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UNIVERSITE DE MONTPELLIER I
CENTRE DU DROIT DE LA CONSOMMATION ET DU
MARCHE
MASTER II PROFESSIONNEL – CONSOMMATION ET CONCURRENCE
LA LOI TYPE CONCURRENCE : VERS UN
DROIT MONDIAL DE LA CONCURRENCE ?
CONTRIBUTION A L’ANALYSE PROSPECTIVE DU DROIT DE LA CONCURRENCE
REGULANT UNE NOUVELLE ECONOMIE GLOBALE
Par :
Aurélien CANGE-COPPIN
Directeur de recherche :
Henri TEMPLE
Année universitaire 2010-2011
3
Sommaire……………………………………………………………………………….. 3
Introduction…………………………………………………………………………….. 4
Chapitre liminaire : Les objectifs, définitions et marchés économiques considérés par la
Loi Type Concurrence………………………………………………………………… 15
Partie I : La Loi Type Concurrence, un instrument possible de régulation de la
concurrence à l’échelle internationale………………………………………………… 37
Partie II : Droit de la concurrence, concurrence économique et politiques de
concurrence……………………………………………………………………………. 82
Conclusion………………………………………………………................................ 115
Bibliographie………………………………………………………………………… 117
Plan du mémoire……………………………………………………………………... 119
Remerciements………………………………………………………………………. 124
4
Introduction : Les objectifs de la Loi Type Concurrence pour l’uniformisation du droit
mondial de la concurrence face à des marchés économiques et financiers aux
dimensions et pratiques hyperboliques
La Loi Type Concurrence1 est un texte de la Conférence des Nations Unies sur
le Commerce et le Développement (CNUCED) afin de promouvoir une standardisation,
des règles de concurrence à travers le monde2.
La première version de la Loi Type Concurrence a dans cet esprit été adoptée et
publiée en 20003 et la dernière version a été publiée après révision en 2010
4. Ce texte
évolue donc au fil des discussions menées avec les pays membres de la CNUCED afin
de donner un reflet fidèle des désirs et besoins des pays qui adoptent la Loi Type
Concurrence. Ce texte relativement imposant fait plus d’une centaine de pages afin
d’offrir un cadre relativement complet sur les questions prioritaires de concurrence.
La Loi Type Concurrence est divisée en deux parties majeures. La première
partie s’intitule « Éléments éventuels à incorporer dans les articles pour une loi sur la
concurrence » et traite des questions de concurrence en définissant notamment les
notions importantes en droit de la concurrence avec par exemple la définition d’une
entreprise ou d’une fusion-acquisition puis incrimine un certain nombre de
comportements présentés comme anticoncurrentiels. La première partie compte treize
chapitres. Les chapitres I et II donnent les objectifs de la loi et présentent les définitions.
Les chapitres III à VI énoncent les comportements prohibés. Les chapitres VII à XIII
pose l’idée d’un organe de la concurrence qui serait à même de connaitre des litiges sur
les règles de concurrences, y compris sur la question de la protection du
consommateur5. La deuxième partie s’intitule « Commentaires des chapitres de la Loi
Type Concurrence et formules différentes relevées dans des législations existantes ».
1 Model Law on Competition (ANG).
2 CNUCED, Loi Type sur la Concurrence, Chapitre I : Objectifs ou buts de la loi, page 3
(TD/RBP/CONF.7/8). 3 CNUCED, Loi type sur la concurrence, Projet de commentaire d’éléments pour les articles d’une loi
ou de loi type, TD/RBP/CONF.5/7, Genève 2000. 4 Voyez ante note n°2.
5 La question sur la protection du consommateur est cependant évoquée de manière extrêmement
brève, notant simplement que « dans un certain nombre de pays, la législation relative à la protection des consommateurs est indépendante de celle qui régit les pratiques commerciales restrictives ». Cela ne peut emporter aucune conclusion certaine.
5
Cette seconde partie reprend la même structure que la première en notant, pour chacun
des treize chapitres, les différences existantes entre la Loi Type Concurrence et les
législations d’un certains nombres de pays. Ainsi, il est plus aisé de percevoir l’effort
d’harmonisation des règles de concurrence à l’échelle internationale. Les commentaires
font tous référence à des situations existantes dans un grand nombre de pays et mettent
en lumière les choix en matière de règlementation et de régulation de la concurrence.
On peut distinguer par cette typologie ici adoptée par la CNUCED le souci de ne
pas froisser les pays membres en imposant trop fortement un modèle rigide. La
CNUCED qui, comme bien souvent au sein de l’ONU, recherche en priorité un
consensus réfléchi et durable souhaite voir naître un modèle largement adopté sans
contrainte en misant sur les techniques de négociation. Chaque pays qui l’adopte alors
fait un choix politique et économique majeur en décidant lui-même de prendre cette
voie. Si l’on considère un instant que plus d’une centaine de pays ont mis en place une
législation plus ou moins complexe permettant la régulation de la concurrence et qu’une
large moitié de ceux-ci possèdent un cadre juridique sur le contrôle des concentrations6,
on peut considérer l’ampleur de la tâche des organisations internationales telles que la
CNUCED dans son travail de mise en place d’un cadre concurrentiel partagé.
Le premier objectif de la Loi Type Concurrence est de doter un nombre
maximum de pays d’une réglementation minimale pour réguler la concurrence et
permettre à la fois une meilleure organisation du marché intérieur afin de l’assainir ou
de prévenir tout acte anticoncurrentiel mais également et surtout de permettre aux pays
de s’insérer dans les logiques macro-économiques des places de marché internationaux.
Le deuxième objectif de cette loi est de s’assurer que tous les pays qui versent
dans des pratiques mercantiles au niveau international aient en commun un système des
régulations efficaces qui ne crée pas de distorsion de concurrence.
6 F. Jenny, Les politiques de la concurrence dans le monde, convergences et divergences, ENA, Mensuel
n° 318, février 2002, p. 27 sqq.
6
Enfin, un troisième objectif semble se dessiner si l’on regarde plus attentivement
cette Loi Type Concurrence. Si les deux premiers objectifs répondent à des exigences de
pérennité et de compétition loyale, le dernier semble être en faveur des entreprises. La
régulation des abus de position dominante par exemple se trouve dans la Loi Type
Concurrence afin de prévenir des actes qui nuisent aux marchés et à la finalité d’une
concurrence réelle et saine. En revanche, toute la partie sur le contrôle des
concentrations, problème majeur en droit international de la concurrence et cela a été
illustré à plusieurs reprises dans des affaires retentissantes7, est favorable aux
entreprises en ce qu’on peut imaginer que la création d’une autorité de la concurrence
internationale qui serait à même d’autoriser ou d’interdire des fusions éviterait aux
entreprises procédant à une fusion-acquisition les déconfitures inattendues. Ainsi,
l’opération de concentration avalisée par cette autorité reconnue qui aurait à loisir de
mener son enquête, serait reconnue comme valable sur tous les marchés. Encore
faudrait-il pour cela que les instances nationales ou communautaires acceptent de perdre
leur compétence en la matière. Quoi qu’il en soit, il serait bien plus aisé pour les
entreprises multinationales de présenter leur projet à une seule autorité. Cela réduirait
les coûts inhérents aux projets de concentrations, ferait gagner du temps et simplifierait
les procédures.
La Loi Type Concurrence entretient donc finalement un triple objectif qui ne
peut être décelé à première vue. Il s’agit alors pour mesurer sa valeur, son utilité, son
efficience et ses limites de faire se croiser une analyse juridique des causes, états et
conséquences de la Loi Type Concurrence et des considérations économiques et
politiques afin de se livrer à une étude au possible exhaustive de cette Loi Type
Concurrence de la CNUCED. Pour comprendre les fondements du texte et sa finalité de
la plus juste des façons, il convient de se pencher sur la création de la CNUCED qui a
produit ce texte et des motivations de cette organisation.
La CNUCED, créée en 1964 par l’ONU8 sous l’impulsion de très nombreux
pays d’Amérique Latine, d’Asie et d’Afrique, a toujours été à la recherche d’une plus
grande cohésion entre les pays industrialisés ayant une économie puissante prononcée et
7 Commission Européenne, Affaire n° COMP/M.2220 General Electric/Honeywell, 3 Juillet 2001.
8 Organisation de nations Unies (FR), United Nations Organisation – UNO (ANG).
7
ceux d’une grande partie du monde manquants non pas nécessairement de ressources,
mais d’infrastructures efficaces qui constituent les outils de développement de
l’économie. Les ressources de très nombreux pays dans les années 1960 à 1980 ne
pouvaient être exploitées de manière compétitive notamment du fait d’un écart entre les
savoirs techniques et scientifiques entre les pays déjà très industrialisés et prospères et
les autres pays qui n’avaient pas connus la même progression liés à des facteurs socio-
économiques et politiques. La CNUCED est donc une institution originellement créée
pour rectifier la vision qu’avaient instaurés les accords du GATT9 (General Agreement
on Tariffs and Trade) mis en place en 1947 qui aboutiront, après l'un des derniers cycles
de négociations (l'Uruguay Round, de 1986 à 1994), aux accords de Marrakech et à la
création de l'Organisation mondiale du commerce10
(OMC). S’il n’existe pas de lutte
ouverte entre ces deux organisations internationales, les deux modèles ne promeuvent
pas les mêmes schémas économiques en interagissant avec les réalités du commerce
international.11
Cependant, la CNUCED, à la fin des années 1980, perd peu à peu de son
influence suite à la fin progressive de la guerre froide et à l’émergence des nouvelles
économies. La CNUCED reste cependant une organisation importante au sein de
l’ONU. La CNUCED a pour mandat d’aider les entreprises, notamment les PME, à se
conformer aux normes internationales et de les aider à accéder aux nouvelles
technologies. Ces entreprises peuvent ainsi connaitre un certain essor au sein des grands
flux économiques mondiaux. Elle élabore pour cela un cadre directif pour encourager
les politiques de créations et de développement d’entreprises et apporte son assistance
pour le développement des entreprises locales. La CNUCED aide aussi les pays en
développement à mettre en place un environnement qui favorise la formation de
relations entre les entreprises. Enfin, elle tente d'améliorer le cadre réglementaire et
opérationnel pour supporter l’investissement dans ces pays et ainsi faire croître
l’économie et la puissance commerciale de ceux-ci.
Grâce à la Loi Type Concurrence, la CNUCED espère doter de très nombreux
pays n’ayant pas de législation sur la concurrence ou ne possédant qu’une
9 Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (FR).
10 WTO : World Trade Organization (ANG).
11 Communiqué de presse du 3 Novembre 2004 (AG/EF/3089).
8
réglementation lacunaire d’un véritable cadre de marché au sein duquel peuvent se
développer des activités commerciales et financières saines et plus justes. Nombre des
193 pays qui font partie de la CNUCED ne possèdent pas d’économies véritablement
puissantes. Les trois quarts de l’économie mondiale résident entre les mains d’une
poignée de pays12
mais l’objectif de la CNUCED n’est pas de faire de chaque pays un
leader économique mondial. Il s’agit plutôt d’aider les économies locales et les marchés
modestes à s’insérer autant que faire se peut et de la meilleure des manières dans le
schéma mondial. Les logiques capitalistes basées sur les théories de l’offre et de la
demande font et défont les empires financiers. D’autre part, dans leur effort pour
maintenir un marché efficace, les pays dotés d’une puissante économie ont élevés la
concurrence en valeur reine. Les frictions et affrontements pour les parts de marchés et
les points de croissance peuplent les places de marché. C’est ainsi une logique
particulière et surtout infiniment complexe qui peut ruiner une entreprise imposante en
une journée. Les faibles économies locales ne pourraient résister un seul instant et serait
englouties instantanément par cet ogre redoutable si elles tentaient d’entrer sur le
marché sans se doter d’un cadre assez semblable.
S’il est impossible d’appliquer une recette unique à chaque économie, la
technique du droit comparé permet dans un premier temps de déceler l’existence d’une
législation et ses caractéristiques propres ou, au contraire, découvrir l’absence de tout
cadre de règlementation et de régulation. Dans un second temps, il s’agira de mettre en
place ou de perfectionner la législation portant sur la concurrence. Ce sont ici des
objectifs chers à la CNUCED. La Loi Type Concurrence cherche par ce travail à
harmoniser les législations portant sur la régulation de la concurrence ou, tout au moins,
à donner une base semblable aux entreprises à travers le monde.
D’autres organisations, notamment au sein de l’ONU, œuvrent en ce sens. Ainsi,
le Groupe de Travail 6 de la CEE-ONU13
(Commission Economique de l’Europe au
sein de l’Organisation de Nations Unies) opère ainsi en ce domaine en menant des
négociations avec les pays membres dans le but de promouvoir un usage de termes et
12
FMI, World Economic Outlook Database, 2010. 13
United Nations Economic Commission for Europe, Working Party on Regulatory Cooperation and Standardization Policies (UNECE WP.6) (ANG).
9
définitions communs et une large reconnaissance des normes internationales. Cet
objectif porté aujourd’hui par la CNUCED n’est pas nouveau. Déjà, en 1980,
l’Assemblée Générale de l’ONU a adopté une résolution sous le titre « Ensemble de
principes et règles équitables convenus au niveau international pour le contrôle des
pratiques commerciales restrictives »14/15
. Certes, ce code de conduite n’a pas de force
juridique obligatoire mais il démontre la volonté des Nations Unies de promouvoir
largement une concurrence saine pour tous les acteurs et au sein de chaque marché afin
d’assurer un réel level playing field16
.
Ainsi, la Loi Type Concurrence n’est pas un texte entièrement inédit mais il
donne à réfléchir sur une éventuelle reconnaissance mondiale de règles de concurrence.
Par cette action, les marchés puissants ou modestes seraient protégés et tous les acteurs
des marchés financiers et commerciaux adopteraient véritablement les mêmes règles. La
Loi Type Concurrence serait à même de donner un cadre à respecter à la fois au sein du
pays entre les entreprises concurrentes mais également et surtout sur les places de
marché. Bien que, comme nous aurons amplement l’occasion de le développer, cette
Loi Type Concurrence souffre de quelques lacunes et ne soit pas l’outil idéal face aux
logiques financières ultra puissantes, ce texte tend à se perfectionner lors de révisions
fréquentes et avec le concours d’une pléthore de pays. Ces discussions permettent de
faire figurer les remarques de tout un chacun ou presque et sont déjà l’assurance partiel
d’une règlementation plus respectueuse de chaque économie quelle que soit sa taille et
sa valeur économique.
Toutefois, comme nous venons de l’évoquer, le défaut récurrent de la CNUCED
tient en ce que ses textes, et donc la Loi Type Concurrence, n’ont pas force obligatoire.
Elle ne saurait ainsi soumettre des pays aux règles de concurrence contenues dans la Loi
Type Concurrence. Par conséquent, si la CNUCED est d’une aide importante quant à la
réflexion et à l’assistance des pays nécessitant un soutien, elle ne constitue pas le forum
14
Résolution 35/63 des Nations Unies, 1980. 15
Set of Multilaterally Agreed Equitable Principles and Rules for the Control of Restrictive Business Practices (ANG). 16
« Level playing field » est une expression anglo-saxonne désignant un environnement dans lequel toutes les entreprises d'un marché donné doivent suivre les mêmes règles et ont les mêmes capacités à être compétitives. (Pour la première occurrence répertoriée, voyez : Tyrone Daily Herald, January 1977).
10
tant désiré pour l’adoption des règles contraignantes ou des mécanismes de coopération
multilatérale pour résoudre des cas spécifiques. Cette organisation est avant tout un
organe de réflexion et de négociation entre les pays afin d’éviter des affrontements
économiques trop violents qui préviendraient toute entrée sur le marché mondial pour
les nouvelles économies. Les règles de concurrence tantôt décriées tantôt portées aux
nues ont permis ces dernières années l’émergence de nouveaux pays et le déploiement
spectaculaire de leurs économies au niveau mondial. Ainsi, les valeurs de libre
concurrence et la suprématie de l’offre et de la demande ont permises, permettent et
permettront encore à la Chine, au Brésil et à l’Inde d’étendre leur puissance économique
et financière sur les marchés internationaux.
Cependant, il faut noter que, à l’inverse de la CNUCED qui produit de textes de
soft law17
, il existe des règles de concurrence internationale qui s’applique de manière
coercitive. Il est en effet trop optimiste de compter entièrement sur la bonne disposition
des pays à faire passer l’ordre concurrentiel avant leurs intérêts économiques propres.
On peut donc distinguer la volonté de promouvoir pour tous une concurrence saine et
juste et la mise en place de règles effectives et d’un système de condamnation des actes
anticoncurrentiels. La Loi Type Concurrence se place bien aisément dans la première
logique et recherche avant tout un consensus qui pourrait mener à une adoption plus
large du texte par les états qui pratiquent un commerce important.
A la lumière de ces considérations, la Loi Type Concurrence cherche à
s’imposer largement à travers le monde. On pourrait donc considérer que la CNUCED
caresse l’idée d’un droit mondial de la concurrence. Cette assertion est quelque peu
complexe. Il est certain que la Loi Type Concurrence tende à doter les pays qui n’en ont
pas d’une réglementation sur la concurrence. Les pays qui en sont déjà dotés peuvent
s’assurer que leur législation soit conforme avec les principes énoncés dans la Loi Type
Concurrence. La CNUCED, qui compte 193 états membres aujourd’hui18
, peut donc
17
Texte n’ayant pas de force obligatoire et étant librement adopté par les pays volontaires. 18
http://www.unctad.org/.
11
espérer fédérer une très grande majorité de pays autour de ce projet. En ce sens, il
semblerait que la Loi Type Concurrence puisse se présenter comme un des projets de
régulation de la concurrence au niveau international le plus abouti. Pour autant, comme
le souligne plusieurs auteurs19
, la CNUCED ne produit pas des textes qui ont vocation à
régler les différends naissant sur des questions de concurrence. La CNUCED entend
promouvoir des règles de concurrence qui, comme nous aurons l’occasion de l’étudier,
visent à mettre en place les notions de concurrence pour le plus grand nombre de pays.
Si la finalité de la Loi Type Concurrence est conforme à cette analyse, on peut énoncer
que la CNUCED ne se pose pas en corps de loi capable et souhaitant contraindre les
pays par de dures règles, notamment parce qu’il s’agit en partie de doter des pays d’une
législation a minima en matière de concurrence.
Depuis l’échec de l’accord de la Havane en 1948, l’idée d’un droit mondial de la
concurrence est devenue, au fil des décades, de plus en plus chimérique. Diverses
organisations internationales, dont la majorité se trouvent au sein de l’ONU ont tentées
de mettre sur pied un tel projet mais se sont toujours heurtés aux contestations quasi-
unanimes des pays qui tiennent les rênes de l’économie mondiale. Ces projets ont
notamment été jugés comme purement fantaisistes et irréalisables et que de telles
compétences ne pouvaient appartenir à une organisation internationale20
.
Néanmoins, l’OMC est aujourd’hui dotée d’un système de règlements des
conflits qui porte le nom d’organe de règlement des différends (ORD). Pour autant, les
procédures sont tortueuses et longues et les pays qui ne possèdent pas une forte
puissance économique ne peuvent utiliser correctement les mesures de rétorsions
autorisées par l’OMC21
. Le très faible taux d’importation, parfois inexistant, de ces pays
ne leur permet pas de prendre des décisions coercitives à l’égard des acteurs majeurs.
L’Organe de Règlement de Différends de l’OMC n’a pas apporté l’équilibre
économique attendu.
19 Heinemann Andreas, La nécessité d'un droit mondial de la concurrence, Revue internationale de droit
économique, 2004/3 t. XVIII, 3, p. 293-324. DOI : 10.3917/ride.183.0293 (3.3.2 CNUCED). 20
WTO Documentation, Report of Experts, Adopted 2 June 1960, L/1015, BISD 9S/170. 21
Chloé Maurel, Géopolitique des impérialismes, Paris, Studyrama, 2009, p. 174.
12
Il n’y donc aucune organisation mondiale aujourd’hui qui peut se prévaloir
d’avoir institué un droit mondial de la concurrence qui ne souffre de distorsions ou qui
ne suscite la défiance des pays. Ainsi, les pays luttent-ils les uns contres les autres en
tentant toujours de protéger leurs intérêts et attirant de façon plus ou moins régulière les
foudres d’autres économies. Un droit de la concurrence mondial ne pourrait que réduire
les manœuvres économiques des pays et accroître un peu plus les tensions qui règnent
entre les pays.
Pourtant, cette idée d’un droit mondial de la concurrence, non pas pleinement
harmonisé et partagé par tous, mais plutôt dont les principes essentiels seraient très
largement reconnus, obéit à un intérêt à la fois majeur et pressant. Majeur en ce que de
plus en plus de tensions politiques viennent perturber les activités mercantiles
auxquelles se livrent les pays. Bien évidemment, l’on retrouve souvent les nouveaux
empires financiers comme la Chine qui suscite à la fois l’admiration et la défiance des
pays prospères plus anciens22
. Les incessantes querelles, parfois portées devant l’ORD
de l’OMC, souvent par les entreprises nationales devant les juridictions compétentes
sont cruciales dans les luttes intestines du commerce mondial. Lorsqu’une entreprise
emblématique comme Microsoft est condamnée par les tribunaux de Pékin pour
violation de propriété intellectuelle23
alors que le fondateur de la société reproche à la
Chine son laxisme concernant le pillage des logiciels dans le pays24
, on peut mesurer les
tensions qui règnent entre les opérateurs sur les marchés, surtout lorsque, dans de tels
cas, ces luttes entre entreprises sont mêlées aux achoppements politiques.
Cette préoccupation se veut également pressante en ce que de nouvelles
entreprises entrent sur des marchés financiers toujours plus grands, rapides et
complexes ou sont en passent de le faire. La question de l’harmonisation et de la
standardisation des règles de concurrence internationale ne concerne plus seulement les
cinq pays qui constituent l’ensemble BRICS25
(Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du
22
The Times, 14 Septembre 2009. 23
BBC News, 18 Novembre 2009. 24
The Hill, 03 Octobre 2010. 25
The Economic Times, 14 Avril 2011.
13
Sud) mais également un nombre croissant de pays qui peuvent prétendre avoir un rôle
décisif dans l’économie mondiale à l’instar de la Corée du Sud ou du Mexique26
.
Les logiques économiques apparaissent ainsi d’autant plus complexes face à un
droit mondial de la concurrence que bien peu d’acteurs sur les marchés veulent. Si l’on
considère l’échec final du cycle de Doha dans toute son ampleur27
, on peut estimer que
les frictions entre les grandes puissances économiques ne vont pas en s’atténuant.
Devant cette incapacité à trouver un terrain d’entente jusqu’à aujourd’hui, l’on se
demande si la régulation au niveau international de la concurrence est encore possible
par des règles communes largement adoptées. Il s’agirait alors de créer, comme le
propose la Loi Type Concurrence, un organe de tutelle qui traiterait des questions de
concurrence, diligenterait des enquêtes et instruiraient les plaintes de sociétés – et non
de pays comme c’est le cas pour l’OMC. La concentration en une seule instance des
griefs d’entreprises qui s’estiment victimes d’agissements anticoncurrentiels à l’échelle
internationale permettrait peut-être enfin d’ériger une base solide pour un droit mondial
de la concurrence.
Pour pouvoir juger de la qualité et de la viabilité de la Loi Type Concurrence au
regard des préoccupations actuelles et des enjeux décisifs portés par les présentes
années, il faudra se livrer à un travail d’analyse des facteurs sociaux et politiques des
différents modèles économiques existants. Il est important pour cette étude d’estimer la
capacité d’adaptation des modèles économiques présents sur le marché ou en phase d’y
rentrer.
Il convient donc, à titre liminaire, d’étudier le chapitre premier de la Loi Type
Concurrence qui s’intitule « Objectifs ou buts de la loi » ainsi que le deuxième chapitre
« Définitions et champ d’application ». Ces propos seront rassemblés et analysés en un
chapitre liminaire car, sans nul doute, il faudra croiser les définitions utilisées par la
CNUCED afin de mieux comprendre les objectifs de la Loi Type Concurrence au-delà
de ce qui a été dit dans cette introduction.
26
Goldman Sachs, How solid are the BRICs, Global Economic Paper no 134 - Jim O’Neill, Dominic Wilson, Roopa Purushothaman and Anna Stupnytska, 1
er décembre 2005.
27 Financial Times, 29 Juillet 2008.
14
Quant à la suite de cette étude hautement prospective, il parait opportun
d’étudier en quoi la Loi Type Concurrence est un outil précieux et un apport majeur au
droit de la concurrence à l’échelle internationale. Pour cela, nous évaluerons les
propositions contenues au sein de la Loi Type Concurrence afin de déterminer si celles-
ci sont aptes à s’ériger comme un instrument de régulation de la concurrence depuis la
prévention des situations anticoncurrentielles aux solutions mises en place pour juger
d’actes contrevenants à une concurrence saine et effective. En ce sens, notre étude se
scindera en deux parties.
La première traitera des dispositions de la Loi Type Concurrence proscrivant les
comportements nuisibles à la concurrence équitable et de la règlementation épineuse des
concentrations, enjeu majeur s’il en est (— Partie I : La Loi Type Concurrence, un
instrument possible de régulation de la concurrence à l’échelle internationale).
La seconde partie permettra de confronter ces considérations aux réalités
économiques et politiques qui affectent les entreprises et le commerce mondiale. Ainsi,
nous serons plus à même de comprendre comment et pourquoi la Loi Type Concurrence
se retrouve partiellement démunie face aux logiques qui règnent en maître dans cet
univers. Ces deux parties se retrouvent indéniablement liées en ce qu’il faut
nécessairement confronter le corps juridique de cette Loi Type Concurrence aux
préoccupations qui agitent inlassablement les places de marché et les bureaux des
sociétés, qu’elles soient géantes ou modestes (— Partie II : Droit de la concurrence,
concurrence économique et politiques de concurrence).
15
Chapitre liminaire : Les objectifs, définitions et marchés économiques considérés par la
Loi Type Concurrence
Au sein de ce chapitre liminaire, l’on considèrera les chapitres I et II de la Loi
Type Concurrence. Ceux-ci portent pour dénomination « Objectifs ou buts de la loi » et
« Définitions et champ d’application ». Ainsi, l’on relèvera les termes retenus par la
CNUCED et leurs définitions afin de mieux comprendre l’étude qui suivra. Au service
d’objectifs clairs, l’article qui énonce ces définitions doit être questionné selon les
formes et les méthodes empruntées au Droit et à la Science afin de retirer d’une simple
lecture première le plus grand nombre d’informations disponibles. Cela permettra
ensuite de confronter ces notions à la finalité de la Loi Type Concurrence afin que, dès
les prémisses de cette étude complète, nous soyons à même de saisir dans sa complexité
la tâche et l’espoir que porte ce texte. C’est avec une logique certaine et intuitive, que
nous examinerons en premier lieu les définitions et le champ d’application de la Loi
Type Concurrence, travail nécessaire dès l’introduction de nos propos (Section 1) pour
interpréter plus correctement les objectifs énoncés dès le commencement au sein de la
Loi Type Concurrence (Section 2). Ce choix, qui ne suit pas l’ordre de la Loi Type
Concurrence emprunte le chemin du bon sens et de la logique. En effet, pour
comprendre les conséquences, l’on sait qu’il faut comprendre les causes et ce depuis
Aristote28
. Ainsi, pour comprendre les objectifs de la CNUCED qui a construit cette Loi
Type Concurrence, il faut auparavant concevoir et entendre sur quoi porte ces objectifs.
Autrement dit, il faut saisir pleinement les objets et acteurs auxquels se destinent cette
Loi Type Concurrence. C’est là comprendre l’objet de notre étude.
Section 1 : Le travail important porté aux définitions dans la Loi Type Concurrence et la
considération intelligente du champ d’application
28
Aristote, Métaphysique, Livre Δ.
16
Au premier regard, l’on constate en lisant la Loi Type Concurrence que la
section consacrée à la terminologie ne contient que quatre définitions, ce qui peut
d’emblée sembler peu. Pour autant, il ne faut pas juger trop hâtivement cette économie
d’éclaircissement car lesdites définitions renferment l’aboutissement d’un travail
concerté sinon consensuel. Ainsi, les dispositions du Chapitre II – Définitions et champ
d’applications, au sein duquel se trouve la section I. Définitions peut-elle se scinder en
trois parties précises. La CNUCED nous livre tout d’abord une définition ambitieuse de
l’entreprise qu’il convient de mettre en rapport avec l’absence d’une définition de la
concurrence (§ 1), puis de deux situations économique et juridiques particulières que
sont l’abus de position dominante et la fusion-acquisition (§ 2) puis enfin du marché
considéré (§ 3), ce que ne manquera pas d’éveiller questions et raisonnement.
§ 1 : Une définition complète et vaste des entreprises mais pas de la concurrence
La concurrence qui intervient entre les acteurs sur le marché est mystérieuse en
ce qu’il existe plusieurs dizaines de définitions de ce que signifie le terme de
« concurrence » en droit de la concurrence, en économie ou dans bon nombre d’autres
domaines tout aussi intéressés par cette activité guerrière que se livrent les entités
économiques. Pour autant, la Loi Type Concurrence n’a pas pris la peine, semble-t-il de
livrer une définition ciselée de ce qu’est la concurrence et cela apparait comme d’autant
plus étrange au regard du projet que nous étudions. En effet, comment expliquer que la
CNUCED ne définisse pas l’activité économique et juridique qu’est la concurrence
alors qu’elle souhaite l’encadrer et doter les acteurs, les entreprises, de règles ? La Loi
Type Concurrence est muette sur ce point ce qui semble signifier que la notion n’a pas
besoin d’être ici construite ou retranscrite. La notion parfaitement définie de
concurrence serait donc si largement partagée qu’il serait inutile de la rappeler dans ce
texte.
L’on peut énoncer que l’absence de définition de ce qu’est la concurrence n’est
pourtant pas préjudiciable. S’il n’existe pas une seule définition, il n’y en a pas non plus
une pléthore. La plupart des lois nationales sur la concurrence consacrent, bien souvent
dès le commencement, une partie aux définitions. Le système juridique est tel qu’il
s’appuie sur l’incrimination de certains comportements qui doivent être définis de la
manière la plus intelligible. On peut estimer en cet instant que le fait de ne pas donner
17
de définition, originale ou non, de la concurrence en tant qu’activité économique et
juridique est significatif.
Et cette supposition première vient se confirmer lorsque l’on examine la
méthode de la CNUCED qui a produit ce texte. En effet, il s’agit pour la CNUCED de
faire référence aux définitions déjà existantes et qui sont largement entendues par tous.
La concurrence étant une notion économique à l’origine29
, elle peut être saisie par tous
les pays aujourd’hui. Montesquieu, déjà, écrivait que « c’est la concurrence qui met un
juste prix aux marchandises, et qui établit les vrais rapports entre elles »30
. Le terme de
concurrence n’est plus réservé aux économistes ou aux philosophes de nos jours et
chacun peut expliquer, avec plus ou moins d’aisance, ce que recouvre cette notion de
concurrence.
De plus, cette Loi Type Concurrence est une loi-cadre, c’est-à-dire qu’elle doit
réguler la concurrence au niveau mondial tout en laissant la place qui leur revient aux
législations nationales. En d’autres termes, chaque pays peut se référer à ses propres
textes nationaux ainsi qu’aux autres textes internationaux afin de mieux appréhender
cette notion de concurrence. La CNUCED a d’ailleurs définie ce que recouvrait le terme
de concurrence. Ainsi, le mot concurrence « s’entend de la rivalité entre les entreprises
sur le marché. Il désigne aussi une rivalité envisagée ou potentielle »31
.Bien qu’il existe
des différences que l’on ne peut ignorer entre les centaines de législations portant sur la
concurrence, la notion elle-même ne présente pas de différences flagrantes qui
remettraient en question le postulat de la CNUCED, à savoir que la notion de
concurrence est suffisamment partagée pour qu’il n’y ait besoin de la citer ou d’ériger
une nouvelle définition. S’agissant, comme nous l’avons tantôt souligné, d’une notion
économique avant d’être accaparée par le Droit, elle n’est pas sujette à de pénibles
controverses. Il faut néanmoins noter que certains pays omettent purement de définir ce
29
Adam Smith, The Wealth of Nations. 30
Montesquieu, De l’esprit des lois, XX, 9. 31
CNUCED, Contributions de la politique de la concurrence à la promotion du développement économique : bonne conception et efficacité du droit et de la politique de concurrence, TD/RBP/CONF.7/3, page 3.
18
qu’est la concurrence dans leur législation32
. Il devient alors d’autant plus utile de se
baser sur la définition de la CNUCED.
On soulignera également que la Loi Type Concurrence est l’aboutissement d’un
travail concerté. La rédaction du texte résulte de l’accord des États-membres33
. La Loi
Type Concurrence est le fruit d’une longue suite de propositions auxquelles se sont
opposées des objections formulées par les États. En sus, les divers organismes et
institutions chargées de l’application, de l’étude ou de la création du droit de la
concurrence partagent ces définitions.
Dans le corps de la Loi Type Concurrence, on retrouve des références directes à
des législations nationales ou à des textes des Nations Unies en ce qui concerne la
notion de concurrence34
. C’est une technique de référence qui est reprise tout au long de
la Loi Type Concurrence. Cette dernière n’a donc pas tant vocation à faire un travail
technique de définitions que de donner une véritable méthode d’application de ces
définitions pour les pays qui en ont besoin.
De même, la définition des entreprises, acteurs principaux de la concurrence,
renvoie à un grand nombre de textes antérieurs divers mais la CNUCED a changé
important de préciser exactement le sens et la portée du terme « entreprise ». Ainsi, la
notion de concurrence n’est pas définie au sein du texte mais les acteurs qui exercent le
jeu de la concurrence le sont. Cela semble permettre donc de mieux appréhender la
notion de concurrence.
Le terme « entreprises » désigne les firmes, sociétés de personnes, sociétés
anonymes, compagnies, associations et autres personnes morales, qu’elles soient créées
ou contrôlées par des intérêts privés ou par l’Etat, qui exercent des activités
32
Notamment la France, l’Allemagne, le Canada, le Brésil, le Royaume-Uni et même l’Union Européenne quant au droit communautaire. 33
Une réunion importante sur la révision de la Loi Type Concurrence s’est tenue à Genève le 19 février 2003. Au terme de cette réunion, le Secrétariat a modifié de façon important les dispositions de la première partie suite aux commentaires de pays et de l’évolution des législations dans le monde. 34
Voyez par exemple pour un texte fondamental des Nations Unies : Ensemble des principes et règles, section E, paragraphe 2.
19
commerciales, et englobe leurs succursales, filiales, sociétés affiliées ou autres entités
directement ou indirectement contrôlées par elles35
.
Une des préoccupations majeures de la CNUCED est contenue dans cette
définition des entreprises. En effet, le champ d’application de la Loi Type Concurrence
dépend, comme n’importe quel autre texte juridique, qu’il soit ou non coercitif, de ce
que la Loi Type Concurrence nomme « les destinataires ». Selon la définition qui est
donnée par la CNUCED, les règles contenues dans le texte pourront s’appliquer à un
nombre plus ou moins grand d’opérateurs économiques sur le marché.
La CNUCED livre donc ici la définition reproduite ci-dessus avec un effort
particulier de rédaction afin d’englober le plus grand nombre possible d’acteurs du
marché. Tout comme nous l’avons expliqué pour la notion de concurrence, il existe des
législations ne font pas état d’une définition propre des entreprises – entités qui exercent
l’activité économique porteuse de concurrence – dont celle de l’Union Européenne36/37
.
L’on constate cependant que, s’agissant cette fois d’acteurs économiques, les pays se
sont révélés plus enclins à donner une définition car, s’il faut encore une fois le mettre
en exergue, la notion de concurrence ne doit pas nécessairement être définie pour faire
application de textes nationaux ou internationaux.
Une caractéristique notable de la définition des entreprises par la Loi Type
Concurrence est qu’elle présente un nombre conséquent de similitudes avec les
législations nationales actuelles. Ainsi, la volonté d’obtenir une application maximale
des règles de concurrence se retrouve dans les législations des pays et certaines
définitions nationales dépassent plus encore le champ d’application de la Loi Type
Concurrence38
.
35
CNUCED, Loi Type Concurrence, chapitre II, paragraphe 1 a). 36
Par exemple, Le droit européen de la concurrence ne contient pas de définition du terme « entreprises » et se borne à faire référence à ce terme, notamment dans les articles 101 et 102 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne. 37
La jurisprudence européenne applique la qualification d’entreprise « indépendamment de son statut juridique et de son mode de financement, à toute entité exerçant une activité économique » - CJUE, Arrêt Höfner et Elser c. Macrotron GmbH, 23 Avril 1991, affaire C-41/90. 38
En République de Corée, le droit de la concurrence s’applique à toutes les entreprises, y compris les employés, les cadres ou agents qui agissent dans l’intérêt de l’entrepreneur. Les dernières exceptions en
20
Tout comme le font les pays du monde entier, qu’ils soient dotés d’une
économie puissante ou modeste39
, la CNUCED recherche à inclure un nombre large
d’opérateurs, cela dans le but que les dispositions de la Loi Type Concurrence puissent
recouvrir leur pleine efficience40
.
Ainsi peut-on dire que la Loi Type Concurrence, compte tenu de son mode
d’élaboration et du partage des notions fondamentales du droit de la concurrence a
tantôt jugé superflu d’inclure une définition de la concurrence et tantôt tenu à inclure, à
l’inverse, une définition des entreprises. Ce deuxième choix s’entend en ce qu’il existe
des divergences suffisamment notables entre les législations nationales ou
internationales à ce sujet. Pour permettre une bonne application des dispositions du
texte, il fallait à la CNUCED cette assurance d’inclure toutes les formes d’activité
économique qui sont représentés par les multitudes d’entreprises. Si toutes les parties
prenantes41
sont soumises à ce droit de la concurrence qui se veut mondial, leurs actes
seront évalués au regard des dispositions de la Loi Type Concurrence afin de juger du
respect ou non des règles de concurrence qui sont contenues en son sein. Il s’agit alors
de définir également ces actes. Cela constitue d’ailleurs une des étapes essentielles du
processus de réglementation de la concurrence.
§ 2 : L’abus de position dominante et la fusion-acquisition, des situations économiques
et juridiques précisées
Deux facteurs sont déterminants pour la régulation de la concurrence sur le
marché. Le premier est la situation économique des entreprises et le second réside dans
la surveillance et le contrôle des actes passés par les entreprises. En effet, si une
entreprise est en mesure de rompre les règles de concurrence du fait de sa situation ou
place quoi touchaient les secteurs de l’agriculture, de la pêche, de la foresterie et des mines ont été abrogées lors de la révision de la loi. Réglementation sur les monopoles et loi sur les pratiques commerciales loyales, loi numéro 3320, 31 décembre 1980, article 2.1. 39
L’article 1-6 de la Loi zambienne sur la concurrence et les pratiques commerciales loyales, numéro 18, 1994, Cap 417, Section 2 inclut les particuliers, les compagnies, les partenariats, les associations et tout groupe de personnes agissant en collaboration et doté ou non de la personnalité morale. 40
« Efficient » semble préférable ici au mot « efficacité » selon la définition donnée par le Petit ROBERT, Volume 1, 10
ème éd., 1977.
41 Stakeholders (ANG). Ce terme est repris dans chaque texte de la CNUCED et ceux provenant de
d’autres organisations au sein des Nation Unies pour englober tous les acteurs du marché sous cette appellation générique.
21
des actes par elle ordonnés, la situation pour les concurrents sera affectée et dégénèrera
en un marché qui n’est plus concurrentiel.
Les autorités et institutions chargées de veiller au maintien des conditions de
concurrence sur le marché ont donc un rôle primordial. Il ne semble plus possible
aujourd’hui de laisser agir la main invisible42
évoquée par Adam Smith. Les choix des
consommateurs et les politiques de communication, de tarification et de production
n’engrangent pas nécessairement un équilibre entre l’offre, la demande et les règles de
concurrence. Ainsi, les états ou les institutions supranationales43
doivent elles autoriser
ou interdire certaines alliances ou restreindre par la loi la liberté des entreprises.
Pour cette raison, la Loi Type Concurrence contient nécessairement des
dispositions relatives aux fusions-acquisitions et aux abus de position dominante afin de
préserver les rapports de force entre entreprises. Cet enjeu est d’ordinaire désigné sous
l’appellation de « concentrations » et constitue un des éléments premiers de la lutte
contre les pratiques et situations anticoncurrentiels. L’on peut mettre cette assertion
encore plus en évidence en examinant les titres des lois qui régulent la concurrence à
travers le monde. Un nombre remarquable de lois sont nommées « loi antimonopole »
alors même qu’elles régissent plus que les concentrations44
. D’autres indiquent
expressément que les concentrations sont visées de façon prioritaire avec des intitulés
tels que « loi sur la concurrence et la limitation des pratiques de monopole sur les
marchés de produits »45
, « Loi n°703/77 sur le contrôle des monopoles et des oligopoles
et la protection de la libre concurrence46
» , ou encore « Décret législatif contre les
pratiques monopolistiques, abusives et restrictives faussant la concurrence »47
.
L’expression « position dominante sur le marché » désigne une situation où une
entreprise, soit seule, soit avec quelques autres entreprises, est en mesure de dominer le
42
Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, Livre IV, ch. 2, 1776 ; d'après réédition, éd. Flammarion, 1991, tome II p. 42-43 - Titre original : Wealth of Nations. 43
La Commission Européenne, par exemple, détient comme prérogative d’autoriser ou d’interdire des fusions entre entreprises lorsque celles-ci auraient un effet potentiel sur la situation concurrentiel sur le territoire de l’Union Européenne. Elle sanctionne aussi les abus de position dominante et les ententes entre entreprises. 44
C’est notamment le cas de la Chine, du Japon et du Chili. 45
Loi de la Fédération de Russie. 46
Loi grecque. 47
Législation péruvienne.
22
marché considéré d’un bien ou d’un service ou d’un groupe de biens ou de services
particuliers48
.
L’on doit bien entendu noter immédiatement la distinction entre « la position
dominante » définie ci-dessus par la CNUCED au sein de la Loi Type Concurrence et
« l’abus de position dominante » incriminé dans le même texte et dans la grande
majorité des règlementations traitant de la concurrence à travers le monde.
Cette différence, si elle apparait comme évident d’emblée, ne doit pas être sous-
estimée. La position dominante est parfaitement et clairement définie par la Loi Type
Concurrence49
. Dans certaines législations, on trouve plutôt la notion de « position de
force sur le marché » mais les deux expressions recouvrent le même sens. L’abus de
position dominante s’entend comme le fait, pour une entreprise qui a une position
dominante sur le marché, de tirer profit de cette situation pour fausser le jeu normal de
la concurrence par une multitude d’actions possibles.
Il n’est pas interdit à une entreprise, par principe, d’être en situation de position
dominante sur le marché. En ce cas, l’interdiction se trouve a priori lors du contrôle des
concentrations par l’autorité compétente qui conduira à autoriser ou à interdire la
manœuvre économique50
. Cependant, on peut noter que lors des premières applications
du Sherman Act51
aux États-Unis, des empires financiers ont été démantelés sous l’effet
de cette loi52
.
Le problème économique et juridique qui se présente depuis une dizaine
d’années est originale et, en ce sens, n’a pas été encore considéré entièrement par le
droit de la concurrence. Suite à la libéralisation progressive des marchés, le phénomène
des entreprises géantes multinationales s’est accélérer comme nous le verrons après. Les
48
CNUCED, Loi Type Concurrence, Chapitre II, paragraphe 1 b). 49
Cette définition est reprise depuis la section B i) 2) de l’Ensemble de principes et règles, cit. op. note 34. 50
Il arrive régulièrement que plusieurs autorités de la concurrence s’estiment compétentes et rendent des décisions contradictoires. Voyez, par exemple, note 7. 51
Sherman Act, July 2, 1890, ch. 647, 26 Stat. 209, 15 U.S.C. §§ 1–7 (Loi des États-Unis d’Amérique) 52
Voyez, pour un des premiers et des plus célèbres : Standard Oil Co. of New Jersey v. United States, 221 U.S. 1 (1911) (List of United States Supreme Court cases, volume 221).
23
lois de l’offre et de la demande semblent régner en maître si ce n’est les effets
dommageables et non-négligeables des pratiques anticoncurrentiels ou limitatives de
concurrence. Des entreprises au rayonnement mondial tel que Google se retrouvent
souvent astreints devant les tribunaux ou les commissions de concurrence de nombreux
pays avec pour grief de ne pas respecter les règles de concurrence ou, plus volontiers
encore, de fausser les règles par leur importance.
On ne peut plus aujourd’hui démanteler les entreprises comme cela a déjà été
fait53
. Pourtant, ces entreprises sont en situation de position dominante et il n’est pas
toujours établi que leur comportement constitue un abus de cette position dominante.
Cette appréciation peut même parfois être sérieusement remise en question lorsqu’on
découvre que des considérations politiques viennent se mêler à l’économie54
. Les règles
juridiques et les lois économiques exigent tout à la fois que les entreprises puissent se
développer librement – le consommateur orientant son choix et donnant sa faveur à
l’une des entreprises présente sur le marché – et que l’on s’assure du respect des règles
de concurrence.
Pourtant, face à ce dilemme, c’est bien souvent le bouclier qui est levé contre ces
situations. Il arrive parfois que la position dominante d’une entreprise soit considérée
comme potentiellement trop dangereuse et que le moindre geste éveille le soupçon et
même la défiance. Le contrôle des concentrations ne suffirait alors plus à se prémunir
contre le risque d’abus de position dominante comme nous aurons l’occasion de
l’évoquer.
L’expression « fusions-acquisitions désigne des situations dans lesquelles, grâce
à une opération juridique entre deux entreprises ou plus, ces dernières procèdent à une
unification légale de la propriété d’actifs qui faisait auparavant l’objet d’un contrôle
53
Voyez note 52. 54
Loi n°2010-1657 du 29 décembre 2010 - art. 27 créant l’article Article 302 bis KI du Code Général des Impôts
24
séparé. Ces situations englobent les rachats, les coentreprises et d’autres formes de
prise de contrôle comme les directions imbriquées55
.
La Loi Type Concurrence entend par cette définition de l’opération de fusion-
acquisitions pouvoir faire application des dispositions relatives à cette opération
juridique de manière large. Il est en effet essentiel d’établir les types d’opérations qui
font entrer l’acte dans le champ des dispositions du texte. Il est à noter que l’expression
« fusions-acquisitions » varie considérablement selon les législations considérées56/57
.
Le critère de « l’unification légale de la propriété d’actifs qui faisait auparavant
l’objet d’un contrôle séparé » correspond, en substance, à l’action de fusion ou
d’acquisition des capitaux de deux entreprises et cette idée est partagée par toutes les
législations qui traitent de ce type d’actes au sein des dispositions régulant la
concurrence.
Cette opération juridique va entraîner pour la nouvelle entreprise de lourdes
conséquences en matière de concurrence. Une fusion va nécessairement renforcer la
position de la nouvelle entreprise sur le marché et ainsi accroître sa position de force et
augmenter les parts de marché qu’elle détient. Il arrive parfois, voire souvent, que la
nouvelle entreprise se retrouve, par l’effet de la fusion ou de l’acquisition, en situation
de position dominante. Dès lors, elle devra être prudente sur les nouvelles politiques par
elles menées car certaines actions que l’une ou l’autre des entreprises effectuait
auparavant sans difficulté ou méfiance pourront être perçues comme un abus de position
dominante.
Les opérations de fusion, si elles sont économiquement très profitables peuvent
générer des conflits judiciaires multiples face aux autres concurrents présents sur le
marché ou face aux consommateurs. Définir quelles opérations entrent dans le champ
des dispositions de la Loi Type Concurrence, c’est aussi mettre en garde les entreprises
présentes sur le marché contre une situation de monopole qui serait nuisible à la
55
CNUCED, Loi Type Concurrence, Chapitre II paragraphe 1 c) 56
Mergers and acquisitions (ANG). 57
CNUCED, Loi sur la concurrence, art.2, 2002 (législation indienne).
25
concurrence. La seule potentialité de ces effets entraîne parfois l’interdiction de la
fusion, quand bien même aucun acte susceptible de constituer un abus de position
dominante n’a été relevé – et pour cause, l’opération n’ayant pas eu lieu58
.
L’opération de fusion-acquisition se présente donc comme une action critique
pour le marché considéré tant du point de vue du droit que de l’économie et tant pour
les concurrents que pour les consommateurs. Loin d’être anodine, la Loi Type
Concurrence, comme de nombreuses autres législations, encadre avec beaucoup de
prudence ce type d’actes. Certains pays prévoient un système de notification obligatoire
avant fusion59
, d’autres états préfère un système de notification après fusion60
, d’autres
encore ont mis en place un système de déclaration volontaire61
. La Loi Type
Concurrence va elle aussi mettre en place un mécanisme de contrôle par le biais d’un
organe de tutelle afin de surveiller de très près les opérations de fusions-acquisitions.
§ 3 : La désignation capitale du marché considéré
Pour déterminer si une entreprise est en situation de position dominante, il faut
en premier lieu définir le marché considéré. Ainsi, l’on retrouve à la fois une
délimitation géographique – niveau infranational, national, régional, continental,
mondial – et une catégorie de produits ou de services déterminée. En faisant ces deux
critères, l’on est capable de déterminer les parts de marché que détient une entreprise
pour un produit ou un service particulier et dans une zone géographie précise. Plus
l’entreprise étudiée possède de parts de marché, plus elle se retrouve en position de
force dans sa relation avec les autres entreprises rivales et les consommateurs.
L’expression marché considéré désigne les conditions générales dans lesquelles
vendeurs et acheteurs échangent des biens et sous-entend que soient définies des limites
à l’intérieur desquelles la concurrence entre les groupes de vendeur et d’acheteurs est
susceptible d’être restreinte. Elle suppose la définition du produit et de la zone
58
Commission Européenne, Affaire No COMP/M.3440 ENI / EDP / GDP, 9 Décembre 2004 59
Allemagne, Brésil, Canada, Colombie, France, Inde, Japon, Mexique ou encore les États-Unis. (Non exhaustif). 60
Argentine, Espagne, Japon – certains introduisant ainsi un double contrôle. 61
Norvège, Royaume-Uni, Venezuela, Nouvelle Zélande.
26
concernée dans laquelle des groupes particuliers de biens, d’acheteurs et de vendeurs
interagissent afin de fixer les prix et la production. Elle devrait englober tous les
produits ou services qui peuvent raisonnablement se substituer les uns aux autres, ainsi
que tous les concurrents voisins vers lesquels les consommateurs pourraient se tourner à
brève échéance si la restriction ou l’abus entraînerait une augmentation non négligeable
des prix.62
Les définitions de l’Ensemble de principes et règles que nous avons déjà cité63
ont été
revues pour inclure la définition du marché considéré. Il est à noter que cette nouvelle
définition s’inspire fortement de la législation antitrust des États-Unis64
. L’influence de
la première économie du monde ne s’arrête pas là si l’on examine une décision de la
Cour Suprême qui énonce que le marché considéré se définit comme « la zone de
concurrence effective dans laquelle le défendeur opère »65
. Ainsi, on recherche bien,
selon cet arrêt, la situation de concurrence effective et non potentielle. C’est là une
préoccupation essentielle du droit de la concurrence car la position sur le marché d’une
entreprise reflète sa capacité à gêner les sociétés rivales et à augmenter les prix,
touchant à la fois les consommateurs et les entreprises.
Le marché considéré, depuis les premiers travaux économiques de Smith66
, est le
lieu de rencontre entre l’offre et la demande. C’est une situation économique que le
droit de la concurrence vient innerver. On peut donc, par la méthode de définition du
marché considéré, pour une entreprise, un produit ou un service et une zone
géographique, de la propension d’un acteur économique à influer sur les règles de la
concurrence et parfois même à les briser67
.
62
CNUCED, Loi Type Concurrence, Chapitre II paragraphe 1 d) 63
Voyez note 14 et 15 pour l’Ensemble de principes et de règles équitables convenus au niveau multilatéral pour le contrôle des pratiques commerciales restrictives (TD/RBP/CONF/10/Rev.2) 64
Département de la Justice des États-Unis, Directives de la Commission fédérale du commerce applicables aux fusions horizontales, 2 Avril 1992. 65
Deux décisions reprennent cette assertion : Soc. Nationale des ingénieurs professionnels c. États-Unis, 435 U.S. 679, 692 (1978) et Standard Oil Co. Of California and Standard Stations Inc. v. United States, Cour Suprême des États-Unis, 1949, 337 U.S. 293, 299, S.CT. 1051, 93 L. Ed. 1371. 66
Smith, Wealth of Nations, cit. op. notes 29 et 42. 67
Cette méthode est retenue par la CNUCED mais également pas d’autres institutions et organisations telles que l’OMC, l’OCDE et la Commission Européenne.
27
Pour estimer le plus exactement possible cette puissance potentielle ou réelle –
selon les politiques menées par les pays et le degré d’interventionnisme de l’état dans
l’économie – il faut prendre en compte tous les facteurs économiques et juridiques qui
font peser un fardeau ou, au contraire, aide la production, l’acheminement et la
distribution des produits ou des services. Doivent ainsi être pris en compte les droits
directs et indirects sur les produits et services68
, les obstacles techniques69
et les coûts de
transport.
Les législations nationales contiennent des divergences quant aux éléments
appréciés pour définir le marché considéré d’un produit ou d’un service. Cependant, une
grande partie de lois et règlementations attrayant à la concurrence retiennent un nombre
d’éléments minimaux qui sont partagés par tous. C’est notamment le cas des
caractéristiques du produit et du prix du produit. Pour la définition géographique, on
retiendra que, de manière générale, la zone s’étend pour autant que les conditions de la
concurrence soient homogènes sur le territoire. C’est donc la zone où les opérations en
situation de concurrence peuvent opérer sans rencontrer d’obstacles iniques de nature à
les gêner dans les opérations susmentionnées70
et où les produits sont substituables –
c’est-à-dire que les produits présentent des caractéristiques identiques ou très similaires.
En cas de hausse de prix, les consommateurs vont donc se diriger vers un produit
concurrent.
On remarque en appliquant cette méthode préconisée par la CNUCED et les
autres organisations internationales et les commissions et conseils nationaux que
certains produits présentent des caractéristiques dissemblables mais restent
substituables. Ce sont des produits dont les caractéristiques sont relativement
semblables. Le choix des consommateurs sort alors quelque peu des schémas
économiques connues et opèrent en permettant à des produits voisins d’être
substituables. Il convient alors de considérer les marchés propres pour chaque produit
comme des sous marchés et les catégories de marchés comme les marchés supérieurs. A
68
Taxation, droits de douane. 69
Obstacles à l’entrée du marché, restrictions quantitatives, mesures d’effet équivalentes. 70
Comme l’indique la note 32 de la Loi Type Concurrence, « des producteurs pourraient, aux termes d’un accord anticoncurrentiel, éviter d’opérer dans des secteurs particuliers, ce qui ne serait pas une raison pour définir de façon étroite un marché géographique (commentaires émanant du Gouvernement britannique).
28
titre d’exemple, il existe le marché des pommes et le marché des poires qui reflètent
deux activités distinctes menées par les producteurs et distributeurs de pomme et les
producteurs et distributeurs de poires. Cependant, si l’on constate que, en cas de hausse
légère du prix des pommes, les consommateurs vont se tourner vers les poires, il
existera un seul marché supérieur pour ces fruits, le marché pommes-poires.
De la même manière, des enseignes de distribution doivent pratiquer des prix
concurrentiels pour attirer la clientèle et, si possible, prendre la clientèle de l’enseigne
concurrente. L’on peut raisonner comme pour les produits à ce sujet pour mieux définir
le marché géographique. En cas de hausse de prix chez une enseigne, les
consommateurs iront-ils acheter les produits de l’enseigne concurrente ? Cela dépend
des différents facteurs tel que l’éloignement géographique des points de distribution,
des facilités d’accès, de l’image de marque de l’enseigne et d’autres types d’éléments
soient rationnels soit non-rationnels et donc peu prévisible par l’économie et ses outils.
Bien qu’employant des termes différent plus ou moins fortement, les pays
entendent de la même manière cette notion de marché considéré – avec parfois des
précisions ou des ajouts utiles. L’article 12 de la loi antimonopole que nous avons déjà
évoquée dispose que le marché considéré est « le marché de produits ou le marché
géographique sur lequel les acteurs économiques sont en concurrence pendant un
certain temps pour des biens ou des services particuliers » et cet article n’apporte pas de
nouveautés. Cependant, il est complété par l’article 3 des Lignes directrices publiées par
le Comité antimonopole. Cet article précise qu’il convient également de prendre en
compte le facteur temporel ou l’innovation lorsqu’il s’agit de la propriété intellectuelle.
Ainsi, la loi chinoise qui régule la concurrence apporte une précision intelligente et
décisive : celui de l’innovation.
En effet, lorsqu’une entreprise dépose un brevet pour une invention susceptible
d’application d’industrielle, elle se retrouve, pour un certain laps de temps – comme le
fait remarque à juste titre la Chine – d’un monopole juridique qui se traduit dans les
faits par la liberté de fixer le prix qu’elle souhaite sans que lui incombe les exigences
29
concurrentielles71
. Comment dès lors concilier les techniques de réservation du droit –
secret, dépôt d’un brevet, dépôt d’une œuvre – avec les principes de concurrence. Il ne
faudrait pas priver les entreprises de la juste exploitation de la découverte ni permettre
une exploitation abusive de ce monopole.
De même, même en considérant les marchés de la façon la plus scientifique et la
plus rigoureuse, l’on peut se heurter aux comportements irrationnels des consommateurs
qui vont massivement se tourner vers une entreprise plutôt qu’une autre pour des raisons
étrangères aux arcanes de l’économie pure – techniques efficaces de communication,
image de marque. Il ne s’agit encore une fois ni de priver l’entreprise d’un succès
légitime – elle commercialise peut-être les meilleurs produits – en restreignant trop ses
libertés – ni lui permettre d’abuser de façon plus ou moins subtile de sa position.
Limiter trop durement la manœuvre d’une entreprise peut conduire soit à freiner
son développement soit à endommager son système économique, parfois de manière
durable. Si l’on prend en compte que l’action des gouvernements dans leur effort de
régulation du droit de la concurrence se teinte régulièrement d’intentions hautement
politiques partiales et partisanes, l’on peut mesurer le danger auquel certaines
entreprises peuvent être exposées.
A l’inverse, certains monopoles peuvent être encouragés par les états pour des
raisons plus ou moins louables. Lorsque les objectifs sont l’intérêt général, la fiabilité
du service et la sécurité des consommateurs, on peut applaudir cette préoccupation.
Pourtant, c’est loin d’être toujours la motivation première des institutions ou des
gouvernements qui cèdent occasionnellement ou volontiers du terrain face au lobbysme
qui tend à se développer toujours plus.
Chacun de ces périls que nous avons brièvement évoqués doit donc servir
d’avertissement pour les régulateurs qui font et défont les règlementations en matière de
concurrence ainsi que pour les instances décisionnelles qui sont chargées de faire
application de ce droit. Si le problème est épineux, il existe pourtant des solutions et la
Loi Type Concurrence de la CNUCED semble en être une. Mais, pour bien comprendre
71
Cette liberté de fixer le prix se trouve néanmoins limitée par des textes tels que l’article 1er de la loi n° 63-628 du 2 juillet 1963 sur la vente à perte.
30
le corps du texte, il faut s’interroger plus férocement encore sur les objectifs qu’affiche
ce texte qui a vocation à être largement partagé.
Section 2 : Un texte doté d’objectifs ambitieux
Nous avons analysé et expliqué le travail mené par la CNUCED relativement
aux définitions contenues dans la Loi Type Concurrence. A la lumière de ces
considérations, nous sommes à présent en mesure de prendre plus en détail
connaissance des objectifs du texte – au delà des premiers propos que nous avons tenu
dans l’introduction de notre travail.
Pour saisir les défis auxquelles la Loi Type Concurrence va être confrontée, nous
devons comprendre l’étendue des objectifs du texte (§ 1), la notion de l’accès limité au
marché employé dans le texte (§ 2) et de restriction indue de la concurrence (§ 3).
§ 1 : Des objectifs généraux, source d’usages variés et étendus
L’article considéré de la Loi Type Concurrence énonce les « objectifs ou buts de
la loi », guidant l’interprétation et l’application du dispositif. Ainsi, il faudra toujours
garder à l’esprit ces lignes lorsque seront invoquées les dispositions de la Loi Type
Concurrence.
Contrôler ou éliminer les accords ou arrangements restrictifs entre entreprises,
les fusions-acquisitions ou les abus de position dominante sur le marché, qui limitent
l’accès au marché ou, d’une autre manière, restreignent indûment la concurrencer, ayant
des effets préjudiciables au commerce, au développement économique sur le plan
national ou international.72
La deuxième partie de la Loi Type Concurrence qui regroupe les commentaires
apportés par les pays à propos des dispositions qu’elle contient fait clairement apparaitre
que ces objectifs ont été rédigés relativement aux idéaux développés dans les
paragraphes 1 et 2 de la section E de l’Ensemble73
.
72
CNUCED, Loi Type Concurrence, Chapitre I. 73
CNUCED, Loi Type Concurrence, Deuxième Partie, Chapitre I, 2.
31
Le paragraphe 1 énonce que « les États devraient, au niveau national ou par
l’intermédiaire de groupements régionaux, adopter des dispositions législatives et des
procédures d’application judiciaires et administratives appropriées, améliorer et mettre
en œuvre effectivement celles qui existent déjà, aux fins du contrôle des pratiques
commerciales restrictives, y compris celles des sociétés transnationales » et le
deuxième paragraphe vient préciser que « les États devraient fonder leur législation
essentiellement sur le principe consistant à supprimer ou à traiter efficacement les actes
ou comportements d’entreprises qui, par des abus ou l’acquisition et l’abus d’une
position dominante de force sur le marché, limitent l’accès aux marchés ou restreignent
indûment la concurrence de toute autre manière, portant ou risquant de porter
préjudice à leur commerce ou à leur développement économique, ou qui, en raison
d’accords ou d’arrangements officiels, non officiels, écrits ou non écrits, entre
entreprises, ont les mêmes répercussions ».
Ces deux paragraphes qui émanent, rappelons-le, d’un texte fondamental pour la
CNUCED et d’autres organisations, porte tout le sens des objectifs de la Loi Type
Concurrence avec plus de précisions. On peut donc affirmer que les dispositions n’ont
rien d’original et viennent rappeler à la fois les luttes de la CNUCED depuis sa création
et à la fois la lutte des états contre les situations et les actes anticoncurrentiels ou
restrictifs de concurrence.
Si ces objectifs peuvent aisément être saisis par le lecteur, il faut ajouter
plusieurs développements consécutivement à cette idée. Tout d’abord, il semblerait que
ces objectifs soient a minima, c’est-à-dire que les états du monde qui utiliseraient les
dispositions de la Loi Type seraient libres d’ajouter d’autres buts à ce texte. Selon les
commentaires des pays et de la CNUCED, ce pourrait être à propos de « la création,
l’encouragement et la protection de la concurrence ; le contrôle de la concentration du
capital et/ou de la puissance économique ; l’encouragement de l’innovation ; la
protection et la promotion du bien-être social et, en particulier, des intérêts des
consommateurs, etc., et mentionner les répercussions des pratiques commerciales
restrictives sur leur commerce et leur développement »74
.
74
Loi Type Concurrence, Deuxième Partie, Chapitre I, 4.
32
On retrouve dans ce commentaire de la CNUCED cette idée d’une Loi Type
Concurrence « à la carte » qui s’adapterait, comme d’autres textes internationaux75
, et
permettrait à chaque état de trouver une base solide et réfléchie pour pouvoir ensuite
l’adapter aux besoins spécifiques du pays selon des facteurs économiques, juridiques et
politiques. Ce serait alors un outil particulièrement efficace pour les pays n’étant pas
encore doté de loi régulant la concurrence ou ne règlementant qu’une partie des activités
économiques. Pour autant, la Loi Type Concurrence ne se borne pas à doter un nombre
relativement faible de pays d’une législation satisfaisante à propos de la concurrence.
Des pays possédant déjà une solide législation en la matière peuvent trouver
utile de recourir à ce texte et à lui assigner des objectifs supplémentaires. La Loi Type
Concurrence apporte des procédés précieux pour ériger des barrières adamantines contre
les actes qui menacent ou dégradent les conditions optimales de concurrence.
En Arménie, par exemple, l’objectif des dispositions concernant la concurrence
est de « protéger et promouvoir la concurrence économique, d’assurer un
environnement
§ 2 : La liberté fondamentale d’accès à un marché pour toute entreprise
Selon la Loi Type Concurrence, les entreprises sont des entités économiques se
livrant au jeu de la concurrence en proposant des produits ou des services. Cependant,
pour pouvoir proposer des produits et des services, les entreprises doivent auparavant
avoir accès au marché. C’est là une exigence qu’il s’agisse d’une entreprise
nouvellement créée ou d’une entreprise qui diversifie ses activités en investissant dans
de nouveaux secteurs.
L’accès au marché permettra alors de distribuer des produits ou des services
fabriqués ou importés. Il existe un obstacle technique qui empêche les entreprises
d’accéder au marché et qui leur retire donc toute chance – si infime soit-elle – de créer
un point de rencontre entre l’offre et la demande – et pour cause, l’offre n’existant pas.
Ce péril se nomme « barrière à l’entrée ». Ces barrières à l’entrée peuvent être soient de
nature économique soit de nature juridique.
75
C’est là, pour la majeure partie, l’apanage des textes de soft law.
33
Les autres entreprises préalablement établies sur un marché ont intérêt à ce que
les barrières à l'entrée soient les plus élevées possible, c'est-à-dire à ce qu'un concurrent
ait du mal à configurer son organisation et à accéder à des ressources spécifiques ou aux
canaux de distribution nécessaires. Il se retrouvera alors dans l’impossibilité de
présenter ses produits et la concurrence est moins féroce – ce qui se traduit par une
guerre des prix moins virulente et donc des profits plus hauts. Lorsque quelques
entreprises sur une marché oligopolistique concluent une attente pour gêner les
nouveaux venus, la concurrence n’existe que de manière extrêmement résiduelle. En
revanche, l'intérêt pour le consommateur est plutôt que les barrières à l'entrée soient
basses afin de favoriser les nouveaux entrants et de stimuler la concurrence. On peut
ainsi distinguer deux types de barrières à l'entrée : les barrières naturelles et les barrières
artificielles.
Les barrières naturelles sont celles qui ne dépendent pas de la volonté des
acteurs. On entendra par-là, entre autres, des coûts fixes importants décourageants pour
des entrants potentiels, comme des coûts de recherche-développement importants pour
démarrer, par exemple dans l'industrie aéronautique. Ce peut être aussi des coûts
marginaux décroissants, c'est-à-dire en présence d'un monopole naturel.
Les barrières artificielles à l'entrée sont celles qui sont le produit d'une stratégie
ou du droit. Des dépenses de publicité qui orientent les choix de consommation, des
dépenses de marketing, de développement de l'innovation de produit constituent de fait
des barrières mais qui peuvent être surmontés par l’allocation de moyens importants et
une vaillante ténacité. Il est possible au-delà de ces barrières qui sont les faits de
concurrents et que l’on peut retrouver sur un nombre important de secteurs de trouver
des barrières qui sont érigées par des législations nationales et, plus rarement,
régionales. L’activité de production et de distribution d’électricité est un secteur bien
connu en la matière puisqu’il offre de très puissantes barrières à l’entrée76
.
L’importance du service auprès des consommateurs semble obliger les états, u nom de
l’intérêt général, à défendre férocement ce secteur et à être particulièrement vigilants
quant aux éventuels candidats à l’entrée. Le résultat est qu’un monopole ou un quasi-
monopole se mettra alors en place – parfois même un monopole public.
76
W. Shepherd, The Economics of Industrial Organization, Englewood Cliffs, 1990
34
Sans trop nous avancer sur nos réflexions prochaines, il faut dire qu’une
question majeure est celle de la légitimité de ces barrières, et sur la nécessité de les
supprimer. C'est le rôle de la politique de la concurrence, qui, en Europe surtout, semble
supplanter peu à peu la politique industrielle. Les organisations internationales œuvrent
afin de faire tomber ces barrières. Les obstacles techniques au commerce de l’OMC est
un des textes fondateurs, toujours discutée et amélioré aujourd’hui, sur ces barrières77
. Il
s’agit donc de lutter contre les situations au sein desquelles la concurrence ne peut
produire ses effets correctement. Plus l’accès au marché est difficile, plus le nombre
d’entreprises présentes sera réduit ; cela ayant pour effet de favoriser des monopoles ou
des oligopoles et à faire croître le danger d’abus de position dominante ou d’ententes.
Les marchés les mieux protégés sont ceux où la concurrence est la plus faible.
§ 3 : Une restriction de concurrence mesurable
La Loi Type Concurrence a pour objectif intrinsèque de lutter contre les
situations ou les actes anticoncurrentiels. Cela est suffisamment clair à présent et, même
si les pays qui ne sont pas dotés d’une régulation appropriée sur la concurrence ou les
pays qui sont faiblement dotés d’une telle régulation sont les premières cibles de la Loi
Type Concurrence, ce texte de la CNUCED rappelle à tous les états membres qu’il est
primordial pour détenir une économie saine de lutter contre ces situations ou ces actes
lorsqu’ils « restreignent indûment la concurrence ».
Il s’agit donc d’apprécier la restriction de concurrence afin de mesurer sa gravité
et si les agissements en cause ont bien pour effet cette restriction indue. Comme nous
l’avons fait remarquer plus haut, les stratégies de promotion des ventes et de
communication relatives aux produits ou aux services ont pour objectifs de faire gagner
de parts de marché à l’entreprise. Ainsi, il y a des privilèges qui sont accordés aux
entreprises pour mener à bien leurs objectifs. La liberté contractuelle par exemple qui
est plus ou moins protégée selon les législations, permet à une entreprise de choisir son
cocontractant.
77
A l'issue du Tokyo Round en 1979, trente-deux parties contractantes du GATT ont signé l'Accord plurilatéral relatif aux obstacles techniques au commerce (OTC).
35
Ces stratégies et ces droits accordés peuvent restreindre faiblement la
concurrence, de même que le jeu du marché. Les règles de l’économie sont telles que
certaines entreprises mal gérées, mal conseillées ou manquant de moyens matérielles et
ou financiers ou étant encore pris dans la tourmente d’une grave assignation devant les
tribunaux par ses rivales ou les consommateurs ne survit pas et disparait.
Il faut donc que la restriction de la concurrence observée soit indue et n’ait pu se
produire au cours d’activités menées dans un cadre normal de concurrence – c’est-à-dire
lorsque les entreprises subissent les justes effets de la concurrence tel que la nécessité de
pratiquer des prix concurrentiels. De nombreux pays ont inclus dans leur législation la
nécessité de mesurer cette restriction de concurrence. Il en ressort que l’atteinte doit être
sensible et grave pour pouvoir appliquer le droit de concurrence78
.
Il existe pourtant des différences entre les législations sur l’appréciation de
l’atteinte à la concurrence. Certains accords qui ont pour effet de restreindre la
concurrence peuvent être néanmoins tolérés s’ils ont des effets positifs. On ignore alors
la restriction de concurrence pour diverses raisons. Au Japon par exemple, certains actes
passés entre les petites et moyennes entreprises (PME) peuvent être exemptés de
l’application des dispositions de la loi antimonopole lorsqu’ils ont pour objectifs
l’entraide entre petites et moyennes entreprises ou consommateurs, sous réserves que
certaines conditions soient garanties79
.
Aux États-Unis, bien contrairement, la jurisprudence reste inflexible sur les
accords ou les situations qui restreignent de manière sensible la concurrence. La Cour
Suprême a en ce sens précisé que l’objectif de l’analyse antitrust « est de juger de
l’importance des répercussions sur la concurrence ; et non de décider si une politique
favorisant la concurrence va dans le sens de l’intérêt public ou celui des membres d’un
secteur d’activité »80
.
78
C’est notamment le cas de l’Australie dans le Trade Practices Act, 1974, telle qu’amendée, Art. 45 et du Mexique dans l’article 10 de la loi fédérale sur la concurrence économique. 79
Ces PME sont définies par le nombre de salariés et par le capital par elles libéré. 80
Les autorités de concurrence des pays, particulièrement lorsque ce sont des organes administratifs, n’ont en effet pas le pouvoir d’apprécier l’intérêt général qui peut être porté par un accord ou une entente anticoncurrentiel ; se bornant donc à appliquer la législation adéquate. Des exceptions ou des politiques menées par des organes supérieurs telles que les programmes de clémence du droit communautaire peuvent néanmoins contrebalancer cette affirmation.
36
Pour qu’un de ces accords soit réfuté, il faut, de manière générale, soit qu’il ait
un effet certain et significatif sur la concurrence soit qu’il soit rendu illégal per se81
.
C’est l’appréciation de chaque pays, en fonction de sa législation et d’éventuelles
considérations politiques – et parfois même de l’état du marché – qui constituent les
facteurs de l’appréciation. Le problème est donc éminemment complexe en ce qu’il est
impossible de livrer un schéma prédéfini permettant de savoir à l’avance si une situation
ou un acte sera sanctionné.
Il arrive ainsi que certaines pratiques ne soient pas interdites dans un pays et le
soit dans un autre. Pour les entreprises multinationales, cette réalité constitue un
problème épineux lors de l’exportation des produits dans des réseaux de distributions
pour conquérir de nouveaux espaces.
Le travail des juristes, du juge ou des organes de surveillance des marchés
devient également plus compliqué, notamment lorsque la loi applicable ou le tribunal
compétent est un élément disputé par deux parties de nationalités différentes – et cela
est monnaie courant en droit international de la concurrence.
La Loi Type Concurrence de la CNUCED espère remettre un peu d’ordre dans
cet improbable imbroglio en proposant un texte qui appelle à être largement adopté par
les pays. Grâce à ces normes, les règles du commerce international devraient connaitre
un regain – au moins partiel – d’uniformité. Si ce texte n’est pas encore une réalité, c’est
tout au moins un solide espoir bien qu’il connaisse certaines faiblesses.
81
Comme dans les articles 101 sqq du TFUE.
37
Partie I : La Loi Type Concurrence, un instrument possible de régulation de la
concurrence à l’échelle internationale
La Loi Type Concurrence veut être un texte dont on parle, que l’on connait
largement et à propos duquel l’on s’engage sur un chemin vertueux de meilleure
intelligibilité du droit international de la concurrence. La régulation des pratiques
menées par les plus grandes entreprises est devenue l’enjeu majeur face aux grandes
difficultés rencontrées au sein de l’OMC.
Pour cela, la Loi Type Concurrence entend réguler les deux grandes artères des
activités économiques concurrentielles à travers le monde. Il s’agit pour ce texte qui a
tout à prouver qu’il propose des solutions viables et utiles pour la règlementation des
comportements qui entravent la libre concurrence des entreprises (Titre I) et qu’elle a
également à souci de contrôler de manière efficace les concentrations qui deviennent de
plus en plus puissantes et exercent une pression toujours plus forte sur les mondes
économiques et politiques (Titre II).
Titre 1 : L’incrimination des comportements nuisibles à la concurrence dans un ordre
mondial
La croissance rapide du marché global qui s’est opérée dans les quinze dernières
années a complètement bouleversé les règles du commerce que l’on connaissait
auparavant. Si les états sont parvenus pour certains à s’adapter, moins de la moitié des
nations du monde peuvent aujourd’hui exporter leurs produits à l’extérieur de leurs
38
frontières dans de bonnes conditions. Ces conditions sont principalement économiques
mais également politiques. La puissance des relations complexes qui existent entre les
états et leurs entreprises font du commerce international une énigme digne de celle du
Sphinx.
Ces arcanes si particulières doivent donc gagner en transparence et en simplicité
et c’est l’objectif de la Loi Type Concurrence que de promouvoir des règles simples et
largement répandues afin d’éviter que la concurrence internationale ne soit faussée par
des considérations hautement partisanes. Pour mieux appréhender les dispositions de la
Loi Type Concurrence dans son effort punitif relativement aux comportements nuisibles
à la précieuse libre-concurrence (Chapitre 2), il convient tout d’abord de saisir à les
tensions et enjeux qui se déploient et s’entremêlent à l’échelle mondiale telles des
serpents ourdissant un complot monstrueux qui se dérobe malicieusement aux yeux les
moins aiguisés (Chapitre 1).
Chapitre 1 : Etat des marchés nationaux et du marché mondial
Selon le dossier « la mondialisation : faut-il s'en réjouir ou la redouter ? » du
Fond Monétaire International82
, le phénomène de globalisation qu’ont connus les
marchés remonteraient aux années 1980, date à laquelle les premières formes de
dématérialisations auraient permises d’accélérer les achats et les ventes de produits et de
services, notamment les titres obligataires ou les ordres d’achat ou de vente concernant
le marché des devises.
A cette assertion acceptable, il convient de rajouter que lesdits phénomènes ont
connus une croissance exponentielle fantastique. Grâce au progrès techniques réalisés
dans le domaine de l’informatique, les ordres d’achats et de ventes des titres obligataires
mais aussi les marchandises qui font l’objet de transactions mercantiles classiques
peuvent devenir la propriété d’autres mains en un instant (Section 1), demandant au
droit de la concurrence de s’adapter toujours plus rapidement (Section 2).
Section 1 : Les mutations continuelles et leurs conséquences sur la régulation des
espaces économiques
82
FMI, La mondialisation : faut-il s'en réjouir ou la redouter?, FMI Documentation, 12 avril 2000, 00/01F
39
La caractéristique la plus frappante des transactions économiques actuelles est
sans aucun doute leur extraordinaire célérité. En quelques secondes, les acteurs
économiques du monde entier sont informés d’un rachat, d’une fusion-acquisition, de
l’effondrement d’une entreprise géante, provoquant sur les marchés des réponses
immédiates et souvent violentes.
Le cours des actions des grandes sociétés comme Google83
, EADS84
ou BNP
Paribas85
peut connaitre une belle envolée ou, au contraire, chuter prodigieusement à
chaque fois qu’un produit sort, que des comptes trimestriels sont publiés ou parfois
même qu’une simple annonce est faite dans un communiqué. Les entreprises sont donc
aujourd’hui soumises à un système de sanctions immédiates et elles doivent tout à la
fois faire preuve de réactivité et de prudence – deux qualités qui demandent des trésors
d’ingéniosité pour être développées ensemble.
On assiste donc à une globalisation totale des échanges (§ 1) qui permet aux
multinationales géantes de dominer le monde économique et financier grâce à leurs
empires démesurés (§ 2). Cependant, l’on notera que derrière ces conquêtes reluisantes
se cachent un danger pour le droit de la concurrence qui peine à contrôler ces logiques
macro-économiques.
§1 : Globalisation des échanges
Il y a bien des années que la mondialisation sous toutes ses formes et la
globalisation des échanges n’est plus une simple perspective prochaine mais une réalité
tranchante. Si certains pays comme la France éprouvent toujours des difficultés lorsqu’il
s’agit de mesurer ce fait86
, d’autres ont pris le parti de développer de façon maximale
leurs investissements en ce domaine afin d’adapter aujourd’hui leur système
économique parfois obsolète et d’anticiper au mieux les évènements de demain.
Ces efforts admirablement entrepris par les pays regroupés sous l’appellation
B(R)IC(S) doivent se poursuivent et inspirer bien d’autres nations qui semblent soit
83
New York Times, Google Profit Up 46%, Exceeding Estimates, 18 Octobre 2007 84
BBC News, EADS sees quarterly profits fall, 14 Mai 2010 85
BBC News, BNP Paribas sees profits jump 46%, 14 Novembre 2010 86
Sénat, Mesure des échanges extérieurs de la France et mondialisation, Travaux du Sénat, Etudes économiques n°3, 1er juillet 2009
40
quelque peu paresseuses soit dépassées soit en difficulté de par des facteurs
environnementaux, politiques et économiques. Plus des deux-tiers des pays du monde
tentent cependant de modifier leur législation et leur fonctionnement industriel et
financier afin de rentrer dans un cercle de croissance que tous souhaitent ardemment
face aux obstacles actuels. Derrière les logiques tantôt protectionnistes tantôt libérales
des pays, le véritable combat qui se livre dans l’arène a pour gladiateurs et fauves non
pas de territoires et des populations mais des entités économiques en perpétuelle
mutation – les entreprises.
La Chine qui a ravi au Japon la place de seconde économie du monde l’an
dernier et qui menace aujourd’hui la superpuissance qu’est les États-Unis ne semble pas
pouvoir être stoppée. Les systèmes ayant connus la croissance fulgurante amorcée par la
révolution industrielle depuis le XVIIIe siècle semblent aujourd’hui pour la plupart
vieillissants.
Les réformes menées jusqu’à présent peinent à satisfaire la machine infernale
qui a été depuis mise en place au cœur de l’économie mondiale. Agences de notation
financière, bourses des valeurs, pays créanciers, tous exécutent un baller impitoyable,
écrasés sous le poids de leurs propres mécanismes et laissant le trône vide depuis vingt-
cinq ans aux spéculateurs.
Il apparait difficile pour quiconque d’avoir une once de contrôle sur ce système
cyclopéen que tous craignent. Les places boursières ont le pouvoir de dire la fortune ou
la ruine de groupes d’entreprises tout entier en une fraction de seconde parfois avec des
techniques moins performantes que ne l’était l’haruspicine chez les Babyloniens.
Trois grandes logiques économiques s’affrontent ainsi à travers les places de
marché et par ordres d’achat et de vente interposés. Les économies de l’Union
Européenne, des États-Unis et du Japon87
étaient il y a peu les grands maîtres tenant les
rênes de l’économie mondiale. Face à ces systèmes bien installés qui voulaient se croire
inébranlables, une crise de confiance dans le système des marchés boursiers et un retour
massif de la spéculation ont suffi à briser ces rêves de grandeur olympienne.
87
Si l’on peut mesurer les difficultés et les défis auxquelles sont confrontés les deux premiers, il faut attendre de voir comment l’économie japonaise se relève après les catastrophes naturelles qui ont eu lieu en Mars 2011.
41
Les pays ont donc réagi à la place d’entreprises impuissantes prises au piège de
leurs propres engrenages qui menace de les broyer. Le système d’actionnariat étant basé
sur un pacte de cupidité fragile mais légitime. Chaque détenteur de titres obligatoires
veut s’enrichir rapidement et peine à percevoir la complexité des rapports qui se sont
établis dans cet univers dont les conséquences sont irréversibles – ou l’acteur du théâtre
financier peut l’avoir saisi pleinement et s’en moquer alors éperdument.
Les législations nationales qui ne sont pas correctement préparées et armées à
cette guerre tombe dans la solution trop facile du protectionnisme et tente d’appliquer
des mécanismes lourds qui ne sont plus véritablement efficaces. Face à un tel désarroi et
au manque d’efficacité de ces techniques, la nécessité de replacer les entreprises au
cœur de l’économie apparait de manière sporadique. Le Jaggernaut économique et
financier devant être à tout prix partiellement contrôlé sous peine de voir des pays entier
ruiné, l’on cherche encore des solutions viables et suffisamment solides à lui opposer
puisque les mesures traditionnelles ne produisent pas les résultats escomptés88
. Les
autres techniques éprouvées que sont la manipulation du taux de change ou les lois
limitant les investissements étrangers sont des remparts qui repoussent encore assez
nettement les assauts conquérants de pays disposant d’une croissance très forte et de
liquidités importantes.
Pourtant, par le biais des groupes d’entreprises géants, l’implantation d’intérêts
extranationaux est parvenue à progresser sous l’œil de l’actionnariat qui y voit un
nouvel eldorado. Ces multinationales géantes se retrouvent face à un contrôle très stricts
de leurs activités afin d’éviter que ne s’ouvre la moindre brèche dans le droit de la
concurrence, évènement qui est à chaque fois particulièrement dommageable pour le
système économique tout entier depuis les premiers fournisseurs jusqu’au
consommateur.
§2 : Phénomènes des multinationales géantes
88
Les droits de douanes directs et indirects, quotas, normes techniques ou sanitaires artificiellement élevées ne garantissent plus depuis longtemps une imperméabilité significative du marché national face aux textes et instances internationaux et aux pressions d’autres pays.
42
Il semblerait, de l’avis de nombreux auteurs, qu’une véritable guerre
économique se prépare depuis quelques années89
. Si cet évènement funeste semble très
probable, il faut dès maintenant s’interroger sur les acteurs de cette guerre. Les pays ne
vont pas tenter de reproduire les schémas classiques d’une guerre ouverte, tenant trop
aux apparences de la diplomatie.
Leur bras armé sera sans doute ces entreprises géantes qui prospèrent de façon
insolente au milieu des combats économiques et financiers qui font rage. Attaché à un
pays, ces multinationales représentent le fleuron des troupes de chacun et cette élite
caresse des chimères d’hégémonie et d’enrichissement, ces deux desseins n’étant pas
prisonniers de limites extérieures sinon un simulacre de contrôle émanant des états et
des institutions internationales.
En effet, ces très grands groupements d’entreprises connus dans le monde entier
tel LVMH jouissent de pouvoirs très étendus qui ne se limitent pas à la sphère
économique et financière. Le pouvoir de lobbysme de ces entités n’est pas négligeable
et ces dernières influencent nécessairement les législations des pays.
L’on assiste de plus en plus d’ailleurs à ce système d’absorption d’entreprises
par des groupes géants à travers des rachats – passant ou non par une OPA90
– ou des
procédures de fusions-acquisitions. Cette croissance gigantesque de sociétés permet à
un conseil d’administration d’étendre son influence sur de très nombreux marchés en
même temps. Ces activités titanesques sont une source de craintes pour certains états et
un instrument puissant pour d’autres. Bien que présent sur l’ensemble de la planète, ces
groupes sont les ambassadeurs d’un pays et représentent sa santé économique mais
également son potentiel d’innovation ou le génie des hommes d’affaires et sont exhibés
comme des trophées, permettant d’arracher un marché de plusieurs milliards de dollars
à un rival. Les contrats ainsi remportés auront de fortes retombées positives pour
plusieurs pays en termes d’emploi par exemple. Des affrontements entre ces géants
défraient d’ailleurs régulièrement la chronique91
.
89
Voyez, inter alia, Jean-Pierre Estival, Les nouveaux affrontements économiques entre nations, 2011, Ed. L’Harmattan. 90
Offre Publique d’Achat. 91
New-York Times, Boeing Wins $35 Billion Contract for Air Force Tankers, 24 Février, 2011.
43
Ce fer de lance du commerce international se doit de trouver un équilibre parfois
difficile entre les pressions de l’actionnariat – parfois entièrement profane au monde des
affaires – et les volontés étatiques que les gouvernements tentent d’imposer. Il peut
alors s’agir soit d’un accueil à bras ouverts dans des pays qui soutiennent activement
m’investissement des sociétés étrangères, parfois avec des restrictions ou des
changements d’avis impromptus, soit d’un rejet de la part d’un état qui adopte une
politique protectionniste plus ou moins ferme. La diversité des législations en matière
de concurrence n’aide pas ces entreprises géantes en ce qu’elles peuvent se retrouver
condamnées pour des pratiques qui sont parfaitement licites dans le pays d’à côté.
Les règles régissant les concentrations ne sont pas non plus uniformes en chaque
point du globe et les seuils qui provoquent des enquêtes, demandent des notifications ou
placent tout simplement l’entreprise sous surveillance ne sont pas les mêmes.
En plus de devoir composer avec les états, ces sociétés tentaculaires doivent
également développer leurs stratégies afin de conquérir de nouveaux marchés tout en
veillant à préserver les siens face aux innombrables rivaux avides. Apple attend le faux-
pas qui précipitera Microsoft dans l’abîme, Samsung est en guerre contre Nokia, Chanel
veut l’emporter sur Dior et tous ceux et les autres se mènent une lutte sans merci contre
la contrefaçon qui s’est répandu comme une traînée de poudre depuis vingt ans,
ternissant l’image de marque des produits par des imitations et des copies de vêtements
ou de matériels.
Des sommes d’argent considérables sont chaque jour injectés pour constituer
une plainte contre un rival aux États-Unis ou ailleurs et chacun intente désormais un
procès à l’autre ou répond à une attaque par une autre.
Au milieu de ces luttes sans merci pour des parts de marché plus que jamais
précieuses, le consommateur se retrouve écartelé, livré au combat que se livrent ces
superpuissances. Devant l’éclatement du pouvoir des nations et leur impuissance à
livrer des solutions idéales, l’on peut se demander si les vrais seigneurs de guerre dans
ce conflit ne sont pas ces super-groupes dont les décisions font loi sur les marchés
économiques. C’est ainsi contre cette vérité que veut lutter la Loi Type Concurrence en
dotant les états d’une arme largement utilisée. Pourtant, le droit de la concurrence parait
44
fort démuni face aux tractations occultes qui sont menées entre deux offensives pour
s’assurer d’un meilleur contrôle des marchés et lutter contre l’enfer de la concurrence
pure et parfaite qui ferait fondre les profits de manière inacceptable.
§3 : Affrontements et accords secrets
De même que les nations ne peuvent se faire la guerre éternellement, les grandes
sociétés du monde ne peuvent rester sous le joug d’un affrontement obéissant
éternellement aux règles de la concurrence.
Partager un marché, se répartir la clientèle, s’accorder sur les prix, voilà bien les
tentations auxquels sont confrontés les grands magnats des marques les plus puissantes.
Tantôt le pot aux roses est découvert, tantôt tout cela reste enfermé dans le double fond
d’un petit secrétaire au dernier étage d’un grand gratte-ciel.
Les accords et ententes secrètent conclus entre les sociétés permettent de donner
l’illusion plus ou moins nette que les règles de concurrence s’appliquent toujours
pleinement sur le marché tandis que les profits augmentent sous le couvert d’astucieuses
manœuvres. Les entreprises semblent être esclaves de deux désirs insatiables qui
semblent être faits de la matière que ne l’était le tonneau des Danaïdes. D’une part la
volonté hégémonique de régner sans conteste sur un marché et, d’autre part, la
recherche du profit économique. Si les deux peuvent s’accorder, il arrive régulièrement
qu’une lutte trop violente entre deux rivaux coûte trop cher en campagne de publicité ou
demande trop d’investissements répétés en recherche et développement92
.
Se répartir des territoires ou de la clientèle est interdit dans de nombreuses
législations et être constitutif d’une pratique anticoncurrentielle. En France, l’Autorité
de la Concurrence peut prononcer, après une enquête respectant le principe du
contradictoire, une amende pouvant atteindre dix pour cent du chiffre d’affaires mondial
92
R&D (Research and Development - ANG) : la capacité d’innovation d’une entreprise afin de rester compétitive ou de prendre des parts de marché par son avance technique.
45
hors taxes. Bien que ce seuil ne soit jamais atteint, les amendes se chiffrent souvent en
dizaines ou en centaines de millions d’euros93/94
.
La conclusion de ces ententes ou des accords secrets va venir inévitablement
fausser l’application des règles de concurrence et souvent tirer les prix à la hausse ou
tout au moins maintenir des prix uniformes de manière artificielle en faisant fi des
principes de la concurrence qui a, bien au contraire, pour but de faire baisser ces prix.
Ces accords peuvent ainsi être verticaux – entre les fournisseurs et les distributeurs95
–
ou horizontaux96
.
Les différentes législations en vigueur dans le monde vont ressortir que la
majorité des pays possèdent un organe qui a le pouvoir d’enquêter sur les pratiques
anticoncurrentielles et de les sanctionner. Les pays sont très vigilants quant à ces
pratiques. D’une part parce que l’on sait qu’elles sont nombreuses et ne peuvent être
condamnées qu’après des enquêtes lourdes durant plusieurs années mais surtout car ces
pratiques qui permettent aux industriels, aux fournisseurs ou aux distributeurs
d’accroître leurs profits provoquent des conséquences sur la consommation de biens et
de services et ne permettent pas la concurrence de librement jouer.
Ces transactions obscures sont d’autant plus préoccupantes qu’elles existent
manifestement dans sur quasiment tous les marchés de produits ou de services et dans
les secteurs agricole, industriel et tertiaire et touchent entraînent des répercussions sur la
chaîne entière depuis la production jusqu’à la distribution.
Les états ont donc réagis en mettant en place sur le territoire national cet organe
qui, en France, s’appelle désormais Autorité de la Concurrence97
. Pour autant, ces
institutions semblent bien démunies face aux ruses et aux trésors d’imagination que
93
Autorité de la Concurrence, Décision n° 10-D-28 relative aux tarifs et aux conditions liées appliquées par les banques et les établissements financiers pour le traitement des chèques remis aux fins d’encaissement, 20 Septembre 2010. 94
Autorité de la concurrence, Décision n° 05-D-65 relative à des pratiques constatées dans le secteur de la téléphonie mobile, 30 novembre 2005. 95
Voyez, pour un exemple, Autorité de la Concurrence, Décision 06-D-04 bis relative à des pratiques relevées dans le secteur de la parfumerie de luxe, 13 mars 2006. 96
Voyez, ante, note 95 97
Précédemment le Conseil de la Concurrence.
46
déploient les entreprises pour conclure ces accords, profitant de la législation de pays
peu regardants98
.
Le droit de la concurrence tente aujourd’hui de trouver un second souffle et de
redevenir l’arme étatique crainte par les entreprises qui seraient tentées de conclure des
accords contestables.
Section 2 : L’évolution du droit de la concurrence dans le contexte du marché global
La mondialisation sous toutes ses formes et la globalisation des échanges
représente des quinze le défi majeur auquel est confronté le droit de la concurrence.
Celui-ci semble pourtant éprouver de grandes difficultés à suivre le rythme infernal
imposé par le développement des entreprises modestes ou géantes (§1). Dans ce
contexte déjà ardu viennent s’ajouter une crise politique de confiance dans les
institutions supranationales qui sont l’objet d’acerbes griefs de la part de populations
souvent profanes (§2). Face à ces dérapages et ces mauvaises augures, les tentatives de
règlementation de la concurrence à l’échelle internationale ont bien du mal à s’imposer
aux yeux de tous (§3).
§1 : Le manque de célérité du droit de la concurrence
Le droit de la concurrence national a prouvé son efficacité et, si son pouvoir
n’est pas absolu, les règles de concurrence sont assez bien respectées. Les nombreuses
enquêtes et les surveillances des secteurs sensibles par l’Autorité de la Concurrence
permettent chaque année de dévoiler des pratiques anticoncurrentielles. Les sanctions
infligées, si elles sont plutôt lourdes, ne reversent pas le calcul purement mathématique
fait par des entreprises.
Il semble en effet que les consommateurs aient conscience de l’image d’une
marque mais ne considèrent pas que le fait pour entreprise de se livrer à des pratiques
98
Dans une affaire, l’Autorité de la Concurrence avait noté que plusieurs dirigeants rivaux avaient tenus de réunions discrètes dans des hôtels en Suisse, ce qui constituait une présomption supplémentaire sur d’éventuelles négociations secrètes qui auraient eu lieu entre des entreprises pour se livrer à des pratiques prohibées par le droit de la concurrence.
47
anticoncurrentielles soit une faute impardonnable. C’est peut s’expliquer d’une part par
le fait qu’ils ne sont pas informés ou qu’ils ne se sentent pas concernés99
.
Il ne reste alors aux institutions chargées de faire respecter la règlementation sur
la concurrence que l’aspect purement économique de l’amende mais il est bien souvent
trop négligeable pour constituer une menace suffisamment dissuasive. Le seuil
maximale de dix pour cent est certes élevé mais n’est pas atteint en pratique car une
telle condamnation menacerait trop les performances économiques des grands groupes
de sociétés.
Ainsi, les entreprises géantes savent que leur image de marque ne sera pas
véritablement écornée dans une grande partie de pays où ils opèrent et que les amendes
infligées ne seront pas à la hauteur des bénéfices engrangés, rendant l’opération très
rentable pour eux et pour l’actionnariat qui se presse derrière.100
Il faudrait alors une réforme en profondeur du système de sanction étatique mais
il semble difficile de trouver mieux aujourd’hui. La lenteur devenue habituelle à
laquelle les réformes dans les différents domaines sont menées additionnée du fait que
le droit de la concurrence est loin d’être la préoccupation actuelle des gouvernements
font décroître encore un peu l’espérance de voir rapidement le droit de la concurrence
redevenir un véritable gardien face aux entreprises géantes que plus rien ne semblent
pouvoir arrêter.
Les législations mises en place par des politiciens qui ne sont que rarement
experts en la matière souffrent souvent de lacunes dommageables. De plus, l’influence
exercée par les entreprises géantes à travers des actions de lobbysme contribue à
affaiblir la puissance coercitive de cette règlementation et chacun veut rester maître en
sa demeure afin d’appliquer le droit de la concurrence national.
99
Les consommateurs aux États-Unis sont puissants et disposent de techniques de communication très efficaces ainsi que de recours adéquats par le biais de class actions. En France, a contrario, il semblerait qu’il n’existe pas de véritable esprit de cohésion entre tous les consommateurs. 100
L’entreprise St Gobain, numéro un mondial de la production et de la distribution de matériaux de construction, habituée aux condamnations pour ententes et cartels provisionne régulièrement plusieurs millions d’euros en perspective de la prochaine amende qui lui sera infligée. Cette entreprise a déjà été condamnée en 1994, 2002, 2009. Cette technique de provision pour payer les amendes permet à une société géante de ne pas connaître des conséquences sur les places de marché suite à ces condamnations, rendant presque nul l’impact de la sanction pour un tel leader sur le marché.
48
Dans un monde où les frontières économiques n’existent plus, cette position
parait véritablement inappropriée.
§2 : La contestation des prérogatives des institutions internationales
En opposition aux grands discours prônant l’ouverture des frontières culturelles,
économiques, financières et politiques, l’on se heurte trop souvent à des réalités moins
humanistes et plus égoïstes.
Les systèmes économiques s’effraient entre eux dans un spectacle d’ombres
chinoises monstrueux. Les États-Unis, affaibli par les conséquences de la subprime
mortgage crisis, craignent désormais de se voir ravir la première place dans la course
pour la plus performante économie du monde. Le Japon, touché par des catastrophes
naturelles, doit à présent se reconstruire et l’Union Européenne dans son ensemble attire
désormais la méfiance des investisseurs qui ont redécouverts les colossaux déficits
publics de bon nombre d’états.
Le vendredi 5 Août, l’agence de notation financière Standard & Poor's a baissé
la note des États-Unis, mettant désormais l’indice à AA+ au lieu de AAA101
. Cette
nouvelle extraordinaire n’est pas encouragée de retour à la confiance, bien au contraire.
Les autres nouvelles positifs sur la première économie du monde n’ont pas pu faire le
contrepoids. Pour la première fois depuis que les agences de notation existent, la
superpuissance vacille. Le dollar, de par son influence sur les autres devises, peinent
également à reprendre le dessus et, en contrepartie, la force de l’euro n’arrange plus le
vieux continent.
Le climat d’hostilité et de méfiance extrême qui règne dans le monde des
affaires depuis quatre années augmente les tensions sur les marchés et les actionnaires,
véritables maître de sociétés cotées en bourse, deviennent plus cupides encore, exigeant
toujours plus de dividendes.
101
Les trois agences de notations financières que sont Moody's, Fitch Ratings et Standard & Poor's comptent parmi les avis les plus écoutés dans le monde de l’investissement financier. Leurs décisions peuvent sauver ou faire plonger un état toute entier en rassurant ou en sapant la confiance des investisseurs.
49
Les conséquences des mauvais chiffres des entreprises un peu partout dans le
monde – les places de marché les plus célèbrent clôturant systématiquement à la baisse
– pèsent sur les salaires et la consommation des personnes physiques.
Les entreprises peinent à trouver des investisseurs et à vendre leurs produits –
avec tout de même une large liste d’exceptions. Le droit de la concurrence est alors
ressenti comme un fardeau supplémentaire au lieu d’être vu comme un stimulateur de
compétitivité. Vu d’un mauvais œil car contraignant pour les sociétés, la règlementation
est décriée et parfois même rendue en partie responsable des affres économiques. Le
droit de la concurrence deviendrait trop rigide face aux marchés qui ne savent plus
repartir à la hausse.
Pourtant, il parait bien difficile, comme nous l’avions souligné, de mener
rapidement une véritable réforme du droit de la concurrence. Le péril est d’autant plus
grand que, rappelons-le encore une fois, la situation favorise les réflexes
protectionnismes qui réapparaissent avec une effrayante promptitude.
La population voudrait se protéger contre les importations opérées par leur pays
sans mesurer la gravité d’un tel acte. Figer l’économie mondiale par ces mécaniques
pousserait les marchés à s’enliser plus encore. Cela doit être d’autant plus remarqué que
les politiques de relance keynésiennes semblent avoir montré leurs dernières limites.
Augmenter les droits de douanes sur un territoire serait une incitation pour chacun à
faire de même, paralysant le commerce mondial et précipitant la chute d’un très grand
nombre de pays. Des pays comme le Royaume-Uni ou les États-Unis qui réalisent
considérablement plus d’importations que d’exportations risqueraient de voir se briser
net l’équilibre de leurs balances commerciales et tous les pays seraient inévitablement
affectés.
Pourtant, chacun souhaitent gouverner sans contestation possible son territoire et
refuse de mettre entre des mains internationales le pouvoir de modifier et d’adapter le
droit de la concurrence.
L’OMC a échouée à apporter un équilibre dans les relations entre les pays qui
pratiquent le commerce, favorisant les plus riches et les plus puissants. Il est devenu
50
vital de promouvoir et de faire accepter des outils et des textes qui forment un ensemble
cohérent dans l’optique de développer un droit de la concurrence supranational. Le droit
international privé qui devait apporter des solutions à la multiplication des lois
nationales règlementant la concurrence n’a pas tenu ses promesses102
. De belles
initiatives, bien qu’imparfaites, existent cependant et les tentatives de règlementation de
la concurrence possèdent des qualités.
§3 : Les tentatives actuelles de réglementation
Des institutions internationales ont débutés depuis deux décades des efforts et les
poursuivent toujours afin d’offrir au commerce internationale des règles de concurrence
largement adoptées.
C’est tout d’abord la mise en place de l’Organe de Règlement des Différends au
sein de l’OMC qui doit attirer notre attention. Mais, comme nous l’avons tantôt
expliqué, ce système favorise les pays les plus riches et les plus puissants et les
sanctions, qui prennent la forme de mesures de rétorsion, ne sont pas aptes à remplir
leur rôle coercitif à l’égard de ces pays. De plus, il faut à nouveau rappeler – et cela et
important – que les conflits sont réglés entre états et non entre entreprises. Enfin,
soulignons le fait que l’ORD ne connait qu’une faible partie du contentieux relatif au
respect des règles de concurrence. Il s’agit plus de faire respecter les principes de libre-
échange que de promouvoir une concurrence saine entre les différents acteurs
économiques.
Pour réagir efficacement et condamner avec assez de fermeté les plus grands
groupes mondiaux, évitant par là même les infiltrations de leurs intérêts dans les
institutions politiques et judiciaires des différents pays, un certain nombre d’accords
bilatéraux ont été signés et mis en place103
. Certains accords célèbres ont d’ailleurs
102
A. Heinemann, Die Anwendbarkeit ausländischen Kartellrechts, Mélanges Dutoit, Genève 2002, p. 115 sqq. 103 Une liste de ces accords est disponible dans le document Experiences Gained so far on International
Cooperation on competition Policy Issues and the Mechanisms Used – Revised Report by the UNCTAD Secretariat, UNCTAD, TD/B/COM.2/CLP/21/Rev.2, 25 April 2003, p. 36 sqq.
51
montrés leur grande efficacité104
mais ne semblent plus suffisants face à une
intensification massive des flux mercantiles en tout point du globe.
Cet effort entrepris permet une application plus uniforme du droit de la
concurrence et une meilleure intelligibilité de ce droit, notamment dans la
compréhension et l’interprétation des termes techniques et de l’esprit de ces lois.
Cependant, des limites douloureuses persistent. Ainsi, si deux tribunaux interprètent
différemment les faits en se saisissant d’une même affaire – comme ce fut le cas pour la
notification de la fusion entre General Electric et Honeywell – deux décisions opposées
peuvent être rendues105
. Ce mode de coopération et de développement présente ainsi des
lacunes parfois profondes faute d’une véritable unicité du droit de la concurrence à
l’échelle internationale.
En sus, il arrive fréquemment que les conflits entre les entreprises dépassent la
simple opposition de deux parties et mettent en présence une multitude d’opérateurs sur
le marché, obéissant à trois ou cinq législations différentes. Lorsque ces opérateurs
affichent tous un pavillon national différent, décider du droit applicable n’est pas une
mince affaire et ne satisfait en général que bien peu de monde une fois l’issue décidée.
Il existe également des accords multilatéraux tels que ceux ayant pour origine
l’OCDE106/107
et ces accords sont régulièrement discutés pour être mis à jour et mieux
répondre à l’évolution des marchés108
. Cependant, à l’instar de l’OMC, l’OCDE a été
vivement critiqué pour avoir été construite par les pays les plus riches et les plus
avancés et soutenir de ce fait leurs politiques109
. Le combat que mènent l’OCDE contre
104 Un de accords bilatérales les plus connus est l’accord entre les Communautés européennes et le
gouvernement des États-Unis d’Amérique concernant l’application de leurs règles de concurrence de 1991/1995, JO 1995, L 95/47. Cet accord a été complété par l’accord sur la mise en œuvre des principes de courtoisie active dans l’application de leurs règles de concurrence, JO 1998, L 173/28. 105
Les autorités américaines ayant autorisé la fusion alors que la Commission Européenne, elle aussi saisie l’avait rejetée. 106 Voyez, pour un accord majeur : Recommendation of the Council Concerning Co-operation between
Member Countries on Restrictive Business Practices Affecting International Trade, OECD, 5 Octobre 1967. 107
Organisation de Coopération et de Développement Économiques 108
OECD, Revised Recommendation of the Council Concerning Co-operation between Member Countries on Anticompetitive Practices Affecting International Trade, 27 and 28 July 1995 – C(95) 130/FINAL. 109
Jorma Julin, The OECD: Securing the future, The OECD Observer (OECD) (240/241), Décembre 2003.
52
les taxes et droits de douanes qui ne doivent pas être a été un des chevaux de bataille les
plus ardus110
.
Contrairement à l’OCDE, l’ONU a une véritable dimension universelle. La
Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED) est
devenue l’organe compétent pour le droit de la concurrence, atteignant le statut d’outil
de référence respecté pour une très large majorité de pays. La Loi Type Concurrence qui
constitue l’objet de notre étude est un des derniers projets menés par cette organisation.
Le rayonnement international et l’aura particulière qui se dégage de
l’Organisation des Nations Unies a déjà permis à la CNUCED de mener vers une
adoption large de nombreux textes. Si, comme nous l’avons expliqué, il n’existe pas de
mécanismes coercitif pour l’application de ces textes – et cela constitue sans doute la
plus grande faiblesse de la Loi Type Concurrence – cette nouvelle version qui a fait
l’objet de très nombreuses discussions et d’un consensus large présentent bien des
qualités.
Si certains auteurs111
estiment que l’avenir du droit mondial de la concurrence
devrait se trouver plus volontiers entre les mains de l’OCDE, les arguments que nous
avons avancés semblent permettre une analyse différente et replacer la CNUCED et la
Loi Type Concurrence au centre d’un futur droit mondial de la concurrence.
En effet, par l’ampleur des travaux menés qui ont donné naissance à ce texte, on
peut déjà déceler les grands atouts de ce texte. La condamnation des comportements
nuisibles à la concurrence y sont abordés avec beaucoup de sagesse et de souplesse –
suffisamment pour pouvoir laisser toute l’étendue de leur pouvoir aux tribunaux – ce
qui constitue tout à la fois une force et une faiblesse.
Chapitre 2 : L’incrimination des pratiques anticoncurrentielles
Les atteintes à la concurrence peuvent se caractériser de manière différente. La
première est constituée lorsqu’un acte commis par une entreprise sur un marché
110
Allison Christians, Sovereignty, Taxation, and Social Contract, University of Wisconsin Law School, Legal Studies Research Paper No. 1063, Minnesota Journal of International Law, Vol. 18. 111
Voyez, cit. op. note 19.
53
déterminé provoque une rupture de concurrence entre les différents opérateurs présents
(Section 1). Il est cependant également possible de se trouver face à une situation
anticoncurrentielle lorsqu’un opérateur économique va profiter de sa position sur le
marché et de la force qu’il tire de celle-ci pour commettre des actes prohibés. (Section
2).
Section 1 : Les pratiques concertées anticoncurrentielles
On entendra par pratiques concertées anticoncurrentielles les actions menées
ensemble par au moins deux entreprises afin de gêner le développement des autres
entreprises rivales sur un marché déterminé pour un certain produit ou un certain
service.
Accords ou arrangements restrictifs
a) Accords fixant les prix ou autres conditions de vente, y compris dans le commerce
international ;
b) Soumissions collusoires ;
c) Répartition des marchés ou de la clientèle ;
d) Restrictions à la production ou aux ventes, notamment aux moyens de contingents ;
e) Refus concertés d’achats ;
f) Refus concertés d’approvisionnement ;
g) Refus collectif d’admission à la qualité de partie à un arrangement, ou de membre
d’une association, d’une importance décisive pour la concurrence.112
Il nous faut donc débattre des choix opérés par la CNUCED dans la rédaction de
ce chapitre de la Loi Type Concurrence (§1) puis confronter ces choix l’impact d’un tel
texte sur les marchés internationaux actuels (§2) et à venir (§3).
§1 : Analyse et critiques des définitions des pratiques restrictives de concurrence
112
CNUCED, Loi Type Concurrence, chapitre III, Accords ou arrangements restrictifs.
54
A titre liminaire, il faut noter que la CNUCED s’est inspirée de la section D,
paragraphe 3, de l’Ensemble de principes et de règles des Nations Unies sur la
concurrence telle qu’elle le fait elle-même remarquer.
Il est donc interdit à des entreprises rivales de coopérer ou d’être en situation de
collusion dans le but de favoriser leur position sur le marché soit pour étouffer leurs
rivaux communs, soit pour gonfler artificiellement les prix soit pour se répartir les
marchés ou la clientèle.
Ni les sociétés concurrentes, ni le consommateur ne doivent se retrouver piégés
par des manœuvres de ce type. Ce sont les règles de concurrence idéales qui être le
moteur d’évolution des positions et des prix sur les marchés et non des accords ou des
arrangements secrets.
Les tribunaux et cours de nombreux pays interprètent souvent la notion d’accords ou
d’entente entre deux entreprises rivales de manière extensive afin de pouvoir condamner
ces pratiques, peu importe la forme qu’elles prennent. C’est le cas de l’Autorité de la
concurrence par exemple113
. En ce sens, un accord ou un arrangement114
peut être écrit
mais aussi oral et peu importe qu’il soit officiel ou non. On peut ici rapporter un
exemple assez frappant. Une cour des États-Unis a affirmée, dans une décision, qu’un
hochement de tête pouvait signifier plus que des mots, condamnant la société Esco
Corporation pour entente illicite115
.
Les entreprises doivent donc être vigilantes car le moindre écart peut les faire se
retrouver devant la justice. Souvent, des formes de concertation informelles sont
condamnées par les autorités chargées de veiller au maintien d’une concurrence
effective.
Le seul refuge que connaissent les sociétés géantes qui gère des empires
gigantesques, véritables pans de l’économie d’un pays est la considération de l’entité
économique dans son ensemble. Ainsi, le contrôle simultané de plusieurs sociétés ne va
entraîner de sanctions lorsque les entités économiques sont parties intégrantes d’un
même ensemble économique supérieur.
113
Autorité de la concurrence, Décision no 2000-D-52 relative à des pratiques en matière d’honoraires mises en œuvre par l’ordre des avocats au barreau de Nice, 15 Janvier 2001. 114
La Loi Type Concurrence prend soin de joindre ces deux notions afin d’étendre le champ d’application du texte mais également de prendre en compte les différents termes dans les législations existants sur la concurrence . 115
Esco Corp. v. United States, 340 F.2d 1000, 1007 (9th Cir. 1965)
55
Il y aurait assez peu de mauvaises critiques à donner sur cette considération des
pratiques qui, sous forme d’ententes, portent une grave atteinte à la concurrence. Il faut
noter que devant le très grand nombre d’accords occultes révélés et condamnés, on
estime que ces arrangements sont très nombreux et presque, peut-être, monnaie
courante. Lorsque le marché est oligopolistique, cela devient d’autant plus facile de
conclure un accord. Finalement, ce comportement grave cause un préjudice important
non seulement aux autres concurrents mais surtout au consommateur qui, bien souvent,
en raison d’une répartition de territoires ou de clientèles, ou d’un accord sur les prix,
paiera une somme plus élevée.
Ces ententes sont d’ailleurs très difficiles à prouver même si, parfois, la bêtise ou
l’indiscrétion de certains dirigeants permet de faciliter ces ententes.
Il faut également dire un mot sur les programmes de clémence116
que certaines
législations veulent promouvoir. De tels programmes ont été originellement créés au
États-Unis puis repris et adaptés par l’Union Européenne principalement qui a mis en
place une véritable incitation à la délation.
Pour expliquer brièvement cela, disons simplement qu’une batterie de mesures
incitatives a été introduite dans les législations sur la concurrence afin de pousser les
membres d’un cartel ou les participants à une entente à dénoncer cet accord ou cette
situation117
. Le premier qui dénonce ses complices verra alors sa sanction plus ou moins
réduite selon les preuves qu’il est en mesure d’apporter.
Cette nouvelle version très économique du dilemme du prisonnier118
introduit un
élément déstabilisant pour les parties à une entente et sape une partie de la confiance
entre les complices puisque l’une des parties peut trahir l’autre pour bénéficier d’une
immunité totale ou partielle.
Malgré ces programmes, les ententes ou accords illicites ont encore de beaux
jours devant eux et semblent toujours autant à la mode qu’il y a trente ans. Plus les
116
Leniency Programs. 117
Les trois grands modèles sont le programme américain, le programme européen et le programme japonais, chacun présentant des variations importantes. 118
Exemple célèbre de la théorie de jeux basé sur la propension à la trahison et à la coopération de deux personnes.
56
profits des entreprises seront rognés soit par le jeu des marchés économiques eux-
mêmes soit par l’effet de la loi119
, plus elles rechercheront des moyens de s’enrichir,
fusse au détriment des autres opérateurs économiques.
Cette assertion est renforcée par le fait que ces pratiques sont particulièrement
rentables et que la tentation est alors d’autant plus grandes pour plusieurs sociétés de
s’allier afin de maximiser leurs profits.
§2 : Le rôle et les effets des accords restrictifs de concurrence sur les marchés
Les marchés économiques sont bien entendu affectés par ces pratiques et les
conséquences peuvent être divisées en deux catégories. Il faut ainsi distinguer les effets
sur les concurrents, qui interviennent immédiatement et en plein cœur de l’activité
économique et les effets sur le consommateur, qui interviennent tout au bout de la
chaîne, lors de la distribution du produit.
En premier lieu, les effets sur les autres concurrents sont notables et les
conséquences qu’entraînent ces ententes ne sont souvent visibles qu’après plusieurs
années. Soit toutes les entreprises présentes sur le marché déterminé font partie de
l’entente – souvent en cas de marché oligopolistique – soit seule une partie des sociétés
opérant sur le marché fait partie de l’entente.
Si toutes les entreprises sont parties à cet accord, l’entente – quelle qu’elle soit –
va donner un contrôle totale du marché aux entreprises et les prix ne reflèteront plus la
règle d’élasticité croisée entre l’offre et la demande. Les prix resteront alors bien
souvent artificiellement élevés.
Si certaines entreprises ne sont pas partie à l’accord, elles connaitront alors des
dommages visibles après une ou deux années les chiffres d’affaire seront communiqués.
En effet, être exclu d’une entente pour un opérateur signifie partager le marché avec ses
semblables mais plus sur un pied d’égalité.
Les ruptures de concurrence que l’on peut observer dans ces situations font
rapidement dégénérer l’équilibre entre les concurrents. Attirés par de meilleurs chiffres
119
Taxation des profits, charges sociales, contrôle des concentrations, …
57
obtenus suite à l’entente, les investisseurs se tourneront probablement vers les sociétés
qui font partie de l’entente. Le cercle vicieux se poursuivant, la valeur des entreprises
laissées en marge baisse, effrayant à nouveau l’actionnariat et les investisseurs.
En second lieu, les dommages que va provoquer l’accord illicite sur la
distribution est également non-négligeable. Les consommateurs devront probablement
supporter un prix plus important et non justifié en termes de coût de production,
d’acheminement, de publicité et de distribution.
Cependant, cette réalité est tempérée aujourd’hui par les nouveaux mécanismes
de distribution. Le distributeur, protégé par la loi, est libre de fixer les prix qu’il
souhaite pour les produits qu’il vend. Il est donc un des nouveaux maîtres véritables en
matière de concurrence puisque les consommateurs achètent un produit en tenant
compte du prix du distributeur120
et non du prix du fournisseur. Le distributeur pourrait
donc contrebalancer, de manière plus ou moins fortuite cette tendance.
La ruse des entreprises a mis au point une parade sous la forme d’ententes
verticales. Si l’on imagine plus aisément les ententes verticales, qui sont aussi plus
courantes, cette autre forme d’entente scelle la collusion entre des fournisseurs ou des
revendeurs et des distributeurs, permettant un contrôle maximum du marché à toutes les
étapes. On prendra comme illustration l’affaire des parfumeurs en France121
.
Certaines législations condamnent avec autant de fermeté les deux types
d’accords122
alors que d’autres systèmes font la distinction entre les deux, réservant
souvent plus de sévérité aux accords horizontaux123
. La position des seconds n’est peut-
être pas la plus adroite en ce que les accords verticaux, si leurs conséquences sont moins
graves que celles des accords horizontaux, achèvent de paralyser un marché,
partiellement ou complètement. Une double entente de ce type, si elle peut être assez
facilement soupçonnée, demande une somme de travail considérable pour être
démantelée.
120
Retail price (ANG.). 121
Autorité de la Concurrence, Décision 06-D-04 bis relative à des pratiques relevées dans le secteur de la parfumerie de luxe, 13 mars 2006, citée note 96. 122
Notamment aux États-Unis ou au Canada. 123
Notamment au Costa Rica, en Indonésie ou en Afrique du Sud.
58
C’est sans doute cette observation qui a conduit les différents systèmes à mettre
en place les programmes de clémence. Pourtant, ils présentent tout de même quelques
fâcheux défauts.
En effet, les programmes de clémence sont avantageux pour les entreprises les
plus puissantes. Elles sont plus à même d’imposer aux rivaux plus modestes leurs
volontés. Elles peuvent plus aisément menacer une société modeste de dénoncer
l’accord et, par le poids économique sur le marché, est bien plus solide et
incontournable que les autres concurrents. Sa survie sera ainsi plus aisée en cas
d’enquête puis de condamnation.
Ensuite, il est peut-être trop facile pour une entreprise de bénéficier d’une
entente pendant des années, puis, lorsque cet accord ne lui est plus suffisamment
profitable, s’en aller le dénoncer aux autorités compétentes pour, bien souvent,
bénéficier d’une immunité totale. En contrepartie, la confiance que les autres entreprises
lui témoignent sera peut-être sapée mais que vaut la confiance face à l’économie de
centaines de millions d’euros. L’actionnariat et les dirigeants ont déjà fait leur choix.
Face aux évolutions perpétuelles du marché, il faut s’interroger sur la pérennité
de ces accords et si la confiance des rivaux rendra ces opérations toujours aussi
rentables.
§3 : Perspectives et évolutions des pratiques restrictives
Ces rencontres de volontés pour engranger toujours plus de profits est sur le
marché économique actuel une nécessité. Des bénéfices qui stagnent sont presque aussi
mauvais que des pertes. Poussés par la pression du marché et par les conseils
d’administration, les entreprises doivent rechercher à augmenter leurs revenus en
permanence. Si le meilleur moyen reste l’innovation, des budgets trop élevés alloués
pour la R&D ne sont pas non plus toujours bien acceptés.
Il est difficile d’imaginer que les sociétés peuvent chaque année mieux faire – à
l’instar des pays qui veulent une croissance toujours plus élevée. Le droit de la
concurrence cherche à briser ces ententes néfastes mais qui ont été mises en place à
moitié par cupidité et à moitié par nécessité. Les entreprises concurrentes doivent
59
déployer des tactiques plus habiles et plus secrètes chaque jour pour ravir des parts de
marché à leurs concurrents.
Ces accords sont donc probablement destinés à se multiplier mais en redoublant
de prudence à chaque nouvelle tentative. Il faudrait alors que les amendes infligées
soient plus grandes encore pour mieux dissuader ceux qui seraient tentés d’en conclure
mais les institutions se retrouvent elles aussi prises au piège des logiques mondiales.
Sanctionner trop fortement une entreprise coupable par une amende démesurée serait
certes un signe fort mais ce serait autant d’argent en moins à repartir en paiement des
salariés et des charges, dividendes à verser et investissements à faire.
Le droit de la concurrence semble donc être dans une impasse et la Loi Type
Concurrence ne pourra pas échapper à cet écueil car, il faut le dire, les dispositions
qu’elle contient relativement aux accords ou arrangements restrictifs de concurrence ne
sont pas originaux et reprennent ce que contiennent déjà des centaines de législations
nationales. Le mérite qu’il lui reste alors serait l’uniformisation de ce droit que les pays
ne semblent pas prêts à adopter.
Section 2 : L’abus de position dominante, nouveau fer de lance contre les entreprises
géantes
Il serait trop fastidieux et assez inutile de reporter ici l’ensemble des dispositions
ayant trait à l’abus de position dominante par une entreprise en situation de force sur le
marché. La Loi Type Concurrence reste relativement classique dans son approche,
listant une série de comportements tels que le fait de « subordonner la fourniture de
certains biens ou services à l’achat d’autres biens ou service auprès du fournisseur ou
de la personne désignée par lui »124
ou le « refus partiel ou complet de traiter aux
conditions commerciales habituelles de l’entreprise »125
.
Tout comme nous l’avons fait au sujet des ententes et accords illicites, il nous
faut examiner comment la Loi Type Concurrence organise l’incrimination du
comportement d’abus de position dominante (§1). Dans l’état actuel du marché que l’on
connait depuis une quinzaine d’années, il sera particulièrement important de confronter
124
CNUCED, Loi Type Concurrence, Chapitre IV, II, e), ii. 125
Ibidem, i.
60
ce texte aux réalités politiques et économiques des marchés (§2) et de voir comment ce
processus pourrait évoluer (§3).
§1 : Analyse et critiques des définitions de l’abus de position dominante
La position dominante d’une entreprise est défini dans la Loi Type Concurrence
comme la situation dans laquelle « une entreprise, soit seule, soit avec quelques autres
entreprises, est en mesure de dominer le marché considéré d’un bien ou d’un service ou
groupe de biens ou de services particuliers »126
.
Ce n’est pas la situation de position dominante qui est condamnable – et
condamnée – par de nombreux pays mais l’abus de cette position « lorsque les actes ou
le comportement d’une entreprise en position dominante limitent l’accès au marché
considéré ou, d’une autre manière, restreignent indûment la concurrence, ayant ou
risquant d’avoir des effets préjudiciables au commerce ou au développement
économique »127
.
La CNUCED adopte une position incertaine, et pour cause, l’abus de position
dominante est bien plus une affaire d’appréciation par les juges que de tables de loi
gravées. L’abus de position dominante est l’une des questions les plus controversées en
droit de la concurrence car chaque pays mène une politique différente pour mener ses
entreprises vers la grandeur tout en préservant les intérêts des autres opérateurs
économiques.
En fonction de ces politiques et des objectifs de la loi sur la régulation des
activités des entités économiques et du contrôle du respect de la concurrence, les lois
peuvent grandement varier et les interprétations par les tribunaux encore plus. La
question du respect des règles de concurrence contient également des réflexions
inhérentes à la protection du consommateur et au contrôle des investissements
nationaux ou étrangers.
Les possibilités d’atteinte ou de non-atteinte à la concurrence sont nombreuses,
variées et complexes et les législations contiennent souvent, à l’instar de la Loi Type
126
Ibidem, I, i). 127
Ibidem, ii).
61
Concurrence, une liste non-exhaustives des pratiques qui constituent ou qui sont
susceptibles de constituer des abus de position dominante.
Le principal problème vient de la délimitation entre la situation de position
dominante et la situation où une entreprise abuse de sa position dominante pour
substantiellement altérer la concurrence sur un marché déterminé.
La frontière entre une situation économique – souvent due au mérite, aux
capacités d’innovation ou aux techniques de marketing performantes d’une entreprise –
et la volonté délibérée d’abuser de sa position dominante pour restreindre la
concurrence est parfois (trop) mince.
De plus, avant de parvenir à définir l’abus d’une position dominante, les
législations et les autorités de surveillance des marchés ne sont pas uniformes sur
l’appréciation de ce qui constitue une position dominante. Bien souvent, le simple fait
de détenir plus de la moitié ou même plus de soixante-dix pour cent des parts ne suffit
peut-être pas à caractériser cette position dominante.
De ce fait, l’appréciation de la position dominante par une entreprise et de
l’usage qu’elle en fait peut devenir une arme pour les instances étatiques et les autorités
de surveillance des marchés nationales ou supranationales afin de protéger leurs propres
marchés.
§2 : L’abus de position dominante comme technique de protection des marchés
S’il est certain que les dommages infligés à la concurrence pour tous les
opérateurs économiques sont sévères lorsqu’une entreprise abuse de sa position
dominante sur un marché, il ne faudrait pas tomber dans la paranoïa et voir dans les
entreprises gênantes un péril systématique.
Ces groupes tentaculaires sont la mutation des entreprises traditionnelles qui ont
trouvé dans ces nouvelles formes les possibilités d’une réponse mieux adaptée à la
mutation des marchés devenus internationaux.
Les formes d’entreprises que l’on connaissait bien jusqu’à présent ont été
confrontées à la nécessité de changer pour survivre. Certaines formes sont en train de
62
devenir obsolètes, à l’image des coopératives, modèle singulier mais difficilement
envisageable dans un ordre mondial. A l’inverse, le regroupement de dizaines ou de
centaines de sociétés dans un conglomérat unique dirigé par un conseil d’administration
connait aujourd’hui son âge d’or.
Pour les autorités de surveillance à travers le monde, il s’agit de placer sous
surveillance ces entités géantes qui déploient loin atour d’elles leurs influences. Quant
aux enquêtes qui sont menées par ces organes, l’on ne peut que souhaiter une
appréciation la plus juste possible. Entraver par trop les libertés de ces groupes
économiques essentiels fragilise le système macro-économique de l’ensemble mondial.
Il faut cependant objecter que, a contrario, être trop permissif envers ces
opérateurs gargantuesques peut se révéler éminemment dangereux. Les conséquences de
leur comportement illicite pourraient se révéler quasiment irréversibles.
Les hommes politiques peuvent avoir tous les intérêts pour leur pays à vouloir
préserver leur territoire d’une trop forte présence de ces groupes lorsqu’ils sont
originaires d’un autre pays. Cela leur permet à la fois de rendre leur économie moins
dépendante d’entreprises étrangères et de promouvoir le développement et l’innovation
par des opérateurs locaux. Les autorités de la concurrence devraient s’efforcer d’être le
plus neutre possible et de ne pas céder à l’appel de sirènes partisanes nageant dans des
eaux territoriales. Il faut dire sur ce point que l’objectif est atteint de manière
satisfaisante car les autorités de surveillance des marchés parviennent assez
correctement à détacher leurs décisions de considérations chauvines.
Pourtant, le plus grand ennemi reste le législateur qui peut, par son immense
pouvoir, corrompre la neutralité nécessaire au droit de la concurrence pour son exercice
serein128
. Il peut en effet, par la création de la loi, produire des actes injustes et qui ne
recherchent pas l’intérêt général129
. Il peut élever des barrières à l’entrée du marché,
exigeant des ressources financières considérables, des agréments ou la production de
fastidieux documents répondant à une bureaucratie savamment tortueuse.
128
Comme le veut l’adage d’Ulpien, « Quod principi placuit legis habet vigorem ». 129
Qui est donc celui dont on recherche l’intérêt dans cette expression trop utilisée et usée ? Est-ce l’intérêt général d’un peuple en particulier ? Celui de n’importe quelle personne du monde ? Quelles sont donc ces assommantes multitudes de considérations partisanes qui y sont attachées ?
63
Il peut venir en mémoire l’exemple de la taxe sur la publicité en ligne qui a
provoqué un vif débat en France.130
Le législateur peut donc soutenir ses propres
politiques, amadouant ainsi un électorat profane qui ne veut pas entendre parler de
délocalisations et de produits made in China. Pourtant, ce type de comportements
présente des risques élevés.
D’une part il met un pan de l’économie, parfois un pays entier, en marge de la
mutation globale des marchés et, d’autre part, il provoque une rupture de concurrence et
freine la volonté d’innover et de rester compétitives pour les entreprises présentes sur le
marché. Il faut se passer des réflexes réactionnaires. L’économie est globale et
mondialisée ; les entreprises doivent l’être aussi. L’adaptation est la meilleure voie vers
la survie.
Il s’agit donc d’éviter de tomber un peu trop aisément dans la confusion de la
position dominante d’une entreprise – surtout étrangère – et l’abus de cette position
dominante. On ne saurait sanctionner trop fortement les actes qu’un acteur économique
qui ne saurait pas en situation de position dominante pourrait licitement faire lorsqu’une
entreprise en position dominante effectue ces mêmes actes. Si les concentrations géantes
doivent être surveillées, il ne faut pas freiner leurs activités sans un motif sérieux.
Cette exigence d’une atteinte réelle à la concurrence n’est pas toujours respectée
en ce qu’un certain nombre de législations permettent aux juges ou aux membres d’une
autorité de surveillance des marchés de condamner une entreprise ou de refuser un
projet de fusion en raison d’une possible atteinte à la concurrence. Les mesures adoptées
doivent être nécessaires et conduire à une application d’un droit de la concurrence plus
opportun et plus performant.
§3 : Perspectives et évolutions des positions dominantes
Les positions dominantes sont sans doute appeler à devenir monnaie courante.
Les conglomérats qui se sont formés voilà dix, quinze ou vingt années ont toujours la
faveur des investisseurs et des dirigeants. Dans la guerre qui fait rage pour des profits
130
Voyez note 54, la taxe avait semblé viser avec une effrayante précision l’entreprise Google qui domine en France le marché de la publicité sur internet afin de répondre aux polémiques du service Google Street View.
64
toujours plus élevés, luttant contre les concurrents et les législations qui se durcissent,
les abus tirés de ces positions dominantes semblent être un terrain propice pour
développer une activité économique plus rapide et plus puissante.
Les dispositions contenues dans la Loi Type Concurrence restent très classiques
mais détiennent un atout considérable. Dans un effort similaire aux dispositions
relatives aux ententes et accords illicites, la partie de la Loi Type Concurrence qui traite
des positions dominantes et des abus de celles-ci permettent un effort d’uniformisation
considérable.
Ainsi, les autorités nationales, si elles enquêtaient et jugeaient conformément à
ce texte qui serait largement adopté, éviteraient de créer des situations hérétiques où les
pratiques d’une entreprise sont légales et acceptés dans un pays et condamnées sur un
territoire.
Les divergences entre les législations entraînent un coût supplémentaire non
négligeable pour les entreprises et, si des variations vont nécessairement persister – et ce
de manière bienvenue – il s’agit tout de même de remettre un peu d’ordre dans cette
confusion qui participe aussi à déstabiliser les marchés. Certaines décisions qui ne sont
pas attendues en ce sens peuvent suffire à alimenter des paniques qui se répercutent
immédiatement sur les marchés économiques.
Dans ces temps difficiles que les marchés financiers connaissent actuellement,
l’on ne peut que s’efforcer de rechercher une certaine stabilité afin d’arrêter
l’hémorragie qui s’est déclarée suite à un retour en force de la spéculation en même
temps qu’une volonté de limiter à tout prix les pertes, même modestes. Les marchés
économiques sont plus que jamais de salles nerveuses ou la moindre information peut
précipiter les cours dans un abysse insondable. Ces grands groupes d’entreprises sont
alors à la recherche d’un nouveau souffle afin de s’étendre plus puissamment encore,
formant des ensembles toujours plus grands qui peuvent menacer gravement l’équilibre
des forces dans les rapports concurrentiels entre les entreprises.
Titre 2 : La réglementation des concentrations, élément majeur d’appréciation de la
concurrence
65
Les concentrations sont le reflet le plus fidèle de la situation concurrentielle sur
un marché. C’est un précieux indices pour les autorités de concurrence lorsqu’elles
souhaitent évaluer la violation des règles de la concurrence par une ou plusieurs
entreprises, elles déterminent alors le marché pertinent et tentent de mesurer la
concentration de ce marché, c'est-à-dire le degré de concurrence sur ce marché.
Plus le taux de concentration est élevé, plus la concurrence est affaiblie. En effet,
un taux de concentration élevé se traduit par un nombre d’opérateur restreint sur le
marché, ce qui induit un risque plus important de cartellisation.
La préservation d’une concurrence optimale est rendue plus difficile aujourd’hui
par la domination des entreprises de taille imposante (Chapitre 1) et la Loi Type
Concurrence espère introduire un mécanisme de notification générale auprès d’une
autorité internationale qui aurait pour tâche de surveiller ces entreprises géantes et leurs
activités ainsi que l’approbation des projets de fusion-acquisition et de rachats (Chapitre
2).
Chapitre 1 : Le difficile équilibre de préservation de la concurrence face aux désirs
hégémoniques des entreprises
Les activités économiques menées par les entreprises sont indispensables aux
états pour leur assurer un taux de croissance le plus élevé possible et, dans le même
temps, ces derniers doivent veiller à ne pas donner à ceux qui leur donnent leur éclat un
trop grand pouvoir. Difficile équilibre des forces que voilà ! Ces puissantes sociétés
présentent donc un danger pour la concurrence (Section 1) et la CNUCED envisagent
un nouveau mécanisme supranational pour contrôler leurs activités et apporter une
nouvelle fois une véritable uniformisation relativement au contrôle exercé sur leurs
actes et leurs positions sur les marchés (Section 2).
Section 1 : Les périls des entreprises géantes pour la concurrence
66
Ces empires financiers anciens ou nouveaux gagnent à chaque instant en taille et
en pouvoir, présentant les nouvelles mutations des marchés économiques (§1). La lutte
entre ces quelques grands archontes de l’activité de production et de distribution de
biens et de services se forment sur d’immenses territoires dominés par seulement
quelques-uns, créant de nouveaux riches (§2). Dans ces affrontements, l’expansion de
ces macro-groupes se fait par le biais des opérations de rachats d’autres groupes
gigantesques ou de fusions-acquisitions démesurées (§3).
§1 : L’érection de nouvelles Tours de Babel
Quelques considérations doivent ici être énoncées. En premier lieu, il faut bien
saisir que ces entreprises géantes que l’on retrouve en position de leader sur les marchés
économiques nationaux et internationaux préfigurent la nouvelle forme des marchés
économiques de demain.
Ces conglomérats géants sont le fruit d’une réflexion profonde sur la meilleure
façon de dominer les marchés mondiaux. Ces territoires immenses, s’ils sont bien
révélateurs de grandes opportunités, viennent avec un lot de contraintes spécifiques. Les
différences existants entre les législations, les différences culturelles entre les pays, le
type de consommation n’est pas non plus le même selon les régions du monde131
.
L’ancienne obsession des Babyloniens semblent agiter le monde des affaires de
nos jours. Des empires financiers toujours plus étendus et plus forts, tel est l’antienne
glorieuse chantée sur les places de marchés.
Pourtant, ces groupes de sociétés doivent composer avec les obligations érigées
par les états et – on attend cela avec beaucoup d’impatience – les institutions
internationales.
Cependant, le pouvoir de ces sociétés s’infiltrent volontiers dans les sphères
politiques comme nous l’avons expliqué précédemment. Plus la concentration sur le
marché est élevée, plus les risques de pratiques anticoncurrentielles augmentent car la
131
Ce sont ces facteurs qui ont conduits à l’échec de l’implantation du géant de la distribution américain Wal-Mart à travers le monde et notamment en Allemagne ou au Japon.
67
part de pouvoir que détiennent les opérateurs sur des marchés à configuration
oligarchique est plus grande encore.
§2 : Des marchés économiques oligarchiques
Les marchés oligarchiques sont probablement les plus dangereux pour l’intégrité
des règles de concurrence en ce que ce sont les marchés qui ne bénéficient pas
nécessairement d’une surveillance sévère alors que le taux de concentration est élevé.
Sur les marchés où une seule entreprise ou deux entreprises sont en position
largement dominante, la surveillance est souvent accrue. A l’inverse, les marchés
économiques sur lesquels un très grand nombre d’opérateurs opèrent présentent moins
de risques et la concurrence y est plus féroce et les ententes peut-être moins courante.
L'indice de Herfindahl-Hirschmann132
permet d’estimer le degré du danger pour
la situation en présence sur un marché déterminé. Les firmes qui bénéficient d’une
implantation sur un marché oligopolistique sont avantagées par la configuration du
marché.
On peut trouver aisément ces schémas de situation concurrentielle sur les
marchés possédant des barrières à l’entrée. Que ces obstacles à l’entrée soient d’origines
structurels ou légaux, ils permettent de temporiser l’arrivée sur le marché de nouveaux
opérateurs économiques et donc d’éviter un durcissement rapide de la concurrence133
.
Il existe des marchés où l’accès ne peut être autorisé que par un agrément
étatique comme les licences 4G qui sont en passe d’être attribuées aux opérateurs de
132
Herfindahl-Hirschman Index - IHH ou HHI (ANG.) est un indice mesurant le taux de concentration sur les marches. Il est obtenu en additionnant le carré des parts de marché (généralement multipliées par 100) de toutes les entreprises du secteur considéré. Plus l'IHH d'un secteur est fort, plus la production est concentrée. Il est volontiers utilisé par les autorités de surveillance ces marchés en valeur absolue et en variation (lors d’une décision sur une opération de fusion). La Commission européenne s'y réfère également dans ses lignes directrices sur l'appréciation des concentrations horizontales. Aux États-Unis, lorsqu’une opération augmente de plus de 100 points l’HHI, elle est soumise à la législation anti-trust. 133
W. Sheperd, The economics of Industrial Organization, Englewood Cliffs, 1990.
68
téléphonie mobile, demandant alors de considérables ressources financières aux
prétendants et enfermant définitivement ce marché dans une situation oligopolistique134
.
L’état se rend donc responsable dans ces situations de la brèche créée dans les
conditions de concurrence. Les consommateurs n’ayant pas la possibilité de faire un
choix réel puisque ces entreprises alignent leurs contrats, leurs pratiques et leurs prix sur
leurs concurrents afin de maximiser leurs profits et de maintenir des prix artificiellement
élevés.
L’atteinte à l’image de marque d’une firme en cas de condamnation est presque
nulle puisque les consommateurs ne peuvent valablement sanctionner cette entreprise en
se tournant vers une autre du fait des prix équivalents et des engagements contractuels
particulièrement longs135
.
Ces pratiques contestables figent l’évolution des prix et des pratiques en
enfermant les nouveaux concurrents potentiels dans une impossibilité d’accéder au
marché ou une possibilité périlleuse qui sera dissuasive et en empêchant le
consommateur ou le professionnel de faire jouer la concurrence en pratiquant des prix
similaires et des contrats grevés d’autant de clauses lourdes et parfois abusives.
Dans ce contexte à la fois national et international, la surveillance de ces
concentrations va alors passer par des étapes importantes du développement des
entreprises pour éviter que des prises de contrôle trop opportunes aient lieu. Les
opérations de fusion-acquisition seront alors l’occasion pour les autorités de la
concurrence de veiller à ce que les marchés ne subissent pas le joug de quelques
opérateurs parfois entre eux accordés au détriment des autres concurrents et du
consommateur.
§3 : Le contentieux épineux des fusions
134
Les trois opérateurs principaux sur le marché s’étant fait condamnés par l’Autorité de la concurrence pour entente illicite, l’on peut s’interroger sérieusement sur le maintien de la concurrence dans de telles situations. Voyez note 95. 135
En France, par exemple, les délais d’engagement sont généralement de douze ou vingt-quatre mois. Dans d’autres pays comme le Danemark, les durées d’engagements sont bien plus réduites, de l’ordre de six mois.
69
Les opérations de fusion-acquisition sont des instants extrêmement significatifs
dans le monde des affaires. De telles transactions peuvent créer une profonde refonte sur
un marché entier et ces changements peuvent être ressentis au plan international.
Les autorités de surveillance des marchés à travers le monde peuvent chacune
exercer un contrôle sur les opérations de fusion-acquisition qui sont menées lorsque les
entreprises qui fusionnent sont implantées dans le pays ou la zone au sein de laquelle
s’étendent les pouvoirs des autorités.
Il arrive donc, selon les politiques nationales ou régionales ou les divergences
existant entre les législations sur lesquelles se basent les autorités de concurrence, que
deux décisions à la portée contraire soit rendues comme nous l’avons tantôt expliqué.
Ces situations sont plutôt aberrantes ne permettent pas aux investisseurs de
pouvoir appréhender dans des bonnes conditions l’issue de ces opérations capitales.
Cela contribue ainsi à déstabiliser les marchés.
La Loi Type Concurrence permettrait alors de placer entre les mains d’une seule
autorité les enquêtes suite aux notifications de fusion par les entreprises. Les pôles de
concentration sur les marchés se heurtent donc moins durement aux règles de
concurrence.
Section 2 : Les concentrations face aux principes fondamentaux de la concurrence
La concurrence obéit aux règles des marchés économiques et permet aux
entreprises de pouvoir tendre vers une compétitivité optimale en étant protégé par des
actions déloyales de la part de ses concurrents.
De ce point de vue, la concurrence ressemble étonnamment à un match de boxe
sur un ring, sport qui contient quelques règles bien que la finalité soit la défaite par K.O.
de l’adversaire.
Les concentrations qui opèrent en maître sur les marchés internationaux suivent,
en dehors de la loi, un certain nombre de règles. Depuis les premières théories
économiques d’Adam Smith, la loi de l’offre et la demande est sans doute la plus
connue (§1). Dans le prolongement de cette idée, il faudra s’étendre plus longuement
70
sur les caractéristiques du pouvoir d’influence dont disposent les consommateurs dans
la mise en œuvre du facteur « demande » sur les marchés (§2). Enfin, il faudra revenir,
au vu de ce nous aurons dit précédemment sur les effets possibles et réels des
concentrions face à ces principes économiques (§3).
§1 : La règle d’offre et de la demande
La loi de l’offre et de la demande et sans doute la loi la plus élémentaire sur les
marchés économiques.
L’offre de produits ou de services qui arrive sur le marché par les étapes de
production, d’acheminement et de distribution est portée par les entreprises et définie la
disponibilité des produits sur le marché, rendant également compte du degré de progrès
technique et d’innovation développé par la R&D.
La demande émane quant à elle des consommateurs. C’est le choix que les
consommateurs font faire lorsque deux produits substituables – prix similaires et
caractéristiques semblables.
La loi de l’offre et la demande est logiquement perturbée par les ententes, les
cartels et les autres types de pratiques anticoncurrentielles, particulièrement l’abus de
position dominante qui fausse complètement l’éventail de choix qui s’offre au
consommateur.
La sauvegarde de cette loi est donc essentielle afin que les règles de concurrence
s’appliquent de manière cohérente. Cela évite alors le maintien de prix stables
artificiellement hauts. Les consommateurs devraient alors être capables d’influencer par
leur choix les prix pratiqués par les entreprises.
§2 : La détermination du choix des consommateurs
Les consommateurs sont les personnes qui, à la fin de la chaîne de mise sur le
marché d’un produit ou d’un marché vont départager, par leurs choix, les entreprises en
situation de concurrence. Les politiques de production, de distribution, de prix,
d’innovation, de communication et les caractéristiques des produits ou services
71
accompagnées d’un certain nombre de prestations supplémentaires vont être in fine
sanctionnées par le consommateur.
Les sociétés présentent sur le marché considéré doivent donc revêtir leurs plus
beaux atours et c’est in fiocchi qu’elles doivent déployer les fines tactiques afin que le
consommateur leur donne sa faveur.
Des sociétés comme Apple ont par exemple réussi à vendre leurs produits à un
prix plus élevés que le prix moyen sur le marché. On peut expliquer ce succès par la
qualité de leurs produits, la forte innovation, de malignes campagnes promotionnelles
relativement aux produits et services qu’ils commercialisent mais également en
enfermant complètement le consommateur dans la marque avec des pratiques qui
confinent parfois à la vente liée. Si une telle infraction ne leur a pas été reproché, le
caractère hautement propriétaire de leurs technologies et le manque de compatibilité et
d’interopérabilité des produits vendus ont contribué au succès commercial de la marque.
Les consommateurs conservent donc une partie du pouvoir qui émane de la
demande mais, face aux pratiques tantôt contestables tantôt illicites mises en place par
les firmes qui détiennent une position de choix sur les marchés, le pouvoir d’influence
qu’ils possèdent se retrouve rongé petit à petit.
Dans la guerre qui fait rage, les entreprises n’oublient pas complètement que le
consommateur détient cette fraction décisionnelle qui fait la victoire ou la défaite d’une
entreprise sur le marché.
Les sociétés vont donc s’employer à séduire le consommateur tout en pratiquant
quelques actes forts peu licites afin de contenter l’actionnariat et de remplir leur coffre
au trésor. Cette piraterie conduit donc les autorités de concurrence à se montrer sévères
et à punir ces abus.
Pour autant, les consommateurs ne semblent pas constituer une conscience de
classe en tant que maillons finaux de la chaîne du commerce. Dans certains pays, les
grands navires flibustiers ont connus de cuisantes défaites face à la rébellion des
consommateurs et ne peuvent plus écumer aussi aisément les mers à la recherches de
profits toujours plus élevés.
72
Les concentrations ont encore cependant de beaux jours devant elles. Face à un
consommateur peu averti, peu concerné – car peu intéressé – il ne se dresse pas de
navire suffisamment puissant pour semer le désordre sur le pont de ces grands galions
qui s’apparent finalement bien plus aux monstres marins légendaires qu’aux équipages
de faible constitution en proie au scorbut.
Les autorités de surveillance des marchés sont donc les gardiens les plus
puissants face aux pratiques protéiformes des entreprises qui veulent s‘approprier
entièrement les marchés et paralyser l’efficacité du facteur « demande ».
§3 : L’évaluation des effets des concentrations
Les concentrations, par leur puissance, peuvent donc provoquer une refonte des
marchés économiques sur lesquels elles règnent et empêcher d’autres sociétés plus
modernes de s’y installer, bloquer les prix et utiliser des pratiques discriminatoires pour
arriver à leurs fins.
Les autorités de la concurrence ont donc pour tâche d’évaluer les effets sur le
marché induits par les concentrations, c’est-à-dire à la fois l’état de la concurrence sur le
marché et les conséquences possibles et probables à plus ou moins long terme du fait de
la position de force ou de la position dominante que possède une entreprise. Les
institutions qui surveillent les marchés doivent donc se doter d’outils utiles et précis qui
permettent de rendre fidèlement compte de la réalité, au-delà des simples apparences.
Certaines manœuvres sont ainsi difficiles à détecter et à sanctionner. La
dissuasion est l’arme de prédilection des autorités de concurrence mais semblent assez
peu efficaces. Le temps requis et la complexité des enquêtes menées pour mettre à jour
les ententes et les pratiques anticoncurrentielles sont des facteurs particulièrement
élevés.
L’évaluation des effets des concentrations sur le marché est un élément clé pour
l’autorisation ou le refus des opérations de fusion-acquisition par les autorités de la
concurrence.
73
Ces opérations permettant à de très imposants groupes d’entreprises de s’étendre
encore en plaçant sous un contrôle commun deux entreprises ou bien plus va
nécessairement altérer la concurrence.
Puisque les entreprises d’un même groupement ne peuvent être condamnées
ensemble pour des politiques tarifaires communes ou d’autres pratiques impliquant une
collusion – et cela est compréhensible et bienvenu – la présence de ces groupes géants
va diminuer le pouvoir des autorités de surveillance des marchés et renforcer du même
coup l’influence des entreprises et leur propension à faire plier les règles de concurrence
comme elles le souhaitent.
La cohésion remarquable des intérêts des entreprises – expansion et profits – fait
que leurs revendications est porté par un seul et unique guerrier, colosse majestueux et
musculeux. En face, l’éclatement des autorités de surveillance des marchés, rendant
parfois des décisions contradictoires, transforme les pourfendeurs de pratiques
anticoncurrentiels en pions bien peu signifiants.
La Loi Type Concurrence permettrait alors, en approuvant ou en refusant les
fusions-acquisitions entre groupements d’entreprises, de diffuser un message clair et
uniforme, permettant à un nouvel organe international d’apprécier dans sa globalité les
effets présents et futurs des concentrations et l’état des règles de concurrence sur les
marchés déterminés.
Il importe donc que les états acceptent de laisser une partie de leur pouvoir,
rendant secondaires les autorités nationales de concurrence afin de mettre en les mains
d’un organe de tutelle général les préoccupations de surveillance et de régulation des
marchés.
Chapitre 2 : La nouvelle procédure de notification par la création d’un organe de tutelle
La Loi Type Concurrence souhaite mettre en place un organe de tutelle unique,
disposant de prérogatives étendues à l’échelle internationale. Pour apprécier la teneur et
la valeur de ce projet introduit au chapitres IX et X il nous faut examiner le
fonctionnement de l’organe de tutelle (Section 1) pour pouvoir préjuger de ses
74
compétences et de son réel impact sur les marchés économiques aujourd’hui livrés aux
mains des groupes géants d’entreprises (Section 2).
Section 1 : Les caractéristiques de l’organe de tutelle
L’organe de tutelle que la CNUCED souhaite voir émerger grâce à l’adoption
par les pays de la Loi Type Concurrence est doté d’un potentiel certain (§2) bien que ses
pouvoirs soient encore insuffisants (§1) et qu’il devrait disputer ses compétences aux
autorités de surveillance des marchés nationales (§3).
§1 : Les imprécisions majeures de la Loi Type Concurrence quant à l’organe de tutelle
Avant de juger du fond de la Loi Type Concurrence relativement à la création
d’un organe de tutelle pour contrôler les fusions et diligenter des enquêtes sur des
pratiques illicites ou des abus de position dominante, il faut au préalable savoir quels
objectives sont visés par la CNUCED au travers de la Loi Type Concurrence.
Les chapitres V à VII de la Loi Type Concurrence détaillent la procédure de
notification par les entreprises d’un projet de fusion et la réponse de l’organe de tutelle
quant à ce projet avec une pléthore de détails techniques restés très vagues. Les
chapitres IX et X qui expliquent l’organisation de l’organe de tutelle, s’ils sont
lacunaires et assez creux permettent tout de même de rendre compte des préoccupations
de la CNUCED en la matière.
Le chapitre IX énonce les règles de composition de l’organe de tutelle en
abordant notamment les questions relatives aux membres de l’organe – qualifications,
durée et renouvellement du mandat, destitution, immunité des membres.
Ces quelques lignes n’apportent strictement aucun détail technique, se
contentant d’énoncer les points à aborder.
Le chapitre X est nettement plus intéressant en ce qu’il détaille les pouvoirs dont
disposera une autorité de surveillance unifiée pour les marchés économiques mondiaux.
Ces pouvoirs les plus significatifs sont :
a) Procéder à des enquêtes, notamment après réception de plainte ;
75
b) Prendre les décisions nécessaires, notamment imposer des sanctions, ou en
recommander au ministre responsable ;
[…]
e) Etablir et promulguer des règlements ;136
Ces pouvoirs qui sont similaires à ceux que détiennent bon nombre d’autorités
de surveillance des marchés devraient permettre à l’organe de tutelle de pouvoir agir à
l’échelle internationale avec des outils efficaces et adaptés.
En effet, si les états acceptent de déposer leurs armes au pied de l’autel, un avis
uniforme, valable pour tous les pays qui l’acceptent – c’est là tout l’enjeu de la Loi
Type Concurrence mais également sa plus grande limite.
Pourtant, rien n’est précisé dans la Loi Type Concurrence sur ces pouvoirs et les
autres textes qui gravitent autour restent eux aussi assez vagues137
.
Ces imprécisions ne permettent donc absolument pas de préjuger du succès ou
de la réelle efficacité de l’organe de tutelle. Les pays n’ayant pas encore accepté ce texte
de façon définitive, on ne saurait trop s’avancer sur l’application effective des
dispositions qui contiennent pourtant les germes d’une coopération mondiale fertile. Ces
lignes industrieuses sauraient très certainement ériger une seule grande autorité rendant
des décisions uniques.
Les requêtes des pays modestes ou subissant les affres d’une économie fragile
seraient alors mieux accueillies et il n’y aurait plus de décisions contradictoires. Les
opérations de fusion-acquisition pourraient alors recevoir une réponse définitive qui
cesserait de troubler plus encore les marchés économiques en ces temps difficiles.
§2 : Les pouvoirs de l’organe de tutelle et la réorganisation du système de notification
136
CNUCED, Loi Type Concurrence, Chapitre X, I. 137
CNUCED, Sixième Conférence des Nations Unies chargée de revoir tous les aspects de l’Ensemble de principes et de règles équitables convenus au niveau multilatéral pour le contrôle des pratiques commerciales restrictives, TD/RBP/CONF.7/L.1 12 Novembre 2010.
76
L’organe de tutelle entend centraliser non seulement les opérations de fusion-
acquisition ayant lieu sur un marché et qui sont susceptibles de changer l’ordre
concurrentiel mais également le système d’autorisation ou de refus de certaines
pratiques qui pourraient avoir un effet sur la concurrence au sein d’un marché
économique plus ou moins large mais toujours considéré par rapport aux rapport de
concurrence qui s’y opposent.
Certains accords particuliers concernant la distribution sélective ou exclusive de
produits doivent être notifiés et justifiés auprès de cet organe de tutelle. Ce contrôle
pourrait semble-t-il s’effectuer a posteriori mais devra toujours exister.
De même, si un accord existant est modifié, s’il est révoqué ou s’il y est mis fin
de quelque manière que ce soit avant le terme prévu, l’autorité de la concurrence devra
être mise au courant. Ainsi, les circonstances du changement pourront être examinées en
même temps que la substance de la modification pour éviter qu’un accord préalablement
autorisé ne dégénère en un arrangement restrictif de concurrence.
Les entreprises qui omettent de soumettre un accord à autorisation pourront donc
être sanctionnées. Ce travail d’examen et d’autorisation ou de refus deviendrait alors
une sorte d’homologation obligatoire d’accords portant sur la concurrence. L’on
imagine la tâche considérable que cela représente et l’organe de tutelle devra donc
posséder de très importantes ressources en termes de personnel et de budget de
fonctionnement.
Cependant, les sociétés n’apprécieront probablement pas cette intrusion très
importante dans leurs négociations, estimant que l’autorité de tutelle dicte une véritable
politique de concurrence. Et on ne saurait les détromper. Les dispositions du chapitre X
précise bien que l’autorité de tutelle est chargée en substance de promouvoir des
politiques de concurrence et de veiller au respect de l’intérêt général.
Ces entreprises qui estiment déjà que les charges et les obligations qui leur
incombent sont trop importantes et que les états freinent la flexibilité des marchés en
édictant des lois parfois trop opportunes ne devraient pas faire meilleur figure.
77
Pourtant, si le contrôle devrait être renforcé et plus efficace puisque basé sur
l’échange d’information et la coopération entre les états, ces entreprises pourraient être
protégées de lois partisanes et trop protectrices.138
D’autres systèmes de notification relativement similaires existent déjà et, malgré
le nombre impressionnant d’accords dissimulés et d’ententes illicites – prouvées ou plus
ou moins fortement soupçonnées – ces systèmes restent plutôt efficaces.139
On peut redouter que l’organe de tutelle, devant réguler la concurrence à
l’échelle mondiale ne soit véritablement submergée par des millions d’accords
requérants une autorisation pour être valable et invocables devant les juridictions
nationales et internationales lors d’éventuels et probables litiges ultérieurs entre
concurrents ou partenaires économiques.
Certains auteurs, dont Sufrin et Jones ont montrés que les systèmes existants
étaient dramatiquement confrontés à un manque de célérité dans la conduite de leurs
objectifs d’homologations d’accords.140
Il faudra donc à l’organe de tutelle, une fois que les pays auront acceptés
d’adopter pleinement les dispositions de la Loi Type Concurrence (sic), à prouver sa
puissance et à assoir son autorité afin de rendre des décisions rapides et efficaces.
Pour parvenir à cet objectif qui peut paraitre utopique, la CNUCED veut pouvoir
compter sur les autorités de surveillance nationales afin de promouvoir une coopération
maximale entre les différentes institutions.
§3 : L’organe de tutelle et les autres institutions de surveillance des concentrations
138
La Loi Type Concurrence espère en effet en finir avec les grandes divergences existant entre les législations qui brisent l’équilibre concurrentiel des entreprises en les discriminant selon leur pays d’origine et leur mode de fonctionnement. 139
Le régime mis en place par l’Union Européenne par le règlement n°1/2003 du Conseil du 16 Décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité en est un bon exemple (J.O. 2003 L1/1). 140
B. Sufrin et A. Jones, EC Competition Law, 2ème
éd., Oxford University Press, 2004. Voyez aussi, pour le système communautaire, L. Warlouzet, Historical Institutinalism and Competition Policy : the Regulation 17/62 (1962-2002).
78
Un des défis de la CNUCED qui veut promouvoir la Loi Type Concurrence
comme outil de régulation mondiale de la concurrence sera de convaincre les états de
l’adoption de ces mesures tout en leur garantissant la subsistance des autorités
nationales de concurrence.
Les états veulent en effet garder une marge de pouvoir et d’appréciation qui leur
soit propre et ne seront certainement pas enclins à doter une autorité internationale de
tous les pouvoirs.
Concurrencé par l’OMC qui détient un véritable pouvoir coercitif – surtout pour
les états puissants en vérité – la CNUCED semble en peine dans le combat qu’elle mène
pour une concurrence mieux protégée et des entreprises plus surveillées.
Si les états peuvent s’engager et recevoir un opprobre général en cas de non-
respect de ses engagements, on peut se demander qui jugera et condamnera les
entreprises qui ne respectent pas leurs engagements ou qui enfreignent la concurrence à
l’échelle mondiale en se positionnant en maîtres incontestés de marchés économiques.
Les situations économiques des pays reflètent souvent les intérêts contradictoires
des acteurs. Elles sont ainsi volontiers complexes. Les politiques de concurrence tentent
alors de diminuer les ruptures non justifiées dans les rapports concurrentiels qui se
construisent entre les opérateurs sur les marchés. Pour que cette action soit efficace, il
faut que les politiques menées soient efficaces et conduites avec énergie et équité.
L’indépendance des législateurs et des membres des autorités de surveillance
doivent être intégrales et la défiance ne peut avoir sa place entre les différentes
instituions. A l’égard de l’organe de tutelle, les pays doivent donc manifester leur
consentement entier.
Pour les persuader de leur remettre une grande partie de leur pouvoir, il faut
donc que la CNUCED parvienne à leur expliquer que ces politiques doivent être
conduites à l’échelle internationale. Ainsi, si les autorités de concurrence doivent
subsister dans ce schéma global, leurs prérogatives vont nécessairement être réduites.
79
La concentration d’un pouvoir plus grand entre les mains d’une autorité
internationale permettra également aux organes nationaux d’échanger des informations
avec elle mais également entre eux. Par cette voie, on peut espérer une meilleure
régulation des marchés économiques et une concurrence plus saine et plus réelle.
Si les problèmes qui affectent aujourd’hui les marchés ne se résoudront pas par
un quelconque enchantement pieux, la prédisposition d’une autorité mondiale à
promouvoir les politiques de concurrence ne sera que meilleur.
Section 2 : La promotion d’une concurrence saine par l’organe de tutelle
Ce fameux organe de tutelle que veut construire la CNUCED par le truchement
de la Loi Type Concurrence sera donc le véritable gardien de la concurrence sur le plan
international. Il sera en charge de décider des grandes orientations en matière de
politiques de concurrence et aura même le pouvoir de promulguer des règlements.
Il sera donc le chevalier pourfendeur de politiques protectionnistes pour des états
qui ne jouent pas le jeu du commerce mondiale (§1), ou qui mettent en placent des lois
qui ne devraient pas être, apportant ainsi souvent une rupture de concurrence entre les
opérateurs (§2). L’on devrait ainsi voir se régler des batailles entre entreprises mais
aussi entre états sous l’égide de ce vigile adamantin (§3).
§1 : L’organe de tutelle et le bouclier protectionniste
Les états, en ces temps incertains, ont parfois mis en place des politiques qui
visent à favoriser les opérateurs nationaux ou à repousser les entreprises étrangères.
D’autres ayant été tentés par le chant de ces sirènes n’ont pas cédés à cette supplique
chauvine.
Les politiques protectionnistes portent un préjudice certain au commerce
international. Ce mécanisme est prônée par des politiciens, juristes et économistes qui
réitèrent tous en un chœur malhonnête que ces dispositions sont indispensables à la
santé d’un pays et que l’altruisme ou la mollesse n’ont pas leur place dans notre monde.
Or, ce n’est ni pour l’un ni pour l’autre de ces motivations que le
protectionnisme doit être rejeté pour le bon développement des marchés et de la
80
concurrence mais parce qu’il provoque et perpétue l’immobilisme et le moindre
effort141
.
Si deux pays aux logiques économiques différentes et ne possédant pas les
mêmes facteurs sociaux ne peuvent être jetés dans l’arène face à face pour s’affronter
jusqu’à ce qu’un des systèmes s’effondre, il ne faut pas tenter d’ériger des murs qui
feront pire encore. Il faut mener des politiques économiques réalistes et qui encouragent
l’innovation et le progrès pour toujours garder une longueur d’avance.
Les logiques keynésiennes ayant depuis longtemps montré les limites de leurs
effets, les états doivent accepter un rôle au second plan, laissant les entreprises
s’imposer sur les marchés tout en sauvegardant l’équilibre économique. Les actions
menées dans les domaines de l’emploi ou de la dynamisation des systèmes économiques
ainsi que les autres fonctions régaliennes doivent être poursuivies cependant.
§2 : L’organe de tutelle, un prétendu pourfendeur de politiques iniques
L’organe de tutelle va donc être en mesure, s’il voit le jour – et ce combat est
loin d’être gagné – de contrecarrer ces politiques protectionnistes mais, plus
généralement, les actions et décisions d’un pays qui ne respecterait pas les principes
fondamentaux de la concurrence et du commerce international.
Si les entreprises sont l’infanterie d’un état en termes de puissance économique,
les législateurs sont alors les batteurs de tambour qui martèlent le pas de l’armée
écrasante. L’organe créé devrait être capable de bloquer une politique prévue ou lancée
qui enfreindrait les règles de la concurrence mais c’est un projet qu’aucun pays ne
souhaite voir devenir réalité.
Si d’autres institutions comme l’OMC ont réussi à trouver une certaine place à
l‘échelle internationale, c’est parce que les pouvoirs dont elles disposent sont limités par
le bon vouloir des états. Ces sanctions, bien que coercitives, ne viennent pas ébranler
véritablement les choix décidés par les états et, quand bien même elles le feraient, ce
141
De telles politiques menées depuis les années 1930 aux États-Unis ont coûté extrêmement cher et ne suffisent plus depuis une dizaine d’années à refreiner la concurrence extérieure.
81
n’est bien souvent que des années après, la brèche ouverte dans la concurrence pure et
parfaite ayant déjà fait son œuvre depuis longtemps.
On voit donc difficilement comment l’organe de tutelle pourrait contrôler les
entreprises ou les états dans leurs actions. Les entreprises, par leur nombre, n’auraient
pas beaucoup à craindre et, si la Loi Type Concurrence ne dit pas immédiatement son
désir de pouvoir juger des décisions étatiques, on peut sentir poindre cette urgence. Les
sociétés publiques pourraient être soumises au contrôle de l’organe dans une certaine
mesure.
Soit la Loi Type Concurrence acquiert un pouvoir véritable et peinera à
convaincre les états d’adopter et de respecter ses lignes soit elle reste un simulacre de
contrôle et, alors acceptée, elle restera impuissante devant les faits et gestes des
entreprises qui font la gloire de leurs états d’origine.
§3 : Des différends entre états et entre entreprises attendus
Ce dilemme que nous avons maintes fois évoqué sera le point de négociation
cruciale entre la CNUCED et les états. La Loi Type Concurrence actuelle ne contenant
qu’un ensemble de principes assez imprécis quant à une teneur et une application,
Pour ne pas répéter inutilement, l’on dira simplement que des longues batailles
judiciaires qui se déroulent soit devant les juridictions ordinaires soit devant des
instituions ad hoc pourraient se retrouver devant l’organe de règlements des litiges mis
en place par la CNUCED.
Dans ce marasme, l’on a de grandes difficultés à imaginer comment l’organe de
tutelle pourrait se mettre en place, quelle autorité il aurait alors pour connaitre et régler
les différends entre états ou entre entreprises.
Il est peu certain que les pays soient enclins à s’engager sur cette voie alors
qu’au vu des circonstances politiques et économiques actuelles, chacun cherche à
retrouver une prospérité passée ou à faire croître plus encore un succès économique.
La CNUCED a donc besoin d’affiner encore ce projet car si les règlementations
sur la concurrence que contient la Loi Type Concurrence sont louables, la mise en place
82
d’un organe décisionnel unique est vouée à l’échec sinon à une très puissante défiance
collective. Les états veulent rester maître de leurs décisions et promouvoir les politiques
de concurrence qu’ils entendent mettre en place et appliquer pour lutter contre leurs
rivaux qui sont alors soient des empires sur le retour soit de nouvelles nations
ambitieuses.
Partie II : Droit de la concurrence, concurrence économique et politiques de
concurrence
L’idée d’un droit de la concurrence mondial semble être une chimère caressée
par nombre d’auteurs142
. Pourtant, les progrès réalisés jusqu’à présent n’ont pas été
réellement satisfaisants. Il semblerait alors que soit le droit de la concurrence sera sous
la bannière de la coopération et de la soft law, soit il ne sera pas143
. Ce droit mondial de
la concurrence devra donc composer avec la puissance des états (Titre 1) qui désirent
soutenir l’effort en faveur d’une croissance économique forte avant toute autre chose
(Titre 2).
Titre 1 : Un droit de la concurrence mondial en peine face à la souveraineté des
institutions et des nations
142
Voyez note 19. 143
Il semble en effet clair à présent que les pays refusent qu’on leur impose un modèle juridique ou une institution finale sans qu’ils n’aient la possibilité d’émettre des réserves ou des commentaires. Bien que manquant clairement de pouvoir coercitif ou d’influence, la Loi Type Concurrence semble être le projet le plus avancé aujourd’hui après l’échec de l’OMC, ce dont nous parlerons brièvement ci-après.
83
La lourde tâche de la Loi Type Concurrence va donc être de parvenir à être
largement acceptée et adoptée par les pays possédant un poids sans égal dans
l’économie malgré leurs réticences (Chapitre 1). Pour autant, les imperfections de la Loi
Type Concurrence que nous avons soulevé seraient également des pièges sournois
promptes à saper l’autorité du texte en ce que les pays qui voudraient faire bonne figure
en adoptant les mesures parviendraient tout de même à passer en les mailles du filet car
certaines actes ou comportements d’entreprises ou d’états échappent purement au
champ d’application de la Loi Type Concurrence (Chapitre 2).
Chapitre 1 : La difficile soumission des pays à un droit supérieur de la concurrence
Qu’il s’agisse de pays entiers ou d’entreprises géantes, aucun de ceux-ci
n’aiment voir un tiers venir tenter de régenter leurs activités. Par crainte d’un manque
d’indépendance, d’objectivité ou tout simplement perçu comme une insupportable
ingérence, les pays et les sociétés rejettent par nature les règlements et lois
internationales qui ne leurs sont pas imposées (Section 1). Lorsque les arcanes de la
politique viennent s’infiltrer au cœur des activités économiques, c’est le système entier
des marchés qui manifestent une crainte légitime face à un droit de la concurrence qui a
vocation à s’appliquer dans le monde entier (Section 2).
Section 1 : La défiance naturelle des pays et des entreprises envers une règlementation
globale
Le droit de la concurrence, en ce qu’il entend réguler les flux économiques qui
sont le nerf de la guerre dans toutes les relations entre les états, les sociétés et les
particuliers, se heurte à nouveau à un refus ferme des opérateurs économiques sur les
marchés. Ils entendent bien rejeter cette nouvelle tentative de règlementation pour eux
délétère.
La longue suite d’échec en ce domaine (§1) doublée par une expérience en demi-
teinte avec l’Organisation Mondiale du Commerce (§2) est un héritage difficile à porter
pour la Loi Type Concurrence qui part déjà perdante dans les négociations. Les pays ne
semblent pas enclins à accepter ce texte car abandonner une fraction de son pouvoir est,
84
aux yeux des états qui se livrent une guerre larvée ou des entreprises rivales qui
s’affrontent ouvertement, un véritable aveu de faiblesse (§3).
§1 : La longue suite d’échecs de réglementation globale du droit de la concurrence
Comme nous en avons dit quelques mots en introduction, depuis la
transformation des accords du GATT, le droit de la concurrence mondiale n’a pas pu
être refondu en profondeur pour mener à la conduite de politiques ambitieuses et
partagées.
Ces accords contenaient originellement plus d’espérances que ce que le texte que
nous connaissons depuis plus de soixante années. La propension des pays à coopérer n’a
cessé de diminuer après la fin de la Guerre Froide et, entre ces deux époques, aucun
changement transcendant dans le partage et l’uniformisation des politiques de
concurrence n’a eu lieu.
Avec la densification et l’expansion du commerce mondiale, les tensions entre
les nations et le combat pour la souveraineté pleine a cru de manière exponentielle
jusqu’à devenir un enjeu primordiale. L’assurance de l’indépendance et de la force
personnelle d’un pays reflète aujourd’hui sa force sur les marchés.
L’érection de l’OMC dans ce paysage guerrier n’a pas permis de réguler
correctement ces flux qui font preuve d’une étonnante célérité grâce au progrès
techniques et à la dématérialisation des échanges de titres obligataires, de devises et
d’actes de propriété.
En sus, l’OMC n’a pas les prérogatives nécessaires pour contrôler les actes et
comportements des entreprises opérant sur les marchés économiques et financiers. Les
agences de notation et les spéculateurs dictent bien plus leurs lois que les institutions
internationales. Pourtant, l’Organisation Mondiale du Commerce a laissé une empreinte
profonde et utile sur le champ de bataille.
§2 : L’expérience de l’OMC
La création de L'OMC le 1er janvier 1995 devait marquer le renouveau de
l’espoir des pays à s’entendre sur le règles du commerce internationale et sur les
85
politiques du concurrence menées par les états – celle-ci impactant directement sur les
actions des sociétés présentes sur le sol national.
Le système commercial qu'elle représente a presque un demi-siècle de plus et
existe en fait et en droit depuis la signature des accords du GATT. L'Accord général a
rapidement donné naissance à une organisation internationale qui ne disait pas son nom,
faute de consensus et qui a pourtant su évoluer au fil des années à travers plusieurs
cycles de négociation.
Si un très grand nombre de pays est sensé participer à l’OMC, une approche plus
fine et plus attentive permet de démontrer qu’il n’en est rien. En effet, les représentants
des grandes puissances, des firmes transnationales et du système financier global a la
faculté de mener des actions de lobbysme, imposant à l’OMC des conceptions très
orientées et, pour la grande majorité d’entre elles, néolibérales144
.
Les secteurs d’activités et les marchés considérés sont en fait des marchandises
que telle ou telle entreprise tentaculaire produit ou distribue. Les produits agricoles,
l’eau, l’éducation ou la santé sont plus de domaines au sein desquels opèrent les grandes
entreprises et qui font la fierté et la toute-puissance de leurs états d’origine.
L’OMC, qui impose inexorablement aux États de modifier leurs lois, règlements,
procédures administratives pour se mettre en conformité avec les règles qu’elle édicte,
est donc un théâtre. Un théâtre d’ombres grotesques qui usent de manœuvres partisanes
colossales. Les règles ainsi édictées par l’OMC, loin de résulter d’un processus
démocratique, sont prises dans l’opacité par une minorité d’acteurs puissants qui
représentent d’influentes corporations. La majorité des États et des populations du
monde ne sont même pas consultés ni même réellement informés145
.
Les états ont donc prouvés qu’ils pouvaient s’accorder en un point qui consiste à
se parer d’un masque et de l’arborer, prônant un simulacre de coopération et un
semblant d’harmonisation. Pendant que ces pantins gesticulent, les marionnettistes
144
Raoul-Marc Jennar, Laurence Kalafatides, L’AGCS. Quand les États abdiquent face aux multinationales, Paris, Raisons d’agir, 2007, p. 85. 145
Chloé Maurel, Géopolitique des impérialismes, Paris, Studyrama, 2009, p. 174. Cette analyse reprend par ailleurs des observations faites par la CNUCED.
86
jouent de leur art, courbant l’OMC pour mieux servir leurs dessins hégémoniques et
leur folle expansion. Les cents cinquante-trois nations qui sont membres de l’OMC ne
cèderont pas.
Ni les pays ni les grandes sociétés qui dominent les marchés ne souhaitent voir
leur pouvoir échapper à leur emprise car concéder sur ce point c’est perdre la bataille
économique qui, plus que jamais, fait rage au-delà de nos frontières.
§3 : L’indépendance décisionnelle des pays comme signe extérieur de puissance
L’extraordinaire célérité qui caractérise les marchés économiques est devenue
synonyme de sanction immédiate. Une annonce par un gouvernement d’un déficit trop
important ou la publication par un poids lourd de l’industrie de mauvais résultats
comptables et les cours des actions concernées et voisines plongent sévèrement dans les
minutes qui suivent.
L’actionnariat serait donc les plus fidèles garants ou les pires ennemis de la santé
d’un état ou d’une entreprise. Les systèmes d’actionnariat étant de nature assez
variés146
, il est d’autant plus difficile de le contrôler dans son ensemble et les
comportements de ses acteurs, souvent capricieux et peu rationnels, sont fort peu
prévisibles.
Les pays et les entreprises ont donc appris à composer avec ce contre-pouvoir
terrifiant qui, malgré ce que l’on vient d’énoncer, contribue pleinement à porter aux nus
des corporations supérieures et des territoires entiers.
Les détenteurs de dettes publiques de divers états sont à la fois maîtres et
esclaves du système financier, espérant s’enrichir au passage parfois tantôt en spéculant
sur des ruines, tantôt en les provoquant. L’amoralité du commerce mondiale est soit
perçue comme cause de tous les maux soit comme une formidable opportunité mais ne
laisse personne indifférent car les logiques macro-économiques affectent tout un chacun
depuis le dirigeant de multinational au consommateur moyen en passant par les
146
Voyez, inter alia, S. Trébucq , Minority Shareholders and Auditors: A Brief History of a Litigious French Merger, in Accounting, Business & Financial History, Jul., Vol. 17 Issue 2, 2007, pp. 313-332.
87
ministres d’un gouvernement. Les deux derniers semblent cependant être en plus
mauvaise posture aujourd’hui que les premiers.
Il faut alors nécessairement que les hommes politiques usent de toutes leurs
ressources pour tenter de redresser le navire pris dans une tempête d’un genre bien
étrange, bercé de prévisions de croissance changeantes dont les modes de calculs sont
autant de formules sibyllines.
Section 2 : L’insinuation de la politique dans les enjeux économiques
Pour celui qui voudrait séparer les rites économiques et les danses de la
politique, la tâche serait bien ardue tant ces deux sphères sont intimement liées.
Les décisions politiques sont orientées en faveur d’une marche économique
implacable et cela se comprend en ce que le bien, preuve de pouvoir, devenu
incontournable aujourd’hui avec la globalisation des échanges et l’argent. La possession
des devises permet de contrôler des pans entiers d’empires financiers (§1).
Parallèlement à ce phénomène, les marchés-clés qui s’étendent à travers le
monde représentent des domaines d’activités essentiels pour les entreprises, les
consommateurs mais également pour les politiques puisque les performances
économiques sur le sol national et à l’étranger reflète le niveau de progrès d’une nation
(§2).
Enfin, les issues de ces affrontements qui intéressent les pays sont donc
naturellement devenues, en considération de ces logiques, l’apanage d’entreprises de
plus en plus encouragées par des états très partisans (§3).
§1 : La victoire des intérêts économiques
Confrontés à la défiance glaciale des investisseurs depuis les déboires de la
Grèce, les pays ne savent plus à quel saint se vouer pour retrouver les bonnes grâces des
places boursières. Devant l’étrange (re)découverte de déficits publics abyssaux, les
dirigeants des pays ont bien du mal à retrouver le moral. Les sociétés dirigées par
l’actionnariat – soit la quasi-totalité de sociétés qui comptent et possèdent une véritable
88
influence dans le monde – sont partiellement frappées par le contrecoup de ces
évènements.
Le consommateur qui subit les plans de rigueur et les hausses de prix dictés par
la volonté d’accroître sans cesse les profits engrangés se sent également grandement
lésé dans cette situation. Le triomphe de la cupidité dénoncé par certains auteurs147
semble avoir eu lieu même s’il parait peut-être inopportun de juger ces logiques.
Pour autant, une véritable guerre économique a remplacée depuis longtemps les
armes de bataille plus classiques qui prennent la poussière dans les musées. La faveur
de l’avenir se dessinera au terme d’un âpre combat et les augures de celui-ci sont les
titres obligatoires, les réserves d’or et les assauts d’entreprises géantes. Si les soldats
sont des groupements de sociétés puissamment installés, les généraux des armées
restent les énarques qui gouvernent et négocient au somment.
Face à la victoire évidente des intérêts économiques et même si les infiltrations
de la politiques sur nombreuse, les entreprises ne sont que peu intéressées par ces
enjeux et ne veulent que mener leurs batailles avec une grande ardeur et rencontrer le
moins d’obstacle possible. Le droit de la concurrence est nécessaire et elles en ont
parfaitement conscience mais elles prennent garde à ce qu’il ne devienne pas trop ferme
et trop envahissant.
§2 : Des marchés d’obédience politique
Les secteurs les plus stratégiques et les plus titanesques à travers le monde sont
ceux qui sont les plus indispensables. Constructions de bâtiments, acheminement de
l’eau, production et distribution d’énergie sont autant d’exemple de marchés qui ont la
faveur des états en ce que les évènements qui se produisent sur ces marchés provoquent
des conséquences sur n’importe quel territoire et affectent des populations entières.
Les gouvernements ont donc l’obligation de se mêler du monde des affaires qui,
à première vue, devrait rester priver et dominé par les dirigeants d’entreprises et les
détenteurs de titres obligataires. Afin d’assurer aux populations les biens et services
147
Voyez en particulier J. Stiglitz, Le triomphe de la cupidité, 2010.
89
indispensables – cette notion évoluant avec le temps148
- les états doivent avoir un
contrôle vigilant sur les pratiques et les comportements des opérateurs présents sur ces
marchés.
Il ne s’agit pas d’observer ces marchés mais bien de conduire de véritables
politiques de développement et de respect de la concurrence afin que le progrès
technique ne soit pas accompli au détriment des consommateurs et de l’intérêt général.
Ainsi, il arrive que l’état délivre des agréments, mette en place un monopole public149
ou posent certaines conditions pour accéder à un marché dans le but de ne voir
s’affronter que des opérateurs disposant des ressources nécessaires150
.
Cette infiltration de jeux politiques voit donc apparaître une lutte larvée entre les
dirigeants des grandes sociétés qui ne veulent pas assister à l’évènement d’une
règlementation trop sévère et qui, pour exercer un contre-pouvoir, se livrent à des
activités lobbyistes. Ces douces négociations ont lieu dans une semi-ombre puisque peu
de personnes ignorent encore ces manœuvres. Il faut dire alors que c’est de bonne
guerre. La politique qui se mêle de l’économie, l’économie se mêle de la politique.
Si les gouvernements doivent encadrer les opérations financières et les marchés
économiques, il dispose pour cela du droit de la concurrence qui semble être tombé en
disgrâce depuis une dizaine d’années. Peut-être ce phénomène a-t-il été induit par
l’exercice que font les grands magnats de la puissance qu’ils n’ont cessé de gagner.
Cette idée n’a pas pu empêcher cependant que les batailles économiques et
financières ne deviennent inévitablement des affaires d’états.
§3 : Une politisation des affrontements économiques
148
Le Conseil Constitutionnel a reconnu par exemple l’accès à internet comme un droit fondamental dans la décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009. La Finlande a promulguée une loi afin de garantir à tous un droit à une connexion internet d’au moins un mégabyte. L’ONU a également reconnu le droit fondamental à l’accès à internet dans un texte (UNO Human Rights Council, General Assembly, Report of
the Special Rapporteur on the promotion and protection of the right to freedom of opinion and
expression, Frank La Rue, A/HRC/17/27). 149
Notamment dans la production et la distribution de l’eau et de l’électricité par exemple. 150
Pour autant, l’OMC, par le biais de accords sur les obstacles techniques au commerce luttent contre ces barrières à l’entrée (voyez note 77).
90
La croissance des entreprises qui prospèrent sur les territoires des pays sont à la
fois un signe de richesse pour le pays sur le sol duquel sont implantées ces sociétés et
pour le pays d’origine de ces entreprises.
Ces enjeux dont nous avons dit quelques bons mots plus tôt sont le résultat d’un
système économique qui s’est emballé lors de la globalisation des échanges de biens, de
services, de capitaux et de personnes. Le progrès technique qui s’est manifesté sous la
forme de dématérialisation ayant accéléré ces opérations, dirigeants d’entreprises et
investisseurs gèrent leurs empires à coup de décisions instantanées sous forme d’achat
et de vente de titres obligataires, d’opérations de fusion-acquisition ou d’augmentation
de production.
La puissance à l’œuvre sur un territoire représente le degré de confiance des
investisseurs dans un pays. Les décisions d’expansion sur de nouveaux marchés doivent
en effet être approuvées et lorsque les dirigeants et l’actionnariat mènent de concert
cette conquête de nouveaux espaces, l’on peut considérer que les marchés qui vont se
développer vont être solides et générateurs de revenus.
La taxation des chiffres d’affaire par les états leur permet d’engranger des
sommes importantes et l’activité des entreprises va dynamiser des zones géographiques
considérables, créer de l’emploi, apporter un progrès technique et bien d’autres sortes de
choses encore. Les états ont donc là un bel intérêt à amener les entreprises sur leur
territoire grâce à des politiques attractives. Une fiscalité faible, des aides conséquentes,
un certain laxisme sur le respect des normes sanitaires, environnementales ou sur le
respect strict des normes nationales ou internationales en matière de droit du travail ou
du droit de la concurrence.
Préoccupé par cet essor rapide des activités économiques, il reste alors bien peu
de temps et de volonté pour doter le pays ou une zone supranationale de lois protectives
pour les travailleurs ou pour préserver la concurrence. Ces pays ne semblent donc pas
enclins à adopter la Loi Type Concurrence tant que durera la course économique
effrénée car doter un nombre maximal de pays d’une législation commune ferait perdre
aux pays émergents t à d’autres puissances déjà reconnues certains de leurs avantages.
91
Cette distorsion de concurrence entraîne également la mise en place de
politiques protectionnistes dans un soubresaut de pays dominant depuis fort longtemps
les échanges mercantiles sur la planète. Ils tentent ainsi de contrebalancer le
développement fulgurant des pays dont ils se moquaient éperdument hier.
Les difficultés rencontrées par la Loi Type Concurrence vont non seulement
retarder grandement son adoption et son application mais, plus encore, les schémas et
règles actuels des échanges économiques dans le monde va paralyser une partie de
l’efficacité du texte. Ces faiblesses peuvent être vu comme inhérentes aux politiques
menées mais également – et il existe une corrélation indubitable entre les deux – en
raison de lacunes au sein du texte lui-même. Le texte de la CNUCED qui n’est toujours
pas une réalité a donc encore fort à faire pour espérer un jour devenir un étendard sous
lequel se rassembleront les gens du commerce.
Chapitre 2 : Un outil limité pour résorber les distorsions de concurrence
La Loi Type Concurrence, qui a l’ambition de devenir un texte de référence, doit
faire face à la défiance des marchés économiques et financiers, au refus par les nations
de l’adopter et des lacunes intrinsèques qu’elles contient. Il faut donc analyser en quoi
et pourquoi la Loi Type Concurrence est un texte qui ne prend pas suffisamment en
compte le système d’échange, d’achat et de vente des valeurs quelles qu’elles soient
(Section 1) et quelle perspective il lui reste face à de telles imperfections (Section 2).
Section 1 : Des politiques de concurrence échappant à la Loi Type Concurrence
Les politiques de concurrence qui sont menées par les pays sont plus précises,
plus au fait de ce qui se passe sur un territoire, quitte à sacrifier l’objectif
d’uniformisation des lois sur le sujet. Elles représentent le contrôle d’un état sur les
occurrences de flux économiques qui se manifestent sur le territoire national (§1).
De plus, ces flux sont divisibles entre les activités économiques qui peuvent et
doivent être régulées par un pays et les investissements nationaux et étrangers dans des
92
entreprises ou sur une zone géographique définie. Cette deuxième catégorie d’activités
ne peut être régulées sans voir de grands obstacles structurels et humains se dresser
devant soi (§2).
Enfin, la perspective de voir unifié sous un même blason ces activités pourrait
simplifier d’un point de vue légal, administratif et logistique ces activités mais cela peut
également faire craindre un ralentissement face à une machine institutionnelle trop
lourde ; la réputation des organisations internationales de ce type n’est plus à faire
lorsque l’on évoque les délais de traitement des dossiers ou les prises de décisions (§3).
§1 : La suprématie des lois nationales
Les institutions législatives nationales qui votent et promulguent les lois doivent
édicter des règles pour un territoire plus ou moins étendu mais toujours parfaitement
mesurable151
. Ces lois portent donc les faveurs et les décisions partisanes de ceux qui les
construisent et les assemblent. Ces ingénieurs de la loi obéissent à des impératifs
définies par les politiques de concurrence qui sont menées, accordant tel ou tel bénéfice
aux entreprises qui voudraient venir s’implanter sur le sol national ou ouvrant plus ou
moins les frontières aux investisseurs qui souhaitent conquérir de nouveaux marchés.
L’extension d’une société à de nouveaux marchés est souvent un défi risqué en raison
de la complexité de l’opération.
Il faut alors, outre les différences culturelles152
, étudier les législations du pays
afin de décider ou de refuser l’entrée sur un nouveau marché de l’entreprise dirigée. La
Loi Type Concurrence qui se propose d’unifier les législations n’a pas su jusqu’à
présent décider du sort de ces législations.
Il semblerait que la CNUCED, dans le but d’obtenir l’approbation des pays
concernés, n’ai pas voulu doter le texte d’une force obligatoire quelconque et n’ai fait
finalement reposer son succès ou son échec sur une adoption volontaire. C’est à
151
Il est évident que les lois chinoises sont plus difficiles à créer par rapport aux lois allemandes par exemple en ce que le territoire est formidablement plus étendu. Pour autant, la Chine a trouvé un moyen efficace de mettre en place ces lois grâce au système de provinces qui permet de fractionner le territoire. Ainsi, chaque pays dispose peut-être d’un modèle différent mais il ‘agit toujours de règlementer les activités menées sur le territoire national et non à la surface du globe tout entier. 152
Voyez note 132.
93
l’évidence trop peu. Comment prétendre réformer et unifier le droit de la concurrence
mondiale sur le seul espoir du volontariat alors qu’on ne saurait déjà contraindre les
opérateurs à quelque décision ou action ?
Face à ce problème de taille, la Loi Type Concurrence a échoué à apporter une
réponse satisfaisante en ce qu’elle ne peut prétendre imposer quoi que ce soit à un
opérateur. Il s’agirait donc plus d’une concertation des pays qui n’engage, semble-t-il à
bien peu de choses. Les opérateurs économiques, qu’ils soient des nations entières ou
des sociétés démesurément grandes peuvent encore et peut-être pour longtemps mener
leurs affaires dans un cadre très privé.
§2 : Le domaine de la finance et de l’investissement, un avatar intouchable de
l’économie
Ces tractations et ces négociations plus ou moins discrètes, selon qu’il s’agisse
d’un accord annoncé après signature ou d’une OPA, ne règnent pas que sur les
entreprises. Les états aussi dépendent grandement de la santé économique des
opérateurs qui exercent leurs activités sur et hors du sol national.
Les investissements dans les entreprises ou dans les états, notamment par le biais
des rachats de dette publique, contribuent à ériger ou à faire chuter un état et cette
confiance accordée pendant des années peut se retirer brutalement tel que cela a été le
cas pour les États-Unis153
. Les états ne souhaitent donc pas fâcher ou brimer les
investisseurs car ils sont leurs créanciers et leur unique moyen de continuer à dépenser
plus d’argent qu’ils n’en ont.
Diminuer ou restreindre les investissements dans un pays présente également la
menace de freiner la croissance économique d’un pays puisque moins d’argent induit
moins de moyens techniques, moins d’innovation et moins de développement – ce qui à
son tour induit moins de création d’emploi et une plus maigre hausse du niveau de vie et
des salaires.
153
Voyez note 102.
94
Pour autant, certains pays154
ont mis en place des législations visant à limiter et à
quantifier les possibilités d’investissements étrangers dans leurs entreprises. Ces lois
permettent aux pays de rester maîtres de leurs marchés et de leurs sociétés. Cette
tactique est surtout employée par les pays émergents qui sont des marchés très
attractives et qui ont besoin d’un lourd investissement pour développer et soutenir un
système économique qui s’insère sans heurts dans les espaces globalisés. Ils permettent
ainsi les investissements étrangers nécessaires mais évitent de voir leurs plus brillantes
étoiles tomber sous le contrôle d’une intelligence étrangère.
Le caractère incontournable de ces jeux de pouvoir et d’argent oblige les pays à
intervenir pour s’assurer la maîtrise de ces facteurs car l’inaction serait alors lourde de
conséquences. Les flux financiers sont à la base de l’économie globalisée et se
retrouvent centralisés dans des cœurs qui sont les places boursières.
Le système financier global est en mesure d’imposer ses règles dans la limite des
libertés fixées par les différentes législations et cette situation ne pourra être
contrecarrée par la CNUCED. D’une part l’impossibilité est matérielle en raison de la
dématérialisation des échanges. Il n’y a pas d’institution internationale qui pourrait
contrôler chaque échange de capitaux effectué dans les places boursières. Le droit sur ce
point restera donc inchangé. D’autre part, l’impossibilité du contrôle est déjà pressentie
dans le refus très probable qu’opposeraient les pays. Face aux déboires récents dans le
monde de la finance, les pays n’ont pas pu – ou peut-être n’ont-ils pas voulu – trouver
d’accord pour « moraliser » les marchés financiers. Il n’existe aucune brèche dans le
système financier et la morale ne peut occuper aucune place en son sein – si tant est
qu’elle devrait en avoir une autre.
L’autosuffisance des transactions financières constitue un obstacle naturel de
choix à l’application de la Loi Type Concurrence. Le texte de la CNUCED ne peut en
effet prétendre unir les politiques de concurrence sans s’attaquer au pilier fondateur de
154
Une série de lois ont été promulguées dans plusieurs pays durant les dix dernières années. Ainsi, en Avril 2008, l'Allemagne a adopté une loi qui rend obligatoire une autorisation pour « tout investissement supérieur à vingt-cinq pourcent du capital d'une entreprise dans divers domaines hautement stratégiques lorsque l'intérêt national est en jeu ». La Russie, la France, les États-Unis, le Brésil et beaucoup d’autres pays ont adoptés des lois similaires pour limiter la prise de contrôle de secteurs-clés par les fonds souverains. Les États-Unis ont déjà refusé plusieurs rachats d’entreprises américaines par des groupes chinois ou du Moyen-Orient en se fondant sur cette loi.
95
l’économie globalisée. Ainsi, la Loi Type Concurrence se trouve-t-elle paralysée par ce
constat. Il faut donc qu’elle parvienne à s’insinuer autrement dans les systèmes
économiques et financiers, cela sans être victime de sa propre ambition.
§3 : Le spectre du ralentissement économique dans un bourbier institutionnel
La célérité des marchés produit une richesse considérable et il serait malvenu de
tenter de ralentir cette cadence infernale tant les opérateurs sont fébriles et – il faut le
dire – souvent quelque peu cupides. Les spéculateurs tirent d’ailleurs leur force de cette
vitesse au-delà de toute mesure, l’esprit changeant des investisseurs leur permettant
d’accentuer les tendances à la hausse ou à la baisse qui se produisent à chaque instant
quelque part dans le monde.
L’extrême réactivité des marchés, si elle n’est pas une qualité absolue,
représente une somme d’opportunités phénoménale pour les dirigeants, les investisseurs
et les états. Au-delà de quelques politiques dissidentes, la quasi-totalité des pays se sont
mis au diapason et poursuivent actuellement leurs efforts en faveur d’une économie
entièrement globalisée.
Il ne faudrait donc pas qu’une institution internationale reconnue et respectée
comme la CNUCED tente aujourd’hui ou demain de changer le cap de ces galions en
quête de richesses. Les administrations, qui représentent les intérêts nationaux ou
supranationaux, sont vues comme des trublions par les opérateurs et les hommes des
milieux d’affaires. Les règles de procédure et les règlements internationaux sont des
plaies pour ceux qui ne rêvent que d’une économie toujours plus rapide et
d’investissements toujours plus fructueux.
La tâche de la CNUCED, qui devra se révéler plus industrieuse encore, sera
donc de promouvoir un système d’uniformisation performant, rapide et fiable. En
examinant les éléments dont nous disposant – notamment les ébauches sur l’organe de
tutelle155
- il apparait que le travail est loin d’être achevé et, plus il avancera, plus il se
heurtera aux contestations de pays qui ne veulent pas voir la Loi Type Concurrence
devenir trop ambitieuse. Tant que la CNUCED promeut un texte qui s’aligne à peu près
155
Comment en effet nommer autrement ces lignes creuses qui se content d’effleurer grossièrement le point le plus important de la Loi Type Concurrence ?
96
sur leurs politiques nationales, tout peut aller pour le mieux. Si la CNUCED veut sortir
des sentiers battus et tenter ce que d’autres institutions internationales telle que l’OMC
ont échoué à mettre en place, le résultat risque fortement de se révéler décevant.
La Loi Type Concurrence semble donc être prise au piège par un paradoxe. Pour
agir véritablement à l’échelle internationale, il faut qu’elle se mêle de domaines qui sont
jalousement protégés. Devant recueillir l’assentiment des pays pour être utile et
significatif, elle doit rester prudente et négocier sur des points accessoires. Il semblerait
donc que, de ce point de vue, la CNUCED soit en difficulté.
Le plus grand des périls serait, au choix, soit de voir la Loi Type Concurrence
être adoptée sans pouvoir coercitif et pour réguler très imparfaitement quelques menus
actes et comportement, soit de voir la CNUCED échouer à faire adopter largement un
texte ambitieux et volontaire. En parcourant attentivement et plusieurs fois le projet de
loi, il semblerait que, pour l’instant, les enjeux discutés par la Loi Type Concurrence ne
soit pas à la hauteur des objectifs affichés156
.
Il apparait en effet peu probable qu’un organe de tutelle international puisse
traiter de tous les accords conclus entre entreprises, que ce soit avec des concurrents,
des fournisseurs, des distributeurs ou des partenaires. L’on verrait malheureusement
plus volontiers un embourbement de l’organe de tutelle, dépassé par l’ampleur de la
besogne et le nombre de cas à traiter. Il n’est pas concevable pour les opérateurs
économiques et pour les investisseurs, de devoir attendre des années afin de savoir si un
projet de fusion-acquisition est conforme au droit des concentrations157
.
La Loi Type Concurrence semble ainsi se condamner d’avance en accumulant,
non pas des erreurs d’appréciation, mais des concessions aux pays qui font part de leur
commentaires et qui sont ceux qui adopteront ou non le texte final, lui donnant ou lui
retirant toute sa force. Il est peu probable de voir de grands progrès à ce sujet et ce n’est
156
Si certains objectifs, tel que l’aide aux pays dotés d’un droit de la concurrence faible à adopter des mesures salutaires pour organiser l’activité des opérateurs économiques, semblent être possibles et réalistes, la régulation à l’échelle mondiale de la concurrence par un droit uniformisé reste une tâche qui ne peut être mener à bien par un tel texte. 157
On peut à ce titre se demander ce que la Loi Type Concurrence prévoit pour les seuils de concentrations car le texte se borne à définir ce qu’est un seuil de concentration et à citer des exemples d’appréciations des seuils par les législateurs ou les juges de tel ou tel pays. Dans la Loi Type Concurrence, cette approximation préjudiciable est présente dès les chapitres IV et V.
97
pas la seule faiblesse du texte qui paraissait pourtant admirable et plein de mérites
lorsqu’on le parcoure distraitement.
Section 2 : Une législation soit surabondante soit malvenue
Une des questions que nous n’avons pas abordé en profondeur et qui doit
pourtant être posée est la suivante : comment la Loi Type Concurrence va-t-elle
interagir avec les législations nationales et supranationales déjà existantes et comment
va-t-elle alors être accueillie par rapport à ce problème ?
En effet, ayant vu les problèmes de souveraineté et de prise de décision que le
texte pose, la question est fort légitime et demander à trouver une réponse. Il faut donc
tenter de comprendre comment les textes concurrents vont composer les uns avec les
autres (§1) et quel sera l’impact de cette rivalité sur l’application du droit de la
concurrence (§2). Enfin, il faudra estimer la probabilité d’un refus par les pays de la Loi
Type Concurrence à l’aune de notre étude au-delà de la défiance que nous avons tantôt
évoqué (§3). La Loi Type Concurrence ne pourra logiquement apporter à la régulation
de la concurrence mondiale qu’une fois largement adoptée.
§1 : La Loi Type Concurrence face aux législations existantes
Les lois nationales sont en général les textes les plus appliqués sur le sol des
états. Il existe également certains états qui adoptent des textes qui proviennent d’un
organe législatif supranational158
. Ce droit peut aisément faire concurrence aux
dispositions de la Loi Type Concurrence.
Bien que la CNUCED ait porté une attention particulière aux commentaires
émanant d’une pléthore de pays, les règles de concurrence internationale contenues dans
la Loi Type Concurrence ne peuvent être exactement identiques. Elles reprennent pour
la plupart des schémas similaires mais certaines différences persistent. Qu’il s’agisse
des seuils de concentrations ou des délais qu’ont les organes de surveillance des
158
On peut citer par exemple les textes communautaires sur la sécurité et la traçabilité des produits.
98
marchés pour rendre une décision, quelques point particuliers, parfois techniques,
affichent des divergences qui ne peuvent être ignorées.
Pour surmonter cet obstacle et garder l’esprit d’uniformisation de la Loi Type
Concurrence, il faudrait nécessairement que les pays expriment la préférence pour les
dispositions du texte de la CNUCED. Et cela ne rendrait pas les choses plus aisées car
soit les pays abandonnent purement et simplement leur droit national de la concurrence,
soit l’imbroglio juridique de textes mêlées où certaines dispositions sont gardées et
d’autres sont cédées au profit de la Loi Type Concurrence devient un sombre bourbier
assez insoutenable.
Mais les pays ne sont certainement pas prêts à délaisser ainsi leurs textes de loi
qui garantissent leur autonomie, constituent une preuve de souveraineté, protègent le
pays des investisseurs étrangers et permettent la bonne application de politiques de
concurrence partisanes. Il semble qu’il reste bien peu de place à la Loi Type
Concurrence pour s’imposer sur la scène internationale.
§2 : La crainte de voir échapper les décisions capitales
La Loi Type Concurrence ne peut trouver que la place de s’étendre et de
développer son influence là où les pays lui en laisseront. La méfiance régnant entre les
pays ne les incitera pas à accepter de déposer leur pouvoir au pied d’un seul et l’organe
de tutelle aura de grandes difficultés à s’imposer comme nous avons pu le mettre en
évidence.
L’OMC n’ayant pas rempli tout son rôle – du moins pour les pays qui se
trouvent désavantagés face au système de règlements des différends – il s’agit de trouve
un palliatif à cette situation. Pourtant, la crainte de voir un homme qui pourrait être
influencé, corrompu, naturellement partisan ou tout autre reflet caractérisant un manque
d’indépendance suffit à agiter les esprits. Si les dirigeants ne sont pas d’un côté, ils sont
aussitôt vus comme ennemis.
Outre la charge de travail considérable qui incomberait à cette institution
mondiale, les pays refusent ainsi de voit leur échapper les décisions les plus importantes
qui permettent d’orienter l’économie vers des chemins ardemment désirés. Ce danger
99
supplémentaire semble condamner encore un peu plus le travail de la CNUCED dans
son effort d’uniformisation du droit de la concurrence qui personne hormis elle ne
semble vouloir.
§3 : Le danger d’un rejet éventuel de la CNUCED par les pays
Le rejet de la Loi Type Concurrence marquerait un nouvel échec dans les
tentatives de règlementation menées jusqu’à présent sans réel succès. Que ce soit
l’ONU, grâce au travail de la CNUCED, ou l’OMC, les institutions internationales n’ont
pas la faveur des pays.
Si nous avons déjà expliqué pourquoi, il faut à présent analyser rapidement les
conséquences de ce refus. Les marchés financiers et les entreprises continueront ainsi
leurs activités et leurs courses à l’enrichissement. Cela n’est pas condamnable et celui
qui juge ces pratiques est bien présomptueux tant il est difficile de saisir toutes les
implications de ces transactions.
Les pays ne possédant pas de cadre solide et convaincant en matière de
règlementation de la concurrence espèrent s’inspirer de ce modèle afin de mieux
préparer leur économie à affronter un système d’achat et de vente de titre obligataires,
de produits, de services et de devises particulièrement rapide et dangereux. Des
économies mal préparées ne résisteraient pas longtemps et les investisseurs ou les
spéculateurs pourraient rapidement provoquer des dommages désastreux à des pans en
plein essor.
Pour les pays plus avancés, l’absence de législation internationale, qu’elle soit
contraignante ou non, est plutôt perçue comme une bénédiction. Les pays sont alors
libres d’adapter sur le territoire les normes régissant la concurrence afin de rendre les
bénéfices optimales, d’encourager la création d’entreprises et de repousser plus
facilement les assauts des puissantes multinationales étrangères.
100
Cette absence de règles plait également beaucoup aux investisseurs qui œuvrent
sur les places boursières du monde entier car l’amoralité159
de leurs activités est une
composante fondamentale dans le fonctionnement du système financier tel qu’il existe
aujourd’hui. La loi, et plus encore lorsqu’il s’agit de droit de la concurrence, ne doit pas
s’entraver à cause de principes aussi troubles, changeants et vides de sens que celui de
la morale.
Il faut donc, pour la CNUCED, éviter cet échec et cela semble bien difficile tant
que l’on garde à l’esprit le paradoxe qui a pris au piège la Loi Type Concurrence
lorsqu’elle a choisi le consensus et la négociation à la coercition et à la prise de
décisions imposées – l’on aurait eu bien du mal cependant à imaginer comme la
CNUCED si serait prise pour imposer la Loi Type Concurrence, et donc une
uniformisation optimale du droit de la concurrence mondiale, aux pays.
Titre 2 : Un droit de la concurrence devant composer avec les préoccupations de
développement économique
Le développement et le maintien d’une puissante économie prend du temps et
doit échapper à de très nombreux écueils. Cette route parfois sinueuse – à tel point
qu’on la croirait circulaire – est une voie difficile pour les pays qui bénéficient
aujourd’hui d’une emprise déjà conséquente sur les marchés (Chapitre 1). Elle semble
déployer encore plus d’obstacles aux nations qui souhaitent entrer sur le marché global
sans en connaître parfaitement les règles ni en maîtriser les subtilités ou qui ne
disposent pas d’un arsenal législatif adapté ou d’infrastructures suffisantes (Chapitre 2).
Chapitre 1 : Les effets d’une réglementation de la concurrence pour les pays déjà
présents sur les marchés mondiaux
Parmi les pays qui peuvent se targuer d’être déjà présent avec une certaine
constance sur les marchés économiques stratégiques, il faut diviser notre réflexion en
deux temps afin d’étudier les effets de la Loi Type Concurrence qui représente l’effort
le plus abouti pour réformer le droit international de la concurrence.
159
On ne saura confondre l’amoralité et l’immoralité au risque de pervertir tout le sens et le but de cette étude prospective.
101
Les pays déjà très puissants (Section 1) continuent de faire face à l’ambition
d’autres territoires qui réclament aujourd’hui le contrôle d’une large part des marchés
mondiaux grâce à leurs insolentes économies (Section 2).
Section 1 : Les effets probables de la Loi Type Concurrence sur les superpuissances
économiques
Les plus grandes puissances économiques à l’heure actuelle sont la Chine, les
États-Unis et l’Union Européenne160
. Ces trois superpuissances s’affrontent de plus
belle dans un combat dont l’issue n’est toujours pas certaine (§1). Face à ces batailles
impressionnantes et aux enjeux colossaux, on peut comprendre que la Loi Type
Concurrence soit considérée comme un véritable trouble-fête par ces pays qui entendent
garder leur souveraineté décisionnelle dont ils ont plus que jamais besoin (§2) alors que
la guerre économique redouble d’intensité et que les années à venir sont décisives (§3).
§1 : Le combat de trois superpuissances
Les trois pays qui dominent aujourd’hui les marchés ne veulent pas montrer le
moindre signe de faiblesse ou d’essoufflement. Pourtant, depuis plus de trois années,
certains symptômes sont apparus, révélant des faiblesses nouvelles. Crise financière de
confiance, crise économique pour d’autres, subterfuge pour les derniers, chaque expert
et chaque profane à son avis propre et il ne nous importe pas de trancher la question
dans notre étude.
Le constat les plus évident que nous pouvons faire cependant et que ces trois
superpuissances, à l’instar d’un grand nombre d’autres pays, sont confrontés à des
risques et des obstacles qui entravent, chacun à leur façon, leur chemin vers la
suprématie totale. Devant la multiplication de défis et des opportunités, chacune de ces
superpuissances disposent de sérieux atouts mais également de défauts dangereux.
160
De par la coopération exceptionnelle entre les états, la notion très présente de « préférence communautaire » et le marché intérieur sans droits de douane, il faut nécessairement considérer l’Union Européenne comme un marché à part entière sans que cela nous empêche de mettre en avant les faiblesses qui touchent depuis quelques mois cet espace original et les marchés de chaque état-membre.
102
On ne saurait donc rester enfermé dans une logique unipolaire ou bipolaire
lorsqu’on évoque la réparation des richesses et l’intensité des flux économiques
mondiaux. Une série de nouveaux noyaux de prospérité sont apparus durant la dernière
décade et, parmi eux, la Chine. Doté d’un territoire immense et d’une population
formidable, ce pays qui était devenu un cœur industriel planétaire semble bien décider à
devenir un leader total.
Face à cette volonté implacable, les deux autres espaces économiques que sont
les États-Unis et l’Union Européenne tentent de résister malgré les déconvenues qui
s’accumulent. Toujours dynamique malgré un endettement record, la première
puissance commerciale du monde reste solide mais sent des choix difficiles s’imposer
un peu plus chaque jour. Le marché intérieur de l’Union Européenne, usant également
des tactiques protectionnistes quelque peu usées, doit trouver un consensus et réaffirmer
son unité – travail peu évident en vérité.
Ces trois cœurs économiques règnent en maître sur la planète161
et ne
connaissent à l’heure actuelle aucun égal. Il est capital pour eux de garder leurs propres
stratégies en matière de concurrence, notamment leurs mesures protectionnistes pour les
deux plus anciens marchés. Il ne faut donc pas s’attendre à les voir adopter la Loi Type
Concurrence, qui perd déjà ses plus remarquables alliés – sauf à ce que le texte demeure
vague et assez vide de sens pour ne pas représenter de danger ni de progrès en matière
d’uniformisation du droit de la concurrence.
§2 : La fatale partialité du droit de la concurrence
Le droit de la concurrence a pour objectif de réguler les activités économiques162
et lorsque celles-ci ont une tournure véritablement mondiale, l’exercice est encore plus
périlleux. La CNUCED, qui tenterait d’être neutre – et cela peut être sujet à caution
lorsqu’on examine sa création et sa raison – se battrait contre des murs inébranlables en
161
S’il l’on n’évoque pas le Japon dans ce groupe de grands, ce n’est certainement pas à cause d’une prétendue fragilité de son système économique, bien au contraire, mais plutôt parce que le modèle japonais ne trouve d’égal nulle part ailleurs et qu’il est tout à fait original. Le Japon a tout de même cédé sa place à la Chine. Pour autant, le Japon, grâce notamment à son étonnante capacité à innover, reste un marché très solide. 162
Et donc, nous l’avons assez dit, les activités financières pour une large part.
103
tentant de convaincre bon nombre de pays de la nécessité d’uniformiser au niveau
mondial le droit de la concurrence.
Le droit de la concurrence qui est au centre de la branche économique de droit a
nécessairement une certaine vision – parfois très libérale, parfois très protectionniste –
des échanges et de ventes de produits, de capitaux et de services. Peur des uns et
enthousiaste des autres donnent une saveur particulière à l’élaboration et à l’application
des lois en ce domaine.
On ne saurait être honnête en prétendant que le droit de la concurrence est
neutre. S’il est amoral – c’est tout ce qu’on lui souhaite – il obéit à des intérêts étatiques
et parfois privés. La chimère d’un droit de la concurrence pour le plus grand bien doit
être entreposé sagement à côté de nos rêves d’enfants.
Avec la densification toujours plus folle des échanges et la rapidité qui
caractérisent les marchés, le droit de la concurrence va nécessairement, en fonction de
pays qui mettent en place leurs politiques en choisissant leurs meilleures armes, se
révéler partisan. Dans le cas contraire, pourquoi les pays voudraient-ils tant garder leurs
régulations nationales ? C’est pour cette raison que la Loi Type Concurrence, à moins
d’être dépourvue d’effets, et donc de raison d’être, ne pourra satisfaire tous les pays.
Elle risque plutôt de ne satisfaire personne en refusant de se ranger du côté d’une nation
ou d’un groupe de pays déterminés.
§3 : Un affrontement économique appelé à s’intensifier
Le risque de voir la louable intention de la Loi Type Concurrence réduire
comme peau de chagrin sont importants. Les mois et les années à venir, rythmés par les
bilans comptables et les lois votant les budgets des états ne vont pas constituer de
meilleurs augures. Les enjeux économiques vont devenir encore plus prépondérants et
les calculs des entreprises, des gouvernements et des investisseurs plus minutieux
encore.
104
Il ne faut pas espérer voir les opérateurs des marchés accueillir avec bonne grâce
une éventuelle nouvelle législation en droit de la concurrence car elle sera synonyme de
limiter leurs décisions et actions et de ralentir les flux économiques et financiers. La
course ne pourra être entravée surtout par une tentative de remettre les plus grands
concurrents sur un pied d’égalité.
Il est utopique de vouloir introduire cet esprit dans un milieu fondamentalement
égoïste et qui croise course aux bénéfices et volonté d’innovation. Le risque de voir le
progrès perdre son souffle serait également dangereux car il induirait un ralentissement
de la recherche et développement.
La volonté des plus grands états commerciaux et des plus imposantes entreprises
va rester intacte et ce quels que soient les obstacles. Afin de combler leurs déficits
colossaux, les états vont chercher à augmenter les exportations librement et ne
s’accommoderont pas de restrictions provenant d’une organisation tierce. Si les autres
concurrents directs – qu’ils soient pays ou entreprises – veulent mettre en place des
politiques ou prendre des décisions défavorables, l’entité pourra répliquer grâce à des
lois ou des réactions économiques ou financières équivalentes.
La loi Type Concurrence ne pourrait pas subir ces représailles de la part de ceux
qui pourraient l’adopter. Pour cette raison, elle ne sera que peu acceptée par les pays.
Même ceux qui sont engagés dans le processus de négociation et qui souhaitent
ardemment voir le projet aboutir ne feront pas le poids face au refus des plus grands
opérateurs. La dénégation de quelques puissants suffira donc à balayer les espoirs de la
CNUCED si tant est que la Loi Type Concurrence aboutisse à une adoption réelle dans
peu de temps – ce qui semble toujours incertain face à l’état des marchés et à
l’aggravation de la défiance des pays et des entreprises à l’égard du droit de la
concurrence. S’ils ne contestent pas la nécessité d’un corps de règles et en reconnaissent
même l’utilité pour assurer des conditions de compétitivité moins hétérogènes, ils ne
désirent pas voir centraliser les décisions entre les mains d’un seul organe indépendant.
Ces états puissants n’ont donc aucun intérêt réel à voir aboutir ce projet et, tout au
mieux, jouent-ils le jeu des négociations afin de minimiser la puissance de la régulation
en devenir.
105
Section 2 : Les effets de la Loi Type Concurrence sur les puissances en devenir
En sus des trois grandes puissances et du Japon, on assiste depuis une dizaine
d’années à l’érection de nouvelles puissances pleine de promesses. Ces nouveaux
marchés qui ont perdu leur souffle, qui ont trouvé des ressources inespérées ou qui ont
su tirer intelligemment parti de l’évolution du marché global. Ces pays dont le nombre
n’est pas encore clairement défini (§1). Certains de ces pays restent isolés du système
économique dans une certaine mesure mais demeurent au rang des pays qui sont
respectés et qui possèdent une véritable influence (§2). A l’aune de ces considérations,
on se demande naturellement quelle place cette nouvelle configuration laisse-t-elle à la
Loi Type Concurrence (§3).
§1 : La dénomination mouvante des BRICS
L’ensemble économique BRICS représentent le Brésil, la Russie, l’Inde, la
Chine et l’Afrique du Sud. Ils sont perçus comme de nouvelles économies en puissance
qui seront capables, en quelques dizaines d’années, peut-être moins, de redéfinir les
logiques et les flux qui s’agitent dans le monde.
Pourtant certains de ces pays ne seraient pas aussi conquérants et aussi solides
qu’ils voudraient l’être163
, rendant leur capacité à s’emparer puis à dominer les marchés
stratégiques plus incertaine. Si la Chine a déjà dissipé les doutes à ce sujet et que l’Inde
et le Brésil connaissent d’exceptionnels taux de croissance, la Russie et l’Afrique du
Sud peinent encore à convaincre quelques sceptiques.
Les atouts de ces pays sont tout de même certains même si les craintes de voir la
Russie échouer à reprendre une place prépondérante dans le système économique
mondiale sont réelles. La Russie possèdent cependant de très importantes ressources de
pétrole et de gaz naturels et exportent également de grandes quantités de métaux. C’est
donc le secteur industriel qui domine dans ce pays qui a connu un sérieux
ralentissement après la fin de la Guerre Froide.
L’Afrique du Sud est le plus jeune pays de l’ensemble BRICS et lui a donné la
capitale finale. Les économistes se disputent sur la légitimité du pays à faire partie de ce
163
Voyez note 25.
106
club très fermé face aux difficultés que connait le pays – grande pauvreté d’un quart de
la population, chômage élevé, faibles infrastructures – alors que d’autres pays comme la
Corée du Sud présentent plus de dynamisme.
La Loi Type Concurrence n’est certainement pas une aubaine pour ces pays qui
ont un besoin drastique de fonds apportés par les investisseurs pour se développer et
prendre d’assaut les marchés mondiaux. Ces nations livrent une bataille sans merci
contre le reste du monde et ne doivent pas se laisser dépasser dans la course par leurs
concurrents directs. Ils n’ont n’y le luxe de l’éloignement – puisque les marchés sont
rapides et centralisés autour des places boursières – ni celui du temps, il leur faut donc
agir avec sagesse et célérité.
Une nouvelle règlementation qui irait au-delà de leur législation nationale qui
régule la concurrence sur leur territoire serait malvenue et perçue comme un contrôle
extérieur intolérable. Le droit mondial de la concurrence n’est pas près de voir le jour
car les plus importants opérateurs économiques – par le truchement de leurs entreprises
– ne souhaitent pas voir s’ériger de nouvelles murailles qui se dresseraient entre eux et
la conquête des marchés économiques les plus significatifs.
L’extrême dynamisme de la Chine, du Brésil mais également de l’Inde ne peut
s’encombrer de telles préoccupations qui semblent futiles relativement aux véritables
luttes que doivent mener ces grands pays. Le premier d’entre d’eux étant la domination,
la restructuration et l’organisation de leurs propres territoires qui sont immenses et font
apparaître de nouveaux défis à chaque instant.
Ces futurs leaders ne peuvent accepter l’ingérence extérieure contre laquelle ils
ont autant lutté si celle-ci induit la perte de maîtrise dans la conduite des politiques de
concurrence indispensables à la prospérité recherchée de ces états.
Cet ensemble BRICS n’est pas pour autant figé est sera sans doute appelé à
évoluer selon les succès, les difficultés ou les échecs des pays qui en font partie ou qui
souhaitent intégrer ce club prestigieux.
107
§2 : Les puissances solitaires
À côté des pays qui nourrissent les plus grandes, promesses, il faut dire quelques
bons mots sur d’autres pays qui connaissent de belles réussites. Le Mexique, la Corée
du Sud, des pays d’Europe de l’est, toutes ces nations sont observées avec le plus grand
intérêt par d’autres états, des entreprises qui veulent s’implanter sur de nouveaux
marchés ou des investisseurs en quête de nouveaux territoires prometteurs.
Sans s’étendre inutilement, il faut dire que la Loi Type Concurrence présente
quelques avantages pour ces pays qui ne disposent pas nécessairement d’un cadre
suffisamment étudiée en matière de concurrence mais cette assertion demande à être
nuancée. En effet, le danger de se voir entraver par une nouvelle législation que l’on ne
maîtrise pas est toujours prompt à faire craindre le pire. Ces quelques pays possèdent
quelque intérêt à voir le texte de la CNUCED progresser mais cela dépend surtout de la
tournure que prendra la Loi Type Concurrence los de sa version finale.
Le manque de puissance coercitive du texte ne joue pas en sa faveur et les pays
qui désirent prouver leur potentiel et voir fleurir les investissements et les bénéfices de
ses entreprises ne verront pas d’un très bon œil la mise en place d’un organe de tutelle.
Les divergences existantes entre tous ces pays qui revendiquent une place dans
l’économie mondiale fait qu’il est impossible de donner un avis définitif sur la question
tant les situations présentent des singularités significatives.
§3 : La Loi Type Concurrence face à une répartition éclatée des puissances
En observant la diversité des situations économiques des pays du monde – liées
aux facteurs politiques, sociaux et culturels – il semble bien téméraire de prétendre doter
le monde entier d’une règlementation uniformisée dans le domaine de la concurrence.
Pourtant, l’espoir de la CNUCED n’est pas vain et la Loi Type Concurrence présente de
sérieux atouts pour réussir.
L’on peut en effet retrouver des schémas économiques connus qui se recoupent
entre les nations du globe et les mêmes enjeux, les mêmes questions, les mêmes doutes
108
et les mêmes objectifs agitent l’esprit des dirigeants d’états et des chefs d’entreprises. Il
faut alors réaliser que le système économique et le système financier actuels présentent
une volonté commune d’unification et d’intégration des territoires, de produits et
services, des capitaux et des populations dans une seule économie globalisée.
Bien que l’on ne puisse considérer les politiques protectionnistes comme
appartenant à un passé lointain – bien au contraire – les efforts de rapprochement se
poursuivent, forcés par la montée en puissance de nouveaux acteurs qui font aujourd’hui
de l’ombre au plus ancien.
La Loi Type Concurrence, affichant pourtant avec une fierté toute légitime le
succès des négociations menées jusqu’alors, demeure en peine face à la poursuite des
logiques capitalistiques. Elle semble avoir des difficultés à convaincre les puissants de
se soumettre d’eux-mêmes et suit le même chemin que l’OMC en son temps.
La marge de manœuvre de la CNUCED se trouve ainsi dramatiquement réduite
par des économies monstrueuses qui ne veulent connaître aucune limitation sérieuse. La
Loi Type Concurrence parviendrait sans doute alors à trouver une oreille plus attentive
du côté des pays qui ne sont pas doté d’une règlementation sur la concurrence en phase
avec l’économie globalisée.
Chapitre 2 : Les effets d’une réglementation de la concurrence pour les pays souhaitant
entrer sur les marchés mondiaux
La CNUCED a entretenu pendant dix ans des espérances à propos de la Loi
Type Concurrence en espérant enfin doter les pays et les entreprises d’un droit mondial
de la concurrence. Ceux qui devraient ainsi bénéficier le plus de cet construction
juridique sont les pays qui sont demandeurs d’une telle législation et qui ont toutes les
difficultés possibles à s’insérer sur les marchés en raison de la claire dominance de
ceux-ci par les plus grands groupes de sociétés protégés par les politiques de leurs pays
(Section 1). Mais, face à cet élan enthousiaste, la CNUCED ne semble pas parvenir à
faire l’unanimité et à proposer un véritable projet viable et applicable (Section 2).
Section 1 : Les efforts de la CNUCED pour un droit de la concurrence adapté aux
schémas économiques plus modestes
109
La CNUCED, dont l’acronyme signifie, s’il fallait le rappeler, Conférence des
Nations unies sur le commerce et le développement, continue de mener les négociations
pour la promotion et l’adoption de la Loi Type Concurrence à un rythme régulier. Bien
que n’ayant pour l’instant produit aucun véritable résultat en dix années, la construction
du texte progresse et de nombreuses lacunes, imprécisions ou choix discutables
demeurent.
Ce texte original et fort utile (§1) espère recevoir l’assentiment des pays qui sont
impliqués dans les négociations afin de mettre en place ce cadre commun tant attendu
de régulation de la concurrence, l’organe de tutelle symbolisant cette uniformisation
(§2) afin d’amorcer un cercle qui se veut vertueux entre les entreprises, les états et
l’économie globale (§3).
§1 : Un droit de la concurrence essentiel
Le droit de la concurrence continue à prendre de l’importance à mesure que les
flux commerciaux et financiers se densifient et s’étendent jusqu’à l’autre bout de la
planète. Il est devenu un élément incontournable en dans le monde des affaires et
occupe très probablement ma place d’honneur au sein du droit des affaires.
La régulation des flux économiques n’est plus une priorité et ce peut être
considéré comme une erreur, la décision appartenant aux pays et aux institutions
nationales et supranationales.
Pour les pays émergents ou qui éprouvent encore des difficultés à adapter leurs
systèmes économiques aux marchés internationaux, la Loi Type Concurrence et le droit
de la concurrence plus généralement permet donc aux gouvernements d’orienter les
choix en la matière et aux entreprises de bénéficier d’un cadre qui les protègent des plus
graves atteintes.
Bien qu’incomplète, la Loi Type Concurrence tente d’apporter aux législations
les plus indigentes la base d’une régulation minimale. La coexistence de ce texte avec
les lois nationales s’avère cependant pleines de questions et certains pays ne seront pas
enclins à promouvoir cette Loi Type Concurrence qui pourrait bien être délaissée par les
plus puissants états et les entreprises les plus importantes.
110
Les opérateurs sur les marchés ont conscience de la nécessité d’un droit de la
concurrence pour qu’ils soient eux-mêmes protégés contre les actes et comportements
non désirés. Ils semblent simplement vouloir tirer un profit maximum de ces
dispositions et éluder habilement les contraintes de la loi.
C’est un comportement, certes contestable, mais également rationnel, prévisible
et légitime164
. Les entreprises, les investisseurs et les états se livrent donc à ces activités
que le profane aura bien du mal à accepter tant l’esprit et la logique sont complexes. Il
semble ainsi que « les règles de ce jeu se modifient à mesure qu'on y joue »165
.
La Loi Type Concurrence apparait donc plus comme un gardien assommant
qu’un vigile salutaire. La volonté d’uniformisation du droit ferait perdre aux activités
économiques une franche part de son intérêt en simplifiant par trop ses mécanismes
mystérieux. La régulation intensive sera perçue comme une insupportable ingérence de
la part de la CNUCED qui n’a pas une légitimité suffisante sinon l’aval de quelques
pays – ce qui ne manque pas de rappeler le paradoxe que nous avons tantôt évoqué et
qui fait le malheur de l’institution et de la Loi Type Concurrence.
§2 : Une centralisation du droit pour des moyens plus concentrés
La teneur de la règle juridique se trouve fragilisée par sa limite dans l’espace.
Les divergences existant entre les différentes législations de plusieurs pays viennent
certes rappeler la souveraineté des états et leur liberté dans la mise en œuvre de
politiques de concurrence mais affectent également les entreprises qui opèrent sur des
marchés internationaux ou sur plusieurs marchés nationaux différents.
Pour ces sociétés, les divergences entre les législations présentent de grands
atouts mais aussi certains défauts. Agir à l’échelle du monde selon la loi de son pays est
un avantage en ce que les politiques de concurrence nationales qui visent à contrecarrer
les agissements d’entreprises étrangères ne sont pas toujours applicables. Les règles du
droit international privé peuvent être supplantées par des stipulations contractuelles.
164
Se soustraire à la contrainte de la loi est un risque calculé en pesant le bénéfice potentiel face à la menace d’être condamné. Tant que les lois de concurrence seront aussi molles relativement aux peines infligées – amendes souvent dérisoires – cette logique sera parfaitement soutenable. 165
L’auteur de cette citation demeure inconnu.
111
L’application d’un seul droit, parfois devant une juridiction désignée par le contrat
permet aux entreprises d’agir à leur guise sans tenir toujours compte des autres lois.
Pourtant, cette idée révèle le danger de voir s’application le droit national
étranger et de subir de douloureux revers devant les tribunaux. Il n’est pas toujours
certain que le droit que l’on pense voir s’appliquer soit effectivement celui qui sera
utilisé. De plus, la multiplication de législations en droit de la concurrence a conduit à
l’exercice d’une prudence accrue. Les experts du droit sont alors un coût supplémentaire
pour les entreprises.
La Loi Type Concurrence présente donc l’idée d’un droit uniforme permettant
de maintenir les efforts dans une seule direction et à l’aide d’un droit (basique)
uniforme. L’organe de tutelle sera alors en mesure d’appliquer un droit précis que l’on
connaitrait in limine litis.
Pour autant, le faible contenu actuel de la Loi Type Concurrence, ainsi que ses
omissions et lacunes, ne permettent pas de régler aisément tous les litiges,
principalement dans certains domaines comme le droit de la propriété intellectuel qui
devient un contentieux de plus en plus complexe et de plus en plus significatif. Dans ce
type de législations, de nombreux éléments factuels ne sont pas les mêmes d’un pays à
l’autre166
. On se demande alors comment la CNUCED entend régler ce problème si tant
est qu’elle souhaite un jour l’inclure dans la Loi Type Concurrence.
§3 : Une centralisation du droit de la concurrence pour une application plus aisée
La centralisation et l’uniformisation du droit permettrait donc d’appliquer avec
plus d’aisance le droit de la concurrence. Si cette assertion n’est pas fausse, il convient
de l’examiner plus en détail pour éviter tout jugement hâtif.
Le droit de la concurrence serait ainsi prévisible et bien établi. Les entreprises
sauraient alors à quoi s’en tenir et, peut-être comment éviter avec plus de facilité encore
de se faire prendre lorsqu’elles concluent des ententes illicites ou se livrent à des abus
166
La durée des droits sur une œuvre varie par exemple d’un pays à l’autre. C’est là un élément totalement arbitraire qui est plus dicté par les lobbyistes que décidé par à l’issue d’un processus rationnel.
112
de position dominante. Il faut donc se garder d’encourager plus encore les entreprises à
défier la loi dans le but d’engranger des profits toujours plus élevés.
Le droit de la concurrence serait une affaire plus simple pour le juge des
juridictions ordinaires ou spéciales car les règles seraient alors regroupées en un corps
unique. Pourtant, qui accepterait de se soumettre à cette règlementation qui annonce la
fin des tactiques les plus stratégiques et l’avènement d’un droit unique et uniforme pour
la plupart, concentré entre les mains d’une poignée d’hommes qui n’ont peut-être que
pour toute connaissance des milieux d’affaires et des pratiques qui s’y déroulent qu’un
vague et mauvais reflet ?
Section 2 : L’impossible substitution de la CNUCED en lieu et place de l’OMC
La CNUCED, menant des négociations avec les pays ne connait, semble-t-il, pas
la réalité du combat mené par les entreprises. Les pays ne représentant qu’une faible
partie des opérateurs présents sur les marchés et qui y possèdent une influence. En ceci,
elle peut présenter quelque similitude avec l’OMC mais le manque de pouvoir coercitif
intrinsèque de la Loi Type Concurrence condamne ce texte (§1). Il faut alors voir cette
législation comme une aide à l’intégration de marchés dans un système de flux
internationaux (§2). Enfin, cette aide aux pays souffrira de la diversité des situations et
des besoins dans les pays au sein desquels le texte veut prendre une importance toute
particulière (§3).
§1 : Le manque de pouvoir coercitif de la Loi Type Concurrence
Contrairement à l’OMC qui tente tant bien que mal d’ordonner des sanctions
sous la forme d’autorisation à mettre en place des mesures de rétorsion proportionnelles
et encadrées, la CNUCED, si ce n’est pas son organe de tutelle, ne disposera as d’un
pouvoir ferme d’elle-même.
L’adoption du texte sera soumis au bon vouloir des pays qui, nous l’avons assez
dit, ne seront probablement pas enclins à accepter un texte dirigiste. Si la Loi Type
Concurrence veut continuer à se perfectionner, elle doit mener de nouvelles
négociations qui se révèleront de plus en plus difficiles à mesure que le texte empiètera
sur les compétences décisionnelles des états.
113
Cette absence de véritable autorité se traduit par le manque d’initiative de la part
des pays et ce même parmi ceux qui mènent les négociations avec le plus
d’enthousiasme. Un grand nombre de nations ne voit pas la nécessité de reconnaitre et
de promouvoir une autre institution régulant le droit international de la concurrence –
notamment chez les puissances commerciales que le fonctionnement de l’OMC satisfait
allègrement.
§2 : La Loi Type Concurrence comme guide de développement économique
Il reste alors la voix de pays plus modestes qui peuvent espérer tirer de la Loi
Type Concurrence une essence précieuse pour mettre en place un cadre législation
minimale qui permettrait de jouer un rôle, même modeste, sur les marchés
internationaux.
Pour cela, la série de mesures contenues au sein du texte, ayant été le fruit
d’âpres négociations entre un grand nombre de pays, promettent une vision assez
complète, mais pas forcément pleinement réaliste, de l’état des marchés mondiaux et
des pratiques et comportements que toute entreprise est susceptible de rencontrer. Les
pays exportant une ressource précise tel que le font certains pays d’Afrique – pierres
précieuses, or, produits pétroliers, coton – aiderait le pays à entrer dans une logique qui
pourrait être inconnue et mystérieuse.
§3 : Des situations largement hétérogènes dans les pays émergents
Enfin, il faut dire un mot sur les véritables effets attendus que pourraient avoir la
Loi Type Concurrence dans ces pays émergents ou en passe d’entrer sur les plus
imposants marchés et les plus dangereuses places financières.
La diversité des facteurs politiques, sociaux, économiques, culturelles,
démographiques et les niveaux d’industrialisation, des services afférents ou des
infrastructures qui soutiennent les mécanismes de l’économie globalisée entraîne
l’apparition de situations particulièrement différentes. On peut avoir quelque mal à
percevoir la Loi Type Concurrence, malgré ses qualités comme un outil qui pourrait
s’adapter à cette pléthore de besoins originaux. Peut-être est-ce pour cette raison que les
dispositions actuelles de la Loi Type Concurrence sont actuellement relativement peu
114
étoffées, dans le but de s’adapter aux gouvernements et aux entreprises auxquelles elle
est destinée.
115
Conclusion : Un droit mondial de la concurrence en devenir bien téméraire qui doit
braver les logiques économiques
Notre étude touchant à sa fin, il convient de coucher encore quelques mots sur la
situation assez exceptionnelle de l’économie globalisée qui transitent aujourd’hui plus
rapidement que jamais à la surface de la planète entière.
La multiplication des pays émergents, dotés d’atouts considérables, apportent
des craintes incessantes pour les pays dont l’économie et la place sur les marchés sont
plus anciennes et dont les modèles tant vantés présentent à présent de sérieux signes
d’essoufflement.
La Loi Type Concurrence de la CNUCED, qui représente à ce jour le plus abouti
des projets pour la mise en place d’un véritable droit mondial de la concurrence présente
d’admirables avantages mais également de grands défauts. Peu de pays semblent en
effet enthousiastes face à une nouvelle étape de règlementation qui entraînerait une
certaine rigidité sur les marchés. La perspective de voir un administration réguler les
échanges mondiaux n’est pas de bonne augure.
La place prépondérante qu’occupe toujours l’OMC suffit à la majorité des
grandes nations et continue de mécontenter les nouveaux pays, plus modestes, qui
veulent connaître l’essor économique formidable auprès des marchés mercantiles les
plus imposants.
Il faut ainsi peut-être laisser tout à fait tomber en désuétude la chimère,
d’ailleurs dangereuse, d’apporter un simulacre de morale sur les grandes places
boursières et les marchés titanesques. La loi Type Concurrence n’entend heureusement
pas mettre en place ces valeurs obsolètes et veut proposer un cadre accessible et
fonctionnel qui semble pourtant être redondant face aux nombreuses législations sur la
concurrence qui existent déjà.
Les marchés économiques et financiers ne veulent pas être contrôlés et,
contrairement à ce que l’on peut entendre – surtout chez les profanes – cela fait le jeu et
116
le bénéfice de tous les opérateurs. Si l’idée de l’autorégulation ne semble plus réaliste,
cela ne peut pas signifier qu’une nouvelle autorité doit être instituée pour contrôler ces
flux.
L’amoralité de ces échanges est le gardien contre de terribles ennemis.
Confrontés à une période de doute profond sur le fonctionnement de l’économie
globalisée, les états ne pensent qu’à ériger des barrières protectionnistes. Accablés de
toute part, les marchés économiques et financiers ne peuvent répondre en quelques mois
à des années d’activité sans plan ni dessein véritable.
Restent les spéculateurs qui, par leur obsession du gain rapide, contribue pour
part à déstabiliser les cours des actions et sape la santé des entreprises et des états.
Pourtant, on ne saurait le leur reprocher tant ces logiques restent profondément ancrées
dans les esprits. On ne pourra raisonner les opérateurs sur les marchés. Devant cette
course parfois absurde, ils apprendront à être tout de même un minimum raisonnable ou
tomberont ; sinon, ils pourront simplement continuer sur cette voie leur voyage effréné,
toujours avec beaucoup de célérité.
L’on reconnait alors les signes d’une jeunesse bien peu déférente et qui porte sur
ses épaules une ambition démesurée dont nous avons besoin, quel que soit l’issue de ces
confrontations épiques. Le progrès (économique) n’attend pas.
117
BIBLIOGRAPHIE
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Ouvrages généraux
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Documentation des Nations Unies
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application effective du droit en période de difficulties économiques, UNCTAD
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la mise en place de politiques de concurrence en Amérique Latine, UNCTAD
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- Unclassified documentation from UNO, Competition and financial markets – Volume
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Articles
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droit chinois moderne de la concurrence, Concurrences – revue des droits de la
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- F. Jenny, Les politiques de la concurrence dans le monde, convergences et
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- Chloé Maurel, Géopolitique des impérialismes, Paris, Studyrama, 2009
119
PLAN DU MEMOIRE
Introduction
Chapitre liminaire : Les objectifs, définitions et marchés économiques considérés par la
Loi Type Concurrence.
Partie I : La Loi Type Concurrence, un instrument possible de régulation de la
concurrence à l’échelle internationale.
Titre 1 : L’incrimination des comportements nuisibles à la concurrence dans l’ordre
mondial
Chapitre 1 : Etat des marchés nationaux et du marché mondial
Section 1 : Les mutations continuelles et leurs conséquences sur la
régulation des espaces économiques
§1 : Globalisation des échanges
§2 : Phénomènes des multinationales géantes
§3 : Affrontements et accords secrets
Section 2 : L’évolution du droit de la concurrence dans le contexte du
marché global
§1 : Le manque de célérité du droit de la concurrence
§2 : La contestation des prérogatives des institutions
internationales
§3 : Les tentatives actuelles de réglementation
Chapitre 2 : L’incrimination des pratiques anticoncurrentielles
Section 1 : Les pratiques restrictives de concurrence
§1 : Analyse et critiques des définitions des pratiques restrictives
de concurrence
120
§2 : Le rôle et les effets des accords restrictifs de concurrence sur les
marchés
§3 : Perspectives et évolutions des pratiques restrictives
Section 2 : L’abus de position dominante, nouveau fer de lance contre les
entreprises géantes
§1 : Analyse et critiques des définitions de l’abus de position dominante
§2 : L’abus de position dominante comme technique de protection des
marchés.
§3 : Perspectives et évolutions des positions dominantes
Titre 2 : La réglementation des concentrations, élément majeur d’appréciation de la
concurrence
Chapitre 1 : Le difficile équilibre de préservation de la concurrence face aux
désirs hégémoniques des entreprises
Section 1 : Les périls des entreprises géantes pour la concurrence
§1 : L’érection de nouvelles Tours de Babel
§2 : Des marchés économiques oligarchiques
§3 : Le contentieux épineux des fusions
Section 2 : Les concentrations face aux préceptes de la
concurrence
§1 : La règle d’offre et de la demande
§2 : La détermination du choix des consommateurs
§3 : L’évaluation des effets des concentrations
Chapitre 2 : La nouvelle procédure de notification par la création d’un
organe de tutelle
Section 1 : Les caractéristiques de l’organe de tutelle
§1 : Les imprécisions majeures de la Loi Type
Concurrence quant à l’organe de tutelle
121
§2 : Les pouvoirs de l’organe de tutelle et la
réorganisation du système de notification
§3 : L’organe de tutelle et les autres institutions de
surveillance des concentrations
Section 2 : La promotion d’une concurrence saine par l’organe de
tutelle
§1 : L’organe de tutelle et le bouclier protectionniste
§2 : L’organe de tutelle, un pourfendeur de politiques
iniques
§3 : Des différends entre états et entre entreprises attendus
Partie II : Droit de la concurrence, concurrence économique et politiques de
concurrence
Titre 1 : Un droit de la concurrence mondial en peine face à la souveraineté des
institutions et des nations
Chapitre 1 : La difficile soumission des pays à un droit supérieur de la
concurrence
Section 1 : La défiance naturelle des pays et des entreprises envers une
règlementation globale
§1 : La longue suite d’échecs de réglementation globale du droit
de la concurrence
§2 : L’expérience de l’OMC
§3 : L’indépendance décisionnelle des pays comme signe
extérieur de puissance
Section 2 : L’insinuation de la politique dans les enjeux économiques
§1 : La victoire des intérêts économiques
§2 : Des marchés d’obédience politique
§3 : Une politisation des affrontements économiques
Chapitre 2 : Un outil limité pour résorber les distorsions de concurrence
122
Section 1 : Des politiques de concurrence échappant à la Loi Type
Concurrence
§1 : La suprématie des lois nationales
§2 : Le domaine de la finance et de l’investissement, un avatar
intouchable de l’économie
§3 : Le spectre du ralentissement économique dans un bourbier
institutionnel
Section 2 : Une législation soit surabondante soit malvenue
§1 : La Loi Type Concurrence face aux législations existantes
§2 : La crainte de voir échapper les décisions capitales
§3 : Le danger d’un rejet éventuel de la CNUCED par les pays
Titre 2 : Un droit de la concurrence devant composer avec les préoccupations de
développement économique
Chapitre 1 : Les effets d’une réglementation de la concurrence pour les pays déjà
présents sur les marchés mondiaux
Section 1 : Les effets probables de la Loi Type Concurrence sur les
superpuissances économiques
§1 : Le combat de trois superpuissances
§2 : La fatale partialité du droit de la concurrence
§3 : Un affrontement économique appelé à s’intensifier
Section 2 : Les effets de la Loi Type Concurrence sur les puissances en
devenir
§1 : La dénomination mouvante des BRICS
§2 : Les puissances solitaires
§3 : La Loi Type Concurrence face à une répartition éclatée des
puissances
Chapitre 2 : Les effets d’une réglementation de la concurrence pour les pays
souhaitant entrer sur les marchés mondiaux
123
Section 1 : Les efforts de la CNUCED pour un droit de la concurrence
adapté aux schémas économiques plus modestes
§1 : Un droit de la concurrence essentiel
§2 : Une centralisation du droit pour des moyens plus concentrés
§3 : Une centralisation du droit de la concurrence pour une
application plus aisée
Section 2 : L’impossible substitution de la CNUCED en lieu et place de
l’OMC
§1 : Le manque de pouvoir coercitif de la Loi Type Concurrence
§2 : La Loi Type Concurrence comme guide de développement
économique
§3 : Des situations largement hétérogènes dans les pays
émergents
124
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier les personnes qui ont contribué à l’élaboration de cette étude
prospective du droit mondial de la concurrence. Ils ont apporté, chacun à leur manière,
les ressources qui ont été utilisées pour créer et construire ce mémoire.
Monsieur Henri Temple, pour avoir accepté d’être le directeur de ce mémoire et
pour avoir fourni une somme considérable de documentation précieuse. Je le remercie
également pour avoir grandement facilité l’obtention de mon stage au sein de l’ONU,
lieu où j’ai pu accumuler des connaissances très utiles à la rédaction de ce mémoire.
Madame Lorenza Jachia, Secrétaire exécutive du Working Party 6 au sein de la
Commission Economique pour l’Europe au siège genevois de l’ONU. C’est grâce à son
soutien que j’ai obtenu le stage au sein de la Commission Economique pour l’Europe.
Monsieur Valentin Nikonov, travaillant à la Commission Economique pour
l’Europe. La participation aux visio-conférences avec le MARS Group m’ayant permis
de mieux connaitre les différentes règlementations nationales et internationales en
matière de droit de la concurrence. Son aide a été précieuse et très appréciée.
Madame Dominique Rames, travaillant à la Commission Economique pour
l’Europe avec qui j’ai partagé notre bureau durant le stage à l’ONU. Son accueil, sa
disponibilité et son expertise ont été des facteurs déterminants pour le bon déroulement
du stage et pour la rédaction de ce mémoire.