute
arméequis'avance,nicontreleléoparddanslamontagneetlecrocodiledansl'eau.Ilemploietantôtla ruse,
tantôtlaforce;tantôtilestenhaut,tantôtilestenbas.J'entreraidanscechâteau,déguiséenmarchand,etne
dirai àpersonne que je suis un Pehlewan, je me servirai de tout moyen,j'emploierai toute sorte de savoir. Aie
toujours des sentinelles,envoie sans cesse des vedettes, ne te relâche d'aucune précaution ;si tes sentinelles
voientdelafuméependantlejour,oupendantlanuitunfeuquiéclairelemondecommelesoleil,sachequec'est
monœuvre,etnonpasunmoyenemployéparmesennemis.Alorsmetsenordretestroupesetfais-lespartird'ici,
arméesdecottesdemailles,decasquesetdelourdesmassues;déploiesur-le-champmondrapeau,place-toiaucentre
de l'armée, avance-toi rapidement, lamassue à tête de bœuf en main, et agis de manière qu'on te prennepour
Isfendiar.
Ensuiteilappelalechefdeschameliers,lefitmettreàgenouxdevantBeschoutenetluidit:Préparecent
chameauxdecharge,aupoilroux,àlatêtehaute,desbêtessuperbes.Ilenchargeadixd'or,cinqdebrocartde
Chineetcinqautresdejoyauxdetouteespèce,d'untrôned'oretd'unecouronned'ungrandpoids.Ilfitapporter
quatre-vingtspairesdecaissesdontlesfermeturesn'étaientpasvisibles,etchoisitparmiseshéroscentsoixante
hommesquicertainementnetrahiraientpassonsecret.
Ilplaçaceshérosdanslescaisses,fitchargerlesbagagesetsemitenroute.Ilchoisitvingtdesesgrands,
deshommesquiportaienthautlatêteetfrappaientdel'épée,etordonnaàcesnoblesdemarcherdevantlacaravane
comme deschameliers.LeSipehbedsedirigeaainsiverslefortetmarcharapidement,déguiséenmarchand,chaussé
avec des bottines, ayantsur le corps une robe de laine, et portant dans ses ballots desjoyaux, de l’or et de
l'argent.Ilmarchaainsiaveccettemagnifiquecaravane,précédédeseschameliers.Quandonentenditlesclochettes
delacaravaneetqu'onvitmarcherà satêteunmarchand,lesgrandsdanslaforteresseenfurentinformés,etils
enparlèrentlonguementetavidement,disant:Ilvientunmarchandquivendrapourundirhemcequivautundinar.
Lesgrandsportanthautlatêteetayantenviedefairedesachatsallèrentàsarencontre,etchacundemandaau
maîtredesballotscequ'ilscontenaientquipouvaitêtreutile.Illeurrépondit:Avanttoutilfautquejevoiele
roi;ensuitejemontreraimesrichesses,s'ilm'endonnelapermission,etvosyeuxlesverront.
Ilfitdéposerles,chargesdeseschameaux,etsemitàréfléchiràcequ'ilfallaitfairepourattirerles
acheteurs.Ilprit un cheval, deux robes de brocart de Chine dontles bras et les manches brillaient, une coupe
remplie de joyauxdignesd'unroi,desdinarspourl'offrande,etunepiècedesoiequicouvraitlacoupeetau-
dessousdelaquellesetrouvaientdumuscetdel'ambregris.Lui-mêmeserevêtitdebrocartmagnifique,et c'est
ainsiquelevoyageurserenditauprèsd'Ardjasp.Quandilvitleroi,ilversasurluilesdinarsendisant:Puisse
laraisonêtrelacompagnedesrois!Oroi,jesuisunmarchandnéd'unpèreturcetd'unemèrepersane.J'achètedes
marchandises dans le Touran, je les porte dans l'Iran ou dansle désert des braves. J'ai amené une caravane de
chameaux, et jevendsetj'achètedesétoffespourvêtements,destapis,despierresprécieuses,des diadèmes et
toutesortesdebelleschoses.J'ailaissémesbagageshorsduchâteau,carj'estimequelemondeestsoustagarde.
Sileroitrouvebonquemeschameliersfassentpasserlacaravaneparlaporteduchâteau,jeseraigarantidetout
mal parlagrâcedesafortuneetjedormiraiàl'ombredesaprotection.Leroiluirépondit:Quetoncœurse
réjouisse,quetoncorpssoitexemptdetoutmal!Personnenet'inquiéteradanslepaysdeTouran,nienChine,ni
dansleMadjin,situveuxlesparcourir.
IlassignaalorsàIsfendiarungrandédificedanslechâteaud'airain,unmagasinauxapprochesdepalais,et
ordonnadeporterdanslechâteautouteslesmarchandises,pourqu'ilpûtfairedecemagasinunlieudevente,et
resteravecconfiancedanscetasile.Lescompagnonsd'Isfendiarchargèrentsurleursdoslescaissesettraînèrent
leschameauxparlabride.Unhommedesensdemandaàundesporteurs:Qu'ya-t-ildoncdecachédanscettecaisse?
Celui-cirépondit:C'estnotreintelligencequenousavonsdûmettresurnosépaules.Isfendiararrangealemagasin
etleparacommeuneroseprintanière.Detouscôtésarrivaunefouled'acheteurs,etilsefitungrandtraficdans
lemagasin.
Lenuitsepassa,etàl'aubedujourIsfendiarserenditauprèsduroidanssasalled'audience;ils'avança,
baisa la terre, bénit longuement Ardjasp etdit : J'ai amené ces marchandises et cette caravane en toute hâte à
l'aidedemeschameliers;ellerapportedesbraceletsetdesdiadèmesquisontdignesd'unroiquiportehautla
tête. Ordonne àton trésorier de voir ce que j'ai de précieux dans mon magasin, quiest tout arrangé, et qu'il
t'apportecequ'ilpourrayrencontrerdedignedetontrésor,pourvuqu'ilnetrouvepasquecelaluidonnetropde
peine.Ilappartientauroid'accepter,etaumarchanddeprésenterdesexcusesetd'invoquerdesbénédictions.
Ardjaspsouritetletraitagracieusement;illefitasseoiràuneplace-plushonorable,etluidemandasonnom.
Ilrépondit:MonnomestKharrad;jesuisunvoyageur,unmarchandetunhommejoyeux.Leroidit:O toi qui
réjouislecœur,neprendspaslapeinedefairedesexcuses.Dorénavantnedemandeplusauchambellanlapermission
d'entrer,etvienschezmoiquandtuveux.Ensuiteilluifitdesquestionssurlesfatiguesdelaroute,surl'Iran,
le Touran et les armées. Isfendiar répondit : Pendant cinqmois j'ai enduré sur les routes des fatigues et des
soucis. Ardjasplui demanda ce qu'on disait dans l'Iran sur Isfendiar et Kergsar. Ilrépondit : Oprince
bienveillant, chacunen parleseloncequ'ildésire.Lesunsdisentqu'Isfendiaraétémaltraitéparsonpère et
qu'ils'estrévoltécontrelui;d'autresdisentqu'ilconduitunearméeducôtédeBersekhan,ets'estdirigéversla
routedesseptstationsavecl'intentiondefairelaguerreauTouranetdesevengerd'Ardjaspdansl’excèsdeson
courage.Ardjaspsouritetdit:Aucunhommequiadel'âgeetdel'expériencenediracela,carsiunaigletraverse
lesseptstations,appelle-moiunAhrimanetnonpasunhomme.Lehérosécoutacesparoles,baisalaterreetquitta
lepalaisd'Ardjasplecœurenjoie.Ilouvritlaportedesonbeaumagasinetlaforteresseretentitdubruitqui
venaitdecemarché.Ilrestalongtempsoccupéàacheteretàvendre;toutlemondeletrompait,il ne recevait
qu'undirhempourcequivalaitundinar:ilconfondaittout.
ISFENDIARESTRECONNUPARSESSOEURS.
Quandlesoleilbrillanteutquittelavoûteduciel,etquelesacheteurseurentabandonnélemarché,lesdeux
sœursd'Isfendiar sortirent du palais dans la rue en pleurant et portantsur l'épaule des cruches d'eau ; elles
vinrentauprèsd'Isfendiar,ellesvinrentlecœurdéchiréetabattu.Isfendiar,àcespectacle,cachasafigurepour
ladéroberàsessœurs.Iltremblaitdecequ'ellesallaientfaire,etilcouvritsesjouesaveclesmanchesdesa
robe. Elles allèrent toutes les deux vers lui, leurs jouesinondées de deux torrentsde larmes de sang, et les
malheureusessemirentàsupplierlerichemarchand,disant:Puissenttesnuitsettesjoursêtreheureux!Puisse
lecielobéiràtesordrescommeuneesclave.QuellenouvelledeGuschtaspetd'Isfendiarya-t-ildansl'Iran,ô
hérosillustre!Voicideuxfillesderoicaptivesentredesmainsimpures,latêteetlespiedsnus,lesépaules
chargéesdecruchesd'eau!Notrepèrevitdanslajoiependantlejour,etdortenpaixpendantlanuit,etnous
couronsnuesdevanttoutlepeuple!Heureuxceluidontlecorpsestvêtud'unlinceul!Voicicommentnouspleurons
des larmes de sang ;mais tu peux guérir nos douleurs, si tu as des nouvelles de notrepays ; car ici même la
thériaqueestdevenuedupoisonpournous.
Isfendiarpoussauncrisoussarobe,uncriquifaisaittremblerdeterreurcesdeuxfilles;ils'écria:Je
voudraisqu'Isfendiarn'eûtjamaisexisté,niceuxquiparlentdelui.MauditsoitGuschtasp,leroiinjuste!Puisse
jamaisunhommecommeluineposséderlacouronneetlaceinture!Nevoyez-vouspasquejeviensicipourtrafiquer,
quejetravaillepourmonpain?QuandlanobleHomaïentenditcettevoix,ellelareconnutetsoncœurseserra;
mais,bienqu'elleeûtreconnulavoixdesonfrère,ellerenfermaenelle-mêmesonsecret,etrestadevantluile
cœurblesséetleslarmescoulantdesesdeuxyeuxsursesjoues,sesvêtementsdéchirés,sesdeuxpiedsnusdansla
poussière, et son âmerempliedeterreuretdecrainted'Ardjasp.Lehérosàl’âmepureavaitaussivuqueHomaï
l'avaitreconnu:ildécouvritrapidementsafigure,lesyeuxpleinsdelarmes,lecœurgonflédesang,levisage
brûlantcommelesoleil.Confondudecequelesortamenait,ildevintpensifetsemorditleslèvres;àlafinil
ditàsessœurs:Pendantquelquesjoursilfautetquevoustenieztouteslesdeuxlabouchefermée;carjesuis
venuicipourlivrerbataille;jesuisvenuavecbeaucoupdefatiguespouracquérirdurenometdelagloire.Quand
ilyaunpèredontlesfillessontréduitesàporterdel'eau,dontlefilsestendanger,pendantqueluidortd'un
sommeildoux,ilvaudraitmieuxn'avoirpourpèrequeleciel,etpourmèrequelaterre.Vraimentc'estunsort
qu'onnepeutbénir.
Ensuite le généreux prince quitta son magasin, courutauprès d'Ardjasp et lui dit : O roi, puisses-tu être
heureux!Puisses-tuêtrelemaîtredumondenetvivreàjamais!J'airencontrésurmarouteunemerprofondequeje
neconnaissais,pas,decettemers'estélevéunventviolent,telquelepilotedisaitqu'ilneserappelaitriende
semblable;noustousdanslevaisseauétionsendétresseetenlarmes,nousétionsgrilléscommesurunfeuardent.
Morsj'aifaitdevantDieul'unique,ledistributeurdelajustice,levœuquesij'arrivaisicienvie,jedonnerais
une fête dans chaque pays à la tête duquelse trouverait un prince, que j'accorderais tout à ceux qui me
demanderaient,quecefûtbeaucoup,quecefûtpeu,quejecombleraisdefaveurslespauvres.Maintenant,sileroi
veutm'honorer,ilmerendraglorieuxenm'accordantmademande.Jefaislespréparatifsd'unefêteoùjeserail'hôte
detouslesgrandsdel'armée,detousceuxquisontenhonneurauprèsdumaîtredumonde,etd'accomplissementdece
désirrempliraitdejoiemonâme.
Ardjaspentenditcesparolesavecplaisir,etlatêtedecethommeignorantseremplitdefolie.Ilpermitalors
àtousceuxqu'ilhonoraitleplus,auxplusrenommésdeseshommesdeguerre,deserendreaupalaisdeKharradcomme
seshôtes,etdes'yenivrertouss'illeurdonnaitduvin.Isfendiarluidit:Oroi,ôhommeillustre,ômobed,
maîtredumonde,hommenobleetintelligent!mamaisonesttropétroiteetsaterrasseest trophaute;maisnous
serionstrèsbiensurcerempartduchâteauintérieur.Noussommesàl'entréedumoisdejuin,nousferonsunfeuen
pleinair,nousréjouironslecœurdesnoblesavecduvin.Ardjasprépondit:Mets-toioùtuveux;c'estceluiqui
donnelafêtequiestroidulogis.
LePehlewanpartitencourantettoutheureux;ilfitmonterbeaucoupdeboissurlaterrasseduchâteau,tuer
deschevauxetquelquesagneaux,etportertoutsurlaterrasse,:bientôtils'éleva,deboisqu'onyavaitamassé,
unefuméequirendaitinvisibleleciel.Alorsilfitapporterduvin,etlorsquetoutfutbu,lesconvivestombèrent
àlarenverse.Alafintouslesgrandspartirentivres,chacuntenantaveclamain,danssonivresse,unetigede
narcisse(c'est-à-direlebrasd'unpage).
BESCHOUTENATTAQUELECHATEAUD'AIRAIN.
Lanuitétantarrivée,Isfendiarallumaungrandfeudontl'ardeurbrûlaitleciel,etlasentinelleregardantde
satourvitl'airrempli defeuetdefumée.Ellequittajoyeusementlelieuoùellesetenait;tuauraisditqu'elle
voyageaitaveclevent,et,arrivéeauprèsdeBeschouten,elleluiannonçalefeuetlafuméequ'elleavaitaperçus,
Beschoutendit:C'estparlarusequel'hommevaillantestsupérieuràl'éléphantetaulion.Ilfitsonnerdes
clairons d'airain et battre les timbales d'airain, et le bruit destrompettes s'éleva de la portede sa tente ;
l'armées'avançadelaplaineverslefort,etlapoussièrequ'ellesoulevaitobscurcissaitlesoleilbrillant;tous
étaientcouvertsdecottesdemaillesetdecasques,etleurscœursversaientunepluiedesang.
Quandonsutdanslefortqu'unearmées'approchaitetquelemondedisparaissaitsousunepoussièrenoire,toute
laforteresseretentitdunomd'Isfendiar,etl'arbredumalheurcommençaàporterdesfruitsamers.Ardjasprevêtit
sacottedemaillesetsefrottalonguementlesmains;ilordonnaàKehrem,levainqueurdeslions,deprendrela
massue,épéeetlesflèches,etdesemettreàlatêtedel'armée,etditàTharkhan:Otoiquiporteshautlatête,
pars à l'instant avec une armée préparée à labataille ; prends douze mille guerriers illustres, tous avides de
combatetprêtsàfrapperdel'épée.Observequinousattaque,etcequ'ilsveulentdanscetteinvasion.
LefierTharkhanpartitsur-le-champverslefrontattaquédelaforteresse,accompagnéd'uninterprète.Ilvit
destroupescouvertesdecuirasses,arméespourlaguerre,etundrapeaunoiravecunefiguredeléopard;leSipehbed
Beschouten se trouvait aucentredecestroupes,quitoutesavaientlavéleursmainsdanslesang;iltenaitla
masqued’Isfendiaretétaitmontésurundestrierrenommé;ilavaittoutl'airduvaillantIsfendiar,etpersonnene
l'appelaitautrementqueroid'Iran.Ilétenditlesdeuxailesdesonarméeetlejourbrillantdisparut;leslances
auxpointesd'acierdonnaientdescoupstelsqu'onauraitditqu'unepluiedesangtombaitduciel.Desdeuxcôtés
tousleshérosquiétaientavidesdecombatsejetèrentdanslamêlée,lepremierdetous,Nousch-Ader,quiétait
prêtàfrapperdel'épéeetprovoquaitlesennemis.LefierTharkhanallaàsarencontre,espérantfairetombersa
têtedanslapoussière;maisNousch-Ader,levoyantdanslaplaine,sehâtadetirersonépée,coupaendeuxTharkhan
parlemilieuducorps,etjetalaterreurdansl'âmedeKehrem.C'estainsiqu'ilattaqualecentredesennemis,
frappant sur tous grands.et petits. Les deux arméescombattirent de manière que la poussière quelles soulevaient
formaitunnuagedansl'air.
Kehrem,quiportaithautlatête,s'enretournaaupalaisenpleurant,etl'arméeentièrelesuivitentoutehâte
;Kehremditàsonpère:Oroiillustrequiressemblesausoleil!ilestarrivédel'Iranunegrandearméedevant
laquellemarcheunhérosillustre,qui,d'aprèssastature,nepeutêtrequ'Isfendiar;etjamaisunhommecommelui
n'estvenudanscechâteau;ilportedanslabataillelalancedecombatquetuasvuedanssamainàGunbedan.Ces
parolesaffligèrentlecœurd'Ardjasp,quivoyaitquel'anciennevengeanceallaitrevivre.Ilditauxchefsdeses
troupes:Partez,sorteztousdelaforteresseetallezdanslaplaine,emmenezl’armée,poussez descrisdelions
féroces,nelaissezpointvivrepluslongtempsunseuldevosennemis;n'appelezlionaucundeshommesd'Iran.Toute
l'arméequittalaforteresse,lecœurblesséetavidedevengeance.
ISFENDIARTUEARDJASP.
Quandlanuitfutdevenueplussombre,Isfendiarrevêtitsonarmuredecombat;ilouvritlescouverclesdeses
caissespourquel'airfraisarrivâtàsescompagnonsenfermés,etapportaduvinetdelavianderôtieetbouillie,
desarmesdeguerreetdesvêtements.Quandilseurentmangédupain,ildonnaàchacuntroiscoupesdevin,etils
s'enréjouirent.Illeurdit:Cettenuitestunenuitpleinededangers,etc'esticiqu'ilnousfautconquérirun
nom.Faitesdesefforts,combattezcomme,deshommes,cherchezenDieuunrefugecontrelemalheur.Ildivisaen
troispartiesleshéros,tousceuxquidésiraientdurenometlecombat:unepartiedevaitattaquerdansl'intérieur
delaforteressetousceuxqu'ellerencontrerait;unesecondedevaitmarchersurlaporteetnecesserdecombattre
etdeverserdusang;àlatroisièmeildit:Ilnefautpasquenouslaissionsunetracedeschefsquihiersesont
enivréschezmoitranchez-leurlatêteavecl'épée
Lui-mêmepartitavecvingthommesdecœurqu'ilchargeadetoutlereste;ilmarchabravementcontrelaportedu
palaisd'Ardjasp,couvertd'unecottedemaillesetpoussantdescriscommeunlion.Quandlebruitdecetumulte
retentitdanslepalais,HomaïvintencouraitverslenobleprinceavecsasœurBeh-Aferid,lesjouescouvertesdu
sangquicoulaitdeleurscils.QuandIsfendiars'approcha,ilvitcesdeuxfemmesvoilées,semblablesauprintemps.
Le hérosaucœurdelionditàsessœurs:Courezrapidementcommelafumée,d'iciàl'endroitouj'aitenumon
marché;ilyabeaucoupd'oretd'argent,etmoncheminm'yconduit;restez-yjusqu'àcequevousvoyiezsinous
livronsdanscecombat?nostêtesàlamort,ousinousconquéronsundiadème.Ildit,détournad'ellessesyeuxet
marchaverslepalaisd'Ardjasp,avidedevengeance;ilmarchauneépéeindienneenmain,etquandiltrouvaitsur
soncheminunbraveilletuait.Toutelacourdupalaisfutbientôtdansunétattelqu'onnepouvaitpasserdansce
lieuillustre;ilyavaittantdeblessés,demortsetd'hommesfoulésauxpiedsquelaterreressemblaitàunemer
couvertedevagues.
QuandArdjaspseréveilladesonsommeil,soncœurtrembladutumultequ'onentendait;ils'élançadesachambre
àcoucher, revêtitunecotte demaillesetsecouvritd'uncasquedeRoum.Samaintenaituneépéebrillante,sa
bouchepoussaitdescris,soncœurétaitgonflédesang;lorsqueIsfendiarfranchitlaporteenbondissant,uneépée
étincelante en main, et lui dit : Maintenant tuvas recevoir de ce marchand une épée qui vaut des dinars ; je
t'apporteunprésentdeLohrasp,scellédusceaudeGuschtasp.ArdjaspetIsfendiars'attaquèrentetsecombattirent
avecunefureursansmesure;ilssefrappèrentdel'épéeetdupoignard,tantôtsurlesreins,tantôtsurlatête;
maisàlafinArdjaspfutaffaibliparlescoups desonennemi;onnevoyaitplussursoncorpsaucunendroitqui
nefûtblessé:lehérostomba,etIsfendiarluitranchalatête.C'estainsiqu'agitlafortunequitourne;tantôt
ellenousdonnedumiel,tantôtdupoison.Pourquoiattacherais-tutoncœuràcettedemeurepassagère?Puisquetu
saisquetun'yresteraspas,net'affligepasenlaquittant.
Isfendiar,enayantfiniavecArdjasp,fitmonterjusqu'àSaturnelafuméedeladestructiondesonpalais;il
fitallumerdestorchesetmettrelefeuaupalaisdetouscôtés;illivral'appartementdesfemmesauxeunuques,en
enlevatoutcequil'avaitrendubrillant,etposasonsceausurlaportedutrésoroùsetrouvaitl'or,cariln'y
avaitpersonnedanslepalaisquieûtpulecombattre.Ensuiteilserenditauxécuriesetmontaà,cheval,uneépée
indienneenmain.Ilfitsellerdeschevauxarabesqu'ilchoisitetmonterdessussesdeuxsœurs,etquittaavecses
hommeslarésidenced'Ardjasp.
Il partit de ce lieu avec cent soixante hommes, descavaliersd'éliteaujourducombat,etlaissaquelques
IraniensillustresdanslechâteauaveclenobleSaweh,enleurdisant:Quandj'auraiquittélaforteresse,quandje
seraidanslaplaineaveclesgrands,vousfermerezlaportedupalaiscontrelesTurcs,carj'espèrequelafortune
seramonsoutien.Quandvouscroirezquej'auraiatteintmanoblearmée,alorsilfautquevossentinellesfassent
entendredansleurstourellescecri:BéniessoientlatêteetlacouronneduroiGuschtasp!Etsil'arméedes
Turcs,en fuite et revenant du champ de bataille, se rue en masse sur lepalais, alors vous lancerez de cette
tourelle,aumilieud'elle,latêted'Ardjasp.C'estainsiquelehérossortitduchâteauaveccentsoixantehommes,
enpoussantdescrisetenbondissantsurlechampdebataille;ilseprécipitadanslaplaineentuanttousles
Turcsqu'il rencontra. Lorsqu'il fut arrivé près de l'armée de Beschouten,cet homme illustre le couvrit de ses
bénédictions;toutel'arméeétaitconfonduedelabravourequecejeunehommeavaitmontrée.
ISFENDIARTUEKHEREM.
Quandlalunefutassisesursontrôned'argent,etquandtroisveillesdelanuitsombrefurentpassées,le
gardiencria d'une voix fortesurlesmursdu palais : Guschtasp est roi et sa fortune est victorieuse !Puisse
Isfendiarrestertoujoursjeune,puissentlecieletlaluneetlesortleprotéger,luiquiatranchélatêteà
ArdjasppourvengerLohrasp,etarétablilamajestéetlagloiredutrône!Ilaprécipitédutrôneleroi desTurcs
etl’ajetésurlesol;ilagrandilenometletrônedeGuschtasp!
Toutel'arméedesTurcs,enentendantcescris,prêtal'oreille;lecœurdeKehremfutassombriparlesparoles
de lasentinelle,sonespritfutconfonduparsescris,ilécoutaetditàEnderiman:Danslanuitsombreaucun
bruit ne se perd ; qu'endis-tu ? Que va-t-il se passer cette nuit ? Il faut que nous tenionsconseil. Qui ose
pousserdescrisdecetteespècependantcettenuitetauchevetdulitmêmed'unroicommeArdjasp?Ilfautenvoyer
oupalais cet hommequelqu'ilsoit,etluitrancherlatête;carsilessentinellessepermettent, au jour du
combat,unjeupareil,notrearméeseraendanger,etsilesgensdelamaisonsontnosennemis,lesétrangersne
tarderontpasàenprofiter.Brisonsaveclamassuedumalheurlecrâneàceluiquipoussecescrisfunestesetde
mauvaisaugure.
Lescriscontinuèrent;lecœurdeKehremétaitblesséparlavoixdelasentinelle,etpartoutlesoreillesdes
bravesfurentrempliesdecesparolesbruyantes;lesTurcssedirent:Voilàbiendubruit,etcelapassecequiest
permisàunesentinelle;chassonsd'abordl'ennemidupalais,ensuitenousdétruironsl'armée.LecœurdeKehremse
serradeplusenplusparl'effetdecettevoixdelasentinelle;ilsetorditetsonfrontserida;ilditàses
troupes:Cettearméedevantnousm'aremplidesoucissurlesortduroi;maismaintenantilfautsansdouterentrer
danslepalais,etjenesaiscequidevrasefaireaprès.LesgrandsdelaChines'enretournèrentetquittèrentde
nuitlechampdebataille.Isfendiarlessuivitcouvertd'unecottedemaillesetportantsamassueàtêtedebœuf;
etKehrem,arrivéàlaportedupalais,aperçutl'arméedesIraniensderrièrelui.Ildit:Maintenantquelparti
nouslaisseàprendrelevaillantIsfendiar,sicen'estdelivrerbataille?Tironstousdufourreaunosépéeset
chargeonsdenotreréponsenospoignards.Maislafortuneavaitridésonfront,etlesortfutdurpourcesgrands.
Lesdeuxarméessebattirentavecrage, elless’accablèrentdecoupsl'unel'autre,jusqu'àcequel'aubedujour
parûtetquelesgrandsdelaChinepérissent.Leshommesqu'Isfendiaravaitlaissésdanslepalaisduroiaccoururent
surlesmursetlancèrentaumilieudel'arméelatêtetranchéed'Ardjasp,cetambitieuxquiavaitversélesangde
Lohrasp,etlesTurcscessèrentdecombattre.Ils'élevadeleursrangsuncriimmense;leshérosôtèrentdeleurs
têteslescasques,lesdeuxfilsd'Ardjaspéclatèrentenlarmes;ilsétaientcommeconsumésd'unfeuardent.Leur
arméereconnutquelétaitl'auteurdetoutcemal,etsurquiilfallaitpleurerdanscejourdemalheur.Elles'écria
:Hélas!lehéros,lechef,leSipehdar,leroi,levaillantprince!Queceluiquil’atuésoittuésurlechampde
lavengeance,etquesonheurepassepourtoujours!Aquiconfiermaintenantnotreexistence,àqui remettre le
drapeauquenousavonsàl'ailedroite,puisqueleetcentren'estplusoccupéparleroi?Périssel'armée,périsse
lediadème!Maintenantnousn'avonsplusbesoinquedelamort,etdeKhallakhjusqu'àTharaztoutestpleinde
douleur!
Alorstouss'avancèrentpourchercherlamort;ilss'avancèrentcouvertsdecottesdemaillesetdecasques,et
armésdemassues.Lebruitdescoupsdonnésetreçusretentitsurlechampdebataille;l’airdevintcommeunnuage
noir;detouscôtésgisaientdesmonceauxdemorts,d'hommesdontlesjoursétaientpassés;toutelaplaineétait
rempliedetêtesetdebrassanstroncs,etd'autrescôtésdemainsetdemassues;desflotsdesangbattaientla
portedupalais,etpersonnenedistinguaitplusentresamaindroiteetsagauche.
Isfendiar s'avança, le Sipehdar Kehrem se raffermitsur ses étriers et les deux héros se jetèrent l'un sur
l'autre,demanièrequ'onauraitditqueleurscorpsn'enfaisaientqu'un.IsfendiarsaisitKehremparlaceinture,
etledosdeKehrempliasoussamain;illesoulevaetlelançaparterre,ettoutel’arméeéclataenbénédictions
surleroi.OnlialesdeuxmainsdeKehremetonl'emportacommeunechosevile;sanoblearméesedispersa;il
pleuvaitdescoupsdemassuecommedelagrêle;laterreétaitcouvertedeTurcsetlecielnerespiraitquela
mort,lestêtestombaientsouslescoupacommelesfeuillesdesarbres;lesunsperdirenttoutcequ'ilsavaient,
lesautresgagnaientdestrônes;lesanginondaitdesesvagueslechampdebataille;latêtedel'unétaitbroyée
sous les sabots des chevaux, celle d'un autre se couvraitd'un diadème. Personne ne sait le secret de ce monde
stérile,ilnedévoilejamaiscequ'ilcache.
Quiconqueavait un cheval qui portait haut la tête sehâtades’enfuir;maisquiconquesetrouvaitdansla
gueuledudragonavaitbeaulutter,ilnepouvaits'enéchapper.IlnesurvécutpasbeaucoupdeTurcsetdeChinois,
et ceux qui restèrentétaient des hommes inconnus. Tous jetèrent leurs casques et leurscuirasses, et leurs yeux
étaientnoyésdelarmes.Ilsvinrentencourantauprèsd'Isfendiar,leursyeuxbrillantsdelarmescommeleprintemps
;maisleSipehdarétaitsanguinaireetsanspitié,etsonarméeseréjouitdesonhumeurcruelle.Ilnefitpardonà
aucundeshéros,etl’ontuadesblessasansnombre;pasundesgrandsdelaChinenesurvécut,pasundesprinces
duTourannerestaenvie.
EnsuitelesIraniensenlevèrentlestentesetleursenceintes,etabandonnèrentauxmortslechampdebataille,
etIsfendiar,ayantvucequi s'étaitfaitdebonetdemauvais,serenditdel'autrecôtédufortetfitdresserses
tentes. Il fit élever sur la porte du fort deux hauts gibetsd'où pendaient des lacets roulés, et fit pendre
Enderimantatêteenbas,etattachersonfrèreàl'autregibet.Puisilenvoyadehorssestroupesdetouscôtés,
partoutoùilyavaitlatraced'unendroithabité,etyfitmettrelefeu.OnbrûlaainsitoutlepaysdeTouran;
nullepartnerestaitplusungrand,etaucuncavaliernesurvécutenChineetdansleTouran.Tuauraisditqu'un
nuagenoiravaitpasséetavaitfaitpleuvoirdufeusurcechampdebataille.Quandleprince,quiambitionnaitla
possessiondumonde,vittoutcela,ilrassemblaleschefsdel'arméeetfitapporterduvin.
LETTRED'ISFENDIARAGUSCHTASPETRÉPONSEDECELUI-CI.
Isfendiarappelasonscribe,etluiparlalonguementdesrusesqu'ilavaitemployéesetdescombatsqu'ilavait
livrés ;lenoblescribes'assitsuruntrôneetdemandaàunesclaveunroseauetunepiècedesoiechinoise;
aussitôtquelapointeduroseaufutnoircie,ilcommençaparleslouangesduMaîtredelalune,maîtredeSaturne,de
l'étoiledumatinetdusoleil,dumaîtredel'éléphantetdelafourmi,dumaîtredelavictoireetdelagloire,du
maîtredudiadèmeroyal,dumaîtredel'âme,dumaîtredelel'intelligence,dubienfaiteur,duguide.Puisse-t-il
exaucertoujourslesvœuxdeGuschtasp,puisselaterrebrillerdanslagloiredeLohrasp!Jesuisarrivédansle
paysdeTouranparuneroutequejenebéniraijamais;sijevoulaisdécriretoutcequej’aisouffert,latêted'un
jeunehommeblanchiraitdedouleur.Sileroilepermet,jeluiraconteraimesstratagèmesetmescombats;jeserai
contentetheureuxdelerevoir,etj'oublieraimeslonguesfatigues.Lesmoyensquej'aiemployéspourrassasiermon
cœurdevengeanceontétételsqu'ArdjaspetKehremontpéridanslechâteaud'airain,etqu'iln'yestrestéquedes
lamentations,desdouleursetlamort.Jen'aifaitgrâcedelavieàpersonne,etlesherbesmêmesontcouchéleurs
têtessurlesplaines.Leslionsetlesloupsontdévorétouteslescervelles,etlesléopardsférocesn'ontplus
vouluquedescœurs.PuisselecielbrillerderefletdelacouronnedeGuschtasp,puisselaterredevenirunjardin
derosesparlagrâcedeLohrasp!
Onposasurlalettrelesceaud'Isfendiar,etl'onchoisitquelquescavaliersquelejeuneroifitpartirpour
l'Iransurdesdromadairesdecourseàlaboucheécumante.Ilrestapourattendrelaréponseets'occupaàéteindre
lefeudelaragedesesennemis.Ilnesepassapaslongtempsavantqu'uneréponsearrivât,unelettrequicontenait
laclefdesdoutesquil'enchaînaient.Cetteréponsecommençaitainsi:Puisseceluiquirecherchelebienvivreà
jamais!L'hommedesensquiconnaîtDieuapprendàl'adorerparlebienqu'ilreçoitdelui.Ensuitejedemandeà
Dieul'unique,ledispensateurdelajustice,qu'ilsoittonguide.J'aiplantéunarbredanslejardinduparadis,
plusglorieuxqu'aucundeceuxqueFeridounaplantés;sesfruitssontdevenusdesrubisetdel'or,sesfeuilles
ontpoussémajestueusementetselonmondésir.Puissecetarbrevivretoujours,puissetoncœurêtrejoyeuxetta
fortuneprospère!Jevaisparlerd'abordsurcequetudisdelavengeancedetongrand-père,quetuaspoursuivie
par tousles moyens et avec acharnement, ensuite du sang que tu as versé etdes combats que tu as livrés de ta
personne.Ilfautquelesroisrespectentleurcorps,etcen'estpasparlesluttesetlescombatsqu'ilsacquièrent
leurgloire;aiedoncsoindetonâmeetcultivetonintelligence,carc'estellequinourritl'âmeparlasagesse.
Ensuite tu dis que tun'as fait grâce de la vie à personne parmi tant de cavaliers. Maiston cœur devrait être
toujoursclémentetgénéreux,tonâmerempliedemodestieettabouchepleinedeparolesdouces.Tonoccupationne
doitpasêtredeverserdusangnidetebattreétourdimentaveclesgrands.Tuavaisàvengertrente-huitdetes
frères,maistuasversédusangau-delàdetoutemesure.Enfincevieillard,tongrand-père,avaitéloignédeson
cœurtoutmauvaissentimentettoutehaine,maistuasversédusangcommeonavait,versélesien,tut'esjetédans
labataillecommeunlionvaillant.Puisses-turestertoujourscontentetheureux,puissel'intelligencetediriger
toujours ! J'ai besoindeterevoir,toidontl'âmeconstammentéveilléeestpleinedevertus.Quandtuauraslu
cettelettre,faismonteràchevaltonarméeetviensàmacouravectesgrands.Lesdromadairesrapidesrepartirent,
toutl'Iranseremplitdebruit,etquandlesmessagersfurentderetourilsdescendirentàlaporteduhéros
RETOURD'ISFENDIARAUPRESDEGUSCHTASP.
Isfendiarayantlucettelettre,semitàdistribuerdel'oretterminacequ'ilavaitàfaire.Lorsqu'ileut
épuiséletrésord'Ardjasp,ilfitdeslargessesaveclestrésorsdesmembresdesafamille;ilrenditrichestoutes
sestroupes,etleursaffairesprospéraientau-delàdetoutemesure.Ilyavaitdeschameauxetdeschevauxdansla
montagne portant la marque du maître du peuple du Touran. Isfendiardemanda qu'on lui amenât de tous côtés, des
désertsetdesmontagnesoùilsétaientdispersés,dixmillechameaux;ilenfitchargermilled'orprisdansle
trésorduroi,troiscentsdebrocarts,detrônesetdecasques,centdemusc,d'ambreetdejoyaux,centdecouronnes
etdediadèmesprécieux,milledetapisdebrocart,enfintroiscentsdevêtementschinois,tantencuirchamoiséet
teintqu'ensoiepeinte.Ilfitpréparerdeslitièresavecdeshoussesdebrocart,etl'onemmenadeuxtroupede
jeunesfilleschinoisesdontlesjouesressemblaientauprintemps,lastatureaucyprès,latailleauroseauetla
marche à la marche du faisan ; ces centfilles illustres, belles comme des idoles partirent avec les sœurs
d'Isfendiar.Cinqfemmesvoiléessuivirent,pleinesdelarmes,dedouleuretdepeines:deuxétaientlessœurs,deux
lesfillesetunelamèred'Ardjasp;lamèrepleurait,lesfillessedésolaient
Quandileutjetédufeudanslechâteaud'airain,laflammemontajusqu'aucielsublime;ilfitraserjusqu'à
terretouslesrempartsdelaforteresseetvolerlapoussièredeladestructiondetoutlepaysdeChine.Ilconfia
lecommandement de son armée à ses trois jeunes fils et leur dit :Soyezvigilantsetquelebonheursoitvotre
compagnon.Sienroutequelqu'unsedétournedelajustice,tranchez-luilatêteavecleglaive.Vousprendrezle
chemindudésert,voustiendrezlespointesdevoslancesbrillantescommelesoleil.Moijeresteraiducôtédes
septstationsàchasserlelion,etvous,necheminezpastroplentement.Jeprendraimontempspourallerjusqu'au
boutdelaroute,oùjevousrejoindraiàlafind'unmois.
Isfendiarsuivitlechemindesseptstations,oùilchassaaccompagnéd'unenobleescorte;quandlehérosarriva
àl'endroitoùilsavaientéprouvélefroid,iltrouvatousleursbagagesencoresurplace;l'airétaitagréable,la
terre pleine de fleurs ; on aurait dit que le printemps venait rejoindre l’été. Ilenleva toutes ces richesses,
confondudesabonnefortune.Arrivéprèsdesfrontièresdel'Iran,danslepaysdeshérosetdeslions,ilselivra
àlachasseauxléopardsetauxfaucons,jusqu'àcequ'ilfûtlasdesfatiguesdecettelongueroute.Ilespérait
toujoursvoirsestroisnoblesfils,et-ilcommençaitàs'irriterdecequ'ilsarrivaientsitard.Alafinl'armée
et sesfilsparurent,etlehérosdignedelacouronnesouritàchacun,disant:C'estuneroutepéniblequej'ai
faite,etj'étaisimpatientdecequevoustardiezsilongtemps.Sestroisfilsbaisèrentlaterre,disant:Quidans
lemondeaunpèrecommelenôtre.
Delàilsedirigeaversl'Iran,traînantaveclui,vers lepaysdesbraves,toussestrésors.Onavaitparé
touteslesvillesd'Iran,onavaitfaitvenirduvin,delamusiqueetdeschanteurs,onavaitsuspendudesétoffes
auxmursdesmaisons,etenhautonmêlaitdumuscetdel'ambrepourlesversersurlui.L'airétaitremplidela
voixdeschanteurs,laterrecouvertedecavaliersarmésdelances.QuandGuschtaspsutqu'Isfendiarapprochait,il
selivraàlajoieetsefitdonnerdescoupesdevinenécoutantcequ'onracontaitdelui.Ilordonnaàtouteson
armée,etàtousceuxdansl'empirequiavaientdupouvoir,deserassembleràlacouraccompagnésdetambours,et
touslesgrandsdel'arméeyparurent.Ensuitelepèreallaàlarencontredufilsaufraisvisage,avectous les
sagesillustres,aveclesgrands,lessavantsetlesMobeds;lavilleentièrefutrempliedubruitdesvoix.Quand
lejeuneroivitlafiguredesonpère,soncœurseréjouitetsonâmedevintsereine;ilfitbondirsoncheval
couleurdenuit,quiallumaitlefeudesbatailles;ils'approchaetserrasursapoitrinesonpère,quifutsurpris
decequ'ilfaisait,etlecouvritdesesbénédictions,disant:Puissentlestempsetlaterrenejamaisêtreprivés
detoi.
Delàilspartirentpourlepalaisduroi,ettoutunmondevintleuroffrirdesvœux.Guschtaspfitparerla
salled'audienceetletrône;soncœurseréjouitdecefils,favoridelafortune;onplaçadestablesdansles
sallesdefestin,leroiordonnaauchambelland'appelerlesgrands,etdelaportedechaquepalaisunconvivese
renditauprèsduroiillustre;deséchansonsbrillantscommelesoleildistribuèrentduvinroyaldansdescoupesde
cristal, et Isfendiar enflamma le cœur de ses amis etconsumait par sa bravoure le cœur de ses ennemis. Il but
modestementàlasantédesonpère,etlepèredemêmebutàlasantédufils;Guschtaspluidemandaderaconteraux
grandsdel'Irancequiluiétaitarrivésurlaroutedesseptstations,maisIsfendiarréponditàGuschtasp:Neme
demandepascelapendantlebanquet;jetediraitoutdemain,ôroidupeuple,pleindesens;jeteraconteraices
longues histoires, mes lèvres prononceront desparolesdevérité,etquand tu les auras écoutées avec ton esprit
intelligent, tu adoreras la justice de Dieu, qui accorde lavictoire. A la fin tousles hôtes s'en retournèrent
ivres,chacuntenantparlamainunpageauvisagedelune.
L'aventuredesseptstationsestterminée;etmonesprit,pleindepenséesprofondes,s'yestrajeuni;c'est
Dieu,letrèsjuste,lemaîtredusoleiletdelalunebrillante,quim'enadoué,etsimonrécit plaît au roi
victorieux,jechevauchesurlasphèreducielquitourne.J'invoquedesbénédictionssurlavieduroi;puisseson
cœur ne pasconnaître le souci dans ce monde ! Il faut maintenant boire du vinbienfaisant, car les outres qui
répandentunparfumdevinarriventdelavallée.L'airestpleindebruits,laterrebouillonne;heureuxceluidont
lecœurseréjouitenbuvant,quiadel'argent,dupain,desfruitsconfitsetduvindedattes,etquipeuttuerun
mouton!Quantàmoi,jen'airiendetoutcela.Heureuxceluiquipossèdeceschoses!qu'ildonnedoncàceuxqui
sontdanslebesoin.Lejardinestcouvertdefeuillesderoses,lamontagneestrempliedetulipesetdenard;le
rossignolselamentedanslebosquet,etlarosegranditsoussesplaintes;danslanaîtsombrelerossignolnedort
pas,etlaroses'affaissesousleventetlapluie.Jevoisleventetlapluiesortirdunuage,etjenesais
pourquoilenarcisseesttriste.Lerossignolrit,etchaquefoisqu'ilseposesurlarose,ilfaitentendreson
chant;jenesaislequeldesdeuxestamoureux,dunuageoudelarose,quandj’entendslenuagerugircommeunlion,
quandjelevoisdéchirerledevantdesatunique,quelefeuéclatedanssonsein,etqueleslarmesquitombentdu
cielsurlaterretémoignentdesonamourdevantlepuissantsoleil.Maisquisaitcequelerossignolditetce
qu'ilcherchesouslesfeuillesdurosier?Faisattention,àl'aubedujour,situentendsleschantshéroïquesque
récitelerossignol;ilpleurelamortd'Isfendiar,etsesplaintessonttoutcequirestedecehéros;et,pendant
lanuitsombre,lenuagequirépètelecrideRustemfendlecœurdel'éléphantetlesgriffesdulion.
****************************
suite
RETOURÀL’ENTRÉEDUSITETABLEDESMATIÈRESDEFIRDOUSI
FERDOWSI/FIRDOUSI
LELIVREDESROISTOMEIV(partieI-partieII-partieIII-partieIV-partieV-partieVI-TOMEV)
ŒuvrenumériséeparMarcSzwajcer
précédent
FERDOWSI
LELIVREDESROIS.
TOMEIV
COMBATD'ISFENDIARCONTRERUSTEM.COMMENCEMENTDURECIT.
J'ai entendu du rossignol une histoire qu'il récitaitd'après d'anciennes traditions ;la voici : Lorsque
Isfendiarrevintdupalaisduroi,ivreetmécontent,samèreKitaboun,lafilleduKaisar,leserradanssesbras
danslanuitsombre;lorsqu'ilseréveilla,encoredanslanuit,ildemandaunecoupedevinetsemitàparler.Il
ditàsamère:Leroiagitmalenversmoi;ilm'avaitpromisquandj'aurais,àforcedebravoure,puniArdjasppour
lamortdeLohrasp,quandj'auraisdélivrédelacaptivitémessœursetrenduillustremonnomdanslemonde,quand
j'auraisexterminésurlaterretoutelaracedesméchants,quandj'auraisrajeunilemondeparmeseffortsetmes
arrangements, qu'alorsl'empire et l'armée seraient à moi, à moi le trône, le trésor et lediadème. Maintenant,
aussitôt que la rotation de la sphère auraamené le soleil et que le roi sera réveillé de son sommeil, je lui
rappellerai les paroles qu'il m'a dites, il n'osera pas renierdevant moi ce qui est vrai. S'il donne un signe
d'hésitation,jejureparDieu,quiacrééleciel,quejeposeraisurmatêtelacouronne,etquejedistribuerai
auxIranienstoutl'empire;jeteferaireined'Iran;et,parmaforceetmoncourage,jeferaidesexploits de
lion.
Cesparolesaffligèrentsamère,etsarobedesoieseconvertitenépinessursoncorps,carellesavaitquele
roiillustrenecéderaitjamaislacouronne,letrôneetlediadème.Elledit:Omonfilséprouvéparlespeines!
quedésiredanslemondelecœurd'ungrand,sicen'estdestrésors,lepouvoir,ledroitdedonnersonavis,etle
commandementdel'armée?ortulespossèdes;nedemandepasdavantage.Tonpèreportesursatêteunecouronne,
maistoutel'arméeettoutl'empiresontàtoi,etaussitôtqu'ilmeurt,sacouronneetsontrônet'appartiennent;
son pouvoir, sa dignité etlafaveurdu sort passent à toi. Qu'y a-t-il de plus beau qu'unvaillant lion debout
devantsonpère,ceintpourleservir?Isfendiarréponditàsamère:Ilaeuraison,ceroiquiadit:Neconfie
jamaisunsecretàunefemme;situlefais,turetrouverastesparolesdanslarue;nefaisjamaisrienselon
l'ordre d'unefemme,cartun'entrouverasjamaisunequisachedonnerunavis.Larougeurdelahontecouvritle
visagedeKitaboun,etelleserepentitd'avoirparlé.
Isfendiarneparutplusdevantleroi;ilrestachezlui,s'amusantetbuvantduvin;pendantdeuxjourset
deuxnuitsilbutduvinpur,etcalmasoncœurparlaprésencedefemmesauvisagedelune.Letroisièmejour,le
roifutavertiquesonfilsconvoitaitlapossessiondutrône,quesoncœurétaitobsédédesoucis,etqueletrôneet
lacouronnedesKeïanidesétaientsonuniquedésir.Leroiappelasur-le-champDjamaspetlesastrologuesdeLohrasp,
quiarrivèrentportantdansleursbrasleurstablesastronomiques.LeroileurfitdesquestionssurIsfendiar,si
ses jours seraient longs, s'il mènerait une vie vertueuse,tranquille et douce, s'il placerait sur sa tête la
couronneimpériale,etsilediadèmedesroisluiresteraitlongtemps.
QuandDjamasp,lesagedel'Iran,entenditcesparoles,ilconsultasesvieillestablesastronomiques;sesyeux
seremplirentdelarmesdedouleur,etcequ'ilappritluifitfroncerlessourcils.Ils'écria:Mauditsoitcejour
etmauditemonétoile,etmonsavoiraccabledemalheurmatête!PlûtàDieuquelesortm'eûtlivréauxgriffesdes
lionavantlenobleZerir,etquejenel'eussepasvurenversédanslabatailleetcouvertdepoussièreetdesang,
ouquemonproprepèrem'eûttué,etqueDjamaspeûtainsiéchappéàsamauvaisefortune!UnhommecommeIsfendiar,
devantlequellecœurdeslionssefendquandillesattaque,quiapurifiélaterrerentièredenosennemis,qui,
danslecombat,neconnaîtnicraintenifaiblesse,quiafaitquelemonden'aplusàredouterlesméchants,quia
coupéendeuxlecorpsdudragon,hélas!nousdevonsportersondeuil,nousseronsabreuvésdemalheuretd'amertume
parsonsort.
Leroiluidit: Otoiquej'aime,discequetuasàdireetnetedétournepasdelavoiedelasagesse.Si
IsfendiardoitfinircommeleSipehbedZerir,mavieneseraitdorénavantquemisère.Hâte-toideparleretdis-moi
tout,cartasciencem'inonded'amertume.Quidanslemondeadanssesmainslesortdemonfils,pourquejedoive
pleurersurunesigrandeperte?Djamasprépondit:Oroi!moiaussijeseraiaccabléparlesmalheursdusort.
C'estdans,leZaboulistanquelamortfrapperaIsfendiarparlamainduhérosfilsduDestan.
LeroiditàDjamasp:Netraitepasavecindifférencecequiarriveaujourd'hui.Sijeluidonnaisletrône
impérial, les trésors et la couronne de la royauté, alors il n'iraitpas dans le Zaboulistan, et personne ne le
verrait dans le pays deKaboul ; il pourrait braver les chances du sort, et sa bonne étoilel'emporterait.
L'astronomerépondit:Quipeutsortirdelasphèrequitourne?Quelestceluiquipeutéchapperparlabravoureou
parlascienceaudragonauxgriffesaiguësquiestau-dessusdenous?Cequidoitarriverarriverainfailliblement,
etlesagenecherchepasàendécouvrirlemoment.Isfendiarpériraparlamaind'unhommepuissant,quandmêmele
Seroschdormiraitaupieddesontrône.Cemalheurremplitleroidesoucis;sonesprits'égaradanssespensées,
commedansuneforêtsansissue;etlesmauvaisespenséesetlaforcedusortluienseignèrentlemal.
ISFENDIARDEMANDELETRÔNEÀSONPÈRE.
Lorsque la nuit fut passée et que l'aurore eutrassemblé les rênesde ses chevaux et montréses rayons
brillants,lerois'assitsursontrôned'or,etIsfendiarseprésentadevantlui:ilseprésentahumblement,plein
de soucis et tenant les mains sous les aisselles. Il se forma devantle roi une assemblée d'hommes de guerre,
composéedesgrandsetdeshéros;touslesMobedsparurentdevantluietformèrentuneligne,etlesSipehbedsse
placèrentparrangs;alorsIsfendiar,lehérosaucorpspuissant,semitàparler,pousséparsessoucis,etluidit
:Oroi!puisses-tuvivreéternellement!C'estentoiquelamajestédivinebrillesurlaterre;c'esttoiquias
faitconnaîtrelajusticeetlaclémence,quiasornéletrôneetlacouronne.Noustoussommesdevanttoicommedes
esclaves;tousnousnemarchonsqueselontavolonté.Tusaisqu'ArdjasparrivaitaveclescavaliersdelaChinepour
détruirenotrereligion,etquemoi,ayantfaitdesvœuxsacrés,j'avaisjurésolennellementquejefendraisendeux
avecépéequiconqueattaqueraitnotrefoi,quiconquedétourneraitsoncœurverslesadorateursdesidoles,etqueje
necraindraisrienetnetrembleraisdevantpersonne.Ensuite,quandArdjaspestarrivépournouscombattre,jen'ai
pascessédeluttercontreleslionsetlesléopards;j'aifaitduchampdebatailleunchampdemort,jen'aipas
laisséuncavalierassissursoncheval.Etpourtanttum'astraitéavecmépris,surlesparolesdeGurezm;aujour
delafête,quandtuasdemandétacouperoyale,tum'asfaitchargerdelienspesantsetdechaînesrivéesparles
forgerons, tu m'as envoyé dans lechâteau de Gunbedan, et, par un excès de dédain, tu m'as livréà la garde
d'étrangers;tuespartipourleZaboulistanenabandonnantBalkh;tuascruquelesfêtesavaientremplacéla
guerre;tun'aspasvul'épéed'Ardjasp,tuaslaissérenverserdanssonsanglevieuxLohrasp.
LorsqueDjamaspestvenu àGunbedan,ilm'atrouvéenchaîné,etlecorpsblesséparmesliens; ilm'apromisla
royautéetletrôneetafaittousseseffortspourmepersuaderdelesaccepter.Jeluiairéponduqu'aujourdu
jugementjemontreraisàDieuceslienspesants,ceschaînesetcesclousdesforgerons,quejemeplaindraisau
Créateurdel'hommequim'avaitcalomnié.Ilm'ademandésilesangversédetantdechefsportanthautlatêteet
armés de lourdesmassues, si mon noble frère Ferschidwerd, blessé et gisant sur lechamp de bataille, si tant
d'hommespercésdeflèchesdanslecombat,simessœursemmenéescaptives,sileroienfuitedevantlesTurcsetse
repentantdem'avoirjetédanslesfers,sitantdemalheurs,depeines,d'angoissesetd'outragesnemefrappaient
paslecœur?Ilm'aditbeaucoupdechosessemblables,etsesparolesétaientpleinesdesoucietdedouleur.Alors
j'aibrisémoncollieretmeschaînes,jesuisaccouruauprèsduroidupeuple,etj'aituédesennemissansnombre.
Jenediraipasdevantleroiunmotquinesoitvrai;maissijevoulaisluiracontertoutcequis'estpassédans
les sept stations, mon récit n'aurait pas de fin ; j’ai tranchéla tête à Ardjasp, j'ai relevé la gloire de
Guschtasp,j'aiamenédanscepalaislesfemmesetlesfilles desprincesduTouran,j’yaiapportéleurstrésors,
leurs trônes et leurscouronnes. Toutes ces richesses, tu les as placées dans ton trésor ;mais moi, j'ai fait
l'avancedemonsangetn'aieupourrécompensequemesfatigues.Tespromesses,tessermentsettesengagementsont
rendumoncœurplusardentàexécutertesordres;tum'avaisditque,situmerevoyais,tumechériraisplusquela
vie,quetumedonneraislediadèmeetletrôned'ivoire,parcequemabravouremerendaitdignedelacouronne.Je
rougisdevantlesgrandsquandilsmedemandentoùsontmontrésoretmonarmée.Quelprétexteas-tupourmemanquer
deparole?Oùensuis-je?Dansquelbutmesuis-jedonnétantdepeines?
RÉPONSEDEGUSCHTASP.
Leroiréponditàsonfils:Quiconques'écartedeladroitures'égaredelavraieroute.Tuasfaitplusquetu
nedis;puisseleCréateurdumondeêtretonsoutien!Jenevoisplusd'ennemidanslemonde,niaugrandjournien
secret, carquiconqueentendtonnomnesemet-ilpasàtrembler?Quedis-je,trembler ! c'est plutôt mourirde
frayeur.Jeneconnaispersonnedanslemondequisoittonégal,sicen'estRusteml'insensé,lefilsdeZal,àqui
detouttempsaappartenuleZaboulistan,Bost,GhazninetleKaboul.Sabravourel'élèveau-dessusduciel,etilne
sereconnaîtlesujetdepersonne.IlsetenaitdevantKaousleKeïanidecommeunesclave;ilavécuparlagrâcede
KeïKhosrou;maisil parledelaroyautédeGuschtaspendisantquelacouronnedeGuschtaspestnouvelleetla
sienne ancienne. Il n'y a personne dans le monde quipuisse te résister, ni parmi les Roumains, ni parmi les
Touraniens,niparmilesnoblesPerses.ParsdoncpourleSéistan,etemploies-ylaruse,laforceetlesstratagèmes
;tiretonépée,brandistamassue,amèneprisonnierRustem,filsdeZal,avecZewarehetFaramourz,etnepermetsà
aucund'euxdemonteràcheval.JejureparleMaîtredumonde,ledistributeurdelajustice,dequivienttoute
force,quiaallumélesastres,laluneetlesoleil,que,quandtuaurasaccomplitoutcela,jenetedisputerai
plusrien,quejetedonnerailetrésor,letrôneetl'armée,quejeteplaceraisurletrônelacouronnesurta
tête.
Isfendiarrépondit: Ovaillantetillustreroi!tut'écartesdelacoutumedesanciens,toiquidevraisgarder
delamesuredansteparoles.FaislaguerreauroidelaChine,détruissonpaysetKhallakh,maispourquoienveux-
tuàunvieillardqueKaousdéjàaappelélevainqueurdeslions,qui,depuisMinoutchehretKeïkobad,aprotégétout
lepaysd'Iran,quel'onappellelemaîtredeRaksch,leconquérantdumonde,levainqueurdeslions,ledistributeur
descouronnes?Cen'estpasunjeuneambitieux,c'estunhommepuissant,quiaeuuntraitéavecKeïKhosrou.Or,si
lestraitésdesroisnedoiventpasêtreobservés,ilétaitinutilequ'iltedemandâtuneinvestiture.
LeroiréponditàIsfendiar: Oprinceaucœurdelion,pleindevaleur!Quandunhommeoublielafoiqu'ildoit
àDieu,lafoiquiluiestduedevientduvent.TusaissansdoutequeleroiKaouss'estégarédelavraievoiepar
l'instigationd'Iblis,qu'ilestmontéaucielportépardesaiglesetqu'ilesttombémisérablementdansl'eauà
Sari;ensuitequ'ilaamenéduHamaveranunefilledeDiv,àlaquelleilalivrél'appartementdesfemmesdestrois,
etquecettefemme,parsespersécutions,adétruitSiawuschetfaitpérirtoutecettefamille,Quandunhommeoublie
sondevoirenversDieu,ilfautsegarderdepasserdevantsaporte.PrendsdonclarouteduSéistan,accompagnéd'une
armée,situdésiresletrôneetlacouronne,etquandtuserasarrivé,lielesmainsàRustemetamène-leentenant
suspenduàtonbraslelacetquil’enchérit;empêcheZewareh,FaramourzetDestanfilsdeSamdetetendreunpiège
;amène-lesàpiedàmacour,ôprinceillustre!etalorspersonneneserévolterapluscontrenous,sipuissantet
sirichequ'ilsoit.
LeSipehbedIsfendiarfronçalessourcilsetditau roidumonde:Net'écartepasdelaloi.Ilnes'agitpas
pourtoideDestanetdeRustem,tunecherchesqu'unmoyendetedébarrasserd'Isfendiar.Tunepeuxterésoudreà
m'abandonnerletrôneroyal,ettudésiresquejequittelemonde.Quelacouronneetletrônedesroisterestent,il
yabiendescoinsdanslemondequimesuffiraient;maisjenesuisqu'undetesesclaves,etjemesoumetsàtes
ordresetàtavolonté.Sonpèreluirépondit:N'agispasimprudemment;maissituveuxacquérirdupouvoir,n'agis
pastimidement.Choisisdansl'arméedescavaliersnombreux,deshommesquiontdel'expérienceetsontpropresau
combat. Mes armes et mes troupes sont entièrement à toi,et c'est à l'âme de tes ennemis à trembler. A quoi me
serviraientsanstoidestrésorsetdesarmées,letrônedelaroyautéetlacouronned'or?Isfendiarrépondit:Je
n'aipointbesoindetroupes,car,quandlemomentdelamortestarrivé,lepluspuissantroinepeutleretarder
avec une armée. Il quitta laprésence du roi et se retira, tout enflammé des paroles de son pèreet du désir
d'acquérirlacouronne;ilrentradanssonpalais,déchirédesentimentscontradictoires,labouchepleinedebelles
paroles,lecœurpleindesoucis.
KITABOUNDONNEDESCONSEILSÀISFENDIAR.
QuandKitabounsut cequis'étaitpassé,elleserenditauprèsdesonfils,lecœurpleindecolère,lesyeux
pleinsdelarmes,etditaunobleIsfendiar:Ohéritierdeshéros!j'aiapprisdeBahmanquetuveuxquitterle
jardinderosespourallerdansleZaboulistan,etmettredanslesfersRustem,lefilsdeZal,lemaîtredel'épéeet
delamassue.Écouteleconseildetamère:netejettepasétourdimentdanslemalheur,etn'essayepasdefairele
mal.Rustemestuncavalierpuissantcommeunéléphant,quiméprisedanslecombatlaforceducourantduNil,qui
déchire les reins du Div blanc, et devant l'épéeduquel le soleil se détourne de sa route ; il a tué le roi du
Hamaveran,etpersonnen'ajamaisoséluiparlerrudement;envengeantlemeurtredeSiawuschparAfrasiab,ila
rendu la terrecommeunemerdesang.Nelivrepastatêteauventparledésird'unecouronne,carlesroisne
naissent pas avec une couronne.Maudits soient ce diadème et ce trône ; maudits ces meurtres, cesluttes et ces
rapines!Tonpèreestdevenuvieuxettuesjeune;tuespuissantparlaforcedetesmainsetpartabravoure.
Toutel'arméeespèreentoi;n'appellepassurtoilemalheur,dansunmomentdecolère.Ilyabiend'autreslieux
dans le monde que leSéistan ; ne fais pas d'imprudence, n'agis pas follement. Ne merends pas l'être le plus
malheureuxdanscemondeetdansl'autre;écoutelesparolesdetamèrepleinedetendresse.
Isfendiar,répondit:Omatendremère,rappelle-toimesparoles!Rustemesttelquetuledécris;tonrécitde
seshautsfaitsestaussivéridiquequeleZendavesta.Cherchetantquetuvoudras,tunetrouveraspersonnedans
l'Iranquiaitfaitplusdebienquelui,etiln'estpasjustedelemettredanslesfers:ceseraunemauvaise
action,quisiéramalauroi.Mais,d'unautrecôté,ilnefautpasmebriserlecœur;car,situmelebrises,je
l'arracheraidemoncorps.Commentpourrais-jedésobéirauroi,commentmerésoudreàperdreunpareiltrône.Sije
doispérirdansleZaboulistan,lecielmeforceracertainementd'yaller,quoiquejepuissefaire;maissiRustem
veutseconformeràmesordres,jamaisilm'entendraunmotfroidsortirdemabouche.
Des larmes de sang s'échappèrent des cils de sa mère; elle s'arracha les cheveux et lui dit : O jeune et
vaillantéléphant!danstonardeurtufaispeudecasdelavie.TunesuffiraspaspourvaincreRustem;nepars
doncpassansunearmée.Neportepastaviedevantcetéléphantfurieux,ent'exposantsansdéfenseàsescoups.Si
tuesdéterminéàpartir,c'esttoutcequedésireAhrimanlemalveillant;mais aumoinsn'entraînepasenenfertes
fils,caraucunhommedesensnet'approuverait.Lehérosavidedecombatsréponditàsamère:J'auraistortdene
pasemmenermesfils;carsiunjeunehommes'accoutumeàresterenarrière,sonâmedevientbasseetsonespritse
ternit.J'aibesoind'euxsurchaquechampdebataille,ômamèrepleinedesagesse;maisilnemefautpasunearmée
nombreuseendehorsdemafamille,demesalliésetdequelquesgrands.
ISFENDIARCONDUITUNEARMEEDANSLEZABOULISTAN.
Lelendemainmatin,àl'heureoùchantelecoq,onentenditlestimbalessouslaportedupalais;Isfendiar,
fortcommeunéléphant,monteàchevaletemmenasonarméerapidementcommelevent.Ilcontinuaàmarcherjusqu'àce
qu'il trouvât devant lui deux routes ; leséléphants et l'armée s'y arrêtèrent : une des routes conduisait à
Gunbedan,l'autreàKaboul.Lechameauquiouvraitlamarchesecoucha;tuauraisditqu'ilnetaisaitqu'unavecta
terre;lechamelierlefrappaàlatêteavecsonbâton,etlacaravaneneputavancer.Isfendiardit:Ceciestde
mauvaisaugure;etilordonnadécouperauchameaulatêteetlespieds,pourquelemalheurretombâtsurlechameau
etneternitpaslasplendeurdivinequientourelesrois.Leshommesdeguerrecoupèrentlatêteàl'animal,sur
lequelretombaitàl'instantsonmauvaisaugure.Isfendiardevintsoucieuxàcausedecetteaventureduchameau;
mais, ne voulant pas prendre au sérieux le mauvaisprésage, il dit : Celui qui est victorieux et dont le trône
illuminelemondedoitrecevoiravecdeslèvressourianteslebienetlemal,quitouslesdeuxviennentdeDieu.
DelàilserenditsurlesbordsduHirmend,encoretremblantetcraignantunmalheur.Onétablitl'enceintede
sestentesselonlacoutume,etlesgrandsdel'arméechoisirentlaplacedeleurcampautourd'elle.Isfendiarfit
mettrelerideauetposersontrône,ettousceuxquelafortunefavorisaitseréunirentdevantsontrône;ilfit
apporterduvinetappelerdesmusiciens.Beschoutens'assitenfacedelui,etleschantsremplirentdejoielecœur
duroietdélivrèrentdetoutsoucilesâmesdesnobles.Lesjouesdesgrandsetduvaillantrois'épanouirentcomme
desrosessousl'influenceduvieuxvin,etIsfendiarditàsescompagnons:Jemesuisécartédelavolontéduroi
etmesuiségarédesavoie.Ilm'aordonnédem'occuperdel'affairedeRustem,denepasmerelâcherdudevoirde
l'enchaîneretdel'humilier.Jenel'aipasfait;jen'aipassuivilavoiedemonpère,carcethommeaucœurde
lionettoujoursprêtaucombatépargnebeaucoupdepeineauxgrandsetamaintenulemondeenordreavecsalourde
massue;toutlepaysd'Irannevitquegrâceàlui,depuislesroisjusqu'auxesclaves.Ilmefautmaintenantun
envoyésachantécrire,prudent,sageetattentif,uncavalierglorieuxetgracieux,unhommequeRustemnepuisse
tromper. Si Rustem voulaitvenir auprès de moi, il rendrait joyeuse mon âme sombre ; s'ilvoûtait me livrer
paisiblementsamainenchaînée,ilenchaîneraitparsasagesselemalquejedevraisluifaire;carjeneluiveux
quedubien,pourvuqu'ilécartetoutmauvaisvouloirenversmoi.Beschoutenluidit:Tuesdanslevrai;continue
ainsietfais-toileconciliateurdesbraves.
ISFENDIARENVOIEBAHMANAUPRESDERUSTEM.
IsfendiarfitvenirBahmandevantluietluiparialonguement,disant:Montesurtondestriernoir,pare-toi
avecdubrocartdeChine,placesurtatêteunecouronneroyaletoutecouvertedepierresfinesdignesd'unPehlewan,
pourquetousceuxquitevoienttedistinguentparmilesgrands,sachentquetuesderaceroyaleetinvoquentsur
toilesgrâcesduCréateur.Emmèneavectoicinqchevauxdemainauxbridesd'or,etdixMobedsportanthautlatête
etdegrandrenom;continuetaroutejusqu'aupalaisdeRustem,maissanstefatiguer.Salue-ledemapart,soisbon
pourlui, parle-lui en paroles choisies, sois d'une politesse parfaite,et dis-lui : Celui qui devient grand et
puissantets'élèveau-dessusdetoutdangerdemalheurdoitrendregrâceàDieu,quidetouteéternitéconnaîtce
quiestbien.Sil'hommes'efforcedefairelebienets'abstientdel'aviditéetdesmauvaisdésirs,Dieuaugmente
sonpouvoiretsestrésors,etilseraheureuxdans son séjour passagersurla terre ; s'ils'abstient de toute
mauvaiseaction,iltrouveradansl'autremondeleparadis.Lesagesaitquelebienetlemalpassentsurnous,et
qu'àlafinnotrecoucheestlaterrenoireetnotreâmes'envoleauprèsdeDieu,letrèssaint.Quiconquedansle
mondesaitcequiestbien,sedonnedelapeineetseconformeàlavolontédesrois;onestrécompenséselonce
qu'onafait;etl’onreçoituneréponseselonlesparolesqu'onaprononcées.
Maintenantnousvoulonsprendrelamesuredetesactes,etilnefautnilesexagérernilesdiminuer.Tuasvécu
desannéessansnombre,tuasvubiendesroisdanslemonde,etsitudéviesduchemindelaraison,tusaisquecela
n'estpasdignedetoi,quiasreçudemesancêtrestantdepouvoir,detrésors,d'armées,dechevauxmagnifiques,de
trônesetdecouronnes.PendanttoutletempsqueLohraspaétélemaîtredumonde,tun'espasalléàsacour,et
lorsqu'ilaremislacouronneàGuschtasp,tun'asplusfaitattentionàsontrône.Tuneluiaspasécrituneseule
lettre,tut'esaffranchidetouslesdevoirsd'unsujet.Tunet'espasprésentéàsacourcommeunserviteur;tune
donnes plus àpersonne le titre de roi. Mais depuis Houscheng, Djamschid et levaillant Feridoun,qui aenlevé
l'empireàlaracedeZohak,etendescendantjusqu'àKeï-Kobad,quiaplacésursatêtelacouronnedeFeridoun,le
trône n'a été occupé par aucun roi aussipropre aux combats et aux festins, aux conseils et à la chasse, que
Guschtasp.Ilaadoptélafoipure,ilaanéantil'injusticeetl'erreur;lavoixdumaîtredelaterreestdevenue,
souslui,brillantecommelesoleil,et.lesmauvaisesdoctrinesetlesvoiesduDivontdisparu.Ensuite,lorsque
Ardjaspestvenulecombattreavecunearméesemblableàdesléopardsetdepuissants crocodiles, une armée dont
personnenesavaitlenombre,leroiillustreestalléàsarencontreetafaitduchampdebatailleuncimetièretel
quenullepartonnevoyaitlesol,telque,jusqu'aujourdelarésurrection,lesouvenirn'envieillirapasparmi
mesgrands.Aujourd'huitoutestàluidepuisl'Occidentjusqu'àl'Orient,etilbriseledosdeslionsvaillants.Va
duTouranjusqu'auxfrontièresdel'IndeetduRoum,ettuverrasquelemondeestdanssamaincommeunepoignéede
cire.Descavaliersdudésert,quipercentavecleurslances,setrouventàsacour,etleursvillesluienvoientdes
tributsetdesredevances,carilsnepeuventluirésisterniluttercontrelui.
Jetediscela,ôPehlewan,parcequetuasoffensél'espritduroi;tunet'espasprésentéàsacourillustre,
tun'aspasvulesgrandsquil’entourent;tuaschoisidanslemondeunefrontièreéloignéeoùtutecaches;mais
commentlesgrandspourraient-ilst'oublier,àmoinsd'avoirperdutoutsens?Tuastoujoursvoulutoutcequiest
bien, tu t'estoujours conformé aux ordres des rois ; et si quelqu'un voulaiténumérer les fatigues que tu as
supportéespoureux,lalisteseraitpluslonguequecelledetestrésors;maisilyaunroiquin'approuvepas
dansunsujetcequ'onracontedetoi;ilm'aditque,rassasiédedons,depaysetdetrésorsaccumulés,tues
devenufier,tuterenfermesdansleZaboulistan,etneviensàsonaideenrien,etquetuneleverraisjamaisdans
lasalledesfestins,puisquetutrouvaisbondetetenirloinduchampdebataille.Unjourilestentréencolère,
etajuréparlejourbrillantetlanuitsombrequepersonnedanssonarméechoisieneteverraitàlacour,sice
n'estenchaîné.
Maintenantjesuisvenudel'Iran pourt’emmener,etleroim'aordonnédenepasmereposerunseulinstant.
Soumets-toidonc,ettrembledevantsacolère;carnesais-tupasquelregarddecolèresonœilpeutlancer?Mais
situviensavecmoi,situprometsd'obéir,situterepensdet'êtretenuéloigné,jejureparlesoleil,parles
mânesglorieusesdeZeriretparl'âmedemonpère,lemaîtredumonde,lelion,quejeferairepentirleroidesa
sévéritéquejeferaibrillerdenouveaulaluneassombriedesagrâce.L'intelligenceetlasagessesontmesguides,
etBeschoutenm'esttémoinquej'aidéjàessayédecalmerleroi,quoiquej’aievulesfautesquetuascommises;
maismonpèreestroi,etjesuissonsujet:jamaisjenem'écarteraidecequ'ilordonne.Ilfautquetouteta
famille serasersemblepourtenirconseiletseconcertersurcetteaffaire:Zewareh,Faramourz,Destanfilsde
Sam,etlaglorieuseRoudabeh,pleined'expérience.Peseztousmesconseilsl'unaprèsl'autre,cédezàmesbonnes
paroles;carilnefautpasquevotrepalaisdeviennedésertetsoitlaproiedesbravesdel'Iran.Quandjet'aurai
conduit enchaîné devant le roi, quand je lui aurai exposétes nombreuses fautes, je me placerai devant lui
humblement,etj'apaiseraisacolèreetsondésirdevengeance:jenesouffriraipasquemêmeunsouffledeventte
touche,commeilconvientàunhommedemanaissance.
BAHMANRENCONTREZAL.
Bahman,aussitôtqu'ileutentendulesparolesduprinceillustre,semitenroute,vêtud'uneroberoyalede
tissud'or, couvert de son casque princier. Il sortit fièrement del'enceinte des tentes, suivi de son drapeau
brillant.Lorsquecejeunehommeambitieux,dontlastatureressemblaitàuncyprèsélancé,eutpasséleHirmend,une
sentinellelevitetpoussaducôtéduZaboulistanuncriannonçantqu'unvaillantcavalier,montésurunchevalnoir
avecdesharnaisd'or,arrivaitsuividequelquescavaliersordinaires,etavaitpassélestementlarivière.Zal-Zer
montasur-le-champ à cheval, portant au crochet de la selle son lacet, etune massue en main ; il s'avança, et
aussitôt qu'il eut aperçuBahman,unsoupirs'échappadesapoitrineetildit:C'estunillustre Pehlewan, qui
portehautlatêteetestcouvertdevêtementsroyaux;c'estsansdoutequelqu'undelafamilledeLohrasp;puisse
latracedesespiedsporterbonheuràcepays!
Ils'enretournadelatourdelasentinelleàlaportedesonpalais,etrestalongtempscourbésursoncheval
etabsorbéparsespensées.BahmanparutaveclabannièredesKeïanidesdéployée;cejeunehomme,quineconnaissait
pasZal,étenditsonbrasroyal,et,s'étantapproché,élevalavoix,disant:Ohomme,filsdeDihkan!oùestdonc
l echef du peuple, le fils de Destan, le soutien de l'époque ? carIsfendiar, le héros, est arrivé dans le
Zaboulistanetadressésestentessurlesbordsdufleuve.Zalluirépondit:Ojeunehommeimpétueux!descendsde
cheval,boisduvinetrepose-toi.RustemvarevenirdelachasseavecZewareh,Faramourzetsonescorte.Viensavec
tescavaliers,ôhommenoble,etréjouistoncœuravecquelquescoupesdevin.Bahmandit:Isfendiarnem'apas
permisdepenseràduvinetàdejoyeuxcompagnons;choisis-moiunhommequisachelecheminpourqu'ilmeconduise
aulieudelachasse.Zalrépondit:Quelesttonnom?tupassesbienrapidement;quelesttondésir?Jepenseque
tu esdelafamilledeLohrasp,ouunfilsduroiGuschtasp?Bahmanluidit:JesuisBahman,filsdumaîtredu
monde,aucorpsd'airain.
Zal,àcesparoles dujeunehommepleindefierté,mitpiedàterreetluirendithommage.Bahmandescendit
aussidechevalensouriant,etfitàZaldesquestionssursasanté.Zalréponditetleprincel'écouta.Zallepria
longuementdes'arrêter,disantqu'iln'étaitpasraisonnabledepartirsivite;maisBahmaninsista,parcequ'ilne
fallaitpasnégligeretretarderunmessageadresséparIsfendiar,etilchoisitunbravequisavaitlechemin,et
l'envoya avec lui à l'endroit oùRustem chassait. Le guide se mit à marcher devant le prince :c'était un homme
expérimenté,dunomdeSchirkhoun;ilmontradudoigtàBahmanlelieuoùsetrouvaitlachasse,etlui-mêmes'en
retournaàl'instant..
BAHMANS'ACQUITTEDESONMESSAGE.
Lejeunehommesetrouvadevantunemontagne,surlaquelleilpoussasonchevaldeguerre;d'enhautilavaitla
vuesurlelieudelachasse,etilaperçutlePehlewandel'armée,unhommesemblableaumontBisoutoun;iltenait
dansunemainuntroncd'arbresurlequelétaitembrochéunonagre;unemassueetdesharnaisdechevalétaient
placésàsescôtés;iltenaitdansl'autremainunecoupedevin,etsesserviteursétaientdeboutenfacedelui;
Rakschcouraitdanslaprairie,ettoutautouronvoyaitdesarbres,despâturagesetdeseauxvives.Bahmansedit:
CeciestouRustem,oulesoleillevant.Personnen'ajamaisvudanslemondeunhommecommelui,nin'aentendu
parlerdesonpareilparminosancêtresillustres.Jecrainsqu'Isfendiar,lehéros,nepuisseluirésister,etqu'il
nerefusedelecombattre;maisavecunepierrejepuisletuer,etfairetremblerlecœurdeZaletdeRoudabeh.
Ildétachaalorsunepierred'unrocher,etlafitroulerduhautdelamontagne.Zewarehaperçutd'enbasle
morceauderocher,etentenditlebruitqu'ilfaisait;ils'écria:ôPehlewan,ôcavalier!voiciunepierrequi
vientenbondissantduhautdelamontagne!Rustemsourit,ilnelâchapasl'onagre,àlagrandefrayeurdeZewareh,
et attendit que la pierre fût arrivéeprès de lui et que toute la montagne fût couverte de la poussièrequ'elle
soulevait;alorsillafrappadutalondesa botteetlarejetaauloin:ZewarehetFaramourzlecouvrirentde
leursbénédictions.Bahmanfutconsternédecetexploitquiluiavaitfaitvoirlaforceetlegrandairdecethomme
;ilsedit:SilefortunéIsfendiarengageuneluttecontrecehérosillustre,ilrecevraunaffront,etilvaut
mieux qu'il use de courtoisie enverslui ; car si Rustem était vainqueur de mon repère, il s'empareraitde tout
l'Iran.Ilremontasursondestrierauxpiedsdevent,etdescenditdelamontagnetoutsoucieux;ilracontaàses
Mobedslamerveillequ'ilavaitvue,etrepritlentementsonchemin.
Quandilfutarrivéprèsdulieudelachasse,Rusteml'aperçutsurlarouteetditàsonMobed:Quelestcet
homme?Ilmesemblequec'estquelqu'undelafamilledeGuschtasp.IlallaàsarencontreavecZewarehettousses
compagnonsdechasse,grandsetpetits.Bahmanmitpiedàterrerapidementcommelafumée,aussitôtqu'illevit,et
luiadressapolimentlesquestionsd'usage.Rustemluidit:Tun'auraspasderéponsedemoiaussilongtempsquetu
nem'auraspasdittonnom.
Ilrépondit:Jesuislefilsd'Isfendiar,lechefdeshommesloyaux,l'illustreBahman.LePehlewanleserra
aussitôtcontresapoitrineetluidemandapardondes'êtrefaitattendre.Touslesdeuxserendirentàl'endroitou
Rustem avait campé, et lesnobles serviteurs du prince lessubirent. Bahman s'assit etrapporta longuement les
souhaits dont le roi et les Iraniensl'avaient chargé pour Rustem ; ensuite il dit : Isfendiar a quittéle roi
rapidement,commelefeu,iladressésestentessurlebordduHirmend,selonlesordresdugrandroivictorieux,et
j'ai àtransmettreauvaillantPehlewanunmessagedemonpère,s'ilveutm'écouter.Rustemrépondit:Lefilsdu
princes'estbeaucoupfatiguéetafaitunelongueroute;mangeonsd'abordunpeudecequenousavonsici,ensuite
lemondeestàtesordres.
Ilplaçadupaintendresurlecuirquiluiservaitdetable,apportaunonagrerôtietchaud,etleposasurla
nappedevantBahman,enparlantd'anciennesaventures.IlfitasseoirsonfrèreZewarehàcôtéduprince;maisil
n'appela aucun desgrands qui étaient présents. Ensuite il plaça devant lui-même unautre onagre, car il lui en
fallait un chaque foisqu’ildînait,répanditduseldessus,ledépeçaetlemangea.Bahman,quiportaithautla
tête,leregarda,mangeaaussiunpeudesononagre,maismoinsdelacentièmepartiedecequemangeaitRustem.
Celui-cisouritetluidit:C'estpourjouirqueleroiasontrône;maissic'estainsiquetumanges,commentas-
tupuentrerdanscettefournaisedesseptstations?Commentpeux-tufrapperdelalancedanslabataille,sic'est
làtondîner?Bahmanrépondit:Unfilsderoidoitparleretvivresobrement;maissisanourritureestexiguë,
seseffortsdoiventêtregrandsdanslecombat,etildoittoujoursportersaviesurlapaumedesamain.
Rustemsemità rireetditàvoixhaute:Onnedoitpascacherdevantlesbravessabravoure.Ilremplitdevin
unecouped'oretlabutàlasantédeshommeslibres;ensuiteilplaçauneautrecoupedanslamaindeBahmanen
disant:Portelasantédequituvoudras.Bahmanredoutantcettecoupedevin,Zewarehlavidaavantlui,disant:O
filsderoi,puissentlevinettescompagnonsteplaire.BahmanpritrapidementlacoupedesmainsdeZewareh;mais
cethommeaucœurinquietétaitunfaiblebuveur.Rustem,sonappétit,sastature,sesbrasetsesépaules,toutle
confondait.Alafinlesdeuxcavaliersmontèrentàcheval,Bahmansetintàcôtédel’illustrePehlewan,etlehéros
augrandrenomcommuniquaàRustemlessaintsetlemessaged'Isfendiar.
RUSTEMRÉPONDABAHMAN.
RustemécoutalesparolesdeBahman,etlecerveauduvieillardseremplitdesoucis;ilrépondit:Ehbien,
j'aientendutonmessage,jemesuisréjouidetevoir;portemaintenantmaréponseàIsfendiardanscesmots:O
princeillustre,aucœurdelion,quiconqueadusensdanslatêteréfléchitavanttoutsur la possibilité d'une
affaire.Quandonestvaillantetvictorieux,quandonpossèdecequ'onadésiré,destrésorsamassés,dupouvoir,de
labravoureetungrandnom,quandonesthonoréparlespluspuissants,quandonadanslemondelapositionquetu
as,ondoitécarterdesonesprittoutmauvaisvouloir.AdoronslajusticedeDieu,repoussonsdenotremainlamain
dumal.Touteparoleinutileestunarbresansfruitsetsansparfum.Sitonâmeselaissealleràlavoiedela
passion,tutepréparespourlongtempsuneviesansprofit.Quandunprinceparle,ilvautmieuxqu'ilpèsesesmots,
ilvautmieuxquesabouches'abstiennedemauvaisesparoles.Tonserviteuratoujoursétéheureuxdesparolesde
ceuxquiluiontditquejamaismèren'avaitmisaumondeunfilscommetoi,quetudépassaistoustesancêtresen
bravoure,ensagesse,enintelligenceetenprudence,cartelesttonrenomdanslepaysdesBerbers,dansleRoum,
danslaChineetdanslepaysd'Occident.Cesliensquiterattachentànousm'ontremplidereconnaissance,etje
priepourtoilejourettroisfoischaquenuit.Ensuitej'avaisdemandéàDieuunegrâcedontl'accomplissement
réjouitmaintenantmoncœur,c'estdevoirtonvisagechéri,decontemplerunhommesipuissant,sihéroïqueetsi
bon, de nous asseoir ensemble joyeusement et de saisir les coupespour les vider à la santé du roi des rois. A
présentj'aiobtenutoutcequej'aidemandéetjecoursjouirdecequej'aitantdésiré.Jevaismeprésenterdevant
toi sans armée, etj'entendrai de ta bouche les ordres du roi. Je t'apporterai lestraités que les rois m'ont
accordés,encommençantparceluideKeïKhosrouetenremontantjusqu'àKeï-Kobad.
Maismaintenant,ôhommevaillant,quetut'occupesdemoi,rappelle-toimesnombreuxhautsfaits,lebienque
j'aiaccompli,lesfatiguesetleschagrinsquej'aisupportés,lecultequej'airenduàtouslesroisdepuisles
tempsanciensjusqu'àcejour.Orsileschaînesdoiventêtremarécompensedetoutescespeines,siceroid'Iran
veutmeperdre,ilauraitmieuxvalunepasnaître,ou,étantné,nepasresterdanscettevie.Jeviendrai,jete
diraitousmessecrets,etmavoixs'élèveraau-dessusdecetteterre.Maispuis-jemarcheràpied,couvertdema
cuirasseenpeaudeléopard?Puis-jelaisserliermesbrasavecunecourroie,moiquiaibriséledosde l'éléphant
furieuxetl’aijetédanslesflotsbleus?Puisquejen'aicommisaucuncrimequieûtméritéqu'onmetranchâtla
tête,épargne-moilesparolesrudes,réservetesduretéspourenaffligerleDiv,nedispascequepersonnen'a
jamaisdit,necherchepas,confiantdanstaforce,àenfermerleventdansunecage.Sipuissantqu'onsoit,onne
peutpastraverserlefeu,nipasserl'eausansnager,nicacherl'éclatdelalune,nirendrelerenardl'égaldu
lion.N'essayedoncpasd'obstruermaroutepardesquerelles;carmoiaussijepuisviderunequerelle,etjamais
personnen'avudeschaînesàmespieds,jamaisunéléphantfurieuxnem'afaitreculer.
Faiscequiestdigned'unprince,neprendspasdanstapassionconseilduDiv,aielecouraged'écarterdeton
cœurlacolèreetlavengeance,neregardepaslemondeavecl'œildelajeunesse.Faisrentrerlecalmedanstonâme
etpasselarivière,etDieu,lesaint,lejuste,tebénirai.Honoremamaisondetaprésenceàunefête,netetiens
pasloindeceuxquitevénèrent,etdemêmequej'aiétéhumbledevantKeï-Kobad,jeterecevraidanslajoiedemon
cœur.Vienscheznousavectonarmée,etresteavecnousjoyeusementpendantdeuxmois;leshommesetleschevauxse
reposerontdeleursfatigues,etlajalousierendraaveuglelecœurdenosennemis.Ledésertestpleindebêtes
fauves,lescoursd'eausontcouvertsd'oiseaux,et,quellequesoitladuréedetonséjour,ilsnes'enfuirontpas.
Je te verrai déployer ta force de hérosquand tu abattras avec ton épée des lions et des léopards, et quandtu
voudrasramenerdansl'Irantonarmée,laramenerauroidesbraves,j'ouvrirailaportedemesancienstrésorsque
j'aiaccumulésàl'aidedemonépée,jet'apporteraitoutcequejepossède,toutcequej'airéuniparlaforcede
monbras:tuenprendrascequetuvoudras,tudistribueraslereste,maisn'affligepasnotrecœurdansunjour
pareil. Quand le moment du départ sera arrivé, quand tu auras besoin derevoir le roi, les rênes de mon cheval
toucherontlestiennespendanttoutelaroute,jemeprésenteraidevantleroijoyeusement,mesexcuseseffacerontsa
colère,jeluibaiserailatête,lespiedsetlesyeux,etjedemanderaiaugrandroiillustrepourquoimespieds
doiventporterdeschaînes.Ettoi,Bahman,rappelle-toitoutcequejet'aiditetrépète-leaupuissantIsfendiar.
RETOURDEBAHMAN.
Bahman,ayantentendularéponsedeRustem,partitetchevauchaentoutehâteavecsesMobedspleinsdevertu.
Tehemtenrestapendantquelquetempssurlaroute,ensuiteilappelaZewarehetFaramourzetleurdit:Allezauprès
deDestanetauprèsdeRoudabeh,laluneduZaboulistan,etditesleurqu'Isfendiarestarrivé,qu'ilestarrivéun
hommequiambitionnelapossessiondumonde;qu'ilfautplacerdanslasalled'audienceletrôned'oretlecouvrir
commepourunroi;qu'ilfautparerlepalaiscommedutempsdelavisitedeKaousetencoreplusmagnifiquement,et
préparerunbeaufestin,carilnefautlelaissermanquerderien;c'estlefilsduroiquivientnousvoir,il
vientpleinderancuneetavidedecombats,c'estunhérosillustreetunpuissantprince,quinecraintpastoutun
désertremplidelions.Jemerendraiauprèsdelui,ets'ilacceptelefestin,noustouspouvonsespérerunefin
heureusedecetteaffaire.Sijetrouveenluidelabonté,jeluiapporteraiundiadèmed'oretderubis,jelui
prodigueraimestrésorsdepierreries,decaparaçons,demassuesetd'épées;maiss'ilmerenvoiesansespoirde
paix,s'ilneveutpasmelaissermejustifier,tusaisquemonlacetroulépeutprendredanssonnœudlatêted'un
éléphant furieux.Zewarehluidit:Net'inquiètepas:personnenechercheuncombatsansprovocation,etjene
connaispasunroidanslemondequisoitl'égald'Isfendiarennoblesseetenbravoure;unhommedesensneveutpas
lemal,etIsfendiarn'apasdefautesànousreprocher.
ZewarehpartitpourallertrouverZal,etRustem,desoncôté,seredressaetcourutjusqu'aubordduHirmend,sa
têtes'exaltantparlepressentimentdudanger.Ilarrêtasonchevaldececôtédufleuve,etattenditqueBahmanlui
apportâtlessalutationsd’Isfendiar.Bahmanarrivadansl'enceintedestentesdesonpèreetseplaçadevantlui;
lefortunéIsfendiarluidemandaquelleréponseilavaitreçueduvaillantPehlewan.Bahman,àcesparoles,s'assit
devantsonpèreetluiraconta,ducommencementjusqu'àlafin,toutcequiavaitétédit;ilrépétad'abord les
souhaitsdeRustem,ensuitesonmessage,etlaréponsequ'ilenvoyait,etrenditcomptedetoutcequ'ilavaitvuet
de cequ'il avait observé en secret. Il ajouta : On ne voit dans l'assemblée des grands aucun homme qui soit
comparableàRustemaucorpsd'éléphant.Ilauncœurdelionetuncorpsd'éléphantfurieux,iltirelescrocodiles
deseauxbleuesdufleuve.IlvientmaintenantsurlebordduHirmend,sanscuirasse,sanscasque,sansmassueetsans
lacet;ilabesoindevoirleroi,etjenesaisquelsecretiltedira.
IsfendiarsemitencolèrecontreBahman,etletraitaavecignominiedevanttoutel'assemblée,disant:Ilne
convientpasàunhommequiportehautlatêtedes'asseoirensecretaveclesfemmes,ets'ilemploiedesenfants
pourdegrandesaffaires,cen'estpasunhommebraveetvaillant.Oùas-tudoncvudeshommesdeguerre,toiqui
n'aspasmêmeentendulavoixd'unrenard?EnfaisantdeRustemunéléphantdeguerre,tuaffligeslecœurdecette
assemblée illustre. Ensuite il dit en secret àBeschouten : Ce lion avide de combats et toujours prêt à livrer
bataillesecomportecommeunjeunehomme;ettuverrasquelesannéesneluiontpasdonnéuneride.
RUSTEMETISFENDIARSERENCONTRENT.
LefortunéIsfendiarfitsellersonchevalnoiretluifitmettreuneselled'or;ensuitecentcavaliersdeson
cortègeillustrepartirentaveclui.Ilcourutjusqu'aubordduHirmend,lelacetroulésuspenduaucrochetdela
telle;Rakschsemitàhennird'uncôtédufleuve,etdel'autre,lechevalduhérosdistributeurdecouronnes.
Tehemtentraversalefleuve,et,arrivéàterre,ildescenditdechevaletsalualehéros.Aprèsluiavoirrendu
hommage,ildit:J'avaispriéDieul'uniquepourqu'ilteguidât,ôprinceillustre,demanièrequetuarrivasses
icienbonnesantéavectonarmée.Maintenantnousparleronsensemble,nousnousrépondrons,etnousprendronsune
résolutionquiporterabonheur.SachequeDieum'esttémoinetjenemelaisseguidericiqueparlaloidelaraison,
quejenecherchepasàbrillerparmesparoles,etquejamaisjen'essayedetromper.Sijevoyaislestraitsde
Siawusch,jen'enauraispasplusdejoiequedel'aspectdetonfraisvisage,carturessemblesentièrementàce
maîtredelacouronne,àcedistributeurdumonde.Heureuxleroiquiaunfilscommetoi,unfilsdontlastatureet
lamajestédoiventréjouirunpèreheureuxlepaysd'Iran,quivénèretontrôneettafortunequines'endortpas!
Malheuràceluiquichercheàtecombattre,cariltomberadesontrônedanslapoussière!Puissetafortuneêtre
toujoursvictorieuse,puissentlesnuitssombresêtrepourtoicommedesjoursduNôrouz!
IsfendiarécoutalesparolesdeRustem,descenditdesonnobledestrier,serrasursapoitrinelehérosserait
pourmoiunehontequines'effaceraitjamais,siunSipehbed,unchef,unprince,unlionpleindefierté,unhomme
puissantcommetoirefusaitd'entrerjoyeusementdansmamaison,etd'êtremonhôtedanscepays.Siturepoussaisde
toncœurcettehaine,situfaisaisuneffortsurtoietrésistaisauDiv,monâmeseraitheureusedetesparoleset
j'obéirais à tout ceque tu m'ordonnerais, exceptédemettre des fers, carlesfersmecouvriraientdehonte,ce
seraitmadestructionetunemauvaiseaction.Personnenemeverravivantdanslesfers,mavieestàceprix.J'ai
dit.
Isfendiarreprit: Otoi,héritierdeshérosdanslemonde,tuasditvrai,tun'asproféréaucun mensonge.
Puissentleshommesnejamaischercherdel'éclatpardesvoiestortueuses!maisBeschoutensaitlesordresquele
roim'adonnésquandjemesuismisenroute.Ormaintenant,sijevaisdanstonpalais,sijesuistonhôtejoyeuxet
victorieux,etqueturefusesd'obéirauroi,lasplendeurdujourseraterniepourmoi;carilestcertainqueje
t'attaquerai,quejetecombattraiaveclafureurd'unléopard;j'oublierailesdroitsdupainetdusel,cequifera
douterdelavertudemaracedontonn'ajamaisdouté;d’unautrecôté,sijedésobéissaisauroi,maplacedans
l'autremondeseraitlefeu.Situenasenvie,consacronscejourauxcoupesdevin,carquisaitcequiarrivera
demain?
Maisilestinutiledeparlerdel'avenir.Rustemrépondit:Jevaisfaireainsi:jem'envaispourchangermes
vêtementsdevoyage,carj'aipasséunesemaineàlachasse,etjemesuisnourrid'onagresaulieud'agneaux. A
l'heuredudîner,fais-moirappeler,etmets-toiàtableaveclesmembresdetafamille.
IlremontasurRaksch,renfermantsessoucisdanssonâmeblessée,partitentoutehâteetchevauchajusqu'àce
qu'ilfûtarrivéàsonpalais.IlytrouvaZal,filsdeSam,filsdeNeriman,etluidit:Oprinceillustre,jeme
suisrenduauprèsd'Isfendiar,j'aivuenluiuncavaliersemblableàuncyprèsélancé,pleindesens,degrâceetde
dignitéroyale.OndiraitquelevaillantroiFeridounluialéguésapuissanceetsasagesse;quandonlevoit,on
letrouveplusgrandquesarenommée;ilbrilledetoutelamajestéduroidesrois.
ISFENDIARN'INVITEPASRUSTEMÀDINER.
LorsqueRustemeutquittélebordduHirmend,lepuissantroirestapleindesoucis;danscemomentBeschouten,
l econseiller du roi, entra dans l'enceinte des tentes, et le hérosIsfendiar lui dit : Nous avons pris trop
légèrementuneaffairepleinededifficultés.Jen'airienàfairedanslepalaisdeRustem,etlui,àsontour,n'a
rienàvoirchezmoi.S'ilnerevientpas delui-même,jenel'appelleraipas,carsil'undenousdoitpérirdela
maindel’autre,lecœurduvivantsaigneraitàcausedumort,etl'amitiéqu'ilauraitcontractées'exhaleraiten
lamentations.
Beschoutenluirépondit: Oprinceillustre,quiaunfrèrecommeIsfendiar?JejureparDieuque,lorsqueje
vousaivusd'abordensemble,quandjemesuisaperçuquevousnecherchiezpasàvouscombattre,j'aiétésicontent
deRustemetd’Isfendiarquemoncœurestdevenucommeleprintemps.Maintenant,quandj'examinecette affaire,je
voiequeleDivobscurcitvotreintelligence.Tuconnaiscethommepleindevaleur,tuconnaislavolontédeDieuet
l'avisdetonpère;abstiens-toidonc,nemetspasendangertavie,etécoutelesparolesdetonfrère.J'aientendu
toutcequeRustemadit,j'aivuquesapuissanceestégaleàsonhumanité;teschaînesneserrerontjamaisses
pieds,etiln'accepterapasfacilementtestiens.Lehérosdumonde,lefilsdeDestan,filsdeSam,netomberapas
sifacilementdanscepiège,etjecrains,quecettequerellenedeviennelongueetcruelleentredeuxhommesaussi
fiers.Tuesungrandprinceetplussagequeleroi,tuespluspuissantqueluipartaforcedanslecombatetpar
tabravoure.L'unrecherchelesfestins,l'autrelescombatsetlesvengeances:réfléchislequeldesdeuxmérite
l'approbation.
Leprinceluirépondit:Sijedésobéisauroi,onmelereprocheradanscemonde,etj'auraiàenrépondreà
Dieudansl’autre;etjeneveuxpasmesacrifierdanslesdeuxmondesàcausedeRustem.Onnesauraitcoudreavec
uneaiguillel'œildelavengeance.Beschoutendit:Jet'aidonnétouslesconseilsquipeuventêtreutilesàton
corpsetàtonâme;c'estàtoimaintenantdechoisirlemeilleur,maislecœurdesroisnedoitpaspencherversla
haine.
LeSipehbedordonnaauxcuisiniersdedresserlatable,etiln'envoyapersonnepourappelerRustem;quandle
dînerfutfini,ildemandaunecoupedevinetsemitàparlerduchâteaud'airainetdesaproprebravoure,età
boire à la santé du roi desrois. Pendant ce temps Rustem attendait dans son palais, n'ayantpoint oublié son
engagementàdîner.Letempss'écoulait,personnenevenait,etRustemregardaitsouventlaroute;maislorsquele
tempsdudînerfutpassé,lecerveauduhérosdébordadecolère;ilsemitàsourireetdit:Omon frère, fais
dresserlatableetappelerlesgrands;puisquetelleestlacourtoisied'Isfendiar,n'oubliejamaiscettemanière
princière.FaissellerpourmoiRakschetfais-lecaparaçonnerselonlamodedeChine.Jem'envaisretournerauprès
d'Isfendiaretluidirequ'ilnoustraitetroplégèrement,
ISFENDIARFAITDESEXCUSESARUSTEMDENEL'AVOIRPASINVITE.
Rustemmontaàcheval,semblableàunéléphant,etRakschhennitdemanièreàêtreentenduàdeuxmilles.Le
héroschevaucharapidementjusqu'auborddel'eau;toutel'arméedesIraniensaccourutpourlevoir,ettouthomme
quil'aperçutconçutpourluidanssoncœurdelatendresseetderattachement.Ilssedirent:Cehérosillustrene
ressemblequ'àSamlecavalier;ilestassissursonchevalcommeunemontagnedefer,etl’ondiraitqueRakschest
unAhriman;siunéléphantterriblelecombattait,etonnepourraitquedésespérerdel'éléphant.Leroiestinsensé
delivrerainsiàlamortunhérosglorieuxtelqu'Isfendiar,unprincebeaucommelalune,pourgardersacouronne
etsontrône;plusilvieillit,plusildevientavidedetrésors,plusiltientausceauetaudiadème.
LorsqueRustemfutarrivéprès delatented'Isfendiar,leprincesortitpourallerau-devantdelui,etRustem
luidit:OPehlewan,ôfortunéjeunehomme,quiintroduisdesformesetdesmanièresnouvelles!l'hôtequetuavais
invité ne valait donc pas un message ? telétait pourtant l'engagement qui a duré si peu. Fais attention à mes
paroles,netemetspasfollementencolèrecontreunvieillard.Tuasunebienhauteopiniondetoi-même,ettuagis
rudementenversnousautresgrands;tufaispeudecasdemabravoure,tumetienspourfaibledevolontéetd'esprit
;maissachequelemondemeconnaîtcommeRustem,quec'estmoiquiairendubrillantletrônedeNeriman,quele
Divnoirsemordlamainàcausedemoi,etquejeprécipitedeleurstrônesleschefsdesmagiciens.Lesgrandsqui
ontaperçumacuirasseenpeaudeléopardetlelionrugissant surlequeljesuismontésesonttousenfuissans
combat,etontcouvertlaplainedeflèchesetd'arcsabandonnés,commeKamousleguerrieretleKhakandelaChine,
descavaliersvaillantsetdegrandsguerriersquej'aiarrachésdeleurschevauxaveclenœuddemonlacet,quej'ai
entourésde liensdelatêteauxpieds.Jesuisleprotecteurdesroisdel'Iranetlesoutiendesbravesentout
lieu. Ma prièrehumble t'a exalté,maisnecroispasêtrepluspuissantqueleciel.C'estàcausedeta dignité
royaleetdetacouronnequejechercheàmeconformeràtesvolontés,àresterloyalenverstoi,etquejedésire
qu'unprincecommeIsfendiarnepérissepasdemamainaujourducombat.Certes,Samlehéros,devantlequelles
lionss'enfuyaientdelaforêt,étaitunbrave,etmaintenantjerappelleaumondesonsouvenir:aucunlionn'osese
présenterdevantmoi.JesuisdepuislongtempslePehlewandumonde,etjamaisjen'aipasséunjouràfairedumal;
j'aipurifiélaterredenosennemis,j'aisupportébiendesfatiguesetdessoucis.JerendsgrâceàDieudeceque,
dansmavieillesse,jevoisunrejetonfortunédel'arbreroyal,monégal,quicombattraleshommesd'unecroyance
impure,etauquell’universrendrahommage.
IsfendiarsouritàRustemetdit:O petit-filsdeSamlecavalier,tuasétémécontentdecequ'iln'estpas
arrivédemessage,c'estcequej'aivoulu,etjem'englorifie;carlejourétaitsichaudetlarouteestsilongue
quejen'aipasvoulutefatiguer:neprendspascelaenmal.Dèscematinjedisaisquejeferaiscetteroutepour
m'excuserau-wprèsdetoi,meréjouirdelavuedeDestanetmelivrerunefoisàlajoie.Maintenantquetuaspris
surtoicettefatigue,quetuasquittétonpalaisetesarrivédansledésert,repose-toi,assieds-toi,prendsla
coupe,etnetefaispasuneréputationdecolèreetd'emportement.
Illuifituneplaceàsagauche,c'estainsiqu'ilvoulaitluifaireleshonneursdel'assemblée!Maisle
héros pleind'expérience dit : Ceci n'est pas ma place : je veux m'asseoir à laplaceàlaquellej'aidroit.Le
princeordonnaqu'onluifitplaceàsadroite,commeilledemandait;maisRustemluiditencolère:Regardema
statureetouvretesyeux;penseàmeshautsfaitsetàmanaissanceillustrecarjesuisdelaracedupuissant
Sam.Ondoits'attendredelapartdufilsd'unprinceàdelabravoure,àunemaingénéreuse,àuncœurpleinde
justice;maissitun'aspasuneplacedignedemoi,ilmerestemesvictoires,monnometmondroit.Alorslefils
duroifitplacerunsièged'ordevantletrône,etRustemallas'asseoirsurcesiège,encorepleindecolère,et
tenantenmainuneorangeparfumée.
ISFENDIARDÉPRÉCIELAFAMILLEDERUSTEM.
IsfendiarditàRustem: Oprincebienveillantetpuissant,j'aientendudireparlesMobeds,lesgrandsetles
hommes de sens quiobserventtout,queDestanlemalnéétaitfilsd'unDivetqu'ilnepouvait se vanter d'une
meilleureorigine,qu'onl'avaitlongtempscachédevantSametqu'onl'avaitregardécommelaruinedumonde.Son
corpsétaitnoir,sonvisageetsescheveuxétaientblancs,etquandSamlevit,soncœurfutdésespéré;illefit
porter sur leborddelamer,dansl'espoirquelesoiseauxetlespoissonsenferaientleurproie;leSimourgh
étenditsesailesetarriva,iln'aperçutdansl'enfantaucunsignedegrandeuretdemajesté,etleportaàl'endroit
oùil avait son nid. Mais personne ne pouvait seréjouiràl'aspectdeZal,etquoiqueleSimourgheûtfaim,il
dédaignadedévorerlecorpsdel'enfant.ZalvécutdurebutqueleSimourghlaissaittomber;soncorpsétaitnuet
misérable;pourtantleSimourghletraitaitavecpitié,etc'estainsiquelecieltournapendantquelquetempsau-
dessus de lui. Lorsqu'il eut sucé longtemps le rebut de la proiedu Simourgh, celui-ci le porta tout nu dans le
Séistan, et Sam, quiavaitpeuderaisonetétaitvieuxetmisérable,lerepritparcequ'il n'avait pasd'autres
enfants.Lesbienheureuxgrands,lesroismesancêtresbienveillantslerendirentprospèreetriche,etc'estainsi
quebiendesannéessepassèrent;ildevintuncyprèsquiélevaithautsacime,etquandileutdesbranches,il
produisitcommefruitRustemquis'élevajusqu'aucielparsabravoure,sastatureetlamajestédesamine,s'empara
deladignitéroyale,devintpuissantetquittalavoiedubien.
Rustemrépondit:Otoi qui te rappelles tout, pourquoiprononces-tu des paroles blessantes ? ton cœur doit
soupirerenfacedelaperversité,maistonintelligenceesttroubléeparlesDivs.Parlecomme ilconvientàunroi,
carunroinedoitdirequecequiestbonetvrai.LemaîtredumondesaitqueDestanfilsdeSamestunhomme
puissant,sageetdebonrenom;Samlui-mêmeétaitfilsdeNeriman,etlevaillantNerimandescendaitdeKeriman,un
princedontlepèreétaitHouscheng,letroisièmequiaitportédanslemondeunecouronnederoi.Tuassansdoute
entendu parlerde larenomméedeSam,l'hommeleplusglorieuxdestemps.OrilyavaitàThousundragon auquel
personnenepouvaitrésisterdanslecombat;iltétaituncrocodiledansl'eauetunléopardsurterre,etpourlui
toutcequiestbeauétaitcommedelapoussièreetdespierres;ilbrûlaitdanslamerlatêteauxpoissons,et
dansl'airlesailesauxaigles;ilattiraitavecsaqueuel'éléphant,etlescœursjoyeuxtremblaientquandon
parlaitdelui.Ensuiteilyavaitunautredragon,danslequelsansdoutedemeuraitunDiv:soncorpsétaitsurla
terreetsatêtedanslescieux;lamerdelaChineneluiallaitqu'aumilieuducorps,etildiminuaitl'éclatdu
soleil;iltiraitdespoissonsdelamer,élevaitsatêteau-dessusdelavoûtecéleste,rôtissaitsespoissonsau
soleil,etfaisaitpleurerdeterreurlasphèrequitourne.Cesdeuxmonstresredoutablestremblèrentdevantl’épée
etlecouragedeSam,etpérirentdesamain.
EnsuitemamèreétaitfilledeMihrab,quirendaitflorissantlepaysduSind,etdontlecinquièmeaïeulétait
Zohak,quiaportésatêteplushautquetouslesroisdelaterre.Oùtrouverunefamilleplusillustre?Unhommede
sensnereniejamaislavérité.Monmériteesttelque,danslemondeentier,leshérospourraientm'enemprunter.Je
possèded'aborduntraitéavecKaous,etilnefautpasmechercherunemauvaisequerelle,ensuitej'enpossèdeun
avecKeïKhosrou,ledistributeurdelajustice,leplusvaillantdesKeïanides.J'aitraversélemondeentier,j'ai
tuébiendesroisinjustes.Lorsquej'aitraversélesflotsduDjihoun,Afrasiabs'estenfuiduTouranenChine;je
suisalléseuldansleMazandéran,pouraiderKaousdanslaguerredeHamaveran;jen'ailaisséenvieniArjeng,ni
leDivblanc,niSendjeh,niAuladfilsdeGhandi,niBid;enfinj'aitué,àcauseduroi,monproprefils,le
vaillant, le prudentSohrab,unhérosquin'avaitpassonégalenforce,enbravoureetdansl'artdelaguerre.
VoilàplusdesixcentsansquejesuissortidesreinsdeZal,etpendanttoutcetempsj'aiétélePehlewan du
monde,etn'aicraintnicequiestconnunicequiestcaché.JeressemblaisàFeridoun,deracefortuitnée,quia
placésursatêtelacouronnedesgrands,quiaprécipitédutrôneZohaketafoulédanslapoussièresatêteetsa
couronne,etàSam,mongrand-père,quidépassaitlemondeentierensagesseetenruse;enfin,depuislemomentoù
jemesuisceintpourlecombat,legrandrois'estreposédesesfatigues;jamaisonn'avaitvudesjoursaussi
heureux,etlasécuritéétaittellequelepieddel'hommeégarénecherchaitplusunrefugedansuneforteresse;
carc'estmavolontéquisefaisaitdanslemonde,etl'épéeetlalourdemassueétaientàmoi.
Jetediscelapourquetulesaches.Tuesleroi,etceuxquiportentleplushautlatêtesontlessujets;
maistuesnouveaudanslemonde,etquoiquelamajestédeKeïKhosrousoittonhéritage,tunevoisdansl'univers
quetoi-même,tuneconnaispasleschosesquisonttombéesdansl’oubli.Maisj'aibeaucoupparlé,jevaisboireet
chasseravecduvinlesanxiétésdemonâme.
ISFENDIARFAITL'ELOGEDESAFAMILLE.
IsfendiarécoutacesparolesdeRustem,ilsemitàsourireetsoncœurs'épanouit;illuidit:J'aientendu
parlerdetouteslesdouleursetdetouslessoucisquetuaséprouvéspendanttestravauxettescombats;écoute
maintenantlerécitdecequej'aifait,etcommentjemesuisélevéau-dessusdetousceuxquiportenthautlatête.
J'aiprisd'abordlesarmespourdéfendrelafoi,etj'aidélivrélemondedesadorateursdesidolesdansdescombats
telsquepersonnenevoyaitpluslafacedumonde,etquelaterreavaitdisparusouslesmorts.Jesuisdelaracede
Guschtasp,quiestfilsdeLohrasp;Lohraspétaitfilsd'AwrendSchah,qui,danssontemps,possédaituntrôneetun
nomglorieux,AwrendétaitdescendantdeKeïPeschin,àquisonpèrelui-mêmerendaithommage;Peschinétaitdela
racedeKeï-Kobad,deceroisage,aucœurpleindejustice,etainsitupeuxremonterjusqu'auroiFeridoun, qui
étaitlefondateurdesKeïanidesetl'ornementdutrône.
MamèreestfilledeKaisar,quiestlediadèmesurlatêtedupeupledeRoum.LeKaisarestdelaracedeSelm,
d'uneraceillustre,glorieuseetjuste;carSelmétaitfilsdeFeridoun,leplusglorieuxhérosparmitousles
rois.Jedis,etpersonneneleniera,queceuxquis'égarentsontlegrandnombreetqueceuxquisuiventlavraie
voie sont le petit nombre. Tu sais que toi et tongrand-pèreavez été des serviteurs devant mes aïeux, ces rois
puissants,sagesetsaints.Jeneveuxpasabuserdecettecirconstance,maistuasreçutaroyautédesroismes
ancêtres,quoiqueaujourd'huituteprécipitesdanslarévolte.Restejusqu'àcequej'aietoutdit;sij'avanceune
fausseté,tumelasignaleras.DepuisqueLohrasparemisletrôneàGuschtasp,jesuisarméetpuissantparlaforce
quedonnelafortune,etquiconqueestvenudelaChinepournouscombattreacesséderecevoirdeshommages.Plus
tard, lorsque monpère, à l’instigation de Gurezm, m'eut jeté dans les chaînes et metenait loin des fêtes, mes
chaînesontportémalheuràLohrasp,etlesTurcsontcouvertdeleurarméelasurfacedelaterre.Djamaspm'amena
des forgerons pour me délivrer demes liens pesants ; mais leur travail m'impatientait, mon âme avait envie de
l’épée,moncœursegonflait,j'aijetéuncrideragecontrelesforgerons,jelesairepoussés,jemesuissoulevé
delaplaceoùj'étaisassis,etj'aibrisédemamaintoutesmeschaînes.Delàjemesuisrendusurlechampde
bataille,oùlafortuneavaitabandonnéGuschtasp;Ardjasps'enfuitdevantmoiavectoutesacourillustre;jeme
suisbravementceintpourlecombat,etjelesaipoursuiviscommeunlionfurieux.Ensuitetuasentenducomment,
auxseptstations,touteunearméedeDivss'estmisecontremoi,etcommentjesuisentréparrusedanslechâteau
d'airain, comment j'yaidétruittoutunmonde,commentj'aivengélesIraniens,commentj'aiprislesarmespour
verserlesangdesgrands.Cequej'aifaitdansleTouranetenChine,cequej'aisupportédefatiguesetdedangers
dépassetoutcequejamaisunonagreasouffertd'unléopard,oulagueuleducrocodilepriseparlegrappindes
pêcheurs.Ilyavaitunchâteausombresurlacrêted'unemon-stagne,placéparsonélévationau-dessusdel'atteinte
de lafoule ; quand j'y arrivai, je trouvai qu'ils étaient tous desadorateurs des idoles, des gens confus et
semblablesàdeshommesivres.DepuisletempsdeTourfilsdeFeridoun,personnen'avaitenlevéàcetteforteresse
sagloired’êtreimprenable.Parmabravourejemesuisemparédecesmurailles,etj'aijetéparterretoutesces
idoles,j'yaiallumélefeuqueZerdouschtavaitapportéduparadisdansunecassolette.GrâceàDieu,l'unique,le
distributeurdelajustice,jerevinsdansl'Iran,n'ayantlaissédeboutnullepartunennemi,n'ayantlaisséenvie
aucunbrahmanedanslestemplesd'idoles.Jemesuistoujoursjetéseuldanslecombat,etpersonnen'asouffert
autantquemoidanslesbatailles.Maintenantquenousavonsbeaucoupparlédenous-mêmes,prendsunecoupedevin,
situassoif.
RUSTEMSEVANTEDESESHAUTSFAITS.
RustemréponditàIsfendiar:Mesactionsresterontcommesouvenirdemoi.Soisjusteenversmoi,etécouteun
vieillardcouvertdegloire.Sijen'étaispasallédansleMazandéran,portantsurmonépaulemalourdemassue,làoù
leroi,GouderzetThousétaientprisonniers,etoùlechagrinavaitrendutroublel'œilducoq,quiauraitarraché
le cœur au Div blanc etrépandusa cervelle, qui pouvait espérer faire cela par la force de son bras? Je l'ai
délivré de ses lourdes chaînes et l'ai porté sur son trône; l'Iran était heureux sous lui, et lafortunele
favorisait;j'aitranchélatêteauxmagiciens,etilsn'onteunicercueil,nitombe,nilinceul.Rakschaétémon
compagnondanslesseptaventures;Raksch,quiparlaforcedesonsabotétaitledistributeurdumonde.Ensuite,
quandKaous fut allé dansle Hamaveran, et qu'on eut lié ses pieds de lourdes chaînes, j'y aimené une armée
d'Iraniens,tiréedetoutlieuoùilyavaitunprinceouunchef;j'aituédanslecombatleroi duHamaveran,j'ai
renduvidesontrôneillustre.Kaous,lemaîtredumonde,étaitenchaîné,ilétaitabattuparlesfatiguesetles
soucis,etAfrasiabpendantcetempsavaitenvahil'Iran,etlemondeétaitremplidetristesseetdemauxinfligés
parlesméchants.Pendantunenuitsombre,j'aidevancétoutseull'armée,carjecherchaislagloireetnonpasle
repos,etlorsqueAfrasiabvitmondrapeaubrillant,quesonoreillefutfrappéeduhennissementdeRaksch,ilquitta
l'Iran,s'enfuitverslaChine,etlajusticerégnadanslemonde,quiétaitpleindebénédictions.Silesangavait
coulédesmembresdeKaous,commentSiawuschserait-ilnédelui?alorsKeïKhosroun'auraitpuêtremisaumonde
parsasaintemère,luiquiaplacélacouronnesurlatêtedeLohrasp.Commentpeux-tutetarguerdecettecouronne
deLohrasp,etducollieretdutrônedeGuschtasp,quiosedire:VaetenchaîneRustem?Carlepuissantciellui-
mêmenepeutm'enchaîner;etsij'étaisunautrehomme,oùseraientvotrecouronne,votrecollieretvotre trône
d'ivoire?TuesunPehlewannouveaudanslemonde,avecdesmanièresnouvelles,tuesfilsdeKeïKhosrou;mais,
depuismonenfancejusqu'àmavieillesse,personnen'aosémeparlercommetoi.Jeseraishonteuxdem'excuseretde
supplier:jemesensdéjàdéshonorédecequejerépondssidoucement.
IsfendiarsouritdelaviolencedeRustem,ilétenditlamainetsaisitfortementlasienne,disant:ORustem,
aucorpsd'éléphant!tuestelqu'onmel’aditdansl'assembléedesgrands;tonbrasestfortcommelebrasd'un
lion ; ta poitrine et tes membressont ceux d'un vaillant dragon, ta taille est mince et souple commecelle du
léopard,etoùestlebravequioseraitt'affronteraujourducombat?Toutenparlant,ilserralamaindeRustem,
maislevieillardsouritaujeunehomme;lesangcoulaitdesesongles,maislehérosnesetorditpassouscette
douleur.Ilsaisit,àsontour,lamainduprince,disant:OroiquiadoresDieu!heureuxGuschtasp,leglorieux
roi,d'avoirunfilscommeIsfendiar;heureuxceluiàquinaitunpareilfils!ilseracomblédesgloiresdela
terre.
Pendantces paroles il serrait la main du prince aupointquelevisageduSipehbeddevintpourpre,queses
onglesfurent mondés de sang, et que ses sourcils se froncèrent ; mais lefortuné Isfendiar sourit, disant : O
glorieuxRustem!boisaujourd'huiduvin,cardemaintureculerasdanslecombat,etpersonneneboiraàtasanté
danslefestin.Quandj'auraiplacélaselled'orsurmondestriernoir,quandj'auraicouvertmatêtedemoncasque
royal, jet'enlèverai avec ma lance de dessus ton cheval et te jetterai sur lesol ; mais après cela je ne te
combattraiplusninetegarderairancune.Jetelierailesdeuxmains,jet'amèneraidevantleroietluidiraique
jen'aipastrouvédefauteentoi;jemeprésenteraidevantleroiensuppliant,jeplaideraitacausedetoute
manière,jetedélivreraidecechagrin,decettedouleuretdecettepeine,jet'enrécompenseraipardestrésors
sansnombre.
RustemsouritetditàIsfendiar:Tuenaurasassezdelalutte.Oùas-tudoncvuuncombatdebraves,oùas-tu
entendulesifflementd'unelourdemassue?Silecieltournedecettefaçon,s'ileffacetoutsentimentdetendresse
entredeuxhommes,alorscombattonsaulieudeboireduvinrouge;servons-nousdenosarcs,denoslacetsetdenos
rusesdeguerre;faisonsentendrelestimbalesaulieudessonsdelamusique;saluons-nousavecl'épéeetlamasse
d'armes;alors,ôfortunéIsfendiar,tuverrascequesontlesluttesetleschancesd'uncombat.Quandjeparaîtrai
demainsurlechampdebataille,nouslutteronshommecontrehomme,jet'enlèveraidansmesbrasdedessustoncheval
et te porteraiainsi devant Zal, je te ferai asseoir sur son célèbre trôned'ivoire, je placerai sur ta tête la
couronnequiréjouitlescœursetquej'aireçuedeKeïKobad,puissesonâmeêtreheureusedansleciel!J'ouvrirai
laportedemontrésor,jeplaceraidevanttoi,danssamagnificence,toutcequejepossèdedeprécieux,jemettrai
tonarméeau-dessusdetoutbesoin,j'élèveraitoncasquejusquedanslesnues.Ensuitenouspartiironspourlacour
duroi,entourésdepompe,jouantetnousréjouissantenroute;jeposeraibravementlacouronnesurtatête,et
c'estainsiquejeremercieraiGuschtasp.Ensuitejemeceindraicommeunesclave,commejemesuisceintdevantles
Keïanides,j'arracheraidujardindemoncœurtoutemauvaiseherbe;moncorpsserarajeuniparlajoie,etquandtu
serasroietmoitonPehlewan,iln'yetaurapersonnequinesoittransportédejoie.
RUSTEMETISFENDIARBOIVENTDUVIN.
Isfendiarluirépondit:Toutescesparolesneconduisentàrien.Midiestpassé,nousn'avonsrienmangé,mais
beaucoupparlédecombats;apportezcequevousavezetdestables,n'invitezpersonnequiparlebeaucoup.Lorsqu'on
eutservi,Rustemsemitàmanger;tousrestèrentétonnésdesonappétit.Isfendiaretleshérosapportèrentde
toutes partsdes agneauxrôtispourlui:Rustemmangeadetout,etleroietsescompagnonsenfurentconfondus.
Alorsleprincedit:Apportezdescoupes,apportezduvinnouveauetnonpasduvinvieux,etnousverronsceque
Rustemdemanderasousl'influenceduvin,etcommentilparleradeKeïKaous.L'échansonapportaunecoupesigrande
qu'onn'auraitpascruqueRustempourraitlavider;maisRustembutàlasantéduroidesrois,etmitàseccette
fontainerouge.Lepetitéchansonapportadenouveaucettecoupepleinedevinroyal,maisRustemdittoutbasà
Beschouten : Le vin n'a pas besoin d'eau, pourquoi en mettredans la coupe, pourquoi affaiblir ce vin vieux ?
Beschouten dit à l’échanson :Apporte une nouvelle coupe sans eau. Il obéit. Beschouten appela leschanteurs, et
Rustemnecessapasd'êtrel'objetdesonétonnement.
Lorsqueletempsdudépartfutarrivé,levisagedunobleRustemétaitcoloréparlevin.Isfendiarluidit:
Puisses-tuvivreheureuxjusqu'àlafindestemps,puisselevinetcequetuasmangétefairedubien,puissela
droitureêtrel'alimentdetonâme. Rustem lui répondit: Oprince illustre ! puisse la raison êtretoujours ton
guide!LevinquejeboisavectoifaittoujoursdubienetdonnedelaforceàmonespritprudentSituveuxécarter
detonâmecettelutte,tapuissanceettasagesses'enaccroîtront.Quitteledésertetviensdansmamaison;soit
pendantquelquetempsmonhôtejoyeux.Honoremademeuredetaprésenceàunefête;netetienspaséloignédeton
serviteur.J'accompliraitoutcequej'aidit,jeferaidel’intelligencetonguide;repose-toiunpeu,netedonne
pasdelapeinepourfairedumal,tendsversladémence,etreviensàlaraison.Isfendiarrépliqua:Nesèmepasune
semencequinegermerajamais.Tuverrasdemaincequepeutlabravoured'unhomme,quandj'auraiprismesarmesde
combat;netevantepastoi-même,retournedanstonpalaisetprépare-toipourdemain.Tuverrasquesurlechampde
bataillejesuislemêmequ'enfacedescoupesdevinetdeséchansons.Maisconforme-toiauxconseilsquejete
donne,etlaisse-toienchaînerselonlesordresduroi,carunhommepieuxacceptelesordresduroidévotementcomme
desordresdeDieu.QuandnousironsduZaboulistandansl'Iran,quandnousparaîtronsdevantleroidesbraves,il
aura,d'après ce que je lui dirai, une opinion plus haute de ton courage.Ne me fais donc pas le chagrin de me
refuser.
LecœurdeRustemétaitaffligéetsoucieux,lemondedevintdevantsesyeuxcommeuneforêtoùilnevoyaitpas
sonchemin;ilsedit:Quejelelaissem'enchaînerlesmains,ouquej'amènesaperte,ceseraientdeuxfaits
égalementmauditsetnéfastes,deuxactionspernicieuses,inouïesetmauvaises.Ceschaînesdétruiraientmagloire,
maviefiniraittristementparlefaitdeGuschtasp,etdanslemondeentier,partoutoùl’onconteraitunehistoire,
on necesseraitjamaisdemeblâmer;ondiraitqueRustemn'apurésisteràunjeunehommequiestallédansle
Zaboulistanetluialiélespieds;toutemagloireseconvertiraitenhonte,etilneresteraitdanslemonderien
demabonnerenommée.Etsijeletuaissurlechampdebataille,monvisagepâliraitdevantlesrois,ondiraitque
j'aituéceprinceparcequ'ilm'aadresséuneparoledure,onmemaudiraitencoreaprèsmamort,etonm'appellerait
levieillardimpie.Enfinsijemouraisdesamain,toutelagloireduZaboulistanpérirait,lenomdeDestanfilsde
Samserraitdéshonoré,etpersonnedansleZaboulistann'acquerraitplusdegloire;maisaumoinsonseraconterait
danslesassembléeslesbonnesparolesquej'aiprononcées.Sijen'avaispasfaittoutcequiétaitpossiblepour
maintenirlapaix,monintelligencemepousseraitàmedéfairedelavie.
Ensuiteilditàcethommepleindefierté:Lesoucimefaitpâlir.Tuparlestoujoursdeceschaînes,maistes
chaînesettesintentionsteporterontmalheur,àmoinsquelesdécretsducieln'enordonnent,autrement,carnous
nepouvonsdevinercequeferalavoûtequitourne.TuacceptesdonctouslesconseilsduDiv,turefusesd'écouter
laparoledelasagesse.Tuessimpledecœuretneconnaispaslemonde;sachequelemaîtredelaterretâchedete
fairepérir.Guschtaspnesefatiguepasdutrôneetdelacouronne,pendantquelafortuneluisourit,etilte
pousseàtraverstouslespays,iltelancedanstouslesdangers.Lemondeentierluiestsuspect,sonintelligence
estdevenuecommeunehacheetsonespritcommeunecognée,ettantqu'ilyauraungrandquinecraindrapas de
luttercontretoi,tantquecegrandpourratefairepérir,letrôneetlacouronnedupouvoirresterontàGuschtasp.
Faut-ildoncquejemaudisseletrôneetquepourdepareillesraisonsjefassedelaterreunecouchepourtoi?
Pourquoiveux-tudéshonorermavie?Pourquoitonespritserefuse-t-ilàlaréflexion?Tusèmesdetapropremain
desmauxpourtoi,etsituesmalveillant,tut'attirerasdesmalheurs.Necommets,ôroi,necommetspasunactede
jeunesse,net’obstinepasàfaireunechosemauvaise!N'affligepasmoncœur,ôroi!nemetspasendangermavie
etlatienne.AiedonchontedevantDieuetdevantmoi,etnecherchepastadestructionetlamienne.Quelbesoin
as-tudemecombattre,deluttercontremoietdem'attaquer?Lesorttepousse,toiettonarmée,pourvousfaire
périrdemamain,etmonnomrevolerainfâmedanslemonde.PuissecettemauvaisefinêtreréservéeàGuschtasp.
LefierIsfendiarécouta,etluirépondit :OillustreRustem!réfléchisàcequ'aditunanciensage,dansun
tempsoùsonespritétaitdanstoutesavigueur:Unvieillardquiveutruserdevientstupide,sivaillantetsisage
qu’ilsoitd'ailleurs.C'estainsiquetuveuxmetromper,pourtedélivrerdecollierdelaservitude.Tuveuxque
tousceuxquit'entendentcroientàtesparolesdoucereuses,qu'ilsmetraitent,moi,l'hommedebien,commeunhomme
auxintentionsimpures,ettoicommeunsagepleindevertu;qu'ilsdisentquetuesarrivéaportantdebonnes
nouvellesetdebonneparoles,etmefaisanttoutespérer,maisquej'airefuséd'écoutercequetudisais,après
avoirétésibientraitépartoi;quej'airejetéavecdédaintesprières,etquemalanguen'aprononcéquedes
parolesamères.Sachequejenedésobéiraijamaisauroi,fût-cepouruntrôneetunecouronne;quec'estdeluique
dépendentdanslemondemonbonheuretmonmalheur,qu'enluisontmonenferetmonparadis.Puissecequetuas
mangétefairedubienetportermalheuràtesennemis!MaintenantretourneenpaixprèsdeZaletrépète-luiceque
tuasentendu.Préparetonarmuredeguerre,etnem'adresseplusuneparole;viensdemainmatin,combatsloyalement
etnetraîneplusenlongueurcetteaffaire.Tuverrasdemainsurlechampdebataillelemondedevenirnoirdevant
tesyeux,ettusaurascequ'estuncombatentrehommesvaillantsaujourdel'honneuretdelalutte.
Rustemluidit: Ohommeauc œurdelion!puisquetelesttondésir,jeterecevraimontésurRaksch,moncheval
ardent,jeguériraitatêteavecmamassue.Danstonpays,tuasentendudire,ettuascruàcesparoles,quel'épée
desbravesétaitimpuissantesurlechampdebataillecontreIsfendiar.Tuverrasdemainlapointedemalanceetles
rênesdeRakschenroulées autourdemamain,etjamaistunedésirerasplusrencontrerdanslecombatunguerrier
renommé.
Lalèvredujeuneprincesourit,etRustemsentitqu'ilétaitl’inférieurdecethommequisouriaitetquilui
répondit:Otoiquichercheslagloire,pourquoitemets-tuencolèreendiscutant?Quandtuviendrasdemainsurle
champdebataille,tuyverrasuncombatentredesbraves.Jenesuispasunrocher,etlechevalsurlequeljemonte
n'estpasunemontagne;jesuisunseulhomme,etjeviendraisansescorte;mais,outatêteserabriséeparma
massue,ettamèrepleureradansl'angoissedesoncœur,ou,situnepérispasdanslecombat,jetelieraisurta
selleett'amèneraiàGuschtasp,pourqu'unesclavecommetoinechercheplusàluttercontreleroi.
RUSTEMS'ENRETOURNEASONPALAIS.
QuandRustemarrivaàl'enceintedestentesd'Isfendiar,ilrestapendantquelquetempsdeboutdevantlaporte,
et adressa la parole à cette toile en disant: Odemeure de l'espoir ! c'étaient des joursheureux que ceux où
Djamschidl'habitait;tuétaisglorieusedutempsdeKeïKaous,etauxjoursdeKeïKhosrou,dontlepiedlaissait
une trace fortunée ; mais maintenant le prince indigne quioccupe ton trône a fermé la porte de ta gloire. Le
vaillant Isfendiar entendit ces paroles et s'avança à piedvers le héros illustre, et lui dit: Ohomme de bon
conseil!pourquoitemets-tuencolèrecontrecetteenceinte?Faut-ildoncquelessagesdonnentauZaboulistanle
nomdupaysdesbrouillons?Quandunhôteestfatiguédumaîtredelamaison,est-cequ'ilinjurie,danssacolère,
lejardinier?Ilajouta:L'enceintedecestentesavuuntempsoùellecontenaitDjamschid,quiaabandonnéles
voiesdeDieu,maîtredumonde,etquin'aplusvudesjoursheureux,nilegaiparadis.Ensuiteilyavaituntemps
oùelleservaitderetraiteàKaousetdonnaitdel'ombreàsonarmée,àKaom,quiavoulupénétrerlesecretdeDieu
etvoirdeprèslesastres,quiaremplilemondedetrouble,dedévastation,d'épéesetdeflèches;maismaintenant
elleaunmaîtrecommeGuschtasp,auprèsduquelestunDestourcommeDjamasp;d'uncôtéduroiestassisZerdouscht,
quiestvenudroitducielavecleZendavesta,etdel'autreBeschouten,lehérosvertueux,quinecherchedansle
mondeni la prospérité ni l'adversité. Devant lui se tient l'heureuxIsfendiar, qui a rempli de joie la fortune
instable,quiafaitrevivrelecœurdesbraves,etaréduitàlaservitudelesméchantsparlaterreurdesonépée.
CependantlevaillantPehlewanavaitatteintlaporte,Isfendiarleregardaitpartir,etquandill'eutquitté,
ilditàBeschouten:Ilnefautpasnierlabravoureetlavaleur desautres.Jamaisjen'aivuniunchevalniun
hommepareils,etjenesaiscommentilsetireradececombat.C'estunéléphantfurieux,assissurlamontagnede
Gangue,quandilarriveaucombatcouvertdesonarmure;ilestencoreplusgrandparsanoblesseetsagrâcequepar
sastature,maisjecrainsquedemainilnefasseunechute.Moncœurestémudelamajestédesesretraits,maisje
nedévieraipasdesordresdumaîtredelajustice,etquandilseprésenterademainsurlechampdebataille,je
rendrainoirdevantluilejourbrillant.
Beschouten répondit : Écoute-moi, mon frère, quand jete prie de t'abstenir. Je te l'ai déjà dit, et je le
répète,carjenepuisdépouillermoncœurdesadroiture,n'humiliepersonne,carunhommelibrenesesoumetpasà
l'humiliationetàladouleur.Dorscettenuit,etdemaindegrandmatinvasansescortedanssonpalais,oùnous
seronsheureuxpendantunjour,oùnousrépondronsàtouteslesquestionsquinousserontfaites.Lemondeentiera
prospéréparRustem,parmilespetitsetparmilesgrands;jamaisilnevoudrasesoustraireàtesordres,etje
voisquesoncœurestpleindeloyautéenverstoi.Pourquoi,lecombats-tuavechaineetcolère?Écartedetoncœur
lahaineetdetesyeuxlacolère!
Isfendiarreprit:Ilyauneépinedansmon jardinderoses.Ensuiteilajouta:Ilnesiedpasàunhommequia
lavraiefoideparlerainsi.ToiquiestleDestourdel'Iran,quieslecœur,l'oreilleetl'œildeshéros,tu
approuvesdonccettevoie,cetteprudenceetcettemanièredeblesserleroi?Toutesmespeinesettousmessoucis
seraientdevenusduvent,etlareligiondeZerdouschtauraitperdusavérité?Carelleditquequiconquedésobéitau
roiaurasaplacedansl'enfer.Tum'exhortessanscesseàcommettrecepéché,àmépriserlesparolesdeGuschtasp.
C'estlàcequetumedis;maiscommentleferais-je,pourquoirésisterais-jeàsonavisetàsonordre?Situ
crainspourmavie,jevaisàl'instantterassurer;carsachequepersonnenemeurtdanslemondesanslavolonté
dudestin,etquecelui-lànemeurtpasquiemporteavecluiunegrandegloire.Tuverrasdemaincequejeferaisur
lechampdebataillecontrelesgriffesdudragon.
Beschoutenluidit: Oroi!tunecessesdeparlerdebataille.Avantquetufussesvenuiciavectamassueet
tonarc,Iblisn'avaitpastantdepouvoirsurtoi;maismaintenanttuaslivrétonâmeauDivettuneveuxplus
écouterlesconseilsdetonguide.Jevoistoncœurfollementattachéàcecombat,etjedéchirelesvêtementssur
moncorps;commentpourrais-jedélivrertoutd'uncoupmonâmedesescraintes?Vousêtesdeuxbraves,deuxlions,
deux héros, sais-je lequel de vous succombera ? Le prince ne luiréponditplus;soncœurétaitblessé,satête
pleinedevent.
ZALDONNECONSEILÀRUSTEM.
QuandRustemfutarrivédanssonpalais,ilregardapendantquelquesinstantssesamis;Zewarehs'approchade
lui etvit que son cœur était troublé, que son visage était pâle. Rustemlui dit : Va, et apporte-moi mon épée
indienne,unelanceetuncasquedecombat;apportemonarc,lescaparaçonsdemonchevaletunecottede mailles;
apporteunlacet,malourdemassueetmacuirassedepeaudeléopard.Zewarehordonnaautrésorierdetirerdeses
réservestoutcequeRustemavaitdemandé.QuandRustemvitsesarmesdecombat,illaissatombersatêteetpoussaun
soupir,disant:Ocuirassedecombat,tut'esreposéedesguerresdepuislongtemps;maintenantquetuaurasàlivrer
bataille,soisforte,soisentoutlieupourmoiunetuniquedebonheur,carils'agitd'unchampdebatailleoùdeux
hérossecombattrontcommedeuxlionsrugissants.NousverronsàprésentcequeferaIsfendiar,commentiljouerace
jeudelabataille.
QuandDestanentenditcesparolesdeRustem,l'âmeduvieillardseremplitd'inquiétude;ildit: Oillustre
Pehlewan!quellesparolesas-tuprononcées ?Desparolesquitroublentmonâme!Depuislemomentoùtuasmonté
surunchevaldeguerre,tuastoujoursétéunhommeaucœurpuretbon,tut'esglorifiéd'obéirauxordresduroi,
tuassuperportépatiemmenttouteslesfatigues;maisjecrainsquetonjournebaisse,quetonastrenesecouche,
alorsilsdétruirontjusqu'àlaracinetoutelafamilledeDestan;ilsjetterontdanslapoussièrelesfemmesetles
enfants. Si tu meurs dans le combat de la maind'un jeune homme comme Isfendiar, il ne restera plus dans le
Zaboulistannidel'eaunidelaterre,etcequiétaithautdanscepaysdeviendrabas;sic'estIsfendiarqui
périt,tagloirepérirademême,ettousceuxquiraconterontdeshistoiresdéchireronttonnomillustre,etdiront
quetuastuéunroid'Iran,quetuastuéunvaillantcavalier,undeslionsdelaracedesKeïanides.Vaplutôt
auprèsdeluiàpied,etsituneveuxpas,quitteceslieux,retire-toidansuncoin,loindesgrands,desorteque
personnedanslemonden'entendeplusprononcertonnom,carcemalheurtroubleratonesprit;évitedonccejeune
roi.Apaisecetteaffairepardestrésors,sansménagertespeines,etnepréfèrepaslahached'armesaubrocartde
Chine.Distribueàsonarméedesprésents,etrachètedeluitavieparquoiquecesoit.Quandilauraquittéle
bordduHirmend,montesurRaksch,tonpuissantcheval,etlorsquetuserashorsdel'atteinted’Isfendiar,prieDieu
surlaroutepourqu'iltepermettedevoirlevisageduroi;quandtuserasensaprésence,commentteferait-ildu
mal?Unemauvaiseactionsiérait-elleàunroi!
Rustemluidit:Ovieillard!neparlepasdetoutcelasilégèrement.Voicibiendesannéesquejesuisarrivé
àl'âged'homme,etbeaucoupdebonheuretdemalheurapassésurmatête;jesuisalléchezlesDivsduMazandéran,
j'aicombattulescavaliersduHamaveran,j'ailuttécontreKamousetleKhakandelaChine,souslechevalduquella
terretremblait.SijefuyaisdevantIsfendiar,tun'auraisqu'àabandonnertonpalaisettesjardinsduSéistan.
Quandjemecouvre,aujourdelabataille,avecmacuirasseenpeaudeléopard,j'abaissedanslapoussièrelasphère
delalune.Lessupplicationsdonttuparles,jelesaifaitesabondamment,jemesuisreconnusonvassal;maisil
dédaigne mesparoles,ilsedétournedelasagesseetdemesconseils;s'ilvoulaitnepastenirsatêtedansla
sphère de Saturne, si sa fiertélui permettait de me saluer, je lui prodiguerais avec plaisir destrésors, des
joyaux,desmassues,descottesdemailles,desmassesd'armes,desépées.Jeleluiaiditlonguement,maisiln'a
pasétéébranlé,ettoutesmesparolesnem'ontlaissédanslamainqueduvent.Maisnecrainspaspoursavie:s'il
vient demain mecombattre, je ne prendrai pas une épée tranchante, je ne veux pasblesser son noble corps ; je
manieraimonchevaldansnotrelutte,maisilneserafrappénidemamassuenidelapointedemalance:jelui
couperailaretraite,jesaisiraidetoutemaforcesaceinture,jel'enlèveraidelaselleenl'étreignantdansmes
bras,etlereconnaîtraicommeroiàlaplacedeGuschtasp.Jeramèneraiici,jeleferaiasseoirsurcebeautrôneet
j'ouvrirailaportedemestrésors;quandilauraétémonhôtependanttroisjours,aussitôtquelequatrièmejour
aurarepoussédelasphèrequiilluminelemondelevoilesombredelanuit,etquelacoupederubisauraparu,nous
mettronsnosarmuresetnousnousrendronsaprèsdeGuschtasp.Làjeleplaceraisurl'illustretrôned'ivoire,je
mettrai sur sa tête la couronne quiravit les cœurs, je me tiendrai devant lui ceint comme un esclave,et ne le
quitteraiplus.Tusaisquelsactesdebravourej'aifaitsdevantletrônedeKobad,sitamémoirelesaretenus,et
maintenanttumedemandesdemecacheroudemelaisserenchaînersurl’ordreduroi!
Zal-Zersouritenl'écoutant:ilsecouapendantuninstantlatêteenréfléchissant,puisilreprit:Omonfils
!cequetudisn'apasdesens;sidesfoust'entendaient,ilscroiraientàcesparolesabsurdes.Kobadétaiten
détressesurunemontagne,sanstrône,nicouronne,nitrésor,niargent;maisneteplacepasenfaced'unroide
l'Iranquiaunearméeetdusensetdestrésorslonguementaccumulés,enfaced'unhommecommeIsfendiar,dontle
nomestgravésurlesceauduFaghfourdelaChine.Tudisquetul'enlèverasdedessussoncheval,quetuleporteras
danstesbrasjusqu'aupalaisdeZal;maisunvieillardneparleraitpasainsi;netelaissepasalleraumanquede
respectenverslesrois. Je t'ai donné mon avis, et tu le connais maintenant, ôlune de l'assembléedes grands.
Lorsqu'ils eurentainsiparlé,ZalseprosternalefrontcontreterreetimploraleCréateur,disant:O juge et
maîtresuprême,écartedenouslemauvaissort!Salanguenecessadeproférerdeslamentations,jusqu'àcequele
soleileûtparuau-dessusdesmontagnes.
COMBATDERUSTEMETD'ISFENDIAR.
Lorsqu'ilfitjour,Rustemrevêtit unecottedemaillespar-dessuslaquelleilmitsacuirassedepeaudeléopard
pourprotégersoncorps,ilattachalelacetaucrochetdelaselle,etmontasursondestrier,quiressemblaitàun
éléphant.EnsuiteilfitvenirauprèsdeluiZewareh,luiparlalonguementdesonarméeetterminaainsi:Va,mets
enordremestroupesetplace-lessurcettecollinede.sable.Zewarehallaréunirlestroupessurlaplacedupalais
pourlesconduiresurlechampdebataille.Tehemtenpartit,lalanceenmain;horsdupalaisilmontaàcheval,et
sonarméelereçutpardesacclamations:?Puisses-tunejamaismanqueràtamassue,àtonchevaletàtaselle!
Rustems'avança,suivideZewareh,quiétaitlesoutienprincipaldesaroyauté;ilallaainsijusqu'auxbordsdu
Hirmend, la bouche pleine de confiance, mais le cœur remplide soucis. Là il laissa l'armée et son frère, puis
continuasoncheminverslecampduroid'Iran,aprèsavoirdittristementàZewareh:Jevaisessayerdedétourner
dececombatcethommemalveillantethaineux,etderendrelasérénitéàsonesprit.Maisjecrainsqu'ilnefaille
enarriverauxcoups,etjenesaisquelmalheurensortira.Maintiensl'arméeàcetteplace,jeparspourvoirce
quelesortamènera.SijetrouveIsfendiaraussicolèrequ'auparavant,jen'appelleraipasleschefsduZaboulistan,
je combattrai en personne et seul ; je ne veux pasqu'un homme de mon armée en souffre. Celui dont le cœur est
toujoursremplidejusticepeutcomptertranquillementsurlafortunevictorieuse.
Rustempassalefleuveetmontasurunehauteur;ilyrestaquelquetemps,absorbédanssespenséessurle
monde.;àlafinilcria: Ofortuné Isfendiar!celuiquidoittecombattreestarrivé;prépare-toi.Isfendiar
entenditcesparolesduvieuxlionpleind'ardeurpourlalutte;ilsouritetdit:Mevoici!jemesuisapprêté
depuislemomentdemonréveil.Ilsefitapportersacuirasse,soncasque,samassueetsalancedecombat;il
couvritdelacuirassesapoitrinebrillante,plaçasursatêtesoncasquedeKeïanide,fitselleretamenerdevant
luisonchevalnoir.Quandlehérosvitsondestrier,ilposalahampedesalanceparterreetsautadelaterre
noireenselle,paruneffortdelaforceetdelavaillancedontilétaitdoué,semblableàunléopardquisautesur
ledosd'unonagreetleterrifie.Sonarméeenrestaconfondueetéclataenbénédictionssurlui.Ilpartit.Arrivé
prèsdeTehemten,ill'aperçutseulsurlacollineetdit duhautdesonchevalàBeschouten:jen'aipasbesoin
d'aideetdecompagnonpourlevaincre;puisqu'ilestseul,j'iraiseul;jevaisgravircetteraidemontée.C'est
ainsiquecesdeuxhommesallèrentsecombattre:onauraitditqu'iln'yauraitplusdefêtedanslemonde.
Lorsquelevieillardetlejeunehomme,cesdeuxPehlewans,cesdeuxlionspleinsdefierté,s'approchèrentl'un
del'autre,leurschevauxsemirentàhennir;onauraitcruquelechampdebataillesefendait.Rustemditavecune
fortevoix:Ohommeaucœurjoyeux,favoridelafortune!nesoispassiobstinéetnet'emportepastant;ouvre
unefoistonoreilleàlaparoled'unsage.Situdésireuncombatetdusangversé,dedétressesetdesattaques,
permets que j’amènemescavaliersduZaboulistan,couverts deleurscottesde mailles et armés de leurs épées de
Kaboul;toi,detoncôté,ordonneauxIraniensd'avancer,pourquel’onvoiecequiestjoyauetcequiestfausse
monnaie. Nous les amènerons sur ce champ debataille pour qu'ils se battent,et nousnous tiendrons tranquilles
pendantquelquetemps;ilyauradusangverséselontondésir,ettuverrasletumulteetlamêlée.
Isfendiarrépondit:Toutcediscoursestinsensé;tuespartidetonpalaisavectonépée,tum'asappelésur
cettehauteur;pourquoiveux-tumetrompermaintenant,ousens-tuquetachuteestprochaine?Aquoimeservirait
uneguerrecontreleZaboulistan,ouentrel'IranetKaboul!PlaiseàDieuquejamaisjen'agisseainsi!caril
n'estpasconformeàmafoiquejelivreàlamortlesIranienspendantquejeplacelacouronnesurmatête.Lorsque
j'ai à combattre, je marche le premier, même quand je doisaffronter les griffes d'un léopard. S'il te faut un
protecteur,amène-le ; moi je n'en ai jamais besoin ; c'est Dieu qui me protègedans les combats, et la fortune
souritàmesentreprises.Tuesavidedecombats,etmoijedésirelalutte,ainsibattons-noussansnosarmées,et
nousverronssilechevald'Isfendiararriveraàl'écuriecesanscavalier,ousiledestrierdeRustem,leglorieux
héros,s'enretournerasansmaîtreaupalaisdeZal.
Alorslesdeuxhérosconvinrentquepersonnenelesaideraitdanscettelutte.Ilss'attaquèrentmaintesfois
avec leslances, ils firent tomber les attaches de leurs cuirasses ; à la finles pointes de leurs lances se
brisèrent,etilsfurentforcésdesaisirleursépées;ilslevèrentlesépéestranchantes,s'attaquèrentàdroiteet
àgauche,maislaforcedeshérosetlescoupsdescavaliersébréchèrentcesépées.Ilsseredressèrent,détachèrent
dessellesleursmassuesetfirenttomberl'unsurl'autredescoupscommedespierresquisedétachentduhautd'un
rocher;ilssedémenaientavecfureur,semblablesàdeuxlionssauvages,sefrappaientsurtouslesmembres,et
leursmainsnes'arrêtèrentquelorsquelesmanchesdesmassuesfurentbrisés.Alorsilssaisirentleslanièresdes
lacets,etlesdeuxchevauxardentsvolèrent.Isfendiaravaitprisdanslelacetunedestêtes descombattants,et
l'autreétaitpriseparlehérosillustre,etcesdeuxbravespleinsdefierté,cesdeuxhommesaucorpsd'éléphant,
tirèrentdetoutesleursforces;ilsfirentdepuissantseffortsl'uncontrel'autre,maisaucundeceslionsnefut
ébranlésurledosdesoncheval.Lesdeuxcavaliersétaientépuisés,leurschevauxétaientfatiguésparceterrible
combat,l'écumedansleurboucheétaitdusangetdelapoussière,lescottesdemaillesdeshommesetlescaparaçons
deschevauxétaientmisenpièces.
LESFILSD'ISFENDIARSONTTUESPARZEWAREHETFARAMOURZ.
Lorsquelecombatdeshéroseutdurélongtemps,etqueRustemfilsdeZaltardaitàrevenir,Zewarehamenason
arméedel'autreriveduHirmend,unearméeaucœurblesséetavidedevengeance.IlditauxIraniens:OùestRustem
?Pourquoinoustenirtranquillesdansunjourpareil?Vousêtesvenuspourcombattrelecrocodile,vousêtesvenusa
pourattaquerRustem,vousvoulezenchaînersamain,ilnefautdoncpasresterpaisiblessurcechampdebataille.
EnsuiteilsemitàinjurierlesIraniensetàproférerdesoutragescontreeux.Unfilsd’Isfendiarenfutindigné.
C'étaituncavalierillustre,habileàlanceruncheval,unjeuneprincedunomdeNousch-Ader,portanthautlatête,
avide decombats et d'un heureux caractère ; il se mit en colère contrel'homme du Séistan, et sa bouche vomit
l'injureetl'outrage.Ildit:Ohérospleind'arrogance!iln'yaqu'unhommevilquidésobéitauroi.Levaillant
Isfendiarnenousapaspermisdelivrerbatailleàdeschiensquisesoustraientàsesavisetàsesordres,qui
osentserévoltercontresasuzeraineté.Maissivousnousattaquezcontretoutdroit,sivousêtesassezinsensés
pourprêtermain-forteàcequiestmauvais,vousverrezcommentleshommesdeguerrecombattentavecl'épéeetla
lanceetlalourdemassue.Zewarehordonna auxsiensdemarcherenavant,d'attaqueretdefrapperleschefsdes
Iraniens;lui-mêmes'avançapoursoutenirceshommes,quisortirentdesrangsdixpardixettuèrentdesIraniens
sansnombre.Nousch-Adervitcecarnage,sepréparaaucombat,montasurundestrierisabellequilevaitfièrementla
tête,et arriva, une épée indienne en main. Or il y eut un héros illustre,du nom d'Alwa, un homme fier, bon
cavalier,d'unnatureljoyeux,quiportaitdanslesbatailleslalancedeRustemetsetenaittoujoursderrièrelui.
Nousch-Aderlevitdeloinetsehâtadetirersonépée:ilfrappasurlatêteetfenditceguerrierillustredepuis
lehautducasquejusqu'aumilieuducorps.Zewarchlançasonchevaldeguerreets'écriadanssacolère:Tuastué
cethomme,maintenantdéfendstaproprevie,carjen'appellepascavalierunhommecommeAlwa.Zewarehfrappaavec
sa lance lapoitrine du prince, qui tomba sur-le-champ dans la poussière, et lafortunede l’armée périt avec
l'illustreNousch-Ader.
IlavaitunfrèredunomdeMihri-Nousch,enjeunehomme,prêtàfrapperdel'épée,quisemitàpleurer;son
cœurbouillonnait,sonâmeétaitblessée;illançasonchevalaucorpsd'éléphant,ets'avançaducentredel'armée
versleslignesennemies,enécumantderage.Del'autrecôté,Faramourz,semblableàunéléphantivre,sortitdes
rangs,uneépéeindienneenmain,etattaqual'illustreMihri-Nousch;lesdeuxarméespoussèrentdescris;lesdeux
noblesjeunesgens,impatientdecombattre,l'unfilsderoi,l'autrefilsduPehlewan,s'élancèrentcommedeslions
furieuxetsefrappèrentaveclesépées.Mihri-Nouschs'étaitjetéavecardeurdanslalutte,maisilnepouvait
résister à Faramourz,quidonnauncoupd'épéepourlefrapperetpourfaireroulersurlaterresanobletête;
l’épéetombasurlecoudesonproprechevaletabattitlatêtedel'animalauxpiedsdevent;maisFaramourz,
quoiqueàpied,tua sonennemietlesangdeMihri-Nouschrougitlechampdebataille.
Lorsque Bahman vit son frère mort, qu'il vit la terresous lui colorée comme la rose, il courut auprès
d'Isfendiar,aumilieudufeudesoncombatavecRustem,etluidit: Olionfurieux!unearméeduSéistannousa
attaqués:tesdeuxfils,Nousch-AderetMihri-Nousch,ontpérimisérablementsouslescoupsdesgensduSéistan.
Pendant que tu te bats ici, nous sommes accablés de douleur; ces jeunes princes Keïanides sont couchés dans la
poussière,etleméfaitd'hommesinsensésacouvertnotrefamilled'unehonteéternelle.
Lecœurvigilantd'Isfendiarseremplitdecolère;danssoncerveaus'élevaunorage,danssonœilbrillaient
desflammes.IlditàRustem:Malheureux!est-ceainsiquelesgrandsobserventlestraités?Tuavaisditquetu
nemèneraispasaucombattonarmée;maistun'aspassoindetonnometdetonhonneur!N'es-tupashonteuxdevant
moietdevantleCréateur,necrains-tupasqu'ilt'adressedesquestionsaujourdujugement?Nesais-tupasque
ceuxquiviolentuntraitésontméprisésparmileshommes?Deuxguerriersdetonpaysonttuédeuxdemesfils,et
ilscontinuentencoreleurœuvredemalveillance.Rustemfutconsternédecesparoles,iltremblaitcommelabranche
d'unarbre,etdit:Jejureparlavieetlatêteduroi,parlesoleiletmonépée,etparlechampdebataille,que
jen'aipasordonnécecombat,quejedésavoueceuxquil'ontlivré.Jevaislierlesdeuxmainsdemonfrère,si
c'estluiquiaétél'instigateurdeceméfait;j'amèneraiaussiFaramourz,lesdeuxmainsenchaînées,devantleroi
adorateurdeDieu,ettulestueraspourvengertesnoblesenfants;maisneperdspaslaraisonpourcetteaction
insensée,
Isfendiarluirépondit:Verserlesangduserpentpourvengerlamortdupaonneseraitniutileniagréable,et
neseraitpasselonlesrèglesdesroisquiportenthautlatête.Malheureux!chercheàtesauvertoi-même,carton
dernier momentapproche.Jevaiscloueravecmesflèchestescuissescontrelecorps de Raksch,etvous ne ferez
qu’un,commel'eauet lelaitqu'onmêle,pourquejamaisdorénavantunesclaven'oseplusluttercontreunseigneur.
Situsurvis,jetelierailesmainsettemèneraisansdélaidevantleroi,etsitumeurssousmestraits,penseque
c'est pour expier le sang de ces deux nobles enfants. Rustem dit: Ces querelles ne peuvent que diminuer notre
gloire.Tourne-toiversDieu,commenceparl'invoquer,carilestleguideverstoutcequiestbon.
RUSTEMS'ENFUITSURLEHAUTDELAMONTAGNE.
Ilsprirentleursarcsetleursflèchesenboisdepeuplier,etlesoleilenperditsonéclat;ilsortaitdufeu
despointesdeleursflèches;ilsseclouèrentleurscottesdemaillessurlapoitrine.Lecœurd'Isfendiarétait
gonflédesang,sessourcilsetsonvisageétaientfroncés;quandilsaisissaitsesflèchesetsonarc,personnene
pouvait lui échapper; il prit alors un arc tel que le soleil en pâlit, et des traits auxpointes d'acier qui
traversaientunecotte demailles comme du papier. Il lança soixante flèchesquitoutes blessèrent Rustem et le
vaillantRaksch,etpendantcetempsiltournaitencercleautourdelui,ensortequelestraitsdeRustemnele
touchaient pas. Ses flèches frappaientRustem à mesure que sa main les faisait partir ; mais celles quelançait
Rustemneluifirentaucunmal,etRustem,setrouvantimpuissantdanscettelutte,s'écriaàlafin:CetIsfendiar
estcertainementlehérosaucorpsd'airain.
Le corps de Raksch s'affaiblissait sous cesblessures, et ni le destrier ni le héros ne pouvaient plus se
soutenir;lechevaletlecavalierétaienthorsdecombat,lorsqueRustem,quiparaissaitperdu,s'avisad'unmoyen
desalut.IlsautaàbasdeRaksch,rapidecommelevent,ettournasanobletêteverslesommetdelamontagne;
pendantcetempslebrillantRakschs'enretournaaupalaisetseséparaainsidesonmaître.Lesangcoulaitlelong
ducorpsdeRustem,etcethomme, quiressemblaitaumontBisoutoun,étaitfaibleettremblaitIsfendiarsemità
rire quand il l'aperçut, et dit : O prince illustre !comment la force de l'éléphant ivre t'a-t-elle donc fait
défaut,commentlamontagnedefera-t-ellepuêtrepercéepardesflèches?Quesontdoncdevenuetabravoureetta
massue,tavigueurettatenuemajestueusedanslecombat?Pourquoit'esturéfugiésurlehautdelamontagnequand
tuasentendulavoixdulionfurieux?Pourquoileliondelaguerres'est-ilfaitrenard,pourquoiseretire-t-il
ainsidelalutte?C'estdonctoiquiasfaitpleurerleDiv,quiasbrûlélesbêtesfauvesdesflammesdetonépée
?
ZewarehvitlestracesdudestrierbrillantdeRustem,qui,malgrésesblessures,avaittraversélarivière.Le
mondedevintsombredevantsesyeuxparl’excèsdesoninquiétude,etilseprécipitaenpoussantdescrissurle
lieuducombat;ilytrouvasonfrèregrièvementblesséetvitqu'aucunedesesblessuresn’étaitpansée;illui
dit:Lève-toi,montesurmoncheval,jevaisrevêtirlacuirassepourtevenger.Rustemluirépondit:Vaauprèsde
Destanetdis-luiquelaglottedelaracedeSamapéri;prie-ledevoirs'ilyaunremèdeàcemalheur,s'ilya
unsecretpourguérircesblessures;car,ôZal!jesaisbienque,sijesurviscettefoisauxflèchesd’Isfendiar,
c'estcommesij’étaisnéaujourd'huidemamère.Quandtuserasarrivé,tâchedesauverRaksch;moijevaiste
suivre,maisceseralentement.Zewarehquittasonfrère etcourutensuivantRakschdesyeux.
Isfendiar,quiétaitrestéenbas,semitàcrier: OillustreRustem!turestesbienlongtempslà-haut!Quiva
doncveniràtonaide?Jettetonarc,ôtetacuirassedepeaudeléopard,défaistaceinture,repens-toi,laisselier
tes mains, et alors je ne te feraiplus de mal, je te mènerai, auprès du roi, blessé comme tu es, et teferai
pardonnertoutcequetuasfait.Maissituveuxencorecombattre,prononcetesdernièresvolontés,nommequelqu'un
gouverneurdecepays,demandepardonàDieudespéchésquetuascommis;ilestpossiblequ'iltelesremette,si
tuescontrit,etj'espèrequeDieuletrèsjustevoudraêtretonguide,cartuvasquittercettedemeurepassagère.
Rustemrépondit:Ilesttard,onnepeutplussebattreàcetteheure;puisquetuessicontentcesoir,rentre
cheztoi;quivoudraitcombattrependantlanuitnoire?Moiaussijevaispartirpourmonpalais,pourmereposer
et respirer un peu. Je vaispanser mes blessures, j'appellerai auprès de moi tous les miens,Zewareh, Faramourz,
Destan,lefilsdeSam,ettousceuxdemesparentsquiontunnomglorieux,etjemeprépareraiàfairecequetu
m'ordonneras,cartoutestloyaldansuneconventionavectoi.
Isfendiaraucorpsd'airainluidit: Ovieillardvolontaireetabsurde!tuesunhommepuissantetvaillant,tu
connaisbeaucoupd'expédients,d'artificesetdemoyensd'échapper.Jevoistaruse,tuneveuxpasquejem'aperçoive
dumauvaisétatdanslequeltutetrouves.Jetefaisgrâcedelaviepourcettenuit;netelaissepastenterpar
desvoiestortueuses,accomplistoutcequetum'aspromis,etnem'adresseplusdevainsdiscours.Rustemrépondit:
Jeferaiensortedetrouverunbaumepourmesblessures.
Illequitta,etIsfendiarlesuivitdesyeuxpourvoircommentlehérosmarcherait.Rustemtraversalarivière,
semblableàunvaisseau,invoquasursoncorpslesbénédictionsdeDieu,etadressaaujugesuprêmecesparoles:Si
jemeursdemesblessures,quiparmilesgrandsvoudramevenger,quivoudraimitermoncouragemasagesseetma
conduite.
Isfendiarlesuivitdesyeux,levitarriversurl'autrerive,etdit:IlnefautpasappelerRustemunhomme,
c'estun éléphant furieux, et d'une grande puissance. Il a traversé l'eau,malgré ses plaies, et ces terribles
blessuresdemesflèchesn'ontfaitquehâtersamarche.Isfendiarrestapendantquelquetempsdanssonétonnement,
puis il dit en s'adressant au Jugetout-puissant:Tul’ascréételquetul’asvoulu,c'esttoiquiasordonné
l'univers.
QuandIsfendiarfutderetour,ilentenditdescrisquipartaientdesestentes;Beschoutens'avança;lamort
duvaillantNousch-AderetdeMihri-Nouschl'avaitremplidedouleuretdecolère;latenteduroiétaitpleinede
poussière,ettouslesvêtementsdesgrandsétaientdéchirés.Isfendiardescenditdesondestrieretserracontresa
poitrinelatêtedesmortsens’écrianttristement:Omesdeuxvaillantsenfants,lavieadoncquittécescorps!
EnsuiteilditàBeschouten:Lève-toi,etneversepasdeslarmesdesangsurcesmorts.Jenevoispaslebienque
produisentleslarmes,etilnefautpass'attacheràlavie.Noustous,jeunesetvieux,appartenonsàlamort:
puisselaraisonnousaideràmourircommeilconvient!
Ilenvoyasesfilsaumaîtredutrône,dansdescercueilsd'oretportéssurdesbrancardsd'ébène,etfitdireà
sonpère:Voicilesfruitsquetesmachinationscommencentàporter.Tuaslancédansl'eauunvaisseau,tuasexigé
deRustemunactedeservitude;maisquandtuaurasvulescercueilsdeNousch-AderetdeMihri-Nousch,tucesseras
deprêterl'oreilleauxconseilsdeDjamasp.Isfendiarvitencore,maisjenesaisquelfruitlesortluiréserve.Tu
esassissurletrônedesdélices,etluiseconsumedanssadouleur;maisletrôneetsesdélicesneteresteront
pastoujours.
Ils'assitsursontrône,danssondeuiletdanssadouleur,etsemitàparlerdeRustemendisantàBeschouten
:Lelionreculedevantlamal de l'hommevaillant.J’airegardéaujourd'huiRustem,j'aiobservélaforceetla
stature de cet hommeau corps d'éléphant, et j'ai béni Dieu, le très saint, de quiviennent l'espérance et la
terreur,decequ'ilacrééRustemtelqu'ilest.Adoreceluiquiacréélemonde!Cethomme,dontlesmainsont
accomplitantdehautsfaits,quiajetésonfiletdanslamerdelaChineetenatirédescrocodiles,quiasaisi
surlaplainelaqueuedesléopards,jel'aiblesséaujourd'huiavecmesflèchesdemanièrequesonsangachangéla
terreenunlac.Ilestdescenduàpieddelamontagne,aprèsavoirfaituneconventionavecmoi,acouruversle
Hirmend,chargédesacuirasseetdesonépée,etatraversél'eaumalgrésesblessures,etlecorpscouvertdesfers
demesflèches.Jecroisquelorsqu'ilauraatteintsonpalais,sonâmeseseraenvoléeversSaturne.
RUSTEMTIENTCONSEILAVECSAFAMILLE.
Rustem, de son côté, arriva dans son palais, etDestan le vit dans l'état où il se trouvait ; Zewareh et
Faramourzsemirentàpleurer,ilsseconsumèrentdedouleurenvoyantcesblessures;Roudabehs'arrachalescheveux
etsedéchiralevisageenentendantleurscris.Zewarehs'approchadeluietdéfitsaceinture;onledébarrassade
sacuirasseenpeaudeléopard,ettouslessagesdupayss'assirentensembleautourdelui.Rustemordonnaqueceux
quiespéraientpouvoirguérirRakschleluiamenassent.L'illustreDestans'arrachalescheveux;ilfrottaitses
jouessurlesblessuresdesonfils,disant:Pendantmalongueviejen'aijamaisvuunfilssinoble!
Rustemluirépondit:àquoiserventcesplaintes?Lecielavouluquecelasepassâtainsi.Maisj'aidevant
moiquelquechosedepluspénibleàfaire,etquiremplitmonâmedeplusdesoucisquecesblessures.Quellesque
soient les excuses que je ferais pour fléchir ce cœur de pierre,Isfendiar ne cherchera qu'à m'humilier par des
parolesetpardesactespleinsd'arrogance.J'aitraversélemondeentier,j'aiappriscequiestconnuetcequi
est secret, j'ai saisi le Div blanc parla ceintureet futjeté par terre comme une branche de tremble, et je
céderais devantIsfendiaretsaforce,etcettefortuneducombat!Mesflèchesonttraversédesenclumes ; quand
elles ont rencontré un bouclier,elles l'ont trouvé faible ; mais j'ai eu beau les lancer contre lacuirasse
d'Isfendiar,c'étaitcommesil’onfrappaitunrocheravecdesépines.Autrefois,quandjesaisissaisunepierre,ma
mainl'écrasaitcommeunconcombre;maintenantj'aisaisilaceintured’Isfendiar,maismamainquileserraitn'a
faitaucuneimpressionsurlui.Quanduncrocodilevoyaitmonépée,ilsecachaitsouslespierres;maiscetteépée
nepercepaslacuirassesurlapoitrined'Isfendiar,nimêmel'étoffedesoiequiluicouvrelatête.Jerendsgrâce
àDieudecequelanuitétaitsombre,etdeceque,danscetteobscurité,sonœilétaittrouble.J'aiéchappéàla
griffedecedragon,maisjenesaissicettedélivrancemesauvera.Quandjeréfléchis,jenevoisd'autremoyenque
demonterdemainsurRaksch,etdem'enallerdansunlieuoùIsfendiarnesauraittrouvermatrace;ets'ilsemetà
trancherdestêtesdansleZaboulistan,ilfinirapars'enlasser,quandmêmel'enviedefairedumalluidurerait
longtemps.
Zalluidit: Omonfils!soisraisonnable.Puisque tuasfinitondiscours,écoute-moi.Ilyaunmoyende
sortirdetoutdanslemonde,sicen'estdelamort,quiauneautreissue.Jeconnaisunmoyendesalutpourtoi,
accepte-le ! J'appellerai à notre aide le Simourgh, et s'il veut sefaire mon guide, mon pays et mon royaume
resterontintacts;sinonnotrepatrieseraréduiteenruinesparIsfendiar,ceméchanthommeàquiplaîttoutcequi
estmal.
LESIMOURGHINDIQUEARUSTEMUNMOYENDESALUT.
Touslestroisétantconvenusdeceplanhardi,leSipehbedZalmontasurunehautemontagne;ilapportadeson
palaistroiscassolettesrempliesdefeu,ettroishommespleinsdeprudencel'accompagnèrent.Quandlemagicienfut
arrivé sur la crêtede la montagne, il tira d'un morceau de brocart une plume, attisa lefeu dans une des
cassolettes,etbrûlaau-dessusdecefeuunboutdelaplume.Lorsqu'uneveilledecettenuitsombrefutpassée,on
auraitditquel'airdevenaitcommeunnuagenoir.LeSimourghregardaduhautdesairs,ilvitlalueurdecefeu
ardentdevantlequelétaitZal,lecœurulcérédedouleur;l'oiseaus'approchaendécrivantdescercles,etZalse
levaavecsestroishommesquibrûlaientdel'encens,bénitl'oiseauàplusieursreprisesetl'adora.Ilremplitles
troiscassolettesdeparfumsdevantlui,etinondasesjouesdusangdesoncœur.
LeSimourghluidit:Oroi!ques'est-ilpassé,pourquetuaiesbesoindecettefumée?Zalrépondit:Puisse
lemalheurquem'ontapportédeshommesméchantsetdemauvaiseracefrappermesennemis!LecorpsdeRustemaucœur
delionestblessé,etmonpiedestparalyséparlessoucisquemedonnemonfils;carjecrainspoursavie,àcause
desesblessures,quisonttellesquepersonnedanslemonden'enajamaisvudesemblables.DemêmeRakschestcomme
mort,etsetordjouretnuitàcausedesflèchesquil'ontfrappé.Isfendiarestvenudanscepaysetnerespireque
combats;ilnesecontentepasdemonroyaume,demestrésorsetdemacouronne,ilveutlesracinesetlesfruitsde
monarbre.LeSimourghluidit:OPehlewan ! ne laisse pas abattre ton âmeparceci.Ilfaudraitmefairevoir
Rakschetlenobledistributeurdelaterre.
Zalenvoyaquelqu'unauprèsdeRustemetluifitdire:Trouveunmoyendetereleverpouruninstantetordonne
aussiqu'onm'amèneRakschsur-le-champ.QuandRustemfutarrivésurlehautdelamontagneetquel'oiseauaucœur
sereinl'eutaperçu,illuidit:Opuissantéléphantdeguerre,quellemaint'afaitcemal?Pourquoias-tuvoulu
combattreIsfendiar,pourquoias-tujetédufeudanstonsein?ZalréponditauSimourgh:Omaîtredelapitié!
puisquetunousmontrestonsaintvisage,dis-moioùdanslemondejepuischercherunlieuderefuge, si Rustem
n'estpasguéri.OnferaduSéistanundésert,onenferaunrepairedeléopardsetdelions,etnotreracesera
détruitejusqu'àlaracine.Quedevons-nousfaireetdiremaintenant?
L'oiseauregardalesblessuresetcherchaunmoyendelesfermer.IltiraducorpsdeRustemquatrepointesde
flèche etsuçaavecsonbeclesangdesesblessures;ensuiteillesfrottaavecsesailes,etRustemreprità
l'instantsesforcesetsonénergie.LeSimourghluidit:Pansecesblessures,etaiesoindenepasteheurter
pendantunesemaine;mouilleavecdulaitunedemesplumesetpasse-lasurlesblessures.
EnsuiteilfitamenerRakschpourleguérirdemême;ilpassasonbeclelongduflancdroitduchevalettira
desoncousixfersdeflèche,desortequ'aucunepartiedesoncorpsn'étaitplusblesséeniestropiée,etRakschse
mitàl'instantàhennir,etledistributeurdescouronnessouritdeplaisirenentendant.Alorsl'oiseauluidit:O
hérosaucorpsd'éléphant,tuesplusglorieuxquetouslesgrandsdelacour;pourquoias-turecherchélecombat
contreIsfendiar,lehérosillustreaucorpsd'airain?Rustemrépondit:S'iln'avaitpasparlédechaînes,moncœur
n'auraitpasétéeffarouché;maisjepréfèrelamortaudéshonneur,sijamaisjemelaissevaincredanslecombat.
LeSimourghrépliqua:Iln'yaaucunehonteàbaissertatêtejusquedanslapoussièredevantIsfendiar;caril
estlevaillantfilsduroi,etlamajestédivinedesroisreposesurcethommeausangpur.Situveuxmaintenant
faireunpacteavecmoi,turenoncerasàtouteenviedecombat,tunechercheraspasàt'éleverau-dessusd'Isfendiar
surlechampdebatailleetdanslalutte,tuluirendrasdemainhommage,tuluioffrirascommerançontoncorpset
ton âme. Si alors son heure est arrivée, ildédaignera certainement tes excuses, et je te fournirai un moyen de
salut,jeporteraitatêtejusqu'ausoleil.
Rustemseréjouitdecesparolesetcessadecraindred'avoiràsubirlahontedesfers;ilrépondit:Jene
m'écarteraipasdetesinstructions,quandmêmeilpleuvraitdesépinessurmatête.LeSimourghreprit:Paramitié,
jevaistedévoilerlesecretduciel.Quiconqueverseralesangd'Isfendiardeviendralaproiedudestin;jamais,
aussilongtempsqu'ilvivra,ilnetrouveraladélivrancedesespeines;ilnepourragardersestrésors,lamauvaise
fortunel’accompagneradanscettevie,etquandillaquittera,ilretrouveradansl’autredespeinesetlemalheur;
maissituesdécidéàsuivremonavis,jevaisterendrefortcontretonennemi:jet'enseigneraicettenuitmêmeun
secretmerveilleux,jefermeraitaboucheauxmauvaisesparoles.Va,montesurRaksch,tonchevalbrillant,etprends
unpoignardétincelant.
Rustemécoutacediscours,seceignitlesreins,montaàl'instantsurRakschetchevauchajusqu'àcequ'ileût
atteintlamer.Ilvitl'airassombriparleSimourghetmitpiedàterresurleborddelamer.Aussitôtl'oiseau
pleindefiertédescenditdesairs,etRustemaperçutuntamarixdontlaracineétaitdanslaterreetlacimedans
lescieux.Lepuissantoiseauseperchasurl'arbre,etindiquaàRustemuncheminsecpourarriverauprèsdelui;
unparfumdemuscserépandittoutautour;ilordonnaàRustemdes'approcher,luifrottalatêteavecsonaileet
luidit:Choisislabranchelaplusdroite,lapluslongueetlaplusmince.C'estàcetteflèchedetamarixqu'est
attachélesortd'Isfendiar;nefaisdoncpaspeudecasdecettebaguette,rends-ladroitedevantlefeu,cherche
unbonvieuxferdeflèche,attacheauboisdesplumescefer,etvoilàlemoyendefairepérirIsfendiar.
Rustemcoupaunebranchedutamarixetpartitduborddelamerpourson,palaisetsonfort;leSimourghfut
son guidesur la route, se tenant au-dessus de sa tête et lui parlant ainsi :Maintenant, si Isfendiar vient te
provoqueraucombat,fais-luidessupplications,parle-luiavecdouceuretdroiture,etn'emploieaucuneespècede
fraude;ilsepeutqu'ilrevienneàunlangageplusdouxetqu'ilserappellelestempsanciens;cartuasbiendes
foistraversélemonde,bravantlesfatiguesetlespérilspourservirlesrois.S'ilrefused'acceptertesexcuses,
s'ilveuttetraitercommeunhommedepeudevaleur,alorsbandetonarc,placecetteflècheentamarisquetuauras
saturéedevin,dirigetesdeuxmainsenlignedroiteverssesyeux,commeferaitunhommequiadoreraitletamarix:
ledestinporteracetteflèchedroitdanssesyeux,carc'estlàqu'ilestvulnérable,pourvuquetunetemettespas
encolère.
L'oiseaupritcongédeZalenl'embrassantétroitement,ets'élançadanslesairscontentetheureux.Rustem
l'ayantvus'envoler,allumadufeu,redressalabaguetteetlasaturaetl'enivradevin;ilyfixaunferaigu,et,
quandtoutfutterminé,ilyattachadesplumes.
RUSTEMRETOURNEAUCOMBATCONTREISFENDIAR.
Cependantl'aubedujourcommençaàrayonnerduhautdelamontagneetàs'avancertimidementaumilieudela
nuit sombre; Rustem revêtit ses armes de combat et fit sa prière au Créateur demonde. Arrivé près de l'armée
illustredesIraniens,pourprovoquerIsfendiaràlalutte,lehéros,quicherchaitunmoyendesalut,seredressaet
s'écria:Ohommeavidedecombats,commentpeux-tudormirainsipendantqueRustemadéjàselléRaksch?Ensuiteil
reprit:Réveille-toidecedouxsommeil,luttecontreRustem,quidemandevengeance.
Isfendiarentenditcesparoles;lepeud'effetqu'avaientproduitsesarmespesantesl'avaientdécouragé,etil
ditàBeschouten:Labravoured'unlionnesertàriencontreunmagicien.JenecroyaispasqueRustempourrait
arriveràsonpalaischargédesacottedemailles,desacuirasseenpeaudeléopardetdesoncasque;etRaksch,le
destrierqu'ilmonte,avaitlapoitrinetoutecouvertedesfersdemesflèches.J'aientendudirequeDestan,ce
sectateurdesmagiciens,étendaitentouteoccasionsesmainsjusqu'ausoleil,etqu'ildépassetouslesmagiciens
quandilestencolère:iln'estpasprudentdemebattrecontreeux.Beschoutenluirépondit,leslarmesauxyeux:
Puissent les soucis et le dépit tomber sur tesennemis ! Que t'est-il arrivé, pour que tu sois si découragé
aujourd'hui?probablementtun'auraspasdormidanslanuit.Qu'ya-t-ildonceudanslemondeentrecesdeuxhéros
pourquecettequerellenefassequ'augmenter?Jenesaislequeldesdeuxlafortuneaabandonné,puisqu'elleamène
denouveauxcombatsentreeux.
LehérosIsfendiarrevêtitsacuirasse,saisitsesarmesdecombat,ets'écriaenapercevantRustem:Puisseton
nomdisparaîtredumonde?OhommeduSéistan,as-tudoncoubliél'arcduhérosavidedecombats?L'artmagiquede
Zalt'aguéri;sansluiletombeauauraitdéjàréclamétoncorps;maintenanttuviensaprèsavoirpratiquétes
enchantements,etc'estainsiquetut'élancesdanslecombatcontremoi.Maisaujourd'huijetebriserailesmembres
detellemanièrequeZalnetereverrapasvivant.LorsqueRustem le vit ainsiencolère,ilpoussaunsoupiret
répondit:OIsfendiar,lehérosentretous,ôtoiquin'espasencorerassasiédebatailles,crainsdoncDieule
trèssaint,lemaîtredumonde,etnerabaissepastoncœurettonintelligence!Jenevienspasaujourd'huipourme
battre,jevienspourprésenterdesexcusesetpour sauvermonnometmonhonneur.Pourquoilutterais-tucontremoi
avecmauvaiseintention,pourquoifermerais-tulesyeuxdetaraison?JeteconjureparZerdouscht,lejusteparsa
foi sainte, par Nousch-Ader,par la majesté divinequi repose sur les rois, par le soleil et la lune, par le
Zendavesta,derenonceràlavoiedelaperdition.Oubliedesparolesquiontétédites,siviolentesqu'ellesaient
puêtre.Viensvoirunefoismamaison,cartondésirdem'ôterlaviedoitêtrepassé.J'ouvrirailaportedesvieux
trésors que j'ai amassés pendant de longuesannées ; j'en chargerai tes bêtes de somme, tu les donneras à ton
trésorier, qui les conduira ; ensuite je partirai avec toi, je meprésenterai avec toi devant le roi, quand tu
l'ordonneras, et jeregarderai comme juste ce qu'il fera, soit qu'il me déclare libre,soit qu'il me charge de
chaînes.Réfléchisàcequ'aditunanciensage:Net'associejamaisàunemauvaiseétoile!Jecherchetousles
moyenspour,quetafortunet'ôtel'enviedenouveauxcombats.
Isfendiarrépondit:Jenemeserspasdefraudeaujourducombat,aujourdelaterreur.Tuparlessanscesse
detamaisonetdetonpalais,tutâchesdefaireparaîtrecalmestestraitsenflammés;maissituveuxconserverla
vie,commenceparmettremesfers.Rustemrepritainsilaparole:Oroi!nedispasdeschosesinjustes,nerends
pasvilmonnometnedéshonorepasletien,carilnesortiraquedesmalheursdececombat;jetedonneraides
milliersdejoyauxdignesd'unroi,etdesbracelets,deschaînesetdesbouclesd'oreilles;jetedonneraimille
jeunesesclavesauxdouceslèvres,quiseretiendrontdevanttontrônejouretnuit;jetedonneraimille jeunes
fillesdeKhallakhquiparleurbeautéferontl'ornementdetacouronne.J'ouvriraidevanttoilesportesdestrésors
deSam,deNerimanetdeZal,ôhomme sanségal!Jeréuniraitoutceladevanttoi,ensuitej'amèneraileshommesdu
Zaboulistan, qui tous seront à tes ordres, qui détruironttes ennemis au jour du combat. Ensuite je me tiendrai
devanttoicommeunesclave,jemerendraiauprèsdeGuschtasp,quimepoursuitdesarancune.Oroi!écartelahaine
detoncœur;nefaispasdetoncorpsunlieud'embuscadepourleDiv.Tuasd'autresmoyensdem'attacherquedes
chaînes:emploie-lesenversmoi,cartuesunroietunadorateurdeDieu;leschaîneslaisseraientsurmonnomune
tacheéternelle;etcommenttesiérait-ildefairecequiestmal?
Isfendiarrépondit: Jusquesàquandprononceras-tudecesdiscoursinutiles?Tum'exhortesàquitterlavoiede
Dieuetàdésobéirauroi,gardiendumonde.Maisquiconques'écartedesordresduroiveuttromperDieu;choisis
doncentreleschaînesetlecombat,etneparleplusaussifollement.
RUSTEMLANCEUNEFLECHEDANSL'OEILD'ISFENDIAR.
Rustemcompritquelessupplicationsneservaientàrienauprèsd'Isfendiar;ilbandasonarc,etplaçadessus
cetteflècheenboisdetamarixdontilavaittrempéleferdansduvin.Ayantplacélaflèchesurl'arc,iladressa
ensecretuneprièreàDieu,disant:Otrèssaintmaîtredusoleil!toiquiaccordestoutesagesse,toutemajesté,
touteforce,tuvoislapuretédemoncœur,tuvoismespenséesetcequejepuisfaire!Tusaiscombienj'ailutté
pour calmer Isfendiar, tu sais combien il aété injuste,combien il est prodigue de combats et de bravoure. Ne
regardepascecicommeunpéchéàpunir,ôcréateurdelaluneetdeMercure!Quandlehérosopiniâtrevitcedélai
etl'hésitationdeRustemàcommencerlecombat,illuidit:OméchanthommeduSéistan!tonâmen'estdonc pas
encorelasse des flèches et des arcs ? Tu vas voir les flèches deGuschtasp, le cœur d'un lion et les fers des
flèchesdeLohrasp.
AlorsRustems'empressad'ajustersaflèchesurl'arcdelafaçonqueleSimourghluiavaitindiquée;illâcha
le traitcontre l'œil d'Isfendiar, et le monde devint noir devant le princeillustre, sa stature de cyprès
s'affaissa,ilperditconnaissanceetlaforcel'abandonna;latêteduroi,adorateurdeDieu,s'inclina,sonarc
chinoiss'échappadesesmains,ilsaisitlacrinièreetlecoudesonchevalnoir,etsonsangrougitlapoussièredu
champ ducombat.Rustemluidit:Tuasfaitporterfruitàcettesemenceamère.Tuesceluiquiadit:Jesuis
l'hommeaucorpsd'airain;jejetteraiàbaslecielsublime.Maisuneseuleflèchet'afaitrenonceraucombateta
faitpenchersurtoncélèbredestrier.Dansuninstanttatêteseradanslapoussière,etlecœuraimantdetamèrese
consumeradedouleur.Danscemomentleroiillustretombaduhautdesonchevalnoir,latêteenbas;ilresta
quelquetempsavantdereprendresessens,puisils'assitdanslapoussièreetécouta.Ilsaisitlaflècheparle
boutetl'arrachatoutecouvertedesang,depuisleferjusqu'auxplumes.
CependantBahmanavaitapprisquelagloiredesroisdesroisétaitternie:il courutversBeschoutenetluidit
:Cecombatestdevenuaffreux.Lecorpsdel’éléphantdeguerregîtdanslapoussière,etlemonden'estpluspour
nousqu'unenuitobscure.Touslesdeuxpartirentàpiedetencourant,ducampjusquesurlechampducombat,oùils
virent le héros la poitrine couverte de sang ettenant dans sa main une flèche ensanglantée. Beschouten déchira
devantluisesvêtementsetversadelapoussièresursatêteenpoussantdescris;Bahmanseroulaàterreet
frottasesjouesdanscesangchaud.Beschoutens'écria:Qui,parmilescroyantsetlesgrands,peutcomprendrele
secretdumonde?UnhommecommeIsfendiar,quiavaillammentmaniél'épéepourlafoi,quiapurifiélemondedes
méchants,desadorateursdesidoles,quin'ajamaisfaitunemauvaiseaction,péritdanslesjoursdesajeunesse,et
satêteroyaleestcouchéedanslapoussière;maisquandc'estunméchantquiremplitlemondededouleurs,qui
affligel'âmedeshommeslibres,unelongueviepassesursatête,etilsoitdetouslescombatssanséprouverde
mal!
LesjeunesprincesserrèrentIsfendiarcontreleurspoitrinesetessuyèrentlesangduroi.Beschoutenpoussades
hurlementssurlui,lajouecouvertedesang,lecœurpleind'angoisse;ils'écria:Hélas,ôIsfendiar,ôhéros,ô
maîtredumondederaceroyale!Quiadoncébranlécettemontagnedeguerre,quiarenversécelionfurieux,quia
arrachéàl'éléphantcesbellesdéfenses,quiaarrêtécesvaguesdesflotsduNil?Qu'est-ilarrivéàcetterace
royaleparlemauvaisœil,puisquec'estleméchantquidoitsouffrirlemal?Aquoiontservitoncourage,ton
intelligence,taloyauté,tapuissance,tonétoileettafoi?Aquoiontservitesarmesdanscecombat?Qu'est
devenuetavoixsidoucedanslesfêtes?Tuavaispurifiélemondedetesennemis,tun'avaispasàcraindrelelion
ouleserpent;etmaintenantquetudevaisprofiterdetoutcela,jetevoisgisantdanslapoussière!
Isfendiarluiréponditparcesparolespleinesderaison:Ohommesageetfortuné!netelaissepasallerau
désespoiràcausedemoi.Ceciestlapartquem'ontfaitelecieletlalune.Toutcequivitaurapourcouchela
poussière;netelamentedoncpasdemamort!OùsontFeridoun,HouschengetDschemschid?Leventlesaamenés,un
soufflelesaemportés;etmesancêtresderacepure,ceshommesélus,fiersetsaints,sontpartisetnousont
laissé leur place ;carpersonne ne peut rester dans cette demeure passagère. J'aibeaucoupluttédanslemonde,
tantôt ouvertement, tantôtsecrètement, pour établir la voie de Dieu et pour y guiderl’intelligence des hommes.
Lorsquelaparoledelafoieutacquisdel'éclatparmesefforts,etquelamaind'Ahrimanfutdevenueimpuissanteà
fairelemal,ledestinaétendusagriffeaiguë,etjen'aipuluiéchapper.Monespoirestque,dansleparadis,mon
âmeetmoncœurrécolterontcequ'ilsontsemé.Cen'estpasparsabravourequelefilsdeDestanm'adonnélamort.
Regardecettebranchedetamarix,quejetiensdansmamain:c'estparellequeleSimourghetRustem,lerusé,ont
misfinàmavie.C'estZalquiafaitcesincantationsetemployécetartmagique,carilconnaîtlessortilègeset
touslesenchantements.
Àcesparolesd'Isfendiar,Rustemsetorditetpleuradedouleur,disant:LeDivmauditestcausequelapeine
est mapart dans la vie. Tout ce qu'Isfendiar a dit est vrai ; il n'a pasdévié de sa loyauté vers les voies
tortueuses.Depuisquej'airevêtuunearmure,j'airecherchélecombatavecceuxquiportaientleurtêteleplus
haut ; mais je n'ai pas vu un cavalier couvertd'une cotte de mailles et d'une cuirasse de combat, semblable à
Isfendiar. C'est pardésespoirquej'aicherchéuneruse:jen'aipasvoulusuccomberdevantluisansrésistance
Lorsquejemesuiséchappédesamainsansespoir,etquej'aivusonarc,sapoitrineetsonanneaudetir, j'ai
trouvémoyendetenirsaviesurmonarc,etlorsquesonmomentétaitvenu,j'ailancélaflèche.Siledestinavait
vouluqu'ilvécût,commentcetteœuvred'iniquitém'aurait-elleréussi?Ilfautquittercetteterreténébreuse,et
paraucuneprécautiononnepeut,prolongersavied'uneseulerespiration.Jen'étaisqu'uninstrumentpourfairece
malheur,maiscetteflèchedetamarixmecouvriradehontedansleschansons.
ISFENDIARCHARGERUSTEMDESESDERNIERESVOLONTÉS.
Isfendiar dit à Rustem : Ma vie touche à sa fin ; nem'évite pas, lève-toi, viens ici, car j'ai changé
d'intention.J'espèrequetuvoudrasécoutermesavisetmesdernièresvolontés:tuyverraslagrandeurdemon
estime;faisdeseffortspourremplirmesdésirs,etaide-toidetoutetapuissance.Tehemtenprêtal'oreilleàces
paroles ; il s'approcha d'Isfendiar à pied etengémissant;ilversaitdeslarmesdesangdanssahonte,etse
lamentaitd'unevoixdouce.CependantDestanavaiteudesnouvellesduchampdebataille,et,rapidecommelevent,
ilaccourutdesonpalais,ZewarehetFaramourzpartirentcommedesinsensésetcherchèrentpendantquelquetempsles
tracesdu combat ; des cris se firent entendre du champ de bataille, tels que lesoleil et la lune en furent
obscurcis,etZalditàRustem:Omonfils!c'esttoiquejepleuredansl'agoniedemonâme;carj'aiapprispar
lessagesdelaChineetlesastrologuesdupaysd'IranqueceluiquitueraIsfendiardoitpérir,qu'ilneverraplus
surlaterrequefatigueetmalheur,etquedansl'autremondeilnetrouveraqu'unsortmisérable.Isfendiarreprit
etditàRustem:Cen'estpastoiquieslacausedemonmalheur;c'étaitmondestin,etcequidevaitêtreest
arrivé. Écoule mes paroles :Tu n'as été qu'un instrument ; c'est mon père qui a fait mon sort,et non pas le
Simourgh,niRustem,nisaflèche,nisonarc.Monpèrem'adit:VaetbrûleleSéistan;jeveuxqueleNimrouz
cessed'exister. Son but était de se conserver l'armée, le trône et lacouronne, et de me faire disparaître.
Maintenantacceptedemoi,commesituétaissonpère,Bahmanmonfilsillustre,monconfidentprudentetvigilant,
etrappelle-toitoutesmesparoles.Rends-leheureuxdansleZaboulistanauprèsdetoi,etnet'inquiètepasdece
quepeuventfairelesméchants;enseigne-luiàcommanderdanslabartaille,àordonnerunesalledefestin,àaller
àlachassedansledésert,àboireduvin,àconverser,àfrapperdelaraquette,àfairedelamusique,àuserdu
pouvoir,àjouirdelavie.Djamasp,quesonnomsoitmaudit,quejamaisilneréussisseenriendanslemonde!a
préditqueBahmanseramonsuccesseuretlepluspuissantdesrois.
Rustemselevaàcesparoles,plaçasamaindroitesursapoitrineensigned'obéissance,etdit:Situmeurs,
je nedévierai pas de ces paroles, et je ferai tout ce que tu ordonnes. Jeplacerai Bahman sar l'illustre trône
d'ivoire,jeposeraisursatêtelacouronnequiréjouitlescœurs.IsfendiarécoutaRustemetluirépondit:Prends
lefilsquandlepèreseramort.Sache,aussivraiqueDieum'entend,aussivraiquenotrefoivéritableestmon
guide,que,malgrétoutlebienquetuasfait,malgrétouslesroisantérieursquetuasprotégés,tonnomrespecté
vaêtredéshonoré,etquelemondevaêtreremplidecriscontretoi àcausedemamort.Monâmeenestaffligée,
maisleCréateurl’aainsiordonné.
Ensuite il dit à Beschouten : Je ne demande plus à laterre qu'un linceul. Lorsque je serai parti de cette
demeurepassagère, mets en ordre mes troupes, et pars. Arrivé dans l'Iran,tu diras à mon père : Quand on est
puissant, il ne faut pas seservir de prétexte. Le monde t'obéissait, ton nom était gravé surtous les sceaux ;
j'espéraisdetoimieuxquecequetuasfait;cequiestarrivéestdignedetonâmeténébreuse.J'avaisréduità
l'ordrelemondeparl'épéedelajustice,etpersonnen'osaitmalparlerdetoi;lorsquelafoivraieétaitétablie
dansl'Iran,lepouvoiretlaroyautém'étaientdus;tumel'avaisjurédevantlesgrands,maisensecrettum'as
envoyéàlamort.Tuesmaintenantsatisfait,calme-toidonc,etassieds-toisurletrônelecœurenrepos;puisque
tun'asplusrienàcraindredemoi,écartedetespenséeslamort,donneunefêtedanslepalaisdesrois;àtoile
trône,àmoilesdangersetlesluttes;àtoilacouronne,àmoilecercueiletlelinceul.Maisunvieux Dihkan
pleind'expérienceaditquelamortdevancelaflèche:netefiedoncpasàtestrésors,àtacouronneetàton
trône;mesmânest'attendrontsurlaroute,etquandtuviendras,nousironsensembledevantlejuge,nousparlerons
etnousécouteronssonarrêt.
QuandtuaurasquittéGuschtasp,tudirasàmamère:CettefoislaMortestvenuemecombattre,etunecuirasse
n'est quedu vent en face de ses flèches qui traversent tout, fut-ce unemontagne d'acier. Viens bientôt me
rejoindre, ô ma tendre mère, etne t'afflige pas pour moi, ne contriste pas ton âme, ne découvre paston visage
devantl'assemblée;n'essayepasdevoirencoreunefoismestraitscouvertsdulinceul:monaspectneferait
qu'augmenter tatristesse,etaucunhommedesensnet'approuverait.Ensuitedisàmessœursetàmonépouse,qui
languissaientensecretenpensantàmoi,disàcesfemmessagesetvaillantes:Jevousadresseunadieuéternel.
C'estletrônedemonpèrequim'aperdu,lesacrificedemavieaétépourluilaclefdestrésors.Jeluienvoie
Beschouten,quicouvriradehontesonâmeténébreuse.
Ilpoussaungrandsoupir,prononçacesparoles:C'estGuschtaspquim'aopprimé,etàl'instantsonâmepure
quitta son corps blessé,qui retomba sur la poussière noire. Rustem, dans sa douleur, déchirases vêtements, et
s'écria,lecœurremplid'angoisse,latêtecouvertedepoussière.Hélas!ôvaillantcavalier,petit-filsd'unroi
guerrier,filsd'unroi!monnométaitglorieuxdanslemonde,maisGuschtaspm'apréparéunefinmalheureuse.Ayant
pleurélongtemps,iladressaaumortcesparoles: Oroisanségaletsanspareildanslemonde!puisseton âme
entrerdansleparadis,puissenttesennemisrecueillirtoutcequ'ilsontsemé!
Zewarehlui dit : N'accepte pas ce prince, méfie toidelui.N'as-tupasentendudireauDihkan,d'aprèsun
ancienlivre,quesituélèveslepetitd'unlion,sesdentsdeviennentaiguës,ilacquiertdelaforce,bientôtil
cesse,d'obéiretchercheuneproie,etlapremière,surlaquelleilsejetteestsonpèrenourricier?Lesdeuxpays
retentirontdemauvaisespassions,etl'IranensouffriralepremiercarilaperduunroicommeIsfendiar; mais
ensuitelamauvaisefortunecommencerapourtoi;BahmanporteramalheurauZaboulistan,etlesvieuxguerriersdu
Kaboultrembleront devant lui. Sois assuré que, lorsqu'il portera lacouronne, il vengera Isfendiar. Rustem lui
répondit : Personne nepeut résister au ciel, ni les méchants, ni les vertueux. J'ai choisiun parti tel que la
raisonl'approuveraetquelesbonss'ensouviendront;siBahmanfaitdumal,ilauraàtremblerdevantlesort;
maistoi,neprovoquepaslemalheurpartapassion.
BESCHOUTENAMENELECERCUEILD’ISFENDIARÀGUSCHTASP.
Rustem fit faire un beau cercueil en fer et étenditdessus un poêle en brocart de Chine ; il en couvrit
l'intérieuravecdubitumesurlequelilrépanditdumuscetdel'ambregris;illuifitunlinceuldedrapd'or,et
touterassembléeéclataenlamentations.Ayantenveloppédansunlinceullabrillantepoitrineduroi,illuiplaça
surlatêtesondiadèmedeturquoise;onrivafortementlecouverclesurlecercueilétroit,etcetarbreroyalqui
avaitportédesibeauxfruitsdisparut.Rustemamenaquarantemuleschoisies,couvertesdehoussesflottantes en
brocartdeChine,etdontdeuxtoujoursportaientlecercueilduroi,l'uneàgaucheetl'autreàdroite;devantet
derrièremarchaitlecortège;tousavaientlesjouesdéchirées,lescheveuxarrachés;toutesleslanguesparlaient
duroi,touteslesâmesleregrettaient;lestimbalesétaientrenversées,lesdrapeauxmisenlambeaux,tousles
vêtementsétaientvioletsetbleus.Beschoutenmarchaitdevantlestroupes;lacrinièreetlaqueueduchevalnoir
duroiétaientcoupées;ilpartaituneselle,renverséed'oùpendaientlamassuedecombatd’Isfendiar,lecasque
célèbre,la cotte de mailles, la tunique et le bonnet du héros. Le cortège partit, etBahman resta dans le
Zaboulistan,deslarmesdesangdécoulantdesescils.Tehemtenl’emmenadanssonpalaiseteneutsoincommedeson
âme.
Guschtaspreçut la nouvelle de ce qui s'était passé ;latêteduroiillustresecourba,toussesvêtements
furent enlambeaux, son front et son diadème s'abaissèrent dans la poussière.Des cris lamentables sortirent du
palais,lemondeseremplitdunomd’Isfendiar;partoutdansl'Iranoùlanouvelleparvenait,lesgrandsjetaient
loind'euxleursdiadèmes.Guschtaspdit:Omonfilsàlafoisainte!l'époqueetlemondeneverrontpastonégal
;depuisleettempsdeMinoutchehr,iln'yapaseuunhommequiaitportésihautlatête;tuascouverttonépée
desangetpurifiélafoi;tuastenulesroisàleurplace.Lesgrandsdel'Iran,indignéscontreGuschtasp,se
dépouillèrentdetoutrespectpourlui,s'écriantàhautevoix: Ohomme audestinmaudit!tuasenvoyédansle
Zaboulistan,pourconservertontrône,unprincecommeIsfendiar;tul'aslivréàlamortetasgardélacouronne
surtatête,assissurletrônedupouvoir.PuissetatêteavoirhontedesecouvrirdelacouronnedesKeïanides;
puissetonétoileavoirhâtedepartir!Ilsquittèrenttouslasalled'audience,etlepalaisetlasallefurent
couvertsdepoussière.
Quandlamèreetlesfillesd'Isfendiarreçurentlanouvelle,ellessortirentdupalaisaveclessœursduhéros,
la têtenue, les pieds souillés de poussière,lesvêtements déchirés sur leur corps. Beschouten s'avança sur la
route,consumédedouleur,marchantdevantlecercueiletledestriernoir;lesfemmess'attachèrentàlui,lesang
ruisselantde leurs cils,ets'écriant:Otelecouvercledececercueil étroit, montre-nousaumoins de loin le
corpsdumortBeschoutensedésolaitaumilieudecesfemmes;ilpoussaitdescrisets'arrachaitlachairdesbras;
il dit aux forgerons :Apportez une lime acérée, car je suis un homme perdu. Il fit ouvrirle couvercle de ce
cercueilétroit,etrecommençaseslamentations.
Lorsquelamèreetlessœursvirentlevisageetlabarbenoireduroicouvertsdemusc,cesfemmesvoilées
s'évanouirent,cesfemmesauxcheveuxboucléseurentlecœurgonflédesang;quandellesreprirentconnaissance,
elles adressèrent desprièresaubienheureuxSerosch,quittèrentlecercueilduroi,s'approchèrentdesoncheval
noirenjetantdescrisetluicaressèrenttendrementlecouetlatête.Kitabounversasurledestrierdeslarmesde
sang,carc'étaitmontésurluiqueleroiavaitpéri,c'étaitencombattantsurluiqu'ilavaitétéfrappé.Lamère
d’Isfendiardit:Otoidontlatrace,despiedsestmaudite, c'est surtondosque leKeïanideaététué!Qui
porteras-tudorénavantdanslabataille,quilivreras-tuàlagriffeducrocodile?Touteslesfemmessesuspendirent
àsoncou,toutesversèrentdelapoussièresursatête;leslamentationsducortègemontèrentdanslesnues,et
Beschoutenentradanslepalaisduroi.
Lorsqu'ilvitGuschtasp,ilnelesaluapas;arrivétoutprèsdesontrône,ilditàhautevoix:Ochefdes
hommesquiportenthautlatête,lessignesdetachuteapprochent!Voicilemalquetuasfaitàtonproprefils;
tu as détruit la fortune dupays d'Iran ; tu as oublié ton caractère sacré, et la raison t'aabandonné ; les
scorpionsdeDieutesuivront.Tonfilsillustre,tonsoutienapéri,etdorénavanttunetiendrasdanstamainque
duvent.Tuaslivrétonfilsàlamortpourconservertontrône;puissetonœilneplusvoirjamaisletrôneetla
fortune!Lemondeentierestpleindetesennemisetdeméchants,etlacouronnedesroisneteresterapas;tu
seras maudit sur cette terre, et aujour du jugement,tes actions seront examinées. Ildit, et se tourna vers
Djamasp,s'écriant:Ohommeméchant,viletégaré!tuneconnaisquelemensonge,et,partesvoiestortueuses,tu
as ternitoutesplendeur;tuexcitesl'inimitiéparmilesKeïanides,tufrappesl'unparl'autre.Tasagesseest
d'enseignerlecrime,dediminuerlebien,d'agrandirlemal.Tuasseméunesemencedontturecueillerasdansce
mondelesfruitsapparentsetcachés.C'estpartesparolesqu'unprincepuissantapéri,quelejourdespuissantsa
passé.Tuasenseignéauroilechemindumal,ôvieillardsanscervelleetsansraison!enluidisantquelesort
d'IsfendiarétaitdanslamainduglorieuxRustem.Ensuiteilouvritsaboucheéloquenteetrépétalesconseilset
lesdernièresvolontésd'Isfendiar;ilracontacommentilavaitléguéàRustemsonfilsBahman,ildévoilatousles
secretsdesonfrère. Le roi entenditles dernières volontés de son fils, et se repentit de ce qu'il avaitfait
contrelui.
Quandlesgrandseurentquittélepalais,Beh-AferidetHomaïentrèrent;dansladouleurqueleurcausaitla
mortdeleurfrère,elless'arrachèrentlescheveuxdevantGuschtasp,ellessedéchirèrentlesjouesetdirentàleur
père:Oroiillustre!réfléchissurlesortd'Isfendiar,quilepremieravengéZerir,quiaarrachél’onagreaux
griffesdulion,quinousadéfenduscontrelesTurcs,quiaremisdel’ordredanstonempire.Surlesparolesd'un
calomniateur, tu l’as fait attacherà des colonnes par un lourd carcan et des courroies ; mais lorsqu'ilfut
enchaîné, notre grand-père fut tué et notre armée périt ; quandArdjasp vint de Khallakh à Balkh, les malheurs
rendirentnotrevieamère;quandilnouseutremmenéesdupalaisdanslarue,levisagedécouvert,nousquiavons
toujoursétévoilées,quandileutéteintNousch-Ader,lefeu de Zerdouscht, et qu'il se futemparé de l'empire,
alorstuasvuagirtonfils,tuasvuqu'ilaréduitlesTurcsenfumée,enventetenpoussière.Ilnousaramenées
duchâteaud'airainauprèsdetoi,ilaétélegardienduroyaumeetdetacouronne;maistul’asenvoyédansle
Zaboulistan,tu lui as donné beaucoup de conseils et d'avis, pendant que ton intention étaitqu'il pérît par le
leurredetontrône,etquesamortremplîtlemondededouleuretdeterreur.Cen'estnileSimourghquil’atué,ni
Rustem,niZal,c'esttoiquil’astué:ainsinelepleurepas,toiquiessonmeurtrier.Aiehontedetabarbe
blanche,cartuasfaitpérirtonfils,dansl'espoirdeconservertontrône.Ilyaeuavanttoibeaucoupderois
dignesdutrône,maisilsn'ontpaslivréàlamortleursenfants,leurfamilleetleursalliés.
Guschtasp dit à Beschouten : Lève-toi et verse del'eau sur ce feu enfantin. Beschouten sortit de la salle
d'audienceduroietemmenalesfemmesdecelieu;ilditàsamère:Pourquoifrappes-tuavectantdepassionàla
portedumort?Ilestcouchétranquillementetl'espritenrepos;carilétaitfatiguédecepaysetdesonmaître.
Pourquoiaffligertoncœuràcausedelui,dontlademeureestmaintenantleparadis?Lamèreacceptalesconseils
de son fils plein de piété, et se laissapersuader par lui de la justice de Dieu. Pendant une année toutesles
maisonsdel'Iranretentirentdecrisetdelamentations,etpendantdelonguesannéesonversadeslarmessurla
flècheenboisdetamarixetlessortilègesdeDestanfilsdeZal.
RUSTEMRENVOIEBAHMANDANSL'IRAN.
CependantBahmanrestaitdansleZaboulistan,passaitsavieàlachasse,aubanquetetdanslejardindesroses.
Rustemenseignaàsonennemiàmonteràcheval,àboireduvin,àtenirunecour;entoutechoseilletraitait
mieuxqu'unfils;jouretnuitillepressaitsursoncœurensouriant.Lorsquelesfaitseurentréponduàcequ'il
avaitpromisàIsfendiar,etqueGuschtaspn'eutplusdeprétextepourlavengeance,Rustemluiécrivitunelettre
pleinededouleur,danslaquelleilluirappelatouslessouvenirsdesonfils.Aprèsavoirinvoquélesgrâcesde
Dieusurceuxàquilerepentirfaitoublierlavengeance,ilajouta:Dieum'esttémoin,Beschoutenlesait,que
j'aifaittousmeseffortspourdétournerIsfendiarducombat,quej'aimisàsespiedsmonpaysetmestrésors,que
j'aurais préféré faire les choses lesplus pénibles ; mais mon destin a voulu qu'Isfendiar ne se laissâtpoint
attendrir,sipleinquefûtmoncœurdedouleur,sirempliequefûtmonâmedetendressepourlui.
Telleaétélarotationduciel,etpersonnenepeutchoisirenfacedusort.Maintenantj'aiauprèsdemoice
jeunehommequidésirelapossessiondumonde,etquiestdemeilleuraugurepourmoiqu'Ormuzd,monétoile(Jupiter).
Jeluiaienseignécequ'unroidoitsavoir;j'aipayé,selonlesdernièresvolontésdesonpère,ladettedela
raison;etsileroiveutacceptermonrepentiretmepromettred'oubliercetteflèchefatale,toutcequejepuis
parmoncorpsetmonâmeestàlui,montrésoretmacouronne,moncerveauetmapeau.
Lorsquecettelettreparvintauroidumonde,ilsetrouvaitisolédetouslesgrands;Beschoutenvintetdonna
sontémoignage ; il répéta toutes les paroles de Rustem, raconta lesangoisses, les conseils et les dernières
volontésd'Isfendiar,etcequ'ilavaitditsurlecombatetsursonestimepourRustem.Lecœurduroiseradoucit
enversRustem,etilcessades'affliger.Ilécrivitsur-le-champuneréponse,etplantaunarbredanslejardinde
laroyauté,disant:Commentlarotationdelasphèresublimeducielpourrait-elleamenerladestructionsurun
hommequirevientàlamodérationetquis'avancedanslavoiedelasagesse?Beschoutenm'adonnéletémoignageque
tuluidemandais,ettuasremplimoncœurdebonnevolonté.Quipourraitsesoustraireàlarotationducielqui
tourne?Lesagenes'occupepasdecequiestpassé.Tueslemêmequetuastoujoursété,ettuesencoreplusgrand
;tueslemaîtredel'IndeetdeKanoudj,ets'iltefautdavantage,quecesoientdestrônesetdessceaux,des
épées et des casques, demande-les. Le messager rapporta cetteréponse en toute hâte, comme Rustem le lui avait
ordonné,etlefilsdeDestanenfutheureux,ettoussessoucisetseschagrinsfurentconvertisenjoie.
Ainsisepassèrentquelquesannées;lefilsd'Isfendiardevinthautdestature,intelligent,instruitetfort,
etilportaitsondiadèmefortunéplushautquetouslesrois.Djamaspsavait,pardesartsbonsetmauvais,quela
royauté étaitdestinéeàBahman,etilditàGuschtasp: Oroibien-aimé!ilfautquetut'occupesdeBahman.Il
possèdemaintenantlesconnaissancesquesonpèrevoulaitqu'ilacquit,etilestdevenuunjeunehommebrillant;il
demeuredepuislongtempsdansunpaysétranger,etpersonneneluiajamaisluunelettredesafamille.Ilfautlui
écrireunelettresemblableàunarbredanslejardinduparadis,puisquetuasdanslemondeunhéritiersinoble,
quipeuttefaireoublierledeuild'Isfendiar.
Guschtaspaccueillitavecjoiecediscours,etordonnaaufortunéDjamaspd'écrireunelettreàBahman,etune
autreauhérosavidedecombats,ainsiconçue:JeremercieDieu,ôPehlewandumonde,que,grâceàtoi,noussoyons
heureuxetquenotreâmesoitenrepos.Monpetit-fils,quim'estpluscherquelavie,quiestplusrenomméparses
connaissancesqueDjamasp,aapprisparl'influencedetafortunelesrèglesdeconduiteetlasagesse,etjedésire
que tu me le renvoies.Ensuite il fit écrire à Bahman : Aussitôt que tu liras cette lettre,tu quitteras le
Zaboulistan,carj'aibesoindetevoir;ainsiapprête-toietnetardepas.LorsquelescribelutàRustemlalettre
duroi,lehéros,amidelasagesse,s'enréjouit.IldonnaàBahmandetoutcequecontenaitsontrésor:descottes
demailles, des épées brillantes, des caparaçons de chevaux, des arcsetdesflèches,desmassues,despoignards
indiens,ducamphre,dumusc,del’aloèsfrais,del'ambregris,despierreries,del'argentetdefor,deschevaux,
despiècesd'étoffes,desesclavesvieuxetjeunes,desceinturesetdesbridesd'or,etdeuxcoupesd'orrempliesde
rubisbrillants;illuidonnatoutcela,etceuxquiapportaientcesprésentslescomptaientdevantletrésorierde
Bahman.
Rusteml’accompagnapendantdeuxstationssurlaroute,puisill'envoyaauprèsduroi.LorsqueGuschtaspvitson
petit-fils,deslarmesdesanginondèrentsesjoues;illuidit:TuesunIsfendiar;danslemondeentiertune
ressemblesqu'àlui.Iltrouvaqueleprinceavaitl'espritcalmeetobservateur,etneluidonnaplusd'autrenom
queceluid'Ardeschir.C'étaitunhérospleindeforce,d'ambition,d'intelligence,deconnaissancesetdedévotion.
Quandilsetenaitdebout,lapointedesesdoigtsdescendaitau-dessousdesongenou.Guschtasplemitàl'épreuve
pendantquelquesmois,etnecessaitderegardersahautestature;danslesexercicesdelaplacepublique,dansles
fêtesetdansleschasses,BahmanremportaitlapalmecommeIsfendiarl'avaitremportée.Guschtaspn'avaitjamaisà
exercersapatienceenverslui,etquandcelaarrivait,ilreprenaitsonpouvoirenbuvantduvinaveclui.Ildisait
:Dieumel'adonné,j'étaisaffligé,ilmel'adonnépourmeconsoler.PuisseBahmanvivreéternellement,puisque
j'ai perdu mon noblefils au corps d'airain ;puissentsoncœurêtreheureuxetsacouronnepuissante,soncorps
exemptdedouleursetsonâmelibredetoutmal;puissesonâmenejamaissouffrirdepeine;puisselemonderester
soussesordres!
**************************
AVENTUREDERUSTEMETDESCHEGHAD.
COMMENCEMENTDURECIT.
L'histoired'Isfendiarestterminée;elleesttiréedesrécitsd'hommesvéridiques.Maintenantjevaisraconter
la mortdeRustem,d'aprèsunlivrecontenantlestraditionsdesafamille.IlyavaitunvieillardnomméAzadeh
Serw,quidemeuraitàMerw,chezAhmedfilsdeSahl;ilpossédaitunlivredesroisdanslequelsetrouvaientles
portraitsetlesfiguresdesPehlewans.C'étaitunhommeaucœurpleindesagesse,àlatêteremplied'éloquence,à
lalanguenourried'anciennestraditions;ilfaisaitremontersonorigineàSamfilsdeNeriman,etilsavaitbien
deschosessurlescombatsdeRustem.Jevaismaintenantcontercequejetiensdelui,enfaisantuntissudetoutes
ceshistoires.Sijeresteassezlongtempsdanscettedemeurepassagère,simoncœuretmonintelligencecontinuentà
meguider,jefiniraicevieuxlivre,etcerécitperpétueramonsouvenirdanslemonde.
Aunomdumaîtredumonde,duroiMahmoud,d'Abou'lkasim,quiestlagloiredudiadèmeetdutrône,quiestle
maîtredel'Iran,duTouranetdel’Inde,quiarendulemondebrillantcommeunelamedeRoum,dontlagénérositéa
épuisétouslestrésorsd’or,etdontlesavoiraamassédestrésorsdegloire.C'estunprincepuissant,etlorsque
desannéessansnombreserontpassées,leshommesdesensparlerontencoredelui,desescombats,desesdons,de
sesfêtesetdeseschasses;lemondeestremplidusouvenirdesesactesdejustice;heureuxceluiquivoitsa
couronne,sacouretsonarmée!Mesoreillesetmespiedsmerefusentleurservice,lapauvretéetlesannéesont
emportémaforce;c'estainsiquelafortuneennemiem'aenchaîné,etjesoupiresurmonmalheuretmonâge;mais
jouretnuitj'invoquelesbénédictionsdeDieusurcemaîtredelaterre,cedistributeurdelajustice,etlepays
entiersejointàmoi,sicen'estlesmécréantsetlesméchants;cardepuisqu'ils'estassissurletrônedes
Keïanides,qu'ilafermélaportedelavengeanceetliélamaindumal,ilfaittremblerceuxquicommettentdes
excès,quand même ils les commettent protégés par leur haut rang, et iltraite généreusement ceux qui ont de la
raisonetquinedépassentpaslamesurequileurestassignée.Jeluiélèveraiunmonumentdanslemonde,quinesera
pas oublié tant qu'il y aura des hommes ;c'est ce livre des rois anciens, des grands, des vaillants cavaliers
d'autrefois;celivreremplidefêtesetdecombats,deconseilsetdebellesparoles,d'aventuresanciennes,de
sagesseetdefoi,deconseilsdemodérationetdeprudence,etquipeutservirdeguidepourl'autremonde.Quoique
beaucoupdechosespuissentyplaireauroietluiêtreutilesaujourd'hui,ceserasurtoutcommeunsouvenirdeson
règnequeluiserviracelivre,quiserainséparabledel'histoiredesavie.J'espèrequeleroim'enrécompensera
pardel'or,carjeveuxlaisseraprès,mamortunsouvenirdestrésorsdeceroidesroisquiportaitsihautla
tête.MaintenantjereviensauxparolesdeSerwquibrilledanslamaisondeSahlfilsdeMahan,àMerw.
RUSTEMSERENDÀKABOULPOURAIDERBONFRERESCHEGHAD.
Voicicequeditcevieillard,avidedeconnaissances,pleindetalents,d'éloquenceetdesouvenirs:Zalavait
danslesappartementsdesesfemmesuneesclavequisavaitchanteretjouersurdesinstrumentsdemusique;cette
jeuneesclavemitaumondeunfilstelquelalunedisparaissaitdevantsonéclat;ilressemblaitàSamlecavalier,
destatureetd'aspect,etlafamilleduhérosenfutravie.Desastrologuesetdessavants,deschefsillustresdu
Kaschmir et du Kaboul, des hommes qui exploraientles sciences et adoraient Dieu arrivèrent, leurs tables
astronomiquesindiennesàlamain,etsemirenttousàcalculerlesconstellationspourconnaîtrelesortqueleciel
préparait à cetenfant au beau visage. Mais quand ils virent le résultat étonnantde leurs calculs, ils se
regardèrentl'unl'autreetdirentàZalfilsdeSamlecavalier:Ohéritierd'unefamillefavoritedesastres,nous
noussommesmisàl'œuvreetavonscherchélesecretduciel;maisiln'estpasfavorableàtonfils!Quandcet
enfantaubeauvisageseradevenuhomme,etauraacquisdelabravoureetdelaforce,ildétruiralaracedeSamfils
deNeriman;ildésoleracetrône;ilrempliradediscordetoutleSéistanetbouleverseratoutlepaysd'Iran;les
joursdetousdeviendrontpleinsd'amertume,etiln'yauraqu'unpetitnombredevousquisurvivra.
DestanfilsdeSamfutaffligédecesparoles;ilinvoquaDieu,ledistributeurdelajusticesurlaterre,
disant:Otoiquiesmonguide!lecielquitourneestsouslespieds;entoutechosetuesmonsoutienetmon
asile;tum'enseigneslasagesseetlavraievoie;tuascréélecieletsesastres;puissions-nousespérertout
bonheur;puisse-t-ilnenousarriverquecequenousdésirons,etlereposcequirendheureux!LeSipehbeddonnaà
sonfilslenomdeScheghad;lamèrelegardamêmelorsqu'ilfutsevré,qu'ilfutdevenubeauàravirlecœur,qu'il
parlaitetqu'ilobservaittout;maisquandl'enfanteutgrandi,Zall'envoyaauprèsduroideKaboul.C'étaitun
jeunehommedelatailled'unhautcyprès,uncavaliervaillantetsachantseservirdelamassueetdulacet.Leroi
deKaboulleregardaetvitqu'ilétaitdignedelacouronneetdutrônedesrois;ilseréjouitdesonaspectetlui
donnasafilleàcausedesanaissance.Illuienvoya,avecsafilleillustre,toutcequi,danssongrandtrésor,
étaitdignedelui,etlegardaavecsoin,commeunepommefraîche,pourqu'iln'eûtrienàcraindredesastres.Les
grandsdel'Iranetdel'HindoustanparlaienttousdeRustemetdelaredevanced'unepeaudevachequ'ilexigeait
chaqueannéedupaysdeKaboul.LeprincedeKaboulpensaitqueScheghadétantdevenusongendre,Rustem,lemaîtredu
Zaboulistan, ne parlerait plus de cetteredevance de la valeur d'un dirhem. Mais quand l'époque fut arrivée,les
hommesdeRustemexigèrentlaredevanceetoffensèrentainsitoutlepaysdeKaboul.
Scheghadétaitblessédecequ'avaitfaitsonfrère,maisiln'enparlaà personne,exceptéauroideKaboul,à
quiilditcesecret:Jesuislasdumonde,etjerenonceàtoutedéférencepourmonfrère,puisqu'iln'apashonte
d'agirainsienversmoi.Quem'importequecesoitunfrèreaînéouunétranger,unsageouunfou?Préparonsun
moyendel'amenerdansnosfilets;nousacquerronsdurenomdanslemondeparcehautfaitseconcertèrent,et,dans
leur idée, ilss'élevèrent au-dessus de la lune ; mais, selon la parole du sage,quiconque fait le mal s'en
repentira.
Une nuit, ces deux hommes ne purent trouver dusommeil jusqu'à ce que le soleil se montrât au-dessus de la
montagne,etilsparlèrentdesmoyensdefairedisparaîtredumondelenomdeRustemetderemplirdelarmeslecœur
etlesyeuxdeZal.ScheghadditauroideKaboul:Sinousvoulonsyréussir,prépareunefête;convietousles
grands et fais venir du vin, de lamusique et des chanteurs. Pendant que nous boirons du vin, tu meparleras
froidement,et,aumilieudetondiscours,tum'insulteras;mevoyantmaltraité,jepartiraipourleZaboulistan,je
meplaindraiduroideKabouldevantmonfrèreetdevantmonpère,jediraiquetuesunhommegrossieretdemauvaise
race.Rustemsemettraencolèrepourmoietviendradanscepaysillustre.Tuchoisirasuneréservedechassesurla
routequ'ildoitprendre,ettuyferascreuseretdesfosses;tulesferascreuserassezgrandespourRustem et
Raksch,ettuengarniraslefonddelonguesépées,delancesetdepieuxbrillants,lapointeenhautetlapoignée
enterre.Fais-encreuserplutôtcentquecinq,situveuxquetespeinesfinissent.Amènes-ycentouvriershabiles;
faispréparerlesfosses,etn'enparlepasmêmeàlalune;ensuitecouvreouverturedestrous,etnedisrienà
personnedetoutceci.
Leroipartit;saraisonétaitégarée;ilpréparaunefêtecommecetinsenséleluiavaitconseillé;ilconvia
lesgrands et les petits du Kaboul, il les fit asseoir à des tables bienservies.Quandilseurentdîné,ilsse
formèrentenassemblée;onfitvenirduvinetdeschanteurs,etlorsquelestêtesfurentpleinesdesfuméesdevin
royal,Scheghadselançadansdesdiscoursmalsonnants,disantauroideKaboul:Jesuisd'unrangplushautque
toute cette assemblée, Rustem est mon frèreet Destan est mon père ; qui pourrait se vanter d'un lignage plus
illustre?LeroideKaboulsemitencolèreets'écria:Pourquoimetairais-jedonctoujourssurcesujet?Tun'es
pasdelaracedeSamfilsdeNeriman;tun'espaslefrère,pasmêmelecousindeRustem.JamaisDestanfilsdeSam
n'aparlédetoi;commenttereconnaîtraitdonctonprétendufrère?Tueslefilsd'uneesclave,tuesunserviteur
quiveilleàlaportedupalais,etRoudabehnet'appellerajamaisfrèredeRustem.
LecœurdeScheghadseserraàcesparoles,et,toutindigné,ilpartitpourleZaboulistan.Ilfitlarouteavec
quelquescavaliersdeKaboul,lecœurremplidehaine,leslèvrespleinesdesoupirs;ilarrivaàlacourdesonpère
fortuné, l'âmerempliederuse,latêtepleinedeplansdevengeance.LorsqueZalaperçutlevisagedesonfils,
qu'il vit sa haute stature, son airroyal et ses membresforts il lui adressa beaucoup dequestions et le reçut
tendrement;ensuiteill'envoyaauprèsdeRustem,etlePehlewanseréjouitdesavue,letrouvantintelligentet
d'unespritserein,etluidit:IlnepeutnaîtredelaracedeSam,lelion,quedeshommesfortsetvaillants.
CommentvonttesaffairesavecleroideKaboul?quedit-ildeRustemduZaboulistan?Scheghadluirépondit:Ne
parleplusduroideKaboul;autrefoisilétaitbonpourmoi,etquandilmevoyaitilmebénissait;maismaintenant
ilmecherchequerellequandilboitduvin;ilveutéleversatêteau-dessusdetouteslestêtes,etm'ainsulté
devanttoute la cour en révélant ma naissance inférieure. Il m'a dit :Jusque à quandme parlera-t-on de cette
redevance?Nepouvons-nouspasrésisterauSéistan?JenedonneraiplusàcethommelenomdeRustem;jenesuis
pasaudessousdeluienvaleuretennoblesse.Quantàtoi,tun'espaslefilsdeZal,etsitul’es,aumoinsilne
tecompte pour rien. Mon cœur fut rempli de douleurd'êtretraitéainsi en face des grands, et je suisparti de
Kaboulpâledecolère.Rustem,àcesparoles,éclata,disant:Riennerestejamaiscaché.Net'inquiètepasdelui
nidesonpays;mauditsoitsonpaysetmauditsondiadème!Jeletueraipourcediscours;jeleferaitrembler,
luietlessiens;jeterendraiheureuxenteplaçantsursontrône;j'abaisseraidanslapoussièresafortune.
Rustem garda Scheghad pendant quelques jours, en lecomblantd'honneursetluiassignantun-grandpalais.Il
choisitdesonarméelesplusbraves,ceuxquis'étaientleplusdistinguésdanslesbatailles,etleurordonnadese
prépareràpartiretàmarcherduZaboulistandansleKaboul.Quandl'arméefutprêteetlecœurduPehlewandégagé
detoussoucis,Scheghadvintvoirlehérosetluidit:NepensepasàuneguerrecontreleroideKaboul;carsi
jetraçaisseulementtonnomsurl'eau,toutKaboulperdraitlereposetlesommeil.Quioseraseprésenterpourte
combattre?etsitumarches,quioseral'attendre?Jesuisconvaincuqu'ilserepentdéjà,qu'ilessayedeprévenir
lessuitesdemond’épart,etqu'ilvaenvoyerengrandnombredeschefsillustresdeKaboulpourdemandergrâce.
Rustemdit:C'estnaturel,etjen'aipasbesoind'unearméecontreKaboul.Zewarehetcentcavaliersrenommés,avec
centfantassinsvaillants,mesuffiront.
LEROIDEKABOULFAITCREUSERDESFOSSESDANSLARÉSERVEDECHASSE;RUSTEMETZEWAREHYTOMBENT.
LorsqueScheghadàlamauvaiseétoileeutquittéKaboul,leroipartitàl'instantpourlelieudelachasseavec
leshommesdesonarméelesplushabilesdansl'artdefairedesfosses,etilsencreusèrentpartoutsouslesroutes
danslaréservedechasse,etengarnirentlefondavecdesépieux,deslances,desjavelotsetdesépéesdecombat
dontlapoignéeétaitfixéeenterre.Ensuiteonrenditinvisible,avecbeaucoupd'art,l’ouverturedesfosses,de
manièrequeniunhommenil'œild'unchevalnepouvaientlesdécouvrir.
Rustems'étantmisenroutesansdélai,ScheghadenvoyauncavalierbienmontépourdireauroideKaboulquele
hérosaucorpsd'éléphantpartaitsansarméeetqu'ilfallaitalleràsarencontrepourluidemanderpardon.Leroi
sortitdelaville,lalanguepleinedemiel,lecœurremplidepoison;maisquandsonœilaperçutlafigurede
Rustem,ilmitpiedàterred'aussiloinqu'illevit,ôtadesatêtesonbonnetindienets'avançalatêtenueetles
mainsposéessurlefront;ilôtalesbottinesdesespiedsenpoussantdeslamentationsetenversantdeslarmesde
sang;ilseprosterna,levisagesurlaterrenoire,etdemanda,danséestermes,pardondecequ'ilavaitdit à
Scheghad:Sitonesclaveaétéassezinsensépours'enivreretaétéarrogantdanscetétatdefolie,pardonne-lui
safauteettraite-lecommeautrefois.Ils'approchalespiedsnus,latêtepleinededesseinsdevengeanceetle
cœurremplideruses.Rustemluipardonna,luiaccordadenouveauxhonneurs,luipermitdesecouvrirlatêteetdese
chausserlespieds,demonteràchevaletdesemettreenroute.
Or,ilyavaitenfacedelavilledeKaboulunlieudontlaverdureravissaitlesâmes;onyvoyaitdel'eauet
desarbres,etl'ons'yarrêtaitpartoutjoyeusement.Leroiyfitporterbeaucoupdevivresetfitarrangerune
belle salle de festin; il envoya chercher du vin, appela des musiciens et fit asseoir lesprinces sur un trône
royal.
LeroiditàRustem:Quandtuaurasenviedechasser,jepossèdeunlieuoùlesbêtesfauveserrentpartouten
troupeaux,danslaplaineetdanslamontagne.Lamontagneestrempliedebélierssauvages,laplaineestcouverte
d'onagres,etquiconqueaunchevalrapideestsûrdeprendreencetteplainedesonagresetdesbiches.Ilnefaut
paspassersansvisitercelieuravissant.
CesparolesagitèrentRustem,parl'attraitdecetteplainerempliederuisseaux,debichesetd’onagres;car
cequiestdestinéàamenerlafind'unhommeagitetoujourssoncœuretpervertitsonjugement.Telleestl'action
decemondechangeant;ilnenousdévoilejamaissonsecret.Lecrocodiledanslamer,leléoparddansledésert,le
vaillantlionauxgriffesaiguës,lamoucheetlafourmisontégalementsouslamaindelamort,etpersonnenepeut
resterdanscemonde.
RustemfitsellerRakschetcouvrirlaplained'éperviersetdefaucons;ilplaçasonarcroyaldansl'étui;
Scheghadsemitàcouriràcôtédelut,etZewarehavecquelqueshommesdecetteillustreassembléeaccompagnèrentle
héros au corpsd'éléphant. Pendant la chasse, l'escortede Rustem sedispersa, les uns courant sur les parties
minées, les autres sur lesparties fermes du terrain ; et Zewareh et Tehemten se trouvèrent,par l'influence du
destin,surunerouteoùilyavaitdesfosses.Rakschflairaitcesolnouvellementremuéetseramassaitcommeune
boule;ilsecabrait ,ilavaitpeurdel'odeurdecetteterreetbattaitlesoldesessabots.Ilavançasurcette
routedemanièreàseplacerentredeuxfosses.Rustems'obstinaàfaireavancerRaksch,ledestinl'aveuglaetilse
mitencolère,levasonfouetetentouchalégèrementRaksch:l'animalterrifiérepritsonélan;ilétaitresserré
entredeuxfossesetilcherchaàéchapperàlagriffedusort;maisiltombaavecdeuxdesespiedsdansunedes
trappes,oùiln'yavaitpasmoyendereteniretdesedébattre.Lefonddutrouétaitpleindejavelotsetd'épées
tranchantes, la bravoure n'y servait à rien et la fuite étaitimpossible. Les flancs du vaillant Raksch étaient
déchirés, lapoitrine et les jambes du puissant Pehlewan étaient percées.Néanmoins, à force de courage, Rustem
dégageasoncorps,etlehérosremontadufondsurleborddelafosse.
RUSTEMTUESCHEGHADETMEURT.
LorsqueRustem,malgrésesblessures,ouvritlesyeux,ilvitlevisagemalveillantdeScheghadetsentitque
cetteruseetceplanvenaientdeluietqueScheghad,lefourbe,étaitsonennemi.Illuidit:Ohommeviletàla
mauvaisefortune,c'estpartonfaitquecepaysheureuxdevientundésert.Tuterepentirasdececi,lessuitesde
toncrimeteferonttrembler,ettun'arriveraspasàlavieillesse.LemisérableScheghadluirépondit:Lecielqui
atournéafaitjusticedetoi;pourquoias-tupendantsilongtempsversédusangdansl'Iran,dévastéetattaqué
touslespays?Lemomentdetafinestprochain,ettupérirasdelamaindesAhrimans.Danscemomentleroide
Kaboularrivadudésertdanslelieudelachasse,ilvitlehérosaucorpsd'éléphantsigrièvementblessé,ilvit
que sesblessuresn'étaientpaspanséesetluidit: O chef illustre de l'armée, que t'est-ilarrivé dans cette
réservedechasse?Jevaispartirentoutehâteetmenerquelquesmédecins,enversantdeslarmesdesangsurfîtes
douleurs;j'espèrequetesblessuresseguérirontetquejen'auraiplusàinondermesjouesdelarmesdesang.
Tehemtenluirépondit: Ohommeruséetdemauvaiserace!letempsdesmédecinsestpassépourmoi,maisne
versepasdelarmesdesangsurmamort.Silongtempsqu'onvive,onfinitparmourir,etlarotationducielatteint
toutcequiavie.JenesuispasunhommeplusglorieuxqueDjamschid,quiaétésciéendeuxparPeiverasp, que
FeridounetKeïkobad,cesgrandsroisdenaissanceillustre:etlorsqueletempsdeSiawoschétaitvenu,Gueroui
Zerehluiacoupélagorgeavecsonpoignard:Ilsétaienttousroisdel'Iran,ilsétaientdeslionsvaillantsdans
lecombat,maisilssontpartisetnousleuravonssurvécu,noussommesrestéssurlaroutecommedeslionsterribles
;Faramourzmonfils,lajoiedemesyeux,viendraettedemanderacomptedemamort?
EnsuiteilsetournaverslevilScheghad,disant:Puisquecemalheurm'aatteint,tiremonarcdesonétuiet
nemerefusepascetteprière.Bandel’arc,etplace-ledevantmoiavecdeuxflèches,carilnefautpasqu'unlion,
rodantpourcherchersaproie,mevoieetmefassedumal;monarcmepourraitalorsservir.Sijepuiséviterd'être
déchiréencoreenvieparunlion,montempsviendraetjemecoucheraidanslapoussière.Scheghadallatirerl'arc
del'étui,lebanda,letenditunefoispourl’éprouver,et,toutjoyeuxdelamortprochainedesonfrère,leplaça
ensouriantdevantTehemten.Celui-cisaisitl’arcavecforce,maisensetordantsousladouleurdesesblessures.
Scheghadeutpeurdesesflèchesetcourutsefaireunbouclierd'unarbre.Iltrouvadevantluiunplatanesurlequel
avaientpassébiendesannées;ilétaitcreuxendedans,maisilportaitencoredesfeuilles,etScheghad,àl’âme
impure,secachaderrièrecetarbre.Rustemlevit,levalebras,et,toutblesséqu'ilétait,lâchalaflèche,qui
cousitensemblel'arbreetScheghadcequiremplitdejoielecœurduhérosmourant.Scheghadpoussauncrilorsqu'il
futblessé,maisTehemtenluiavaitlaissépeudetempspoursentirladouleur.EnsuiteRustemdit:Grâcessoient
renduesàDieu,quependanttoutemaviej'aicherchéàconnaître,decequ'ilm'adonnélaforcedemevengermoi-
mêmedecetraître,avantmamort,etpendantquemavietrembledéjàsurmeslèvres,etavantquedeuxnuitsaient
passésurcettevengeance!Ildit,etsonâmequittasoncorpspendantquetoutel’assembléeversaitdeslarmesde
douleur.Zewarehmourutdansuneautrefosse,ettoussescavaliers,grandsetpetits,périrent.
ZALAPPRENDLAMORTDERUSTEM;FARAMOURZAPPORTELECERCUEILDESONPEREETLEPLACEDANSUNTOMBEAU.
Un seul de ces cavaliers illustres s'échappa,marchant tantôt à pied, tantôt à cheval ; arrivé dans le
Zaboulistan, il raconta que le terrible éléphant gisait dans lapoussière, avec Zewareh et tout son cortège, et
qu'aucun descavaliersn'avaitéchappéaux.embûchesdel'ennemi.Unimmensecris'élevaduZaboulistancontreles
ennemis deRustem et le roide Kaboul ; Zal versa de la poussière sur ses bras, et se déchira levisage et la
poitrine,s'écriant:Hélas!ôhérosaucorpsd'éléphant!jevoudraisquemoncorpsnefûtpluscouvertquedu
linceul.Ettoiquiportaishautlatête,ôvaillantdragon,ôZewareh,quifusunlionpleindegloire!Scheghad,
le maudit,l'infâme, a déraciné cet arbre royal. Qui aurait pensé qu'un vilrenard pût méditer dans ce pays une
vengeancecontreunéléphant?Quiserappelleunpareilcoupdudestin,quioseraitlecroire,sisonmaîtrelui
racontaitquelesparolesd'unrenardontfaitdisparaîtredecetteterresombreunlioncommeRustem?Pourquoine
suis-jepasmortmisérablementavanteux?Pourquoisuis-jerestédanslemondeunsouvenirdemesfils?Àquoime
serventlavieetsesjouissances,àquoilanourriture,lereposetlerenom?Ohéros,ôvainqueurdeslions,ô
brave,ôprince,ôvaillantconquérantdumonde,ômaîtredupays!
Ilenvoyaàl'instantFaramourzavecunearméepourattaquerleroi,tirerdesfosseslescorpsdesmortset
infligeraumondedesmotifsdeselamenter.LorsqueFaramourzarrivadevantKaboul,ilnetrouvadanslavilleaucun
desgrands:touss'étaientenfuis,lavilleétaitdéserte;ilsétaientterrifiésdelamortduvainqueurdumonde.
Faramourz se rendit à la plaine où Rustem avait chassé, dansl’endroit où l’on avait creusé les fosses. Il fit
apporterunlitdereposetplacerdessuscebelarbreroyal;ildéfitlaceintureduPehlewanetluiôtasatunique
deroi.Onlavalemortdansdel'eauchaude,onluilavadoucementlapoitrine,lesbras,labarbeetlecorps,on
brûladevantluidel'ambregrisetdusafran,oncousitsesblessures.Faramourzversadel'eauderosesurlatête
deRustemetrépanditsursoncorpsducamphrepur;onl'enveloppadansdudrapd'or,onapportadesroses,dumusc
etdu vin ; l'homme qui cousait le linceul versait des larmes de sang,en peignant cette barbe blanche comme le
camphre.
Lecorpsdépassait lalongueurdedeuxlits;était-celecorpsd'unhomme,ouunarbrequirépandaitdel'ombre
? On fit un beau cercueil en bois de teck,orné de clous d'or et de figures en ivoire ; on enduisit toutes les
jointures avec du bitume, qu'on recouvrit de musc et d'ambre. Ensuite on tira d'unefosseZewareh, le frère de
Rustem,oncousittoutessesblessures,onlelavaetonluifitunlinceuldebrocart;puisoncherchauntroncde
grenadier,d'habilescharpentierspartirentetentirèrentdegrandesplanchespouruncercueil,etFaramourzversa
dumusc,ducamphreetdel'eauderosesurZewarehdanssadernièredemeure.AlorsonrelevalecorpsdeRaksch,on
lelava,onlecouvritd'étoffes;onemployadeuxjoursàcetravail;enfinonchargealecorpsdeRakschsurun
éléphant.
DepuisKabouljusqu'auZaboulistanlemondeétaitcommebouleversé;onnevoyaitquefemmesethommessetenant
debout,etpasunêtrevivantn'auraitplustrouvéuneplace.Onsepassaitdemainenmainlesdeuxcercueils;le
nombredeceuxquilessoutenaientlesfaisaitparaîtrelégerscommel'air;etc'estainsiqu'ilsfurentportésà
Zaboul dans un jour et une nuit,sans avoir été un instant posés à terre. Le monde entier étaitrempli de
lamentationssurRustem;onauraitditquelaplaineétaitenébullition,touteslesvoixseperdaientdanscebruit
immense,touslespaysn'entendaientquedescrisdedouleur.OnpréparadanslejardindeZal untombeaudonton
élevalesommetjusqu'auxnuages,etl'onyplaçadeuxtrônesd'or,l'unàcôtédel'autre;c'estlàqu'étaitle
lieudereposduhérosdontlafortuneavaitétésigrande.
Toussesserviteurs,qu'ilsfussentdeshommeslibresoudesesclavesaucœurpur,tousfirentunmélangedemusc
etdeterre,lerépandirentsurlespiedsduhérosaucorpsd'éléphant,ets'écrièrent:Omaîtreillustre,pourquoi
veux-tudumuscetdel'ambrecommeoffrande,pourquoineprends-tuplustaplaceàl'heuredubanquet,pourquoine
revêts-tuplustacuirasseenpeaudeléopardaujourducombat,pourquoinedistribues-tuplusdestrésorsd'or?On
diraitquetuméprisestoutcela.Soismaintenantheureuxdanslegaiparadis,carDieut'avaitpétridejusticeetde
bravoure.Ensuiteilsfermèrentlaportedutombeauetpartirent,etlehérosquiavaitlevésihautlatêtedisparut
dumonde.,Quepeux-tudemanderàceséjourpassager,quicommencepardesjouissancesetfinitpardespeines?Tu
serasétendudanslapoussière,quandmêmetuseraisdefer,etquetuseraisunsectateurdelavraiefoiouun
Ahriman.Pendantquetuvis,tendsverslebien,dansl'espoird'obtenirainsil'objetdetesdésirsdansl'autre
monde.
FARAMOURZMARCHEAVECUNEARMEEPOURVENGERRUSTEM,ETMETÀMORTLEROIDEKABOUL.
Faramourz,ayantaccompliledeuildesonpère,fitsortirunearméedanslaplaine;ilouvritlepalaisdu
héros aucorpsd'éléphantetéquipasestroupesaveclesarmesquesonpèreavaitaccumulées.Degrand matin les
trompettes,lestimbalesd'airainetlesclochettesindiennessefirententendre,etilconduisitduZaboulistanvers
Kaboulunearméetellequelesoleildisparutdumonde.LeroideKabouleutdesnouvellesdel'approchedestroupes
duZaboulistan,etrassemblasonarméedispersée;laterresecouvritdeferetl'airs'assombritFaramourzetses
troupess'avancèrent,lesoleiletlalunepâlirent,etquandlesdeuxarméesfurentenprésence,lemondeseremplit
debruitsguerriers;lamassedeschevauxetlapoussièrenoirequ'ilssoulevaientétaienttellesqueleslions
s'égaraientdanslaforêt;ungrandventamenadesnuagessombres,etl'onnedistinguaitpluslecieldelaterre.
Faramourzsortitdesrangsdesonarmée,ilnedétournapassesyeuxduroi,etlorsquelestimbalesrésonnèrent
desdeuxcôtésetquelescœursdesbravesdevinrentinquiets,ilsejetarapidementsurlecentredesennemisavec
unetroupepeunombreuse:lemondefutobscurciparlapoussièrequefaisaientleverlescavaliers,etleroide
Kaboul devint prisonnier. Toute sapuissante armée se dispersa ; les braves de l'Iran, semblables à desloups,
l'accablèrentdetouscôtésetlapoursuivirent;ilstuèrenttantdehérosindiens,tantdevaillantsetillustres
hommesduSind,quelaterreduchampdebataillefuttrempéedeleursang,quel'arméeduSindsedébanda,queles
Indiensfurentdéfaits,qu'ilsrenoncèrentàdéfendreleurpaysetleursmaisons,etabandonnèrentleursfemmeset
leursenfants.
Faramourz fit jeter le roi de Kaboul, tout couvert desang, dans une tour que portait un éléphant, et le
conduisitsurlelieudelachasse,àunendroitouilavaitfaitcreuserunedesesfosses;ilyconduisitson
ennemi,lesmainsenchaînéesetaccompagnédequarantedesesparents,adorateursdesidoles.Ilfitenleverdudos
duroiunelanièredechair,demanièreàlaisserànusesos,etleprécipita,latêteenbas,danslafosse,le
corpscouvertdepoussière,laboucherempliedesang.Ilfitbrûlersesquaranteparents,ensuiteilallaauprèsdu
corps de Scheghad, alluma un feuhaut comme use montagne, brûla Scheghad, le platane et la terrealentour, et
lorsqu'ils'enretournadansleZaboulistanavecsonarmée, il emporta les cendresdeScheghad pour lesdonner à
Destan.
Ayantainsimisàmortleprinceinjuste,Faramourznommaquelqu'unroideKaboul,etnelaissadanslepays
aucunmembre de l'ancienne famille qui ne reconnût l'investiture écriteavec son épée. Il quitta Kaboul, le cœur
blessé et navré, et le jourbrillant était obscurci devant ses yeux ; tout le Zaboulistan et lepays de Bost
poussaientdescris;personnen'avaitsurlecorpsunvêtementintact;ilsallèrentàsarencontre,lapoitrine
déchiréeetfondantenlarmes.
LAPERTEDESONFILSRENDFOLLEROUDABEH.
Tout le pays de Séistan porta le deuil deRustem pendant une année, et tous les vêtements étaient noirs et
bleus.UnjourRoudabehditàZal:TémoignedonctondeuildelapertedeTehemten.Depuisquelesoleiléclairele
monde,iln'yapaseudejourplustristequecelui-ci.Zalluirépondit:Ofemmedepeudesens!sijejeûnais,
l'angoissedelafaimseraitpluspoignantequeledeuil.Roudabehs'emportaetprononçaunserment,disant:Jene
prendraiplusdésormaisnireposninourriture,dansl'espoirquemonâmeretrouveraaumilieudecetteassemblée
l'âmeduhérosaucorpsd'éléphant.
Pendantseptjourselles'abstintdemanger,communiquantdanssoncœurensecretavecl'âmedeRustem;elle
jeûnatantquesesyeuxsetroublèrent,quesoncœurvaillantdéfaillit.Partoutoùelleallaitquelquesesclavesla
suivaient,depeurqu'ellenesefitdumal;àlafindelasemainesaraisons'égara,et,danssafolie,ellesefit
unefêtedesadouleur.Elleallaàlacuisinependantquelemondeformait,etvitdansl’eauunserpentmort;elle
étenditlamain,saisit,toutetremblante,leserpentparlatête,etfutsurlepointdelemanger.Uneesclave
l'arrachadelamaindecelle-cietserralatêtedeRoudabehcontresonsein;ellel'entraînadecelieuimpuretla
conduisitàsonappartementdanslepalais;onlafitasseoiràsaplace,onapportaunetable,onpréparadesmets,
etellemangeadetoutjusqu'àcequ'ellefutrassasiée;ensuiteonétenditdesétoffesmoelleusessouselle,et
elledormitetsereposadeseschagrinsetdesafatigue,desondeuiletdessoucisqueluidonnaientsestrésors.A
sonréveil,elledemandaencoredelanourriture,etonluiapportadesmetsdetouteespèce.
Lorsqu'ellefutrevenueàlaraison,elleditàZal:Tesparolesétaientconformesàlavérité.Quandonest
privédenourritureetdesommeil,onconfondledeuildesmortsaveclesfêtesetlesfestins.Ilnousaquittéset
nous le suivrons : ayonsconfiance dans la justice de Dieu. Elle donna aux pauvres tous sestrésors cachés, et
adressaauCréateurcetteprière:Otoi qui esau-dessusdetoutegloireetdetoutedignité,purifiel'ainede
Rustemdetoutpéché,dansl'autremondedonne-luiuneplacedanstonparadis,fais-lejouirdesfruitsdecequ'ila
seméici!
GUSCHTASPABANDONNELETRONEÀBAHMAN.
MaintenantquelaviedeTehemtenestterminée,jevaisraconterd'autreshistoires.Guschtaspsentitquesa
fortunes'assombrissait, il fit appeler Djamasp devant son trône, et lui dit: La mort d'Isfendiar a tellement
attristé mes jours que je ne jouis pas de la vie un seul instant, et l'étoile quime poursuit me remplit de
tristesse.Bahmanvaêtreroiaprèsmoi,etBeschoutenserasonconfident.Nerefusezpasd'obéiràsesordres,ne
vous écartez pas de la fidélité que vous lui devez ;servez-lui de guide, car il est digne du trône et de la
couronne.
IlremitàBahmanlaclefdesestrésors,etluiditensoupirantamèrement:Monœuvreestterminée;leflota
montéau-dessus de ma tête ; je suis resté sur le trône cent vingt ans, jen'ai pas vu mon égal dans le monde.
Maintenantfaisdeseffortsetsoisjuste,carenagissantselonlajusticetuseraslibredechagrins.Honoreles
sagesettiens-lesauprèsdetoi,rendslemondenoirdevantlesméchants;agistoujoursavecdroiture,cardevant
elledisparaissentlaperversitéetlemensonge.Jetedonneletrône,lediadèmeetletrésor:j'enailongtemps
supportélessoucisetlesfatigues.
Ildit, et la vie le quitta ; tout son passé cessa de porter fruit. Onlui construisit un cercueil en bois
d'ébèneetenivoire,onsuspenditunecouronneau-dessusdesontrône.Ilavaitbeaucoupjouietbeaucoupsouffert,
ilavaitétéabreuvédepoisonaprèsavoiréténourridemieletdethériaque.Sitelleestlavie,oùenestlajoie
?Aprèslamort,lepauvreestl’égalduroi.Jouisdecequetuassemé,etnet’adonnepasaumal;prêtel'oreille
auxparolesdusage.Noscompagnonsnousontdevancés,etnoussommesrestésetavonsracontébeaucoupd'anciennes
histoires.Celuiquiamarchéestarrivéàlastation,celuiquiacherchélebienatrouvélebonheur.Puisses-tune
rencontrerquelabonnefortune,situécouteslesparolesduvieuxsage!
Maintenantjevaism'occuperdel'histoiredeBahman,ettournermonespritverslesageBeschouten.
FINDUTOMEQUATRIÈME.
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