theosophie rs ep 1923

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Livre de Rudolf Steiner

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  • RUDOLF STEINER

    THOSOPHIEtude sur

    LA CONNAISSANCE SUPRASENSIBLEet

    LA DESTINE HUMAINE

    TRADUIT DE LALLEMAND PAR

    ELSA PROZOR

    DITIONS ALICE SAUERWEIN

    Dpositaire gnral

    LES PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE 49, boulevard Saint-Michel, 49

    PARIS 1923

    Version PDF du 20/07/2013

  • Cette cration est mise disposition selon

    La licence creative commons 2.0

    Paternit - Pas dUtilisation Commerciale - Pas de Modification

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    Pas dUtilisation Commerciale Vous navez pas le droit dutiliser cette cration des fins commerciales.

    Pas de Modification Vous navez pas le droit de modifier, de transformer ou dadapter cette cration.

    2

  • TABLE DES MATIRES__________

    Notes des diteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

    Remarques concernant la nouvelle ditions de ce livre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

    Prface la sixime dition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6

    Prface de la troisime dition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

    Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

    La nature de lhomme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

    I. La nature physique de lhomme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

    II. La nature psychique de lhomme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

    III. La nature spirituelle de lhomme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18

    IV. Le corps, lme et lesprit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

    La rincarnation de lesprit et la destine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

    Les trois mondes : 41

    I. Le monde des mes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

    II. Lme dans le monde des mes aprs la mort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48

    III. Le pays des esprits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54

    IV. Lesprit dans le pays des esprits aprs la mort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58

    V. Le monde physique et ses rapports avec les pays des mes et des esprits . . . 64

    VI. Des formes-penses de laura humaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69

    Le sentier de la connaissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75

    Remarques et additions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84

    Tables des matires dition 1923 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89

    Ouvrage de Rudolf Steiner . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90

    3

  • NOTES DES DITEURS

    La publication au format PDF de ce livre, pass dans le domaine public (selon la lgislation franaise en vigueur), permet de porter la connaissance des intresss, ce qui fut comme dition, ce qui fut comme traduction, au commencement de lanthroposophie en France.

    C'est un livre tmoin de la manifestation de luvre crite de Rudolf Steiner traduite en franais et publie aux ditions Alice Sauerwein au cours de lanne 1923.

    Lditeur de cette publication au format PDF sest engag respecter le livre original et cest une garantie quil destine au lecteur1.

    Enfin lditeur attire lattention du lecteur sur le fait quil y a eu depuis 1923 dautres publications en langue franaise du livre Thosophie de Rudolf Steiner, et que la publication de 1923 est considrer comme une tape, et non comme la version de rfrence.

    NOTE DE LDITEUR.

    Aot 2013.

    Depuis lpoque o cet ouvrage a t crit, Rudolf Steiner a employ, de prfrence, le mot danthroposophie pour dsigner son propre enseignement. Ce mot est, du reste, plus appropri la doctrine sotrique de lauteur ; mais nous navons pas cru devoir modifier le titre de louvrage et nous avons conserv le vocabulaire que Rudolf Steiner employait lpoque o il a t publi. Il doit tre entendu que le mot de Thosophie, utilis depuis plus dun sicle par les occultistes franais, nimplique aucune similitude avec les vues daucune des diffrentes socits portant ce nom.

    NOTE DE LDITEUR.

    27 Juin 1923.

    1 Vous pouvez signaler des diffrences par rapport loriginal ou des fautes de frappes, en crivant [email protected]

    4

  • REMARQUES CONCERNANT LA NOUVELLE DITION DE CE LIVRE

    En 1918, avant que ne part la neuvime dition de cet ouvrage, je lai soigneusement rvis. Depuis cette poque la conception anthroposophique du monde que jy ai expose a t combattue dans de nombreux crits. En 1918, jai fait cet ouvrage de multiples additions et jen ai dvelopp plusieurs points. Ldition actuelle na pas donn lieu au mme travail. Si lon veut bien considrer quau cours de sa rdaction jai envisag moi-mme, en maint passage, toutes les critiques auxquelles il pouvait donner lieu, les pesant et mefforant de les rfuter, on saura lessentiel de ce que je pourrais rpondre mes contradicteurs.

    Les raisons dordre intrieur qui mont incit en 1918 augmenter la nouvelle dition de ce livre nexistent pas aujourdhui. Ma conception anthroposophique du monde sest, cependant, dveloppe sur bien des points et il ma t permis de lapprofondir dune faon toute particulire durant ces quatre annes. Les donnes de cet ouvrage fondamental nen ont nullement t branles et jai jug, au contraire, que lexpos qui en tait fait ne mritait aucune transformation essentielle.

    RUDOLF STEINER.

    24 Novembre 1922.

    5

  • PRFACE LA SIXIME DITION

    Une nouvelle dition du prsent ouvrage tant devenue ncessaire, je lai, comme mon habitude, soigneusement rvis. Les remarques que renferme la prface de la troisime dition, sappliquant galement celle-ci, jai jug utile de la conserver. Je me suis surtout efforc, dans ldition nouvelle, mettre plus de clart dans les dtails de lexposition. Jai conscience de tout ce qui lui manque encore ce point de vue. Lorsquon dcrit le monde spirituel, la dcouverte du mot propre, de la tournure de phrase qui exprimeront un fait, qui rendront compte dune exprience dpendent des progrs de lme au travers de ce monde. Quand lheure est venue, lexpression se dcouvre delle-mme, alors quelle restait introuvable lorsquon faisait effort pour la dcouvrir.

    Je crois quil ma t permis de faire faire dimportants progrs cette tude du monde spirituel. Maint dtail na, pour moi, trouv qu prsent, son expression conforme. Jai le droit de dire que, depuis dix ans, poque o parut la premire dition, ce livre a particip aux expriences que mon me a faites, en travaillant accrotre sa science des mondes spirituels. Bien que ldition actuelle concorde absolument avec la premire dans tout ce quelles ont dessentiel et mme dans leur rdaction, on pourra sentir, cependant, dans plusieurs passages, que jai trait ce livre comme un tre vivant que jaurais fait profiter de tout ce que je crois avoir acquis en dix annes de recherches spirituelles. Ce livre ne devant tre quune nouvelle dition de lancien ouvrage et non point un ouvrage entirement nouveau, jai t oblig de maintenir dans certaines limites les transformations que je lui faisais subir. Je me suis efforc, notamment, en laugmentant et en le rvisant, de prvoir les questions que pourraient susciter certains passages et dy rpondre au cours du livre.

    Jcris ces lignes, qui serviront de prface la sixime dition, une poque trouble et mon me est mue. La dernire page tait imprime, lorsque fondit sur lEurope le lourd destin que lhumanit est en train de vivre. Il me semble impossible, en crivant cette prface de ne pas faire allusion aux sentiments qui assaillent lme en un pareil moment.

    RUDOLF STEINER.

    7 Septembre 1914.

    6

  • PRFACE LA TROISIME DITION

    Ce livre a pour objet de dcrire certaines parties du monde suprasensible. Ceux qui naccordent de valeur quau monde des sens, le considreront comme le produit dune fantaisie drgle. Mais ceux qui cherchent les voies par lesquelles on sort du monde physique, auront tt fait de comprendre que la vie humaine ne prend de sens et de valeur que lorsque souvre la perception dun autre monde.

    Cette perception nouvelle ne nous loigne pas du monde rel comme daucuns le craignent. Seule, au contraire, elle nous donne la confiance et la fermet ncessaires pour la vie. Elle nous fait dcouvrir les Causes, tandis que, sans elle, nous ttonnons comme des aveugles dans le monde des Effets. Seule la connaissance des vrits suprasensibles confre un sens aux ralits sensibles. Cest pourquoi cette connaissance, bien loin de diminuer notre aptitude la vie, ne peut que laccrotre, car seul celui qui comprend la vie, peut devenir un homme vraiment pratique . Lauteur de ce livre ne dcrit rien dont il ne puisse tmoigner lui-mme, par sa propre exprience, exprience dun genre particulier, propre aux domaines explors. Il ne rend compte que de ce quil connat, par lui-mme.

    Cet ouvrage ne saurait tre lu comme on a coutume de lire les livres de nos jours. Le lecteur devra, par son travail personnel, approfondir le sens de chaque page et mme de mainte phrase. Lauteur la voulu ainsi, car cest de cette manire seulement que ce livre atteindra le but quil sest propos. Qui na fait que le parcourir ne laura pas lu. Il faut vivre les vrits quil renferme. La science spirituelle na de valeur qu cette condition.

    On ne peut pas davantage appliquer ce livre le critrium de la science courante, moins de lui avoir emprunt lui-mme le point de vue ncessaire ce jugement. En ce cas, on ne manquera pas de constater que les conclusions auxquelles il aboutit ne contredisent en rien le vritable esprit scientifique. Lauteur affirme quil na voulu par aucun mot trahir sa conscience scientifique.

    Ceux qui voudraient atteindre par une autre voie aux vrits exposes dans ce livre, la trouveront indique dans mon ouvrage La Philosophie de la Libert. Par des mthodes diffrentes, ces deux ouvrages poursuivent le mme but. Ils ne sont nullement ncessaires lintelligence lun de lautre, bien quil soit certainement utile de les lire tous deux.

    Ceux qui chercheront dans le prsent livre les vrits dernires ne seront gure satisfaits. Notre intention a t dexposer dabord les vrits fondamentales de la science spirituelle.

    Certes, il est de la nature de lhomme de vouloir connatre demble le commencement et la fin du monde, le but de lexistence et lessence de Dieu.

    Mais celui qui nourrit son esprit non point de mots et de concepts ne sadressant qu lintelligence, mais de connaissances relles touchant la vie, celui-l sait quil na pas le droit dexposer dans un ouvrage qui traite des dbuts de la connaissance spirituelle, des vrits qui appartiennent des degrs plus levs de la Sagesse. Lorsque ces premires notions nous seront devenues familires, alors, seulement, nous saurons comment poser les questions dordre plus lev.

    7

  • On trouvera dans un ouvrage du mme auteur qui se rattache celui-ci, la Science occulte1, des donnes plus compltes sur le mme sujet.

    ** *

    Quelques remarques supplmentaires seront encore utiles.

    Quiconque, de nos jours, cherche dcrire des faits suprasensibles, doit tre persuad de deux choses ; dune part que notre poque a besoin de cultiver la connaissance spirituelle. Mais, dautre part, que la vie spirituelle actuelle est remplie dides et de sensations qui font apparatre cette description aux yeux de bien des personnes comme un tissu de folles et fantastiques rveries. Notre poque actuelle a besoin de connaissances spirituelles, parce que celles que nous acqurons sur le monde et sur la vie, par les mthodes ordinaires, soulvent une quantit de questions, auxquelles les vrits suprasensibles peuvent rpondre. Il ne faut pas se faire dillusion, en effet, sur la valeur des donnes que nous fournit le courant intellectuel moderne, concernant les problmes fondamentaux de lexistence. Pour lme doue de sensibilit profonde, ces donnes ne constituent pas des rponses, mais bien des questions.

    Beaucoup dentre nous simaginent, pendant un certain temps, avoir trouv la solution des nigmes de lexistence dans les donnes de la science exacte et dans les dductions de maint penseur moderne. Mais si lme pntre jusque dans les profondeurs o lentrane forcment une vritable comprhension delle-mme, alors les faits qui lui sont apparus dabord comme une solution ne font plus que soulever la vritable question. Or, rpondre cette question-l, ce nest pas simplement satisfaire une curiosit, cest donner lme le calme intrieur et le sang-froid. Lhomme qui, par ses propres efforts, a trouv cette rponse, non seulement a satisfait son besoin de connatre, mais sest rendu apte travailler et remplir les devoirs que la vie lui prsente. Sil ne trouvait pas de solution ces problmes, il se sentirait, au contraire, paralys ; dabord moralement puis mme, physiquement. La connaissance des vrits suprasensibles, en effet, ne rpond pas seulement des besoins thoriques, elle favorise la pratique de la vie. Voil pourquoi, prcisment cause du caractre particulier que revt de nos jours la vie intellectuelle, il est indispensable que la science spirituelle ait sa place dans le domaine de la connaissance.

    Dautre part, il est certain que beaucoup de personnes repoussent actuellement avec violence ce dont elles ont le plus grand besoin. Les opinions riges sur la base solide de lexprience scientifique exercent sur nombre desprits un si grand pouvoir quelles les contraignent considrer comme pure folie le contenu dun livre tel que celui-ci.

    Lauteur qui expose ses expriences suprasensibles ne se fait aucune illusion ce sujet.

    On pourrait tre tent de lui demander des preuves irrfutables de ce quil avance. Mais lon ne songerait pas lillusion laquelle on sabandonnerait en le faisant. Car, sans en avoir conscience, on ne lui demanderait point les preuves inhrentes au sujet, mais celles que lon dsirerait reconnatre, ou celles que lon se sentirait capable destimer.

    Lauteur du prsent ouvrage affirme que tout ce quil avance peut tre accept par tout homme qui sappuie sur les donnes modernes des sciences naturelles. Il sait que lon peut, la fois, satisfaire toutes les exigences de ces sciences et accepter la manire dont les mondes spirituels sont dcrits ici. Bien plus, il pense que ceux qui sont familiariss avec la vritable manire

    1 RUDOLF STEINER : La Science occulte, traduit de lallemand par Jules Sauerwein. (Chez Perrin et Cie)

    8

  • scientifique dexposer des faits sy sentiront dautant plus laise.

    Quiconque se rallie cette manire de voir prouvera dans mainte discussion la vrit de cette profonde parole de Gthe : Une doctrine fausse ne se laisse pas rfuter, car elle repose sur la conviction que le faux est vrai . Il est inutile de discuter avec ceux qui nacceptent que les preuves qui cadrent avec leur manire de penser. Quand on comprend ce quest une preuve , on sait aussi que lme humaine atteint la vrit par dautres voies que celle de la discussion. Cest dans cet esprit, que ce livre est livr la publicit.

    RUDOLF STEINER

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  • INTRODUCTION

    Lorsquen automne de lanne 1813, Johann Gottlieb Fichte exposa sa doctrine , fruit de toute une vie consacre au service de la vrit, il pronona, en commenant son discours, les paroles suivantes : Ma doctrine implique un organe de perception intrieur tout nouveau, par lequel se rvle un monde inconnu lhomme ordinaire. Et il montra, dans une comparaison, combien sa doctrine doit apparatre incomprhensible quiconque veut la juger laide des reprsentations que suscitent en nous nos sens ordinaires. Supposez, dit-il, un monde daveugles-ns qui ne connaissent des choses et de leurs rapports entre elles que ce que le sens du toucher leur permet den percevoir. Introduisez-vous parmi eux et parlez-leur des couleurs et de tous les phnomnes que produit la lumire et que ne peroivent que les yeux. Il arrivera de deux choses lune : ou bien vos paroles ne reprsenteront rien aux aveugles, et cest ce qui peut vous arriver de plus heureux, car vous ne tarderez pas vous apercevoir de votre erreur et, moins quil ne vous soit possible de leur ouvrir les yeux, vous interromprez vos vains discours ... etc.

    Or, celui qui veut parler aux hommes des choses auxquelles Fichte fait ici allusion, joue trop souvent le rle du voyant parmi les aveugles-ns. Cependant ces choses concernent la nature vritable de ltre humain et son but suprme. Et il faudrait dsesprer de lhumanit si lon devait se croire tenu dinterrompre ses vains discours . Il ne faut pas douter un seul instant, au contraire, de la possibilit douvrir les yeux toute personne de bonne volont, afin de lui permettre de voir les choses dont parle Fichte. Tous ceux qui ont senti que stait dvelopp en eux lorgane de perception intrieur qui leur rvlait la nature vritable de lhomme cache aux sens extrieurs, ont bas leurs crits et leurs paroles sur la croyance en cette possibilit.

    Voil pourquoi ds la plus haute antiquit on a parl dune science secrte . Ceux qui connaissent cette science sont aussi srs de ce quils possdent, que ceux qui ont des yeux bien dvelopps sont srs de possder des perceptions visuelles. La science secrte na pas besoin pour eux de preuves . Et ils savent que les personnes qui ont, comme eux, dvelopp le sens suprieur , nen demandent pas non plus. Ils peuvent leur parler comme un voyageur parlerait de lAmrique des personnes qui nont pas elles-mmes visit ce pays, mais qui peuvent se le reprsenter, parce quelles y verraient tout ce que leur rapporte le narrateur, si loccasion sen prsentait.

    Mais lobservateur des mondes suprasensibles ne doit pas parler aux seuls explorateurs de ces mondes. Ses paroles sadressent tous les hommes. Car les choses quil rapporte les concernent tous : bien plus, il sait que sans la connaissance de ces choses nul nest homme au vrai sens du mot. Et il sadresse tous les hommes, parce quil se rend compte quil existe plusieurs degrs dans la comprhension de ce quil enseigne. Il sait que mme ceux qui sont encore loin de lheure o linvestigation spirituelle leur sera permise, peuvent le comprendre. Car il est donn tout homme de sentir et de comprendre la vrit. Et cest cette facult de comprhension propre toute me saine quil sadresse tout dabord. Il sait aussi quen cette comprhension gt une force qui, peu peu, entranera lhomme des degrs suprieurs de connaissance. Le sentiment de la vrit est, en effet, le magicien qui ouvre lil de lesprit mme ceux qui, au dbut, ne voyaient rien de ce dont on leur parle. Ce sentiment agit dans lombre ; lme ne voit pas, mais, grce lui, la

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  • puissance de la vrit sempare delle, et, peu peu, en la pntrant, veille en elle le sens suprieur .

    Selon les individus, il faut plus ou moins de temps pour atteindre ce but ; quiconque est dou de patience, latteindra srement. Car, si tous les aveugles-ns physiques ne peuvent pas tre oprs, tout il spirituel peut tre ouvert, il ny a l quune question de temps.

    Lrudition et la culture scientifique ne sont pas des conditions ncessaires au dveloppement de ce Sens suprieur . Lhomme inculte peut y atteindre aussi bien que le savant. Ce que, de nos jours, on a lhabitude dappeler la science pure peut mme souvent tre gnante. Car cette science naccorde tout naturellement de ralit quaux objets accessibles aux sens ordinaires. Et si grands que soient les services quelle rend la connaissance de cette ralit, elle cre une quantit de prjugs qui ferment laccs des ralits dordre suprieur, quand elle veut appliquer tout savoir humain, quelle quen soit la nature, des mesures qui ne sont ncessaires et bienfaisantes que dans son domaine particulier.

    tout ce que je viens de dire on oppose souvent quil existe pour la connaissance humaine des limites infranchissables et, quen consquence, toute donne qui ne respecterait pas ces limites doit tre repousse. On considre comme un insens lhomme qui prtend affirmer certaines connaissances concernant des choses que la majorit considre comme en dehors des limites imposes lintelligence humaine. Mais on oublie que la connaissance suprieure prsuppose le dveloppement de la puissance cognitive de lhomme. En sorte que des objets, qui se trouvaient auparavant en dehors des limites de la connaissance, entrent dans ces limites, lorsque sveillent certaines facults qui sommeillent en chacun de nous.

    Un point est essentiel : quoi sert, pourrait-on nous demander, de parler aux hommes de vrits quils sont encore incapables de saisir par eux-mmes, qui, par consquent, leur demeurent trangres ? Ce nest point ainsi quil faut considrer la question. Certaines facults sont indispensables la dcouverte de ces vrits suprieures ; mais tout homme auquel elles sont communiques peut les comprendre, pourvu quil fasse usage dune logique impartiale et dun sentiment absolu de la vrit. Ce livre ne traitera daucune chose qui ne puisse donner limpression, celui qui laccueille sans prjug intellectuel et avec un libre sentiment de la vrit, quelle rpond de faon satisfaisante aux nigmes de la vie humaine et de lunivers. La question qui se pose est celle-ci : si les choses quavance ce livre taient vraies, la vie y trouverait-elle une explication satisfaisante ? Vous verrez que la vie confirmera pour chacun de vous, la vracit des enseignements donns.

    Nallez pas croire quil suffise que le sens suprieur se soit ouvert chez un homme pour quil acquiert la matrise dans ces domaines levs. Pour cela il faut de la science au mme titre que lorsquil sagit du domaine des ralits ordinaires. Pas plus quon nest un savant parce quon possde des sens bien dvelopps, on nest un sage parce quon a atteint la vision suprieure. Et puisque, en vrit, toute ralit, que ce soit la ralit infrieure ou la ralit spirituelle suprieure, nest quun des cts diffrents dune seule et mme entit fondamentale, lhomme ignorant en ce qui concerne les connaissances infrieures, le restera gnralement aussi, lorsquil sagira de connaissances plus hautes.

    Ce fait veille chez lhomme qui se sent appel par une vocation spirituelle se prononcer sur les domaines levs de lexistence, un sentiment de responsabilit sans bornes. Il lui impose la modestie et la rserve. Mais il ne doit empcher personne de soccuper des vrits suprieures, pas mme celui auquel la vie ne permet pas de sinstruire dans les sciences ordinaires. Car on peut

    11

  • accomplir parfaitement son devoir dhomme sans rien comprendre la Botanique, la Zoologie, aux Mathmatiques, ou toute autre science. Par contre, on ne peut pas tre homme au sens complet du mot, sans avoir pntr dune faon quelconque lessence et la destine de lhomme que nous dvoile la science spirituelle.

    Lhomme qualifie de divin lidal le plus haut vers lequel il puisse lever les yeux. Et il sent que sa destine suprme doit, en quelque manire, tre lie cette divinit. Cest pourquoi nous sommes en droit dappeler Sagesse divine ou Thosophie cette sagesse qui, dpassant le monde des sens, rvle lhomme son essence et sa destine. On peut appeler science spirituelle ltude des phnomnes spirituels qui se passent dans la vie humaine et dans lunivers.

    Dans ce livre nous avons runi les donnes qui ont trait particulirement au noyau spirituel de ltre humain : cest pourquoi le nom de thosophie lui convient, ayant t depuis des sicles employ dans ce sens.

    Cest dans lesprit que nous venons dindiquer, que nous donnerons ici lesquisse dune conception thosophique de lUnivers.

    Lauteur nexpose rien qui ne soit pour lui un fait, dans le mme sens o un phnomne du monde extrieur est un fait pour les yeux, les oreilles et lentendement ordinaire. Na-t-on pas affaire ici des expriences accessibles toute personne rsolue suivre la voie dsigne dans un chapitre particulier de cet ouvrage sous le nom de Sentier de la connaissance ? Le point de vue qui sied aux choses du monde spirituel est celui qui accorde lintelligence et au sentiment normalement dvelopps, la capacit de saisir tout enseignement rel dcoulant des mondes suprieurs. Il admet quen prenant pour point de dpart cette intelligence et ce sentiment des choses, on peut faire un pas important vers le dveloppement de la vision personnelle, bien quil faille encore autre chose pour latteindre. Cest fermer la porte la vritable connaissance suprieure que de mpriser cette voie et de ne chercher que par dautres moyens laccs des mondes spirituels. Avoir pour principe de nadmettre lexistence de ces mondes quaprs les avoir vus, cest entraver cette vision mme. Vouloir dabord comprendre par la pense saine ce que plus tard on observera, cest favoriser la vision. Cest provoquer, comme par enchantement, lapparition de forces essentielles lme, qui mneront celle-ci la vision du voyant .

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  • LA NATURE DE LHOMME

    Les paroles suivantes caractrisent en termes heureux le point de dpart de lune des voies par lesquelles nous pouvons parvenir la connaissance de la nature humaine.

    Ds lors que lhomme prend conscience des objets qui lentourent, il les considre par rapport lui-mme ; et il a raison, car toute sa destine dpend de limpression favorable ou dfavorable quils font sur lui, de lattrait quil trouve ces objets, ou de la rpulsion que ceux-ci lui inspirent, de lutilit quils peuvent avoir pour lui ou du dommage quils peuvent lui causer. Cette manire toute naturelle de considrer les choses et de les estimer parat tre aussi facile quelle est ncessaire, et, pourtant, elle expose lhomme mille erreurs qui, souvent, le remplissent de confusion et damertume.

    Une tche beaucoup plus lourde est assume par ceux qui, dans leur avidit de connatre, cherchent observer les choses de la nature en elles-mmes et dans leurs rapports entre elles ; car bientt ils perdent les points de comparaison dont ils saidaient quand ils considraient les choses par rapport eux-mmes, tres humains. Il leur manque ce critrium reprsent par limpression favorable ou dfavorable, par lattrait ou la rpulsion, par lutilit ou le dommage que leur causaient les choses, ils doivent y renoncer compltement ; comme des tres indiffrents aux choses et pour ainsi dire divins, ils doivent rechercher et observer ce qui est et non ce qui leur plat. Cest ainsi que le vrai botaniste ne doit tre touch ni par la beaut, ni par lutilit des plantes ; il doit examiner leur structure, leurs rapports avec lensemble du rgne vgtal ; et, de mme que le soleil luit sur toutes les plantes et les fait clore, de mme le botaniste doit les considrer et les envelopper toutes dun mme regard calme et tirer, non de lui-mme, mais du milieu des objets quil observe les donnes de son jugement, les mesures de sa connaissance.

    Cette pense de Gthe attire notre attention sur trois points. En premier lieu, sur les objets eux-mmes dont lexistence nous est continuellement rvle par nos sens, objets que nous touchons, que nous sentons, gotons, entendons et voyons. En second lieu, sur les impressions que ces objets font sur nous, sur le plaisir ou le dplaisir, sur le dsir ou laversion quil nous inspirent et qui se manifestent par le caractre agrable ou dsagrable, utile ou nuisible que nous leur attribuons. Et, en troisime lieu, sur les connaissances que nous acqurons en tant qutres pour ainsi dire divins sur la nature de ces objets, sur les mystres de leur existence et de leur activit. Les trois domaines auxquels font allusion les paroles de Gthe se distinguent nettement dans la vie humaine. Et lhomme se rend compte quil se rattache au monde de trois manires diffrentes. La premire manire lui est inne, cest celle qui lui fait accepter le monde comme une donne immdiate de ses sens. La seconde manire est celle qui lui fait accorder une signification aux choses par rapport lui. Et la troisime est celle qui reprsente le but vers lequel il doit tendre sans cesse.

    Pourquoi le monde revt-il pour lhomme ces trois aspects ? Le plus simple examen peut nous lapprendre. Je traverse une prairie parseme de fleurs. Les fleurs rvlent leurs couleurs mes yeux. Cest l la donne du monde que jaccepte. Je trouve plaisir la magnificence de ces

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  • couleurs. Je mapproprie ainsi la donne. Par mes sentiments, je rattache les fleurs ma propre existence. Aprs un an, je repasse par la mme prairie. Dautres fleurs y poussent. Une joie nouvelle mest donne par elles. Elle rveillera le souvenir de la joie que jprouvais il y a un an. Celle-ci demeure en moi, lobjet qui la fit natre nest plus. Mais les fleurs que je vois actuellement sont de la mme nature que celles de lan pass, les mmes lois ont prsid leur croissance. Que je me sois instruit sur cette nature et sur ces lois, et je les retrouverai dans les fleurs de cette anne, comme je les ai trouves dans celles de la saison dernire. Les fleurs de lan dernier ont disparu, me dirai-je, la joie quelles mont communique ne demeure que dans mon souvenir, elle nest plus lie qu mon existence. Mais la nature de ces fleurs et les lois que jai reconnues en elles lan pass et que je retrouve prsent, celles-l demeureront tant que pousseront des fleurs pareilles. Cette nature et ces lois se sont rvles moi, mais elles ne dpendent nullement de mon existence, comme en dpend ma joie. Le sentiment demeure en moi ; les lois, lessence des fleurs rsident en dehors de moi, dans le monde.

    Voil comment lhomme se met constamment en rapport avec le monde de trois manires. Ne cherchons pas pour le moment interprter ce fait, acceptons le simplement tel quil se prsente nous. Il en rsulte que la nature humaine a trois cts. Et ce sont ces trois cts que, jusqu nouvel ordre, nous dsignerons ici sous les noms de corps, me et esprit. Toute ide prconue ou mme toute hypothse dont on voudrait les charger ne ferait que nuire lintelligence de ce qui va suivre.

    Par corps nous entendons ce par quoi les choses du monde environnant se rvlent lhomme ; telles, dans lexemple qui prcde, les fleurs de la prairie.

    Par me, ce par quoi lhomme rattache les choses sa propre existence, ce par quoi il prouve du plaisir ou de la peine, de lattrait ou de la rpulsion lgard de ces choses.

    Par esprit, nous entendons ce qui se rvle lui quand, selon la parole de Gthe, il contemple les choses comme un tre en quelque sorte divin . Cest dans ce sens que lhomme se compose du corps, de lme et de lesprit.

    Par le moyen de son corps, lhomme peut immdiatement se mettre en rapport avec les choses ; grce son me, il conserve en soi les impressions quelles lui ont faites ; et dans son esprit se rvle lui llment durable, inhrent aux choses elles-mmes. On ne peut esprer comprendre lhomme quen le considrant sous ces trois cts, car ils le montrent en relation avec le reste du monde de trois manires diffrentes.

    Son corps le met en relation avec les objets qui soffrent du dehors ses sens. Les substances du monde extrieur composent ce corps ; les forces du monde extrieur agissent sur lui. Il peut observer sa propre existence corporelle au moyen de ses sens, exactement comme il observe les objets du monde extrieur. Mais il lui serait impossible de considrer de la mme manire lexistence de lme. Tous les phnomnes physiques qui se passent en moi, peuvent tre observs par les sens physiques. Mon plaisir ou ma peine, ma joie ou ma douleur, ne peuvent tre perus ni par moi, ni par un autre, au moyen des sens physiques. La vie de lme est un domaine inaccessible la perception sensible. Lexistence physique de lhomme est manifeste aux yeux de tous, mais la vie de lme est un domaine qui nappartient qu lui.

    Par lesprit, enfin, le monde extrieur lui est rvl dune manire plus haute. Les mystres du monde se dvoilent en lui, il est vrai, mais par lesprit il se dpasse lui-mme, et il laisse les choses parler leur propre langage, lui apprendre ce qui a, pour elles, et non pour lui, une

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  • signification.

    Nous levons les yeux vers le ciel toil : le ravissement quprouve notre me fait partie de nous-mme ; les lois ternelles des toiles que notre pense, que notre esprit saisissent ne nous appartiennent point, elles appartiennent aux astres.

    Lhomme est donc citoyen de trois mondes. Par son corps, il appartient au monde que son corps peroit ; par son me, il difie son propre monde ; par son esprit, se rvle lui un monde suprieur aux deux autres.

    Il nous parat vident que, tant donnes les diffrences fondamentales qui existent entre ces trois mondes, nous devrons leur appliquer trois modes distincts dobservation, qui nous permettront de les connatre et de saisir la part que lhomme prend leur existence.

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  • I. LA NATURE PHYSIQUE DE LHOMME

    Par les sens physiques on connat le corps de lhomme, et le mode dobservation qui lui est propre ne saurait tre diffrent de celui que nous appliquons tout autre objet sensible. On peut considrer lhomme comme on considre les minraux, les vgtaux, les animaux. Il est apparent ces trois formes dexistence. Comme le minral, il difie son corps de substances empruntes la nature ; comme la plante, il crot et se reproduit ; comme lanimal, il peroit les objets qui lentourent et, avec les impressions quils produisent sur lui il construit sa vie intrieure. On est donc en droit de reconnatre lhomme une existence minrale, une existence vgtale et une existence animale.

    La diversit de structure que prsentent les minraux, les plantes et les animaux correspond ces trois modes dexistence. Et on nest en droit dappeler corps que cette structure, cette forme que les sens peroivent. Or, le corps de lhomme diffre de celui de lanimal. Chacun doit reconnatre cette diffrence quelque opinion quil puisse professer par ailleurs sur la parent de lhomme avec lanimal. Mme le matrialiste le plus absolu qui nie lexistence de toute me, est tenu de souscrire cette phrase de Carus dans son ouvrage : LOrgane de la Nature et de lEsprit :

    La structure intime et dlicate du systme nerveux et particulirement celle du cerveau, demeure, il est vrai, pour le physiologiste et lanatomiste, une nigme irrsolue ; mais il est un fait tout fait tabli, cest que la concentration de ces structures saccrot de plus en plus dans lanimalit pour atteindre chez lhomme un degr quelle ne possde chez aucun autre tre ; ce fait est de la plus haute importance pour le dveloppement intellectuel de lhomme, on peut mme affirmer quil suffit lexpliquer. Quand le cerveau ne sest pas convenablement dvelopp, quand il est rest petit et chtif, comme chez le microcphale et lidiot, il est de toute vidence quil ne saurait pas plus tre question de production dides personnelles et de connaissance, quil ne saurait tre question de propagation de lespce chez des personnes dont les organes de reproduction sont atrophis. En revanche, la structure harmonieuse et forte du corps entier et en particulier du cerveau ne peut videmment pas tenir lieu de gnie, mais elle est, en tous les cas, la condition primordiale et indispensable llaboration dune connaissance suprieure .

    De mme que lon reconnat au corps humain les trois modes dexistence, minral, vgtal et animal, il faut lui en accorder encore un quatrime qui est le mode spcifiquement humain. Par le mode minral de son existence lhomme est apparent tout le monde visible, par le mode vgtal, tous les tres qui croissent et se reproduisent, par le mode animal tous ceux qui peroivent leur entourage et qui dveloppent une vie intrieure sur la base des impressions extrieures ; par le mode humain de son existence, lhomme forme dj, mme au point de vue du corps, un rgne part.

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  • II. LA NATURE PSYCHIQUE DE LHOMME

    Constituant un monde intrieur particulier, la nature psychique de lhomme diffre de sa nature physique. Son caractre spcial nous apparat ds que nous considrons la sensation, mme la plus lmentaire. Nul ne saurait dire, de prime abord, si un autre a exactement la mme sensation que lui. Le daltonisme est un fait connu. Aux personnes qui en sont atteintes, les objets napparaissent colors quen diffrentes nuances de gris. Dautres ne sont aveugles qu certaines couleurs. Limage du monde que leurs yeux leur donnent est diffrente de celle que peroivent les hommes dont la vue est considre comme normale. On peut en dire peu prs autant des autres sens. Sans aller plus loin, nous pouvons conclure de ce qui prcde que la plus simple des sensations appartient dj au monde intrieur. Par mes sens physiques, je peux percevoir la table rouge que peroit galement un autre homme ; mais je ne peux pas percevoir la sensation du rouge qua cet autre homme.

    Par consquent il faut considrer les sensations comme des phnomnes psychiques. Quon saisisse ce fait dans toute son vidence et lon cessera bientt de considrer les expriences intrieures comme des phnomnes uniquement crbraux. la sensation se rattache en premier lieu le sentiment. Parmi nos sensations, les unes nous causent du plaisir, les autres de la peine. Ce sont l des modifications de notre vie intrieure. Nous difions, avec nos sentiments, un second monde qui vient sajouter au monde extrieur, lequel agit sur nous du dehors. Un troisime facteur intervient, cest la volont. Par la volont nous ragissons sur le monde extrieur. Et nous impressionnons ainsi le monde extrieur par notre tre intrieur. Lme humaine se dverse en quelque sorte vers lextrieur par ses actes volontaires. Les actes de lhomme se distinguent des phnomnes de la nature en ce quils portent lempreinte de sa vie intrieure. Ainsi lme est, en face de la nature, le propre de lhomme. Il reoit du dehors les excitations ; mais, conformment celles-ci, il construit en lui-mme un monde qui lui est propre. Sur la base du corps sdifie donc la vie de lme.

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  • III. LA NATURE SPIRITUELLE DE LHOMME

    La vie psychique de lhomme nest pas uniquement dtermine par le corps. Nous ne courons pas, sans but, ni direction, dune sensation lautre ; nous nagissons pas non plus sous limpulsion dune excitation quelconque provenant de notre corps ou du monde extrieur. Nous rflchissons sur nos perceptions et sur nos actions. Ainsi, nous acqurons des connaissances sur les objets de nos actions, et nous apportons de la logique dans notre vie. Nous savons que nous naccomplirons dignement notre devoir dhomme que si notre connaissance et nos actes sont guids par des penses justes. Notre me se trouve donc place entre deux ncessits. Elle est dtermine par les lois du corps, cest l une ncessit que lui impose la nature. Elle se laisse dterminer par les lois logiques qui la conduisent bien penser, parce quelle en reconnat elle-mme la ncessit. Lhomme est soumis par la nature aux lois dassimilation et de dsassimilation ; il se soumet lui-mme aux lois de la pense. Il se rattache ainsi un ordre suprieur celui de la nature auquel lastreint son corps : cest lordre de lesprit. Autant la vie du corps diffre de celle de lme, autant celle-ci diffre de la vie de lesprit. Tant quon ne parle que des particules de carbone, dhydrogne, dazote et doxygne qui entrent dans la composition du corps, on nenvisage pas lme. La vie de lme ne commence que lorsque, ces mouvements molculaires, sajoute la sensation : je gote une saveur sucre, jprouve un plaisir. De mme, on natteint pas lesprit tant quon ne considre que les impressions psychiques que nous prouvons lorsque nous nous abandonnons compltement au monde extrieur et la vie de notre corps. Cette vie psychique constitue bien plutt la base de la vie spirituelle, comme la vie du corps est la base de la vie de lme. Le savant naturaliste soccupe du corps, le psychologue de lme et linvestigateur spirituel de lesprit.

    Il faut exiger de toute personne qui veut arriver comprendre par la pense la nature humaine, quelle tudie sa propre personnalit, afin dy distinguer clairement le corps, lme et lesprit.

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  • IV. LE CORPS, LAME ET LESPRIT

    Nous ne nous ferons une ide exacte de notre propre nature que si nous nous rendons compte du rle quy joue la pense. Le cerveau en est linstrument physique. De mme quil faut un il bien constitu pour voir les couleurs, il faut la pense un cerveau bien conform. Le corps humain est ainsi construit quil trouve son couronnement dans lorgane de lesprit, le cerveau. On ne comprend la structure du cerveau de lhomme, que si on le considre au point de vue de sa tche, qui est de servir de base physique lesprit pensant. Ltude compare du rgne animal fait ressortir clairement cette destination. Chez les amphibies, le cerveau est encore petit en comparaison de la moelle pinire ; il grandit chez les mammifres. Chez lhomme, cest lorgane relativement le plus grand de tout lorganisme.

    Beaucoup de prjugs sopposent au point de vue que nous avons adopt ici concernant la Pense. Bien des personnes sont portes dprcier la pense et lui prfrer la vie intime du sentiment, de la sensation . On va mme jusqu dire que ce nest pas par la froide pense , mais par la chaleur du sentiment, par le pouvoir immdiat de la sensation quon slve aux connaissances suprieures. Ceux qui parlent ainsi craignent dmousser leurs sentiments par la pense claire. Ils ont raison sils ne considrent que la pense courante, celle qui sapplique aux objets dutilit pratique. Mais le contraire est vrai, lorsquil sagit des penses qui nous entranent vers des rgions suprieures de lexistence. Aucun sentiment, aucun enthousiasme ne saurait galer les sensations de chaleur, de beaut et de grandeur quveillent en nous les penses pures, cristallines que nous dirigeons vers les mondes suprieurs. Les sentiments les plus hauts ne sont pas ceux qui naissent deux-mmes , mais ceux que lon conquiert par le travail nergique de la pense.

    Le corps humain est construit en vue de l pense. Les substances et les forces du rgne minral se retrouvent en lui, mais elles sont disposes de manire permettre la manifestation de la pense. Nous appellerons le corps minral, dont la structure rpond ce but dtermin, le corps physique de lhomme. Le corps minral, qui trouve son couronnement dans le cerveau doit son existence la gnration et atteint son plein dveloppement par la croissance.

    La gnration et la croissance sont communes lhomme, la plante et lanimal ; elles diffrencient ltre vivant du minral inerte. Ltre vivant nat de ltre vivant par le germe, une ligne vivante rattache le descendant lanctre ; tandis que les forces qui provoquent la naissance dun minral sexercent sur les substances qui le composent.

    Le cristal de roche doit son existence aux forces inhrentes au silice et loxygne qui se combinent en lui. Par contre, il nous faudra remonter par le germe aux organismes paternel et maternel pour trouver les forces qui difient un chne. Et la forme du chne se transmet par la gnration de lascendant au descendant. Nous nous trouvons ici en face de conditions innes, inhrentes la plante. Ctait une conception grossire que celle qui admettait que les animaux infrieurs et mme les poissons pussent se former du limon de la terre. La forme de ltre vivant se transmet par hrdit. Le dveloppement que poursuit un organisme vivant, dpend entirement des organismes dont il est issu, autrement dit, de lespce laquelle il appartient. Les substances qui le

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  • composent changent constamment, mais il conserve durant toute son existence les caractres de son espce et il les transmet ses descendants. Cest donc lespce qui dtermine la combinaison des substances. Nous appellerons force vitale la force qui dtermine lespce. De mme que les forces minrales sexpriment dans les cristaux, de mme la force vitale constructrice sexprime dans les espces ou formes de la vie animale ou de la vie vgtale.

    Nous percevons les forces minrales par le moyen de nos sens. Et nous ne percevons que les objets auxquels nos sens sappliquent. Sans il, nous ne percevrions pas la lumire, et sans oreille le son. Des sens possds par lhomme, les organismes infrieures nont que celui du toucher. Ils ne peroivent, l manire des hommes, que les forces minrales qui sont accessibles au toucher. Le monde senrichit pour les organismes animaux suprieurs dans la mesure o se dveloppent chez eux les autres sens. Il dpend donc des organes que possde un tre vivant que le monde existant en dehors de lui existe galement pour lui, en tant que perception et que sensation. Un certain mouvement de lair se traduit chez lhomme en sensation auditive.

    Nous ne percevons pas par nos sens ordinaires les manifestations de la force vitale. Nous voyons les couleurs de la plante, nous sentons son parfum, la force vitale reste cache ce genre dobservation. Nous ne pouvons nier la force vitale parce que nos sens ne la peroivent pas, pas plus que laveugle nest en droit de nier les couleurs quil ne peut voir. Les couleurs existent pour laveugle ds quil a t opr ; de mme outre les individus, les diverses espces animales ou vgtales que cr la force vitale, nous deviennent perceptibles, quand lorgane appropri souvre en nous. Un monde tout nouveau se dcouvre alors. Nous percevons, outre les couleurs, les parfums, etc., des tres vivant, la vie mme qui les anime. Dans chaque plante, dans chaque animal nous voyons, en plus de la forme physique, la forme spirituelle remplie de vie. Nous appellerons celle-ci le Corps thrique ou Corps Vital1.

    Voici comment la chose se prsente linvestigateur de la vie spirituelle. Le corps thrique nest pas pour lui le simple produit des substances et des forces du corps physique, cest un vritable corps indpendant et cest lui, au contraire, qui donne la vie aux substances et aux forces physiques. Nous plaant au point de vue de la science spirituelle, nous dirons : un corps exclusivement physique, un cristal par exemple, doit sa structure aux forces constructrices physiques inhrentes aux substances inertes ; un corps vivant ne doit pas sa forme ces forces- l, car ds linstant o la vie lui chappe et o il est abandonn aux seules forces physiques, il tombe en dcomposition. Le corps vital est une entit qui, durant la vie, prserve chaque instant le corps physique de la dcomposition. Pour voir ce corps vital, pour le percevoir chez un autre tre, il faut que lil spirituel soit veill. On peut admettre lexistence de ce corps pour des raisons logiques, on peut le voir avec lil spirituel, comme on voit la couleur avec lil physique. Quon ne se formalise pas du terme corps thrique . Le mot d ther dsigne ici autre chose que lther hypothtique de la physique. Quon ne donne au terme de corps thrique que le sens que nous lui attribuons. De mme que le corps physique, le corps thrique de lhomme porte dans sa structure lempreinte de la tche qui lui est dvolue. On ne le comprend, lui non plus, quen regard

    1 Longtemps aprs la rdaction de cet ouvrage, lauteur donna au corps thrique ou vital le nom de Corps des forces constructrices . Il y fut amen par le sentiment quon ne pourra jamais assez faire pour viter la confusion qui se produit entre ce que nous appelons le corps thrique et ce que lancienne science naturelle appelait force vitale . Dans un certain sens, lauteur saccorde avec les savants modernes qui rejettent cette vieille conception daprs laquelle on prtendait expliquer la faon particulire dont les forces inorganiques agissent au sein de lorganisme. Or, elles nagissent pas autrement en lui que dans le monde inorganique. Les lois de la nature inorganique sappliquent de la mme manire lorganisme quau cristal, par exemple. Mais il y a dans lorganisme quelque chose qui nexiste pas dans linorganique : cest la vie formatrice. Celle-ci dpend du corps thrique ou corps des forces constructrices. Admettre son existence ne saurait nullement nuire la tche toute justifie que sest impose la science naturelle : celle-ci tudie dans lorganisme laction des forces quelle observe dans la nature inorganique et refuse dadmettre que ces forces-l soient modifies par une force vitale quelconque.

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  • de lesprit pensant. Cest par la dpendance o il se trouve de celui-ci, que le corps thrique de lhomme diffre de celui des animaux et des plantes. Or, de mme que lhomme appartient au monde minral par son corps physique, il appartient au monde vital par son corps thrique. Aprs la mort, le corps physique se dissout dans le monde minral, et le corps thrique dans le monde vital. Nous appelons corps , ce qui donne sa forme un tre, quelque espce quil appartienne. Il ne faut pas limiter lexpression de corps la forme du corps sensible. Dans le sens que nous lui donnons dans cet ouvrage, ce terme sapplique aussi bien aux formes psychiques ou spirituelles.

    Le corps thrique est encore quelque chose dextrieur lhomme. Ds que nat la sensation, cest ltre intrieur lui-mme qui rpond aux excitations du dehors. Si loin quon puisse poursuivre ce que lon est en droit dappeler le monde extrieur, on ne trouve nulle part la sensation. Le rayon lumineux pntre dans lil, il sy propage jusqu la rtine. L, il provoque des phnomnes chimiques (dans ce quon appelle le pourpre rtinien). Leffet de lexcitation se continue par le nerf optique jusquau cerveau ; l se produisent de nouveaux phnomnes physiques. Sil tait possible de les observer, on les verrait pareils tout autre phnomne physique se droulant en un point quelconque du monde extrieur. Lorsquon est capable dobserver le corps thrique, on constate que le processus crbral physique saccompagne dun processus vital. Mais on ne trouve pas l encore la sensation de couleur quprouve celui dont lil reoit le rayon lumineux. Cette sensation nat dans lme, et ltre qui ne se composerait que dun corps physique et dun corps thrique lignorerait toujours. Lactivit qui donne naissance la sensation se distingue essentiellement de celle de la force vitale constructrice. Elle fait jaillir de celle-ci une exprience intrieure. Sans elle, il ny aurait jamais quun simple phnomne vital, comme celui quon observe chez la plante. Considrons un homme qui reoit de toutes parts des impressions. Nous devons nous le reprsenter, en mme temps, comme la source dune activit qui rpond toutes les impressions par des sensations. Or, le centre de cette activit, nous lappelons lme sensible. Elle a autant de ralit que le corps physique. Si, considrant un tre humain, je fais abstraction de son me sensible pour ne prter attention qua son corps physique, cest exactement comme si devant un tableau je ne considrais que la toile. Les remarques que nous avons faites, concernant la perception du corps thrique, sappliquent galement celle de lme sensible. Les organes physiques sont aveugles lgard de celle-ci. Et lorgane qui peroit la vie proprement dite ne la voit pas davantage.

    Mais il existe un organe encore suprieur pour lequel le monde intrieur devient lobjet dune perception suprasensible. Grce lui, nous nprouvons plus seulement les impressions des mondes physique et vital, nous voyons les sensations. Le monde des sensations dun autre homme nous devient une ralit objective.

    Ne confondons pas la vie de nos propres sensations avec la vision des sensations dun autre. Il est vident que chacun de nous peut pntrer le monde de ses propres sensations ; mais seul le voyant, dont lil spirituel est ouvert, peut contempler le monde des sensations dun autre homme.

    Lorsque lon nest pas voyant, on ne connat le monde des sensations quen tant quexprience intrieure ; quand lil spirituel sest ouvert, le monde cach l intrieur dun autre homme se dvoile au regard spirituel objectif.

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  • Afin dviter toute confusion, quil soit bien tabli que le voyant nprouve pas lui-mme les sensations qui forment la vie intrieure dun autre tre. Tandis que celui-ci prouve en lui-mme les sensations, le voyant en peroit la manifestation, lexpression.

    Lme sensible dpend du corps thrique au point de vue de son action. Cest de lui quelle tire les lments des sensations quelle fait clore. Et, comme le corps thrique reprsente la vie mme du corps physique, lme sensible dpend aussi, indirectement, de ce dernier. La sensation exacte des couleurs nest possible que lorsque lil vivant est bien constitu.

    Voil comment le corps influence lme sensible dont il dtermine et limite lactivit. Le corps est donc difi laide des substances minrales, il est anim par le corps thrique et il limite lui-mme lme sensible. Le voyant, qui possde lorgane ncessaire la perception de lme sensible, peut le constater. Mais les limites de lme sensible ne concident pas avec celles du corps physique ; lme dborde sur le corps. Elle est donc plus puissante que lui. Cependant, la force qui la limite est issue du corps physique.

    De ce fait, un nouvel lment de ltre humain sinsre entre le corps physique et le corps thrique dune part et lme sensible dautre part ; cest le corps animique ou corps sensible. On peut dire aussi quune partie du corps thrique est plus fine que lautre et quelle forme une unit avec lme sensible, tandis que la partie la plus grossire forme une sorte dunit avec le corps physique. Cependant lme sensible dborde sur le corps sensible. Ce que nous appelons sensation nest quun des lments de la vie de lme. (Nous avons choisi le terme dme sensible dans un but de simplification). Aux sensations sajoutent les sentiments de plaisir et de peine, les instincts, les passions. Ils ont tous le mme caractre personnel que les sensations et dpendent comme elles, du corps.

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    Si dune part, des rapports existent entre lme sensible et le corps, il en existe aussi entre elle et la pense, lesprit. Tout dabord, la pense la sert. Nous rflchissons sur nos sensations et nous nous clairons ainsi sur le monde extrieur. Lenfant qui sest brl rflchit et en lui nat la pense que le feu brle. Nous nobissons pas aveuglment nos instincts, nos passions, par la rflexion nous cherchons le moyen de les satisfaire.

    Cest ainsi que se dveloppe notre civilisation matrielle. Elle est due aux services que la pense rend lme sensible. Une force mentale incalculable se dpense dans ce but. Cest elle qui construit les bateaux, le chemin de fer, le tlgraphe, le tlphone, ceux-ci servent en majeure partie satisfaire lme sensible. Comme la force vitale constructrice imprgne le corps physique, ainsi la force de la pense imprgne lme sensible. La force vitale constructrice rattache le corps physique, du descendant, celui de lascendant, et le soumet ainsi une loi qui ne concerne pas le principe purement minral. De mme, la force de la pense impose lme sensible une loi qui ne lui est pas propre en tant qume purement sensible. Lme sensible apparente lhomme lanimal. Lanimal a, lui aussi, des instincts, des passions. Il leur obit aveuglment. Il ny rattache pas de penses indpendantes, dpassant lexprience immdiate. Il en est de mme, jusqu un certain point, de lhomme primitif. Il faut donc distinguer entre lme purement sensible et cette me suprieurement dveloppe qui utilise la pense. Dsignons celle-ci par le terme dme rationnelle.

    Lme rationnelle imprgne lme sensible. Le voyant, qui possde lorgane de perception de lme, les distingue lune de lautre.

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    Par la pense lhomme franchit les limites de sa vie personnelle. Il acquiert une facult par laquelle il dpasse sa propre me. Il lui devient vident que les lois de la pense concordent avec lordre du monde, et, grce cette conviction, il se sent chez lui dans le monde. Cette concordance est un des faits essentiels qui nous permettent de connatre notre propre nature. Nous cherchons la vrit dans notre me, celle-ci ne sy rvle pas seule, les ralits du monde sy expriment aussi. La vrit que reconnat la pense a une valeur propre, autonome, qui ne dpend point seulement de lme pensante mais qui concerne les ralits du monde. Lenthousiasme que minspire le ciel toil est affaire personnelle, les penses que je dveloppe sur le cours des astres ont autant de valeur pour la pense de tout autre homme que pour moi. Il serait absurde de parler de mon enthousiasme sans parler de moi, mais il nest pas absurde de parler de mes penses sans quil soit question de moi. Car la vrit que je pense aujourdhui tait vraie hier aussi et le sera demain, mme si elle ne moccupe quaujourdhui. La joie que peut me causer lacquisition dune connaissance na de valeur quaussi longtemps quelle dure, la vrit que renferme cette connaissance, a une valeur en soi, indpendamment de ma joie. Lme qui saisit une vrit tablit entre elle-mme et son objet un lien qui a sa valeur propre. Celle-ci ne disparat pas plus avec la sensation de lme quelle nest ne avec elle. La vrit pure ne nat ni ne meurt, mais possde une valeur que rien ne saurait annihiler. Ceci ne contredit point le fait que certaines vrits humaines particulires nont quune valeur transitoire et apparaissent un moment donn comme des erreurs partielles ou totales. Car nous devons admettre que la vrit ternelle existe bien en soi, quoique nos penses nen soient que des apparences transitoires.

    Mme un homme qui, comme Lessing, estimant la vrit inconnaissable tout autre qu Dieu, prtend tre satisfait pour son ternelle recherche, ne lui dnie pas sa valeur dternit mais laffirme au contraire. Car seul ce qui possde une valeur ternelle peut provoquer une recherche ternelle. Si la vrit ntait pas autonome, si les sentiments seuls lui donnaient un sens et une valeur, elle ne pourrait pas tre un but unique pour tous les hommes. La rechercher, cest lui reconnatre une existence indpendante. Et il en est de mme du Bien. Le Bien moral est indpendant de toute inclination, de toute passion, tant quil leur commande et ne se laisse pas commander par elles. Le plaisir ou le dplaisir, lattrait ou la rpulsion, sont des sentiments personnels lhomme, le devoir les domine tous. Nous pouvons le placer si haut que nous sacrifions pour lui notre vie. Et plus lme est leve plus elle anoblit ses inclinations, ses plaisirs, ses impulsions, de manire ce que tous ses sentiments obissent deux-mmes au devoir, sans y tre contraints. Comme le Vrai, le Beau porte en soi une valeur dternit et ne la reoit pas de lme sensible.

    En veillant en soi le Vrai et le Bien indpendants, lhomme slve au-dessus de lme sensible. Lesprit ternel illumine celle-ci. Une lumire inextinguible sallume en elle. Dans la mesure o elle vit dans cette lumire, lme participe dun principe ternel auquel elle unit sa propre existence. Le Vrai et le Bien quelle renferme sont immortels. Nous appellerons me consciente ce principe ternel qui sveille dans lme. On peut dj parler de conscience dans les manifestations infrieures de lme. La sensation la plus commune est accompagne de conscience. Dans ce sens il faut galement la reconnatre aux animaux. Nous entendons ici par me consciente le noyau de la conscience humaine, lme dans lme. Et nous la distinguons de lme rationnelle, nous en faisons un lment indpendant. Lme rationnelle est encore contrarie par les sensations, les instincts, les passions, etc. Nous savons tous que, dinstinct, nous reconnaissons pour vrai ce que nous prfrons. Mais seule est durable la vrit qui sest affranchie de toute sympathie ou antipathie provoques par la sensation. La vrit reste vraie, mme si elle rvolte tous les sentiments personnels. Cest cette

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  • partie de lme quhabite la vrit que nous appelons me consciente.

    De mme que nous avons distingu trois corps, nous distinguerons donc trois mes : lme sensible, lme rationnelle et lme consciente. Et, tandis que le corps exerce den bas sur lme une action limitative, lesprit exerce sur elle den haut, une action expansive. Car, plus lme se pntre de vrit et de bien, plus grandit et stend en elle le principe ternel. Pour le voyant qui la peroit, le rayonnement dune me en qui croit le principe ternel est aussi rel que la lumire dune flamme pour lil physique. Pour le voyant le corps physique ne reprsente quune partie de ltre entier, la partie la plus grossire. Les autres parties le pntrent et se pntrent entre elles. Le corps thrique remplit le corps physique de sa forme vitale ; le corps animique (forme astrale) dborde de toutes parts le corps thrique ; son tour lme sensible le dpasse, puis lme rationnelle qui stend mesure quelle semplit de Vrai et de Bien. Sous leur influence elle grandit, en effet. Lhomme qui sabandonnerait ses penchants, ses sympathies et ses antipathies aurait une me rationnelle dont les limites concideraient avec celles de son me sensible.

    Toutes ces formations au milieu desquelles le corps Physique apparat comme envelopp dun nuage peuvent tre appeles lAura humaine. Cest delle que senrichit ltre humain lorsquon lui applique la vision que nous cherchons dcrire.

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    Au cours de notre enfance, il arrive un moment o, pour la premire fois, nous sentons lindpendance de notre tre lgard de tout le reste du monde. Pour les natures sensibles cette exprience revt une grande importance. Le pote Jean Paul crit ce qui suit dans ses souvenirs : Je noublierai jamais un vnement de ma vie intrieure, que je nai encore racont personne. Ce fut la naissance de ma soi-conscience. Je pourrais indiquer le jour et lendroit o elle eut lieu. Un matin, je ntais alors quun tout petit enfant, je me tenais debout sur le pas de la porte, et je regardais gauche, vers le bcher lorsque, subitement, la vision intrieure : Je suis un je , fondit sur moi comme un clair, et cette certitude ne me quitta plus : pour la premire fois, en cet instant, mon moi stait contempl lui-mme, et ce fut pour lternit. Il nest gure possible ici dinvoquer une erreur de mmoire, tout rcit auquel aurait pu se mler des dtails invents tant exclu, et cet vnement stant droul dans le sanctuaire le plus secret de mon tre. Seul son caractre imprvu et nouveau fait que je me souviens des circonstances banales qui lentourrent. Tout le monde sait que les petits enfants disent deux-mmes : Charles est sage , ou Marie veut avoir cela . Nous trouvons naturel quils parlent deux-mmes comme sils parlaient dautres personnes, parce quils nont pas encore pris conscience de leur personnalit indpendante de leur moi. Cest la soi-conscience qui permet lhomme de se dsigner lui-mme comme un tre spar, indpendant, quil qualifie de Je .

    Nous runissons dans ce mot Je tout ce que nous prouvons en tant qutres dous dun corps et dune me. Le corps et lme sont les porteurs du moi, il agit en eux. Comme le corps a son centre dans le cerveau, lme a son centre dans le Moi . Nous recevons du dehors nos sensations, nos sentiments naissent par leffet du monde extrieur ; la volont sexerce sur lui, puisquelle se manifeste par des actes. Le moi qui est lessence vritable de lhomme, demeure invisible. Jean Paul dit avec une grande justesse : cet vnement se passa dans le sanctuaire le plus secret de son tre. Car, dans son moi, ltre est tout fait seul. Et ce moi, cest lhomme lui-mme. Cest pourquoi nous pouvons dsigner le corps et lme comme des enveloppes dans lesquelles nous vivons et qui forment les conditions corporelles ncessaires notre activit. Au cours de notre volution, nous apprenons de plus en plus mettre ces instruments au service de notre moi .

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  • Le mot Je se distingue de tous les autres mots de la langue. Quand on rflchit sa nature, il ouvre la porte une comprhension plus profonde de ltre humain. Chacun de nous peut employer tout autre mot en lappliquant lobjet quil dsigne. Tout le monde appelle une table Table , une chaise Chaise . Mais le mot Je chacun de nous ne peut lemployer que pour se dsigner soi-mme, nous ne pouvons lappliquer aucun objet tranger. Le mot Je ne rsonnera jamais du dehors mon oreille pour me dsigner moi-mme. Du dedans seulement, delle-mme seulement, lme peut sappeler Je . Ds linstant o nous nous appelons nous-mme Je , quelque chose parle en nous qui na rien de commun avec les mondes dont manent les enveloppes , qui nous ont occups jusqu prsent. Le moi devient de plus en plus le matre du corps et de lme. Cette volution se marque dans laura humaine qui sarticule, senrichit, se colore de plus en plus. Le voyant constate laction du moi sur laura. Le moi lui-mme lui est invisible, il est vraiment cach dans le sanctuaire le plus secret de ltre . Le moi recueille les rayons de la Lumire ternelle qui illumine lhomme. Et de mme que nous runissons dans le moi les expriences du corps et de lme, nous le pntrons galement de nos penses de Vrit et de Bien. Les phnomnes sensibles se rvlent au moi dun ct, de lautre se rvle lEsprit. Le corps et lme se consacrent au moi pour le servir, mais le moi sabandonne lEsprit pour quil lemplisse. Le moi vit dans le corps et dans lme, mais lEsprit vit dans le moi. Et ce qui vit desprit dans le moi est ternel. Car le moi reoit ltre et le sens de ce quoi il sunit. En tant que vivant dans le corps physique, il est soumis aux lois minrales ; grce au corps thrique, il est rgi par les lois de la reproduction et de la croissance ; par lme sensible et rationnelle, il obit aux lois du monde animique. Dans la mesure o il se spiritualise, il est soumis aux lois de lesprit. Tout ce qui est rgi par les lois minrales et vitales nat et meurt, lEsprit chappe la naissance et la mort.

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    Le Moi vit dans lme. Bien que son expression la plus haute soit lme consciente, il faut dire cependant quil rayonne sur lme entire, quil lemplit et que par elle il agit sur le corps. Or, dans le moi vit et rayonne lEsprit. Le moi est lenveloppe de lesprit, comme le corps et lme sont celles du moi. Lesprit modle le moi du dedans au dehors, lunivers le faonne du dehors au dedans. Nous appellerons Soi spirituel lesprit modeleur et animateur du moi, parce quil se manifeste comme le moi ou le Soi de lhomme. Voici comment lon peut distinguer le Soi spirituel de lme consciente : Cette dernire est mue par la vrit Pure, affranchie de toute sympathie et de toute antipathie. Le Soi Spirituel porte en soi la mme vrit, mais recueillie et isole dans le Moi qui lindividualise. La vrit ternelle, en sindividualisant ainsi, en sunissant au Moi confre ce Moi lui-mme lternit.

    Le Soi Spirituel est une rvlation du monde spirituel dans le moi, de mme que les sensations sont en lui, dun autre ct, une rvlation du monde physique. Le monde physique se manifeste en nous par les perceptions : rouge, verte, claire, sombre, dure, molle, chaude, froide, quil nous donne ; le monde spirituel se manifeste nous par le bien et le vrai. Dans le mme sens o nous appelons sensations les rvlations que nous donne notre corps, nous appellerons intuitions celles que nous devons lesprit. La pense la plus simple implique dj de lintuition, car nous ne pouvons ni la toucher ni la voir : elle exige une rvlation de lesprit au travers du moi. Quun homme dvelopp et quun homme primitif contemplent la mme plante, leur exprience sera trs diffrente. Cependant un mme objet aura veill leurs sensations. Mais lun pourra avoir sur cet objet des penses plus parfaites que lautre. Si les objets ne se rvlaient nous que par les sensations, toute volution spirituelle serait exclue. Le sauvage sent la nature ; mais les lois de la nature ne se rvlent qu la pense fconde par lintuition de lhomme hautement dvelopp. Lenfant reoit les excitations du monde extrieur et celles-ci veillent sa volont, mais les

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  • commandements du Bien moral ne se dcouvrent lui quau cours de son dveloppement, alors quil apprend vivre dans lesprit et en reconnatre les manifestations.

    Sans il, il ny aurait pas de perception visuelle ; sans la pense suprieure du Soi spirituel il ny aurait pas dintuition. La sensation ne cre pas plus la plante qui se colore, que lintuition ne cre le monde spirituel, elle ne fait que nous le rvler.

    Les intuitions apportent au moi humain qui sveille dans lme les messages den haut, du monde spirituel, comme les sensations lui apportent ceux du monde physique. Et la vie de lme embrasse alors le monde spirituel, comme elle embrasse le monde physique par lintermdiaire des sens. Lme, ou plutt le moi qui sy veille, ouvre de deux cts ses portes : vers le corps et vers lesprit.

    Nous avons vu que le monde physique ne peut se rvler au moi, quen lui difiant un corps laide des substances et des forces qui le composent lui-mme, corps dans lequel lme consciente peut vivre et qui lui fournit les organes ncessaires la perception du monde physique qui lentoure. De mme, le monde spirituel construit laide des forces et des substances spirituelles un corps spirituel dans lequel le moi peut vivre et grce auquel il peut, par intuition, percevoir le monde spirituel. (Il va sans dire que les expressions de substance spirituelle , corps spirituel comportent une contradiction dans les termes. Nous ne les employons que pour donner une ide de ce qui, dans le domaine spirituel, correspond au corps physique de lhomme). Dans le monde physique, chaque corps humain est une entit indpendante, il en est de mme du corps spirituel dans le monde spirituel. Et dans ce monde, comme dans le monde physique, il existe pour lhomme une vie extrieure et une vie intrieure. De mme que nous puisons dans le monde physique les substances qui nous sont ncessaires et que nous les transformons dans notre corps, nous empruntons au monde spirituel ses lments, et nous nous les approprions. Lesprit est la nourriture ternelle de lhomme, et, de mme quil doit sa vie matrielle au monde physique, il doit sa vie spirituelle laction des lois ternelles du Vrai et du Bien.

    Il est distinct du monde spirituel qui lentoure, comme il lest du monde physique. Nous appellerons Homme Esprit cette entit spirituelle indpendante.

    En analysant le corps physique de lhomme, nous le trouvons form des mmes substances et des mmes forces qui remplissent en dehors de lui le monde matriel. Il en est de mme de lHomme Esprit. En lui vivent les lments et agissent les forces du monde spirituel environnant. Dans le monde physique ltre vivant et sentant est envelopp dune peau qui lisole du dehors. De mme, la peau spirituelle isole lHomme Esprit du monde spirituel, elle en fait un tre indpendant qui vit et qui peroit intuitivement les lments du monde qui lentoure. Nous appellerons cette peau spirituelle lenveloppe spirituelle (enveloppe aurique).

    Notons seulement que cette peau spirituelle stend continuellement mesure que saccentue lvolution humaine, de telle sorte que lindividualit spirituelle de lhomme (son enveloppe aurique), est doue dune facult illimite dextension.

    Au sein de cette enveloppe spirituelle vit lHomme Esprit. Il est difi par la force vitale spirituelle, exactement comme le corps physique lest par la force vitale physique. De mme que nous parlons dun corps thrique, nous pouvons parler dun esprit thrique. Nous lappellerons lEsprit de Vie. Par consquent lentit spirituelle de lhomme comprend trois parties : lHomme Esprit, lEsprit de Vie et le Soi Spirituel. Pour le voyant de ces mondes, cette entit spirituelle de lhomme est une ralit perceptible et forme la partie suprieure, proprement spirituelle, de lAura.

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  • Le voyant contemple , lintrieur de lenveloppe spirituelle, lHomme Esprit, qui se manifeste dans lEsprit de Vie, et il voit celui-ci saccrotre constamment par lassimilation de la substance spirituelle emprunte au monde environnant. mesure que stend lenveloppe spirituelle, il voit grandir lHomme Esprit. Quand nous disons quil voit dans lespace cette croissance , nous parlons, bien entendu, dune image de la ralit. Cependant, la reprsentation de cette image incline lme vers la ralit spirituelle correspondante. Lentit spirituelle de lhomme diffre de son entit physique, en ce que cette dernire est limite dans ses dimensions, tandis que la premire peut crotre indfiniment. La nourriture spirituelle possde une valeur ternelle. LAura humaine comprend, par consquent, deux parties qui se pntrent lune lautre. Lune reoit de lexistence physique sa forme et sa coloration, lautre les reoit de lexistence spirituelle. Le Moi les dlimite entre elles de la manire suivante : llment physique de lAura soffre au moi afin de lui crer un corps dans lequel puisse se manifester une me ; le moi, son tour, sabandonne lesprit afin que celui-ci puisse vivre en lui ; lesprit, de son ct, pntre lme et la tourne vers le monde spirituel. Le corps emprisonne lme dans le monde matriel, lHomme Esprit lui donne des ailes qui lui permettent de se mouvoir dans le monde spirituel.

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    Pour comprendre la nature complte de lhomme il faut considrer les diffrentes parties qui le composent. Le corps sdifie des substances du monde physique et est soumis au moi pensant. Imprgn de force vitale, il devient le corps thrique ou corps vital.

    Il souvre alors, par lorgane des sens, au monde extrieur et devient le corps animique. Celui-ci est pntr par lme sensible et forme avec elle une unit. Lme sensible ne reoit pas seulement les sensations du dehors, elle a une vie propre que fcondent, dune part, les sensations, de lautre la pense. Elle devient alors lme rationnelle. Elle y parvient en souvrant aux intuitions suprieures, ainsi quaux sensations infrieures. Par l, elle est me consciente. Elle le doit au monde spirituel qui dveloppe en elle lorgane de lintuition, comme le corps physique lui a donn lorgane des sens. Les sens lui transmettent les sensations par lintermdiaire du corps animique, lesprit lui transmet les intuitions par lorgane intuitif. LHomme Esprit est ainsi uni lme consciente, comme le corps physique lest lme sensible dans le corps animique. Dans lunit forme par lme consciente et le soi spirituel, lHomme Esprit vit comme Esprit de Vie, de mme que le corps thrique constitue la base vitale corporelle ncessaire au corps animique. Et comme le corps physique est dlimit par la peau, ainsi lhomme spirituel lest par lenveloppe spirituelle.

    Lhomme complet se compose donc des parties constitutives suivantes :

    A) Corps physique, B) Corps thrique ou corps vital, C) Corps animique, D) me sensible, E) me rationnelle, F) me consciente, G) Soi spirituel, H) Esprit de vie, I) Homme-Esprit.

    Le corps animique (C) et lme sensible (D) forment une unit dans lhomme terrestre : de mme que lme consciente (F) et le Soi spirituel (C).

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  • Ltre humain est alors constitu de sept parties :

    1) Le corps physique, 2) Le corps thrique ou corps vital, 3) Le corps animique sensible, 4) Lme rationnelle, 5) Lme consciente remplie par lesprit, 6) Lesprit de vie, 7) Lhomme-esprit.

    Le moi sveille dans lme, reoit limpulsion de lesprit et devient porteur de lhomme spirituel. Lhomme participe ainsi des trois mondes (physique, animique et spirituel). Par le corps physique, le corps animique et le corps thrique, il a ses racines dans le monde physique. Par le soi spirituel, lesprit de vie et lhomme-esprit, il fleurit dans le monde spirituel. Sa tige cest lme elle-mme.

    On peut, sans nuire cette division de ltre humain, en adopter une forme simplifie. Bien que ce soit dans lme consciente que sveille le moi , elle nen imprgne pas moins la nature animique toute entire.

    Les diffrentes parties de lme ne sont point aussi nettement dlimites que les parties corporelles ; elles se pntrent davantage les unes les autres.

    Si lon considre lme rationnelle et lme consciente comme les deux enveloppes troitement unies du Moi, et celui-ci comme leur noyau, on peut diviser ltre humain en : corps physique, corps vital, corps astral et Moi. On dsigne alors par corps astral lensemble du corps animique et de lme sensible. Cette expression est usite dans lancienne littrature, nous lemploierons ici pour dsigner ce qui, dans ltre humain, chappe dune faon gnrale, aux perceptions sensibles. Bien que lme sensible soit, dans un certain sens, vivifie par le Moi, elle est si troitement unie au corps animique, quon est en droit de les dsigner par une seule appellation. Lorsque le moi se pntre du Soi spirituel, lintervention de ce dernier provoque la transformation du corps astral par lme. Au sein du corps astral agissent dabord les instincts, les apptits, les passions, dans la mesure o lhomme est sollicit par eux ; les perceptions sensibles sy manifestent galement. Celles-ci sveillent en lhomme par lintermdiaire du corps animique qui lui est octroy par le monde extrieur. Les dsirs, les instincts, les passions, etc., naissent dans lme sensible pour autant que celle-ci se trouve vivifie par ltre intrieur, avant quil ne se soit abandonn lesprit. Quand le moi se pntre du Soi spirituel, lme communique sa force au corps astral. Les dsirs, les instincts, les passions se trouvent alors illumins par cette force que le moi a reue de lesprit. Participant de lesprit, il rgne dsormais sur eux. Le Soi spirituel luit dans le corps astral, et le transforme. Celui-ci prsente alors deux parties, lune qui a subi la transformation en question, lautre qui na pas chang. On peut donc appeler le Soi spirituel qui se rvle dans lhomme, le corps astral transform. Un phnomne semblable a lieu lorsque le moi humain accueille lEsprit de Vie. Celui-ci pntre le corps vital qui se transforme. On peut appeler lEsprit de Vie, le corps vital transform.

    Et lorsque le moi, enfin, reoit lHomme-Esprit, il acquiert la force ncessaire pour en pntrer le corps Physique.

    Cette transformation du corps physique nest naturellement pas perue par les sens physiques ; tant due une spiritualisation de ltre, elle nest accessible qu la perception

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  • spirituelle. Mme les parties du corps physique qui sont imprgnes par lesprit ne sont perues que physiquement par les sens extrieurs. En se basant sur tout ce qui prcde, on peut tablir encore la division suivante de ltre humain :

    1) Le corps physique, 2) Le corps vital, 3) Le corps astral, 4) Le Moi, ou noyau de lme, 5) Le Soi spirituel, ou corps astral transform, 6) LEsprit de vie, ou corps vital transform, 7) LHomme-Esprit, ou corps physique transform.

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  • LA RINCARNATION DE LESPRIT ET LA DESTINE

    Entre le corps et lesprit vit lme. Les impressions qui lui parviennent du corps sont passagres. Elles ne durent quaussi longtemps que le corps ouvre ses organes aux objets du monde extrieur. Mon il ne peroit la couleur dune rose quaussi longtemps quil reste ouvert et tourn vers elle. Toute impression, sensation ou perception exige la prsence de lobjet du monde extrieur et de lorgane du corps.

    Par contre, la vrit que mon esprit a dcouverte, concernant cette rose ne disparat pas avec elle. Cette vrit ne dpend nullement de moi. Elle serait identique, mme si je ne mtais jamais trouv en prsence de la rose. Les vrits que reconnat lesprit se fondent sur un lment de la vie de lme qui se rattache la vie intrieure du monde. Celle-ci se rvle lme, indpendamment du corps prissable qui lui sert de base matrielle. Peu importe que lobjet qui se rvle ne possde pas toujours lui-mme une valeur ternelle ; lessentiel est que lme en ait la rvlation indpendamment de son corps matriel transitoire. Llment durable de lme entre en considration ds linstant o lon observe que cette me a des perceptions qui ne sont pas limites par ses organes prissables. Il nimporte pas davantage que ces perceptions parviennent la conscience par lintermdiaire de lorganisme physique. Ce qui importe, cest que leur objet rel, tout en vivant dans lme, demeure cependant indpendant du phnomne transitoire de la perception. Lme se trouve place entre le prsent et la dure, grce la position quelle occupe entre le corps et lesprit, mais elle est aussi la mdiatrice entre le prsent et la dure. En elle, le prsent se conserve pour le souvenir. Elle larrache ainsi au transitoire, elle le recueille dans la dure de sa spiritualit. Elle imprime un lment de dure ce qui svanouirait dans le temps, du fait quelle ne se livre pas seulement aux excitations passagres de la vie, mais dtermine elle-mme les choses, et leur incorpore son essence par les actes quelle accomplit. Par le souvenir, lme conserve hier ; par les actes, elle prpare demain.

    Mon me, pour rester consciente de la couleur rouge de la rose, devrait sans cesse en renouveler la perception si le souvenir ne la lui conservait. Ce qui persiste dans lme aprs la disparition de limpression extrieure peut, indpendamment de cette dernire, redevenir une reprsentation. Par ce don, lme transforme le monde extrieur en son propre monde intrieur en sorte quil devient sa proprit, dont elle peut par la mmoire tirer des souvenirs, et quil mne une existence autonome, en union avec elle-mme, indpendamment des perceptions nouvelles. La vie de lme devient ainsi une rsultante permanente des impressions passagres du monde extrieur.

    Mais lacte aussi revt un caractre de dure lorsquil simprime au monde extrieur. Que je coupe une branche un arbre et le cours des vnements qui se droulent dans le monde extrieur sera compltement transform. Toute autre et t la destine de cette branche darbre si je ntais intervenu par mon acte. Jai donn le jour toute une srie de faits qui ne se seraient pas produits si je navais pas exist. Ce que je fais aujourdhui demeure demain. Lacte donne laction une dure, comme la mmoire a donn de la dure mes impressions.

    La conscience ordinaire ne se reprsente pas de la mme manire la dure confre par lacte et celle que la mmoire accorde limpression que laisse en nous la perception. Cependant le

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  • moi humain nest-il pas li au changement que son action a apport dans le monde, autant quil lest au souvenir qua fait natre une impression ? Les jugements que le moi portera sur ses nouvelles impressions varieront selon les souvenirs qui lui resteront des prcdentes. Mais, en tant que moi, ses rapports avec le monde varieront de mme, selon les actes quil a accomplis. De limpression que mon acte a produit sur un autre homme dpendront les rapports qui stabliront entre mon moi et le monde. Nous ne nous rendons pas compte de ces choses autant que du changement quamne dans le moi lacquisition dun souvenir, simplement parce que le souvenir se lie ds sa formation la vie personnelle de lme, tandis que leffet extrieur de laction, dtach de cette vie psychique, se manifeste dans une suite dvnements qui sont encore autre chose que le souvenir que nous en gardons. Indpendamment de ce fait, cependant, il faudrait reconnatre quune action amne dans le monde un changement qui porte lempreinte du moi qui la accomplie. Si lon rflchit srieusement ce qui prcde on sera oblig de se poser la question suivante : Ne se pourrait-il pas que les effets dune action qui ont t marqus par la nature du moi acquirent une tendance revenir au moi , de mme quune impression conserve dans la mmoire se ravive sous une provocation extrieure ? Les impressions que conserve la mmoire attendent cette provocation. Les impressions que le monde conserve et qui portent le caractre du moi , nattendraient-elles pas de mme loccasion de revenir lme humaine du dehors, comme les souvenirs lui reviennent du dedans, lorsque loccasion leur en est donne ? Nous ne faisons ici que poser la question, car il se pourrait sans doute que loccasion de ragir sur lme humaine ne ft jamais donne lacte auquel le moi aurait imprim son caractre.

    Mais que des effets de cette nature existent et quils dterminent les rapports du moi avec le monde, cest l une reprsentation qui nous apparat immdiatement comme possible, lorsque notre pense suit le raisonnement ci-dessus. Nous allons rechercher prsent sil existe dans la vie humaine quelque chose qui nous permette de conclure de cette reprsentation possible une ralit.

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    Considrons tout dabord la mmoire. Comment nat-elle ? videmment de tout autre manire que la sensation ou la perception. Je ne puis percevoir la couleur bleue sans mon il. Mais celui-ci ne me donne nullement le souvenir du bleu. Pour que mon il me donne tel moment la sensation du bleu, il faut que je me place devant un objet bleu. Lorganisme physique laisserait seffacer toutes les impressions si, tandis que lacte de perception faisait natre des reprsentations actuelles, il ne stablissait pas simultanment entre le monde extrieur et lme un rapport dtermin. Ce rapport a pour consquence de permettre plus tard lme de faire surgir en elle, par un processus intrieur, une reprsentation de lobjet qui, jadis, agissant du dehors, en avait fait natre une premire.

    Ceux qui se sont exercs lobservation psychique pourraient se mprendre sur le sens de ce qui prcde, si nous disions que notre mmoire pourrait rveiller demain la reprsentation mme quun objet fit natre en nous hier, laquelle se serait conserve dans quelque rgion indtermine de notre me. Il nen est point ainsi. La reprsentation que jai dun objet un certain moment disparat avec ce moment. Si je me souviens de lui plus tard, cest quun certain processus se poursuit en moi, processus qui est la consquence dun rapport qui sest tabli entre le monde extrieur et moi, indpendamment de la reprsentation du moment. Celle que fait natre le souvenir est nouvelle, ce nest pas lancienne reprsentation qui sest conserve. Le souvenir consiste en une possibilit de se reprsenter nouveau une chose, et non point de faire revivre une reprsentation passe. Ce qui se reproduit nest pas la reprsentation. Nous faisons ici cette remarque parce que, dans le domaine de

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  • la science spirituelle, il est ncessaire davoir sur certaines choses des ides plus prcises que dans la vie ordinaire et mme que dans le domaine de la science ordinaire. Je me souviens signifie : Jai limpression dune chose qui elle-mme nexiste plus. Je relie une exprience passe ma vie actuelle .

    Cest ce qui a lieu pour tous les souvenirs. Supposons que je rencontre une personne et que je la reconnaisse parce que je lai dj vue hier. Elle me resterait parfaitement inconnue, si je ne savais pas relier limage que ma perception ma permis de me former hier limpression quelle me fait aujourdhui. Par la perception, autrement dit par lorganisme physique, une image nat en moi aujourdhui. Mais quest-ce donc qui introduit comme par miracle limage dhier dans mon me ? Cest le mme tre qui en moi prit part hier mon exprience et qui y participe galement aujourdhui. Nous lavons appel me dans notre expos prcdent. Sans cette fidle gardienne du pass, toute impression du dehors serait toujours nouvelle pour nous. Il est certain que lme grave dans le corps le phnomne qui fait dune chose un souvenir, mais il faut que ce soit lme qui fasse cette impression et qui la peroive ensuite comme elle peroit un objet extrieur. Voil en quel