w.s.jevons economie politique

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    W. Stanley Jevons (1835-1882)Professeur lUniversit de Breslau

    Professeur dconomie politique au University College, examinateur de logiqueet de philosophie morale lUniversit de Londres.

    1878

    Lconomiepolitique

    Un document produit en version numrique par Serge DAgostino, bnvole,professeur de sciences conomiques et sociales en France

    Courriel: [email protected]

    Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"Site web: http://www.uqac.ca/Classiques_des_sciences_sociales

    Une collection dveloppe en collaboration avec la BibliothquePaul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi

    Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

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    W. Stanley Jevons (1835-1882), L'conomie politique (1878) 2

    Cette dition lectronique a t ralise par Serge DAgostino, bnvole,professeur de sciences conomiques et sociales en [email protected] partir de louvrage de :

    W. Stanley Jevons (1835-1882), L'conomie politique. Traduit avecl'autorisation de lauteur par Henry Gravez, ingnieur. Paris : Librairie GermerBaillire Et Cie, 2e dition, 1878, 189 pp. (1re dition, 1876). Bibliothqueutile, no 44.

    M. W. Stanley Jevons tait professeur dconomie politique au UniversityCollege, examinateur de logique et de philosophie morale lUniversit deLondres.

    Polices de caractres utilise :

    Pour le texte: Times, 12 points.Pour les citations : Times 10 points.Pour les notes de bas de page : Times, 10 points.

    dition lectronique ralise avec le traitement de textes Microsoft Word 2001pour Macintosh.

    Mise en page sur papier formatLETTRE (US letter), 8.5 x 11)

    dition numrique ralise le 27 novembre 2004 Chicoutimi,Ville de Saguenay, province de Qubec, Canada.

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    Table des matires

    Prface

    Chapitre I. Introduction

    1. Qu'est-ce que l'conomie politique2. Prjugs sur l'conomie politique3. Division de la science4. La richesse et les biens naturels5. Qu'est-ce que la richesse6. La richesse est transmissible

    7. La richesse est limite en quantit8. La richesse est utile9. Commodit

    Chapitre II. Utilit

    10. Nos besoins sont varis11. Quand les choses sont-elles utiles12. Quel doit tre notre but13. Quand devons-nous consommer la richesse14 et 15. Prjugs sur la consommation

    Chapitre III. Production de la richesse

    16. Les instruments de la production17. La terre source de matriaux18. Le travail19. Le capital20. Comment rendre le travail plus productif21. Travailler au bon moment22. Travailler au bon endroit23. Travailler de la bonne manire24. La science

    Chapitre IV. Division du travail

    25. D'o provient la division du travail26. Adam Smith et la division du travail27. La multiplication des services28. La multiplication des copies29. Adaptation personnelle30. Adaptation locale31. La combinaison du travail32. Inconvnients de la division du travail

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    Chapitre V. Le capital

    33. Qu'est-ce que le capital34. Capital fixe et capital circulant35. Comment s'obtient le capital36. Placement du capital37. Le travail ne peut tre un capital

    Chapitre VI. Distribution de la richesse

    38. Comment se partage la richesse39. La part du travailleur. Salaire40. La part de la terre41. La part du capital42. De l'intrt

    Chapitre VII. Salaires43. Salaire apparent et salaire rel44 et 45. D'o provient la diffrence des salaires46. Quest-ce quune bonne journe

    Chapitre VIII. Trades-Unions (associations ouvrires)

    47. But des Trades-Unions48. Le rglement des heures49. L'augmentation des salaires50. Grves et lockouts51. Effet gnral des grves

    52. Lintimidation dans les grves53. Monopoles des Trades-Unions54. Trades-Unions professionnelles55. Prjugs sur le travail56. Travail la tche57. Prjugs sur l'galit

    Chapitre. IX. Coopration

    58. Arbitrage59. Conciliation60. Coopration61. Association industrielle

    62. Association de production63. Prvoyance

    Chapitre X. Proprit foncire

    64 et 65. La terre66. Proprit foncire en Angleterre67. Tenure pour bail68. Tenant Right

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    69. Origine de la rente

    Chapitre XI. change.

    70. Comment l'change s'tablit71. Quest-ce que la valeur72. La valeur signifie proportion dans l'change73. Lois de loffre et de la demande74. La valeur dpend-elle du travail75. Pourquoi les perles ont-elles de la valeur

    Chapitre XII. Monnaie

    76. Le troc77. Avantages de la monnaie78. La monnaie comme mesure de la valeur79. De quoi est faite la monnaie

    80. Monnaie mtallique81. Qu'est-ce quune livre sterling82. Circulation en papier

    Chapitre XIII. Crdit et banque

    83. Qu'est-ce que le crdit84. Prts sur hypothques85. Banque86. Escompte

    Chapitre XIV. Cycles de crdit

    87. L'industrie est priodique88. Fivres commerciales89. Crises commerciales90. Les crises commerciales sont priodiques91. Comment se garder des crises

    Chapitre XV. Fonctions du gouvernement

    92. Les fonctions ncessaires et les fonctions facultatives93. Avantages de laction du gouvernement94. Inconvnients de cette action

    Chapitre XVI. Impts.

    95. Les impts sont ncessaires96. Impts directs et indirects97. Rpartition des impts98. Protection et libre-change99. Thorie mercantile100.

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    Appendice. La lutte des talons

    I. Le double talonII. Action compensatrice du double talonIII. Dmontisation de l'argentIV. Dsavantages du double talonV. Les diffrents systmes montaires du globe

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    W. Stanley Jevons (1835-1882)professeur dconomie politique au University College, examinateur de logique et dephilosophie morale lUniversit de Londres.

    L'conomie politique

    Traduit avec l'autorisation de lauteur par Henry Gravez, ingnieur. Paris :Librairie Germer Baillire Et Cie, 2e dition, 1878, 189 pp. (1re dition, 1876).Bibliothque utile, no 44.

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    Prface

    Retour la table des matires

    J'ai essay, en composant ce petit trait, de donner aux vrits del'conomie politique, une forme approprie l'instruction lmentaire.Lorsque j'tais attach au Owens College, je devais, en qualit de Cobdenlecturer, exposer l'conomie politique une classe d'instituteurs, afin de les

    mettre mme d'introduire plus tard cet enseignement important dans lescoles primaires. On ne peut douter qu'il soit trs dsirable de propager partous moyens les principes de cette science dans toutes les classes de lapopulation. C'est de l'ignorance de ces vrits que proviennent la plupart descalamits sociales, les grves, les lockouts, l'opposition au progrs, l'impr-voyance, la misre, la charit mal entendue, l'insuccs dcourageant de tantd'efforts.

    Il y a plus de quarante ans que Miss Martineau popularisa avec succs lesprincipes de lconomie politique, par ses admirables rcits. peu prs lamme poque, l'archevque Whately fut vivement frapp de la ncessitd'inculquer ds l'enfance la connaissance de ces matires. Il prpara dans cette

    vue ses Leons faciles sur les monnaies qui ont eu des ditions nombreuses.C'est dans un exemplaire de cet ouvrage, que j'ai, dans mon enfance, puismes premires ides sur l'conomie politique. Un passage de la prface deWhately mrite d'tre rappel ici : Les rudiments d'une connaissance solidede cette science doivent, comme le montre l'exprience, tre communiqus dsle jeune ge Ceux donc qui donnent, dirigent ou encouragent l'ducation,doivent regarder comme trs important d'inculquer temps des ides justessur des sujets qui intresseront toute la vie et dans l'ignorance desquels

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    aucune classe, de la plus basse la plus leve, ne peut tre laisse sansdanger.

    Ces ides ont t plus tard soutenues et mises en pratique par MM.

    William, le professeur W.B. Hodgson, le docteur John Watts, M. Templar etd'autres encore, et l'exprience semble confirmer tout la fois la ncessit etla possibilit de l'enseignement prconis par Whately.

    Mais il est vident que pour que le succs couronne ces efforts, il fautpossder un petit trait lmentaire, compos exactement en vue du butpoursuivi. Comptant sur mon exprience, de dix annes dans l'instruction desinstituteurs de Manchester, j'ai donn mes leons la forme la plus simple quele sujet semble comporter.

    J'espre aussi que ce petit livre ouvrira la voie vers une connaissance plusapprofondie de la science, tous les lecteurs en gnral, d'un ge plus avanc,

    qui ont nglig jusqu'ici l'tude de l'conomie politique.

    Les troites limites de l'espace qui m'est laiss m'ont mis dans l'impos-sibilit de traiter toute la science d'une manire satisfaisante. Jai donc dsupprimer tout fait certaines parties et passer trs rapidement sur d'autres,afin de rserver plus de place certains sujets, tels que la production, ladivision du travail, le capital et le travail, les trades-unions et les crises com-merciales, qui m'ont paru de nature tre les plus utiles et les plus intressantspour mes lecteurs.

    University College, Gower Street, London W.C.

    31 janvier 1878.

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    Chapitre I

    Introduction

    1. Qu'est-ce que lconomie politique ?

    Retour la table des matires

    Lconomie politique traite de la richesse des nations ; elle recherche lescauses qui font une nation plus riche et plus prospre qu'une autre. Son but estd'enseigner ce qu'il faut faire pour diminuer autant que possible le nombre despauvres, et mettre chacun mme, en rgle gnrale, d'tre bien pay de sontravail. D'autres sciences, sans doute, nous aident parvenir aux mmes fins.

    La mcanique nous montre comment nous pouvons nous procurer de la force,comment nous devons nous en servir dans le travail des machines. La chimienous enseigne comment on dcouvre les substances utiles, comment, parexemple, on extrait des rsidus infects de la fabrication du gaz, de magnifi-ques teintures, des parfums et des huiles. L'astronomie est ncessaire lanavigation des ocans. La gologie nous guide dans la recherche de la houilleet des mtaux.

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    Diffrentes sciences sociales sont aussi ncessaires au progrs du bien-trede l'humanit. La jurisprudence traite du droit lgal des gens et de la faondont il peut le mieux tre dfini et assur par des lois justes. La philosophiepolitique tudie les diffrentes formes de gouvernement et leurs avantages

    relatifs. La mdecine recherche les causes de maladie. La statistique runittous les faits qui se rapportent l'tat ou la communaut. Toutes ces sciencesnous apprennent devenir plus sains, plus riches, plus sages.

    Mais l'conomie politique se distingue entre toutes. Elle traite de larichesse en elle-mme ; elle se demande ce qu'elle est, comment nous pouvonsle mieux la consommer quand nous l'avons obtenue, comment nous pouvonsprofiter de toutes les autres sciences pour l'acqurir.

    Beaucoup de gens croient prendre en faute l'conomie politique parcequ'elle ne traite que de la richesse seule.

    Il y a, disent-ils, bien des choses meilleures que la richesse, telles que lavertu, l'affection, la gnrosit. Ils voudraient nous voir tudier ces biens deprfrence la simple richesse. Un homme peut s'enrichir par d'habilesmarchs et enfouir son argent comme un avare. Et comme Il vaut mille foismieux dpenser son bien au profit de ses parents, de ses amis et du public engnral, certaines gens partent de l pour blmer la science des richesses.

    Ces critiques mconnaissent le but d'une science comme l'conomiepolitique. Ils ne comprennent pas que dans nos tudes, nous ne pouvons fairequ'une chose la fois. Nous ne pouvons apprendre toutes les sciences socialesen mme temps. Personne ne fait un reproche l'astronomie de ne s'occuperque des toiles ou aux mathmatiques de ne s'occuper que des nombres et

    quantits. Ce serait un curieux trait lmentaire, qui traiterait tout ensembled'astronomie, de gologie, de chimie, de physique, de physiologie, etc. Demme qu'il y a plusieurs sciences physiques, il y a aussi plusieurs sciencessociales dont chacune doit s'occuper de son sujet propre, et non des choses engnral.

    2. Prjugs sur l'conomie politique.

    Retour la table des matires

    Bien des erreurs ont cours sur la science que nous allons considrer, chezdes gens qui devraient mieux la connatre. Elles proviennent souvent de cequ'on croit tout savoir en conomie politique, sans l'avoir jamais tudie.Aucune personne de bon sens ne s'aventure contredire un chimiste sur lachimie, un astronome sur les clipses ou mme un gologue sur les roches et

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    les fossiles. Mais chacun a son opinion, d'une faon ou d'une autre, sur lecommerce mal entendu, sur l'effet des hauts salaires, sur le tort que fait l'offredu travail bas prix, enfin sur cent questions d'importance sociale. Ces gensne voient pas que ces matires sont en ralit plus difficiles f comprendre

    que la chimie, l'astronomie ou la gologie et que toute une vie d'tude ne noussuffit pas pour nous permettre d'en parler avec certitude. Et, cependant ceuxqui n'ont jamais tudi l'conomie politique, sont d'ordinaire les plus remplisd'assurance.

    Le fait est, que de mme qu'on hassait autrefois la science physique, il y aaujourd'hui une sorte de dfiance ignorante, d'impatience contre l'conomiepolitique. Lhomme aime suivre ses propres impulsions et ses prjugs ; onle vexe en lui disant qu'il fait justement ce qui le conduira un but diamtra-lement oppos celui qu'il cherche. Prenons le cas de la soi-disant charit.Bien des personnes charitables pensent qu'il est vertueux de faire l'aumneaux pauvres gens qui la demandent, sans considrer l'effet qu'elle produira sur

    ces gens. Ils voient le plaisir du mendiant qui reoit cette aumne, mais ilsn'en voient pas les effets ultrieurs, c'est--dire l'augmentation du nombre desmendiants. La pauvret, les crimes que nous avons sous les yeux sont engrande partie le rsultat de la charit mal entendue du pass, charit qui futcause qu'une bonne part de la population est devenue insouciante, impr-voyante et paresseuse. L'conomie politique prouve qu'au lieu de donner desaumnes accidentelles et irrflchies, nous devons veiller l'ducation dupeuple, lui apprendre travailler, gagner sa vie, pargner quelque chosepour aider sa vieillesse. S'il persiste dans sa paresse et son imprvoyance, ildoit en supporter les consquences. Mais comme cette manire dagir peutsembler svre, les conomistes se voient condamns par des gens au cursensible mais abus. La science passe pour inflexible, impitoyable et on en

    conclut qu'elle n'a pour objet que de faire le riche plus riche et de laisser prirle pauvre.

    Tout cela n'est que mprise.

    L'conomiste, quand il recherche comment l'homme peut le plus facile-ment se procurer les richesses, n'enseigne pas que le riche doit garder son biencomme un avare, ni le dpenser en luxueuses folies comme un prodigue. Il n'ya absolument rien dans la science pour dissuader le riche de dpenser sarichesse d'une faon tout la fois gnreuse et sage. Il peut aider avec pru-dence ses parents et ses amis. Il peut fonder d'utiles institutions publiques,telles que bibliothques, muses, parcs, hpitaux, etc., favoriser l'ducation dupeuple ou crer des tablissements d'ducation suprieure ; il peut soulagerceux qui soufrent d'infortunes contre lesquelles ils n'auraient pu se prmunir.Les infirmes, les aveugles, tous ceux qui il est absolument impossible des'aider par eux-mmes, sont naturellement dsigns la charit du riche. Toutce que veut l'conomiste, c'est que la charit soit rellement la charit et nefasse pas de tort ceux qu'elle veut aider. Il est triste de penser que jusqu'icibeaucoup de mal a t fait par ceux qui ne voulaient que le bien.

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    Il n'est pas moins triste de voir des milliers de personnes essayer d'amlio-rer leur position par des moyens qui ont justement l'effet contraire, par lesgrves, par la rsistance l'emploi des machines, par des restrictions apportes la production de la richesse. Les travailleurs se sont fait une conomie

    politique eux; ils veulent devenir riches en s'efforant de ne pas produiretrop de richesses. Ils voient l'effet immdiat de ce qu'ils font, mais non lersultat final.

    Il en est de mme dans la question du Libre-Echange. En Angleterre, nousavons fini par avoir la sagesse de laisser le commerce libre. Dans les autrespays, et mme dans les colonies australiennes, il existe encore des lois pourrendre les gens plus riches en les empchant de profiter des produitsabondants des autres pays. Beaucoup de personnes se refusent encore voirque la richesse doit s'augmenter en la produisant o on peut la produire avecle plus de facilit et d'abondance. Chaque place de commerce, chaque ville,chaque nation doit fournir ce qu'elle peut cder meilleur march, et les autres

    produits doivent s'acheter aux endroits o on peut aussi se les procurer le plusfacilement.

    Lconomie politique nous apprend regarder au del de l'effet immdiatde ce que nous faisons, et chercher le bien de toute la communaut et mmede l'humanit tout entire. La prosprit prsente de l'Angleterre est due engrande partie la science qu'Adam Smith donna au monde dans sa Richessedes Nations . II nous apprit la valeur du travail libre du commerce libre, etaujourd'hui, cent ans aprs la publication de ce grand livre, il ne devrait pas yavoir tant de gens abuss s'efforant vainement de s'opposer ses leons, Il estcertain que si le peuple ne comprend pas une conomie politique vraie, il s'enfabriquera une fausse sa faon. De l, limprieuse ncessit, que personne,

    homme ou femme, ne soit lev sans quelque ide de la science que nousallons tudier.

    3. Division de la science.

    Retour la table des matires

    Je commencerai par tablir l'ordre dans lequel les diverses branches oudivisions de la science conomique seront considres dans ce petit trait. Enpremier lieu, nous devons apprendre en quoi consiste la richesse, sujet de cettescience. Secondement, nous rechercherons comment on se sert de la richesse,comment on la consomme; nous verrons que rien ne peut tre regard commerichesse, si on ne peut 1'apptiquer quelqu'usage, et qu'avant de faire de larichesse nous devons savoir quoi nous l'emploierons. Troisimement, nouspourrons considrer comment la richesse se produit, comment elle est amene

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    l'existence et comment, en quatrime lieu aprs qu'on l'a produite, elle separtage entre les diffrentes classes de gens qui ont eu la main sa production.

    En rsum, nous pouvons dire que l'conomie politique traite 1 de la

    nature, 2 de la consommation, 3' de la production, 4 de la distribution de larichesse. Il sera aussi ncessaire de dire quelques mots des impts. Une partiede la richesse de chaque pays doit tre prleve par le pouvoir dans le but depayer les frais de la dfense et du gouvernement de la nation. Les imptspeuvent se ranger avec vraisemblance dans le chapitre de la distribution.

    4. La richesse et les biens naturels.

    Retour la table des matires

    Nous n'apprendrons rien en disant que l'conomie politique est la sciencede la richesse, si nous ne savons ce que c'est que la science, ce que c'est que larichesse. Quand un terme se dfinit au moyen d'autres termes, nous devonscomprendre ces autres termes pour jeter quelque lumire sur le sujet. Dansmon trait de logique, j'ai dj essay d'expliquer ce que c'est que la science,j'essaierai maintenant d'clairer cette expression; la richesse.

    Sans doute bien des gens s'imaginent qu'il n'y a nulle difficult savoir ce

    qu'est la richesse ; la vraie difficult c'est de l'acqurir. Mais en cela, ils setrompent. Il y a dans notre pays beaucoup de personnes qui se sont enrichiespar elles-mmes et cependant peu d'entre elles, aucune peut-tre ne seraitcapable d'expliquer clairement ce mot de richesse. Et rellement, il n'est pasdu tout facile de trancher la question.

    L'ide populaire est que la richesse consiste en monnaie, en espces, etque celles-ci sont faites d'or et d'argent ; l'homme riche alors serait celui quipossde un coffre fort, plein de sacs de monnaie d'or et d'argent. Mais c'estloin d'tre le cas ; les riches, en gnral, out trs peu d'argent en leur posses-sion. Au lieu de sacs de monnaie, ils tiennent une bonne balance chez leurbanquier. Mais encore une fois cela ne nous dit pas ce que c'est que la richesse

    parce qu'il est difficile d'expliquer en quoi consiste une balance de banque. Labalance s'exprime par quelques chiffres dans les livres du banquier.

    Peut-tre dira-t-on que celui-l est riche lvidence, qui possde unegrande quantit de terres. Cela dpend entirement de la situation de ces terreset de leur nature. L'homme qui possderait un comt en Angleterre serait trsriche ; il pourrait possder une gale tendue de terre en Australie sans treremarquablement riche. Les sauvages d'Australie, qui possdaient le sol avantque les Anglais ne s'en emparassent, possdaient un territoire immense, mais

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    ils n'en taient pas moins plongs dans la pauvret la plus misrable. Il estdonc vident que la terre seule n'est pas la richesse.

    On peut prtendre que pour tre une richesse la terre doit tre fertile, le sol

    bon, les rivires et les lacs abondants en poisson, les forts remplies de boisd'oeuvre. Sous le sol il doit y avoir de grandes quantits de houille, de fer, decuivre, de minerais d'or, etc. Si, outre cela, un pays possde un bon climat,beaucoup de soleil, assez, mais pas trop d'eau, il peut certainement passer pourriche. Il est vrai que ces choses ont t appeles biens naturels, mais je lesmentionne dans le but d'indiquer qu'elles ne sont pas, par eIles-mmes, larichesse. Les peuples peuvent vivre sur un sol abondant en biens naturels, -comme les Indiens de l'Amrique du Nord vivaient dans les rgions quiforment aujourd'hui les tats-Unis - et tre cependant trs pauvres, parce qu'ilsne peuvent ou ne veulent pas travailler pour transformer les biens naturels enrichesse. D'autre part, des peuples, comme les Hollandais, vivent sur de pau-vres langues de terre, et deviennent cependant riches par lhabilet, l'industrie

    et la prvoyance. En somme, la richesse est due plutt au travail et l'adressequ' un sol fcond ou un climat clment, mais ces derniers dons sontncessaires pour qu'un peuple devienne aussi riche que les habitants del'Angleterre, de la France, des Etats-Unis ou de lAustralie.

    5. Qu'est-ce que la richesse.

    Retour la table des matires

    Nassau Senior, un des meilleurs crivains conomistes, dfinit la richesseen ces mots : Sous ce terme nous comprenons toutes les choses et seulementles choses qui sont transmissibles, limites en quantit, et qui, directement ouindirectement, produisent du plaisir ou empchent de la peine. Il est nces-saire, avant tout, de saisir exactement la pense de Senior. Suivant lui tout ceque comprend le mot richesse doit avoir trois qualits distinctes et tout cequi possde ces trois qualits doit tre une part de la richesse. Si ces qualitssont justement choisies, nous possdons une dfinition correcte, c'est--dire,comme nous l'avons expliqu dans notre Trait de logique (section 44), unexpos prcis des qualits suffisantes pour crer une classe et nous indiquer

    les choses qui appartiennent et celles qui n'appartiennent pas cette classe.Au lieu cependant de la longue phrase qui directement ou indirectement

    produisent du plaisir ou empchent de la peine nous pouvons employer lesimple mot utile et tablir notre dfinition tout simplement ainsi : on appellerichesse ce qui est 1 transmissible, 2' en quantit limite, 3 utile. Nous avonsencore connatre exactement ce qu'on entend par ces trois qualits de larichesse, apprendre ce que c'est que d'tre transmissible, limit en quantit,utile.

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    6. La richesse est transmissible.

    Retour la table des matires

    Par transmissible, nous entendons une chose qui peut se passer (du latintrans travers, mitto, j'envoie) d'une personne une autre. Parfois les chosespeuvent littralement se passer de main en main, comme une montre ou unlivre ; parfois elles peuvent se transfrer par un acte crit ou par possessionlgale, comme dans le cas des terres ou des maisons.

    Les services aussi peuvent se transmettre, comme lorsqu'un domestique seloue un matre. Un musicien, un prdicateur transmettent galement leursservices quand leurs auditeurs ont le bnfice de les entendre. Mais il existebeaucoup de choses utiles qui ne peuvent se transmettre dune personne uneautre. Un homme riche peut louer un valet, mais il ne peut acheter la bonnesant de ce valet ; il peut louer les secours du meilleur mdecin, mais si sesservices ne parviennent pas lui rendre la sant, il n'y a plus d'espoir. Demme aussi, il est en ralit impossible d'acheter ou de vendre l'amour desparents, l'estime des amis, le bonheur d'une bonne conscience. La richessepeut faire bien des choses, mais elle ne peut s assurer ces biens plus prcieuxque les perles et les rubis. L'conomie politique ne prtend pas examiner

    toutes les causes du bonheur et ces richesses morales, qui ne peuvent nis'acheter ni se vendre, ne font pas partie de la richesse dans le sens que nousallons donner ce mot. Le pauvre qui possde une bonne conscience, desamis dvous, une bonne sant, peut, en ralit se trouver plus heureux que leriche priv de ces bndictions. Mais d'un autre ct, un homme n'a nul besoinde perdre la paix de la conscience et les autres sources du bonheur enacqurant la richesse et en jouissant de toutes les occupations intressantes, detous les plaisirs qu'elle peut donner. La richesse est donc loin d'tre la seulechose qui soit bonne, mais nanmoins elle est bonne, parce qu'elle nouspargne les travaux trop durs et la crainte du besoin, et qu'elle nous met mme d'acqurir les choses agrables et les services qui sont transmissibles.

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    7. La richesse est limite en quantit.

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    En second lieu, les choses ne peuvent tre appeles richesses si elles nesont limites en quantit. Si nous avons d'un objet autant que nous endsirons, nous nestimerons aucunement une nouvelle quantit de cet objet.Ainsi, l'air qui nous environne n'est pas une richesse dans les circonstancesordinaires, parce que nous n'avons qu' ouvrir la bouche pour en absorberautant que nous pouvons en user. Cet air que nous respirons en ce moment estexcessivement utile parce qu'il entretient notre vie. Mais nous ne payonsd'habitude rien pour son emploi, parce qu'il en existe assez pour tout lemonde. Dans une cloche plongeur, dans une mine profonde cependant, laquantit d'air devient limite, et cet air peut alors tre considr comme unepartie de la richesse. Le tunnel sous la Manche une fois achev, ce deviendraune grosse affaire de s'y procurer l'air ncessaire la respiration. Et mmedans le tunnel du Metropolitan Railway un peu plus d'air frais aurait unegrande valeur.

    D'un autre ct, les diamants, tout en ayant une grande valeur servent bien peu d'usages : ils font de splendides joyaux, ils coupent le verre ou

    percent les roches. Le haut prix qu'on y attache provient surtout de leur raret.Naturellement, la raret seule ne cre pas la valeur. Il existe beaucoup demtaux ou de minraux rares, dont on n'a jamais possd que quelquesfragments mais leur valeur reste faible jusqu'au jour o quelqu'usage spcialse dcouvre pour eux. L'iridium se vend trs haut prix, parce qu'il sert faireles becs des plumes d'or et quon ne peut l'obtenir qu'en petites quantits.

    8. La richesse est utile.

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    En troisime lieu, nous pouvons facilement discerner que tout ce quiforme une partie de la richesse doit tre utile, ou avoir de l'utilit, c'est--direservir quelqu'usage, tre agrable ou dsirable d'une faon ou d'une autre.Senior dit justement que les choses utiles sont celles qui, directement ouindirectement, produisent du plaisir ou empchent de la peine. Un instrument

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    de musique bien d'accord et bien jou produit du plaisir ; une dose demdicament vite de la peine celui qui en a besoin, mais il est souventimpossible de dcider si une chose nous apporte un supplment de plaisir ouune diminution de peine. Un dner nous vite la peine de la faim et nous donne

    le plaisir de manger de bonnes choses. Il y a utilit chaque fois que le plaisirest accr ou la peine diminue et, en ce qui concerne l'conomie politique, lanature du plaisir importe peu.

    Nous n'avons pas besoin de prciser si les choses produisent du plaisirdirectement, comme les habits que nous portons, ou indirectement, comme lesmachines employes fabriquer ces habits. Les objets sont indirectementutiles, quand, comme dans le cas des outils, des machines, des matirespremires, etc., ils ne servent qu fabriquer dautres objets qui seront plustard consomms et utiliss par quelques personnes. La voiture dans laquellenous jouissons d'une agrable promenade est directement utile ; la charrettedu boulanger qui nous apporte notre pain l'est indirectement. Mais parfois

    nous pouvons peine faire la distinction. Dirons nous que la nourritureintroduite dans la bouche est directement utile et que la fourchette qui l'y portel'est indirectement !

    9. Commodit.

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    Nous savons maintenant exactement ce que c'est que la richesse, mais aulieu d'employer continuellement ce mot, nous aurons souvent parler decommodits, de biens.

    Une commodit, c'est toute partie de la richesse, toute chose par cons-quent la fois utile, transmissible, limite en quantit. La laine, le coton, lefer, le th, les livres, les souliers, les pianos, etc., sont toutes commodits encertaines circonstances, mais non en toutes circonstances. La laine que porteun mouton sauvage perdu dans les montagnes n'est pas une commodit, nonplus que le fer dans une mine qu'on ne peut exploiter. Une commodit en un

    mot, est toute chose rellement utile et dsirable et telle qu'on puisse l'acheterou la vendre.

    Au lieu de ce long mot commodit , j'emploierai souvent le mot pluscourt biens et le lecteur voudra bien se rappeler que les expressions biens,commodits, parties de richesse, sont quivalentes.

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    Chapitre II

    Utilit

    10. Nos besoins sont varis.

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    Aprs un instant de rflexion, nous verrons qu'en gnral nous ne dsironsqu'une faible portion de chaque espce de commodit et que nous prfronspossder une partie d'une sorte, une partie de l'autre. Personne n'aime composer uniquement son dner de pommes de terre, de pain, ou de buf ; onprfre manger du buf, du pain, des pommes de terre et peut tre y joindreun peu de bire, du pudding, etc. De mme, un homme ne se soucierait pasd'avoir beaucoup d'habits semblables ; il peut sans doute dsirer de possderplusieurs costumes, mais les uns plus chauds, les autres plus lgers, les unspour la soire, les autres pour les voyages, et ainsi de suite.

    Une bibliothque forme de tous exemplaires du mme ouvrage seraitabsurde ; en gnral, garder deux exemplaires du mme livre est inutile. Uncollectionneur de gravures ne tient pas possder beaucoup de copies identi-ques de la mme planche. Dans tous ces cas et beaucoup d'autres, nous voyonsque les besoins de l'homme tendent la varit ; chaque besoin isol estbientt satisfait et remplac par quelquautre. Senior appelle cette loi la loi devarit ; c'est la plus importante de toute l'conomie politique.

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    Il est facile de voir ainsi, qu'il existe un ordre naturel d'importance dans lasuccession de nos besoins. La nourriture nous est ncessaire, et si nous n'entrouvons pas d'autre, nous sommes fort heureux de manger du pain ; il nousfaut alors de la viande, des lgumes, des fruits, d'autres mets dlicats. Les

    vtements en somme, ne sont pas aussi ncessaires que la nourriture, maisquand un homme a suffisamment de quoi manger, il commence songer sebien vtir. Puis vient le dsir d'une maison pour y vivre ; une simple cabinevaut mieux que rien, mais plus riche est l'homme, plus grande la demeure qu'ildsire. Quand il a une fois acquis cette maison, il veut la garnir de meubles, delivres, de tableaux, d'instruments de musique, d'objets de luxe, et ainsi desuite.

    Nous pouvons ainsi tablir, sans grande prcision il est vrai, une loi desuccession des besoin peu prs dans cet ordre : air, nourriture, vtement,logement, littrature, objets d'ornement et de plaisir.

    Il est trs important d'observer qu'il n'est ni fin ni limite aux diffrenteschoses qu'un homme peut dsirer d'acqurir. Celui qui dj possde unemaison convenable, en dsire bientt une autre : il veut avoir maison de ville,maison de campagne. Certains ducs, certaines personnes trs riches ont quatre,cinq demeures et mme plus. Nous dduisons de ces observations qu'il ne peutjamais y avoir, chez les nations civilises, assez de richesses pour que lepeuple cesse d'en dsirer davantage. Quelque nombreuses que soient les cho-ses que nous nous procurions, il en est encore beaucoup d'autres que noussouhaitons acqurir.

    Quand l'homme est bien nourri, il commence dsirer de bons vtements;quand il est bien vtu, il aspire possder des maisons confortables, des

    meubles, des objets d'art. S'il arrivait qu'un jour la richesse ft en excs, ceserait dans une seule branche, jamais dans toutes la fois. Les fermierspourraient se ruiner s'ils rcoltaient tant de grains qu'il deviendrait impossiblede les consommer ; alors au lieu de cet excs de grains, ils devraient forcer laproduction de viande et de laitage. Il n'est donc pas craindre que lesmachines ou d'autres perfectionnements accumulent jamais tant de produitsque les ouvriers se trouvent sans emploi, du moins pour longtemps. Il pourraitarriver seulement que les ouvriers, privs de besogne dans un mtier, eussent en apprendre un autre.

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    11. Quand les chosessont-elles utiles ?

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    La question principale est donc d'examiner quand les choses sont utiles etquand elles ne le sont pas. Cela dpend entirement de ce fait que nous enavons besoin ou non. La plupart des choses qui nous entourent, l'air, l'eau, lapluie, les pierres, le sol, etc., ne sont pas de la richesse parce que nous n'enmanquons pas, ou du moins qu'il nous en faut si peu que nous pouvons

    promptement obtenir ce qui nous est ncessaire. Recherchons avec soin sinous pouvons dire que l'eau est utile, ou dans quel sens nous le pouvons dire.Il arrive souvent d'entendre des gens avancer que l'eau est la substance la plusutile du monde, et il en est ainsi son lieu et en son temps. Mais si l'eau, tropabondante, envahit vos caves, elle n'est plus utile ; si elle filtre travers vosmurs et vous donne des rhumatismes, elle est nuisible et non utile. Si unhomme, ayant besoin de bonne eau pure, creuse un puits et trouve cette eau,elle est utile. Mais qu'en creusant un puits de mine, l'eau s'y prcipite etempche les mineurs d'atteindre la couche de houille, il est clair qu'alors l'eauest tout l'oppos de l'utile. Dans certaines contres, la pluie tombe fortirrgulirement, des poques fort incertaines. En Australie, les scheressesdurent une ou deux annes, parfois trois, et dans l'intrieur du continent les

    rivires sont quelquefois entirement sec. Les mares les plus infectesdeviennent alors prcieuses pour garder les troupeaux de moutons en vie.Dans la Nouvelle-Galle du Sud, l'eau s'est quelquefois vendue trois shillings leseau. Quand les scheresses prennent fin, on voit des flots subits descendre lesrivires, dtruisant les digues et les ponts, renversant les maisons, noyantsouvent les hommes et les animaux. Il est parfaitement clair que nous nepouvons pas dire que l'eau est toujours utile ; elle est souvent si nuisiblequ'elle ruine et noie les gens. Tout ce que nous pouvons rellement dire, c'estque l'eau est utile dans les endroits et au moment o nous en avons besoin, eten telle quantit que nous en avons besoin. Toute l'eau n'est pas utile, maisseulement la quantit que nous pouvons employer un moment donn.

    Il est maintenant facile de voir pourquoi les choses, pour tre une richesse,doivent tre en quantit limite ; nous n'avons jamais besoin d'aucune choseillimite. Un homme ne peut boire plus de deux ou trois quarts d'eau par jour,ni manger plus de quelques livres de nourriture Nous pouvons ainsicomprendre pourquoi, dans l'Amrique du Sud o l'on rencontre de grandstroupeaux de btail, le meilleur buf n'est pas une richesse : c'est parce qu'il yen a tant qu'il n'y a pas assez de monde pour le manger. Le buf qu'on ymange est tout aussi utile pour nourrir les gens que celui qu'on mange en

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    Angleterre, mais il n'a pas autant de valeur parce qu'il y a une grande quantitde bufs en excs, c'est--dire dont les gens n'ont pas besoin.

    12. Quel doit tre notre but ?

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    Nous pouvons maintenant voir d'une faon prcise ce que nous avons apprendre dans l'conomie politique. C'est de satisfaire nos besoins diversaussi compltement que possible. Nous devons pour cela rechercher toutd'abord quelles choses nous sont ncessaires. Il est tout fait inutile de seprocurer des choses qui, une fois en notre possession, ne serviront rien, et laquantit de ce que nous cherchons doit tre proportionne nos besoins. Lefabricant de meubles ne doit pas faire un grand nombre de tables et seulementquelques chaises, mais bien quelques tables et un plus grand nombre dechaises. De mme, chaque espce de commodit doit tre fournie quand on ena le plus besoin et aucune ne doit l'tre trop abondamment, c'est--direfabrique en si grande quantit, qu'il et mieux valu employer son travail afabriquer autre chose.

    Secondement, nous devons toujours nous efforcer de produire avec lemoins de travail possible car le travail est un exercice pnible et nous dsirons

    subir le moins de peine et de drangement que nous pouvons. L'conomiepolitique est donc, comme la fort bien tabli le professeur Hearn, del'Universit de Melbourne, la science des efforts pour satisfaire les besoins ;elle nous enseigne, trouver la voie la plus courte vers ce que nous dsirons.Le but auquel nous tendons est d'obtenir le plus de richesse possible, avec lemoins de travail possible.

    13. Quand devons-nous consommerla richesse ?

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    Consommer une commodit est dtruire son utIlit. Exemples : la houillebrle, le pain mang, une cruche brise, un piano us. Les choses perdentleur utilit de diffrentes manires. Elles peuvent se gter, comme la viande etle poisson, changer de mode, comme les toilettes des dames, ou simplementvieillir, comme un almanach, un agenda. Les maisons se dtriorent, les

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    greniers grains peuvent brler, les vaisseaux couler bas. Dans tous ces cas,l'utilit est dtruite lentement ou rapidement, et les commodits sont, commeon dit, consommes. Il est clair que nous devons nous servir des choses quandelles sont propres l'usage, si nous voulons en profiter.

    Il est vident aussi que nous devons nous efforcer de tirer le plus grandparti possible de tout ce que nous sommes assez heureux de possder. Si unobjet ne s'abme ou ne se dtruit pas par l'usage, comme un livre, un tableau,plus nous en usons, plus son utilit est grande. Ce genre de choses devientplus utile si on les passe d'une personne une autre, comme les livres dans uncabinet de lecture. Il se produit dans ce cas ce que nous pouvons appeler lamultiplication de l'utilit. Les bibliothques publiques, les muses, les galeriesde peinture et les institutions du mme genre multiplient toutes l'utilit, et lesfrais qu'elles occasionnent ne sont rien ou peu de chose en prsence de leurutilit.

    Pour les commodits une fois dtruites par l'usage, comme la nourriture, ilest vident qu'une seule personne peut se servir de chaque portion. Nousdevons alors chercher la consommer quand elle est la plus utile. Si unhomme perdu dans le dsert se trouve la tte d'une faible provision denourriture il ferait une folie de la manger en une fois, quand il est la veille desouffrir de la faim pendant plusieurs jours. Il doit mnager ses provisions defaon manger chaque morceau au moment o il soutiendra le mieux sesforces. Nous devons en agir de mme avec les profits de toute notre vie. Letravailleur ne doit pas dpenser tout son gain quand les affaires sont actives,parce qu'il en aura besoin quand elles se ralentiront et qu'il se trouvera sansemploi. De mme, ce qui est dpens dans la jeunesse en luxe et en frivolits,pourrait tre beaucoup plus utile dans la vieillesse, quand peut-tre le

    ncessaire et le simple confort s'obtiendraient difficilement. Toute richesse estproduite pour tre consomme, mais elle doit l'tre quand elle rpond le mieux son objet, c'est--dire quand elle est la plus utile.

    14. Prjugs sur la consommation.

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    Il n'est pas rare d'entendre des gens prtendre qu'ils doivent dpenser leurargent largement pour encourager le commerce. Si chacun, pensent-ils, th-saurisait au lieu de dpenser, le commerce languirait et le travail manquerait.Les commerants favorisent ces ides, car il est clair que plus une modiste ouun tailleur peut persuader ses clients de lui faire de commandes, plus serontgrands ses profits personnels. Les clients sont d'ailleurs fort inclins croirel'argument bon cause du plaisir qu'ils prouvent acheter des habits etd'autres choses agrables. L'argument en question n'en est pas moins une

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    erreur fcheuse. En fait, nul riche ne peut s'abstenir d'alimenter le travail,d'une faon ou de l'autre. S'il pargne son argent, il le place probablementdans une banque, mais il n'y reste pas inactif. Le banquier le prte aux mar-chands, aux manufacturiers, aux constructeurs qui s'en servent pour accrotre

    leurs affaires et le nombre de leurs ouvriers. Sil achte des actions dechemins de fer ou des fonds publics, ceux qui reoivent l'argent l'emploient quelqu'autre usage profitable. Si maintenant le riche entasse sa fortune sousforme d'or et d'argent, il n'en tire pas avantage, mais il augmente d'autant lademande de l'or et de l'argent. Si beaucoup de riches se mettaient cacher l'or,le rsultat en serait de rendre le travail des mines d'or plus profitable et d'yattirer d'autant plus de mineurs, enlevs au travail des chemins de fer ou auxautres mtiers.

    Nous voyons par la que chaque fois qu'un riche dtermine l'emploi de sonargent, il dcide par l mme, non pas la somme de travail qui en rsulteramais bien le genre de travail effectuer. S'il prend fantaisie de donner un

    grand bal, il y aura en fin de compte d'autant plus de modistes, de costumiers,de dentelliers, de confectionneurs, etc. Sans doute un seul bal n'aura pas grandeffet, mais si beaucoup de gens suivaient l'exemple, on verrait, bientt, plusd'ouvriers attachs ces diffrents mtiers. Si d'un autre ct, les richesplacent leur argent dans un nouveau chemin de fer, il y aura d'autant plusd'inspecteurs, d'ingnieurs, de contrematres, de terrassiers, de puddleurs, delamineurs, d'ajusteurs, de constructeurs de wagons, etc.

    La question se rduit en ralit ceci : Le peuple retire-t-il plus de bien-tre des bals que des chemins de fer ? Un bal cre du plaisir un momentdonn, mais il cote fort cher, surtout aux htes, qui achtent des costumescoteux. Une fois le bal pass, il n'en reste aucun rsultat durable et personne

    ne s'en trouve beaucoup mieux. Le chemin de fer, au contraire, n'est pas unecause immdiate de plaisir, mais il diminue le prix des marchandises, enpermettant de les transporter plus facilement ; il permet de fuir le tumulte desvilles pour vivre la campagne et procure au public des excursions agrableset salutaires. Ainsi, c'est pure folie d'approuver la consommation pour elle-mme, ou parce qu'elle fait aller le commerce. En dpensant nos richessesnous ne devrions jamais penser qu'aux avantages qu'en retire le peuple.

    15.

    Retour la table des matires

    Quelques personnes tombent dans l'erreur contraire, et regardent toutedpense comme un mal. Le meilleur usage faire de la richesse serait de lagarder et de l'augmenter par l'intrt, ou mme de ngliger l'intrt et d'accu-muler l'or pour lui-mme. C'est l le raisonnement des avares et il y a toujoursun certain nombre de gens qui se privent ainsi des plaisirs ordinaires de la vie,

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    pour la satisfaction de se sentir riches. Ils ne font d'ailleurs aucun tort positif leurs concitoyens ; au contraire, ils accroissent la richesse du pays, et tt outard quelqu'un en profitera. En outre, s'ils dposent leur argent dans lesbanques ou d'autres bons placements, ils rendent de grands services en

    augmentant le capital de la nation et en facilitant ainsi la construction demanufactures, de docks, de chemins de fer ou d'autres ouvrages importants.La plupart des gens aiment tant dpenser leur argent en plaisirs phmres,en divertissements, en bonne chre, en toilettes, qu'il est fort heureux d'envoir d'autres qui donnent leur richesse une forme plus permanente.

    Nanmoins, il n'est d'aucun usage, de s'abstenir de toute jouissance dans lebut d'entasser de l'argent. Les choses ne sont une richesse que si elles noussont utiles et agrables. Si tout le monde plaait son argent dans les cheminsde fer, nous aurions tant de chemins de fer qu'on ne pourrait plus les employertous et qu'ils deviendraient plutt un embarras qu'un bnfice. De mme, il neservirait rien de btir des docks s'il n'y avait pas de bateaux y charger, ou

    des vaisseaux s'ils n'avaient des marchandises ou des voyageurs transporter.Il serait galement absurde de construire des filatures s'il en existait djsuffisamment pour manufacturer autant d'articles de coton que le public peuten user.

    Nous arrivons ainsi cette conclusion que la richesse est faite pour l'usageet la consommation, d'une faon ou de l'autre. Nous devons avoir pour lignede conduite de dpenser nos ressources de faon en tirer la plus grandesomme de bonheur rel pour nous mmes, nos parents, nos amis et toutes lespersonnes dont nous avons nous proccuper.

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    Chapitre III

    Production de la richesse

    16. Les instruments de la production.

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    La premire chose dans l'industrie, comme nous venons de le voir est dedterminer les objets dont nous avons besoin, la seconde de se les procurer oude les faire, de les produire comme on dit, et nous devons videmment lesproduire avec le moins de travail possible. Pour savoir comment nous yprendre, nous devons rechercher ce qui est ncessaire pour la production de larichesse. Il y a comme on l'nonce, communment et correctement, troisinstruments de production. Avant de pouvoir, dans l'tat prsent de la socit

    crer de la richesse, nous devons possder les trois choses suivantes : 1 Laterre, 2 le Travail, 3, le capital.

    Dans la production, nous runissons ces trois choses ; nous appliquons letravail la terre, et nous employons le capital assister le travailleur l'aidedes outils et le nourrir tandis qu'il est luvre. Nous allons considrersuccessivement chacun de ces trois instruments.

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    17. La terre, source de matriaux.

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    Le mot de production est trs bien choisi (du latin pro, en avant, ducere,conduire) ; il exprime clairement que chaque fois que nous voulons crer de larichesse, nous devons aller quelque pice de terre, quelque lac, rivire oumer, et en tirer la substance qui doit tre convertie en richesse. Il importe peuque les matriaux viennent de la surface de la terre, des mines ou des carrirescreuses dans son sein, de la mer ou des ocans. Notre nourriture crot surtout la surface de la terre, comme le grain, les pommes de terre, le btail, legibier, etc. ; nos habits sont surtout faits de coton, de lin, de laine, de peaux,recueillis de la mme manire. Les minraux et les mtaux s'obtiennent encreusant des puits et des galeries dans la crote terrestre. Les rivires, les lacs,les mers et les ocans sont des sources importantes de richesse ; ils nousfournissent des aliments, de l'huile, des os de baleine, des peaux de phoque,etc. Nous ne pouvons manufacturer aucun produit sans avoir quelque matire mettre en uvre ; pour faire une pingle il nous faut du cuivre, du zinc, del'tain extraits des mines ; un ruban exige de la soie et des teintures. Chaquechose que nous touchons, usons, mangeons ou buvons, est faite d'une ouplusieurs substances, et notre premier soin doit toujours tre de trouver une

    provision de l'espce de matriaux ncessaire.Presque toujours aussi, nous avons besoin de quelque chose de plus que la

    matire : nous avons besoin d'une force qui nous aide transporter et mettreen oeuvre cette matire brute. Lhomme dsire naturellement s'viter la peinede fatiguer ses bras et ses jambes ; il construit donc des moulins vent pourmoudre le grain, des vaisseaux pour transporter les marchandises, desmachines vapeur pour pomper l'eau et faire toute espce de durs travaux. Laterre, ou comme nous disons, la Nature, nous procure tout la fois lesmatriaux de la richesse et la force qui nous aide transformer ces matriauxen richesse. Tout ce qui nous fournit ainsi le premier instrument de productions'appelle agent naturel, c'est--dire qui agit pour nous et nous assiste (du latin

    agens, agissant). Parmi les agents naturels, la terre est de tous le plus impor-tant, parce que, quand elle reoit en abondance la lumire du soleil etl'humidit, elle peut se cultiver et produire toute espce de rcoltes. Aussi lesconomistes parlent-ils souvent de la terre, quand leurs remarques s'applique-raient aussi bien aux rochers et aux rivires. Les trois quarts de la surface duglobe sont recouverts par les mers, mais cette vaste tendue d'eau sale nefournit que peu de richesses, part les baleines, les phoques, le varech, etquelques autres espces d'animaux et de plantes. Quand nous parlons de laterre, nous voulons donc dsigner en ralit toute source de matriaux, tout

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    agent naturel, et nous pouvons galer ces trois termes : terre, source dematriaux, agent naturel.

    18. Travail.

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    Il est vident, cependant, que les agents naturels seuls ne font pas larichesse. Un homme prirait dans le lieu le plus fertile s'il ne prenait quelquepeine pour approprier les choses qui l'entourent. Le fruit sauvage qui pend auxarbres doit tre cueilli pour devenir une richesse et le gibier sauvage doit trepris avant de pouvoir tre cuit et mang. Nous devons dpenser une sommeconsidrable de travail pour avoir des vtements confortables, des maisons,des approvisionnements rguliers de nourriture ; les matriaux convenablesdoivent tre graduellement runis, faonns et manufacturs. Ainsi, la sommede richesse que peut acqurir un peuple dpend beaucoup plus de son activitet de son habilet au travail, que de l'abondance des matriaux qui l'entourent.

    Comme nous l'avons dj remarqu, l'Amrique du Nord est une contretrs riche, possdant une terre vgtale abondante, des gisements de houille,des filons mtalliques, des rivires pleines de poissons, des forts de boisprcieux, en un mot tous les matriaux qu'on puisse dsirer. Cependant lesIndiens amricains ont vcu dans la pauvret des milliers d'annes sur cette

    terre, parce qu'ils n'avaient ni les connaissances ni la persvrance ncessairespour travailler convenablement ces agents naturels et en retirer de la richesse.Ce fait nous montre clairement que le travail habile, intelligent et rgulier estncessaire la production de la richesse.

    19. Capital.

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    Pour pouvoir produire beaucoup de richesses, il nous faut encore quelquechose de plus, le capital, qui aide les travailleurs pendant qu'ils sont luvre.L'homme doit manger une fois par jour, pour ne pas dire deux ou trois fois ;s'il n'a sous la main aucune provision de nourriture, il doit se s'efforcer del'obtenir de la meilleure faon qu'il peut, sous peine de mourir de faim. Il doitarracher des racines, ramasser des graines, ou s'emparer, s'il le peut, d'animauxsauvages. Quand il agit de la sorte, il dpense d'ordinaire une grande somme

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    de travail pour un rsultat fort minime. Les naturels australiens sont parfoisforcs d'abattre un gros arbre avec des haches de pierre, - travail des pluspnibles - pour s'emparer d'un opossum ou deux. Les hommes qui viventainsi, entre la main et la bouche pourrons-nous dire, n'ont ni le temps ni la

    force ncessaires pour se procurer la nourriture et le vtement de la manire laplus aise. Il faut beaucoup de travail pour labourer le sol, le herser, le semer,l'entourer de dfenses ; quand tout cela est fait, il faut attendre la rcolte sixmois. Sans doute, la quantit de nourriture ainsi obtenue est considrable,compare au travail dpens, mais les Indiens sauvages et les autres tribusignorantes ne peuvent attendre que le grain ait fini de pousser. Les pauvresnaturels australiens doivent ramasser des graines et prendre chaque jour desvers et des opossums.

    Une bonne maxime japonaise s'exprime ainsi : Creusez un puits avantd'avoir soif , et il est videmment souhaitable de suivre ce conseil. Mais,vous devez possder un capital pour vous aider vivre pendant que vous

    creusez votre puits. De mme, chaque fois que nous voulons obtenir de larichesse sans un travail excessif, nous devons ncessairement possder unerserve di nourriture pour nous aider subsister pendant que nous travaillonset que nous attendons : cette rserve s'appelle capital. Sans capital les genssont sans cesse accabls de difficults et en danger de mourir de faim. Dans lepremier de ses rcits sur lconomie politique, intitul La vie du dsert ,Miss Martineau a suprieurement dcrit la position des colons du cap deBonne Esprance, qu'elle suppose avoir t attaqus par les Bushmen etdpouills de leur resserve de capital.

    Elle nous montre combien il est alors difficile de se procurer aucunenourriture ou de faire aucun travail utile, parce qu'il faut auparavant

    quelqu'autre chose, - un outil, une matire quelconque, et en tout cas le tempsde le faire. Mais on n'a justement le temps de rien faire, parce que toutel'attention doit se porter se procurer un abri pour la nuit et quelque chosepour le souper.

    Quiconque dsire comprendre la ncessit du capital, et la faon dont ilnous sert, doit lire ce rcit de Miss Martineau et passer ensuite ses autresoeuvres sur lconomie politique.

    Nous pouvons difficilement dire que le capital est aussi ncessaire laproduction que la terre et le travail, pour cette raison que le captal dort avoirt le produit de la terre et du travail. On doit toujours cependant, avant deproduire davantage, avoir un petit capital en sa possession, ne serait-ce que ledernier repas ingr.

    Il est d'ailleurs inutile d'essayer de se faire une ide exacte de la faon dontle premier capital fut runi ; il faudrait pour cela remonter lenfance dumonde, alors que les hommes et les femmes vivaient plutt comme desanimaux sauvages que comme nous le faisons aujourdhui. Il est certain quenous ne pouvons arriver nous procurer du pain, des couteaux et des

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    fourchettes, nous tenir chauds dans nos vtements et nos maisons de briques,si nous navons quelque capital pour nous aider vivre en faisant toutes ceschoses. Le capital est donc absolument ncessaire, sinon pour travailler, dumoins pour travailler conomiquement et avec succs. Nous pouvons le

    regarder comme un instrument secondaire et ranger comme suit lesinstruments de production :

    Instruments ncessaires agent natureltravail

    Instrument secondaire capital

    20. Comment rendre le travailplus productif.

    Retour la table des matires

    Le principal objet doit tre de rendre le travail aussi productif quepossible, c'est--dire d'obtenir autant de richesse que nous pouvons, d'unesomme raisonnable de travail. Dans ce but, nous devons avoir soin detravailler de la faon la plus favorable, c'est--dire, comme il est facile de le

    voir,

    1 au bon moment ;2 au bon endroit ;3 de la bonne manire.

    21. Travailler au bon moment.

    Retour la table des matires

    Nous devons naturellement faire les choses quand il est le plus facile deles faire, et quand nous prvoyons pouvoir retirer le plus de produit de notretravail. Le pcheur la ligne gagne la rivire de grand matin ou le soir, quandle poisson mord ; le fermier rcolte son foin quand le soleil brille ; le meuniermoud son grain quand la brise est frache ou le ruisseau plein, le patron met la voile quand le vent et la mare sont propices. Une longue exprience a

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    appris au fermier le meilleur moment de l'anne pour taire chaque espce detravail : il sme en automne ou au printemps ; il transporte l'engrais en hiver,quand le sol est gel ; il soigne ses haies et ses fosss quand il n'a rien d'autre faire ; il rentre enfin la moisson quand elle est mre et que le temps est beau.

    Les paysans norvgiens travaillent activement, en juillet et aot, couperl'herbe et faire autant de foin que possible. Ils ne pensent jamais au bois cemoment de l'anne, parce qu'ils savent qu'ils auront assez de temps pendantleur long hiver pour en couper ; quand la neige aura rempli tous les creux de lamontagne, ils pourront facilement amener les arbres jusqu'au fleuve queviendra grossir la fonte des neiges et qui emportera les troncs, sans travailnouveau, jusqu'aux villes et aux ports. C'est une bonne rgle de ne pas faireaujourd'hui ce que nous pourrons probablement faire demain plus facilement,mais c'est une rgle meilleure encore de ne pas remettre au lendemain ce quenous pouvons faire plus facilement aujourd'hui. Afin cependant de pouvoirattendre et faire chaque espce de travail au meilleur moment, nous devons

    possder assez de capital pour vivre dans l'intervalle.

    22. Travailler au bon endroit.

    Retour la table des matires

    Nous devons en outre accomplir chaque espce de travail la place qui luiconvient le mieux parmi celles dont nous pouvons disposer. Dans beaucoup de

    cas la chose est si vidente que la remarque peut paratre absurde. Personnes'avisera-t-il jamais de planter des arbres fruitiers dans le sable des plages, oude semer du grain sur les rochers ! Non sans doute, parce que ce serait en pureperte. Personne ne serait assez fou pour dpenser son travail dans un endroito il serait entirement perdu.

    Dans d'autres cas, c'est une question de degr : il ne peut y avoir quelqueproduit ici, mais il peut y en avoir davantage ailleurs. Dans le sud del'Angleterre, la vigne peut se cultiver en plein air; on fit jadis du vin avec lesraisins anglais. Seulement, la vigne crot beaucoup mieux sur les collinesensoleilles de la France, de l'Espagne et de lAllemagne et le vin qu'on yrcolte, avec le mme travail, est bien plus abondant et d'une qualit immen-

    sment suprieure. Ceux donc qui veulent faire du vin, feront mieux degagner le continent, ou mieux encore de laisser les Franais, les Espagnols etles Allemands produire du vin pour nous. Nous possdons en Angleterre unsol fertile, un climat humide, favorable aux herbages et le mieux que puissentfaire nos fermiers est d'lever du btail et de produire du lait, du beurre et dufromage.

    Pour que le monde devienne aussi riche que possible, chaque contre doits'attacher aux choses qu'elle peut produire le plus facilement dans les

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    circonstances o elle se trouve, et se procurer le reste par l'change avec lecommerce tranger. Les tats-Unis peuvent fournir en quantits illimites lecoton, les crales, le lard, la viande, les fruits, le ptrole, sans compter l'or,l'argent, le cuivre, etc. L'Australie, la Nouvelle-Zlande et l'Afrique du Sud

    produisent la laine, les peaux, le sucre, les conserves alimentaires et de plus,l'or, le cuivre et les diamants. L'Afrique tropicale a l'huile de palme, l'ivoire, lebois de teck, la gomme, etc. L'Amrique du Sud abonde en bestiaux, dontnous tirons du suif, des peaux, des os, des cornes, de l'extrait de viande, etc.La Chine nous envoie de vastes quantits de th ; elle y joint la soie, legingembre et mille autres commodits. L'Inde nous cde son coton, sonindigo, son jute, son riz, ses semences, son sucre, ses pices et toute espced'autres produits. Chaque partie, du monde possde quelques commoditsqu'elle produit plus aisment que d'autres contres, et si la sagesse dirigeait leshommes et les gouvernements, ils laisseraient au commerce toute la libertpossible afin que chaque chose soit produite dans le lieu o sa productiondemande le moins de travail.

    23. Travailler de la bonne manire.

    Retour la table des matires

    Quel que soit le genre d'industrie exerc en un lieu, nous devons faire ensorte que chaque ouvrier travaille de la meilleure faon, c'est--dire ne perde

    pas son travail et ne fasse pas de mprises. Il y a beaucoup de maniresdiffrentes d'accomplir le mme travail et pour choisir la meilleure, l'ouvrierdoit tre intelligent et habile, ou du moins dirig par quelque personnepossdant des connaissances et de l'habilet. Il doit y avoir, en outre, commenous le verrons plus loin, une grande division du travail, de faon que chaquehomme fasse l'ouvrage qu'il excute le mieux.

    Nous avons donc besoin : 1 de la science; 2 de la division du travail.

    24. La science.

    Retour la table des matires

    Pour tirer de son travail tous l'avantage possible, il faut non seulement quele travailleur soit habile, cest--dire adroit, rompu .au mtier, mais aussi qu'ilsoit guid par une connaissance scientifique des choses quil excute.

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    La connaissance de la nature consiste, en grande partie, comprendre lacause des choses, c'est--dire connatre quelles choses doivent tre runiespour produire certaines autres choses. Ainsi, la machine vapeur est due

    cette dcouverte que si l'on applique de la chaleur l'eau, il en rsulte uneforte expansion de vapeur ; le foyer, la houille, la chaudire, l'eau sont doncdous des causes de force. Chaque fois que nous avons un travail excuter,nous devons commencer par apprendre, si possible, quelles sont les causes quil'effectueront le plus facilement et le plus abondamment. La connaissancenous vite bien du travail inutile

    Comme l'explique sir John Herschel, la science nous montre quelquefoisque les choses que nous voulons faire sont rellement impossibles, comme parexemple, d'inventer le mouvement perptuel, c'est--dire une machine semouvant par elle-mme. D'autres fois, la science nous apprend que la faondont nous essayons de faire quelque chose est entirement fausse. Ainsi, on a

    longtemps cru que la meilleure manire de fondre le fer tait d'insuffler de l'airfroid dans le fourneau; la science a montr cependant, qu'au lieu d'tre froid,l'air insuffl doit tre aussi chaud que possible. Souvent aussi, la science nouspermet d'accomplir notre oeuvre en nous vitant beaucoup de travail. Lebatelier, le marin ont soin de consulter la mare, afin de l'avoir en leur faveurpendant le voyage. Les mtorologistes ont prpar des cartes marines quimontrent au capitaine o il trouvera les vents et I les courants les plusfavorables un voyage rapide. Enfin la science nous fait quelquefoisdcouvrir des choses merveilleuses que nous n'aurions, sans elle, jamais cruespossibles. Il suffit de mentionner la dcouverte de la photographie, l'inventiondu tlgraphe et du tlphone. On peul dire en toute vrit que tous les grandsperfectionnements industriels - dont la plupart tendent lever l'homme au-

    dessus de la condition de la brute - proviennent de la science.

    Le pote Virgile avait raison de s'crier: Heureux qui connat la raisondes choses !

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    Chapitre IV

    Division du travail.

    25. D'o provient la division du travail.

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    Quand un certain nombre d'ouvriers est occup quelque travail, nousvoyons que chacun d'eux prend d'ordinaire une part de ce travail et laisse lesautres parts ses compagnons. Le partage s'effectue par degrs, de sorte quetout l'ouvrage excut en un endroit se divise en beaucoup de branches demtiers. Cette division se rencontre chez toutes les nations civilises, et plusou moins, dans toutes les classes de la socit qui ne sont pas tout faitbarbares. Il y a dans chaque village le boucher et le boulanger, le forgeron etle charpentier. La division du travail existe jusque dans une mme famille : lemari laboure ou coupe du bois; la femme fait la cuisine, soigne la maison, fileou tisse ; les fils chassent ou gardent les moutons ; les filles servent commelitires. Une chanson populaire demande :

    Quand Adam bchait et qu've filait,qui faisait le gentleman ?

    Elle semble exprimer le fait que la division du travail remonte trs haut,jusqu'au temps o il n'y avait pas de gentlemen.

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    Dans les temps modernes, la division s'tend l'infini ; non seulementchaque ville, chaque village a ses diffrents mtiers, ses artisans spciaux, sesdiffrents postes et emplois mais chaque district a ses manufactures particu-

    lires. Ici on tisse le coton, ailleurs la laine, plus loin le lin, le jute, la soie. Onfait du fer dans le Staffordshire, le Cleveland, les Galles du Sud et l'cosse ;on fond le cuivre dans les Galles du Sud ; la faence, la bonneterie viennent deNottingham et de Leicester, les toiles cousues du Nord de l'Irlande, et ainsi desuite. En outre, la division du travail existe dans chaque manufacture : il y a ledirecteur, le comptable, les aides-comptables, les contrematres des diffrentessections, le marqueur, le machiniste, les chauffeurs, les manuvres, les char-retiers, les commissionnaires, les portefaix, etc., sans compter les mcaniciensproprement dits, de spcialits et de rangs divers, qui font l'ouvrage principal.

    Ainsi, la division s'tend sur toute la socit, depuis la Reine et sesministres jusqu'au commissionnaire et au balayeur des rues.

    26. Adam Smithet la division du travail.

    Retour la table des matires

    Nous profitons en beaucoup de faons de la division du travail, maisAdam Smith a si excellemment trait ce sujet quil vaut mieux tout d'abordexposer ses vues sur la matire.

    Il y a d'aprs lui, trois avantages principaux la division du travail :

    1 Elle augmente l'habilet de chaque ouvrier en particulier ;2 Elle vite le temps perdu d'ordinaire passer d'un travail un autre ;3 Elle favorise l'invention d'un grand nombre de machines qui facilitent

    et abrgent le travail, et permettent un homme de faire la besogne deplusieurs.

    On ne peut douter que la pratique n'augmente l'habilet. Quiconque aessay d'imiter un jongleur ou de jouer du piano sans l'avoir appris, sait quelrsultat il obtient. Personne ne pourrait, sans une longue pratique, faire labesogne d'un souffleur de verre. Si mme un homme peut fairequelqu'ouvrage, il le fera bien plus vite s'il le rpte souvent. Adam

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    Smith avance que si un forgeron devait faire des clous sans y tre habitu,il ne ferait pas au del de 200 ou 500 mauvais clous par jour. Avec de lapratique il pourrait arriver faire 800 ou 1 000 clous, tandis que des enfantslevs dans le mtier de cloutier peuvent en faonner 2500 de la mme espce,

    pendant le mme temps. Il est inutile de citer beaucoup d'exemples ; chaquechose que nous voyons faire, bien et vite, l'est par des hommes qui n'ontpargn ni leur temps ni leur peine pour apprendre et pratiquer leur mtier.

    En second lieu, il y a toujours beaucoup de temps perdu chaque fois qu'unhomme passe d'une espce de travail une autre, plusieurs fois par jour.Avant de pouvoir faire une chose, vous devez rassembler tous les outils et tousles matriaux qu'il vous faut. Quand vous avez, par exemple, termin unebote, vous tes tout prt en faire une autre avec moins d'embarras que lapremire, mais si vous devez faire, au lieu de cela quelque chose de tout faitdiffrent, comme raccommoder une paire de souliers ou crire une lettre, ilvous faut prparer toute une nouvelle srie d'objets. L'homme, d'aprs Adam

    Smith, flne toujours un peu en passant d'un travail un autre, et si le fait serenouvelle souvent, il risque fort de devenir paresseux.

    Enfin Smith affirmait que la division du travail conduit l'invention demachines qui abrgent le travail; parce que, pensait-il, les hommes dcouvrentplus facilement la voie la plus facile pour arriver un but, quand toute leurattention est dirige sur ce but.

    L'exactitude de cette assertion semble douteuse. Les ouvriers il est vrai,dcouvrent parfois quelque mthode pour diminuer leur travail, et quelquesinventions importantes ont t faites de cette faon. Mais, en gnral, ladivision du travail favorise l'invention, parce qu'elle permet aux hommes

    ingnieux de faire de l'invention leur profession. Les plus grands inventeurs,comme James Watt, Bramah, Fulton, Roberts, Nasmyth, Howe, Fairbairn,Whitworth, les Stephenson, Wheatstone, Bessemer, Siemens, nont pas tamens l'invention par la voie indique par Adam Smith ; ils ont cultiv leurgnie originel par ltude attentive et une longue pratique de la constructionmcanique. Ce qui est vrai, c'est que la division du travail aide grandementl'invention en permettant chaque fabrique d'adopter une espce particulirede machines. En Angleterre, la division s'accentue de plus en plus, et il n'estpas rare de voir tout l'approvisionnement d'une commodit sortir d'unemanufacture unique, qui peut alors possder une srie de machines inventespour produire cette seule commodit. Le cas se prsente plus souvent encoredans les grandes manufactures des tats-Unis.

    La division du travail nous est encore avantageuse de plusieurs autresmanires, que je vais maintenant exposer.

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    27. La multiplication des services.

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    On pargne souvent beaucoup de travail en s'arrangeant de faon cequ'un ouvrier puisse servir plusieurs personnes aussi facilement qu'une seule.Si un messager va porter une lettre au bureau de poste, il en portera tout aussivite une vingtaine. Au lieu de vingt personnes portant .leurs propres lettres, unseul messager peut taire toute la besogne sans plus d'embarras. Ce faitexplique pourquoi la poste peut envoyer une lettre d'un bout du royaume l'autre pour un penny et:mme un demi penny. Il y a tant de personnes quicrivent ou reoivent des lettres, q'un facteur en porte d'ordinaire une grandequantit, et souvent en dlivre une demi-douzaine la fois. Il serait tout faitimpossible d'envoyer des tlgrammes prix aussi rduit, parce que chaquemessage doit tre tlgraphi sparment le long des fils, et distribu aussittpar un envoy spcial qui peut rarement en porter plus d'un la fois.L'archevque Whately a fait remarquer que quand une troupe de voyageurs,explorant une contre nouvelle, va camper pour la nuit, ils se divisentnaturellement la besogne ; l'un soigne les chevaux, un autre dballe lesprovisions, un troisime fait du feu et cuit le souper, un quatrime va chercherl'eau, ainsi de suite. Il serait tout fait absurde qu'une douzaine de voyageurs

    de la mme troupe allumassent douze feux spars et cuisissent douze repas.Le travail d'allumer le feu et de faire la cuisine pour douze personnes n'est pasbeaucoup plus grand que pour une ou deux.

    Il y a beaucoup de choses qui, une fois faites, serviront des milliers et des millions de personnes. Que quelqu'un reoive une information importante,par exemple qu'une tempte traverse l'Atlantique, il peut avertir toute unenation au moyen des journaux. C'est un grand bienfait de possder Londresun bureau mtorologique, o deux ou trois hommes travaillent tudier l'tatde l'atmosphre dans tous les pays, et nous mettent ainsi mme, autant que lachose est possible, de prvoir le temps prochain. C'est l une bonne applica-tion de la multiplication des services.

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    28. La multiplication des copies

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    28. La multiplication des copies est aussi un moyen d'accrotre immens-ment le produit du travail. Quand les outils et les modles qui servent faireune chose sont une fois en notre possession, il est souvent possible demultiplier les copies sans nouvel embarras. Tailler un coin pour frapper unemonnaie ou une mdaille est un travail trs long et trs coteux, mais quandune fois on possde de bons coins, il est facile de s'en servir pour un grandnombre de pices, et le cot du frappage est trs minime.

    La presse imprimer cependant est le meilleur exemple de ce genre demultiplication. Faire copier les oeuvres de Shakespeare par un crivain jur,coterait plus de deux cent livres, et chaque nouvel exemplaire coteraitautant que le premier. Avant l'invention de l'imprimerie, on copiait les livresde cette faon, et les manuscrits cotaient par consquent trs cher, sanscompter qu'ils taient remplis de fautes.

    On peut aujourd'hui acheter les oeuvres compltes de Shakespeare pour unshilling et chacun des romans de Walter Scott pour six pence.

    Il peut coter plusieurs centaines de livres pour composer et strotyper unouvrage important, mais cette opration une fois faite, on peut tirer descentaines de mille exemplaires, dont le prix est peine suprieur celui dupapier et du brochage. Presque tous les objets usuels dont nous nous servonsaujourd'hui, tels que les chaises et les tables communes, les tasses, lessucriers, les thires, les cuillers et les fourchettes, etc., sont faits la machineet ne sont que les copies d'un patron original. On peut acheter une bonnechaise pour cinq shillings et mme moins, mais si vous voulez avoir unechaise d:un modle nouveau, elle vous cotera peut-tre cinq ou dix foisautant.

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    29. Adaptation personnelle.

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    Un autre avantage de la division du travail est que la diversit des mtierspermet chaque personne de choisir celui pour lequel elle est le mieux faite :l'homme fort et bien portant se fait forgeron ; l'homme plus faible fait marcherun mtier ou fabrique des souliers ; l'habile apprend l'tat d'horloger ; l'igno-rant et l'inhabile peuvent s'employer a casser les pierres ou tailler les haies.Chaque homme travaillera gnralement au mtier dans lequel il peut obtenirle meilleur salaire : ce serait videmment de l'habilit perdue si .l'artisancassait des pierres ou balayait les rues.

    Plus s'tend la division du travail, plus se dveloppent les fabriques, etplus aussi il y a de chances pour chacun de trouver un emploi adapt sesfacults. Les hommes adroits font l'ouvrage que personne autre ne peut faire;ils ont des manuvres pour les aider dans les choses qui n'exigent pasd'habilet; les contrematres tracent la besogne et la distribuent aux artisans ;les commis habitus compter, tiennent les livres, font les payements etreoivent l'argent ; le directeur de la fabrique, homme ingnieux et expri-ment, peut dvouer toute son attention diriger luvre, faire des marchsavantageux ou inventer des perfectionnements.

    Chacun est ainsi occup de manire ce que son travail soit le plus pro-ductif, le plus utile aux autres, et en mme temps le plus profitable pour lui-mme.

    30. Adaptation locale.

    Retour la table des matires

    En dernier lieu, la division du travail amne l'adaptation locale, c'est--direquelle permet d'excuter chaque espce d'ouvrage a l'endroit qui lui convientle mieux. Nous savons dj (paragr. 22) que chaque espce de travail doit sefaire l o il est le plus productif, mais cela ne peut avoir lieu sans la divisiondu, travail. C'est grce elle que les Franais font du vin, des toffes, de soie,ou des articles de Paris, tandis qu'ils achtent le coton de Manchester, la birede Burton-on-Trent et la houille de Newcastle. Quand le commerce est libre etla division du travail bien tablie, chaque ville, chaque district apprend faire

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    quelque commodit mieux que les autres provinces ; les montres se font Clerkenwell, les plumes d'acier Birmingham, les aiguilles Redditch, lacoutellerie Sheffield, les faences Stoke, les rubans Coventry, les glaces Saint-Helen's, les chapeaux de paille Luton, et ainsi de suite.

    Il nest pas toujours possible de dire exactement pourquoi certains articlesse font mieux une place qu' l'autre, par exemple la soie Lyon, mais il enest souvent ainsi et le peuple doit tre laiss aussi libre que possible d acheterles marchandises quil aime le mieux. Les commodits sont fabriques pourprocurer du plaisir et de l'utilit, et non pas, comme nous le verrons, pourdonner du travail aux ouvriers.

    Le commerce, ds qu'on le laisse libre, donne naissance la division dutravail non seulement entre ville et ville, comt et comt, mais aussi entre lesnations les plus loignes entre elles. Ainsi se cre ce qu'on peut appeler ladivision territoriale du travail. Le commerce de peuple peuple n'est pas

    seulement l'un des meilleurs moyens d'augmenter la richesse et d'pargner letravail, il nous rapproche aussi du moment o toutes les nations vivront dansl'harmonie, comme si, elles n'taient plus qu'une nation.

    31. La combinaison du travail.

    Retour la table des matires

    Nous voyons maintenant tous les avantages quil y a ce que chaquehomme apprenne fond un mtier unique. Cela s'appelle la division dutravail, parce que l'ouvrage se divise en un grand nombre d'oprationsdiffrentes ; nanmoins, elle amne les hommes s'assister les uns les autreset fabriquer de compagnie les mmes marchandises. Ainsi, pour produire unlivre, un grand nombre de mtiers doivent s'entraider : les fondeurs moulentles caractres, les mcaniciens construisent la presse imprimer ; le papier sefabrique d'un ct, l'encre d'un autre ; les diteurs dirigent l'affaire, lauteurfournit sa copie ; .les compositeurs rangent les caractres, le prote corrige lespreuves, les pressiers enlvent les feuilles imprimes. Viennent ensuite lesrelieurs, les libraires, sans compter un grand nombre de petits mtiers quifournissent les outils aux mtiers principaux. La Socit ressemble ainsi une

    machine trs complique, forme de rouages nombreux dont chacun se meutet rpte sans cesse la mme besogne.

    Cest l ce que nous pourrions appeler organisation complexe (du grec, instrument) : diffrentes personnes, diffrents mtiers solidaires lesuns des autres et contribuant tous au rsultat final.

    On doit observer que personne ne trace ces divisions; bien plus, peu degens savent combien il y a de mtiers et comment ils se relient les uns aux

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    autres. Il faut au moins trente-six catgories d'ouvriers pour fabriquer etassembler les parties d'un piano ; quarante mtiers concourent la fabricationd'une montre ; dans le travail du coton, il y a plus de cent occupationsdiffrentes.

    Il se cre frquemment de nouveaux mtiers, surtout aprs une dcouvertenouvelle. Ainsi, seize au moins sont occups dans la photographie, ou faireles choses ncessaires aux photographes. Les chemins de fer ont donn nais-sance des sries d'emplois qui n'existaient pas il y a cinquante ans. Il ne fautpour les crer ou les autoriser, aucun acte du parlement ; la loi est impuissante dterminer le nombre des mtiers et de ceux qui entreront dans chacund'eux, parce que personne ne peut connatre les besoins de l'avenir. Ces chosessarrangent par une. sorte d'instinct social. Chacun s'empare du genre detravail qui semble lui convenir et devoir mieux lui payer son temps.

    Une autre espce de combinaison du travail, tout fait diffrente, s'tablit,

    quand des hommes s'assistent mutuellement faire !a mme besogne. Ainsi,des marins, tirant un mme cble, combinent leur travail ; il en est de mmequand on porte la mme chelle, qu'on rame la mme barque et ainsi desuite. On dit dans ce cas qu'il y a combinaison simple parce que les hommesfont la mme espce de travail. Quand, au contraire, ils ont accomplir desoprations diffrentes, on dit qu'il y a combinaison complexe, comme quandun homme fait la pointe d'une pingle et un autre la tte. A bord d'un vaisseau,il y a tout la fois combinaison simple et complexe.

    Quand plusieurs matelots travaillent au mme cabestan, la combinaison estsimple, parce que chacun fait exactement la mme chose que les autres. Maisle capitaine, le second, le timonier, le charpentier, le matre d'quipage, le

    cuisinier, travaillent en combinaison complexe, puisque chacun vaque sespropres occupations. De mme, dans une compagnie, les simples soldatsagissent en combinaison simple, mais les officiers de diffrents grades ayantdes devoirs distincts remplir, la combinaison devient complexe. Les hommesqui s'assistent ainsi les uns les autres sont d'ordinaire capables d'accomplirbeaucoup plus de travail que s'ils agissaient sparment.

    32. Inconvnients de la division du travail.

    Retour la table des matires

    Il y a certainement quelques inconvnients rsultant de la grande divisiondu travail qui existe aujourd'hui dans les pays civiliss, mais ils ne sont pas comparer aux immenses bnfices que nous en retirons. Nous allons pourtantles indiquer.

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    En premier lieu, la division du travail tend limiter restreindre lapuissance de l'individu. Il fait un genre d'ouvrage si constamment, qu'il n'a pasle temps d'apprendre ni de pratiquer les autres. Un homme ne vaut plus,comme on l'a dit, que la dixime partie d'une pingle, c'est--dire qu'il y a des

    hommes qui ne savent faire, par exemple, que des ttes d'pingles. LesRomains disaient : ne sutor ultra crepidam, que le cordonnier s'en tienne saforme. Qu'un homme accoutum ne faire que des pingles ou des soulierssoit transport dans les tats du Far West amricain, il se trouvera impropre faire tous les durs travaux exigs du colon. Le pauvre paysan norvgien ousudois, qui semble premire vue moins intelligent, peut btir sa maison,cultiver sa terre, soigner son cheval et fabriquer plus ou moins bien seschariots, ses ustensiles, son mobilier. Le Peau-Rouge lui-mme est beaucoupplus capable de se suffire dans une contre dserte que le mcanicien instruit.

    La seule chose qu'on puisse dire, est que le cordonnier habile, l'artisanquel qu'il soit, doit s'efforcer de s'en tenir au mtier qu'il a si bien appris. C'est

    un malheur pour lui et pour les autres quand il est oblig dentreprendre untravail qu'il ne peut faire aussi bien.

    Un second inconvnient de la division du travail, est de compliquer lecommerce l'excs ; le moindre drangement amne la ruine de certains.Chaque personne apprend fabriquer une marchandise unique, et si un chan-gement de mode ou quelqu'autre cause amne une diminution dans lademande de cette marchandise, le producteur reste dans la pauvret jusqu' cequ'il ait appris un autre mtier. Autrefois, la fabrication des crinolines tait uncommerce important et lucratif ; aujourd'hui il a presque entirement disparuet ceux qui en vivaient ont d chercher d'autres emplois. D'autre part, chaquemtier est gnralement bien pourvu de bras, parfaitement exercs la

    besogne, et il est trs difficile des ouvriers nouveaux, surtout quand ils sontgs, d'apprendre ce nouveau travail et de lutter avec ceux qui le pratiquentdepuis longtemps.

    Dans quelques cas, la chose a pourtant t faite avec succs. Ainsi, quandles mines de Cornouailles cessrent d'tre exploitables, les mineurs serendirent aux houillres o il manquait beaucoup d'ouvriers la veine. Maisen gnral, il est trs difficile de trouver un nouvel emploi en Angleterre, etc'est ce qui devrait fortement engager les trades-unions ne pas s'opposer l'entre de nouveaux ouvriers dans un mtier pour lequel ils n'ont pas tlevs.

    Les houilleurs essayrent d'interdire l'accs des puits aux mineurs deCornouailles. Pour maintenir leurs salaires aussi hauts que possible, ilsauraient laiss leurs semblables mourir de faim. Cette faon d'agir est profon-dment goste et pernicieuse. Si chaque corps de mtier s'efforait ainsid'loigner tous les autres ouvriers, comme si le mtier qu'il exerce tait saproprit, on verrait une foule d'infortuns entrer au workhouse sans qu'il y aitde leur faute. Il est trs important d'affirmer le droit de tout homme faire touttravail qu'il peut obtenir. C'est un des premiers droits de l'ouvrier, et l'un ds

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    plus importants, de travailler toute luvre honnte quil trouve profitablepour lui. Le travail doit tre libre.

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    Chapitre V

    Capital

    33. Qu'est-ce que le capital ?

    Retour la table des matires

    Nous allons maintenant essayer de comprendre la nature du troisimeinstrument de la production, appel capital, et qui consiste en richesseemploye nous aider produire une richesse nouvelle. Tout capital est uneric