orson welles citizen kane
TRANSCRIPT
Rachel Lisbona Martin
Programação Cinematográfica
Analises do filme Citizen Kane
12/06/2012
Index :
Introduction……………………………………………………………………………….………… 3
Le directeur : Orson Welles……………………………………………………….……………3
Citizen Kane -le film-……………………………………………………………………………….4
Le film et ses séquences clés………………………………………………………………….11
« Rosebud »: l’irrélevante vérité………………………..…………………………………..15
Conclusions……………………………………………………………………………………………18
Bibliographie……………………………………………………………………………..…………..21
Webgraphie…………………………………………………………………………………………..22
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Introduction
L’article présenté ici est motivé par l’analyse approfondie d’un film dans le cadre du
programme cinématographique en relations aux thèmes « Cinéma, Esprit, conscience et
émotions ». L’étude se basera sur l’analyse en termes de forme et de sens du film d’Orson
Welles réalisé en 1941 et intitulé Citizen Kane.
Une bonne partie des théories à propos de l'analyse du cinéma dérivent directement,
des études littéraires, ou bien de la discipline psychanalyste ou même de la sociologie et de
l'anthropologie, les différents sujets qui s’y rattachent étant toujours liés à l'homme et la
société. Plusieurs thèmes seront ici abordés autant aux niveaux techniques qu’au niveau du
scénario, mais nous chercherons surtout à approfondir autour du concept de vérité et de la
possibilité de connaître l’homme à travers du langage.
La conversation que crée le cinéma est, en effet, selon Welles et Rossellini « la
communication par excellence : non seulement un instrument privilégié de culture et
d’éducation mais un style de vie » mais jusqu’où peut dériver cette conversation et comment
peut-elle être manipulée et interprétée ?
Le directeur : Orson Welles
Orson Welles, né le 6 mai 1915 à Kenosha dans le Wisconsin et mort le 10 octobre
1985 à Hollywood, Los Angeles en Californie, est un réalisateur, acteur, romancier, producteur
et scénariste américain. Parfois crédité sous les noms de O.W. Jeeves ou G.O. Spelvin, il est
sans aucun doute une figure incontournable du cinéma principalement grâce à son premier
film, Citizen Kane, considéré, dans plusieurs classements établis par l'Institut
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Cinématographique Américain, comme le plus grand film de l'histoire du cinéma américain.
Orson Welles a également laissé sa trace en tant qu'acteur dans près d'une centaine de films. Il
a exercé une grande influence sur différents réalisateurs, en particulier sur Stanley Kubrick
dont il se sentait artistiquement très proche. Artiste précoce, il s'est pris de passion pour
Shakespeare très jeune ainsi que pour Montaigne, et a également laissé sa marque à la radio
avec ses adaptations d'œuvres littéraires, plus particulièrement celle de « La Guerre des
mondes » de, Herbert George Wells le 30 octobre 1938, dont le réalisme de l'interprétation et
de la réalisation persuadèrent une partie de l'Amérique d'une invasion en direct par les
Martiens. C’est après avoir écouté cette performance que des producteurs lui proposèrent la
direction du film Citizen Kane.
Malgré l'énorme campagne de dénigrement orchestrée par Hearst (une des figure
dont le film s’est librement inspiré) , le film sort dans des salles le 1er mai de 1941. Le succès
auprès de la critique est unanime : le film de Welles est une révolution en matière de
technique cinématographique, de structure du récit, de montage, de décoration, de
maquillage, de mouvements de caméra et d'impact des images. Mais le public ne suit pas. Le
succès commercial se fera bien après sa sortie.
Orson Welles, qui à l’époque ne savait rien de cinéma, visionna une trentaine de fois
“La Diligence” de Ford avant de commencer son fameux projet audiovisuel. Welles lui-même
disait, que ce succès fut pure chance et hasard mais tout le génie de son travail et les riches
nuances d’interprétations de son œuvre feront parler nombre de spécialistes dont la majorité
accordera que Citizen Kane est sans aucun doute un des meilleurs films de l’histoire du cinéma.
Citizen Kane -le film-
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Citizen Kane raconte l’enquête entreprise par un journaliste nommé Thompson pour
découvrir le sens des dernières paroles (« Rosebud ») de Charles Foster Kane, grand magnat de
la presse américaine. Tout semble partir de la prémisse selon laquelle, les dernières paroles
d’un homme peuvent et doivent pouvoir expliquer sa vie. Cette quête de réponse et de vérité,
ce désir d’analyser la vie d’un homme à travers le discours des autres seront les principaux
aspects étudiés dans cet article. En effet, l’enquête de Thompson le conduira auprès de cinq
personnes différentes, toutes présentes d’une manière ou d’une autre dans la vie du
personnage principal. Cinq récits différents seront alors racontés, chacun très partial, de telle
sorte que la vérité sur Kane ne pourra être ni déduite, ni comprise, comme ne peut surement
l’être d’ailleurs, et nous le développerons par la suite, aucune vérité dans ce monde.
“C’est l’acte qui m’intéresse pas le résultat, et ce résultat ne me satisfait pas si en lui je
ne peux palper la sueur humaine ou une pensée » Orson Welles. Citizen Kane es ainsi l’histoire
d’une quête sans fin qui révèle le pire et le meilleur de l’homme sans jamais arriver à le
comprendre.
Citizen Kane fut une révolution de l’époque dû principalement à ses caractéristiques
techniques comme l’utilisation innovatrice de la profondeur de champs, les effets créés par la
caméra, les points de vu piqués par exemple aux moments de l’entré en scène de certains
personnages depuis le toit traduisent une étrange et profonde immersion dans la vie privée
des personnages.
Selon l'analyse de Bazin, la profondeur de champ et la notion de plan
séquence provoquent un emploi réaliste, global, synthétique et totalisant, de l'espace
cinématographique. Welles enfermerait ainsi la réalité dans un cadre dont la rigidité,
l'artificialité et le caractère contraignant et figé correspondrait aux sentiments qui s'imposent
aux personnages.
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Un autre aspect très présent et spécialement innovateur dans le film est le concept de la
structure narrative, appuyée sur une succession de flashbacks et d’ellipses. En effet en l’espace
de cent vingt minutes on « accède » à la vie entière de Kane. Il ne s’agit donc pas d’un récit
linéaire (qui raconterait, comme dans la séquence d’actualités, la vie de Kane
chronologiquement) ; au contraire, on commence par la mort du héros et c’est par le
morcèlement des avancées et hasards de l’enquête que les fragments de la vie de Kane
pourront être assemblés, comme les pièces d’un puzzle (motif essentiel du film). En effet,
chaque protagoniste rencontré par l’enquêteur donne lieu à un flashback qui révèle une partie
du parcours de Kane. Le film fonctionne donc sur une succession de récits enchâssés où
chaque narrateur révèle un fragment de la personnalité et de la vie de Kane. La temporalité
ainsi retravaillée montre les personnages vieux avant d’être jeunes ; occasionne des
répétitions, des ellipses, des recoupements, etc. Au final, c’est au spectateur de reconstruire
l’ordre de l’histoire. Ce sont donc ces formes de multiplicités d’incohésion, ce labyrinthe sans
centre en quelque sorte qui caractérisent le plus ce film.
Deleuze dit à ce propos: “Es la inversión que hace no ya del tiempo la medida del
movimiento, sino del movimiento la perspectiva del tiempo: constituye todo un cine del
tiempo, con una nueva concepción y nuevas formas de montaje”.
DELEUZE, Gilles. L'image-temps. Cinéma 2. Paris: Les éditions de Minuit (coll. « Critique »), 1985.
Gilles Deleuze situe l’arrivée de ce concept d’image-temps après la Seconde Guerre
mondiale : on ne croit plus à ce principe d’action-réaction. La guerre est une action complexe
qui nous dépasse, il n’est pas possible de réagir, de modifier la situation, de la rendre claire.
D’où l’apparition de l’image-temps avec le Néo-réalisme italien, puis la Nouvelle Vague
française, et la remise en cause du cinéma hollywoodien aux États-Unis avec Citizen Kane.
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C’est la première fois qu’apparait au cinéma cette idée d’image-temps direct, non pas
à travers d’aspects du présent (même si il est impliqué) mais au contraire sous forme de
couche du passé. Il n’y a plus de dépendance vis-à-vis du mouvement, la temporalité se
montre par elle-même à travers de la coexistence de « régions » que le spectateur doit
explorer. Même si la structure du film peut paraître simple : Kane meurt et les témoins
interrogés vont évoquer ses « images-souvenirs » dans une série de flash backs subjectives ; la
tâche entrepris par Welles es beaucoup plus complexes et entremêle de grands procédés
cinématographiques et surtout une grande énigme qui maintient le spectateur alerte tout au
long du film. Chaque région du passé suit une chronologie qui est celle des anciens présents
auxquels la région se réfère, ce qui peut paraitre parfois un peu perturbateur mais tout est en
relation et chacune de ces régions contient une partie de la vie de Kane avec leurs différents
aspects.
Tout comme les travellings de Resnais, la profondeur de champ de Welles opèrent une
temporalisation de l'image ou forment une image - temps directe, qui satisfait le principe :
l'image cinématographique n'est jamais au présent, seulement dans les mauvais films. "Plus
que d'un mouvement physique, il s'agit surtout d'un déplacement du temps", nous
reviendront sur ces notions vers la fin de notre analyse.
Une scène qui montre très bien ce type de procédé, cet astucieux montage, est la
séquence des petits déjeuners avec Emily. Les transitions entre les plans des petits-déjeuners
se font par des panoramiques filés et traduisent une détérioration de la relation du couple. Ces
séquences permettent donc de scénifier le passage du temps. Ce principe se traduit
également, dans le film, par un travail du maquillage et du jeu d’acteur qui permet de vieillir
les personnages et donner ainsi un indice visuel des changements temporels du film.
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Pour ce qui est du scénario, le but de l’enquête et on le comprend dès le début, est de
percer, à travers le mystère de « Rosebud », le mystère du personnage : ses pensées, regrets,
sentiments… tout ce qui puisse permettre, d’une certaine manière, d’expliquer le personnage.
Ainsi l’accès à l’intériorité du héros (qui, au cinéma, est bien souvent offert au spectateur par
des procédés tels que la voix over) est l’enjeu même du film. Cela est exploré par un
traitement complexe de la focalisation, avec des flashbacks qui passent par une focalisation
interne multiple et un héros et un enquêteur qui semblent répondre à une focalisation
externe, etc.
Orson Welles fut aussi l’un des premier a fusionné l'art de raconter des histoires (fiction)
avec le genre documentaire. La modernité se transmet aussi par ce mélange entre fiction et
documentaire. Le début du film se présente comme une métafiction actualisée avec la caméra
comme instance narrative à partir de la transgression d’une interdiction (No trespassing). S’en
suit une séquence documentaire condensée (matériel d’archive, cinéma directe, vérification
journalistique, sources officielles) qui représente une synthèse des différentes perspectives à
propos de Kane. Et bien sûr l’énigme central de « Rosebud », une intrigue de prédestination
ironique puisque c’est une énigme qui ne se résout, ni pourrait se résoudre.
Chaque personnage, chaque perspective représente clairement différents moments de
la vie de Kane mais aussi différentes vérités et style de narrations. La scène de Thatcher sur
laquelle je reviendrais à continuation, se présenta comme une comédie interrompue, la
musique joyeuse du début qui représente l’enfance et la gaité s’interrompt avec la boule de
neige pour devenir une scène dramatique symbole de la fin de l’enfance de Kane, clé
psicoanalitique peut être de grande partie du film. Les scènes avec Susan sont, elles, beaucoup
plus noires et mélodramatiques et même tragiques dans leur ensemble, c’est la chute
personnelle de Kane au niveau sentimental et son impossibilité de la comprendre (même leur
rencontre de nuit, sous la pluie, démontre de certaine manière que leur relation était
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prédestinée à terminer mal). Leland lui semble nous montrer la défaite de Kane, autant sur un
plan personnel, que politique ou professionnel. Pour finir, le majordome de Kane nous
présente un homme excentrique, énigmatique et infiniment solitaire.
Thompson, l’enquêteur entrelace tous ces témoignages et nous offre cette profonde
réflexion sur les limites de cette fiction et de la connaissance qu’on peut avoir sur une autre
personne. Toute connaissance est ainsi définie comme partielle.
Selon certains, Kane n’aimait que sa mère, selon d’autres, il n’aimait que son journal,
que sa deuxième femme, que lui-même. Peut-être les aimait-il tous, peut-être n’en aimait-il
aucun. Le public est ici le seul juge. Kane était à la fois égoïste et désintéressé, c’était à la fois
un idéaliste et un escroc, un très grand homme et un individu médiocre et il présente ainsi des
identités multiples.
Tout dépend de celui qui en parle et de là l’importance de la perspective dans les films
d’Orson Welles. Kane ici, « n’est jamais vu à travers un œil objectif. Le but du film réside
d’ailleurs plus dans la présentation du problème que dans sa solution. »
Orson Welles, cité par André Bazin, Orson Welles, Paris : Cerf, 1972 [1950], pp. 45-47.
Kane fut qualifié tantôt de communiste, tantôt de fasciste mais lui se disait simplement
américain. De 1895 à 1941, il adopta toutes les positions politiques, fut tour à tour aimé et haï.
Le parcours de Kane (qui meurt en 1941) peut être ainsi envisagé comme un reflet de l’histoire
de l’Amérique, amplement représentée dans le film. Le personnage lui-même ne cesse
d’ailleurs de répéter: « I am, have been and will be only one thing – an American ». Soupçonné
tantôt de communisme, tantôt de fascisme, il est avant tout l’emblème de la société capitaliste
américaine telle qu’elle se développe au début du XXe siècle. La séquence sans doute la plus
exemplaire à cet égard est celle qui met en scène, après la défaite électorale de Kane, cette
réplique de son « ami » Leland, qui s’adresse à lui comme à une incarnation de l’Amérique
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capitaliste : « Tu parles des gens comme s’ils t’appartenaient. Tu parles toujours de leur
donner des droits, comme si tu pouvais leur offrir la liberté en récompense de leurs services.
Or sais-tu ce que font les travailleurs à présent ? Ils s’organisent. Ça ne va pas te faire plaisir
lorsque tu découvriras que tes travailleurs revendiquent, non pas tes récompenses, mais leurs
droits. »
Cette multiplicité de personnage est une autre possible responsable du manque de
succès commercial de l'époque. En effet, les gens avaient besoin de s’identifier à des héros
plus ou moins stéréotypés qu’ils pouvaient aimer ou détester. Kane était trop complexe et
distant, et son âme était trop sombre et curieuse pour pouvoir être comprise et prise
d’empathie. Le personnage de Kane, n'est pas facilement condamnable, le film d'Orson Welles
n'irait pas au-delà d'un film de cinéma noir, de bons et de mauvais ou d’un mélodrame, mais
cette ambivalence qui se crée dans l’esprit du spectateur convertit ce film en tragédie. Il y a
une claire tension entre la grandeur de ce héros et la moralité qui se cache derrière, aspect qui
nous parait de nos jours du plus intéressant et complexe.
Cette même relation de moralité peut se trouver dans le film d’Hitchcock, A Corda, où
se reproduit le schéma classique et dramatique entre le héros chargé de transcendance moral
excessive et autodestructive qui est objet de vénération et respect d’un autre homme inférieur
comme la relation maintenu entre Kane et Leland.
Tout le film de Welles est précisément une réflexion morale. Sans elle l’action perdrait
son sens et il faut savoir que toute l’œuvre de Welles est une introspection sur l’identité.
Comme dans « El Quijote » de Cervantes, comparable à ce film parce qu’ils marquent de
nouveaux horizons, comme le perspectivisme. Kane n’est pas un, mais plusieurs selon qui le
juge. C’est pour ça qu’il peut être à la fois terrible ou adorable, généreux ou radins, adoré ou
détesté mais surtout et au-delà de tout jugement, comme le dit le propre Kane, « américain ».
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À la liste d'anecdotes il est intéressant de savoir que le film est produit par la RKO, dont le
propriétaire, Howard Hughes, magnat américain excentrique et tourmenté (comme le propre
Kane) est le personnage représenté dans le film "Aviator" par Léonardo Di Caprio.
Ce ne sont plus seulement les valeurs techniques qui résultent être extrêmement
intéressants et réussis dans ce film mais également et surtout la création d'un personnage
aussi riche en nuances.
Le film et ses séquences clés
Premier flashback sur l’enfance de Kane- Signature du contrat avec Mr Thatcher-
Mr Thompson lit le journal de Mr Thatcher, celui qui a été le tuteur et administrateur de
l’argent de Kane. Ce journal raconte comment la mère de Kane obtint l’héritage d’un client et
comment elle décida que son éducation devait être désormais entre les mains de Mr Thatcher.
Cette séquence aurait tout à fait pu être découpée suivant les règles du montage classique
hollywoodien (gros plans, raccords, champ contrechamp, etc.). Mais la solution de Gregg
Toland, qui substitue au montage des plans le montage dans le plan, permet de créer une
tension spécifique en réunissant dans la même image tous les éléments en jeu dans cette
séquence.
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Emedia, la Cinémathèque suisse, la Section d’histoire et esthétique du cinéma et l’Interface sciences-société de
l’Université de Lausanne
Leurs relations apparaissent ainsi dramatisées spatialement : le rôle du « premier plan » de
la mère, la mise à l’écart du père, et la matérialisation, grâce à l’ouverture sur l’arrière-plan, de
l’objet même du contrat, l’isolement de l’enfant.
Ce premier plan s’ouvre avec un certain effet d’optique écrit Jean Roy dans son livre :
Citizen Kane, publié en 1989, parce que rien ne permet aux spectateurs voir la caméra à
l’intérieur de la maison. L’enfant joue librement dans un champ ouvert et un l’horizon sans
limites. Le directeur nie ainsi toute idée de prison, mais l’introduit par contraste quelques
instants plus tard en mettant en relation l’enfant avec la luge et la neige avec lesquels il est en
train de jouer excluant tous les autres éléments. La neige et la luge représentant ici le monde
de la pureté, de l’innocence, du jeu, de l’enfance.
Cette action est le commencement d'une vie pleine d'orgueil, une ambition, un pouvoir, un
populisme, une insertion dans une société dirigée par les médias mais par-dessus tout d'une
vie de remords. Kane dit "Si je n'avais pas été riche, j'aurais pu devenir un grand homme".
Cette enfance volée, cette livraison à ce monde de matérialisme et de pouvoir est, d'une
manière superficielle mais certaine, la clé de l'énigme de « Rosebud ».
Welles lui-même apparaît tourmenté tout au long de sa carrière par cette Amérique qu’il
décrit d’où le parallèle souvent fait entre Kane et le propre directeur.
Jean Roy, Citizen Kane. Orson Wells, Paris, Nathan, 1989, p. 93.
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Xanadu
Sur la grille entourant le domaine de Xanadú un panneau porte l'inscription “No
trespassing” (Défense d'entrer). À l'intérieur du château meurt un homme solitaire. Au début
de Citizen Kane, la caméra monte au-dessus de cette fameuse grille transgressant ainsi l'espace
personnel de Kane au moment de sa mort, moment intime par excellence.
On est témoins par la suite et pendant tout le film de l’absence d’enfance de Kane, de ses
désillusions et de ses souffrances. Ces derniers apparaissent alors comme la cause de sa
réclusion dans cette résidence énigmatique qu’est Xanadú.
Un des thèmes développés par Wells dans Citizen Kane est directement en relation avec la
nostalgie qui accompagne Kane durant toute sa vie. Le film qui commence par le final, par la
mort de Kane et finit par l’image de Xanadú et du « No trespassing » est un constant retour sur
l’impossibilité, l’interdiction d’accès à l’intimité du personnage principal. Seule demeure la
nostalgie.
Mr Thomson se déplace jusqu’à Xanadú où sont classifiées toutes les pertinences de Kane,
la plupart sont des statues et autres œuvres d’art. Kane apparait ici comme un homme
matérialiste et de là l’incompréhension et la difficulté qu’éprouvent les êtres qui l’entourent
pour faire le lien entre « Rosebud » et la boule de neige ou un possible souvenir d’enfance.
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Mr Thomson quitte Xanadú convaincu qu’il ne pourra pas résoudre l’énigme de
« Rosebud » Et réellement, pour nous spectateur, la découverte de la luge fournit-elle une
résolution au mystère du personnage Kane ? Le commencement et la fin du film rappellent la
prohibition devant l'intimité du personnage et en effet la vérité intime et définitive est quelque
chose auquel nous n'aurons jamais accès. Certains interprètent que le Xanadú de Kane serait
d’une certaine manière le Kane de Welles.
L’Inquirer, qui est un autre symbole de pouvoir de Kane, prône un journalisme
d’investigation qui met au jour des dysfonctionnements de la société et crée le scandale en
s’attaquant, dans une rhétorique sensationnaliste, aux structures gouvernementales ou aux
puissances économiques (les trusts, les chemins de fer, le logement, Wall Street, l’exploitation
du cuivre…). Il entre ainsi pleinement dans la définition de la presse comme « quatrième
pouvoir ». Il est intéressant de savoir que les journaux dirigés par William Randolph Hearst (qui
a inspiré le personnage de Kane) étaient l’incarnation même de ce type de journalisme, et
qu’un article publié dans son New York Morning Journal est considéré comme le déclencheur
de la guerre hispano américaine qui mena à l’indépendance de Cuba. Le film d’Orson Welles
met justement en scène cette manipulation médiatique de 1898 dans une séquence ambiguë,
riche à analyser surtout dans les dialogues avec Leland l’ami intime de Kane au moment de son
ascendance comme journaliste.
En relation avec cette thématique, Citizen Kane est en définitive, l’histoire véritable de
comment un homme peut utiliser l'information pour servir ses propres intérêts économiques
et politiques, jusqu'au point de considérer l'information comme un produit commercial
totalement indépendant du concept de véracité, Kane finit par être propriétaire de
l’information publiée et le discours ce transforme alors en une prise de pouvoir de Kane.
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Cette même relation de pouvoir peut être appliquée au propre cinéma ou à toute
forme de manipulation de l’information ou de l’image.
« Rosebud »: l’irrélevante vérité
Tout d’abord revenir sur différents points techniques qui aident à mettre en place la
thématique et l’interprétation du film : l’effet brechtien ou de distanciation par lequel l'acteur
se dissocie de son personnage, afin d'obtenir du public une attitude critique, (technique tirée
ici du théâtre et inspirée du cinéma de Bretch), la photographie, la caméra comme
metanarrateur qui ignore toute porte ou fenêtre qui se ferment à elle. Tous ces procédés
finissent par nous révéler une vérité intime de Kane qu’aucun des personnages ne paraient
découvrir même si encore une fois on revient sur le lieu de l’interdiction, Xanadú.
En effet, l’utilisation des plafonds dans son cadre par exemple n'a rien d'anecdotique.
À l'époque des films réalisés en studio, les plafonds étaient la place réservée aux éclairages.
Welles, avec son chef opérateur Gregg Toland, libéra cet espace et l'utilisa pour mieux
emprisonner les personnages. André Bazin affirme pour cela que "La volonté de puissance de
Kane nous écrase, mais elle est elle-même écrasée par le décor. Par le truchement de la
caméra, nous sommes en quelque sorte capables de percevoir l'échec de Kane du même
regard qui nous fait saisir sa puissance."
Toutes ces techniques contribuent ainsi à construire la thèse centrale de Citizen Kane.
Nous ne pouvons pas nous connaitre comme nous connaissent les autres. Mais personne ne
peut non plus posséder toutes les pièces qui nous permettraient de connaitre l’ultime vérité
sur notre identité qui est en permanente construction et au-delà même de notre
connaissance.
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La vérité se présente comme quelque chose auquel nous ne pouvons pas avoir accès,
la seule chose que nous avons de cette vérité sont différents fragments qui, quand on les uni,
nous donnent une vision incomplète de la réalité. La réalité, le réel apparait alors comme
inaccessible è l’intellect humain.
¿Connaissons-nous réellement Kane? Le film nous interroge sur l’incapacité que nous
avons d’expliquer la conduite humaine. Ni Thompson ni même le spectateur ne sont capables
de découvrir la véritable signification de « Rosebud ». Le directeur nous donne des pistes, le
reste sont des perspectives, notre imagination, notre interprétation. Comme Kant ou
Nietzsche, Orson Welles parait soutenir que même si la signification de « Rosebud » avait été
découverte, la connexion de ce mot avec le monde resterait inconnue. « Si tu avais découvert
ce qui signifie « Rosebud » tout pourrait s’expliquer » reproche une femme a Thompson a la
fin du film ; « Non, je ne le crois pas », dit Thompson, « C’était un homme qui avait tout ce qu'il
voulait et qui a tout perdu ». Thompson reste alors silencieux pour un instant, pense à ce qu'il
a dit et recommence à parler : « Peut-être que « Rosebud » était quelque chose qu'il n’a pas
pu obtenir ou quelque chose qu’il a perdu, dans tous les cas ça n'aurait rien expliqué » ajoute-
il. Thompson termine alors avec cette phrase unique dans l'histoire du cinéma : "je ne crois pas
qu'un mot puisse expliquer la vie d'un homme. Je suppose que « Rosebud » est seulement une
pièce du puzzle. Une pièce perdue ». On peut donc comparer « Rosebud » à une pièce de
puzzle où même affirmer que ce mot est la pièce de puzzle et que le puzzle est le propre
monde. Comme ce puzzle, la réalité se résiste à être comprise ou déchiffrée. « Rosebud » est
alors un mot perdu prononcé par un homme qui l’était tout autant.
La caméra se déplace alors dans un travelling subtil et le plan général change pour
laisser place à de minuscules objets, comme des formes dispersées d'un monde inaccessible.
Welles semble vouloir dire que ces objets cachent un secret, c'est la clé de la vie de Kane. C'est
une fine synthèse de la fin d'une vie, c'est la ruine d'une vie heureuse qui a fini en échec. La
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caméra reste figée dans ce vaste monde d'objets inanimés et le plan dégage une sensation
inévitable de désolation.
Dans la dernière phrase de Thompson nous pouvons détecter un concept nihiliste du
langage. Comme Welles soutient « Rien est. Et si quelque chose est, il ne peut être connu. Et si
quelque chose est, et peut être connu, il ne peut pas être communiqué. » Donc si quelque
chose est, il ne peut pas être dit et donc ne peut être communiqué à travers le langage.
Une phrase de Nietzsche en relation avec ce concept est que « le monde vrai n’existe
pas et s’il existait serait inaccessible, inévocable et, s’il était évocable serait inutile, superflu. »
L'homme véridique finit par comprendre qu'il n'a jamais cessé de mentir disait-il encore.
Pour Orson Welles, la réalité est moins certitude qu'un secret. Le monde a la forme
d'un labyrinthe et non d'un désert ou d'une ardoise claire et distincte. Dans ses films, il a
combiné des miroirs, une profondeur de champ, des angles exagérés, des espaces ouverts, une
certaine théâtralité, une version très poussée du clair-obscur, des labyrinthes visuels, des
personnages difformes, de fausses lumières, des ombres invasives, des édifices monumentaux,
la répétition de formes comme une manie et une conception de la société et du langage.
Le détective frustré a cherché non sans courage, à déchiffrer la vie confuse et opulente
de Kane. Et qu'a-t-il a obtenu ? Rien. Peut-être l'enchantement du film de Welles est associé à
la capacité de postuler une énigme et de soutenir, en même temps, la théorie qui nie
catégoriquement la résolution de cette énigme ; l'histoire de quelqu'un qui après être encore
mort ne comprend pas qui il est.
C’est alors qu’on peut affirmer que, en plus de raconter l'histoire de Charles Foster
Kane avec un montage audacieux, Welles étonne avec sa théorie du langage. L'enquêteur ne
postule pas que le langage condense ou vide le réel simplement que mot n'est pas la clé sinon
la version opaque de faits indéchiffrables de cette vie complexe du personnage de Kane.17
Au-delà de cette idée de vérité, Bazin nous offre également une interprétation de
l’œuvre de Welles autour de l’idée du néoréalisme qui serait comme une réalité à déchiffrer,
une réalité toujours ambigu. D’autres auteurs comme Deleuze proposent aussi des théories à
appliquer au film de Welles comme celle de l’image-temps et image-souvenir. Cette
conception de l'image-temps que propose Deleuze, l’amène à se poser l'assertion suivante : «
l'image du cinéma n'est pas au présent ». En effet, si le temps ne cesse pas d'insister, de
revenir sur lui-même, et de constituer une mémoire en même temps qu'il passe, alors ce que
nous montrent les films, ce sont des zones de la mémoire, des « nappes de passé », qui
occasionnellement se concentrent et convergent dans des « pointes de présent ». À cet égard,
Orson Welles est bien un des plus grands réalisateurs modernes en tant qu'il a saisi cette
« dimension amnésique » de l'image. Citizen Kane est donc un film construit en mémoire, où
chaque section, chaque zone apparaît comme une couche stratifiée. Et ces « nappes de
mémoire » apparaissent en partie grâce à l'utilisation de la profondeur de champ faite par
Welles : celle-ci, à l'image du temps lui-même, permet de superposer, dans la même image
différents mouvements, différents événements qui forment comme un monde à soi, comme
un souvenir, ou comme le dit Deleuze « un petit morceau de temps à l'état pur ».
Conclusions
Sans aucun doute le génie de Citizen Kane s'est installé dans l'histoire du cinéma en
faisant irruption dans son époque avec une narration nouvelle. Citizen Kane, mélange de
documentaire et de fiction avec son format surprenant par l'usage de la caméra (piqués et
contre piqués, grandes combinaisons angulaires, profondeur de champ, etc.) et d'autres
concepts innovateurs à l'édition, et dans la particulière illumination (mémorable par ses clair-
obscurs), etc. Cependant, au-delà du formel, Citizen Kane est également l'histoire d'une vie, où
le protagoniste vieillit, à mesure que nous traversons ses passions et mesquineries. Nous tous
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sommes témoin de son enfance déracinée, de ses succès, de ses désillusions et de ses
souffrances et c’est aussi cela qui nous séduit et fascine dans ce film.
Le solitaire magnat qui a accumulé des statues, des bijoux, des véhicules, des
bibliothèques, de belles femmes et des amis flatteurs, est devenu vieux pour découvrir que ce
qu’il possède ne le rend pas heureux. Au moment de sa mort, il chéri un seul et unique objet,
non pas pour sa matérialité mais pour ce qu'il représente. Le thème du film (à la fois
métaphysique, psychologique et allégorique) est le parcourt qui laisse entrevoir, je dis bien
entrevoir le côté secret d'un homme, son intimité, peut-être à travers les œuvres qu'il a
construites, ou des mots qu'il a dits (ou écrit) mais surtout par ce qu'il a irrémédiablement
perdu.
Cependant, bien au-delà, Welles construit avec ce film un collage, qu'il transforme en
labyrinthe sans centre, un environnement écrasant qui croît en enveloppant les personnages.
Ses fragments de vie peuvent se combiner et être reconstruit jusqu'à découvrir les différents
visages d’un homme. Depuis le commencement et les trésors accumulés par Kane, jusqu'au
palais abandonné, tout chez le Citizen Kane est ainsi multiplicité fragmentaire. Mais nous
partons d'un chemin qui nous guide à un vide terrifiant. Le personnage même de Kane est un
chaos comme le labyrinthe dans lequel le film est construit.
Que connaît-on de la vérité des êtres, s'interroge finalement Orson Welles avec ce
premier long métrage. "Je ne crois pas qu'un seul mot puisse décrire la vie d'un homme." est la
phrase du film comme nous l’avons vu qui répond le mieux à l’énigme présentée. Ni un mot, ni
une ou plusieurs images.
Le cinéma lui-même doit ainsi s'appréhender pour ce qu'il est : une vue de l'esprit qui
falsifie le réel pour mieux nous montrer l'invisible. "L'action est la matrice du cinéma
américain, l'origine de la pureté de sa forme", écrit Youssef Ishaghpour. L’auteur réfléxionne
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aussi sur la place de l'action dans le film qui est ici remplacée par la réflexion (au centre du
film et dans les fondements de sa forme). Il écrit que Welles montre aussi par-là « le caractère
illusoire des valeurs qui étaient à la base du cinéma hollywoodien : la réalité de la liberté et du
bonheur de l'individu. »
ISHAGHPOUR Youssef, Orson Welles Cinéaste, Une Caméra Visible, Tome 2. Paris : Editions de la Différence, 2005.
Chez ce directeur, tout est donc question de perspectives. L'infiniment grand côtoie
l'infiniment petit, les détails, les différents témoignages forment un tout illusoire. Nous devons
pourtant nous en contenter pour percevoir le monde qu’il nous propose. Dans Citizen Kane,
personne ne ment, ni les images d'actualité, ni les souvenirs des proches de Kane, chacun
traduit sa propre vérité. La subjectivité des témoignages oblige le spectateur à trouver la
bonne distance vis-à-vis des faits. La mise en scène joue avec ce regard et la caméra, narrateur
omniscient de cette histoire, nous promène librement dans le récit, passant au travers des
barreaux, enfreignant toutes les interdictions pour nous faire pénétrer dans cette intimité.
Cette intimité n’est pourtant pas toute à fait découverte, "No trespassing", affiche le panneau
à l'entrée et à la sortie du film. Le pouvoir de l'appareil cinématographique a donc ses limites
comme tout homme a ses limites et ne peut totalement connaître son prochain ou soi-même.
Ce postmodernisme qui suivra à Welles se caractérise par la négation de l’existence de
vérités universelles ou de réalité objectives : tout est ainsi relatif et sujet à la critique. Citizen
Kane démontre qu’il n’existe pas de vérité existentielle et si elle existait elle serait susceptible
d’être manipulée.
Le cinéma de Welles représenta aussi comme nous l’avons vu, une rupture des limites
du cinéma américain de l´époque et de son omniprésente image - action, le directeur a sût «
percer le mystère du temps, pour unir l'image, la pensée et caméra dans une même
"subjectivité automatique", en s'opposant à la conception des américains, trop objective. »
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DELEUZE, Gilles. L'image-temps. Cinéma 2. Paris: Les éditions de Minuit (coll. « Critique »), 1985.
Comme ouverture à une future analyse il semblerait que ce ne soient pas l'image -
souvenir ou la reconnaissance attentive qui nous permettent une juste corrélation de l'image
optique - sonore, mais plutôt les dérangements de la mémoire et les échecs de la
reconnaissance. C’est le cinéma européen qui reprit donc très tôt, à partir de ce concept
d’image temps, l'ensemble des phénomènes comme l’amnésie, l’hypnose, l’hallucination, le
délire, et surtout le cauchemar et le sommeil, phénomènes directement liés aux thématiques
des différents films visionnés pendant le semestre.
Bibliographie :
HERNÁNDEZ, Juan A. Orson Welles. La dignidad estética. Madrid: Ediciones JC, 2008.
Roy, Jean. Citizen Kane. Orson Wells. Paris: Nathan, 1989.
BAZIN, André. TRUFFAUT, François. Orson Welles, Paris : 1972.
DELEUZE, Gilles. L'image-temps. Cinéma 2. Paris: Les éditions de Minuit (coll.
« Critique »), 1985.
BERTHOME, Jean-Pierre. Citizen Kane. Paris: Flammarion, 1992.
ISHAGHPOUR, Youssef, Orson Welles Cinéaste, Une Caméra Visible, Tome 2. Paris :
Editions de la Différence, 2005.
MUÑOZ GARCÍA, Juan José. Cine y Misterio Humano. Ediciones Rialp, 2003.
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Webgraphie :
www.filmaffinity.com
fr.wikipedia.org
books.google.fr
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