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2012 SavaShiiiier

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SavaShiiiier

2012 • Chaton Griffu • Don Diego • Elektra • Empr(u)einte • Le patient 13

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JE NE L’AI PAS VU VENIR

EMPR(U)EINTE

Je ne l’ai pas vu venir, ... et pourtant nombreux étaient les signes qui m’ont fait sombré ce matin là. Les cauchemards avaient pris le dessus sur la journée. Il n’y avait pas eu de rupture entre la nuit et le jour. J’étais envahie d’angoisses qui m’étranglaient et me tétanisais devant le miroir. Que m’arrivait-il ? J’étais incapable de réagir, j’étais désemparée. J’avais les idées moroses, la gorge serrée, le regard livide et le teint blafard. Quelle horreur! Je ne me reconnaissais plus !

Mon coeur battait la chamade, je ne parvenais pas à calmer mes palpitations. J’étais blottie dans un étau, impossible de bouger ; l’angoisse avait pris le dessus. Ils avaient gagnés ; ...voilà ce qui m’était venu à l’esprit. Moi qui avait tout tenté. Je m’étais mise en veille pour ne plus ressentir la douleur de tout ce qu’ils pouvaient me dire ; pour que ça fasse ricochet afin de ne plus m’atteindre. Mais mon mutisme pour me protéger de ces démons me replie encore plus sur moi-même. Mais ils ont été plus forts que moi, et plus nombreux aussi. J’avais pourtant bien résisté jusque là, mais leurs mots sont du poison ; pénétrant jusqu’au fond de mes veines. Plus

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moyen de m’en débarrasser ; j’en suis imprégnée ! A l’aide, je n’en peux plus, je me sens seule. Tout mon corps hurle, c’est insupportable ! J’ai mal comme jamais ; une sensation d’être abandonnée. J’essaye de refouler mes larmes, pour garder encore un peu de dignité. Mais j’ai la gorge toute irritée de colère, une douleur omniprésente mélangée de tristesse et de chagrin. J’ai le ventre noué, j’ai des nausées ; j’ai envie de vomir... Je me sens en danger, mais il est trop tard!. Le mal est fait. Je suis terrée dans mon canapé ; seul endroit où je me sens à l’abri, comme dans un terrier. Voilà mon reflexe de survie face à cette détresse traumatisante.

J’ai beau penser, retourner la situation dans tous les sens, mes émotions sont en conflit, la peur, les mensonges m’ont émotionnellement cassée. Je suis devenue introvertie au stade de saturation. J’essaye de m’apaiser, mais rien n’y fait ... la douleur est trop grande. Je me réveille ; c’est le NEANT !

Arc-en-ciel.

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OH TOI TOUT PUISSANT ELEKTRA

Oh toi tout puissant, Me liras-tu un jour ? Toi qui t'es bien joué de moi. "Joué" sous entend s'amuser, se faire plaisir, est-ce cela que tu ressentais pendant tous ces épisodes de harcèlement moral au travail ? Je ne suis pas ta première victime et peut-être pas la dernière. En tout cas, j'ai tout essayé, j'ai épuisé toutes mes ressources. Rien à faire : « j'étais dans ta ligne de mire ». Ma "dégringolade" avait l'air de te rendre plus fort, comme un vampire qui se nourrit de ses victimes. Le jour où j'ai décidé de ne plus revenir, de fuir, de me protéger - enfin appelons ça le jour J. - c'est suite à un arrêt de travail de quelques jours pour maladie. J'ai appris que tu avais "pété les plombs". Je ne trouve pas d'autres mots, car cela te correspond bien. Pour toi, je

n'avais pas le droit de m'absenter et je n'étais pas malade. Alors, Oh toi tout puissant, tu t'es mis à hurler comme un dingue devant témoins: "j e vais lui rendre la v ie encore plus di f f i c i l e". J'ai rapidement été prévenue par l'un des témoins. La guerre était bien déclarée, mais moi, je n'avais plus de force pour me battre … Alors j'ai craqué ! Trop c'est trop. Tu m'as assassinée, tu m'as pris mon travail, ma joie de vivre et ma reconnaissance sociale. J'espère un jour oublier toute cette violence et surtout ta tête de

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Tu sais, il y a ici une équipe dynamique qui met tout en œuvre pour m'aider et je compte bien m'en sortir. Alors ADIEU

ELEKTRA

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ASSIS ! DON DIEGO  

 Voilà que je reviens m’asseoir à mon bureau dans cet immense office-space et que mon manager, ce jeune arriviste, ce petit soldat, me tombe dessus, soudainement, pour me dire, d’un air aigri : “Tu n’étais de nouveau pas à ton poste !”. Je ravale ma colère car sa remarque me laisse sans voix et lui répond de manière laconique : “Toutes mes excuses”. En fait, là, j’étais juste parti donner un coup de fil à un ami et, comme c’était privé, j'étais parti m’isoler un instant. Quelle coïncidence, je venais justement de parler à cet ami de mes déboires au travail. J’avais pris l’habitude de le faire quand cela n’allait pas bien, quand je n’avais pas

trop le moral. Dans cet office-space, nous sommes plusieurs à répondre au téléphone. Faisant partie d'une société de télécommunications, notre service technique s’occupe, notamment, de la prise en charge d’appels clients. Comme dans tous les call-centers, lorsqu’on quitte son poste, il faut changer le statut sur son téléphone. Pour mieux le dire, c’est le désactiver afin que si un appel client arrive, on ne le rate pas et qu’il soit ‘routé’ vers un autre agent disponible resté en statut actif. Ce système informatisé permet une surveillance accrue des employés. Notamment les responsables peuvent mesurer nos performances, le temps passé en break, en pause déjeuner ...

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et surtout à travailler en prenant des appels en occupant son poste de travail au maximum. Je me souviens, qu’il a ajouté “...et tu as laissé ton statut activé pendant que tu n’étais pas à ton poste !” Ce qui signifiait que j’aurais pu perdre un appel client et diminuer la qualité du service. Je me suis interrogé si c’est lui ou quelqu’un qui lui avait fait remarquer ma brève absence. Quand il quitta le bureau, en passant près de moi, il m'a dit “au revoir” comme si de rien n’était. Quant à moi, il me restait encore une heure à travailler pour terminer ma journée. Les autres collègues de mon équipe avaient également quitté le bureau. Je me retrouvais donc seul devant mon ordinateur mais, au moins, à mon aise. Je poursuivais mes tâches. De temps à autre, je regardais

une page internet pour égayer la fin de ma journée. C’était devenu une habitude depuis qu’ils m’avaient imposé cet horaire (plus tardif). Un autre jour, j’étais sorti de mes gonds. Parti deux minutes pour chercher une boisson, j'avais bien veillé à désactiver correctement le statut de mon téléphone. En revenant, je fus surpris de retrouver mon téléphone activé. Mon regard se tourna, immédiatement, vers lui et je lui ai demandé : “Est-ce toi qui a changé mon statut du téléphone ?”. Aussitôt, il a répliqué laconiquement: “Non !” Je savais très bien qu’il pouvait le changer à distance par le système informatique. Ce n’était pas la première fois que j’avais remarqué ce manège. Cela dura un an. Lors de mon évaluation

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(bilan annuel), ils m’annoncèrent que mes statistiques étaient mauvaises, que j’étais le membre de l’équipe qui avait perdu le plus d’appels clients parce que je n'activais - ou désactivais - pas correctement mon téléphone. C’était bien un piège, une manœuvre préméditée depuis longtemps pour démontrer que j’étais laxiste, négligent, que je quittais trop souvent mon poste de travail, que je profitais pour pas travailler. Ils ont ajouté que je n'étais pas un exemple pour l'équipe. Cette manœuvre les rend-elle exemplaires ? Ceci ne fut pas le premier incident. Précédemment, je m’étais déjà retrouvé face à eux, en huis clos, pour être réprimandé car j’avais répondu, de manière outrancière selon eux, à l’un de leurs petits soldats. Lui, une fois nommé à sa

nouvelle fonction, adopta, immédiatement, un ton vertical avec l'équipe alors que ce n’était pas dans ses attributions. Je fus parmi ceux qui ne se laissèrent pas faire. Quand j’ai commencé dans cette boîte, nous étions dirigés par d’autres managers à l’époque. Eux, les nouveaux managers, n’étaient même pas encore là. On ne sait comment, petit à petit, ils se sont hissés aux postes clé, par arrivisme, grâce au relationnel. Bien sûr, avec les anciens managers tout n’était pas parfait mais avec ceux-ci, ces jeunes loups, immatures, sûrs d'eux-mêmes et méprisants, ce fut le déclin et cela s’est ressenti au niveau de l'ambiance du travail. Ces gens ont la responsabilité d'évaluer notre travail. Mais sont-ils réellement compétents, eux ? Et pas nous ?

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Beaucoup les trouvaient antipathiques. Petit à petit, à l’usure, la plupart des gens furent dégoûtés, mais se taisaient ou finissaient par changer de travail. Moi j’ai continué mais révolté et rebelle. Sont-ils des vrais responsables ? Ils en ont le titre et l'équipe en fait les frais. Ils nous rappellent à l'ordre, nous réprimandent sous prétexte qu'on est nonchalants. Dire que parmi eux, certains surfaient aussi sur internet, dormaient parfois pendant leurs heures de travail et, aujourd’hui, ils nous tapent sur les doigts. J’ai encore la copie d’un document qu’ils ont essayé de me faire signer par tous les moyens. Il s'agissait, d'après leurs termes, d'un plan d’amélioration auquel je devais m’engager. Je devais faire aveu de mon comportement non exemplaire d’après leurs

critères. Une clause mentionnait, qu'au-delà d'un certains délai, cela se confluerait par un licenciement si je ne m'améliorais pas. Et dire que j'ai subi des réflexions de leur part mais aussi de certains de mes propres collègues que je considérais comme des amis. -"T'avais qu'à rester à ta place!" -"T'es instable !" -"Tu fais toujours des tiennes!" -"T'es pas malin !" -"T'exagères !" -"Encore toi !" -"Qu'est-ce qui se passe encore ?" -"Laisse tomber !" -"Prends sur toi !" -"On ne pourra rien y changer !" -"Te mets pas en danger !" -"Ecrase !" -"Pars d'ici !" Et j'en passe ... Aujourd’hui, j'en éprouve encore, beaucoup de

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rancœur... Pourquoi ? Certains collègues ont peur de se mouiller, de prendre votre défense. Ils ont peur pour eux, pour leur place, leur salaire, leurs avantages ... ou encore pensent-ils vraiment que je suis fautif. Je ne sais pas. Tout cela me contraint-il à abandonner ce job? J'ai toujours travaillé à mon rythme et cherché la convivialité sur mon lieu de travail. J'ai fait preuve d’une grande motivation par le passé, mais je l'ai perdue depuis leurs venues, leurs coups bas, leurs remarques. Finies les perspectives de carrière, ils m’ont fermé la porte et ce serait de ma faute en prime ... selon eux !

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LA DERNIERE JOURNEE CHATON GRIFFU  

 Des mois de doutes, de courage pris à deux mains, de peurs, de phrases toutes faites pour se rassurer avant de dormir. Depuis quelque temps, mon bourreau a choisi de me terroriser le vendredi vers 17 heures pour me pourrir la vie jusqu’au lundi. Le vendredi 25 février 2011, je téléphonais sur mon mobile à une amie pour avoir un peu de soutien. Je l’ai vu arriver à travers les cloisons vitrées de mon bureau où je me trouvais seule. Il a ouvert la porte, alors que je me dépêchais de fermer mon téléphone et de faire comme si je travaillais. Il m’a demandé comment ça allait après mes quelques jours de congé maladie pris plus tôt dans la semaine. Je lui ai répondu d’une voix trop

enthousiaste que tout allait bien, ne comprenant pas où il voulait en venir. Il a secoué doucement la tête de gauche à droite en disant « ta ta ta ta ». J’ai pris ça pour mon arrêt de mort, comme un mafieux qui terrorise un brave type avant de le torturer pour lui soutirer une information ou avant de le tuer. J’ai senti une forte oppression, un poids sur mes poumons m’empêchant de respirer. Il m’a dit qu’il voulait prendre rendez-vous avec moi pour faire le point sur mes projets en cours - pour la troisième fois en 2 mois - lui qui ne s’était jamais impliqué dans ses nouvelles fonctions managériales. Là, j’ai su qu’il ne me lâcherait pas.

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On s’est fixé rendez-vous pour la semaine prochaine. La pression sur mes poumons a redoublé. A la fin de ma journée de travail, j’ai pris le train comme prévu pour rendre visite à ma famille. Je ne me souviens plus de mes pensées à ce moment-là : est-ce que j’ai encore essayé de me rassurer, est-ce que j’ai pleuré encore plus fort ? Je ne sais pas, c’est le trou noir. Arrivée chez mes parents, je ne sais plus ce que je leur ai dit de ma situation. Trou noir. Ce dont je me souviens, c’est de cette nuit là. Je me suis relevée vers 23H30 et me suis installée dans le salon pour pouvoir réfléchir, tout du moins essayer. Finalement, la séance s’est transformée en exutoire et j’ai lâché de grosses larmes, pas celles qui coulent sur les

joues, celles qui roulent sur les joues. Ne pouvant m’arrêter, j’ai ressenti plus fort encore cette sensation d’oppression dans ma poitrine à cause d’un constat : le mur. Le mur devant moi, autour de moi, au-dessus de moi qui se rapproche et ne me laisse aucune chance. J’ai pensé que j’étais nulle, que je ne valais rien. Et aussi que cet homme voulait me détruire et qu’il y arriverait parce que je n’étais pas assez bien, que ses reproches étaient fondés. Ce mal me tirait vers le fond et il m’était impossible de ne pas me laisser entraîner. Je me suis dit qu’il fallait que ça cesse. A n’importe quel prix. Arrêter de souffrir était ma seule envie puisqu’aucune issue n’était possible et que je méritais ce mal qui se déchaînait contre moi. L’idée lancinante de la mort est devenue très tentante.

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Dans la solitude de la nuit, tout est faussé et ce sont les mauvaises idées qui s’imposent. Quelques mois auparavant, ma mère -voulant bien faire- m’avait conseillé, en cas de grosse déprime durant la nuit, d’appeler SOS Suicide. Elle ne m’a pas dit que je pouvais l’appeler à n’importe quelle heure, que je pouvais compter sur elle à tout moment. Alors cette nuit-là, je me suis exécutée, voulant aller jusqu’au bout de mes deux peines qui s’entrelaçaient et semblaient bien s’entendre – le harcèlement et le sentiment d’abandon et de solitude totale. Ce dernier sentiment, au milieu de cette nuit m’accablant de malheur et de tristesse noire, m’a renvoyée directement à l’enfance. La nuit venue, mes parents fermaient leur chambre à clé. Nous, les enfants, quand

nous étions malades, devions frapper à la porte, réveiller l’un des parents, si ce n’est les deux, et attendre qu’on nous ouvre. On voyait invariablement mon père ronchonner d’être réveillé. Du coup, on y réfléchissait à deux fois avant d’oser demander de l’aide et de déranger quelqu’un. C’est ce qui est arrivé cette nuit-là. Comme j’étais prise entre les murs du harceleur et la porte de mes parents, j’ai préféré chercher de l’aide à l’extérieur. Alors j’ai téléphoné à cette association pour les gens les plus seuls au monde. Or personne ne m’a répondu. Je crois que j’ai aussi contacté un hôpital : même résultat. Comme je ne me voyais pas très concrètement me suicider – pas de médicament, premier étage de l’immeuble, et – mon Dieu – se trancher les veines doit faire effroyablement mal, je me suis rendue en trainant les

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pieds vers cette porte intimidante de mon enfance. Il était trois heures du matin. J’ai toqué tout doucement. Une première fois, puis une deuxième fois. C’est mon frère qui m’a entendue le premier. Il est sorti de sa chambre tout recroquevillé par le sommeil. Et il a tout de suite compris. Il m’a prise par les épaules et m’a frotté le dos. Ma mère est sortie de sa chambre à ce moment-là. Nous nous sommes installés au salon et je leur ai dit que je ne voulais pas retourner au travail lundi.

C’était il y a huit mois. Et je suis surprise des larmes que cette dernière journée me fait encore verser. Entretemps, je me suis fait licencier, ma hiérarchie a fait une erreur dans les papiers, me privant d’un mois d’indemnités, et elle a refusé de m’adresser une lettre de recommandation et mes affaires ont été empaquetées par ces gens, avant que je ne les récupère. A priori, je n’aurai plus jamais de contact avec cet homme. Reste à me reconstruire.

 

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LA NUIT - JOUR LE PATIENT 13

Ma chambre - des dimanches comme beaucoup d’autres - vers 3H30 du matin. Ruminations ostinato. Ruminations incessantes depuis 10H30. Veille hallucinée dans un corps mort. Cinq heures épuisantes. Regarder le plafond. Les détails du plafond. Mon plafond est blanc. Mon patron. Toujours mon patron. Superconnard. Superconnard et moi dans une pièce close sans témoin, murs blancs, plafond blanc. Une lumière blanche violente. Lui en contre-jour, moi face à la lumière perçante. Voilà ce que c’est tous les lundis matins à 9H00 depuis quatre ans. Penser à autre chose - vite - un paysage des Fagnes, un beau paysage, les bouleaux dans le vent léger, le vent sur les joncs, se cramponner aux détails, sentir le vent sur ma peau, les rayons du soleil,

expirer doucement, ralentir mon coeur qui cogne pour sauter au dehors, relâcher le diaphragme, les feuilles des bouleaux dans le vent... LE BOULOT ! Superconnard à son bureau. Superconnard lance son interrogatoire Gestapo, sa logorrhée d’avaloire, me chie sur la tête des contre-vérités en coulée continue, les pieds sur bureau et sous mon nez, gesticule comme un babouin qui voit une panthère, les mains sur les oreilles, les mains au ciel, les poings sur le bureau – “comment tu vas faire ? – comment tu vas faire ? – quelle est ta part de responsabilité ? - c’est catastrophique – Echouer n’est pas une option – on va droit dans le mur – je t’interdis d’essayer une autre stratégie que celle que j’ai définie – c’est moi qui fixe les règles ; toi, tu es là pour

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trouver des solutions – n’essaie pas encore de changer le cadre que j’ai défini – on ne peut plus revenir en arrière – il faut aller jusqu’au bout – c’est incompréhensible que tu ne m’aies pas fait arrêter ce projet Z plus tôt – Je n’écoute pas ou quoi? Je ne suis pas fou non ? - Tu es payé uniquement pour travailler sur le projet Z, uniquement pour ça ; le management de ton équipe, les offres, les ventes, les 15 autres projets, c’est rien - Tu ne serais pas là, tout continuerait à tourner – Tu as une équipe d’experts, il n’y a pas besoin d’un manager – Tu ne fais aucune différence – tes bons chiffres ? - Ils sont très relatifs et tu ne produis rien, tu fais du management. Ton management, ce n’est rien – Sur le projet X, que fait Pierre? – J’ai entendu dire qu’il fait des erreurs. Il ne communique pas assez. C’est toujours la même chose. Ton équipe ne communique pas assez. Comment tu vas faire pour que ça n’arrive plus? –

Qui-quoi j’en sais rien, je suis pas là pour les détails, moi je suis là pour garder le cap, pas pour les détails. Pierre, débordé ? Il remplit ses timesheets, mais qu’est-ce qu’il fait de ses journées ? Comment tu contrôles ça ? Moi-je-sais : Il ne fait rien. Ils remplissent leurs timesheets mais ils ne font rien. Encore une fois, qu’est-ce qu’ils font de leurs journées ? Ils ont décidé d’eux-mêmes de travailler le week-end pour livrer le client à temps ? Il faut réagir immédiatement : ce matin, tu leur dis qu’ici personne ne récupère jamais ces heures supplémentaires, tu confirmes par email et tu me mets en copie. Il ne faut pas créer de fausses attentes – S’ils travaillent le week-end, c’est qu’ils ne sont pas efficaces. De toute manière, on peut faire la même chose avec la moitié de l’équipe et sans management. Quand je passe à 17H30, il n’y a plus personne, donc ils n’ont pas assez de travail – Ton équipe ne s’engage pas derrière toi.

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Si tu as besoin de virer quelqu’un pour montrer qui est le chef, pas de problème – Ces types vivent dans leur monde. Si tu les laisses faire, ça va être la catastrophe. Je n’ai aucune confiance. - Sur le projet Y, vous êtes encore en retard ... je veux pas savoir quels sont les problèmes, je veux des solutions – Comment une erreur sur 500 slides? – Pour le client, une erreur et tout est faux. C’est comme si vous n’aviez rien produit. Peut-être que vous faites des efforts, mais vous n’avez pas de résultat. Tout le monde est de bonne volonté mais on ne marque aucun but ! - Vous n’avez rien produit, aucun progrès, rien depuis quatre mois. Projet A, je paie deux consultants, tu me dis que seul un point de détail n’est pas résolu ? – Détail ??? Mon rôle, c’est de vous remettre en question – Est-ce un détail ? Je n’en sais rien. Mais la question est : est-ce que tout est résolu ? Non, donc rien n’est résolu, on en est au même point qu’il y a quatre mois - vous n’avez

donc rien fait en quatre mois. Je me fous de savoir s’ils doivent travailler la nuit et le week-end, je veux des solutions. C’est ton équipe, ta responsabilité. Sur ce contrat, on ne prend aucun risque, on met tout en place pour y arriver. Des têtes vont tomber. Si on ne livre pas dans dix jours, on est morts. Tout le monde y arrive sauf toi. Tu vois, tu es défensif. Tu sors toujours les mêmes parapluies: “je n’ai pas assez de ressources ...”, “le client a changé les spécifications ...”, je passe ma journée avec des gens qui sortent des parapluies. Je t’interdis de dire le mot problème. Je ne veux pas savoir quel est le problème, moi je veux des solutions. Quelles sont les solutions ? Comment tu vas faire ? Qui est responsable ? Où est le planning ? Pour quand ? Qui envoie un email, à qui, quel jour ? Je veux tous les détails. Ce n’est pas assez défini. Ce n’est pas un planning, ce n’est rien. Il est hors de question d’avoir deux semaines de plus. On est fin

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juin, ça devait être prêt mi-mai, tu as donc trois mois et demi de retard (sic)! Comment ça, quel cadre pour faire travailler l’équipe le soir et le week-end ? Ils ne vont jamais accepter ça. Je suis scandalisé que tu viennes avec des idées aussi stupides. Dans quel monde tu vis ? Ce sont des salariés, ils font leurs heures, c’est tout ! Deux sous-traitants en plus pendant une semaine. Je n’en reviens pas ! Tu débarques d’où ? Qui va payer ? Il n’y a plus de budget. Le budget, c’est ta responsabilité. Je veux que tu mettes tout en oeuvre pour ne prendre aucun risque, aucun retard, aucune erreur sur ce contrat. Je ne veux pas que l’on preste encore plus d’un jour sur ce contrat. Comment tu vas faire ? J’ai l’impression de parler à mon fils. Sois adulte. Comment tu vas faire ? Tu m’entraînes dans tes désastres. Moi je vais devoir rendre des comptes. De fait, tu me rends co-responsable de tes échecs. C’est malhonnête de ta part. Tu es malhonnête et déloyal.

Je n’ai plus confiance. On est au milieu de la bataille et j’ai l’impression que tu hésites à aller te battre. Tu es dans quel camp ? Encore une fois, je suis en train de réfléchir à des changements importants. Je t’informerai plus tard. J’y reviens encore une fois, le projet Z, comment tu vas faire ?” Comment vais-je faire pour dormir, pour me lever demain, pour aller à ma réunion ? Comment casser cette relation sans issue ? Comment vais-je faire, comment faire ? Comment ? Pourquoi ne puis-je plus penser que sur ce mode-là ? Quel est mon planning pour sortir de cette situation ? Est-il assez détaillé ? Est-ce que je me donne la parole de le suivre ? Je ressens une douleur irradiante au centre de mon cerveau. Quelque chose de définitif, d’inconnu. Puis une sorte de déclic. Je suis en alerte totale : quelque chose vient de se briser dans mon

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cerveau. Je suis paralysé d’effroi : en ce moment précis, j’ai la sensation physique de devenir fou. A mon côté, ma compagne dort. Dehors, la nuit est calme. J’entends des sirènes au loin.

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LE JOUR DANS LA NUIT LE PATIENT 13

Mon bureau, lundi matin – tous les lundis matin ?- vers 10h30. Un parterre de buissons d’un mètre de large, bordé d’un mur de béton sur lequel les enfants font de l’équilibre en rentrant de l’école. Ensuite, le trottoir, un mètre plus bas. Plus bas. C’est une situation très aléatoire. Plus à droite, les dalles de l’entrée. Les buissons, les dalles, le béton ; plus à gauche, plus à droite. Plus loin, plus bas. Huit étages de 2 mètres 80, c’est très aléatoire. Quel serait le résultat ? Qu’est-ce qu’on pourrait inférer à partir de ce résultat quant à mon intention ? Difficile de nos jours de lier résultats et intention. Mon intention. Mes résultats. Je n’ai jamais eu l’intention de rester ici. Certainement pas la volonté. Encore moins le désir de travail pour ce patron-là.

Nécessité, oui, volonté, non. Et pourtant le résultat c’est la ruine de ma santé, l’injustice de ma rémunération, le viol de ma conscience. Tout cela est à ce point étranger à qui j’étais, pour autant que je me souvienne de moi-même, que j’aurais dû exiger de travailler sous un pseudonyme. Un nom de scène, pour ne pas me faire voler mon identité. D’ailleurs, quand il parle de moi, je ne me reconnais pas, au point de demander de qui il parle. 10H40. Que faire ? Travailler ? Il n’y a plus rien à prouver. Il n’est plus question de sauver mon équipe, ni de sauver mon job. Ma santé ? Il est question d’ouvrir la fenêtre vers le vent, vers la vie. A quoi bon ouvrir la fenêtre ? A quoi bon les oiseaux, les saisons ? Voir la lune au loin, le silence cosmique comme perspective

Page 23: 2012 SavaShiiiierhomepages.ulb.ac.be/~phcorten/CliniqueStress/Harcelement/... · 2012-01-29 · Je me sens en danger, mais il est trop tard!. Le mal est fait. Je suis terrée dans

terminale. Ouvrir la fenêtre constitue un effort important pour ce corps qui semble ne pas avoir dormi depuis un siècle. Comment ne me suis-je encore jamais évanoui avec tous ces vertiges? Ou alors se rasseoir et espérer que les spasmes frénétiques des doigts tappent le bon mot de passe, que le pilote automatique assure la “continuité des opérations” et trouve quelque routine à exécuter pour tromper ceux qui, de toute manière, ne voient rien qu’un type laxiste et distant. Il y a quelques années, quand j’avais eu à me détacher de beaucoup de choses au point de ne plus être attaché à moi-même, j’aurais probablement sauté. Aujourd’hui, c’est la possibilité du suicide qui me permet de vivre un jour, une heure, une réunion de plus. Le suicide, parce que Superconnard, serviteur zélé du Système, a verrouillé toutes les issues : pas de syndicat, pas de médiateur, pas d’agence de prévention,

pas de personne de confiance, pas de dialogue possible, pas de collègue à qui parler, pas de survie sans salaire, pas de preuve de harcèlement ! Pas d’indice, donc, pas de meurtre. Le suicide comme ultime solution si le mal atteint la racine de mon âme, le reste ayant été sali ou volé, le reste en lambeau tournant sans fin comme un moulin à prière dans le vent des cimes, entraîné par les mains d’un pervers narcissique, Elu au pouvoir par nos Elites de l’Empire du Bien.