rlpe290 couv.basse defitunesu.bnf.fr/itunesu/medias/ljpl_2017_290.pdf · 2017. 4. 14. · françois...
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5 Éditorial
Jacques Vidal-Naquet
6 Nouveautés
8 Albums
17 Contes
22 Poésie
24 Livres-CD
28 Romans
41 Bandes dessinées
55 Documentaires
63 Jeux vidéo
64 Applis
68 Magazines pour enfants
70 Récits d’enfance
72 Retrouvailles
78 Making ofEgz : the origine of universe
d’Evans Randriamampianina
80 Index
84 Dossier
84 Fred Bernard François Roca à deux voix IPropos recueillis par Brigitte Andrieuxet Marie Lallouet
108 Non conventionnels IPhilippe-Jean Catinchi
117 Quand Fred Bernard s’en va-t-enBD : essai d’enquête surl’Homme-Bonsaï IEntretiens avec Fred Bernard et Grégoire Seguin
126 L’art en couverture IEntretien avec Nicolas Vesin
134 François Roca, peintre I
136 La rude vie des albums pourgrands IConversations avec Élisabeth Paré,libraire et Solène Richard,bibliothécaire
146 Dans les coulisses du Cirqued’Hiver : un album comme il se fait IFrançois Roca et William Boni
148 Fred Bernard et François Roca en20 ans et 22 couvertures… I
Recension et analyse
de 195 nouveautés de l’édition
jeunesse classées par genres,
magazines pour enfants,
livres de référence et récits
d’enfance.
DossierFred Bernard et François Roca20 ans d’aventures
Critiques195nouveautés
Pour prolonger la lecture de ce numéroet retrouver notre rubrique« Informations » consultez notre sitehttp://lajoieparleslivres.bnf.fr
Rejoignez le Centre national
de la littérature pour la jeunesse
sur Facebook
150 Libre cours
151 Le Centenaire de Roald Dahl : Illustrer Roald Dahl, Quentin Blakeraconte INicolette Jones
158 Actualité
Comment ça marche ?
159 Le Labo des histoires I
Vie de l’édition
161 Indispensables traducteurs I
Entretien avec Valérie Le Plouhinec par
Corinna Gepner
166 Antoon Krings et ses Drôles de
petites bêtes : Parcours d’un
créateur, mutations d’un univers I
Entretien avec Antoon Krings par
Claudine Hervouët
Revue des revues
172 Les Revues de langue française I
Ghislaine Chagrot et Aline Eisenegger
174 Les Revues de langue anglaise I
Viviane Ezratty
Formation
176 Formations 2016 de la BnF/CNLJ
Quelques temps forts :
• La bande dessinée : nouvelles
tendances, nouveaux horizons
• Des livres pour ados : quels univers,
quelles écritures, quelles pratiques ?
• Les Visiteurs du soir I
Zaïma Hamnache et Virginie Meyer
Actualité
Actualité de la recherche
sur le livre et la lecture
des enfants et des jeunes
Libre cours 290Septembre
2016
Couverture
Ill. de François Roca, extraite de l’album Le Fantôme du Cirque d’Hiver
écrit par Fred Bernard et édité chez Albin MichelJeunesse, à paraître en octobre 2016.
Comment ça marche ?
Vie de l’édition
Revue des revues
Formation
↓Ill. de François Roca, extraite del’album Le Fantôme du Cirque d’Hiver écrit par Fred Bernard et éditéchez Albin Michel Jeunesse,à paraître en octobre 2016.
5
Chères lectrices, chers lecteurs,
Au cœur de l'été, « Partir en livre », la grande fête du livre
pour la jeunesse, a été une belle invitation à lire et aimer lire,
à travers plus de 3000 manifestations et événements dans
tout le pays.
Le dossier de ce numéro de rentrée prolonge en quelque
sorte cette promesse de voyage en se plongeant dans l’œuvre
de Fred Bernard et François Roca, ces deux créateurs qui,
depuis 20 ans, nous invitent à partir à l’aventure.
Plus de 20 albums jalonnent un parcours marqué par une
exigence sans faille et l’ambition de « faire des livres dont on
n’a pas envie de se débarrasser quand on déménage »,
des livres respectueux des jeunes lecteurs auxquels ils
s’adressent. Un œuvre où le texte et l’image dialoguent,
se complètent et explorent des voies nouvelles. Un œuvre
inventif, en perpétuel renouvellement, à l’image de la
complicité et de la complémentarité de ces deux auteurs
toujours à l’affût. Entretien croisé des deux compères, analyse
critique, enquête, rencontres avec leur directeur artistique,
avec une libraire et une bibliothécaire sont autant
de propositions pour approfondir notre connaissance de
ces deux créateurs, ensemble et séparément.
Et si vous n’êtes pas rassasiés, ne manquez pas de venir
rencontrer Fred Bernard et François Roca en chair et en os à
la BnF le 17 novembre à 18 h ! Ils seront nos « visiteurs du soir ».
Jacques Vidal-Naquet
290 SEP-TEMBRE2016
EVANS RANDRIAMAM-PIANINA
EGZ : THE ORIGINE
OF THE UNIVERSE
Makin
g o
f
78 R L P E 2 9 0
Fait rarissime, ce jeune créateur français a réalisé son jeu vidéo toutseul. Nous avons eu envie de lui laisser la parole.
« Je m'appelle Evans Randriamampianina, je suis âgé de 32 ans et je vis à Paris.
Initialement directeur artistique dans le milieu de la communication, j'ai choisi
de réaliser un rêve d'enfant : créer mon propre jeu vidéo. Après plus de deux années
très intenses, Egz : The Origin of the Universe a vu le jour. Un jeu où le joueur contrôle
un « Egz », une sorte d'œuf sur pattes, afin de l'aider à survivre dans un univers en
pleine création… »
étape 1 : Rédaction d'un document de gamedesign
La création d’« Egz », et c'est valable pour n'importe quel jeu vidéo, a commencé par la
rédaction d’un document de gamedesign. Plus ou moins long, il sert à définir les bases
du jeu : ses règles, ses mécaniques, son univers, ses di5érents protagonistes, etc.
Tout au long du développement d'Egz, ce document de gamedesign a fait o7ce de
bible : chaque question posée durant la création du jeu y trouvait sa réponse.
étape 2 : Réalisation d'un prototype
Une fois le principe de jeu défini, j’ai dû créer un prototype pour voir rapidement ce
qui fonctionnait, ou pas. Ce prototype ressemblait à un jeu non-fini : le design et les
animations n'étaient pas intégrés et il y avait beaucoup de bugs. Mais l’« Egz » (alors
représenté sous la forme d'un simple cercle) pouvait déjà se déplacer, sauter,
rebondir… Et c'était tout. Il n'y avait pas de début ni de fin mais c'était su7sant pour
se rendre compte que le principe de jeu fonctionnait et était su7samment amusant
pour continuer sur cette voie.
Evans Randriamampianina /
lonely wolf
Voir notice p. 63
iOS / Android [test iOS]
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NOUVE AUT É S MAK I NG O F 79
étape 4 : Level Design
Egz est composé de 70 niveaux disséminés dans 7 mondes di5érents. C’est beaucoup ! Tout comme la création de l'univers, cela
passait systématiquement par des croquis sur papier. Puis, il fallait retranscrire ces schémas numériquement afin qu'ils soient
intégrés au jeu. Heureusement, grâce à un éditeur de niveaux créé par mes soins, cette tâche fût plus rapide qu'elle en avait l'air :
en quelques clics, j'étais capable de créer un niveau puis de le tester immédiatement et corriger ce qui ne convenait pas.
étape 3 : Création d'un univers
Une fois le prototype validé, je devais m'attaquer à la création de l'univers du jeu : définir à quoi allaient ressembler les « Egz »,
leurs di5érentes « Egzoplanètes »… Cela passait forcément par du gribouillage sur papier, par la suite numérisé, puis encore
retravaillé et enfin, colorisé. Toute la création de l'univers de jeu est cruciale : en plus de donner un ton unique au jeu, il fallait
aussi que je m'assure que l'ensemble allait être cohérent et, surtout, lisible et compréhensible pour le joueur.
De nombreuses itérations ont été nécessaires afin de trouver un rendu idéal qui allait me plaire.
étape 5 : Et tout le reste…
La création d'Egz ne peut se résumer qu'à ces di5érentes étapes : il fallait aussi ajouter toutes les interactions, concevoir
l'interface, ajouter les sons, les musiques, animer les di5érents éléments, réaliser les cinématiques, supprimer les bugs, faire
tester le jeu par des joueurs afin d'ajuster tout ce qui n'allait pas…
Le développement d'un jeu vidéo est très long et peut demander beaucoup d'e5ort, surtout lorsqu'on le fait tout seul, en
indépendant, comme je l'ai fait. Après plus de deux années intenses, Egz, mon tout premier jeu vidéo, est sorti sur Smartphones
et tablettes iOS & Android en Avril 2016.
84
DOSS IER
Fred Bernard&
François Roca20 ans d’aventures
Ces deux-là ont commencé par l’amitié. À 20 ans à peine, sur les bancs de l’école Émile Cohl deLyon. Cinq ans plus tard, ils signent ensemble leur premier album et travailler en duo devient viteune évidence. Une évidence joyeuse qui bouscule le monde des albums jeunesse dont ils s’emploientà repousser les limites. Si La Reine des fourmis a disparu est leur plus grand succès, Jésus Betz estsans nul doute leur plus grande fierté. Alors que François finissait les images de leur vingt-deuxième album sous l’œil de Fred déjà occupéau texte du vingt-troisième – dont nous ne saurons rien ! –, nous avons fait un petit bout de routeavec eux, les découvrant enthousiastes, sérieux, complices, libres, et, plus que tout, respectueux des jeunes lecteurs auxquels ils s’adressent.
Retrouvez la bibliographiecomplète de Fred Bernard etFrançois Roca sur notre sitehttp://lajoieparleslivres.bnf.fr
→Jésus Betz, Seuil Jeunesse.Le Secret des nuages.
Le Pompier de Lilliputia.
La Reine des Fourmis.
Anouketh. Albin Michel Jeunesse.
86 R L P E 2 8 6
Fred Bernard et François Roca à deux voixIls sont tous les deux bavards et leurs paroles s’enchevêtrent
à plaisir pour nous raconter l’aventure de leur duo. Mais elles
ne s’entrechoquent jamais, tant leur complicité est profonde
et intelligente. Pour un peu, on penserait que c’est la plus jolie
de toutes les histoires qu’ils ont inventées jusque-là…
Entretien avec Brigitte Andrieux et Marie Lallouet
Non conventionnelsCritique littéraire a*ûté, Philippe-Jean Catinchi s’est emparé
des albums qui jalonnent la carrière de ces deux artistes, en solo
ou en duo. Il nous en livre une analyse fine et éclairante.
Par Philippe-Jean Catinchi
Quand Fred Bernard s’en va-t-en BDEssai d’enquête sur L’Homme-Bonsaï
Fred Bernard est aussi auteur et dessinateur de bandes dessinées
pour les adultes. Curieusement, certains des héros imaginés pour
ses albums jeunesse se retrouvent dans cet autre pan de sa
création. Autour de l’Homme-Bonsaï et de Jeanne Picquigny,
plongée dans l’œuvre BD d’un auteur qui ne pense pas qu’aux
enfants.
Entretien avec Fred Bernard et Grégoire Seguin, éditeur BD
L’art en couvertureLes éditeurs lui commandent volontiers des couvertures de
romans et ils ont bien raison: François Roca s’acquitte à merveille
de cet exercice à hauts risques. À preuve, le réveil de la
célébrissime collection Contes et Légendes de Nathan.
Entretien avec Nicolas Vesin, directeur artistique des romans
aux éditions Nathan
François Roca, peintreA*ranchi du public enfantin, des obligations de l’impression et du
souci de la narration, François Roca en sa peinture. Intermède.
La rude vie des albums pour grandsIls l’ont dit tout à trac : les tout-petits, ce n’est pas leur truc. Mais
les plus grands ont-ils toujours envie d’album ? Pas si simple…
Conversations avec Élisabeth Paré, libraire et Solène Richard,
bibliothécaire
Dans les coulisses du Cirque d’HiverPetit coup d’œil sur une illustration du vingt-deuxième album de
Roca et Bernard en train de se faire. Et ce qu’en dit William Boni,
le directeur artistique qui veille depuis longtemps à la préparation
des albums du duo.
Par François Roca et William Boni
Et aussi : Fred Bernard et François Roca en 20 ans
et 22 couvertures.
↗François Roca et Fred Bernard© Éric Garault.
.
Ne manquez pas la rencontre avec Fred Bernard et François Rocale 17 novembre, à la BnF dans le cadre des «Visiteurs du soir»lajoieparleslivres.bnf.fr
DOSS IER FRED BERNARD ET FRANÇOIS ROCA 8
7
Gallimard Jeunesse
Beatrix Potter, trad. de l’anglais
(Royaume-Uni) par Jean-François
Ménard, ill. Quentin Blake
L’Histoire de Miss Kitty
ISBN 978-2-07-060404-3
16,90 €
L’Histoire de Miss KittyRencontre entre deux grands
artistes britanniques du livre
pour enfants à un siècle de dis-
tance. Quentin Blake illustre
un manuscrit inédit de Beatrix
Potter.
On ne trouve pas tous les jours
un inédit de grand auteur !
Imaginez quelle fut la
surprise de Jo Hanks, éditrice de
Penguin Random House Children’s,
lorsqu’au cours de recherches sur
Beatrix Potter (1866- 1943) elle a
trouvé mention d’une lettre de cette
artiste à son éditeur Harold Warne,
datée de 1914, et dans laquelle elle
faisait référence à un manuscrit non
édité à propos d’une histoire de
«chatte noire bien élevée du nom de
Miss Kitty menant une sorte de
double vie et les soirs de lune partant
chasser avec une petite carabine et
habillée en chat botté ».
Très intriguée par cette
découverte, l’éditrice a mené des
recherches dans les archives de
l’artiste conservées au Victoria &
Albert Museum..1
Jo Hanks a trouvé un petit cahier
d’écolier contenant deux manuscrits
de l’histoire de Miss Kitty, un croquis
coloré représentant la chatte habillée
en chasseur, une esquisse au crayon
d’un renard et des épreuves collées
sur une maquette et annotées au
crayon par Beatrix Potter.
D’autres lettres figurant dans ces
archives indiquent que l’artiste avait
très certainement l’intention de
terminer cette histoire. Mais le début
de la Première Guerre mondiale, son
mariage, la mort de son père, sa
passion de plus en plus prenante pour
sa ferme et ses moutons, des
problèmes de vue et sans doute un
certain manque d’enthousiasme de
son éditeur ont interrompu ce projet
qu’elle n’a jamais repris par la suite.2
Les éditions Penguin Books ont
bien évidemment décidé de ne pas
laisser dormir un tel trésor plus
longtemps et de publier cette histoire
sous le titre donné par Beatrix Potter
The Tale of Kitty-in-Boots en faisant
appel au célèbre illustrateur
britannique Quentin Blake qui a
accepté avec enthousiasme de
l’illustrer.3
Lorsqu’on ouvre un album de
Quentin Blake on s’apprête à se
régaler de son style unique, plein de
vie, d’humour et de mouvement.
Lorsqu’on ouvre une histoire de
Beatrix Potter on s’apprête d’avance
à se régaler d’un délicieux et gentil
conte animalier. Mais L’histoire de
Miss Kitty a été écrite à un moment
où Beatrix Potter manifestait
clairement la lassitude qu’elle
éprouvait depuis quelques années à
écrire « des livres gentils et vertueux
sur des gens charmants »…
Cet album est donc une double
surprise : un texte étonnant et des
illustrations étonnantes. Une
alchimie, à un siècle de distance,
entre deux artistes de sensibilité et
de style diQérents mais se rejoignant
dans l’excellence et dans le refus de la
condescendance envers leurs jeunes
lecteurs.
Retrouvail
les
72 R L P E 2 9 0
Qui ne connaît pas le petit lapin à
jaquette bleue, célèbre héros de
l’album Pierre Lapin publié en 1902
chez l’éditeur Warne et premier des
23 contes animaliers que Beatrix
Potter a écrits et illustrés ? Ces livres
de petit format afin « que les enfants
puissent facilement les tenir en main »
sont des classiques lus, appréciés et
traduits dans le monde entier. Pierre
Lapin fait partie des icônes de la
littérature enfantine.
Beatrix Potter avait un faible pour
les lapins et en a eu plusieurs qui
l’accompagnaient partout et auxquels
elle apprenait des tours… !
Les chats, eux, n’étaient
semble-t-il pas ses animaux
domestiques favoris. Bien qu’elle ait
déclaré à son éditeur ne pas savoir les
dessiner… elle en a cependant mis en
scène un grand nombre dans ses
histoires : le chat blanc du jardin de
Monsieur MacGregor, l’égoïste matou
Simon, la chatte Tabitha Tchutchut et
sa cousine la délicate petite Ribby, les
chatons amateurs de sottises Moufle,
Mademoiselle Mitoufle et Tom
Chaton, le chat épicier Gingembre, la
chatte blanche Suzanne, le chat
mélancolique qui sauve Petit Cochon
Robinson.
Il faut désormais ajouter à cette
liste la très spéciale chatte Miss Kitty
qui, depuis un siècle, restait bien
cachée dans les archives de l’artiste !
« Il était une fois une jeune chatte
noire sérieuse et bien élevée… ». Miss
Kitty appartient à une vieille dame qui
«aurait été terriblement peinée si
jamais elle avait vu Kitty porter une
veste de gentleman chasseur et des
petites bottes fourrées »… pour partir
chasser les nuits de lune. Pour donner
le change, Kitty berne sa maîtresse en
demandant à un matou noir,
Torve-de-l’Œil, de venir prendre sa
place jusqu’à son retour dans le lavoir
où elle dort habituellement. Mais un
soir ce matou refuse et veut aller
chasser avec elle.
Avec ses talents de conteuse,
Beatrix Potter fait le récit des
péripéties de cette nuit de
braconnage. Seulement voilà : Kitty
ne sait pas se servir de sa carabine à
air comprimé. Les coups partent tout
seuls… et elle rate tout ce qu’elle vise !
Elle va donc de mésaventure en
mésaventure. Certaines sont
vraiment cocasses mais plus le récit
avance plus elles s’avèrent
malheureuses. Des furets lui
arrachent sa carabine et, oh ironie !,
c’est « un robuste lapin d’âge mûr en
veste bleue » – et l’on reconnaît bien
sûr Pierre Lapin plus âgé – qui lui
permet de la reprendre en assénant
un bon coup de parapluie à l’un des
furets.
La tension du récit s’accentue au
moment où Kitty tombe prisonnière
d’un piège tendu par le vilain renard
M. Tod. Qui va la délivrer ?
Certainement pas ce renard qui vient
relever son piège et se dispute
âprement avec elle. C’est finalement
Madame Piquedru, une modeste
hérissonne, qui la sort du piège mais
Kitty y laisse ses bottes et perd
carrément un orteil ! Dépitée elle jette
son habit de chasseur, rentre
bredouille à la maison et se bat
férocement avec Torve-de-l’Œil
jugeant qu’il est la cause de tous ses
malheurs. L’histoire se termine ainsi :
«Kitty continua de boiter un peu
toute sa vie. Mais elle boitait avec
élégance. Elle trouvait largement de
quoi s’occuper dans la cour à attraper
des souris et des rats. Elle se
changeait les idées en prenant le thé
avec les chattes respectables du
village, comme la cousine Ribby et
Tabitha Tchutchut ».
L’histoire de Miss Kitty est un récit
légèrement sombre malgré des
touches d’humour et de drôlerie. Il est
dans la veine de L’Aventure de Monsieur
Tod que Beatrix Potter avait publiée
deux ans auparavant en 1912 et dont
le texte s’ouvrait par cette déclaration
étonnante mais franche : « J’ai écrit
beaucoup de livres sur des personnes
bien élevées. Pour changer un peu je
vais vous raconter l’histoire de deux
personnages désagréables appelés
Ernest Blaireau et Monsieur Tod, le
renard…».
Les animaux que rencontre Kitty
sont eQectivement presque tous des
personnages assez désagréables et un
peu louches. Le matou un peu
débraillé Torve-de-l’Œil (son nom
anglais Winkiepeeps est bien plus
pétillant) s’avère lâche, la chatte
Boîte-à-Crème est une grosse chatte
un peu mégère en cheville avec un
NOUVE AUT É S R E T ROUVA I L L E S 73
chiQonnier, les furets sont des
personnages « douteux », et le renard
est un prédateur rusé et sans pitié qui
abandonne cyniquement sa proie à
son triste sort tout en se moquant
d’elle et de ses prétentions de
chasseur.
Miss Kitty elle-même abandonne
ses manières de chatte bien élevée
pour retrouver ses instincts naturels
et sa sauvagerie de chat n’hésitant
pas à cracher, griQer, se battre.
Beatrix Potter était une fine
observatrice de la vie des animaux et,
si elle les anthropomorphisait dans
ses récits comme dans ses
illustrations, elle n’en gommait jamais
totalement le côté animal. Elle
rappelle d’ailleurs clairement dans ce
récit par une petite touche assez
drôle la nature carnivore des chats :
«Elle mangea une souris (crue) le seul
gibier qu’elle avait dans sa besace » !
Kitty est un personnage étrange et
ambigu qui défie l’autorité et joue en
quelque sorte sur deux identités. De
chatte elle se déguise en chat et ne
s’oQusque pas, bien au contraire, si on
la prend pour un chasseur et qu’on lui
dit « Monsieur ». Elle mène vraiment
une double vie, une vie nocturne de
chat félin et chasseur et une vie
diurne de chatte ronronnante et
respectable. La diQérence entre ces
deux vies est soulignée avec humour
par les jeux de prénoms que Beatrix
Potter prête à cette chatte. Elle
s’appelle Kitty mais préfère qu’on la
nomme « Miss Catherine Saint
Quentin », tandis que les matous la
surnomment Louchinette ou Quiou !
Beatrix Potter émaille son récit de
réflexions légèrement ironiques. Miss
Kitty « rata une autre souris et n’osa
tirer sur une troisième car elle portait
un panier » ! Ou bien elle poursuivait
le lapin « mais elle ne voulait pas tirer
sur lui car il portait une veste si
élégante » ! Pleine de bravoure, Kitty
tient tête au renard des heures
durant mais est incapable de tirer sur
lui et en partant ce dernier lui lance
de façon théâtrale : « Peut-être
deviendrez-vous plus raisonnable d’ici
au lever du jour, madame ! ».
Selon leurs caractères et leurs états
d’âme les jeunes lecteurs liront cet
album comme une simple aventure,
ou un conte d’avertissement, ou une
fable, ou encore une petite comédie.
Cette histoire est sans doute le tout à
la fois. Dans tous les cas texte et
illustrations les mèneront de surprise
en surprise. Ils suivront Kitty tout en
souriant de ses mésaventures sans
pour autant pressentir trop tôt la fin
qui n’est pas tout à fait une « happy
end » ! Beatrix Potter savait
parfaitement que les animaux comme
les enfants ne vivent pas toujours
dans un monde tout rose… et ses 23
petits contes antérieurs ne sont pas
minaudants et juste gentillets comme
on pourrait le croire à première vue.
Beatrix Potter regardait la vie en face.
Il est tentant de se demander s’il n’y a
pas un parallèle entre la vie de cette
chatte obéissante le jour et
désobéissante la nuit et celle de
Beatrix Potter écartelée elle-même
entre conformisme et rébellion. Tout
en observant les bonnes manières de
sa classe sociale elle a eQectivement
tenté par divers moyens d’échapper
aux carcans de la bourgeoisie
victorienne enfermant les femmes
dans des rôles contraignants. Comme
l’indique la critique M. Daphne Kutzer
74 R L P E 2 9 0
« Beatrix Potter est du côté de la
rébellion… mais son allégeance est
complexe. Il semble que l’on doit
savoir quand se rebeller et pas
seulement comment. Si l’on rate le
bon moment de la rébellion il se peut
que l’on ne puisse jamais sortir des
limites confinées de la maison. »4
Pour illustrer L’Histoire de Miss Kitty,
Quentin Blake n’a évidemment pas
opté pour un pastiche qui aurait repris
l’alliage de naturalisme méticuleux et
de fantaisie des fameuses aquarelles
de Beatrix Potter. L’eQet de surprise et
de fraîcheur est donc total comme
pour tout classique revisité par un
véritable artiste.
De Beatrix Potter il a seulement
repris la mise en pages faisant
alterner illustrations encadrées d’un
fin liseré noir et vignettes de forme
irrégulière sur fond blanc.
Dès l’abord, la couverture donne le
ton. Une chatte un peu étrange en
costume de chasse brun rouille et
bottes grises se tient fièrement
debout les jambes croisées sur un
fond rose pâle. Ses grands yeux vert
amande, ronds et un peu lunaires, lui
mangent le visage et lui donnent un
air décidé voire narquois. Elle s’appuie
d’un bras sur un muret de pierres
comme quelqu’un qui s’apprêterait à
raconter une histoire et dirait : Vous
allez voir ce dont je suis capable !
Quentin Blake fait d’abord une
lecture presque physique de l’histoire,
attirant le regard du lecteur sur les
mouvements de tous ces animaux en
train de courir, viser, brandir une
carabine, faire tournoyer un
parapluie, sauter, menacer, griQer,
bondir, guetter, s’esquiver.
Il utilise le procédé qu’il a mis au
point depuis plusieurs années. Il
dispose une source lumineuse sous
un panneau de verre dépoli sur lequel
il dessine une ébauche. Il place dessus
une feuille de fin papier aquarelle
Arches sur laquelle il dessine avec une
plume et de l’encre. Cette opération
dit-il « ne consiste pas à décalquer
l’esquisse. En fait, il est capital que je
ne puisse pas la voir trop clairement
au-dessous de mon papier car,
lorsque j’attaque le dessin, je
m’eQorce de le réaliser comme si
c’était le premier jet ». Ensuite il peint
à l’aquarelle avec toutes sortes de
pinceaux5.
Dans cet album quatre ou cinq
couleurs légères et fluides dominent
tour à tour les fonds qui encadrent les
personnages. Elles sont somptueuses.
De nombreux bleus pastel un peu
délavés indiquent de façon non
littérale que l’histoire se déroule au
clair de lune. Des bleus qui
agrandissent l’espace et créent une
atmosphère légèrement mystérieuse,
celle de la nuit et du guet dans les
bois. Parfois le ciel se teinte de rose ou
de lilas pâle. Les murs ocre jaune des
maisons sont dans des tonalités plus
chaudes. Dans les deux scènes qui se
déroulent à l’intérieur de la maison le
décor comporte peu de détails et ne
situe donc pas le récit dans une
époque donnée, lui conférant ainsi un
caractère intemporel. Les feuillages
des arbres à peine esquissés sont
verts, bleus, parme ou gris.
De son trait rapide, irrégulier,
griQonné, Quentin Blake souligne le
côté cocasse de certaines scènes.
Même si ces animaux sont vilains il les
dessine avec un brin de sympathie
joyeuse. Comme c’est drôle de voir
NOUVE AUT É S R E T ROUVA I L L E S 75
cette chatte armée d’une carabine
presque deux fois plus grande qu’elle
tirer sur une minuscule souris
bondissant plus haut que l’herbe. Le
lapin a des oreilles immenses et semble
quasiment s’envoler avec son parapluie
au moment où il saute d’un mur. Le
pelage du renard change de couleur
d’image en image et passe d’un très
beau parme à un brun châtaigne puis à
un gris froid. On dirait qu’il danse en
ouvrant sa besace puis en
abandonnant Kitty il prend une allure
de grand seigneur. Madame Piquedru,
simple hérisson, est deux fois plus
grosse que Kitty qui semble tout à
coup une toute petite chose
emprisonnée dans un piège. Lorsque
Kitty lance violemment son habit de
chasse et sa carabine au-dessus d’une
sorte de précipice on a l’impression
qu’elle pourrait s’y jeter elle aussi tant
son dépit est grand.
L’humour de l’avant-dernière
illustration dissipe en partie la petite
pointe de tristesse de la fin puisque la
chatte restera boiteuse pour la vie.
Kitty porte une longue robe rose à pois
qui lui donne un air à la fois élégant et
un peu excentrique. Elle brandit sa
théière comme une sorte de trophée
pour servir ses deux amies qui
l’écoutent. Le dessin est si expressif que
l’on entend presque les bavardages
mondains de ces trois chattes « so
british… » en train de prendre le thé !
Pour clore l’album Quentin Blake
ajoute un air de mystère à la superbe
l’illustration finale montrant
Torve-de-l’Œil qui retourne à une vie
sauvage et indépendante dans des
bois sombres et touQus, lieux de
chasse et d’aventures.
Quelles autres aventures ? Le
lecteur est libre d’imaginer…
Mais l’on ne peut s’empêcher de
penser au chat de Rudyard Kipling
«qui s’en va par les Chemins Mouillés
du Bois Sauvage, remuant la queue et
tout seul. »
Lors d’un échange téléphonique que
Sir Quentin a eu la générosité de
m’accorder il m’a confié avec malice :
« J’aime dessiner les chats si ils sont
assez mal élevés ! ». Réponse qui aurait
certainement beaucoup plu à Beatrix
Potter à laquelle il fait un clin d’œil
amical en la représentant à sa façon
page 16 lorsque la narratrice dit « Je
me demande pourquoi. J’ai mis
longtemps à deviner qu’en fait il y
avait deux chats noirs ! ».
Comme je lui demandais s’il ne
trouvait pas la fin de cette histoire un
peu triste puisque cette chatte restera
légèrement boiteuse à vie, il m’a
répondu avec humour « Oui mais elle
boite élégamment ! ».
Il m’a également dit qu’il y avait sur
chaque page tant d’activités à
dessiner que cela avait été un vrai
plaisir pour lui que d’illustrer cette
histoire dont il ne peut s’empêcher par
moments d’imaginer que Beatrix
Potter l’avait gardée pour lui !
Qu’il soit remercié de son plaisir
d’artiste par le plaisir certain qu’auront
enfants et parents à lire cet album
surprenant dont la publication
coïncide avec la célébration des
150 ans de la naissance de Beatrix
Potter. Un beau cadeau d’anniversaire.
Catherine Bonhomme
1. http://www.vam.ac.uk/blog/national-
art-library/beatrix-potters-tale-of-kitty
-in-boots-2
2. Linda Lear : Beatrix Potter : the
extraordinary life of a Victorian genius,
Penguin Books, 2008, p. 267.
3. Cet album est publié simultanément
en France chez Gallimard Jeunesse sous
le titre L’Histoire de Miss Kitty.
4. M. Daphne Kutzer : Beatrix Potter :
writing in code, Routledge, 2003.
5. Quentin Blake : La Vie de la page,
Gallimard Jeunesse, 1995, p. 40.
76 R L P E 2 9 0
Beatrix Potter
Née en 1866 dans une famille de la
grande bourgeoisie victorienne,
Beatrix Potter a passé son
enfance à Londres, élevée avec son frère
par des gouvernantes. Elle avait une vie
assez solitaire qui a très certainement
favorisé son goût pour l’observation, le
dessin, l’imagination et peut-être le
secret.
Dès l’âge de 15 ans, elle a tenu un
journal en inventant un code secret
et elle l’a poursuivi jusqu’à ses 31 ans.
Leslie Linder en a élucidé le mystère
en 1958 et le journal a été publié en
1966. Elle passait des heures à
dessiner toutes sortes de petits
animaux, grenouilles, tortues, lézards,
oiseaux, souris, lapins, etc., qu’elle
élevait secrètement avec son frère
dans leur nursery devenue une
véritable ménagerie… au troisième
étage de leur maison londonienne.
Lors des étés que passait sa famille
dans la campagne écossaise et dans
la Région des lacs au nord-ouest de
l’Angleterre, elle a très jeune
développé de véritables talents de
naturaliste, observant et dessinant la
faune et la flore qui l’entouraient.
Elle était notamment fascinée par les
champignons qu’elle dessinait et
étudiait avec acharnement bien qu’ à
sa grande déception ses travaux
scientifiques à leur sujet n’ont pas été
prix au sérieux, étant ceux d’une
femme. Elle a publié plus d’une
vingtaine de contes animaliers.
Grâce à ses droits d’auteurs elle
a pu gagner son indépendance et
acheter une ferme dans la Région des
lacs. Elle s’est mariée en 1913 contre
l’avis de ses parents et à partir de
cette date son œuvre littéraire s’est
interrompue, Beatrix se consacrant
à l’élevage de ses moutons et à la
protection de l’environnement et des
monuments historiques.
Pour en savoir plus
Margaret Lane : Le Petit monde animal de
Beatrix Potter ; trad. de l’anglais par
Jenny Ladoix, Gallimard, 1982.
Leslie Linder : A history of the writings of
Beatrix Potter : including unpublished work,
London : F. Warne, 1987.
Le Grand livre de Beatrix Potter : l’intégrale
des 23 contes classiques… , Gallimard
Jeunesse, 2007.
The Beatrix Potter Society
http://beatrixpottersociety.org.uk
Beatrix Potter A life in nature ; by Linda
Lear http://www.bpotter.com
Quentin Blake
Né en 1932, il a publié des dessins
dès l’âge de 16 ans dans le
magazine humoristique Punch.
Très jeune il a admiré les caricatures
d’Honoré Daumier. Des illustrateurs
contemporains tels Ronald Searle ou
André François font également partie
de son panthéon visuel. Il a été
dessinateur de presse et directeur du
département de l’Illustration du Royal
College of Art de Londres. Il a illustré
plusieurs centaines de livres appréciés
dans le monde entier, dont ceux
notamment de Roald Dahl ou John
Yeoman mais également de grands
classiques de la littérature. Il a aussi
illustré ses propres albums dont les
inoubliables Cacatoes, Zagazou, Armeline
Fourchedrue…
Nommé en 1999 premier
Children’s Laureate, il a exercé avec
passion et imagination ce rôle
d’ambassadeur du livre pour la
jeunesse au Royaume-Uni. Il a reçu
de nombreuses récompenses dont le
prix Hans Christian Andersen en
2002. En 2013 il a été anobli par la
reine Elizabeth II pour services rendus
à l’art de l’illustration. En 2014, il a été
nommé Chevalier de la Légion
d’Honneur lors d’une cérémonie à
l’Institut français de Londres. La
même année, il a fondé et ouvert à
Londres The House of Illustration, un
lieu d’exposition exclusivement dédié
à l’illustration sous toutes ses formes.
Depuis plusieurs années il réalise des
œuvres dans des espaces publics, ses
dessins s’échappent alors de la page
imprimée pour s’installer « Beyond the
page » dans des musées, des hôpitaux,
des crèches.
Pour en savoir plus
Quentin Blake : La Vie de la page ; trad.
par H. Robillot, Gallimard jeunesse, 1995.
Jane Doonan : « Quentin Blake, The
Children’s Laureate » in Children’s
Literature in Education, vol.31, N°2, 2000.
Quentin Blake : Pages, mots, images ;
trad. par Marie Ollier, Gallimard, 2014.
Quentin Blake
http://www.quentinblake.com,
consulté le 30 juin 2016.
NOUVE AUT É S R E T ROUVA I L L E S77
↖Beatrix Potter et Pierre Lapin.