44 | 2019 varia

98
eJRIEPS Ejournal de la recherche sur l’intervention en éducation physique et sport 44 | 2019 Varia Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/ejrieps/376 DOI : 10.4000/ejrieps.376 ISSN : 2105-0821 Éditeur ELLIADD Référence électronique eJRIEPS, 44 | 2019 [En ligne], mis en ligne le 01 janvier 2019, consulté le 24 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/ejrieps/376 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ejrieps.376 Ce document a été généré automatiquement le 24 septembre 2020. La revue eJRIEPS est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons Attribution 4.0 International License.

Upload: others

Post on 25-Mar-2022

6 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

eJRIEPSEjournal de la recherche sur l’intervention en éducationphysique et sport 

44 | 2019Varia

Édition électroniqueURL : http://journals.openedition.org/ejrieps/376DOI : 10.4000/ejrieps.376ISSN : 2105-0821

ÉditeurELLIADD

Référence électroniqueeJRIEPS, 44 | 2019 [En ligne], mis en ligne le 01 janvier 2019, consulté le 24 septembre 2020. URL :http://journals.openedition.org/ejrieps/376 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ejrieps.376

Ce document a été généré automatiquement le 24 septembre 2020.

La revue eJRIEPS est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons Attribution 4.0International License.

SOMMAIRE

ÉditorialMarie-Paule Poggi, Mathilde Musard, Fabienne Brière-Guenoun, Nathalie Wallian, Yannick Lemonie et Ingrid Verscheure

L’apport des techniques non classées à l’activité offensive des judokas médaillés de lacatégorie (-60 kg) lors des Jeux Olympiques 2004-2012Amar Ait Ali Yahia et Michel Calmet

L’opposition au cœur de l’analyse des sports collectifsEric Duprat

Analyse des pratiques d’enseignement des sports de combat à l’université en France : deuxétudes de cas de formateurs en STAPSMariana S.P. Gomes, Marie France Carnus et André Terrisse

Comparer les manières d’enseigner les activités de fitness dans une perspective« d’inclusion » : études de cas en lycée professionnel en France et en SuèdeEmmanuelle Forest et Chantal Amade-Escot

Actualités de la recherche en intervention

RecensionDidier Barthès

Soutenance d'HDR

Soutenance de thèse

eJRIEPS, 44 | 2019

1

ÉditorialMarie-Paule Poggi, Mathilde Musard, Fabienne Brière-Guenoun, NathalieWallian, Yannick Lemonie et Ingrid Verscheure

Les propositions de manuscrits sont à envoyer à :

ejrieps[at]orange.fr

1 Cette nouvelle année 2019 s’ouvre pour eJRIEPS par quatre contributions originales qui

viennent encore enrichir la production scientifique dans le champ de l’intervention en

éducation physique et en sport.

2 Dans un article intitulé L’apport des techniques non classées à l’activité offensive

des judokas médaillés de la catégorie (-60 kg) lors des Jeux Olympiques 2004-2012,

Amar Ait Ali Yahia et Michel Calmet s’intéressent aux productions techniques, non

classées, fruit de l’activité créatrice des judokas de haut niveau. Les observations

permettent de conclure au rôle prépondérant de ces techniques dans l’activité

offensive des médaillés grâce à leurs fréquences élevées, des registres plus larges, des

scores meilleurs et des rendements supérieurs. Les auteurs proposent de les intégrer

dans les classifications officielles pour la résolution des problèmes techniques et

tactiques complexes dans un but de développement du judo de haut niveau.

3 L’opposition au cœur de l’analyse des sports collectifs, proposé par Eric Duprat, est

un texte utile à qui veut comprendre les ressorts du jeu dans ces activités. L’auteur se

livre à une présentation détaillée des principes fondateurs des sports collectifs qu’il

met en évidence à partir d’une analyse du rapport d’opposition. La gestion de ce

dernier pousse le joueur à gérer simultanément la conservation de la balle pour son

équipe et l’atteinte de la cible adverse et, pour les adversaires, à conjuguer la conquête

de la balle et la défense de sa propre cible. De ce point de vue, analyser, expliquer

l'opposition et l’utiliser comme source de tout progrès permettent de concevoir des

situations d’apprentissage efficaces en terme de développement des élèves et des

joueurs. Cette modélisation aide à concevoir des situations d’apprentissage efficaces en

terme de développement des élèves et des joueurs.

4 Dans la troisième contribution, Mariana S.P. Gomes, Marie France Carnus et André

Terrisse proposent d'analyser deux enseignements de sports de combat destinés à des

étudiants d’une UFRSTAPS afin d’en décrire la logique différentielle. L’article intitulé

Analyse des pratiques d’enseignement des sports de combat à l’université en

eJRIEPS, 44 | 2019

2

France : deux études de cas de formateurs en STAPS s’inscrit dans le cadre

théorique de la didactique clinique pour appréhender les différences de traitement des

activités du point de vue de deux enseignants singuliers par leur passé de sportif et leur

formation. S’appuyant sur des données qualitatives, cette recherche met en évidence le

fait que chaque professeur fait ses choix en fonction de ce qu’il a vécu, soit comme

pratiquant, soit comme étudiant en STAPS, soit encore comme professeur.

5 Enfin, ce numéro se termine par l’article d’Emmanuelle Forest et de Chantal Amade-

Escot dont le titre est Comparer les manières d’enseigner les activités de fitness

dans une perspective « d’inclusion » : études de cas en lycée professionnel en

France et en Suède. Cette étude en didactique comparée vise à identifier la façon dont

deux enseignants d’éducation physique, l’un français et l’autre suédois, contextualisent

leur pratique d’enseignement en lycées professionnels à des fins « d’inclusion » de leurs

élèves au sein des groupes de travail. Les auteures analysent à une échelle macro et

micro didactique deux séances d’éducation physique de fitness en lycées professionnels

afin de caractériser les « manières d’enseigner » des deux enseignants et de rendre

compte de la façon singulière dont les savoirs sont mis à l’étude et co-construits dans la

classe lors de séances de fitness. Les résultats mettent en évidence que les deux

enseignants envisagent l’inclusion à des échelles temporelles différentes qui dépassent

le cadre de la scolarité des élèves. Ils permettent également d’identifier des traits

génériques et spécifiques aux deux enseignants.

6 Ces quatre contributions montrent à quel point la production dans le champ de

l’intervention ne faiblit pas. La rubrique « Actualités de la recherche en intervention »

de ce numéro témoigne également de cette vitalité. Je vous invite en particulier à

consulter la recension que nous propose Didier Barthes de l’ouvrage de Marc Deleplace,

Daniel Bouthier et Pierre Villepreux (2018) à propos de l’œuvre de René Deleplace.

7 Je ne saurais clore cette présentation du 44ème numéro d’eJRIEPS, sans préciser à quel

point cet édito a une saveur particulière pour moi. En effet, je passe en toute confiance

le relai à Mathilde Musard qui désormais assurera les fonctions d’éditrice principale de

la revue. Je sais qu’ainsi l’avenir est assuré, le journal se trouve « entre de bonnes

mains », compétentes et novatrices. Je ne peux me retirer sans adresser mes plus

sincères remerciements à Jean-Francis Gréhaigne fondateur en 2002 d’eJRIEPS. Faut-il le

rappeler, Jean-Francis a œuvré sans relâche au développement des recherches en

intervention en EPS. Imaginer eJRIEPS fut une idée de génie et tellement innovante !

Depuis sa création, la revue, forte de nombreux atouts (une large diffusion, un réseau

de chercheurs associés reconnus, un accès au rang de revue publiante au CNU) n’a cessé

de grandir. En 2010, Jean-Francis m’a confié cette lourde responsabilité de poursuivre

le projet. Je lui suis extrêmement reconnaissante pour sa confiance mais également

pour son appui sans faille durant ces huit années d’une étroite et chaleureuse

collaboration. Jean-Francis Gréhaigne nous a laissé, à toutes et tous, chercheurs en

intervention, un bel héritage que Mathilde Musard aura pour mission désormais de

faire fructifier.

8 Enfin, l’équipe d’eJRIEPS vous souhaite, à toutes et à tous, une belle année 2019, riche en

projets scientifiques.

eJRIEPS, 44 | 2019

3

AUTEURS

MARIE-PAULE POGGI

Editrice scientifique eJRIEPS

MATHILDE MUSARD

Editrice scientifique eJRIEPS

FABIENNE BRIÈRE-GUENOUN

Editrice scientifique eJRIEPS

NATHALIE WALLIAN

Editrice scientifique eJRIEPS

YANNICK LEMONIE

Editeur scientifique eJRIEPS

INGRID VERSCHEURE

Editrice scientifique eJRIEPS

eJRIEPS, 44 | 2019

4

L’apport des techniques nonclassées à l’activité offensive desjudokas médaillés de la catégorie(-60 kg) lors des Jeux Olympiques2004-2012The contribution of unclassified techniques to the offensive activity of judokas

medalists in the category (-60 kg) at the 2004-2012 Olympic Games

Amar Ait Ali Yahia et Michel Calmet

1. Introduction

1 Les spectateurs présents ce jour du 20 octobre 1968 dans le stade olympique de Mexico

découvrent une technique révolutionnaire de saut en hauteur. Contrairement au

rouleau ventral, cette technique de franchissement s’illustre par la présentation du dos

de l’athlète face à la barre. Elle permet à son inventeur, l’américain Dick Fosbury, de

remporter la médaille d’or et battre le record olympique de cette épreuve. Cet

évènement majeur marquant l’histoire de l’athlétisme exprime la parfaite illustration

de la capacité créative et son influence sur la performance sportive (Hristovski et al.,

2011). Ainsi, le sport comme contexte complexe favorise l’émergence de cette créativité

qui a jalonné son développement du point de vue moteur. Ces gestes, fruits d’une

imagination exceptionnelle et exécutés lors des compétitions par certains athlètes,

marquent à tout jamais son histoire technique. Trois conditions capitales sont

nécessaires pour que toute production motrice humaine déployée dans le cadre de

l’activité sportive puisse être reconnue en tant que créativité : la fluidité, la flexibilité

et l’originalité (Bertsch, 1983). Sa contribution est fort intéressante puisqu’elle autorise

la résolution des problèmes, la modélisation des performances, l’enrichissement de la

culture gestuelle ainsi que l’augmentation de l’attractivité esthétique.

eJRIEPS, 44 | 2019

5

2 Le combat de judo est un ensemble de situations complexes. Leur résolution est

tributaire d’un choix innovant en absence de solutions académiques. Cette innovation

est un élément capital et avéré, y compris pour l’obtention de la victoire (Vial et al.,

1978 ; Flamand & Gibert, 1993). Partisan farouche de la créativité, le grand champion

Toshihiko Koga proclame l’importance des nouvelles techniques dans le cadre de son

approche stratégique de la compétition. Pour ce compétiteur hors pair, le combattant

doit « avoir l’esprit ouvert pour adopter de nouvelles approches et de nouvelles voies

dans la résolution des problèmes » (Koga, 2008). Une vision partagée clairement par

plusieurs autres champions dont la carrière s’est illustrée par leurs mouvements

spectaculaires et originaux. Ainsi, le soviétique Shota Kahbarelli avec sa technique

combinant trois mouvements ; le japonais Toshihiko Koga avec son Kata-tsuri-komi-

goshi ; le français Angelo Parisi avec son Morote-eri-seoi-nage ; le japonais Shozo Fuji

avec son demi Morote-seoi-nage ; le soviétique Shota Chochosvilli avec son Hiza-mae-

ura-nage, et bien d'autres, sont parmi ces combattants qui influencent le judo de haut

niveau (Inman, 2009). Néanmoins, l’invention de Katsuhiko Kashiwasaki dévoilée lors

des Jeux Olympiques 1972 reste à ce jour celle qui étonne le monde du judo (Figure 1).

Désignée par Furiko-tomoe-nage pour cause de son exécution sous forme de pendule

avec une phase sans appui, cette prouesse technique est le témoin d’une complexité

motrice exceptionnelle (Kashiwasaki, 1995 ; Calmet, 2010).

3 La question de dénomination et d’intégration au sein des classifications officielles est

toujours d’actualité. Malgré leur efficacité avérée, l’admission de ces nouvelles

techniques au sein des institutions – comme la Fédération Internationale de Judo ou le

Kodokan – est un processus long et compliqué. D’ailleurs, l’histoire du judo connaît de

rares intégrations (Ohlenkam, 1999 ; Daigo, 2005). L’absence d’un consensus parmi les

experts aggrave davantage cette situation. Or ne pas pouvoir identifier ces techniques

pose problème pour toutes les parties prenantes du judo impliquées dans

l’entraînement, la compétition et la recherche. De plus, le rangement de quelques

techniques parmi celles observées au cours des Jeux Olympiques 2008 dans la catégorie

des « non définies » au motif d’une impossibilité de leur identification et de leur

appellation est un exemple plus qu’édifiant (Witkowski et al., 2012). En tout état de

cause, l’identification de ces nouvelles techniques grâce aux parties du corps

impliquées dans leur exécution est une possibilité susceptible de résoudre largement ce

problème. Leur regroupement sous l’appellation du Kokusai-shiai-waza (techniques de

compétitions internationales) est une proposition qui faciliterait leur incorporation

dans la classification officielle. Historiquement, ce vocable qualifie l’ensemble des

techniques non classées sollicitées par les judokas durant les Jeux Olympiques 2004

(Inman, 2005). En revanche, l’appellation de « pourris-waza » par Teddy Riner de ses

techniques de secours, pas franchement académiques, à l’instar du Sumi-gaeshi latéral

et autres, n’est certainement pas la proposition la plus appropriée. Même le manque

d’esthétisme caractérisé de ces techniques ne peut justifier une telle désignation

(Charlot, 2015).

4 Sur le plan tactique l’intérêt de la créativité est double : elle permet non seulement de

créer des problèmes à l’adversaire, mais aussi de solutionner ceux posés par celui-ci

(Cadière, 2010). Compte tenu de son importance, elle est considérée comme une des

composantes de l’intelligence dite efficace au même titre que les aptitudes analytiques

et pratiques. L’ensemble participe activement à la réussite des sportifs de haut niveau

(Granitto, 2001). En ce qui concerne la relation unissant technique et création, elles

eJRIEPS, 44 | 2019

6

sont toujours « entendues à travers une thèse dualiste : la technique relève de la

conformité, exprime l'ajustement de moyens efficaces dans la réalisation de produits

reconnus ; la création, au contraire, est considérée comme abandon d'un système de

construction, absence de contrainte, liberté absolue » (Gaillard, 1991). Plusieurs études

consacrées au judo de haut niveau confirment leur présence (Sterkowicz & Maslej,

1999 ; Sterkowicz & Franchini, 2000 ; Calmet, 2005 ; Calmet, 2010 ; Ait Ali Yahia, 2014a).

Hormis l’indication de leur fréquence, aucun auteur ne prend le soin de leur consacrer

une analyse particulière afin de démontrer leur impact sur la performance du point de

vue moteur ou décisionnel.

Figure 1. Illustration du Furiko-tomoe-nage de Kashiwasaki aux JO de Munich 1972

(Calmet, 2010)

5 La performance en judo est subordonnée, entre autres, à la technique dont

l’appropriation par le judoka de haut niveau nécessite un processus long de plusieurs

années d’entraînement. Le nombre élevé de techniques enseignées constitue la raison

principale de cette longue durée. Pour rappel, la classification de la Fédération

Internationale de Judo, de type descriptif, comprend 66 techniques de Nage-waza

(techniques de projection), 29 techniques de Ne-waza (techniques au sol) et 4

techniques de Kinshi-waza (techniques interdites), soit un total de 99 techniques

(Ohlenkam, 1999 ; Daigo, 2005). Le Nage-waza se subdivise, à son tour, en Te-waza

(techniques de main et bras), Ashi-waza (techniques de pied et jambe), Koshi-waza

(techniques de hanche) et Sutemi-waza (techniques de sacrifice). À ce titre, il est

hasardeux de vouloir aspirer à des victoires seulement au moyen de ces techniques

classées dans un judo de compétition de plus en plus complexe. Par conséquent,

l’intégration de solutions motrices non classées s’inscrit dans une logique d’adaptation

aux exigences actuelles de la discipline. Le choix irrationnel de la technique non classée

eJRIEPS, 44 | 2019

7

ne remet nullement en cause l’efficacité de la technique classée. Ainsi, il est possible de

définir une technique non classée comme toute action motrice exécutée en

compétition, tant debout qu’au sol, validée par les arbitres pour son efficacité, mais ne

figurant dans aucune des diverses classifications officielles. Pour De Crée et Edmonds

(2012), cette technique peut concerner aussi bien le cas d’une création nouvelle, que

celle importée des autres sports de combat. Distinguer la différence entre une

technique originale et une variante d’une technique qui existe déjà n’est pas chose

aisée même pour l’œil averti de l’expert. Une multitude de confusion est signalée dans

certains ouvrages par la faute de ces jugements erronés (Gil’Ad, 1999). L’implication de

cette action motrice non classée dans la performance des judokas de haut niveau reste

comme une interrogation non élucidée à ce jour. La mise en exergue de l’activité

offensive de ces judokas permet de nous informer davantage sur son impact effectif, y

compris celui des techniques classées. Aussi, il est déterminant de savoir quelle place

réelle est tenue par ces techniques non classées sur le résultat de judokas experts dans

un contexte compétitif majeur ? L’analyse de ces techniques s’inscrit dans le cadre

d’une approche technologique (Bouthier, 2000). En fait, l’observation d’une compétition

de haut niveau pourrait nous éclaircir sur le bien-fondé de leur intégration dans ce

dispositif offensif à travers l’identification de leur fréquence, de la largeur de leur

répertoire gestuel mais aussi la détermination de leur efficacité. Dès lors, la visée de

cette étude consiste à déterminer la part de ces techniques non classées ainsi que leur

incidence sur l’activité offensive des médaillés olympiques de la catégorie (-60 kg) lors

des Jeux Olympiques d’Athènes 2004, Pékin 2008 et Londres 2012.

2. Matériel et méthode

6 La richesse technique, la combativité ainsi que l’efficacité déployées en compétitions

par les judokas (-60 kg) sont parmi les éléments justifiant le choix de cette catégorie

légère pour les besoins de la présente étude (Franchini & Sterkowicz, 2003). Pour la

collecte des données, la méthode de l’observation en différé est la mieux indiquée en

raison des avantages qu’elle procure dans le cas d’une activité sportive dynamique et

complexe à l’instar du judo. L’enregistrement vidéo du parcours compétitif de 12

médaillés olympiques (3 Or ; 3 Argent et 6 Bronze) de la catégorie (-60 kg) couronnés

aux Jeux Olympiques, Athènes 2004, Pékin 2008 et Londres 2012, constitue le matériel

de notre observation. L’analyse de leurs 62 combats a permis de mettre en évidence un

total de 406 actions exécutées en Nage-waza dont 158 classées et 248 non classées.

Excepté la contribution de ces techniques non classées à l’activité offensive, leur

structure qu’elle soit originale ou variante n’est pas prise en compte par cette étude.

Toutefois, les variables de fréquence, de registre et de scores sont intéressantes dans le

cadre de cette analyse mais restent insuffisantes pour porter un jugement cohérent sur

la performance de chaque type de technique. Dès lors, il est nécessaire de s’intéresser à

la variable de rentabilité qui peut nous éclairer concrètement sur l’apport de ces deux

techniques dans le couronnement de ces médaillés. Ainsi, le rendement est estimé par

le biais des indices suivants :

1. L’efficacité offensive globale obtenue par tout médaillé durant chaque tournoi

olympique est représentée par le rapport du nombre d’actions efficaces et du nombre

total d’actions tentées multiplié par cent (Janjaque, 2003).

eJRIEPS, 44 | 2019

8

2. Le rendement de chaque action est calculé par le rapport du total de scores obtenus

par le nombre d’actions efficaces. Ce total de scores égal à (3M+5M+7M+10M). M indique

le nombre d’actions efficaces, et les chiffres 3, 5, 7 et 10 représentent en points les

avantages Koka, Yuko, Waza-ari et Ippon (Sterkowicz, 1998).

3. Le rendement de chaque combat est estimé selon le rapport du total de scores

obtenus par le nombre de combats observés. Ce total de scores égal à (3M+5M+7M+10M).

M indique le nombre d’actions efficaces, et les chiffres 3, 5, 7 et 10 représentent en

points les avantages Koka, Yuko, Waza-ari et Ippon (Adam et al., 2013).

7 Les informations concernant la taille, l’âge et le nombre de combats de ces médaillés

sont rassemblées dans le tableau 1. Cependant, notons que ces judokas se caractérisent

par une similitude de leur âge et de leur taille. En effet, avec une probabilité de 42 %

l’âge de cet échantillon d’analyse ne présente aucune différence significative (p<0.05). Il

en est de même pour leur taille qui est considérée comme équivalente avec une

probabilité de 36,8 % (p<0.05).

Tableau 1. Caractéristiques des médaillés olympiques de la catégorie (-60 kg)

Âge Taille Combats

Athènes Pékin Londres Athènes Pékin Londres Athènes Pékin Londres

eJRIEPS, 44 | 2019

9

Or 30 28 23 1,64 1,63 1,70 5 5 5

Argent 29 27 27 1,70 1,62 1,60 5 5 5

Bronze 1 20 29 26 1,69 1,65 1,60 5 5 5

Bronze 2 24 22 23 1,63 1,60 1,64 6 6 5

Moyenne 25,8 26,5 24,8 1,67 1,63 1,64 5,3 5,3 5,0

Ecart-Type 4,6 3,1 2,1 0,04 0,02 0,05 0,5 0,5 0,0

3. Analyse statistique

8 Les paramètres de localisation (la moyenne) ainsi que les indices de dispersion (l’écart-

type) servent à déterminer la valeur des différentes variables caractérisant l’activité

offensive au moyen des techniques classées et non classées des médaillés olympiques.

L’analyse factorielle des correspondances (AFC) sert à définir le profil technique

préférentiel de chaque médaillé lors de ces trois épreuves olympiques. Le test non

paramétrique pour k échantillons appariés de Friedman au seuil de signification 0,05

est sollicité pour la comparaison inter-olympiade des différentes variables impliquées

dans cette activité offensive. Ce calcul statistique s’effectue au moyen du logiciel

XLSTAT-Pro 7.5.

4. Résultats

4. 1. Activité offensive par olympiade

9 L’usage exclusif des techniques classées dans le cadre du judo de haut niveau n’est

assurément plus possible. La prestation offensive durant les trois épreuves olympiques

des judokas médaillés de la catégorie (-60 kg) peut être considérée comme une preuve.

Outre ces techniques habituellement utilisées, l’activité offensive associe étroitement

les techniques non classées, dont la part s’impose de plus en plus dans le système

compétitif olympique des médaillés. Ainsi, une contribution variable de chacun de ces

types est constatée par la présente étude. Les techniques non classées dominent les JO

2004 et 2012, tandis que les techniques classées triomphent durant les JO 2008 (Figure

2).

eJRIEPS, 44 | 2019

10

Figure 2. Fréquences (%) des techniques classées et non classées des médaillés de la catégorie(-60 kg)

4. 2. Activité offensive par médaillé

10 Le champion olympique aux JO 2004 apparaît clairement comme le seul dont l’activité

offensive s’appuie largement sur les techniques classées ; les autres médaillés préfèrent

les techniques non classées. Un changement de tendance en matière de préférence

technique s’opère chez ces médaillés durant l’épreuve des JO 2008. Cette fois-ci, le

médaillé d’or opte pour les techniques non classées. Le vice-champion n’éprouve

aucune difficulté à intégrer les deux types de techniques. Les deux médaillés de bronze

confirment leur adoption préférentielle des techniques classées. Lors des JO 2012, une

nouvelle configuration technique émerge en remplacement de la précédente. Le

vainqueur du tournoi a la possibilité d’exécuter équitablement les deux types de

techniques, mais pas les autres médaillés qui utilisent massivement les techniques non

classées (Tableau 2). Par ailleurs, concernant l’usage des actions non classées par ces

médaillés lors de ces trois tournois, le test de Friedman ne rejette pas l’hypothèse nulle.

La probabilité calculée de 24,7 % est supérieure au niveau de signification, ce qui laisse

à penser qu’il n’y a pas de différence significative. Le même test ne montre pas de

différence significative pour les techniques classées en raison d’une probabilité de

36,8 %. L’usage par les médaillés olympiques des deux types de techniques reste

identique tout au long de ces trois épreuves, ce qui révèle une stabilisation du nombre

d’attaques en matière d’activité offensive.

Tableau 2. Fréquences des techniques classées et non classées des médaillés olympiques

Techniques classées Techniques non classées

Athènes Pékin Londres Athènes Pékin Londres

Or 12 4 14 7 13 14

eJRIEPS, 44 | 2019

11

Argent 11 20 16 44 18 25

Bronze 1 5 15 11 21 10 18

Bronze 2 11 36 3 21 21 36

Moyenne 9,8 18,8 11,0 23,3 15,5 23,3

Ecart-Type 3,2 13,3 5,7 15,3 4,9 9,6

4. 3. Profil technique des médaillés

11 Une dépendance est caractérisée par le test de Khi² entre les médaillés olympiques et

les groupes techniques. Étant donné le niveau de signification (p<0.05) supérieur à la p-

value calculée (< 0,0001), l’hypothèse nulle est rejetée au profit de l’hypothèse

alternative. Le premier axe de l’AFC distingue une opposition des profils offensifs du

champion olympique et du médaillé de Bronze 2 d’un côté, par rapport à ceux du vice-

champion olympique et du médaillé de Bronze 1 de l’autre. Ainsi, l’activité offensive du

médaillé d’or sollicite les techniques de Te-waza aux JO 2008 (TWP) et Koshi-waza aux

JO 2004 (KWA). Celle du médaillé de Bronze 2 s’appuie sur Ashi-waza aux JO 2004 (AWA)

et Te-waza aux JO 2012 (TWL). Ce n’est pas le cas du vice-champion olympique dont

l’activité offensive se fonde sur celles de Te-waza aux JO 2004 (TWA). Le médaillé de

Bronze 1 privilégie Sutemi-waza aux JO 2004 (SWA) et Koshi-waza aux JO 2012 (KWL).

Quant au deuxième axe, il mentionne une divergence des techniques émises par le

médaillé d’argent vis-à-vis de celles des trois autres médaillés olympiques. En effet, les

techniques de Sutemi-waza aux JO 2008 (SWP) et Te-waza aux JO 2004 (TWA) adoptées

par le vice-champion olympique sont en opposition par rapport à celles de Sutemi-waza

aux JO 2004 (SWA) et Koshi-waza aux JO 2012 (KWL) choisies par le médaillé de bronze

1 ; celles de Te-waza aux JO 2012 (TWL), Ashi-waza aux JO 2004 (AWA) et Koshi-waza

aux JO 2008 (KWP) employées par le médaillé de Bronze 2 ; et celles de Te-waza aux JO

2008 (TWP) ainsi que Koshi-waza aux JO 2004 (KWA) utilisées par le champion

olympique. Les quatre médaillés intègrent les techniques de Sutemi-waza aux JO 2012

(SWL) dans leur activité offensive (Figure 3).

eJRIEPS, 44 | 2019

12

Figure 3. AFC des techniques non-classées des médaillés olympiques

4. 4. Le registre technique de chaque médaillé

12 Durant les JO 2008, le médaillé de bronze 2 étale toute la richesse extraordinaire de son

savoir-faire du fait d’un registre global de 19 techniques. À l’inverse, au même tournoi

le médaillé d’argent s’illustre par la pauvreté de sa maîtrise avec 5 techniques

seulement (Tableau 3). Les registres techniques présentent une certaine disparité en

matière de largeur. En effet, pour ce qui est de la maîtrise des techniques classées en

compétition, le médaillé de bronze 2 est capable d’exhiber un savoir-faire de 12

techniques, tandis que le médaillé de bronze 1 se contente de 2 techniques seulement.

En ce qui concerne les techniques non classées, le médaillé de Bronze 2 encore une fois

arrive à exécuter 9 techniques, alors que le médaillé d’argent se limite à 2 techniques.

Soulignons tout de même que ces médaillés olympiques intègrent dans leurs différents

parcours compétitifs autant de techniques classées que de techniques non classées pour

pouvoir neutraliser leurs adversaires. S’agissant des techniques classées, le test de

Friedman ne dévoile pas de différence significative entre ses registres. Pour cause d’une

probabilité de 47,2 %, il n’est pas possible de rejeter l’hypothèse nulle. De la même

manière les registres des techniques non classées sont identiques. De plus, avec une

probabilité de 7,6 % supérieure à ce même seuil de signification, ce test ne montre pas

de différence significative entre eux. En conséquence, ces médaillés olympiques

construisent leur activité offensive en se basant sur un arsenal de techniques classées

et non classées comparable tout au long de ces épreuves.

Tableau 3. Registre des techniques classées et non classées des médaillés olympiques

Techniques classées Techniques non classées

eJRIEPS, 44 | 2019

13

Athènes Pékin Londres Athènes Pékin Londres

Or 7 4 8 6 6 8

Argent 5 3 9 8 2 7

Bronze 1 2 3 6 5 5 7

Bronze 2 8 12 3 8 7 9

Moyenne 5,5 5,5 6,5 6,8 5 7,8

Ecart-Type 2,6 4,4 2,6 1,5 2,2 1,0

4. 5. Efficacité et scores par olympiade

13 La précision, la justesse et le timing sont hautement exigibles lors d’un déclenchement

d’une attaque quelconque. L’absence de l’un de ces facteurs peut porter préjudice de

toute évidence à son efficacité. La caractéristique fondamentale des judokas médaillés,

en comparaison avec les autres combattants, est précisément la maîtrise parfaite de ces

éléments en situation de combat. Ce qui leur permet de prendre souvent le dessus sur

leurs adversaires tout en assurant un niveau élevé d’efficacité. Ainsi, les techniques

classées exécutées par ces mêmes judokas obtiennent leur meilleure efficacité de 37,5 %

au cours des JO 2008 et leur plus faible de 26,7 % aux JO 2004. À propos des techniques

non classées, leur meilleure efficacité est enregistrée aux JO 2004 avec 73,3 % et la plus

mauvaise aux JO 2008 avec 62,5 % (Figure 4). Tout cela engendre la production d’une

efficacité moyenne de 69,1±5,8 % des techniques non classées par olympiade contre

30,9±5,8 % pour les techniques classées. Cette prépondérance est une conséquence

directe des scores obtenus par ces mêmes médaillés dont y figure un grand nombre

d’Ippon, expression de leur haute qualité d’exécution. Les techniques non classées

s’expriment de la plus belle manière aux JO 2008 avec 85,7 % d’Ippon, et les techniques

classées aux JO 2012 avec 33,3 % d’Ippon. Tout au long de ces trois tournois olympiques,

les techniques non classées marquent leur supériorité grâce à une moyenne de

77,5±9,8 % Ippon par olympiade contre 22,5±9,8 % Ippon pour les techniques classées.

Une configuration similaire de domination de la part de ces techniques non classées est

observée au sein des autres scores (Tableau 4).

eJRIEPS, 44 | 2019

14

Figure 4. Part (%) des actions efficaces classées et non classées par olympiade

Tableau 4. Scores (%) des techniques classées (C) et non classées (NC) par olympiade

Ippon Waza-ari Yuko Koka

C NC C NC C NC C NC

Athènes 20,0 80,0 50,0 50,0 37,5 62,5 0,0 100,0

Pékin 14,3 85,7 0,0 100,0 33,3 66,7 80,0 20,0

Londres 33,3 66,7 42,9 57,1 12,5 87,5 0,0 0,0

Moyenne 22,5 77,5 31,0 69,0 27,8 72,2 26,7 40,0

Ecart-Type 9,8 9,8 27,1 27,0 13,4 13,4 46,2 52,9

4. 6. L’efficacité globale de l’activité offensive du médaillé

14 L’efficacité des techniques classées et non classées exécutées durant ces épreuves

exprime la qualité du savoir combattre des médaillés olympiques. Ainsi, le champion

olympique s’illustre du fait de la supériorité de l’efficacité de ses techniques non

classées aux JO 2004 et 2008, et celle des techniques classées aux JO 2012. Par contre, le

médaillé d’argent dont la maîtrise technique est totalement différente, se distingue par

une meilleure efficacité de ses techniques classées aux JO 2004 et 2012, et de ses

techniques non classées aux JO 2008. Pour leur part, les deux médaillés de bronze

s’illustrent aux JO 2004 et 2012 principalement par une efficacité élevée de leurs

techniques non classées. Les JO 2008 ne confirment une quelconque domination

d’efficacité mais plutôt une égalité observée entre les deux types de techniques

(Tableau 5). En raison d’une probabilité calculée de 77,9 % supérieure au niveau de

signification (p<0.05), le test de Friedman n’exprime aucune différence significative

eJRIEPS, 44 | 2019

15

entre ces indices d’efficacité des techniques non classées. De la même façon ce test ne

distingue pas de différence significative de l’efficacité des techniques classées à cause

de sa probabilité de 22,3 % plus élevée que le seuil de signification (p<0.05). En

conséquence, ces indices d’efficacité pour les deux types de techniques restent stables

pour l’ensemble des médaillés durant ces compétitions et ne connaissent pas de forts

bouleversements.

Tableau 5. Efficacité offensive (I

1) des techniques classées et non classées des médaillés

olympiques

Techniques classées Techniques non classées

Athènes Pékin Londres Athènes Pékin Londres

Or 25,0 25,0 14,3 42,9 30,8 7,1

Argent 27,3 0,0 25,0 15,9 16,7 20,0

Bronze 1 0,0 13,3 0,0 9,5 10,0 16,7

Bronze 2 18,2 8,3 0,0 47,6 9,5 16,7

Moyenne 17,6 11,7 9,8 29,0 16,7 15,1

Ecart-Type 12,4 10,5 12,2 19,1 9,9 5,5

4. 7. Rendement des actions efficaces du médaillé

15 En matière de rendement, le champion olympique est le médaillé qui décroche le plus

de points pour toute action motrice classée exécutée lors de ces trois épreuves. Ceci est

révélateur de sa grande qualité d’exécution. Ce rendement élevé est maintenu encore

pour les techniques non classées durant les JO 2004 et 2008. Toutefois, malgré son sacre

cette position dominante est perdue lors des JO 2012 au profit du médaillé de bronze 1.

La virtuosité technique de ce dernier lui permet de se procurer le meilleur rendement.

S’agissant du rendement moyen de ces médaillés, il est identique pour les deux types de

techniques lors des deux premières épreuves. En revanche, aux JO 2012 la supériorité

du rendement moyen des techniques non classées produit par ces mêmes médaillés est

manifeste (Tableau 6). D’une manière générale, les techniques non classées exécutées

par ces médaillés sont nettement récompensées en décrochant plus de points que les

techniques classées. D’autre part, le test de Friedman n’indique pas de différence

significative du rendement des techniques non classées en raison d’une probabilité de

77,9 % supérieure au seuil de signification (p<0.05). Le même indice pour les techniques

classées ne présente aucune différence significative grâce à la probabilité de 62,7 % plus

élevée que ce même seuil signification (p<0.05). De sorte que la valeur en points

justifiant toute projection efficace de l’adversaire par le biais des techniques classées et

non classées reste stable tout au long de ces trois compétitions.

eJRIEPS, 44 | 2019

16

Tableau 6. Rendement (I2) des techniques classées et non classées des médaillés olympiques

Techniques classées Techniques non classées

Athènes Pékin Londres Athènes Pékin Londres

Or 9,0 10,0 8,5 8,3 10,0 5,0

Argent 5,6 0,0 7,3 5,4 6,0 6,4

Bronze 1 0,0 4,0 0,0 7,5 5,0 9,0

Bronze 2 6,0 3,0 0,0 6,8 8,5 6,5

Moyenne 5,2 4,3 3,9 7,0 7,4 6,7

Ecart-Type 3,8 4,2 4,6 1,2 2,3 1,7

4. 8. Rendement des combats du médaillé

16 La moyenne élevée de points enregistrés à chaque épreuve par les techniques non

classées constitue la preuve de leur rentabilité supérieure à celle des techniques

classées. Individuellement, le champion olympique se distingue comme l’unique

médaillé capable de rentabiliser chacun de ses combats au moyen des deux types de

techniques. Les autres médaillés ne peuvent se targuer d’un tel exploit en raison de leur

manque d’efficacité observée parfois dans le domaine des techniques classées (Tableau

7). En fait, à cause d’une probabilité de 62,7 %, le test de Friedman ne distingue pas de

différence significative entre les valeurs de cet indice pour ce qui concerne les

techniques classées. Ceci reste aussi valable pour celui des techniques non classées en

raison d’une probabilité de 36,8 % supérieure à ce seuil de signification. En

conséquence, le rendement de tout combat en points grâce à la bonne réalisation des

deux types de techniques ayant permis de projeter les différents adversaires reste sans

changement au cours de ces trois compétitions.

Tableau 7. Rendement (I

3) par combat des techniques classées et non classées des médaillés

olympiques

Techniques classées Techniques non classées

Athènes Pékin Londres Athènes Pékin Londres

Or 5,4 2,0 3,4 5,0 8,0 1,0

Argent 3,4 0,0 5,8 7,6 3,6 6,4

Bronze 1 0,0 1,6 0,0 3,0 1,0 5,4

Bronze 2 2,0 1,5 0,0 11,3 2,8 7,8

eJRIEPS, 44 | 2019

17

Moyenne 2,7 1,3 2,6 6,3 3,9 4,9

Ecart-Type 2,3 0,9 3,3 3,0 3,0 2,8

5. Discussion

17 Le système de compétition en judo se développe grâce à l’accroissement des

Championnats majeures et des tournois internationaux. Cet élargissement contribue au

développement de la technique et de ses variantes dans le but d’améliorer l’efficacité

du judoka (Habersetzer, 1992). Outre ses techniques classées, le judo de haut niveau fait

appel également à des techniques non classées dont l’usage durant les épreuves

olympiques est confirmé par la présente analyse. L’intérêt de leur intégration répond

non seulement à des besoins techniques, mais aussi tactiques compte tenu des solutions

qu’elles proposent pour s’accommoder aux difficultés défensives rencontrées durant les

combats (Rosso et al., 2006). La baisse successive constatée de leur sollicitation durant

ces olympiades peut être justifiée, en partie, par les amendements réglementaires

introduits par l’instance internationale dans ses règles de compétition. Ces injonctions

réglementaires modifient le statut de ces techniques. En effet, portées au départ

exclusivement vers l’attaque, elles se transforment en techniques de combinaison ou de

contre-attaque (International Judo Federation [IJF], 2009 ; 2010). L’analyse des

Championnats du Monde 2009 et 2010, des tournois de Paris 2008 et 2009 ainsi que

Tokyo 2010 corrobore cette incidence significative sur la fréquence des techniques non

classées (Adam et al., 2011 ; Tamura et al., 2012 ; Ito et al., 2013). Dans le but d’atténuer

l’effet de ces amendements, les judokas de haut niveau se retrouvent dans l’obligation

d’établir de nouvelles stratégies afin de s’adapter le plus rapidement, sur le plan

tactique et technique, aux nouvelles règles (Ito et al., 2014).

18 Plusieurs études confirment l’adoption dominante par les catégories légères des

techniques classées du groupe Te-waza (Franchini & Sterkowicz, 2003 ; Kruszewski et

al., 2005 ; Boguszewski, 2010). Les sujets de la présente analyse semblent s’inscrire dans

la même logique. Leur choix préférentiel se porte davantage vers les techniques non

classées plutôt que celles classées appartenant à ce groupe. En effet, la stabilité

bipodale, l’augmentation de l’incertitude, la diversité des options techniques, leur

grande rentabilité ainsi que la stature des judokas sont autant de raisons qui

permettent d’arguer le choix de ces techniques par les médaillés de cette catégorie de

poids. La domination de ce groupe ressemble, fort bien, à celle enregistrée au cours des

JO 2008 et 2012 par les médaillés de la catégorie (-81 kg) (Ait Ali Yahia, 2014b). De plus,

indépendamment de Te-waza, ces médaillés s’appuient aussi sur celles de Sutemi-waza.

Cette suprématie de Te-waza devant Sutemi-waza est certifiée par Inman (2005) dans

son étude consacrée aux combats des JO 2004. En ce qui concerne les techniques d’Ashi-

waza et Koshi-waza, hormis leur sollicitation durant les JO 2012, l’intérêt des médaillés

envers elles reste insignifiant. Leur structure constitue un obstacle, et ne favorise pas la

mise en valeur de nouvelles techniques.

19 Pour en découdre avec les systèmes défensifs extrêmement efficaces rencontrés durant

leurs affrontements, les médaillés olympiques sont dans l’obligation de disposer d’un

registre technique individuel global le plus large possible. Cette largeur renseigne

inéluctablement sur le degré de maîtrise technique dont font preuve ces médaillés

eJRIEPS, 44 | 2019

18

durant leur périple compétitif. Son acquisition est assurée grâce à l’intégration des

techniques classées issues de leur processus d’apprentissage, mais aussi de celles

résultant de leur recherche et créativité. Le judo est reconnu comme une discipline

technique et, à ce sens, le judoka expert est amené à élargir de plus en plus son

répertoire gestuel. Disposer de solutions adéquates lui permet une adaptation aux

multiples problèmes rencontrés en compétition. La qualité de ce répertoire, qui

incorpore des solutions motrices non conventionnelles, est révélatrice du niveau de

savoir-faire technique à acquérir pour tout judoka de haut niveau désirant s’exprimer

efficacement. Elle est aussi une exigence nécessaire à tout couronnement. Ce n’est pas

sans raison que son rôle capital dans le dispositif offensif est souligné, mais aussi les

conséquences défensives qui en résultent. Ainsi, Rosso et al (2006) confirment que

« plus l’adversaire dispose d’un registre offensif étendu, plus il est délicat de le limiter

dans son expression ». Ce qui laisse entendre que toute activité offensive produite par

le judoka de haut niveau est tributaire, en premier lieu, de la valeur de son registre

technique individuel. À ce sujet, Gaudin (2009) est catégorique en rappelant qu’on « ne

peut reprocher au sport son manque d’efficacité ; la victoire est même son unique but.

Par contre, on pourra lui reprocher sa pauvreté dans la palette des gestuelles

mobilisées ou un manque d’esthétique ». D’autre part, le répertoire exprimé des

techniques classées par ces médaillés durant ces trois olympiades marque une certaine

stagnation. Sa valeur, pour ainsi dire, est paradoxalement proche de celle des

champions olympiques et mondiaux identifiée par Weers (1997) à six techniques.

20 La part faible des solutions non académiques déterminée par quelques études est

indicative du peu d’intérêt porté par les judokas de l’époque. Plusieurs raisons peuvent

justifier ce manque de sollicitation. La place primordiale des techniques classées dans

leur dispositif offensif est la raison principale de cette négligence délibérée. Le niveau

des systèmes défensifs est un autre argument qui n’a pas favorisé leur émergence. Bien

qu’indiquant leurs fréquences, il est reproché à ces études leur manque d’informations

concernant l’impact de ces techniques non classées (Sterkowicz & Maslej, 1999 ;

Sterkowicz & Franchini, 2000). De plus, seule la première étude notifie leur efficacité,

laquelle est confirmée plus tard par celle de l’activité offensive des médaillés de la

catégorie (-81 kg) aux JO 2008 et 2012 (Ait Ali Yahia, 2014b). Par ailleurs, l’efficacité

évaluée par le biais des différents indices, au regard de la présente étude, prouve sa

large supériorité vis-à-vis de celle des techniques classées. Ce qui justifie leur place

prépondérante au sein de l’activité offensive de ces médaillés olympiques. Cependant, Il

est clairement avéré que la complexification de plus en plus importante du judo

moderne est un facteur encourageant pour leur incorporation massive. Du fait de leur

identification, cette efficacité établie permet à ces techniques non classées, une

possibilité de transmissibilité et une probable intégration dans le processus

d’entraînement et de préparation des judokas de haut niveau.

6. Conclusion

21 Le podium des médaillés olympiques de la catégorie (-60 kg) est une conséquence

directe de la combinaison parfaite des deux types de techniques. Bien que les

considérations techniques et tactiques soient manifestes, le registre est un indicateur

justifiant l’intégration réelle des techniques non classées dans l’activité offensive de

cette catégorie de poids. La présente analyse corrobore leur place dans l’activité

eJRIEPS, 44 | 2019

19

offensive ainsi que leur impact sur la performance de ces médaillés. Leur rendement

nettement supérieur à celui des techniques classées en est la preuve toute indiquée. Le

groupe Te-waza prouve, du fait de son potentiel, sa place déterminante dans cette

activité offensive.

22 Dans le monde extrêmement concurrentiel des sports de combat, le judo doit s’adapter

à cette réalité et trouver les moyens adéquats pour sauvegarder sa place dominante

chèrement acquise depuis son admission aux Jeux Olympiques 1964. L’apparition de

nouveaux sports de combats surmédiatisés comme le MMA (Mixed Martial Art) est

réellement dangereuse et peut, à long terme, lui porter préjudice. C’est pourquoi son

intérêt est primordial et, à ce titre, l’avènement de ces techniques ne doit en aucun cas

être ressenti comme une menace par les décideurs restés fidèles à l’esprit de son

créateur Jigoro Kano. De ce fait, une reconnaissance officielle leur assurerait un usage

légal en compétition, et les débarrasserait à jamais de ce statut de techniques non

autorisées. Or, fermer la porte à ces techniques n’est aucunement la solution adéquate,

cela menacerait la pérennité de cette discipline. Même le durcissement de l’arsenal

réglementaire n’altère nullement leur existence. Par ailleurs, recadrer cette créativité

conformément aux règles en vigueur reste le seul gage de sécurité pour sauvegarder

son essence même. L’actualisation des classifications officielles serait une nécessité

absolue en raison de l’intérêt grandissant de ces techniques non classées dans le judo

actuel (British judo Association [BJA], 2012).

23 Enfin, aucune recherche, quel que soit son objet, ne peut se prévaloir d’être exhaustive

et à plus forte raison la nôtre qui présente, sans aucun doute, quelques limites

matérielles manifestes en raison de l’étude d’une seule catégorie de poids. En

conséquence, pour conforter avec force ce rôle incontestable des techniques non

classées dans l’obtention des résultats des judokas de haut niveau, une approche

expérimentale élargie à l’ensemble des catégories de poids est exigible. En l’occurrence,

l’existence des « pourris-waza » de Teddy Riner et certainement de techniques

semblables exécutées par d’autres médaillés des autres catégories devraient nous

interpeller afin de ne pas les occulter indéfiniment.

BIBLIOGRAPHIE

Adam, M., Smaruj, M., & Tyszkowski, S. (2011). The diagnosis of the technical-tactical preparation

of judo competitors during the World Championships (2009 and 2010) in the light of the new judo

sport rules. Archives of Budo, 7(1), 5-9.

Adam, M., Wolska, B., Klimowicz, P., & Smaruj, M. (2013). Characteristics of technical-tactical

preparation of Russian men’s judo representation during the Olympic Games in London in 2012.

Baltic Journal of Health and Physical Activity, 5(4), 249-260.

Ait Ali Yahia, A. (2014a). Profil technique et tactique des judokas médaillés. Cas de la catégorie

(-81kg). Revue Sciences et Pratiques des Activités Physiques Sportives et Artistiques, 1(5), 19-29.

eJRIEPS, 44 | 2019

20

Ait Ali Yahia, A. (2014b, Avril). Kokusai-shiai-waza et son impact sur le rendement des médaillés de la

catégorie (-81 kg) aux Jeux Olympiques Pékin 2008 et Londres 2012. 12e JORRESCAM, Université de

Toulon, 10-11.

Bertsch, J. (1983). Créativité motrice. Revue EPS, 181, 46-48.

British judo Association. (2012). Junior mon grade promotion syllabus. Revised edition. http://

www.britishjudo.org.uk

Boguszewski, D. (2010). Technical fitness training of judokas finalists of top world tournaments in

the years 2005-2008. Journal of combat sports and martial arts, 1(2), 109-114.

Bouthier, D. (2000). L’intervention en EPS, panorama des axes et des types de recherches conduites ces

dernières années. Colloque ARIS, Grenoble 14-16 décembre.

Cadière, R. (2010). Le perfectionnement technique. Dans T. Paillard (Ed.), Optimisation de la

performance sportive en judo, (p. 243-262). Bruxelles : De Boeck Université.

Calmet, M. (2005). Au carrefour du combat, de l’acrobatie, et de l’expression : les cascades de

combat. Dans JF. Robin, D. Lehenaff, & E. François (Eds.), Les dimensions artistique et acrobatique du

sport, Les cahiers de l’Insep, 36, (p. 245-252). Paris : Insep Éditions.

Calmet, M. (2010). Analyse des combats lors des compétitions de haut niveau. Dans T. Paillard

(Ed.), Optimisation de la performance sportive en judo (p. 263-287). Bruxelles : De Boeck Université.

Charlot, E. (2015). Mondiaux d'Astana, les faits marquants du sixième jour. L'Esprit du Judo. http://

www.lespritdujudo.com/actualites/mondiaux-d-astana-les-faits-marquants-du-sixieme-jour

Daigo, T. (2005). Kodokan judo : Throwing techniques. Tokyo : Kodansha International.

De Crée, C., & Edmonds, DA. (2012). A technical-pedagogical and historical reflection on the

conceptual and biomechanical properties of Kodokan judo’s “ko-uchi-gari” [minor inner reaping

throw]. Comprehensive psychology, 1, 1-13.

Flamand, JB., & Gibert, JP. (1993). Judo champion. Les techniques du succès au sol. Paris : Solar.

Franchini, E., & Sterkowicz, S. (2003). Tática e técnica no judô de alto nível (1995-2001) :

considerações sobre as categorias de peso e os gêneros. Revista Mackenzie de educação física e

esporte, 2(2), 125-138.

Gaillard, J. (1991). Pour une didactique de la création. Revue EPS, 227, 51-55.

Gaudin, B. (2009). La codification des pratiques martiales. Une approche sociohistorique. Actes de

la recherche en sciences sociales, 4(179), 4-31.

Gil’Ad, A. (1999). Nomenclature. International Judo Coaches Alliance. http://www.judoamerica.com/

ijca/nomenclature/nomenclature.pdf.

Granitto, G. (2001). Quel type d’intelligence faut-il posséder pour réussir au tennis ? ITF Coaching

& Sport Science Review, 23, 12-13.

Habersetzer, R. (1992). Budoscope, tome 2 : Découvrir le judo. Paris : Amphora.

Hristovski, R., Davids, D., Araujo, D., & Passos, P. (2011). Constraints induced emergence of

functional novelty in complex neurobiological systems : A basis for creativity in sport. Nonlinear

Dynamics, Psychology, and Life Sciences, 15(2), 175-206.

Inman, R. (2009). 40 Years of judo waza. British Judo Association : National Technical Congress.

Inman, R. (2005, September). Classification of innovative international competition techniques. IJF

World Judo Research Symposium, Cairo.

eJRIEPS, 44 | 2019

21

International Judo Federation. (2009). Refereeing new rules. www.intjudo.eu

International Judo Federation. (2010). Refereeing new rules. www.intjudo.eu

Ito, K., Hirose, N., Nakamura, M., Maekawa, N., Tamura, M., & Hirotsu, N. (2013). The

transformation of technical-tactical behaviors for hand techniques used in attacking below the

belt after the 2010 International Judo Federation rule revision. Archives of Budo, 9(1), 1-6.

Ito, K., Hirose, N., Nakamura, M., Maekawa, N., & Tamura, M. (2014). Judo kumi-te pattern and

technique effectiveness shifts after the 2013 International Judo Federation rule revision. Archives

of Budo, 10(1), 1-9.

Janjaque, M.C. (2003, Mayo). El judo : control del rendimiento tactico. Revista Digital, 60. http://

www.efdeportes.com/efd60/judo.htm.

Kashiwasaki, K. (1995). Tomoe-Nage. Paris : Chiron.

Koga, T. (2008). A new wind. Bristol : Fighting Films.

Kruszewski, A., Jagiełło, W., & Adamiec, T. (2008). Technical fitness of judoists (weight category

-66 kg) participating in European Championships 2005. Physical Education and Sport, 52, 27-29.

Ohlenkamp, N. (1999). Official international judo federation techniques. http://judoinfo.com /

wazalist.htm.

Rosso, P., Frémont, S., & Avanzini, G. (2006). La tactique en judo. Les cahiers de l’entraîneur, 2, 6-13.

Sterkowicz, S. (1998, September). Differences in the schooling tendencies of men and women practicing

judo (Based on the analysis of the judo bouts during the 1996 Olympic Games). USJI National Judo

Conference - International Research Symposium, Colorado Springs Annals, Colorado Springs,

United State Olympic Training Center, 14-15.

Sterkowicz, S., & Franchini, E. (2000). Techniques used by judoists during the world and olympic

tournaments 1995-1999. Human movement, 2(2), 24-33.

Sterkowicz, S., & Maslej, P. (1999). An evaluation of the technical and tactical aspects of judo matches at

the seniors level. http://www.judoamerica.com./

Tamura, M., Hirose, N., Nakamura, M., Saitoh, H., Yamauchi, N., Tanaka, C., & al. (2012). Changes

in judo kumite tactics according to revisions of the IJF competition rules. Research Journal of Budo,

45(2), 143-149.

Vial, P., Roche, D., & Fradet, C. (1978). Le judo : évolution de la compétition. Paris : Vigot.

Weers, G. (1997). Skill range of the elite judo competitor. http://judoinfo.com/weers1.htm

Witkowski, K., Maśliński, J., & Kotwica, T. (2012). Analysis of fighting actions of judo competitors

on the basis of the men’s tournament during the 2008 Olympic Games in Beijing. Journal of Combat

Sports and Martial Arts, 3(2), 121-129.

ANNEXES

Glossaire

Techniques classées : Techniques de judo admises dans les classifications officielles

(FIJ, Kodokan, etc.).

eJRIEPS, 44 | 2019

22

Techniques non classées : Techniques de judo exécutées en compétition de haut

niveau mais ne figurent pas dans les classifications officielles.

Nage-waza : Techniques de projection effectuées par le judoka en position debout

(Tashi-waza) ou en position étendue au sol (Sutemi-waza).

Ne-waza : Techniques réalisées par le judoka au sol intégrant des immobilisations

(Osaekomi-waza), des luxations (Kansetsu-waza) et des étranglements (Shime-waza).

Kinshi-waza : Techniques interdites en compétition au motif qu’elles peuvent porter

préjudice à l’intégrité physique de l’adversaire.

Kokusai-shiai-waza : Techniques de combat non officielles observées au niveau

international.

Te-waza : Techniques de projection accomplies au moyen de la main ou du bras.

Ashi-waza : Techniques de projection pratiquées au moyen de la jambe ou du pied.

Koshi-waza : Techniques de projection exécutées au moyen de la hanche.

Sutemi-waza : Techniques de projection réalisées en sacrifiant l’équilibre du corps du

judoka attaquant vers l’avant (Ma-sutemi-waza) ou sur le côté (Yoko-sutemi-waza).

RÉSUMÉS

Objectif : Le but du présent travail a été d’évaluer l’incidence des techniques non classées,

produit de la créativité mais ne figurant pas encore dans les classifications officielles, sur

l’activité offensive des judokas médaillés de la catégorie (-60 kg). Matériel et méthodes :

L’observation en différé a porté sur les soixante-deux (62) combats auxquels ont pris part les

douze (12) judokas couronnés (3 Or, 3 Argent et 6 Bronze) lors des olympiades 2004, 2008 et 2012.

Une comparaison des variables justifiant l’activité offensive par le biais des techniques classées et

non classées a été effectuée. Résultats : L’analyse des résultats obtenus a conforté le rôle

prépondérant des techniques non classées dans l’activité offensive de ces médaillés grâce à leurs

fréquences élevées, des registres plus larges, des scores meilleurs et des rendements supérieurs.

Conclusion : Leur intégration dans les classifications officielles pour la résolution des problèmes

techniques et tactiques au demeurant complexes serait souhaitable pour le développement du

judo de haut niveau.

Objective: The purpose of this study was to assess the impact of unclassified techniques,

produced by creativity but not yet included in the official classifications, on the offensive activity

of judokas medalists in the category (-60 kg). Material and methods: The deferred observation

covered the sixty-two (62) fights that took part twelve (12) medalists judokas (3 Gold, 3 Silver and

6 Bronze) during the Olympics 2004, 2008 and 2012. A comparison of the variables justifying

offensive activity using classified and unclassified techniques was carried out. Results: The

analysis of results obtained confirmed the dominant role of unclassified techniques in the

offensive activity of these medalists thanks to their high frequencies, wider registers, better

scores and higher productivity. Conclusion: Their integration into official classifications for the

resolution of technical and tactical problems, which are complex, would be desirable for the

development of high-level judo.

eJRIEPS, 44 | 2019

23

INDEX

Keywords : judo, Olympic Games, medalists, offensive activity, unclassified techniques,

performance

Mots-clés : judo, Jeux Olympiques, médaillés, activité offensive, technique non classée,

performance

AUTEURS

AMAR AIT ALI YAHIA

Institut National de Formation Supérieure en Sciences et Technologie du Sport Abdellah Fadhel,

Algérie.

MICHEL CALMET

Université de Montpellier, Faculté des Sciences et Techniques des Activités Physiques et

Sportives (STAPS), France.

eJRIEPS, 44 | 2019

24

L’opposition au cœur de l’analysedes sports collectifsThe notion of opposition at the heart of team sport analysis

Eric Duprat

1 Les activités physiques de manière générale couvrent un ensemble de pratiques

scolaires et civiles plus ou moins ludiques. Ainsi, le phénomène de jeu représente

souvent un élément clef concernant la motivation pour cette pratique (Gay, 1981). Par

ailleurs, les jeux traditionnels placent les acteurs dans une situation de confrontation

ou d’opposition qui peut être diluée dans le temps ou contigüe, c’est à dire que les

oppositions peuvent être immédiates ou différées dans le temps. On y trouve ainsi des

activités en opposition indirecte (jeu en parallèle, jeu en opposition simultanée, jeu à

camps différenciés), des jeux où l’opposition est directe et interpénétrée avec des

statuts différenciés des joueurs, et des jeux avec statuts indifférenciés pour les joueurs

(Jeu, 1977). Dans le cadre des pratiques sportives référencées en contexte scolaire, nous

pouvons classer les activités à partir du type d’habiletés pratiquées par les joueurs.

Ainsi dans les confrontations directes, il y a deux principales catégories : les activités à

habiletés semi-ouvertes et celles à habiletés ouvertes (Knapp, 1971). Les premières

correspondent aux habiletés dans le jeu où le joueur est en opposition en un contre un

ou deux contre deux sans échange entre partenaires. Ces activités peuvent prendre la

forme d’une confrontation rapprochée (sport de préhension) ou d’une confrontation à

distance avec ou sans objet (escrime, boxe). Elle peut aussi être lointaine médiée par un

obstacle (filet) où la balle, le volant, le ballon, est à la fois ce qui peut rapprocher du

partenaire et séparer des joueurs de l’équipe adverse. Les secondes concernent les

sports collectifs où l’activité se déroule dans des espaces interpénétrés (excepté en

volley-ball) et de signe contraire. Le gain du match devient l’élément caractéristique

(Jeu, 1997), le but à atteindre. Les joueurs se disputent la possession de l’objet et

cherchent à le conserver pour marquer. La balle, le ballon, le palet, sert ainsi de lien

aux actions des uns et des autres et se retrouve indissociable du jeu (Gréhaigne, 1989).

2 Cette confrontation est comprise comme un ensemble d'usages réglés par les lois du jeu

(Deleplace, 1979). Elle fournit aux deux équipes un aperçu exclusif permettant de bien

eJRIEPS, 44 | 2019

25

se comparer tout en s’opposant. Elle engendre également la mise en perspective de

problèmes à résoudre pour les joueurs. Toutefois, l’étude de ces confrontations

démontre l’importance de rester d’abord attentifs à des aspects factuels, c’est-à-dire

d'évaluer les prestations sportives à partir des actions réalisées et des choix de jeu

effectués, et non des personnes impliquées. Néanmoins, plus les thèmes abordés dans

ces analyses sont complexes et essentiels, plus la responsabilité des joueurs en relation

avec leurs systèmes de valeurs est engagée. Ainsi, dans une rencontre de bon niveau,

ces deux aspects sont en grande partie imbriquées que ce soit au niveau personnel ou

collectif (Duprat, 2005). Parler de liens antagonistes en sport collectif c’est insister et

mettre en avant le caractère irréductible de la confrontation. Cette tension entre

attaque et défense est au cœur de l’essence des sports collectifs. Déjà en 1979, Deleplace

soulignait l'importance des techniques gestuelles employées par les joueurs, mais aussi

la nécessité de toujours resituer ces actions dans le contexte du « rapport

d'opposition », en précisant « que c'est ce rapport d'opposition des forces antagonistes

en présence, traduit de loin en loin par l'évolution du score du match, qui caractérise

l'activité en sports collectifs » (Deleplace, 1979, p 12). Si les joueurs ne peuvent pas

s’adapter ou changer de jeu, l’équipe a toutes les chances de perdre. Que l’on soit dans

le cadre de la « pratique culturelle de référence » (Martinand, 1987) ou dans celle de

l’éducation physique et sportive, les problématiques sont du même ordre. Même si la

complexité est plus réduite pour la seconde vu la réduction des effectifs en

confrontation, et que les objectifs de performance sont primordiaux pour la première.

3 Dans le numéro d’eJRIEPS - Hors-série n° 1 sur les sports collectifs (Gréhaigne, 1992a ;

Gréhaigne & Dietsch, 2015), les auteurs avaient déjà attiré l’attention des lecteurs sur

l’impérative nécessité de considérer l’opposition comme le facteur premier dans

l’analyse du fonctionnement d’une rencontre. Pourtant, on voit périodiquement

resurgir un certain nombre d’études scientifiques en sports collectifs (Bourbousson &

Sève, 2010 ; Clemente, Lourenço Martins & Sousa Mendes, 2016) qui se centrent sur

l’équipe et son fonctionnement sans tenir compte du fait que ce collectif n’existe

véritablement que dans l’opposition à une autre équipe (Deleplace, 1979 ; Gréhaigne,

2011 ; Sartre, 1960).

4 A ce titre, l'organisation d’une équipe est avant tout une répartition des rôles et des

fonctions. C’est la distribution de tâches aux joueurs qui doivent collaborer ensemble

afin de mieux assurer la coordination de leurs actions en vue de gagner le match

(Duprat, 2007). Chaque joueur est à la fois une entité propre et une unité appartenant à

un ensemble. La première source de problèmes existe au sein même de l’équipe, en

fonction du statut accordé à chacun. Ce statut particulier des joueurs doit être reconnu

et accepté par tous les coéquipiers. Le joueur n’est rien sans ses partenaires, et l’équipe

a besoin que chacun d’entre eux s’exprime au mieux de ses compétences. Ainsi, la place

du joueur dans ce réseau commun de compétences constitue souvent un révélateur

fiable des rapports réciproques entre le joueur et ses coéquipiers. Parfois, face à

l’adversité, cela peut prendre la forme d'une rivalité et des conflits naissent entre deux

ou plusieurs partenaires. A d’autres moments, lorsque la pression se relâche et que

l’urgence du jeu collectif disparait, le groupe retombe dans un rassemblement de

joueurs où la coopération peut être très faible (Gréhaigne, 2011). Le projet de vaincre

collectivement les adversaires doit rester le fil conducteur des actions des joueurs,

garantissant ainsi la cohésion du groupe pour atteindre l’objectif fixé.

eJRIEPS, 44 | 2019

26

5 Nous allons ainsi examiner différents éclairages à propos de la notion d’opposition dans

l’étude des sports collectifs afin de bien démontrer que cette notion est centrale. À cet

effet, nous allons discuter successivement de la notion d’opposition en rapport avec le

règlement, puis avec différents concepts inhérents aux caractéristiques de ce jeu tels que

la stabilité, la turbulence, etc. Nous aborderons ensuite la notion de réversibilité qui est au

centre de la problématique du jeu lié au changement constant de statut du joueur. Nous

insisterons également sur la notion d’incertitude et l’aspect chaotique de la pratique, lié

aux notions d’ordre et de désordre. Enfin nous reviendrons sur les liens entre

opposition et stratégie.

1. Règles et opposition

6 En sport collectif, les joueurs doivent se soumettre à des obligations dans le jeu comme

par exemple évoluer dans les limites de l’espace de jeu réglementaire. Ils disposent par

contre d’une importante liberté d’actions dans l’utilisation du ballon, porter, conduire,

dribbler ou passer la balle sous certaines conditions. Ainsi, dans le même temps, un

joueur doit être à la fois soucieux de la réussite collective pour tenter de gagner le

match, en combinant ses actions avec celles de ses partenaires. S’ajoute à cela son

intérêt individuel en essayant de faire la différence ou de réaliser des gestes efficaces

voire esthétiques, au sens artistique de la pratique. Ce constat permet de réfléchir sur

les caractéristiques des joueurs en prenant en compte le poids du contexte

institutionnel, mais aussi en laissant des marges de manœuvre à l’acteur pour qu’il

puisse mener à bien les tâches dont il est chargé et exprimer sa créativité.

7 La pratique des jeux et des sports collectifs est basée sur la tentative de résoudre des

problèmes qui apparaissent arbitraires dans une certaine mesure. Les moyens utilisés

par les joueurs afin de résoudre ces problèmes ne sont pas toujours évidents et

efficaces. Même si les niveaux de jeu ont évolué à travers les années, les principales

caractéristiques de ces actions en jeu restent aisément identifiables. Les joueurs sont

ainsi tous concernés par la résolution de problèmes dans lesquels ils tentent, seuls ou

en équipe, de prendre l'ascendant sur un autre. Tous les jeux et sports collectifs sont

caractérisés par une série de règles, lois du jeu, qui fournit une structure et définit le

problème (cf. aire de jeu, équipement, nombre de joueurs, temps accordés) (Almond,

1986). Afin de résoudre les problèmes, les joueurs exécutent des actions motrices

(actions techniques) en fonction des stratégies déterminées préalablement et/ou à

partir d’actions tactiques permettant de réagir aux actions des adversaires.

8 Afin de faciliter l’identification des situations de jeu, nous parlerons d’abord de règles

premières. Les règles premières ne définissent pas le but du jeu (cf. la finalité), mais elles

concernent les moyens utilisés pour atteindre cette finalité lorsque le problème du jeu

sera toujours le même. Ainsi, les règles premières décrivent les moyens autorisés pour

les joueurs afin de résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés. Ces règles

fournissent au jeu ses caractères essentiels. Par exemple, bien que les deux jeux aient

une origine commune les règles premières font que le football est football et non rugby.

Entre autres, les deux règles majeures qui nourrissent le football et en font ce qu’il est,

sont directement en lien avec la régulation de l’opposition. Il s’agit de la loi 11 sur le

« hors-jeu » et de la loi 12 sur les « fautes et conduites inconvenantes » (IFAB, 2017). La

première règle limite les pouvoirs de déplacement du joueur pour le contraindre à

affronter au moins deux joueurs adverses dont un peut être au même niveau (avant

eJRIEPS, 44 | 2019

27

dernier défenseur) et l’autre en barrage à la cible (gardien de but) avant de marquer. La

seconde règle précise les moyens dont dispose les joueurs dans leur utilisation du

ballon, mais aussi les droits et devoirs qu’ils ont dans le cadre de l’affrontement avec

l’adversaire lors de la lutte pour s’approprier le ballon.

9 En fonction de ces règles premières, des joueurs peuvent jouer dès lors que les buts

sont présents, sans devoir limiter précisément le terrain. Ils peuvent jouer sans

nécessairement avoir un ballon réglementé, comme les enfants le font avec une balle en

papier ou en chiffon par exemple. Ils peuvent également jouer avec un nombre de

joueurs différents, du moment que l’équilibre des forces est conservé. Les joueurs

peuvent aussi jouer des heures durant, tant que la luminosité le permet, et jouer sans

arbitre comme cela se faisait à l’origine du jeu. Il est même possible de jouer,

paradoxalement, sans la règle du hors-jeu, si difficile à faire appliquer vu sa complexité

sans arbitre. Cette étape rend la pratique plus aisée pour les débutants ou dans le cadre

scolaire. Il n’est toutefois pas possible de jouer sans définir les rapports d’opposition ou

bien l’on retourne à la soule. La confrontation des joueurs pour s’approprier l’objet

convoité individuellement et collectivement est le cœur du jeu. Pour tous, elle nourrit

les aspects émotionnels de la pratique et au haut niveau, la dramaturgie du spectacle.

2. Des concepts pour prendre en compte l’oppositiondans le jeu

10 Différents concepts peuvent être employés pour illustrer la complexité de cet

affrontement entre deux équipes en sport collectif. Si on examine le vocabulaire

couramment employé pour qualifier les rencontres de sport collectif, on retrouve

souvent les mêmes termes ou concepts. Gréhaigne et Godbout (2012) de même que

Gréhaigne et Dietsch (2015a) ont déjà exposé assez longuement les concepts

d’équilibre / déséquilibre, d’avance / retard et de barrage / poursuite. Mais un premier

concept qui vient à l’esprit concerne la notion de derby car elle revêt toujours une

tonalité particulière du fait d’une rivalité souvent notable. Un derby est une rencontre

sportive entre deux équipes de la même ville, voire entre deux villes géographiquement

voisines (Lyon vs Saint Etienne), d’où un antagonisme un peu exacerbé (Morris, 1981).

Au final, tous ces éléments plus conceptuels permettent d’envisager une rencontre de

football sous des angles différents en fonction des circonstances qui concourent tous à

comprendre l’évolution et le résultat de l’affrontement.

2. 1. Quelques autres concepts

11 Les termes examinés maintenant sont également présentés de façon antinomique et

illustrent, si l’on tente de dépasser leur contradiction apparente, une pensée

discontinue basée sur l'opposition, la confrontation. Le mouvement général permet

d'apporter une meilleure réponse aux problèmes inhérents au déroulement du jeu.

Stabilité / Perturbation

12 La stabilité renvoie au caractère de ce qui se maintient tel quel, sans profonde

variation, pendant un temps assez long. Les choix de jeu, c'est-à-dire l’organisation

basique traditionnellement illustrée lors de l’annonce de la composition des équipes (le

eJRIEPS, 44 | 2019

28

système), est la représentation type de la stabilité initiale d’une équipe. C’est pour ainsi

dire une source sécuritaire de la structuration du collectif. A partir de ce schéma,

plusieurs circuits relationnels vont apparaître dans la circulation du ballon, jusqu’au

circuit préférentiel présenté par Dugrand (1989). Dans la confrontation à l’équipe

adverse, le système va subir des contraintes, des déformations et va devoir se réajuster

en fonction des caractéristiques du jeu adverse. C’est à ce titre que des stratégies

peuvent être mises en place et impliquer des articulations différentes de manière

anticipée, suivant le rapport d’opposition estimé. Elles viennent donc perturber le

schéma basique mais s’organisent autour de présupposés non garantis. Ce phénomène

complexifie encore la régulation du jeu de sa propre équipe.

13 Cette structure permet de maintenir une bonne répartition des joueurs sur le terrain

malgré la quantité de mouvement. Elle stabilise la permanence des opportunités de

jouer dans toutes les dimensions de l’espace de jeu. Ainsi, une bonne stabilité défensive,

constituée par un quadrillage permanent du terrain, devient un atout souvent présenté

comme une base de fiabilité. De ce fait, la perturbation constitue donc un dérèglement

dans le fonctionnement du jeu avec des effets sur les mouvements des joueurs et du

ballon. Par exemple, une passe longue soudaine dans la profondeur ou l’élimination

d’un défenseur provoque souvent des réajustements. Chaque déséquilibre peut être

constaté dans l’occupation du terrain à la suite d’une perte du ballon, de l’élimination

d’un défenseur ou à une passe inattendue d’un adversaire qui perturbe l’organisation

de l’équipe.

Statique / Dynamique

14 Le terme statique est relatif à l'équilibre des systèmes matériels, qui est sans

mouvement, qui manque de mouvement, ou qui n'évolue pas. Ceci représente tout ce

qui semble fixé de manière définitive, par opposition à la dynamique. Par exemple, les

phases de lancement du jeu essentielles comme l’énonce Deleplace (1979) en rugby sont

plus rarement exploitées, nous semble-t-il en football, au regard de notre grande

expérience d’éducateur et d’entraineur (1978-2018). Elles sont toutefois primordiales au

futsal ou dans les sports collectifs de petits terrains. Que ce soit des remises en jeu ou

des sanctions techniques, il s’agit de prévoir des combinaisons à partir d’une séquence

figée, certes ponctuelle, mais néanmoins traduite par un départ du jeu arrêté. Ainsi, les

déplacements des joueurs pour surprendre les adversaires, les prendre de vitesse,

réduire leurs possibilités d’intervenir sont exploités grâce au passage rapide et

coordonné d’une situation arrêtée à une situation dynamique.

15 Dans la continuité du jeu, lorsque le porteur de balle recherche un appui et que ses

partenaires sont statiques, il se trouve dans l’incapacité de poursuivre le mouvement

vers la cible adverse. Quand une défense joue la défense en ligne ou le hors-jeu et quelle

marque la position d’alignement, l’instant d’immobilité constitue une faille dans le

dispositif que l’adversaire peut exploiter grâce à la pénétration d’un joueur lancé

(Duprat, 1997). Ainsi, l’étude de la dynamique s’intéresse à l’évolution des phénomènes

dans le temps en relation avec la durée de ceux-ci (Gréhaigne & Godbout, 2012). Ceci est

représenté par l’ensemble de forces qui entraînent et provoquent un mouvement ou

une évolution à l'intérieur d'une structure en développement nommé « le jeu ». Par

exemple, la pénétration d’un joueur venu de l’arrière accompagnée d’un « passe et va »

ou d’un « une-deux » déséquilibre souvent une défense déjà positionnée. A contrario, le

eJRIEPS, 44 | 2019

29

retour d’un joueur en défense, non concerné au départ par la pénétration de

l’adversaire, permet de pallier fréquemment au déséquilibre défensif.

Fixité / Mobilité

16 La fixité ou l’immobilité représente l’état de ce qui apparaît être sans mouvement.

L’inaction des acteurs du jeu ou une faible activité semble au cœur de ce concept. On

retrouve ce genre de comportement chez les débutants garçons ou filles qui restent

stationnés parfois à un endroit du terrain. L’objectif de l’enseignant ou l’éducateur de

jeunes joueurs(es) est alors de les rendre mobiles, de les mettre en mouvement et de les

impliquer dans le jeu. Ils ou elles doivent prendre conscience de leur importance et de

leur responsabilité dans la production collective. Mais cette mise en mouvement n’est

pas neutre ou sans signification. Par exemple, sortir de la zone d’ombre de l’adversaire

et se déplacer dans une zone libre sans y rejoindre un partenaire n’est possible qu’en

occupant rationnellement le terrain. Les joueurs non-porteurs doivent se rendre

accessibles pour le porteur de balle en faisant en sorte que l’adversaire ne puisse pas

intervenir durant la circulation du ballon dans l’intervalle exploité. Ainsi, les

déplacements des non-porteurs prennent du sens au regard de l’organisation qui va

progressivement se mettre en place, mais surtout par rapport aux actions effectuées

par les adversaires. Il suffit d’évaluer le taux de réussite relativement bas en football

(Gréhaigne, 1989 ; Morris,1981 ; Duprat 2005, 2012) pour voir la complexité de la tâche,

même à des niveaux de jeu élevés.

17 D’un autre côté, la mobilité renvoie à la capacité ou la possibilité de déplacement des

joueurs. C’est la propriété de ce qui peut se déplacer dans l'espace, de ce qui est

susceptible de mouvement, de ce qui peut se mouvoir ou changer de place. Dans la

progression d’une équipe vers la cible, cela s’illustre souvent lorsque le porteur cherche

à « fixer » l’adversaire. C’est une action tactique qui consiste à attirer un ou plusieurs

opposants dans une zone afin de libérer un espace pour un partenaire ou un intervalle

entre deux joueurs adverses afin de passer le ballon. Elle est l’illustration même de

l’impossibilité d’aborder la réussite collective sans la traiter à travers la complexité des

rapports d’opposition. Pour cela, les déplacements avec et/ou sans ballon constituent

les éléments clefs de la réussite dans cette confrontation attendue mais imprévisible ou

partiellement prévisible. À titre d’image de ce phénomène, dans une partie d’échecs, il

est possible d’anticiper et de se projeter plusieurs coups plus tard, jusqu’à une certaine

limite. La vitesse de jeu et les actions possibles de l’adversaire sont relativement

prévisibles. Toutefois, cela est beaucoup plus complexe dans une activité d’opposition

collective comme le football ou les réactions des acteurs et les articulations possibles

entre ceux-ci ne sont envisageables que dans un environnement réduit. Par exemple,

lorsque le porteur de balle affronte son adversaire direct ou l’élimine par la passe, il est

malaisé d’anticiper vers un enchaînement sur trois ou quatre temps car l’incertitude

est trop prégnante.

Stationnaire / Turbulence

18 Plutôt utilisé dans l’étude des systèmes, stationnaire est à considérer comme une

situation ou un état dont les bases sont fermes et solides et qui se maintient dans la

durée avec constance, en relation avec un équilibre relatif. Cela peut être aussi une

équipe qui met en place ou déroule son jeu de façon sereine sans précipitation. Enfin, et

eJRIEPS, 44 | 2019

30

c’est paradoxal, la forme de stabilité que présente un état stationnaire peut être

assurée par une bonne dynamique du jeu (Gréhaigne & Godbout, 2012). La constance

dans le jeu peut être considérée comme une marque de maîtrise et de qualité. Basée sur

la conservation du ballon, il suffit de quelques séquences fortes pour ouvrir la marque.

Cela implique un niveau de confiance et de qualité des actions des joueurs très au-

dessus de la moyenne. Pour les équipes de bon niveau, elles s’appuient souvent sur une

certaine complaisance des adversaires qui patiemment attendent leur tour pour

posséder l’objet convoité et venir perturber « l’ordre établi ». Nous sommes souvent

dans le cas d’un rapport de force déséquilibré où le plus faible cherche à se protéger et

à surprendre le favori.

19 Turbulence renvoie à une agitation bruyante et désordonnée. C’est une forme de

désordre avec des mouvements affectés par des chocs et des tourbillons. La turbulence

se concrétise par une apparence très désordonnée, chaotique, du jeu et un

comportement difficilement prévisible des joueurs, aussi bien au plan du temps que de

l’espace. Le jeu avec des turbulences implique un investissement plus important des

joueurs et se traduit par une débauche d’énergie en relation avec des passages

d’instabilité qui peuvent faire évoluer le score dans un sens ou dans l’autre. Le moindre

fait de jeu peut provoquer une évolution du score. Dans les situations d’évaluation,

l’enjeu de l’affrontement peut aussi provoquer un engagement limité dans l’avancée du

jeu vers la cible adverse (Gréhaigne & Godbout, 2012). De toutes les manières, ce sont le

rapport d’opposition en cours et le type choisi d’engagement vers la marque qui vont

provoquer la stabilité ou la turbulence dans le déroulement de la rencontre.

Permanence / Fugacité

20 Le terme permanence représente ce qui dure sans intermittence ni changement ou qui

exerce une activité de manière continue. En football par exemple, la réserve axiale doit

être permanente (Gréhaigne, 2007). On peut dire que ce qu’il y a de permanent dans les

sports collectifs se trouve dans la nécessité d’une dépense énergétique forte qui dépend

directement des forces en présence et des qualités athlétiques des joueurs qui

s’opposent (Teodorescu, 1965). Cette dépense énergétique influe grandement sur les

capacités des joueurs à prendre des décisions pertinentes au cœur du jeu. Par exemple,

faire le bon choix de jeu au bon moment, en fonction de la configuration du jeu et du

rapport d’équilibre ou de déséquilibre individuel et/ou collectif, existe aussi à chaque

instant du match. On retrouve également une nécessité de permanence dans la capacité

du porteur du ballon à produire des actions motrices et des gestuelles adaptées aux

fortes contraintes dues aux adversaires. Et c’est à cet instant que la fugacité entre en

jeu. Lorsque le porteur garde trop le ballon, le risque de le perdre augmente. Son action

va souvent être temporellement réduite en des actions à une, deux ou trois touches de

balle. Ainsi, la vitesse d’action de l’ensemble des joueurs d’une équipe permet de

conserver un temps d’avance sur l’adversaire mais peut aussi être source de perte du

ballon. La pression temporelle des adversaires impose souvent un geste fugace d’un

porteur et une maîtrise technique assez complexe à inscrire dans la permanence.

21 De manière générale, la permanence dans la durée de la rencontre, la permanence dans

la débauche d’énergie, la permanence dans la nécessité de faire les bons choix et de

produire le bon geste s’opposent à la fugacité, la précarité de la possession du ballon. A

cela s’ajoute la nécessité d’agir vite et bien dans chaque action. La fugacité se dit ici

d’une action éphémère qui dure peu de temps et disparaît rapidement. Par exemple, la

eJRIEPS, 44 | 2019

31

possession du ballon a été fugace car on l’a perdu tout de suite comme sur un

dégagement. Dans le cadre de l’activité perceptive du joueur, la notion de fugacité peut

néanmoins renvoyer à des indices ténus mais qui restent importants pour comprendre

par la suite la logique de l'évolution des configurations momentanées du jeu. Ainsi,

prendre en compte les indices fugaces d’un joueur ou d’une équipe permet d’apprécier

toutes les opportunités pour ce qu’elles sont en vue d’une éventuelle exploitation.

22 Dans la lutte pour la possession du ballon entre deux groupes qui s’affrontent dans le

but d’une utilisation optimale, tous ces concepts présentés sont sources de réflexions et

d’explications à un moment ou à un autre du jeu. La pensée, comme une idée abstraite,

permet une analyse de la réalité de la situation en distinguant bien, pour nous, la

configuration du jeu de son interprétation. Aussi, des concepts sont créés, parfois re-

nommés, pour décrire, expliquer et capturer la réalité du jeu comme elle peut être

ensuite reconnue et comprise.

2. 2. Fonctionnement du jeu

23 Dans le jeu en sport collectif, les réseaux de forces entre les joueurs ou les équipes ne

sont ni neutres ni homogènes. Le jeu est un champ de forces, fait d’équilibres et de

déséquilibres momentanés, où la volonté d’aller de l’avant est contrebalancée par la

crainte de perdre le contrôle du ballon et la nécessité de protéger son but (Duprat,

2014). Cette tension est au cœur de la dynamique du jeu et plus il y a d'informations à

traiter par les joueurs, plus il y a de déséquilibres potentiels. Effectivement, une

perturbation provoque un éloignement de cet état d’équilibre. L’équipe doit alors

développer des mécanismes qui tentent d’amortir cette perturbation pour revenir à

une certaine stabilité. Avec ce mouvement, le système est confronté à la notion du

temps et à la notion de phase, puisqu’il fonctionne, la plupart du temps, sur un régime

stationnaire. Ces mécanismes peuvent conduire à des asymétries temporelles très

prononcées, à des comportements spatio-temporels inattendus ou à l’apparition de

comportements chaotiques (Gréhaigne & Godbout, 2014). Les joueurs doivent

apprendre à gérer cette tension entre l'ouverture qui conquiert et la fermeture qui

protège. La valeur de l'information n'est plus liée à la quantité. Elle ne se capitalise

plus. Elle acquiert une valeur dans l'échange et dans l'interaction du moment.

24 On sait par exemple que dans la réalité concrète du jeu, il arrive qu'à un instant

d'équilibre défensif succède un autre instant d'équilibre défensif. Mais il arrive aussi

qu'à un instant d'équilibre défensif momentané suive immédiatement un instant de

déséquilibre, etc. C'est-à-dire qu'un déséquilibre peut aussi bien être la conséquence

d'une mauvaise distribution l'instant d'avant que d'une mauvaise utilisation de la

bonne distribution qui existait l'instant d'avant. Néanmoins, un déséquilibre défensif

peut être généralement récupéré par l'équilibre défensif étant reconstitué l'instant

d’après.

25 Il est aussi possible de caractériser les points de rupture du point de vue de la

continuité ou de la rupture des configurations du jeu en cours. Quand cette rupture de

l’état d’équilibre a déjà eu lieu, il est le plus fréquemment dû à une défaillance dans

l'organisation défensive. On est souvent face à un déséquilibre initial qui peut entraîner

une défense à la « poursuite » ou une défense à « égalité » mais avec parfois une

infériorité numérique. Les transitions et le jeu de transition renvoient souvent à des

configurations où l’on a peu de temps pour agir car la quantité de joueurs et la pression

eJRIEPS, 44 | 2019

32

temporelle nécessitent d’agir dans l’urgence. L’attaque doit alors profiter du moment

de déséquilibre pour conserver son avance éventuelle tandis que la défense doit

rapidement revenir en barrage ou y rester. Si, le déséquilibre n'existe pas, il faut

chercher à le faire apparaître. Un des bons moyens est de tenter d’amener rapidement

le ballon en avant de l'espace de jeu effectif. Face à un équilibre défensif bien en place

et stable, il faut s’en remettre à un rapide enchaînement collectif, un exploit individuel

ou à une erreur, une maladresse défensive qui est à exploiter au plus vite (Duprat,

2007).

26 En fonction de ces éléments, anticiper devient alors un élément clé de la réussite des

joueurs. L’anticipation, c’est l’action de prévoir ce qui va arriver à partir d’hypothèses

ou de suppositions. C’est l’activité adaptatrice que développe le joueur par rapport à

une future configuration du jeu, lorsqu'il suppose sa prochaine intervention.

L’anticipation est essentielle à la réalisation de l’efficacité des projets de jeu et des

tactiques individuelles propres à chaque sport collectif pour prévoir les aléas du jeu et

pour décider vite et juste. Pour cette raison, la compréhension des processus qui la

constituent est essentielle pour l’enseignant, l’éducateur et l’entraîneur. Il leur faut

être capables de concevoir et conduire un processus de perfectionnement permettant

d’agir sur la prise de décision tactique, le tout éventuellement combiné avec la

préparation de l’équipe à la compétition (Deleplace, 1983 ; Mahlo, 1969).

27 Concernant le joueur, celui-ci doit concentrer son attention sur le cours du jeu, tel qu'il

s'y trouve engagé, pour en déceler la cohérence et profiler son évolution. En bref, il doit

s'appuyer sur le potentiel de la situation pour choisir les actions appropriées à réaliser.

Ainsi, on peut dire que deux notions se trouvent au cœur de l'analyse du jeu. D'une

part, celle de configuration du jeu telle qu'elle s'actualise et prend forme dans le

rapport de forces en cours, et d'autre part celle du potentiel de cette configuration du

jeu.

28 Dans la phase de récupération du ballon (Duprat, 2005), nous distinguons la

confrontation en duel (lorsque l’attaquant maîtrise le ballon) de celle de la conquête

(lorsqu’il y a une lutte pour s’approprier le ballon à la suite d’une passe) mais aussi aux

situations d’interception et de récupération sans opposition. Le gain ou la perte d'un

match ne dépend donc pas seulement de l'habileté des joueurs à manier ou récupérer le

ballon. La coordination (synchronisation, permutations en jeu) et la distribution

momentanée des joueurs sont le résultat de leurs déplacements sur le terrain. Par

exemple, certaines équipes, sûres de leurs actions et empreintes d’une philosophie de

jeu, passent leur temps à attaquer au mépris de la défense (Ajax d’Amsterdam, FC

Barcelone). Cette stratégie délibérée repose sur un postulat simple que « nous pouvons

prendre le risque de concéder un but car nous savons que nous pouvons en marquer un

de plus à tout moment ». Cette idée un peu présomptueuse se traduit très clairement

dans les faits par une organisation tactique particulière. La récupération haute du

ballon et l’attaque du but sont privilégiées en prenant moins en compte la réversibilité

du jeu.

3. Réversibilité dans le déroulement du jeu

29 En sport collectif, la réversibilité souligne tout d’abord l'immédiateté du passage

d'attaquant à défenseur et met en évidence la notion de situation à double effet

(Deleplace, 1979). La réversibilité des situations représente un aspect fondamental des

eJRIEPS, 44 | 2019

33

sports collectifs en rapport avec le fait que les équipes attaquent ou défendent à tour de

rôle. On constate d’ailleurs que c’est une des caractéristiques des joueurs débutants qui

ont du mal à percevoir le changement de statut. Cela se traduit par un type de

« passivité » que l’on retrouve aussi chez les jeunes joueurs qui manquent souvent de

vigilance et de réactivité. On la constate parfois chez les joueurs expérimentés lorsque

la déception liée à une perte de balle provoque un temps de latence qui retarde leur

réaction. Ainsi, en fonction du lieu de la récupération du ballon et de l’emplacement

des différents protagonistes sur le terrain, cela peut être anodin ou extrêmement

dangereux pour l’équipe. Si la réversibilité se produit à l’arrière de l’espace de jeu

effectif de l’équipe, le danger de but est immédiat. Par contre si cette récupération du

ballon se situe à l’opposé de son propre espace arrière, l’équipe encore placée pour

défendre est alors plus stable sur ses positions. Plus généralement, quand on décide

« d’attaquer l’attaque » de presser dès la perte du ballon, le mouvement de la défense

est d'abord et avant tout un mouvement vers l’avant. Il s’agit d’imposer un harcèlement

continuel des adversaires pour retrouver la possession du ballon. Idéalement, ceci se

déroule le plus profondément possible dans le dispositif de l'adversaire en train de

relancer. Si le ballon est récupéré, cela constitue le cas le plus simple qui puisse exister

de la liaison organique entre défense et attaque, souvent illustrée par l’émergence

d’une attaque rapide. La fragilité de toute équipe s’exprime souvent dans cette phase

type liée à la réversibilité. Si le changement de possession et le résultat d’une

« récupération réglementaire » (Duprat , 2005), l’équipe en défense bénéficie d’un cours

laps de temps pour se repositionner. Si la perte du ballon s’effectue dans la continuité

du jeu, le danger est immédiat et la réactivité devient un élément primordial pour le

rééquilibrage défensif.

30 La situation à double effet constitue souvent un moment clé du jeu. Ainsi, lorsque la

balle est perdue, l'ancienne attaque devenue défense doit se réorganiser :

soit s’opposer immédiatement au front du ballon pour tenter de le récupérer au plus vite

(pressing) ;

soit mettre en place un recul frein avec les joueurs qui étaient en soutien du porteur car,

dans ce cas, ils constituent la première ligne de défense contre la contre-attaque (semi-

retraite) ;

soit en recul rapide pour un retour sur ses bases, en ralentissant l’action du porteur adverse,

afin de reconstituer les rideaux défensifs (pleine retraite) ;

soit, lorsque les rideaux sont en place, s’opposer aux pénétrations de l’adversaire et harceler

le porteur de balle.

31 Pour l’équipe en défense devenue équipe à l’attaque, on vise soit :

à profiter de la rupture de l'état d'équilibre du système attaque / défense pour tirer sans

tarder au but ;

à réussir une circulation rapide du ballon et des joueurs pour développer un enchaînement

offensif et tirer au but ;

soit, en cas d'échec de l'action vers la cible, à revenir en arrière pour assurer la conservation

du ballon et provoquer à nouveau la défense afin de se créer une autre opportunité de

marquer.

32 La mise en œuvre de ces choix tactiques suppose du dynamisme, de l’intensité et de la

résolution. Par conséquent, la défense ne doit pas se borner à réagir simplement aux

actions des adversaires mais doit mettre en place des ripostes ciblées, anticiper sur les

contres possibles pour limiter les risques lors de ces phases critiques. Quand cette

eJRIEPS, 44 | 2019

34

tactique défensive réussit, l'attaque perd habituellement la balle. Il convient néanmoins

de souligner que l'organisation de la réversibilité et / ou de la stabilité constitue un

projet en soi à l'intérieur d'un projet de jeu plus général. Il nécessite la mise en place de

règles de fonctionnement précises qui nous ramènent au « référentiel commun »

(Delaplace, 1979).

4. Ordre et désordre offensif ou défensif

33 Robert, (1985, p. 5) à propos de la dynamique du jeu affirmait « que les conditions

réglementaires conduisent à définir le jeu comme une dualité dynamique où chaque équipe

oppose à l’autre le nombre au nombre, l’action offensive à l’action défensive en vue d’obtenir un

résultat : gagner ou ne pas perdre ». Nous avons vu que la phase de changement de statut

constitue un moment clef de la confrontation. La perte ou la récupération du ballon

constitue à chaque fois un moment spécifique et les réactions dépendent des

caractéristiques de la configuration du jeu.

4. 1. L’espace de jeu entre les lignes

34 Au football ou au rugby, les lois sur le hors-jeu limitent la circulation des joueurs. Ces

lois sur le hors-jeu visent, en fait, à établir ou rétablir un équilibre entre les droits de

l’attaque et ceux de la défense. Cela correspond également à un aspect très moral à

savoir que « dans le jeu, nul ne peut s’approprier un avantage immérité ». L’objectif de

l’ensemble de ces règles est d’empêcher les avants « piquets » de camper à proximité du

but et de marquer sans se confronter à l’adversaire. Ainsi, s’opposer individuellement

et collectivement aux actions adverses est l’essence même du jeu. Cette idée existe dans

presque tous les sports collectifs interpénétrés avec le hors-jeu existant aussi en hockey

sur glace, les trois secondes dans la raquette au basket-ball et la zone interdite proche

de la cible au handball. La zone d’affrontement peut se situer au niveau du ballon,

proche de la cible dans une zone déterminée, ou avec les deux éléments ajoutés. Sans la

règle du hors-jeu, le football serait, sur un grand champ, un jeu sans échange de balle,

fait de coups de pieds vers l’avant ou de passes longues d'un bout du champ à l'autre.

En empêchant toute position trop avancée, la règle privilégie donc la conduite de balle

et la passe, plutôt que des coups de pieds longs dans le vide. Or, faire avancer

adéquatement le ballon oblige les attaquants à courir. En retour, cela contraint les

défenseurs à se déplacer pour éviter de se faire déborder tout en protégeant leur but.

La confrontation est inévitable et le parti-pris athlétique y occupe une place

prépondérante. L’ensemble de ces règles et de ces modalités de jeu donnent une

tonalité particulière à chaque jeu collectif.

4. 2. Les liens d’opposition

35 Une autre des propriétés de l’affrontement est de présenter une certaine élasticité. De

manière spécifique, un système est considéré élastique lorsqu’il est traversé par une

série de contractions et d’expansions (Gréhaigne & Godbout, 2012). Pour appréhender

comment fonctionne l’élasticité dans le jeu en sport collectif, on doit d'abord

comprendre comment les configurations du jeu évoluent. Lorsque le jeu est en forte

expansion, il y a des perturbations considérables avec une balle qui se déplace vite et

eJRIEPS, 44 | 2019

35

des joueurs en mouvement à des vitesses différentes. À l’opposé en forte compression,

l’espace occupé est réduit et il se produit des situations où le temps est compté. Des

joueurs qui effectuent un prélèvement rapide et précis d’informations simples peuvent

ainsi produire des réponses pertinentes.

36 De façon synthétique, la figure 1 illustre les liens d’opposition permettant de

caractériser le jeu en football. La gestion par les joueurs des caractéristiques liées aux

déplacements des attaquants, des défenseurs et du ballon, passe par la construction

d’outils capables d’aider à concevoir une évolution probable du jeu. La construction de

cette véritable intelligence tactique nous semble très importante au point de nécessiter

une conception des apprentissages où les liens d'opposition sont au cœur de la

formation du joueur.

37 Par ailleurs, cette caractérisation des liens d’opposition est indispensable en vue de

modéliser le jeu afin d’obtenir une analyse de l’affrontement plus cohérente. Elle rend

mieux compte de la réalité des rapports d’opposition. Ainsi se trouvent bouclées les

relations dialectiques entre l’analyse de la pratique et une nécessaire théorisation.

Figure 1. Caractérisation des liens d’opposition en football

(Gréhaigne, 2018)

4. 3. Durée d’une séquence de jeu

38 Pour les sports collectifs en général, le terme de continuité est employé à propos du

passage d'une situation tactique à une autre (attaque / défense). Ici, les lois du jeu ou

les options tactiques du moment assurent ou non la continuité du jeu, du football

américain au football association (nom originel du football en Angleterre ou soccer en

anglais). La durée moyenne d’une séquence devient un indicateur pertinent des choix

effectués. Plus la durée d’une séquence est courte, plus tactiquement elle est faite pour

éviter le désordre. Plus la séquence dure longtemps, plus le désordre risque de

s’installer dans le jeu. Ainsi, à l'intérieur d'une même situation tactique, on utilise le

terme de continuité lorsqu’il y a enchaînement de plusieurs phases collectives. Si un

désordre apparaît dans l’équipe adverse, on peut considérer que le premier temps de

jeu a été efficace pour provoquer un déséquilibre défensif. Le temps qui suit a donc

pour but d'exploiter ce déséquilibre en choisissant la forme de jeu la plus adaptée pour

surpasser l’adversaire. Par exemple, assurer la continuité de l’attaque dans la durée

exige un replacement offensif anticipé dans les espaces disponibles et une lecture

efficiente du placement et des déplacements des partenaires et adversaires. Une longue

séquence de possession pour une équipe traduit souvent une grande maîtrise dans la

circulation des joueurs et du ballon, ou une certaine passivité des adversaires en

eJRIEPS, 44 | 2019

36

attente. Mais elle ne garantit pas la victoire, comme nous avons pu le constater lors de

la dernière coupe du Monde de football (2018). Les apparences sont parfois trompeuses

dans l’évaluation d’un rapport d’opposition (Duprat, 2005). L’issue d’une rencontre

dépend plus de l’exploitation efficiente du ballon lors de chaque phase de possession.

La capacité de l’équipe à s’organiser et se restructurer dans un laps de temps le plus

court possible favorise l’efficacité et la performance. Au fil des rapports d’opposition, la

concentration et/ou la dispersion des joueurs sur le terrain varient en fonction des

phases de jeu et influe sur le résultat final.

5. Bases organisationnelle de la confrontation

39 En prenant toujours comme exemple le football, les dispositifs stratégiques et tactiques

adoptés par une équipe recouvrent la répartition de l’ensemble des joueurs sur le

terrain, de leurs actions et des déplacements qui se font. Cela se passe habituellement

en référence à un plan de jeu et à des règles de l’organisation du jeu. Nous allons

envisager maintenant ce que produit l’opposition dans une rencontre. Pour cela nous

allons comparer la distribution formelle donnée par la composition de l’équipe en

fonction du système de jeu prévu, de même que la distribution réelle révélée par les

Espaces de Jeu Effectif des Joueurs (EJEJ) et leurs centres de gravité (Gréhaigne, 1989).

5. 1. Système de jeu et distribution formelle

40 Il est possible d’obtenir des informations fiables des rapports d’opposition entre les

équipes à partir de l’étude du centre de gravité de l’espace occupé par le joueur

(Gréhaigne, 1989). Cette méthodologie permet de mieux étudier la notion de système de

jeu. Teodorescu (1965) définit le système de jeu comme étant la « forme générale

d'organisation des actions offensives ou défensives des joueurs, par l'établissement d'un

dispositif précis, de certaines tâches (postes et occupations du terrain) ainsi que de certains

principes de collaboration entre ceux-ci » (Teodorescu, 1965, p. 29). Une autre définition

caractérise le système de jeu comme « une forme d'ordre extérieur où l'on distingue des

groupes en différentes positions et où l'on détermine le nombre de joueurs assignés à ces

groupes » (Bremer, 1982 cité par Winkler, 1984, p. 6). On attribue à ces groupes de

joueurs certaines parties du terrain et certaines tâches dans le match. A l'intérieur de

ces groupes, on différencie de nouveau pour assigner à chaque joueur une zone de

terrain et des tâches.

41 Ainsi, dans la littérature spécialisée concernant le football, cette forme d'ordre

extérieur est habituellement caractérisée et représentée par des sigles « W M » ou par

des chiffres « 4-4-2 ». La représentation en trois chiffres représente le nombre de

joueurs alignés à partir du gardien… A titre d'exemple, la figure 2 illustre la

composition d’une l'équipe jouant en « 4-3-3 » (figure 2).

eJRIEPS, 44 | 2019

37

Figure 2. Distribution formelle d’une l'équipe en 4-3-3

42 La composition de l'équipe montre une distribution théorique qui révèle de façon

grossière le dispositif adopté par l'entraîneur. En effet, ce dispositif peut rendre compte

de la répartition des joueurs sur le terrain, en particulier dans les trois grandes lignes

de force que sont la défense, le milieu de terrain et les avants. Par contre, ce schéma

reste très imprécis. De manière générale, ce système de jeu qui n’est qu’une structure

de base de l’organisation des joueurs se trouve souvent modifié ou transformé par les

aléas du jeu. Les EJEJ deviennent alors des éléments objectifs permettant de comparer

l’attendu du vécu.

5. 2. Tactique et distribution réelle

43 Si nous comparons la distribution théorique des joueurs avec la distribution réelle,

donnée par l'étude des centres de gravité, nous relevons des analogies et des

différences.

44 Pour l’équipe analysée (figure 3), le système réel révèle que :

le numéro 2 joue assez haut dans le couloir gauche,

le numéro 8 joue côté droit et non à gauche,

les numéros 6, 7, 10 jouent groupés dans l'axe du terrain, le 6 tenant plutôt le rôle de milieu

défensif.

numéro 5 assure la couverture défensive et occupe, en fait le poste dit de « libéro ».

le flanc droit du terrain est quasiment inoccupé.

eJRIEPS, 44 | 2019

38

Figure 3. Distribution réelle d’une équipe observée avec les centres de gravité des joueurs

45 L’étendue et la dispersion des points sur le terrain constituent un autre indicateur du

résultat de l’opposition. Ainsi, la composition de l'équipe donne une distribution

théorique à partir d'emplacements formels et donne une répartition formelle des

joueurs qui permet d’identifier le centre de gravité du groupe (Gréhaigne, 1989). La

distribution sur le terrain des centres de gravité des joueurs est donc une donnée

importante pour obtenir une caractérisation objective du système de jeu réel d'une

équipe et ainsi avoir des renseignements précis sur l'organisation du jeu de cette

équipe en fonction du rapport d’opposition de ce jour-là.

46 Pour préciser encore l’EJEJ, il serait intéressant de distinguer les phases de possession

du ballon par son équipe et celles où elle défend. Cela donnerait la possibilité d’analyser

le poids des actions adverses dans la production réelle des joueurs. Dans les formes que

prend celle-ci, il est courant qu’un système gardien de but (GB), 4, 3, 3 (avec un triangle

pointe haute ou basse pour les « milieux »), se transforme en GB, 3, 4, 3 (avec des

« demis » à plat ou en losange). Il est possible aussi de le transformer en GB, 4, 5, 1 qui

peut se décliner en GB, 4, 3, 2, 1 ou en Gb, 4, 2, 3, 1… Bref, les rapports d’opposition vont

influer sur la répartition et les actions des joueurs, tant dans la profondeur que dans la

largeur. Les rapports de force individuels vont aussi influencer l’organisation collective

de base et imposer des transformations. Nous avons pu constater (Duprat, 2005) qu’à

partir du barycentre de la récupération du ballon par une équipe, on peut obtenir des

informations sur l’orientation majeure du jeu de l’équipe adverse en attaque.

47 Par ailleurs, nul ne peut nier que la stratégie mise en place préalablement à la

rencontre, est amenée à être continuellement ré-ajustée en fonction des évènements

du match. Cela implique de former un joueur capable d’évaluer les effets du rapport de

forces et de réajuster ses comportements en les coordonnant avec ceux de ses

partenaires. Ainsi, l’organisation et l’auto-organisation du jeu sont conformes aux

choix de l’entraîneur. Mais la réalité est parfois tout autre car le succès d’une équipe est

largement dépendant de la plasticité des joueurs et de leurs capacités à reproduire les

consignes retenues par les entraineurs avant le match. Il leur faudra également

s'adapter aux qualités spécifiques des adversaires, voire à changer rapidement le plan

eJRIEPS, 44 | 2019

39

de jeu en fonction de l’urgence de la situation présente. La culture tactique apparait

donc comme toile de fond indispensable. Elle ne s’établit qu’à travers la construction de

logiques d’actions directement dépendantes de « l’analyse des effets de l’opposition »

(Bouthier & Reitchess, 1984).

6. Discussion - Conclusion

48 Le premier objectif pour un enseignant, un éducateur, est d’apporter aux élèves, aux

joueurs(ses), les différents éléments de compréhension de l’activité et de leur

permettre de traduire leurs intentions en actes au cœur de la confrontation jouée. Pour

un formateur, un entraineur, l’objectif est de construire un ensemble de joueurs

cohérent puis performant. Il le réalise après avoir fait connaissance avec son groupe et

étudié les caractéristiques de chacun. Tel un chef d’orchestre, il doit écrire ou faire

suivre une partition identique à tous afin de s’assurer que la production soit de qualité.

Certains entraîneurs s’appuient sur les spécificités des individualités pour choisir les

tactiques à adopter en fonction de leurs compétences. D’autres prônent une autre

philosophie de jeu et insistent pour que chaque joueur joue la partition choisie et

évolue en respectant le fil conducteur imposé. Les capacités individuelles doivent alors

s’accorder avec les choix de l’entraineur dans l’intérêt du groupe. Dans les deux cas,

une capacité d’adaptation est requise au moment de la rencontre si l’on veut être

performant, puisque les adversaires sont aussi détenteurs de certaines compétences.

49 Tout ce qui est anticipé et mis en place peut être réduit à néant si l’adversaire perturbe

ce qui a été prévu. A cet effet, l’étude systématique du jeu de l’adversaire s’est

développée ces dernières années pour anticiper, prévoir et agir en fonction des dits

adversaires. Une stratégie est donc habituellement mise en place par les équipes en

fonction de chaque adversaire et est travaillée spécifiquement pour chaque rencontre.

Cela implique inévitablement de pouvoir adapter son jeu au projet établi. Cela nécessite

de développer les compétences autour d’un facteur essentiel : la plasticité. Tout joueur

figé est un joueur handicapé, car il risque à tout moment de rencontrer un adversaire

susceptible d’anticiper son jeu et d’exploiter ses failles. Dans d’autres circonstances,

c’est la capacité créative exceptionnelle de certains joueurs qui peut être à l’origine des

déséquilibres individuels et collectifs. Les seuls moyens d’agir sont alors, soit de les

empêcher de recevoir le ballon, soit de s’organiser collectivement pour « verrouiller »

ce type de joueur sans s’affaiblir.

50 Aussi, analyser, expliquer l'opposition et utiliser cette opposition comme source de tout

progrès, tant en compréhension qu'en exécution, permettent de concevoir des

situations qui impliquent de faire jouer la réalité des rapports d'opposition. C’est pour

cela que malgré des divergences d’objectifs suivant le contexte de l’intervention,

l’enseignant, l’éducateur et le formateur doivent intégrer cet aspect incontournable

dans l’apprentissage. Les contraintes liées aux rapports d’opposition, la réciprocité et la

réversibilité qui résultent de la précarité de la possession (surtout au football), sont

obligatoires dans l’analyse et la pratique des sports collectifs.

51 En se centrant sur des exercices avec opposants, on propose aux joueurs de les

accoutumer à des configurations proches de celles qu’ils retrouveront lors du match

mais aussi de les placer dans des conditions temporelles qui nécessiteront une

eJRIEPS, 44 | 2019

40

adaptation rapide face aux problèmes posés. Renoncer à s’appuyer sur l’opposition,

c'est renoncer à faire progresser les joueurs dans ce qui leur fait souvent défaut :

se situer dans l'espace par rapport à un "mobile", à un adversaire direct, à un

environnement plus ou moins chargé ;

adapter ses déplacements en fonction des opportunités présentes, suivant les placements et

déplacements des partenaires et adversaires ;

maîtriser ses gestes, quelles que soient les pressions qui s’ajoutent à la pression temporelle ;

anticiper, agir et réagir vite…

52 Pour cela, l’intervenant dispose de différents types d’exercices :

Ceux correspondant au match à thème, à effectifs réduits, où la complexité liée à l’égalité

numérique est limitée par le nombre restreint de joueurs et donc d’informations à traiter ;

Ceux consacrés à des « jeux d’application » avec des effectifs réduits, une équipe en

supériorité numérique (+1, +2) pour favoriser la réussite ;

Ceux basés sur des oppositions en un contre un (infra-système) où chacun apprend à

construire sa motricité en tenant compte d’un environnement éloigné peu contraignant

mais existant afin d’éviter de s’enfermer dans la bulle proche ;

Ceux reposant principalement sur la coopération dans le cadre d’une « unité tactique

isolable » (Deleplace, 1979 ; Bouthier 1988), où les alternatives sont limitées en nombres,

mais favorisent la prise de conscience de la pertinence des choix tactiques ;

Ceux permettant de coordonner les actions des joueurs d’une équipe en réduisant le nombre

de partenaires impliqués (méso-système) afin d’articuler les interventions à partir d’un

collectif de ligne ou d’une partie des deux ou trois collectifs de ligne ;

Ceux concernant l’articulation de tous les joueurs de l’équipe dans le cadre du macro-

système lorsqu’on s’approche de l’activité culturelle de référence avec une opposition en

infériorité numérique.

53 Quel que soit le contexte de l’intervention, ces différentes formes d’exercices peuvent

être considérées comme « situation de référence » en fonction des objectifs à atteindre

(Duprat, 2007, 2016).

54 Cette approche permet de se démarquer d'une didactique très analytique, centrée sur

la forme gestuelle, où le joueur est enfermé dans une sphère relationnelle réduite à sa

relation avec le ballon. Cela implique d’aller vers une approche plus contextualisée,

basée sur une approche tactique des jeux où le rapport à l’opposition est primordial

donc incontournable.

55 Par quoi le débutant est-il mis en difficulté ? Sans doute, sa crainte de mal faire et son

manque de maîtrise corporelle face aux situations. C’est le cas particulièrement sous les

pressions temporelles auxquelles il est confronté. Il est impératif que le joueur

débutant construise sa motricité en adéquation avec les contraintes réelles du jeu.

Cette motricité intègre la notion de collaboration au sein d’une organisation collective.

C’est à ce titre qu’on parle de conduite motrice. A l’enseignant, l’éducateur, le

formateur de trouver les situations d’apprentissage et d’entrainement contextualisées

et adaptées au niveau des jeunes qui lui sont confiés.

56 Par quoi, aujourd’hui, le joueur de haut niveau est-il mis en difficulté sachant qu’il a

atteint une dextérité technique supérieure ? C’est principalement dans son rapport

affectif à l’adversaire fréquemment augmenté par l’enjeu de la compétition. Cela place

le joueur dans un état psychologique de stress et peut ainsi conduire à des erreurs liées

à la précipitation ou à la peur. L’expérience participe à la maitrise de ce type de

eJRIEPS, 44 | 2019

41

pressions liées à l’enjeu des rencontres. Bien que le temps de possession du ballon soit

très restreint pour chaque joueur dans un match, l’apprentissage d’une gestuelle bien

contextualisée lui permettra toujours de mieux réagir au moment opportun.

57 C’est pourquoi il est inconcevable, aujourd’hui, d’aborder l’apprentissage des sports

collectifs sans placer les rapports d’opposition au cœur de la méthode.

BIBLIOGRAPHIE

Almond, L. (1986) Primary and secondary rules in games. In R. Thorpe, D. Bunker, & L. Almond

(Eds.), Rethinking games teaching (p. 73-74). Loughborough, England : Loughborough University of

Technology.

Bourbousson, J., & Seve, C. (2010). Construction/déconstruction du référentiel commun d’une

équipe de basket-ball au cours d’un match. eJRIEPS, 20, 05-25.

Bouthier, D. (1988). Les conditions cognitives de la formation d'actions sportives collectives. Thèse de

doctorat (non publiée) en psychologie du travail. Université Paris V- EPHE.

Bouthier, D. & Reitchess, S. (1984). Contenu et évaluation en sports collectifs : pour un enseignement

aujourd’hui. Centre de Recherche en Didactique et Pédagogie, Paris.

Clemente, F.-M., Lourenço Martins F.-M., & Sousa Mendes,R. (2016). Social network analysis applied

to team sports analysis. Heidelberg : Springer International Publishing.

Deleplace, R. (1979) Rugby de mouvement – Rugby total. Paris : Éducation Physique et Sports.

Deleplace, R. (1983). La recherche sur la spécialisation sportive, l’entraînement, la performance. Actes du

colloque la recherche en STAPS (p. 93-151). Nice. 19-20 Septembre 1983.

Dugrand, M. (1989). Le football : de la transparence à la complexité. Paris : PUF.

Duprat, E. (1997). Comment réagir face à une équipe qui joue le hors-jeu. TD de spécialité football.

Université d’Evry-Val d’Essonne.

Duprat, E. (2005). Approche technologique de la récupération du ballon lors de la phase défensive en

football, contributions à l’élaboration de contenus de formation innovants. Thèse de Doctorat (non

publiée). ENS, Cachan.

Duprat, E. (2007). Enseigner le football en milieu scolaire (collèges et lycées) et au club. Paris : Actio.

Duprat, E. & Gréhaigne, J.-F. (2012). Pour un football intelligent – La récupération du ballon.

Saarbrück : Editions Universitaires Européennes.

Duprat, E. (2014), Construire la tactique et l’intelligence de jeu en football : du terrain à la théorie et de la

théorie au terrain. Dans J.-F. Gréhaigne (Dir.), L’intelligence tactique. Des perceptions aux décisions

tactiques en sports collectifs. Presses Besançon : Universitaires de Franche-Comté.

Duprat, E. (2016). Les entrainements mixtes en football : repenser le rapport aux objets

techniques. Dans J.-F. Gréhaigne (Dir.), Les objets de la technique. De la compétence motrice à la

tactique individuelle. Besançon : Presses universitaires de Franche-Comté.

eJRIEPS, 44 | 2019

42

IFAB (2017). Les lois du jeu 2017 / 2018. Zurich (Suisse) : The International Football Association

Board.

Frantz, P. (1975). Le football. Mulhouse : L'Alsace.

Gay, J. (1981). Vers le jeu collectif. Mâcon : CDDP.

Gréhaigne, J.-F. (1989). Football de mouvement. Vers une approche systémique du jeu. Thèse de

Doctorat (non publiée). Dijon, France : Université de Bourgogne.

Gréhaigne, J.-F. (1992). La notion d'opposition au cœur de la didactique des sports collectifs. Dans

A. Menaut (Ed.), Méthodologie et pédagogie des sports collectifs (pp 77-89). Université Victor Segalen

Bordeaux 2.

Gréhaigne, J.-F. (Ed.). (2007). Configurations du jeu, débat d’idées et apprentissage des sports collectifs.

Besançon : Presses de l’Université de Franche-Comté.

Gréhaigne, J.-F. (2011). Jean-Paul Sartre and team dynamics in collective sport. Sports, Ethics &

Philosophy, 5(1), 34-45.

Gréhaigne, J-F. (2018). À propos de certaines bases théoriques et pratiques des sports collectifs.

Préparation aux concours de recrutement. eJRIEPS, Hors Série N° 2.

Gréhaigne, J.-F. (Ed.) (2014). L’intelligence tactique. Des perceptions aux décisions tactiques dans les

sports collectifs. Besançon : Presses de l’Université de Franche-Comté.

Gréhaigne, J.-F., & Dietsch, G. (2015). Quelques aspects théoriques de la didactique des sports

collectifs. Préparation aux concours de recrutement. eJRIEPS, Hors Série N° 1.

Gréhaigne, J.-F., & Dietsch, G. (2015). L’opposition et ses concepts associés en sport collectif. Dans

J.-F., Gréhaigne & G. Dietsch, (2015). Quelques aspects théoriques de la didactique des sports collectifs

(p. 92-108). eJRIEPS, Hors Série N° 1.

Gréhaigne, J.-F., & Godbout, P. (2012). À propos de la dynamique du jeu … en football et autres

sports collectifs. eJRIEPS, 26, 130-156.

Gréhaigne, J.-F., & Godbout, P. (2014). Dynamic systems theory and team sport coaching Quest,

66(1), 96-116.

Gréhaigne, J.F., Godbout, P., & Bouthier, D. (1999). The foundations of tactics and strategy in team

sports. Journal of Teaching in Physical Education, 18, 159-174.

Jeu, B. (1977). Le sport, l'émotion, l'espace. Paris : Vigot.

Knapp, B. (1971). Sport et motricité.Paris : Vigot.

Malho, F. (1969). L’acte tactique en jeu. Paris : Dunod.

Martinand, J.-L. (1987). Quelques remarques sur les didactiques des disciplines. Revue Les sciences de

l’Education, 2, 23-29.

Morris, D. (1981). The soccer tribe. London : Jonathan Cape.

Sartre, J.-P. (1960). Critique de la raison dialectique. (Tome I et II). vols. 2. Paris : Gallimard.

Teodorescu, L. (1965). Principes pour l'étude de la tactique commune aux jeux sportifs collectifs.

Revue de la S.I.E.P.E.P.S., 3, 29-40. (texte publié à nouveau en 2013 dans le revue eJRIEPS, 28, 99-117).

Winkler, W. (1984). Sport strategie als lehrfach. Leitungssport, 14(2), 5-13.

eJRIEPS, 44 | 2019

43

RÉSUMÉS

Dans les sports collectifs, les règles premières fondent la logique des jeux dans la prise en compte

systématique du rapport d’opposition entre une attaque et une défense. Comprendre ce rapport

de forces est un passage obligé pour que tous les joueurs investissent la singularité de l’activité

ou son essence. Le ressort du jeu est donc fondé sur le fait qu’il faut être en possession du ballon

pour pouvoir tenter d’atteindre la cible adverse. Il s’agit donc de gérer simultanément la

conservation de la balle pour son équipe et l’atteinte de la cible adverse et, pour les adversaires,

la conquête de la balle et la défense de sa propre cible. De ce point de vue, analyser, expliquer

l'opposition et l’utiliser comme source de tout progrès permettent de concevoir des situations

d’apprentissage efficaces en terme de développement des élèves et des joueurs.

In team sports, the primary rules of the game are based on the logic of the game itself. The main

characteristic is the systematic opposition relationship between attack and defense. Trying to

understand this opposition association is essential for all students invested in the singularity of

the activity or its essence. It is therefore based on the fact that you must be in possession of the

ball in order to try to reach the opposing target and score a goal. However, while players and

teammates have to manage simultaneously the possession of the ball and the attack of the

opposite target, the opponents try the recover the ball and defend its own target. From this point

of view, it is possible to built effective learning situations for student’s development by analyzing

and understanding the opposition of players, and using it as a pedagogical source of learning.

INDEX

Mots-clés : sport collectif, opposition, situation d’apprentissage

Keywords : team sport, opposition, learning situation

AUTEUR

ERIC DUPRAT

Professeur agrégé d’EPS-HC. Docteur en Sciences de l’éducation. Département STAPS de

l’Université Evry-Val d’Essonne

eJRIEPS, 44 | 2019

44

Analyse des pratiquesd’enseignement des sports decombat à l’université en France : deux études de cas de formateurs enSTAPSAnalysis of combat sports teaching practices in the university: two case

studies of professors in STAPS

Mariana S.P. Gomes, Marie France Carnus et André Terrisse

1. Introduction

1 L'enseignement des sports de combat est, comme la plupart des Activités Physiques,

Sportives et Artistiques (APSA), influencé par les traditions et les valeurs que leur

accorde chaque enseignant en fonction de la conception qu’il s’est construite (Terrisse,

2000). En effet, dans ces activités, le professeur se présente souvent comme un “seisei”,

nom donné au maître, ou bien se situe plutôt comme un sportif qui a plusieurs années

d’expérience et de pratique (Gomes, Morato, Duarte, Almeida, 2010). Cette particularité

nous amène à élaborer un cadre d'analyse des pratiques d'enseignement qui tienne

compte de cette spécificité.

2 Ainsi, en rapport avec l'analyse de l'enseignement des sports de combat telle que la

propose Terrisse (1991), Gomes (2008) a identifié les éléments qui déterminent la

logique du savoir combattre, soit ce qu'elle nomme les principes conditionnels que sont

le contact intentionnel, l’action simultanée attaque/défense, l’incertitude, la cible que

constitue l'adversaire et les règles. Ces déterminants constitutifs de la pratique

montrent que l’on peut dégager une logique interne qui pourrait se nommer le savoir

combattre (Terrisse, Quesada, Hiegel, Sauvegrain, 1995) et qui peut être utilisée comme

eJRIEPS, 44 | 2019

45

cadre d'analyse de la pratique d’enseignement, dépassant ainsi le contexte

institutionnel (école, club ou loisir) où le sport de combat est enseigné.

3 D'autre part, plusieurs auteurs montrent que l'enseignement entraîne une

transformation du savoir quand il est transmis par un enseignant, ce que Chevallard

nomme la transposition didactique interne (Chevallard, 1985). En effet, pour être

enseignés, les savoirs doivent être rendus enseignables (Reuter, 2007) comme Verret l'a

montré lorsqu'il a étudié les conditions de transmissibilté des savoirs (Verret, 1975).

Cette transformation rend compte de la transformation d’un savoir « déjà-là », produit,

entre autres de l'expérience du pratiquant, voire de l'enseignant, à un savoir à

enseigner à des étudiants, puis à un savoir réellement enseigné, transformation qui est

l’objet de notre recherche.

4 En effet, celle-ci se réfère à ce processus de transposition didactique interne dans la

mesure où elle tente de rendre compte des savoirs que choisissent de transmettre deux

professeurs dans une même institution et pour les mêmes étudiants. Compte tenu de

leurs différences de formation, il peut être possible d’observer deux types de savoirs

distincts non exclusifs l’un de l’autre : soit des contenus en référence à leur propre

expérience de « combattant », comme témoins de leur mémoire, soit des contenus

orientés et traités pour être utilisés lorsque ces étudiants seront eux-mêmes en

situation de les transmettre. En fonction des catégories d'analyse déjà évoquées, le

chercheur tentera alors de répondre à cette question de l'origine des savoirs délivrés

par ces deux enseignants et de la nature de leur différence.

2. Options théoriques et revue de questions

2 .1. Une recherche en didactique clinique des sports de combat

5 Cette étude se situe dans le champ de la didactique clinique de l’EPS qui met au cœur de

ses analyses le sujet enseignant en tant qu’être singulier, assujetti et divisé (Carnus,

2004 ; Carnus, Terrisse, 2013). Dans cette orientation théorique, les choix didactiques

des enseignants sont doublement influencés par des facteurs externes relevant des

contextes et des institutions et des facteurs internes, propres aux sujets, à leur histoire,

à leur « déjà-là ». Centré sur le suivi des enjeux de savoir à travers la logique des sujets

engagés dans la relation didactique (Carnus, 2009a), ce positionnement autorise une

autre lecture du fonctionnement didactique guidée par l’histoire et la singularité des

sujets construites au carrefour de l’intime et du public (Carnus, 2009b).

6 Cette approche nécessite que soient questionnés un certain nombre de concepts,

notamment celui de transposition didactique qui, importé dans le champ didactique

clinique, est revisité par la prise en compte de la dimension du sujet. Nous utilisons

aujourd’hui le terme de conversion didactique, soit « une production de symptômes

témoignant d’une construction psychique du sujet enseignant élaborée au cours de son

histoire » (Buznic, 2009 ; Carnus & Terrisse, 2013, p 141). Le savoir à enseigner, qui

renvoie à l’intention didactique, relève de trois sources d’influences : interne, liée à

l’expérience et à l’expertise de l’enseignant ; institutionnelle liée aux programmes et à

leur interprétation par l’enseignant ou le formateur ; sociale ou culturelle, en lien avec

la pratique sociale de référence et sa logique interne.

7 Nous allons présenter dans ce chapitre trois recherches qui posent cette question de

conversion didactique pour en comprendre les enjeux.

eJRIEPS, 44 | 2019

46

8 Ainsi, Brossais et Terrisse (2009) ont ils étudié le poids de l’institution sportive, et donc

de la formation antérieure, d’un enseignant d’EPS débutant expert en judo. La

recherche indique qu’il transmet ce qu'il a appris en tant que judoka et qu’il reproduit

la même structure d’apprentissage que la Fédération Française de Judo lui a apprise,

sans considérer les stratégies nécessaires à l'opposition, dont les adolescents sont

pourtant friands. Cet enseignant dira d'ailleurs : « quel que soit le milieu, je l'aurais

enseigné de cette manière » (Brossais, Terrisse, 2009, p. 131). Car un combat se définit

surtout grâce à l’incertitude de son issue qui est due au rapport de force entre les

combattants ce qui semble éloigné des situations décontextualisées (Chevallard, 1985)

et des répétitions de gestes sans rapport avec le contexte de l’opposition que peuvent

transmettre les enseignants de sport de combat, même si la transmission des

techniques à travers les formes de corps, s'avère indispensable à connaître par les

collégiens. Dans ce cas apparaît l'importance de la formation pratique antérieure de

l'enseignant dans le choix de ses contenus de formation, ce qui justifie l’utilisation du

terme de conversion didactique.

9 Toutefois, la transmission du savoir peut subir d’autres influences, notamment

institutionnelles. Pour cette raison, Heuser (2009) a observé des écarts entre le savoir

enseigné en EPS et le savoir de référence chez un spécialiste de karaté. Il relate que

Nicolas (le cas étudié) avait eu une expérience soutenue comme athlète de compétition

avec des combats « durs » mais, lorsqu’il enseignait, il ne mobilisait pas ce savoir de

référence pour le modifier en fonction du niveau de la classe avec laquelle il travaillait,

mais aussi des valeurs dispensées dans le milieu scolaire (Heuser, 2009). Cette étude de

cas permet de comprendre que la référence de l’enseignant n’est pas toujours celle du

pratiquant, compte tenu des normes et des valeurs que véhicule l'institution scolaire et

auxquelles l’enseignant ne peut pas déroger.

10 Enfin, dans le cadre d’une recherche sur les savoirs appris par les élèves, Sauvegrain

(2001), expose le cas de Florent qui, dans un cycle de lutte à l’école, ne reproduit pas ce

que l’enseignant lui a transmis. Il invente une technique pour résoudre le problème

qu'il rencontre dans l’activité d’opposition avec un autre élève. Sauvegrain observe que

l’enseignant, expert en lutte, a choisi un contenu que Florent ne reproduit pas. Par

contre, Florent a compris le sens de la lutte selon ses propres nécessités. Terrisse (2009)

signale que, dans ce cas, le chercheur doit rendre compte du rapport au savoir

construit par l'élève pour comprendre les conditions de sa transformation et ainsi

mettre en évidence un savoir par la pratique, qui est une forme de conversion, adaptée

au contexte de l’opposition, mais effectuée par l’élève lui-même.

11 C’est donc au carrefour de ces influences que s’élabore le processus de conversion

didactique relative au savoir enseigné. Cette redéfinition permet de mieux comprendre

les variabilités inter individuelles souvent observées dans l’analyse des pratiques

enseignantes (Bru, 1991). Nous sortons ici d’une vision linéaire de la transposition

didactique et nous nous focalisons sur la question des écarts, notamment entre savoir à

enseigner et savoir effectivement enseigné, et même, dans le dernier exemple, entre

savoir enseigné et savoir appris.

2. 2. Une recherche sur la nature du savoir combattre

12 Pour pouvoir analyser ces processus de transmission à l’aide du concept de conversion

didactique dans le cadre théorique de la didactique clinique, nous analyserons le savoir

eJRIEPS, 44 | 2019

47

combattre et les possibilités d’enseignement qui s'offrent à l’enseignant dès qu’il

s’approprie ce savoir.

13 Figueiredo (2009) a décrit les activités de combat comme des activités où le corps de

l’autre est l’objet et le but de l'enjeu des actions intentionnelles de combat. Green &

Svinth (2010, p. 19) comprennent ces activités comme des « systèmes qui combinent les

éléments physiques du combat avec stratégie, philosophie, tradition et d'autres

caractéristiques qui les différencient de la pure réaction ».

14 Terrisse (1991) envisage qu'une pensée dialectique puisse permettre au professeur la

gestion de l’opposition et de la coopération, dans la mesure où il peut utiliser un

rapport de force pour enseigner ces objectifs, et où il peut réduire l‘imprévisibilité des

situations de combat par la coopération notamment.

15 Le savoir combattre pour Terrisse et al. (1995, p. 27) peut être représenté par une

intention stratégique engagée dans une « pleine opposition » qui suscite « la nécessité

de réduire l’incertitude pour faciliter l’apprentissage et en même temps conserver les

phases de confrontation afin de ne pas perdre le sens de l’activité ».

16 La stratégie, pour Loizon, Margnes et Terrisse (2004, p. 69) est conçue comme « un plan

d’action organisé dans un but précis » alors que la tactique « est la mise en œuvre de ce

plan, l’adaptation de celui-ci aux contraintes de la situation ».

17 Pour Terrisse et al (1995, p. 27), l’intention stratégique vise à résoudre les problèmes

d’un combat. Au-delà du concept de savoir combattre, vers une orientation plus

clinique, Terrisse (2000) a proposé trois types de savoirs qui caractérisent, d'après lui la

nature des savoirs en sports de combat à partir des travaux réalisés par Sauvegrain sur

l'enseignement de la lutte en 1998 (Terrisse et Sauvegrain, 1998) :

"Un savoir de la pratique" que les auteurs annoncent comme étant le produit de l’histoire de

la pratique, "des règles sociales qui la régissent et des valeurs qui y sont attachées". Il y a en

judo, un ensemble de valeurs, traditions et conceptions qui font partie d’un domaine social,

de la communauté du judo, qui peuvent se manifester à travers la culture et le contexte de

pratique propre au judo.

"Un savoir pour la pratique", qui est le fruit d'un travail de mise en forme par les

entraîneurs et les enseignants de contenus, de conseils, de stratégies et de techniques. C’est

le savoir qui est élaboré et qui est mis en pratique par le professeur pendant ses cours. Il

peut correspondre aux préconisations des professeurs (Terrisse, 2000).

"Un savoir par la pratique", qui est le produit de la confrontation personnelle à autrui et qui

ne s’acquiert que dans l’épreuve de combat, que Terrisse nomme "le savoir y faire."

(Terrisse, 2000, p. 105). C’est l’intention tactique qui émerge de la pratique des étudiants,

comme une réponse aux problèmes proposés par le professeur, mais aussi par les

adversaires pendant la situation d’opposition.

18 Dans la mesure où notre projet de recherche est d'analyser des pratiques

d'enseignement des sports de combat à l'Université à partir de cette notion de savoir

combattre, nous utiliserons ces différences entre le savoir de la pratique, le savoir pour

la pratique et le savoir par la pratique, à travers des catégories d'analyse qui

permettront d’observer et de caractériser cet enseignement. Alors que le savoir de la

pratique ne semble pas subir beaucoup de modifications car le professeur transmet

souvent ce qu'il a appris en tant que pratiquant sous forme de théorie, de traditions et

de valeurs, le savoir pour la pratique exige du professeur une transformation des

savoirs sous forme de contenus didactiques afin de transmettre les contenus les plus

eJRIEPS, 44 | 2019

48

utiles aux étudiants. Enfin, le savoir par la pratique s'acquiert par l'activité de combat

pour chacun des étudiants et il se trouve donc difficile à observer.

3. Questions de recherche

19 Notre sentiment, fruit de notre formation en combat, est qu’un professeur à

l’Université ne va pas seulement transmettre des savoirs sportifs tels qu'il les a vécus

lui-même, bien que ce soit le socle de ce qu'il peut transmettre, mais qu’il va tenter de

les traiter en fonction des objectifs de formation qu'il se donne ou qui sont exigés par

l'Institution pour laquelle il travaille. Nos questions de recherche deviennent alors :

20 Quelle est la nature du savoir combattre pour chacun des deux professeurs observés ? Y

a-t-il des différences de transmission de ce savoir selon les professeurs en fonction de

leur expérience, de leur propre formation et/ou des objectifs qu’ils se fixent ?

21 Nous faisons l'hypothèse que la transmission du savoir combattre passe par un certain

nombre de notions et de pratiques propres à chaque enseignant. Notions et pratiques

seront considérées par les enseignants comme fondamentales à acquérir par les

étudiants pour combattre, ce que nous allons tenter d'extraire de nos observations.

22 Nous allons analyser l’enseignement des sports de combat dans ce contexte

institutionnel de deux professeurs qui sont dans la même institution universitaire en

utilisant les catégories d'analyseurs qui représentent les caractéristiques spécifiques de

la didactique des sports de combat pour en déterminer la logique, que nous

envisageons différente du fait que ce sont deux enseignants singuliers, avec des

histoires de pratiquants différentes, celles de la SBF et de l’escrime.

4. Méthodologie

23 Cette recherche qualitative vise à observer, comprendre et interpréter le phénomène

étudié en considérant surtout son essence (Thomas & Nelson, 2002). Elle prend les

pratiques d’enseignement comme objet d’analyse pour en extraire la nature du savoir.

24 Selon Terrisse et Sauvegrain (1998), deux difficultés peuvent se présenter dans la

recherche qualitative : d'une part, préciser les raisons pour lesquelles sont recueillies

certaines données et d'autre part, affirmer les options théoriques justifiant cette

analyse et son interprétation. Dans ce cas de recherche didactique clinique, l’entretien

est l’outil prioritairement utilisé en considérant « qu’un dire permet au sujet de

soutenir les motifs de sa pratique et d’énoncer le bénéfice qu’il en retire, car toute

activité humaine devrait avoir un sens, même s’il est non su » (Terrisse & Sauvegrain

1998, p. 99).

25 Nous utilisons alors, la méthodologie temporelle de la didactique clinique : le déjà-là,

l’épreuve et l’après-coup (Terrisse, Carnus, 2009).

4. 1. Les sujets

26 Cette étude fait partie d’un projet de recherche de doctorat qui se propose d'analyser et

de comparer les pratiques d’enseignement en Sports de Combat à l’Université dans

deux pays différents : la France et le Brésil. Dans cet article, nous n'analyserons que les

pratiques d’enseignement en France et plus particulièrement une séance de deux

eJRIEPS, 44 | 2019

49

professeurs enseignant dans un UFRSTAPS1. Ils travaillent dans la même université et

leurs cours font partie de la première année (tronc commun) en travaux pratiques (TP),

où il y a entre 15 et 20 étudiants par groupe. Les étudiants sont tirés au sort pour

pratiquer les trois types de sports de combat offerts par cette Université (Escrime, SBF

et Judo). Ces étudiants viennent du lycée, où d'après nos informations, ils ont eu peu

d’expérience en sports de combat dans les cours d’Education Physique et Sportive

(EPS).

27 Pour des raisons d'anonymat, nous nommerons le premier professeur, enseignant la

SBF, Roger et le deuxième professeur, enseignant l’escrime, Jean.

28 Roger a connu la SBF à la fin de ses études à l’UFRSTAPS. Il n'a pas été un combattant de

haut niveau dans cette discipline sportive, mais il a entraîné plusieurs « tireurs » de

boxe française et il a obtenu, dans ce contexte et avec ses athlètes, des titres nationaux.

Aujourd’hui, il est professeur de SBF dans l'institution où il a suivi sa formation.

29 A contrario, Jean a découvert l’escrime quand il avait 9 ans. Il a vécu le sport dans un

contexte scolaire "sport-étude" et en club. Après le bac, il a été intégré dans l’équipe de

France d’escrime (spécialité sabre), Il a effectué sa formation en sport en même temps

que celle de professeur d’EPS. Compétiteur de haut niveau jusqu'en 2004, il a été

champion olympique de sabre par équipe. Actuellement, il est professeur de sport et

maître d’armes.

4. 2. Le recueil et le traitement des données

4. 2. 1. Entretien ante-séance (accès au déjà là)

30 Selon cette méthodologie, qui privilégie la prise en compte temporelle du déroulement

des séances, nous avons débuté le recueil des données par l’entretien ante séance avec

chaque professeur afin de connaître leur déjà-la particulièrement focalisé sur leurs

intentions didactiques, leurs objectifs et leurs prévisions d'intervention. Ce déjà-là

constitue, pour nous, « le savoir lié au processus historique de son mode de

construction dont se déduit la logique de l’activité » (Terrisse, 1994). Ces entretiens ont

été fidèlement retranscrits et analysés selon une analyse de contenu telle que la décrit

Bardin (1998) : lecture flottante puis reconstruction du cas à partir des éléments les

plus saillants au regard des questions de recherche afin de substituer à l’interprétation

intuitive une interprétation construite au moyen d’une inférence. A la lecture de ces

entretiens, nous avons repéré et souligné les points les plus importants de cette

prévision pour nous préparer à l’étape suivante, c’est-à-dire, à l’observation et à

l'enregistrement vidéo des séances, en tenant compte des indications de ces deux

professeurs, ce qui constitue la deuxième phase de ce type de recueil de données que

nous nommons l'épreuve.

4. 2. 2. Enregistrements Vidéo au cours de l’épreuve

31 Lors de ce second temps de la méthodologie, nous avons choisi de filmer et

d’enregistrer les tours de paroles entre le professeur et les étudiants au cours d’une

séance afin de chaque enseignant pour suivre le déroulement de leur intention

didactique. Il s’agit de la première séance d’un total de trois, qui font partie du projet

de doctorat. Nous avons enregistré les trois dernières séances pratiques avant les

assauts, qui constituent le moment d’évaluation des acquisitions. Pour cet article, nous

eJRIEPS, 44 | 2019

50

n’utiliserons que les données filmées et enregistrées de la première séance, car la

richesse de données observées a été complétée par les entretiens ante et d’après-coup.

Cette observation a permis de révéler le type de savoir enseigné en SBF et Escrime, par

ces deux professeurs, dans cette université.

32 Pour ce faire, nous avons utilisé une vidéo caméra digitale et un micro-cravate attaché

au professeur, pour bien l’entendre au moment de l'enregistrement afin de faciliter

l'écoute et la transcription de ses interventions. La camera était positionnée de manière

à filmer tous les étudiants et surtout la pratique d'enseignement du professeur.

33 Avant de commencer leur cours, ces enseignants expliquent les objectifs de la séance,

leur plan de travail et ce qu’ils attendent des étudiants. Après le cours, chaque

professeur vient relater sa séance au chercheur en la comparant à ses prévisions, sous

la forme d'entretiens post séance. Ces entretiens permettent de savoir à quel moment

et pour quelle raison ils ont changé leur planification, par exemple. Cela nous a permis

d'observer des écarts entre leur projet et leur pratique réelle, soit les savoirs

réellement transmis au cours de sa séance, ce qu'ont mis en évidence les travaux de

l'EDiC (Carnus, 2001, Buznic, 2009 ; Ben Jomaa, 2009, Heuser, 2009). Ces écarts sont

essentiels à prendre en compte pour mettre en évidence ce que révèle le cadre

théorique de l’EDiC et de mieux comprendre l’intérêt de cette option de recherche qui

ne postule pas la continuité, mais la rupture entre les intentions didactiques et

l’observation des faits réels de l’enseignant « in situ ».

4. 2. 3. Analyse des données

34 Dès l’observation in situ terminée, nous avons étudié les vidéos selon les catégories

d’analyse retenues, qui seront développées dans le point 4.3.

35 Dans un premier temps, chaque vidéo a été transcrite et nous avons fait ce que Bardin

(1998) a appelé « l’inférence individuelle » (le chercheur essaie d’extraire les contenus

latents de chaque « verbatim »). Dans un second temps, nous avons mis en évidence les

points communs et les divergences dans les discours et les pratiques selon les

catégories d'analyse et le cadre théorique.

36 Cette première analyse a contribué à la construction des entretiens d’après-coup2 qui

vont permettre de revenir sur les observations pour éclairer ce que le chercheur n'a pu

expliquer en visionnant la vidéo et ainsi confronter les intentions initiales et le

discours des professeurs avec leur pratique auprès des étudiants.

4. 3. Entretien d’après-coup

37 Nous terminons le recueil de données par un entretien d’après-coup qui permet aux

enseignants de revenir sur leurs pratiques et d’analyser leurs choix d’enseignement,

dans le but d’en extraire les raisons. Ce troisième temps de la méthodologie permet aux

enseignants de reconstruire le sens de leurs choix par le remaniement des traces

mnésiques de l’expérience. Cette reconstruction, confrontée aux hypothèses ou

intuitions du chercheur, permet d’accéder aux causes des choix et à la part insu dans

l’élaboration des contenus d’enseignement.

eJRIEPS, 44 | 2019

51

4. 4. Les catégories d’analyse de la pratique d'enseignement des

sports de combat

38 Pour différencier les aspects didactiques des aspects pratiques chez les enseignants,

nous avons choisi des catégories d’analyse déjà utilisées dans d'autres travaux sur

l’enseignement de l'EPS et l’enseignement des sports de combat et qui sont

particulièrement heuristiques (Loizon, Margnes, Terrisse, 2004 ; Gomes et al. 2010). En

étudiant les discours des professeurs, les séances observés et l’entretien d’après-coup,

nous avons essayé d'extraire les contenus qui répondent aux objectifs de la recherche,

selon les catégories, qui caractérisent le traitement didactique de chaque professeur

analysé.

4. 4. 1. Le processus de dévolution : analyseur des pratiques

39 Selon Brousseau (1998) « la dévolution désigne l’ensemble des actions de l’enseignant

visant à rendre l’élève responsable de la résolution d’un problème » (p. 303). Dans ce

cas, les étudiants prennent la responsabilité de la tâche (Reuter, 2007). Cette catégorie

d’analyse permet au chercheur de savoir si l'enseignant a envisagé la prise en charge

du savoir par les étudiants au travers la nature de tâches qu’il met en oeuvre. Pour

cette raison, les indicateurs pour observer le processus de dévolution sont à référer à la

différence que fait Famose entre tâches définies et tâches non ou semi définies (Famose,

1983).

40 Selon ces tâches différentes, nous analyserons si l'étudiant doit prendre des initiatives

visant à s'approprier le savoir comme réduire la distance de combat pour toucher

l'adversaire ou au contraire, attendre l'attaque pour mieux riposter.

4. 4. 2. Les variables didactiques

41 Loizon, Margnes, Terrisse (2004) définissent, après Brousseau, le concept de variables

didactiques comme « les éléments constitutifs des situations d’enseignement

identifiables sous forme de contraintes sur lesquelles l’enseignant peut agir en fixant

les valeurs afin de conduire l’élève vers un apprentissage donné » (p.70)3. Cet outil nous

permet de reconnaître un traitement didactique de la part de ces professeurs lorsqu'ils

manipulent ces variables afin de faciliter l'apprentissage des étudiants, comme la

modification de la distance de garde, la vitesse de réaction de l'attaqué ou le

changement d'adversaire. Nous intégrons également dans cette catégorie le rapport de

force, la répétition décontextualisée et l’arbitrage.

4. 4. 2. 1. Le rapport de force

42 On peut observer dans certains manuels d'enseignement des sports de combat, en

escrime et en SBF, une option de traitement décontextualisée des savoirs sous la forme

de coopération (comme transmettre les Katas, formes de corps répertoriées), ou bien

une option d'enseignement plus frontale, en utilisant l’opposition à autrui, ce qui est,

d'après la plupart des experts, le savoir fondamental à transmettre. Ainsi, le traitement

didactique consiste-t-il à articuler les deux formes de rapport, entre une dialectique

entre la coopération et l’opposition ou proposer une forme d’enseignement

décontextualisée. Ainsi, la nature du rapport de force devient-il une variable didactique

eJRIEPS, 44 | 2019

52

dans la mesure où plusieurs modalités peuvent être envisagées : soit une coopération,

soit une opposition entre les deux opposants. Cette différence est fondamentale dans

l'enseignement des sports de combat (Terrisse, 1991).

4. 4. 2. 2. La répétition décontextualisée

43 Cette modalité correspond à la reproduction des mouvements sous la forme d'une

automatisation, ce qui est le contraire d'une forme d'enseignement « dialectique », où

est prise en compte la situation d'affrontement, où les rôles ne sont pas définis à

l'avance. Cette tendance est une des formes d'enseignement historiquement datée,

mais souvent encore utilisée. La répétition est dite décontextualisée dans la mesure où

elle est sortie de son contexte d'opposition et elle est ramenée à une coopération, sortie

de son contexte de rapport de force.

4. 4. 2. 3 L'arbitrage

44 Dans l'observation de séances d'enseignement des sports de combat, nous avons

observé que des aspects formels de l’activité, comme les règles d'arbitrage sont

quelquefois valorisées par l'enseignant qui met l’accent sur un savoir "réglementaire",

savoir nécessaire pour organiser les combats (Margnes, 1996). Ce savoir, fondamental

en combat, est plus ou moins valorisé selon les enseignants. S'il est indispensable à la

pratique, il peut devenir pour certains enseignants un "savoir à savoir" (Chevallard,

1985). La question de l'arbitrage est pertinente comme variable didactique, car

proposer aux étudiants d'arbitrer est une question didactique dans la mesure où cette

solution permet d'intégrer les normes, les règles et les valeurs de l'APSA et surtout

devient un moyen, pour l'enseignant, de donner un sens aux situations qu'il propose.

Émettre un jugement sur une confrontation devient alors un moyen d'évaluer in situ les

apprentissages visés.

5. Principaux résultats

45 L’analyse des pratiques de chaque professeur a été effectuée à travers les catégories

d’analyse décrites ci-dessus, qui révèlent comment les professeurs transmettent le

savoir combattre en identifiant si leur démarche mobilise plutôt sur les savoirs de la

pratique, pour la pratique ou par la pratique. Ces catégories se configurent sous la

forme de caractéristiques didactiques qui peuvent être présentes dans l’enseignement

de chaque professeur analysé. Elles nous ont permis d'observer les séances et de voir la

différence de traitement didactique chez les deux professeurs observés.

5. 1. Analyses des entretiens ante

5. 1. 1. Roger en Savate Boxe Française

46 Pendant l’entretien ante-séance, Roger nous dit que les étudiants vont travailler la

technique. Toutefois, il leur demande de faire attention aux éléments surtout tactiques

(déplacements, parades, esquives). Quand il laisse les étudiants choisir ce qui est le plus

intéressant pour eux, il laisse la technique surgir comme une réponse aux exigences du

combat.

eJRIEPS, 44 | 2019

53

5. 1. 2. Jean en Escrime

47 Pendant l’entretien ante-séance, Jean annonce que ses objectifs sont de travailler sur

les niveaux de défense en escrime pour augmenter le potentiel d’attaque et de défense

chez les étudiants. Il veut organiser une révision « d’une mise en activation » et

automatiser le déplacement, la prise d’information et la coordination des étudiants. Il

semble que ses objectifs, dans le cas de cette séance, vont plutôt vers la répétition,

puisque l’automatisation est directement articulée à la répétition, contextualisée ou

non.

5. 2. Analyse des pratiques au temps de l’épreuve

5. 2. 1. Analyse de la pratique en SBF

48 La séance analysée est une des dernières séances pratiques du cycle du deuxième

semestre. Nous l’avons choisi parce que les étudiants ont déjà vécu plusieurs heures

dans chaque activité. Cette observation peut rendre compte des écarts entre le discours

et la pratique du professeur. Selon les objectifs exposés par Roger pendant l’entretien

ante-séance, son intention est d’insister sur l’introduction de la notion de feintes et de

rythme. Il veut « retravailler les enchaînements pied-poing-poing-pied et revenir sur

l’esquive (rotative et sur place) ». (Entretien ante-séance SBF)

49 Au début de la séance, Roger demande à un des étudiants de prendre en charge

l’échauffement, qui est un échauffement général sans rapport particulier avec ses

objectifs. Le professeur revient sur ce qu’il a travaillé la dernière fois et commence les

activités en partageant les étudiants en binômes. Il les met dans un rapport de force,

c’est-à-dire face à face, dans un mini ring et leur donne quelques consignes pour mettre

l’accent sur ce qu’il veut travailler dans le cours, soit l'enchaînement :

“Donc le tireur A attaque, crochet, swing au revers et le tireur B esquive. Je n’ai pasdit « pare ». Vous ne parez que lorsque vous n’avez pas d’autres choix. Donc lapriorité, c’est d'éviter de se faire toucher et de pouvoir enchainer le plus vitepossible. Donc on enchaîne par un enchainement libre pied poings ou poings piedsde son choix, mais le but, c’est de pouvoir anticiper.” (SBF-Séance)

50 Roger donne des consignes en expliquant les actions à réaliser qu’il souhaite. Par

contre, il laisse les étudiants choisir de les utiliser ou pas. Il semble vouloir leur faire

comprendre que la logique du combat détermine le moment d’utiliser les techniques.

Quand il met ses étudiants en opposition, ils sont obligés de trouver le moment

d’utiliser les techniques spécifiques.

51 Toutes les trois ou quatre minutes, il change soit les consignes, soit les rôles, soit les

partenaires. Nous observons donc de sa part une manipulation évidente des variables

didactiques que sont les rôles ou les adversaires dans le rapport d’opposition. Toute la

séance se déroule avec les étudiants en situation semi-définie d’opposition (Famose,

1983) et même s’il donne souvent des explications de nature biomécanique, il précise

que c’est pour mieux répondre aux problèmes qu’il leur a posés. Cela semble montrer

que pour lui, la technique est au service de la tactique : « le mouvement de la feinte, le

début du mouvement est lent, d’accord, et ensuite on l’accélère pour toucher. » (SBF-

Séance). Nous constatons un entrelacement des savoirs, dans la mesure où le savoir

eJRIEPS, 44 | 2019

54

pour la pratique (plutôt technique) se mélange avec le savoir par la pratique (la

tactique dans le combat).

52 Roger insiste d'ailleurs plusieurs fois sur ce savoir important pour lui qu'est la liaison

technique/ tactique. Il corrige les mouvements selon le comportement de l’adversaire

en contexte dans le rapport de force. Il fait attention à la technique. Par contre, comme

il met les étudiants en situation d’opposition, il ne sépare pas les aspects techniques des

aspects tactiques, notamment quand il parle d’un mouvement spécifique : “On fait

attention aux déplacements, aux parades et aux esquives. Dans ce cas-là, regarde tu ne

peux pas à la fois esquiver et parer. Soit tu bloques et tu rentres mais tu (ne) fais pas

une (…) là c’est une réaction de … c’est un réflexe. Donc tu bloques et tu rentres. C’est à

toi de faire ce choix”. (SBF-Séance)

53 Dans cette séance, on observe essentiellement un enseignement tactique par la mise en

place d'une opposition. Cela correspond au savoir par la pratique, car les réponses

apparaissent en fonction de l‘incertitude du combat, que met en œuvre la situation

didactique. On observe la transformation du savoir d’expert par le processus de

dévolution.

“Riposte, la riposte, donc ce que je veux si je vous demande de travailler en lignebasse, c’est pour pouvoir faire une esquive partielle, c’est à dire (un) déplacementde l’appui, soit à droite soit à gauche donc à vous de trouver la solution.” (SBF-Séance)

54 Il insiste sur le travail tactique en demandant aux étudiants d'utiliser toutes les

techniques qu’ils connaissent, selon les mouvements du combat, le rythme, le

déplacement, la garde et pendant des situations d’assaut. Il leur dit : « à vous de trouver

la solution ». Les réponses de l’activité viennent des étudiants, pas du professeur, cela

concerne à nouveau le processus de dévolution (Brousseau, 1998) et le savoir par la

pratique, dans la mesure où le savoir combattre est rendu accessible aux étudiants par

les situations proposées.

55 Par rapport à l’entretien ante-séance, il semble qu’il a réussi à travailler ce qu’il a

proposé et sa méthode insiste surtout sur la technique au service de la tactique. Par

conséquent, pour lui, les techniques sont des outils pour être utilisés en réponse aux

imprévus du combat. Le savoir combattre qu’il essaie de transmettre est surtout un

savoir à s'approprier par la pratique, mais dont les analyses serviront pour la pratique.

5. 2. 2. Analyse de la pratique en escrime de Jean

56 Jean commence cette séance par un échauffement qui est conduit par un des étudiants

et pour lequel il fait quelques corrections par rapport à la biomécanique sous la forme

de jogging et d'étirements, sans rapport apparent avec les objectifs de la séance, à

l’instar de Roger. Nous observons que les premières vingt-cinq minutes sont organisées

sans la mise en place d'un rapport de force, alors que cette variable nous apparaît

inséparable de l’enseignement du savoir combattre.

57 L’enseignant met les étudiants en ligne, pour qu'ils puissent agir selon les signaux du

professeur : “Voilà, double marche au signal, près ? Ok, deux retraites après. Oui c’est

pas mal. Même chose à gauche. Ok, marche et fente ! Prêts ? Ok, c’est la première,

maintenant petit changement de rythme, marchez, attention à la vitesse à la fin.”

(Escrime – séance)

eJRIEPS, 44 | 2019

55

58 Nous pouvons noter qu’il demande aux étudiants une synchronisation des techniques

en réalisant les mêmes mouvements que ceux qu'il a lui-même montrés. A ce moment-

là, Il n’y a pas de rapport de force comme dans la séance de SBF. Il insiste sur la

répétition décontextualisée des mouvements pendant la première partie du cours.

Selon cet enseignant, le plus important est d’automatiser les mouvements d’escrime. La

notion de savoir combattre selon les intentions tactiques des adversaires n’est pas mise

en scène, car le savoir visé dans ces tâches est plutôt un savoir de la pratique : “Un seul

signal. Ce qui m’intéresse, c’est que vous soyez tous synchronisés les uns par rapport

aux autres. On doit voir une ligne commencer au bout du match et s'arrêter, une ligne

commencer l’attaque et terminer en même temps. A vous de vous synchroniser sur les

rythmes des uns par rapport aux autres. Prêts ? Même chose mais je veux voir une

seule ligne, ready ?” (Escrime – séance)

59 Jean explique aux étudiants que le but des exercices est de travailler la coordination, la

posture et l’automatisation du déplacement (la technique). Après ces explications, il

précise les différents niveaux de défense. A chaque explication, il réunit les étudiants,

fait une démonstration lui-même et leur demande de la répéter : “Vous (vous)

rapprochez s’il vous plaît ? Vous venez vous asseoir ici, et il me faut une personne pour

faire quelques touches avec moi là, qui se dévoue ? Romain, très bien.” (Escrime –

séance). Nous observons le fait que Jean met des étudiants en opposition, mais sans

effectivement induire un rapport de force. Son orientation d’enseignement vise la

coopération, dans la mesure où les situations sont peu saturées en incertitude (tâches

définies). Même dans le face à face, l’exercice est prévisible, puisque chaque étudiant a

un rôle déterminé. “Ok, alors pour commencer, vous allez observer, d'accord, il y aura

trois séquences de travail avant d'attaquer les matches, un attaquant, un défenseur.

Ton objectif pour toi, ton but, tu donnes le signal puisque tu es le dominant, d'accord

on est aux limites du départ, ton objectif à toi c'est de venir me toucher en double

marche et fente quand je m'arrête. Vous regardez, je vais vous proposer, il y a cinq

niveaux de défense, pour l'instant je vais vous en proposer deux" (Escrime – séance).

60 Ainsi, la logique de l’escrime appelle-t-elle un enseignement distinct de la SBF, puisqu'il

y a un rôle dominant et un autre dominé règlementés par la phrase d’arme dans le

combat. Cela peut justifier le choix du professeur d’enseigner plutôt un savoir orienté

vers la répétition technique (savoir de la pratique) au lieu d'un savoir par la pratique,

avec les éléments d’incertitude, présents dans le rapport de force.

61 La fin de la séance est organisée sous forme de match : deux étudiants en combat et

deux autres en arbitrage (un arbitre principal et un assistant). Le rapport de force est

libre, puisqu'il propose les combats formels, selon les règles de l’escrime. Dans ce cas, il

manipule la variable didactique de l’arbitrage, en exigeant une posture formelle et

sérieuse des étudiants, comme il l’indique dans l’extrait d’échanges entre le professeur

et les étudiants : « ce que m’intéresse moi ce ne sont pas les victoires. Par contre ce qui

m’intéresse là, c'est que vous travailliez déjà les principes d'attaque, c’est-à-dire la

distance, l'attaque en double marche et fente et de temps en temps une attaque en

marche et fente, attention, une attaque en marche et fente ». (Escrime – séance).

62 Dans cette extrait professeur/étudiants, selon le point de vue du professeur, il est

important d’avoir un arbitre qui puisse observer la position dominant-dominé dans le

combat. Ainsi, le rapport de force au sabre n’est-elle jamais libre, puisqu'il a toujours

un rôle déterminé à chaque point marqué. Cet aspect sera davantage développé plus

tard.

eJRIEPS, 44 | 2019

56

63 Dans le déroulement de la séance Jean insiste sur les principes d’attaque. Cela apparaît

comme une priorité pour lui. Il leur demande aussi quelques combinaisons de gestes. Il

met les étudiants en situation de combat, mais le gain ne l'intéresse pas. Par contre,

pour développer les « matches », le professeur insiste surtout sur l’arbitrage des

étudiants : « Voilà, au niveau de l’arbitrage : un arbitre, un accesseur, voire deux

accesseurs avec les blessés. L’arbitre, ce que j’attends ici, si ça marche bien je corrigerai

vos phrases d’armes. » (Escrime – séance).

64 Nous observons que Jean utilise deux variables didactiques, le rapport de force et

l’arbitrage. Les étudiants au cours des matches auront la possibilité de mobiliser le

savoir technique appris et le combat lui-même pour faire surgir l’intention tactique,

présente seulement dans un enseignement par opposition. Par contre, les étudiants

avec le rôle d’arbitrage ont une mission très spécifique, alors qu’ils apprennent les

phrases d’armes et la terminologie proposée dans le règlement. En définitive, Jean

propose majoritairement des tâches définies (travail de la technique) et semi définies

(situation de matches en fin de séance).

65 Dans son bilan de la séance, Jean observe « qu’au niveau de l’attaque, cela avance » et

« qu’au niveau de la défense, cela commence à se mettre en place ». En ce qui concerne

le savoir par la pratique (attaquer et défendre), il semble penser que ses étudiants sont

sur la bonne voie.

66 Toutefois, nous n'avons pas observé une avancée du savoir combattre dans cette

séance, Il précise encore qu'il leur manque également « beaucoup de choses,

notamment de la qualité physique ». Jean signale que, pour lui, il est important d’avoir

une bonne qualité physique pour pouvoir exécuter les exercices d’escrime qu’il propose

dans ses cours. Il complète en disant que dans les prochaines séances, son but sera de

travailler la tactique (action-réaction).

6. Etude comparative des deux cas

67 Au regard de notre objet de recherche, qui consiste à analyser le poids de l’expérience

sur l’enseignement, nous avons constaté des différences sensibles chez ces deux

professeurs. Roger enseigne plutôt des savoirs par la pratique et pour la pratique en

stimulant les réponses des étudiants aux problèmes du combat, au travers le processus

de la dévolution, de la manipulation des variables didactiques et notamment du rapport

de force : « J’essaie de varier au maximum le nombre d’adversaires pour que l’élève

s’adapte (…). C’est l’assaut, où là pour moi c’est le retour sur mon enseignement »

(Entretien d’après-coup SBF).

68 Nous pouvons observer une forme caractéristique de transposition didactique chez

Roger (SBF), c’est-à-dire qu’il transforme le savoir de la pratique en savoir pour et par

la pratique. Les techniques qu’il a enseignées dans les séances antérieures et qu’il a

chaque fois corrigées chez les étudiants, correspondent au savoir pour la pratique sous

la forme des contenus qu’il a choisi de travailler pour leur formation future.

69 Les catégories d'analyse que sont le rapport de force et la dévolution ont pour objectif

d'introduire l’incertitude, terme qu'utilise d'ailleurs Roger à double reprise dans

l'entretien d'après coup. Il précise : « Je travaille avec beaucoup plus d’incertitude et

c’est à eux de construire ». D'après lui, les étudiants ne sauront combattre que s’ils

savent travailler à partir de la notion d’incertitude. « Plus on arrive au bon niveau dans

eJRIEPS, 44 | 2019

57

l’activité, plus on arrive à se faire plaisir en adaptant sa boxe à l’adversaire ». Le bon

niveau selon ce professeur, c’est la capacité de « répondre, échanger, communiquer

avec l’adversaire, en y ajoutant à chaque fois beaucoup plus d’incertitude », c’est « le

plaisir à équilibrer le rapport de force, qui est omniprésent ». (Entretien d’après-coup

SBF). Pour Roger, enseigner le savoir combattre, c’est introduire l’incertitude à travers

des situations de combat, qui comprennent plus d’opposition. Cela concerne le savoir

par la pratique, où l’intention tactique émerge des étudiants, au moment du combat, en

répondant à sa logique.

70 Jean enseigne plutôt des savoirs de la pratique et pour la pratique, c’est-à-dire qu’il met

l’accent sur la reproduction des techniques décontextualisées, sur l’arbitrage formel et

il utilise des situations d’opposition avec des rôles déterminés.

71 Cette forme de transposition s'observe plus par des transformations des contenus

didactiques sous la forme de répétition des mouvements et un peu moins par la

manipulation du rapport de force. Il enseigne les savoirs de l’escrime dans la séance,

mais il ne semble pas enseigner l’essence du savoir combattre, soit le rapport de force.

Dans l’entretien d’après-coup, en caractérisant sa démarche, il précise que dans son

cycle il associe la connaissance des disciplines biologiques avec une connaissance qu’il

appelle globale et qui n’est pas seulement technique, comme peut l’être

traditionnellement l’escrime. Son intention semble donc de réunir les connaissances

biologiques, la pédagogie et la didactique. « Je suis sur une méthode globale et je fais

des apprentissages concernés nécessaires pour la pédagogie et la didactique ».

(Entretien d’après-coup escrime).

72 Le discours de Jean sur le cycle est différent de ce qu’il fait dans la séance observée.

Dans la séance que nous avons analysée, Jean nous dit que les étudiants ne possèdent

pas les qualités physiques pour exécuter les exercices. Les éléments biologiques sont

très importants pour lui (quand il dit par exemple qu'il manque des « qualités

physiques chez les étudiants pour exécuter les activités »). Les apprentissages vont

plutôt vers l’automatisation et la répétition des techniques. Pendant la séance, les

techniques ont été décontextualisées, alors qu'en opposition, le principe de

l’incertitude est peu développé, contrairement à Roger.

73 Dans le cours de Jean que nous avons observé, les étudiants ont été mis dans des tâches

décontextualisées en réponse aux commandes du professeur et en duo avec des rôles

déterminés. Dans d'autres tâches comme, pendant les matches, Jean a mis davantage

l’accent sur l’arbitrage : « Si je n’ai pas d’arbitre, je ne peux pas avoir de matches » et

sur la priorité d’attaque de chaque combattant : « Donc le but pour le dominé, c’est

d’essayer de trouver un moyen pour renverser le rapport dominant-dominé ».

(Entretien d’après-coup escrime)

74 Quand nous interrogeons Roger sur les raisons de son choix du sabre, il confirme

l’hypothèse que son histoire personnelle - particulièrement son déjà-là expérientiel - a

influencé sa conception d’enseignement. « Oui, que le sabre. Pourquoi ? Parce que moi

je suis sabreur déjà à la base et c’est l’arme la plus riche et la plus facile pour démarrer

et s’amuser ». (Entretien d’après-coup escrime).

75 Donc, dans cette Université, Jean n'enseigne que le sabre. Au début de la recherche,

nous pensions que c’était parce qu'il considérait le sabre plus riche. En fait, il explique

pendant l'entretien d’après-coup qu’il enseigne seulement le sabre parce qu'il a été un

sabreur d'un haut niveau, donnée qui conforte notre hypothèse. Il semble alors que

l’expérience personnelle du professeur est directement liée aux contenus de l’APSA

eJRIEPS, 44 | 2019

58

qu’il transmet dans ce cas précis, en rapport avec la notion de conversion didactique

développé dans l’article (Cf : paragraphe concerné dans l’article).

76 Cette étude fait également émerger des différences entre technique et tactique entre

les deux enseignants qui justifient l'utilisation qu’ils en font. Alors que pour Jean la

technique est transmise comme élément fondamental de l'activité et qu’il appartient à

l'étudiant de gérer lui-même la situation d'opposition, pour Roger, la technique est le

plus souvent transmise dans une situation d'affrontement comme moyen de résoudre,

in situ, le rapport de force entre deux opposants. Ainsi, parade et riposte peuvent être

envisagées séparément, sans opposition, ou bien transmises comme indispensables à

l'établissement du rapport de force.

7. Analyse des résultats : les raisons présumées desdifférences constatées

7. 1. La différence de trajectoire et de formation

77 Roger nous informe avoir appris cette activité à l’Université et n'a pas de passé de

compétiteur. Il essaie de transmettre un savoir significatif pour que ses étudiants

puissent avoir un ensemble d'éléments de SBF leur permettant d'enseigner eux-mêmes

cette activité en EPS et peut être dans les clubs. « Je n’ai pas une vision sportive de haut

niveau de l’activité (…) C’est vrai que j’ai un regard qui n’est pas uniquement axé sur un

passé de combattant qui est chez moi assez minime ». (Entretien d’après-coup SBF).

78 Jean a été lui aussi professeur d’EPS en même temps qu'il a été compétiteur (champion

olympique de sabre en équipe). Il a construit sa méthode en utilisant ce qu’il a vécu

comme enseignant, mais aussi et surtout comme sportif de haut niveau en tant que

sabreur. Nous faisons l’hypothèse que sa conception garde beaucoup de la tradition très

ancienne de l’activité et qu'il essaie plutôt de transmettre un savoir corporel orienté

vers l’exécution des techniques d’escrime qu'un savoir enseignable à d'autres. « Oui, j’ai

trouvé un sens de pourquoi m’entraîner. Ça vient du haut niveau, de la performance »

(Entretien d’après-coup escrime).

7. 2. L’escrime et la Savate Boxe Française : deux activités

physiques différentes

79 La spécificité de chaque activité peut également influencer le traitement didactique de

ces professeurs. En effet, la dynamique de la SBF est différente de l’escrime, et dans

l’escrime il a encore des différences entre l’épée, le fleuret et le sabre.

80 Jean est un sabreur et sa pratique ne concerne que les éléments du sabre. Dans la

convention du sabre, le tireur qui touche en premier n’est pas obligatoirement celui qui

emporte le point (Capoani, d’Ares, 2010). La touche se donne selon un principe de

priorité. Le tireur qui exécute correctement l’attaque (c'est-à-dire l’action offensive

initiale) a la priorité sur toute autre action et emporte le point. Le tireur attaqué n’a

d’autre solution que de parer l’attaque et de riposter ou de profiter d’une mauvaise

exécution de l’attaque pour reprendre la priorité (Capoani, d’Ares, 2010). Cette

dynamique est notamment distincte de la logique du rapport de force, dans la mesure

où il n’y a pas d’actions d’attaque et défense simultanément. Pour respecter les

eJRIEPS, 44 | 2019

59

principes du sabre, Jean peut se trouver limité pour proposer un rapport de force aux

étudiants, puisque dans les règles du sabre, il manque un principe conditionnel

(l’attaque-défense simultanée).

81 Le sabre (comme le fleuret) peut être considéré comme une activité moins imprévue

que l’épée où il n’y a pas ce type de priorité, ce qui explique les raisons pour lesquelles

le professeur d’escrime préserve surtout le savoir de la pratique, compte tenu des

risques encourus.

82 La SBF, par contre, répond à tous les principes conditionnels (Gomes, 2008) et

notamment l’attaque et défense simultanées puis l’incertitude. Cela donne aux

professeurs la possibilité de manipuler un rapport de force et d'autres variables

didactiques et d’enseigner le savoir combattre en stimulant l’intention tactique, tel que

proposé par Terrisse et al (1995). L’absence d’une arme permet une diversité de choix

didactiques concernant l’espace, les matériels, la distance, les coups de poings, des

pieds et la logique du combat de la SBF.

83 Dans cette recherche, l’analyse didactique effectuée ne peut faire l’impasse sur la

différence de nature de ces deux activités.

8. Conclusions

84 L’analyse des résultats a montré une grande différence d’enseignement chez ces deux

professeurs : Roger (SBF) et Jean (escrime). Les choix et les intentions didactiques de

chaque professeur ont été entendus sous la forme d’entretien ante-séance en

reconstruisant leurs intentions didactiques relatives au savoir à enseigner. Cela nous a

permis d'observer que chaque professeur fait ses choix didactiques par rapport à ce

qu’il a vécu, soit comme combattant, soit comme étudiant en STAPS (sa formation).

C’est de cette manière que le savoir de la pratique est incorporé par chacun.

85 Pendant les enregistrements vidéo et audio des séances, nous avons observé le savoir

enseigné, au moment de l’épreuve, où le professeur met en place son choix, pour

rendre enseignable le savoir de la pratique aux étudiants au travers d’un processus de

« conversion didactique » (Buznic, 2009). A cette étape-là, nous avons constaté que le

passé d’étudiant en STAPS de Roger (SBF), comme la nature de l’activité de la SBF l’ont

induit, plus ou moins consciemment, à construire une stratégie d’enseignement

principalement orientée vers un savoir par la pratique et pour la pratique, vers

l’appropriation du savoir combattre, à travers de l’opposition.

86 De manière contrastée, Jean, au travers de la séance analysée, a montré que même en

ayant l’intention d’une stratégie plus globale et moins guidée vers la pure technique,

son passé de compétiteur et surtout la nature de l'arme (le sabre), l’amènent plus ou

moins à son insu à transmettre un savoir de la pratique pour la pratique, enseigné sur

le même modèle que celui qui lui a été enseigné (Brau-Anthony, 1998).

87 Les catégories d'analyse ont été des outils pour rendre compte de l'enseignement et

contribuent à la compréhension de la conversion didactique à l’œuvre dans les deux

enseignements. Dans les entretiens d’après-coup, la possibilité de revenir à certains

moments sur l'enseignement, nous a permis de confirmer nos hypothèses et de

confronter les intentions des professeurs avec ce qu’ils ont réellement enseigné.

88 L’analyse de pratiques d’enseignement des Sports de Combat dans cette Université

indique qu'en STAPS, ces professeurs de SBF et d’escrime enseignent le savoir

eJRIEPS, 44 | 2019

60

combattre de façon différente, selon les spécificités de chacun (leur formation, leurs

conceptions de l’APSA, leurs expériences personnelles et professionnelles, leurs

intentions) et de chaque activité physique enseignée, alors qu'ils sont dans la même

institution et qu'ils ont les mêmes étudiants. Cette étude souligne la pertinence d’un

regard clinique en didactique de l’EPS qui – au-delà des assujettissements

institutionnels, officiels et personnels (Chevallard, 1989) – repose sur la prise en

compte de la singularité des sujets et sur l’influence de leur trajectoire personnelle sur

leurs choix didactiques.

BIBLIOGRAPHIE

Bardin, L. (1998). L’analyse de contenu. Paris : PUF. (9ème édition).

Ben Jomaa, H. (2009). L’expertise dans l’enseignement de l’EPS : analyse didactique clinique de quatre

professeurs. Thèse de doctorat en cotutelle. UPS, Toulouse 3 et Université de La Manouba

(Tunisie).

Brau-Anthony, S. (1998). L'évaluation des jeux sportifs collectifs. Des conceptions des enseignants d'EPS à

la démarche de mise en œuvre du projet d'enseignement et d'évaluation. Thèse de doctorat non publiée.

Université Paris 11.

Brossais, E. & Terrisse, A. (2009). Le poids de l’institution sportive dans l’analyse d’un enseignant

débutant – expert en judo. Dans A. Terrisse & M-F. Carnus (Dir.), Didactique clinique de l’EPS : quels

enjeux de savoirs ? (p. 115-132). Bruxelles : De Boeck Université.

Brousseau, G. (1998). Fondements et méthodes de la didactique. Dans B. Balacheff, M. Cooper, R.

Sutherland, & V. Warfield (Dir.), Théorisation des situations didactiques (p. 47-10). Grenoble : La

Pensée Sauvage,

Bru, M. (1991). Les variations didactiques dans l'organisation des conditions d'apprentissage. Toulouse :

Presses Universitaires du Sud.

Buznic, P. (2009). Le sujet enseignant et la gestion du contrat didactique. Un regard en didactique

clinique de l'EPS. Dans A. Terrisse & M-F. Carnus (Dir.). Didactique clinique de l’EPS : quels enjeux de

savoirs ? (p. 101-112). Bruxelles : De Boeck Université.

Capoani, J., d’Ares, J.C.D. (2010). Les fondamentaux de l’escrime : Fleuret, épée, sabre : S’initier et

progresser. Paris : Amphora.

Carnus, M.-F. (2001). Analyse didactique du processus décisionnel de l’enseignant d’EPS. Thèse non

publiée, LEMME, Université Paul Sabatier, Toulouse.

Carnus, M-F. (2004). La prise en compte du sujet dans la recherche en didactique, vers une

didactique clinique : intérêt, difficultés et limite. Dans symposium : Recherche clinique en Sciences

de l'Éducation, Contribution pour une analyse des pratiques enseignantes, Cinquième congrès international

de l’AECSE d'actualité de la recherche, 31 Août, 4 Septembre 2004, Paris, CNAM.

Carnus, M-F. (2009a). Pour une didactique clinique de l’EPS. Perspectives pour la formation des

enseignants. Note de synthèse pour l’Habilitation à Diriger des Recherches. Université Paris Ouest

Nanterre la Défense, 9 décembre 2009.

eJRIEPS, 44 | 2019

61

Carnus, M.-F. (2009b). La décision de l’enseignant en didactique clinique. Etudes de cas en

Education Physique et Sportive. Dans A. Terrisse et MF Carnus (dir.), Didactique clinique de l'EPS,

Quels enjeux de savoirs ? (p. 63-81). Bruxelles : De Boëck.

Carnus M-F. & Terrisse A. (2013). Didactique clinique de l'EPS. Le sujet enseignant en question. Paris :

Editions revue EPS.

Chevallard, Y. (1985). La transposition didactique. Grenoble : La Pensée Sauvage.

Dorville, C. (2004) . Des pieds et des poings : la boxe française. La nouvelle jeunesse d'un vieux sport

français. Villeneuve d'Ascq : Revue du Nord, vol. 86(355).

Famose, J-P. (1983). Tâches motrices et stratégies pédagogiques en éducation physique et sportive

- Dossiers EPS n° 1. Revue EP&S. Paris.

Gomes, M.S.P. (2008). Procedimentos pedagógicos para o ensino das lutas : contextos e possibilidades.

119f. Dissertação (Mestrado em Educação Física) – Faculdade de Educação Física Universidade

Estadual de Campinas, Campinas.

Gomes, M.S.P. Morato, M. Duarte, E., Almeida, J.J.G. (2010). O Ensino das Lutas : dos princípios

condicionais aos grupos situacionais. Movimento, Porto Alegre, v.16, n.02, 207-227, abr-jun.

Heuser, F. (2009). Du savoir enseigné en EPS au savoir de référence de l'enseignant. Etude

didactique clinique en karaté. dans A. Terrisse & M-F. Carnus (Dir.). Didactique clinique de l’EPS :

quels enjeux de savoirs ? (p. 133-142). Bruxelles : De Boeck Université.

Loizon, D., Margnes, E., Terrisse, A., (2004). Analyse des pratiques d´enseignement : les pratiques

déclarées par les professeurs de judo. eJRIEPS, 5, 63-85.

Margnes E. (1996). Réflexions sur les valeurs du judo et perspectives de transposition didactique

en EPS, dans Arts martiaux et Sports de combat, les cahiers de l’INSEP, Paris, INSEP Publications,

173-179.

Reuter Y. (éd.) (2007). Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques, Bruxelles : De Boeck.

Sauvegrain, J-P. (2001). Analyse didactiques de la décision de l’élève, étude de cas sur l’utilisation du

savoir dans un cycle de lutte. Thèse de doctorat. Université Paul Sabatier. Toulouse.

Green A. & Svinth J-R (2010). Martial Arts of the Words. An Encyclopedia of History and innovation.

ABC – CLIO. EBook 978-1-59884-244-9. June 2010. vol. 2.

Terrisse, A. (1991). Pour un enseignement dialectique du combat. Revue E.P.S., 229, 23-26.

Terrisse, A. (1994). La question du savoir dans la didactique des Activités Physiques et Sportives : essai de

formulation. Note de synthèse pour l’HDR. Université Paul Sabatier. Toulouse.

Terrisse, A., Quesada, Y., Hiegel, P., Sauvegrain, J.P. (1995) : Le savoir combattre : essai

d’élucidation, Revue E.P.S., 252, 26-29.

Terrisse, A. & Sauvegrain, J. P. (1998). Identification des difficultés d’appropriation du « savoir

lutter » par une méthodologie d’ingénierie didactique. Revue Science et Motricité, 32-33, 74-87.

Terrisse, A. (2000). Epistémologie de la recherche clinique en sports de combat. Dans Terrisse, A.,

(Dir.). Recherches en sports de combat et en Arts Martiaux, état des lieux (p. 95-108). Paris : Editions

Revue EPS.

Terrisse, A. (2009). La didactique clinique en EPS. Origine, cadre théorique et recherches

empiriques. Dans A. Terrisse & M-F. Carnus (Dir.). Didactique clinique de l’EPS : quels enjeux de

savoirs ? (p. 13-33). Bruxelles : De Boeck Université.

eJRIEPS, 44 | 2019

62

Terrisse, A. & Carnus, M.-F. (2009). Didactique clinique de l’EPS : quels enjeux de savoirs ? Bruxelles :

De Boeck Université.

Thomas, J. R & Nelson, J. K. (2002). Métodos de pesquisa em atividade física. Porto Alegre : Artmed.

Verret, M. (1975). Le temps des Etudes. Paris : H. Champion.

NOTES

1. Le chercheur a choisi de travailler avec ces deux enseignants à partir d'une information

donnée par l'un d'entre eux dans une réunion de travail de l'équipe de recherche qui a dirigé ces

travaux. Il a eu connaissance du parcours des deux enseignants grâce à des entretiens ante qui

ont pour objectif de connaître les origines de leur formation et leur projet d'intervention.

2. En didactique clinique, l’entretien d'après coup permet de revenir sur le déroulé de la séance

et de mettre en perspectives les intentions des enseignants avec la réalité de la séance observée.

3. Entre savoir et variable, il existe une différence notable dans la mesure où l'utilisation d'une

variable a, normalement, pour effet de produire du savoir, notamment du « savoir combattre ».

RÉSUMÉS

Cette recherche se propose d'analyser deux enseignements de sports de combat différents,

l'escrime et la savate boxe française (SBF), destinés aux étudiants de la même Unité de Formation

et de Recherche en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives (UFRSTAPS), pour

en décrire la logique différentielle. La question de recherche porte sur la nature des différences

constatées en terme de traitement de ces activités du point de vue de deux enseignants singuliers

par leur passé de sportif et leur formation. Certes, ces deux activités sont différentes par leur

histoire et leur contenu, bien que faisant partie toutes les deux de la catégorie des sports de

combat. Ce que la recherche tente de mettre en évidence porte davantage sur les raisons de cette

différence de traitement, soit leur expérience en tant que pratiquant ou en tant qu'enseignant, ce

que mettent en exergue les travaux de l'Equipe de recherche en Didactique Clinique de

l’Education Physique et Sportive (EDiC) et son cadre théorique de la didactique clinique (Carnus &

Terrisse, 2013).

Pour y parvenir, nous avons tenté de définir le « savoir combattre » que le professeur peut

transmettre dans ces activités, en utilisant des catégories d'analyse de la pratique

d'enseignement des sports de combat qui nous permettent de différencier les formes didactiques,

comme le processus de dévolution et certaines variables didactiques, le rapport de force, la

répétition décontextualisée du rapport de force et l’arbitrage. Nous avons alors observé que la

différence de formation de ces deux enseignants dans le domaine sportif et à l'Université a pesé

sur les raisons d'un enseignement différent de Jean (Escrime) et de Roger (SBF). Cette recherche

met en évidence le fait que chaque professeur fait ses choix en fonction de ce qu’il a vécu, soit

comme pratiquant, soit comme étudiant en STAPS, soit encore comme professeur.

This study aims to analyse two different combat sports professors, one for Fencing and the other

for Savate French Boxing (SBF), to students from the same university in France in the Unit of

Formation and Research in Sciences and Techniques of Physical and Sportive Activities

eJRIEPS, 44 | 2019

63

(UFRSTAPS), to describe their differential logic. The research question is about the nature of the

differences observed in terms of treatment of this activities according to the point of view of the

two singular professors and their sportive background. Clearly these activities are different in

what concerns history and content, but both are part of the combat sports spectrum. What this

research tries to put in evidence is the reasons that explain this difference in treatment, either

their experience as competitors or as teachers, what embraces the work of the Team of Research

in Clinic Didactiques in Physical and Sportive Education (EDiC) and its theoretical framework

(Carnus & Terrisse, 2013).

To achieve that, we tried to define the fighting knowledge (savoir combattre) that the teacher

can transmit in this activities, by using categories of analysis of the teaching practice, such as the

devolution process and other didactique variables (opposition relationship, decontextualized

repetition and arbitration).

We observed that the difference concerning the sportive background of the professors has

influence in the reasons why Jean (Fencing) and Roger (SBF) teach in different ways in the same

domain. Thus, this research puts in evidence the fact that each professor makes his own choice

according to what he has experienced either as a practitioner, Physical Education student or as a

teacher.

INDEX

Mots-clés : didactique clinique, sports de combat, vécu sportif, pratiques d’enseignement

Keywords : clinical didactics, combat sports, sportive background, teaching practices

AUTEURS

MARIANA S.P. GOMES

Laboratoire d’Education Physique Adaptée, Faculté d’Education Physique - Université de

Campinas, Brésil

MARIE FRANCE CARNUS

UMR-EFTS, – Université Toulouse Jean Jaurès, France

ANDRÉ TERRISSE

UMR-EFTS, – Université Toulouse Jean Jaurès, France

eJRIEPS, 44 | 2019

64

Comparer les manières d’enseignerles activités de fitness dans uneperspective « d’inclusion » : étudesde cas en lycée professionnel enFrance et en SuèdeThe generic feature that goes through the observed practices underscores a

common purpose for increasing student physical engagement in the tasks.

Within specific modalities at each site, this purpose is unfortunately

accompanied by a poor significance of the knowledge studied: In a word far

away from a real ‘epistemic inclusive education’

Emmanuelle Forest et Chantal Amade-Escot

1 L’étude présentée dans cet article est issue d’un projet de recherche international

intitulé « Teaching traditions and learning » (TTL) financé par le Swedish Educational

Research Council. Le projet, fondé sur approche de didactique comparée, visait à mettre

en lumière les liens entre manières d’enseigner et d’apprendre dans l’enseignement des

sciences et de l’éducation physique en Suède, en France et en Suisse. Pour ce qui

concerne l’éducation physique, la visée est de comparer les pratiques didactiques de

professeurs en relation avec chacun des curriculums nationaux et les traditions

d’enseignement qui s’y rattachent afin de dégager de possibles spécificités ou

généricités susceptibles d’expliquer certaines formes d’exclusion scolaire rencontrée

par les élèves dans l’enseignement professionnel du secondaire supérieur (Jellab, 2005).

Dans le cadre de cet article, nous ne présentons qu’une partie de l’étude empirique

(Forest, 2017) ; elle concerne deux séances de fitness, l’une en France, l’autre en Suède,

dans deux écoles professionnelles (pour faciliter la lecture nous utiliserons le terme

générique de « lycée professionnel »). Nous cherchons à décrire comment les

enseignants d’éducation physique au sein de leur classe, développent (ou non) des

pratiques inclusives identifiées à travers l’analyse de transactions didactiques.

eJRIEPS, 44 | 2019

65

1. Problématique de recherche : interroger lespratiques didactiques d’inclusion scolaire enéducation physique en lycée professionnel

2 Si la notion d’inclusion a souvent été associée au handicap, aux besoins éducatifs

particuliers ou spécifiques et plus récemment à des problématiques sociétales comme le

décrochage scolaire, la loi française de refondation de l’école du 8 juillet 2013 permet

d’élargir ces notions : « Le service public reconnait que tous les enfants partagent la

capacité d’apprendre et de progresser. Il veille à l’inclusion scolaire de tous les enfants,

sans distinction ». Ainsi l’école inclusive, définie comme intégratrice et formatrice, doit

permettre à chaque enfant de devenir élève et à chaque élève de devenir qualifié

(Journal Officiel du 9 juillet 2013). Cette thématique élargie de l’inclusion scolaire est

d’actualité en Europe, comme en témoigne la récente conférence européenne sur la

recherche en éducation dont le thème, en 2018, était « Inclusion and exclusion, resources

for educational research » (ECER, 2018).

3 La notion d’inclusion est complexe et ses définitions ont varié dans le temps. Les débats

ont porté sur les rapports entre inclusion et intégration. L’intégration, définie par la

présence physique des élèves, est subordonnée à la capacité de ces derniers à s’adapter

à l’enseignement proposé (Benoit, 2012) ; l’inclusion est caractérisée par « une

appartenance entière à une communauté scolaire » (Bataille et Midelet, 2014, p. 8).

L’inclusion scolaire, concept issu de la littérature anglo-saxonne au cours des années

2000 souligne que l’école doit se transformer pour s’adapter aux besoins éducatifs

particuliers de chacun et permettre à tous d’y prendre place et d’y réussir (Ministère

Education Nationale, 2016). En EPS, cette définition est reprise par Montaud et Amans-

Passaga (2018) qui, à partir d’une analyse didactique de pratiques d’EPS concernant des

élèves en surcharge pondérale, défendent l’idée d’une « inclusion épistémique » (p.103)

caractérisée par une logique d’accessibilité aux savoirs et le maintien d’objectifs

disciplinaires exigeants. En accord avec ces auteurs, la notion d’inclusion prend, dans

cet article un sens épistémique relatif aux savoirs enseignés en EPS dans les lycées

professionnels où, trop souvent selon Jellab (2005, p. 295), les professeurs « confrontés

à un public ayant connu l’échec en collège et manifestant un désintérêt vis-à-vis des

activités scolaires et professionnelles » privilégient, dans leurs pratiques pédagogiques,

des stratégies singulières de mobilisation des élèves au détriment de l’épaisseur des

savoirs (Jellab, 2005 ; Kherroubi et Rochex, 2004). Dans cette perspective, nous

cherchons à montrer comment les enseignants d’éducation physique interagissent avec

les élèves afin de créer les conditions d’un « engagement disciplinaire productif »

(Engle, 2011) défini comme « la capacité des élèves à maintenir une activité délibérée

d’apprentissage dans un domaine donné en lien avec les connaissances disciplinaires

exigées du domaine » (Bennour, 2017, p. 8).

4 Nous nous intéressons ainsi aux savoirs mis à l’étude par les professeurs pour favoriser

l’inclusion épistémique dont la caractéristique est de maintenir les exigences

d’apprentissage tout en favorisant un sentiment d’appartenance des élèves au groupe

(établissement, groupe classe, sous-groupe au sein de la classe, etc.). Pointons que cet

objectif est par ailleurs mis en avant par les réformes curriculaires récentes en France

et en Suède : « une école inclusive pour la réussite de tous » (MEN 2016) ; « Teaching

eJRIEPS, 44 | 2019

66

should be adapted to each student’s circumstances and needs » (Swedish National

Agency for Education, 2013).

5 Dans cet article, pour mettre au jour quels sont les savoirs privilégiés par deux

enseignants déclarant rechercher une meilleure inclusion de leurs élèves dans leur

cours, nous mettons en relation l’analyse de transactions didactiques à l’échelle d’une

séance avec les traditions d’enseignement identifiées dans les curriculums français et

suédois. Nous cherchons à montrer l’impact de ces traditions sur les manières

d’enseigner des professeurs en nous focalisant sur la manière dont ils agissent à des

fins d’inclusion, objectif clairement identifié d’une part dans les préconisations

institutionnelles de chaque pays et d’autre part dans les intentions exprimées par les

enseignants observés lors d’entretiens. La comparaison porte sur deux séances

d’éducation physique dans le contexte spécifique de lycées professionnels français et

suédois, où l’engagement des élèves est souvent relativement faible et l’abandon

fréquent. En effet, en France, pour l’année scolaire 2015 - 2016, les évaluations de la

Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) soulignent un

absentéisme de 4,5 % en moyenne dans le secondaire, alors que le chiffre était de 13,8 %

en lycée professionnel (DEPP, 2018). Des indications semblables existent en Suède,

même si l’on manque de données statistiques récentes. Plusieurs recherches (Balfanz et

Byrnes, 2012 ; Mclber et Messel, 2013) montrent que l’absentéisme scolaire constitue un

prédicteur puissant du décrochage scolaire et participe de ce fait aux difficultés

d’intégration professionnelle et sociale des élèves. De plus de nombreux travaux sur les

pratiques d’enseignement en milieu difficile ont mis en évidence les difficultés des

enseignants à gérer à la fois les enjeux d’apprentissage et les logiques de socialisation et

d’éducation, ces dernières étant souvent considérées comme préalables et extérieures

aux activités disciplinaires. Ainsi, il a été montré que les stratégies d’implication et

d’enrôlement des élèves se font souvent au détriment de la qualité des contenus

d’enseignement qui leur sont proposés en termes d’épaisseur épistémique ou

technologique (Jellab, 2005 ; Poggi-Combaz, 2002 ; Kherroubi et Rochex, 2004). Ces

constats nous ont amenées à nous focaliser plus particulièrement sur l’analyse des

modalités didactiques mises en œuvre par les enseignants d’éducation physique

observés lors de séances ordinaires. L’étude menée dans les deux pays, vise à mettre en

lumière l’existence de spécificités nationales en lien avec les traditions d’enseignement

de l’éducation physique en France et en Suède et d’éventuelles généricités dans les

pratiques didactiques observées permettant de mieux comprendre les questions de

l’inclusion scolaire dans le contexte de l’enseignement professionnel.

2. Cadre théorique : une hybridation au service del’analyse comparatiste de cas français et suédois

6 La recherche s’inscrit dans une perspective de didactique comparée (Ligozat et

Almqvist, 2017). Elle mobilise un cadre conceptuel hybride combinant l’approche

théorique francophone des études sur l’action didactique conjointe (Amade-Escot, 2014,

Ligozat, 2011, Sensevy, 2007) avec certains concepts didactiques suédois

historiquement liée aux études curriculaires, notamment ceux de « traditions

d’enseignement » et de « manière d’enseigner » (Englund, 1986 ; Roberts et Östman,

1998, Quennerstedt et al., 2014). Cette hybridation se justifie sur plusieurs plans. Tout

d’abord, il a été montré que, malgré des dénominations divergentes, les problématiques

eJRIEPS, 44 | 2019

67

des recherches didactiques européennes et celles sur le curriculum dans l’aire anglo-

saxonne présentent des points communs notamment celui d’étudier les liens entre

choix institutionnels et mises en œuvre dans les classes (Gundem et Hopmann, 1998), ce

qui est au cœur du projet comparatiste TTL. Ensuite, parce que les différentes

perspectives didactiques développées en Europe (germanique, francophone, nordique)

ont pour commune focale d’analyser les pratiques de classe à partir d’une prise en

compte des contenus d’enseignement (Hudson et Meyer, 2011) ce qui autorise à

envisager leur compatibilité et leur complémentarité dans le cadre de la comparaison

entre la France et la Suède. Dans les paragraphes qui suivent nous présentons les

concepts clés mobilisés dans le travail empirique pour ensuite conclure sur la

pertinence du cadre hybride retenu.

2. 1. « Traditions d’enseignement » et « manières d’enseigner »

7 Le concept de « traditions d’enseignement » (Teaching traditions) a été élaboré par

Roberts (1988) et Östman (1996) afin de mettre en évidence ce qui est valorisé comme

contenus, buts et valeurs dans l’enseignement des sciences, à partir de recherches sur

les curriculums de ces disciplines incluant des analyses historiques. Selon ces

chercheurs, les traditions d’enseignement sont reliées à des priorités identifiées dans

les curriculums, qui valorisent des domaines spécifiques de connaissances que les

élèves doivent acquérir. En éducation physique, différentes strates coexistent dans les

textes curriculaires. Elles relèvent de quatre traditions d’enseignement identifiées à la

suite d’une revue de questions internationale : l’enseignement de l’éducation physique :

i) comme enseignement de techniques sportives ; ii) comme éducation à la santé ; iii)

comme éducation aux valeurs et à la citoyenneté et enfin, iv) comme éducation à la

culture physique et sportive (Forest, 2017 ; Forest, Lenzen et Öhman, 2017). Cette revue

de questions met en évidence que les quatre traditions d’enseignement sont largement

répandues dans les pays occidentaux et nous en retrouvons des traces en France

comme en Suède. Par ailleurs, elle recoupe des résultats de travaux antérieurs sur les

curriculums (Green, 2014 ; Kirk, 2010 ; Loudcher et Vivier, 2006).

8 Dans notre recherche, l’identification des traditions d’enseignement, au niveau de la

strate des préconstruits institutionnels des deux pays, permet de documenter certains

phénomènes transpositifs externes (Chevallard, 1991), c’est-à-dire de pointer quels sont

les savoirs légitimés par les institutions scolaires française et suédoise et désignés de ce

fait comme devant être enseignés.

9 Pour sa part, le concept « manières d’enseigner » (Manners of teaching) renvoie à l’idée

que les pratiques didactiques sont modelées par les conceptions relatives à

l’enseignement, les buts assignés à chaque discipline d’enseignement, les différentes

compétences attendues des élèves (Lidar, Lundqvist, et Östman, 2006). Ces manières

d’enseigner sont influencées par de nombreux facteurs culturels et institutionnels,

notamment les « traditions d’enseignement », mais aussi par les prises de position

personnelles de chaque enseignant quant aux attendus en matière d’apprentissage, de

contenus et de comportements ainsi que par les dimensions contextuelles et

situationnelles au sein desquelles il agit. Le parti pris pragmatiste de l’approche

suédoise à propos des manières d’enseigner est central. Nous le considérons proche de

celui qui relève, dans le cadre francophone de l’action conjointe en didactique, des

enquêtes sur l’épistémologie pratique des professeurs (Amade-Escot, 2014) ou sur les

eJRIEPS, 44 | 2019

68

« gestes didactiques de métier » au niveau du curriculum en actes (Brière-Guenoun,

2014). Ce point est un indice de la compatibilité des deux cadres que nous discutons

dans une prochaine section. Il conforte l’idée que les manières d’enseigner ne peuvent

être appréhendées que par une analyse fine des transactions en classe (Forest, 2017 ;

Lundqvist, Almqvist et Östman, 2012) et une prise en compte, dans l’analyse ascendante

de la transposition didactique, de la dynamique évolutive du système didactique défini

par les relations ternaires entre l’enseignant, les élèves et les savoirs à enseigner et à

apprendre (Schubauer-Leoni et Leutenegger, 2005).

2. 2. « Manières d’enseigner » et « action conjointe en didactique »

10 Les concepts empruntés au cadre didactique des recherches suédoises soutiennent

l’idée que les manières d’enseigner (notamment celles visant l’inclusion des élèves) ne

peuvent être identifiées qu’à travers, d’une part, les contenus mis en jeu lors des

séances en classe et d’autre part, les procédures d’enseignement telles qu’elles sont

observables dans les actions conjointes de l’enseignant et des élèves. C’est à ce niveau

que nous situons le recours au cadre théorique de l’action conjointe en didactique

(Ligozat, 2011 ; Sensevy, 2007). Ainsi, afin de saisir les liens entre « traditions

d’enseignement » et « manières d’enseigner » en France et en Suède, nous mobilisons,

dans l’étude empirique, les outils analytiques du cadre francophone. Nous retenons

pour ce faire, certains éléments princeps définis par Sensevy (2007) : les descripteurs de

l’agir professoral (définir, dévoluer, réguler et institutionnaliser) qui renseignent des

stratégies professorales d’implication des élèves dans l’apprentissage ; les descripteurs

de l’agir conjoint professeur-élève qui permettent d’identifier les dynamiques

évolutives du milieu (mésogénèse), du partage des responsabilités (topogénèse), enfin

de l’avancée des savoirs (chronogénèse). Ces descripteurs rendent compte de la

dynamique contractuelle qui préside aux transactions didactiques, aux rôles des

différents actants dans la co-construction des savoirs au fil du temps, mettant ainsi au

jour, la dialectique du contrat et du milieu didactique dans le contexte de pratiques

d’éducation physique en lycées professionnels.

2. 3. Pertinence de l’hybridation : compatibilité et complémentarité

des cadres théoriques mobilisés

11 Dans cette section, il s’agit d’indiquer – au-delà des arguments déjà évoqués sur les

convergences entre recherches curriculaires anglo-saxonnes et recherches didactiques

européennes et leur commune focale sur les contenus d’enseignement – en quoi

l’hybridation des cadres suédois et francophone est utile à notre recherche, pour

envisager ensuite leur compatibilité épistémologique. Dans le cadre de cet article, dont

la visée est d’identifier les difficultés didactiques d’un enseignement inclusif en

éducation physique en lycées professionnels à travers une comparaison internationale,

l’hybridation autorise un va et vient entre l’échelle empirique, microdidactique des

observations en classe et leur mise en relation avec les déterminations

institutionnelles, en provoquant un « estrangement » comparatif au sens développé par

Ginsburg (2001) à propos des apports de la micro-histoire à la connaissance historique.

12 Pour ce qui est de la compatibilité épistémologique des cadres convoqués, ce point

supposerait des développements longs à déployer dans le cadre de cet article. Nous

eJRIEPS, 44 | 2019

69

résumons ci-après trois éléments justifiants, selon nous, de la compatibilité de

l’approche suédoise et francophone du didactique ordinaire. Nous nous référons pour

ce faire à des publications ayant discuté leurs fondements théoriques respectifs

auxquelles nous renvoyons les lecteurs :

Les deux approches ambitionnent de traiter les questions d’enseignement et d’apprentissage

des savoirs scolaires à partir d’un positionnement comparatiste (Ligozat, Amade-Escot et

Östman, 2015 ; Ligozat et Almqvist, 2017).

Chacune d’entre elles s’attache, à partir d’un point de vue pragmatiste à rendre compte des

actions du professeur et des élèves telles qu’elles se déroulent en classe (Östman, 1996 ;

Östman et Wickman, 2014, Sensevy, 2007).

L’unité d’analyse retenue par chacune des deux approches est celle relative aux transactions

impliquant professeur, élève(s) et savoir(s) (Ligozat, Lundqvist et Amade-Escot, 2017).

13 A la lumière de ces publications, nous considérons que, par-delà leurs différences

(Wickman, 2012), les deux cadres d’analyse des pratiques didactiques sont compatibles.

Ils sont aussi complémentaires car l’approche suédoise, en reliant les traditions

d’enseignement et les manières d’enseigner permet de porter un regard sur l’amont de

l’action en classe en soulignant comment les préconstruits institutionnels, dont les

curriculums, sont réinterprétés par les professeurs dans l’action didactique. De son

côté, l’analyse in situ de l’action didactique conjointe permet d’éclairer les modalités de

co-construction des objets de savoir réellement mis à l’étude au fil des transactions.

Nous avons fait le choix dans ce travail de recherche de partir de l’analyse ascendante

de la transposition didactique (Schubauer-Leoni et Leutenegger, 2005) que rend

possible l’étude de l’action conjointe du professeur et des élèves pour caractériser les

manières d’enseigner des professeurs observés au regard des traditions d’enseignement

marquant les prescriptions curriculaires.

3. Méthode : observation didactique de séancesordinaires

14 Deux études de cas sont au centre de cette étude comparative, l’un en France et le

second en Suède. La visée de la recherche, est de mettre en lumière comment

enseignants et élèves interagissent dans le contexte spécifique de l’enseignement

professionnel afin d’identifier quels sont les objets de savoirs du fitness mis à l’étude, et

en quoi ces derniers permettent aux enseignants de maintenir l’engagement moteur

des élèves et de favoriser ainsi leur inclusion au sein de groupe classe. Dans le cadre

nécessairement restreint de cet article, nous resserrons l’analyse autour de deux

séances de fitness en classes de terminale de lycée professionnel avec des élèves de 17 à

19 ans. Ces séances ont été retenues pour leur caractère emblématique au regard des

pratiques d’enseignement de chacun des deux enseignants. Par emblématique, nous

entendons qu’elles sont, parmi l’ensemble des différentes séances analysées,

significatives de la pratique didactique des deux professeurs observés (Forest, 2017).

3. 1. Contexte d’observation et participants

15 Les observations ont été menées dans deux lycées professionnels. Aucun des deux

enseignants (une femme que nous nommerons Nadine en France, et un homme que

nous nommerons Matts en Suède) n’est spécialiste des activités de fitness, terme

eJRIEPS, 44 | 2019

70

regroupant dans les pratiques sociales d’entretien de soi des deux pays, une pluralité

d’activités physiques pouvant être prises en référence.

16 En France, l’activité de fitness retenue, en adéquation avec les textes officiels est le

step. La séance dure 1h15. 19 élèves font partie de cette classe, 8 filles et 11 garçons,

tous se destinent aux métiers de restauration. Le texte officiel français précise la

« compétence attendue », c’est à dire les contenus d’enseignement pour ce niveau dans

l’activité step de la façon suivante : « Choisir un enchainement défini par différents

paramètres (intensité, durée, coordination), et le réaliser, seul ou à plusieurs, pour

produire des effets immédiats sur l’organisme proches de ceux attendus » (MEN, 2009).

L’activité step s’inscrit dans la « Compétence Propre 5 » : « réaliser et orienter son

activité physique en vue du développement et de l’entretien de soi » (Ibid). Les

compétences propres à la discipline « Éducation Physique et Sportive » (EPS) doivent

révéler « principalement une adaptation motrice efficace de l’élève confronté aux

grandes catégories d’expériences les plus représentatives du champ culturel des

Activités Physiques, Sportives et Artistiques » (Ibid). L’accent est mis en lycée

professionnel sur le développement de modalités de pratique susceptibles de

promouvoir des compétences méthodologiques ré-investissables dans le futur métier

des élèves.

17 En Suède, les textes officiels relatifs à la discipline « Éducation physique et Santé » (‘

Physical Education and Health’) ne précisent pas réellement quelles sont les activités

physiques et sportives à enseigner, à l’exception de trois incises nommant « la danse »,

« la natation », et « les activités de plein air » (Forest, Lenzen et Öhman, 2017). Le choix

est laissé aux enseignants. L’activité de fitness retenue dans ce site, selon les propos

mêmes de Matts, est « l’aérobic » (entretien ante). Dans les faits, l’observation met en

évidence que l’enseignant propose une activité proche du step en termes des pas

codifiés mis à l’étude et des formes de comptage des temps soutenant la pratique

proposée aux élèves. A la différence de la France, cet enseignement est mis en œuvre

sans équipement (marches de step).

18 La séance dure 1h. 19 élèves composent la classe dont seulement 3 filles. Les textes

officiels suédois (Swedish National Agency for Education, 2013) précisent quels sont les

contenus visés (appelés : core contents) : « Méthodes d'entraînement et leurs effets, tels

que la forme physique et la coordination », « Mouvements en musique et danse »,

« Sécurité en rapport avec l'activité physique et les activités de plein air » (Ibid).

L’accent est mis dans le texte officiel suédois sur le développement de modalités de

pratique susceptibles de promouvoir l’activité physique et la santé tout au long de la

vie.

3. 2. Recueil et analyse des données

19 Les données ont été recueillies sur la base de vidéographies de séances et d’entretiens

ante et post séances avec les enseignants observés. Les données recueillies en Suède ont

été traduites en français par un locuteur bilingue en coopération avec l’auteur de cet

article quant aux termes techniques utilisés par l’enseignant suédois. L’analyse vise à

documenter la dynamique du contrat didactique, c’est-à-dire des attentes réciproques

et spécifiques du professeur et des élèves, attentes plus ou moins explicites, organisées

autour du savoir en jeu dans la tâche (Brousseau, 1996). Ainsi, lors des séances nous

nous attachons à étudier l’évolution de ces attentes réciproques au fil des transactions

eJRIEPS, 44 | 2019

71

observées. Nous pointons quelles sont les stratégies mises en œuvre par les deux

enseignants afin de maintenir un « engagement disciplinaire productif » dans la tâche

proposée (Engle, 2011 ; Bennour, 2017) en lien avec les préconisations institutionnelles

identifiées dans les curriculums nationaux français et suédois. Le terme d’engagement

disciplinaire productif renvoie à l’idée que seul l’engagement des élèves ne suffit pas à

caractériser les effets des pratiques, car les élèves peuvent être physiquement actifs,

sans pour autant construire des savoirs significatifs relativement à la pratique sociale

de référence (Martinand, 1989) et aux objectifs curriculaires au sens large. Ces deux

derniers points nous amènent à privilégier deux niveaux d’analyses de séance :

macroscopique et microdidactique :

– Le niveau macroscopique, relatif à l’organisation de la séance, met en relief l’espace,

les formes de groupements et l’organisation temporelle qui constituent l’arrière-plan

situationnel des manières d’enseigner. Nous avons pour ce faire établi un synopsis des

séances. Cette procédure méthodologique vise selon Schubauer-Leoni et Leutenegger

(2002) à prendre en compte la totalité de la séance en procédant à une réduction des

observables, sous forme d’un tableau indiquant la succession temporelle de macro-

épisodes constitutifs de son organisation. Nous accédons ainsi à un premier niveau de

compréhension de l’action des enseignants, sur la base de laquelle, nous pouvons

choisir quelles sont les transactions didactiques qui seront analysées au regard de

l’échelle temporelle interne à la séance au regard des lieux et des transformations

successives des objets enseignés (Dolz et Toulou, 2008).

– Le niveau d’analyse microdidactique des transactions retenues met en lumière, dans

un second temps, quelles sont les interactions verbales et non verbales du professeur et

des élèves relatives à certaines tâches spécifiques. Il permet de rendre compte des

modalités de co-construction du savoir. L’analyse a priori des tâches modélise le

problème auquel les élèves sont confrontés mais également les difficultés potentielles

susceptibles d’être rencontrées afin de donner un sens didactique aux actions du

professeur et des élèves observées.

20 Les deux niveaux d’analyse permettent par croisement avec les entretiens ante et post

séance d’accéder aux « manières d’enseigner » des deux enseignants et d’identifier les

possibles influences des « traditions d’enseignement » de chaque pays (Forest, Lenzen

et Öhman, 2017). Si en France, les quatre traditions (voir section 2.1. supra) impactent

le curriculum, en Suède, seules deux traditions (l’éducation physique comme éducation

à la santé et l’éducation comme éducation aux valeurs et à la citoyenneté) sont

explicitement présentes dans le curriculum officiel suédois de 2013 (Forest, 2017). Ce

contraste dans les textes officiels rend compte d’une certaine forme « d’estrangement »

(Ginsburg, 2001) qui, selon cet auteur, devient un atout pour l’interprétation

comparative (ici des modalités « d’inclusion » d’élèves en lycées professionnels).

L’estrangement rend en effet possible une « mise à distance » de préoccupations ou de

significations locales par la confrontation avec les façons dont, dans d’autres groupes

sociaux, les mêmes questions sont approchées.

4. Résultats : des pratiques d’enseignement de faibleépaisseur épistémique

21 Dans les sections qui suivent nous nous appuyons sur deux séances que nous avons

considérées emblématiques des pratiques de Nadine et de Matts. Nous en décrivons les

eJRIEPS, 44 | 2019

72

traits saillants en mobilisant, notamment dans l’analyse microdidactique des éléments

de discours des deux enseignants prélevés lors des différents entretiens que nous avons

pu mener.

4. 1. Le cas Français

22 Selon les dires de Nadine, l’objectif de la séance est de présenter aux élèves le mobile

(objectif d’entraînement) intitulé « coordination motrice » (MEN, 2009) : l’enjeu de

savoir est lié à la réalisation de pas complexes, complexité due à la gestion de différents

paramètres individuels (ajout de rotations, de mouvements de bras synchronisés ou pas

avec les jambes, etc.) et/ou collectifs (synchronisation entre partenaires, cascade,

déplacements, etc.).

4. 1. 1. Organisation de la séance et enjeux de savoirs : analyse macroscopique

23 Après un échauffement dirigé par l’enseignante, 33 minutes de la leçon sont consacrées

à la complexification de pas de step (mouvements de bras, rotations, orientations).

Nadine, face aux élèves, définit sous forme de démonstrations successives la tâche à

effectuer. Les élèves, engagés dans un contrat d’ostension (Brousseau 1996), imitent les

pas effectués. Nadine présente une vision exhaustive des complexifications possibles et

enchaine sur un rythme élevé l’introduction de nouveaux savoirs. L’analyse montre que

les élèves n’ont pas l’opportunité de répéter suffisamment chaque complexification

introduite avant que l’enseignante n’en propose une autre. Cette modalité de

modification du milieu didactique ne favorise pas l’appropriation des pas enseignés.

24 Dans la seconde partie de la leçon (32 minutes), les élèves, par groupes affinitaires dont

le nombre d’élèves varie (de deux à cinq), doivent mettre en application ce qu’ils ont

appris lors de la tâche précédente. Ils doivent collectivement complexifier un bloc de

pas en utilisant deux paramètres individuels et un paramètre collectif. Ils doivent

ensuite répéter ce bloc complexifié pendant six minutes. Un seul groupe réussira à

terminer ce travail et sera engagé dans la phase d’entraînement en répétant son bloc

complexe.

25 A ce niveau d’analyse macroscopique, nous pouvons identifier une organisation spatiale

très formelle et traditionnelle de mise en scène des savoirs du step. Les liens avec la

pratique sociale prise ici en référence sont forts. L’enseignante propose en effet aux

élèves le type d’activité telle qu’elle est organisée dans les salles de remise en forme.

Deux points soutiennent notre interprétation : i) les places respectives de l’enseignant

et des élèves, face à face ou en miroir ; ii) le rythme soutenu de changements de pas qui

renvoie à des savoirs relatifs aux coordinations motrices compatibles avec des efforts

intenses et continus. Les élèves n’ont d’autre possibilité que de tenter de reproduire ce

qui leur est montré (contrat didactique d’ostension, Brousseau, 1996). Ils y échouent le

plus souvent en raison de la rapidité et de la simultanéité des mouvements de

l’enseignant. Ils se trouvent alors en situation de poursuite et de crise de temps, ayant à

leur charge de prendre des indices sur les pas proposés afin de pouvoir les reproduire.

Comme les travaux de Montaud (2014) le montrent, dans un tel milieu didactique, les

élèves doivent gérer des problèmes de latéralisation et de prises d’informations dus

particulièrement au travail en miroir.

eJRIEPS, 44 | 2019

73

26 Nadine endosse tout au long de la tâche, une posture topogénétique haute, elle fait

avancer le savoir grâce à une succession de modifications du milieu didactique

constitué par le modèle qu’elle représente. Dans cette première partie de la séance, on

observe peu de régulation par Nadine de l’activité des élèves qui tentent de reproduire

maladroitement les pas réalisés par l’enseignante. La chronogenèse, en lien avec la

mésogenèse est extrêmement rapide.

27 Dans la seconde partie de la séance, l’enjeu de savoir est de choisir au sein de chaque

groupe les paramètres de complexification à utiliser afin de proposer un bloc sollicitant

des coordinations motrices de pas, synchronisés au sein du groupe. C’est dans cette

tâche collective que la visée d’inclusion est la plus fortement valorisée : Nadine attend

de cette forme de travail que les interactions entre les élèves permettent un

apprentissage coopératif : « En fait il y a des élèves que j’ai repérés la semaine dernière qui…

qui on va dire, apprennent assez vite les blocs et je me disais qu’ils pouvaient servir aux autres

qui prennent plus de temps » (Entretien post séance).

28 L’enseignante régule l’activité des élèves en intervenant auprès de chaque groupe, les

interactions didactiques sont majoritairement fondées sur le rythme et les temps

musicaux (comptage). Nadine accélère le temps didactique en proposant des solutions

aux élèves afin de réduire le temps de création et d’augmenter la répétition, semblant

ainsi perdre de vue son souci initial (exprimé lors de l’entretien ante) de permettre à

tous les élèves de s’exprimer au sein du groupe.

29 Nous interprétons l’ensemble de cette séance en considérant que dans l’action

conjointe, l’enseignante valorise l’engagement physique au détriment de l’autonomie et

de la mise en place de projets individuels. La première partie de séance rend compte du

contrôle chronogénétique mis en place par Nadine obligeant l’engagement de tous les

élèves positionnés face à elle. Dans la seconde partie, ses régulations visent le maintien

dans l’activité de ses élèves selon deux axes : i) les aider à trouver des complexifications

afin qu’ils maintiennent une activité motrice intensive et ne « s’arrêtent pas » (consigne

réitérée en cours d’action, et lors de l’entretien post) ; ii) les solliciter sur un rythme

transmis par comptage (« et un, deux, trois, quatre …, huit ») afin que chaque élève soit

synchronisé avec les autres au sein de son groupe de travail. Pour cette enseignante, la

voie professionnelle (la restauration) choisie par les élèves justifie ses choix visant à

valoriser la production d’efforts, parfois au détriment du « savoir s’entraîner » attendu

dans le cadre de la compétence propre 5 : « [je fais ça parce que] ça rentre vraiment dans

le cadre du lycée notamment un lycée professionnel où on a un profil d’élèves en hôtellerie où ils

vont avoir au niveau physique un investissement important dans leur métier » (Entretien ante

séance).

4. 1. 2. Présentation d’un épisode significatif des manières d’enseigner de

Nadine : analyse microdidatique

30 L’épisode présenté ci-après, est représentatif de la manière d’enseigner le step de

Nadine. Il se déroule lors de la première partie de la leçon et révèle comment Nadine

met en jeu le savoir lié aux complexifications des pas de step afin d’améliorer la

coordination des élèves. Nadine est face à l’ensemble de la classe, après avoir révisé

certains blocs appris lors des séances précédentes, il s’agit maintenant de complexifier

un des blocs connus par les élèves.

eJRIEPS, 44 | 2019

74

31 Nadine redéfinit tout d’abord la tâche : « nous allons complexifier cela en ajoutant une

rotation, je vous montre en double temps » (comptant en même temps que montrant le pas)

« un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, et huit OK ? ... et un, deux, trois, quatre cinq, six, sept, et

huit ». Après les 8 premiers temps, Nadine qui a effectué un demi-tour, est dos aux

élèves. La modification du milieu didactique résultant de sa rotation permet aux élèves

de ne plus agir en miroir, ce qui facilite, momentanément, la reproduction du pas. Les

élèves observent leur professeur qui ajoute : « alors nous allons le faire en double temps,

nous ajusterons les bras après …, et un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit … ; un, deux, trois,

quatre, cinq, six, sept, huit ». Les élèves tentent de réaliser les pas en même temps que

Nadine, les rotations compliquent leur prise d’information.

32 Nadine poursuit ses démonstrations : « nous faisons la même chose avec les bras … et un,

deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit … ; un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit … ; OK ».

Les élèves, en crise de temps pour imiter Nadine au fil des rotations de cette dernière,

réalisent les pas « en poursuite » de leur professeur. En effet, dans ce milieu didactique

instable, deux sources de complexification sont introduites : l’ajout de rotation et

l’ajout de mouvements de bras.

33 Après un seul essai, alors même que les élèves rencontrent de nombreuses difficultés

dans la réalisation du bloc de pas, Nadine enchaine : « nous allons le faire [maintenant] en

un seul temps ». Elle propose alors trois répétitions dont elle assure le comptage : « et un,

deux, trois, quatre, cinq, six, sept, et huit … ; et un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit … ; un,

deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit ! ».

34 Dans le contrat d’ostension proposé, les modifications du milieu didactique introduites

par la succession des démonstrations mettent en évidence que c’est l’enseignante qui

fait avancer le savoir (accélération chronogénétique), en adoptant une posture

topogénétique haute. Ces constats soutiennent l’idée que Nadine reproduit les

modalités de la pratique du step en usage dans les salles de remises en forme, modalités

d’enseignement que l’on peut qualifier de magistrales dans le sens où ce professeur

donne à voir un modèle à imiter face à toute la classe. Peu d’interactions sont

identifiées, Nadine laisse aux élèves la charge de prélever les informations relatives à

l’orientation des appuis et à la coordination bras – jambes. Elle fait ainsi avancer le

savoir sans réelle prise en compte des élèves et de leurs actions. Même si en dédoublant

les temps musicaux, elle facilite dans un premier temps la prise d’indices pertinents par

les élèves, il reste qu’aucune indication verbale sur ce qu’il faut observer ne leur sera

donnée. La mésogenèse évolue au rythme de la succession des démonstrations de

Nadine qui réactualise des objets et des formes déjà travaillées (rotation, rotation plus

mouvement de bras, dédoublement des pas, vitesse).

35 Cette transaction permet d’identifier la façon dont Nadine définit les savoirs liés à la

complexification de pas. L’activité des élèves révèle que si certains sont en mesure de

prendre les informations pertinentes quant aux sens de rotation, d’autres sont

organisés par leur volonté de ne pas quitter des yeux l’enseignante ce qui les conduit à

modifier l’orientation de leurs appuis au fur et à mesure des nouveaux paramètres, tous

les huit temps. Les quelques régulations (dédoublement de temps musicaux) sont

davantage issues de la connaissance antérieure du niveau des élèves que de leurs

réponses in situ. C’est en observant l’activité de certains élèves identifiés comme

potentiellement chronogènes, qu’elle fait avancer le savoir, estimant que l’organisation

du travail en petits groupes (plus tard dans la deuxième partie de la séance) permettra

aux élèves en difficulté de réussir : « A un moment donné je vois que certains maitrisent le

eJRIEPS, 44 | 2019

75

bloc (…) ceux qui ont toujours un peu de mal en fait c’est peut-être aussi bien qu’ils soient en

petits groupes pour apprendre/ c’est pas forcément efficace d’être comme ça en miroir/ face à

face avec eux ou en grand groupe (Entretien ante séance).

36 Mais plus globalement, cette façon de faire évoluer le savoir est révélatrice d’un autre

enjeu qui traverse tout le cycle, celui de maintenir une activité physique soutenue chez

ses élèves. Au-delà de la capacité à produire des efforts que Nadine valorise dans son

enseignement en lien avec sa volonté de préparer physiquement ses élèves à l’exercice

de leur futur métier, elle souhaite aussi que garçons et filles travaillent ensemble afin

d’améliorer les relations et l’inclusion professionnelles dans les cuisines : « Si on peut

quand même participer à leur image de l’autre notamment du sexe opposé et leur faire vivre des

choses ensemble, justement en, peut-être, mettant certains en difficultés face à des choses un peu

féminines et mettre les filles en difficulté face à des choses masculines pour qu’ils puissent

travailler ensemble » (Entretien ante séance).

37 La visée « d’inclusion » des élèves est ici proposée par Nadine dans une perspective

professionnelle selon deux axes : être en mesure de produire des efforts afin de

s’intégrer dans une équipe professionnelle et reconnaitre la capacité d’autrui à

produire des efforts.

4. 2. Le cas Suédois

38 L’objectif de la séance proposée par Matts est de complexifier les pas appris lors de la

séance précédente et d’identifier les effets de l’activité physique sur soi dans un travail

de groupe. Contrairement à Nadine, Matts délègue aux élèves la totale responsabilité de

ces enjeux de savoir. Pour autant, cette délégation, ne relève pas toujours d’une réelle

dévolution au sens didactique, comme les deux niveaux d’analyse de la séance ci-après

le mettent en évidence.

4. 2. 1. Organisation de la séance et enjeux de savoirs : analyse macroscopique

39 La séance débute par un échauffement joué, réalisé en classe entière, le « danse tag ». Il

s’agit d’un jeu où les élèves doivent : courir pour toucher (et/ou ne pas se faire

toucher) ; danser lorsqu’ils sont touchés jusqu’à ce qu’un camarade les « libère » en se

plaçant devant eux pour les applaudir 4 fois. Dans un deuxième temps, les élèves, par

groupes de quatre ou cinq doivent réviser les pas appris la semaine précédente. Les

élèves qui étaient absents sont répartis dans les groupes afin d’apprendre les pas avec

ceux qui les connaissent. Chaque groupe a un espace propre, la salle étant assez grande

par rapport au nombre d’élèves. La visée d’inclusion, selon les dires de Matts, est ici

clairement liée à l’enseignement par les pairs, forme de travail coopératif valorisée en

termes d’éducation à la citoyenneté (Darnis et Lafont, 2013 ; Lafont, 2012), selon les

préconisations officielles auxquelles l’enseignant suédois se réfère. Il passe de groupe

en groupe. Une fois révisés les pas du module collectif, Matts redéfinit la tâche en

proposant aux élèves de complexifier le module par l’ajout de mouvements de bras.

Cette partie de la séance dure 40 minutes, à la suite de quoi, l’enseignant demande aux

élèves de s’aligner face à lui et de répéter pendant deux minutes les blocs complexifiés.

Les trois dernières minutes de la séance sont consacrées à un échange verbal entre

l’enseignant et les élèves sur leur ressenti pendant la séance au regard des activités

réalisées.

eJRIEPS, 44 | 2019

76

40 Le jeu mis en place lors de l’échauffement permet aux élèves de se confronter aux

regards des autres étant donné qu’ils doivent danser lorsqu’ils sont touchés. Loin des us

des activités de fitness d’un point de vue de la motricité, l’aspect ludique de la tâche a

pour objectif d’engager les élèves dans une pratique où ils se mettent en scène. Cette

situation, comme le travail en groupe, a comme but pour Matts de permettre aux élèves

d’assumer leur prestation sans craindre le jugement d’autrui : « Je suis content dans le

sens où ils se sentent en sécurité entre eux, … et que c’est OK de ne pas être … de ne pas être très

bon [OK : au sens de ne pas juger les élèves pas très bons] … et ça je suis très content avec ça

» (Entretien post séance). Cette perspective de respect mutuel est au cœur des visées

inclusives poursuivies par cet enseignant.

41 Dans le second temps de la séance, l’enseignant après avoir vérifié la composition des

groupes, dévolue aux élèves qui connaissent les deux blocs la responsabilité de les

enseigner aux autres. Dans chaque groupe, des leaders assument ce rôle sans avoir été

explicitement désignés par l’enseignant : « Je leur ai dit que cela pourrait être un avantage.

J’ai dit que ceux qui se sentent pouvoir le faire [le fassent] (Entretien post séance). D’une

manière générale, Matts endosse une position topogénétique basse et intervient peu

sur le savoir en jeu. Il apparaît davantage attentif à l’attitude de certains élèves passifs

et à l’écart de leur groupe de travail, en tentant de les ramener (parfois sans succès)

dans l’activité collective. Finalement le savoir relatif à la réalisation de pas avance

grâce à certains élèves chronogènes qui ont pris à leur charge le savoir et dirigent le

groupe de travail.

42 En redéfinissant, dans un second temps, la tâche des groupes autour de l’ajout de

mouvements de bras complexifiant les mouvements à exécuter, l’intention de

l’enseignant est d’engager ses élèves dans une activité de création chorégraphique

(Entretien ante séance). Les liens avec la pratique sociale de référence du fitness

deviennent de ce fait assez lâches, dans la mesure où Matts privilégie l’action collective

de production de formes et moins une activité d’entraînement basée sur la

reproduction de pas à un rythme soutenu. Si les pas produits par les élèves sont

révélateurs de l’activité de référence step (et ce, malgré l’absence de marche de step),

Matts ne produit aucune action de régulation pendant leur exécution. Il ne pense pas

que les techniques liées aux pas puissent être au centre de son enseignement : « Je ne

peux pas réellement leur enseigner... il n’y a pas assez de temps pour le faire. Et comme ils n’ont

aucun acquis préalable ... du coup ça ne marche pas » (Entretien post séance). L’enjeu de

savoir semble davantage se situer dans la mise en jeu de la totalité du corps dans des

mouvements collectifs que dans l’entraînement, pourtant préconisé dans les textes

officiels suédois à propos des « Mouvements en musique et danse », l’un des rares

contenus d’enseignement explicitement cités dans le curriculum officiel d’EPS, en lien

avec les « Méthodes d'entraînement et leurs effets, tels que la forme physique et la

coordination » (Swedish National Agency for Education, 2013).

43 Lors du travail de création des élèves, les rares régulations de Matts portent sur : i) le

rythme des mouvements qu’il tape dans ses mains ; ii) le maintien de l’engagement

d’élèves qui décrochent de l’activité en restant immobiles ou spectateurs de leur

groupe. L’autonomie des élèves est ainsi largement sollicitée dans cette phase du travail

jusqu’au moment où Matts réunit ses élèves et les place en ligne afin qu’ils effectuent «

en canon » les pas complexifiés qu’ils ont créés. Peu d’élèves vont compter les temps afin

de démarrer au moment opportun ; la plupart réalisent leurs pas sans chercher à être

synchronisés avec les autres membres du groupe.

eJRIEPS, 44 | 2019

77

44 Lors du dernier temps de la séance, les élèves et l’enseignant sont assis et Matts les

questionne sur les bienfaits de cette activité répondant ainsi aux exigences

institutionnelles : « Les élèves doivent discuter en détail et de façon raisonnablement

argumentée des effets du sport pratiqué [en classe] sur le développement des capacités

physiques, de la santé et du bien-être » (Swedish National Agency for Education, 2013).

Les échanges sont brefs, voire allusifs. Quelques élèves garçons répondent sur le peu

d’efforts physiques que nécessite cette activité et le fait que « c’est pour les filles ». Matts

conclut la séance en précisant les modalités permettant de rendre l’activité plus «

physique » (ses termes). Il propose deux idées : « [réaliser sur une] musique plus rapide,

[avec des] jambes, semi fléchies… »). Il ajoute que le step peut se pratiquer par « tous, tout

au long de la vie ».

4. 2. 2. Présentation d’un épisode significatif des manières d’enseigner de Matts :

analyse microdidactique

45 Cet épisode se déroule pendant le deuxième temps de la séance, au début du travail

autonome en groupe, lors de la phase de révision du bloc appris lors de la séance

précédente. Il a été retenu parce qu’il illustre la manière dont cet enseignant agit pour

produire de l’inclusion au sein de la classe, auprès d’élèves qui se désengagent

progressivement du travail demandé.

46 Matts s’approche d’un groupe composé de quatre élèves, une fille et trois garçons. Un

élève, que nous appellerons Nils, semble très mal à l’aise, il est appuyé contre le mur,

les mains dans les poches et regarde les autres. Matts intervient auprès de Nils en

proposant une régulation centrée sur le savoir permettant de s’inscrire dans le rythme

des pas du groupe : « Quand tu sens que tu es mal rentré dans le rythme/ dans ce cas/ … tu

attends ». Il interroge ensuite l’élève : « c’est quoi le prochain mouvement ? » Nils répond

de façon juste : « sur le côté ». Matts réalise alors, à coté de Nils, une démonstration

partielle des pas travaillés dans ce groupe et lui indique : « oui … tu dois rentrer à ce

moment-là ... Cela ne sert à rien de continuer à bouger n’importe comment … pas en rythme avec

les autres. C’est mieux d’attendre et de reprendre pour te remettre dans le rythme avec les autres

». Nous interprétons cette injonction, à la fois comme une action

d’institutionnalisation partielle (« oui ... tu dois … ») et comme un indicateur de

l’attention que Matts accorde à ce que les élèves aient, au sein de leur groupe, une

activité collective partagée. Les valeurs véhiculées par cet enseignant, significatives,

selon lui de la construction du citoyen minorent la qualité des actions de chacun au

profit du « faire ensemble une activité rythmée » (entretien post leçon). Pour autant, Matts

ne vérifiera pas à l’issue de son action de régulation si Nils reprend sa place et son

activité motrice dans le groupe. Il se contente de l’encourager d’un mouvement de la

main dans le dos, tout en s’éloignant du groupe.

47 Les actions de régulation produites par Matts auprès de Nils dans cet épisode sont assez

emblématiques de sa pratique didactique auprès des élèves qui décrochent de la tâche.

Dans un premier temps, en questionnant Nils, il s’assure de sa connaissance du pas,

qu’il accompagne d’une démonstration partielle individualisée, en créant un milieu

didactique susceptible de réengager l’élève dans la tâche. Toutefois, l’échange verbal

qui suit cette transaction didactique non-verbale porte sur un autre savoir, celui relatif

à la synchronisation des élèves au sein du groupe. Savoir essentiel dans cette tâche

puisque, pour cet enseignant il ne faut pas : « bouger n’importe comment » c’est-à-dire

« [bouger] pas en rythme avec les autres » (Cf. régulation citée plus haut). Or, ce savoir

eJRIEPS, 44 | 2019

78

relatif à la synchronisation collective dans le groupe de création nécessite certes de

connaitre la succession des pas et d’en repérer le tempo, mais aussi et surtout de

prendre des informations sur l’action des autres membres du groupe. Cet aspect de

savoir reste à la charge de Nils qui devra prélever les bons indices sur le groupe pour

pouvoir reprendre l’activité.

48 L’analyse microdidactique de cette transaction auprès de Nils, mise en relation avec

d’autres épisodes, laisse penser que pour cet enseignant faciliter l’inclusion des élèves

dans le groupe classe c’est obtenir un enrôlement leur permettant « de faire la tâche ».

Les exigences relatives à la technicité des pas, des coordinations collectives ne sont pas

convoquées et lorsqu’elles le sont partiellement, comme dans la transaction avec Nils,

elles ont pour visée de réengager l’élève dans l’effectuation de la tâche. Nous pointons

là une manière d’enseigner assez caractéristique des établissements difficiles mais aussi

des lycées professionnels dans lesquels, souvent, les enseignants privilégient la

réalisation de « réquisits de surface » des tâches d’apprentissage qu’ils proposent aux

élèves et non l’épaisseur épistémique des contenus de savoirs qui y sont sous-jacents.

L’accomplissement par les élèves des traits de surface de la tâche tient alors lieu

d’atteinte des objectifs (Jellab, 2005 ; Kerroubi et Rochex, 2004).

49 Plus globalement, les constats effectués mettent en évidence une manière d’enseigner

marquée par un retrait topogénétique de l’enseignant (peu de définitions, peu de

régulations) ce qui a pour conséquence une certaine stagnation dans l’avancée des

savoirs, au profit d’intentions didactiques davantage orientées vers la mise en activité

des élèves au sein des groupes de travail, selon une visée d’inclusion valorisant le

respect mutuel au-delà des différences de niveaux.

5. Discussion comparatiste sur les manièresd’enseigner le fitness en lycée professionnel

50 L’analyse de ces deux séances de fitness, à deux échelles différentes, macroscopique et

microdidactique, révèle des points communs et des différences que nous présentons ici.

5. 1. Généricités des pratiques didactiques observées

51 D’un point de vue des savoirs mis en jeu, les pas constitutifs des blocs mis à l’étude de

façon commune dans les deux sites, renvoient à certaines dimensions techniques de la

pratique sociale de référence. Dans le site français, l’exécution des pas est au centre de

nombreuses transactions didactiques et révèle une (sur)valorisation de cet objet de

savoir par Nadine ; alors que dans le site de Matts, en Suède, aucune transaction

pendant la séance ne porte sur les savoirs techniques de l’activité. Les actions de cet

enseignant valorisent plutôt l’engagement et la mise en activité des élèves, alors même

que l’on a vu, lors de la séquence réflexive de fin de séance que les garçons qui

composent majoritairement cette classe ne sont pas toujours très intéressés par cette

activité, jugée par eux « féminine ».

52 Dans les deux séances, les savoirs relatifs aux coordinations (individuelle et collective)

sont mis à l’étude lors du travail en groupe, à travers l’exécution de blocs de pas

complexifiés par l’ajout de mouvements de bras, même si l’importance accordée à ces

savoirs diffère selon les enseignants :

eJRIEPS, 44 | 2019

79

– La coordination individuelle renvoie au développement de savoirs techniques et

confronte les élèves à des problèmes d’organisation motrice dans l’espace et dans le

temps. Les complexifications de pas, les ajouts de mouvements de bras ont pour visée

un engagement physique plus intense des élèves (chez Nadine) et la mise en jeu de

l’ensemble du corps en rythme (dans les deux sites). Il reste que dans le site suédois, la

manière d’enseigner de l’enseignant ne fait montre d’aucune d’exigence précise quant à

ces difficultés techniques. Par contraste, dans le site français, les mouvements de bras

demandés par l’enseignante sont plus complexes dans le sens où ils peuvent, par

exemple, être désynchronisés par rapport aux jambes. Cette voie de complexification

est proposée parmi d’autres possibles (rotation, orientation, etc.), autant d’éléments

culturels de l’activité step telle que pratiquée dans les salles de mise en forme. Les

constats établis montrent toutefois que les savoirs mis à l’étude dans les deux sites,

avec des niveaux d’exigence certes différents, relèvent, dans les deux cas, des traits de

surface de la pratique du fitness prise en référence. Nous considérons en effet, avec

Bonnefoy et Dhellemmes (2011) que les contenus d’enseignement au regard de la

finalité sociale de ce type d’activités relèvent du « savoir s’entraîner physiquement » et

que, dans le cas français comme suédois, cet enjeu n’est jamais réellement envisagé.

Ainsi, nous n’avons pas observé de mises en relation avec la dimension « Développer et

orienter l’activité physique en vue de l’entretien de soi » inhérente à la pratique sociale

de référence du fitness, dont les textes officiels français ont retenu l’esprit avec la

création de la CP 5 (MEN, 2009), ou avec ce qui relève des « Méthodes d'entraînement et

leurs effets, tels que la forme physique et la coordination » énoncées dans les textes

suédois (Swedish National Agency for Education, 2013).

– En ce qui concerne la dimension collective des coordinations motrices mises à l’étude,

nous avons identifié un autre point commun dans l’enseignement des activités de

fitness observées. Dans les deux séances, les élèves doivent prendre des décisions au

sein de groupes constitués. Les deux enseignants laissent aux élèves la responsabilité de

choisir les mouvements de bras qu’ils vont réaliser ensemble introduisant ainsi un

semblant d’autonomie : dans la classe suédoise les élèves doivent ajouter des

mouvements de bras choisis au sein du groupe ; dans la classe française, trois

paramètres de complexification parmi ceux présentés dans la première partie de la

séance doivent être convoqués par les élèves. Dans les deux sites, ces derniers doivent

se mettre d’accord sur le choix des mouvements, en fonction des caractéristiques des

différents membres du groupe. Rappelons que les groupes sont constitués de façon

affinitaire dans la classe de Nadine, alors que Matts les organise afin que les absents

lors de la séance précédente puissent apprendre les pas étudiés lors de celle-ci. Les

formes de travail dans les deux séances sont très proches : les groupes d’élèves

travaillent en autonomie et les enseignants passent de groupe en groupe pour réguler

leur activité afin qu’ils restent engagés dans la tâche, selon un rythme qu’ils doivent

synchroniser avec les autres membres du groupe. En laissant une part d’autonomie

dans l’activité demandée aux groupes, les deux enseignants souhaitent favoriser les

coordinations collectives. Pour autant nous ne pouvons interpréter ces manières

d’enseigner en termes de dévolution, sauf rarement lors de quelques régulations

individuelles, comme chez Matts auprès de Nils ; il en est de même dans certaines

transactions chez Nadine. En fait, les deux enseignants précisent que ce sont des visées

éducatives d’inclusion et de formation à la citoyenneté qui les animent comme indiqué

(sous des énoncés différents) dans les extraits d’entretiens cités lors des sections

précédentes. Les formes de travail proposées par les deux enseignants révèlent leur

eJRIEPS, 44 | 2019

80

volonté de favoriser l’apprentissage coopératif (Byra, 2006 ; Putnam, 1998), c’est-à-dire

des structures d’enseignement dans lesquelles de petits groupes d’élèves hétérogènes

agissent ensemble pour accomplir la tâche attendue : ici, complexifier des pas et les

réaliser en groupe. D’une certaine manière, les deux enseignants visent à instaurer un

« climat qui soutient l’autonomie des élèves [… et] aura une influence positive sur la

motivation auto-déterminée des élèves car il facilite la satisfaction de leurs besoins

d’autonomie, de compétence et d’appartenance sociale » (Dupont, Carlier, Delens, et

Gerard, 2010, p. 12). Pour autant, certains élèves restent en dehors, ou à la marge du

travail de groupe (dans la classe de Matts) ou limitent leur participation dans

l’exécution collective de mouvements synchrones (dans la classe de Nadine). Ces

constats révèlent aussi des similitudes dans les manières d’enseigner des deux

enseignants en liens avec les préconisations institutionnelles d’éducation à la

citoyenneté active des curriculums français et suédois. Apprendre en groupe,

s’entraider sont des maître-mots des traditions d’enseignement visant à favoriser

« l’inclusion » des élèves dans le groupe de travail ou le groupe classe, avec comme

ligne d’horizon que ces « compétences sociales et méthodologiques » (selon la

formulation du programme d’EPS français) seront bénéfiques à plus long terme en

termes d’intégration sociale. En revanche, si l’analyse des curriculums français et

suédois a mis en avant l’importance de ces activités physiques de fitness dans la

perspective de permettre aux élèves de mesurer les effets de la pratique sur leur corps,

la comparaison effectuée pointe que cette injonction institutionnelle apparaît guider,

au moins formellement, l’activité de l’enseignant suédois, lors de séquence réflexive de

fin de séance, alors qu’en France, l’enseignante s’en éloigne.

5. 2. Spécificités des pratiques didactiques observées

53 Malgré les limites inhérentes à ce type d’étude de cas, et au-delà des différences

évoquées dans la section précédente, nos constats, construits sur deux échelles

d’analyse différentes, permettent de caractériser certaines spécificités des manières

d’enseigner les activités de fitness dans les deux séances. Elles portent d’une part, sur la

question des liens avec la pratique sociale prise en référence, et d’autre part, sur

certaines modalités de gestion, dans l’action conjointe, de l’avancée des savoirs.

54 Concernant les liens avec la pratique sociale de référence, nous avons montré chez

l’enseignante française, que les savoirs enseignés et les formes d’étude valorisées,

révèlent l’importance donnée aux aspects culturels de l’activité. Pour autant, les

caractéristiques retenues de cette activité ne sont pas liées à la capacité à développer et

mener un entraînement personnel (comme le préconisent les programmes français)

mais à la capacité des élèves à maintenir un rythme soutenu d’engagement moteur tout

au long de la séance. Ce constat est renforcé du fait de l’enchaînement rapide des

différents pas proposés par l’enseignante face à la classe selon une succession de

contrats d’ostension qui invitent les élèves à imiter le professeur (Brousseau, 1996).

C’est pourquoi nous considérons que la manière d’enseigner de Nadine est en lien avec

la tradition d’enseignement de l’éducation physique relevant d’une éducation à la santé

centrée, ici, sur les dimensions physiologiques de l’exercice physique et la capacité des

élèves à persévérer dans leurs efforts. Comme le déclare Nadine lors d’un entretien : «

c’est plutôt développer le goût de l’effort pour une pratique physique ultérieure » (perspective à

long terme) qui organise sa manière d’enseigner. Par ailleurs, dans la deuxième partie

de la séance donnant davantage d’autonomie aux élèves, nous avons pointé que la

eJRIEPS, 44 | 2019

81

distribution des rôles et les régulations effectuées par l’enseignante tendent à renforcer

cette intention didactique quant au choix des complexifications.

55 Chez l’enseignant suédois, les aspects culturels liés aux caractéristiques de la pratique

de référence sont abordés très allusivement ; la mise en scène des savoirs lors de la

séance, met en évidence une manière d’enseigner l’activité fitness fortement influencée

par la tradition d’enseignement liée aux valeurs et à la citoyenneté ainsi qu’à un

moindre degré, celle liée à la santé. Pour la première tradition, nous soulignons le souci

de Matts de permettre aux élèves d’accepter leurs différences de performance ou de

niveaux, de travailler en groupe et coopérer entre pairs. Pour la seconde, nous en

pointons deux aspects : la capacité, ici et maintenant, à bouger en musique et à

ressentir les effets de l’activité sur son corps ; la mise en perspective explicite dans les

échanges avec les élèves, d’une pratique physique adaptée tout au long de la vie. Nous

retrouvons ici l’influence les deux traditions d’enseignement dominantes (à la santé et

à la citoyenneté) des textes officiels suédois (Forest, Lenzen et Öhman, 2017) et

pointons combien les préconisations curriculaires afférentes impactent la manière

d’enseigner de Matts.

56 Du point de vue des manières d’enseigner de Nadine et de Matts, telles qu’inférées de

l’analyse de l’action conjointe avec leurs élèves, nous pointons aussi des spécificités en

termes de gestion de l’avancée des savoirs. La chronogenèse est majoritairement sous la

responsabilité de Nadine qui modifie le milieu didactique, par ses nombreuses

démonstrations. Elle adopte tout au long de la séance, une posture topogénétique haute

faite d’ostensions et d’explications sur ce qu’il y a à faire. On note peu d’actions de

régulations des apprentissages à partir de l’observation des prestations réelles des

élèves. Les nombreuses interactions de Nadine portent sur les complexifications. Du

côté de Matts, la chronogenèse est davantage placée sous la responsabilité d’élèves (dits

chronogènes) au sein de chaque groupe ; les élèves les plus performants, ou les plus

avancés sont délibérément placés en position de modèles lors de la révision des pas. Ils

vont également être source de propositions de mouvements de bras dans le travail de

création de groupe. L’effacement topogénétique de Matts se traduit, comme nous

l’avons vu, par de rares interactions qui portent uniquement sur le travail en rythme et

la synchronisation entre élèves.

57 Dans les deux sites, ces manières d’enseigner ainsi que les formes de travail adoptées

par les enseignants sont au service d’une certaine vision d’inclusion des élèves à la

communauté que constitue le groupe ou la classe, mais aussi la profession envisagée

(surtout pour Nadine). Les organisations collectives, le sentiment d’appartenance à un

groupe, également valorisés par les deux enseignants, concourent cependant à des

visées distinctes :

– Dans le cas français, chaque membre du groupe a la possibilité d’assumer le rôle de

concepteur de coordinations complexes grâce à l’apprentissage des pas réalisé dans le

premier temps de la séance. La culture commune visée dans la première partie de la

séance d’apprentissage de pas, garantit une égalité au sein des groupes qui ont été

constitués de façon affinitaire. Cette façon d’intégrer chaque élève au sein du groupe

est un aspect important dans l’enseignement de Nadine qui a également des objectifs à

plus long terme, en relation avec le devenir professionnel de ses élèves. En effet, elle

estime que le milieu professionnel de la restauration est particulièrement éprouvant

physiquement mais également en relation avec le climat souvent difficile qui règne

dans les cuisines, particulièrement pour les filles : « ça reste quelque chose d’intense qui

eJRIEPS, 44 | 2019

82

demande quelque chose d’exigeant aux élèves et on a quand même des élèves … en hôtellerie

restauration qui vont être débout toute la journée avec des efforts durs » (Entretien post

séance). Ainsi, elle souhaite que ses élèves soient en mesure de produire des efforts

physiques et que ces derniers soient réalisés aux yeux de tous, afin que chacun soit

reconnu comme capable d’engagement physique.

– Dans le cas suédois, nous avons vu que le travail collectif induit une répartition des

rôles au sein des groupes, pouvant minimiser l’investissement de certains. La

constitution de groupes par l’enseignant avec des élèves plus avancés que d’autres peut

exacerber les difficultés rencontrées par certains élèves à se produire devant les autres.

Ainsi dans l’épisode présenté, les difficultés de Nils à s’engager dans le travail demandé

rendent compte d’une participation faible et d’une tendance à abandonner. Il ressort

des analyses que le souci d’inclusion des élèves au sein des groupes de travail au-delà

des différences de niveaux : « [qu’] ils se sentent en sécurité entre eux, … et que c’est OK de ne

pas être … de ne pas être très bon » (Entretien post séance) achoppe du fait de la faible

définition de ce que chaque groupe doit produire à la fin de la séance. La manière

d’enseigner de Matts autorise plus facilement les élèves à travailler à côté les uns des

autres ou à s’échapper facilement du travail demandé.

6. Conclusion à propos de l’épaisseur des savoirs misà l’étude au nom de l’inclusion

58 D’une manière générale, l’intention annoncée par les enseignants des deux pays de

promouvoir une meilleure inclusion des élèves au groupe classe via des pratiques

d’activités physiques de fitness collectives, considérées comme favorisant les échanges

et la cohésion dans des contextes d’établissements professionnels, reste somme toute,

faiblement mise en œuvre. Loin de permettre un engagement disciplinaire productif,

les manières d’enseigner des deux professeurs consistent à obtenir une effectuation des

tâches scolaires sans réellement engager les élèves dans des apprentissages à haute

épaisseur épistémique. Le « savoir s’entraîner » qui est au cœur du programme français

relativement à la compétence propre 5 ; la perspective « d’éducation à la santé tout au

long de la vie » au regard des « méthodes d'entraînement et leurs effets, tels que la

forme physique et la coordination » au cœur du texte officiel suédois restent des visées

faiblement opérationnalisées dans les deux sites. L’enseignement de l’éducation

physique comme éducation aux valeurs et à la citoyenneté y est envisagé

principalement par la mise en place de groupes de travail mais le peu d’exigences

relatives aux savoirs s’entraîner en fitness ne permet pas réellement à ces enseignants

de développer une culture commune inclusive au sein de la classe ni des perspectives

de santé à plus long terme.

59 Les « manières d’enseigner » identifiées dans les deux sites révèlent la valorisation de

certaines traditions d’enseignement afin d’engager les élèves dans une pratique

collective. La tradition d’enseignement de l’éducation physique liée à l’éducation à la

santé est présente dans les manières d’enseigner des deux enseignants. Cependant,

alors que dans les curriculums français et suédois, la santé prend des acceptions

proches liées à la gestion de sa vie physique et au bien-être, les manières d’enseigner de

Matts et de Nadine rendent compte d’interprétations personnelles. L’enseignante

française valorise les aspects physiologiques de l’activité et plus particulièrement la

capacité de ses élèves à produire des efforts (en les justifiant au regard de la dureté de

eJRIEPS, 44 | 2019

83

leur futur métier). Dans cette perspective, elle adopte une posture topogénétique

généralement haute et contrôle l’activité de chacun en les plaçant face à elle ; les élèves

ne peuvent alors pas abandonner et s’exclure du groupe classe. Dans la seconde partie

de sa séance, elle favorise l’engagement de ses élèves par la constitution de groupes

affinitaires. Elle ne reprend pas à sa charge les préconisations institutionnelles qui

soulignent la nécessité d’apprendre aux élèves de lycée à s’entraîner de façon

autonome en les centrant sur leur ressenti. Par contraste, Matts favorise l’expression

de ses élèves sur leur ressenti et valorise l’activité comme utile tout au long de la vie, en

s’inscrivant dans la continuité du curriculum suédois, mais cette valorisation reste

assez déclarative, sa manière d’enseigner privilégiant davantage les valeurs du travail

collectif quelles que soient les différences entre élèves. Sa manière d’enseigner selon

une posture topogénétique basse, laissant aux élèves le soin de produire l’avancée du

savoir dans le groupe, débouche sur un affaiblissement des contenus d’enseignement

liés au fitness, qui se résument, au mieux, à l’effectuation des traits de surface de la

tâche collective (Kherroubi et Rochex, 2004).

60 La réinterprétation des curriculums prescrits (Lenzen, 2012), plus encore dans les

contextes difficiles (Poggi, 2014), identifiable dans les manières d’enseigner que nous

avons observées, révèle le type d’exigences que se donnent les enseignants au regard de

leur action didactique et des contextes spécifiques de leur intervention. Relativement

aux deux études de cas développées dans cet article, ces exigences, fortement liées aux

caractéristiques attribuées aux élèves de lycées professionnels, se réduisent à des visées

de mobilisation et d’engagement des élèves dans le travail proposé aux fins d’un

horizon d’inclusion sociale et/ou professionnelle. La volonté de contextualisation des

apprentissages souligne que les deux enseignants, dans des environnements

curriculaires pourtant différents, proposent des pratiques d’inclusion via les

interactions en classe. Néanmoins, les analyses effectuées mettent en évidence combien

ces manières d’enseigner sont loin de relever d’une véritable « inclusion épistémique »

(Montaud et Amans-Passaga, 2018). Pour résumer, ces deux enseignants favorisent

particulièrement les interactions entre pairs, comme stratégies d’enrôlement des

élèves, dont on a pu voir qu’elles restent assez peu favorables au développement d’un

engagement réellement disciplinaire et productif (Engle, 2011, Bennour, 2017). On

retrouve ici le constat selon lequel, en lycée professionnel, « la négociation des

contenus scolaires, notamment pour certaines matières dans lesquelles les contraintes

du programme sont moins restrictives (en lettres, en EPS, en arts appliqués, etc.) […]

associe finalités scolaires et socialisation des élèves (aux règles, aux modes de

participation en classe ou en groupe, etc.) » (Jellab, 2005, p. 304). Les résultats de cette

étude didactique comparatiste recoupent également ceux établis sur les pratiques

d’enseignement en milieu difficile (Kherroubi et Rochex, 2004 ; Poggi-Combaz, 2002). Ils

interrogent l’épaisseur épistémique des savoirs réellement appris par les élèves

relativement aux activités de fitness, et leur éventuel potentiel à favoriser leur

insertion professionnelle.

eJRIEPS, 44 | 2019

84

BIBLIOGRAPHIE

Amade-Escot, C. (2014). De la nécessité d’une observation didactique pour accéder à

l’épistémologie pratique des professeurs ? Revue de Recherche en Education, 19, 18-29.

Balfanz, R. & Byrnes, V. (2012). The importance of being in school : A report on absenteeism in

the nation’s public school. Education Digest : Essential Readings condensed for Quick Review, 78(2), 4-9.

Bataille, P. & Midelet, J. (2014). L’école inclusive : un défi pour l’école. Repères pratiques pour la

scolarisation des élèves handicapés. Paris : ESF Éditeurs, Collections « Pédagogies ».

Benoit, H. (2012). Pluralité des acteurs et pratiques inclusives. Les paradoxes de la collaboration.

La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, 57, 66-78.

Bennour, N. (2017). L’engagement disciplinaire productif d’élèves contrastés dans l’action

didactique conjointe en gymnastique : Étude de cas dans un lycée tunisien. eJRIEPS, 41, 4-35.

Bonnefoy, G. & Dhellemmes, R. (2011, Eds.). La CP5 et l'apprentissage du "savoir s'entraîner

physiquement" - Que proposer à l'étude des élèves en EPS ? Les cahiers du CEDREPS, 10.

Brière-Guenoun, F. (2014). Le curriculum en actes révélé par les gestes didactiques de métier :

Étude des pratiques didactiques d’un enseignant débutant en EPS. Questions vives – Recherches en

éducation, 22, 149-168.

Brousseau,G. (1996). L’enseignant dans la théorie des situations didactiques. In R. Noirfalis et M.-

J. Perrin-Glorian (Eds.), Actes de la VIIIème école d’été de didactique des mathématiques (pp. 3-46).

Clermont Ferrand : IREM.

Byra, M. (2006). Teaching styles and inclusive pedagogies. In D. Kirk, M. O'Sullivan, & D.

Macdonald (Eds.). Handbook of Research in Physical Education (pp. 449-466). London, Thousand Oaks,

New Delhi : SAGE Publications Ltd.

Chevallard, Y. (1991). La transposition didactique. Du savoir savant au savoir enseigné. Grenoble : La

pensée sauvage, 2ème édition.

Darnis, F. & Lafont, L. (2013). Cooperative learning and dyadic interactions : two modes of

knowledge construction in socio-constructivist settings for team-sport teaching. Physical

Education and Sport Pedagogy, 20(5), 459-473.

Dolz, J. & Toulou, S. (2008). De la macrostructure de la séquence d’enseignement du texte

d’opinion à l’analyse des interactions didactiques. Travail et formation en éducation [En ligne], URL :

http://tfe.revues.org/596. Consulté le 10 juin 2016.

DEPP, (2018). Enquête n° 77 sur l’absentéisme scolaire dans le second degré public. http://

www.education.gouv.fr/cid56912/en-2016-2017-l-absenteisme-touche-en-moyenne-4-9-des-

eleves-du-second-degre-public.html. Consulté le 21 février 2018.

Dupont, J.-P., Carlier, G., Delens, C., & Gerard, G. (2010). La motivation auto-déterminée des élèves

en éducation physique : état de la question. Revue STAPS, 88, 7-23.

ECER (2018). Inclusion and Exclusion, Resources for Educational Research ? Eropean Conference on

Educational Resarch Theme. Bolzano, Italy, 4-7 septembre. https://eera-ecer.de/ecer-2018-

bolzano/whats-on/conference-theme/

eJRIEPS, 44 | 2019

85

Engle, R. A. (2011). The productive disciplinary engagement framework : Origins, key concepts

and developments. In D.Y. Dai (Ed.), Design research on learning and thinking in educational settings :

Enhancing intellectual growth and functioning (pp. 161-200). London : Taylor & Francis.

Englund, T. (1986). Curriculum as a political problem. Changing educational conceptions, with special

reference to citizenship education. Lund : Studentlitteratur/Chartwell-Bratt.

Forest, E. (2017). Interroger les “manières d’enseigner” l’éducation physique en France à la lumière d’une

comparaison France-Suède. Les usages didactiques de la démonstration dans les activités de production de

formes. Thèse de doctorat de Sciences de l’Éducation, non publiée, Université de Toulouse 2 – Jean

Jaurès.

Forest, E., Lenzen, B., & Öhman, M. (2017). Teaching traditions in physical education in France,

Switzerland and Sweden : A special focus on official curricula for gymnastics and fitness training.

European Educational Research Journal, 17(1), 71-90.

Ginzburg, C. (2001). A distance. Neuf essais sur le point de vue en histoire. Paris : Gallimard.

Gundem, B. B. & Hopmann, S. (1998, Eds.). Didaktik and/or curriculum : An International dialogue.

New York : Peter Lang.

Green, KS. (2014). Mission impossible ? Reflecting upon the relationship between physical

education, youth-sport and lifelong participation. Sport, Education and Society, 19, 357-375

Hudson, B. & Meyer, M.A (2011). Beyond fragmentation : Didactics, learning and teaching in Europe.

Opladen & Farmington Hills (MI) : Barbara Budrich Publishers.

Jellab, A. (2005). Les enseignants de lycée professionnel et leurs pratiques pédagogiques : entre

lutte contre l'échec scolaire et mobilisation des élèves. Revue française de sociologie, 46(2), 295-323.

Kherroubi, M. & Rochex, J.Y. (2004). La recherche en Éducation et les ZEP en France.

Apprentissages et exercice professionnels en ZEP : résultats, analyses et interprétations. Revue

Française de Pédagogie, 146, 115-181.

Kirk, D. (2010). Physical Education Futures. London : Routledge, Taylor and Francis.

Lafont, L. (2012). Cooperative Learning and tutoring in sports and physical activitics. In B. Dyson

& A. Casey (Eds.), Cooperative Learning in Physical Education (pp. 136-149). London : Routledge.

Lenzen, B. (2012). Les activités curriculaires des enseignants d’EPS, entre prescription et liberté :

une revue de littérature. eJRIEPS, 27, 27-65.

Lidar, M., Lundqvist, E., & Östman, L. (2005). Teaching and Learning in the science classroom.

Science Education, 90(1), 148-163.

Ligozat, F. (2011). The Development of Comparative Didactics & Joint Action Theory in the Context of the

French-speaking subject didactiques. Paper presented at ECER, in the symposium « Fachdidaktik »,

Berlin, 1”-16 September. http://archive-ouverte.unige.ch/unige:75023

Ligozat, F., Amade-Escot, C., & Östman, L. (2015). Beyond Subject Specific Approaches of Teaching

and Learning : Comparative Didactics. Interchange, A Quaterly Review of Education, 46(4), 313-321.

Ligozat, F. & Almqvist, J. (2017). Comparing, Combining and Fostering Conceptual Frameworks in

Didactics. European Educational Research Journal, 17(1), 71-90.

Ligozat, F., Lundqvist, E., & Amade-Escot, C. (2017). Analysing the continuity of teaching and

learning in classroom actions : When the joint action framework in didactics meets the

pragmatist approach to classroom discourses. European Educational Research Journal, 17(1), 147-169.

eJRIEPS, 44 | 2019

86

Loudcher, J.F. & Vivier, C. (2006). Jacques de Rette et les Républiques des sports : Une

expérimentation de la citoyenneté en EPS (1964 –1973). Revue Staps, 73, 71-92.

Lundqvist, E., Almqvist, J., & Östman, L. (2012). Institutional traditions in teacher’s manners of

teaching. Cultural Studies of Science Education, 7, 111-127.

Martinand, J.L. (1989). Pratiques de références, transposition didactique et savoirs professionnels

en sciences et techniques. Les sciences de l'éducation pour l'ère nouvelle, 2, 23-29.

Mclber, M. & Messel, M. (2013). The ABCs of keeping on track to graduation : Research findings

form baltimore. Journal of Education For Students Placed at Risk, 18(1), 50-67.

MEN, (2009). Programme d'enseignement d'éducation physique et sportive pour les classes préparatoires

au C.A.P. et pour les classes préparatoires au baccalauréat professionnel. Bulletin Officiel Spécial n° 2, 19

février 2009.

MEN, (2013). LOI n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la

refondation de l'école de la République. JORF n° 0157 du 9 juillet 2013 page 11379.

MEN, (2016). Circulaire de rentrée 2016 n° 2016-058. Bulletin officiel n° 15, 14 avril 2016.

Montaud, D. (2014). Le rapport aux œuvres dans l’enseignement de la danse au collège. Analyse

didactique de l’évolution de l’épistémologie pratique d’un professeur d’EPS. Thèse de doctorat de

Sciences de l’Éducation, non publiée, Université de Toulouse, Toulouse 2 - Le-Mirail.

Montaud, D. & Amans-Passaga, C. (2018). Inclusion épistémique des élèves en situation de

surcharge pondérale en EPS. La Nouvelle Revue Éducation et Société Inclusives, 81, 99-122.

Östman, L. (1996). Discourses, discursive meanings and socialization in chemistry education.

Journal of Curriculum studies, 28(1), 37-55.

Östman, L. & Wickman, P.-O. (2014). A pragmatic approach on epistemology, teaching and

learning. Science Education 98(3), 375-382.

Poggi, M.-P. (2014). Enseigner l’EPS en milieu difficile : vers une confrontation en actes de

différents niveaux de contexte dans le cadre d’une approche socio-didactique. Questions Vives –

Recherches en éducation, 22, 17-34.

Poggi-Combaz, M.-P. (2002). Distribution des contenus d’enseignements en EPS au collège selon

les caractéristiques sociales du public scolaire : des différences non aléatoires. Revue Française de

Pédagogie, 139, 53-69.

Putnam, J. W. (1998). Cooperative learning and strategies for inclusion : celebrating diversity in the

classroom. Baltimore : Brookes.

Quennerstedt, M., Annerstedt, C., Barker, D., Karlefors, I., Larsson, H., Redelius, K., & Öhman, M.

(2014). What did they learn in school today ? A method for exploring aspects of learning in

physical education. European Physical Education Review, 20(2), 282-302.

Roberts, D. A. (1988). What counts as science education. In P.J. Fensham (Ed.), Development and

Dilemmas in Science Education, (pp. 27-54). New York : Falmer Press.

Roberts, D. A. & Östman, L. (Eds.). (1998). Problems of Meaning in Science Curriculum. New York :

Teachers College Press.

Schubauer-Leoni, M.L. & Leutenegger, F. (2002). Expliquer et comprendre dans une approche

clinique/expérimentale du didactique ordinaire. In F. Leutenegger et M. Saada-Robert (Eds.).

Expliquer et comprendre en sciences de l’éducation, (pp. 227- 251). Bruxelles : De Boeck, Raisons

éducatives.

eJRIEPS, 44 | 2019

87

Schubauer-Leoni, M.L. & Leutenegger, F. (2005). Une relecture des phénomènes transpositifs à la

lumière de la didactique comparée. Revue Suisse des sciences de l’éducation, 27(3), 407-429.

Sensevy, G. (2007). Des catégories pour décrire et comprendre l’action conjointe. In Sensevy, G. et

Mercier, A. (Eds.), Agir ensemble, l’action didactique conjointe du professeur et des élèves (pp. 13-49).

Rennes : Presse Universitaire de Rennes.

Swedish National Agency for Education (2013). Curriculum for the upper secondary school : Physical

Education and Health. Stockholm : Skolverket. www.skolverket.se

Wickman, P.-O. (2012). A Comparison between Practical Epistemology Analysis and Some Schools

in French Didactics. Education & Didactique, 6(2), 145-159.

RÉSUMÉS

Cet article s’inscrit dans une recherche de didactique comparée. Sa visée est d’identifier la façon

dont deux enseignants d’éducation physique, l’un français et l’autre suédois, contextualisent leur

pratique d’enseignement en lycées professionnels à des fins « d’inclusion » de leurs élèves au sein

des groupes de travail. Il s’appuie sur un cadre théorique hybride articulant les concepts de

« traditions d’enseignement » et « manières d’enseigner » élaborés par les didacticiens suédois,

avec le cadre d’étude de l’action conjointe en didactique tel que développé dans l’approche

francophone. La problématique de recherche, relative à la question de l’inclusion scolaire dans sa

dimension épistémique, fait l’objet de la première section. Nous présentons ensuite le cadre

théorique composite retenu, puis nous discutons la compatibilité théorique des deux approches,

ainsi que la pertinence, pour cette recherche, de l’hybridation proposée. Après un bref exposé de

la méthodologie d’observation et d’entretiens mise en œuvre, nous présentons les résultats de la

recherche en analysant deux séances d’éducation physique de fitness en lycées professionnels,

l’une en France, l’autre en Suède. Deux échelles de comparaison sont mobilisées : la première

macroscopique, porte sur l’organisation et la structuration de chaque séance, la seconde,

microdidactique, s’attache à décrire les interactions professeur-élèves lors d’une transaction

didactique emblématique de leur pratique d’enseignement. Cette double échelle d’analyse

permet de caractériser, les « manières d’enseigner » des deux enseignants en lien avec les

« traditions d’enseignement » identifiées dans les préconstruits curriculaires des deux pays.

L’approche comparatiste des phénomènes didactiques ainsi menée permet de rendre compte de

la façon singulière dont les savoirs sont mis à l’étude et co-construits dans la classe lors de

séances de fitness. Les deux études de cas révèlent le sens qu’accordent ces deux enseignants à

l’idée d’inclusion et à la manière dont ils la mettent en œuvre avec leurs élèves de lycées

professionnels. Les résultats mettent en évidence que les deux enseignants envisagent l’inclusion

à des échelles temporelles différentes qui dépassent le cadre de la scolarité des élèves. Ainsi, si le

travail en groupe, en autonomie, est valorisé par les deux enseignants comme favorisant les

pratiques inclusives dans leur classe, les modalités mises en place et les attentes qui s’y

rattachent diffèrent au regard, entre-autre, de leur interprétation du curriculum national. En

revanche, le trait générique qui traverse les pratiques observées souligne la visée commune

d’engagement physique des élèves dans les tâches, s’accompagnant selon des modalités

spécifiques à chaque site, d’une faible épaisseur des savoirs mis à l’étude, loin des enjeux d’une

véritable « inclusion épistémique ».

This article is part of a comparative didactic research. It aims at identifying how two physical

education teachers, one French and the other Swedish, contextualize their teaching practice at

vocational high schools for the purpose of ‘inclusive education’ of their students in working

groups. The study is based on a hybrid theoretical framework that articulates the concepts of

eJRIEPS, 44 | 2019

88

‘teaching traditions’ and ‘manners of teaching’ developed by Swedish didactics, with the Joint

Action in Didactics framework developed in the Francophone approach. In the first section we

present the research problem, which is related to the question of inclusive education in its

epistemic dimension. In the second section we sketch the theoretical framework used and we

discuss the theoretical compatibility of the two approaches as well as the relevance of the

proposed hybridization. After a brief presentation of the method, based on video observations

and interviews, we expose the research findings by analyzing two fitness lessons in physical

education at vocational high schools: one in France, the other in Sweden. Two scales of

comparison are used: the first one, macroscopic, is about the organization and structuring of

each lesson; the second one, microdidactic, focuses on various teacher-students’ transactions

considered as emblematic of the observed teaching practices. The double scale of analysis allows

characterizing the ‘manners of teaching’ of the two teachers in relation to the ‘teaching

traditions’ identified in the curricular pre-constructs of the two countries. The comparative

approach carried out accounts for the singular way in which knowledge is studied and co-

constructed in the classroom during fitness lessons. The two case studies reveal the meaning of

inclusive education the two teachers bear in mind and how they implement it with their students

at vocational high school. The findings highlight that both teachers envision inclusive education

at different time scales that go beyond the scope of students’ schooling. If independent team

work is valued by the two teachers as favoring inclusive practices in their classrooms, the

modalities of its implementation and the expectations attached to it differ in light of, among

other things, the teachers’ interpretation of the national curriculum. On the other hand, the

generic feature that goes through the observed practices underscores a common purpose for

increasing student physical engagement in the tasks. Within specific modalities at each site, this

purpose is unfortunately accompanied by a poor significance of the knowledge studied: In a word

far away from a real ‘epistemic inclusive education’.

INDEX

Mots-clés : manières d’enseigner, traditions d’enseignement, action didactique conjointe,

didactique comparée, lycées professionnels, inclusion, fitness, éducation physique

Keywords : manners of teaching, teaching traditions, joint action in didactics, comparative

didactics, vocational high school, inclusive education, fitness, physical education

AUTEURS

EMMANUELLE FOREST

Université Paris Descartes

CHANTAL AMADE-ESCOT

Université de Toulouse Jean Jaurès, UMR EFTS "Education, Formation, Travail, Savoirs"

eJRIEPS, 44 | 2019

89

Actualités de la recherche enintervention

eJRIEPS, 44 | 2019

90

RecensionDidier Barthès

RÉFÉRENCE

Marc Deleplace, Daniel Bouthier, Pierre Villepreux (dir.). (2018). René Deleplace. Du rugby

de mouvement à un projet global pour l’EPS et les STAPS. Villeneuve d’Ascq : Presses

universitaires du Septentrion.

eJRIEPS, 44 | 2019

91

1 L’ouvrage de 270 pages se présente sous une forme contributive de 7 auteurs

principaux pour 22 contributeurs, sous la direction conjointe de Marc Deleplace, Daniel

Bouthier et Pierre Villepreux.

2 Il a l’ambition de regrouper un ensemble de contributions à propos et autour de

l’œuvre et l’engagement militant de René Deleplace, de ses conceptions et théories du

rugby mais également à propos de la formation en éducation physique et en rugby

fédéral comme scolaire, voire de son expérience concernant le cor d’harmonie. Les

différentes contributions sont enrichies par une suite de textes publiés ou non par René

Deleplace ; textes présentés et analysés par les différents auteurs principaux.

L’ensemble de ces contributions constitue sans conteste, le témoignage d’une

expérience humaine « à hauteur d’homme », une expérience en lien avec l’ensemble

des facettes constituant l’œuvre de René Deleplace. Cette expérience qui va du sport en

général, au rugby bien évidemment, mais encore à l’éducation physique et sportive et

la formation en STAPS, relie cette dimension sportive au domaine de la musique et plus

particulièrement au cor d’harmonie. C’est un projet global qui nous est proposé, tant

pour l’EPS et les STAPS que pour l’entrainement et la réflexion épistémologique et

axiologique liée intimement avec l’expérience de terrain, celle de l’entraineur, du

militant et du formateur. Car la particularité de l’œuvre présentée tient surtout au

souci d’articuler les problématiques de terrain, celles de la formation et de

l’entrainement, à des questions et des enjeux théoriques, épistémiques voire

politiques ; en cela, cet ouvrage rend compte d’une dimension émancipatrice de

l’activité motrice humaine telle qu’a pu la mettre en œuvre René Deleplace.

3 L’ouvrage se présente en 3 sections conséquentes en volume et en types de

contributions, sections dans lesquelles différentes thématiques sont présentées en

plusieurs chapitres et contributeurs. Une bibliographie sélective par auteur est

proposée en fin d’ouvrage. Elle vient en complément des références de bas de page dans

chacune des contributions.

4 L’idée de proposer un ensemble de réflexions, témoignages et analyses, est tout à fait

intéressant dans la mesure où ce type de travail n’a pas été encore réalisé, c’est là

l’intérêt principal de cet ouvrage que de replacer dans la diachronie, les différentes

étapes de l’œuvre de René Deleplace, de son cheminement conceptuel dans les

différents domaines de son activité professionnelle, militante comme sportive. De cette

façon, les éléments contextuels, ceux du terrain et de la formation, viennent éclairer de

façon tout à fait originale et pertinente la démarche de René Deleplace tout en

fournissant ainsi l’étayage et la cohérence théorique et méthodologique de son œuvre.

5 Ainsi, articuler le rugby, la formation physique et le cor d’harmonie constitue un

exercice délicat qui est en définitive plutôt bien mené et pertinent. On saisit bien que

l’objectif de l’ouvrage ne soit pas de faire un panégyrique de René Deleplace et de son

œuvre mais bien de présenter de façon exhaustive ses idées et discuter ses conceptions

concernant le rugby et de manière plus générale la formation physique et culturelle de

l’homme sportif. Il s’agit là d’une conception humaniste résolument ancrée dans son

temps.

6 La préface pose le cadre général des contributions qui vont suivre. Elle présente de

manière pertinente les différentes dimensions de l’œuvre de René Deleplace tout en

essayant de circonscrire l’espace du « chantier deleplacien » dans ses dimensions

anthropologiques. Ainsi, les contributions prendront un caractère souvent dynamique

eJRIEPS, 44 | 2019

92

et actuel sous la forme de témoignages d’expérience personnelle et de pratiques

d’interventions professionnelles éclairées par une dimension théorique de bon niveau.

7 Après une biographie fidèle menée par Marc Deleplace puis par Jacques Giraud, la

section 1, coordonnée par Marc Deleplace et Daniel Bouthier, est consacrée au cadre

théorique développé par René Deleplace. L’objectif est de définir un objet scientifique

selon une trajectoire définie par le passage de la pratique sociale de référence, le rugby,

à une pratique scolaire en termes d’activité physique et sportive. Cette section rend

compte du cheminement d’une modélisation de l’activité physique s’appuyant sur une

démarche empirique, celle de l’expérience de joueur, d’entraineur et de formateur

favorisant l’émergence d’une réelle épistémologie des activités physiques, celle-ci ne

pouvant s’appuyer que sur la réalité de l’expérience.

8 La deuxième section coordonnée par Marc Deleplace et Serge Reitchess, aborde la

dimension culturelle et sociale de l’œuvre de René Deleplace. Cette section éclaire le

caractère militant des convictions qui ont organisé et justifié l’activité de René

Deleplace. Elle articule l’action professionnelle comme syndicale et sportive, en lui

donnant une certaine unité de conviction. La dimension didactique liée intimement à la

réflexion épistémologique permet aux auteurs de souligner la recherche de cohérence

chez René Deleplace. Celle-ci ne peut s’envisager que dans une approche systémique

articulant le geste technique et le contexte dans lequel celui-ci s’accomplit.

9 La troisième section coordonnée par Marc Deleplace propose, après une partie

introductive, une anthologie de textes publiés ou non, classés chronologiquement. Des

textes choisis, présentés et analysés par Marc Deleplace, Serge Reitchess, Daniel

Bouthier ou encore Jacques Dury, sont organisés selon 4 thématiques : théorie du

rugby, formation en APS comme champ scientifique, le lien avec l’EPS et enfin celui

plus général des apprentissages moteurs dont ceux en lien avec le cor d’harmonie.

Cette section est intéressante du point de vue historique et épistémologique car elle

fournit un matériau pertinent de réflexion pour le lecteur. Par ailleurs les éléments

d’analyse fournis par les auteurs, viennent éclairer de façon tout à fait intéressante les

différentes dimensions de l’œuvre de René Deleplace.

AUTEURS

DIDIER BARTHÈS

Université Paris Descartes

eJRIEPS, 44 | 2019

93

Soutenance d'HDR

Mathilde Musard, maître de conférences à l’université de Franche-Comté a soutenu son

Habilitation à Diriger les Recherches (HDR), intitulée « La dynamique curriculaire en

Education Physique et Sportive. Vers une approche comparatiste en didactique » le jeudi 25

Octobre 2018 à Besançon.

Le jury était composé de

1 C. AMADE-ESCOT, Professeure émérite, Université de Toulouse (Présidente)

J. BISAULT, Professeur, Université d’Amiens (Rapporteur)

S. BRAU-ANTONY, Professeur, Université de Reims (Garant scientifique)

M. COQUIDE, Professeure émérite, École Normale Supérieure de Lyon

J-F. DESBIENS, Professeur des Universités, Université de Sherbrooke (Rapporteur)

M. LOQUET, Professeure, Université de Rennes (Rapporteure)

D. PASCO, Professeur, Université de Besançon (Garant institutionnel)

Résumé

2 Les recherches sur les curriculums sont cloisonnées : elles portent plus souvent sur les

curriculums prescrit et potentiel (Martinand, 2014) à partir de données textuelles

(textes officiels, analyse de manuels pédagogiques, documents, entretiens...) et moins

sur le curriculum en actes tel qu’il se co-construit en classe dans les interactions entre

l’enseignant et les élèves (Jonnaert, 2011 ; Lenzen, 2012 ; Audigier & Tutiaux-Guillon,

2008).

3 La problématique de cette habilitation à diriger les recherches s’inscrit dans le dialogue

entre les traditions curriculaire et didactique (Gundem & Hopmann, 1998 ; Audigier,

Crahay & Dolz, 2006 ; Lebeaume, 2011 ; Martinand, 2014) et vise à appréhender la

complexité de la dynamique curriculaire en EPS au regard des contenus, qu’ils soient

prescrits, interprétés ou co-construits par l’enseignant et les élèves in situ. Il s’agit de

mener des enquêtes à différentes échelles, depuis le curriculum prescrit jusqu’au

curriculum en actes, en fonction de différentes temporalités (années, séquence, leçon…)

eJRIEPS, 44 | 2019

94

et en lien avec les composantes du curriculum (visées éducatives, contenus,

progression, évaluation, etc.).

4 Les recherches empiriques sont revisitées à partir d’un cadre de didactique curriculaire

selon trois axes : l’étude des curriculums prescrit et potentiel ; l’étude du curriculum en

actes et l’étude de la dynamique curriculaire.

5 Le programme de recherche discute des aspects théoriques et méthodologiques en vue

d’élaborer un modèle pour l’étude de la dynamique curriculaire. Il s’enrichit à travers

l’ancrage dans les approches comparatistes en didactique au sein des sciences de

l’homme et de la société et l’ouverture sur différentes visées de recherche pour

contribuer à la (trans)formation des enseignants.

eJRIEPS, 44 | 2019

95

Soutenance de thèse

Marcos Roberto Godoi a présenté sa thèse en décembre 2017 à la Faculté des sciences de

l’éducation, Université de Montréal, en vue de l’obtention du grade de Philosophiae

Doctor (Ph.D.) en sciences de l’éducation, option psychopédagogie. Cette thèse est

intitulée « Le "travail curriculaire" des enseignants en éducation physique : du travail prescrit

au travail réel » est disponible dans Papyrus de l'UdeM via http://hdl.handle.net/

1866/19975

Le jury était composé de

1 Francisco Loyola, président

Cecilia Borges, directrice de recherche

François Vandercleyen, membre

Yannick Lémonie, examinateur externe

Serge Larivée, représentant de la doyenne

Résumé

2 Dans cette recherche de doctorat, nous analysons le « travail curriculaire » des

enseignants en e ducation physique. Le travail curriculaire est l’ensemble des processus

d’interpre tation, d’adaptation et de transformation du curriculum prescrit par les

enseignants pour le rendre enseignable aux élèves (Tardif et Lessard, 1999). En 2012, il y

a eu la mise en œuvre du curriculum municipal d’education physique (CMEP) pour les

e coles municipales de Cuiaba (Moreira, 2012), dans l’Etat du Mato Grosso, au Bresil.

Cependant, on en savait tre s peu sur comment les enseignants l’integrent a leurs

enseignements en salle de classe. En ce sens, notre question de recherche est : comment

les enseignants interpretent-ils et transforment-ils le curriculum prescrit en salle de

classe ? Autrement dit, comment realisent-ils le travail curriculaire ? Concernant notre

cadre the orique, il s’appuie sur la sociologie du travail enseignant et sur l’ergonomie

franc aise, plus particulie rement sur l’approche de la clinique de l’activite. Notre

recherche est mixte, mais avec un accent plus fort place sur la perspective qualitative.

En outre, l’e tude peut e tre classifiee comme une recherche-intervention selon

l’approche historico-de veloppementale. Dans la premie re phase, nous avons administre

eJRIEPS, 44 | 2019

96

un questionnaire a 73 enseignants pour connaitre leurs perceptions a l’e gard du CMEP

et du programme de formation continue qui a e te offert pour appuyer l’implantation

du curriculum. Dans la deuxieme phase, nous avons mene une e tude multi-cas avec

quatre enseignants, trois femmes et un homme, dont deux e taient novices (E1 et E2) et

deux e taient expe rimentes (E3 et E4). Nous avons consulte des documents (le

curriculum prescrit, les projets pedagogiques des e coles, les planifications des

enseignants) et nous avons fait des entrevues semi- dirige es au debut de la recherche et

a la fin de l’annee scolaire 2015. De plus, nous avons observe et tourne des videos de

leurs lecons pendant une pe riode de deux mois. Ensuite, nous avons applique la

methode de l’autoconfrontation simple et croisee (Clot, 2008), ou nous avons pu

acce der aux points de vue sur les activites en salle de classe des enseignants

participants a l’e tude multi-cas. Parmi les principaux re sultats de notre recherche,

nous pouvons souligner que : concernant la perception ge ne rale positive du CMEP,

82,19 % des enseignants trouvent qu’il est avantageux d’enseigner conformement au

CMEP. Par rapport a l’usage du CMEP, presque 80 % des enseignants utilisent toujours

ou presque toujours ce curriculum pour faire leurs planifications annuelles, 76,72 % en

font l’usage pour planifier leurs seances, et 72,61 % l’utilisent en l’adaptant. En ce qui a

trait aux aspects qui entravent l’implantation du CMEP, le manque de materiel iv

pe dagogique (41,1 %) et les installations inadequates (34,25 %) sont les facteurs qui

empe chent le plus la mise en œuvre du curriculum. Par rapport a la formation

continue, 74 % des enseignants estiment qu’elle offre l’appui suffisant pour

l’implantation du CMEP et qu’elle a e te fonctionnelle pour presque 90 % des

enseignants. Par rapport aux resultats de l’etude multi-cas, nous soulignons que : les

enseignants utilisent le CMEP pour faire leurs planifications annuelles, a moyen ou

court termes, mais ils l’interpretent, l’adaptent et le transforment lors de

l’enseignement en classe avec leurs e le ves, chacun a sa fac on et selon leurs

connaissances de la matie re, du curriculum et des e le ves, des ressources et des espaces

disponibles, mais en les transformant et en les adaptant ceux- ci aussi. En bref, les

facteurs contextuels et personnels du travail curriculaire influent sur cette adaptation

du curriculum. De plus, notre etude a montre que les enseignants sont des interpretes,

acteurs, auteurs et constructeurs du curriculum d’education physique enseigne en

classe et que les ele ves sont co-auteurs des lecons avec leurs enseignants.

eJRIEPS, 44 | 2019

97