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Error! Unknown document property name. Avertissement : il s’agit d’une version provisoire d’un fascicule à paraître au Jurisclasseur Europe traité, mise à disposition gracieusement par Catherine Prieto pour vous aider à préparer vos séances de travaux dirigés et votre examen. « Abus de position dominante » Catherine PRIETO, Professeure à l’Université Paris i Panthéon-Sorbonne Le bon fonctionnement d’une économie de marché suppose un degré suffisant de concurrence qui ne saurait être annihilé par une pratique unilatérale émanant d’une entreprise titulaire d’un pouvoir de marché. C’est la raison pour laquelle l’article 102 TFUE prohibe les abus de position dominante. La qualification de position dominante est définie par la Cour de justice comme le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en ayant la possibilité de comportements indépendants vis-à-vis des concurrents, des clients et finalement des consommateurs. Cette définition doit être comprise comme étant proche du concept économique de pouvoir de marché. La qualification d’abus repose sur des critères généraux et spécifiques. Les critères généraux sont ceux de standards : une responsabilité particulière au regard d’un degré suffisant de concurrence, une concurrence par les mérites, une nocivité et des gains d’efficacité caractérisés par le bien-être du consommateur. Les critères spécifiques correspondent à une typologie des abus. On distingue la catégorie des abus d’exploitation, constitués par des pratiques de prix élevés, et celle des abus d’éviction des concurrents. Entrent dans la catégorie des abus d’éviction les pratiques fidélisantes telles que les rabais et les accords d’exclusivité, les ventes liées, les refus de contracter, les prix prédateurs et les compressions de marges.

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Page 1: Prieto - Abus de Position Dominante - Version Provisoire

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Avertissement : il s’agit d’une version provisoire d’un fascicule à paraître au Jurisclasseur Europe traité, mise à disposition gracieusement par Catherine Prieto pour vous aider à préparer vos séances de travaux dirigés et votre examen.

« Abus de position dominante »

Catherine PRIETO, Professeure à l’Université Paris i Panthéon-Sorbonne

Le bon fonctionnement d’une économie de marché suppose un degré suffisant de concurrence qui ne saurait être annihilé par une pratique unilatérale émanant d’une entreprise titulaire d’un pouvoir de marché. C’est la raison pour laquelle l’article 102 TFUE prohibe les abus de position dominante. La qualification de position dominante est définie par la Cour de justice comme le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en ayant la possibilité de comportements indépendants vis-à-vis des concurrents, des clients et finalement des consommateurs. Cette définition doit être comprise comme étant proche du concept économique de pouvoir de marché. La qualification d’abus repose sur des critères généraux et spécifiques. Les critères généraux sont ceux de standards : une responsabilité particulière au regard d’un degré suffisant de concurrence, une concurrence par les mérites, une nocivité et des gains d’efficacité caractérisés par le bien-être du consommateur. Les critères spécifiques correspondent à une typologie des abus. On distingue la catégorie des abus d’exploitation, constitués par des pratiques de prix élevés, et celle des abus d’éviction des concurrents. Entrent dans la catégorie des abus d’éviction les pratiques fidélisantes telles que les rabais et les accords d’exclusivité, les ventes liées, les refus de contracter, les prix prédateurs et les compressions de marges.

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I. – Modernisation du traitement des pratiques unilatérales

1. – Enjeux de la modernisation

L’article 102 TFUE (ancien art. 82 CE) était le dernier pan du droit européen de la concurrence à ne pas avoir été touché par le vaste chantier de modernisation de la politique de concurrence. Cette mise à l’écart était regrettable à plusieurs égards : d’abord, sur le plan intra-européen ; ensuite, sur le plan international. En premier lieu, il faut mettre cette mise à l’écart en perspective avec le règlement (CE) n° 1/2003 (Cons. UE, règl. (CE) n° 1/2003 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité). On sait qu’il a pour objet d’intensifier la mise en œuvre des articles 101 et 102 TFUE (ancien art. 81 et 82 CE) par la voie d’une déconcentration au profit des autorités et juridictions nationales. Il était donc nécessaire non seulement de les y encourager en leur donnant un guide d’analyse, mais aussi de préserver la cohérence et l’homogénéité de la politique européenne de concurrence. Le traitement des ententes a ainsi été éclairé par les lignes directrices relatives à l’article 81 §3 (devenu, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, art. 101 §3 TFUE). L’absence de lignes directrices pour le traitement des pratiques unilatérales ne pouvait qu’être perçue comme une carence. En second lieu, cette absence était préjudiciable sur le plan international à l’égard de la confrontation du droit européen avec le droit américain de l’antitrust. L’enjeu, peu connu par l’opinion publique, n’est autre qu’une lutte d’influence mondiale pour l’émergence d’une harmonisation spontanée des systèmes antitrust. Celle-ci est impérieuse en raison de la globalisation économique qui engendre des comportements anticoncurrentiels à l’échelle mondiale. L’emblématique affaire Microsoft en témoigne dans le domaine des pratiques unilatérales.

2. – Choix de politique juridique en matière de pratiques unilatérales

Le retard pris par la Commission n’est pas dû à sa négligence, loin s’en faut. Il s’explique par le défaut de consensus sur le traitement adéquat des pratiques unilatérales. Le contraste est saisissant avec la perception de la nocivité absolue des ententes secrètes. L’impérieuse nécessité de mener une lutte sévère contre leur prolifération est désormais la conviction prédominante. Sur ce plan, la perte d’influence de l’École de Chicago est manifeste. Tel n’est pas le cas à propos des pratiques unilatérales pour lesquelles, dans le sillon des « Chicagoans », persiste l’idée qu’elles émanent d’entreprises qui servent l’efficacité économique. Un dilemme taraude la doctrine économique, y compris dans le courant Post-Chicago, sur les risques de sur-application et de sous-application du droit antitrust. Les deux types de risques sont réputés être très élevés dans le domaine des pratiques unilatérales. Or ils sont l’un comme l’autre tout aussi préjudiciables pour l’efficacité économique. Cependant, la Commission européenne s’est montrée plus sensible que les autorités américaines sur les risques de sous-application. Le souci de régulation économique des excès l’emporte. La condamnation de Microsoft est, dans ce contexte, une prise de position politique hautement significative. C’est la raison pour laquelle la Commission attendait l’appréciation du juge européen sur le recours formé par Microsoft (TPICE, 17 sept. 2007, aff. T-201/04, Microsoft c/ Commission : Rec. CJCE, II, p. 3601. - C. Prieto, La condamnation de Microsoft ou l’alternative européenne à l’antitrust américain : D. 2007, chron. p. 2884).

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3. – Orientations relatives à l’article 102 TFUE (ancien 82 CE)

Le texte rendu public par la Commission en février 2009 ne s’intitule pas « lignes directrices » comme on pouvait s’y attendre par souci de parallélisme avec les lignes directrices relatives à l’article 81 §3. Le choix du terme « orientations » n’est pas anodin. Il exprime le souci de la Commission de ne pas lier les autorités nationales de concurrence dans le cadre des obligations inhérentes au Réseau Européen de Concurrence (REC), en raison de divergences persistances avec certaines autorités nationales de concurrence (ANC), notamment le Bundeskartellamt. Ainsi s’explique l’absence d’initiative de la Commission, plus de deux ans après l’arrêt rendu dans l’affaire Microsoft. Pour sortir de l’impasse, la Commission a choisi de présenter les orientations qu’elle prenait pour elle-même, en laissant les ANC libres de les adopter. D’ores et déjà, on constate que l’Autorité française de concurrence adhère pleinement à ces orientations et les met en œuvre. La modernisation du traitement des pratiques unilatérales s’appuie naturellement sur le concept du bien-être du consommateur qui est la pierre angulaire de toute la politique européenne de concurrence. Elle reprend, comme pour le traitement des ententes non secrètes, la nouvelle approche économique qui est fondée sur les effets. Dans ce cadre d’appréciation, l’efficience économique est comprise comme la préservation et le développement du bien-être du consommateur. C’est en fonction de cette efficience économique que la nocivité des pratiques unilatérales devrait être mieux cernée pour caractériser l’abus, tout en laissant la possibilité aux entreprises dominantes d’invoquer une nécessité objective ou des gains d’efficacité pour échapper à une condamnation.

II. – Position dominante V. JCl. Europe Traité, Fasc. 1421, Fasc. 1422

A. – Entreprise V. JCl. Europe Traité, Fasc. 1420

4. – Unité ou pluralité

Selon les termes de l’article 102 TFUE (ancien art. 82 CE), la position dominante peut être détenue par une ou plusieurs entreprises. En réalité, la prise en compte de la pluralité est paradoxale. Le concept d’unité économique a permis très tôt d’appréhender les groupes de sociétés par la manifestation d’un comportement aligné de la filiale sur la société mère. Ultérieurement, le concept d’entité collective est paru utile pour appréhender des sociétés sans lien capitalistique aussi fort que celui dans un groupe de sociétés dès lors que, en dehors de toute concertation au sens de l’article 101 TFUE (ancien art. 81 CE), elles se trouvent en situation de corrélation de leurs comportements.

1° En situation de domination individuelle

5. – Unité économique et groupe de sociétés

Dans l’affaire Commercial Solvents, la Cour a retenu une unité d’action dans le comportement de la société mère et la filiale, ce qui l’a finalement amenée à désigner les deux sociétés comme une « unité économique » soumise à l’article 82 CE (devenu art. 102 TFUE) (CJCE, 6 mars 1974, aff. 7/73, Commercial

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Solvents c/ Commission : Rec. CJCE 1974, p. 223, pt 41. - V. aussi CJCE, 21 févr. 1973, aff. 6/72, Europemballage et Continental Can : Rec. CJCE 1973, p. 215). On sait que cette manifestation du réalisme du droit économique présente l’avantage de pouvoir saisir les agissements de sociétés relevant d’Etats tiers par le biais de leurs filiales en Europe. Elle permet aussi de neutraliser l’habileté d’une entreprise qui, par le biais d’une filiale, serait tentée de dissocier la détention de la position dominante de la qualité d’auteur de l’abus pour échapper à l’article 102 TFUE (ancien art. 82 CE). Toutefois, la qualification d’unité économique n’est pas automatique. Encore faut-il constater une unité d’action. Dès lors que les stratégies commerciales sont indépendantes, la Cour refuse de retenir une entreprise unique (CJCE, 22 oct. 1986, Metro-SABA II, aff. 75/84 : Rec. CJCE 1986, p. 3021).

2° En situation de domination collective

6. – Utilité de la notion d’entité collective

La notion de position dominante collective correspond à la situation où des entreprises autonomes, sans être constituées en groupe de sociétés, se comportent néanmoins de la même manière. Dans un premier temps, la Cour de justice a rejeté cette analyse en considérant que l’article 82 CE (devenu art. 102 TFUE) n’avait pas vocation à appréhender la tacite coordination (CJCE, 13 févr. 1979, aff. 85/76, Hoffmann-La Roche, préc., point 39). Les oligopoles devaient être examinés sous le seul angle de l’article 81 CE (devenu art. 101 TFUE), ce qui exigeait la preuve d’une collusion. Puis, le Tribunal a été sensible aux arguments de la Commission (TPICE, 10 mars 1992, aff. T-68/89, Verre Plat : Rec. CJCE 1992, p. 1403, point 358. - TPICE, 7 oct. 1999, aff. T-228/97, Irish Sugar : Rec. p. II-2969. Il se plaçait alors dans le sillage de la Cour de justice qui avait dégagé la notion d’entité collective ou de position dominante collective dans le domaine du contrôle des concentrations (CJCE, 31 mars 1998, aff. C-68/94 et C-30/95, France e.a. c/ Commission : Rec. CJCE 1998, I, p. 1375, point 221). Enfin, la Cour a consacré l’analyse dans l’application de l’article 82 CE (devenu art. 102 TFUE) (CJCE, 16 mars 2000, aff. C-395/96P, Cie Maritime Belge de Transport, affaire dite CEWAL : Rec. CJCE 2000, I, p. 1635, points 35,36 - V. aussi TPICE, 30 sept. 2003, aff. T-191/98 et T-212/98, Atlantic Container Line AB et a., affaire dite TACA : Rec. p.II-3275). Par strates successives, ont été retenues diverses manières de caractériser les facteurs de corrélation économique.

7. – Facteurs de corrélation par des liens contractuels

Tout en refusant en l’espèce la qualification de position dominante collective, le Tribunal avait envisagé dans l’affaire dite du Verre Plat divers critères tenant à des liens contractuels, notamment des licences, fournissant une avance technologique et, partant, la possibilité de comportements indépendants vis-à-vis de la concurrence (TPICE, 10 mars 1992 , aff. T-68/89, Verre Plat : cité supra n° 6, point 358). Ultérieurement, dans l’affaire Irish Sugar, le Tribunal a évoqué des liens directs, tels des engagements d’approvisionnements exclusifs ou encore le financement de promotions communes (TPICE, 7 oct. 1999, aff. T-228/97, Irish Sugar, : Rec. p. II-2969). Dans l’affaire CEWAL, la Cour procède à une analyse très serrée du contenu et des effets des accords qui résultent du fonctionnement de la conférence maritime en cause. Elle constate que ses membres se sont liés de telle manière qu’ils ne peuvent se présenter sur le marché qu’en tant qu’entité

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collective à l’égard de leurs concurrents, de leurs partenaires commerciaux et des consommateurs (V. aussi pour une autre conférence maritime dite TACA, TPICE, 30 sept. 2003, aff. T-191/98 et T-212/98, Atlantic Container Line AB et a., affaire dite TACA : Rec. p.II-3275). Il doit y avoir un lien de causalité entre les liens contractuels – qui ne sont pas condamnés sur le fondement de l’article 81 CE (devenu 101 TFUE) – et le comportement aligné sur le marché.

8. – Facteurs de corrélation par des liens structurels

Il ne s’agit pas à proprement parler de liens structurels aussi poussés que dans un groupe de sociétés. Tel est le cas d’une entreprise ayant une participation dans le capital d’une autre entreprise, sa représentation au sein des conseils d'administration, sa participation au processus décisionnel de ces sociétés et aux procédures de communication (TPICE, 7 oct. 1999, aff. T-228/97, Irish Sugar, : Rec. p. II-2969). Les éléments relevés caractérisent simplement l’existence d’une influence suffisante pour la détermination d’une entité collective. Une association peut aussi créer des liens structurels. C’est le cas de la Fédération internationale de football association (FIFA), association de droit suisse ayant pour membres des associations nationales, lesquelles regroupent des clubs de football qualifiés d’amateurs ou de professionnels, ces derniers disposant d’associations spécifiques, dites « ligues professionnelles ». En raison du caractère obligatoire du règlement pour les associations nationales membres de la FIFA et les clubs qu’elles regroupent, ces instances apparaissent durablement liées quant à leurs comportements en imposant de la même manière leurs conditions aux agents de joueurs (TPICE, 26 janv. 2005, aff. T-193/02, L. Piau c/ Commission : Rec. CJCE, II, p. 209, point 114). En revanche, le Tribunal écarte toute qualification de position dominante collective pour la situation des agents de joueurs, à défaut de liens structurels entre eux. Il considère que la détention de la même licence, l’utilisation du même modèle de contrat et la détermination de la rémunération des joueurs selon les mêmes critères ne suffisent pas à caractériser une démarche identique sur un marché qu’ils se partageraient implicitement (point 118).

9. – Facteurs de corrélation résultant de la structure du marché

La Cour franchit un pas supplémentaire dans l’affaire de la Compagnie Maritime Belge en déclarant : « l'existence d'un accord ou d'autres liens juridiques n'est pas indispensable à la constatation qu'il existe une position dominante collective, constatation qui pourrait résulter d'autres facteurs de corrélation et dépendrait d'une appréciation économique et, notamment, d'une appréciation de la structure du marché en cause » (CJCE, 16 mars 2000, affaire dite CEWAL, citée supra n° 6, point 45). Il est ainsi fait référence à la question de la coordination tacite, mais sans que l’on sache vraiment si la voie est pleinement ouverte pour une qualification de position dominante collective sur la seule base de l’existence d’un oligopole. Le Tribunal a alors précisé la situation : «les entreprises sont en mesure de prévoir leurs comportements réciproques et sont donc fortement incitées à aligner leur comportement sur le marché de façon, notamment, à maximiser leur profit commun en restreignant la production pour augmenter les prix » (TPICE, 30 sept. 2003, TPICE, 30 sept. 2003, aff. T-191/98 et T-212/98, Atlantic Container Line AB et a., affaire dite TACA, Rec. p.II-3275). Le droit des concentrations est assurément le domaine de référence naturel pour l’application de la position dominante collective dans le cadre de l’article 102 TFUE (ancien art. 82 CE) (TPICE, 26 janv. 2005, aff. T-193/02, L. Piau, cité supra n° 8, point

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111) Pour caractériser l’existence d’une position dominante collective, le Tribunal s’est référé à deux arrêts rendus dans le cadre du contrôle des concentrations (TPICE, 6 juin 2002, aff. T-342/99, Airtours: Rec. CJCE 2002, II, p. 2585, point 62. - TPICE 8 juill. 2003, aff. T-374/00, Verband der freien Rohrwerke, Rec. CJCE 2003, II, p. 2275, point 121). Ainsi énonce-t-il que « la constatation de l’existence d’une position dominante collective dépend de la réunion de trois conditions cumulatives : premièrement, chaque membre de l’oligopole dominant doit pouvoir connaître le comportement des autres membres, afin de vérifier s’ils adoptent ou non la même ligne d’action ; deuxièmement, il est nécessaire que la situation de coordination tacite puisse se maintenir dans la durée …; troisièmement, la réaction prévisible des concurrents actuels et potentiels ainsi que des consommateurs ne remettrait pas en cause les résultats attendus de la ligne d’action commune ». Ce procédé de référence, dans l’affaire Piau, est d’autant plus important à noter qu’il n’était pas nécessaire pour aboutir en l’espèce à la solution retenue et se présente comme un obiter dictum très révélateur de l’interprétation à laquelle tient le Tribunal.

10. – Précision éludée dans les orientations

Dans la consultation qu’elle avait ouverte en 2005, la Commission avait proposé d’éclairer le débat sur la position dominante collective. Or, dans les orientations publiées en février 2009, elle élude toute précision sur ce concept en précisant que ce texte ne vise que les abus commis par les entreprises occupant une position dominante individuelle.

B. – Domination

1° Notion de pouvoir de marché

11. – Définition jurisprudentielle de la position dominante

La Cour de justice définit la position dominante comme « le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et finalement des consommateurs » (CJCE, 14 févr. 1978, aff. 27/76, United Brands : Rec. CJCE 1978, p. 207, point 65. - CJCE, 13 févr. 1979, aff. 85/76, Hoffmann-La Roche : Rec. CJCE 1979, p. 461, point 38). La position dominante éclaire le fondement de la prohibition : elle confère une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte à une concurrence effective (CJCE, 9 nov. 1983, aff. 322/81, Michelin : Rec. CJCE 1983, p. 3461, point 30).

12. – Concept économique de pouvoir de marché

Dans les orientations relatives à l’article 82 CE (devenu 102 TFUE), la Commission établit un lien d’équivalence entre la définition jurisprudentielle de la position dominante et la notion économique de pouvoir de marché. Celle-ci est définie comme « la capacité d’augmenter les prix rentablement au-delà du niveau concurrentiel pendant une longue période sans subir de pressions concurrentielles effectives suffisantes ». La Commission ajoute que « par augmenter les prix » au détriment du consommateur il faut comprendre l’influence négative sur les paramètres concurrentiels que sont la production, l’innovation, la variété ou la qualité des biens ou des services (voir, dans le même sens, la définition du pouvoir de marché dans les lignes directrices sur

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l’appréciation des concentrations horizontales et dans les lignes directrices sur la mise en œuvre de l’article 81 § 3). Une période de deux ans est normalement suffisante pour apprécier l’existence de réactions possibles des concurrents et des consommateurs à une détérioration des conditions de prix, de qualité ou d’innovation.

2° Critères

13. – Position sur le marché de l’entreprise dominante

La recherche de la domination commence par l’établissement des parts de marché de l’entreprise en cause. Les économistes ont vivement critiqué l’importance excessive accordée à ce critère. La Cour de justice avait pourtant précisé que la présomption attachée à de très forts pourcentages de parts de marché pouvait tomber en présence de circonstances exceptionnelles (CJCE, 13 févr. 1979, aff. 85/76, Hoffman-LaRoche : Rec. CJCE 1979, p. 641, point 41). Cependant cette possibilité est restée en retrait dans la pratique décisionnelle : la contestation de la portée des parts de marché par d’autres critères n’est pas pratiquée. En revanche, cette portée est relative puisqu’elle doit toujours être complétée par d’autres éléments. La Cour s’appuie sur une combinaison de critères qui pris séparément ne sont pas nécessairement déterminants (CJCE, 14 févr. 1978, aff. 27/76, United Brands : Rec. CJCE 1978, p. 207). Les orientations relatives à l’article 82 CE (devenu 102 TFUE) retiennent que « les parts de marché sont une première indication utile sur la structure du marché ». Il est clair que des parts de marché très élevées et stables sont un indice sérieux. Mais les orientations développent ensuite plusieurs critères d’appréciation. Il n’est pas question de retenir à partir des seules parts de marché une présomption de domination, mais il est au moins possible de retenir une présomption d’absence de pouvoir de marché. Les orientations indiquent que tel est le cas en dessous d’un seuil de 40%. Cette zone de sécurité est utile pour l’autoévaluation des entreprises. Il convient d’insister sur le fait que cette présomption ne vaut que pour l’application de l’article 102 TFUE (ancien art. 82 CE). En effet, il existe une gradation dans le pouvoir de marché. Ainsi, s’agissant de l’application de l’article 101 TFUE (ancien art. 81 CE), il faut se référer aux règlements d’exemption. Les seuils qu’ils dégagent pour une présomption d’absence de pouvoir de marché rendant possible le mécanisme d’exemption par catégorie sont, quant à eux, entre 20 et 30 % selon les catégories d’accords auxquels ils s’appliquent.

14. – Position sur le marché de ses concurrents

Les parts de marché des concurrents sont tout aussi utiles pour déterminer le rapport de force existant sur le marché. Si l’entreprise n’a que des concurrents ayant de très faibles parts de marché, sa position ne pourra qu’en être renforcée. À l’inverse, si elle a certains concurrents avec des parts de marché substantielles, la situation ne sera pas aussi avantageuse pour elle. Cependant, l’analyse ne doit pas s’arrêter au temps présent.

15. – Capacité d’expansion ou d’entrée de concurrents

La concurrence est un processus dynamique. Il faut donc prendre en compte la possibilité qu’ont les concurrents existants de renforcer leur position ou la possibilité laissée à de nouveaux concurrents de pénétrer le marché. La contestabilité de la position d’une entreprise est le point d’appréciation le plus important. Le concept des barrières à l’entrée recouvre une grande diversité. Les

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barrières peuvent d’abord être constituées par des avantages juridiques résultant de barrières réglementaires comme les autorisations administratives ou licences, les droits de propriété intellectuelle. Elles peuvent aussi être des avantages techniques qui peuvent résulter de la lourdeur des investissements préalables requis, d’un accès préférentiel à des installations essentielles ou à des ressources naturelles, d’une avance technologique. Les avantages financiers peuvent être pris en compte à travers les économies d’échelle. Il en va de même pour les avantages commerciaux d’une telle ampleur qu’ils constituent une force de frappe, comme cela peut être le cas avec un réseau de distribution particulièrement bien étoffé, avec une notoriété ou une image de marque. Enfin, il faut mentionner l’impact de l’effet de réseau. Le phénomène résulte d’un produit qui s’est imposé comme le standard technique commun, ce qui contraint d’autres produits ou services à rechercher leur compatibilité avec lui seul. L’exemple emblématique est Windows, logiciel d’exploitation pour ordinateurs personnels de Microsoft. La capacité d’attraction de Windows est telle qu’une vente liée de Windows Media Player avec Windows ferme définitivement le marché du lecteur multimedia. Windows Media Player sera systématiquement choisi par les fournisseurs de contenus et concepteurs de logiciels qui sont soucieux d’éviter une dispersion de leurs investissements et les autres concepteurs de lecteurs multimedia seront exclus sans pouvoir faire valoir leurs mérites. L’effet de réseau transforme le pouvoir de marché en une spirale aveugle agissant sur des marchés adjacents.

16. – Puissance d’achat compensatrice

Le pouvoir économique des acheteurs peut être un contrepoids au pouvoir de l’entreprise en cause (CJCE, 15 déc. 1994, aff. C-250/92, Gottrup-Klim, Rec. CJCE 1994, I, p. 5641, point 32). Si la demande est éclatée, la position de force peut définitivement se constituer en pouvoir de domination. Il convient de s’attacher à la taille commerciale des clients, à leur capacité de changer rapidement de fournisseur, leur capacité de s’intégrer verticalement. Tout élément permettant aux acheteurs d’exercer ou non une pression concurrentielle doit être pris en compte.

III. – Abus V. JCl. Europe Traité, Fasc. 1422, Fasc. 1423

A. – Notion

17. – Interprétation téléologique

La notion d'exploitation abusive n'est pas définie, dans le traité, en des termes généraux. Les rédacteurs de l’article 102 TFUE (ancien art. 82 CE) ont procédé à une définition par illustrations. La Cour a très vite considéré que cette énumération n'épuisait pas les modes d'exploitation abusive de position dominante et devait être enrichie de telle manière à ce que cet article serve pleinement les finalités les plus élevées de la construction européenne (CJCE, 21 févr. 1973, aff. 6/72, Continental Can : Rec. CJCE 1973, p. 215). Cette énumération n'est donc pas exhaustive.

. - Atteinte à une structure de concurrence effective

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De cette interprétation téléologique est né le standard jurisprudentiel de « pratiques de nature à influencer la structure d’un marché » où la concurrence est déjà affaiblie (CJCE, 13 février 1979, aff. 85/76, Hoffmann LaRoche : Rec. 1979, p.461 ; CJCE, 9 novembre 1983, aff. 322/81, Michelin : Rec., p.346 ; CJCE, 3 juillet 1991, aff. C-62/86, AKZO : Rec. p. I-3359 ; CJCE, 15 mars 2007, aff. C-95/04P, British Airways, Rec. p. I-2331).

18. – Conception objective de l’abus

L’intention de nuire n’est pas un élément constitutif de l’abus. La Cour considère que l’abus est « une notion objective qui vise les comportements d’une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d’un marché où, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou services, au maintien du degré de concurrence existant sur le marché ou au développement de cette concurrence » (CJCE, 13 févr. 1979, aff. 85/76, Hoffmann La Roche, pt 91). Une exception est faite pour l’appréciation des prix prédateurs (V. infra). De manière générale, l’intention de nuire, tout en n’étant pas requise (CJCE, 6 avril 1995, aff. C-310/93, BPB et Bristih Gypsum, Rec. p. I-2097), sera un indice complémentaire (Trib.UE, 1er juillet 2010, aff. T-321/05, AstraZenaca, point 359).

19. – Responsabilité particulière des entreprises dominantes

La conception objective de l’abus a été éclairée par la Cour : « la constatation de l'existence d'une position dominante n'implique en soi aucun reproche à l'égard de l'entreprise concernée, mais signifie seulement qu'il incombe à celle-ci, indépendamment des causes d'une telle position, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte à une concurrence effective » (CJCE, 9 nov. 1983, aff. 322/81, Michelin : Rec. CJCE 1983, p. 3461, et récemment Comm. CE, déc., 29 mars 2004, COMP/C-3/37.792, Microsoft : JOUE n° L 32, p. 23, point 54. - TPICE, 17 sept. 2007, aff. T-201/04, Microsoft c/ Commission : Rec. CJCE 2007, II, p. 3601, point 299). Des pratiques habituellement banales deviennent inacceptables lorsque la concurrence sur le marché en cause n'est plus aussi ouverte (CJCE, 9 nov. 1983, aff. 322/81, Michelin, Rec., p.346 point 57).Le texte des orientations de la Commission ne pouvait pas ne pas retenir ce standard jurisprudentiel. Il est d’ailleurs soutenu avec insistance dans la jurisprudence ultérieure (CJCE, 2 avril 2009, aff. C-202/07P, France Télécom, Rec. p. I-2369 ; CJUE, 14 octobre 2010, aff. C-280/08, Deutsch Telekom, point 176 ; CJUE, 17 février 2011, aff. C-52/09, TeliaSonera Sverige, point 24).

20. – La concurrence par les mérites, critère d’ancrage de l’abus

La concurrence effective suppose que les mérites des uns et des autres puissent être librement appréciés par le consommateur. A cet effet, la Cour précise que « l'entreprise en position dominante ne doit pas recourir à des moyens autres que ceux qui relèvent d'une concurrence par les mérites » (CJCE, 30 sept. 2003, aff. C-203/01, Michelin, points 54, 55, 97. - CJCE, 23 oct. 2003, aff. T-65/98, Van den Bergh Foods, points 157 et 158. - TPICE, 17 sept. 2007, aff. T-201/04, Microsoft, point 1038). Le texte des orientations de la Commission ne pouvait pas davantage ne pas retenir ce standard jurisprudentiel. Il est d’ailleurs fermement soutenu par la jurisprudence ultérieure (CJCE, 2 avril 2009, aff. C-202/07P, France Télécom, Rec. p. I-2369, point 177 ; CJUE, 14 octobre 2010,

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aff. C-280/08, Deutsche Telekom, point 176 ; CJUE, 17 février 2011, aff. C-52/09, TeliaSonera Sverige, point 88).

21. – Approche fondée sur les effets

La concurrence par les mérites doit être appréciée en termes de bien-être du consommateur, ce concept étant devenu clairement la pierre angulaire de la politique européenne de concurrence. La nouvelle approche économique fondée sur les effets devrait permettre de mieux cerner ces mérites. Certes, l’approche fondée sur les effets appelle dans l’application de l’article 102 TFUE (ancien art. 82 CE) une appréciation au cas par cas. Or celle-ci présente plusieurs inconvénients : la faible sécurité juridique pour les entreprises, le risque en terme de cohérence et d’homogénéité de la politique de concurrence à l’échelle de toute l’Union européenne du fait de la déconcentration au profit des instances nationales. C’est la raison pour laquelle les orientations font une présentation synthétique et clarifiée de la jurisprudence européenne à des fins d’intelligibilité et de prévisibilité de la norme juridique. Quelle que soit l’appellation –« tests » pour les économistes ou « conditions » pour les juristes, les grilles d’analyse ainsi présentées devraient permettre aux entreprises de tirer un cadre de réflexions pour la sécurité juridique de leur développement ou un cadre d’argumentations pour exercer efficacement leurs défenses. On relèvera le lien étroit entre le caractère nocif des effets et l’atteinte portée au bien-être des consommateur CJCE, 2 avril 2009, aff. C-202/07P, France Télécom, Rec. p. I-2369, point 105 ; CJUE, 14 octobre 2010, aff. C-280/08, Deutsche Telekom, point 182 ; CJUE, 17 février 2011, aff. C-52/09, TeliaSonera Sverige, point 76).

22. – Critères généraux d’appréciation technique de l’abus

Les orientations mentionnent plusieurs critères d’appréciation : la position de l’entreprise en cause, la position des concurrents actuels sur le marché concerné, les conditions d’entrée ou d’expansion des concurrents sur ledit marché, la position des clients. On retrouve à ce stade les critères de la position dominante, ce qui donne l’impression d’un raisonnement circulaire. Ce constat n’est pas nouveau dans la doctrine juridique. L’explication tient au fait que les économistes ne comprennent l’expression « abus de position dominante » que dans le seul concept de « pouvoir de marché ». Les juristes, quant à eux, ont décomposé l’expression en caractérisant d’abord « la position dominante » puis « l’abus ». La Commission ne pouvait pas occulter un corpus jurisprudentiel bâti sur cette double étape de caractérisation. Elle s’est donc résolue à présenter la position dominante comme étant le pouvoir de marché. Cependant, les orientations vont au-delà de ces critères ayant déjà servi à caractériser la position dominante. Elles mentionnent les preuves éventuelles d’une éviction réelle, les preuves directes d’une stratégie d’éviction. Pour clore les recommandations, elles insistent sur le fait que l’analyse de ces critères généraux doit se faire en comparant la situation actuelle ou hautement prévisible avec « un scénario contrefactuel ». Celui-ci n’est autre que la situation qui résulterait de la simple absence du comportement en cause. L’expression « counterfactual test » a déjà été utilisée dans les lignes directrices relatives à l’article 81 §3 (devenu art. 103 §3 TFUE) à propos de l’appréciation de la restriction de concurrence. En tout état de cause, ces critères généraux doivent être complétés par une grille d’analyse spécifique à chaque type d’abus.

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B. – Typologie des abus

1° Abus d’exploitation

V. Europe Traité, Fasc. 1424

23. – Exploitation d’une rente de situation

Ce type d’abus est exclu par la Commission dans ses orientations, ce qui exprime un choix politique. La Commission semble adhérer à l’opinion prévalente chez les économistes selon laquelle les abus d’exploitation sont moins nocifs que les abus d’éviction, dans la mesure où ils laissent la place à des concurrents pour réagir par un comportement concurrentiel agressif. Ainsi, la pratique de prix élevés laisse l’opportunité à des concurrents de pénétrer le marché en pratiquant des prix beaucoup plus bas. Néanmoins, cette perspective de contestabilité, assez théorique, suppose qu’il n’y ait pas de barrières à l’entrée du marché. C’est la raison pour laquelle les abus d’exploitation appellent, malgré tout, une certaine vigilance. Les risques de rente de situation, en utilisation statique de la domination, ne sont pas négligeables.

24. – Appréciation de prix abusivement élevés

La jurisprudence européenne s’appuie sur une analyse de la structure des coûts (CJCE, 14 févr. 1978, aff 27/76, United Brands, cité supra n° 11, point 252). Il s’agit de comparer le prix du produit avec sa valeur économique pour déceler une disproportion entre le coût effectivement supporté et le prix réclamé, ce qui caractérise le prix inéquitable au sens de l’article 102-a TFUE (ancien art. 82-a CE). L’ampleur des coûts à prendre en considération peut être très débattue (CJCE, 11 avr. 1989, aff. C-66/86, Ahmed Saeed Flugreisen : Rec. CJCE 1989, I, p. 803, point 43). Il peut être également utile de procéder à une comparaison avec la teneur et le coût des services des concurrents à condition que les bases de comparaison soient homogènes (CJCE, 4 mai 1988, aff C-30/87, Bodson c/ Pompes funèbres : Rec. 1988, p. 2479, point 31. - CJCE, 13 juill. 1989, aff. 110/88, Lucazeau c/ SACEM : Rec. CJCE 1989, I, p. 2811, point 30.). Le fait de constater que des services non rendus ont été facturés est de nature à démontrer l’excès (CJCE, 17 mai 2001, aff. C-340/99, TNT Traco Spa et Poste italienne, point 47 :Rec. p.I-4109). Le calcul de la rémunération peut également prendre en considération une part des recettes, comme c’est le cas des sommes exigées par les sociétés de gestion collective des droits d’auteurs aux discothèques (CJCE, 13 juill. 1989, Lucazeau et Tournier, préc.). La transposition de ce mode de calcul aux sociétés de télédiffusion appelle des nuances dès lors que leurs recettes reposent en grande partie sur la publicité, exception faite de certaines télévisions publiques en Suède (CJCE, 11 déc. 2008, aff. C-52/07, Kanal 5 et TV4 AB c/ STIM : Rec. p.I-9275). Illustre une disproportion du fait de prix déconnectés de l’utilisation effective du service, le régime de redevance institué par Duales System Deutschland car les fabricants étaient tenus de payer l’intégralité, même s’ils étaient en mesure de prouver qu’ils n’avaient pas eu un recours effectif à ce service, dans la mesure où leurs emballages étaient commercialisés avec le logo DGP (CJCE, 16 juillet 2009, aff. C-385/07, Der Grüne Punkt, Rec. p. I-6155).

2° Abus d’éviction

25. – Eviction préjudiciable pour le consommateur

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L’éviction d’un concurrent sur un marché est normalement la sanction infligée par les consommateurs à un concurrent inefficace ou dépourvu de mérite. C’est l’aboutissement du processus dynamique de la concurrence dans une économie de marché dont le fonctionnement repose sur la libre rencontre de l’offre et de la demande. Cependant, les orientations envisagent des hypothèses où l’éviction résulte de l’entrave à ce libre jeu de la concurrence du fait d’entreprises en position dominante qui poussent à l’excès leurs avantages concurrentiels. Elles oublient ainsi leur responsabilité particulière qui consiste à préserver un degré suffisant de concurrence sur les marchés où elles agissent. Selon les orientations, le critère majeur de l’éviction condamnable réside dans le préjudice subi par le bien-être du consommateur. Ainsi s’explique la précision terminologique de la Commission : l’éviction anticoncurrentielle n’est autre que l’éviction préjudiciable pour les consommateurs.

26. – Concurrent hypothétique aussi efficace et analyse des coûts

Lorsque la pratique d’éviction repose sur une politique de prix, la nocivité du comportement suivi par l’entreprise dominante sera appréciée par rapport à la projection d’un concurrent hypothétique aussi efficace. On recherche le prix que devrait payer un concurrent pour pénétrer le marché ou réaliser une expansion. Les orientations retiennent la recherche de bon sens consistant à vérifier si les prix pratiqués sont inférieurs aux coûts. Pour analyser les coûts, la Commission entend retenir deux critères : le coût évitable moyen (CEM) et le coût marginal moyen à long terme (CMMLT).Selon elle, si le CEM n’est pas couvert, il est probable que l’entreprise dominante sacrifie ses profits à court terme et qu’un concurrent aussi efficace ne pourrait satisfaire les consommateurs sans subir de pertes, De même, si le CMMLT n’est pas couvert, il est permis d’en déduire que l’entreprise dominante ne couvre pas tous les coûts fixes de la production et qu’un concurrent aussi efficace serait évincé.

27. – Accords d’exclusivité

Ces accords renvoient à diverses techniques de fidélisation par lesquelles les entreprises dominantes imposent de facto des exclusivités à leurs clients à seule fin de priver leurs concurrents de toute clientèle. Les orientations mentionnent plusieurs catégories : les obligations d’achat exclusif, les obligations de fourniture exclusive et les rabais conditionnels. Les obligations de fourniture exclusives ne sont qu’évoquées : elles sont nocives si elles verrouillent l’accès à des intrants et laissent les concurrents dans l’incapacité de trouver des sources efficaces de fourniture. Ce sont les achats exclusifs et surtout les rabais conditionnels qui font l’objet de développements à la mesure des débats très vifs que la pratique décisionnelle et la jurisprudence européenne ont suscités.

28. – Achats exclusifs

La qualification d'abus a été envisagée assez tôt par la Cour (CJCE, 16 déc. 1975, aff. 40 à 48/73, Suiker Unie). Elle a été confirmée aussi bien pour les clauses d'exclusivité pure et simple que pour les clauses d’exclusivité assorties d'avantages pécuniaires (CJCE, 13 févr. 1979, aff. 85/76, Hoffmann-La Roche). Ces avantages pécuniaires peuvent être divers. A été ainsi condamnée une obligation d'achat exclusif en contrepartie de congélateurs mis gracieusement à disposition de revendeurs de glace (TPICE, 8 juin 1995, aff. T-7/93, Langnese-Iglo - CJCE, 1er oct. 1998, aff. C-279/95, Langnese-Iglo). La technique de fidélisation peut être plus subtile mais pas moins condamnée : les congélateurs

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sont mis gracieusement à la disposition des revendeurs contre le simple engagement de ne pas y stocker des glaces d'autres producteurs (TPICE, 23 oct. 2003, aff. T-65/98, Van den Bergh Foods). Les orientations insistent sur le fait que les avantages peuvent servir l’intérêt du client, sans être globalement bénéfiques pour les consommateurs, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas encore clients de l’entreprise dominante et surtout les consommateurs finals. Elles appellent à la vigilance lorsque les concurrents ne sont pas en mesure d’entrer en concurrence pour l’approvisionnement total des clients. C’est le cas lorsque l’entreprise dominante est un partenaire commercial inévitable, soit parce que son produit est « incontournable » au regard de la demande des consommateurs, soit parce que les contraintes de stockage des concurrents seraient trop lourdes. La nocivité des obligations d’achat exclusif dépendra également de leur durée.

29. – Rabais conditionnels

Ils sont accordés aux consommateurs pour les récompenser de l’ampleur de leur achat. A la différence des prix prédateurs, ils peuvent avoir des effets d’éviction sans entraîner nécessairement des sacrifices pour l’entreprise dominante. Le juge européen a d’abord fait une distinction entre les rabais de fidélité et les rabais d'objectifs : « à la différence des rabais de quantité, liés exclusivement au volume des achats effectués auprès du producteur intéressé, la remise de fidélité tend à empêcher, par la voie de l'octroi d'un avantage financier, l'approvisionnement des clients auprès des producteurs concurrents » (CJCE, 13 févr. 1979, Hoffmann-La Roche, aff. 85/76, cité supra n° 11, point 89). La distinction n’est cependant pas si aisée. Ainsi, un système de rabais en fonction du volume ne viole pas l'article 102 TFUE (ancien art. 82 CE), à moins que les critères et modalités d'octroi ne fassent apparaître que le système ne repose pas sur une contrepartie économiquement justifiée, mais tend à l'instar d'un rabais de fidélité d'empêcher l'approvisionnement des clients auprès des concurrents (CJCE, 9 nov. 1983, aff. 322/81, Michelin cité supra n° 11, point 73). En l'espèce, les critères n'étaient pas connus d'avance et les objectifs de vente étaient discutés chaque année, sans même une confirmation écrite. L'évolution vers une violation per se se poursuit avec l'affaire Irish Sugar : le juge décèle, dans les effets des ristournes d'objectifs, la constitution de stocks qui entrave le jeu normal de la concurrence (TPICE, 7 oct. 1999, aff. T-228/97, Irish Sugar, cité supra n° 6). Dans la seconde affaire Michelin, l’opération de requalification s’appuie sur deux éléments : le système de rappels quantitatifs comporte une variation importante des taux de remise entre les échelons inférieurs et supérieurs et la période de référence d'un an apparaît trop courte pour déterminer la base du chiffre d'affaires total (TPICE, 30 sept. 2003, aff. T-203/01, Michelin : Rec. CJCE 2003, II, p. 4071, point 865). Enfin, un système de rabais rétroactifs consentis par une compagnie aérienne à des agences de voyage sur les ventes de billets est condamné pour son effet exponentiel (CJCE, 15 mars 2007, aff. C-95/04, British Airways c/ Commission, Virgin Atlantic Airways). Les orientations soulignent que les rabais rétroactifs peuvent provoquer un verrouillage substantiel du marché. Quelle que soit la nature du rabais, la Commission retient la grille d’analyse à partir des coûts suivants : lorsque le prix effectif est inférieur au CME, le système de rabais pourra en règle générale évincer des concurrents aussi efficaces ; lorsque le prix effectif se situe entre le CME et le CMMLT, il convient de rechercher d’autres facteurs. De manière générale, l’analyse doit s’intégrer dans une appréciation générale tenant compte de preuves qualitatives et quantitatives. La première application du test du concurrent aussi efficace a été effectuée pour la condamnation de Intel à la

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suite de la plainte de son concurrent AMD sur le marché des microprocesseurs (Comm. déc. 13 mai 2009, aff. 37.990, résumé JOUE n°C 227, 22 septembre 2009). En tout état de cause le contexte était assez lourd : Intel avait accordé des rabais aux grands équipementiers informatiques à la condition que ceux-ci lui achètent pratiquement tous les produits dont ils avaient besoin de plus, Intel avait consenti de fortes sommes au plus grand distributeur européen d’ordinateur pour que celui-ci vende exclusivement des PC équipés de processeurs Intel.

30. – Ventes liées et groupées

La subordination d’un contrat à un autre exploite la technique classique d’un effet de levier par lequel une entreprise dominante sur un marché cherche à étendre sa position dominante sur un autre marché, adjacent ou en aval. Elle peut s’appuyer sur d’autres techniques d’abus : la menace d’un refus de contracter ou l’offre de rabais attractifs (CJCE, 13 nov. 1979, aff. 85/76, Hoffmann-La Roche, cité supra n° 11). L'affaire du télémarketing a été la première à souligner de manière autonome cet abus : le Centre belge d’études de marché reprochait à la compagnie luxembourgeoise de subordonner la vente d'antenne sur la chaîne RTL à l'usage d'un numéro d'appel téléphonique de sa filiale, ce qui privait le Centre belge de l'usage de son propre standard téléphonique (CJCE, 3 oct. 1985, aff. 311/84, CBEM). Puis la société Hilti, grand producteur de pistolets de scellement, fut condamnée pour son refus de vendre ses chargeurs sans des commandes de clous de sa fabrication (TPICE, 12 déc. 1991, aff. T-30/89, Hilti : Rec. CJCE 1991, II, p. 01439). Tetra Pak, groupe spécialisé dans le conditionnement par emballage en carton, fut également condamné pour les ventes liées des cartons et des machines de conditionnement. Le caractère indissociable des cartons et des machines destinées au conditionnement fut écarté (CJCE, 14 nov. 1996, C-333/94, Tetra Pak, pt 36). De la même manière fut écarté, dans l’affaire Microsoft, le lien naturel entre Windows et Windows Media Player. L’intégration technologique de WMP n’était pas à ce point impérieuse puisque des versions de WMP étaient vendues séparément pour le Mac de Apple et le Solaris de Sun (TPICE, 17 sept. 2007, aff. T-201/04, Microsoft c/ Commission : Rec. CJCE 2007, II, p. 3601). En synthèse, les orientations retiennent deux éléments constitutifs pour la qualification d’abus : des produits distincts et des effets d’éviction sur le marché lié et/ou le marché liant. S’agissant des rabais multiproduits, la Commission indique qu’elle n’interviendra pas si le prix marginal payé par les clients pour chacun des produits groupés demeure supérieur au CMMLT que supporte l’entreprise du fait de l’inclusion de ce produit dans le groupe de produits.

31. – Prix prédateurs

La pratique de prix bas est le ressort habituel pour stimuler la concurrence entre opérateurs économiques. Le moyen devient abusif dès lors qu'il implique l'abandon de tout profit ou presque, à seule fin d’exclure un concurrent présent sur le marché ou d’entraver un concurrent cherchant à pénétrer ce marché. Après l’élimination de son concurrent, l'entreprise dominante aura toute latitude pour augmenter ses prix au détriment du consommateur. Le test Areeda-Turner a emporté l'adhésion aux Etats-Unis, car il apportait une base scientifique à une admission plus stricte des prix prédateurs, après une période de grande complaisance à l‘égard des plaignants. Il s’articule autour de deux cas de figure : lorsque les prix sont inférieurs aux coûts variables, le sacrifice permet de

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présumer l’intention prédatrice ; lorsque les prix sont compris entre les coûts variables et les coûts moyens totaux, la preuve de l’intention prédatrice doit être complétée. Les institutions européennes ont procédé par emprunt pour leur propre grille d’analyse (CJCE, 3 juill. 1991, aff. C-62/86, Akzo, pts 70-72. - CJCE, 14 nov. 1996, aff. C-333/94, Tetra Pak II. - TPICE, 30 janv. 2007, aff. T-340/03, France Télécom et Wanadoo c/ Commission : REDC 2007, p. 776). Parallèlement à ce courant, la Cour a aussi retenu des abus prédateurs sans constater des prix inférieurs aux coûts moyens totaux (TPICE, 7 oct. 1999, aff. T-228/97, Irish Sugar. - CJCE, 16 mars 2000, aff. 395/96, Cie Maritime Belge). Les orientations s’efforcent d’approfondir et de renouveler les deux points-clés de la qualification : le sacrifice et l’effet d’éviction d’un concurrent. L’application de prix inférieurs au CEM sera généralement considérée par la Commission comme un indice clair de sacrifice, dans le droit fil de la jurisprudence Akzo. En effet, le coût variable moyen (CVM) et le CEM sont identiques dans la plupart de cas. Lorsqu’ils sont différents, le CEM reflète mieux un éventuel sacrifice. C’est la raison pour laquelle il est finalement préféré. La Commission ajoute que la notion de sacrifice ne couvre pas cette seule hypothèse. Elle se réserve donc la possibilité de caractériser par tout moyen direct une stratégie prédatrice, notamment par des documents émanant de l’entreprise dominante, comme cela avait d’ailleurs mentionné dans les affaires Akzo et Tetra Pak. Quant à l’éviction d’un concurrent, la Commission rappelle qu’elle peut n’être que potentielle. Dans l’affaire France Télécom, la Cour de justice reprend les deux hypothèses de la jurisprudence Akzo et maintient le rôle de la possibilité de récupérer les pertes à la seule seconde hypothèse (CJCE, 2 avril 2009, aff. C-202/07P, France Télécom, point 110).

. – Compression des marges

La compression de marge ou la pratique de ciseau tarifaire se situe au croisement de plusieurs notions : les prix prédateurs, les prix excessifs et le refus de contracter. Elle est constituée par le cumul d’un prix élevé à l’amont pour une prestation destinée à un fournisseur et d’un prix en aval assez bas offert au consommateur de telle sorte à empêcher le fournisseur d’exercer une concurrence efficace. Ce dernier ne peut couvrir ses coûts, lesquels intègrent le prix en amont et un prix suffisamment attractif à l’aval. Dans ses orientations, la Commission entend s’appuyer sur le coût marginal moyen à long terme (CMMLT) de la division en aval de l’entreprise intégrée. Cette compression de marge est abusive dans la mesure où l’éviction d’un concurrent aussi efficace porte préjudice au consommateur en limitant ses possibilités de choix (CJUE, 14 octobre 2010, C-280/08P, point 183). En l’espèce, l’opérateur historique allemand avait pratiqué une tarification sur les marchés allemands de connexion aux lignes analogiques et aux lignes ADSL qui évinçaient ses concurrents en aval. La Cour de justice conforte l’analyse se référant aux tarifs et coûts de l’entreprise dominante dans la mesure où cela permet de vérifier si elle a proposé ses services à perte en vue de l’éviction de ses concurrents (point 201). Elle a réitéré cette analyse à propos de l’opérateur historique suédois pour des pratiques sur les marchés de la connexion à haut débit pour les clients finals (CJUE, 17 février 2011, C-52/09, TeliaSonera, poit 42).

32. – Refus de contracter

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A priori, le refus de contracter ne saurait constituer un abus de position dominante en vertu du principe fondamental de la liberté contractuelle qui donne toute latitude pour décliner une offre. En outre, il paraît légitime qu'un opérateur économique entende maximiser les profits dus à son investissement, sans les partager avec un « free-rider ». Néanmoins, le refus devient abusif lorsque l’entreprise dominante entend se réserver par ce moyen un marché adjacent ou en aval et étendre ainsi sa position dominante. La Cour retint cet abus pour la première fois dans une affaire où il y avait un risque d’éliminer toute concurrence en l’absence d’alternative d’approvisionnement : Commercial Solvents refusait de continuer à livrer à l’entreprise Zoja, des matières premières qui étaient indispensables à la production d'un produit dérivé qu'elle seule pouvait fournir (CJCE, 6 mars 1974, Commercial Solvents, aff. 6/73 : Rec. CJCE 1974, p. 223). Ce fut également le cas dans le refus de United Brands de fournir des bananes à la suite d’un désaccord commercial avec son distributeur (CJCE, 14 févr. 1978, aff. 27/76, United Brands, cité supra n° 11). La Cour évoque ici que l’abus est caractérisé lorsque la demande respecte les usages commerciaux et ne présente aucun caractère anormal (ibid. point 182). Elle précise ensuite qu’une situation de pénurie affectant le fournisseur peut caractériser une demande anormale (CJCE, 29 juin 1978, aff. 77/77, BP : Rec. CJCE 1978, p. 1513). Dans l’affaire Bronner, la discussion portait sur le point de savoir si le service en lui-même était indispensable à l'exercice de l'activité d'éditeur de presse et s'il n'existait aucun substitut réel ou potentiel audit système de portage à domicile. La Cour décida que le refus n’était pas abusif parce qu’il existait d’autres modes de distributions et qu’il n’était pas insurmontable techniquement et financièrement pour le demandeur de mettre au point son propre système (CJCE, 26 nov. 1998, aff. C-7/97, Bronner : Rec. p. I-7791, points 41 à 44 ; V. également TPICE, 9 sept. 2009, aff. T-301/04, clearstream Banking AG). Les conditions posées pour la mise en oeuvre de la théorie sont non seulement sévères en elles-mêmes, mais encore strictement appréciées. Les lignes directrices les synthétisent : i) le refus doit porter sur un produit ou service objectivement nécessaire (« nécessité objective de l’intrant ») ; ii) le refus est susceptible de conduire à l’élimination de toute concurrence ; iii) le refus est susceptible de léser le consommateur. Cette dernière condition est transversale à toute l’application de l’article 102 TFUE (ancien art. 82 CE). Mais il semblerait qu’il faille tout particulièrement la caractériser dans ce contexte.

33. – Articulation et conciliation avec le droit de la propriété intellectuelle

Très tôt, la Cour de justice a considéré que « les droits accordés par un État membre au titulaire d’un brevet ne sont pas affectés dans leur existence par les interdictions des articles 85 et 86 … il ne pouvait en être autrement que si l’utilisation du brevet devait dégénérer en une utilisation abusive de cette protection» (CJCE, 29 févr. 1968, aff. 24/67, Parke, Davis & co : Rec. 1968, p. 81. - CJCE, 18 févr. 1971, aff. 40/70, Sirena : Rec. CJCE 1971, p. 69). Peu à peu s’est ébauchée la distinction classique entre l’existence et l’exercice du droit : seul l’exercice peut conduire à un abus susceptible d’être sanctionné. Ainsi, est abusif le refus de contracter issu de la décision de ne plus produire de pièces de rechange pour un certain modèle, alors que beaucoup de voitures de ce modèle circulent encore (CJCE, 5 oct. 1988, aff. 238/87, Volvo c/ Veng : Rec. CJCE 1988, p. 6211). La Cour de justice a ensuite dégagé les circonstances exceptionnelles qui pouvaient caractériser l'abus (CJCE, 6 avr. 1995, aff. C-241 et 242/91, RTE, ITP, affaire dite Magill : Rec. CJCE 1995, I, p.743).

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Premièrement, le refus des sociétés de télédiffusion devait porter sur la matière première indispensable pour créer un guide hebdomadaire complet. Deuxièmement, ce refus devait faire obstacle à l'apparition d'un produit nouveau que les sociétés de télédiffusion n'offraient pas et pour lequel existait une demande potentielle de la part des consommateurs. Troisièmement les sociétés de télédiffusion, par leur comportement, devaient s’être réservé le marché dérivé des guides hebdomadaires de télévision, en excluant toute concurrence sur ce marché. Ces circonstances exceptionnelles reprennent, en définitive, les conditions strictes développées à propos du refus de contracter en général. S'y ajoute une condition spécifique qui est particulièrement opportune en matière de propriété intellectuelle : l'exigence de nouveauté du produit ou du service en cause. La Cour a réitéré ces conditions (CJCE, 29 avr. 2004, aff. C-418/01, IMS Health, point 48 : Rec. p.I-5039). Enfin, l’emblématique affaire Microsoft a permis à la Commission d’étoffer la condition relative à l’apparition d’un produit nouveau, si sensible dans la mesure où c’est le point nodal de la conciliation entre le droit de la concurrence et le droit de la propriété intellectuelle. Le juge européen a retenu une interprétation large selon laquelle il s’agissait de préserver un processus continu de l’innovation (TPICE, 17 sept. 2007, aff. T-201/04, Microsoft.Rec. p. II-3601). Le refus de fournir des informations d’interface en vue d’une interopérabilité avec Windows des logiciels pour serveurs de groupe de travail a été ainsi condamné.

. – Exercice abusif de procédure

L’affaire AstraZeneca illustre deux abus de procédures relevant du droit de la propriété intellectuelle (Trib. UE, 1er juillet 2010, aff. T-321/05, AstraZeneca). Le premier est constitué par des déclarations trompeuses auprès des offices de brevets de plusieurs Etats membres et auprès de juridictions nationales en vue de l’octroi de droits exclusifs érigés en obstacles réglementaires indus. Le second est constitué par l’usage de la procédure de retrait des autorisations de mise sur le marché à seule fin d’empêcher les concurrents de faire usage de la demande ouverte par la directive 65/65 et de retarder ainsi l’arrivée sur le marché de médicaments génériques.

C. – Justifications possibles

34. – Admission de nécessités objectives et de gains d’efficacité

Les orientations envisagent expressément cette possibilité d’échapper à une condamnation en invoquant de telles justifications. Même si le champ de ce texte est limité aux pratiques d’éviction, il est permis de penser que la portée de ces justifications est générale tant elle s’appuie sur une jurisprudence antérieure qui les visait expressément (CJCE, 14 févr. 1978, aff. 27/76, United Brands, cité supra n° 11, point 184. - CJCE, aff. C-95/04, British Airways, cité supra n° 29 : Rec. CJCE 2007, I, p. 2331, points 69 et 86). Cependant, la Commission et la jurisprudence avaient été critiquées pour avoir donné une faible substance à cette possibilité. Il est clair que la Commission entend inciter les parties à mieux argumenter leur défense.

35. – Nécessités objectives

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Dans l’affaire United Brands, la Cour avait admis le « droit de préserver ses propres intérêts commerciaux, lorsque ceux-ci sont attaqués, et (…) il faut lui accorder, dans une mesure raisonnable, la faculté d’accomplir les actes qu’elle juge appropriés en vue de protéger ses dits intérêts » (CJCE, 14 févr. 1978, aff. 27/76, United Brands, cité supra n° 11, point. 189. - V. aussi CJCE, 16 mars 2000, aff. C-395/96 P et C-396/96 P, Cie Maritime Belge, cité supra n° 6, points 107 et 146). Néanmoins, cette perspective a été très resserrée dans l’affaire Hilti. Le juge européen constate que les arguments relatifs à la sécurité des produits et aux affirmations mensongères des autres fabricants de clous n’étaient pas sérieux et que, en tout état de cause, il existait d’autres moyens que le couplage de produits pour sanctionner des concurrents se livrant à la vente de produits dangereux et à la publicité mensongère (TPICE, 12 déc. 1991, aff T-30/89, Hilti, cité supra n° 30). Par la suite, le juge européen a précisé que le fait pour l’entreprise dominante d’opposer une situation financière difficile ou bien d’invoquer la pression imposée par ses clients dans l'octroi de certains avantages financiers ne pouvait suffire pour démontrer la licéité de la pratique, sans livrer d’indications supplémentaires (TPICE, 7 oct. 1999, aff. T-228/97, Irish Sugar, cité supra n° 6, pt 184 et TPICE, 1er avr. 1993, BPB Industries, aff. T-65/89, préc., pt 68). Les orientations renforcent ce courant jurisprudentiel en déclarant que le comportement objectivement nécessaire et proportionné doit se fonder sur des facteurs extérieurs à l’entreprise dominante. Dans l’affaire Kanal5, la Cour justice a envisagé – même si elle ne l’a pas retenue – la possibilité d’invoquer le mode de financement des sociétés de service public (CJCE, 11 décembre 2008, aff. C-52/07, Kanal5, point 47). A été également rappelée la possibilité pour une entreprise en position dominante de protéger ses intérêts, même si elle ne l’a pas davantage retenue en l’espèce (TPICE, 9 septembre 2009, aff. T-301/04, Clearstream, point 132).

36. – Gains d’efficacité

La prise en compte des gains d’efficacité n’est pas nouvelle. Le juge européen vise la possibilité de justification fondée sur des critères d'efficacité économique et présentant un intérêt pour les consommateurs (TPICE, 7 oct. 1999, aff. T-228/97, Irish Sugar, cité supra n° 6, point 189). Par exemple, la jurisprudence admet que des rabais puissent être justifiés par des raisons objectives lorsqu'ils permettent à l'entreprise en cause de réaliser des économies d'échelle (CJCE, 29 mars 2001, aff. C-163/99, République portugaise c/ Commission : Rec. CJCE 2001, I, p. 2613, point 49). Les économies d’échelles sont traditionnellement reconnues pour les gains d’efficience qu‘elles engendrent. Néanmoins, on a reproché à la Commission que la prise en compte de ce type de justification n’existe que sur le plan théorique. Or l’approche fondée sur les effets requiert une réelle mise en balance des effets négatifs et des effets positifs, à défaut de quoi la mise en œuvre du droit de la concurrence peut être suspectée de contrarier l’efficience économique. Certes, l’énoncé de l'article 102 TFUE (ancien art. 82 CE) ne présente pas une disposition semblable à celle du § 3 de l’article 81 du traité CE qui introduit les conditions d'une exemption pour une pratique illicite. Mais le bon sens dicte de bien cibler la prohibition et de l’appliquer de manière utile. La Commission a donc cherché à structurer l’appréciation autour de jalons solides. Il est vrai que les conditions qu’elle pose sont analogues à celles du §3 de l’article 101 TFUE (ancien art. 81 §3 CE). Des critiques ont fait valoir que la Commission modifiait par un texte de soft law l’article du traité. Cependant, les quatre conditions requises expriment des exigences somme toute assez banales. Ainsi, la réalisation des gains d’efficacité grâce au comportement

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incriminé n’est autre que l’exigence d’un lien de causalité. Le caractère indispensable du comportement incriminé pour réaliser les gains d’efficacité renvoie au principe de nécessité transversal à tout le droit de l’Union européenne. Les gains d’efficacité doivent l’emporter sur les effets préjudiciables, ce qui garantit la légitimité du procédé. Enfin, le comportement ne doit pas éliminer toute concurrence car le risque serait trop grand d’un gel définitif du processus concurrentiel et, partant, du processus d’innovation.

37. – Étendue et charge de la preuve

Les nécessites objectives et les gains d’efficacité jouent le rôle d’une exception de défense. Il incombe donc à l’entreprise dominante de supporter la charge de la preuve. La Commission précise que sont requises des preuves solides et vérifiables, d’une ampleur suffisante. Ainsi, la pratique ne saurait être acceptée lorsque l’entreprise se « borne à affirmer, de manière générale, que les rappels quantitatifs sont justifiés par des économies d’échelle dans les coûts de production et de la distribution » (TPICE, 30 sept. 2003, aff. T-203/01, Michelin Michelin, points 107 et s.). Il y a tout lieu de penser que, jusqu’alors, les entreprises ne se sont pas emparées sérieusement de cette défense. Dans l’affaire AstraZenaca, le Tribunal a refusé d’examiner une justification objective soulevée devant lui pour la première fois. Il considère qu’il incombe à l’entreprise dominante de l’invoquer durant la procédure administrative menée par la Commission (Trib. UE, 1er juillet 2010, aff. T-32/05, AstraZeneca, point 686).

Textes

- Communication de la Commission, Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l’application de l’article 82 du traité CE aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes : JOUE n° C 45/02, 2 févr. 2009

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Ouvrages

- M.C.Boutard-Labarde, G.Canivet, E.Claudel, V.Michel-Amsellem, J.Vialens L’application en France du droit des pratiques anticoncurrentielles : LGDJ, Droit des affaires, 2008, p. 826

F.Brunet et G. Canivet (dir.), Le nouveau droit communautaire de la concurrence : LGDJ, Droit des affaires, 2008, p. 744

E.Combe, La politique de la concurrence : Dalloz, La découverte, Economie, 2005, p. 120

A. et G.Decocq, Droit de la concurrence : LGDJ, 2008, 3e édition, p. 628

L. Idot, Droit communautaire de la concurrence : le nouveau système communautaire de mise en oeuvre des articles 81 et 82 CE, Bruylant : FEDUCI Série Concurrence n°1, 2004

L. Vogel, Du droit commercial au droit économique, Traité de droit des affaires, tome 1, LGDJ 2010

M. Waelbroeck et A. Frignani, Commentaire Megret, Le droit de la CE, Concurrence, volume 4 : Editions de l’Université de Bruxelles, 1997