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COLLECTION " PHILOSOPHIE DU DROIT " (7) I / Hans KELSEN THÉORIE PURE DU DROIT Traduction française de la 2e édition de la « Reine Rechtslehre » par CHARLES EISENMANN Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de Paris DALLOZ PARIS 1962

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COLLECTION"

PHILOSOPHIE DU DROIT"

(7)

I /

Hans KELSEN

THÉORIE PURE

DU DROIT

Traduction française de la 2e éditionde la « Reine Rechtslehre »

par

CHARLES EISENMANN

Professeur à la Faculté de Droitet des Sciences Economiques de Paris

DALLOZ

PARIS

1962

COLLECTION« PHILOSOPHIE DU DROIT

"

OUVRAGES PARUS

LE DROIT SUBJECTIF

parJEAN DABIN

Professeur à la Faculté de Droit de Louvain,Membre de l'Académie Royale de Belgique.

PHILOSOPHIE DU DROIT

parGEORGESDel VECCHIO

Professeur à la Faculté de Droit,Ancien Recteur de l'Université de Rome.

LA JUSTICE - LA VÉRITÉ

parGEORGESDel VECCHIO

Professeur à la Faculté de Droit,Ancien Recteur de l'Université de Rome.

ASPECTS PHILOSOPHIQUESDU DROIT INTERNATIONALPRIVÉ

parHENRI BATIFFOL

Doyen honoraire de la Faculté de Droit de Lille,Professeur de Droit international privé

à la Faculté de Droit de Paris.

L'ÉTAT OU LE POLniQUEEssai de définition

parJEAN DABIN

Professeur à la Faculté de Droit de Louvain,Membre de l'Académie Royale de Belgique.

LEÇONS D'HISTOIREDE LA PHILOSOPHIE DU DROIT

parMICHEL VILLEY

Professeur à la Faculté de Droitet des Sciences Economiques de Paris.

THÉORIE PURE

DU DROIT

La lre et la 2me édition en langue allemande

de la « Reine Rechtslehre » ont été publiées chez

FRANZ DEUTICKE

Helfersforferstrasse, 4, Vienne. Autriche.

Hans KELSEN

THÉORIE PURE

DU DROIT

Traduction française de la 2e éditionde la « Reine Rechtslehre »

par

CHARLES EISENMANN

Professeur à la Faculté de Droitet des Sciences Economiques de Paris

DALLOZ

PARIS

1962

AVANT-PROPOS

A L'ÉDITION FRANÇAISE

Ayant lu la traduction française de ma nouvelle Théorie

pure du droit due à la plume du professeur Charles EISEN-

MANN, je tiens à exprimer à l'auteur, que j'ai en haute

estime, mes plus vifs et cordiaux remerciements pour son

remarquable travail. La langue juridique française et la

langue juridique allemande, et les notions juridiques qu'ellesservent à formuler sont loin de toujours concorder; il s'ensuit

qu'une traduction fidèle en esprit d'une langue dans l'autre

est extrêmement difficile. La difficulté est encore accrue parle fait que la a théorie pure du droit » s'écarte en bien des

points tant du système de notions que de la terminologiehabituels de la science juridique allemande elle-même.

Charles EISENMANN a surmonté ces multiples difficultés de

façon exemplaire. Je lui en suis d'autant plus sincèrement

obligé que j'attache un prix tout particulier à ce que ma

théorie du droit puisse être connue sans aucun malentendu

dans les milieux de culture française, et au jugement que

pourront porter sur elle les juristes français.

Berkeley (Californie), printemps 1962.

Hans KELSEN.

PRÉFACE

DE LA PREMIÈRE ÉDITION

Plus de deux décades se sont écoulées depuis que j'ai com-

mencé d'entreprendre de développer une « Théorie pure du

droit »; théorie pure du droit, c'est-à-dire théorie du droit épuréede toute idéologie politique et de tous éléments ressortissant aux

sciences de la nature, consciente de son individualité, qui est

liée à la légalité propre de son objet. Dès les débuts de cette

entreprise, j'ai eu ce but présent à l'esprit : élever la science du

droit, la « jurisprudence », qui— de façon ouverte ou de façon

dissimulée — se perdait presque complètement dans le raison-nement de politique juridique, au niveau et rang d'une véritable

science, l'une d'entre les sciences morales. Il s'agissait pourcela de développer les tendances qui s'y rencontraient à pour-suivre comme objectif uniquement la connaissance du droit,à l'exclusion de son information et de rapprocher les résultatsde cette oeuvre de connaissance de l'idéal de toute science,l'objectivité et l'exactitude.

J'ai aujourd'hui la satisfaction de pouvoir constater que jeje ne suis pas demeuré seul sur la voie où je me suis ainsi

engagé. Dans tous les pays évolués, dans tous les milieux quise consacrent aux tâches juridiques professionnelles, qui sont si

diverses, auprès de praticiens comme auprès de théoriciens,mais également auprès de représentants de disciplines appa-rentées à la science du droit, j'ai trouvé des approbations extrê-mement encourageantes. Des hommes animés des mêmes préoc-cupations se sont rassemblés en un cercle plus étroit; on les

VIII PREFACE

appelle mon « école » : cette dénomination ne se justifie qu'entant que chacun des membres de ce cercle essaie d'apprendredes autres, sans renoncer pour autant à aller son chemin per-sonnel. Assez nombreux sont enfin les juristes qui, tout en

n'adhérant pas à la théorie pure du droit, parfois sans la citer,ou même en déclarant catégoriquement et de façon hostile la rejeter,lui empruntent cependant des thèses importantes. Je remercie

tout particulièrement ce dernier groupe : contre son gré sans

doute, il témoigne, mieux encore que les plus fidèles de ses

partisans, que ma doctrine apporte des résultats utilisables.

En même temps que des adhésions et des imitations, la

théorie pure du droit a suscité une résistance empreinte d'une

passion presque sans exemple dans l'histoire de la science

juridique, et que ne peuvent expliquer en aucune façon les

divergences d'idées réellement en cause dans le débat. Une

partie de ces divergences reposent en effet sur des malentendus,

qui (il faut l'ajouter) ne semblent assez souvent pas absolu-ment involontaires; et, lorsqu'il y a réellement divergences,elles ne sauraient justifier la profonde animosité des adver-saires : la théorie qu'ils combattent est loin d'être si radicale-ment nouvelle et de prendre le contrepied de toutes celles du

passé. On peut la considérer comme venant poursuivre le déve-

loppement de germes qui s'annonçaient déjà dans la sciencedu droit positiviste du XIXe siècle. Or mes adversaires ensont eux aussi les descendants. Ce qui provoque leur violent

emportement, ce n'est pas le fait que j'aurais demandé à la sciencedu droit actuelle de changer radicalement de direction, —

c'est le fait que je l'aie invitée à maintenir fermement l'unedes directions entre lesquelles elle oscille sans cesse de façonincertaine, — ce n'est pas tant la nouveauté de ma théorie quesa conséquence. Et cela seul suffirait à permettre de présumerque dans la lutte contre la Théorie pure du droit ne se mani-

festent pas seulement des motifs scientifiques, mais avant toutdes motifs politiques, c'est-à-dire d'ordre éminemment affectif.

La question de savoir si le droit est une science de la natureou une science morale ne peut pas échauffer les esprits à ce

point,— la séparation entre ces deux groupes"'de sciences s'est

faite presque sans résistance. Pour la science du droit, cette

province qui vit loin du centre de l'esprit, et qui a accoutuméde ne s'incorporer le progrès qu'à un rythme très lent, tout cedont il peut s'agir, c'est de lui imprimer un mouvement un

peu plus rapide en la mettant en contact direct avec la théoriegénérale de la science.

A la vérité, contrairement aux apparences, la lutte ne porte

PREFACE IX

pas sur la place du droit dans l'ensemble des sciences et surles conséquences qui en résultent; elle porte sur les rapports dudroit avec la politique ; elle a pour enjeu la saine séparation del'une d'avec l'autre, c'est-à-dire la renonciation à l'habitude

profondément enracinée de défendre au nom de la science du

droit, c'est-à-dire en invoquant une autorité objective, des pos-tulats politiques, qui n'ont qu'un caractère essentiellement sub-

jectif, même s'ils se présentent, en toute bonne foi, commel'idéal d'une religion, d'une nation ou d'une classe.

Telle est la raison de Vopposition, qui confine presque à la

haine, que rencontre la Théorie pure du droit; tel est l'arrière-

plan de la lutte conduite contre elle par tous les moyens. Cettelutte touche en effet aux intérêts les plus vitaux de la société,et par là, en bon rang, aux intérêts professionnels des juristes.Il est bien compréhensible que les juristes ne renoncent pasvolontiers à croire et à faire croire que leur science leur donnela réponse au problème de la « bonne » solution des conflitsd'intérêts au sein de la société, que, parce qu'ils connaissent le

droit, ils sont également appelés à l'informer et que, dans leur

effort pour prendre influence sur sa formation, ils ont sur le

politique une supériorité autre que celle d'un simple techniciende la société.

La séparation de la science juridique d'avec la politique, quepostule la Théorie pure du droit a des conséquences politiques,simplement négatives, sans doute. Elle représente une auto-limitation de la science du droit que beaucoup tiennent pourl'acceptation d'une déchéance. On peut donc comprendre queses adversaires ne soient guère enclins à lui rendre justice.Pour être mieux à même de la combattre, ils estiment légitimede ne pas reconnaître sa véritable figure. Et c'est ainsi qu'ilarrive que les arguments que divers adversaires opposent, non

pas, à la vérité, à la Théorie, mais aux images déformantes qu'ilsen donnent selon leurs besoins, ces arguments s'annulent lesuns les autres, rendant une réfutation presque superflue.

La Théorie pure du droit est parfaitement inconsistante,déclarent les uns avec mépris; c'est un vain jeu de conceptscreux. Mais les autres mettent en garde : par les tendancessubversives de ses thèses, elle constituerait un grave dangerpour l'Etat existant et son droit. En se gardant de toute ingé-rence de la politique, elle s'éloignerait de la vie frémissante etperdrait de ce fait toute valeur scientifique : voilà l'une desobjections qu'on élève le plus fréquemment contre elle. Maisnon moins fréquemment entend-on le reproche qu'elle seraittout à fait hors d'état de réaliser son postulat méthodologique

1. — THÉORIEPOREDUDROIT.

PKEFACE

fondamental et quelle serait elle-même tout simplement l'expres-sion d'un certain credo de valeurs politique. Mais lequel?

C'est le libéralisme démocratique, déclarent des fascistes. Par

contre, des démocrates libéraux ou socialistes la tiennent pourun fourrier du fascisme. Du côté communiste, on la condamne

comme une idéologie de l'étatisme capitaliste; les tenants du

capitalisme nationaliste la dénoncent comme une doctrine

grossièrement bolcheviste, ou un anarchisme camouflé. Cer-

tains assurent qu'elle s'apparenterait par son esprit à la

scolastique catholique ; mais d'autres y reconnaissent les

traits caractéristiques d'une théorie protestante du droit et de

l'Etat. Et il ne manque pas non plus de gens qui voudraient

la stigmatiser pour athéisme. Bref, il n'est aucune tendance

politique dont on n'ait déjà soupçonné la Théorie pure du droit.

Cela prouve, mieux qu'elle ne pourrait le faire elle-même,

quelle est bien une théorie « pure ».

Ce postulat méthodologique— la « pureté » — ne saurait être

sérieusement mis en question, si l'on admet qu'il doit exister

quelque chose de tel qu'une science du droit. Le seul point sur

lequel on pourrait éprouver des doutes, ce serait celui de savoirdans quelle mesure il est en fait réalisable. On ne peut, à cet égard,méconnaître qu'il existe sur ce point une différence très sen-sible entre les sciences de la nature et les sciences sociales.Sansdoute les sciences de la nature elles-mêmes ne sont-elles pas àl'abri de toute tentative d'intérêts politiques de les influencer.L'histoire le prouve clairement : une puissance mondiale nes'est-elle pas sentie menacée par la découverte de la vérité sur...le cours des astres ? Si les sciences de la nature sont parvenues,somme toute, à se rendre indépendantes de la politique, c'est

parce que cette victoire satisfaisait un intérêt social encore

plus important, celui du progrès de la technique, que seule laliberté de la recherche scientifique pouvait garantir. Mais lathéorie sociale ne peut tirer avantage d'une voie manifestementsi directe qui conduirait d'elle à un progrès de la techniquesociale, source d'avantages incontestables, comme celle quimène de la physique et de la chimie aux conquêtes de l'indus-trie des machines ou de la thérapeutique médicale. En raisonnotamment de leur faible avancement, les sciences sociales ne

disposent pas encore de cette force sociale qui pourrait agir àl'encontre de l'intérêt prépondérant qu'ont aussi bien les déten-teurs du pouvoir que ceux qui s'efforcent de le conquérir, àune théorie complaisante à leurs désirs, c'est-à-dire aux idéo-

logies sociales. Il en est ainsi plus que jamais à notre époque,véritablement désaxée par la guerre mondiale et ses suites,

PREFACE

qui ont très profondément ébranlé les bases de la vie sociale

et ont par suite porté au paroxysme les tensions tant entre les

Etats qu'à l'intérieur des Etats. L'idéal d'une science objec-tive du droit et de l'Etat n'aurait des chances de se voir

généralement accepté que dans une période d'équilibre social.

Aussi rien ne paraît-il aujourd'hui plus inactuel qu'une théorie

du droit désireuse de sauvegarder sa « pureté ». Alors que

pour les autres, il n'existe aucune puissance politique à laquelleils ne seraient disposés à offrir leurs services, et que l'on n'a

plus honte de réclamer publiquement et à haute voix unescience juridique politisée, pour laquelle on revendique la qua-lité de science « pure », louant ainsi comme une vertu une atti-tude que seule pourrait à la rigueur excuser la plus amère desnécessités personnelles.

Si j'ose néanmoins en une telle époque présenter la synthèsedes résultats de mes travaux sur le problème du droit, c'est dans

l'espoir que le nombre de ceux qui placent l'esprit au-dessusde la force est plus élevé qu'il ne le pourrait paraître actuelle-

ment; c'est avant tout parce que je veux, au milieu même dutumulte sauvage de notre temps, que de plus jeunes générationsne cessent pas entièrement de croire en une science juridiquelibre, dont, j'en suis convaincu, un avenir plus ou moinslointain recueillera les fruits.

Genève, mai 1934.

PRÉFACE

DE LA SECONDE ÉDITION

Plus d'un quart de siècle s'est aujourd'hui écoulé depuis la

parution de la première édition de ma Théorie pure du droit.

La seconde édition que voici représente d'une part une refontecomplète de l'exposé des questions qui étaient traitées dans la

première, d'autre part un notable élargissement du champ des

problèmes abordés. Alors qu'en 1934 je me contentais de

formuler les résultats particulièrement caractéristiques d'une

théorie pure du droit, je m'attache aujourd'hui à résoudreles problèmes les plus essentiels d'une théorie générale du droit

d'après les principes de la pureté méthodologique de la sciencedu droit, c'est-à-dire de sa connaissance scientifique, et de

fixer, ce faisant, la position de cette science du droit au seindu système des sciences avec plus de précision que je nel'avais fait précédemment.

Il va de soi qu'il était impossible que, de 1911 — année oùmon livre Hauptprobleme der Staatsrechtslehre {Les pro-blèmes fondamentaux de la théorie du Droit public) en donnaune première esquisse

— à 1961, la théorie demeurât abso-lument inchangée. Maintes modifications manifestes appa-raissaient déjà en 1945, dans ma General Theory of Lawand State (Cambridge, Mass., 1945) et en 1953, avec maThéorie pure du droit, traduction française de la ReineRechtslehre de 1934 due au professeur Henri Thévenaz (Neu-châtel, 1953). Dans le présent ouvrage, j'ai, dans des notes,attiré expressément l'attention sur les modifications les plus

XIV PREFACE

importantes. Pour la plupart, elles répondent à une mise en

oeuvre plus conséquente de principes reconnus antérieurement;au total, j'espère qu'elles représentent le fruit d'une évolution

dont la source se trouve dans des tendances immanentes à la

théorie elle-même, mais qui n'affecte pas l'essentiel de cette

théorie.Etant donné la diversité qui va constamment croissant avec

le temps, du contenu des ordres juridiques positifs, une théorie

générale du droit est toujours exposée au risque que les concepts

fondamentaux du droit quelle a élaborés n'appréhendent pas la

totalité des phénomènes juridiques. Il peut se faire que maints

d'entre eux se révèlent trop étroits ou au contraire trop larges.En proposant dans ce livre une théorie générale, j'ai pleinementconscience de ce risque, et ma reconnaissance est donc sincèrement

acquise par avance à ceux qui présenteraient des critiques sur

ce plan. Cette seconde édition non plus ne prétend pas exposerdes résultats définitifs; il n'y faut voir qu'une entreprise quia besoin d'être poursuivie, par voie de compléments et d'amé-

liorations de toute nature. L'entreprise aura atteint son but

si elle est considérée par d'autres que l'auteur, qui touche quantà lui au terme de sa vie, comme digne d'une telle continuation.

J'ai replacé en tête de la seconde édition la préface quiprécédait la première. Elle rappelle en effet dans quelle situa-tion scientifique et politique la théorie pure du droit est néeau temps de la première guerre mondiale et des ébranlementssociaux qui en sont résultés, et quelle résonance elle a trouvéà cette époque chez les auteurs. Sous ce rapport, les chosesn'ont pas beaucoup changé avec la seconde guerre mondialeet les bouleversements politiques qu'elle a entraînés. Aujour-d'hui comme hier, l'effort vers une science du droit objective,qui se contente de décrire son objet, se heurte à la résistanceobstinée de tous ceux qui, méconnaissant les frontières quiséparent la science de la politique, croient pouvoir fixer, aunom de la science, le contenu que devrait avoir le droit, c'est-à-dire qui croient pouvoir déterminer le droit juste et par làmême un étalon de la valeur du droit positif. C'est en par-ticulier la métaphysique de la doctrine du droit naturel, qui,à nouveau réveillée, se dresse avec cette prétention face au

positivisme juridique.Le problème de la justice étant, en tant que problème de

valeur, extérieur à une théorie du droit, qui se limite à une

analyse de ce droit positif qui constitue la réalité juridique,mais étant par ailleurs d'une importance décisive en ce quiconcerne la politique juridique, j'ai consacré un appendice à

PREFACE XV

essayer d'exposer ce qu'il y a lieu d'un point de vue scientifique,de dire à ce sujet et en particulier au sujet de la doctrine dudroit naturel (1).

J'exprime tous mes remerciements au docteur Rudolf A.

Métall qui a bien voulu établir un index général de mes écrits— livres et articles — et me prêter un concours précieux pourla correction des épreuves du présent volume.

Berkeley (Californie), avril 1960.

Hans KELSEN.

(1) Il n'a pas été possible de publier ici cet appendice, dont lelecteur français trouvera une traduction due à M. Etienne Mazingue,sous le titre «Justice et Droit naturel » dans le troisième volume desAnnales de Philosophie politique, intitulé Le Droit nature/ (PressesUniversitaires de France, 1959).

TABLE DES MATIÈRES

PagesAvant-Propos à l'édition française VPréface à la première édition VII

Préface à la seconde édition XIII

TITRE PREMIER

DROIT ET NATURE

1. — LA PURETÉ 12. — LES ACTESET LEURSIGNIFICATIONJURIDIQUE 23. — SIGNIFICATIONSUBJECTIVEET SIGNIFICATIONOBJECTIVE

DESACTES.LEURAUTO-INTERPRÉTATION 34. — LA NORME.

a) La norme, schéma d'interprétation 4

b) Normes et création de normes 6

c) Validité et domaine de validité des normes. ... 13d) Réglementation positive et réglementation néga-

tive : ordonner, habiliter, permettre 20

e) Normes et valeurs 235. — L'ORDRESOCIAL.

a) Ordres sociaux statuant des sanctions 33

b) Y a-t-il des ordres sociaux sans sanctions ? . . . . 37

c) Sanctions transcendantes et sanctions socialementimmanentes 39

6. — L'ORDRE JURIDIQUE.

a) Le droit, ordre de la conduite humaine 42

b) Le droit, ordre de contrainte 46Le caractère de sanctions des actes de contrainteinstitués par l'ordre juridique 48Le monopole de la contrainte de la collectivitéjuridique 49Ordre juridique et sécurité collective 51Actes de contrainte qui n'ont pas le caractère desanctions 55Le minimum de liberté 57

c) Le droit en tant qu'ordre normatif. Collectivité juri-dique et «bande de voleurs » 60

d) Obligations juridiques sans sanctions ? 68

e) Normes juridiques non indépendantes 74

492 TABLE DES MATIERES

TITRE II

DROIT ET MORALE

Pages7. — LES NORMESMORALES,NORMESSOCIALES 79

8. — LA MORALE,RÈGLEMENTDU COMPORTEMENTINTÉRIEUR 81

9. — LA MORALE,ORDREPOSITIF IGNORANTLA CONTRAINTE 85

10. — LE DROIT,PARTIEDE LAMORALE 86

11. — RELATIVITÉDE LAVALEURMORALE 87

12. — SÉPARATIONDU DROITET DE LAMORALE 90

13. — JUSTIFICATIONDU DROITPAR LAMORALE 92

TITRE III

DROIT ET SCIENCE

14. — LES NORMESJURIDIQUES, OBJET DE LA SCIENCE DUDROIT 95

15. — THÉORIE STATIQUEET THÉORIE DYNAMIQUEDU DROIT 96

16. — NORMEJURIDIQUEET PROPOSITIONDE DROIT 96

17. — SCIENCECAUSALEET SCIENCENORMATIVE 104

18. — CAUSALITÉET IMPUTATION: LOINATURELLEET LOIJURI-DIQUE 105

19. — LE PRINCIPE D'IMPUTATIONDANS LA PENSÉE DES PRI-MITIFS 114

20. — LA NAISSANCEDU PRINCIPEDE CAUSALITÉA PARTIRDUPRINCIPEDERÉTRIBUTION 117

21. — SCIENCESOCIALECAUSALEET SCIENCESOCIALENORMA-TIVE 118

22. — LES DIFFÉRENCESENTRELE PRINCIPEDE CAUSALITÉETLE PRINCIPED'IMPUTATION 123

23. — LE PROBLÈMEDE LALIBERTÉOU LIBREARBITRE. . . . 125

24. — LES FAITS AUTRES QUE LES ACTES HUMAINSCOMMECONTENUDE NORMESSOCIALES 138

25. — LES NORMESCATÉGORIQUES 139

26. — LA NÉGATIONDU«SOLLEN».LE DROIT,SIMPLEIDÉOLOGIE 141

TITRE IV

STATIQUE DU DROIT

27. — LES SANCTIONS: DÉLITET SANCTION

a) Les sanctions du droit national et du droit interna-tional 149

TABLE DES MATIERES 493

b) L'acte illicite (délit), condition et non-négation dudroit 152

28. — OBLIGATIONJURIDIQUEET RESPONSABILITÉ

a) Obligation juridique et sanction 157

6) Obligation juridique et « sollen » 160

c) Responsabilité 163

d) Responsabilité individuelle et responsabilité col-lective 165

e) Responsabilité pour faute et responsabilité sansfaute 167

/) L'obligation de réparation 169

g) La responsabilité collective, responsabilité derésultat 170

29. — LES DROITS SUBJECTIFS : AUTORISATIONSET HABI-LITATIONS.

a) Droit et obligation 170

6) Droits personnels et droits réels 171

c) Le droit subjectif en tant qu'intérêt juridiquementprotégé 179

d) Le droit subjectif en tant que pouvoir juridique. . 181 "

e) Le droit subjectif en tant qu'autorisation positive(par une autorité) 185 '

/) Les droits politiques 186

30. — LA CAPACITÉD'ACTION.LA COMPÉTENCE.LA QUALITÉD'ORGANE

a) La capacité d'action 194

6) La compétence 198

c) La qualité d'organe («Organschaft ») 200

"31. — LA CAPACITÉDE DROIT.LA REPRÉSENTATION 210

32. — LE RAPPORTDE DROIT 217

33. — LE SUJETDE DROIT.LA PERSONNE.

a) Le sujet de droit 224

b) La personne : la personne physique 228

c) La personne juridique (La corporation) 231

d) La personne juridique comme sujet agissant . . . 234

e) La personne juridique en tant que sujet d'obliga-tions et de droits 237Les obligations de la personne juridique 238La responsabilité de la personne juridique .... 245Les droits de la personne juridique 248

/) La personne juridique, concept auxiliaire de lascience du droit 251

g) L'abolition du dualisme droit au sens objectif etdroit au sens subjectif 252

494 TABLE DES MATIÈRES

TITRE V

DYNAMIQUE DU DROIT

Pages34. — LE FONDEMENTDE LA VALIDITÉ DES ORDRES NOR-

MATIFS: LA NORMEFONDAMENTALE.

a) Le fondement de la validité : sens de la question 255

6) Le principe statique et le principe dynamique . . 258

c) Le fondement de la validité des ordres juridiques 261

d) La norme fondamentale, hypothèse logique —transcendentale 266

e) L'unité logique de l'ordre juridique : les conflits denormes 273

/) Légitimité et effectivité 278

g) Validité et efficacité 281

h) La norme fondamentale du droit international . . 289

i) Théorie de la norme fondamentale et doctrine dudroit naturel 293

j) La norme fondamentale du droit naturel 297

35. — LA PYRAMIDEDE L'ORDREJURIDIQUE

a) La Constitution 299

6) Législation et coutume 303

c) Loi et règlement 308

d) Droit matériel et droit formel 309

e) Les « sources du droit » 313

/) Création du droit, application du droit et obéissanceau droit 314

g) La juridiction.Le caractère constitutif des décisions juridiction-nelles 318

Le rapport entre les décisions juridictionnelles etles normes juridiques générales à appliquer .... 325

Les « lacunes » dans le droit 329

La création de normes juridiques générales par lestribunaux : le juge-législateur; flexibilité du droitet sécurité juridique 334

h) L'acte juridique infra-législatif («Rechtsgeschâft ») 342

L'acte juridique, fait créateur de droit 342

Le contrat 344

i) L'administration 349

j) Les conflits entre normes de degré différent.Les décisions juridictionnelles «illégales » 355Les « lois inconstitutionnelles » 360

k) Annulation et annulabilité 367

TABLE DES MATIÈRES 495

TITRE VI

DROIT ET ETAT

Pages

36. — FORMESJURIDIQUESET FORMESPOLITIQUES 370

37. — DROITPUBLICET DROITPRIVÉ 372 •

38. — LE CARACTÈREIDÉOLOGIQUEDU DUALISMEDU DROITPUBLICET DUDROITPRIVÉ 373

39. — LE DUALISMETRADITIONNELDE L'ÉTATET DU DROIT 376

40. — LA FONCTIONIDÉOLOGIQUEDU DUALISMEDE L'ÉTATETDUDROIT 377

41. — L'IDENTITÉDE L'ÉTATET DUDROIT.

a) L'Etat, ordre juridique 378

6) L'Etat, personne juridiqueL'Etat, sujet agissant : l'organe étatique 384La représentation 394

L'Etat, sujet d'obligations et de droits. Les obliga-tions de l'Etat; l'obligation de l'Etat et le délitd'Etat; la responsabilité de l'Etat 398Les droits de l'Etat 406

c) L'auto-obligation (« Selbstverpflichtung ») del'Etat; l'Etat de droit 410

d) Centralisation et décentralisation 412

e) La dissolution du dualisme du droit et de l'Etat . . 417

TITRE VII

ETAT ET DROIT INTERNATIONAL

42. — L'ESSENCEDUDROITINTERNATIONAL.

a) La nature juridique du droit international .... 420

b) Le caractère primitif du droit international. . . . 423

c) La pyramide hiérarchique du droit international . 424

d) Obligation simplement médiate et habilitation parle droit international 425

43. — DROITINTERNATIONALET DROITÉTATIQUE.a) L'unité du droit international et du droit étatique 430

b) Absence de conflits entre droit international etdroit étatique 432

c) Le rapport réciproque de deux systèmes de normesLa reconnaissance du droit international par l'Etat :la primauté de l'ordre juridique étatique 436La primauté du droit international 439

d) Le caractère inévitable d'une construction moniste. 44344. — CONCEPTIONSJURIDIQUESETPHILOSOPHIEGÉNÉRALE.. 449

496 TABLE DES MATIÈRES

TITRE VIII

L'INTERPRETATION

Pages45. — ESSENCE DE L'INTERPRÉTATION. INTERPRÉTATION

AUTHENTIQUEET INTERPRÉTATIONNON-AUTHENTIQUE 453

a) L'indétermination relative de l'acte d'applicationdu droit 454

6) L'indétermination intentionnelle de l'acte d'appli-cation du droit 455

c) Le droit à appliquer, un cadre à l'intérieur duquelil y a plusieurs possibilités d'application 456

d) Les soi-disant méthodes d'interprétation 458

46. — L'INTERPRÉTATION,ACTEDE CONNAISSANCEOUACTEDEVOLONTÉ? 459

47. — L'INTERPRÉTATIONSCIENTIFIQUE 462

IMPRIMEEN FRANCE

1002-1962.—Tours, Impr. Marne.Dépôt légal : 2° trimestre 1962.

TITRE PREMIER

DROIT ET NATURE

1. — LA «PURETÉ».

La Théorie pure du droit est une théorie du droit posi-tif, — du droit positif en général; sans autre spécification :elle n'est pas la théorie d'un ordre juridique déterminé;elle n'a pas pour objet l'interprétation de tel ou tel ensemblede normes juridiques, nationales ou internationales. Elleconstitue une théorie générale du droit (à ce titre, elle

comprend, bien entendu, une théorie de l'interprétationjuridique).

Théorie, elle se propose uniquement et exclusivement deconnaître son objet, c'est-à-dire d'établir ce qu'est le droitet comment il est. Elle n'essaie en aucune façon de direcomment le droit devrait ou doit être ou être fait. D'unmot : elle entend être science du droit, elle n'entend pasêtre politique juridique.

Pourquoi se dénomme-t-elle elle-même une théorie « pure »du droit ? C'est pour marquer qu'elle souhaiterait simple-ment assurer une connaissance du droit, du seul droit, enexcluant de cette connaissant tout ce qui ne se rattache

pas à l'exacte notion de cet objet. En d'autres termes, ellevoudrait débarrasser la science du droit de tous les élé-ments qui lui sont étrangers. Tel est son principe métho-

dologique fondamental. Il paraîtra sans doute aller de soi.

Cependant, il suffit de jeter un coup d'oeil sur la sciencedu droit traditionnelle, telle qu'elle s'est développée au

2 THÉORIE PURE DU DROIT

cours des xixe et xxe siècles, pour apercevoir clairement

combien il s'en faut qu'elle satisfasse à ce postulat de

« pureté ». Sans aucun esprit critique, elle a mêlé science

du droit d'une part, psychologie, sociologie, éthique et

théorie politique d'autre part. Et certes, un tel amalgame

peut s'expliquer par le fait que le second groupe de sciences

se rapporte à des objets qui sont assurément en relation

étroite avec le droit; la théorie pure du droit n'ignore pasni ne songe à nier cette relation; si elle entreprend de déli-

miter nettement la connaissance du droit de ces autres

disciplines, c'est parce qu'elle cherche à éviter un syncré-tisme de méthodes qui obscurcit l'essence propre de la science

du droit et qui rend floues et vagues les bornes qui lui sont

assignées par la nature de son objet : le droit.

2. — LES ACTES ET LEUR SIGNIFICATION JURIDIQUE.

Il existe deux groupes de sciences : les sciences de la

nature et les sciences de la société. La distinction de ces

deux groupes correspond à l'idée qu'elles portent sur des

objets différents : la nature d'une part, la société d'autre

part.Il faut donc se poser immédiatement cette question : la

science du droit appartient-elle au groupe des sciences dela nature, ou au groupe des sciences de la société ? Et celarevient à se demander si le droit est un phénomène naturel,ou un phénomène social.

A vrai dire, il n'est pas possible d'opposer ainsi natureet société sans autre explication : et en effet, ne peut-on paspenser la société, comprise comme la vie en commun réelled'êtres humains, comme un secteur de la vie en général,et par là-même comme un élément constitutif de cet en-

semble, —• la nature ? Et le droit —ou, si l'on veut, ce que

l'on s'accorde immédiatement à considérer comme tel —

ne paraît-il pas se situer dans le domaine de la nature,exister d'une existence purement et simplement naturelle,tout au moins par une partie de son être ? Que l'on analyseen effet un fait quelconque qui est interprété comme denature juridique ou comme ayant rapport au droit, —

par exemple, une résolution de Parlement, un acte admi-

nistratif, un jugement, un contrat, ou bien un délit; on

pourra distinguer deux éléments : le premier est un acte,"ou une série d'actes perceptibles par les sens, qui se déroulentdans le temps et dans l'espace, c'est un processus extérieur

DROIT ET NATURE

de comportement humain; l'autre élément est la significa-tion de l'acte au regard et en vertu du droit. Des hommes

se réunissent dans une salle, ils prononcent des discours,les uns lèvent la main, les autres ne la lèvent pas,

— voilà

le processus extérieur. Juridiquement, il signifie qu'une loi

est votée, que du droit est créé; — c'est la distinction

absolument courante pour le juriste entre la procédure de

législation d'une part, et son produit, la loi, d'autre part.Autres exemples : un homme, revêtu d'une robe et assis

sur un siège surélevé, prononce certaines paroles à l'adresse

d'un homme placé devant lui. Selon le droit, ce processusextérieur signifie qu'il vient d'être rendu un jugement. Ou

encore : un commerçant écrit à un autre commerçant une

lettre d'un certain contenu, l'autre lui répond par une

autre lettre : ils ont conclu un contrat. Ou enfin : un homme

provoque, par telle ou telle action, la mort d'un autre

homme; traduction juridique : il a commis un meurtre.

3. — SIGNIFICATION SUBJECTIVE ET SIGNIFICATION

OBJECTIVE DES ACTES. LEUR AUTO-INTERPRÉ-TATION (Selbstdeutung).

La signification juridique d'un acte n'est pas une pro-priété qui se laisse sans plus saisir en lui, considéré commeun fait extérieur, par les sens, — la vue ou l'ouïe —, à la

façon dont sont perçues, par exemple, les propriétés natu-relles des corps, telles que couleur, dureté, poids. Sans

doute, l'homme qui fait l'acte, et qui agit de façon ration-

nelle, associe à son acte une certaine signification, quis'exprime ou traduit d'une façon ou d'une autre, et qui est

comprise par d'autres hommes : c'est ce que nous appelle-rons la « signification subjective » des actes. Leur « signi-fication objective » étant celle qui leur est donnée par le

droit, celle qu'ils ont selon le droit, en droit.Très fréquemment, la signification subjective d'un acte

et sa signification objective coïncident; mais pas toujoursni nécessairement. Voici une personne qui confectionne unacte écrit par lequel elle entend régler le sort de son patri-moine pour le temps qui suivra sa mort. Subjectivement,elle veut et pense faire son testament. Mais si l'acte qu'ellefait présente, par exemple, des vices de forme, s'il n'a pasété fait dans les formes exigées par la loi, objectivement, en

droit, il ne constituera pas un testament. Autre exemple :une organisation secrète s'est donné comme objectif de

4 THÉORIE PURE DU DROIT

délivrer la patrie d'hommes qu'elle considère comme traîtres

ou nocifs à la cause qu'elle défend; elle condamne un de

ces hommes à mort. Subjectivement, elle tient sa décision

pour un arrêt de condamnation à la peine capitale, et elle

la présente comme telle, sous cet intitulé. Objectivement,en droit, la décision n'a absolument pas ce caractère; et

l'acte de l'agent que l'organisation a chargé d'exécuter cette

décision n'est assurément pas l'exécution d'un jugementde condamnation, mais un meurtre de Sainte-Vehme, —

bien que les faits matériels soient absolument identiquesdans l'une et l'autre des deux opérations.

Il est possible et il arrive effectivement que des actes

qui se traduisent par des paroles ou par un écrit, — en

mots —, portent eux-mêmes quelque assertion relative à

leur signification juridique. Il y a là une particularité des

matériaux qui sont donnés à la connaissance juridique. Auxsavants qui les étudient, les choses ne prétendent rien fairesavoir sur elles-mêmes; elles ne cherchent pas à s'expliquerelles-mêmes scientifiquement. Tout au contraire, un actede conduite humaine peut très bien apporter une « auto-

interprétation », une interprétation de soi-même (Selbstdeu-tung), c'est-à-dire une assertion relative à ce qu'il signifiejuridiquement. Par exemple, les hommes qui sont réunis

pour constituer un Parlement déclareront expressémentqu'en faisant ceci ou cela, ils votent ou décident une loi;celui qui rédige ses dispositions de dernière volonté écriraen tête : « ceci est mon testament »; deux individus quipassent un accord sur un objet d'intérêt juridique décla-reront que, ce faisant, ils concluent un contrat. Ainsi,ceux qui visent à connaître le droit se trouvent parfois en

présence d'une interprétation des matériaux par eux-mêmes

(c'est-à-dire les matériaux), qui anticipe et empiète sur

l'interprétation que la connaissance juridique a misssion dedonner.

4. — LA NORME.

a) La norme, schéma d'interprétation.

_ Ces faits extérieurs qui représentent, selon leur significa-tion objective, des actes de droit (Rechtsakte)

— ou des actescontre le droit, des actes illicites (Unrechtsakte)

— sont tou-jours des événements perceptibles par les sens, qui sedéroulent dans le temps et dans l'espace : ils appartiennent

DROIT ET NATURE

donc au règne de la nature et sont comme tels régis par le

principe de causalité. Seulement en tant qu'événements,c'est-à-dire considérés comme des éléments du systèmenature, ils ne sont pas objet d'une connaissance spécifique-ment juridique et, par suite, ne sont en aucune manière

quelque chose de juridique. Ce qui imprime à ces actes le

caractère d'actes de droit — ou d'actes contre le droit —, ce

n'est pas ce qu'ils sont effectivement dans leur matérialité,ce n'est pas leur réalité naturelle, c'est-à-dire déterminée

causalement et incluse dans le système de la nature; c'est

seulement le sens objectif qui y est associé, c'est la signi-fication qui est la leur. Un sens spécifiquement juridique,leur signification de droit caractéristique, les faits en

question les reçoivent de normes qui ont trait à eux; cesont ces normes qui leur confèrent une signification juri-dique, de telle sorte qu'ils peuvent être interprétés d'aprèselles. Ces normes remplissent la fonction de schémas d'in-

terprétation. En d'autres termes : un jugement qui énonce

qu'un acte de conduite humaine qui a été réalisé en uncertain lieu et en un certain temps est un acte de droit —

ou un acte contre le droit —représente le résultat d'une

interprétation d'un genre particulier : une interprétationnormative. L'idée qu'un tel acte constitue un événementnaturel exprime, elle aussi, une interprétation; mais une

interprétation qui n'est pas normative mais d'un typedifférent : une interprétation causale.

On observera que les normes qui confèrent à un actela signification d'acte de droit — ou d'acte contre le droit— sont elles-mêmes créées au moyen d'actes de droit, et

qu'à leur tour ces actes reçoivent leur signification juridiqued'autres normes. Mais revenons à des exemples précédem-ment évoqués : qu'un fait constitue juridiquement l'exécu-tion d'un jugement de condamnation à mort, et non un

meurtre, cette qualité—

qui n'est du tout une qualité per-ceptible par les sens —

n'apparaît qu'à la suite d'un pro-cessus intellectuel; elle résulte de la confrontation de cefait avec le Code pénal et le Code de procédure pénale.Qu'un échange de lettres signifie juridiquement la conclu-sion d'un contrat, cela résulte uniquement et exclusivementde ce que ce fait tombe sous certaines dispositions du Codecivil. Qu'un document écrit soit un testament valable, non

pas seulement dans l'esprit de son auteur, subjectivement,mais également selon le droit, objectivement, cela résultedu fait qu'il répond aux conditions auxquelles il peut,

6 THÉORIE PURE DU DROIT

d'après les dispositions de ce Code, valoir comme testa-

ment. Qu'une réunion d'hommes soit un Parlement, et quele résultat de son activité soit juridiquement une loi obli-

gatoire, en d'autres termes : que les processus en questionaient cette signification, cela signifie uniquement que cet

ensemble de faits, ce processus correspondent aux normes

de la Constitution. Dans toutes ces hypothèses, la donnée

essentielle est qu'il y a concordance du contenu d'un pro-cessus effectif avec le contenu d'une norme dont on admet

qu'elle est valable.

b) Normes et création de normes.

La connaissance juridique a pour objet les normes quiont le caractère de normes juridiques et qui confèrent à

certains faits le caractère d'actes de droit (ou d'actes contre

le droit). En effet, le droit, qui forme l'objet de cette con-

naissance, est un ordre ou règlement normatif de l'action

humaine, c'est-à-dire un système de normes qui règlent laconduite d'êtres humains.

Le mot « norme » exprime l'idée que quelque chose doitêtre ou se produire, en particulier qu'un homme doit seconduire d'une certaine façon. Telle est la signification quepossèdent certains actes humains qui, selon l'intention deleurs auteurs, visent à provoquer une conduite d'autrui.

Et l'on peut dire que des actes portent en intention surla conduite d'autrui quand ils ont pour signification, soitd'ordonner (ou commander) cette conduite, soit égale-ment de la permettre, et en particulier de l'habiliter, c'est-à-dire de conférer à l'autre un certain pouvoir, en parti-culier le pouvoir de poser lui-même des normes.

Entendus en ce sens, ce sont des actes de volonté. Lors-

qu'un homme exprime par un acte quelconque la volonté

qu'un autre homme se conduise d'une certaine façon, lors-

qu'il commande ou permet cette conduite ou l'habilite, onne peut pas analyser la signification de son acte en énonçantque l'autre se conduira de telle façon; ce qu'il faut énoncer,c'est que l'autre doit se conduire de cette façon. Celui quiordonne, permet ou habilite, veut; celui à qui le comman-dement s'adresse ou celui à qui est donnée la permissionou l'habilitation doivent (sollen).

Il faut souligner immédiatement qu'en écrivant ces der-nières propositions, on donne au verbe « devoir (sollen) » unesignification plus large que sa signification habituelle. Dans

DROIT ET NATURE

le langage usuel, c'est seulement au commandement quel'on fait correspondre un « devoir (Sollen) »; à la permis-sion, l'on fait correspondre un « avoir le droit de (Dùrfen) »;à l'habilitation enfin, un « pouvoir (Kônnen) ». Au con-

traire, tel qu'on vient de l'employer, ce terme « devoir

(sollen) » désigne la signification normative de tout acte

qui se rapporte en intention à la conduite d'autrui. « Devoir

(sollen) » comprend donc aussi « avoir le droit (dùrfen) »

et « avoir le pouvoir (kônnen) ». Car, aussi bien que com-

mander, une norme peut permettre et, en particulier, donner

pouvoir. Si celui auquel une certaine conduite est prescrite,ou celui auquel une certaine conduite est permise, ou celui

qui est habilité veut demander quel est le fondement de

la situation qui en résulte pour lui — celle de sujet d'un

devoir, d'une permission ou d'un pouvoir—

(il ne s'agit

pas de déterminer la cause de l'acte portant prescription,permission ou habilitation !), la seule question qu'il puisseposer est celle-ci : pourquoi dois-je me conduire de telle

façon; ou, en usant de la terminologie courante : pourquoidois-je ou pourquoi ai-je le droit, ou pourquoi ai-je le pou-voir de me conduire de telle façon ? Une « norme » est la

signification d'un acte par lequel une conduite est ou pres-crite, ou permise et en particulier habilitée.

Il faut distinguer nettement cette « norme » de l'actede volonté qui la pose : elle est bien la signification spéci-fique de cet acte qui vise, en intention, la conduite d'autrui;elle est cependant autre chose que cet acte. Et en effet lanorme est un « devoir être (Sollen) », alors que l'acte devolonté dont elle est la signification est un « être (Sein) ».

D'où, il s'ensuit que la façon correcte d'exprimer l'ensembledes données qu'apporte un tel acte de volonté consistera àdire : A veut que B doive se conduire de telle façon. La

première partie de la proposition se rapporte à un Sein, lefait réel (Seins-Tatsache) de l'acte de volonté; la seconde

partie, à un Sollen, à une norme qui est la signification decet acte. C'est pourquoi il n'est pas vrai, contrairement àce que l'on avance fréquemment que la proposition quiaffirme qu'un individu doit faire ou ne pas faire quelquechose signifierait simplement ou uniquement qu'un autreindividu veut qu'il fasse ou qu'il ne fasse pas ce quelquechose; ce qui revient à admettre que l'affirmation d'un« devoir être » se laisserait réduire à l'affirmation d'un« être ».

La différence entre Sein et Sollen, «être » et «devoir » ou «de-

8 THÉORIE PURE DU DROIT

voir être », ne peut pas être expliquée davantage. Elle est don-

née à notre conscience de façon immédiate (1). Personne ne

peut nier que l'assertion que ceci ou cela «est»,— c'est l'asser-

tion qui décrit un fait positif— est essentiellement diffé-

rente de la proposition que quelque chose « doit être », —

c'est l'assertion qui décrit une norme; et personne ne peutnier que, du fait que quelque chose est, il ne peut pas suivre

que quelque chose doive être, non plus qu'inversement de ce

quelque chose doit être, il ne peut pas suivre que quelquechose est (2).

Ce dualisme de 1' « être » et du « devoir être », de l'indicatif

et du normatif, n'implique cependant en aucune façon

qu'il n'y ait aucune relation entre Sein et Sollen, qu'ilsexistent simplement côte à côte comme deux mondes abso-

lument séparés. On dit : un Sein peut correspondre à un

Sollen, — autrement dit : quelque chose peut être tel qu'ildoit être, et l'on dit : le Sollen tend vers un Sein, quelquechose doit « être ». Mais la formule qu'un Sein correspondà un Sollen n'est pas tout à fait correcte; en vérité, ce n'est

pas le Sein qui correspond au Sollen; c'est le « quelquechose » qui, une fois, « est », qui correspond au « quelquechose» qui, l'autre fois, doit être,

— ce «quelque chose» quel'on peut, d'un terme figuré, qualifier de contenu du Seinou de contenu du Sollen. On peut exprimer cette mêmeidée d'autre façon encore : en disant qu'un certain quelquechose, en particulier une certaine conduite, peut avoir, soitla propriété d'être, soit la propriété de devoir être. Dansla proposition : la porte est fermée, la fermeture de la porte

(1) De la notion de Sollen, de « devoir », on peut dire ce que GeorgeEdward Moore dit de la notion de « bien » [Principia Ethica, Cam-bridge, 1922, p. 7 et s.) : « «bien » est une notion simple, exactementcomme «jaune» est une notion simple. » Une notion simple n'est passusceptible d'être définie, ni — cela revient au même — d'être analysée.— Pour éviter tout malentendu, il faut affirmer que l'assertion que ladistinction entre Sein et Sollen est donnée immédiatement à notreconscience ne signifie en aucune façon que le contenu du Sollen, cequi doit être et ce qui est en ce sens « bien », puisse être connu immé-diatement par quelque faculté de l'esprit particulière qui serait une« intuition (Sehau) » spécifique du bien et du mal (cf. Karl MENGER,Moral, Wille und Weltgestaltung, Grundlegung zur Logik der Sitten,Vienne, 1934, p. 28). Le contenu du Sollen, c'est-à-dire ce qu'un ordremoral ou un ordre juridique positif prescrit, est déterminé par desactes de volonté, et, lorsqu'il est ainsi déterminé est connu.

(2) Arthur N. PRIOR, Logic and the Basis of Ethics (Oxford, 1954,p. 18), exprime cette idée en écrivant : « il est impossible de déduireune conclusion éthique de prémisses entièrement non-éthiques ».

DROIT ET NATURE 9

est énoncée comme étant ; dans la proposition : la portedoit être fermée, elle est énoncée comme devant être. La

conduite qui est et la conduite qui doit être ne sont pas

identiques; certes, la conduite qui doit être ressemble à la

conduite qui est; mais une différence les sépare quandmême : la circonstance — ou modalité —

que l'une « est

existante », alors que l'autre « doit exister ». En conséquence,il faut distinguer la conduite qui « doit être » selon une

certaine norme et la conduite effective correspondante.

Cependant, il est loisible de comparer la conduite qui est

le contenu de la norme, qui y est posée comme devant être,et la conduite effective, et de conclure de cette confronta-

tion que celle-ci correspond à la norme — c'est-à-dire aucontenu de la norme — ou au contraire n'y correspond

point. Mais il n'en demeure pas moins que la conduite qui« doit être » selon la norme ne peut être la même chose

que la conduite effective correspondant, autrement dit :

conforme, à la norme.Il est vrai que de cette conduite qui correspond à la

norme, de cette conduite qui est, l'on dit également qu'elleest la conduite qui doit ou qui devrait être, et l'on entend

par là qu'elle est telle qu'elle doit ou devait être. L'expres-sion « conduite qui doit être » est équivoque. Elle peutdésigner la conduite qui doit être, selon la norme qui la

prévoit, et qui doit ou devait être, même lorsqu'elle n'est

pas, c'est-à-dire n'est pas effectivement réalisée; mais elle

désigne également la conduite réelle, effectivement réalisée,qui correspond au contenu de la norme. Lorsque l'on dit :le Sollen tend à un Sein, la norme tend à provoquer uneconduite effective, c'est à la conduite effective qui corres-

pond au contenu de la norme que l'on pense, au contenu du

Sein, contenu qui ressemble à celui du Sollen, — c'est à laconduite qui est, et qui sans doute ressemble à la conduitestatuée par la norme comme devant être, mais qui ne luiest pas identique

— en raison du mode différent : Sein dansun cas, Sollen dans l'autre.

Des actes qui ont pour signification une norme peuventêtre réalisés de façon très différente. Par un geste : au moyende tel mouvement de bras, un agent de la police de la cir-culation ordonne que l'on doit s'arrêter; au moyen de telautre mouvement, que l'on doit repartir. Par d'autres sym-boles : un feu rouge signifie l'ordre aux conducteurs d'auto-mobiles de stopper, un feu vert qu'ils doivent poursuivreleur route. Par des mots prononcés ou écrits : un ordre peut

2. — THÉORIEPUREDUDROIT.

10 THÉORIE PURE DU DROIT

être donné dans la forme grammaticale de l'impératif,—

par exemple : tais-toi; mais il peut également l'être dans la

forme d'une proposition énonciative ou indicative, telle que :

je t'ordonne de te taire. En cette dernière forme peuventêtre données aussi des permissions ou des habilitations.

Ce sont là des assertions relatives à l'acte qui signifieraitun ordre, une permission, une habilitation; mais les phrasesainsi libellées n'ont pas pour signification une assertionrelative

à un fait réel, mais une norme qui pose un Sollen, c'est-à-dire

un ordre, une permission, une habilitation. Il est possible quele Code pénal contienne une phrase de ce genre : le vol

sera puni de prison. La signification de cette phrase n'est

pas, comme sa lettre paraîtrait l'indiquer, une énonciationrelative à un certain événement effectif, mais une norme :

à savoir l'ordre de punir ou l'habilitation à punir le volde prison. La procédure législative est une série d'actes qui,pris tous ensemble, ont la signification de normes.

Lorsque l'on dit que les actes de la procédure législative(1)

— et ceci s'appliquerait aussi bien à l'un quelconquedes actes que l'on a mentionnés ci-dessus — « créent » ou« posent » des normes, on exprime simplement par une

image cette idée que l'acte, ou les actes qui constituent la

procédure de législation, ont pour sens ou signification desnormes. Cependant, il faut distinguer la signification objec-tive de la signification subjective : « Sollen » est la significa-tion subjective de tout acte de volonté d'un homme qui,dans son esprit, tend à obtenir une conduite d'autrui. Maistout acte de cette sorte ne possède pas, objectivement, cette

signification. Ce n'est que lorsqu'il a objectivement aussila signification d'un Sollen que l'on qualifie le Sollen de« norme ». Dire que le sens objectif de l'acte est lui aussiun « Sollen » (c'est-à-dire que quelque chose doit être), c'est

exprimer l'idée que la conduite que l'acte vise à déterminerest considérée comme devant avoir lieu, non plus seule-

(1) Je ne puis en effet maintenir l'idée que j'avais défendue anté-rieurement que les actes de vote qui constituent la résolution majo-ritaire par laquelle une loi est mise en vigueur ne doivent pas néces-sairement être des actes de volonté, étant donné que beaucoup desvotants ne connaissent pas ou ne connaissent que d'une façon toutà fait insuffisante le contenu de la loi pour laquelle ils votent, et quele contenu de la volonté doit être connu par celui qui veut. Lorsqu'unmembre du Parlement vote pour l'adoption d'un projet de loi dontil ne connaît pas le contenu, le contenu de sa volonté est une manièred'habilitation. Ce votant veut que devienne loi quoi que ce soit quecontient le projet de loi pour lequel il vote.

DROIT ET NATURE 11

ment du point de vue de l'individu qui pose l'acte, mais

également du point de vue des tiers désintéressés; cela,même lorsque, dans la réalité, le vouloir qui signifie subjec-tivement un Sollen a cessé d'exister, lorsqu'avec la volonté

ne disparaît pas également la signification, c'est-à-dire le

Sollen,—

lorsque le Sollen « vaut » également après que le

vouloir a cessé d'exister, bien plus lorsqu'il vaut alors même

que l'individu sur la conduite duquel porte l'acte de volonté

ne sait absolument rien de cet acte ni de sa signification,et est cependant considéré comme obligé ou autorisé à se

conduire conformément au Sollen de l'acte. Alors le Sollen

est, en tant que Sollen objectif, une « norme » qui « vaut »,

qui « est en vigueur », qui lie le destinataire. Tel est le cas

lorsqu'une norme attribue cette signification objective àl'acte de volonté qui pose un Sollen, lorsque cet acte esthabilité par une norme, qui est pour cette raison consi-

dérée comme une norme « supérieure ». L'injonction qu'ungangster adresse à une personne de lui remettre une cer-taine somme d'argent a la même signification subjective

que l'ordre de même contenu émanant d'un fonctionnairede l'Administration fiscale, à savoir que celui à qui le com-mandement est adressé doit payer une certaine somme d'ar-

gent. Mais, seul des deux, l'ordre du fonctionnaire du fisca signification de norme valable obligeant le destinataire,seul il est un acte créateur de norme; l'ordre du gangstern'a pas ces caractères ; et cette différence résulte de ce qu'uneloi fiscale confère ce pouvoir à l'acte du fonctionnaire du

fisc, alors que l'acte du gangster ne repose pas sur unesemblable norme qui lui conférerait pouvoir (1). De même,si l'acte de législation, qui a subjectivement la signification

(1) Cf. infra, p. 54. Ernst MALLY, Grundgesetze des Sollens, Ele-mente der Logik des Willens, Graz, 1926, définit le Sollen comme lesens du Wollen, du vouloir (p. 10). Ce qui est ici présenté comme unedistinction entre le Sollen en tant que signification subjective et leSollen en tant que signification objective d'un acte de volonté, Mallyle présente comme une distinction entre le Sollen et le Sollen « réel ».Il y a «Sollen réel», d'après Mally, lorsque l'on introduit la notion depossession d'un droit (Berechtigung). En disant que quelque chosedoit être, on ne dirait pas encore que « quelque chose doit effective-ment être. Mais, de cela dépend toute possession d'un droit. Une exigence— également au sens subjectif du mot — qui est l'objet d'un droitest évidemment elle-même en quelque sens conforme à l'exigence, elleest conforme à un Sollen; il ne peut exister un véritable droit quesi ce Sollen existe effectivement... Il y a (au moins) un contenu de faitqui doit être réellement » (p. 18). En somme, ce que j'appelle le Sollenen tant que signification objective d'un acte, Mally l'appelle le Sollen

12 THÉORIE PURE DU DROIT

d'un Sollen, a cette signification objectivement aussi, c'est-

à-dire s'il a le sens d'une norme valable, c'est parce que la

Constitution le lui confère. L'acte de législation constitu-

tionnelle a un sens normatif objectivement aussi, s'il est

présupposé que l'on doit se conduire comme le législateurconstituant le prescrit. Un homme qui se trouve dans le

besoin demande à un autre homme de l'aider, parce qu'il

pense que cet autre a le devoir de l'aider. Mais il n'existe

en ce cas une norme objectivement valable qui obligecelui à qui la demande est adressée que si vaut la norme

générale de l'amour du prochain, posée par exemple par le

fondateur d'une religion, et cette norme générale ne vaut

objectivement comme norme obligatoire que s'il est supposé

que l'on doit se conduire comme le fondateur de religionl'a commandé. On appellera désormais une telle hypothèse,

qui fonde la validité objective : norme fondamentale (1).La validité objective d'une norme selon laquelle un hommedoit se conduire conformément à la signification subjec-tive de l'acte de volonté d'un autre homme concernant saconduite ne résulte donc pas du fait positif, réel, qu'estcet acte de volonté; elle résulte, elle ne peut résulter qued'une autre norme.

Des normes par lesquelles une conduite est déclarée obli-

gatoire ou permise ou habilitée peuvent aussi être poséespar des actes qui constituent le fait de la coutume. Lorsquedes hommes vivant en société se conduisent pendant uncertain temps d'une façon identique dans certaines condi-tions identiques, la volonté peut naître chez les individus,pris distinctement, de se comporter comme les membres dela collectivité ont coutume de se comporter. Initialement,les actes qui constituent le fait de la coutume n'ont passignification subjective de Sollen. C'est seulement quand cesactes se sont répétés pendant un certain temps que naîtchez l'individu pris isolément la représentation qu'il doitse conduire comme les membres de la communauté ontl'habitude de le faire, et la volonté que les autres membres

« réel ». Mais cette expression eet une contradiction en elle-même, sipar « fait » on entend quelque chose qui est.

Si l'on n'entend par validité «objective» d'une norme rien d'autreque ce qui est appelé ainsi dans le texte ci-dessus, la remarque d'AlfRoss, « Imperatives and Logic », Philosophy of Science, vol. II, 1944,p. 36, que « la croyance en une validité objective a sa place dans ledébarras des métaphysiques morales-religieuses » n'est pas exacte.

(1) Cf. infra, p. 255 et s.

DROIT ET NATURE 13

du groupe adoptent cette même conduite. Si un membre du

groupe ne le fait pas, sa conduite est blâmée par les autres,

parce qu'il ne se conduit pas comme ceux-ci le veulent.

C'est ainsi que le fait de la coutume devient une volonté

collective ayant la signification subjective de Sollen. Mais

cette signification subjective des actes qui fondent la cou-

tume ne peut être interprétée comme une norme objecti-vement valable que si une norme supérieure institue la cou-

tume comme fait créateur de normes. Le fait appelé coutume,résultant d'un ensemble d'actes humains, les normes créées

par voie de coutume sont, elles aussi, posées par des actes

de conduite humaine; et par conséquent ce sont des normes

posées (gesetzt) c'est-à-dire positives, au même titre que lesnormes qui constituent la signification subjective d'actes de

législation. La coutume peut créer des normes morales aussibien que des normes juridiques. Des normes créées par la

coutume sont normes juridiques lorsque la Constitution dela collectivité institue la coutume, et plus précisément unecoutume présentant certains caractères déterminés, commefait créateur de droit.

Enfin, il faut observer qu'une norme peut être autrechose que la signification d'un acte de volonté; en tant quedonnée significative, elle peut être aussi le contenu d'un

pur acte de pensée. Certaines normes sont voulues ; d'autressont simplement pensées, sans être voulues. Celles-ci nesont pas des normes posées, des normes positives. Ainsi

donc, toute norme n'est pas nécessairement posée ; des normes

peuvent être simplement supposées en pensée (1).

c) Validité et domaine de validité des normes

Par le mot « validité ( Geltung) », nous désignons le moded'existence spécifique des normes. Lorsque nous voulons

exprimer le sens ou la signification d'un acte qui pose unenorme, nous disons : par cet acte, tel comportement humainest ordonné, prescrit, commandé, défendu; ou, au contrairetel comportement est permis, autorisé, habilité, (ermàchtigt).Si, comme nous l'avons proposé dans les pages précédentes,nous employons le mot « Sollen » en un sens qui englobetoutes ces significations, nous pouvons exprimer l'idée de lavalidité d'une norme en disant : quelque chose doit être ou êtrefait, ou : quelque chose ne doit pas être ou ne doit pas être

(1) Cf. infra, p. 31.

14 THÉORIE PURE DU DROIT

fait. Si l'on dénomme « validité » l'existence spécifique des

normes, ce texte exprime donc la façon particulière dont

elles sont données, et qui diffère du Sein des faits naturels.

L' « existence » d'une norme positive, sa validité, est chose

distincte de l'existence de l'acte de volonté dont elle cons-

titue la signification objective. La norme peut valoir alors

que cet acte de volonté n'existe plus. Il faut même aller

beaucoup plus loin : la norme n'acquiert validité, elle n'entre

en vigueur, qu'à un moment où cet acte de volonté a cessé

d'exister. Pour que la norme juridique qui constitue la signifi-cation de l'acte de volonté demeure en vigueur, continue

de « valoir », il n'est pas nécessaire que l'individu qui a créé

cette norme par cet acte qui porte en intention sur la

conduite d'autres individus, continue à vouloir cette con-

duite. Lorsque les hommes qui remplissent la fonction d'or-

gane de législation ont adopté une loi qui règle tels ou tels

objets et l'ont ainsi mise en vigueur, ils se consacrent dans

leurs délibérations et résolutions à la réglementation d'autres

objets; et les lois mises en vigueur par eux continuent devaloir en un temps où ces hommes sont morts depuis long-temps, c'est-à-dire ne peuvent plus vouloir quoi que ce soit.Par conséquent, il n'est pas exact de dire des normes en

général, des normes juridiques en particulier, qu'elles sont« la volonté » ou le « commandement » (l'ordre)

— du législa-teur ou de l'Etat —, si par « volonté » ou « commandement

(ou ordre) », on entend l'acte psychique de volonté (1).Puisque la validité d'une norme constitue un Sollen, et

non un Sein, elle est quelque chose de différent de son effi-

cacité, c'est-à-dire du fait de Sein que la norme est effecti-vement appliquée et obéie ou suivie (befolgt), que le compor-tement humain qui y correspond se produit effectivement.Affirmer qu'une norme vaut, est valable, n'équivaut passimplement à constater le fait qu'elle est appliquée et suivieeffectivement. Toutefois, il peut exister une certaine cor-rélation entre validité et efficacité. On ne considère unenorme juridique comme objectivement valable que si laconduite humaine qu'elle règle y correspond effectivement,

(1) Cf. KELSEN, General Theory of Law and State, p. 29 sqq. Lathèse qui est exposée là que la validité d'une norme n'est pas un faitpsychologique et n'est par suite pas un commandement, en tantqu'acte de volonté psychique, et qu'il faut distinguer la validitédes normes de leur efficacité, gagne en clarté lorsque, comme dans letexte ci-dessus, l'on caractérise la norme comme la signification d'unacte de volonté.

DROIT ET NATURE 15

tout au moins jusqu'à un certain point. Une norme quin'est appliquée ni suivie nulle part ni jamais, c'est-à-dire

une norme qui, comme on s'exprime habituellement, ne

bénéficie pas d'un minimum d' « efficacité », n'est pas recon-

nue comme une norme juridique objectivement valable. Un

minimum d' « efficacité » est donc une condition de la vali-

dité des normes juridiques.Par contre, pour qu'il s'agisse véritablement d'une norme,

il faut qu'existe la possibilité d'une conduite non-conforme.

Une norme qui prescrirait que doit avoir lieu un fait (ausens le plus large) dont on sait par avance qu'en vertu d'une

loi naturelle il aura nécessairement lieu toujours et partout,aurait aussi peu de sens qu'une norme qui prescrirait quedoit avoir lieu un fait dont on sait par avance qu'une loi

naturelle exclut absolument qu'il puisse avoir lieu.

Validité et efficacité des normes juridiques ne coïncident

pas non plus dans le temps. Les normes juridiques entrent

en vigueur avant même qu'elles ne deviennent effectives,c'est-à-dire avant même qu'elles ne soient suivies et appli-

quées; lorsqu'un tribunal applique dans un cas concret une

loi qui vient seulement d'être édictée, il applique une norme

juridique valable, alors que cependant elle ne peut pas être

déjà devenue effective.Mais lorsqu'une norme juridique demeure dépourvue d'effi-

cacité d'une façon durable, elle n'est plus considérée commevalable. Ainsi, l'efficacité est une condition de la validitédes normes juridiques en tant qu'il faut qu'elle s'ajoute àleur édiction pour qu'elles ne perdent pas leur validité.

Précisons ce qu'il faut entendre exactement par l'efficacitédes normes juridiques. Lorsqu'une norme juridique attacheà la condition d'une certaine conduite la conséquence d'une

sanction, faisant ainsi de la conduite en question un délit,on devra dire que cette norme est « efficace », soit lorsqu'elleest appliquée dans les cas concrets par les organes de l'ordre

juridique, par les tribunaux, c'est-à-dire lorsque la sanc-tion est ordonnée et exécutée quand la norme le prévoit,soit également lorsqu'elle est suivie par les sujets, c'est-à-dire lorsqu'ils manifestent la conduite qui évite la sanction.

Sur les relations de ces deux modalités de l'efficacité onobservera ceci : la prévision de sanctions ayant pour butde prévenir l'accomplissement de délits, c'est-à-dire l'adop-tion de la conduite qui doit entraîner une sanction, le casidéal de validité d'une norme juridique est réalisé si celle-cine vient absolument pas à application, parce que la repré-

16 THÉORIE PURE DU DROIT

sentation de la sanction qui interviendrait en cas de délit

détermine tous les sujets soumis à l'ordre juridique à ne

pas commettre ce délit. En ce cas, l'efficacité de la norme

juridique se réduit au fait qu'elle est suivie ou obéie parceux sur la conduite desquelles elle porte. Mais il se peut

que cette obéissance à la norme juridique soit provoquéeaussi par d'autres motifs, de sorte que ce qui est efficace

ne soit pas, à proprement parler, la représentation de la

norme juridique dans l'esprit des sujets, mais la représen-tation d'une norme religieuse ou d'une norme morale.

On reviendra ultérieurement sur cette très importante

question du rapport entre validité et « efficacité » des normes

juridiques (1).Si, en disant qu'une norme se rapporte à une certaine

conduite, on songe à la conduite qui constitue le contenu

de cette norme, il faut observer que les normes peuventse rapporter à des données autres que la conduite humaine,mais elles ne s'y rapportent qu'en tant que ces données

constituent des conditions ou des effets du comportementhumain. Ainsi de la norme juridique qui disposerait que, si

une catastrophe naturelle survient, les personnes qu'ellen'atteint pas directement sont obligées de secourir ses vic-

times dans toute la mesure possible. De même, quand laloi punit de mort le meurtre, ni le fait délictueux ni la sanc-tion ne consistent exclusivement en une certaine conduite

humaine, la conduite qui tend à ôter la vie à un autre

homme; ils incluent encore un effet de cette conduite : lamort d'un homme, phénomène qui n'est pas une action

humaine, mais un processus physiologique.Etant donné que la conduite humaine, et de même ses

conditions et ses effets, se déroulent dans l'espace et dans le

(1) Cf. infra, p. 281 sqq. En concluant de ce qu'une normn efficacejusqu'à un certain point est valable, que la validité et l'efficacitésont identiques, on commet la même faute logique que l'oncommet lorsque de l'idée que le « plaisir » et seul le « plaisir » serait« bon », on conclut que « le bien » est identique au « plaisir ». Moore{op. cit., p. 10) propose d'appeler cette faute logique le « sophismenaturaliste (naturalistic fallacy)i>.« Il peut être exact que toutes les chosesqui sont bonnes sont aussi quelque chose d'autre (par exemple qu'ellessont agréables)... Mais de beaucoup trop nombreux philosophes ontpensé que lorsqu'ils nommaient ces autres propriétés, ils étaient entrain de définir réellement le bon, le bien; que ces propriétés, en fait,étaient simplement, non pas « autres », mais absolument et entière-ment la même chose que le caractère de bien. C'est cette vue que jepropose d'appeler le « sophisme naturaliste »... »

DROIT ET NATURE 17

temps, il faut que la norme détermine et l'espace et le tempsoù se produisent les faits qu'elle vise. On peut dire qu'entant que les normes réglant la conduite humaine en général,et par conséquent les normes juridiques en particulier,

portent sur des processus spatio-temporels, la validité de

ces normes a un caractère spatio-temporel. Affirmer qu'unenorme vaut, c'est toujours affirmer qu'elle vaut pour un

certain espace et pour un certain temps ; c'est-à-dire qu'ellese rapporte à une conduite qui nécessairement, aura lieu

et quelque part et à un moment donné (à supposer qu'elle se

réalise effectivement).La relation d'une norme à l'espace et au temps constitue

le domaine de validité spatial et temporel de cette norme;ce domaine de validité peut être soit limité, soit illimité.

Il se peut en effet qu'une norme ne règle que des faits quise déroulent à l'intérieur d'un espace déterminé et d'une

période de temps déterminée — c'est la norme elle-même

ou c'est une norme supérieure qui définit cet espace et ce

temps : alors, elle vaut pour cet espace seulement et pour ce

temps seulement. Mais il se peut également qu'au contraireune norme se rapporte aux faits qu'elle définit, en quelquelieu et à quelque époque qu'ils puissent se produire : lanorme entend valoir partout et toujours,

— tel est le cas desnormes qui ne contiennent aucune détermination particu-lière d'espace ni de temps, alors qu'aucune autre norme

supérieure ne limite par ailleurs leur domaine de validité

spatial ou temporel. On ne peut pas dire qu'en ce cas lavalidité des normes soit a-spatiale et in-temporelle ; la véritéest qu'elles valent pour un espace, mais pour un espaceindéterminé, pour un temps, mais pour un temps indéter-

miné; leur domaine de validité spatial et temporel est illi-mité.

Le domaine de validité des normes est un élément de leur

contenu, ce contenu pouvant d'ailleurs, nous aurons à reve-nir sur ce point (1), être réglé par avance, au moins partiel-lement, par une autre norme, une norme supérieure.

Relativement au domaine de validité temporel des normes

positives, on doit distinguer le temps qui suit le moment oùelle est posée et le temps qui précède ce moment. D'unefaçon générale, les normes ne se rapportent qu'à des compor-tements futurs; il est cependant possible qu'elles se rap-portent également à des comportements passés. On dit en

(1) Cf. infra, p. 299 sqq.

18 THÉORIE PURE DU DROIT

ce cas qu'elles ont effet rétroactif. C'est ainsi, tout d'abord,

qu'une norme juridique qui prévoit qu'un certain acte aura

pour conséquence une sanction pénale contre l'auteur de

l'acte, peut disposer que la peine sera encourue même par

les personnes qui auront commis cet acte érigé en délit

avant le moment où la norme a été posée (1). En ce cas,

c'est la conduite qui constitue la condition de l'acte de

contrainte qui se situe dans le passé; l'acte de contrainte

lui-même aura lieu dans l'avenir. Mais il est pour les normes

juridiques une autre façon encore de se rapporter au passé,et non pas seulement à l'avenir, —

qui est de s'y rapporter

par l'acte de contrainte qu'elles prévoient lui-même. Ainsi

une norme qui disposerait que des actes de contrainte quiont été effectivement accomplis dans le passé sans avoir été

prescrits par une norme, c'est-à-dire sans avoir le caractère

de sanction, devaient être posés dans le passé; il résulterait

d'une telle disposition que désormais ces actes de contrainte

seront considérés comme ayant été prévus par une norme

et présenteront de ce fait le caractère de sanction. On

trouve un exemple d'une semblable disposition, sous le

régime national-socialiste, en Allemagne : certains actes de

contrainte qui constituaient juridiquement des meurtres,à l'époque où ils avaient été réalisés, ont été légitimés après

coup comme sanctions, avec effet rétroactif, ce qui confé-

rait a posteriori aux actes qui les avaient conditionnés le

caractère de délits. Il est également possible que des normes

juridiques annulent avec effet rétroactif la validité denormes juridiques qui avaient été posées avant leur propreédiction, de sorte que les actes de contrainte qui avaient été

accomplis à titre de sanctions sous l'empire d'une normeantérieure sont destitués après coup de leur caractère de

peine ou d'acte d'exécution forcée et qu'en conséquence, lesactions humaines qui avaient conditionné ces actes perdentaprès coup leur caractère de délits. On citera l'exemple d'uneloi édictée par un gouvernement arrivé au pouvoir par unerévolution et qui abrogerait avec effet rétroactif une loiédictée par le gouvernement pré-révolutionnaire sur la base de

laquelle certaines actions accomplies avant la révolution

par des membres du parti révolutionnaire avaient été puniescomme crimes politiques. Sans doute ne peut-on pas faire

que ce qui s'est passé ne se soit pas passé, mais l'interpré-tation normative de ces événements qui ont eu liru peut

(1) Cf. infra, p. 152 sqq.

DROIT ET NATURE 19

être modifiée après coup, en vertu de normes édictées peut-être très longtemps après le moment où ils ont eu lieu.

Les normes n'ont pas seulement un domaine de validité

spatial et temporel; elles ont encore un domaine de validité

personnel et un domaine de validité réel (ou matériel). En

effet, la conduite que règlent les normes est une conduite

humaine, la conduite d'hommes; de sorte que dans toute

conduite déterminée par une norme, on peut distinguer un

élément personnel : l'homme qui doit se conduire d'une cer-

taine façon, et un élément matériel : la façon dont il doit

se conduire. Ces deux éléments sont indissolublement unis

l'un à l'autre. Il faut remarquer à cet égard que ce n'est

jamais l'homme comme tel qui est saisi par les normes,

qui y est soumis : c'est toujours uniquement une certaine

conduite de cet individu. Le domaine de validité personnelse rapporte à l'élément personnel de la conduite qui est défi-nie par la norme. Ce domaine de validité peut, lui aussi, être

soit limité, soit illimité. Un ordre moral peut avoir la pré-tention de valoir pour tous les êtres humains : en d'autres

termes, ses normes définissent la conduite de tout homme,et non pas seulement celle d'individus présentant les carac-tères définis par l'ordre. On exprime habituellement ce faiten disant que l'ordre en question s'adresse à tous les hommes.Par contre, l'ordre juridique étatique porte seulement surla conduite des individus qui vivent sur le territoire de l'Etatou sur celle des nationaux, où qu'ils vivent. On dit que lesnormes du droit étatique ne règlent la conduite que des

groupes d'hommes ainsi déterminés, que seuls ces hommeslui sont soumis; en d'autres termes, le domaine de validité

personnel de cet ordre juridique est limité à ces individus.La notion de domaine de validité objectif ou matériel se

rapporte aux différents secteurs de la conduite humaine

que l'ordre juridique peut régler : ainsi la conduite écono-

mique, la conduite religieuse, la conduite politique, etc..Des normes qui déterminent la conduite économique des

individus, on dit qu'elles règlent l'économie; des normes

qui déterminent leur conduite religieuse, qu'elles règlentla religion, etc.. On parle des différents objets de la régle-mentation, et l'on entend par là les différents secteurs dela conduite auxquels les normes se rapportent. Ce querèglent les normes d'un ordre, ce sont toujours des comporte-ments humains; seul le comportement humain peut être

réglé par des normes. Comme on l'a déjà noté, les faitsautres que de conduite humaine ne peuvent figurer dans

20 THÉORIE PURE DU DROIT

les normes qu'en connexion avec des faits de conduite

humaine, c'est-à-dire uniquement comme conditions ou

comme effets d'une conduite humaine. La notion de domaine

de validité matériel trouve application par exemple lors-

qu'un ordre juridique total se subdivise en plusieurs ordres

juridiques partiels dont les domaines de validité respectifssont délimités les uns par rapport aux autres quant aux

objets que chacun pourra régler; tel est le cas, par exemple,dans les Etats fédéraux, où les ordres juridiques des Etats-

membres ne peuvent régler que certains objets que la

Constitution énumère spécialement; l'ordre juridique de

l'Etat supérieur ou central, de « la Fédération », (qui n'est,lui aussi, qu'un ordre juridique partiel) pouvant, lui, réglertous les objets non compris dans cette énumération; ce

que le langage habituel exprime en disant que seule la

réglementation des objets spécialement énumérés rentredans la compétence des Etats-membres, la réglementationde tous autres objets rentrant dans la compétence de l'Etat

supérieur ou central. Mais le domaine de validité matérield'un ordre juridique total est toujours illimité, en tant qu'ilest de l'essence d'un tel ordre juridique qu'il puisse réglerla conduite des individus qui lui sont soumis, dans tous ses

plans ou aspects.

d) Réglementation positive et réglementation négative :ordonner, habiliter, permettre.

La conduite humaine réglée par un ordre normatif con-siste ou bien en une action définie par cet ordre ou enl'abstention d'une telle action. La réglementation de laconduite humaine par un ordre normatif a lieu soit d'une

façon positive, soit d'une façon négative.

La réglementation présente un caractère positif, toutd'abord lorsqu'une norme commande à un homme soit uneaction déterminée soit l'abstention d'une certaine action

(ce commandement d'abstention signifiant interdiction, ou

défense, de l'action visée). Dire qu'une norme objectivementvalable ordonne à un homme un certain comportementéquivaut à affirmer que cet homme est obligé au comporte-ment en question. En se conduisant de la façon que lanorme lui prescrit, cet individu exécute son obligation, ilsuit (befolgt) la norme; s'il adopte une conduite contraire,il « viole » la norme, ou, — c'est tout un — son obligation.

DROIT ET NATURE 21

Il y a également réglementation positive : en second lieu,

lorsqu'une norme confère à un individu le pouvoir de pro-

voquer au moyen d'une certaine action des conséquencesdéfinies par l'ordre normatif, en particulier

—quand l'ordre

règle sa propre création — le pouvoir de créer des normes

ou de participer à la création de normes; en troisième lieu,

lorsque l'ordre juridique qui prescrit des actes de contrainte

confère à un individu le pouvoir d'accomplir ces actes de

contrainte, dans les cas où telles ou telles conditions sont

données; et enfin lorsqu'une norme permet à un individu

d'agir d'une manière qui, de façon générale, est défendue,la norme en question vient donc limiter le domaine de vali-

dité de la norme générale d'interdiction; telle la norme quipermet aux particuliers d'user de violence envers d'autres

particuliers lorsqu'ils se trouvent en état de légitime défense,alors qu'une autre norme prohibe cet emploi de la force

de façon tout à fait générale.

Lorsque des hommes agissent comme une norme leur a

donné le pouvoir d'agir, ou lorsqu'ils se conduisent d'une

façon qui leur est positivement permise par une norme,ils appliquent la norme. Lorsque le juge habilité par la loirend sa décision —

qui constitue une norme individuelle —

en se fondant sur la loi, il applique une règle législative àun cas concret; habilité par une décision juridictionnelle àexécuter une certaine peine, l'organe d'exécution appliquela norme individuelle de la décision juridictionnelle. En

exerçant une légitime défense, on applique la norme quipermet positivement le recours à la violence en ce cas. Maisil y a également application de normes dans le jugementqui pose ou que des hommes se conduisent ou ne se con-duisent pas de la façon que leur commande ou que leur per-met positivement une norme, ou bien qu'une norme leur adonné le pouvoir d'agir de la façon dont ils agissent ou aucontraire ne le leur a pas donné.

Dans un sens extrêmement large, on peut dire de tout

comportement humain qui est prévu dans un ordre norma-tif comme condition ou comme conséquence qu'il est habilitéet qu'il est, en ce sens, réglé de façon positive par cet ordre.

La conduite humaine est réglée d'une façon négative parun ordre normatif lorsque telle action ou telle abstentionn'est ni défendue expressément par une de ses normes, ni

positivement permise par une norme spéciale dérogatoireà une norme générale de prohibition; l'action ou l'abs-

22 THÉORIE PURE DU DROIT

tention ne sont alors permises qu'en un sens purement

négatif.Cette fonction purement négative de la permission doit

être distinguée de sa fonction positive—

positive, parce que

consistant en un acte positif. Le caractère positif d'une

permission ressort d'une façon particulièrement nette dans

le cas où, une norme prohibant une certaine conduite de

façon générale, celle-ci devient par exception licite si elle

est permise ou autorisée par un organe de la collectivité

habilité à donner la permission ou autorisation. La fonction

de la permission, sa fonction négative comme sa fonction

positive, sont donc essentiellement liées à la fonction d'or-

donner. Ce n'est qu'à l'intérieur d'un ordre normatif qui

prescrit de certaines conduites humaines qu'une certaine

conduite humaine peut être permise.Le mot « erlauben », permettre, est également employé

dans le sens de « berechtigen », conférer un droit. Lorsquedans les rapports entre A et B, il est prescrit à A de suppor-ter que B se comporte d'une certaine façon, on dit qu'il est

permis à B (c'est-à-dire que B a le droit) de se comporterde cette façon. Et lorsqu'il est prescrit à A de prester à B

tel ou tel objet, on dit qu'il est permis à B (c'est-à-dire qu'ila le droit) d'obtenir de A la prestation en question. Alors,dans le premier cas, la phrase « il est permis à B de se con-duire de telle façon » a exactement la même significationque la phrase « il est ordonné à A de supporter que B se

comporte de telle façon »; et dans le second cas, le contenude la phrase « il est permis à B d'obtenir telle prestationde A » est exactement équivalent à celui de la phrase :« il est prescrit à A d'effectuer telle prestation à B ». Le« caractère permis » de la conduite de B n'est que la réflec-tion du « caractère prescrit » de la conduite de A. Ce « per-mettre » n'est pas une fonction de l'ordre normatif qui seraitdistincte de celle de « prescrire » (1).

(1) Relativement à ce «permettre» (Erlauben, — au sens de « don-ner le droit (berechtigen) », j'avais autrefois rejeté la distinction entredroit prescripteur (imperative law), et droit permissif (permissive law).— En réalité, cette distinction doit nécessairement être conservée, enconsidération des autres significations du mot «permettre (erlauben) »,en particulier lorsque sous le terme « permettre » on entend également« habiliter (ermàchtigen) », c'est-à-dire conférer un pouvoir. Cf. infra,p. 74 et s.

DROIT ET NATURE 23

e) Normes et valeurs.

Lorsqu'une norme prescrit une certaine conduite, la con-

duite effective peut soit correspondre à la norme, soit ycontredire. Elle correspond à la norme, elle y est conforme,

lorsqu'elle est telle qu'elle doit être selon cette norme; elle

contredit à la norme lorsqu'elle n'est pas telle qu'elle doit

être selon cette norme, c'est-à-dire lorsqu'elle est le con-

traire d'une conduite conforme à la norme. L'affirmation

qu'une conduite effective est telle qu'elle doit être d'aprèsune norme objectivement valable est un jugement de valeur,

plus précisément un jugement de valeur positif. Il signifie

que la conduite effective est « bonne ». L'assertion qu'uneconduite effective n'est pas telle qu'elle doit être selon

une norme valable,— étant le contraire d'une conduite

conforme à la norme —, est un jugement de valeur négatif.Il signifie que la conduite effective est « mauvaise ». Une

norme objectivement valable qui pose qu'une certaine con-duite doit avoir lieu fonde une valeur positive et une valeur

négative. La conduite accordée à la norme a une valeur posi-tive; la conduite qui y contredit a une valeur négative. Lanorme considérée comme objectivement valable joue lerôle d'étalon de valeur pour les conduites effectives. Les

jugements de valeur — les jugements qui énoncent soit

qu'une conduite effective est conforme à une norme consi-dérée comme objectivement valable et est en ce sens bonne,c'est-à-dire d'une valeur positive (wertvoll), soit qu'uneconduite effective contredit à une telle norme et est en cesens mauvaise, c'est-à-dire contraire à une valeur (wertwi-drig) —, doivent être distingués des jugements de réalité,qui énoncent, eux, que quelque chose est et ce qu'il est :ces jugements de réalité ne se réfèrent pas à des normesconsidérées comme objectivement valables, c'est-à-dire, endernier ressort, à une norme fondamentale supposée (1).

(1) Moritz SCHLICK,le fondateur de l'école philosophique du posi-tivisme logique affirme dans son écrit : Fragen der Ethik (Schriften zurwissenschaftlichen Weltauffassung t. 4, Vienne, 1930, p. 11), qu'unenorme (et en disant cela, il a en vue spécialement les normes morales)« n'est absolument rien d'autre qu'une pure et simple reproductiond'un fait de la réalité; elle indique en effet simplement les circonstancesdans lesquelles une action, ou une disposition d'esprit, ou un caractèresont effectivement qualifiés de bons, c'est-à-dire sont appréciées mora-lement. » L'édiction de normes n'est absolument rien d'autre quel'établissement de la notion du bien que l'éthique entreprend de con-naître ». En conséquence, le jugement qui déclare qu'une conduite

24 THÉORIE PURE DU DROIT

La conduite effective à laquelle se rapporte le jugementde valeur qui forme l'objet de l'appréciation de valeur

(Bewertung), cette conduite qui représente une valeur posi-tive ou une valeur négative, est un fait réel (Seins-Faktum),existant dans le temps et dans l'espace; elle est un élément

de la réalité. Seuls des faits réels peuvent, lorsqu'on les

confronte à une norme, être jugés conformes à une valeur

ou contraires à une valeur, seuls ils peuvent avoir une valeur

positive ou une valeur négative. C'est la réalité qui est l'ob-

jet des appréciations de valeur (1).En tant que les normes qui forment la base des jugements

de valeur sont posées par des actes de volonté humaine sim-

plement, et non par une volonté supra-humaine, les valeurs quien découlent ont un caractère arbitraire. Divers actes devolonté humaine peuvent créer des normes qui se contredisent

les unes les autres, en ce sens qu'elles fondent des valeurs

opposées les unes aux autres. Ce qui est bon au regardde telles normes et de telles valeurs apparaîtra mauvaisau regard de telles autres; par conséquent, les normes éta-

correspond à une norme serait un jugement sur des faits. Cette opi-nion est inexacte pour la raison que le sens de l'appréciation morale,c'est-à-dire le jugement qu'une conduite est bonne, n'est pas l'affir-mation d'un fait de la réalité, c'est-à-dire d'un Sein, mais celle d'unSollen. Si la norme indique les circonstances dans lesquelles uneconduite est bonne, elle ne détermine pas comment une conduite estréellement, mais comment elle doit être. La norme n'est pas unenotion, ou, comme dit également Schlick, une définition. La notionde quelque chose, d'un objet, énonce que, si quelque chose a les qua-lités fixées par la définition de la notion, cet objet tombe sous lanotion, c'est-à-dire qu'il est ce que la notion désigne; et s'il n'a pasces qualités, il ne tombe pas sous la notion, c'est-à-dire qu'il n'est pasce que la notion désigne. La notion n'énonce pas que quelque chosedoit (soll) avoir les qualités qui sont fixées dans la définition. Lanotion de la conduite bonne est celle d'une conduite qui est conformeà une norme. Cette notion contient trois éléments : norme, conduite,être conforme (relation entre conduite et norme). Cette notion n'énoncepas qu'une conduite doit (soll) être conforme à une norme donnée,mais uniquement que, si elle ne correspond pas à une norme donnée,elle ne rentre pas dans la notion de bonne conduite, et qu'elle n'estpar conséquent pas une bonne conduite. Que la conduite doive cor-respondre à la norme est la signification de la « norme », qui est unélément de la notion de bonne conduite, en même temps que la con-duite et la « conformité », mais ce n'est pas le sens de la notion. Laconduite est bonne, non pas parce qu'elle est conforme à la notion,mais parce qu'elle est conforme à la norme. Elle peut être contraireà la norme, elle ne peut pas être contraire à la notion.

t (1) Sur la question de savoir si les normes peuvent être l'objetd'une appréciation par des normes, en particulier sur la questionde savoir comment le droit positif peut être apprécié comme juste ou

DROIT ET NATURE 25

blies par des hommes, et non par une autorité supra-humaine,ne fondent que des valeurs relatives : une norme humaine

qui prescrit une certaine conduite est valable, en vigueur,et fonde une certaine valeur; cela n'exclut pas qu'unenorme prescrivant la conduite opposée puisse également

valoir, qui fonde par conséquent une valeur opposée. Ainsi

une norme qui défend le suicide ou bien le mensonge de

façon absolue peut valoir, tout comme peut valoir la norme

qui permet ou même prescrit le suicide ou le mensongedans certaines circonstances, — sans qu'aucune possibilitéexiste de démontrer rationnellement que seule l'une de ces

deux normes opposées peut être considérée comme valable,à l'exclusion de l'autre. On peut considérer comme valable

soit l'une soit l'autre norme; il est par contre impossiblede les considérer comme valables et l'une et l'autre à la fois.

Mais si l'on conçoit les normes qui fondent les valeurs

en prescrivant certaines conduites comme émanant d'uneautorité supra-humaine, de Dieu ou de la Nature créée parDieu, ces normes se présentent alors avec la prétentiond'exclure que des normes prescrivant des conduites opposéespuissent valoir. On nomme valeurs absolues les valeurs fon-dées par de telles normes; en opposition aux valeurs quefondent les normes posées par des actes de volonté humaine.

Toutefois, pour une théorie scientifique des valeurs, seulesentrent en ligne de compte des normes posées par des actesde volonté humaine et des valeurs fondées par elles.

Si les valeurs sont fondées par des normes objectivementvalables, si le jugement qui pose qu'une donnée réelle, uneconduite humaine effective, est « bonne », c'est-à-dire aune valeur, exprime que la conduite est conforme à unenorme objectivement valable, c'est-à-dire qu'elle devait être

(telle qu'elle a été); et si le jugement qui pose qu'une telleconduite est « mauvaise », c'est-à-dire contraire aux valeurs

exprime au contraire qu'elle contredit à une norme objec-tivement valable, c'est-à-dire qu'elle n'aurait pas dû être

(telle qu'elle a été), alors la valeur s'oppose à la réalité commele Sollen au Sein, c'est-à-dire que valeur et réalité appartien-nent à deux sphères différentes (1), de même que Sollen et Sein.

comme injuste, cf. Mon étude « Droit naturel et Justice » in Le Droitnaturel (3e volume des Annales de l'Institut de Philosophie politique,Paris, 1959).

(1) Alf Ross, Towards a Realistic Jurisprudence, Copenhague 1946,p. 42 et s., adresse au dualisme logique défendu par moi du Seinet du Sollen, de la réalité et de la valeur, des faits de Sein et des normes

3. THÉORIEPUREDUDROIT.

26 THÉORIE PURE DU DROIT

Si l'on appelle jugement de valeur la proposition qu'uneconduite humaine est en accord avec une norme objective-ment valable ou qu'elle y contredit, on doit distinguer les

jugements de valeur des normes qui fondent les valeurs.

En tant que jugements, ils peuvent être vrais ou faux,étant donné qu'ils se rapportent à des normes d'un ordre

valable ou en vigueur. L'assertion que d'après la morale

chrétienne il serait bien d'aimer ses amis et de haïr ses

ennemis serait fausse, puisqu'un précepte de cette morale

ordonne d'aimer, non seulement ses amis, mais égalementses ennemis. Le jugement qu'il serait conforme à tel sys-tème juridique de prononcer la peine de mort contre les

de Sollen, l'objection que ce dualisme est incompatible avec uneinterprétation normative de faits, avec une appréciation de la réalité.« Si le système de normes doit être du moindre intérêt pour la juris-prudence, cela doit sûrement être parce que d'une façon ou d'uneautre, il doit être susceptible d'être utilisé pour une interprétationde la réalité sociale, c'est-à-dire pour déterminer l'accord ou le désac-cord de celle-ci avec le système normatif... ». La constatation qu'unfait de Sein est conforme à une norme de Sollen ou n'y est pasconforme ne serait cependant pas possible si Sein et Sollen repré-sentaient deux domaines différents. En réalité, l'objection de Rossne porte pas. Que l'assertion que quelque chose est, ait une signifi-cation complètement autre que l'assertion que quelque chose doitêtre, et que du fait que quelque chose est, il ne suive jamais que quelquechose doit être ou ne doit pas être, de même qu'inversement, du faitque quelque chose doit être, il ne suit jamais que quelque chose doitou ne doit pas — c'est en cela que consiste le dualisme logique du Sein etdu Sollen — tout cela n'est nullement incompatible avec le fait que —,comme on l'a déjà précédemment affirmé (p. 6) —, il existe une rela-tion entre les deux. Que quelque chose puisse être tel qu'il doit être,qu'une réalité puisse avoir une valeur positive, provient de ce queun « quelque chose » qui est, en particulier une conduite effective,peut ressembler à un « quelque chose » qui doit être, en particulierà une conduite déterminée comme due dans une norme, sauf quant àla modalité qui est dans un cas Sein, dans l'autre cas Sollen. Pourréaliser la représentation d'un Sein qui est conforme à un Sollen,d'une réalité de valeur positive, il n'est point besoin d'admettre quele Sollen se laisse réduire à un Sein spécifique ou que la valeur estimmanente à la réalité. Ross pense que pour qu'entre Sein et Sollen,la relation de conformité ou accord ou de non conformité ou désaccord(agreement or disagreement), il serait nécessaire « que les deux sys-tèmes soient comparables et que, par conséquent, ils puissent avoirquelque chose en commun. » Ce qu'ils ont en commun c'est que le« quelque chose » qui doit être et qui en même temps peut être ou nepas être. De même que dans l'assertion que quelque chose est ce« quelque chose », qui est, doit nécessairement être distingué du faitd'être, du Sein qui est énoncé à son sujet, on doit dans l'assertionqu'un a quelque chose » doit être distinguer, ce « quelque chose »quidoit être, du devoir être qui en est affirmé. Cf. supra, p. 8.

DROIT ET NATURE 27

voleurs serait faux si ce système prescrit que les voleurs

doivent être punis d'une peine qui les prive de leur liberté,mais non pas de la vie. Par contre, les normes, elles, ne

sont ni vraies ni fausses; elles sont seulement valables ou

non-valables.Ce que l'on appelle en droit « jugement » —

jugementde justice

— est aussi peu un jugement au sens qu'a ce

terme en logique que la loi qu'il applique; ce « jugement »

est une norme ; plus précisément, il est une norme individuelle,une norme dont la validité est limitée à un cas concret,

par opposition aux normes générales dénommées « lois ».

La valeur qui est fondée par une norme considérée comme

objectivement valable, qui résulte du rapport d'un objetà une telle norme, est une chose; la valeur qui résulte du

rapport d'un objet au désir ou à la volonté d'un individuou de plusieurs individus portant sur cet objet est uneautre chose. Selon que l'objet s'accorde à ce désir ou à cettevolonté ou qu'il y est contraire, il a une valeur positiveou une valeur négative, il est « bon » ou il est « mauvais ».Si l'on appelle le jugement par lequel est établi le rapportd'un objet à cette volonté ou à ce désir qui portent sur luiun jugement de valeur, et si l'on déclare par suite « bon »

l'objet qui s'accorde au désir ou à la volonté, « mauvais »celui qui y contredit, ce jugement de valeur ne diffère pasd'un jugement de réalité; car il établit simplement un rap-port entre deux faits de Sein, et nullement le rapport entreun fait de Sein et une norme de Sollen objectivement valable ;il n'est donc qu'un type particulier de jugement de réalité.

Lorsqu'un sujet déclare que quelque chose est bon ou

que quelque chose est mauvais, et que, par cette assertion,il ne fait qu'exprimer directement qu'il souhaite, lui, ou ce

quelque chose, ou son contraire, l'assertion ne constitue

pas un « jugement » de valeur, parce qu'elle n'est pas unefonction de la connaissance ; elle est une fonction des compo-santes émotionnelles de la conscience; et si elle porte surla conduite d'autrui, elle exprime une approbation ou une

désapprobation émotionnelles, de même ordre que celles

que traduisent les interjections : « bravo ! » ou « à bas ! ».On peut dénommer valeur subjective la valeur qui con-

siste en la relation entre un objet, en particulier uneconduite humaine, et le désir ou la volonté portant sur luisoit d'un individu soit de plusieurs, et valeur objective,celle qui consiste en la relation entre une conduite et unenorme objectivement valable. Si le jugement qui pose qu'une

28 THÉORIE PURE DU DROIT

certaine conduite humaine est bonne signifie simplement

que cette conduite est souhaitée ou voulue par un ou plu-sieurs autres individus, et si de même le jugement qui pose

qu'une conduite humaine est mauvaise signifie simplement

que la conduite contraire est souhaitée ou voulue par un

ou par plusieurs autres individus, alors la valeur « bonne »

et la non-valeur « mauvaise » n'existent que pour celui ou

ceux qui désirent ou veulent la conduite prévue ou la con-

duite contraire — selon les cas —, elles n'existent pas

pour celui ou ceux dont la conduite est souhaitée ou voulue.

Si par contre le jugement qui pose qu'une certaine con-

duite humaine est bonne signifie qu'elle correspond à une

norme objectivement valable, et si le jugement qui pose

qu'une certaine conduite humaine est mauvaise signifie

qu'elle est contraire à une norme objectivement valable,la valeur « bonne » et la non-valeur « mauvaise » valent

pour les individus dont la conduite est ainsi jugée, ou,

plus précisément, pour tous les individus dont la norme

objectivement valable pose qu'ils doivent se comporter detelle ou telle façon, qu'eux-mêmes désirent ou veuillent ce

comportement ou son contraire. Leur conduite a une valeur

positive ou une valeur négative, non parce qu'elle est sou-haitée ou voulue,

— elle ou son contraire —, mais parcequ'elle est conforme à une norme ou qu'elle y est contraire.L'acte de volonté dont la norme est la signification objec-tive n'entre pas ici en ligne de compte.

La valeur au sens subjectif, la valeur qui consiste dansle rapport entre un objet et le désir ou la volonté d'unhomme se distingue encore de la valeur au sens objectif— celle qui consiste dans le rapport entre une conduite etune norme objectivement valable —- en ceci que la valeur

subjective est susceptible de degrés, alors que la valeur

objective ne l'est pas : le désir ou la volonté de l'individu

peuvent présenter bien des degrés d'intensité ; rien de tel pourle rapport d'une conduite à une norme objectivement valable ;il n'y a ici que deux relations possibles : ou la conduite est enaccord avec la norme, ou elle y est contraire : on ne peutpas dire que de deux conduites qui ne sont pas conformesà une norme, l'une y correspond dans une mesure supé-rieure, l'autre dans une mesure inférieure; que l'une y est

plus contraire, l'autre moins contraire (1).

(1) Si une norme prescrit une conduite qui est en réalité possibleà des degrés différents, il semblerait que l'on peut se conformer à la

DROIT ET NATURE 29

Si l'on appelle jugements de valeur objectifs, les juge-ments de valeur qui énoncent une valeur objective et juge-ments de valeur subjectifs ceux qui énoncent une valeur

subjective, il faut remarquer que les prédicats » objectif »

et « subjectif » se rapportent alors aux valeurs qui sont

énoncées, et non à la fonction de jugement en tant quefonction de la connaissance. En tant que fonction de la

connaissance, un jugement doit toujours être objectif, c'est-à-dire qu'il doit être posé sans égard à ce que peut désireret vouloir le sujet qui le pose. Ceci est parfaitement pos-sible. On peut établir la relation d'une certaine conduitehumaine à un ordre normatif, c'est-à-dire énoncer quecette conduite est conforme à l'ordre ou n'y est pasconforme, sans pour autant prendre personnellement posi-

norme à différents degrés, donc plus ou moins. Mais ceci est une illu-sion. Si une norme prescrit que le meurtre doit être puni d'un empri-sonnement de vingt ans et qu'un tribunal punissait un meurtre d'unemprisonnement perpétuel, cependant qu'un autre tribunal en puniraitun autre d'un emprisonnement de dix ans, l'un des deux jugements neserait pas plus conforme et l'autre moins conforme à la norme, aucundes deux n'y est conforme. Seuls y sont conformes les jugements quipunissent le meurtre d'un emprisonnement de vingt ans. Egalementsi une norme se contente de prescrire que le meurtre doit être punid'un emprisonnement, mais sans en fixer la durée, le jugement quipunirait un meurtre d'un emprisonnement à vie ne serait pas plusconforme à la norme à appliquer, et un jugement qui punirait unmeurtre d'un emprisonnement de vingt ou de dix ans ne serait pasmoins conforme à cette norme ; les trois jugements y seraient conformesdans une mesure exactement égale, car la norme générale remet ladétermination de la mesure de la privation de la liberté au tribunal.Le plus et le moins ne se rapportent pas à la conformité, mais à lapeine, qui peut avoir des degrés différents; et, la norme à appliquera un contenu tel que des peines de degrés différents y sont conformesexactement au même degré. — Lorsqu'une norme prescrit que tout prêtdoit être remboursé, et qu'un débiteur qui a reçu un prêt de 1.000 nerembourse que 900, il ne se conforme pas moins à la norme que s'ilrembourse 1.000, il ne s'y conforme pas, il n'exécute pas son obliga-tion de rembourser le prêt reçu. Ce qui est « moins », ce n'est pas laconformité, mais la somme d'argent. Et si le débiteur rembourse 1.000,il ne se conforme pas « plus » à la norme qui l'oblige que lorsqu'ilrembourse 900; c'est lorsqu'il rembourse 1.000, et seulement lorsqu'ilrembourse 1.000, qu'il se conforme à cette norme, qu'il exécute sonobligation. Tout de même, si le débiteur paie 1.100, par suite d'uneerreur ou pour tout autre motif quelconque, il ne se conforme pas« plus » à la norme, que lorsqu'il rembourse 1.000. Car, en payantles 100 de trop, il agit en dehors du domaine de validité de la normequ'il doit observer. Ce qui est « plus », ce n'est pas le degré de confor-mité, c'est la somme d'argent payée. En rapportant le plus ou lemoins au point de la conformité à la norme, on commet une fautelogique.

30 THÉORIE PURE DU DROIT

tion à l'égard de cet ordre, sur un plan affectif c'est-à-

dire sans l'approuver ou le désapprouver. La réponse à la

question de savoir si d'après la morale chrétienne il est

bien d'aimer ses ennemis peut et doit être donnée, et par

conséquent les jugements de valeur corrélatifs peuvent et

doivent être portés sans égard au fait que celui qui a à

répondre à la question et par conséquent à porter les juge-ments approuve ou n'approuve pas le précepte en cause.

A la question de savoir si d'après tel droit positif la peinede mort doit être prononcée contre les assassins et si en

conséquence la condamnation à mort d'un assassin est unevaleur positive au sens de ce droit, on peut et on doit

répondre sans égard au fait que, personnellement, on

approuve ou l'on désapprouve la peine de mort. Alors etalors seulement, ce jugement de valeur est objectif.

Quant aux jugements qui énoncent une valeur subjec-tive, c'est-à-dire le rapport entre un certain objet, en par-ticulier un acte de conduite humaine, et ce que désirent ouveulent un individu ou plusieurs individus relativement àcet objet, ils sont objectifs dans la mesure où les sujets quiles portent le font sans égard au fait qu'eux-mêmes sou-haitent ou veulent l'objet ou son contraire, au fait qu'ilsapprouvent ou désapprouvent la conduite en cause, maisétablissent simplement le fait que soit un individu soitnombre d'individus désirent ou veulent l'objet ou son

contraire, et en particulier approuvent ou désapprouventune certaine conduite.

On vient donc d'établir une profonde distinction entredeux catégories de jugements de valeur : ceux qui énoncentune valeur objective en établissant la relation d'une cer-taine conduite humaine à une norme considérée comme

objectivement valable, et qui sont par conséquent essen-tiellement différents des jugements de réalité; et ceux quiénoncent une valeur subjective en établissant la relationd'un objet, et en particulier d'une conduite humaine, aufait qu'un individu ou nombre d'individus souhaitent ouveulent cet objet ou son contraire, en particulier qu'ilsapprouvent ou désapprouvent une certaine conduite

humaine, et ces jugements ne sont donc qu'une espèceparticulière de jugements de réalité.

Toutefois, certains critiquent cette distinction, en lui

objectant que les jugements de valeur du premier typeseraient eux aussi des jugements de réalité. Car les normes

qui constituent la base des jugements de valeur seraient

DROIT ET NATURE 31

soit édictées par un acte de commandement humain soit

créées par la coutume, c'est-à-dire en tout cas posées pardes faits appartenant à la réalité empirique. La relation

entre un fait, en particulier entre une conduite effective,et une norme ne représenterait par suite, elle aussi, qu'unerelation entre des faits de la réalité empirique.

— Cette

objection n'est pas valable : elle méconnaît ce point quel'acte de commandement ou la coutume en tant que faits

et la norme qui est créée par ces faits sont deux choses

différentes : là, un fait; ici, une signification (Sinngehalt), et

que par suite le rapport d'une conduite effective à une

norme, d'une part, et le rapport de cette conduite au fait

positif qui porte cette norme comme signification sont deux

rapports différents. Il est parfaitement possible d'avancer

une assertion sur la relation d'une conduite à la norme

qui prescrit cette conduite sans prendre du tout en consi-

dération les faits — acte de commandement ou coutume —

par lesquels la norme a été créée. Tel est très manifeste-

ment le cas lorsqu'il s'agit de normes dont la création

remonte à une époque déjà ancienne, de normes qui furent

posées par des actes d'individus qui sont morts et oubliés

depuis longtemps déjà, en particulier lorsqu'il s'agit de

normes qui ont vu le jour par une coutume de générations

disparues : ces normes ne sont plus présentes à la conscience

des individus dont elles règlent la conduite qu'en tant quecontenus significatifs. Quand une certaine conduite est jugéemoralement bonne ou moralement mauvaise —

parce qu'elleest conforme ou qu'au contraire elle contredit à une norme

morale considérée comme valable —, on n'a le plus souvent

pas du tout conscience de la coutume de laquelle est née

la norme morale qui forme la base du jugement. Mais avant

tout, il faut remarquer que les actes par lesquels sont créées

des normes juridiques n'entrent en ligne de compte, du

point de vue juridique, qu'en tant qu'ils sont réglés par des

normes juridiques, et que la norme fondamentale, qui est

l'ultime fondement de la validité de ces normes, n'est même

pas créée par un acte de volonté, mais est supposée dansla pensée juridique (1).

On appelle également valeur la relation qui existe entreun certain objet, en particulier une conduite humaine, etun certain but. La convenance ou adéquation au but (Zweck-

(1) Sur la différence entre poser une norme et supposer une normecf. infra, p. 60 sq., et 255 sqq.

32 THÉORIE PURE DU DROIT

mâssigkeit)— on dira encore parfois l'opportunité — est

la valeur positive; la contrariété ou non-convenance au

but, l'inopportunité, est la valeur négative. Par « but »,on peut entendre soit un but objectif, soit un but subjectif.Un but objectif est un but qui doit être réalisé, c'est-à-dire

qui résulte d'une norme considérée comme objectivementvalable. C'est un but qui est assigné à la nature en général,ou à l'homme en particulier, par une autorité surnaturelleou supra-humaine. Un but subjectif est un but qu'unhomme s'assigne à lui-même, qu'il souhaite de réaliser.La valeur qui réside dans le fait de répondre au but estdonc identique à la valeur qui consiste dans le fait de

répondre à la norme, ou à la valeur qui consiste dans lefait de répondre au désir.

Si l'on fait abstraction du fait que ce qui représente lebut visé est ou objectivement obligatoire ou subjectivementsouhaité, le rapport de moyen à but se présente comme un

rapport de cause à effet. Dire que tel acte est adéquat àtel but signifie que l'acte est propre à réaliser le but, c'est-à-dire à provoquer comme effet la réalisation ou obtentionde ce qui représente le but. Le jugement que quelque chose

est, en ce sens, opportun peut être soit un jugement devaleur objectif, soit un jugement de valeur subjectif, selonle caractère objectif ou le caractère subjectif du but. Maisun tel jugement de valeur n'est possible que si l'on sait

qu'un rapport de causalité existe entre les faits envisagéscomme moyens et les faits envisagés comme buts. Ce n'est

que lorsque l'on a reconnu qu'entre A et B existe le rapportde cause à effet, que A est la cause de B, B l'effet de A,que l'on peut parvenir au jugement de valeur (subjectifou objectif) : si B est souhaité comme but ou est assignécomme but par une norme, A convient, A est opportun.Le jugement concernant le rapport entre A et B n'est un

jugement de valeur —subjectif ou objectif

—qu'unique-

ment dans la mesure où B est supposé comme but subjectif(c'est-à-dire souhaité) ou comme but objectif (c'est-à-direprescrit par une norme) (1).

(1) On présente parfois le rapport de moyen à fin comme un « Sol-len ». Henry SIDGWICK,The metlwds of Ethics, 6e éd., Londres, 1901,p. 37, dit : « la notion du « devoir (ought) » ... demeure dans 1' « impé-ratif hypothétique », qui prescrit les moyens les plus appropriés àune fin que nous avons décidé d'atteindre. Si, par exemple, un médecindéclare : « si vous souhaitez être en bonne santé, vous devez vous levertôt », il ne dit pas la même chose que s'il affirmait : « se lever tôt est

DROIT ET NATURE 33

5. — L'ORDRE SOCIAL.

a) Ordres sociaux statuant des sanctions.

La conduite des hommes se rapporte tantôt à un ou à

plusieurs autres hommes, tantôt aux animaux, aux plantesou aux objets inanimés : l'homme se conduit d'une certaine

façon à l'égard d'un ou de plusieurs autres hommes; il se

conduit également de telle ou telle façon à l'égard des ani-

maux, des plantes et des objets inanimés.

Entre la conduite d'un homme et un autre — ou d'autres

une condition indispensable pour parvenir à la bonne santé ». Cettedernière proposition exprime une relation entre faits physiologiquessur laquelle la première est fondée; mais ce n'est pas seulement cetterelation entre faits que le mot «devoir » introduit; il implique aussi qu'ilest déraisonnable d'adopter une fin et de refuser d'adopter les moyensnécessaires à l'atteindre ». En vérité le mot « ought », dans la phrasecitée par SIDGWICKcomme exemple ne peut pas signifier « sollen »dans le même sens où une norme de la morale prescrit une certaineconduite comme devant être suivie. Le mot anglais « ought » est utiliséaussi dans le même sens que l'allemand « mûssen » (devoir nécessai-rement). En allemand, on dit — de façon plus exacte : qui veut lafin doit nécessairement vouloir le moyen. Ce « mûssen » exprime lanécessité causale qui est incluse dans le rapport entre le moyen, entant que cause, et la fin, en tant qu'effet. L'affirmation de SIDGWICKque la proposition : si tu veux être en bonne santé, tu dois — dusollst, — te lever tôt, (il serait plus exact de dire : du musst, il fautque tu te lèves tôt) a un autre sens que la proposition : « se lever tôt estune condition indispensable de la santé », cette affirmation n'est pasexacte. Le « ought » de la première phrase n'exprime pas non plusle caractère déraisonnable de la conduite de celui qui veut être enbonne santé et qui refuse de se lever tôt et par conséquent le caractèreraisonnable de celui qui, voulant être en bonne santé, accepte de selever tôt. Ceci ne serait le cas que si, du fait que quelque chose estvoulu comme but, il suivait logiquement que l'on veut le moyenapproprié; mais précisément affirmer cela serait un sophisme. Dufait que l'on veut un but, il ne suit pas que l'on veuille le moyenapproprié ni que l'on doive vouloir normativement le moyen. La normeque l'on doit vouloir le moyen ne peut pas résulter du fait positifque l'on veut le but; elle ne pourrait suivre que de la norme selonlaquelle on doit vouloir le but. SIDGWICKidentifie le devoir moralavec le caractère raisonnable; il admet qu'agir moralement bien estsynonyme d'agir raisonnablement, et qu'agir d'une façon morale-ment mauvaise est synonyme d'agir déraisonnablement. Il parle«d'actions que nous jugeons être correctes et d'action qui devraient êtrefaites parce qu'elles sont raisonnables » et dit « que la conduite mau-vaise est essentiellement irrationnelle ». Cette identification est laconséquence de ce qu'il accepte l'idée de la raison pratique, qui pres-crirait comment nous devons agir (op. cit., p. 23 sqq.). Sur le caractèreinsoutenable de la notion de raison pratique, cf. mon étude citée supra,p. 24, n° 1.

34 THÉORIE PURE DU DROIT

hommes —, il peut y avoir soit un rapport direct soit un

rapport indirect seulement. Le meurtre est un exempledu premier cas : acte du meurtrier envers l'assassiné, il

constitue une relation directe d'homme à homme. Par

contre, la destruction d'un objet précieux est, directement,conduite à l'égard d'une chose, indirectement, action à

l'égard des individus qui sont intéressés à l'objet, en par-ticulier de son propriétaire.

Un ordre normatif qui règle la conduite humaine en tant

qu'elle a rapport à d'autres hommes, directement ou indi-

rectement, est un ordre social. La morale et le droit sont de

semblables ordres sociaux. Tout au contraire, la logique a

pour objet un ordre normatif qui n'a pas de caractère

social : les actes de pensée de l'homme que règlent les

normes de cet ordre ne se rapportent pas à d'autres hommes;on ne peut pas dire que l'on pense « envers » un autre homme,de la même façon que l'on dit que l'on agit envers un autrehomme.

La conduite qu'un homme adopte à l'égard d'un autreou de plusieurs autres hommes peut être soit nuisible, soitutile à ces hommes. Si l'on envisage les choses d'un pointde vue psycho-sociologique, la fonction de tout ordre socialest de provoquer une certaine conduite des hommes quilui sont soumis, d'inciter ces hommes soit à s'abstenir decertains actes qui sont pour tels ou tels motifs considéréscomme nuisibles socialement, c'est-à-dire pour les autres

hommes, soit au contraire à accomplir certains actes quisont tenus pour socialement utiles. Cette fonction de moti-vation est remplie par les représentations des normes quiordonnent ou interdisent certains actes humains.

Les façons différentes dont ils prescrivent ou prohibentpermettent de distinguer parmi les ordres sociaux plusieurstypes qui sont à vrai dire des types idéaux, et non des typesmoyens.

Certains ordres sociaux prescrivent une certaine conduitehumaine sans attacher aucune conséquence à l'obéissanceou à la désobéissance à leur commandement.

D'autres, en même temps qu'ils ordonnent une certaine

conduite, y attachent l'octroi d'un avantage, une récom-

pense, ou bien attachent à la conduite contraire un désa-

vantage, une peine, au sens le plus large de ce dernierterme. — Le principe qui consiste à réagir à une certaineconduite humaine par une récompense ou par une peineest le « principe de rétribution ». On peut réunir récompense

DROIT ET NATURE 35

et peine dans la notion de sanction. Toutefois, habituelle-

ment, on n'appelle pas sanction l'attribution d'une récom-

pense, on ne reconnaît ce caractère qu'à la seule peine,c'est-à-dire au mal qui doit être infligé en conséquenced'une certaine conduite — et qui consiste dans le retrait

de certains biens, — la vie, la santé, la liberté, l'honneur,des valeurs économiques.

Enfin un troisième et dernier type d'ordre social se

caractérise par le fait qu'il ordonne une certaine conduite

précisément en attachant à la conduite contraire un désa-

vantage, une peine au sens le plus large du terme, — le

retrait de l'un des biens évoqués il y a un instant. C'est à

ce type qu'appartient l'ordre juridique. Quand on a à faire

à un semblable ordre, une conduite donnée ne peut êtreconsidérée comme prescrite

— s'il s'agit d'un ordre juri-

dique, cela signifiera : comme juridiquement prescrite—

que si et du fait que la conduite contraire est la conditiond'une sanction stricto sensu. Lorsqu'un ordre social tel quel'ordre juridique ordonne une conduite en disposant qu'unesanction interviendra au cas de conduite opposée, l'état dechoses qui en résulte se laisse décrire au moyen d'une pro-position qui affirme qu'au cas où telle conduite est réalisée,telle sanction doit intervenir. Ceci implique déjà l'idée quela conduite qui conditionne la sanction est défendue, que laconduite contraire est ordonnée. Le caractère obligatoire(gesollt) de la sanction inclut en soi la prohibition de laconduite qui est la condition spécifique de la sanction, doncla prescription de la conduite contraire. Il faut remarquer àcet égard qu'en disant ici d'une conduite qu'elle est « pres-crite » ou qu'elle est « défendue », on ne veut pas poserque cette conduite ou son contraire doive intervenir; c'estla conséquence de cette conduite qui doit intervenir, c'est-à-dire la sanction. Ainsi, ce qui « doit être », ce n'est pasla conduite ordonnée mais bien la sanction. Dire qu'uneconduite est ordonnée, c'est dire que le contraire de cetteconduite est la condition qui fait que la sanction doit êtreréalisée. Mais il faut noter que deux variantes sont pos-sibles : ou la non-exécution de la sanction est elle-même

érigée en condition d'une sanction; en ce cas, on pourra dire

que la sanction elle-même est ordonnée, qu'elle est le con-tenu d'une obligation juridique. Dans l'hypothèse contraire,on ne peut pas considérer que l'exécution de la sanctionsoit, elle aussi, prescrite; elle est simplement habilitée. Etantdonné que ceci ne peut pas aboutir à une regressio in infi-

36 THÉORIE PURE DU DROIT

nitum, la dernière sanction dans cette série ne saurait être

ordonnée; elle ne peut être qu'habilitée.Il résulte de là qu'à l'intérieur d'un semblable ordre nor-

matif, une conduite donnée peut être en ce sens à la fois« ordonnée » et « défendue », et que cette situation peut êtredécrite sans tomber dans une contradiction logique. Lesdeux propositions : A doit être, et A ne doit pas être,s'excluent l'une l'autre; il n'est pas possible que l'une etl'autre des deux normes ainsi formulées soient valables.Elles ne peuvent pas être suivies ou être appliquées toutesles deux simultanément. Mais les deux propositions « si A

est, X doit être », et « si non-A est, X doit être » ne s'excluentnullement l'une l'autre; l'une et l'autre de ces normes

peuvent parfaitement valoir en même temps; sous un ordre

juridique donné, il peut exister des situations où une sanc-tion est également attachée à deux conduites humaines

opposées; de telles situations se rencontrent effectivement,comme nous le verrons ultérieurement —. Les deux normes—

qui posent qu'une sanction doit intervenir —peuvent

valoir simultanément et être toutes deux effectivement

appliquées, parce qu'elles ne se contredisent pas, c'est-à-dire qu'elles peuvent être formulées l'une et l'autre sans

qu'il y ait en cela contradiction logique. Toutefois, il estvrai que les deux normes expriment deux tendances poli-tiques opposées l'une à l'autre; s'il n'y a pas entre ellescontradiction logique, il y a du moins conflit téléologique.Cette situation peut exister, mais elle n'est politiquementpas satisfaisante. Par suite, les ordres juridiques contiennent

généralement des dispositions en conséquence desquellesl'une des deux normes est nulle ou peut être annulée.

En tant que les maux qui jouent le rôle de sanctions —

les peines, au sens le plus large du mot — doivent être appli-qués contre le gré de ceux qu'elles vont atteindre, et entant qu'en cas de résistance elles doivent être infligées en

employant la force physique, la sanction a le caractère d'unacte de contrainte. Les ordres normatifs qui établissent desactes de contrainte à titre de sanctions, c'est-à-dire à titrede réactions contre une conduite humaine donnée, peuventêtre appelés des ordres de contrainte. Mais il se peut qu'unordre normatif prévoie des actes de contrainte qui ne cons-tituent pas une réaction contre telle conduite humaine etn'ont donc pas caractère de sanctions, mais constituent uneréaction contre des faits qui ne sont pas de conduite humaineet qui, par suite, ne peuvent pas être considérés comme

DROIT ET NATURE 37

défendus, mais que le législateur considère cependant comme

socialement indésirables ; ainsi font, nous le verrons, certains

ordres juridiques.A envisager les choses d'un point de vue psycho-socio-

logique, il apparaît que récompense ou peine sont statuées

pour que le désir de l'une ou la crainte de l'autre déter-

minent de la part des sujets la conduite socialement sou-

haitée. Mais il se peut fort bien qu'en fait ce soit sous l'empirede motifs autres que le désir d'obtenir la récompense, ou

la crainte d'encourir la peine prévues par l'ordre que les

sujets observent cette conduite, et il se peut fort bien queselon son sens immanent, un ordre normatif prescrive une

sanction contre ceux qui se seraient comportés de telle ou

telle façon, quels que soient les motifs qui les y ont déter-

minés. En ce cas, on rendra bien compte du sens de cet

ordre par une proposition du type suivant : si telle conduitea lieu, telle sanction (au sens le plus large, englobant récom-

pense et peine) doit intervenir, sans qu'il y ait à tenir comptedes motifs qui ont provoqué la conduite. Il y a plus; ilse peut même qu'un ordre normatif n'attache une récom-

pense à une conduite que sous la condition qu'elle ne soit

pas motivée par le désir d'obtenir cette récompense; telest le sens des systèmes moraux selon lesquels seuls méritentd'être honorés ceux qui veulent le bien pour lui-même, etnon pas pour obtenir cet hommage.

Il a été question dans les développements qui précèdent de« l'efficacité (Wirksamkeit) » des ordres normatifs ; il faut donc

souligner qu'un ordre qui établit des récompenses ou des

peines ne peut être dit « efficace » au sens exact et rigoureuxdu terme qu'à la condition que la conduite qui conditionnela sanction (au sens large : récompense ou peine) soit provo-quée causalement par le désir de la récompense, ou la conduite

qui évite la sanction, par la crainte de la peine. Mais en fait,l'on qualifie également un ordre d'ordre « efficace » lorsquela conduite des individus y est conforme d'une façon géné-rale, quels que soient les motifs qui déterminent cette con-duite. La notion d'efficacité a ici une signification norma-tive, et non plus causale.

b) Y a"t=il des ordres sociaux sans sanctions ?

Aux ordres sociaux qui statuent des sanctions (au sensle plus large) s'opposent de la façon la plus radicale ceux quiprescrivent certaines conduites sans y attacher de récom-

38 THÉORIE PURE DU DROIT

pense ou sans attacher à la conduite contraire une peine,c'est-à-dire les ordres sociaux qui ne mettent pas en oeuvre

le « principe de rétribution ». C'est l'opinion la plus cou-

rante que la morale serait un ordre social de ce dernier type,et qu'elle se distinguerait du droit précisément par ce trait;le droit étant, lui, un ordre qui institue des sanctions.

Ces idées appellent des réserves.

Il paraît manifeste que c'est un ordre moral sans sanctions

que prêche Jésus dans le Sermon sur la Montagne; Jésus

y rejette de la façon la plus catégorique le principe de rétri-

bution de l'Ancien Testament, — le mal pour le mal, le

bien pour le bien — : « Vous avez entendu qu'il est dit :

oeil pour oeil, dent pour dent. Mais moi je vous dis que vous

ne devez pas vous opposer au mal » [c'est-à-dire que vous

ne devez pas répondre au mal par le mal]. « Vous avez

entendu qu'il est dit : tu dois aimer ton prochain [c'est-à-dire celui qui t'aime] et haïr ton ennemi [c'est-à-dire celui

qui te hait]. Mais moi je vous dis : aimez vos ennemis... »

[c'est-à-dire : ne répondez pas au mal par le mal; faites le

bien à ceux qui vous font le mal] « Car si vous aimez ceux

qui vous aiment » [c'est-à-dire si vous ne répondez par le

bien qu'au seul bien] « quelle récompense aurez-vous ?

Est-ce que le publicain n'agit pas, lui aussi, exactement

de cette façon? » (1) C'est évidemment à une récompensecéleste que Jésus fait ici allusion. Par conséquent, même

dans ce système de morale qui est poussé au degré le plusélevé, le principe de rétribution n'est pas complètementexclu. Sans doute c'est une récompense céleste, et non pasune récompense terrestre, qui est promise à celui qui,renonçant à appliquer ce principe ici-bas, ne répond pasau mal par le mal, autrement dit : qui ne répond pas seu-lement au bien par le bien. Et les peines dans l'au-delà fontelles aussi partie de ce système qui rejette la punition ici-bas. Il ne s'agit pas d'un ordre moral sans sanctions, maisd'un ordre moral qui statue des sanctions transcendantes,d'un ordre moral religieux.

Pour juger s'il est possible qu'il existe des ordres morauxsans sanctions, il faut considérer que, lorsqu'un ordre moralordonne une certaine conduite par une de ses normes, il prescritdu même coup que les autres hommes approuvent la conduitedes sujets qui se conforment à la norme, et désapprouvent la

conduite de ceux qui l'enfreignent. Celui qui désapprouve

(1) Saint Matthieu, V, p. 38 sqq.

DROIT ET NATURE 39

la conduite morale ou celui qui approuve la conduite immo-

rale se comporte lui-même d'une façon immorale et doit,lui aussi, être désapprouvé moralement. Or l'approbationdes autres membres du groupe est, elle aussi, ressentie

comme une récompense; leur désapprobation, comme une

peine, et elles peuvent donc être interprétées comme des

sanctions. Elles sont même parfois des sanctions plus effi-

caces que d'autres formes de récompense ou de peine, car

elles satisfont ou au contraire elles portent atteinte à cet

instinct qui porte l'homme à être apprécié par autrui

(Geltungstrieb), et qui est une des composantes les plus

importantes de l'instinct de conservation.

Or, la norme morale qui ordonne une certaine conduite

et la norme morale qui prescrit de désapprouver la conduite

contraire sont essentiellement connexes et forment uneunité du point de vue de la validité. Par suite, il apparaîtdouteux qu'il soit possible de distinguer deux types d'ordres

sociaux, ceux qui instituent des sanctions et ceux qui n'eninstituent pas, les ordres sociaux sanctionnateurs et lesordres sociaux sans sanctions. Les ordres sociaux ne diffèrent

pas de ce point de vue par le fait que les uns institueraientdes sanctions, les autres non. Tous instituent des sanctions ;ce qui permet de les différencier, c'est seulement le genrede sanctions qu'ils ordonnent les uns ou les autres.

c) Sanctions transcendanteset sanctions socialement immanentes.

Les sanctions établies par un ordre social ont soit uncaractère transcendant, soit un caractère socialement imma-nent.

Sont de caractère transcendant les sanctions qui, à ce quecroient les hommes soumis à l'ordre considéré, émanentd'une instance supra-humaine. Une telle croyance est unélément caractéristique de la mentalité primitive. Le pri-mitif interprète les processus naturels qui touchent de façondirecte à ses intérêts d'après le principe de rétribution : lesévénements qui lui sont favorables lui apparaissent commeune récompense pour l'obéissance à l'ordre social établi,les événements qui lui sont défavorables, comme une peinepour l'inobservation de cet ordre social (1). D'après les

représentations religieuses de l'homme primitif, au moins

(1) Cf. infra, p. 114 sqq.

40 THÉORIE PURE DU DROIT

originairement, ce sont les âmes des morts qui récom-

pensent la conduite socialement bonne par le succès à la

chasse, par de riches récoltes, par la victoire au combat,

par la santé, par la naissance d'enfants, par une longue vie,comme elles punissent la conduite socialement mauvaise,en particulier par la maladie et par la mort. L'interpréta-tion sociale de la nature fait apparaître celle-ci comme un

ordre social normatif qui établit des sanctions. Cet ordre

a un caractère pleinement religieux. Mais cette interpré-tation normative de la nature joue encore un rôle qu'il ne

faut pas sous-estimer même au stade des religions extrême-

ment évoluées, comme par exemple la religion judéo-chré-tienne. Même l'homme civilisé d'aujourd'hui continue à se

demander instinctivement, lorsqu'il est atteint par un mal-

heur : quelle faute ai-je donc commise pour mériter cette

peine ?, et il est enclin à considérer son bonheur comme une

récompense qui lui advient parce qu'il a accompli conscien-cieusement les commandements divins. Les religions plusévoluées ne se distinguent à cet égard des religions primi-tives que par le fait qu'elles ajoutent aux sanctions qui seréalisent ici-bas ces sanctions qui ne sont décrétées que dans

l'au-delà, non plus par les âmes des morts, mais par Dieuà l'égard de ces âmes. Ces sanctions sont transcendantes,non pas seulement en ce sens qu'elles émanent d'une ins-tance supra-humaine et par conséquent supra-sociale, mais

également en ce sens qu'elles se réalisent en dehors de la

société, bien plus : en dehors du monde terrestre, dans une

sphère transcendante (1).Complètement différentes des sanctions transcendantes

sont celles que l'on peut nommer sanctions socialement

(1) L'ordre social religieux qui est édicté dans les Dix Commande-ments de l'Ancien Testament (Moïse, 2, XX) est directement édictépar une autorité transcendante, par Jéhovah Dieu. Les termes desnormes qui forment cet ordre sont présentés comme exprimés parDieu lui-même : «Et Dieu dit tous ces mots... » Mais l'acte de législationa lieu dans ce monde, car Jéhovah vient à cette fin sur le sommetdu Mont Sinaï. Cet ordre social établit des sanctions, et, plus préci-sément, des peines aussi bien que des récompenses. Jéhovah dit : « Jesuis un Dieu jaloux qui punit les méfaits des pères en la personnedes enfants jusqu'à la troisième et à la quatrième génération, qui mehaïssent; et je témoigne ma miséricorde envers de nombreux milliersd'êtres qui m'aiment et qui suivent mes Commandements. » « Tu nedois pas user mal du nom du Seigneur ton Dieu; car le Seigneur nelaissera pas impuni celui qui abuse de son nom. » « Tu dois honorerton père et ta mère aussi longtemps que tu vis sur terre dans le paysque le Seigneur, ton Dieu, t'a donné. »

DROIT ET NATURE 41

immanentes, parce que d'abord elles se réalisent ici-bas,dans le cadre de la société, et qu'en outre elles sont réalisées

par des hommes, les membres de cette société. Elles peuventconsister soit simplement en approbation ou désapproba-

tion, s'exprimant de façon quelconque de la part des membres

de la société, soit en actes caractéristiques que l'ordre social

détermine de façon précise et qu'accomplissent, selon une

procédure qu'il règle, certains individus désignés par cet

ordre. Dans ce dernier cas, on peut parler de sanctions

socialement organisées. La plus ancienne sanction de cette

sorte est la vendetta, qui est pratiquée dans la société pri-mitive. La vendetta constitue dans l'ordre social primitifla réaction au meurtre d'un membre du groupe constitué

par la communauté de sang— la famille, étroite ou large

par un membre d'un autre groupe, meurtre commis soit

par un procédé naturel, soit par un procédé magique; elle

est exécutée par les membres du premier groupe contre les

membres du second. Il se pourrait bien qu'à l'origine le

meurtre à l'intérieur du groupe n'ait été sanctionné que parla sanction transcendante de la vengeance qui émane de

l'âme de l'assassiné. Mais étant donné que les âmes des

morts n'ont de pouvoir qu'à l'intérieur de leur propre groupe,le meurtre commis par un membre d'un autre groupe ne

peut être vengé que par une action positive des parentsde la victime. Seul le fait de ne pas accomplir le devoir de

vengeance est placé sous la sanction transcendante de la

vengeance exercée par l'âme de la victime. Il est très remar-

quable que cette plus ancienne des sanctions socialement

organisées ait eu originairement un caractère inter-groupal.Elle ne devient une sanction intérieure au groupe qu'à partirdu moment où la communauté sociale comprend plusieursgroupes qui reposent sur la communauté du sang, c'est-à-dire où cette communauté dépasse les limites de la simplecommunauté familiale.

Considérée sous l'angle sociologique, l'évolution religieuseapparaît caractérisée par trois éléments : centralisation del'instance supra-humaine, augmentation de son pouvoir, eten même temps augmentation de la distance qui la séparede l'homme. Les innombrables âmes des morts sont rem-

placées par un petit nombre de dieux et finalement par unDieu unique, tout-puissant et que l'on situe dans un au-delà. L'idée de rétribution domine très fortement cetteévolution ; on le voit en particulier dans le fait que, lorsque,dans la croyance des hommes, au monde d'ici-bas s'ajoute

4. THÉORIEPUREDUDROIT.

42 THÉORIE PURE DU DROIT

un monde de l'au-delà, ce monde de l'au-delà se divise en

un ciel pour les bons et un enfer pour les mauvais, confor-

mément au principe de récompense et punition.C'est un fait remarquable que, des deux sanctions corres-

pondant à l'idée de rétribution : la récompense et la peine,la seconde joue dans la réalité sociale un rôle beaucoup plusconsidérable que la première. Cela se révèle en premier lieu

dans ce fait que l'ordre social de beaucoup le plus important,le droit, se sert essentiellement de la peine. Mais un autre

fait encore le confirme de façon particulièrement claire,dans le cas des ordres sociaux qui conservent un caractère

religieux, c'est-à-dire qui sont garantis par des sanctions

transcendantes : si les primitifs respectent les prescriptionsde l'ordre social, en particulier ses très nombreuses inter-

dictions, les « tabous », c'est en première ligne parce qu'ils

craignent les maux redoutables par lesquels l'instance supra-humaine — les âmes des morts —

réagissent contre les vio-

lations de l'ordre traditionnel. Comparée à la crainte quidomine la vie des primitifs, l'espoir de récompenses n'a

qu'une importance mineure. Mais la crainte de la punitionà laquelle il faudrait s'attendre après la mort joue un

rôle de premier plan également dans la croyance religieusedes civilisés selon laquelle la rétribution divine ne se réalise

pas seulement ici-bas, mais est reportée dans un au-delà.La représentation de l'enfer comme lieu de la punition est

beaucoup plus vivante que l'image le plus souvent extrême-ment vague que l'on se fait d'une vie céleste qui doit récom-

penser la piété. Même lorsqu'aucunes limites ne lui sont

assignées, l'imagination qui réalise l'objet des souhaits n'ar-rive cependant guère qu'à créer un ordre transcendant quin'est pas essentiellement différent de l'ordre de la société

empirique.

6. — L'ORDRE JURIDIQUE.

a) Le droit, ordre de la conduite humaine.

Une théorie du droit doit avant tout déterminer la notionde son objet. Pour parvenir à une définition du droit, il estrecommandable de partir tout d'abord de l'usage linguis-tique, c'est-à-dire d'établir la signification qu'a le mot

Recht, c'est-à-dire droit, dans la langue allemande, et qu'ontses équivalents dans d'autres langues, tels que law, droit,diritto, etc..

DROIT ET NATURE 43

Il s'agit d'établir si les phénomènes sociaux que l'on

désigne par ces termes présentent des caractères communs

par lesquels on peut les distinguer d'autres phénomènes

présentant des similitudes avec eux, et si, d'autre part, ces

caractères sont suffisamment importants pour servir comme

éléments d'une notion de science sociale.

A priori, il pourrait fort bien se faire que cette enquêteaboutît à la conclusion que le mot droit ou ses équivalentsdans d'autres langues servent à désigner des objets si diffé-

rents qu'ils ne peuvent pas être réunis sous une notion

commune. En fait, tel n'est cependant pas le cas. En effet,

lorsque nous comparons les uns avec les autres les objets

qui sont qualifiés de droit chez les peuples les plus diffé-rents et aux époques les plus éloignées, il apparaît d'abord

qu'ils se présentent tous comme des ordres de la conduitehumaine. Un « ordre » est un système de normes dont l'unité

repose sur le fait que leur validité à toutes a le même fon-dement : et le fondement de la validité d'un ordre normatif

est, comme nous le verrons, une norme fondamentale de

laquelle se déduit la validité de toutes les normes apparte-nant à cet ordre. Une norme donnée est une norme juri-dique en tant qu'elle appartient à un ordre juridique, etelle fait partie d'un ordre juridique déterminé si sa validité

repose sur la norme fondamentale de cet ordre.Les normes de l'ordre juridique règlent la conduite d'êtres

humains. A vrai dire, il semble que cette affirmation ne soitexacte que pour les ordres sociaux de peuples civilisés :dans les sociétés primitives, l'ordre juridique règle égale-ment la conduite d'animaux, de plantes et même de choses

inanimées, de la même façon que la conduite des hommes.C'est ainsi que nous lisons dans la Bible (1) que le boeuf

qui a tué un homme doit être mis à mort, ceci évidemmentà titre de châtiment. Dans l'Antiquité, il existe à Athènesun tribunal particulier devant lequel se déroulait la procé-

(1) MOÏSE,2, XXI, p. 24 et s. Le passage est ainsi libellé : « Si unboeuf a porté à un homme ou à une femme des coups mortels, on doitlapider le boeuf et l'on ne doit pas manger sa viande; et ainsi le maîtredu boeuf est innocent; mais si le boeuf est devenu méchant auparavant,et si on en a informé son maître, et qu'il ne l'a pas empêché, et quelà-dessus il tue un homme ou une femme, on doit lapider le boeuf,et son maître doit mourir». Le passage se trouve dans un ensemble de dis-positions pénales sur le meurtre et sur les blessures, peu de lignesaprès les paroles : « OEil pour oeil — dent pour dent — main pourmain — pied pour pied », qui sont la formulation biblique du prin-cipe de rétribution.

44 THÉORIE PURE DU DROIT

dure dirigée contre la pierre ou la lance ou tout autre objet

par lequel un homme avait été tué —probablement de façon

non-intentionnelle ! (1). Et encore au Moyen-Age, il était

possible d'intenter une action contre un animal, par exempleun taureau, qui avait provoqué la mort d'un homme, ou

contre des sauterelles qui avaient anéanti les récoltes. L'ani-

mal accusé était condamné dans les formes du droit, et

exécuté, exactement comme un criminel humain (2). Lorsquel'ordre juridique prévoit des sanctions non seulement contredes hommes, mais également contre des animaux, cela

signifie que ce n'est pas seulement la conduite des hommes,mais également celle des animaux qui fait l'objet de com-mandements juridiques et par conséquent

— si l'on doitdire que ce qui est juridiquement prescrit est le contenud'une obligation juridique (3)

— cela signifie que, toutcomme les hommes, les animaux sont considérés commeétant obligés juridiquement à une certaine conduite. Une

réglementation juridique de ce contenu, qui apparaît absurdeà nos idées actuelles, doit être rapportée à la représentationanimiste selon laquelle les animaux et les objets inanimésaussi ont une « âme », et non pas seulement les hommes,d'où il suit qu'il n'y a pas de différence essentielle entre euxet les hommes. En conséquence, des normes juridiques sta-tuant des sanctions, c'est-à-dire des obligations juridiques,peuvent être appliquées aux animaux et aux objets aussibien qu'aux hommes.

Les ordres juridiques modernes, eux, ne règlent la con-duite que des seuls êtres humains, et non la conduite d'ani-

maux, de plantes, ou d'objets inanimés; ils ne dirigent desanctions que contre les premiers, et non contre les seconds.Mais cela n'implique cependant en aucune façon que cesordres juridiques règlent exclusivement le comportementdes hommes les uns à l'égard des autres ; cela ne les empêchenullement de régler aussi le comportement des hommes à

l'égard d'animaux, de plantes, d'objets inanimés. C'est ainsi

qu'il peut être défendu sous menace d'une peine de tuercertains animaux, soit d'une façon absolue, soit à certaines

époques, ou d'abîmer certaines espèces végétales, ou d'en-

dommager des bâtiments de caractère et valeur historiques.

(1) Cf. DÉMOSTHÈNE,Contre Aristokrates, 76; PLATON,Lois, 873;et ARISTOTE,Constitution d'Athènes, ch. 57.

(2) Cf. Karl von AMIRA,Tierslrhafen und Tierprozesse, Innsbruck,1891.

(3) Sur la notion d'obligation juridique, v. infra, p. 157 sqq.

DROIT ET NATURE 45

Des normes de ce genre ne règlent pas la conduite des ani-

maux, des plantes ou des objets inanimés qu'elles protègentde la sorte, mais la conduite des hommes contre lesquelselles dirigent la menace d'une peine.

La conduite des êtres humains qui fait l'objet de normes

juridiques peut être soit une action positive soit une absten-

tion négative. Mais en tant qu'un ordre juridique est un

ordre social, cet ordre ne règle la conduite des individus de

façon positive (1) qu'en tant qu'elle se rapporte— direc-

tement ou indirectement — à d'autres individus. Ce quiforme l'objet de cette réglementation, c'est la conduite des

hommes à l'égard d'un autre homme, ou de plusieurs autres

hommes ou de tous les autres hommes, c'est la conduite

mutuelle des hommes. Le rapport entre la conduite d'un

homme envers un autre ou plusieurs autres hommes ou

les autres hommes peut être un rapport individuel; ou un

rapport collectif. Un rapport individuel : c'est le cas de la

norme qui oblige tout homme à s'abstenir de tuer un autre

homme, ou de la norme qui oblige le débiteur à payer une

certaine somme d'argent à son créancier, ou encore de la

norme qui oblige tous les hommes à respecter la propriétéd'autrui. Un rapport collectif : à la différence de la norme

qui interdit le meurtre, la norme qui établit l'obligation auservice militaire ne règle pas la conduite des individus à

l'égard d'autres individus déterminés, mais leur conduiteà l'égard de la collectivité, c'est-à-dire à l'égard de tousles autres hommes qui sont soumis à l'ordre juridique, quifont partie de la collectivité juridique. De même de lanorme qui sanctionne pénalement la tentative de suicide.Et l'on peut interpréter également, en ce sens, comme desnormes sociales ces normes —

évoquées précédemment —

qui ont pour but la protection d'animaux, de plantes et

d'objets inanimés.Si l'autorité juridique prescrit telle conduite humaine,

c'est seulement pour la raison qu'à tort ou à raison elle latient pour précieuse pour la communauté juridique deshommes. Ce rapport à la collectivité juridique est en der-nière ligne décisif également pour cette réglementation dela conduite humaine qui est en un rapport individuel avecun autre sujet déterminé. Ce n'est pas seulement, ce n'est

peut-être même pas en première ligne l'intérêt du créancierindividuel qui est protégé par la norme juridique qui oblige

(1) Cf. supra, p. 20 sq.

46 THÉORIE PURE DU DROIT

le débiteur; c'est encore et peut-être surtout l'intérêt de la

collectivité juridique— selon les vues de l'autorité gou-

vernante — au maintien d'un certain système économique.

b) Le droit, ordre de contrainte.

Un autre caractère distinctif commun aux ordres sociaux

que l'on appelle droits, est que ce sont des ordres de con-

trainte, cette dernière expression voulant dire qu'ils réa-

gissent par un acte de contrainte à certaines circonstances

considérées comme indésirables parce que socialement nui-

sibles, en particulier à des faits de comportement humain

de cette nature. Par acte de contrainte, on entend un

mal — tel que retrait de la vie, de la santé, de la liberté,de biens économiques et autres —

qui doit être infligé à

celui qu'il atteindra, même contre son gré, et, si besoin est,en employant la force physique. Enfin, quand on dit queles actes de contrainte qui jouent le rôle de sanctions infligentun mal à ceux qui les subissent, c'est en se référant au

sentiment très général qu'ils en éprouvent. Il peut se ren-contrer des exceptions à ce sentiment : l'auteur d'un crimesouhaitera parfois, par repentir, de souffrir la peine établie

par l'ordre juridique, qu'il ressentira donc comme un bien; ouencore un individu commettra un délit afin de se voir infli-

ger la peine de prison qui y est attachée, parce que celle-cilui assure un temps gîte et nourriture. Mais ce ne sont là

que des cas très exceptionnels. On peut admettre que nor-malement les actes de contrainte qui jouent le rôle de sanc-tion sont ressentis par leurs sujets passifs comme des maux.

Voilà donc en quel sens les ordres sociaux considéréscomme des ordres juridiques sont des ordres de contraintede la conduite humaine. Ils prescrivent de certaines con-duites humaines en attachant aux conduites opposées desactes de contrainte qui sont dirigés contre ceux qui les

adopteraient (ou contre leurs proches). En d'autres termes,ils donnent à de certains individus pouvoir de diriger contred'autres individus, à titre de sanctions, des actes de con-trainte.

Les sanctions statuées par les ordres juridiques sont dessanctions socialement immanentes, et des sanctions socia-lement organisées; par le premier trait, elles diffèrent dessanctions transcendantes; par le second, des sanctions quise réduisent à une approbation ou une désapprobation.Mais il faut noter — on aura à y revenir —

que l'ordre

DROIT ET NATURE 47

juridique peut ordonner des actes de contrainte pour réa-

gir, non plus, comme on l'a envisagé jusqu'à présent, à une

certaine conduite humaine, mais à d'autres situations socia-

lement nuisibles. En d'autres termes : alors que les actes

de contrainte institués par l'ordre juridique représentent

toujours, par définition, la conduite d'individus humains,la condition à laquelle ils sont attachés n'est pas toujourset nécessairement un comportement d'êtres humains; ils

peuvent être également attachés à d'autres sortes de faits,

qui sont considérés comme socialement nuisibles, pour quel-

que raison que ce soit. Les actes de contrainte institués parl'ordre juridique peuvent (nous le verrons plus tard) être

rapportés à l'unité de l'ordre juridique, ils peuvent êtreattribués à la collectivité juridique fondée par l'ordre juri-

dique, en qualité de réaction de cette collectivité à des faitsconsidérés comme socialement nuisibles; et si ces faitsconsistent en un certain comportement humain, ils peuventêtre interprétés comme des sanctions. En affirmant que ledroit est un ordre de contrainte, on entend dire que sesnormes statuent des actes de contrainte attribuables à lacollectivité juridique. Mais non pas que dans chaque casoù ces normes viennent à exécution il y a heu de faire usagede la contrainte physique. Cette contrainte n'a à intervenir

que lorsqu'une résistance est opposée à l'exécution de ces

normes, ce qui normalement n'est pas le cas.Certains ordres juridiques modernes contiennent aussi des

normes qui prévoient des récompenses, telles que titres etdécorations. Mais ces normes ne sont nullement, ni un trait

caractéristique commun à tous les ordres sociaux reconnuscomme juridiques, ni un trait caractéristique exprimant lafonction essentielle de ces ordres sociaux. Ils ne jouentdans ces systèmes qui fonctionnent comme des ordres decontrainte qu'un rôle tout à fait subordonné. Par ailleurs,les normes qui concernent la collation de titres et de déco-rations sont en connexion étroite avec des normes qui sta-tuent des sanctions. Car ou bien le port d'un titre ou d'unedécoration, c'est-à-dire d'un emblème par quoi le sujet viseà se distinguer, n'est pas juridiquement défendu, c'est-à-dire n'est pas la condition d'une sanction, donc il est néga-tivement permis; ou bien — et ceci est le cas normal —,il est juridiquement permis de façon positive, c'est-à-direqu'il est défendu et entraîne une sanction lorsqu'il n'estpas expressément permis par un acte de collation. Alors,on ne peut définir l'état du droit que comme la limitation,

48 THÉORIE PURE DU DROIT

résultant elle-même d'une norme, de la validité d'une norme

de prohibition qui statue une sanction, c'est-à-dire en faisant

référence à une telle norme de contrainte.

En tant qu'ordre de contrainte, le droit se distingued'autres ordres sociaux. L'élément de la contrainte, c'est-à-

dire la circonstance que l'acte institué par l'ordre comme

conséquence d'une situation considérée comme socialement

nuisible doit être réalisé même contre le gré de l'individu

qu'elle doit atteindre et, en cas de résistance, par l'emploide la force physique,

— voilà le critérium décisif.

a)Le caractère de sanctions des actes de contrainte institués

par l'ordre juridique.En tant que les actes de contrainte institués par l'ordre

juridique apparaissent comme la réaction à un certain com-

portement humain par lui défini, ces actes de contrainteont le caractère de sanctions, et la conduite humaine contre

laquelle ils sont dirigés dans chaque cas a le caractère deconduite défendue, contraire au droit, le caractère de « délit »

ou d' « infraction » ; c'est le contraire de cette conduite qui doitêtre considéré comme prescrit, comme conforme au droit,c'est-à-dire la conduite qui évite l'application de la sanction.

Contrairement à ce que l'on avance parfois, l'affirmation

que le droit est un ordre de contrainte ne signifie pas qu'ilest de l'essence du droit d' « obtenir de force (erzwingen) »la conduite juridiquement régulière, ordonnée par l'ordre

juridique. Il n'est en effet pas vrai que cette conduite soitobtenue de force grâce à l'accomplissement de l'acte de

contrainte; l'acte de contrainte doit être fait précisémentlorsque ce n'est pas la conduite prescrite qui se réalise, mais toutau contraire la conduite prohibée, la conduite contraire audroit. C'est précisément en vue de cette hypothèse quel'acte de contrainte qui représente une sanction est ordonné.Ou alors entendait-on dire qu'en statuant des sanctions,le droit détermine les hommes à se conduire comme il le

prescrit du fait que le désir d'éviter ces sanctions agitcomme motif et provoque cette conduite ? En ce cas, ilfaudra répondre que cette motivation est certes une fonction

possible du droit, mais nullement une fonction nécessaire :la conduite régulière, c'est-à-dire la conduite prescrite,peut être aussi provoquée et, très souvent, est effecti-vement provoquée par d'autres motifs, tels que des repré-sentations religieuses ou des représentations morales. Lacontrainte qui se trouve dans la motivation est contrainte

psychique; et cette contrainte que la représentation du

DROIT ET NATURE 49

droit, et en particulier les sanctions établies par lui, exercent

sur les sujets qui lui sont soumis en devenant motifs d'adop-

tion de la conduite régulière et prescrite, ne doit pas être

confondue avec l'institution d'un acte de contrainte. Tous

les ordres sociaux qui sont efficaces jusqu'à un certain pointexercent une contrainte psychique, et nombre d'entre eux le

font à un degré beaucoup plus élevé encore que l'ordre juridique,

ainsi les ordres normatifs religieux. Cette contrainte psy-

chique n'est pas un trait qui distingue le droit des autres

ordres sociaux. On peut caractériser le droit comme un

ordre de contrainte, non pas du tout pour exprimer qu'ilexerce — ou plus exactement que sa représentation exerce— une contrainte psychique, mais pour exprimer ce fait

tout différent qu'il statue des actes de contrainte — retrait

de force de la vie, de la liberté, de biens économiques et

autres — comme conséquence de conditions qu'il détermine.

Ces conditions sont en première ligne, mais non pas exclu-

sivement (nous l'avons déjà observé et nous y reviendrons

plus tard), une certaine conduite humaine qui, par le fait

qu'elle est érigée en condition d'un acte de contrainte

contre l'homme qui l'observerait (ou contre ses proches),est défendue, contraire au droit, et doit être ainsi empêchée,

cependant que sera provoquée la conduite contraire, celle

qui est socialement utile, socialement souhaitée, la conduite

régulière au regard du droit.

(3) Le monopole de la contrainte de la collectivité juridique.

En gros, on peut dire que les divers ordres juridiquesprévoient tous les mêmes sortes d'actes de contrainte :il s'agit toujours du retrait, au besoin avec usagede la force, des biens que l'on a énumérés ci-dessus.Par contre, ils accusent des différences sensibles ence qui concerne les conditions auxquelles ils atta-chent ces actes de contrainte, en particulier celles quiconsistent en faits de conduite humaine, — ces faits sontle contraire de la conduite que l'on cherche à provoquerprécisément en établissant ces sanctions, et ces conditionstraduisent l'état de choses garanti par l'ordre juridique,socialement souhaité —

qui est la conduite régulière selonle droit; en d'autres termes, elles traduisent la valeur dedroit (Rechtswert) qui est fondée par les normes juridiques.C'est donc sur ces points que les différents ordres juridiquesprésentent une diversité très poussée de contenu. Si l'on

50 THÉORIE PURE DU DROIT

considère l'évolution que le droit a parcourue depuis ses

origines primitives jusqu'au stade que représente le droit

de l'Etat moderne, on peut constater, relativement à lavaleur de droit à réaliser, une certaine tendance commune

aux ordres juridiques qui ont atteint les degrés les plusélevés de l'évolution. C'est la tendance à interdire l'exercicede la contrainte physique, l'usage de la force entre indi-

vidus, dans une mesure qui va croissant avec le cours del'évolution. Cette interdiction se traduit par la prévisionde sanctions pour le cas de recours à la violence; mais lasanction elle-même est un acte de contrainte, c'est-à-direun emploi de la violence; par conséquent, l'interdiction derecours à la violence ne peut être que limitée; il faut tou-

jours distinguer entre usage de la force défendu et usagede la force permis, l'usage permis étant celui qui est habilitécomme réaction à une situation socialement indésirée, en

particulier comme réaction à une conduite humaine socia-lement nuisible, c'est-à-dire en tant que sanction, et quiest par suite attribuable à la collectivité juridique. Cettedistinction ne signifie cependant pas que l'usage de la force

qui ne présente pas des caractères que l'on vient d'indiquerdoive nécessairement être défendu par l'ordre juridique,donc contraire au droit, c'est-à-dire qu'il doive nécessaire-ment constituer un acte illicite ou délit. Dans des ordres

juridiques primitifs, il n'est pas encore vrai que soit prohibétout recours à la violence qui n'ait pas le caractère de réac-

tion, attribuable à la collectivité, à un état de choses tenu

pour socialement nuisible. Même le meurtre n'est défendu

que dans une mesure limitée : le meurtre d'un homme libremembre du groupe est bien considéré comme illicite, maisnon le meurtre des étrangers ou des esclaves. N'étant pasdéfendu, le meurtre de ces deux dernières catégories est

négativement permis, alors qu'il n'intervient pas en qualitéde sanction prévue. Toutefois, petit à petit, se fait recevoirle principe que l'usage de la force physique est défendu

lorsqu'il n'est pas—- limitation au principe de prohibition

— habilité spécialement en tant que réaction, attribuableà la collectivité juridique, à une situation considérée commesocialement nuisible. Alors, l'ordre juridique détermined'une façon exhaustive les conditions auxquelles la con-trainte physique sera exercée et les individus qui l'exerce-ront. Les individus que l'ordre juridique habilite à exercerla contrainte pouvant être considérés comme des organesde l'ordre juridique ou, — ce qui revient au même —-,

DROIT ET NATURE 51

comme des organes de la collectivité fondée par l'ordre

juridique, l'exécution des actes de contrainte par ces indi-

vidus peut être attribuée à cette collectivité (1). Alors, on

peut dire, en ce sens, que l'exercice de la contrainte est érigéen monopole de la collectivité juridique. Ce monopole de

la contrainte est décentralisé lorsque les individus qui sont

habilités à accomplir les actes de contrainte prévus parl'ordre juridique n'ont point le caractère d'organes spé-ciaux et spécialisés, c'est-à-dire, positivement, lorsque l'ordre

juridique habilite les individus qui se croient lésés par une

conduite contraire au droit d'autres individus à employercontre ceux-ci la force physique, en d'autres termes : lorsquel'ordre juridique admet qu'on se fasse justice à soi-même.

y) Ordre juridique et sécurité collective (2).

Si l'ordre juridique détermine les conditions sous les-

quelles et les individus par lesquels pourra être exercéela contrainte, c'est-à-dire utilisée la force, il protège les indi-vidus qui lui sont soumis contre cet emploi de la force

par d'autres individus.

Lorsque le degré de cette protection atteint un certain

minimum, on parle de sécurité collective, —collective,

parce que garantie par l'ordre juridique, en tant qu'ordresocial. Cette mesure minimale de protection contre l'usagede la violence, on peut admettre qu'elle existe déjà lorsquel'ordre juridique institue le monopole de la contrainte pourla collectivité; même si ce monopole demeure encore décen-

tralisé, par conséquent même si subsiste encore le principede la « justice privée » ou « auto-justice » (« Selbsthilfe »). On

peut considérer un tel état comme le degré le plus bas desécurité collective.

Mais il est aussi loisible d'entendre la notion de sécuritécollective de façon plus stricte, et de n'admettre qu'elleexiste que lorsque le monopole de la contrainte pour la col-lectivité juridique a atteint un degré minimum de centrali-

sation, en sorte que 1' « auto-justice » soit exclue, au moinsen principe. Il en est ainsi lorsque tout au moins le soinde décider s'il y a eu violation du droit dans un cas concret,

(1) Sur la question de savoir à quelles conditions un acte accomplipar un individu peut être attribué à la collectivité juridique, cf. infra,p. 200 sqq.

(2) Cf. KELSEN, Collective Security under International Law, (U.-S.Naval War Collège, International Law Studies, Washington, 1957,

52 THÉORIE PURE DU DROIT

et qui est responsable de cette violation, est retiré aux par-ties au conflit elles-mêmes et délégué à un organe spécialisé,à un tribunal indépendant; lorsque par conséquent la ques-tion de savoir si le recours à la force dans une hypothèsedonnée constitue un délit, ou, au contraire, une actionattribuable à la collectivité juridique, et spécialement une

sanction, peut être décidée de façon objective.Ainsi, il peut y avoir des degrés différents de sécurité

collective : ce degré dépend en première ligne du degréauquel est centralisée la procédure par laquelle est établiel'existence dans chaque cas concret des conditions aux-

quelles est attaché l'acte de contrainte à caractère de sanc-tion et par laquelle cet acte de contrainte sera réalisé. Lasécurité collective atteint son degré maximum lorsquel'ordre juridique institue à cet effet des tribunaux à compé-tence obligatoire et des organes exécutifs centraux qui dis-

posent des moyens de contrainte nécessaires dans unemesure telle que normalement toute résistance est vaine.Ceci est le cas dans l'Etat moderne, qui représente un ordre

juridique extrêmement centralisé.La sécurité collective vise à réaliser la paix. Car la paix

est l'absence d'emploi de la force physique, de la violence.En tant que l'ordre juridique détermine les conditions aux-

quelles et les individus par lesquels la force peut être miseen oeuvre, en tant qu'il institue le monopole de la contrainte

pour la collectivité juridique, il pacifie cette collectivité

qui repose sur lui. Mais la paix du droit est une paix sim-

plement relative : en effet, le droit n'exclut pas de façonabsolue l'usage de la force, c'est-à-dire l'exercice de lacontrainte physique par des hommes contre d'autres hommes.Le droit n'est pas un ordre sans contrainte, tel que le vou-drait un anarchisme utopique. Il établit un ordre et règle-ment de la contrainte, et en tant qu'ordre de contrainte,il est — selon la courbe de son évolution — un ordre de

sécurité, un ordre de paix.A vrai dire, on peut être plus exigeant pour admettre

que la collectivité juridique est pacifiée. De même que l'on

peut entendre la notion de sécurité collective en une accep-tion restrictive incluant une certaine centralisation du mono-

pole de la contrainte de la collectivité, de même on peutadopter l'idée que la pacification de la collectivité n'estréalisée que lorsqu'est atteint un stade supérieur de l'évo-lution du droit, celui qui comporte l'interdiction, au moinsen principe, de 1' « auto-justice », c'est-à-dire lorsqu'est

DROIT ET NATURE 53

instaurée précisément la sécurité collective au sens étroit.

En fait, aux premiers stades de l'évolution du droit, on

peut à peine parler sérieusement d'une pacification, même

simplement relative, de la collectivité juridique : il n'existe

pas de tribunaux établissant d'une façon objective s'ily a

eu emploi illégal de la force; par suite, tout individu qui se

croit lésé dans ses droits par un autre individu est habilité

à recourir à la force à titre de sanction, c'est-à-dire à titre

de réaction contre le délit dont il a été victime; mais, pareil-

lement, l'individu contre lequel est dirigée la force est

habilité à réagir à son tour en opposant la force à la force,

justifiant cette conduite comme une sanction, c'est-à-dire

comme une réaction contre un délit qu'il a lui-même subi;en ces temps, la vendetta est une institution juridique, le

duel est juridiquement permis et même juridiquement régle-menté, seul le meurtre des hommes libres membres du

groupe est considéré comme un délit, non le meurtre d'un

esclave ou d'un étranger.Une situation comparable se rencontre très longtemps sur

le plan des rapports entre Etats : le droit internationaln'interdit pas la guerre.

En présence de semblables situations, il est difficile d'affir-mer que l'état de droit soit nécessairement un état de paix,que garantir la paix soit une fonction essentielle au droit (1).Tout ce que l'on peut affirmer, c'est que telle est la tendancede son évolution. Même par conséquent si la paix devaitêtre considérée comme une valeur morale absolue ou commeune valeur commune des ordres moraux positifs

— nousverrons plus tard qu'en réalité ce n'est pas le cas —, il neserait pas juste de présenter la garantie de la paix, la paci-fication de la communauté juridique, comme la valeur moraleessentiellement inhérente au droit, comme le « minimummoral » commun à tous les ordres juridiques.

L'interdiction de tout recours à la violence manifeste latendance à l'extension du cercle des situations auxquellesl'ordre juridique attache un acte de contrainte; au cours de

l'évolution, cette tendance dépasse de beaucoup cette seule

interdiction; elle porte également sur des actions autresque le recours à la violence, et sur de simples abstentions.Si les actes de contrainte institués par l'ordre juridique appa-

(1) Ces phrases expriment une modification assez sensible des vuessur les rapports entre droit et paix qu'exprimait ma General Theoryof Law and State, p. 22 et s.

54 THÉORIE PURE DU DROIT

raissent comme une réaction à la conduite d'êtres humains

tenue pour socialement nuisible, réaction qui a pour fonc-

tion d'éviter cette conduite (prévention individuelle et pré-vention générale), ils ont le caractère de sanction en un

sens spécifique et étroit de ce mot; et le fait qu'un certain

comportement humain est érigé en condition d'une sanction

en ce sens peut se traduire par l'affirmation que cette con-

duite est juridiquement défendue, c'est-à-dire constitue un

acte illicite, un délit. Entre cette notion de la sanction et la

notion d'acte illicite, il y a corrélation. La sanction est

la conséquence de l'acte illicite; l'acte illicite (ou délit) est

une condition de la sanction. Selon les ordres juridiques

primitifs, la sanction qui réagit aux faits contraires au droit

est complètement décentralisée. Elle est abandonnée aux

individus dont les intérêts sont lésés par les actes illicites.

Ceux-ci reçoivent le pouvoir de constater que l'acte délic-

tueux défini d'une façon générale par l'ordre juridique est

donné dans un cas concret, et d'exécuter la sanction déter-

minée par l'ordre juridique. C'est le principe de 1' « auto-

justice » qui prévaut.Au cours de l'évolution, cette réaction de la sanction aux

actes illicites est centralisée dans une mesure croissante :

aussi bien la constatation des actes délictueux que l'exécu-

tion des sanctions sont réservés à des organes spécialisés,tribunaux et autorités chargées de l'exécution forcée (enentendant ce dernier terme en un sens large). Le principede 1' « auto-justice » est restreint dans toute la mesure du

possible.Mais il ne peut pas être complètement exclu. Même dans

l'Etat moderne, dans lequel la centralisation de la procé-dure de sanction atteint le degré le plus élevé, il demeure

un minimum d' « auto-justice » : la légitime défense. Mais

même certains ordres juridiques modernes extrêmementcentralisés vont au-delà de ce minimum et admettent d'autrescas où l'exercice de la contrainte physique, au lieu d'êtreréservé à des organes particuliers, est abandonné aux sujetsdirectement intéressés. Ce sont sans doute des hypothèsestrès limitées, et la doctrine ne leur a prêté à peu près aucuneattention. Un exemple en est le droit de correction que des

ordres juridiques modernes accordent encore aux parentsdans l'éducation de leurs enfants. Ce droit est limité : son

exercice ne doit pas aboutir à compromettre la santé de

l'enfant ni constituer un mauvais traitement. Mais c'est

aux parents qu'est laissé le droit de décider quels actes de

DROIT ET NATURE 55

l'enfant peuvent autoriser une correction corporelle, parce

qu'ils seront considérés comme indésirables du point de

vue pédagogique et par suite du point de vue social, — les

parents pouvant d'ailleurs déléguer le droit en questionà des éducateurs de profession.

S) Actes de contrainte qui n'ont pas le caractère de sanctions.

Dans le cours de l'évolution, — particulièrement de celle

qui conduit de 1' « Etat-juge » — ou « Etat-gendarme » —

à l'Etat-administrateur » (1), le cercle des faits auxquels est

attaché un acte de contrainte s'élargit également en tant

qu'ils ne comprend plus uniquement des actions ou des

abstentions humaines socialement indésirables mais égale-ment d'autres faits qui ne représentent pas une conduite

illicite, autrement dit un délit. On songera en premier heu aux

normes qui donnent à certains organes de la collectivité,

que l'on appelle la police, le pouvoir de priver de leur liberté

les individus soupçonnés d'avoir commis un délit, ceci afin

d'assurer la procédure juridictionnelle dirigée contre eux,

qui seule établira s'ils ont effectivement commis ce défit

dont ils sont soupçonnés. La privation de la liberté peutdonc alors être infligée à des individus, non pas parce qu'ilsont commis tel ou tel acte, mais parce qu'ils sont simple-ment soupçonnés de l'avoir commis. Les organes de policepeuvent encore être habilités par l'ordre juridique à mettredes individus en état d'arrestation à fin de protection(Schutzhaft), c'est-à-dire à les priver de la liberté pour les

protéger contre des agressions délictueuses dont ils sontmenacés. De même encore, certains ordres juridiques mo-dernes prescrivent l'internement forcé dans un asile desaliénés qui constituent un danger public, ou l'internementdans un hôpital des personnes atteintes de certaines mala-dies contagieuses. Il faut également citer l'expropriationd'autorité lorsqu'elle est requise par l'intérêt public, ladestruction d'autorité des animaux domestiques atteints decertaines maladies contagieuses, la destruction d'office desbâtiments qui menacent ruine ou afin d'éviter l'extensiond'un incendie. Enfin, le droit de certains Etats totalitairesautorise le gouvernement à enfermer dans des camps deconcentration les personnes dont la mentalité et les ten-dances, ou la religion ou la race lui sont antipathiques, et

(1) Cf. infra, p. 392.

56 THÉORIE PURE DU DROIT

à les contraindre aux travaux qu'il lui plaît, voire même

à les tuer. Si énergiquement que l'on puisse condamner de

telles mesures d'un point de vue moral, on ne peut cepen-dant les considérer comme étrangères à l'ordre juridique de

ces Etats.Dans leur aspect extérieur, ces actes représentent un

retrait, par voie de contrainte, de la vie, de la liberté, de la

propriété, à l'instar des sanctions appelées peine de mort,

peines privatives de liberté ou exécution civile. De ces sanc-

tions, ils se distinguent seulement, ainsi qu'on l'a déjà

indiqué, par le fait que le droit ne les attache pas à telle

ou telle action ou abstention d'un homme, dont la réalitéa été établie juridiquement et qui est considérée commesocialement indésirable, autrement dit : par le fait qu'ilsn'ont pas pour condition un acte illicite ou délit qui aurait

été commis par un individu et serait établi juridiquement.Un acte illicite ou délit est une certaine action ou abstentionhumaine qui, jugée socialement indésirable, est interdite

par le fait que le droit y attache ou, plus exactement attacheà sa constatation par une procédure prévue et réglée, un

acte de contrainte, en d'autres termes : par le fait quele droit érige cette action ou cette abstention en conditiond'un acte de contrainte. Seul ce fait qu'il est attaché à undélit permet de qualifier un acte de contrainte de sanction

(au sens de conséquence d'un acte illicite); et c'est seule-ment par là qu'il se distingue d'autres actes de contrainteinstitués par l'ordre juridique, qui, eux, sont la conséquencede faits autres qu'une conduite humaine et ne peuventdonc être qualifiés de sanctions (1). On peut cependantapporter une modification aux vues qui viennent d'être

exposées : il est possible de considérer certains actes decontrainte du second type comme des sanctions, si l'on

adopte une notion élargie de la sanction, qui y fait rentrer,outre les actes de réaction contre tel délit dont l'existenceest établie juridiquement, premièrement les actes de con-trainte qui sont sans doute prévus comme réactions à un

délit, mais qui peuvent intervenir alors qu'il n'est pasencore établi juridiquement que l'individu qui en est l'ob-

jet a bien commis le délit; ainsi l'arrestation par la policedes personnes soupçonnées d'un délit, — et deuxièmementles actes de contrainte qui constituent la réaction, non pas

(1) Une analyse plus précise du délit et des sanctions est dévelop-pée, cf. infra, p. 149 sqq.

DROIT ET NATURE 57

à un délit qui aurait été commis, mais à un délit dont on

estime qu'il y aurait lieu de s'attendre qu'il soit commis

dans l'avenir : tels l'internement forcé d'aliénés considérés

comme un danger public, ou l'internement dans des campsde concentration de personnes dont la mentalité et les ten-

dances, la religion ou la race sont jugés indésirables, si l'inter-

nement est une mesure destinée à empêcher ces personnes

d'agir d'une façon tenue pour nuisible à la communauté,l'autorité gouvernante les considérant, à tort ou à raison,comme susceptibles d'agir ainsi. C'est manifestement ce motif

qui est à la base des limitations de liberté auxquelles les

Etats belligérants soumettent les ressortissants des Etats

ennemis qui se trouvent sur leur territoire. Si l'on adoptecette notion élargie de la sanction, elle ne coïncide plusavec l'idée de conséquence d'un délit. La sanction, en ce

sens plus large, ne suit plus nécessairement le défit; elle

peut au contraire le précéder.Finalement, la notion de sanction peut être étendue à

tous les actes de contrainte qui sont prévus par l'ordre

juridique, si par cette notion on veut exprimer tout sim-

plement que par de tels actes, l'ordre juridique réagit à unfait ou une situation socialement indésirés et affirme cetteindésirabilité par cette réaction. Tel est bien effectivementle caractère commun à tous les actes de contrainte statues

par l'ordre juridique. Si l'on prend la notion de sanctionen ce sens extrêmement large

— où elle englobe (on y prendragarde) toute réaction à n'importe quel fait ou situationsocialement indésirables, et non plus seulement les réac-tions à un délit —, on pourra caractériser le système de

monopole de la contrainte pour la collectivité en énonçantcette alternative : la contrainte exercée par un hommecontre un autre homme est soit un délit, soit une sanction.

s) Le minimum de liberté.

En tant qu'ordre social instituant des sanctions, le droitne règle pas la conduite humaine seulement en un senspositif, c'est-à-dire en prescrivant telle conduite par le faitqu'il attache à la conduite contraire la sanction d'un actede contrainte, et défend ainsi cette conduite contraire; illa règle encore de façon négative en n'attachant pas un actede contrainte à telle conduite qu'il ne défend donc pas,ce qui signifie qu'il ne prescrit pas la conduite contraire.Une conduite qui n'est pas juridiquement défendue est juri-

5. THÉORIEPUREDUDRÇIT.

58 THÉORIE PURE DU DROIT

diquement permise, en ce sens négatif. Etant donné qu'unecertaine conduite humaine ou bien est défendue ou bienn'est pas défendue par l'ordre juridique, et que, si elle n'est

pas défendue, elle doit être considérée comme permise, on

peut considérer que toute conduite quelconque des indivi-

dus vivant sous un certain ordre juridique est réglée parcet ordre juridique

— soit dans un sens positif, soit dansun sens négatif. En tant que telle conduite est permise —

au sens négatif—

par l'ordre juridique, c'est-à-dire en tant

qu'elle n'est pas défendue par lui, les sujets de cet ordresont juridiquement libres.

La liberté que l'ordre juridique laisse aux individus de

façon négative, simplement par le fait qu'il ne leur interdit

pas une certaine conduite doit être distinguée de la liberté

que l'ordre juridique leur garantit positivement. La libertéd'un homme qui consiste en ce qu'une certaine conduitelui est permise parce qu'elle n'est pas défendue, n'est garan-tie par l'ordre juridique que dans la mesure où celui-ci

prescrit aux autres individus de respecter cette liberté, oùil leur défend d'intervenir dans cette sphère de liberté,autrement dit : dans la mesure où il défend les actes quiempêcheraient quelqu'un d'adopter la conduite qui lui est

permise en ce sens qu'elle ne lui est pas défendue. C'estseulement à cette condition que l'on peut considérer quela conduite non défendue, donc négativement permise, est

l'objet d'un droit du sujet,— droit qui est l'image réfléchie

d'une obligation correspondante (1). Seulement toutes les con-duites permises

— au sens négatif de : non défendues — nesont pas ainsi garanties par l'interdiction d'actes d'autrui

qui les empêcheraient, qui s'y opposeraient; on ne trouve

pas, au regard de toute conduite permise de cette façon,une obligation corrélative des tiers. Il se peut que telleconduite d'un individu ne soit pas défendue, et soit doncen ce sens permise par l'ordre juridique, sans que soientdéfendus les actes opposés de la part des autres individus,de sorte que cette conduite opposée est également permise.Il se peut que telle conduite d'un individu ne soit pas défen-

due, parce qu'elle ne concerne et n'affecte en aucune façond'autres hommes, ou au moins parce qu'elle n'a pas d'effetnuisible à autrui. Mais tous les actes ayant un effet nui-sible pour un tiers ne sont pas pour autant défendus. C'estainsi qu'il peut n'être pas défendu au propriétaire d'une

(1) Cf. infra, p. 170 sqq.

DROIT ET NATURE 59

maison de creuser dans un mur qui s'élève tout contre la

limite de son fonds, une ouverture dans laquelle il installe

un ventilateur; mais il se peut qu'en même temps il ne soit

pas davantage défendu au propriétaire du fonds voisin d'yédifier une maison dont un des murs colle exactement à

celui de la maison voisine qui est pourvue du trou d'aéra-

tion, de sorte que le ventilateur installé dans celle-ci ne

serve plus à rien. Dans un cas semblable, il est permis à l'un

d'empêcher ce qu'il est permis à l'autre de faire, à savoir :

amener de l'air dans l'une des pièces de sa maison grâce à

un ventilateur. Si une certaine action d'un individu est

permise—

négativement— en même temps qu'est égale-

ment permise l'action d'un autre individu qui s'oppose à

la première, il est possible que surgisse un conflit contre

lequel l'ordre juridique ne prend aucune mesure, puisqu'ilne cherche pas à prévenir ce conflit, comme il le fait pour

d'autres, en défendant l'une des conduites opposées ou, en

d'autres termes, la réalisation d'un des intérêts opposés.L'ordre juridique ne peut absolument pas tenter d'empê-cher tous les conflits possibles. Une seule chose est prohibéeà peu près sans exception par les ordres juridiques modernes :le fait de s'opposer à la conduite non-défendue d'autrui enusant de la force physique. Car le recours à la force phy-sique, c'est-à-dire l'accomplissement des actes de contrainte,est interdit en principe, sauf aux individus à qui il est

permis positivement, c'est-à-dire qui y sont habilités.De même que n'importe quel ordre social normatif, l'ordre

juridique ne peut prescrire qu'un certain nombre d'actionsou d'abstentions définies; l'homme ne peut jamais voir saliberté limitée par l'ordre juridique pour toute l'étendue deson existence, c'est-à-dire pour la totalité de sa conduiteextérieure et intérieure, de son action, de son vouloir, desa pensée et de ses sentiments. L'ordre juridique peut limi-ter la liberté de l'individu ou plus ou moins, en ordonnantou plus ou moins d'actions ou d'abstentions. Mais l'individudemeure toujours assuré d'un minimum de liberté, c'est-à-dire d'absence de liaison par le droit; il existe toujours unesphère de l'existence humaine dans laquelle n'apparaissentaucune prescription ni aucune interdiction. Même sous lesordres juridiques les plus totalitaires, il subsiste quelquechose comme une liberté inaliénable; il ne s'agit pas d'undroit naturel, inné à l'homme, mais simplement d'une consé-quence de ce fait que la possibilité pour le droit de réglerpositivement la conduite humaine est techniquement limitée.

60 THÉORIE PURE DU DROIT

Cependant, comme on l'a déjà souligné, cette sphère deliberté ne peut être considérée comme juridiquement garan-tie que dans la mesure où l'ordre juridique interdit les empié-tements dont elle pourrait faire l'objet. A cet égard, les« droits et libertés constitutionnellement garantis » sontd'une importance politique toute particulière. Ils résultentde dispositions constitutionnelles qui limitent la compétencede l'organe législatif, soit qu'elles lui refusent purement et

simplement, soit qu'elles ne lui accordent qu'à des condi-tions aggravées, le pouvoir de poser des normes qui ordonnentou des normes qui défendent aux individus certaines sortes

d'actions, telles que, par exemple, l'exercice d'un culte,l'expression d'opinions, etc.. (1).

c) Le droit en tant qu'ordre normatif.Communauté juridique et « bande de voleurs ».

On donne fréquemment pour caractéristique du droit entant qu'ordre de contrainte, le fait qu'il ordonnerait des

comportements sous la « menace (Androhung) » d'actes de

contrainte, c'est-à-dire de certains maux tels que : priva-tion de la vie, de la liberté, de la propriété, etc.. Cette for-mulation a le tort de négliger le sens normatif dans lequelles actes de contrainte en général et les sanctions en parti-culier sont institués par l'ordre juridique. Le sens d'unemenace est, en effet, qu'un certain mal sera infligé souscertaines conditions. Mais le sens de l'ordre juridique, lui,est que, telles conditions étant données, certains mauxdoivent être infligés, ou, pour user d'une formule plus géné-rale, que, dans telles ou telles conditions, certains actes decontrainte doivent être réalisés. Ceci n'est pas seulementla signification subjective des actes par lesquels le droit est

posé, c'est également leur signification objective. Et c'est

précisément pour la raison qu'on leur reconnaît cette signi-fication objective qu'ils apparaissent comme actes créa-teurs de droit, créateurs de normes ou exécutant des normes.

Là réside la différence entre les normes juridiques et descommandements qui n'ont pas le caractère de normes.Comme on l'a dit précédemment déjà, l'acte par lequel unvoleur de grand chemin ordonne à un passant de lui remettreson argent, en le menaçant d'un mal quelconque, à, subjec-tivement (c'est-à-dire dans l'esprit de l'agent), le sens d'uD

(1) Cf. infra, p. 189 sqq.

DROIT ET NATURE 61

Sollen (1). Si l'on décrit la situation créée par une sem-

blable injonction en disant qu'un individu exprime une

volonté relativement à la conduite d'un autre individu, on

ne fait que décrire l'action du premier comme un processus

réel, qui se déroule effectivement sur le plan des faits. Mais

l'acte de l'autre que l'acte de volonté du premier tend à

provoquer ne peut pas, lui, être décrit comme un processus

réel, car ce dernier n'agit pas encore, et peut-être n'agira-t-il pas ultérieurement de la façon que voulait le premier.On peut seulement dire que, selon l'intention du premier,il doit se conduire de cette façon. Sa conduite ne peut pasêtre présentée comme une conduite qui existe, qui est, réelle-

ment; si l'on veut exprimer la signification subjective de

l'injonction, on ne peut présenter la conduite en question

que comme devant être. Il faut analyser de cette façon toute

situation dans laquelle un individu exprime une volonté

touchant la conduite d'un autre individu. A cet égard,c'est-à-dire tant que l'on considère seulement la significationsubjective des actes, il n'y a aucune différence entre l'ana-

lyse de l'injonction d'un voleur de grand chemin et l'analysede l'ordre d'un organe du droit. Une différence n'apparaîtqu'à partir du moment où l'on analyse, non plus la signi-fication subjective de l'ordre qu'un individu adresse àun autre individu, mais sa signification objective. C'est alors

que nous attribuons à l'ordre de l'organe du droit la signi-fication objective d'une norme qui lie celui à qui elle s'adresse,alors que nous refusons cette signification à l'ordre du voleur.Autrement dit, nous interprétons l'ordre du premier commeune norme objectivement valable, alors que nous refusons

d'interpréter ainsi l'ordre du second. Et c'est alors quenous voyons dans la connexion établie entre la non-exécu-tion de l'ordre et un acte de contrainte, dans le second cas,simplement une « menace », c'est-à-dire l'assertion qu'un malsera infligé, alors que dans le premier cas nous interprétonscette connexion comme signifiant qu'un mal doit être infligé.En conséquence de quoi nous interprétons l'infliction effec-tive du mal dans le premier cas, comme l'application oula réalisation d'une norme objectivement valable qui instituel'acte de contrainte, alors que dans le second cas — à supposerque nous y appliquions une interprétation normative — nous

(1) Le problème de la différence entre l'Etat conçu comme unecollectivité juridique et une bande de voleurs est soulevé par saintAugustin, dans sa Civitas Dei, IV, 4.

62 THÉORIE PURE DU DROIT

voyons dans le même fait un délit, parce que nous confron-tons l'acte de contrainte à des normes que nous considéronscomme la signification objective de certains actes, — actes

que nous interprétons précisément pour cette raison commedes actes de droit.

Mais pourquoi donc prêtons-nous dans un cas à l'acte la

signification objective qui concorde avec sa signification

subjective; alors que nous ne le faisons pas dans l'autrecas ? Pour une analyse qui ne fait pas appel à des hypo-thèses (voraussetzungslos), les actes qui posent du droit n'ont

eux aussi que la signification de Sollen. Pourquoi doncadmettons-nous que, des deux actes qui ont, l'un et l'autre,la signification subjective de Sollen, il n'y a que l'un quicrée une norme objectivement valable, c'est-à-dire quioblige ? Ou, en d'autres termes : quel est le fondement de

la validité de la norme que nous considérons comme cons-tituant la signification objective de cet acte ? Telle est la

question décisive.La réponse sera fourme par l'analyse des jugements par

lesquels nous interprétons les actes comme des actes de

droit, c'est-à-dire comme des actes ayant pour significationobjective des normes; cette analyse fait apparaître l'hypo-thèse qui rend cette interprétation possible.

Partons de l'exemple, déjà évoqué dans les pages pré-cédentes, d'un jugement par lequel nous interprétons lamise à mort d'un homme par un autre comme l'exécutiond'un arrêt de condamnation à mort, et non comme unmeurtre. Ce jugement repose sur le fait que nous reconnaissonsl'acte de mise à mort comme l'exécution de la décision d'untribunal qui ordonne cette peine; c'est-à-dire que nous attri-buons àl'actedu tribunal la signification objective d'une normeindividuelle et que nous attribuons ainsi aux hommes qui fontcet acte le caractère de tribunal. Ces idées, nous les admet-tons parce que nous considérons l'acte du tribunal commel'exécution d'une loi, c'est-à-dire de normes générales ordon-nant des actes de contrainte, et que nous admettons encore

que ces normes générales sont la signification objective—

en même temps que la signification subjective— d'un acte

qui a été fait par certains hommes auxquels nous reconnais-

sons, précisément pour cette raison, le caractère d'organede la législation. Et si nous admettons cette dernière idée,c'est parce que nous considérons l'acte de législation commel'exécution de la Constitution, c'est-à-dire de normes géné-rales qui ont pour signification subjective d'habiliter préci-

DROIT ET NATURE 63

sèment ces hommes à poser des normes générales instituant

des actes de contrainte. C'est ainsi que nous reconnaissons

à ces hommes le caractère d'organe législatif. Par le fait

que nous considérons les normes qui habilitent l'organe légis-latif comme la signification objective

— en même temps

que subjective— d'un acte accompli par de certains hommes,

nous interprétons ces normes comme une Constitution.

S'agit-il d'une Constitution qui est historiquement pre-mière, ceci n'est possible que si nous supposons, c'est-à-dire

si nous admettons l'hypothèse, que l'on doit se conduire

selon la signification subjective de cet acte, que l'on doit

accomplir des actes de contrainte dans les conditions et de

la façon que déterminent les normes ainsi revêtues de la

qualité de Constitution; c'est-à-dire que si nous supposonsune norme en conséquence de laquelle l'acte à interprétercomme acte d'établissement d'une Constitution doit êtreconsidéré en effet comme un acte qui pose des normes objec-tivement valables, et les hommes qui accomplissent cet acte,considérés comme une autorité constituante. Cettenorme est — on y reviendra ultérieurement de façon plusdéveloppée (1)

— la norme fondamentale d'un ordre juri-dique étatique. Cette norme fondamentale n'est pas poséepar un acte de droit positif; l'analyse de nos jugementsjuridiques montre qu'elle est supposée, si et lorsque l'acteen question est interprété comme un acte constituant, etles actes posés sur le fondement de cette Constitution commedes actes de droit. Etablir cette hypothèse est une fonctionessentielle de la science du droit. Dans cette hypothèse setrouve l'ultime fondement de validité de l'ordre juridique,fondement qui est par essence simplement relatif et en cesens hypothétique.

En avançant ce qui précède, nous n'avons en vue qu'unordre juridique étatique ou national, c'est-à-dire dont ledomaine de validité territorial est limité à un certain espace—

que l'on appelle le territoire de l'Etat. Nous laissons decôté pour le moment le fondement de validité de l'ordrejuridique international, dont le domaine de validité territo-rial n'est pas limité de la sorte, et le rapport de cet ordrejuridique international aux ordres juridiques étatiques (2).

On a déjà évoqué précédemment l'idée que la validitédes normes, c'est-à-dire l'assertion que l'on doit se conduire

(1) Cf. infra, p. 255 sqq.(2) Cf. infra, p. 289 sqq. et 443 sqq.

64 THÉORIE PURE DU DROIT

comme elles le prescrivent, ne doit pas être confondue avec

leur efficacité, c'est-à-dire avec le fait que l'on se conduit

effectivement de cette façon; mais qu'il peut exister entre

ces deux données une relation essentielle, qu'un ordre de

contrainte qui se présente comme un ordre juridique n'est

considéré comme valable qu'à la condition qu'il soit en grosefficace. En d'autres termes : la norme fondamentale quiconstitue le fondement de validité d'un ordre juridique ne

se rapporte qu'à une Constitution qui est la base d'un ordre

de contrainte efficace. Les actes qui portent sur la conduite

d'autrui ne se voient reconnaître une signification objectiveconcordant avec leur signification subjective, et ne sont

interprétés comme des actes de droit que si la conduite effec-

tive des hommes correspond d'une façon générale à cette

signification subjective.Nous sommes, maintenant, en mesure de répondre à la

question de savoir pourquoi nous n'attachons pas à l'in-

jonction d'un bandit de grand chemin, assortie de menaces

de mort, la signification objective d'une norme obligatoire

pour le destinataire, c'est-à-dire valable, pourquoi nous

n'interprétons pas cet acte comme un acte de droit, et

pourquoi nous interprétons la réalisation de la menace

comme un délit, et non comme la réalisation d'une sanction.S'il ne s'agit que de l'acte isolé d'un individu isolé, il

ne saurait être considéré comme un acte de droit, comme

ayant sens de norme juridique, déjà pour la raison que ledroit — nous l'avons indiqué précédemment

— n'est pasune norme unique, mais un système de normes, un ordre

social, et qu'une norme particulière ne peut être considéréecomme une norme juridique qu'autant qu'elle appartient àun tel ordre. La comparaison avec un ordre juridique n'en-trerait en ligne de compte que s'il s'agissait de l'activité

systématique d'une bande organisée qui ferait régner l'in-sécurité dans un certain secteur territorial en contraignantles hommes qui y vivent, sous la menace de certains maux,à lui livrer leur argent et leurs biens. Alors, il faut dis-

tinguer l'ordre qui règle la conduite réciproque des membresde ce groupe qualifié de « bande de voleurs » de l'ordre

externe, c'est-à-dire des injonctions que les membres ou les

organes de la bande adressent à des personnes tierces enles menaçant de certains maux. Car c'est seulement à l'égardde ces tiers étrangers à la bande que l'activité du groupeapparaît comme celle d'une « bande de voleurs ». Si le volet le meurtre n'étaient pas défendus dans les rapports

DROIT ET NATURE 65

mutuels des voleurs, ceux-ci ne constitueraient pas une

collectivité, une « bande de voleurs ». Cependant, il se peut

que l'ordre interne de la bande aussi soit en bien des pointsen conflit avec un ordre de contrainte considéré comme ordre

juridique, à l'intérieur du domaine de validité territorial

duquel s'exerce l'activité de la bande de voleurs. Si l'ordre

de contrainte qui fonde cette collectivité, et qui comprendà la fois l'ordre interne et l'ordre externe n'est pas interprétécomme un ordre juridique, si sa signification subjective quel'on doit se comporter selon ses dispositions n'est pas recon-

nue comme sa signification objective aussi, ce sera pourla raison que l'on ne suppose pas une norme fondamentaleaux termes de laquelle on doit se conduire conformément àcet ordre, autrement dit : d'après laquelle la contraintedoit être exercée dans les conditions et de la façon quedétermine cet ordre. Mais pourquoi ne suppose-t-on pas unetelle norme fondamentale ? C'est là la question décisive.On ne la suppose pas, parce que ou plus exactement lorsquecet ordre n'a pas cette efficacité durable à défaut de laquelleon ne suppose pas de norme fondamentale se rapportant à

lui, et fondant sa validité objective. Il n'a manifestement

pas cette efficacité lorsque les normes de l'ordre juridiqueà l'intérieur du domaine de validité territorial duquel s'exercel'activité de la bande sont appliquées effectivement à cetteactivité traitée en conduite contraire au droit, lorsque la

liberté, voire la vie sont enlevées aux membres de la bande

par des actes de contrainte qui sont interprétés comme

peine privative de liberté, ou peine de mort, et qu'ainsi unterme est mis à l'activité de la bande. Car ceci signifie quel'ordre de contrainte considéré comme un ordre juridiqueest plus efficace que l'ordre de contrainte qui constitue labase de la bande de voleurs en tant que collectivité.

Si cet ordre de contrainte est limité dans son domainede validité territorial à un certain territoire et s'il est effi-cace à l'intérieur de ce territoire, de telle façon que lavalidité de tout ordre de contrainte semblable soit exclue,il peut très bien être considéré comme un ordre juridique,et la collectivité fondée par lui peut très bien être considéréecomme un « Etat », même si cet « Etat » développe versl'extérieur une activité qui soit criminelle au regard du droitinternational positif. C'est ce que démontre l'existence pas-sée sur la côte Nord-Ouest de l'Afrique (Algérie

— Tunisie—

Tripolitaine) de ce que l'on a appelé les Etats-pirates,Etats dont les navires ont fait régner l'insécurité en Médi-

66 THÉORIE PURE DU DROIT

terranée depuis le xvie jusqu'au début du xixe siècle (1).Ces collectivités n'étaient qualifiées de « pirates » qu'enconsidération de l'usage qu'elles faisaient de la force contre

les navires d'autres Etats, en violation du droit interna-tional. Leur ordre interne au contraire prohibait l'applica-tion mutuelle de la violence de façon efficace à un degrétel qu'était garanti ce minimum de sécurité collective quiest la condition d'une efficacité relativement durable d'unordre fondant une collectivité juridique.

La sécurité collective ou la paix est — on l'a constaté

précédemment— une fonction que les ordres de contrainte

appelés droits remplissent effectivement à un certain stadede leur développement, bien qu'à des degrés différents.Cette fonction est un fait que l'on peut constater objecti-vement. La constatation que fait la science du droit qu'unordre juridique pacifie la collectivité juridique qu'il fonden'inclut aucune sorte de jugement de valeur; en particu-lier, elle ne signifie pas la reconnaissance d'une valeur de

justice, qu'elle érigerait de la sorte en élément de la notionde droit, et qui pourrait ainsi servir de critérium pour la

distinction entre collectivités juridiques et bandes devoleurs. On n'entend pas adopter sur ce sujet l'enseignementde la théologie de saint Augustin, qui dans sa Civitas Dei,soulève la question de la différence entre ces deux objets,et s'exprime ainsi : « Que sont les empires sans justice,sinon de grandes bandes de voleurs ? Est-ce que ces bandesde voleurs sont autre chose que de petits empires ? » (CivitasDei, XIX, 22). Pour saint Augustin, il ne peut pas existerde collectivité juridique sans justice. Car « le droit ne peutpas exister là où n'existe pas la vraie justice. Ce qui se pro-duit selon le droit se produit, de fait, justement; ce qui estfait de façon injuste ne peut pas avoir lieu en vertu dudroit ». Mais qu'est-ce donc que la justice ? « La justiceest la vertu qui assigne à chacun ce qui lui revient (jusiitiaporro ea virtus est, quse sua cuique distribuit). Mais com-ment en va-t-il maintenant de la justice de l'homme quisoustrait l'homme au vrai Dieu et le soumet aux démons

impurs ? Est-ce bien là attribuer à chacun le sien ? Ou

encore, est-il juste, celui qui enlève un fonds à l'acheteuret le transmet à celui qui n'y a aucun droit ? Et celui-làest-il juste qui se soustrait lui-même au Seigneur qui l'acréé et se met au service d'esprits méchants ? » (IV, 4).

(1) Cf. Wôrterbuch des Vôlkerrechts und der Diplomatie, t. II, p. 270.

DROIT ET NATURE 67

Ce raisonnement repose sur l'idée que le droit est un

ordre de contrainte juste, et qu'il se distingue donc par ce

caractère juste de son contenu de l'ordre de contrainte d'une

bande de voleurs.

Ces idées ne peuvent être acceptées. Que la justice ne

puisse pas être le critère qui distingue le droit d'autres

ordres de contrainte, cela résulte du caractère relatif du

jugement de valeur qui affirme la justice d'un ordre social (1).Etant donné que saint Augustin ne veut reconnaître comme

juste qu'un ordre qui accorde à chacun ce qui lui revient,et que pour lui cette formule, qui est en elle-même abso-

lument creuse, inclut le fait d'accorder au Dieu vrai —

c'est-à-dire au Dieu judéo-chrétien, mais non pas aux

Dieux des Romains —, ce qui lui revient et ne revient

qu'à lui, à savoir l'adoration requise, qui s'exprime dans le

culte, un ordre qui ne répond pas à ce postulat ne peut

pas être un droit, et la communauté qu'il fonde ne peutpas être un Etat, mais seulement une bande de voleurs.Et ainsi le droit romain se voit-il dénier le caractère dedroit. Si l'on fait de la justice un critérium du droit, del'ordre juridique, parmi les ordres normatifs, les ordres decontrainte capitalistes du monde occidental ne seraient pasdes ordres juridiques du point de vue de l'idéal de justicecommuniste, de même que l'ordre de contrainte commu-niste de l'Union Soviétique ne sera pas un droit du pointde vue de l'idéal de justice capitaliste. Une science juri-dique positiviste ne peut pas accepter une notion du droit

qui conduit à de semblables conséquences. On peut jugerun ordre juridique injuste du point de vue d'une certainenorme de justice. Mais le fait que le contenu d'un ordrede contrainte efficace peut être jugé injuste n'est en toutcas pas une raison de refuser de considérer cet ordre decontrainte comme un ordre juridique. Après la victoire dela Révolution française à la fin du xixe siècle, de même

qu'après la victoire de la Révolution russe au début duxxe siècle, se manifeste clairement dans les autres Etatsla tendance à ne pas reconnaître aux ordres de contraintecréés par ces révolutions le caractère d'ordres juridiques,ni aux actes des gouvernements arrivés au pouvoir par cesrévolutions le caractère d'actes de droit —

pour la Révolutionfrançaise, parce qu'elle violait le principe de légitimitémonarchique, pour la Révolution russe, parce qu'elle abo-

(1) Cf. mon étude «Justice et Droit naturel » citée supra, p. 24, n° 1.

68 THÉORIE PURE DU DROIT

lissait la propriété privée des moyens de production. On

vit même des tribunaux des Etats-Unis d'Amérique se refu-

ser à reconnaître les actes du gouvernement révolutionnairerusse comme des actes de droit, par le motif qu'ils n'étaient

pas actes d'un Etat, mais actes d'une bande de gangsters.Aussitôt cependant que les ordres de contrainte établis parvoie révolutionnaire se révélèrent durablement efficaces, ilsfurent reconnus comme ordres juridiques, les gouvernementsdes collectivités qu'ils fondaient comme gouvernements d'un

Etat, et leurs actes comme des actes étatiques, c'est-à-dire

comme des actes de droit.

d) Obligations juridiques sans sanctions ?

Si l'on conçoit le droit comme un ordre de contrainte, laformule qui énonce la norme fondamentale d'un ordre

juridique étatique présentera un libellé de ce genre : lacontrainte doit être exercée par des hommes contre d'autres

hommes, de la façon et sous les conditions qui sont détermi-nées dans la Constitution historiquement première. Lanorme fondamentale délègue la Constitution historiquementpremière à l'effet de déterminer la procédure suivant laquelledes normes statuant des actes de contrainte seront posées.Pour être conçue objectivement comme une norme juri-dique, une norme doit ou bien être la signification subjectived'un acte qui est fait suivant cette procédure

— conformeà la norme fondamentale — et doit statuer un acte de

contrainte, ou bien avoir une connexion essentielle avecune semblable norme. Avec la norme fondamentale, on

présuppose donc la définition du droit comme un systèmede contrainte, qui est contenue en elle (1).

La définition du droit supposée avec la norme fondamen-tale a pour conséquence qu'une conduite ne peut être consi-dérée comme juridiquement ordonnée ou, ce qui revient au

même, comme contenu d'une obligation juridique, que sila conduite contraire est prévue comme condition d'un actede contrainte dirigé contre le sujet qui l'a adoptée (ou de

proches de celui-ci). Il faut cependant prendre garde qu'iln'est pas nécessaire (on l'a déjà noté) que l'acte de contrainte

(1) Mais la norme fondamentale n'est pas identique à la définitioncontenue en elle. En tant que norme, elle n'est pas une notion. (Surle rapport de ces deux concepts, cf. supra, p. 23).

DROIT ET NATURE 69

lui-même soit prescrit en ce sens; il se peut que le droit

habilite simplement à le décider et à le réaliser.

Contre la définition du droit comme un ordre de con-

trainte, c'est-à-dire contre l'inclusion de l'élément contrainte

dans la notion de droit, on fait valoir que l'on pourraitconstater que les ordres juridiques historiques contiennent :

en premier lieu, des normes qui n'instituent pas d'actes de

contrainte, des normes qui permettent une conduite ou quiconfèrent un pouvoir; en second lieu, des normes qui sans

doute prescrivent une conduite, obligent à une conduite,mais sans attacher à la conduite contraire la conséquenced'un acte de contrainte; et en particulier que la non-appli-cation des normes instituant des actes de contrainte n'est

souvent pas érigée en condition d'actes de contrainte jouantle rôle de sanctions.

La dernière de ces objections n'est pas pertinente : la

définition du droit en tant qu'ordre de contrainte peut êtremaintenue même si la norme qui institue un acte de con-

trainte n'est pas elle-même à son tour liée en une relationessentielle avec une norme qui attache une sanction au faitde ne pas ordonner ou de ne pas exécuter un acte de con-trainte dans tel ou tel cas concret, c'est-à-dire si la prévi-sion de l'acte de contrainte dans la règle ne représente pasjuridiquement, objectivement, un commandement, maisseulement une permission positive ou une attribution de

pouvoir, une habilitation (même si, dans la pensée de son

auteur, l'acte qui institue l'acte de contrainte d'une façongénérale représente un commandement).

La définition du droit comme ordre de contrainte peutêtre également maintenue à l'égard des normes qui donnentle pouvoir de faire des actes qui n'ont pas le caractèred'actes de contrainte, ou qui permettent positivement detels actes parce que ces normes sont des normes non-indé-

pendantes, du fait qu'elles sont liées par une connexionessentielle avec des normes instituant des actes de con-trainte. Les règles du droit constitutionnel offrent un exempletypique de cette catégorie de normes qui sont invoquéescomme argument contre l'inclusion de l'élément de contraintedans la notion de droit. On fait valoir que les normes dela Constitution qui règlent la procédure de la législationn'établissent aucune sanction pour le cas où elles ne sontpas observées; mais une analyse plus serrée montre que cesont des normes non-indépendantes, qui simplement déter-minent une des conditions auxquelles les actes de contrainte

70 THÉORIE PURE DU DROIT

institués par d'autres normes doivent être ordonnés et être

exécutés (1). Ce sont des normes qui attribuent à l'organede la législation le pouvoir de créer des normes, mais quin'ordonnent pas cette création de normes; et, dans cette

mesure, des sanctions n'entrent ici absolument pas en lignede compte. Supposons que les dispositions de la Constitu-

tion ne soient pas observées; il en résulte seulement qu'ilne naît pas de normes juridiques valables; les normes juri-

diques ainsi créées sont nulles ou annulables, c'est-à-dire

que la signification subjective des actes faits d'une façon

non-constitutionnelle, et par conséquent non conformes à la

norme fondamentale, n'est pas reconnue être aussi leur

signification objective, ou bien, si elle est reconnue telle àtitre provisoire, elle est ensuite annulée (2).

Le cas pratiquement le plus important de ceux dans les-

quels la doctrine traditionnelle admet l'existence d'une

norme dépourvue de sanctions et créant cependant une

obligation juridique est, en droit moderne, le cas de ce qu'onappelle les obligations naturelles. On caractérise l'obliga-tion naturelle comme l'obligation à une prestation dont

l'exécution ne peut pas être réclamée par une action en

justice et dont la non-exécution ne permet pas l'exécutioncivile. Si l'on admet néanmoins qu'il y a en ce cas obliga-tion juridique à la prestation, c'est essentiellement pourla raison que, si la prestation est effectuée volontaire-

ment, il n'est plus possible d'en réclamer la restitution pourcause d'enrichissement injuste du bénéficiaire. Mais il s'agitlà d'une interprétation tout à fait critiquable : que signifieen vérité cette dernière donnée ? Elle signifie simplementqu'une règle de droit dispose qu'en principe, lorsque le béné-ficiaire d'une prestation à laquelle le prestateur n'était pasjuridiquement obligé ne restitue pas l'objet preste, il doitêtre procédé sur demande du prestateur à une exécutioncivile sur le patrimoine de ce bénéficiaire, mais qu'excep-tionnellement toutefois cette règle de contrainte ne vaut paspour certains cas prévus par l'ordre juridique. La situationen question peut donc être analysée sans accepter l'idée

qu'on serait là en présence d'une norme fondant une obli-

gation de prestation, bien que dépourvue de sanction : elle

s'analyse comme une limitation de la validité d'une normeinstituant une sanction.

(1) Cf. infra, p. 74 sqq.(2) Cf. infra, p. 355 et 360 sqq.

DROIT ET NATURE 71

Il ne peut naturellement pas être nié qu'un législateur

peut faire — selon une procédure conforme à la norme

fondamentale — un acte qui ait pour signification subjec-tive une norme qui prescrive une certaine conduite humaine,

qu'il peut le faire sans instituer un acte de contrainte

comme sanction pour le cas d'une conduite contraire, et

sans que cependant on puisse, comme dans le cas de l'obli-

gation naturelle, présenter les faits comme consistant en la

limitation de la validité d'une norme instituant un acte de

contrainte. En ce cas, si la norme fondamentale supposée est

formulée comme une norme qui institue des actes de contrainte,il est impossible de reconnaître à l'acte en question la signi-fication objective correspondant à sa signification subjective;la norme qui est sa signification subjective ne peut pasêtre interprétée comme une norme juridique, mais doit être

considérée comme juridiquement irrelevante.Mais d'autres motifs encore peuvent faire que la signifi-

cation subjective d'un acte accompli suivant une procédureconforme à la norme fondamentale soit considérée comme

juridiquement irrelevante. Il se peut en effet qu'elle soit

quelque chose qui n'ait pas du tout le caractère d'une norme

qui ordonne ou autorise ou habilite une conduite humaine.Une loi qui a été adoptée d'une façon parfaitement consti-tutionnelle peut avoir un contenu qui ne représente pas unenorme d'aucune sorte, mais qui, par exemple, exprime unethéorie religieuse ou politique, ainsi la proposition que ledroit émane de Dieu ou que la loi est juste, ou qu'elle réa-lise l'intérêt du peuple entier. On peut en forme de loi

adoptée suivant la procédure constitutionnelle exprimer lesvoeux de la nation au chef de l'Etat pour son jubilé gou-vernemental, simplement dans l'intention de donner à cesvoeux une forme particulièrement solennelle. En tant qu'ilssont exprimés en mots, des actes faits de façon constitu-tionnelle peuvent contenir n'importe quelle signification;ils peuvent donc représenter une forme qui n'a pas néces-sairement pour matière exclusive des normes.

Dès lors que l'on définit le droit comme un système denormes, il faut reconnaître que la science du droit ne peut passe passer de la notion de contenu juridiquement irrelevant.

Le droit réglant la procédure suivant laquelle il est lui-même créé, il est naturel de distinguer cette procédureréglée par le droit, et le contenu créé suivant cette procé-dure, la forme juridique et le contenu juridique,

— et deparler d'un contenu juridique juridiquement irrelevant,

72 THÉORIE PURE DU DROIT

c'est-à-dire de quelque chose qui est en forme de droit

sans constituer une norme juridique. Dans la doc-

trine traditionnelle, cette idée s'exprime jusqu'à un

certain point dans la distinction que l'on fait entre

la loi au sens formel et la loi au sens matériel. Cette

distinction tient compte du fait qu'en forme de loi peuventêtre posées, non seulement des normes générales réglantla conduite humaine, mais également des mesures adminis-

tratives telles que l'attribution de la nationalité à une per-sonne déterminée ou l'approbation du budget de l'Etat, ou

même une condamnation pénale, si l'organe législatif jouedans certains cas le rôle de tribunal. Cependant, plutôt

que de loi au sens formel et de loi au sens matériel, il serait

plus exact de parler de forme de loi et de contenu de loi.

Toutefois, la terminologie qui consiste à opposer forme juri-

dique et contenu juridique est inexacte et même induit enerreur dans une certaine mesure : car, pour pouvoir être

interprété objectivement comme acte de droit, il ne suffit

pas que l'acte soit fait suivant une certaine procédure; ilfaut également et encore qu'il ait une certaine significationsubjective. Quelle signification, cela dépend de la défini-tion du droit que l'on suppose lorsque l'on détermine lecontenu de la norme fondamentale. Si l'on ne définit pas ledroit comme un ordre de contrainte, mais simplementcomme un ordre qui est posé conformément à la norme

fondamentale, et si l'on formule en conséquence la normefondamentale de la façon suivante : on doit, aux conditionsdéfinies par la Constitution historiquement première, seconduire de la façon qu'elle détermine, il pourrait y avoirdes normes juridiques dépourvues de sanction, c'est-à-diredes normes juridiques qui ordonneraient dans certainesconditions une certaine conduite humaine sans qu'une autrenorme institue une sanction pour le cas de non-obéissanceà la première. Alors la signification subjective des actescréés conformément à la norme fondamentale qui ne seraient

pas normes et qui ne pourraient pas être mis en relationavec des normes serait juridiquement irrelevante. Et alorsles normes posées par le législateur institué par la Consti-tution qui prescriraient une certaine conduite sans attacherà la conduite contraire la sanction d'un acte de contraintene se distingueraient des normes morales que par leur ori-

gine; et les normes juridiques nées par voie de coutumene pourraient absolument pas être distinguées des normes

morales, qui naissent elles aussi, de la coutume. Si la Cons-

DROIT ET NATURE 73

titution institue la coutume comme source de droit, la

morale toute entière est, en tant que ses normes sont effec-

tivement créées par voie de coutume, partie constitutive

de l'ordre juridique.Il suit de là qu'il faut rejeter toute définition du droit

qui ne le caractérise pas comme un ordre de contrainte.

La raison majeure étant que seul cet élément de la contrainte

permet de clairement distinguer le droit de tout autre ordre

social, et qu'avec lui, c'est un facteur extrêmement impor-tant pour la connaissance des relations sociales, un facteur

extrêmement caractéristique des ordres sociaux qualifiés de

« droits », qui est érigé en critère ; et en particulier, on prendainsi en considération la connexion qui existe, dans le cas

le plus important pour la connaissance du droit, celui du

droit étatique moderne, entre droit et Etat, cet Etat qui est

essentiellement un ordre de contrainte, et plus précisémentun ordre de contrainte centralisé et limité dans son domaine

de validité territorial (1).Dans les ordres juridiques modernes, ce n'est que très

exceptionnellement que l'on rencontre des normes qui ontla signification subjective d'actes de législation et qui pres-crivent une certaine conduite sans faire de la conduitecontraire la condition d'une sanction consistant en un actede contrainte. D'ailleurs il faut reconnaître que dans le cas

contraire, c'est-à-dire si les ordres sociaux que l'on appelledroits contenaient effectivement une proportion importanted'impératifs qui ne seraient pas en relation essentielle avecdes normes qui instituent des actes de contrainte comme

sanction, cela remettrait en question l'admissibilité d'unedéfinition du droit comme un ordre de contrainte,

— maiscette hypothèse n'est pas vérifiée par la réalité; et si, selonla prophétie du socialisme marxiste, la suppression de la

propriété privée des moyens de production devait avoir

pour conséquence de faire disparaître des ordres sociauxpositifs dénommés « droits » l'élément contrainte, cela

représenterait un changement essentiel du caractère de cesordres sociaux. Au regard de la définition du droit quel'on a acceptée ici, ils perdraient leur caractère de droits,et les collectivités fondées par eux perdraient leur caractèred'Etats; pour user de la terminologie marxiste, l'Etat« périrait » — mais avec lui « périrait » également le droit.

(1) Cf. infra, p. 378 sqq.6. THÉORIEPUREDUDROIT.

74 THÉORIE PURE DU DROIT

e) Normes juridiques non=indépendantes.

On a déjà relevé dans un passage antérieur que si unenorme prescrit une certaine conduite, et si une secondenorme institue une sanction pour le cas d'inobservationde la première, les deux normes sont essentiellement liéesl'une à l'autre.

Tel est tout particulièrement le cas lorsque— ainsi que

le fait l'ordre juridique— un ordre normatif ordonne une

certaine conduite précisément par le fait qu'il attache à laconduite contraire la sanction d'un acte de contrainte, ensorte qu'une conduite ne peut être considérée comme pres-crite au sens de cet ordre, — et par conséquent, si l'on rai-sonne sur l'ordre juridique, ne peut être considérée comme

juridiquement prescrite—

que si et du fait que la conduitecontraire doit entraîner une sanction. Si un ordre juridiquecontient, figurant par exemple dans une loi votée par le

Parlement, une norme qui prescrit telle conduite et uneautre norme qui attache une sanction à l'inobservation dela première, la première n'est pas une norme indépendante,elle est au contraire essentiellement liée à la seconde, ellene fait que déterminer — de façon négative

— la conditionà laquelle la seconde attache la sanction; et lorsque laseconde détermine positivement la condition à laquelle elleattache la sanction, du point de vue de la technique législa-tive, la première est superflue. Supposons qu'un Code civilcontienne un premier article qui dispose que le débiteurdoit rembourser au créancier, dans les termes de leur contrat,le prêt qu'il en a reçu et un second article qui dispose que,si, contrairement aux stipulations de ce contrat, le débiteurne rembourse pas au créancier la somme qu'il en a reçue en

prêt, il doit être procédé à exécution forcée sur le patri-moine du débiteur, à la demande du créancier : en ce cas,tout le contenu de la première norme se retrouve sous forme

négative dans la seconde à titre de condition. Les lois

pénales modernes ne contiennent même le plus souvent pasde normes qui, à l'instar de ce que faisaient les Dix comman-

dements, défendraient le meurtre, l'adultère ou d'autres

délits; elles se bornent à attacher des sanctions pénales àdes faits déterminés. Cela révèle très clairement que lanorme « tu ne dois pas tuer » est superflue lorsqu'est en

vigueur la norme « celui qui commet un meurtre doit être

puni »: l'ordre juridique défend précisément une certaineconduite par le fait qu'il attache à cette conduite une sanc-

DROIT ET NATURE 75

tion, ou prescrit une certaine conduite par le fait qu'ilattache une sanction à la conduite contraire.

Sont également normes juridiques non-indépendantescelles qui permettent positivement une certaine conduite;car elles ne font rien d'autre que limiter le domaine de

validité d'une norme juridique qui interdit cette conduite

en attachant à son contraire une sanction. On a déjà donné

l'exemple de la norme qui permet la légitime défense.

Cette connexion entre les deux normes ici considérées

apparaît d'une façon particulièrement claire dans la Charte

des Nations Unies : dans son article 2, paragraphe 4, la

Charte défend à tous les membres l'emploi de la force en

attachant à cet emploi de la force les sanctions établies dans

l'article 39; dans son article 51, elle permet l'emploi de la

force en tant que légitime défense individuelle ou collective,— limitant ainsi l'interdiction générale de l'article 2, para-graphe 4. Les deux articles cités forment une unité. La

Charte aurait pu se borner à édicter un seul et unique article

qui aurait défendu le recours à la force qui n'apparaîtraitpas comme une légitime défense individuelle ou collective,en attachant une sanction au recours à la force. — Autre

exemple : une norme défend la vente des boissons alcoo-

liques, c'est-à-dire y attache une peine; mais cette prohi-bition est limitée par une autre norme aux termes de laquellela vente des boissons alcooliques n'est pas défendue, c'est-à-dire n'est pas punissable, lorsqu'elle a lieu après et envertu d'une autorisation administrative. La seconde norme

qui limite le domaine de validité de la première est unenorme non-indépendante. Elle ne prend toute sa signifi-cation qu'en rapport avec celle-ci. Toutes deux formentune unité. Leurs contenus peuvent être exprimés en uneseule norme : si quelqu'un vend des boissons alcooliquessans autorisation administrative, il doit être puni. Ici, lerôle de la permission simplement négative, qui consiste ence que l'ordre juridique n'interdit pas une certaine conduite,n'entre plus en question, car la permission n'a pas lieu icipar une norme positive.

De même que certaines normes juridiques limitent ledomaine de validité d'une autre norme, certaines autresanéantissent complètement la validité d'une autre norme.Des normes abrogatoires de cette sorte sont aussi desnormes non-indépendantes : elles ne peuvent être comprisesqu'en relation avec d'autres normes qui prévoyaient desactes de contrainte.

76 THÉORIE PURE DU DROIT

Une autre catégorie encore de normes juridiques non-

indépendantes est constituée par celles qui habilitent à

se conduire d'une certaine façon; si l'on entend par« habiliter (ermachtigen) » conférer à un individu un

pouvoir spécifiquement juridique, c'est-à-dire le pouvoirde créer des normes juridiques. Ces normes d'habilitation

ne font que déterminer l'une des conditions auxquellesun acte de contrainte est attaché — dans les normes

indépendantes. Ce sont les normes qui donnent le pou-voir de créer des normes juridiques générales, les normesde la Constitution qui règlent la législation ou qui insti-tuent la coutume comme fait créateur de droit ; et les normes

qui règlent la procédure juridictionnelle ou la procédureadministrative, au moyen desquelles les normes généralescréées par la loi ou la coutume seront appliquées dans desnormes individuelles par les autorités juridictionnelles etadministratives habilitées à cet effet. Un exemple illustreracette proposition; considérons la situation qui se présentelorsque dans un ordre juridique, le vol est légalement défendu

par une peine de prison. La condition de la peine ainsi insti-tuée n'est nullement le seul fait qu'un individu a commisun délit. Il faut que le fait du délit soit établi, selon une

procédure déterminée par les normes de l'ordre juridique,par le tribunal qui en reçoit pouvoir à cet effet; il faut qu'ensuite de cette constatation, ce tribunal ordonne une peinedéterminée par la loi ou par le droit coutumier, et il fautenfin qu'un autre organe exécute cette peine. Le tribunaln'a le pouvoir de prononcer une peine contre le voleursuivant une certaine procédure que lorsqu'une norme géné-rale attachant au vol une certaine peine a été créée suivantune procédure conforme à la Constitution. La norme dela Constitution qui habilite à la création de cette norme

générale détermine l'une des conditions auxquelles la sanc-tion est attachée. Pour décrire cette situation de façoncomplète, il faut énoncer une proposition juridique telle quecelle-ci : si les individus ayant reçu pouvoir de légiférer ont

posé une règle aux termes de laquelle les voleurs doiventêtre frappés de telle peine, et si le tribunal qui en tient le

pouvoir du Code de procédure pénale a établi, selon une

procédure déterminée par ce Code, que tel individu a com-mis un vol, et si ce tribunal a ordonné la peine légalementprévue

— alors tel organe doit exécuter cette peine. Un tellibellé fait apparaître le caractère de normes non-indépen-dantes, d'abord des règles de la Constitution qui donnent

DROIT ET NATURE 77

le pouvoir de créer des normes générales en réglant l'orga-nisation et la procédure de la législation, ensuite et de même

des règles du Code de procédure pénale qui habilitent à la

création de ces normes individuelles que sont les décisions

de juridiction pénale en réglant l'organisation et la pro-cédure des juridictions pénales; l'un et l'autre de ces deux

groupes de règles ne font que déterminer des conditions

auxquelles les sanctions pénales doivent être réalisées. L'ac-

complissement de tous les actes de contrainte institués parun ordre juridique est conditionné de cette façon, même

celui de ces actes qui ne sont pas ordonnés suivant une pro-cédure juridictionnelle, mais suivant une procédure admi-

nistrative, et de ceux qui n'ont pas le caractère de sanction.

La création conforme à la Constitution des normes géné-rales à appliquer par les organes d'application du droit, et

la création conforme à la loi des normes individuelles où ces

organes ont à appliquer les normes générales, sont des

conditions de l'accomplissement des actes de contrainte, de

même ordre que l'établissement du fait du délit ou la cons-

tatation d'autres circonstances dont les normes juridiquesfont la condition d'actes de contrainte qui n'ont pas lecaractère de sanctions. Mais les normes générales qui, soustoutes ces conditions, instituent des actes de contrainte,sont, elles, des normes juridiques indépendantes, même sil'acte de contrainte n'est pas ordonné ou prescrit, faute

qu'un autre acte de contrainte soit attaché à son non-accom-

plissement. Si l'on dit que l'acte de contrainte est « habilité »,le mot « habilité (ermàchtigt) » est employé en un sens pluslarge. Il ne désigne pas alors seulement l'attribution d'un

pouvoir juridique, c'est-à-dire de la faculté de créer desnormes juridiques, mais également l'attribution de la facultéde faire les actes de contrainte prévus par les normes juri-diques. Si l'on considère également cette faculté commeun « pouvoir (Macht) », cette faculté aussi peut être désignéecomme un pouvoir juridique en ce sens plus large du mot.

Enfin, appartiennent également au groupe des normes

non-indépendantes celles qui précisent le sens d'autres

normes, par exemple en définissant une notion utilisée dansla formulation d'une autre norme, et celles qui d'une autrefaçon interprètent authentiquement une norme. Ainsi unCode pénal peut contenir un article qui déclare : « Estmeurtre toute conduite par laquelle un homme provoqueintentionnellement la mort d'un autre homme. » Cet articleest une définition du meurtre; il n'a de caractère normatif

78 THÉORIE PURE DU DROIT

qu'en connexion avec un autre article qui dispose : « Lors-

qu'un homme commet un meurtre, le tribunal habilité à cet

effet doit prononcer contre lui la peine de mort »; et cet

article est de nouveau en connexion indissoluble avec un

troisième article qui prescrit : « La peine de mort doit être

exécutée par pendaison. »

De ce qui vient d'être dit, il résulte qu'il est juste de carac-

tériser l'ordre juridique comme un ordre de contrainte en

dépit du fait que toutes et chacune de ses normes ne sta-

tuent pas des actes de contrainte; ce qui justifie ou permetde maintenir malgré cela cette caractéristique, c'est ce fait

que toutes celles de ses normes qui n'instituent pas elles-

mêmes un acte de contrainte et qui, par suite n'ordonnent

pas la création de normes, mais simplement y habilitent,ou qui permettent positivement, sont des normes

non-indépendantes, puisqu'elles ne valent qu'en liaison avec

d'autres normes qui instituent un acte de contrainte. Mais

même toutes les normes qui instituent un acte de contrainte

n'ordonnent pas toutes une certaine conduite, plus précisé-ment la conduite contraire; seules le font celles qui ordonnent

l'acte de contrainte comme réaction contre une certaine

conduite humaine, autrement dit : comme sanction. Par

suite, pour cette raison aussi (1), le droit n'a pas exclusive-

ment caractère prescriptif ou impératif. Un ordre juridiqueétant un ordre de contrainte, dans le sens que l'on a

précédemment défini, il peut être décrit dans des proposi-tions qui déclarent que dans certaines conditions, c'est-à-dire

dans des conditions définies par l'ordre juridique, certains

actes de contrainte définis par lui doivent être effectués.La totalité des matériaux premiers donnés dans les normes

juridiques d'un ordre juridique s'insère dans ce schéma de

la proposition de droit formulée par la science du droit, —

cette proposition de droit qu'il faut distinguer nettementde la norme juridique posée par l'autorité juridique (2).

(1) Cf. supra, p. 22.(2) Cf. infra, p. 314 sqq.

TITRE II

DROIT ET MORALE

7. — LES NORMES MORALES, NORMES SOCIALES.

En définissant le droit comme norme — en tant qu'il est

objet d'une science particulière, la science du droit —,on assigne la limite qui le sépare de la nature, et corrélati-

vement la limite qui sépare la science du droit des sciencesde la nature. Mais les normes juridiques ne sont pas lesseules normes qui règlent la conduite réciproque des hommes,c'est-à-dire les seules normes sociales; il en existe d'autres;la science du droit n'est donc pas la seule discipline quiait pour objectif la connaissance et l'analyse de normessociales. On peut grouper l'ensemble des normes socialesautres que juridiques sous la dénomination de morale, etl'on peut nommer éthique la discipline qui entreprend deles connaître et de les analyser (1). En tant que la justiceest une exigence de la morale, le rapport de la justice et du

(1) Commettant l'erreur d'interpréter les normes comme étantuniquement une « reproduction d'un fait de la réalité » (Cf. supra,p. 23), SCHLICK(op. cit., p. 14 et s.) affirme que l'éthique est une science defaits, et que même si « elle était une science normative », elle ne ces-serait pas d'être une « science de faits. Elle a pleinement affaire à duréel ». Il appuie cette idée sur l'affirmation : « Les appréciations der-nières sont donc des faits qui existent dans la réalité de la consciencehumaine... » Il est exact que des « appréciations », c'est-à-dire des actespar lesquels une conduite est jugée conforme ou contraire à une norme,sont des faits de réalité exactement comme les actes par lesquels sontposées des normes qui fondent des valeurs. Mais les normes qui sontposées par ces actes et qui sont appliquées dans des jugements devaleur ne sont pas, elles, des faits de réalité, mais des significations,

80 THÉORIE PURE DU DROIT

droit est inclus dans le rapport de la morale et du droit (1).Il faut remarquer à ce propos que, dans le langage usuel,de même que l'on confond très souvent le droit et la science

du droit, de même l'on confond très fréquemment la morale

et l'éthique; et l'on rapporte à celle-ci une assertion qui en

vérité ne vaut que pour celle-là, à savoir qu'elle règle la

conduite humaine, qu'elle établit des obligations et des

droits, c'est-à-dire qu'elle pose autoritairement des normes;alors qu'en vérité l'éthique ne peut faire autre chose queconnaître et analyser les normes morales posées par une

autorité morale ou nées par voie de coutume.

Ceci dit, l'on doit constater que la pureté méthodologiquede la science du droit n'est pas compromise seulement parle fait que l'on ne respecte souvent pas la limite qui la

sépare des sciences de la nature; elle l'est aussi — et même

plus précisément : elles sont la signification des actes qui posent desnormes. Ce sens, cette signification est un Sollen. L'éthique, commela science du droit, est une science de normes, parce qu'elle a pourobjet des normes de Sollen en tant que significations, et non les actesréels qui ont pour signification les normes et qui sont unis par le liende causalité. Cela ne signifie absolument pas que les normes sont,comme dans l'éthique de Kant (SCHLICK,op. cit., p. 8), des commande-ments sans sujet qui commande, des exigences sans sujet qui exige,c'est-à-dire des normes sans actes qui posent les normes. Cela signifieque l'obj et de l'éthique, tout comme l'obj et de la science du droit, est desnormes et n'est des actes qui posent des normes que dans la mesureoù ces actes sont le contenu de normes, c'est-à-dire sont réglés pardes normes. L'interprétation déformante de l'éthique comme unescience de faits, l'idée que l'éthique n'est qu'une branche de la psy-chologie et de la sociologie (cf. Alfred J. AYER, Language, Truth andLogic, Londres, 1936, p. 168 : « Il apparaît alors que l'éthique en tantque branche de la connaissance n'est rien de plus qu'une branche dela psychologie et de la sociologie ») repose sur la non-distinction entreles actes qui posent les normes et les normes posées en tant que signi-fications de ces actes.

La tentative du positivisme logique de présenter l'éthique commeune science de faits empiriques résulte manifestement de la tendance,parfaitement légitime en elle-même, à l'exclure du domaine de laspéculation métaphysique. Mais il est satisfait à cette tendance sil'on reconnaît que les normes qui forment l'objet de l'éthique sont lessignifications de faits empiriques posés par des hommes dans le mondede la réalité, et non pas des ordres d'entités transcendantes. Si lesnormes de la morale, de même que les normes du droit positif, sontla signification de faits empiriques, l'éthique peut être qualifiée, aussibien que la science du droit, de science empirique — par antithèse à laspéculation métaphysique —, même si elles ont pour objet des normeset non pas des faits.

(1) Sur le problème de la justice, voir mon étude «Justice et Droitnaturel » citée supra, p. 24, n° 7.

DROIT ET MORALE 81

bien davantage—

par le fait qu'on ne la sépare pas ou pasassez clairement de l'éthique, c'est-à-dire que l'on ne dis-

tingue pas clairement entre droit et morale.

On met parfois en question le caractère social de la morale

en faisant valoir qu'à côté des normes morales qui pres-crivent à l'homme une conduite à l'égard des autres hommes,il en existerait qui prescriraient aux hommes une conduite

envers eux-mêmes, — par exemple la norme qui défend le

suicide, ou les normes qui ordonnent d'être courageux ou

d'être chaste. Ces vues ne sont pas exactes : en vérité, les

normes en question n'apparaissent, elles aussi, que dans la

conscience d'hommes qui vivent en société. Il est bien vrai

que la conduite qu'elles définissent pour chaque homme ne

concerne directement que lui seul; mais indirectement, elle

concerne aussi les autres membres de la collectivité. Carce n'est qu'en raison des conséquences que cette conduitea sur la collectivité qu'elle donne naissance, dans la cons-cience des membres de la collectivité, à une norme morale.Les soi-disant obligations de l'individu à l'égard de lui-même sont, elles aussi, des obligations sociales. Pour unindividu vivant isolé, elles n'auraient aucun sens.

8. — LA MORALE, RÈGLEMENT

DU COMPORTEMENT INTÉRIEUR.

On a parfois prétendu distinguer la morale et le droit

par les actes que les normes de ces deux ordres sociaux

prescriraient respectivement aux hommes. La thèse n'est

pas juste. Le suicide peut être interdit par la morale; maisil peut l'être également par le droit; le courage et la chasteté

peuvent être l'objet d'obligation juridique aussi bien qued'obligation morale.

Pareillement inexacte est l'idée souvent défendue que ledroit prescrirait un comportement externe, alors que lamorale prescrirait, elle, un comportement interne. A lavérité, les normes de chacun des deux ordres portent surl'une et l'autre sorte de comportement. La vertu de cou-rage, par exemple, ne consiste pas seulement en un étatd'âme, l'absence de peur ; elle consiste également en uneconduite externe conditionnée par cet état d'âme. Et lors-qu'un ordre juridique interdit le meurtre, il ne défend passeulement de provoquer la mort d'un homme par sonaction, il défend également d'avoir la pensée et l'intentionde provoquer ce résultat.

82 THÉORIE PURE DU DROIT

Selon les vues de nombreux philosophes moralistes, le

comportement « interne » (ou « intime ») que la morale

exigerait, à la différence du droit, consisterait en ceci que,pour être morale, une conduite devrait être adoptée contreles inclinations naturelles (1), ou — ce qui revient au même— contre l'intérêt égoïste du sujet.

Si, en formulant ces propositions, on entend simplement

exprimer l'idée que l'obligation à une certaine conduite

prescrite par une norme morale existe, c'est-à-dire que cettenorme vaut, même si l'inclination naturelle ou l'intérêt

égoïste des sujets à qui elle s'adresse les porteraient à uneautre conduite, on fera simplement observer qu'il en vatout de même pour les obligations instituées par les normes

juridiques. Qu'un ordre social prescrive des actions ou desabstentions qui pourraient éventuellement aller à ren-contre d'une inclination ou d'un intérêt égoïste quelconquesdes individus dont il règle la conduite, c'est un fait inévi-table. Ne prescrire d'autres comportements que conformesà toutes les inclinations ou à tous les intérêts égoïstes des

sujets des normes serait chose superflue : les hommes suiventces inclinations ou cherchent à réaliser ces intérêts égoïstesen dehors de toute obligation. Un ordre social, et déjà une

norme, prescrivant un comportement n'ont de sens que s'ilsdoivent aboutir à un état de choses différent de celui quirésulterait du fait que chacun suivrait ses inclinations ouchercherait à réaliser ses intérêts égoïstes,

— inclinationsou intérêts qui existeraient même en l'absence d'un ordresocial valable et efficace. Ordre social et normes ne signifientdonc quelque chose que si les hommes doivent agir commeils le prévoient, même à l'encontre de ces inclinations oude ces intérêts égoïstes. Il faut d'ailleurs observer à ce proposque, si les individus soumis à l'ordre social se comportenteffectivement d'une façon conforme aux normes de cet

ordre, c'est en toute hypothèse parce que cette conduite

correspond à leur inclination ou à leur intérêt égoïste tels

qu'ils sont provoqués par l'ordre social ; une seule choseest possible : c'est que cette inclination ou cet intérêt égoïstesoient en sens opposé de ce qu'ils seraient sans cette inter-vention de l'ordre social. L'homme peut avoir des inclina-tions ou des intérêts multiples qui se contredisent les uns

(1) Il est bien connu que c'est là la doctrine éthique de KANT.Cf. Grundlegung zur Metaphysik der Sitten, oeuvres complètes publiéespar l'Académie royale prussienne des Sciences, t. IV, p. 397 sqq.

DROIT ET MORALE 83

les autres. La conduite qu'il adopte dépend alors du pointde savoir quelle est l'inclination la plus intense, quel est

l'intérêt le plus fort. Mais aucun ordre social ne peut faire

que ce ne soient pas les inclinations des hommes ou leurs

intérêts égoïstes qui motivent leurs actions et leurs absten-

tions. Tout ce que peut l'ordre social, s'il doit être efficace,c'est de créer l'inclination ou l'intérêt à se comporter confor-

mément à ses normes, et de l'opposer aux autres inclinations

ou tendances égoïstes qui détermineraient la conduite des

sujets si ces normes n'existaient pas.Il faut toutefois rappeler que la doctrine éthique qui a été

évoquée ci-dessus est parfois comprise en un sens différent,à savoir que seule aurait une valeur morale la conduite

opposée aux inclinations naturelles ou aux intérêts

égoïstes (1). Etant donné que « avoir une valeur morale »

ne signifie rien d'autre qu'être conforme à une norme

morale, cette doctrine implique nécessairement l'idée quela morale se réduit à ce seul impératif : on doit dans sa

conduite dominer ses inclinations, ne pas réaliser ses inté-rêts égoïstes, mais agir en vertu d'autres motifs. Autrement

dit, la norme morale se rapporterait uniquement aux motifsde la conduite.

Cette conception tombe d'abord sous l'objection que laréalisation du postulat que l'on devrait agir pour des motifsautres que l'inclination ou l'intérêt égoïste est psycholo-giquement impossible. Par ailleurs, une telle morale présup-pose l'existence d'un autre ordre social portant sur l'actionexterne. Les normes d'une morale qui porteraient exclusi-vement sur les motifs de l'action externe seraient des normes

incomplètes ; elles ne pourraient valoir que si valaient mêmeen temps des normes qui règlent la conduite externe, et cesnormes-là aussi devraient nécessairement être des normesmorales. Il n'est pas possible que toute conduite quelconquesoit morale par cela seul que le sujet l'ait adoptée contreson inclination ou son intérêt égoïste. Si l'on suppose qu'unhomme obéisse à l'ordre que lui donne un autre homme decommettre un meurtre, alors que le meurtre est défendupar l'ordre social que l'on suppose valable, son acte ne peutavoir aucune valeur morale, même s'il va contre son incli-

(1) KANT, op. cit., p. 398 : « Mais j'affirme que dans un tel cas, unesemblable action (lorsqu'elle procède de l'inclination), si conforme audevoir, si aimable qu'elle puisse être, n'a cependant pas une véritablevaleur morale... »

84 THÉORIE PURE DU DROIT

nation ou contre son intérêt égoïste; elle est purement et

simplement contraire aux valeurs. Pour qu'une conduite

puisse avoir une valeur morale, il ne suffit jamais que lesmotifs qui l'ont déterminée soient conformes à une norme

morale, il faut en tout cas aussi que la conduite en elle-

même y soit conforme. Dans les jugements moraux, il n'est

pas possible de séparer les motifs de la conduite qu'ils déter-

minent. C'est là encore une autre raison qui exclut l'idée

que la morale se réduirait à la seule norme : domine tes

inclinations, abstiens-toi de réaliser tes intérêts égoïstes. Orc'est seulement si l'on réduit à cela l'idée de morale quel'on peut prétendre distinguer la morale du droit par cetrait que la morale se rapporterait exclusivement au compor-tement interne, alors que le droit réglerait également le

comportement externe (1).

(1) Egalement d'après Kant, une action doit, pour avoir une valeurmorale, c'est-à-dire pour être moralement bonne, non pas seulementavoir lieu «par devoir », mais également être conforme au devoir,c'est-à-dire être conforme à la loi morale. La norme morale : n'agispas par inclination, mais « par devoir », suppose donc d'autres normesmorales qui obligent à certaines actions déterminées. Une des posi-tions les plus fondamentales de son éthique est « que la notion dubien et du mal ne doit pas être déterminée avant la loi morale, maisseulement d'après la loi morale et par elle ». (Kritik der praktischenVernunft, Akademie-Ausgabe, V, p. 62/3.)

D'après Kant, agit « par inclination » celui qui « trouve une satis-faction intime » à agir comme il agit (Grundlegung zur Metaphysik derSitten, p. 398). A quoi l'on peut objecter que celui qui agit «par devoir »,c'est-à-dire « par respect envers la loi », agit lui aussi par inclination;car il agit ainsi parce qu'il trouve une satisfaction intime à suivrela loi, parce que la conscience d'agir conformément à la loi, confor-mément au devoir, lui procure cette « satisfaction intime »; par consé-quent : il agit par inclination à agir conformément à son devoir. D'unpoint de vue psychologique, ceci ne peut pas être contesté, et la ques-tion de savoir par quel motif un homme agit est une question psycho-logique.

Kant distingue le droit, en tant que règlement de la conduite exté-rieure, de la morale, qui serait le règlement de la conduite intérieureet plus précisément du motif de la conduite. Selon cette idée, il opposela légalité à la moralité. Il déclare (Die Metaphysik der Sitten, Aka-demie-Ausgabe, VI, 214) : «Les lois de la liberté s'appellent, par oppo-sition aux lois de la nature, lois morales. Dans la mesure où ellestendent à une action purement extérieure et à la légalité, on les appelle :lois juridiques ; mais si elles exigent aussi qu'elles doivent être (les loiselles-mêmes) les motifs de détermination des actions, elles sont aussiéthiques, et l'on dit en ce cas : l'accord avec les premières est la légalitédes actions, l'accord avec les secondes est leur moralité. » En d'autrestermes : les normes juridiques seraient, elles aussi, des normes morales.Mais il s'ensuit que les normes morales tendent donc, elles aussi, àdes actions extérieures; il n'y a qu'une seule norme morale qui près-

DROIT ET MORALE 85

9. — LA MORALE, ORDRE POSITIF

IGNORANT LA CONTRAINTE.

Droit et morale ne se laissent pas non plus distingueressentiellement sur le point de la création de leurs normes,ni sur celui de leur application. De même que les normes

du droit, les normes de la morale sont créées soit par la

coutume soit par une édiction consciente, oeuvre par exempled'un prophète ou d'un fondateur de religion, tel que Jésus.

En ce sens, la morale est, comme le droit, positive, et

l'éthique scientifique ne peut avoir pour objet que des morales

positives, de même que la théorie scientifique du droit ne

peut porter que sur des droits positifs. Il est sans doute

exact que les ordres moraux ne prévoient pas, pour l'appli-cation de leurs normes, des organes spécialisés, c'est-à-dire

centraux. Cette application consiste dans l'appréciationmorale de la conduite d'autrui que cet ordre règle. Mais

les ordres juridiques primitifs aussi sont complètementdécentralisés, et ne peuvent pas être distingués des ordres

moraux sous ce rapport. Il est très caractéristique que cer-

tains se refusent à considérer le droit international général,qui est complètement décentralisé, comme autre chose

qu'une morale internationale.On ne peut pas non plus trouver une différence entre le

droit et la morale dans ce que ces deux ordres sociauxordonnent ou défendent respectivement ; on ne peut la trou-ver que dans la façon dont ils ordonnent ou défendent desactes humains. Le droit ne peut être distingué essentielle-ment de la morale que si, comme on l'a exposé dans les

pages précédentes, on le conçoit comme un ordre de con-

trainte, c'est-à-dire comme un ordre normatif qui chercheà provoquer des conduites humaines en attachant auxconduites contraires des actes de contrainte, socialement

organisés, alors que la morale, elle, est un ordre social quin établit pas de semblables sanctions, mais dont les sanc-tions se trouvent uniquement dans l'approbation des con-

crive que l'on ne doit pas agir par inclination, mais par respectenvers la loi. Lorsque Kant déclare que seule une action qui corres-pond a cette norme a une valeur morale, il distingue une valeur moraleau sens spécifique et strict, c'est-à-dire la conformité relativementpar cette norme morale spéciale, et une valeur morale au sens large,c est-à-dire la conformité relativement aux autres normes morales.La légalité est, elle aussi une valeur morale; car elle est conformitérelativement à des normes « morales ».

86 THÉORIE PURE DU DROIT

duites conformes aux normes et la désapprobation desconduites contraires aux normes, l'emploi de la force phy-

sique n'entrant par conséquent absolument pas en ligne de

compte.

10. — LE DROIT, PARTIE DE LA MORALE.

Si l'on admet que le droit et la morale sont deux typesdifférents de systèmes normatifs, se pose la question deleurs rapports. On peut entendre cette question de deux

façons ; ou bien on se demandera quel est le rapport réel entrele droit et la morale, ou bien on se demandera quel doitêtre leur rapport. Bien souvent, l'on mêle ces deux ques-tions, ce qui conduit à des malentendus.

A la première question, on répond parfois que le droitest par essence moral, c'est-à-dire que les actes que lesnormes juridiques prescrivent ou défendent sont aussi pres-crits ou défendus par les normes de la morale; que, si unordre social ordonne une conduite que la morale défend,ou interdit une conduite que la morale prescrit, cet ordren'est pas un droit, parce qu'il n'est pas juste. Mais l'ondonne parfois une autre réponse : le droit, dit-on, peut êtremoral — au sens que l'on vient de définir, c'est-à-dire

juste —, mais il ne l'est pas nécessairement; un ordre social

qui n'est pas moral, c'est-à-dire juste, peut cependant êtredroit. Bien qu'on accepte le postulat que le droit doit êtremoral c'est-à-dire juste.

Si l'on entend la question du rapport entre droit et moralecomme une question relative, non pas à la forme du droit,mais à son contenu, lorsque l'on affirme que le droit a, paressence, un contenu moral ou qu'il constitue une valeur

morale, on affirme par là même que le droit vaut à l'inté-rieur du domaine de la morale, que l'ordre juridique est une

partie constitutive de l'ordre moral, que le droit est moral,et par conséquent est par essence juste. En tant qu'unetelle affirmation vise à une justification du droit — et telest son sens véritable —, elle doit nécessairement présup-poser qu'il n'existe qu'une morale, une seule morale valable,c'est-à-dire qu'il existe une morale absolue, une valeurmorale absolue, et que seules des normes qui sont conformesà cette morale absolue peuvent être considérées comme du« droit ». En d'autres termes, l'on part alors d'une définitiondu droit qui fait de celui-ci une partie de la morale, quiidentifie droit et justice.

DROIT ET MORALE 87

11. — RELATIVITÉ DE LA VALEUR MORALE.

Mais, du point de vue d'une connaissance scientifique, on

ne saurait admettre qu'il existe des valeurs absolues en

général, en particulier une valeur morale absolue, ces idées

ne pouvant reposer que sur une foi religieuse en l'autorité

absolue et transcendante d'une divinité ; de ce point de vue

scientifique, il n'existe pas de morale absolue, c'est-à-dire

seule valable, excluant la possibilité qu'une autre soit

valable; l'on n'admet pas que ce qui est bon ou juste selon

un ordre moral soit bon ou juste en toute circonstance, ou

que ce qui est mauvais selon un ordre moral soit mauvais

en toutes circonstances; l'on accorde au contraire qu'à des

époques différentes, chez des peuples différents, et même,à l'intérieur d'un même peuple, dans des classes, ordres

et professions différentes, valent des systèmes moraux très

différents et contraires les uns aux autres, qu'il est possible

que, dans des circonstances différentes, des choses différentessoient tenues pour bonnes ou pour mauvaises, pour justesou pour injustes, et que rien ne doit nécessairement êtretenu pour bon ou pour mauvais, pour juste ou injuste danstoutes les circonstances; de ce point de vue, toutes lesvaleurs morales sont relatives. Ceci étant admis, on ne peutattribuer à l'affirmation que des normes sociales ne peuventêtre considérées comme droit que si leur contenu est moral,est juste,

— d'autre signification que celle-ci : il faut queces normes contiennent quelque chose qui est commun àtous les systèmes de morale, c'est-à-dire de justice, possibles.Mais, étant donné l'extraordinaire diversité de ce que leshommes tiennent pour bon ou pour mauvais, pour justeou pour injuste, selon les époques et selon les lieux, on ne

peut constater l'existence d'aucun élément commun à tousles ordres moraux. On a bien prétendu que tous consacraientle postulat : conserver la paix, ne faire violence à personne.Mais déjà Heraclite enseignait que la guerre serait, non passeulement le « père », c'est-à-dire la cause, de tout, maiségalement le « roi », c'est-à-dire l'autorité créatrice denormes suprême; qu'elle représenterait la valeur suprême,et serait donc bonne, que le droit serait lutte et que, parconséquent, la lutte serait juste (1). Et Jésus lui-même

(1) Tel est le sens des fragments 53; 80 et 112 ((Dills) : « La guerre(NûXeuoç])est de tout le père ([mxxTjp]),est de tout le roi ([PacnXeoç]).tille révèle les uns comme des dieux, les autres comme des hommes;

88 THEORIE PURE DU DROIT

n'a-t-il pas dit : « Je ne suis pas venu pour apporter la paixsur la terre, mais la discorde » (2) ? Il ne proclamait donc

nullement la paix comme la valeur suprême, au moins pourl'ordre moral de ce monde. Peut-on nier qu'aujourd'huiencore la conviction existe chez beaucoup d'hommes que la

guerre a une valeur morale, parce qu'elle rend possiblel'exercice de vertus, la réalisation d'idéaux qui seraient plusélevés que les valeurs de la paix; la morale du pacifismeserait-elle par hasard incontestée ? La philosophie de la vie

du libéralisme correspond-elle à l'idéal de paix, lorsqu'elle

enseigne que la concurrence, la lutte pour la vie garantissentle meilleur état possible de la société ? Cet idéal de paix ne

représente nullement la valeur suprême dans tous les sys-tèmes de morale; il faut même aller plus loin : pour nombre

d'entre eux, il ne constitue pas du tout une valeur.

Mais supposons même que l'on puisse découvrir un élé-

ment commun à tous les systèmes moraux qui ont été

valables dans le passé ou qui sont actuellement valables;si un ordre de contrainte venait à apparaître qui ne contien-

drait pas cet élément, c'est-à-dire qui ordonnerait des

conduites qui, jusqu'alors, n'auraient été considérées comme

bonnes ou justes dans aucune collectivité, et qui prohiberaitdes conduites qui jusqu'à lui n'auraient été considérées

comme mauvaises ou injustes dans aucune collectivité, il

n'y aurait pas là une raison suffisante pour refuser à cet

ordre la quahté d'ordre juridique, en alléguant qu'il ne

elle fait des uns des esclaves, des autres des hommes libres ». Quedans la guerre les vainqueurs deviennent des dieux ou des hommeslibres, les vaincus des hommes ou des esclaves est chose juste, car :« on doit savoir que la guerre est un principe général (Çvoôv)et quele droit est lutte (Sbogvspiv) et que tout cela se produit sur la basede la lutte et de la nécessité (XCCT'êpw y.<xlxPetî>M-Eva)-L'éthiqued'Heraclite est une sorte de doctrine du droit naturel : « La sagesseconsiste à dire la vérité et à agir selon la nature, en écoutant ce qu'elledit (TTOLEÏVxaxà çiiaiv ÈTOxtovxaç»). De ce que la réalité de la naturefait apparaître la guerre et la lutte comme des phénomènes généraux,il suit que la guerre et la lutte sont justes.

(2) Saint Luc, XII, 51. « Car depuis ce moment, cinq dans une mai-son seront désunis — trois contre deux et deux contre trois —. Le

père sera contre le fils, et le fils contre le père; la mère contre les filles,et les filles contre la mère; la lignée masculine contre la lignée fémi-nine, et la lignée féminine contre la lignée masculine ». Saint LucXII, 52 et 53. Jésus a sans doute dit aussi : « Bienheureux sont les

pacifiques, car on les appellera les enfants de Dieu » (Saint MATHIEU,v, 9) mais il y a d'autres paroles aussi qui lui sont attribuées dans les

Evangiles et qui sont en contradiction les uns avec les autres. Cf.KELSEN,What is Justice? Berkeley, 1957, p. 25 sqq.

DROIT ET MORALE 89

serait pas « moral » ou pas « juste »; car si l'on ne présup-

pose pas une valeur morale donnée a priori, c'est-à-dire

absolue, on n'est pas en mesure de déterminer ce qui devrait

être considéré comme bon ou comme mauvais, comme justeou comme injuste, en toute circonstance. Et dès lors, l'on

ne peut pas nier que les actes que l'ordre de contrainte en

question ordonne puissent, eux aussi, être tenus pour bons

ou justes, comme ceux qu'il interdit peuvent, eux aussi,être considérés comme mauvais ou comme injustes, et que,

par conséquent, cet ordre est lui aussi — relativement —

moral ou juste. Le seul trait qui soit nécessairement com-

mun à tous les systèmes de morale possibles, c'est qu'ilssont pareillement des systèmes de normes sociales, c'est-

à-dire des normes qui règlent la conduite d'êtres humains

à l'égard d'autres êtres humains —par relation directe ou

indirecte —, des normes qui posent que des actions ou

abstentions doivent avoir lieu dans leurs rapports. Ce quiest commun à tous les systèmes de morale possibles, c'estleur forme, c'est le Sollen, c'est leur caractère de normes.Est moralement bon ce qui est conforme à la norme sociale

qui règle une certaine conduite humaine ; est moralement

mauvais, ce qui est contraire à une telle norme. La valeurmorale relative est fondée par une norme sociale qui posecomme obligatoire une certaine conduite humaine. Normeet valeur sont des notions corrélatives.

Si l'on procède de ces prémisses, la proposition que ledroit est moral, par essence, ne signifie pas qu'il a tel contenu

déterminé, mais simplement qu'il est norme, plus précisé-ment norme sociale qui pose qu'une certaine conduitehumaine doit avoir lieu. Alors, tout droit est moral, en cesens relatif; tout droit fonde une valeur morale — relative.Mais ceci signifie que la question du rapport entre droit etmorale ne porte pas sur le contenu du droit, mais sur saforme. On ne peut donc pas dire, comme on le fait parfois,que le droit n'est pas seulement norme (ou commandement),mais qu'en outre il fonde ou il incarne une valeur (une telleaffirmation n'a de sens que si l'on suppose une valeur divine

absolue). Car le droit fonde précisément une valeur par lefait qu'il est norme : il fonde la valeur juridique (Rechtswert),qui est en même temps une valeur morale —

relative; cequi revient purement et simplement à dire que le droit estnorme.

Il suit de là qu'en énonçant ces idées, on n'accepte nul-lement la théorie que le droit représenterait par essence un

7. THÉORIEPUREDUDROIT.

90 THÉORIE PURE DU DROIT

minimum moral, que, pour pouvoir être considéré comme

droit, un ordre de contrainte devrait nécessairement rem-

plir une exigence minimum de la morale. Car en formulant

ce postulat, on présuppose une morale absolue d'un contenu

déterminé, ou tout au moins l'existence d'un contenu com-

mun à tous les systèmes de morale positifs; et, en fait, le

plus souvent, c'est à l'idéal de paix que l'on songe comme

tel. De l'analyse qui précède, il résulte que ce que l'on

appelle ici la valeur juridique n'est pas un minimum moral,en ce sens, et qu'en particulier la valeur de paix n'est pasun élément essentiel à la notion du droit.

12. — SÉPARATION DU DROIT ET DE LA MORALE.

Si l'on admet que le droit est, par essence, moral, cela

n'a pas de sens de postuler— en supposant l'existence de

valeurs morales absolues —que le droit doit être moral. Un

tel postulat n'a de sens, et la morale qu'il suppose ne cons-

titue un étalon de valeur pour le droit, que si l'on reconnaît

la possibilité d'un droit immoral, d'un droit moralement

mauvais, et par conséquent si l'on n'inclut pas comme élé-

ment dans la définition du droit le caractère moral de son

contenu. Quand une théorie du droit positif pose qu'il faut

distinguer l'un de l'autre le droit et la morale en général,le droit et la justice en particulier, qu'il ne faut pas mêler

l'un avec l'autre, elle prend position contre l'idée tradi-

tionnelle, considérée par la plupart des juristes comme évi-

dente, qui suppose qu'il n'existe qu'une morale, seule

valable, c'est-à-dire une morale absolue, et par conséquentune justice absolue. Le postulat de la séparation du droit

et de la morale, du droit et de la justice, signifie que la

validité des ordres juridiques positifs est indépendantede la validité de cette morale unique, seule valable, absolue,de « la » morale, de la morale « par excellence ». Si au contraire

l'on ne reconnaît l'existence de valeurs morales que rela-

tives, tout ce que peut signifier le postulat que le droit doit

être moral, autrement dit : doit être juste, c'est que le contenu

donné au droit positif doit être conforme à un systèmemoral déterminé, parmi les multiples systèmes moraux pos-

sibles; ce postulat n'excluant nullement cet autre postulatque le contenu du droit positif doive être conforme à un

autre système moral et y soit peut-être effectivement con-

forme, cependant qu'il est contraire à un système moral

différent de ce dernier. Si en partant de valeurs simplement

DROIT ET MORALE 91

relatives, l'on formule également le postulat que le droit

doit être distingué de la morale en général et de la justiceen particulier, cela ne signifie point que l'on entende affir-

mer, par exemple, que le droit n'a rien à voir avec la morale

ou avec la justice, que la notion de droit ne tombe pas sous

la notion de « bien ». Car le « bien » ne peut pas être défini

autrement que comme : « ce qui doit être » (das « Gesollte »),c'est-à-dire ce qui est conforme à une norme; et si l'on

définit le droit comme une norme, cela implique que ce quiest conforme au droit est un bien. Le postulat de la sépara-tion du droit et de la morale, et par conséquent du droit

et de la justice, formulé sur la base d'une théorie relativiste

des valeurs, signifie simplement qu'en déclarant un ordre

juridique moral ou immoral, juste ou injuste, on exprime

simplement le rapport de l'ordre juridique à l'un des mul-

tiples systèmes moraux possibles, et non pas son rapportà « la morale », —

qu'il s'agit par conséquent, non pas d'un

jugement de valeur absolu, mais d'un jugement de valeur

simplement relatif, et que la validité des ordres juridiques

positifs est indépendante de leur conformité ou de leur non-conformité à un système moral quel qu'il soit.

Contrairement à une méprise trop fréquente, une théorierelativiste des valeurs n'affirme pas qu'il n'existe pas de

valeurs, et en particulier pas de justice; elle implique seu-lement qu'il n'existe pas de valeurs absolues, mais unique-ment des valeurs relatives, pas de justice absolue, maisseulement une justice relative, que les valeurs que nousfondons par nos actes créateurs de normes et que nous met-tons à la base de nos jugements de valeur ne peuvent pasavoir la prétention d'exclure la possibilité même de valeurs

opposées.Il se comprend de soi-même qu'une morale simplement

relative ne peut pas remplir le rôle postulé— consciemment

ou inconsciemment —pour la morale de fournir un étalon

absolu pour apprécier les ordres juridiques positifs. Et eneffet la connaissance scientifique ne permet pas de trouverun tel étalon. Mais cela ne signifie pas qu'il n'existe pasd étalon du tout. Tout système de morale peut jouer cerôle; lorsque l'on juge le contenu d'un ordre juridique positifd'un point de vue moral, « moralement », comme bon ou

mauvais, comme juste et comme injuste (1) on doit seule-

^(1) Etant donné que ce qui est l'objet d'un jugement de valeur,d'une appréciation, est la réalité, l'appréciation morale du droit positif

92 THÉORIE PURE DU DROIT

ment se souvenir que cet étalon est un étalon relatif, qu'une

appréciation différente pourra être portée sur la base d'un

autre système moral; que si, mesuré à l'étalon de tel sys-tème moral, un ordre juridique est jugé injuste, mesuré à

l'étalon d'un autre système moral, il peut au contraire être

jugé juste.

13. —JUSTIFICATION DU DROIT PAR LA MORALE.

Il n'est possible de justifier le droit positif par la morale

que si l'on admet qu'il peut y avoir contrariété entre normes

juridiques et normes morales, si, comme un droit morale-

ment bon, il peut exister un droit moralement mauvais. Siun ordre moral prescrit, comme le fait par exemple SaintPaul dans sa Lettre aux Romains (1), de se conformer

toujours et inconditionnellement aux normes posées par l'au-torité gouvernante, ou juridique, l'idée même d'une contra-diction entre cet ordre moral et le droit positif est exclue

par avance ; dès lors, il ne peut réaliser son intention de légi-timer le droit positif en lui conférant valeur morale. Carsi tout droit positif est bon, c'est-à-dire juste,

—parce qu'il

est voulu de Dieu, comme tout ce qui est, est bon, parceque voulu par Dieu; si aucun droit positif ne peut être

injuste,— comme rien de ce qui est ne peut être mau-

vais —, si le droit est identifié à la justice, le Sein au Sollen,la notion de justice a perdu tout sens, de même que cellede bien. S'il n'existe pas de mal, pas d'injuste, il n'existe

pas de bien, pas de juste. Postuler qu'il faut distinguer ledroit de la morale et la science du droit de l'éthique, signifieque, du point de vue d'une connaissance scientifique dudroit positif, sa justification par un ordre moral distinctde lui est irrelevante, la science du droit n'ayant ni à approu-ver ni à désapprouver son objet, mais uniquement à le con-naître et à le décrire. Bien que les normes juridiques entant que prescriptions fondent des valeurs, la fonction dela science du droit n'est en aucun sens d'apprécier son

objet ou de 1' « évaluer »; elle est seulement de le décrire,

indépendamment de tout jugement de valeur (wertfrei).Le juriste scientifique ne s'identifie avec aucune valeur juri-dique, notamment pas avec celles qu'il décrit.

se rapporte, immédiatement aux actes qui posent les normes, de façonmédiate seulement aux normes qui sont posées par ces actes. Cf. supra,p. 23 et l'étude citée à la note suivante.

(1) Cf. H. Kelsen, Justice et Droit naturel (voir supra p. 24, n. 1).

DROIT ET MORALE 93

Si l'ordre moral ne prescrit pas d'obéir inconditionnelle-

ment à l'ordre juridique positif, si donc existe la possibilitéd'une contradiction entre la morale et l'ordre juridique, le

postulat qui affirme qu'il faut distinguer le droit de la

morale, la science du droit de l'éthique, signifie que la vali-

dité des normes juridiques positives ne dépend pas de leur

conformité à l'ordre moral, que, du point de vue d'une

connaissance du droit positif, une norme juridique peut être

considérée comme valable alors même qu'elle contredit à

l'ordre moral.Mais le point capital et primordial

— il faut l'affirmer

sans se lasser et avec toute l'insistance possible —, c'est

l'idée qu'il n'existe pas une seule morale, qui serait « la

morale », mais de nombreux systèmes moraux, extrêmement

différents les uns des autres, et se contredisant les uns lesautres dans une large mesure, et qu'ainsi il se peut fortbien qu'un ordre juridique corresponde - grosso modo aux

conceptions morales d'une certaine couche ou d'un certain

groupe, en particulier à celles du groupe ou de la couchedominante à l'intérieur de la population qu'il régit

— eten fait, il y correspond effectivement en règle générale —,mais que cet ordre juridique soit contraire aux conceptionsmorales d'un autre groupe ou d'une autre couche; mais

plus encore, il importe de se persuader que les idées rela-tives à ce qui est moralement bon ou moralement mauvais,à ce qui est moralement justifiable ou moralement injusti-fiable, sont soumises à un changement constant — de même

que le droit, et qu'il se peut qu'un ordre juridique ou cer-taines de ses normes qui étaient conformes aux conceptionsmorales en vigueur à l'époque où eux-mêmes l'étaient,soient au contraire condamnés aujourd'hui comme éminem-ment immoraux. Tout à l'opposé, la thèse que repousse lathéorie pure du droit, mais qui est par contre très répanduedans la science du droit traditionnelle, que le droit doit être

par essence moral, qu'un ordre social immoral n'est pas undroit, présuppose une morale absolue, c'est-à-dire valableen tous temps et partout. Sinon, elle ne pourrait pas atteindrele but qu'elle s'assigne d'appliquer aux ordres sociaux, pourjuger ce qui est droit et ce qui n'est pas droit, un étalonfixe, indépendant des circonstances de temps et de lieu.

Si la théorie pure du droit rejette la thèse que le droitest par essence moral, c'est-à-dire que seul un ordre socialmoral peut être droit, ce n'est pas seulement pour la rai-son que cette thèse présuppose une morale absolue; c'est

94 THÉORIE PURE DU DROIT

également pour la raison que, dans son application effective

par la doctrine dominante dans une certaine collectivité

juridique, elle tend à une légitimation acritique de l'ordrede contrainte étatique qui fonde cette collectivité. Car que« son » ordre de contrainte étatique

— c'est-à-dire de son

Etat national — soit droit, le juriste le suppose commeune chose évidente. C'est uniquement à des ordres de

contrainte d'Etats étrangers qu'il applique l'étalon pro-

blématique de la morale absolue; c'est parmi eux seulement

qu'il disqualifiera certains comme immoraux et leur déniera

en conséquence la qualité de droits, lorsqu'ils ne corres-

pondent pas à certaines exigences auxquelles satisfait aucontraire son ordre national ; par exemple, s'ils reconnaissent

ou si, au contraire, ils ne reconnaissent pas la propriété

privée, s'ils ont un caractère démocratique ou au contraireun caractère non-démocratique. Mais, selon cette thèse,étant donné que l'ordre de contrainte national du juriste,lui, est droit, il doit nécessairement, lui, être aussi moral.

Il est bien possible qu'une telle légitimation du droit

positif rende de bons services politiques, en dépit de sa

faiblesse logique. Du point de vue de la science du droit,elle est inadmissible. Car il n'est pas du rôle de la science dudroit de légitimer le droit; il ne lui appartient absolument

pas de justifier l'ordre normatif, que ce soit par une moraleabsolue ou par une morale relative ; il lui appartient unique-ment de le connaître et de le décrire.

TITRE III

DROIT ET SCIENCE

14. — LES NORMES JURIDIQUES,

OBJET DE LA SCIENCE DU DROIT.

L'assertion, qui est évidente, que l'objet de la science du

droit est le droit, inclut l'assertion —qui est moins évi-

dente —que la science du droit a pour objet les normes

juridiques,—• toutes ou certaines — ; sans doute peut-on

dire aussi qu'elle porte sur des faits de comportementhumain; mais ce comportement n'est son objet qu'en tant

que et dans la mesure seulement où il est prévu par desnormes juridiques, où il figure en qualité soit de conditionsoit de conséquence, ou, en d'autres termes, qu'en tant queet dans la mesure où il apparaît comme contenu de normes

juridiques. Si les rapports mutuels des hommes entrent en

ligne de compte comme objet de la science du droit, ils ne

sont, eux aussi, objets d'une connaissance juridique qu'entant que rapports du droit, c'est-à-dire en tant que rapportsqui sont fondés par des normes juridiques (1).

La science du droit vise à comprendre son objet « juri-diquement » c'est-à-dire du point de vue du droit. Mais

comprendre quelque chose juridiquement, c'est évidemment,ce ne peut être que le comprendre comme droit, autre-ment dit : comme norme juridique ou contenu d'une norme

juridique, comme déterminé par une norme juridique (2).

(1) Sur la notion de rapport de droit, cf. infra, p. 217 sqq.(2) Ceci est la position de la théorie pure du droit envers la théorie

du droit dite « égologique », qui affirme que l'objet de la science juri-

96 THÉORIE PURE DU DROIT

15. — THÉORIE STATIQUEET THÉORIE DYNAMIQUE DU DROIT

L'on peut mettre l'accent soit sur l'un soit sur l'autre destermes de cette alternative : les normes qui règlent la conduite

humaine, ou la conduite humaine réglée par les normes; l'on

peut s'attacher à connaître soit les normes juridiques qui sontcréées par des actes humains et qui doivent être appliquées ou

obéies, soit les actes de création ou d'application, et les actesd'obéissance aux normes ; à la première option correspondraune théorie statique du droit, à la seconde une théorie

dynamique du droit (1). La « théorie statique du droit »

envisage le droit à l'état de repos, comme un système denormes en vigueur : la « théorie dynamique du droit », elle,a pour objet le droit en mouvement, le processus juridiquepar lequel le droit est créé et appliqué. Il faut cependantobserver que ce processus est lui-même réglé par le droit.Car le droit — et c'est une originalité extrêmement impor-tante qu'il présente —règle lui-même sa propre création et sa

propre application. La création des normes juridiques géné-rales, c'est-à-dire la procédure de la législation, est régléepar la Constitution; et des lois de droit formel ou lois de

procédure règlent l'application des lois de droit matériel

par les tribunaux et par les autorités administratives. Par

suite, les actes de création du droit et d'application dudroit qui forment la procédure juridique (et nous verrons

que l'application du droit est elle-même, et elle aussi, créa-tion de droit) (2) n'entrent en ligne de compte pour laconnaissance juridique, qu'en tant qu'ils sont matière denormes juridiques, en tant qu'ils sont réglés par des normes

juridiques; de sorte que la théorie dynamique du droit porte,elle aussi, sur des normes juridiques, à savoir, précisément,celles qui règlent la création et l'application du droit.

16. — NORME JURIDIQUE ET PROPOSITION DE DROIT.

La science du droit ne saisit la conduite humaine qu'entant qu'elle est matière de normes juridiques, c'est-à-dire

dique n'est pas les normes, mais la conduite humaine et envers lathéorie marxiste qui considère le droit comme un agrégat de relationséconomiques. Cf. KELSEN,« Reine Rechtslehre und egologische Théorie »

(Ùsterreichische Zeitschrift fur ôffentliches Recht, t. V, 1953, p. 450-482,et KELSEN,The Communist Theory of Law, New York, 1955.

(1) Cf. infra, p. 149 sqq. et 255 sqq.(2) Cf. infra, p. 314 sqq.

DROIT ET SCIENCE 97

en tant qu'elle est réglée par de telles normes; par cette

raison, elle représente une interprétation normative des

faits en question. Elle décrit les normes juridiques qui sont

créées par des actes humains et qui doivent être appliquéeset obéies par de tels actes, et par là-même elle décrit les

relations fondées par ces normes juridiques entre les faits

sur lesquel elles portent.Les propositions par lesquelles la science du droit décrit

ces relations sont les propositions de droit (Rechtssâtze) ; il

faut distinguer ces propositions de droit des normes de droit

ou normes juridiques (Rechtsnormen).Les normes juridiques sont créées par les organes juridiques

et doivent être appliquées par eux et obéies par les sujetsde droit. — Les propositions de droit sont des jugementshypothétiques qui énoncent qu'au regard d'un certain ordre

juridique, national ou international, donné à la connaissance

juridique, si certaines conditions définies par cet ordre sont

réalisées, certaines conséquences qu'il détermine doiventavoir lieu.

Les normes, elles, ne sont pas des jugements, c'est-à-diredes énonciations relatives à un objet donné à la connais-sance. Elles constituent, — tel est leur sens —, avant toutdes prescriptions, et, comme telles, des ordres, des impéra-tifs, mais également des permissions et des habilitations;en tous cas, elles ne sont pas

— comme on l'affirme parfois,en identifiant à tort le droit et la science du droit — des

renseignements. Le droit ordonne, permet, habilite, il ne «ren-

seigne » pas. Certes, on doit constater que, lorsqu'elles sont

exprimées en mots et en phrases, les normes juridiquespeuvent apparaître en forme d'énonciations constatant desfaits. La norme d'après laquelle le vol doit être puni estsouvent formulée par le législateur en ces termes : le volest puni de prison; la norme qui habilite le chef de l'Etatà conclure des traités internationaux est énoncée sous cetteforme : le chef de l'Etat conclut les traités internationaux.Mais peu importe la forme linguistique des actes qui créentle droit, qui posent les normes; ce qui compte, c'est leursens. Et le sens de ces actes est autre que le sens des propo-sitions de droit, qui, elles, décrivent le droit.

Dans la distinction qui vient d'être posée entre pro-positions de droit et normes juridiques s'exprime la diffé-rence radicale qui existe entre la fonction de la connais-sance juridique et la fonction de l'autorité juridiquequi est représentée par les-organes de la collectivité juri-

98 THÉORIE PURE DU DROIT

dique (1). A la science du droit, il appartient de connaître ledroit —

pour ainsi dire du dehors —, et, sur la base de cette

connaissance, de le décrire ou analyser. En tant qu'autorités

juridiques, les organes juridiques ont d'abord à créer le droit,— c'est la condition nécessaire pour qu'il puisse être ensuite

connu et décrit par la science du droit. Il est exact que les or-

ganes chargés d'appliquer le droit doivent, eux aussi, com-

mencer par connaître —pour ainsi dire de l'intérieur — le

droit qu'ils ont à appliquer. Le législateur appelé à appliquerla Constitution au cours de l'opération législative doit con-

naître la Constitution; le juge appelé à appliquer les lois

doit connaître les lois. Mais cette connaissance n'est pasl'essentiel; elle n'est que préparation à leur fonction qui est— comme on aura à le montrer par la suite de façon plus

précise— création de droit en même temps qu'appli-

cation de droit, non seulement dans le cas du législateur,mais également dans le cas du juge : édiction d'une norme

juridique générale lorsqu'il s'agit du législateur, édiction

d'une norme juridique individuelle lorsqu'il s'agit du juge (2).Il est également exact que, conformément à la théorie de

la connaissance de Kant, la science du droit en tant queconnaissance du droit a, de même que toute connaissance,un caractère constitutif, et qu'elle « crée » donc son objeten tant qu'elle le comprend comme un tout présentant une

signification, un tout intelligible. De même que le chaosdes perceptions sensibles ne devient un système doué d'unité,— le cosmos, la nature —

que par le travail de la connais-sance scientifique qui y introduit l'ordre, de même la massedes normes juridiques générales et individuelles posées parles organes juridiques, c'est-à-dire les matériaux donnés à lascience du droit, ne deviennent un système présentant une

(1) Il est vrai que dans la terminologie de la science juridique alle-mande traditionnelle, les expressions « Rechtsnorm » et « Rechtssatz »sont utilisées comme synonymes. Il y a une relation étroite entre cefait et le fait que cette science du droit confond la fonction créatricede normes de l'autorité juridique avec la fonction de simple connais-sance de la science juridique. Très caractéristique à cet égard est lefait que l'auteur peut-être le plus représentatif dans le domaine dela théorie générale du droit, Adolf MERKEL, dans son ouvrage qui aexercé une influence considérable : « Juristische Enzyklopàdie », 2e éd.,1900, identifie expressément (§ 12) les notions de Rechtsnorm et deRechtssatz et caractérise (§ 22) le « droit comme enseignement et puis-sance. Enseignement, parce qu'il renseigne sur la façon dont leslimites des domaines de puissance humains doivent se déterminer.Puissance, parce qu'il exige et garantit le respect de ces limites. »

(2) Cf. infra, p. 318 sqq.

DROIT ET SCIENCE 99

unité, exempt de contradictions, en d'autres termes un ordre

un ordre juridique—

que par le travail de connaissance

qu'effectue la science du droit. Mais cette « création » n'a

qu'un caractère purement intellectuel; c'est seulement au

regard de la théorie de la connaissance que l'on peut parlerici de création. Il faut bien le voir, l'opération est d'une

nature essentiellement différente de la création du droit

par l'autorité juridique, et d'ailleurs aussi de la création

d'objets par le travail humain.

Très fréquemment, l'on voit ignorer la différence qu'il y a

entre la fonction de la science du droit et la fonction de

l'autorité juridique, et par suite entre le produit de la

première et celui de la seconde ; ainsi dans la langue usuelle :

les mots droit et science du droit n'y apparaissent-ils pascomme des expressions synonymes (1) ? Ainsi parle-t-on du« droit international classique », et l'on entend par là une

certaine théorie du droit international; de même dans cette

thèse que la science du- droit serait une source du droit,en ce sens que l'on pourrait attendre d'elle la décision obli-

gatoire d'une question de droit. En vérité, la science du

(1) De même que dans la langue usuelle, le droit est identifié avecla science du droit qui le décrit, de même la morale, ordre normatif,l'est avec la science de l'éthique. L'éthique décrit les normes d'unemorale déterminée, elle nous enseigne comment nous devons nousconduire selon cette morale, mais, en tant que science, elle ne nousprescrit pas de nous conduire de telle ou telle façon. Le moraliste n'estpas l'autorité morale qui pose les normes qu'il décrit en propositionsnormatives. Mais il est possible, et effectivement il arrive parfois, quedes propositions normatives que l'auteur d'une éthique formule dansses oeuvres n'ont pas, dans l'intention de l'auteur, le sens de simpledescription, mais celui de prescription : le moraliste s'arroge l'auto-rité de poser des normes, d'émettre des prescriptions morales. Ce fai-sant, il excède sa compétence de représentant d'une science, et laquestion se pose de savoir ce qui l'habilite à poser des normes morales ;à cette question, il est à peu près incapable de donner une réponsesatisfaisante. La réponse que la science de l'éthique l'habilite à ceteffet, qu'il pose des normes morales au nom de cette science serait entout cas fausse. Car la science est fonction de connaissance et de des-cription, elle n'est pas fonction de volonté et de prescription. Unexemple très caractéristique de la confusion entre morale et éthiqueest donné par Charles L. STEVENSON,Ethics and Language, New Haven,Yale University, Press, 1944, qui affirme que « l'éthique normative estplus qu'une science » (p. vu) et qui, à la question : «Qu'est-ce qui dis-tingue des propositions éthiques des propositions scientifiques? »répond :« Les assertions éthiques ont une signification qui est approximative-ment et en partie impérative » (p. 26). En vérité, ce sont les normesd'une morale qui sont impératives; les propositions d'une éthique sontsimplement descriptives.

100 THÉORIE PURE DU DROIT

droit ne peut que décrire le droit; elle ne peut pas prescrire

quelque chose (1), comme le fait le droit (normes généralesou normes individuelles) que crée l'autorité juridique. Aucun

juriste ne peut cependant nier qu'il y a une différence essen-

tielle entre une loi publiée au Journal officiel d'un Etat etun Commentaire de cette loi, oeuvre de doctrine, ou entre

le Code pénal et un Traité de droit pénal. La différencese manifeste en ceci que les propositions normatives (Soll-

sâtze) formulées par la science du droit, —qui décrivent le

droit, mais qui n'obligent ou n'autorisent personne à quoi

que ce soit, peuvent être vraies ou fausses, alors que les

normes (Sollnormen) posées par l'autorité juridique—

qui

obligent et qui habilitent les sujets de droit — ne sont pasvraies ou fausses, mais seulement valables ou non-valables;tout de même que des faits positifs du règne du Sein, on ne

peut pas dire ni qu'ils sont vrais, ni qu'ils sont faux, maisseulement qu'ils existent ou qu'ils n'existent pas ; seules les

assertions relatives à ces faits peuvent être vraies ou fausses.

Supposons qu'un Manuel de droit civil énonce la propositionque (d'après le droit de l'Etat que ce Manuel entend décrire)celui qui n'exécute pas la promesse de mariage qu'il a faite doit

réparer le dommage qu'il a causé par cette conduite, et qu'aucas où il ne le fait pas, il doit être procédé à exécution forcéesur son patrimoine. Cette proposition est fausse si le droit de

l'Etat en question n'établit pas l'obligation en question, parce

qu'il ne prescrit pas l'exécution forcée éventuelle qu'affirme la

proposition. La réponse à la question de savoir si une tellenorme est en vigueur dans un ordre juridique déterminé est

susceptible d'être vérifiée — non pas sans doute directement,mais du moins indirectement —; car, pour qu'elle soit en

vigueur, il faut qu'elle soit créée par un acte susceptibled'être constaté empiriquement. Mais la norme, instituée parl'autorité juridique, qui prescrit la réparation du dommage,et finalement, en cas de non-exécution spontanée de cette

obligation, le recours aux voies d'exécution, ne peut pas,

(1) La science du droit est connaissance du droit, elle n'est pasélaboration et fixation du droit. Mais dans la science juridique tra-ditionnelle domine l'opinion que la science juridique peut et doitaussi informer le droit. Typique à cet égard, Karl ENGISCH,Einfûhrungin das juristische Denken, Stuttgart, 1956, p. 8 : « C'est ... l'avantagepresque unique en son genre de la science du droit parmi les sciencesculturelles de ne pas se promener à côté et derrière le droit, mais d'êtreadmise à contribuer à former le droit lui-même et la vie dans et sousl'empire du droit ». Il y a là confusion entre science juridique et poli-tique juridique.

DROIT ET SCIENCE 101

elle être vraie ou fausse, car elle n'est pas une assertion,

elle n'est pas une description d'un objet (1), mais une pres-

cription, qui est comme telle un objet à décrire —par la

science du droit. La norme établie par le législateur, qui

prescrit l'exécution forcée contre le patrimoine de celui

qui ne répare pas le dommage causé par la non-exécution

d'une promesse de mariage, et la proposition formulée parla science du droit pour décrire cette norme —

lorsque

quelqu'un ne répare pas le dommage qu'il a causé en n'exécu-

tant pas la promesse de mariage qu'il avait faite, il doit

être procédé à exécution forcée contre son patrimoine —,ces deux données ont, du point de vue logique, un caractère

différent. C'est pourquoi il est recommandable de les dis-

tinguer également sur le plan du vocabulaire, en appelantla première : norme juridique, Rechts-Norm,

— la seconde :

proposition de droit, Rechts-Satz. Les propositions de droit

formulées par la science du droit ne sont donc pas une

pure et simple répétition des normes juridiques posées parl'autorité juridique. On objectera peut-être cependant qu'ilest tout à fait superflu d'ajouter aux normes juridiquesposées par l'autorité juridique et décrites par cette sciencedu droit des propositions de droit formulées par la sciencedu droit. Il faut bien accorder que cette objection n'est passi évidemment mal fondée que l'objection selon laquelleserait superflue la juxtaposition à la nature d'une sciencede la nature. Car, à la différence du droit, la nature ne semanifeste pas dans des mots parlés et écrits. En ce quiconcerne le droit, il n'est qu'une réponse possible à l'objec-tion, à savoir qu'elle aboutirait à admettre que seraitinutile la juxtaposition au Code pénal d'un exposé scienti-

fique du droit pénal—

c'est-à-dire, en généralisant, queserait superflue l'existence d'une science du droit à côtédu droit lui-même.

Si les normes juridiques ne peuvent être ni vraies nifausses, parce qu'elles constituent des prescriptions, c'est-à-dire des commandements, des permissions, des habilita-tions, la question se pose de savoir comment il est possible

(1) « Décrire » et « description » sont les mots qui correspondentexactement aux mots « beschreiben » et « Beschreibung » que l'auteuremploie constamment pour désigner la tâche et le travail de la sciencedu droit. Mais il admet que l'emploi de ces mots allemands va asseznettement au-delà de l'usage général; d'après celui-ci, on parleraitplutôt de « darstellen » — exposer, présenter — ou « aussagen » —énoncer, avancer une assertion (N. d. T.).

102 THÉORIE PURE DU DROIT

d'appliquer aux rapports entre normes juridiques (ainsi quel'a fait depuis toujours la théorie pure du droit) des prin-

cipes logiques, en particulier le principe de non-contradic-

tion, et les règles du raisonnement; selon les idées tradi-

tionnelles en effet, ces principes ne sont applicables qu'à des

assertions, qui peuvent être soit vraies, soit fausses. La

réponse à cette question est la suivante; les principes logiques

peuvent être appliqués aux normes juridiques, sinon direc-

tement, du moins indirectement, en tant qu'ils sont appli-cables aux propositions de droit qui énoncent ces normes

juridiques, propositions qui peuvent être vraies ou fausses.Deux normes juridiques se contredisent, et l'on ne peutpar suite pas affirmer à la fois que l'une et que l'autre sont

valables, si les deux propositions juridiques qui les décriventse contredisent; et une norme peut être déduite d'une autrenorme juridique, si les propositions juridiques qui les décrivent

peuvent entrer dans le cadre d'un syllogisme logique.Le fait que ces propositions sont des propositions de

Sollen, et doivent être des propositions de Sollen parcequ'elles décrivent des normes, ne met pas obstacle à cesvues. La proposition qui décrit une norme de droit pénalen vigueur qui prescrit une peine de prison en cas de volserait fausse, si elle déclarait que, conformément à cette

norme, le vol est puni de prison; car il y a des cas où, en

dépit de la validité de cette norme, le vol n'est pas effecti-vement puni, par exemple parce que le voleur se soustraità la punition. La proposition juridique qui énonce cettenorme de droit pénal ne peut avoir que le libellé suivant : si

quelqu'un commet un vol, il doit être puni. Mais le Sollende la proposition juridique n'a pas, comme le Sollen de lanorme juridique, un sens prescriptif; il n'a qu'un sens

descriptif. On méconnaît cette dualité de signification dumot « Sollen », lorsque l'on identifie les propositions norma-tives — c'est-à-dire relatives à des normes — à des impé-ratifs (1).

(1) Christoph SIGWART,Logik (3e éd., Tûbingen, 1904, p. 17 et s.)distingue entre les impératifs qui ne veulent pas être vrais, mais veulentêtre obéis, et qui par suite ne peuvent être ni vrais ni faux, et les juge-ments qui, en tant que propositions énonciatives et affirmatives,veulent être vrais et par suite peuvent être ou vrais ou faux. Parmices jugements, il cite et retient les énonciations relatives aux impé-ratifs. Il déclare : « l'impératif ... ne demande pas qu'on ait foi en savérité, mais qu'on lui obéisse... ; à cette signification immédiate et habi-tuelle de l'impératif en tant qu'expression d'une certaine volonté indi-viduelle, il n'est rien changé d'essentiel lorsqu'il apparaît sous la

DROIT ET SCIENCE 103

forme d'une loi générale. En s'adressant aux citoyens ou à ses coreli-

gionnaires par un impératif, le législateur se conduit envers eux commele particulier envers le particulier; il ne parle pas pour communiquerune vérité qui doit être crue, mais pour publier un commandement

qui doit être obéi; que celui qui commande apparaisse comme unindividu réel ou comme un être collectif, que le motif supposé del'obéissance soit la soumission à l'autorité personnelle ou à un ordre

juridique étatique impersonnel, le contenu de ce qui est énoncé n'est

pas la communication d'une vérité, mais l'exigence de faire ceci etde s'abstenir de faire cela. — Pareillement, la forme « tu dois » dans

laquelle de semblables commandements apparaissent parfois, commedans le Décalogue, n'exprime initialement rien d'autre. Le Sollen estcorrélatif du Wollen... Et cependant, il faut bien constater qu'il existedans ce « tu dois » une équivoque qui ne se rencontre pas dans le

simple impératif. Car « Sollen » a également la signification d'un pré-dicat spécifique dans une assertion qui veut être vraie; Sollen signifiealors être obligé, être lié, prédicat modal qui exprime un rapportexistant entre la volonté subjective individuelle et une puissancequi commande ou une norme objective. La signification de l'impé-ratif originel est maintenant transformé en celle d'un prédicat... etl'affirmation que je suis obligé [c'est-à-dire que je dois me conduired'une certaine façon] peut — sur la base d'un ordre juridique ou moralsupposé — être vraie ou fausse... Finalement, cette même équivoquese transfère aussi à des phrases qui accusent la forme grammaticaled'une simple énonciation. L'article du Code pénal : celui qui faitceci ou cela est puni de telle ou telle façon, ne veut pas informer surce qui se passe réellement comme le fait la formule d'une loi natu-relle, il veut établir une prescription; la même phrase contient cepen-dant une énonciation réelle si la loi est décrite dans son efficacité;elle dit alors ce qui se produit en règle générale à l'intérieur de telou tel Etat ». On voit que, suivant la science du droit traditionnelle,SIGWARTidentifie validité et efficacité. Etant donné que la sciencedu droit décrit la validité d'un ordre juridique, elle ne dit pas ce quia lieu en règle générale, mais ce qui doit avoir lieu d'après un certainordre juridique. Le point important est celui-ci : d'après SIGWART,les propositions de Sollen, sont des jugements qui peuvent être vrais oufaux. On peut par suite opposer à la norme qui statue une certaineconduite comme devant avoir lieu, norme qui ne peut être ni vraie nifausse, mais seulement valable ou non valable, non seulement unjugement de Sein qui décrit une conduite réelle, mais également unjugement de Sollen qui décrit une norme et qui peut être vrai ou fauxtout comme un jugement de Sein.

Harold OFSTAD, « The descriptive définition of the concept of« légal norm » proposed by Hans Kelsen », (Theoria, vol. XVI,2, 1950, p. 118 sqq.) me reproche que ma distinction entre lesnormes juridiques posées par l'autorité juridique et les propo-sitions normatives par lesquelles la science du droit décrit cesnormes, et que — pour les opposer aux normes juridiques — j'appelle« propositions de droit » n'est pas claire. Il observe (p. 132) : « d'aprèsKELSEN,les formulations de la science juridique sont en même tempsdes formulations de devoir et des formulations descriptives. Il seraitintéressant qu'il eût précisé davantage leur sens descriptif et leursens normatif ». Je crois avoir fait cela dans le texte, et je renvoieOFSTADen particulier aux développements cités ci-dessus de SIGWARTconcernant l'équivoque du Sollen.

104 THÉORIE PURE DU DROIT

17. — SCIENCE CAUSALE ET SCIENCE NORMATIVE.

En posant que le droit est norme, ou, plus exactement,

système de normes, ordre normatif, et en limitant la science

du droit à la connaissance et description de normes juri-

diques et des relations fondées par ces normes entre des

faits qu'elles règlent, on trace la frontière qui sépare le

droit de la nature, et la science du droit, en tant que science

normative, de toutes les autres sciences qui visent à la connais-

sance de relations causales entre processus réels, ou ; de fait.

Ainsi, et ainsi seulement obtient-on un critérium sûr permet-tant de séparer sans équivoque société et nature, sciences

sociales et sciences de la nature.

Pour reprendre une des multiples définitions qui en ont été

données, la nature est un certain ordre des choses ou un

système d'éléments qui sont unis les uns aux autres par larelation de cause à effet, c'est-à-dire conformément à un

principe que l'on appelle la causalité. Les « lois naturelles »

par lesquelles la science décrit cet objet,—

par exemple,la proposition : si un métal est chauffé, il se dilate — sontdes applications de ce principe. La relation entre chaleuret dilatation est une relation de cause à effet.

S'il doit exister une science sociale différente des sciencesde la nature, il faut nécessairement qu'elle décrive son

objet d'après un principe différent du principe de causalité.En tant qu'objet d'une telle science différente des sciencesde la nature, la société est un ordre normatif de conduitehumaine.

Mais il n'existe pas de raison suffisante de ne pas envi-

sager la conduite humaine aussi comme un élément de la

nature, c'est-à-dire comme régie elle aussi par le principede causalité, et devant donc être expliquée, tout de même

que les faits de la nature, comme une cause et comme uneffet. On ne saurait douter qu'une telle explication soit

possible, et même qu'elle ait lieu effectivement — tout aumoins dans une certaine mesure. Si une science décrit et

explique la conduite humaine de cette façon, on peut évi-demment la qualifier de science sociale, parce qu'elle a pourobjet la conduite mutuelle des hommes; mais il faut bienvoir qu'une semblable science sociale n'est pas essentielle-ment différente des sciences de la nature.

Cependant, si l'on analyse les assertions que les hommesénoncent relativement à la conduite humaine, il apparaîtque nous unissons des actes de conduite humaine les uns aux

DROIT ET SCIENCE 105

autres, et avec d'autres faits, non seulement d'après le

principe de causalité, c'est-à-dire selon la relation de cause

à effet, mais également d'après un autre principe, foncière-

ment différent de celui de la causalité, mais pour lequelil n'existe malheureusement pas jusqu'à présent dans la

science de dénomination reconnue d'une façon générale.Pour avoir le droit de distinguer la société de la nature

comme un ordre différent, et d'opposer comme essentielle-

ment différentes, les sciences de la nature et les sciences

qui appliquent dans la description de leur objet cet autre

principe d'ordre il faut que l'on puisse prouver qu'un tel

principe est présent daDS notre pensée et est appliqué parles sciences qui ont pour objet la conduite réciproque deshommes en tant que déterminée par des normes, c'est-à-direen d'autres termes : qui ont pour objet les normes quiréglementent cette conduite. La science de la société ne peutêtre opposée à la science de la nature, la société ne peut être

comprise comme un objet différent de l'ordre que repré-sente la nature, et qui est fondé sur la légalité causale, quesi cette société est comprise comme un ordre normatif de laconduite réciproque d'êtres humains. Pour le droit en par-ticulier, c'est seulement s'il apparaît comme un ordre de ce

type qu'il peut être distingué, en tant que phénomène social,de la nature, et que la science juridique peut être séparée,en qualité de science sociale, des sciences de la nature.

18. — CAUSALITÉ ET IMPUTATION :LOI NATURELLE ET LOI JURIDIQUE.

Dans la description d'un ordre normatif de la conduite

réciproque d'êtres humains vient à application cet autre

principe d'ordre, différent, du principe de causalité, que l'onpeut dénommer imputation (Zurechnung). Une analyse dela pensés juridique permet de montrer qu'effectivement,dans les propositions juridiques, ces propositions par les-quelles la science du droit décrit son objet, le droit (que cesoit un droit national ou le droit international)

— un prin-cipe est appliqué, qui, tout en offrant sans doute une ana-logie avec le principe de causalité, s'en distingue néanmoinsde façon très caractéristique.

L'analogie consiste en ceci que le principe en questionjoue dans les propositions juridiques un rôle tout à faitsemblable à celui que le principe de causalité joue dans leslois naturelles par lesquelles la science de la nature décrit

8. THÉORIEPUREDUDROIT.

106 THÉORIE PURE DU DROIT

son objet. On connaît la forme fondamentale de la propo-sition juridique; elle est, on l'a montré précédemment, du

type suivant : si un homme commet un crime, une peinedoit être prononcée contre lui ; ou : si un homme ne paie

pas la dette qui lui incombe, exécution forcée doit êtreordonnée contre son patrimoine, ou : si un homme estatteint d'une maladie contagieuse, il doit être hospitalisédans un établissement destiné à cet effet; finalement, pourdonner un schéma général et abstrait : dans telles et telles

conditions, que détermine l'ordre juridique, un acte decontrainte qu'il définit doit avoir lieu. Les propositions

juridiques lient donc l'un à l'autre, deux éléments, exacte-ment comme les lois naturelles.

Mais voici maintenant la différence considérable : le lien

qu'énonce la proposition juridique a une signification radica-

lement différente de celui que pose la loi naturelle, et qui est lacausalité. Il est absolument évident que le crime et la peine, ledélit civil et l'exécution forcée, la maladie contagieuse et l'in-ternement du malade, ne sont pas liés l'un à l'autre comme lesont une cause et son effet. Dans la proposition juridique, iln'est pas dit, comme dans la loi naturelle, que si A est, 6 est;il y est dit que, si A est, B doit être (soll sein); et ceci n'im-

plique nullement que B sera réellement chaque fois que Asera. Le fait que la signification de la connexion des élé-ments dans la proposition juridique ne soit pas identique àce qu'elle est dans la loi naturelle, a sa source dans cettedonnée que, dans la proposition juridique, la connexionest établie par une norme posée par l'autorité juridique,c'est-à-dire par un acte de volonté, alors que la connexionde la cause et de l'effet qui est énoncée dans la loi naturelleest indépendante de toute semblable intervention.

Certes, dans le cadre des conceptions du monde méta-

physico-religieuses, cette différence disparaît. Car, pour elles,la connexion de la cause et de l'effet est l'oeuvre de la volontédu créateur divin. Par suite, les lois naturelles aussi décriventdes normes où s'exprime la volonté de Dieu, des normes

qui prescrivent à la nature une certaine conduite. Et en consé-

quence, une théorie métaphysique du droit croit pouvoirtrouver dans la nature un droit naturel. Tout au contraire,dans le cadre des philosophies de caractère scientifique, quine permettent d'autre théorie du droit qu'une théorie posi-tiviste, la différence entre loi naturelle et proposition juri-dique doit être maintenue de la façon la plus ferme. Pouréviter toute méprise, il faut cependant rappeler quel sens

DROIT ET SCIENCE 107

précis, un peu particulier, nous attachons au mot « devoir

(sollen) » lorsque nous donnons de la proposition de droit

ce schéma : « dans certaines conditions, telle conséquencedoit (soll) intervenir », autrement dit : lorsque nous expri-mons la connexion établie par la norme juridique entre ces

données de fait constituées en condition d'une part, consé-

quence d'autre part, par la copule « devoir (sollen) ». Nous

l'avons déjà observé (cf. supra, p. 7) et il faut l'affirmer avec

force, nous n'utilisons pas ici ce dernier mot dans son sens

habituel. D'habitude, quand on parle de Sollen, on entend

exprimer exclusivement l'idée d'un commandement, de

quelque chose qui est ordonné. Ici, le Sollen juridique, c'est-

à-dire la copule qui, dans la proposition juridique, unit la

condition et la conséquence, englobe en outre l'idée d'une

habilitation et celle d'une permission. « Sollen » exprimel'une des trois relations suivantes : la conséquence prescrite,la conséquence habilitée, la conséquence

—positivement

permise; le mot désigne également ces trois fonctions nor-

matives. Ce « Sollen » exprime uniquement le sens spécifiquedans lequel les deux faits sont unis l'un à l'autre par unenorme juridique, c'est-à-dire dans une norme juridique. Lascience du droit ne peut exprimer cette connexion établie

par la norme juridique, et en particulier la connexion dudélit et de la sanction, autrement que par la copule « soll ».Pour rendre fidèlement le sens spécifique dans lequel lanorme juridique s'adresse aux organes du droit et aux

sujets de droit, elle ne peut formuler la proposition juridiqueautrement que comme une proposition énonçant que (selonun certain ordre juridique positif), certaines conditions étant

réalisées, une certaine conséquence doit intervenir. Sansdoute a-t-on parfois affirmé que la science du droit énonce

uniquement qu'une norme est « en vigueur » dans un ordre

juridique déterminé à un moment déterminé, que par consé-

quent, à la différence de la norme juridique, elle n'énoncenullement un Sollen, mais un Sein. Mais c'est là une idéefausse : l'assertion qu'une norme qui ordonne une certaineconduite ou qui l'habilite ou qui la permet positivement est« en vigueur » ne peut pas signifier que cette conduite a lieueffectivement : dès lors, elle ne peut présenter qu'une seulesignification : à savoir que cette conduite doit avoir lieu (1).

(1) ANDERSWEDBERG,« Some Problems in the logical Analysisof légal Science, (Theoria, vol. XVII, Stockholm, 1951, p. 246 sqq.)distingue entre « deux types de propositions juridiques »,

108 THÉORIE PURE DU DROIT

En particulier, la science du droit ne peut pas énoncer

que, selon un ordre juridique donné, si un délit est commis,une sanction intervient effectivement. En produisant sem-blable assertion, elle se mettrait en contradiction avec la

réalité; car en fait, il arrive souvent qu'un délit est commissans que la sanction instituée pour ce cas par l'ordre juri-

dique se réalise : et cette réalité n'est pas l'objet que doitdécrire la science du droit.

Il est bien vrai que ces normes d'un ordre juridique quela science du droit a pour rôle de décrire ne valent, c'est-à-dire que les conduites définies par elles ne doivent avoir lieu,en un sens objectif, que lorsqu'effectivement ces conduites

correspondent jusqu'à un certain point à l'ordre juridique.Mais ceci ne change rien à ce qui a été dit : — car cetteefficacité de l'ordre juridique n'est — il ne faut pas cesserde l'affirmer —

que la condition de la validité, elle n'est

les propositions « internes » et les propositions « externes ». Par « pro-positions internes », il entend « des propositions qui constatent lesrègles légales elles-mêmes », c'est-à-dire en somme : la descriptionde la norme juridique ; par propositions externes, il entend «des proposi-tions qui constatent qu'une règle donnée est ou n'est pas « en vigueur »pour une société donnée à un moment donné (p. 252-253), c'est-à-dire en somme : la proposition qu'une norme est valable, est en vigueur,ou n'est pas en vigueur dans le cadre d'un ordre positif déterminé.WEDBERGdistingue aussi entre propositions factuelles et propositionsnormatives, et il entend par « propositions factuelles » des proposi-tions de Sein, par « propositions normatives » « la prescription, la pro-hibition et la permission », par conséquent des normes de Sollen etdes propositions de Sollen (p. 251). Il ne distingue pas entre les normesde Sollen et les propositions de Sollen qui les décrivent ou les exposent.Les propositions qualifiées par lui d' « internes » sont des propositionsnormatives, des propositions de Sollen; les propositions qu'il qualified' « externes », sont des assertions de fait. D'après ses vues, l'assertionqu'une norme est « en vigueur » est par conséquent une propositionde fait, une énonciation relative à un fait de Sein : le fait que la normea été posée par un acte de législateur ou par la coutume, ou qu'elleest efficace. Il voit dans ces faits la « base de fait de la science dudroit » (p. 247/8). Il affirme que les assertions d'une science du droitne peuvent avoir légitimement que le caractère de semblables asser-tions de fait : « les assertions d'une science du droit reconstruite defaçon rationnelle devraient être essentiellement des assertions depropositions externes. Des propositions internes exprimant des règlesde droit ne devraient pas être affirmées sans distinctions mais uniquementlorsque (1°) elles sont effectives et que (2°) leur vérité peut être prou-vée empiriquement (p. 261).

Contre cette conception de l'essence de la science du droit, quedéfend WEDBERGil faut remarquer, comme on l'a déjà expliqué plusprécisément au texte, que si l'objet de la science du droit est le droit,et si, comme WEDBERGl'admet, le droit est une norme, les proposi-

DROIT ET SCIENCE 109

pas la validité elle-même. Si la science du droit doit expri-

mer le fait de la validité de l'ordre juridique, c'est-à-dire

le sens spécifique dans lequel l'ordre juridique s'adresse aux

individus qui lui sont soumis, elle ne peut énoncer qu'uneseule chose, à savoir que, selon un certain ordre juridique,sous la condition qu'un délit défini par l'ordre juridiquesoit commis, certaines sanctions définies par le même ordre

juridique doivent intervenir ; et ce mot « doivent » recouvre

aussi bien le cas où l'exécution de la sanction n'est que

positivement permise ou habilitée que le cas où elle est

ordonnée. Les propositions juridiques que la science du droit

doit formuler ne peuvent être que des propositions affirmant

une devoir être (Soll-Sâtze). Mais il faut observer — et c'est

la difficulté logique que présente l'analyse de ces données—

que l'emploi du mot sollen par et dans les propositions juri-

diques formulées par la science du droit ne fait en aucune

tions de la science du droit, c'est-à-dire les propositions par lesquellesla science décrit le droit, ne peuvent pas être des propositions de Sein,mais doivent nécessairement être des propositions de Sollen, — quel'assertion qu'une certaine norme juridique est en vigueur (« in Kraft »,« in force ») signifie la même chose que l'affirmation qu'une normejuridique donnée est en vigueur, laquelle affirmation signifie à sontour — et rien de plus ni de moins — que l'on doit se conduire commela norme juridique le prescrit. L'assertion qu'une norme juridiquea été effectivement posée n'est pas une description, un exposé de lanorme juridique, mais l'exposé d'un fait dont la norme juridique estla signification; l'assertion porte par conséquent sur un objet autreque le droit. WEDBERGadmet que les propositions de la science dudroit doivent nécessairement être des propositions de Sein parce qu'iladmet que la science en tant que science « objective », empirique, nepeut avancer que des dénonciations relatives à des «faits observables »,c'est-à-dire des faits de Sein (p. 247), et que donc seules les proposi-tions de Sein peuvent être vraies. « Si un juriste de science affirmeuniquement des propositions externes, tout ce qu'il affirme peut trèsbien être vrai, et ses buts et ses méthodes ne sont pas essentiellementdifférentes de celles de bien d'autres activités scientifiques. Le statutscientifique des propositions externes est entièrement indépendantdu statut scientifique des propositions internes, c'est-à-dire des règlesjuridiques elles-mêmes » (p. 260). En disant cela, WEDBERGnégligece fait que ce ne sont pas seulement des propositions de Sein, maiségalement des propositions de Sollen décrivant des normes de Sollenqui peuvent être vraies, parce que le Sollen de la norme et le Sollende la proposition qui la décrit ont un caractère logique différent. Lascience du droit demeure à l'intérieur des limites de l'expérience aussilongtemps qu'elle n'a pour objet que des normes qui sont posées pardes actes humains, et qu'elle ne se rapporte pas à des normes quiémaneraient d'instances supra-humaines, transcendantes, c'est-à-diretant qu'elle exclut toute spéculation métaphysique. Voir à ce sujet,infra, p. 281 sqq.

110 THÉORIE PURE DU DROIT

façon qu'elles prennent la signification autoritaire des normes

juridiques qu'elles décrivent; dans les propositions juridiques,le Sollen a un caractère simplement descriptif. Mais du fait

que les propositions juridiques décrivent quelque chose, ilne suit pas que ce qu'elles décrivent soit des faits réelsou positifs. Car il n'y a pas que les faits réels ou positifs quipuissent être décrits; les normes aussi peuvent l'être. En

particulier, les propositions juridiques ne sont pas des impé-ratifs; elles sont des jugements, des assertions relatives àun objet donné à la connaissance (1). Pas davantage n'im-

pliquent-elles aucune sorte d'approbation donnée aux normes

(1) Ceci est le sens de la thèse que j'ai défendue dans mon livre : Haupt-probleme der Slaatsrechtslehre, entwickelt aus der Lehre vom Rechtssatz(1911). Mais dans ce livre je n'ai pas rendu ce sens suffisamment clair,pour la raison que je n'avais pas encore traduit dans la terminologiela distinction entre proposition de droit et norme juridique. Dans lapremière édition du présent ouvrage, l'antithèse entre la fonction de l'au-torité juridique qui consiste à créer des normes et celle de la science dudroit qui formule des propositions de droit est affirmée avec la plusgrande insistance; mais différence entre norme juridique et proposi-tion de droit n'est pas encore maintenue sur le plan terminologiqued'une façon parfaitement conséquente. La thèse que les normes dont secompose le droit ne sont pas des impératifs, mais des jugements hypo-thétiques, a été soutenue pour la première fois par Ernst ZITELMANN,Irrtum und Reditsgeschàft, (Leipzig, 1879, p. 200, 222 et 223). Lesnormes juridiques, ou— ce qui était synonyme pour Zitelmann — lespropositions de droit affirment, de même que les lois naturelles ceuneliaison causale entre certains faits et un Sollen, c'est-à-dire le faitqu'une personne est obligée » (Op. cit., p. 222). Mais « la loi naturelledétermine quel effet un fait doit avoir, la loi naturelle donne les lois »(p. 205). Zitelmann nomme la causalité affirmée dans les normes juri-diques — qu'il appelle propositions de droit — une « causalité juri-dique ». Il la place à côté de la « causalité naturelle ». Il a d'ailleursconscience que la causalité juridique n'est pas identique à la causaliténaturelle, qu'il n'y a ici qu'une simple analogie. Il remarque : «On peutnous critiquer d'avoir donné à la relation affirmée dans la normejuridique le nom de causalité juridique, d'avoir parlé de cause etd'effet juridiques, et l'on est libre de choisir des expressions meil-leures; cela n'affecte pas le fait qu'il existe une relation nécessaired'une nature proprement juridique » (p. 225). Zitelmann a approchéconsidérablement de la reconnaissance du fait qu'il existe une liaisond'éléments spécifiquement normative analogue à la connexion causale.Mais il n'est pas parvenu pour l'essentiel jusqu'à cette connaissance,parce que, dans la ligne de la science du droit traditionnelle, il n'a pasdistingué entre la norme juridique, fonction de l'autorité qui crée ledroit, et la proposition du droit, fonction de la science du droit quidécrit le droit, et parce qu'il n'a pas vu que cette sorte de liaison etconnexion d'éléments n'est pas exposée seulement dans la descriptiondu droit, mais bien dans la description de tous les systèmes de normes.Cf. également, KELSEN,Hauptptobleme der Staatsrechtslehre, p. 255 sqq.

DROIT ET SCIENCE 111

juridiques qu'elles décrivent. Le juriste scientifique, quidécrit le droit, ne s'identifie pas avec l'autorité juridique

qui pose les normes juridiques. Une proposition juridiquedemeure une description objective; elle ne devient pas

prescription. Tout comme la loi naturelle, elle énonce sim-

plement le lien qui unit deux faits, c'est-à-dire une connexion

fonctionnelle.Bien que la science du droit ait pour objet des normes

juridiques, et par conséquent les valeurs juridiques fondées

par elles, ses propositions sont cependant, de même que les

lois naturelles de la science de la nature, une descriptionde leur objet exempte de toute appréciation de valeur.

Autrement dit, la description a lieu sans référence aucune

à une valeur méta-juridique, et sans que jouent ces facteurs

émotionnels que sont l'approbation et la désapprobation.Celui qui, se plaçant au point de vue de la science du droit,affirme dans sa description d'un ordre juridique positif que,sous une condition déterminée dans cet ordre juridique, unacte de contrainte défini par lui doit être posé, le fera mêmes'il considère l'imputation de l'acte de contrainte à sa condi-tion comme injuste et si donc il la désapprouve. Il faut

distinguer les normes qui fondent la valeur juridique desnormes d'après lesquelles on porte des jugements de valeursur le contenu du droit, c'est-à-dire sur ses règles. Si l'onadmet que la science du droit ait à se prononcer en quelquefaçon sur la question de savoir si une conduite concrèteest régulière ou irrégulière, licite ou illicite, sa réponse ne

peut être autre chose qu'une assertion sur le point de savoirsi cette conduite est prescrite ou interdite, habilitée ou non

habilitée, permise ou non permise, dans l'ordre juridiquequ'elle doit décrire; et cette assertion est complètementindépendante du fait que le juriste qui la formule tient cetteconduite pour moralement bonne ou moralement mauvaise,qu'il l'approuve ou au contraire la désapprouve.

Puisque, à l'instar des lois naturelles, les propositionsjuridiques énoncent une connexion fonctionnelle, on peut—

par analogie avec ces lois naturelles — les appeler lois

juridiques (Rechtsgesetze). En employant le mot « sollen »,ces lois -r- on l'a observé déjà, mais il faut le souligner avecinsistance — ne font qu'exprimer le sens spécifique dans

lequel condition et conséquence, en particulier délit et sanc-tion, sont liés l'un à l'autre par la norme juridique; liensans doute analogue à celui qui est exprimé dans la relation

112 THÉORIE PURE DU DROIT

de cause à effet qu'exprime la loi naturelle, mais tout diffé-

rent quand même.De même que la loi naturelle est une assertion qui décrit

la nature, et n'est pas l'objet même qu'elle entend décrire,de même la loi juridique, c'est-à-dire la proposition quidécrit le droit, la proposition juridique formulée par la

science du droit, n'est pas l'objet à décrire, c'est-à-dire n'est

pas le droit, n'est pas la norme juridique elle-même. Celle-ci

n'est pas en réalité une loi, — bien qu' « on la nomme« loi » lorsqu'elle a un caractère général —, on veut dire

qu'elle n'est pas quelque chose qui puisse être qualifié de« loi » par une analogie quelconque avec la loi naturelle.

Car elle n'est pas une assertion qui décrive une relation entre

des faits, une connexion fonctionnelle. Elle n'est pas du

tout une assertion, elle est la signification d'un acte par

lequel quelque chose est prescrit et qui fonde ainsi la rela-

tion entre des faits, la connexion fonctionnelle antérieure-

ment inexistante, que la proposition juridique en tant queloi juridique viendra décrire.

Il faut ici observer que la proposition juridique qui se

présente comme une loi juridique a — de même que la loi

naturelle — un caractère général; en d'autres termes, qu'elledécrit les normes générales de l'ordre juridique, et les rela-

tions créées par elle. Pour ce qui est des normes juridiquesindividuelles qui sont posées par les décisions juridiction-nelles et les décisions administratives, la science du droit les

décrit d'une façon analogue à celle dont la science de la

nature décrit une expérience concrète en la rapportant à

une loi naturelle, qui se manifeste dans cette expérience. Par

exemple, un Manuel de physique contiendra un passage de

ce genre : étant donné que, selon une loi naturelle, un corpsmétallique se dilate s'il est chauffé, la boule de métal, uti-lisée par un physicien, qui, avant d'être chauffée, passaità travers un anneau de bois, ne peut plus le traverser unefois qu'elle a été chauffée. Dans un Manuel de droit pénalallemand, on lira : étant donné que, d'après une loi juri-dique à formuler en se fondant sur le droit allemand, l'in-dividu qui a commis un vol doit être puni d'une peine de

prison par un tribunal, le tribunal X, siégeant à Y, aprèsavoir établi que A a commis un vol, décide que A doit êtreincarcéré de force à la prison Z pour une année. La propo-sition selon laquelle A, qui a commis un certain vol, doitêtre incarcéré de force pour une durée d'une année dans

DROIT ET SCIENCE 113

la prison Z, décrit la norme individuelle qu'a posée le tri-

bunal X siégeant à Y.

En désignant par le mot « imputation (Zurechnung) » la

connexion entre condition et conséquence exprimée dans la

proposition juridique par le mot « sollen », on n'introduit

nullement un mot nouveau dans une discipline qui opère

depuis longtemps déjà avec la notion de « capacité » d'im-

putation (Zurechnungsfâhigkeit) ». Est « capable d'impu-tation » celui qui peut être puni, c'est-à-dire celui dont la

responsabilité peut être engagée, à raison de ses actes; est

« incapable d'imputation » celui qui—

par exemple parce

qu'il est mineur ou parce qu'il est aliéné — ne peut pasêtre puni, c'est-à-dire ne peut pas voir sa responsabilité

engagée du fait de ces mêmes actes. On dit sans doute quel'action ou l'abstention du premier lui est imputée, qu'aucontraire celles du second ne lui sont pas imputées. Maisl'action ou l'abstention en question n'est imputée, ou aucontraire n'est pas imputée, que par le fait que dans uncas l'acte est lié à une sanction et prend ainsi le caractèrede délit, alors que dans l'autre cas il n'en est pas ainsi —

d'où il suit qu'un sujet incapable d'imputation ne peut pascommettre de délit. Mais que signifie ceci, sinon que l'im-

putation ne consiste en rien d'autre qu'en cette liaison dudélit et de la sanction ? L'imputation qui s'exprime dans lanotion de capacité d'imputation n'est par conséquent pas— contrairement à ce qu'admet la théorie traditionnelle —

la relation entre une certaine conduite et l'homme qui l'a

eue; pour établir cette relation-là, il n'est pas besoin d'unenorme juridique; car la conduite ne se laisse pas séparerde l'homme qui l'adopte; la conduite d'un sujet incapabled'imputation aussi est sa conduite, son action, son absten-

tion, bien qu'elle ne soit pas un délit imputable. L'imputa-tion qui s'exprime dans la notion de capacité d'imputationest la connexion entre une certaine conduite, le délit, etune sanction. Par suite, l'on peut dire : la sanction estimputée au délit, alors que l'on ne pourrait pas dire qu'elleest provoquée par le délit comme un effet est provoqué parsa cause. Que la science du droit ne vise pas à une explica-tion causale des phénomènes juridiques délit et sanction,cela va de soi. Dans les propositions juridiques par lesquelleselle décrit ces phénomènes, elle n'applique pas le principede causalité, mais un principe que

— comme le montre1analyse qui précède — on peut nommer : imputation.

114 THÉORIE PURE DU DROIT

19. — LE PRINCIPE D'IMPUTATION

DANS LA PENSÉE DES PRIMITIFS.

L'étude des sociétés primitives et des traits originauxde la mentalité primitive fait apparaître que le même prin-cipe se rencontre à la base de l'interprétation de la nature

qu'adopte l'homme primitif (1). Il est plus que vraisem-blable que le primitif n'explique pas encore les phénomènesnaturels d'après le principe de causalité. Ce principe, quiest le principe fondamental des sciences de la nature, repré-sente, comme celles-ci elles-mêmes, une conquête d'une civi-lisation relativement avancée. L'homme primitif interprèteles faits qu'il perçoit par les sens d'après les mêmes prin-cipes qui déterminent ses relations avec ses voisins, c'est-à-dire d'après des normes sociales.

C'est un fait fondamental que, lorsque des hommes viventen commun dans un groupe, la représentation naît dansleur conscience que telle conduite est bonne ou juste, telleautre conduite mauvaise ou injuste; en d'autres termes,

que les membres du groupe doivent dans certaines condi-tions se conduire d'une certaine façon, et cela en un sens

objectif, de sorte qu'un individu qui, dans un cas concret,désire une conduite contraire et se conduit effectivement

d'après son désir, a conscience qu'il ne s'est pas comportéde la façon dont il devait se comporter. Cela signifie quedans la conscience des hommes vivant en société existe la

représentation de normes réglant leur conduite réciproqueet qui lient l'individu. C'est en outre un fait que les hommes

qui vivent ensemble dans un groupe jugent leur conduite

réciproque d'après de telles normes qui réellement naissent

par voie de coutume, même lorsqu'elles sont interprétéescomme des ordres d'une autorité supra-humaine. Les normesles plus anciennes de l'humanité sont sans doute celles quitendent à contenir, dans certaines limites, l'instinct sexuel et

l'instinct d'agression. L'inceste et le meurtre sont sansdoute les plus anciennement admis des crimes, et la misehors la loi —• exclusion du groupe

— et la vendetta sontsans doute les plus anciennes des sanctions socialement orga-nisées. A leur base se trouve une règle qui domine la vie

sociale toute entière des primitifs, la règle de la rétribution.Elle comprend la peine aussi bien que la récompense; on

(1) Cf. KELSEN,Vergeltung und Kausalitàt, La Haye, 1941, p. 1 et s.et Society and Nature, Chicago, 1943, p. 1 sqq.

DROIT ET SCIENCE 115

peut la formuler à peu près de la façon suivante : si tu te

comportes bien, tu dois être récompensé, c'est-à-dire il doit

t'échoir quelque chose de bon; si tu te comportes mal, tu

dois être puni, c'est-à-dire qu'il doit t'échoir quelque chose

de mauvais. Dans cette règle fondamentale, la condition

et la conséquence sont unies l'une à l'autre, non pas selon

le principe de causalité, mais selon le principe d'imputation.En tant qu'existe dans sa conscience un besoin d'expliquerles phénomènes, le primitif recourt au principe de rétri-

bution. Si un événement est ressenti comme un mal, il est

interprété comme une peine pour une conduite mauvaise,

pour un délit ; s'il est ressenti comme un bienfait, il est inter-

prété comme la récompense d'une bonne conduite. En

d'autres termes, les maux, c'est-à-dire les événements défa-

vorables, tels que mauvaise récolte, chasse infructueuse,défaite à la guerre, maladie, mort, sont imputés à titre de

peines à la conduite irrégulière des membres du groupe;les événements avantageux, tels que bonne récolte, chasse

heureuse, victoire à la guerre, santé, longue vie, sont impu-tés, à titre de récompenses, à la conduite régulière desmembres du groupe. Lorsqu'un événement se produit quiappelle une explication dans la conscience des primitifs

et c'est seulement un événement qui touche leurs intérêtsde façon directe —, celui-ci ne demande pas : quelle estla cause de ce fait, mais : qui est-ce qui est responsablede ce fait ? C'est une interprétation normative de la nature,ce n'en est pas une interprétation causale; et étant donné

que le principe de rétribution qui est la base de cette inter-

prétation est un principe spécifiquement social réglant laconduite mutuelle des individus, on peut appeler cette façond'interpréter la nature : interprétation socio-normative dela nature.

Ce qu'on appelle l'animisme des primitifs, cette idée qu'ilsont que l'homme n'a pas seul une âme, que toutes les chosesen ont une, sont animées, également celles que nous consi-

dérons, nous, comme inanimées, —que, dans les choses

ou derrière elles, existent des esprits invisibles mais puis-sants, c'est-à-dire que toutes les choses sont des hommesou des êtres semblables aux hommes, des personnes, cetteidée repose sur la croyance que les choses se conduisent à1égard des hommes exactement comme les hommes seconduisent les uns à l'égard des autres, c'est-à-dire d'aprèsle principe de rétribution, c'est-à-dire d'après le principede peine et récompense. Dans la croyance des primitifs,

116 THÉORIE PURE DU DROIT

c'est de ces âmes ou ces esprits que procède le malheur des

hommes, qui est une peine, ou leur bonheur, qui est une

récompense. S'il existe dans la croyance des primitifs une

relation, d'une part entre la conduite mauvaise des hommeset leur malheur à titre de peine, d'autre part entre leurconduite bonne et le bonheur à titre de récompense, c'est

parce qu'ils croient que des êtres puissants, supra-humains mais personnels, dirigent la nature dans cet esprit,c'est-à-dire d'après le principe de rétribution; l'essence del'animisme est une interprétation personnaliste, ce qui veutdire une interprétation socio-normative de la nature, une

interprétation qui obéit, non pas au principe de causalité,mais au principe d'imputation. ^

En conséquence, il ne peut pas exister dans la consciencedu primitif quelque chose de tel que la nature au sens dela science moderne, un ordre d'éléments qui sont unis lesuns aux autres selon le principe de causalité. Ce qui estnature du point de vue de la science moderne est, pour le

primitif, une partie de sa société, ordre normatif dont leséléments sont unis les uns aux autres selon le principed'imputation. Le dualisme de la nature en tant qu'ordrecausal et de la société en tant qu'ordre normatif, le dualismede deux méthodes différentes de relier les uns aux autresles éléments donnés est complètement étranger à la conscience

primitive. Qu'un tel dualisme existe dans la pensée del'homme civilisé, c'est le résultat d'une évolution intellec-tuelle qui conduit à faire une distinction entre les êtreshumains et les autres êtres, entre les hommes et les choses,ou les personnes et les choses — distinction qui est inconnuedes primitifs —, et qui conduit à ce que l'explication causaledes relations entre les choses se détache de l'interprétationnormative des relations entre les hommes. La science dela nature moderne est le résultat d'une émancipation de

l'interprétation sociale de la nature, c'est-à-dire de l'ani-misme. En usant d'une formule peut-être un peu pousséedans un sens paradoxal, on pourrait dire qu'au début de

l'évolution, pendant la période animiste de l'humanité,seule a existé la société, ordre normatif, et que la nature entant qu'ordre causal a été une création ultérieure de la

science, après que celle-ci se fut libérée de l'animisme.L'instrument de cette émancipation fut le principe de

causalité.

DROIT ET SCIENCE 117

20 — LA NAISSANCE DU PRINCIPE DE CAUSALITÉ

A PARTIR DU PRINCIPE DE RÉTRIBUTION.

Il est plus que vraisemblable que la loi de causalité est

née du principe de rétribution (1). C'est le résultat d'une

transformation du principe d'ipmutation, d'après lequeldans la norme de rétribution, la conduite irrégulière est liée

à une peine et la conduite régulière liée à une récompense.Ce processus de transformation a commencé dans la philo-

sophie de la nature des anciens Grecs; il est extrêmement

caractéristique que le mot grec qui désigne la cause (ai-rla.)est originairement exactement équivalent à faute : la cause

porte la faute de l'effet, elle est responsable de l'effet; l'effet

est imputé à la cause, de la même façon que la peine est

imputée au délit. Une des premières formulations de la loi

de causalité est le célèbre fragment d'Heraclite : « Si le

soleil ne se maintient pas dans le chemin qui lui est pres-crit, les Erinnyes, instruments de la justice, sauront leremettre dans le droit chemin. » On voit ici la loi naturelle

apparaître encore comme une proposition de droit; lesoleil ne quitte pas le chemin qui lui est prescrit parceque, s'il le faisait, les organes du droit interviendraientcontre lui. Le pas décisif dans ce passage d'une interpréta-tion normative à une interprétation causale de la nature,du principe de l'imputation au principe de causalité, consisteen ceci que l'homme prend conscience que les relations entreles choses — à la différence des relations entre les hommes— sont déterminées indépendamment d'une volonté humaineou supra-humaine, ou, ce qui revient au même, en ce qu'ellesne sont pas déterminées par des normes : la conduite deschoses n'est pas prescrite ou permise par une quelconqueautorité. La complète purification du principe de causa-lité de tous les éléments d'une pensée animiste, c'est-à-dire personnaliste, la conception de la causalité comme un

principe différent du principe d'imputation n'a pu avoirlieu que progressivement. Ainsi par exemple, l'idée que lacausalité constitue une relation absolument nécessaire entrela cause et l'effet —

conception encore prédominante audébut de vingtième siècle — est certainement une consé-quence de l'idée qu'elle est la volonté d'une autorité abso-lue et toute puissante, et par suite transcendante, existant

(1) V. KELSEN, Vergeltung und Kausalitàt, p. 259 sqq. et Societyand Nature, p. 249 sqq.

118 THÉORIE PURE DU DROIT

au delà du domaine de l'expérience humaine, qui établitla connexion entre cause et effet. Si l'on abandonne cettedernière représentation, rien ne s'oppose plus à ce quesoit éliminé de la notion de causalité l'élément de néces-sité et à ce qu'il soit remplacé par l'élément d'une simplevraisemblance. Mais si l'élément de nécessité est cependantmaintenu, il doit inévitablement subir un changement de

signification : de la nécessité absolue de la volonté divine,

qui s'exprime dans la relation de cause à effet, il doit devenirune nécessité de la pensée humaine, c'est-à-dire : la vali-

dité, sans aucune exception, d'un postulat de la connais-sance humaine.

21. — SCIENCE SOCIALE CAUSALE

ET SCIENCE SOCIALE NORMATIVE.

Une fois reconnu le principe de causalité est applicableégalement au comportement des êtres humains. La psycholo-

gie, l'ethnologie, l'histoire, la sociologie sont des sciences quiont pour objet ce comportement des êtres humains en tant

qu'il est déterminé par des lois causales, c'est-à-dire en tant

qu'il se déroule dans le domaine de la nature, de la réaliténaturelle. Si l'on considère ces disciplines qui visent à l'expli-cation causale comme des « sciences sociales » —

pour lemotif qu'elles portent sur le comportement mutuel des

hommes —, il n'y a (on l'a déjà relevé) alors aucune diffé-rence essentielle entre ces « sciences de la société » et les

sciences de la nature, telles que physique, biologie ou phy-siologie. C'est une autre question que de savoir dans quellemesure on peut parvenir à une telle explication causaledu comportement humain. En tout cas, s'il existe à cet

égard une différence entre les sciences sociales en questionet les sciences de la nature, ce n'est au plus qu'une diffé-rence de degré, et non une différence de principe. Seulesdiffèrent essentiellement des sciences de la nature, les sciencessociales qui interprètent la conduite réciproque des hommes,non d'après le principe de causalité, mais d'après le prin-cipe d'imputation

— sciences qui, elles, ne se proposentpas de décrire la façon dont la conduite humaine, déterminée

par des lois causales, se déroule dans le domaine de la réalité

naturelle, mais de décrire comment, déterminée par des

normes positives, c'est-à-dire posées par des actes humains,elle doit se dérouler. Si l'on oppose le domaine dont il s'agitici comme un domaine de valeurs, au domaine de la réalité

DROIT ET SCIENCE 119

naturelle, il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agit là de

valeurs qui sont constituées par des normes positives, c'est-

à-dire posées dans l'espace et le temps par des actes humains,

que par suite l'objet de ces sciences sociales n'est pas irréel,

qu'il possède, lui aussi, une certaine sorte de réalité, cette

réalité étant seulement autre que la réalité naturelle, posi-tivement : une réalité sociale. Sont de telles sciences sociales

l'éthique, c'est-à-dire la science de la morale, et la jurispru-dence, la science du droit. On peut les qualifier de sciences

normatives, mais en entendant par cette épithète, non pas

qu'elles posent des normes pour la conduite humaine et

qu'ainsi elles permettent positivement ou habilitent certains

comportements, mais — ce qui est tout autre chose —

qu'elles décrivent certaines normes posées par des actes

humains, et les relations entre êtres humains fondées parces normes. Le théoricien de la société n'est pas en qualitéde théoricien de la morale ou de théoricien du droit, uneautorité sociale. Sa tâche n'est pas de réglementer la société

humaine, mais de connaître, de comprendre la sociétéhumaine. La société, considérée comme objet d'une sciencesociale normative, est un ordre normatif de la conduite

réciproque des hommes. Ceux-ci font partie d'une sociétédans la mesure où un tel ordre règle leur conduite, parprescriptions, habilitations ou permissions positives. Lorsquel'on pose qu'une certaine société est constituée par un ordrenormatif qui règle la conduite réciproque d'une pluralitéd'hommes, on doit se souvenir qu'ordre et société ne sontpas deux choses distinctes l'une de l'autre, mais bien uneseule et même chose, que la société ne consiste en riend'autre qu'en cet ordre, et que si la société est qualifiéede collectivité, ce qui est essentiellement commun à ces

hommes, c'est l'ordre qui règle leur comportement mutuel.Ceci apparaît d'une façon particulièrement claire dans le

cas d'un ordre juridique : il peut avoir pour sujets— et par

conséquent la collectivité juridique qu'il fonde peut com-prendre comme membres des hommes de langue, de race,de religion, de philosophie différentes, et encore, tout spé-cialement, des hommes qui appartiennent à des groupesd'intérêts hostiles les uns aux autres. Ils forment tousensemble une collectivité juridique dans la mesure où ilssont soumis à un seul et même ordre juridique, c'est-à-diredans la mesure où leur conduite mutuelle est réglée par unseul et même ordre juridique.

Il est exact que l'on ne considère un ordre normatif

120 THÉORIE PURE DU DROIT

comme valable que dans la mesure où il est en gros et de

façon générale efficace, et que si un ordre normatif, en par-ticulier un ordre juridique, est efficace, c'est-à-dire si lesactes humains qu'il règle y sont au total conformes, on peutaffirmer : si les conditions qui sont statuées dans les normesde l'ordre social sont aussi données effectivement, les consé-

quences que ces normes attachent à ces conditions, inter-viendront selon toute vraisemblance; ou, dans le cas d'unordre juridique efficace : si un délit défini par l'ordre juri-dique a été commis, la sanction prescrite par cet ordre

juridique interviendra vraisemblablement. Si l'on admet

que le rapport de cause à effet ne représente pas une néces-sité absolue, mais une simple vraisemblance, et que l'essencede la causalité consiste dans la possibilité de prévoir desévénements futurs, alors il semble que les lois juridiquesne se distinguent absolument pas des lois de la nature, et

que par suite elles doivent être formulées comme des pro-positions indicatives et non comme des propositions impé-ratives. De même que les lois naturelles prévoient commentla nature se comportera dans l'avenir, les lois juridiquesprévoient comment la société (ou l'Etat) se conduira dansle futur. Une loi naturelle énonce : si un corps métalliqueest chauffé, il se dilatera; une loi juridique énonce : si unhomme vole, il sera puni par le tribunal.

Partant de cette idée, des représentants américains émi-nents de la théorie dite « réaliste » du droit affirment que ledroit n'est rien qu'un ensemble de prophéties sur la façondont les tribunaux décideront, que le droit est donc unescience de prédiction (1).

Face à cette thèse, il faut d'abord constater que l'affirma-tion que les lois juridiques sont, à l'instar des lois natu-

relles, des assertions relatives à des événements futurs, ne

peut pas se rapporter aux normes juridiques générales sta-tuées par le législateur, ni aux normes juridiques indivi-duelles contenues dans les décisions des tribunaux, c'est-à-dire qu'elle ne peut pas se rapporter au droit, mais seulementaux propositions de droit formulées par la science du droit,

qui décrivent le droit. On l'a observé dans des pages anté-

rieures, les normes juridiques ne sont pas des assertions ni

sur des événements futurs ni sur des événements passés.Sans doute, elles se rapportent en général à des actes humains

futurs, mais elles ne produisent pas des assertions relatives

(1) Cf. KELSEN,General Theory of Law and State, p. 165 sp.

DROIT ET SCIENCE 121

à ces actes; ce qu'elles font, c'est de les prescrire, ou de

les habiliter, ou de les autoriser. Au contraire, les propo-sitions de droit formulées par la science de droit sont bien

des énonciations ou assertions, elles, mais, à la différence des

lois naturelles, ces assertions ne posent pas que quelquechose se produira, mais —

parce que les normes juridiques

qu'elles décrivent prescrivent, habilitent ou autorisent positi-vement — ces assertions posent que, selon ce droit que la

science du droit entreprend de décrire, quelque chose doit

arriver. Objectera-t-on que les normes juridiques ne peuventêtre considérées comme valables par la science du droit que

lorsqu'elles sont efficaces et que, si les propositions de droit

ne décrivent que des normes juridiques efficaces, elles sont

des assertions relatives à des événements réels ? L'objectionne porte pas. Car, ainsi qu'on l'a montré précédemment,validité et efficacité ne sont pas identiques. Pour qu'unenorme juridique soit valable, il n'est pas nécessaire qu'ellesoit efficace pleinement, il suffit qu'elle soit efficace, c'est-à-dire appliquée et obéie, jusqu'à un certain point. Il faut tou-

jours qu'il se puisse faire qu'elle soit inefficace, c'est-à-dire

qu'elle ne soit pas appliquée ni suivie dans certains cas. C'est

précisément en ce point qu'apparaît la différence entreloi juridique et loi naturelle. Si le savant constate un fait

qui est en contradiction avec ce que l'on considérait commeune loi naturelle, cette loi naturelle doit être abandonnée

par la science comme fausse et être remplacée par une autreloi qui s'accorde avec le fait nouvellement découvert. Au

contraire, une conduite contraire aux normes juridiquespourvu que sa fréquence n'excède pas une certaine

mesure, n'amène pas la science du droit à considérerla norme juridique violée par cette conduite comme non

valable, et par suite à remplacer la proposition de droitdécrivant le droit par une autre. Les lois naturelles formu-lées par les sciences de la nature doivent être adaptées aux

faits; ce sont au contraire les faits d'action et d'abstentionhumaines qui doivent s'adapter aux normes juridiques quela science du droit s'attache à décrire. C'est pourquoi les

propositions de droit qui décrivent le droit doivent êtrenécessairement des propositions de Sollen, des proposi-tions normatives.

La confusion entre droit et science du droit qui se trouvedans la «théorie réaliste du droit (« realistische Jurisprudenz »)»est extrêmement caractéristique, et montre clairementla néces-sité de poser la notion de proposition de droit, comme une

9. THÉORIEPUREDUDROIT.

122 THÉORIE PURE DU DROIT

notion distincte de celle de norme juridique; la propositionde droit sera la loi juridique, analogue à la loi de la nature,mais cependant différente d'elle.

On peut par ailleurs douter que les lois naturelles soientdes prédictions de phénomènes futurs. Il est vrai que leslois naturelles se confirment, lorsque des événements futurs

peuvent être prédits en se fondant sur elles. Il n'empêchequ'elles jouent en première ligne comme explication d'évé-nements qui se sont déjà produits en tant qu'effets d'unecause donnée, indiquée par ces lois. Dans cette mesure,elles se rapportent au passé. Les lois naturelles reposent surnotre expérience, et notre expérience se trouve dans le

passé, et non dans l'avenir. En tant que prédiction de l'ave-

nir, une loi naturelle n'est applicable que moyennant l'hypo-thèse problématique que le passé se répétera dans l'avenir.Mais nous pouvons ici laisser cette question de côté. Entout cas la mission de la science du droit n'est pas de pro-phétiser les décisions des tribunaux. D'abord, elle ne s'as-

signe pas pour objet unique la connaissance des normes juri-diques individuelles posées par les tribunaux, elle s'attache

également à celle des normes générales posées par les organes

législatifs ou créées par la coutume; or pour ces normes

générales, il est à peine possible de les prévoir, étant donné quenormalement la Constitution ne détermine par avance quela seule procédure de la législation, et non pas le contenudes lois (1). En second lieu, la prédiction des décisions juri-dictionnelles reposera pour l'essentiel sur le fait que les tri-

bunaux ont accoutumé d'appliquer somme toute, les normes

juridiques générales créées par l'organe législatif ou par la

coutume; et, par conséquent, elle se ramène au fond à

l'assertion que les tribunaux décideront de la façon dont

ils doivent décider d'après les normes juridiques généralesqui sont en vigueur. Les prophéties de la théorie du droit

réaliste ne se distinguent des propositions de droit que posela science du droit normative qu'en tant qu'elles sont des

propositions de Sein, et non des propositions de Sollen; en

tant que propositions de Sein, elles ne reproduisent pas le

sens spécifique du droit.Or l'on observe encore que, dans la mesure où les tribu-

naux créent dans leurs décisions du droit nouveau, il est

aussi peu possible de prédire ces décisions que de prédirequelles normes générales seront créées par l'organe législatif.

(1) Cf. infra, p. 299 sqq.

DROIT ET SCIENCE 123

Or, ces normes juridiques constituent la partie la plus consi-

dérable du droit, objet de la science du droit. Mais, même

dans la mesure où la prédiction serait possible, elle n'est

pas la tâche de la science du droit, qui ne peut décrire les

normes individuelles créées par les tribunaux et les normes

générales créées par les organes législatifs et par la cou-

tume qu'après qu'elles sont entrées en vigueur. Prédire

les décisions juridictionnelles futures peut être l'affaire des

avocats qui conseillent leurs clients. Mais il ne faut pasconfondre la connaissance du droit avec la fonction de

conseil juridique. Supposons même qu'un ordre juridique

qui est somme toute efficace puisse être décrit en proposi-tions qui, comme les lois de la nature, énoncent que sous

certaines conditions, certaines conséquences se produisenteffectivement, —

que, si des actes sont accomplis qui sont

qualifiés de délits par les organes d'application du droitconformément à cet ordre juridique, la sanction déterminée

par l'ordre juridique intervient; il n'empêche que ce n'est

pas la science du droit qui vise à une semblable description.Car, par les propositions de droit qu'elle formule, elle neveut pas faire apparaître entre les éléments de son objetune relation causale, mais une relation d'imputation.

22. — LES DIFFÉRENCES ENTRE LE PRINCIPEDE CAUSALITÉ ET LE PRINCIPE D'IMPUTATION.

Le principe de causalité et le principe d'imputations'expriment l'un et l'autre dans une même forme linguis-tique : celle d'un jugement hypothétique où une certainecondition est liée, ou rattachée, à une certaine conséquence.

Mais une différence essentielle sépare les jugements quicorrespondent au second principe des jugements qui cor-

respondent au premier : comme nous l'avons déjà dit, laliaison ou connexion établie entre les deux termes a untout autre sens dans les premiers que dans les seconds.Le principe de causalité déclare que si A est, B est (ousera). Le principe d'imputation déclare que si A est, B doitêtre (soll sein).

— Comme exemple d'application du principede causalité dans une loi naturelle concrète, rappelons encoreune fois la loi qui décrit l'effet de la chaleur sur les métaux,— à laquelle on pourrait ajouter celle qui définit l'effet

magnétique sur le fer. Comme exemple d'application duprincipe d'imputation dans le domaine des sciences socialesnormatives, on pensera soit à des propositions morales, soit

124 THÉORIE PURE DU DROIT

à des propositions juridiques : « Si quelqu'un t'a fait du

bien, tu dois lui prouver ta reconnaissance »; « si quelqu'una sacrifié sa vie pour la patrie, sa mémoire doit être hono-rée »; « si quelqu'un a commis un péché, il doit expier », —

ce sont là des propositions de l'éthique, des lois morales,qui présentent des normes positives, qui ont été poséespar les commandements d'un chef religieux ou par la cou-tume. « Si quelqu'un a commis un crime, il doit être puni »;« si quelqu'un ne paie pas sa dette, il doit être procédéà exécution forcée sur son patrimoine », — ce sont là deslois juridiques, qui décrivent des normes positives qui ontété posées par un législateur ou par la coutume.

La distinction entre l'imputation et la causalité consiste— comme on l'a indiqué antérieurement — en ceci que larelation entre condition et conséquence qui est exposée dansune loi morale ou dans une loi juridique est établie parune norme posée par l'homme, alors que la relation qui esténoncée dans la loi naturelle entre la condition-cause et lasuite-effet est, elle, indépendante de toute semblable inter-vention. Si l'on considère que l'acte qui établit la relationde condition à conséquence dans une loi morale ou dans uneloi juridique a pour sens spécifique une norme, on pourraqualifier cette relation de normative —

par opposition auxrelations causales. « Imputation » désigne une relationnormative. C'est cette relation — et rien d'autre —

qu'ex-prime le terme « sollen » lorsqu'il est utilisé dans une loimorale ou dans une loi juridique.

Il y a une autre différence entre causalité et imputation ;

chaque cause concrète doit être considérée comme l'effetd'une autre cause, et chaque effet concret comme la caused'un autre effet, de sorte que

— conformément à l'essencede la causalité — la chaîne des causes et des effets estinfinie dans les deux directions. A cela s'ajoute que chaqueévénement concret est le point d'intersection d'un nombreen principe illimité de séries causales. — Tout autre est la

situation dans le cas de l'imputation. La condition à laquellela conséquence est imputée dans une loi morale ou dans uneloi juridique

— la mort pour la patrie, le bienfait, le péché,le crime —, ces diverses conditions ne sont pas nécessaire-ment en même temps des conséquences qui devraient être

imputées à leur tour à d'autres conditions. Et les consé-

quences, elles, — honneur à la mémoire des morts pourla patrie, reconnaissance envers les bienfaiteurs, expiationdu péché, peine pour le crime —, ne sont pas nécessairement

DROIT ET SCIENCE 125

en même temps des conditions auxquelles devraient être

imputées d'ultérieures conséquences. Le nombre d'éléments

d'une série d'imputation n'est pas illimité comme l'est le

nombre des éléments d'une série causale; il est au contraire

limité. Il y a un point final de l'imputation. Dans la série

causale au contraire, il n'existe rien de tel qu'un pointfinal. L'admission d'une cause première, d'une prima causa,

qui serait l'analogue du point final de l'imputation, est

incompatible avec l'idée de la causalité, du moins avec l'idée

de causalité telle qu'elle s'exprime dans les lois de la phy-

sique classique. La représentation d'une cause première,

qui joue un rôle décisif dans la métaphysique religieuse sous

la forme de la volonté créatrice de Dieu, ou de la volonté

libre de l'homme, est également un reste de pensée primi-tive, dans lequel le principe de causalité ne s'est pas encore

complètement émancipé du principe d'imputation.

23. — LE PROBLÈME DE LA LIBERTÉ

OU LIBRE ARBITRE.

C'est précisément sur cette différence fondamentale entrela causalité et l'imputation

— à savoir l'absence de pointfinal de la causalité, l'existence d'un point final de l'impu-tation, que repose l'antithèse entre la nécessité qui règnedans la nature et la liberté qui existe à l'intérieur de la

société, et qui est essentielle pour les relations normativesdes hommes. Qu'en tant qu'il fait partie de la nature,l'homme ne soit pas libre, cela signifie que sa conduiteconsidérée comme un phénomène naturel est, conformémentà la loi de la nature, causée par d'autres faits, c'est-à-dire

qu'elle doit être considérée comme un effet de ces faits,et par suite comme déterminée par eux. Mais l'idée qu'entant que personnalité morale ou que personnalité juridique,l'homme serait « libre » et par suite responsable, a une signi-fication toute différente. Lorsqu'un homme est rendu res-

ponsable moralement de sa conduite morale ou immorale,ou juridiquement de sa conduite conforme au droit oucontraire au droit, par un jugement qui comporte approba-tion ou désapprobation; autrement dit : lorsqu'un compor-tement humain est interprété, au regard d'une loi moraleou d'une loi juridique comme mérite ou au contraire commepéché ou comme délit, et qu'au mérite est imputé unerécompense, au péché une expiation, au délit une sanction,— une peine au sens le plus large du terme —, cette impu-

126 THÉORIE PURE DU DROIT

tation trouve alors son point final dans la conduite humaineconsidérée comme un mérite, un péché ou un délit.Sans doute a-t-on accoutumé de dire que l'on imputele mérite, le péché, le crime, à la personne qui doit répondrede la conduite ainsi caractérisée. Mais, comme on l'a déjàremarqué antérieurement, le sens véritable de ces asser-tions est que la personne doit être récompensée pour son

mérite, ou, plus exactement encore, que le mérite de la

personne doit recevoir sa récompense; ou que la personnedoit expier pour son péché, ou plus exactement : que le

péché de cette personne doit être expié ; que le criminel doitêtre puni,

—plus exactement : que son crime doit trouver

la peine qui convient. Ce n'est pas la conduite qualifiéede mérite, de péché, de crime, qui est ainsi imputée à la

personne ; une telle imputation serait parfaitement super-flue, étant donné que (comme on l'a déjà observé) uneconduite humaine donnée ne peut absolument pas être sépa-rée de l'individu dont elle est la conduite. Si la questionde l'imputation se pose au cas où un homme commet soitun acte méritoire soit un péché soit un crime, elle ne consistedonc pas à déterminer qui est l'auteur de l'acte, ceci estune question de fait purement et simplement; la questionmorale ou juridique de l'imputation est : qui doit répondrede la conduite en question ? Et cette question signifie : quiest-ce qui doit être récompensé pour cette conduite, quiest-ce qui doit subir une expiation, qui est-ce qui doit être

puni ? — C'est la récompense, c'est l'expiation, c'est la

peine qui sont imputées à une condition spécifique en qua-lité de conséquences spécifiques. Et la condition est la

conduite qui constitue le mérite, le péché ou le crime. L'im-

putation de la récompense au mérite, de l'expiation au

péché, de la peine au crime, inclut en elle-même cette impu-tation à la personne que le langage courant fait seule appa-raître.

Le problème de la responsabilité morale ou juridique est

lié de façon essentielle au problème de la rétribution; et la

rétribution est imputation de la récompense au mérite, de

l'expiation au péché, de la peine au délit. Si le principe de

rétribution lie une conduite conforme à une norme à une

récompense, une conduite contraire à une norme à une

expiation, un délit à une peine, et s'il suppose ainsi une

norme qui prescrit ou qui défend la conduite, s'il est ainsi

une norme qui défend précisément une conduite par le fait

qu'elle y attache une peine; et si la conduite qui forme la

DROIT ET SCIENCE 127

condition immédiate de la récompense, de l'expiation ou

de la peine est elle-même à son tour prescrite ou interdite

à de certaines conditions : alors — si l'on entend par impu-tation toute connexion établie entre une conduite humaine

et la condition sous laquelle elle est prescrite ou défendue

dans une norme (1)—• on peut imputer également la con-

duite qui apparaît comme la condition immédiate à laquelle

récompense, châtiment ou peine sont imputés, à la condi-

tion à laquelle elle est prescrite ou défendue. .Exemple con-

cernant la morale : la morale recommandeque, si un homme

est dans le malheur, on l'aide; si un sujet suit ce comman-

dement, sa conduite doit être approuvée; si un sujet ne le

suit pas, sa conduite doit être désapprouvée. Ces sanctions,

l'approbation et la désapprobation, sont imputées à leurs

conditions immédiates, la prestation de l'aide qui était pres-crite, ou, le fait de ne pas avoir aidé, qui était prohibé. La

prestation de l'aide qui était prescrite est imputée au fait,

qui la conditionne immédiatement, que quelqu'un se trouvedans le malheur. Ce fait est la condition immédiate dessanctions : approbation de l'action secourable, ou désap-probation de l'absence d'action secourable. —

Exempleconcernant le droit : le droit prescrit que, si quelqu'un a

reçu un prêt et ne le restitue pas, il doit être procédé àexécution forcée contre son patrimoine. Cette sanction del'exécution forcée est imputée à la condition immédiate :non-restitution de l'objet du prêt, érigée en acte illicite;le fait inverse, la restitution qui est prescrite par le droit,est imputé à sa condition immédiate : la réception de lachose prêtée. Ce fait est la condition médiate de la sanction,c'est-à-dire de l'exécution forcée. L'imputation s'arrête àcette condition médiate de la sanction. Mais la récompense,l'expiation, la peine (latissimo sensu), elles, ne sont pasimputées à leur condition médiate, mais seulement à leurcondition immédiate, qui est le mérite, le péché, le délit.Ce n'est pas la condition à laquelle une certaine conduiteest prescrite et ce caractère de mérite qui est récompensée,ou la condition à laquelle une certaine conduite est défen-due et â caractère de péché ou de délit qui entraîne l'expia-tion ou la peine; c'est l'homme qui se conduit conformémentà la prescription qui est récompensé, ou l'homme qui seconduit contrairement à la prescription qui subit expia-tion ou peine ; plus exactement : sa conduite conforme à la.

(1) Cf. infra, p. 138 sqq. et p. 200.

128 THÉORIE PURE DU DROIT

prescription est récompensée, sa conduite contraire à la pres-cription reçoit son expiation ou sa peine. L'imputation, quireprésente la responsabilité morale ou la responsabilité juri-

dique du sujet, trouve son point final dans cette conduite

qui est la sienne. Au contraire, lorsqu'un certain événementest l'effet d'une cause et que cette cause a elle-même à sontour une cause — ce qui est toujours le cas —, celle-ci estaussi une cause éloignée

— causa remota — de l'événementen question. Celui-ci n'est pas rapporté seulement à sa cause

immédiate, mais également à toutes ses causes médiates;on l'interprète comme un effet de toutes ces causes quiforment une série infinie. La donnée décisive, c'est que la

conduite qui est le point final de l'imputation qui constituela responsabilité, cette responsabilité qui n'existe qu'envertu d'un ordre moral ou d'un ordre juridique, n'est au

contraire du tout un point final selon la causalité de l'ordrede la nature, ni comme cause ni comme effet, mais n'est

qu'un simple élément dans une série infinie.

Telle est la véritable signification de cette représentationselon laquelle l'homme considéré comme sujet d'un ordremoral ou d'un ordre juridique, autrement dit : commemembre d'une société, comme personnalité morale ou per-sonnalité juridique, est « libre ». Que l'homme soumis à un

ordre moral ou à un ordre juridique soit « libre », cela signi-fie qu'il est le point final d'une imputation, qui n'est pos-sible que sur la base et en vertu de cet ordre normatif.

A vrai dire, ce n'est pas là du tout l'idée courante : d'aprèscelle-ci, la liberté serait le contraire de la déterminationcausale : serait libre ce qui n'est pas soumis à la loi de cau-

salité. L'on dit couramment : l'homme est responsable,c'est-à-dire sujet à imputation morale ou juridique, parcequ'il est libre, ou parce qu'il a une volonté libre, et cela

signifie, selon les vues courantes, que sa conduite n'est pasdéterminée causalement, en tant que sa volonté est sansdoute cause d'effets, mais n'est pas elle-même effet de

causes. Ce serait seulement parce que l'homme serait libre

que l'on pourrait le rendre responsable de sa conduite, c'est-à-dire soit le récompenser pour ses mérites, soit attendrede lui l'expiation de ses péchés, soit le punir de ses crimes.

En vérité, l'idée que seule la liberté de l'homme ainsi

entendue, c'est-à-dire sa non-soumission à la loi de causalité,rendrait possible la responsabilité, c'est-à-dire l'imputation,est en contradiction manifeste avec les faits de la vie sociale.

L'établissement d'un ordre normatif qui règle la conduite

DROIT ET SCIENCE 129

des hommes, et qui est la seule base possible de l'imputa-

tion, présuppose précisément que la volonté de l'homme

dont la conduite est réglée est susceptible d'être déterminée

causalement, c'est-à-dire qu'elle n'est pas libre. Quelle est

en effet la fonction d'un tel ordre, sinon, incontestablement,d'inciter les hommes à se conduire comme il le prescrit, de

faire des normes qui prescrivent une certaine conduite des

motifs susceptibles de déterminer la volonté des hommes à

adopter une conduite conforme à ces normes ? Ce qui signi-fie que, l'homme se représentant la norme qui prescrit une

certaine conduite, cette représentation devient cause de

cette conduite conforme à la norme. L'ordre normatif ne

remplit donc sa fonction sociale que par le fait que ses

normes deviennent l'objet de représentations des hommes

dont il règle la conduite et s'insère ainsi dans le processuscausal, dans le flot des causes et des effets. Et l'imputationne peut avoir lieu que sur la base d'un tel ordre normatif

qui présuppose la causalité en ce qui concerne la volontédes nommes qui y sont soumis.

On a déjà souligné, en un autre passage (1), qu'unenorme qui prescrirait que doit se produire une chose donton sait par avance qu'elle doit nécessairement se produiretoujours et partout, en vertu d'une loi de la nature, serait

dépourvue de sens. Mais, ce disant, n'accorde-t-on pas quenormativité et causalité s'excluent réciproquement ? Il pour-rait le paraître. Il n'en est cependant rien.

Considérons d'abord la norme qui commande de dire lavérité : elle n'est pas dépourvue de sens, parce que nousn'avons aucune raison d'admettre qu'il existe une loi natu-relle en vertu de laquelle les hommes devraient nécessai-rement toujours et partout dire la vérité, et nous savons

d'expérience que souvent les hommes disent la vérité, maisque souvent ils disent des mensonges. Mais soit qu'unhomme dise la vérité, soit qu'il mente, dans les deux cas,sa conduite est déterminée causalement, c'est-à-dire parune loi naturelle; non pas par une loi naturelle aux termesde laquelle les hommes devraient nécessairement dire tou-jours et partout toute la vérité, ou au contraire toujours etpartout mentir; mais par une autre loi de la nature, parexemple la loi selon laquelle l'homme adopterait la conduitedont il se promet la plus grande satisfaction. La représen-tation de la norme selon laquelle on doit dire la vérité peut

(1) Cf. supra, p. 13 sq.

130 THÉORIE PURE DU DROIT

être un motif efficace d'une conduite conforme à la norme— cela s'accorde parfaitement avec cette loi naturelle.

Supposons maintenant une norme qui prescrirait que leshommes ne doivent pas mourir. Elle serait insensée; carnous savons par avance que c'est une loi naturelle que tousles hommes meurent et que tout homme mourra donc néces-sairement. La représentation d'une telle norme ne peut pasêtre un motif efficace d'une conduite conforme à la norme,mais contraire à la loi naturelle. Et c'est précisément enraison de ce défaut de toute possibilité d'efficacité causale

qu'une semblable « norme » serait parfaitement dépourvuede signification.

Certains ne nient sans doute pas que la volonté de l'hommesoit bien, en réalité, déterminée causalement, comme tousles phénomènes mais affirment que, pour rendre l'imputa-tion morale ou l'imputation juridique possibles, on devraitnécessairement raisonner comme si la volonté de l'hommeétait libre; en somme : on devrait maintenir l'affirmationde la liberté de l'homme, de sa non-détermination causale,comme une fiction nécessaire (1).

— C'est là une thèse par-faitement superflue : dès lors que l'on a reconnu que l'im-

putation est une mise en relation de faits qui est différentesans doute de la causalité, mais qui n'est nullement encontradiction avec elle, il n'est nul besoin de la fiction

proposée.La détermination objective de la volonté selon la loi de

causalité ne pouvant pas être niée, de nombreux auteurs

(1) Telle est la position de Kant. Il déclare dans les Fondementsde la métaphysique des moeurs (p. 448 de l'édition citée p.84, n° 1) : «etmaintenant je dis : chaque être, qui ne peut agir autrement que sousl'idéede la liberté, est précisément pour cette raison réellement libre sousl'anglepratique, c'est-à-dire que valent pour lui toutes les lois qui sont insépara-blement associées à la liberté, précisément commesi sa volonté était vala-blement déclarée libre également en elle-même et dans la philosophiethéorique. » Ce qui signifie : la liberté de la volonté, que l'on croitdevoir nécessairement admettre dans la philosophie pratique, dans

l'éthique, pour rendre possible l'imputation morale est bien, du pointde vue de la connaissance théorique, une simple fiction; la volonté del'individu est traitée comme si elle n'était pas déterminée causalement,bien qu'en réalité elle soit déterminée causalement. — Op. cit., p. 45o:« Par conséquent, la liberté n'est qu'une Idée, une représentationidéale, de la raison, dont la réalité objective en soi est douteuse. »—^Op. cit., p. 459 : « Mais la liberté est simplement une Idée, une repré-sentation idéale,... qui ne peut donc jamais être conçue ou mêmeêtre aperçue, précisément par le fait que l'on n'a pas le droit de jamaissubsumer sous cette idée un exemple d'après aucune analogie. »

DROIT ET SCIENCE 131

croient pouvoir fonder la possibilité de l'imputation sur le

fait que l'homme ne serait sans doute pas libre objective-

ment, mais que subjectivement, à tort sans doute, il se

considérerait comme libre (1) : n'éprouve-t-il pas repentir ou

remords lorsqu'il a commis une infraction morale ou juri-

dique (2) ? Mais cette preuve ne porte pas. D'abord, il n'est

nullement vrai que le fait de commettre une infraction pro-

voque ainsi repentir ou remords dans la conscience de tousles hommes. Mais surtout, beaucoup d'individus ne consi-

dèrent nullement comme une infraction ce qui est considérécomme tel par l'ordre moral ou l'ordre juridique sous lequelils vivent. Et les faits tenus pour des infractions, ou des

fautes, varient énormément selon les ordres moraux ou

juridiques. Les hommes éprouvent repentir ou remords éga-lement lorsqu'ils ont conscience d'avoir fait un acte qu'eux-mêmes considèrent comme une faute, sous l'impulsion d'unmotif qui a été plus fort que celui qui les poussait à s'abste-nir de cet acte. Même les déterministes convaincus peuventéprouver repentir et remords lorsqu'ils ont fait quelquechose qu'ils considèrent comme fautif; de même qu'undéterministe convaincu ne tire nullement de sa position laconclusion qu'il ne serait pas légitime de désapprouver, oude punir, c'est-à-dire d'imputer une conduite défendue parla morale ou par le droit. L'imputation ne présuppose nile fait ni la fiction de la liberté entendue comme non-déter-mination causale, ni la croyance erronée des hommes qu'ilsseraient libres.

Beaucoup d'auteurs croient encore pouvoir résoudre leproblème du conflit entre la liberté de la volonté, le librearbitre, en tant que condition indispensable de l'imputationet le principe de causalité valable pour tous les phénomènes,de la façon suivante : un homme est moralement ou juridi-quement responsable d'un fait qui s'est produit lorsqu'il acausé celui-ci par un acte de sa volonté ou par le fait qu'ils'est abstenu d'un acte de volonté susceptible d'en empê-cher la réalisation. Il n'est pas responsable d'un fait quis est produit lorsque celui-ci n'est évidemment pas causépar un acte de sa volonté ou par l'abstention d'un acte de

(1) F. A. LANGE, Geschichte des Materialismus, 8e éd., 1908, II,p. 404 : « Entre la liberté comme forme de la conscience subjective etla nécessité comme fait de la recherche objective, une contradictionn est pas plus possible qu'entre une couleur et un son. »

(2) Cf. Hans VAIHINGER,Die Philosophie des Als Ob, 2e éd., Berlin1913, p. 573.

132 THÉORIE PURE DU DROIT

volonté qui en aurait empêché la réalisation. L'affirmation

que l'homme est libre signifierait tout simplement qu'il aconscience de pouvoir agir comme il le veut (ou le sou-

haite) (1) Cet état de choses serait parfaitement compatibleavec le déterminisme le plus strict, étant donné que l'actede volonté en question ou l'abstention de cet acte sontconsidérés comme déterminés causalement. — Mais en

vérité, cette tentative pour sauver la liberté en l'interpré-tant comme la possibilité d'agir comme l'on veut est vouéeà l'échec. Car la conscience de pouvoir agir comme l'onveut est la conscience que notre action est causée par notrevolonté. Mais la question n'est pas de savoir si notre actionest causée par notre volonté — cela, l'indéterminisme nele nie nullement —

; elle est de savoir si la volonté elle-mêmeest déterminée causalement ou ne l'est pas. Si la tentativeen question prétend ne pas équivaloir simplement à la

négation du libre arbitre, mais constituer une solution du

problème qui maintienne l'idée que la responsabilité n'est

possible que sous la condition du libre arbitre, elle ne cons-titue rien de plus qu'un déplacement du problème (2). Ce

que prouve la façon en question de présenter le problème,c'est seulement que l'imputation juridique ou l'imputationmorale sont possibles et ont lieu effectivement alors même

que la volonté est déterminée causalement.L'on affirme très fréquemment que seule l'idée que la

volonté de l'homme est libre, c'est-à-dire non déterminée

causalement, permet d'expliquer pourquoi l'on ne rend res-

ponsables soit juridiquement soit moralement que des

hommes, et non des choses inanimées, des événements

naturels, ou des animaux, en d'autres termes pourquoi l'on

impute seulement à des êtres humains. — Mais si l'on

impute uniquement à des êtres humains, c'est parce que et

dans la mesure où les ordres moraux ou les ordres juri-

diques ne commandent que le comportement humain; et

s'ils commandent seulement le comportement humain, c'est

parce que l'on admet que c'est seulement chez l'homme

que la représentation de leurs normes a pour effet des actes

de volonté qui provoquent à leur tour la conduite prescrite.

(1) En ce sens, SCHLICK,op. cit., p. 114.(2) Isaiah BERLIN, Historical Inevatibiliiy (Auguste Comte Mémo-

rial Trust Lecture, n° 1 (Londres, 1954, p. 26) fait très justementcette remarque. Quant à lui, il admet que la responsabilité n'estpossible que si l'on suppose la liberté de la volonté au sens d'une non-détermination causale.

DROIT ET SCIENCE 133

Ainsi, loin d'être la liberté, l'explication du fait allégué est

tout au contraire la déterminabilité causale de la volonté

humaine.Il est un autre argument que l'on croit pouvoir invoquer

en faveur du dogme du libre arbitre; c'est le fait que les

ordres juridiques modernes excluent en certains cas la res-

ponsabilité, c'est-à-dire l'imputation, parce que, comme

l'on s'exprime, on ne peut pas admettre dans ces cas qu'il

y ait eu libre résolution de la volonté. C'est pour cette raison

que les enfants et les malades mentaux, d'abord, mais éga-lement des adultes sains d'esprit, ne seraient pas rendus

responsables de leur conduite et de ses conséquences, lors-

qu'ils ont agi sous l'empire d'une « contrainte irrésistible ».—

L'argument est sans valeur. La vérité est que les deux

premiers cas s'expliquent par le fait que l'on admet que,de par l'état caractéristique de leur conscience, les enfantset les malades mentaux ne peuvent pas être, soit du toutsoit de façon suffisante, déterminés à la conduite prescritepar la représentation des normes juridiques, que d'autresmotifs sont en règle générale plus forts dans leur conscience

que ces représentations, d'autant plus que ces êtres n'ontle plus souvent absolument pas conscience de l'existencedes normes juridiques. En ce qui concerne les adultes sains

d'esprit, on peut au contraire admettre qu'en règle géné-rale la représentation des normes juridiques et des consé-

quences mauvaises attachées à leur violation est un motif

plus fort que les motifs qui conduiraient à une conduitecontraire au droit. Certes, il se peut que chez certains d'entreeux aussi, ce dernier groupe de motifs soit le plus fort, maiscela reste malgré tout l'exception. Les ordres juridiquesmodernes présupposent un type d'homme moyen et un typemoyen de circonstances extérieures dans lesquelles leshommes agissent, en vertu de causes qui les déterminent.

Lorsqu'un homme de dispositions correspondant à la

moyenne et se trouvant dans des conditions moyennesadopte, mû par certaines causes, une conduite que l'ordre

juridique prohibe, il est, selon cet ordre juridique, respon-sable de cette conduite et de ses effets. Toutefois lorsque,déterminé par certaines circonstances autres que les cir-constances moyennes que l'ordre juridique présuppose, iladopte une conduite défendue par cet ordre, on dit qu'ilagit sous une contrainte irrésistible. La formule est contes-table ; car en toutes circonstances, la contrainte sous laquellel'homme agit est irrésistible, toujours. Car la causalité est,

134 THÉORIE PURE DU DROIT

en son essence même, une contrainte irrésistible. Ce quel'on nomme contrainte irrésistible dans la terminologie juri-dique n'est en réalité qu'un cas particulier d'une telle

contrainte, à savoir la contrainte en cas d'existence de

laquelle l'ordre juridique ne prévoit pas de responsabilitédu sujet pour une certaine conduite, qui est au contrairesource de responsabilité lorsque le sujet l'a adoptée sousl'action déterminante d'autres causes. Dans tous les casoù il y a imputation, il y a contrainte irrésistible; mais il

n'y a pas imputation dans tous les cas de contrainte irré-sistible.

Pour finir, il faut encore envisager la thèse selon laquelleil ne serait possible de concilier déterminisme et responsa-bilité juridique ou responsabilité morale que si l'on prenden considération les lacunes et insuffisances du savoirhumain quant à la détermination causale de la conduitedes hommes; nous ne connaissons pas, ou tout au moinsnous ne connaissons pas assez bien les causes qui déter-minent actions ou abstentions humaines. Si nous connais-sions exactement ces causes, nous ne serions plus en état derendre un homme responsable de sa conduite et des consé-

quences de cette conduite. De là le proverbe : tout com-

prendre, c'est tout pardonner. Comprendre la conduite d'un

homme, cela signifie : connaître ses causes ; lui pardonnersignifie renoncer à le rendre responsable de cette conduite,à le blâmer ou à le punir pour elle, à associer à cette conduiteune sanction, c'est-à-dire à imputer.

— Cette thèse tombesous la grave objection que dans de très nombreux cas dans

lesquels on connaît fort bien les causes de la conduite d'unhomme et où on la comprend par conséquent, on ne renoncenullement à l'imputation, on ne pardonne nullement cette

conduite. Le proverbe cité repose sur l'idée fausse que la

causalité exclurait l'imputation.De ce qui précède, il résulte que ce n'est nullement la

liberté, entendue comme la non-détermination causale de

la volonté, qui rend l'imputation possible, mais que, tout à

l'inverse, l'imputation suppose la déterminabilité causalede la volonté. On n'impute pas à l'homme parce qu'il est

libre, mais l'homme est libre parce qu'on lui impute. Impu-tation et liberté sont en réalité essentiellement liées l'une

à l'autre. Mais la liberté en question ne peut pas être exclu-

sive de la causalité; et en fait, elle ne l'exclut absolument

pas. Pour que l'affirmation que l'homme est libre en tant

que personnalité morale ou en tant que personnalité juridique

DROIT ET SCIENCE 135

ait un sens quelconque, il faut que cette liberté morale ou

juridique soit compatible avec la détermination de sa con-

duite suivant le schéma de la légalité causale. L'homme

est libre parce que et en tant que récompense, expiation,

peine sont imputées à une certaine conduite humaine quien est la condition; il est libre, non parce que cette conduite

n'est pas causalement déterminée, mais bien qu'elle soit

causalement déterminée, il faut même dire : parce qu'elleest causalement déterminée. L'homme est libre parce quesa conduite, ses actes sont le point final de l'imputation.Et ils peuvent être le point final de l'imputation, même

s'ils sont déterminés causalement. Par suite, il n'y a aucune

contradiction entre la causalité de l'ordre naturel et la

liberté sous un ordre moral ou juridique, de même qu'entrel'ordre naturel d'une part et les ordres moraux ou les ordres

juridiques d'autre part, il n'existe et ne peut exister aucune

contradiction, étant donné que l'un est un ordre de Sein,alors que les autres sont des ordres de Sollen, et qu'il ne

peut y avoir de contradiction logique qu'entre un Sein etun autre Sein ou entre un Sollen et un autre Sollen, maisnon pas entre un Sein et un Sollen, — entendus comme

objets de propositions (1).

(1) On trouvera des développements complémentaires sur le pro-blème du libre arbitre dans son rapport à la loi de causalité dans :KELSEN, Kausalitàt und Zurechung (Osterreichische Zeitschrift fiirôffentlichesRecht, tome 6, 1954, p. 137 et s.). La voie où l'on s'engageici pour résoudre le problème du conflit entre causalité de la nature etliberté de l'imputation normative est proche de la solution tentée parKant en tant que celui-ci aussi admet l'existence de deux ordres diffé-rents (Kritik der reinen Vernunft, Akademie-Ausgabe, III, p. 373,Grundlegung zur Metaphysik der Sitten, IV, p. 458), à savoir un ordrecausal fondant la nécessité naturelle, et un ordre normatif ou moralfondant la nécessité du Sollen, sur la base duquel a lieu l'imputationqui suppose la liberté. Mais, en tant qu'il voit la liberté dans unecause qui n'est pas elle-même causée, par conséquent dans un étatde choses dans lequel la loi en conséquence de laquelle toute causedoit nécessairement avoir un effet et tout effet avoir nécessairementune cause ne serait pas valable, mais qu'il est contraint de concéderque cette loi vaut sans exception dans le monde empirique, le mondedes sens ou des phénomènes, Kant doit nécessairement placer la liberté,et par conséquent au fond l'ordre normatif, et, de ce fait, l'imputationqui a lieu sur sa base, dans un monde autre, le monde des choses ensoi, le monde qu'il appelle « monde intelligible ». Il dit {Kritik derpraktischen Vernunft, Akademie-Ausgabe, V, p. 95) : « Mais étantdonné que cette loi [la loi de causalité] concerne inévitablementtoute causalité des choses, en tant que leur existence est suscep-tible d'être déterminée dans le temps [c'est-à-dire en tant qu'elleconcerne toutes les choses du monde empirique] », il ne reste « si l'on

136 THÉORIE PURE Ï>U DROIT

veut encore sauver la liberté, aucune autre voie que d'attacher l'exis-tence d'une chose, en tant qu'elle est susceptible d'être déterminéedans le temps, conséquemment aussi la causalité d'après la loi de lanécessité naturelle simplement des phénomènes, mais d'attacher aucontraire la liberté précisément au même être en qualité de chose en soi-même ». Seul l'homme en tant que chose en soi, en tant qu'individu,qu'être intelligent et intelligible et par suite seule la volonté intelligiblepeut être considérée comme libre, mais l'homme empirique doitnécessairement être considéré en tant que phénomène et, par suiteégalement, sa volonté empirique doit nécessairement être consi-dérée comme déterminés causalement. Kant identifie volontéet raison pratique, et affirme que cette raison doit « en tant que raisonpratique, ou en tant que volonté d'un être raisonnable, être de soi-même considérée comme libre » (Grundlegung zur Metaphysik derSitten, p. 448). Etant donné par conséquent que c'est la raison pra-tique en tant que volonté qui est libre, mais que la loi morale est poséepar cette volonté, cette volonté en tant que volonté libre ne peut êtrequ'une volonté intelligible; et ainsi — si l'on pousse la constructionkantienne jusqu'à son terme — la loi morale aussi se situe dans lemonde intelligible. En rapportant la causalité au monde empirique,la liberté au monde intelligible, Kant croyait pouvoir éviter la contra-diction entre causalité et liberté. Mais, dans la réalité, l'imputationa lieu sur la base d'un ordre normatif qui règle la conduite de l'hommeempirique et qui vaut dans le monde empirique. Il n'est fait d'impu-tation qu'au seul homme empirique. Kant déclare expressément(Kritik der reinen Vernunft, p. 372-373) : « Nos imputations ne peuventêtre rapportées qu'au caractère empirique», mais il écrit également :« au regard de ce caractère empirique, il n'existe pas... de liberté. »Kant croit pouvoir sauver la liberté de l'homme empirique, qui estseule en cause, par le fait qu'il admet que l'homme empirique, c'est-à-dire l'homme en tant que phénomène, et l'homme en tant que choseen soi, l'homme intelligible, sont un seul et même être. Mais, d'aprèsl'analyse que présente Kant lui-même du rapport entre phénomèneet chose en soi, ceci n'est pas possible : il présente la chose en soicomme la cause ou le fondement du phénomène; pour cette simpleraison déjà, elle ne peut s'identifier avec ce phénomène. La contradic-tion entre causalité et liberté consiste précisément en ce qu'on affirmed'une seule et même chose qu'elle est déterminée causalement, et enmême temps qu'elle est libre, c'est-à-dire qu'elle n'est pas déterminéecausalement. Kant ne peut éviter la contradiction qu'en ne rappor-tant pas la causalité et la liberté à la même chose, en rapportant lacausalité à la chose en tant que phénomène et la liberté à la choseen soi, par conséquent précisément en supposant que l'homme, entant que phénomène, n'est pas le même être qu'il appelle l'homme entant que chose en soi.

Par ailleurs, la chose en soi joue dans la philosophie de Kant unrôle extrêmement problématique. Dans son ouvrage le plus repré-sentatif de sa philosophie, la Critique de la raison pure, il dit (p. 65de l'édition citée p. 135, n° 1) : «De quoi il retourne avecles objets ensoi.

séparément de toute ... réceptivité de nos sens, cela nous demeureabsolument inconnu »;et (p. 224) : «Ce que les chosas en soi peuvent être,je ne le sais pas, et je n'ai pas besoin de le savoir, parce que jamais unechose ne peut seprésenter devant moi autrement que dans le phénomène».Mais s'il en est ainsi, on ne peut donc pas non plus savoir que l'hommeen tant que chose en soi est libre, que tel est l'état des choses avec

DROIT ET SCIENCE 137

lui, et nul autre, et alors on ne peut pas fonder sur cette affirmationla possibilité de l'imputation, qui est décisive pour l'éthique kantienne.

Page 449, Kant dit de la chose en soi : «Maintenant, cet être de raisonraisonnée (ens rationis ratiocinatse) est sans doute une simple Idée,et par conséquent, n'est pas accepté comme réel purement et simple-ment et en lui-même; il est seulement posé à la base d'une façon pro-blématique (parce que nous ne pouvons pas l'atteindre par des conceptsde l'intelligence) pour considérer toute liaison des choses du mondesensible comme si elles avaient leur fondement dans cet être de rai-son... ». Ici donc, la chose en soi est une fiction — de même que laliberté qui en est énoncée dans le passage qui vient d'être cité. On nedoit cependant pas nier qu'en contradiction avec les passages que l'onvient de citer, Kant, pour maintenir le libre arbitre qui est un fonde-ment de son éthique, devait nécessairement reconnaître la chose ensoi ou plus précisément des choses en soi comme existant trans-subjectivement (audel à du sujet), et non comme de simples fictions,et qu'effectivement il les a considérées comme existant, ainsi qu'onpeut le conclure d'autres passages. — La référence à deux ordresdifférents qui sont utilisés pour interpréter le devenir se trouve dansla Critique de la raison pure, p. 372/3 : « Quand l'on considère ce carac-tère empirique, il n'existe par conséquent pas de liberté; or nous nepouvons considérer les hommes que sur cette base, lorsque nous lesobservons simplement et que, comme le fait l'Anthropologie, nousvoulons rechercher physiologiquement les causes motrices de sesactions. Mais si nous considérons ces actions en relation avecla raison, pas avec la raison spéculative — qui vise à expliquerleur origine, mais uniquement pour les créer nous-mêmes, en tantque la raison est leur cause — en un mot si nous les comparonsavec cette raison dans une intention pratique, [c'est-à-dire si nousconsidérons les hommes du point de vue de la raison pratique quiprescrit la loi morale] », alors nous trouvons une règle et un ordretout autres qu'est l'ordre de la nature ». Et de ce point de vue ou àle considérer sous l'angle de cet ordre, l'homme serait libre en tantque chose en soi. Ces vues encourent des objections : la question desavoir si l'homme empirique, sa volonté empirique et les actions quisuivent cette volonté et qui ont lieu dans le monde empirique sontdéterminées causalement est la même question que de savoir si, lorsquel'on procède à l'imputation, l'homme, sa volonté et ses actions nesont pas déterminés causalement, c'est-à-dire sont libres, au sensou l'entend Kant. Et à cette question, on ne peut répondre, qu'ellesoit posée en un sens positif ou en un sens négatif, que par la même« observation » des faits, c'est-à-dire par la voie d'une connaissancede science de la nature, d'une connaissance anthropologique, c'est-à-direpar la raison théorique au sens où l'entend Kant. La raison pratique,vers laquelle Kant prend la fuite et à laquelle il impute la fonctionde volonté comme à une raison législatrice ne peut pas reconnaîtresi l'homme est libre — que ce soit en tant que phénomène ou en tantque chose en soi; elle pourrait seulement poser qu'il doit être libre,bien que devant elle en tant que raison théorique, il ne soit pas libreet ne puisse pas être libre. Très justement, Kant déclare que, lorsqu'ils agit d'imputation, nous nous trouvons en présence d'un ordre toutautre « que l'ordre de la nature » et que nous considérons l'hommecomme « libre » en tant que nous interprétons sa conduite d'après cetautre ordre. Mais, pour pouvoir le considérer comme libre, nousne devons pas reléguer l'homme ou son problématique double, l'homme

10. THÉORIEPUREDUDROIT.

138 THÉORIE PURE DU DROIT

24. — LES FAITS AUTRES QUE LES ACTES HUMAINS

COMME CONTENU DE NORMES SOCIALES.

Dans sa signification originaire, le principe d'imputationétablit une connexion entre deux actes de conduite humaine :soit entre la conduite d'un individu et la conduite d'unautre individu, —

par exemple dans la loi morale : le mériteet la récompense, ou, dans la proposition de droit, le crimeet la peine, soit entre deux comportements d'un mêmeindividu : ainsi dans la loi éthico-religieuse qui lie l'expia-tion au péché. Dans tous ces cas, la conduite humaine pres-crite par une norme est conditionnée par une autre conduitehumaine. La condition est un acte de conduite humaine aussibien que la conséquence.

Mais il n'est nullement nécessaire que les normes d'unordre social se rapportent toujours et uniquement à laconduite humaine; il est parfaitement possible qu'elles se

rapportent aussi à d'autres faits. Une norme peut— comme

nous l'avons déjà souligné en un autre passage— défendre

une certaine conduite humaine qui a un effet parfaitementdéterminé (exemple : la norme d'interdiction du meurtre);et une norme peut prescrire une certaine conduite humaine

qui n'est pas conditionnée seulement par la conduite d'un

autre homme, mais également par des faits autres que de

conduite humaine,—

par exemple la norme morale de

l'amour du prochain : si quelqu'un est dans la souffrance, tu

dois essayer de le délivrer de cette souffrance, ou la norme

juridique : si quelqu'un représente un danger public en

en tant que chose en soi, dans un monde intelligible inaccessible ànotre connaissance, dans un monde de choses dont nous ne savonsrien et n'avons rien besoin de savoir. Car la liberté, qui est effective-ment unie de façon essentielle à l'imputation, ne signifie pas, commeKant l'admet sous l'influence du dogme théologique du libre arbitre,la suppression de la loi de causalité, c'est-à-dire que la volonté del'homme créé à l'image de Dieu soit — de même que la volonté deDieu — la cause d'effets sans être l'effet d'une cause; elle signifie quel'homme, plus exactement qu'une conduite déterminée, plus précisé-ment: définie par l'ordre moral ou l'ordre juridique, est le point finalde l'imputation, qui a lieu sur la base de cet ordre normatif, d'uneautre conduite humaine qui est visée et réglementée par cet ordre.

Mais Kant est empêché de parvenir à cette vue par l'idée erronée

que l'imputation à l'homme n'est possible que sous la condition quela causalité soit, en ce qui concerne la volonté humaine, ou suppriméeou tout au moins restreinte au point qu'elle apparaisse sans doutecomme la cause d'effets, mais non comme l'effet d'une cause.

DROIT ET SCIENCE

raison d'une maladie mentale, il doit être interné de force.

L'imputation qui a lieu sur la base du principe de rétribu-

tion et qui constitue la responsabilité morale ou la respon-sabilité juridique n'est qu'un cas particulier, le plus impor-tant sans doute, de l'imputation au sens le plus large du

terme, c'est-à-dire du lien établi entre une conduite humaine

et une condition à laquelle cette conduite est prescrite dans

une norme. Toute rétribution est imputation, mais la réci-

proque n'est pas vraie : toute imputation n'est pas rétri-

bution. Il faut observer en outre que les normes peuvent se

rapporter à des individus sans se rapporter pour autant à

leur conduite. Tel est par exemple le cas de la responsabilité

pour les délits commis par un tiers, et en particulier le cas

de la responsabilité collective (1).

Lorsque dans le jugement qui énonce que, sous certaines

conditions, une certaine conduite humaine doit avoir lieu,la condition n'est pas, ou n'est pas exclusivement, une

conduite humaine, et lorsque, dans ce cas aussi, on appelleimputation la connexion entre le fait-condition et la conduitehumaine conditionnée, c'est que l'on prend la notion d'im-

putation dans un sens plus large que son acception origi-naire. Car la conséquence n'est pas imputée seulement àune conduite humaine, ou, pour s'exprimer dans la termino-

logie courante, la conséquence n'est pas imputée seulementà une personne, mais également à des faits ou circonstancesextérieurs. Par contre, c'est toujours et uniquement uneconduite humaine qui fait l'objet de l'imputation.

25. — LES NORMES CATÉGORIQUES.

Il semble même qu'il existe des normes sociales qui pres-crivent une certaine conduite humaine de façon incondi-

tionnelle, ou, ce qui revient au même, en toutes circons-tances, et qui sont en ce sens des normes catégoriques,

catégorique s'opposant à hypothétique. Ce sont certainesnormes d'abstention, telles que par exemple les normes :tu ne dois pas tuer, tu ne dois pas mentir, tu ne dois pasvoler.

Si ces normes avaient réellement le caractère de normescatégoriques, alors il ne serait pas possible d'interpréterd'un point de vue normatif la situation sociale qu'elles

(1) Cf. infra, p. 165 sq.

140 THÉORIE PURE DU DROIT

crééent en une assertion qui unirait un élément-conditionet un élément-conséquence; et en ce cas, le principe d'im-

putation ne serait pas applicable.Mais en vérité, il s'agit là d'une trompeuse apparence :

pas davantage que les normes qui prescrivent des actes,celles qui prescrivent de simples abstentions ne peuventêtre des normes catégoriques. Qu'une action positive ne

puisse pas être prescrite inconditionnellement, cela est évi-

dent, étant donné qu'une telle action n'est jamais possibleque dans certaines conditions. Mais les abstentions non plusne peuvent pas être prescrites inconditionnellement; sinon,les normes qui les concernent pourraient être obéies ou êtreenfreintes inconditionnellement. En réalité, les abstentionscomme les actions ne sont possibles qu'à ou dans certainesconditions tout à fait déterminées. Un homme ne peut pastuer, voler, ou mentir en toutes circonstances, mais seule-ment dans des conditions parfaitement déterminées; et parsuite, un homme ne peut s'abstenir de tuer, voler, mentir

que dans ces mêmes conditions. Si les normes morales quiprescrivent les abstentions imposaient des obligations incon-

ditionnelles, c'est-à-dire catégoriques, à exécuter partout et

toujours, on exécuterait ces obligations dans le sommeilcomme dans la veille, — et le sommeil serait moralementun état idéal. La condition dans laquelle l'abstention d'une

certaine action est prescrite est l'ensemble des circonstancesdans lesquelles cette action est possible. A cela s'ajouteencore que dans une société empirique, il ne peut exister

aucune prescription, même une prescription d'abstention,

qui ne comporterait pas quelques exceptions. Même les pro-hibitions les plus fondamentales, — telles que : on ne doit

pas tuer ; on ne doit pas enlever à quelqu'un un bien qui lui

appartient sans son accord ou sans qu'il le sache ; on ne doit

pas mentir — ne valent qu'avec certaines limitations. Tous

les ordres sociaux positifs doivent nécessairement définir

des conditions dans lesquelles il n'est pas défendu de tuer,de priver de la propriété, de mentir. Ceci également montre

que toutes les normes générales d'un ordre social empirique,les normes générales d'abstention aussi bien que celles d'ac-

tion, ne peuvent prescrire une certaine conduite que sous des

conditions très déterminées, et que par suite toute norme

générale établit une relation entre deux faits, qui peut être

décrite par une proposition affirmant que, certaines condi-

tions étant données, une conséquence déterminée doit (oll)intervenir. C'est là, comme on l'a montré, l'expression ter-

DROIT ET SCIENCE 141

minologique du principe d'imputation, qui est différente

de celle du principe de causalité (1).Seules des normes individuelles peuvent être catégoriques,

en ce sens qu'elles prescrivent, habilitent ou permettent

positivement une certaine conduite d'un certain individu

sans l'attacher à une certaine condition; ainsi par exemple

lorsqu'un tribunal décide que tel organe devra procéder à

telle voie d'exécution forcée contre tel patrimoine, ou qu'uncertain organe devra mettre en prison pour un certain tempsun certain condamné. Mais, à côté de ces normes indivi-

duelles catégoriques, il en est d'hypothétiques, c'est-à-dire

qui ne posent telle conduite d'un certain individu comme

gesollt que conditionnellement. Ainsi en est-il lorsqu'un tri-

bunal n'ordonne l'exécution forcée contre le patrimoine du

débiteur défaillant que pour le cas où ce débiteur ne pres-terait pas avant telle date la somme qu'il doit; ou lorsquele tribunal n'ordonne l'exécution de la peine prononcéecontre un individu que pour le cas où cet individu commet-trait de nouveau un délit punissable au cours d'un délai fixé

par le tribunal.

26. — LA NÉGATION DU « SOLLEN » ;LE DROIT, SIMPLE « IDÉOLOGIE ».

On met parfois en question la possibilité même d'unescience du droit normative, c'est-à-dire d'une science quianalyse le droit comme un système de normes, en invoquantl'argument suivant : la notion du Sollen, dont la norme est

l'expression, est dépourvue, de signification ou n'est rien

(1) SCHLICK,op. cit. 108 (V. supra, p. 23), distingue la loi de la nature,c est-à-dire la loi causale, en tant que « formule qui décrit ce qui sepasse effectivement d'une certaine façon » de la loi morale ou de laloi juridique en tant que <cprescription de la façon dont quelque chosedoit se passer », et remarque : « les deux sortes de « lois » ont unique-ment ce trait en commun qu'on a l'habitude d'exprimer toutes deuxpar une formule. En dehors de cela, elles n'ont en réalité absolumentrien à voir l'une avec l'autre, et il est extrêmement regrettable que l'onemploie le même mot pour désigner deux choses aussi différentes...».

Ceci n'est exact qu'en tant qu'en parlant de loi morale ou de loij undique, on entend les normes de la morale ou les normes du droit, maisnon en tant que l'on entend par là les propositions de l'éthique et de lascience du droit qui décrivent la morale ou le droit. Dans le secondcas, il y a ceci de commun aux lois naturelles et aux lois morales ou3uridiques que les unes et les autres affirment une relation entre desfaits; et pour ce motif, c'est justement qu'on les appelle toutes deuxdes « lois ». Schlick ne voit pas que les « lois » de la morale et du droitsont formulées par les sciences qui décrivent la morale et le droit

142 THÉORIE PURE DU DROIT

de pins qu'une mystification idéologique (1). On conclut delà qu'il ne pourrait pas être question d'une science du droit

normative, c'est-à-dire poursuivant comme objectif la con-naissance de normes; la science du droit ne serait possiblequ'en tant que sociologie juridique. La sociologie du droitne met pas les faits positifs (Seinstatbestânde) qu'elle doitsaisir en relation avec des normes valables, mais en rela-tion avec d'autres faits positifs, sous l'angle des rapportsde causes à effets. Elle pose par exemple la question de savoir

quelles sont les causes qui ont déterminé un législateur à

poser précisément telles normes et non telles autres, et quelseffets ces normes ont eus. Elle se demande de quelle façondes faits économiques, ou des représentations religieuses,influencent effectivement l'action des législateurs et des

tribunaux; ou sous l'empire de quels motifs les hommesaccordent leur conduite à l'ordre juridique ou ne l'y accordent

pas. Ce n'est donc à proprement parler pas le droit lui-même

qui constitue l'objet de cette connaissance, ce sont certains

phénomènes parallèles de l'ordre de la nature. De même

que le physiologiste qui étudie les processus physiques ou

chimiques qui conditionnent ou qui accompagnent l'appa-rition de certains sentiments ne comprend pas ces senti-

ments eux-mêmes, qui, en tant que phénomènes psycho-

logiques, ne se laissent pas saisir ni d'un point de vue chi-

mique ni d'un point de vue physiologique.Il faut rejeter catégoriquement cette position. La théorie

pure du droit — en tant qu'elle est une véritable science

du droit d'un type particulier—

dirige son attention, on

l'a montré, sur les normes juridiques, et non pas sur des

tout à fait, de la même façon que les lois naturelles sont formuléespar les sciences de la nature qui décrivent celle-ci, et que seulesles normes décrites par les premières sont des « prescriptions », maisnon pas les « lois » qui les décrivent. Cf. supra, p. 109.

(1) C'est un élément caractéristique de la théorie sociale de Marx

que de disqualifier la description du droit imposé par une classedominante à une classe dominée en tant que système de normes, encaractérisant cette description comme une idéologie qui falsifie laréalité dans l'intérêt de la classe dominante. Pour une considération

non-idéologique, le droit ne serait pas un système de normes, maisun agrégat de relations économiques où se réalise l'exploitation desdominés par la classe dominante. En tant que système d'exploitation,le droit devrait nécessairement avoir caractère de contrainte, c'est-a-dire qu'il devrait être uni de façon essentielle avec l'appareil de con-trainte de l'Etat. La société sans classe du communisme, d'où l'exploi-tation serait absente, serait par suite une société sans Etat et sansdroit. Cf. KELSEN, The Communisl Theory of Law, p. 2 sqq.

DROIT ET SCIENCE 143

faits du monde extérieur; elle ne s'attache pas au vouloir

ou à la représentation des normes juridiques, mais aux

normes juridiques en tant que significations (Sinngehalte)

qui sont voulues ou représentées. Et elle ne comprend des

faits, quels qu'ils soient, qu'en tant qu'ils forment le contenu

de normes juridiques, c'est-à-dire en tant qu'ils sont prévuset réglementés par des normes juridiques. Le problème de

cette science du droit est la légalité propre et caractéristiqued'une sphère de significations (Sinnsphâre).

Si l'on nie la notion de Sollen en la déclarant dépourvuede signification, on ne peut concevoir les actes de création

du droit que comme des moyens de provoquer une certaine

conduite des individus auxquels s'adressent ces actes, c'est-

à-dire comme les causes de certains effets. Alors on croit

que l'ordre juridique se ramène à la régularité d'un certain

déroulement ou cours de la conduite humaine tout simple-ment. On ignore consciemment que ces actes se présententavec un sens normatif, puisque l'on croit ne pas pouvoiradmettre l'existence, avec une signification propre, d'unSollen distinct du Sein. Mais alors on ne peut décrire scien-

tifiquement le sens d'un acte par lequel l'autorité ordonne,habilite ou permet positivement une certaine conduite

humaine, que comme une tentative de faire naître chezles hommes des représentations dont la force motivante lesincite à une certaine conduite. Les jugements juridiques tels

que : on doit punir le voleur, ou : on ne doit pas voler, sontainsi réduits à la constatation de faits : à savoir que certainshommes cherchent à amener d'autres hommes à ne pasvoler, ou à punir le voleur, et que les hommes s'abstiennenten règle générale de voler, et que, si exceptionnellement unvol est commis, le voleur est puni. On voit dans le droit— c'est-à-dire dans la relation entre hommes qui créentle droit et hommes qui l'exécutent — une entreprise demême nature que par exemple celle du chasseur qui poseun appât pour le gibier afin de l'attirer ainsi dans un piège.Cette comparaison ne serait pas juste seulement parce quela relation de motivation serait commune aux deux opéra-tions; elle le serait aussi en ce que, selon la façon en questionde considérer le droit, la présentation du droit comme sys-tème de normes —

que ce soit par le législateur ou par lascience du droit —• recouvrirait une mystification. De cepoint de vue, il n' « existe » pas du tout de « normes », etl'affirmation que telle ou telle chose cedoit être » n'a pas desens, pas même un sens spécifique de droit positif, qui serait

144 THÉORIE PURE DU DROIT

différent d'un sens moral. De ce point de vue, rien d'autrene compte que des phénomènes naturels insérés dans desconnexions causales; il ne faut envisager les actes de droit quedans leur effectivité, il n'y a pas lieu de tenir compte dufait qu'ils se présentent avec une signification spécifique.Dans une analyse ou une théorie purement sociologiques,cette signification, le Sollen, n'est qu'une mystificationidéologique; une description scientifique du droit ne peutdonc pas accepter de la traduire.

Effectivement, la mystification ainsi dénoncée existe bien

lorsqu'on prétend que le Sollen juridique pose une valeurmoralement absolue. Il ne peut au contraire pas être ques-tion de mystification idéologique lorsqu'au Sollen qui appa-raît dans les propositions de droit qui décrivent le droit,on attache uniquement et simplement la signification d'uneconnexion fonctionnelle spécifique. On a montré dans les

pages précédentes ce que représente l'imputation de la récom-

pense au mérite, de la peine au crime, de l'expiation au

péché, que cette connexion n'a pas de caractère causal,

qu'elle est donc différente de la connexion causale, et qu'ellejoue dans la pensée de l'homme, et en particulier dans la

pensée juridique, un rôle important. Les connexions cau-sales que décrit une théorie sociologique du droit unissent— à supposer qu'elles existent — des faits économiques ou

politiques et les actes créant le droit, d'une part, et cesderniers actes et la conduite humaine qu'ils tendent à pro-voquer, d'autre part. Et elles n'existent dans ce derniercas que dans l'hypothèse où la conduite des hommes esteffectivement motivée par la représentation de l'intentioninhérente à l'acte, — ce qui n'est nullement le cas toujourset sans exception, puisque la conduite conforme au droitest très souvent déterminée par l'action d'autres motifs.Mais il faut avant tout observer que ce sont deux autresfaits qu'unit l'un à l'autre l'imputation juridique : non pasl'acte créateur de droit, et la conduite conforme au droit,mais le fait que l'ordre juridique érige en condition et le

fait qu'il érige en conséquence. L'imputation est un principeorganisateur de la pensée humaine, tout de même que la

causalité, et elle est par suite aussi peu ou tout autant une

illusion, une mystification ou une idéologie que l'est celle-ci,

qui, n'est, elle aussi, pour parler avec Hume ou avec Kant,

qu'une habitude de pensée ou une catégorie de la pensée.Que les actes créateurs du droit aient la signification sub-

jective de Sollen, on ne peut pas le nier sérieusement, si 1on

DROIT ET SCIENCE 145

reconnaît que la signification de ces actes est bien celle de

commandements, d'impératifs (1). La seule chose que l'on

puisse mettre en question est de savoir si l'on peut consi-

dérer ce Sollen qui est la signification subjective des actes

créant du droit comme étant aussi leur signification

objective, et y voir des normes objectivement valables,

qui obligent et habilitent des hommes. C'est la questionde savoir par quoi des actes créateurs de droit se distin-

guent d'autres actes d'injonction, par exemple de l'ordre

d'un voleur de grand chemin. On a montré ci-avant quelleest la condition qui rend possible l'interprétation en ques-tion : l'hypothèse de la norme fondamentale.

Si l'on dénie toute signification à la norme, considérée

comme objectivement valable, qui établit le lien d'imputa-

tion, c'est-à-dire au « Sollen » qui exprime cette relation,il s'ensuit que des affirmations telles que : tel acte est juri-

diquement permis, tel acte est juridiquement défendu; telle

chose m'appartient, telle chose t'appartient, X a le droitde ..., Y a l'obligation de ..., etc., n'auraient aucun sens.En bref, ce sont ces milliers de propositions dans lesquelless'exprime quotidiennement la vie juridique qui seraient

dépourvues de signification. Semblable vue est contredite

par le fait incontestable que chacun comprend sans plusque ce n'est pas du tout la même chose de dire que A est

obligé juridiquement à payer mille à B, ou de dire qu'ily a une certaine chance que A paye mille à B, — et qu'il ya une différence radicale entre l'affirmation qu'une certaineconduite est — au sens de la loi, c'est-à-dire d'après unenorme générale — un délit et doit — selon la loi — être

punie, et cette autre affirmation que selon toute vraisem-blance celui qui a commis un certain acte sera puni. Desassertions relatives au cours vraisemblable d'une conduitefuture ne saisissent absolument pas la signification imma-nente des actes par lesquels le législateur s'adresse à l'or-gane d'application du droit, ou par lesquels ce dernier, jugeou agent administratif, s'adresse au sujet de droit, ni desactes — des actes juridiques

—par lesquels un sujet de

droit s'adresse à un autre sujet de droit. Des assertions dece genre correspondent à un point de vue transcendant audroit. Elles ne répondent pas à la question spécifiquementjuridique, qui est de dire ce qui doit avoir lieu en droit,selon le droit, mais à la question métajuridique de savoir

(1) Cf. supra, p. 9 sqq.

146 THÉORIE PURE DU DROIT

ce qui se produit effectivement et ce qui se produira vrai-semblablement. Les jugements juridiques qui énoncent quel'on doit se conduire d'une certaine façon ne se laissent pasréduire à des assertions relatives à des faits réels actuels

ou futurs, car ils ne se rapportent en aucune manière à

pareils faits, même pas au fait positif que certains hommesveulent que l'on doive se conduire d'une certaine façon.Ils se rapportent à la signification spécifique qui est celle

du fait positif d'un tel acte de volonté; et le Sollen, la

norme, est précisément cette signification, qui est quelquechose de différent de cet acte, du fait positif de Sein qui est

ce phénomène de vouloir.Le droit en tant que norme, c'est-à-dire comme signifi-

cation différente de tout acte positif déterminé causalement,

n'apparaît comme une idéologie que si l'on entend par« idéologie » l'antithèse à la réalité des faits positifs, c'est-à-

dire tout ce qui n'est pas réalité déterminée selon la loi

de causalité, ou description de cette réalité. Et alors seule-

ment pourra-t-on dire d'une théorie du droit qui ne décrit

pas ces actes dans leur connexion causale avec d'autres

faits positifs, mais qui décrit uniquement les normes quiconstituent la signification de ces actes, qui les décrit en

propositions de droit, c'est-à-dire dans des lois qui n'affirment

pas, comme les lois de la nature, une relation causale, mais

une relation d'imputation, alors seulement pourra-t-on dire

qu'une théorie de ce genre prend pour objet la légalité

propre d'une idéologie. Dans cette perspective, la théorie

pure du droit aura dégagé la route qui conduit vers ce

point de vue duquel le droit peut être compris comme une

idéologie en ce sens,— c'est-à-dire comme un système de

relations différent de la nature.

La possibilité et la nécessité d'une telle discipline por-tant sur le droit comme signification normative sont démon-

trées déjà par le seul fait de l'existence multiséculaire de la

science du droit, de la « jurisprudence dogmatique », qui

répond, et qui répondra tant qu'il existera un droit, aux

besoins intellectuels de ceux qui s'occupent de droit. H

n'existe aucun motif de ne pas donner satisfaction à ces

besoins parfaitement légitimes, et de renoncer à une telle

science du droit. La remplacer par une sociologie juridiqueest impossible, parce que celle-ci s'attache à un problèmetout autre que celui auquel elle s'attache. De même que,tant qu'il existera une religion, il devra nécessairement

exister une théologie dogmatique, qui ne peut pas être

DROIT ET SCIENCE 147

remplacée par une psychologie de la religion, ni par une

sociologie de la religion, de même — tant qu'il existera

un droit — il y aura une théorie du droit normative. Quelest le rang de cette discipline dans le système général des

sciences, ceci est une autre question, une question subal-

terne par rapport à la première. La tâche qui s'imposen'est pas de supprimer la science du droit en même temps

que la catégorie du Sollen ou de la norme, mais de limiter

cette science à son objet propre et d'élucider sa méthode

dans un esprit critique.Si par contre on veut appeler « idéologie » tout ce qui

n'est pas réalité naturelle ou description de cette réalité,mais est une description non-objective d'un objet de con-

naissance, une description influencée par des jugements de

valeur subjectifs, masquant cet objet, le transfigurant ou

le défigurant, et si l'on appelle « réalité », non pas seulement

la nature considérée comme objet des sciences de la nature,mais tout objet de la connaissance, et par conséquent aussi

l'objet de la science du droit, le droit positif en tant queréalité juridique, alors une description du droit positif doit,elle aussi, se garder libre et pure de toute idéologie (en cette

seconde acception). Si l'on confronte le droit positif, entant qu'ordre normatif, avec la réalité des phénomènes posi-tifs, cette réalité dont le droit positif voudrait qu'elle cor-

responde à ses normes (bien qu'il s'en faille de beaucoupque cette conformité existe toujours), alors on peut qua-lifier le droit d' « idéologie », dans la première acception duterme. Mais si on le confronte avec un ordre « supérieur »

qui élève la prétention d'être le droit « idéal » ou « juste »;et si l'on postule que le droit positif doit être conforme àcet ordre, —

par exemple être conforme au droit naturel, ouà une justice conçue de quelque autre façon que ce soit —,alors le droit positif, c'est-à-dire le droit posé par des actes

humains, le droit valable, généralement appliqué et obéi,se présente comme le droit « réel »; et alors on doit rejetercomme idéologique, au second sens du terme, une théoriedu droit positif qui confond celui-ci avec un droit naturelou avec une quelconque justice dans l'intention de le jus-tifier ou de le disqualifier. En ce sens, la théorie pure dudroit a un caractère anti-idéologique tout à fait prononcé.Elle affirme cette tendance qui est la sienne dans ce faitque lorsqu'elle décrit le droit positif, elle le tient à l'abride toute confusion avec un droit « idéal » ou « juste ». Elleveut décrire le droit tel qu'il est, et non pas tel qu'il devrait

148 THÉORIE PURE DU DROIT

être; elle entreprend de connaître le droit réel et le droit

possible, et non pas le droit « idéal » ou « juste ». Elle esten ce sens une théorie du droit radicalement réaliste, c'est-à-dire une théorie du positivisme juridique. Elle refuse

d'apprécier le droit positif. Elle ne se considère, en tant

que science, comme obligée à rien d'autre ni de plus qu'àsaisir le droit positif dans son essence, et à le comprendre

par une analyse de sa structure. Elle rejette en particuliertoute idée de servir de quelconques intérêts politiques enleur fournissant les « idéologies » grâce auxquelles l'ordresocial existant serait ou légitimé ou au contraire disqualifié.Elle empêche ainsi qu'au nom de la science du droit, onattache au droit positif, en l'identifiant avec un droit idéal

ou juste, une valeur supérieure à celle qu'il a réellement,ou qu'on lui refuse toute valeur et par conséquent la vali-dité elle-même, parce qu'il serait en contradiction avec undroit idéal ou juste. En prenant cette attitude, la théorie

pure du droit se met en opposition aiguë avec la sciencedu droit traditionnelle qui

— consciemment ou inconsciem-

ment, dans une mesure tantôt plus forte, tantôt moindre —

a un caractère « idéologique », au sens que l'on vient dedire. C'est précisément par cette tendance anti-idéologique

qui est la sienne que la théorie pure du droit s'affirme une

véritable science du droit. Car il y a dans la science, en

tant que connaissance, la tendance immanente à dévoiler la

réalité de son objet; l'idéologie, au contraire, dissimule la

réalité, soit en la transfigurant dans l'intention de la conser-

ver, de la défendre, soit en la défigurant, dans l'intention

de l'attaquer, de la détruire et d'y en substituer une autre.

Semblable idéologie a ses racines dans la volonté, et non

dans la connaissance; elle sourd de certains intérêts, plusexactement d'intérêts autres que celui de la vérité, étant

entendu qu'en disant ceci, on n'entend naturellement por-ter aucun jugement sur la valeur ou la dignité de ces autres

intérêts. Il est bien possible que l'autorité qui crée le droit

et qui cherche donc à le maintenir se demande si une con-

naissance exempte d'idéologie de cet objet qu'elle produitest utile ; comme il se peut que les forces qui veulent détruire

l'ordre existant et mettre en sa place un autre ordre tenu

pour meilleur ne sachent pas trop quoi faire et quel partitirer d'une telle connaissance du droit. Cependant une vraie

science du droit ne peut se soucier ni de cette autorité m

de ces forces. C'est précisément une science du droit de ce

type que veut être la théorie pure du droit.

TITRE IV

STATIQUE DU DROIT

27. — LES SANCTIONS : DÉLIT ET SANCTION.

a) Les sanctions du droit national

et du droit international.

Si l'on conçoit le droit comme un ordre de contrainte,c'est-à-dire comme un ordre qui institue des actes de con-

trainte, alors les propositions de droit qui en décrivent lesnormes apparaissent comme des assertions aux termes des-

quelles quand des conditions, déterminées, c'est-à-dire fixées

par l'ordre juridique, sont données, un certain acte decontrainte également défini par l'ordre juridique doit être

accompli. Les actes de contrainte sont des actes qui doi-vent être exécutés même contre le gré de ceux qu'ils attein-

dront, en usant de la force en cas de résistance.Comme il ressort de précédents développements, il faut

distinguer deux espèces d'actes de contrainte : d'une part,ceux que le droit institue comme réactions contre certainesactions ou abstentions par lui définies, — ce sont les

sanctions; exemple : la peine de prison attachée au vol; —

d'autre part, les actes de contrainte qui n'ont pas ce carac-

tère, tel l'internement d'office d'individus atteints d'unemaladie contagieuse ou qui sont tenus pour nuisibles enraison de leur race, de leurs opinions politiques, ou de leursconvictions religieuses; ou la destruction d'office ou encore

l'expropriation forcée de biens dans l'intérêt public. Dansce second cas, aucune action ou abstention d'un individu

150 THÉORIE PURE DU DROIT

définie dans l'ordre juridique ne figure parmi les conditionsde l'acte de contrainte.

Les sanctions, au sens spécifique de ce mot, apparaissent— dans les ordres juridiques étatiques

— sous deux formesdifférentes : la peine, au sens étroit du terme, et l'exécutionforcée. L'une et l'autre sorte de sanctions consistent à infli-

ger de force un mal, ou, envisagées en termes négatifs, à ôterde force un bien.

Pour les peines : la peine de mort ôte la vie ; — les peinescorporelles autrefois si pratiquées (crevaison des yeux, am-

putation d'une main, ou ablation de la langue) étaient donc

l'usage d'un membre ou d'un organe du corps; ou l'on in-

flige une douleur (correction) ; ou l'on ôte la liberté, avecles peines d'emprisonnement;

— ou, avec les peines patri-moniales, on prive de biens, en particulier de la propriété.Mais la peine peut encore consister dans le retrait d'autresdroits ; ainsi la privation d'une fonction, ou la privation desdroits politiques.

L'exécution forcée aussi inflige de force un mal. Maiselle se distingue de la peine en ceci que, comme on le dit

couramment, elle a lieu pour réparer l'acte illicite (délit),c'est-à-dire la conduite contre laquelle cette sanction vient

réagir. Ce que l'on appelle la réparation de l'acte illicite

consiste en ceci qu'il est mis fin à l'état de choses qui est

né de cette conduite contraire au droit (et qui est en ce

sens lui-même contraire au droit), et qu'un état de choses

conforme au droit est établi. Cet état de choses peut être

celui-là même qui aurait dû être réalisé par la conduite du

délinquant qui aurait été conforme au droit; mais ce peutêtre aussi, lorsque l'état de choses régulier ne peut plus être

réalisé, un autre état de choses qui tient le rôle de substitut.Voici quelques exemples du premier cas :

a) A néglige de remplir son obligation de prester à B

une chose qui se trouve en sa possession; la sanction — quiconstitue une exécution forcée — sera qu'on enlèvera de

force la chose à A pour la remettre à B ; b) A n'exécute passon obligation de comparaître comme témoin devant un

tribunal; A sera conduit de force devant le tribunal, ce qui

signifie que la liberté lui sera ôtée à cette fin.Et voici un exemple du second cas : A n'exécute pas

l'obligation qu'il a contractée de prester à B une chose

qui ne se trouve pas en sa possession, ou d'effectuer à son

profit un certain travail. L'exécution-sanction consistera a

ôter à A un bien, à procéder à sa vente forcée et à remettre

STATIQUE DU DROIT 151

à B sur le prix de vente une somme correspondant à la

valeur de la chose due, ou du travail dû.

Si, comme c'est le cas dans le premier et dans le dernier

des exemples précédents, la conduite contraire au droit

consiste en ceci qu'un dommage a été causé à un tiers, la

sanction-exécution forcée assurera la réparation du dom-

mage causé de façon illicite. Alors, il existe une certaine

similitude entre peine patrimoniale et exécution. Toutes les

deux sont exécution forcée sur un patrimoine. Mais elles se

distinguent l'une de l'autre par ceci que dans le cas de la

peine patrimoniale, qui habituellement consiste en paie-ment d'une somme d'argent, le bien retiré de force entre dans

un patrimoine public (Trésor de l'Etat, ou caisse commu-

nale), alors que dans le cas de l'exécution forcée, il est

affecté à celui qui a subi illicitement le dommage matériel

ou moral, en vue de réparer ce dommage : l'ordre juridique

poursuit ici un but qui est absent dans le cas de la peine.On notera qu'il est d'ailleurs presque impossible de définir

la notion de peine au moyen de son but; le but de la peinene ressort pas, du moins pas de façon immédiate, du contenude l'ordre juridique. Dire que ce but consiste à empêcherpar intimidation l'accomplissement de l'action ou de l'absten-tion assortie d'une peine est une interprétation qui est éga-lement possible à l'égard de systèmes de droit pénal quin'ont pas été inspirés consciemment par l'idée de préven-tion, mais simplement par le principe du mal pour le mal.La peine de mort et les peines de privation de liberté restentles mêmes, que l'on vise en les établissant la prévention ou

quelque autre fin. D'ailleurs, il n'existe pas à cet égardde différence essentielle entre la peine et l'exécution forcée;celle-ci également est ressentie par celui qu'elle touche commeun mal, et peut donc avoir un effet préventif, de sorte quele but de réparation peut ici se combiner avec le but de

prévention. Les deux sortes de sanctions : peine et exécu-tion, doivent être ordonnées soit par des autorités juridic-tionnelles soit par des autorités administratives, selon laprocédure prévue à cet effet. En conséquence, on doit dis-tinguer peines juridictionnelles, — ce sont celles qui sontordonnées par des tribunaux; — et peines administratives,c est-à-dire ordonnées par des autorités administratives, —et de même, des exécutions juridictionnelles, c'est-à-direordonnées par les tribunaux civils (exécution civile), et desexécutions administratives, c'est-à-dire ordonnées par lesautorités administratives. On doit également distinguer l'acte

152 THÉORIE PURE DU DROIT

par lequel la sanction peine ou exécution est prescrite, del'acte de contrainte que représente la sanction, c'est-à-direl'acte qui réalise la norme posée par le premier, peine ouexécution forcée. Ce dernier acte est toujours accompli parune autorité administrative.

Les sanctions du droit international général : représailleset guerre,

— dont il sera question plus tard —, ne sontsans doute qualifiées ni de peines ni d'exécution civile; ellesn'en représentent pas moins, comme celles-ci, le retrait debiens par la force, ou, ce qui revient au même, une lésion parun Etat d'intérêts d'un autre Etat, qui, en dehors de ce

cas, sont protégés par l'ordre juridique, mais dont celui-ciadmet alors la lésion. Si l'on admet que, d'après le droitinternational en vigueur, un Etat n'est en droit de recourirà des représailles ou à la guerre contre un autre Etat que sicelui-ci se refuse à réparer le dommage qu'il a infligé enviolation du droit, et que ces actes de contrainte ne peuventêtre exécutés qu'en vue d'obtenir cette réparation seulement,il en résulte qu'il existe une certaine parenté entre les sanc-tions du droit international général et l'exécution forcéedu droit civil. Mais les représailles et la guerre peuvent-ellesêtre interprétées comme des sanctions du « droit interna-tional », et celui-ci doit-il en conséquence être considérécomme un ordre juridique ? C'est là une question extrême-ment discutée (1).

b) L'acte illicite (délit),condition, et non négation, du droit.

Ainsi qu'il ressort déjà de ce qui a été dit précédemment,les actions ou abstentions dont l'ordre juridique fait lacondition d'un acte de contrainte prévu par lui constituentles actes illicites ou délits, et les actes de contrainte ainsi

prévus comme conséquences de tels actes constituent les

sanctions. C'est seulement par le fait que l'ordre juridiqueles érige en conditions d'actes de contrainte prévus par lui

que des comportements, actions ou abstentions, prennent le

caractère d'actes illicites ou délits; et c'est seulement parle fait que l'ordre juridique les prévoit comme conséquencesd'actions ou d'abstentions définies par lui que ces actes

de contrainte prennent le caractère de sanctions. Les actes

de contrainte institués par l'ordre juridique comme conse-

(1) Cf. infra, p. 420 sqq.

STATIQUE DU DROIT 153

quences d'autres faits ne sont pas, eux, (on l'a dit précédem-

ment), des sanctions au sens spécifique de conséquencesd'un délit; et les faits qui les conditionnent n'étant pas des

actions ou des abstentions de certains hommes définies parl'ordre juridique, n'ont pas le caractère d'actes illicites ou

délits.Le rapport entre délit et sanction est donc l'inverse de

ce qu'admet la doctrine traditionnelle : pour celle-ci, une

action ou une abstention se voit attacher un acte de

contrainte parce qu'elle est un acte illicite ou un délit. La

vérité est exactement inverse : une action ou une abstention

est un acte illicite ou délit parce qu'un acte de contrainte

y est attaché. Si une certaine conduite humaine doit être

considérée comme acte illicite ou délit, ce n'est pas à raison

d'une quelconque qualité immanente, pas davantage à rai-

son d'une quelconque relation avec une norme métajuri-

dique, naturelle ou divine, c'est-à-dire avec un monde

transcendant par rapport au droit positif, c'est uniquementet exclusivement pour la raison que l'ordre juridique positiffait de cette conduite la condition d'un acte de contrainte,c'est-à-dire d'une sanction (1).

Dans la doctrine traditionnelle domine l'idée que lesnotions de délit et de sanction impliqueraient un élémentde valeur d'ordre moral, que le délit devrait nécessairementavoir quelque chose d'immoral, et la peine quelque chosed'infamant. Et cependant, le seul fait du caractère éminem-ment relatif des jugements de valeur qui entrent ici en

ligne de compte suffirait à rendre cette façon de voir insou-tenable. Il peut être exact que les actions et les abstentions

qu'un ordre juridique sanctionne apparaissent comme immo-rales selon les conceptions de certains milieux; mais on nesaurait nier qu'il peut n'en être point ainsi selon les concep-tions d'autres milieux. Au regard de la plupart des ordres

(1) Si l'on conçoit le droit comme un ordre de contrainte, et si l'onne prend en considération que les normes qui instituent des sanctions,c'est-à-dire des actes de contrainte, en tant que réaction contre uneconduite qui reçoit de ce fait la qualité de délit, d'acte illicite, on peutdire que le droit est réaction contre le non-droit; et alors comme ledit Thomas d'Aquin, Summa theologica, I-II, 96, art. 5 — seuls lesméchants sont soumis à l'ordre juridique, et non les bons : « Alio veromodo dicitur aliquis subjectus legi, sicut coactum cogenti. Et, hocmodo, homines virtuosi et justi non subduntur legi; sed soli mali.Quod enim est coactum et violentum, est contrarium voluntati. Volun-tas autem bonorum consonat legi a qua malorum voluntas discordât.Et ideo, secundum hoc, boni non sunt sub lege; sed solum mali. »

11. THÉORIEPUREDUDROIT.

154 THÉORIE PURE DU DROIT

juridiques en vigueur, un homme qui tue sa femme adultèreou l'amant de sa femme est un criminel ; mais il se peut fortbien que beaucoup ne désapprouvent nullement son acte,bien plus : qu'ils le considèrent comme l'exercice d'un droit

naturel, celui de défendre son honneur, et qu'ils l'approuvent.Le duel est réprimé par le droit pénal; mais il n'est pas du

tout considéré comme immoral par une certaine couche de

la société; bien au contraire, elle y voit une obligation

morale, et par suite la peine privative de liberté qui le

sanctionne n'est pas tenue pour entachant l'honneur. Par

ailleurs, il est une catégorie de délits pour laquelle on ne

maintient pas du tout la thèse que les délits seraient paressence des actes contraires à la morale, et le fait de les

sanctionner essentiellement conforme à la morale : ce sont

les délits civils, assortis de la sanction de l'exécution civile.

La vérité est que, du point de vue d'une théorie du droit

positif, il n'existe pas de faits qui soient actes illicites, délits

en soi et pour soi, c'est-à-dire abstraction faite de la consé-

quence qu'y attache l'ordre juridique. Il n'existe pas de

mala in se; il existe seulement des mala prohibita. D'ail-

leurs, ceci n'est que la conséquence d'un principe générale-ment reconnu en droit pénal : nullum crimen sine lege, nulla

poena sine lege; et ce principe qui ne vaut pas seulement

pour le droit pénal, c'est-à-dire pour les délits criminels,mais pour tous les délits, —

qui ne vaut pas seulement pourla peine, mais pour toute sanction, n'est que la consé-

quence logique du positivisme juridique. Un fait est acte illi-

cite ou délit au regard d'un certain ordre juridique, parce quecelui-ci y attache une sanction; ce même fait ne l'est au

contraire pas au regard d'un autre ordre juridique, qui, lui,

n'y attache pas de sanction. Il va de soi que, si une cer-

taine action ou abstention humaine est érigée en condition

d'un acte de contrainte, c'est parce que cette action ou cette

abstention sont considérées par l'autorité juridique comme

indésirables, parce que socialement nuisibles. Mais, du pointde vue d'une analyse qui prend pour objet la significationimmanente de l'ordre juridique, cette circonstance est irre-

levante pour la notion d'acte illicite. Si une certaine action

ou abstention définie par l'ordre juridique est érigée en

condition d'un acte de contrainte, elle doit être considérée

comme acte illicite, même par le juriste qui ne la tiendrait

absolument pas pour nuisible, qui peut-être même la tien-

drait pour utile — et inversement. Distinguer entre des

faits qui seraient actes illicites parce qu'ils seraient punis-

STATIQUE DU DROIT 155

sables d'après le droit positif et des faits qui seraient punis-

sables parce qu'ils seraient délits, actes illicites, c'est partir

de vues de droit naturel; c'est présupposer que la qualité

d'acte illicite, la valeur négative, est immanente, inhérente

à certains faits, et exige que le droit positif les punisse.Cette distinction tombe en même temps que l'on rejette

l'idée, qui est à la base de la doctrine du droit naturel, quevaleur et non-valeur seraient inhérentes à la réalité.

Les dénominations d'acte illicite (« Un-Recht »), de contra-

riété au droit ou irrégularité juridique, («Rechts-Widrigkeit»),de violation du droit (« Rechts-V erletzung ») ou d'infraction

au droit (« Rechts-Bruch ») expriment toutes pareillementl'idée d'une négation du droit, la représentation de quelquechose qui serait extérieur au droit et contraire à ce droit,

qui menacerait, interromperait ou même annulerait

l'existence du droit. C'est une représentation fallacieuse.Elle provient de ceci que l'on interprète le rapport quiexiste entre une norme qui ordonne une certaine conduiteet une conduite effective qui est contraire à ce qui est or-

donné, comme une contradiction logique. Or, cela est faux :en vérité, une contradiction logique ne peut exister qu'entredeux propositions dont l'une déclare que A est et l'autre

que A n'est pas, ou entre deux propositions dont l'unedéclare que A doit être et l'autre que A ne doit pas être.Les deux propositions ne peuvent pas coexister l'une avec

l'autre, seule l'une d'entre elles peut être vraie. Entre la

proposition qui décrit une norme en énonçant qu'un indi-vidu doit se conduire de telle ou telle façon et la propositionqui constate qu'il ne s'est pas conduit de cette façon, maisa suivi la conduite contraire, il n'existe aucune contradic-tion logique. Les deux propositions peuvent coexister l'uneavec l'autre, elles peuvent être vraies en même temps.L'existence, c'est-à-dire la validité, d'une norme qui ordonneune certaine conduite n'est pas « brisée » par la conduitecontraire — comme est brisée une chaîne qui enchaîne unhomme; la chaîne du droit enchaîne également l'hommequi « brise le droit » ; la norme n'est pas « atteinte » commeun homme peut être « atteint » par un acte de contraintedirigé contre lui, c'est-à-dire subir un dommage dans sonexistence. Si l'on doit admettre qu'un ordre normatif n'or-donne une certaine conduite que par le fait qu'il attache àla conduite contraire une sanction, les données essentiellessont décrites complètement par un jugement hypothétiquequi énonce que si telle conduite a eu lieu, tel acte de con-

156 THÉORIE PURE DU DROIT

trainte doit être réalisé. Dans cette proposition, l'acte illi-cite apparaît comme une condition du droit, et non commeune négation du droit; et alors il apparaît que l'acte illiciten'est pas un fait dont l'existence se situe en dehors dudroit et va contre le droit, qu'il est seulement un fait exis-tant à l'intérieur du droit et déterminé par celui-ci, que,par essence même, le droit se rapporte précisément et tout

particulièrement à lui. Comme n'importe quelle autre chose,l'acte illicite aussi ne peut être compris juridiquement quecomme droit. Lorsqu'on parle d'une conduite « contraire audroit », on entend la conduite qui conditionne l'acte de

contrainte; lorsque l'on parle d'une conduite « conforme audroit », on entend la conduite opposée, celle qui évite l'actede contrainte.

En renversant l'interprétation naïve et pré-scientifiquequi voit dans le délit la négation du droit, un « non-droit »,en le concevant au contraire comme une condition du droit,la science du droit effectue une démarche analogue à celle

qu'effectue la théologie à l'égard du problème de la théo-

dicée, c'est-à-dire le problème du mal dans un monde créé

par un Dieu parfaitement bon et tout-puissant. Etant donné

que tout ce qui est doit pouvoir être conçu comme voulu

par Dieu, surgit la question : comment peut-on concevoir

que le mal soit voulu par le Dieu bon ? La réponse d'une

théologie conséquente dans le monothéisme est la suivante :

on le peut si l'on interprète le mal comme une conditionnécessaire de la réalisation du bien. L'idée que le mal n'est

pas l'oeuvre de Dieu, mais est dirigé contre Dieu, est l'ou-

vrage du diable, n'est pas compatible avec l'hypothèsemonothéiste, parce qu'elle inclut en soi la représentationd'un « contre-Dieu », d'un « non-Dieu ».

Le délit, c'est-à-dire une certaine action ou abstentionhumaine définie par l'ordre juridique, n'est pas la condi-tion unique à laquelle cet ordre juridique attache une sanc-

tion : le fait-condition, comme nous le verrons, peut être

constitué d'éléments très divers, parmi lesquels d'autres

faits de conduite humaine qui ne peuvent pas être qualifiésde délits — comme par exemple l'acte législatif qui crée la

norme générale qui définit le fait délictueux, et l'acte juri-dictionnel qui constate, ou établit l'existence du fait délic-

tueux concret. Dès lors se pose la question de savoir commentl'on peut distinguer la conduite qui doit être qualifiée de

délit d'autres conditions, et en particulier d'autres compor-tements humains, qui apparaissent comme des éléments

STATIQUE DU DROIT 157

constitutifs du fait-condition. On pourra être tenté de don-

ner la réponse suivante : le délit est normalement la conduite

de cet homme contre lequel sera dirigé l'acte de contrainte

jouant le rôle de sanction qui a le caractère de conséquence

juridique de cette conduite. Mais à la vérité cette définition

du délit n'est juste que si la sanction est dirigée contre le

délinquant, c'est-à-dire contre celui qui par sa conduite a

commis le délit. Ceci est le cas — sur lequel nous aurons à

revenir ultérieurement — de la responsabilité pour sa propre

conduite, pour son propre fait. Mais il est possible que la

sanction ne se dirige pas contre le délinquant, ou contre

le délinquant seul; il se peut qu'elle soit également dirigéecontre un autre individu — ou contre d'autres individus.

Il y a alors responsabilité pour le fait d'autrui. En ce cas,il faut que l'ordre juridique détermine le rapport qui unit

le délinquant et celui ou ceux qui sont responsables pourson délit. L'ordre juridique peut rendre responsable le pèredu délinquant ou son époux, ou d'autres membres de sa

famille, ou les membres d'un groupe plus large, dont le

délinquant fait partie. Et l'on arrive ainsi à la réponsesuivante à la question posée : en appelant, pour simplifierle langage, ceux qui sont dans une relation définie par l'ordre

juridique avec le délinquant et qui sont responsables pourson délit, en les appelant ses « proches » (membres de la

famille, de la souche, de l'Etat (nationaux), on peut définirle délit comme la conduite de cet homme contre lequelou contre les proches duquel la sanction-conséquence est

dirigée.

28. — OBLIGATION JURIDIQUE ET RESPONSABILITÉ.

a) Obligation juridique et sanction.

On peut dire que les individus sont obligés à la conduiteque leur prescrit l'ordre social. En d'autres termes : unindividu a l'obligation d'adopter telle conduite, si cetteconduite est prescrite par l'ordre social. Dire qu'une con-duite est prescrite et dire qu'un individu est obligé à uneconduite, qu'il a l'obligation de se conduire de cette façon,ce sont là des expressions synonymes. L'ordre juridiqueétant un ordre social, la conduite à laquelle un individuest juridiquement obligé est une conduite qui doit avoirlieu, de façon directe ou indirecte, envers un autre indi-

158 THÉORIE PURE DU DROIT

vidu. Si l'on conçoit le droit comme un ordre de contrainte, onne peut dire qu'une conduite donnée est objectivement pres-crite en droit et qu'elle peut par suite être considérée commefaisant l'objet d'une obligation juridique, que si une norme

juridique attache à la conduite contraire la sanction d'unacte de contrainte. Sans doute est-on accoutumé de dis-

tinguer norme juridique et obligation juridique, et de dire

qu'une norme établit une obligation juridique. Mais il fautbien comprendre que l'obligation juridique à une certaine

conduite, loin d'être une donnée différente de la norme

juridique qui ordonne cette conduite, est cette norme juri-dique elle-même. L'assertion qu'un individu est obligé juri-diquement à une certaine conduite est identique à l'assertion

qu'une norme prescrit une conduite définie d'un certain

individu; et un ordre juridique prescrit une conduite enattachant à la conduite contraire, à titre de sanction, un

acte de contrainte.

L'obligation juridique a, de même que la norme juridiquequi y est identique, un caractère général ou un caractèreindividuel. La norme juridique qui prescrit la réparationdes dommages infligés à autrui établit, ou plus exactement :

elle est, une obligation juridique générale. La décision juri-dictionnelle, c'est-à-dire la norme individuelle qui prescritdans un cas concret que tel individu A doit réparer le dom-

mage subi par tel autre individu B en lui versant une cer-

taine somme d'argent établit ou plus exactement : elle est,

l'obligation juridique individuelle de A; et ceci signifie tout

simplement que la prestation par A à B de la somme d'ar-

gent déterminée forme le contenu d'une norme juridiqueindividuelle. Très généralement, on ne parle d'obligation

juridique que lorsqu'existe une norme juridique individuelle;

et, du fait qu'elle ne prend en considération que les normes

juridiques générales, et ignore l'existence des normes jun

diques individuelles, la doctrine traditionnelle n'aperçoit pasl'identité de la norme juridique et de l'obligation juridique,et considère l'obligation juridique comme un objet de con-

naissance juridique distinct de la norme juridique, bien quesans doute il y ait entre eux quelque connexion.

En essayant de définir l'obligation juridique de cette

façon, on se condamne à des erreurs. Ainsi, à l'idée que

l'obligation juridique est une impulsion intérieure de

l'homme, une poussée vers une conduite ressentie par lui

comme prescrite, la liaison par une norme qui, norme natu-

relle ou norme divine, serait innée en lui, et dont le droit

STATIQUE DU DROIT 159

positif ne ferait qu'assurer l'obéissance en établissant une

sanction. En vérité, l'obligation juridique n'est rien autre

chose que la norme positive qui prescrit la conduite de cet

individu en attachant à la conduite contraire une sanction.

Et l'individu est juridiquement obligé à la conduite ainsi

prescrite, même si la représentation de la norme ne déclenche

en lui aucune sorte d'impulsion vers cette conduite, bien

plus : dans la mesure où le droit positif consacre le principe

que l'ignorance de la loi n'exempte pas de la sanction éta-

blie par le droit, l'obligation du sujet existe même s'il n'a

aucune idée de la norme juridique qui l'oblige, s'il ne la

connaît pas.Voici donc définie la notion d'obligation juridique. Elle

est essentiellement liée à celle de sanction. Est juridique-ment obligé l'individu qui peut par son comportementcommettre l'acte illicite, c'est-à-dire le délit, et provoquerainsi la sanction, en bref : le délinquant potentiel, ou quipeut éviter la sanction par la conduite contraire. Dans le

premier cas, on parle de violation de l'obligation; dans lesecond cas, d'exécution de l'obligation. L'individu qui exé-cute une obligation qui lui est imposée par une norme juri-dique obéit à la norme juridique, il la suit (befolgen); l'in-dividu qui exécute en cas de violation du droit la sanction

qui est prévue par la norme juridique applique (anwenden)la norme juridique. Aussi bien l'obéissance à la norme juri-dique que son application représentent une conduite con-forme à la norme juridique. Si l'on entend par efficacitéd'un ordre juridique le fait que les hommes dont il règlela conduite — en attachant comme sanction à une conduitedéfinie par lui un acte de contrainte également défini parlui —

agissent effectivement d'une façon conforme auxnormes de cet ordre, alors l'efficacité de l'ordre juridiques'exprime également et dans l'obéissance effective des sujetsaux normes juridiques, c'est-à-dire dans l'exécution des

obligations établies par elles, et dans l'application des normes

juridiques, c'est-à-dire dans la réalisation des sanctions éta-blies par elles.

Normalement, une obligation juridique porte sur la con-duite d'un seul individu; parfois cependant, elle porte surla conduite de deux ou de plusieurs individus. Tel est le casdans les deux situations suivantes : en premier lieu, lorsqu'ily a obligation alternative, c'est-à-dire lorsque l'obligationpeut être exécutée ou par l'un ou par l'autre des individus,et n'est donc violée ou enfreinte que si aucun des deux ne

160 THÉORIE PURE DU DROIT

l'exécute; en second lieu, lorsqu'il y a obligation conjointeou solidaire, c'est-à-dire lorsque l'obligation ne peut être

exécutée que par la collaboration ou la coopération des

divers sujets et est donc violée ou enfreinte si cette coopé-ration n'a pas lieu.

A côté de la notion d'obligation juridique, la doctrine tra-

ditionnelle utilise celle de sujet de l'obligation en tant que« porteur » de l'obligation,

— de même qu'à côté de la notion

de droit subjectif, elle utilise la notion de sujet du droit

en tant que porteur de ce droit. Ces deux concepts sont

groupés dans la notion plus large du sujet de droit défini

comme porteur des obligations et des droits établis parl'ordre juridique. Normalement, on désigne comme le sujetou le porteur d'une obligation l'individu dont la conduite

forme le contenu de cette obligation. Mais en réalité, cet

individu n'est pas quelque chose qui « supporte » l'obligationcomme un objet distinct de lui. Ce n'est même pas du tout

l'individu comme tel qui entre en ligne de compte dans les

données que l'on appelle obligations juridiques; c'est et c'est

seulement une certaine conduite de cet individu, ce n'est

que l'élément personnel de cette conduite qui, lié indisso-

lublement à l'élément matériel, forme le contenu de l'obliga-tion juridique. C'est seulement si on la conçoit de cette

façon que la notion de sujet de l'obligation est admissible.

Est sujet d'une obligation juridique l'individu dont la con-

duite est la condition à laquelle est attachée comme sa

conséquence une sanction dirigée contre cet individu (oucontre ses proches). C'est l'individu qui peut par sa conduite

violer l'obligation, c'est-à-dire provoquer la sanction, et qui

peut par suite aussi exécuter par sa conduite l'obligation,c'est-à-dire éviter la sanction.

b) Obligation juridique et « Sollen ».

Dans la langue allemande —spécialement depuis Kant

et son éthique— au mot « obligation » ou « devoir » (Pflicht)

s'attache la représentation d'une valeur morale absolue. Le

principe que l'homme doit toujours exécuter son « devoir »

ou remplir ses « obligations » présuppose manifestement

qu'il existe des obligations ou devoirs absolus et immédiate-

ment évidents pour chacun. S'il n'en allait pas ainsi, c'est-

à-dire si l'on admettait qu'il n'existe pas une morale absolue,

mais de multiples ordres moraux très différents les uns des

autres, qui prescrivent des conduites opposées, la proposition

STATIQUE DU DROIT 161

que l'on vient de rappeler, qui est la proposition fonda-

mentale de l'éthique kantienne, aboutirait à cette tauto-

logie que l'homme doit toujours faire ce qui est prescrit

d'après une certaine morale, c'est-à-dire qu'il doit faire ce

qu'il doit faire.

Mais la notion d'obligation juridique se réfère exclusi-

vement à un ordre juridique positif et n'a absolument aucune

implication morale. Il est possible qu'une obligation juri-

dique ait pour contenu la même conduite qui est prescritedans un quelconque système moral, mais ce n'est pas néces-

saire : il se peut aussi bien qu'elle ait pour contenu la con-

duite contraire, de sorte que— selon l'idée que l'admet

habituellement dans ce genre de cas — il existe un conflit

entre l'obligation ou devoir juridique et l'obligation oudevoir moral. Pour éviter la possibilité d'un tel conflit, on

est allé jusqu'à affirmer que l'idée d'obligation n'est abso-lument pas une notion juridique, que seule la morale oblige,et non pas le droit, que la fonction spécifique du droit, àla différence de celle de la morale, est de conférer des droits.Ce sont des idées inacceptables : dire qu'il y a obligationà une certaine conduite signifie simplement que cette con-duite est prescrite par une norme, rien d'autre; or, il ne

peut pas être question de nier que l'ordre juridique—

comme tout ordre normatif —prescrive de certaines con-

duites humaines; par conséquent, il faut admettre qu'obli-ger est une fonction essentielle du droit, et même — commele montrera l'analyse qui va suivre de la fonction de conférerdes droits —, il faut admettre que la fonction d'obliger estsa fonction première, la fonction d'attribuer des droits étantseulement sa fonction seconde.

Les normes ne font pas que prescrire ou défendre unecertaine conduite ; elles peuvent également habiliter une cer-taine conduite. Dans la mesure où, dans le cadre d'un ordre

juridique, « habiliter » signifie conférer un pouvoir juri-dique, c'est-à-dire la faculté de créer du droit, il ne peut yavoir d'habilitation qu'à une action positive, non à uneabstention, alors qu'au contraire un commandement peutporter aussi bien sur une abstention que sur une action. Onpeut par conséquent être juridiquement obligé, soit à faire

quelque chose, soit à s'abstenir de faire quelque chose.Il n'est pas superflu de souligner qu'il n'y a aucune nécessité

à ce que, lorsqu'un individu est habilité à une conduitedéterminée, il soit pour autant obligé à cette conduite.Mais il est naturellement possible, et il se rencontre fré-

162 THÉORIE PURE DU DROIT

quemment en fait qu'un individu ou un ensemble d'indivi-dus soient, en même temps qu'habilités, juridiquement obli-

gés de faire usage de cette habilitation, c'est-à-dire quel'action à laquelle le sujet est habilité par l'ordre juridiquesoit en même temps prescrite, c'est-à-dire érigée en contenud'une obligation. Le juge est habilité à prononcer une peinedans telles ou telles conditions, c'est-à-dire qu'il a ce pou-voir juridique, qui lui est conféré par l'ordre juridique, àlui et à nul autre. Il se peut, bien que cela ne soit pas néces-saire, qu'il soit en même temps juridiquement obligé de

prononcer cette peine; il l'est dans le cas où l'ordre juri-dique prescrit une sanction contre lui dans l'hypothèse oùil s'abstiendrait de prononcer la condamnation.

Cette analyse vaut également pour le cas où une certaineconduite est positivement permise par une norme qui limitecelle qui portait défense générale de cette conduite. Il se

peut que l'ordre juridique établisse une obligation de faire

usage de cette autorisation, mais cela- n'est pas nécessaire.

Rappelons ici encore une fois qu'en disant que la propo-sition de droit répond à la formule schématique : « Danscertaines conditions, un certain acte de contrainte doit êtrefait », on n'attache pas au mot « doit (soll) », le sens d'une

obligation juridique; on n'entend absolument pas précisersi l'acte de contrainte est le contenu d'une obligation juri-dique, ou d'une permission positive, ou d'une pure habili-

tation; bien au contraire, on entend couvrir tout ensembleces trois cas. Ainsi donc dans la formule, le mot « sollen »

est employé pour désigner la signification de toute norme,non seulement des normes qui prescrivent une conduite

donnée, mais également de celles qui permettent positive-ment une conduite et de celles qui habilitent à une conduite;en disant que l'on « doit (soll) » se conduire d'une certaine

façon, on veut dire uniquement et simplement que cetteconduite est prévue dans une norme. Dans une semblable

terminologie, l'obligation juridique est, en son contenu, la

conduite contraire à celle qui est la condition d'un acte de

contrainte qui est soit prescrit, c'est-à-dire dont la non-

exécution est elle-même à son tour la condition d'un acte

de contrainte, soit habilité, soit positivement permis. L'obli-

gation juridique— on en a déjà fait l'observation dans un

passage précédent (supra, p. 35)— n'est pas ou n'est pas

immédiatement la conduite qui doit avoir lieu (das gesollte

Verhalten). Seul doit avoir lieu l'acte de contrainte qui jouecomme sanction. Si l'on dit : celui qui est obligé juridique-

STATIQUE DU DROIT 163

ment à une certaine conduite « doit », selon le droit, se

conduire de cette façon, alors on ne fait qu'exprimer l'idée

que doit avoir lieu,— en ce sens qu'il est soit positivement

permis, soit habilité, soit prescrit— l'acte de contrainte

établi comme conséquence de la conduite contraire et qui

joue le rôle de sanction (1).

c) Responsabilité.

Avec la notion d'obligation juridique, une autre est unie

d'un lien essentiel mais doit cependant en être distinguée :

c'est celle de responsabilité juridique. On a maintes fois

déjà rappelé la définition de l'obligation juridique : un indi-

vidu est obligé juridiquement à une conduite donnée lorsquela conduite contraire est érigée en condition d'un acte de

contrainte (qui a le caractère d'une sanction). Mais, on l'a

déjà observé, cet acte de contrainte, c'est-à-dire la sanc-

tion, ne doit pas nécessairement être dirigé contre l'indi-vidu même dont la conduite en est la condition, contre le

délinquant; il est parfaitement possible qu'elle soit dirigéecontre un autre individu qui est avec le premier dans unecertaine relation définie par l'ordre juridique. On dit quel'individu contre lequel la sanction est dirigée répond dudélit (haftet fiir das Unrecht), en est juridiquement respon-sable (verantwortlicK). Dans le premier cas évoqué, il est

responsable de son propre délit; le sujet obligé et le sujet

(1) Alf Ross, op. cit., p. 75 objecte contre la théorie pure du droitque sa définition de la notion d'obligation juridique conduit à un regres-sus sans fin. L'obligation juridique à une certaine conduite seraitfondée par une norme qui oblige un organe juridique en cas de conduitecontraire à réagir par une sanction. Mais cette obligation de l'organene pourrait à son tour être fondée que par une norme qui oblige unautre organe à réagir par une sanction dans le cas où le premier organen'exécute pas son obligation « et ainsi de suite à l'infini (and sointerminately) ». De ce qui est expliqué au texte, il ressort cependantque l'obligation juridique à une certaine conduite peut être fondéepar une norme qui ne fait qu'habiliter un organe juridique, sans l'obli-ger à réagir par une sanction en cas de conduite contraire, et que, sil'organe est obligé de réagir par une sanction, cette obligation ne peutêtre fondée, en dernière analyse, que par une norme qui habilite unautre organe à réagir par une sanction, mais ne l'y oblige pas. Cettenorme aussi est décrite par une proposition de droit qui énonce que,certaines conditions étant données, un acte de contrainte doit avoirlieu, puisque, « sollen » ne signifie pas seulement « ordonner », maiségalement « habiliter » et « permettre positivement » et que la notiond'obligation juridique n'est pas identique à la notion de Sollen. »Cf. supra, p. 6 et s.

164 THÉORIE PURE DU DROIT

responsable sont un seul et même individu. Est responsable

(haftbar, verantwortlich) le délinquant potentiel. Dans lesecond cas, un individu répond du délit qui a été commis

par un autre : l'individu responsable est différent de l'in-dividu obligé.

On est obligé à une conduite conforme au droit, on est

responsable d'une conduite contraire au droit. L'individu

obligé peut, selon ce qu'est sa conduite, ou provoquer ouéviter la sanction. Au contraire, l'individu qui ne fait querépondre de l'inexécution de l'obligation d'un autre, c'est-à-dire de l'acte illicite d'un tiers, ne peut par sa conduiteni provoquer ni éviter la sanction. Telle est manifestementla situation dans le cas de responsabilité pénale pour desdélits d'autrui, c'est-à-dire au cas où la sanction a le carac-tère d'une peine. Mais c'est également le cas pour la res-

ponsabilité civile des délits d'autrui, lorsque la sanction a lecaractère d'une exécution civile. A est obligé de prester milleà B si l'ordre juridique dispose que, si A ne preste pas milleà B, une exécution forcée doit avoir lieu contre le patrimoinede A ou contre le patrimoine de C. Dans ce dernier cas,C est responsable de l'inexécution de l'obligation de A de

prester mille à B. C ne peut pas provoquer la sanction parsa conduite, car la condition de la sanction est la conduitede A, et non la conduite de C, mais C ne peut pas non pluspar sa conduite éviter la sanction, s'il est seulement res-

ponsable du délit civil de A. Tel serait le cas si l'ordre juri-dique disposait que la sanction doit être dirigée contre C

si A néglige de prester mille à B, même à supposer que C

presterait mille à B, c'est-à-dire en somme au cas où l'ordre

juridique n'accepterait pas comme satisfaisante l'exécutionde l'obligation de A par C (en tant que représentant). Mais

il se peut que C ne soit pas seulement responsable du fait

que A ne remplit pas son obligation de prester mille à B;il peut être aussi obligé de prester mille à B, si A n'exécute

pas son obligation. Ceci est le cas lorsque l'ordre juridiquedispose

— ce qu'il fait normalement —que l'exécution for-

cée doit être dirigée contre le patrimoine de C si ou A ou C

ne preste pas mille à B. Alors C, en tant que sujet de l'obli-

gation de prestation de mille à B, peut provoquer ou éviter

la sanction par sa conduite.S'il y a responsabilité pour l'inexécution d'une obligation

juridique qui est fondée par la prévision de l'exécution for-

cée sur un patrimoine, il faut distinguer entre le cas où le

patrimoine contre lequel doit avoir lieu l'exécution forcée

STATIQUE DU DROIT 165

est le patrimoine personnel de l'individu contre lequel est

dirigé l'acte de contrainte, et le cas où c'est le patrimoined'un autre, dont cet individu a la disposition. Dans le pre-mier cas, l'individu répond sur sa personne et sur son patri-

moine; dans le second cas entrent en ligne de compte pourla responsabilité deux individus : celui qui a la dispositiondu patrimoine, et celui qui est le sujet des droits qui forment

ce patrimoine. L'un est responsable seulement sur sa per-sonne, l'autre est responsable sur son patrimoine.

Dans le cas de responsabilité pour actes illicites d'autrui,la conduite qui est la condition de la sanction n'est pas une

conduite de l'individu contre lequel la sanction est dirigée,mais la conduite d'un autre individu. L'individu qui est

responsable des actes illicites d'un tiers n'est pas le sujetd'une conduite dont l'ordre juridique ferait la conditiond'une sanction; il n'est que l'objet d'une conduite que l'ordre

juridique érige en conséquence, c'est-à-dire de l'acte decontrainte qui est sanction. A cet égard, il y a une certaineressemblance entre cet état de choses et celui qui se ren-contre lorsque l'ordre juridique prévoit les actes de con-trainte ci-dessus évoqués qui n'ont pas le caractère de sanc-tions. Dans ces cas également, l'individu contre lequel l'actede contrainte est dirigé n'est pas le sujet d'une conduite

érigée en condition de l'acte de contrainte; il n'est quel'objet d'une conduite-conséquence, à savoir de l'acte decontrainte qui sera dirigé contre lui-même. Mais il y aune différence entre les deux situations : dans les cas de

responsabilité pour l'acte illicite d'autrui, figure parmi lesconditions de l'acte de contrainte une conduite d'un indi-vidu déterminé, définie par l'ordre juridique, alors que dansles cas d'actes de contrainte qui n'ont pas le caractère de

sanctions, ce même élément ne figure pas parmi les condi-tions de l'acte de contrainte.

d) Responsabilité individuelle et responsabilité collective.

La distinction de l'obligation et de la responsabilités'exprime également dans le langage. L'on est obligé à unecertaine conduite, —

qui n'est jamais que sa propre con-duite, sa conduite personnelle, on ne peut pas être obligéà la conduite d'un autre. On est responsable soit d'une oupour une certaine conduite personnelle, soit de la ou pourla conduite d'un autre.

La responsabilité pour les délits commis par une autre

166 THÉORIE PURE DU DROIT

personne— c'est-à-dire le cas où la sanction est dirigée

contre un autre que le délinquant— ne peut avoir un effet

préventif que s'il existe entre les deux sujets une relation

qui laisse présumer que l'individu obligé, le délinquantpotentiel, ressent comme un mal même l'exécution de lasanction qui doit atteindre, non pas lui-même, mais unautre individu objet de la responsabilité, par exemple sicelui-ci est membre de sa propre famille, de sa tribu ou deson Etat, c'est-à-dire s'il est comme lui membre d'un groupedont les membres s'identifient plus ou moins les uns aux

autres, si donc l'individu obligé et l'individu responsableappartiennent tous deux à un même groupement ou col-lectivité.

En règle générale, c'est l'existence d'une semblable rela-tion qui détermine l'ordre juridique à consacrer des casde responsabilité pour les actes illicites d'autrui. En ce sens,on peut dire que cette responsabilité est une responsabilitécollective.

Mais il est également légitime de ne vouloir parler de

responsabilité collective que dans l'hypothèse où la sanc-tion n'est pas dirigée contre un seul individu, mais contre

plusieurs des membres, voire contre tous les membres d'un

groupe déterminé dont le délinquant fait partie : comme

par exemple dans le cas de la vendetta qui peut être exécu-

tée sur tous les membres de la famille à laquelle appartientle meurtrier; ou dans le cas des sanctions du droit interna-

tional, représailles et guerre, qui sont dirigées contre les

ressortissants de l'Etat dont un organe a commis un délit

international.La responsabilité collective est une donnée caractéris-

tique des ordres juridiques primitifs; elle est en connexionétroite avec ce trait que la pensée et la sensibilité des pri-mitifs sont portés à l'identification. A défaut d'une cons-

cience de son moi, d'un sentiment de son individualité suffi-samment affirmés, le primitif se sent tellement un avec les

membres de son groupe qu'il interprète toute action d'un

membre du groupe qui est remarquable sous quelque rap-

port comme action du groupe— comme quelque chose que

« nous » avons fait —; et qu'il réclame en conséquence la

récompense pour le groupe, de même qu'il accepte que la

peine incombe au groupe tout entier. Par contre, il y a res-

ponsabilité individuelle lorsque la sanction est dirigée uni-

quement contre le délinquant lui-même, c'est-à-dire contre

celui qui a commis personnellement le délit.

STATIQUE DU DROIT 167

e) Responsabilité pour faute

et responsabilité pour résultat.

Il est courant dans la doctrine de langue allemande de

distinguer deux sortes de responsabilité : la responsabilité

pour faute (Schuldhaftung) et la responsabilité pour résultat

(Erfolgshaftung).En effet, lorsque l'ordre juridique fait d'une action ou

d'une abstention qui provoque un événement non souhaité

(par exemple la mort d'un homme) ou qui n'empêche pascet événement, la condition d'une sanction, il est possiblesoit que cet événement ait été voulu par l'agent, ou tout au

moins ait été prévu par lui, soit qu'au contraire il soit

advenu sans aucune intention ou prévision de sa part,« accidentellement » ou « fortuitement », comme l'on dit

habituellement. C'est pour le premier cas que les juristesde langue allemande parlent de responsabilité pour faute;

pour le second cas, ils parlent de responsabilité pour résultat.

Si l'on suppose que l'événement non souhaité par l'ordre

juridique a été provoqué intentionnellement, on peut faireune nouvelle distinction : entre le cas où l'intention de

l'agent est subjectivement une intention « mauvaise », c'est-à-dire où il a provoqué l'événement, ou ne l'a pas empêché,dans l'intention de causer dommage, et le cas contraire où ila agi dans l'intention d'être utile, tel le médecin qui a pro-voqué la mort d'un patient qui souffre d'une maladie incu-rable pour mettre un terme à ses souffrances. Ce que l'onnomme « faute » est un des éléments constitutifs du faitdélictueux : cet élément consiste en une certaine relation

positive entre l'attitude intérieure ou psychique du délin-

quant et l'événement que sa conduite extérieure a provoquéou n'a pas empêché, à savoir qu'il a prévu l'événement oua eu l'intention de faire qu'il se réalise. Il y a responsabilitépour résultat lorsque toute relation de ce genre fait défaut,c'est-à-dire lorsque l'événement n'a été ni prévu ni voulupar le sujet responsable.

On comprend en général dans la responsabilité pour faute

également le cas de la « négligence (Fahrlâssigkeit) ». Ilconsiste en ceci que le fait d'avoir provoqué ou de n'avoirpas empêché un événement non souhaitable au regard del'ordre juridique est sanctionné, alors que même l'événe-ment n'a sans doute été ni prévu ni voulu par l'individudont la conduite l'a provoqué ou ne l'a pas empêché, maisque cet agent aurait normalement pu et dû le prévoir, et

168 THÉORIE PURE DU DROIT

par suite aurait pu et dû ne pas le provoquer ou l'empêcher.Une telle règle signifie que l'ordre juridique prescrit de

prévoir certains événements non souhaités qui peuvent êtrenormalement prévus comme les conséquences d'une cer-taine conduite, et par suite de s'abstenir de provoquer detels événements ou d'empêcher leur réalisation. La négli-

gence est l'absence de cette prévision prescrite par l'ordre

juridique, le défaut de la prévoyance prescrite. Elle n'est

pas— comme la prévision ou l'intention — une relation

positive entre la conscience du délinquant et l'événement

provoqué ou non empêché par sa conduite extérieure; elle

consiste au contraire dans le défaut d'une telle relation quel'ordre juridique prescrivait. En ce sens, on peut dire quele délit de négligence est un délit d'abstention pour la

commission duquel est prévue une responsabilité pour résul-

tat.

f) L'obligation de réparation.

Fréquemment on interprète l'obligation juridique des

individus de réparer les dommages matériels ou moraux,causés soit par eux-mêmes soit par des tiers comme une

sanction; et en conséquence, l'on nomme cette obligation-làaussi responsabilité.

Cette construction est critiquable : elle confond les notions

d'obligation, de responsabilité et de sanction. En soi, la

sanction n'est pas une obligation— sans doute se peut-il

que le droit l'érigé en obligation, mais ce n'est pas néces-

sairement le cas; la sanction est l'acte de contrainte qu'unenorme attache à une certaine conduite dont le contraire

est par là même juridiquement prescrit, c'est-à-dire devient

le contenu d'une obligation juridique. La responsabilité non

plus n'est pas— on l'a montré — une obligation; elle est

la relation entre l'individu contre lequel l'acte de contrainte

est dirigé et le délit commis par lui ou par un autre indi-

vidu. Ce qui est l'obligation, c'est l'abstention du fait délic-

tueux de la part de l'individu dont la conduite contraire

constituerait précisément le délit.L'ordre juridique peut obliger des individus à ne causer

à autrui aucun dommage, sans pour autant établir une

obligation de réparer le dommage causé contrairement à

cette obligation. Une telle obligation de réparation n'existe

que lorsque non seulement le fait d'avoir infligé un dom-

mage à un tiers, mais également la non-réparation du dom-

mage irrégulièrement causé, sont érigés en conditions d une

STATIQUE DU DROIT 169

sanction. L'énoncé correct de la règle par laquelle l'ordre

juridique oblige à la réparation d'un dommage est la pro-

position juridique suivante : si un individu inflige à un

autre un dommage, et .si ce dommage n'est pas réparé, il

doit être procédé à un acte de contrainte sur le patrimoined'un individu,

— c'est-à-dire un individu doit se voir retirer

de force une valeur patrimoniale qui sera remise à titre de

réparation à celui qui a subi le dommage. Il se pourrait— comme on l'a déjà observé —

qu'un individu soit obligéde ne causer à autrui aucun dommage, sans qu'il soit cepen-dant obligé de réparer le dommage causé en violation de

cette obligation. Ceci serait le cas si la réparation du dom-

mage ne lui permettait pas d'éviter la sanction. Mais, nor-

malement, selon le droit positif, il peut éviter la sanction

en réparant le dommage, autrement dit : l'individu n'a passeulement l'obligation de ne causer par sa conduite à autruiaucun dommage, il a en outre, lorsqu'il a causé à autruiun dommage par sa conduite contrairement à la premièreobligation, l'obligation de réparer ce dommage. La sanctionexécution civile fonde dans ce cas deux obligations : l'obli-

gation de ne pas infliger de dommage, obligation principale,et l'obligation de réparer le dommage irrégulièrement causé,obligation-substitut, obligation de remplacement, qui prendk place de l'obligation principale lorsque celle-ci a été vio-1-e. L'obligation de réparer le dommage n'est pas une sanc-

.jn; elle est cette obligation supplétive. La sanction-« técution, c'est-à-dire la réparation forcée du dommagepar l'intermédiaire de l'organe d'application du droit, inter-vient seulement si cette obligation n'est pas exécutée. Sil'oxécution civile est dirigée contre le patrimoine de l'in-di ,-idu qui a causé le dommage par sa conduite et qui neTa pas réparé, cet individu est responsable de son propredélit, celui-ci consistant à ne pas avoir réparé le dommagecausé par lui. Mais il est possible qu'un autre individu

réponde de ce délit, c'est-à-dire de la non-réparation du

dommage causé; c'est le cas lorsque, si A n'exécute pas son

obligation de réparation, l'exécution civile doit être dirigéecontre le patrimoine de B. B est responsable seulement

lorsqu'il ne peut pas éviter pour lui-même la sanction enréparant lui-même le dommage causé par A. Mais, norma-lement, selon le droit positif, il peut éviter la sanction decette façon. Car, normalement, non seulement il est res-ponsable de la non-réparation du dommage par le sujetobligé en première ligne à cette réparation, mais il est éga-

12. THÉORIEPUREDUDROIT.

170 THÉORIE PURE, DU DROIT

lement, en seconde ligne, obligé de réparer le dommagecausé par le premier individu, lorsque celui-ci ne le fait paslui-même. Il ne peut éviter la sanction par sa conduite qu'entant que sujet de cette obligation, non en tant qu'objet dela responsabilité. Mais alors, il est responsable, non passeulement de la non-réparation du dommage par l'individu

qui, contrairement à son obligation, n'a pas réparé le dom-

mage causé par lui, mais également du fait qu'il n'a lui-même pas réparé le dommage. Ni cette obligation de réparerle dommage, ni la responsabilité pour l'exécution de cette

obligation qui lui incombe ne sont une sanction. La sanc-tion intervient seulement lorsque ni l'un ni l'autre individune répare le dommage.

g) La responsabilité collective, responsabilité de résultat.

Lorsque la sanction n'est pas dirigée contre le délinquant,mais — comme dans le cas de la responsabilité collective —

contre un autre individu qui est avec le délinquant dans

une relation définie par l'ordre juridique, cette responsa-bilité a toujours le caractère d'une responsabilité de résul-tat. Car il n'existe alors aucune relation interne entre l'in-

dividu responsable du délit et l'événement considéré parl'ordre juridique comme non souhaitable, qui a été provoquéou n'a pas été empêché par la conduite d'un autre. Il n'est

pas nécessaire ni que le sujet de responsabilité ait prévu,ni qu'il ait voulu ce résultat. Mais il est parfaitement pos-sible que l'ordre juridique ne statue la responsabilité d'un

individu pour un délit commis par quelqu'un d'autre quesi l'acte illicite a été commis par le délinquant de façon fau-

tive. Alors la responsabilité a le caractère d'une responsa-bilité pour faute du point de vue du délinquant, et le carac-

tère d'une responsabilité pour résultat en ce qui concerne

l'individu objet de responsabilité.

29. — LES DROITS SUBJECTIFS : ATTRIBUTIONS

DE DROITS ET HABILITATIONS.

a) Droit et obligation.

A l'obligation juridique, on oppose habituellement le droit

(Berechtigung), conçu comme droit subjectif; non seulement

STATIQUE DU DROIT 171

on les oppose, mais l'on fait même passer ce droit au pre-

mier plan. On parle, dans le domaine du droit, de droit et

d'obligation, et non pas d'obligation et de droit (au sens

de droit subjectif) comme on le fait dans le domaine de la

morale, où l'accent est mis davantage sur le premier terme

que sur le second. Dans l'analyse et l'exposé du droit, le

droit des sujets est à ce point poussé au premier plan que

l'obligation disparaît presque derrière lui, et que, dans la

langue juridique allemande et dans la française, un seul

et même mot, « Recht », « droit » désigne à la fois et ce

droit des sujets et le système de normes qui constitue l'ordre

juridique. Pour éviter le risque d'équivoque ou de confu-

sion, l'allemand et le français se voient contraints de parler

pour le premier de droit « subjectif », c'est-à-dire de droit

d'un sujet déterminé, et pour le second de « droit objectif ».

La langue juridique anglaise est, il est vrai, dans une situa-

tion plus favorable ; elle dispose de deux mots distincts :

« right » désigne le droit de sujet, le droit d'un certain sujet,« law », l'ordre juridique, le droit objectif.

Le terme « droit subjectif », « Berechtigung », est appli-qué à plusieurs données ou objets extrêmement différents lesuns des autres. Et cela rend plus difficile de saisir l'essencede l'objet ainsi nommé.

On dit d'abord qu'un individu a le droit de se conduired'une certaine façon. Il se peut que l'on entende par là

simplement ce fait négatif que la conduite considérée n'est

pas défendue à l'individu, qu'il lui est en ce sens négatifpermis, qu'il est libre ou d'accomplir une certaine action oude s'en abstenir.

Mais la même proposition sert parfois à exprimer l'idée

qu'un individu donné est juridiquement obligé, ou même

que tous les individus sont juridiquement obligés, de seconduire d'une façon donnée à l'égard d'un autre individu,qui est celui dont on dira qu'il « a le droit » ou qu'il « a undroit ». Cette conduite à laquelle un individu est obligédirectement envers un autre peut être une conduite positiveou une conduite négative, c'est-à-dire une certaine actionou une certaine abstention. L'action consiste en une presta-tion de l'individu obligé à l'autre individu; l'objet de laprestation est une certaine chose ou un certain service(prestation de chose ou prestation de service). L'abstentionpeut être soit l'abstention d'une certaine action, par exempledans le cas de l'obligation de ne pas tuer, soit l'abstention

d'empêcher ou d'entraver de quelque façon que ce soit une

172 THÉORIE PURE DU DROIT

certaine conduite de l'autre individu; on pensera tout par-ticulièrement à l'obligation d'un individu de ne pas empê-cher, entraver ou troubler en quelque façon la conduite d'unautre individu relativement à une certaine chose, à un cer-tain bien. Lorsqu'il s'agit d'obligation de ne pas empêcher,entraver ou troubler de quelque façon que ce soit uneconduite déterminée d'un autre individu, on parle de tolé-rer cette conduite, et l'on oppose aux obligations de prester(Leistungspflichten) les obligations de tolérer (Duldungs-pflichten).

A la conduite à laquelle un individu est obligé envers unautre correspond une certaine conduite de cet autre. Celui-ci

peut exiger la conduite à laquelle le premier est obligé envers

lui, il peut revendiquer cette conduite. S'il s'agit d'une obli-

gation de prestation, il peut recevoir la prestation de lachose ou la prestation du service; s'il s'agit d'une obliga-tion de tolérer, la conduite qui correspond à la conduite

obligatoire consiste en la conduite qui doit être tolérée; s'il

s'agit de tolérer la conduite relativement à une chose déter-

minée, c'est l'usage de la chose; s'il s'agit de produits alimen-

taires, c'est la consommation des aliments ; ou même, finale-

ment, c'est la destruction de la chose.Usant d'une terminologie plus ou moins conséquente, on

désigne la conduite d'un individu qui correspond à l'obliga-tion d'un autre individu, comme le contenu d'un « droit »,comme l'objet d'une « prétention (Anspruch) » correspondantà l'obligation. Et l'on appelle la conduite d'un individu qui

correspond à la conduite obligatoire d'un autre individu,en particulier la revendication de cette conduite : l'exerciced'un droit. Toutefois, pour les obligations d'abstention d'une

certaine conduite, par exemple l'obligation de s'abstenirde meurtre, de vol, etc., on n'a pas coutume de parlerd'un droit ou d'une prétention à ne pas être assassiné, à

ne pas être volé, etc.. Pour les obligations de tolérer, on

qualifie la conduite correspondant à la conduite obligatoirede « jouissance » du droit. On utilise cette expression « jouis-sance d'un droit » en particulier lorsqu'il s'agit de l'usaged'une chose, ou de sa consommation ou de sa destruction,

que les autres sujets ont l'obligation de tolérer.Mais cette donnée que l'on désigne du nom de « droit »,

ou « droit subjectif » ou « prétention », d'un individu n'est

rien d'autre que l'obligation de l'autre ou des autres. On

s'exprime ainsi comme si ce droit ou cette prétentionde

l'un était quelque chose de différent de l'obligation de l'autre

STATIQUE DU DROIT 173

ou des autres; et l'on crée ainsi l'apparence qu'il s'agit

de deux données juridiquement relevantes distinctes l'une

de l'autre, alors qu'en réalité il ne s'agit que d'une seule

donnée. La donnée en question est saisie et décrite de façon

exhaustive quand on affirme l'obligation juridique de l'in-

dividu (ou des individus) de se conduire à l'égard d'un autre

individu de telle façon déterminée. La proposition qu'unindividu est obligé à une certaine conduite signifie qu'encas de conduite contraire, une sanction doit intervenir; l'obli-

gation de ce sujet est la norme qui prescrit la premièreconduite en attachant une sanction à la conduite contraire.

Lorsqu'un individu est obligé envers un autre individu à

une certaine prestation, c'est la prestation à recevoir parl'autre qui forme le contenu de l'obligation; on ne peut

prester à autrui que quelque chose qu'il accepte de recevoir.Et lorsqu'un individu est obligé envers un autre à tolérerune certaine conduite de cet autre, le contenu de cette obli-

gation est précisément le fait de tolérer cette conduite.C'est-à-dire que la conduite de l'individu à l'égard duquell'obligation existe et qui correspond à la conduite obliga-toire, est déjà réglée en même temps et du même coup quel'est la conduite qui forme le contenu de l'obligation. Sil'on appelle « droit » la relation entre un individu à l'égardduquel un autre individu est obligé à une certaine conduite,et cet autre individu, ce droit n'est qu'un réflexe de cette

obligation (1).Il faut remarquer à ce propos que, dans cette relation,

seul est sujet l'individu obligé, c'est-à-dire l'individu quipeut par sa conduite soit violer l'obligation, soit l'exécuter;l'individu investi d'un droit, c'est-à-dire celui à l'égard duquella conduite doit avoir lieu, n'est que l'objet de la conduite

qui, en tant que correspondant à la conduite obligatoire, estco-déterminée avec celle-ci. Il se peut que cette notion d'undroit subjectif, qui est tout simplement la réflexion — ausens physique

— d'une obligation juridique, c'est-à-dire quela notion d'un droit-réflexe, soit une notion auxiliaire quifacilite la description des données juridiques; mais elle estparfaitement superflue du point de vue d'une descriptionscientifiquement exacte de ces données juridiques. Cela

(1) On utilise ce néologisme « réflexe », faute de mieux, pour dési-gner le produit de la réflexion •— entendue au sens de la physique.On parlera ainsi de « droit-réflexe » pour désigner le droit qui ne faitque réfléchir une obligation, — et n'a donc pas d'existence par lui-même (N. d. T.).

174 THÉORIE PURE DU DROIT

apparaît déjà dans le fait que l'on n'admet pas du tout l'idée

qu'il y ait droit subjectif-réflexe dans tous les cas où il ya obligation juridique. Lorsque la conduite obligatoire d'unindividu n'a pas trait à un autre individu individuellement

déterminé, c'est-à-dire lorsqu'il ne s'agit pas d'un acte oud'une abstention prescrite à l'égard d'un autre sujet indi-viduellement déterminé (1), mais d'un acte ou d'une absten-tion prescrits à l'égard de la collectivité juridique comme

telle, on parle parfois d'un droit de la collectivité, spécia-lement de l'Etat, à cette conduite de l'individu obligé,comme, par exemple, dans le cas de l'obligation au service

militaire; mais dans d'autres cas, on se contente d'admettre

une obligation juridique sans droit-réflexe correspondant;

ainsi, dans le cas de normes juridiques qui prescrivent sousune certaine peine une conduite déterminée des individus

à l'égard de certains animaux, de certaines plantes ou de

certains objets inanimés : par exemple, s'il est juridique-ment défendu de tuer certains animaux soit à certaines

époques de l'année, soit même absolument, ou de cueillir

certaines fleurs ou d'abattre certains arbres, ou encore de

détruire certains édifices ou monuments de caractère et de

valeur historiques. Ce sont des obligations qui, de façon

indirecte, existent envers la collectivité juridique intéres-

sée à ces objets. Mais on n'admet pas qu'il y ait un droit-

réflexe des animaux, des plantes et des objets inanimés à

l'égard desquels directement ces obligations existent. On

dirait peut-être que la raison en est que ces objets ainsi

protégés, —les animaux, les plantes, les choses inanimées —

ne sont pas des « personnes ». L'argument ne porte pas (1);car « personne » signifie, comme nous le verrons par la suite,

sujet de droit; et si l'individu à l'égard duquel la conduite

de celui qui y est obligé doit avoir lieu est le sujet d'un

(1) Il se comprend de soi que l'on peut dire qu'un individu doitse conduire d'une certaine façon à l'égard d'un autre individu déter-miné individuellement, même lorsque pour un motif quelconque, il fautcommencer par déterminer cet autre individu ; ainsi lors par exemplequ'il existe un litige entre A et B sur le point de savoir auquel desdeux C est obligé de prester une chose déterminée, et que c'est seule-ment la décision juridictionnelle qui déterminera à l'égard de qui G

a cette obligation de prestation. Le cas est également possible qu en

vertu du droit en vigueur, une obligation à une certaine conduite

existe, mais que l'individu qui a à adopter cette conduite doive d'abordêtre déterminé; lors par exemple que le propriétaire actuel d'un fondsest obligé de permettre l'utilisation d'un chemin qui passe sur cefonds.Cf. également le cas évoqué par la suite (p. 215) de l'hérédité jacente.

STATIQUE DU DROIT 175

droit-réflexe, les animaux, plantes et objets inanimés à

l'égard desquels les hommes sont obligés de se conduire

d'une certaine façon sont au même sens les « sujets » d'un

droit à cette conduite que le créancier est sujet du droit quiconsiste dans l'obligation que le débiteur a envers lui. Mais,comme on l'a déjà fait observer, si un homme est obligé de

se conduire d'une certaine façon à l'égard d'un autre homme,le premier seul — et non le second — est « sujet », plus

précisément sujet d'une obligation. Le droit-réflexe étant

identique à l'obligation juridique, il ne saurait être ques-tion de considérer l'individu à l'égard duquel l'obligationexiste comme « sujet », parce qu'il n'est pas le sujet de cette

obligation. L'individu à l'égard duquel la conduite obliga-toire doit avoir heu est l'objet de cette conduite, tout de

même que l'animal, la plante ou l'objet inanimé à l'égard

duquel les hommes sont obligés à se conduire d'une certaine

façon. On ne peut accorder davantage de valeur à l'argu-ment que les animaux, les plantes ou les objets inanimés ne

peuvent pas faire valoir une « prétention » correspondantà l'obligation : car il n'est pas essentiel pour l'existence d'undroit-réflexe qu'une prétention à la conduite obligatoire soitémise. Le fait que pour une raison quelconque, une telle

prétention n'est pas émise, ou ne peut pas être émise, ne

change rien à la situation de droit.Une « prétention » qui doit être élevée ou affirmée au

moyen d'un acte de droit n'existe que lorsque l'on peutfaire valoir l'inexécution de l'obligation par voie d'actionen justice. Mais on a alors affaire à une donnée tout autre

que celle d'un simple droit-réflexe. On en parlera ultérieu-rement. En tout cas, un droit-réflexe ne peut exister sans

l'obligation juridique correspondante. C'est seulement lors-

qu'un individu est juridiquement obligé à une certaineconduite envers un autre individu que le second a enversle premier un « droit » à cette conduite. Il faut dire plus :« le droit-réflexe » de l'un consiste uniquement et exclusive-ment en l'obligation de l'autre.

L'idée traditionnelle que le droit est un objet de la con-naissance juridique distinct de l'obligation,

— bien plusqu'entre obligation et droit, la priorité revient au droit —,cette conception doit sans doute être rapportée à la doctrinedu droit naturel. Cette doctrine part de l'idée qu'il existedes droits naturels, innés à l'homme, antérieurs à tout ordre

juridique positif,— et parmi ces droits, le droit subjectif

de propriété individuelle joue un rôle prédominant. Pour

176 THÉORIE PURE DU DROIT

elle, l'ordre juridique positif (de l'Etat), qui met fin à l'état de

nature, a pour fonction de garantir les droits naturels en éta-blissant des obligations correspondantes. Mais ces conceptionsont également influencé les représentants de l'école historiquedu droit, qui non seulement a inauguré le positivisme juridi-

que du xixe siècle, mais qui a également exercé une influencetrès profonde sur l'élaboration des concepts de la théorie géné-rale du droit. C'est ainsi que l'on peut lire ceci sous la plumede Dernburg : « Historiquement, des droits au sens subjectifexistaient déjà avant que se fût formé un ordre étatiqueconscient de lui-même. Ces droits avaient leurs racines dansla personnalité des individus et dans le respect que ceux-ci

savaient conquérir et à quoi ils savaient contraindre pourleur personne et pour leurs biens. C'est par abstraction quel'on a dû ensuite dégager petit à petit de la vue des droits

subjectifs existants la notion d'ordre juridique. C'est parsuite une idée anti-historique et inexacte de déclarer queles droits au sens subjectif ne seraient rien de plus que des

émanations de droit au sens objectif » (1). Si l'on écarte

l'idée de droits naturels, si l'on ne reconnaît d'autres droits

que ceux qu'établit un ordre juridique positif, ces vues et

ces thèses tombent du même coup : il apparaît qu'un droit

subjectif dans le sens en question présuppose une obligation

juridique correspondante, bien plus, qu'il est cette obliga-tion juridique elle-même.

b) Droits personnels et droits réels.

Sous l'influence des jurisconsultes de l'ancienne Rome,on a accoutumé de distinguer entre droits sur (ou envers)les choses, ou droits réels (jura in rem), et droits sur (ou en-

vers) les personnes ou droits personnels (jura in personam).C'est cependant là une distinction fallacieuse. Le « droit

sur une chose » est aussi un droit envers des personnes.Pour maintenir cette distinction entre droit réel et droit

personnel, on définit le premier comme un droit d'un indi-

vidu de disposer d'une chose d'une certaine façon; on oublie

alors que ce droit consiste uniquement dans le fait que les

autres individus sont obligés juridiquement de tolérer cette

disposition, c'est-à-dire de ne point l'empêcher ou l'entraver

en aucune manière ; et par conséquent, le jus in rem est au

(1) Heinrich DERNBURG,System des rômischen Rechts, 8e éd. refon-due des Pandectes, lre partie, 1911, p, 65,

STATIQUE DU DROIT 177

moins aussi un jus in personam. C'est la relation entre per-sonnes humaines qui est d'une importance primordiale dans

le cas du droit réel également; et cette relation consiste en

l'obligation à un certain comportement envers un individu

déterminé. La relation à la chose ne présente qu'une impor-tance secondaire : elle sert seulement à préciser davantagela relation primaire; il s'agit du comportement d'un individu

relativement à une certaine chose, comportement que tous

les autres individus sont obligés envers le premier de tolérer.

Le droit réel subjectif par excellence est la propriété;c'est sur elle qu'est modelée toute la distinction. La doc-

trine traditionnelle la définit comme la domination exclu-

sive d'une personne sur une chose, et la sépare précisémentde cette façon des droits de créance, qui, eux, ne fonderaient

que des rapports de droit personnels. Cette distinction, quijoue un rôle important dans la systématique du droit civil,a un caractère très nettement idéologique.

En vérité, il faut analyser la propriété différemment : ledroit en tant qu'ordre social règle la conduite d'êtres humainsdans leurs relations — directes ou indirectes — avec d'autresindividus (1) ; la propriété ne peut donc, elle aussi, consister

qu'en un rapport d'individu à individus, qui est en effet

l'obligation de certaines personnes de ne point empêcherune autre personne dans sa disposition de la chose et dene pas non plus entraver d'une façon quelconque cette dis-

position. Ce que l'on appelle domination exclusive d'une

personne sur une chose se ramène à ceci que l'ordre juri-dique exclut de la disposition de la chose toutes autres

personnes que le propriétaire. La « domination » du proprié-taire n'est juridiquement que l'effet réflexe de cette exclu-sion des autres personnes. C'est une relation entre le pro-priétaire et les tiers autres, — en usant de la terminologiehabituelle, on dira : c'est primordialement une relation entre

personnes; secondairement seulement, c'est une relationavec une chose, plus précisément : une relation des autresavec une chose par l'intermédiaire de laquelle est procuréeleur relation au propriétaire. On s'explique parfaitementl'attachement de tant de juristes à la définition tradition-nelle de la propriété comme la domination exclusive d'unepersonne sur une chose, le désir de maintenir cette concep-tion, qui ignore la relation juridiquement essentielle dansla propriété : si l'on caractérise la propriété comme un rapport

(1) Cf. supra, pp. 33 sqq. et 42 sqq.

178 THÉORIE PURE DU DROIT

entre une personne et une chose, on dissimule sa fonctiondécisive du point de vue économico-social, cette fonction

qui réside précisément dans la relation entre le propriétaireet tous les autres sujets, l'exclusion de ceux-ci de tout accèsà la chose, le droit objectif leur imposant l'obligation de

respecter le pouvoir de disposition exclusif du propriétaire;c'est cette fonction-là qu'en tant qu'il s'agit de la pro-priété de moyens de production, la doctrine socialiste qua-lifie —

justement ou à tort, on n'a pas à en discuter ici —

d' « exploitation » de l'homme par l'homme (Ausbeutung).Seulement, la théorie du droit traditionnelle se défend dela façon la plus énergique contre cette idée de ne considérerle droit subjectif du propriétaire, le fait qu'il est investid'un droit, comme un simple réflexe de l'obligation juri-

dique des autres : elle croit en effet, toujours pour des rai-sons idéologiques exclusivement, devoir affirmer le caractère

primordial de l'attribution de droits.

On exprimera de façon plus correcte, parce qu'exemptede toute tendance idéologique, les deux données que la

doctrine traditionnelle nomme respectivement relations de

droit personnel et relations de droit réel, en parlant pour les

premières de droits-réflexes relatifs, et pour les secondes de

droits-réflexes absolus.

Tantôt en effet, l'obligation de se conduire d'une certaine

façon envers un certain individu, est une obligation d'un

individu déterminé; tel est le cas dans le rapport de débi-

teur à créancier : seul le débiteur est obligé d'opérer une

certaine prestation au créancier, et par suite seul le créan-

cier a le droit-réflexe à cette prestation. De même que

l'obligation du débiteur, le droit-réflexe du créancier n'existe

qu'envers un certain individu; en ce sens, il n'est qu'un droit

simplement relatif.Tantôt au contraire, l'obligation de se conduire d'une

certaine façon envers un individu déterminé existe à la

charge de tous les autres individus ; ce cas se présente

lorsque la conduite prescrite se rapporte à une chose déter-

minée. Ainsi pour le droit de propriété : tous les sujets ont

l'obligation de ne pas empêcher un individu déterminé de

disposer d'une certaine chose ou de ne pas entraver ou porteratteinte en quelque façon que ce soit à cette disposition.Le droit-réflexe du propriétaire, qui consiste en l'obligationde ces autres individus, se dirige contre eux tous; il est en

ce sens un droit absolu.On accordera cependant que, du point de vue de la ter-

STATIQUE DU DROIT 179

minologie, la distinction entre droits-réflexes relatifs et

droits-réflexes absolus n'est pas très heureuse; en vérité,

les « droits absolus » ne sont, eux aussi que relatifs, parce

qu'ils n'existent que dans le rapport entre une masse d'in-

dividus et un individu unique. Le droit-réflexe de propriétén'est pas proprement un droit absolu; il est le réflexe d'une

pluralité d'obligations d'un nombre indéterminé d'individus

à l'égard d'un seul et même individu et relativement à une

seule et même chose ; alors que le droit de créance n'est, lui,

que le réflexe d'une obligation d'un individu déterminé

à l'égard d'un autre individu déterminé. La relation secon-

daire avec une chose déterminée n'est cependant nullement

limitée aux soi-disant droits réels ; elle se rencontre au

contraire également dans les droits de créance ou droits

personnels. Ainsi, au cas où un débiteur est obligé de presterau créancier un objet individualisé, tel le vendeur qui s'est

engagé par contrat de vente à transmettre à l'acheteur la

propriété d'une chose mobilière ou immobilière tout à faitdéterminée et individualisée. En de semblables cas, le droitde créancier n'en diffère pas moins d'un droit réel, maisseulement par le fait qu'en face du droit ou de son titulaireexiste seulement l'obligation d'un sujet déterminé.

Dans cette analyse, on n'a pris en considération que ledroit-réflexe. Il joue dans la doctrine traditionnelle un rôle

décisif, bien que ce « droit » de l'un ne soit rien autre chose

que l'obligation d'un autre ou de tous les autres de seconduire envers le premier d'une certaine façon. Mais lorsquel'on caractérise le droit de propriété comme le pouvoir juri-dique du propriétaire d'exclure tous les autres hommes dela disposition d'une certaine chose, alors ce n'est plus un

simple droit-réflexe qui se trouve en jeu. Ce pouvoir, unindividu ne l'a que lorsque l'ordre juridique l'habilite àfaire valoir par une action en justice la violation par autruide l'obligation de ne point l'empêcher de disposer de lachose considérée. Du droit subjectif ainsi conçu, il seraquestion ultérieurement.

c) Le droit subjectif comme intérêt

juridiquement protégé.

C'est aux droits subjectifs qui sont tout simplement leréflexe d'une obligation juridique que se rapporte la défini-tion très fréquemment adoptée dans la doctrine tradition-nelle selon laquelle le droit subjectif serait un intérêt juri-

180 THÉORIE PURE DU DROIT

diquement protégé. Cette définition traduit d'une manière

particulièrement claire la conception dualiste si caractéris-

tique de la doctrine traditionnelle, qui consiste à opposerle droit au sens subjectif et le droit au sens objectif. Ce dua-lisme recèle en soi une insoluble contradiction. Si le droit ausens objectif et le droit au sens subjectif sont des choses toutà fait différentes — le droit objectif étant norme, système de

normes, ordre normatif; le droit subjectif étant, lui, intérêt— il est impossible de faire rentrer ces « deux droits » sousune notion supérieure commune. Et l'on ne peut pas non

plus éliminer la contradiction en reconnaissant qu'il existeune relation entre les deux droits, et en définissant dans cette

ligne le droit subjectif comme un intérêt protégé par le droit

objectif. Au regard d'une analyse qui porte sur le droitcomme norme ou comme système de normes, le droit sub-

jectif ne peut pas être un intérêt — un intérêt protégé parle droit —, le droit subjectif ne peut être que la protectionde cet intérêt résultant du droit objectif. Et cette protec-tion consiste en ce que l'ordre juridique attache à la vio-lation de cet intérêt une sanction, autrement dit : en ce

qu'il établit une obligation juridique de ne pas léser cet

intérêt; telle par exemple l'obligation juridique du débiteurde restituer au créancier le prêt qu'il a obtenu de lui. Selonla « théorie de l'intérêt », le droit du créancier est son intérêtà la restitution du prêt, protégé par l'obligation juridiquedu débiteur. Mais en vérité, son droit n'est, en tant quedroit-réflexe, rien autre chose que cette obligation juridiquedu débiteur.

A envisager les choses du point de vue de la « théorie de

l'intérêt », il semble être impossible d'admettre qu'il y a

droit-réflexe lorsque l'action à laquelle un individu est

obligé envers un autre consiste à lui infliger un mal; ceci

est le cas lorsque cette action a le caractère d'une sanctionstatuée par l'ordre juridique, et que celui-ci fait de la déci-

sion de cette sanction, de même que de sa mise à exécution

concrète, l'objet d'une obligation de fonction des organes

d'application du droit. A souffrir un mal, normalement,

personne n'a un intérêt. Si dans ce cas un intérêt est pro-

tégé par l'obligation juridique ainsi statuée, ce ne peut pasêtre un intérêt de l'individu contre lequel la sanction est

dirigée; dans l'exemple considéré ci-dessus, ce ne peut pasêtre l'intérêt et par conséquent non plus le droit du débi-

teur; l'intérêt, et par suite le droit, du créancier sont pro-

tégés par l'obligation juridique du débiteur de lui restituer

STATIQUE DU DROIT 181

l'objet prêté. Dans le cas des sanctions pénales, ce n'est

assurément pas un intérêt et par conséquent pas un droit

du délinquant qui est protégé par l'obligation qu'a l'organe

d'application du droit de le punir. Certains admettent cepen-dant qu'il existe un tel droit, et disent que les délinquantsont un droit à être punis, qu'ils peuvent prétendre à la peine

juridiquement statuée, à l'exécution de l'obligation de les

punir. Cette analyse repose sur une certaine façon d'inter-

préter l'intérêt qu'a la collectivité à ce qu'il soit réagi aux

délits par des sanctions : on la donne comme un intérêt du

délinquant lui-même, comme son intérêt « bien compris ».

Cependant, d'une façon générale, on ne qualifie pas droit-

réflexe subjectif cet intérêt de la collectivité, ou plus exac-

tement la protection de cet intérêt par l'obligation de fonc-

tion des organes d'application du droit,— on se rappellera

à ce sujet que, dans la terminologie usuelle, on ne parle pasd'un droit-réflexe dans toutes les hypothèses où existe une

obligation juridique à laquelle il correspondrait.

d) Le droit subjectif comme pouvoir juridique.

A la « théorie de l'intérêt » s'oppose dans la théorie dudroit traditionnelle la « théorie de la volonté ». D'aprèscelle-ci, le droit subjectif serait un pouvoir de volontéconféré par l'ordre juridique.

Mais cette formule définit un objet autre que celui auquelse rapporte la théorie de l'intérêt, à savoir une habilitation,un pouvoir juridique conféré par l'ordre juridique à un-individu. Ce pouvoir existe lorsque, parmi les conditionsde la sanction qui fonde une obligation juridique, figureune action en justice tendant à obtenir la réalisation de la

sanction, action qui se présente sous la forme d'une plainteou d'une demande adressée à l'organe d'application du droitet, normalement, elle émane de l'individu envers lequell'obligation existe. Alors cet organe ne peut appliquer lanorme juridique générale qu'il doit appliquer, il ne peut,en d'autres termes, poser la norme juridique individuelle

qui attache une sanction concrète au délit concret établi

par l'organe compétent, que si et lorsque l'individu qui ena reçu le pouvoir, le demandeur ou plaignant, l'a saisi d'unerequête tendant à cet objectif, mettant ainsi en mouvement,en réalisant la condition exigée, la procédure d'applicationdu droit, et spécialement la procédure juridictionnelle. Onpeut dire qu'alors le droit, c'est-à-dire la norme générale

182 THÉORIE PURE DU DROIT

appliquée par l'organe du droit, est à la disposition d'unindividu, normalement de l'individu envers lequel un autreest obligé à une certaine conduite, et qu'en ce sens le droit— le droit objectif

— est bien réellement son droit. Si pourdécrire cette situation, l'on veut se servir du concept auxi-liaire du droit-réflexe, on peut dire que le droit individuel—

qui n'est qu'un réflexe d'une obligation juridique —est muni du pouvoir juridique de son titulaire de faire valoir

par voie d'action en justice ce droit-réflexe, c'est-à-dire lanon-exécution de l'obligation dont ce droit est le réflexe.

On ne peut pas analyser entièrement et exhaustivementles données qui viennent d'être caractérisées en se conten-tant de dire qu'il y a obligation d'un individu de se compor-ter d'une certaine façon à l'égard d'un autre individu. Eneffet, l'élément essentiel de cet ensemble de données est le

pouvoir juridique conféré par l'ordre juridique à ce dernierde faire valoir, par une action en justice, l'inexécution de

l'obligation du premier. Car seul ce pouvoir juridique estune donnée distincte de l'obligation juridique que son exer-cice doit faire valoir; c'est seulement dans l'exercice de ce

pouvoir juridique que l'individu apparaît comme « sujet »d'un droit distinct de l'obligation juridique. C'est seule-ment lorsque l'ordre juridique confère un semblable pouvoirjuridique qu'existe un droit au sens subjectif, distinct de

l'obligation juridique, un droit subjectif au sens techniqueoù il se définit précisément : le pouvoir juridique de fairevaloir l'inexécution d'une obligation juridique. L'exercicede ce pouvoir juridique est exercice du droit (Rechts-Ausii-bung) au sens propre du terme. Cet exercice du droit n'est

pas déjà inclus dans la définition de la conduite qui formele contenu de l'obligation dont l'exercice du pouvoir juri-dique doit faire valoir l'inexécution. Il faut toutefois noter

que dans le langage traditionnel, on qualifie égalementd'exercice du droit une autre conduite de l'individu à l'égardduquel existe l'obligation juridique, à savoir la conduite

qui correspond à la conduite obligatoire, et qui est déjàdéterminée en même temps que celle-ci. C'est l'exercice du

droit-réflexe.Selon la théorie traditionnelle, tout droit subjectif d'un

individu comprend la possibilité d'une « prétention (An-spruch) » à la conduite d'un autre individu, plus précisément

:

à la conduite à laquelle celui-ci est obligé à l'égard du pre-mier, c'est-à-dire à la conduite qui forme le contenu de

l'obligation identique au droit-réflexe. Mais une « préten-

STATIQUE DU DROIT 183

tion » si l'on prend ce mot en un sens juridiquement rele-

vant n'est élevée que par et avec l'exercice du pouvoir

juridique dont doit être pourvu un droit-réflexe pour être

un droit subjectif au sens technique du terme. Lorsquel'individu à l'égard duquel un autre individu est obligé à

une certaine conduite n'a pas le pouvoir juridique de faire

valoir par une demande en justice l'inexécution de l'obli-

gation, l'acte par lequel il réclame l'exécution de l'obligationn'a aucune sorte d'effet juridique spécifique; abstraction

faite du fait qu'il n'est pas juridiquement défendu, cet acte

est juridiquement irrelevant. Par conséquent, une « pré-tention » n'existe en tant qu'acte juridiquement efficace quesi et lorsqu'existe un droit subjectif au sens technique du

terme, selon la définition précisée ci-dessus.

Ce droit subjectif existe aussi peu en face du droit objec-tif, comme quelque chose d'indépendant de lui, que le fait

l'obligation juridique. Il est, tout de même que l'obligationjuridique, une norme juridique; la norme juridique quiconfère une certaine sorte de pouvoir juridique, qui habiliteun individu déterminé. Que cet individu « ait » un droit

subjectif, c'est-à-dire un certain pouvoir juridique, cela

signifie seulement qu'une norme fait d'une conduite déter-minée de cet individu la condition de certaines conséquences.Lorsque la théorie traditionnelle caractérise le droit subjectifcomme un pouvoir de volonté conféré par l'ordre juridique,elle a en vue le pouvoir juridique qui est exercé sous formed'action en justice. Mais, quand on parle de droit subjectif,on ne veut pas désigner uniquement et simplement ce pou-voir juridique-là, mais ce pouvoir juridique en connexionavec le droit-réflexe, c'est-à-dire avec l'obligation dont onfait valoir l'inexécution par l'exercice du pouvoir juridique,—en d'autres termes, on pense un droit-réflexe muni de ce

pouvoir juridique. Et même, c'est sur le droit-réflexe quel'on met l'accent. En vérité, ainsi qu'on l'a montré précé-demment, l'essence du droit subjectif qui est plus que lesimple réflexe d'une obligation juridique consiste en cequ'une norme juridique confère à un individu le pouvoirjuridique de faire valoir par action en justice l'inexécutiond'une obligation juridique. C'est à ce type de norme juri-dique que l'on se référera lorsque dans la suite on parlera— conformément à la terminologie traditionnelle — d'undroit subjectif au sens technique, en entendant par là unpouvoir juridique conféré à un individu.

A la différence de l'établissement d'obligations juridiques,

184 THÉORIE PURE DU DROIT

l'établissement de droits subjectifs au sens technique neconstitue pas une fonction essentielle du droit objectif'ces droits subjectifs représentent un contenu simplementpossible, nullement un contenu nécessaire du droit objectif'il s'agit d'une technique particulière dont il n'y a aucunenécessité à ce que le droit se serve, dont simplement il peutse servir. C'est la technique caractéristique de l'ordre juri-dique capitaliste, en tant qu'il garantit l'institution de la

propriété privée et tient donc tout particulièrement comptede l'intérêt individuel. Non pas que cette technique dominetoutes les parties de cet ordre juridique capitaliste : elle n'yapparaît pleinement développée que dans le domaine de ce

que l'on appelle le droit privé, et dans certaines parties dudroit administratif. Déjà le droit pénal moderne ne s'ensert pas,-ou ne l'utilise qu'exceptionnellement. Non seule-ment dans le cas de meurtre et d'assassinat,

— où l'individuà l'égard duquel la conduite pénalement défendue a eu

lieu, n'étant plus en vie, ne peut par hypothèse intenterune action —, mais pareillement dans la plupart des autrescas de conduite pénalement défendue apparaît à la place del'individu objet de l'infraction un organe étatique qui, agis-sant d'office comme accusateur public, met en mouvementla procédure qui doit conduire à l'exécution de la sanction.

L'essence du droit subjectif au sens spécifique et technique— cette figure caractéristique du droit privé

— consistedonc en ceci que l'ordre juridique confère le pouvoir juri-

dique de faire valoir, par voie d'action en justice, l'inexécu-tion d'une obligation juridique, c'est-à-dire de mettre en

mouvement la procédure qui conduira à une décision de

justice prononçant une sanction concrète en réaction à la

violation de l'obligation, non pas à un individu qui ait

qualité d' « organe » de la collectivité, mais à un individu

que la doctrine traditionnelle qualifie de «personne privée»,et qui est normalement celui à l'égard duquel un autre indi-

vidu était obligé à une certaine conduite.De même qu'une obligation, il se peut qu'un droit sub-

jectif au sens technique ait pour sujets non pas un seul

individu, mais deux ou plusieurs individus. Deux individus,ou davantage, sont sujets d'un même droit subjectif lorsque

(a) l'obligation, qui est identique au droit-réflexe, comprendune conduite à leur égard, et que (b) le pouvoir juridique de

faire valoir par action en justice l'inexécution de cette obli-

gation peut être exercé soit, au choix, par l'un ou l'autre

de ces individus agissant individuellement, soit par une

STATIQUE DU DROIT 185

action commune de tous ces individus, agissant alors con-

jointement.En règle générale, ce pouvoir juridique conféré à un

individu inclut le pouvoir d'intenter recours contre une

décision juridictionnelle qui lui serait défavorable, en fai-

sant valoir que la première décision n'est pas conforme au

droit; par ces voies de recours, il introduit une procédure

qui peut conduire à l'annulation de la décision attaquée et

à son remplacement par une autre. Ce pouvoir de former

recours est attribué, non pas seulement à l'individu à l'égard

duquel existerait prétendument l'obligation, mais égale-ment au prétendu sujet de cette obligation. Selon les règlesde nombre de droits procéduraux modernes, aussi bien quele demandeur, le défendeur peut former recours contre une

décision qui lui est contraire. Mais le défendeur n'agit alors

pas afin de faire valoir une obligation juridique, mais tout

à l'opposé, afin de mettre obstacle à l'acte qui a fait valoir

une prétendue obligation juridique, qui, d'après la thèse

du défendeur, n'existe pas, ou n'existe pas dans la mesureaffirmée par le demandeur. Ce pouvoir juridique n'étant

pas lié à un droit-réflexe, le langage ne considère pas non

plus que le défendeur exerce par là un droit subjectif.Le droit administratif moderne accorde un pouvoir juri-

dique analogue à l'individu auquel s'adresse un ordre admi-nistratif qu'il estime juridiquement non fondé, c'est-à-direune norme individuelle posée par une autorité administrativeet qui lui prescrit une certaine conduite. Les individus tou-chés par de telles normes reçoivent pouvoir d'utiliser contrel'ordre administratif une voie de droit appelée soit recours,soit d'une autre dénomination quelconque, et d'introduireainsi une procédure qui peut aboutir à l'édiction d'une autrenorme individuelle qui prononce au moins l'annulation dela première ou qui peut-être même la modifie. Dans ce casnon plus, on ne parle habituellement pas d'un droit sub-

jectif.

e) Le droit subjectif comme autorisation positivepar une autorité.

On vient de voir qu'en disant qu'un individu a le droitde se conduire d'une certaine façon, en particulier d'exercerune certaine activité, on peut vouloir exprimer : 1° ou quecette activité ne lui est pas juridiquement défendue; 2° ouque les autres sujets sont obligés de ne pas s'opposer à cette

13. THÉORIEPUREDUDROIT.

186 THÉORIE PURE DU DROIT

activité; 3° ou encore que l'individu à qui cette activitéest permise a, en cas de violation de l'obligation correspon-dante, le pouvoir juridique de déclencher la procédure dedroit qui conduit à la sanction. Mais l'assertion peut avoir

également une quatrième signification : on parle en effetde droit ou de droit subjectif, dans le cas où l'ordre juri-

dique fait dépendre une certaine activité, par exemplel'exercice d'une certaine industrie, d'une autorisation appe-lée « concession » ou « licence », qui doit être donnée par uncertain organe de la collectivité, par une « autorité », soit

lorsque les conditions déterminées par l'ordre juridiquesont réunies, soit suivant son appréciation et sa décision

discrétionnaires. L'exercice de l'activité en question sanscette autorisation donnée par une autorité est défendu,c'est-à-dire est placé sous sanction. L'autorisation en ques-tion ne consiste pas dans le fait purement négatif de ne

pas être défendu, mais dans l'acte positif d'un organe de la

collectivité. Ce système joue un rôle important en droit

administratif moderne. Le droit qui repose sur une telle

autorisation positive donnée par une autorité, c'est-à-dire

par un organe de la collectivité, n'est pas un droit-réflexe;il n'est pas fonction d'une obligation correspondante. Il

contient un pouvoir juridique, en tant qu'y est associée

l'habilitation à accomplir certains actes juridiques, tels

par exemple la vente de boissons alcooliques ou la vente

de médicaments contenant certains produits toxiques, lors-

qu'elles sont subordonnées à une « licence » ou « concession ».

f) Les droits politiques.

Les droits que l'on appelle « droits politiques » constituent

une catégorie particulière. On a l'habitude de les définir

comme des facultés d'influencer la formation de la volonté

étatique, c'est-à-dire de participer, de façon directe ou indi-

recte, à la création de l'ordre juridique, dans laquelle

s'exprime la « volonté de l'Etat ». Ce disant, on pense

cependant— comme le plus souvent lorsqu'il s'agit de

l'ordre juridique personnifié en « volonté de l'Etat » — à

une seule des formes sous lesquelles se présentent les normes

juridiques qui forment cet ordre juridique, les normes géné-rales ou lois. — La participation des sujets des normes à

la législation, c'est-à-dire à la création des normes juri-

diques générales, est la caractéristique essentielle de l'Etat

démocratique, alors que dans l'Etat autocratique les sujets

STATIQUE DU DROIT 187

sont exclus de toute participation à la formation de la

volonté étatique, c'est-à-dire n'ont pas de droits politiques.

La législation démocratique peut avoir lieu de deux façons :

soit directement par « le peuple », c'est-à-dire par les sujets;à ceci correspond, dans ce qu'on appelle la démocratie

directe, le droit subjectif de l'individu de participer à l'as-

semblée du peuple qui est législatrice, d'y parler et d'yvoter. Ou bien la législation n'appartient au peuple qu'in-directement — c'est-à-dire qu'elle est effectuée par un Par-

lement élu par le peuple. Alors le processus de la forma-

tion de la volonté étatique, c'est-à-dire de la création du droit

général, se décompose en deux phases : élection du Parle-

ment d'abord; décision des lois par les membres du Parle-

ment, ensuite. Selon ce schéma, il existe dans ce cas, pre-mièrement un droit subjectif des électeurs, —

qui forment

un cercle plus ou moins large —, c'est le droit électoral,l'électorat; deuxièmement, un droit subjectif des élus, rela-

tivement très peu nombreux : leur droit à la qualité demembre du Parlement et à ses prérogatives, parole et vote.Ce sont là des droits politiques.

Mais si l'on caractérise les droits politiques par ce trait

qu'ils confèrent à leurs titulaires une participation à la for-mation de la volonté étatique, c'est-à-dire à la création denormes juridiques, alors le droit subjectif privé est, lui

aussi, un droit politique; car lui aussi fait participer sontitulaire à la formation de la volonté étatique; celle-ci

s'exprime en effet dans les normes individuelles que consti-tuent les jugements non moins que dans les normes géné-rales que constituent les lois.

Le droit d'élection du Parlement n'est pas le seul droitde vote qui entre en ligne de compte comme droit politique ;des droits électoraux d'autres sortes se rencontrent. Cer-taines Constitutions démocratiques peuvent faire désignerpar élection, non seulement l'organe de la législation, maiségalement des organes du gouvernement et de l'adminis-tration et des organes de justice. En tant que la fonctionde ces organes est une fonction de création de droit, cesdroits électoraux représentent, tout de même que le droitde vote à l'élection du Parlement, le pouvoir de concourir,sinon directement du moins indirectement, à la création desnormes que cet organe a le pouvoir de créer.

Pour pouvoir réunir le droit subjectif privé au sens spé-cifique — ce pouvoir juridique de faire valoir l'inexécutiond'obligations juridiques

— et le droit politique qui est, lui

188 THÉORIE PURE DU DROIT

aussi, un pouvoir juridique en un seul et même concept,celui de droit subjectif, il faut se référer à cette idée quetous deux sont une expression de la même fonction juri-dique : la participation des sujets du droit à la création du

droit, à la fonction de création du droit. Il n'empêche qu'ilne faut pas méconnaître cette importante différence entreles deux variétés de droit subjectif; dans le cas des droits

subjectifs privés, au sens spécifiquement technique, le pou-voir juridique ou la compétence conférés par l'ordre juri-

dique à un individu de participer à la création du droitsert à faire valoir une obligation juridique d'un autre indi-vidu existant à son égard ; il n'en va nullement ainsi dans lecas des « droits politiques ». Les créanciers sont habilités parl'ordre juridique, c'est-à-dire qu'ils ont le pouvoir juri-

dique, de coopérer par l'introduction d'une action en justice,à la création de ces normes individuelles que constitue-ront les décisions de justice, afin de faire valoir l'inexécu-tion de l'obligation juridique de leur débiteur d'opérer une

certaine prestation en leur faveur. Les sujets des droits

politiques, par exemple l'électeur, sont habilités, c'est-à-dire

ont le pouvoir juridique, de coopérer à l'édiction de normes

juridiques générales; mais il est bien clair que ce pouvoir

juridique ne sert pas à faire valoir l'obligation juridiquede quelque autre sujet à leur égard. Sans doute est-il pos-sible que l'exercice de ce pouvoir juridique soit garanti parune obligation juridique imposée à un autre individu, de

même qu'il se peut qu'il y ait obligation juridique du titu-

laire du pouvoir de l'exercer, mais ce ne sont nullement des

solutions nécessaires. Ainsi le juge peut être obligé à rece-

voir l'action du créancier; il a l'obligation juridique de le

faire, si le refus de la recevoir est placé sous sanction disci-

plinaire à titre de violation de ses obligations de fonction,

Mais le pouvoir juridique attribué au créancier, qui constitue

son droit subjectif, ne sert pas à faire valoir l'inexécution

de ces obligations de fonction, mais l'inexécution de l'obli-

gation du débiteur. Il est possible que l'autorité électorale

soit obligée de recevoir le vote de l'électeur, de le comp-

ter, etc.; elle en a l'obligation juridique, si l'abstention de

l'une ou de l'autre de ces fonctions a pour conséquence une

sanction. Mais le pouvoir juridique qui constitue le droit

politique ne sert pas à faire valoir l'inexécution de cette

obligation de fonction. A la différence du droit subjectif

privé, il ne sert absolument pas à faire valoir l'inexécution

d'une obligation juridique individuelle, il sert à participer

STATIQUE DU DROIT 189

indirectement à la création de normes juridiques générales

qui établiront des obligations juridiques.Au nombre des droits politiques, on range également ce

qu'on appelle les droits et libertés fondamentaux (Grund-und Freiheitsrechte) qu'établissent les Constitutions d'Etats

modernes en garantissant l'égalité devant la loi, la liberté de

la propriété, c'est-à-dire son inviolabilité, la liberté de la

personne, la liberté d'opinion, en particulier la liberté de

la presse, la liberté de conscience, y compris la liberté reli-

gieuse, la liberté d'association et de réunion, etc.. Ces garan-ties constitutionnelles ne forment pas en elles-mêmes des

droits subjectifs, ni de simples droits-réflexes, ni des droits

subjectifs privés au sens technique. Elles se présentent sansdoute comme des interdictions de porter atteinte, par des

lois, ou par des règlements tenant lieu de lois, à l'égalité ouà la liberté garanties, c'est-à-dire de les supprimer ou de leslimiter. Mais ces interdictions ne consistent pas pour l'es-sentiel à imposer à l'organe législatif des obligations juri-diques de ne pas édicter de telles lois, mais à prévoir que,si de telles lois sont édictées, elles pourront se voir annuler

pour le motif d' c<inconstitutionnalité » par une procédurespéciale prévue pour cette fin (1). Les garanties constitu-tionnelles de droits et libertés fondamentaux sont des dis-positions de la Constitution qui déterminent le contenu deslois de façon négative, et qui prévoient une procédure quipermette d'annuler les lois qui ne répondraient pas à cesdispositions. Sans doute, il n'y a pas que des lois et desrèglements tenant lieu de lois qui peuvent porter atteinteaux droits et libertés fondamentaux; ces atteintes peuventtout aussi bien provenir d'actes administratifs ou de déci-sions dé justice; autrement dit, des normes autres que cellesqui apparaissent en la forme de lois ou de règlements tenantlieu de lois peuvent avoir un contenu inconstitutionnel etêtre annulées pour ce motif. Mais si l'on suppose que cesactes ou normes ont été posés sans aucune base légale,et non pas sur la base de lois elles-mêmes inconstitution-nelles, il y a là un motif d'annulation d'ordre formel qui estsuffisant, sans qu'il y ait lieu d'invoquer que leur contenuest en contradiction avec 1' « interdiction » de caractèrematériel de la Constitution, c'est-à-dire est un contenu« défendu » par cette Constitution.

L'égalité des sujets de l'ordre juridique que garantit la _

(1) Cf. infra, p. 360 et s.

190 THÉORIE PURE DU DROIT

Constitution, ne signifie pas que ceux-ci doivent être trai-tés de façon identique dans les normes posées sur la basede la Constitution, en particulier dans les lois. L'égalitéainsi entendue n'est pas concevable : il serait absurde d'im-

poser à tous les individus exactement les mêmes obligationsou de leur conférer exactement les mêmes droits sans faireaucune distinction entre eux, et par exemple la distinctionentre enfants et adultes, individus sains d'esprit et aliénés,hommes et femmes. Si l'on raisonne sur l'égalité dans la loi,elle signifiera que les lois ne doivent pas,

— à peine d'an-nulation pour inconstitutionnalité — fonder une différencede traitement sur certaines distinctions très déterminées,telles que celles qui ont trait à la race, à la religion, à laclasse sociale ou à la fortune. Si la Constitution contientune formule qui proclame l'égalité des individus, mais ne

précise pas quelles sortes de distinctions ne doivent pas êtrefaites entre ces individus dans les lois, il n'est guère possibleque cette égalité constitutionnellement garantie signifieautre chose que l'égalité devant la loi. Mais poser l'égalitédevant la loi, c'est poser simplement que les organes d'ap-plication du droit n'ont le droit de prendre en considération

que les distinctions qui sont faites dans les lois à appliquerelles-mêmes, ce qui revient à affirmer tout simplement le

principe de la régularité de l'application du droit en géné-ral; principe qui est immanent à tout ordre juridique, etle principe de la légalité de l'application des lois, qui estimmanent à toutes les lois, — en d'autres termes le principeque les normes doivent être appliquées conformément auxnormes. Cela revient à énoncer tout simplement la signi-fication qui est immanente aux normes juridiques. Suppo-sons une décision de justice qui s'abstienne de prononcercontre un délinquant reconnu comme tel la peine prévuedans la loi à appliquer, uniquement parce que le délin-

quant est soit un blanc, et non pas un nègre, soit un chré-

tien, et non pas un juif, bien que, dans la définition du délit,la loi ne prenne pas en considération la race ou la religiondu délinquant; semblable décision de justice serait par ce

seul motif de contrariété à la loi susceptible d'être attaquéecomme irrégulière, tout de même que la décision de jus-tice qui prononcerait contre un individu qui n'a pas commisun délit prévu par la loi et constaté par un tribunal une peinenon prévue dans la loi. En ce cas, l'inconstitutionnalité de la

décision ne constitue pas un motif de contestation et d'an-

nulation différent de l'illégalité.

STATIQUE DU DROIT 191

Une disposition constitutionnelle qui proclame l'invio-

labilité de la propriété peut n'avoir d'autre signification

que celle-ci : qu'une loi qui habiliterait le gouvernement à

retirer aux propriétaires des biens leur appartenant, contre

leur gré et sans indemnisation — abstraction faite du cas

où cette mesure constitue une sanction —pourrait être

annulée comme « inconstitutionnelle ». A proprement parlerune telle disposition ne prohibe pas l'expropriation. D'abord,elle ne se rapporte qu'à l'expropriation sans indemnité;ensuite, elle n'établit pas une obligation juridique de l'or-

gane législatif de ne pas édicter de telles lois. Jusqu'à son

annulation — soit générale soit au moins d'espèce, c'est-

à-dire limitée à un cas concret —, la loi « inconstitution-nelle » est une loi valable. Elle n'est pas nulle, mais seule-ment annulable (1). C'est une situation analogue qui résultede la disposition par laquelle la Constitution garantit la

liberté religieuse et de conscience. Une telle garantie signifiequ'une loi qui interdirait, c'est-à-dire placerait sous unesanction pénale, l'exercice d'une certaine religion, parexemple, pourrait être annulée comme inconstitutionnelle.

Pour qu'il y ait garantie efficace des droits et libertésfondamentaux des individus, il faut supposer que la Consti-tution qui prétend l'assurer ne puisse pas être modifiée parvoie de législation ordinaire, mais seulement par une pro-cédure spéciale, c'est-à-dire par une procédure qui se dis-

tingue de celle de législation ordinaire par le fait que l'adop-tion de la loi est soumise* à des conditions plus difficiles à

réunir, telles que vote à une majorité qualifiée du corpslégislatif, au lieu de la majorité simple, vote en plusieurslectures, au lieu d'une seule, etc., (2). Si en effet la Consti-tution peut être modifiée par voie de loi ordinaire, aucune

loi, et par conséquent aucune décision de justice renduesur la base d'une loi ne peuvent être annulées pour « incons-titutionnalité », car, en ce cas, la Constitution est abrogéeou il y est au moins dérogé par la loi dans les limites de sondomaine de validité.

Il s'ensuit de là que les droits et libertés fondamentauxne sont pas davantage garantis constitutionnellement de

façon réelle, même si la Constitution ne peut être modifiée

qu'à des conditions plus difficiles, lorsqu'elle ne garantit le« droit » que dans la mesure où il n'est pas limité par la

(1) V. infra, p. 360 sqq.(1) V. infra, p. 299 et s.

192 THÉORIE PURE DU DROIT

loi ; car une telle formule signifie que la Constitution délègueà la législation ordinaire, par exemple le pouvoir d'instituer

l'expropriation sans indemnité, ou de faire dans l'établis-

sement d'obligations ou l'attribution de droits des distinc-

tions exclues par la Constitution, ou encore de limiter cer-

taines libertés. Il ne s'agit plus que d'une pseudo-garantie;telle est la situation réelle lorsque la Constitution dispose

par exemple : « L'inviolabilité de la propriété est garantie.

L'expropriation d'un bien pour cause d'utilité publique ne

peut avoir lieu sans indemnité que sur la base des lois »,ou : « Chacun a le droit d'exprimer librement son opiniondans les limites fixées par la loi », ou encore : « Tous les

citoyens ont le droit de se réunir et le droit de former desassociations. L'exercice de ces droits est réglé par la loi. »

Tant que la garantie constitutionnelle de droits et liber-

tés fondamentaux ne signifie rien d'autre qu'une difficulté

accrue comme on l'a indiqué de réaliser une limitation

légale de ces « droits », ils ne représentent pas des droitsau sens subjectif. Il ne s'agit pas de droits-réflexes, étant

donné que la « prohibition » d'une législation limitatricen'étabht pas une obligation juridique; et par suite, il ne

s'agit pas non plus de droits subjectifs au sens technique,suivant la notion que l'on a déjà maintes fois rappelée

c'est-à-dire un pouvoir juridique de faire valoir l'inexécutiond'une obligation par voie d'action en justice. Un droit fon-

damental, ou une liberté fondamentale ne représentent undroit subjectif au sens d'un pouvoir juridique

— bien que,même alors, il ne s'agisse pas du pouvoir de faire valoir

l'inexécution d'une obligation juridique—

que lorsquel'ordre juridique confère aux individus qui sont atteints

par une loi inconstitutionnelle le pouvoir juridique dedéclencher par une demande la procédure qui conduira à

l'annulation de la loi inconstitutionnelle. Etant donné quel'acte par lequel une norme est annulée a signification de

norme, la liberté-droit consiste alors dans le pouvoir juri-dique de concourir à la création de ces normes annulatrices.Ainsi par exemple le droit constitutionnellement garanti àla liberté des croyances religieuses représente un droit sub-

jectif lorsque la procédure tendant à l'annulation d'une loi

qui limiterait la liberté de religion peut être déclenchée et

introduite par tout individu atteint par cette loi, au moyend'une sorte d'actio popularis. Cependant, à l'instar des

droits électoraux, ce droit se distingue, en tant que droit

politique, du droit subjectif au sens technique, qui est un

STATIQUE DU DROIT 193

droit privé, par le fait qu'il ne sert pas à faire valoir l'inexé-

cution d'une obligation juridique existant à l'égard du sujetdu droit. Des raisons techniques suffiraient à rendre à peu

près impossible d'obliger juridiquement un organe législatif

collégial à s'abstenir d'adopter des lois inconstitutionnelles,— et, effectivement, le cas ne se présente jamais. Ce quiest possible par contre, et ce qui se rencontre effectivement,c'est que le chef de l'Etat qui est appelé à sanctionner les

lois votées par le Parlement ou à les promulguer, et les

ministres qui ont à contresigner les actes du chef de l'Etat,soient rendus responsables de la constitutionnalité de la .

loi sanctionnée ou promulguée, ou contresignée par eux,c'est-à-dire que des peines spécifiques

— telles que desti-

tution, perte des droits politiques, etc., — soient prononcéescontre eux par un tribunal particulier : en ce cas, on est

en présence d'une interdiction juridique, qui lie ces organes,de faire de tels actes, c'est-à-dire de concourir à l'édiction

de lois inconstitutionnelles. Mais le pouvoir juridique d'in-

troduire la procédure qui peut conduire finalement à l'exé-

cution de ces sanctions n'est en général pas non plus accordé

aux individus qui sont atteints par une loi inconstitution-

nelle. Si l'on est en présence d'une décision administrative,ou d'une décision de justice qui porte atteinte à la libertéou à l'égalité constitutionnellement garanties, c'est-à-direen présence d'une norme individuelle qui a été posée surla base d'une loi inconstitutionnelle, et si seul l'individu

qui est touché par cette norme individuelle a le pouvoir

juridique de déclencher par recours ou appel la procédure

qui conduirait à l'annulation de cette norme individuelle,alors la liberté ou le droit fondamental en question est undroit subjectif de l'individu, en tant que l'annulation dela norme individuelle implique l'annulation de la loi incons-titutionnelle pour le cas concret, ou est rattachée d'une

façon ou d'une autre à l'annulation générale de la loi incons-titutionnelle. Si la norme individuelle, administrative ou

juridictionnelle, qui viole le droit ou la liberté fondamentaleconstitutionnellement garantis, n'a pas été posée sur labase d'une loi inconstitutionnelle, mais sans aucune base

légale, alors le droit subjectif de l'individu, c'est-à-dire son

pouvoir juridique de provoquer l'annulation de cette norme

individuelle, ne se distingue en aucune façon d'un droit

subjectif quelconque qui consiste dans le pouvoir juridiquede faire annuler un acte administratif ou un acte juridic-tionnel à raison de son illégalité. La procédure introduite

194 THÉORIE PURE DU DROIT

par le recours où l'appel de l'individu ne conduit pas à uneannulation individuelle ou générale d'une loi inconstitu-

tionnelle, mais seulement à l'annulation d'une norme indi-viduelle illégale. C'est seulement si l'individu a le pouvoirjuridique de provoquer l'annulation, à effet d'espèce ou àeffet général, d'une loi dont le contenu viole la liberté ou

l'égalité constitutionnellement garanties, que le droit ouliberté fondamental est un droit subjectif de l'individu.

En résumé, on peut dire ceci : le droit subjectif d'unindividu est : a) soit un simple droit-réflexe, c'est-à-direle réflexe d'une obligation juridique existant à l'égard decet individu; b) soit un droit privé subjectif au sens tech-

nique, c'est-à-dire un pouvoir juridique conféré à l'individude faire valoir par action en justice l'inexécution d'une obli-

gation juridique existant envers lui; le pouvoir juridiquede concourir à la création de la norme individuelle parlaquelle est ordonnée la sanction attachée à l'inexécution;c) soit un droit politique, c'est-à-dire le pouvoir juridiqueconféré à un individu, soit de coopérer à la création desnormes générales qualifiées de lois, directement en tant quemembre de l'Assemblée de peuple législatrice, soit de con-courir indirectement, en tant que sujet d'un droit électoral

parlementaire ou administratif, à l'édiction des normes juri-diques que l'organe élu est habilité à créer; d) soit enfin,en tant que liberté ou droit fondamental garanti constitu-

tionnellement, le droit de concourir à la création de lanorme par laquelle la validité de la loi inconstitutionnelleviolant la liberté ou l'égalité garantie est annulée, soit d'une

façon générale, c'est-à-dire pour tous les cas, soit d'une

façon simplement individuelle, c'est-à-dire pour le casconcret seulement, e) Et finalement, on peut appeler aussidroit subjectif une autorisation positive donnée par uneautorité.

30. — LA CAPACITÉ D'ACTION;LA COMPÉTENCE; LA QUALITÉ D'ORGANE.

a) La capacité d'action.

Le pouvoir juridique qui a été analysé dans les pages

précédentes comme représentant le droit subjectif— droit

privé ou droit politique— n'est qu'un cas particulier qui

illustre cette fonction de l'ordre juridique que nous avons

qualifiée d'attribution de pouvoir ou « habilitation (Ermàch-

STATIQUE DU DROIT 195

tigung) ». Du point de vue d'une science du droit qui décrit

l'ordre juridique en propositions de droit, la fonction de

l'ordre juridique consiste à attacher à certaines conditions

déterminées par lui la conséquence d'un acte de contrainte

également défini par lui. Cet acte de contrainte est la consé-

quence par excellence. Sans doute parmi ses conditions en

trouve-t-on certaines qui sont elles-mêmes conditionnées

par d'autres faits prévus dans l'ordre juridique, et qui sont

en ce sens des conséquences relatives. Lorsque par exemplel'ordre juridique prescrit que, si un individu se saisit d'une

chose qu'il a trouvée et ne déclare pas la trouvaille à uneautorité déterminée ou ne la dépose pas auprès d'elle, il

doit être puni, la conservation par devers soi de l'objettrouvé est la condition de la non-déclaration ou de la non-

remise de l'objet, et ce dernier fait devient alors à son

tour, ensemble avec sa condition — la détention de l'objet •—,la condition de l'acte de contrainte. Seul l'acte de contrainte

est conséquence, sans être lui-même condition. Il est ladernière conséquence, la vraie conséquence de droit; et sil'acte de contrainte représente la réaction de l'ordre juri-dique contre une certaine conduite d'un individu, c'est-à-dire une sanction, la conséquence de droit est donc unesanction. C'est en tant que le droit, ordre de contrainte,

; pose que l'acte de contrainte —qui est un acte de conduite

humaine — doit avoir lieu, qu'il se révèle norme, que safonction est réglementation.

La fonction de l'ordre juridique que nous avons nommée« habilitation (Ermâchtigung) » —

synonyme d'attributionde pouvoir—- ne se rapporte qu'à la conduite humaine. Seulela conduite humaine se voit dotée de pouvoirs par l'ordre

juridique. En un sens très large, on peut dire qu'une conduite• déterminée d'un individu donné est dotée de pouvoir parl'ordre juridique, non seulement quand est attribué à unindividu un pouvoir juridique, c'est-à-dire la capacité decréer des normes juridiques, mais, d'une façon tout à fait

générale, lorsque la conduite de l'individu est érigée encondition directe ou indirecte de la conséquence de droit,c'est-à-dire de l'acte de contrainte posé comme devant avoir

lieu, ou qu'elle est elle-même cette conduite qui constituel'acte de contrainte. On ne doit pas considérer comme« habilités » d'autres faits qui apparaissent dans l'ordre

juridique./ Lorsque l'ordre juridique dispose que les indi-vidus qui seront atteints d'une maladie contagieuse devrontêtre internés dans un hôpital, l'ordre juridique confère bien

196 THÉORIE PURE DU DROIT

à certains individus le pouvoir de procéder à cet acte d'hospi-talisation forcée; il est clair qu'il n'habilite pas pour autantla survenance de la maladie.

En ce sens très large du mot, tout fait de conduite humaine— mais uniquement des faits de cette nature —

que l'ordre

juridique prévoit soit comme conditions, soit comme consé-

quences, peuvent être considérés comme habilités par lui.Les individus qui peuvent adopter la conduite en questionreçoivent de l'ordre juridique la faculté ou capacité de seconduire de cette façon. Ils ont une capacité ou faculté

qui leur est conférée par l'ordre juridique. Si l'on appelle« habilitation » l'attribution d'une semblable capacité oufaculté par l'ordre juridique, le terme « habilitation » n'im-

plique en aucune manière l'idée d'approbation. Ce qu'onappelle la « capacité délictuelle » n'est elle aussi qu'unecapacité attribuée par l'ordre juridique à des individus pré-sentant tels caractères spécifiquement déterminés, de com-mettre des délits par leur conduite, une capacité de poserune condition de l'acte de contrainte qui joue le rôle de sanc-

tion, et qui est dirigé en tant que conséquence de leurconduite contre eux-mêmes ou contre leurs proches. Cesindividus caractérisés par l'ordre juridique peuvent et

peuvent seuls commettre des délits, c'est-à-dire qu'ilsreçoivent cette aptitude de l'ordre juridique. Mais la con-duite qui constitue un délit est défendue par l'ordre juri-dique précisément du fait qu'elle est érigée en conditiond'une sanction dirigée contre le délinquant (ou ses proches)et, en tant que « défendue », n'est pas approuvée.

Si l'on associe au terme « habilitation » l'idée accessoired' « approbation », on l'emploie en un sens plus étroit, quine comprend pas la capacité délictuelle. C'est avec cette

signification que l'emploie la théorie traditionnelle, lors-

qu'elle parle de la « capacité d'agir » en la distinguant de la« capacité délictuelle » ; la capacité d'action est alors définiecomme l'aptitude d'un individu à provoquer par sa conduitedes effets de droit. Etant donné que l'on ne peut pas entendre

par là des « effets » au sens causal, on devrait dire que la

capacité d'action consiste dans la faculté conférée par l'ordre

juridique à un individu de provoquer par sa conduite des

conséquences de droit, c'est-à-dire les conséquences quel'ordre juridique attache à cette conduite. Mais en excluantde ces conséquences de droit les sanctions dirigées contrecelui-là même qui se conduit d'une certaine façon (ou contreses proches). C'est en effet cette aptitude à provoquer par

STATIQUE DU DROIT 197

sa propre conduite une sanction dirigée contre soi-même

(le délinquant ou ses proches) que l'on appelle capacité délic-tuelle et que l'on distingue de la capacité d'action. D'aprèsla doctrine traditionnelle, les conséquences juridiques quisont ainsi provoquées par la mise en oeuvre de cette capacitéd'action sont essentiellement des obligations et des droits

qui sont créés au moyen d'actes juridiques. La capacitéd'action est avant tout la capacité de faire des actes juri-diques infra-législatifs, tels que conventions, testament,adoption, etc., etc. Cependant on y fait également rentrerla capacité d'influencer la procédure juridictionnelle par le

moyen d'une action ou demande, ou d'un recours (capacitéprocessuelle ou procédurale).

Cette dernière faculté est — comme on l'a précédemmentexposé

— un pouvoir conféré par l'ordre juridique de concou-rir à la création des normes juridiques individuelles queposent les décisions juridictionnelles. C'est un pouvoir juri-dique, et son attribution par l'ordre juridique est une« habilitation » au sens le plus étroit et spécifique du mot.Mais c'est également un semblable pouvoir que représentela capacité de faire des actes juridiques infra-législatifs, entant que faculté de créer des obligations et des droits. Carles obligations juridiques et les droits subjectifs sont établis

par des normes juridiques, et les actes juridiques infra-

législatifs créent précisément de telles normes. Une analysede l'acte juridique-type de cette catégorie, c'est-à-dire le

contrat, le fait immédiatement apparaître. Le contrat stipuleque les parties contractantes doivent se conduire d'une cer-taine façon l'une à l'égard de l'autre; le contrat de vente,par exemple, que le vendeur doit livrer une certaine choseà l'acheteur, que l'acheteur doit verser au vendeur unecertaine somme d'argent. Le contrat est un acte qui a poursens subjectif un Sollen. En posant des règles qui habilitentles individus à conclure des contrats, l'ordre juridiquepromeut le sens subjectif de l'acte juridique au rang desens objectif. Si Ton peut affirmer que le contrat crée des

obligations pour les parties contractantes, c'est parce quel'ordre juridique attache à la conduite contraire au contrat,c'est-à-dire à la conduite contraire à une norme créée parvoie de contrat, une sanction. En ce sens, les normes créées

par les actes juridiques sont des normes non-indépendantes.Si l'on peut affirmer que les contrats créent des droits sub-jectifs pour les parties contractantes, c'est parce qu'en habi-litant les individus à conclure des contrats, l'ordre juridique

198 THÉORIE PURE DU DROIT

confère aux parties contractantes le pouvoir juridique defaire valoir l'inexécution des obligations statuées par contrat,c'est-à-dire la violation des normes juridiques créées par le

contrat, au moyen d'actions en justice. La capacité de fairedes actes juridiques est une faculté conférée aux individus

par l'ordre juridique de créer, sur la base de normes géné-rales posées elles-mêmes par la législation ou par la coutume,des normes juridiques de degré inférieur et de coopérer àla création des normes juridiques individuelles que les tri-bunaux sont appelés à poser. Cette capacité d'action cons-titue donc un authentique pouvoir juridique.

Si l'on entend par capacité d'action la faculté de provo-quer des conséquences juridiques par sa conduite, et si l'onconsidère comme des conséquences des actes juridiquesinfra-législatifs, les obligations juridiques créées par ces

actes, c'est-à-dire la mise en vigueur de normes indivi-

duelles, on peut considérer comme une autre forme de la

capacité d'action (au sens de capacité de faire des actes

juridiques) l'aptitude à exécuter des obligations juridiques,c'est-à-dire l'aptitude à éviter la sanction par sa propreconduite. C'est en cela que consiste la conséquence de droit—

conséquence de caractère négatif— de l'exécution des

obligations.

b) La compétence.

Il est aisé d'apercevoir que l'exercice de ce pouvoir juri-dique est, pour l'essentiel, en tant que fonction juridique,de la même nature que la fonction d'un organe législatifhabilité à cet effet par l'ordre juridique qui consiste à poserdes normes juridiques générales, et que les fonctions des

organes juridictionnels et administratifs habilités à cet effet

par l'ordre juridique qui consistent à créer des normes juri-diques individuelles en application de ces normes générales.Dans tous ces cas, on se trouve en présence, exactementcomme dans l'hypothèse de la « capacité d'action », d'unehabilitation à créer des normes juridiques./ Dans tous ces

cas, l'ordre juridique confère à certains individus un pou-voir de droit, un pouvoir juridique. Cependant, la doctrinetraditionnelle ne parle pas de capacité d'action dans tousles cas d'habilitation, au sens le plus étroit du terme, c'est-à-dire dans tous les cas d'attribution d'un pouvoir juridique.Au contraire, dans beaucoup de cas, et avec prédilectionnotamment lorsqu'il s'agit des fonctions de certains organesde la collectivité, en particulier des tribunaux et des auto-

STATIQUE DU DROIT 199

rites administratives, elle parle de leur « compétence (Kom-

petenz) » ou de leurs « attributions (Zustândigkeiten) ». Et

elle leur réserve ce terme : elle ne nomme pas « compé-tence » ou « attributions » les pouvoirs juridiques conférés

aux « personnes privées » de créer des normes juridiques en

faisant des actes juridiques, ou de concourir à la création

de normes juridiques par voie d'action, de recours, de

requête, ou par l'exercice du droit électoral, c'est-à-dire

les droits subjectifs (au sens technique du terme) de ces

personnes.En tant qu'il s'agit de la fonction qui consiste à exercer

un pouvoir juridique conféré par l'ordre juridique, cette

limitation de la notion de compétence n'est pas justifiée.

Capacité de faire des actes juridiques infra-législatifs et

droits subjectifs privés ou politiques sont attributions ou

compétences au même sens que la faculté attribuée à cer-tains individus de voter des lois, de prendre des décisions

juridictionnelles ou d'édicter des mesures administratives.

Au lieu de l'exprimer clairement, la terminologie tradi-

tionnelle masque la parenté essentielle de toutes ces fonc-tions qui consistent à exercer un pouvoir juridique. Queles individus qui font des actes juridiques, que les partiesqui intentent une action, présentent une requête ou formentun recours selon la procédure juridictionnelle ou adminis-

trative, soient considérées comme des « personnes privées »,et non comme des « organes » de la collectivité, et que pourcette raison l'on n'appelle pas les pouvoirs juridiques quileur sont conférés des compétences ou attributions de ces

individus, ce n'est pas le contenu de leurs fonctions qui peutle justifier. Car ce contenu de la fonction est exactement

/le même dans les deux cas : à savoir la création de normes

juridiques. Et à ce propos, il faut remarquer d'abord que lesactes juridiques de « personnes privées » habilitées à cet effetne servent pas uniquement et toujours à créer des normes

juridiques individuelles, mais permettent également de poserdes normes générales. Et il faut également souligner queles traités conclus entre eux par les Etats habilités à ceteffet par le droit international général, dans le cadre decet ordre juridique qui fonde la communauté internationale,jouent un rôle très important dans la création de normes

générales. Et cependant, traditionnellement, pas davantageque les individus habilités à cet effet par le droit étatiqueet concluant entre eux des contrats, on ne considère les Etats

qui passent des traités comme des « organes » de la collectivité

200 THÉORIE PURE DU DROIT

juridique ni par suite le pouvoir de droit qu'ils exercent cefaisant comme une attribution ou une compétence leur

appartenant. Si dans ces hypothèses, on ne reconnaît pasaux individus qui exercent la fonction la qualité d'organesde la collectivité juridique, cela ne peut tenir qu'au fait

que l'on se réfère ici et fait application d'une notion de

l'organe qui retient comme élément décisif autre chose quele contenu de la fonction.

c) La qualité d'organe (« Organschaft »).

Un individu est l'organe d'une collectivité en tant qu'ilexerce une fonction qui peut être attribuée, ou rapportée

(zugeschrieben) à cette collectivité (1),— une fonction dont

on dit par suite que c'est la collectivité, pensée comme une

personne, qui l'exerce par l'intermédiaire de l'individu qui

agit comme son organe.Cette dernière formule exprime une fiction : ce n'est pas

la collectivité qui exerce la fonction, c'est un individu

humain. La collectivité n'est autre chose que l'ordre nor-matif qui règle la conduite d'une pluralité d'individus. Sansdoute dit-on souvent que l'ordre fonde la collectivité. En

vérité, ordre et collectivité ne sont pas deux objets distincts.Une collectivité d'individus, c'est-à-dire ce qui est commun

à ces individus, c'est uniquement l'ordre qui règle leurconduite.

La conduite d'un individu ne peut être attribuée à la

collectivité fondée par un ordre normatif, c'est-à-dire, pourparler sans fiction, cette conduite ne peut être rapportée à

l'ordre normatif qui fonde la collectivité, que si cet ordre

fait de cette conduite soit une condition, soit une consé-

quence de quelque fait. En attribuant à une collectivité la

conduite d'un individu, en l'interprétant comme action

d'une collectivité, l'on présente cette collectivité comme un

sujet agissant, comme une personne; en d'autres termes,

(1) Dans des écrits antérieurs, j'avais nommé l'opération intellec-tuelle en cause : imputation, « Zurechnung ». Mais étant donné que cemot sert à désigner avant tout la connexion normative de deux faits

qui est analogue à la connexion causale, j'avais dû nécessairementdistinguer l'imputation d'une fonction à une collectivité qualifiée,d'imputation « centrale ». de la connexion normative de deux faits,qualifiée d'imputation « périphérique ». Cette terminologie n'était pastrès satisfaisante et a conduit à des malentendus. Pour cette raison,j'emploie maintenant « imputation » uniquement pour désigner laconnexion normative de deux faits.

STATIQUE DU DROIT 201

l'attribution de la fonction remplie par un individu en

vertu d'un ordre juridique à la collectivité que fonde cet

ordre implique la personnification de celle-ci; mais cetteattribution personnificative (1) n'exprime qu'une seule don-

née : le fait que la conduite attribuée à la collectivité est

prévue dans l'ordre normatif qui la fonde et est, en ce sens

très large, habilitée par elle. Attribuer à la collectivité un

acte de conduite humaine signifie tout simplement rapportercet acte à l'ordre qui fonde cette collectivité, le concevoir

comme un acte habilité (au sens le plus large du terme)par cet ordre normatif. En conséquence, on peut attribuerà la collectivité toute conduite d'un individu qui est prévue

par l'ordre normatif et, en ce sens très large, habilitée parlui, et l'interpréter comme une fonction de la collectivité;et l'on peut donc considérer comme organe d'une collectivitétout individu dont la conduite est visée par l'ordre normatifet est en ce sens habilitée par lui — c'est-à-dire tout membrede la collectivité fondée par l'ordre. Un individu est un organed'une collectivité parce que et en tant qu'il réalise une con-duite attribuable à la collectivité; et une conduite est attri-buable à la collectivité lorsqu'elle est prévue par l'ordre nor-matif qui fonde la collectivité, soit comme conséquence, soitcomme condition. Telle est la notion primordiale, la notionfondamentale de la fonction d'organe; ainsi se définit lafonction d'organe au sens le plus large du terme. Et c'estcette notion de fonction organique, et non celle d'organe,qui saisit les faits essentiels, en particulier pour le domainede la science du droit. La notion d'organe, elle, fait appa-raître le sujet ou « porteur (Tr'àger) » de la fonction, c'est-à-dire l'élément personnel de la conduite qui constitue la

fonction; comme toute conduite humaine, celle-ci se com-

pose d'un élément personnel et d'un élément matériel (2),et comprend ainsi en soi l'élément personnel. L'idée d'organecomme porteur d'une fonction conçue comme un objet distinctde lui est une notion de substance, et, comme telle, ellene doit être utilisée qu'en ayant présent à l'esprit que, du

point de vue de la connaissance scientifique, substance doitêtre réduit à fonction. L'idée de l'organe comme por-teur de la fonction implique séparation de l'élément per-sonnel d'avec l'élément matériel : il est érigé en donnée

(1) Cf. sur ce point les développements relatifs à la notion de per-sonne juridique, infra, p. 231 sqq.

(2) Cf. supra, p. 19 et p. 160.

14. THÉORIEPUREDUDROIT

202 THÉORIE PURE DU DROIT

indépendante, alors qu'en réalité il est uni à celui-ci de façonindissoluble. C'est seulement sous cette réserve que l'on peututiliser la notion d'organe comme un concept auxiliaire, quisert à rendre plus facile l'exposé des faits.

La notion de fonction que l'on vient de présenter comme

primordiale ou fondamentale est sensiblement plus largeque celle qui apparaît dans le langage juridique usuel —

quiest d'ailleurs quelque peu flottant à cet égard. Puisque lanotion primaire englobe toute conduite prévue par l'ordre

normatif, les conduites juridiquement défendues, c'est-à-dire qui sont la condition d'une sanction, y rentrent natu-rellement : ne présentent-elles pas le caractère de conduitesvisées par l'ordre juridique, et par conséquent de fonctionsde la collectivité juridique?

— Or, on n'a point l'habituded'attribuer les actes illicites, les délits ou infractions, à lacollectivité juridique. La conception suivant laquelle uneconduite défendue est « non-droit », négation du droit, metobstacle à ce que l'on admette l'idée que la collectivité juri-dique commet un « non-droit », un acte illicite. Il existeune certaine tendance à n'attribuer à la collectivité juri-dique les actes des individus qui sont prévus dans l'ordreconstitutif de la collectivité que si cet ordre ne les érigepas en délits, c'est-à-dire s'ils ne sont pas défendus parlui (1). Si l'on utilise le terme « habiliter » dans un sens

large où il ne comprendra pas seulement — selon son accep-tion la plus étroite — l'attribution d'un pouvoir juridique— c'est-à-dire de la capacité de créer et d'appliquer desnormes juridiques —, mais en outre à la fois le fait de« prescrire » et le fait de « permettre positivement », on peutdire qu'il existe une certaine tendance à n'attribuer la

conduite d'un individu à la collectivité juridique que si cet

individu y est « habilité » par l'ordre juridique, au sens quivient d'être précisé, et qui exclut les actes délictueux : desorte que d'abord, seuls sont attribués à la collectivité

juridique d'une part les actes par lesquels sont créées ousont appliquées des normes juridiques, d'autre part les

conduites prescrites et les conduites positivement permises,à l'exclusion des conduites défendues, et que, parallèlement,un individu n'est considéré comme organe de cette collec-

tivité, qu'en tant qu'il adopte une conduite « habilitée »

(1) Sur la question de savoir comment il faut distinguer la condi-tion de la sanction appelée délit, d'autres conditions de la sanctioncf. supra, p. 156-7.

STATIQUE DU DROIT 203

en cç sens par l'ordre juridique. Mais, comme nous le verrons

ultérieurement, le langage usuel n'est pas très conséquentà cet égard. Parfois, l'on attribue bien à la collectivité juri-

dique des actes illicites ; en particulier, l'orsque l'on consi-

dère la collectivité comme sujet d'obligations, puisqu'aussibien la capacité d'obligation présuppose la capacitédélictuelle (1).

— Mais la thèse que la collectivité juridiquene peut pas commettre d'actes illicites implique que seules

lui soient imputées les conduites humaines habilitées — en

donnant à ce mot le sens que l'on vient d'indiquer— dans

l'ordre juridique qui fonde la collectivité,— elle implique

que les faits délictuels, bien que prévus dans l'ordre juri-

dique ne sont pas, eux, attribués à la collectivité fondée

par l'ordre juridique parce qu'ils ne sont pas « habilités »

en ce sens plus étroit. Si l'on limite de cette façon l'attribu-

tion à la collectivité, les individus qui accomplissent un

acte délictueux, qui adoptent donc une conduite « non-habilitée » et par conséquent agissent en dehors de leur

habilitation, c'est-à-dire en dehors de leur compétence, ne

sont pas considérés comme des organes de la collectivité;leur conduite n'est pas interprétée comme une fonction d'or-

gane. En ce cas, on attribue à la collectivité juridique uni-

quement les conduites auxquelles se réfère la notion de

capacité d'action, — notion qui n'inclut pas la capacitédélictuelle (2).

Si de la notion de fonction d'organe attribuable à la col-lectivité juridique l'on exclut uniquement l'accomplissementde délits, le contenu de cette notion, c'est-à-dire les sortesd'actes pouvant être considérés comme fonctions de l'ordre

juridique, et en ce sens —qui est large

— comme fonctions

juridiques demeure extrêmement étendu; elle comprendtoutes les conduites non-délictueuses prévues par l'ordre

juridique constitutif de la collectivité : c'est-à-dire d'abord,certes, les conduites que l'on peut qualifier de fonctions

juridiques au sens étroit et spécifique du terme, — c'est-à-dire les actes concourant à la création et à l'applicationde normes juridiques,

—y compris la participation à la

création et à l'application de normes juridiques par voied'action en justice, appel, voies de recours, et cela comprend

(1) Cf. les développements relatifs à la capacité délictuelle de lacorporation qualifiée de personne juridique. V. infra, p. 240 sqq.

(2) Cf. ce qui est dit infra, sur le problème de l'acte illicite ou délitde l'Etat (Staatsunrecht).

204 THÉORIE PURE DU DROIT

l'exercice des droits subjectifs au sens technique du terme),de même que l'accomplissement des actes de contrainte ins-titués par l'ordre juridique; mais également, en outre, lesactes représentant l'exécution d'obligations juridiques etl'exercice de droits-réflexes et de droits qui consistent enune permission positive, fonction que l'on peut qualifierd'obéissance au droit (Rechtsbefolgungsfunktion) ; en somme,peut-on dire, sera considérée comme fonction juridique, etdonc fonction d'organe d'une part, la fonction de créationet application du droit, d'autre part la fonction d'obéissanceau droit.

Sur cette base, apparaîtra comme organe juridique, c'est-à-dire organe de la collectivité juridique, tout individu quiremplit une fonction juridique au sens étroit ou au sens

large. Par suite, peut être qualifié d'organe juridique l'in-dividu qui exerce le pouvoir juridique qui lui est conféréen intentant une action en justice, ou en faisant un acte

juridique; et ce pouvoir juridique qui lui est conféré peutêtre qualifié de compétence ou attribution de cet individu,tout ceci exactement dans le même sens où le législateur,le juge ou l'agent administratif, sont qualifiés d'organes, etoù le pouvoir juridique qui leur est conféré est appelé leur

compétence. Bien plus, on peut considérer comme organejuridique l'individu qui exécute son obligation juridique,celui qui exerce un droit-réflexe, ou celui qui fait usaged'une permission positive. Et en effet, cette notion de lafonction d'organe n'exprime absolument rien d'autre que larelation de la fonction à l'ordre qui la prévoit, et qui fondela collectivité.

Et cependant, la notion d'organe est employée dans la

terminologie juridique en un sens encore plus étroit quecelui que l'on vient de définir. On n'attribue alors pas à la

collectivité toute conduite non-délictuelle prévue dansl'ordre juridique, on n'interprète pas toute conduite pré-sentant ces caractères comme fonction de cette collectivité,on ne qualifie pas d'organe, en ce sens étroit, tout individu

qui remplit une telle fonction. D'après cette notion étroite,une conduite n'est attribuée à la collectivité comme sa fonc-

tion, un individu n'est appelé « organe », que si cet individu

présente certains traits tout à fait déterminés.Si d'après les normes d'un certain ordre, une fonction

prévue par lui ne peut pas être accomplie par l'un quel-

conque de ses sujets, mais seulement par un certain groupede personnes caractérisé — ou par une personne définie —

STATIQUE DU DROIT 205

il y a division du travail, c'est-à-dire spécialisation fonction-

nelle. Seules seront alors attribuées à la collectivité les fonc-tions qui sont prévues dans l'ordre juridique et qui sont

remplies sur la base d'une telle division du travail ou spé-cialisation, c'est-à-dire par des individus présentant tels ettels caractères déterminés; seuls seront qualifiés d' « or-

ganes » en ce sens plus étroit des individus ainsi particula-risés et spécialisés. On dénomme les collectivités qui ont des« organes »— au sens ainsi défini : collectivités « organisées ».Les « collectivités organisées » sont celles qui ont des organesfonctionnant sur la base de la division du travail, c'est-à-dire spécialisés. Mais en vérité, toute collectivité a néces-sairement des organes, même si ce ne sont pas des organesspécialisés,

— étant donné qu'une collectivité ne peut fonc-tionner que par ses organes, c'est-à-dire par des individus

que l'ordre normatif constitutif de la collectivité permetde déterminer. Si un ordre normatif dispose que certainesfonctions qu'il prévoit peuvent être remplies sous certainesconditions par tout individu quelconque qui lui est soumis,on peut considérer chaque individu comme étant organedans l'exercice de la fonction à laquelle il est habilité, etla fonction peut être attribuée à la collectivité fondée parl'ordre, bien que les fonctions prévues par l'ordre soient rem-

plies sans qu'aucune spécialisation fonctionnelle, ou divi-sion du travail, n'intervienne. Il faut cependant constater

que dans l'usage terminologique dominant, on n'appelle pasles individus qui prestent ces fonctions non spécialisées des« organes », et l'on n'attribue pas à la collectivité leur fonc-tion organisée sans spécialisation.

Les qualités distinctives des individus qualifiés dans la

terminologie juridique courante, d' « organes » d'une collec-tivité juridique sont de nature très différente, selon les droits :

Tantôt, ce sont des données naturelles, — ainsi lorsquel'ordre juridique dispose que telle fonction ne peut être

remplie que par un homme, ou par une femme, ou seule-ment par des individus ayant atteint un certain âge et quisont en état de santé pbysique ou morale, ou — en casd'investiture héréditaire —

par des individus descendantde telle ou telle souche.

Tantôt elles sont étrangères à la nature : l'ordre juridiquepeut exiger par exemple comme conditions nécessaires pourêtre admis à exercer telle fonction une certaine valeur

morale, ou des connaissances ou des aptitudes déterminées.D'une particulière importance parmi ce second groupe

206 THÉORIE PURE DU DROIT

de qualifications est celle qui concerne le mode de désigna-tion de l'organe : l'ordre juridique déterminant la façon dont1' « organe » doit être désigné. Cette désignation, ou investi-

ture, peut être soit directe, soit indirecte. Elle est directe

lorsque la Constitution, ou une loi, ou une norme coutu-mière désigne un homme individuellement déterminé et dis-

pose que telle fonction sera remplie par cet individu et ne

pourra être remplie que par lui. On peut citer l'exemple dela première Constitution historique d'un Etat qui dispose-rait que sera chef de l'Etat X... ou Y..., ou que sera Assem-blée constituante le collège formé des hommes qui se sontréunis un certain jour en un certain lieu et qui auront

adopté cette Constitution.La désignation est indirecte lorsqu'elle requiert un acte

défini par la Constitution, par la loi ou par le droit coutu-

mier, — tel que nomination, élection, tirage au sort —, et

qui individualise la norme générale qui règle la procédurede désignation, c'est-à-dire un acte par lequel tels ou telsindividus déterminés par l'ordre juridique confèrent qua-lité d'organe à un homme individuellement déterminé, end'autres termes : créent l'organe. Mais il y a égalementcréation d'organe dans le cas de désignation directe, —

seulement « auto-création », « auto-investiture » : en assu-mant les fonctions de chef de l'Etat, l'individu que laConstitution y appelait s'institue lui-même, conformémentà celle-ci, comme l'organe qu'elle prévoyait; en votant cette

Constitution, l'assemblée prévue dans la Constitution s'ins-titue elle-même comme l'Assemblée constituante prévue parcette Constitution.

On rencontre déjà un minimum de spécialisation dansces ordres juridiques primitifs qui disposent que certaines

fonctions, telles que la constatation des délits et l'exécutiondes sanctions prévues ne seront pas remplies par l'un quel-conque des sujets de l'ordre, mais seulement par des hommes

ayant atteint un certain âge; et de même si, d'après l'ordre

juridique en vigueur, la naissance d'une coutume créatricede droit n'exige pas une conduite concordante de tous les

sujets de l'ordre sans distinction, mais peut résulter déjàde la conduite de la majorité des sujets ayant la capacitéd'action; de même encore avec les droits positifs selon les-

quels seuls les hommes qui ont atteint un âge minimumet qui sont intellectuellement normaux peuvent régler paractes juridiques leurs relations économiques réciproques.Cependant, d'après le langage courant chez les juristes, ce

STATIQUE DU DROIT 207

minimum de division du travail auquel aucun ordre juri-dique ne peut renoncer, même pas le plus primitif, ne suffit

pas à conférer aux individus habilités à la fonction la qua-lité d'organes, à permettre d'attribuer leur fonction à la col-

lectivité. Si l'on examine cet usage terminologique, et sil'on se demande sur quel critérium il se fonde pour admettre

qu'une fonction soit attribuée à la collectivité juridique entant que fonction d'organe, on discerne la tendance à n'at-tribuer une fonction à la collectivité, à ne qualifier l'individu

qui preste cette fonction d'organe de cette collectivité quesi cet individu est désigné pour la fonction, directement ouindirectement.

Lorsque les normes générales d'un ordre juridique tech-

niquement primitif ne sont pas créées par un organe légis-latif, mais par voie de coutume, et ne sont pas appliquéespar des tribunaux, mais par les individus lésés dans leursdroits eux-mêmes, les individus qui fondent par leur con-duite la coutume créatrice de droit et les individus quiappliquent les normes de droit coutumier ne sont pas consi-dérés — comme on l'a déjà noté — comme des « organes »,leurs fonctions ne sont pas attribués à la collectivitée juri-dique. On dit que le droit est créé et appliqué par les indi-vidus soumis à l'ordre juridique eux-mêmes. D' « organes »de la création de normes générales et d' « organes » de l'ap-plication du droit, on ne parle que lorsqu'un individu ouune assemblée sont désignés pour légiférer, ou lorsque cer-tains individus sont désignés pour appliquer le droit en

qualité de juges, de membres d'un tribunal. Dans l'un etdans l'autre cas, on a affaire exactement aux mêmes fonc-tions de création du droit ou d'application du droit. Maisc'est seulement dans le second cas que les individus quiremplissent ces fonctions y sont appelés par un acte parti-culier. Le langage juridique usuel apparaît d'une façonparticulièrement claire lorsqu'il porte sur un ordre juridiquehautement développé du point de vue technique qui connaîtun Parlement ou un chef d'Etat élus par le peuple. Sup-posons que la Constitution dispose que tout national desexe masculin, intellectuellement sain et qui n'a pas subide condamnation pénale, a le droit de suffrage. L'électiondu Parlement ou du chef de l'Etat est une opération decréation d'un organe de création du droit, elle est doncessentiellement partie constitutive d'une procédure de créa-tion du droit; elle représente par conséquent éminemmentune fonction juridique au sens strict du terme. Or on qua-

208 THÉORIE PURE DU DROIT

lifie bien le Parlement élu et le chef d'Etat élu d'organesde l'Etat, mais non les électeurs; on qualifie bien la fonc-

tion du Parlement, de même que celle du chef d'Etat, de

fonctions étatiques, mais on ne qualifie pas ainsi la fonction

des électeurs, l'élection des deux organes étatiques. On dit

sans doute que l'Etat légifère, lorsque le Parlement vote

des lois; comme on dit que l'Etat émet des ordonnances

ou règlements—

par l'action du chef de l'Etat; mais on

ne dit pas que l'Etat élit le Parlement; et cependant, eu

égard au contenu de la fonction prévue dans l'ordre juri-

dique, les électeurs pourraient être considérés comme organes

étatiques non moins que le Parlement ou le chef de l'Etatélus par eux; on pourrait attribuer à la collectivité juri-

dique, à l'Etat, la fonction des électeurs prévue dans l'ordre

juridique, aussi bien que les fonctions du Parlement ou les

fonctions du chef de l'Etat. En quoi consiste donc la diffé-

rence entre la fonction de l'électeur et celle de l'organeélu ? Elle se trouve uniquement en ce point que, pour être

électeur, il suffit de satisfaire à certaines conditions natu-

relles, — telles que condition de sexe, condition d'âge, condi-

tion de santé mentale —, alors que, pour remplir les fonc-

tions de membre du Parlement ou de chef de l'Etat, il faut

être appelé à sa fonction par un acte particulier. Telle est

aussi manifestement la raison pour laquelle les actes juri-

diques accomplis par les individus habilités à cet effet,c'est-à-dire les normes juridiques individuelles ou géné-rales créées par voie d'actes juridiques infra-législatifs (con-trats, testament, etc.) ne sont pas considérées comme posées

par la collectivité; on estime tout au contraire que les indi-

vidus qui remplissent cette fonction agissent, ce faisant,comme « personnes privées », alors que cependant l'on incline

à admettre que tout droit est (abstraction faite du droit

international) droit étatique, et que par suite, si l'on était

conséquent, on devrait considérer les individus qui accom-

plissent des actes juridiques infra-législatifs comme étant

eux aussi des organes étatiques; et c'est encore pour la

même raison que lorsqu'une procédure juridictionnelle doit

être déclenchée par un acte concret, qui émane soit d'un

magistrat, soit d'un « simple particulier », on parlera dans

le premier cas de l'initiative d'un organe de l'Etat, le minis-

tère public,— accusateur public dans les procès criminels —,

dans le second cas, au contraire, de l'acte d'un demandeur

ou plaignant privé, en dépit du fait que la fonction des

deux personnes soit pour l'essentiel exactement la même;

STATIQUE DU DROIT 209

et c'est enfin pour cette raison encore et toujours que l'on

ne présente pas le droit international créé par la coutume

des Etats et par les traités internationaux, comme un droit

créé par la communauté internationale, mais simplementcomme un droit créé par les sujets de l'ordre juridique inter-

national, les Etats, et que l'on ne considère pas ces Etats

dans leur fonction soit de création soit d'application du

droit, comme des organes de la communauté internatio-nale.

Cette notion de l'organe, qui prend pour critérium, en

dehors de certaines qualités naturelles très généralement

exigées, telles que âge, sexe, santé physique ou morale, le

fait d'un acte d'investiture particulière de la fonction —,directe ou indirecte, n'est pas la seule dont se serve le lan-

gage juridique usuel. Il recourt à une seconde notion dont lecritérium résulte de l'adjonction aux éléments précédentsd'un élément supplémentaire, un certain statut personnelde l'individu qui exerce la fonction considérée. On appellel'individu qui répond à ces caractères : « fonctionnaire ».On recherchera par la suite en quoi consiste exactementcette nouvelle donnée, ce statut personnel du « fonction-naire » (1). Quoi qu'il en soit, selon ces vues, il y aurait des

organes étatiques fonctionnarisés et des organes étatiquesnon-fonctionnarisés. Ainsi, les membres élus d'un corpslégislatif sont des organes étatiques, mais ce ne sont pasdes fonctionnaires étatiques. Et l'on notera que l'on attri-bue à l'Etat, et considère comme des fonctions étatiqueslorsqu'elles sont remplies par des « fonctionnaires de l'Etat »,non pas seulement des fonctions juridiques au sens étroitdu terme, les fonctions de création du droit et d'applicationdu droit, mais aussi des fonctions d'obéissance au droit (1).Ce sont des fonctions de tous ordres qui formentle contenu des obligations de service imposées à cesfonctionnaires. Elles jouent un rôle important à l'inté-rieur de la fonction étatique qualifiée d'administration

étatique (2).Si la notion de division du travail ou spécialisation fonc-

tionnelle signifie que certaines fonctions ne peuvent pasêtre remplies par n'importe quel individu, et par consé-

quent pas par tous les individus soumis à l'ordre normatif,mais seulement par des individus déterminés présentant

(1) Cf. infra, p. 391.(2) Cf. infra, p. 349_sqq

210 THÉORIE PURE DU DROIT

certaines qualités définies par cet ordre et, si précisémenten raison de ces données, la fonction est considérée commerelativement centralisée, division du travail (spécialisation)et centralisation relative coïncident (1). Dans le langageusuel, seules les fonctions relativement centralisées sontattribuées à la collectivité, seuls les organes relativementcentraux sont qualifiés d'organes de la collectivité, seulesdes collectivités relativement centralisées sont qualifiées decollectivités « organisées ».

Quand on aborde cette théorie des organes de la collec-tivité en général, et en particulier des organes étatiques,il ne faut pas cesser d'affirmer et réaffirmer qu'elle met en

jeu, pour une très grande part, une simple question de ter-

minologie ou d'usage des mots et que cet usage n'est sur ce

point pas très conséquent. Et une raison non négligeable enest le fait que l'attribution à la collectivité fondée par unordre juridique d'une fonction prévue dans cet ordre estune opération intellectuelle simplement possible, absolu-ment pas une opération nécessaire. Il est loisible de quali-fier l'individu qui remplit une fonction d'organe de la col-lectivité juridique, mais il n'y a à cela aucune nécessité;et cela veut dire que l'on peut, si on le veut, attribuer lafonction à la collectivité, la porter à son compte, mais

qu'on peut aussi bien s'abstenir de le faire. Le contenu

positif du droit peut parfaitement être décrit sans recourirà l'aide de cette opération intellectuelle. Une chose seule-ment importe pour la connaissance scientifique du droit :c'est de saisir l'essence de l'attribution des fonctions à lacollectivité juridique, et de saisir par là même en quoiconsiste l'essence de la qualité d'organe.

31—LA CAPACITÉ DE DROIT; LA REPRÉSENTATION.

La théorie juridique traditionnelle appelle capacité de

droit (Rechtsfâhigkeit) la faculté d'un sujet d'avoir des droitset des obligations juridiques, d'être sujet de droits ou d'obli-

gations. Elle expose que, d'après le droit moderne, toutêtre humain pourrait être ainsi sujet de droits et d'obli-

gations; il n'existerait plus d'hommes incapables de droits,comme l'étaient les esclaves. Par contre, tout homme n'au-rait pas nécessairement la capacité d'action (Handlungsfà-higkeit). Les enfants et les aliénés ne la posséderaient pas.

(1) Sur le problème de la centralisation et de la décentralisation,cf. infra, p. 412 sqq.

STATIQUE DU DROIT 211

En conséquence, le droit moderne leur donnerait des repré-sentants légaux, qui ont à exercer pour eux leurs droits,à exécuter leurs obligations à leur place, et à créer poureux, par actes juridiques, des obligations et des droits.

D'après cette théorie, capacité de droit et capacité d'action

sont donc deux choses distinctes.

Mais la théorie ne résiste pas à une analyse critique. Si— selon l'idée admise et exposée dans les pages précédentes— un individu n'est obligé juridiquement à une certaineconduite que si la conduite contraire de sa part est la condi-tion d'une sanction dirigée contre lui ou contre un de ses

proches, il s'ensuit qu'il n'est capable d'obligations que s'il

est capable d'action et, plus précisément capable de délits.

Or, les enfants et les aliénés ne sont pas capables de délits,— ni par conséquent capables d'obligations. Leur conduitene donne pas lieu à sanction. Si la conduite d'un enfant oud'un aliéné provoque la mort d'un tiers, ni eux-mêmes ni

quiconque n'est puni « en raison de » cette conduite, mêmesi elle a été intentionnelle. Ni l'enfant, ni l'aliéné, ni qui quece soit n'est rendu responsable de cette action. Si l'on sup-pose cependant que, dans le cas où un enfant a causé lamort d'une autre personne, le père encourt une peine, cen'est pas à raison du meurtre qu'il l'encourt; l'infraction

pénale pour laquelle il est puni n'est pas le meurtre, maisl'inexécution de son obligation de surveiller son enfant etde l'empêcher ainsi d'agir de façon socialement nuisible.L'acte qui constituerait le crime de meurtre s'il avait

pour auteur un individu ayant la capacité d'action n'a

pas cette qualité lorsqu'il est le fait d'un enfant ou d'unaliéné. L'enfant et l'aliéné n'ont pas les obligationsjuridiques que fondent les sanctions pénales, parce queleurs actes ne conditionnent pas une sanction pénale,parce qu'ils ne peuvent pas agir d'une façon telle queleur conduite provoque une sanction pénale, parce qu'ilsn'ont pas la capacité délictuelle et en ce sens la capacitéd'action.

Cependant, l'analyse qui précède semble ne pas valoir

pour les délits sanctionnés par une peine pécuniaire ou parl'exécution forcée civile. Car ces sanctions consistent dansle retrait par contrainte de valeurs patrimoniales, en parti-culier d'objets de propriété; et d'après la théorie tradi-

tionnelle, l'incapable d'action peut avoir des droits patri-moniaux, et en particulier être propriétaire. Il ne seraitsans doute pas capable d'action, il serait par contre capable

212 THÉORIE PURE DU DROIT

de droits. C'est ainsi que, d'après cette théorie, un enfant

ou un aliéné peut être propriétaire d'une maison et des

objets d'installation qui s'y trouvent, tels que meubles,

tableaux, argenterie, etc.; lorsque l'impôt foncier attaché

à la propriété de la maison n'est pas payé, il peut être pro-cédé à exécution forcée sur le patrimoine qui est la

propriété de l'incapable d'action. On pourrait conclure de là

que l'incapable d'action, s'il peut être sujet de droits patri-

moniaux, est également sujet de l'obligation de payer l'im-

pôt foncier. En vertu de la même argumentation, on pour-rait considérer l'incapable d'action, s'il peut être de façon

générale sujet de droits patrimoniaux, comme sujet de toutes

les obligations juridiques sanctionnées par l'exécution forcée

civile. Mais ce sont là des thèses erronées : comme on l'a

déjà affirmé, seul est sujet d'une obligation juridique l'in-

dividu qui peut par sa conduite exécuter cette obligationou la violer; or, l'obligation ici envisagée n'est exécutée ou

violée que par le représentant légal, d'où il suit que le sujetde l'obligation est ce représentant légal, et non le sujet

incapable d'action. Du fait que l'incapable d'action peutêtre sujet de droits patrimoniaux, on pourrait seulement

conclure qu'il peut être rendu responsable de la violation

d'obligations patrimoniales ; et, dans la mesure où c'est son

représentant légal qui peut disposer de son patrimoine, il

s'agirait d'une responsabilité portant exclusivement sur le

patrimoine, non sur la personne. Si l'on admet que les

individus incapables d'action ne peuvent pas être sujetsd'une obligation juridique, et si l'on admet en outre que les

individus sont sujets d'une obligation patrimoniale lorsqu'ilsdoivent acquitter cette obligation à l'aide des biens de

leur propre patrimoine, qu'ils ne le sont par contre pas

lorsque l'exécution de l'obligation s'opère au moyen du

patrimoine d'autrui, il s'ensuit que l'on rejette l'idée de

considérer le représentant comme sujet de l'obligation en

cause, parce qu'il doit exécuter cette obligation, cette obli-

gation patrimoniale, non sur son propre patrimoine, mais

sur le patrimoine que la théorie traditionnelle considère

comme le patrimoine de l'incapable représenté par lui. On

aurait alors affaire à une obligation sans sujet, pour l'inexé-

cution de laquelle le représentant légal à qui appartientla disposition du patrimoine et contre lequel par suite se

dirige l'acte de contrainte, ne répondrait que sur sa per-sonne et non sur son patrimoine. Mais la théorie tradi-

tionnelle n'accepte pas ce point de vue : elle se refuse à

STATIQUE DU DROIT 213

considérer le représentant comme sujet d'une obligation

qu'il aurait à exécuter sur le patrimoine de l'incapable d'ac-tion et qu'il pourrait violer en ne l'exécutant pas; d'autre

part, elle cherche à éviter l'idée d'une obligation sans

sujet (1). Elle considère donc comme sujet de l'obligationen cause l'incapable d'action, c'est-à-dire qu'elle lui attri-

bue cette obligation. L'obligation qui a pour contenu un

acte du représentant est attribuée à l'incapable d'action

qu'il représente parce qu'elle doit être, en tant qu'obliga-tion patrimoniale, acquittée sur un patrimoine qui est, selonla théorie traditionnelle, le patrimoine de l'incapable d'ac-

tion, et non le patrimoine de son représentant, et parcequ'en cas d'inexécution la sanction a lieu contre ce dernier

patrimoine. En supposant admise cette idée que le patri-moine en question est le patrimoine de l'incapable d'action,cela signifie que le représentant a à exécuter l'obligation encause pour celui-ci, c'est-à-dire dans son intérêt; car enexécutant l'obligation, le représentant évite que des biensne soient soustraits de force du patrimoine qui est considérécomme appartenant à l'incapable d'action. Par conséquent,la possibilité de considérer l'obligation comme pesant sur

l'incapable d'action repose sur la possibilité de considérercet incapable comme titulaire de droits.

Mais, sur la base de la définition que nous avons donnéedu droit subjectif

— le pouvoir juridique, c'est-à-dire lafaculté que l'ordre juridique confère à un individu de fairevaloir par une action en justice l'inexécution d'une obliga-tion juridique qu'un autre individu a envers lui —, l'inca-

pable d'action ne peut pas avoir de droit subjectif, puisqu'iln'a pas cette capacité d'action. Seul son représentant légala cette capacité. C'est à lui que l'ordre juridique confèrece pouvoir juridique, et non à l'enfant ou à l'aliéné. Maisce qu'il y a, c'est que ce représentant légal a l'obligationd'exercer ce pouvoir juridique dans l'intérêt de l'incapablequ'il représente. S'il s'agit de droits de propriété, les obli-

gations dont la violation pourrait être invoquée par actionen justice intentée par le représentant légal sont des obliga-tions à l'égard du représentant légal à qui appartient la

disposition de la chose objet de propriété. Tous les autresindividus sont obligés de supporter cette disposition, c'est-

(1) Dans la doctrine traditionnelle, on n'évoque en général que laquestion de savoir s'il peut exister des droits sans sujet. Cf. infra,p. 215.

214 THÉORIE PURE DU DROIT

à-dire ne pas l'empêcher ou ne pas y porter atteinte en

aucune façon. Mais le représentant légal a l'obligation de

ne disposer de la chose que dans l'intérêt de l'incapabled'action qu'il représente, c'est-à-dire, en particulier, de lais-

ser à cet incapable l'usage et la consommation de la chose,dans la mesure où ce dernier est en état d'en profiter. S'il

existe un droit de créance comme effet réflexe d'une obli-

gation de prestation, c'est entre les mains du représentant

légal que la prestation doit avoir lieu, mais il est tenu de

faire bénéficier de la prestation l'incapable d'action qu'il

représente. C'est en considération de ces limitations impo-sées au représentant légal que la théorie traditionnelle ne

veut pas considérer celui-ci comme le sujet des droits en

question, mais attribue ces droits à l'incapable d'action.

Certes si l'on définit la notion de droit subjectif, non comme

un pouvoir juridique, mais comme un intérêt juridiquement

protégé, on peut, sans aucune attribution fictive, considérer

l'incapable d'action, dans l'intérêt de qui le représentant

légal exerce le pouvoir juridique qui lui est confié, comme

sujet du droit et par suite comme capable de droits. Mais

on a dit pourquoi la définition du droit subjectif que pré-

suppose cette conception— un intérêt juridiquement pro-

tégé— n'est pas acceptable.

Si l'on s'en tient fermement à l'idée que seul peut être dit

juridiquement obligé à une certaine conduite l'individu qui

peut violer l'obligation par sa propre conduite contraire et

exécuter l'obligation par sa propre conduite conforme, et

que par suite il doit nécessairement s'agir d'un individu

capable d'action; si l'on maintient en outre que le droit

subjectif ne peut, étant un pouvoir juridique spécifique,

appartenir qu'à un capable d'action, la situation que l'on

analyse se laisse décrire sans aucune attribution fictive en

disant que les obligations et les droits considérés sont des

obligations et des droits du représentant légal, que celui-ci

doit ou exécuter ou exercer dans l'intérêt de l'incapable

qu'il représente. De même nature sont les obligations et

les droits qui sont créés par les actes juridiques que le repré-sentant légal fait, en vertu du pouvoir juridique qui lui est

conféré, pour l'incapable d'action représenté par lui. Si l'on

refuse de voir dans les obligations et les droits en questiondes obligations et des droits du représentant, en raison de

la limitation que la loi lui impose de les exécuter ou de les

exercer dans l'intérêt de l'incapable d'action représenté par

lui, on ne peut les considérer que comme des obligations et

STATIQUE DU DROIT 215

des droits sans sujet (1). C'est précisément pour échapperà cette conséquence que la théorie traditionnelle les attribue

à l'incapable d'action. Cette attribution à l'incapable d'ac-tion des obligations à exécuter et des droits à exercer parle représentant légal, qui est l'essence de la représentation

légale, constitue une opération intellectuelle tout à fait

analogue à celle par laquelle on attribue à une collectivité

une fonction remplie par un individu, qui est prévue parl'ordre juridique qui fonde la collectivité. Les deux attri-butions se distinguent uniquement par le fait que la secondea lieu à une collectivité —

qui est par là personnalisée —,alors que la première a lieu à un autre individu.

Représentation légale et qualité d'organe sont des notions

apparentées. Un certain individu est considéré comme organed'une collectivité parce que l'on décrit la situation comme

(1) Le problème des droits sans sujet s'est posé en particulier dansle cas de l'hérédité jacente. D'après le droit successoral romain, lesdroits qui formaient le patrimoine du défunt ne passaient dans lepatrimoine de l'héritier testamentaire que par et après une déclara-tion de volonté de ce dernier tendant à cet effet. L' « hérédité jacente(hereditas jacens) », c'est-à-dire les droits patrimoniaux pendant lapériode comprise entre la mort du testateur et la déclaration devolonté de l'héritier, était considérée par beaucoup comme sansmaître, c'est-à-dire comme un ensemble de droits sans sujet. Pour main-tenir l'idée qu'ilne pouvaitpas y avoir un droit sans sujet, on interprétaitla situation en disant que la succession portait en elle-même la per-sonne du de cujus (hereditas personam defuncti sustinet) (Dernburg,Pandekten, III, § 61). C'est-à-dire qu'était sujet des droits patrimo-niaux qui formaient la succession le de cujus, le défunt, qui n'existaitplus. Il s'agissait là d'une fiction typique fabriquée par la théoriejuridique. Il n'existe pas à proprement parler ici de droits sans sujet,mais seulement des droits dont le sujet n'est pas un individu déjàdéterminé, mais un individu qui devra tout d'abord être déterminé,à l'égard duquel les obligations identiques aux droits-réflexes existe-ront et qui aura le pouvoir juridique de faire valoir l'inexécution deces obligations par voie d'action en justice. Pas davantage les obli-gations patrimoniales du défunt qui passent à l'héritier pendant cettepériode intermédiaire ne sont-elles des obligations sans sujet; ce sontdes obligations d'un individu qu'il faut d'abord déterminer. Quel'individu soit déjà déterminé ou qu'il doive d'abord être déterminé,cela ne fait aucune différence pour la question décisive : à savoir s'ils agit d'obligations à l'égard d'un individu déterminé individuelle-ment, d'obligations pesant sur un individu déterminé, et d'un pouvoirjuridique à exercer par un individu déterminé. Cet individu est entout cas déterminé par l'ordre juridique. Le fait que l'élément per-sonnel de la conduite qui forme le contenu de l'obligation ou du droitne vienne à détermination qu'après que l'élément matériel est, lui,déjà déterminé, n'a pas d'importance pour la question de savoir si cesobligations et ces droits ont un « sujet ».

216 THÉORIE PURE DU DROIT

si la collectivité exerçait la fonction qui dans la réalité

est remplie par cet individu. Un certain individu est consi-

déré comme représentant de l'incapable d'action, parce quel'on décrit la situation comme si c'était l'incapable d'action

qui pouvait, non pas sans doute par lui-même, mais du

moins par ce « représentant », exécuter des obligations,c'est-à-dire réaliser une conduite qui évite une sanction,un acte de contrainte dirigé contre le patrimoine dont on le

présente comme le titulaire; ou encore comme s'il pouvait

exercer, non pas lui-même, mais par l'intermédiaire de l'in-

dividu habilité à cet effet, ce pouvoir juridique par lequelon fait valoir l'inexécution de ces obligations qui sont iden-

tiques aux droits-réflexes qui composent l'actif du patri-

moine; et enfin, comme s'il pouvait faire, non pas lui-même,mais par l'intermédiaire de son représentant légal, des actes

juridiques créateurs d'obligations et de droits, qui seraient

ses obligations et ses droits à lui. Tout de même que la

description de la situation dans le cas de la qualité d'organe,cette description de la situation analysée, qui exprime l'es-

sence de la représentation légale, repose sur une fiction : la

fiction de l'attribution. Car, de même que c'est l'individu

qualifié d'organe— et non la collectivité —, c'est le repré-

sentant légal— et non l'incapable d'action —

qui réalise

la conduite juridiquement relevante. C'est seulement à

l'aide de la fiction d'attribution que la collectivité peut être

considérée comme une personne agissante, et que l'incapabled'action peut être présenté comme capable d'action, et

par suite comme capable de droits, c'est-à-dire comme sujet

d'obligations et de droits.

A côté de la représentation légale des incapables d'action,on trouve également une représentation conventionnelle

d'individus capables d'action. Elles diffèrent en ceci : alors

que la première joue en vertu de la loi, directement et obli-

gatoirement— le père de l'enfant ou un tuteur désigné par

une autorité ont à remplir pour le compte de l'incapabled'action la fonction appelée représentation —, la seconde

est créée facultativement et volontairement par un acte

juridique dans lequel un individu capable d'action habilite

un autre, c'est-à-dire lui donne les pouvoirs nécessaires pourexécuter pour lui certaines obligations, ou pour exercer pourlui certains droits, et en particulier pour créer par voie d'actes

juridiques des obligations et des droits. En ce qui concerne

cette dernière opération, la conclusion d'actes juridiques,on distingue parfois entre représentation directe et repré-

STATIQUE DU DROIT 217

sentation indirecte : on parle de représentation indirecte

lorsque les obligations et les droits qui apparaissent parl'effet de l'acte juridique sont d'abord obligations et droits

de celui qui a reçu pouvoir,— disons : du mandataire — et

doivent être transférés au moyen d'actes juridiques ulté-

rieurs sur la tête de celui qui a donné les pouvoirs,— nous

dirons : sur la tête du mandant. A vrai dire, cette notion

est critiquable; car il n'y a en réalité, en ce cas, nullement

représentation au sens spécifique, parce qu'il n'y a abso-

lument pas attribution de l'acte juridique, ni des obligationset droits créés par l'acte. L'acte juridique est bien considéré

comme accompli par le mandataire, et non par le mandant,et les obligations et les droits créés par l'acte ne sont pasattribués fictivement au mandant, mais lui sont effective-ment transférés. On parle de représentation directe lorsquele droit attribue aux actes juridiques faits par un individuen vertu et exercice d'un pouvoir des conséquences juri-

diques immédiates pour celui qui a donné le pouvoir, detelle sorte que seul il peut soit exécuter, soit violer les obli-

gations créées par ces actes juridiques, comme seul il peutexercer les droits créés par ces actes. Il n'y a ici véritable-ment représentation au sens spécifique que si l'on décrit lasituation comme si le mandant agissait par l'intermédiairedu mandataire. Mais si l'on rejette une telle attributioncomme fictive, il ne faudrait pas non plus parler de repré-sentation, mais d'actes juridiques, en particulier de contrats,à la charge ou au profit d'autrui. Un acte juridique à la

charge ou au profit d'autrui est un acte juridique qui créedes obligations et des droits de personnes autres que celles

qui font l'acte, qui y sont parties. Mais pour qu'il puisse enaller ainsi, il faut que le tiers obligé ou bénéficiaire ait lui-même la capacité d'action. Mais dès lors, il n'existe enréalité dans ce cas rien qui dût inciter à recourir à l'attri-bution comme dans le cas de la représentation légale;puisqu'en effet dans ce dernier cas, on ne procède à l'attri-bution fictive au sujet qui n'a pas la capacité d'action quepour faire paraître celui-ci comme capable de droits en dépitde son incapacité d'action.

32. — LE RAPPORT DE DROIT.

On admet traditionnellement que la notion de rapport dedroit est étroitement liée aux notions d'obligation juridique

15. THÉORIEPUREDUDROIT.

218 THÉORIE PURE DU DROIT

et de droit (au sens subjectif large). On définit le rapport dedroit comme un rapport entre des sujets de droit, c'est-à-dire entre le sujet d'une obligation juridique et le sujetdu droit correspondant, ou encore — ce qui n'est pas lamême chose — comme le rapport entre une obligation juri-dique et le droit correspondant (les mots « obligation » et« droit » doivent être entendus ici comme le fait la doctrine

traditionnelle).Que l'obligation et le droit correspondent l'un à l'autre,

cela signifie que le droit est un réflexe de l'obligation, quele rapport existe entre deux individus dont l'un est obligéà une certaine conduite envers l'autre. Il s'agit dans les deuxcas d'un rapport fondé par l'ordre juridique. Mais si ce

rapport est compris comme un rapport entre des individus,la définition traditionnelle est trop étroite. Car l'ordre juri-dique fonde des rapports, non seulement entre sujets dedroit (au sens traditionnel du terme), c'est-à-dire entre unindividu qui est obligé à une certaine conduite et l'individuenvers lequel il y est obligé, mais également entre un indi-vidu qui est habilité à créer une norme et un individu quiest habilité à l'appliquer, de même qu'entre un individu

qui est habilité soit à créer soit à appliquer une norme etl'individu qui est obligé ou investi d'un droit par cettenorme. De tels rapports de droit existent par exemple entreles individus habilités à la création de normes générales etceux qui sont habilités à leur application,

— ainsi entre

l'organe législatif et les tribunaux ou les autorités adminis-

tratives; mais également entre ceux-ci et les sujets obligésou les sujets investis d'un droit par les normes créées et

appliquées par ces organes; mais également encore entre les

individus habilités à l'exécution des actes de contrainte et

les individus contre lesquels ces actes de contrainte sont

dirigés.La doctrine traditionnelle distingue des rapports de droit

privé et des rapports de droit public, et elle voit la diffé-rence entre les deux catégories dans le fait que les pre-mières représenteraient des rapports entre personnes égales,les secondes des rapports entre un supérieur et un inférieur ou

des inférieurs, parce qu'entre l'Etat et ses sujets; il est

manifeste que la donnée à quoi elle pense est que, dans les

« rapports de droit privé », il s'agit d'un rapport entre le

sujet d'une obligation juridique et le sujet du droit corres-

pondant, alors que dans « les rapports de droit public »,il s'agit du rapport entre un individu habilité à la création

STATIQUE DU DROIT 219

ou à l'application d'une norme juridique et un individu

que cette norme juridique oblige ou investit d'un droit.

Comme on a déjà eu l'occasion de le relever, il est possible

que des individus habilités à la création ou à l'applicationde normes juridiques soient juridiquement obligés d'exercer

leurs pouvoirs et soient ainsi, eux aussi, des sujets de droit

(au sens traditionnel) ; cela est possible, mais cela n'est nul-

lement nécessaire, et même, pour certains organes, ce n'est

jamais le cas,— ainsi pour les organes législatifs. Quand

c'est le cas, les rapports entre ces organes et les individus

obligés ou investis d'un droit par les normes qu'ils créent

ou qu'ils appliquent sont sans doute eux aussi des rapportsentre sujets de droit; mais ce sont en première ligne des rap-

ports entre sujets d'obligation : les sujets de l'obligationde créer ou d'appliquer des normes juridiques, et les sujetsdes obligations créées par ces normes; et ce n'est qu'enseconde ligne qu'ils sont rapports entre les sujets de l'obli-

gation de créer ou d'appliquer des normes juridiques et les

sujets des droits créés par ces normes; et ces droits ne sont

pas les effets réflexes des obligations des organes qui ontà créer ou à appliquer des normes, mais les effets réflexesdes obligations qui sont statuées par ces normes. Dans ce

cas, il ne peut pas non plus être question d'un rapport de

supériorité et subordination, étant donné qu'en leur qua-lité de sujets d'une obligation de créer ou d'appliquer lesnormes juridiques, les titulaires du pouvoir de ce faire sontau même niveau que les sujets des obligations et droitsfondés par ces normes. Cette forme s'applique en particulieraux rapports dans lesquels

—pour suivre la présentation

usuelle — l'Etat se trouve, en tant que sujet d'un acte

juridique infra-législatif, par exemple en tant qu'acheteurou que vendeur, en face d'une personne privée ; en d'autrestermes : lorsque l'acte juridique de l'un des deux individus

qui font l'acte juridique, et l'obligation créée par cet acte,ou le droit-réflexe, sont également attribués, pour une rai-son quelconque, à l'Etat en tant que personne juridique.En toute hypothèse, on ne pourrait considérer des individuscomme supérieurs à ceux qui sont obligés ou investis d'undroit par les normes créées ou à appliquer par eux que sion les envisage dans l'exercice de ce pouvoir juridique decréer ou d'appliquer des normes. Mais cette idée elle-mêmeest critiquable : en vérité, ce qui est « supérieur » aux indi-vidus obligés et investis de droits par des normes juridiques,ce sont les normes qui statuent ces obligations et ces droits,

220 THÉORIE PURE DU DROIT

ce ne sont pas les individus qui créent ou qui appliquentces normes, étant donné que ceux-ci sont bien eux-mêmessubordonnés à l'ordre juridique, plus précisément aux normes

juridiques qui les habilitent à leur fonction. Et à ce propos,il convient de rappeler que, lorsque l'on présente des indi-vidus comme « subordonnés » aux normes de l'ordre juri-dique, les normes de l'ordre juridique comme « supérieures »aux individus, on fait usage d'une image spatiale qui exprimetout simplement cette donnée que les normes de l'ordre

juridique portent sur la conduite de ces individus, par pres-cription, habilitation, ou permission positive. C'est si l'on

prend cette image spatiale à la lettre qu'il semble existerun rapport entre l'ordre juridique et les individus dont sesnormes règlent la conduite. Alors qu'entre une norme etla conduite humaine qui en fait l'objet, il ne peut y avoiraucun rapport, étant donné que la norme forme avec son

objet ou contenu une unité indissoluble.

Une connaissance qui prend pour objet le droit — c'est-à-dire des normes juridiques

— n'a pas non plus affaire àdes rapports entre des individus, mais uniquement à des

rapports entre normes juridiques— créées sans doute ou

appliquées par des individus —, ou entre des faits ou situa-tions définis par des normes juridiques, et dont la conduitehumaine ne représente qu'un cas particulier, spécialement

important sans doute. Car ce ne sont pas les individus, cene sont pas des hommes qui forment le contenu des normes

juridiques, ce sont leurs actions et leurs abstentions d'in-

dividus, c'est une certaine conduite humaine; et encoren'est-ce pas uniquement cette conduite, mais ce sont égale-ment d'autres faits, en tant, il est vrai, seulement en tant qu'ilssont en rapport avec la conduite humaine. C'est bien cette

vue que l'on exprime, jusqu'à un certain point tout au

moins, lorsque l'on définit le rapport de droit, non commeun rapport entre sujet d'obligation et sujet de droit, mais

comme un rapport entre une obligation juridique et le droit-

réflexe qui y correspond. Mais précisément là, on n'a pasaffaire à un rapport de droit, c'est-à-dire à un rapport entredeux phénomènes distincts et juridiquement relevants. Car,ainsi qu'on l'a déjà expliqué en un autre passage, on donneune analyse exhaustive des faits juridiquement relevantsen décrivant la conduite rendue obligatoire comme le con-

traire de la conduite qui conditionne une sanction; la pro-

position que quelqu'un a un droit, un droit-réflexe, à ce

qu'un autre adopte à son égard la conduite déclarée obli-

SATTIQUE DU DROIT 221

gatoire signifie uniquement que cet autre est obligé à se

conduire d'une certaine façon à son égard. C'est-à-dire quece droit-réflexe du premier est purement et simplementidentique à l'obligation de l'autre de se conduire d'une cer-

taine façon à l'égard du second; en d'autres termes, la notion

de droit-réflexe est superflue. Le droit-réflexe est purementet simplement l'obligation juridique, et rien d'autre, —

l'obligation juridique envisagée du point de vue de celui à

l'égard duquel l'obligation doit être exécutée. En consé-

quence, il ne peut absolument pas être question d'un rap-

port entre l'obligation juridique et le droit-réflexe qui ycorrespond.

Un rapport de droit entre deux individus, plus exactemententre la conduite de deux individus réglée par des normes

juridiques se rencontre au contraire dans le cas des droits

subjectifs au sens spécifique du terme, c'est-à-dire dans lecas où l'ordre juridique confère à un individu à l'égardduquel un autre individu est obligé de se conduire d'unecertaine façon le pouvoir juridique d'intenter une demandeen justice qui déclenche une procédure conduisant à lanorme individuelle que posera le tribunal, et qui ordonnerala sanction prévue par la norme générale contre celui dontla conduite est contraire à ses obligations. Alors il existebien un rapport de droit entre l'individu titulaire de ce

pouvoir et l'individu sujet de l'obligation. Mais ce rapportn'est rien d'autre que la relation entre une conduite, l'exer-cice de ce pouvoir juridique, la demande en justice, et uneautre conduite, le délit, contre lequel la sanction est dirigée;c'est la relation entre deux faits qui apparaissent dansl'ordre juridique comme des conditions de la sanction. C'estlà le rapport de droit typique, celui que la doctrine tradi-tionnelle qualifie de rapport de droit privé. Mais en vérité,ce rapport entre le titulaire du pouvoir d'agir en justiceet le sujet d'obligation contre lequel la demande est diri-

gée est aussi rapport de droit public, si l'on admet que ladistinction entre rapports de droit public et rapports dedroit privé repose sur l'opposition entre situation d'inégalité(supériorité et subordination), d'un côté, et situation d'éga-lité, de l'autre côté; il l'est exactement au même sens oùl'est le rapport entre le tribunal fonctionnant comme organeétatique et le sujet d'obligation. Puisque, comme on l'a

déjà rappelé à maintes reprises, le pouvoir juridique d'in-tenter une action consiste dans la compétence attribuée àson titulaire de coopérer à la création de la norme indivi-

222 THÉORIE PURE DU DROIT

duelle qui ordonne la sanction prévue contre l'individu quise comporte contrairement à ses obligations. L'on attribueà la collectivité juridique, c'est-à-dire à l'Etat, la fonctiondu tribunal en tant que fonction d'organe, et l'on analyseen conséquence la situation en disant que cette fonctiondu tribunal fait apparaître l'Etat vis-à-vis du défendeurcomme une autorité supérieure à lui; mais l'on peut donnerla même interprétation

— on l'a montré précédemment —

de la fonction du demandeur en justice, puisque l'attribu-tion d'une fonction juridique à la collectivité juridiqueexprime, et exprime uniquement, cette donnée que cettefonction est prévue par l'ordre juridique qui fonde la col-lectivité juridique. Le rapport biérarchique, le rapport de

supériorité-subordination, que les conceptions traditionnellesadmettent exister ici entre la collectivité juridique, c'est-à-dire l'Etat, représenté par le tribunal, et le défendeur, ce

rapport existe pareillement entre le demandeur et le défen-deur. En parlant de supériorité-subordination entre l'ordre

juridique et les individus dont il règle la conduite, on nefait rien d'autre que traduire par une image le fait quela conduite de ces individus fait l'objet de normes de l'ordre

juridique. L'autorité que fait apparaître cette descriptionfigurée est l'autorité de l'ordre juridique qui, créé ou appli-qué en vertu de ses propres prescriptions par certains indi-

vidus, oblige d'autres individus et leur confère des droits.En énonçant que l'Etat est ici supérieur à l'individu, ontraduit tout simplement cette donnée que des individuscréent et appliquent, en qualité d'organes étatiques, des

normes qui règlent la conduite d'autres individus, en par-ticulier des normes qui obligent ces individus à une certaine

conduite; ou, pour exprimer l'idée sans recourir à des imagesspatiales : que l'ordre juridique détermine les faits par les-

quels sont créées les normes juridiques qui attachent à desactes humains des sanctions comme des conséquences à des

conditions.C'est une espèce particulière de rapport juridique que

celui qui consiste en une connexion établie entre une obli-

gation d'un individu à l'égard d'un autre et une obligationdu second à l'égard du premier, comme cela se rencontre

par exemple dans le cas du contrat de vente, où l'obligationà la prestation de marchandises est liée à l'obligation de

prester le prix de vente. Dans cette hypothèse, le rapportde droit est entre la norme qui oblige l'acheteur, et la norme

qui oblige le vendeur, ou entre l'acheteur et le vendeur,

STATIQUE DU DROIT 223

plus exactement : entre la conduite de l'un et la conduite

de l'autre, toutes deux prescrites par l'ordre juridique.

Parallèlement à la théorie qui définit le droit subjectifcomme un intérêt juridiquement protégé, certains défendent

la théorie que le rapport de droit est un rapport de fait

existant dans la vie indépendamment de l'ordre juridique,— rapport de nature ou sexuelle ou économique ou poli-

tique; l'ordre juridique le trouverait pour ainsi dire pré-existant dans le donné social, et ne ferait que lui imprimerune forme extérieure. Les deux façons de voir sont pareil-lement inadmissibles : le droit subjectif n'est pas l'intérêt

juridiquement protégé par les normes juridiques, mais la

protection que représentent ces normes juridiques ; de même,le rapport de droit n'est pas un rapport de fait auquel des

normes juridiques viendraient simplement imprimer une

forme extérieure, il ne constitue pas un contenu revêtu

pour ainsi dire d'une forme spécifique; le rapport de droit

est cette forme même, c'est-à-dire un rapport qui doit son

existence même, sa naissance même, à des normes juri-

diques, qui seules le créent; par exemple, le rapport de droit

appelé mariage n'est pas un complexe de relations sexuelles

et économiques entre deux individus de sexe différent, quine recevrait du droit qu'une forme spécifique et rien de

plus. Sans un ordre juridique, il n'existerait absolument

rien de tel que le mariage. Le mariage en tant que rapportde droit est une institution juridique, autrement dit : un

complexe d'obligations juridiques et de droits subjectifs au

sens spécifiquement technique, c'est-à-dire un complexe de

normes juridiques. Les rapports qui entrent ici en ligne de

compte sont des rapports entre normes juridiques, ou des

rapports entre faits prévus et réglés par des normes juri-

diques. Pour une connaissance ayant pour objet le droit

comme système de normes, il n'existe pas d'autres rapports

juridiques. Mais même une analyse qui ne prend pour objet

que la réalité observable, les faits, devra bien accorder quele droit — c'est-à-dire ici la représentation que les hommes

ont d'un ordre juridique présupposé valable —peut créer

des rapports effectifs entre êtres humains, qui n'auraient

pas existé — et qui n'existeraient pas sans elles, sans ces

représentations qui agissent pour motiver la conduite de

ces hommes.

224 THÉORIE PURE DU DROIT

33. — LE SUJET DE DROIT — LA PERSONNE.

a) Le sujet de droit.

Pour la théorie traditionnelle, est sujet de droit celui

qui est sujet d'une obligation juridique ou d'un droit. Si

par droit on n'entend pas le simple droit-réflexe —qui est

co-déterminé dans une obligation juridique —, mais le pou-voir juridique de faire valoir par demande en justice l'inexé-

cution d'une obligation juridique, c'est-à-dire de coopérerà la création de la décision juridictionnelle, c'est-à-dire dela norme individuelle qui ordonne l'exécution de la sanc-tion à titre de réaction contre l'inexécution de l'obligation,et si l'on prend en considération qu'il s'en faut que l'on

qualifie toujours de sujets de droit les sujets d'un pouvoirjuridique, c'est-à-dire de l'habilitation (compétence) à créerdes normes juridiques ou à appliquer des normes juridiques,alors il est recommandable de limiter la notion de sujet dedroit à celle de sujet d'une obligation juridique, et de dis-

tinguer la notion de sujet d'une obligation juridique de cellede sujet d'un pouvoir juridique. En tant que la languejuridique traditionnelle attribue à la collectivité juridiquela fonction de création ou d'application des normes juri-diques, la notion de sujet d'un pouvoir juridique coïncideavec celle d'organe juridique (1). Mais on ne devra pas perdrede vue que la proposition qu'un individu est sujet d'une

obligation juridique ou a une obligation juridique, signifieuniquement qu'une certaine conduite de cet individu estle contenu d'une obligation statuée par l'ordre juridique,c'est-à-dire dont le contraire est érigé en condition d'une

sanction; de même la proposition qu'un individu est sujetd'un pouvoir juridique, habilitation ou compétence, ou aun pouvoir juridique, une habilitation ou compétence signi-fie uniquement que, d'après l'ordre juridique, certains actesdéterminés de cet individu aboutissent à la création ou à

l'application de normes juridiques, ou tout au moins parti-cipent à cette création ou à cette application. Ces deux

significations tiennent à ce que la science du droit, c'est-à-dire une science qui porte sur des normes juridiques, a affaire

(1) Il faut cependant souligner que le langage juridique usuel n'estpas conséquent, et qu'en particulier le demandeur qui exerce un véri-table pouvoir juridique n'est pas qualifié d'organe. Cf. supra, p. 198.

STATIQUE DU DROIT 225

— on ne doit pas se lasser de l'affirmer et de le réaffirmer—,non pas à des individus comme tels, mais seulement à des

actions et des abstentions de ces individus qui sont prévues

par des normes juridiques, c'est-à-dire qui font partie de

leur contenu. Lorsque l'on dit : un individu, pris en qualitéd'organe de droit, crée le droit ou applique le droit ou :

un individu, pris comme sujet de droit, obéit au droit, ouenfreint le droit, on exprime simplement en un langage

personnaliste la différence fonctionnelle qui existe entredeux types différents de conduite humaine prévus dans

l'ordre juridique. Les notions personnelles de « sujet de droit »

et « organe du droit » ne sont nullement des concepts indis-

pensables pour la description du droit (1). Ce sont simple-ment des notions auxiliaires, qui, de même que la notionde droit-réflexe, facilitent cette description. Il n'est légitimed'en user qu'à condition de se souvenir que tel est leurcaractère. Il appartient à la théorie pure du droit de faire

prendre pleine conscience de ce caractère. Si elle aussi sesert de ces notions, c'est seulement en y attachant le sens

que l'on a défini.Avec la notion de droit au sens subjectif, la doctrine tra-

ditionnelle accorde, on l'a vu, la priorité aux droits par rap-

port aux obligations juridiques. De la même façon, elleconsidère le sujet de droit en première ligne comme un sujetde droits, en seconde ligne seulement comme un sujetd'obligations juridiques. Il est très visible qu'elle pense lanotion de sujet de droit en connexion étroite avec celle dedroit subjectif ou possession d'un droit. Au fond, la notiond'un sujet de droit en tant que support du droit subjectif(au sens de possession d'un droit) n'est ici qu'une autreversion de cette notion de droit subjectif qui est taillée

pour l'essentiel à la mesure du droit de propriété. Dansl'une comme dans l'autre de ces deux notions agit de façondéterminante la représentation d'un être juridique existant

indépendamment de l'ordre juridique, d'une subjectivitéjuridique que le droit trouve pour ainsi dire préexistante,que ce soit dans les individus, ou en certaines entités col-

lectives, qu'il n'aurait lui, le droit, qu'à simplement recon-

naître, — et il devrait nécessairement la reconnaître s'il neveut pas perdre son caractère de « droit ». L'antithèse entredroit au sens objectif et droit au sens subjectif, entre une

objectivité juridique et une subjectivité juridique, est une

(1) Cf. supra p. 201.

226 THÉORIE PURE DU DROIT

contradiction logique de la théorie, dans la mesure où elle

affirme simultanément l'existence du premier et l'existence

du second de ces termes. La plus saisissante manifestation

de cette contradiction est le fait qu'en son essence le droit

objectif est, en tant que norme hétéronome, liaison, et même

contrainte, alors que l'on explique que l'essence de la sub-

jectivité juridique est précisément la négation de toute liai-

son, à savoir la liberté en entendant par là l'autodétermi-

nation ou autonomie. C'est ainsi que Puchta par exempleécrit : « La notion fondamentale du droit est la liberté... La

notion abstraite de la liberté est : la possibilité de se déter-

miner soi-même à quelque chose... L'homme est sujet de

droit parce qu'il possède cette possibilité de se déterminer

lui-même, parce qu'il a une volonté » (i)— c'est-à-dire

parce qu'il est libre.

Cette définition de la notion de subjectivité juridiqueest fictive, cela est bien évident; car s'il peut être du tout

question dans le domaine du droit d'autodétermination des

individus, en leur qualité de sujets de droit,— et c'est

dans le domaine du « droit privé » avec le contrat, acte créa-

teur de droit —, il n'y a autonomie qu'en un sens très

limité et inauthentique. Car personne ne peut s'accorder à

soi-même des droits, parce que le droit de l'un n'existe quesous l'hypothèse de l'obligation de l'autre, et que, selon

l'ordre juridique objectif, dans le domaine précisément du

droit privé, une telle relation juridique ne peut, en règletrès générale, être créée que par la manifestation de volonté

concordante de deux individus. Et encore n'en va-t-il ainsi

que par le fait que le droit objectif institue le contrat comme

acte créateur de droit, de sorte qu'en dernière analyse la déter-

(1) G. F. PUCHTA, Cursus der Institutionen, 10e éd., 1873, tome I,

pp. 4, 5, 6. La contradiction qui consiste dans le fait que la liberté estdéclarée notion fondamentale du droit, alors que le droit est également,d'après Puchta (p. 8), « prescription », c'est-à-dire norme et, par consé-

quent obligation, liaison, est encore rendue plus aiguë par le fait

que cette théorie du droit ne comprend pas la liberté du tout commeune simple auto-détermination empirique, mais avant tout commeliberté de volonté ou « libre arbitre » métaphysique, et fonde ce librearbitre de l'homme sur sa similitude avec la divinité : mais en même

temps, elle présente la volonté humaine comme subordonnée à lavolonté divine. Puchta écrit, p. 1 : « L'homme est par sa liberté sem-blable à Dieu... », mais p. 6, il écrit : « La liberté n'est pas donnée à

l'homme afin que sa volonté ait en elle-même son but et sa ligne direc-trice... » « L'homme a la liberté afin qu'il exécute par sa libre déter-mination la volonté de Dieu... C'est dans l'obéissance à l'égard de Dieu

que réside la vraie liberté. »

STATIQUE DU DROIT 227

mination juridique émane précisément de ce droit objectif,et non du sujet de droit qui lui est soumis, d'où il suit qu'endroit privé non plus il n'existe pas une pleine et entièreautonomie.

Il est facile d'apercevoir la fonction idéologique de toutecette conception du sujet de droit comme titulaire du droit

subjectif, qui est si pleine de contradictions. Il s'agit demaintenir la représentation que l'existence du sujet de droit

comme porteur ou titulaire du droit subjectif,— c'est-à-dire

de la propriété privée —, est une catégorie transcendanteà l'égard du droit objectif, c'est-à-dire du droit positif, créé

par des hommes, modifiable par eux, qu'il s'agit d'uneinstitution qui oppose une infranchissable barrière à ceux

qui ont à fixer le contenu de cet ordre juridique. L'idée d'un

sujet de droit indépendant en face du droit objectif, entant qu'il est titulaire de droits subjectifs, prend une impor-tance accrue lorsque l'idée s'introduit que l'ordre juridiquequi garantit l'institution de la propriété privée est un ordremodifiable et qui se modifie constamment, ne reposant passur la volonté éternelle de la divinité, sur la raison, ou surla nature, mais créé par la volonté humaine; et surtoutà partir du moment où la création de cet ordre s'opère sui-vant une procédure démocratique. L'idée d'un sujet dedroit dont l'existence serait indépendante du droit objectifen tant que titulaire d'un droit subjectif qui est « le droit »non moins que le droit objectif, sinon même bien davan-

tage, doit servir à protéger l'institution de la propriété pri-vée contre toute éventualité de suppression par l'ordre juri-dique. Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi l'idéo-

logie de la subjectivité juridique entend se rattacher à lavaleur éthique de la liberté individuelle, de la personnalitéautonome, si dans cette liberté on inclut, entre autres,comme on le fait toujours, la propriété (1). On veut à tout

(1) Très caractéristique à cet égard est la philosophie du droit deHEGEL (Grundlinien der Philosophie des Rechts, OEuvres complèteséditées par Georg LASSON,tome VI, tome XXIV de la Bibliothèquephilosophique, Leipzig, 1921). L'essence de la personnalité résideraitdans la volonté libre. « La généralité de cette volonté libre pour elle-même est la relation simple, formelle, consciente et sans cela dépour-vue de contenu, à soi-même dans son individualité — le sujet estpersonne dans cette mesure. Dans la personnalité réside le fait queje sais que je suis l'infini, le général, et un être libre. » (§ 35). « Lapersonne doit nécessairement se donner une sphère extérieure de saliberté pour être comme Idée » (§ 41). Cette sphère extérieure devolonté est la propriété : « La libre volonté doit tout d'abord, pour

228 THÉORIE PURE DU DROIT

prix qu'un ordre qui ne reconnaît pas l'individu en tant que

personnalité libre en ce sens, c'est-à-dire un ordre qui ne

garantit pas le droit subjectif de propriété, qu'un tel ordre

ne puisse absolument pas être considéré comme un véri-

table ordre juridique.

b) La personne : la personne physique.

La doctrine traditionnelle identifie la notion de sujet dedroit avec celle de personne. Elle pose cette définition :l'homme est une personne en tant qu'il est sujet de droitset d'obligations. Mais elle présente par ailleurs comme des

personnes, en dehors des êtres humains, d'autres entités,

par exemple certaines collectivités telles que les associa-

tions, les sociétés par actions, les communes, les Etats;en conséquence, elle définit la personne comme l'élément qui

porte, le « porteur » (Trâger) de droits et d'obligations juri-

diques, et elle explique que cette fonction de porteur de

droits et d'obligations peut être remplie non seulement parl'homme, mais également par ces autres entités. La notion

ne pas demeurer abstraite, se donner une existence, et la premièrematérialisation sensible de cette existence, ce sont les choses, c'est-à dire les objets extérieurs. Le premier mode de la liberté est celuique nous devons connaître comme propriété, la sphère du droit formelet abstrait... La liberté, que nous avons ici, est ce que nous appelonspersonne, c'est-à-dire le sujet qui est libre, plus précisément : estlibre pour soi, et qui se donne une existence dans les choses » (addi-tion au § 33). « En relation aux choses extérieures, le raisonnableest que je possède la propriété » (§ 49). « C'est seulement dans la pro-priété que la personne est en tant que raison » (addition au § 41).« La personne, se distinguant de soi, se comporte à l'égard d'une autrepersonne, et précisément toutes les deux n'ont d'existence l'une pourl'autre que comme propriétaires » (§ 40). De tout, cela il suit « queseule la personnalité donne un droit sur les choses et que, par suite,le droit personnel est essentiellement un droit réel » (§ 40). Et il s'en-suit en outre la « nécessité de la propriété » (addition au §46), et le

rejet du communisme comme contraire à la nature du droit, comme

négation du droit. « Du fait que, dans la propriété, ma volonté medevient objective, en tant que volonté personnelle, donc en tantque volonté de l'individu, cette propriété reçoit le caractère de propriétéprivée... L'Idée de l'Etat platonicien contient, à titre de principe géné-ral, le délit contre la personne, d'être incapable de propriété privée.La conception d'une fraternisation pieuse ou amicale ou même forcéedes hommes avec communauté des biens et bannissement du principede la propriété privée peut facilement se présenter à l'esprit quiméconnaît la nature de la liberté de l'esprit et du droit, et ne la saisitpas dans ses éléments définis » (§ 46). Les tendances politiques de cettethéorie de la personne sont manifestes.

STATIQUE DU DROIT 229

de « porteur » de droits et d'obligations joue dans la théorie

traditionnelle de la personne juridique un rôle décisif.

Lorsque le « porteur » de tels ou tels droits et obligations

juridiques est un être humain, on le qualifie de personne

physique; lorsque ce sont ces autres entités, on les qualifiede personnes juridiques. Et l'on expose que la personne

physique est une personne « naturelle », alors que la per-sonne juridique est une personne « artificielle », c'est-à-dire

construite par la science du droit, et non « réelle ». Sans doute

rencontre-t-on des tentatives de démontrer que la personne

juridique aussi est « réelle ». Mais ces tentatives sont d'au-

tant plus vaines qu'une analyse plus approfondie fait appa-raître que c'est en réalité la « personne physique » qui est,elle aussi, une construction artificielle de la science du

droit, qu'elle n'est, elle aussi, qu'une personne « juridique ».

Si, dans le cas de la personne juridique, des droits et

des obligations peuvent être « portées », « supportées » parun « sujet » qui ne serait pas un homme, il n'est pas non plus

possible que dans le cas de la « personne physique », ce

« porteur » de droits et d'obligations soit un homme; car

si on admet dans les deux cas, que l'on a affaire à une per-

sonne, il faut que ce soit en raison d'un trait commun aux

hommes d'une part, aux collectivités qualifiées de personnes

juridiques d'autre part, et l'on dit bien aussi que l'homme

a la personnalité, que l'ordre juridique confère à l'homme

la personnalité, et encore pas nécessairement à tous les

hommes. Les esclaves ne seraient pas des personnes, n'au-

raient pas de personnalité, ou la personnalité juridique. La

doctrine traditionnelle ne nie pas que personne et homme sont

deux notions distinctes, bien qu'elle croie pouvoir affirmer

qu'à la différence du droit antique le droit moderne fasse de

tous les hommes des personnes, ou reconnaisse la person-nalité juridique à tous les hommes.

Mais quelles sont donc maintenant les données que la

doctrine traditionnelle entend exprimer en affirmant quel'ordre juridique attribue à l'homme ou à certains hommesla personnalité juridique, la qualité d'être une personne ?

Elles se ramènent à une seule donnée, à savoir que l'ordre

juridique impose des obligations et accorde des droits aux

hommes ou à ces hommes; c'est-à-dire que cet ordre faitde la conduite d'êtres humains le contenu d'obligations etde droits. « Etre une personne » ou « avoir la personnalité

juridique », est identique à avoir des obligations juridiqueset des droits subjectifs. La personne en tant que « porteur »

230 THÉORIE PURE DU DROIT

d'obligations juridiques et de droits subjectifs n'est pas unélément distinct des obligations juridiques et des droits

subjectifs dont on la présente comme « porteur », — non

plus qu'un arbre — dont on dit dans une langue subtanti-

viste, qui est l'expression d'une pensée subtantialisante —

qu' « il a » un tronc, des branches, des feuilles et des bour-

geons n'est une substance différente de ce tronc, de ces

branches, de ces feuilles et de ces bourgeons; l'arbre esttout simplement l'ensemble de ces éléments, leur unité. Dela même façon, la personne physique ou juridique, qui ades obligations juridiques et des droits subjectifs, qui enest « porteur », ce sont ces obligations juridiques et cesdroits subjectifs, c'est un complexe d'obligations juridiqueset de droits subjectifs, dont la notion de personne ne fait

qu'exprimer l'unité de façon figurée. La personne n'est riend'autre que la personnification de cette unité.

Si l'on examine particulièrement ces données que la doc-trine traditionnelle désigne sous le terme « droits et obliga-tions d'une personne juridique » — en admettant que« droit » signifie droit subjectif au sens spécifiquement tech-

nique du terme, c'est-à-dire pouvoir juridique ou compé-tence devant être exercé par une demande en justice —,on se rendra compte que, tout de même que ceux d'une

personne physique, ces droits et ces obligations ont pourcontenu une conduite humaine et qu'en ce sens et seulementen ce sens ils sont des droits et des obligations d'êtres

humains, d'individus. C'est seulement par des actes humains

qu'un droit peut être exercé, qu'une obligation peut êtreexécutée ou au contraire être violée. Par suite, ce n'est

pas le fait de concerner ou se rapporter à des hommes quipeut constituer l'élément qui différencie personne phy-sique ou naturelle et personne juridique ou artificielle. Et,

par conséquent, on ne peut pas définir la personne physiquenon plus

—pour l'opposer à la personne juridique

— commeun individu présentant certaines qualités, à savoir le faitd'avoir des droits et des obligations. Il faut rejeter pareilledéfinition au même titre que la définition du droit subjectifcomme un intérêt juridiquement protégé. De même que le

droit subjectif n'est pas un intérêt —protégé par le droit—,

mais la protection juridique d'un intérêt, la personne phy-sique n'est pas l'individu qui a des obligations ou des droits,mais une unité d'obligations et de droits qui ont pourcontenu la conduite d'un individu déterminé. Cette unité

s'exprime également dans la notion du sujet de droit que

STATIQUE DU DROIT 231

la doctrine traditionnelle identifie avec celle de personne

juridique au sens de « personne du droit (Rechtsperson) ».

On a déjà insisté dans les développements précédents, sur

l'idée que dire que l'homme est sujet de droit, c'est-à-dire

sujet de droits et d'obligations signifie que la conduite

humaine est contenu d'obligations et de droits subjectifs,— et rien d'autre; — or, c'est ce que signifie égalementl'affirmation qu'un individu est une personne ou a la per-sonnalité. Dans les deux hypothèses

— celle de la personne

physique comme celle de la personne juridique —, ce à quoil'on a affaire réellement, ce sont des obligations juridiqueset des droits subjectifs. Du fait que ces obligations juri-

diques et ces droits subjectifs sont établis par des normes

juridiques— ou plus exactement sont des normes juri-

diques —, le problème de la personne est en dernière ana-

lyse le problème de l'unité d'un complexe de normes. Une

seule question se pose : quel est le facteur qui aboutit à

cette unité dans le premier et dans le second des deux cas,

respectivement ?L'unité de l'ensemble d'obligations et de droits subjec-

tifs, c'est-à-dire l'unité d'un ensemble de normes juridiquesà considérer qui forment une personne physique, est donnée

par le fait que c'est la conduite d'un seul et même homme

qui forme le contenu de ces obligations et de ces droits,

que ces normes portent sur la conduite d'un seul et même

individu. Par conséquent, la « personne physique » n'est pasun homme, mais l'unité personnifiée des normes juridiques

qui obligent et des normes juridiques qui investissent de

droits un seul et même individu. Ce n'est pas une réalité

naturelle, mais une construction juridique créée par la

science du droit, un concept auxiliaire dans la descriptionet formulation de données de droits. En ce sens, la « per-sonne physique » est une personne juridique.

c) La personne juridique (La corporation).

La façon la plus.claire de faire apparaître ce qu'est la

personne juridique, cette personne juridique que la doctrine

traditionnelle oppose à la personne physique, consiste à

analyser l'exemple typique d'une telle personne juridique

que constitue la corporation (Kôrperschaft) possédant la

personnalité juridique.On définit généralement une telle corporation comme une

collectivité d'individus à laquelle l'ordre juridique impose

232 THÉORIE PURE DU DROIT

des obligations et confère des droits subjectifs qui ne peuvent

pas être considérés comme leurs obligations ni leurs droitsen tant que membres appartenant à la corporation et laconstituant. C'est précisément parce que ces obligations et cesdroits affectent sans doute en quelque manière les intérêtsdes individus qui forment la corporation, mais ne sont cepen-dant pas, d'après la théorie traditionnelle, leurs obligations ouleurs droits qu'ils sont présentés et définis comme des obli-

gations et des droits de la corporation, et qu'en conséquencecelle-ci est pensée comme une personne.

Pour exposer les relations juridiques où une personnejuridique est partie, voici le genre de formules dont on sesert :

Une corporation, dit-on, loue une maison ou achète unfonds. Le droit d'utiliser la maison, c'est-à-dire d'exclurede son usage les personnes autres que les membres de la

corporation,— la propriété de fonds, c'est-à-dire le droit

de disposer de ce fonds et d'exclure de cette faculté d'en

disposer toutes personnes autres que des membres de la

corporation, sont des droits de la corporation, et non desdroits de ses membres. Si ces droits sont violés, c'est la

corporation elle-même qui a à se porter demanderesse auprèsdu tribunal compétent; ce n'est pas un de ses membres

individuels; et les sommes d'argent qui servent à réparerle dommage causé par les violations de ces droits et qui sontrecouvrés éventuellement par voie d'exécution civile, entrentdans le patrimoine de la corporation, non dans le patrimoinedes membres individuels.

Symétriquement, l'obligation de payer le loyer au bail-leur de la maison, ou l'obligation de payer le prix au ven-deur du fonds, ou l'impôt foncier à la commune, sont obli-

gations de la corporation, non obligations de ses membres;et en effet, au cas où ces obligations ne sont pas exécutées,c'est-à-dire où la corporation commet un délit, l'actionintentée par le bailleur ou par le vendeur, ou la procédurepénale que déclenche l'autorité fiscale ne sont pas dirigéescontre les membres, mais contre la corporation comme telle ;et l'exécution forcée n'a pas lieu contre le patrimoine des

membres, mais contre le patrimoine de la corporation. Sans

doute, dans certains cas, si le patrimoine de la corporationest insuffisant, l'exécution forcée peut être dirigée égale-ment contre le patrimoine des membres, c'est-à-dire qu'ily a des cas dans lesquels la responsabilité à raison d'un délitn'est pas limitée au patrimoine de la corporation, mais où

STATIQUE DU DROIT 233

les membres répondent eux aussi du délit sur leur patri-moine personnel. Mais il est remarquable que ce soit pré-cisément le cas de limitation de la responsabilité de la cor-

poration qui paraisse recommander tout particulièrementl'idée de la personnalité juridique de la corporation.

Dans cette analyse de la situation de droit d'une corpo-ration par l'idée de personne juridique, on peut discerner

deux sortes différentes de propositions : d'une part, les pro-

positions qui énoncent que la corporation est une personne

agissante, qui fait certains actes, en particulier des actes de

droit, — qu'elle fait un acte juridique, par exemple qu'elleconclut un contrat, intente une demande, exécute une obli-

gation juridique ou, par sa conduite, viole une obligation

juridique, c'est-à-dire commet un délit; d'autre part, les

propositions qui la présentent comme sujet d'obligations

juridiques et de droits subjectifs, parce que l'ordre juri-

dique lui impose des obligations ou lui confère des droits

subjectifs.Il faut examiner séparément ces deux groupes de propo-

sitions.

Quant à celles de la première sorte, celles qui se rap-

portent à la corporation comme à une personne agissante,il faut observer qu'elles constituent toujours une descrip-tion de la conduite d'êtres humains par lesquels la personne

juridique agit. Les actions ou les abstentions que l'on inter-

prète comme actions ou abstentions de la corporation, quel'on rapporte à la personne juridique, qu'on lui attribue,sont toujours des actions et des abstentions d'êtres humains.

Les individus par lesquels la corporation agit en tant que

personne juridique, et dont la conduite est attribuée à la

corporation, sont qualifiés d'organes de la corporation. Etle problème de la corporation considérée comme personne

agissante est purement et simplement ce problème de l'or-

gane d'une collectivité que l'on a déjà traité, ou, en d'autres

termes, le problème de l'attribution à la collectivité d'une

fonction accomplie par un individu déterminé. Appliquéaux personnes juridiques de l'espèce corporations, ce pro-blème se libelle comme ceci : à quelles conditions la conduite

d'un individu est-elle interprétée comme conduite d'une

corporation en tant que personne juridique, est-elle rappor-tée à la personne juridique, peut-elle lui être attribuée (1)?A quelles conditions un homme agit-il, c'est-à-dire accom-

(1) Cf. supra, p. 200 sqq.

16. THÉORIEPUREDUDROIT.

234 THÉORIE PURE DU DROIT

plit-il une certaine action ou s'abstient-il d'une certaine

action, en qualité d'organe d'une corporation ?Le problème auquel se rapportent les propositions de la

seconde série est le problème de la corporation en tant quesujet d'obligations et de droits subjectifs; à vrai dire, ilse relie très étroitement au précédent. Etant donné qu'obli-gations et droits subjectifs ne peuvent porter que sur desactes humains, l'ordre juridique ne peut imposer des obli-

gations ou conférer des droits subjectifs qu'à des hommes.En énonçant qu'une corporation, considérée comme per-sonne juridique, est sujet d'obligations ou de droits, ce sontdes obligations ou des droits d'individus déterminés que l'on

analyse, des obligations ou des droits des individus dont laconduite est précisément leur contenu — mais on les inter-

prète comme des obligations ou des droits de la personne

juridique, on les rapporte à elles, on les lui attribue. En

conséquence, il apparaît exclu a priori— contre les

vues de la théorie traditionnelle de la corporation entant que personne juridique

—que les obligations et les

droits de la personne juridique ne soient pas en même

temps obligations et droits d'êtres humains, c'est-à-dire de

personnes physiques, au sens de la théorie traditionnelle.

d) La personne juridique comme sujet agissant.

Lorsque deux ou plusieurs individus veulent, pour uneraison quelconque, poursuivre en commun des fins de nature

économique, politique, religieuse, humanitaire, ou autre,dans le cadre du domaine de validité d'un ordre juridiqueétatique, ils forment une collectivité, en tant que, confor-mément à cet ordre juridique, ils soumettent leur activité

coopératrice tendant à la réalisation de ces buts à un ordrenormatif particulier qui règle cette activité et qui fondede la sorte la collectivité en question. Si la coopération desindividus qui forment la collectivité en vue de la réalisationdu but collectif se traduit par une organisation à base de

spécialisation, la collectivité constitue une corporation. En

effet, on appelle corporations les collectivités organisées,c'est-à-dire les collectivités que fonde un ordre normatifselon les normes duquel certaines fonctions doivent être

remplies par des individus qui sont désignés pour les exer-cer d'une façon prévue par les statuts, c'est-à-dire un ordrenormatif qui institue pour ces fonctions des organes spéciaux

STATIQUE DU DROIT 235

de cette sorte (1). L'ordre normatif qui fonde la corpo-ration est son statut; ce statut est établi et mis en vigueur

par un acte juridique prévu par l'ordre étatique. Les statuts

des corporations constituent des ordres juridiques partiels

englobés dans un ordre juridique total qui est l'ordre juri-

dique étatique (si l'on fait abstraction du droit internatio-

nal).Les statuts règlent la conduite d'une pluralité d'indivi-

dus, qui de ce fait et dans cette mesure, c'est-à-dire en tant

que leur conduite est ainsi réglée, sont les membres de la

collectivité, ou y appartiennent et la forment : autant

d'expressions figurées d'une même idée, à savoir que cer-

tains actes de ces individus sont réglés par un ordre juri-

dique partiel. Comme on l'a déjà affirmé précédemment,ces individus, ces hommes, n'appartiennent pas à la collec-

tivité fondée par les statuts, et dénommée corporation,comme tels, c'est-à-dire tout entiers; ils lui appartiennentseulement par leurs actions et leurs abstentions que pré-voient et règlent les statuts. Seules ces actions et ces absten-tions prévues et réglées par les statuts peuvent être attri-buées à la corporation. Puisque l'attribution d'un acte deconduite humaine à la corporation exprime uniquement quel'on rapporte cet acte à l'ordre normatif qui prévoit cet acte,et qui est le principe d'existence de la collectivité que l'on

personnifie en procédant à cette attribution. En conséquence,il est légitime d'attribuer à la collectivité que fonde unordre normatif n'importe quel acte que vise cet ordre, et

également de personnifier, de présenter comme une personneagissante n'importe quel ordre normatif qui règle la con-duite d'une pluralité d'individus — même les ordres quin'instituent pas d'organes spécialisés —; et, par suite, ona le droit de considérer tout « membre » d'une collectivitéà base normative comme un « organe » de cette collectivité.

Toutefois, on l'a noté antérieurement, le langage juridiqueusuel n'attribue à la collectivité que les seules fonctions quisont remplies suivant le principe de la division du travail,c'est-à-dire par des individus qui sont spécialement dési-

gnés à cet effet; et, en conséquence, il n'appelle « organes »

que ces individus qui remplissent de telles fonctions, confor-mément aux prévisions des statuts; tenant compte de ceshabitudes de langage, on peut distinguer entre « organes »et membres des corporations. On observera à cet égard que,

(1) Cf. supra, p. 204 sqq.

236 THÉORIE PURE DU DROIT

d'après ses statuts, les organes d'une corporation peuventne pas remplir seulement des fonctions juridiques, telles

que révision des statuts, introduction de demandes en jus-tice ou de recours, accomplissement d'actes juridiques, mais

également d'autres fonctions correspondant aux buts de lacollectivité à un moment donné. Si l'on attribue ces fonc-tions à la collectivité, si l'on présente celle-ci comme une

personne agissante, si l'on dit que la corporation agit —

alors que ce sont en réalité toujours et uniquement des indi-vidus déterminés par les statuts qui accomplissent en qua-lité d'organes des actes également prévus par ces statuts,alors — ainsi qu'on l'a exposé déjà dans l'analyse du pro-blème général de la qualité d'organe

— cette métaphoreanthropomorphique représente l'usage d'une fiction de lamême nature que celle qui apparaît dans l'attribution desactes de droit des représentants légaux aux individus inca-

pables d'action qu'ils représentent. Lorsque l'on interprètecette métaphore anthropomorphique comme un être réel,comme une sorte de sur-homme ou d'organisme, on hypos-tasie de façon illégitime un procédé auxiliaire de pensée,une notion auxiliaire que la science juridique a construiteen vue de simplifier ou de rendre plus concrète l'analyse etla description de données juridiques compliquées. Les résul-tats de semblable hypostase sont les suivants : non seule-

ment, elle obscurcit les données qu'il s'agit de décrire, maisencore elle conduit à de pseudo-problèmes que la sciences'efforce ensuite en vain de résoudre. De tels pseudo-pro-blèmes jouent un rôle particulièrement funeste lorsque c'està la personne juridique de l'Etat que s'applique l'hypostaseet que surgit alors la question du rapport où sont cette réa-lité et le droit, « son » droit. On abordera cette questionultérieurement (1).

e) La personne juridique en tant que sujet

d'obligations et de droits.

Mais on n'use pas de cette métaphore uniquement en pré-sentant la corporation comme une personne agissante; on

en use également en la présentant comme sujet d'obliga-tions et de droits, — le mot « droit » désignant ici selon la

terminologie habituelle, non pas seulement les droits sub-

(1) Cf. infrn, p. 378 sqq.

STATIQUE DU DROIT 237

jectifs au sens technique du terme, c'est-à-dire les pouvoirs

juridiques, mais également les permissions positives.Ces obligations et ces droits de la corporation constituent

deux groupes : d'une part, ceux qui sont établis par l'ordre

juridique étatique; d'autre part, ceux qui sont établis par les

statuts de la corporation sur habilitation tenue de l'ordre

juridique étatique. Les premiers sont des obligations et des

droits externes de la collectivité; les seconds, des obligationset des droits internes. Mais il arrive que les statuts fondent

également des obligations et des droits des membres, quine sont pas considérés et présentés comme obligations et

droits de la corporation elle-même, qui ne lui sont pas attri-bués.

Exemples d'obligations ou de droits externes de la cor-

poration : l'obligation de la corporation de payer un certain

impôt; ou son droit de faire des actes juridiques, ou le droitde faire valoir par une action en justice l'inexécution des

obligations existant envers elle, ou encore le droit de la

corporation de participer à une élection politique, ou ledroit d'exploiter un certain établissement industriel. —

Exemples, au contraire d'obligations ou de droits internes :

l'obligation de la corporation de partager entre ses membres

les bénéfices réalisés; le droit de la corporation de recevoirde ses membres une certaine cotisation. Le droit correspon-dant — droit d'obtenir une part dans les bénéfices — ou

l'obligation correspondante—

obligation de payer une coti-sation — sont cependant présentés comme droit ou obli-

gation des membres, et non pas de la corporation. Pour la

question de l'essence de la corporation en tant que per-sonne juridique, il n'y a lieu de prendre en considération

que des obligations et des droits qui sont interprétés comme

obligations et droits de la corporation.Les obligations et les droits ont toujours pour contenu

— on l'a déjà dit — la conduite de certains individus. On

peut bien interpréter des obligations que l'ordre juridiqueimpose et des droits qu'il établit comme des obligations oudes droits d'une corporation; en vérité, il ne peut jamaiss'agir que d'obligations qui sont ou exécutées ou enfreintes,ou de droits qui sont exercés par des actes ou des absten-tions d'individus qui appartiennent à la corporation. Et sides obligations et des droits sont attribués à la corporation,nécessairement, c'est en qualité d'organes de la corporationque ces individus exécutent les obligations en question oules enfreignent, ou exercent les droits considérés. En consé-

238 THÉOHIE PURE DU DROIT

qucnce, lorsque l'ordre juridique étatique impose à une cor-

poration des obligations ou lui accorde des droits — ainsi

que l'on s'exprime —, il détermine seulement l'élémentmatériel qui constitue le contenu de l'obligation ou du droit,il laisse la détermination de l'élément personnel, c'est-à-direde l'individu qui a à remplir l'obligation ou à exercer le

droit, aux statuts, de sorte que le rapport entre l'ordre juri-dique étatique et la personne juridique obligée et investiede droits par lui est le rapport entre deux ordres juridiques,un ordre juridique total et un ordre juridique partiel. En

cela, il y a une différence notable entre la façon dont, pourparler dans la terminologie traditionnelle, l'ordre juridiqueétatique investit d'obligations et de droits les corporationsen tant que personnes juridiques et la façon dont il investit

d'obligations et de droits les individus en tant que per-sonnes physiques. Dans le dernier cas, l'ordre juridiqueétatique détermine directement, non pas seulement l'élé-ment matériel, mais également l'élément personnel de laconduite qui forme le contenu de l'obligation ou du droit.

Si l'on considère maintenant les obligations ou les droitsinternes des corporations, il apparaît qu'en ce qui les con-cerne les statuts déterminent aussi bien l'élément personnelque l'élément matériel de la conduite qui est l'objet des

obligations ou des droits. Des obligations internes peuventêtre établies par le fait que les statuts définissent une con-duite au contraire de laquelle l'ordre juridique étatiqueattache une sanction. Des droits internes de la corporationpeuvent être établis par le fait que les statuts définissentdes obligations des membres, dont la non-exécution sera,conformément à l'ordre juridique étatique, invoquée au

moyen d'actions en justice qu'un individu déterminé parles statuts devra intenter en sa qualité d'organe de la cor-

poration.

a) Les obligations de la personne juridique.

On a admis dans les chapitres précédents l'idée que l'ordre

juridique institue une obligation à une certaine conduite,

prescrit une certaine conduite —qui est celle d'un être

humain —, lorsqu'il fait du contraire de cette conduite la

condition d'une sanction; on a admis qu'un individu est

obligé juridiquement à une certaine conduite, qu'il est le

sujet de cette obligation, lorsque sa conduite contraire est

la condition d'une sanction —conséquence qui doit être

STATIQUE DU DROIT 239

dirigée soit contre lui, soit contre un autre individu. La

conduite qui forme la condition de la sanction, la conduite

défendue, est l'acte illicite (le délit) ; la sanction est la consé-

quence du délit. Le sujet de l'obligation juridique est parconséquent l'individu qui, par sa conduite, peut soit provo-

quer soit éviter la sanction, c'est-à-dire soit commettre le

délit, soit s'abstenir de le commettre : c'est le délinquant

potentiel. Si l'on accepte cette notion de l'obligation juri-dique, un individu ne peut être considéré comme capabled'obligation que s'il est capable de délit (1).

Lorsque l'on admet et dit que l'ordre juridique établit

une obligation à la charge d'une corporation en tant quepersonne juridique, la donnée réelle se compose des deux

éléments suivants : premièrement, l'ordre juridique définitune conduite au contraire de laquelle il attache une sanc-

tion, mais laisse aux statuts le soin de déterminer quel seral'individu dont la conduite pourra ou éviter ou provoquerla sanction; deuxièmement, il prévoit une sanction présen-tant des caractères qui permettent de la concevoir et pré-senter comme dirigée contre la corporation, et non pascontre cet individu, ce qui revient à dire que la responsa-bilité pour l'inexécution de l'obligation, le fait de subir lemal que représente la sanction, peut être attribué à la cor-

poration. Sur quoi cette attribution repose-t-elle ? On auraà le rechercher par la suite; pour l'instant, on se contenterad'affirmer une idée seulement : si l'on n'use pas de lafiction d'une attribution, l'obligation est l'obligation del'individu qui peut, par sa conduite, l'exécuter ou l'en-

freindre; par contre, pour l'inexécution de l'obligation, cen'est pas cet individu-là qui répond sur sa personne ou surson patrimoine, mais un autre ou d'autres individus. Endéterminant quel est l'individu qui peut exécuter ou en-freindre l'obligation, en donnant à cet individu et à lui seulla capacité de réaliser la conduite correspondante, c'est-à-dire en l'y habilitant — au sens le plus large de ce terme —,les statuts règlent aussi cette conduite — de façon indi-recte. En conséquence, les actes de l'individu en question

qui exécutent l'obligation ou qui l'enfreignent —, et avec ces

actes, l'obligation exécutée ou enfreinte elle-même, peuventêtre rapportés aux statuts, c'est-à-dire à l'ordre normatif

partiel qui fonde la corporation. Telles sont les données

positives au vu desquelles on attribue des obligations à la

(1) Cf. p. 210 et p. 214-5.

240 THÉORIE PURE DU DROIT

corporation en tant que personne juridique et interprètela corporation comme sujet de l'obligation, et l'individu

qui exécute ou qui enfreint réellement l'obligation comme

organe de la corporation. Sur la base de cette attribution

fictive, on présente la personne juridique comme capabled'obligations et capable de délits.

Le problème de la capacité d'obligation des corporations,en tant que personnes juridiques, de même que l'autre pro-blème — souvent examiné et qui y est lié de la façon la

plus étroite — de leur capacité délictuelle sont — il fautl'affirmer avec la plus grande énergie

— des problèmesd'attribution; et l'attribution est, comme on l'a déjà pré-cédemment souligné, une opération intellectuelle qu'il est

simplement possible mais nullement nécessaire d'effectuer,étant donné que les faits et données en cause peuvent par-faitement être décrits sans recourir à cette opération intel-

lectuelle, qui inclut une fiction dans tous les cas et en

particulier pour le cas de l'attribution de délits à une cor-

poration. Car les délits sont des actes de conduite humaine,et par suite ne sont jamais commis que par des êtres humainsindividualisés.

En réalité —l'expérience le montre, c'est-à-dire le lan-

gage usuel —, l'opération d'attribution des actes humains

réglés par un ordre normatif à la collectivité qui fonde cetordre ne s'effectue pas de façon très conséquente : doit-on

y procéder, ne le doit-on pas ? Pour en décider, on n'ap-plique pas de façon constante les mêmes critères. Etantdonné que l'opération exprime uniquement

— ainsi qu'onl'a déjà souligné (supra, p. 203)

— le fait que l'ordre nor-matif qui fonde la collectivité prévoit la conduite humaineconsidérée soit comme condition soit comme conséquence,on peut à son gré l'étendre ou la restreindre. Par exemple,on peut partir des idées suivantes : seuls sont « organes »

de la collectivité les individus qui remplissent une fonctionà titre d'activité spécialisée en tant qu'ils sont habilités— au sens étroit du terme — à certains actes par l'ordre

qui fonde la collectivité; par conséquent, un individu n'agitpas comme organe de la collectivité, ses actes ne sont pasattribuables à celle-ci lorsqu'ils ne sont pas habilités, en

ce sens étroit, par l'ordre normatif ; et les statuts d'une cor-

poration n'habilitent jamais ses organes qu'à exécuter les

obligations établies par l'ordre juridique étatique, cet ordre

juridique ne lui permettrait pas de les habiliter à les en-

freindre. Si l'on part de telles prémisses, il s'ensuivra que

STATIQUE DU DROIT 241

les corporations n'ont pas la capacité délictuelle. Mais parailleurs, rien ne s'oppose à ce que l'on attribue aux corpo-rations l'exécution des obligations à laquelle les statuts habi-

litent leurs organes ; par suite, les corporations peuvent être

considérées comme sujets d'obligations qu'elles peuventexécuter, mais qu'elles ne peuvent pas enfreindre; et, en ce

sens limité, elles peuvent donc être considérées comme

capables d'obligations,— alors qu'elles sont considérées

comme incapables de délits. On demandera peut-être si ce

résultat n'est pas incompatible avec la notion de l'obligation

juridique adoptée dans le présent ouvrage, puisque cette

notion implique que seul est capable d'obligations celui quiest capable de délits. Ce serait une objection sans objet,

pour la raison que, si l'on s'en tient aux faits réels, tels queles présentera une description faite sans recourir à l'opéra-tion fictive de l'attribution, ce n'est pas la collectivité quiest juridiquement obligée et capable d'obligation; ce sont

les individus qui peuvent par leur conduite exécuter l'obli-

gation et l'enfreindre. Du fait que dans le premier cas, on

les considère comme organes de la corporation, c'est-à-dire

que l'on attribue alors leurs actes à la corporation, il nesuit pas que l'on doive nécessairement faire de même dansle second cas. L'attribution est toujours simplement pos-sible, elle n'est jamais nécessaire. Mais en fait, on considèreles corporations comme capables de délit; en fait, il faut le

constater, on leur attribue bien, dans le langage habituel,l'inexécution de certaines obligations statuées par l'ordre

juridique étatique. On dit qu'une corporation, personne juri-dique, a négligé de payer un impôt mis à sa charge et a

ainsi commis un délit punissable; on dit que la corporation,personne juridique, a omis de payer le loyer dû pour unemaison louée par elle, ou de payer le prix d'une chose

qu'elle a achetée, et qu'elle a ainsi commis un délit de droitcivil. On attribue donc les délits en question à la collectivité,on la considère comme auteur de ces délits ; et l'on peutpar suite la donner comme le sujet des obligations enfreintes

par ces délits — ou des obligations exécutées : en somme,on peut aussi lui attribuer ces obligations. Mais si l'on

attribue ainsi aux corporations l'inexécution de ces obli-

gations comme on leur en attribue également l'exécution,la logique impose d'accepter l'idée que l'individu habilité

par les statuts à l'exécution des obligations de la corpora-tion n'est pas organe de la corporation seulement lorsqu'ilagit en ce sens, mais est aussi organe lorsqu'il agit en dehors

242 THÉORIE PURE DU DROIT

des termes de cette habilitation au sens étroit, c'est-à-dire

lorsqu'au lieu d'exécuter l'obligation imposée à la corpora-tion, il la viole au contraire. Cette idée apparaît parfaite-ment acceptable dès lors que l'on reconnaît que l'attributiond'une conduite humaine à une corporation exprime simple-ment la mise en relation de la conduite avec les statuts, etle fait que cette conduite est prévue et réglée en quelquemanière dans les statuts qui fondent la corporation. Et,comme on l'a montré précédemment, l'on peut dire que lesstatuts règlent la conduite qui enfreint l'obligation muniede sanction par l'ordre juridique étatique par le fait qu'ilsdéterminent l'individu qui peut par ses actes exécuter ouenfreindre l'obligation. Lorsque par exemple les statuts dis-

posent que les impôts mis à la charge de la corporation parle droit étatique doivent être payés sur le patrimoine de la

corporation par tel de ses organes, seul cet organe-là peutenfreindre l'obligation de la corporation de payer les impôts;et en conséquence, alors que le fait de ne pas acquitter une

dette, d'impôt, abstention contraire aux obligations de la

corporation, apparaît comme réglé directement par l'ordre

juridique étatique seul, — indirectement, il n'en est pasmoins réglé aussi par le statut.

Si l'on n'attribue pas aux corporations une conduite défen-due par l'ordre juridique étatique, un délit, c'est en consi-dération du fait que, selon le droit étatique, des statuts

qui habiliteraient (au sens étroit du terme) à une telleconduite sont, en règle générale, nuls ou annulables,

comme le sont les contrats qui obligent une partie à uneconduite juridiquement défendue. Ilest vrai, telle est bienla règle commune. Mais elle n'a rien de nécessaire; il n'estnullement impossible que, sous l'empire d'un droit étatique,les statuts qui habilitent à une conduite défendue par ses

règles soient valables. Supposons que les statuts habilitent

l'organe de la corporation à la conduite défendue par l'ordre

étatique, voire même qu'ils l'y obligent en attachant à laconduite contraire une obligation sanctionnée par l'ordre

étatique de réparer le dommage causé par cette conduite;on est alors en présence de cette situation qui a été déjàévoquée (cf. supra, p. 34 et s.), qu'une conduite donnée etla conduite contraire sont l'une et l'autre érigées simultané-ment en condition d'une sanction; mais sans doute la sanc-tion ne se dirige-t-elle pas contre la même personne : à la

première conduite est attachée une sanction dirigée contre

l'organe; à la seconde, une sanction dirigée contre la corpo-

STATIQUE DU DROIT 243

ration (1). Cette situation peut être décrite par deux pro-positions de droit qui, logiquement, ne se contredisent pas.Il n'empêche qu'elle est hautement indésirable du pointde vue de la politique juridique. Et c'est précisément pourl'éviter que le droit étatique dispose généralement quel'habilitation (au sens étroit) par les statuts, et à plus forteraison l'obligation établie par les statuts à une conduite

prohibée par l'ordre étatique, devront être tenues pour non-

valables, c'est-à-dire nulles ou annulables. Mais s'il ne lefait pas, le délit commis par l'organe de la corporation enconformité avec les statuts peut être attribué à la corpo-ration fondée par les statuts, même si on limite l'attribu-tion aux conduites habilitées — au sens étroit —

par lesstatuts. Effectivement, les normes des statuts de corpora-tion qui habilitent à une conduite illicite ne doivent pastoujours être considérées comme nulles ou comme annu-lables. Supposons que l'assemblée générale d'une société

par actions décide, sur la base d'un avis de son conseil juri-dique, de ne pas acquitter un certain impôt, et de donnerdes instructions en ce sens à l'organe compétent de lasociété : l'impôt n'est pas payé; mais un procès intenté parl'autorité fiscale à la société se termine par la décision quel'impôt était dû, que donc le non-paiement de l'impôt étaitune infraction, et la société est condamnée au paiement etde l'impôt lui-même et d'une amende pécuniaire, étantordonné qu'à défaut de paiement, il sera procédé à exécu-tion forcée sur son patrimoine; on voit que dans de sem-blables hypothèses, la conduite illicite de l'organe compé-tent de la corporation que les statuts ou une norme poséesur la base des statuts habilitaient, est attribuée à la cor-

poration; il n'est pas admis que la conduite illicite se situeen dehors de l'habilitation donnée par les statuts, que lesindividus qui ont suivi cette conduite n'ont pas agi comme

organes de la corporation, c'est-à-dire n'ont pas agi d'une

façon attribuable à la corporation, il n'est pas admis queles statuts habilitant à cette conduite, et en particulier lanorme individuelle qui a habilité ou même a obligé un

organe à ne pas payer l'impôt, était nulle.Si l'on fait dépendre l'attribution aux collectivités des

(1) La même situation se rencontre dans le cas, dont il sera traitéultérieurement, où le droit international défend une conduite donnéedes Etats, alors que le droit interne oblige un organe étatique à cetteconduite (cf. infra, p. 432 et s.).

244 THÉORIE PURE DU DROIT

délits commis par un de leurs organes ou un de leurs membresdu fait que le délit était habilité, au sens étroit du terme,

par l'ordre qui fonde la collectivité, on devra observer quela réponse à la question de savoir si l'attribution à la col-

lectivité est possible dépend alors de l'interprétation de cetordre. La question peut devenir actuelle lorsqu'il s'agit de

porter un jugement sur des crimes politiques commis parles membres ou les organes d'une organisation politique;même si les statuts de cette organisation ne contiennent pasune disposition expresse habilitant ou invitant à commettrede tels crimes, on peut cependant admettre qu'ils sontcommis en vertu des statuts, si, en commettant un sem-blable crime l'organe ou le membre de l'organisation a agidans le sens et la ligne des buts, non pas sans doute expres-sément formulés, mais tacitement entendus, de l'organisa-tion.

Par ailleurs, l'attribution à une corporation d'une con-duite illicite habilitée par les statuts peut avoir lieu aussisur la base de statuts non valables. Etant donné que cette

opération intellectuelle, éminemment optionnelle, n'a abso-lument aucun caractère juridiquement relevant, on peututiliser comme schémas d'interprétation des statuts qui nesont pas valables du point de vue de l'ordre juridique, aussibien que des statuts valables. Ceci est le cas lorsque l'on aaffaire à des organisations politiques qui, bien que juridique-ment interdites, exercent en fait leur activité sur la base destatuts tenus secrets et qui habilitent leurs organes ou leurs

membres à commettre des crimes politiques, et qu'on leurattribue ces crimes en les qualifiant d'organisations subver-

sives, ou criminelles (1).Si l'on veut répondre à la question du « sujet » des obli-

gations que l'on présente comme obligations de la corpora-tion sans recourir à cette attribution, seul entre en lignede compte, comme sujet de cette obligation

— on l'a pré-cédemment établi —, l'individu qui peut par sa conduiteexécuter ces obligations ou les enfreindre, c'est-à-dire l'or-

(1) Dans la Charte du Tribunal International, qui constitue unepartie intégrante de V « Accord de Londres sur la poursuite et lechâtiment des grands criminels de guerre de l'Axe européen », il estdit à l'article 9 : « Dans le jugement des membres individuels d'un

groupe ou organisation quelconques, le Tribunal pourra déclarer(relativement à tout acte que l'individu pourrait être convaincud'avoir commis) que le groupe ou l'organisation dont l'individu fai-sait partie était une organisation criminelle. »

STATIQUE DU DROIT 245

gane compétent de la corporation. Les obligations qui entrentici en ligne de compte sont essentiellement des obligationspécuniaires; ces obligations pécuniaires doivent être exé-

cutées, non pas sur le patrimoine personnel de l'organe,mais sur un patrimoine que l'on qualifie généralement de

patrimoine de la corporation— comme nous le verrons —,

et que, si l'on ne recourt pas à cette attribution, on peutdu moins considérer comme un patrimoine commun (col-lectif) des membres de la corporation. Si l'on tient comptede ces données, on peut considérer l'obligation de la cor-

poration comme une obligation commune (collective) deses membres. Autrement dit, l'obligation considérée peutêtre attribuée, indifféremment, à la personne juridique de la

corporation ou aux membres de cette corporation. Mais ilfaut bien garder conscience que pas plus l'une que l'autrede ces deux attributions n'est nécessaire pour décrire lesfaits en cause.

De même que les obligations attribuées aux corporationsdoivent être exécutées, non pas sur le patrimoine personnelde tel de leurs organes, mais sur un patrimoine qualifié de

patrimoine de la corporation, de même l'exécution forcéesanction prévue par le droit étatique pour le cas d'inexécu-tion de ces obligations a lieu contre le patrimoine qui estattribué à la corporation, et non contre le patrimoine per-sonnel de l'organe. En vertu de cette attribution, on peutparler de sanctions dirigées contre la corporation et parconséquent de responsabilité de la corporation pour l'inexé-cution des obligations qu'un individu déterminé par lesstatuts devait exécuter en sa qualité d'organe de la cor-

poration.

p) La responsabilité de la personne juridique.

Même si l'on rejette l'idée de capacité délictuelle des cor-

porations, l'idée d'une responsabilité de ces corporationsn'en demeure pas moins acceptable ; simplement, il ne s'agirapas alors d'une responsabilité des corporations pour leurdélit propre, c'est-à-dire pour des délits à elles attribuables,mais d'une responsabilité pour des délits d'autrui, c'est-à-dire pour des délits commis par l'individu que les statuts

chargeaient d'exécuter cette obligation.Est responsable pour un délit l'individu contre lequel est

dirigé l'acte de contrainte conditionné par ce délit et quijoue le rôle de sanction. Au cas où la sanction consiste dans

246 THÉORIE PURE DU DROIT

le retrait forcé de valeurs patrimoniales, l'individu qui ala disposition du patrimoine et contre lequel se dirige l'actede contrainte est responsable sur sa personne, et l'individu

qui est le sujet des droits qui forment le patrimoine est res-

ponsable sur son patrimoine contre lequel doit avoir lieul'exécution forcée.

Si l'on envisage maintenant les corporations, la dispositiondu patrimoine à considérer appartient à un organe de la

corporation. Si comme réaction contre l'inexécution d'une

obligation imposée par l'ordre juridique étatique à la cor-

poration a lieu une exécution forcée contre ce patrimoine,l'acte de contrainte est dirigé contre l'organe, qui n'est donc

responsable pour l'inexécution de l'obligation que sur sa

personne seulement : cependant que, si l'on considère la

corporation comme sujet de ce patrimoine, on peut dire

que la corporation est responsable sur son propre patri-moine. Effectivement, on considère la corporation commele sujet de ce patrimoine; autrement dit, dans le langagecourant, on lui attribue les droits qui forment ce patrimoine.Mais, comme nous le verrons, on peut également interpré-ter ces droits comme des droits collectifs des membres dela corporation; autrement dit, on peut les attribuer à cesmembres comme des droits collectifs. Cette seconde inter-

prétation est en tout cas plus réaliste que la première, quiconstruit comme porteur de ces droits une personne fictive.Si on l'adopte, on peut dire que les membres de la corpo-ration sont responsables sur leur patrimoine collectif pourl'inexécution, par le fait d'un organe de la corporation, des

obligations imposées à celle-ci par l'ordre étatique. Si l'on

parle de responsabilité des corporations pour l'inexécutiondes obligations fondées par l'exécution civile, cela traduitles données suivantes : l'organe auquel appartient la dis-

position du patrimoine contre lequel l'exécution forcée doitavoir lieu, est responsable sur sa personne, et la corporationou les membres de la corporation sont responsables sur ce

patrimoine que l'on peut qualifier ou de patrimoine de la

corporation ou de patrimoine collectif des membres de la

corporation. Parler de responsabilité d'une corporation, c'estattribuer à la corporation le fait de subir le mal que repré-sente le retrait forcé de biens d'un patrimoine considérécomme le patrimoine de la corporation ou le patrimoinecollectif des membres de la corporation. Si l'on supposeque les statuts établissent l'obligation des organes de la

corporation d'exécuter les obligations statuées par l'ordre

STATIQUE DU DROIT 247

étatique, en attachant à l'inexécution de cette obligationd'organe une peine à prononcer contre l'organe, cette res-

ponsabilité pénale individuelle de l'organe s'ajoute à la res-

ponsabilité de la corporation (entendue comme l'on vient

de le dire).Si l'on considère les corporations comme sujets de droits

patrimoniaux, on peut sans difficulté aucune concevoir l'idée

d'une responsabilité des corporations pour les délits sanc-tionnés par l'exécution forcée sur le patrimoine. Une diffi-

culté surgit par contre lorsque la question est soulevée desavoir si une corporation peut être rendue responsable de

délits qui sont la condition d'autres sortes de sanctions, àsavoir de peines de liberté ou même (demande-t-on parfois)de la peine de mort, et qui ont été commis par les individus

qui y sont habilités (au sens étroit du terme) par les statuts,réellement efficaces, qu'ils soient publics ou secrets, valablesou non valables. L'idée d'une peine de liberté ou de la peinede mort exécutées contre une corporation semble effective-ment une représentation absurde. C'est aux hommes seule-ment que l'on peut enlever de force la liberté ou la vie àtitre de peine. Il semble impossible d'attribuer à une collec-tivité le fait de subir ce mal. Toutefois, les choses changentquelque peu si l'on y regarde de plus près ; on ne ressent

pas du tout comme absurde de dire qu'une peine pécuniaireest prononcée contre une corporation; or ceci signifie trèsexactement et uniquement que l'exécution forcée a lieu surle patrimoine de la corporation, qui est, selon une inter-

prétation plus réaliste, le patrimoine collectif de ses membres ;par suite, dire que la corporation est punie pour un délit

signifie simplement que ses membres répondent collective-ment de ce délit; dans ces conditions, l'idée d'une peinede liberté ou de mort qui serait prononcée contre une col-lectivité perd son caractère paradoxal. Il est possible qu'undroit étatique, dérogeant au principe posé en règle géné-rale dans le domaine du droit pénal de la responsabilitéindividuelle, dispose qu'au cas où un individu a commis undélit en sa qualité de membre ou d'organe d'une organisa-tion — interdite ou non interdite, secrète ou publique, il

n'importe —, ce ne sera pas cet individu seul qui devraêtre puni de prison ou de mort, mais que devront l'êtretous les membres ou certains organes particulièrement émi-nents de cette organisation. L'ordre juridique institue alorsune responsabilité collective qui est réalisée par la peinede privation de la liberté ou la peine de mort. Alors il n'est

248 THÉORIE PURE DU DROIT

pas plus absurde de considérer cette responsabilité collec-tive des membres de l'organisation comme une peine exé-cutable contre l'organisation, c'est-à-dire d'attribuer à lacollectivité la souffrance causée par le mal qu'est la peine,que de considérer comme dirigée contre la corporation l'exé-cution forcée effectuée sur le patrimoine d'une corporation ;et que de dire, en cas de peine pécuniaire, que la personne

juridique est punie; car dans ces cas aussi, l'on n'a à faireà rien d'autre qu'à une responsabilité collective des membres.

Cependant, il est vraisemblable qu'au cas où une loi pénaleétablirait une responsabilité collective sanctionnée par des

peines de mort ou de liberté, on se refuserait à attribuer à

l'organisation le fait pour les individus qu'elles atteindraientde subir ces peines ; la langue se révolterait pour ainsi dire,contre l'idée d'exprimer en un semblable cas l'opérationintellectuelle de l'attribution (1).

Y) Les droits des personnes juridiques.

Dans toutes les hypothèses où l'on présente un droit sub-

jectif au sens technique comme le droit d'une corporation,c'est-à-dire dans toutes les hypothèses où l'on attribue untel droit à une corporation, on se trouve en présence de cefait que ce droit devra être exercé par un organe déterminé

par les statuts. Rappelons qu'un droit subjectif est le pou-voir juridique de faire valoir au moyen d'une action en

justice l'inexécution d'une obligation, ou (on peut assi-miler ici les deux choses) la violation d'un droit-réflexe;

c'est donc ce pouvoir juridique qui devra être exercé parun organe déterminé par les statuts. Et en ce sens, c'est

cet organe qui est le sujet du droit en question. Si on l'at-

tribue à la corporation, c'est pour exprimer que l'exercicedu pouvoir juridique est prévu et réglé par les statuts. Si

c'est d'une obligation de prestation que l'inexécution est

en cause, la prestation doit avoir Heu à l'organe de la cor-

poration à qui il appartient, d'après les statuts, de la rece-

voir. S'agit-il d'une obligation de tolérer, en particulier,

(1) Il faut cependant prendre garde que, si l'on considère les rela-tions internationales, on trouve tout naturel de dire qu'un Etatconduit la guerre contre un autre Etat, bien que les actes de contrainteen quoi consiste la guerre : tuer, blesser, faire prisonnier, soient diri-

gés en réalité contre des hommes en tant que membres de l'Etat, et

que l'on attribue par conséquent le fait de subir ces maux à la per-sonne juridique ou corporation Etat. Cf. injra, p. 423 et p. 426 sq.

STATIQUE DU DROIT 249

dans le cas du droit de propriété, d'une obligation de tolérer

la disposition d'une certaine chose, cette obligation est une

obligation envers l'organe de la corporation auquel appar-tient d'après les statuts cette faculté de disposer. Mais les

statuts peuvent stipuler que l'usage d'une chose appartientaux membres de la corporation ; en ce cas, ils doivent néces-

sairement régler cet usage de la chose par les membres ; c'est

alors ce règlement qui doit être respecté en tant que dis-

position à l'égard de la chose. Si l'on parle d'une obligationà l'égard de la corporation ou d'un droit-réflexe de la cor-

poration, l'attribution incluse dans ces expressions traduit

tout simplement ce fait que les statuts déterminent les indi-

vidus à l'égard desquels existe l'obligation de prestationou l'obligation de tolérer. Dans ce cas, comme dans le casde l'attribution du pouvoir juridique à la corporation entant que personne juridique, on rapporte une donnée à

l'ordre juridique partiel ainsi personnifié qui fonde la cor-

poration.Mais le pouvoir juridique en question doit être exercé

dans l'intérêt des membres de la corporation, et l'exécutiondes obligations d'où résultent les droits-réflexes doit endernière analyse bénéficier aux membres de la corporation;

compte tenu de ces faits, on peut aussi opérer l'attributionaux membres de la corporation, et l'on peut parler de droitscollectifs de ces membres. Et alors l'on peut présenter le

patrimoine qui se compose de ces droits, indifféremment,soit comme le patrimoine de la corporation en tant quepersonne juridique, soit comme le patrimoine collectif desmembres de la corporation; et de la même façon, on peutprésenter une exécution forcée sur ce patrimoine, soit comme

signifiant une responsabilité de la corporation elle-même,soit comme signifiant une responsabilité collective desmembres de la corporation.

Ainsi, les obligations et les droits que la théorie tradi-tionnelle attribue aux corporations en qualité de personnes

juridiques sont donc, comme toutes les obligations et tousles droits, des obligations et des droits d'êtres humains, ence sens qu'ils ont pour contenu la conduite de certainshommes. Il n'y a nulle nécessité à les attribuer à la cor-

poration, à la traiter comme leur « porteur »; on ne sauraiten particulier invoquer dans le sens de l'idée contraire qu'ilsne peuvent pas être considérés comme des obligations oudes droits d'êtres humains, c'est-à-dire des membres de la

corporation; en effet, comme on l'a montré, ils peuvent

17. THÉORIEPUREDUDROIT,

250 THÉORIE PURE DU DROIT

très bien être attribués aux membres comme des obligationset des droits collectifs. En tout état de cause, il existe unedifférence entre ces obligations et ces droits, et ceux qui,d'après la théorie traditionnelle, ne devraient pas être attri-bués aux corporations en tant que personnes juridiques; àla différence des premiers, ceux-ci ne sont pas des obliga-tions et des droits collectifs des membres, mais bien des obli-

gations et des droits individuels; et la responsabilité pourl'inexécution des obligations que la théorie traditionnelleattribue aux corporations est une responsabilité collectivedes membres. Ceux-ci sont responsables sur leur patrimoinecollectif. Il est possible que seule une telle responsabilitécollective des membres soit prévue pour l'inexécution des

obligations attribuées aux corporations. Mais il se peut aussibien qu'à cette responsabilité collective s'ajoute

— commeon l'a vu précédemment

— la responsabilité individuelledes organes corporatifs auxquels les statuts de la corpo-ration font une obligation d'exécuter les obligations quel'ordre étatique lui impose; et il se peut que la responsabilitéde la corporation ne soit pas limitée au patrimoine collectifdes membres ; il se peut, au contraire, que soit prévue une

responsabilité individuelle des membres, c'est-à-dire une res-

ponsabilité sur leur patrimoine individuel, pour le cas oùle patrimoine de la corporation

— le patrimoine collectifdes membres — ne suffirait pas pour couvrir le dommagecausé par l'inexécution de l'obligation attribuée à la cor-

poration. C'est en cela que consiste la différence entre cor-

porations à responsabilité limitée et corporations à respon-sabilité illimitée.

L'attribution à la corporation d'obligations qui doiventêtre exécutées par des organes de la corporation, et dedroits que doit faire valoir une demande en justice d'un

organe de la corporation est de la même nature que l'attri-bution à l'incapable d'action d'obligations qui doivent êtreexécutées par son représentant légal et de droits dont lamise en oeuvre a lieu par une demande en justice de la partde ce même représentant légal. La seule différence entreces deux hypothèses consiste en ce que, dans le cas où il

s'agit d'organes, l'attribution est faite à une corporationpensée comme une personne juridique, alors que, dans lecas de la « représentation légale », elle a lieu à un individuhumain. L'organe corporatif « représente » la personne juri-dique corporation. Mais, si l'on a reconnu que les obliga-tions et droits en question peuvent être attribués aux

STATIQUE DU DROIT 251

membres de la corporation, en tant qu'obligations et droits

collectifs, il s'ensuit que l'organe corporatif peut être consi-déré comme un représentant des membres de la corpora-tion institué par les statuts. L'établissement des statuts estl'acte juridique qui fonde la relation entre organes de la

corporation et membres de la corporation. La question sisouvent discutée de la différence entre qualité d'organe et

représentation est une question d'attribution. La repré-sentation est attribution, tout aussi bien que la qualité d'or-

gane; un individu est représentant si et lorsque ses acteset les obligations exécutées par ses actes, ou les droits exer-cés par ses actes, sont attribués à un autre individu; il est

organe si et lorsque ses actes et les obligations exécutéeset les droits exercés par ses actes sont attribués à une

corporation considérée comme personne juridique,— ce qui

signifie : lorsqu'ils sont rapportés à l'unité d'un ordre nor-matif dont l'opération d'attribution fait une personne.

f) La personne juridique, concept auxiliairede la science du droit.

L'analyse précédente de la personne juridique aboutit àce résultat qu'aussi bien que la personne dite physique, elleest une construction de la science du droit. En tant quetelle, elle est aussi peu une réalité sociale que,

— commele voudrait une autre conception que certains soutiennent —,une création du droit. Lorsque l'on dit que l'ordre juridiqueconfère à un individu la personnalité juridique, cela signifiesimplement que la conduite de cet individu y apparaîtcomme contenu d'obligations et de droits. Mais ce n'est pasle droit, c'est la science du droit, qui exprime l'unité deces obligations et de ces droits au moyen de la notion de

personne physique, qui est distincte de la notion d'homme.C'est un moyen dont on peut se servir dans la descriptiondu droit à titre de concept auxiliaire, mais dont il n'est

pas nécessaire de se servir : l'état de choses créé par l'ordre

juridique peut être pareillement décrit sans faire appel àce concept. Lorsque l'on dit que l'ordre juridique confèrela personnalité juridique à une corporation, cela signifieque l'ordre juridique institue des obligations et des droitsqui ont pour contenu la conduite d'hommes qui sont organesou membres de la corporation fondée par des statuts, et

que cette donnée compliquée peut être décrite avantageu-

252 THÉORIE PURE DU DROIT

sèment, parce que d'une façon relativement simple, enrecourant à une personnification des statuts qui fondent la

corporation. Mais, répétons-le, cette personnification et son

résultat, le concept auxiliaire de personne juridique, ne sont

pas les produits du droit lui-même, mais les produits de lascience du droit attachée à décrire le droit. Certes, l'auto-rité qui crée le droit, le législateur, peut se servir lui ausside cette notion, comme il peut se servir de n'importe quellenotion créée par la science du droit. Cela ne change rien à

l'origine et au caractère de la notion. On l'a déjà soulignédans les pages antérieures, on peut personnifier tout ordrenormatif qui règle la conduite d'une pluralité d'individus;on peut rapporter les conduites qu'un tel ordre prévoit,les obligations dont cette conduite constituera l'exécution,ou les droits dont elle constituera la mise en oeuvre, à l'unitéde cet ordre, on peut les attribuer à la personne juridiqueque l'on aura ainsi construite.

Parfois, il est vrai, l'on distingue les collectivités (asso-ciations) qui ont la personnalité juridique et les collectivités

qui n'ont pas cette personnalité. Semblable opposition pro-vient du fait que l'on se sert ici d'une notion plus étroitede la personne juridique, et que l'on ne parle d'une telle

personne que lorsque l'ordre juridique adopte telles dis-

positions définies, lorsque par exemple il statue que lesmembres ne seront jamais responsables du tout, ou aumoins principalement, que sur leur patrimoine collectif. Maisce concept plus étroit de la personne juridique est, lui aussi,une construction de la science du droit, un concept auxi-

liaire, qu'il est loisible certes, mais nullement nécessaire,d'utiliser dans la description et l'analyse du droit. Le droitcrée des obligations et des droits qui ont pour contenu laconduite humaine; il ne crée pas des personnes. De même

qu'il ne faut pas attribuer à la science du droit une fonction

qui appartient au droit, de même faut-il prendre garde, ensens inverse, de ne pas attribuer au droit une fonction quiappartient à la science du droit.

g) L'abolition du dualisme du droit au sens objectifet du droit au sens subjectif.

Selon les représentations de la science du droit tradition-

nelle, le sujet de droit —personne physique ou personne

juridique— avec « ses » obligations et « ses » droits, repré-

STATIQUE DU DROIT 253

sente le droit en un sens subjectif; la possession d'un droit

qualifié de droit subjectif n'est qu'un cas particulier de cette

conception large.Et ce droit entendu en ce sens subjectif large se dresse

en face du droit objectif, de l'ordre juridique, c'est-à-dire

d'un système de normes, comme un domaine distinct de

celui-ci.La théorie pure du droit élimine ce dualisme ; elle ramène

le soi-disant droit au sens subjectif au droit au sens objectif,car elle dissout le concept de personne, parce qu'elle montre

qu'il répond simplement à la personnification d'un complexede normes juridiques, et parce qu'elle réduit l'obligation et

le droit subjectif (au sens technique) à la norme juridique,

qui attache une sanction à une conduite déterminée d'un

individu et qui fait dépendre l'exécution de la sanction d'une

demande en justice tendant à cet effet; ce faisant, la théorie

pure du droit fait litière de cette attitude subjectiviste à

l'égard du droit, au service de laquelle doit jouer la notion

de droit au sens subjectif,— cette façon de le concevoir,

caractéristique des avocats, qui consiste à n'envisager le

droit que du point de vue de l'intérêt des parties, c'est-à-

dire en considérant seulement ce qu'il signifie pour le par-ticulier, dans quelle mesure il lui est utile — c'est-à-dire

sert ses intérêts —, dans quelle mesure il lui nuit, c'est-à-

dire le menace d'un mal ou d'un désavantage. C'est là

l'attitude typique de la « jurisprudence » romaine qui, sortie

pour l'essentiel de la pratique de jurisconsultes,— de

juristes consultants et répondants, a été reçue en même temps

que le droit romain lui-même. En opposition radicale, la

théorie pure du droit prend et exprime une attitude plei-nement universaliste et objectiviste. Elle va essentiellementet par principe à la totalité du droit, considéré dans sa vali-

dité objective, et cherche à saisir chaque phénomène par-ticulier uniquement dans ses relations de système avec tousles autres, à saisir, dans chaque partie du droit, la fonctiondu droit tout entier. En ce sens, elle représente une concep-tion du droit véritablement organique. Mais si elle conçoitle droit comme un organisme, elle n'entend pas par là quele droit serait quelque entité supra-individuelle, supra-empi-rique et métaphysique,

—représentation derrière laquelle

se dissimulent le plus souvent des postulats éthico-poli-tiques —; cela veut dire pour elle uniquement et exclusive-ment que le droit est un ordre et que, par suite, tous les

problèmes du droit, tous les problèmes juridiques doivent être

254 THÉORIE PURE DU DROIT

posés et doivent être résolus comme des problèmes relatifs àun ordre. La théorie du droit devient ainsi une analyse dela structure du droit positif qui, libérée de tout jugementde valeur éthico-politique vise à être le plus exacte possible.

TITRE V

DYNAMIQUE DU DROIT

34. — LE FONDEMENT DE LA VALIDITÉ

DES ORDRES NORMATIFS :

LA NORME FONDAMENTALE.

a) Le fondement de la validité : sens de la question.

Si l'on conçoit le droit comme un ordre normatif, commeun système de normes qui règlent la conduite d'êtres

humains, une question se pose aussitôt : qu'est-ce qui fondel'unité d'une pluralité de normes, pourquoi une norme don-née fait-elle partie d'un ordre déterminé ? Et cette questionest en connexion étroite avec cette autre : pourquoi unecertaine norme est-elle valable, quel est le fondement desa validité (Geltungsgrund) ?

Dire qu'une norme se rapportant à la conduite d'êtreshumains « est valable (gilt) », c'est affirmer qu'elle est obliga-toire (cerbindlich), que ces individus doivent se conduire dela façon qu'elle prévoit. Déjà dans un chapitre précédent,on a expliqué qu'à cette question de savoir pourquoi unenorme est valable, c'est-à-dire pourquoi des individus doiventse conduire de telle ou telle façon, ou ne peut pas répondreen constatant un fait positif, un fait de Sein, et qu'ainsile fondement de validité d'une norme ne peut pas se trouverdans un semblable fait. De ce que quelque chose est, il ne

peut pas s'ensuivre que quelque chose doit être; non plus

256 THÉORIE PURE DU DROIT

que, de ce que quelque chose doit être, il ne peut s'ensuivre

que quelque chose est. La validité d'une norme ne peutavoir d'autre fondement que la validité d'une autre norme.En termes figurés, on qualifie la norme qui constitue lefondement de la validité d'une autre norme de norme supé-rieure par rapport à cette dernière, qui apparaît donc commeune norme inférieure à elle.

Aux affirmations qui précèdent, on objectera peut-êtrequ'il est cependant possible de fonder la validité d'unenorme sur le fait qu'elle a été posée par quelque autorité,être humain ou être surhumain ? Ne fonde-t-on par exemplela validité des Dix Commandements sur le fait que DieuJéhovah les a donnés sur le Mont Sinaï ? Ou encore, ne dit-on pas que l'on doit aimer ses ennemis, parce que Jésus,Fils de Dieu, l'a ordonné dans le Sermon sur la Montagne ?En vérité, il n'y a là qu'apparences : dans les deux cas

cités, le principe de la validité n'est pas le fait que Dieuou le Fils de Dieu a posé à un moment déterminé et enun lieu donné une norme donnée; ce principe de validité—

que sans doute on n'exprime pas, mais que l'on pré-suppose

— est bien en réalité une norme, et non pas un fait :la norme que l'on doit obéir aux commandements de Dieu

(ou aux commandements de son Fils). Il est certes bienvrai que, dans le syllogisme dont la majeure énonce la norme

supérieure : on doit obéir aux commandements de Dieu (ouaux commandements de son Fils), et dont la conclusionénonce la norme inférieure ; on doit obéir aux Dix comman-dements (ou au commandement d'aimer ses ennemis), la

proposition qui énonce un fait de Sein : Dieu a donné lesDix Commandements (ou : le Fils de Dieu a ordonné d'aimerses ennemis), constitue un élément essentiel, en qualité de

sous-proposition. Majeure et mineure sont toutes deux condi-tions de la conclusion. Mais seule la majeure, qui est une

proposition de Sollen, est conditio per quam par rapport àla conclusion, qui est également une proposition de Sollen;c'est-à-dire que c'est bien la norme énoncée dans la majeurequi est le fondement de la validité de la norme énoncée dansla conclusion. La proposition de Sein qui joue le rôle demineure est seulement conditio sine qua non par rapportà la conclusion; autrement dit, le fait de Sein énoncé dansla mineure n'est pas le fondement de la validité de la normeénoncée dans la conclusion.

La norme énoncée dans la majeure : l'on doit obéir auxcommandements de Dieu (ou de son Fils), est incluse dans

DYNAMIQUE DU DROIT 257

l'hypothèse que les normes dont on veut déterminer le fon-dement de validité émanent d'une autorité, c'est-à-direde quelqu'un qui a capacité, ou compétence, pour poser desnormes valables; cette norme confère à la personnalité quipose les normes 1' « autorité » de poser des normes. Le faitbrut que quelqu'un commande quelque chose n'est jamaisune raison suffisante de considérer le commandement en

question comme une norme valable, c'est-à-dire obligatoirepour son adressataire. Seule une autorité compétente peutposer des normes valables; et la compétence en questionne peut reposer que sur une norme habilitant à la créationde normes. A cette norme, l'autorité qui reçoit le pouvoirde création de normes est soumise, aussi bien que les indivi-dus obligés à l'obéissance à l'égard des normes qu'elle posera.

Comme on l'a noté dans un alinéa précédent, la norme

qui constitue le fondement de validité d'une autre normeest par rapport à celle-ci une norme supérieure. Mais il est

impossible que la quête du fondement de la validité d'unenorme se poursuive à l'infini, comme la quête de la caused'un effet. Elle doit nécessairement prendre fin avec unenorme que l'on supposera dernière et suprême. En tant

que norme suprême, il est impossible que cette norme soit

posée,—- elle ne pourrait être posée que par une autorité,

qui devrait tirer sa compétence d'une norme encore supé-rieure, elle cesserait donc d'apparaître comme suprême.La norme suprême ne peut donc être que supposée. Savalidité ne peut plus être déduite d'une norme supérieure;le fondement de sa validité ne peut plus faire l'objet d'une

question. Nous appellerons une semblable norme, une norme

supposée suprême : la norme fondamentale (Grundnorm).On a déjà dû y faire allusion dans d'autres passages (voirp. 13, p. 31, p. 76 sq.).

Toutes les normes dont la validité peut être rapportée àune seule et même norme fondamentale forment un systèmede normes, un ordre normatif. La norme fondamentale estla source commune de la validité de toutes les normes quiappartiennent à un seul et même ordre ; elle est le fondementcommun de leur validité. L'appartenance d'une norme àtel ou tel ordre a sa source dans le fait que le fondementultime de sa validité est la norme fondamentale de cetordre. C'est cette norme fondamentale qui fonde l'unitéd'une pluralité de normes, par le fait qu'elle représente lefondement de la validité de toutes les normes appartenantà cet ordre.

258 THÉORIE PURE DU DROIT

b) Deux sortes de principes d'unité pour les systèmesnormatifs : le principe statique et le principe dynamique.

D'après la nature du fondement de leur validité, on peut

distinguer deux types de systèmes de normes : un type sta-

tique, et un type dynamique.Dans un système du premier type, c'est en vertu de leur fond

ou contenu que ses normes sont valables, —qu'en d'autres

termes, la conduite humaine qu'elles prévoient est considéréecomme devant se produire —; c'est parce que leur validité

peut être rapportée à une norme sous le fond de laquelleleur propre fond se laisse subsumer comme le particuliersous le général. Par exemple, les normes : on ne doit pasmentir, on ne doit pas tromper, on doit tenir ses promesses,on ne doit pas porter de faux témoignage, peuvent êtredéduites d'une norme qui ordonne la sincérité. De la norme

qui prescrit d'aimer son prochain, on peut déduire lesnormes : on ne doit infliger aucun mal à son prochain, en

particulier on ne doit pas le tuer, on ne doit lui causeraucun dommage physique ou moral, on doit l'assister lors-

qu'il est dans le besoin. Certains pensent que la norme desincérité et la norme d'amour du prochain peuvent être

rapportées à une norme supérieure encore plus générale,par exemple à la norme : on doit chercher à être en harmonieavec l'univers. Une telle norme peut servir de base à un ordremoral d'un contenu très riche. — Etant donné que toutes lesnormes d'un ordre de ce type sont déjà incluses dans la norme

supposée, on peut les en déduire par voie d'opération logi-que, en concluant du général au particulier. Si on la supposecomme norme fondamentale, cette norme fournit le fonde-ment de la validité aussi bien que le contenu de validité desnormes que l'on en peut déduire au moyen d'une opérationlogique. Un système de normes dont tant le fondement devalidité que le contenu de validité (Geltungsinhalt) sontainsi déduits d'une norme supposée comme norme fondamen-

tale, est un système de normes statique. Le principe quisert à fonder la validité des normes est un principe statique.

Seulement, la norme de laquelle d'autres normes sontdéduites comme le particulier du général, aussi bien en ce

qui concerne le fondement de leur validité qu'en ce quiconcerne aussi le contenu de leur validité, ne peut êtreconsidérée comme une norme fondamentale que si l'on

admet que son contenu à elle-même est immédiatementévident. Effectivement, il est très fréquent que l'on rap-

DYNAMIQUE DU DROIT 259

porte le fondement de validité et le contenu de validité

des normes d'un système moral à une norme considérée

comme immédiatement évidente. Dire qu'une norme est

immédiatement évidente équivaut à admettre qu'elle est

donnée dans la raison et par la raison. L'idée d'une normeimmédiatement évidente présuppose le concept d'une rai-

son pratique, c'est-à-dire d'une raison qui pose des normes.Mais on montrera que ce concept est indéfendable, parce quela raison a pour fonction la connaissance, et non le vouloir;or, la création de normes est un acte de la volonté. Il s'ensuit

de là qu'il ne peut pas exister de normes immédiatementévidentes. Si l'on affirme qu'une norme de laquelle sont

déduits le fondement de validité et le contenu de validitéde normes morales est immédiatement évidente, ce ne peutêtre que parce que l'on croit qu'elle est posée par la volontéde Dieu ou d'une autre autorité supra-humaine, ou parce

qu'elle a été créée par la coutume et que par suite — commetout ce qui est coutumier ou habituel — elle est tenue pourévidente. Il s'agit par conséquent d'une norme posée par unacte de volonté. Mais alors sa validité ne peut trouver sonfondement ultime que dans une norme présupposée d'aprèslaquelle on doit se conduire de la façon qui correspond auxcommandements de l'autorité qui l'a posée ou aux normescréées par voie de coutume. Or, une telle norme ne peutfournir que le fondement de validité des normes reposantsur elle, elle ne peut fournir leur contenu de validité. Cesnormes forment donc en réalité un système de normes dyna-mique; le principe qui sert à fonder la validité des normesde ce système est en vérité un principe dynamique.

Ce qui caractérise en effet ce type dynamique, c'est lefait que la norme fondamentale présupposée ne contient riend'autre que l'institution d'un fait créateur de normes, l'habi-litation d'une autorité créatrice de normes, ou •— celarevient au même — une règle qui détermine commentdoivent être créées les normes générales et les normes indi-viduelles de l'ordre qui repose sur cette norme fondamen-tale. Un exemple éclairera cette idée : un père ordonne àson enfant d'aller à l'école. A la question de l'enfant : pour-quoi dois-je aller à l'école ? on pourra répondre : parce queton père l'a ordonné et que l'enfant doit obéir aux ordresde son père. Mais l'enfant pose alors cette nouvelle ques-tion : mais pourquoi dois-je obéir aux ordres de mon père ?On lui répondra peut-être : parce que Dieu a ordonnéd'obéir aux parents, et que l'on doit obéir aux ordres de

260 THÉORIE PURE DU DROIT

Dieu. Si là-dessus l'enfant demande : mais pourquoi dois-jeobéir aux ordres de Dieu ?, c'est-à-dire s'il met en questionla validité de cette norme, il faudra répondre que l'on nedoit précisément pas mettre cette norme en question, c'est-

à-dire chercher le fondement de sa validité, que l'on ne

peut que la supposer. Mais il n'est pas possible de déduirede cette norme fondamentale le contenu de la norme quiformait le point de départ de la chaîne : l'enfant doit allerà l'école. Car la norme fondamentale se borne à déléguerune autorité créatrice de normes, c'est-à-dire à poser une

règle conformément à laquelle les normes de ce systèmedoivent être créées. La norme qui forme le point de départde la question ne vaut pas en raison de son contenu; ellene peut pas être déduite de la norme fondamentale sup-posée par une opération logique. Elle doit nécessairement être

posée par un acte du père, et —pour employer la formule

usuelle — elle vaut parce qu'elle a été posée de cette façon,ou — selon une formulation plus exacte — elle vaut parcequ'on suppose valable une norme fondamentale qui établiten dernière analyse ce mode de création de normes. A unordre qui repose sur une norme fondamentale de ce type,une norme donnée appartient parce qu'elle est créée de la

façon déterminée dans la norme fondamentale, et non pasparce qu'elle a tel contenu déterminé. La norme fonda-mentale ne fournit que le principe de validité des normes

qui forment ce système; elle ne fournit pas le contenu de

ces normes. Ce contenu ne peut être déterminé que par desactes par lesquels l'autorité habilitée par la norme fon-damentale et les autorités habilitées à leur tour par cette

première autorité posent les normes positives de ce système.Autre exemple : dans un groupe social, une tribu, est en

vigueur la norme qu'un homme qui prend une fille pourfemme doit donner au père ou à l'oncle de la fiancée un cer-tain « prix de fiançailles ». Si l'on pose la question de savoir

pourquoi il doit agir ainsi, il faudra répondre : parce quedans cette tribu, un prix de fiançailles a depuis toujoursété payé

— autrement dit : parce que l'on suppose, et quela coutume y est de payer un tel prix, et qu'il est évident

que l'individu doit se conduire de la façon dont tous les

autres membres du groupe ont accoutumé de se conduire.Voilà la norme fondamentale de l'ordre normatif qui fondecette collectivité. Elle institue la coutume comme fait créa-teur de normes. Les deux exemples représentent le type

dynamique des systèmes de normes.

DYNAMIQUE DU DROIT 261

Il est parfaitement possible qu'un seul et même systèmede normes combine le principe statique et le principe dyna-mique : si, par exemple, la norme fondamentale supposéeest de type dynamique et ne fait qu'habiliter une autoritécréatrice de normes, mais que celle-ci ou une autorité ins-tituée par elle ne pose pas uniquement des normes quidélèguent d'autres autorités créatrices de normes, mais poseégalement des normes qui prescrivent une certaine conduitedes sujets soumis aux normes et que de ces normes, d'autresnormes peuvent être déduites par une opération logique,comme le particulier du général. Les Dix Commandementsinstituent les parents comme autorités créatrices de normes ;mais ils posent également des normes générales du contenu

desquelles des normes particulières peuvent être déduitessans qu'il y soit besoin d'un acte de création de normes,comme par exemple la norme : tu ne dois pas reproduirela figure de Dieu ou la figure de l'homme, etc.. Du comman-dement d'amour du Christ peuvent être logiquement déduitesune quantité de normes morales particulières. En donnantle fondement des normes qui sont déduites logiquementd'un commandement de Dieu ou d'un commandement du

Christ, c'est du principe statique que l'on fait application;en donnant le fondement de la validité d'un commandementde Dieu par la norme fondamentale : on doit obéir auxcommandements de Dieu, et le fondement de la validitédes commandements du Christ par la norme fondamentale :on doit obéir aux commandements du Christ, c'est le prin-cipe dynamique que l'on met en oeuvre.

c) Le fondement de la validité des ordres juridiques.

Les systèmes de normes qui se présentent comme desordres juridiques ont pour l'essentiel un caractère dyna-mique. Une norme juridique n'est pas valable parce qu'ellea un certain contenu, c'est-à-dire parce que son contenu

peut être déduit par voie de raisonnement logique d'unenorme fondamentale supposée, elle est valable parce qu'elleest créée d'une certaine façon, et plus précisément, en der-nière analyse, d'une façon qui est déterminée par une norme

fondamentale, norme supposée ; c'est pour cette raison, et

pour cette raison seulement qu'elle fait partie de l'ordre

juridique dont les normes sont créées conformément à cettenorme fondamentale. Il suit de là que n'importe quel contenu

peut être droit. Il n'existe pas de conduite humaine qui

262 THÉORIE PURE DU DROIT

serait exclue comme telle, en raison de son fond, de la pos-sibilité de devenir le contenu d'une norme juridique, c'est-à-dire d'être visée et réglée par l'ordre juridique. On ne

peut pas davantage nier qu'une norme juridique donnéesoit valable, on ne peut pas refuser de reconnaître sa vali-

dité, en invoquant que son contenu contredirait à celui d'uneautre norme qui ne fait pas partie de l'ordre juridique surla norme fondamentale duquel repose la validité de la normeen question. La norme fondamentale d'un ordre juridiquen'est pas une norme matérielle qui serait supposée commenorme fondamentale parce que son contenu serait considérécomme immédiatement évident et de laquelle se laisseraientdéduire logiquement des normes de conduite humaine —

comme le particulier du général. Les normes d'un ordre

juridique doivent nécessairement être posées par un actede création particulier (1). Ce sont des normes posées, c'est-à-dire positives, elles sont les éléments d'un ordre positif.Si l'on entend par Constitution d'une collectivité juridiquela norme ou les normes qui déterminent comment, c'est-à-

(1) MENGER,op. cit. (v. supra, p. 8), p. 20-21, nie la possibilité dedéduire logiquement des normes juridiques concrètes de la normefondamentale d'un ordre juridique. Il a indubitablement raison, maisil se trompe en croyant que cette thèse atteint la Théorie pure dudroit : celle-ci affirme que l'on ne peut déduire de la norme fonda-mentale que le fondement de la validité des normes juridiques con-crètes, mais non pas leur contenu. — C'est pourquoi Wedberg inter-prète de façon erronée la théorie de la norme fondamentale, lorsqu'ilaffirme (op. cit., p. 256) : « KELSEN maintient que chaque systèmejuridique contient une seule norme fondamentale (basic rule), où toutesles autres normes du système, sont virtuellement incluses ». En vérité,la norme fondamentale n'est pas « contenue » dans un ordre juridiquepositif, car elle n'est pas une norme positive, c'est-à-dire posée, maisune norme supposée dans la pensée juridique : et il n'est pas plus exactque les normes de l'ordre juridique — et par conséquent leur contenu —« s'ensuivent » de la norme fondamentale : de la norme fondamentaledécoule seulement la validité objective des normes, et nullement lesnormes remplies d'un contenu elles-mêmes. WEDBERG objecte à lathéorie de la norme fondamentale : « Si nous avons un lot fini derègles Px ... P„, nous pouvons toujours les combiner en la règle conjonc-tive unique 7± et ... P„. En soulignant que tout système juridique estvirtuellement inclus en une règle unique, KELSEN désire-t-il établirque tout semblable système est virtuellement inclus dans une normefondamentale qui n'équivaut pas à la conjonction de plusieurs règles? ».En vérité, il est bien évident que la norme fondamentale n'équivautpas à la somme totale des normes positives d'un ordre juridique. Lanorme fondamentale est une norme différente de ces normes positives,une norme qui constitue le fondement de leur validité, et qui n'estpas posée, mais supposée.

DYNAMIQUE DU DROIT 263

dire par quels organes et suivant quelle procédure, doivent

être créées les normes générales de l'ordre juridique quifonde la collectivité •— soit par formulation et édictionconsciente du droit, en particulier par législation, soit parcoutume —, la norme fondamentale est cette norme quiest supposée lorsque l'on reconnaît le caractère objectif de

fait créateur de normes, soit à la coutume par laquelle laConstitution a été fixée, soit à l'acte constituant fait ou

posé consciemment par tels et tels hommes ; ou encore, dans

le second cas, lorsque l'on considère l'individu ou l'assem-blée d'individus qui ont établi la Constitution sur laquellel'ordre juridique repose, comme autorité créatrice de normes.En ce sens, la norme fondamentale opère institution de

l'élément fondamental des opérations de création du droit;et en ce sens, on peut la désigner en parlant par oppositionà la Constitution au sens du droit positif de Constitution

au sens de la logique juridique. Elle est le point de départd'une procédure : de la procédure de création positive du

droit. Elle n'est elle-même pas une norme posée, posée parla coutume ou par l'acte d'un organe juridique; elle n'est

pas une norme positive; l'instance constitutionnelle étantconsidérée comme une autorité suprême, et ne pouvant parsuite pas être considérée comme tenant le pouvoir d'établirla Constitution d'une norme posée par une autorité supé-rieure, la norme-fondement ne peut être que « supposée ».

Si l'on pose la question du fondement de la validité d'unenorme juridique appartenant à un ordre juridique déter-

miné, la réponse ne peut consister qu'à la rapporter à lanorme fondamentale de cet ordre juridique, autrement dit :elle réside dans l'assertion que cette norme a été crééeconformément à la norme fondamentale.

Dans les développements qui vont suivre, on raisonneratout d'abord exclusivement sur les ordres juridiques éta-

tiques, c'est-à-dire sur des ordres juridiques dont la validitéest limitée pour chacun à un certain espace, appelé le ter-ritoire de l'Etat, et qui sont considérés chacun comme sou-

verain, c'est-à-dire comme n'étant subordonné à aucunordre juridique supérieur. Il faut commencer par examinerle problème du fondement de la validité des normes desordres juridiques étatiques en faisant abstraction de l'exis-tence possible d'un ordre juridique international, que celui-ci doive être considéré comme supérieur à ces ordres juri-diques ou comme y étant incorporé.

La question du fondement de la validité d'une norme juri-

264 THÉORIE PURE DU DROIT

dique qui fait partie d'un certain ordre juridique étatiquepeut

— comme on l'a déjà indiqué dans un passage précé-dent — se poser à l'occasion d'un acte de contrainte, parexemple lorsqu'à propos de l'acte par lequel un individuenlève par force la vie à un autre individu, par exemple pro-voque sa mort par pendaison, on pose la question de savoir

pourquoi cet acte est un acte de droit, l'exécution d'une

peine, et non pas un meurtre ou assassinat. On ne peut voiren cet acte un acte de droit, plus précisément l'exécutiond'une peine, et non pas un meurtre, que s'il est ordonné

par une norme juridique, plus précisément si une norme

juridique individuelle pose qu'il doit avoir lieu, une norme

qui se présente comme un jugement, un acte juridictionnel.Mais ceci fait surgir la question de savoir à quelles condi-tions il est loisible d'adopter une telle interprétation, pour-quoi il s'agit dans le cas présent d'un acte juridictionnel,d'un jugement; pourquoi la norme individuelle ainsi poséeest une norme juridique valable, qui appartient à un ordre

juridique en vigueur et doit par conséquent être appliquée.A cette question, il faudra répondre : parce que cette normeindividuelle a été posée en application du Code pénal quicontient une norme générale suivant laquelle, lorsque tellesconditions sont réunies qui sont effectivement données dansle cas présent, il devra y avoir condamnation à mort. Maison devra demander alors : quel est le fondement de la vali-dité de ce Code pénal ? A quoi l'on obtiendra cette réponse :le Code pénal vaut, est valable, parce qu'il a été adopté parle corps législatif et parce qu'une norme de la Constitutionde l'Etat donne à celui-ci le pouvoir de poser des normes

générales. Soit; mais où donc se trouve le fondement dela validité de cette Constitution, sur laquelle reposent àson tour la validité de toutes les normes générales et la vali-dité des normes individuelles créées sur la base de ces normes

générales ? Quel est donc le fondement de la validité deces normes qui règlent la création des normes générales,en déterminant par quels organes et suivant quelle pro-cédure elles doivent être créées ? En répondant à cette ques-tion, on arrive peut-être à une Constitution plus ancienne,autrement dit l'on fonde la validité de la Constitution

étatique du moment en invoquant qu'elle a été établie confor-mément aux dispositions d'une Constitution étatique anté-

rieure, qu'elle est issue d'une modification de la Constitution

opérée conformément à cette Constitution, donc confor-mément à une norme positive posée par une autorité juri-

DYNAMIQUE DU DROIT 265

dique; mais en suivant cette voie, on arrive finalement àune Constitution qui est historiquement première, qui n'est

plus née de la façon qui vient d'être caractérisée, et dont

par suite la validité ne peut plus être rapportée à une norme

positive créée par une autorité de droit, — une Constitu-tion qui est entrée en vigueur de façon révolutionnaire,c'est-à-dire ou bien en violation de la Constitution précé-demment en vigueur, ou bien pour une sphère qui, anté-

rieurement, n'était pas le domaine de validité d'une Cons-titution étatique et d'un ordre juridique reposant sur elle.

Que l'on demande alors enfin quel est le fondement de lavalidité de cette Constitution historiquement première, c'est-à-dire d'une Constitution qui n'est pas née par voie de ,modification constitutionnelle d'une Constitution précé-dente. Si d'une part on se rappelle que l'on s'interdit pro-visoirement de prendre en considération l'existence d'undroit international, et si d'autre part l'on renonce à rap-porter la validité de la Constitution et la validité des normescréées en conformité de cette Constitution à une norme quiaurait été posée par une autorité métajuridique telle queDieu ou la Nature —, il n'y a qu'une réponse possible :la validité de cette Constitution, son caractère de norme

obligatoire, doivent être supposés, admis comme hypo-thèses, si l'on veut qu'il soit possible d'interpréter les actes

posés conformément à ses dispositions comme la créationou l'application de normes juridiques générales valables,et les actes faits en application de ces normes juridiquesgénérales, comme la création ou l'application de normes

juridiques individuelles valables.Il faut de toute nécessité que cette hypothèse soit une

norme, puisque seule une norme peut être le fondement dela validité d'une autre norme : mais elle ne sera pas unenorme posée par une autorité juridique, mais une norme

supposée, c'est-à-dire une norme que l'on suppose si l'onreconnaît à la signification subjective et de l'acte consti-tuant et des actes créateurs de normes posés conformémentà la Constitution, le caractère de signification objectiveaussi.

Etant donné qu'il s'agit de la norme fondamentale d'unordre juridique, c'est-à-dire d'un ordre qui prévoit des actesde contrainte, la proposition qui décrit cette norme, le prin-cipe, la proposition fondamentale, de l'ordre juridique en

question s'énoncera de la façon suivante : des actes decontrainte doivent être posés sous les conditions et de la

18. THÉORIEPUREDUDROIT.

266 THÉORIE PURE DU DROIT

manière que prévoient la Constitution étatique histori-

quement première et les normes posées conformément àcette Constitution ; ou, en forme abrégée : on doit se conduirede la façon que la Constitution prescrit.

Les normes d'un ordre juridique dont cette norme fonda-mentale est le fondement de validité commun sont — commele montre le processus de remontée jusqu'à la norme fon-damentale qui a été décrit dans les pages précédentes —

n'est pas un complexe de normes en vigueur les unes à côtédes autres, mais une pyramide ou hiérarchie de normes quisont superposées, ou subordonnées les unes aux autres, supé-rieures ou inférieures. L'analyse précise de cette structure

propre de l'ordre juridique sera présentée par la suite.

d) La norme fondamentale

comme hypothèse logique-transcendantale.

Si l'on veut se faire une idée juste de ce qu'est la norme

fondamentale, il faut avant tout conserver présent à l'espritqu'une norme fondamentale se rapporte : de façon immé-

diate, à une Constitution déterminée, qui a été posée effec-

tivement, qui a été créée soit par la coutume soit par unacte conscient d'édiction, et qui est en gros et en généralefficace; de façon médiate, à l'ordre de contrainte qui a étécréé conformément à cette Constitution et qui est en groset en général efficace; elle fonde la validité de cette Cons-titution d'abord, et de l'ordre juridique tout entier dontcelle-ci est la base, ensuite (1). Le norme fondamentale quel'on attribue à un certain ordre juridique n'est donc abso-lument pas le produit d'une pure et libre invention. Si l'on

suppose telle norme fondamentale, ce n'est pas par une décision

arbitraire; on n'a pas le choix entre diverses normes fon-

damentales; il s'agit de justifier le fait de reconnaître qu'uncertain acte constituant et des actes posés conformémentà la Constitution qu'il prétend établir ont la significationobjective qui correspond à leur signification subjective; il

(1) On parlera ultérieurement du cas particulier d'une norme fon-damentale qui — au lieu de se rapporter immédiatement à une Cons-titution et à elle seule, ne se rapportant que médiatement à l'ordrejuridique posé conformément à cette Constitution — se rapporteimmédiatement à l'ordre juridique tout entier. Cf. infra, p. 303 sq.Dans le présent passage, on néglige ce cas particulier, pour considérerexclusivement le cas normal d'une norme fondamentale qui ne se rap-porte, de façon directe, qu'à une Constitution.

DYNAMIQUE DU DROIT 267

s'agit de justifier la reconnaissance au contenu de ces actes

du caractère de normes objectivement valables, qui entraî-

nera pour les rapports fondés par ces normes le caractère

de rapports de droit. Il n'y a qu'un moyen de fournir ces justi-fications, de fonder ces interprétations c'est de supposer cette

norme fondamentale relative à une Constitution déterminée,c'est-à-dire de supposer que l'on doit se comporter confor-

mément à cette Constitution parfaitement individualisée.Mais il faut bien remarquer qu'en faisant l'hypothèse

d'une norme fondamentale, on n'affirme aucune valeur trans-

cendante au droit positif. Quel est le contenu de cette Cons-

titution et de l'ordre juridique étatique créé sur sa base ?

Cet ordre est-il juste ou injuste ? Ces questions n'entrent

pas en ligne de compte; ni davantage le point de savoir si

cet ordre juridique garantit effectivement un relatif état de

paix au sein de la collectivité qu'il fonde.En tant que l'hypothèse d'une certaine norme fondamen-

tale permet seule de reconnaître à l'acte ou au fait consti-

tuants, et aux actes ou faits réalisés conformément à cette

Constitution, la signification objective qui concorde avec

leur signification subjective, c'est-à-dire de leur reconnaîtrele caractère de normes juridiques objectivement valables, on

peut dire que la norme fondamentale que présente la sciencedu droit est — s'il est permis d'utiliser par analogie un

concept de la théorie kantienne de la connaissance — lacondition logique transcendantale de cette interprétation. Demême que Kant pose la question de savoir comment une

interprétation des faits donnés à nos sens exempte de toute

métaphysique est possible dans les lois naturelles formulées

par les sciences de la nature, de même la théorie pure dudroit pose la question de savoir comment est possible une

interprétation de la signification de certains faits commeun système de normes juridiques objectivement valables,

descriptibles dans des propositions de droit, une interpréta-tion qui ne recoure pas à des autorités métajuridiques telles

que Dieu ou la Nature. A cette question de théorie de la

connaissance, la théorie pure du droit répond : une telle

interprétation est possible à la condition de supposer lanorme fondamentale, « on doit se conduire comme la Cons-titution le prévoit », c'est-à-dire de la façon qui correspondau sens subjectif de l'acte de volonté constituant, aux pres-criptions ou commandements du législateur constituant.Cette norme fondamentale a donc pour fonction de fonderla validité objective d'un ordre juridique positif, c'est-à-dire

268 THÉORIE PURE DU DROIT

de normes, posées par des actes de volonté humaine, d'unordre de contrainte en gros et en général efficace ; sa fonctionest d'asseoir l'interprétation de la signification subjectivede ces actes comme leur signification objective également.La fondation de la validité d'une norme positive, c'est-à-dire posée par un acte de volonté et qui prescrit une certaine

conduite, a lieu par une procédure syllogistique. Dans ce

syllogisme, la majeure est une norme considérée comme

objectivement valable, ou plus exactement : renonciation,l'assertion d'une telle norme, aux termes de laquelle on doitobéir aux commandements d'une certaine personne, c'est-à-dire se conduire conformément à la signification subjec-tive de ces actes de commandement ; la mineure est l'énoncédu fait que cette personne a prescrit que l'on doit se conduirede telle ou telle façon; et la conclusion : l'assertion de lavalidité de la norme que l'on doit se conduire de la façonainsi déterminée. Ainsi, la norme dont la majeure affirmela validité légitime le sens subjectif de l'acte de comman-dement dont la mineure pose l'existence, en en faisantson sens objectif pareillement. Pour reprendre un exempledéjà utilisé : on doit obéir aux commandements de Dieu;or Dieu a commandé d'obéir aux ordres des parents; parconséquent, on doit obéir aux ordres des parents.

La norme que la majeure pose—

proposition qui procurele fondement — comme une norme objectivement valableest une norme fondamentale si sa validité objective ne peutplus faire l'objet d'une question. Elle ne peut plus faire

l'objet d'une question si elle ne peut plus têre fondée par le

moyen d'un processus syllogistique. Et elle ne peut plusêtre fondée de cette façon si l'asssertion du fait que cettenorme a été posée par l'acte de volonté d'une personne ne

peut plus constituer la mineure d'un syllogisme. Tel est lecas lorsque la personne aux ordres de laquelle on doit obéirselon la norme qui est en question est considérée commeune autorité suprême,

—par exemple lorsque cette personne

est Dieu. Si la validité d'une norme ne peut plus être fondéede cette façon, elle doit être placée comme majeure en têted'un syllogisme, mais elle ne peut plus être elle-même énon-cée comme conclusion d'un nouveau syllogisme qui fondesa validité. Autrement dit : elle est supposée comme normefondamentale. C'est pourquoi la norme : « on doit obéiraux commandements de Dieu » utilisée pour fonder la vali-dité de la norme : « on doit obéir aux ordres des parents »

est une norme fondamentale. Car une éthique théologique,

DYNAMIQUE DU DROIT 269

qui considère Dieu comme une instance créatrice de normes

suprêmes, ne peut évidemment pas affirmer que qui que ce

soit d'autre ait commandé d'obéir aux commandements de

Dieu : ce quelqu'un serait alors une autorité supérieure à

Dieu. Et si l'on admettait que la norme : « on doit obéir

aux commandements de Dieu » a été posée par Dieu lui-

même, elle ne pourrait pas être le fondement de la validité

des normes posées par Dieu, étant donné qu'elle serait elle-même une norme posée par Dieu. Et ce n'est pas non plusl'éthique théologique qui peut, comme telle, poser cettenorme d'obéissance aux commandements de Dieu; étant

connaissance, elle ne peut pas être autorité créatrice denormes. Ainsi donc la norme : « on doit obéir aux comman-

dements de Dieu » ne peut pas, en tant que norme fonda-

mentale, être le sens subjectif de l'acte de volonté d'aucune

personne. Mais si la norme fondamentale ne peut pas êtrele sens subjectif d'un acte de volonté, elle ne peut alorsêtre que le contenu d'un acte intellectuel, d'un acte de

pensée. En d'autres termes : si la norme fondamentale ne

peut pas être une norme voulue, mais s'il est logiquementindispensable et nécessaire de l'énoncer dans la majeured'un syllogisme pour fonder la validité objective de normes,elle ne peut être qu'une norme pensée, une norme conçue

par l'intelligence (1).Ce que l'on vient de dire s'applique au droit. Du fait

qu'une science du droit positiviste considère le constituant

historiquement premier comme autorité juridique suprême,et qu'elle ne peut par conséquent pas affirmer que la norme :« on doit obéir aux commandements du constituant » soitle sens subjectif d'un acte de volonté d'une instance supé-rieure à ce constituant, par exemple d'un acte de volontéde Dieu ou de la Nature, elle admet qu'il est impossible defonder la validité de cette norme par un procédé syllogis-tique. Cette science du droit positiviste ne peut faire autrechose qu'établir que cette norme est — l'on vient d'expli-quer ce qu'il faut entendre par là —

supposée comme normefondamentale lorsque l'on s'attache à fonder la validité

objective des normes juridiques et par conséquent à inter-

préter un ordre de contrainte qui est au total efficace comme

(1) Une norme pensée n'est pas une norme dont le contenu seraitimmédiatement évident. La norme fondamentale d'un ordre juridiquepositif, que l'on formule dans les développements qui vont suivre,n'est nullement immédiatement évidente. Cf. infra, p. 297.

270 THÉORIE PURE DU DROIT

un système de normes juridiques objectivement valables (1).

(1) Karl ENGISCH,Die Einheit der Rechtsordnung, Heidelberg, 1935,p. 11 sq., admet sans doute dans son principe la théorie de la normefondamentale, mais croit trouver cette norme fondamentale dans laConstitution positive. Nous avons le droit, écrit-il, « si nous ne vou-lons pas nous enliser dans le formel, d'interpréter (la norme fonda-mentale) comme une règle qui légitime les instances suprêmes appe-lées à créer le droit », « règle qui, par exemple, dans les Etatsparlementaires, confère à la représentation nationale, et dans l'Alle-magne d'aujourd'hui au chancelier d'Empire et Fûhrer le pouvoirsuprême d'édiction du droit, déléguant tout autre pouvoir ».«Commeon le voit, nous entendons la norme fondamentale en un sens tout àfait matériel, pour les raisons suivantes : d'abord, une Constitutionconcrète peut contenir beaucoup plus que les seules règles sur lacréation du droit; ensuite, même si l'on n'en retient que les partiesqui s'occupent de la création du droit, la Constitution ne représentefréquemment qu'un développement et précision de ce qui était anté-rieurement déjà contenu implicitement dans une norme fondamentale— proclamée par exemple par voie de Révolution et qui s'est faitreconnaître; et enfin la Constitution peut, même sur le point de lacréation du droit, recevoir — précisément en vertu de la norme fon-damentale — des modifications particulières qui laissent la normefondamentale intacte ». En d'autres termes : ENGISCH« distingue » lanorme fondamentale de la Constitution seulement en ceci qu'il nel'identifie pas avec le document intitulé « Constitution », c'est-à-dire laConstitution au sens formel; mais il dénomme « norme fondamentale »une norme de droit positif, c'est-à-dire ce que j'appelle la Constitutionau sens matériel. Conséquemment, il repousse une « interprétation » delogique juridique de la norme fondamentale. — Que la Constitutionau sens matériel soit la base de droit positif du processus de créationdu droit — et la « norme fondamentale » telle qu'ENGiscH la conçoitne signifie rien d'autre —, cela est une parfaite évidence. Pour éta-blir cette évidence, il n'y a pas besoin d'une théorie particulière dela norme fondamentale. Le problème que la Théorie pure du droitcherche à résoudre par la théorie de la norme fondamentale naît seu-ment lorsque l'on soulève la question de savoir quel est le principede validité de la Constitution positive ; et la norme qui est ce principede validité ne peut pas être une norme positive, c'est-à-dire posée;elle ne peut être qu'une norme supposée. A celui qui ferme les yeuxà la nécessité théorique de poser cette question, le caractère « delogique juridique » de la norme fondamentale de la théorie pure dudroit doit nécessairement demeurer, lui aussi, inaccessible.

Un autre auteur, Ilmar TAMMELO,Drei rechtsphilosophische Aufsàtze(Willsbach et Heidelberg, 1948, p. 16), pense lui aussi qu' « il neconvient pas de considérer la norme fondamentale simplement commeune donnée de logique juridique ou gnoséologique, et de ne pas laconsidérer en même temps comme une norme du droit positif, caren lui refusant cette dernière propriété, on est conduit à la consé-quence logique qu'aucune positivité ne reviendrait non plus aux normesde droit positif ni aux systèmes de normes reposant sur elles ». Cetteobjection ne porte pas, parce que la positivité d'un ordre juridiquene repose pas sur la norme fondamentale, n'est pas déduite de cettenorme. De la norme fondamentale, on déduit uniquement la validité

DYNAMIQUE DU DROIT 271

objective d'un ordre de contrainte positif, c'est-à-dire effectivement

posé et efficace dans l'ensemble et en général. La positivité consistedans le fait que des normes ont été effectivement posées et sont effi-caces.

TAMMELOadmet que la norme fondamentale fait partie des normes« qui sont données implicitement dans les textes de loi, de même quedans les formes d'expression du droit coutumier, et qui sont cons-truites à partir des matériaux de droit positif au cours de leur éla-boration scientifique ». Pourquoi en vérité la norme fondamentale ne

peut pas être considérée comme posée en même temps que les actesde volonté créateurs de normes , en particulier dans l'acte d'établis-sement d'une Constitution, l'acte constituant, on l'a exposé au texte.Il est seulement exact que les organes créateurs de normes, lorsqu'ilsinterprètent la signification subjective de l'acte constituant et desactes posés sur la base de la Constitution comme des normes objecti-vement valables, présupposent la norme fondamentale.

Edwin W. PATTERSON,Jurisprudence, Men and Ideas of the Law,(Brooklyn, The Foundation Press, Inc., 1953) p. 262 sqq., objectecontre la théorie de la norme fondamentale : « L'affirmation que laConstitution est valable et que les lois créées sur la base de laConstitution sont valables ... dépend en dernière analyse de l'auto-rité politique non seulement des agents publics qui ont créé la Cons-titution, mais également de ceux qui maintiennent et soutiennentcette Constitution au moment où on se place. Ceci est quelque chosequi est en dehors de la Constitution ou des normes créées conformé-ment à ses dispositions ». Cette argumentation n'est pas admissible :l'idée que la Constitution et les normes créées conformément à ses dis-positions sont valables ne dépend absolument pas de l'autorité duconstituant. Car l'idée que la Constitution est valable est identiqueà l'idée que le constituant soit une « autorité », l'autorité juridiquesuprême. La norme fondamentale répond à la question de savoir quelest le fondement de cette autorité. En ce sens, elle est bien, effecti-vement, « en dehors de la Constitution ». Qui sont ceux qui « main-tiennent et soutiennent » la Constitution? Ce sont bien certainementles hommes qui l'ont donnée et les hommes qui appliquent cette Cons-titution en créant des normes conformément à ses dispositions et en les

appliquant. C'est en cela que réside l'efficacité de la Constitution etde l'ordre juridique qui est créé conformément à ses règles. C'est àcette efficacité que se réfère visiblement PATTERSON.La norme fonda-mentale fait de cette efficacité une condition de la validité. — PATTER-SONdit en outre : « L'autorité politique du système juridique ...dépend aussi de la situation politique du moment ». Par cetteaffirmation encore, il se réfère à l'efficacité de l'ordre juridique; celle-ciest, selon la Théorie pure du droit, la condition de la validité, mais nonson fondement. PATTERSONécrit par ailleurs : « Au total, si l'on doitavoir une explication simple de ce qui fait qu'un schéma du pouvoirsur le papier est ou devient un schéma du pouvoir effectif et actif,1' « habitude de l'obéissance » d'Austin et de Bentham semble meil-leure que la norme fondamentale. » Ceci montre clairement que laquestion que Patterson a dans l'esprit est la question des causes del'efficacité de l'ordre juridique, et nullement la question toute diffé-rente du fondement ou principe de la validité. De ce fait, sa polémiquen'atteint pas son but.

Il objecte encore, contre la norme fondamentale en tant qu'hypo-thèse de logique transcendantale (au sens de la théorie kantienne de

272 THÉORIE PURE DU DROIT

Cette norme fondamentale ne peut donc pas être une norme

voulue, elle ne peut notamment pas être voulue parla science du droit — c'est-à-dire par le juriste qui pratiquela science du droit —, mais d'autre part, cette norme fonda-mentale (plus exactement : son énoncé) est logiquement indis-

pensable pour fonder la validité objective des normes juri-diques positives ; donc elle ne peut être qu'une norme pensée,plus précisément : une norme qui est pensée comme hypo-thèse, lorsque l'on interprète un ordre de contrainte sommetoute efficace comme un système de normes juridiquesvalables. Du fait de ce caractère de norme simplementpensée, et non pas voulue —

pas davantage par la science dudroit que par quiconque —, il suit qu'en affirmant cettenorme fondamentale, la science du droit n'usurpe en aucune

façon une autorité de création de normes. Elle ne prescritpas que l'on doive obéir aux ordres du constituant. Elledemeure connaissance également lorsqu'elle pose cette affir-mation de théorie de la connaissance qu'il est nécessaire de

supposer la norme fondamentale pour pouvoir admettre

que l'acte constituant et les actes posés conformément à laConstitution ont un sens objectif qui concorde avec leursens subjectif, qu'ils sont des normes valables, ceci égale-ment lorsque c'est elle-même qui adopte cette interpréta-tion (1).

la connaissance) : « La théorie de Kelsen ne dit pas au juriste ou àl'agent public quels sont les buts qu'il devrait poursuivre en créantdu droit nouveau. Elle manque d'une axiologie juridique... » Il fautrépondre qu'à cet égard aussi il y a analogie entre elle et la logiquetranscendantale de Kant. De même que les conditions de logiquetranscendantale de la connaissance portant sur la réalité naturelle nedéterminent en aucune façon le contenu des lois de la nature, demême les normes fondamentales des ordres juridiques ne peuvent pasdéterminer le contenu des normes juridiques, ou des propositionsjuridiques qui les décrivent. De même que l'on ne peut tirer le contenudes lois de la nature que de l'expérience, de même on ne peut tirer lecontenu des propositions de droit que du droit positif. La norme fon-damentale ne prescrit pas au droit positif un contenu déterminé, pasdavantage que les conditions de logique transcendantale de l'expé-rience ne prescrivent à cette expérience tel ou tel contenu. En celaréside précisément la différence entre entre la logique transcendantalede Kant et la spéculation métaphysique rejetée par lui, et de mêmeentre la Théorie pure du droit et une théorie du droit métaphysiquedu type de la doctrine du droit naturel.

(1) A la question : qui forme l'hypothèse de la norme fondamentale,qui la suppose?, la théorie pure du droit répond : celui, quel qu'ilsoit, qui interprète la signification subjective de l'acte constituant etdes actes posés conformément à la Constitution, comme leur signifi-

DYNAMIQUE DU DROIT 273

En formulant cette théorie de la norme fondamentale, la

Théorie pure du droit n'inaugure absolument pas une nou-

velle méthode de la connaissance juridique. Elle ne fait

qu'amener à la pleine conscience ce que tous les juristesfont, le plus souvent sans s'en rendre compte, lorsqu'ilsconçoivent que les données qui ont été caractérisées ci-des-sus ne sont pas des faits déterminés par les lois de la cau-

salité, mais les considèrent conformément à leur sens sub-

jectif, comme des normes objectivement valables, comme un

ordre juridique normatif, sans rapporter la validité de cetordre à une norme supérieure, métajuridique, c'est-à-dire

posée par une autorité supérieure à l'autorité juridique,—

en bref : lorsqu'ils conçoivent le droit exclusivement commedroit positif. La théorie de la norme fondamentale n'est riend'autre que le résultat d'une analyse d'une façon de pro-céder qu'une connaissance du droit positiviste a appliquéedepuis toujours.

e) L'unité logique de l'ordre juridique :les conflits de normes.

Parce qu'elle est le fondement de validité de toutes lesnormes qui appartiennent à un seul et même ordre juri-dique, la norme fondamentale assure l'unité de ces normesdans leur pluralité. Cette unité s'exprime aussi dans le fait

qu'un ordre juridique peut être décrit en propositions dedroit qui ne se contredisent pas. Naturellement, on ne peutpas nier qu'il est possible qu'en fait des organes juridiquesposent des normes entre lesquelles il y ait conflit, — end'autres termes : qu'il est possible qu'ils posent divers actesdont le sens subjectif est un Sollen et que, si l'on admet

que ces actes ont la même signification objectivement aussi,si on les considère également comme des normes, il y aitconflit entre ces normes. Un tel conflit de normes existe

cation objective, c'est-à-dire celui qui les interprète comme des normesobjectivement valables. Cette interprétation est une fonction de con-naissance, non une fonction de volonté. Pour la raison que la sciencedu droit en tant que connaissance ne peut que décrire des normeset ne peut pas prescrire des normes, c'est-à-dire qu'elle ne peut pasposer des normes, j'avais occasionnellement (« Qu'est-ce qu'un actede droit? » Osterreichische Zeitschrift fur offentliches Recht, Tome 4,1952, p. 271) exprimé des doutes sur l'exactitude de l'idée que la normefondamentale serait supposée également par la science du droit. Cesdoutes sont éliminés avec la distinction exposée au texte entre le faitde poser et le fait de supposer une norme.

274 THÉORIE PURE DU DROIT

lorsqu'une de ces normes dispose qu'une certaine conduitedoit avoir lieu, alors que l'autre dispose que doit avoir lieuune conduite inconciliable avec la première. Si, par exemple,la première de ces normes disposait que l'adultère doit être

puni, et la seconde, que l'adultère ne doit pas être puni;ou si la première disposait que le vol doit être puni de mort,la seconde que le vol doit être puni de prison. Comme onl'a précédemment exposé (supra, p. 101-102 sqq.) ce conflit neconsiste pas en une contradiction logique au sens strict du

terme, bien que l'on ait accoutumé de dire que les deuxnormes « se contredisent ». Car les principes logiques, et en

particulier le principe de non-contradiction, sont applicablesà des assertions, lesquelles peuvent être ou vraies ou fausses;et une contradiction logique entre deux assertions consisteen ce qu'une seule d'entre elles peut être vraie, ou la pre-mière ou la seconde; et si l'une d'entre elles est vraie, l'autredoit nécessairement être fausse. Mais une norme n'est nivraie ni fausse, une norme est valable ou non-valable. Par

contre, ce qui peut être vrai ou faux, ce sont les assertions

qui décrivent un ordre normatif et qui disent qu'une normedéterminée est valable selon cet ordre, et en particulier les

propositions de droit qui décrivent un ordre juridique et

qui énoncent que, selon cet ordre juridique, telles et tellesconditions étant données, un acte de contrainte déterminédoit être fait ou ne doit pas être fait. C'est par ce biais queles principes logiques en général, et par suite le principe denon-contradiction en particulier, peuvent être appliqués

directement — aux propositions de droit qui décrivent desnormes juridiques, et en conséquence

— indirectement —

aux nonnes juridiques elles-mêmes. Par suite, ce n'est pastellement une déviation que de déclarer que deux normes

juridiques « se contredisent » l'une l'autre. Et, en consé-

quence, on ne peut considérer comme objectivement valable

qu'une seule d'entre elles. Il y a dans l'idée que A doitêtre et en même temps ne doit pas être, autant d'absurdité

que dans l'idée que A est et en même temps n'est pas. Toutde même qu'une contradiction logique, un conflit de normes

représente une absurdité.Mais la connaissance du droit cherche — comme toute

connaissance — à concevoir son objet comme un tout plei-nement intelligible, et à le décrire en propositions non-

contradictoires; par suite, elle part de l'idée que les conflitsde normes peuvent être et doivent nécessairement être réso-lus dans le cadre des matériaux normatifs qui lui sont don-

DYNAMIQUE DU DROIT 275

nés — ou plus exactement imposés —, cela par la voie de

l'interprétation.Il faut distinguer deux types de conflits : la structure

de l'ordre juridique représentant une pyramide de normes

hiérarchisées, les unes supérieures, les autres inférieures, où

les normes de degré supérieur règlent la création des normes

de degré inférieur, le problème du conflit de normes à l'in-

térieur d'un ordre juridique se présente de façon différente

suivant qu'il s'agit d'un conflit entre normes du même

degré ou d'un conflit entre une norme de degré supérieuret une norme de degré inférieur.

Commençons par raisonner uniquement sur les conflits

entre normes de même degré. Une nouvelle distinction s'im-

pose.S'il s'agit de normes générales qui ont été posées par un

seul et même organe, mais à des moments différents, la

validité de la norme posée le plus récemment annule la

validité de la norme posée plus anciennement et qui la contre-

dit, ceci en vertu du principe lex posterior derogat priori.Etant donné que normalement l'organe créateur de normes—

par exemple le monarque ou le Parlement — est habilité

à créer des normes modifiables et par conséquent abro-

geables, on peut admettre que le principe lex posteriorderogat priori est inclus dans l'attribution de pouvoir dont

l'organe bénéficie. — Ce principe trouve aussi application

lorsque les normes en conflit sont posées par deux organesdifférents, lorsque par exemple la Constitution habilite à la

fois le monarque et le Parlement à régler le même objet

par des normes générales, ou que la législation et la coutume

sont instituées l'une et l'autre comme faits créateurs de

normes.Mais il y a une seconde hypothèse possible : c'est que les

normes en conflit aient été posées en même temps, c'est-à-

dire par un seul et même acte d'un seul et même organe;en ce cas, le principe lex posterior ne peut évidemment pasêtre appliqué; il se rencontre par exemple lorsque dans une

seule et même loi se trouvent deux dispositions qui se contre-

disent l'une l'autre (par exemple : celui qui a commis

l'adultère doit être puni; celui qui a commis l'adultère nedoit pas être puni ; — celui qui a commis un vol, délit défini

dans le Code pénal, doit être puni; il ne peut être prononcéde peine contre les mineurs de quatorze ans). Dans cette

situation, les possibilités suivantes s'offrent pour résoudrele conflit : ou bien on peut interpréter les deux dispositions

276 THÉORIE PURE DU DROIT

en ce sens que les organes chargés d'appliquer la loi, les tri-

bunaux par exemple, se voient reconnaître le pouvoir de

choisir entre les deux normes; ou bien, lorsque— comme

dans le second exemple— les deux normes ne se contre-

disent que partiellement, on peut admettre que l'une des

normes limite la validité de l'autre. La proposition qui décrit

le droit ne dit pas : si quelqu'un commet l'adultère, il doit

être puni et il ne doit pas être puni mais : si quelqu'uncommet l'adultère, il doit être puni ou ne pas être puni;de même, elle ne dira pas : toute personne qui commet unvol doit être punie, et les mineurs de quatorze ans ne doivent

pas être punis; mais : toute personne qui a commis un vol

doit être punie, à l'exception des mineurs de quatorze ans.

S'il fallait admettre dans un cas que ni l'une ni l'autredes deux interprétations précédentes n'est possible, cela

signifierait que le législateur a prescrit quelque chose quiest dépourvu de signification, qui est absurde; il s'agiraitd'un acte de création de normes absurde, d'un acte auquelil serait impossible d'attribuer le sens objectif identique àson sens subjectif, on n'aurait pas à faire à une norme

juridique objectivement valable; ceci encore que l'acte eût

été posé conformément à la norme fondamentale. En effet,la norme fondamentale ne confère pas le sens objectif d'unenorme valable à tout acte quelconque, mais seulement à desactes qui ont un sens, et plus précisément le sens subjectifque des individus doivent se comporter d'une certaine façon.Elle ne peut jouer que pour des actes qui aient significationnormative. Si un acte a une signification, mais autre quenormative, si par exemple une disposition législative portesimplement une assertion de caractère théorique, ou si un

acte n'a absolument aucun sens quelconque— telle une loi

qui contiendrait des termes dépourvus de sens, ou des dis-

positions absolument inconciliables les unes avec les autres— toute signification subjective fait défaut, qui serait sus-

ceptible d'être interprétée comme une signification objec-tive, on n'a pas affaire à un acte que la norme fondamentale

pourrait légitimer (au sens que l'on a expliqué).Il peut se produire également qu'il y ait conflit entre deux

normes individuelles, par exemple deux décisions de jus-tice; le cas se rencontrera surtout s'il s'agit de deux normes

posées par des organes différents. Il se peut, par exemplequ'une loi habilite deux tribunaux à décider le même pro-cès, sans conférer à la décision de l'un des deux le pouvoird'annuler la décision de l'autre. Cela constitue sans doute

DYNAMIQUE DU DROIT 277

une technique juridique extrêmement peu satisfaisante; il

n'est cependant pas impossible que le cas se rencontre, —

l'expérience le prouve. Alors, il peut advenir qu'un accusésoit condamné par un tribunal et soit au contraire acquitté

par un autre, c'est-à-dire que, d'après l'une des deux normes,il doive être puni, alors que d'après l'autre il ne doit pasêtre puni; ou encore qu'un tribunal fasse droit à une de-

mande, alors qu'un autre tribunal rejette cette demande,c'est-à-dire que, d'après la première norme, il doive être

procédé à exécution civile sur le patrimoine du défendeur,alors que d'après la seconde au contraire, cette exécutionne doit pas avoir lieu. Le conflit est résolu par le fait quel'organe chargé de l'exécution matérielle des normes, a le choixde se conformer ou à l'une ou à l'autre des deux décisionsou normes individuelles, c'est-à-dire a le choix entre exé-

cuter la peine ou réaliser l'exécution civile, et ne pas exécu-ter ou réaliser. Si l'on suppose que l'acte de contrainteordonné par l'une des deux normes est exécuté, la norme

qui l'excluait demeure inefficace de façon durable, et par làelle perd la validité; si au contraire l'acte de contrainten'est pas exécuté, c'est-à-dire si est suivie la norme quiacquitte l'accusé ou la norme qui rejette la prétention du

demandeur, c'est la norme qui a prescrit l'acte de contrainte

qui demeure inefficace durablement et perd de ce fait lavalidité. En adoptant l'interprétation que l'on vient d'indi-

quer, on se conforme à la norme fondamentale. Car lanorme fondamentale dispose : il doit être procédé à con-trainte dans les conditions et de la façon que déterminentla Constitution efficace de façon générale, les normes géné-rales posées conformément à la Constitution qui sont effi-caces de façon générale, et les normes individuelles efficaces.C'est la norme fondamentale elle-même qui fait de l'effica-cité la condition de la validité.

A la différence de ce qui a lieu pour les normes générales,il est difficile d'imaginer que le conflit puisse se trouverà l'intérieur d'une seule et même décision juridictionnelle,à moins de supposer un juge atteint d'aliénation mentale;s'il en était ainsi, on aurait un acte dépourvu de sens et

par conséquent— comme on l'a montré précédemment

il y aurait absence de toute norme juridique objectivementvalable.

C'est ainsi que la norme fondamentale rend possible d'in-

terpréter les matériaux imposés à la connaissance juridiquecomme un tout intelligible,

— autrement dit : de les décrire

278 THÉORIE PURE DU DROIT

en propositions ne présentant pas entre elles de contradic-tions logiques.

On évoquera maintenant d'un mot seulement le problèmedu conflit entre normes inégales. En réalité, entre une normede degré supérieur et une norme de degré inférieur, c'est-à-dire entre une norme qui régit la création d'une autre etcette dernière, il ne peut pas exister de conflit, puisque c'estla norme du degré supérieur qui est le fondement de la vali-

dité de la norme du degré inférieur. Considérer une normede degré inférieur comme valable, c'est nécessairementadmettre qu'elle répond à la norme de degré supérieur.De quelle façon cette exigence est-elle satisfaite ? On lemontrera lorsque l'on abordera l'analyse de la structure

hiérarchique de l'ordre juridique (1).

f) Légitimité et effectivité.

La signification de la norme fondamentale devient parti-culièrement claire lorsque l'on envisage une Constitution

qui n'a pas été modifiée par la voie constitutionnelle, mais

remplacée par une autre de façon révolutionnaire; en ce

cas, c'est l'existence globale— c'est-à-dire la validité glo-

bale — de l'ordre juridique reposant directement sur la

Constitution, qui se trouve mise en question.Comme on l'a expliqué dans un précédent développement,

le domaine de validité d'une norme peut être limité, en par-ticulier son domaine de validité temporel : le commencementet la fin de sa validité peuvent être fixés soit par elle-même,soit par une norme supérieure qui règle sa création. Lesnormes d'un ordre juridique valent tant que leur validiténe prend pas fin conformément aux dispositions de cet ordre

juridique. En réglant leur propre création et leur propreapplication, les ordres juridiques fixent le commencementet la fin de la validité de leurs normes. En règle générale,les Constitutions écrites contiennent des dispositions par-ticulières touchant la procédure suivant laquelle seule elles

peuvent être modifiées. Le principe que les normes d'unordre juridique valent aussi longtemps que leur validité ne

prend pas fin d'une façon qui est déterminée par cet ordre

juridique, ou qu'elle ne fait pas place à la validité d'uneautre norme de cet ordre, est le principe de légitimité.

Cependant, ce principe n'est applicable aux ordres juri-

(1) Cf. infra, p. 299 sqq.

DYNAMIQUE DU DROIT 279

diques étatiques que sous réserve d'une restriction extrê-mement importante. Il ne trouve pas application au cas derévolution. La révolution, — au sens large de ce mot, quicomprend également le coup d'Etat — est toute modifica-tion de la Constitution ou tout changement ou substitutionde Constitution qui ne sont pas légitimes, c'est-à-dire quine sont pas opérés conformément aux dispositions de laConstitution en vigueur. A envisager les choses d'un pointde vue juridique, il est indifférent que cette modification -de la situation de droit soit réalisée par une action de force

dirigée contre le gouvernement légitime, ou par des membresde ce gouvernement lui-même, ou qu'il soit provoqué parun mouvement de masse du peuple, ou par un groupe trèsrestreint d'individus. Une seule chose compte : c'est quela Constitution en vigueur est soit modifiée soit remplacéecomplètement par une nouvelle Constitution d'une façonautre que celle qu'elle prescrivait. En règle générale, à la -

suite et à l'occasion d'une révolution (ainsi définie), ce sont -jseulement la Constitution ancienne et certaines lois politi-quement essentielles qui sont abrogées. On dit habituelle-ment qu'au contraire une grande partie des lois qui ont étéédictées sous l'empire de l'ancienne Constitution « demeurenten vigueur »; mais cette dernière expression n'est pas juste :des lois ne peuvent être considérées comme étant en vigueursous la nouvelle Constitution que parce qu'elles ont étémises en vigueur par le gouvernement révolutionnaire, sous

l'empire de la nouvelle Constitution, soit de façon expresse,soit de façon tacite. Il ne s'agit pas d'une création de droit

complètement nouvelle, mais de réception par un ordre

juridique de normes d'un autre ordre; telle que fut la récep-tion du droit romain par le droit allemand. Mais une telle

réception est quand même bien création de droit. Car lavalidité des normes juridiques qui ont été reçues sous l'em-

pire de la Constitution nouvelle établie par voie révolu-tionnaire ne peut plus trouver son fondement immédiat dansl'ancienne Constitution, qui a été abrogée; ce fondementne peut plus être que la Constitution nouvelle. Sans doutele contenu de ces normes demeure-t-il le même ; mais le fon-dement de leur validité a changé, puisque le fondement dela validité de l'ordre juridique tout entier a changé. Par lefait que la nouvelle Constitution a acquis l'efficacité, lanorme fondamentale s'est modifiée, c'est-à-dire l'hypothèsequi permet d'interpréter le fait constituant et les faits posésconformément à la Constitution comme des faits créateurs

280 THÉORIE PURE DU DROIT

ou des faits d'application de normes juridiques. Supposons

qu'une Constitution qui établissait un régime de monarchieabsolue soit remplacée révolutionnairement par une nou-

velle Constitution qui établit une République parlementaire.La proposition de droit qui décrivait la norme fondamen-tale de la première était : les actes de contrainte doivent

être posés aux conditions et de la façon que déterminent lesnormes générales et les normes individuelles qui sont crééessoit par le monarque absolu agissant selon les dispositionsde la Constitution monarchique, soit par les organes délé-

gués par lui. Cette Constitution ayant cessé d'être efficace,sa norme fondamentale n'est plus valable ; elle est remplacée

par celle de la nouvelle Constitution, celle de la Républiqueparlementaire, qui sera du type suivant : des actes de con-trainte doivent être posés aux conditions et de la façon quisont déterminées dans les normes générales et individuelles

qui sont créées et appliquées— au total — soit par le Par-

lement élu selon la Constitution, soit par les organes queces normes délèguent avec ce pouvoir. La norme fondamen-tale nouvelle ne permet plus, comme sa devancière, de con-sidérer comme autorité juridique un individu déterminé

ayant qualité de monarque absolu; l'autorité juridique estdésormais le Parlement élu par le peuple. Selon la normefondamentale des ordres juridiques étatiques, le gouverne-ment effectif, qui pose des normes générales et des normesindividuelles efficaces, sur la base d'une Constitution efficace,

représente le gouvernement légitime de l'Etat.La modification de la norme fondamentale suit la modi-

fication des faits qui doivent être interprétés comme faitsde création et faits d'application de normes juridiquesvalables. La norme fondamentale ne se rapporte qu'à une

Constitution qui est effectivement posée par un acte légis-latif ou par la coutume et qui est efficace. Dire qu'une Cons-titution est efficace, c'est dire que les normes posées confor-mément à cette Constitution sont appliquées et obéies en

gros et de façon générale. A partir du moment où l'ancienne

Constitution a perdu son efficacité, et où c'est une nouvelleConstitution qui est devenue efficace •— dans notre

exemple : à partir du moment où les lois ne sont plusédictées par le monarque absolu, mais par le Parlement

élu, et où ces lois édictées par le Parlement sont appliquéespar les organes institués en vertu de ces lois (et non plusconformément aux lois édictées par le monarque), les actes

qui se présentent avec comme signification subjective la

DYNAMIQUE DU DROIT 281

création ou l'application des normes juridiques sont inter-

prétées à partir de l'hypothèse de la nouvelle norme fonda-

mentale, et non plus de l'ancienne. Les lois édictées sousl'ancienne Constitution et qui ne sont pas reçues par lanouvelle ne sont plus considérées comme valables, les

organes institués conformément à l'ancienne Constitutionne sont plus considérés comme compétents. Si la révolu-tion ne réussissait pas, c'est-à-dire : si la Constitution révo-lutionnaire —• la Constitution nouvelle qui n'a pas été éta-blie conformément à l'ancienne Constitution — ne devenait

pas efficace, si les organes prévus par elle n'édictaient pasdes lois qui fussent ensuite effectivement appliquées par les

organes prévus par elles; si c'était l'ancienne Constitution

qui demeurait efficace, en ce sens, il n'y aurait aucun motifde supposer, aux lieu et place de la norme fondamentale

ancienne, une norme fondamentale nouvelle. Alors, la révo-lution ne serait pas interprétée comme une opération quia créé un droit nouveau, mais — au nom et sur la basede l'ancienne Constitution et de la loi pénale établie surson empire et qui serait considérée comme encore valable —

on y verrait un crime de haute trahison.On peut appeler le principe dont l'analyse qui précède

fait application : principe de l'effectivité. Et l'on peut doncdire que le principe de légitimité voit son empire limité parle principe de l'effectivité.

g) Validité et efficacité.

Cette limitation manifeste le lien qui unit validité dudroit et efficacité du droit, lien extrêmement importantpour une théorie du droit positif et qui a été déjà soulignéà plusieurs reprises dans les développements précédents.La définition correcte de ce rapport entre validité et effica-cité est un des problèmes essentiels d'une théorie positi-viste du droit, mais aussi l'un des plus difficiles. Il ne repré-sente qu'un cas particulier de la relation entre le Sollende la norme juridique et le Sein de la réalité naturelle; carl'acte qui pose une norme juridique positive est, lui aussi,un fait de Sein, comme l'est l'efficacité de la norme juri-dique. — Une théorie positiviste du droit doit affronter latâche de trouver la voie moyenne juste entre deux posi-tions extrêmes qui sont l'une et l'autre insoutenables. L'unede ces positions extrêmes consiste à affirmer qu'entre lavalidité, qui est un Sollen, et l'efficacité, qui est un Sein,

19. THÉORIEPUREDUDROIT.

282 THÉORIE PURE DU DROIT

il n'y a absolument aucun rapport,—

que la validité dudroit est absolument indépendante de son efficacité. L'autreconsiste à réduire la validité à l'efficacité, à affirmer que lavalidité du droit se confond purement et simplement avecson efficacité. Vers la première solution du problème inclinentles théories idéalistes, vers la seconde les théories réa-listes (1).

(1) On trouve un exemple typique d'une telle théorie réaliste dansl'écrit d'Alf Ross, Towards a Realistic Jurisprudence (Cf. supra, p. 9).Ross essaye de dépasser le dualisme de la validité et de l'efficacité ou :de la « validity » et de la « reality ». Mais cette tentative conduit à unethéorie qui est pleine de contradictions internes. Ross part, ainsiqu'il le déclare lui-même, de l'idée que la science du droit vise à laconnaissance de la conduite. effective des hommes et qu'elle est parsuite psychologie et sociologie : « Je pars de l'hypothèse que la sciencedu droit est une branche de la théorie du comportement humain, etque par suite le phénomène juridique doit être trouvé dans le domainede la psychologie et de la sociologie » (p. 78). Donc Ross suppose déjàce qu'il veut prouver par sa théorie du droit « réaliste » : que dans ladescription du droit— ou, comme il dit, du phénomène juridique — ilne peut pas exister un dualisme du Sein et du Sollen, de la « reality »et de la « validity », étant donné que le phénomène juridique a essen-tiellement le caractère de réalité, de fait réel, que le droit n'est pasSollen et n'est par suite pas normes en vigueur, normes valables, maisest conduite effective tout simplement. Etant donné que «la validité »ne peut être énoncée que d'une norme de Sollen, et non d'un fait deSein, Ross peut affirmer — sous l'hypothèse qu'il a acceptée, maisseulement sous cette hypothèse — qu'il n'existe absolument rienque l'on puisse appeler « la validité », considérée comme l'existencespécifique de normes : « La validité entendue comme une catégorieou sphère d'existence coordonnée avec la réalité est un non-sens dansl'acception littérale du mot : la validité (valeur ou devoir) n'est riend'objectif ou de concevable, de quelque nature que ce soit, et n'a pasde signification; c'est un pur et simple mot » (p. 77). Ross croit pou-voir dévoiler aux esprits que la notion d'une validité normative objec-tive de normes juridiques est «erronée (erroneous)», qu'elle est «impos-sible du point de vue de la théorie de la connaissance (epistemologi-cally impossible) »,qu'elle est même une rationalisation cedépourvue designification (meaningless) » de certains faits psychologiques (p. 89,91, 95), qu'il qualifie d' « attitudes de comportement » (behaviourattitudes) ou d' « impulsions à l'action » [impulses to action) (p. 77 et 81).

La conséquence inévitable de cette thèse est que la notion de «vali-dité » ne peut pas être insérée dans la notion de droit, que le droitdoit être décrit, non pas comme un système de normes valables, maiscomme un agrégat d'actes effectifs de conduite humaine, ainsi quel'ont tenté, bien longtemps avant la théorie du droit « réaliste » deRoss, d'autres théories qui se qualifiaient elles-mêmes de réalistes.Cependant, Ross rejette ces théories de la façon la plus énergique.De leur tentative de concevoir le droit comme un pur fait, il déclare :« ceci aboutit à une désagrégation complète de la notion de droit.Car la question surgira de savoir comment cette conduite sociale qu'estle droit peut être précisément délimitée d'avec toute autre conduite

DYNAMIQUE DU DROIT 283

sociale. Et une telle délimitation ne peut pas se faire sans revenir àla notion de validité qu'elle était destinée à éviter» (p. 49). Ross vamême jusqu'à affirmer qu'exclure la notion de validité de la notionde droit, c'est éliminer l'élément spécifiquement juridique, c'est-à-direl'élément original qui est proprement le critère décisif de cetteconduite qui forme l'objet de la science du droit : « On ne peut pasarriver à une doctrine véritablement réaliste du droit simplementen éliminant par la pensée de la notion de droit toute notion de vali-dité. Cela signifierait inévitablement que l'on élimine par l'espritl'élément spécifiquement juridique, le véritable élément qui est lecritérium décisif de cette partie de la conduite humaine qui constituel'objet de l'étude dans la science du droit » (p. 145). Ross doit parconséquent admettre que sa théorie réaliste du droit n'a pas pourbut d'éliminer absolument la notion de validité, mais uniquement d'entransformer l'interprétation. « Notre objectif en déterminant la notionde droit n'est pas d'éliminer par l'esprit les idées normatives, maisd'en donner une interprétation différente, en les lisant pour ce qu'ellessont, à savoir l'expression de certaines expériences psycho-physiquesparticulières qui sont un élément fondamental dans le phénomènejuridique » (p. 49).

Ainsi, Ross ne nie donc pas que le mot «validité » désigne un élé-ment essentiel à la notion de droit, et il affirme que l'idée normativene peut pas être exclue de la notion du droit. Mais « l'idée normative »ne peut être rien d'autre que l'idée d'une norme de Sollen, — ce quis'oppose à un fait de Sein. Mais Ross affirme que l'élément, de la «vali-dité » essentiel au droit, n'est pas un Sollen, c'est-à-dire n'est pasquelque chose de normatif, qu'il est un fait de Sein, à savoir le faitpsychologique que les hommes vivant sous un certain ordre juridiquetiennent l'instance qui pose le droit pour une « autorité », parce quepour compétente à l'effet de poser le droit : «Les autorités qui assurentle respect du droit... doivent être regardées comme des autorités;on doit considérer qu'elles possèdent une compétence juridique pourétablir le droit et pour exercer la contrainte » (p. 80). En d'autrestermes : le concept de validité, que l'on donne comme un élémentessentiel à la notion de droit, la notion de son caractère normatif, estle fait de Sein que l'on tient le droit pour un ordre normatif, dont lesnormes ont une validité objective. Ross désigne cette opinion parl'expression : « l'attitude du comportement désintéressé (disinterestedbehaviour attitude) ». Sa rationalisation est la notion de validitéobjective. Si — comme l'affirme Ross — cette rationalisation est unenotion erronée, il s'ensuit nécessairement que la foi en l'autorité oucompétence de l'instance qui pose le droit, et par conséquent l'opinionque le droit est un ensemble de normes qui sont en vigueur, sont éga-lement erronées. Ross considère que 1' « attitude de comportementdésintéressé » est, avec le fait de la crainte des actes de contrainteinstitués dans l'ordre juridique, des sanctions — un fait que Rosscaractérise comme une « attitude de comportement intéressé » —un motif de l'obéissance juridique, c'est-à-dire une cause de l'efficacitédu droit. Si l'on acceptait cette théorie, on devrait définir le droitcomme étant cette conduite humaine qui est provoquée par la repré-sentation erronée que l'on doit se conduire d'une certaine façon, enconformité à un ordre normatif objectivement valable.

A cette théorie, il faut objecter que, si l'on met à la place de lavalidité normative le fait de Sein de la croyance « erronée » à une vali-dité normative, on ne transforme pas la notion de validité, comme

284 THÉORIE PURE DU DROIT

Ross l'affirme, mais on l'élimine, c'est-à-dire que l'on fait exacte-ment ce que Ross qualifie d' « erroné » : « écarter de l'esprit l'idéenormative», ou «écarter par l'esprit du concept de droit toutes lesnotions de validité », et on y substitue une notion complètement diffé-rente qu'il n'est pas légitime de qualifier également de validité, parceque c'est induire en erreur. Mais Ross rejette l'exclusion de la notiond'une validité normative — à laquelle il procède dans sa théorie —,en contradiction avec cette théorie, parce qu'il doit au fond avouerque l'on ne peut pas définir la notion du droit sans avoir recours àla notion de validité normative mais que, pour un motif quelconque,il refoule cette vue. Si la validité, c'est-à-dire le fait psychologiqueque Ross dénomme ainsi, à savoir la croyance en l'autorité ou compé-tence de l'instance qui pose le droit («croyance à l'autorité »,«attitudede comportement désintéressé »), et par conséquent la croyanceque l'on doit se conduire conformément au droit considéré commeobjectivement valable, si cette «validity » est— ainsi que Ross l'affirme—• un élément essentiel de la. notion de droit, ce fait doit toujoursêtre donné lorsque le phénomène juridique est donné. Mais ceci n'estmanifestement pas le cas. Dans beaucoup de cas où les hommes agissentconformément au droit — et le phénomène juridique consiste enune semblable conduite effective, si le droit n'est pas norme, maisconduite effective —, le motif de la conduite n'est pas cette croyance;car le plus souvent, la question de savoir si l'autorité qui pose le droitest « compétente » ne vient même pas à l'esprit des hommes qui seconduisent ainsi conformément au droit, ils n'en ont aucune conscience.Dans de nombreux cas, ils se conduisent régulièrement uniquementpar peur des sanctions du droit (ce que Ross appelle « l'attitude decomportement intéressé »); dans de nombreux cas, leur conduiteconforme au droit n'est déterminée ni par la croyance en l'autorité del'instance qui pose le droit, ni par la crainte des sanctions du droit,mais exclusivement par la crainte des sanctions de Dieu; et dans detrès nombreux cas, c'est seulement le souhait d'éviter certains dés-avantages sociaux qui sont liés en fait à une conduite contraireau droit, sans avoir cependant le caractère de sanctions juridiques,telles que perte du crédit en cas de non-paiement de dettes, ou méprissocial en cas de meurtre, de vol, de tromperie et d'autres délits. Maisalors, si le droit est conduite effective, et plus précisément conduiteconforme au droit mais que le motif de la conduite conforme au droitn'est en aucune façon toujours le fait de Sein nommé par Ross, «vali-dity » cette validité ne peut pas être un élément essentiel de la notionde droit considéré comme un élément essentiel de la notion de droit,la validité ne peut être autre chose que la validité normative. Rossrejette le postulat défendu par la théorie pure du droit qu'il faut quela notion de droit comprenne la signification avec laquelle le droits'adresse aux individus dont il règle la conduite et soit par conséquentdéfinie comme une norme de Sollen; car, Ross affirme — « sollen »n'est pas le véritable sens, mais seulement un sens prétendu, destinéà provoquer des illusions. Mais il dit en même temps : « En disantcela cependant, je ne veux pas dire que la proposition juridique puisse— comme quelques-uns l'ont cru — être réinterprétée comme uneproposition du mode indicatif sur ce qui arrivera (probablement) dansl'avenir. Ceci serait en effet négliger la tendance de la propositionjuridique vers « ce qui est valable » (p. 106). Mais si le droit n'est pasSollen, n'est pas norme, mais est Sein («reality ») et par suite compor-tement effectif, des assertions relatives au droit en tant qu'elles se

DYNAMIQUE DU DROIT 285

Ni l'une ni l'autre de ces deux thèses extrêmes opposéesne peut être acceptée. La première est fausse, car il ne peut

rapportent à la conduite qui est définie et prévue dans les normesjuridiques, ne peuvent être que des assertions sur une conduite quiaura vraisemblablement lieu dans l'avenir. « La tendance de la pro-position juridique » est le sens des assertions relatives au droit. Si lesens de ces assertions est dirigé « vers ce qui est valable », elles nepeuvent pas être des assertions relatives à des faits, car un fait de Seinne peut pas être dit valable. Ce ne peuvent être autre chose que desassertions relatives à des normes de Sollen, non pas des assertionsénonçant que des hommes croient de façon erronée devoir se conduireconformément au droit, mais des assertions énonçant qu'ils doiventse conduire conformément au droit.

L'idée que la validité normative objective est un élément essentielde la notion de droit ne signifie cependant pas que cette validitéest donnée dans la réalité et qu'elle pourrait être constatée commele sont les propriétés des objets perceptibles par les sens. En ce point,il faut donner raison à Ross lorsque, se plaçant au point de vue d'uneconsidération psycho-sociologique dirigée uniquement sur la réalité,il dit que la validité n'est pas quelque chose «d'objectivement donné »(p. 77). Mais en disant cela, il ne dit rien que la théorie pure du droitaussi n'affirme, et cela de son point de vue qui prend pour objet leSollen. Car elle affirme avec insistance et énergie que l'assertion quele droit a une validité objective, c'est-à-dire que la signification sub-jective des actes qui posent le droit est aussi leur signification objec-tive, n'est pas une interprétation nécessaire de ces actes, mais uneinterprétation simplement possible, et, plus précisément, une inter-prétation possible sous une hypothèse déterminée; elle affirme qu'ilest parfaitement possible de ne pas attacher aux actes posant dudroit une semblable signification. Mais ceci n'est pas une raison dedisqualifier la notion de validité normative objective du droit commerationalisation erronée de la croyance en l'autorité ou compétence del'instance qui pose le droit. Cette notion — si elle est un élémentessentiel de la notion du droit — n'est pas une rationalisation de cettecroyance, car cette croyance n'est absolument pas présente dans laplupart des cas où le phénomène juridique existe au sens de la théorie« réaliste ». Et la rationalisation — s'il s'agit vraiment d'une rationa-lisation — n'est pas erronée.

Elle ne serait erronée que si la croyance rationalisée était fausse,s'il s'agissait d'une croyance erronée. Mais il n'y a pas là une croyanceerronée — comme par exemple dans le cas de la croyance à l'existencede Dieu. Car la croyance à l'autorité de l'instance qui pose le droit,c'est-à-dire à la validité normative et objective du droit, n'est pasune croyance en l'existence d'une réalité, qui en effet n'existe pas.C'est une certaine interprétation de la signification, du sens d'actesréels. Cette interprétation ne peut pas être erronée, elle ne peut êtreque mal fondée. Mais elle est bien fondée si, comme le montre la théo-rie pure du droit, on suppose une norme fondamentale qui légitimela signification subjective des actes posant le droit comme leur signi-fication objective. Ce que Ross désigne comme une «rationalisationerronée » n'est rien d'autre que ce caractère conditionnel de la validitéobjective du droit, que la théorie pure du droit établit.

286 THÉORIE PURE DU DROIT

pas être nié qu'un ordre juridique en son entier, tout demême qu'une norme juridique prise isolément, perdent leurvalidité lorsqu'elles cessent d'être efficaces; et il existeencore une relation entre le Sollen de la norme juridiqueet le Sein de la réalité naturelle par le fait que, pour valoircomme norme, les normes juridiques positives doivent néces-sairement être posées par un acte qui appartient au règnedu Sein.

La seconde solution est fausse, car il ne peut pas être nié

qu'ainsi qu'on l'a montré dans des développements anté-rieurs (1), il existe de nombreux cas où des normes juridiquessont considérées comme valables bien qu'elles ne soient pasou ne soient pas encore efficaces.

La théorie pure du droit propose la solution suivante du

problème : de même que la norme de Sollen, en tant quesignification de l'acte de Sein qui la pose, n'est pas iden-

tique à cet acte, la validité normative (Soll-Geltung) d'unenorme juridique ne se confond pas avec son efficacité réelle

(Seins-Wirksamkeit) ; l'efficacité de l'ordre juridique en tant

que tout est condition de sa validité; pareillement, l'efficacitéd'une norme juridique en particulier est condition de savalidité — comme l'est également l'acte de création de lanorme —; cette proposition signifiant qu'un ordre juridiquepris globalement, et une norme juridique prise en parti-culier ne sont plus considérés comme valables lorsqu'ilscessent d'être efficaces. Par ailleurs, l'efficacité d'un ordre

juridique est aussi peu le fondement de sa validité quel'est le fait de sa création. Ce fondement de la validité,c'est-à-dire l'élément qui donne la réponse à la questionde savoir pourquoi les normes de cet ordre juridique doiventêtre obéies et appliquées, c'est la norme fondamentale sup-posée, suivant laquelle on doit se conformer à une Consti-tution qui est en gros et de façon générale efficace, et, parvoie de conséquence, aux normes qui ont été posées effecti-vement conformément à cette Constitution et qui sont effi-

caces en gros et de façon générale. C'est la norme fondamen-tale qui érige l'édiction et l'efficacité en conditions de la

validité; l'efficacité, en ce sens qu'elle doit s'ajouter à l'édic-tion pour que, soit l'ordre juridique en tant que tout, soit

une norme juridique en particulier ne perdent pas leurvalidité. Mais une condition ne peut pas être identique à

ce qui est conditionné par elle. Ainsi, les hommes ne vivent

(1) Cf. supra, p. 15 et p. 120 sqq.

DYNAMIQUE DU DROIT 287

qu'à condition d'être nés, d'avoir été engendrés; mais pour

qu'ils demeurent en vie, d'autres conditions encore doivent

être remplies,—

par exemple, il faut qu'ils reçoivent de la

nourriture. Si cette condition n'est pas remplie, ils perdentla vie. Mais la vie n'est identique ni avec le fait d'être mis

au jour, ni avec le fait de recevoir de la nourriture.

Dans le syllogisme normatif qui fonde la validité d'un

ordre juridique, la proposition de Sollen qui énonce la norme

fondamentale : « on doit se conduire conformément à la

Constitution effectivement posée et efficace », forme la

majeure; la proposition de Sein qui énonce le fait: « laConstitution a été effectivement édictée et elle est efficace, »— c'est-à-dire que les normes posées selon ses dispositionssont en gros et de façon générale appliquées et observées —

forme la mineure ; et la proposition de Sollen : a on doitse conduire conformément à l'ordre juridique « considéré »,— ce qui peut s'exprimer en disant que cet ordre juridiqueest valable,

— constitue la conclusion. Les normes d'un ordre

juridique positif sont valables parce que la norme fonda-mentale qui forme la règle fondamentale de leur création

est supposée valable, non parce qu'elles sont efficaces; maiselles ne sont valables que si, et par conséquent tant quecet ordre juridique est efficace. Dès que la Constitution,et par conséquent l'ordre juridique posé sur la base de cetteConstitution perdent leur efficacité en tant que tout, l'ordre

juridique pris globalement et par là-même chacune de sesnormes en particulier perdent leur validité.

Il va de soi qu'un ordre juridique ne perd pas sa validité

par le fait que l'une d'entre ses normes juridiques perd son

efficacité, c'est-à-dire n'est plus appliquée soit du tout soitdans un certain nombre de cas. Un ordre juridique estconsidéré comme valable si ses normes sont efficaces, c'est-à-dire effectivement obéies et appliquées, en gros et de façongénérale. Une norme juridique considérée isolément ne perdpas sa validité par le fait qu'elle n'est pas efficace, c'est-à-dire qu'elle n'est pas obéie ou pas appliquée seulement dansun certain nombre de cas où elle devait être. Bien aucontraire — c'est une idée que l'on a déjà énoncée précé-demment —, il est indispensable qu'il puisse y avoir con-trariété entre ce qu'une norme statue comme devant avoirlieu et ce qui se passe effectivement; une norme qui poseraitque doit avoir lieu — au sens du Sollen — une chose dontil serait certain par avance que, selon une loi naturelle,elle doit nécessairement arriver, une telle norme serait

288 THÉORIE PURE DU DROIT

dépourvue de sens; on ne pourrait pas la considérer commeune norme valable. — Mais, d'un autre côté, on ne consi-dère pas comme valable une norme qui n'est en fait jamaisobéie ou appliquée. Et, effectivement, une norme juridiquepeut perdre sa validité par le fait qu'elle demeure d'une

façon permanente inappliquée et non obéie : c'est ce quel'on appelle la désuétude, desuetudo. La désuétude est pourainsi dire une coutume négative, dont la fonction essentielleconsiste à annuler la validité d'une norme existante. Si lacoutume considérée dans sa généralité constitue un faitcréateur de droit, alors le droit coutumier peut dérogerégalement au droit édicté en forme et délibérément. Et sil'efficacité au sens qui a été développé précédemment, estcondition de la validité, non seulement de l'ordre juri-dique en tant que tout, mais également de chaque norme

juridique en particulier, alors il est impossible d'exclure

par une règle statuée le rôle créateur de droit de la cou-

tume, tout au moins en tant qu'il s'agit de la fonction

négative, ou destructrice, que désigne le terme « désué-tude ».

Le rapport entre validité et efficacité que l'on vient

d'expliquer a trait aux normes juridiques générales. Mais lesnormes juridiques individuelles aussi, par exemple les déci-sions juridictionnelles ou les dispositions administratives

qui ordonnent un acte de contrainte particulier, perdent leurvalidité lorsqu'elles demeurent inexécutées de façon perma-nente, et par conséquent inefficaces, comme on l'a déjà expli-qué à propos du cas d'un conflit entre deux décisions juri-dictionnelles (1).

L'efficacité est une condition de la validité, mais ellen'est pas cette validité elle-même. Il faut l'affirmer avec

insistance, parce que l'on voit renouveler constamment latentative de les identifier, et que, ce qui induit à cette ten-

tative, c'est que l'identification en question paraît simplifierconsidérablement la situation où se trouve la théorie. Or, en

vérité, la tentative est nécessairement vouée à l'échec. Ellel'est d'abord parce que, comme il ressort d'explications don-nées précédemment, l'on peut considérer et l'on considèreen fait comme valables des ordres juridiques ou des normes

juridiques qui sont inefficaces relativement, jusqu'à un cer-tain point, et qu'au contraire on ne reconnaîtrait pas commevalable une prétendue norme qui serait absolument efficace,

(1) V. supra, p. 275-6 sq.

DYNAMIQUE DU DROIT 289

qui ne pourrait absolument pas être enfreinte, — on n'yverrait même pas du tout une norme. Mais l'échec est en

outre et tout particulièrement inévitable parce que, si l'on

réduit la validité, c'est-à-dire l'existence spécifique du droit,à une réalité naturelle quelconque, on est hors d'état desaisir le sens authentique dans lequel le droit s'adresse à laréalité et précisément par là se pose en face et distinctementde la réalité, qui peut soit être conforme aux normes juri-

diques, soit y être contraire — ce qui suppose que lavalidité du droit ne se confonde pas avec elle. S'il est impos-sible de définir la validité en faisant abstraction de la réa-

lité, il est également impossible d'admettre que la validitésoit identique à la réalité, se confonde avec elle.

Si, au lieu de parler en termes de réalité — et ici, il s'agitde l'efficacité de l'ordre juridique

— on parle en termes de

force, le problème du rapport entre validité et efficacitédeviendra le problème du rapport entre droit et force ; c'estlui que l'on pose beaucoup plus couramment. Dans cette

perspective, la solution qui est tentée dans les pages pré-cédentes apparaîtra ne pas faire autre chose que formulerde façon scientifiquement précise cette vieille vérité : ledroit ne peut pas exister sans la force, mais il n'est pas

identique à la force. Selon la théorie que l'on vient de

développer, le droit est un certain ordre, une certaine orga-nisation, de la force.

h) La norme fondamentale du droit international.

Le moment est maintenant venu de prendre en considé-ration également l'ordre juridique international, et de recher-

cher quelles conséquences son existence et le rapport exis-tant entre lui et les multiples ordres juridiques étatiquesentraînent pour la solution du problème de la norme fon-

damentale de l'ordre étatique.Deux situations peuvent se présenter; car, on le sait, deux

thèses opposées sont défendues sur cette question du rap-port du droit international et du droit étatique.

Ou bien — avec de nombreux auteurs — on admet quele droit international — à supposer qu'on le considèrecomme un véritable ordre juridique

— ne vaut à l'égarddes Etats que s'ils le reconnaissent; c'est-à-dire si leur gou-vernement le reconnaît, en vertu de la Constitution del'Etat. C'est la théorie de la primauté de l'ordre juridiqueétatique. Avec cette théorie, la réponse que l'on a donnée

290 THÉORIE PURE DU DROIT

dans les pages précédentes à la question du fondement dela validité du droit demeure valable, à savoir que ce fonde-

ment se trouve dans une norme fondamentale supposée quise rapporte à une Constitution étatique efficace. Car si l'on

part de l'idée de la primauté du droit étatique, le droit

international est tout simplement une fraction de cet ordre

juridique étatique que l'on se représente comme souverain et

dont la validité a pour fondement la norme fondamentale

dont on vient de rappeler la caractéristique. En tant quefondement de la validité de la Constitution de l'Etat, cettenorme fondamentale est en même temps le fondement dela validité du droit international reconnu en vertu de cette

Constitution, c'est-à-dire rendu obligatoire pour l'Etat.

D'après la seconde thèse, le droit international est un

ordre juridique supérieur à tous les ordres juridiques éta-

tiques, qui délimite leur domaine de validité respectif, quiseul est souverain, — c'est la théorie de la primauté del'ordre juridique international (1). Effectivement, ce droitinternational contient une norme qui constitue le fonde-ment de la validité des ordres juridiques étatiques. Par

suite, on peut trouver ce fondement dans le droit interna-tional positif. Et alors ce fondement est une norme posée,et non pas une norme simplement supposée. Cette norme

du droit international, on la formule habituellement endisant que d'après le droit international général, un gou-vernement qui exerce un contrôle effectif indépendant detous autres gouvernements sur la population d'un certainterritoire constitue le gouvernement légitime, et que le

peuple qui vit sous ce gouvernement sur ce territoire forme

un Etat au sens du droit international; ceci sans qu'il y aità considérer si le gouvernement en question exerce ce con-trôle effectif sur la base d'une Constitution qui était déjàen vigueur au moment où il est arrivé au pouvoir ou aucontraire sur la base d'une Constitution qu'il a lui-mêmeétablie révolutionnairement. En exprimant cette idée en

langage juridique, on dira qu'une norme du droit interna-tional général habilite ou un individu ou un groupe d'in-dividus à édicter et à appliquer sur la base d'une Constitu-tion efficace, un ordre de contrainte normatif en qualité de

gouvernement légitime; cette norme légitime ainsi cet ordre

de contrainte comme un ordre juridique valable, valable

pour le domaine territorial de son efficacité effective, et elle

(1) V. infra, p. 439 sqq.

DYNAMIQUE DU DROIT 291

confère à la collectivité que fonde cet ordre juridique la

qualité d'Etat au sens du droit international, — ceci sans

tenir aucunement compte de la façon dont le gouvernementconsidéré est parvenu au pouvoir, soit d'une façon légitimeau regard d'une Constitution préexistante, soit par voie

de révolution. D'après le droit international, ce pouvoirdoit être considéré comme un pouvoir de droit. Ceci signifie

que le droit international légitime la révolution qui a réussi,en la reconnaissant comme une procédure créatrice de droit.

Et voici ce qui résulte de cette théorie pour notre problème :

si l'on admet que la validité de l'ordre juridique étatiquea pour fondement une norme positive du droit international

dans son application à la Constitution de l'Etat sur la base

de laquelle est édifié l'ordre juridique étatique, le problèmede la norme fondamentale se déplace; immédiatement au

moins, la validité de l'ordre juridique étatique, son autorité,ne repose plus alors sur une norme supposée, mais sur une

norme du droit international réellement posée. S'il en est

ainsi, le théoricien est renvoyé à la question du fonde-

ment de la validité de cette norme et, finalement à la

question de la norme fondamentale de l'ordre juridique

international, puisque le fondement de la validité d'une

norme de droit international ne peut être que la norme

fondamentale du droit international. Cette norme fonda-

mentale devient ainsi le fondement médiat de la validité

de l'ordre juridique étatique. En tant que véritable norme

fondamentale, elle n'est point, on le sait, une norme posée,mais une norme supposée. Elle représente l'hypothèse

moyennant laquelle le « droit international général », —

c'est-à-dire les normes efficaces en gros et de façon géné-rale qui règlent la conduite mutuelle des Etats —, peuventêtre considérées comme des normes juridiques obligatoiresliant les Etats. Ces normes sont créées par la voie d'une

coutume qui est constituée par la conduite effective des

Etats, c'est-à-dire par la conduite des hommes qui jouentle rôle de gouvernement selon les ordres juridiques étatiques.Si on peut les interpréter comme normes juridiques liant les

Etats, c'est parce que l'on présuppose une norme fonda-

mentale qui institue la coutume des Etats comme fait créa-

teur de droit. On peut libeller cette norme comme suit : les

Etats, c'est-à-dire les gouvernements des Etats, doivent

se conduire dans leurs relations mutuelles de telle ou telle

façon, ou la contrainte doit être exercée par un Etat contreun autre Etat, aux conditions et de la façon qui résultent

292 THÉORIE PURE DU DROIT

d'une coutume donnée des Etats (1). C'est là la Constitu-tion — au sens de la logique juridique

— du droit interna-tional (2).

Une des normes juridiques du droit international créées

par la coutume donne aux Etats le pouvoir de régler leursrelations réciproques par voie de traités. C'est dans cettenorme coutumière que les normes de droit internationalainsi créées contractuellement trouvent le fondement de leurvalidité. On la formule habituellement par la phrase : pactasunt servanda. Dans la norme fondamentale supposée dudroit international, qui institue la coutume étatique commefait créateur de droit, s'exprime le principe qui est l'hypo-thèse fondamentale de tout droit coutumier : l'individu doitse conduire de la façon dont les autres individus se conduisenthabituellement dans l'idée qu'ils doivent le faire; il y est

appliqué à la conduite réciproque des Etats, c'est-à-dire àla conduite des individus à qui l'ordre juridique étatiqueconfère la qualité d'organes, et plus précisément d'organesde gouvernement (3).

Pas davantage en posant la norme fondamentale du droitinternational que lorsque l'on posait la norme fondamentaledu droit étatique, on ne se prononce pour aucune valeurtranscendante au droit positif, même pas pour la valeurde paix que garantissent le droit international général créé

par voie de coutume et le droit international particuliercréé sur la base de la norme qui délègue le droit convention-nel. On n'entend pas dire que le droit international et —

si l'on suppose sa primauté— les ordres juridiques éta-

tiques qui lui sont soumis ne soient valables que parce queet en tant qu'ils réalisent la valeur de paix. Tout à l'opposé,la vérité est qu'il n'est possible qu'ils réalisent cette valeur

que si et en tant qu'ils sont valables; et ils sont valablesà condition que l'on suppose la norme fondamentale quiinstitue la coutume étatique comme un fait créateur de

(1) Sur le fait de la coutume des Etats, cf. infra, p. 423 sqq.(2) Sur la raison pour laquelle on ne peut pas admettre qu'il existe-

rait une norme de droit positif créée coutumièrement qui institueraitle fait de la coutume des Etats comme fait créateur de droit, cf. infra,p. 435.

(3) Aujourd'hui je rejette la théorie soutenue par nombre d'au-teurs — et que j'avais, moi aussi, initialement adoptée —, selonlaquelle le fondement du droit international serait la norme pacta suntservanda, parce qu'on ne peut la maintenir qu'à l'aide de la fictionque la coutume des Etats serait un traité — c'est-à-dire un contrat —tacite.

DYNAMIQUE DU DROIT 293

droit — quel que soit le contenu que les normes ainsi créées

puissent avoir.

Si l'on doit trouver le fondement de la validité des ordres

juridiques étatiques dans une norme de l'ordre juridiqueinternational, il s'ensuit que celui-ci est conçu comme unordre juridique supérieur à eux, — comme l'ordre juri-dique le plus élevé, l'ordre juridique souverain. Si malgrécela, on persiste à qualifier les Etats, — c'est-à-dire lesordres juridiques étatiques

— de « souverains », c'est quel'on entend par cette « souveraineté » des Etats simplementque les Etats sont soumis uniquement au droit interna-tional ou, en s'exprimant dans la terminologie devenue assez

courante, qu'ils sont des collectivités immédiates au droitinternational (volkerrechts unmittelbare Gemeinschaften).

i) Théorie de la norme fondamentaleet doctrine du droit naturel.

Si en posant la question du fondement de la validité dudroit positif, c'est-à-dire la question de savoir pourquoiles normes d'un ordre de contrainte efficace doivent être

appliquées ou obéies, on vise à obtenir une justificationéthico-politique de cet ordre de contrainte, c'est-à-dire uncritère ferme d'après lequel on pourrait juger si un ordre

juridique positif donné est juste et par suite valable, ou aucontraire injuste et par suite non-valable, alors la réponsede la théorie pure du droit décevra ; car la norme fondamen-tale qu'elle propose n'apporte en aucune façon semblable

justification, ne fournit à aucun degré semblable critère.Car le droit positif ne pourrait être justifié

— on l'a déjàobservé —

(1) que par une norme ou par un ordre normatif

auquel il est également possible que son contenu soit con-forme et qu'il ne le soit pas : ce qui signifie qu'au regardde cette norme ou de cet ordre il se peut que le droit positifapparaisse parfois injuste comme il se peut qu'il apparaisseparfois juste. Or, tout au contraire, le type de norme fonda-mentale que propose la théorie pure du droit comme lacondition de la validité juridique objective est tel qu'il four-nit un fondement de validité pour tout ordre juridique posi-tif, c'est-à-dire pour tout ordre de contrainte posé par desactes humains et efficace en gros et de façon générale.

(1) Cf. supra, p. 92 sq.

294 THÉORIE PURE DU DROIT

D'après la théorie pure du droit, en sa qualité de théoriedu droit positiviste, aucun ordre juridique positif ne peutêtre considéré comme ne s'accordant pas à sa norme fon-

damentale, et par suite comme non-valable. Le contenu desordres juridiques positifs est complètement indépendant deleur norme fondamentale. Car — il faut l'affirmer avec forceet insistance — de la norme fondamentale, on ne peutdéduire que la validité de l'ordre juridique, on ne peut pasdéduire son contenu. Quel que soit son contenu, un ordrede contrainte efficace en gros et de façon générale peut être

légitimement interprété comme un ordre normatif objec-tivement valable. On ne peut refuser à aucun ordre juridiquepositif la validité sous prétexte du contenu de ses normes.Ceci est un élément essentiel du positivisme juridique; et

précisément cette théorie de la norme fondamentale révèleet affirme le caractère positiviste de la théorie pure du droit.Cette théorie décrit le droit positif, c'est-à-dire tout ordrede contrainte efficace en gros et de façon générale, commeun ordre normatif objectivement valable; et elle établit quecette interprétation n'est possible qu'à condition de sup-poser une norme fondamentale en conséquence de laquellela signification subjective des actes créateurs de droit soit

également leur signification objective.Mais il résulte de là que cette interprétation est simple-

ment possible, mais qu'elle n'est pas nécessaire et que lavalidité objective du droit positif n'est que relative, puisqueconditionnée précisément par l'hypothèse de la norme fon-damentale. L'on ne doit pas nécessairement supposer lanorme fondamentale d'un ordre juridique positif; l'on nedoit pas nécessairement interpréter les relations humainesdont il s'agit de façon normative, c'est-à-dire comme des

obligations, des habilitations, des droits, des compé-tences, etc., fondés par des normes juridiques objective-ment valables; on a seulement la faculté de le faire, c'est-à-dire que l'on peut aussi les interpréter sans recours à une

hypothèse préalable, sans supposer la norme fondamentale,comme des relations de force, comme des relations entredes individus qui commandent et des individus quiobéissent... ou qui n'obéissent pas,

— c'est une interpréta-tion qui n'est plus juridique, mais sociologique (1). En tout

(1) L'exemple que j'avais choisi dans des livres antérieurs pourillustrer le caractère simplement possible, et non nécessaire, de l'appelà la norme fondamentale hypothétique et qui était : un anarchiste

DYNAMIQUE DU DROIT 295

ceci se manifeste que la norme fondamentale est — on l'amontré — une norme pensée par celui qui cherche à fonderla validité du droit positif; elle n'est ainsi que la conditionde logique transcendantale de cette interprétation normative ;elle ne remplit donc pas du tout une fonction éthico-poli-tique, mais uniquement une fonction de théorie de laconnaissance (1).

Par toutes ces données que l'on vient d'exposer, une théo-rie positiviste du droit se distingue radicalement d'unethéorie de droit naturel conséquente. Une théorie de ce

genre cherche le fondement de la validité du droit positif,c'est-à-dire d'un ordre de contrainte efficace en gros et de

façon générale, dans un ordre normatif distinct du droit

positif, qu'elle appelle droit naturel; elle assigne pour fon-dement au droit positif une norme ou un ordre normatifavec lequel il est également possible que le contenu dudroit positif s'accorde, ou ne s'accorde pas; la conséquencelogique est que, dans ce second cas, le droit positif doitnécessairement être considéré comme non-valable. Ainsi

donc, dans une véritable, une authentique théorie du droit

n'accepte pas l'hypothèse de la norme fondamentale, est trompeur.L'anarchiste rejette le droit comme ordre de contrainte en vertu d'unsentiment; il le désapprouve, il souhaite une société sans contrainte,qui ne soit pas fondée sur un ordre de contrainte. L'anarchisme estune attitude politique, qui repose sur une certaine aspiration. Aucontraire de l'interprétation sociologique, qui ne suppose pas la normefondamentale —, et qui, elle, est une attitude théorique. Même unanarchiste pourrait, s'il était juriste, décrire un droit positif commeun système de normes valables, sans pour autant approuver ce droit.Bien des manuels ou traités qui décrivent un ordre juridique capita-liste comme un système de normes fondant des obligations, des pou-voirs, de droits, des compétences, ont été écrits par des juristes quiétaient politiquement hostiles à cet ordre juridique.

(1) Aussi la théorie de la norme fondamentale n'est-elle pas —contrairement à l'idée erronée que certains s'en font — une théoriede la reconnaissance. La théorie de la reconnaissance affirme que ledroit positif est valable s'il est reconnu par les individus qui y sontsoumis, c'est-à-dire si ces individus veulent que l'on doive se conduireconformément aux normes du droit positif. On affirme que cettereconnaissance est effectivement donnée, ou, si on ne peut pas enprouver l'existence, on feint qu'elle existe comme reconnaissance« tacite ». La théorie de la reconnaissance présuppose — consciemmentou inconsciemment — l'idéal de la liberté individuelle en tant qu'auto-détermination, c'est-à-dire la norme : l'individu ne doit faire que cequ'il veut lui-même. C'est là sa norme fondamentale. On ne sauraitméconnaître la différence qui sépare de cette théorie la théorie de lanorme fondamentale d'un ordre juridique positif que défend la théoriepure du droit.

296 THÉORIE PURE DU DROIT

naturel, on ne peut pas accepter l'idée —qui est celle de la

théorie pure du droit en tant que théorie du droit positif —

que tout ordre de contrainte efficace en gros de façon géné-rale est un ordre normatif objectivement valable. La pos-sibilité d'un conflit entre droit positif, c'est-à-dire ordre

de contrainte efficace, et droit naturel inclut en soi la possi-bilité de considérer un ordre juridique positif comme non-

valable. Le droit naturel ne peut servir d'étalon de la valeur

éthico-politique du droit positif et, par suite d'éventuelle

justification éthico-politique de ce droit qu'en tant que le

contenu du droit positif peut aussi bien être en désaccord

avec le droit naturel qu'y être conforme, et peut donc aussi

bien apparaître comme injuste, et par suite non-valable,

que comme juste et donc valable. Telle est précisémentla fonction essentielle dévolue au droit naturel. Si une

théorie du droit qui prétend être une théorie du droit natu-

rel formule la norme ou l'ordre normatif qui constitueraient

le fondement de la validité du droit positif de façon telle

que se trouve exclue toute possibilité d'un conflit entre la

norme fondamentale indiquée et le droit positif,— si par

exemple elle affirme que la nature prescrit d'obéir à tout

ordre juridique positif, quelles que soient les conduites qu'ilprescrit, elle s'annule elle-même en tant que théorie du

droit naturel, c'est-à-dire théorie de la justice; car cette

position signifie qu'elle renonce à la fonction essentielle audroit naturel, celle d'étalon de valeur éthico-politique et

par conséquent de justification possible du droit positif.Certes, on peut dire qu'en admettant que la validité du

droit positif repose sur une norme fondamentale qui n'est

pas une norme posée, mais une norme supposée, qui parconséquent n'est pas une norme de ce droit positif dontelle fonde la validité objective, la doctrine positiviste recon-naît l'existence d'une limite qui empêche de pousser jus-

qu'au bout ce principe du positivisme juridique. Et n'ya-t-il pas en effet quelque similitude entre cette conceptionet celle des doctrines de droit naturel, qui, elles aussi, font

reposer la validité du droit positif sur une norme qui n'est

pas de droit positif, et qui joue le rôle de critère de la valeurde celui-ci, — ce qui pourrait inciter à penser qu'entre unedoctrine de droit positiviste et une doctrine de droit natu-

rel, la différence n'est pas absolue, mais simplement rela-tive. Soit; cependant il faut affirmer et maintenir qu'il y a

entre les deux thèses une différence suffisamment accentuée

pour interdire de l'ignorer et pour se permettre d'avancer

DYNAMIQUE DU DROIT 297

que la théorie positiviste de la norme fondamentale défen-

due par la théorie pure du droit est une théorie de droitnaturel (1).

j) La norme fondamentale du droit naturel.

Parce que la norme fondamentale du droit positif telle

qu'elle la conçoit ne fournit pas un étalon de mesure de la

justice ou de l'injustice de ce droit, et n'apporte donc pasune justification éthico-politique de ce droit, la théorie puredu droit est souvent considérée comme non-satisfaisante.Ce que l'on cherche, c'est un étalon de mesure au moyenduquel le droit positif puisse être jugé juste ou injuste, eten fait surtout puisse être justifié comme juste.

Mais une théorie de droit naturel ne peut livrer un tel

étalon, présentant quelque solidité, que si les normes dudroit naturel exposées par elle, qui prescrivent une cer-taine conduite parce que juste, possèdent la validité abso-lue qu'elles prétendent, c'est-à-dire si elles excluent la pos-sibilité que soient valables des normes qui prescriventcomme juste une conduite opposée. Or l'histoire de la théo-rie du droit naturel montre que cette condition est bienloin d'être réalisée. Aussitôt que la doctrine du droit naturel

entreprend de déterminer le contenu des normes imma-nentes à la nature, déductibles de la nature, les divergenceset oppositions les plus aiguës commencent pour elle : ses

représentants ont proclamé, non pas un seul droit naturel,identique chez tous, mais nombre de droits naturels trèsdifférents les uns des autres et qui se contredisent. Cecivaut en particulier pour les questions fondamentales de la

propriété et de la forme du gouvernement. D'après telledoctrine de droit naturel, seule la propriété individuelle est« naturelle », c'est-à-dire juste; d'après telle autre, c'estla propriété collective seule ; —

d'après l'une, c'est la démo-cratie seule ; d'après l'autre, c'est seulement l'autocratie. Undroit positif qui correspond au droit naturel de l'une de ces

doctrines, et qu'elle considère par suite comme juste, contre-dit le droit naturel de l'autre doctrine, qui le juge injuste.

(1) C'est à cette fonction de théorie de la connaissance, et nonéthico-politique, de la norme fondamentale que je songeais lorsquej'ai occasionnellement employé l'expression — assez peu heureuse —de « droit naturel de logique du droit (rechtslogisch) ». Sur l'interpré-tation de la théorie pure du droit comme une théorie de droit naturel,cf. H. KELSEN, Justice et Droit naturel (Voir Supra, p. 24, n. 1).

20. THÉORIEPUREDUDROIT.

298 THÉORIE PURE DU DROIT

Il s'en faut de beaucoup que la doctrine du droit natureltelle qu'elle a été développée effectivement, et elle ne peutpas être développée autrement, fournisse le critérium ferme

que l'on attend d'elle.Mais c'est l'idée même qu'une doctrine de droit naturel

pourrait donner une réponse absolue à la question du fon-dement de la validité du droit positif qui repose sur une

illusion; selon ces doctrines, la validité du droit positif a

pour fondement le droit naturel, c'est-à-dire un ordre établi

par la nature en tant qu'autorité suprême, supérieure au

législateur humain. En ce sens, le droit naturel est, lui aussi,un droit posé, c'est-à-dire un droit positif; mais alors quele droit positif proprement dit est posé par des volontés

humaines, le droit naturel le serait par une volonté supra-humaine. Sans doute une doctrine de droit naturel peut-ellebien affirmer comme un fait —

que la nature commande

que les hommes doivent se conduire de telle ou telle façon.Mais puisqu'un fait ne peut pas être le fondement de lavalidité d'une norme, une doctrine de droit naturel correctedu point de vue logique ne peut pas nier que l'on ne peutdonner un droit positif conforme au droit naturel commevalable que si l'on suppose la norme : on doit obéir auxcommandements de la nature. Telle est la norme fonda-mentale du droit naturel. La doctrine du droit naturel ne

peut, elle aussi, donner à la question du fondement de lavalidité du droit positif qu'une réponse conditionnée ourelative. Si elle affirme que la norme qui prescrit d'obéiraux commandements de la nature est immédiatement évi-

dente, elle se trompe. Cette affirmation est inacceptable :non seulement d'une façon générale, il ne peut exister denormes de conduite humaine immédiatement évidentes;mais cette norme en particulier est beaucoup moins immé-diatement évidente encore que toute autre. Car, pour la

science, la nature est un système d'éléments régis par la

légalité causale. Elle n'a aucune volonté et, par suite, ellene peut pas poser de normes. On ne peut admettre l'exis-tence de normes immanentes à la nature, que si l'on inclutdans la nature la volonté de Dieu. Or l'idée que, dans lanature qui est une manifestation de sa volonté — ou detoute autre façon —, Dieu commanderait aux hommes dese conduire d'une certaine façon, est une thèse métaphy-sique qui ne peut pas être acceptée d'une façon généralepar une science quelconque et en particulier par la sciencedu droit : la connaissance scientifique ne peut avoir pour

DYNAMIQUE DU DROIT 299

objet un quelconque processus que l'on situe au-delà de

toute expérience possible.

35. — LA PYRAMIDE DE L'ORDRE JURIDIQUE.

a) La Constitution.

Dans les développements précédents, on a déjà évoquéà mainte reprise cette particularité que présente le droitde régler lui-même sa propre création. On peut distinguerdeux modalités différentes de ce règlement. Parfois, il porteuniquement sur la procédure : des normes déterminent exclu-sivement la procédure selon laquelle d'autres normes devrontêtre créées. Parfois, il va plus loin et porte également surle fond : des normes déterminent —

jusqu'à un certain point— le contenu, le fond d'autres normes dont elles prévoientla création. On a déjà analysé le rapport entre les normes

qui réglementent la création d'autres normes et ces autresnormes : en accord avec le caractère dynamique de l'unitédes ordres juridiques, une norme est valable si et parcequ'elle a été créée d'une certaine façon, celle que détermineune autre norme; cette dernière constitue ainsi le fonde-ment immédiat de la validité de la première. Pour exprimerla relation en question, on peut utiliser l'image spatiale dela hiérarchie, du rapport de supériorité-subordination : Lanorme qui règle la création est la norme supérieure, lanorme créée conformément à ses dispositions est la normeinférieure. L'ordre juridique n'est pas un système de normes

juridiques placées toutes au même rang, mais un édificeà plusieurs étages superposés, une pyramide ou hiérarchieformée (pour ainsi dire) d'un certain nombre d'étages oucouches de normes juridiques. Son unité résulte de laconnexion entre éléments qui découle du fait que la validitéd'une norme qui est créée conformément à une autre norme

repose sur celle-ci; qu'à son tour, la création de cette der-nière a été elle aussi réglée par d'autres, qui constituent àleur tour le fondement de sa validité; et cette démarche

régressive débouche finalement sur la norme fondamentale,— norme supposée. La norme fondamentale hypothétique— en ce sens — est par conséquent le fondement de vali-dité suprême, qui fonde et scelle l'unité de ce système decréation.

Commençons par raisonner uniquement sur les ordres

300 THÉORIE PURE DU DROIT

juridiques étatiques. Si l'on s'en tient aux seules normes

positives, le degré suprême de ces ordres est formé par leurConstitution. Il faut entendre ici ce terme en un sens

matériel; où il se définit : la norme positive ou les normes

positives qui règlent la création des normes juridiques géné-rales. La Constitution ainsi entendue peut être créée soit

par voie de coutume, soit par un acte ayant cet objet et

ayant pour auteurs un individu ou plusieurs individus,autrement dit : par acte de législation. Dans le second cas,elle est toujours consignée dans un document; pour cette

raison, on l'appelle une Constitution « écrite »; alors quela Constitution coutumière est une Constitution non-écrite.Il se peut aussi qu'une Constitution au sens matériel se

compose pour partie de normes légiférées et écrites,pour partie de normes coutumières et non-écrites. Il est

également possible que les normes d'une Constitution crééecoutumièrement soient codifiées à un moment donné; sicette codification est l'oeuvre d'un organe de création dudroit et a par suite un caractère obligatoire, la Constitutionnée coutumière devient une Constitution écrite.

Le terme Constitution est pris aussi en un sens formel :la Constitution au sens formel est un document qualifiéde Constitution, qui

— en tant que Constitution écrite —

contient non seulement des normes qui règlent la créationdes normes juridiques générales, c'est-à-dire la législation,mais également des normes qui se rapportent à d'autres

objets politiquement importants, et, en outre, des dispo-sitions aux termes desquelles les normes contenues dans cedocument ne peuvent pas être abrogées ou modifiées de lamême façon que les lois ordinaires, mais seulement par une

procédure particulière, à des conditions de difficulté accrue.Ces dispositions représentent la forme constitutionnelle; entant que forme, cette forme constitutionnelle peut recevoir

n'importe quel contenu, et elle sert en première ligne àstabiliser les normes que l'on a appelées la Constitution

matérielle, et qui sont la base positive de l'ensemble del'ordre juridique étatique.

Dans les droits étatiques modernes, la création des normes

juridiques générales que règle la Constitution au sens maté-riel a le caractère de législation. La réglementation de cette

législation par la Constitution contient la détermination de

l'organe ou des organes investis du pouvoir de créer des

normes juridiques générales,— les lois et règlements.

Pour pouvoir considérer que les tribunaux sont habilités à

DYNAMIQUE DU DROIT 301

appliquer aussi le droit coutumier, il faut nécessairementadmettre qu'ils y sont habilités par la Constitution, — exac-tement de la même façon qu'ils le sont à appliquer les lois,— c'est-à-dire qu'il faut nécessairement admettre que laConstitution institue la coutume qui résulte de la conduitehabituelle des individus soumis à l'ordre juridique éta-

tique— des sujets de l'Etat — comme fait créateur de

droit. Cette nécessité ne pose certes aucune difficulté si laConstitution écrite elle-même contient une disposition for-melle en ce sens. Dans le cas contraire, pour pouvoir tenir

l'application du droit coutumier par les tribunaux pourrégulière, il faut recourir à la norme fondamentale ou Cons-titution hypothétique; on pourrait être tenté de primeabord de dire qu'alors l'habilitation résulte d'une normede la Constitution non-écrite née par coutume; nous ver-rons par la suite que l'idée n'est pas acceptable (1) ; il fautdonc supposer une norme d'habilitation, tout de même que,pour admettre que les lois et règlements créés conformémentà ses dispositions sont des normes juridiques obligatoires,il faut nécessairement supposer que la Constitution écritea le caractère d'ensemble de normes objectivement vala-bles. En ce cas, on supposera donc une norme fondamen-tale —

qui est la Constitution au sens de la logique juri-dique —, norme qui institue comme faits créateurs de droittout à la fois l'acte du législateur constituant, et la coutumerésultant de la conduite des sujets soumis à l'ordre juridiquecréé conformément à la Constitution.

Lorsqu'elle est Constitution écrite, la Constitution del'Etat se présente parfois dans une forme spécifiquementconstitutionnelle, c'est-à-dire sous forme de normes qui ne

peuvent pas être abrogées ou modifiées comme les lois ordi-

naires, mais seulement à des conditions d'une difficultéaccrue. Il se peut cependant que ce ne soit pas le cas; cene l'est évidemment pas pour les Etats dont la Constitutionest de caractère coutumier, c'est-à-dire est née de la con-duite coutumière habituelle des individus soumis à l'ordre

juridique étatique et n'a pas été codifiée par la suite. En ce

cas, les normes qui ont le caractère de Constitution maté-rielle peuvent, elles aussi, être soit abrogées soit modifiées

par les lois ordinaires ou par le droit coutumier.Il est possible que le pouvoir d'édicter, d'abroger et de

modifier les lois constitutionnelles au sens spécifiquement

(1) Cf. infra, p. 304,

302 THÉORIE PURE DU DROIT

formel, soit attribué à un organe différent de celui qui a le

pouvoir d'édicter, abroger et modifier des lois ordinaires.Par exemple, il se peut que la composition et le moded'élection de l'organe investi de la fonction constituantesoient différents de ceux de l'organe investi de la fonctionde législation ordinaire, — ce sera par exemple une Assem-blée constituante, il serait plus exact de dire : une Assemblée

législative constitutionnelle. Le plus souvent cependant, lesdeux fonctions sont exercées par un seul et même organe.

La Constitution qui règle la création des normes géné-rales peut déterminer aussi le contenu de certaines loisfutures ; et les Constitutions positives le font assez fréquem-ment en prescrivant certains contenus ou en excluant cer-tains contenus. Dans le_ premier cas, on n'a affaire, le plussouvent, qu'à une promesse que des lois seront édictées,sans qu'il y ait véritablement obligation de les édicter,parce qu'il n'est guère possible, ne serait-ce qu'en raisonde facteurs de technique juridique, d'attacher une sanctionà la non-édiction de lois ayant le contenu prescrit. Par

contre, il est plus facile d'exclure constitutionnellementde façon efficace l'édiction de lois d'un contenu déterminé.Le catalogue de droits et libertés fondamentaux qui formeun contenu typique des Constitutions modernes n'est pourl'essentiel rien autre chose qu'une tentative pour prévenirl'établissement de telles lois. Il est efficace si l'édictiond'une telle loi —

par exemple d'une loi qui lèse la libertéde la personne ou la liberté de la conscience ou l'égalité

engage la responsabilité personnelle de certains organesassociés à l'édiction — chef de l'Etat, ministres —, ou si estinstituée la possibilité de les attaquer et d'obtenir leur annu-lation. A supposer, bien entendu, que la loi ordinaire ne

possède pas la force de déroger à la loi constitutionnelle

qui règle sa création et son contenu, que les lois constitu-tionnelles ne puissent être modifiées ou abrogées qu'à desconditions plus difficiles, telles que majorité qualifiée, quo-rum supérieur, etc., c'est-à-dire à condition que la Consti-tution prescrive pour sa propre modification ou abrogationune procédure différente de la procédure de la législationordinaire, et plus difficile,

—qu'il y ait à côté de la « forme

de loi » une « forme de Constitution » distincte et originale.

DYNAMIQUE DU DROIT 303

b) Législation et coutume.

Le degré le plus proche de la Constitution, le degré immé-diatement inférieur de l'ordre juridique étatique est formé

par les normes juridiques générales créées par voie de légis-lation ou par voie de coutume. Toutes les Constitutions desEtats modernes, pratiquement sans exception, instituentdes organes de législation spéciaux qui sont compétents

pour créer des normes générales qu'auront à appliquer lestribunaux et les autorités administratives, de sorte quel'étape de la législation constituante est suivi par l'étapede la législation,

— ou législation simple ou ordinaire —,et celle-ci ensuite par l'étape de la procédure juridiction-nelle et de la procédure administrative.

Toutefois, semblable organisation à trois degrés n'a pasun caractère de nécessité. On peut concevoir que la Cons-titution n'institue pas un organe législatif spécial, mais habi-lite directement les tribunaux et les autorités administra-tives à créer eux-mêmes les normes qu'ils estiment opportunou juste d'appliquer dans les cas concrets. On reparleraultérieurement de cette possibilité. Pour l'instant, on com-mencera par considérer uniquement le cas normal : celuides ordres juridiques qui instituent un organe de législationparticulier.

La nature de cet organe de législation est un des facteursles plus importants qui déterminent ce que l'on appelle laforme politique ou forme de gouvernement. S'il est cons-titué par un seul et unique individu, monarque héréditaireou dictateur parvenu au pouvoir révolutionnairement, ona affaire à une autocratie. Si c'est l'assemblée du peupletout entier ou un Parlement élu par le peuple, à une démo-cratie. Seuls les systèmes de législation démocratique exigentdes dispositions qui règlent la procédure de la législation,c'est-à-dire ici la participation à l'assemblée du peuple ouà l'élection du Parlement, le nombre de membres du Par-

lement, la prise de ses décisions, etc.. Toutes ces disposi-tions font partie de la Constitution au sens matériel, maiselles ne sont pas toujours revêtues de la forme constitution-

nelle; elles se présentent parfois comme des lois ordinaires.S'il existe, à côté de l'organe de la législation ordinaire,différent de lui, un organe constituant, et si une loi consti-tutionnelle adoptée par cet organe, par exemple une loi

qui modifie la procédure de la législation, habilite l'or-

gane de la législation ordinaire à édicter, par loi ordinaire,

304 THÉORIE PURE DU DROIT

une législation électorale, le degré de la Constitution maté-rielle se trouve subdivisé lui-même en deux.

Les normes juridiques générales créées par la voie de la

législation sont des normes posées consciemment, autrementdit : formulées. Les actes qui constituent ce fait : la législa-tion, sont des actes créateurs de normes, des actes qui posentdes normes, c'est-à-dire : leur signification subjective estun Sollen. La Constitution élève cette signification subjec-tive au rang de signification objective, elle institue l'actede légiférer comme fait créateur de droit.

Mais il se peut que la Constitution institue égalementcomme fait créateur de droit la coutume lorsqu'elle pré-sente certains caractères. Le fait appelé coutume est,comme on l'a déjà expliqué dans les pages précédentes(p. 12-13 et 72 sq.), caractérisé par les traits suivants : deshommes qui font partie de la collectivité juridique se con-duisent dans certaines conditions identiques d'une certaine

façon identique; cette conduite a lieu pendant un tempssuffisamment long; et par là naît chez les individus quifondent la coutume par leurs actes la volonté collective

que l'on doive se conduire de cette façon. Quand ces traitssont réunis, l'ensemble de faits qui constitue la coutume a

pour signification un Sollen : il signifie que l'on doit seconduire conformément à la coutume. Mais la significationsubjective du fait coutumier ne peut être interprétée commeune norme juridique objectivement valable que si le faitcaractérisé de la sorte est institué dans la Constitution commefait créateur de normes juridiques.

La doctrine traditionnelle admet que Yopinio necessitatisest un élément essentiel du fait coutumier (1) : il faudrait

que les actes qui fondent la coutume soient accomplis dans

l'opinion qu'ils doivent avoir lieu. Mais cette opinion pré-suppose un acte de volonté individuelle ou collective ayantcette signification subjective que l'on doit se comporterconformément à la coutume. Si le droit coutumier est, àl'instar du droit législatif, droit positif, c'est-à-dire droit

posé, il doit nécessairement y avoir un acte de volontéindividuel ou collectif ayant pour signification subjectivele Sollen qui est interprété ensuite comme norme objective-ment valable, comme droit coutumier.

(1) Sur les origines de la théorie de Vopinio necessitatis, v. PaulGUGGENHEIM,Contribution à l'histoire des sources du droit des gens(Académie de Droit International, Recueil des Cours, t. 94, 1958, II,p. 52).

DYNAMIQUE DU DROIT 305

On l'a affirmé déjà précédemment, le droit coutumier ne

peut être appliqué par les organes d'application du droit

que si l'on peut admettre que ces organes ont le pouvoirde le faire, c'est-à-dire y ont été habilités. Si cette habili-tation ne résulte pas de la Constitution positive, c'est-à-diresi celle-ci n'institue pas la coutume qualifiée comme fait

créateur de droit, on ne pourra considérer l'application d'undroit coutumier, et en particulier d'un droit coutumier

dérogeant au droit législatif, comme régulière, que si l'on

suppose que l'institution de la coutume comme fait créateurde droit a déjà lieu dans la norme fondamentale, dans laConstitution au sens de la logique juridique. C'est-à-dire

qu'il faut supposer une forme fondamentale qui instituecomme fait créateur de droit, non pas uniquement les faitsde législation constituante, mais également les faits de cou-tume présentant certains caractères.

Ceci est également le cas si l'on a affaire à une collec-tivité juridique dont la Constitution n'est pas née par voied'édiction formelle, mais par voie de coutume, et si les

organes d'application du droit sont considérés comme ayantle pouvoir d'appliquer le droit coutumier. Il est impossible

d'interpréter cette situation en disant que la coutume estinstituée comme fait créateur de droit par la Constitutioncréée par la coutume, c'est-à-dire par la Constitution posi-tive. Ceci serait une pétition de principe. Car si la Constitu-tion positive, c'est-à-dire une norme qui règle la créationde normes générales, peut être créée par voie de coutume, ,il faut nécessairement supposer déjà que la coutume est unfait créateur de droit. Or cette hypothèse ne peut être quela norme fondamentale, c'est-à-dire la Constitution au sens

logique du terme. On se trouve alors en présence du cas

que l'on a déjà évoqué précédemment (supra, p. 266), oùla norme fondamentale — la Constitution au sens logique —,au lieu de se rapporter immédiatement à une Constitution

positive et ensuite de façon médiate à l'ordre juridiquecréé conformément à celle-ci, se rapporte immédiatement àcet ordre juridique créé coutumièrement. Ceci s'appliqueen particulier à la norme fondamentale du droit interna-tional général, dont les normes sont créées par la coutumedes Etats et sont appliqués par les organes de cesEtats (1).

Droit légal et droit coutumier dérogent l'un à l'autre

(1) Cf. supra, p, 289 sqq.

306 THÉORIE PURE DU DROIT

d'après le principe de la lex posterior. Mais, cependant queles lois constitutionnelles au sens formel ne peuvent pas être

abrogées ou modifiées par une loi ordinaire, mais seulement

par une nouvelle loi constitutionnelle, le droit coutumiera force dérogatoire également à l'égard des lois constitu-tionnelles formelles, même à l'égard des lois constitution-nelles qui excluraient expressément l'application de règlesde droit coutumier.

A cette idée que la coutume est un fait créateur de droit,s'oppose une autre conception, qui dénie à ce fait le carac-tère constitutif pour ne lui reconnaître qu'un caractère sim-

plement déclaratif; comme disait Savigny (System des

heutigin rômischen Redits, 1840, p. 35) « la coutume est la

marque distinctive du droit positif, elle n'est pas le fonde-ment de sa naissance » (1). Cette vue ne fait qu'exprimerla théorie défendue par l'Ecole historique allemande, selon

laquelle le droit n'est créé ni par la législation, ni par la

coutume, mais uniquement par l'esprit du peuple,— la

procédure législative comme la procédure coutumière per-mettent simplement d'établir ou constater l'existence d'undroit qui est entré en vigueur antérieurement à elles. Unethéorie sociologique du droit soutenue par des auteurs fran-

çais, défend la même doctrine avec cette différence que,d'après elle, le droit ne serait pas créé par l'esprit du peuple,mais par quelque chose qu'elle appelle la « solidarité so-ciale » (1).

D'après l'une et l'autre de ces deux théories, le droitétabli déclarativement par la législation ou par la cou-tume — et non pas créé par elles —

peut prétendre à lavalidité parce que et dans la mesure où il est la reproduc-tion d'un droit préexistant. Les deux théories ne sont aufond que de simples variantes de la doctrine du droit natu-rel : le dualisme d'un droit créé par la nature et d'un droitcréé par l'homme se reflète en elles dans le dualisme du droit

produit par l'esprit du peuple ou par la solidarité socialeet du droit reproduit par la législation et par la coutume. —

A ces deux théories, on peut opposer les mêmes objectionsque l'on a adressées à la doctrine du droit naturel. Unethéorie du droit positiviste ne peut accepter ni l'existence

purement imaginaire d'un esprit du peuple, ni davantagel'existence d'une non moins imaginaire « solidarité sociale »;

(1) Cf. Léon DUGUIT,L'Etat, le droit objectif et la loi positive, 1901,p. 80 sqq. et p. 616.

DYNAMIQUE DU DROIT 307

et pour elle, il ne fait aucun doute que la coutume ait un

rôle créateur de droit, — tout comme la législation.La question de savoir si le fait d'une coutume créatrice

de droit est donné dans des cas concrets ne peut être décidée

que par les organes d'application du droit. On a parfoisconclu de là qu'une règle qui exprime la conduite coutu-

mière des hommes ne devient norme juridique que si et

par le fait qu'elle est reconnue par le tribunal qui appliquecette règle, et que par conséquent les normes du droit coutu-mier ne seraient créées, vraiment créées que par les tribu-naux. — Ces vues ne sont pas acceptables : en vérité, la

relation entre organes d'application du droit, en particuliertribunaux, et normes du droit coutumier n'est pas diffé-

rente de la relation entre ces mêmes organes et les normesdu droit législatif. En effet, si l'organe qui doit appliquer lesnormes créées par voie de coutume doit établir dans un casconcret le fait de coutume, c'est-à-dire doit trancher la

question de savoir s'il existe réellement une norme créée parvoie de coutume qu'il doive appliquer, d'une façon toute

semblable, l'organe qui doit appliquer les normes législa-tives doit établir le fait de législation, c'est-à-dire doit tran-cher la question de savoir si une norme qu'il doive appliquera bien été créée par voie de législation. Il est bien possibleque cette dernière question soit plus facile à trancher, et

que par suite ces organes d'application en prennent moinsclairement conscience que de la question de savoir si unenorme est née du fait de la coutume, c'est le cas en parti-culier lorsque les lois sont publiées dans un Journal Officielou un Bulletin des Lois. Mais, en réalité, à y bien regarder,le rôle de l'organe d'application du droit est tout à faitle même dans les deux cas : il doit établir l'existence de lanorme à appliquer, c'est-à-dire sa création conforme à laConstitution. Et dans les deux cas, il existe une norme juri-dique générale créée déjà avant l'acte d'application du droit.L'établissement du fait en question par l'organe d'applicationdu droit a sans doute un caractère constitutif, — nousaurons à l'expliquer plus précisément par après ; mais à cetteconstatation constitutive est attaché un effet rétroactif.Le fait est considéré comme réalisé, comme donné, aumoment fixé par l'organe d'application du droit, et non passeulement à la date où cet organe est intervenu pour leconstater (1).

(1) Cf. infra, p. 321 sq.

308 THÉORIE PURE DU DROIT

La validité de normes de droit coutumier à l'intérieur descollectivités juridiques est soumise à une restriction, en tant

que l'application aux cas concrets des normes généralesposées par voie de coutume ne peut avoir lieu que pardu droit formellement édicté, à savoir par les normes indi-viduelles que doivent poser les organes d'application dudroit et, en particulier, là où existent déjà des tribunaux,par les décisions juridictionnelles, qui sont des normes indi-viduelles (1).

Entre le droit législatif et le droit coutumier, il existeune différence politiquement importante : le premier estcréé par une procédure relativement centralisée, le second parune procédure relativement décentralisée. Les lois sont créées

par des organes spéciaux et spécialisés instituées à cet effet;les normes du droit coutumier viennent au jour par uncertain comportement des sujets soumis à l'ordre juridique.Dans le premier cas, autorité créatrice de normes et sujetssoumis aux normes ne sont pas identiques; dans le second

cas, ils le sont, tout au moins jusqu'à un certain point. Pour

qu'il y ait coutume créatrice de droit, il n'est pas néces-saire que tous les individus qui doivent être obligés ouhabilités par la norme aient participé à la formation de lacoutume. Il suffit qu'y ait été associée la très grande majo-rité des individus que le rapport à régler peut concerner;il est donc parfaitement possible que des individus soientliés par une norme créée coutumièrement à l'édiction de

laquelle ils n'ont cependant pas participé. Cette situationse rencontre en particulier lorsqu'il s'agit d'une norme dedroit coutumier qui est entrée en vigueur depuis un très

long temps. Pour cette raison, il n'est pas juste d'interpré-ter le droit coutumier comme un contrat tacite — ainsi

qu'on le fait parfois, en particulier en ce qui concerne ledroit coutumier international.

c) Loi et règlement.

La plupart des droits étatiques positifs subdivisent à nou-veau l'étape de la création des normes juridiques générales,du droit général

—que règle la Constitution — en deux

ou plusieurs étapes.Evoquons ici seulement la séparation de la loi et du règle-

ment, qui est d'une importance particulière dans les Etatsoù la Constitution remet la création des normes juridiques

(1) Cf. infra, p. 318 sq.

DYNAMIQUE DU DROIT 309

générales en principe à un Parlement élu par le peuple,mais permet que les lois soient précisées et complétées pardes normes générales qu'édicteront certains organes admi-

nistratifs; il se peut même que la Constitution habilite le

gouvernement à édicter à la place du Parlement, danscertains cas exceptionnels, toutes les normes générales néces-

saires, ou au moins certaines normes^générales. Les normes

générales qui n'émanent pas du Parlement, mais d'uneautorité administrative, sont appelées règlements; et cesont soit des règlements complémentaires ou d'applicationdes lois, soit des règlements supplétifs des lois. On appelleces derniers aussi règlements ayant force de loi.

La conséquence de ce système est de faire apparaître uneforme législative spécifique,

— de même qu'il existe uneforme constitutionnelle spécifique. Ce qui conduit directe-ment à poser la notion de la « loi au sens formel », à laquelles'oppose la « loi au sens matériel ». Est « loi au sens maté-riel » toute norme juridique générale; « loi au sens formel »

désigne soit les normes juridiques générales en forme de loi,c'est-à-dire celle qui ont été votées par le Parlement et,d'après les dispositions typiques de la plupart des Consti-tutions publiées, suivant un certain mode; soit même pluslargement, tout contenu quelconque qui apparaît en cetteforme. Aussi le terme « loi au sens formel » est-il empreintd'équivoque. Seule est univoque et claire la notion de formede loi; forme où l'on peut couler non seulement des normes

générales, mais également d'autres éléments de fond, mêmedes éléments qui n'ont absolument pas la signification sub-

jective de normes. Dans ce dernier cas, on a affaire à uncontenu législatif juridiquement irrelevant. On a déjà traitédans un autre passage (1) le problème du contenu juri-dique irrelevant d'une forme juridique donnée, le fait que,non pas seulement dans la procédure législative d'ailleurs,mais dans toute procédure de création de droit édicté,peut apparaître un contenu qui n'a pas signification subjec-tive de norme générale ou individuelle, et qui est par suite

juridiquement irrelevant.

d) Droit matériel et droit formel.

Les normes générales créées par voie d'édiction de droit

(soit comme lois, soit comme règlements), ou par voie decoutume doivent être appliquées par les organes compé-

(1) Cf. supra, p. 70 et s.

310 THÉORIE PURE DU DROIT

tents à cet effet : tribunaux,, autorités administratives. Ilfaut que l'ordre juridique prévoie et institue ces organesd'application du droit, c'est-à-dire qu'il doit déterminer à

quelles conditions un individu déterminé ou un ensembled'individus exercera les fonctions de tribunal ou d'autoritéadministrative. Mais il faut également qu'il prévoie et règlela procédure d'exercice de ces fonctions, c'est-à-dire la pro-cédure de l'application des normes générales. Pour pouvoirêtre appliquées, les normes générales qui attachent à unfait déterminé, défini de façon abstraite, une conséquencedéterminée, également définie de façon abstraite, ont besoind'être individualisées. Il faut nécessairement qu'il soit éta-bli si un fait que la norme générale définit in abstracto estdonné in concreto ; et il faut nécessairement que soit réalisé

pour ce cas concret, c'est-à-dire que soit d'abord ordonnéet ensuite exécuté un acte de contrainte concret —

prévului aussi in abstracto par une norme générale. Par consé-

quent, l'application d'une norme générale à un cas concretconsiste à créer une norme individuelle, à individualiser, ou

concrétiser, la norme générale. Et par suite, la norme géné-rale à appliquer peut avoir également pour rôle de déter-miner le contenu de la norme individuelle que créera l'acte

juridictionnel ou l'acte administratif, la décision de justiceou la décision ou disposition administrative. Les normes

générales qu'ont à appliquer les tribunaux et les organesadministratifs ont donc une double fonction : 1° déterminerces organes et la procédure qu'ils auront à observer; 2° déter-miner le contenu des normes individuelles à créer par cette

procédure juridictionnelle ou administrative.A la distinction de ces deux fonctions correspond celle

que l'on a accoutumé de faire entre deux catégories de

règles que l'on appelle respectivement : règles du droit for-mel et règles du droit matériel. On appelle droit formelles normes générales qui règlent l'organisation et la procé-dure des tribunaux et des autorités administratives, — ledroit de la procédure civile, de la procédure pénale, et ledroit de la procédure administrative. Par droit matériel,on entend les normes générales qui déterminent le contenudes actes juridictionnels et administratifs. On dénommece droit matériel purement et simplement : droit civil, droit

pénal et droit administratif, — bien qu'assurément les

normes, qui règlent la procédure des tribunaux et des auto-rités administratives soient tout autant qu'elles du droit

civil, du droit pénal et du droit administratif. Tout de même,

DYNAMIQUE DU DROIT 311

lorsque l'on parle des normes à appliquer par ces organes,on ne pense le plus souvent qu'au droit civil, au droit pénal,ou au droit administratif matériels; et cependant, ce droitmatériel ne peut pas être appliqué sans que soit appliquéen même temps aussi du droit formel, c'est-à-dire le droit

qui règle la procédure selon laquelle ces droits matériels— civil, pénal ou administratif — sont appliqués, c'est-à-

dire par laquelle les actes juridictionnels ou les actes admi-

nistratifs sont posés. En vérité, droit matériel et droit formel

sont indissolublement unis l'un à l'autre, ils sont liés orga-niquement. Le droit qui règle sa propre création et sa propreapplication est formé de leur réunion : on n'en a une imagecomplète qu'en les rapprochant. En somme, toute propo-sition de droit complète doit nécessairement contenir et deséléments de droit formel et des éléments de droit matériel.Par exemple, l'énoncé complet d'une proposition de droit

pénal se présentera de la façon suivante (en simplifiant,c'est-à-dire en sacrifiant certes beaucoup d'éléments) : siun individu a commis tel délit, prévu par le Code pénal,l'organe déterminé par le Code de procédure pénale (untribunal) doit, suivant une procédure difinie par ce Code,ordonner la sanction prévue pour ce délit par le Code pénal.Et même, nous verrons plus tard qu'il faut adopter une for-mulation encore plus compliquée, du type suivant : si un

organe dont l'investiture est réglée par une loi (loi de forme)a établi par une procédure déterminée par cette loi qu'unfait est donné auquel une loi de fond attache une sanction

déterminée, alors cet organe doit, au terme d'une procédureréglée par la loi de forme, ordonner cette sanction, en appli-cation de la loi de fond : cette formulation de la propositionde droit pénal répond à une fonction essentielle des propo-sitions descriptives du droit : elle met en lumière le lien sys-tématique qui existe entre ce que l'on appelle le droit formelet le droit dit matériel, entre la détermination du délit etla sanction, d'une part, et la détermination de l'organe d'ap-plication du droit et de sa procédure, d'autre part.

La relation qui existe entre les normes juridiques géné-rales créées par édiction formelle ou par coutume et leur

application par les tribunaux ou par les organes adminis-

tratifs, est pour l'essentiel identique à celle qui existe entrela Constitution et la création des normes juridiques géné-rales, qu'elle règle. La création des normes juridiques géné-rales est application de la Constitution, de la même façonet au même titre que l'application des normes juridiques

312 THÉORIE PURE DU DROIT

générales par des tribunaux et par des organes administra-tifs est création de normes juridiques individuelles. De même

que les normes juridiques générales créées par édiction for-

melle ou par coutume sont prévues et réglées— en tout

cas au point de vue formel, également peut-être aussi sous

l'angle matériel —par les normes de la Constitution, normes

d'un degré supérieur, de même les normes individuelles

créées par acte juridictionnel et par acte administratif sont

déterminés sous l'angle formel comme sous l'angle matériel,

par les normes générales édictées formellement ou créées

coutumièrement, c'est-à-dire, elles aussi, par des normes

d'un degré supérieur. Mais le rapport entre l'élément formelet l'élément matériel est différent dans les deux cas.

En règle générale, la Constitution (au sens matériel du

mot) ne détermine que les organes et la procédure de la

législation, abondonnant la détermination du fond du droit

à l'organe législatif. Ce n'est qu'exceptionnellement que laConstitution pose des règles sur le fond, ou contenu, des

lois; et ces règles n'ont d'efficacité réelle que lorsqu'ellesont un caractère négatif, c'est-à-dire si elles portent exclu-sion de règles législatives d'un certain fond ou objet. Encore

faut-il observer ceci : si l'on considère l'hypothèse de créa-tion coutumière du droit, la Constitution ne peut que délé-

guer la procédure qui présentera le caractère de coutume.Il est purement et simplement impossible qu'une Constitu-tion exclue que les normes juridiques coutumières aient

tel ou tel contenu, puisque la Constitution elle-même —

même une Constitution écrite —peut être modifiée par des

règles juridiques issues de la coutume.A la différence de la Constitution, les normes juridiques

générales dont elle règle la création déterminent, non seu-lement les organes par lesquels et la procédure suivant

laquelle elles doivent être appliquées, mais également—

dans une mesure d'ailleurs variable — le contenu de ces

normes individuelles que représentent les décisions juri-dictionnelles et les décisions administratives. Dans le

domaine du droit pénal, la détermination préalable du

contenu de la décision juridictionnelle va généralement très

loin, de sorte que c'est seulement un jeu relativement réduit

qui est laissé au pouvoir discrétionnaire du tribunal répressifdans la création des normes individuelles que représententses décisions. Dans le domaine du droit administratif, cette

marge de jeu est le plus souvent assez large.En résumé, et en d'autres termes, on peut dire que la

DYNAMIQUE DU DROIT 313

Constitution établit surtout du droit de caractère formel, alors

que le degré de la création du droit, qui lui est immédiatementinférieur comprend aussi bien du droit formel que du droitmatériel.

e) Les « sources du droit ».

On présente souvent la législation et la coutume commeles deux « sources du droit » ; cette vue procède de ce qu'enparlant alors du droit, on ne pense qu'aux seules normes

générales du droit étatique. Cette idée restrictive n'est pascorrecte. Si l'on envisage le droit dans toute l'ampleurconvenable, il apparaît immédiatement qu'il existe d'autres« sources du droit » que législation et coutume. D'abord, lesnormes juridiques individuelles font, elles aussi, partie du

droit; elles sont éléments constitutifs de l'ordre juridique,aussi bien que les normes juridiques générales sur la base

desquelles elles sont créées. D'autre part, il faut envisagerle droit international général aussi bien que le droit éta-

tique : or, la législation ne figure pas parmi ses sources, quisont la coutume et le traité.

« Sources du droit », ce terme n'est qu'une expressionimagée qui a d'ailleurs plus d'une signification. On peutdésigner par ce mot, d'une façon générale, toutes les mé-thodes de création de droit — et non pas seulement celles

que l'on vient d'évoquer —, ou bien toute norme supérieuredans son rapport avec la norme inférieure dont elle règlela création. Par suite, on peut entendre par source du droit

également le fondement de la validité des ordres juridiques,en particulier le fondement dernier, leur norme fondamen-tale. —

Mais, en fait, on ne qualifie de source que le fonde-ment de droit positif de la validité d'une norme juridique,c'est-à-dire la norme juridique positive supérieure qui règlesa création. En ce sens, la Constitution apparaît comme lasource des normes juridiques générales créées par voie de

législation ou par voie de coutume; une norme juridiquegénérale, comme la source de la décision juridictionnellequi l'applique et qui est une norme individuelle; mais ladécision juridictionnelle peut, elle aussi, être considéréecomme la source des obligations et des droits établis parelle pour les parties litigantes, ou comme la source du pou-voir de l'organe qui a à exécuter matériellement cette déci-sion. Au regard de la théorie du droit positif, seul du droit

peut être source du droit.Mais l'expression est également employée dans un sens

21. THÉORIEPUREDUDROIT.

314 THÉORIE PURE DU DROIT

non-juridique, lorsqu'on l'utilise pour désigner toutes les

représentations qui influencent effectivement les fonctionsde création du droit et d'application du droit, en particulierles principes moraux et politiques, les théories juridiques,les avis d'experts, etc.. Cependant, ces «sources» -cidoiventêtre distinguées et séparées clairement des sources du droit

positif. Elles diffèrent les unes des autres en ceci que lessecondes sont juridiquement obligatoires, alors qu'au con-traire les premières ne le sont pas, à moins qu'une norme

positive ne les délègue comme sources de droit, c'est-à-direne les rende obligatoires. Mais alors elles prennent le carac-tère de normes juridiques supérieures réglementant la créa-tion de normes juridiques inférieures.

La multiplicité des significations du terme « sources dedroit (ou du droit) » le laisse apparaître comme vraimentinutilisable. Au lieu de cette image susceptible d'induirefacilement en erreur, il est recommandable d'utiliser une

expression qui définit sans équivoque le phénomène juri-dique que l'on a en vue.

f) Création du droit, application du droitet obéissance au droit.

Comme on l'a établi précédemment, l'ordre juridique estun système de normes générales et de normes individuelles

qui sont unies les unes aux autres par le fait que la créationde chacune des normes qui appartient à ce système est

réglée par une autre norme du système, et, en dernière ana-

lyse, par sa norme fondamentale. Une norme ne fait partied'un ordre juridique que parce qu'elle a été posée confor-mément aux dispositions d'une autre norme de cet ordre.Cette régression conduit finalement à la norme fondamen-

tale, qui n'est plus posée conformément aux dispositionsd'une autre norme, et qui doit par suite être supposée. Sil'on considère non pas seulement les ordres juridiques, mais

également les collectivités juridiques qu'ils fondent —, on

peut dire : qu'une norme juridique fait partie d'un ordre

juridique déterminé lorsqu'elle a été créée par un organe decette collectivité, et donc par cette collectivité. Mais commeon l'a déjà dit précédemment (1), les individus qui créentdes normes sont organes de la collectivité juridique, parceque et en tant que leur fonction est réglementée par des

(1) Cf. supra, p. 200 sq.

DYNAMIQUE DU DROIT 315

normes de l'ordre juridique qui fonde la collectivité et peut

par suite être attribuée à celle-ci. L'opération intellectuelle

qui consiste à rapporter les fonctions créatrices de droit à

la collectivité juridique, plus exactement à l'unité de l'ordre

juridique qui fonde celle-ci, c'est-à-dire, en bref : à attri-

buer les fonctions à la collectivité, repose exclusivement

sur la norme juridique qui réglemente cette fonction. De

même que la collectivité juridique n'est rien autre chose

que l'ordre juridique, de même la proposition qui affirme

qu'une norme fait partie d'un ordre juridique parce qu'ellea été créée par un organe de la collectivité juridique équi-vaut purement et simplement à la proposition qu'une norme

fait partie d'un ordre juridique parce qu'elle a été créée

conformément à la disposition d'une norme de cet ordre

juridique, et, en fin d'analyse, conformément à la disposi-tion de la norme fondamentale de cet ordre. Il est parti-culièrement important de conserver cette vue présente à

l'esprit lorsque, raisonnant sur l'ordre juridique étatique et

par suite sur la collectivité juridique Etat, on cherche à

comprendre le sens véritable de l'affirmation habituelle quec'est l'Etat qui crée le droit.

La création d'une norme qui est réglée par une autre

norme constitue une application de cette dernière. L'appli-cation dur doit est en même temps création du droit. Con-

trairement à ce qu'admet la théorie traditionnelle, ces deux

notions ne représentent pas une antithèse absolue; il n'est

pas juste de distinguer et opposer des actes créateurs de

droit et des actes applicateurs de droit. Car, si l'on fait

abstraction des cas-limites entre lesquels se déroule le pro-cessus de création du droit — ces cas-limites étant la sup-

position de la norme fondamentale, et l'exécution des actes

de contrainte —, tout acte juridique est à la fois applicationd'une norme supérieure et création, réglée par cette norme,d'une norme inférieure.

Raisonnons sur l'ordre juridique étatique en faisant abs-

traction d'un droit international qui lui serait supérieur. La

norme fondamentale qui règle la création de la Constitu-

tion n'est pas elle-même l'application d'une norme supé-rieure. Mais la création de la Constitution a lieu en appli-cation de la norme fondamentale. Ensuite, la création des

normes juridiques générales par la législation et par la

coutume a lieu en application de la Constitution; puis, en

application de ces normes générales a lieu la création des

normes individuelles par des décisions juridictionnelles et

316 THÉORIE PURE DU DROIT

des décisions administratives. Seule la réalisation des actes

de contrainte statues par ces normes individuelles — cedernier des actes de la procédure de création du droit —•

a lieu en application des normes individuelles qui le règlentsans être elles-mêmes création d'une norme. L'applicationdu droit est ainsi ou la création d'une norme inférieure sur labase d'une norme supérieure, ou la réalisation de l'acte decontrainte statué dans une norme.

Comme on l'a déjà souligné, la création des normes infé-rieures peut être réglée par les normes supérieures dans deuxdirections. Les normes supérieures peuvent déterminer l'or-

gane par lequel et la procédure selon laquelle seront crééesles normes inférieures. Elles peuvent aussi déterminer parailleurs le contenu de ces normes. Même si une norme supé-rieure détermine uniquement l'organe, c'est-à-dire l'individuou les individus qui auront à créer une norme inférieure,abandonnant pour le reste à la discrétion de cet organe ladétermination de la procédure, aussi bien que la détermi-nation du contenu de la norme à créer, la création de lanorme inférieure est application de la norme supérieure : ladétermination de l'organe est le minimum de ce qui doitêtre réglé dans le rapport entre une norme supérieure et unenorme inférieure. Car une norme dont la création n'estabsolument pas réglée par une norme supérieure ne peut pasêtre considérée comme posée dans le cadre de l'ordre juri-dique, et ne peut par suite faire partie de cet ordre; et unindividu ne peut être considéré comme organe d'une col-

lectivité juridique, sa fonction ne peut être attribuée à cette

collectivité, qu'à condition qu'il soit désigné par une norme

supérieure de l'ordre juridique qui fonde la collectivité,c'est-à-dire, en d'autres termes : à condition qu'il soit habilitéà la fonction par une semblable norme. Pour pouvoir êtreconsidéré comme un acte de la collectivité juridique, toutacte créateur de droit doit toujours être un acte d'applica-tion du droit, c'est-à-dire doit être l'application d'une norme

juridique qui précède l'acte. Par suite, la création du droitdoit nécessairement être conçue comme une application du

droit, même si une norme supérieure détermine uniquementl'élément personnel, l'individu qui a à remplir la fonction decréation du droit. C'est cette norme supérieure qui détermine

l'organe qui est appliquée dans chacun des actes de cet

organe. Dans l'Etat idéal de Platon, les juges peuvent décider

tous les cas litigieux d'une façon pleinement discrétion-

naire, sans être limités par aucune norme générale édictée

DYNAMIQUE DU DROIT 317

par un législateur; chacune de leurs décisions est cepen-dant l'application de la norme générale qui détermine à

quelles conditions un individu possède le pouvoir d'exercer lesfonctions de juge. Ce n'est que sur le fondement de cette norme

qu'il peut être considéré comme juge de cet Etat idéal,

que ses décisions peuvent être attribuées à cet Etat idéal,comme ayant eu lieu dans le cadre de son ordre juridique.

La création des normes inférieures peut être réglée parles normes supérieures à un degré variable. Mais elle ne

peut jamais l'être si peu que l'acte en question ne puisse

plus être considéré comme un acte d'application du droit,et elle ne peut jamais être poussée à un tel point que l'actene puisse plus être considéré comme un acte de créationde droit. Même si, comme c'est le cas pour les décisions

juridictionnelles qui doivent être prises sur la base des

lois, sont déterminés non seulement l'organe et la procé-dure, mais également le contenu de la décision à prendre,il n'y a pas seulement application du droit, mais égalementcréation de droit. La question de savoir si un acte a le carac-tère de création de droit ou d'application du droit dépendde la mesure dans laquelle la fonction de l'organe qui posel'acte est préalablement réglementée et déterminée parl'ordre juridique. Cependant, il y a d'une part des actes quine sont qu'application du droit, et nullement création dedroit. Ce sont, on l'a dit précédemment, les actes qui réa-lisent les actes de contrainte statues par les normes juridiques.Et il y a d'autre part un acte de création de droit positifqui n'est pas lui-même application d'une norme juridiquepositive; l'édiction de la Constitution historiquement pre-mière, qui a lieu en application de cette norme fondamen-tale qui n'est en effet pas posée, mais seulement supposée.

Création de droit et application du droit doivent être

distinguées de l'obéissance au droit. L'obéissance au droit,c'est cette conduite au contraire de laquelle un acte decontrainte est attaché à titre de sanction. C'est avant toutla conduite qui évite la sanction, l'accomplissement de l'obli-

gation juridique fondée par la sanction. Création du droit,

application du droit et obéissance au droit sont des fonctionsde droit, au sens le plus large. On peut qualifier aussi d'obéis-sance au droit l'exercice d'une permission positive. Cepen-dant, en un sens plus étroit et spécifique, on n'appelle fonc-tions juridiques que la création du droit et l'application du

droit, — à l'exclusion de l'obéissance au droit.

318 THÉORIE PURE DU DROIT

g) La juridiction.

a) Le caractère constitutif des décisions juridictionnelles.

Pour la doctrine traditionnelle, l'application du droit, cesont principalement, sinon même exclusivement les déci-sions des tribunaux civils et répressifs ; il est bien vrai qu'engénéral, lorsqu'ils tranchent une contestation juridique ou

prononcent une peine contre un criminel, les tribunaux

appliquent une norme juridique générale qui a été créée

par voie de législation ou de coutume. Néanmoins, commecela ressort de ce qui a été dit précédemment, biend'autres actes encore représentent une application du droit :aussi bien les actes de création des normes générales par la

législation et par la coutume que les décisions des autoritésadministratives et — comme nous le verrons encore —

éga-lement les actes juridiques infra-législatifs (conventions, tes-

taments, etc.), et, dans le cas des décisions juridictionnelles,

l'application des normes juridiques générales par les tri-bunaux consiste à poser des normes individuelles dont lecontenu est déterminé par les normes générales et qui pro-noncent une sanction concrète : exécution forcée civile, ou

peine.Pour une analyse qui s'attache à la dynamique du droit,

l'édiction des normes individuelles par les tribunaux repré-sente une étape intermédiaire du processus qui, commençantavec l'établissement de la Constitution, conduit, à travers la

législation et la coutume, jusqu'aux décisions juridiction-nelles, et de celles-ci jusqu'à l'exécution des sanctions. Ce

processus dans lequel le droit se créée, pour ainsi dire, lui-même incessamment à nouveau, va du général à l'indivi-

duel, de l'abstrait au concret. C'est un processus d'indivi-dualisation ou concrétisation constamment croissantes.

Pour individualiser les normes générales qu'ils appliquent,les tribunaux doivent d'abord établir si, dans l'espèce quileur est soumises, les conditions d'une sanction, que déter-mine in abstracto une norme juridique générale, sont don-nées in concreto. Cet établissement des faits qui condi-tionnent la sanction inclut la détermination de la norme

générale à appliquer, c'est-à-dire la constatation qu'unenorme générale est en vigueur qui attache aux faits donnésune sanction. Les tribunaux n'ont pas à répondre seulementà la quaestio facti, mais également à la quaestio juris. Aprèsque ces deux constatations ont eu lieu, les tribunaux doivent

DYNAMIQUE DU DROIT 319

ordonner in concreto la sanction qui est établie in abstracto

dans la norme juridique générale. Ces constatations et cet

ordre sont les fonctions essentielles de la décision juridic-tionnelle. On notera qu'entre les décisions juridictionnellesciviles et les décisions juridictionnelles pénales existe, de

façon générale, cette différence que les premières n'or-

donnent la sanction concrète que conditionnellement : un

tribunal civil condamnera le défendeur à effectuer une cer-

taine prestation au demandeur, et n'ordonnera la sanction

que pour le cas où cette prestation n'aurait pas eu lieu

dans un certain délai; alors qu'au contraire, les décisions

pénales ordonnent la peine inconditionnellement. Mais ce

n'est là qu'une différence générale, et non pas absolue : la

condamnation pénale est parfois conditionnelle, elle aussi;il se peut que l'exécution de la condamnation soit subor-

donnée au fait que le condamné commette un nouveau

délit avant l'expiration d'un certain délai.

Contrairement à ce qu'on admet parfois, les décisions

juridictionnelles n'ont pas un caractère simplement décla-

ratif. Il n'est pas vrai que le tribunal ait seulement à trou-

ver et à énoncer un droit déjà préalablement créé d'une

façon absolument complète et définitive, un droit dont la

création serait absolument terminée. La fonction des tri-

bunaux ne consiste pas à simplement « trouver le droit

(Rechts- « Findung ») ou dire le droit (Recht- « Sprechung »),si l'on entend par là des opérations purement déclaratives.

Seule la constatation de la norme générale à appliquer au

cas concret peut être présentée comme consistant à « trou-

ver le droit ». Encore cette constatation a-t-elle un caractère

constitutif, et non pas simplement déclaratif. Le tribunal

qui a à appliquer à un cas concret les normes générales en

vigueur d'un ordre juridique doit trancher la question de

savoir si la norme qu'il doit appliquer a été créée de façon

constitutionnelle, c'est-à-dire selon la procédure législativedéfinie par la Constitution, ou par la voie de la coutume

déléguée par la Constitution (1). Ce fait qui doit être établi

par le tribunal est une condition de la sanction qu'il est

appelé à prononcer dans le cas concret, exactement comme

l'est le fait qu'il doit établir qu'un délit a été commis. Si

l'on raisonne sur l'exemple de l'application des normes de

(1) Sur la limitation par le droit positif de ce « droit de contrôle »des tribunaux et autres organes d'application du droit, cf. infra,p. 360 et s.

320 THÉORIE PURE DU DROIT

droit pénal d'un ordre juridique démocratique, la propo-sition de droit qui décrit cette situation répondra au schémasuivant : si le Parlement constitutionnellement élu a adoptésuivant la procédure déterminée dans la Constitution uneloi aux termes de laquelle un certain acte doit être, comme

crime, puni d'une certaine peine, et si le tribunal a établi

qu'un certain individu a commis l'acte en question, le tri-

bunal doit prononcer la peine prévue par la loi. Cette for-mulation de la proposition de droit fait ressortir la position

qu'occupe à l'intérieur d'un ordre juridique le droit dit

constitutionnel — c'est-à-dire les normes qui règlent lacréation des normes juridiques générales. Ce ne sont pasdes normes complètes, se suffisant à elles-mêmes, car ellesne déterminent que l'une des conditions des actes de con-trainte statues par d'autres normes. Elles ne constituent

des normes juridiques qu'en liaison avec celles-ci. Par suite,contrairement à une idée parfois admise, la circonstance

que les normes du droit constitutionnel n'instituent pasd'actes de contrainte n'est pas un motif suffisant pour rejeterla définition du droit comme ordre de contrainte. C'est seu-lement par la constatation qui a lieu dans les décisions

juridictionnelles qu'une norme générale est en vigueur, quidoit être appliquée dans le cas concret soumis au tribunal— et elle est en vigueur si elle a été créée constitutionnelle-ment —, que cette norme devient applicable dans le cas

concret et qu'est par là créée pour ce cas une situation dedroit qui n'était pas donnée avant la décision.

L'ordre d'une sanction concrète a un caractère constitutif,— il est à peine besoin de justifier cette affirmation. Lesnormes individuelles qui statuent que telle sanction doitêtre prononcée et dirigée contre tel individu ne sont créées

que par les décisions juridictionnelles, elles n'étaient pas en

vigueur antérieurement.Si la doctrine traditionnelle n'a pas su apercevoir que

la décision juridictionnelle n'est que la continuation du

processus de création du droit, si elle est tombée dans l'er-reur de lui attribuer le caractère de fonction simplementdéclarative, c'est parce qu'elle n'a pas pris conscience de

la fonction normative des décisions juridictionnelles, parcequ'elle en est restée au préjugé que le droit se composeuniquement de normes générales, et qu'elle a ignoré l'idéede la norme juridique individuelles.

Il est également de la plus haute importance de recon-naître qu'en constatant le fait du délit, un tribunal remplit

DYNAMIQUE DU DROIT 321

une fonction absolument constitutive. Si l'ordre juridiqueattache à la condition d'un fait déterminé une certaine

conséquence, il doit nécessairement déterminer aussi l'or-

gane par lequel et la procédure suivant laquelle devra êtreétablie dans un cas concret l'existence du fait-condition.L'ordre juridique peut donner à cet organe le pouvoir dedéterminer lui-même, discrétionnairement, la procédure;mais pour que la norme générale qui attache au fait-condi-tion une conséquence puisse être appliquée au cas concret,c'est-à-dire être individualisée, il faut nécessairement

que l'organe et la procédure soient déterminés par l'ordre

juridique,— soit directement, soit au moins indirecte-

ment. A l'égard d'un fait dont l'ordre juridique fait la condi-tion d'une certaine conséquence, la première question du

juriste doit nécessairement être : quel est l'organe juri-dique qui est compétent, d'après l'ordre juridique, pourétablir que ce fait est donné dans un cas concret, et quelleest la procédure instituée par l'ordre juridique suivant

laquelle la chose doit être établie? C'est seulement parcette constatation que le fait pénètre dans le domaine du

droit, c'est seulement par lui que, de fait naturel, il devientun fait juridique, qu'il est juridiquement créé comme tel.Contre ces assertions, certains feront valoir que le fait

juridique doit être considéré comme donné à partir dumoment où le fait naturel lui-même a existé. Mais l'argumentn'a pas de valeur : l'interprétation correcte de cette solutionest que la constatation du fait par l'organe d'applicationdu droit a lieu avec effet rétroactif. Le fait est considérécomme n'étant pas donné seulement à dater de sa cons-

tatation, mais comme étant donné à compter du momentfixé par l'organe d'application du droit, c'est-à-dire à comp-ter du moment où le fait naturel a été posé, selon la consta-tation faite par l'organe d'application du droit. En ce sens,la constatation du fait-condition par le tribunal est doncconstitutive. Soit une norme juridique générale qui attacheau crime de meurtre la peine de mort; on ne décrit pascette donnée de façon correcte en disant que le fait qu'unhomme a commis un meurtre constitue la condition de lasanction. Ce qui constitue cette condition fixée par l'ordre

juridique, ce n'est pas le fait que l'homme a commis un

meurtre, en lui-même; c'est le fait qu'un organe compétentd'après l'ordre juridique a établi, suivant une procéduredéterminée par cet ordre, qu'un homme a commis unmeurtre. Lorsque l'on dit que le tribunal a établi qu'un

322 THÉORIE PURE DU DROIT

homme a commis un meurtre, bien qu' « en réalité » cethomme n'eût pas commis le meurtre en question, ou quele tribunal a établi qu'un certain individu n'a pas commisun certain meurtre bien qu' « en réalité » cet hommeeût commis le meurtre en question, cela signifie envérité que le tribunal a établi l'existence ou la non-existence d'un fait dont l'opinion d'autres personnes, quine sont pas juridiquement compétentes pour procéder àcette constatation, est qu'il n'existe pas, ou au contraire

qu'il existe.Du point de vue de l'ordre juridique, qui doit être appli-

qué par des hommes, seules entrent en considération des

opinions d'hommes sur le point de savoir si un certain hommea commis un certain meurtre. Ces opinions méritent plus oumoins confiance; il est possible qu'elles se contredisent, ou

que l'individu soupçonné du meurtre avoue lui-même lefait ou le nie. Mais si la norme juridique générale doit être

appliquée il faut, qu'une seule opinion l'emporte et vaille.

Laquelle, il faut que l'ordre juridique le détermine. C'est

l'opinion qui s'exprime dans la décision du tribunal. Elleseule compte juridiquement; l'opinion de toutes autres per-sonnes est juridiquement indifférente. Toutefois, les partiesau procès auxquelles l'ordre juridique en reconnaît le pou-voir peuvent attaquer par des recours la décision juridiction-nelle, lorsqu'elles estiment inexacte la constatation du fait —

condition qu'elle contient. Autrement dit : la significationsubjective de l'acte de décision n'est pas encore nécessai-rement acceptée d'une façon définitive comme sa significationobjective. Ceci ne devient le cas que lorsque la décision

juridictionnelle où il est constaté que tel individu a commistel meurtre et où une certaine peine est prononcée contre

lui, est passée en force de chose jugée, c'est-à-dire lorsqu'ellene peut plus être annulée à la suite d'une nouvelle procédure.Alors, l'opinion que cet homme a été condamné alors qu'ilétait innocent, soit parce que le meurtre affirmé par letribunal n'a pas été commis du tout, soit parce qu'il a étécommis par une autre personne que le condamné, soit parceque le condamné n'a pas commis un meurtre, mais unautre délit,

— cette opinion est juridiquement exclue. Carla proposition de droit ne déclare pas : lorsqu'un hommea commis un meurtre, telle peine doit être prononcée contre

lui, mais : lorsque le tribunal compétent a établi avec forcede chose jugée, suivant une procédure réglée par l'ordre

juridique, qu'un individu a commis un meurtre, le tribunal

DYNAMIQUE DU DROIT 323

doit prononcer contre cet individu telle peine. Dans la pen-sée juridique, le fait établi suivant la procédure prévue prendla place du fait en soi qui, dans la pensée non-juridique,conditionne l'acte de contrainte. Seule cette constatation

est elle-même un « fait »; et sur la question de savoir si

ce fait est donné dans le cas concret, si la constatation a

eu lieu, si elle a eu lieu par l'organe compétent et suivant

la procédure prescrite, des opinions différentes peuventexister, aussi bien que sur la question de savoir si la cons-

tatation était « exacte ». De même qu'une décision juri-dictionnelle peut être attaquée pour le motif que la cons-

tatation du fait qu'un tel délit a été commis par tel individu

serait inexacte, l'exécution de la sanction peut être atta-

quée par voie de recours devant une instance supérieure

pour raison d'absence d'une décision juridictionnelle, c'est-à-dire pour incompétence du tribunal, ou de la Cour ou pourvice de procédure. Le fait que, selon l'opinion des parties, la

décision ordonnant l'exécution d'une sanction aurait été

prise sans une procédure juridictionnelle préalable, est ana-

logue au fait que le tribunal aurait affirmé qu'un délit a été

commis, alors que, d'après le point de vue des parties,aucun délit absolument n'aurait été commis. Dans ce der-

nier cas, le fait que le délit a été commis peut être à nouveau

établi sur recours; ou bien, si le tribunal de recours a constatél'absence de délit, la décision ordonnant l'exécution de la

sanction peut être annulée. Dans le premier cas, le fait

contesté par les parties qu'une procédure juridictionnellea précédé la décision ordonnant l'exécution de la sanction

peut être établi au cours de l'instance sur recours, ou, au

cas où une telle constatation n'a pas lieu, une procédurejuridictionnelle peut être introduite. Le cas où les partiesestimeraient que la décision juridictionnelle est l'oeuvre

d'un tribunal incompétent, ou qu'elle a été prise suivant

une procédure, entachée d'un vice, est analogue au cas où

le délit aurait été commis par un autre individu que le

condamné, ou bien au cas où le délit que ce condamné a

effectivement commis serait un délit autre que celui pourlequel il a été condamné. Dans tous ces cas, une procédure

juridictionnelle est l'objet d'une autre procédure juridic-tionnelle. Si ce recours qui conduit d'une procédure juri-dictionnelle à une autre est limité par l'ordre juridiquepositif, il existe donc une procédure juridictionnelle qui ne

peut plus être l'objet d'une autre procédure juridictionnelle;

324 THÉORIE PURE DU DROIT

alors, le fait, de l'affirmation, au terme d'une procédure, qu'uneprocédure a eu lieu ne peut plus être substitué au fait même decette procédure juridictionnelle ; alors, il faut accepter l'idée ducas-limite d'une dernière procédure juridictionnelle ayant lecaractère d'un fait en soi. Tel est le cas lorsque la décision dutribunal de dernière instance acquiert la force de chose jugée.Ceci signifie que désormais la signification subjective del'acte de la décision de dernière instance doit être acceptécomme sa signification objective. Si dans cette décisionest établi le fait, nié par les parties, qu'une procédure juri-dictionnelle a précédé la décision ordonnant l'exécution dela sanction, ou que la compétence du tribunal de l'instancedu degré précédent, niée par les parties, existait bien, ou

que le vice de la procédure précédente, affirmé par les par-ties, n'existait pas, alors, du point de vue juridique, touteautre opinion est exclue.

Bien que la procédure juridictionnelle par laquelle le fait

qui conditionne la sanction est établi ne soit pas une pro-cédure de connaissance du droit, mais une procédure decréation du droit, il existe cependant un certain parallé-lisme entre elle et le processus de la connaissance des faitsnaturels qui sont l'objet de cette connaissance. Dans ce

parallélisme, au sujet du processus de la connaissance —

qui est de caractère constitutif —correspond l'organe de

la procédure juridictionnelle, qui est également constitutive.De même que l'objet de cette connaissance est « créé » dansle processus de la connaissance, le fait qui conditionne lasanction est créé dans la procédure juridictionnelle. Et demême que la procédure juridictionnelle en tant que fait

peut être elle-même l'objet d'une procédure juridiction-nelle, le processus de connaissance peut être lui-même —

dans la théorie de la connaissance —l'objet d'un processus

de connaissance. Mais la connaissance, qui porte sur elle-même en tant que fait, ne peut pas devenir à son tour

l'objet d'une connaissance. Il y a une limite à la régression quimène du fait du processus de connaissance à un autre pro-cessus de connaissance qui a ce fait pour objet. On ren-contre le cas-limite d'un processus de connaissance quidoit être accepté comme fait en soi, c'est-à-dire comme unfait qui n'est plus lui-même créé par un processus de connais-sance.

DYNAMIQUE DU DROIT 325

(3) Le rapport entre les décisions juridictionnelles et les

normes juridiques générales à appliquer.

Les actes par lesquels sont posées les normes individuelles

que contiennent les décisions juridictionnelles sont le plussouvent — comme on l'a déjà remarqué

—préalablement

réglementés par des normes générales aussi bien de droit

formel que de droit matériel.

Si tel est le cas, deux hypothèses peuvent se présenterdans les espèces 'concrètes sur lesquelles un tribunal doit

statuer. Ou bien le tribunal établit que le défendeur oul'accusé a — comme l'affirment le demandeur privé ou l'accu-sateur public

— commis ce délit qui est défini par une norme

juridique générale et a par suite violé par sa conduiteune obligation que lui imposait l'ordre juridique; alors, letribunal doit donner suite à la demande ou à l'accusationen ordonnant la sanction instituée dans cette norme juri-dique générale. Ou bien le tribunal établit que le défendeurou l'accusé n'a pas commis de délit, et par suite n'a par saconduite violé aucune obligation que lui imposait l'ordre

juridique, soit parce que la conduite qui a été la leur neconstitue pas le fait délictueux affirmé par le demandeur

privé ou par l'accusateur public, soit parce qu'aucunenorme générale n'est en vigueur qui attache à ce fait une

sanction; en ce cas, le tribunal doit rejeter la demande ou

acquitter l'accusé, c'est-à-dire ordonner qu'aucune sanctionne doit être dirigée contre le défendeur ou contre l'accusé.

Que le tribunal accueille la demande ou l'accusation ou

qu'il rejette la demande ou acquitte l'accusé, dans les deux

cas, la décision juridictionnelle a pareillement lieu en appli-cation de l'ordre juridique en vigueur; ainsi en va-t-il en

particulier aussi dans le cas où le tribunal rejette la demandeou acquitte l'accusé pour la raison qu'à son avis aucunenorme générale n'est en vigueur, qui attacherait une sanc-tion à la conduite que le demandeur privé ou l'accusateur

public ont soutenu avoir été celle du défendeur ou de l'ac-

cusé, et qui l'a peut-être effectivement été, autrement dit :

par la raison qu'il estime qu'aucune norme juridique géné-rale n'oblige le défendeur ou l'accusé à la conduite contraire.

Comme on l'a déjà expliqué dans un passage antérieur (1),l'ordre juridique règle la conduite humaine, non pas seule-ment de façon positive, en prescrivant une certaine con-

(1) Cf. supra, p. 20 et s.

326 THÉORIE PURE DU DROIT

duite, c'est-à-dire en obligeant à cette conduite, mais éga-lement de façon négative, en permettant une certaine

conduite par le fait de ne pas la défendre. Ce qui n'est pas

juridiquement défendu est juridiquement permis. En reje-tant la demande ou en acquittant l'accusé pour le motif

indiqué, le tribunal applique l'ordre juridique qui permetau défendeur ou à l'accusé la conduite contre laquelle était

dirigée la demande ou l'accusation que l'ordre juridiquene justifiait en réalité pas.

Comme on l'a déjà expliqué précédemment, l'ordre juri-

dique peut garantir une conduite qu'il permet aux indivi-

dus, en ce sens qu'elle ne la défend pas, en prescrivant aux

autres individus de tolérer cette conduite, c'est-à-dire de

ne pas l'empêcher ou de n'y porter aucune atteinte.Une telle garantie existe toujours du fait et dans la mesureoù l'ordre juridique édicté une prohibition générale d'em-

ploi de la force physique par les particuliers, cet emploiétant réservé exclusivement à la collectivité. Mais il est

parfaitement possible qu'à une conduite des individus quiest permise en ce sens qu'elle n'est pas défendue, corres-

ponde une conduite d'autres individus qui ne consiste pasen emploi de la force physique et qui est, elle aussi, per-mise en ce sens qu'elle n'est pas défendue. En de semblables

cas, on est en présence, ainsi qu'on l'a déjà expliqué, d'unconflit d'intérêts que l'ordre juridique ne prévient pas; et

aucun ordre juridique ne peut prévenir tous les conflitsd'intérêts. Dans cette situation, les tribunaux doivent reje-ter une action qui mettrait en cause une conduite permise

(c'est-à-dire non défendue) du défendeur, qui a empêché ou

entravé, sans application de la force physique, une conduite

permise (c'est-à-dire également non défendue, du deman-

deur; de même qu'ils doivent acquitter l'accusé dont laconduite incriminée par l'accusation présenterait ces mêmescaractères. — De telles décisions juridictionnelles sontprises,elles aussi, en application de l'ordre juridique; elles aussisont application du droit. Certes, on peut considérer que,dans ces hypothèses, l'application du droit en vigueurn'est pas satisfaisante, parce que le droit en vigueur s'abs-

tient de protéger un intérêt qui, d'un point de vue ou d'un

autre, apparaît comme digne de protection. Mais il est

impossible que l'ordre juridique protège tous les intérêts

possibles; il ne peut jamais protéger que des intérêts très

déterminés en interdisant les actes qui les léseraient; et

par suite, les intérêts opposés, qui existent toujours, restent

DYNAMIQUE DU DROIT 327

nécessairement sans protection; d'où il résulte que le conflitentre la conduite permise de tels individus et la conduite

permise de tels autres individus est inévitable ; et il se ren-contre toujours lorsqu'une demande doit être rejetée ou

qu'un accusé doit être acquitté uniquement pour la raison

que sa conduite n'est pas défendue, et qu'en conséquence,l'intérêt lésé par sa conduite n'est pas protégé par l'ordre

juridique au moyen d'une norme générale qui attache unesanction à la conduite contraire.

Mais la solution contraire est également possible : à savoir

que l'ordre juridique habilite les tribunaux, à faire droit à lademande ou à condamner l'accusé au cas où d'abord ils cons-tateraient qu'il n'existe aucune norme générale qui impose au

défendeur ou à l'accusé l'obligation dont le demandeur

privé ou l'accusateur public affirment la violation, et oùensuite ils estimeraient l'absence d'une telle norme

générale injuste, inéquitable, c'est-à-dire non satisfai-sante. Une telle habilitation signifie que ces tribunaux

reçoivent le pouvoir de créer pour les cas sur lesquels ilsstatuent des normes juridiques individuelles dont le contenun'est en aucune façon déterminé préalablement et anté-rieurement par des normes générales de fond du droitcréées par voie de législation ou de coutume. Lorsque lasituation se présente, un tribunal n'applique donc pas unenorme de ce type; il applique seulement la norme juri-dique qui l'habilite, lui tribunal, à créer du droit de fondnouveau. — On dit habituellement qu'en ce cas, les tri-bunaux reçoivent le pouvoir d'agir comme législateurs, de

jouer le rôle de législateurs. La proposition n'est pas tout àfait exacte, si l'on entend par législation la création denormes juridiques générales; puisqu'en effet les tribunauxsont habilités uniquement à créer des normes simplementindividuelles, valables seulement chacune pour un cas, celuià l'occasion duquel et pour lequel elle est posée. Seulement,cette norme individuelle, le tribunal la crée en applicationd'une norme générale qu'il tient personnellement pour sou-

haitable, pour « juste », alors que le législateur positif nel'a pas posée. C'est seulement comme application d'unetelle norme générale non-positive, que la norme individuelle

posée par le tribunal se laisse justifier comme une norme

juste.Entre le cas où les tribunaux reçoivent — comme l'on

dit — le pouvoir d'agir en législateurs et le cas où, en l'ab-sence d'une norme générale positive de fond du droit déter-

328 THÉORIE PURE DU DROIT

minant par avance le contenu des futures décisions juri-dictionnelles, les tribunaux doivent rejeter la demande ou

prononcer l'acquittement de l'accusé, il n'y a qu'une diffé-rence de degré. En effet, d'une part, dans le premier cas,le tribunal applique une norme générale de fond — commedans le second —, encore que cette norme ne soit pas posi-tive,

— c'est une première raison; d'autre part, dans lesecond cas, la fonction du tribunal est création du droit,à savoir création d'une norme individuelle,

— comme ellel'est dans le premier; seulement le pouvoir discrétionnairedu tribunal est beaucoup plus limité dans ce dernier cas

que dans le premier, où il est — en fait — aussi peu limité

que le pouvoir discrétionnaire que la Constitution accordenormalement au législateur dans la création de normes

juridiques générales. Mais, même dans les hypothèses oùle contenu de la norme individuelle à créer par le tribunalest prédéterminé par une norme générale positive, il doitnécessairement rester à la fonction créatrice de droit destribunaux une certaine marge de pouvoir discrétionnaire.Les normes générales positives ne peuvent pas déterminer

par avance tous les éléments, qui résulteront seulementdes particularités des cas concrets. Ainsi, par exemple, lamesure du dommage qui doit être réparé, avec recourséventuel à l'exécution forcée contre le patrimoine du défen-

deur, et que le tribunal est appelé à fixer; ou le moment

auquel la peine d'emprisonnement à prononcer doit com-mencer et celui où elle doit se terminer ; ou le moment où la

peine de mort doit être exécutée. Dans la procédure qui opèrel'individualisation des normes juridiques générales positives,nécessairement, les organes qui appliquent les normes géné-rales doivent toujours déterminer les éléments qui ne sont

pas encore déterminés dans la norme générale et qui ne

peuvent pas y être déterminés. Les normes générales nesont jamais qu'un cadre à l'intérieur duquel les normesindividuelles doivent être créées. Seulement, ce cadre peutêtre plus étroit ou plus large. Il atteint la largeur maximum

lorsque la norme générale positive ne contient que l'habi-litation à créer la norme individuelle, sans déterminer paravance son contenu.

A cet égard, il faut remarquer qu'au cas où les normes

individuelles que les tribunaux auront à créer ne sont abso-lument pas déterminées dans leur contenu par une norme

générale positive, l'édiction de ces normes individuelles a

lieu en somme avec effet rétroactif. Une norme juridique a

DYNAMIQUE DU DROIT 329

effet rétroactif lorsque le fait auquel elle attache une sanc-

tion a été réalisé, non pas après son entrée en vigueur seu-

lement, mais antérieurement, donc en un temps où il n'était

pas encore un délit,— la norme juridique en question ayantseule conféré cette qualité. Tel est le cas lorsque les tribu-

naux appliquent aux espèces qui leur sont soumises desnormes individuelles qu'ils créent eux-mêmes, dont aucune

norme générale positive ne prédéterminerait du tout le

contenu, et, que ces normes individuelles attachent une sanc-tion à une conduite du défendeur ou de l'accusé qui n'était pasencore un délit à l'époque où elle a eu lieu, mais n'a été

érigée en délit que par la norme individuelle de la décision

juridictionnelle elle-même.

y) Les « lacunes (Lûcken) » dans le droit.

Des développements précédents, il résulte que les tri-bunaux peuvent toujours décider des cas concrets qui leursont soumis en leur appliquant l'ordre juridique; ceci restevrai même dans l'hypothèse où le tribunal saisi estime quecet ordre ne contient pas une norme générale qui règle laconduite du défendeur ou de l'accusé de façon positive,c'est-à-dire qui leur impose l'obligation à une certaine

conduite, — celle précisément dont le demandeur privé oul'accusateur public affirment qu'ils ne l'ont pas adoptée.Dans ce cas en effet, leur conduite est réglée par l'ordre

juridique de façon négative, c'est-à-dire que, ne leur étant

pas juridiquement défendue, la conduite en question leurest en ce sens permise. Cependant, la doctrine traditionnelledonne de ce cas — du moins dans certaines circonstances— une tout autre interprétation : elle le présente commeune « lacune (Lûcke) » de l'ordre juridique.

Pour porter un jugement sur la théorie des lacunes, ce

qui importe est de voir quelles sont, selon elle, les circons-tances où l'on doit admettre qu'il existe dans le droit une« lacune ». Elle déclare que le droit en vigueur n'est passusceptible d'être appliqué dans un cas concret, lorsqu'ilne contient aucune norme générale qui s'y rapporte. En

conséquence le tribunal qui doit statuer sur un cas quise présente de cette façon devrait nécessairement combler lalacune en créant une norme juridique qui y corresponde.On saisit ainsi l'idée essentielle de cette argumentation : elleest que l'application du droit en vigueur, consistant à

conclure du général au particulier, ne serait logiquement

22. THÉORIEPUREDUDROIT.

330 THÉORIE PURE DU DROIT

pas possible dans des cas où la prémisse nécessaire, lanorme générale, ferait défaut. Mais cette idée est fausse, etla théorie est donc erronée ; elle repose en effet sur la mécon-naissance du fait que, lorsque l'ordre juridique n'établit

pas l'obligation d'un individu d'adopter une certaine con-

duite, il permet la conduite contraire. Contrairement auxvues de la doctrine traditionnelle, il n'est donc pas vrai

que l'application de l'ordre juridique en vigueur soit impos-sible dans les cas où, selon son analyse, il présenterait unelacune. Sans doute est-il impossible dans ce cas d'appliquerune norme juridique déterminée en particulier, mais l'ap-plication de l'ordre juridique, elle, est possible, qui repré-sente, elle aussi, une application du droit. L'application du

droit n'est pas logiquement exclue dans ces cas. Effecti-

vement, la doctrine traditionnelle n'admet nullement l'exis-tence d'une lacune dans tous les cas où aucune norme dudroit en vigueur ne statue l'obligation affirmée par le deman-deur ou par l'accusateur à la charge du défendeur ou del'accusé. Si l'on y regarde de plus près, on s'aperçoit qu'ellen'admet l'existence d'une lacune que lorsque l'organe d'ap-plication du droit considère le défaut d'une telle norme

juridique comme regrettable d'un point de vue de politiquejuridique, et qu'en conséquence il repousse l'idée d'appli-quer le droit en vigueur, alors que cette application serait

logiquement tout à fait possible, et ne se heurte qu'à cemotif de politique juridique que l'organe d'application dudroit estime qu'elle serait inéquitable ou injuste. Mais

l'application du droit en vigueur peut apparaître inéquitableou injuste en dehors du cas où il n'existe pas de norme

générale qui impose au défendeur ou à l'accusé une certaine

obligation, c'est-à-dire aussi bien dans des cas où l'ordre

juridique contient une semblable norme. Le fait que l'ordre

juridique ne contient pas de norme juridique qui attacheune peine au vol d'électricité peut aussi bien être considérécomme inéquitable ou injuste que le fait qu'un ordre juri-dique contient une norme qui doit être appliquée aussibien au meurtre commis dans l'intention de voler qu'aucas où un fils tue son père atteint d'une maladie incurable,à la demande de celui-ci. Il y a aussi peu « lacune » au

sens d'inapplicabilité logique du droit en vigueur dans cesecond cas que dans le premier; et il est pour le moins

inconséquent d'accepter l'idée d'une lacune dans l'un descas et de ne pas le faire dans l'autre. A cela s'ajoute quel'affirmatiQn du caractère inéquitable ou injuste de l'absence

DYNAMIQUE DU DROIT 331

d'une norme juridique d'un contenu déterminé représenteun jugement de valeur éminemment relatif, qui n'exclutnullement un jugement de valeur contraire. Supposonsqu'un ordre juridique ne contienne pas de norme générale

qui impose aux patrons l'obligation de réparer les dommagescausés par leurs employés; les tribunaux devraient néces-sairement rejeter les demandes de dommages-intérêts quiseraient dirigées contre les patrons et ne pourraient recevoir

que les demandes dirigées contre les salariés : un socialiste

jugera l'application d'un tel droit non-satisfaisante, un libé-ral la jugera parfaitement satisfaisante. L'absence d'unenorme juridique générale, qui a pour conséquence le rejetde la demande ou l'acquittement de l'accusé, est le plussouvent considérée par le défendeur ou par l'accusé commesatisfaisante et par suite comme équitable ou juste, alors

qu'au contraire le demandeur -ou l'accusateur les jugerontnon-satisfaisantes, et par suite inéquitables ou injustes.

En dépit de toutes ces objections, la théorie des lacunes,c'est-à-dire l'idée qu'il existe des cas dans lesquels le droiten vigueur ne peut pas être appliqué, parce qu'il ne contient

pas de norme générale applicable à l'espèce, joue dans la

technique de la législation moderne un rôle important.Typique est la disposition du Code civil suisse : « La loitrouve application à toutes les questions de droit pour les-

quelles, d'après son texte ou d'après l'interprétation, ellecontient une disposition. A défaut d'une disposition légaleapplicable le juge prononce selon le droit coutumier, et,à défaut de coutume, selon les règles qu'il établirait s'ilavait à faire acte de législateur ». Cette dispositionsuppose qu'il est possible que le droit suisse ne soit paslogiquement applicable par les tribunaux civils suissesà des cas concrets qu'ils sont appelés à décider. Maisceci n'est en réalité pas possible : un ordre juridique est

toujours applicable et est effectivement appliqué égale-ment lorsqu'un tribunal doit repousser la demande pour lemotif que l'ordre juridique ne contient pas de norme géné-rale qui impose au défendeur (ou à l'accusé) l'obligationaffirmée par le demandeur (ou par l'accusateur); il s'ensuit

que l'hypothèse dont procède la disposition en questionest une fiction. La fiction consiste à présenter comme une

impossibilité logique d'application de l'ordre juridique l'ab-sence dans l'ordre juridique d'une norme déterminée, quel'on désirerait, en vertu d'un jugement de valeur subjectif,politico-moral, le voir consacrer.

332 THÉORIE PURE DU DROIT

A l'emploi de cette fiction, le législateur peut être incité

par le sentiment que l'application des normes générales

qu'il pose peut, dans certaines circonstances qu'il n'a pas

prévues et qui n'étaient pas prévisibles, conduire à un résul-

tat non satisfaisant, et qu'il est par suite recommandable

de donner aux tribunaux le pouvoir, au lieu d'appliquer à

une espèce qui leur est soumise telle règle législative quidétermine par avance le contenu de leur décision, de poserune norme individuelle qu'ils créeront eux-mêmes et quisera adaptée aux circonstances qui n'ont pas été prévues

par le législateur. S'il voulait formuler cette habilitation

d'une façon exacte du point de vue théorique, c'est-à-dire

sans fiction, le législateur devrait disposer : lorsque le juge

estime, en vertu de ses conceptions politico-morales, que

l'application de l'ordre juridique en vigueur à l'espèce quilui est soumise conduit à des résultats non-satisfaisants,il peut régler l'espèce litigieuse de façon discrétionnaire.

Mais une règle ainsi libellée conférerait aux tribunaux une

prérogative évidemment beaucoup trop étendue. Avec elle,le juge serait habilité à décider discrétionnairement chaquefois qu'il tiendrait l'application de l'ordre juridique en

vigueur pour non - satisfaisante ; il aurait en particulier ce

pouvoir dans les cas où il tiendrait pour non - satisfaisante

l'application d'une norme générale qui impose au défendeur

ou à l'accusé l'obligation qu'il aurait enfreinte, à en croire

le demandeur ou l'accusateur. Ce serait permettre aux jugesde substituer leurs propres conceptions politico-moralesà celles du législateur, autrement dit : consacrer l'abdica-

tion pure et simple du législateur en faveur du juge. Pour

l'éviter, on cherchera peut-être à limiter l'habilitation aux

seuls cas que le législateur n'a pas prévus. Mais la tentative

ne peut qu'échouer en raison du fait que le législateur ne

peut précisément pas déterminer ces cas; s'il pouvait les

déterminer, il les réglerait lui-même positivement. Lorsqu'iladmet qu'un cas n'a pas été prévu par le législateur et que,s'il l'avait au contraire prévu, le législateur aurait établi

un droit différent de celui qui résulte de sa prétendueabstention de poser une règle, le juge se fonde le plus souvent

sur une présomption, dont il n'est pas possible de démon-

trer l'exactitude. Les intentions du législateur ne peuventêtre saisies avec une sûreté suffisante que dans la mesure

où elles viennent à expression dans le droit qu'il crée. C'est

pour cette raison qu'afin de limiter l'habilitation des tri-

bunaux, considérée par lui comme indispensable, le législa-

DYNAMIQUE DU DROIT 333

teur recourt à la fiction qu'il y a certains cas où l'ordre

juridique ne peut pas être appliqué— non pas pour une

raison subjective politico-morale, mais pour une raison

objective, d'ordre logique—- et que le juge ne peut agir en

législateur que dans cette hypothèse, lorsque le droit pré-sente une lacune.

Mais en vérité, logiquement, le droit positif est toujours

applicable ; on l'a dit : il n'y a pas de « lacunes » en cesens ; et par suite, une fois que l'on en a pénétré le carac-tère fictif, la formule ne fournit pas la limitation désiréedu pouvoir attribué aux tribunaux, l'apparente limitation

se détruit elle-même. Néanmoins, si les tribunaux acceptent,eux aussi, l'idée qu'il existerait des lacunes dans le droit,cette fiction, bien qu'insoutenable sur le plan théorique,peut produire l'effet que l'on en attend. Car le juge

— en

particulier le juge-fonctionnaire, placé sous le contrôle de

juridictions supérieures —, qui n'est pas facilement enclinà prendre sur soi la responsabilité de l'entière création denormes de droit, n'admettra que tout à fait exceptionnelle-ment qu'il se trouve en présence d'une lacune et ne fera parsuite que rarement usage du pouvoir qui lui est attribué de

prendre la place normale du législateur.L'on propose parfois d'admettre un second type de lacunes

du droit : à côté des « lacunes authentiques » — cellesdont on vient de parler —, il existerait des lacunes simple-ment « techniques »; cette idée est acceptée même pardes juristes qui, en vertu de principes positivistes, nientl'existence de lacunes authentiques. Il y aurait lacune tech-

nique lorsque le législateur omettrait de poser une règlesur un point qu'il aurait dû régler, pour qu'il soit seulement

possible, techniquement parlant, d'appliquer la loi. Maisen vérité, ce qu'on appelle ainsi « lacune technique » est soitune lacune au sens originaire du terme, c'est-à-dire une dis-cordance entre un droit positif et un droit idéal ou souhaité,soit cette indétermination qui résulte de ce que les normes

présentent le caractère de cadres.La première hypothèse se rencontre, par exemple, lorsque

la loi dispose qu'en cas de contrat de vente, le vendeur est

obligé de livrer la marchandise, ou, s'il ne la livre pas, de

réparer le dommage causé par ce fait, mais demeure muettesur le point de savoir — comme on s'exprime habituelle-ment —

qui supporte les risques lorsque la chose vendue

périt avant d'avoir été livrée, en dehors de toute faute del'une ou de l'autre des parties. Seulement, il n'est pas vrai

334 THÉORIE PURE DU DROIT

que le législateur ne dispose « rien » sur cette dernière ques-tion; la vérité est qu'il ne dispose pas que le vendeur estalors exonéré de l'obligation soit de livrer la marchandise ou,à défaut, de payer des dommages et intérêts; disposition

que tient pour souhaitable, manifestement, celui qui affirme

qu'il y a ici une « lacune »; alors qu'il n'est absolument

pas nécessaire pour rendre la loi applicable d'ajouter parla pensée cette disposition. La loi n'apportant aucune excep-tion, même dans l'hypothèse envisagée, à l'obligation duvendeur de livrer la marchandise ou de payer des dommageset intérêts, elle dispose par cela seul que c'est le vendeur

qui supporte les risques.La seconde hypothèse se rencontre, par exemple, lorsque

la loi dispose qu'un organe doit être créé par élection, maisne règle pas la procédure électorale. Ceci signifie que toutmode quelconque d'élection — élection à la proportion-nelle, ou à la majorité, scrutin public ou scrutin secret, etc..— est légal. L'organe habilité à procéder à l'élection peuten déterminer discrétionnairement la procédure. La déter-mination de la procédure électorale est abandonnée à unenorme du degré inférieur. Autre exemple : une loi dispose,entre autres choses, qu'un collège ne peut se réunir et exer-cer ses fonctions que sur convocation de son président. Sil'on ne peut pas établir que cette norme signifie qu'au casoù il n'existe pas de président, tout mode quelconque deréunion est légal, s'il faut admettre qu'on exige dans cecas aussi que le collège soit convoqué par son président,alors ce collège ne peut pas fonctionner de façon légale,c'est-à-dire en application de la loi. Mais là non plus, il ne

s'agit pas d'une « lacune »; car il faut bien admettre que laloi veut réellement que le collège soit toujours convoqué parson président,

—• même lorsqu'il n'a pas de président. Sielle n'avait rien prescrit pour ce cas, tout mode de réunion

quelconque serait légal. Sans doute, la règle que la loi poseainsi est-elle absurde; mais c'est là une éventualité qu'onne saurait considérer comme exclue, — les lois étant oeuvrehumaine.

8) La création de nonnes juridiques générales par les tri-bunaux : le juge-législateur; flexibilité du droit et sécurité

juridique.

Il se peut que les tribunaux, en particulier les Cours

suprêmes, reçoivent le pouvoir de créer par leurs décisions,

DYNAMIQUE DU DROIT 335

non pas simplement des normes individuelles ne valant que

pour la seule espèce concrète à laquelle elles se rapportent,mais également des normes générales. Tel est le cas lorsqueles décisions juridictionnelles créent ce qu'on appelle des

précédents, c'est-à-dire lorsque la décision rendue sur uncas concret est obligatoire pour les décisions à rendre sur lescas semblables qui se présenteront ultérieurement. Une déci-sion juridictionnelle peut avoir un tel caractère de précédentlorsque le contenu de la norme posée par la décision n'est

pas prédéterminé par une norme générale créée par voie de

législation ou de coutume, ou lorsque ce contenu n'est pasdéterminé d'une façon univoque, ce qui laisse ouverte la

possibilité de différentes interprétations. Dans le premiercas, le tribunal crée par sa décision précédentielle du droitde fond nouveau; dans le second cas, l'interprétation qui setrouve donnée dans la décision prend le caractère d'unenorme générale. Dans les deux cas, le tribunal qui crée le

précédent joue le rôle de législateur, exactement comme

l'organe investi par la Constitution du pouvoir de légiférer.La décision juridictionnelle d'un cas concret devient obli-

gatoire pour la décision des cas semblables par le fait quela norme individuelle qu'elle représente est généralisée.Cette généralisation, c'est-à-dire la formulation de la norme

générale, peut être effectuée suivant diverses modalités : ilse peut qu'elle émane du tribunal même qui crée le précé-dent; il se peut au contraire qu'elle soit laissée aux autrestribunaux qui sont liés par la décision précédentielle. Dansce dernier cas, il n'est pas exclu que différents tribunaux

généralisent cette décision précédentielle de façon diffé-

rente; ce qui n'est pas favorable au but de l'institution, àsavoir l'obtention d'une jurisprudence uniforme. La déci-sion précédentielle ne pouvant lier les juges que pour ladécision de cas semblables, la question de savoir si un casest semblable au cas précédentiel est d'une importance déci-sive. Etant donné que jamais deux cas ne sont semblablessous tous les rapports, dire que deux cas sont semblables,c'est simplement poser qu'ils coïncident en certains pointsessentiels, exactement de la même façon que deux faits quiconstituent le même délit ne coïncident pas en tous points,mais seulement en un certain nombre de points essentiels.Mais on ne peut répondre à la question de savoir en quelspoints ils doivent coïncider pour être considérés comme« semblables » ou « mêmes » que sur la base de la norme

générale qui définit le fait en fixant ses éléments essentiels.

336 THÉORIE PURE DU DROIT

Par conséquent, c'est seulement sur la base de la norme

générale qui est créée par la décision précédentielle qu'ilpeut être décidé si deux cas sont semblables. La formulationde cette norme générale est la condition préalable nécessaire

pour que la décision du cas précédentiel puisse être obliga-toire pour la décision des cas « semblables ».

La fonction de création du droit, que les tribunaux

exercent en toutes circonstances, s'affirme et se manifested'une façon particulièrement claire lorsqu'ils reçoivent le

pouvoir de créer aussi des normes générales par des déci-sions précédentielles. Donner ce pouvoir à des tribunaux,et spécialement à une juridiction de dernière instance, à uneCour suprême, est une solution qui vient naturellement à

l'esprit lorsqu'ils sont habilités dans certaines circonstancesà décider sur un cas de façon discrétionnaire, et non pasen faisant application d'une norme générale de droit defond déjà en vigueur, c'est-à-dire lorsqu'ils reçoivent le pou-voir de créer une norme individuelle dont le contenu n'est

pas prédéterminé par une norme générale de droit positif.En attribuant à une telle décision caractère et valeur pré-cédentiels, on ne fait qu'élargir de façon conséquente lafonction créatrice de droit des tribunaux.

Si les tribunaux reçoivent ainsi le pouvoir de créer desnormes générales, et non pas seulement des normes indivi-

duelles, ils entrent en concurrence avec l'organe de législa-tion institué par la Constitution; et ceci signifie une décen-tralisation de la fonction législative.

A cet égard, c'est-à-dire relativement à la situationmutuelle de l'organe de la législation et des tribunaux, on

peut distinguer deux types techniquement différents de sys-tèmes juridiques.

Dans le premier de ces types, la création de normes juri-diques générales est complètement centralisée, c'est-à-direréservée à un organe de législation central; et les tribunauxont pour seule fonction de poser des normes individuelles

qui font application aux cas litigieux concrets des normes

générales créées par l'organe législatif. La procédure légis-lative n'aboutissant, en particulier dans les démocraties

parlementaires, qu'après avoir surmonté toutes sortes de

résistances, un semblable système rend très difficile l'adap-tation du droit aux conditions changeantes. Il présentel'inconvénient de manquer de flexibilité. Par contre, de ce

fait même, il présente l'avantage de la sécurité juridique,qui consiste en ceci que les décisions des tribunaux sont

DYNAMIQUE DU DROIT 337

jusqu'à un certain point susceptibles d'être prévues, et

d'être escomptées de telle façon que les sujets du droit

peuvent orienter leur conduite d'après les décisions juri-dictionnelles prévisibles. Ce système de liaison de la déci-

sion des cas concrets à des normes générales qui doiventêtre créées par avance par un organe de législation central

peut être étendu aussi de façon conséquente à l'activité des

organes administratifs. Dans la généralité ainsi obtenue, il

représente le principe de l'Etat de droit, qui est pour l'essen-tiel le principe de la sécurité juridique.

Le second système, antithétique au premier, est celui quiignore tout organe central de législation et où les tribunaux

et les organes administratifs ont ainsi à décider les cas indi-viduels de façon discrétionnaire. Sa justification se trouvedans l'idée qu'aucun cas n'est absolument semblable àaucun autre, qu'en conséquence l'application de normes

juridiques générales qui déterminent par avance la décision

juridictionnelle ou l'acte administratif et empêchent ainsiles organes en question de tenir compte des particularités descas concrets, peut conduire à des résultats - non satisfaisants.C'est le système de la libre découverte du droit (freie Rechts-

findung), Platon déjà le proposait pour son Etat idéal. En

conséquence de la décentralisation radicale de la créationdu droit qu'il implique, ce système se distingue par une

grande flexibilité, mais, en contrepartie, il n'assure de cefait même aucune sécurité juridique. Car, sous un ordre

juridique qui l'adopterait, les individus intéressés ne pour-raient absolument pas prévoir les décisions des cas concrets

auxquels ils sont partie comme accusateurs ou comme accusés,comme demandeurs ou comme défendeurs. Par suite, ils ne

pourraient absolument pas savoir à l'avance ce qui leur est

juridiquement défendu ou ce qui leur est au contraire juri-diquement permis, ce à quoi ils sont ou au contraire nesont pas juridiquement habilités. Ils ne pourraient l'ap-prendre que par la décision qui prononce contre eux une

peine, ou qui au contraire les acquitte de l'accusation, ou

par la décision qui rejette leur demande ou qui au contrairel'accueille.

L'exigence d'une libre découverte du droit qui en garan-tisse la flexibilité est parfois formulée au nom de la justice,une justice supposée absolue. Seule serait juste, en ce sens,la décision des cas concrets qui prendrait en considérationtoutes les particularités de chacun de ces cas. Or, aucuncas n'étant parfaitement semblable à aucun autre, tout cas

338 THÉORIE PURE DU DROIT

étant différent en quelque façon de tout autre cas, l'applica-tion d'une norme générale à un cas concret ne pourraitjamais conduire à une décision juste. Car une norme géné-rale supposerait nécessairement une identité des cas, et cetteidentité n'existe pas en réalité. Par suite, tout droit nedevrait avoir qu'un caractère individuel, et la décision descas concrets ne devrait absolument pas être liée à des normes

générales.A cette justification de la libre découverte du droit, il

faut opposer l'objection suivante : il est faux de croire que,si la décision des cas concrets n'est pas liée à des normes

générales créées par la voie de la législation ou coutumière-

ment, les normes générales sont complètement exclues de la

procédure de création de droit. Lorsque l'organe auquel uncas concret est soumis pour décision doit prendre une déci-sion « juste », il ne peut le faire qu'en appliquant une norme

générale qu'il tient pour juste. Puisqu'une telle norme

générale n'a pas été créée déjà par voie de législation ou de

coutume, l'organe appelé à trouver le droit doit procéderexactement de la même façon que le législateur ; or, quandil élabore et arrête des normes générales, celui-ci est guidépar un certain idéal de justice. Mais étant donné que cet

idéal de justice peut être extrêmement différent de législa-teur à législateur, la valeur de justice qu'ils réalisent ne

peut être que relative; et par conséquent, non moins rela-tive est la justice de la norme générale qui inspire l'organeappelé à la décision d'un cas concret. Du point de vue d'un

idéal de justice—

qui ne peut être qu'une valeur relative —,la différence entre le système de la libre découverte du droitet le système de la découverte du droit liée législativementou coutumièrement consiste en ceci que les normes géné-rales de l'idéal de justice de l'organe appelé à trouver ledroit prennent la place des normes générales de droit positifet des normes générales de l'idéal de justice qui guide le

législateur.Ainsi qu'on l'a déjà noté, pour pouvoir juger la décision

du cas concret « juste », il est indispensable de supposercette norme générale. Car la question de savoir pourquoiune certaine décision est juste est provoquée par le besoinde justifier cette décision, de fonder la validité de la norme

individuelle qu'elle pose. Et il n'y a pas d'autre moyen de

donner une telle justification, de fonder la validité d'unenorme individuelle, que d'établir qu'elle correspond à une

norme générale supérieure que l'on suppose être juste. La

DYNAMIQUE DU DROIT 339

norme qui constitue la valeur de justice doit nécessairement,

par essence, avoir un caractère général (1).Il existe aujourd'hui une variante particulière de la doc-

trine qui postule la libre découverte du droit en dehors detoute norme générale ; c'est celle qui a été développée sousl'influence de la philosophie existentialiste (2). D'après cette

doctrine, la réalité, qui est par essence concrète, ne peutêtre ni saisie par des concepts abstraits, ni réglée par desnormes générales, elle ne peut être que « vécue ». Les casconcrets à décider par les tribunaux étant absolument diffé-rents les uns des autres, la décision correcte, c'est-à-direcelle qui prend en considération toutes les particularités de

chaque cas, ne peut pas être trouvée dans une norme géné-rale empruntée au dehors, pour ainsi dire, mais seulementdans la réalité du cas concret lui-même. Le droit juste estimmanent à la réalité sociale et ne peut être trouvé que parune analyse attentive de cette réalité, et non par l'analysede quelconques lois étatiques. A cet égard, la théorie exis-tentialiste du droit n'est qu'une variante de la théorie dudroit naturel, et, à l'instar de celle-ci, elle constitue unetentative vaine et sans espoir de conclure du Sein au Sollen,ce qui est une impossibilité logique.

Entre les deux types idéaux d'une juridiction (ou juris-prudence) liée par des lois étatiques et d'une juridiction(ou jurisprudence) libre de lois étatiques, prennent placeceux qui, sans doute, instituent un organe législatif central,mais où les tribunaux reçoivent le pouvoir de poser desnormes individuelles, non pas seulement dans le cadre desnormes générales posées par l'organe législatif, mais égale-ment — sous certaines conditions que l'on a indiquéesprécédemment —, en dehors de ce cadre; et enfin ce sys-tème dans lequel les tribunaux reçoivent le pouvoir de créerdes normes générales sous forme de cas précédentiels.

Ces différents systèmes représentent des degrés différentsde centralisation ou de décentralisation de la fonction de

création du droit, et par là même des degrés différentsde réalisation du principe de la flexibilité du droit, qui varieen raison inverse de la sécurité du droit.

(1) Cf. KELSEN,Justice et Droit naturel (voir supra, p. 24, n° 1).(2) Georg COHN,Existentialismus und Rechtswissenschaft, Bâle, 1955.

Cf. également KELSEN, Existentialismus in der Rechtswissenschaft.(Archiv fur Rechts-und Sozial philosophie, t. 43, 2e cahier, 1957,p. 161 sqq.)

340 THÉORIE PURE DU DROIT

Un système particulier est celui dans lequel les normes

générales ne sont pas principalement créées par un organede législation central, mais par la coutume, et doivent êtreensuite appliquées par les juridictions. Etant donné quedans ce cas de la création coutumière des normes générales à

appliquer par les tribunaux, l'adaptation du droit aux cir-constances changeantes est encore plus difficile que dans lecas de création des normes générales par un organe législatifcentral, le système du droit coutumier est particulièrementfavorable à la formation d'une jurisprudence précédentielle.Aussi est-il compréhensible que celle-ci se soit développéeparticulièrement dans le domaine du common law anglo-américaine, qui est, pour l'essentiel, du droit coutumier.

L'application par les tribunaux de normes générales créées

par coutume se distingue de l'application de normes généralescréées par un organe législatif (on l'a déjà signalé) (1), enceci que la constatation de la validité de la norme à appli-quer, c'est-à-dire la constatation de l'existence d'une cou-tume créatrice de droit, joue un rôle beaucoup plus pré-éminent, et dont le juge a beaucoup plus clairement cons-

cience, que la constatation de la validité d'une norme créée

par le législateur et publiée au Journal Officiel. On s'expliquepar suite fort bien que certains juristes aient défendu l'idée

que le droit coutumier serait un droit créé par les tribunaux.Si les tribunaux ont à appliquer principalement du droit

coutumier, comme il en va dans le domaine de la commonlaw anglo-américaine, et s'ils reçoivent en outre le pouvoirde décider des cas précédentiels, le terrain est tout préparépour que prenne naissance la théorie que tout droit est droit

jurisprudentiel, c'est-à-dire créé par des tribunaux, qu'avantla décision juridictionnelle, il n'existe pas de droit, qu'unenorme ne devient une norme juridique que par le fait qu'elleest appliquée par le tribunal (2).

— Une telle théorie ne

peut être maintenue que parce que l'on admet que lesnormes à appliquer par les tribunaux ne sont pas du droit,mais simplement des « sources » du droit, cette expressionfigurée servant à désigner tous les facteurs qui influencenteffectivement les décisions juridictionnelles

—jugements

de valeur politico-moraux, avis d'experts, etc.. —Impres-

(1) Cf. supra, p. 307.(2) Cette théorie est développée dans le livre de John Chipman

GRAY, The Nature and Sources of the Law, 2e éd., 1927. Cf. KELSEN,General Theory of Law and State, p. 150 sqq.

DYNAMIQUE DU DROIT 341

sionnée par l'importance extrême qui revient aux juridic-tions dans le cadre d'un système de droit coutumier et de

jurisprudence précédentielle, cette théorie ignore la différenceessentielle qui existe entre « sources » du droit juridiquementobligatoires et « sources » du droit dépourvues de caractère

juridiquement obligatoire. Elle se trompe, parce qu'ellene reconnaît pas que seul du droit peut être source du droit,c'est-à-dire origine du droit, donnée dont le droit sort, don-née qui crée le droit, —

par la raison que c'est le droit quirègle sa propre création.

La théorie, née sur le sol du common law anglo-américain,que seuls les tribunaux créent du droit, est aussi unilatérale

que la théorie, née sur le sol du droit législatif, c'est-à-diresur le continent européen, que les tribunaux ne créent enaucune façon du droit, mais ne font qu'appliquer un droit

déjà créé. Cette seconde théorie aboutit à l'idée qu'il n'existed'autres normes juridiques que des normes générales, commela première aboutit à l'idée qu'il n'existe que des normes

juridiques individuelles. La vérité se trouve entre ces deux

conceptions. Les tribunaux créent du droit, et plus préci-sément, en règle générale, du droit individuel; mais dansles ordres juridiques qui instituent un organe de législation,ou qui reconnaissent la coutume comme un fait créateurde droit, ils le font en appliquant un droit général crééantérieurement par législation ou par coutume. Les déci-sions juridictionnelles représentent la continuation du pro-cessus de création de droit, et non son commencement.

Si, du point de vue de la politique juridique, l'on consi-dère la distinction entre une jurisprudence liée par desnormes générales législatives ou coutumières et une juris-prudence libre, en ce sens qu'elle n'est pas liée par de telles

normes, comme une opposition de principe entre deux sys-tèmes juridiques, il faut observer que cette antithèse se voittrès notablement atténuée par l'institution de la « force dedroit (Rechtskraft) », — on dit en français : la force de chose

jugée — des décisions juridictionnelles. Dans quelle mesureen va-t-il ainsi, on l'établira ultérieurement (1).

(1) Cf. infra, p. 356 sqq.

342 THÉORIE PURE DU DROIT

h) L'acte juridique infra=législatif.

( « Das Rechtsgeschàft » (1). )

a) L'acte juridique, fait créateur de droit.

Les décisions juridictionnelles, qui sont des normes juri-

diques individuelles, ordonnent une sanction qui a le carac-

tère d'une peine s'il s'agit d'une décision de juridiction

pénale, le caractère d'une exécution civile (Zii'ilexekution)s'il s'agit d'une décision de juridiction civile.

Le but des sanctions civiles est la réparation, en particu-lier la réparation de dommages (2). La conduite qui causeun dommage est irrégulière, est un délit civil, en tant qu'elleest la condition d'une exécution civile.

On peut distinguer deux sortes d'actes dommageables,selon que le dommage est ou n'est pas en relation avec unacte juridique antérieur.

Il y a dommage causé en dehors de tout acte juridiqueantérieur, par exemple, lorsque quelqu'un endommage ou

détruit, intentionnellement ou par négligence, un objet quiest la propriété d'autrui, ou lorsque quelqu'un commet un

délit pénal, tel que coups et blessures ou vol, qui inflige àautrui un dommage; dans ce dernier cas, il y aura cumul

d'une sanction civile et d'une sanction pénale.Il y a dommage causé en relation avec un acte juridique

antérieur, par exemple, lorsque deux personnes ont concluun contrat et que l'un des partenaires n'exécute pas son

obligation contractuelle, causant ainsi un préjudice à son

cocontractant. Dans ce cas, le fait qui conditionne la sanc-tion civile se compose de deux éléments: la conclusion d'uncontrat d'abord; une conduite anti-contractuelle ensuite ; ou,

pour s'exprimer d'une façon plus générale: la confection d'unacte juridique, d'abord; une conduite contraire aux disposi-tions de cet acte, ensuite.

(1) Il résulte de l'ensemble des développements du n° 35 que lemot « Rechtsgeschàft » ne désigne pas purement et simplement l'actejuridique, au sens le plus large. Il couvre seulement les actes juri-diques faits par les particuliers — ou semblables à ceux que font les

particuliers, dont la première caractéristique est d'être d'un ranginférieur aux actes législatifs (du moins à leurs dispositions « impé-ratives »). Néanmoins, on ne s'est pas astreint à spécifier à chaque foismême ce trait, et on dira souvent : «L'acte juridique » tout simplement— à l'instar des civilistes français en tout cas. (N. d. T.)

(2) Cf. supra, p. 150 sq. et p. 168 sq.

DYNAMIQUE DU DROIT 343

Une conduite peut être considérée comme contraire à un

acte juridique parce que l'acte ou les actes qui constituentun acte juridique ont signification subjective de normes,

parce que l'acte juridique est un fait créateur de droit. Dansle langage juridique traditionnel, le mot Rechtsgeschàft, acte

juridique, est employé pour désigner aussi bien les actes

créateurs de normes que les normes créées par ces actes.

L'acte juridique-type est le contrat. Dans un contrat, les

parties contractantes conviennent qu'elles devront se conduirel'une à l'égard de l'autre d'une certaine façon. Ce devoir, ceSollen est la signification subjective de l'acte juridique. Mais il

est aussi sa signification objective. C'est-à-dire que cet acteest un fait créateur de normes juridiques si et en tant quel'ordre juridique confère à ce fait cette qualité; et il lui

confère cette qualité en faisant de l'accomplissement du

fait-acte juridique suivi d'une conduite contraire à l'acte,la condition d'une sanction civile. En instituant l'acte juri-dique comme fait créateur de droit, l'ordre juridique habi-

lite les sujets de droit à régler leurs relations réciproques,dans le cadre des normes juridiques générales créées parlégislation ou par coutume, au moyen de normes qui sontcréées par voie d'acte juridique. Ces normes créées par acte

juridique ne sont pas des normes juridiques autonomes, sesuffisant à elles-mêmes; elles ne statuent pas des sanctions,mais seulement une conduite dont le contraire est la condi-tion d'une sanction, qu'établissent les normes juridiquesgénérales. Elles ne sont autonomes, complètes, que si onles combine avec les normes juridiques générales qui pré-voient les sanctions. Le tribunal civil qui décide un cas

litigieux né d'un acte juridique ne doit pas établir seulementla validité de la norme générale sur la base de laquelleun acte juridique a été accompli, mais également : ildoit établir qu'un acte juridique a été fait; qu'il y a euconduite contraire à cet acte; et enfin, que le dommageainsi causé n'a pas été réparé ; et sur la base de cet ensemblede constatations, il aura à poser la norme individuelle quidispose que, si le dommage que le tribunal a déterminé n'est

pas réparé dans un certain délai, une sanction prévue dansla norme générale à appliquer par le tribunal devra êtreréalisée. La sanction établie dans la norme générale fondecomme obligation principale l'obligation de s'abstenir d'uneconduite contraire à l'acte juridique et par conséquent dene pas causer dommage par ce fait, et comme obligationsubstitutive celle de réparer le dommage causé par l'inexécu-

344 THÉORIE PURE DU DROIT

tion de l'obligation principale. La sanction prévue peut être

évitée, soit par l'exécution de l'obligation directement éta-

blie par l'acte juridique, soit, au cas d'inexécution de cette

première obligation, par l'exécution de l'obligation de répa-ration qui en prend la place, et qui est dans ce cas une obliga-tion substitutive. Tel est encore le cas lorsque le dommageest causé par une conduite qui n'est pas contraire à l'acte

juridique, mais qui n'est pas non plus une conduite punis-sable. Si par contre, le dommage est causé par une conduite

qui est la condition d'une sanction pénale— comme par

exemple une lésion corporelle grave —, alors cette sanc-

tion ne peut pas être évitée par l'exécution de l'obligationde réparer le dommage causé par le délit punissable; car

alors la sanction civile qui fonde cette obligation s'ajouteà la sanction pénale qui fonde l'obligation de s'abstenir du

délit pénal. A l'égard de cette dernière obligation, l'obli-

gation de réparation n'est pas une obligation substitutive.

L'acte juridique est condition de la sanction civile, dela même façon que le délit que constitue une conduite

contraire à cet acte, et le délit que constitue la non-réparationdu dommage causé par elle. Mais il se distingue du délit

par le fait que, selon l'ordre juridique, il crée la norme quiest sa signification, alors que le délit n'est pas un fait créa-

teur de droit institué par l'ordre juridique. L'acte de con-

trainte appelé sanction civile n'est pas dirigé contre l'individu

qui a fait un acte juridique, mais seulement contre l'individu

qui, après qu'il a fait un acte juridique, se conduit d'une

façon contraire à cet acte, ou ne répare pas le dommagecausé par cette conduite.

P) Le contrat.

Selon que le fait-acte juridique est constitué par l'acted'un seul individu ou par les actes de plusieurs individus,on distingue les actes juridiques unilatéraux et les actes

juridiques bi- et multi-latéraux. Dans le droit moderne, l'acte

juridique de beaucoup le plus important est l'acte juridiquebi-latéral ou mufti-latéral appelé contrat.

Le fait appelé contrat se compose de déclarations de

volonté concordantes de deux ou de plusieurs individus qui

portent sur une certaine conduite de ces individus. Il se

peut que l'ordre juridique prescrive que, pour constituerun contrat juridiquement obligatoire, c'est-à-dire pour créer

des normes qui obligent et habilitent les individus qui

DYNAMIQUE DU DROIT 345

concluent le contrat, ces déclarations doivent revêtir uneforme déterminée; par exemple, il exigera qu'elles aient lieu

par écrit, et non pas seulement oralement ou par gestes.Mais ce n'est pas là une règle nécessaire. Cependant, il faut

en tout cas que les parties expriment leur volonté d'une

façon quelconque, c'est-à-dire fassent en sorte qu'elle appa-raisse, ou se manifeste, extérieurement. Sans cela, il seraitabsolument impossible d'établir au cours d'une procédured'application du droit, en particulier d'une procédure juri-dictionnelle, qu'un contrat a été conclu.

Il se peut qu'il y ait discordance entre la volonté effectived'une des parties et sa déclaration qui a eu lieu en une formeou en une autre, c'est-à-dire qu'à cette déclaration, l'autre

partie contractante ou l'organe d'application du droitattachent un sens autre que celui que la partie en cause avoulu exprimer par sa déclaration. Quelles conséquencesune telle divergence a-t-elle ? Seul l'ordre juridique peutle déterminer; la science du droit ne le peut pas. L'ordre

juridique peut disposer que, si une partie est en mesurede prouver que le sens qu'elle a eu l'intention de donnerà sa déclaration diffère de celui que l'autre partie lui a

attaché, il n'y a pas eu formation d'un contrat créateur dedroit. Mais il peut tout aussi bien disposer en sens contraire

qu'une telle discordance est sans influence sur la validitéde la norme créée contractuellement, sans portée juridique,que seul importe et compte le sens que l'autre partie peutnormalement attacher à la déclaration — ceci de l'avis de

l'organe d'application du droit. S'il y a procès, l'ordre juri-dique a donc le choix entre ces deux partis inverses : atta-cher plus de poids à la déclaration qu'à la volonté effective,ou, inversement, accorder plus d'importance à la volontéréelle qu'à la déclaration. Laquelle des deux solutions du

problème en question faut-il préférer ? Cela dépend de prin-cipes de politique juridique qui guident le législateur. L'idéalde sécurité du commerce juridique pourra conduire à adop-ter la seconde solution ; l'idéal de liberté individuelle pour-rait porter à consacrer la première.

Pour qu'un contrat voie le jour, il faut que l'une des par-ties ait déclaré sa volonté à l'autre, et que l'autre l'acceptedans la déclaration qu'elle a fait à son tour à l'intention dela première. Le contrat consiste par conséquent, commel'on dit, en une proposition ou offre et en son acceptation.L'offre est une proposition dont l'acceptation fait entrer en

vigueur une norme qui règle la conduite mutuelle des parties

23. THÉORIEPUREDUDROIT.

346 THÉORIE PURE DU DROIT

contractantes. Si cette norme établit une obligation de l'of-

frant, l'offre constitue une promesse. La distinction de

l'offre et de l'acceptation présuppose que les deux déclara-

tions n'ont pas lieu simultanément. L'offre doit précéder

l'acceptation. Ainsi naît la question de savoir si la partie

qui fait l'offre doit maintenir la volonté qu'elle a expriméedans sa déclaration jusqu'au moment de l'acceptation, de

sorte qu'au moment de cette acceptation, les volontés des

deux parties concordent et que, par suite, si ceci n'est pasle cas, parce qu'entre temps l'offrant a modifié sa volonté,et a exprimé ce changement de volonté par le retrait de son

offre, aucun contrat ne voit le jour; ou si au contraire l'offre

ne peut pas être retirée, un changement de volonté qui se

produit après qu'elle a eu lieu n'étant pas pris en considé-

ration, et, en ce cas, combien de temps l'offrant demeure

lié par son offre. A cette question aussi, seules les disposi-tions positives de l'ordre juridique peuvent apporter réponse.S'il permet le retrait de l'offre à tout moment, tant que

l'acceptation n'a pas eu lieu, la conclusion d'un contrat

entre absents devient extrêmement difficile. Pour éliminer

cette difficulté, l'ordre juridique dispose parfois que l'offrant

est, sous certaines conditions, lié par son offre pendant un

temps déterminé. Cela signifie qu'un contrat est régulière-ment et valablement conclu si l'offre est acceptée pendantce délai, même si la volonté que l'offrant avait exprimée a

changé. Alors, l'acceptation de l'offre pourra créer une norme

qui liera l'offrant même contre sa volonté.

Pour qu'un contrat voie le jour, il faut que se produisentdes déclarations de volonté concordantes des parties contrac-

tantes, déclarations aux termes desquelles les parties veulent

la même chose. Ce fait crée une norme dont le contenu est

déterminé par les déclarations concordantes.

Il faut distinguer clairement le contrat en tant que fait

créateur de droit et les normes créées par ce contrat. Mais

dans la terminologie traditionnelle, le mot « contrat » est

utilisé pour désigner aussi bien l'un que l'autre objet. On

parle de la conclusion du contrat, et l'on entend par là

les actes, — les actions —, qui constituent le fait créateur

de droit. Mais on parle aussi de la validité d'un contrat,—

il s'agit alors des normes créées par ce fait,— car il n'y a

que les normes qui puissent « valoir »; les actions ne sont

pas «valables », ne sont pas en vigueur. Le contrat peut déter-

miner lui-même par une de ses clauses le domaine de validité

temporel de la norme qu'il crée : un contrat peut être conclu

DYNAMIQUE DU DROIT 347

avec validité pour une certaine période. Il se peut égalementqu'une norme contractuelle dispose qu'il pourra être misfin à la validité du contrat à tout moment par déclara-tion unilatérale de l'une des parties contractantes. Ce modede terminaison des contrats peut être consacré par le droit en

vigueur pour ceux qui auraient été conclus pour un tempsindéterminé. Si la durée de validité des normes crééescontractuellement est déterminée dans ces normes mêmes,il ne peut pas y être mis fin par une déclaration de volontéunilatérale de l'une des parties contractantes. En ce cas,l'existence de la norme ne peut prendre fin avant l'écoule-ment du temps fixé au contrat que par l'effet d'une normenouvelle créée par les mêmes parties contractantes; end'autres termes, le contrat ne peut être abrogé que par unautre contrat conclu par les mêmes parties.

En règle générale, les normes créées par contrat ne peuventétablir des obligations et des droits que pour et entre les

parties contractantes elles-mêmes. Ceci traduit le principede « l'autonomie individuelle », ou « privée », (« Privatauto-nomie »). Toutefois, il se peut qu'un ordre juridique permetteégalement des contrats à la charge ou en faveur de tiers,c'est-à-dire admette la validité de normes créées contrac-tuellement qui obligent ou habilitent des sujets qui n'ont

pas participé à l'accomplissement de l'acte créateur de droit.Il se peut que ces normes créées contractuellement

imposent aux parties contractantes les mêmes obligationset leur accordent les mêmes droits. Mais il se peut aussi

qu'elles imposent aux différentes parties contractantes des

obligations différentes, ou encore qu'elles n'imposent d'obli-

gations qu'à l'une des parties contractantes, alors qu'àl'autre elles ne confèrent que des droits. Mais il faut tou-

jours, naturellement, que de telles clauses soient voulues

par toutes les parties contractantes, ou figurent dans lesdéclarations de volonté concordantes de toutes ces parties.

Les normes créées contractuellement sont tantôt desnormes individuelles, tantôt des normes générales. Ont parexemple caractère de normes individuelles, les clauses d'uncontrat de vente qui oblige l'une des parties à livrer àl'autre par un acte unique un certain objet et l'autre partieà payer en une fois une certaine somme d'argent.

Mais d'autres contrats ont caractère de normes générales,lorsqu'ils n'obligent pas à une prestation unique, ou à une

prestation et à une contre-prestation uniques, mais à unnombre indéterminé de prestations, ou de prestations et de

348 THÉORIE PURE DU DROIT

contre-prestations ; comme par exemple le contrat par lequelune société d'assurances s'oblige envers une certaine per-sonne à lui payer en cas de maladie les frais du traitement

médical, l'individu assuré s'obligeant à payer chaque mois

à la société d'assurances une certaine somme d'argent.Il faut mentionner le rôle que joue en droit international

public la clause d'adhésion ou d'accession (Beitrittsklausel),qui est insérée dans de nombreux traités. En vertu de cette

clause, tout Etat quelconque ou certains Etats peuvent êtrehabilités à adhérer ou accéder au traité. De deux choses l'une :ou elle prévoit que l'adhésion pourra avoir lieu par une

simple déclaration de volonté unilatérale, ou elle prévoit

qu'elle résultera d'une demande qui devra être acceptée parles Etats qui sont déjà parties au traité, ou par la majoritéd'entre eux, ou par un organe institué par le traité. Dans

le second de ces cas, l'adhésion s'effectue en somme parun nouveau traité; dans le premier cas, elle s'effectue parsoumission unilatérale aux normes contractuelles. L'adhé-

sion ou accession a pour conséquence l'entrée en vigueurdes normes du traité pour l'Etat qui l'a effectuée.

On peut considérer comme une espèce particulière decontrats créateurs de normes générales, en droit interne, ceux

qui établissent les statuts d'une association en droit inter-national général, ceux qui fixent la constitution d'une orga-nisation telle que la Société des Nations ou les NationsUnies. On parle alors — en allemand —- de Vereinbarung.L'adhésion à une association ou à une organisation inter-

nationale est une adhésion à la Vereinbarung par laquellel'association ou l'organisation internationale ont été créées.Si l'adhésion à l'organisation ou à l'association internatio-nale n'est possible qu'avec le consentement d'un organe de

cette association ou de cette organisation, l'adhésion reposesur un contrat conclu entre l'association ou l'organisationet le membre adhérent, et qui a pour contenu les statutsde l'association ou la constitution de l'organisation inter-nationale. Si l'adhésion peut avoir lieu par une déclarationunilatérale de l'adhérent, l'acte s'analyse comme soumissionà un ordre juridique partiel en vigueur. L'acte d'adhésion

comporte mise en vigueur des normes des statuts de l'asso-ciation ou de la constitution de l'organisation internationale

pour le sujet qui donne son adhésion, ce qui veut dire qu'ilcrée ces normes en tant que normes valables pour ce sujet.

Cette adhésion d'une personne privée à une association,ou d'un Etat à une organisation internationale, est — à la

DYNAMIQUE DU DROIT 349

différence d'un contrat — un acte juridique unilatéral. Dansla sphère du droit privé, on rencontre un autre acte de cette

nature, celui que l'on appelle la promesse de récompense(Auslobung), c'est-à-dire la promesse faite publiquementd'une rémunération pour une certaine prestation. Dans lesdeux cas, l'acte d'un sujet crée une norme ou des normesd'où résultent pour lui des obligations. Et c'est par ce dernierélément que les actes juridiques unilatéraux se distinguentdes actes de législation, des décisions juridictionnelles etdes actes administratifs : ces trois sortes d'actes créent,elles, des normes qui obligent d'autres sujets que ceux quiles font, c'est-à-dire que leurs auteurs.

i) L'administration.

Selon la doctrine traditionnelle, l'administration consti-

tue, à côté de la législation et de la juridiction, la troisièmedes fonctions essentielles de l'Etat. Législation et juridictionsont des fonctions juridiques au sens étroit, c'est-à-dire desfonctions par lesquelles sont créées et appliquées les normesde l'ordre juridique étatique,

— et l'on rappellera (1) quel'application d'une norme juridique consiste soit à créer uneautre norme, soit à exécuter l'acte de contrainte prévu parune norme. Les individus qui remplissent l'une ou l'autrede ces fonctions sont des organes du droit. Qu'ils soientcomme tels des organes de l'Etat, en d'autres termes : queleurs fonctions soient attribuées à l'Etat, c'est-à-dire à lacollectivité juridique fondée par l'ordre étatique, signifie— on le sait —

qu'ils sont rapportés à l'unité de l'ordre decontrainte qui fonde cette collectivité. En qualifiant cetordre de contrainte d' « étatique », on entend marquer lestraits essentiels suivants : 1° cet ordre institue des organesrelativement centraux, c'est-à-dire des organes qui exercent

spécialement une fonction juridique, plus précisément : quisont appelés directement ou indirectement à leur fonction;2° son domaine de validité territorial est limité à un espacedélimité de façon ferme, que l'on appelle le territoire de

l'Etat; 3° on lui reconnaît par hypothèse la qualité d'ordre

suprême ou d'ordre soumis au seul droit international. Ilfaut cependant relever à ce propos que les fonctions juri-diques, c'est-à-dire la création et l'application de normesdu droit étatique, ne sont pas nécessairement exercées par

(1) Cf. supra, p. 203-4.

350 THÉORIE PURE DU DROIT

des organes centraux, mais peuvent parfaitement et aussibien être exercées suivant une procédure décentralisée ; c'estle cas de la création de normes générales par la coutume,et de normes individuelles ou générales par voie d'acte juri-dique. Les individus qui remplissent ces fonctions juridiquessont des organes du droit, exactement comme le sont l'or-

gane législatif ou les tribunaux, et leurs fonctions peuventêtre rapportées à l'unité de l'ordre juridique, être attribuéesà la collectivité fondée par cet ordre juridique

— c'est-à-direà l'Etat, tout comme le sont la législation et la juridiction.Cependant

— ainsi qu'on l'a déjà montré en un passageprécédent —, la terminologie traditionnelle ne cadre pasavec ces vues. On ne donne pas les normes juridiques créées

par la coutume ou par les actes juridiques comme du droitcréé par l'Etat, quoiqu'elles fassent aussi bien partie del'ordre étatique que les normes créées par législation ou pardécisions juridictionnelles. La terminologie traditionnelleobéit à une tendance que l'on a déjà caractérisée précé-demment, à ne reconnaître qualité d'organes de l'Etat

qu'aux organes du droit plus ou moins centraux, c'est-à-dire à attribuer à l'Etat, à la collectivité juridique, unique-ment les fonctions qui sont remplies par de tels organes. On

rappellera encore le fait très caractéristique sous ce rapportque l'on considère bien le Parlement comme un organe éta-

tique, mais non pas le corps électoral ou chaque électeur en

particulier (1).L'activité appelée administration étatique est, pour une

très grande part, de même nature que la législation et la

juridiction : elle est fonction juridique au sens étroit, c'est-à-dire création et application de normes juridiques. Lesfonctions de l'organe administratif suprême, le gouverne-ment, sont : la participation à la législation dans les termesfixés par la Constitution; l'exercice de son pouvoir consti-tutionnel de conclure des traités internationaux; l'édiction,conformément à la Constitution, de règlements (ou ordon-

nances) et d'ordres administratifs adressés soit aux organesadministratifs subordonnés soit aux « administrés »; tousactes qui sont bien création et application de normes, soit

générales soit individuelles. Entre une loi administrative

qui, en établissant des sanctions, oblige les sujets de droità suivre une certaine conduite, dans le domaine de la santé,de l'industrie ou de la circulation, et une loi pénale ou civile,

(1) Cf. supra, p. 203-4 sqq.

DYNAMIQUE DU DROIT 351

il n'y a — du point de vue de la technique juridique—

aucune différence. Les autorités administratives subordon-nées au gouvernement ont à appliquer des normes juridiquesgénérales qui établissent des sanctions pénales, spéciale-ment en tant qu'elles agissent comme organes de police,et cette fonction ne se distingue pas de la juridiction destribunaux par son contenu; ce qui l'en distingue, c'est seu-lement le caractère des organes qui l'exercent : dans l'exer-cice de leurs fonctions, les juges sont indépendants de tout

organe supérieur, c'est-à-dire qu'ils ne sont liés que par lesnormes générales qu'ils doivent appliquer, cependant quedans l'exercice de leurs fonctions les organes administratifs,eux, doivent observer les instructions qui leur sont données

par les organes supérieurs. Toutefois, cette différence ne

présente pas du tout un caractère absolu : les organes admi-nistratifs suprêmes sont indépendants, à l'instar des tribu-

naux, puisqu'il n'existe, par définition, pas d'organe quileur soit supérieur. Abstraction faite de l'indépendance des

organes juridictionnels, il n'existe aucune différence entrela fonction d'un tribunal qui prononce une peine privativede liberté pour vol, ou une peine pécuniaire pour atteinteà l'honneur, et la fonction d'une autorité administrative

qui ordonne des sanctions analogues en cas de violation

d'obligations fiscales ou sanitaires, ou en matière de circula-tion. Du reste, la réalisation de la sanction est un acte

administratif, même lorsqu'elle est ordonnée par un tri-

bunal; l'organe d'exécution n'est pas un organe juridiction-nel, mais un organe administratif.

Une différenciation fonctionnelle apparaît entre la fonc-tion juridictionnelle et la fonction administrative, lorsquel'acte de contrainte n'a pas le caractère d'une sanction,lorsqu'il s'agit de l'application de normes juridiques quiordonnent l'internement forcé de malades, l'expropriationforcée ou la destruction de la propriété, et autres actes decontrainte semblables, qui ne se présentent pas commeune réaction prévue par l'ordre juridique contre un acte

accompli par un individu (1). Et cependant, il s'agit encorelà d'une fonction juridique au sens étroit, puisqu'il s'agitd'actes de création et d'application de normes juridiques.

Essentiellement différente des deux sortes d'activités ad-

ministratives étatiques que l'on vient d'évoquer est celle

qui ne consiste pas à créer ou à appliquer des normes juri-

(1) Cf. supra, p. 55 sqq.

352 THÉORIE PURE DU DROIT

diques, mais qui se caractérise comme une activité d'obéis-sance à des normes juridiques par une catégorie particulièred'individus,

— les individus qui ont qualité de « fonction-naires de l'Etat » ou, plus largement, de fonctionnaires

publics (1). Dans ce cas, l'activité qualifiée d'administration

étatique n'est plus une fonction juridique au sens étroit :elle présente la même nature que l'activité économique ouculturelle des personnes privées. De même que celles-ci,l'Etat peut construire et exploiter des chemins de fer, édi-fier des écoles et des hôpitaux, distribuer l'enseignementou encore soigner les malades. Si cette activité constituede l'administration étatique, et non une activité privée, cen'est pas par son fond, c'est seulement par le fait que lesindividus qui l'exercent ont qualité juridique de fonc-tionnaires publics. Autrement dit, sous certaines condi-

tions, et notamment lorsqu'elles sont assurées par des indi-vidus présentant certains caractères définis, ces fonctionssont attribuées à l'Etat, et non pas aux individus mêmes

qui les exercent. Quels sont les caractères distinctifs desfonctionnaires publics ? On aura à l'établir ultérieurement (2).Ici, il faut seulement souligner que cette activité considéréecomme administration publique fait l'objet d'obligationsde service ou fonction spécifiques. Ces obligations de fonc-tion sont fondées par des normes juridiques qui attachentau non-exercice des fonctions ou à leur exercice incorrectdes peines d'un certain type, des peines « disciplinaires ».Selon la terminologie courante, c'est seulement la fonc-tion exercée en exécution d'une obligation de service quiest attribuée à l'Etat; on ne lui attribue pas cette obliga-tion de fonction; non plus que l'on ne considère la peine dis-

ciplinaire à prononcer pour non-exécution de cette obliga-tion de fonction comme dirigée contre l'Etat. Lorsqu'uneloi vient décider que l'Etat doit construire et exploiter unchemin de fer, et que cette disposition est interprétée commeune « obligation » de l'Etat, ce n'est pas l'obligation defonction des organes intéressés qui est attribuée à l'Etat.Ces obligations de fonction existent pareillement lorsque laloi dispose simplement que l'Etat est habilité à construireet à exploiter le chemin de fer (et non pas : obligé de le faire).Lorsque l'on parle ici d'une obligation de l'Etat, il ne s'agit

(1) Selon les notions du droit français on parlerait plus justementd' « agents publics » (N. d. T.)(2) Cf. infra, p. 391 sq.

DYNAMIQUE DU DROIT 353

pas en réalité d'une obligation au sens strictement juridiquedu terme (1). Si l'activité que l'on considère comme admi-nistration étatique ne consiste pas à créer ou à appliquer desnormes juridiques, mais à obéir à des normes juridiques,c'est-à-dire si elle se présente comme l'exécution d'obliga-tions de fonction par des organes fonctionnarisés, on attribueà 1' « Etat » une fonction qui n'est pas de création ou d'ap-plication du droit, mais d'obéissance au droit; alors, d'aprèsla terminologie dominante, il ne suffit pas que la conduiteà attribuer à l'Etat en tant que collectivité juridique soit

prévue et réglée dans l'ordre juridique qui fonde la collec-

tivité; il faut en outre qu'elle soit la fonction d'un individu

désigné à cet effet par l'ordre juridique, et l'exerçant à titred'activité spécialisée, ou, plus précisément, la fonction d'unindividu appelé à sa fonction et ayant la position juridiquepersonnelle correspondant à la qualification de « fonction-naire ». Il faut cependant observer que l'exercice de fonc-tions de création et de fonctions d'application du droit peutêtre, lui aussi, objet d'obligations de fonction de « fonction-naires ». Non seulement des organes administratifs exer-

çant des fonctions juridictionnelles, mais aussi des jugesindépendants peuvent être des fonctionnaires; et l'activitéadministrative de l'Etat comprend l'accomplissement d'actes

juridiques créateurs de normes juridiques, de même quel'exécution des obligations et l'exercice des droits qui sontcréés par ces actes. En d'autres termes, on peut attribuer àl'Etat et interpréter aussi comme des actes d'administration

étatique ces fonctions-là, en tant qu'elles font objet d'obliga-tions juridiques d'organes fonctionnaires (et, par conséquent,en tant qu'elles sont des fonctions d'obéissance au droit).Elles ont primordialement le caractère de fonctions d'obéis-sance au droit, parce qu'elles ont lieu en exécution d'obliga-tions de fonction d'organes fonctionnarisés ; en tant qu'il s'agitd'actes juridiques, ce n'est que secondairement qu'elles ontle caractère de fonctions créatrices de normes juridiques.

Les normes qui règlent la conduite de ces individus enleur imposant spécifiquement des obligations de service eten leur conférant spécifiquement des pouvoirs, des préroga-tives de fonction, forment, au sein de l'ordre juridique total

qui règle la conduite de tous les individus vivant à l'inté-rieur de son domaine de validité territorial, un ordre juri-dique partiel d'où résulte une collectivité partielle compre-

(1) Cf. infra, p. 398 sq.

354 THÉORIE PURE DU DROIT

nant les individus ayant la qualité de fonctionnaires del'Etat et eux seuls : c'est l'Etat en tant qu'appareil bureau-

cratique de fonctionnaires, avec à sa tête le gouvernement. —

Il faut distinguer cette notion étroite de l'Etat de la notion

plus large, selon laquelle font partie de l'Etat tous les indi-vidus vivant sur son territoire; la première de ces deuxnotions est la personnification de l'ordre juridique partielqui ne règle que les fonctions des individus ayant la qualitéde fonctionnaires publics. L'attribution de ces fonctions àl'Etat signifie qu'on les rapporte à l'unité de l'ordre juri-dique partiel. Mais par là même on les rapporte en même

temps à l'unité de l'ordre juridique total où cet ordre partielest compris. L'attribution à l'Etat au sens étroit impliquel'attribution à l'Etat au sens large.

Si l'on considère comme un but de l'ordre juridique éta-

tique,— ou, ce qui est la même chose, comme un but de

l'Etat — de provoquer les conduites régulières qui exécutentles obligations et évitent les sanctions, ou de rendre certainesconduites juridiquement possibles en instituant des droitsau sens technique et des permissions positives, alors, du fait

que cette conduite n'est pas attribuée à l'Etat, n'est pasinterprétée comme une fonction étatique, le but de l'Etatest réalisé seulement de façon indirecte, par le canal decette fonction étatique (ou juridique) qui consiste à statueret à exécuter des actes de contrainte. Mais si, comme dansle cas de l'administration publique, qui n'a pas du toutou n'a pas primordialement le caractère de création ou d'ap-plication du droit, mais qui se présente comme obéissanceau droit, la conduite des organes fonctionnarisés est attri-buée à l'Etat et est interprétée comme fonction de l'Etat —

au sens étroit —, alors le but de l'Etat — au sens large—

est réalisé par cette fonction de l'Etat — au sens étroit —

de façon directe. Alors, on peut en ce sens distinguer uneadministration étatique médiate ou indirecte, et une admi-nistration étatique immédiate ou directe : la première ne

représente pas une fonction différente de la juridiction; elleest comme celle-ci fonction de création et fonction d'appli-cation du droit; la seconde, au contraire, est essentielle-ment différente de la fonction juridictionnelle, elle est fonc-tion d'obéissance au droit; ou bien, dans la mesure où elleest aussi fonction de création du droit, elle est accomplis-sement d'actes juridiques, et non pas exercice de juridiction.

Il résulte de là que, du point de vue d'une analyse struc-turelle du droit, le terme d'administration étatique ou

DYNAMIQUE DU DROIT 355

publique désigne deux fonctions d'essence différente, et quela limite entre ces deux fonctions passe au milieu du domaine

que la théorie traditionnelle de l'administration publiquedistingue de la fonction étatique appelée juridiction ou jus-tice. — La distinction traditionnelle n'exprime donc pasune distinction de fonctions, mais celle de deux appareilsd'autorités —

qualifiés l'un de justice, et l'autre d'admi-nistration — dont la formation dans l'Etat moderne ne selaisse expliquer qu'historiquement, mais ne peut pas être

justifiée sur le plan de la systématique juridique.

j) Les conflits entre normes de degré différent.

a) Les décisions juridictionnelles « illégales ».

L'ordre juridique constitue une pyramide de normes hié-rarchisées. D'autre part, une norme donnée n'appartient àun ordre juridique donné que parce qu'et en tant qu'elleest conforme à la norme supérieure qui règle sa création.De ce double fait résulte le problème d'un conflit possibleentre une norme de degré supérieur et une norme de degréinférieur; il consiste à savoir ce qui est de droit lorsqu'unenorme n'est pas conforme à celle qui règle sa création, eten particulier à la norme qui réglemente le contenu qu'ellepourra avoir.

Si l'on prend à la lettre certaines expressions qui sontcourantes dans la doctrine juridique traditionnelle, il sem-blerait que de tels conflits existent en effet : en parlantde décisions juridictionnelles « illégales » et de lois « incons-titutionnelles », cette doctrine porte à admettre qu'il pour-rait exister, de façon générale, des normes contrairesà des normes, en particulier des normes de droit contrairesau droit. Bien plus, le droit lui-même semble compter aveccette possibilité de droit contraire au droit, et même enconfirmer l'existence, par le fait de prendre de multiplesprécautions dont on considère qu'elles ont pour but l'anéan-

tissement, l'annulation de ce droit contraire au droit.Les idées que l'on vient de rappeler ne peuvent cepen-

dant être acceptées. L'existence de quelque chose de tel

qu'un droit contraire au droit signifierait la destructionde l'unité du système de normes, qu'exprime la notiond'ordre juridique. En vérité, l'idée d'une « norme contraireaux normes » représente une contradiction in adjecto ; unenorme juridique dont on pourrait affirmer qu'elle n'est pas

356 THÉORIE PURE DU DROIT

conforme à la norme qui règle sa création ne pourrait pasêtre considérée comme une norme valable; elle serait nulle,autrement dit : elle ne serait du tout une norme juridique.Ce qui est nul ne peut pas être annulé par une voie dedroit. Annuler une norme ne peut pas signifier annuler l'actedont la norme est la signification : on ne peut pas faire

que quelque chose qui a effectivement eu lieu n'ait pas eulieu. Annuler une norme signifie : retirer à un acte dontune norme est la signification subjective le sens objectifde norme; et ceci signifie : mettre fin à la validité de cettenorme par une autre norme. Si l'ordre juridique, pour unmotif quelconque, admet l'annulation d'une norme, c'estnécessairement —

l'analyse qui va suivre le montrera —

qu'il commence par la laisser tout d'abord valoir commenorme juridique objectivement valable, c'est-à-dire con-forme au droit.

De même que l'on doit nécessairement lier la question desavoir si dans un cas concret un fait est donné auquel unenorme juridique attache certaines conséquences avec la

question de savoir qui est compétent pour répondre à cette

question, de même ne peut-on pas séparer la question desavoir si une norme posée par un organe du droit s'accordeavec la norme supérieure qui règle sa création, et parfoisaussi son contenu, de la question de savoir qui l'ordre juri-dique habilite à décider sur ces questions. De même que la

première, la seconde de ces questions ne peut être décidée

que par l'organe désigné à cet effet par l'ordre juridiquesuivant la procédure déterminée par ce même ordre. La

proposition qu'une décision juridictionnelle ou une décisionadministrative soit contraires au droit ne peut signifierqu'une chose, à savoir que la procédure suivant laquelle lanorme individuelle a été créée n'est pas conforme à la norme

législative ou coutumière qui règle cette procédure, ou queson contenu n'est pas conforme à la norme générale quirègle ce contenu.

Raisonnons ici, pour la simplicité de l'exposé, uniquementsur le cas où la question qui se pose est de savoir si la normeindividuelle de la décision juridictionnelle est conforme à lanorme générale dont elle devait faire application et quidétermine son contenu dans une mesure plus ou moins

grande. En droit étatique, cette question ne peut être décidée

que par la juridiction saisie elle-même, ou par une juridic-tion supérieure. Et en effet, si l'ordre juridique habilitait

quiconque à en décider, on n'arriverait pratiquement jamais

DYNAMIQUE DU DROIT 357

à une décision juridictionnelle liant les parties. Si une juri-diction décide un cas concret, et si elle affirme avoir pourle faire appliqué une certaine norme générale, la questionest décidée dans un sens positif, et elle demeure décidéeaussi longtemps que la décision n'est pas annulée par celled'une juridiction de rang supérieur. Car, d'après le droit

positif, la décision d'une juridiction de première instance,c'est-à-dire la norme individuelle créée par cette décision,n'est pas nulle, même si elle est considérée ultérieurementcomme « contraire au droit » par la juridiction d'appelcompétente pour trancher la question. Elle ne peut êtreannulée que par une procédure prévue et réglée par l'ordre juri-dique : elle est donc simplement annulable. C'est seulement

lorsque l'ordre juridique prévoit une telle procédure d'an-nulation que la décision peut être attaquée par les partiesau procès, lorsqu'elles mettent en question la régularitéjuridique de la décision, sa « conformité au droit (Recht-mâssigkeit) ». Mais il doit nécessairement y avoir un termeà la possibilité d'attaquer une décision juridictionnelle : il

y a une juridiction de dernière instance dont la décision ne

peut plus être contestée, cette décision est passée en « forcede chose jugée », elle a acquis « force de droit (Rechtskraft) »,la « régularité » de cette décision ne peut plus être mise en

question. Mais que signifie le fait que l'ordre juridiqueconfère à la décision de dernière instance force de droit,de chose jugée ? Il signifie que, même si une norme géné-rale est en vigueur, et applicable par les juges, qui déter-mine par avance le contenu de la norme individuelle quecréera la décision juridictionnelle, il se peut qu'entre en

vigueur une norme individuelle créée par la juridiction dedernière instance, dont le contenu n'est cependant pasconforme à cette norme générale. Le fait que l'ordre juri-dique confère force de droit à des décisions juridictionnellesde dernière instance signifie que deux normes générales sonten vigueur simultanément : l'une, qui détermine par avancele contenu de la décision juridictionnelle; l'autre, auxtermes de laquelle le tribunal peut déterminer le contenude la norme individuelle qu'il créera. Ces deux normesforment ensemble une unité : on peut dire que pouvoir estdonné à la juridiction de dernière instance, soit de créerune norme individuelle dont le contenu est déterminé paravance par la norme générale posée par voie législative ou

coutumière, soit de créer une norme individuelle dont lecontenu est déterminé par la juridiction de dernière instance

358 THÉORIE PURE DU DROIT

elle-même. Ce n'est pas tout; le fait que, d'après les disposi-tions de l'ordre juridique, les décisions des juridictions de

première instance et de toutes juridictions autres que cellesde dernière instance ne sont qu'annulables, c'est-à-diredemeurent valables jusqu'à ce qu'elles soient annulées parune instance supérieure, signifie également que ces organestiennent de l'ordre juridique le pouvoir de créer, soit desnormes individuelles dont le contenu est déterminé paravance par la norme générale, soit des normes individuellesdont le contenu n'est pas prédéterminé de la sorte, maissera déterminé par ces organes eux-mêmes. Mais entre lesdeux hypothèses, il y a cette différence que les normesindividuelles posées par ces juridictions inférieures n'ont

qu'une validité provisoire, c'est-à-dire qui peut être annulée

par une certaine procédure, alors que les normes indivi-duelles créées par les cours suprêmes et qui ont acquis forcede droit, ou : de chose jugée, possèdent, elles, une validitédéfinitive. Mais il faut bien comprendre qu'aussi bien lavalidité provisoire des normes individuelles du premiergroupe que la validité définitive des normes de l'autre groupereposent également sur l'ordre juridique; autrement dit :sur une norme générale préexistante, précédant leur créa-

tion, qui, lorsqu'elle détermine le contenu de ces normes

individuelles, le fait en établissant l'alternative qui a été

indiquée ci-avant. Aussi longtemps qu'elles sont valables,les décisions juridictionnelles ne peuvent pas être contrairesau droit. Il ne peut donc pas être question d'un conflitentre des normes individuelles juridictionnelles et des normes

générales législatives ou coutumières à appliquer par les

juridictions. Même pas dans le cas des décisions juridiction-nelles de première instance qui sont susceptibles de recours,c'est-à-dire annulables. Contrairement à ce qui peut êtreaffirmé par les parties qui intentent un recours, et même,peut-être, par la juridiction d'appel elle-même, le fonde-ment objectif de l'annulabilité de ces décisions n'est pasleur irrégularité, c'est-à-dire le fait qu'elles ne sont pasconformes à la norme générale à appliquer par le tribunal— s'il en allait ainsi, elle serait nulle, c'est-à-dire juridi-quement non-existante, et non pas simplement annulable —,c'est la possibilité d'amener à la validité définitive, par une

procédure prévue par l'ordre juridique à cette fin, l'autreterme de l'alternative, celui qui n'avait pas été réalisé parla décision attaquée. Si une norme individuelle juridiction-nelle est du tout attaquable, elle peut être annulée par la

DYNAMIQUE DU DROIT dot)

norme dotée de la force de chose jugée posée par une déci-sion de dernière instance, non seulement lorsque la juri-diction de première instance fait usage de sa faculté alterna-tive de déterminer elle-même le contenu de la norme qu'ellepose

— avec validité provisoire —, mais également lorsque,conformément à l'autre terme de l'alternative établie parl'ordre juridique, le contenu de la norme individuelle poséepar le tribunal de première instance est conforme à lanorme générale qui le détermine par avance. Si une déci-sion juridictionnelle est du tout attaquable, elle peut

— àconsidérer les choses d'un point de vue objectif

— être atta-

quée par les parties au procès dans les deux cas, et elle peutêtre annulée par la juridiction supérieure, même si — ce

qui est une donnée d'ordre subjectif— les parties au pro-

cès fondent leur recours — et, peut-être ne peuvent-elles,d'après le droit procédural en vigueur, le fonder autrement— sur le fait que la décision ne serait pas conforme à lanorme générale qui détermine son contenu. Les parties au

procès peuvent tenir compte du fait que, si d'après le droiten vigueur les décisions de dernière instance passent en forcede chose jugée, il est impossible d'empêcher qu'entrent en

vigueur des normes juridiques individuelles dont le contenun'est déterminé par avance par aucune norme générale.Elles font usage de la faculté d'attaquer une décision juri-dictionnelle seulement si cette décision n'est pas conformeà leurs intérêts. Que, subjectivement, elles considèrent cettedécision comme conforme au droit ou comme contraire au

droit, cela est parfaitement indifférent; même si la loi pres-crit que les décisions juridictionnelles ne peuvent être atta-

quées que pour le motif qu'elles seraient « contraires audroit » sous quelque rapport; ce qui signifie simplement :

pour le motif qu'elle est tenue par les parties au procès ou

par l'une d'elles pour contraire au droit. Car c'est au tri-bunal de recours seul, et non aux parties au procès, qu'ilappartient de prononcer que la décision est « contraire audroit », et la décision de dernière instance passe dans tousles cas en force de chose jugée. Si cela avait un sens quel-conque de parler de décisions juridictionnelles régulières ou

irrégulières « en soi », il faudrait convenir qu'il se peutque des décisions régulières se voient annulées par des déci-sions ayant force de chose jugée, aussi bien que des déci-sions irrégulières.

Tout ceci montre d'ailleurs bien que les limitations trèssensibles que connaît la possibilité de déterminer par avance,

360 THÉORIE PURE DU DROIT

par des normes générales posées par voie de législation ou

par voie de coutume, les normes individuelles que les juri-dictions sont appelées à créer. Mais ce fait ne justifie pasl'idée qui a été évoquée et critiquée dans des pages pré-cédentes qu'avant les décisions juridictionnelles, il n'existerait

absolument pas de droit, que tout droit est droit jurispru-

dentiel, qu'il n'existe pas de normes juridiques générales,mais uniquement des normes juridiques individuelles.

P) Les « lois inconstitutionnelles ».

L'assertion qu'une loi valable, une loi « en vigueur »,serait contraire à la Constitution, « inconstitutionnelle

(verfassungswidrig) » est une contradictio in adjecto : car une

loi ne peut être valable qu'en vertu de la Constitution. Si

l'on a une raison d'admettre qu'une loi est valable, le fon-

dement de sa validité ne peut se trouver que dans la Cons-

titution. Par contre, d'une loi non-valable, on ne peut pasdire qu'elle soit contraire à la Constitution : une loi non-

valable n'est du tout une loi, parce que, juridiquement,elle n'existe pas, et que, par conséquent on ne peut avancer

à son sujet aucune assertion juridique. Si l'on veut donner

à l'expression « loi inconstitutionnelle » dont use couramment

la doctrine traditionnelle, un sens juridique acceptable, il

ne faut pas la prendre à la lettre. Il faut l'entendre comme

signifiant que, selon la Constitution, la loi en question peutêtre abrogée (ou annulée), non seulement par la procédurehabituelle, c'est-à-dire par une autre loi, en vertu du prin-

cipe lex posterior derogat priori, mais également par une

procédure particulière, prévue par la Constitution. Mais,aussi longtemps qu'elle n'est pas abrogée (ou annulée), on

doit la considérer comme valable ; et aussi longtemps qu'elleest valable, elle ne peut pas être contraire à la Constitution,inconstitutionnelle.

La Constitution réglant les organes et la procédure de

la législation, et parfois également jusqu'à un certain pointle contenu des futures lois, le législateur constituant doit

compter avec la possibilité que les normes de la Constitu-tion ne soient pas toujours ni pleinement respectées

— ainsi

s'exprime-t-on traditionnellement — c'est-à-dire que des

actes se présentent avec la prétention subjective d'avoir

créé une loi, bien que la procédure suivie pour leur confec-tion ou le contenu de la loi posée par l'acte ne correspondepas aux normes de la Constitution. Ainsi apparaît la ques-

DYNAMIQUE DU DROIT 361

tion de savoir qui la Constitution doit habiliter à décider

si, dans un cas concret, les normes de la Constitution ontété suivies, si un instrument qui voulait être une loi ausens de la Constitution doit être considéré comme l'étant

objectivement.Si la Constitution reconnaissait à tout un chacun le pou-

voir de décider sur cette question, il serait presque impos-sible qu'aucune loi liant les sujets voie jamais le jour. Pouréviter semblable état de choses, il faut que la Constitutionattribue ce pouvoir seulement à certains organes du droit.S'il n'existe qu'un seul organe central de législation, une

procédure à plusieurs instances analogue à celle de l'orga-nisation juridictionnelle est exclue. Alors la Constitution ne

peut habiliter que l'organe législatif lui-même, ou un organedifférent de lui —

par exemple les tribunaux qui ont à

appliquer les lois, ou uniquement une juridiction spéciale— à décider sur la question de la constitutionnalité des lois.Si l'on suppose que la Constitution ne contienne aucune

disposition sur le point de savoir qui a à examiner ou contrô-ler la constitutionnalité des lois, il s'ensuit en principe queles organes de l'application des lois, donc en particulier les

tribunaux, ont le pouvoir de procéder à cet examen oucontrôle. Puisqu'ils ont le pouvoir d'appliquer les lois, ilsdoivent nécessairement établir si ce qui prétend être uneloi a bien objectivement caractère et signification de loi; etil n'en va ainsi que des actes qui sont conformes à la Cons-titution.

Mais il va de soi que la Constitution est libre de poser la

règle contraire, de refuser expressément aux organes qu'ellecharge de l'application des lois, le pouvoir de contrôler laconstitutionnalité de ces lois. Bien des Constitutions dis-

posent ainsi que les tribunaux et les autorités administra-tives n'ont pas le droit d'examiner la constitutionnalitédes lois qu'ils ont à appliquer. Cependant, il faut noter quecette restriction ne peut pas être poussée à l'absolu; elle

comporte nécessairement des limites. Il est en effet raison-

nablement impossible que les organes appelés à appliquerla loi soient invités à appliquer comme loi tout ce qui sedonne subjectivement pour tel. Inévitablement, un mini-mum de pouvoir de contrôle doit leur être laissé. Dans les

systèmes où, selon la Constitution, les lois ne deviennent

obligatoires qu'après avoir été publiées par les soins du

gouvernement dans un Journal Officiel, la limitation du

pouvoir de contrôle signifie que les organes d'application

24. THÉORIEPUREDUDROIT.

362 THÉORIE PURE DU DROIT

des lois, en particulier les tribunaux, ont à examiner uni-

quement si ce qui a la signification subjective de loi a été

publié comme loi au Journal Officiel, c'est-à-dire dans un

recueil imprimé au nom du gouvernement, alors que leur

est au contraire refusé le pouvoir d'examiner si ce qui a été

publié comme loi a bien été décidé par l'organe compétentà cet effet selon la Constitution, suivant la procédure pres-crite par elles et présente un contenu compatible avec la

Constitution. Le pouvoir d'examiner ces trois questions peutêtre attribué à l'organe gouvernemental, distinct de l'organe

législatif, qui a mission d'assurer la publication. En tout

cas, à lui non plus, ce pouvoir de contrôle ne peut être

refusé totalement. Lui non plus ne peut pas être tenu de

publier comme loi ou d'appliquer comme loi tout acte qui se

présente lui-même comme tel et prétend à l'être. L'organe gou-vernemental compétent pour la publication

—ou, de même,

si une publication officielle n'est pas requise, les organes

d'application des lois — doivent nécessairement pouvoirexaminer au minimum si ce qui se présente subjectivementcomme loi a été réellement décidé par l'organe constitution-

nellement investi du pouvoir législatif, même s'il n'est pasadmis à examiner ni si la procédure suivant laquelle la

décision a été prise, ni si le contenu de la décision sont

conformes à la Constitution. Si la Constitution consacre ces

règles, il en résulte que seul l'organe de législation a le pou-voir de décider lui-même si la loi qu'il a adoptée est cons-

titutionnelle, c'est-à-dire si tant la procédure suivant laquelleil l'a adoptée que le contenu qu'il lui a donné sont conformesà la Constitution; en ce cas, la décision positive de cette

question est incluse dans le fait même de l'édiction d'une

loi par l'organe légiférant. Ceci signifie que tout ce que cet

organe de la législation édicté comme loi doit être considéré

comme loi au sens de la Constitution, que les normes quisont la signification subjective d'un acte posé par l'organe

législatif ont la signification objective de normes juridiques,même lorsque

— selon les vues de X. ou de Y. —la loi n'est

pas conforme aux normes de la Constitution qui règlent la

procédure de la législation et le contenu des lois. L'organe

législatif est alors dans une situation analogue à celle de la

juridiction de dernière instance dont la décision a force de

chose jugée. Mais ceci affecte le sens des normes de la Cons-titution qui règlent la législation : il en résulte en effet quedes lois valables peuvent voir le jour d'autre façon que celle

que détermine directement la Constitution, d'une façon que

DYNAMIQUE DU DROIT ÔOÛ

détermine l'organe de législation lui-même. En d'autres

termes, la Constitution donne de ce fait au législateur pou-voir de créer des normes générales, soit par la procéduredéterminée directement par les normes de la Constitution,soit par quelque autre procédure, et pouvoir de donner àces normes soit un contenu conforme aux normes de laConstitution sur le contenu des lois, soit un contenu autre.Les normes directes de la Constitution sur la procédure dela législation et sur le contenu des lois ne représentent plusalors que l'une de deux possibilités créées par la Constitu-tion. La Constitution crée elle-même cette possibilité par lefait qu'elle ne laisse à aucun autre organe que le législateurla faculté de décider si les normes édictées par lui en tant

que lois sont bien lois au sens de la Constitution. Les dispo-sitions de la Constitution qui règlent la législation ont alorsle caractère de dispositions simplement alternatives. LaConstitution contient tout à la fois un règlement direct etun règlement indirect de la législation; et l'organe législatifa le choix entre les deux. Il est fort possible que ni le législa-teur constituant lui-même ni non plus le législateur ordi-naire n'aient pas ou en tout cas pas pleinement consciencede la situation ainsi créée. Mais celui qui décrit objective-ment l'état du droit que crée — consciemment ou incons-ciemment — une Constitution qui ne délègue pas le contrôlede la constitutionnalité des lois à un organe distinct du légis-lateur ne saurait arriver à une conclusion différente.

La situation juridique est radicalement autre lorsque la

Constitution délègue l'examen et la décision sur la confor-mité des lois aux dispositions de la Constitution qui règlentdirectement la législation à un organe autre que l'organelégislatif, et donne à cet organe le pouvoir d'annuler, danstelles et telles conditions, les lois qu'il tient pour « inconsti-tutionnelles ». Cette fonction peut être confiée, soit à une

juridiction spéciale, soit à la Cour suprême, soit enfin àtous les tribunaux. Comme on l'a déjà établi, lorsque cecontrôle ne leur est pas expressément refusé, on doit consi-dérer que la fonction est déléguée à tous les organes d'ap-plication de la loi, et en particulier aux tribunaux. En règlegénérale, lorsque tous les tribunaux reçoivent le pouvoird'examiner la constitutionnalité des lois qu'ils ont à appli-quer dans les cas concrets, ils ne sont habilités, au cas oùils tiennent une loi pour « inconstitutionnelle », qu'à enrefuser l'application dans le cas concret, en d'autres termes :ils n'ont pouvoir d'annuler la validité que pour le cas

364 THÉORIE PURE DU DROIT

concret sur lequel ils statuent, la loi restant en vigueurpour tous les autres cas auxquels elle se rapporte, et devantleur être appliquée par les tribunaux, à moins qu'à leurtour ils ne refusent de l'appliquer à un cas concret.

Si au contraire le contrôle de la constitutionnalité deslois est réservé à un tribunal unique, celui-ci peut se voirinvestir du pouvoir d'annuler la validité de la loi reconnue

inconstitutionnelle, non seulement pour un cas concret, mais

pour tous les cas auxquels la loi se rapporte, autrement dit :le pouvoir d'annuler la loi comme telle. Mais jusqu'à ce quele tribunal prenne cette décision d'annulation, la loi estvalable et doit être appliquée par tous les organes d'appli-cation du droit. Il se peut ainsi qu'elle demeure en vigueuret qu'elle soit appliquée pendant des années avant de se voirannulée comme « inconstitutionnelle » par le tribunal com-

pétent. Dès lors, il faut reconnaître que les prescriptionsde la Constitution concernant l'abrogation ou annulationdes lois qui ne sont pas en accord avec les dispositionsdirectes de la Constitution concernant la législation signifientque ces lois sont traitées comme valables, elles aussi, pourautant que et aussi longtemps qu'elles ne sont pas annuléesde la façon prescrite par la Constitution. Les lois dites« inconstitutionnelles » sont en réalité des lois « constitu-tionnelles » — il faut entendre : conformes à la Constitu-tion —, mais des lois « constitutionnelles » annulables par une

procédure particulière. Dans ces cas également, les disposi-tions de la Constitution sur la législation ont le caractèrealternatif qui a été défini ci-dessus, et l'organe législatif a lechoix entre deux voies : celle qui est réglementée directement

par la Constitution et celle que le législateur détermineralui-même. Néanmoins, entre ces deux voies, il existe cettedifférence importante que les lois élaborées suivant la seconde

procédure, tout en étant sans doute valables, peuvent êtreannulées suivant une procédure particulière.

Ceci manifeste que, bien qu'elle ne puisse pas exclureradicalement la seconde voie, la Constitution donne cepen-dant la préférence à la première. Ce point de vue peut encorese révéler par le fait qu'elle prévoie contre certaines per-sonnes qu'elle appelle à participer à la législation en colla-boration avec le Parlement — le chef de l'Etat appelé à

promulguer les lois, ou les ministres appelés à contre-signerses actes — la possibilité de mise en jeu de leur responsa-bilité devant une juridiction spéciale, et de sanctions pénales,au cas où ils auraient collaboré à l'édiction d'une loi « incons-

DYNAMIQUE DU DROIT 365

titutionnelle ». Il est possible— sans que ce soit nécessaire —

de lier cette procédure pénale à celle qui tend à l'annulationde la loi en question.

A vrai dire, la responsabilité personnelle des organes pourla légalité des normes créées par eux entre moins en lignede compte pour le rapport entre Constitution et loi quepour le rapport entre Constitution et loi et entre loi et règle-ment.

Certaines Constitutions habilitent certains organes admi-

nistratifs, en particulier le gouvernement, à édicter, sousdes conditions très déterminées, en forme d'ordonnancesou de règlements, des normes générales qui règlent certains

objets aux lieu et place d'une loi. Elles peuvent prévoir que,si le gouvernement édicté un semblable règlement ou unesemblable ordonnance dans des conditions autres que celles

qui sont déterminées par la Constitution, ses membres

peuvent voir leur responsabilité engagée et être frappésd'une peine. Il est possible

— sans que cela soit nécessaire —

que cette procédure pénale soit liée à celle qui tend à l'an-nulation du règlement.

Il est pareillement possible que la Constitution qui habilitedes organes administratifs à édicter des règlements complé-mentaires des lois prévoie qu'ils pourront être frappés d'un

peine s'ils ont édicté un règlement illégal,— sans que le règle-

ment « illégal » doive nécessairement être annulé. Si le règle-ment est valable jusqu'à son annulation ou s'il n'est pasdu tout annulé, cela signifie que l'organe administratif reçoit

également le pouvoir d'édicter des règlements «illégaux», mais

que le constituant ou le législateur préfèrent cependantl'édiction de règlements qui soient conformes aux disposi-tions directes de la Constitution ou qui se tiennent dansle cadre des lois.

Dans tous les cas que l'on vient d'envisager, on voit unacte d'édiction de normes juridiques valables constituer un

délit, puisqu'il est la condition d'une sanction. Ces casmontrent que le principe ex injuria jus non oritur, dont ladoctrine juridique traditionnelle admet souvent qu'il a valeurtout à fait générale, comporte des exceptions.

On a établi dans les pages précédentes que le contrôle dela constitutionnalité des lois par l'organe compétent pourleur publication ou par les organes compétents pour leur

application peut assurément être limité dans une certaine

mesure, mais qu'il ne peut pas être complètement exclu, queces organes ont à décider au minimum si ce qui se donne sub-

366 THÉORIE PURE DU DROIT

jectivement comme une loi est bien l'oeuvre de l'organeinvesti du pouvoir législatif par la Constitution. Si sur cette

question l'organe compétent se prononce dans le sens de la

négative, par exemple parce que ce qui se présente avec la

prétention d'être une loi obligatoire n'a pas été voté par leParlement investi par la Constitution du pouvoir législatif,mais émane d'un usurpateur, il refusera la publication ou

l'application. Si ceci ne se produit pas et si les normes

générales édictées par l'usurpateur deviennent de la sorte

efficaces, on a affaire à un changement révolutionnaire de

Constitution, et par là même à une loi conforme à lanouvelle Constitution, donc constitutionnelle.

Une situation semblable pourrait se présenter en matièrede juridiction : de même que les organes compétents pour la

publication ou pour l'application des lois pourraient refuserla publication ou l'application de ce qui se présente subjec-tivement comme loi, l'organe compétent pour l'exécutiondes décisions de justice pourrait se refuser à l'exécution dece qui se présente subjectivement comme une décision d'untribunal suprême, en invoquant le motif que, d'après lui, cettedécision n'aurait pas été prise par un individu ou par un

collège d'individus ayant en vertu de la Constitution la qua-lité de tribunal suprême, mais par des individus qui se sont

arrogé sans droit la position de tribunal suprême. Si, en

dépit de ce fait, ces décisions sont cependant exécutées etdeviennent ainsi efficaces, il y a encore changement révolu-tionnaire de Constitution, mais changement simplementpartiel, alors que, dans le cas de la législation, le change-ment était total; et par conséquent, on est en présenced'une décision juridictionnelle conforme à la Constitution.

Amenée à une formule tout à fait générale, la questionde la légalité des décisions juridictionnelles ou de la cons-titutionnalité des lois est celle de savoir si des actes quise présentent avec la prétention de créer des normes sontconformes aux normes supérieures qui règlent leur créa-tion et peut-être aussi leur contenu. Si cette question doitêtre décidée par un organe compétent à cet effet, c'est-à-dire habilité par une norme valable à le faire, la questionpeut se poser également de savoir si l'individu qui a effec-tivement pris cette décision était bien l'organe compétent,c'est-à-dire l'organe habilité par la norme valable. Il se peutque la décision sur cette question soit à son tour confiée àun autre organe, que, par cela même, on devra considérercomme un organe supérieur au premier. Cependant, cette

DYNAMIQUE DU DROIT 367

régression vers un organe supérieur ne peut se poursuivreindéfiniment. Il existe nécessairement des organes suprêmessur la compétence desquels nul organe supérieur ne peut se

prononcer, dont par conséquent le caractère d'organes supé-rieurs, en matière de législation, de gouvernement (d'admi-nistration) ou de juridiction, ne peut être mis en question.Ils se révèlent comme des organes suprêmes par le fait queles normes qu'ils posent sont efficaces en gros et d'une façon

générale. Car alors, on prend pour hypothèse que la norme

qui les habilite à poser ces normes est la Constitution valable.Le principe qu'une norme ne peut être posée que par l'or-

gane compétent, c'est-à-dire par l'organe habilité à cet effet

par une norme supérieure, est le principe de légitimité.Comme on l'a déjà constaté, ce principe de légitimité se voitlimiter par le principe d'effectivité.

De l'analyse précédente, il résulte qu'entre la loi et ladécision juridictionnelle, entre la Constitution et la loi,entre la Constitution et le règlement, ou, pour le formulerd'une façon tout à fait générale, entre une norme supérieureet une norme inférieure d'un ordre juridique, aucun conflitn'est possible qui détruise l'unité de ce système de normesen rendant impossible de le décrire par un corps de proposi-tions de droit exemptes de contradictions mutuelles.

k) Annulation und et annulabilité

(Nich tigkeit Vernich tbarkeit).

De ce qui précède, il résulte également qu'au sein d'unordre juridique, il ne peut pas y avoir quelque chose de tel

qu'une nullité : les normes qui font partie d'un ordre juri-dique ne peuvent pas être nulles, elles peuvent seulementêtre annulables.

Mais il est exact que cette annulabilité prévue par l'ordre

juridique peut présenter divers degrés.En règle générale, les normes juridiques sont annulées

seulement avec effet pour l'avenir, de sorte que les consé-

quences de droit qui se sont déjà réalisées sous leur empiredemeurent intouchées. Mais il est parfaitement possible dedécider que l'annulation comportera effet rétroactif dans le

passé, de sorte que toutes les conséquences de droit quiont eu lieu sous l'empire d'une norme qui se voit annulersont anéanties; par exemple, l'annulation d'une loi pénaleemporterait l'annulation de tous les jugements ou arrêtsrendus sur sa base, ou l'annulation d'une loi civile entrai-

368 THÉORIE PURE DU DROIT

nerait l'annulation de tous les actes juridiques qui ont étéfaits et de toutes les décisions juridictionnelles qui ont étérendues sur sa base. Mais même en ce cas, il faut maintenir

que jusqu'à son annulation, la loi était valable et « en

vigueur »; elle n'était pas nulle dès le départ. Il est parconséquent inexact de qualifier la décision qui annule laloi dans ces conditions de « déclaration de nullité (Nichtig-keitserklârung) », comme c'est à tort que parfois l'organequi annule la loi déclare dans sa décision que cette loi était« nulle ab initio ». La décision du tribunal n'a pas un carac-tère simplement déclaratif; elle a un caractère constitutif.L'acte qui annule une norme, c'est-à-dire anéantit sa vali-

dité, a pour signification une norme, tout comme l'acte parlequel une norme est créée.

Si l'ordre juridique peut ainsi donner le pouvoir d'an-nuler une norme créée par un organe exclusivement à unautre ou à d'autres organes, il lui est également loisible dereconnaître à tout un chacun le pouvoir de décider si quelquechose qui se présente avec la prétention d'être une norme

juridique a objectivement cette signification, c'est-à-dire sila norme a été créée de la façon prescrite par l'ordre juri-dique et a le contenu exigé ou un contenu permis par cet

ordre, et si elle est en conséquence obligatoire pour lui.Cette solution se rencontre dans les ordres juridiques tels quele droit international général, qui n'instituent pas d'organesspéciaux pour la création et l'application des normes juri-diques. Si la décision est ainsi décentralisée, la porte estouverte à des décisions divergentes : un individu déclarera

que la norme en question est une norme juridique valable,un autre lui déniera ce caractère. Par conséquent, en tant

qu'elle porte sur la validité d'une norme, la décision pré-sente un caractère constitutif. La norme en question n'est

pas nulle ab initio. La décision qu'elle est « nulle » l'anéantitavec effet rétroactif pour le sujet qui décide. Dans les ordres

juridiques relativement centralisés non plus, avant toutdans les ordres étatiques, il ne peut pas être exclu qu'unindividu quelconque tienne pour « nul » ce qui se présentesubjectivement comme une norme juridique. Mais il ne peutle faire qu'à ses propres risques et périls, c'est-à-dire au

risque de voir l'organe compétent déclarer que ce qu'il atenu pour nul est en réalité une norme juridique valable,et de voir ordonner en conséquence contre lui-même l'ap-plication et l'exécution de la sanction prévue dans cettenorme.

DYNAMIQUE DU DROIT 369

On ne peut pas nier qu'il y a des cas dans lesquels, sans

que l'ordre juridique le dispose expressément, sans qu'unacte d'annulation particulier prévu par l'ordre juridiquesoit du tout nécessaire, «un acte », et en particulier un ordre

qui se présente avec la prétention d'être une norme juri-dique, c'est-à-dire une norme posée par un acte conformeà la norme fondamentale, pourra n'être considéré comme tel

par personne. Ainsi, la « loi » qu'édicterait un aliéné interné

dans un asile de fous. Si l'on admet que, dans de semblables

cas, il y a nullité a priori, cette nullité est étrangère audomaine du droit. Il n'est même pas du tout possible dedéterminer juridiquement ces cas. Il n'est pas possible àl'ordre juridique de régler les conditions auxquelles quelquechose qui se présente avec la prétention d'être une norme

juridique doit être considéré a priori comme nul, et non

pas comme une norme qui doive être annulée par une pro-cédure régulièrement instituée. Supposons que l'ordre juri-dique dispose par exemple qu'une norme qui n'a pas été

posée par l'organe compétent ou qui a été posée par unindividu qui n'a même pas la qualité d'organe, ou qu'unenorme dont le contenu est exclu par la Constitution, doiventêtre considérées a priori comme nulles et que par consé-

quent il n'est pas besoin d'un acte en prononçant l'annula-

tion; il reste qu'il devra déterminer qui aura à établir la

présence de ces conditions de la nullité; mais étant donné

que l'acte qui l'établira a un caractère constitutif, puis-qu'avant l'intervention de cet acte on ne peut pas affirmeren droit la nullité de la norme en question, et qu'elle appa-raît ainsi comme l'effet de cet acte, cette « constatation »,même si elle a lieu en forme de déclaration de nullité, signifieen vérité l'annulation rétroactive d'une norme considérée

jusqu'alors comme valable. A cet égard, le droit ressembleau roi Midas. Tout ce que celui-ci touchait se transformaitaussitôt en or; de façon analogue, tout ce à quoi le droita trait devient droit. Dans le cadre de l'ordre juridique,la « nullité » n'est finalement que le degré le plus élevé de1' « annulabilité ».

TITRE VI

DROIT ET ÉTAT

36. — FORMES JURIDIQUES ET FORMES POLITIQUES.

La théorie de la structure hiérarchique de l'ordre juri-

dique saisit le droit dans son mouvement, dans le processusconstamment renouvelé de son auto-création (Selbsterzeu-gung). C'est la théorie dynamique du droit; par oppositionà la théorie statique du droit, qui, elle, indifférente à sacréation même, cherche à comprendre le droit envisagécomme un ordre créé ou donné, à comprendre sa validité,son domaine de validité, etc.. Au centre des problèmes dela dynamique juridique se trouve la question des différentesméthodes de la création du droit, en d'autres termes : le

problème des formes du droit.Si l'on envisage ces normes juridiques qui forment la

principale composante d'un ordre juridique, à savoircelles qui attachent à une certaine conduite humaine la

sanction d'un acte de contrainte, et si l'on reconnaît quel'obligation juridique d'un individu à une certaine conduiteconsiste précisément en ce qu'une conduite contraire de sa

part est érigée en condition d'une sanction, on peut, d'un

point de vue dynamique, distinguer deux types de sem-blables normes juridiques établissant des obligations : cellesà la création desquelles l'individu à obliger participe; celles

qui sont au contraire posées sans sa participation.Cette distinction a pour fondement le principe de la

liberté, entendu comme l'auto-détermination (Selbstbestim-

DROIT ET ÉTAT 371

mung). La question décisive du point de vue des individus

soumis aux normes est la suivante : leur obligation naît-elleavec leur consentement, c'est-à-dire leur volonté conforme,ou apparaît-elle au contraire sans ce consentement, éventuel-lement même contre leur volonté ? C'est cette distinction

que l'on présente généralement sous les termes d'autonomieet d'hétéronomie; la doctrine a accoutumé d'établir l'anti-thèse de l'autonomie et de l'hétéronomie essentiellementsur le terrain du droit public; elle y apparaît sous la formede la distinction entre la démocratie et l'autocratie, ou entrela république et la monarchie; et elle y fournit la divisiontraditionnelle des formes politiques ou formes de gouverne-ment. Mais ce qu'on appelle forme de gouvernement ouforme politique n'est qu'un cas particulier de la forme juri-dique ou forme de droit en général : c'est la forme juridique,c'est-à-dire la méthode de création du droit, au degré suprêmede l'ordre juridique, c'est-à-dire dans le domaine de laConstitution. La notion de forme de gouvernement ou forme

politique sert à caractériser la méthode de création desnormes générales que règle la Constitution. En entendantainsi par forme politique uniquement la Constitution entant que forme de la législation, c'est-à-dire de la créationdes normes juridiques générales, et en identifiant — danscette notion de la forme politique

— l'Etat avec la Consti-

tution, conçue comme la forme de création des normes

générales, on ne fait que se conformer à la conception habi-tuelle du droit, que l'on pense en effet communément commeun système de normes générales exclusivement, sans serendre compte que l'individualisation des normes générales,le passage progressif des normes juridiques générales auxnormes juridiques individuelles, doit nécessairement entrerdans le cadre de l'ordre juridique. L'identification de la

.forme politique avec la Constitution répond parfaitementau préjugé qui réduit tout le droit aux seules lois. En vérité

cependant, le problème de la forme politique en tant quequestion de méthode de la création du droit ne se présentepas pour la législation seule, c'est-à-dire uniquement au

degré de la Constitution; il existe pour toutes les étapes et

degrés de la création du droit, en particulier pour les diffé-rents modes de création de normes individuelles : actes

administratifs, décisions juridictionnelles, actes juridiquesde particuliers, etc.

372 THÉORIE PURE DU DROIT

37. — DROIT PUBLIC ET DROIT PRIVÉ.

Une illustration particulièrement caractéristique de la

systématique de la science du droit moderne est offerte parla distinction fondamentale qu'elle opère entre droit publicet droit privé, et que l'on a déjà évoquée à plusieurs reprisesdans les pages précédentes. Il est bien connu que jusqu'àce jour on n'a pas réussi à obtenir une définition parfaite-ment satisfaisante de cette distinction.

D'après la façon de voir la plus répandue, il s'agit d'unedivision des rapports de droit : le droit privé représenteraitdes rapports entre sujets juridiquement égaux, de mêmevaleur juridique; le droit public, des rapports entre des

sujets supérieurs et des sujets inférieurs, donc entre sujetsdont les uns ont par rapport aux autres une valeur juri-

dique plus grande. Le type du rapport de droit public seraitle rapport entre l'Etat et ses sujets. L'on nomme égalementles rapports de droit privé rapports de droit purement et

simplement,—

rapports « de droit » au sens propre et étroit

du mot, et on leur oppose les rapports de droit public quel'on dénomme rapports de « puissance (Gewalt) » ou de« domination (Herrschaft) ».

Ces vues s'accordent pleinement à la tendance générale

qu'a la distinction entre droit privé et droit public à prendrela signification d'une antithèse entre droit et puissance ouforce non-juridique, ou à moitié juridique seulement, et

spécialement d'une antithèse entre droit et Etat. Mais il

faut préciser en quoi pourrait consister réellement la valeur

supérieure reconnue à certains sujets, leur supériorité parrapport à d'autres sujets. Si on y regarde de plus près, il appa-raît qu'il s'agit là d'une distinction entre des faits de créa-

tion du droit. Et la différence décisive est la même que celle

qui se trouve à la base de la distinction des formes poli-tiques : la supériorité de valeur attribuée à l'Etat, c'est-à-dire à ses organes, par rapport aux sujets, consiste en ceci

que l'ordre juridique accorde aux individus qualifiés d'or-

ganes de l'Etat, ou tout au moins à certains d'entre eux,ceux qu'on appelle des organes d'autorité (obrigkeitlicheOrgane) la faculté d'obliger les sujets par des déclarationsde volonté unilatérales (ordres, commandements, injonc-

tions). Exemple typique de rapport de droit public : l'ordre

administratif, norme individuelle posée par un organe admi-

nistratif et qui oblige juridiquement l'adressataire de la

DROIT ET ÉTAT 373

norme à une conduite conforme à l'ordre donné. En regard,le rapport typique de droit privé est l'acte juridique de

particuliers, spécialement le contrat, c'est-à-dire les normesindividuelles créées par contrat et qui obligent juridique-ment les parties contractantes à une conduite réciproquedéterminée. Alors que, dans le contrat, les sujets qu'il s'agitd'obliger prennent part à la création des normes qui les

obligent— c'est en effet en cela que consiste l'essence de

la création contractuelle du droit — dans l'ordre adminis-

tratif, en droit public, le sujet à obliger ne participe absolu-ment pas à la création de la norme qui l'oblige. On a iciun cas-type de création de normes suivant une méthode

autocratique; alors que le contrat de droit privé représente,lui, une méthode typiquement démocratique de créationdu droit. Et c'est bien en conséquence de cette vue quedéjà la doctrine ancienne nommait la sphère des actes juri-diques de particuliers : sphère de l'autonomie privée.

38. — LE CARACTÈRE IDÉOLOGIQUEDU DUALISME DU DROIT PUBLIC

ET DU DROIT PRIVÉ.

Si l'on comprend que la différence décisive entre droit

public et droit privé est celle de deux méthodes de créa-tion du droit, si l'on reconnaît que les « actes publics del'Etat (ôffentliche Akte des Staates) » sont des actes de droitexactement comme le sont les actes juridiques de particu-liers, et si, avant tout, l'on saisit que les actes qui consti-tuent le fait créateur de droit ne sont, dans l'une commedans l'autre hypothèse, que la continuation du processus dece que l'on appelle la formation de la volonté étatique, queles actes d'autorité, aussi bien que les actes juridiques pri-vés, ne font rien autre chose que réaliser l'individualisationde normes générales

— les premiers de lois administratives ;les seconds, du Code civil —, il ne paraîtra nullement si

paradoxal que, de son point de vue universaliste, qui prendtoujours pour objet la totalité du droit, —

que l'on donne

pour la « volonté de l'Etat », la théorie pure du droit enseigneque l'acte juridique de particuliers est, tout comme l'ordre

autoritaire, un acte de l'Etat, c'est-à-dire un fait créateurde droit, attribuable à l'unité de l'ordre juridique. Par là,la théorie pure du droit relativise l'antithèse du droit privéet du droit public, dont la science juridique traditionnelle

374 THÉORIE PURE DU DROIT

fait une antithèse absolue; d'une distinction extra-systéma-

tique, puisqu'elle est entre droit et non-droit, entre droit

et Etat, elle la transforme en une distinction intra-systéma-

tique; et elle s'affirme comme une science précisément parce

qu'elle dissout également l'idéologie qui est liée à l'absolu-

tisation de l'antithèse en question. En effet, en présentantl'antithèse du droit public et du droit privé comme l'anti-

thèse absolue de la force et du droit, ou tout au moins de la

puissance de l'Etat et du droit, on suscite dans les espritsla représentation que, dans le domaine du droit public, en

particulier dans les domaines du droit constitutionnel et du

droit administratif, —spécialement importants du point de

vue politique, le principe du droit n'aurait pas validité avec

la même signification et avec la même intensité que dans le

domaine du droit privé, que l'on tient pour ainsi dire pourle véritable domaine du droit. En droit public régnerait,non pas tant, comme en droit privé, le droit strict, quebien plutôt l'intérêt de l'Etat, le bien public; et l'impératif

majeur serait de réaliser ceux-ci en toutes circonstances.

Par suite, la position des organes exécutifs en face des

normes générales serait autre dans le domaine du droit

public que dans le domaine du droit privé. Dans le second,elle serait application liée de lois à des cas concrets; dans

le premier, elle serait réalisation libre du but de l'Etat,

simplement dans le cadre de la loi, ou même, si besoin,c'est-à-dire dans le cas d'état de nécessité, contre la loi.

Une analyse critique montre cependant que toute cette

différenciation ne trouve aucune base dans le droit positif,dès lors qu'elle veut dépasser la simple affirmation qu'enrègle générale, l'activité des organes de législation, des

organes de gouvernement et des organes administratifs ne

serait liée par des règles législatives que dans une mesuremoindre que ne l'est l'activité des tribunaux, — ou, en

d'autres termes, que le droit positif n'accorderait à ces

derniers le plus souvent qu'une mesure de pouvoir discré-tionnaire moindre qu'il ne fait au premier groupe d'organes.En outre d'ailleurs, la théorie d'une différence essentielle

entre droit public et droit privé s'embarrasse dans cette

contradiction qu'elle présente cette liberté à l'égard du droit,

qu'elle revendique pour le domaine du « droit » public en

tant que domaine de vie de l'Etat, comme un principe de

droit, comme une caractéristique spécifique du droit public.Par conséquent, dans la meilleure hypothèse, elle devrait

parler simplement de deux domaines juridiques organisés

DROIT ET ÉTAT 375

techniquement de façon différente, mais non pas d'une anti-

thèse essentielle, absolue, entre l'Etat et le droit. Mais la

vérité est que la thèse dualiste, logiquement tout à fait

insoutenable, n'a nullement un caractère théorique; c'est

une thèse idéologique. Développée par la doctrine du cons-

titutionnalisme, elle vise à assurer au gouvernement et à

l'appareil administratif qui lui est soumis une liberté quisoit pour ainsi dire déduite de la nature des choses; une

liberté, non pas à l'égard du droit, ceci serait finalement

impossible, mais à l'égard de la loi, c'est-à-dire des normes

générales créées par la représentation nationale ou avec sa

participation essentielle; et en affirmant cette liberté, ellen'entend pas dire simplement qu'une liaison très pousséedes organes gouvernementaux et administratifs à la loiserait contraire à la nature même de leurs fonctions, mais,bien plus, que, là où elle existe cependant, elle est suscep-tible d'être écartée le cas échéant. Avec l'antithèse habi-tuelle entre gouvernement et Parlement, cette tendance nese rencontre pas seulement dans les monarchies constitu-

tionnelles; elle se retrouve également dans certaines Répu-bliques démocratiques.

D'autre part, l'absolutisation de l'antithèse entre droit

public et droit privé suscite également dans les esprits l'idée

que la domination politique n'existe que dans le seul domainedu droit public, c'est-à-dire avant tout du droit constitu-tionnel et du droit administratif, qu'elle est au contrairetout à fait étrangère au domaine du droit privé. Comme onl'a déjà montré dans un passage antérieur, toute cette anti-thèse entre le « politique » et le « privé » n'existe pas dans ledomaine des droits subjectifs; les droits privés sont desdroits politiques au même sens que ceux auxquels seulson a l'habitude de réserver ce nom; d'une façon différentesans doute, les deux catégories de droits accordent une parti-cipation à ce qu'on appelle la « formation de la volonté del'Etat », c'est-à-dire à la domination politique. Cette distinc-tion radicale entre une sphère juridique publique, qui serait

politique et une sphère juridique privée, qui serait a-politique,tend à empêcher que l'on s'aperçoive que le droit « privé »créé par voie de contrats entre particuliers est un théâtrede domination politique tout autant que le droit public créé

par la législation et par l'administration. Seulement, ce quel'on nomme droit privé, ce complexe de normes où l'insti-tution juridique de la propriété individuelle ou privée occupeune place centrale, est, si on l'envisage du point de vue

376 THÉORIE PURE DU DROIT

de la fonction que remplit cette partie de l'ordre juridiquedans l'édifice total du droit, une forme de création de normes

juridiques individuelles adéquate au système économiquecapitaliste. Elle répond au principe de l'auto-détermination,et elle a en ce sens un caractère démocratique. Mais au

degré de la création des normes juridiques générales, ce

système économique peut présenter aussi bien un caractère

autocratique qu'un caractère démocratique. Les Etats capi-talistes les plus importants de notre temps ont sans doutedes Constitutions démocratiques, mais —• l'histoire le montre— les monarchies absolues aussi peuvent parfaitement con-sacrer l'institution de la propriété privée et une création denormes juridiques individuelles reposant sur le principe del'auto-détermination. Dans le cadre de l'ordre juridiqued'un système économique socialiste, à supposer qu'il n'ad-mette que la propriété collective, il est parfaitement possibleque la création de normes juridiques individuelles soit entiè-rement et uniquement autocratique, l'acte administratif dedroit public prenant la place que tient dans les ordres capi-talistes le contrat de droit privé. Mais ce système, lui aussi,

peut se combiner tout aussi bien avec une création démo-

cratique des normes juridiques générales qu'avec une créa-tion autocratique de ces normes, c'est-à-dire aussi bien avecune Constitution démocratique qu'avec une Constitution

autocratique de l'Etat (1). Faute de se représenter exacte-ment la structure hiérarchique du droit, on n'a pas sureconnaître que les normes de la création du droit peuventêtre diversifiées selon les degrés d'un seul et même ordre

juridique : une création démocratique des normes généralespeut parfaitement être associée à une création autocratiquedes normes individuelles ; et inversement, une création auto-

cratique des normes générales, être associée à une création

démocratique des normes individuelles (2).

39. — LE DUALISME TRADITIONNEL

DE L'ÉTAT ET DU DROIT.

Dans cette antithèse que la théorie juridique tradition-nelle établit entre droit public et droit privé, se manifeste

(1) Cf. KELSEN,Foundations of Democracy, Ethics, An InternationalJournal of Social Political and Légal Philosophy, publié par les Editionsde l'Université de Chicago, vol. LXVI, n° 1, II, 1955, p. 1-101.

(2) Cf. KELSEN,Allgemeine Staatslehre, 1925, p. 316 sqq., et GeneralTheory of Law and State, 1945, p. 283 sqq.

DROIT ET ÉTAT 377

de la façon la plus claire le puissant dualisme qui dominela science juridique moderne, et avec elle toute notre penséesociale : le dualisme de l'Etat et du droit. Lorsque la théorietraditionnelle du droit et de l'Etat oppose l'Etat au droitcomme un être différent de lui et qu'elle le présente cepen-dant en même temps comme un être juridique, elle arriveà ce résultat par le fait qu'elle considère l'Etat comme un

sujet d'obligations juridiques et de droits, c'est-à-dire commeune personne, et qu'en même temps elle lui attribue uneexistence distincte de cet ordre juridique.

De même qu'originairement, la doctrine de droit privéadmettait l'idée que la personnalité juridique de l'individuétait logiquement et temporellement antérieure au droit

objectif, c'est-à-dire à l'ordre juridique, de même la doc-trine de droit public admet que l'Etat, en tant qu'unitécollective apparaissant comme un sujet de volonté et d'ac-

tion, existe indépendamment du droit et même, bien plus,avant le droit. Mais enseigne-t-elle, l'Etat remplit sa mis-sion historique en créant le droit, « son » droit, l'ordre juri-dique objectif, pour ensuite s'y soumettre lui-même, c'est-à-dire pour s'obliger et s'habiliter lui-même par son propredroit. Ainsi, tout ensemble, le droit présuppose l'Etat, être

métajuridique, sorte de macro-individu très puissant, ou

organisme social, et l'Etat est un sujet de droit qui pré-suppose le droit, parce qu'il est soumis à celui-ci, obligé ethabilité par lui. C'est la théorie des deux aspects et de

l'auto-obligation de l'Etat, qui, en dépit des contradictionsimmédiatement évidentes et saisissables qu'on ne cesse delui reprocher, continue à s'affirmer contre toutes les objec-tions avec une obstination sans exemple.

40. — LA FONCTION IDÉOLOGIQUE DU DUALISME

DE L'ÉTAT ET DU DROIT.

La théorie traditionnelle de l'Etat et du droit ne peutpas renoncer à cette théorie; elle ne peut pas renoncer à lathèse du dualisme de l'Etat et du droit qui se manifesteen elle. Car cette thèse remplit une fonction idéologiqued'une importance extraordinaire, telle même que l'on nepeut pas la surestimer. Il faut que l'on se représente l'Etatcomme une personne distincte du droit afin que le droitpuisse justifier cet Etat —

qui crée le droit et qui se soumetà lui. Et le droit ne peut justifier l'Etat que si l'on sup-

25. THÉORIEPUREDUDROIT.

378 THÉORIE PURE DU DROIT

pose qu'il est un ordre essentiellement différent de l'Etat,

opposé à la nature originaire de celui-ci —qui est : la force,

la puissance— et, pour cette raison, un ordre en quelque

sens juste ou satisfaisant. De la sorte, d'un simple fait de

puissance ou de force, l'Etat devient l'Etat de droit, qui se

justifie par le fait qu'il réalise le droit. Dans la même mesureoù une légitimation métaphysico-religieuse de l'Etat perdson efficacité, cette théorie de l'Etat de droit devient néces-sairement la seule justification possible de l'Etat. Cette« théorie » fait de l'Etat, en tant qu'elle le présente comme

une personne juridique, un objet de connaissance juridique,un objet de la théorie du droit public; mais en même temps,elle affirme avec la plus extrême insistance que l'Etat ne

peut pas être conçu juridiquement, parce qu'en tant que

puissance, il est quelque chose d'essentiellement différent du

droit : cette énorme contradiction ne lui porte aucun pré-judice : il est vrai que pour les théories idéologiques les con-

tradictions qui leur sont nécessairement inhérentes ne signi-fient pas un obstacle sérieux. Car les idéologies ne tendent

pas véritablement à approfondir la connaissance, mais seu-lement à déterminer la volonté. La théorie que l'on vient dediscuter ne se propose pas tellement de saisir l'essence del'Etat que bien plutôt de renforcer son autorité.

41. — L'IDENTITÉ DE L'ÉTAT ET DU DROIT.

a) L'Etat, ordre juridique.

Pour une connaissance de l'Etat exempte de toute idéo-

logie et qui écarte par conséquent toute métaphysique ettoute mystique, il n'y a qu'une seule façon d'appréhenderl'essence de cette formation sociale : c'est de la concevoir— ainsi qu'on a déjà fait dans les analyses précédentes

comme un ordre de la conduite humaine. Il est courant de

caractériser l'Etat comme une organisation politique. Mais

cela équivaut à le donner ou poser comme un ordre de

contrainte. Car l'élément spécifiquement « politique » de

cette organisation consiste dans la contrainte que certainsindividus exerceront contre d'autres individus et que cet

ordre règle, ou, si l'on préfère, il consiste dans les actesde contrainte que cet ordre institue. Ce sont précisémentces actes de contrainte que l'ordre juridique attache aux

conditions qu'il détermine. En tant qu'organisation poli-

tique, l'Etat est un ordre juridique. Mais tout ordre juri-

DROIT ET ÉTAT 379

dique n'est pas un Etat : ni l'ordre juridique pré-étatique \

des sociétés primitives, ni l'ordre juridique international,'

supra-étatique ou inter-étatique, ne représentent un Etat.

Pour être un Etat, il faut que l'ordre juridique ait le carac-

tère d'une organisation au sens plus étroit et plus spéci-

fique de ce mot, c'est-à-dire qu'il institue pour la création

et l'application des normes qui le constituent des organes

spécialisés ; il faut qu'il présente un certain degré de centra-

lisation. L'Etat est un ordre juridique relativement cen-tralisé.

Par ce trait, par sa centralisation, les ordres juridiquesétatiques se distinguent et des ordres juridiques primitifs

pré-étatiques et de l'ordre juridique supra- ou inter-étatiquedu droit international général. D'après l'un comme d'aprèsl'autre de ces deux groupes d'ordres juridiques, leurs normes

générales ne sont pas posées par un organe législatif central;elles le sont par voie de coutume : la procédure de la créa-tion des éléments généraux de l'ordre juridique y est décen-tralisée. De même, ces ordres juridiques pré-étatiques ou

internationaux n'instituent pas de tribunaux qui soient com-

pétents pour appliquer les normes générales aux cas concrets,ce sont leurs sujets eux-mêmes qu'ils habilitent à accomplircette fonction, et en particulier à réaliser eux-mêmes leurs

sanctions, c'est-à-dire à se faire justice à eux-mêmes. Dansles droits primitifs, ce sont les membres de la famille del'assassiné qui exercent la vendetta contre le meurtrier etles membres de sa famille, c'est-à-dire qui sont habilitésà exécuter cette forme primitive de la peine; de même, c'estle créancier lui-même qui est autorisé à mettre la mainsur le débiteur défaillant pour se procurer satisfaction en

prenant une manière de gage— forme primitive de l'exécu-

tion civile. D'après le droit international général, ce sontles gouvernements des Etats qui sont habilités à recourirà la guerre ou à des représailles

— ces sanctions du droitinternational — contre l'Etat qui viole le droit, et ceciveut dire en réalité : contre les sujets de l'Etat dont le gou-vernement a violé le droit. Sans doute, aussi bien dans lecas du droit pré-étatique que dans le cas du droit supra-(ou inter-) étatique, les individus qui créent le droit parvoie de coutume, ceux qui appliquent le droit, ceux quiexécutent les sanctions instituées par lui, sont des organesdu droit, et comme tels des organes de la collectivité juri-dique. Mais ce ne sont pas des organes spécialisés, ce nesont pas des organes centraux, comme le sont le gouverne-

380 THÉORIE PURE DU DROIT

ment, l'organe législatif ou les tribunaux institués par les

ordres juridiques, étatiques. L'ordre juridique des sociétés

primitives et l'ordre juridique international général sont

des ordres de contrainte complètement décentralisés et,

précisément pour cette raison, ne sont pas des Etats.

Si l'on conçoit l'Etat comme une collectivité sociale, cette

collectivité ne peut être fondée — on l'a exposé précédem-ment (1)

—que par un ordre normatif. Etant donné que

seul un tel ordre peut fonder une collectivité (en réalité,elle se confond même avec cet ordre), l'ordre normatif quifonde l'Etat ne peut être que l'ordre de contrainte relative-

ment centralisé que nous avons reconnu être l'ordre étatique.En tant que collectivité sociale, l'Etat se compose, d'après

la théorie de l'Etat traditionnelle, de trois éléments : le

peuple, le territoire, et la puissance publique qui est exercée

par un gouvernement d'Etat indépendant. Ces trois élé-

ments ne se laissent les uns comme les autres définir que

juridiquement; autrement dit, on ne peut les concevoir quecomme des données concernant la validité et les domaines

de validité d'un ordre juridique.

a) Le peuple de l'Etat (Staatsvolk). Ce sont les indi-

vidus qui font partie de l'État.

Pourquoi un ensemble d'individus font-ils partie d'un

Etat déterminé ? On ne peut trouver qu'un seul critérium,

pour donner la réponse : c'est le fait que cet ensemble d'in-

dividus, et chacun de ses membres pris individuellement,sont soumis à un certain ordre de contrainte, qui est rela-

tivement centralisé. Toutes les tentatives pour trouver un

autre lien qui fasse une unité cohérente de ce grand nombre

d'hommes, alors qu'ils peuvent différer par la langue, par la

race, par la religion ou les croyances, et être séparés par des

antagonismes de classe et divers autres conflits d'intérêts,toutes ces tentatives sont nécessairement vouées à l'échec.

Il n'est en particulier pas possible de faire apparaître aucune

sorte d'interaction psychologique qui, indépendamment de

tous liens juridiques, unirait tous les hommes qui font par-tie d'un Etat, et permettrait de les distinguer des hommes quifont partie d'un autre Etat et qui, réunis de leur côté parinteraction analogue, constitueraient un autre groupe. Il est

indéniable qu'il n'existe aucune interaction de cette sorte

qui lie les uns aux autres et unisse tous les hommes ressortis-

(1) Cf. supra, p. 119 et p. 200.

DROIT ET ÉTAT 381

sants d'un même Etat, et eux seuls ; et que, sur le terrain

de l'interaction psychologique réelle, souvent des hommes

qui ressortissent d'Etats différents sont liés les uns aux

autres de façon beaucoup plus intense que des individus

qui font partie d'un même Etat. Car ce n'est que sur le

plan du droit, juridiquement, qu'ils font partie de cet Etat.

Assurément, ils sont parfois— comme on dit habituelle-

ment — liés à leur Etat également dans leur âme, sentimen-

talement; ils l'aiment, même ils le divinisent, ils sont prêtsà mourir pour lui. Mais même dans le cas contraire, mêmes'ils haïssent leur Etat, voire même le trahissent, ou lors-

qu'ils leur est complètement indifférent, ils en font partie.La question de savoir si un individu ressortit d'un Etat n'est

pas une question psychologique, une question de sentiments ;c'est une question de droit. On ne peut pas trouver le principed'unité des hommes qui forment le peuple d'un Etat ailleurs

que dans le fait qu'un seul et même ordre juridique est en

vigueur pour tous ces hommes, et règle leur conduite. Le

peuple de l'Etat, c'est le domaine de validité personnel del'ordre juridique étatique.

b) Le territoire de l'Etat (Staatsgehiet) est un espacenettement délimité.

Ce n'est pas un morceau nettement délimité de la surface

terrestre, mais un espace à trois dimensions, dont font par-tie et le sous-sol qui se trouve au-dessous et l'espace aérien

qui se trouve au-dessus du territoire compris à l'intérieurde ce qu'on appelle les frontières de l'Etat. — Il est par-faitement évident que l'unité de cet espace n'est pas uneunité naturelle géographique. A un seul et même espaceétatique peuvent appartenir des territoires qui sont sépa-rés par la mer, laquelle n'est pas le territoire d'un seul, d'un

quelconque Etat, ou séparés par le territoire d'un autreEtat. Ce n'est pas une connaissance relevant d'une sciencede la nature qui peut répondre à la question de savoir

d'après quoi se déterminent les limites de l'espace étatique,ce qui constitue son unité : c'est seulement une connais-sance d'ordre juridique. On ne peut définir ce que l'on

appelle le territoire de l'Etat que d'une seule façon : c'estle domaine de validité territorial d'un ordre juridique éta-

tique (1).— On se contentera de noter ici que les problèmes

(1) Cf. KELSEN, Der soziologische und der juristische Staatsbegriff,2e éd., Tubingen, 1928.

382 THÉORIE PURE DU DROIT

de la centralisation et de la décentralisation constituent un

point particulier de la question générale du domaine devalidité spatial des normes qui composent l'ordre juridique :c'est le problème de la nature de ces formations juridiquesqui résultent d'une organisation ou division territoriale del'Etat (1). Peuvent être conçus sous cet angle la décentra-lisation administrative, les corps d'administration auto-

nome, les Provinces ou Pays, les fragments d'Etats, etc.,mais également toutes les Unions d'Etats.

Par ailleurs, la théorie de l'Etat traditionnelle négligele fait que l'Etat n'a pas seulement une existence spatiale,mais a également une existence temporelle,

—que, si l'espace

doit être considéré comme un élément de l'Etat, il en vade même du temps,

—que comme elle l'est dans l'espace,

l'existence de l'Etat est limitée également dans le temps,puisque les Etats naissent et disparaissent. Et, de même

que l'existence de l'Etat dans l'espace est le domaine devalidité spatial de l'ordre juridique étatique, l'existence del'Etat dans le temps est le domaine de validité temporelde cet ordre. Et de même que la question des limites terri-toriales de l'Etat, la question de ses limites temporelles,c'est-à-dire la question de savoir quand un Etat commenced'exister et quand il cesse d'exister, est une question de

droit, et non pas une question que l'on puisse résoudre parla connaissance de quelque réalité naturelle. C'est le droitinternational général

— nous aurons à revenir sur ce point—•

qui détermine le domaine de validité spatial et temporeldes ordres juridiques étatiques, qui les délimite les uns parrapport aux autres et qui rend ainsi juridiquement pos-sible la coexistence des Etats dans l'espace, comme leursuccession dans le temps.

c) Il se comprend presque de soi-même que ce que l'on

appelle la puissance de l'Etat, la puissance publique(Staatsgewalt), et qui est exercée par le gouvernement

— latosensu — de l'Etat sur le peuple de l'Etat à l'intérieur du

territoire de l'Etat n'est pas simplement toute puissance,tout pouvoir qu'un individu quelconque exerce effective-ment sur un autre individu, et qui consiste en ceci qu'il est

capable d'amener cet autre individu à se conduire commeil le désire. De tels rapports de puissance effectifs, il en

existe beaucoup, sans que l'on songe à considérer celui qui

(2) Cf. infra, p. 412 sqq.

DROIT ET ÉTAT 383

exerce une telle puissance sur quelque autre comme un

Etat ou un organe étatique. Ce par quoi le rapport que l'on

appelle pouvoir d'Etat, puissance publique, se distingued'autres rapports de puissance, c'est le fait qu'il est juridi-

quement réglé, c'est-à-dire que les individus qui exercent

le pouvoir à titre de gouvernement— lato sensu — de

l'Etat sont habilités par un ordre juridique à exercer le

pouvoir par la création et l'application de normes juridiques;autrement dit, c'est, en bref, le fait que le pouvoir d'Etat

a un caractère normatif. Ce qu'on appelle la puissance

publique est la validité d'un ordre juridique étatique effec-

tif. On affirme que l'on ne peut considérer un appareil d'or-

ganes exerçant la puissance publique comme un gouverne-ment étatique

— lato sensu —que s'il est indépendant ; il faut

entendre par là qu'il faut qu'il ne soit pas juridiquementlié par aucun autre ordre juridique étatique, et que si

l'ordre juridique étatique est subordonné à quelque autre

ordre juridique, c'est uniquement et exclusivement à l'ordre

juridique international.On est accoutumé de voir dans l'exercice de la puissance

publique une expression de la force, cette force que l'on

tient pour un attribut si essentiel de l'Etat que l'on caractérise

précisément l'Etat comme une force, comme une puissance, et

que l'on appelle les Etats des « puissances », même lorsqu'ilne s'agit pas d'une « grande puissance ». La « puissance »

de l'Etat ne peut se manifester que dans les moyens de

puissance spécifiques qui sont à la disposition du gouver-nement : fortifications et prisons, canons et potences,hommes en uniforme de policiers ou de soldats. Mais ces

fortifications et ces prisons, ces canons et ces potences sont

des objets inanimés, des choses inertes; ils ne deviennent

des instruments de la puissance étatique que par le fait

qu'ils sont manipulés par des hommes conformément aux

ordres qui leur sont donnés par le gouvernement, donc si

les policiers et les soldats obéissent aux normes qui règlentleur conduite. —- La puissance de l'Etat n'est pas une force

ou une instance mystiques, qui serait dissimulée derrière

l'Etat ou derrière son droit; elle n'est rien d'autre que l'effi-

cacité de l'ordre juridique étatique.Ainsi, l'Etat dont les éléments essentiels sont le peuple,

le territoire et le pouvoir, se définit comme un ordre juri-

dique relativement centralisé, limité dans son domaine de

validité spatial et temporel, soumis immédiatement au droit

international, et efficace dans l'ensemble et généralement.

384 THÉORIE PURE DU DROIT

d) L'Etat, personne juridique.

Le problème de la qualité de personne juridique de l'Etat,c'est-à-dire le problème de sa qualité de sujet agissant etde sujet d'obligations et de droits, est pour l'essentiel lemême problème que celui de la qualité de personne juridiquedes corporations. En effet, l'Etat aussi est une corporation,c'est-à-dire une collectivité qui est fondée par un ordre nor-

matif et qui institue des organes spécialisés qui sont dési-

gnés de façon directe ou indirecte pour exercer leurs fonc-

tions; et l'ordre qui fonde cette collectivité est l'ordre juri-dique qui est qualifié d'ordre juridique national ou étatique,

par opposition à l'ordre juridique international, c'est-à-direau droit des gens. De même que les corporations fondées

par des statuts sont soumises à l'ordre juridique étatique,qui leur impose

— en tant que personnes juridiques— des

obligations et leur accorde des droits, de même l'Etat peutêtre considéré comme soumis au droit des gens, qui lui

impose des obligations et lui accorde des droits en qualitéde personne juridique. Et ainsi, de même que pour les cor-

porations soumises à l'ordre juridique étatique, on peut dis-

tinguer également en ce qui concerne l'Etat, en tant quecorporation soumise au droit international, des obligationset des droits externes, et des obligations et des droits internes;les premiers sont établis par le droit international, lesseconds sont établis par l'ordre juridique étatique. Dans les

pages qui suivent, on commencera par se limiter au seul

problème de la qualité de personne juridique de l'Etat, enfaisant abstraction du droit international qui lui impose des

obligations et lui accorde des droits.

a) L'Etat, sujet agissant; l'organe étatique.

Si l'on présente l'Etat comme un sujet agissant, si l'ondit que l'Etat a fait ceci ou cela, surgit la question de savoir

quel est le critérium d'après lequel les actes faits par cer-tains hommes sont attribués à l'Etat et qualifiés d'actes

étatiques ou de fonctions étatiques, ou, ce qui revient au

même, pourquoi certains individus sont considérés comme

organes de l'Etat en tant qu'ils accomplissent certainsactes. La réponse à cette question est la même que celle quia été donnée précédemment à la question analogue pour les

corporations, personnes juridiques soumises à l'ordre éta-

tique. L'attribution de la conduite d'un certain individu

DROIT ET ÉTAT 385

à la collectivité fondée par l'ordre juridique de l'Etat

exprime tout simplement le fait que cette conduite est pré-vue dans cet ordre comme condition ou comme conséquencede droit. Etant donné que le problème de l'Etat personne

agissante, et en particulier personne exécutant des obliga-tions juridiques et exerçant des droits subjectifs, est un

problème d'attribution, on ne comprend le véritable sens

du problème que si l'on a conscience de la nature de cette

opération mentale.

A la différence de la question de savoir si tel individu a

accompli telle action, la question de savoir si une certaine

conduite, en particulier un certain acte, une certaine fonction,sont la conduite de l'Etat, un acte étatique ou une fonction

étatique, c'est-à-dire si c'est alors l'Etat qui, en tant que per-

sonne, fait un acte ou remplit une fonction, cette questionne porte pas sur l'existence d'un fait, — Si elle était

une question de fait, elle ne pourrait jamais recevoir une

réponse affirmative. Car, effectivement et dans la réalité,ce n'est jamais l'Etat qui agit, qui fait des actes ou qui

remplit des fonctions ; ce sont toujours des individus, et seule-

ment des individus. L'idée que la question de savoir si l'on

a affaire à un acte étatique ou à une fonction étatique porte-rait sur l'existence d'un fait et comporterait la réponse

qu'un acte ou une certaine fonction est ou au contraire n'est

pas un acte étatique ou une fonction étatique, cette idée

ne peut être acceptée ou professée que par ceux qui pré-sentent l'Etat, considéré comme personne agissante, comme

une sorte de surhomme, c'est-à-dire par ceux qui hyposta-sient cette construction auxiliaire que représente la per-sonne. Certains juristes de droit public ont conçu de la sorte

la question de savoir si la législation est une fonction éta-

tique, pour y répondre ensuite, les uns dans un sens affir-

matif, les autres dans un sens négatif. Mais en vérité, l'Etat

personne agissante n'a rien d'une réalité; il représente sim-

plement une construction auxiliaire de la pensée juridique;et en conséquence il est exclu que la question de savoir siune fonction est ou non une fonction étatique porte sur

l'existence d'un fait. Lui donner ce sens ainsi qu'à la réponsequi y est faite, c'est la mal poser et y donner une réponseerronée. Posée de façon correcte, elle ne peut signifier quela chose suivante : telle fonction remplie par un certain

individu peut-elle être attribuée à l'Etat, et à quellesconditions?

Pour une analyse qui a pour objet le droit, une fonction

386 THÉORIE PURE DU DROIT

ne peut être reconnue comme fonction de l'Etat que si elleest prévue et réglée dans l'ordre juridique, c'est-à-dire sielle constitue une fonction juridique, en un sens étroit ou enun sens plus large du terme. Car, on se le rappelle, l'attri-bution à la personne de l'Etat d'une fonction prévue dansl'ordre juridique et remplie par un certain sujet exprime

simplement qu'on rapporte cette fonction à l'unité de l'ordre

juridique qui la prévoit ; et en conséquence, toute fonction

réglée dans l'ordre juridique peut être attribuée à l'Etat

en tant qu'il est la personnification de cet ordre juridique.En d'autres termes : l'on peut, en usant d'une métaphore,dire de toute fonction réglée dans l'ordre juridique quec'est l'Etat en tant que personne juridique qui la remplit.Car cette formule signifie tout simplement que la fonction

est prévue et réglée dans l'ordre juridique ; — rien de plus.De cette métaphore, il est loisible d'user, mais cela n'estnullement nécessaire : l'on peut aussi bien décrire les faitssans y recourir; l'on en use lorsque l'on considère pour unmotif quelconque qu'il y a avantage à le faire. Puisque le

problème de l'Etat personne agissante est un problèmed'attribution et que cette attribution s'exprime dans le lan-

gage courant, —lorsque l'on veut répondre à la question

de savoir si une fonction déterminée est une fonction éta-

tique, il faut commencer par établir si, dans le langage cou-

rant, on attribue cette fonction à l'Etat. Malheureusement,ce langage ni n'est unitaire ni conséquent. Pour revenir à la

question de savoir si la législation est une fonction étatique,on constate que d'une façon générale, on la représente biencomme telle, c'est-à-dire qu'on attribue la fonction législa-tive à l'Etat. Cependant beaucoup d'auteurs ne le font pas.Ils refusent d'interpréter la législation comme une fonction

étatique (1). Il n'y a rien à redire à cela : ils usent ainsi deleur liberté. Par contre, ils se trompent si, ce disant, ils

pensent qu'à la différence d'autres fonctions, la législationn'est effectivement pas assurée par l'Etat —

que, sans doute,l'Etat peut conclure des traités internationaux, punir des

criminels, exploiter des chemins de fer, mais qu'il ne peutpas faire des lois. Le véritable sens de leur position négativeest que, pour un motif quelconque, ils ne font pas usage,dans le cas de la législation, de la possibilité, qui existe éga-

(1) C'est ce que j'ai fait moi-même en 1911 dans mes Hauptproblemeder Staatsrechtslehre, p. 465 sqq., en analysant la législation commeune fonction, non de l'Etat, mais de la société.

DROIT ET ÉTAT 387

lement pour elle, de l'attribuer à l'Etat — comme on n'at-

tribue habituellement pas à l'Etat les faits illicites prévusdans l'ordre juridique —, alors qu'ils pourraient cependantle faire, exactement au même sens où on attribue à l'Etat

une fonction quelconque, traduisant ainsi tout simplementle fait que la donnée en question est prévue et réglée dans

l'ordre juridique qui fonde la collectivité.

Mais considérons l'usage terminologique en question :

demandons-nous à quelles conditions certaines fonctions pré-vues dans l'ordre juridique national sont, dans la langue

juridique, attribuées à l'Etat, lorsque l'on dit que l'Etat

remplit telle fonction par l'intermédiaire d'un individu agis-sant comme son organe. On constatera que, d'une façon

générale, une fonction prévue dans l'ordre juridique n'est

attribuée à l'Etat, n'est interprétée comme une fonction

étatique, que lorsqu'elle est remplie par un individu spé-cialisé qui y est appelé conformément à l'ordre juridique,ou — cela revient au même —

qu'un individu n'est consi-

déré comme organe étatique que lorsqu'il est appelé à rem-

plir cette fonction par une procédure réglée dans l'ordre

juridique. En rapportant la fonction à l'unité de l'ordre juri-

dique qui la prévoit, et en l'imputant ainsi à la collectivité

fondée par cet ordre juridique, à l'Etat, en la présentantcomme une fonction de l'Etat, on personnifie cet ordre

juridique. L'Etat en tant qu'ordre social est l'ordre juri-

dique que l'on a caractérisé ci-dessus, l'ordre juridiquenational —

que l'on distingue de l'ordre juridique interna-

tional. L'Etat en tant que personne est la personnificationde cet ordre juridique national, Mais, comme on l'a expliqué

précédemment, il faut observer qu'à côté de cette notion de

l'Etat intervient fréquemment une seconde notion, diffé-

rente sans doute, de celle que l'on vient de rappeler, et

néanmoins très étroitement liée à elle, puisqu'elle y est

incluse. Selon cette seconde notion aussi, lorsque « l'Etat » est

présenté comme une personne agissante, il est purement et sim-

plement la personnification d'un ordre juridique; mais, alors

qu'avec la première notion, c'était de l'ordre juridique total,dont les normes règlent la conduite de l'ensemble des indi-

vidus vivant dans les limites du domaine de validité terri-

torial de l'Etat et qui ainsi fonde l'Etat en tant que collec-

tivité juridique, dont font partie tous les individus quihabitent sur un territoire déterminé, — avec la seconde notion,l'ordre juridique base de la personnification, est un ordre

juridique simplement partiel, celui que constituent ces

388 THÉORIE PURE DU DROIT

normes de l'ordre juridique national (étatique) qui règlentla conduite d'individus qui ont le caractère d'organes spé-cialisés et sont qualifiés de « fonctionnaires ». Cet ordre

juridique partiel fonde une collectivité partielle dont seulsces individus font partie. A cette collectivité partielle nesont attribuées que les seules fonctions de ces individus.C'est l'Etat en tant qu'appareil de fonctionnaires bureau-

cratique avec le gouvernement à sa tête. On a déjà examinéce problème de l'attribution à une personne juridique quandon a analysé la corporation, personne juridique établie sous

l'empire de l'ordre étatique. Il s'ensuit que l'on ne peut paséviter des répétitions, dans l'exposé du problème de la per-sonne étatique. Peut-être admettra-t-on qu'elles ne sont pasinjustifiées si l'on veut bien considérer que la compréhen-sion de la vraie nature de cette opération, qui joue dansla pensée juridique un rôle très important, aboutit à unerévision très sensible de conceptions traditionnelles. Cette

compréhension détruisant la représentation si trompeused'une personne étatique qui serait une substance différentedu droit, on ne saurait trop y insister pour en faire prendrepleine conscience.

D'après la théorie traditionnelle de l'Etat, les « fonctionsde l'Etat » sont au nombre de trois : législation, adminis-tration (gouvernement y compris), et juridiction. Toutestrois sont, comme on l'a montré, des fonctions juridiques,que ce soit des fonctions juridiques au sens étroit de fonc-tions de création du droit et de fonctions d'application du

droit, ou que ce soit des fonctions juridiques en un sens pluslarge, qui inclut également la fonction d'obéissance au droit.Si l'on reconnaît à la législation, c'est-à-dire à la création desnormes juridiques générales (celles d'un degré relativement

élevé), la nature de fonction étatique, c'est parce que cettefonction est remplie par un organe spécialisé, par exempleun Parlement élu suivant une procédure déterminée parl'ordre juridique; les individus qui remplissent cette fonction

législative, les membres du Parlement, n'ayant d'ailleurs pasla qualité de fonctionnaires d'Etat, —

qui a une importancedécisive pour l'attribution à l'Etat d'autres fonctions. Par

contre, dans le langage usuel, les individus qui élisent leParlement en exercice d'un droit qui leur est conféré nesont pas qualifiés d'organes étatiques, et l'on ne reconnaît

pas qu'en votant ils remplissent une fonction étatique. On

dit sans doute que l'Etat fait les lois, mais l'on ne dit pas

que l'Etat élit le Parlement; l'on pourrait cependant tout

DROIT ET ÉTAT 389

aussi bien dire ceci que cela. En effet, la fonction dont il

s'agit : la création de l'organe législatif, est une partie essen-

tielle de la procédure de création des lois. Cette procédurese divise d'abord et fondamentalement en deux étapes : la

création de l'organe par la procédure électorale, et la créa-

tion des normes générales par l'organe conformément à la

procédure de législation.Il est un fait particulièrement caractéristique de la nature

de l'attribution qui se manifeste dans l'usage terminologiquedominant, cette attribution sur laquelle repose la représen-tation de l'Etat comme personne agissante : la création denormes juridiques générales par voie de coutume n'est pasattribuée à l'Etat, on n'y voit pas une fonction étatique.Bien plus, les juristes qui affirment que l'Etat et le droitsont deux phénomènes différents l'un de l'autre invoquentle fait du droit coutumier comme argument à l'appui del'idée que le droit n'est pas créé nécessairement par l'Etat,

qu'il existe un droit qui naît de façon complètement indé-

pendante de lui. En vérité, la coutume est un mécanismede création de règles de droit prévu et réglementé par l'ordre

juridique, tout comme l'est la législation; l'on pourrait doncattribuer la création des règles de droit coutumier à l'Etat,aussi bien que celle des règles législatives. Si on ne le fait

pas, c'est uniquement pour la raison qu'à la différence de la

législation, elle n'est pas une fonction d'un organe spécialisé

appelé à cette fonction suivant une procédure particulière.Mais, on l'a noté précédemment, l'attribution de la fonctionde législation à l'Etat a lieu, alors que l'organe spécialisé

qui l'exerce n'a pas qualité de fonctionnaire étatique. Rap-pelons ici le fait, déjà évoqué en un autre contexte, que, sila création de ces normes juridiques individuelles que repré-sentent les décisions juridictionnelles est considérée commeune fonction de l'Etat, il n'en va pas de même de l'intro-duction des actions par les demandeurs ou requérants privés,alors qu'elle constitue cependant une partie essentielle dela procédure qui aboutit à la création de ces normes; laseule explication de cette double position est que les tribu-naux sont des organes spécialisés désignés pour la fonction

considérée, alors que les demandeurs privés, eux, ne pré-sentent pas ces caractères. L'explication est bien confirmée

par le fait que, lorsqu'il s'agit de décisions juridictionnellesconditionnées par une requête émanant du a ministère

public », c'est-à-dire d'agents publics nommés par le gou-vernement, — comme cela se rencontre notamment dans

390 THÉORIE PURE DU DROIT

la procédure pénale —, on considère, bien la fonction quiconsiste à saisir la juridiction, et qui est remplie par un

organe spécialisé et désigné, comme une fonction étatique.On dit alors : l'Etat accuse le criminel, de même que l'on

dit : l'Etat condamne le criminel.

Pour la même raison, on n'attribue pas non plus qualitéde fonction étatique à la création de normes juridiques géné-rales ou individuelles par voie d'actes juridiques de droit

privé : elle n'est pas l'oeuvre d'organes spécialisés, désignés,et ayant caractère de fonctionnaires publics; et cependant,la confection d'actes juridiques par des « personnes pri-vées » est, elle aussi, une fonction juridique au sens étroit,

réglementée par l'ordre juridique— tout comme le sont

la législation et la juridiction.

Comme on l'a déjà exposé en un passage précédent (1),l'activité qualifiée d'administration étatique se compose de

deux parties constitutives d'une structure juridique dif-

férente. La fonction du gouvernement, c'est-à-dire du chef

de l'Etat et des membres du cabinet, ministres ou secrétaires

d'Etat, de même que la fonction d'une grande partie des

organes administratifs subordonnés au gouvernement, est

une fonction typiquement juridique, au sens étroit du terme;elle est création ou application de normes juridiques géné-rales ou de normes juridiques individuelles qui obligent les

individus soumis au droit, les sujets, à une certaine conduite,en attachant à la conduite contraire un acte de contrainte

dont l'exécution est attribuée à l'Etat parce qu'elle a lieu

par un organe spécialisé. Si l'on admet que l'ordre juri-

dique vise à obtenir la conduite qui constitue le contenu

de l'obligation juridique fondée par la sanction, parce quela menace de la sanction devrait déterminer l'adoption de

cette conduite, et si l'on présente les fins de l'ordre juridiquecomme des fins ou buts étatiques

— de la même façon quel'on appelle le domaine de validité territorial de l'ordre juri-

dique : territoire de l'Etat —, on peut dire que le but étatiqueconsidéré est réalisé de façon indirecte, parce qu'il est réalisé

par la conduite déclarée obligatoire des individus, conduite

qui n'est pas attribuée à l'Etat. Mais pour une part— et

dans une mesure qui n'a cessé de croître au cours de l'évo-

lution—, l'activité qualifiée d'administration étatique cons-

titue une réalisation directe de buts étatiques. C'est en effet

(1) Cf. supra, p. 349 sqq.

DROIT ET ÉTAT 391

alors une conduite attribuée à l'Etat qui forme le contenu

d'obligations juridiques. La fonction attribuée à l'Etat n'est

pas, dans ce secteur de l'administration étatique, une fonc-

tion de création et d'application du droit; elle est une fonc-tion d'obéissance au droit. Les obligations dont l'exécution

spontanée par leur sujet est attribuée à l'Etat, c'est-à-dire

interprétée comme une fonction étatique, sont des obliga-tions d'organes dont la situation juridique présente descaractères particuliers, des organes spécialisés et ayant qua-lité de « fonctionnaires ». De telles fonctions de l'Etat quiréalisent directement un but étatique, cette administration

étatique directe se rencontrent lorsque, comme l'on s'ex-

prime, l'Etat ne se borne pas à provoquer un certain étatde choses en établissant des lois qui obligent les individus

qui lui sont soumis à la conduite qui représente cet état de

choses, en appliquant ces lois à des cas concrets et enréalisant les sanctions statuées dans les lois, mais lorsqu'aulieu de cela, il réalise lui-même l'état de choses qu'il désire— ceci par l'intermédiaire de ses organes, dont l'usage ter-

minologique dominant lui attribue l'action, à lui, Etat :

lorsque, dira-t-on, l'Etat construit et exploite des cheminsde fer, lorsqu'il construit des écoles et des hôpitaux, lorsqu'ildistribue l'enseignement, lorsqu'il soigne des malades, enbref : lorsque l'Etat déploie une activité économique, cul-

turelle, humanitaire, de la même façon que le font les per-sonnes privées. L' « étatisation » d'une de ces activités

signifie sa « fonctionnarisation », c'est-à-dire le fait d'enconfier l'exécution à des organes spécialisés ayant la qualitéde fonctionnaires. En quoi cette qualification consiste-t-elledonc ?

En premier lieu, ces individus sont (a) appelés à la fonc-tion qui leur est confiée (b) par le gouvernement ou par uneautorité administrative compétente (c) au moyen d'un acteadministratif (d) et ils sont soumis juridiquement au gou-vernement; en particulier, l'exercice de leur fonction est

érigé en contenu d'une obligation spécifique, l'obligation de

service, dont l'exécution est garantie par des prescriptionsdisciplinaires. — Il faut observer à cet égard que, lorsquel'activité qui se présente comme administration étatiquedirecte est érigée en obligation de service d'un organe, celan'exclut nullement que soit laissé à cet organe, dans l'exé-cution de son obligation, une sphère de pouvoir discrétion-naire plus ou moins large. Il se peut même que cette margesoit si large, le pouvoir discrétionnaire si peu limité, que

392 THÉORIE PURE DU DROIT

l'élément d'obligation semble disparaître. Il faut cependantnécessairement admettre qu'il existe, même s'il est réduit àun minimum, puisque l'on considère l'obligation de servicecomme un élément essentiel du caractère de fonctionnaire.

En second lieu, ces organes ont à exercer leur fonction :

(a) non pas seulement de façon occasionnelle et provisoire,mais de façon durable, éventuellement jusqu'à ce qu'ilsaient atteint une certaine limite d'âge, (b) et professionnel-lement, c'est-à-dire à l'exclusion d'autres activités sourcesde rémunérations, et par conséquent à titre rémunéré. Ilssont salariés par l'Etat, c'est-à-dire que la contre-presta-tion pour leurs services —

contre-prestation pécuniaire dansl'Etat moderne — est prélevée sur le patrimoine de l'Etat,ce que l'on appelle le Fisc ou Trésor public, c'est-à-dire unfonds central dont la constitution, l'emploi, l'alimentation,par les recettes, et l'appauvrissement, par les dépenses, sont

réglés par le droit. Ce Trésor public est formé essentielle-ment par les sommes provenant des impôts payés par les

sujets de droit que les lois obligent à les payer, et il estadministré par des fonctionnaires d'Etat. Ce patrimoine

étatique ne sert pas seulement à fournir les salaires ou trai-tements des fonctionnaires étatiques, mais également à per-mettre de couvrir les autres frais de l'administration éta-

tique. Si une activité d'administration étatique « directe »,telle que l'exploitation de chemins de fer d'Etat, ou le

monopole d'Etat du tabac, constitue une entreprise commer-ciale (économique), l'actif comme le passif de ces entreprisesfont partie du patrimoine étatique. On rencontre là unedifférence importante entre les activités d'administrationdirecte attribuées à l'Etat et les activités analogues de

particuliers, qui ne sont pas attribuées à l'Etat. On exami-nera ultérieurement la nature juridique du patrimoine de

l'Etat, « Fisc » ou « Trésor ».Si l'on appelle « Etat-juge » ou « Etat de justice » (Gerichts-

staat) l'Etat qui se limite, dans l'ordre intérieur, à la

législation et à la juridiction, et à la réalisation des sanc-

tions, on peut dire qu'avec l'instauration de l'adminis-tration étatique directe, l'Etat devient, d'Etat de justice,Etat de justice et d'administration. Cette transformationest le résultat d'une longue évolution qui est très étroi-tement liée à la centralisation croissante de l'ordre juri-dique, en particulier à la formation d'un organe gouverne-mental central et à l'extension de sa compétence.

L'organe de l'Etat administratif est le type pleinement

DROIT ET ÉTAT 393

réalisé du fonctionnaire étatique. A vrai dire, il existe de

nombreux modèles intermédiaires, qui ne présentent pastous les caractères indiqués ci-avant : organes étatiques quisont élus par le Parlement ou par le peuple, et non pasnommés par le gouvernement : organes étatiques qui nesont pas institués à titre permanent, ou qui ne reçoivent

pas une rémunération fixe, ou même ne reçoivent aucune

rémunération, mais exercent leurs fonctions gratuitementà titre de « fonctionnaires d'honneur (Ehrenbeamte) »;organes étatiques enfin dont la nomination a lieu, non paspar voie d'acte administratif, mais par voie de contrat dedroit civil.

La fonctionnarisation des fonctions étatiques va de pairavec le passage de l'Etat de justice à l'Etat administratif.Elle saisit tout d'abord certaines fonctions juridiques ausens étroit, en particulier la réalisation des actes de con-

trainte, — à l'intérieur de l'Etat, la fonction de police;sur le plan extérieur, la fonction internationale de guerre(armée permanente avec officiers de carrière). Mais une fois

qu'un tel appareil de fonctionnaires est créé, il peut se voirconfier des fonctions autres que les fonctions juridiques ausens spécifique et étroit. L'administration étatique devientdans une mesure croissante réalisation directe des buts del'Etat. Mais cette réalisation constitue, elle aussi, une fonc-tion juridique au sens large

—puisqu'elle est fonction

d'obéissance au droit. Dans l'administration étatique directe

aussi, l'Etat affirme son caractère juridique. Du fait quel'ordre juridique partiel qui constitue l'Etat au sens étroit,l'Etat en tant qu'appareil de fonctionnaires, avec le gouver-nement à sa tête, est une partie intégrante de l'ordre juri-dique total qui constitue l'Etat au sens large,

— l'Etatdont les sujets sont le domaine de validité personnel, le

territoire, le domaine de validité territorial de l'ordre juri-dique, et dont la puissance est l'efficacité de cet ordre juri-dique, — l'attribution à l'Etat au sens étroit inclut et im-

plique, en tant qu'elle rapporte des faits à l'unité d'unordre juridique partiel, l'attribution à l'Etat au sens large,qui rapporte des faits à l'unité de l'ordre juridique total.

Il y a également une corrélation entre le passage à l'Etat

administratif, et l'accroissement qui y est lié de l'impor-tance de l'appareil des fonctionnaires, d'une part, et d'autre

part une certaine tendance à limiter la notion d'organe éta-

tique aux organes fonctionnarisés, c'est-à-dire à limiterparallèlement l'attribution à l'Etat aux seules fonctions

26. THÉORIEPUREDUDROIT.

dy4 THEORIE PURE DU DROIT

réglementées dans l'ordre juridique qui sont remplies pardes individus spécialisés et ayant qualité de fonctionnaires.C'est bien à cette tendance qu'il faut rapporter le fait quecertains auteurs ne veulent pas reconnaître la législationparlementaire, oeuvre d'organes non fonctionnarisés, commeune fonction étatique. Il faut cependant observer que leParlement présente parfois certains traits semblables àceux qui distinguent les fonctionnaires : ainsi lorsque sesmembres reçoivent une indemnité supportée par le Trésor

public. Dans les monarchies absolues ou dans les monarchies

constitutionnelles, le chef de l'Etat est considéré comme un

organe étatique, même lorsqu'il n'est pas placé sous un

régime d'obligations de fonction. Le chef d'Etat dans les

républiques démocratiques, de même que les membres ducabinet ministériel dans les monarchies ou les républiquesont à exercer leurs fonctions, qui sont pour l'essentiel desfonctions de droit, à titre d'obligation fonctionnelle; maiscette obligation n'est pas fondée par le droit disciplinairegénéral des fonctionnaires, mais par des dispositions parti-culières qui établissent pour ces organes un régime particu-lier de responsabilité. Eux aussi sont des organes étatiques,non pas en tant que fonctionnaires étatiques, mais en tant

qu'ils remplissent à titre d'activité spécialisée une fonction

prévue et réglée dans l'ordre juridique.

P) La représentation.

Les fonctions caractérisées ci-dessus peuvent faire l'objetd'une attribution à un autre « sujet » que la personne fictiveEtat. De fait, dans le langage courant, on use égalementd'une autre attribution, qui est d'ailleurs en connexionétroite avec l'attribution à la personne étatique, si mêmeelle n'y est pas incluse. C'est celle que l'on réalise avec lanotion de représentation (Reprâsentation). Parfois sans doute,l'on identifie la qualité d'organe de l'Etat, c'est-à-dire l'at-tribution à la personne étatique que traduit la notion

d'organe étatique, et le rapport de représentation; l'on ditdes organes étatiques qu'ils « représentent (reprâsentieren) »

l'Etat. Néanmoins si l'on se sert de la notion de représenta-tion en un sens spécifique, c'est seulement pour exprimerl'attribution d'une fonction, non plus à la personne de l'Etat,mais au peuple. On dit de certains organes, par exemple du

Parlement, que dans l'exercice de leurs fonctions, ils repré-sentent le peuple. Cependant, on ne pense pas que cela

DROIT ET ÉTAT 395

exclue l'attribution de ces fonctions à la personne Etat

également, c'est-à-dire la caractérisation de ces organescomme organes étatiques. Le plus souvent, on ne parle de

représentation du peuple que si la fonction est remplie parun organe élu par le peuple. Cependant, la langue usuelle

n'est pas parfaitement conséquente. D'une part, on admet

parfois qu'il y a représentation du peuple également alors

qu'il s'agit d'un organe qui n'est pas désigné par voie d'élec-

tion populaire : c'est ainsi que l'on dit aussi du monarqueabsolu ainsi que du dictateur arrivé au pouvoir par usurpa-tion qu'ils représentent le peuple ; et d'autre part, on ne

parle pas de représentation uniquement à propos du rap-

port entre un organe et le peuple, mais aussi pour un rapportentre un organe et un autre organe : ainsi dira-t-on des

juges nommés par le monarque dans les monarchies qui ont

cessé d'être absolues pour devenir constitutionnelles, qu'ilsreprésentent le monarque. « Représentation » signifie alors

la même chose que « Vertretung ». On dit que l'incapabled'action n'agit pas lui-même, mais qu'il agit par son repré-sentant légal (gesetzlicher Vertreter) c'est-à-dire que l'onattribue à l'incapable d'action les actes de ce « représentantlégal », ceci pour le motif que celui-ci doit agir pour réaliserles intérêts de l'incapable « représenté » (1).

Lorsque l'on dit que, dans l'exercice de ses fonctions, un

organe représente le peuple, c'est-à-dire les individus quiforment la collectivité étatique, lorsqu'ainsi l'on attribueses fonctions à cet ensemble d'individus, — on peut les attri-buer également à la personne Etat et considérer par suite

l'organe comme organe de l'Etat — on entend dire par là, quel'organe

— c'est-à-dire les individus qui le composent—

sont tenus soit juridiquement soit à tout le moins moralementd'exercer leurs fonctions dans l'intérêt du peuple. Etantdonné que dans la langue juridique, on identifie plus oumoins intérêt et volonté, en admettant que ce qu'un homme« veut » est son intérêt, on croit pouvoir admettre que l'es-sence de la représentation consiste en ce que la volonté du

représentant est la volonté du représenté, que dans ses actesle représentant ne réalise pas sa propre volonté, mais lavolonté du représenté. En vérité, ceci est une fiction, mêmesi la volonté du représentant est plus ou moins liée par lavolonté du représenté, comme c'est le cas dans le mandatdu droit privé et, en droit public, sous l'empire des Cons-

(1) Cf. supra, p. 217.

396 THÉORIE PURE DU DROIT

titutions fondées sur un système d'ordres (Stànde) d'après

lesquelles les représentants des ordres étaient liés aux ins-tructions de leurs électeurs et pouvaient être révoqués entout temps par eux. Car même dans ces cas, la volonté du

représentant est une volonté différente de la volonté du

représenté. Plus évidente encore est la fiction de l'identitéde volonté lorsque la volonté du représentant n'est liée enaucune façon par la volonté du représenté; comme dansle cas de la représentation légale des incapables d'action,ou, en droit constitutionnel moderne, dans le cas de la

représentation du peuple par un Parlement dont les membressont juridiquement indépendants dans l'exercice de leurs

fonctions; ce que l'on a coutume de traduire en disant

qu'ils reçoivent un « mandat libre ». La fiction est la même

lorsque l'on dit des juges d'un système de monarchie cons-titutionnelle qu'ils représentent le monarque, que leurs juge-ments sont la volonté du monarque; certains sont mêmeallés jusqu'à écrire qu'au moment où le juge rend son juge-ment, le monarque est invisiblement présent. Il est de l'es-sence de l'opération d'attribution — on l'a déjà affirmédans des développements antérieurs — d'inclure toujoursune fiction de par son essence même, que l'on attribue unefonction ou la volonté réalisée par elle, qui étaient initiale-ment et réellement fonction ou volonté d'un individu, àun autre individu ou à une personne juridique. Le fait quele Parlement est élu par le peuple, ou les juges nommés parle monarque, ne change absolument rien au caractère fictifde l'opération d'attribution inhérente à la notion de repré-sentation. Par suite, la possibilité d'attribuer la fonctiond'un organe ou à un autre organe ou au peuple ne dépenden aucune manière du système de création de cet organe.Une seule donnée est déterminante; l'idée que la fonctiondoit être exercée dans l'intérêt de l'individu ou des indi-vidus auxquels on attribue la fonction. Par conséquent, lathèse défendue par certaines doctrines politiques qu'unmonarque absolu ou un dictateur (1) est le « vrai » repré-sentant du peuple, constitue une attribution qui n'est ni

plus ni moins fictive que celle qu'accepte la doctrine, lors-

qu'elle enseigne que le Parlement élu par le peuple repré-sente le peuple, que, là où il existe un tel Parlement, les

lois sont données par le peuple et que, comme le dit la Cons-

(1) Cf. KELSEN,The Political Theory of Bolshevism, 2e réimpression,1955, p. 51, et Foundations of Democracy, p. 6 sqq.

DROIT ET ÉTAT 397

titution de maintes Républiques démocratiques, le droit

émane du peuple.Toute la question est en vérité de savoir à quelles condi-

tions on a le droit, dans une analyse scientifique du droit,de se servir de la fiction que constitue l'attribution de la

fonction remplie par un certain individu à une personne

juridique ou à un autre individu, en d'autres termes : à

quelles conditions l'usage des notions d'organe, de qualitéd'organe, de représentation, est scientifiquement légitime.Et à cette question il faut répondre : cet usage est légitimesi l'on est conscient de la nature de l'opération d'attribu-

tion, si l'on conçoit clairement qu'en attribuant une fonc-tion à une personne juridique, c'est-à-dire en reconnaissant

la qualité d'organe, on veut exprimer simplement et unique-ment que l'on rapporte cette fonction à l'unité de l'ordre

juridique qui la prévoit et la règle et qui fonde une collec-

tivité, et qu'en l'attribuant à un autre ou à d'autres individus,en particulier à tous les individus qui forment la collectivité

étatique, au peuple de l'Etat, c'est-à-dire en usant du con-

cept de représentation, on exprime purement et simple-ment que l'individu qui exerce la fonction est lié, soit juri-diquement, soit même à tout le moins moralement et poli-tiquement, à exercer cette fonction dans l'intérêt de l'in-dividu ou des individus auxquels c'est précisément pourcette raison que l'on attribue la fonction.

L'usage de la fiction est au contraire anti-scientifique,lorsque l'on croit que l'attribution d'une fonction à une

personne juridique, c'est-à-dire le fait d'énoncer que la per-sonne juridique corporation ou la personne juridique Etat

remplissent la fonction, exécutent une obligation ou exercentun droit par un organe, signifie que la personne juridiqueprise comme « porteur » de cette fonction, comme sujet de

l'obligation dont cette fonction assure l'exécution, ou comme

sujet du droit dont cette fonction constitue l'exercice, —que

cette personne juridique est un être réel, distinct des membresde la corporation ou de l'Etat; l'usage de la fiction est illé-

gitime lorsque, dans le cas de la représentation légale des

incapables d'action, on veut faire accepter la fiction qu'ilsauraient la capacité de droit, ou qu'en présentant le Parle-ment comme la représentation du peuple, on veut dissimulerla modification essentielle que reçoit le principe démocra-

tique de l'auto-détermination du peuple, de son autonomie,du fait que son application se réduit à faire élire le Par-lement par un groupe plus ou moins étendu de citoyens; ou

398 THÉORIE PURE DU DROIT

lorsqu'en affirmant qu'un monarque absolu ou un dictateur

représente le peuple, on veut faire croire que le principedémocratique est en vigueur, dans l'Etat considéré, alors

qu'en réalité il y est absolument anihilé. La fiction évoquéeci-dessus, selon laquelle le juge indépendant représente le

monarque, n'est donc en aucune façon justifiable. En écri-vant cette formule, on ne pourrait pas vouloir dire, et l'onn'entend pas dire que le juge doit exercer ses fonctionsdans l'intérêt du monarque; donc la seule idée qui puissela suggérer est l'idée que la fonction de juger appartient envérité au monarque, le monarque en abandonnant simple-ment l'exercice, pour un motif quelconque, aux juges nom-més par lui. Mais cette fiction est en contradiction avec ledroit positif, alors même que le législateur lui-même s'en

sert, la loi invitant les juges à promulguer leurs jugements« au nom » du monarque. Au fond, toutes ces formulesn'ont d'autre but que le but politique de renforcer l'au-torité du monarque, en lui attribuant une fonction qui luia cependant été expressément retirée lors du passage de lamonarchie absolue à la monarchie constitutionnelle.

y) L'Etat, sujet d'obligations et de droits.

Les obligations et les droits de l'Etat en tant que per-sonne juridique dont on va analyser la structure dans les

pages qui suivent sont uniquement les obligations et les

droits établis par l'ordre juridique étatique. On laisse com-

plètement de côté pour l'instant les obligations qui sont

imposées ou au contraire les droits qui sont accordés aux

Etats par un ordre juridique supérieur, le droit interna-

tional, et qui sont analogues aux obligations et droits éta-

blis par l'ordre juridique étatique pour les corporations quilui sont soumises ; ou en traitera dans l'analyse des rapportsentre droit international et droit étatique.

tXjj Les obligations de l'Etat; l'obligation d'Etat et le délit

d'Etat; la responsabilité de l'Etat.

On parle souvent d'obligations de l'Etat en un sens quin'est pas exactement juridique, c'est-à-dire sans se fonder

sur une notion précisément définie de l'obligation juri-

dique. Si l'on part d'une telle notion, en particulier si l'on

part de celle qu'adopte et expose le présent ouvrage —il y a

obligation juridique à une certaine conduite lorsque l'ordre

DROIT ET ÉTAT 399

juridique attache à la conduite contraire, à titre de sanction,un acte de contrainte —, il apparaît que le plus souvent,il ne s'agit pas d'obligations juridiques attribuées à l'Etat,mais tout au plus d'obligations politico-morales.

Ainsi, par exemple, lorsque l'on dit que l'Etat est obligéde punir les criminels, alors que cependant le droit n'éta-

blit pas une obligation juridique de prononcer la peineattachée à un délit qu'il prévoit, le non-prononcé de cette peinen'étant pas la condition d'une sanction, et qu'ainsi l'organed'application du droit est simplement habilité à la pronon-cer, mais non pas obligé de la prononcer. Lorsqu'au con-

traire le droit établit une telle obligation fonctionnelle pourl'organe d'application du droit, cette obligation ne peut —

si l'on veut rester conséquent— être attribuée à l'Etat

que si sa violation lui est, elle aussi, attribuée; et en effet,est sujet d'une obligation juridique (nous n'avons cessé dele rappeler) celui par la conduite duquel l'obligation peutêtre violée, le délinquant potentiel. Si une sanction pénale

*fonde l'obligation fonctionnelle de punir le délinquant et

si, selon l'opinion courante, on se refuse à jamais attribuerà l'Etat un délit pénal, en tout cas, et peut-être aucun délitd'aucune sorte, on ne peut pas

—• si l'on veut rester consé-

quent— lui attribuer non plus l'obligation en question.

Mais, dans le langage usuel, ce n'est jamais cette obligationfonctionnelle de l'organe que l'on impute à l'Etat. En tant

qu'obligation fonctionnelle, elle est considérée comme obli-

gation de l'individu sur la conduite duquel elle porte. Ainsidonne-t-on satisfaction au besoin de trouver un « por-teur » de l'obligation; et il n'y a par suite pas besoin d'opé-rer attribution à la personne juridique Etat. On voit donc

qu'en parlant de l'obligation de l'Etat de punir, ce n'est

pas à cette obligation de fonction de l'organe que l'on pense;tout simplement, l'on exprime un postulat politico-moraladressé à l'ordre juridique : à savoir qu'à une conduitesocialement nuisible, il doit attacher la sanction d'une peine.

Le droit constitutionnel offre un second exemple. Très

habituellement, en regard des droits et libertés fondamen-taux constitutionnellement garantis des sujets de l'Etat,on pose des obligations correspondantes de l'Etat, — l'obli-

gation de ne pas léser par la législation l'égalité ou la liberté

qui forment le contenu de ces droits, ou, en d'autres termes,de ne pas empiéter sur la sphère ainsi garantie des individus

par des lois qui limiteraient ou même supprimeraient cette

sphère. En analysant précédemment ces droits et libertés

400 THÉORIE PURE DU DROIT

fondamentaux, on a montré (1) que ceux-ci ne sont pas eneux-mêmes des droits subjectifs, que la prohibition d'édic-ter certaines lois qui violeraient cette égalité ou cette libertéconstitutionnellement garanties n'est pas une obligationjuridique de l'organe législatif, qu'elle crée simplement la

possibilité d'annuler les lois inconstitutionnelles au moyend'une certaine procédure. Puisqu'il n'existe pas d'obliga-tion de l'organe de législation de ne pas édicter de lois vio-lant l'égalité ou la liberté constitutionnellement garanties,et puisque l'on tient l'obligation juridique qui peut existerà la charge du chef de l'Etat ou des ministres de ne pasparticiper à l'édiction de telles lois par la sanction, la pro-mulgation ou le contre-seing, pour une obligation de ces

organes eux-mêmes et qu'il n'y a donc pas lieu de l'attri-buer à la personne juridique Etat, —

l'obligation de l'Etatde respecter l'égalité et la liberté des sujets se réduit, elle

aussi, à la simple requête politico-morale à l'adresse del'ordre juridique de consacrer la garantie constitutionnelle

que l'on a caractérisée ci-dessus.Si l'on part des notions corrélatives de l'obligation juri-

dique et du sujet de l'obligation posées dans le présentouvrage (et que l'on vient de rappeler il y a un instant, p. 398)et, — on devra considérer comme sujet de l'obligation attri-buée à l'Etat l'individu qui

— en tant qu'organe de l'Etat— doit réaliser l'exécution de cette obligation, et qui peutdonc aussi l'enfreindre; et alors il serait conséquent

— ainsi

qu'on l'a déjà souligné dans l'analyse de la personnalitéjuridique de la corporation,

— de n'attribuer une obliga-tion juridique aux personnes juridiques en général, et en

particulier à la personne juridique Etat, que si on leur

attribue, non seulement l'action conforme à cette obliga-tion, mais également la violation de cette obligation par cet

organe, et donc si l'on admet que, comme les individus,l'Etat aussi peut commettre des délits. Mais on sait quel'attribution n'est jamais qu'une opération intellectuelle

possible, et non pas nécessaire, et qu'elle inclut toujoursune fiction; on sait que ce n'est en vérité jamais l'Etat entant que personne juridique qui exécute ou qui viole une

obligation juridique établie par le droit, mais toujours etseulement des hommes, des individus exactement détermi-

nés; il est donc certainement possible de s'exprimer detelle façon que l'on attribue à l'Etat une obligation et aussi

(1) Cf. supra, p. 189 sqq.

DROIT ET ÉTAT 401

la conduite qui représente son exécution, alors qu'on ne lui

attribuera pas également la violation de cette obligation;on peut donc — dans l'intérêt de l'autorité de l'Etat, ce

qui veut dire : dans l'intérêt de ses gouvernants — main-

tenir l'idée que sans doute l'Etat peut réaliser le droit en

se conformant à ses obligations, mais ne peut pas enfreindre

le droit — en violation de ses obligations. A la vérité, en

tant qu'il s'agit d'un délit au regard de l'ordre juridiqueinternational considéré comme un ordre juridique supé-rieur aux ordres juridiques étatiques, c'est-à-dire en tant

qu'il s'agit de violation d'une obligation que cet ordre juri-dique international impose à l'Etat en tant que personne

juridique, le langage traditionnel des juristes n'éprouveaucun scrupule à attribuer le délit à l'Etat. Car — commenous aurons à le voir encore par la suite —, il peut se faire

que le droit étatique habilite un organe de l'Etat à adopterune conduite défendue par l'ordre international, en ce sens

qu'il prescrit cette conduite ou qu'il la permet positivement.En ce cas, la conduite en question représente un délit seu-lement selon le droit international; elle n'en représente pasun selon le droit étatique. Selon le droit international, lesnormes de l'ordre juridique étatique qui habilitent à uneconduite contraire à ses règles à lui, droit international, nesont pas annulables. Le droit international général attacheseulement à cette conduite l'une de ses sanctions : guerre ou

représailles de la part de l'Etat à l'égard duquel existe

l'obligation statuée par le droit international. Dans le lan-

gage dominant, l'assertion qu'un Etat ait violé ses obli-

gations internationales ne se heurte à aucune sorte de

résistance; non plus que l'assertion que les sanctions éta-blies par le droit international sont dirigées contre l'Etat

délinquant comme tel, ce qui veut dire que l'Etat est res-

ponsable des délits qu'il commet (1).La situation est différente lorsqu'il s'agit de répondre à

la question de savoir si un fait délictueux prévu dans unordre juridique étatique peut être attribué à la personneEtat en tant que personnification de cet ordre juridique, etsi une sanction établie par l'ordre étatique peut être inter-

prétée comme dirigée contre l'Etat. Ici se révèle une ten-dance à n'accepter d'attribuer à l'Etat en tant que collec-tivité juridique que les seules conduites qui ne sont pasconstituées en délits dans l'ordre étatique, à considérer que

(1) Cf. infra, p. 423 et p. 427 sq.

402 THÉORIE PURE DU DROIT

les individus appelés à une fonction spécialisée ne sont

organes de l'Etat qu'en tant que leur conduite ne repré-sente pas un délit selon l'ordre juridique étatique. Cettetendance s'exprime dans la formule : l'Etat ne peut mal

faire, en entendant par là : il ne peut se comporter de façoncontraire au droit. On justifie cette formule en affirmant

que l'Etat, qui veut le droit (parce que le droit est sa« volonté »), ne peut pas vouloir un acte contraire au droit,et par conséquent ne peut pas « mal faire », et donc ne

peut pas commettre un délit. Si un délit est commis, il ne

peut être qu'un délit de l'individu qui l'a commis en se

comportant de telle ou telle façon, ce ne peut pas être undélit de l'Etat; un individu n'agit comme organe de l'Etat

que si sa conduite est habilitée par l'ordre juridique en ce

sens qu'elle est création ou application du droit ou obéis-

sance au droit; il n'agit pas comme tel si sa conduite estviolation du droit. La violation du droit tombe en dehors

des pouvoirs attribués à un organe étatique, et elle n'est

par suite pas attribuée à l'Etat. Un Etat agissant contrele droit, ce serait une idée contradictoire en elle-même.

Il est parfaitement admissible de restreindre de cette

façon la demande de l'attribution à l'Etat. Mais ce n'est

pas nécessaire, en ce sens qu'il y aurait une contradiction

logique à attribuer un délit à l'Etat. En disant que le droitest la « volonté » de l'Etat, qu'il est « voulu » par l'Etat,on use d'une métaphore qui exprime tout simplement et

uniquement l'idée que la collectivité que fonde l'ordre juri-dique est l'Etat, et que la personnification de cet ordre

juridique est la personne Etat; d'autre part, comme on l'a

établi, l'acte illicite n'est pas— contrairement à ce que l'on

admet lorsque l'on rejette l'idée de délit étatique— la

négation du droit, mais est une condition à laquelle le droit

attache des conséquences spécifiques. En affirmant qu'uneconduite est « contraire » au droit, on n'exprime pas l'idée

qu'il existerait entre cette conduite et la conduite « con-

forme » au droit une contradiction logique; la contradic-tion est seulement téléologique, en tant que l'on admet quel'ordre juridique cherche à prévenir la première seule, en yattachant une sanction dirigée contre l'individu qui l'adopte

(ou contre un individu qui est avec lui en tel rapport donné).Les actes illicites étant des faits prévus et réglementés dans

l'ordre juridique, il est parfaitement possible de les rap-

porter à l'unité personnifiée de cet ordre, c'est-à-dire à l'Etat.

C'est bien ce que l'on fait effectivement dans certains cas.

DROIT ET ÉTAT 403

Dans le langage usuel, le principe que l'Etat ne pourraitcommettre aucun délit n'est pas maintenu sans d'impor-tantes exceptions.

Sans doute n'a-t-on pas l'habitude d'attribuer à l'Etat

les délits ou infractions sanctionnés pénalement. On consi-

dère comme le sujet de l'obligation dont la violation est

sanctionnée par une peine l'individu qui a enfreint cette

obligation dans sa conduite. Etant donné que, selon le lan-

gage usuel, seules entrent en ligne de compte pour une

attribution à l'Etat des obligations que doivent exécuter

des individus qui y sont appelés par l'ordre juridique en

qualité d'organes spécialisés, on admet que, lorsqu'ils violent

une obligation qu'ils doivent exécuter en tant qu'organesde l'Etat et qui est placée sous sanction pénale, ces individus

n'agissent pas comme organes de l'Etat. Ils n'agissent comme

tels que lorsqu'ils exécutent cette obligation. En tant que seuls

les actes qui assurent l'exécution de l'obligation sont attri-

bués à l'Etat, et non les actes qui constituent une violation

de l'obligation, en tant que par conséquent, l'Etat n'entre

pas en ligne de compte comme délinquant potentiel, queseul le fait l'individu agissant, on attribue à l'Etat une

obligation qu'il peut exécuter, mais ne peut pas violer.

Pourquoi il n'y a pas lieu de retenir l'objection qu'une telleattribution ne serait pas compatible avec la notion de l'obli-

gation juridique que l'on a développée dans cet ouvrage,on l'a déjà expliqué précédemment (1).

Effectivement, on n'attribue à l'Etat la violation d'une

obligation établie par l'ordre étatique, et par conséquentcette obligation elle-même, que lorsqu'elle a pour contenuune prestation patrimoniale, lorsque son exécution se réa-lise par un prélèvement sur le patrimoine de l'Etat et quel'exécution forcée, dans la mesure où il peut en être ques-tion, doit se diriger contre ce patrimoine de l'Etat. L'ordre

juridique peut disposer qu'au cas où il a été établi par une

procédure juridictionnelle qu'une peine a été prononcée etexécutée contre un innocent, non seulement le jugementpénal doit être annulé — la privation par force de la libertéou même l'exécution capitale ne devant plus, dès lors, êtreconsidérées comme ayant été des peines

— mais encore le

dommage causé de ce fait à l'individu atteint par le premierjugement (ou à ses proches) doit être réparé par une indem-nité payée sur les deniers de l'Etat. Il y a un organe de

(1) Cf. supra, p. 240 sq.

404 THÉORIE PURE DU DROIT

l'Etat qui est obligé d'effectuer le paiement de cette indem-nité. Si le paiement n'est pas effectué, alors, dit-on, uneaction peut être intentée contre l'Etat, et l'Etat peut êtrecondamné en justice à verser la somme ; et si •— ce qui est pos-sible, bien qu'en fait très rare — il n'était pas satisfaitau jugement, il pourrait peut-être y avoir exécution forcéecontre le patrimoine étatique. Dans ce cas, on déclare quel'Etat a violé son obligation juridique de réparer le dom-

mage qui a été infligé à un innocent par l'exécution de la

peine. En d'autres termes, l'on attribue à l'Etat aussi bien

l'obligation que son exécution et que sa violation; et, admet-tant que le patrimoine en question est patrimoine de l'Etat,on attribue également à l'Etat le fait d'être le sujet passifde la sanction. On opère la même attribution lorsqu'unindividu fait en qualité d'organe de l'Etat, c'est-à-dire parun acte attribuable à l'Etat, des actes juridiques dont les

dispositions créent des obligations de l'Etat qui doiventêtre acquittées sur le « patrimoine de l'Etat ». Il est pos-sible d'opérer cette attribution à la personne Etat du délitconsistant en l'inexécution de l'obligation; car, le fait délic-tueux est prévu dans l'ordre étatique comme la conditiond'une sanction, l'exécution forcée à diriger contre le patri-moine de l'Etat. Mais, nous le verrons, il est possible de

concevoir le patrimoine en question comme un patrimoinecollectif des individus qui font partie de la collectivité juri-

dique appelée Etat; dans ces conditions, il est donc possibled'attribuer également à ces individus les obligations dontil est question et de parler d'obligations collectives des

membres de l'Etat. De ces obligations de l'Etat, ou, ce quiest la même chose, de l'obligation collective des membresde l'Etat, il faut distinguer les obligations de fonction que

l'organe viole en ne les honorant pas. Les premières sont

fondées par l'éventuelle exécution forcée contre le patri-moine de l'Etat, alors que la seconde, elle, est fondée parune peine disciplinaire infligée à l'organe qui l'a enfreintedans sa conduite. On attribue à l'Etat (ou aux membres de

l'Etat) la première de ces deux obligations; on ne leur

attribue pas la seconde.Mais l'idée d'une exécution forcée contre le patrimoine

de l'Etat ne constitue-t-elle pas une interprétation absurde

des faits donnés, si l'on attribue l'acte de contrainte lui-

même à l'Etat ? Car alors une exécution forcée contre le

patrimoine de l'Etat semble signifier un acte de contrainte

que l'Etat dirigerait contre lui-même. Il n'est cependant

DROIT ET ÉTAT 405

pas possible d'éviter cette interprétation. La donnée réelle

est que l'exécution forcée doit avoir lieu contre la volonté

de l'organe dans la compétence duquel rentre l'administra-

tion de la fraction de patrimoine considérée. En refusant de

donner suite à l'ordre de l'organe exécutif de l'Etat, cet

organe commet une violation de ses obligations de fonction.

S'il se révélait nécessaire, l'acte de contrainte serait en réa-

lité dirigé contre cet individu. Etant donné que l'attribu-

tion est, rappelons-le, une opération intellectuelle simple-ment possible, il n'est nullement nécessaire d'attribuer à

l'Etat le fait d'être le sujet passif du mal que constituel'acte de contrainte; il est légitime de ne pas l'effectuer sil'on veut éviter la représentation d'un acte de contrainte

dirigé par l'Etat contre lui-même. L'exécution forcée a alorslieu contre le patrimoine de l'Etat, mais il ne faut pas l'in-

terpréter comme dirigée contre la personne Etat. Il n'y aaucune nécessité à ce que l'individu contre lequel est diri-

gée l'exécution forcée contre un patrimoine soit lui-même le

sujet des droits qui forment le patrimoine.Ainsi, les obligations de prestations patrimoniales de

l'Etat sont, si on les analyse sans recours à l'opération d'at-

tribution, des obligations de l'organe étatique dont la con-duite en est l'objet. Ce sont des obligations qui doiventêtre acquittées sur un patrimoine que l'on se représentecomme le patrimoine de l'Etat. Elles sont fondées par l'éta-blissement d'une sanction, — une exécution forcée —, quel'on interprète comme dirigée contre ce patrimoine, maisnon contre la personne Etat. L'exécution forcée est diri-

gée contre la personne de l'organe étatique à qui incombel'administration de ce patrimoine. Si l'on attribue ce patri-moine à l'Etat en tant que sujet des droits qui le forment,on devra dire que l'Etat répond sur son patrimoine du délit

qu'un individu commet en n'exécutant pas une obligationqu'il avait à exécuter en sa qualité d'organe de l'Etat.Alors que dans le cas des obligations imposées à l'Etat

par le droit international, on attribue à la personne Etat,non pas seulement les obligations, mais également le faitd'être sujet passif des actes de contrainte qui les fondent,au contraire, pour les obligations qui sont imposées à l'Etat

par l'ordre étatique, on n'attribue à l'Etat que l'obligation;on ne lui impute pas le fait d'être le sujet passif de l'acte decontrainte qui la fonde. D'après le langage habituel, l'Etaten tant que personne juridique peut commettre un acteillicite en tant qu'il n'exécute pas et par conséquent viole

406 THÉORIE PURE DU DROIT

une obligation de prestation qui lui est imposée par l'ordre

étatique; mais l'exécution forcée contre le patrimoine de

l'Etat, que l'ordre étatique attache à cet acte illicite à titrede sanction, n'est pas interprétée comme dirigée contre la

personne Etat. En d'autres termes : l'Etat n'est respon-sable du délit qui lui est imputé que sur son patrimoine,non de sa personne, cependant que l'organe dont la conduiteest contraire à ses obligations est responsable de sa per-sonne pour cet acte illicite de l'Etat. Si, comme on le mon-

trera plus tard, on peut concevoir le patrimoine étatiquecomme un patrimoine collectif des membres de l'Etat, la

responsabilité de l'Etat apparaît comme une responsabilitécollective de ses membres.

Px) Les droits de l'Etat.

On a précédemment défini le droit subjectif comme undroit-réflexe qui est assorti du pouvoir juridique de fairevaloir l'inexécution de l'obligation avec laquelle ce droit-réflexe se confond, et l'on a dit qu'il fallait considérer comme

sujet d'un droit réflexe l'individu auquel l'ordre juridiqueconfère le pouvoir juridique en question. Si l'on fait appli-cation de ces notions à l'Etat, il en résulte que les droits

que l'on qualifie de droits de l'Etat sont des droits de l'in-dividu qui a à exercer ce pouvoir juridique en sa qualitéd'organe de l'Etat.

L'attribution de ces droits à l'Etat vexprime qu'on les

rapporte à l'ordre juridique étatique, qui dispose que le

pouvoir juridique doit être exercé par tel individu.De même, on interprète l'obligation dont le pouvoir juri-

dique sert à faire valoir l'inexécution comme une obligationexistant envers l'Etat et le droit-réflexe qui se confond aveccette obligation, comme un droit-réflexe de l'Etat. A consi-dérer les faits réels, les actes prescrits à des hommes ne

peuvent jamais être en définitive que des actes envers unautre homme ou d'autres hommes. Mais il se peut quel'exercice du droit-réflexe, c'est-à-dire la conduite corres-

pondante de l'homme ou des hommes à l'égard desquelsexiste l'obligation

— conduite qui est déterminée du même

coup que celle qui est rendue obligatoire— constitue une

fonction d'un individu qui a la qualité d'organe étatique;cette conduite peut être attribuée à l'Etat. Tel est le cas

pour certaines obligations de prestation, par exemple pourl'obligation de prestation du service militaire ou pour les

DROIT ET ÉTAT 407

obligations de prestation d'impôts. La première de ces pres-tations est reçue par les organes militaires de l'Etat, les

secondes sont reçues par les organes financiers de l'Etat,et cette réception fait partie de leurs obligations de fonc-

tion. Mais, dit-on, ils ne reçoivent pas cette prestation «poureux-mêmes », à la façon dont l'employeur reçoit pour lui-

même la prestation de l'employé, ou le particulier créan-

cier reçoit la prestation du débiteur. Ils la reçoivent « pourl'Etat ». Soit; mais ces formules signifient tout simplement

que l'on interprète cette réception de prestations comme

une fonction de l'Etat, qu'on l'attribue à l'Etat. Dans le

cas de l'obligation de prestation d'impôts, il s'ajoute encore

à cela que l'argent versé n'entre pas dans le patrimoinede l'individu qui agit comme organe de l'Etat, mais dans

celui que l'on considère comme le patrimoine de l'Etat. Les

obligations militaires et les obligations fiscales sont consi-

dérées comme des obligations de droit public. Mais la situa-

tion est encore la même dans le cas des obligations à une

prestation de droit privé qui sont créées par des actes

juridiques de droit privé faits par l'Etat, c'est-à-dire parun certain individu ayant qualité d'organe de l'Etat ethabilité à cet effet par l'ordre juridique. Compte toujourstenu de ce qu'il a lieu par un individu qualifié d'organe de

l'Etat, on attribue également à l'Etat, comme une fonction

étatique, l'exercice du pouvoir juridique de déclencher la

procédure qui conduit à la réalisation de la sanction quel'ordre juridique établit comme réaction contre l'inexécu-tion des obligations en question. On fera peut-être observeren outre que ces obligations ne sont pas statuées dans l'inté-rêt des individus qui ont à recevoir la prestation et qui ontà faire ^aloir son inexécution, et que c'est un intérêt del'Etat qui est garanti par l'établissement de ces obligations;mais, étant donné que seuls des individus vivants ont des

intérêts, la seule signification possible de ces propositionsest que ces obligations sont établies dans l'intérêt de la

collectivité, c'est-à-dire de tous les individus qui font partiede cette collectivité juridique. Alors, au lieu d'attribuer la

réception des prestations et l'exercice du pouvoir juridiqueà la personne fictive Etat, on peut les attribuer aux indivi-dus qui font partie de la collectivité juridique; en d'autres

termes, on peut présenter les individus qui reçoivent ces

prestations, non pas seulement comme des organes de l'Etat,mais également comme des organes du peuple qui forme

l'Etat, c'est-à-dire des individus qui font partie de la col-

408 THÉORIE PURE DU DROIT

lectivité juridique. Sous cet angle, il est possible d'inter-

préter les droits en question comme des droits collectifs deces individus.

Parfois l'on présente les obligations qui constituent la

plus grande partie du droit pénal, et qui sont des obligationsd'abstention, comme existant, non pas seulement envers lesindividus touchés directement par leur violation, mais en

outre, indirectement, envers l'Etat aussi, et l'on parle en

conséquence,—

particulièrement en considération du fait

que c'est un accusateur public, organe étatique, qui est

chargé de faire valoir la violation de ces obligations — d'undroit de l'Etat à ce que ces délits ne soient pas commis.Dire que l'obligation de s'abstenir de commettre les délitsest une obligation envers l'Etat présuppose l'idée que lesdélits sont des actions qui ne sont pas nuisibles seulementaux individus que ces actions atteignent directement, mais

qu'elles sont nuisibles aussi à la collectivité, c'est-à-dire

qu'elles lèsent les intérêts de tous les individus membres decette collectivité, — et c'est précisément ce que traduit lefait que les poursuites consécutives n'incombent pas à ceux

qui sont directement atteints, mais à des individus quiagissent comme organes de la collectivité juridique, quidéfendent l'intérêt de cette collectivité, c'est-à-dire de tousses membres. De semblables consédérations permettent de

parler, en ce cas aussi, de droits collectifs des membres del'Etat.

L'on parle parfois aussi d'un droit de l'Etat de punir les

délinquants. Un tel droit n'existe — comme droit-réflexe —

que si existe une obligation des délinquants de subir la

peine, c'est-à-dire si les auteurs de délits qui se soustraientà une peine prononcée contre eux encourent à ce titre une

peine supplémentaire.Une toute particulière importance revient aux droits sur

les choses, aux droits réels, et en particulier aux droits de

propriété de l'Etat. Car ces droits forment le noyau du

patrimoine qualifié de patrimoine de l'Etat et qui, commeon l'a montré précédemment, joue un rôle essentiel dansl'attribution à l'Etat en tant qu'appareil bureaucratiquede fonctionnaires, et par suite également dans l'attributionde cette fonction que l'on a dénommée administration éta-

tique directe.Le droit de propriété d'un individu sur une chose consiste

en ceci que tous les autres individus sont obligés de tolérerla disposition effective exercée sur cette chose par cet indi-

DROIT ET ÉTAT 409

vidu, son usage, son non-usage, voire sa destruction, et quel'individu envers lequel existent les obligations de tolérance

des autres a le pouvoir juridique aussi bien de disposer de la

chose par actes juridiques que de faire valoir par action en

justice l'inexécution par les autres individus de l'obligationde tolérer qui pèse sur eux. Normalement, la dispositiontant matérielle que juridique, et encore l'exercice du pou-voir juridique, appartiennent à un seul et même individu.C'est cet individu qui est le propriétaire de la chose. — Ceci

dit, considérons les données à propos desquelles on parlede droit de propriété de l'Etat sur telle chose. Si l'on veut les

formuler sans recourir à l'opération d'attribution, on doitdire qu'elles consistent en ceci : la disposition matérielle etla disposition juridique (c'est-à-dire par voie d'actes juri-diques) d'une chose est réservée à certains individus quiaccomplissent les actes de disposition à titre de fonction

spécialisée et en exécution d'une obligation de fonction;la réserve en question impliquant que tous autres individussont obligés de tolérer ces actes et sont ainsi exclus, eux,de la disposition de la chose; de même, le pouvoir juridiquede faire valoir par voie d'action en justice l'inexécutiondes obligations d'abstention est conféré à certains individus

qui réunissent les mêmes caractères que ceux qui exercentles pouvoirs de disposition matérielle et juridique de lachose. Il saute aux yeux que les fonctions de dispositionmatérielle et juridique de la chose, d'une part, et l'exercicedu pouvoir juridique, d'autre part, ne sont pas confiés àun seul et même individu : tout au contraire, elles sont

réparties entre divers individus. Et il faut observer à cet

égard que la disposition matérielle des choses qui sont dites

propriété de l'Etat, en particulier leur usage, n'appartientpas à tous les individus membres de l'Etat. Une maison

qui appartient à l'Etat, un véhicule qui appartient à l'Etatne peuvent être utilisés que par certains individus, d'une

façon qui est réglée juridiquement. Mais à supposer même

que dans un ordre juridique, toutes les fonctions en ques-tion fussent réunies dans les mains d'un individu présentantles caractères que l'on a dits, — situation qui ne se ren-contre jamais en réalité —, on ne considérerait pas quecet individu soit le propriétaire; car on admettrait que,dans ce cas aussi, comme dans l'autre, les fonctions sont

déléguées à l'individu qui les assure concrètement, non pasdans son intérêt, mais dans l'intérêt de la collectivité fon-dée par l'ordre juridique, c'est-à-dire de tous les individus

27. THÉORIEPUREDUDROIT.

410 THÉORIE PURE DU DROIT

membres de cette collectivité; ou, en d'autres termes : quele droit en question sert à la protection, non de l'intérêt

des individus-agents, mais d'un intérêt de la collectivité.

Qu'elle corresponde à des données réelles ou qu'elle soit

une pure fiction, l'idée d'un tel intérêt collectif fournit le

critérium de l'attribution aux membres de la collectivité

en question des fonctions prestées par certains individus en

leur qualité d'organes de l'Etat, et, du même coup, de l'at-

tribution du droit en question. Effectivement, dans le cas

de l'attribution des droits de propriété, cette attribution aux

membres de la collectivité est incluse dans l'attribution à la

personne fictive Etat. L'étatisation de la propriété est tou-

jours entendue comme une collectivisation, comme une

socialisation de la propriété. On emploie les deux expres-sions comme synonymes. En ce sens, la propriété étatiqueest propriété collective, le patrimoine de l'Etat est le patri-moine collectif des membres de l'Etat, c'est-à-dire qu'aussibien qu'à la personne de l'Etat, l'attribution peut avoir

lieu aux hommes réels qui forment la collectivité appelée

Etat, que fonde l'ordre juridique. Dans les deux cas elle

inclut une fiction. Dans le langage courant, l'une est incluse

dans l'autre. Si l'on met l'accent sur la première, on dit queles individus qui prestent les fonctions de propriété sont

organes de l'Etat, que la propriété est propriété de l'Etat; si

l'on met l'accent sur la seconde, on dit que ces individus

représentent le peuple, que la propriété est la propriété du

peuple.

c) Z/« auto-obligation (Selbstverpflicbtung) » de l'Etat;

l'Etat de droit.

Selon la doctrine traditionnelle, l'Etat, qui existerait

comme une réalité sociale indépendamment du droit, com-

mencerait par créer le droit, puis se soumettrait ensuite à ce

droit —pour ainsi dire de sa libre volonté. Et c'est alors

seulement qu'il serait un Etat de droit. C'est ce processus

qu'elle appelle 1' « auto-obligation de l'Etat (Selbstverpflicht-

ung des Staates) ».Seule l'analyse de la notion d'Etat qui a été présentée

dans les pages précédentes permet de comprendre ce dont

il s'agit en réalité. Contre la conception traditionnelle, il

faut observer tout d'abord qu'il est impossible de penserun Etat qui ne soit pas soumis au droit. Car l'Etat n'existe

que dans les actes étatiques, c'est-à-dire des actes accomplis

DROIT ET ÉTAT 411

par des êtres humains et qui sont attribués à l'Etat en

tant que personne juridique. Et semblable attribution n'est

possible que sur la base de normes juridiques qui définissent

et règlent ces actes d'une façon spécifique. Dire que l'Etat

crée le droit, c'est seulement dire que des hommes dont

les actes sont attribués à l'Etat en vertu du droit créent le

droit. Ce qui signifie que le droit règle sa propre création.

Un processus par lequel un Etat qui précéderait le droit

dans son existence créerait ce droit ne se rencontre pas et

ne peut pas se rencontrer. Ce n'est pas l'Etat qui se soumetau droit créé par lui; c'est le droit qui règle la conduite

d'êtres humains — et en particulier leurs actes qui ont pourobjet la création du droit — et qui par là se soumet ces

hommes.On ne pourrait parler d'une auto-obligation de l'Etat

qu'en ce sens que les obligations et les droits qui sont attri-bués à la personne Etat sont établis précisément par l'ordre

juridique dont cette personne Etat est la personnification.Cette attribution à l'Etat, c'est-à-dire le fait de rapporterà l'unité de l'ordre juridique, et la personnification corréla-tive de cet ordre est — il ne faut cesser de l'affirmer etréaffirmer — une pure et simple opération intellectuelle,un instrument auxiliaire de la connaissance. Mais le seul

objet réel de la connaissance, c'est le droit.Dès lors que l'on reconnaît que l'Etat est un ordre juri-

dique, tout Etat est un Etat de droit, et ce terme d'Etatde droit représente un pléonasme. En fait cependant, on

l'emploie pour désigner un type d'Etat particulier, quirépond aux postulats de la démocratie et de la sécurité

juridique. En ce sens spécifique, 1' « Etat de droit » est unordre juridique relativement centralisé qui présente lestraits suivants : la juridiction et l'administration y sont liées

par des lois, c'est-à-dire par des normes générales qui sontdécidées par un Parlement élu par le peuple, avec ou sansla collaboration d'un chef d'Etat qui est placé à la tête du

gouvernement; les membres du gouvernement y sont res-

ponsables de leurs actes ; les tribunaux y sont indépendants ;et les citoyens s'y voient garantir certains droits de liberté,en particulier la liberté de conscience et de croyance, et laliberté d'exprimer leurs opinions.

412 THÉORIE PURE DU DROIT

d) Centralisation et décentralisation.

Une fois acquis que l'Etat est un ordre de la conduite

humaine, et par conséquent un système de normes qui ontune validité spatiale comme ils ont une validité temporelle,le problème d'une division territoriale de cet Etat en Pro-vinces ou en « Etats-membres » apparaît comme un pro-blème particulier relatif au domaine de validité spatial desnormes de l'ordre juridique étatique. La représentationnormale de l'Etat part de l'hypothèse simple que toutesles normes qui forment l'ordre étatique seraient en vigueuret valables de la même façon pour le territoire de l'Etattout entier, ou — si on les rapporte à la personne de l'au-

torité créatrice de normes -—qu'elles émaneraient d'une

seule instance, qu'une seule instance dominerait et gouver-nerait le territoire de l'Etat tout entier, à partir d'un centre.Dans cette dernière conception

—qui est celle de l'Etat

unitaire — se combine du reste avec l'idée du domaine devalidité territorial des normes de l'ordre étatique, l'idée dela pluralité ou de l'unité des organes créateurs de normes.Il est cependant nécessaire de séparer très nettement lesdeux idées. Et en tant que la notion d' « Etat unitaire »

exprime l'antithèse de la centralisation et de la décentra-

lisation, en tant que l'on oppose l'Etat unitaire, collectivité

juridique centralisée, au type de la collectivité juridiquedécentralisée, cette antithèse se laisse exposer et analyserau départ exclusivement sous l'angle du domaine de vali-dité territorial des normes constitutives de l'ordre étatique,

par conséquent comme une donnée statique, en laissant

entièrement de côté l'élément dynamique qu'est l'unité oula pluralité des organes créateurs de normes.

L'idée que les normes étatiques valent toutes d'égalefaçon pour le territoire de l'Etat tout entier trouve un appui

qui lui confère une apparence de vérité dans la vue selon

laquelle l'ordre juridique étatique ne se compose que de

normes générales, qu'il s'identifie avec les seules normes

posées en forme de loi. Car on rencontre assez fréquemmentl'exemple d'Etats dont toutes les lois valent pour son ter-

ritoire tout entier, aucune ne valant seulement pour une

partie de ce territoire. Si, en parlant de puissance publique,on songe uniquement (comme le font nombre d'auteurs) au

seul pouvoir législatif, l'idée que l'Etat serait une collec-

(1) V. KELSEN, Allgemeine Staatslehre, p. 163 sqq.

DROIT ET ÉTAT 413

tivité par essence centralisée n'entre pas en conflit trop

violent avec la réalité juridique historique, avec les ordres

juridiques positifs.Mais l'on sait que ces idées ne sont pas acceptables : en

vérité, les normes individuelles posées par acte administratif

et acte juridictionnel et qui concrétisent les normes législa-tives générales font, autant que ces dernières, partie de

l'ordre étatique; il faut donc les prendre elles aussi en

considération; et il apparaît dès lors que jamais sans doute

un Etat positif n'a répondu à l'idée pure de l'Etat unitaire,c'est-à-dire à l'idée pure de centralisation. En effet, même

si les normes générales sont édictées comme valables pourle territoire de l'Etat tout entier, par contre la concrétisa-tion des lois s'opère généralement par des normes indivi-

duelles dont on peut dire — en un sens ou en un autre—

qu'elles ne valent que pour une fraction du territoire;ces normes individuelles sont posées par des organes dontla compétence à l'effet de créer des normes est limitée

spatialement, à une fraction de territoire, par les règles quila leur attribuent. Aucun des Etats historiques, c'est-à-diredes ordres juridiques étatiques positifs, n'est ni complète-ment centralisé, ni complètement décentralisé; tous et cha-cun sont partiellement centralisés et, par conséquent, par-tiellement décentralisés; ils ne diffèrent les uns des autres

que parce que les uns sont plus centralisés, les autres plusdécentralisés, — de sorte que certains sont plus prochesdu premier des deux types idéaux, d'autres davantage dusecond.

Sur le plan des notions pures, la collectivité juridiquecentralisée se définira comme la collectivité dont l'ordre se

compose uniquement et exclusivement de normes juri-diques valant pour son territoire tout entier; la collectivité

juridique décentralisée : la collectivité dont l'ordre se com-

pose de normes qui ne valent que pour une fraction du ter-ritoire. La division d'une collectivité juridique en fractionsde territoire, en subdivisions ou circonscriptions territo-

riales, signifie que certaines normes de cet ordre ne valent

que pour une fraction de territoire; dans ce dernier cas,l'ordre juridique qui fonde la collectivité se compose denormes dont le domaine de validité spatial ou territorialest différent. En cas de décentralisation totale, il ne devrait

y avoir, à côté des normes qui ne valent que pour une frac-tion de territoire, aucune norme qui vaille pour le territoirede l'Etat tout entier. Mais il faut se rappeler que l'unité

414 THÉORIE PURE DU DROIT

du territoire résulte et résulte uniquement de l'unité de lavalidité des normes ; et dès lors, il paraît problématique que,dans le cas de pure décentralisation, il puisse encore être

question d'un territoire total et d'un ordre juridique. Et

cependant, on ne peut parler de décentralisation qu'en tant

qu'il s'agit de la division interne d'une seule et même col-lectivité juridique, d'un seul et même territoire. Si la décen-tralisation était poussée à un point tel que coexistent plu-sieurs collectivités juridiques, plusieurs ordres juridiques,avec des domaines de validité territoriaux indépendants

(séparés les uns des autres), sans que— faute d'une quel-

conque communauté, si lâche soit-elle — ces territoires

puissent être considérés comme des parties d'un territoire

total, on aurait dépassé la limite extrême au-delà de laquelleon ne peut plus parler de décentralisation. Seulement —

on le montrera ultérieurement (1)— on ne saurait concevoir

une pluralité de collectivités juridiques ou d'ordres juri-diques coexistants, sans qu'un ordre total les comprennetous et les délimite les uns par rapport aux autres, un

ordre total qui fonde une collectivité totale; c'est une idée

impensable. Et, de même que l'on doit considérer tous les

Etats, si on les conçoit comme des collectivités juridiquesde même rang, comme étant les membres de la communautéinternationale universelle, de même également doit-on con-

sidérer tous les territoires étatiques comme des fractions du

domaine de validité territorial de l'ordre juridique universel.

L'analyse qui précède indique comment il faut entendrela proposition que l'idée pure ou absolue de décentralisation

implique qu'aucune norme de l'ordre juridique considéré ne

soit valable pour le territoire tout entier; eu égard à la

nécessaire unité de l'ordre, elle ne peut concerner que les

normes positives; elle signifie qu'il ne peut exister, dans

cette figure, aucune norme posée qui soit valable pour ce

territoire tout entier; mais elle n'exclut pas que tout au

moins la norme fondamentale hypothétique, elle, possèdevalidité pour le territoire tout entier que les ordres juri-

diques partiels qu'elle-même délègue se subdivisent en frac-tions de territoire. Il faut qu'au minimum cette norme

fondamentale commune intervienne pour fonder l'unité du

territoire total, en même temps que l'unité de l'ordre juri-

dique total qui contient toutes les collectivités juridiquesconsidérées à titre d'ordres partiels. Le cas-limite extrême

(1) Cf. infra, p. 434 sq.

DROIT ET ÉTAT 415

de la décentralisation est par suite en même temps le cas-

limite pour la coexistence d'une pluralité de collectivités

juridiques. La condition minimum pour que l'on puisse encore

parler de décentralisation est en même temps la condition

minimum pour que l'on puisse admettre l'idée d'une plu-ralité de collectivités juridiques. Tout en maintenant fer-

mement cette vue essentielle, on accordera qu'il est cepen-dant loisible de n'accepter de parler de décentralisation

qu'en un sens plus étroit, c'est-à-dire seulement à la condi-

tion que l'unité du territoire total soit réalisée par des

normes posées positivement, et non pas seulement par la

norme fondamentale supposée. Mais à vrai dire, cette diffé-

rence n'a qu'une importance mineure, pour la simple raison

que la réalité juridique ne franchit jamais cette limite plusbasse et que le cas le plus extrême de décentralisation quientre en ligne de compte en droit positif, celui de la commu-

nauté internationale qui se divise en une série d'Etats sou-

verains, s'accorde également à la notion plus étroite de la

décentralisation, comme il s'accorde à sa notion pure.Si les normes d'un ordre juridique ont des domaines de

validité territoriaux différents, il devient possible— sans

que cela soit nécessaire —que soient édictées pour des frac-

tions de territoire différentes des normes de contenu diffé-

rent. L'unité matérielle du contenu juridique ne va pasnécessairement de pair avec une unité formelle du terri-

toire juridique. Dans le cas-limite théorique où l'unité du

territoire n'est assurée que par la norme fondamentale hypo-

thétique, une norme posée n'étant jamais valable que pourune fraction de territoire, on a bien affaire à un ordre juri-

dique, et cependant aucun élément juridique positif n'est

valable globalement pour le territoire tout entier.

Il y a diverses raisons qui peuvent recommander la diffé-

renciation du fond de l'ordre juridique en fonction d'une

division du territoire : des différences géographiques, ou

nationales ou religieuses, existant dans la matière pre-mière qu'il s'agit de régler juridiquement appellent la

prise en considération par une division territoriale de la

collectivité juridique; ceci dans une mesure d'autant plusforte que d'une part plus grande est l'étendue du domaine

juridique, et que d'autre part sont plus grandes les pos-sibilités de différenciation parmi les rapports sociaux à

réglementer.On doit distinguer cette différenciation de fond de l'ordre

juridique, qui seule correspond à l'essence de la décentrali-

416 THÉORIE PURE DU DROIT

sation, d'une différenciation de même nature mais fondéeseulement sur des critères d'ordre personnel. L'ordre juri-

dique peut prévoir l'édiction de normes de contenu différent

pour des groupes d'hommes différents, en fonction par

exemple de la langue, de la religion, de la race, du sexe ou

encore de la profession,— ces normes valant par ailleurs

pour le territoire tout entier. Si l'on veut parler de « divi-

sion {Gliederung) » de l'Etat à propos de ce système égale-

ment, on devra préciser que c'est une division d'après le

principe de personnalité, et non — comme le signifie la

« division » de l'Etat au sens propre et traditionnel du terme—

d'après le principe de territorialité. Pour celle-ci, on

pourrait également parler de « système provincial (Pro-

vinzialsystem) », si l'on voulait appeler provinces les frac-

tions de domaine de validité délimitées sur une base pure-ment territoriale.

Il ressort de ce que l'on vient de dire que le problèmede la centralisation et de la décentralisation, —

qui est le

problème de la division territoriale des collectivités juri-

diques— est à titre primaire un problème de domaine de

validité spatial des normes qui forment l'ordre juridique,c'est-à-dire un problème de statique. Seulement, à titre

secondaire s'ajoute à cet élément statique qu'est le domaine

de validité spatial des normes, un second élément, un élé-

ment dynamique, qui est en lui-même absolument différent

et indépendant du premier, mais que l'on n'en mélange

pas moins avec lui, de façon très obscure, lorsqu'il est ques-tion de centralisation et de décentralisation. Alors que, du

point de vue statique, on s'attache uniquement aux normes

en vigueur, en considérant l'identité ou la diversité de leur

domaine de validité spatial, le point de vue dynamique

porte, lui, sur les modes de création des normes qui ont un

domaine de validité différent, sur les actes de création de

normes, et conséquemment sur les organes qui posent les

normes. On distingue entre le cas où les normes —qu'elles

soient valables pour le territoire juridique tout entier ou

seulement pour une fraction du territoire — sont posées

par un organe unique, et le cas où elles sont posées par des

organes différents. Et quoique la collectivité juridique puisseêtre soit centralisée soit décentralisée (au sens statique) aussi

bien s'il n'y existe qu'un seul organe de création des normes

que s'il y en existe plusieurs, on associe à la notion de cen-

tralisation de préférence la représentation de normes

(valables pour le territoire juridique tout entier) posées par

DROIT ET ÉTAT 417

un organe unique qui forme pour ainsi dire le centre de la

collectivité et dont on peut dire aussi, en un sens ou en un

autre, qu'il a son siège spatialement aussi au centre. Alors

qu'inversement à la notion de décentralisation, on associe

l'image d'une pluralité d'organes qui ne sont pas établis au

centre, mais dispersés à travers le territoire de l'Etat, et

dont chacun a compétence seulement pour poser des normes

qui ne vaudront que pour une fraction du territoire.

Il faut observer à ce sujet que ces notions dynamiquesde la centralisation et de la décentralisation peuvent être

appliquées, non seulement à la création de normes juridiques,mais également à leur application, et bien plus à toutes lesfonctions prévues et réglées par un ordre juridique : ces

fonctions sont, les unes comme les autres, assurées soit parun organe unique, soit par une pluralité d'organes. La cen-

tralisation, entendue au sens dynamique, atteint son degréle plus élevé lorsque toutes les fonctions doivent être rem-

plies par un seul et même organe, en particulier lorsquetoutes les normes d'un ordre juridique, les normes généralescomme les normes individuelles sont et créées et appliquées

par un seul et même individu. La décentralisation, entendueau sens dynamique, atteint son degré le plus élevé lorsquetoutes les fonctions peuvent être remplies indistinctement

par tous les sujets de l'ordre juridique. Mais les deux situa-tions que l'on vient de définir ne sont en vérité que descas-limites idéaux : dans la réalité sociale, jamais elles nese rencontrent. Dans les ordres juridiques historiques, jamaisles fonctions qu'ils instituent ne peuvent être remplies parn'importe quel individu, comme jamais elles ne peuventl'être — à l'extrême opposé

— toutes par un seul et uniqueindividu.

f) La dissolution du dualisme du droit et de l'Etat.

Une fois que l'on a reconnu que l'Etat, ordre de conduite

humaine, est un ordre de contrainte relativement centralisé,et que l'Etat en tant que personne juridique est la person-nification de cet ordre de contrainte, le dualisme de l'Etatet du droit se dissout : il apparaît en effet qu'il représentepurement et simplement un de ces dédoublements quinaissent du fait qu'après avoir fondé l'unité de son objet,la connaissance l'hypostasie : la notion de personne n'esten effet rien de plus ni d'autre que l'expression d'une sem-blable unité.

418 THÉORIE PURE DU DROIT

D'un point de vue de théorie de la connaissance, un paral-lélisme se révèle ainsi entre ce dualisme de la personneEtat et de l'ordre juridique, d'un côté, et le dualisme théo-

logique de Dieu et du monde de l'autre, —lequel est égale-

ment lourd de contradictions (1). De même que la théologieaffirme que pouvoir et volonté sont l'essence de Dieu, demême la théorie de l'Etat et du droit présente la puissanceet la volonté comme l'essence de l'Etat. De même que la

théologie affirme tout à la fois la transcendance de Dieu à

l'égard du monde et son immanence dans le monde, demême la théorie dualiste de l'Etat et du droit affirme toutà la fois la transcendance de l'Etat à l'égard du droit, son

existence métajuridique, et son immanence dans le droit.De même que Dieu créateur du monde doit, dans le mythede son incarnation en un être humain, venir dans le monde,se soumettre aux lois du monde, c'est-à-dire à l'ordre de la

nature, naître, souffrir et mourir, — de même l'Etat doit,dans la théorie de son auto-obligation, se soumettre au droit

créé par lui-même. Et de même que la voie vers une véri-table science de la nature n'est rendue libre qu'avec l'appa-rition du panthéisme, qui identifie Dieu avec le monde,c'est-à-dire avec l'ordre de la nature, — de même l'identi-

fication de l'Etat avec le droit, le fait de reconnaître quel'Etat est un ordre juridique, est la condition nécessaired'une véritable science du droit. Mais si l'on pénètre ainsil'identité de l'Etat et du droit, si l'on comprend que le

droit — le droit positif, qui ne doit pas être identifié avec

la justice— est précisément ce même ordre de contrainte

qu'est l'Etat pour une connaissance qui ne demeure pasprisonnière d'images anthropomorphiques, mais qui, per-çant à travers le voile de la personnification, pénètre jus-

qu'aux normes posées par des actes humains, — alors on

aperçoit qu'il est purement et simplement impossible de

justifier l'Etat par le droit. De même qu'il est impossiblede justifier le droit par le droit — à supposer, bien entendu,

que l'on ne prenne pas ce mot « droit » une fois au sens de

droit positif, une autre fois au sens de droit juste, c'est-à-

dire de justice. Et alors on aperçoit que la tentative pour

légitimer l'Etat comme un Etat « de droit », est en réalité

parfaitement inadéquate, pour la raison que— comme on

l'a déjà affirmé — tout Etat doit nécessairement être un

(1) Cf. sur ce point, KELSEN, Der soziologische und der juristischeStaatsbegriff, p. 205 sqq.

DROIT ET ÉTAT 419

Etat de droit en ce sens que tout Etat est un ordre juri-

dique. Ces affirmations ne représentent cependant en aucune

manière un jugement de valeur politique. En prétendantlimiter — selon une thèse que l'on a déjà évoquée

— la

notion d'Etat de droit aux seuls Etats qui répondent aux

postulats de la démocratie et de la sécurité juridique, on se

condamne logiquement à admettre que seuls peuvent être

considérés comme des ordres juridiques « véritables » des

ordres de contrainte qui présentent ce caractère. Mais une

telle idée est un préjugé de droit naturel. Un ordre de

contrainte relativement centralisé qui a un caractère auto-

cratique et qui, parfaitement flexible, sans limitation aucune,n'offre aucun degré de sécurité juridique, est lui aussi un

ordre juridique; et si l'on distingue ordre et collectivité, la

collectivité fondée par un tel ordre de contrainte est une

collectivité juridique, est un Etat. Un positivisme juridique

conséquent ne peut connaître le droit, tout de même que

l'Etat, que comme un ordre de contrainte de la conduite

humaine — et comme rien d'autre —, sans que cette affir-

mation implique rien touchant la valeur morale ou de jus-tice de cet ordre. C'est dire que l'Etat se laisse comprendre

juridiquement au même degré que le droit lui-même ni plusni moins.

Cette dissolution du dualisme Etat — Droit, fondée sur une

analyse de critique méthodologique,—

signifie en même

temps l'anéantissement radical et absolu d'une des plusefficaces idéologies de légitimité. Et c'est ce qui expliquela résistance passionnée que la doctrine traditionnelle du

droit et de l'Etat oppose à la thèse de l'identité de l'Etat

et du droit, qu'a apportée la théorie pure du droit.

TITRE VII

ÉTAT ET DROIT INTERNATIONAL

42. — L'ESSENCE DU DROIT INTERNATIONAL.

a) La nature juridique du droit international.

Selon la définition qui en est habituellement donnée, le

droit international est un complexe de normes qui règlentla conduite mutuelle des Etats, —

que l'on considère comme

ses sujets spécifiques.Que signifie l'assertion que les sujets du droit interna-

tional sont les Etats ? Est-il vrai que seuls les Etats sont

sujets du droit international, que le droit international ne

règle la conduite que des seuls Etats ? Ce sont là des ques-tions que l'on examinera ultérieurement. Pour l'instant, on

veut simplement chercher à répondre à la question primor-diale de savoir si le complexe de normes appelé droit inter-

national est droit au même sens que le droit étatique, et en

conséquence s'il peut, a priori, être un objet de science

juridique. Dans les développements antérieurs, on s'était

contenté de supposer la réponse affirmative, sans examen

plus approfondi.D'après la définition du droit qui est adoptée dans cet

ouvrage, le « droit international » sera véritablement un

droit s'il est un ordre de contrainte de la conduite humaine

supposé souverain — s'il attache à la condition de certains

faits déterminés par lui la conséquence d'actes de contrainte

définis par lui, et si par suite il peut être décrit en propositionsde droit, de même que le droit étatique.

ÉTAT ET DROIT INTERNATIONAL 421

Que, même si l'on est fondé à dire qu'il réglemente la

conduite des Etats, et en tant qu'il la réglemente, il régle-mente également la conduite d'êtres humains, c'est ce quel'on aura à montrer plus tard. Ce qui est en question en ce

passage, c'est de savoir si le « droit international » réglementecette conduite en réagissant contre certains comportementsconsidérés comme des actes illicites, ou, délictueux : par une

sanction qui apparaît comme la conséquence de ce carac-

tère. Le droit international établit-il des actes de contrainte

à titre de sanctions ? Voilà quelle est la question déci-

sive.Nous avons jusqu'ici admis que le droit international

aurait des sanctions spécifiques qui seraient : les représailleset la guerre.

Que cette idée soit exacte en ce qui concerne la premièrede ces deux réactions, il est facile de le montrer. C'est en

effet un principe du droit international général qu'un Etat

qui croit certains de ses intérêts lésés par la conduite d'unautre Etat, est habilité à recourir à des représailles contre

cet Etat. Sous le terme de représailles, on entend un empié-tement sur la sphère d'intérêts d'un Etat, qui serait défendu

par le droit international en dehors de l'hypothèse ci-dessus

définie; cet empiétement a lieu sans la volonté, voire mêmecontre la volonté de l'Etat qu'il atteint et est en ce sensun acte de contrainte, même si, en l'absence d'une résis-tance de l'Etat affecté, il se déroule sans qu'il y ait recoursà la contrainte physique, c'est-à-dire recours aux armes.

Toutefois, le recours à la contrainte physique n'est pasexclu : en cas de nécessité, les représailles peuvent être exé-cutées ou réalisées également par la force des armes. Tou-

tefois, l'action de contrainte ne conserve son caractère de

simple représaille qu'aussi longtemps que l'action de la forcearmée ne se transforme pas en guerre du fait de l'étendueet de l'intensité qu'elle revêtirait.

Entre des représailles réalisées par l'usage de la forcearmée et la guerre, il n'y a qu'une différence de degré simple-ment; les représailles sont une intervention dans la sphèred'intérêts d'un autre Etat qui se limite à la violation decertain de ces intérêts seulement; la guerre au contraire estune intervention illimitée dans cette sphère d'intérêts. Ce

disant, il faut entendre par « guerre » l'action exécutée avec

usage de la force armée qu'un Etat dirige contre un autre

Etat; peu importe si celui-ci réagit ou ne réagit pas à cetteaction par une action de même nature, c'est-à-dire par une

422 THÉORIE PURE DU DROIT

« contre-guerre » (1). Etant donné que les représailles nesont permises qu'à titre de réaction contre la violation decertains intérêts d'un Etat par un autre, elles ont le carac-tère de sanctions, et les violations d'intérêts qui la condi-tionnent ont le caractère de violations du droit internatio-

nal, c'est-à-dire de délit international. Le droit international

protège de cette façon certains intérêts des Etats, non pastous leurs intérêts possibles. C'est précisément contre la vio-lation de ses intérêts protégés par le droit international quecelui-ci habilite chaque Etat à diriger des représailles contrel'Etat qui s'en rend coupable. L'empiétement limité sur la

sphère d'intérêts d'un Etat, qui est permis et licite quandil fait figure de réaction contre une violation du droit, c'est-à-dire quand il a caractère de représailles, est au contrairelui-même un délit international, s'il a lieu en l'absence decette condition. Ainsi donc, cet empiétement est ou biensanction ou bien délit, selon qu'il est ou qu'il n'est pas lui-même sanction, c'est-à-dire réaction contre un délit.

Mais une semblable analyse vaut-elle également pourcette intervention illimitée dans la sphère d'intérêts d'unEtat que l'on appelle la guerre ? Sur cette question, deux

conceptions diamétralement opposées s'affrontent dans ladoctrine. D'après la première, la guerre n'est ni un délit, niune sanction. D'après le droit international général, les Etatsseraient libres de recourir à la guerre pour un motif quel-conque; ce faisant, ils ne violeraient pas le droit interna-tional. D'après l'autre, le droit international général lui-même ne permettrait la guerre que comme réaction contreune violation du droit international, c'est-à-dire contre laviolation par un Etat des intérêts d'un autre Etat, contre

laquelle le droit international général habilite cet Etat à

réagir par les représailles ou par la guerre. De même queles représailles, si elle n'a pas le caractère de sanction, la

guerre serait elle-même un délit; c'est ce que l'on appellele principe de la guerre juste (bellum justum).

Laquelle de ces deux conceptions faut-il considérer commevraie ?

L'idée que ce dernier principe fait partie intégrante dudroit international était déjà à la base des traités de paixqui terminèrent la première guerre mondiale et qui conte-naient le Pacte de la Société des Nations. Ultérieurement,

(1) Cf. KELSEN, Principles of International Law, Ne\v York, 1952,p. 25 sqq.

ETAT ET DROIT INTERNATIONAL 4/d

le pacte Briand-Kellog et la Charte des Nations Unies ont

consacré ce même principe, qui est ainsi devenu indubita-

blement une disposition de traités internationaux à l'un

desquels— le pacte Briand-Kellog,

— à peu près tous les

Etats étaient parties, et dont le second — la Charte des

Nations Unies —prétend, à cet égard, valoir pour tous les

Etats du monde. Etant donné ces faits, il est, aujourd'hui,à peine possible d'affirmer que, d'après le droit international

en vigueur même un Etat qui n'a pas contracté un engage-ment contraire pourrait recourir à la guerre contre tout

autre Etat pour n'importe quel motif qu'il lui plaît, sans

violer le droit international; autrement dit, il est impos-sible de nier la validité générale du principe du bellum

justum (1). Et ainsi l'idée que la guerre serait une sanction

du droit international, à côté des représailles et comme elles,

apparaît parfaitement fondée.Ces sanctions consistent, comme les sanctions du droit

étatique, dans le retrait de force, par la contrainte, de la vie,de la liberté et d'autres biens, en particulier de biens écono-

miques des hommes. Par la guerre, des hommes sont tués,mutilés, faits prisonniers, des objets de propriété publiqueou privée sont détruits; par la voie des représailles, des

objets de propriété publique ou de propriété privée sont

confisqués, et d'autres biens juridiques sont lésés. Si l'on

considère leur contenu, ces sanctions du droit internationalne se distinguent en rien de celles du droit étatique. Maiselles sont, comme l'on dit, dirigées contre l'Etat. Lorsque la

guerre et les représailles ont le caractère de sanctions et quel'on dit que ces sanctions sont dirigées contre l'Etat, bien

que directement elles soient dirigées contre des individus,— en d'autres termes : lorsque le fait de subir ces sanctionsest attribué à l'Etat —, cette attribution exprime que ceshommes qui subissent effectivement les maux des sanctionsfont partie de l'Etat, c'est-à-dire sont soumis à l'ordre

juridique dont la personnification est l'Etat, en tant quesujet du droit international et, comme tel, en tant que sujetdu délit international qui forme la condition de la sanction.

b) Le caractère primitif du droit international.

Le droit international accuse sans doute en tant qu'ordrede contrainte, le même caractère que le droit étatique ; mais

(1) Cf. KELSEN, op. cit., p. 33 sqq.

424 THÉORIE PURE DU DROIT

il se distingue néanmoins de celui-ci, et il présente une cer-taine analogie avec le droit des sociétés primitives par lefait que, tout au moins en tant que droit général obligeanttous les Etats, il n'institue pas d'organe spécialisé pour lacréation et l'application de ses normes. Il se trouve encoreen un état de décentralisation extrêmement poussée. Il enest seulement au début d'une évolution que le droit étatiquea déjà derrière lui depuis des siècles. Les normes généralessont créées par voie de coutume et par traités, c'est-à-dire

que cette création est l'oeuvre des membres de la collectivité

juridique eux-mêmes, et non pas d'un organe de législationparticulier. Et il en va de même pour l'application desnormes générales aux cas concrets. C'est l'Etat qui se croitlésé dans son droit qui a lui-même à décider si on est en

présence d'un délit pour lequel un autre Etat est respon-sable. Et si celui-ci nie le délit affirmé par le premier, etsi l'on n'arrive pas à un accord entre les parties intéresséesau sujet de l'existence d'un délit, il n'existe pas d'instance

objective qui aurait à décider le litige suivant une procédure

juridiquement réglée. Et, c'est également l'Etat lésé dansson droit, lui-même, qui est habilité à réagir contre le vio-lateur du droit par un acte de contrainte institué par le droitinternational général par les représailles ou par la guerre.C'est la technique de l'auto-défense dont l'évolution de l'ordre

juridique étatique est, elle aussi, partie à l'origine.

c) La pyramide hiérarchique du droit international.

Le droit international se compose de normes qui ont étéinitialement créées par des actes d'Etats, c'est-à-dire parles organes compétents à cet effet selon les règles des droits

étatiques, pour régler les relations inter-étatiques, et cela

par voie de coutume. Ce sont les normes du droit interna-tional dit général, parce qu'il oblige et habilite tous les

Etats. L'une d'entre ces normes présente une particulièreimportance : celle que l'on exprime habituellement par la

formule « pacta sunt servanda ». Cette norme habilite les

sujets de la communauté internationale à régler leur conduite

réciproque par voie de traités — leur conduite réciproque,cela veut dire la conduite des organes et des sujets de cha-

cun d'eux envers les organes et les sujets des autres. Le

processus consiste en ceci, que, par accord de volontésdéclaré des organes compétents à cet effet de deux ou plu-sieurs Etats, sont créées des normes par lesquelles les Etats

ÉTAT ET DROIT INTERNATIONAL 425

contractants sont obligés et habilités : c'est le droit inter-

national conventionnel. Actuellement, abstraction faite de

quelques exceptions, ce droit a le caractère de droit simple-ment particulier : les normes qui le composent ne valent

pas pour tous les Etats, mais seulement pour soit deux

Etats, soit un groupe d'Etats plus ou moins nombreux; elles

fondent des collectivités simplement partielles. Il faut obser-ver à cet égard que le droit international conventionnel et

particulier et le droit international coutumier et généralne doivent pas être considérés comme des groupes de normes

coordonnés, c'est-à-dire de rang et valeur égaux : la basedu premier groupe est une norme du second groupe; c'estdire que le second constitue un étage ou degré supérieurau premier. Et si l'on prend en considération également lesnormes juridiques qui sont créées par les tribunaux inter-nationaux et par d'autres organes internationaux créés partraité, alors apparaît dans la structure du droit interna-tional un troisième étage ou degré. Car les fonctions de tels

organes créateurs de normes de droit international ont leurbase dans un traité international, c'est-à-dire sur des normes

qui appartiennent au deuxième degré de la pyramide dudroit international. Mais étant donné que celui-ci — le droitinternational conventionnel créé par voie de traités entreEtats —

repose sur une norme du droit international cou-tumier général, qui constitue la couche relativement la plusélevée, il faut nécessairement admettre comme on l'a déjàexposé précédemment, que la norme fondamentale supposéedu droit international est une norme qui fait de la coutumefondée par la conduite mutuelle des Etats un mode de créa-tion de droit.

d) Obligations et habilitations simplement médiates

par le droit international.

Le droit international oblige et habilite les Etats. Il

oblige les Etats à une certaine conduite c'est-à-dire la leur

prescrit en attachant à la conduite contraire les sanctions

que l'on a déjà nommées, représailles ou guerre, et ainsi ildéfend cette conduite contraire qui prend le caractère dedélit. Le droit international n'affecte pas chacune des deuxsanctions à un groupe de délits déterminé; pour tout délit,il laisse à l'Etat lésé dans son droit le choix entre l'une etl'autre sanction. D'autre part, le droit international géné-ral n'oblige pas l'Etat victime d'un délit commis par un

28. THÉORIEPUREDUDROIT.

426 THÉORIE PURE DU DROIT

autre Etat à réagir par une sanction à la violation du droit,à procéder contre l'Etat qui a violé à son égard le droit

international, c'est-à-dire ses obligations envers lui, auxactes de contrainte qui sont sans cela prohibés; il l'y habi-

lite simplement. Le droit réflexe de l'un des Etats —qui

ne fait qu'un avec l'obligation de l'autre envers lui — est

assorti de l'habilitation, du pouvoir donnés au premier de

procéder contre l'Etat qui viole ses obligations aux sanc-tions prévues par le droit international. En cela consiste son

droit subjectif.Ce droit diffère d'un droit subjectif privé en ce que le

droit international n'exige pas qu'une décision d'un tribunal

intervienne préalablement pour ordonner la sanction, et en

ce que l'exécution de la sanction n'est pas confiée à un

organe spécialisé : le pouvoir juridique de l'Etat victime

de la violation d'une obligation ne consiste pas à introduireune procédure tendant à l'application d'une sanction; il a

le pouvoir de décider lui-même qu'il y a eu violation parl'autre Etat d'obligations envers lui, qu'il y a lieu à sanc-

tion contre lui, et le pouvoir d'exécuter lui-même cette

sanction.Dire que le droit international oblige et habilite les Etats

ne signifie pas, contrairement à ce que l'on admet géné-ralement, qu'il n'oblige ni n'habilite les individus. Le droit

étant essentiellement réglementation de la conduite humaine,une obligation juridique, de même qu'un droit, ne peuventavoir pour contenu rien d'autre que de la conduite humaine

(ou en tout cas des faits considérés en rapport avec la

conduite humaine) ; et conduite humaine signifie conduite

d'individus. Par conséquent, la proposition que le droit

international oblige et habilite les Etats signifie simplement

qu'à la différence de l'ordre juridique étatique, le droit inter-

national n'oblige ni n'habilite des individus de façon directe,mais seulement de façon indirecte, en passant par l'inter-

médiaire de l'ordre juridique étatique (dont 1' « Etat » n'est

rien d'autre que l'expression personnificative). L'obligationet l'habilitation des Etats par le droit international a le

même caractère que l'obligation et l'habilitation des corpo-rations —

personnes juridiques—

par le droit étatique.L'Etat est une personne juridique, et les normes de droit

international par lesquelles les Etats comme tels sont obli-

gés et habilités sont des normes incomplètes, qui ont besoin

d'être complétées. Car, de la conduite humaine qu'elles ont

nécessairement pour contenu, elles déterminent uniquement

ÉTAT ET DROIT INTERNATIONAL 427

les éléments objectifs, elles ne déterminent pas l'élément

personnel : elles fixent seulement ce qui doit être fait ou

n'être pas fait; elles ne fixent pas elles-mêmes qui, c'est-

à-dire quel homme, doit accomplir l'action prescrite ou

observer l'abstention prescrite. La détermination de cet

individu, le droit international la laisse au droit étatique.La conduite prescrite ou la conduite défendue par le droit

international, qui constituent ou l'exécution ou la violation

de l'obligation par cet individu, et par conséquent l'obli-

gation elle-même sont attribuées à l'Etat, c'est-à-dire rap-

portées à l'unité de l'ordre juridique étatique, en tant qu'il

prévoit cette conduite comme une fonction spécialisée de

l'individu, qui joue là le rôle d'organe de l'Etat. La même

analyse vaut pour les actes qui constituent l'exercice des

droits réflexes et l'usage du pouvoir de réagir à la

violation de l'obligation (identique au droit réflexe) par une

sanction, représailles ou guerre. L'attribution à un Etatd'une conduite défendue par le droit international, c'est-à-dire l'idée d'une capacité de délit international des Etats,ne présente aucune difficulté. Le droit étatique peut trèsbien habiliter et même obliger un organe étatique à uneconduite à laquelle le droit international attache une sanc-tion. Sur la différence qui existe à cet égard entre un délit

prévu par le droit international et un délit prévu par ledroit étatique, on a déjà donné les explications nécessairesdans de précédents développements (Voir supra, p. 398 sqq.).

Comme on l'a déjà remarqué, l'assertion que les sanc-tions du droit international, la guerre et les représailles,sont dirigées contre l'Etat signifie simplement que le faitde subir le mal que comportent ces sanctions est attribuéà la personne Etat, alors que dans la réalité ce mal atteintdes individus qui font partie de l'Etat. Mais les faits dontil s'agit peuvent être décrits de façon bien plus conformeà la réalité sans recourir à cette attribution fictive : lesdélits internationaux qui entraînent des sanctions sont com-mis par des hommes qui remplissent les fonctions de gou-vernement d'un Etat; les sanctions, elles, ne sont pas diri-

gées exclusivement contre ces hommes; elles sont dirigéescontre d'autres hommes, contre les citoyens; on peut donc

exprimer le sens de la proposition que les sanctions sont

dirigées contre l'Etat en disant : les sanctions établies parle droit international général

—guerre et représailles

fondent une responsabilité collective des membres de l'Etat

pour les délits internationaux commis par le gouverne-

428 THÉORIE PURE DU DROIT

ment (1). Puisque le délit international n'est en aucunefaçon commis par les individus contre lesquels se dirigel'acte de contrainte valant sanction, puisque par suite cene sont pas ces individus qui provoquent par ce délit laviolation des intérêts d'un Etat étranger, la violation d'in-térêts d'Etats tiers causée intentionnellement ou par négli-gence, la responsabilité collective en question est une res-

ponsabilité du fait d'autrui, sans faute, une responsabilitéde résultat (Erfolgshaftung).

Cette responsabilité collective est encore un point de simi-litude entre le droit international et le droit des sociétés

primitives.Selon le droit international général, les actions de lutte

qui constituent le fait appelé la guerre doivent être diri-

gées uniquement contre les membres de cet organe desEtats que sont les forces armées. Par suite, si on attribueà l'Etat le fait d'en pâtir, on exprime aussi par là cette donnée

que ces actions sont dirigées contre un organe de l'Etat.Mais ceci ne veut certes pas dire que dans la réalité, lesactes de guerre ne toucheront pas des membres de la col-lectivité qui ne font pas partie des forces armées ; l'on saitdu reste que la technique actuelle de conduite de la guerrene permet plus d'éviter cette situation.

Toute la signification juridique incluse dans les propo-sitions que « le droit international n'oblige et n'habilite

que les Etats », ou qu'en conséquence seuls « les Etats sont

sujets du droit international » s'épuise dans cette donnée :

le droit international délègue aux ordres juridiques éta-

tiques la détermination des individus qui peuvent ou doiventexécuter les obligations qu'il établit — ou qui les violeront

—, ou qui peuvent exercer les droits qu'il établit. Ces pro-

positions expriment le caractère indirect seulement de l'obli-

gation et de l'habilitation des individus par le droit interna-

tional, le fait que cette obligation et cette habilitation ont

(1) Très caractéristique est l'usage de cette opération d'attributionà propos des guerres civiles. Les insurgés disent de leur action, qui est

analogue à une guerre, non pas qu'elle est dirigée contre l'Etat, mais

qu'elle est dirigée uniquement contre son actuel gouvernement : c'est-à-dire qu'ils n'attribuent pas à l'Etat le fait de subir les maux queleur action inflige à des hommes. Mais le gouvernement, contre lequelils déclarent ainsi diriger leur action révolutionnaire, et qui est —

tant qu'il conserve le contrôle effectif du pouvoir — le gouvernementlégitime et représentant l'Etat, caractérisera cette action, en accordavec le langage courant de maints Codes pénaux, comme « staatsfeind-lich (hostile à l'Etat) », c'est-à-dire donc comme dirigée contre l'Etat.

ÉTAT ET DROIT INTERNATIONAL 429

lieu par l'intermédiaire du droit étatique, c'est-à-dire en

deux temps.Au reste, le caractère indirect seulement de cette appré-

hension de la conduite individuelle par le droit interna-

tional n'est que la règle générale. Cette règle connaît de

très notables exceptions, aussi bien dans le domaine du droit

international général et coutumier qu'également dans le

domaine du droit international conventionnel et particu-lier : il existe des normes de droit international qui obligentde façon directe des individus, c'est-à-dire des normes des-

quelles résulte de façon immédiate non seulement l'acte quidoit être fait ou ne doit pas être fait, mais également quelssont les individus qui doivent faire l'acte prescrit ou s'abste-nir de l'acte défendu par le droit international. Ces indi-vidus apparaissent alors comme sujets directs du droitinternational.

Les normes de droit international qui imposent ainsidirectement des obligations à des individus ne fondent pasces obligations en attachant à leur éventuelle violation lessanctions spécifiques du droit international, représailles et

guerre. Ce sont les sanctions spécifiques du droit étatique,peine et exécution forcée, qui les garantissent. L'établisse-ment et l'exécution de ces sanctions peuvent se faire suivantdeux modalités différentes : ou le droit international lesabandonne aux droits étatiques, comme dans le cas du délitinternational de piraterie, ou c'est un traité international

qui les détermine et qui en confie l'application aux casconcrets à un tribunal international qu'il crée — tel fut le

système adopté pour les poursuites pénales contre les cri-minels de guerre, en vertu de l'accord de Londres du 8 août1945.

La tendance du droit international à poser des règlesd'obligation et d'habilitation directes des individus doitnécessairement se renforcer dans la même mesure que s'ac-croît sa pénétration dans des matières ou domaines quiantérieurement n'étaient réglés que par le droit étatique.Mais cette évolution ne peut manquer de se répercuter surle régime de la responsabilité : elle se manifestera par latendance corrélative à substituer à la responsabilité collec-tive et purement causale la responsabilité individuelle et

pour faute. Allant de pair avec ce mouvement, on peut obser-ver également, mais, à l'heure actuelle, seulement au seinde collectivités de droit international particulières, la cons-titution d'organes centraux ayant un rôle de création et

430 THÉORIE PURE DU DROIT

d'exécution des normes juridiques. Tout comme ce fut lecas dans l'histoire des ordres juridiques étatiques, ce pro-cessus de centralisation commence tout d'abord par la juri-diction : il tend vers la formation d'une juridiction interna-

tionale.

43. — DROIT INTERNATIONAL ET DROIT ÉTATIQUE.

a) L'unité du droit international et du droit étatique.

Toutes les transformations de technique juridique quel'on vient d'évoquer tendent, en dernière analyse, à estom-

per puis effacer (verwischen) la ligne-frontière qui sépare le

droit international et le droit étatique, en sorte que la fin

ultime de l'évolution réelle du droit, qui va vers une cen-

tralisation croissante, apparaît être l'unité organique d'une

communauté universelle ou mondiale, fondée sur un ordre

juridique, ou, en d'autres termes la formation d'un Etat

mondial. A l'heure actuelle cependant, on ne saurait certes

prétendre qu'une telle unité et une telle communauté existent.

Il n'existe qu'une unité scientifique de la totalité du droit;autrement dit, il est possible de comprendre l'ensemble

droit international et ordres étatiques comme un systèmede droit unitaire, tout à fait de la même façon que l'on a

accoutumé de considérer chaque ordre étatique comme une

unité.Cette idée est contredite par la conception traditionnelle

qui voudrait voir dans le droit international et le droit

étatique deux systèmes de normes indépendants l'un de

l'autre, isolés l'un par rapport à l'autre, pour la raison qu'ils

reposeraient sur deux normes fondamentales différentes.

Mais cette construction dualiste — c'est le nom sous lequelelle est connue; si l'on tient compte de la pluralité des ordres

étatiques, il serait plus exact de la qualifier de « pluraliste »— est cependant insoutenable déjà pour une raison pure-ment logique, si l'on doit considérer que le droit interna-

tional aussi bien que les droits étatiques sont des systèmesde normes, et de normes juridiques pareillement, valables

simultanément. Dans cette vue que la doctrine dualiste aussi

adopte, il y a déjà ce postulat de théorie de la connaissance :

comprendre tout ce qui est droit en un système, c'est-à-dire

le comprendre d'un seul et même point de vue comme cons-

tituant un tout refermé sur lui-même. En tant que la con-

naissance juridique veut concevoir comme droit à la

ÉTAT ET DROIT INTERNATIONAL 431

fois les matériaux que l'on étiquette droit international et

ceux qui se présentent comme formant le droit étatique, en

tant qu'elle veut les appréhender sous la catégorie « normes

juridiques valables », elle s'assigne la tâche, tout de même

que les sciences de la nature, de présenter son objet comme

une unité. Le critère négatif de cette unité est l'absence de

contradiction. Ce principe logique vaut également pour la

connaissance dans le domaine des normes. On ne peut pasdécrire un ordre normatif en affirmant qu'est valable lanorme : A doit être, et qu'est valable au même moment lanorme : A ne doit pas être. Le point primordial et décisifdans la définition du rapport entre droit étatique et droit

international, c'est de savoir s'il peut exister entre ces deux

groupes de systèmes normatifs des conflits insolubles. L'idéede l'unité du droit étatique et du droit international ne

serait condamnée que si l'on devait admettre que de telsconflits peuvent se rencontrer entre eux. Alors, effective-

ment, seule une construction dualiste ou pluraliste du rap-port entre droit étatique et droit international serait pos-sible. Mais, s'il en allait ainsi, on ne pourrait plus parlerd'une validité simultanée des deux droits. Que l'on consi-dère le rapport entre droit et morale. Entre droit et morale,on constate qu'il peut exister effectivement des conflits inso-lubles. Par exemple, tel système de morale interdit en toutescirconstances de tuer un homme, mais tel ordre juridiquepositif établit au contraire la peine de mort, et habilite le

gouvernement à recourir à la guerre, sous les conditionsfixées par le droit international. En un semblable cas, celui

qui considère le droit comme un système de normes valablesdoit faire abstraction de la morale ; et inversement celui quiconsidère la morale comme un système de normes valables doitfaire abstraction du droit. On exprime ceci en disant que :du point de vue de la morale, la peine de mort ou la guerresont interdites, mais du point de vue du droit toutes deuxsont ou bien ordonnées, ou bien tout au moins permises.Cela revient à dire, tout simplement qu'il n'existe pas unun point de vue duquel morale et droit puissent être consi-dérés simultanément comme des ordres normatifs valables.« Personne ne peut servir deux maîtres » (Saint Mathieu, VI,24). S'il existait des conflits insolubles entre droit inter-national et droit étatique, et si par suite une constructiondualiste s'imposait, le juriste qui considérerait le droit éta-

tique comme un système de normes valables, non seulementne pourrait pas considérer le droit international comme du

432 THÉORIE PURE DU DROIT

droit; il ne pourrait même pas le considérer du tout commeun ordre normatif obligatoire, qui serait en vigueur enmême temps que le droit étatique. Il ne pourrait inter-

préter les relations qu'il envisage que soit du point de vuede l'ordre étatique, soit du point de vue de l'ordre juri-

dique international. Dans la mesure où ce serait à ces vues

que se référerait une théorie qui croit devoir admettrel'existence de conflits insolubles entre droit internationalet droit étatique, et qui ne considère pas le droit interna-tional comme du droit, mais comme une sorte de morale

internationale, elle échapperait à toute objection d'ordre

logique. Mais la plupart des représentants de la théorie dua-

liste se voient contraints à considérer le droit international

et le droit étatique comme des ordres juridiques valables

simultanément, qui à la fois seraient indépendants l'un del'autre dans leur validité et pourraient entrer en conflitl'un avec l'autre. Ainsi conçue, la théorie est insoutenable.

b) Absence de conflits entre droit internationalet droit étatique.

Pour justifier la thèse que le droit étatique et le droitinternational seraient deux ordres juridiques distincts l'unde l'autre et indépendants l'un de l'autre dans leur validité,on invoque essentiellement l'existence de conflits insolublesentre les deux ordres. Mais si l'on examine de plus prèscette affirmation, on s'aperçoit que ce qui est présenté comme

un conflit entre normes du droit international et norme d'undroit étatique n'est pas du tout un conflit de normes, queles faits allégués peuvent être décrits en propositions de

droit entre lesquelles il n'y a en aucune manière contradic-tion logique.

On cite comme principal exemple de conflit le fait qu'uneloi étatique pourrait être contraire à un traité international;

par exemple, un Etat s'est obligé par traité à accorder aux

membres d'une minorité les mêmes droits politiques qu'auxmembres de la majorité, néanmoins, cet Etat adopte une

loi qui retire aux membres de la minorité tous les droits

politiques : or, cette contrariété entre leurs dispositions res-

pectives n'affecte ni la validité de la loi, ni la validité du

traité. L'argument est sans valeur : une situation parfaite-ment analogue se retrouve dans le cadre de l'ordre juri-

dique étatique, sans que l'on songe pour autant à mettre le

moins du monde en doute l'unité de cet ordre. Ce que l'on

ÉTAT ET DROIT INTERNATIONAL 433

appelle une loi inconstitutionnelle est également une loi

valable et le reste sans que cela oblige le juriste à considérer

la Constitution comme abrogée ou modifiée de ce fait. Tout

de même, ce que l'on appelle un jugement illégal est une

norme valable et demeure en vigueur tant qu'il n'est pasannulé par un jugement ultérieur. Nous l'avons établi anté-

rieurement, la « contrariété à une norme (Normwidrigkeit) »

ne signifie pas un conflit entre la norme inférieure et la

norme supérieure, mais signifie seulement que la norme infé-

rieure est annulable ou qu'un organe responsable de son

édiction est punissable. A cet égard, il faut relever parti-culièrement que l'édiction d'une norme contraire à une

norme peut être un fait délictueux pour lequel l'ordre juri-

dique prévoit comme sanction ses actes de contraintes spé-

cifiques. Et l'on a déjà expliqué également que le délit n'est

pas, comme le voudrait le mot « Unrecht », une négation du

droit, quelque chose qui, étant en opposition avec le droit,n'est pas droit, mais est simplement une fonction spéci-

fique à laquelle le droit attache des conséquences spécifiques,et que, par conséquent, entre ce qu'on nomme délit et le

droit, il n'existe aucune contradiction. Il n'y a par suite

aucune difficulté dans le fait que des normes juridiquesvalables puissent être créées par un acte présentant le carac-tère de délit. Il est possible que des sanctions soient atta-chées au fait d'édicter ainsi des normes et que ces normessoient cependant valables; valables, non pas même seule-ment en ce sens qu'elles demeureraient en vigueur .jusqu'àleur annulation par un acte de droit, selon une procédureparticulière prévue à cet effet par l'ordre juridique, mais,allant beaucoup plus loin, même en ce sens qu'elles ne

peuvent absolument pas être annulées suivant une telle

procédure parce que l'ordre juridique ne la prévoirait pas.Et tel est effectivement le cas dans les rapports entre droitinternational et droit étatique. Le droit international n'obligeles Etats à accomplir tel ou tel acte, en particulier il neles oblige à édicter des normes d'un certain fond, qu'en cesens qu'il attache à l'acte contraire ou à l'édiction d'unenorme étatique contraire en son fond ses sanctions spéci-fiques pour les actes illicites, — la guerre ou les représailles.Mais les normes de droit étatique qu'un Etat créerait enviolation du droit international demeureraient valables ; celamême du point de vue du droit international, car celui-cine prévoit aucune procédure permettant l'annulation desnormes de droit étatique « contraires au droit internatio-

434 THÉORIE PURE DU DROIT

nal », du moins est-ce là l'état du droit international général;certaines règles de droit international particulier instituent

au contraire une telle procédure et ouvrent ainsi la possi-bilité d'annulation de normes étatiques contraires à des

normes internationales. Sur ce point encore, on trouve dans

certains droits étatiques un état de choses analogue : en

établissant un catalogue de droits et libertés fondamentaux,la Constitution de certains Etats prétend déterminer le

contenu futur de la législation ; mais toutes ces Constitutions

n'instituent pas une procédure pouvant aboutir à l'annula-

tion de lois ordinaires pour cause d'inconstitutionnalité, pourviolation d'un droit fondamental; certaines prévoyant sim-

plement la possibilité d'engager la responsabilité person-nelle de certains organes qui auraient participé à l'édiction

d'une loi dite inconstitutionnelle. Cette détermination du

contenu de futures lois par une Constitution qui ne prévoit

pas une juridiction constitutionnelle est tout à fait sem-

blable à la détermination par le droit international généraldu contenu du droit étatique : elles ont toutes deux un

caractère alternatif. Elles n'excluent pas la possibilité d'un

contenu différent de celui qui est prescrit; de ce fait, elles

légalisent l'édiction des normes contraires,— sans doute en

seconde ligne seulement. En droit international, ces normes

irrégulières ne sont disqualifiées qu'en tant que leur édic-

tion est regardée et traitée comme un délit international,— sans que cela préjudicie à leur validité. Mais ni l'acte

délictueux ni la norme qualifiée de contraire au droit inter-

national qu'il a servi à créer ne sont en contradiction logiqueavec le droit international. Rien ne s'oppose donc de ce

point de vue à ce que l'on admette l'unité du droit interna-

tional et du droit étatique.

c) Le rapport réciproque de deux systèmes de normes.

Mais cette unité entre droit international et droit éta-

tique peut être établie scientifiquement de deux façons dif-

férentes; et on ne peut les considérer tous deux comme

des ordres valables simultanément de normes obligatoiresautrement qu'en les comprenant tous deux en un système

unique descriptible en propositions de droit non contradic-

toires, soit de l'une soit de l'autre des façons annoncées.

Deux complexes de normes du type dynamique, tels quel'ordre juridique international et un ordre étatique, peuventd'abord former un système unitaire dans lequel l'un des

ÉTAT ET DROIT INTERNATIONAL 435

deux ordres —B— se présente comme subordonné à l'autre

A— parce que l'ordre A contient une norme qui règle lacréation des normes de l'ordre B et que, par suite, la validité

de l'ordre B est fondée sur l'ordre A. La norme fondamen-tale de l'ordre supérieur (A) est alors également le fonde-ment de validité de l'ordre inférieur (B). C'est là une pre-mière modalité de l'unité. — Dans la seconde modalité pos-sible, les deux ordres apparaissent comme coordonnés l'unà l'autre, ce qui signifie que leurs domaines de validité res-

pectifs sont délimités l'un par rapport à l'autre. Mais unetelle délimitation suppose l'existence d'un troisième ordre

supérieur aux deux précédents, qui règle leur création, quifixe les limites de leurs domaines de validité respectifs, —

ce qui a pour effet de fonder leur coordination. Ainsi qu'onl'a exposé précédemment, la détermination du domaine devalidité est la détermination par l'ordre supérieur d'un élé-ment du contenu de l'ordre inférieur. La détermination dela procédure de création peut avoir lieu soit directement,soit indirectement; directement : l'ordre supérieur régle-mente lui-même la procédure suivant laquelle les normesde l'ordre inférieur sont créées ; indirectement : l'ordre supé-rieur se borne au contraire à instituer une instance, qui estainsi habilitée à poser discrétionnairement des normes valant

pour un domaine déterminé. Dans un semblable cas, on

parle de délégation; et l'unité qui groupe l'ordre supérieuravec l'ordre inférieur a le caractère d'un rapport de déléga-tion. De cela seul, il résulte déjà que le rapport de l'ordre

supérieur à plusieurs ordres inférieurs délégués par lui estnécessairement en même temps le rapport d'un ordre totalaux ordres partiels qu'il comprend. En effet, puisque lanorme qui est le fondement de validité de l'ordre inférieurest un élément de l'ordre supérieur,on peut penser l'ordre infé-rieur comme un ordre partiel contenu dans l'ordre total qu'estl'ordre supérieur. La norme fondamentale de l'ordre supé-rieur, en tant que degré suprême de l'ordre total, représentele fondement suprême de la validité de toutes les normes,également des normes des ordres inférieurs.

Si le droit international et le droit étatique forment un

système unitaire, leur rapport mutuel doit nécessairementse présenter sous l'une des deux formes que l'on vient d'ana-

lyser. Le droit international doit être conçu, ou bien commeun ordre juridique délégué par le droit étatique et parconséquent incorporé à celui-ci, ou bien comme un ordre

juridique total qui délègue les ordres juridiques étatiques.

436 THÉORIE PURE DU DROIT

qui leur est supérieur, et qui les comprend tous comme desordres juridiques partiels. Ces deux interprétations du rap-port entre droit international et droit étatique représententune construction moniste. Mais la première pose la primautédu droit étatique; la seconde, la primauté de l'ordre

juridique international.

d) Le caractère inévitable d'une construction moniste.

a) La reconnaissance du droit international par l'Etat : la

primauté de l'ordre juridique étatique.

Les défenseurs d'une construction dualiste considèrent le

droit international (on l'a déjà rappelé) comme un systèmede normes juridiques obligatoires qui sont en vigueur à côtédes normes du droit étatique. Par suite, ils doivent néces-

sairement répondre à la question de savoir pourquoi lesnormes du droit international lient les Etats et chacun

d'eux en particulier, quel est le fondement de leur validité,de leur force obligatoire; répondant à cette question, ces

juristes partent chacun de l'idée que l'ordre juridique de

son propre Etat, disons : son ordre juridique national est

valable,— ils supposent que cette validité va évidemment

de soi. Mais si l'on part de cette prémisse de la validité d'un

ordre étatique, la question se pose de savoir comment, avecce point de départ, on peut fonder la validité du droit inter-

national. Et alors le fondement de la validité du droit inter-national doit être trouvé dans l'ordre juridique étatique.On le trouve en effet en admettant que le droit internationalvaut pour un Etat seulement si cet Etat le reconnaît valable

pour lui-même, plus précisément s'il le reconnaît tel qu'ilest constitué par la coutume au moment de cette reconnais-sance. Celle-ci peut avoir lieu expressément, par un acte de

législation ou par le gouvernement, ou tacitement, par une

application effective du droit international, par la conclu-sion des traités internationaux, par le respect des immunitésstatuées par le droit international, etc.. Tous les Etats

agissant effectivement par l'une de ces voies au moins, le

droit international est effectivement en vigueur pour tous

les Etats. Mais c'est seulement par cette reconnaissance

expresse ou tacite que le droit international devient valable,entre en vigueur pour chacun d'eux. Cette idée domine

dans la jurisprudence anglo-américaine, et elle s'exprimedans certaines Constitutions modernes qui contiennent des

ETAT ET DROIT INTERNATIONAL 437

dispositions selon lesquelles le droit international doit être

considéré comme partie intégrante du droit national; ces

dispositions portent donc reconnaissance du droit interna-

tional général; elles font partie intégrante de l'ordre juri-

dique national considéré. Il faut observer à cet égard quela reconnaissance du droit international par l'Etat n'est pasune condition posée par le droit international lui-même,

qui ferait ainsi dépendre d'elle sa propre validité pour

chaque Etat. Il est impossible qu'une norme en vigueurdu droit international établisse une telle condition, puisquela validité de cette norme elle-même ne pourrait pas dépendred'une semblable condition. Mais rien n'empêche que les tri-

bunaux et les autres organes d'application du droit consi-

dèrent que le droit international n'est obligatoire pour leur

Etat que s'il a été reconnu par cet Etat comme obligatoire

pour lui. Une telle conception a pour conséquence logique

que, si l'on suppose qu'un Etat ne reconnaisse pas le droit

international comme obligatoire pour lui, ce droit ne vaut

pas pour lui. L'idée que le droit international ne vaut pas

pour un Etat donné, que les relations de cet Etat avec les

autres Etats ne seraient pas soumises au droit international

n'est nullement inconcevable.Selon ses propres règles, le droit international positif est

applicable aux relations d'un Etat donné avec une autrecollectivité à la seule condition qu'il reconnaisse cette col-lectivité comme un Etat au sens du droit international; etl'on remarquera qu'il ne faut pas confondre cette reconnais-sance d'une collectivité comme Etat, c'est-à-dire la consta-tation qu'une collectivité remplit les conditions définies parle droit international moyennant lesquelles une collectivitédoit être considérée comme un Etat au sens du droit inter-

national, avec la reconnaissance du droit international parl'Etat. Si en répondant à la question du principe de la vali-dité du droit international, l'on part de l'idée de la validitéde son propre ordre juridique, si l'on demande pourquoi ledroit international vaut pour l'Etat qui doit être considéré

déjà comme un ordre juridique valable, on ne peut arriver

qu'à une seule et unique réponse : pour lier un Etat, il estnécessaire que le droit international soit reconnu par cetEtat. La position même de la question inclut déjà en soi

que le principe de validité du droit international doive néces-sairement être trouvé dans l'ordre juridique étatique, c'est-à-dire qu'elle implique l'idée de la primauté de l'ordre juri-dique national du juriste, autrement dit : la souveraineté de

438 THÉORIE PURE DU DROIT

cet ordre, ou, ce qui a le même sens, l'idée de la souverainetéde l'Etat pour lequel on pose la question de la validité du

droit international pour lui.

Cette souveraineté de l'Etat est le facteur décisif pour

l'acceptation de l'idée de primauté de l'ordre juridique éta-

tique. Cette souveraineté n'est pas une qualité d'un objetréel que l'on pourrait percevoir ou reconnaître objective-ment de quelque autre façon; elle n'est qu'une hypothèse :

l'hypothèse qu'un ordre normatif est un ordre suprême,dont la validité ne peut être déduite d'aucun ordre supé-rieur. A la question de savoir si l'Etat est souverain, ce n'est

pas un examen de la réalité naturelle qui permet de répondre.La souveraineté n'est nullement un maximum de puissanceréelle. Des Etats qui n'ont, en comparaison avec les grandes

puissances, absolument aucun pouvoir réel entrant en lignede compte sont considérés comme aussi souverains que ces

grandes puissances. La question de savoir si un Etat est

souverain est la question de savoir si l'on suppose que l'ordre

juridique étatique est l'ordre suprême; c'est précisémentce que l'on suppose si l'on considère le droit international,non pas comme un ordre juridique supérieur à l'ordre éta-

tique, mais comme un ordre juridique délégué par ce der-

nier, c'est-à-dire si l'on ne considère le droit international

comme valable pour un Etat que s'il est reconnu par cet

Etat. Ceci est aussi possible qu'il est possible de considérer— à vrai dire, on ne le fait plus guère aujourd'hui

—que

l'ordre juridique étatique n'est valable pour l'individu qu'àla condition d'être reconnu par lui. Si l'on admet que le

fondement de la validité de l'ordre étatique est la recon-

naissance de cet ordre par l'individu pour lequel il doit

valoir, on part du postulat de la souveraineté de l'individu,de sa liberté. De même que si l'on admet que le principede la validité du droit international est sa reconnaissance

par l'Etat, on part de la souveraineté de l'Etat. Dire quel'Etat est souverain, c'est tout simplement dire que l'on

suppose que l'établissement de la Constitution historique-ment première est un fait de création du droit, sans se

référer pour l'admettre à une norme du droit international

qui lui attribuerait ce caractère.

Le droit international, qui, du point de vue de la pri-mauté du droit étatique, ou : de la souveraineté de l'Etat —

ne vaut que dans la mesure où un Etat le reconnaît comme

obligatoire pour lui-même, — ce droit n'apparaît, par consé-

quent, pas comme un ordre supra-étatique; mais il n'appa-

ÉTAT ET DROIT INTERNATIONAL 439

raît pas davantage comme un ordre juridique indépendant

et isolé de l'ordre juridique national du juriste; il apparaîtsi du moins on lui reconnaît le caractère de droit —

comme une partie de l'ordre juridique national du juriste.Partant de l'idée qu'il règle les relations de l'Etat « avec

l'extérieur », ses relations avec les autres Etats, certains

juristes l'ont baptisé « droit public externe (àusseres Staats-

recht). Mais cette dénomination méconnaît le fait que ce

n'est pas l'objet que règlent ses normes qui permet de défi-

nir le droit international. Ainsi qu'on l'a déjà exposé, le

droit international ne règle pas uniquement la conduite desEtats — ce qui signifierait qu'il ne règle la conduite des

individus que de façon indirecte; certaines de ses normes

règlent de façon directe la conduite d'individus. Le droitinternational ne se laisse définir que par la façon dont sesnormes sont créées : c'est un système de normes juridiquesqui sont créées par la coutume des Etats, par les traités

internationaux, c'est-à-dire les conventions entre Etats, et

par des organes internationaux qui sont institués par destraités entre Etats. Si l'on ne considère les normes ainsi

créées comme valables que si elles sont devenues partieintégrante d'un ordre étatique par la reconnaissance, le fon-dement ultime de leur validité est donc la norme fondamen-tale hypothétique de cet ordre juridique; et alors, l'unitédu droit international et du droit étatique est fondée surla base de la primauté du droit étatique (et non sur la base

inverse, c'est-à-dire la primauté du droit international).Par la nécessité de concevoir le droit international comme

un complexe de normes juridiques valables, la constructiondualiste se voit poussée vers son auto-destruction par la voiede l'idée, dont elle ne peut se passer, que la validité dudroit international pour un Etat dépend de sa reconnais-sance par cet Etat. Car, si le droit international ne vaut quecomme partie intégrante d'un ordre juridique étatique, ilne peut pas être un ordre juridique distinct de ce dernier,indépendant de lui dans sa validité; et alors il ne peut yavoir de conflits entre les deux ordres déjà pour cette rai-son que tous deux reposent (comme s'exprime la doctrine

traditionnelle) sur la « volonté » d'un seul et même Etat.

P) La primauté du droit international.

La deuxième voie qui conduit à reconnaître l'unité dudroit international et du droit étatique prend pour point de

440 THÉORIE PURE DU DROIT

départ le droit international, considéré comme un ordre

juridique valabk. La doctrine qui partait de la validitéd'un ordre juridique étatique se trouvait placée, on l'aétabli précédemment, en face de la question de savoir com-

ment, à partir de cette prémisse, il est possible de fonderla validité du droit international, et l'on a vu qu'elle ne

peut pas l'être autrement que par la reconnaissance du droitinternational de la part de l'Etat pour lequel il doit valoir.C'est la thèse de la primauté de l'ordre juridique étatique.Mais si l'on part au contraire de la validité du droit inter-

national, la question qui se pose est de savoir comment, à

partir de cette prémisse, il est possible de fonder la validitéde l'ordre juridique étatique : et alors le fondement de savalidité doit nécessairement être trouvé dans l'ordre juri-dique international. Ceci est possible pour la raison que,on l'a déjà indiqué dans un autre paassge (cf. supra, p. 289et s.), le principe de l'effectivité, qui est une norme du droitinternational positif, détermine aussi bien le principe dela validité des ordres juridiques étatiques que leurs domainesde validité territorial, personnel et temporel, et que parsuite ces ordres étatiques doivent être conçus comme desordres juridiques partiels délégués par le droit international,et par là-même subordonnés ou inférieurs à lui, et commeinclus par lui dans un ordre juridique universel, mondial,de sorte que le droit international rend seul possible lacoexistence dans l'espace et la succession dans le temps deces ordres juridiques étatiques. Ces idées se résument dansla formule de la primauté de l'ordre juridique international.Cette primauté est parfaitement conciliable avec le fait quela Constitution de certains Etats contient, comme nousl'avons déjà rappelé, une disposition affirmant que le droitinternational général doit être considéré comme faisant par-tie intégrante de l'ordre juridique étatique. Si l'on partde la validité du droit international, qui ne demande aucunereconnaissance de la part de l'Etat, une telle dispositionne signifie pas la mise en vigueur du droit international pourl'Etat considéré; elle signifie sa transformation en droit éta-

tique par une clause générale. Une telle transformation est

nécessaire si, d'après la Constitution, les organes de l'Etat,en particulier les tribunaux, ne sont habilités à appliquerque le droit étatique, et par suite ne peuvent appliquer le

droit international que si et lorsque son contenu a été revêtu

d'une forme de droit étatique— forme de loi, forme de

règlement— c'est-à-dire s'il a été transformé en droit éta-

ÉTAT ET DROIT INTERNATIONAL 441

tique. Si, faute d'une telle transformation, une norme du

droit international applicable à un cas concret ne peut pasiui être appliquée, cela ne signifie pas, si l'on part de lavalidité du droit international, que cette norme du droitinternational ne vaut pas pour l'Etat en cause, mais seule-ment que, si elle n'est pas appliquée et que par suite le droitinternational est violé, violé par la conduite de l'Etat, l'Etat

s'expose à la sanction que le droit international prévoitcomme conséquence.

Etant donné que le droit international règle la conduitedes Etats, — ce qui signifie : la conduite des individus quiexercent la fonction de gouvernement de l'Etat (en un sens

large) en vertu des ordres juridiques étatiques —, le droitinternational doit définir ce qu'est un Etat au sens dudroit international, c'est-à-dire qu'il doit définir à quellesconditions des hommes doivent être considérés comme gou-vernement d'un Etat, et par suite l'ordre de contrainte surla base duquel ils agissent, comme un ordre juridique valable,leurs actes comme des actes étatiques,

— ce qui veut direcomme des actes de droit au sens du droit international. —

Le droit international positif dispose qu'on doit considérerun groupe d'individus comme gouvernement d'un Etat (ausens large) lorsqu'ils sont indépendants des autres gouver-nements de même sorte, et capables de procurer à l'ordrede contrainte sur la base duquel ils agissent, une obéissance

permanente, de la part des individus dont cet ordre decontrainte règle la conduite, c'est-à-dire si cet ordre decontrainte qui n'est soumis qu'au seul droit internationalet qui est relativement centralisé est efficace en gros et defaçon générale, — sans qu'il y ait à tenir compte de la façondont les hommes qui agissent comme organes de gouverne-ment, sur la base de cet ordre, sont parvenus à leur posi-tion. — Cela signifie que la collectivité fondée par et surun tel ordre de contrainte est un Etat au sens du droit

international, et cet ordre de contrainte, un ordre juridiquevalable selon ce même droit.

Le droit international établit en outre que le territoirede cet Etat, c'est-à-dire le domaine de validité territorialde l'ordre juridique étatique, s'étend jusqu'au point où cetordre est efficace d'une façon durable; que tous les hommesqui vivent sur ce territoire, sous réserve de certaines excep-tions déterminées par le droit international, sont soumisà cet ordre juridique étatique-là, et à aucun autre. Celasignifie que, d'après le droit international, chaque Etat ne

29. THÉORIEPUREDUDROIT.

442 THÉORIE PURE DU DROIT

doit se manifester en principe qu'à l'intérieur de son propreterritoire, c'est-à-dire du territoire qui lui est garanti parle droit international en sa qualité d'appareil de contrainte,ou, pour s'exprimer sans recourir à aucune image : que l'ordre

étatique ne doit instituer ses actes de contrainte spécifiquesque pour l'espace de validité qui lui est accordé par le droit

international, et que ces actes de contrainte ne peuventêtre réalisés sans violation du droit international qu'à l'in-térieur de cet espace. De cette façon, la juxtaposition spatialed'une pluralité d'Etats, c'est-à-dire d'une pluralité d'ordresde contrainte, devient juridiquement possible.

Mais le droit international ne réglemente pas seulementla coexistence des Etats dans l'espace ; il réglemente égale-ment leur succession dans le temps, c'est-à-dire le domainede validité temporel des ordres étatiques. Le début et lafin de la validité juridique des ordres étatiques obéit au

principe juridique de l'effectivité. Envisagées de ce pointde vue, la naissance et la fin ou disparition des Etats se

présentent comme des phénomènes juridiques, tout de même

que la fondation et la dissolution des corporations dans lecadre du droit interne. Mais le droit international est d'im-

portance également quant au domaine de validité matérielde l'ordre juridique étatique. Etant donné que ses normes,en particulier celles qui sont posées par traité entre Etats,

peuvent statuer sur tous les objets possibles, et par consé-

quent aussi sur ceux de ces objets qui n'avaient été, jusqu'aumoment où elles interviennent, réglés que par les droits

étatiques, le droit international limite le domaine de validitématériel de ces derniers. Sans doute les Etats demeurent-ils

compétents en principe, même sous l'empire du droit inter-

national, pour établir des normes sur n'importe quel objet.Toutefois, ils ne conservent cette compétence que dans lamesure où le droit international ne s'empare pas d'un objetl'enlevant ainsi à une libre réglementation par l'ordre éta-

tique.Si l'on admet que le droit international est un ordre juri-

dique supra-étatique, les ordres étatiques n'ont plus la sou-veraineté en matière de compétence (Kompetenzhoheit). Maisils ont une vocation à la totalité que seul le droit interna-tional peut limiter; autrement dit, le droit international ne

les limite pas a priori à certains objets seulement, — commeil le fait pour d'autres ordres ou collectivités juridiques cons-titués par traité international, et qui sont, comme eux, immé-diats par rapport à lui.

ÉTAT ET DROIT INTERNATIONAL 443

Et ainsi l'Etat apparaît comme déterminé dans son exis-

tence juridique par le droit international, dans toutes les

directions : il apparaît donc comme un ordre juridique

délégué par l'ordre juridique international, et dans sa vali-

dité et dans son domaine de validité. Seul l'ordre juridiqueinternational est souverain; aucun ordre étatique ne l'est.

Si l'on qualifie les ordres étatiques ou les collectivités fon-

dées par eux, les Etats, de « souverains », cela signifie sim-

plement qu'ils sont soumis uniquement à l'ordre juridiqueinternational, qu'ils sont immédiats au droit international

[ydlkerrechtsunmittelbar).Il faut s'attendre ici à l'objection connue : il serait impos-

sible de considérer les Etats comme des ordres juridiquesdélégués par le droit international, puisque, historiquement,il faut nécessairement que des Etats, c'est-à-dire des ordresde contrainte étatiques, aient existé avant que n'apparaissele droit international général, qui est en effet un droit créé

par la coutume des Etats. Cette objection n'est pas à rete-nir : elle repose sur le défaut de distinction entre la relation

historique entre des faits et la relation logique entre desnormes. La famille aussi est, en tant que collectivité juri-dique, plus ancienne que l'Etat qui comprend plusieursfamilles, qui est centralisé; et cependant, c'est bien surl'ordre étatique que repose aujourd'hui la validité de l'ordre

juridique familial. De même, la validité de l'ordre des Etats-membres repose sur la Constitution de l'Etat fédéral, bien

que cette Constitution naisse après les Etats-membres autre-fois indépendants, et qui n'ont été groupés en un Etatfédéral que plus tard. On ne doit pas confondre relations

historiques et relations de logique normative.Si l'on part du droit international comme d'un ordre

juridique valable, la notion d'Etat ne peut pas être définiesans référence au droit international. Envisagé de ce pointde vue, l'Etat est un ordre juridique partiel immédiat audroit international, relativement centralisé, avec un domainede validité territorial et temporel internationalement limité,et avec une vocation à la totalité, relativement au domainede validité matériel, qui n'est limitée que par la réserve dudroit international.

e) Les différences entre les deux constructions monistes.

Le droit international dont, du point de vue de la pri-mauté de l'ordre juridique étatique, la reconnaissance de

444 THÉORIE PURE DU DROIT

la part d'un Etat est la condition de sa validité pour cet

Etat, et qui n'est par suite considéré que comme un élémentconstitutif d'un ordre juridique étatique,

— ce droit interna-tional est, si l'on considère sa substance, le même droitinternational qui, du point de vue de la primauté de l'ordre

juridique international, apparaît comme un ordre juridiquesupérieur à tous les droits étatiques et qui les délègue. La

divergence entre les deux constructions monistes des rap-ports du droit international et du droit étatique porte uni-

quement sur le fondement de la validité du droit interna-

tional, et non pas sur son contenu. D'après la première, quiprend pour point de départ la validité d'un ordre juridiqueétatique, le principe de la validité du droit internationalest la norme fondamentale hypothétique qui attribue àl'établissement de la Constitution historiquement premièrede l'Etat dont l'ordre constitue le point de départ de la

construction, la qualité de fait de création de droit. D'aprèsla seconde, qui prend pour terme initial le droit interna-

tional, le fondement de la validité de ce dernier est la normefondamentale hypothétique qui institue la coutume desEtats comme fait créateur de droit. Cette coutume desEtats est un fait créateur de droit également dans le cadred'un droit international qui est considéré être simplementun élément faisant partie d'un ordre juridique étatique.Mais la différence est qu'elle ne l'est pas grâce à une norme

simplement hypothétique, mais grâce à une norme posi-tive posée par l'acte de reconnaissance, dont la validitése fonde en dernière instance sur la norme fondamentale

hypothétique de l'ordre juridique étatique, qui forme le

point de départ de la construction, et dont le droit interna-tional est considéré comme un élément.

Etant donné que le droit international a dans les deuxcas le même contenu, il a dans les deux cas les mêmes fonc-tions : il détermine par son principe d'effectivité le principede validité et le domaine de validité des ordres juridiquesétatiques. Un de ces ordres juridiques étatiques est celuid'où la construction qui postule la primauté de ce droit

étatique prend son point de départ, c'est-à-dire celui qui,

d'après cette construction, contient le droit internationalcomme l'un de ses éléments Ce ne peut jamais être qu'unseul ordre juridique étatique, bien que cela puisse être n'im-

porte lequel d'entre eux. Si l'on considère le droit interna-tional comme un élément constitutif d'un ordre juridique

étatique, on doit distinguer entre l'ordre juridique étatique

ÉTAT ET DROIT INTERNATIONAL 445

en un sens étroit et l'ordre juridique étatique en un sens

plus large. L'ordre juridique étatique en un sens étroit, ce

sont les normes de la Constitution de l'Etat et les normes

posées conformément à cette Constitution par des actes de

législation, de juridiction et d'administration. L'ordre juri-

dique étatique au sens large est l'ordre juridique qui forme le

point de départ de la construction, dans la mesure où il com-

prend également le droit international reconnu, c'est-à-dire

les normes qui sont créées par voie de coutume des Etats et

par traités internationaux. Le droit international, qui forme

une partie de cet ordre étatique, détermine par son prin-

cipe d'effectivité le principe de validité de tout ordre éta-

tique, aussi bien de ceux qui ne sont pas le point de départde la construction que de celui qui l'est et duquel par suite

le droit international est une partie intégrante. Mais, dans

le dernier cas, il remplit cette fonction — en tant que par-tie constitutive de l'ordre juridique étatique au sens large—

uniquement en relation avec l'ordre étatique au sens

étroit. En conséquence, on ne doit pas considérer le rapportentre les deux parties de l'ordre étatique au sens largecomme un rapport de juxtaposition, mais comme un rap-

port de supériorité-subordination. La partie de cet ordre

juridique étatique qui représente le droit international estau-dessus de la partie qui représente un ordre juridiqueétatique au sens étroit. En se servant d'une image, on

exprime ces données en disant : l'Etat qui reconnaît le droitinternational se soumet par là au droit international. Maisle principe d'effectivité du droit international élément del'ordre étatique n'est pas le principe de validité dernier decet ordre juridique étatique au sens étroit. Ce principe dernier,c'est la norme fondamentale hypothétique de cet ordre juri-dique, qui constitue en même temps le fondement de vali-dité ultime du droit international devenu une de ses parties.

C'est seulement entre ce droit étatique au sens large etle droit international qui est contenu en lui que se ren-contre le rapport entre le droit international et le droit éta-

tique que l'on a dénommé ici primauté de l'ordre juridiqueétatique.

L'autre fonction que le droit international accomplit parson principe d'effectivité : la limitation du domaine de vali-dité de l'ordre étatique, le droit international la remplit,elle aussi, si on y voit un élément constitutif d'un ordre

juridique étatique, mais seulement à l'égard de l'autre par-tie constitutive de cet ordre juridique, l'ordre étatique au

446 THÉORIE PURE DU DROIT

sens étroit. Seul le domaine de validité de ce dernier est

limité par le droit international qui est partie constitutivede l'ordre juridique étatique au sens large. Et le fondement

de validité dernier de cette limitation n'est de nouveau pasle principe d'effectivité du droit international, mais la

norme hypothétique ainsi posée de cet ordre étatique dont

le droit international est l'un des éléments.

En tant que les autres ordres juridiques étatiques entrent

en ligne de compte du point de vue de l'ordre juridique

étatique qui forme le point de départ de la construction et

qui comprend le droit international, son rapport au droit

international se distingue de celui que comporte la thèse

de la primauté du droit international seulement en tant

que le principe d'effectivité du droit international n'est pasle dernier fondement de leur validité et de la limitation de

leur domaine de validité. A envisager les choses du pointde vue de l'ordre étatique qui forme le point de départde la construction, ce fondement dernier est la norme fon-

damentale hypothétique de cet ordre étatique. Celui-ci —

entendu dans son sens large, comme comprenant le droit

international reconnu par lui — est par suite seul souve-

rain, constitue seul un ordre juridique suprême au-dessus

duquel aucun autre ordre n'est supposé qui lui serait supé-rieur. Cependant, étant donné qu'à l'intérieur de l'ordre

étatique au sens large, un de ses éléments constitutifs, à

savoir l'ordre étatique au sens étroit, est subordonné au

second de ses éléments constitutifs, à savoir le droit inter-

national, l'ordre étatique au sens étroit n'est pas souverain,il est seulement immédiat au droit international, tout de

même que les autres ordres juridiques étatiques qui ne

forment pas le point de départ de la construction. En vertu

du droit international, qui est un de ses éléments constitu-

tifs, l'ordre étatique qui forme le point de départ de la cons-

truction devient un ordre juridique universel, qui délèguetous les autres ordres étatiques et qui les englobe en lui-

même. La construction aboutit au même résultat final quecelle de la primauté du droit international : l'unité, sur le

plan de la connaissance, de tout ce qui est droit en vigueur.Mais alors que dans la théorie de la primauté du droit inter-

national, le point de départ de la construction ne peut

jamais être que le droit international lui-même, dans la

théorie de la primauté du droit étatique, ce point de départ

peut, comme on l'a déjà observé, être l'un quelconquedes ordres étatiques ; seulement, à chaque instant, ce ne peut

ÉTAT ET DROIT INTERNATIONAL 447

être qu'un seul d'entre ces ordres. Et c'est seulement si la

construction du rapport du droit international et du droit

étatique prend son départ d'un ordre étatique déterminé

et unique qu'elle doit nécessairement arriver à admettre la

primauté de cet ordre étatique,— bien plus, à vrai dire :

dans ces conditions, la primauté de cet ordre est alors déjà

posée comme hypothèse au départ.Le choix de l'une ou de l'autre des deux constructions

du rapport entre droit international et droit étatique n'a

aucune influence sur le contenu ni de l'un ni de l'autre. Le

droit international qui est considéré comme partie inté-

grante d'un ordre étatique est en son fond (ainsi qu'on l'a

déjà relevé) le même que le droit international qui est consi-

déré comme un ordre juridique supérieur aux ordres juri-

diques étatiques. Mais il en va de même pour l'ordre éta-

tique : son contenu n'est nullement affecté par la construc-

tion de son rapport au droit international.

On commet par conséquent un abus de l'une ou de l'autre

construction lorsque, comme on ne cesse de le faire, on pré-tend en déduire des décisions qui ne peuvent en réalité

être appuyées que sur le droit international positif ou le

droit étatique positif. C'est ainsi que les défenseurs de la

primauté du droit international affirment que, de ce quele droit international est supérieur au droit étatique, cons-titue par rapport à lui un ordre juridique supérieur, il s'en-suivrait qu'en cas de conflit entre les deux droits, le droit

international aurait la prééminence, l'emporterait, c'est-à-dire qu'une norme du droit étatique qui serait contraire à

une norme de droit international serait nulle.En vérité, — on l'a déjà expliqué précédemment —, un

tel conflit de normes entre droit international et droit éta-

tique ne peut absolument pas exister. Une norme du droit

étatique ne peut pas être nulle; elle ne peut être qu'annu-lable, mais elle ne peut être annulée pour « contrariétéau droit international » que si ou le droit international oul'ordre étatique lui-même prévoient une procédure qui con-duit à cette annulation. Or le droit international généralne prévoit pas une telle procédure. Le fait qu'on se le repré-sente comme supérieur à l'ordre étatique ne peut pas sup-pléer à l'absence d'une norme adéquate.

Du fait que le droit international est un ordre supérieuraux Etats, on croit encore pouvoir conclure que la souve-raineté de l'Etat est très sérieusement limitée et que cette

limitation rend possible une organisation juridique mondiale

448 THÉORIE PURE DU DROIT

efficace. La primauté du droit international joue dans l'idéo-

logie politique du pacifisme un rôle décisif.

En vérité, la souveraineté de l'Etat que la primauté dudroit international exclut absolument est quelque chosed'autre que la souveraineté de l'Etat qui est limitée par ledroit international. La première signifie : autorité juridiquesuprême; la seconde : liberté d'action de l'Etat. Or, le droitinternational limite la liberté de l'Etat exactement de lamême façon si l'on pense ce droit comme un ordre juridiqueintégré à l'ordre étatique, que si on le pense comme unordre juridique supra-étatique. Une organisation juridiquemondiale efficace est pareillement possible, que l'on admettela première des deux constructions ou la seconde.

Davantage encore que la primauté du droit international,la primauté du droit étatique, qui repose sur l'idée de lasouveraineté de l'Etat, est exposée à de semblables abus.De l'idée que le droit international ne vaut que grâce- à sareconnaissance par l'Etat et doit être considéré par consé-

quent comme partie intégrante du droit étatique, ou, —

ce qui est la même chose —, du fait que l'Etat est souve-

rain, on conclut que l'Etat n'est pas nécessairement lié auxtraités qu'il a conclus ou qu'il est incompatible avec sanature de se soumettre — même dans un traité qu'il conclut— à une juridiction internationale avec clause de compé-tence obligatoire, ou d'être lié par les résolutions prises à la

majorité d'un organe collégial, même lorsque cet organea été institué et sa procédure réglée par un traité conclu

par l'Etat considéré. De même que la primauté du droitinternational joue un rôle capital dans l'idéologie pacifiste,la primauté du droit étatique, la souveraineté de l'Etat,

jouent un rôle capital dans l'idéologie impérialiste. Et icicomme là, l'équivoque de la notion de souveraineté prêteson secours. Le raisonnement est cependant faux : si unEtat a reconnu le droit international et si par suite le droitinternational vaut pour cet Etat, alors il vaut exactementde la même façon dont il vaudrait en tant qu'ordre juridiquesupra-étatique. Alors vaut la norme du droit international

que les Etats sont liés aux traités conclus entre eux, quelquecontenu qu'ils donnent aux normes créées par ces traités.Il est impossible d'affirmer que la nature de l'Etat contrac-

tant, et en particulier sa souveraineté, excluent, selon ledroit international, qu'un traité pose des normes de tel ou

tel contenu, parce qu'elles seraient incompatibles avec cettenature ou cette souveraineté. Il n'y a aucune incompatibi-

ÉTAT ET DROIT INTERNATIONAL 449

lité entre le fait que la souveraineté de l'Etat ne serait pas

limitée par aucun droit international supérieur à lui et le

fait qu'en reconnaissant le droit international en exercice

même de sa souveraineté et en en faisant ainsi un élément

constitutif de son propre ordre juridique, il limiterait lui-

même sa souveraineté,— et ici ce mot signifie : sa liberté

d'action •—parce qu'il assumerait ainsi les obligations éta-

blies par le droit international général et par les traités qu'il

conclura. A la question de savoir jusqu'à quel point cette

souveraineté de l'Etat souverain est susceptible d'être limi-

tée par le droit international reconnu par lui, on ne peuttirer la réponse que du contenu du droit international lui-

même, elle ne se laisse pas déduire de la notion de souve-

raineté. Or, à cette limitation de la souveraineté de l'Etat,entendue comme la liberté d'action de l'Etat, le droit inter-

national positif ne pose aucune limite. Par traité interna-

tional pourrait être créée une organisation internationale

qui serait centralisée à un point tel qu'elle aurait elle-même

le caractère d'un Etat, de sorte que les Etats contractants

qui en font partie perdraient, eux, ce caractère d'Etat qu'ilsavaient antérieurement. On peut naturellement se deman-

der : jusqu'à quel point le gouvernement d'un Etat doit-il ou

peut-il légitimement limiter par des traités internationaux la

liberté d'action de l'Etat? Mais ce n'est plus là une questionde droit, c'est une question de politique, dont la solution ne

peut être déduite ni de la primauté du droit international ni

de la primauté du droit étatique.

44. — CONCEPTIONS JURIDIQUESET PHILOSOPHIE GÉNÉRALE.

Il existe un parallélisme frappant entre l'antithèse qui

oppose les deux constructions monistes du rapport entre

droit international et droit étatique,— c'est-à-dire les deux

voies qui aboutissent l'une comme l'autre à l'unité, sur le

plan de la connaissance, de tout le droit valable — et l'anti-thèse qui affronte les philosophies subjectivistes et les phi-

losophies objectivistes. De même que les conceptions du

monde subjectivistes partent du moi propre, posé comme

souverain, pour saisir et concevoir le monde extérieur, et

que, par suite, elles ne conçoivent pas celui-ci en réalité

comme un monde extérieur, mais bien comme un monde

purement intérieur au sujet, comme une représentation etune volonté du moi, — de même la construction que nous

450 THÉORIE PURE DU DROIT

avons appelée primauté de l'ordre juridique étatique partde l'Etat national du juriste, posé comme souverain, poursaisir le monde juridique extérieur, le droit internationalet les autres ordres juridiques étatiques; et, par suite, ellene peut concevoir ce « droit extérieur » que comme un droit

interne, comme une partie de l'ordre juridique national d'oùelle est partie. De même que l'interprétation du monde sub-

jectiviste et égocentriste conduit au solipsisme, c'est-à-direà la conception que seul le moi propre existe comme être

souverain, que tout le reste n'existe qu'en lui et à partirde lui, et qu'ainsi il est impossible à cette interprétationde reconnaître et accueillir la prétention d'autres êtresd'être également des moi souverains, de même la primautéde l'ordre juridique étatique conduit à ce que seul l'Etatnational du juriste peut être conçu comme souverain, —

la souveraineté d'un Etat, de cet Etat national, excluantla souveraineté de tous les autres Etats. En ce sens, on

peut appeler la primauté de l'ordre juridique étatique : sub-

jectivisme étatique, et même, bien plus : solipsisme étatique.Inversement, de même que les philosophies objectivistes

partent du monde extérieur réel pour concevoir le moi, nonseulement le moi propre de l'observateur, mais tout moi,mais qu'elles ne peuvent alors maintenir à ce moi qualitéet rang d'être souverain et centre du monde, qu'il n'existe

plus que comme un des éléments constitutifs et une partieintégrante de ce monde, — de même la construction quel'on a désignée du nom de primauté du droit international

part du monde extérieur du droit, du droit international

posé comme ordre juridique valable, pour concevoir l'exis-tence juridique des multiples Etats, mais elle ne peut alorsmaintenir à ces Etats rang et qualité d'autorités souve-

raines; ils ne sont plus que de simples ordres juridiques par-tiels incorporés au droit international.

Et tout de même que l'antithèse des deux philosophiesn'affecte en rien la connaissance scientifique du monde, de

même que le monde en tant qu'objet de cette connaissanceest le même, et les lois naturelles qui le décrivent demeurentles mêmes, que ce monde soit pensé comme un monde inté-rieur du moi ou le moi comme existant à l'intérieur du

monde, de même l'antithèse entre les deux constructions

juridiques n'a absolument aucune influence sur le contenuni du droit international ni du droit étatique; les proposi-tions de droit qui servent à en décrire le contenu sont les

mêmes, que l'on pense le droit international comme contenu

ÉTAT ET DROIT INTERNATIONAL 451

dans le droit étatique ou, à l'inverse, le droit étatique comme

contenu dans le droit international.

On peut également comparer l'antithèse des deux cons-

tructions juridiques avec l'antithèse qui oppose l'image du

monde qu'offre le système géocentriste de Ptolémée et celle

qu'offre le système héliocentriste de Copernic. De même que,

d'après la première construction, un Etat national est au

centre du monde juridique, de même, dans l'image du

monde ptolémaïque, notre terre se trouve au centre et le

soleil se meut autour d'elle. De même que d'après la seconde

construction, le droit international est au centre du monde

juridique, dans l'image du monde de Copernic, c'est le soleil

qui constitue l'élément central autour duquel notre terre

tourne. Mais cette opposition de deux images astronomiquesdu monde n'est que l'opposition de deux systèmes de réfé-

rences. Max Planck remarque à ce sujet (1) : « Si l'on prend

par exemple un système de références uni de façon rigideà notre terre, on doit dire que le soleil se meut dans le ciel;si par contre on reporte ce système de références sur une

étoile fixe, alors le soleil se trouve en repos. L'oppositionde ces deux formulations ne constitue ni une contradiction

ni une obscurité; il s'agit uniquement de deux façons diffé-

rentes de considérer les choses. D'après la théorie physiquede la relativité, que l'on peut tenir à l'heure actuelle pourune conquête assurée de la science, les deux systèmes de

références, et les deux façons de considérer les choses qui

y correspondent sont également correctes et également jus-tifiées et légitimes; il y a une impossibilité de principe de

décider et choisir entre eux par aucune mesure ou aucun

calcul, sans user d'arbitraire. » Ces propositions valent exac-tement pour les deux constructions juridiques du rapportentre droit international et droit étatique. Leur oppositionrepose sur ce qu'elles représentent deux systèmes de réfé-

rences différents. L'un est uni de façon rigide à l'ordre

juridique étatique national, l'autre à l'ordre juridique inter-

national. Les deux systèmes sont également corrects et éga-lement justifiés et légitimes. Il est impossible de choisir

entre les deux par une décision procédant de la science du

droit, c'est-à-dire au nom de considérations d'ordre juri-dique. La science du droit ne peut qu'exposer les deux con-

ceptions et établir que lorsque l'on veut définir le rapportentre droit international et droit étatique, il faut néces-

(1) Max PLANCK,Vortràge und Erinnerungen, Stuttgart, 1949, p. 311.

452 THÉORIE PURE DU DROIT

sairement accepter soit l'un, soit l'autre des deux systèmesde références. Mais la décision elle-même se situe hors dudomaine de la science du droit. Elle ne peut résulter quede considérations autres que scientifiques; elle peut êtredéterminée par des considérations politiques. Celui qui tientà l'idée de la souveraineté de son Etat parce qu'il s'identifieavec celui-ci dans une conscience de soi, dans un sentimentde valeur propre accrus, celui-là préférera la primauté dudroit étatique à la primauté du droit international. Au

contraire, celui qui attache plus de prix à l'idée d'une orga-nisation juridique mondiale, celui-là préférera la primautédu droit international à la primauté du droit étatique. Celane signifie pas, on a déjà eu l'occasion de le relever, quela théorie de la primauté du droit étatique serait moinsfavorable à l'idéal de l'organisation juridique mondiale quecelle de la primauté du droit international. Mais en fait,elle semble fournir la justification d'une politique qui re-

jette toute limitation poussée de la liberté d'action del'Etat. Et sans doute cette justification repose-t-elle sur un

sophisme dans lequel le caractère équivoque de la notionde souveraineté — tantôt autorité juridique suprême, tantôtliberté d'action illimitée —

joue un rôle funeste. Mais c'estun fait que ce sophisme est maintenant (comme on l'amontré précédemment) une partie indéracinable de l'idéo-

logie politique de l'impérialisme, qui opère avec le dogmede la souveraineté de l'Etat. Ce que l'on vient de dire

s'applique également— mutatis mutandis — à la préférence

donnée à la primauté du droit international. Elle n'est pasplus défavorable que la primauté du droit étatique à l'idéalde souveraineté c'est-à-dire de liberté d'action le plus illimité

possible de l'Etat; il est bien vrai qu'elle semble justifier unelimitation poussée de la liberté d'action de l'Etat, davantage

que ne fait la primauté du droit étatique. Là aussi il s'agitd'un sophisme, mais d'un sophisme qui joue en fait unrôle capital au sein de l'idéologie politique du pacifisme.

La théorie pure du droit dénonce donc ces sophismes,leur retire l'apparence de preuves logiques, qui seraientcomme telles irréfutables, les réduit au rang d'argumentspolitiques, auxquels il peut être répondu par des contre-

arguments de même valeur; ce faisant, elle rend la voie libre

pour l'une ou pour l'autre des deux évolutions politiquescontraires, — sans postuler ou justifier l'une ou l'autre. Car,en tant que théorie, elle est dans une position d'indifférence

complète à l'égard de l'une comme à l'égard de l'autre.

TITRE VIII

L'INTERPRÉTATION

45. — ESSENCE DE L'INTERPRÉTATION.

INTERPRÉTATION AUTHENTIQUEET INTERPRÉTATION NON-AUTHENTIQUE.

Si un organe juridique doit appliquer le droit, il fautnécessairement qu'il établisse le sens des normes qu'il a

mission d'appliquer, il faut nécessairement qu'il interprèteces normes. L'interprétation est donc un processus intellec-tuel qui accompagne nécessairement le processus d'applica-tion du droit dans sa progression d'un degré supérieur à un

degré inférieur. Dans le cas auquel on songe le plus souvent

lorsqu'on parle d'interprétation, celui de l'interprétationdes lois, il faut que l'organe d'application du droit résolvela question de savoir quel est le contenu qu'il doit donnerà la norme individuelle à déduire de la norme généralelégislative dans son application à une espèce concrète, —

la norme individuelle se présentant comme un acte juridic-tionnel ou comme une décision administrative. Mais il y aaussi nécessairement lieu à interprétation de la Constitu-

tion, en tant qu'il s'agit précisément de l'appliquer à un

degré inférieur, soit dans la procédure législative, soit dansl'édiction d'ordonnances de nécessité ou de tous autres actesimmédiats à la Constitution; et pareillement, il y a lieu à

interprétation des traités internationaux ou des normes dudroit international général et coutumier lorsqu'un gouver-nement, ou un tribunal international ou national, ou un

454 THÉORIE PURE DU DROIT

organe administratif international ou national est appeléà appliquer un traité ou une norme coutumière. Et il y aaussi une interprétation de normes individuelles —

juge-ments ou arrêts, ordres administratifs, actes juridiques de

particuliers, etc.; en bref, toutes les normes juridiquesappellent une interprétation en tant qu'elles doivent être

appliquées.Mais également les individus qui n'ont pas à appliquer le

droit, mais qui doivent y obéir, s'y conformer, en adoptantla conduite qui évite la sanction, doivent comprendre lesnormes juridiques qui fixent cette conduite, et par consé-

quent en établir le sens. Et finalement la science du droit,elle aussi, doit nécessairement, quand elle s'attache à décrireun droit positif, interpréter ses normes.

Ainsi apparaissent deux sortes d'interprétation, qu'il faut

distinguer très clairement l'une de l'autre : l'interprétationdu droit par les organes d'application du droit, et l'inter-

prétation du droit donnée par des personnes privées, et en

particulier par la science juridique, par les juristes, qui nesont pas des organes du droit.

On parlera d'abord exclusivement de la première de cesdeux variétés, —

l'interprétation par les organes d'applica-tion du droit.

a) L'indétermination relative de l'acte

d'application du droit.

Le rapport entre un degré supérieur et un degré inférieurde l'ordre juridique, par exemple entre Constitution et loi,ou entre lois et jugements, est une relation de détermination,ou de liaison : la norme du degré supérieur réglemente (selonune analyse que l'on a déjà exposée) l'acte par lequel lanorme du degré inférieur est créée, ou l'acte d'exécution, s'ilreste seul à effectuer encore ; elle les réglemente selon deuxmodalités : soit qu'elle détermine uniquement la procédureselon laquelle cette norme inférieure ou cet acte d'exécutionseront posés, soit qu'elle détermine en outre le contenu de

la norme à poser ou de l'acte d'exécution à effectuer.Mais une telle réglementation n'est jamais totale. La

norme de degré supérieur ne peut pas lier l'acte qui l'appli-quera sous tous les rapports. Il demeure toujours inévita-blement une certaine marge, réduite ou considérable, pourle jeu du pouvoir discrétionnaire : la norme de degré supé-rieur n'a jamais dans son rapport avec l'acte de création

L'INTERPRÉTATION 455

de normes ou d'exécution matérielle qui l'applique, que le

caractère d'un cadre à remplir par cet acte. Même l'ordre

ou commandement qui entre aussi avant que possible dans

les détails, doit abandonner à celui qui l'exécute le soin

d'effectuer par lui-même quantité de déterminations. Si

l'organe A décide que l'organe B doit arrêter le sujet C,

l'organe B doit décider d'après sa propre appréciation dis-

crétionnaire quand et où et comment il réalisera l'ordre

d'arrestation; ce sont là des décisions qui dépendent de cir-

constances extérieures que l'organe qui a donné l'ordre n'a

pas prévues et, pour une large part, il lui était impossiblede les prévoir.

b) L'indétermination intentionnelle de l'acte

d'application du droit.

Il résulte de là que tout acte juridique, qui opère appli-cation du droit, que ce soit un acte de création de droit ou

que ce soit un acte de pure exécution matérielle, n'est déter-

miné par le droit qu'en partie et est au contraire, pour une

autre part, indéterminé. L'indétermination peut se rappor-ter aussi bien aux faits-conditions qu'aux faits-conséquences.Il se peut que l'indétermination ait été parfaitement voulue,c'est-à-dire qu'elle ait été dans les intentions de l'organequi a posé la norme à appliquer.

Ainsi, l'édiction de normes simplement générales a tou-

jours lieu — conformément à leur essence — sous l'hypo-thèse que les normes individuelles qui seront prises en appli-cation des normes générales poursuivront le processus de

détermination, qui constitue bien le sens de la succession

par étapes et degrés des normes juridiques. Une loi de policesanitaire dispose que, si une épidémie éclate, les habitantsd'une ville doivent, sous peine d'une sanction pénale, prendrecertaines mesures de précaution tendant à éviter la pro-pagation de la maladie, et elle habilite l'autorité adminis-trative à déterminer quelles sont ces précautions pour lesdifférentes maladies. Ou bien la loi pénale prévoit pourle cas d'un certain délit une peine pécuniaire, ou une peineprivative de liberté, et elle laisse aux juges le soin de sedéterminer dans chaque cas concret pour l'une ou pourl'autre de ces peines, et d'en fixer la mesure, pour laquelleelle pose peut-être une limite supérieure et une limiteinférieure.

456 THÉORIE PURE DU DROIT

c) L'indétermination involontaire de l'acte

d'application du droit.

Mais il se peut aussi que l'indétermination de l'acte dedroit soit la conséquence non-volontaire de la façon d'êtrede la norme juridique qui doit être appliquée par l'acte en

question. La principale source d'une telle indéterminationest l'ambiguïté d'un mot ou d'une suite de mots par lesquelsla norme s'exprime : le sens linguistique de la norme n'est

pas univoque; l'organe qui doit appliquer la norme se trouve

placé devant plusieurs significations possibles.La même situation se rencontre lorsque l'organe d'exécu-

tion de la norme croit pouvoir admettre qu'il y a discor-dance entre l'expression linguistique de la norme, son texte,et la volonté de l'autorité créatrice de la norme que ce textedevait exprimer,

— ceci dit en faisant complètement abstrac-tion du point de savoir de quelle façon cette volonté réelle

peut être établie. On doit en tout cas nécessairementconsidérer comme possible de la rechercher dans d'autressources que dans l'expression linguistique de la norme elle-

même, du moment que l'on est en droit d'admettre quecette expression ne correspond pas à la volonté du créateurde la norme. La science du droit traditionnelle accepte très

généralement cette idée que la volonté du législateur oul'intention des parties qui ont passé un acte juridique peutne pas correspondre aux paroles qui sont exprimées dansla loi ou dans l'acte juridique. Cette discordance entre lavolonté et l'expression peut être totale en certains cas ; elle

peut aussi n'être dans d'autres cas que partielle; il en iraainsi lorsque la volonté du législateur ou l'intention des

parties correspondent au moins à l'une des diverses signi-fications que l'on peut attacher au libellé de la norme.

Enfin, l'indétermination de l'acte juridique à poser peutêtre la conséquence du fait qu'il y a contradiction, totaleou partielle, entre deux normes qui prétendent à valoirsimultanément —

parce qu'elles sont par exemple contenuesdans une seule et même loi.

d) Le droit à appliquer, un cadre à l'intérieur duquelil y a plusieurs possibilités d'applications.

Dans tous les cas d'indétermination du degré inférieur,intentionnelle ou non-intentionnelle, plusieurs possibilitéss'offrent à l'application du droit. L'auteur de l'acte exécutif

L'INTERPRÉTATION 457

peut le faire soit tel qu'il réponde à l'une ou à l'autre des

différentes significations linguistiques de la norme juri-

dique, soit tel qu'il réponde ou bien à la volonté, établie

d'une façon ou d'une autre, de l'organe auteur de la norme,ou bien à l'expression choisie par lui, soit enfin tel qu'il

réponde à l'une ou à l'autre des deux normes qui se contre-

disent, ou bien qu'il soit décidé comme si les deux normes

qui se contredisent l'une l'autre s'annulaient réciproque-ment. Dans tous ces cas, le droit à appliquer représente un

simple cadre à l'intérieur duquel il existe plusieurs possi-bilités d'application, et, ceci étant, tout acte qui se.tient

dans ce cadre, qui remplit le cadre en un sens possible quel-

conque, est régulier.Si l'on entend par « interprétation » la détermination par

voie de connaissance du sens de l'objet à interpréter, lerésultat d'une interprétation juridique ne peut être que la

détermination du cadre que le droit à interpréter représente,et par là la reconnaissance de plusieurs possibilités quiexistent à l'intérieur de ce cadre. Alors l'interprétation d'uneloi ne doit pas nécessairement conduire à une décision

unique tenue pour la seule exacte; il est possible qu'elleconduise à plusieurs décisions qui sont toutes d'égale valeur— dans la mesure où l'on prend pour étalon de valeur uni-

quement la loi à appliquer —, bien qu'une seule d'entreelles devienne droit positif par l'acte de l'organe d'applica-tion du droit, en particulier du tribunal. Dire qu'un acte

juridictionnel, un jugement ou un arrêt, est fondé sur laloi ne signifie pas qu'il est la norme qui peut être crééedans le cadre de la norme générale, mais seulement qu'ilest l'une des normes individuelles qui pourraient toutes éga-lement l'être; en somme, cela signifie que la décision setient à l'intérieur du cadre que représente la loi.

A vrai dire, la science du droit traditionnelle ne partagepas du tout ces façons de voir : de l'interprétation, elle n'at-tend pas seulement qu'elle établisse le cadre pour l'acte dedroit à poser ; elle croit pouvoir attendre d'elle encore l'ac-

complissement d'une tâche supplémentaire, et même elleincline à voir en celle-ci sa tâche principale. L'interpréta-tion devrait développer une méthode qui rend possible de

remplir correctement le cadre ainsi déterminé. La théoriecourante de l'interprétation veut faire croire qu'appliquéesaux cas concrets, les lois ne peuvent jamais fournir qu'unedécision correcte, une seule, et que la « correction » de cettedécision en droit positif est fondée sur la loi elle-même.

30. THÉORIEPUREDUDROIT.

458 THÉORIE PURE DU DROIT

Elle présente le processus de cette interprétation commes'il s'agissait d'un acte purement intellectuel de clarifica-

tion ou de compréhension, comme si l'organe d'applicationdu droit n'avait à mettre en mouvement que son intelli-

gence, son entendement, mais non pas sa volonté, et comme

si une activité purement intellectuelle permettait de faire

parmi les différentes possibilités existantes un choix cor-

respondant au droit positif, correct au sens du droit positif.

e) Les soi-disant méthodes d'interprétation.

Ces idées et l'espoir qu'elles soutiennent ne sont malheu-

reusement pas fondés. D'un point de vue qui ne considère

que le droit positif, il n'existe aucun critérium sur la base

duquel l'une des possibilités données dans le cadre du droit

à appliquer pourrait être préférée aux autres. Il n'y a pure-ment et simplement aucune méthode que l'on puisse dire

de droit positif qui permettrait de distinguer, entre plu-sieurs significations linguistiques d'une norme, une seule,

qui serait la vraie signification : à supposer naturellement

qu'il s'agisse de plusieurs interprétations possibles, c'est-

à-dire qui soient possibles lorsque l'on tient compte des

connexions existant entre la norme sur laquelle on raisonne

et toutes les autres normes de la loi ou de l'ordre juridique.

Jusqu'ici, malgré tous ses efforts, la doctrine traditionnelle

n'a pas réussi à trancher le conflit entre la volonté et l'expres-sion d'une façon objectivement valable, soit en faveur de

l'une, soit en faveur de l'autre. Toutes les méthodes d'inter-

prétation qui ont été jusqu'ici développées ne conduisent

jamais qu'à un résultat possible, jamais à un résultat quiserait seul exact. S'en tenir à la volonté présumée du légis-lateur en négligeant le texte littéral, ou tout au contraire

observer strictement le texte et ne pas se soucier alors de

la volonté souvent très problématique du législateur, du

point de vue du droit positif ces deux attitudes ont absolu-

ment la même valeur, S'il s'agit du cas où deux normes

de la même loi se contredisent, les possibilités logiques quiont été évoquées précédemment sont, du point de vue du

droit positif, sur un seul et même plan. C'est un effort vain

de vouloir fonder l'une « juridiquement », à l'exclusion des

autres. On connaît les méthodes d'interprétation habituelles

de l'argumentum a contrario et de l'analogie : elles sont

complètement dépourvues de valeur, cela résulte déjà suffi-

samment du fait qu'elles peuvent conduire à des résultats

L'INTERPRÉTATION 459

opposés, et qu'il n'existe aucun critérium qui permette de

dire quand c'est l'une et quand c'est l'autre qu'il faut mettre

en oeuvre. Même le principe dit de la « balance des intérêts »

ne résoud nullement le problème en présence duquel on se

trouve, mais ne fait en réalité, que le formuler; car il ne

fournit pas l'étalon objectif à l'aide duquel on pourrait

comparer les uns aux autres des intérêts opposés, et en

conséquence, trancher les conflits d'intérêts. En particulier,on ne peut pas déduire ce critérium de la norme à inter-

préter, ou de la loi qui contient cette norme, ou de l'ordre

juridique entier, comme le pense la doctrine de la « balance

des intérêts ». Car la nécessité d'une « interprétation »

résulte précisément de ce que la norme à appliquer, ou le

système de normes, laissent ouvertes plusieurs possibilités,— autrement dit : de ce qu'ils ne contiennent pas de déci-

sion sur le point de savoir lequel des intérêts en jeu a le

plus de valeur, mais remettent cette décision, cette détermi-nation du rang respectif des intérêts à un acte de création

de normes qu'il va s'agir de faire, aux décisions juridiction-nelles par exemple.

46. — L'INTERPRÉTATION, ACTE DE CONNAISSANCE

OU ACTE DE VOLONTÉ?

La théorie traditionnelle de l'interprétation repose surl'idée que la détermination de l'acte juridique qui doitêtre fait, détermination que la norme juridique à appliquerne fournit pas, peut être obtenue par tel ou tel procédéde connaissance du droit déjà existant. Malheureusement,cette conception est lourde d'une contradiction, parcequ'elle contient une illusion qui se heurte à l'hypothèsede la possibilité d'une interprétation. La question de sa-voir laquelle des possibilités données dans le cadre dudroit à appliquer est « exacte », cette question n'est, parhypothèse, absolument pas une question de connaissance

portant sur le droit positif; il ne s'agit pas là d'un pro-blème de théorie du droit, mais d'un problème de politiquejuridique. La tâche qui consisterait à déterminer le juge-ment seul correct ou l'acte administratif seul correct à partirde la loi est pour l'essentiel la même que celle qui consiste-rait à créer dans le cadre de la Constitution les lois quiseraient seules correctes. Il est bien impossible de déter-miner à partir de la Constitution, par interprétation, les

460 THÉORIE PURE DU DROIT

lois qui seraient seules correctes ; on ne peut pas davantagedéterminer par interprétation, à partir de la loi, le jugementseul exact. Certes, il existe une différence entre ces deux

cas, mais une différence simplement quantitative, et non

pas qualitative, qui consiste uniquement en ceci que laliaison du législateur au point de vue du fond est beau-

coup moindre que la liaison du juge, que dans la créationdu droit le premier est relativement beaucoup plus libre

que le second. Mais celui-ci aussi est un créateur du droit,et lui aussi est, dans cette fonction, relativement libre.Précisément pour cette raison, l'obtention de normes indi-viduelles par le processus d'application du droit est unefonction du vouloir, en tant qu'elle consiste à remplir lecadre d'une norme générale. Dans la mesure où, dans l'ap-plication du droit, une activité de connaissance de l'organed'application peut encore trouver place par-delà la déter-

mination, qui y est nécessaire, du cadre à l'intérieur duquell'acte à poser doit se tenir, cette activité n'est pas connais-sance du droit positif, mais connaissance d'autres normes

qui peuvent y déboucher dans la procédure de création dudroit : normes de la morale, de la justice, jugements devaleur sociaux que l'on a accoutumé de désigner par les

slogans : bien du peuple, intérêt de l'Etat, progrès, etc..Sur leur validité et la possibilité d'établir ces normes ouces « valeurs », on ne peut rien dire du point de vue dudroit positif. De ce point de vue, on ne peut caractériserles essais de les déterminer que négativement : les déter-minations que l'on peut proposer n'émanent pas du droit

positif lui-même. En rapport avec celui-ci, la création del'acte de droit à l'intérieur du cadre de la norme juridiqueà appliquer est libre, c'est-à-dire placée dans le pouvoirdiscrétionnaire de l'organe appelé à faire l'acte. A moinsde supposer un droit positif qui délègue lui-même certainesnormes métajuridiques, telles que la morale, la justice, etc.;mais par là, ces normes originellement métajuridiques se-raient transformées en normes de droit positif.

Si l'on veut ne pas caractériser seulement l'interpréta-tion de la loi par les tribunaux ou les autorités adminis-

tratives, mais caractériser d'une façon tout à fait généralel'interprétation par des organes d'application du droit : dans

l'application du droit par un organe juridique, l'interpréta-tion du droit à appliquer, par une opération de connais-

sance, s'unit à un acte de volonté par lequel l'organe appli-cateur de droit fait un choix entre les possibilités révélées

L'INTERPRÉTATION 461

par l'interprétation à base de connaissance. Ou bien cet

acte crée une norme de degré inférieur, ou bien il réalise

l'acte de contrainte ordonné dans la norme juridique à

appliquer.Par cet acte de volonté, l'interprétation juridique par les

organes d'application du droit se distingue de toute autre

interprétation, en particulier de l'interprétation du droit parla science juridique.

L'interprétation par l'organe d'application du droit a tou-

jours caractère authentique : elle crée du droit. Sans doute

parle-t-on d'interprétation authentique seulement lorsquecette interprétation revêt la forme d'une loi ou d'un traité

international, et a un caractère général c'est-à-dire crée

du droit, non pas seulement pour un cas concret, mais pourtous les cas identiques, ce qui équivaut à dire : lorsquel'acte qualifié d'interprétation authentique représente la

création d'une norme générale. Mais authentique, c'est-à-

dire créatrice de droit, est aussi l'interprétation par un

organe d'application du droit, même lorsqu'elle ne crée dudroit que pour un cas concret, c'est-à-dire lorsque l'organene crée qu'une norme individuelle, ou ne fait que réaliserune sanction. Il faut observer à cet égard que la voie de

l'interprétation authentique, c'est-à-dire de l'interprétationdes normes par les organes juridiques qui doivent les appli-quer, ne permet pas seulement de réaliser l'une d'entre les

possibilités révélées par l'interprétation— à base de con-

naissance — des normes à appliquer, mais peut égalementaboutir à la création de normes qui sont tout à fait endehors du cadre que constituent les normes à appliquer.

Par une telle interprétation authentique, il peut être créédu droit, non seulement dans le cas où l'interprétation a uncaractère général, c'est-à-dire où il y a interprétation authen-

tique au sens habituel du mot, mais également dans le casoù un organe d'application du droit crée une norme indi-

viduelle, dès lors que l'acte de cet organe ne peut plus être

annulé, dès lors qu'il a acquis force de droit, et par exempleforce de chose jugée. C'est un fait bien connu que, par lavoie d'une telle interprétation authentique, il est créé beau-

coup de droit nouveau, — en particulier par les Cours

suprêmes statuant en dernier ressort.De l'interprétation par un organe d'application du

droit, toute autre interprétation se distingue par le fait

qu'elle n'est pas authentique, c'est-à-dire qu'elle ne crée

pas de droit.

462 THÉORIE PURE DU DROIT

Les simples particuliers, eux aussi, doivent parfois inter-

préter les normes juridiques : lorsqu'un individu veut suivreune norme juridique qui règle sa conduite, c'est-à-dire exé-cuter une obligation juridique qui lui est imposée en adop-tant la conduite contraire à celle à laquelle la norme juri-dique attache une sanction, et que la norme ne définit pasde façon univoque et certaine cette conduite, cet individu

doit, lui aussi, choisir entre diverses possibilités. Mais ceschoix ne sont pas authentiques. Ils ne sont pas obligatoirespour les organes d'application de ces normes juridiques et

risquent par suite toujours d'être considérés par eux comme

erronés, avec cette conséquence que la conduite de l'individu

qui repose sur un tel choix sera jugée un délit.

47. — L'INTERPRÉTATION SCIENTIFIQUE.

Mais par-dessus tout, il est absolument nécessaire de dis-

tinguer, de la façon la plus tranchée, de l'interprétation pardes organes juridiques l'interprétation du droit par la science

juridique,—

interprétation qui n'a pas caractère authen-

tique.— Elle consiste à déterminer, par une opération pure-

ment intellectuelle, le sens de normes juridiques. A la diffé-rence de l'interprétation par les organes juridiques, elle n'est

pas création du droit. L'idée qu'il serait possible de dégagerdu droit nouveau par une interprétation purement intellec-tuelle du droit en vigueur est la base de ce qu'on appelle la« jurisprudence de concepts » (Begriffsjurisprudenz) ; la théo-rie pure du droit repousse cette « jurisprudence ». Par suite,

l'interprétation purement intellectuelle de la science juri-dique est également incapable de combler de prétendueslacunes dans le droit. Le comblement d'une soi-disant lacunedans le droit est une fonction de création du droit qui ne

peut être accomplie que par un organe d'application dudroit (Cf. supra, p. 329 et s.); et ce n'est pas par voie d'in-

terprétation du droit en vigueur que se réalise cette fonction.

L'interprétation scientifique ne peut rien faire d'autre nide plus que dégager les significations possibles des normes

juridiques. En tant que connaissance de son objet, elle ne

peut pas opter et décider entre les possibilités qu'elle a

fait apparaître; elle doit abandonner le choix et la déci-sion à l'organe juridique qui a compétence d'après l'ordre

juridique pour appliquer le droit. L'avocat qui, dans l'inté-rêt de son client, s'efforce de démontrer devant un tribunal

L'INTERPRÉTATION 463

que seule est juste telle des diverses interprétations pos-sibles de la norme juridique à appliquer à l'espèce, le juriste

qui, dans un commentaire qu'il publie, distingue l'une des

interprétations possibles comme la seule « exacte », ne rem-

plissent pas une fonction de science juridique, mais une

fonction de politique juridique. Ils cherchent à influer sur

la création du droit. Qn ne peut naturellement pas le leur

interdire. Mais jamais ils n'ont le droit de le faire au nom

de la science juridique, comme il arrive très souvent. L'in-

terprétation juridique doit éviter avec le plus grand soinla fiction qu'une norme juridique ne permet jamais qu'uneseule interprétation, l'interprétation « exacte » ou « vraie ».C'est là une fiction dont la science du droit traditionnelle

se sert pour maintenir l'idéal de la sécurité juridique. Or,étant donné l'ambiguïté qui affecte, plus ou moins, la plu-

part des normes juridiques, cet idéal n'est réalisable qu'ap-proximativement. On ne veut pas nier qu'à l'envisager detel ou tel point de vue politique, cette fiction de l'univocitédes normes juridiques peut présenter de grands avantages.Mais aucun avantage politique ne peut justifier l'usage decette fiction dans une analyse scientifique du droit positif,la proclamation qu'une interprétation qui est peut-être,d'un point de vue politique-subjectif, préférable à une autre

qui est logiquement tout aussi possible, est la seule exacted'un point de vue objectivement scientifique. Agir ainsi,c'est présenter faussement comme une vérité scientifiquece qui n'est en réalité qu'un simple jugement de valeur

politique. Par ailleurs, l'interprétation rigoureusement scien-

tifique des lois étatiques ou des traités internationaux quimontre, sur la base d'une analyse critique, toutes les inter-

prétations possibles, même celles qui ne sont pas politique-ment souhaitables et qui n'ont peut-être pas été du toutvoulues par le législateur ou par les parties contractantes,mais qui sont incluses dans la rédaction choisie par elles,une interprétation de ce type peut avoir une efficacité pra-tique qui dépasse de beaucoup l'avantage politique de lafiction d'univocité et clarté. Une telle interprétation, quiest vraiment scientifique, peut montrer à l'autorité qui créele droit combien son oeuvre est loin de satisfaire au postulatde technique juridique de formuler des normes de droit quisoient le plus univoques possible, ou tout au moins de lesformuler de telle façon que les équivoques ou ambiguïtésinévitables soient réduites à un minimum, et c'est là ce quiassurera réellement le plus haut degré de sécurité juridique.

INDEX ALPHABÉTIQUE

DES MATIÈRES ET DES AUTEURS

Les chiffres renvoient aux pages

A

ABROGATION— des normes, 75.ABSOLUTISME— et relativisme, voir relativisme.ABSTENTION— comme comportement négatif,

45.ACTE— Acte de volonté, 6 s.— Créateur de droit, comme acte

de commandement : 11, 14,145.

— dépourvu de sens, 276.— Signification (Sens) de l'acte :

2 s., 9 s., 31, 60 s., 265 s.,273, 342.

— Sollen (devoir) comme signifi-cation d'un acte, 6 s.

ACTE ADMINISTRATIF— et loi, 312.ACTE DE COMMANDEMENT— acte créateur de droit comme

acte de commandement: 11,14, 145.

— la norme en tant que sens objec-tif d'un — : 10, 61, 145.

— Sollen (devoir) en tant que senssubjectif d'un — : 10 s., 61.

ACTE ÉTATIQUE— comme acte juridique : 385 s.ACTE ILLICITE, 44 s., 48 s.,

152 ss., 154 ss., 202 s.,399 ss.V. aussi délit.

— attribution de 1'— à la collecti-vité, 202 s.

à l'État, 399 ss., 401 s.— délit d'État, 398 ss., 402 s.— et droit : l'acte illicite comme

condition du droit, 152 ss.,154 ss.

: l'acte illicite comme néga-tion du droit, 152 ss., 154 ss.: la collectivité ne peut pascommettre d'acte illicite,154.

— — : pas de contradiction lo-gique, 154.

: le droit comme réaction àl'acte illicite, t53.

— et morale, 153.— et sanction, 48 s., 152 ss.,

155 ss.ACTE JURIDICTIONNEL— et loi, 312.ACTE JURIDIQUE— l'acte étatique comme, 385.— auto-interprétation, 3.— sens (signification), 2 s.ACTE JURIDIQUE, 342 ss.— conduite contraire à l'acte juri-

dique, 343.— le contrat comme—, 342,344 ss.— et délit, 343.— comme fait créateur de droit,

342 ss.— unilatéral et bilatéral, 344.ACTE DE VOLONTÉ, 6 s.— la législation comme, 10.ACTIO POPULARIS, 192.

Note,— Cet indexa été établi avecla collaborationde MademoiselleCatherineMOU,Assistanteà la Facultéde Droit et des Scienceséconomiquesde Paris.

466 INDEX ALPHABETIQUE

ACTION POSITIVE— et abstention négative, 45.ADMINISTRATION, 349 SS.,

390 ss.V. aussi administration éta-tique.

— et accomplissement des obliga-tions administratives, 350.

— comme fonction de l'État,349 s.

— et justice, 349.— et obéissance au droit, 350, 390.ADMINISTRATION ÉTA-

TIQUEV. aussi, administration

— directe et indirecte, 354 s.,391 s., 407 s.

— comme fonction juridique,349 ss., 392 s.

— et fonctionnaire d'État, 352 ss.AMERA (Karl von), 44.ANARCHISME, 52, 295.ANIMAUX— comportement des animaux

comme objet de réglementa-tion juridique, 44 s.

ANIMISME, 44, 115.ANNULABILITÉ— et annulation, 355 s., 367 ss.ANNULATION— des décisions juridictionnelles

«contraires au droit », 356 s.— des lois, 360 s., 365 s.APPAREIL DE FONCTION-

NAIRES—•État en tant qu'appareil bu-

reaucratique de fonction-naires, 354, 388, 408.

APPLICATION— et création du droit, 98, 310,

314 s., 341, 435.— du droit par les décisions juri-

dictionnelles, 325 s.— et obéissance aux normes juri-

diques, 16, 159, 314 s.APPLICATION DU DROIT— caractère de « cadre » du droit

à appliquer, 456 s.— et création du droit, 98, 310 s.,

314 s., 341, 435.— par la décision juridictionnelle,

325.— impossibilité logique, 229 ss.— indétermination de l'acte d'ap-

plication du droit, 456 s.

— et obéissance, 16, 159, 314.APPRÉCIATION DE VALEUR— du droit positif, 91, 147.— des normes, 24, 91.— de la réalité, 23, 91.APPROBATION— et désapprobation comme sanc-

tions, 38, 85 s.— jugement de valeur et —, 27.ARISTOTE, 44.ASSERTION— et norme, 101 s., 105 s., 109,

120, 274 s.— norme impérative et assertion

descriptive, 102 s., 105, 109.ATTRIBUTION, 72 ss., 209 s.,

212 ss., 216 s., 234 ss.,239 s., 241 ss., 315 s.,384 ss., 393 ss.

— à la collectivité, 200 ss., 209 s.,216 s., 239 s., 241 ss., 315 s.

•—à la corporation, 234 ss., 239 s.,241.

— des délits à la collectivité, 201 s.— à l'État, 384 ss., 393 ss.— comme fiction, 216, 395 s.— d'obligations et de droits à un

incapable, 212 ss., 216.— et personne, 200, 235.— et qualité d'organe, 200.— et représentation, 394 ss.AUGUSTIN (Saint), 61, 67.AUTOCRATIE— et démocratie, 186, 303, 371 s.AUTO-DÉTERMINATION— et contrat, 226 s., 342.— Liberté comme, 370 s.AUTO-INTERPRÉTATION— de l'acte juridique, 3 s.AUTO-JUSTICE— et décentralisation de la réac-

tion à l'acte illicite, 54 s.— légitime-défense comme mini-

mum, 54.— et sécurité collective, 51.AUTONOMIE— et droit privé, 226, 347, 373.— et hétéronomie, 371.AUTONOMIE PRIVÉE, 227,

347, 373.AUTORITÉ— créatrice des normes, 257, 259,

263, 269, 272.— naturelle, 298.— et science du droit, 272.

INDEX ALPHABETIQUE 467

AUTORITÉ (Obrigkeit).organe d'autorité, 372.

AUTORITÉ DU DROIT__ et connaissance du droit, 98 s.,

110.AYER (Alfred J.), 80.

B

BANDE DE VOLEURS— et communauté juridique, 60 s.BELLUM JUSTUM, 422.BERLIN (Isaiah), 132.BIEN (le)— le mal comme condition du

bien, 156.— notion du bien, 91.BUT— et devoir, 31.— et moyen comme effet et cause,

32.— objectif et subjectif, 32.— et valeur, 31 s.

C

CAPACITÉ D'ACTION, 194 ss.,203, 210 ss., 214 ss.

— attribution d'obligations et dedroits à un incapable d'ac-tion, 212 ss., 216.

— comme capacité de faire desactes juridiques, 197 s.

— et capacité juridique, 210 ss.,214 s.

— et compétence, 198 ss.CAPACITÉ DÉLICTUELLE— et capacité d'action, 196, 203,

211.— et capacité d'obligation, 203,

211, 214, 238 s., 241.— de la collectivité juridique, 203.— de l'État, 399, 425 s.— de la personne juridique, 203.CAPACITÉ JURIDIQUE— et capacité d'action, 197 s.CAPACITÉ D'OBLIGATION— et capacité délictuelle, 203, 211,

214, 238 ss., 241.CAPACITÉ PROCÉDURALE,

197.CAPITALISME— et propriété privée (indivi-

duelle), 184, 375 s.

— technique juridique de l'ordrejuridique capitaliste, 184,375 s.

CAUSALITÉ, 105, 110, 113 s.,115 ss., 120, 123 ss., 129,134 ss., 141, 144 s.

— et imputation, 105 ss., 113,115, ss., 123 ss., 134 ss.,141, 144 s.

— juridique, 110.— et liberté, 128, 134 ss.— nécessité et vraisemblance, 120.— et normativité, 129.— principe de causalité, né du

principe de rétribution, 117.CAUSE— et faute, 117 s.— première (prima causa), 125 s,CENTRALISATION, 51 s.,

182 s., 307 s., 336 s., 412 ss.,415 ss., 423 s.

— et décentralisation, 51 s., 53 s.,307 s., 336 s., 412 ss., 423 s.V. aussi décentralisation.

et domaine de validité terri-torial des normes juridiques,412 ss.

et loi fondamentale, 415 s.et monopole de contrainte dela collectivité, 51 s.

au sens dynamique et sta-tique, 416 s.

et unité et diversité des or-ganes créateurs de normes.416 s.

— et spécialisation, 52, 85, 209,307 s., 368, 378.

CHOSE EN SOI, 135 s.CLAUSE D'ADHÉSION— et traité international, 348.CODE CIVIL— Suisse, 331.COHN (Georg), 339.COMMANDEMENT•—et norme juridique, 11, 14, 97,

145.COMMANDEMENT

D'AMOUR— Jésus, 261.COMMON LAW— comme droit coutumier, 340.COMMUNAUTÉ JURIDIQUE

45 s., 48 s., 119 s., 199 ss.,208 ss., 231 ss., 239 s.,241 ss., 315 s., 325 ss.

468 INDEX ALPHABETIQUE

COMMUNAUTÉ JURIDI-QUE, attribution à la —,200 ss., 209 ss., 239 s.,241 ss., 315 s.

— la corporation comme, 208 ss.— création du droit comme fonc-

tion de la —, 315 s.—•l'État comme, 315 s.— et ordre juridique, 119 s., 315.— Organe de la —, et personne

privée, 199 ss., 208 ss.— monopole de contrainte de la

—, 48 s., 325 ss.•—•relation avec, 45.COMMUNISME— Tendance anti-communiste de

la philosophie hégélienne dudroit, 227.

COMPÉTENCE—•et capacité d'action, 198 ss.•—et création de norme, 257.— Souveraineté en matière de — :

442.CONCEPT AUXILIAIRE— la personne comme — : 231, 236,

251.CONCEPTION DU DROIT— et philosophie générale, 449 ss.— subjective et objective, 253.CONCESSION (Licence)— droit subjectif comme, 186.CONCRÉTISATION (Indi-

vidualisation)— des normes générales, 310, 312,

318, 370 s., 413.CONDUITE, 19, 42 ss., 138 ss.— des animaux, plantes comme

objet de la réglementationjuridique, 42 s.

— commission ou abstention, 43.— de l'homme vis-à-vis des

hommes et autres objets,43 s.

— humaine :condition et effet de la con-duite humaine comme con-tenu des normes sociales,138 ss.

comme contenu des normes,138 ss.

— — comme objet de la réglemen-tation juridique, 42 s.

— individu comme sujet ou objetd'une conduite, 173 s.

— interne et externe, 81 s.

CONFERER UN DROIT— et devoir, 58, 160 s., 170 ss

178, 219, 225.— droit subjectif, 170 ss.

V. aussi Droit, subjectif.— et obligation, directe et indi-

recte, 237 s., 425 ss.— au sens de permettre, 22, 186.CONFLIT— de normes, 36, 273 ss., 355 ss.,

367, 431 ss.— entre l'ordre du droit interna-

tional et l'ordre étatique,431 ss.

CONFLIT D'INTÉRÊTS, 280,326 s.

CONFORMITÉ— comme rapport entre l'être

(Sein) et le devoir (Sollen) :8 s., 22 ss., 26.

• entre un comportementréel et une norme, 22 ss., 26.

CONNAISSANCE DU DROIT— et création du droit, 98 s., 110,

324.— et interprétation juridique, 274.CONSEIL JURKDIQUE— et connaissance du droit, 123.

CONSÉQUENCE DE DROIT,151 s.

CONSTATATION— en tant qu'acte constitutif,

320 ss.— des faits par l'organe d'applica-

tion du droit, 307.CONSTITUTION, 189 ss.,

263 ss., 269 s., 278 ss.,299 ss.,311 s., 371 s., 399 s.

— comme plus haut degré del'ordre juridique, 299.

— droits et libertés fondamentalesgaranties par la Constitu-tion, 189 ss., 399 s.

— égalité garantie par la —, 190.— l'État comme, 371 s.—•et législation, 299 ss.•—•—organe constituant et organe

législatif, 301 s.— modification révolutionnaire,

263 s.— positive, comme loi fondamen-

tale, 269 s.— au sens matériel et formel,

299 s., 371.

INDEX ALPHABETIQUE 469

CONSTITUTIONNALITÉdeslois, contrôle de la—,360 ss.,

363 ss.CONTRADICTION— absence de contradiction dans

l'ordre juridique, 273 ss.— logique, entre droit et acte illi-

cite, 154.— entre norme et comportement

réel, 23 ss.entre propositions décrivantdes normes, 35 s.

CONTRAINTE (acte de), 46 ss.,55 ss., 148 ss.

— notion, 46 s.— comme sanction, 46 ss., 148 s.— qui n'est pas une sanction, 55

ss., 148.Contrainte (caractère de)— du droit 46 ss., 60 ss., 69 ss.,

85 ss., 148 s.Contrainte (monopole de la)— centralisation et décentralisa-

tion du —, 48 ss.— de la collectivité juridique, 49

ss.Contrainte (ordre de), 46 ss., 60 ss.,

69, 85 ss., 148 s.— le droit comme, 46 ss., 60 ss.,

69 ss., 85 s., 148 ss.— notion, 46.CONTRARIÉTÉ— des normes, 434 s.CONTRAT, 342 ss., 344 ss.,

372 s.— comme acte juridique, 342,

344 ss.— comme auto-détermination, 342.— et comportement contraire au—,

342.— création de normes indivi-

duelles et générales par —,347.

— du droit international, 348 s.et clause d'adhésion, 348 s.

— à rencontre ou au profit d'untiers, 347.

— comme fait créateur de normesou comme norme créée, 346.

— comme offre et acceptation,345.

— et ordre administratif, 372 s.COORDINATION— de deux systèmes de normes,

435.

COPERNIC, 451.CORPORATION, 232 ss., 241

ss., 245 ss., 249 ss., 384,397.Voir aussi Personne, juri-dique.

— attribution à la —, 233 ss.,240 s., 242 ss., 397.

— capacité d'obligation et capacitédélictuelle, 239 ss., 242 ss.

— comme communauté juridique,231 ss.

— droits et obligations externes etinternes delà—, 237, 384.

—•l'État comme, 384.— et membres de la corporation,

234, 245, 249.« membre » comme expres-sion figurée, 234.

et responsabilité delà—,232.— —-responsabilité de la corpora-

tion comme responsabilitécollective des membres,245, 249.

obligations et droits de la— :232 s.

comme obligations etdroits collectifs des mem-bres, 245, 249.

— — patrimoine de la corporationcomme patrimoine collectifdes membres, 245, 249.

— organe et membre de la —, 234,235, 241, 250.

— comme organisation avec sépa-ration des fonctions, 234 s.

— comme personne agissante etsujet de droit et d'obliga-tions, 232 s.

—•Responsabilité de la — : 232,240, 245 ss., 249 s.

— responsabilité limitée et illimi-tée, 250.

pénale de —, 246.— Statut de la —, 235, 238, 240,

250.illégalité des — : 242 ss.

•et ordre juridique étatiquecomme ordre juridique par-tiel et total, 235, 238.

COUTUME, 12, 72, 288, 300 ss.,305 ss., 313, 424, 443.V. aussi Droit coutumier.

— constitutive ou déclarative,305 s.

470 INDEX ALPHABETIQUE

COUTUME, comme fait créateurde droit, 72, 288, 300, 304,305 s.

— comme fait créateur de droitinternational, 291 s., 424,443.

— comme fait créateur de normes,12.

— et législation, 303 ss., 313 s.CRÉATION— et application du droit, 98, 310,

314 s., 341, 435.— l'ordre juridique comme système

de — : 299, 314.CRÉATION DES NORMES— compétence pour la —, 257.— coutume comme —, 13.— délégation de la —, 435.CRÉATION DU DROIT, 11,

14, 71 s., 144 s., 188, 222,227, 288, 299, 300, 303,306 s., 314, 335, 339, 370,461.

— acte créateur de droit commeacte de commandement, 11,14, 144.

— auto-création du droit, 299,370.

— coutume comme —, 71 s., 288,300, 303 s., 306 s.

— décentralisation de la —, 335,339.

— démocratique, 227.— droit subjectif comme partici-

pation à la — : 188 s., 222.— comme fonction de la commu-

nauté juridique, 314.— forme de l'État comme mé-

thode de —, 370.— par interprétation du droit, 461.— législation comme création de

normes générales, 300.CRIME DE GUERRE— et poursuite pénale, 244, 429.CRIMEN— Nullum crimen sine lege, 154.

D

DÉCENTRALISATION, 85,336 s., 339, 368, 379, 415,424.V. aussi, Centralisation etdécentralisation.

— de la déclaration de nullité desnormes juridiques, 368.

— et différenciation du contenu del'ordre juridique, 415 s.

— droit international généralcomme ordre juridique dé-centralisé, 85, 379, 424 s.

— de la fonction législative (créa-tion du droit), 336 s., 339.

— et principe de territorialité et depersonnalité, 415 s.

— de la réaction contre l'acte illi-cite et principe «d'auto-jus-tice », 54 s., 380, 427.

— de la sanction de l'acte illicite,54.

— et système provincial, 416.DÉCISION JURIDICTION-

NELLE, 318 ss., 325 ss.,328, 334 ss., 338 s., 355.

— caractère constitutif de la — :318 ss.

— caractère de précédent de la — :334 s., 339.

— illégales, 355 ss.— justice de la — : 328, 338.— et norme générale applicable :

325 ss.— comme norme juridique indivi-

duelle, 318 ss., 325 ss., 328.V. aussi, Norme individuelleet générale.

DÉCLARATION DE NULLITÉ— Caractère constitutif, 368.— Décentralisation de la déclara-

tion de nullité des normesjuridiques, 368.

DÉCOUVERTE DU DROIT (ju-risprudence), 319, 337, 340.

— libre, 319, 337, 340.et justice, 337.

DÉLÉGATION— de la création des normes, 435.DÉLIT, 18, 44 s., 48 s., 54, 56,

152 s., 157 s., 196, 202 s.,320 s., 398, 401 s., 425, 433.V. aussi, Non-droit.

— et acte juridique, 344.— en droit international, 425.— et sanction, 18, 48 s., 54, 56,

152 s., 158 s., 196, 425.DÉLIT D'ÉTAT, 398 s., 401 s.DEMANDEUR— personne privée ou organe éta-

tique comme — : 184, 207.

INDEX ALPHABETIQUE 471

DÉMOCRATIEet autocratie, 186, 303, 371 s.dans la création du droit, 227.

— directe et indirecte, 186.DÉMOSTHÈNE, 44.DERNBURG (Heinrich), 176,215.DESUETUDO, 288.DÉTERMINISME— et indéterminisme, 125 s., 134.DEVOIR (Sollen), 6 ss., 10 s.,

23 ss., 31 s., 102 s., 107 s.,141 ss., 168 ss., 281 ss.

— ambiguïté du —, 102 s., 107 s.— avoir droit et pouvoir, 107, 109.— et but, 31 s.— et être, 7 ss., 281 ss.— comme mystification idéolo-

gique, 142 ss.— négation du —, 141 ss.— et norme, 10 s.— norme comme devoir objectif,

10, 145.— et obligation juridique, 160 ss.— rapport entre être et devoir,

23 ss.— au sens d'un acte, 6 ss.— — d'un ordre, 10 s.— au sens large et étroit, 7, 107,

109.— et vouloir, 7, 10.DICTATEUR— comme représentant du peuple,

396.DIEU, 267 s., 418.— comme autorité établissant des

normes, 267 s.— et le monde : parallèle avec

État et Droit, 418.DISPOSITION ALTERNA-

TIVE— de la norme de degré inférieure

par la norme de degré supé-rieur, 357 s., 363 s., 433 s.

DIVISION DU TRAVAIL— et centralisation, 52, 85, 209,

307 s., 350, 368, 378.— et fonction d'organe, 204 s.,

209, 234, 350, 379.DOCTRINE DU DROIT NA-

TUREL, 79, 106, 155, 175,272, 293 ss., 297 s., 339, 419.

— et éthique d'Heraclite, 79.— et existentialisme, 339.— et métaphysique du droit, 106,

272, 298.

— et positivisme juridique, 106,155, 175, 272, 294 ss., 297,419.

— et théorie pure du droit, 297.— et théorie de la norme fonda-

mentale, 293 ss.DOMAINE DE VALIDITÉ— personnel et matériel, 18 s.,

381 s.— territorial des normes juridiques

et centralisation, 412 ss.et temporel, 17 s., 278, 346,381 s.

DOMAINE DU DROIT— Unité du —, et loi fondamen-

tale, 414.DROIT, V. aussi ordre juridique.— et acte illicite, 152 ss., 154 ss.,

196, 401, 433. V. aussi, acteillicite (Délit).

— auto-création du —, 96, 299,370, 411.

— et conduite humaine réelle, 283.— tout droit est droit jurispru-

dentiel 340, 360.— droit des personnes et droit des

biens, 176 s., 228.— comme enseignement et puis-

sance, 98.— et État, 73, 218, 236, 315, 349,

370 ss., 374, 376 s., 389,411, 417 s.

dans la doctrine socialemarxiste, 142.

identité, 377 ss., 417 s.— étatique, reconnaissance par

l'individu comme fonde-ment de validité, 436.

— — primauté, 289, 436, 438,439, 444.

et idéologie impérialiste,445 s., 452.

sanctions du droit étatiqueet du droit international,149, 429.

sanctions du droit étatiquedéléguées par le droit inter-national, 429.

— Flexibilité du droit et sécuritéjuridique, 334 ss., 339.

— et force, 289, 374.— comme idéologie, 141 ss., 145.— illicite, 355.— Justification du droit par la

morale, 91 ss., 293, 297.

472 INDEX ALPHABETIQUE

DROIT, Justification du droitpar le droit naturel, 296.

de l'État par le droit, 376,417.

— et justice : V. Justice et droit.— lacunes dans le droit, 329 ss.— et liberté, 57 s., 171.— matériel et formel, 309 ss.— négation du droit, l'acte illicite,

152 ss., 154 ss., 433.— notion, 42 ss., 72 s.— objectif et subjectif, 170 s., 176,

179 ss., 226, 252.— comme ordre, 42, 253.— comme ordre de contrainte,

46 ss., 52, 60 ss., 69 ss., 78,85 s., 149 ss., 195, 320.

— commeordredelacontrainte,52.— comme ordre social établissant

des sanctions, 33 ss., 46 ss.,60 ss., 69 ss., 78.

—. comme organisme, 253.— et paix, 52 s., 65 s., 88 s., 292.— politique, 186 ss.—-— et droit privé subjectif,

186 s., 194, 375.— positif : V. aussi, Positivisme

juridique.appréciation du —, 92, 148.et droit naturel : V. aussi,droit naturel et droit positif.

comme réalité juridique, 147.— — validité du — : V. validité.— positivité du —, 13, 202.— primitif, comme ordre de con-

trainte décentralisé, 85.— public : rapport de droit public

comme rapport de puissanceou de domination, 372.

et droit privé, 218, 221, 372.et État, 218, 372.

— comme rapport économique,143.

— comme règlement de la conduiteexterne et interne, 80.

— sanctions du —, 46 s., 149 ss.— et science, 95 ss.•—et science du droit, confusion,

80, 99, 251, 345.— sources du —, 313, 341.— subjectif, 170 ss., 173 ss., 178 ss.,

181 ss., 185 s., 193 s.,212 s., 223 s., 226, 406 s.

et autorisation positive,185 s., 193.

droits absolus et relatifs179.

— —. libertés et droits fondamen-taux, 192, 399.

comme droit politique,186 ss.

droit politique et droit privésubjectif, 186, 193.

et droit privé, 184.comme habilitation, 170 ss.comme intérêt juridiquementprotégé, 179 ss., 213 s., 226.

comme liberté, 226.— — comme concession, en droit

administratif, 186.et objectif, 170 ss., 177,179 s., 226 s.

et obligation, 58, 160 s.,170 ss., 178, 220, 225.

comme participation à lacréation du droit, 187 s.,224.

comme pouvoir juridique,181 ss., 194, 213, 223, 406 s.

et prétention, 171 ss., 175,182.

la propriété comme —, 174,226.

comme réflexe d'une obliga-tion juridique, 173 ss., 178ss., 181 ss., 193, 220, 223,407.

au sens technique, 181 ss.,223.

et sujet de droit, 226.•théorie de l'intérêt et théorie

de la volonté, 181 s.— comme système de normes, 43,

64, 104.— sociologie du —, 142, 146.— unité du droit comme postulat

de théorie de la connais-sance, 430.

— comme volonté de l'État, 186,402.

DROIT CONSTITUTIONNEL— normes du —, comme normes

non-indépendantes, 69 s.DROIT DE CONTROLE— des Tribunaux, 319, 361 s.,

363 ss.DROIT DE CRÉANCE, 179.DROIT COUTUMIER, 292, 301,

304 s., 308, 312, 340 s., 350,389.

INDEX ALPHABETIQUE 473

application par les Tribunaux,301.

Common Law comme — : 340 s.— et Constitution créée par la cou-

tume, 304.— comme contrat tacite, 292, 309.—•création par les Tribunaux, 308,

340.— dérogation à la Constitution

par — : 312.— et droit législatif, dérogation de

l'un à l'autre, 305.création par l'État : 389.comme création centraliséeet décentralisée du droit,308, 350.

rapport des Tribunaux au— : 308.

— et loi fondamentale, 301, 304 s.DROIT INTERNATIONAL— contrariété des lois au droit in-

ternational, 432 s.— la coutume comme fait créateur

de droit international, 423ss.— création du —, 423 ss.— Délit du droit international, at-

tribution à l'État, 399 ss.— et État, 421 ss., 425 s., 441 s.— — conflit entre, 431 ss.

construction dualiste et mo-niste du rapport, 431 ss.,436 ss., 443 ss.

droit international commefondement de validité del'ordre juridique étatique,289 s.

comme ordre juridique totalet partiel, 438 s.

— — transformation du droit in-ternational en droit éta-tique, 440 s.

unité, 430 s.— essence du —, 421 s.— fondement de validité de, 289 s.,

436 ss., 446 ss.et contenu de validité, 347 s.reconnaissance par l'État,436 ss.

— guerre et représailles commesanctions du—, 423, 429 s.

— individu comme sujet du —,426 s., 429 s.

— nature juridique de —, 420.— norme fondamentale du —,

289 ss.

— Obligation et habilitation di-recte et indirecte par —,425 ss.

— comme ordre juridique primitif,423 ss.

— primauté du —, 289, 436 ss.,439 ss.

et idéologie pacifiste, 448.— Principe d'effectivité, 289 s.,

440 s., 445 s.•—Pyramide du —, 424 s.•—reconnaissance du — comme

condition de sa validité,436 ss.

— sanctions du —, 420 s., 425.— Sujets de —, 425 s.— traité du droit international,

290 s.DROITS DE LIBERTÉ— droits fondamentaux et libertés,

60, 189 ss., 193, 302, 399 s.DROITS ET LIBERTÉS FON-

DAMENTAUX , 60,189 s.,192 s., 302, 399 s.

DROIT JURISPRUDENTIEL— Tout droit est — : 341, 360.DROIT LÉGISLATIF— et droit coutumier : dérogation

de l'un à l'autre, 305 s.comme création centraliséeet décentralisée du droit,308, 350.et création par l'État, 389.et relation des Tribunauxau — : 307.

DROIT NATUREL, 147, 296 ss.V. aussi doctrine du droitnaturel.

— diversité des systèmes de droitnaturel, 297.

— et droit positif, 147, 296, 298.justification du droit positifpar le droit naturel, 296.

possibilité d'une oppositionentre, 296.

— comme droit positif (établi) :298.

— et justice, 296 s.— de logique du droit, 297.— norme fondamentale du — :

297 ss.— validité absolue, 297.DROIT DES PERSONNES— et droit des biens, 176 s.,

228.

31. THÉORIEPUREDUDROIT.

474 INDEX ALPHABÉTIQUE

DROIT PRIVE— et autonomie, 227, 347, 373.— et droit public, 218, 221 s.,

372 s.— et droit subjectif, 184.— droit subjectif et politique,

186 s., 194, 375.— procédure des voies de recours

en — : 185.DROITS RÉELS— et droits personnels, 176 ss.,

228.DROIT RÉFLEXE, 173 ss., 178

s., 181 ss.DROIT DE VOTE— comme droit politique subjectif,

186 s.DUALISME, 24 s., 79, 119, 134,

170 ss., 176,180, 226, 252 s.,255 s., 281 s., 373 ss., 376 s.,430 ss., 436, 444.

— Construction dualiste (plura-liste) et moniste du rapportentre le droit internationalet le droit étatique, 430 ss.,436 ss., 444 ss.

— du droit et de l'État, 376,417 ss,

— du droit public et du droit privé,373 ss.

— du droit objectif et subjectif,170 ss., 176, 180 s., 226 s.,252 s.

— de l'être (Sein) et du devoir(Sollen), 7 ss., 25, 134, 255,281 ss.

— de la valeur et de la réalité, 24 s.,79, 119.

DUGUIT (Léon), 306.

DYNAMIQUE DU DROIT,255 ss., 370.

E

ÉCOLE DU DROIT— historique, 176, 306.— sociologique, 306.EFFECTIVITÉ— de la Constitution, 280.— Principe d' : 278 s., 281 s., 290 s.,

366 s., 440 ss., 444 s.en droit international, 366 s.,440 ss., 444 s.

et légitimité, 278 s., 290 s.,366.

— et validité des normes, 15 ss.,65 s., 281 ss., 285 s., 364 s.

ÉGALITÉ, 189 s., 335.— comme droit garanti par la

Constitution, 190.— de deux cas, 335.— devant la loi et dans la loi, 190.ÉLÉMENTS— de l'État, 380 ss.ÉLÉMENT DE FAIT—•constation des — par l'organe

d'application du droit, 307.comme acte constitutif, 319.

ENGISCH (Karl), 100, 270 s.ESPACE— et temps comme contenu des

normes (domaine de vali-dité spatial et temporel) :17 s., 278, 322 s., 381,412 ss.

ESPRIT DU PEUPLE— comme facteur de création du

droit, 306 s.ÉTABLISSEMENT— et hypothèse de la norme, 62 s.,

257 ss., 262 s., 269 ss., 290 s.ÉTAT, V. aussi Ordre juridique,

étatique i droit internatio-nal et droit étatique.

— actes de contrainte dirigéscontre l'État, 406.

— comme appareil bureaucra-tique de fonctionnaires, 353.

— attribution à l'État, 384 ss.,392 s., 398 ss., 406 ss.

— capacité délictuelle de 1'—, 399,425 s.

— comme collectivité juridique,315 ss.

— comme Constitution, 370.— comme corporation, 384.— création de droit législatif et

coutumier par 1'—, 388,443.— division de 1' —, 412 ss.— division territoriale, 381 s.,

412 ss.— et droit, 73, 218, 236, 315, 349,

370 ss., 374,376 s., 389,411,417 s.

—•— fonction idéologique du dua-lisme, 376 s.identité, 377 ss., 417 s.parallèle avec Dieu et lemonde, 417 s.

INDEX ALPHABETIQUE 475

- droits de 1' —, comme droitscollectifs des membres del'État, 407 s.

- droit de punir de 1' —, 408.- droits de propriété de 1'—, 408 s.- et droit international, 380,

382 ss., 421 ss.détermination de l'existencejuridique de l'État par ledroit international, 440 s.

État au sens du droit inter-national, 440 s.

- et droit public, 373.- Éléments de 1' —, 380.- État fédéral, répartition des

compétences entre État cen-tral et États-membres, 20.

- États-membres, 412.- État unitaire, 412.- Justification de l'État par le

droit, 376, 417.- notion, 349 s., 353 s., 374, 444.

au sens large et étroit, 353.- obligations et droits externes et

internes de 1' —, 384 ss.- comme ordre juridique, 52,

378 ss., 384 ss.- et organisation politique, 378.- naissance et fin comme pro-

blème du domaine de vali-dité temporel de l'ordre ju-ridique étatique, 382, 443.

- comme personne juridique, 236,377 s., 384 ss., 398.

- comme personnification del'ordre juridique, 385 ss.,411.

- comme puissance, 382 s., 437 s.- comme réalité ou comme cons-

truction auxilliaire de lapensée juridique, 385.

- reconnaissance d'une collecti-vité comme État au sens dudroit international, 437.

• représentation de 1' —, 394 ss.• responsabilité de 1' —, 398 ss.,

406, 425 s.comme responsabilité collec-tive des membres de l'État,406, 425 s.

sanction dirigée contre l'État,406, 425 s.

souveraineté de 1' —, 293, 383,437, 451.

comme sujet agissant, 384 ss.

— comme sujet de droits et d'obli-gations, 384 ss., 398 ss.

— comme sujet du droit interna-tional, 424 ss.

ÉTAT FÉDÉRAL— Réparition des compétences

entre l'État central et lesÉtats-membres, 20.

ÉTAT IDÉAL— de Platon, 316.ÉTAT-JUGE, 55, 392.ÉTAT MONDIAL— et communauté juridique mon-

diale, 430.ÉTAT UNITAIRE, 412.ÉTHIQUE— et morale, confusion avec

l'éthique, 80, 99.— comme science empirique, 80.— comme science normative ou

comme science de faits,23 s., 79.

ÊTRE— et devoir, 7 ss., 281 ss.ÉVOLUTION DU DROIT— et centralisation, 430.EX INJURIA JUS NON ORI-

TUR, 365.EXÉCUTION— exécution civile et exécution

administrative, 151.— et peine comme sanctions, 150 s.,

429.— et sanction patrimoniale, 151.EXÉCUTION CrVILE— et exécution administrative,

151 s.EXERCICE DU DROIT, 181 s.EXISTENCE— de la norme, validité en tant

que — : 13, 254 s., 281.EXISTENTIALISME— et doctrine du droit naturel, 339.— et science du droit, 339.EXPLOITATION— Théorie socialiste de la pro-

priété privée des moyensde production, 178.

EXPROPRIATION, 192.

F

FAIT— et norme, 23 s., 79, 255 s.

476 INDEX ALPHABETIQUE

FAUTE— et cause, 167 s.FICTION— Attribution comme — : 216,

396.— Lacunes dans le droit comme

— : 332 s.— Représentation comme—,397 s.FISC, 392.FLEXIBILITÉ— du droit et sécurité juridique,

334 ss., 339.FONCTION ADMINISTRA-

TIVE— et fonction juridictionnelle,

349 s.FONCTION DE DROIT, 204 s.,

317, 339, 349, 351, 388. .— administration étatique comme,

351 ss., 388, 390.— centralisation et décentralisa-

tion de la —, 336, 339, 351,416 s.

— fonction de l'État comme —,386 ss., 388 ss.

— et organe du droit, 205, 231.FONCTIONS DE L'ÉTAT— administration comme —,

349 ss., 387 ss.— comme fonctions juridiques,

285 s., 387 ss.— juridiction comme —, 387 s.— législation comme —, 386.FONCTION JURIDICTION-

NELLE— et fonction administrative, 349

s., 355.FONCTION LÉGISLATIVE— décentralisation de la — : 336 s.,

340.FONCTION D'ORGANE, 201,

204 ss., 208, 225,234 s., 350,379.

— désignation à, 206 ss.— comme fonction d'individus spé-

cialement qualifiés, 204 ss.— et organe, 201, 225.— au sens large et au sens étroit,

201 ss., 204 ss.— et spécialisation, 204 ss., 208,

234 s., 350, 379.FONCTIONNAIRES— État en tant qu'appareil bu-

reaucratique de—, 354,388,408.

— organes de la collectivité, 210,349 s.

—qualification de —, 210, 391 s.FONDEMENT DE VALIDITÉ,

255 ss., 258 ss., 261 ss.,263 ss., 279, 293, 426,436 ss., 444.

— et contenu de validité desnormes, 258 ss., 279, 293,444.

— du droit international, 291 ss.,426, 436 ss., 445 s.

— d'une norme, norme en tantque : 255.

— d'une norme juridique définie,263 ss.

— d'un ordre juridique, 261 ss.,436 ss.

— d'un ordre juridique étatique :263 ss., 440.

— d'un ordre normatif, 255 ss.FORCE DE DROIT, 357 s.FORME DU DROIT— et contenu du droit, 71, 309.— et forme de l'État, 370.FRONTIÈRES— de l'État, 382.

G

GÉOCENTRISME— et Héliocentrisme : comparai-

son avec les deux construc-tions monistes du rapportentre droit international etdroit étatique, 451 s.

GOUVERNEMENT— effectif comme légitime, 289 s.GOUVERNEMENT ÉTATI-

QUE— effectif et légitime, 290 s.— indépendance du —, 383.— comme organe de la puissance

publique, 383.GRAY (John Chapman), 340.GUERRE— et contre-guerre, 422.— guerre civile, 428.— et représailles comme sanctions

du droit international, 152,166, 247, 379, 421 ss., 426ss.

GUERRE CrviLE, V. Guerre.GUGGENHEIM (Paul), 304.

INDEX ALPHABETIQUE 477

H

HABILITATION— en tant qu'attribution d'un pou-

voir juridique, 76, 78, 161,195.

— et obligation, 161 ss.— au sens étroit et au sens large,

20 s., 76 s., 195 s., 202.HEGEL (G. W. F.), 227.HERACLITE, 87, 117.HEREDITAS JACENS, 215.HÉRÉDITÉ— jacente, 174, 215.HÉTÉRONOMIE— et autonomie, 371.HOMME, 16, 19, 43 ss., 95,

138 ss., 159, 201, 214, 221,229 ss., 237, 294.

— comportement des —, élémentspersonnel et matériel, 19,159, 201, 214, 237.

comme contenu des normes,16, 138 ss., 221.

— •—comme objet de la réglemen-tation juridique, 43 ss.

vis-à-vis des hommes et desautres objets, 443.

— comme objet de la science dudroit, 95.

—<et personne, 230 s.— comme personne physique, 229.— Relation entre les hommes : si-

gnification normative, 96,294.

HYFOSTHASE, 236.HUME (David), 144.

I

IDÉALISME— et réalisme : théorie idéaliste

et réaliste du droit, 120,147 s., 282 ss.

IDÉE— normative, et validité de la

norme, 282.IDÉOLOGIE, 141 ss., 146 ss.,

176 s., 227, 373 ss., 377 s.,419, 446 ss., 452.

— caractère idéologique du dua-lisme du droit public et dudroit privé, 373 ss.

— — de la distinction du droitdes personnes et du droitdes biens, 176 s.

— le devoir comme mystificationidéologique, 142.

— le droit comme —, 141 ss., 146.— — légalité de l'idéologie, 146.— Fonction idéologique de la no-

tion de propriété, 177.— • du concept de sujet de

droit, 227.du dualisme de l'État et

du droit, 377 s.— idéologie de légitimité, 419.— pacifiste et impérialiste, 446 ss.,

452.— et réalité.— tendance anti-idéologique de la

théorie pure du droit, 147,452.

ILLÉGALITÉ— des décisions juridictionnelles,

355 ss.IMPÉRATIF— et norme, 97, 99, 110.— et proposition juridique, 109.— et proposition de devoir, 102 s.,

109.IMPÉRIALISME— et pacifisme comme idéologies,

446 ss., 452.IMPUTATION, 105 ss., 112 ss.,

117 ss., 123 ss., 128 ss.,135 ss., 144 s.

— capacité d'imputation, 112 s.— et causalité, 105 ss., 112 ss.,

117 ss., 123ss., 135ss., 144 s.— et liberté, 128 ss., 135 ss.— dans la pensée des primitifs,

113 s.— et responsabilité, 125 ss.INCLINATION— et morale, 82 s.INCONSTITUTIONNALITÉ— des lois et autres actes juri-

diques, 360 ss.INDÉPENDANCE— du gouvernement de l'État

comme souveraineté, 383.— des Tribunaux, 351.INDIVIDU— reconnaissance de l'ordre juri-

dique étatique par l'indi-vidu comme fondement devalidité, 438.

478 INDEX ALPHABÉTIQUE

INDIVIDU, comme sujet d'undroit, 181, 184.

du droit international, 426,428.

—•-—ou objet d'un comportement,165, 173 s.

d'une obligation juridique,159 s., 173 s.

— Souveraineté de 1'— : 438,450.

INDIVIDUALISATION (Con-crétisation)

— des normes générales, 310, 312,318, 370 s., 413.

INFAMIE— et peine, 153 s.INFRACTION AU DROIT— l'acte illicite comme, 155 s.INTENTION— mauvaise, 167.— et prévision, 167.INTÉRÊT

V. aussi Théorie de l'inté-rêt. Conflit d'intérêt.

— droit subjectif comme inté-rêt juridiquement protégé,179 ss., 214 s., 223.

— intérêt « bien compris », 181.— l'intérêt de la collectivité comme

critère de l'attribution àl'État, 410.

INTERPRÉTATION, 275,453 ss., 458 ss., 462 s.

— comme acte de connaissance oude volonté, 459 ss.

— authentique et non-authen-tique, 453, 461 s.

— connaissance du droit et — :275.

— création du droit par — :462.

— essence de 1'—, 453.— et lacunes dans le droit, 463.— méthode d'—, 458.—•par l'organe d'application du

droit ou par personne pri-vée, 453 ss.

— par la science du droit, 460 ss.INVIOLABILITÉ— de la propriété comme droit ga-

ranti par la constitution,191 s.

IRRELEVANCE— juridique, 71 s., 310.

JJÉSUS— la justice dans les sermons de

Jésus, 38, 256.JUGE— décision des juges, V. décision

juridictionnelle.•—comme fonctionnaire étatique,

353.— jugement judiciaire et jugement

logique, 27.JUGEMENT— logique et norme juridique, 97.JUGEMENT DE VALEUR, 24

ss., 30 s.— et jugement de réalité, 24ss., 30s.JURIDICTION, 318 ss.— et administration, 351, 355.— centralisation de la —-, 430.— comme fonction de l'État, 388 s.— indépendance de la —, 351.— internationale, 430.JURIDICTION CONSTITU-

TIONNELLE, 363 s.JURISPRUDENCE (Science du

droit).— réaliste, 282.JUS IN PERSONAM, 176.JUS IN REM, 176.JUSTICE, 38, 55, 66 s., 80, 86,

90 s., 93, 148, 267, 293, 296,327, 337 s., 392 s., 418 s.

— absolue et relative, 91.— de la décision juridictionnelle,

327, 338.— et droit, 66 s., 80, 86, 90 s., 93,

148, 297, 327, 338, 418 s.identification de — : 93.séparation de — : 90 s., 418s.

— et droit naturel, 296 s.— et État, 55, 392.— et libre découverte du droit,

337 s.— norme de : 338.— et norme fondamentale de

l'ordre juridique positif,267, 293.

— dans les sermons de Jésus, 38.

K

KANT, Emmanuel, 82 ss., 98,130, 135 ss., 144, 161, 267,272.

INDEX ALPHABETIQUE 479

L

LACUNES— dans le droit, 329 ss.

authentiques et techniques,333.

comme différence entre ledroit positif et le droitidéal, 333.

comme fiction, 331 s.— et interprétation, 462.LANGE, F. A., 131.LAW— Common Law, 340.LÉGALITÉ— et moralité selon Kant, 84.LÉGALITÉ PROPRE— de l'idéologie du droit, 146.LÉGISLATEUR— Tribunal comme — : 327 s.,

334 s.LÉGISLATION, 10, 299 ss., 305,

311 ss., 370, 388 ss.V. aussi Fonction législative,Organe législatif, Procédurelégislative.

— comme acte de volonté, 10.— caractère constitutif ou décla-

ratif de la : 305.— et Constitution, 299 ss., 311 ss.,

370.— et coutume, 303 ss., 313 s.— comme création de normes juri-

diques générales, 300.— comme fonction sociale ou fonc-

tion étatique : 386 ss.— organe constituant et légifé-

rant, 301 s.LÉGITIME DÉFENSE— comme minimum d'auto-jus-

tice, 54.LÉGITIMITÉ— et effectivité, 278 ss., 290 s.,

367.— idéologie de légitimité, 419.— de l'organe suprême, 367.LEX POSTERIOR DE ROGAT

PRIORI, 275 s., 360.LIBERTÉ, 57 ss., 125 ss., 128 ss.,

136, 171, 226 ss., 370 s.— comme auto-détermination,

370.— et causalité, 128, 134.— et droit, 57 ss., 171.— comme fiction, 128 s., 136 s.

— et imputation, 127 s., 134ss.

— minimum de —, 57 ss.— et personnalité, 227.— et propriété, 227 s.— et responsabilité, 125 ss.— et subjectivité juridique, 226.— de la volonté : V. Libre arbitre.— le problème de la —, 125 ss.LOGIQUE— et normes, 101, 273 s.LOI, 72, 111 s., 141, 308 s., 312,

360 s., 363, 432 s.— et acte juridictionnel et admi-

nistratif, 312.•—annulation des lois, 360 s.,

363 ss.•—constitutionnalité, contrôle de

la —, 360 ss., 363 s.— contraire au droit international,

432 s.— définition par la Constitution

du contenu des lois futures,302.

— inconstitutionnalité, 189, 192,302, 355, 360 ss., 364, 432ss.

et responsabilité des organesétatiques, 192, 364.

— comme loi naturelle et commenorme, 111, 141.

— loi ordinaire et loi constitution-nelle, 191 s., 300 s.

— comme norme juridique généralen'est pas une loi au sensde la science naturelle, 112,141.

— et règlement, 308 s.— au sens formel et matériel, 72,

308.LOI CONSTITUTIONNELLE— et loi ordinaire, 300 s.LOI MORALE— et loi naturelle, 141.LOI NATURELLE, 104 ss.,

110 s., 141.— et loi juridique, 105 ss., 110 s.— et loi morale, 141.— et norme, 141.— notion, 104.LONDON AGREEMENT— for the Prosecution and Punish-

ment of the Major "WarCri-minals of the EuropeanAxis, 244, 429.

480 INDEX ALPHABETIQUE

M

MAL— Signification du mal comme

condition du bien, 156.MALA IN SE— et mala prohibita, 154.MALLY (Ernst), 11.MANDAT— « libre », 396.MARX (Karl), 96, 142 s.MARXISTE— doctrine sociale, 142 s.— théorie du droit, 96, 142.MENGER (Karl), 8, 262.MERKEL (Adolf), 98.MÉTAPHYSIQUE— du droit : doctrine du droit

naturel comme, 106, 272,298.

MONARCHIE— et République, 371.MONISME— construction moniste et dua-

liste du rapport entre ledroit international et ledroit étatique, 430 ss., 436

ss., 444 ss.MOORE (Georg Edward), 8, 16.MORALE, 9, 38, 53, 72 s., 79 ss.,

85 s., 90 ss., 99, 153, 293,297, 431 s.

— caractère social de la —, 80.— et droit, 38, 53, 72 s., 79 ss., 86,

90 ss., 431.—-— conflit possible entre : 431.

le droit comme minimummoral, 53.

— — le droit comme partie de lamorale, 86.

justification du droit par lamorale, 91 ss., 293, 297.

séparation de la —, 90.— et éthique : confusion, 9, 99.— et inclination naturelle, 82 s.— internationale, le droit interna-

tional comme —, 85, 432.— et non-droit, 153.— comme ordre positif sans carac-

tère de contrainte, 85 s.— comme ordre social positif, 85 s.— comme règle du comportement

intérieur, 81 ss.MORALITÉ— et légalité (selon Kant), 85.

MOTIFS— du comportement conforme à la

norme, 37, 144, 284.MOYEN— et but comme cause et effet, 32.

N

NATURE, 2, 5 s., 39 s., 79,104 ss., 114 ss., 118 ss., 298.

— comme autorité établissant ledroit, 298.

— et droit, 2 ss., 104 ss.— interprétation de la ... : causale

et normative, 5 s., 118 ss.primitive d'après le principed'imputation, 39 s., 114 ss.

sociale, 39.— notion de la — : 194, 298.— et société, 2 ss., 39, 104, 117.NÉGLIGENCE, 168.NORMATIVITÉ— et causalité, 129.NORME, V. aussi Norme juri-

dique.— abrogation des normes, 75.— application et obéissance, 16,

159, 314 ss.— appréciation de la valeur des

normes, 24, 91.— et assertion, 101 ss., 105 s., 109,

120, 274 ss.— catégorique et hypothétique,

141 s.— commandement, habilitation,

permission comme fonctions,6 s., 20 s., 76 s„ 97.

— et concept, 22 s., 68.— conformité et non-conformité

du comportement réel, 23ss.,26.

— dans la conscience des primitifs,114.

— contenu des normes, la conduitehumaine, 17, 138 ss., 221.

— contradiction entre les normes,36.

— contraire au droit, 355.— contrariété à une norme, 433 s.— et création des normes, 55 s.,

255 ss.— définissant une notion comme

norme non-indépendante,77.

INDEX ALPHABETIQUE 481

- détermination de la norme infé-rieure par la norme supé-rieure, 17, 255 ss., 299 ss.,357 s., 363 s., 434, 454.

- et devoir, 10 s.•comme devoir objectif, 10, 61,

145.espace et temps comme contenu

des normes, 17, 277, 346 s.,381, 412 ss.

comme étalon de valeur, 23.et fait, 23 s., 79, 255 s.fondement et contenu de vali-

dité, 258 ss., 277, 293, 444.comme fondement de validité

d'une norme, 255 ss.• générale, création par les Tribu-

naux, 334 ss.•— individualisation, 310, 312,

325 ss., 370 s., 413.et impératif, 97, 99, 141.

• indépendante et non-indépen-dante, 69 s., 74 ss., 78, 320,343.

• individuelle et générale, 27, 98,113, 141,158,199, 288, 309,318, 320, 328, 338 s., 341,347, 356, 370, 376, 412 s.

• — création par contrat, 347.- — justification d'une norme in-

dividuelle par une normegénérale, 328, 338.

- et jugement de valeur, 25.- logique et normes, 102 ss., 272 s.• et loi naturelle, 141.• la loi comme norme et comme

loi naturelle, 141.•notion, 6.normes abrogatoires, 75.

•normes d'abstention, 139.norme établie (positive) et sup-

posée (fondamentale), 13,31, 61 s., 257 ss., 261 s.,268 ss., 290 s., 296.

positivité de la —, 13.rapport historique et logique

des normes, 442.rétroactivité des normes, 18,

328 s., 369.schéma d'interprétation, 4 s.comme sens d'un acte, 6 ss., 31,

79, 145.comme sens objectif d'un acte

de commandement, 10, 91,145.

— sociale, 79, 138 ss.condition et effet de la con-duite humaine comme con-tenu des normes sociales,138 ss.

— supérieure et inférieure, 12, 17,255 s., 277, 299, 313 ss.,435, 454 s.

— et valeur, 23 ss., 89.— validité et domaine de validité,

13 ss., 17 ss., 346, 381 ss.,412 ss.

— validité et efficacité, 15 ss.,63 s., 68, 103, 108, 121 s.,271, 277 s., 281 ss., 286,366.

—•validité comme existence, 13 s.,255, 281.

— voulue (posée) et pensée (sup-posée), 268 ss.

NORME FONDAMENTALE,12, 23, 43, 61 s., 68, 72,145, 255 ss., 263 ss., 266 ss.,272 s., 277 s., 280 s., 287,289 ss., 294 s., 299 s., 305ss., 314, 415, 425, 444.

— Absence de justification poli-tico-éthique du droit posi-tif, 293.

— et centralisation et décentrali-sation, 415.

— comme condition logique trans-cendantale, 266 ss., 272,295.

•—•Constitution de droit positifcomme —•: 268 s.

— comme Constitution au sens dela logique juridique, 263,290.

— et définition du droit, 68.— et droit coutumier, 300, 305.— du droit international, 289 ss.,

425, 444.— et droit naturel, 297 ss.— efficacité comme condition de

la validité, établie par lanorme fondamentale, 272,277, 287.

— fonction : — fondement de lavalidité d'un ordre juri-dique positif, 267, 273, 276.— fondement seulementconditionné d'un ordre juri-dique positif : 294.

— fonction théorique de connais-sance de la — : 295.

482 INDEX ALPHABETIQUE

NORME FONDAMENTALE,— comme fondement direct de

validité de la première Cons-titution de l'histoire, 264 s.

— comme fondement suprême devalidité, 43, 61 s., 255 ss.,287, 294 s., 299 s., 314.

— formulation, 264 s., 280.— et justice de l'ordre juridique

positif, 266, 293.— d'un ordre normatif posé par

Dieu, 267 s.— se rapportant à une Constitu-

tion valable, 63, 294.— supposition possible, non-né-

cessaire de la —, 294.— Théorie de la : 273, 281, 293 ss.

et théorie de la reconnais-sance, 295.et doctrine du droit naturel,293, 297.et positivisme juridique,273, 281, 293 ss.et unité du domaine dudroit, 415.

NORME JURIDIQUE, 14 s.,68 s., 75 ss., 94 ss., 120 ss.,157 ss., 261 ss., 273 s., 314ss., 436 ss.V. aussi norme.

— application et obéissance, 142,314 ss.

— fondement de validité desnormes, 263 ss.

— normes juridiques comme objetde la science du droit, 94.

— et obligation juridique, 157 s.— et ordre, 14, 95.— sans sanction, 68 ss.NORMES MORALES— et normes sociales, 79 ss., 89.NOTION— et norme, 24, 68.NULLA POENA SINE LEGE,

154.NULLITÉ— et annulabilité, 356 s., 367 ss.NULLUM CRIMEN SINE

LEGE, 154.

O

OBÉISSANCE— et application delà norme (norme

juridique), 16, 159, 314 s.

OBJET— individu comme objet ou sujet

d'une conduite, 165, 173 s.— de la science du droit, les

normes en tant qu'— : 95 ss.OBLIGATION (Pflicht)•—et droit (permission), 58, 160,

170 ss., 178, 218, 225.— exécution de l'obligation, con-

séquences juridiques, 198.— et ordre, 20, 157.— au sens de l'éthique kantienne,

160.— sujet d' —, 159, 173, 224.OBLIGATION DE FONC-

TION, 352, 390 s.— peine disciplinaire, sanction,

352.OBLIGATION DE PRESTA-

TION— et obligation de tolérance,

172 s.OBLIGATION DE RÉPARA-

TION, 168 ss.— et obligation subsidiaire, 169.— et sanction, 168 s.OBLIGATION DE TOLÉ-

RANCE— et obligation de prestation,

172 s.OBLIGATION JURIDIQUE,

58, 68 ss., 157 ss., 169 ss.,176 ss., 179 ss.

— et droit subjectif, 58, 176 ss.— droit subjectif comme réflexe

d'une —, 176, 179 ss.— et norme juridique, 157 s.— et obligation morale, 160.— obligation de prestation et

obligation de tolérance, 172.— et responsabilité, 157 ss., 163 ss.— et sanction, 68 s., 157 ss.— sans sanction, 68 ss.— et Sollen, 160.OBLIGATION MORALE— et obligation juridique, 160.OBLIGATION NATURELLE,

71.OFSTAD (Harold), 103.OPINIO NECESSITATIS, 304.ORDONNER (Commander)— et devoir (Sollen), 35.— permettre, habiliter comme

fonctions de la norme, 6 s.,20 s., 76 s., 97.

INDEX ALPHABETIQUE 483

ORDRE (Commandement)_ et obligation, 20, 157.— et sanction, 35 s., 242.— et collectivité, 119, 200, 379 s.— le droit comme, 42, 253.— normatif, fondement de vali-

dité d'un, 225 ss.société comme —, 119.

— ordre total et ordre partiel,235, 238, 434 s.

— problèmes relatifs à un ordrecomme problèmes du droit,253 s.

ORDRE ADMINISTRATIF— et acte juridique, 372 s.ORDRE JURIDIQUE, 51 ss.,

64 ss., 119 s., 261 ss., 264 ss.,266 ss., 272 s., 314 s., 378 ss.,384 ss., 430 ss., 436 ss.

— et communauté juridique, 119 s.— efficacité de 1'—, 267, 272,

384.— l'État comme —, : 52, 378 ss.,

384 s.comme personnification de1'— : 385 ss.

— étatique, V. aussi, Droit, éta-tique.

fondement devalidité, 264 ss.— comme fondement de validité,

261 ss., 436 ss.— non-contradiction dans 1'—

273 ss., 431.— pyramide de 1'—, 266, 274,

299 ss.— comme rapport de création,

314 s.— et sécurité collective, 51 ss.,

65 s.— unité logique de 1' — : 273 s.,

430 ss.ORDRE SOCIAL, 33 ss., 39 ss.— établissant des sanctions, 34.— notion, 33.— religieux, 39 ss.— sans sanction, 39.ORDRE SUPÉRIEUR ET IN-

FÉRIEUR— rapport de droit comme rap-

port de, 218 s.— de systèmes de normes, 434 s.ORDRE TOTAL— et ordre partiel, ordre juridique

international et étatiquecomme, 435.

ORGANE, 184, 199 s., 201, 207 s.,225, 302, 351, 367.

— de la collectivité et personneprivée, 184, 199 s., 207.

— création de — : 206 ss.— comme fonctionnaire, 210, 352.— législatif et constituant, 302 s.— notion d'organe comme notion

substantielle, 201, 225.— comme « porteur » de fonction,

201.— suprême, légitimité de 1'—: 367.ORGANE ADMINISTRATIF—•comme fonctionnaire d'État,

349 s.ORGANE DE LA COLLECTI-

VITÉ— V. aussi Organe.— Fonctionnaire comme, 210,

352 ss.— Individu comme : 199, 240.— et personne privée, 184, 199,

208.ORGANE ÉTATIQUE— comme fonctionnaire d'État,

352 s., 388 ss., 390.— comme organe du droit, 349 ss.,

384 ss.— responsabilité de 1' : 365 s.ORGANE JURIDIQUE— et fonction juridique, 204.— comme organe étatique, 349 s.,

384.ORGANE LÉGISLATIF, 301 S.ORGANISATION, 206, 234 s.,

244, 348, 378.— comme collectivité organisée,

206, 234 s., 378.— corporation comme — spécia-

lisée, 234 s.— criminelle, 244.— internationale, 348.— politique, l'État comme —, 378.

contraire au droit, 244.ORGANISME— l'État comme, 377.— personne juridique comme — :

236.

P

PACIFISME— et impérialisme, comme idéolo-

gies, 446 ss., 452.

484 INDEX ALPHABETIQUE

PACTA SUNT SERVANDA,292, 424.

PACTE BRIAND-KELLOG,423.

PAIX— et droit, 52 s., 66 s., 88 ss., 292.— et droit international, 292.— et morale absolue ou relative,

53, 88 ss.— et sécurité collective, 52 s., 66 s.PARLEMENT— représentation du peuple par

le — : 394 ss.PATRIMOINE— de la corporation comme patri-

moine collectif des membresde la corporation, 245, 249.

— de l'État comme patrimoinecollectif des membres, 392 s.,406.

PATRIMOINE DE L'ÉTAT,392 s., 406 s.

PATTERSON (Edwin), 271.PAUL (Saint-Paul), 92.PEINE— but de la —, 151.— et diffamation, 153 s.— et exécution comme sanctions,

149 s.—•peine juridictionnelle et peine

administrative, 151.— peine patrimoniale et exécution,

151.PEINE DISCIPLINAIRE— comme sanction de l'obligation

de fonction, 352.PEINE JURIDICTIONNELLE— etpeineadministrative,151,351.PERMETTRE— ordre, habilitation comme fonc-

tions de la norme, 6 s., 20 s.,76 s.

— au sens de conférer un droit,22, 186.

— au sens positif et négatif, 20 s.,75, 186 s., 317.

PERMISSION— droit subjectif comme —, 186 s.,

194.PERSONNALITÉ— et liberté, 227 s.PERSONNE- 116, 174 s., 201 s.,

216, 228 ss., 234 ss., 241 ss.,245 ss., 248 ss., 377 s., 384ss., 397 s.

— et attribution, 201, 233.— attribution à la —, : 234 ss.,

239 s., 241, 397.— et chose, 116, 178.— la collectivité comme —, 201 s.,

216, 231 ss.— comme concept auxilliaire, 231,

236, 251 s.— et homme, 229 s.— juridique, 203, 228 ss., 231 ss.,

234 ss., 251 s., 397. V. aussi,Corporation.

capacité délictuelle, 203,241.et capacité d'obligation,

237 ss., 241 ss.— — corporation comme —, 231 s.

droits de la —, 248.— — l'État comme —, 236, 377,

384 ss., 398.— — obligations de la —>,237 s.—•— comme organisme, 236.

comme personne artificielle,229.

comme personne « natu-relle », 228.

comme personne réelle, 229,397.

responsabilité de la —, 245ss.

—•— comme sujet agissant, 234 ss.comme sujet d'obligationset de droits, 236 ss.

comme sur-homme, 236.— comme personnification d'un

complexe de normes juri-diques, 229 ss.

— physique, 228 ss.— —•et homme, 228 s.

et personne juridique, 228ss.

— comme sujet de droit, 174 s.,224 ss., 228 ss.

PERSONNE PRIVÉE— et organe de la collectivité, 184,

199, 208.— ou organe étatique comme de-

mandeur, 184, 208.PERSONNIFICATION— de la collectivité et attribution

à la collectivité, 200, 235.PEUPLE— représentation du —, 394 ss.PEUPLE DE L'ÉTAT— comme élément de l'État, 380 s.,

383.

INDEX ALPHABETIQUE 485

comme domaine de validité

personnel de l'ordre juri-dique étatique, 380 S., 383.

PIRATERIE— comme délit du droit interna-

tional, 429.

PLATON, 44, 316.PLURALISME— construction pluraliste du rap-

port entre le droit interna-tional et le droit étatique,430 ss., 436 ss., 444 ss.

POINT FINAL— de l'imputation, 125, 135,

139.POLITIQUE JURIDIQUE— et théorie du droit, 1, 99.POSITIVISME— logique, 23, 79.POSITIVISME JURIDIQUE,

148, 293.— et doctrine du droit naturel,

294 ss.— limites du —, 289.— et théorie de la norme fonda-

mentale, 294 ss.— théorie pure du droit et théorie

du, 148.POSITIVITÉ— du droit, 13, 262.— de la morale, 85 s.— de la norme, 13.POUVOIR— et droit, 288 s., 373 s.— et État, 382 s., 438.— discrétionnaire des tribunaux

et des autorités administra-tives, 312, 328, 337, 374,391 s.

POUVOIR JURIDIQUE, 181ss.,213 s.

— droit subjectif comme —,181 ss., 213.

— la propriété comme, 179.PRÉCÉDENTIEL— caractère —•de la décision juri-

dictionnelle, 335 s., 339.PRÉTENTION (Anspruch)— et droit subjectif, 172 ss., 175,

182.— à une sanction pénale, 180.PRÉVENTION— comme but de la sanction, 54,

151 s.

PREVISION— et intention, 167.PRIMA CAUSA, 125.PRIMAUTÉ— du droit étatique, 289 s., 436,

438, 439, 443 s., 446.et idéologie impérialiste,

448, 452.— du droit international, 289, 292,

438 ss., 443 ss.—-— et primauté du droit éta-

tique : deux systèmes de ré-férence différents : 451 s.

et idéologie pacifiste, 446 s.,452.

PRIMITIF— l'imputation dans la pensée

du —, 114 ss.— les normes dans la conscience

du —, 114.PRINCIPE DE PERSONNA-

LITÉ— et principe de territorialité,

415 s.PRINCIPE DE TERRITORIA-

LITÉ— et principe de personnalité,

414 s.PRIOR (Arthur N.), 8.PROCÉDURE JURIDICTION-

NELLE, 318 ss., 324.— et connaissance des faits natu-

rels, 324.— comme objet d'une autre pro-

cédure juridictionnelle, 323.— comme procédure des voies de

droit, 323 s.PROCÉDURE LÉGISLATIVE,

389.PROPHÉTIE— science du droit comme —, 120.PROPOSITION DE DROIT— Formulation de la —, 76 s.,

78, 319 ss.— et norme juridique, 76 s., 78,

96 ss., 120 s., 273 ss.PROPRIÉTÉ, 177, 184, 191,

225 ss., 375, 408 s.— comme domination d'une per-

sonne sur une chose, 177.— comme droit subjectif : 172 ss.,

179, 225.— de l'État : 408 s.— Fonction idéologique de la no-

tion, 177.

486 INDEX ALPHABETIQUE

PROPRIÉTÉ, inviolabilité ga-rantie par la Constitution,191 s.

— et liberté, 227 s.— comme pouvoir juridique, 178 s.— Propriété privée individuelle et

propriété collective, 375.et capitalisme, 184, 375.théorie socialiste (théorie

de l'exploitation), 178.

PTOLÉMÉE, 451.PUCHTA (G. F.), 226.PUISSANCE DE L'ÉTAT— comme efficacité de l'ordre ju-

ridique étatique, 384.— comme élément, de l'État,

360, 383 s.PYRAMIDE— du droit international, 424.— de l'ordre juridique, 266, 274 s.,

277, 299 ss., 424 s.

Q

QUJESTIO FACTI— et quaestio juris, 318.QUALIFICATION— pour la fonction « d'organe »,

205 s.

QUALITÉ D'ORGANE, 194 ss.,200 ss., 204 ss., 216, 237,251, 397.

— et attribution, 200 ss., 397.— et représentation, (Représen-

tation), 394.— et représentation (Stellvertre-

tung), 216, 237, 251.

R

RAPPORT DE DÉLÉGATION— unité de deux systèmes de

normes comme — : 435.RAPPORT DE DROIT, 96,

217 ss.— distinction des rapports de

droit, 372.— privé et public, 218, 221 s.—•rapport de supériorité et d'in-

fériorité, 218, 372.RAPPORT DE PUISSANCE— de fait et de droit, 378 s.

— rapport de droit public comme— : 372.

RÉALISME— théorie juridique réaliste et

idéaliste, 120 s., 147 s.,282 ss.

— théorie pure du droit commethéorie juridique réaliste,147.

RÉALITÉ— naturelle et sociale, 118.— V. aussi Valeur.— et idéologie, 146 ss.RÉALITÉ JURIDIQUE— droit positif comme —, 146 ss.REALITY— and validity, 282 ss.RÉCOMPENSE— et peine comme sanctions, 34,

37.RECONNAISSANCE— d'une communauté comme

État, 436.— du droit international, 289 s.,

436, 444.par l'État comme fondementde la validité du droit inter-national, 289, 436 s., 444.

— par l'individu du fondement dela validité du droit étatique,438.

RÈGLEMENT— et loi, 308 s.— responsabilité des organes ad-

ministratifs pour la légalitédu, 364 s.

RÉGLEMENTATION— juridique, la conduite humaine

comme objet, 43 s.— — conduite des animaux,

plantes et objets inaniméscomme objet, 43 s.

— positive et négative, 20 ss.,44 s.

RELATIVISME, 87 ss., 91.— et justice relative et absolue,

91.— et morale — : 87 ss.— et valeurs : 87 ss.RELIGION— et ordre social, 38 ss.RÉPARATION— comme but de la sanction,

150 s., 342.

INDEX ALPHABETIQUE 487

REPRESAILLEcomme acte de contrainte,

421 s.— et guerre comme sanction du

droit international, 421 ss.,425 ss.

REPRÉSENTATION, (Repré-sentation) 394 ss.

— et attribution, 394 ss.— de l'Etat, 394.— comme fiction, 395 s.— du monarque par les juges,

395 s.— du peuple par un dictateur,

396.par le Parlement, 394 ss.

— et qualité d'organe, 394.— et volonté, 395.REPRÉSENTATION (Stellver-

tretung), 210 ss., 216 s.,394 s.

— par acte juridique, 216 s.— et attribution, 216 s., 394 s.,

396.— directe et indirecte, 217.— légale, 210 ss., 216.— et qualité d'organe, 216.RÉPUBLIQUE— et monarchie, 371.RESPONSABILITÉ (Haftung),

139, 157 ss.„ 163 ss., 168 s.,212, 239, 245 ss., 250, 406,425 ss.

— du comportement personnel etdu comportement d'autrui,139, 157, 163 s., 245.

— de la corporation (personnemorale), 239, 245 ss.,249 s.

comme responsabilité collec-tive des membres de la cor-poration, 246 s., 248.

— corporation à responsabilité li-mitée et illimitée, 250.

— de l'État comme responsabilitédes membres de l'État, 406,425.

— et obligation juridique, 157,163 ss., 168, 212.

— pénale de la corporation.— responsabilité individuelle et

collective, 139, 164 ss.,246 s., 426 s.

— responsabilité pour faute etpour résultat, 167 ss., 426.

RESPONSABILITÉ (Verant-wortlichkeit) V. aussi Res-ponsabilité (Haftung).

— et imputation, 125 ss.— et liberté, 125 ss.— des organes de l'État pour la

légalité des normes juri-diques établies par eux,364 s.

— pénale, pour violation du droitinternational, 429.

RESPONSABILITÉ POURFAUTE

— et responsabilité pour résultat,167 ss., 428 s.

RESPONSABILITÉ DE RÉ-SULTAT

— et responsabilité pour faute,167 ss., 428.

RÉTRIBUTION (Principe de),38, 42, 115.

— formulation biblique, 42.— naissance du principe de causa-

lité, 116 ss.•—dans le Sermon sur la mon-

tagne, 38.RÉTROACTIVITÉ— des normes, 328 s., 367 s.RÉVOLUTION— comme processus créateur de

droit, 366.— au sens juridique, 279, 366.ROSS (Alf), 25, 163, 282 ss.

S

SANCTION, 33 ss., 36 ss., 40 s.,47 ss., 56 s., 150 ss., 155 ss.,168 ss., 425 ss.

— et délit, 48 s., 151 ss., 155 ss.,425.

— et obligation de réparation,168 s.

— et ordre social, 33 ss., 37 ss.— prévention comme but de la —,

54, 150 s.— comme réaction à un compor-

tement, 36, 47, 57.— réparation comme but de la —,

150.—.socialement organisée, 40, 47.— la vengeance comme, 40 s.SANCTIONS, 39 ss., 41, 44 ss.,

68 ss., 149 ss., 157 ss.

488 INDEX ALPHABETIQUE

SANCTIONS, comme acte decontrainte, 45 s., 149.

— comme conséquences de l'acteillicite, 149 ss.

— du droit, 45 ss., 149 ss.— du droit étatique et du droit

international, différenceentre, 149 ss.

— comme mal, 45 s.— normes juridiques sans sanc-

tion, 68 ss.— et obligations juridiques, 44,

68 s., 157 ss.— obligations juridiques sans sanc-

tion, 68 ss.— peine et exécution forcée, 149 ss.— transcendantes et socialement

immanentes, 39 ss.SA VIGNY (F. K.), 306.SCHÉMA D'INTERPRÉTA-

TION— norme comme, 4 s.SCHLICK (Moritz), 23, 79, 132,

141 s.SCIENCE— et droit, 95 ss.SCIENCE CAUSALE— et science normative, 104 ss.SCIENCE DU DROIT, 78 s.,

104 ss., 110 ss., 141 s.,272 s., 345 ss.

— et droit, confusion de —, 79,345 s.

— et existentialisme, 339.— objectivité de la —, 102, 110 s.— comme science empirique, 79,

109.— et science naturelle, 78 s.,

104 ss.— comme science normative, 78 s.,

104 s., 110 ss., 141.— et sociologie du droit, 142, 146.SCIENCE NATURELLE— et science juridique, 1 ss., 79,

104 ss.— et science sociale, 1 ss., 39,

104 ss., 118 ss.SCIENCE NORMATrVE— et science causale, 104 ss.— et science juridique, 79, 95 ss.,

104 ss., 141.SCIENCE SOCIALE— causale et normative, 118 ss.— et science naturelle, 1 ss., 39,

104 ss., 118 ss.

SÉCURITÉ— collective, et paix, 52 s., 65 s.

et auto-justice, 51 s.et ordre juridique, 51 s.,65 s.

SÉCURITÉ JURIDIQUE— et flexibilité du droit, 334 ss.SENS— subjectif et objectif d'un acte,

3 s., 10 s., 62 s., 145, 265 s.SERMON SUR LA MON-

TAGNE— et le principe de rétribution, 38,

256.SIGNIFICATION— normative et causale de la Na-

ture, 4 s., 118 ss.— normative des rapports hu-

mains, 96 s., 297 s.— normative et sociologique, 294.— norme comme schéma d' — :

4 s.— primitive de la nature selon le

principe de rétribution, 39s.,114.

— sociale de la nature, 39 s.SOCIALISME— théorie de la propriété des

moyens de production etexploitation, 178.

SOCIÉTÉ, 1 ss., 39, 104 s., 116,119.

•—concept, 105 s.-—doctrine marxiste de la société,

142.— et nature, 1 ss., 39, 104 s., 116.— comme ordre normatif de la

conduite humaine, 119.SOCIOLOGIE— du droit, 142, 146.SOCIOLOGIE DU DROIT— et science du droit, 142, 146.SOURCES— du droit, 313 s., 341.SOURCES DU DROIT— obligatoires et non-obligatoires,

314.SOUVERAINETÉ, 293, 383 s.,

437 ss., 450 s.— du droit international, 443.— de l'État, 293, 383, 437, 451.

et indépendance du gouver-nement, 383.et primauté de l'ordre juri-dique étatique, 437 s.

INDEX ALPHABÉTIQUE 489

et subjectivisme de l'État,451.

— de l'individu, 438, 451.— et liberté d'action de l'État,

450.SPÉCIALISATION

V. Division du travail.STATUT— de la corporation, 238, 242, 251.STEVENSON (Charles L.), 99.SUBJECTIVISME— et objectivisme dans la philoso-

phie générale et les concep-tions juridiques, 449 s.

SUBJECTIVITÉ DU DROIT— et liberté (auto-détermination),

226.— et objectivité, 226 s.SUJET— individu comme sujet d'un

droit, 181, 184.d'une obligation juri-

dique, 173.• ou objet d'une con-

duite, 173 s.SUJET DE DROIT— fonction idéologique du concept

de —, 227.•—comme personne, 173 s., 224 ss.,

228 ss.— comme «porteur » d'obligations

et de droits subjectifs, 227,228.

— comme sujet d'une obligationjuridique, 173, 225.

SUPPOSITION— et établissement d'une norme,

61 s., 257 ss., 262 ss.,289 ss., 314 ss.

SYLLOGISME— normatif, 256 s., 268 s.SYNCRÉTISME— de méthodes, 2.SYSTÈME DE CRÉATION— l'ordre juridique comme — :

299 s., 314.SYSTÈME MORAL, 79 ss., 90,

93.SYSTÈME DE NORMES— ordre coordonné de — : 435.— ordre supérieur et inférieur, 435.— rapport réciproque de deux — :

435 s.— type dynamique et statique,

258 ss.

32. THÉORIEPUREDUDROIT.

— unité de deux —, comme rap-port de délégation, 435.

SYSTÈME PROVINCIAL— et décentralisation, 415 s.

T

TAMMELO, Ilmar, 270.TEMPS— comme élément de l'État, 382.— et espace comme contenu des

normes, 346 ss., 412 ss.TERRITOIRE DE L'ÉTAT— comme domaine territorial de

validité de l'ordre juridiqueétatique, 380, 412 s.

— comme élément de l'État, 380.THÉOLOGIE— et théorie juridique de l'État,

418.THÉORIE DE LA CONNAIS-

SANCE— Fonction de la norme fondamen-

tale, 295.— Kant, 98.THÉORIE DE L'INTÉRÊT— et théorie de la volonté du

droit subjectif, 181 ss.THÉORIE JURIDIQUE— idéaliste et réaliste, 282 ss.— marxiste, 96.— et politique juridique, 1, 99.— statique et dynamique, 96 s.THÉORIE DE LA RECON-

NAISSANCE— et théorie de la norme fonda-

mentale, 295.THÉORIE DE LA RELATI-

VITÉ, 451 s.THÉORIE PURE DU DROIT,

1 ss., 148, 253, 270 ss.,293 s.

— et doctrine du droit naturel,296.

— tendance anti-idéologique, 148.— comme théorie juridique réa-

liste, 148.— comme théorie du positivisme

juridique, 148 s.THÉORIE DE LA VOLONTÉ•—et théorie de l'intérêt du droit

subjectif, 181 ss.THOMAS D'AQUIN, 153.

490 INDEX ALPHABETIQUE

TRANSFORMATION— du droit international en droit

étatique, 440 s.TRIBUNAUX, 300 s., 307, 319,

334 s., 339 s., 351,361, 363 s.— application du droit coutumier

par — : 300 s.— création de normes générales

par : 334 s.du droit coutumier parles — : 307, 339 s.

— droit de contrôle des — : 319,361, 363 s.

— indépendance des —, 351.— comme « législateur » : 327,

334 s.

U

UNITÉ— de deux systèmes de normes

comme rapport de déléga-tion, 435.

— du droit comme postulat dethéorie de la connaissance :430.

— du droit international et dudroit étatique, 430 ss.

— logique de l'ordre juridique,273 ss., 355, 367, 430 ss.

UNIVOCITÉ— et ambiguïté des normes juri-

diques, 463.

V

VAIHINGER (Hans), 131.VALEUR, 23 s., 27 s., 31 s.— absolue et relative, 86 ss.— et but, 31 s.— et norme, 23 ss.— objective et subjective, 27 s.— positive et négative, 24 s.

— et réalité, 24 s.VALEUR MORALE— la paix comme — : 53, 88.— comme valeur absolue ou rela-

tive, 87 ss.— et valeur de droit, 90, 111.VALIDITÉ

V. aussi, Domaine de vali-dité, Fondement de validité.

— conditionnée, du droit positif,294.

— et domaine de validité de lanorme, 13 ss., 17 ss., 346,381 ss., 412 ss.

— et efficacité de la norme, 15 ss.,63 s., 68, 103, 108, 121 s.,271, 277 s., 281 ss., 286,366.

— comme existence de la norme,13 s., 255, 281.

— des normes et vérité des asser-tions, 100 ss., 107 s.

VENDETTA— comme sanction, 41 s., 54, 114,

379.VENGEANCE, 41 s., 44.VÉRITÉ— des assertions et validité des

normes, 100 ss., 107 s.VOIE DE DROIT— en droit administratif, 185.— en droit privé, 185.— comme procédure juridiction-

nelle, 323 s.

W

WEDBERG (Anders), 107 s.

Z

ZITELMAN (Ernst), 110.

1

INDEX ALPHABETIQUE DES MATIERES ET DES AUTEURSLes chiffres renvoient aux pages

AABROGATION - des normes,ABSOLUTISME - et relativisme, voir relativisme.ABSTENTION - comme comportement négatif,ACTE - Acte de volonté,ACTE - Créateur de droit, comme acte de commandement:ACTE - dépourvu de sens,ACTE - Signification (Sens) de l'acte:ACTE - Sollen (devoir) comme signification d'un acte,ACTE ADMINISTRATIF - et loi,ACTE DE COMMANDEMENT - acte créateur de droit comme acte de commandement:ACTE DE COMMANDEMENT - la norme en tant que sens objectif d'un -:ACTE DE COMMANDEMENT - Sollen (devoir) en tant que sens subjectif d'un -:ACTE ETATIQUE - comme acte juridique:ACTE ILLICITE,ACTE ILLICITE, V. aussi délit.ACTE ILLICITE, attribution de l'acte illicite à la collectivité,ACTE ILLICITE, attribution de l'acte illicite à l'Etat,ACTE ILLICITE, délit d'Etat,ACTE ILLICITE, et droit: l'acte illicite comme condition du droit,ACTE ILLICITE, et droit: l'acte illicite comme négation du droit,ACTE ILLICITE, et droit: la collectivité ne peut pas commettre d'acte illicite,ACTE ILLICITE, et droit: pas de contradiction logique,ACTE ILLICITE, et droit: le droit comme réaction à l'acte illicite,ACTE ILLICITE, et morale,ACTE ILLICITE, et sanction,ACTE JURIDICTIONNEL - et loi,ACTE JURIDIQUE - l'acte étatique comme,ACTE JURIDIQUE - auto-interprétation,ACTE JURIDIQUE - sens (signification),ACTE JURIDIQUE,ACTE JURIDIQUE, - conduite contraire à l'acte juridique,ACTE JURIDIQUE, - le contrat comme cate juridique,ACTE JURIDIQUE, et délit,ACTE JURIDIQUE, - comme fait créateur de droit,ACTE JURIDIQUE, - unilatéral et bilatéral,ACTE DE VOLONTE,ACTE DE VOLONTE, - la législation comme,ACTIO POPULARIS,ACTION POSITIVE - et abstention négative,ADMINISTRATION,ADMINISTRATION, V. aussi administration étatique.ADMINISTRATION, et accomplissement des obligations administratives,ADMINISTRATION, - comme fonction de l'Etat,ADMINISTRATION, et justice,ADMINISTRATION, et obéissance au droit,ADMINISTRATION ETATIQUE V. aussi, administrationADMINISTRATION ETATIQUE - directe et indirecte,ADMINISTRATION ETATIQUE - comme fonction juridique,ADMINISTRATION ETATIQUE et fonctionnaire d'Etat,AMIRA (Karl von),ANARCHISME,ANIMAUX - comportement des animaux comme objet de règlementation juridique,ANIMISME,ANNULABILITE - et annulation,ANNULATION - des décisions juridictionnelles "contraires au droit",ANNULATION - des lois,APPAREIL DE FONCTIONNAIRES - Etat en tant qu'appareil bureaucratique de fonctionnaires,APPLICATION - et création du droit,APPLICATION - du droit par les décisions juridictionnelles,APPLICATION et obéissance aux normes juridiques,APPLICATION DU DROIT - caractère de "cadre" du droit à appliquer,APPLICATION et création du droit,APPLICATION - par la décision juridictionnelle,APPLICATION - impossibilité logique,APPLICATION - indétermination de l'acte d'application du droit,APPLICATION et obéissance,APPRECIATION DE VALEUR - du droit positif,APPRECIATION DE VALEUR - des normes,APPRECIATION DE VALEUR - de la réalité,APPROBATION - et désapprobation comme sanctions,APPROBATION - jugement de valeur et -,ARISTOTE,ASSERTION - et norme,ASSERTION - norme impérative et assertion descriptive,ATTRIBUTION,ATTRIBUTION, - à la collectivité,ATTRIBUTION, - à la corporation,ATTRIBUTION, - des délits à la collectivité,ATTRIBUTION, - à l'Etat,ATTRIBUTION, - comme fiction,ATTRIBUTION, - d'obligations et de droits à un incapable,ATTRIBUTION, - et personne,ATTRIBUTION, - et qualité d'organe,ATTRIBUTION, - et représentation,AUGUSTIN (Saint),AUTOCRATIE - et démocratie,AUTO-DETERMINATION - et contrat,

AUTO-DETERMINATION - Liberté comme,AUTO-INTERPRETATION - de l'acte juridique,AUTO-JUSTICE - et décentralisation de la réaction à l'acte illicite,AUTO-JUSTICE - légitime-défense comme minimum,AUTO-JUSTICE - et sécurité collective,AUTONOMIE - et droit privé,AUTONOMIE - et hétéronomie,AUTONOMIE PRIVEE,AUTORITE - créatrice des normes,AUTORITE - naturelle,AUTORITE et science du droit,AUTORITE (Obrigkeit). - organe d'autorité,AUTORITE DU DROIT et connaissance du droit,AYER (Alfred J.),

BBANDE DE VOLEURS - et communauté juridique,BELLUM JUSTUM,BERLIN (Isaiah),BIEN (le) - le mal comme condition du bien,BIEN (le) - notion du bien,BUT - et devoir,BUT - et moyen comme effet et cause,BUT - objectif et subjectif,BUT - et valeur,

CCAPACITE D'ACTION,CAPACITE D'ACTION, - attribution d'obligations et de droits à un incapable d'action,CAPACITE D'ACTION, - comme capacité de faire des actes juridiques,CAPACITE D'ACTION, - et capacité juridique,CAPACITE D'ACTION, - et compétence,CAPACITE DELICTUELLE - et capacité d'action,CAPACITE DELICTUELLE - et capacité d'obligation,CAPACITE DELICTUELLE - de la collectivité juridique,CAPACITE DELICTUELLE - de l'Etat,CAPACITE DELICTUELLE - de la personne juridique,CAPACITE JURIDIQUE - et capacité d'action,CAPACITE D'OBLIGATION - et capacité délictuelle,CAPACITE PROCEDURALE,CAPITALISME - et propriété privée (individuelle),CAPITALISME - technique juridique de l'ordre juridique capitaliste,CAUSALITE,CAUSALITE, - et imputation,CAUSALITE, - juridique,CAUSALITE, - et liberté,CAUSALITE, - nécessité et vraisemblance,CAUSALITE, - et normativité,CAUSALITE, - principe de causalité, né du principe de rétribution,CAUSE - et faute,CAUSE - première (prima causa),CENTRALISATION,CENTRALISATION, et décentralisation,CENTRALISATION et décentralisation, et domaine de validité territorial des normes juridiques,CENTRALISATION et décentralisation, et loi fondamentale,CENTRALISATION et décentralisation, et monopole de contrainte de la collectivité,CENTRALISATION et décentralisation, au sens dynamique et statique,CENTRALISATION et décentralisation, et unité et diversité des organes créateurs de normes.CENTRALISATION, - et spécialisation,CHOSE EN SOI,CLAUSE D'ADHESION - et traité international,CODE CIVIL - Suisse,COHN (Georg),COMMANDEMENT - et norme juridique,COMMANDEMENT D'AMOUR - Jésus,COMMON LAW - comme droit coutumier,COMMUNAUTE JURIDIQUECOMMUNAUTE JURIDIQUE, attribution à la communauté juridique,COMMUNAUTE JURIDIQUE, - la corporation comme,COMMUNAUTE JURIDIQUE, - création du droit comme fonction de la -,COMMUNAUTE JURIDIQUE, - l'Etat comme,COMMUNAUTE JURIDIQUE, - et ordre juridique,COMMUNAUTE JURIDIQUE, - Organe de la communauté juridique, et personne privée,COMMUNAUTE JURIDIQUE, - monopole de contrainte de la COMMUNAUTE JURIDIQUE, - relation avec,COMMUNISME - Tendance anti-communiste de la philosophie hégélienne du droit,COMPETENCE - et capacité d'action,COMPETENCE et création de norme,COMPETENCE - Souveraineté en matière de -:CONCEPT AUXILIAIRE - la personne comme -:CONCEPTION DU DROIT - et philosophie générale,CONCEPTION DU DROIT - subjective et objective,CONCESSION (Licence) - droit subjectif comme,CONCRETISATION (Individualisation)CONCRETISATION des normes générales,CONDUITE,CONDUITE, des animaux, plantes comme objet de la règlementation juridique,CONDUITE, commission ou abstention,CONDUITE, de l'homme vis-à-vis des hommes et autres objets,CONDUITE, humaine:CONDUITE, humaine condition et effet de la conduite humaine comme contenu des normes sociales,CONDUITE, humaine comme contenu des normes,

CONDUITE, humaine comme objet de la règlementation juridique,CONDUITE, individu comme sujet ou objet d'une conduite,CONDUITE, interne et externe,CONFERER UN DROIT - et devoir,CONFERER UN DROIT - droit subjectif,CONFERER UN DROIT - et obligation, directe et indirecte,CONFERER UN DROIT - au sens de permettre,CONFLIT - de normes,CONFLIT entre l'ordre du droit international et l'ordre étatique,CONFLIT D'INTERETS,CONFORMITE - comme rapport entre l'être (Sein) et le devoir (Sollen):CONFORMITE - comme rapport entre un comportement réel et une norme,CONNAISSANCE DU DROIT - et création du droit,CONNAISSANCE DU DROIT et interprétation juridique,CONSEIL JURIDIQUE - et connaissance du droit,CONSEQUENCE DE DROIT,CONSTATATION - en tant qu'acte constitutif,CONSTATATION des faits par l'organe d'application du droit,CONSTITUTION,CONSTITUTION, comme plus haut degré de l'ordre juridique,CONSTITUTION, droits et libertés fondamentales garanties par la Constitution,CONSTITUTION, égalité garantie par la -,CONSTITUTION, l'Etat comme,CONSTITUTION, et législation,CONSTITUTION, et organe constituant et organe législatif,CONSTITUTION, modification révolutionnaire,CONSTITUTION, positive, comme loi fondamentale,CONSTITUTION, au sens matériel et formel,CONSTITUTIONNALITE - des lois, contrôle de la -,CONTRADICTION - absence de contradiction dans l'ordre juridique,CONTRADICTION logique, entre droit et acte illicite,CONTRADICTION entre norme et comportement réel,CONTRADICTION - entre propositions décrivant des normes,CONTRAINTE (acte de),CONTRAINTE (acte de), notion,CONTRAINTE (acte de), comme sanction,CONTRAINTE (acte de), qui n'est pas une sanction,CONTRAINTE (acte de), Contrainte (caractère de) - du droitCONTRAINTE (acte de), Contrainte (monopole de la) - centralisation et décentralisation du contrainte,CONTRAINTE (acte de), de la collectivité juridique,CONTRAINTE (acte de), Contrainte (ordre de),CONTRAINTE (acte de), le droit comme,CONTRAINTE (acte de), notion,CONTRARIETE - des normes,CONTRAT,CONTRAT, comme acte juridique,CONTRAT, comme auto-détermination,CONTRAT, et comportement contraire au -,CONTRAT, création de normes individuelles et générales par -,CONTRAT, du droit international,CONTRAT, du droit international et clause d'adhésion,CONTRAT, à l'encontre ou au profit d'un tiers,CONTRAT, comme fait créateur de normes ou comme norme créée,CONTRAT, comme offre et acceptation,CONTRAT, et ordre administratif,COORDINATION - de deux systèmes de normes,COPERNIC,CORPORATION,CORPORATION, Voir aussi Personne, juridique.CORPORATION, attribution à la corporation,CORPORATION, capacité d'obligation et capacité délictuelle,CORPORATION, comme communauté juridique,CORPORATION, droits et obligations externes et internes de la -,CORPORATION, l'Etat comme,CORPORATION, et membres de la corporation,CORPORATION, "membre" comme expression figurée,CORPORATION, et "membre" et responsabilité de la CORPORATION,,CORPORATION, et "membre" - responsabilité de la corporation comme responsabilité collective des membres,CORPORATION, et "membre" - obligations et droits de la CORPORATION,:CORPORATION, et "membre" - comme obligations et droits collectifs des membres,CORPORATION, - patrimoine de la corporation comme patrimoine collectif des membres,CORPORATION, organe et membre de la CORPORATION,,CORPORATION, comme organisation avec séparation des fonctions,CORPORATION, comme personne agissante et sujet de droit et d'obligations,CORPORATION, Responsabilité de la CORPORATION,:CORPORATION, responsabilité limitée et illimitée,CORPORATION, responsabilité pénale de CORPORATION,,CORPORATION, Statut de la CORPORATION,,CORPORATION, Statut illégalité des CORPORATION,:CORPORATION, Statut et ordre juridique étatique comme ordre juridique partiel et total,COUTUME,COUTUME, constitutive ou déclarative,COUTUME, comme fait créateur de droit,COUTUME, comme fait créateur de droit international,COUTUME, comme fait créateur de normes,COUTUME, et législation,CREATION - et application du droit,CREATION l'ordre juridique comme système de -:CREATION DES NORMES - compétence pour la -,CREATION DES NORMES - coutume comme CREATION DES NORMES,

CREATION DES NORMES - délégation de la -,CREATION DU DROIT,CREATION DU DROIT, - acte créateur de droit comme acte de commandement,CREATION DU DROIT, - auto-création du droit,CREATION DU DROIT, - coutume comme CREATION DU DROIT, ,CREATION DU DROIT, - décentralisation de la CREATION DU DROIT, ,CREATION DU DROIT, démocratique,CREATION DU DROIT, droit subjectif comme participation à la -:CREATION DU DROIT, comme fonction de la communauté juridique,CREATION DU DROIT, forme de l'Etat comme méthode de -,CREATION DU DROIT, par interprétation du droit,CREATION DU DROIT, législation comme création de normes générales,CRIME DE GUERRE - et poursuite pénale,CRIMEN - Nullum crimen sine lege,

DDECENTRALISATION,DECENTRALISATION, V. aussi, Centralisation et décentralisation.DECENTRALISATION, de la déclaration de nullité des normes juridiques,DECENTRALISATION, et différenciation du contenu de l'ordre juridique,DECENTRALISATION, droit international général comme ordre juridique décentralisé,DECENTRALISATION, de la fonction législative (création du droit),DECENTRALISATION, et principe de territorialité et de personnalité,DECENTRALISATION, de la réaction contre l'acte illicite et principe "d'auto-justice",DECENTRALISATION, de la sanction de l'acte illicite,DECENTRALISATION, et système provincial,DECISION JURIDICTIONNELLE,DECISION JURIDICTIONNELLE, caractère constitutif de la DECISION JURIDICTIONNELLE,:DECISION JURIDICTIONNELLE, caractère de précédent de la -:DECISION JURIDICTIONNELLE, illégales,DECISION JURIDICTIONNELLE, justice de la DECISION JURIDICTIONNELLE:DECISION JURIDICTIONNELLE et norme générale applicable:DECISION JURIDICTIONNELLE comme norme juridique individuelle,DECLARATION DE NULLITE - Caractère constitutif,DECLARATION DE NULLITE Décentralisation de la déclaration de nullité des normes juridiques,DECOUVERTE DU DROIT (jurisprudence),DECOUVERTE DU DROIT libre,DECOUVERTE DU DROIT libre et justice,DELEGATION - de la création des normes,DELIT,DELIT, et acte juridique,DELIT, en droit international,DELIT, et sanction,DELIT D'ETAT,DEMANDEUR - personne privée ou organe étatique comme DEMANDEUR:DEMOCRATIE - et autocracie,DEMOCRATIE dans la création du droit,DEMOCRATIE directe et indirecte,DEMOSTHENE,DERNBURG (Heinrich),DESUETUDO,DETERMINISME - et indéterminisme,DEVOIR (Sollen),DEVOIR ambiguïté du DEVOIR,DEVOIR avoir droit et pouvoir,DEVOIR et but,DEVOIR et être,DEVOIR comme mystification idéologique,DEVOIR négation du devoir,DEVOIR et norme,DEVOIR norme comme devoir objectif,DEVOIR et obligation juridique,DEVOIR rapport entre être et devoir,DEVOIR au sens d'un acte,DEVOIR au sens d'un ordre,DEVOIR au sens large et étroit,DEVOIR et vouloir,DICTATEUR - comme représentant du peuple,DIEU,DIEU, comme autorité établissant des normes,DIEU, et le monde: parallèle avec Etat et Droit,DISPOSITION ALTERNATIVEDISPOSITION ALTERNATIVE de la norme de degré inférieure par la norme de degré supérieur,DIVISION DU TRAVAIL - et centralisation,DIVISION DU TRAVAIL et fonction d'organe,DOCTRINE DU DROIT NATUREL,DOCTRINE DU DROIT NATUREL, et éthique d'Héraclite,DOCTRINE DU DROIT NATUREL, et existentialisme,DOCTRINE DU DROIT NATUREL, et métaphysique du droit,DOCTRINE DU DROIT NATUREL, et positivisme juridique,DOCTRINE DU DROIT NATUREL, et théorie pure du droit,DOCTRINE DU DROIT NATUREL, et théorie de la norme fondamentale,DOMAINE DE VALIDITE - personnel et matériel,DOMAINE DE VALIDITE territorial des normes juridiques et centralisation,DOMAINE DE VALIDITE territorial des normes juridiques et temporel,DOMAINE DU DROIT - Unité du -, et loi fondamentale,DROIT, V. aussi ordre juridique.DROIT, et acte illicite,DROIT, auto-création du droit,DROIT, et conduite humaine réelle,DROIT, tout droit est droit jurisprudentiel

DROIT, droit des personnes et droit des biens,DROIT, comme enseignement et puissance,DROIT, comme enseignement et Etat,DROIT, comme enseignement dans la doctrine sociale marxiste,DROIT, comme enseignement identité,DROIT, étatique, reconnaissance par l'individu comme fondement de validité,DROIT, étatique, primauté,DROIT, étatique, primauté et idéologie impérialiste,DROIT, étatique, sanctions du droit étatique et du droit international,DROIT, étatique, sanctions du droit étatique déléguées par le droit international,DROIT, - Flexibilité du droit et sécurité juridique,DROIT, et force,DROIT, comme idéologie,DROIT, illicite,DROIT, Justification du droit par la morale,DROIT, Justification du droit par le droit naturel,DROIT, Justification de l'Etat par le droit,DROIT, et justice: V. Justice et droit.DROIT, lacunes dans le droit,DROIT, et liberté,DROIT, matériel et formel,DROIT, négation du droit, l'acte illicite,DROIT, notion,DROIT, objectif et subjectif,DROIT, comme ordre,DROIT, comme ordre de contrainte,DROIT, comme ordre de la contrainte,DROIT, comme ordre social établissant des sanctions,DROIT, comme organisme,DROIT, et paix,DROIT, politique,DROIT, politique et droit privé subjectif,DROIT, positif: V. aussi, Positivisme juridique.DROIT, positif appréciation du -,DROIT, positif et droit naturel: V. aussi, droit naturel et droit positif.DROIT, positif comme réalité juridique,DROIT, positif validité du DROIT, positif: V. validité.DROIT, positivité du DROIT,,DROIT, primitif, comme ordre de contrainte décentralisé,DROIT, public: rapport de droit public comme rapport de puissance ou de domination,DROIT, public et droit privé,DROIT, public et Etat,DROIT, comme rapport économique,DROIT, comme règlement de la conduite externe et interne,DROIT, sanctions du DROIT,,DROIT, et science,DROIT, et science du droit, confusion,DROIT, sources du DROIT,ww,DROIT, subjectif,DROIT, subjectif et autorisation positive,DROIT, subjectif droits absolus et relatifs,DROIT, subjectif libertés et droits fondamentaux,DROIT, subjectif comme droit politique,DROIT, subjectif droit politique et droit privé subjectif,DROIT, subjectif et droit privé,DROIT, subjectif comme habilitation,DROIT, subjectif comme intérêt juridiquement protégé,DROIT, subjectif comme liberté,DROIT, subjectif comme concession, en droit administratif,DROIT, subjectif et objectif,DROIT, subjectif et obligation,DROIT, subjectif comme participation à la création du droit,DROIT, subjectif comme pouvoir juridique,DROIT, subjectif et prétention,DROIT, subjectif la propriété comme -,DROIT, subjectif comme réflexe d'une obligation juridique,DROIT, subjectif au sens technique,DROIT, subjectif et sujet de droit,DROIT, subjectif théorie de l'intérêt et théorie de la volonté,DROIT, comme système de normes,DROIT, sociologie du DROIT,,DROIT, unité du droit comme postulat de théorie de la connaissance,DROIT, comme volonté de l'Etat,DROIT CONSTITUTIONNEL - normes du DROIT CONSTITUTIONNEL, comme normes non-indépendantes,DROIT DE CONTROLE - des Tribunaux,DROIT DE CREANCE,DROIT COUTUMIER,DROIT COUTUMIER, application par les Tribunaux,DROIT COUTUMIER, Common Law comme DROIT COUTUMIER,:DROIT COUTUMIER, et Constitution créée par la coutume,DROIT COUTUMIER, comme contrat tacite,DROIT COUTUMIER, création par les Tribunaux,DROIT COUTUMIER, dérogation à la Constitution par DROIT COUTUMIER:DROIT COUTUMIER, et droit législatif, dérogation de l'un à l'autre,DROIT COUTUMIER, et droit législatif, création par l'Etat:DROIT COUTUMIER, et droit législatif, comme création centralisée et décentralisée du droit,DROIT COUTUMIER, et droit législatif, rapport des Tribunaux au -:DROIT COUTUMIER, et loi fondamentale,DROIT INTERNATIONAL - contrariété des lois au droit international,DROIT INTERNATIONAL la coutume comme fait créateur de droit international,

DROIT INTERNATIONAL création du DROIT INTERNATIONAL,DROIT INTERNATIONAL Délit du droit international, attribution à l'Etat,DROIT INTERNATIONAL et Etat,DROIT INTERNATIONAL et Etat, conflit entre,DROIT INTERNATIONAL et Etat, construction dualiste et moniste du rapport,DROIT INTERNATIONAL et Etat, droit international comme fondement de validité de l'ordre juridique étatique,DROIT INTERNATIONAL et Etat, comme ordre juridique total et partiel,DROIT INTERNATIONAL et Etat, transformation du droit international en droit étatique,DROIT INTERNATIONAL et Etat, unité,DROIT INTERNATIONAL essence du DROIT INTERNATIONAL,DROIT INTERNATIONAL fondement de validité de,DROIT INTERNATIONAL fondement de validité et contenu de validité,DROIT INTERNATIONAL fondement de validité reconnaissance par l'Etat,DROIT INTERNATIONAL guerre et représailles comme sanctions du DROIT INTERNATIONAL,DROIT INTERNATIONAL individu comme sujet du DROIT INTERNATIONAL,DROIT INTERNATIONAL nature juridique de DROIT INTERNATIONAL,DROIT INTERNATIONAL norme fondamentale du DROIT INTERNATIONAL,DROIT INTERNATIONAL Obligation et habilitation directe et indirecte par DROIT INTERNATIONAL,DROIT INTERNATIONAL comme ordre juridique primitif,DROIT INTERNATIONAL primauté du DROIT INTERNATIONAL,DROIT INTERNATIONAL primauté et idéologie pacifiste,DROIT INTERNATIONAL Principe d'éffectivité,DROIT INTERNATIONAL Pyramide du DROIT INTERNATIONAL,DROIT INTERNATIONAL reconnaissance du DROIT INTERNATIONAL comme condition de sa validité,DROIT INTERNATIONAL sanctions du DROIT INTERNATIONAL,DROIT INTERNATIONAL Sujets de DROIT INTERNATIONAL,DROIT INTERNATIONAL traité du droit international,DROITS DE LIBERTE - droits fondamentaux et libertés,DROITS ET LIBERTES FONDAMENTAUX,DROIT JURISPRUDENTIEL - Tout droit est DROIT JURISPRUDENTIEL:DROIT LEGISLATIF - et droit coutumier: dérogation de l'un à l'autre,DROIT LEGISLATIF et droit coutumier comme création centralisée et décentralisée du droit,DROIT LEGISLATIF et droit coutumier et création par l'Etat,DROIT LEGISLATIF et droit coutumier et relation des Tribunaux au -:DROIT NATUREL,DROIT NATUREL, diversité des systèmes de droit naturel,DROIT NATUREL, et droit positif,DROIT NATUREL, et droit positif, justification du droit positif par le droit naturel,DROIT NATUREL, et droit positif, possibilité d'une opposition entre,DROIT NATUREL, comme droit positif (établi):DROIT NATUREL, et justice,DROIT NATUREL, de logique du droit,DROIT NATUREL, norme fondamentale du DROIT NATUREL,:DROIT NATUREL, validité absolue,DROIT DES PERSONNES - et droit des biens,DROIT PRIVEDROIT PRIVE et autonomie,DROIT PRIVE et droit public,DROIT PRIVE et droit subjectif,DROIT PRIVE droit subjectif et politique,DROIT PRIVE procédure des voies de recours en DROIT PRIVE:DROITS REELSDROITS REELS et droits personnels,DROIT REFLEXE,DROIT DE VOTEDROIT DE VOTE comme droit politique subjectif,DUALISME,DUALISME, Construction dualiste (pluraliste) et moniste du rapport entre le droit international et le droit étatique,DUALISME, du droit et de l'Etat,DUALISME, du droit public et du droit privé,DUALISME, du droit objectif et subjectif,DUALISME, de l'être (Sein) et du devoir (Sollen),DUALISME, de la valeur et de la réalité,DUGUIT (Léon),DYNAMIQUE DU DROIT,

EECOLE DU DROITECOLE DU DROIT historique,ECOLE DU DROIT sociologique,EFFECTIVITEEFFECTIVITE de la Constitution,EFFECTIVITE Principe d'EFFECTIVITE:EFFECTIVITE Principe d' en droit international,EFFECTIVITE Principe d' et légitimité,EFFECTIVITE et validité des normes,EGALITE,EGALITE, comme droit garanti par la Constitution,EGALITE, de deux cas,EGALITE, devant la loi et dans la loi,ELEMENTSELEMENTS de l'Etat,ELEMENT DE FAITELEMENT DE FAIT constation des ELEMENT DE FAIT par l'organe d'application du droit,ELEMENT DE FAIT constation comme acte constitutif,ENGISCH (Karl),ESPACEESPACE et temps comme contenu des normes (domaine de validité spatial et temporel):ESPRIT DU PEUPLEESPRIT DU PEUPLE comme facteur de création du droit,ETABLISSEMENT

ETABLISSEMENT et hypothèse de la norme,ETAT, V. aussi Ordre juridique, étatique droit international et droit étatique.ETAT, actes de contrainte dirigés contre l'Etat,ETAT, comme appareil bureaucratique de fonctionnaires,ETAT, attribution à l'Etat,ETAT, capacité délictuelle de l'ETAT,,ETAT, comme collectivité juridique,ETAT, comme Constitution,ETAT, comme corporation,ETAT, création de droit législatif et coutumier par l'ETAT,,ETAT, division de l'ETAT,,ETAT, division territoriale,ETAT, et droit,ETAT, et droit, fonction idéologique du dualisme,ETAT, et droit, identité,ETAT, et droit,parallèle avec Dieu et le monde,ETAT, droits de l'ETAT,, comme droits collectifs des membres de l'Etat,ETAT, droit de punir de l'ETAT,,ETAT, droits de propriété de l'ETAT,,ETAT, et droit international,ETAT, et droit international, détermination de l'existence juridique de l'Etat par le droit international,ETAT, et droit international, Etat au sens du droit international,ETAT, et droit public,ETAT, Eléments de l'ETAT,,ETAT, Etat fédéral, répartition des compétences entre Etat central et Etats-membres,ETAT, Etats-membres,ETAT, Etat unitaire,ETAT, Justification de l'Etat par le droit,ETAT, notion,ETAT, notion au sens large et étroit,ETAT, obligations et droits externes et internes de l'ETAT,ETAT, comme ordre juridique,ETAT, et organisation politique,ETAT, naissance et fin comme problème du domaine de validité temporel de l'ordre juridique étatique,ETAT, comme personne juridique,ETAT, comme personnification de l'ordre juridique,ETAT, comme puissance,ETAT, comme réalité ou comme construction auxilliaire de la pensée juridique,ETAT, reconnaissance d'une collectivité comme Etat au sens du droit international,ETAT, représentation de l'ETAT,,ETAT, responsabilité de l'ETAT,,ETAT, responsabilité comme responsabilité collective des membres de l'Etat,ETAT, sanction dirigée contre l'Etat,ETAT, souveraineté de l'ETAT,,ETAT, comme sujet agissant,ETAT, comme sujet de droits et d'obligations,ETAT, comme sujet du droit international,ETAT FEDERAL - Réparition des compétences entre l'Etat central et les Etats-membres,ETAT IDEAL - de Platon,ETAT-JUGE,ETAT MONDIAL - et communauté juridique mondiale,ETAT UNITAIRE,ETHIQUE - et morale, confusion avec l'éthique,ETHIQUE comme science empirique,ETHIQUE comme science normative ou comme science de faits,ETRE - et devoir,EVOLUTION DU DROIT - et centralisation,EX INJURIA JUS NON ORITUR,EXECUTION - exécution civile et exécution administrative,EXECUTION et peine comme sanctions,EXECUTION et sanction patrimoniale,EXECUTION CIVILE - et exécution administrative,EXERCICE DU DROIT,EXISTENCE - de la norme, validité en tant que EXISTENCE:EXISTENTIALISME - et doctrine du droit naturel,EXISTENTIALISME et science du droit,EXPLOITATION - Théorie socialiste de la propriété privée des moyens de production,EXPROPRIATION,

FFAIT - et norme,FAUTE - et cause,FICTION - Attribution comme FICTION:FICTION Lacunes dans le droit comme FICTION:FICTION Représentation comme FICTION,FISC,FLEXIBILITE - du droit et sécurité juridique,FONCTION ADMINISTRATIVE - et fonction juridictionnelle,FONCTION DE DROIT,FONCTION DE DROIT, administration étatique comme,FONCTION DE DROIT, centralisation et décentralisation de la FONCTION DE DROIT,,FONCTION DE DROIT, fonction de l'Etat comme FONCTION DE DROIT,,FONCTION DE DROIT, et organe du droit,FONCTIONS DE L'ETAT - administration comme FONCTION DE DROIT,,FONCTION DE DROIT, comme fonctions juridiques,FONCTION DE DROIT, juridiction comme FONCTION DE DROIT,FONCTION DE DROIT, législation comme FONCTION DE DROIT,FONCTION JURIDICTIONNELLE - et fonction administrative,FONCTION LEGISLATIVE - décentralisation de la FONCTION LEGISLATIVE:FONCTION D'ORGANE,FONCTION D'ORGANE, désignation à,

FONCTION D'ORGANE, comme fonction d'individus spécialement qualifiés,FONCTION D'ORGANE, et organe,FONCTION D'ORGANE, au sens large et au sens étroit,FONCTION D'ORGANE, et spécialisation,FONCTIONNAIRES - Etat en tant qu'appareil bureaucratique de FONCTIONNAIRES,FONCTIONNAIRES organes de la collectivité,FONCTIONNAIRES qualification de FONCTIONNAIRES,FONDEMENT DE VALIDITE,FONDEMENT DE VALIDITE, et contenu de validité des normes,FONDEMENT DE VALIDITE, du droit international,FONDEMENT DE VALIDITE, d'une norme, norme en tant que:FONDEMENT DE VALIDITE, d'une norme juridique définie,FONDEMENT DE VALIDITE, d'un ordre juridique,FONDEMENT DE VALIDITE, d'un ordre juridique étatique:FONDEMENT DE VALIDITE, d'un ordre normatif,FORCE DE DROIT,FORME DU DROIT - et contenu du droit,FORME DU DROIT et forme de l'Etat,FRONTIERES - de l'Etat,

GGEOCENTRISME - et Héliocentrisme: comparaison avec les deux constructions monistes du rapport entre droit international et droit étatique,GOUVERNEMENT - effectif comme légitime,GOUVERNEMENT ETATIQUE - effectif et légitime,GOUVERNEMENT ETATIQUE indépendance du GOUVERNEMENT ETATIQUE,GOUVERNEMENT ETATIQUE comme organe de la puissance publique,GRAY (John Chapman),GUERRE - et contre-guerre,GUERRE guerre civile,GUERRE et représailles comme sanctions du droit international,GUERRE CIVILE, V. Guerre.GUGGENHEIM (Paul),

HHABILITATION - en tant qu'attribution d'un pouvoir juridique,HABILITATION et obligation,HABILITATION au sens étroit et au sens large,HEGEL (G. W. F.),HERACLITE,HEREDITAS JACENS,HEREDITE - jacente,HETERONOMIE - et autonomie,HOMME,HOMME, comportement des HOMME,, éléments personnel et matériel,HOMME, comportement comme contenu des normes,HOMME, comportement comme objet de la règlementation juridique,HOMME, comportement vis-à-vis des hommes et des autres objets,HOMME, comme objet de la science du droit,HOMME, et personne,HOMME, comme personne physique,HOMME, Relation entre les hommes: signification normative,HYPOSTHASE,HUME (David),

IIDEALISME - et réalisme: théorie idéaliste et réaliste du droit,IDEE - normative, et validité de la norme,IDEOLOGIE,IDEOLOGIE, caractère idéologique du dualisme du droit public et du droit privé,IDEOLOGIE, caractère idéologique de la distinction du droit des personnes et du droit des biens,IDEOLOGIE, le devoir comme mystification idéologique,IDEOLOGIE, le droit comme IDEOLOGIE,,IDEOLOGIE, le droit légalité de l'idéologie,IDEOLOGIE, le droit Fonction idéologique de la notion de propriété,IDEOLOGIE, le droit Fonction idéologique du concept de sujet de droit,IDEOLOGIE, le droit Fonction idéologique du dualisme de l'Etat et du droit,IDEOLOGIE, idéologie de légitimité,IDEOLOGIE, pacifiste et impérialiste,IDEOLOGIE, et réalité.IDEOLOGIE, tendance anti-idéologique de la théorie pure du droit,ILLEGALITE - des décisions juridictionnelles,IMPERATIF - et norme,IMPERATIF et proposition juridique,IMPERATIF et proposition de devoir,IMPERIALISME - et pacifisme comme idéologies,IMPUTATION,IMPUTATION, capacité d'imputation,IMPUTATION, et causalité,IMPUTATION, et liberté,IMPUTATION, dans la pensée des primitifs,IMPUTATION, et responsabilité,INCLINATION - et morale,INCONSTITUTIONNALITE - des lois et autres actes juridiques,INDEPENDANCE - du gouvernement de l'Etat comme souveraineté,INDEPENDANCE des Tribunaux,INDIVIDU - reconnaissance de l'ordre juridique étatique par l'individu comme fondement de validité,INDIVIDU, comme sujet d'un droit,INDIVIDU, comme sujet du droit international,INDIVIDU, comme sujet ou objet d'un comportement,INDIVIDU, comme sujet d'une obligation juridique,INDIVIDU, Souveraineté de l'INDIVIDU,:INDIVIDUALISATION (Concrétisation) - des normes générales,INFAMIE - et peine,

INFRACTION AU DROIT - l'acte illicite comme,INTENTION - mauvaise,INTENTION et prévision,INTERET V. aussi Théorie de l'intérêt. Conflit d'intérêt.INTERET droit subjectif comme intérêt juridiquement protégé,INTERET intérêt "bien compris",INTERET l'intérêt de la collectivité comme critère de l'attribution à l'Etat,INTERPRETATION,INTERPRETATION, comme acte de connaissance ou de volonté,INTERPRETATION, authentique et non-authentique,INTERPRETATION, connaissance du droit et INTERPRETATION,:INTERPRETATION, création du droit par INTERPRETATION,:INTERPRETATION, essence de l'INTERPRETATION,,INTERPRETATION, et lacunes dans le droit,INTERPRETATION, méthode d'INTERPRETATION,,INTERPRETATION, par l'organe d'application du droit ou par personne privée,INTERPRETATION, par la science du droit,INVIOLABILITE - de la propriété comme droit garanti par la constitution,IRRELEVANCE - juridique,

JJESUS - la justice dans les sermons de Jésus,JUGE - décision des juges, V. décision juridictionnelle.JUGE comme fonctionnaire étatique,JUGE jugement judiciaire et jugement logique,JUGEMENT - logique et norme juridique,JUGEMENT DE VALEUR,JUGEMENT DE VALEUR, et jugement de réalité,JURIDICTION,JURIDICTION, et administration,JURIDICTION, centralisation de la JURIDICTION,,JURIDICTION,comme fonction de l'Etat,JURIDICTION, indépendance de la JURIDICTION,,JURIDICTION, internationale,JURIDICTION CONSTITUTIONNELLE,JURISPRUDENCE (Science du droit). - réaliste,JUS IN PERSONAM,JUS IN REM,JUSTICE,JUSTICE, absolue et relative,JUSTICE, de la décision juridictionnelle,JUSTICE, et droit,JUSTICE, et droit identification de JUSTICE,:JUSTICE, et droit séparation de JUSTICE,:JUSTICE, et droit naturel,JUSTICE, et Etat,JUSTICE, et libre découverte du droit,JUSTICE, norme de:JUSTICE, et norme fondamentale de l'ordre juridique positif,JUSTICE, dans les sermons de Jésus,

KKANT, Emmanuel,

LLACUNES - dans le droit,LACUNES dans le droit authentiques et techniques,LACUNES dans le droit comme différence entre le droit positif et le droit idéal,LACUNES dans le droit comme fiction,LACUNES et interprétation,LANGE, F. A.,LAW - Common Law,LEGALITE - et moralité selon Kant,LEGALITE PROPRE - de l'idéologie du droit,LEGISLATEUR - Tribunal comme LEGISLATEUR:LEGISLATION,LEGISLATION, comme acte de volonté,LEGISLATION, caractère constitutif ou déclaratif de la:LEGISLATION, et Constitution,LEGISLATION, et coutume,LEGISLATION, comme création de normes juridiques générales,LEGISLATION, comme fonction sociale ou fonction étatique:LEGISLATION, organe constituant et légiférant,LEGITIME DEFENSE - comme minimum d'auto-justice,LEGITIMITE - et effectivité,LEGITIMITE idéologie de légitimité,LEGITIMITE de l'organe suprême,LEXPOSTERIOR DE ROGAT PRIORI,LIBERTE,LIBERTE, comme auto-détermination,LIBERTE, et causalité,LIBERTE, et droit,LIBERTE, comme fiction,LIBERTE, et imputation,LIBERTE, minimum de LIBERTE,,LIBERTE, et personnalité,LIBERTE, et propriété,LIBERTE, et responsabilité,LIBERTE, et subjectivité juridique,LIBERTE, de la volonté: V. Libre arbitre. - le problème de la LIBERTE,LOGIQUE - et normes,LOI,LOI, et acte juridictionnel et administratif,

LOI, annulation des lois,LOI, constitutionnalité, contrôle de la LOI,LOI, contraire au droit international,LOI, définition par la Constitution du contenu des lois futures,LOI, inconstitutionnalité,LOI, inconstitutionnalité et responsabilité des organes étatiques,LOI, comme loi naturelle et comme norme,LOI, loi ordinaire et loi constitutionnelle,LOI, comme norme juridique générale n'est pas une loi au sens de la science naturelle,LOI, et règlement,LOI, au sens formel et matériel,LOI CONSTITUTIONNELLE - et loi ordinaire,LOI MORALE - et loi naturelle,LOI NATURELLE,LOI NATURELLE, et loi juridique,LOI NATURELLE, et loi morale,LOI NATURELLE, et norme,LOI NATURELLE, notion,LONDON AGREEMENT - for the Prosecution and Punishment of the Major War Criminals of the European Axis,

MMAL - Signification du mal comme condition du bien,MALA IN SE - et mala prohibita,MALLY (Ernst),MANDAT - "libre",MARX (Karl),MARXISTE - doctrine sociale,MARXISTE théorie du droit,MENGER (Karl),MERKEL (Adolf),METAPHYSIQUE - du droit: doctrine du droit naturel comme,MONARCHIE - et République,MONISME - construction moniste et dualiste du rapport entre le droit international et le droit étatique,MOORE (Georg Edward),MORALE,MORALE, caractère social de la MORALE,,MORALE, et droit,MORALE, et droit, conflit possible entre:MORALE, et droit, le droit comme minimum moral,MORALE, et droit, le droit comme partie de la morale,MORALE, et droit, justification du droit par la morale,MORALE, et droit, séparation de la MORALE, et droit,,MORALE et éthique: confusion,MORALE et inclination naturelle,MORALE internationale, le droit international comme MORALE,MORALE et non-droit,MORALE, comme ordre positif sans caractère de contrainte,MORALE, comme ordre social positif,MORALE, comme règle du comportement intérieur,MORALITE - et légalité (selon Kant),MOTIFS - du comportement conforme à la norme,MOYEN - et but comme cause et effet,

NNATURE,NATURE, comme autorité établissant le droit,NATURE, et droit, 2 ss.,NATURE, interprétation de la ...: causale et normative,NATURE, interprétation primitive d'après le principe d'imputation,NATURE, interprétation sociale,NATURE, notion de la NATURE,:NATURE, et société,NEGLIGENCE,NORMATIVITE - et causalité,NORME, V. aussi Norme juridique.NORME, abrogation des normes,NORME, application et obéissance,NORME, appréciation de la valeur des normes,NORME, et assertion,NORME, catégorique et hypothétique,NORME, commandement, habilitation, permission comme fonctions,NORME, et concept,NORME, conformité et non-conformité du comportement réel,NORME, dans la conscience des primitifs,NORME, contenu des normes, la conduite humaine,NORME, contradiction entre les normes,NORME, contraire au droit,NORME, contrariété à une norme,NORME, et création des normes,NORME, définissant une notion comme norme non-indépendante,NORME, détermination de la norme inférieure par la norme supérieure,NORME, et devoir,NORME, comme devoir objectif,NORME, espace et temps comme contenu des normes,NORME, comme étalon de valeur,NORME, et fait,NORME, fondement et contenu de validité,NORME, comme fondement de validité d'une norme,NORME, générale, création par les Tribunaux,NORME, générale, individualisation,NORME, et impératif,NORME, indépendante et non-indépendante,

NORME, individuelle et générale,NORME, individuelle et générale, création par contrat,NORME, individuelle et générale, justification d'une norme individuelle par une norme générale,NORME, et jugement de valeur,NORME, logique et normes,NORME, et loi naturelle,NORME, la loi comme norme et comme loi naturelle,NORME, notion,NORME, normes abrogatoires,NORME, normes d'abstention,NORME, norme établie (positive) et supposée (fondamentale),NORME, positivité de la NORME,,NORME, rapport historique et logique des normes,NORME, rétroactivité des normes,NORME, schéma d'interprétation,NORME, comme sens d'un acte,NORME, comme sens objectif d'un acte de commandement,NORME, sociale,NORME, sociale condition et effet de la conduite humaine comme contenu des normes sociales,NORME, supérieure et inférieure,NORME, et valeur,NORME, validité et domaine de validité,NORME, validité et efficacité,NORME, validité comme existence,NORME, voulue (posée) et pensée (supposée),NORME FONDAMENTALE,NORME FONDAMENTALE, Absence de justification politico-éthique du droit positif,NORME FONDAMENTALE, et centralisation et décentralisation,NORME FONDAMENTALE, comme condition logique transcendantale,NORME FONDAMENTALE, Constitution de droit positif comme NORME FONDAMENTALE,:NORME FONDAMENTALE, comme Constitution au sens de la logique juridique,NORME FONDAMENTALE, et définition du droit,NORME FONDAMENTALE, et droit coutumier,NORME FONDAMENTALE, du droit international,NORME FONDAMENTALE, et droit naturel,NORME FONDAMENTALE, efficacité comme condition de la validité, établie par la norme fondamentale,NORME FONDAMENTALE, fonction: - fondement de la validité d'un ordre juridique positif,NORME FONDAMENTALE, fondement seulement conditionné d'un ordre juridique positif:NORME FONDAMENTALE, fonction théorique de connaissance de la NORME FONDAMENTALE:NORME FONDAMENTALE, - comme fondement direct de validité de la première Constitution de l'histoire,NORME FONDAMENTALE, comme fondement suprême de validité,NORME FONDAMENTALE, formulation,NORME FONDAMENTALE, et justice de l'ordre juridique positif,NORME FONDAMENTALE, d'un ordre normatif posé par Dieu,NORME FONDAMENTALE, se rapportant à une Constitution valable,NORME FONDAMENTALE, supposition possible, non-nécessaire de la NORME FONDAMENTALE,NORME FONDAMENTALE, Théorie de la:NORME FONDAMENTALE, Théorie de la et théorie de la reconnaissance,NORME FONDAMENTALE, Théorie de la et doctrine du droit naturel,NORME FONDAMENTALE, Théorie de la et positivisme juridique,NORME FONDAMENTALE, Théorie de la et unité du domaine du droit,NORME JURIDIQUE,NORME JURIDIQUE, V. aussi norme.NORME JURIDIQUE, application et obéissance,NORME JURIDIQUE, fondement de validité des normes,NORME JURIDIQUE, normes juridiques comme objet de la science du droit,NORME JURIDIQUE, et obligation juridique,NORME JURIDIQUE, et ordre,NORME JURIDIQUE, sans sanction,NORMES MORALES - et normes sociales,NOTION - et norme,NULLA POENA SINE LEGE,NULLITE - et annulabilité,NULLUM CRIMEN SINE LEGE,

OOBEISSANCE - et application de la norme (norme juridique),OBJET - individu comme objet ou sujet d'une conduite,OBJET de la science du droit, les normes en tant qu'OBJET:OBLIGATION (Pflicht) - et droit (permission),OBLIGATION (Pflicht) exécution de l'obligation, conséquences juridiques,OBLIGATION (Pflicht) et ordre,OBLIGATION (Pflicht) au sens de l'éthique Kantienne,OBLIGATION (Pflicht) sujet d' OBLIGATION,OBLIGATION DE FONCTION,OBLIGATION DE FONCTION, peine disciplinaire, sanction,OBLIGATION DE PRESTATION - et obligation de tolérance,OBLIGATION DE REPARATION,OBLIGATION DE REPARATION, et obligation subsidiaire,OBLIGATION DE REPARATION, et sanction,OBLIGATION DE TOLERANCE - et obligation de prestation,OBLIGATION JURIDIQUE,OBLIGATION JURIDIQUE, et droit subjectif,OBLIGATION JURIDIQUE, droit subjectif comme réflexe d'une OBLIGATION JURIDIQUE,OBLIGATION JURIDIQUE, et norme juridique,OBLIGATION JURIDIQUE, et obligation morale,OBLIGATION JURIDIQUE, obligation de prestation et obligation de tolérance,OBLIGATION JURIDIQUE, et responsabilité,OBLIGATION JURIDIQUE, et sanction,OBLIGATION JURIDIQUE, sans sanction,OBLIGATION JURIDIQUE, et Sollen,

OBLIGATION MORALE - et obligation juridique,OBLIGATION NATURELLE,OFSTAD (Harold),OPINIO NECESSITATIS,ORDONNER (Commander) - et devoir (Sollen),ORDONNER permettre, habiliter comme fonctions de la norme,ORDRE (Commandement) - et obligation,ORDRE et sanction,ORDRE et collectivité,ORDRE le droit comme,ORDRE normatif, fondement de validité d'un,ORDRE normatif, société comme ORDRE normatif,ORDRE ordre total et ordre partiel,ORDRE normatif, problèmes relatifs à un ordre comme problèmes du droit,ORDRE ADMINISTRATIF - et acte juridique,ORDRE JURIDIQUE,ORDRE JURIDIQUE, et communauté juridique,ORDRE JURIDIQUE, efficacité de l'ORDRE JURIDIQUE,,ORDRE JURIDIQUE, l'Etat comme ORDRE JURIDIQUE,,:ORDRE JURIDIQUE, comme personnification de l'ORDRE JURIDIQUE:ORDRE JURIDIQUE, étatique, V. aussi, Droit, étatique.ORDRE JURIDIQUE, étatique, fondement de validité,ORDRE JURIDIQUE, comme fondement de validité,ORDRE JURIDIQUE, non-contradiction dans l'ORDRE JURIDIQUEORDRE JURIDIQUE, pyramide de l'ORDRE JURIDIQUE,,ORDRE JURIDIQUE, comme rapport de création,ORDRE JURIDIQUE, et sécurité collective,ORDRE JURIDIQUE, unité logique de l'ORDRE JURIDIQUE:ORDRE SOCIAL,ORDRE SOCIAL, établissant des sanctions,ORDRE SOCIAL, notion,ORDRE SOCIAL, religieux,ORDRE SOCIAL, sans sanction,ORDRE SUPERIEUR ET INFERIEUR - rapport de droit comme rapport de,ORDRE SUPERIEUR ET INFERIEUR de systèmes de normes,ORDRE TOTAL - et ordre partiel, ordre juridique international et étatique comme,ORGANE,ORGANE, de la collectivité et personne privée,ORGANE, création de ORGANE,:ORGANE, comme fonctionnaire,ORGANE, législatif et constituant,ORGANE, notion d'organe comme notion substantielle,ORGANE, comme "porteur" de fonction,ORGANE, suprême, légitimité de l'ORGANE:ORGANE ADMINISTRATIF - comme fonctionnaire d'Etat,ORGANE DE LA COLLECTIVITE - V. aussi Organe.ORGANE DE LA COLLECTIVITE Fonctionnaire comme,ORGANE DE LA COLLECTIVITE Individu comme:ORGANE DE LA COLLECTIVITE et personne privée,ORGANE ETATIQUE - comme fonctionnaire d'Etat,ORGANE ETATIQUE comme organe du droit,ORGANE ETATIQUE responsabilité de l':ORGANE JURIDIQUE - et fonction juridique,ORGANE JURIDIQUE comme organe étatique,ORGANE LEGISLATIF,ORGANISATION,ORGANISATION, comme collectivité organisée,ORGANISATION, corporation comme ORGANISATION spécialisée,ORGANISATION, criminelle,ORGANISATION, internationale,ORGANISATION, politique, l'Etat comme ORGANISATION,ORGANISATION, politique, contraire au droit,ORGANISME - l'Etat comme,ORGANISME personne juridique comme ORGANISME:

PPACIFISME - et impérialisme, comme idéologies,PACTA SUNT SERVANDA,PACTE BRIAND-KELLOG,PAIX - et droit,PAIX et droit international,PAIX et morale absolue ou relative,PAIX et sécurité collective,PARLEMENT - représentation du peuple par le PARLEMENT:PATRIMOINE - de la corporation comme patrimoine collectif des membres de la corporation,PATRIMOINE de l'Etat comme patrimoine collectif des membres,PATRIMOINE DE L'ETAT,PATTERSON (Edwin),PAUL (Saint-Paul),PEINE - but de la PEINE,PEINE et diffamation,PEINE et exécution comme sanctions,PEINE peine juridictionnelle et peine administrative,PEINE peine patrimoniale et exécution,PEINE DISCIPLINAIRE - comme sanction de l'obligation de fonction,PEINE JURIDICTIONNELLE - et peine administrative,PERMETTRE - ordre, habilitation comme fonctions de la norme,PERMETTRE au sens de conférer un droit,PERMETTRE au sens positif et négatif,PERMISSION - droit subjectif comme PERMISSION,PERSONNALITE - et liberté,

PERSONNEPERSONNE et attribution,PERSONNE attribution à la PERSONNE,:PERSONNE et chose,PERSONNE la collectivité comme PERSONNE,PERSONNE comme concept auxilliaire,PERSONNE et homme,PERSONNE juridique,PERSONNE juridique, capacité délictuelle,PERSONNE juridique, capacité délictuelle et capacité d'obligation,PERSONNE juridique, corporation comme PERSONNE,PERSONNE juridique, droits de la PERSONNE,PERSONNE juridique, l'Etat comme PERSONNE,PERSONNE juridique, obligations de la PERSONNE,PERSONNE juridique, comme organisme,PERSONNE juridique, comme personne artificielle,PERSONNE juridique, comme personne "naturelle",PERSONNE juridique, comme personne réelle,PERSONNE juridique, responsabilité de la PERSONNE,PERSONNE juridique, comme sujet agissant,PERSONNE juridique, comme sujet d'obligations et de droits,PERSONNE juridique, comme sur-homme,PERSONNE comme personnification d'un complexe de normes juridiques,PERSONNE physique,PERSONNE physique, et homme,PERSONNE physique, et personne juridique,PERSONNE comme sujet de droit,PERSONNE PRIVEE - et organe de la collectivité,PERSONNE PRIVEE ou organe étatique comme demandeur,PERSONNIFICATION - de la collectivité et attribution à la collectivité,PEUPLE - représentation du PEUPLE,PEUPLE DE L'ETAT - comme élément de l'Etat,PEUPLE DE L'ETAT comme domaine de validité personnel de l'ordre juridique étatique,PIRATERIE - comme délit du droit international,PLATON,PLURALISME - construction pluraliste du rapport entre le droit international et le droit étatique,POINT FINAL - de l'imputation,POLITIQUE JURIDIQUE - et théorie du droit,POSITIVISME - logique,POSITIVISME JURIDIQUE,POSITIVISME JURIDIQUE, et doctrine du droit naturel,POSITIVISME JURIDIQUE, limites du POSITIVISME JURIDIQUE,,POSITIVISME JURIDIQUE, et théorie de la norme fondamentale,POSITIVISME JURIDIQUE, théorie pure du droit et théorie du,POSITIVITE - du droit,POSITIVITE de la morale,POSITIVITE de la norme,POUVOIR - et droit,POUVOIR et Etat,POUVOIR discrétionnaire des tribunaux et des autorités administratives,POUVOIR JURIDIQUE,POUVOIR JURIDIQUE, droit subjectif comme POUVOIR JURIDIQUE,POUVOIR JURIDIQUE, la propriété comme,PRECEDENTIEL - caractère PRECEDENTIEL de la décision juridictionnelle,PRETENTION (Anspruch) - et droit subjectif,PRETENTION (Anspruch) à une sanction pénale,PREVENTION - comme but de la sanction,PREVISION - et intention,PRIMA CAUSA,PRIMAUTE - du droit étatique,PRIMAUTE - du droit étatique, et idéologie impérialiste,PRIMAUTE du droit international,PRIMAUTE du droit international et primauté du droit étatique: deux systèmes de référence différents:PRIMAUTE du droit international et idéologie pacifiste,PRIMITIF - l'imputation dans la pensée du PRIMITIF,PRIMITIF les normes dans la conscience du PRIMITIF,PRINCIPE DE PERSONNALITE - et principe de territorialité,PRINCIPE DE TERRITORIALITE - et principe de personnalité,PRIOR (Arthur N.),PROCEDURE JURIDICTIONNELLE,PROCEDURE JURIDICTIONNELLE, et connaissance des faits naturels,PROCEDURE JURIDICTIONNELLE, comme objet d'une autre procédure juridictionnelle,PROCEDURE JURIDICTIONNELLE, comme procédure des voies de droit,PROCEDURE LEGISLATIVE,PROPHETIE - science du droit comme PROPHETIE,PROPOSITION DE DROIT - Formulation de la PROPOSITION DE DROIT,PROPOSITION DE DROIT et norme juridique,PROPRIETE,PROPRIETE, comme domination d'une personne sur une chose,PROPRIETE, comme droit subjectif:PROPRIETE, de l'Etat:PROPRIETE, Fonction idéologique de la notion,PROPRIETE, inviolabilité garantie par la Constitution,PROPRIETE, et liberté,PROPRIETE, comme pouvoir juridique,PROPRIETE, Propriété privée individuelle et propriété collective,PROPRIETE, Propriété privée individuelle et capitalisme,PROPRIETE, Propriété privée individuelle théorie socialiste (théorie de l'exploitation),PTOLEMEE,PUCHTA (G. F.),

PUISSANCE DE L'ETAT - comme efficacité de l'ordre juridique étatique,PUISSANCE DE L'ETAT comme élément, de l'Etat,PYRAMIDE - du droit international,PYRAMIDE de l'ordre juridique,

QQUAESTIO FACTI - et quaestio juris,QUALIFICATION - pour la fonction "d'organe",QUALITE D'ORGANE,QUALITE D'ORGANE, et attribution,QUALITE D'ORGANE, et représentation, (Repraesentation),QUALITE D'ORGANE, et représentation (Stellvertretung),

RRAPPORT DE DELEGATION - unité de deux systèmes de normes comme RAPPORT DE DELEGATION:RAPPORT DE DROIT,RAPPORT DE DROIT, distinction des rapports de droit,RAPPORT DE DROIT, privé et public,RAPPORT DE DROIT, rapport de supériorité et d'infériorité,RAPPORT DE PUISSANCE - de fait et de droit,RAPPORT DE PUISSANCE rapport de droit public comme RAPPORT DE PUISSANCE:REALISME - théorie juridique réaliste et idéaliste,REALISME théorie pure du droit comme théorie juridique réaliste,REALITE - naturelle et sociale,REALITE V. aussi Valeur.REALITE et idéologie,REALITE JURIDIQUE - droit positif comme REALITE JURIDIQUE,REALITY - and validity,RECOMPENSE - et peine comme sanctions,RECONNAISSANCE - d'une communauté comme Etat,RECONNAISSANCE du droit international,RECONNAISSANCE du droit international par l'Etat comme fondement de la validité du droit international,RECONNAISSANCE par l'individu du fondement de la validité du droit étatique,REGLEMENT - et loi,REGLEMENT responsabilité des organes administratifs pour la légalité du,REGLEMENTATION - juridique, la conduite humaine comme objet,REGLEMENTATION conduite des animaux, plantes et objets inanimés comme objet,REGLEMENTATION positive et négative,RELATIVISME,RELATIVISME, et justice relative et absolue,RELATIVISME, et morale et justice relative et absolue:RELATIVISME, et valeurs et justice relative et absolue:RELIGION - et ordre social,REPARATION - comme but de la sanction,REPRESAILLE - comme acte de contrainte,REPRESAILLE et guerre comme sanction du droit international,REPRESENTATION, (Repraesentation)REPRESENTATION, et attribution,REPRESENTATION, de l'Etat,REPRESENTATION, comme fiction,REPRESENTATION, du monarque par les juges,REPRESENTATION, du peuple par un dictateur,REPRESENTATION, du peuple par le Parlement,REPRESENTATION, et qualité d'organe,REPRESENTATION, et volonté,REPRESENTATION (Stellvertretung),REPRESENTATION par acte juridique,REPRESENTATION et attribution,REPRESENTATION directe et indirecte,REPRESENTATION légale,REPRESENTATION et qualité d'organe,REPUBLIQUE - et monarchie,RESPONSABILITE (Haftung),RESPONSABILITE du comportement personnel et du comportement d'autrui,RESPONSABILITE de la corporation (personne morale),RESPONSABILITE de la corporation comme responsabilité collective des membres de la corporation,RESPONSABILITE corporation à responsabilité limitée et illimitée,RESPONSABILITE de l'Etat comme responsabilité des membres de l'Etat,RESPONSABILITE et obligation juridique,RESPONSABILITE pénale de la corporation.RESPONSABILITE responsabilité individuelle et collective,RESPONSABILITE responsabilité pour faute et pour résultat,RESPONSABILITE (Verantwortlichkeit) V. aussi Responsabilité (Haftung).RESPONSABILITE et imputation,RESPONSABILITE et liberté,RESPONSABILITE des organes de l'Etat pour la légalité des normes juridiques établies par eux,RESPONSABILITE pénale, pour violation du droit international,RESPONSABILITE POUR FAUTE - et responsabilité pour résultat,RESPONSABILITE DE RESULTAT - et responsabilité pour faute,RETRIBUTION (Principe de),RETRIBUTION formulation biblique,RETRIBUTION naissance du principe de causalité,RETRIBUTION dans le Sermon sur la montagne,RETROACTIVITE - des normes,REVOLUTION - comme processus créateur de droit,REVOLUTION au sens juridique,ROSS (Alf),

SSANCTION,SANCTION, et délit,SANCTION, et obligation de réparation,SANCTION, et ordre social,

SANCTION, prévention comme but de la SANCTION,SANCTION, comme réaction à un comportement,SANCTION, réparation comme but de la SANCTION,SANCTION, socialement organisée,SANCTION, la vengeance comme,SANCTIONS,SANCTIONS, comme acte de contrainte,SANCTIONS, comme conséquences de l'acte illicite,SANCTIONS, du droit,SANCTIONS, du droit étatique et du droit international, différence entre,SANCTIONS, comme mal,SANCTIONS, normes juridiques sans sanction,SANCTIONS, et obligations juridiques,SANCTIONS, obligations juridiques sans sanction,SANCTIONS, peine et exécution forcée,SANCTIONS, transcendantes et socialement immanentes,SAVIGNY (F. K.),SCHEMA D'INTERPRETATION - norme comme,SCHLICK (Moritz),SCIENCE - et droit,SCIENCE CAUSALE - et science normative,SCIENCE DU DROIT,SCIENCE DU DROIT, et droit, confusion de SCIENCE DU DROIT,SCIENCE DU DROIT, et existentialisme,SCIENCE DU DROIT, objectivité de la SCIENCE DU DROIT,SCIENCE DU DROIT, comme science empirique,SCIENCE DU DROIT, et science naturelle,SCIENCE DU DROIT, comme science normative,SCIENCE DU DROIT, et sociologie du droit,SCIENCE NATURELLE - et science juridique,SCIENCE NATURELLE et science sociale,SCIENCE NORMATIVE - et science causale,SCIENCE NORMATIVE et science juridique,SCIENCE SOCIALE - causale et normative,SCIENCE SOCIALE et science naturelle,SECURITE - collective, et paix,SECURITE collective et auto-justice,SECURITE collective et ordre juridique,SECURITE JURIDIQUE - et flexibilité du droit,SENS - subjectif et objectif d'un acte,SERMON SUR LA MONTAGNE - et le principe de rétribution,SIGNIFICATION - normative et causale de la Nature,SIGNIFICATION normative des rapports humains,SIGNIFICATION normative et sociologique,SIGNIFICATION norme comme schéma d'SIGNIFICATION:SIGNIFICATION primitive de la nature selon le principe de rétribution,SIGNIFICATION sociale de la nature,SOCIALISME - théorie de la propriété des moyens de production et exploitation,SOCIETE,SOCIETE, concept,SOCIETE, doctrine marxiste de la société,SOCIETE, et nature,SOCIETE, comme ordre normatif de la conduite humaine,SOCIOLOGIE - du droit,SOCIOLOGIE DU DROIT - et science du droit,SOURCES - du droit,SOURCES DU DROIT - obligatoires et non-obligatoires,SOUVERAINETE,SOUVERAINETE, du droit international,SOUVERAINETE, de l'Etat,SOUVERAINETE, de l'Etat et indépendance du gouvernement,SOUVERAINETE, de l'Etat et primauté de l'ordre juridique étatique,SOUVERAINETE, de l'Etat et subjectivisme de l'Etat,SOUVERAINETE, de l'individu,SOUVERAINETE, et liberté d'action de l'Etat,SPECIALISATION V. Division du travail.STATUT - de la corporation,STEVENSON (Charles L.),SUBJECTIVISME - et objectivisme dans la philosophie générale et les conceptions juridiques,SUBJECTIVITE DU DROIT - et liberté (auto-détermination),SUBJECTIVITE DU DROIT et objectivité,SUJET - individu comme sujet d'un droit,SUJET individu comme sujet d'une obligation juridique,SUJET individu comme sujet ou objet d'une conduite,SUJET DE DROIT - fonction idéologique du concept de SUJET DE DROIT,SUJET DE DROIT comme personne,SUJET DE DROIT comme "porteur" d'obligations et de droits subjectifs,SUJET DE DROIT comme sujet d'une obligation juridique,SUPPOSITION - et établissement d'une norme,SYLLOGISME - normatif,SYNCRETISME - de méthodes,SYSTEME DE CREATION - l'ordre juridique comme SYSTEME DE CREATION:SYSTEME MORAL,SYSTEME DE NORMES - ordre coordonné de SYSTEME DE NORMES:SYSTEME DE NORMES ordre supérieur et inférieur,SYSTEME DE NORMES rapport réciproque de deux SYSTEME DE NORMES:SYSTEME DE NORMES type dynamique et statique,SYSTEME DE NORMES unité de deux SYSTEME DE NORMES, comme rapport de délégation,SYSTEME PROVINCIAL - et décentralisation,

T

TAMMELO, Ilmar,TEMPS - comme élément de l'Etat,TEMPS et espace comme contenu des normes,TERRITOIRE DE L'ETAT - comme domaine territorial de validité de l'ordre juridique étatique,TERRITOIRE DE L'ETAT comme élément de l'Etat,THEOLOGIE - et théorie juridique de l'Etat,THEORIE DE LA CONNAISSANCE - Fonction de la norme fondamentale,THEORIE DE LA CONNAISSANCE - Kant,THEORIE DE L'INTERET - et théorie de la volonté du droit subjectif,THEORIE JURIDIQUE - idéaliste et réaliste,THEORIE JURIDIQUE - marxiste,THEORIE JURIDIQUE - et politique juridique,THEORIE JURIDIQUE - statique et dynamique,THEORIE DE LA RECONNAISSANCE - et théorie de la norme fondamentale,THEORIE DE LA RELATIVITE,THEORIE PURE DU DROIT,THEORIE PURE DU DROIT, - et doctrine du droit naturel,THEORIE PURE DU DROIT, - tendance anti-idéologique,THEORIE PURE DU DROIT, - comme théorie juridique réaliste,THEORIE PURE DU DROIT, - comme théorie du positivisme juridique,THEORIE DE LA VOLONTE - et théorie de l'intérêt du droit subjectif,THOMAS D'AQUIN,TRANSFORMATION - du droit international en droit étatique,TRIBUNAUX,TRIBUNAUX, - application du droit coutumier par TRIBUNAUX:TRIBUNAUX, - création de normes générales par:TRIBUNAUX, - création du droit coutumier par les TRIBUNAUX:TRIBUNAUX, - droit de contrôle des TRIBUNAUX,:TRIBUNAUX, - indépendance des TRIBUNAUX ,TRIBUNAUX, - comme "législateur":

UUNITE - de deux systèmes de normes comme rapport de délégation,UNITE - du droit comme postulat de théorie de la connaissance:UNITE - du droit international et du droit étatique,UNITE - logique de l'ordre juridique,UNIVOCITE - et ambiguïté des normes juridiques,

VVAIHINGER (Hans),VALEUR,VALEUR, absolue et relative,VALEUR, absolue et but,VALEUR, absolue et norme,VALEUR, objective et subjective,VALEUR, positive et négative,VALEUR, positive et réalité,VALEUR MORALE - la paix comme VALEUR MORALE:VALEUR MORALE - comme valeur absolue ou relative,VALEUR MORALE - et valeur de droit,VALIDITE V. aussi, Domaine de validité, Fondement de validité.VALIDITE conditionnée, du droit positif,VALIDITE conditionnée et domaine de validité de la norme,VALIDITE conditionnée et efficacité de la norme,VALIDITE conditionnée comme existence de la norme,VALIDITE conditionnée des normes et vérité des assertions,VENDETTA - comme sanction,VENGEANCE,VERITE - des assertions et validité des normes,VOIE DE DROIT - en droit administratif,VOIE DE DROIT - en droit privé,VOIE DE DROIT - comme procédure juridictionnelle,

WWEDBERG (Anders),

ZZITELMAN (Ernst),

TABLE DES MATIERESAvant-Propos à l'édition françaisePréface à la première éditionPréface à la seconde édition

TITRE PREMIER DROIT ET NATURE1. - LA PURETE2. - LES ACTES ET LEUR SIGNIFICATION JURIDIQUE3. - SIGNIFICATION SUBJECTIVE ET SIGNIFICATION OBJECTIVE DES ACTES. LEUR AUTO-INTERPRETATION4. - LA NORME.a) La norme, schéma d'interprétationb) Normes et création de normesc) Validité et domaine de validité des normesd) Réglementation positive et réglementation négative: ordonner, habiliter, permettree) Normes et valeurs5. - L'ORDRE SOCIAL.a) Ordres sociaux statuant des sanctionsb) Y a-t-il des ordres sociaux sans sanctions?c) Sanctions transcendantes et sanctions socialement immanentes6. - L'ORDRE JURIDIQUE.a) Le droit, ordre de la conduite humaineb) Le droit, ordre de contrainteLe caractère de sanctions des actes de contrainte institués par l'ordre juridiqueLe monopole de la contrainte de la collectivité juridiqueOrdre juridique et sécurité collectiveActes de contrainte qui n'ont pas le caractère de sanctionsLe minimum de liberté

c) Le droit en tant qu'ordre normatif. Collectivité juridique et "bande de voleurs"d) Obligations juridiques sans sanctions?e) Normes juridiques non indépendantes

TITRE II DROIT ET MORALE7. - LES NORMES MORALES, NORMES SOCIALES8. - LA MORALE, REGLEMENT DU COMPORTEMENT INTERIEUR9. - LA MORALE, ORDRE POSITIF IGNORANT LA CONTRAINTE10. - LE DROIT, PARTIE DE LA MORALE11. - RELATIVITE DE LA VALEUR MORALE12. - SEPARATION DU DROIT ET DE LA MORALE13. - JUSTIFICATION DU DROIT PAR LA MORALE

TITRE III DROIT ET SCIENCE14. - LES NORMES JURIDIQUES, OBJET DE LA SCIENCE DU DROIT15. - THEORIE STATIQUE ET THEORIE DYNAMIQUE DU DROIT16. - NORME JURIDIQUE ET PROPOSITION DE DROIT17. - SCIENCE CAUSALE ET SCIENCE NORMATIVE18. - CAUSALITE ET IMPUTATION: LOI NATURELLE ET LOI JURIDIQUE19. - LE PRINCIPE D'IMPUTATION DANS LA PENSEE DES PRIMITIFS20. - LA NAISSANCE DU PRINCIPE DE CAUSALITE A PARTIR DU PRINCIPE DE RETRIBUTION21. - SCIENCE SOCIALE CAUSALE ET SCIENCE SOCIALE NORMATIVE22. - LES DIFFERENCES ENTRE LE PRINCIPE DE CAUSALITE ET LE PRINCIPE D'IMPUTATION23. - LE PROBLEME DE LA LIBERTE OU LIBRE ARBITRE24. - LES FAITS AUTRES QUE LES ACTES HUMAINS COMME CONTENU DE NORMES SOCIALES25. - LES NORMES CATEGORIQUES26. - LA NEGATION DU "SOLLEN". LE DROIT, SIMPLE IDEOLOGIE

TITRE IV STATIQUE DU DROIT27. - LES SANCTIONS: DELIT ET SANCTIONa) Les sanctions du droit national et du droit internationalb) L'acte illicite (délit), condition et non-négation du droit28. - OBLIGATION JURIDIQUE ET RESPONSABILITEa) Obligation juridique et sanctionb) Obligation juridique et "sollen"c) Responsabilitéd) Responsabilité individuelle et responsabilité collectivee) Responsabilité pour faute et responsabilité sans fautef) L'obligation de réparationg) La responsabilité collective, responsabilité de résultat29. - LES DROITS SUBJECTIFS: AUTORISATIONS ET HABILITATIONS.a) Droit et obligationb) Droits personnels et droits réelsc) Le droit subjectif en tant qu'intérêt juridiquement protégéd) Le droit subjectif en tant que pouvoir juridiquee) Le droit subjectif en tant qu'autorisation positive (par une autorité)f) Les droits politiques30. - LA CAPACITE D'ACTION. LA COMPETENCE. LA QUALITE D'ORGANEa) La capacité d'actionb) La compétencec) La qualité d'organe ("Organschaft")31. - LA CAPACITE DE DROIT. LA REPRESENTATION32. - LE RAPPORT DE DROIT33. - LE SUJET DE DROIT. LA PERSONNE.a) Le sujet de droitb) La personne: la personne physiquec) La personne juridique (La corporation)d) La personne juridique comme sujet agissante) La personne juridique en tant que sujet d'obligations et de droitsLes obligations de la personne juridiqueLa responsabilité de la personne juridiqueLes droits de la personne juridiquef) La personne juridique, concept auxiliaire de la science du droitg) L'abolition du dualisme droit au sens objectif et droit au sens subjectif

TITRE V DYNAMIQUE DU DROIT34. - LE FONDEMENT DE LA VALIDITE DES ORDRES NORMATIFS: LA NORME FONDAMENTALE.a) Le fondement de la validité: sens de la questionb) Le principe statique et le principe dynamiquec) Le fondement de la validité des ordres juridiquesd) La norme fondamentale, hypothèse logique - transcendentalee) L'unité logique de l'ordre juridique: les conflits de normesf) Légitimité et effectivitég) Validité et efficacitéh) La norme fondamentale du droit internationali) Théorie de la norme fondamentale et doctrine du droit naturelj) La norme fondamentale du droit naturel35. - LA PYRAMIDE DE L'ORDRE JURIDIQUEa) La Constitutionb) Législation et coutumec) Loi et règlementd) Droit matériel et droit formele) Les "sources du droit"f) Création du droit, application du droit et obéissance au droitg) La juridiction.Le caractère constitutif des décisions juridictionnellesLe rapport entre les décisions juridictionnelles et les normes juridiques générales à appliquerLes "lacunes" dans le droitLa création de normes juridiques générales par les tribunaux: le juge-législateur; flexibilité du droit et sécurité juridiqueh) L'acte juridique infra-législatif ("Rechtsgeschäft")L'acte juridique, fait créateur de droitLe contrati) L'administrationj) Les conflits entre normes de degré différent

Les décisions juridictionnelles "illégales"Les "lois inconstitutionnelles"k) Annulation et annulabilité

TITRE VI DROIT ET ETAT36. - FORMES JURIDIQUES ET FORMES POLITIQUES37. - DROIT PUBLIC ET DROIT PRIVE38. - LE CARACTERE IDEOLOGIQUE DU DUALISME DU DROIT PUBLIC ET DU DROIT PRIVE39. - LE DUALISME TRADITIONNEL DE L'ETAT ET DU DROIT40. - LA FONCTION IDEOLOGIQUE DU DUALISME DE L'ETAT ET DU DROIT41. - L'IDENTITE DE L'ETAT ET DU DROITa) L'Etat, ordre juridiqueb) L'Etat, personne juridiqueL'Etat, sujet agissant: l'organe étatiqueLa représentationL'Etat, sujet d'obligations et de droits. Les obligations de l'Etat; l'obligation de l'Etat et le délit d'Etat; la responsabilité de l'EtatLes droits de l'Etatc) L'auto-obligation ("Selbstverpflichtung") de l'Etat; l'Etat de droitd) Centralisation et décentralisatione) La dissolution du dualisme du droit et de l'Etat

TITRE VII ETAT ET DROIT INTERNATIONAL42. - L'ESSENCE DU DROIT INTERNATIONAL.a) La nature juridique du droit internationalb) Le caractère primitif du droit internationalc) La pyramide hiérarchique du droit internationald) Obligation simplement médiate et habilitation par le droit international43. - DROIT INTERNATIONAL ET DROIT ETATIQUEa) L'unité du droit international et du droit étatiqueb) Absence de conflits entre droit international et droit étatiquec) Le rapport réciproque de deux systèmes de normesLa reconnaissance du droit international par l'Etat:la primauté de l'ordre juridique étatiqueLa primauté du droit internationald) Le caractère inévitable d'une construction moniste44. - CONCEPTIONS JURIDIQUES ET PHILOSOPHIE GENERALE

TITRE VIII L'INTERPRETATION45. - ESSENCE DE L'INTERPRETATION. INTERPRETATION AUTHENTIQUE ET INTERPRETATION NON-AUTHENTIQUEa) L'indétermination relative de l'acte d'application du droitb) L'indétermination intentionnelle de l'acte d'application du droitc) Le droit à appliquer, un cadre à l'intérieur duquel il y a plusieurs possibilités d'applicationd) Les soi-disant méthodes d'interprétation46. - L'INTERPRETATION, ACTE DE CONNAISSANCE OU ACTE DE VOLONTE?47. - L'INTERPRETATION SCIENTIFIQUE

Kelsen, Hans (1881-1973). Théorie pure du droit. 1962.

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