page 1/4 dossier les ancêtres rêvés des médicis · 2019. 4. 1. · et le retour des médicis au...

4
74 AVENUE DU MAINE 75014 PARIS - 01 44 10 10 10 DEC 11 Mensuel Surface approx. (cm²) : 1984 N° de page : 56-59 Page 1/4 SORBONNE2 1730360300524/GBV/ACR/2 Eléments de recherche : PUPS ou Presses de l'Université de Paris Sorbonne : toutes citations DOSSIER LAUTEUR Caroline Callard est maître dè conférences a ('universite Paris Sorbonne Elle a notamment publie Le Prince et la Republique Histoire, pouvoir et societe dans la Florence des Medicis au xvtf siecle, PUPS, 2007 Cosme F à fa « mode étrusque » Portrait de Cosme I" de Medicis par Francesco Ferrucadel Tadda (porphyre et serpentine, v 1560-1570, Bargello) La redécouverte, sous la houlette de Côme, de la technique de taille du porphyre, matériau très dur et repute noble, s'inscrit dans la compétition engagée alors entre princes pour la recuperation du vocabulaire et des modes de glorification antiques, en particulier impériales Les ancêtres rêvés des Médicis Au xvi e siècle, l'exhumation, en Toscane, de vestiges étrusques apporte aux Médicis une justification politique idéale. Une nouvelle légende naît : les maîtres de Florence seraient les descendants de cette civilisation puissante et autonome. Par Caroline Callard A u sem du vaste mouve ment de redécouverte et de promotion du passé antique qui caracté- rise la Renaissance, la mé- moire des Etrusques n'a pas manque de susciter l'intérêt des humanis tes toscans 1 Dès le dé- < part, une dynamique < se noue entre la cuno- ' site philologique et an- 5 tiquaire pour ce peuple 3 mystérieux et le désir de s'en approprier le pres tige à des fins politiques Le mythe étrusque, op- posé au mythe romano imperial, apparaît ainsi dès le milieu du xiv 6 siècle sous la plume du chroniqueur flo- rentin Giovanni Villam II est frappant de trouver dans la Nuova Cromca (v 1348) les élements cardinaux qui en feront la fortune l'exaltation d'un passe autochtone et indépendant de Rome, tout comme la conscience graduelle d'une dimension regionale propre à F« Etrune », qui conforte les visées de la Republique florentine sur les cités voisines Pour les républicains tels que le chancelier florentin Leonardo Bruni, c'est aussi l'Etrune autochtone décrite par Denys d'Hahcarnasse au I er siecle av J -G qui est rappelée, celle de la confedération des douze cites Etats libres fai sant de la Toscane le ber- ceau le plus ancien de la liberté republicaine La graduelle mainmise des Medicis sur le pouvoir communal au xv siecle impose une révision du modèle politique étrus- que ainsi défini Dans son Art d'édifier publié en 1485 avec une de- dicace d'Ange Politien a Laurent le Magnifique, Leon Batùsta Albert! eve- que « les choses admirables qui se dirent des rois étrus- ques », tel Porsenna, roi de Chiusi, dont Tite-Live rapporte qu'il mspiraitune immense terreur au senat romain, « tant était redouta- ble, a cette epoque, la puissance de Chmsi, tant était grand le nom dè Porsenna » (Histoire ro- maine, II, 9) et dont Alberti décrit, d'après un récit de Varron transmis par Pline l'Ancien (Histoire na- turelle, XXXVI, 91-93), l'extraordinaire tombe mo numentale dotée d'un labyrinthe Cette image d'une Etrune monarchique reçoit, à la fin du xv 5 siecle, l'appui inattendu d'un étrange personnage Giovanni Nanm, écrivant sous le nom

Upload: others

Post on 22-Aug-2020

0 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Page 1/4 DOSSIER Les ancêtres rêvés des Médicis · 2019. 4. 1. · Et le retour des Médicis au pouvoir à Florence en 1530 sanctionne l'accom-plissement de ce s prophéties

74 AVENUE DU MAINE75014 PARIS - 01 44 10 10 10

DEC 11Mensuel

Surface approx. (cm²) : 1984N° de page : 56-59

Page 1/4

SORBONNE21730360300524/GBV/ACR/2

Eléments de recherche : PUPS ou Presses de l'Université de Paris Sorbonne : toutes citations

DOSSIER

LAUTEURCaroline Callardest maîtredè conférencesa ('universiteParis SorbonneElle a notammentpublie Le Princeet la RepubliqueHistoire, pouvoiret societe dansla Florencedes Medicisau xvtf siecle,PUPS, 2007

Cosme Fà fa « modeétrusque »Portrait deCosme I" deMedicis parFrancescoFerrucadelTadda (porphyreet serpentine,v 1560-1570,Bargello) Laredécouverte,sous la houlettede Côme,de la techniquede tailledu porphyre,matériau très duret repute noble,s'inscrit dansla compétitionengagée alorsentre princespour larecuperationdu vocabulaireet des modesde glorificationantiques, enparticulierimpériales

Les ancêtresrêvés desMédicis

Au xvie siècle, l'exhumation, en Toscane, de vestigesétrusques apporte aux Médicis une justification politique idéale.

Une nouvelle légende naît : les maîtres de Florence seraientles descendants de cette civilisation puissante et autonome.

Par Caroline Callard

Au sem du vaste mouvement de redécouverteet de promotion du

passé antique qui caracté-rise la Renaissance, la mé-moire des Etrusques n'apas manque de susciterl'intérêt des humanistes toscans1 Dès le dé- <part, une dynamique <se noue entre la cuno- 'site philologique et an- 5tiquaire pour ce peuple 3mystérieux et le désir des'en approprier le prestige à des fins politiquesLe mythe étrusque, op-posé au mythe romanoimperial, apparaît ainsi dèsle milieu du xiv6 siècle sousla plume du chroniqueur flo-rentin Giovanni Villam II estfrappant de trouver dans la NuovaCromca (v 1348) les élements cardinauxqui en feront la fortune l'exaltation d'un passeautochtone et indépendant de Rome, tout commela conscience graduelle d'une dimension regionalepropre à F« Etrune », qui conforte les visées de laRepublique florentine sur les cités voisines

Pour les républicains tels que le chancelierflorentin Leonardo Bruni, c'est aussi l'Etruneautochtone décrite par Denys d'Hahcarnasse au

Ier siecle av J -G qui est rappelée,celle de la confedération des

douze cites Etats libres faisant de la Toscane le ber-ceau le plus ancien de laliberté republicaine Lagraduelle mainmise desMedicis sur le pouvoircommunal au xv siecleimpose une révision dumodèle politique étrus-que ainsi défini Dansson Art d'édifier publiéen 1485 avec une de-dicace d'Ange Politien

a Laurent le Magnifique,Leon Batùsta Albert! eve-

que « les choses admirablesqui se dirent des rois étrus-

ques », tel Porsenna, roi deChiusi, dont Tite-Live rapporte

qu'il mspiraitune immense terreurau senat romain, « tant était redouta-

ble, a cette epoque, la puissance de Chmsi,tant était grand le nom dè Porsenna » (Histoire ro-maine, II, 9) et dont Alberti décrit, d'après un récitde Varron transmis par Pline l'Ancien (Histoire na-turelle, XXXVI, 91-93), l'extraordinaire tombe monumentale dotée d'un labyrinthe

Cette image d'une Etrune monarchique reçoit,à la fin du xv5 siecle, l'appui inattendu d'un étrangepersonnage Giovanni Nanm, écrivant sous le nom

Page 2: Page 1/4 DOSSIER Les ancêtres rêvés des Médicis · 2019. 4. 1. · Et le retour des Médicis au pouvoir à Florence en 1530 sanctionne l'accom-plissement de ce s prophéties

74 AVENUE DU MAINE75014 PARIS - 01 44 10 10 10

DEC 11Mensuel

Surface approx. (cm²) : 1984N° de page : 56-59

Page 2/4

SORBONNE21730360300524/GBV/ACR/2

Eléments de recherche : PUPS ou Presses de l'Université de Paris Sorbonne : toutes citations

La Chimèreet l'OrateurDécouverteen 1553, cettestatue en bronze(v. 380-360 av.J.C.) représenteune chimère, cemonstre oùs'enchevêtrentles corps d'unechèvre, d'un lionet d'un serpent.

j Son état actuel< est le fruit d'une

restaurationerronée datant

2 du xvm'siècle:^ les trois têtesg devraient3 menacer de- concert leuri imaginaire

adversaire.• L'Orateuri O" siècle av.

I I J.-CJ, trouvei en 1566, faisait

I jj partie également5 de ïa collection= de Cosme.

Cosfjie f de Médicis fut presente comme un dompteur de chimerescelles qui auraient causé à Florence la discorde civile

d'Annius de Viterbe. Dans sesAntiquitatum vana-rum publiées à Rome en 1498, il prétend avoir re-trouvé des fragments d'historiens de l'Antiquitépermettant de reconstituer l'histoire étrusque. LesÉtrusques y apparaissent comme les premiers ha-bitants du monde après le Déluge, héritiers d'unJanus-Hercule que Noé aurait mené en Toscaneet initié aux rites et à la doctrine des anciens Juifs.Par eux est enfin recousue la tunique du mondeancien, païen et chrétien. Cette invention d'un pri-mat religieux des Toscans sur les Romains aura deseffets durables.

Un autre élément vient transformer le rapportdes Florentins au passé étrusque : la lente exhu-mation de ses vestiges à partir de la fin du xv* siè-cle. Les patriciens florentins se mettent dès lors enquête de vases, d'urnes, de cistes - ces corbeillescontenant des objets dédiés au culte des divinités -et de statuettes que l'on déclare étrusques. Les ar-tistes se mettent aussi à cette « mode étrusque » :des peintres tels que les frères Pollaiolo adoptentdes motifs étrusques (pum porte-guirlande, com-bats de lions et de dragons, scènes de chasse). Unpotier d'Arezzo, grand-père de Giorgio Vasari, en-tend même retrouver la technique des céramiques

à figures rouges ou noires pour complaireà ce public de patriciens férus d'antiquités« locales ». Premier d'entre les collection-neurs, Laurent le Magnifique se voit offrirquatre vases « étrusques » retrouvés à l'oc-casion de fouilles pratiquées à Arezzo.

LA GÉOGRAPHIE DES FOUILLESCRÉE UN TERRITOIRE TOSCANLa géographie des fouilles crée d'eDe-

même un territoire toscan alors à peine es-quissé politiquement : ce sont les chambresfunéraires de Tarquinia sous le pontificat d'In-nocent VIII (1484-1492), les grands sarco-phages retrouvés près de Viterbe en 1493, la« tombe de la mule » près de Sesto Florentineen 1494, l'hypogée dè Castellina in Chiantien 1507, et, bien sûr, et presque continûment,les vases arétins.

Au siècle suivant, alors que les Médicis ontété une nouvelle fois chasses de Florence etla république restaurée, le pape Léon X, fils duMagnifique et passionné d'archéologie étrus-que (il avait participé en personne aux fouillesd'Arezzo), fait des Etrusques les alliés objectifs

Page 3: Page 1/4 DOSSIER Les ancêtres rêvés des Médicis · 2019. 4. 1. · Et le retour des Médicis au pouvoir à Florence en 1530 sanctionne l'accom-plissement de ce s prophéties

74 AVENUE DU MAINE75014 PARIS - 01 44 10 10 10

DEC 11Mensuel

Surface approx. (cm²) : 1984N° de page : 56-59

Page 3/4

SORBONNE21730360300524/GBV/ACR/2

Eléments de recherche : PUPS ou Presses de l'Université de Paris Sorbonne : toutes citations

LesfouUles dela RenaissanceHypogéedè Castellinain Chianti.Découverten 1507, ilfaitpartie, avecles sarcophagestrouvés a Viterbe,les chambresfunéraires dèTarquinia et la« tombe de lamule », près deSesto Florentine,des découvertesd'un passéétrusque qui,à la Renaissance,dessinent unterritoire toscan.

du retour de sa famille à Florence. Les cérémoniesromaines organisées en 1513 pour la délivrancedu titre de citoyen romain à Julien et Laurent deMédicis déclinent le thème inédit d'une collabora-tion des peuples romain et étrusque au service del'idéal monarchique incarné par les Tarquins, roisétrusques de Rome. Et le retour des Médicis aupouvoir à Florence en 1530 sanctionne l'accom-plissement de ces prophéties.

LA CHIMÈRE DE COSMEA la suite d'un siège très dur mené par les trou-

pes hispanico-pontificales en 1530, la républiquede Florence capitule à nouveau. Deux ans plustard, Alexandre de Médicis devient officiellementle premier duc de Florence. Mais ce n'est que sous lerègne de Cosme Ier (1537-1574)que l'idéologie du nouveau ré-gime se dote d'un imaginaire àla hauteur des nouveaux souve-rains de la Toscane, dans lequelPÉtrurie est amenée à jouer unrôle majeur.

En témoigne la publicité quiest donnée à l'exhumation ar-chéologique du passé étrusque.Les ouvriers travaillant aux nouvelles fortifica-tions d'Arezzo mettent au jour trois chefs-d'œu-vre de la grande statuaire en bronze : la Minerveen 1552, la Chimère en 1553 et l'Arringatore(« l'Orateur») en 1566. La Minerve d'Arezzo, aisé-ment identifiable à son casque corinthien ainsiqu'à son Gorgoneion, est une statue cultuelle, enréalité hellénistique, mais difficile à dater préci-sément (nf ou début du Ier siècle av. J.-C. ?). En

Devenu grand-duc,Cosme saisit l'occasiond'inscrire lafiliation étrusquedans sa titulature

revanche, il est aisé d'identifier l'Orateur (ier siè-cle av. J.-C.), qui représente, en pied, un hommevêtu d'une courte toge et levant la main en ha-ranguant le peuple ; le bas de sa tunique porteen effet une inscription étrusque qui le nomme(Aule Meteli) ainsi que le dieu auquel il consacresa représentation.

Quant à la Chimère, il s'agit d'un ex-voto du dé-but du iv" siècle av. J.-C. de près de 65 centimètresde haut qui porte sur la face interne de sa pattearrière une inscription en caractères étrusques.Cosme Ier la réclame immédiatement et l'exposepeu après au public dans la salle Léon-Xdu PalazzoVecchio2. En exposant l'animal fabuleux, prophèteéloquent de la réussite de son pouvoir, il rend lesFlorentins témoins de la résurrection de la mythi-

que Étrurie sous l'espèce du prin-cipal au moment même où il serend maître de l'État siennois.

L'extraordinaire puissanceexpressive de l'animal passionneun public qui tisse autour de luid'étranges légendes. Montaigne,de passage à Florence quèlquesannées plus tard, s'en fait l'écholorsqu'il consigne dans son jour-

nal, sans trace d'aucun scepticisme, que la Chimèrefut trouvée, d'après les Florentins, « dans une ca-verne des montagnes de ce pays, et mené vif il y aquèlques années «3. De son côté, Giorgio Vasari,sans doute le plus habile propagandiste du pou-voir de Cosme, donne valeur de symbole politiqueà la statue étrusque : dans les Ragionamenti, qu'ilachève en 1567, il compare Cosme à Bellérophon,ce héros de la mythologie grecque petit-fils deSisyphe et vainqueur du monstre qui ravageait lesmontagnes de Lycie, mais encore à Léon X lequel,par sa libéralité, a soumis tous les hommes - ceque rappellent les fresques du même Vasari, dansla salle éponyme où se trouve la Chimère. Héritierde ces deux héros, Cosme est à son tour un domp-teur de chimères, celles des Florentins nostalgi-ques du régime républicain, jugé coupable de sus-citer la discorde civile.

Symbole puissant, la sculpture revient un anplus tard sous la plume de Vasari dans la secondeédition de son maître ouvrage, les Vies des plus excel-lents peintres, architectes et sculpteurs (1568), dansun tout autre rôle. Vasari définit grâce à la Chimèreles caractéristiques d'un « style toscan ». Gueulebéante et crinière hirsute, le corps crispé dans unspasme d'agonie, le bronze étrusque délivre la leçoninaugurale d'une maniera caractérisée parle traite-ment réaliste et dramatique du sujet, ainsi que parl'adoption d'une posture sophistiquée. La Rinasdtaesthétique théorisée par les Vies, premier recueild'histoire de l'art de l'âge moderne, se fait ici ar-chéologie politique où les Médicis ne sont pas seu-lement les grands mécènes qui ont rendu possiblel'éclat de la production artistique florentine maisles souverains d'un État dont les caractéristiques

Page 4: Page 1/4 DOSSIER Les ancêtres rêvés des Médicis · 2019. 4. 1. · Et le retour des Médicis au pouvoir à Florence en 1530 sanctionne l'accom-plissement de ce s prophéties

74 AVENUE DU MAINE75014 PARIS - 01 44 10 10 10

DEC 11Mensuel

Surface approx. (cm²) : 1984N° de page : 56-59

Page 4/4

SORBONNE21730360300524/GBV/ACR/2

Eléments de recherche : PUPS ou Presses de l'Université de Paris Sorbonne : toutes citations

.̂ w^

e

UN « MAUSOLEE ETRUSQUE » :LE PROJET DE LÉONARD DE VINCICe dessin de Léonard de Vinci, conserve au Cabinetdes dessins du musée du Louvre, présente vm plancruciforme caractéristique des chambres funérairesétrusques ainsi celui de l'hypogée du tumulus deMontecalvario, découvert en 1507 près de Castellina inChianti (page de gauche), et qui inspira probablementdirectement Léonard pour ce projet de mausolée. Unédifice analogue surmontait le Parnasse de Ferdinandde Médicis à Rome, cette colline artificielle aménagéeen 1580 pour porter la villa Médicis - en détruisantdeux édifices sacrés romains - et plantée de cyprès quirenforçaient sa connotation funéraire.

esthétiques et politiques, profondément idiosyn-crasiques, puisent à la même source.

L'élargissement du mythe étrusque ne s'ar-rête pas là. Dans l'Académie florentine fondéepar Cosme en 1541 - où entre l'essentiel de sonéquipe gouvernementale - les hommes de lettrestravaillent à étoffer le récit des origines étrusques.Pier Francesco Giambullari publie ainsi en 1546un ouvrage (II Celio) approuvé officiellement parl'Académie, muni d'une dédicace à Cosme, quireprend, légèrement modifiée, la trame d'Anniusde Viterbe.

COSME Ier, DUX MAGNUS HETRUSCUSMais surtout, il s'intéresse au problème des ori-

gines de la langue florentine, qu'il fait dériver nonpas du latin mais de l'étrusque qui, comme l'hé-breu, aurait eu pour matrice Paraméen. Le nom deFlorence ne proviendrait donc pas du latin fluen-tia, en référence à la confluence de l'Arno et duMugnone, mais de l'étrusque fir et hen, respecti-vement « la fleur » et « la grâce » en araméen, cequi donne « fleur de grâce » ou « fleur gracieuse ».Une étape ultérieure de cristallisation du mythe estfranchie avec la parution de la première synthèserassemblant toutes les connaissances sur l'Étrurierédigée par l'humaniste français Guillaume Postel,également offerte à Cosme : Des origines, institutionset mœurs de la région d'Étrurie (Florence, 1551).Les années 1550 représentent à ce titre un momentde convergence entre l'exploration savante et ar-chéologique du passé étrusque et le mythe politi-que que les Médicis cherchent à incarner.

Les deux fils tendent par la suite à se dénouer.D'une part, alors que Vasari travaille à Rome,le nouveau savant affilié au régime, Vincenzio

Borghini, au nom d'une rigueur philologique af-firmée avec hauteur, démolit une à une les théo-ries étrusques d'Annius et de Postel. D'autre part,l'heureuse conjoncture qui avait permis à Cosmed'acquérir trois bronzes spectaculaires en l'espacede quinze ans, faute d'autres trouvailles, n'a pasde suite et le collecrionnisme étrusque médicéenmarque le pas.

Pour autant, cette redistribution des objets dupassé étrusque le long du clivage entre discours sa-vants et langages courtisans s'opère sans véritableheurt et les Médicis continuent d'en exploiter levocabulaire. Ainsi, lorsqu'en 1569 Cosme obtientla reconnaissance par le pape du titre de « grand-duc », il saisit l'occasion d'inscrire la filiation étrus-que dans la titulature : le bref de Pie V évoque le« dilecto filio nobili vire Cosmo Medices Ethruriaeprinvinciae sibi subactae Magna Dnd », utilisantle terme d'Etruria au lieu de Tuscia, qui désignaitauparavant la Toscane. Un humaniste français dela cour de Pie V, Marc-Antoine Muret, célèbre alorsCosme en tant que «DwcMagnus Hetruscus », troi-sième du titre après Janus etPorsenna.

L'évocation du passé étrusque entre dans lagrammaire de la célébration princière. Les re-cherches récemment menées dans les jardins dela villa Médicis à Rome permettent de penser queleur « Parnasse » a été conçu comme un tumulusétrusque ; plus précisément, son lien avec un ré-seau dè galeries souterraines inextricable permetd'y voir une possible allusion renaissante au tom-beau labyrinthique du roi Porsenna. Le cardinalFerdinand de Médicis, qui fait construire la villaen 1576, aurait ainsi choisi d'affirmer ses origi-nes mythiques « étrusques », dans un esprit d'ému-lation avec le modèle paternel fondé sur l'exalta-tion de la figure d'Auguste. Lorsqu'une vingtained'années plus tard il renonce au cardinalat pourceindre la couronne des grands-ducs de Toscane,Ferdinand se présente plus directement encorecomme l'héritier du roi Porsenna : en 1589, à l'oc-casion de ses noces avec Christine de Lorraine,une peinture de Jacopo Ligozzi placée au-dessusde l'entrée du Palazzo Vecchio, éphémère mais im-médiatement diffusée par le biais de la gravure,représente Cosme Ier de Médicis couronnant unefemme représentant la Toscane alors qu'à ses côtésle roi Porsenna tient dans ses mains une couronnebrisée. Il s'agit de la couronne de l'antique Étrurie,jadis ceinte par le roi de Chiusi, qui avait été per-due et que Ferdinand s'apprête à son tour à rece-voir, au nom de ses ancêtres.

Dans la Florence tardo-renaissante, lesÉtrusques sont les protagonistes d'un passé inter-rompu auquel les grands-ducs dorment sens dansle cadre d'une œuvre de rachat et d'accomplisse-ment prophétiques. A cet appel d'un passé ventri-loque, les recherches savantes menées aux sièclessuivants apporteront des réponses toujours déce-vantes, mais par là même douées d'une formidablepuissance de relance. •

Notes1. Sur ce thème,outre l'articlepionnier d'AndréChastel « Lemusée étrusqueet r'Etruscanrevival" »,A. Chastel, Anet humanismeà Florence, autemps de Laurentle Magnifique,Paris, 1961,voir GiovanniCipnani :fl Mta etnisconel nnasamentofiorentmo,Florence, 1980.2. Sur lacollectionétrusque desMédicis : MauroCristofani,« Per una stonadel collezionismoarcheologiconella Toscanagrandbaie.I, I grandibronzi »,Prospettiva, 1979.3. Montaigne,Journal devoyage en Italie,par la Suisseet l'Allemagneen 1580 et 1581,Cma di Castillo,1889, p. 180.