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LONG-THIBAUD
SOUVENIR DE MARGUERITE LONG Interprète raffinée de Fauré, Debussy et Ravel, fondatrice du concours qui porte son nom, entourée de disciples, mais également controversée ... , Marguerite Long a marqué de sa forte personnalité l'âge d'or du piano français.
A l'occasion du concert« En hommage à Marguerite Long » du 4 juin 19 56 organisé par le gouvernement français au Grand Amphithéâtre de la Sorbonne, Darius Milhaud écrivit ces quelques lignes, qui parurent sur la première page du programme : « Marguerite Long est non seulement l'interprète admirable que nous fêtons aujourd'hui, mais aussi l'artiste qui s'est dévouée à la cause française, qui a servi les œuvres de Debussy, Ravel et Fauré avec ferveur, et enfin un professeur au rayonnement prodigieux qui, pendant un demi-siècle, a inculqué à ses innombrables élèves l'amour de la musique. Dans cet amour, elle a toujours inclus les compositeurs contemporains et c'est pour cela qu'aujourd'hui, c'est avec un profond sentiment de déférente reconnaissance que, en prenant les lettres de son nom, nous avons tressé, Auric, Dutilleux, Françaix, Lesur, Poulenc, Rivier, Sauguet et moi-même, cette guirlande d'hommage avec tout notre cœur.» Cet événement musical célébrait le cinquantième anniversaire de sa nomination au poste de professeur au Conservatoire de Paris (1906). A une autre échelle, ce concert rendait un hommage national et solennel à l'une des plus prodigieuses
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personnalités de notre époque. Avec le concours deL 'Orchestre National et 1 'illustre chef d 'orchestre Charles Münch, la «guirlande d'hommage», intitulée Variations symphoniques sur le nom de MargueriteLong,futdonnéeenpremière audition. Au programme figurait également la Ballade pour piano et orchestre de Fauré : dans sa 83ème année, elle joua l'œuvre une nouvelle fois (et non la dernière !) devant une salle comble. Ministres, ambassadeurs, compositeurs, musiciens, vieux et jeunes élèves, admirateurs, amis et ennemis, tous s'étaient réunis pour applaudir de tout cœur une carrière qui toucha profondément plusieurs générations de musiciens et qui, bien qu'ayant largement dépassé les trois quarts de siècle, continuait de rayonner grâce à un dynamisme intact. « Vous savez, disait-elle, la vieillesse emporte ... mais elle APPOR1E ! Je peux faire cette année des choses que je n'aurais jamais pu faire il y a vingt ans». NéeàNîmesennovembre 1874,MargueriteLong se dirigea vers Paris dès l'âge de treize ans, lorsqu'elle entra au Conservatoire. Bien qu'elle ait vécu à Paris pendant les quatre-vingts années qui suivirent, elle resta profondément méridio-
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nale : « Le soleil de Nîmes, couvert ou radieux selon le déroulement des années a toujours, malgré tout, rayonné sur ma vie. Au terme d'une existence aussi remplie que la mienne, les souvenirs d'enfance reviennent impérieux, etc' est avec une grande émotion que j'évoque ceux qui se rattachent à ma chère et noble cité, au parfum des grands pins de sa Tour Magne, au bruit obsédant des cigales, ainsi qu'à mes études musicales et autres dont la récompense était pour moi « le drame sonore des corridas ». La carrière de Marguerite Long fut guidée, enrichie et inspirée dès ses débuts par son inlassable désir de découvrir la musique française contemporaine, et de collaborer avec les compositeurs. Il se trouve que les circonstances de la vie, notamment son mariage avec l'éminent musicologue Joseph de Marliave, ont favorisé et renforcé ses contacts et amitiés avec les compositeurs de son époque. Parmi eux, les « trois grands », Fauré, Debussy et Ravel, occupèrent une place primordiale dans le développement musical, artistique et humain de sa carrière. « Chacun des trois représente pour moi une époque. Le premier, ma jeunesse, ma vie heureuse ; le second, la douleur et le retour sauveur à la musique ; et le troisième, par le célèbre concerto qu'il a écrit pour moi, l'apogée d'une carrière vouée en partie à la musique française». Le premier, il s'agit de Gabriel Fauré. Bien que ce soit grâce aux encouragements de son maître Antonin Marmontel que Marguerite fit la connaissance de Fauré en 1903, lorsqu'elle se rendit chez lui pour lui jouer sa 3ème Valse-Caprice, c'est par la profonde amitié qui unissait Fauré et Marliave, futur époux de la pianiste, que Marguerite devint l'interprète incomparable du compositeur de La Bonne Chanson. Faisant allusion aux nombreux articles que Marliave consacra à sa musique, Fauré écrivit : « Puis-je cacher combien il est doux à un artiste de se voir compris et surtout aimé ? ». C'est ainsi qu'en 1906 Fauré fut témoin au mariage de Marguerite et du Marquis de Marliave, et devint l'un des amis les plus chers du jeune couple.
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Le second n'est autre que Claude Debussy avec qui elle collabora quelques semaines seulement avant la mort de Joseph de Marliave à la bataille de Spincourt, le 24 août 1914. Il fallut trois ans et le soutien chaleureux de ses amis, y compris Debussy, pour que Marguerite retrouvât la force de surmonter la douleur qui l'avait éloignée du piano et de la scène. L • été 1917, elle reprit le travail commencé avec Debussy en juillet 1914, et renoua une amitié qui ne fera que grandir avec Emma Bardac,la femme de Debussy. Cetété-làfut «le retour sauveur à la musique». «On n'a plus écouté ni joué du piano après Debussy de la même manière qu'avant lui », écrit-elle plus tard. La correspondance entre Emma Bardac et Marguerite est révélatrice des sentiments personnels du Maître et de son opinion sur le jeu de la pianiste: « ... Je me souviens de la façon unique dont vous avez su interpréter la pensée de celui qui appréciait tant votre art ... ». Nombreuses aussi sont les critiques de l'époque qui louent l'affinité que Marguerite avait pour la musique de Debussy. Gustave Samazeuilh, par exemple, écrit à l'occasion de la création posthume à la salle Gaveau (Orchestre Lamoureux sous la direction d'André Messager) de la Fantaisie pour piano et orchestre, le 7 décembre 1919: « Et ceux qui se souviennent comment, dans les dernières années de sa vie, Claude Debussy appréciait la façon dont elle savait traduire la fantaisie ailée de sa musique, ne doutent pas que le choix de Marguerite Long comme interprète de la Fantaisie n'eût pleinement répondu à ses vœux.» Et enfin le troisième, Maurice Ravel avec qui elle partagea la gloire du Concerto en Sol, à Paris,le 14 janvier 1932, et à travers l'Europe, dans le courant de l'année qui suivit, « représente l'apogée d'une carrière ». Remarquons que Ravel aussi était un ami de longue date de Joseph de Marliave et que plus de vingt ans auparavant, le compositeur avait chargé Marguerite de choisir deux de ses plus jeunes élèves pour la création de Ma Mère l'Oye à l'occasion du concert inaugural de la Société Musicale Indépendante le 20
« MA JOIE DE VIVRE, C'EST LE TRAVAIL,
PARCE QUE LUI NE TRAHIT PAS »
avril 1910. Et c'est à cette même S.M.I. que le Tombeau de Couperin fut joué pour la première fois, le 11 avril 1919 : Marguerite en était la créatrice selon les vœux du compositeur. Les années trente n • étaient pas simplement l'apogée d'une carrière mais plutôt un tournant dans une vie qui continuait sur sa courbe ascendante. Ayant enseigné au Conservatoire pendant trente-quatre ans et lancé plusieurs générations de disciples, y compris Lucette Descaves, Jacques Février, Jean Doyen et Samson François, Marguerite Long y donna sa démission en 1940. Agée de soixantecinq ans et ayant près de trente ans devant elle, sa carrière était prête pour son « deuxième souffle». Son énergie se concentra de plus en plus sur ses élèves et surtout sur les moyens d'aider leurs carrières naissantes. En pleine guerre, alors que la vie et les contacts artistiques étaient limités, Marguerite fit appel à son ami Jacques Thibaud pour créer en 1943 le concours qui porte leurs noms de façon à encourager les jeunes artistes à ne point perdre espoir en leur procurant un moyen d'exprimer leurs forces artistiques et spirituelles. Le concours national en 1943 devint international en 1946 dès que l'ouverture des frontières facilita de nouveau les voyages. Inspirée par le talent venu de toute l'Europe, Marguerite entreprit à cette époque les grands cours publics de la rue Molitor. Bien que les Parisiens aient assisté à des cours d'interprétation donnés par la grande artiste auparavant, les cours de la rue Molitor des années quarante et c~nquante prirent une autre envergure. Ils devinrent le rendez-vous des jeunes pianistes, lauréats des concours précédents, préparant des engagements à venir. Ces
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années-là furent en quelque sorte les années d'or de la carrière pédagogique de Marguerite Long. A travers ces jeunes virtuoses, particulièrement les Russes, (elle avait une admiration sans bornes pour Guilels et Richter), elle découvrit de nouvelles possibilités techniques et musicales, de nouvelles approches de l'instrument. Si son enseignement avait souffert auparavant d'une certaine rigidité, de ce que certains appellent la technique française purement digitale, elle continuait désormais, grâce à sa grande intelligence, à s'enrichir et à élargir ses horizons. Elle était néanmoins d'une discipline et d'une exigence rigoureuses.« On ne fait pas carrière avec des applaudissements ni des critiques »,disait-elle. « Si ma carrière a été ce qu'elle a été, c'est parce que je n'ai jamais désarmé, j'ai toujours travaillé. Ma joie de vivre c'est le travail, parce que lui ne trahit pas. » Jusqu'au dernier jour elle se donna au maximum. « C'était à la fin de sa vie qu'elle semblait livrer tout ce qu'elle savait », dit l'un de ses derniers élèves. Comme toute forte personnalité, Marguerite Long fut respectée, admirée, aimée et détestée. Certains de ses collègues étaient jaloux de ses succès mondains ... car mondaine elle savait l'être. De sa table de bridge, son téléphone perché en équilibre sur une pile de courrier, elle menait son monde, faisait la pluie et le beau temps, tout naturellement. Mais dans le fond elle était honnête avec ellemême et capable d'une chaleur et d'une grande générosité de cœur bien méridionale, envers ceux qu'elle estimait. Ne perdant jamais son sens de l'humour, elle disait: «Pourquoi ne serais-je pas simple ? Ce doit être si fatigant de se prendre au sérieux ! »
Cécilia Dunoyer de Segonzac
Pianiste concertiste française installée aux Etats-Unis, Cécilia Dunoyer de Segonzac a travaillé pendant 5 ans avec le pianiste hongroisGyorgy Sandor. Elle se partage entre les concerts et l'enseignement (elle est professeur à Pennsylvania State University) et termine actuellement une biographie de Marguerite Long.
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