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SCIENCES PRIX DE L’ACFAS CAHIER THÉMATIQUE H LE DEVOIR, LES SAMEDI 25 ET DIMANCHE 26 OCTOBRE 2014 Ce mercredi 22 octobre se tenait à Montréal le 70 e Gala de l’Association francophone pour le savoir-Acfas. L’occasion annuelle de célébrer l’excellence de la recherche québécoise et de remettre les Prix de l’Acfas qui viennent souligner la carrière de chercheurs et de chercheuses de toutes disciplines. Le Devoir vous présente dans ce cahier les lauréats de l’édition 2014. LA NEWS LTD AGENCE FRANCE-PRESSE Dans le domaine de la nanotechnologie ou de la science en général, la recherche ne cesse de progresser. Le Québec n’est pas en reste dans ces domaines. Ci-dessus : vue d’artiste de la première nanomachine du monde équipée d’un dispositif ultrasensible qui promet de révolutionner la façon dont les maladies sont diagnostiquées. MICHEL BÉLAIR I l y a longtemps que Srecko Brlek voyage beaucoup. Le profes- seur au Département d’informatique de l’UQAM s’est d’abord fait connaître par sa théorie des espèces de struc- ture, mais il se consacre depuis toujours ou presque à des re- cherches théoriques sur la com- binatoire des mots et des objets discrets, qui l’ont mené un peu partout. Au fil des années, ses travaux ont rendu incontourna- ble la collaboration entre les universités françaises (Bor- deaux d’abord, puis Nice So- phia-Antipolis, Paris et Amiens) et québécoises dans son secteur bien particulier de la recherche, qui combine les mathématiques théoriques et l’informatique. Il est ainsi devenu, durant les années 1990, un artisan majeur de la collaboration scientifique internationale en développant des programmes d’échanges, au CNRS, entre la France et le Québec. Le professeur Brlek a longtemps dirigé le Labora- toire de combinatoire et d’in- formatique mathématique (La- CIM) et a développé des liens étroits entre le LaCIM et le La- boratoire bordelais de re- cherche en informatique (La- BRI), à Bordeaux. Il faudrait aussi parler de ses nombreuses publications, de ses talents d’éditeur scientifique et de sa passion à diriger des étudiants à la maîtrise ou au doctorat, mais l’espace manque pour rendre compte de l’ampleur de son travail et de son influence sur le secteur tout entier. À quelques jours du congrès annuel de l’Acfas, nous l’avons rejoint à Halifax, où il partici- pait à une rencontre de l’Asso- ciation américaine de mathé- matiques. Et au téléphone, comme ça, alors qu’il tentait de nous faire saisir le concept de « géométrie discrète », il s’est mis à citer du Georges Pérec… La théorie d’abord Plus justement, il a d’abord commencé en soulignant que la plupart des gens n’ont pas vrai- ment conscience du fait que «la géométrie discrète est au cœur de nos vies ». Un sourire calme au bout de la voix, il explique que ses travaux théoriques sur les algorithmes forment « une mé- thode efficace pour traiter des ob- jets discrets » et que tout cela peut jouer, par exemple, «un grand rôle dans le traitement numérique des images ». Pour faire saisir ce qu’est un « objet discret », le professeur Brlek prend l’exemple d’un cer- cle apparaissant sur un écran de télévision… « Auparavant, avec la vieille télé analogique, des faisceaux d’électrons ba- layaient la surface de l’écran se- lon une fréquence bien précise. Aujourd’hui, la technologie uti- lise plutôt des matrices de petits points [les pixels] et c’est l’allu- mage de certains de ces points qui définit, à partir d’un cercle théorique, l’image du cercle que nous voyons à l’écran et qui n’est qu’une approximation de cercle. Voilà un problème de géométrie discrète qu’on aborde avec des séries d’algorithmes. » Ce ne sont toutefois pas les applications pratiques se ca- chant au détour des algo- rithmes — et souvent ensuite dans les cartes graphiques des ordinateurs — qui fascinent no- tre mathématicien, c’est la théo- rie d’abord et avant tout. Il en donne pour exemple le vaste et toujours plus prometteur sec- teur de la cryptographie. « La théorie derrière la cryp- tographie, poursuit-il, relève de la géométrie discrète et de la combinatoire des mots, qui est une théorie mathématique. Le mot “ mathématique ” est une juxtaposition de lettres dont le découpage ou le décodage en milliers de caractères met à jour une structure… Tout cela, bien sûr, sans égard au sens propre des mots et de la phrase. Un peu comme dans les fameux palin- dromes de Georges Pérec, qui se lisent dans les deux sens. » Élu par cette crapule Avant de développer sa pen- sée en se servant des mots de l’écrivain français, M. Brlek in- siste sur la répétition comme structure, à partir d’un exem- ple simple. Soit un motif formé de deux lettres : A et B. « Si on développe ce motif en ajoutant A, cela donne un palindrome : ABA. Tout comme ABBA. Avec ABBB on obtient plutôt un cube, mais ce qu’il faut retenir, c’est que, lorsque la répétition des lettres augmente, certains motifs apparaissent et des struc- tures se dégagent. » « La combinatoire des mots met en relief des structures sous-jacentes, poursuit notre théoricien. À partir d’un tel constat, un philosophe peut se demander si le monde n’est pas construit sur un nombre de pièces de base. Ou si l’ordre ne surgit pas du chaos… » Mais venons-en enfin à Georges Pérec. Qui a écrit, en- tre autres, Le grand palin- drome, un ouvrage admirable de 1247 mots grammaticale- ment sans faute, à l’ortho- graphe absolument irréprocha- ble… mais totalement vide de sens. Un texte qui se mord la queue puisqu’on y retrouve, dans la deuxième partie, la première partie à l’envers (voir notre encadré). Sans qu’il y manque évidemment une seule lettre, comme dans ce segment cité, au hasard bien sûr, par Srecko Brlek et qui se lit dans les deux sens : élu par cette crapule. Le chercheur souligne en- core que l’approche théorique — tout comme l’intérêt pour les palindromes — mène à tout : « Cela peut même mener à comprendre la structure de la vie et de l’univers, puisque, fi- nalement, la chaîne des lettres qui composent l’ADN humain est une sorte de palindrome… » À l’autre bout du fil, le ma- thématicien conclut l’entretien en disant être très touché par ce prix décerné lors du congrès de l’Acfas. « Même si les honneurs marquent parfois le début de la fin, je voudrais dé- dier ce prix à tous les étudiants avec lesquels j’ai travaillé et qui ont fait mon grand bonheur.» Collaborateur Le Devoir P RIX A DRIEN -P OULIOT Un mathématicien qui joue avec les mots COURTOISIE SRECKO BRLEK Le professeur au Département d’informatique de l’UQAM, Srecko Brlek, estime que le concept de « géométrie discrète est au cœur de nos vies ». Le grand palindrome, amorce et fin Le texte de Georges Pérec est divisé en deux blocs distincts, le deuxième re- prenant le premier… à l’envers. Les toutes pre- mières phrases se lisent comme suit : « Trace l’inégal palindrome. Neige. Bagatelle, dira Her- cule. Le brut repentir, cet écrit né Perec. L’arc lu pèse trop, lis… » On retrouvera exactement le même texte en lisant, à l’envers, les toutes der- nières phrases de la deuxième partie du grand palindrome : « S’il porte, sépulcral, ce repentir, cet écrit ne per- turbe le lucre : Haridelle, ta gabegie ne mord ni la plage ni l’écart. »

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Page 1: SCIENCES...Jean-Mitry, en 2010, pour sa contribution à la mise en valeur du cinéma muet, ainsi que des récompenses prestigieuses comme la bourse Killam en 1997 et la bourse Guggenheim

SCIENCESPRIX DE L’ACFAS

C A H I E R T H É M A T I Q U E H › L E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 5 E T D I M A N C H E 2 6 O C T O B R E 2 0 1 4

Ce mercredi 22 octobre se tenait à Montréal le 70e Gala del’Association francophone pour le savoir-Acfas. L’occasionannuelle de célébrer l’excellence de la recherche québécoiseet de remettre les Prix de l’Acfas qui viennent souligner la carrièrede chercheurs et de chercheuses de toutes disciplines. Le Devoirvous présente dans ce cahier les lauréats de l’édition 2014.

LA NEWS LTD AGENCE FRANCE-PRESSE

Dans le domaine de la nanotechnologie ou de la science en général, la recherche ne cesse de progresser. Le Québec n’est pas en reste dans ces domaines. Ci-dessus : vue d’artiste de la premièrenanomachine du monde équipée d’un dispositif ultrasensible qui promet de révolutionner la façon dont les maladies sont diagnostiquées.

M I C H E L B É L A I R

Il y a longtemps queSrecko Brlek voyagebeaucoup. Le profes-seur au Départementd’informatique del’UQAM s’est d’abordfait connaître par sa

théorie des espèces de struc-ture, mais il se consacre depuistoujours ou presque à des re-cherches théoriques sur la com-binatoire des mots et des objetsdiscrets, qui l’ont mené un peupartout. Au fil des années, sestravaux ont rendu incontourna-ble la collaboration entre lesuniversités françaises (Bor-deaux d’abord, puis Nice So-phia-Antipolis, Paris et Amiens)et québécoises dans son secteurbien particulier de la recherche,qui combine les mathématiquesthéoriques et l’informatique.

Il est ainsi devenu, durant lesannées 1990, un artisan majeurde la collaboration scientifiqueinternationale en développantdes programmes d’échanges,au CNRS, entre la France et leQuébec. Le professeur Brlek alongtemps dirigé le Labora-toire de combinatoire et d’in-formatique mathématique (La-CIM) et a développé des liensétroits entre le LaCIM et le La-boratoire bordelais de re-cherche en informatique (La-BRI), à Bordeaux. Il faudraitaussi parler de ses nombreusespublications, de ses talentsd’éditeur scientifique et de sapassion à diriger des étudiantsà la maîtrise ou au doctorat,mais l’espace manque pourrendre compte de l’ampleur deson travail et de son influencesur le secteur tout entier.

À quelques jours du congrèsannuel de l’Acfas, nous l’avonsrejoint à Halifax, où il partici-

pait à une rencontre de l’Asso-ciation américaine de mathé-matiques. Et au téléphone,comme ça, alors qu’il tentait denous faire saisir le concept de« géométrie discrète », il s’estmis à citer du Georges Pérec…

La théorie d’abordPlus justement, il a d’abord

commencé en soulignant que laplupart des gens n’ont pas vrai-ment conscience du fait que «lagéométrie discrète est au cœur denos vies». Un sourire calme aubout de la voix, il explique queses travaux théoriques sur lesalgorithmes forment «une mé-thode efficace pour traiter des ob-jets discrets » et que tout celapeut jouer, par exemple, « ungrand rôle dans le traitement

numérique des images».Pour faire saisir ce qu’est un

« objet discret », le professeurBrlek prend l’exemple d’un cer-cle apparaissant sur un écrande télévision… « Auparavant,avec la vieille télé analogique,des faisceaux d’électrons ba-layaient la surface de l’écran se-lon une fréquence bien précise.Aujourd’hui, la technologie uti-lise plutôt des matrices de petitspoints [les pixels] et c’est l’allu-mage de certains de ces pointsqui définit, à partir d’un cerclethéorique, l’image du cercle quenous voyons à l’écran et qui n’estqu’une approximation de cercle.Voilà un problème de géométriediscrète qu’on aborde avec desséries d’algorithmes.»

Ce ne sont toutefois pas les

applications pratiques se ca-chant au détour des algo-rithmes — et souvent ensuitedans les cartes graphiques desordinateurs — qui fascinent no-tre mathématicien, c’est la théo-rie d’abord et avant tout. Il endonne pour exemple le vaste ettoujours plus prometteur sec-teur de la cryptographie.

«La théorie derrière la cryp-tographie, poursuit-il, relève dela géométrie discrète et de lacombinatoire des mots, qui estune théorie mathématique. Lemot “ mathématique ” est unejuxtaposition de lettres dont ledécoupage ou le décodage enmilliers de caractères met à jourune structure… Tout cela, biensûr, sans égard au sens propredes mots et de la phrase. Un peu

comme dans les fameux palin-dromes de Georges Pérec, qui selisent dans les deux sens.»

Élu par cette crapuleAvant de développer sa pen-

sée en se servant des mots del’écrivain français, M. Brlek in-siste sur la répétition commestructure, à partir d’un exem-ple simple. Soit un motif forméde deux lettres : A et B. «Si ondéveloppe ce motif en ajoutantA, cela donne un palindrome :ABA. Tout comme ABBA. AvecABBB on obtient plutôt uncube, mais ce qu’il faut retenir,c’est que, lorsque la répétitiondes lettres augmente, certainsmotifs apparaissent et des struc-tures se dégagent. »

« La combinatoire des motsmet en relief des structuressous-jacentes, poursuit notrethéoricien. À par tir d’un telconstat, un philosophe peut sedemander si le monde n’est pasconstruit sur un nombre depièces de base. Ou si l’ordre nesurgit pas du chaos…»

Mais venons-en enfin àGeorges Pérec. Qui a écrit, en-tre autres, Le grand palin-drome, un ouvrage admirablede 1247 mots grammaticale-ment sans faute, à l’or tho-graphe absolument irréprocha-ble… mais totalement vide desens. Un texte qui se mord laqueue puisqu’on y retrouve,dans la deuxième par tie, lapremière partie à l’envers (voirnotre encadré). Sans qu’il ymanque évidemment uneseule lettre, comme dans cesegment cité, au hasard biensûr, par Srecko Brlek et qui selit dans les deux sens : élu parcette crapule.

Le chercheur souligne en-core que l’approche théorique— tout comme l’intérêt pour

les palindromes — mène àtout : « Cela peut même menerà comprendre la structure de lavie et de l’univers, puisque, fi-nalement, la chaîne des lettresqui composent l’ADN humainest une sorte de palindrome…»

À l’autre bout du fil, le ma-thématicien conclut l’entretienen disant être très touché parce prix décerné lors ducongrès de l’Acfas. « Même siles honneurs marquent parfoisle début de la fin, je voudrais dé-dier ce prix à tous les étudiantsavec lesquels j’ai travaillé et quiont fait mon grand bonheur.»

CollaborateurLe Devoir

PRIX ADRIEN-POULIOT

Un mathématicien qui joue avec les mots

COURTOISIE SRECKO BRLEK

Le professeur au Département d’informatique de l’UQAM, Srecko Brlek, estime que le concept de«géométrie discrète est au cœur de nos vies».

Le grandpalindrome, amorce et finLe texte de Georges Pérecest divisé en deux blocsdistincts, le deuxième re-prenant le premier… àl’envers. Les toutes pre-mières phrases se lisentcomme suit :«Trace l’inégal palindrome.Neige. Bagatelle, dira Her-cule. Le brut repentir, cetécrit né Perec. L’arc lu pèsetrop, lis…»On retrouvera exactementle même texte en lisant, àl’envers, les toutes der-nières phrases de ladeuxième partie du grand palindrome :« S’il porte, sépulcral, cerepentir, cet écrit ne per-turbe le lucre : Haridelle,ta gabegie ne mord ni laplage ni l’écart. »

Page 2: SCIENCES...Jean-Mitry, en 2010, pour sa contribution à la mise en valeur du cinéma muet, ainsi que des récompenses prestigieuses comme la bourse Killam en 1997 et la bourse Guggenheim

SCIENCESL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 5 E T D I M A N C H E 2 6 O C T O B R E 2 0 1 4H 2

M I C H E L B É L A I R

Q uand on regarde tout ce qu’a fait AndréGaudreault au cours du dernier quart de

siècle, on est soufflé. On a l’impression de voirs’activer une comète à vive allure, là devantnous. Ou plutôt de sentir passer un chasse-neige lancé à toute vitesse sur une route decampagne en plein blizzard !

C’est que le parcours de ce prof de cinéma del’Université de Montréal est tout simplement si-dérant. Cet homme a tout fait ! Ou presque.Même que ses champs d’activité sont si vasteset son énergie est tellement gigantesque qu’onne pourra pas vraiment saisir ici l’envergure co-lossale de ce personnage exceptionnel qui s’estvu remettre le prix André-Laurendeau lors ducongrès de l’Acfas. Tentons au moins de tracerles grandes lignes de son action.

Un parcours hors du communDevant l’envergure du personnage, donc, et

l’immensité de ses réalisations, il faut se résoudreà passer par l’énumération: passons-y donc…

Commençons par le fait qu’André Gaudreaulta écrit — en plus de centaines d’articles et detextes de conférences prononcées un peu par-tout sur la planète — quelques livres majeursqui ont marqué le champ des études cinémato-graphiques : Du littéraire au filmique (préfacépar Paul Ricœur, en 1988), La fin du cinéma ?Un média en crise à l’heure du numérique (avecPhilippe Marion, en 2013), The KinematicTurn : Film in the Digital Era and its Ten Pro-blems (avec Philippe Marion, en 2012). Il aaussi fondé une revue consacrée aux études ci-nématographiques (Cinémas, qu’il dirige de-puis 1999) et fait partie du comité éditorial deplusieurs revues scientifiques importantes (So-ciétés & Représentations, Cinema Journal, Archi-vos de la Filmoteca, etc.).

Il a, de plus, créé ou cofondé des groupes derecherche qui ont littéralement dynamisé ettransformé tout le secteur des études cinéma-tographiques : le Groupe de recherche etd’analyses filmographiques (GRAF) en 1984,DOMITOR (Association internationale pour ledéveloppement de la recherche sur le cinéma

des premiers temps) en 1985, GRAFICS(Groupe de recherche sur l’avènement et laformation des institutions cinématographiqueet scénique) en 1992, le Centre de recherchesur l’intermédialité (le CRI, devenu le CRIalt)dès 1997, l’Observatoire du cinéma québécoisen 2010 et, finalement, le partenariat interna-tional de recherche sur l’histoire technique ducinéma (TECHNÈS) en 2014, qui regroupeune impressionnante liste de participants et decollaborateurs de plusieurs pays, dans le butde publier en ligne — avec un budget de dé-part de deux millions de dollars et d’ici 2017 —une édition bilingue de l’Encyclopédie raison-née des techniques du cinéma.

À tout cela, il faut rajouter l’organisation denombreux colloques spécialisés, des confé-rences données aux quatre coins du globe,l’enseignement, le développement de pro-grammes pour l’Université de Montréal, le tra-vail avec des étudiants au doctorat, le prixJean-Mitry, en 2010, pour sa contribution à lamise en valeur du cinéma muet, ainsi que desrécompenses prestigieuses comme la bourseKillam en 1997 et la bourse Guggenheim en2013. Oufffff. On vous avait prévenus…

ATAWADAndré Gaudreault a amorcé sa carrière ful-

gurante en s’intéressant à Georges Méliès etsur tout à tous ceux qui l’ont précédé dansl’avènement des « images en mouvement ». Il adéveloppé des concepts-clés — celui de la« monstration », par exemple — pour faire sai-sir les liens profonds unissant la technique etl’esthétique du nouvel art qui venait ébranlerla façon de raconter des histoires. Par unesorte de retour du balancier, il se voit forcé deconstater que la situation qui prévalait à l’aubedu cinéma… ressemble à s’y méprendre à ceque nous vivons actuellement.

« Le cinéma est un ar t en mouvement, ex-plique-t-il. Il a traversé des crises majeures toutau long de son histoire, comme le passage dumuet au parlant ou l’avènement de la télévision,et, chaque fois, cela l’a transformé complètement.Autant dans ses techniques et ses façons de re-joindre le public que dans ses façons de raconter

ses histoires. Cela peut nous aider à mieux saisirce qui se passe aujourd’hui, alors qu’il vit uneautre révolution majeure parce que multiple :celle du numérique, celle aussi de la convergencedes écrans et des plateformes, qui implique la dis-parition des dif férences. Il est évident, par exem-ple, que l’avènement des plateformes multipleschange la perspective des créateurs. Dans lesfaits, cela change tout ! Déjà, des productionssont conçues pour des plateformes précises, etcela est en train de transformer radicalementtout le contexte de la production et de la distribu-tion du contenu cinématographique. »

Il raconte qu’un journaliste a créé un motpour décrire ce phénomène : nous vivons àl’heure de l’« ATAWAD », pour «Any Time, AnyWhere, Any Device » (« n’importe quand, n’im-porte où, n’importe quelle plateforme »). Au-jourd’hui, on consomme du contenu cinémato-graphique, des séries télé et même de l’opéraou du football américain sur une diversité deplateformes, y compris le téléphone portable etl’écran de la salle de cinéma. Cela change effec-tivement beaucoup de choses…

André Gaudreault a donc encore beaucoup depain sur la planche. «C’est excellent pour tous lesdoctorants que nous formons présentement et quine s’ennuieront pas… D’ailleurs, je suis particu-lièrement fier d’avoir contribué au développementfulgurant des études cinématographiques en Amé-rique et plus précisément ici, dans notre milieuuniversitaire francophone. Les gens ne se rendentpas compte que c’est un secteur tout jeune ; dansles années 1990, il y avait trois ou quatre profs decinéma au département, alors que nous étionsdéjà une bonne quinzaine en 2007.»

C’est du moins grâce à lui que l’Université deMontréal a été la première au Canada à déve-lopper un programme de doctorat en études ci-nématographiques dès 2007, avant que Concor-dia, en 2010, puis l’Université de Toronto, en2013, ne fassent de même.

Tout est donc en place pour qu’on puissecontinuer à observer les transformations radi-cales du monde de l’image…

CollaborateurLe Devoir

PRIX ANDRÉ-LAURENDEAU

Manger du cinéma dans tous les formatsSpécialiste du cinéma des premiers temps comme de la révolution des écrans, André Gaudreault reçoit le prix André-Laurendeau

JOËL LEHMANN

Le professeur de cinéma à l’Université deMontréal, André Gaudreault

PRIX JACQUES-ROUSSEAU

Voyager avec les bactéries

M A R I E - H É L È N E A L A R I E

E n fait, dans la réalité, lesscientifiques miniaturisés

sont remplacés par des médica-ments et le sous-marin par desbactéries téléguidées… Mais ily a pire : ces bactéries peuventvoyager dans les 100 000 kilo-mètres de vaisseaux sanguinsdu corps humain, grâce auxchamps magnétiques qui les di-rigent directement sur une tu-meur pour la détruire. Ça, c’estle quotidien de Sylvain Martel,considéré par ses pairs commeun expert de renommée mon-diale en nanorobotique et enconception de plateformes des-tinées à des interventions thé-rapeutiques non invasives.

La formation de Sylvain Mar-tel débute avec l’obtention d’un

baccalauréat en génie élec-trique à l’Université du Québecà Trois-Rivières, suivi d’unemaîtrise en génie électrique àl’Université McGill. C’est àcette même université que Syl-vain Martel obtiendra un docto-rat et c’est à ce niveau qu’au gé-nie électrique se greffera unespécialisation en génie biomédi-cal. C’est au prestigieux Massa-chusetts Institute of Techno-logy, le MIT, que notre cher-cheur effectuera, pendant troisans, son stage postdoctoral puistravaillera pendant un an, avantde revenir à Montréal, où il seraembauché comme professeur àPolytechnique, en 2001. Depuis,Sylvain Martel s’illustre dansles domaines de la nanorobo-tique et du génie biomédical.Malheureusement, Le Devoir a

été incapable de parler au pro-fesseur Martel, toutefois, sonassistant, Charles Tremblay, abien voulu s’entretenir avecnous. Il nous rappelle les dé-buts de Sylvain Martel dans lemonde des robots : «En termi-nant son postdoctorat au MIT,Sylvain Martel travaille sur desnanorobots, les Nanowalkers,qui devaient partir pour la pla-nète Mars, mais qui malheureu-sement n’y ont jamais mis leurstrois pattes. Parallèlement, il tra-vaille sur des applications et desappareils médicaux.»

Quand Sylvain Mar tel estembauché comme profes-seur en 2001, son champ derecherche est la nanorobo-tique : « Il a beaucoup aimétravailler sur le Nanowalkeret sur les contraintes que cesnouveaux outils représentent.À Polytechnique, il a continuéce travail. » Quand on fait dela miniaturisation, ce qu’oncherche, c’est de toujours fa-briquer plus petit. Dans cesens, quand on veut envoyerdes robots dans le corps hu-main, on essaie d’en simpli-fier la structure, « et quand

on a tout enlevé, il ne resteque le médicament magné-tique, tout le reste du robot està l’extérieur, son système decontrôle, de positionnement,de communication. À l’inté-rieur, il ne restera que la der-nière fonction du robot, quiest le traitement », expliqueCharles Tremblay.

Voguer sur les eauxhumaines

Sylvain Martel est un pion-nier de la navigation des bac-téries téléguidées ou, comme

on l’appelle plus sérieusement,de la conception de tech-niques et de plateformes nano-robotiques exploitant les pro-priétés uniques des entités àl ’ é c h e l l e m o l é c u l a i r e .Charles Tremblay poursuit enajoutant que « la technologie demicrofabrication nous permetde faire des circuits très minia-turisés, mais on est loin d’êtreen mesure de reproduire ce quela nature est capable de faireau niveau de la complexité desprotéines, des molécules et del’assemblage nanométrique desbactéries ». Dans le laboratoirede Sylvain Martel, on voit cesbactéries comme des ma-chines, ou plutôt comme desanimaux qu’on tente de do-mestiquer avec des carottes.On essaie de trouver les ca-rottes de la bactérie pour pou-voir l’utiliser comme un élé-ment d’un minisystème.

C’est son approche multidisci-plinaire qui fait l’originalité destravaux de Sylvain Martel, dontle laboratoire est composé d’in-génieurs et de médecins quiréussissent à parler un mêmelangage. Ses recherches permet-tent de jeter les bases de mé-thodes de traitement du cancerplus efficaces, mais surtout d’enréduire les effets toxiques quenous connaissons actuellement.

Deux premières mondialesont marqué la carrière de Syl-vain Martel. La première a étéréalisée en 2007, lorsque lechercheur a réussi à guider invivo un microdispositif se dépla-çant à une vitesse de 10cm/se-conde à l’intérieur d’une artère.Par la suite, avec l’aide de cher-cheurs du Centre hospitalier del’Université de Montréal,l’équipe est parvenue à intro-

duire et à diriger une sphère de1,5mm de diamètre à l’intérieurde l’artère carotide d’un porc.Ce véhicule, composé de maté-riaux ferromagnétiques, étaitcontrôlé par un système cli-nique d’imagerie par résonancemagnétique. Depuis, on tentede réduire la taille de la sphèrepour que, d’ici quelques années,on puisse l’utiliser dans les pluspetits vaisseaux humains. En at-tendant, la technologie est enphase de commercialisation parGestion Univalor, une sociétéen commandite de Polytech-nique Montréal.

Son deuxième exploit, Syl-vain Martel le réalise en 2011,lorsque, en utilisant un appareild’imagerie par résonance ma-gnétique, son équipe a réussi àintroduire des microtranspor-teurs, chargés d’une dose dedoxorubicine, jusqu’au foied’un lapin. Et, comme le pré-cise Charles Tremblay, on réus-sit même à faire du ciblage :« Dans un foie de lapin, il y aquatre lobes, et au lieu d’envoyerle médicament dans tout le foieet d’avoir un ef fet toxique danstout l’organe, on est capabled’isoler le lobe malade pourainsi diminuer les effets néfastesdu traitement.»

Au laboratoire de nanorobo-tique, l’équipe de Sylvain Mar-tel procédera très bientôt à denouveaux tests sur les porcset, si tout se passe bien, lespremiers essais cliniques surdes humains devraient avoirlieu dans les trois prochainesannées. Voilà des nouvellesqui devraient réjouir les ma-lades et leur famille.

CollaboratriceLe Devoir

Si on était propulsé dans un film de science-fiction, on verraitune équipe de scientifiques monter à bord d’un sous-marinminiaturisé pour voyager dans le corps humain à la recherched’un caillot de sang. Mais nous sommes bien loin des studiosd’Hollywood, dans le laboratoire de nanorobotique de Poly-technique à Montréal, là où la réalité du professeur SylvainMartel dépasse la fiction. Invitation au voyage fantastique.

COURTOISIE SYLVAIN MARTEL

Sylvain Martel est un pionnier de la navigation des bactéries téléguidées.

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SCIENCESL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 5 E T D I M A N C H E 2 6 O C T O B R E 2 0 1 4 H 3

PRIX LÉO-PARISEAU

L’ovule au cœur des préoccupations

M A R I E - H É L È N E A L A R I E

«L’ important, c’est l’ovule!»Marc-André Sirard le ré-

pétera plusieurs fois durant l’en-trevue. Ici, on parle autant del’ovule de la vache que de celuide la femme. Le parcours deMarc-André Sirard oscille entreles deux. Après des études enmédecine vétérinaire, il fait sondoctorat en fécondation in vitrohumaine, tout en défendant unethèse portant sur les bovins. Ilobtient ensuite un poste dansune faculté d’agriculture, touten souhaitant que ses re-cherches puissent trouver desapplications chez l’humain.

Commencer sa carrière enfabriquant neuf veaux-éprou-vettes, c’est frapper un grandcoup. C’est aussi l’idéal pourse faire remarquer, ce qui n’apas été long pour le jeune pro-fesseur, qui sera agrégé enmode accéléré pour dévelop-per la Chaire de recherche Se-mex du Conseil de recherchesen sciences naturelles et en gé-nie du Canada, le CRSNG :« Semex est un amalgame descentres d’insémination desvaches à travers le Canada. J’aireçu un mandat de dix anspour développer des technolo-gies tant du côté mâle que fe-melle. » Finalement, tout a tel-lement bien fonctionné qu’en2000 Semex et Marc-André Si-

rard ont reçu le prix canadienSynergie pour l’innovation.

En 1995, le Dr Sirard fonde leCentre de recherche en repro-duction, une conséquence del’expérience des dix annéesprécédentes : «Après mon post-doctorat, j’ai recruté des cher-cheurs intéressés par les nou-velles technologies de la féconda-tion in vitro. Avec l’appui del’équipe de gynécologie du Cen-tre hospitalier de l’Université La-val, on était en mesure de for-mer un petit centre de rechercheà Québec. Le centre a grossijusqu’à devenir un des plusgrands au Canada. » Le mo-ment était bien choisi, puisquerallier médecine humaine etmédecine vétérinaire faciliteragrandement la recherche.

L’impact del’environnement

Pour Marc-André Sirard ar-rive en 2008 la direction du ré-seau stratégique du CRSNG,Embr yoGENE : « C’est unegrande étape, parce que c’est iciqu’on a réussi à fédérer tous lesgens intéressés par la génomiqueet l’épigénomique, qui devientaujourd’hui presque mon princi-pal sujet de travail. Et qu’est-ceque cet épigénomique? Ce sonttous les effets de l’environnementsur notre santé et sur la santé denos enfants. Il y a dix ans àpeine, on ignorait encore que

l’environnement et notre style devie avaient de l’influence sur lasanté de la génération suivante.Ce qui est vrai tant chez les ani-maux que chez l’humain.» Ce ré-seau réunit plus de 20 cher-cheurs, 7 universités et 8 entre-prises. C’est en utilisant le mo-dèle bovin et porcin qu’on acherché à comprendre et à mi-nimiser les conséquences destechnologies de la reproductionin vitro. « On a découvert quel’embryon qui a passé une se-maine in vitro n’aime pas ça ets’en souvient! Ça ne signifie pasque tous les enfants ou les ani-maux sont tous malades, mais ily a des précautions à prendrepour minimiser les effets.»

C’est en 2001 que le Dr Si-rard obtient la premièrechaire de reproduction au Ca-nada, la Chaire de recherchedu Canada en génomique dela reproduction. Cette nomi-nation vient récompenser lestravaux qu’il a amorcés cinqans plus tôt au centre de re-cherche. Rapidement, on serend compte que, pour com-prendre l’ovule, on a besoind’un outil puissant, commel’amplif ication des gènes.Grâce à cet outil, il ne fautplus maintenant que cinqovules pour interroger 25 000gènes, alors qu’auparavant ilfallait 5000 ovules pour uneanalyse sommaire de leurs

protéines. Rappelons quenous sommes au début desannées 2000, une époque où,dans les médias, on com-mence à peine à entendre par-ler de génome et de géno-mique…

Puis, au fil des ans, des décou-vertes faites dans le cadre d’Em-bryoGENE viennent nourrir lesrecherches de cette chaire :«Claude Robert, un jeune cher-cheur, a développé dans le réseauEmbryoGENE des outils molécu-laires qui nous permettent d’étu-dier le génome des embryons. Il ya le monde de la souris avec le-quel nous sommes en compétition,mais, dans le monde des gros ani-maux et de l’humain, on peut af-firmer que nous sommes enavance. Les gens ne s’aperçoiventpas à quel point le fonctionne-ment des ovules et des ovairesd’une vache ressemble à celuid’une femme.» Sauf que, contrai-rement à la femme, la vache,elle, n’est jamais ménopausée.

Les mystères de lafécondation in vitro

En 30 ans de recherches surl’ovule, Marc-André Sirard,tout en tentant d’en améliorerla qualité, a cherché à savoirpourquoi les ovules ne sont pastoujours viables, que ce soitchez la vache ou chez lafemme. Ces jours-ci débuteraune étude clinique pancana-dienne afin de déterminer pour-quoi la fécondation in vitrochez la femme ne fonctionnequ’une fois sur trois : « Il n’y apas beaucoup de pratiques médi-cales où on peut se contenterd’un taux de réussite de 33 % !Les médecins n’ont pas suffisam-ment d’outils pour déterminer

pourquoi la fécondation n’a pasfonctionné. Ce qu’on propose,c’est de récupérer des cellules quicohabitent avec l’ovule. Ces cel-lules nous donnent de l’informa-tion sur l’environnement danslequel se trouvait l’ovule. Oncherchera à savoir si on a donnétrop d’hormones, si on a induitl’ovulation trop tôt ou trop tardpour ainsi aider le médecin àajuster son traitement.»

« Les organes ont tous lesmêmes structures, la même fonc-tion et la même origine, qu’onsoit animal ou homme. Sil’homme tire clairement la fron-tière entre l’animal et lui, en bio-logie ce n’est pas aussi évident.Tous les gènes sont présents ettous les morceaux sont lesmêmes, souvent c’est la régula-tion qui dif fère. Par exemple eten simplifiant énormément, onpeut dire que notre cerveau n’arien de plus que celui d’un ani-mal, mais, plutôt que d’arrêterde se développer, il continue à lefaire.» Pour Marc-André Sirard,les animaux «sont un modèle ex-traordinaire pour nous rappelerqu’on est… des animaux. On secroit supérieur, mais on s’aper-çoit que nous sommes des ma-chines biologiques, mais des ma-chines quand même. Quand onétudie les animaux, on se com-prend mieux et on apprend àfaire la différence entre ce qui estl’ef fet de notre intelligence et cequi est programmé. On devientaussi plus conscient de l’in-fluence de notre environne-ment. » Bref, la biologiecontrôle à peu près tout et lereste n’est qu’illusion…

CollaboratriceLe Devoir

Sa carrière est lancée avec la naissance de neuf veaux-éprou-vettes. C’était il y a 30 ans. Depuis, la fécondation de l’ovuleet le développement embr yonnaire sont au cœur des re-cherches de Marc-André Sirard. Veaux, vaches et cochons,c’est bien beau, et si ces recherches s’appliquaient à la ferti-lité de la femme? Incursion dans le monde de l’ovule.

MARC ROBITAILLE

Le chercheur Marc-André Sirard

ALAIN JOCARD AGENCE FRANCE-PRESSE

Ces jours-ci débutera une étude clinique pancanadienne afin de déterminer pourquoi la fécondation in vitro chez la femme ne fonctionne qu’une fois sur trois.

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SCIENCESL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 5 E T D I M A N C H E 2 6 O C T O B R E 2 0 1 4H 4

É M I L I E C O R R I V E A U

C réé en 1985 en l’honneur d’un des pen-seurs les plus éloquents du mouvement

écologiste, le prix Michel-Jurdant est remischaque année par l’Association francophonepour le savoir (Acfas) à une personne dont lestravaux sur l’environnement connaissent unimportant rayonnement scientifique et ont unef fet sur la société. Spécialiste des écosys-tèmes aquatiques et titulaire de la Chaire derecherche en biogéochimie du carbone du Dé-partement des sciences biologiques de l’Uni-versité du Québec à Montréal, M. Paul DelGiorgio remporte cet automne la trentièmeédition de ce prestigieux prix.

Enfant, Paul Del Giorgio rêvait de devenirbiologiste. Comme plusieurs gamins de sonâge, il regardait les émissions de Jacques-Yves Cousteau et s’imaginait sur un navire enquête d’aventures maritimes. Aussi, lorsquevient le temps de choisir un métier, M. DelGiorgio se tourne tout naturellement versl’écologie aquatique.

Étudiant passionné, il quitte son Argentinenatale, après avoir obtenu une licence en biolo-gie de l’Université de Buenos Aires, pour venirfaire son doctorat à l’Université McGill, à Mont-réal. Saisissant l’occasion de se joindre à ungroupe de recherche travaillant en limnologie,il décide de faire de cette discipline son princi-pal champ d’intervention, bien qu’il s’intéresseaussi à l’océanographie.

« Les parcours de recherche sont toujours dic-tés par un mélange d’intérêts et de concours decirconstances, relève M. Del Giorgio. On ren-contre des gens, des mentors, et on est influencépar leur travail. Mon cas ne fait pas excep-tion ! Je m’intéressais à l’écologie aquatique etil y avait une ouverture pour moi du côté de lalimnologie à McGill. J’ai tout simplement saisil’occasion. »

Il faut croire que le hasard a bien fait leschoses puisque, aujourd’hui, M. Del Giorgio estconsidéré comme l’un des plus éminents spécia-listes mondiaux de l’écologie aquatique micro-bienne et de la biogéochimie du carbone desécosystèmes aquatiques. La liste de ses publica-tions est impressionnante et comprend plu-sieurs contributions majeures tant sur le planconceptuel qu’empirique et méthodologique.

Des travaux fondateursDans la première par tie de sa car rière,

M. Del Giorgio a remis en question un vieuxprincipe de la limnologie, selon lequel la photo-synthèse lacustre est la source suprême d’éner-gie du réseau trophique en milieu d’eau douce,et a démontré que la respiration dans les éco-systèmes était souvent supérieure à la produc-tion primaire brute. Cela a eu pour effet de pla-cer la communauté des chercheurs en environ-nement devant une lacune incontestable dansles connaissances de base qu’ils avaient au su-jet des lacs.

Puis, il a exploré et expérimenté des idéesconnexes sur une vaste gamme de systèmes.

En s’intéressant au rôle que jouaient les bacté-ries aquatiques dans le cycle du carbone desécosystèmes marins, il a permis d’améliorer defaçon significative la compréhension scienti-fique des phénomènes de respiration. En pu-bliant en 2005, avec le professeur Peter Wil-liams, une synthèse quantitative des données in-ternationales sur le sujet, «Respiration in Aqua-tic Systems», il a largement contribué à fournirune première estimation de la respiration aqua-tique à l’échelle globale. Par cette publication, ila également permis de mettre en lumière les in-congruités des modèles courants du cycle ducarbone et de déterminer des pistes de re-cherche susceptibles d’améliorer la compréhen-sion scientifique du cycle du carbone dans lesécosystèmes aquatiques mondiaux.

Aujourd’hui, le travail du chercheur porte es-sentiellement sur l’interaction des microbes etdu fonctionnement métabolique des écosys-tèmes à différentes échelles. Menés dans le ca-dre des activités de la Chaire de recherche in-dustrielle CRSNG/Hydro-Québec, dont il est àla tête, bon nombre des projets de M. Del Gior-gio ont pour objectif de quantifier le rôle dessystèmes aquatiques dans l’économie du car-bone de paysages entiers, des travaux qui s’avè-rent par ticulièrement per tinents dans uncontexte de changements climatiques.

«On est en train d’explorer la biogéochimie ducarbone dans les écosystèmes aquatiques boréaux.C’est un sujet qui me passionne vraiment », in-dique le chercheur.

«Notre région boréale a un impact majeur sur lebilan global des sources de carbone, poursuit-il. Orles composantes aquatiques de cette région boréalene sont presque pas étudiées. Pourtant, elles ont unrôle extrêmement important! La partie aquatiquede cette région-là fait preuve d’une grande activitébiochimique. Pour comprendre ce paysage-là, ilfaut comprendre l’eau, et c’est ce qu’on est en traind’essayer de faire avec nos recherches.»

La portée de ces travaux sur la dynamiquedes gaz à effet de serre dans les écosystèmesaquatiques est considérable, puisque les décou-vertes du scientifique s’appliquent à toutes lesrégions boréales de la planète et qu’elles ont unimpact sur les modèles de prédiction des émis-sions de carbone.

« Actuellement, les eaux douces que nous étu-dions ne sont pas prises en compte dans les mo-dèles de carbone globaux. Notre tâche, c’est defournir les informations et les outils qui vont per-mettre d’incorporer ces eaux douces dans les mo-dèles de carbone régionaux. »

Un prix valorisantS’il n’est pas du genre à chercher les hon-

neurs, M. Del Giorgio admet que le prix Mi-chel-Jurdant revêt une importance singulière àses yeux. Comme ce dernier reconnaît unecontribution au sein de l’environnement nonseulement en matière de connaissances, maiségalement sur le plan de sa mise en lumière etde sa protection, le scientifique estime qu’ils’agit d’une récompense fort valorisante.

« Au Québec, nous sommes les gardiens d’un

nombre incroyable de lacs, de fleuves et de ri-vières, commente-t-il. C’est très important pourmoi de sensibiliser les gens à la beauté de notreenvironnement et à la responsabilité que nousavons par rapport à nos ressources aquatiques.Le prix Michel-Jurdant me plaît énormément,parce qu’il reconnaît justement cet aspect demon travail. »

M. Del Giorgio souligne toutefois que, à sesyeux, ce prix devrait être attribué à l’ensemblede son groupe de travail. « Toutes mes re-

cherches résultent d’un travail collectif, conclut-il. Ce prix, je le dois beaucoup à mon groupe, àmes collaborateurs ! On ne peut pas concevoirun programme de recherche et appor ter descontributions impor tantes sans avoir uneéquipe en arrière. J’en suis très conscient et c’estpourquoi j ’aimerais par tager ce prix avecmes collègues aussi. »

CollaboratriceLe Devoir

PRIX MICHEL-JURDANT

Le chercheur Paul Del Giorgio remporte la 30e édition

NATHALIE SAINT PIERRE

Le spécialiste des écosystèmes aquatiques et titulaire de la Chaire de recherche en biogéochimie ducarbone du Département des sciences biologiques de l’Université du Québec à Montréal, Paul Del Giorgio

É M I L I E C O R R I V E A U

Militante depuis les années1970, Line Chamberland

s’est toujours efforcée de faireavancer le féminisme et de seporter à la défense de l’égalitédes personnes lesbiennes, gaies,bisexuelles et transsexuelles(LGBT). Aujourd’hui profes-seure au Département de sexo-logie de l’Université du Québecà Montréal (UQAM) et titulairede la Chaire de recherche surl’homophobie, elle remporte leprix Pierre-Dansereau de l’Asso-ciation francophone pour le sa-voir en raison de son engage-ment auprès de la collectivité.

Même si cela fait au-jourd’hui plus de 20 ans, LineChamberland se souvientcomme si c’était hier du mo-ment où elle a annoncé à samère qu’elle souhaitait entre-prendre des recherches docto-rales sur les expériences vé-cues par des lesbiennes dansle Montréal des années 1950-1960. Inquiète pour sa fille,cette dernière lui avait ré-pondu qu’elle était bien tropen avant de son temps.

La mère de Mme Chamber-land n’avait pas tort, mais, ta-raudée par le désir de mieuxcomprendre la communautéau sein de laquelle elle s’in-vestissait, la militante est toutde même retournée sur lesbancs d’école pour y entre-prendre un doctorat, aprèsavoir passé deux décenniescomme professeure de socio-logie au collégial.

« Il y avait, dans les mouve-ments de lesbiennes dont je fai-sais par tie, une for te mou-vance féministe, explique-t-elle. Moi qui m’af firmais de-puis plusieurs années commelesbienne féministe, je m’inter-rogeais beaucoup sur le fémi-

nisme et son lien avec le lesbia-nisme. Je me demandais si levolet féministe ne venait pasdonner en quelque sorte sa res-pectabilité au fait d’être les-bienne en lui procurant unejustification politique. Çame préoccupait beaucoup.C’est pour ça que j’ai cherché àsavoir comment les expérienceslesbiennes avaient pu être vé-cues dans un contexte où il n’yavait pas le féminisme. »

Également animée par le dé-sir de faire évoluer les condi-tions de vie des personnes deminorités sexuelles, Mme Cham-berland cultivait le désir d’ins-crire le champ des études gaieset lesbiennes au sein d’une uni-

versité québécoise, chose quin’avait encore jamais été faite.

« Je voyais que, dans d’autrespays, on commençait à faire desrecherches sur le sujet, évoque-t-elle. Je trouvais que le fait dedocumenter ces problématiques-là allait permettre de mieux lesconnaître et donc de mieux lescombattre. Pour moi, le passagede l’activisme à la recherche al-lait de soi. Mon moteur pre-mier, c’était que ma rechercheait des retombées sociales. Cel’est encore, d’ailleurs. »

Du doctorat à la chaire derecherche

Après avoir abordé la ques-tion du lesbianisme d’un point

de vue historique, sociologiqueet culturel dans le cadre de sondoctorat, Mme Chamberland acontinué de s’investir dans larecherche, tout en poursuivantson travail de professeure auniveau collégial, où elle a d’ail-leurs multiplié les projets péda-gogiques autour des questionsde diversité sexuelle et degenre au sein de cours de for-mation professionnelle.

À la même période, elle amené une recherche-action àla Confédération des syndi-cats nationaux sur les travail-leurs homosexuels, ce qui luia permis de constater queces derniers étaient encorelargement marginalisés.

« Je me souviens du témoi-gnage d’un homme qui n’avaitpu assister aux funérailles deson conjoint parce qu’il n’avaitjamais fait son coming out autravail, raconte la chercheure.De toute façon, même s’ill’avait dit, il n’aurait pas pu yaller, parce qu’on n’accordaitpas encore de congé, dans le ca-dre d’un décès, aux employésdont le conjoint était de mêmesexe. Sa détresse m’avait beau-coup touchée. »

Par la suite, Mme Chamber-land s’est engagée dans legroupe interdisciplinaire de re-cherche et d’études Homo-sexualité et société, le tout pre-mier programme d’enseigne-ment et de recherche sur lesminorités sexuelles au Québec.Elle a aussi enseigné les étudeslesbiennes à l’UniversitéConcordia et a collaboré à plu-sieurs cours de premier etdeuxième cycles universitaires.

Depuis, la production scienti-fique et l’engagement social deMme Chamberland n’ont cesséde croître. Ses recherches ontdonné matière à des publica-tions scientifiques dans de mul-

tiples revues avec comité delecture, à des collaborations àdes chapitres de livre et à plusd’une centaine de communica-tions dans des congrès organi-sés tant au Québec qu’ailleursau Canada et à l’étranger.Quant à son engagement au-près de nombreux groupes dumouvement LGBT, il n’a jamaisfléchi au cours des années.

Aujourd’hui, en plus d’êtreprofesseure au Départementde sexologie de l’UQAM et ti-tulaire de sa Chaire de re-cherche sur l’homophobie,Mme Chamberland cumule plu-sieurs rôles au sein de l’éta-blissement. Elle est égalementdirectrice de l’équipe de re-cherche Sexualités et genres :vulnérabilité et résilience,membre associée de l’institutSanté et société et professeurerégulière au sein de l’Institutde recherches et d’études fé-ministes. À cela s’ajoutent sesfonctions de consultante à laprogrammation et à la réalisa-tion d’activités diverses pourdes organismes de commu-nautés culturelles, de partici-pante à titre de chercheure ex-perte pour le collectif de tra-vail LGBT, ainsi que de mem-bre consultante de la Table na-tionale de lutte à l’homophobieen milieu collégial et de la Ta-ble nationale de lutte à l’homo-phobie en milieu scolaire.

Des accomplissementsmajeurs

Outre le fait d’avoir eu unimpact cer tain sur la recon-naissance des droits et l’amé-lioration des conditions de viedes personnes de minoritéssexuelles, Mme Chamberlandestime que sa plus granderéussite réside dans le faitd’être par venue à déployerson domaine de recherche et à

former une relève apte à pren-dre le flambeau.

« Je suis vraiment contenteque le champ de recherche soitmaintenant établi et qu’il y aitde la relève, commente-t-elle.J’ai toujours eu cet objectif entête, parce que, quand j’ai étu-dié à l’Université de Montréal,il y avait d’éminentes spécia-listes en études féministes etque, lorsqu’elles sont parties, iln’y avait plus personne pour as-surer la relève. J’ai gardé uneleçon de ça. À l’UQAM, on abeaucoup travaillé sur l’ensei-gnement et l’inscription desétudes féministes dans l’établis-sement. Et moi, j’ai toujours euen tête d’y inscrire mon champde recherche pour qu’il y aitune certaine pérennité. Conti-nuer à faire de la recherche surl’homophobie, c’est aussi s’assu-rer de mieux la contrer. »

Si elle concède qu’être unepionnière dans le domainedes études gaies et les-biennes n’a pas toujours étéde tout repos — la cher-cheuse a vécu beaucoup d’iso-lement et a longtemps étéconfrontée à un manque deressources et d’appui institu-tionnel — Mme Chamberlandrelève que sa frondeur lui apermis d’accomplir beaucoupde choses dont elle n’osaitmême pas rêver à l’époque oùelle entamait son doctorat.

« Finalement, ma mèren’avait pas tout à fait raison,note la lauréate du prix Pierre-Dansereau. Oui, il a fallu queje défriche et que je bûche pourfaire reconnaître mon champde recherche, mais, ultime-ment, c’est le fait d’être enavant de mon temps qui m’a lemieux servie ! »

CollaboratriceLe Devoir

PRIX PIERRE-DANSEREAU

Le féminisme récompensé

ANDREW DOBROWOLSKYJ

Si elle concède qu’être une pionnière dans le domaine des étudesgaies et lesbienne n’a pas toujours été de tout repos, Mme

Chamberland relève que sa frondeur lui a permis d’accomplirbeaucoup de choses dont elle n’osait même pas rêver à l’époqueoù elle entamait son doctorat.

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SCIENCESL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 5 E T D I M A N C H E 2 6 O C T O B R E 2 0 1 4 H 5

R É G I N A L D H A R V E Y

P ionnière au milieu des années 1980 dans ledomaine de la recherche sur la probléma-

tique des agressions sexuelles chez les enfants,Martine Hébert deviendra une source d’inspi-ration pour les communautés qu’elle côtoie :plusieurs de ses partenaires se lanceront dansdes projets de soutien à l’enfance. Elle codirigeprésentement la Chaire de recherche interuni-versitaire Marie-Vincent sur les agressionssexuelles envers les enfants.

Psychologue et professeure-chercheuse auDépartement de sexologie de l’UQAM, Mar-tine Hébert montre un intérêt pour l’enfant dèsson secondaire. Elle poursuivra dans cette voiependant ses études universitaires à l’UniversitéMcGill et à l’Université Concordia. Au niveaude la maîtrise, elle se retrouve en stage à l’hô-pital Sainte-Justine : « Il a eu lieu à ce qu’on ap-pelait alors la Clinique de protection de l’en-fance, qui porte aujourd’hui le nom de Cliniquede pédiatrie sociojuridique ; à ce moment-là, laclientèle que je voyais pendant mon séjour étaitvraiment composée d’enfants victimes d’uneagression sexuelle. »

C’était autour de 1984 et la jeune psychologueétait confrontée à une problématique dont ilétait peu question à cette époque: «Pour donnerune idée de la situation, il n’y avait peut-être que500 articles scientifiques publiés sur ce sujet,alors qu’il y en a près de 20 000 aujourd’hui.» Auterme de son stage, elle quitte Concordia et sedirige vers l’Université de Montréal pour sondoctorat ; elle est bien résolue à ce que sa thèseporte sur de telles agressions.

Elle résume de quelle façon les chercheursabordent le problème durant cette période :« La question de base consistait à savoir quellessont les conséquences associées aux agressionschez ces enfants et on se demandait comment dé-pister ceux-ci. Existe-t-il une constellation de diffi-cultés ou de symptômes propres aux agressionsqui nous aideraient pour le dépistage?»

D’hier à aujourd’hui, le pesant silenceLes études réalisées dans différents pays et

au Québec même servent à dégager ce portraitactuel d’un mal trop répandu, rapporte Mme Hé-bert : « L’agression sexuelle touche entre 20 et25% des femmes et de 7 à 10% des hommes. » Ils’agit là d’une minorité tout de même significa-tive : «On se livre souvent à cette analogie : si ontrouvait une maladie qui frappe autant de gens,il va de soi qu’on consacrerait beaucoup d’éner-gie à trouver un vaccin pour l’éradiquer. »

Elle dégage le facteur qui complique les inter-ventions: «Il y a une proportion importante des in-dividus ayant vécu une telle agression qui ne la dé-voilent à personne; avant de se confier, ils vont at-tendre jusqu’à cinq ans ou plus.» Une étude mon-tre que, au Québec, une personne sur cinq gardeà jamais le silence et que de 50 à 60% des gens tai-sent l’événement durant cinq ans avant de s’ou-vrir sur le sujet, de sorte que l’enfant de huit ansattendra jusqu’à l’adolescence avant de se confier.

Il s’ensuit des conséquences lourdes : « Lesgens qui ne dévoilent pas l’agression ne bénéfi-cient pas de services. Il est certain que les impactssur le développement de l’enfant sont majeurs, cequi est largement documenté présentement :toutes les phases de celui-ci sont touchées, que cesoit sur les plans affectif ou social, sans compterles enjeux particuliers pour l’adaptation en mi-lieu scolaire.» Ces enfants-là risquent de partir àla dérive sans le soutien requis et de faire en

sorte que leurs comportements se répercutentsur leur entourage durant toute leur vie.

Le parcours de rechercheÀ partir de 1999, la chercheuse a poursuivi

ses travaux à l’UQAM, où elle enseigne. Aprèsavoir défini les différents angles sous lesquelselle entendait aborder les effets causés par lesagressions chez les enfants, elle tisse des parte-nariats pour mieux documenter ses re-cherches : « Dans ce but, on a travaillé avecbeaucoup de partenaires dans les milieux de pra-tique et chez les organismes communautaires,notamment avec l’hôpital Sainte-Justine et avecle centre Marie-Vincent. »

Elle s’est vraiment tournée vers le terrain, làoù les problèmes font surface : « Pour l’enfantvictime, il est confronté à plusieurs acteurs quivont entrer dans le décor. » Il lui est pénible decheminer à travers un processus complexedans ce cas, mais il peut actuellement suivre unitinéraire plus approprié : « Il y a un centre qui aété créé à Montréal et qui figure vraimentcomme une innovation sociale ; c’est le centreMarie-Vincent, qui a vu le jour en 2005. » Enmême temps, une chaire de recherche a étémise sur pied, dont elle est la «cotitulaire».

Il s’agit du seul centre d’appui pour enfantsqui existe au Québec et il présente cette parti-cularité : les services sont intégrés et sont tousof fer ts sous un même toit. Elle souligne untrait particulier de cet endroit, qu’elle qualifiede child-friendly : « On y of fre un traitement define pointe qui relève d’une pratique exemplaireet qu’on a adapté des États-Unis, là où il a vrai-ment été testé ; il apporte des améliorations per-ceptibles chez les enfants. »

Les retombées sur les milieuxTout au long de son cheminement de car-

rière, Martine Hébert a effectué des travaux derecherche qui ont apporté des retombées posi-tives pour les enfants et les collectivités ; elle alaissé des traces de son passage dans son mi-lieu : « Il y a des infrastructures qui ont été misessur pied et qui ont favorisé le travail en partena-riat ; il y a aussi eu des infrastructures de re-cherche qui ont pris forme, comme le Centre derecherche interdisciplinaire sur les problèmesconjugaux et sur les agressions sexuelles (CRIP-CAS). » De la sorte, la circulation de l’informa-tion scientifique est facilitée.

La professeure se penche sur une autreréalisation : « On a publié un livre en deuxtomes, parus en 2011 et en 2012. On vise parces publications à aider les intervenants de dif-férents secteurs à mieux comprendre la problé-matique ; ils sont utilisés notamment dans lecadre de la formation des policiers et de celleque le centre Marie-Vincent dispense. » Ces ou-vrages contiennent les faits saillants de la lit-térature scientifique qui sont résumés enfrançais à l’intention des intervenants auprèsde la population québécoise.

Depuis 20 ans, elle mesure le chemin par-couru : « Il y a plusieurs étudiants qui ont été for-més et qui travaillent comme psychologues dansles centres d’expertise. On a également créé unnouveau programme court à l’UQAM qui portespécifiquement sur cette forme de violencesexuelle. Il y a des gens qui sont maintenantmieux sensibilisés et outillés pour faire face àcette réalité. »

CollaborateurLe Devoir

PRIX THÉRÈSE-GOUIN-DÉCARIE

Enfants victimes d’une agression sexuelle : un Québec mieux outillé

Le Gala de l’Acfas célèbre l’excellence de la recherche québécoise, et McGill est très fière que deux de ses étudiants aux cycles supérieurs aient remporté de prestigieux prix cette année. RENAUD BOULANGER (à gauche, bioéthique) a reçu le Prix Desjardins-Maîtrise pour ses études ayant trait à l’éthique entourant l’épidémie du virus Ebola. SACHA CAVELIER (à droite, génie mécanique) a quant à lui obtenu le Prix du public Eurêka, pour sa photo où apparaît le formidable arrangement structurel de la nacre des coquillages.

FÉLICITATIONS À MM. BOULANGER ET CAVELIER POUR LEURS CONTRIBUTIONS À L’AVANCEMENT DE LA RECHERCHE EN FRANÇAIS.

BRAVO A RENAUD BOULANGER ET SACHA CAVELIER!

Lauréats du Concours de vulgarisation de la recherche de l’AcfasParrainé par le Secrétariat à la politique linguistiqueAlexandre BIGOT, École polytechnique de Montréal — Sacrés aimants… Ils n’ont pas fini de nous étonner !Sophie BRAJON, Université Laval — Une touche de bonheur en élevage porcinRachel LANGEVIN, UQAM — Les jeunes victimes d’agressions sexuelles : émotions et résilienceRichard NAUD, Université d’Ottawa — Des grenouilles qui savent compterMorgane URLI, Université de Sherbrooke — Les érables à l’assaut des montagnes au Québec?

Lauréats des prix d’excellence de l’ADÉSAQRemis par l’Association des doyens des études supérieures au QuébecSciences humaines et sociales, arts et lettres : Marie-Claude DESJARDINS, Université LavalSciences de la santé : Simon GIRARD, Université de MontréalSciences naturelles et génie : Éric PROIETTI, Université INRS

Lauréates des prix de thèse en cotutelleRemis par le Consulat général de la France à Québec et le ministère des Relations internationales et de la FrancophoniePrix de thèse en cotutelle Québec-France: Marie-Claude DESJARDINS, Université LavalPrix de thèse en cotutelle France-Québec: Magali GAUTHIER, Université INRS

Les autres lauréats

ÉMILIE TOURNEVACHE

« Les gens qui ne dévoilent pas l’agression ne bénéficient pas de services. Il est certain que lesimpacts sur le développement de l’enfant sont majeurs, ce qui est largement documentéprésentement : toutes les phases de celui-ci sont touchées, que ce soit sur les plans af fectif ou social,sans compter les enjeux particuliers pour l’adaptation en milieu scolaire. »

ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR

« Il y a une proportion importante des individus ayant vécu une telle agression qui ne la dévoilent à personne ; avant de se confier, ils vont attendre jusqu’à cinq ans ou plus. »

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C L A U D E L A F L E U R

Prix Acfas–Fondation Desjar-dins doctoratNon, nous n’avons pas tousaccès aux mêmes soins de santé !

« L orsqu’on consulte unprofessionnel de la

santé, on s’attend tous, évidem-ment, à être traité sans égardà la couleur de la peau ou àl’âge, sans égard non plus aufait d’être un homme ou unefemme, riche ou pauvre, etc.Malheureusement, la réalitén’est pas si rose ! », constateMaude Laliber té, candidateau doctorat en sciences bio-médicales à l’Institut de re-cherche en santé publique del’Université de Montréal.

Celle-ci observe en effet di-vers biais dans la priorisationet le suivi des patients. Parexemple, les gens plus âgés,les minorités visibles, les gensà faible statut socio-écono-mique et les femmes ontmoins accès à une chirurgiede prothèse de hanche ou degenou que le reste de la popu-lation. « Mon but, au doctorat,est d’étudier les facteurs qui in-fluencent la prise en charge despatients en physiothérapie », in-dique Mme Laliberté.

Elle espère que ses travauxformeront le point de départd’une réflexion quant aux fac-teurs qui influencent la priseen charge des malades.

« Je suis une personne trèsdynamique et j ’ai toujoursaimé avoir plusieurs occupa-tions, rôles et emplois en mêmetemps !, raconte-t-elle. Présen-tement, je suis étudiante audoctorat, physiothérapeute,professeure adjointe de cli-nique à l’École de réadapta-tion de l’Université de Mont-

réal et syndic adjointe. » (!)À la question : où vous ima-

ginez-vous dans 30 ans ?, ellerépond joyeusement : « Dif fi-cile de m’imaginer à un seulendroit ! Je m’imagine doncprofesseure à l’université et en-gagée dans diverses organisa-tions professionnelles dans lebut ultime d’améliorer les pra-tiques dans ma profession dephysiothérapeute, d’influencerles politiques des établissementspublics et privés en physiothéra-pie (par exemple, la gestion deslistes d’attente) et, plus large-ment, d’influencer les politiquespubliques afin que les patientsaient plus facilement accès auxservices de réadaptation etaient une meilleure qualité devie. Et voilà ! »

De toute évidence, MaudeLaliberté est une chercheusedynamique promise à un belavenir !

Prix Acfas–FondationDesjardins maîtriseLes dilemmes moraux de toutchercheur humanitaire

Dans le cadre de ses étudesde maîtrise en éthique à l’Uni-versité McGill, Renaud Boulan-ger tente de cerner les di-lemmes moraux que rencon-trent les chercheurs travaillanten situation de crise humani-taire. « Je demande à des cher-cheurs, qui sont allés sur le ter-rain peu de temps après une ca-tastrophe naturelle, de me par-ler de leur expérience, expliqueM. Boulanger. Je suis particu-lièrement intéressé à en appren-dre davantage sur les dilemmesmoraux qu’ils ont vécus.»

Il songe entre autres au casd’étudiants au baccalauréatqui sont allés observer les po-pulations affectées par le tsu-nami de 2004 et par un séisme

en Amérique du Sud. «Laissésà eux-mêmes sur le terrain, ilsont dû faire face aux besoinscriants des populations localessans pouvoir faire grand-chose,commente-t-il. Tout un chocpour un nouveau chercheur ! »

Parmi les problèmes éthiquesauxquels sont confrontés régu-lièrement les chercheurs sur leterrain, Renaud Boulanger citela possibilité que les volontairesqui se prêtent à leurs étudesaient l’impression qu’ils rece-vront une meilleure attentionmédicale. D’autre part, les cher-cheurs songent-ils à la possibi-lité que leurs travaux puissentavoir des conséquences aux-quelles ils ne pourront remé-dier? Par exemple, quelles pour-raient être les conséquences del’essai, sur le terrain, de vaccinsexpérimentaux pour contrerl’épidémie d’Ebola en Afrique?

Son projet de maîtrise seveut même l’amorce d’unequête plus globale, dit-il. «Mamaîtrise me permet de testerune approche spécifique pourune recherche plus vaste, touten contribuant de façon trèsconcrète à l’amélioration — jel’espère ! — de l’éthique de la re-cherche en situation de crise.»

Où se voit-il dans 30 ans? «Àbord d’un grand navire-hôpitalaxé sur l’enseignement, un genrede fusion entre le USNS Com-fort et le Peace Boat… versionvoiles et panneaux solaires, dit-il.Ce navire aurait la triple mis-sion de porter secours aux gensaffectés par une catastrophe na-turelle ou un conflit, de dispenserde l’enseignement et de servir delieu de réflexion pour intellec-tuels et scientifiques.»

Prix Acfas–IRSST maîtrise,santé et sécurité du travailGare à vous si vous pratiqueztrop intensément la musique !

Quiconque s’est suf fisam-ment entraîné à jouer d’un ins-trument de musique se sou-viendra probablement d’avoirressenti cer taines douleurs.Ce phénomène por te mêmeun nom : la douleur musculos-quelettique liée à l’exécutionde la musique, ou DMEM.

Selon Judith Robitaille, er-gothérapeute et étudiante enmaîtr ise à l ’Universi té deSherbrooke, ce phénomèneest d’autant plus préoccupantque les étudiants en musiqueacquièrent, durant leur for-mation, des habitudes de tra-vail qu’ils garderont tout aulong de leur car rière. « Lasanté et la sécurité de ces étu-diants doivent donc être favo-risées par des mesures de pré-vention », dit-elle.

Par conséquent, elle étudieles facteurs de risque liés autemps que consacrent des étu-diants à jouer d’un instrumentà cordes frottées. «L’impact dela durée passée à jouer d’uninstrument sur la DMEM n’apas encore été documenté, ob-serve-t-elle. Pourtant, les étu-diants y sont régulièrement ex-posés, notamment lors de leurpar ticipation annuelle à descamps musicaux intensifs du-rant la période estivale. »

Dans le cadre de sa maî-trise, Mme Robitaille surveillel’apparition de douleurs mus-culosquelettiques selon la du-rée de pratique d’un instru-ment, cherchant ainsi à établirla relation entre la DMEM etle temps de pratique. « Ces in-formations permettront auxjeunes musiciens et à leur en-tourage (parents, enseignants)de prendre conscience du phé-nomène», espère-t-elle.

Comme ergothérapeute, Ju-

dith Robitaille souhaite ulté-rieurement offrir ses servicesaux musiciens et aux étudiantsqui sont aux prises avec desproblèmes de santé. Elle es-père en outre sensibiliser lesétablissements musicaux aubien-être de leurs musiciens etsouhaite même que ses tra-vaux mènent un jour à la miseen place de mesures de pré-vention de la DMEM.

Prix Acfas-IRSST doctorat,santé et sécurité du travailUne militante pour la santé etla sécurité des travailleursimmigrants

Gabrielle Legendre, étu-diante au doctorat interdiscipli-naire en santé et société àl’UQAM, a une grande préoc-cupation, une passion même :la santé et la sécurité des im-migrants au travail. Dans le ca-dre de ses études de doctorat,elle a participé à la création età l’implantation d’une table deconcertation visant à favoriserla collaboration d’acteurs issusde dif férents milieux concer-nés par cette problématique.

«Mon projet de recherche viseà évaluer cette table et les activi-tés développées par les différentsacteurs», explique-t-elle.

D a n s s e s r e c h e r c h e s ,Mme Legendre constate queles immigrants occupent desemplois précaires et souventdans des secteurs où lesrisques de lésion sont élevés.De plus, ceux-ci sont réticentsà déclarer tout incident. Parconséquent, elle souhaite queles intervenants en santé et sé-curité au travail soient « sensi-bilisés et mieux outillés pour in-tervenir plus ef ficacement au-près des immigrants ».

Plus spécifiquement, sonprojet de recherche consisteà évaluer la pertinence et lesef fets de la mise en œuvred’une table de concertation.Elle cherche ainsi à amélio-rer l’impact de ce genre destructure sur la préventiondes lésions. Elle espère aussiaméliorer les conditions detravail des immigrants ainsique les pratiques des interve-nants sociocommunautaires.

Gabrielle Legendre a une vo-cation, dit-elle: elle se veut uneactrice de changements sociauxet dédie sa carrière à sensibili-ser tous ceux et toutes celles quiœuvrent en santé et sécurité desimmigrants au travail. Elle estd’ailleurs déjà adjointe à la direc-tion du RRSSTQ, le Réseau derecherche en santé et en sécu-rité du travail du Québec.

Prix Acfas ressourcesnaturellesVers des alumineries plus ef-ficaces et moins polluantes

Le Québec est l ’un desgrands producteurs mon-diaux d’aluminium. Or le pro-cédé de fabrication de l’alumi-nium par électrolyse, qu’onmaîtrise depuis des décen-nies, peut encore être amé-lioré. C’est le défi que s’estdonné François Allard, étu-diant au doctorat en géniechimique à l ’Université deSherbrooke.

« L’industrie de l’aluminiumoccupe une place d’importancedans l’économie du Québec,note-t-il, mais, pour demeurercompétitive, le coût de produc-tion de l’aluminium doitconstamment être réduit. »

À cette fin, il étudie de trèsprès les phénomènes deper te de chaleur au-dessusdes cellules où s’ef fectuel’électrolyse, dans le but d’op-

timiser le procédé.Pour ce faire, il analyse des

échantillons de matériauxprélevés dans les cellules in-dustrielles, afin de détermi-ner leur composition chi-mique et leurs propriétésthermiques. Il tente ensuitede prédire le comportementde ces matériaux à l’aide delogiciels informatiques etd’un modèle numérique. Il es-père ainsi parvenir à optimi-ser l’ef ficacité énergétiquedes cellules d’électrolyse et,du coup, à réduire les émis-sions d’agents polluants.

« À terme, mes travaux pour-raient mener à une réductionde la consommation énergé-tique du procédé d’électrolyse, à

une meilleure stabilité des cel-lules et à une amélioration dubilan écologique » , avanceFrançois Allard.

« Dans 20 ans, je me voischercheur de nouveaux produitsutiles pour la société et respon-sable d’une équipe de dévelop-pement dans des secteurs tech-nologiques de pointe, prédit-il.Je vise à œuvrer dans des sec-teurs comme la transformationdes matières premières en pro-duits de valeur ajoutée ou dansla recherche de nouvelles tech-nologies de production et destockage d’énergie qui respec-tent l’environnement. »

CollaborateurLe Devoir

Les cinq lauréats des prix de l’Acfas étudiant-chercheur

www.uquebec.ca

Université du Québec à Montréal

Université du Québec à Trois-Rivières

Université du Québec à Chicoutimi

Université du Québec à Rimouski

Université du Québec en Outaouais

Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue

Institut national de la recherche scientifique

École nationale d’administration publique

École de technologie supérieure

Télé-université

Les établissements de l’Université du Québec sont fiers de souligner la contribution scientifique de leurs chercheurs et de leurs étudiants.

70e Gala de l ’AcfasFélicitationsaux lauréats de l’Université du Québec

PRIX ACFAS 2014

Gabrielle Legendre (Prix IRSST – Doctorat)Étudiante au doctorat interdisciplinaire en santé et sociétéUniversité du Québec à Montréal

Eric Proietti (Prix ADESAQ) Docteur en sciences de l’énergie et des matériaux Institut national de la recherche scientifique Centre Énergie Matériaux Télécommunications

Srečko Brlek (Prix Adrien-Pouliot) Professeur au Département d’informatique Université du Québec à Montréal

Paul del Giorgio (Prix Michel-Jurdant) Professeur au Département des sciences biologiques Université du Québec à Montréal

Line Chamberland (Prix Pierre-Dansereau) Professeure au Département de sexologie Université du Québec à Montréal

Martine Hébert (Prix Thérèse Gouin-Décarie)Professeure au Département de sexologieUniversité du Québec à Montréal

CONCOURS DE VULGARISATION DE LA RECHERCHE

Rachel LangevinÉtudiante au doctorat en psychologieUniversité du Québec à Montréal

LA PREUVE PAR L’IMAGE (1er Prix – Toutes disciplines)

Alexandre LamarreÉtudiant au D.E.S.S. en systèmes d’information géographiqueMichelle GarneauProfesseure au Département de géographie Université du Québec à Montréal

PRIX DE THÈSE EN COTUTELLE FRANCE-QUÉBEC

Magali GauthierDocteure en sciences de l’énergie et des matériauxInstitut national de la recherche scientifiqueCentre Énergie Matériaux Télécommunications

SOPHIA PHOTOGRAPHE

Judith Robitaille, lauréate du prix Acfas-IRSST maîtrise, santé et sécurité au travail

COURTOISIE GABRIELLE LEGENDRE

Gabrielle Legendre, lauréate du prix Acfas-IRSST doctorat, santéet sécurité au travail

JEAN LEMIEUX

Maude Laliberté, lauréate du prix Acfas-Fondation Desjardinsdoctorat

KIMBERLY GUÉNETTE

François Allard, lauréat du prix Acfas ressources naturelles

ASEM BALA PHOTOGRAPHIE

Renaud Boulanger, lauréat du prix Acfas-Fondation Desjardinsmaîtrise

Page 7: SCIENCES...Jean-Mitry, en 2010, pour sa contribution à la mise en valeur du cinéma muet, ainsi que des récompenses prestigieuses comme la bourse Killam en 1997 et la bourse Guggenheim

SCIENCESL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 5 E T D I M A N C H E 2 6 O C T O B R E 2 0 1 4 H 7

R É G I N A L D H A R V E Y

I l existe un groupe de scientifiques chevron-nés qui se sont attelés à la tâche, depuis une

vingtaine d’années, de recourir à la mécaniquequantique pour produire un ordinateur d’unepuissance telle qu’elle défie l’imagination ; cetordinateur serait en mesure d’ef fectuer destâches se mesurant en milliards d’années, encomparaison avec l’ordinateur actuel le plusperformant de la planète.

Physicien de carrière, Alexandre Blais faitpartie d’une élite mondiale qui poursuit cettetâche colossale mais « moins far felue qu’ellepouvait paraître au départ », comme il se plaît àle dire. Il a achevé ses trois cycles d’études uni-versitaires à l’Université de Sherbrooke en2002, là où il occupe les fonctions de profes-seur-chercheur au Département de physique,après avoir obtenu son « postdoc » de l’Univer-sité Yale, au Connecticut : « Dans notre do-maine, ce n’est pas tellement courant de revenird’où on est parti ; il faut auparavant avoir prisun détour vers ailleurs pour apporter par la suitequelque chose, et c’est ce que j’ai fait. »

Flash-back sur son parcours universitaire à lamaîtrise : « J’ai alors décidé de travailler sur l’in-formatique quantique, qui, à ce moment-là,était une discipline qui voyait le jour ; il n’yavait pas beaucoup de chercheurs dans ce sec-teur et l’idée de construire un ordinateur quan-tique frôlait le farfelu et apparaissait comme unrêve. Je trouvais superintéressant d’exploitercette mécanique dans ses recoins les plusintimes ; c’était une véritable passion. » Un profde chimie lui ser t alors de mentor et il che-mine plutôt en solitaire dans des sentiers peufréquentés : « La situation a complètementchangé aujourd’hui », tient-il à préciser.

Il s’intéresse alors, entre autres, aux cir-cuits supraconducteurs quantiques, ce qui,de fil en aiguille, le conduira vers Yale : à cetendroit, des chercheurs étudient déjà ceux-ciet se livrent à des expériences dans ce do-maine pointu.

De retour au bercailAlexandre Blais revient à Sherbrooke à titre

de prof en 2006 et il oriente ses recherchesvers l’informatique quantique, qui, en termesde vulgarisation, est axée sur la mise au pointet le développement d’ordinateurs plus puis-sants. Mais encore ? « Je peux brosser un petitpor trait du rappor t qui existe entre la méca-nique quantique et l’ordinateur et de ce qu’onpourra réaliser avec ce gadget-là une fois qu’onl’aura en main. »

Les explications suivent : « Premièrement,cette mécanique est probablement la théorie laplus étrange qui puisse être : elle prédit deschoses farfelues si on la transpose à notre modemacroscopique de tous les jours. Par exemple,elle prédit que je peux être assis en train de vousparler et que je pourrais être assis à la plage enmême temps ; et la lumière pourrait être à la foisallumée et éteinte. »

Cette théorie a été développée au début desannées 1900 et il en résulte ce qui suit : «Elle aréussi à expliquer le comportement de certainsmatériaux que sont les semi-conducteurs, qui ontfait en sorte que nous nous sommes échangé descourriels et que nous sommes en train de nousparler : finalement, ils sont aujourd’hui partout

dans l’industrie de l’électronique. La mécaniquequantique a servi à comprendre comment fonc-tionnent ces semi-conducteurs (le silicium) etcomment on peut faire un transistor à partir decela, comment on peut, en bout de ligne, manipu-ler et stocker de l’information dans les maté-riaux, ce qui est à la base de nos ordinateurs, dusmartphone et d’Internet. »

« Une grande partie de notre vie est due à unemeilleure compréhension de cette mécanique, cequi prouve que la physique ne relève pas seule-ment de trucs abstraits, mais qu’elle donne desrésultats aussi concrets que ceux-là », constatele physicien.

15 milliards d’années plus tardEt qu’en est-il, au final, de votre ordinateur

mégapuissant? «On a maintenant une connais-sance beaucoup plus profonde de la théorie de lamécanique quantique et on possède des méthodesexpérimentales beaucoup plus évoluées qui per-mettent des réalisations qui auraient paru com-plètement irréalistes il y a quelques années.» Il envient à la démonstration scientifique de cetteavancée, avant d’en arriver à la résultante re-cherchée: «Maintenant qu’on a en main des cir-cuits électriques quantiques, il nous est donné d’es-sayer de les mettre en pièces et d’obtenir un ordi-nateur qui va exploiter ces étrangetés-là, ce qui ou-vre plein de possibilités.»

Il fournit une donnée plutôt renversante :« Monsieur et madame Tout-le-monde trouvent

généralement que leur ordinateur est suf fisam-ment rapide ; dans le cas contraire, ils s’en pro-curent un de la prochaine génération. Il s’agitlà d’un problème simple, mais il en existe cer-tains plus complexes qu’on aimerait pouvoirrésoudre maintenant, mais on ne peut le faireavec ce genre d’outils : cela nous prendrait

l’âge de l’univers pour y arriver en utilisantl’ordinateur le plus puissant de la planète ; onparle ici de 15 milliards d ’années ou dequelque chose de cet ordre-là. »

Et qu’en est-il de ce genre de problèmed’une grande complexité ? Le professeur sertl’exemple du développement d’un nouveaumédicament. Il en coûte très cher pour suivrele processus nécessaire à l’obtention du pro-duit fini, même en utilisant les technologiesde pointe. En mettant au point un système ouun ordinateur quantiques, « il serait exponen-tiellement plus rapide » de le faire. Il fait appelà un langage très imagé : « Le temps exactpour trouver la solution à un problème nécessi-tant l’âge de l’univers pour être résolu nouséchappe pour l’instant, parce que l’ordinateurquantique n’existe pas encore, mais il pourraitl’être dans l’espace d’une semaine, d’un moisou d’un an ; on parvient là à quelque chose quiest humainement possible. »

Équipe et avenirAlexandre Blais entre dans les détails de son

parcours de recherche, avant de se tournervers les gens qui l’entourent : « Ce prix de l’Ac-fas, c’est le résultat du travail d’un groupe, de col-laborateurs à l’externe mais aussi d’un grandnombre de superétudiants et de détenteurs d’un“postdoct ” avec lesquels j’ai travaillé. » Tous ma-nifestent un vif intérêt : « La mécanique quan-tique, c’est une partie de la physique où il y a en-core à découvrir et à comprendre ; d’autant plusqu’on est en train de l’explorer dans ses recoinsles plus étranges et les plus bizarres. »

D’embr yonnaire il y a quelques années,l’idée de la création d’un ordinateur quantiquea fait du chemin : « Cela apparaît maintenantcomme une vraie possibilité, à un tel point quedes géants de l’industrie comme IBM, Microsoftet Google investissent des millions de dollarsdans ce domaine. » Ils ont mis sur pied deséquipes de recherche qui suivent la voie tracéepar le chercheur de Sherbrooke et ses col-lègues pour orienter leurs travaux.

CollaborateurLe Devoir

PRIX URGEL-ARCHAMBAULT

Le projet fou mais réaliste de produire un ordi d’une puissance insoupçonnée…

INNOVER EST UNE SCIENCE

L’UQAM félicite les huit professeurs et étudiants récompensés par l’Acfas pour l’excellence de leur contribution à la recherche scientifique.

Professeurs chercheurs

Prix Adrien-Pouliot – Coopération scientifique avec la FranceSrecko BrlekProfesseur au Département d’informatique

Prix Michel-Jurdant – Sciences de l’environnementPaul del GiorgioProfesseur au Département des sciences biologiques

Prix Pierre-Dansereau – Engagement social du chercheurLine ChamberlandProfesseure au Département de sexologie

Prix Thérèse Gouin-Décarie – Sciences socialesMartine HébertProfesseure au Département de sexologie

Étudiantes chercheuses

Prix Acfas IRSST – Doctorat Gabrielle LegendreÉtudiante au doctorat interdisciplinaire en santé et société

Prix du Concours de vulgarisation de la rechercheRachel LangevinÉtudiante au doctorat en psychologie

1er prix du concours La preuve par l’image La maison de bonbonMichelle Garneau, professeure au Département de géographie, et Alexandre Lamarre, étudiant au diplôme d’études supérieures spécialisées en systèmes d’information géographique

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MICHEL CARON

«Ce prix de l’Acfas, c’est le résultat du travail d’un groupe, de collaborateurs à l’externe mais aussid’un grand nombre de supersétudiants et de détenteurs de “postdoct ” avec lesquels j’ai travaillé. »

Page 8: SCIENCES...Jean-Mitry, en 2010, pour sa contribution à la mise en valeur du cinéma muet, ainsi que des récompenses prestigieuses comme la bourse Killam en 1997 et la bourse Guggenheim

SCIENCESL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 5 E T D I M A N C H E 2 6 O C T O B R E 2 0 1 4H 8

C L A U D E L A F L E U R

«J e suis par ticulièrementravi de recevoir le prix de

l’Acfas en recherche au collé-gial, puisqu’il montre qu’il sefait de la recherche fort intéres-sante dans les cégeps, déclare lelauréat, Luc Desautels. Ce prixmontre aussi qu’il est possiblede faire une carrière de cher-cheur au collégial et que les cé-geps forment un bassin qui mé-rite d’être mis à contribution.»

Professeur de philosophieet d’éthique appliquée au Col-lège régional de Lanaudière àL’Assomption, M. Desautelsse questionne dans ses re-cherches sur la réussite desétudiants et sur les pro-blèmes éthiques que rencon-trent ses collègues.

L’étonnant parcours d’undécrocheur

Luc Desautels est un décro-cheur… et deux fois plutôtqu’une ! Ainsi, lorsque, à la findes années 1960, le Séminairede Saint-Jean-sur-Richelieu, où ilétudiait, a été converti en cégeppublic, il a été recalé. «Alors quela moitié des élèves de mon ni-veau sont passés directement aucégep, moi, je suis resté collé ensecondaire V, dit-il. Cela m’a tantinsulté que j’ai décroché del’école!» Le jeune Desautels tra-

vaille alors à la tenue de livresdu commerce familial, « pourm’apercevoir assez vite que je nesouhaitais surtout pas y passerma vie!», se rappelle-t-il.

Il s’inscrit alors au cégep ensciences humaines. « Mais jen’avais pas les idées clairesquant à mon orientation, dit-il,et j’ai changé de profil quelquesfois… » Par conséquent, ilabandonne à nouveau sesétudes pour « profiter del’époque des hippies et des mou-vements de jeunesse…»

Ce n’est que trois ans plustard qu’il reprend ses études,terminant son cégep puiss’inscrivant en théologie auCollège universitaire domini-cain d’Ottawa. « Là, j’ai vrai-ment été mordu, dit-il, et j’aiobtenu un baccalauréat etamorcé une maîtrise. »

Entre-temps, il se marie et aun premier enfant. « Il a alorsfallu que je trouve le moyen degagner notre vie », raconte-t-il.Durant deux ans, Luc Desau-tels enseigne la religion àl’école secondaire Saint-Jo-seph d’Hull. « On n’a toutefoispas renouvelé mon contrat,puisque, entretemps, je m’étaisjoint au comité de formationd’un syndicat ! Et, commec’était un collège privé, on n’aguère apprécié la chose…», dit-il en riant.

Le jeune professeur met parla suite du temps avant de sereplacer, profitant d’une annéede chômage forcé pour ache-ver son mémoire de maîtrise.Finalement, en 1983, le Col-lège de L’Assomption l’em-bauche ; il passera 30 ans à en-seigner d’abord la religionpuis la philosophie. « Mais,comme la théologie et la philo-

sophie sont deux disciplines dif-férentes, je suis retourné auxétudes afin d’obtenir un certifi-cat », ajoute-t-il.

« Je vous raconte tout celapour illustrer à quel point le“ sor t ” peut par fois se venger,lance-t-il en riant. Moi qui avaislâché deux fois l’école, voilà queje n’ai quasiment plus jamaiscessé d’étudier!»

Comment débattre entrecollègues

Mais le «sort» n’en avait pasfini avec lui pour autant ! C’estainsi que, au début des années2000, Luc Desautels tombe surun article du Devoir qui pré-sente la Chaire d’éthique appli-quée de l’Université de Sher-brooke que vient de fonderJean-François Malherbe. «Cet

article a tant piqué ma curio-sité que j’ai sollicité un rendez-vous avec le prof Malherbe, ra-conte M. Desautels. Et c’estainsi que je me suis inscrit audoctorat en philosophie, dans lebut de réfléchir aux enjeuxéthiques de ma profession.»

Dans le cadre de ce doctorat,il cherche à voir ce qui motiveles étudiants de philosophie àsuivre attentivement (ou non)leurs cours. «J’ai mené une en-quête dans 13 collèges publics etprivés, auprès de 600 étudiants,précise-t-il. J’en suis venu à ob-server que ce qui motive le plusles étudiants, ce sont les liensqu’ils perçoivent entre la ma-tière enseignée et leur vie. Autre-ment dit : plus un étudiant sesent engagé dans le processusd’apprentissage, plus il se mon-tre intéressé et meilleurs sont sesrésultats. Bref : moins d’ensei-gnement magistral et davantaged’enseignement participatif.»

Luc Desautels obtient sondoctorat en 2005, à l’âge de52 ans. « C’est dire que ce n’estque dans le dernier tiers de macarrière que je me suis vrai-ment engagé en recherche »,souligne-t-il.

Son « sort » l’amène ensuiteà croiser la route de Chris-tiane Gohier, chercheuse auCentre de recherche interuni-versitaire sur la formation etla profession enseignante del’Université du Québec. Deconcert avec celle-ci et avecsa directrice de thèse (FranceJutras, de l ’Université deSherbrooke), il explore à pré-sent les problèmes éthiquesrencontrés par les profes-seurs de cégep.

Comme exemple de pro-blème éthique, il cite le casd’un étudiant qui, ayant de sé-rieuses difficultés d’élocution,se serait inscrit dans un pro-gramme où l’une des compé-tences à développer est l’ani-mation de discussions engroupe. « Que fait-on dans untel cas quand vient le temps del’évaluation?», demande-t-il.

« Notre première recherchenous a permis de constater que cequi préoccupe le plus les profs decégep, c’est justement la relationavec les étudiants — en particu-lier les cas difficiles d’évaluationdes apprentissages — ainsi queles relations entre collègues: quefait-on avec les cas difficiles?»

Le tr io de chercheurstente à présent de voir com-ment les enseignants discu-tent entre eux des enjeuxéthiques, et ce, afin de cer-ner les meilleures pratiques.

« Nous avons observé des“conditions gagnantes” pour dis-cuter de problèmes éthiques »,rapporte le chercheur. Il s’avèreainsi que la composition dugroupe est un facteur détermi-nant: le fait que les professeursproviennent de différents pro-grammes et de plusieurs cé-geps et qu’ils soient d’âge variéf a v o r i s e n e t t e m e n t l e séchanges. «Discuter entre col-lègues d’un même départementpeut poser des dif ficultés,puisqu’il y a parfois des clans etdes “ cas problèmes ” », relateM. Desautels. Par contre, discu-ter au sein d’un groupe diversi-fié offre un lieu neutre où on ade meilleures chances d’éviterles «guéguerres de clocher» et lesconflits de personnalité. Nes’agirait-il pas là d’un constat quipourrait s’appliquer à bien d’au-tres milieux de travail?

CollaborateurLe Devoir

PRIX DE LA RECHERCHE AU COLLÉGIAL

Jusqu’où peuvent mener les hasards de la vie

CHRISTIAN BARETTE

Le professeur de philosophie et d’éthique appliquée au Collège régional de Lanaudière à L’Assomption, Luc Desautels

BRAVO À NOS LAURÉATS !

ANDRÉ GAUDREAULTProfesseurHistoire de l’art et études cinématographiquesPrix Acfas André-LaurendeauSciences humaines

NOS ÉTUDIANTS – CHERCHEURS MARIE LALIBERTÉ BioéthiquePrix Acfas Desjardins — Doctorat SIMON GIRARD Institut de recherche en immunologie et en cancérologiede l’Université de MontréalPrix Acfas ADESAQ — Sciences de la santé YUKI HAMAMURAInstitut de recherche en biologie végétaleLa preuve par l’image, 2e prix NICOLAS LAWSONDépartement de physiqueLa preuve par l’image, 3e prix RENAUD MANUGUERRA-GAGNÉFaculté de médecine et Hôpital Maisonneuve-RosemontMa thèse en 180 secondes, 3e prix au Canada

Nous sommes très fiers de nos chercheurs et chercheuses, qui préparent l’avenir. Tout ce que nous faisons à l’Université de Montréal, nous le faisons en pensant à demain. Et nous le faisons pour toute la société.