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Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 65 (2017) 415–428 Article original Adoptions internationales 1990–2012 : l’enfant, ses origines et la perception de son vécu d’adopté International adoption 1990–2012: Children, their origins and perception of their adopted life M. Lebrault , G. André-Trévennec , C. Vidailhet Mission Adoption Médecins du Monde, 62, rue Marcadet, 75008 Paris, France Résumé Si abandonner signifie étymologiquement « laisser à la merci de » (en référence aux bébés laissés dans les tours, à la merci des bêtes sauvages), c’est surtout aujourd’hui rompre les liens de filiation qui assurent à l’enfant stabilité, permanence et lui procurent un sentiment de continuité d’être et de sécurité interne. Ces liens lui permettent de se situer dans une histoire, dans un réseau généalogique. Ils lui assurent un ancrage transgénérationnel entre le passé et le futur, ainsi qu’un sentiment d’appartenance à un corps familial. La filiation se réfère à l’acte de procréation, à un cadre législatif et à un acte psychique qui se construit avec le temps et permet de se considérer « fils ou fille de ». Qu’en est-il de ces liens de filiation quand l’enfant a été adopté, quand son histoire a commencé, loin de son pays d’accueil, par un abandon, souvent dans un contexte à hauts risques ? Quels liens garde-t-il avec son passé et son pays d’origine ? Que représente pour lui d’avoir été adopté ? L’organisme autorisé pour l’adoption (OAA) Médecins du Monde (MdM) a mené 3 enquêtes successives et similaires sur le devenir des enfants adoptés. Elles ont porté sur 3 périodes très différentes de l’adoption internationale : 1990–2000 dominée par des enfants originaires de Roumanie et du Brésil, 2001–2005 dominée par des enfants originaires de Chine et 2006–2012 marquée par le tarissement progressif de l’adoption internationale et son évolution vers l’adoption d’enfants à besoins spécifiques : enfants grands (âgés de plus de 5 ans), fratries, enfants malades et/ou handicapés. Un questionnaire adressé aux parents leur a permis de s’exprimer sur la fac ¸on dont leur enfant et eux-mêmes ont abordé la question des origines et des liens gardés avec le pays d’origine. Si plus de la moitié des enfants, dès 8 ans et demi, se posent des questions sur leurs origines, cela n’envahit pas leur vie psychique. Il s’agit plus d’un retour vers le pays et sa culture que du désir de retrouver leurs parents. Très peu réalisent le voyage dont les conséquences sont plutôt positives. Ces résultats nous ont incités à mieux préparer les parents parfois surpris, voire inquiets, des questionnements de l’enfant sur son passé. Compte tenu de l’évolution de l’adoption vers des enfants de plus en plus éloignés du projet initial des parents, ce travail a conduit à une professionnalisation de plus en plus grande de l’OAA, dont un travail en partenariat avec les « Consultations, Orientation, Conseils, Adoption » (COCA), tant avant l’adoption qu’après celle-ci. © 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits eserv´ es. Mots clés : Adoption internationale ; Étude ; Abandon ; Origines ; Nationalité ; Prénom ; Filiation ; Famille adoptive ; Famille biologique ; Pays d’origine ; Voyage ; Risques Abstract If abandon means etymologically “leaving at the mercy of” (in reference to the babies left in towers, at the mercy of wild animals), it is especially today to break the links of filiation for the child stability, and get him a feeling of continuity to be and of internal security. These links allow him to be situated in a history in a genealogical network. That represents for him a transgenerational anchoring between past and the future, as well as a feeling of membership in a family body. The filiation refers to the act of reproduction, to the legal framework and to the psychic act which builds itself in time and allows to be considered “son or girl of”. What about these links of filiation when the child was adopted, when his history began, far from his host country, with abandonment, often in a high-risk context? What links does he keep with his past and his country of origin? The question is: what does it mean to have been adopted? The NGO Médecins du Monde (MdM) conducted 3 successive and similar surveys on the Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Lebrault). http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2017.01.004 0222-9617/© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits eserv´ es.

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ScienceDirectwww.sciencedirect.com

Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 65 (2017) 415–428

Article original

Adoptions internationales 1990–2012 : l’enfant, ses origines et la perceptionde son vécu d’adopté

International adoption 1990–2012: Children, their origins and perception of their adopted life

M. Lebrault ∗, G. André-Trévennec , C. VidailhetMission Adoption Médecins du Monde, 62, rue Marcadet, 75008 Paris, France

ésumé

Si abandonner signifie étymologiquement « laisser à la merci de » (en référence aux bébés laissés dans les tours, à la merci des bêtes sauvages),’est surtout aujourd’hui rompre les liens de filiation qui assurent à l’enfant stabilité, permanence et lui procurent un sentiment de continuité d’être ete sécurité interne. Ces liens lui permettent de se situer dans une histoire, dans un réseau généalogique. Ils lui assurent un ancrage transgénérationnelntre le passé et le futur, ainsi qu’un sentiment d’appartenance à un corps familial. La filiation se réfère à l’acte de procréation, à un cadre législatift à un acte psychique qui se construit avec le temps et permet de se considérer « fils ou fille de ». Qu’en est-il de ces liens de filiation quand’enfant a été adopté, quand son histoire a commencé, loin de son pays d’accueil, par un abandon, souvent dans un contexte à hauts risques ?uels liens garde-t-il avec son passé et son pays d’origine ? Que représente pour lui d’avoir été adopté ? L’organisme autorisé pour l’adoption

OAA) Médecins du Monde (MdM) a mené 3 enquêtes successives et similaires sur le devenir des enfants adoptés. Elles ont porté sur 3 périodesrès différentes de l’adoption internationale : 1990–2000 dominée par des enfants originaires de Roumanie et du Brésil, 2001–2005 dominée pares enfants originaires de Chine et 2006–2012 marquée par le tarissement progressif de l’adoption internationale et son évolution vers l’adoption’enfants à besoins spécifiques : enfants grands (âgés de plus de 5 ans), fratries, enfants malades et/ou handicapés. Un questionnaire adressé auxarents leur a permis de s’exprimer sur la facon dont leur enfant et eux-mêmes ont abordé la question des origines et des liens gardés avec le pays’origine. Si plus de la moitié des enfants, dès 8 ans et demi, se posent des questions sur leurs origines, cela n’envahit pas leur vie psychique. Il’agit plus d’un retour vers le pays et sa culture que du désir de retrouver leurs parents. Très peu réalisent le voyage dont les conséquences sontlutôt positives. Ces résultats nous ont incités à mieux préparer les parents parfois surpris, voire inquiets, des questionnements de l’enfant sur sonassé. Compte tenu de l’évolution de l’adoption vers des enfants de plus en plus éloignés du projet initial des parents, ce travail a conduit à unerofessionnalisation de plus en plus grande de l’OAA, dont un travail en partenariat avec les « Consultations, Orientation, Conseils, Adoption »COCA), tant avant l’adoption qu’après celle-ci.

2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

ots clés : Adoption internationale ; Étude ; Abandon ; Origines ; Nationalité ; Prénom ; Filiation ; Famille adoptive ; Famille biologique ; Pays d’origine ; Voyage Risques

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If abandon means etymologically “leaving at the mercy of” (in reference to the babies left in towers, at the mercy of wild animals), it is especiallyoday to break the links of filiation for the child stability, and get him a feeling of continuity to be and of internal security. These links allow him toe situated in a history in a genealogical network. That represents for him a transgenerational anchoring between past and the future, as well as aeeling of membership in a family body. The filiation refers to the act of reproduction, to the legal framework and to the psychic act which buildstself in time and allows to be considered “son or girl of”. What about these links of filiation when the child was adopted, when his history began,ar from his host country, with abandonment, often in a high-risk context? What links does he keep with his past and his country of origin? Theuestion is: what does it mean to have been adopted? The NGO Médecins du Monde (MdM) conducted 3 successive and similar surveys on the

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (M. Lebrault).

http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2017.01.004222-9617/© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

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16 M. Lebrault et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 65 (2017) 415–428

uture of the adopted children. They concerned 3 periods very different from the international adoption: 1990–2000 dominated by children nativef Romania and Brazil, 2001–2005 dominated by children native of China and 2006–2012 marked by the progressive drying up of the internationaldoption and its evolution towards children’s adoption at specific needs. If more than half children, from 8 and half years, ask themselves questionsn their origins, it does not invade their psychic life. It is more for a travel in the country and its culture than the desire of finding their parents.he consequences of this travel are rather positive. These results incited us to prepare better the parents, sometimes surprised, even worried, byuestionings of the child on his past. The evolution of the adoption towards children is more and more distant from the initial project of the parents.e propose to prevent difficulties with the child and the parents, with a specific preparation and support of the families and of the children, a

rofessionalization of the NGO, and a work in partnership with the “COCA”, before the adoption and after this one. 2017 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

eywords: International adoption; Study; Abandonment; Origins; Nationality; First name; Filiation; Adoptive family; Biological family; Country of origin; Travel;

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•1990–2000, où les enfants étaient originaires d’Europe del’Est (45,70 % originaires de Roumanie) et d’Amérique duSud (32,70 % originaires du Brésil et de Colombie). L’Asie

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. Introduction

Les différents domaines du développement, physique, psy-homoteur, intellectuel, langagier, affectif, sont fortementmbriqués et dépendent de multiples facteurs qui, eux aussi,nteragissent. Les facteurs innés sont liés au patrimoineénétique, aux avatars de la vie intra-utérine, aux compé-ences et vulnérabilité de chaque enfant. Les facteurs liés à’environnement dépendent du milieu socio-culturel, des évè-ements de la vie, et des facteurs relationnels mère-enfantaccordage affectif, interactions réelles, imaginaires, fantasma-iques, place du père, rôle de la famille élargie). Ces liensffectifs et d’attachement vont permettre à l’enfant, totalementépendant, de s’inscrire dans une lignée et dans une histoireransgénérationnelle : « un enfant tout seul, ca n’existe pas »Winnicott).

Qu’en est-il de ces liens de filiation quand l’enfant a étédopté, et notamment quand son histoire a commencé, comme’est le cas dans l’adoption internationale, loin de son pays’accueil, par un abandon, souvent dans un contexte de pré-arité, de négligences, voire de violence physique ou psychiquey compris abus sexuels) ?

Quelle perception a-t-il de son passé, de son statut d’adopté,u fait qu’il ait été abandonné ? Quels liens garde-t-il avec sonays d’origine ?

. Méthodologie

Trois études successives et similaires ont permis d’analyser leevenir des enfants adoptés via l’OAA (Organisme Agréé pour’Adoption) Médecins du Monde afin d’analyser les marqueursécurrents du passé et du présent des enfants, pour une évolutiones pratiques d’accompagnement et une prévention des risques’échecs [1] : sur 10 ans de 1990 à 2000, sur 5 ans de 2001 à

005 et sur 7 ans de 2006 à 2012.

Au total, nous avons pu analyser les données de 1363 famillest de 1617 enfants adoptés sur 22 ans1.

1 La méthodologie des études menées sur les périodes 2001–2005 et006–2012 a été volontairement similaire à celle de l’étude initiale (1990–2000),our laquelle nous avions bénéficié de compétences partenaires : le CNRS à tra-ers l’Unité de recherche de A. Cadoret [2], de compétences de l’INED pour

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Un questionnaire composé d’un volet dédié aux parents et’un volet pour chaque enfant adopté pendant la période étudiée

été adressé par courrier postal aux familles concernées pourhaque période, extraites de la base de données de l’OAA2.

Les familles ont été informées de la nature de l’enquête (cour-ier et plaquette explicative, résultats de l’enquête précédenteour les deux dernières). Elles ont pu choisir volontairement de’engager dans chaque enquête, en y répondant, ou pas. L’étudest anonyme : les questionnaires ne comportent aucune identifi-ation permettant de remonter au dossier d’adoption des enfants.

Chaque famille n’a été sollicitée qu’une fois, afin de respectera liberté de répondre.

Parmi les sujets étudiés, les familles se sont notamment expri-ées sur la facon dont leur enfant et eux-mêmes ont abordé la

uestion des origines de l’enfant autour de trois thèmes : la per-eption par l’enfant de son statut d’adopté et de son passé, sesémarches vers la connaissance de ses origines, et les consé-uences de ces démarches sur sa vie présente et son équilibre.

Les trois périodes consécutives étudiées ne sont pas tota-ement superposables, puisqu’elles diffèrent tant au niveau duecul des familles sur leur adoption d’un enfant, qu’à l’âgees enfants au moment de leur arrivée ainsi qu’au momente chaque enquête. Tous ces éléments ont leur poids respectifans l’analyse des données. Cependant, des résultats très homo-ènes ressortent de ces trois enquêtes sur 22 ans de pratique’adoptions internationales, bien que modulés sur certaines desonnées citées, ainsi que par les pays d’origine des enfants, leontexte géopolitique de chaque époque :

la première enquête (495 enfants) a porté sur la période

’élaboration du questionnaire et l’exploitation statistique des résultats (dontabaume), et un support financier de la région Île-de-France dans le cadre durogramme Partenariat Institutions Citoyen pour la Recherche et l’InnovationPICRI).2 Fichier de l’OAA Médecins du Monde déclaré à la CNIL (Commissionationale de l’informatique et des libertés). Autorité francaise de contrôle enatière de protection des données personnelles.

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Fig. 1. Moment de la prise de conscie

était minoritaire (13 % tous pays asiatiques confondus et10,6 % de Chine) ;

la seconde (582 enfants) a porté sur la période 2001–2005,dominée par l’adoption d’enfants d’origine asiatique (60 %de Chine) alors que l’Amérique du Sud est moins représentée(Colombie : 12 %, Brésil : 11 %), et l’Europe de l’Est estdevenue minoritaire avec 14 % ;

la troisième (540 enfants) a porté sur la période 2006–2012,dominée par l’adoption d’enfants essentiellement d’origineasiatique, encore jeunes au moment de l’enquête effectuée en2015.

L’ensemble des résultats relatifs à la perception par l’enfantt sa famille de son statut d’adopté et de son passé ont été pré-entés le 29 janvier 2016 à un groupe pluridisciplinaire d’expertsnternes et externes afin d’ouvrir la discussion sur le sens donnéu chemin de vie de l’enfant et à sa filiation.

. Résultats

.1. L’enfant et son vécu d’adopté

.1.1. L’enfant et son statut d’adopté. Comment le vit-il ?Lors de ces enquêtes, ce sont les parents qui s’expriment au

ujet du vécu de leur enfant. Signe de leur bonne intégration,0, 69 et 78 % des enfants vivent sans difficulté particulière leurifférence physique, ceci pour chacune des enquêtes. Un peulus vivent bien leur statut d’adopté, entre 74 et 85 %. Les tauxes plus élevés concernent l’enquête 2006–2012 (85 %), témoi-nant d’une évolution au sein de la société en ce qui concerne’adoption. Le fait que la population des enfants adoptés soientssentiellement asiatiques a une influence sur ces résultats, car’on sait que ces enfants s’adaptent bien en général.

.1.2. Quand ces enfants prennent-ils conscience de cetatut ?

Selon les parents, environ trois quart des enfants ont prisonscience de leur statut d’enfant adopté dès leur arrivée, toutesnquêtes confondues (Fig. 1).

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statut d’adopté selon les 3 enquêtes.

.1.3. À quel âge en moyenne ces enfants prennent-ilsonscience de ce statut ?

Entre 2001 et 2012, pour les 3 enquêtes, l’âge moyen desnfants au moment de cette prise de conscience est de 4 à 4,5 ans,vec une médiane autour de 4 ans, ceci d’après la perceptionu’en ont leurs parents.

Cet âge peut néanmoins atteindre 10 à 15 ans pour quelquesas isolés. En effet, l’expression « prise de conscience » peuttre interprétée de différentes facons, et le fait de savoir que l’on

été adopté n’implique pas forcément le fait d’en être conscient.itons pour exemple la réflexion de cette jeune fille de 15 ans :

J’ai toujours su que j’avais été adoptée, mais c’est maintenantue je réalise ce que cela représente ».

Les résultats observés varient en fonction d’un certainombre de paramètres, comme l’âge de l’enfant à l’arrivée, sonays d’origine.

Par exemple, sur la période 2001–2005, les enfants adoptésrands vivent moins bien que les plus jeunes leur différencehysique et leur statut d’adopté : de 60 à 70 % des enfants,uel que soit leur âge à l’arrivée, percoivent leur différence phy-ique sans difficulté, sauf pour les enfants arrivés à 8 ans et plus16 enfants), pour lesquels ce taux chute à 37,5 %.

Sur la période 2001–2005, et c’est également le cas sur les autres périodes, les enfants vivent d’autant plus difficilementeur situation d’adopté qu’ils étaient âgés à leur arrivée : auoment de l’enquête, alors que 13 % des enfants vivent dif-cilement ce statut lorsqu’ils sont arrivés en France à moinse 2 ans, ce taux passe au tiers des enfants adoptés entre 7 et

ans, et à plus de la moitié des enfants adoptés à plus de 8 ansTableau 1).

Toutefois, en dehors de la plus grande tranche d’âge à’arrivée (8 ans et plus), entre 80 et 90 % des enfants viventlutôt bien ce statut.

De plus, il ne faut pas négliger l’influence de ce statut sur’avenir de l’enfant, et l’influence de son passé d’enfant aban-onné sur son devenir.

Le pays d’origine lui-même ne semble pas avoir d’incidenceajeure sur la perception par l’enfant de son statut d’adopté.’est toutefois pour les enfants originaires d’Albanie et de

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Tableau 12001–2005 Perception par l’enfant de son statut d’adopté au moment de l’enquête rapprochée à son âge à l’arrivée.

2001–2005 Perception par l’enfant de son statut d’adopté

Âge arrivée Difficile (%) Sans difficulté (%) Ne sait pas (%) Total (%)

< 2 ans 13 87 0 360 = 1002 à < 3 ans 16 84 0 48 = 1003 à < 5 ans 14 83 3 66 = 1005 à < 7 ans 22 78 0 48 = 1007 à 8 ans 31 69 17,5 22 = 100> 8 ans 56 44 0 38 = 100Total 17 83 0,2 582 = 100

Tableau 2Pourcentage d’enfants de chaque enquête vivant mal leur statut d’adopté selon les pays d’origine.

Pays d’origine 2001–2005 2001–2005 2006–2012 2006–2012

Nombre enfants totalpar pays (= 100 %)

% enfants qui vivent malleur statut d’adopté

Nombre enfants totalpar pays (= 100 %)

% enfants qui vivent malleur statut d’adopté

Albanie 9 57 7 0Roumanie 14 42 0 0Colombie 70 26 76 14Russie 36 24 43 21Brésil 66 23 46 29,5Bulgarie 21 20 13 42Chine 347 11 181 11Vietnam 18 6 117 10Haïti 0 0 46 19,5A

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pappblmson pays d’origine et le symbole de sa filiation tant biologiquequ’adoptive.

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582 enfants

oumanie en 2001–2005 et de Bulgarie en 2006–2012, qu’unnfant sur deux ressent difficilement son statut (Tableau 2).

En ce qui concerne un ressenti douloureux de leur différencehysique, il est à moins de 20 % de l’ensemble des enfants, saufour les enfants d’origine asiatique, dont le tiers (27 % pour lahine et 31 % pour le Vietnam) peut ressentir difficilement cetteifférence physique sur la période 2001–2005, ainsi que pour lahine (29 %) sur la période 2006–2012. Ce sont les enfantsriginaires d’Haïti qui, pour 41,5 % d’entre eux en 2006–2012,ivent le moins bien leur différence physique, soit presque unnfant sur deux.

.1.4. Au cours de l’enquête portant sur les adoptions006–2012, nous avons également posé la question de laationalité ressentie par l’enfant

Soixante-quatre pour cent des enfants se sentent relever tante la nationalité de leur pays d’origine que de la nationalitérancaise, évoquant ainsi une identité hybride qui mixte sesrigines et sa vie présente pour en faire sa propre identitéFig. 2).

Ces résultats sont le signe d’une très bonne intégration, etne grande évolution au sein de la société. Ils évoquent laotion d’identités multiples de l’enfant adopté, juxtaposant lesifférentes facettes de son histoire de vie, passée et présente,

t associant en cela ses origines et sa famille adoptive, pays’origine et pays d’accueil. Cette parentalité plurielle est unlément positif majeur de l’adoption. F

11540 enfants

.1.5. L’enfant adopté et la question de son prénom : queevient le prénom d’origine de l’enfant ?

Comme il était délicat d’interroger des parents, seuls res-onsables de cette décision, sur la manière dont leurs enfantsvaient vécu un éventuel changement de prénom, la questionosée s’est donc bornée à demander ce qu’ils avaient fait durénom de naissance. En effet, le prénom est porteur d’une sym-olique forte car il s’agit de la facon dont il sera nommé poura vie, dans sa famille et au sein de la société. Il peut égale-

ent être le trait d’union entre une appartenance culturelle à

ig. 2. Enquête 2006–2012 : perception de sa nationalité par l’enfant adopté.

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Tableau 3Conservation et place du prénom d’origine pour chaque enquête.

Le prénom d’origine 1990–2000 2001–2005 2006–2012

Prénom gardé en première position (%) 58 30 26PP

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rénom gardé en seconde position (%) 34

rénom non gardé (%) 8

Alors que plus de la moitié des parents (58 %) conservee prénom d’origine de l’enfant en première position sur laériode 1990–2000, on notera que les résultats sont inversésur l’ensemble des 2 périodes allant de 2001 à 2012 (Tableau 3).st-ce l’influence du pays d’origine et de l’âge des enfants à leurrrivée ? (ex. : Chine).

Le souci des familles de maintenir un lien avec l’identitéremière de leur enfant se manifeste maintenant au niveau du 2e

rénom de l’enfant.De quels paramètres dépend ce choix des parents ?En premier lieu, y a-t-il un lien entre l’âge de l’enfant à son

rrivée et le maintien ou non de son prénom de naissance ?Influence de l’âge de l’enfant au moment de son adoption :

lus l’âge de l’enfant est élevé à l’arrivée, plus les parents ontendance à conserver son prénom. Ainsi, sur les deux premièresériodes étudiées, 35 à 37 % seulement des enfants arrivés avant’âge de 4 ans gardent leur prénom d’origine en première place,andis que c’est le cas pour 70 à 90 % des plus âgés au momente leur adoption.

Indépendamment de l’âge des enfants, on observe unenfluence du pays d’origine sur le maintien ou non du prénome l’enfant (Tableau 4) :

lorsque les enfants sont originaires d’Amérique latine oud’Europe de l’Est, environ 7 familles sur 10 gardent le prénomde naissance en première position ;

ce maintien du prénom de naissance chute fortement lorsqueles enfants viennent d’Asie. Seuls 5 à 13 % des enfants gardentleur prénom en 1re position, selon les périodes étudiées ;

toutefois, 81 % des parents ayant adopté un enfant originaired’Asie ont gardé le prénom de naissance en 2e ou 3e position.

Il semble qu’une grande majorité de parents (9 familles sur0) soit sensible à l’idée selon laquelle il faudrait respecter lerénom de naissance, symbole d’une histoire antérieure dont il

st nécessaire de tenir compte.

En résumé, plus tard sont adoptés les enfants, plus l’idée deon-rupture avec leur identité est respectée par leurs parents.l semble aussi que les parents soient soucieux du fait que le

3s

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ableau 4aintien du prénom d’origine de l’enfant selon les 3 enquêtes.

1990–2000

rénom d’origine en premierEnfants d’Amérique latine (%) 67

Enfants des Pays de l’Est (%) 64

Enfants d’Asie (%) 13

68 692 5

rénom ne pose pas de difficultés en France (prononciation) ete soit pas la marque d’une différence supplémentaire.

.2. L’enfant vis-à-vis de son passé et de ses origines

.2.1. L’enfant et l’évocation de son passé. Qui en prend’initiative au sein de la famille ?

Comment parents et enfants arrivent-ils à parler des originese l’enfant ? Qui prend l’initiative de l’évocation du passé ?

De facon homogène, c’est dans 70 à presque 80 % des cas,u cours d’un échange mutuel entre parents et enfants que

l’histoire d’avant » a été abordée ou questionnée. Les réponsesont positives et ouvertes sur le dialogue entre parents et enfantsu sujet de leur vie passée, avant leur arrivée dans leur familledoptive.

Cette stabilité dans ces échanges au sein des familles est tou-efois illustrée de facon plus marquée au profit de l’initiative de’enfant dans la période la plus récente, puisqu’ il semble que lesnfants prennent plus souvent l’initiative de ces conversations23 % au lieu de 13 et 14 %).

Ce sujet n’est plus un sujet tabou au sein des familles. Il fautouligner que cette question du passé de l’enfant est maintenantargement évoquée lors de la procédure d’agrément et des étapese préparation à la parentalité adoptive. La facon d’être parent avolué entre 1990 et 2012, et consciemment ou inconsciemment,ls suscitent plus la parole de leur enfant (Fig. 3).

Lors de l’enquête 2006–2012, nous avons spécifiquementemandé quels étaient les thèmes principaux de ces échangest des questions posées par les enfants. Les deux premiers axese questionnement sont : les parents biologiques de l’enfant,uis le pays d’origine et sa culture (Fig. 4).

Ces échanges au sein de la famille adoptive favorisent leheminement que doit faire l’enfant pour adopter sa nouvelleamille, construire son identité, son histoire familiale, au-delàu biologique.

.2.2. Comment l’enfant parle-t-il de son pays d’origine àes parents ?

Quelle que soit la période étudiée, près de 50 % des enfantsnt une vision idéalisée ou positive de leur pays (Tableau 5).

2001–2005 2006–2012

75 7265 56

7 5

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Fig. 3. Le passé de l’enfant et la position pri

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3pdémarches se sont-elles concrétisées, ont-elles abouti à une

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Fig. 4. Objet des échanges au sein de la famille.

Un tiers en parlent de manière interrogative sur la période990–2000, et plus ou moins la moitié sur les deux autresériodes, caractérisées par des enfants jeunes. Très peu nom-reux sont ceux qui n’en parlent pas ou seulement de faconégative. Précisons qu’il s’agit certainement, au moins en partie,e la vision que les parents ont de la vision de leur enfant.

.2.3. Influence de l’âge de l’enfant à son arrivée sur saision de son pays d’origine

Les enfants âgés de moins de 3 ans à l’arrivée sont propor-ionnellement plus nombreux que les 8–10 ans à avoir une vision

ositive de leur pays d’origine au moment de l’enquête (33 %ontre 20 %). Inversement, ils sont les moins nombreux à envoir une vision négative (5 % contre 24 %).

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se par les parents selon les 3 enquêtes.

Plus les enfants sont arrivés jeunes, plus ils parlent de leurays sur un mode interrogatif. Mais nous pouvons égalementous interroger sur l’influence des parents à ce sujet.

On remarque l’homogénéité des chiffres au fil du temps enaveur d’une vision positive du pays d’origine, quel que soit’âge de l’enfant à son arrivée (par exemple 30, 29 et 24 % poures enfants de 4 à 7 ans de chaque enquête). De même pour laroportion de ceux qui n’en parlent pas (par exemple 10, 9 et

% pour les enfants de 8 à 10 ans de chaque enquête).

.2.4. Influence de l’âge de l’enfant au moment de’enquête sur sa vision de son pays d’origine

Au moment de l’enquête :

sur les deux premières enquêtes, plus les enfants sont grandsau moment où ils ont été interrogés, moins ils semblent seposer de questions sur leur pays d’origine ;

la 3e enquête interrogeant des enfants plus jeunes, leur visionoscille entre positive et interrogative, à part égale ;

les plus de 15 ans sont plus nombreux à avoir une visionpositive de leur pays d’origine ;

mais ils sont tout autant à en avoir une vision interrogative.

.2.5. Quels sont les souhaits et les démarches effectuéesar les enfants pour connaître leurs origines ? Ces

encontre avec la famille biologique de l’enfant ?Pourquoi rechercher ses origines ? La question, posée

u cours de l’enquête 2006–2012 montre qu’il s’agit

2001–2005 2006–2012

36 3715 1056 415,5 310,5 8

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Fig. 5. Raisons d’une démarche vers les origines – Enquête 2006–2012.

ajoritairement d’un retour vers les terres d’origine, une culture,es habitants, des paysages. . . : ceci représente près de 7 enfantsur 10 parmi ceux qui ont répondu (Fig. 5).

Les raisons de cette quête sont multiples, et les témoignages’enfants recueillis par une association comme La Voix desdoptés permettent d’en dresser une liste, non exhaustive [3] :

« Comment est-ce que je suis née ? À quelle heure ? » « Ma mère biologique m’a-t-elle tenu dans ses bras ? Se

souvient-elle de moi ? » « Pourquoi m’a-t-elle abandonné ? » « Est-ce qu’elle pense toujours à moi le jour de mon anniver-

saire ? » « Est-elle toujours vivante ? » « Est-ce que j’ai des frères et sœurs ? Adoptés ? Restés au

pays ? » « Pourquoi est-ce ici que je suis arrivée, dans cette famille ? » « Qu’est-ce que je raconterai à mes enfants plus tard ? Ce sont

aussi leurs origines, leur histoire » « Je veux aller dans mon pays pour enfin ressembler à des

gens » « J’ai besoin de savoir à qui je ressemble » « Pourquoi j’ai ce caractère !? De qui je tiens ? » « Quels sont mes antécédents médicaux ? Je ne sais y

répondre »

Besoin impérieux de voir et de savoir ? Besoin impérieux dee pas savoir ?

Au moment de l’enquête 1990–2000, plus de la moitié desnfants (53 %) avaient exprimé le désir de faire une démarcheu un voyage pour connaître leurs origines, mais, en fait, peuont passés à l’acte.

Au final, sur les 474 enfants du départ, seuls 72, soit 15 %, ontoncrétisé cette démarche, dont 89 % avec leurs parents et 11 %ans leurs parents. Parmi les 47 % n’ayant pas souhaité faire deémarche, la moitié a moins de 10 ans et reste donc susceptible’en effectuer plus tard.

Sur les périodes 2001–2005 et 2006–2012, ce taux est infé-ieur à 50 %, mais de la même facon, seulement 20 à 30 % de cesnfants ont concrétisé leur démarche par un voyage. Ces résul-ats sont à moduler par l’âge des enfants au moment des enquêtesencore jeunes compte tenu de leur pays d’origine, ex. : Chine),

t du moment de la dernière enquête (2015).

Sur la période 2006–2012, le souhait de retour aux origines’est concrétisé pour 51 enfants sur 540 (50 accompagnés de

e et de l’adolescence 65 (2017) 415–428 421

eurs parents adoptifs, et un parti seul), soit pour près d’unnfant sur 10, mais seulement 3 ont rencontré leur famille bio-ogique. Pour la majorité de ces enfants, ce voyage, apportantes réponses sur leurs origines, leur a permis de mieux acceptereur statut d’enfant adopté, et d’y trouver sérénité et stabilité.

La Fig. 6 schématise les résultats obtenus pour chacune des enquêtes.

La question de la recherche des origines chez les enfantsdoptés est une question à laquelle il est difficile de répondreans l’absolu, cet intérêt pouvant surgir à n’importe quel momente la vie, même tardivement. Comment savoir si cette quête deoi par la quête des origines est effectuée au bon moment, tantans l’enfance qu’une fois adulte ?

Ainsi, certains témoignages d’adoptés nous apprennent quee désir de « savoir d’où l’on vient » leur est venu à la naissancee leur premier enfant, ou lors de bouleversements dans leuramille adoptive (parents, fratrie. . .).

En fait, pour mesurer l’importance de cette recherche, ilonviendrait de mener d’autres enquêtes auprès de personnesdoptées maintenant adultes, ayant déjà accompli certainesrandes étapes de leur cycle de vie : prise d’autonomie, vie deouple, paternité ou maternité, etc.

.2.6. À quel âge ces enfants ont-ils exprimé le souhait’une démarche vers leurs origines ?

Cette question a été introduite à l’occasion de l’enquête sura période 2001–2005 (réponses obtenues pour 208 enfants),t répétée sur la période 2006–2012 (réponses obtenues pour97 enfants). Les résultats sont très comparables d’une période

l’autre, et à notre surprise, ce souhait survient relativementôt : pour 66 % et 67 % des enfants ayant souhaité entamer uneémarche, ils l’ont exprimé avant l’âge de 10 ans.

La majorité (plus de la moitié des enfants ont entre 6 et 9 ans)’exprime à 8 ans, et l’âge moyen, pour cette démarche, est de

ans 3/4. Le plus grand a attendu d’avoir 18 ans pour l’exprimer.

.2.7. Quelles sont les caractéristiques des enfants quiecherchent leurs origines ?

Pour répondre à cette question, une régression logistique aermis de dégager deux profils d’enfants distincts.

Profil des enfants n’ayant pas entrepris de démarches :

les enfants les plus âgés (18 ans et plus au moment del’enquête) ;

les enfants qui ont refusé d’entretenir leur langue et leurculture d’origine ;

les enfants dont les parents ont gardé le prénom de naissance ; les enfants dont les parents prennent toujours l’initiative de

parler du pays d’origine ; les enfants plutôt adoptés en fratrie ; les enfants qui parlent de manière négative, voire pas du tout

de leur pays ; en majorité des garcons (51 % de garcons contre 49 % de

filles).

Profil des enfants ayant entrepris des démarches :

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422 M. Lebrault et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 65 (2017) 415–428

Enquête 1990-200 0 effecti f de l’éc hantillon : 474

En quête 2001- 200 5 eff ectif de l’éc hantillon : 582 Particularité : enfants prov enant dans 60% des ca s de Ch ine, adopté s jeunes .

Figure - 20 06-20 12 effectif de l’éc hantill on : 540 Particularit é : enfants encore jeun es au moment d e l’enquête ( âge s colaire ).

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Souhaits non concréti sés

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Pas de démarc hes souhaité es

52 %

Souhai ts concréti sés

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Avec les paren ts

98 %

Total adopt és 200 6-2012

100 %

Fig. 6. Recherche des origines – Souhaits de démarches des enfants et concrétisation.

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nrr[sdtd’origine et sa culture à travers le prénom, l’alimentation, la

ig. 7. Enquête 2006–2012 – Conséquences du voyage vers le pays d’originen = 53/540 enfants).

des enfants jeunes (moins de 12 ans au moment de l’enquête),dont le souhait n’est généralement pas encore réalisé ;

des enfants qui parlent de leur pays de facon positive, idéaliséeou interrogative ;

des enfants dont les parents ont placé le prénom de naissanceen 2e position ;

les enfants qui vivent mal leur statut d’adopté.

Peut-on en déduire que, plus les parents imposent la culture’origine à leurs enfants, plus ceux-ci s’en désintéressent ?

.2.8. Quelles ont été les conséquences de ces démarches ?L’enquête menée en 2015 sur la période 2006–2012 a exploré

es conséquences de cette démarche.Les résultats sont positifs pour la majorité des enfants, soit

u’ils aient trouvé réponses à leurs questions, soit qu’ils désirentenouveler leur voyage, soit qu’ils soient revenus plus sereinsFig. 7).

Nous avons recueilli le témoignage d’une jeune femme de8 ans originaire du Brésil, adoptée à 8 ans avec sa sœur. Elle

entrepris à 26 ans un voyage d’un mois au Brésil avec sonompagnon, en premier lieu pour connaître ce pays, puis pourenter de rencontrer sa famille, ce qui a pu se réaliser. Ce voyage’a apaisée et lui a donné une source possible de réponses à’éventuelles autres questions qu’elle pourrait se poser. Le vagueouvenir d’une autre famille d’accueil l’ayant choyée a pu êtreérifié, pour ainsi faire la part des choses entre rêves et réalitése son passé. Sereine, elle prévoit de refaire un voyage au Brésil.

Cependant, d’après leurs parents, une très faible proportion’enfants est revenue plus perturbée qu’avant ce voyage.

Soulignons par exemple le cas d’une jeune fille d’origine chi-oise, adoptée dès 19 mois, qui s’est adaptée très rapidement

son nouveau milieu, et a rapidement développé des rela-ions complices et affectueuses avec ses parents, sans qu’aucunrouble psychologique ne vienne perturber son équilibre. Après

n voyage réalisé avec ses parents adoptifs, celle-ci est revenueerturbée et inquiète. Âgée de 19 ans, elle souhaite aller vivren Chine.

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e et de l’adolescence 65 (2017) 415–428 423

Le voyage dans le pays d’origine de l’enfant entre en réso-ance avec la structure psychologique de l’enfant et réveillees questions enfouies, des problèmes occultes ou compensésusque-là. Même si ce voyage n’aboutit pas à une rencontrevec la famille biologique, celui-ci permet à l’enfant de fairee lien avec son passé, en découvrant nombre d’informationsulturelles, sociales, sur son pays d’origine, les paysages, lesensations, la langue, les odeurs, les caractéristiques de ses habi-ants, leur couleur de peau, etc. pouvant permettre de mettre desmages réelles sur leur imaginaire.

Ces résultats illustrent toute l’ambiguïté du terme « ori-ines ». Il peut tout autant évoquer, pour certains, leur payst sa culture, ou bien, pour les autres, la rencontre nécessairevec leur famille biologique.

Quelle que soit cette signification pour l’enfant, lorsqu’il enmet le souhait, connaître son passé et partir à sa rechercheui permet le plus souvent de mieux comprendre son présent ete l’accepter, même si cette démarche n’est jamais dénuée deisque.

Soulignons l’importance de l’évolution des pays d’origineuant à la transparence des dossiers, et celle des OAA et desssociations dont les pratiques d’accompagnement contribuent

apporter des clés essentielles à la construction identitaire desnfants adoptés, à leur estime de soi.

C’est le cas à MdM. Un travail avec les pays d’origine (for-ation du personnel des orphelinats et des nourrices) a été

éveloppé pour préparer l’enfant à son adoption. En cas de mala-ie ou de handicap, les examens complémentaires nécessairesu diagnostic sont demandés.

L’évolution de l’adoption internationale vers des enfants àesoins spécifiques fait que l’enfant réel n’est plus le bébé enonne santé, souhait initial de tout candidat à l’adoption et’éloigne de plus en plus de l’enfant imaginaire. Il exige de la parte ses parents des capacités de résilience à long terme. Pour sou-enir cela, lors de la sélection des candidats à l’adoption, MdMeut les adresser à une COCA « Consultations, Orientation,onseils, Adoption » [4].

La complémentarité des pratiques étant indispensable pourermettre un meilleur ajustement au sein de la famille, l’OAAdM oriente également vers les COCA en post-adoption, en

as de difficultés, du fait de la pluridisciplinarité qui fait parti duahier des charges de ces consultations. En effet, bien qu’ellesoient en général sous la responsabilité d’un pédiatre, elleséunissent des psychologues et/ou des psychiatres et/ou desédecins spécialistes de la petite enfance.Toujours dans le cadre d’un accompagnement profession-

el, tout au long du processus d’adoption, MdM assure deséunions hebdomadaires de sensibilisation à l’adoption et deséunions de formation à la parentalité, devenues obligatoires5]. Y sont notamment abordés : le développement de l’enfant,es besoins fondamentaux, les conséquences psycho-affectives’un abandon, la question des origines. Les parents sont invi-és à évoquer les liens qu’ils envisagent de garder avec le pays

angue, la lecture, les souvenirs. . . Sont travaillées avec lesarents les représentations qu’ils ont du pays d’origine et de’abandon.

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24 M. Lebrault et al. / Neuropsychiatrie de l’

Ceci est d’autant plus précieux que le contexte de l’adoptionnternationale évolue vers des adoptions à hauts risques’enfants malades et/ou handicapés, grands, en fratries, ayantubi des traumatismes sévères au cours de leur passé pré-adoptif,u une institutionnalisation longue. Non seulement les enfantsnt à gérer leur différence liée à leur situation d’adopté, à laouleur de leur peau, mais aussi à leur handicap ou leur mala-ie, surtout si cela se voit. La maladie peut engendrer angoisse,lessure narcissique, manque de confiance en soi et sentimente culpabilité (est-ce que j’ai été abandonné parce que je suisalade ?).Ces réunions vont aider les familles à anticiper les questions,

ropos, réactions, ou comportements qui peuvent les surprendret les inquiéter, par exemple lors de révélations de l’enfant suron passé (en particulier sévices sexuels) ou de demande éven-uelle de voyage dans son pays d’origine.

. Discussion

« Un enfant n’a jamais les parents dont il rêve. Seuls lesnfants sans parents ont des parents de rêve » [6].

La demande de l’enfant à entreprendre des recherches sures origines et un voyage dans le pays est, comme toute parole’un enfant, à resituer dans son histoire, dans le contexte fami-ial, dans le cadre de son évolution psycho-affective. Elle n’estas systématique et elle est évolutive. Elle est à respecter et àccompagner avec l’enfant et ses parents. Quel sens accordent-ls à cette demande de l’enfant, se mettent-ils à sa place ? L’enfanteut être angoissé en faisant cette demande, avoir peur de fairee la peine à ses parents, de ne plus être aimé. Est-ce une facone tester leur amour, leurs limites, ou de les provoquer ? Qu’enst-il exactement du désir, de la peur ou du refus de savoir de laart de l’enfant ?

Ce besoin de retrouver leurs origines, pour ceux qui le sou-aitent, pose une démarche dans le réel, sur leurs fantasmes, leurassé sans visage, leurs rêves ou souvenirs confus.

Quelle que soit cette signification pour l’enfant, lorsqu’il enmet le souhait, comprendre son passé et partir à sa rechercheui permet de mieux comprendre son présent et de l’accepter.

Cette quête peut survenir à tout âge, en particulier à’adolescence, ou à l’issue d’un évènement majeur de la vieagrandissement de la fratrie, perte d’un parent adoptif, rup-ure des parents ou au sein de la fratrie, deuil, maternité ouaternité. . .). Elle nécessitera un grand investissement en énergiedémarches, temps. . .).

Dans la recherche de ses origines, l’enfant n’attend pas seule-ent une information événementielle sur son passé. Il veut

avoir pourquoi et comment il est devenu un enfant abandonné,t entendre ce qu’il en est du désir de ses parents et quelle placel occupe dans l’histoire de sa famille. Il veut être reconnu dansn passé, s’inscrire dans une histoire et être issu d’un désir deie. Sa quête est double, elle est identitaire et narcissique.

Ceci amène, avec Eiguer et André-Fustier [7], à réfléchir sures correspondances entre le lien adoptif et le lien qui rattache

’enfant à son objet transgénérationnel, notamment lorsque ceien peut être sujet de troubles : un passé « sous silence », laart « maudite » d’un héritage de vie, le déni, le sentiment de

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e et de l’adolescence 65 (2017) 415–428

ulpabilité, de honte, mais aussi de désir. Deux histoiresamiliales précèdent l’enfant adopté, deux héritages constitué’éléments bruts, transmis ou ressentis comme évènementsotentiellement traumatiques. L’enfant adopté est tenu à prendren charge les différents niveaux des attitudes inconscientes suresquelles s’est fondée la rencontre de ses parents et de leursignées, tant biologiques qu’adoptifs. C’est une chaîne de sensoublement familiale, de laquelle se construira son histoire per-onnelle.

Lamotte et al. [8] corroborent les effets de cette double filia-ion : l’élaboration d’une identité passe par l’inscription dansne filiation, une chaîne transgénérationnelle. Comment l’enfantdopté, et plus particulièrement l’adolescent, oscillera-t-il entreevenir étranger à sa propre filiation ou devenir étranger à saliation adoptive (représentée par sa famille) ?

Pour Golse, il existe plusieurs niveaux de filiation : la filiationiologique, légale et affective [9]. Les parents adoptants ont deuxiveaux de filiation, ce qui est nettement suffisant pour que desiens s’établissent très profondément. Se sentir enfant de sonarent est un processus psychique qui s’inscrit dans le temps,ans la relation et les affects qui s’y nouent. Issus d’une adoptionnternationale, ils doivent intégrer dans leur identité une doubleénéalogie. Ils sont alors dans la nécessité de réunir dans leuronde intérieur les représentations de leurs parents géniteurs et

e leurs parents adoptifs.Enfin, citons Lavallée [10] qui soulève les questions fonda-

entales qui divisent les tenants de diverses approches au regarde l’adoption, déchirée entre le modèle protectionniste qui vise

donner à l’enfant une famille considérée comme adéquatear les spécialistes, et le modèle généalogique qui constitue unonstruit social, un montage institutionnel au sein duquel chaqueujet trouve sa place dans un ordre symbolique qui le dépasse :’adopté erre entre deux pôles.

L’adoption internationale en droit francais est d’abord envi-agée comme une institution fondée sur l’attribution juridique’une filiation, au-delà du mécanisme de protection de l’intérête l’enfant. D’ailleurs, la complexité de la construction identi-aire de l’enfant adopté, oscillant entre passé et présent, se heurte

la définition même de l’adoption plénière, qui acte la ruptureomplète et définitive des liens de filiation de l’enfant avec saamille d’origine : l’adoption plénière confère à l’enfant uneliation de droit qui se substitue à sa famille d’origine. Il cesse’appartenir à sa famille biologique (art. 357). Cette rupture,

l’époque des adoptions tardives, de l’internet et des réseauxociaux n’a de dimension que juridique (néanmoins essentielle).

L’époque où les enfants apprenaient leur adoption par hasardt tardivement est totalement révolue ; il est maintenant excep-ionnel que l’histoire d’avant ne soit pas abordée, ni questionnée,i racontée. Toutefois, l’histoire connue est souvent fragmen-aire, voire presque inexistante ; la tentation peut alors être forte’en savoir plus. Or, si 50 % des enfants ont exprimé le sou-ait de faire une démarche ou un voyage pour retrouver leursrigines, seulement 15 % d’entre eux ont concrétisé ce souhait.l est probable que le désir de savoir soit teinté de beaucoup’ambivalence.

Que révèlent les autres études et publications récentes ayanttudié le devenir des adoptés et la recherche de leurs origines ?

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L’étude présentée par EFA [11] en 2015 sur les adoptés âgés de15 à 30 ans fait état d’une répartition en 3 tiers à peu près équi-valents des enfants quant à la démarche de recherche de leursorigines : 30 % n’envisagent pas de faire de recherche, 29 %l’envisagent, 32 % ont mené des recherches. Parmi ces der-niers, la moitié a effectué un voyage vers leur pays d’origine,mais seulement 12 % ont rencontré un ou plusieurs membresde leur famille biologique [12].

L’étude menée par le CNAOP a analysé les rencontres del’enfant adopté né sous X avec un parent biologique : 61 %des femmes adoptées contre 39 % des hommes ont effectuéau moins une démarche. Quarante pour cent des personnesayant retrouvé leur parent de naissance continuent à le ren-contrer, mais 17 % n’ont pas donné suite. La suite donnée auxretrouvailles est très variable, quelle que soit la forme qu’ellepeut prendre [13].

L’étude BAAF s’est intéressée au contexte familial et a ana-lysé la « triade adoptive » de l’adoption en Grande Bretagnedont la caractéristique est d’être très majoritairement uneadoption domestique. Ceci explique que dans cette étude, lesentiment d’appartenance à la famille adoptive est soulignépar 71 % des adoptés de même ethnie que les parents adop-tifs, et 55 % des adoptés d’ethnie différente. Plus de 80 % desparents adoptifs sont heureux que leur enfant ait rencontréun membre de leur famille biologique. Vingt-deux pour centdes parents adoptifs trouvent que leur relation s’est amélioréeaprès ces retrouvailles, car elles apportent des réponses auxquestions essentielles : « qui je suis », « d’où je viens ». Maispour 13 %, elle s’est détériorée ou a provoqué des périodesdifficiles. Toutefois, d’une manière générale, plus l’adoptionest évoquée ouvertement, plus les liens entre l’enfant adoptéet ses parents adoptifs sont forts, renforcant leur senti-ment d’appartenance, leur estime de soi et leur bien-être[14].

L’étude du CREAI de Picardie menée par Halifax et Labasque(rapport final avril 2013) commandée par la DGCS au minis-tère des Solidarités et de la Cohésion Sociale souligne que4 parents sur 5 pensent que leur enfant considère sa familleadoptive comme sa seule famille. Toutefois, cette proportionévolue inversement à l’âge de l’enfant lors de son adoption.Mais la construction identitaire de chaque enfant est unique,qu’elle se fasse par rapport à sa seule famille adoptive ou enenglobant sa famille biologique [15].

L’étude FINADO a étudié la prévalence et les facteurs asso-ciés à la violence scolaire et la victimisation parmi lesFinlandais d’adoption internationale, sur les enfants de 9 à15 ans adoptés en Finlande entre 1985 et 2007 : l’échantillonde l’étude comprenait 364 enfants (190 filles, 52,2 %). Lesauteurs rapportent comment les facteurs liés à l’origine et lessymptômes du trouble réactionnel de l’attachement (RAD)de ces enfants sont liés. Ils ont également évalué leurs diffi-cultés d’apprentissage et d’habiletés sociales et langagières[16].

Les trois enquêtes menées par l’OAA Médecins du Mondent l’avantage de quantifier des idées connues et d’ores etéjà publiées. Cependant, la convergence des résultats sur

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e et de l’adolescence 65 (2017) 415–428 425

2 ans d’adoption internationale, dont nous avons annoncé laiversité (âge des enfants à leur arrivée, à l’enquête, contexteu pays d’origine. . .), met en évidence des constantes au fil duemps.

Selon les parents, environ 3 enfants sur 4 ont pris consciencee leur statut d’enfant adopté dès leur arrivée, toutes enquêtesonfondues. L’âge moyen de cette prise de conscience est de 4 à,5 ans.

Cette prise de conscience rapide, lorsque l’enfant esteune, est la conséquence du dialogue de l’enfant avec sesarents, de mieux en mieux préparés et informés. Selon Dené-hère [17], avoir un regard historique est un bon moyen deieux comprendre les enjeux d’aujourd’hui et les évolutions

sychosociales construites au fil du temps par les parentsdoptifs : aujourd’hui, ils évoquent l’adoption de leur enfantt son contexte dès son arrivée, contrairement aux habitudesassées.

Les différentes époques de l’adoption internationale sontalonnées de ces évolutions sociologiques, où les rôles des diffé-ents acteurs de l’adoption internationales convergent pour unerotection de l’enfant et de son histoire. Elles se développent auroisement des relations internationales et de l’histoire socialees pays, tant pays d’accueil que pays d’origine. Signe de leuronne intégration, environ 70 à 80 % es enfants adoptés à’international vivent bien leur statut d’adopté.

Soixante-quatre pour cent des enfants se sentent relever tante la nationalité de leur pays d’origine que de la nationalitérancaise.

Ceci rejoint le concept de métissage développé par Mazeaud18] ainsi que l’approche ethno-psychiatrique de Moro [19] quiouligne l’importance des particularités ethnoculturelles danse développement de l’identité, au croisement des processus’affiliation et de filiation. C’est un processus à la fois dyna-ique et créateur, à condition d’être accompagné par la famille

t l’entourage de l’enfant adopté, afin d’éviter les risques psy-hopathologiques encourus par les enfants abandonnés : tantôtvides d’affection dans une recherche perpétuelle d’amour surn mode régressif, anxieux, dépressif, revendicatif, toujoursnsatisfait, tantôt sur un mode agressif d’opposition, d’instabilitétrouble déficit de l’attention avec hyperactivité), de provoca-ions, de conduites délinquantes poussant à bout leurs parentsdoptifs, testant leurs limites (« est-ce que vous m’aimez quandême » ?). Ces comportements masochistes peuvent être des-

ructeurs [20]. Ils risquent de provoquer une rupture avec laamille, un nouvel abandon, même par les parents les mieuxttentionnés.

Le rôle de la famille adoptive est essentiel dans la quête iden-itaire de leur enfant. Le souci des familles de maintenir un lienvec l’identité première de leur enfant se manifeste de plus enlus souvent, notamment au niveau du 2e prénom de l’enfant,lutôt qu’en 1re position comme il y a 20 ans.

Dans 70 à presque 80 % des cas, c’est au cours d’un échangeutuel entre parents et enfants que « l’histoire d’avant » est

bordée en famille. L’enfant est de plus en plus moteur danses échanges. Les thèmes les plus fréquemment abordés sontes parents biologiques de l’enfant, puis le pays d’origine et saulture.

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Selon Le Run et al., ils l’aident à surmonter la blessure de’abandon en intégrant à sa trajectoire de vie son passé [21],n minimisant ses potentiels conflits intérieurs. Ils peuvent êtreorteurs de différents repères symboliques – tels qu’une date,n lieu, une adresse qui permettent de commencer à élaborerne histoire [22]. Les témoignages d’adoptés d’âge adulte rap-ortent ces conflits de loyauté dans lesquels ils peuvent être prisntre leur famille adoptive et leur famille biologique. C’est leomplexe de Moïse sauvé des eaux décrit par Drody, pris entreeux filiations [23].

Le rôle déterminant des parents adoptifs dans ces échanges amené Harf et al. [24] à les classer en trois groupes différentselon qu’ils n’ont gardé aucun lien avec le pays de naissance deeur enfant (tirant un trait sur le passé et refusant la multiplicitée ses appartenances culturelles), ou bien qu’ils gardent de faconctive et régulière des liens avec ce pays, ou bien encore qu’ilsdaptent les liens avec le pays de naissance aux questionnementse leur enfant.

Quelle que soit la période étudiée, près de 50 % des enfantsnt une vision idéalisée ou positive de leur pays, ceci étantodulé par son âge à l’arrivée, et par son âge au moment de

’enquête.Le souhait des enfants d’entamer une démarche s’exprime

ôt, souvent avant l’âge de 10 ans. L’âge moyen, pour cetteémarche, de 8 ans 3/4.

Pour Halifax [15], cependant, « l’envie de retrouver sesacines a lieu majoritairement à certaines périodes de la vie,otamment lors de l’adolescence et au moment de l’entréen parentalité ». Elle remarque aussi que, plus les annéesassent, plus diminue le désir de connaître ses parentsiologiques.

Cette démarche n’est pas une généralité : la moitié des enfantsouhaitent rechercher leurs origines, et 20 à 30 % concrétisenteur démarche par un voyage, selon les enquêtes. Seulement 3,ur la période 2006–2012, ont rencontré leur famille biologique.l s’agit donc le plus souvent d’un retour vers les terres d’origine,ne culture, des habitants.

Delannoy [25] fait la remarque suivante : « si je rassembleous les témoignages recueillis auprès des jeunes adoptés, ilpparaît que 30 % environ d’entre eux affirment ne se poserucune des questions que les autres se posent, soit de manièreermanente, soit ponctuellement ».

Pour la majorité de ces enfants, le voyage est structurant etermet de faire le lien avec le passé, en apportant des réponses.outefois, cette démarche n’est pas dénuée de risques et doit êtreccompagnée, dans toutes ses phases.

La recherche des origines reste une démarche potentiellementraumatique. En effet, aux questionnements légitimes et expri-

és par l’enfant peuvent s’ajouter, à la veille d’entreprendrees recherches, des réponses à des angoisses de type archaïqueomme celles décrites par Mazeaud : des angoisses de mort, desensations de vide, une vie passée sans visages.

Comment accompagner l’enfant ? Par qui ?

Pour l’adoption nationale, il existe un organisme intermé-

iaire entre les adoptés et leur famille d’origine : le CNAOPConseil national d’accès aux origines personnelles) créé par laoi du 22 janvier 2002.

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Pour l’adoption internationale, il n’existe pas de structurepécifique en France. Ce sont les OAA qui détiennent les dossiers’adoption (archives légales et ASE pour partie seulement).

Les OAA et les associations jouent le rôle d’intermédiaires :

accueil des adoptés et des adoptants (jusqu’à 18 ans) ; puis, majeurs, les adoptés peuvent venir consulter leur dossier

sans leurs parents adoptifs.

Tendron et Vallée [26] qualifient d’indispensable’accompagnement de l’enfant et de sa famille adoptiveans cette démarche, afin d’aider chacun à comprendre ce quist nécessaire à l’enfant pour se situer dans son histoire.

Toutefois, a-t-il besoin de tous les éléments connus de sonistoire avant sa naissance, des éléments qui ont jalonné sa vievant la rencontre avec les parents adoptifs ?

Les professionnels aideront à trouver un équilibre entre dire à’enfant les éléments qui lui sont nécessaires pour construire sonistoire et ne pas lui dire ce qui peut le blesser ou qui appartient àa vie privée de ses parents. L’accompagnement de sa démarcheoit aussi tenir compte de la maturité de l’enfant, respecter lesiens affectifs qu’il a créés, préserver l’image qu’il a de lui et deon entourage.

Cascales et Lacroix [27] témoignent également du nécessaireccompagnement de la famille entière, traversée par des mou-ements psychiques conscients et inconscients : l’enfant adoptét ses parents ont des besoins particuliers qui doivent être prisn compte par des professionnels avertis et formés à la spécifi-ité du parcours de filiation atypique que représente l’adoptionnternationale.

L’association « La Voix des Adoptés » utilise des supports trèsariés pour accueillir les adoptés dont les modes d’expressionur leurs origines peuvent être très différents, relativement aisésu douloureux : groupes de paroles, rencontres festives, ateliersudiques, tables rondes. . .

Cette association accompagne les adoptés dans leur démarcheers leurs origines, et les aide à gérer l’après, lorsque des retrou-ailles ont pu avoir lieu, ou non.

Elle les met en garde sur les risques inhérents à leurémarche : la possibilité de ne jamais trouver leurs originesu de trouver d’autres secrets insoupconnés, d’autres vérités,uand il y a décalage entre la réalité et ce que l’adopté avaitmaginé, le refus de la famille biologique à revenir sur le passé,ne mère biologique pas prête à cette rencontre, une fratrie quieut tenter d’entrer de facon intrusive dans la vie de l’adopté,e danger des réseaux sociaux, les risques de tromperies,’arnaques, etc.

Giraud [28] et la Voix des Adoptés se sont exprimés danse cadre du Colloque EFA « Le devenir des Adoptés » de juin015 [12], ainsi qu’au siège de Médecins du Monde en juin016.

L’association L’Arbre Vert est un lieu d’accueil pour parents

t enfants où sont abordées et accompagnées les problématiquesuvrant souterrainement dans les difficultés rencontrées : lauestion des origines, l’abandon, le roman familial [29].
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. Conclusion

L’adoption internationale diminue depuis 10 ans :136 enfants adoptés en France en 2006, un peu plus de00 en 2016. Pour l’OAA MdM, 315 enfants adoptés en 2005,4 en 2015. Et pourtant MdM est resté l’OAA de droit privé deéférence jusqu’à présent. Les facteurs de risque se multiplientt avec eux les risques d’échecs : du côté des parents (longuettente, âge avancé, évolution vers l’adoption d’un enfant qu’ils’avaient pas imaginé) et des enfants (enfants grands, fratries,alades et/ou handicapés).Dans ce contexte, où tous les enfants ne sont pas adoptables,

u ne désirent pas être adoptés, où tous les couples ne sont pasn capacité d’adopter, les travaux de recherche et les étudestatistiques prennent tout leur sens. MdM s’est situé dans cetteouvance.Ces travaux conduisent à faire évoluer nos pratiques vers une

élection attentive et responsable des candidats à l’adoption etes enfants, à professionnaliser les OAA, à travailler en partena-iat avec les COCA et les différents organismes professionnelse l’enfance, ainsi qu’avec les associations d’adoptés. Il conviente développer la réflexion éthique, toujours dans le respect de’intérêt supérieur de l’enfant, en attendant les réformes admi-istratives nécessaires pour un système dont on constate de plusn plus les limites.

Parfois besoin viscéral et nécessité absolue de savoir, parfoisécessité absolue de ne pas savoir, dans ce domaine commeans beaucoup d’autres, le respect de la demande de l’enfantu de l’adopté devenu adulte est essentiel pour sa constructiondentitaire.

L’ensemble des résultats présentés, dont l’évolution du res-enti des enfants vers une identité plurielle, intégrant leur passé,émoignent d’une évolution certaine du contexte général de’adoption en France. Les échanges au sein de la famille sontlus ouverts, et arrivent plus souvent maintenant à l’initiativees enfants (pour un enfant sur 4). De ce fait, beaucoup d’enfantsdoptés ont su, avec leurs familles, passer les caps difficiles, sansême avoir recours à des services spécialisés. Rappelons que

es questions existentielles « qui suis-je, d’où je viens. . . ? »voquées par certains enfants, jeunes adolescents ou adultese l’est pas forcement par tous, ou bien l’est avec une inten-ité moindre. La résilience des enfants adoptés mérite en soi unpprofondissement et continue à questionner.

Plus de la moitié des enfants, dès leur 9e année, se posentes questions sur leurs origines, mais pour la majorité d’entreux, cela n’envahit pas leur vie psychique. Lorsqu’ils réalisentn voyage vers leur pays d’origine, il s’agit plus souvent d’unetour vers le pays et sa culture que du désir de retrouver leursarents. Très peu réalisent ce voyage, dont les conséquences sontlutôt positives.

Les trois enquêtes menées par l’OAA Médecins du Mondeous permettent de photographier les grandes époques de’adoption internationale. D’autres travaux spécifiques, notam-

ent sur l’adolescence, l’attachement à l’adolescence desnfants adoptés à l’international (en partenariat avec la Facultée Médecine de Nancy), les échecs de l’adoption, font partie desravaux en cours à partir des données recueillies. [

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éclaration de liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

éférences

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