un appel important - debbie scott

7/30/2019 Un Appel Important - Debbie Scott

1/52


2/52


3/52

Un appel important


4/52


5/52

Textes et illustrations:


6/52


7/52

C

a

m

l

i

a


8/52

Un jour, jai eu six ans. Ce jour-l, jai connu ma grand-mre.

Elle tait trs impressionnante. Pour mimpressionner mme, la premire fois

que lon sest vues, elle ma donn cent francs. Comme a. TAC. Jai t trs

impressionne.

Cent francs en terme de bonbons a voulait dire tellement de bonbons quil

maurait fallu une valise, un diable, un treuil pour sortir de la boulangerie.


9/52


10/52

Sa peau tait fine et douce comme celle dun bb, bien que lgrement

plus froisse. Un peu comme si lon avait oubli de la repasser.

- Quelquun a pens repasser mamie ?

- Ha non zut, tiens, jai oubli !

Ses yeux avaient vu beaucoup de choses, mais sa bouche les faisait taire. Ilsdistillaient les bulles dun vieux champagne dans le bleu dune mer sans

fond.Ses cheveuxreposaient sur ses paules rondes, rassurantes.


11/52


12/52

Sous son armure de dame de fer, elle cachait un petit cur tout mou, mou

comme un caramel mou. Mais a, personne ne le savait.

Ctait son secret. Un secret cach dans une enveloppe scelle, dans uncoffre blind dune serrure boucle double tour. S.E.C.R.E.T


13/52

Caram

elmou

,mou

,

mou,c

urfo

ndant

Enveloppeamricaineavecsceau

decire,contenantlecurfondant

decaramelmou

Coffre-fortblind

ignifugmult

i-scurits:

reconnaissance

vocale,serrure

clef,

serrurescomb

inaisondigitale

etmcanique,

contenantlenve

loppescellee

tlecurfondan

t

Clef prcieuse dor et

divoire range dans un

endroit que personne ne

voyait jamais


14/52

Alors pour tromper tout le monde, elle rlait souvent. Pour rien. Elle adorait

a. Ctait son grain de sel et son faux sucre, une manire comme une autre

de mettre un peu de piment dans son homard leau. Un jour, douce

comme une chatte, le lendemain rageuse comme une tigresse. On ne savaitjamais quel flin allait ouvrir la porte. Elle tait joueuse.

Ding Dong tilaloum


15/52

Hum.

Commesi

javais

le tempsde moccuper

de a

Merci

PatrickMerci !

Tu

parles !

Ding-Dong, tilaloum

Bon-chour Madame Camlia ! Cest moi, Patrick !

Votre livreur Maximomo prfr !Comment a va aujourdhui ?

HAR. Vous. Oui.NON ! Et bien NON !

et appelez-moi

Comment voulez-vous que a aille ?Javais dit AVANT midi... Et il est PRESQUE midi.

Alors arrtez de sourire comme un idiotavec votre machin dans loreille

Sachez Patrick Maximomo,

influents dans le monde de la VPC.

votre PDG!

Et puis on na pas lev les cochons ensembleJai un nom cher Monsieur !

que je connais des gens TRES


16/52

Mais sur ses pyjamas il y avait de petits chats. Personne ne voyait jamais ses

pyjamas.


17/52


18/52

Elle aimait les bijoux qui brillaient en crever les yeux et les imprims

sauvages. Sauvages comme les panthres des plaines dAfrique, sauvages

comme les forts hostiles, de mangrove humide et de plantes carnivores.

Sauvage.


19/52


20/52

Elle tait fort coquette, se maquillait toujours mais la faute sa cataracte,

ctait parfois un peu rat. Mais a, personne ne le lui disait.


21/52

Iris

Cataracte : Nom fminin singulier

Def.1 : chute deau trs importante

Def.2 : opacit progressive du cristallin entrainant la ccit ou une vision affaiblie.

Dgnrescence provoquant, dans certains cas, un maquillage hsitant, hasardeux.

Exemple : sourcils asymtriques, eyeliner sautillant, plaques de rouge lvres sur les dents.

Personnalits et cataracte : Amy Winehouse, Yvette Horner, Michal Jackson

NET

Fig.1

Nerf optique

Cristallin


22/52

Bizarrement, elle ne sentait pas du tout la mamie. Pas de vieux grenier, pas

de renferm, pas de vieilles culottes, ni dodeur de sucre qui annonait la fin.

Non. Elle sentait fort. Elle sentait bon, et trainait dans son sillage de lourdes

vagues de rose, de santal, damande et de mimosa.

Elle avait des actions dans le parfum. Ctait une certitude. Elle tenait

lconomie mme du parfum, entre ses deux mains.


23/52


24/52

Elle lisait lavenir dans les cartes. Elle avait appris a dans le pass. Un pass

sur lequel elle ne posait que des silences. Elle nous en racontait un autre.

Pour tre plus polie, pour quil soit plus joli.

Mon avenir se mlait alors sa vie, semmlait dans ses rves, et nousformions autre chose. Autre chose qui nous appartenait.


25/52


26/52

Elle tait entoure dun tas de pendules qui indiquaient toutes la mmeheure.

Elle dtestait les retards : les retards des impolis. Elle navait rien contre les

avances, mais lavance, elle, tait pour les imprcis. Seule lexactitude

passait, la Sainte Exactitude, la politesse des rois. Mais dans un royaume,

jamais deux souverains. Elle seule dcidait du fuseau horaire.

Elle mettait son veto sur le temps, mais les aiguilles grainaient les secondes

qui passaient comme des heures, et frappaient chaque instant quelle devait

passer seule.


27/52


28/52

Elle lisait la vie des ttes couronnes. Parce quau fond elle aurait aim tre

reine. Parce quau fond ctait elle, ma Reine. Ma Reine de cur, ma Reine

de pique qui ne piquait pas vraiment.


29/52


30/52

Elle aimait le Cognac, le Bourbon, le Scotch. Jamais les trois ensemble.

Non...Lorsquelle voulait se donner bonne conscience, elle y ajoutait une

larme de Schweppes.

- Doucement, doucement ! Pas tant ! Tu veux me noyer ?

Elle naimait pas bien leau.


31/52


32/52

Elle fumait beaucoup, parlait de son mdecin, sa coiffeuse, son bijoutier, ses

locataires, sa femme de mnage, Madame Astruc. Elle tait comme un

ministre. Trs occupe. Elle avait des cartes de visite, pour sa

correspondance, ses rendez-vous. Comme a. Par principe.


33/52


34/52

Elle adorait les glaeuls. Etranges fleurs dont la musique faisait valser laeul

et le glaoui. Je les trouvais bizarres ces fleurs. Trop grandes. Trop colores.

Criardes.

Lorsquelle en recevait un bouquet, elle en dcachetait dlicatement le

papier, comme si elle devait le remballer plus tard. Puis elle glissait les

immenses tiges dans un vase de cristal. Bien quil fut toujours rang aumme endroit, elle exigeait que je masseye et que je lcoute mexpliquer

le chemin et la mthode quil me faudrait suivre pour le retrouver. Toujours

au mme endroit.


35/52


36/52

Elle mappelait assez souvent. Assez.

Chaque appel enclenchait alors la mcanique dun interminable monologue

ponctu donomatopes, seuls espaces temps qui mtaient laisss. Nous

avions donc convenu dune sonnerie-code la maison pour filtrer ses appels.

Parfois lorsquelle tait vexe, elle me raccrochait au nez. VLAN !


37/52


38/52

Mais aprs, je recevais toujours un petit mot dexcuses, crit en pattes de

chat, le chat des pyjamas.


39/52


40/52

Puis un beau jour, un jour de plus o les jours de plus avaient lim son

armure dacier, un jour qui ne ressemblait pas aux autres jours de plus, elle

reut un appel. Un appel important.


41/52

U


42/52

- Allo mamie Cam ? Oui cest la mort au tlphone.

- Ha tiens jattendais justement votre appel.

- Dites-voir, il va falloir ramener votre petit caramel mou l-haut, on a

besoin de vous.

- Maintenant ?

- Oui maintenant.

- Bon trs bien. Laissez-moi quelques instants.


43/52


44/52

Cet appel devait rester secret. Ctait la rgle, ctait la Loi. Mais dans ses

yeux de mer sans fond, elle mavait tout dit. Elle les avait trahis.

Ce jour de plus devint alors un jour de moins.

Elle alla chercher sa clef, l o personne ne la voyait jamais, la tourna dans la

serrure de son coffre blind, dcacheta lenveloppe scelle, et talemballage de son cur tout mou, mou comme un caramel mou.

Il nen resta que le papier.


45/52


46/52

De toi moi il ny a quun pas, un pas dogresse, un pas de gant

Un pas de bitume collant et gris, dair et de pluie et de nuages

Un pas doiseau lger et libre, pas doxygne, vital et plein

Un pas gliss dans tes talons, emmitoufle dans ton manteau, blottie serre

contre ton cur, je rve

Un pas plus haut dans latmosphre, qutait la tienne, qui fut la mienne

La stratosphre, ses satellites comme des mirages autour de toi

Et les toiles et puis la lune, et les plantes, et lunivers

Tu es le tout et puis plus rien

Regarde-moi, il ny a quun pas, un pas de tout, un pas de rien

Et dans le ciel o je me noie, mme les toiles nexistent plusUn pas de porte entrebille, et ton regard, une dernire fois

Tenir ton me entre mes doigts, les refermer et te laisser

Evapore dans linfini

Dans le trou noir de mes penses

Tu tiens ma chance du bout dun fil

Un fil de soie, ce fil de toi

Dans mes silences, je pense toi.


47/52


48/52


49/52

Remerciements :

Chami, mon roc, mon toit, mon tout et mon contraire.

Un jour Karl Lagerfeld, lautre, Didier Mchant, critique acerbe et sourcillant,

toi et ta dtermination sans faille, toi sans qui ce livre serait rest tout

jamais enfoui dans les trfonds de mon imaginaire.

Mel-K, Kiwi, fidles destriers sur lesquels je dtale lorsque les doutes se font

trop grands, hotlines permanentes, fans inconditionnels, supporters contre

vents et mares.

Et tous ceux qui mont soutenue, de prs ou de loin, en en sachant si peu,

Merci.


50/52


51/52


52/52

Cet appel important nous parviendra tous un jour ou lautre. Certains le

recevront trop tt, dautres trop tard. Dautres encore, choisiront de dclencher

leurs rpondeurspas envie de discuter, pas maintenant. Pour les chanceux,parfois, le destin jouera des tours et fera que cet appel naboutit pas, faute de

rseau. Il sonnera plus tard. Cest promis. Une prochaine fois.

Un appel important, cest lhistoire dun camlia pas comme les autres, un

camlia un peu spcial, qui un jour dhiver sen est fan, fatigu davoir trop

fleuri. Ces morceaux de vie narriveront plus, mais les faire durer, les tirer,mvite de les oublier. Pour te garder encore un peu, et te laisser partir.

un appel important - debbie scott

Documents