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Nadine Beraha SOLI TERRE Journal d’un Tour du Monde Tome 1

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Soli Terre Tome 1. Journal d’un Tour du Monde

Nadine Beraha

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Nadine Beraha

SOLI TERREJournal d’un Tour du Monde

Tome 1

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Sommaire

Préambule – Les préparatifs ............................................................. 7

Tome 1 : 1re partie – Afrique Australe

Chapitre 1 – Kenya, Ouganda ............................................................ 29

Chapitre 2 – Kenya, Tanzanie, Malawi, Zambie, Zimbabwe ............. 79

Chapitre 3 – Botswana, Namibie ........................................................ 171

Chapitre 4 – Afrique du sud ............................................................... 213

Tome 2 : Australie – Nouvelle-Zélande – Polynésie – Amérique du Sud – Antarctique

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À ma mère, qui ne m’a donné ni le goût des voyages, ni encore moins celui de rester à la maison, mais qui a su me transmettre celui du rêve et de l’aventure.

À mon père, qui a su me donner le goût des voyages et qui est mort sans même avoir pu faire la croisière de ses rêves.

Pour mes petits-enfants, quand ils sauront lire.

« La route est longue mais l’avenir est radieux »

Mao Zedong

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Préambule Du 1er janvier au 3 mai 05

Les préparatifs

Juin 2004. Décision

Seule et nue, sur cette plage de Porquerolles où tout pourrait être idyllique et où tout semble foutre le camp, je dresse sur le revers de la couverture de mon livre la liste des pays que j’aimerais visiter, dans le désordre de mes désirs. J’aime tant faire des listes. Tiens ! Ils sont en majorité situés dans l’hémisphère sud.

Quelques minutes après, comme une pulsion, je décide ce tour du monde. Une décision instantanée qui surgit de façon concomitante avec la formation d’une idée, aussitôt annoncée au retour de la plage à ceux que je vais quitter.

Vous vous débrouillerez bien sans moi ? Sourire entendu qui veut tout dire !

L’idée d’un passage à autre chose ne me quittera plus.

Début décembre 2004. Premiers écrits

Sur ce site Internet de voyages autour du monde, où je m’inscris dès début décembre 2004 pour initier ce journal, on me demande de me définir !

Je le fais ainsi : Femme, 56 ans, ayant voulu transformer le monde, et qui décide

aujourd’hui de le contempler. Cadre, ayant toujours été décadrée, aujourd’hui désencadrée de tout et

bien décidée à le rester. Maman juive, « dégagée » des obligations non militaires.

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Scrabbleuse, accro à ses caramels (les pions en langage Scrabblesque) en quête de désintoxication linguistique.

Bénévole, s’étant auto-choisie comme nouveau champ d’intervention humanitaire.

Il y a donc… suspense… des risques à ce voyage ! Les principaux étant :

– que je m’arrête en chemin pour une cause quelconque, du type droit au logement en dur pour le peuple zoulou,

– que je bosse au lieu de paresser, en particulier à ce fichu blog qui commence déjà à me prendre tellement la tête que je me demande si je ne fais pas un tour du monde pour le plaisir de le tenir à jour,

– que j’oublie tous les mots de trois lettres, sauf bien sûr, et dans l’ordre alphabétique, les indispensables du voyage de notre ODS (Dictionnaire Officiel du Scrabble) :

Ail (j’adore), bob (contre le soleil), con (trop courant pour être évité), daw (célèbre zèbre du Zimbabwe, été (surtout en Patagonie et en Antarctique), faf (rester toujours et partout vigilante), grr !! (ne pas oublier l’incontournable rage), hot (pour le mail), île (paradisiaque), jeu (indispensable à la survie), kid (ma Nina !), lev (si je change d’itinéraire), moi (ben oui), non (vital en toutes circonstances), ose (ou tu n’auras rien), pou (faut toujours faire gaffe), qui (va là ? suis-je ? a peur du grand méchant loup ?), ras (le bol), sac (attention de ne pas le perdre), tif (voir pou), ure (sûrement quelque part sur le chemin), vin (si pas de bière), web (pour vous), XXL (ah ! non alors !), yin (sinophilie oblige), zob (ne pas s’approcher de trop près).

Cette voyageuse, d’un tour du monde d’un an dans l’hémisphère sud n’est pas tout à fait comme les autres : ni vraiment une routarde, ni non plus une grand-mère lambda…

Fin décembre 2004. Premiers préparatifs

Je prends de bonnes résolutions : arrêter de fumer, aller à la gym, me mettre au régime. J’achète même un tapis de cardio-training !

Je mets mon appartement à louer dans diverses agences ainsi que sur des sites Internet. Les revenus de cette location doivent assurer 60 % environ de mes dépenses sur place.

Je passe avec succès les différents contrôles techniques : cardio, gynéco, mammo, et bien sûr dentiste.

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J’achète mon billet tour du monde (One World) et je réserve les croisières. 25 % du coût à avancer ! Les choses prennent une tournure sérieuse. Les copines m’aident question trésorerie.

Je commence à hanter sérieusement pendant des heures les rayons du Vieux Campeur pour constituer mon équipement, si bien que les vigiles m’appellent presque par mon prénom. Quel bonheur, ces heures au Vieux Campeur ! Même si l’on ne part pas autour du monde, il faut y passer un week-end et y aller « pour du beurre ». Traîner ses guêtres au rayon des guêtres précisément, et puis aller faire un tour du côté des casques coloniaux à moustiquaire, avancer un peu plus loin vers les cagoules antitout, revenir vers les chaussures que l’on enfile sur les chaussures, les vêtements qui respirent dans un sens quand il fait froid et dans l’autre quand il fait chaud, les chaussettes avec un pied droit et un pied gauche, les sacs en sac et les sur sacs, et j’en passe !

Le problème à résoudre est que je vais partout :

Dans la brousse, la boue et le bush, Sur des atolls et des gondoles, De l’Équateur au pôle, Aux caps, d’Horn et de Bonne Espérance, Dans des déserts, sur des rivières, Des forêts primaires et denses, Dans des camions, des avions, des bateaux, À pied et en auto, Avec ou non ma maison sur le dos, Dans des mosquées et des igloos. Alors ? En tchador ou en paréo ?

Le choix du sac n’est pas plus simple, car il pose la question insoluble de savoir si je me définis comme une routarde ou une touriste, une « pure et dure » ou une dilettante, une jeune ou une vieille ! Mais je ne suis rien de tout cela tout à fait, et un peu tout à la fois aussi ! Je crois d’abord trouver le compromis idéal dans un sac caméléon, transformable au gré des occasions, permettant de se déguiser en ce que l’on veut. Mais je le troque finalement contre un très gros, très beau et très astucieux sac de voyage à roulettes, hyper chic (un peu trop non ?), que je regarde tous les soirs pendant des mois dormir dans mon placard.

Un voyage à pied de trois semaines dans le sud algérien me met à l’épreuve de l’itinérance et de l’effort physique et teste mes achats de matériel. Le résultat est bon ! J’en reviens en tous les cas sans avion sanitaire, et avec une liste complémentaire d’achats pour le Vieux

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Campeur ! Ne dit-on pas : « Qui a bu boira » ? Et comme on dit aussi : « qui peut le plus peut le moins », je suis au retour d’Algérie, début janvier, plus que jamais sur les starkings blocks.

Mi-janvier 2005. Le projet se concrétise

Je me suis remise à fumer mais tout le monde sait que je vais me re-arrêter ! Il faut dire qu’en Algérie, les Malborogh light sont à deux euros le paquet. Le tapis de cardio-training est inutilisé depuis plusieurs semaines. La prof de gym avec laquelle j’avais fait un « transfert positif » s’est faite remplacer par une belge (que je n’aime pas), parce qu’elle a été choquée d’avoir échappé au tsunami qui a radié de la carte l’île Ko Pih Pih, sur laquelle elle se trouvait en vacances ce 26 décembre !

Finalement, je me demande s’il ne vaut pas mieux mourir jeune en ayant eu dû plaisir que de faire traîner une vie de privations, si la gym sert vraiment à quelque chose, si 14 semaines en Afrique ne vont pas avoir l’effet miracle de me dispenser de maigrir avant le départ, si je n’aurais pas dû écrire plus tôt le journal de Bridget Jones !

L’appart n’est toujours pas loué, et le temps passe, et avec lui les seules questions que l’on est capable de me poser : Alors ton appart ? Ça y est ? Il est loué ? Les agences se succèdent et trouvent « le produit » comme elles disent super, mais toujours pas de candidat en vue ! Ne serais-je pas en train de « vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué » ? Non, attendons ! Le « riche-américain-très propre », ce locataire idéal, ne viendra pas avant quelques mois, m’a-t-on assuré ! S’il ressemble au Prince Charmant, il serait bien de le dire tout de suite, parce que je changerais mes plans !

Les résa avancent au fur et à mesure du calendrier, mais je dois résister aux « conseils » de mon agent de voyage (le fameux « Connaisseur du voyage), qui a l’air de trouver que mon itinéraire n’est pas très culturel (cul… quoi ?), qui suggère des changements, qui émet des doutes, etc.

Petit extrait de notre dernier dialogue : – Mais oui Monsieur je veux aller en Tasmanie ! – Bof ! C’est comme si les touristes étrangers pour visiter la France

voulaient aller en Corse ! – Oui, mais la Tasmanie ça me fait rêver ! Vous n’avez jamais entendu

parler du prince de Tasmanie ? – Ah ! Si c’est dans l’imaginaire alors !

Ceci me confirme bien dans la volonté persistante qui m’a guidée toute ma vie de ne jamais rien y connaître vraiment à quoi que ce soit !

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Je lance la procédure des visas africains par un organisme de service spécialisé, car je ne me sens pas le courage d’effectuer des allées-retour entre les ambassades de Zambie (à Bruxelles), du Kenya, du Malawi, etc.

La ronde des vaccins est en route. Il n’y en a pas un auquel j’échappe. Même celui contre la rage, ce qui me semble un peu superfétatoire me concernant ! Je ne pourrais plus attraper non plus la diphtérie, la polio, le tétanos, la typhoïde, la fièvre jaune, la méningite, l’hépatite A, l’hépatite B,… J’aurais pourtant préféré un vaccin contre la déprime, la ménopause, ou l’infarctus du myocarde, mais ce n’est pas encore au point.

La liste des médics est à jour. Il y a ceux que je prends régulièrement et qu’il faut prévoir pour un an. Pour ne pas partir avec une malle sanitaire, je me demande si je ne vais pas résoudre le problème d’une autre manière : arrêter tout ce qui n’est pas vital, et donc « assumer » les changements d’humeur, le vieillissement de la peau, la sécheresse vaginale, comptant respectivement sur l’euphorie de la route, sur l’effet cosmétique du teint hâlé et buriné de la baroudeuse, et sur la tenue ferme de ma résolution d’inébranlable chasteté ! Le sac devrait ainsi s’alléger.

Quant aux classiques de la boîte à pharma du randonneur, recommandés dans tous les guides de voyage, l’expérience de l’Algérie me montre que beaucoup de choses sont inutiles :

Les laxatifs ont servi à un chameau qui en est mort ! Je jure c’est vrai ! Éviter à l’avenir tout usage vétérinaire des produits ! Les anti-diarrhéiques ne sont nécessaires que pour mes compagnons de voyage, qui donc eux maigrissent à vue d’œil, alors que je reviens de mes 300 km à pied avec le même poids que celui avec lequel je suis partie ! En cas de morsure de vipère, mon Aspivenin ne saurait suffire. Penser à se faire prescrire des injections de Célestène. Tous les produits concernant les douleurs rhumatismales sont inutiles, car j’éprouve de très fortes douleurs dans mon magnifique lit parisien, (un Pirelli à lattes orientables et à 15 000 F, équipé d’oreillers ergonomiques garantissant une totale relaxation des muscles du cou), et aucune douleur quand je dors par terre ! En avril, ne te découvre pas d’un fil, et on n’a jamais assez de Tricostéril. Pour prendre son Kardégic il faut… (hic !) de l’eau ! C’est pourtant pas sorcier de fabriquer des comprimés plutôt que de la poudre, Monsieur le Directeur du Développement de Sanofi-Syntélabo, non ? Quand on marche et qu’on a de grosses cuisses, attention aux brûlures ! Je n’avais jamais pensé qu’on pouvait peut-être ainsi éviter le lifting à ce niveau crural interne, lifting que par avarice et/ou crainte, j’avais évité de faire la dernière fois (celle du crural externe) ! En cas de mal de tête persistant, et après la fin du Di-Antalvic, il est temps de se demander ce qui le provoque, et d’arrêter le médicament responsable. Comment peuvent-ils avoir eu l’idée de nous

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faire ingurgiter des œstrogènes par aérosol nasal ? Ils sont fous ! Pas besoin de somnifères après 20 km de marche par jour ! Pas besoin de Lisanxia ni de Lexomil en dehors de Paris ! Pas besoin de Mannix quand on est si repoussante de saleté que je l’ai été pendant ces trois semaines !

Fin janvier 05. Premières angoisses

Pendant tout ce temps des préparatifs, je cogite beaucoup, bien sûr. Autour de moi, lorsque je parle de mon projet, chacun y va de sa petite

projection, et me fait part des dangers qu’il ne voudrait pas courir, et qui justifient qu’il ne soit pas à ma place ! Alors dans le désordre, je dresse une petite liste des menaces recensées dans les fantasmes de mon entourage :

– Le viol dans les rues noires des townships de Johannesburg, – Les insectes monstrueux du fleuve Amazone, – Les ravisseurs moins ravissants que ceux de Florence, d’Ingrid, – Le dos bloqué sous la tente dans les lueurs de l’aube africaine, – Le tapis des bagages qui ne me rend qu’un sac éventré, – La nuit noire et froide des montagnes ougandaises, – Le vol de mes papiers, de mes billets, et de mon âme, – L’infarctus dans l’out back australien, – La tempête au Cap Horn, et les 40èmes rugissants, – Les célèbres amibes provoquées par les fraises kenyanes, – Les chauffeurs de taxi de toutes les villes du monde, – La promiscuité dégoûtante dans les backpackers néo-zélandais, – Le blues, la solitude, la nostalgie, la déprime, le manque, – La fatigue, à ton âge, tu te rends compte ? – La crasse résistante aux lingettes, – Le sida chez le coiffeur sud-africain, – La boue où va s’engluer le camion, – Le crash inévitable de la conduite à gauche, – L’infect goût pâteux du mil, – Les saouleries imbéciles des anglophones à la bière, – La casse de tout mon matériel électronique, – La chute dans les eaux du Zambèze, – Les avions mal entretenus et douteux, – Les harcèlements des mendiants dans les rues de Mombassa, – L’eau polluée qui vous tue quand vous vous brossez les dents, – Les chauffards de tous les pays (ne vous unissez surtout pas !),

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– La mousson, les tsunamis, et autres désordres climatiques, – Les guerres civiles et leur cohorte de génocides, – Les pillards de blancs, – Les fourmis rouges, la diarrhée verte, la fièvre jaune, les bleus de

l’âme… Là aussi, je suis certaine de n’être pas exhaustive ! Mais finalement ce n’est pas tout à fait là que se situent ni mes doutes ni

mes craintes. Si je suis honnête avec moi-même, je préfère en dresser la liste suivante,

que j’intitule évidemment « Dans le doute, ne t’abstiens pas ! » : – Avoir à supporter pendant 4 mois une bande d’anglophones que je ne

connais pas et peut-être idiots, – Traîner mon ennui sur une plage déserte, – Rêver trop souvent de mon lit, – Ne pas voir Nina grandir et perdre le lien que j’ai avec elle, – Ne pas savoir quoi faire ni ou aller, – Ne pas lire ou parler en français pendant un an, – Rater la Révolution à Paris, – Être physiquement limitée et ne pas pouvoir faire ce que font les

autres, – Mourir avant le départ, – Être trop grosse pour monter sur le camion, – Ne pas louer mon appartement et être condamnée aux Macdo et aux

auberges de jeunesse, – Perdre mes médics, – Devoir faire réparer mon ordi, – Rencontrer des bêtes que je ne connais pas encore, – Compter les jours qui restent avant le départ, – Devoir manger du kangourou, – Apprendre la mort d’un de mes proches, – Avoir le mal de mer dans des croisières qui coûtent la peau des fesses, – Marcher trois semaines sous la pluie en Nouvelle-Zélande, – Dormir dans un dortoir qui sent les pieds, – Devoir aller à l’hôpital à Kampala ou chez le dentiste au Botswana, – Ne pas pouvoir porter ou soulever mon sac, – Attraper des morpions sur une plage de Zanzibar – Voir trop de misère,

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– Être vue comme une touriste américaine, – Rencontrer un homme qui m’attire, – Ne pas pouvoir me connecter à Internet, – Avoir envie de jouer au Scrabble et régresser dans le classement, – Rêver d’un camembert, – Trop fumer, – Vivre le quotidien et ne pas savoir le faire partager, – N’avoir envie de rien, – Ne pas avoir le courage d’aller vers les autres, – Devoir rentrer, – Recevoir un mail de mon locataire pour réparer la machine à laver, – Ne pas pouvoir être seule, ou me sentir trop seule (tu le sais ce que tu

veux à la fin ?), – Ne voir personne venir me rejoindre, – Apprendre que personne ne lit mon carnet de voyage, – Ne plus pouvoir regarder « Questions pour un champion » et que ça

n’existe plus à mon retour, – Que la fermeture Éclair de mon sac de voyage craque, – Me demander ce que je fais là, – Devoir tuer des cafards dans ma chambre d’hôtel, – Avoir envie de porter une robe, – … Pour conjurer ces angoisses je m’efforce d’anticiper ce que je vais voir. Difficile d’éviter la liste des images d’Épinal et stéréotypes divers, du

type les cocotiers qui se balancent au gré des alizés des lagons, ou plus loin encore, les colonies de manchots qui peuplent les glaces bleues de l’Antarctique. C’est pourtant beau, je le sais, et j’en veux bien sûr moi aussi, mais cela ne me paraît vraiment pas suffisant pour partir.

D’ailleurs, est-ce que je pars « pour voir » ? Pas vraiment, moins que pour vivre quelque chose en m’imposant un

autre regard. J’ai horreur des touristes munis de leurs divers appareils de capture de la

réalité. « Tu l’as pris ? ». « Prendre » interdit le regard, car c’est le regard lui-même qui est pris

au piège, et pas ce qu’il est censé appréhender. Et puis « prendre » pourquoi ? Sans doute pour « garder », le regard alors guidé par

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l’obsession de la perte, du temps qui passe, de la mort probablement. La capture du réel est aussi vaine que morbide.

Plus que de la chose vue, c’est du regard qu’il est intéressant de parler. Plus que de garder, il s’agit plutôt de réussir à vivre. Je ne pars donc pas pour voir, mais plutôt pour être celle qui regarde. Je n’ai pas envie de capturer, pas envie de photographier, de consigner, mais sans doute aurais-je envie de faire partager ce qui m’étonne, m’émeut, me fait rire, ou pleurer. Je ne prévois donc pas vraiment un récit de voyage, mais plutôt un kaléidoscope de moments forts médiatisés par mon désir de communiquer et d’écrire.

Ce qui m’intéresse ? La sensation d’immensité, l’impression illusoire de vivre l’origine du

monde dans des territoires vierges, les contrastes et les paradoxes, l’euphorie des routes qui défilent, la certitude d’être toujours ailleurs le lendemain, lire au soleil, l’expérience concrète de la rondeur de la terre, de la durée d’une année, la mesure de la petitesse de notre monde, le grand mais encore plus celui de notre « chez nous », les enfants de la planète tous différents et tous pareils, la sensation de chaud et de froid, les pluies chaudes sur des bras nus, les routards de partout et de nulle part, le partage dans la nécessité, les odeurs inconnues, les déserts, la bière fraîche là où on ne l’attend pas, les peuples nomades, aller au bout du bout, les arrivées dans des chambres d’hôtel, le bruit des villes et des vagues, l’impression d’être différente, la jouissance dans la satisfaction des besoins élémentaires, le travail des hommes, l’application à réaliser un projet jusqu’au bout, la rupture avec le quotidien, les femmes du monde entier, les traces des luttes victorieuses ou pas, le respect de la mémoire, la solidarité, les rencontres fugitives, l’expérience concrète des liens qui perdurent, la perspective d’une vie nouvelle, l’idée d’un itinéraire et d’un chemin, le franchissement d’un passage, les noms de choses et de lieux, nager nue, dormir sous la lune…

C’est sans fin. Ne m’intéressent pas la vie à l’américaine, les groupes de touristes, les

écolos intégristes, les églises, les boîtes de nuit, retrouver des gens du XVème, bronzer, acheter des souvenirs, les consignes du Ministère des Affaires étrangères aux voyageurs, le décompte des km parcourus, la vitesse de ma progression, les taux de change, les excursions des tour opérators, le marchandage, les douaniers et les flics de tout uniforme, la fouille des bagages, les caméscopes, les colliers de fleurs dans les aéroports offerts par des vahinés en minijupe, les méchouis, les voitures confortables, les consignes de sécurité dans les avions, la méfiance, être vue, les slips brésiliens, la randonnée à cheval dans la pampa, le saut à

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l’élastique des chutes de Victoria falls au-dessus du Zambèze, la viande argentine, la vie privée de Pinochet, les clubs med, le nom des joueurs/équipes de football ou de rugby, les lieux rasés, les gardiens de musée, la différence entre un phacochère et un sanglier, les herbiers, marcher sous la pluie, les films porno sur le réseau câblé des hôtels de luxe, les consulats et les ambassades, les colons, les gens collants, les soirées typiques, les petites économies, la nature de la panne et la façon dont on la répare, les cartes postales, les gens trop bavards, les gens de droite de tous les pays du monde…

Là aussi c’est sans fin.

18 avril. Angoisses de retour

On dit que le plus difficile n’est pas de partir, mais de revenir… Je ne parviens pas à anticiper ce retour. C’est quasiment impossible. J’aimerais me lancer dans des scénarios comme auraient pu les imaginer

J. Demy si j’étais très optimiste, Polansky si j’avais très peur, Melville si un personnage masculin faisait partie de ma vie, Bergman si j’étais assez intelligente, Eisenstein si j’étais un héros, Almodovar pour le plaisir des yeux et des couleurs, K. Loach pour susciter l’émotion, Woody pour me moquer de moi-même et pour rire,… mais je n’ai pas ce talent…

« Nadou-chka Le Retour », espérons tout de même que l’on oublie Allien, l’Arme Fatale, et tous les films 2, 3, 4, etc., pour que les gens que j’aime, et qui sont tous intelligents et cinéphiles, aient envie de me revoir.

J’en suis donc réduite comme de coutume à dresser des listes : – Aller/ Retour, – Retour de bâton, – Retour à l’envoyeur, – Retour d’âge, – Retour de couches, – L’éternel retour, – Sans espoir de retour, – Retour sur soi, – Retour de veste, – Bon retour, – Retour de manivelle, – Retour de flamme, – Retour de fortune, – Femme sur le retour,

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– Retour sans frais, – Droit de retour, – Retour au calme, – Retour en arrière, ( ?), – Retour de courrier, – Retour à la case départ, – Retour aux sources, – Le point de non-retour, – Etc… Ou plus sophistiqué : – Je te retourne le compliment, – J’en suis toute retournée, – Retournement de situation, – Retour à mes premières amours, – Je me retourne contre lui, – Je lui retourne l’argument, – Le temps de me retourner, – Savoir de quoi il retourne, – Sans espoir de retour, – Vade retro Satanas, – Mort à tous les rétrogrades, – Etc.… Sans oublier les substantifs dérivés et rallonges possibles, – rétro actes, rétro action, rétro activité, rétro cession, rétro chargeuse,

rétro contrôle, rétro flexion, rétro croisement, rétro fusée, rétro gradation, rétro gression, rétro pédalage, rétro position, rétro projecteur, rétro propulsion, rétro spective.

Ni les jumeaux, ni les cousins, je ne sais plus : alentour, atour, auto tour, autour, contour, détour, entour, pourtour, vautour.

Ou plus Scrabblesque encore : Les anagrammes : E O R R T U = OUTRER (ne pas produire cet effet) = ROTEUR (s’abstenir s’il vous plait) = ROTURE (mon héritage en est sûrement !) = ROUTER (plus la peine avec Hotmail) = TROUER (ce voyage, « ça me troue », me dit mon copain François)

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Les 7+1 : + A = OUTRERA (qui a bu boira) = ORATEUR (je prépare le discours) = ROUTERA (plus la peine avec Hotmail) = TROUERA (François on verra !)

+ B = BROUTER (il ne faut pas exagérer !) = OBTURER (oui, les failles, les fissures,) = TOURBER (à quoi ça sert ?) Etc.

Il faudrait tout de même en finir quand même avec la formidable arme de « l’obsessionnalité », et essayer de regarder LE RETOUR en face, non ?

Le retour, c’est retrouver mon lit, avec ses trois oreillers : celui pour réchauffer le mur, celui pour soutenir les reins, et celui qui empêche la tête de tomber si l’on s’endort devant la télé. « Son lit », celui qu’on ne partage qu’avec ceux dont on aime les corps, si peu de monde en fait… Mon lit qui devrait toujours être là, sans même m’attendre d’ailleurs, juste parce que je l’ai posé là un jour, et qu’il appartient à moi seule de le conserver ou de m’en séparer. Ainsi sont les choses, et là se niche sans doute aussi la jouissance de les posséder. Jouir d’avoir un lit.

Le retour, ce sont les « retrouvailles », (quelle horreur ces mots en ailles, les accordailles, les fiançailles, les funérailles, les relevailles !), qui supposent que l’on se soit déjà trouvés,… et pas perdus en cours de route. C’est un mot bête et laid. Ne pas les attendre et se contenter de les constater.

Le retour, c’est le passé, jamais retrouvé, avec son décor délavé de nostalgies et de regrets, mais aussi le plaisir d’avoir déjà parcouru le chemin. Savoir mesurer ce chemin, s’en contenter, et en être fière.

Le retour, c’est l’interrogation sur ce qui a changé, ce qui a perduré. Oublier le point zéro qui permet de le mesurer, s’inscrire dans la continuité et avancer.

Le retour, c’est une fin et aussi un commencement. Fin du voyage espérée, redoutée ? Commencement de quoi ? Commencement du jour qui suit la fin du voyage, un jour comme les autres sur le calendrier. Monter dans les wagons qui roulent, les attraper au vol, sans se blesser.

Le retour, c’est le point fixe, la fin du parcours, du jeu de la vadrouille et de l’errance. Ne pas compter les points, avoir joué pour du beurre, savoir se poser, rester immobile, et en goûter les joies.

Le retour, c’est une année qui passe, de celles dont on dit « qu’elles comptent », comme si on souhaitait que les années comptent à notre place,

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nous qui les décomptons sans cesse. Que cette année ne compte pas précisément, qu’elle soit une parenthèse, un crochet, un détour dans le cours du temps.

Le retour, c’est la fin de la durée de validité du billet Aller/Retour. Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable. Refuser la limite, et savoir-faire du retour un choix.

19 avril. Le danger des dates symboliques

Entre le départ et le retour il y aura à passer un certain nombre de dates symboliques. Là aussi, j’essaie d’anticiper. Quoiqu’on en dise il faut bien admettre que l’on est peu de chose, et qu’un rien (de symbolique) peut tout gâcher !

Avril : entre le 1er et le 11 sont nés dans l’ordre : mon père, ma mère, mon frère, ma fille, (et même mon ex patron !),… donc entre le 1er et le 11 avril de chaque année je suis, dans l’ordre :

En deuil, en manque, en colère, en attente, en désespoir (de non cause !), et dans tous les cas, je pleure !

Octobre : mon anniv, un an de plus, pas de fête cette année encore,… Décembre : anniv de Nina, Papa Noël, absence… 1er Janvier : la planète s’amuse, et moi où serai-je ? et moi ? et moi ? Me référant à mon planning théorique, entre le 1er et le 11 avril je suis

au Brésil ; super ! Je ne suis même pas sûre d’y aller, et si j’y suis, viva la samba ! En chantant pendant 11 jours « Si tu vas à Rio, n’oublies pas de monter là-haut ! », ça devrait aller.

Octobre, le 28 précisément, je suis dans l’avion entre Papeete et l’île de Pâques. Au programme donc Champagne pour moi et mon voisin de siège encore inconnu !

Décembre : tout est bien cadré : Réveillon de Noël sur le cargo Aranui au milieu des îles Marquises avec cotillons même ! Ce sera une première me concernant ! Réveillon du jour de l’an sur l’île de Pâques au milieu des moais par 27°. Ça devrait donc aller.

Il faut tout prévoir, n’est-ce pas ? Je ne suis plus tout à fait ici, ni ailleurs non plus. Les gens commencent

à me souhaiter un bon voyage. Les premiers au revoir ont eu lieu. Nina, 5 ans, parle, et ne veut pas que je mette ses jouets dans la cave. Elle a intégré mon départ et guette à la télé les bandes annonces des documentaires susceptibles de m’intéresser !

Il y aura en fait deux départs. Le premier le 29 avril pour quitter la maison, le second le 3 mai pour quitter Paris. Fragmentation ou répétition

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des ruptures ? Comme s’il fallait en atténuer les effets ou les vivre deux fois pour s’en convaincre. Ni l’un ni l’autre n’est vraiment nécessaire : je suis sereine et déjà partie dans ma tête.

Mon entourage commence à me dire au revoir ou est déjà parti en « omettant de le faire », comme si ce voyage n’existait pas. Personne ne manifeste ouvertement ni son inquiétude ni sa désapprobation, mais je le sais, mon départ est mal compris, comme une sorte de passage à l’acte réactionnel, comme une réplique adressée à ceux qui ne m’aiment pas comme je l’aurais souhaité. Des quinquas m’écrivent, qui ne connaissent rien de ma vie, des anonymes qui me voient passer sur le net, et qui semblent mieux me comprendre que quiconque me côtoie d’un peu trop près.

20 Avril 05. Sur le départ CQFD

On s’interroge sur ce que je voudrais prouver. Bonne question, à laquelle je tente de répondre. – Prouver qu’il faut oser rompre le cycle immuable des 4 saisons, où se

succèdent l’enfance, la jeunesse, la maturité et le troisième âge. Montrer que la vie est un continuum complexe qui consiste non pas à accepter l’abandon des étapes passées mais à en accumuler les richesses. Vivre sa vie de « retraitée » avec ce qui reste en nous de jeunesse, sa vie de plus jeune parmi les plus anciens. Seule cette mixité-là est vraie et féconde comme le sont toutes les mixités.

– Prouver qu’il faut casser les barreaux des prisons dorées. Montrer que l’on peut décider d’échapper au style de vie qui insidieusement s’impose à nous, que l’on peut vivre un an avec un sac de 120 litres, que l’on peut tour à tour dormir dans un dortoir et dans un grand hôtel, que l’on peut posséder des biens et s’en détacher aussi, que l’on peut aimer les soirées télé autant que les bivouacs.

– Prouver qu’aucune rencontre n’est impossible, et rompre avec le cloisonnement absolu dans lequel on s’enferre : cloisonnement des âges, des milieux sociaux, des continents, des pays, des peuples, toutes ces barrières invisibles qui font que les sociologues peuvent prédire qui vous allez épouser compte tenu de votre sphère géographique, de votre religion, de la profession de vos parents et du lycée que vous avez fréquenté. Crier bien fort à M. Le Pen que je n’admettrais jamais préférer mes compatriotes à des étrangers, ni mes voisins à des inconnus.

– Prouver que les grand-mères ne font pas que des confitures, surtout quand elles n’en ont jamais fait de leur vie, et qu’elles peuvent attendre autre chose que leurs petits-enfants ou le grand méchant loup ! Rompre