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Un refl~t -de Ia jurisprudence recente en droit prive europeen

Franz Werro/Pascal Pichonnaz *

Sommaire

A. Introduction B. Les pratiques deloyales: l'affaire Purely Creative (C- 428/11)

I. -Les faits II. L'arret du 18 octobre 2012 III. Le commentaite

C. Les clauses abusives I. L'affaire Banco Espanol (C-618/10)- L'interdiction d'adopter

un taux d'interet moratoire abusif II. L'affaire Banif Plus Bank (C-472111) - L'interpellation des parties III. L'affaire RWE Vertrieb (C-92111) - Le controle en cas de reprise

du droit dispositif IV. L'affaire Asbeek Brusse (C-488/11)- Une norme d'ordre public V. L'affaire Constructora Principado (C-226112) - La portee du

« desequilibre significatif » ~ VI. L'affaire Sebestyen (C-342/13) - Le rappel du caractere abusif en

matiere de clause arbitrale VII. L'affaire Siba (C-537/13) - L'application de la directive 93/13 aux

services juridiques avec !es avocats VIII.L'affaire Unicaja Banco SA (C-482/13)- La non-adaptation d'une

clause abusive D. La responsabilite du fait des produits

I. L'affaire Kainz (C-45113) II. L'affaire Boston Scientific (C-503/13 et C-504/13)

E. Le droit a l'oubli: l'affaire Google c. Gonzalez (C-131/12) I. Les faits · II. L'arret du 13 mai 2014 III. Un commentaire

F. Le retrait du projet de reglement sur le droit de la vente et le marche unique numerique

A. Introduction

Entre 2012 et aujourd'hui, le droit prive europeen a connu d'importants develop­pements. L'analyse ici presentee aura pour objet surtout la jurisprudence rendue en application des directives par la Cour de Justice de l'Union europeenne (ci-

Les parties B., C.I. et IV, D., E. et F. ont ete redigees par Franz Werra, les parties C.II.-III. et C.V.-VIII. l'ont ete par Pascal fichonnaz. Nous remercions Me Valerie Savioz-Viaccoz, assistante a la Faculte pour la relecture de la partie C.II.-III., C.V.-VIII. Nous remercions egalement M Alborz Tolou, assistant a la Faculte, pour son aide substantielle dans la redac­tion des parties B., C.I. et IV., D., E. et F.

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apres: CJUE ou la Cour) portant sur les pratiques deloyales (B.), les clauses abu­sives (C.), la responsabilite du fait des produits defectueux (D.) et le droit a l 'oubli (E. ). En guise de conclusion, quelques remarques porteront sur le retrait du projet de reglement sur le droit de la vente et son remplacement par un projet limite au commerce electronique (F.).

B. Les pratiques deloyales: l'affaire Purely Creative (C- 428/11)

La Suisse n'a pas repris la directive 2005/29/CE relative aux pratiques commer­ciales,deloyales des entreprises vis-a-vis des consommateurs dans le marche inte­rieur.1 11 est neanmoins interessant d'analyser la jurisprudence europeenne dans ce domaine, car celle-ci pourrait avoir une influence sur !'interpretation de la loi federale (suisse) contre la concurrence deloyale (LCD). Ace titre, l'affaire Purely Creative2 apporte de nombreux enseignements qu'il convient d'exposer.

I. Les faits

Plusieurs entreprises anglaises specialisees clans le publipostage pratiquent la dis- •• tribution de publicites de gain de prix. Ces publicites visent a informer le con­sommateur du fait qu'il est en droit de demander l'un des prix ou recompenses · specifies. Ceux-ci vont de prix ne valant que quelques livres sterling a des prix , ayant une valeur considerable.

Pour savoir a quel prix ii a droit, le consommateur beneficie de plusieurs op-.' tions. 11 peut appeler un numero de telephone surtaxe, utiliser un service SMS ou'. obtenir des informations par voie postale ordinaire. Le telephone surtaxe est tou7.'

tefois mis en avant par les publicitaires, de telle sorte que le consommateur es -­encourage a utiliser ce moyen plus onereux. On a ainsi pu constater qu l'ecrasante majorite des participants repondent par telephone OU teletexte. On . egalement reconnu que plus de 99% des personnes demandant un prix reyoive le prix le plus repandu, dont la valeur est nettement inferieure a ce qu'elles doi vent payer en frais de telephone ou de SMS, d'assurance et de livraison.

Charge de veiller a !'application de la reglementation protegeant Jes conso mateurs, !'Office of Fair Trading britannique (OFT) a engage une procedure d vant la High Court of Justice afin d'interdire aux publicitaires la distribution ces publicites au motif qu'elles constitueraient des pratiques commerciales d. loyales. La High Court a rendu une decision contre laquelle Jes parties ont interj te appel. La Court of Appeal a estime qu'une interpretation correcte du pointr

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Directive 2005/29/CE du Parlement europeen et du Conseil du 11 mai 2005 relative · pratiques commerciales deloyales des entreprises vis-a-vis des consommateurs dans le _ che interieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et Jes directives 97/7/ 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement europeen et du Conseil et le reglement (Cf; 2006/2004 du Parlement europeen et du Conseil, JO 2005 L 149, 22. :­CJUE, aff. C-428/11, ECLI:EU:C:2012:651 (Purely Creative).

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de I 'annexe I de la directive sur Jes pratiques commerciales deloyales etait neces­saire et a saisi la CJUE d'un renvoi prejudiciel (art. 267 TFUE).

II. L'arret du 18 octobre 2012

Les questions posees a la Cour portent sur le point de savoir si on doit tenir pour deloyale au sens du point 31 de l'annexe I de la directive 2005/29 la pratique con­sistant daris le fait d'informer les consommateurs qu'ils ont gagne un prix ou un autre avantage equivalent lorsque ceux-ci doivent supporter un cout, meme negli­geable - tel que le cout d'un timbre-poste ou d'une communication telephonique ordinaire - pour obtenir le prix. La Cour doit aussi juger si est contraire au meme point le fait que le professionnel offre plusieurs methodes possibles au consom­mateur pour demander le prix et que l'une de ces methodes suppose que le con­sommateur supporte un cout, meme negligeable.

Selon le.point 31 de l'annexe I, constitue une pratique commerciale trompeuse le fait de donner la fausse impression que le consommateur a deja gagne, gagnera ou gagnera en accomplissant tel ou tel acte un prix ou un autre avantage equiva­lent, alors qu'en fait, soit il n'existe pas de prix ou autre avantage equivalent, soit l'accomplissement d'une action en rapport avec la demande du prix ou autre avan­tage equivalent est subordonne a l'obligation pour le consommateur de verser de l'argent ou de supporter un cout.

En interpretant cette disposition, la Cour constate que le fait d'exiger d'un consommateur qu'il verse de }'argent ou supporte -un cout lorsqu'il accomplit une action afin d'obtenir quelque chose qui lui est presente comme un prix constitue une pratique commerciale deloyale. Elle precise en outre que le texte de la direc­tive ne prevoit aucune exception. On ne peut des lors pas faire supporter au con­sommateur un quelconque cout, que celui-ci soit negligeable par rapport a la va­leur du prix ou qu'il ne-procure aucun avantage pour celui qui octroie le prix (tel que le cout d'un timbre-poste). 3 La Cour ajoute qu'il importe peu que les actions en rapport avec la demande d'un prix puissent etre realisees selon plusieurs me­thodes proposees au consommateur par le publicitaire, dont certaines sont gra­tuites et d'autres onereuses.4 A cet egard, elle releve que l'annonce du gain d'un prix provoque un effet psychologique slir le consommateur qui, dans la perspec­tive de prendre possession du prix qu'il a gagne, peut etre amene a prendre une decision qu'il n'aurait pas prise autrement, comme celle de choisir la methode la plus rapide pour connaitre le prix, alors meme qu'il s'agit de la plus couteuse.5

Ainsi, !'annexe I de la directive sur les pratiques commerciales deloyales interdit les pratiques agressives par lesquelles des professionnels donnent la fausse im­pression que le consommateur a deja gagne un prix, alors que l'accomplissement d'une action en rapport avec la demande de ce prix est subordonne a l'obligation pour le consommateur de supporter un cout quelconque.

CJUE, aff. C-428111, ECLI:EU:C:.2012:651, cons. 22 (Purely Creative). CJUE, aff. C-428/11, ECLI:EU:C:2012:651, cons. 49 (Purely Creative). CJUE, aff. C-428/11, ECLI:EU:C:2012:651, cons. 49 (Purely Creative).

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III. Le commentaire

L'annexe I de la directive 2005/29 prevoit un catalogue de pratiques considerees comme deloyales en toute circonstance. Le legislateur europeen a considere op­portun de prevoir une liste exemplative de pratiques tombant automatiquement sous le coup de la'directive 2005/29. La particularite de ce catalogue tient au fait qu'elle ne laisse pas de place au pouvoir d'appreciation du juge. Des l'instant ou un comportement est mentionne dans l'annexe I, ii est repute deloyal.

Dans cette affaire, la Cour interprete strictement l'annexe I de la directive. Le simple fait que l'un des modes d'obtention du prix propose est onereux suffit pour que la pratique soit consideree comme deloyale. A ce titre, le fait que le cout soit negligeable et n'apporte aucun benefice au professionnel n'est pas pertinent. En cela, l'interdiction de faire supporter des couts au consommateu.r pour l'obtention d'un prix qui est presente comme gagne est absolue. Cette jurispru­dence emporte la conviction. La meme approche devrait etre suivie par le Tribu­nal federal en application de l' art. 3 let. t LCD. 6

C. Les clauses abusives

Les affaires liees a la directive 93/13/CEE concernant les clauses abusives dans les contra ts con cl us avec les consommateurs 7 presentent un interet particulier pour la Suisse depuis l'entree en vigueur du nouvel art. 8 LCD le 1 er juillet 2012. L'art. 8 LCD dispose que « agit de fayon deloyale celui qui, notamment, utilise . des conditions generales qui, en contradiction avec les regles de la bonne foi pre~ voient, au detriment du consommateur, une disproportion notable ef ~njustifiee, entre les droits et les obligations decoulant du contrat ». II s'inspire largement d~ l'art. 3 de la directive 93/13/CEE sans pour autant se confondre totalement avec cette dispositiop.. En cela, la jurisprudence europeenne concernant la directiv;' 93/13 constitue une source d'inspiration pour le juge suisse amene a interpret · l'art. 8 LCD.

Plusieurs arrets importants ont retenu notre attention. Nous les avons class' ' dans l'ordre chronologique. ·

I. L'affaire Banco Espanol (C-618/10)- L'interdiction d'adopter ·' un taux d "inten~t moratoire abusif '

1. Lesfaits

Le litige oppose M. Calderon Camino a la banque Banco Espanol de Credito ' (ci-apres: Banesto). Le 28 mai 2007, M. Calderon Camino a conclu un contratf pret avec Banesto pour un montant de 30'000 euros dans le but d'acquerir un

Dans ce sens Franz Werro/Maxence Carron, in: Martenet/Pichonnaz (ed.), Comment romand (a paraitre), art. 3 let. t LCD. Directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant !es clauses abusives dan _ contrats conclus avec !es consommateurs, JO 1993 L 095, 29.

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hicule devant « subvenir aux besoins du menage ». Le taux de remuneration du pret etait de 7,95%, le taux annuel effectif global de 8,89% et le taux d'interet moratoire de 29%. Avant la date d'echeance du pret, la banque a resilie le contrat en raison du non-paiement de sept mensualites. Elle a done introduit devant la juridiction competente une injonction de payer portant sur un montant de 29'381.95 euros, montant qui correspondait aux mensualites impayees, majorees des interets et des depens.

Le tribunal a constate que le contrat de pret integrait des conditions generales qui n'avaient pas pu etre negociees par le preneur de pret. II a releve que le taux d'interet moratoire de 29% decoulait d'une clause des conditions geQerales qui ne se distinguait des autres clauses ni par la police choisie ni par la taille du texte. Elle n'a pas non plus fait l'objet d'une acceptation specifique de la part de M. Calderon. Le tribunal a en consequence declare d'office la nullite de plein droit de la clause relative aux interets moratoires, au motif que celle-ci presentait un caractere abusif. II a fixe le taux d'interets moratoires a 19%.

La banque a interjete appel contre cette decision devant l'Audiencia Provincial de Barcelone. Celle-ci a considere que la legislation espagnole en matiere de pro­tection des consommateurs ne permet pas au juge saisi d'une demande d'injonction de payer d'apprecier d'office le caractere abusif d'une clause d'interets moratoires. L'analyse de la liceite d'une telle clause releve en effet de la procedure de droit commun, laquelle n'est ouverte que si le debiteur forme op­position. A la suite de ce constat, l'Audiencia Provincial a introduit aupres de la Cour une demande de decision prejudicielle portant notamment sur la comptabili­te d'une reglementation procedurale telle que celle en ,~use avec le droit c:Je l'Union europeenne. Elle a aussi demande a la Cour de preciser la portee de l'art. 6 par. 1 de la directive 93/13/CEE, qui prevoit que les clauses abusives « ne lient pas le consommateur ».

2. L 'arret du 14 juin 2012

La Cour commence par rappeler que le systeme de protection prevu par la direc­tive 93/13/CEE repose sur l'idee que le consommateur se trouve clans une situa­tion d'inferiorite a l'egard du professionnel tant en ce qui conceme le pouvoir de negociation qu'en ce qui conceme le niveau d'information. 8 Cette situation con­duit celui-ci a adherer aux conditions r6digees prealablement par le professionnel, sans qu'il puisse exercer une quelconque influence sur le contenu de celles-ci.9

Tenant compte de ce fait l 'art. 6 par. 1 directive 93/13 prevoit que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs. 10 Afin d'assurer la protection recher­chee par la directive, la situation d'inegalite existant entre le consommateur et le. professionnel ne peut etre compensee que par une intervention positive et exte­rieure aux seules parties au contrat. I I C 'est la raison pour laquelle le juge national est tenu d'apprecier d'office le caractere abusif d'une clause contractuelle et de

CJUE, aff. C-618/10, ECLI:EU:C:2012:349, cons. 39 (Banco Espanol). CJUE, aff. C-618/10, ECLI:EU:C:2012:349, cons. 39 (Banco Espanol). CJUE, aff. C-618/10, ECLI:EU:C:2012:349, cons. 40 (Banco Espanol). CJUE, aff. C-618/10, ECLI:EU:C:2012:349, cons. 41 (Banco Espanol).

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suppleer au desequilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel. 12

Le role du juge national ne se limite des lors pas a celui de se prononcer sur la nature eventuellement abusive d'une clause contractuelle, mais comporte bien plus l'obligation d'examiner d'office cette question. 13

Dans ce contexte, la Cour a constate qu'en l'absence d'harmonisation des me­canismes nationaux de recouvrement des creances incontestees, les modalites de mise en reuvre des procedures nationales relevent de l'ordre juridique interne des Etats membres. 14 Deux conditions doivent toutefois etre reunies: les regles natio­nales ne doivent ni etre moins favorables que celles regissant des situations simi­laires soumises au droit interne (« principe d'equivalence ») ni rendre impos­sible ou excessivement difficile l'exercice des droits conferes aux consommateurs par le droit de l'Union (« principe d'effectivite »). 15

La Cour procede a une analyse du systeme procedural espagnol de recouvre­ment de creance. En droit espagnol, la procedure d'injonction de payer est reser~

. vee aux dettes pecuniaires echues, liquides et exigibles, dont le montant ne de~ passe pas 30'000 euros. 16 Dans cette procedure, le juge se contente de verifie~ l'existence des conditions formelles d'ouverture de la procedure; il ne peut en ' aucun cas examiner le bien-fonde de la demande, a moins que le debiteur refuse de s'acquitter de Sa dette OU fasse opposition dans Un dela\, de 20 jours a COmpter . de la date de la notification de l'injonction. 17 La Cour considere que le fait que le·· juge ne puisse pas se prononcer sur le caractere abusif d'un,e clause de conditions generales, alors meme qu' il dispose de tousles elements de fait et de droit pour se.' faire, constitue une violation du principe d'effectivite. 18 Selon la Cour, le risqu" · existe que les consommateurs ne fassent pas opposition, notamment a cause d' court delai prevu a cet effet et des frais engendres en cas d'opposition de leti part~9 Dans cette situation, la clause echapperait a tout controle du juge. Partaii. la directive 93/13/CEE s'oppose a une telle reglementation.20

A la question de savoir si l'a,rt. 6 par: I de la directive 93/13/CEE permet juge national qui constate la nulfite d'une clause abusive de completer le cont

"' en modifiant le contenu de la clause, la Cour releve tout d'abord que selon ce disposition, une clause abusive ne lie pas le consommateur.21 La Cour releve ~ lement qu'en vertu de l'art. 6 de la directive, le contrat conclu entre le proti sionnel et le consommateur continue de lier les parties « selon les me termes », s'il peut subsister « s~ns !es clauses abusives ». 22 Elle poursuit en r nant que les juges nationaux ne sont Eas habilites a adapter le contenu de la c1a afin qu'elle ne soit plus abusive. 3 La Cour ajoute que cette limitation

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CJUE, aff. C-618/10, ECLI:EU:C:2012:349, cons. 42 (Banco Espanol). CJUE, aff. C-618/10, ECLI:EU:C:2012:349, cons. 43 (Banco Espanol). CJUE, aff. C-618/10, ECLI:EU:C:2012:349, cons. 46 (Banco Espanol). CJUE, aff. C-618/10, ECLI:EU:C:2012:349, cons. 46 (Banco Espanol). CJUE, aff. C-618/10, ECLI:EU:C:2012:349, cons. 50 (Banco Espanol). CJUE, aff. C-618/10, ECLI:EU:C:2012:349, cons. 52 (Banco Espanol). CJUE, aff. C-618/10, ECLI:EU:C:2012:349, cons. 53 (Banco Espanol). CJUE, aff. C-618/10, ECLI:EU:C:2012:349, cons. 54 (Banco Espanol). CJUE, aff. C-618110, ECLI:EU:C:2012:349, cons. 56-57 (Banco Espanol). CJUE, aff. C-618/10, ECLI:EU:C:2012:349, cons. 62 (Banco Espanol). CJUE, aff. C-618/10, ECLI:EU:C:2012:349, cons. 64 (Banco Espanol). CJUE, aff. C-618/10, ECLI:EU:C:2012:349, cons. 65, 71et73 (Banco Espanol).

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Franz W erro/Pascal Pichonnaz

l'intervention du juge se justifie pour des raisons de protection du consomma­teur. 24 s 'il etait loisible au juge national de reviser le contenu des clauses abu­sives figurant dans les contrats, l' effet dissuasif qui resulte de la directive serait affaibli. Les professionnels seraient en effet tentes d'integrer des clauses dero­geant fortement au droit dispositif tout en sachant que, dans l 'hypothese ou elles seraient considerees comme abusives, le juge se contenterait de les adapter. 25 La Cour en conclut que la legislation espagnole, qui a pennis au juge de completer le contrat en baissant le taux d'interet moratoire abusif de 29% a 19%, est contraire a la directive 93/13/CEE.

3. Un commentaire

L'arret Banco Espanol est fondamental sur deux points. Premierement, il montre l'extraordinaire impact du droit europeen sur le dro~t national des Etats membres, allant meme jusqu'ici a mettre en cause la procedure espagnole de l'injonction de payer et l'un de ses traits caracteristiques: le role du juge, qui se limite a la seule verification de la realisation de conditions formelles. La Cour a ainsi decide que cette procedure est en partie contraire au droit de l'Union, en ce qu'elle ne permet pas au juge de constater le caractere abusif d 'une clause contractuelle. Pour la protection du consommateur, l'arret de la Cour est tout a fait convaincant sur ce point.

Secondement, l' arret met en evidence qu' en application de la directive 93/13/CEE, le juge national doit ecarter la clause abusive, sans avoir le droit de l'adapter. La decision emporte la conviction sur ce point egalement. II en va de l'effet dissuasif de la directive. Faire tomber les clauses abusives sans permettre leur adaptation par le juge, c'est inciter les commeryants a introduire des clauses equilibrees pour eviter de perdre tout le benefice de la clause.

Du point de vue du droit suisse, l'arret Banco Espanol pourrait avoir une in­fluence determiriante sur les consequences de l'application de l'art. 8 LCD. A l'instar de l'ancienn.e disposition, l'art. 8 LCD n'indique pas expressement les consequences juridiques liees a sa violation. Le Message du Conseil federal pre­cise que la sanction resultant de la violation de cette disposition consiste en la nullite de la clause concemee, conformement a l'art. 20 C0.26 II s'agit d'une nul­lite absolue, qui peut des lors etre relevee en tout te~s, que ce soit par le con­sommateur ou par tout tiers ayant un interet a le faire. 2 Lorsqu'il est saisi, le juge doit d'office relever la nullite d'une clause abusive.28

.

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25

26

CJUE, aff. C-618/10, ECLI:EU:C:2012:349, cons. 68 (Banco Espanol). CJUE, aff. C-618/10, ECLI:EU:C:2012:349, cons. 69 (Banco Espanol). Message du Conseil federal, FF 2009 5539, 5568. Cf. aussi Franz Werra, L'achat et le lea­sing d'un vehicule automobile:. regard critique sur Jes conditions generales, in: Wer­ro/Stockli (ed.), Journee du droit de la circulation routiere, 2006, I, 11; Pascal Pichonnaz, Le nouvel art. 8 LCD - Droit transitoire, portee et consequences, DC 2012, 140, 143; Flo­rent Thouvenin, in: Hilty/Arpagaus (ed.), Bundesgesetz gegen den unlauteren Wettbewerb (UWG), Basler Kommentar, 2013, art. 8 N 143 et Jes ref. citees. D'un avis different: Nicolas Kuonen, Le controle des conditions generales: l'envol manque du phenix, SJ 2014 II, 1, 30. Pichonnaz (n. 26), 144. Kuonen (n. 26), 33; Pichonnaz (n. 26), 144.

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L'art. 8 LCD permet de retenir une nullite partielle au sens de !'art. 20 al. 2 C0.29 L'usage de conditions generales abusives n' entraine des !ors pas forcement la nullite de I' ensemble des conditions general es. Les clauses du contrat qui sont conformes aux regles de la bonne foi et de l'equite subsistent, a moins qu' il n'y ait lieu d'admettre que le contrat n' aurait pas ete conclu sans elles (art. 20 al. 2 C0).30

Autre est la question de savoir si le juge peut reduire une clause abusive a une mesure admissible au regard de !'art. 8 LCD. Comme le releve le Conseil federal, cette question est debattue en doctrine.31 Sans trancher la question sous !'angle de !'art. 8 LCD, le Tribunal federal a recemment affirme que lorsqu'une clause con­tractuelle est nulle parce qu'elle viole une norme protegeant la partie la plus faible du contrat et qu'elle se trouve dans des conditions generales preformulees qui derogent notablement a l'ordre legal, le juge ne saurait se contenter d'ajuster la clau~e aux exigences legales. 32 Avec la doctrine majoritaire, nous sommes d'avis que le but preventif de !'art. 8 LCD ne permet pas au juge de corriger la clause abusive, afin de la rendre juste compatible avec Jes exigences de I' art. 8 LCD. 33 Pour des raisons de protection effective du consommateur, ii convient de s'inspirer de la jurisprudence Banco Espanol dans !'application de !'art. 8 LCD. Partant, si une clause est consideree comme abusive au sens de !' art. 8 LCD, ii ya une lacune du contrat qui doit etre comblee selon Jes principes habituels en ma­tiere de comblement de lacune.34 A defaut d'indication dans le contrat sur la ma­niere de combler la lacune, le juge doit recourir au droit dispositif. 35 En I 'absence de droit dispositif, le juge doit completer le contrat rar une clause qu'il etablirait s'il avait a faire acte de legislateur (art. 1 al. 2 CC).3

II. L'affaire Banif Plus Bank (C-472111)- L'interpellation des parties

1. Lesfaits

Le 16 juin 2006, M. Csipai a conclu un contrat de credit avec la Banif Plus Bank, dont le terme etait fixe au 15 juin 2012. La clause n° 29 du contrat preredige par la Banif Plus Bank prevoyait que, si ce contrat etait resilie avant son terme, en raison d'un manquement de l'emprunteur ou pour tout autre motif decoulant d'un comportement imputable a ce demier, l'emprunteur devrait verser, en plus des

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Pichonnaz (n. 26), 144; Message du Conseil federal, FF 2009 5539, 5568; Thomas Koller, Art. 8 UWG: Eine Auslegeordnung unter besonderer Berticksichtigung von Banken-AGB, PJA 2014, 19, 34; Markus Hess/Lea Ruckstuh/, AGB-Kontrolle nach dem neuen Art. 8 UWG - eine kritische Auslegeordnung, PJA 2012, 1186, 121 1. Pichonnaz (n. 26), 144. Message du Conseil federal, FF 2009 5539, 5568. Arret du TF du 18.12.2008, 4A_404/2008, cons. 5.6.3.2.1, traduit in: Franz Werra, Le droit des contra ts - Jurisprudence federale choisie et annotee, 2012, 53 ss. Pichonnaz (n. 26), 144; Koller (n. 29), 35; Marie-Noelle Gobel, L'article 8 LCD et Jes · clauses insolites, ECS 2013, 539, 541 ; Thouvenin (n. 26), art. 8 N 146 et Jes ref. citees. Sur ces principes, cf. ATF 131 Ill 467, JdT 2006 I 43; A TF 138 III 29, cons. 2. Pichonnaz (n. 26), 144. Pichonnaz (n. 26), 144.

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interets moratoires et des frais, la totalite des echeances restant dues (clause d'acceleration). 37 Les echeances rendues exigibles comprenaient, outre le montant du principal, les interets du pret et la prime d'assurance.38 L'emprunteur Csipai a paye regulierement et pour la demiere fois en fevrier 2008 les echeances dues. La Banif Plus Bank a alors resilie le contrat et demande a l' emprunteur le paiement des sommes restant dues en application de la clause n° 29 de celui-ci. Une proce­dure a ensuite ete introduite contre l'emprunteur et son epouse (eli raison des regles du droit de la famille ). 39

La juridiction de premiere instance a informe les parties qu'elle considerait que la clause n° 29 etait abusive et a invite les parties a se determiner. Par la suite, elle a condamne l.'emprunteur a payer ce qui etait du, mais sans appliquer la clause abusive. 40

2. L 'arret du 21 fevrier 2013

Le litige porte d'abord sur une question de pr~cedure. L'art. 6 para. 1 et l'art. 7 para. 1 directive 93/13 s'opposent-ils ou, au contraire, permettent-ils que le juge national qui a constate d'office le caractere abusif d'une clause contractuelle en informe les parties et les invite a presenter une declaration a cet egard ? En droit hongrois, il existe en effet une regle imposant au juge d'interpeller les parties dans ce sens.

Partant du constat que le consommateur se trouve dans une situation d'inferiorite, la jurisprudence a retenu que l'art. 6 directive 93/13 est <<Une dispo­sition imperative qui tend a substituer a l'~quilibre formel que le contrat etablit entre les droits et les obligations des cocontractants un equilibre reel de nature a retablir l'egalite entre ces ·demiers ».41 Partant, la situation d'inegalite ne peut etre corrigee que par une intervention positive et done d' office du juge. 42

L'art. 6 para. 1 directive 93/B impose aux Etats membres de prevoir que « les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixees par leurs droits nationaux [ ... ) ». Cette disposition pose ainsi les consequences du caractere abusif d 'une clause contenue dans un contrat conclu avec un consommateur. En revanche, les modalites procedurales destinees a assurer la sauvegarde des droits

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41

42

Cf. pour une clause similaire nbp 138 CJUE, aff. C-482/13, ECLI:EU:C:2015:21 (Unicaja Banco SA). CJUE, aff. C-472/11, ECLI:EU:C:2013:88, cons. 12 (Banif Plus Bank Zrt contre Csaba Csipai et Vikt6ria Csipai). CJUE, aff. C-472/11, ECLI:EU:C:2013:88, cons. 13. (Banif Plus Bank Zrt contre Csaba Csipai et Vikt6ria Csipai). CJUE, aff. C-472/11, ECLI:EU:C:2013:88, cons. 15 (Banif Plus Bank Zrt contre Csaba Csipai et Vikt6ria Csipai). CJUE, aff. C-472/11 , ECLI:EU:C:2013:88, cons. 20 (Banif Plus Bank Zrt contre Csaba Csipai et Vikt6ria Csipai); eg. CJUE, aff. C-137/08, ECLI:EU:C:2010:659, cons. 47 (VB Penzilgyi Lizing); CJUE, aff. C-618/10, ECLI:EU:C:2012:10, cons. 40 (Banco Espanol de Credito). CJUE, aff. C-472/11, ECLI:EU:C:2013:88, cons. 22 (Banif Plus Bank Zrt contre Csaba Csipai et· Vikt6ria Csipai); CJCE, aff. C-137/08, ECLI:EU:C:2010:659, cons. 49 (VB Pe­nziigyi_ Lizing); CJUE, aff. C-618/10, ECLI:EU:C:2012:10, cons. 42 (Banco Espanol de Credito).

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Un reflet de la jurisprudence recente en droit prive europeen

que les justiciables tirent du droit de l 'Union relevent de l 'ordre juridique inteme des Etats membres en vertu du principe de l'autonomie procedurale de ces der­niers. « Cependant, ces modalites ne doivent pas etre moins favorables que celles regissant des situations similaires de nature inteme (principe d'equivalence) ni etre amenagees de maniere a rendre en pratique impossible OU excessivement dif­ficile l'exercice des droits conferes par l'ordre juridique de l'Union (principe d'effectivite). » 43

En vertu du principe d'effectivite, la Cour a juge que le juge national doit ti­rer toutes les consequences decoulant du caractere abusif de la clause pour que le consommateur ne soit pas lie; toutefois, le juge n'est pas tenu d'ecarter la clause abusive si apres en avoir avise le consommateur, celui-ci ne souhaite pas faire valoir la nullite de la clause abusive. 44

Ainsi, lorsque le juge releve un OU plusieurs elements d'office et entend les utiliser pour fonder sa decision, le principe du contradictoire45 comprend ainsi le droit des parties d'en prendre connaissance et de les discuter. En effet, les par­ties doivent pouvoir debattre contradictoirement tant des elements de fait que des elements de droit qui sont decisifs pour l' issue de la procedure. 46 La regle natio­nale qui impose au juge de donner la possibilite de faire une declaration sur l'eventuelle constatation du caractere abusif de la clause, relevee d'office, est ainsi parfaitement en ligne avec l'exigence ci..:dessus.47 Ce n'est d'ailleurs qu'en interpellant le consommateur que le juge peut savoir si celui-ci s'oppose ace que la clause so it ecartee. 48

Finalement, l'arret rappelle que le caractere abusif doit etre examine en tenant compte de l'ensemble du contrat, conformement a l'art. 4 para. 1 directive 93/13. «Le juge national doit, afin de porter une appreciation sur le caractere eventuellement abusif de la clause contractuelle qui sert de base a la demande dont il est saisi, tenir compte de toutes les autres clauses du contrat. » 49

3. Un bref commentaire

On ne peut que saluer cet arret qui rappelle a la fois le principe selon lequel le juge doit relever d'office le caractere abusif d'une clause,50 en tenant compte de

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CJUE, aff. C-472/11, ECLI:EU:C:2013:88, cons. 26 (Banif Plus Bank Zrt contre Csaba Csipai et Vikt6ria Csipai); eg. CJUE, aff. C-40/08, ECLI:EU:C:2009:615, cons. 38 (Astur­com Telecomunicaciones); CJUE, aff. C-618/10, ECLJ:EU:C:2012:10, cons. 46 (Banco Es­panol de Credito). CJUE, aff. C-472/11, ECLI:EU:C:2013:88, cons. 27 (Banif Plus Bank Zrt contre Csaba Csipai et Vikt6ria Csipai); eg. CJUE, aff. C-243/08, ECLI:EU:C:2009:350, cons. 33 (Pan­non GSM). Cf. not. CJUE, aff. C-89/08, ECLI:EU:C:2009:742, cons. 50 (Commission contre Irlande e.a.). CJUE, aff. C-89/08, ECLI:EU:C:2009:742, cons. 55 ss. (Commission contre Irlande e.a.). CJUE, aff. C-472/ll, ECLI:EU:C:2013:88, cons. 32 (Banif Plus Bank Zrt contre Csaba Csipai et Vikt6ria Csipai). CJUE, aff. C-472/11, ECLI:EU:C:2013:88, cons. 35 (Banif Plus Bank Zrt contre Csaba Csipai et Vikt6ria Csipai). CJUE," aff. C-472/11, ECLI:EU:C:2013:88, cons. 41 (Banif Plus Bank Zrt contre Csaba Csipai et Vikt6ria Csipai). CJCE, aff. C-137/08, ECLl:EU:C:2010:659, cons. 42, 43 et 49 (VB Penziigyi Lizing).

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l'ensemble du contrat, mais surtout qu'il ne saurait le faire sans respecter les regles procedurales du principe du contradictoire, qui en l'espece, permettent ega­lement au consommateur de s'opposer, le cas echeant, a la nullite de la clause.

Le nouvel art. 8 LCD est muet sur les questions procedurales evo~uees dans cet arret. Toutefois, comme ii s'inspire directement du droit europeen,5 on devra certainement retenir ici aussi les considerations de la Cour. En outre, le Code de procedure civile prevoit un devoir similaire du juge qui doit offrir aux parties la possibilite de se determiner lorsque l'argument juridique qu'il entend utiliser n'a pas ete presente par les parties OU du moins lorsqu'il est « imprevisible »52 (art. 53 CPC). A defaut, ii violerait le droit d'etre entendu. 53 Cette jurisprudence euro­peenne va done dans le meme sens que ce que prevoit le droit suisse. Elle pose en outre un principe clair: lorsque le caractere abusif d'une clause est releve d'office par le juge, 54 ii faut considerer qu'il s'agit d'une argumentation imprevi­sible qui justifie le devoir d 'interpeller les parties.

III. L'affaire RWE Vertrieb (C-92/11)- Le contr6le en cas de reprise du droit dispositif

1. Lesfaits

Entreprise d'approvisionnement de gaz, RWE a conclu avec des consommateurs des contrats de livraison de gaz naturel en vertu d'un regime soumis a la liberte contractuelle (contrats speciaux). Outre cette possibilite, RWE et les autres four­nisseurs de gaz doivent toutefois aussi contracter avec des consommateurs en ap­pliquant un tarif standard (contra ts tarifaires ). 55

Les conditions generales integrees dans les « contrats speciaux » contenaient des clauses relatives a la modification des prix du gaz qui faisaient reference aux dispositions de la reglementation nationale OU aux conditions standardisees. En d'autres termes, les contrats soumis a la liberte contractuelle faisaient reference a des regles dispositives, qui ne sont pas directement prevues pour ces contrats, mais uniquement pour les contrats tarifaires. 56

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Cf. le Message du Conseil federal concernant la modification de la Loi federale contre la concurrence deloyale du 2 septembre 2009 (Message LCD), FF 2009 I 5561: « L'art. 8, let. b, LCD s'inspire largement de l'art. 3 de la directive[ ... ]»; eg. Anne-Christine Fornage, La mise en reuvre des droits du consommateur contractant - Etude de droit suisse avec des in­cursions en droit de l'Union europeenne, 2011, n. 1008 et de maniere plus generale n. 733 ss.; Jorg Schmid, Die Inhaltskontrolle Allgemeiner Geschiiftsbedingungen: Oberlegungen zum neuen Art. 8 UWG, RJB 2012, 5 s. Hubert Stoekli, Der neue Art. 8 UWG - offene In­haltskontrolle, aber nicht fiir alle, BR/DC 2011, 186; Pascal Pichonnaz, Le nouvel art. 8 LCD - Droit transitoire, portee et consequences, BR/DC 2012, 140 s. ATF 13012004 III 35. Jacques Haldy, in: Bohnet/Haldy/Jeandin/Schweizer/Tappy (ed.), CPC, Code de procedure civile commente, 2011, Art. 57 N 3 et 7 (droit d'etre entendu). Sur )'obligation de relever d'office les clauses abusives au sens de l'art. 8 LCD, cf. supra note 28. CJUE, aff. C-92/11 , ECLI:EU:C:2013:180, cons. 17 (RWE Vertrieb contre Verbraucherzen­trale Nordrhein-Westfalen e.V.). CJUE, aff. C-92/11, ECLI:EU:C:2013:180, cons. 18 (RWE Vertrieb contre Verbraucherzen­trale Nordrhein-Westfalen e.V.}.

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La reglementation litigieuse permettait au foumisseur de faire varier unilatera­lement Ies prix du gaz sans indiquer le motif, les conditions ou l'ampleur d'une telle modification, tout en garantissant, cependant, que Ies clients seraient infor­mes de ladite modification et qu'ils seraient libres, le cas echeant, de denoncer le contrat. 57 Or, du 1 er janvier 2003 au 1 er octobre 2005, RWE a augmente !es prix du gaz a quatre reprises, sans que les clients n'aient eu la possibilite de changer de foumisseur de gaz.

La Verbraucherzentrale Nordrhein-Westfalen e. V., association de protection des consommateurs, invoque le caractere abusif de la clause mentionnee et re­clame a RWE, pour le compte des consommateurs, le remboursement des supple­ments payes par Ies consommateurs en raison des augmentations successives du prix. 58

En 1 ere et 2e instance, les juridictions ont fait droit aux requetes de !'association de protection des consommateurs; le Bundesgerichtshof allemand a depose un renvoi prejudiciel, considerant que la solution du litige dependait de !'interpretation du droit europeen.

2. L 'arret du 21 mars2013

La question principale consiste a determiner si l'art. 1 er para. 2 directive 93/13 doit etre interprete en ce sens que cette directive ne s'applique pas aux clauses de conditions generales (CG) qui reprennent one regle du droit national suppletive prevues en fait pour une autre categorie de gontrat. 59

Les clauses imperatives et !es clauses dispositives directement applicables au contrat et reprises dans !es conditions generales sont exclues du champ d'application de la directive (art. l er para. 2), parce que l'on pose la fiction que le legislateur national a etabli un equilibre entre !'ensemble des droits et des obliga­tions des parties a certains contrats. 6° Cet argument ne s'applique toutefois pas necessairement lorsque des regles, certes legales, sont reprises par des conditions generales dans un autre contexte, c'est-a-dire pour un contrat pour lequel elles n'etaient pas prevues.61

La Cour souligne a cet egard que si l'on excluait d'emblee ces regles disposi­tives de !'examen du seul fait qu'elles ont ete redigees par le legislateur (mais pour un autre type de contrat) « un professionnel pourrait facilement echapper au controle du caractere abusif des clauses n'ayant pas fait l'objet d'une negociation individuelle avec un consommateur en redigeant les clauses de ses contrats de la meme fai;:on que celles prevues par la reglementation nationale pour certaines categories de contrats ». «Or, !'ensemble des droits et des obligations crees par le

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CJUE, aff. C-92111, ECLI:EU:C:2013:180, cons. 18 (RWE Vertrieb contre Verbraucherzen­trale Nordrhein-Westfalen e.V.). CJUE, aff. C-92/11 , ECLl:EU:C:2013:180, cons. 19 s. (RWE Vertrieb contre Verbraucher­zentrale Nordrhein-Westfalen e.V.). CJUE, aff. C-92/11, ECLI:EU:C:2013:180, cons. 24 (RWE Vertrieb contre Verbraucherzen­trale Nordrhein-Westfalen e.V.). CJUE, aff. C-92/11, ECLI:EU:C:2013:180, cons. 28 (RWE Vertrieb contre Verbraucherzen­trale Nordrhein-Westfalen e.V.). CJUE, aff. C-92/11, ECLI:EU:C:2013:180, cons. 29 (RWE Vertrieb contre Verbraucherzen-trale Nordrhein-Westfalen e.V.). ·

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contrat ainsi redige ne correspondrait pas necessairement al 'equilibre que le Iegi­slateur national a voulu etablir pour les contrats regis par sa reglementation dans la matiere. » 62

Or, suivant l'Opinion de l'avocat general Trstenjak, 63 la Cour admet que le le­gislateur allemand a deliberement decide de ne pas appliquer aux contrats spe­ciaux le regime etabli par la reglementation nationale determinant le contenu des clauses des contrats de la foumiture du gaz. Partant, on ne saurait exclure ces dispositions suppletives, prevues par le legislateur uniquement pour les contrats tarifaires, de )'examen du caractere abusif.64

La seconde question est plus classique. Elle revient a examiner si une clause contractuelle standardisee, par laquelle l'entreprise d'approvisionnement se re­serve le droit de modifier unilateralement le prix de la fourniture du gaz, mais qui n'indique pas le motif, les conditions ou l'ampleur d'une telle modification, est conforme aux exigences posees par les art. 3 et 5 directive 93/13 et, en parti­culier avec l 'annexe point 1 let. j et point 2 let. b 2° al. directive 93/13, ainsi que l'art. 3 para. 3 directive 2003/5565, lorsqu' il est garanti que les consommateurs seront informes de la modification du prix avec un preavis raisonnable et que ces demiers disposeront alors du droit de resilier le contrat s'ils ne souhaitent pas accepter ces modifications.

La Cour rappelle d'abord que la directive 93/13 impose aux professionnels l'obligation de formuler les clauses d'une fas:on claire et comprehensible (art. 5). En outre, le vingtieme considerant de la directive 93/13 precise que le consomma­teur doit avoir effectivement l'opportunite de prendre connaissance de toutes les clauses du contrat. 66 L'information avant la conclusion d 'un contrat est ainsi d'une importance fondamentale pour le consommateur, puisque c'est sur cette base qu 'ii decide de s 'engager ou non. 67 En outre, pour les contra ts portant sur la foumiture de gaz, l'annexe A let. a, c et d directive 2003/55 dispose que !es Etats soot tenus d'adopter des mesures qui assurent que !es conditions contractuelles soient equitables et transparentes, qu'elles soient enoncees dans un langage clair et comprehensible, qu'elles soient communiquees aux consommateurs avant la conclusion du contrat et que ces demiers res:oivent des informations transparentes relatives aux prix et aux tarifs pratiques, ainsi qu'aux conditions generales appli­cables.68

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CJUE, aff. C-92/11, ECLI:EU:C:2013:180, cons. 31 (RWE Vertrieb contre Verbraucherzen­trale Nordrhein-Westfalen e.V.). Opinion de l'avocat general, Mme Verica Trstenjak, CJUE, aff. C-92/11, ECLI:EU:C: 2013: 180 (RWE Vertrieb contre Verbraucherzentrale Nordrhein-Westfalen e.V.). CJUE, aff. C-92/11, ECLI:EU:C:2013:180, cons. 37 (RWE Vertrieb contre Verbraucher­zentrale Nordrhein-Westfalen e.V.). Directive 2003/55/CE du Parlement europeen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant des regles communes pour le marche interieur du gaz nature( et abrogeant la directive 98/30/CE, JO 2003 L 176, 57. CJUE, aff. C-92/11, ECLI:EU:C:2013:180, cons. 43 (RWE Vertrieb contre Verbraucherzen­trale Nordrhein-Westfalen e.V.). CJUE, aff. C-92/11, ECLI:EU:C:2013 :180, cons. 44 (RWE Vertrieb contre Verbraucherzen­trale Nordrhein-Westfalen e.V .). CJUE, aff. C-92/11, ECLI:EU:C:2013:180, cons. 45 (RWE Vertrieb contre Verbraucherzen­trale Nordrhein-Westfalen e.V.).

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S'il existe un interet legitime a pouvoir modifier les frais de son service, en­core faut-il que cette adaptation unilaterale satisfasse aux conditions de la bonne foi, de l'equilibre et de la transparence posees par la directive 93/13.69 Dans l'arret Invite!,70 la Cour a deja souligne que !es art. 3 et 5 de la directive 93/13, ainsi que les points 1 let.jet let 2 let.bet d de l'annexe a la directive 93/13 reve­tent une importance essentielle a cette fin. Ce qui est central est ainsi de determi­ner si, d 'une part, le contrat expose de maniere transparente le motif et le mode de variation des frais lies au service a fournir, de sorte que le consommateur puisse prevoir, sur la base de criteres clairs et comprehensibles, les modifications even­tuelles de ces frais et, d'autre part, si les consommateurs disposent du droit de mettre fin au contrat pour le cas ou ces frais seraient effectivement modifies. 71

Or, la Cour souligne qu'il n'est pas suffisant de porter a la connaissance du consommateur le motif et le mode de variation de ces frais ainsi que son droit de resilier le contrat par un simple renvoi, opere dans des CG, a un texte legislatif ou reglementaire posant les droits et les obligations des parties. II est en effet essen­tiel que le consommateur soit informe par le professionnel du contenu des dispo­sitions en cause.72 L'absence d'information ace sujet avant la conclusion du con­trat ne peut, en principe, etre compensee par le fait que les consommateurs seront, en cours d'execution du contrat, informes de la modification des frais avec un preavis raisonnable et de leur droit de resilier le contrat s'ils ne souhaitent pas accepter cette modification. 73

Ce souci d'information strict permet de mettre en balance l'interet legitime du professionnel de se premunir contre un changement de circonstances et l'interet legitime du consommateur de connaltte, et done de pouvoir prevoir, les conse­quences qu'un tel changement pourrait, a l'avenir, entrainer a son egard et de dis­poser dans une telle hypothese des donnees lui permettant de reagir de la maniere la plus appropriee a sa nouvelle situation. 74

Enfin, le droit de resilier doit pouvoir etre effectivement exerce. Selon la Cour, tel ne serait pas le cas lorsque, pour des raisons liees aux modalites de la mise en reuvre du droit de resiliation ou aux conditions du marche conceme, le consommateur ne dispose pas d'une reelle possibilite de changer de fournisseur ou lorsqu'il n'a pas ete informe de maniere convenable et en temps utile de la modification a intervenir, le privant ainsi de la possibilite d'en verifier le mode de calcul et, le cas echeant, de changer de fournisseur. II faut notamment examiner si le marche en cause est concurrentiel, quel est le coiit eventuel, pour le consomma- . · teur, de resilier le contrat, le delai entre la communication et l 'entree en vigueur

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CJUE, aff. C-92/11, ECLI:EU:C:2013:180, cons. 47 (RWE Vertrieb contre Verbraucherzen­trale Nordrhein-Westfalen e.V.). CJUE, aff. C-472/10, ECLI:EU:C:2012:242, cons. 24, 26 et 28 (Invitel). CJUE, aff. C-92/ll, ECLI:EU:C:2013:180, cons. 49 (RWE Vertrieb contre Verbraucherzeri"'· ' trale Nordrhein-Westfalen e.V.). CJUE, aff. C-92/11, ECLI:EU:C:2013: 180, cons. 50 (RWE Vertrieb contre Verbraucherzen-, trale Nordrhein-Westfalen e.V.); CJUE, aff. C-472/10, ECLI:EU:C:2012:242, cons. 29 (In< vi tel). '' CJUE, aff. C-92/ll, ECLI:EU:C:2013:180, cons. 51 (RWE Vertrieb contre Verbraucherzen · trale Nordrhein-Westfalen e.V.). . CJUE, aff. C-92/11, ECLI:EU:C:2013:180, cons. 53 (RWE Vertrieb contre Verbraucherzeri trale Nordrhein-Westfalen e.V.).

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des nouveaux tarifs, les informations foumies au moment de cette communica­tion, ainsi que le cout a supporter et le temps necessaire pour changer de foumis­seur. 75

Dans le cas d'espece, la Cour n'avait pas le pouvoir de proceder elle-meme a !'appreciation concrete, puisque cette appreciation est de la competence du Tri­bunal national. En revanche, la Cour a encore precise la portee temporelle du caractere abusif de la clause, considerant qu'il n'y avait pas a limiter (retroac­tivement) la portee temporelle d'une decision retenant, eventuellement, le carac­tere abusif de la clause consideree. 76 La Cour a affirme cela bien qu' elle soit consciente des consequences graves que la decision pourrait avoir pour de tres nombreux contrats. 77 Le Gouvemement allemand avait demande de limiter la por­tee de l'arret «de sorte que !'interpretation retenue dans cet arret ne s'applique pas aux modifications tarifaires survenues avant la date du prononce dudit arret »; RWE avait meme requis que « les effets de l'arret devraient etre reportes de 20 mois afin de permettre aux entreprises concemees ainsi qu'au legislateur na­tional de s'adapter aux consequences dudit arret ». 78

La Cour rappelle que ce n'est qu'a titre tout a fait exceptionnel, en raison du principe gen6ral de securite juridique, qu'elle peut etre amenee a limiter la possi­bilite pour tout interesse d'invoquer une disposition qu'elle a interpretee en vue de mettre en cause des relations juridiques etablies de bonne foi. Pour cela, il faut que deux conditions soient remplies: la bonne foi des milieux interesses et le risque de troubles graves,79 criteres qui n'etaient pas remplis selon la Cour.

3. Un bref commentaire

Cet arret est d'une grande importance pour le droit suisse. En effet, ii donne des cles d' interpretation tres utiles aux juges appeles a appliquer I' art. 8 LCD. Les clauses de modification unilaterale sont nombreuses et assez systematiques dans Jes conditions generales. Or, la Cour souligne !'importance d'une information claire, anterieure a la conclusion du contrat et dont les consequences sont previ­sibles sur la base du contrat. Bien souvent toutefois, tel n'est pas le cas dans la pratique, la clause etant toute generale et sans precision aucune.

De meme, le droit de resiliation qui doit necessairement etre prevu doit etre ef­fectif et ne depend pas de la gravite de la modification selon la Cour. La aussi, les conditions generales en droit suisse sont souvent tres differentes des exigences europeennes.

Entin, l'application temporelle de la jurisprudence par la Cour souligne qu'elle entend donner a ses arrets un effet retroactif, meme pour Jes modifications

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CJUE, aff. C-92/11 , ECLI:EU:C:2013:180, cons. 54 (RWE Vertrieb contre Verbraucherzen­trale Nordrhein-Westfalen e.V.). CJUE, aff. C-92/11, ECLI:EU:C:2013:180, cons. 64 (RWE Vertrieb contre Verbraucherzen­trale Nordrhein-Westfalen e.V.). CJUE, aff. C-92/11, ECLI:EU :C:2013: 180, cons. 57 (RWE Vertrieb contre Verbraucherzen­trale Nordrhein-Westfalen e.V.). CJUE, aff. C-92/11, ECLI:EU:C:2013:180, cons. 56 (RWE Vertrieb contre Verbraucherzen­trale Nordrhein-Westfalen e.V.). CJUE, aff. C-92/11, ECLI:EU:C:2013:180, cons. 24 (RWE Vertrieb contre Verbraucherzen­trale Nordrhein-Westfalen e.V.).

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deja en trees en force. Dans son A TF 140 III 404, le Tribunal federal a en tout cas exclu que tel soit le cas pour des clauses (potentiellement abusives) qui ont deja produit leur effet avant l'entree en vigueur de l'art. 8 LCD. A lire la jurisprudence europeenne, ii devrait toutefois en aller differemment pour Ies clauses qui produi­sent leur effet apres l'entree en vigueur de !'art. 8 LCD, quand bien meme le con­trat aurait ete conclu avant. 80

IV. L'affaire Asbeek Brusse (C-488/11)- Une norme d'ordre public

1. Lesfaits

En 2007, la societe Jahani a loue a M. Asbeek Brusse et a Mme de Man Garabito (ci-apres: Jes locataires) un local destine a !'habitation a Alkmaar aux Pays-Bas. Le contrat de bail signe par Jes parties integrait des conditions generales edictees par une association professionnelle dans le secteur immobilier. Les conditions generales prevoyaient d'une part un interet de 1 % par mois en cas de defaut de paiement du loyer et d'autre part une penalite de 25 euros par jour en cas d'inexecution ou de violation contractuelle.

En application de cette clause, le loyer a ete porte de 875 a 894,25 euros par mois des le 1 er juillet 2008. Les locataires ne se sont toutefois pas acquittes de cette somme et se sont contentes de verser la somme de 190 euros pour le mois de fevrier 2009, apres quoi ils ont arrete tout paiement.

En juillet 2009, Jahani a assigne Jes locataires en justice et conclu a la resilia­tion du contrat de bail et a la condamnation au paiement de pres de l 4'000 euros. Cette somme couvre notamment Jes loyers impayes, Jes interets contractuels ainsi que ·des penalites et des frais extrajudiciaires.

Le Rechtbank Alkmaar a donne gain de cause a Jahani. Les locataires ont fait appel au Gerechtshof te Amsterdam, qui a alors adresse une demande prejudi­cielle a la CJUE.

2. L 'arret du 30 mai 2013

La premiere question posee a la Cour est celle de savoir si la directive 93113/CEE est applicable a un contrat de bail a habitation conclu entre un bailleur profes­sionnel et un locataire agissant a des fins privees. 81 La deuxieme question porte sur le point de savoir s'il faut considerer !'art. 6 de la directive comme une norme d'ordre public, de sorte que le juge national d'appel doit aller au-dela des conclu­sions des parties en appliquant cette disposition d' office. A vec la troisieme ques­tion, Ia juridiction neerlandaise demande si le juge national peut adapter la clause consideree comme abusive lorsque telle est aussi la volonte du consommateur.

En reponse a la premiere question, la Cour estime que Ia volonte du legislateur n'etait pas de limiter le champ d'application de la directive aux seuls contrats

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Pour des reflexions a cet egard, cf. notre article et les references: Pascal Pichonnaz, Quelques nouveautes liees aux contrats de consommation, in: Pichonnaz/Werro (ed.), La pratique contractuelle 4, 2015, 55 . CJUE, aff. C-488111, ECLI :EU:C:2013:341, cons. 23 (Asbeek Brusse).

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conclus entre un vendeur et un consommateur. 82 Seton la Cour, la directive est en effet basee sur la qualite des contractants - professionnel et consommateur - 83 et vise a proteger la partie foible. 84 En matiere de bail a toyer, les enjeux financiers et la complexite juridique de la matiere rendent essentielle la protection du loca­taire. 85 La Cour retient que, sous reserve des dispositions imperatives de droit national (art. l par. 2 directive 93/13), la directive est applicable aux contrats de bail d'habitation conclus entre un bailleur qui agit en tant que professionnel et un locataire qui n' agit pas en tant que tel. 86

En reponse a la deuxieme question, la Cour rappelle le principe developpe dans l'affaire Banco Espanol selon lequel l'art. 6 de la directive constitue une norme imperative et applicable d' office. 87 La Cour va plus loin en considerant que cette disposition occupe le meme rang que les regles nationales d'ordre pu­blic. 88 II en decoule que lorsque les regles de procedure intemes permettent au juge d'examiner d'office la validite d'un acte juridique qu'au regard des regles nationales d'ordre public, il doit egalement exercer cette competence aux fins d'apprecier d'office le caractere eventuellement abusif d'une clause contractuelle entrant dans le champ d'application de la directive. 89

La troisieme question conduit la Cour a etendre sa jurisprudence Banco Espa­nol, en refusant au juge le droit d'adapter la clause litigieuse, et ce, meme si telle est la volonte du consommateur.

3. Un commentaire

Dans cette affaire, la Cour retient d'abord que le contrat de bail d'habitation con­clu entre un bailleur professionnel et un locataire non professionnel tombe sous le coup de la directive sur les clauses abusives. Ce constat n'est pas surprenant et il ne peut etre qu'approuve.

Par ailleurs, la Cour developpe sa jurisprudence Banco Espanol de deux ma­nieres. En premier lieu, elle retient qu'il faut considerer la loi nationale qui trans­pose l'art. 6 de la directive comme une regle d'ordre public. Elle confirme ainsi la jurisprudence Asturcom, dans laquelle la Cour avait considere que l'art. 6 etait « une norme equivalente aux regles nationales qui occupent, au sein de l' ordre juridique interne, le rang de normes d'ordre public ». 9° C'est notamment sur cette base que certains auteurs suisses ont considere qu'il convenait de retenir !'application retroactive du nouvel art. 8 LCD a tous les contrats en cours en ver­tu de l'art. 2 Tf CC.91 Au demeurant, jugeant de la validite d'une clause de re-

CJUE, aff. C-488/11, ECLI:EU:C:2013:341, cons. 28 (Asbeek Brusse). CJUE, aff. C-488/11, ECLI:EU:C:2013:341, cons. 30 (Asbeek Brusse). CJUE, aff. C-488/11, ECLI:EU:C:2013:341, cons. 31 (Asbeek Brusse). CJUE, aff. C-488/11, ECLI:EU:C:2013:341, cons. 32 (Asbeek Brusse). CJUE, aff. C-488/11, ECLI:EU:C:2013:341, cons. 34 (Asbeek Brusse). CJUE, aff. C-488/11, ECLl:EU:C:2013:341, cons. 38 s. (Asbeek Brusse). CJUE, aff. C-488/11, ECLI:EU:C:2013:341, cons. 44 (Asbeek Brusse). CJUE, aff. C-488/11, ECLl:EU:C:2013:341, cons. 45 (Asbeek Brusse). CJCE, aff. C-40/08, ECLI:EU:C:2009:615, cons. 52 (Asturcom Telecomunicaciones). Cf. Pichonnaz (n. 26), 143; Pichonnaz (n. 80), 55 ss.; David Ruetschi, Zur Anwendung von Artikel 8 UWG auf altrechtliche Vertriige. Ein kasuistischer Losungsansatz, recht 2013, 101, 104 ss.; Kuonen (n. 26), 34; contra Gregor Buhler/Richard Stauber, Die AGB-Kontrolle

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nouvellement automatique inseree dans des conditions general es d 'un contrat de fitness conclu avant I' entree en vigueur de la nouvelle loi, le Tribunal federal a affirme qu'un contrat conclu ou renouvele avant l'entree en vigueur du nouvel art. 8 LCD devait etre soumis a l'ancien droit. 92 II a toutefois laisse indecise la question de savoir si un contrat conclu avant l'entree en vigueur de !'art. 8 LCD, mais dont le renouvellement automatique est intervenu apres celle-ci, devait etre soumis au nouveau droit. A l'instar d'une partie de la doctrine qui s'est exprimee ace sujet et dans le prolongement de l'affaire ici commentee, le Tribunal federal devrait bel et bien juger dans ce sens.

En second lieu, la Cour retient que le juge n'est pas autorise a adapter une clause abusive et ce, alors meme que telle est la volonte du consommateur. En cela, la Cour de justice retient la nullite absolue de la clause abusive. Une telle question n'a pas encore ete tranchee en droit suisse. Une partie de la doctrine suisse considere qu'une correction de la clause doit etre possible dans l'hypothese ou c'est le consommateur qui le souhaite, dans le but d'eviter !'application des re$les de droit dispositif, et que le professionnel l'accepte. 93 A notre sens, ii con­vient de rejeter cette opinion. Dans un souci de protection effective du consom­mateur et afin d'assurer la conformite du droit suisse au droit europeen en cette matiere, ii convient de reprendre la jurisprudence Asbeek en relation avec !'art. 8 LCD et de retenir que le juge suisse n'est pas autorise a corriger le contrat et ce, independamment de la question de savoir si le consommateur accepte une telle correction.

V. L'affaire Constructora Principado (C-226/12)- La portee du « desequilibre significatif »

1. Lesfaits

Le litige est simple. M. Menendez Alvarez a conclu avec Constructora Principado un contrat portant sur la vente d'un logement. Or, la clause 13 de ce contrat etait libellee comme suit: « L'acheteur est redevable de l'impot municipal sur !'augmentation de la valeur des biens de nature urbaine, cela ayant ete pris en compte pour l'etablissement du prix des immeubles faisant l'objet du contrat.

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gemass dem revidierten Art. 8 UWG - Anmerkungen zum intertemporalen Recht, recht 2012, 86, 89 s.; Laurent Bieri, Le controle judiciaire des conditions generales: Reflexions sur le nouvel article 8 LCD, in: Bohnet (ed.), Le nouveau droit des conditions generales et pratiques commerciales deloyales, 2012, 47, 60; Blaise Carron, La protection du consom­mateur lors de la formation du contra!, in: Carron/Muller (ed.), Droits de Ia consommation et de la distribution: Jes nouveaux defis, 2012, 95, N 151 s.; Hess/Ruckstuhl (n. 29), 1211; Markus Vischer, Freizeichnungsklauseln in Grundsttickkaufvertragen - Gegenstand einer ABG-Kontrolle oder der Selbstverantwortung, RSJ 2012, 177, 181 s.; Ansgar Schott, Miss­brauchliche allgemeine Geschaftsbedingungen - zur Inhaltskontrolle, ECS 2012, 78, 80. Arret du TF du 15 juillet 2014, 4A_ 475/2013, cons. 4.4. Koller (n. 29), 35; Ahmet Kurt/Demian Stauber, Die UWG-Revision vom 17.06.2011 im Uberblick, Jusletter du 20.02.2012, N 131. Cf. aussi Sylvain Marchand, Art. 8 LCD: un Jee ger mieux sur le front des intemperies, REAS 2011, 328 ss., qui retient que )'adaptation . d'une clause abusive est une mesure souvent plus favorable au consommateur que la nullite :· pure et simple. ,•

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L'acheteur est egalement redevable des frais d'abonnements individuels pour les di verses consommations tell es que I' eau, le gaz, I' electricite, les egouts, etc., meme lorsqu'ils ont ete avances par le vendeur. »94 Dans un premier temps, M. Menendez Alvarez a acquitte une somme totale de 1'223.87 euros, dont I '000 euros au titre de l'impot sur la plus-value (impot sur !'augmentation de la valeur des biens de nature urbaine) et 223.87 euros au titre du rattachement du logement au reseau d'eau et d'egouts.95

Par la suite, M. Menendez Alvarez a introduit une action tendant a obtenir rem­boursement de ces montants, considerant que la clause 13 etait abusive, des lors qu' elle entra1nait un desequilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. 96 Or, Constructora Principado a fait valoir que la clause, outre qu'elle avait ete negociee (ce qui etait conteste), n'entra1nait pas de desequilibre significatif vu le montant reduit des sommes reclamees par rapport au prix total paye pour !'acquisition des logements.

Constatant que Constructora Principado n'avait pas apporte la preuve de la negociation de la clause, le juge de 1 ere instance a considere que la clause portait atteinte aux· interets du consommateur en lui imposant des charges qui ne lui in­combaient pas. 97 Sur recours, la Cour provinciale de Oviedo a soumis une ques­tion prejudicielle a la cruE.

2. L 'arret du 16 janvier 2014

La Cour n'a pas expressement retenu si la clause 13 etait ou non abusive, puisqu'en vertu du droit europeen, elle doit se limiter a foumir a la juridiction de renvoi des indications pour que cette demiere puisse apprecier in concreto le ca­ractere abusif de la clause concemee. 98 Elle a toutefois rappele que pour savoir si « une clause cree, au detriment du consommateur, un 'desequilibre significatif entre les droits et obligations des parties decoulant d'un contrat, ii convient de tenir compte notamment des regles ~ dispositives] applicables en droit national en !'absence d'un accord des parties». 9 C'est par cette analyse que le juge peut ap­precier si et, le cas echeant, dans quelle mesure le contrat place le consommateur dans une situation juridique moins favorable par rapport a celle prevue par le droit national en vigueur. 100 Partant, le desequilibre ne peut pas etre apprecie

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CJUE, aff. C-226/12, ECLI:EU:C:2014: 10, cons. 9 (Constructora Principado SA contre Jose Ignacio Menendez Alvarez). CJUE, aff. C-226/12, ECLI:EU:C:2014: 10, cons. 10 (Constructora Principado SA contre Jose Ignacio Menendez Alvarez). CJUE, aff. C-226/12, ECLI:EU:C:2014: 10, cons. 11 (Constructora Principado SA contre Jose Ignacio Menendez Alvarez). CJUE, aff. C-226/12, ECLI:EU:C:2014:10, cons. 13 (Constructora Principado SA contre Jose Ignacio Menendez Alvarez). CJUE, aff. C-226/12, ECLI:EU:C:2014: 10, cons. 20 (Constructora Principado SA contre Jose Ignacio Menendez Alvarez); eg. CJUE, aff. C-415/11, ECLI:EU:C:213:164, cons. 66 et Jes references citees (Aziz). CJUE, aff. C-226/12, ECLI:EU:C:2014:10, cons. 20 (Constructora Principado SA contre Jose Ignacio Menendez Alvarez).

10° CJUE, aff. C-226/12, ECLI:EU:C:2014:10, cons. 21 (Constructora Principado SA contre Jose Ignacio Menendez Alvarez); eg. CJUE, aff. C-415/11, ECLI:EU:C:213:164, cons. 68 (Aziz).

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que SOUS UD angle CCODOmique OU quantitatif; c'est bien plus la question de savoir s'il ya une « atteinte suffisamment grave a la situation juridique dans la­quelle le consommateur, en tant que partie au contrat en cause, est place en vertu des dispositions nationales applicables, que ce soit sous la forme d'une restriction au contenu des droits que, selon ces dispositions, il tire de ce contrat ou d 'une entrave a l'exercice de ceux-ci ou encore de la mise a sa charge d'une obligation supplementaire, non prevue par les regles nationales ». 101

Ainsi, la nature des biens ou des services objet du contrat, les circonstances entourant la conclusion du contrat, de meme que les autres clauses contractuelles, jouent un role central. 102 Cela suppose egalement d'apprecier les consequences de la clause dans le contexte du droit applicable, qu'il faut des lors prendre en compte dans la reflexion. 103

Dans l'analyse concrete, la Cour constate que l'obligation a charge du con­sommateur de payer l'impot sur la plus-value a pour effet de transferer au con­sommateur une dette fiscale qui, selon la legislation nationale applicable, in­combe au professionnel, en sa qualite de vendeur et en tant que beneficiaire de l'avantage economique soumis a taxation. Des lors, si le professionnel tire profit d'une augmentation de la valeur du bien qu'il vend, c'est le consommateur qui doit verser « non seulement un prix de vente incorporant la £lus-value acquise par ce bien, mais encore une taxe assise sur cette plus-value ». 1 4 En outre, le montant de la taxe n'est pas connu a la date de la conclusion du contrat, mais n'est etabli que posterieurement par l'autorite competente, ce qui implique une incertitude du consommateur sur l 'etendue de l' engagement contracte et violerait son droit a etre informe au prealable, conformement a la jurisprudence RWE Vertrieb. 105

Ainsi, lorsque l' obligation supplemel!taire mise a charge . du consommateur cons­titue, au regard des juges espagnols, une « atteinte suffisamment grave a la situa­tion juridique dans laquelle le consommateur, en tant que partie au contrat en cause, est place en vertu des dispositions nationales applicables », l'absence d'information claire et precise devrait alors conduire a une violation de l'art. 5 directive 93/13.

S'agissant du paiement de sommes correspondant aux frais d'abonnements individuels pour les diverses consommations telles que l'eau, le gaz, l'electricite~. et les egouts, la Cour demande a la juridiction de renvoi de « verifier si celles-ct incluent les frais de rattachement a des installations generates indispensables pour ' assurer le caractere habitable d'un logement, frais dont la charge incomberait;,, selon les regles nationales applicables~ au vendeur au titre de son obligation con-··

JOI CJUE; aff. C-226/12, ECLI:EU:C:2014:10, cons. 23 (Constructora Principado SA contr Jose Ignacio Menendez Alvarez).

wi CJUE, aff. C-226/12, ECLI:EU:C:2014:10, cons. 23 (Constructora Principado SA contr, Jose Ignacio Menendez Alvarez); CJUE, aff. C-472/ll, ECLI:EU:C:2013:88, cons. 40 ( . nif Plus Bank Zrt contre Csaba Csipai et Vikt6ria Csipai).

103 CJUE, aff. C-415/11, ECLI:EU:C:213:164, cons. 71 (Aziz). 104 CJUE, aff. C-226/12, ECLI:EU:C:2014:10, cons. 26 (Constructora Principado SA con .

Jose Ignacio Menendez Alvarez). · 105 CJUE, aff. C-472/11, ECLI:EU:C:2013:88, cons. 40 (Banif Plus Bank Zrt contre Csa

Csipai et Vikt6ria Csipai); CJUE, aff. C-92/11, ECLI:EU:C:2013:180, cons. 44 (RWEV trieb contre Verbraucherzentrale Nordrhein-Westfalen e.V.); eg. CJUE, aff. C-226/. ECLI:EU:C:2014:10, cons. 25 (Constructora Principado SA contre Jose Ignacio Menen Alvarez).

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tractuelle de livrer Un logement Conforme a Sa destination, a savoir en etat d'habitation ». 106 Les juges devraient alors apprecier si la clause contractuelle qui restreindrait les droits du consommateur et mettrait a sa charge une obligation supplementaire non prevue par les regles nationales constituerait une atteinte suf­fisamment grave a la situation juridique que le droit national confere au consom­mateur. 107

3. Un bref commentaire

Cet arret de la CJUE est tres interessant, puisqu'il decortique les divers elements utiles a une appreciation de la notion de « desequilibre significatif » au sens de la directive 93/13. L'arret integre egalement l'impact du devoir d'information prealable108 et de la compensation contractuelle necessaire pour faire disparaitre le desequilibre significatif.

Cet arret presente en outre des similitudes avec une jurisprudence specifique du Tribunal federal en lien avec !'art. 257a al. 2 CO, par laquelle on considere qu'une c;lause contenue dans les conditions generales n'etait pas suffisante pour mettre a charge du locataire des frais accessoires qui n' etaient pas expressement prevus par le contrat. 109 Ainsi, le Tribunal federal a retenu ceci dans un arret de 2010: «Le renvoi a une annexe standardisee du contrat, comme les "dispositions generales pour baux d'habitation", ne suffit pas pour admettre que les parties ont passe une convention speciale sur le paiement des frais accessoires. En effet, on ne peut exiger du locataire qu'il se fasse une idee des frais accessoires qu'il aura a payer par une consultation attentive des conditions annexees au contrat. II a bien plutot droit a ne se voir facturer que les frais, accessoires clairement et precise­ment decrits dans le contrat. » 110 On voit ici un etonnant parallelisme avec la ju­risprudence europeenne, ii est vrai soutenu par une disposition legale expresse.

Partant, la convergence de la jurisprudence europeenne et celle du Tribunal fe­deral doit permettre de retenir que I' art. 8 LCD impose de retenir le meme resul­tat que celui auquel aboutit la CJUE dans d'autres contrats que le contrat de bail. On ne peut manifestement pas ignorer la presente jurisprudence de la CJUE, alors que l'art. 8 LCD a ete voulu comme une clause qui s'inspire directement de la directive 93/13 .

En outre, en matiere de vente de PPE ou d'autres biens immobiliers, la forme authentique suppose un devoir d'information du notaire. Cette jurisprudence permet de souligner que le notaire ne peut se homer a rendre attentif I' acheteur au fait que le paiement de la plus-value et/ou de frais accessoires (raccordement) est

106 CJUE, aff. C-226/12, ECLI:EU:C:2014:10, cons. 27 (Constructora Principado SA contre Jose Ignacio Menendez Alvarez).

107 CJUE, aff. C-226/12, ECLI:EU:C:2014:10, cons. 28 (Constructora Principado SA contre Jose Ignacio Menendez Alvarez).

108 CJUE, aff. C-92/11, ECLI:EU:C:2013:180, cons. 44 (RWE Vertrieb contre Verbraucherzen­trale Nordrhein-Westfalen e.V.).

109 ATF 12111995 III 460 cons. 2a/aa. 110 ATF 13512009 III 591, SJ 2010 I 43, cons. 4.3; eg. arret du TF du 8 avril 2005,

4P.309/2004, cons. 3.2.1 , qui renvoie a arret du TF 4C. 24/2002 du 29 avril 2002, cons. 2.4.2 (Mietrechtspraxis [mp] 2002, 163 ss; Mietrecht Aktuell [MRA] 2002, 108 ss.; Cahiers du bail [CdB] 2002, 144 ss; Droit du bail [DB] 2003 n° 3, 7 s.).

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mis a sa charge en derogation au regime general. En effet, afin de respecter son devoir d'information, le notaire doit en outre s'assurer que l'acquereur connait les montants consideres et qu'il a obtenu une contrepartie (en particulier dans le prix de vente) qui justifie cette modification du regime legal. Sinon, pour autant que cette prise en charge ne decoule pas d'une negociation effective avec l'autre par­tie, une telle clause generate serait abusive au sens de l'art. 8 LCD. 111 La conse­quence en serait des lors la nullite de la clause, voire une responsabilite du notaire qui aurait manque a un devoir d'information suffisant.

VI. L'affaire Sebestyen (C-342/13)- Le rappel du caractere abusif en matiere de clause arbitrale

1. Lesfaits

Le 15 octobre 2008, Mme Sebestyen, domiciliee en Hongrie, a conclu avec Raiffei­sen Bank Zrt un contrat de pret hypothecaire ainsi qu'une convention d'hypo­theque. Par une clause de conditions generales, les parties ont copvenu qu' en cas de survenance d'un litige portant sur ce contrat, seul serait competent un college de trois arbitres du tribunal arbitral permanent des marches financiers et des capi­tam(. 1.12

Avant la signature du contrat de pret hypothecaire et de la convention d'hypotheque, la banque a foumi diverses informations a Mme Sebestyen portant sur les specificites des regles de procedure arbitrate par rapport a la procedure ordinaire, sur l'absence de recours et sur le fait que !es depens sont generalement plus eleves. 113 Toutefois, Mme Sebestyen a demande de faire constater la nullite des clauses arbitrates par l'instance competente.

2. L 'Ordonnance du 3 avril 2014

A la demande de l 'A vocat general M. Mengozzi, la Cour a statue par ordonnance; conformement a l'art. 99 du Reglement de la Cour, considerant que la reponse K la question posee a titre prejudiciel (a savoir l'examen du caractere abusif de l~;, clause arbitrale) peut etre clairement deduite de la jurisprudence OU qu'elle ne'. laisse place a aucun doute raisonnable. .

L' ordonnance reprend ainsi les divers elements necessaires a l' appreciation l caractere abusif d'une clause:

111 Sur !'application de !'art. 8 LCD aux contrats en la forme authentique, cf. not. Jorg Schm "' Grundpfandrechte und der neue Art. 8 UWG, in: Eriunenegger (ed.), Immobilienfinanz· rung, 2012, 92 (,,Die Form des Vertrages spielt keine Rolle {. . .]. Aber auch ein 6.ffent/i beurkundeter Vertrag (etwa ein Gundpfandvertrag), der vorformulierte Klauseln enthil untersteht Art. 8 UWG"); eg. Denis Piotet, Legitimation, titre causal et rapports avec creance de base: quels degres d, abstraction pour le transfert de la cedule hypothecaire? ,»i Ruino-Jungo/Pichonnaz/Hiirlimann-Kaup/Fountoulakis (ed.), Une empreinte sur le Code' :· vii, Melanges P.-H. Steinauer, 2013, 545, en part. 553: « l'officier public doit non seule . s'arreter aux limites de !'art. 27 al. 2 CC, comme deja releve, mais encore tenir compt !'art. 8 LCD.». "·

112 CJUE, aff. C-342/13, ECLI:EU:C:2014:1857,-cons. 15 (Sebestyen). 113 CJUE, aff. C-342/13, ECLI:EU:C:2014:1857, cons. 16 (Sebestyen).

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II doit s'agir d'abord d'un contrat passe entre un professionnel et un consom­mateur, pour lequel la clause consideree n'a pas fait l'objet d'une negociation individuelle.114 Or, une clause est toujours consideree comme n'ayant pas fait l'objet d'une negociation individuelle lorsqu'elle a ete redigee prealablement et que le consommateur n'a, de ce fait, pas pu avoir d'influence sur son contenu, notamment dans le cadre d'un contrat d'adhesion (art. 3 al. 2 directive 93/13) 115

.

La Cour rappelle que dans l'arret Aziz, elle a juge que pour determiner le ca­ractere abusif d 'une clause, il faut notamment tenir compte des regles applicables en droit national en l'absence d'un accord des parties en ce sens (droit disposi­tif).116 « C'est au moyen d'une telle analyse comparative que le juge national pourra evaluer si et, le cas echeant, dans quelle mesure le contrat place le con­sommateur dans une situation juridique moins favorable par rapport a celle pre­vue par le droit national en vigueur. » 117 De meme, il apparait pertinent, a ces fins, de proceder a un examen de la situation juridique dans laquelle se trouve ce consommateur au vu des moyens dont il dispose, selon la reglementation natio­nale, pour faire cesser I 'utilisation de clauses abusives. 118

Pour savoir dans quelles circonstances un tel desequilibre est cree « en depit de l' exige~ce de bonne foi », il linporte selon la Cour que le juge national verifie si « le professionnel, en traitant de fayon loyale et equitable avec le consommateur, pouvait raisonnablement s'attendre a ce que ce dernier accepte une telle clause a la suite d'une negociation individuelle »119 (eg. 16e considerant directive 93/13).

En outre, le caractere abusif d'une clause contractuelle doit s'apprecier en te­nant compte de la nature des biens ou des services qui font l'objet du contrat et en se rfferant, au moment de la conclusion du contrat, a toutes les circonstances qui entourent sa conclusion. 120 II faut des lors aussi apprecier « les consequences que la clause peut avoir dans le cadre du droit aRplicable au contrat, ce qui implique un examen du systeme juridique national ». 1 1

Or, le point 1 let. 1 de !'annexe a la directive 93/13 contient precisement la mention des clauses ayant pour objet ou pour effet de supprimer ou d'entraver l'exercice d'actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, no­tamment en obligeant celui-ci a saisir exclusivement une juridiction d'arbitrage non couverte par des dispositions legales. Or, cette liste indicative et non exhaus-

114 CJUE, aff. C-342/13, ECLl:EU:C:2014:1857, cons. 23 (Sebestyen); CJUE, aff. C-226/12, ECLI:EU:C:2014:10, cons. 18 (Constructora Principado SA contre Jose Ignacio Menendez Alvarez).

115 CJUE, aff. C-342/13, ECLI:EU:C:2014:1857, cons. 23 (Sebestyen); eg. Ordonnance du 16 octobre 2010, aff. C-76/10, ECLI:EU:C:2010:685, cons. 57 (Pohotovost).

116 CJUE, aff. C-415/11, ECLI:EU:C:213:164, cons. 68 (Aziz). 117 CJUE, aff. C-342/13, ECLI:EU:C:2014:1857, cons. 27 (Sebestyen). 118 CJUE, aff. C-415/11, ECLI:EU:C:213:164, cons. 68 (Aziz). 119 CJUE, aff. C-342/13, ECLI:EU:C:2014:1857, cons. 28 (Sebestyen); CJUE, aff. C-415111,

ECLI:EU:C:213:164, cons. 69 (Aziz). 12° CJUE, aff. C-342/13, ECLI:EU:C:2014:1857, cons. 29 (Sebestyen); CJUE, aff. C-537/13,

ECLI:EU:C:2015:14, cons. 15 (Birute Siba contre Ariinas Devenas); CJCE, aff. C-243/08, cons. 39 (Pannon GSM) (note 44); CJUE, aff. C-137/08, ECLI:EU:C:2010:659, cons. 42 (VB Penziigyi Lizing).

121 CJUE, aff. C-237/02, ECLI:EU:C:2004:209, cons. 21 (Freiburger Kommunalbauten), et Ordonnance du 16 octobre 2010, aff. C-76/10, ECLI:EU:C:2010:685, cons. 59 (Pohotovost).

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Un reflet de la jurisprudence recente en droit prive europeen

tive de clauses potentiellement abusives 122 peut constituer un element essentiel sur le~uel le juge peut fonder son appreciation du ca'ractere abusif de cette clause. 23

En outre, la Cour rappelle sa jurisprudence Constructora Principado relative a l'obligation d'information avant la conclusion d'un contrat des derogations au regime legal. Elle constate egalement que pour le consommateur cette informa­tion est d'une importance fondamentale, puisque c'est, notamment, sur la base de cette information que ce demier decide s'il souhaite se lier par les conditions pre­alablement redigees par le professionnel. 124 La Cour souligne toutefois que meme en admettant que le consommateur a re9u avant la conclusion du contrat, des in­formations generales qui satisferaient aux exigences de clarte et de transparence decoulant de l'art. 5 de la directive 93/13, cela ne permettrait pas encore d'exclure le caractere abusif de la clause consideree. 125

Si la juridiction nationale aboutit a la conclusion que la clause compromissoire est abusive, elle devra tirer toutes les consequences qui en decoulent selon le droit national afin de s'assurer que le consommateur n'est pas lie par cette clause. 126

3. Un bref commentaire

Sans apporter de veritables nouveautes, cette decision de la Cour permet de coor­donner les diverses decisions precedentes en un tout qui devrait aider non seu­lement la juridiction de renvoi, mais aussi les juges suisses tenus a determiner dans quelle mesure une clause contractuelle est abusive au sens de l'art. 8 LCD. Le fait d'informer le consommateur de maniere generale sur une clause est evi­demment fondamental, mais comme le releve a juste titre la Cour, on ne saurait en conclure necessairement que l'information suffit a exclure le caractere abusif. En effet, l'information ne fait sens que si le consommateur a reellement la pos­sibilite de ne pas conclure le contrat considere. 127 L'ensemble des circons­tances permet en effet parfois de constater que soit la position du professionnel; soit la situation de besoin du consommateur rendent vaine ou purement theorique··. la possibilite de ne pas conclure le contrat aux conditions proposees ou imposees'·~ par le professionnel.

122 CJUE, aff. C-342/13, ECLI:EU:C:2014:1857, cons. 31 (Sebestyen); CJUE, aff. C-472/1 . ECLI:EU:C:2012:242, cons. 25 et jurisprudence citee (Invite!). ;'.

123 CJUE, aff. C-342/13, ECLI:EU:C:2014:1857, cons. 32 (Sebestyen); CJUE, aff. C-472/( ECLI:EU:C:2012:242, cons. 26 et jurisprudence citee (Invite!). ·

124 CJUE, aff. C-226/12, ECLI:EU:C:2014:10, cons. 25 (Constructora Principado SA con Jose Ignacio Menendez Alvarez); CJUE, aff. C-472/11, ECLI:EU:C:2013:88, cons. 35 ( nif Plus Bank Zrt contre Csaba Csipai et Vikt6ria Csipai).

125 CJUE, aff. C-342/13, ECLI:EU:C:2014:1857, cons. 34 (Sebestyen). . 126 CJUE, aff. C-342/13, ECLI:EU:C:2014:1857, cons. 35 (Sebestyen); CJUE, aff. C-40

ECLI:EU:C:2009:615, cons. 59 (Asturcom Telecomunicaciones). · 127 Cf. CJUE, aff. C-92/11, ECLI:EU:C:2013 :180, cons. 54 et texte pres nbp 75 (RWE Ve

contre Verbraucherzentrale Nordrhein-Westfalen e.V.).

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VII. L'affaire Siba (C-537/13)- L'application de la directive 93/13 aux services juridiques avec les avocats

1. Lesfaits

Mme Siba a conclu avec Me Ariinas Devenas, avocat lituanien, trois contrats standardises de prestation de services juridiques portant, pour l'un, sur la de­fense de ses interets dans une procedure de divorce, de partage des biens et de determination du lieu de residence d'un enfant, pour l' autre, sur la defense de ses interets dans la procedure en annulation d'une transaction et, pour le troisieme, sur la defense de ses interets dans une procedure d'appel devant le tribunal regio­nal de Klaipeda en Lituanie. 128 Les modalites de paiement des honoraires et les delais pour ce faire n'ont pas ete specifies dans les contrats, ceux-ci n'identifiant pas non plus avec precision Jes differents services juridiques pour lesquels ledit paiement etait exige, ni le cofrt des prestations qui y correspondait. 129

Suite a une injonction de payer une certaine somme sur la base de ces contrats, la Cour de cassation a pose a la CJUE une question prejudicielle afin de determi­ner si la directive 93/13 s'applique a des contrats standardises de services juri­diques conclus par un avocat avec une personne physique n'agissant pas dans le cadre de sa profession. 130

2. L 'arret du 15 janvier 2015

La Cour rappelle que selon le dixieme considerant de la directive 93/13, les regles uniformes concemant les clauses abusives doivent s' appliquer a « tout contrat » conclu entre un professionnel et un consommateur. 131 C'est done par reference a la qualite des contractants, selon qu'ils agissent ou non dans le cadre de leur activite professionnelle, que la directive 93/13 definit les contrats auxquels elle s'applique. 132 II n'y a pas d'exclusion a priori d'un contrat, comme la Cour l'avait deja mentionne dans l'arret Asbeek Brusse et de Man pour le contrat de bail a usage d 'habitation, conclu entre un bailleur agissant dans le cadre de son activite professionnelle et un locataire agissant a des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activite professionnelle. 133

Reconnaissant que dans Jes contrats passes entre un avocat et son client, ii existe une inegalite due notamment a l'asymetrie de !'information entre ces par­ties, la Cour a retenu ~u'un contrat passe avec un avocat tombe sous le coup de la directive 93/13. 1 4 Le caractere public de l'activite des avocats n'y change d'ailleurs rien. 135

128 CJUE, aff. C-537/13, ECLI:EU:C:2015:14, cons. IO (Birute Siba contre Ariinas Devenas). 129 CJUE, aff. C-537/13, ECLI:EU:C:2015: 14, cons. 11 (Birute Siba contre Ariinas Devenas). 13° CJUE, aff. C-537/13, ECLl:EU:C:2015:14, cons. 16 et 18 (Birute Siba contre Ariinas

Devenas). 131 CJUE, aff. C-537/13, ECLI:EU:C:2015:14, cons. 20 (Birute Siba contre Ariinas Devenas). 132 CJUE, aff. C-537/13, ECLI:EU:C:2015:14, cons. 21 (Birute Siba contre Ariinas Devenas). 133 CJUE, aff. C-488/11 , ECLI:EU:C:2013:341, cons. 30 (Asbeek Brusse). 134 CJUE, aff. C-537/13, ECLI:EU:C:2015: 14, cons. 24 (Birute Siba contre Ariinas Devenas). 135 CJUE, aff. C-537/13, ECLI:EU:C:2015: 14, cons. 25 (Birute Siba contre Ariinas Devenas).

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Un reflet de la jurisprudence recente en droit prive europeen

La Cour vient de constater ainsi que « des lors que les avocats decident libre­ment de recourir a de telles clauses standardisees qui ne refletent pas des disposi­tions legislatives OU reglementaires imperatives au sens de l'article 1 er, para­graphe 2, de la directive 93/13, ii ne saurait par ailleurs etre soutenu que l'application de cette demiere est susceptible de porter atteinte a la specificite des relations entre un avocat et son client ainsi qu'aux principes sous-tendant l'exercice de la profession d'avocat ». 136

II faut neanmoins prendre en compte la nature particuliere des services faisant l'objet du contrat pour determiner le caractere clair et comprehensible des clauses des conditions generales. Or, s'il subsiste un doute sur le caractere abusif de la clause, ii faut retenir l'interpretation la plus favorable au consommateur. 137

3. Un bref commentaire

Cet arret doit etre approuve. Rien ne justifie en effet que la relation entre un avo­cat et son client soit traitee differemment de celle du consommateur avec tout autre professionnel. Partant, cette decision signifie que les clauses des conditions generales des contrats conclus entre l'avocat et son client doivent egalement etre soumises, pour les memes raisons, a l'art. 8 LCD. En effet, la relation avocat­client etant souvent regie par la signature d'un contrat sous forme de procuration preformulee, les clauses de cette procuration peuvent faire l'objet d'un examen sous l'angle de l'art. 8 LCD.

VIII. L'affaire Unicaja Banco SA (C-482/13) - La non-adaptation d'une clause abusive

I. Lesfaits

Les affaires concement des procedures de saisie hypothecaire introduites par Uni­caja Banco et Caixabank visant a obtenir l'execution forcee de plusieurs hypo­theques. Dans l'affaire C-482/13, le pret hypothecaire est soumis a un taux d'interet moratoire de 18% (taux qui pouvait etre majore si, en augmentant de. quatre points le taux d'interet revise, on aboutissait a un taux d'interet superieur, sans pouvoir toutefois depasser le taux nominal annuel maximal de 25%). Dans les affaires C-484/13, C-485/13 et C-487/13, les prets hypothecaires sont soumis a un taux d'interet moratoire de 22,5%. 138 Tous les contrats de prets compor­tent en outre une clause selon laquelle, en cas de manquement de l'emprunteur a ses obligations de paiement, le preteur peut anticiper l' echeance initialement con­venue et exiger le paiement de la totalite du capital dil, plus les interets, interets de retard, commissions, frais et depens convenus (clause d'acceleration). 139

136 CJUE, aff. C-537/13, ECLI:EU:C:2015: 14, cons. 27 (Birute Siba contre Ariinas Devenas). 137 CJUE, aff. C-537/13, ECLl:EU:C:2015: 14, cons. 34 (Birute Siba contre Ariinas Devenas). 138 CJUE, aff. C-482/13, 484/13, 485/13, 487/13, cons. 18 s. (Caixabank), JO 2015 C 107, 8. 139 CJUE, aff. C-482/13, ECLl:EU:C:2015:21, cons. 20 (Unicaja Banco SA); cf. pour une

meme clause CJUE, aff. C-472/11, ECLI:EU:C:2013:88, cons. 12 (Banif Plus Bank Zrt contre Csaba Csipai et Vikt6ria Csipai).

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Franz Werro/Pascal Pichonnaz

Dans la procedure introduite, la juridiction saisie s' est penchee sur la question du caractere « abusif» au sens de l'art. 3 para. 1 directive 93/13 des clauses rela­tives aux taux d'interet de retard ainsi que de !'application de ces taux au capital dont l' echeance anticipee est declenchee par le retard de paiement. La juridiction de renvoi emet toutefois des doutes concemant les consequences qu' elle do it tirer du caractere abusif de ces clauses au vu du droit espagnol, puisque - si elle devait appliquer le droit transitoire de la loi 1/2013 -, elle devrait faire recalculer les interets de retard.

2. L 'arret du 21 janvier 2015

La Cour doit examiner en substance si l'art. 6 para. 1 directive 93/13 doit etre interpr~te comme s' opposant a une disposition nationale en vertu de laquelle le juge national saisi d'une procedure d'execution hypothecaire est tenu de faire recalculer les sommes dues au titre de la clause d'un contrat de pret hypothecaire prevoyant des interets moratoires dont le taux est trois fois superieur au taux le­gal, par !'application d'un taux d'interets moratoires n'excedant pas ce seuil. 140

Cette question se pose d'autant plus que, selon la juridiction de renvoi, les clauses relatives aux interets moratoires des contrats de pret hypothecaire en cause sont « abusives »au sens de l'art. 3 de la directive 93/13.

Or, en vertu de l'art. 6 directive 93/13, les juges nationaux sont tenus d'ecarter uniquement l'application d'une clause contractuelle abusive afin qu'elle ne produise pas d'effets contraignants a l'egard du consommateur, sans qu'ils soient habilites a reviser le contenu de celle-ci. 141 En effet, «le contrat doit subsister, en principe, sans aucune autre modification que celle resultant de la suppression des clauses abusives, dans la mesure ou, conformement aux regles du droit inteme, une telle persistance du contrat est juridiquement possible ». 142 Le juge ne peut par exemple pas reduire le montant de la clause penale abusive. 143

Si le juge national etait autorise a reviser le contenu des clauses abusives, cela pourrait porter atteinte a la realisation de l'objectif a long terme vise a l'art. 7 de la directive 93/13 qui tend a prevoir des moyens adequats et efficaces pour faire cesser !'utilisation de clauses abusives avec les consommateurs. Or, la faculte de reduire OU de modifier les clauses contribuerait a eliminer l'effet dissuasif que represente souvent la pure et simple non-application d'une clause abusive. En effet, si le professionnel sait que, meme si une clause devait etre invalidee parce que consideree comme abusive, le contrat pourrait neanmoins etre complete dans la mesure de ce qui est necessaire, afin de garantir l 'interet des professionnels, il n' aurait tout simplement aucune raison de ne pas essayer de prevoir une clause a charge du consommateur. 144

14° CJUE, aff. C-482/13, ECLI:EU:C:2015:21, cons. 26 (Unicaja Banco SA). 141 CJUE, aff. C-482/13, ECLI:EU:C:2015:21, cons. 28 (Unicaja Banco SA). 142 CJUE, aff. C-482/13, ECLI:EU:C:2015:21, cons. 28 (Unicaja Banco SA); eg. CJUE, aff. C-

618/10, ECLI:EU:C:2012:349, cons. 65 (Banco Espanol), CJUE, aff. C-488/11, ECLI:EU: C:2013:341, cons. 57 (Asbeek Brusse).

143 CJUE, aff. C-488/11, ECLI:EU:C:2013:341, cons. 59 (Asbeek Brusse). 144 CJUE, aff. C-482/13, ECLI:EU:C:2015:21, cons. 31 (Unicaja Banco SA); CJUE, aff. C-

618110, ECLI:EU:C:2012:349, cons. 69 (Banco Espanol), ainsi que CJUE, aff. C-26/13,

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Un reflet de la jurisprudence recente en droit prive europeen

Partant, le juge qui constate la nullite d'une clause abusive ne peut la modi­fier. Conformement a l 'am~t Kaster et Kaslerne Rabai 145

, ii peut toutefois substi­tuer a une clause abusive une disposition de droit national a caractere suppletif, a la condition que cette substitution soit Conforme a l'objectif de !'art. 6 para. 1 directive 93/13 et qu, elle permette de restaurer un equilibre reel entre Jes droits et Jes obligations des cocontractants. 146 Toutefois, « cette possibilite est limitee aux hypotheses dans lesquelles ['invalidation de la clause abusive obligerait le juge a annuler le contrat dans son ensemble, exposant par la le consommateur a des con­sequences telles que ce demier en serait penalise ». 147

Dans le cas d'espece, la 2e disposition transitoire de la loi 112013 prescrit une moderation des interets moratoires pour les prets ou Jes credits visant !'acquisition d'une residence principale et garantis par des hypotheques consti­tuees sur le logement en question. Ainsi, lorsque la procedure de saisie ou de vente extra-judiciaire, en cours au moment de l'entree en vigueur de la loi, porte sur un montant deja fixe, ii convient de le recalculer en appliquant un interet con­forme a la Joi. II lui sera done applique un interet moratoire dont le taux est au maximum de trois fois superieur a l'interet legal si le contrat prevoyait un taux superieur au taux ainsi calcule. 148

Or, le caractere abusif d'une clause contractuelle doit s'apprecier en tenant compte de la nature des biens ou des services qui font I'objet du contrat, en se referant a la date de la conclusion du contrat et a toutes !es circonstances qui en­tourent celle-ci et en prenant en consideration le droit applicable. 149 Partant, Jes consequences de la clause abusive doivent s'apprecier aussi en relation avec le droit afi~licable au contrat, ce qui implique un examen du systeme juridique na­tional. 5

Pour la Cour, dans la mesure ou la deuxieme disposition transitoire de la loi 1/2013 ne fait pas obstacle a ce que le juge national puisse effectuer son office en ecartant la clause abusive, Ia directive 93/13 ne s' oppose pas a I' application d'une telle disposition nationale. 151 En d'autres termes, cela signifie aux yeux de la Cour que, si le taux d'interets prevu par la clause litigieuse est inferieur a celui prevu par la deuxieme disposition transitoire de la loi l/2013, la fixation de ce plafond legislatif n'empeche pas le juge d'apprecier le caractere eventuellement abusif de cette clause. Un taux d'interets moratoires trois fois inferieur au taux legal ne doit pas necessairement etre considere comme equitable au sens de la directive 93/13. 152 A !'inverse, si le taux d'interets prevu par la clause litigieuse

ECLI:EU:C:2014:282, cons. 79 (Arpad Kasler, Hajnalka Kaslerne Rabai contre OTP Jelzalogbank Zrt).

145 CJUE, aff. C-26113, ECLI:EU:C:2014:282, cons. 82-84 (Arpad Kasler, Hajnalka Kaslerne Rabai contre OTP Jelzalogbank Zrt).

146 CJUE, aff. C-482/13, ECLl:EU:C:2015:21, cons. 33 (Unicaja Banco SA). 147 CJUE, aff. C-482/13 , ECLI:EU:C:2015:2 l, cons. 33 (Unicaja Banco SA). 148 CJUE, aff. C-482113 , ECLI :EU:C:2015:21, cons. 35 (Unicaja Banco SA). 149 CJUE, aff. C-482113, ECLl :EU:C:20 15:21 , cons. 37 (Unicaja Banco SA); CJUE, aff. C-

342/1 3, ECLl :EU:C:2014:1857, cons. 29 (Sebestyen). 15° CJUE, aff. C-226/1 2, ECLI :EU:C:2014:10, cons. 24 (Constructora Principado SA contre

Jose Ignacio Menendez Alvarez); CJUE, aff. C-415/11, ECLl:EU:C:213 :164, cons. 71 (Aziz).

151 CJUE, aff. C-482/13, ECLI :EU:C:2015:21, cons. 39 (Unicaja Banco SA). 152 CJUE, aff. C-482/13, ECLI:EU:C:2015:21, cons. 40 (Unicaja Banco SA).

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I I I I I I I

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est superieur a celui prevu par la deuxieme disposition transitoire de la loi 1/2013 et doit, conformement a cette disposition, faire l'objet d'une limitation, cela ne fait pas obstacle a ce que le juge tire toutes les consequences de l' eventuel carac­tere abusif en procedant, le cas echeant, a son annulation. 153

Ainsi, meme · si le droit espagnol prevoit une regle specifique, celle-ci n'empeche pas !'examen du caractere abusif des clauses contractuelles des lors que le juge n' a pas l' obligation de l 'appliquer en substitution de la regle contrac­tuelle, mais qu'il peut - aussi en vertu du droit espagnol - se contenter de consta­ter la nullite de la clause d'interets.

3. Un bref commentaire

Cet arret rappelle utilement la jurisprudence Banco de Credito qui montre com­bien le but vise par les regles de lutte contre les clauses abusives pourrait etre mis en peril si le juge pouvait adapter la clause abusive. Le Tribunal federal a tres justement adopte le meme point de vue en lien avec les clauses insolites; 154 ii n 'y a pas de raison qu'il en aille autrement pour l'art. 8 LCD. 155 Cela pose toutefois un probleme plus specifique en lien avec les clauses penales, que le droit suisse permet de reduire si elles soot excessives. A la lumiere de cette jurisprud~nce Unicaja, ii faudrait toutefois considerer que le juge confronte a une clause penale abusive au sens de l'art. 8 LCD, a la difference d'une telle clause contenue dans un contrat non soumis a l'art. 8 LCD, devrait retenir la nullite pure et simple de la clause penale, 156 puisque l'art. 163 co n'interdit pas une telle mesure fondee sur l'art. 8 LCD.

De maniere plus generate, le juge national qui declare nulles des clauses abu­sives satisfait aux exigences de l'art. 6 para. 1directive93/13,157 sans qu'il doive les adapter. C 'est aussi ainsi qu' il faut interpreter l 'art. 8 LCD. ·

Selon le droit europeen, le juge national qui a constate d'office le caractere abusif d'une clause ne doit pas attendre que le consommateur presente une de­mande d'annulation de la clause; ii peut agir de son propre chef, comme cela a ete rappele dans les arrets Banif, 158 ainsi que Asbeek Brusse et de Man Gabarito 159

OU

encore Joros. 16° Cela ne signifie toutefois pas qu'il ne doive pas interpeller les

153 CJUE, aff. C-482/13, ECLI:EU:C:2015:21, cons. 41 (Unicaja Banco SA). 154 Arret du TF du 18 decembre 2008, 4A_ 404/2008, cons. 5.6.3.2.1. 155 Pascal Pichonnaz/Anne-Christine Fornage, Le projet de revision de l'art. 8 LCD, Une solu­

tion appropriee a la difficulte de negocier des conditions generales, RSJ 2010, 285, en part. 289.

156 Sur Ia nullite au sens de l'art. 20 CO comme consequence de I'art. 8 LCD, cf. supra note 26; sur la nullite partielle au sens de l'art. 20 al. 2 CO, cf. supra note 28.

157 CJUE, aff. C-397/11, ECLI:EU:C:2012:397, cons. 43 (Erika JOros contre Aegon Ma­gyarorszag Hitel Zrt.); CJUE, aff. C-472/10, ECLI:EU:C:2012:242, cons. 39 et 40 (Invitel).

158 CJUE, aff. C-472/11, ECLI:EU:C:2013:88, cons. 28 (Banif Plus Bank Zrt contre Csaba Csipai et Vikt6ria Csipai).

159 CJUE, aff. C-488/11, ECLI:EU:C:2013:341, cons. 50 (Asbeek Brusse). 16° CJUE, aff. C-397/11, ECLI:EU:C:2012:397, cons. 42 (Erika JOros contre Aegon Ma­

gyarorszag Hite! Zrt.).

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Un reflet de la jurisprudence recente en droit prive europeen

parties, notamment pour savoir si le consommateur entend bien beneficier de cette nullite. 161

II doit alors apprecier l'incidence de la constatation du caractere abusif de la clause sur la validite du contrat concerne et determiner si celui-ci peut subsister sans cette clause. 162 Ainsi, « le contrat restera contraignant pour les parties selon les memes termes, s'il peut subsister sans les clauses abusives ». 163

Des lors, le recours systematique au droit dispositif (qui apparait comme l 'expression d 'une fiction d' equilibre entre droits et obligations des parties) pour­rait sembler une bonne idee; toutefois, cela reviendrait encore une fois a inciter le professionnel a chercher a obtenir un maximum, sachant qu'a la fin, ii aura de toute maniere au moins la solution du droit dispositif. Cela serait insatisfaisant puisqu'ainsi le professionnel qui recourt a des clauses abusives ne supporterait aucun risque. Des lors, que ce soit en application de l'art. 8 LCD ou du droit eu­ropeen, 164 ii est judicieux de ne pas recourir systematiquement au droit dispositif. Cela devrait etre le cas uniquement si le sort du contrat - et partant la situation du consommateur - est en peril.

D . . La responsabilite du fait des produits

La Suisse a transpose de maniere autonome la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions legislatives, reglementaires et administratives des Etats membres en matiere de responsabilite du fait des pro­duits defectueux 165 dans la Loi federale du 18 juin 1993 sur la responsabilite du fait des produits (LRFP). 166 Selon le Tribunal federal, le juge suisse est amene a interpreter des lois qui ont repris de fayon autonome des directives europeennes doit en principe suivre la jurisprudence de la CJUE. 167 La jurisprudence euro­peenne en matiere de responsabilite du fait des produits defectueux a des lors une importance toute particuliere.

161 Cf. supra ad note 48 et CJUE, aff. C-472111, ECLI:EU:C:2013:88, cons. 38 (Banif Plus Bank Zrt contre Csaba Csipai et Vikt6ria Csipai).

162 CJUE, aff. C-397/11, ECLI:EU:C:2012:397, cons. 43 (Erika Jtiros contre Aegon Ma­gyarorszag Hite! Zrt.); Ordonnance du 16 octobre 2010, aff. C-76/10, ECLI:EU:C:2010:685, cons. 61 (Pohotovost).

163 CJUE, aff. C-397/11, ECLI:EU:C:2012:397, cons. 44 (Erika Jtiros contre Aegon Ma­gyarorszag Hite! Zrt.); CJUE, aff. C-453/10, ECLI:EU:C:2012:144, cons. 29 (Perenieova et Perenic).

164 Pour le recours a la jurisprudence de Ia CJUE pour interpreter l'art. 8 LCD, cf. avant tout note 26 et note 31.

165 Directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions legisla­tives, reglementaires et administratives des Etats membres en matiere de responsabilite du fait des produits defectueux, JO 1985 L 210, 29.

166 RS 221.112.944. 167 ATF 137 III 226, cons. 2.2; ATF 136 III 552, cons. 3.3; ATF 133 III 180, cons. 3.5, JdT

2010 I 239; ATF 132 III 32, cons. 4.1; ATF 130 III 182, cons. 5.5.1, JdT 2005 I 3; ATF 129 III 335, cons. 6, JdT 2003 II 75. Cf. Franz Werra/Beatrice Hurni, Les protheses a risques -L'etat des connaissances scientifiques et la liberation du producteur selon la LRFP, REAS 2012, 161, 163.

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Page 32: Un reflet de la jurisprudence récente en droit privé européen

Franz Werro/Pascal Pichonnaz

Deux affaires feront l'objet des developpements qui suivent: l'arret Kainz 168,

relatif a la competence juridictionnelle en matiere de responsabilite du fait des produits defectueux en lien avec l'art. 5 ch. 3 du reglement Bruxelles I (I.) et l'arret Boston Scientific 169

, qui traite de l'indemnisation des mesures preventives sous l'angle de la directive 85/374 (II.).

I. L'affaire Kainz (C-45/13)

I. Lesfaits

Le litige oppose la societe Pantherwerke AG, dont le siege est en Allemagne et qui fabrique et commercialise des bicyclettes, a M. Kainz, qui a achete le 3 no­vembre 2007 une bicyclette de Pantherwerke AG aupres de Funbike GmbH a Salzbourg. Le 3 juillet 2009, M. Kainz s'est blesse a la suite d'une chute alors qu'il utilisait sa bicyclette en Allemagne. Alleguant que l'accident a ete provoque par le detachement des pattes de fourche de la bicyclette, il a alors ouvert action devant le Landesgericht de Salzbourg contre Pantherwerke AG et a reclame d'une part une indemnisation a hauteur de 2 l '200 euros plus interets et frais annexes en se fondant sur la responsabilite du fait des produits, et, d'autre part, a ce que la responsabilite de Pantherwerke AG pour son prejudice futur soit constatee.

Pour fonder la competence du Landesgericht de Salzbourg, M. Kainz a invo­que l'art. 5 ch. 3 du reglement n° 44/2001 (Bruxelles I), 170 qui prevoit qu'une per­sonne « domiciliee sur le territoire d'un Etat membre peut etre attraite, devant un autre Etat membre: [ ... ] 3) en matiere delictuelle ou quasi delictuelle, devant le tribunal du lieu ou le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire ». Selon M. Kainz, le lieu ou s'est produit le fait dommageable se trouverait au lieu auquel le consommateur final y a acces, soit ici en Autriche. Pantherwerke AG conteste la competence du tribunal autrichien en faisant valoir que l'evenement ayant cause le dommage se situerait en Allemagne, c'est-a-dire au lieu de fabrica­tion et de mise en circulation du produit, puisque les bicyclettes sont exportees depuis le siege de Pantherwerke AG.

Le Landesgericht et l'instance d'appel se declarent incompetents. Saisi d'un recours en revision, l' Oberster Gerichtshof procede a un renvoi prejudiciel dans lequel il demande a la Cour d'interpreter la notion de «lieu de l'evenement cau­sal a l'origine du dommage ».

2. L'arretdul6janvier2014

Dans le prolongement de sa jurisprudence, 171 la Cour rappelle que le reglement n° 44/2001 doit etre interprete de maniere autonome et conforrnement a son but. 172

168 CJUE, aff. C-45/13, ECLI:EU:C:2014:7 (Kainz). 169 CJUE, aff. C-503/13 et C-504/13, ECLI:EU:C:2015:148 (Boston Scientific). 170 Reglement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 decembre 2000 concemant la competence

judiciaire, la reconnaissance et )'execution des decisions en matiere civile et commerciale, JO 2001 L 012, 1.

171 Cf. not. CJUE, aff. C-189/08, ECLI:EU:C:2009:475, cons. 17 (Zuid-Chemie); CJUE, aff. C-170/12, ECLI:EU:C:2013:635, cons. 23 (Pinckney).

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Un reflet de la jurisprudence recente en droit prive europeen

Elle souligne que le reglement prevoit le principe selon lequel une personne do­miciliee sur le territoire d'un Etat membre est attraite devant les tribunaux de ce­lui-ci (art. 2 par. 1 du reg. 44/2011); il n'en va autrement que lorsqu'une disposi­tion du chapitre II section 2 du reglement le prevoit. 173 Tel est le cas de l'art. 5 par. 3. 174 Pour autant, ces regles de competence speciales doivent etre interpretees strictement. 175

Selon la jurisprudence de la Cour, I' expression litigieuse du «lieu ou le fait dommageable s'est produit » prevue a l'art. 5 par. 3 du reglement vise aussi bien le lieu de survenance du dommage, ql,le celui de I' evenement causal a I' origine du dommage. Si ces lieux ne soot pas identiques, le demandeur peut attraire le de­fendeur devant le tribunal de l'un ou l'autre de ces lieux. 176

En !'occurrence, n'est litigieuse que la question du lieu de l'evenement cau­sal. 177 Sur ce point, la Cour confirme sa jurisprudence, selon laquelle ce lieu est, dans le contexte de la responsabilite du fait des produits, celui ou le produit a ete endommage, soit, en cas de defaut de fabrication, le lieu de fabrication du pro­duit. 178 Permettant de recueillir plus aisement !es moyens de preuve eventuels, ce rattachement est conforme a la volonte du legislateur europeen d'assurer une or­ganisation efficace et utile du proces. 179 II repond par ailleurs a I' exigence de pre­visibilite pour !es parties. 180

La Cour rejette !'argument de M. Kainz selon lequel on devrait interpreter !es regles de competence Speciale en tenant compte de l'interet du Iese a agir en jus­tice a son lieu de domicile. 181 Elle considere que le reglement n'a pas pour but de proteger la partie faible. 182

_.

3. Un commentaire

L' affaire Kainz est interessante, en ce qu' elle precise I' interpretation qu' ii con­vient de donner a !'expression ((lieu OU le fait dommageable s'est produit ».Dans le domaine de la responsabilite du fait des produits, ce lieu recouvre a la fois ce­lui auquel le dommage est survenu et celui de fabrication du produit. La Cour · exclut done, du moins sur la base de !'art. 5 par. 3 du reglement, la competence", du tribunal du lieu OU le produit a ete livre a l'acheteur final. Cette solution pev met selon la Cour d'assurer une certaine previsibilite pour les parties. On com~. prend l'interet du producteur de ne pas se voir attraire devant tous tribunaux du:: lieu auquel son produit a ete distribue. Pour autant, on ne voit pas en quoi la deci_ sion de la Cour renforce la previsibilite pour de l'acheteur final. En effet, !ors

172 CJUE, aff. C-45/13, ECLI:EU:C:2014:7, cons. 19-20 (Kainz). 173 CJUE, aff. C-45/13, ECLI:EU:C:2014:7, cons. 21 (Kainz). 174 CJUE, aff. C-45/13, ECLI:EU:C:2014:7, cons. 21 (Kainz). 175 CJUE, aff. C-45/13, ECLI:EU:C:2014:7, cons. 22 (Kainz). 176 CJUE, aff. C-45/13, ECLI:EU:C:2014:7, cons. 23 (Kainz). 177 CJUE, aff. C-45/13, ECLI:EU:C:2014:7, cons. 25 (Kainz). 178 CJUE, aff. C-45/13, ECLI:EU:C:2014:7, cons. 26 et 29 (Kainz). 179 CJUE, aff. C-45/13, ECLI:EU:C:2014:7, cons. 27 (Kainz). 18° CJUE, aff. C-45/13, ECLI:EU:C:2014:7, cons. 28 (Kainz). 181 CJUE, aff. C-45/13, ECLI:EU:C:2014:7, cons. 30 (Kainz). 182 CJUE, aff. C-45/13, ECLI:EU:C:2014:7, cons. 31 (Kainz).

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qu'il achete un produit, celui-ci ne connait souvent pas le lieu dans lequel le pro­duit a ete fabrique.

La Cour affirme aussi que l'art. 5 par. 3 n'a pas ete edicte dans le but de prote­ger une partie faible. Si l'on tient compte des autres regles du droit international prive europeen, la solution a laquelle aboutit la Cour est pour le moins curieuse: tant l'art. 16 al. 1 Bruxelles 1183 que l'art. 18 al. 1 du nouveau reglement Bruxelles Ibis 184 prevoient, en matiere contractuelle, que les tribunaux de l 'Etat membre dans lequel reside le consommateur sont competents. Certes applicable aux seuls contrats, cette regle reflete l 'idee de protection accrue qui doit etre ac­cordee aux consommateurs. De plus, la directive 85/374 concernant la responsa­bilite du producteur du fait des produits defectueux a ete edictee, en partie du moins, dans le but de proteger l 'usager du produit. La solution de la Cour revient ainsi a affaiblir cette protection par le biais des regles de droit international prive. Une protection effective du cohsommateur depend non seulement des regles de droit materiel, mais aussi de celles relatives a la competence des tribunaux.

En interpretant le «lieu de l'evenement causal a l'origine du dommage » comme eta'nt le lieu de fabrication du produit, la Cour cree une nouvelle notion sujette a interpretation. Elle omet aussi de preciser comment on geut determiner Ce lieu lorsque le produit a ete fabrique dans des lieux differents. I S

En matiere de droit international prive, la Convention de Lugano 186 de 2007 qui lie notamment la Suisse a l'Union europeenne reprend le reglement 44/2001. L'art. 1 ch. 1 du protocole n° 2 sur !'interpretation uniforme de la Convention de Lugano dispose que tout tribunal appliquant et interpretant la presente Conven­tion tient dument compte des principes definis p~r toute decision pertinente ren­due par les tribunaux des Etats lies par la presente Convention et par la Cour de justice des Communautes europeennes. L'art. 3 prevoit que les Etats qui ne sont pas membres de l 'UE peuvent prendre des conclusions devant la CJUE lorsque celle-ci est saisie d'une question portant sur !'interpretation de la Convention de Lugano OU du reglement Bruxelles I. Le Tribunal federal se refere ainsi largement a la iurisprudence de la Cour de justice pour interpreter la Convention de Luga­no. 1ir1

Amene a interpreter l'art. 5 par. 3 de la Convention de Lugano, le juge suisse devra reprendre la solution developpee par la Cour de justice dans l 'affaire Kainz.

183 Reglement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 decembre 2000 concernant la competence judiciaire, la reconnaissance et !'execution des decisions en matiere civile et commerciale, JO 2001 L 012, I.

184 Reglement (UE) n° 1215/2012 du Parlement europeen et du Conseil du 12 decembre 2012 concernant la competence judiciaire, la reconnaissance et !'execution des decisions en ma­tiere civile et commerciale (refonte), JO 2012 L 351, I ss., entre en vigueur le IO janvier 2015.

185 Pour une critique de !'absence de precision de ce qu'il faut comprendre par« lieu de fabrica­tion», cf. Robert Freitag, EuGH: Internationale Zustlindigkeit fur Produkthaftungsklagen, LMK 2014, 355576. Cf. eg. Jan Dietze, EuGVVO: Zustlindigkeit am Handlungsort in Pro­dukthaftungsfiillen, EuZW 2014, 232, 235 .

186 Convention de Lugano du 30 octobre 2007 concernant la competence judiciaire, la recon­naissance et !'execution des decisions en matiere civile et commerciale (RS 0.275.12).

187 Cf. p. ex. ATF 133 III 295, JdT 2008 I 160; ATF 131 III 398, JdT 2006 I 315; ATF 131 III 227.

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II. L'affaire Boston Scientific (C-503/13 et C-504/13)

1. Lesfaits

Cette affaire oppose Boston Scientific Medizintechnik GmbH (ci-apres: BS) a !'assurance AOK Sachsen-Anhalt (ci-apres: AOK), d'une part, et a la Be­triebskrankenkasse RWE (ci-apres: RWE), d'autre part. La societe Boston Scienti­fic Coporation (ci-apres: BSC) fabrique et vend des simulateurs cardiaques et des defibrillateurs automatiques implantables. 188

La premiere affaire (C-503/13) oppose BS, societe fille de BSC, a AOK. Dans une lettre envoyee aux medecins traitants, BSC indique que son systeme de con­trole a pennis de constater qu'un element utilise pour sceller de maniere herme­tique les simulateurs cardiaques pouvait eventuellement devenir progressivement defaillant. 189 BSC a recommande aux medecins d'envisager le remplacement de ces simulateurs portes par leurs patients. Malgre la prescription des droits de ga­rantie, BSC s'est engage a remplacer gratuitement les stimulateurs implantes par d'autres stimulateurs cardiaques. 190 A la suite de cette recommandation, deux beneficiaires de la couverture assurantielle d'AOK ont vu leur stimulateur rem­place par de nouveaux stimulateurs foumis gratuitement par BSC. 191 Subroge dans les droits des deux beneficiaires, AOK a ouvert action en responsabilite contre BS en lui reclamant le paiement des coilts lies aux implantations des pre­miers stimulateurs cardiaques. Les instances nationales inferieures au Bundesge­richtshof allemand ont toutes retenu la responsabilite de BS. 192

La seconde affaire (C-504/13) oppose BS a RWE. Dans une nouvelle lettre en­voyee aux medecins traitants, BSC Jes informe que son systeme de controle a permis de constater que le fonctionnemen( des defibrillateurs implantables pou­vait etre affecte par le defaut d'un interrupteur magnetique. 193 Dans ces condi­tions, BSC a recommande aux medecins traitants de desactiver l'interrupteur ma­gnetique des defibrillateurs concemes. 194 Un assure de RWE s'est fait remplacer son defibrillateur de maniere anticipee. 195 RWE a exige de BS le remboursement des coilts lies a !'operation d'echange de defibrillateurs. 196 Les instances natio-­nales inferieures au Bundesgerichtshof allemand ont toutes retenu la responsabili­te de BS.197 Le Bundesgerichts.hof allemand a saisi la CJUE par le biais d'un ren­voi prejudiciel (art. 267 TFUE).

188 CJUE, aff. C-503/13 et C-504/13, ECLI:EU:C:2015:148, cons. 12 (Boston Scientific). 189 CJUE, aff. C-503/13 et C-504/13, ECLI:EU:C:2015:148, cons. 14 (Boston Scientific). 19° CJUE, aff. C-503/13 et C-504/13, ECLI:EU:C:2015:148, cons. 15 (Boston Scientific). 191 CJUE, aff. C-503/13 et C-504/13, ECLI:EU:C:2015:148, cons. 16 (Boston Scientific). 192 CJUE, aff. C-503/13 et C-504/13, ECLI:EU:C:2015:148, cons. 18 (Boston Scientific). 193 CJUE, aff. C-503/13 et C-504/13, ECLI:EU:C:2015:148, cons. 19 (Boston Scientific). 194 CJUE, aff. C-503/13 et C-504/13, ECLI:EU:C:2015:148, cons. 21 (Boston Scientific). 195 CJUE, aff. C-503/13 et C-504/13, ECLI:EU:C:2015:148, cons. 22 (Boston Scientific). 196 CJUE, aff. C-503/13 et C-504/13, ECLI:EU:C:2015:148, cons. 23 (Boston Scientific) . 197 CJUE, aff. C-503/13 et C-504/13, ECLI:EU:C:2015:148, cons. 24 (Boston Scientific).

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2. L 'arret du 5 mars 2015

Dans son renvoi prejudiciel, le Bundesgerichtshof allemand demande en premier lieu a la CJUE si un produit medical pose dans le corps humain peut deja etre considere comme defectueux au sens de l'art. 6 par. 1 directive 85/374, lorsque des produits appartenant au meme groupe presentent un risque de defaillance, mais qu'il n'est pas constate de·defaut de l'appareil pose dans le cas d'espece.

En second lieu, et en cas de reponse affirmative a la premiere question, le Bundesgerichtshof allemand demande si les coftts de }'operation de remplacement du produit defectueux constituent un dornmage cause par lesion corporelle au sens des art. 1 et 9 al. 1 let. a directive 85/374.

Concemant la premiere question, la CJUE rappelle qu'en vertu de !'art. 6 par. 1 directive 85/374, un produit est defectueux lorsqu'il n'offre pas la securite a laquelle on peut legitimement s'attendre compte tenu des circonstances. Confor­mement au considerant 6 de la directive, il convient d'en juger au regard des at­tentes legitimes du grand public. 198 s 'agissant de dispositifs medicaux, ces at­tentes sont particulierement elevees. 199 La Cour considere que le risque qu'un produit cause un dornmage suffit a retenir un defaut gotentiel qui engage la res­ponsabilite du producteur sur la base de la directive. 20 Par consequent, le constat d'un defaut potentie} d'un groupe de produits OU d'une serie de production perrnet de qualifier de defectueux tous les produits de ce groupe ou de cette serie, sans qu'il soit besoin de demontrer le defaut du produit conceme.201

Concemant la seconde question, la CJUE rappelle que la notion de « dommage cause par la mort ou par des lesions corporelles » des art. 1 et 9 al. 1 let. a direc­tive 85/374 doit etre interpretee de maniere larg,e. 202 Pour autant, on ne peut rete­nir la responsabilite du producteur qu'en presence d'un lien de causalite entre le defaut et le dommage, comme le prevoit l'art. 4 directive 85/374.203 La CJUE en conclut que la reparation du dommage au sens de !'art. 6 par. 1 directive 85/374 comprend tous les frais necessaires a l' elimination des consequences domma­geables et au retablissement du niveau de securite a laquelle on peut legitimement s'attendre.204 Y sont compris les coftts lies au remplacement du produit defec­tueux.205

En l'espece, la CJUE remarque que BSC a recommande aux medecins d'envisager d'echanger les stimulateurs cardiaques concemes (C-503/13), de sorte que les coftts lies a l' echange des stimulateurs et ceux lies aux operations chirurgicales constituent un dommage au sens de l'art. 9 al. 1 let. a directive 85/374.206 Pour !es defibrillateurs automatiques (C-504/13), la CJUE remarque que BSC avait uniquement recommande aux medecins de desactiver l'interrupteur

198 CJUE, aff. C-503/13 et C-504/13, ECLl:EU:C:2015:148, cons. 37 (Boston Scientific). 199 CJUE, aff. C-503/13 et C-504/13, ECLl:EU:C:2015:148, cons. 39 (Boston Scientific). 20° CJUE, aff. C-503/13 et C-504/13, ECLl:EU:C:2015:148, cons. 40 (Boston Scientific). 201 CJUE, aff. C-503/13 et C-504/13, ECLl:EU:C:2015:148, cons. 41 (Boston Scientific). 202 CJUE, aff. C-503/13 et C-504/13, ECLl :EU:C:2015:148, cons. 47 (Boston Scientific). 203 CJUE, aff. C-503/13 et C-504/13, ECLI:EU:C:2015: 148, cons. 48 (Boston Scientific). 204 CJUE, aff. C-503/13 et C-504/13, ECLI:EU:C:2015:148, cons. 49 (Boston Scientific). 205 CJUE, aff. C-503/13 et C-504/13, ECLl:EU:C:2015:148, cons. 50 (Boston Scientific). 206 CJUE, aff. C-503/13 et C-504/13, ECLl:EU:C:2015:148, cons. 52 (Boston Scientific).

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Un reflet de la jurisprudence recente en droit prive europeen

magnetique. 207 Partant, BSC ne saurait supporter les couts de remplacement des defibrillateurs que dans l'hypothese ou une desactivation de l'interrupteur magne­tique n'aurait pas suffi a eliminer le defaut compte tenu des circonstances du cas. Ce n'est que lorsque le remplacement etait necessaire pour eliminer le defaut que les couts qu'il engendre peuvent etre mis a la charge du producteur. La CJUE laisse le soin au Bundesgerichtshof allemand d'apprecier si tel est le cas en I' espece. 208

3. Un commentaire

Deux points appellent un commentaire dans cette affaire. En premier lieu, ii ressort de cet arret que, selon la CJUE, la notion de defaut

de !'art. 6 par. 1 directive 85/374 inclut aussi le defaut potentiel. La notion de potentialite n' est au demeurant guere convaincante. En effet, I' art. 6 par. I direc­tive 85/374 definit le defaut comme une absence de securite a laquelle on peut raisonnablement s'attendre; le produit est ainsi defectueux des l'instant ou le pro­duit comporte un risque de causer un dommage que l'on ne peut raisonnablement accepter. II faut done plutot comprendre la defaillance potentielle comme un de­faut et se rallier aux conclusions de I' A vocat general selon Jesquelles « [l]e defaut de securite ne reside done pas dans le danger que peut presenter I 'utilisation du produit, [ ... ] mais dans les potentialites anormales de dommage que le ~roduit est susceptible de causer a la personne ou aux bi ens de son utilisateur ». 20 Savoir si le defaut en !'occurrence etait de fabrication ou de conception n'a pas fait l'objet de l'analyse de la Cour; meme si on peut soutenir que le defaut etait plutot relatif a la conception du produit, la question pouvait tres bien rester indecise. 210

En second lieu, la CJUE retient que le dommage corporel au sens de !'art. 9 let. a directive 85/374 inclut Jes frais de remplacement d'un produit qui court le risque d'etre defaillant. Elle justifie son point de vue par l'interpretation large qu'il convient de donner a la notion de « dommage cause par des lesions corpo­relles ». En J'occurrence, on comprend l'approche de la CJUE. II semble en effet juste de mettre Jes frais de remplacement d'un produit qui comporte un risque de defaillance a la charge du producteur. Pour autant, le fait de considerer que de tels couts entrent dans la notion de dommage corporel apparait comme une extension de cette notion. Traditionnellement, le dommage corporel est en effet defini comme la diminution involontaire du patrimoine qui resulte d ' une atteinte a la vie OU a l'integrite physique OU psychique du lese.2 11

Or en l'espece, ii n'y a pas eu d'atteinte a l'integrite corporelle. Le but de !'intervention du medecin etait precisement d'eviter que le defaut ne cause une telle atteinte. Cette intervention visait ainsi a prevenir un dommage corporel. De

207 CJUE, aff. C-503/13 et C-504/13, ECLI :EU:C:2015:148, cons. 53 (Boston Scientific). 208 CJUE, aff. C-503/13 et C-504/13, ECLI:EU:C:2015: 148, cons. 54 (Boston Scientific). 209 Conclusion du 21 octobre 20 14 de l'avocat general Bo! dans l'affaire C-503/13 et C-504/13,

ECLI:EU:C:2015:2306, cons. 30 (Boston Scientific). 210 Sur ces notions, cf. Franz Werra, La responsabilite civile, 2011, N 592 ss. 211 En droit suisse, cf. Werra (n. 210), N 548.

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ce fait, on ne saurait retenir que les coilts d'intervention constituent un dommage corporel, mais bien plutot un dommage de prevention. 212

La question de savoir si le coilt d 'une mesure preventive entre dans la notion de dommage est delicate. A ce titre, on retient deux formes de mesures preven­tives:213 Les mesures preventives anticipees, soit celles prises avant la survenance du fait generateur de responsabilite, et les mesures preventives differees, soit celles qui sont prises apres la survenance du fait generateur de responsabilite ci­vile, mais avant l'existence d'un dommage. On retient generalement que la me­sure preventive pose un double probleme en lien avec la notion de dommage: en premier lieu, la mesure est prise volontairement par le lese;214 en second lieu, le lien de causalite entre la mesure prise et le fait generateur de responsabilite civile est difficile a etablir. 215

Dans l'affaire Boston Scientific, on remarque que la CJUE a ete attentive a la question du lien de causalite, puisqu'elle a affirme que le producteur ne saurait etre tenu au remboursement des coilts de l'intervention lies au remplacement du defibrillateur, tant qu'il n'a pas ete etabli que cette intervention etait necessaire pour supprimer le dommage potentiel. Ainsi, la CJUE a clairement delimite la possibilite ·de reparer les mesures preventives. Seules les mesures qui sont neces­saires a l'elimination d'un risque de dommage a la suite d'un defaut peuvent etre mises a la charge du producteur.

On le voit, en affirmant que la notion de dommage corporel inclut les coilts vi­sant a eviter la survenance d'un tel dommage, et done en definitive les mesures preventives, la CJUE s'affranchit non sans risque de la notion de dommage. Une telle jurisprudence pourrait entrainer quelques difficultes dans le rapport entre le droit prive europeen et le droit prive national. En droit suisse, la position de la Cour se concilie mal avec la notion traditionnelle de dommage corporel. 11 aurait peut-etre ete plus judicieux pour la Cour d'affirmer que la directive 85/374 repare non seulement les dommages corporels et materiels, mais aussi Jes mesures pre­ventives qui ont ete prises dans le but d'eviter qu'un defaut ne cause un tel dom­mage. En effet, il ne fait pas de doute qu'il se justifie de reparer les frais d'une telle mesure aussi longtemps qu'elle est necessaire et proportionnee, en ce sens qu'elle est propre a« prevenir le risque de defaillance en cause et [qu'elle ne peut etre remplacee] par des mesures moins dommageables ». 216

Comme le dit justement l'Avocat general, l'enjeu d'une telle decision est (( [d']inciter les producteurs a ameliorer la securite de leurs produits et a per­mettre d'atteindre un meilleur equilibre entre l'exigence d'indernnisation des vic­times et l'objectif de prevention des dommages ». 217

212 Sur l'indemnisation des mesures preventives en droit suisse, cf. Benoit Chappuis, L'indemnisation des mesures preventives, in : Werro/Pichonnaz (ed.), Le dommage dans tous ses etats - Collogue du droit de la responsabilite civile 2013, 2013, 155.

213 Chappuis (n. 212), 157. 214 Chappuis (n. 212), 175 s. 215 Chappuis (n. 212), 176 ss. 216 Conclusion du 21 octobre 2014 de l'avocat general Bot dans CJUE, aff. C-503/13 et C-

504/13, ECLI:EU:C:2015:2306, cons. 69 (Boston Scientific). 217 Conclusion du 21 octobre 2014 de l'avocat general Bot dans CJUE, aff. C-503/13 et C-

504/13, ECLI:EU:C:2015:2306, cons. 74 (Boston Scientific).

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Un reflet de la jurisprudence recente en droit prive europeen

E. Le droit a l'oubli: l'affaire Google c. Gonzalez (C-131112)

I. Les faits

En 2010, M. Gonzalez a introduit aupres de l'Agence espagnole de protection des donnees (AEPD) une reclamation a l'encontre de Google Inc. et Google Spain. Cette reclamation se fondait ·sur le fait que lorsqu'un intemaute introduisait le nom complet de M. Gonzalez sur le moteur de recherche Google Search, ii obte­nait des liens vers deux pages d'un quotidien sur lesquelles figurait une annonce datant de 1998 mentionnant le nom de M. Costeja Gonzalez et qui concemait une vente aux encheres immobiliere liee a une saisie pratiquee en recouvrement de dettes de securite sociale.

Dans sa reclamation, M. Gonzalez a demande ace qu'il soit ordonne a Google Inc. et Google Spain de supprimer ou de cacher !es liens vers les pages en ques­tion afin qu'elles cessent d'apparaitre dans les resultats de recherche. II s'appuie sur le fait que la saisie dont ii a fait l'objet a ete entierement reglee depuis plu­sieurs annees et que la mention de celle-ci etait depourvue de toute pertinence.

L' AEPD a accepte la reclamation de M. Gonzalez et a ordonne a Google Inc. et Google Spain de supprimer !es donnees personnelles litigieuses de la liste des resultats de Google Search.

Google Inc. et Google Spain ont introduit deux recours separes contre cette de­cision devant l'Audiencia Nacional. Devant lsi Cour de justice de !'Union euro­peenne, l'Audiencia Nacional a souleve la question de savoir quelles obligations incombent aux exploitants de moteurs de recherche pour la protection des don­nees a caractere personnel des personnes interessees ne souhaitant pas que cer­taines informations soient indexees.

II. L'arret du 13 mai 2014

Le premier point a trancher est celui de savoir si I' activite d 'un moteur de re­cherche consiste en des « traitements de donnees a caractere personnel » au sens de !'art. 2 let. b directive 95/46/CE.218 Selon cette disposition, par traitement de donnees a caractere personnel, on entend toute operation ou ensemble d'opera­tions effectuees OU non a !'aide de procedes automatises et appliques a des done nees a caractere personnel, tels que la collecte, I' enregistrement, l' organisation, Iii conservation, !'adaptation ou la modification, !'extraction, la consultation, l'utili- . sation, la communication par transmission, diffusion ou toute autre forme de mis~.~:. a disposition, le rapprochement OU I' interconnexion, ainsi que le verrouillagei !'effacement ou la destruction. L'art. 2 let. a directive 95/46 definit !es donnees personnelles comme toute information concemant une personne physique identi~ fiee OU identifiable (personne concemee). Selon cette meme disposition, est repu tee identifiable une personne qui peut etre identifiee, directement OU indirect.

218 Directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 relative a la protection des personnes physiques l'egard du traitement des donnees a caractere personnel et a la libre circulation de ces d nees, JO 1995 L 281, 31. ·

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ment, notamment par reference a un numero d'identification OU a Un OU plusieurs elements specifiques, propres a son identite physique, physiologique, psychique, economique, culturelle ou sociale.

La Cour rappelle que selon la jurisprudence Lindqvist219, le fait de faire figurer

sur une page Internet des donnees a caractere personnel entre dans la notion de « traitement »au sens de l'art. 2 let. b directive 95/46.220

Sur cette base, la Cour retient d'abord que, parmi les donnees indexees par Google Search, s'y trouvent des donnees personnelles au sens de l'art. 2 let. a directive 95/46. Elle conclut qu'en explorant de maniere automatisee, constante et systematique les pages internet afin de collecter les informations qui s 'y trouvent, l'exploitant d'un moteur de recherche « collecte » de telles donnees qu'il «ex­trait », « enregistre » et « organise » par la suite dans le cadre de ses programmes d'indexation, «conserve» sur ses serveurs et, le cas echeant, «communique a» et (( met a disposition de )) ses utilisateurs sous forme de listes des resultats de leurs recherches. 221 Ces operations etant visees de maniere explicite et incondi­tionnelle a l'art. 2 let. b directive 95/46, elles doivent etre qualifiees de «traite­ment>> au sens de cette disposition, sans qu'il importe que l'exploitant du moteur de recherche applique les memes operations egalement a d'autres types d'informations et ne distingue pas entre celles-ci et les donnees a caractere per­sonnel.222

Dans un deuxieme temps, la Cour analyse la question de savoir si Google pou­vait etre reconnu comme responsable au sens de l'art. 2 let. d directive 95/46.

Selon l'art. 2 let. d directive 95/46, est responsable du traitement la personne physique ou morale, l'autorite publique, le service ou tout autre organisme qui, seul ou conjointement avec d'autres, determine les finalites et les moyens du trai­tement de donnees a caractere personnel. La Cour rappelle que la notion de res­ponsable doit s'interpreter de maniere large et qu'il n'est pas necessaire que ce­lui-ci exerce un controle sur les donnees a caractere personnel. 223 La Cour retient que c'est l'exploitant du moteur de recherche qui determine les finalites et les moyens de son activite et ainsi des traitements des donnees personnelles qu'il effectue. 224 Partant, l 'exploitant entre dans la notion de responsable au sens de l'art. 2 let. d directive 95/46.

Dans un troisieme temps, la Cour analyse la question de savoir si Google Spain peut etre considere comme un « etablissement » au sens de l'art. 4 par. 1 let. a directive 95/46, et ce, alors meme que le moteur de recherche Google Search est exploite par la societe Google Inc., dont le siege est aux Etats-Unis.

Selan l'art. 4 par. 1 let. a directive 95/46, chaque Etat membre applique les dispositions nationales qu'il arrete en vertu de la presente directive aux traite­ments de donnees a caractere personnel lorsque le traitement est effectue dans le cadre des activites d'un etablissement du responsable du traitement sur le terri­toire de l 'Etat membre.

219 CJCE, aff. C- 101/01, EU:ECLl:C:2003:596, cons. 25 (Lindqvist). 22° CJUE, aff. C-131/12, ECLI:EU:C:2014:3 l 7, cons. 26 (Google c. Gonzalez). 221 CJUE, aff. C-131/12, ECLI:EU:C:2014:3 l 7, cons. 28 (Google c. Gonzalez). 222 CJUE, aff. C-131/12, ECLI:EU:C:2014:317, cons. 28 (Google c. Gonzalez). 223 CJUE, aff. C-131/12, ECLI:EU:C:2014:317, cons. 34 (Google c. Gonzalez). 224 CJUE, aff. C-131/12, ECLI:EU:C:2014:317, cons. 38 (Google c. Gonzalez).

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Sur la notion d'etablissement, la Cour retient que Google Spain se livre a l'exercice effectif et reel d'une activite au moyen d'une installation stable en Es­pagne.225 Etant en outre dotee d'une personnalite juridique propre, Google Spain est ainsi une filiale de Google Inc. sur le territoire espagnol et, partant, un « eta­blissement »au sens de l'art. 4 par. 1 let. a directive 95/46.226

Le fait que Google Spain constitue un etablissement ne suffit pas ace qu'elle tombe sous le coup de la directive. Encore faut-il que le traitement de donnees a caractere personnel par le responsable (Google Inc.) soit « effectue dans le cadre des activites » d'un etablissement (Google Spain) de ce meme responsable sur le territoire d'un Etat membre.227 Sur ce point, la Cour releve qu'il n'est pas neces­saire que le traitement de donnees soit effectue par l'etablissement lui-meme, mais qu'il suffit qu'il le soit dans le cadre de ses activites.228 Ace titre, elle re­leve que l'activite de Google Spain se limite a la foumiture d'un soutien a l'activite publicitaire de Google Inc. Aussi, la Cour rappelle qu'afin d'assurer une protection efficace, le champ d'application territorial de la directive doit etre in-terprete de maniere large. 229 _

.En consequence, la Cour retient que le traitement de donnees a caractere per­sonnel qui est fait pour les besoins du service d'un moteur de recherche tel que Google Search, lequel est exploite par une entreprise ayant son siege clans un Etat tiers (Google Inc.), mais disposant d'un etablissement clans un Etat membre (Google Spain), est effectue «clans le cadre des activites »de cet etablissement si celui-ci est destine a assurer, clans cet Etat membre, la promotion et la vente des espaces publicitaires proposes par ce moteur de recherche, qui servent a rentabili­ser le service offert par ce moteur.230 Tel est a l'evidence le cas de Google Spain.

Dans un quatrieme temps, la Cour s'atrete sur la question de la responsabilite de l'exploitant d'un moteur de recherche en vertu de la directive 95/46. Sur ce point, la Cour rappelle que la directive 95/46 doit s'interpreter a la lumiere des art. 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux qui garantissent le droit au res­pect de la vie privee et le droit a la protection des donnees personnelles. 231 A cet egard, elle releve qu 'un traitement de donnees a caractere personnel realise par l'exploitant d'un moteur de recherche est susceptible d'affecter de maniere signi­ficative les droits fondamentaux au respect de la vie privee et a la protection des donnees personnelles lorsque la recherche a l'aide de ce moteur est effectuee a partir du nom d'une personne physique, des lors qu'il permet a tout intemaute d' obtenir par la liste de resultats Un aperyU structure des informations relatives a cette personne trouvables sur Internet, qui touchent potentiellement a une multi­tude d' aspects de sa vie privee. 232 Au vu de la gravite potentielle de cette inge­rence, la Cour considere qu' elle ne saurait etre justifiee far le seul interet econo­mique de l'exploitant d'un tel moteur clans ce traitement. 33

225 CJUE, aff. C-131/12, ECLI:EU:C:2014:317, cons. 49 (Google c. Gonzalez). 226 CJUE, aff. C-131/12, ECLI:EU:C:2014:317, cons. 49 (Google c. Gonzalez). 227 CJUE, aff. C-131/12, ECLI:EU:C:2014:317, cons. 50 (Google c. Gonzalez). 228 CJUE, aff. C-131/12, ECLI:EU:C:2014:317, cons. 52 (Google c. Gonzalez). 229 CJUE, aff. C-131/12, ECLI:EU:C:2014:317, cons. 54 (Google c. Gonzalez). 23° CJUE, aff. C-131/12, ECLI:EU:C:2014:317, cons. 55 (Google c. Gonzalez). 231 CJUE, aff. C-131/12, ECLI:EU:C:2014:317, cons. 69 (Google c. Gonzalez). 232 CJUE, aff. C-131/12, ECLI:EU:C:2014:317, cons. 80 (Google c. Gonzalez). 233 CJUE, aff. C-131/12, ECLI:EU:C:2014:317, cons. 81 (Google c. Gonzalez).

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Le droit de la personne concemee peut prevaloir sur l'interet a la connaissance des informations. Au demeurant, la suppression de liens de la liste de resultats pourrait avoir des repercussions sur l'interet legitime des intemautes potentielle­ment interesses a avoir acces a celle-ci. Le droit a la suppression des informations personnelles depend des lors de la nature de l'information en question et de sa sensibilite pour la vie privee de la personne concemee ainsi que de l'interet du public a disposer de cette information, lequel peut varier, notamment, en fonction du role joue par cette personne dans la vie publique. 234

Pour l'ensemble de ces raisons, la Cour conclut que l'exploitant d'un moteur de recherche est oblige de supprimer de la liste de resultats des liens vers des pages web, publiees par des tiers et contenant des informations relatives a une personne, egalement dans l 'hypothese ou ce nom ou ces informations ne sont pas effaces prealablement ou simultanement de ces pages web, et ce, le cas echeant, meme lotsque leur publication en elle-meme sur ces pages est licite, lorsque les interets en cause le justifie. 235

Enfin, dans un cinquieme temps, la Cour se prononce sur la question de savoir si une personne peut demander la suppression d 'une indexation portant sur une information veridique, au motif que ces informations sont susceptibles de lui por­ter prejudice ou qu' elle desire que celles-ci soient « oubliees » apres un certain temps. La Cour rappelle qu'en vertu de l'art. 6 par. 1 let. ca e directive 95/46, un traitement initialement licite de donnees exactes peut devenir, avec le temps, in­compatible avec cette directive lorsque ces donnees ne sont plus necessaires au regard des finalites pour lesquelles elles ont ete collectees ou traitees. 236 Tel est notamment le cas lorsqu'elles apparaissent inadequates, qu'elles ne soot pas ou plus pertinentes ou sont excessives au regard de ces finalites et du temps qui s'est ecoule.237 Partant, l'art. 12 let. b directive 95/46 impose a l'exploitant du moteur de recherche d'effacer les resultats qui tombent sous le coup de I 'art. 6 par. 1 let. c a e directive 95/46 lorsque la personne concemee en fait la demande. 23

A cet egard, la Cour considere que l'interet prive d'une personne a demander a ce qu'une information a son sujet ne soit plus mise a la disposition du grand pu­blic par son inclusion dans une liste de resultats prime en principe non seulement l'interet economique de l'exploitant du moteur de recherche, mais egalement l'interet public a trouver !'information en question !ors d'une recherche portant on le nom de cette personne.239 Tel n'est en revanche pas le cas s'il apparaissait, en raison notamment du role joue par la personne en question dans la vie pu­blique, que l'ingerence dans ses droits fondamentaux est justifiee par l'interet preponderant public a avoir acces a !'information en question. 240

En l'espece, la Cour constate qu'au vu de la sensibilite des informations a pro­pos de M. Gonzalez, au fait que la publication initiate avait ete effectuee ii y a plus de 16 ans et qu'il n'y a pas d'interet public preponderant contraire, celui-ci

234 CJUE, aff. C-131/12, ECLI:EU:C:2014:317, cons. 81 (Google c. Gonzalez). 235 CJUE, aff. C-131112, ECLI:EU:C:2014:317, cons. 88 (Google c. Gonzalez). 236 CJUE, aff. C-131/12, ECLI:EU:C:2014:317, cons. 93 (Google c. Gonzalez). 237 CJUE, aff. C-131/12, ECLI:EU:C:2014:317, cons. 93 (Google c. Gonzalez). 238 CJUE, aff. C-131/12, ECLI:EU:C:2014:317, cons. 94 (Google c. Gonzalez). 239 CJUE, aff. C-131/12, ECLI:EU:C:2014:317, cons. 97 (Google c. Gonzalez). 24° CJUE, aff. C-131/12, ECLI:EU:C:2014:317, cons. 97 (Google c. Gonzalez).

245

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dispose d 'un droit a ce que ces informations ne soient plus liees a son nom au moyen d'un resultat de recherche.241

III. Un commentaire

Dans cet arret, la Cour analyse longuement l'application de la directive 95/46 au moteur de recherche tel que Google Search. Elle pro cede pour l 'essentiel en deux temps. Dans un premier temps, la Cour etablit le fait que, malgre que Google Inc. soit une societe etablie en dehors de l'Union europeenne, le fait qu'elle exploite des filiales dans des Etats membres suffit a ce qu'elle tombe sous le coup de la directive 95/46. Dans un second temps, la Cour retient qu'une personne a un droit a ce que des informations a son propos soient supprimees et que ce droit prime non seulement l'interet economique de l'exploitant du moteur de recherche, mais aussi l'interet public a l'information, a moins que des circonstances particulieres fassent apparaitre ce demier interet comme preponderant.

A vec cette decision, la Cour a su adapter la directive europeenne de 1995 aux nouveaux enjeux qui decoulent de la multiplication des collecteurs de donnees personnelles sur internet. Malgre les dires de Google Inc., auxquels l 'Avocat ge­neral avait apporte sa caution, 242 qui faisait notamment valoir le fait que la me­sure etait disproportionnee en raison du fait qu'elle etait techniquement et eco­nomiquement difficile a realiser, la Cour a retenu le principe selon lequel une personne a droit a ce que des informations-a son propos ne soient pas connues du public.

Ce jugement merite pleine approbation. En relation avec le droit a l'oubli, il est en harmonie avec la protection de la personnalite telle qu'on la com;:oit en Europe, que ce soit en application de la CEDH243 ou de la jurisprudence des tri­bunaux nationaux.244 A l'evidence, il contredit a tous egards les conceptions ame-

241 CJUE, aff. C-131/12, ECLI:EU:C:2014:317, cons. 98 (Google c. Gonzalez). 242 Cf. Conclusion de l'Avocat general Jiiiiskinen du 25 juin 2013, CJUE, aff. C-131/12,

ECLI:EU:C:2014:424, cons. 133 (Google c. Gonzalez). «De telles 'procedures de notifica­tion et de retrait', si elles etaient exigees par la Cour, conduiraient vraisemblablement so it au retrait automatique de liens vers tout contenu faisant l'objet d'une opposition, soit a un nombre ingerable de demandes traitees par les fournisseurs de services de moteur de re­cherche sur Internet Jes plus populaires et importants ».

243 Sous !'angle de !'art. 8 CEDH, cf. p. ex. CourEDH, von Hannover c. Allemagne, no. 59320/00, 24 juin 2004, Recueil 2004-VI, ou la CourEDH considere que le droit a la liberte de la presse est limite par le droit au respect de la vie privee. Cf. aussi CourEDH, Brunet c. France, no. 21010/10, 18 septembre 2014, Recueil 2014, ou la CourEDH considere que !'inscription d'un prevenu dans une procedure penale qui a abouti a un classement au fichier STIC (systeme de traitement des infractions constatees) pour une duree de 20 ans etait con­traire a !'art. 8 CEDH.

244 En droit suisse, cf. ATF 109 II 353, JdT 1985 I 98, ou le Tribunal federal consacre un droit a l'oubli pour le criminel une fois condamne; ATF 122 III 449, JdT 1998 I 131, ou le Tribunal federal considere le fait que les faits publies au sujet du passe criminel d' un CEO soient ve­ridiques ne justifient pas une atteinte au droit au respect de la vie privee; arret du TF du 23 octobre 2003, 5C.156/2003, ou le Tribunal federal considere qu'un condamne qui a purge sa peine a le droit a ce que son nom ne so it pas mentionne dans les journaux.

246

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ricaines en la matiere. 245 Outre le fait qu' il signale qui a demande la desindexa­tion et que certains journaux britanniques ont commencee a publier ce qui fait l'objet d'une desindexation, Google a decide qu'il ne respecterait pas cette deci­sion aux Etats-Unis, et les informations ~u'on ne trouve plus en Europe, on conti­nue de les trouver sur www.google.com. 46 Cela etant, Google a mis en place des le 30 mai 2014 un formulaire de droit a l'oubli afin de se conformer a la decision de la Cour du 13 mai 2014.

Atteindre ce formulaire n'est pas aise.247 En effet, Google a mis en place une page generale ayant pour titre « supprimer des informations de Google ». 248 Sur cette page, Google pose une serie de questions en escalier a l'internaute afin de cerner precisement la demande souhaitee. Des qu'il le peut, Google recommande a l'interesse de demander la suppression de l'information directement aupres du site internet dans lequel elle est stockee. Ce n'est qu'apres une serie de reponses negatives a des questions diverses qu'on tombe enfin sur l'element suivant: (( Je souhaite supprimer des informations me concernant en vertu du droit europeen relatif a la protection des donnees ». En cliquant dessus, un message nous re­commande a· nouveau de contacter le webmaster du site dans lequel figure l'information. On le voit, Google essaie d'encourager le plus possible les per­sonnes a se tourner vers les sites internet qui hebergent l'information litigieuse pour la suppression, plutot que de reclamer de lui la desindexation du lien. Par cela, on comprend que Google ne souhaite pas supprimer des resultats vers des liens qui existent - et en quelque sorte mettre une limite a l 'exhaustivite des re­sultats web qu'il souhaite obtenir.

Apres avoir clique sur un ultime lien, on tombe enfin sur le formulaire de sup­pression d'information qui fait suite a l'arret de la CJUE. Ce formulaire est intitu­le « demande de suppression de resultat de recherche au titre de la legislation eu­ropeenne en matiere de protection des donnees ». 249 II est interessant de relever que l'internaute qui souhaite supprimer une information sans motif particulier doit etre conscient du fait que cette suppression resulte de la « legislation euro-

245 Sur !'opposition entre les conceptions americaines et europeennes en matiere de protection de la personnalite, cf. Franz Werra, The Right to Inform v. the Right to be Forgotten: A Transatlantic Clash, in: Ciacchi et al. (ed.), Haftungsrecht im dritten Millennium - Liber Amicorum Gert Briiggemeier, 2009, 285. Cf. aussi James Whitman, The Two Western Cul­tures of Privacy: Dignity Versus Liberty, Yale L.J. 2004, 1153.

246 Sur la resistance de Google et les reactions hostiles au jugement de la CJUE aux Etats-Unis, cf. parmi beaucoup d'autres, Marc Rotenberg, Google's Position Makes No Sense, USA Today du 22.01.2015, <http://www.usatoday.com/story/opinion/2015/01/22/google-eu-electr onic-privacy-information-center-editorials-debates/22186841/> ( consulte le 24.06.201 S); Marc Rotenberg, The Right to Privacy is Global, US News and World Report du 05.12. 2014, <http://www.usnews.com/debate-club/should-there-be-a-right-to-be-forgotten-on-the-i

247

248

nternet/the-right-to-privacy-is-global> ( consulte le 24.06.2015). II suffit de proceder a une recherche Google avec les termes « droit a l'oubli Google» pour voir que les premiers resultats ne renvoient pas au formulaire en question, mais a des ar­ticles de journaux sur internet en lien avec le sujet. <https://support.google.com/websearch/troubleshooter/3111061 ?hl=fr> (consulte le 10.05. 2015).

249 <https://support.google.com/legal/contact/lr _ eudpa?product=websearch> ( consulte le 10.05. 2015).

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peenne en matiere de protection des donnees », puisque pour pouvoir le faire, il doit cliquer sur le lien qui se contente de faire cette mention. ·

Le formulaire commence par resumer en quelques mots la decision de la Cour europeenne dans l'affaire Gonzalez. L'internaute doit ensuite indiquer ses infor­mations personnelles et le lien des resultats qu'il souhaite supprimer. Pour chacun des liens, ii doit indiquer Jes raisons qui motivent sa demande de suppression, a defaut de quoi la demande ne sera pas traitee. Entin, l 'interesse doit joindre au formulaire une copie electronique de sa piece d'identite.

Une fois la demande acceptee, !'information est retiree de la liste des resultats de Google. Ce retrait n'est pour autant pas absolu. En effet, lorsque l'on procede a une recherche dont certains resultats ont ete supprimes a la suite d'une demande d'une personne, on remarque que la page de resultat mentionne expressement que (( [ c ]ertains resultats peuvent avoir ete supprimes conformement a la loi euro­peenne sur la protection des donnees ». Cette mention a un double effet negatif. Premierement, elle informe l'internaute qui a procede a la recherche que la per­sonne recherchee a souhaite supprimer une information le concernant. Cela eveille en tant que telle une certaine curiosite aupres de l 'intemaute. Seconde­ment, le droit a l'oubli tel que mis en place par Google a la suite de l'affaire Gonzalez se limite aux declinaisons nationales europeennes (au sens large) de Google, tel que www.google.fr; www.google.ch; www.google.co.uk ou www.google.es. En cela, lorsqu'une demande de suppression est acceptee par Google, !'information est desindexee de toutes les declinaisons europeennes de Google. En revanche, le site principal de Google, a savoir www.google.com, echappe a cette desindexation. 250 Google n' offre pas la possibilite de supprimer un resultat d'une recherche operee sur www.google.com. Ainsi, lorsque, a l'aide du message de Google, l'intemaute remarque que la personne qu'il recherche a demande la suppression d 'un resultat, il lui suffit de proceder a la meme re­cherche sur www.google.com pour que ce resultat soit visible. Pour exclure www.google.com de !'obligation de mettre en place un droit a l'oubli, Google s'est appuye sur le champ d'application territorial de la directive 95/46 tel que rappele par la CJUE dans cette affaire. II considere qu' en raison du fait que www.google.com est uniquement rattache a la societe Google Inc., dont le siege est aux Etats-Unis, il echappe a la legislation europeenne.

Pour cette raison, le groupe de travail europeen « Article 29 », qui regroupe les differentes autorites europeennes chargees de la protection des donnees, a adopte une nouvelle ligne directrice en date du 26 novembre 2014 dans laquelle ii a sou­haite que Google elargisse le droit a l'oubli a www.google.com. Le groupe justifie ce souhait par le fait que « limiter le retrait des liens aux noms de domaines euro­peens, en partant du principe que les utilisateurs tendent a utiliser Jes moteurs de recherche sur leurs domaines nationaux, ne peut pas etre considere comme un . ·· moyen suffisant de garantir de fayon satisfaisante Jes droits relatifs aux donnees individuelles ». 251

250 Sur cette question, cf. not. Michel Jaccard, Le droit au dereferencement au lieu du droit a.·. l'oubli: Autres questions non resolues, in: <www.bilan.ch/michel-jaccard/droit-et-technolog ies/droit-dereferencement-lieu-droit-loubli-autres-questions-non> ( consulte le 10.05.2015). · Communique de presse du 26 novembre 2014 de Article 29 au sujet de !'adoption de lignes directrices qui mettent en reuvre le« droit a l'oubli »tel qu'il decoule de la jurisprudence de.

251

la CJUE.

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On relevera que des premiers litiges concemant la mise en reuvre par Google de la jurisprudence Gonzalez ont ete portes devant les tribunaux. A titre d'exemple, le Tribunal de grande instance a ordonne par ordonnance de refere du 19 decembre 2014 a Google France et Google Inc. d'executer une demande de suppression et de dereforencement venant d'une Fran9aise qui avait vu sa de­mande refusee.252 Depuis la mise en place du formulaire de droit a l'oubli, Google a rei;:u plus de 250'000 demandes concemant pres d'un million de liens.253

Le taux de refus de desindexation s'eleve a 58%. 254

Malgre la rapide reaction de Google face a l'arret de la CJUE, on remarque que sur de nombreux points, le formulaire mis en place ne permet pas de garantir de maniere effective le droit a l'oubli. 11 appartiendra desormais au juge d'en examiner la comptabilite avec la legislation europeenne dans des litiges futurs.

F. Le retrait du projet de reglement sur le droit de la vente et le marche unique numerique

La nouvelle Commission europeenne presidee par Jean-Claude Juncker a presen­te le 16 decembre 2014 son programme de travail pour l'annee 2015. Intitule « un nouvel elan », ce programme annuel presente 23 nouvelles initiatives. 255

En annexe au programme, on retrouve une liste de retrait de 79 propositions qui avaient ete introduites par l'ancienne Commission.256 Au point numero 60 y figure la mention du retrait de la proposition de Reglement relatif a un droit commun de la vente (DCEV; CESL). Le motif du retrait est le suivant: « Proposi­tion modifiee afin d'exploiter pleinement le potentiel du commerce electronique dans le marche unique numerique ». 257 La nouvelle Commission a ainsi decide d'abandonner le projet de Reglement pour un droit optionnel commun europeen de la vente et de le remplacer par un nouveau projet d'harmonisation du droit pri­ve qui porte specifiquement sur le commerce electronique.

252 Un extrait de l'ordonnance est disponible a cette adresse: <www.legalis.net/spip.php?page=j urisprudence-decision&id _article=4425> ( consulte le l 0.05.2015).

253 <www.lemonde.fr/pixels/article/2015/05/14/google-precise-comment-il-applique-le-droit-a-l -oubli-impose-par-1-ue_ 4633654_ 4408996.html> (consulte le 22.05.2015).

254 <www.lemonde.fr/pixels/article/2015/05/ 14/google-precise-comment-il-applique-le-droit-a-l -oubli-impose-par-1-ue _ 4633654 _ 4408996.html> ( consulte le 22.05 .2015).

255 A titre de comparaison, la fiche d ' information du programme annuel 2015 releve qu'au cours des cinq demieres annees, la Commission a propose en moyenne 130 nouvelles initia­tives par an, cf. <www.europa.eu/rapid/press-release_MEM0-14-2704_fr.htm> (consulte le 21.05.2015).

256 Cf. Annexe de la communication de la Commission au Parlement europeen, au Conseil, au Comite economique et social europeen et au Comite des regions du 16 decembre 2014, dis­ponible in: <https://www.ec.europa.eu/atwork/pdf/cwp _ 2015 _withdrawals_ fr.pdt> ( consulte le 21.05.2015).

257 Cf. Annexe de la communication de la Commission au Parlement europeen, au Conseil, au Comite economique et social europeen et au Comite des regions du 16 decembre 2014, dis­ponible in: <https://www.ec.europa.eu/atwork/pdf/cwp _ 2015 _ withdrawals_fr.pdt> ( consulte le 21.05.2015).

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Un reflet de la jurisprudence recente en droit prive europeen

L'une des priorites de la nouvelle Commission est la mise en place d'un « Marche unique numerique ». 258 La Commission souhaite faire tomber les bar­rieres reglementaires et transformer les 28 marches nationaux numeriques en un marche unique. 259

La Commission a expose sa strategie pour un marche unique europeen dans une communication du 6 mai 2015.260 En substance, on retient que la Commission souhaite introduire trois nouvelles propositions legislatives entre 2015 et 2016. La premiere vise a mettre en place des regles simples et efficaces en matiere de marches transfrontieres pour les consommateurs et les entreprises. La deuxieme vise a reformer le regime du droit d'auteur. La troisieme vise quanta elle a har­moniser les differents regimes de TV A.

C'est essentiellement la premiere proposition qui nous interesse ici, car c'est celle qui fait suite au retrait du projet de Reglement sur le droit commun option­nel de fa vente. La Commission europeenne est partie du constat que les regles europeennes et nationales applicables au commerce electronique transfrontalier sont d'une complexite telle qu'elles sont un frein au developpement du marche numerique. 261 La coexistence de 28 legislations differentes en matiere du droit de la vente et de la protection du consommateur dissuade les entreprises a se lancer dans des echanges transfrontaliers et prive le consommateur d'un acces a un even tail d' offres en ligne comp let et competitif. Selon la Commission, « [ d]ans un marche unique, les,entreprises devraient pouvoir disroser d'un ensemble commun de regles applicables a leurs activites de vente ». 26 Elle rappelle que, bien que certains aspects du droit des conttats ont deja fait l'objet d'une harmonisation en ce qui conceme la vente en ligne (cf. }1· ex. les informations a foumir au con­sommateur et le droit de retractation),2 d'autres ne sont soumis qu'a des regles assurant un niveau minimum d'harmonisation et laissant aux Etats membres ia possibilite d'adopter des dispositions plus strictes, comme c'estle cas en matiere de garantie pour les defauts.264 La Commission releve qu'aucune regle euro­peenne ne regit la garantie concernant les defauts d'un contenu numerique achete en ligne. Elle conclut en precisant qu'elle presentera. une proposition legislative modifiee visant a poursuivre !'harmonisation des principaux droits et obligations

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Cf. la liste des 10 priorites de la Commission Juncker pour l'annee 2015, oil le « Marche unique numerique »figure en seconde position, cf. <www.ec.europa.eu/priorities/index_fr.h; tm> (consulte le 22.05.2015). Cf. <www.ec.europa.eu/priorities/digital-single-market/index_fr.htm> . (consulte le 21.0S 2015). Cf. Communication du 6 mai 2015 de la Commission au Parlement europeen, au Conseil, a Comite economique et social europeen et au Comite des regions, Strategie pour un march unique numerique en Europe, disponible in: <www.ec.europa.eu/priorities/digital-single­rket/docs/dsm-communication _ fr.pdt> (consulte le 21.05 .2015). Cf. Communication du 6 ni.ai 2015 (n. 260), 4 s.

262 Communication du 6 mai 2015 (n. 260), 5. 263 Cf. directive 2011/83/UE du Parlement europeen et du Conseil du 25 octobre 2011 relati

aux droits des consommateurs, modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et la directi 1999/44/CE du Parlement europeen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE' Conseil et la directive 97/7/CE du Parlement europeen et du Conseil, JO 2011 L 304, 64. '.

264 Cf. directive 1999/44/CE du Parlement europeen et du Conseil, du 25 mai 1999, sur cert · aspects de la vente et des garanties des biens-de consommation, JO 1999 L 171, 12.

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Franz Werro/Pascal Pichonnaz

des parties a un contrat de vente de maniere a permettre aux vendeurs de se pre­valoir de leur legislation nationale.

La Commission n'indique pas la forme que prendra cette proposition legisla­tive. Au vu des termes utilises (« se prevaloir de leur legislation nationale »), on peut penser qu'il s'agit plutot d'une nouvelle directive. En tout etat de cause, la Commission se dirige tres clairement vers un projet contraignant, que celui-ci prenne la forme d'un reglement ou d'une directive. En cela, le nouveau projet se distinguera du projet CESL qui visait a mettre en place un reglement optionnel dont l'application etait subordonnee a une election de droit par les parties dans le contrat.

Ce nouveau projet merite qu'on le suive avec attention. II sera particulierement interessant de voir quelles seront les regles « simples et efficaces » que la Com­mission mettra en place afin d'assurer une harmonisation du droit de la vente.

Pour ce qui est du retrait du projet CESL, ii revele toute la difficulte politique et culturelle de mettre en place un droit commun de la vente a l'aide d'un regle­ment. La Commission ne s'y etait pas trompee et c'est ainsi qu'elle avait opte pour un projet non contraignant. Celui-ci relevait toutefois a bien des egards d'un compromis somme toute assez douteux, le caractere optionnel etant a bien des egards impraticable et illusoire. 265

Dans une perspective de droit suisse, on verra si le Conseil federal decide de transposer de maniere autonome la nouvelle directive sur le droit de la vente elec­tronique. On rappellera que le projet de Loi federate sur le commerce electro­nique, qui portait notamment sur une reprise partielle de la directive 1999/44/CE, a ete abandonne par le Conseil federal le 9 novembre 2005. Les nouveaux deve­loppements europeens pourraient remettre en cause cet abandon.

265 Pour une prornpte reaction critique, a notre avis, justifiee, cf. Ruth Sefton-Green, Choice, Certainty and Diversity: Why More is Less, European Contract Law Review 2011, 134.

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