approches argumentative et conversationnelle - … · et ducrot 1977) que l'on peut résumer...

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- 7 - LA CONCESSION OU LA REFUTATION INTERDITE APPROCHES ARGUMENTATIVE ET CONVERSATIONNELLE Jacques Moeschler et Nina de Spengler Université de Genève 0. INTRODUCTION 0.1. Cette étude se situe dans le cadre de l'analyse conversation- n e l l e e s q u i s s é e i n CAHIERS DE LINGUISTIQUE FRANÇAISE 1 (1980) e t ETUDES DE LINGUISTIQUE APPLIQUEE 44 (1981). Nous ferons l'hypothèse que la concession constitue une réaction verbale ou réponse à un discours d'un autre locuteur. Cette réponse est d'autant plus intéressante qu'elle est à mi-chemin entre l'approbation et la désapprobation ou réfutation (cf. Moeschler 1980 et de Spengler 1980). Nous étudierons comment la concession intègre ces deux composantes dans un mouvement arguroentatif et interactionnel complexe. Corollairement, sa position médiane entre l'approbation et la désapprobation explique que certains énoncés concessifs puissent rece- voir une interprétation réfutative, mais atténuée. Ainsi, en (1) (1) A : Paul a beaucoup travaillé B : Il a pourtant échoué à ses examens. le doute plane : B réfute-t-il l'énoncé de A ou l'approuve-t-il en interrogeant toutefois des faits contradictoires (les faits de beaucoup travailler et d'échouer) ? 0.2. Notre travail s'organisera de la façon suivante. Dans un premier temps, nous tenterons d'extraire les propriétés définitoires de la concession. En second lieu, nous distinguerons deux types de concession (argumentative et logique). Le paragraphe 3 sera consacré à l'étude de quelques marqueurs (connecteurs) concessifs : mais, quand même, pourtant et bien que. Enfin, nous essaierons d'intégrer l'ap- proche argumentative développée préalablement dans le cadre d'une description fonctionnelle de la conversation.

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- 7 -

LA CONCESSION OU LA REFUTATION INTERDITE

APPROCHES ARGUMENTATIVE ET CONVERSATIONNELLE

Jacques Moeschler e t Nina de Spengler

Univers i té de Genève

0 . INTRODUCTION

0 . 1 . Cet te étude se s i t u e dans le cadre de l ' a n a l y s e conversa t ion­

ne l l e esquissée in CAHIERS DE LINGUISTIQUE FRANÇAISE 1 (1980) e t ETUDES

DE LINGUISTIQUE APPLIQUEE 44 (1981). Nous ferons l 'hypothèse que l a

concession cons t i tue une réac t ion verbale ou réponse à un d i scours d'un

au t re locuteur . Cette réponse e s t d ' au t an t p lus i n t é r e s s a n t e q u ' e l l e

e s t à mi-chemin en t re l ' approbat ion e t la désapprobation ou r é fu t a t ion

(cf. Moeschler 1980 e t de Spengler 1980). Nous é tudierons comment la

concession in t èg re ces deux composantes dans un mouvement arguroentatif

e t i n t e r ac t i onne l complexe.

Corol lairement , sa pos i t ion médiane en t r e l ' approba t ion e t la

désapprobation explique que ce r t a in s énoncés concessi fs pu issen t rece ­

voir une i n t e r p r é t a t i o n r é f u t a t i v e , mais a t t énuée . Ains i , en (1)

(1) A : Paul a beaucoup travaillé

B : Il a pourtant échoué à ses examens.

l e doute plane : B r é f u t e - t - i l l 'énoncé de A ou l ' a p p r o u v e - t - i l en

in te r rogean t tou te fo i s des f a i t s c o n t r a d i c t o i r e s ( les f a i t s de beaucoup

t r a v a i l l e r e t d 'échouer) ?

0 .2 . Notre t r a v a i l s ' o rgan i se ra de l a façon su ivan te . Dans un

premier temps, nous tenterons d ' e x t r a i r e l e s p r o p r i é t é s d é f i n i t o i r e s

de la concession. En second l i e u , nous d is t inguerons deux types de

concession (argumentative e t logique) . Le paragraphe 3 sera consacré

à l ' é t u d e de quelques marqueurs (connecteurs) concess i fs : mais, quand

même, pourtant e t bien que. Enfin, nous essa ierons d ' i n t é g r e r l ' a p ­

proche argumentative développée préalablement dans le cadre d 'une

desc r ip t ion fonct ionnel le de la conversat ion.

1 LA NOTION DE CONCESSION

Si la notion de concession est une des notions les plus mal

définies en linguistique, cela semble tenir d'une part à la grande

diversité des formes retenues comme concessives, et d'autre part à

la pluralité des approches restreignant chacune l'application de la

notion de concession à un certain type d'énoncés. Plutôt que de res­

treindre a priori la classe des énoncés dits concessifs et de définir

la concession conformément à une théorie préétablie tce qui signifierait

qu'un énoncé serait reconnu comme concessif s'il est en conformité avec

cette définition initiale de la concession), nous nous proposons d'in­

ventorier les différentes approches de cette notion pour tenter d'en

tirer les traits définitoires (de nature nécessairement hétérogène)

qui nous sembleront Les plus pertinents -

En fait, nous pouvons distinguer trois approches qui nous

semblent résumer les recherches sur la concession :

(i) une approche morphologique (cf. les grammaires tradition­

nelles, et notamment Grevisse 1969, de même que Fradin 1977

pour une approche syntaxique);

(ii) une approche Lexicale (cf. Berrendonner 1981) ;

(iii) une approche énonciative (cf. Ducrot 1980).

(i) L'approche morphologique vise à définir certaines classes d'énoncés

caractérisées par la présence de marqueurs considérés a priori comme

concessifs. Ceux-ci se recensent parmi plusieurs catégories syntaxi­

ques : conjonction de subordination [bien que, quoique, quelque... que,

où... que, quand bien même, même si, etc.), conjonction de coordina­

tion {mais) et enfin adverbe dit de phrase : cependant, néanmoins,

pourtant, quand même, tout de même, malgré tout, malgré cela, etc.

Ainsi, Les énoncés suivants sont généralement reconnus comme concessifs :

(2) . Bien que

Quoique

Quand bien même

Même si

la rivière

soit

était

est

en crue, le pont

ne s 'est pas

effondré.

(3) Quelque livre que vous lisiez, vous ne aérez, jamais un

grand érudit.

(4) Où que tu ailles, tu me trouveras toujours sur

ton chemin.

(5) Fabienne est une fine gastronome3 mais répugne à

faire la cuisine.

(6) Albert n'a pas travaillé. Pourtant

Cependant

Malgré cela

Néanmoins

Mais il a f quand même

tout de même

il a réussi

brillamment

ses examens.

1) 1 ! réussi tnut de même i

brillamment ses examens

Ce qui limite l'intérêt de cette approche pour définir la notion de

concession, ce n'est pas tant l'hétérogénéité des structures que l'ab­

sence de critères syntaxiques permettant de décider si telle ou telle

structure appartient ou n'appartient pas à la classe des énoncés conces­

sifs et a fortiori de définir extensionnelleraent l'ensemble des mar­

queurs concessifs. Si la classe des énoncés concessifs n'est pas délimi-

table à partir de critères syntaxiques, nous sonines réduits à recourir

à des critères sémantico-pragmatiques qui relèvent nécessairement et

de l'intuition et d'un cadre d'analyse. Notre projet est de tenter

non pas de limiter a priori la classe des énoncés concessifs, mais

plutôt de trouver en quoi certains énoncés illustrent l'idée intuitive

de concession. En d'autres termes, notre approche aura la prétention

de donner une caractérisation intensionnelle — et non pas extension-

nelle — de la concession. En conséquence, nous partons de l'idée qu'il

serait souhaitable que le cadre d'analyse puisse intégrer des énoncés

non nécessairement marqués ou reconnus comme concessifs.

(ii) L'approche lexicale consiste à définir la notion de concession à

partir des propriétés sémantico-pragmatiques du verbe performatif

concéder. Selon Berrendonner (1981), le verbe concéder peut être

défini en fonction de ce qu'il pose et de ce qu'il présuppose : dire

1) Les contraintes liées à l'apparition de mais dans un énoncé qui contient quand même seront examinées au paragraphe 3. Cf. égale­ment Moeschler et de Spengler (1981).

- lO -

je concède que p pose d'une part la L-vérité de p et présuppose 2)

d'autre part la ON-vérité de p . L'intérêt de cette approche de la

Concession réside en ce qu'elle signale l'ancrage du processus conces-

sif dans la perspective de l'interlocution. Concéder, cela revient

donc non seulement à se prononcer sur La vérité de p, mais à situer

la vérifonctionnalité de ce contenu du point de vue d'un autre locu­

teur (le ON pouvant renvoyer tant à l'interlocuteur qu'à d'autres locu­

teurs virtuels, c'est-à-dire à l'opinion publique). Cette approche

nous semble cependant présenter un certain nombre d'insuffisances.

En premier lieu, il paraît abusif de réduire le contenu d'un concept

de la métalangue (la notion de concession) au sens de la locution je

concède (pour ces rapports métalangue-langue, cf. Ducrot 1981). En

second Lieu, et corollairement, la notion de concession exhibe des

propriétés qui ne sont pas réductibles au sens du verbe concéder'.

Plus précisément, si l'on examine les exemples (2) à (6), il apparaît

que ce qu'il est convenu d'appeler énoncé concessif pose fondamentale­

ment, en plus de la référence au discours d'autrui, une relation entre

deux actes illocutoires (relation qui reste à définir). L'analyse du

verbe concède* n'exhibe donc qu'une seule des composantes (interaction-

nelle) de la concession. La deuxième composante peut être appréhendée

en termes argumentatifs.

(iii) L'approche énonciative définit la concession comme un mouvement

argumentatif complexe visant à présenter un argument (qu'il soit assumé

par le locuteur ou attribuable à un interlocuteur) pour une certaine

conclusion, et conjointement à présenter un autre argument plus fort

pour une conclusion inverse. Cette analyse correspond à la description

du connecteur argumentatif mais (cf. Bruxelles et al. 1980, Anscombre

et Ducrot 1977) que l'on peut résumer comme suit : en disant p, tu

serais en droit de tirer la conclusion r-, mais il ne faut pas, car 11

existe un argument q, plus fort que p, qui mène à non-r. Ainsi, on

peut analyser (5) comme suit : de la proposition Fabienne est une fine

2) Cette définition s'inscrit dans le cadre d'une typologie des sous-types illocutoires d'assertion. La spécification d'un tel contenu présupposé permet de différencier la concession de l'affirmation (qui ne présuppose aucun contenu particulier) et du prétendre qui présuppose au contraire la ON-fausseté de p. Cf. la différence entre j'affirme que p, je prétends que p et je concède que p.

- 11 -

gastronome on peut tirer la conclusion, par exemple elle doit faire

de bons petits plats, conclusion infirmée par mais elle répugne à

faire la cuisine.

Cette approche révèle deux propriétés de la concession :

1 l'idée d'opposition entre deux conclusions (î* et non-r) et 2 l'idée

d'une relation hiérarchique entre les contenus valant comme arguments

pour ces conclusions. Cependant, nous ne prétendons pas que tous les

énoncés concessifs (au sens de (i)) puissent être analysés en ces termes

(cf. la difficulté de transformer les énoncés (2), (3), (4) et (6)

à l'aide de la structure p mais q) . Nous voudrions simplement

mentionner que l'idée de concession inclut une composante argumentative

en ce que concéder revient à défendre une certaine thèse (au sens de

conclusion) par opposition à d'autres thèses.

Il apparaît ainsi qu'une description de la concession doit

nécessairement inclure les composantes suivantes :

a) une composante interactionnelle;

b) une composante argumentative; de même qu'

c) une composante sémantique (spécifiant la nature du lien

inférentiel entre p et r) et

d) une composante fonctionnelle, spécifiant le type de rapport

hiérarchique entre les constituants du mouvement concessif.

Nous nous proposons donc de définir plus précisément la notion de

concession à partir de ces quatre paramètres, et de donner une descrip­

tion des marques les plus significatives de la concession.

2. LA CONCESSION COMME RELATION ARGUMENTATIVE ET

SEMANTIQUE

2.1. Nous nous proposons, dans un premier temps, de donner une

définition argumentative et sémantique de la concession — laissant

pour le paragraphe 4 le point de vue fonctionnel et interactionnel,

qui nous semble être étroitement lié au fonctionnement particulier

des différents marqueurs concessifs (cf. paragraphe 3). Cette pre­

mière approche aura pour but de caractériser la notion de concession

- 12 -

conme une unité argumentative complexe, composée nécessairement de

deux mouvements : un premier mouvement lié à la reconnaissance de la

vérité d'un contenu p et un deuxième mouvement, complexe, qui invalide

la valeur d'argument suffisant de p pour une certaine conclusion.

Il en résulte que nous considérons comme concessive l'ensemble

d'une séquence p MC q et non pas seulement un de ses constituants ( MC m

marqueur concesaif). Ainsi, dans les exemples suivants

(7) Sien qu'il pleuve, je sors.

(8) Je concède qu'il y a deux millions de chômeurs en

France, mais l'économie est en bonne santé.

(9) Il pleut, mais je sors quand même.

nous ne réservons pas aux constituants bien que p , je concède que p,

ou simplement p le statut concessif — ce qui correspond à l'analyse

traditionnelle de la proposition concessive (cf. Grevisse 1969) et

dans une certaine mesure à l'analyse de la concession faite à partir

du verbe performatif concéder (cf. paragraphe 1).

Nous nous proposons de développer dans ce paragraphe les méca­

nismes régissant ce deuxième mouvement complexe propre à La concession.

2.2. Pour illustrer ce deuxième mouvement, nous nous contenterons

dans un premier temps de reprendre l'analyse de la séquence p mais q

telle qu'elle est présentée dans les travaux de Ducrot. Dans l'exemple

suivant

(10) Il est intelligent, mais brouillon.

interviennent les deux mouvements suivants :

(i) Le Locuteur pose la vérité de p {il est intelligent);

(ii) le locuteur en énonçant mais q {mais il est brouillon)

(il*) laisse entendre que de il est intelligent, on serait

en droit de tirer une certaine conclusion (r), par

exemple qu'il faut l'engager

(ii") invalide cette conclusion en présentant un argument

plus fort {il est brouillon) pour la conclusion inverse

non-r {il ne faut pas l'engager).

- 13 -

Le deuxième mouvement (ii) fait donc intervenir deux types de

relation :

a) une relation d'inférence de p à r et de q â non-r-,

b) une relation de contradiction entre r et non-r.

Examinons la nature de la relation d'inférence à partir de l'exemple

(10) — la relation de contradiction sera traitée en 2.4. :

1 La relation est implicite, en ce sens que r n'est pas donné par

le cotexte, mais doit être tiré par l'interlocuteur â partir du

contexte (cf. la notion d'instruction proposée par Ducrot 1980).

o

2 Cette relation relie ce qu'il est convenu d'appeler un argument

(p) à une conclusion (r); à ce titre, elle se distingue d'autres

processus inférentiels sémantiques (implication sémantique) ou

pragmatiques (implicitation conversationnelle). En effet, d'une

part l'implication sémantique pose une relation conventionnelle

entre deux contenus [X a tué Y implique sémantiquement Y est

mort) et d'autre part 1'implicitation conversationnelle relie

des valeurs illocutoires d'actes de langage (l'assertion il fait

froid ici implicite conversationnellement l'acte de requête

fermez la fenêtre) . o

3 Dire que p est un argument pour r revient à considérer l'énoncia-

tion de p comme pourvue d'une valeur argumentative, c'est-à-dire

qu'elle ne vaut pas pour elle-même, mais par rapport à la visée

intentionnelle du discours

o

4 La conclusion r, en tant qu'elle s'oppose à une conclusion non-r,

d'une part se voit attribuer un indice de polarité (+ vs -) et

d'autre part permet de différencier l'orientation des arguments :

certains arguments valent pour r (orientation argumentative posi­

tive) , d'autres pour non-r (orientation argumentative négative).

o 5 Si p et q peuvent être distingués en termes de leurs orientations

argumentatives, il apparaît que leur position syntagmatique décide 3) La difficulté de définir les termes d'argument et de conclusion

sans recourir à des définitions tautologiques nous conduira au paragraphe 4 à reformuler ce type de relation en termes fonctionnels (cf. les notions de hiérarchie et d'intégration argumentative et fonctionnelle}.

- 14 -

de leur force argumentative : dans le cas de la structure

p mais q, q est l'argument le plus fort (cf. la différence

entre (10) et (10') qui est orienté vers la conclusion r)

4) (10M II est brouillon, mais intelligent

Ces quelques précisions sur la nature de la relation d'inférence

impliquée par la séquence p mais q nous permettent de tirer les deux

conclusions suivantes.

En premier lieu, il apparaît que l'on peut poser, a titre

d'hypothèse, un carré argumentatif rendant compte des relations inter­

nes aux constituants (de nature Implicite ou explicite) intervenant

dans la structure p mais q :

(11) carré argumentatif :

p < q

vL (w) J* 2» 4 > non-r

N.B. Les trois relations (être un argument pour (-3),

être argumentativement plus for ( < ) , être contra­

dictoire à (W) intervenant entre ces constituants

ont été définies préalablement. Nous examinerons

en 2.3. et en 3 les relations obliques possibles.

Ce carré argumentatif est d'une part propre à la concession, mais

d'autre part permet de définir de plus près la notion d'argumentation.

A ce titre, nous dirons qu'une argumentation s'inscrit toujours dans

le cadre d'un débat contradictoire. En d'autres termes, une argumen­

tation présuppose d'une part une finalité du discours (on parle pour

défendre une certaine thèse) et d'autre part une opposition discursive

(on défend certaines thèses par opposition a d'autres thèses contraires

ou contradictoires). (Sur ce dernier point, nous aurons l'occasion

4) Certains contextes annulent cette supériorité argumentative de q. Dans ce cas, il nous semble que d'une manière ou d'une autre, le contexte spécifie 1'impossiblité de décider entre P et non-r. Par exemple, après (10), on pourrait avoir : je ne sais pas ce qui est le plus important.

15

en 2.4. de préciser la place de la notion de contradiction (u) dans

la description de la concession).

En second lieu, et corollaireroent, nous poserons que le type

de concession réalisée par la séquence du type p mais q est de nature

argumentative, en ce sens d'une part que les énoncés sont pourvus

d'une argumentât! vite (cf. les notions de valeur argumentative, d'o­

rientation argumentative et de force argumentative) et d'autre part

qu'ils consistent en une argumentation. Plus précisément, nous dirons

à ce titre qu'énoncer p mais q revient à réaliser aux moins deux

actes d'argumenter % un acte d'argumenter pour r et un acte d'argumen­

ter pour non-r.

L'intérêt de la spécification d'une telle conception de la

concession n'est pas tant lié à des problèmes théoriques (cf. la spé­

cification de la notion d'argumentation) qu'à un souci de dégager la

(les) structure(s) sémantico-argumentative(s) de base de la concession.

A ce titre, la concession argumentative s'oppose à la concession logi­

que, dont l'exemple type est la structure bien que pt q.

2.3. La concession logique s'oppose à la concession argumentative

en ce que d'une part la relation d'inférence n'est pas la relation

d'argumentation, et d'autre part les termes mis en relation ont un

statut sémantique différent. Soit l'exemple canonique suivant,

permettant d'illustrer la notion de concession logique :

(12) Bien que la rivière fût en crue, le pont ne s 'est

pas effondré.

Cet énoncé introduit bien une relation d'inférence et de contradiction

dans la mesure où

(i) p {la rivière est en crue) "implique" non-q

{le pont s'est effondré) et

(ii) on a q (le pont ne s'est pas effondré) qui est en

relation de contradiction avec non-q ("impliqué" par p) .

5) Les notions de concession argumentative et concession logique ont été introduites dans Moeschler et de Spengler (1981).

- 16 -

Il apparaît donc en premier lieu que les termes mis en relation consistent

en trois contenus (p, q et non-q), et non pas quatre comme dans La

concession argumentative. Cela signifie que l'opposition — entre q 6)

et non-q — est directe vs indirecte comme dans le cas de (10)

En second lieu, la relation entre p et non-q ne peut être

dite d'argumentation. Bien que pose ici une relation non entre

des énoncés à valeur argumentative, mais entre des contenus dénotant

des faits (être en crue, ne pas s'effondrer). La relation est donc

factuelle, relation que l'on peut qualifier en termes sémantiques par

le prédicat CAUSE. En d'autres termes, nous dirons que p est dans

des conditions habituelles cause de non-q3 c'est-à-dire que le fait

que la rivière est en crue peut être considéré comme la cause du fait

que le pont s'effondre. Nous obtenons ainsi le schéma suivant pour

la concession logique î

(13) triangle de la concession logique :

CAUSE

non-q

6) Parler de relation directe ne signifie nullement que l'opposition est explicite. Elle se fait au contraire entre un contenu expli­cite (q) et un contenu implicite {non-q). Cette opposition directe, dans le cas de la concession logique, peut également être marquée par mais (cf. 12')) :

(12') La rivière était en crue, mais le pont ne s'est pas effondré.

On constate donc que mais peut avoir deux emplois différents (cf. Anscombre et Ducrot 1977 et Rivara 1981) : un emploi de relation indirecte (cf. 10)) et un emploi de relation directe (cf. (12') et (i)) :

(i) Jean est petit, mais fort.

En (i) , en effet, q {.Jean est fort) est équivalent à non-r.

- 17

On peut se demander en fait de quelle nature est la diffé­

rence entre "être un argument pour" et "être cause de". D'après

notre analyse, la relation "être cause de" concerne des faits, des

contenus d'énoncés plus que des faits de discours, et peut être spé­

cifiée par la propriété "objectif". A l'opposé, la relation "être

un argument pour" concerne des faits de discours, c'est-à-dire des

contenus dont la signification ne peut être appréhendée de manière

dénotative, mais doit être décrite en rapport à un cotexte ou un

contexte argumentât!f. Le caractère non objectivable des faits argu-

mentatifs supposerait ainsi au caractère démonstratif des relations

entre faits non argumentatifs. Une telle conclusion, cependant,

laisserait entendre que la distinction entre concession argumenta-

tive et concession logique se légitimerait d'un point de vue ontolo­

gique, c'est-à-dire extradiscursif. Or il nous semble au contraire

que la pertinence de cette distinction réside en ce qu'elle définit

deux modes de présentation du discours :

(i) la concession argumentative est associée à un type de

discours qui se donne comme argumentatif (fondé par

1'argument);

(ii) la concession logique est associée à un type de discours

qui se donne comme démonstratif (fondé par la preuve).

La distinction entre discours argumentatif et discours démonstratif

doit cependant être quelque peu nuancée : selon l'apparition de tel

type de concession, on aurait affaire à tel type de discours. En

d'autres termes, la distinction discours argumentatif - discours

démonstratif relèverait essentiellement d'un processus d'interpréta­

tion.

Ces différences entre les deux types de concession ne doivent

pas nous faire oublier leurs propriétés communes. Comme nous l'avons

déjà mentionné dans Moeschler et de Spengler (1981, 101-102), l'unité

entre ces deux types de concession consiste en la suspension d'une

relation (d'argumentation ou de cause) reconnue comme pertinente dans

d'autres circonstances que celles présentées par l'énonciation.

Ainsi, se dégage, dans les deux cas, l'idée de "compromis" : la rela­

tion en question n'est ni définitivement niée, ni définitivement

acceptée. Cette idée nous servira entre autres à préciser la relation

entre concession et réfutation (cf. 2.4. et paragraphe 4).

18

2.4. L'existence de la relation de contradiction, telle qu'elle

est spécifiée dans la description tant argumentât!ve que logique

de la concession, nous permet de rapprocher ce mouvement discursif 7)

de la réfutation . Précisons d'emblée que ce rapprochement ne peut

se faire que dans le cadre du discours dialogal, la réfutation relevant

de l'échange et non de l'intervention. On peut distinguer trois ni­

veaux de comparaison entre ces deux mouvements :

(i) le degré d'exploitation de la relation de contradiction;

(ii) le mode de résolution de la contradiction;

(iii) les conséquences sémantico-argumentatives de ces deux

mouvements.

(i) L'exemple (14) permet d'illustrer l'idée d'une telle échelle

dans l'explicitation de la contradiction:

(14) A : Je ne suis pas sorti hier soir.

B : Non, ce n 'est pas vrai : je t'ai vu au

cinéma avec ta maîtresse.

B : Mais je t'ai vu au cinéma avec ta maîtresse.

B : Mais tu as l'air très fatigué.

B. : Mais tu as dû te coucher très tard : tu as 4

l'air complètement crevé.

Ces quatre réponses données à l'assertion de A gèrent différemment

la contradiction :

- en B , la contradiction apparaît explicitement (cf. non,

ce n'est pas vrai) et donne par conséquent lieu & une

lecture réfutative;

- en B , la contradiction n'est pas donnée explicitement

par son contenu, mais par l'existence d'une relation d'im-

plicitation sémantique du type je t'ai vu au cinéma implique

tu es sorti. Cette relation rend impossible l'interpréta­

tion de B comme une concession. B ne peut être qu'une

réfutation, que nous qualifierons a'indirecte (par opposition

7) Pour un traitement argumentatif et discursif de la réfutation, cf. Moeschler (1982).

- 19 -

à B qui réalise une réfutation directe) ;

- en revanche, l'interprétation de B est ambiguë. On peut

en effet distinguer une lecture réfutative dans laquelle

la vérité de l'assertion de A est contestée (tu as l'air

fatigué est présenté comme un argument pour tu es sorti)

d'une lecture concessive, où ce n'est pas la vérité de A

qui est contestée, mais sa valeur argumentative. En affir­

mant tu as l'air fatigué, B établit d'une part un rapport

entre être fatigué et être sorti et d'autre part pose une

contradiction entre son énonciation [tu as l 'air fatigué)

et une conclusion virtuelle qu'il est en droit de

tirer de 1'énonciation de A en fonction du schéma inféren-

tiel qu'il a posé. Il faut noter d'une part que ce mouve­

ment interprétatif de B sur 1'énonciation de A est rétro­

actif et d'autre part (conséquemment) qu'il consiste à

attribuer à 1'énonciation une visée argumentât!ve qui ne

correspond pas forcément à l'intention de A (cf. (iii) ;

- B nous semble ne pouvoir recevoir qu'une lecture concessive :

la vérité de l'assertion A n'est en aucun cas mise en doute;

c'est la conclusion que l'on peut en tirer qui est contes­

tée, conclusion dont l'existence est implicitée par l'as­

sertion de B : "je dis B parce que de A, on peut tirer

la conclusion je me suis reposé; or tu as l'air fatigué; j'en

conclus que tu t'es couché tard".

(ii) Ainsi, la gestion de la contradiction se réalise sur plusieurs

modes : dans le cas des réfutations (directes ou indirectes), en annu­

lant un des termes de la contradiction; dans le cas de la concession,

en dépassant la contradiction par intégration des termes contradictoires

à l'aide d'une conclusion qui les englobe. En d'autres termes, la

gestion de la contradiction se fait dans le premier cas par amputation,

et dans le deuxième par résolution (cf. paragraphe 4 pour un dévelop­

pement de l'idée d'intégration et de résolution).

8) Dans un tel contexte, il apparaît que la substitution d'un marqueur comme pourtant, cependant, quand même à mais ne supprime pas l'in­terprétation de réfutation indirecte, mais lui confère une nuance ironique supplémentaire.

20

(iii) Malgré l'existence d'une zone floue se situant entre l'appro­

bation et la désapprobation (réfutation) — zone illustrée par la

concession —, il apparaît qu'il est possible de poser une distinction

nette entre concession et réfutation. Nous dirons ainsi que dans une

concession, seule la valeur argumentative de l'énonciation préalable

est contestée, alors que dans le cas de la réfutation, c'est sa va­

leur de vérité, et a fortiori sa valeur argumentative qui sont refusées.

Les conséquences interactionnelles de la concession — qui seront étu­

diées plus précisément au paragraphe 4 — sont donc différentes de cel­

les de la réfutation : alors que dans le cas de la réfutation, la

gestion de la contradiction devient le problème de la résolution de

l'interaction (cf. Moeschler 1981), la concession introduit une dyna­

mique particulière à la conversation, spéclfiable en termes de chaînes

argumentatives. En d'autres termes, une intervention concessive d'un

locuteur L transforme l'intervention préalable d'un locuteur L en

argument pour une conclusion (cf. B en (i)) que L impose, mais qui

peut à son tour être réinterprété comme argument pour une conclusion

tirée par un autre locuteur L.. Ainsi, la concession, en tant qu'elle

résout de façon interne la contradiction, dynamise le discours et

pose de façon différente que la réfutation le problême de sa résolution.

3. APPROCHE DE QUELQUES MARQUEURS CONCESSIFS : MAIS,

QUAND MEME, POURTANT ET BIEN QUE.

3.1. Nous nous proposons dans ce paragraphe d'exploiter les pro­

priétés sémantico-argumentatives de la concession (cf. paragraphe 2)

pour donner une typologie des marqueurs concessifs. Nous partirons

essentiellement des deux perspectives suivantes (cf. 3.2.) :

(1) la distinction entre concession logique et concession

argumentative}

(ii) les schémas logiques de ces deux types de concession.

Nous montrerons que ces deux perspectives ne suffisent pas à carac­

tériser de façon discriminante chacun des marqueurs envisagé et qu'il

faudra introduire des critères distinctifs de niveau d'analyse dif­

férents (cf. 3.3.).

- 21 -

Le choix de mais, quand même, pourtant et bien que n'est

pas arbitraire, mais s'est en fait imposé à nous dans le cours de

notre analyse d'énoncés concessifs. Ces marqueurs nous semblent

en effet illustrer chacun des sous-classes de marqueurs de conces­

sion : d'autres marqueurs comme cependant, néanmoins, même si,

tout de même, quand bien même, etc., également concessifs pour nous,

peuvent chacun être rangés dans une de ces sous-classes.

3.2. Si l'on part de l'opposition entre concession logique et

concession argumentative pour décrire les énoncés concessifs, la

question qui se pose est de savoir si l'interprétation (logique vs

argumentative) est déclenchée par le marqueur concessif ou par les

propriétés sémantiques des contenus articulés par le marqueur en

question.

Situer la distinction entre la relation d'argument à conclu­

sion et la relation de cause à effet au niveau des contenus reviendrait,

à notre avis, à postuler que ces relations sont définissables extra-

linguistiqueroent (en référence soit A une logique de l'action soit à

une logique de l'argumentation). Il nous semble au contraire que

cette distinction relève du choix du locuteur en ce qu'il décide de

présenter son discours comme plutôt arguraentatif ou plutôt démonstra­

tif. Dès lors, l'interprétation logique ou argumentative est indi­

quée par le choix du marqueur. Cependant, ceci ne devrait pas nous

amener à conclure que tout contenu peut être associé à n'importe quel

autre contenu pour former indifféremment telle ou telle concession.

Il est évident que n'importe quel contenu ne peut être argument pour

n'importe quelle conclusion, ou cause pour n'importe quel effet, bien

qu'il semble que la relation logique de cause soit plus contraignante

au plan sémantique que la relation d'argumentation. Dans les deux

exemples suivants :

(15) ? Bien qu'il soit gentil, il a les yeux bleus.

(16) IL est gentil, mais il a les yeux bleus.

la relation concessive entre il est gentil et il a les yeux bleus

est possible au plan argumentatif (cf. (16)), dans la mesure où on

peut représenter un contexte interprétatif dans lequel avoir les

yeux bleus constitue un argument plus fort pour une certaine conclu­

sion que être gentil pour la conclusion inverse. Par contre.

- 22 -

l'interprétation de (15) est difficile, non pour des raisons pragmatico-

argumentatives, mais sémantico-logiques : il n'existe aucune relation

conventionnelle entre la gentillesse et la couleur des yeux (cf. Moeschler

et de Spengler 1981 pour une exploitation de cette idée) . Si donc l'op­

position concession logique / concession argumentative peut se situer au

niveau des marqueurs (cf. les instructions respectives associées a bien

que et à mais), celle-ci ne suffit cependant pas à caractériser les autres

marqueurs. C'est la raison pour laquelle il nous faut poser d'autres cri­

tères classificatoires.

3.3. Nous proposons d'examiner chacun des connecteurs à tour de

rôle, en opposition aux connecteurs possédant des propriétés communes,

à l'aide des trois critères suivants -.

(i) l'opposition entre concession argumentative indirecte et

directe {mais/quand même) -,

(il) les notions de symétrie et de norme (quand mène/pourtant) >

(iii) la nature du constituant marqué par le connecteur : argument

le plus fort, argument le plus faible, conclusion.

(i) Soit le carré argumentatif de mais

(17) p < q

tu lw)

r^ > non-r

et les constantes suivantes :

p = il fait beau

r - je sors

q - je suis fatigué

non-r • je ne sors paa

Si le connecteur concessif est mais, deux tournures concessives sont

possibles :

(18) II fait beau, mais je suis fatigué (donc je ne sors pas)

- 23 -

(19) II fait beau, mais je ne sors pas, parce que je

suis fatigué.

En termes de variables, ces structures correspondent respectivement à

(18") p mais q (dona non-r)

(19') p mais non-v parce que q

De ces deux structures, nous tirerons les généralisations suivantes :

a) La structure p mais q (donc non-v) pose le principe de

l'accessibilité de la conclusion pour l'interlocuteur :

celui-ci doit disposer de suffisamment d'informations pour

pouvoir rétablir Le contenu de la conclusion non-v lorsque

celui-ci est implicite. Le défaut de cette condition le

mènera à poser la question pourquoi tu dis ça ?

b) La structure p mais non-v parce que q pose le principe de

l'exp lo i ta t ion nécessaive de l'argument le plus fovt (q)

et indique les rapports privilégiés existant entre la conces-

9)

sion et l'explication . En effet, il nous semble intuitive­

ment que l'énoncé il fait beau, mais je ne sors pas, où il

ressortirait de la conversation que je ne sors pas est une

conclusion, doit être complété par un acte d'explication.

Le défaut de cette condition entraîne l'interlocuteur à poser

la question pourquoi ? Il faut cependant noter que la présence

de ce troisième terme (argument le plus fort) est imposé par

des contraintes différentes de celles régissant l'accessibilité

de la conclusion en (a). En premier lieu, ces deux constituants

(conclusion et argument le plus fort) sont nécessaires à l'in­

tégration des séquences concessives, c'est-à-dire à leur caractère

complet et bien formé du point de vue séquentiel. Cependant,

l'impossibilité pour l'interlocuteur de tirer la conclusion non-v

sanctionne un défaut d'intégration linguistique (il est constitu­

tif des séquences p mais q de donner lieu à non-v), alors que son

interrogation sur q ne fait que mettre en surface un défaut d'in­

tégration conversationnelle, en ce qu'il interroge l'ensemble du

schéma argumentatif permettant de conclure à non-r. En second

9) Nous utilisons la notion d'explication dans le sens que lui a conféré le Groupe \-l (1975) dans l'analyse de car, parce que, puisque.

- 24 -

lieu, et corolLairement, la nécessaire présence de q nous semble

être liée à une règle générale rendant difficile la reconstitution

explicite d'un contenu à fonction d'argument, alors qu'il est

parfaitement habituel que le contenu de la conclusion soit implicite

et accessible. Si donc un argument n'est pas accessible, son expli-

citation est d'autant plus nécessaire, non pour des raisons struc­

turelles, mais interprétatives.

Nous pouvons illustrer les deux structures concessives de mais

à l'aide du parcours qu'il effectue sur le carré argumentatif :

120) p mais—* q „

î N mata parce que

i donc /

non-r

-> parcours de relation indirecte

y parcours de relation directe

Mais se distingue des autres marqueurs en ce qu'il est le seul

à effectuer le parcours de relation indirecte et 11 se distingue de

quand même dans la mesure où le parcours direct de quand même ne nécessite

pa3 l'exploitation de l'argument q. En effet, il nous semble qu'une

séquence comme (21)

(21) II fait beau, mais je ne sors quand même pas.

n'appelle pas de la même manière un énoncé explicatif du type parce que ÎO)

je ffuta fatxguê, dont le contenu a un statut d'argument plus fort ,

(10) Il est à relever que la suite II fait beau je ne sors quand même pas ne peut être énoncée sans une pause séparant les deux actes. Ceci nous permet de postuler que le mais de (21) a un rôle plus syntaxique (conjonction de coordination) que pragmatique (connecteur de concession). Cette observation nous permet d'opposer

quand même a d'autres connecteurs comme pourtant, cependant qui appa­raissent toujours en tête de la proposition grammaticale et ne néces­sitent pas la présence de mais. Ainsi, pourtant et cependant seraient à la fois connecteurs pragmatiques et syntaxiques. En revanche, quand même n'aurait qu'un statut pragmatique. Il nous semble que cette propriété est liée d'une part à sa mobilité à l'intérieur de la propo­sition et d'autre part à sa combinabilité avec d'autres marqueurs.

- 25 -

Ceci nous permet de souligner deux différences en t re mais e t quand mêmet

considérés tous deux comme marqueurs de concession argumentative :

1 Quand même marque la conclusion, par opposi t ion à nais qui marque

s o i t l a conclusion (auquel cas l 'argument le plus fo r t do i t ê t r e

exp l i c i t e ) s o i t l 'argument l e plus for t - Cela s i g n i f i e que quand

même e s t un connecteur concessif de r e l a t i o n d i r e c t e .

o

2 Corol lairement , les cons t i tuan t s du schéma impliqués dans le

fonctionnement de quand même sont p , non-r e t r ( i m p l i c i t e ) ; q3

c ' e s t - à - d i r e l 'argument le p lus f o r t , r e s t e en revanche en dehors

du parcours de quand même. Bien q u ' i l s o i t toujours poss ib le de

l ' i n t e r r o g e r * , i l nous semble que ce cons t i tuan t n ' e s t pas

nécessa i re pour l ' i n t e r p r é t a t i o n de quand même, qui f a i t po r t e r

l 'énoncé sur la cont rad ic t ion tou t en créant l e s condi t ions

(argumentatives) à son a c c e p t a b i l i t é .

Nous pouvons proposer l e parcours suivant pour quand même :

(22) p q > r e l a t i o n e x p l i c i t e

^-» ^ r e l a t i o n impl i c i t e quand

même

r <r } non-r (tf)

( i i ) Deux c r i t è r e s , pr incipalement , permettent de d i s t inguer quand même

de pourtant :

12)

a) Le carac tè re symétrique de pourtant vs asymétrique de quand même >

b) la nature ob jec t ive vs subjec t ive de la norme sous- jacente à l a

r e l a t i o n d ' in férence posée par pourtant vs quand même.

11) Nous renvoyons à Moeschler e t de Spengler (1981, lo6) pour les d i f f é r e n t s modes de t ra i tement ( résolu t ion) de la con t rad ic t ion (exp l ica t ion , r é f u t a t i o n , a ccep t a t i on ) .

12) L 'opposi t ion en t re l e ca rac tè re symétrique e t asymétrique d'un connec­teur a é t é posée par R. Lakoff (1971). Cependant, nous u t i l i s o n s c e t t e p rop r i é t é dans un sens non pas formel ( p o s s i b i l i t é ou impossi­b i l i t é d ' i n t e r v e r t i r les termes mis en r e l a t i o n par l e connecteur) , mais sémantique (d i rec t ion de la r e l a t i o n d ' in fé rence i n t r o d u i t e par le connecteur) .

- 26 -

a) L'exemple (23) peut recevoir deux interprétations, par opposi­

tion à l'exemple (24) qui ne peut en recevoir qu'une :

(23) Il est gentil, pourtant tout te monde le déteste.

(24) Il est gentil, mais tout le monde le déteste quand même.

(23) signifie soit il est gentil devrait être la cause de

on ne le déteste pas, soit tout le monde le déte3te devrait être

la cause de il n'est pas gentil (cf. les remarques de Jsyez 1981

a ce propos), alors que (24) ne reçoit que la première interpré­

tation. I l est du reste possible d'inverser (23) en (25)

(25) Tout le monde le déteste, pourtant il est gentil.

tout en conservant les mêmes interprétations, ce qui confirme le

caractère symétrique de pourtant. Par contre, l'interversion

avec quand même ne donnera qu'une seule interprétation, inverse

de celle de (24).

Ceci nous permet da poser les parcours suivants de pourtant

(établis à partir du triangle de la concession logique) :

(26) p • pourtant ——? q

, ' '(U)

non-q

pourtant

<u)

non-p

b) Pour le deuxième critère de distinction entre quand même

et pourtant, nous renvoyons à Moeschler et de Spengler (1981,

107-110). Nous nous contenterons de relever que cette distinction

entre norme subjective et norme objective se superpose à la dis­

tinction argument/cause. En d'autres termes, dire que la rela­

tion d'inférence est légitimée par l'introduction d'une norme

subjective vs objective revient à fonder la relation par l'énon-

ciation vs par l'existence de certains faits (indépendamment de

l'énonciation). A ce t i t r e , nous ferons l'hypothèse que quand

même relève de la concession argumentât!ve et pourtant de la

concession logique.

25

Ceci nous permet cfe souligner deux différences entre mais e t quand même,

considérés tous deux comme marqueurs de concession argumentative :

1 Quand même marque la conclusion, par opposition à mais qui marque

soit la conclusion (auquel cas l'argument le plus fort doit être

explicite) soit l'argument le plus fort. Cela signifie que quand

même est un connecteur concessif de relation directe.

o

2 Corollairement, les constituants du schéma impliqués dans le

fonctionnement de quand même sont p> non-v et r (implicite); q3

c'est-à-dire l'argument le plus fort, reste en revanche en dehors

du parcours de quand même. Bien qu ' i l soit toujours possible de

l'interroger , i l nous semble que ce constituant n 'est pas

nécessaire pour l ' interprétation de quand même, qui fait porter

l'énoncé sur la contradiction tout en créant les conditions

(argumentatives) à son acceptabilité.

Nous pouvons proposer le parcours suivant pour quand même :

-> relation implicite

(22) p q * relation explicite

quand même

r «• > non-r

(ii) Deux cr i tères , principalement, permettent de distinguer quand même

de pourtant :

12)

a) Le caractère symétrique de pourtant vs asymétrique de quand même :

b) la nature objective vs subjective de la norme sous-jacente à la

relation d'inférence posée par pourtant vs quand même.

11) Nous renvoyons à Moeschler et de Spengler (1981, 106) pour les différents modes de traitement (résolution) de la contradiction (explication, réfutation, acceptation).

12) L'opposition entre le caractère symétrique et asymétrique d'un connec­teur a été posée par R. Lakoff (1971). Cependant, nous utilisons cette propriété dans un sens non pas formel (possibilité ou impossi­bilité d'intervertir les termes mis en relation par le connecteur), mais sémantique (direction de la relation d'inférence introduite par le connecteur).

- 26

a) L'exemple (23) peut recevoir deux interprétations, par opposi­

tion à l'exemple (24) qui ne peut en recevoir qu'une :

(23) Il eat gentil* pourtant tout le monde le déteste.

(24) Il est gentil, mais tout le monde le déteste quand même.

(23) s i g n i f i e s o i t il est gentil d e v r a i t ê t r e l a cause de

on ne le déteste pas. s o i t tout le monde le déteste d e v r a i t ê t r e

la cause de il n'est pas gentil (cf. l e s remarques de Jayez 1981

à ce propos) , a l o r s que (24) ne r e ç o i t que l a première i n t e r p r é ­

t a t i o n . I l e s t du r e s t e poss ib le d ' i n v e r s e r (23) en (25)

(25) Tout le monde le déteste, pourtant il est gentil.

tout en conservant l e s mêmes i n t e r p r é t a t i o n s , ce qui confirme l e

carac tè re symétrique de pourtant. Par con t re , l ' i n t e r v e r s i o n

avec quand même ne donnera qu'une seule i n t e r p r é t a t i o n , inverse

de c e l l e de (24).

Ceci nous permet de poser l e s parcours su ivants de pourtant

( é t a b l i s à p a r t i r du t r i a n g l e de la concession logique) :

(26) p pourtant —d> q

- (w)

non-q

pourtant

(w)

i i

non-p

b) Pour le deuxième critère de distinction entre quand même

et pourtant, nous renvoyons à Moeschler et de Spengler (1981,

107-110). Nous nous contenterons de relever que cette distinction

entre norme subjective et norme objective se superpose à la dis­

tinction argument/cause. En d'autres termes, dire que la rela­

tion d'inférence est légitimée par l'introduction d'une norme

subjective vs objective revient à fonder la relation par l'énon-

ciation vs par l'existence de certains faits (indépendamment de

l'énonciation). A ce titre, nous ferons l'hypothèse que quand

même relève de la concession argumentative et pourtant de la

concession logique.

27 -

( i i i ) Les marqueurs (qu ' i l s re lèvent de l a concession argumentât!ve

ou de l a concession logique) in t rodu i sen t des cons t i t uan t s dont l a

fonction (argumentative dans un cas/ logique dans l ' a u t r e ) e s t d i f ­

fé ren te . On d i s t ingue a i n s i l e s connecteurs associés à l 'expression de

a) l 'argument l e plus fo r t (mais);

b) Ja conclusion argumentative ou logique (mata* quand même, pourtant);

c) l 'argument l e plus fa ib le ou la cause non déterminante

(certes, pourtant, bien que).

(Les conséquences conversa t ionnel les du choix de t e l l e ou t e l l e combinai­

son seront examinées en 4 A propos de mais e t quand même). Les modalités

de ces combinaisons permettent de pos tu le r une éche l le des f a i t s conces­

s i f s a l l a n t du p lus argumentatif au plus logique. Cet te éche l le peut

ê t r e représentée de la façon suivante :

(27) argumentatif

logique

mais

quand même

pourtant

bien que

Ce qui déterminine la pos i t ion du marqueur es t , pour l e s pâ les extrêmes,

l e f a i t q u ' i l s i n t rodu i sen t l 'argument l e plus fo r t vs la cause la moins

déterminante , e t , pour l e s marqueurs centraux, l e f a i t q u ' i l s i n t r o d u i ­

sent la conclusion (quand même) e t l e f a i t q u ' i l s pu i ssen t i n t rodu i r e la

cause la moins déterminante (pourtant).

h. LA CONCESSION DANS LA CONVERSATION

4 . 1 . Jusqu 'à p résen t , nous avons f a i t d 'une p a r t un c e r t a i n nombre

d'hypothèses externes permettant la dél iminat ion d'un observable ( les

énoncés d i t s concessifs) e t d ' a u t r e pa r t des hypothèses in t e rnes rendant

compte de l eurs fonctions sémantico-argumentatives. Cependant, c e t t e

démarche, pour nécessa i re q u ' e l l e s o i t , n ' e s t pas su f f i san te pour a t t e i n ­

dre un niveau e x p l i c a t i f . Pour t en t e r d 'approcher un t e l niveau, i l

e s t nécessa i re de r ecour i r à des hypothèses in t e rnes supplémentaires ,

c ' e s t - à - d i r e i n t é g r e r la descr ip t ion p réa lab le des f a i t s dans une théo­

r i e de la conversat ion.

- 28 -

Il nous semble en effet légitime de recourir à une telle théorie

{plutôt qu'à une théorie de l'argumentation par exemple) en ce que ces

faits argumentatifs observés que constituent les énoncés concessifs sont

produits dans le discours et sont donc soumis aux principes de son or­

ganisation. Par conséquent, notre tâche consistera a intégrer les pers­

pectives argumentât!ve et conversationnelle .

Ce point est d'autant plus légitime que pour nous, une théorie de

la conversation a pour but de définir les conditions sur les enchaine-12)

ments d'énoncés (simples ou complexes) " . Plus précisément, il s'agira

d'examiner d'une part les contraintes régissant la structure interne

d'un énoncé concessif p MC q; d'autre part celles régissant l'enchaîne­

ment de la séquence concessive avec ce qui précède (composante réactive)

et ce qui suit (composante initiative). Ces contraintes seront formulées

en termes fonctionnels (quelle est la fonction d'un constituant par rap­

port à un autre ?) et interactionnels (quelle relation une concession

entretient-elle avec le discours de l'interlocuteur ?).

4.2. Poux rendre compte de ces contraintes internes et externes liées

aux séquences concessives, il nous faut poser des principes généraux

d'organisation de la conversation. Dans les faits d'organisation de la

conversation,TOUS distinguerons trois éléments :

(i) les différentes unités (constituants) de la conversation}

(ii) les différents types de relations entre ces unités;

(iii) les principes qui président à la constitution des unités

(complexes).

(i) Nous ferons l'hypothèse, à l'instar de Roulet (1981), que la conver­

sation s'organise à partir de trois types d'unités entretenant des rap­

ports hiérarchiques :

- l'échange

12) Nous avons déjà défini des contraintes de nature argumentative sur les enchaînements discursifs en 3.3. (cf. les suites possibles à des concessions par les questions du type pourquoi tu dis ça ? et pourquoi ?). Ces contraintes seront spécifiées en termes fonction­nels dans ce paragraphe à l'aide de la notion d'intégration.

- 29 -

- l'intervention

- l'acte de langage.

Ainsi, les actes de langage réalisés par un même locuteur constituent

une intervention, plusieurs interventions de locuteurs différents cons­

tituent un échange. L'échange est donc de nature dialogale, alors que

1'intervention est monologale

(ii) En plus d'un principe d'organisation hiérarchique, nous ferons

l'hypothèse de l'existence d'un principe d'organisation fonctionnelle.

Ce principe permet notamment de rendre compte du fait qu'une interven­

tion — en tant qu'unité monologale complexe — peut être constituée d'au­

tres unités que l'acte de langage, par exemple l'échange ou l'interven­

tion. Ce principe pose l'existence de deux types de relations fonction­

nelles entre les constituants d'une conversation :

a) des relations linéaires;

b) des relations hiérarchiques.

Les relations linéaires sont des relations de coordination et les rela­

tions hiérarchiques de subordination. De façon générale, les relations

linéaires interviennent entre constituants d'échange, c'est-à-dire entre

interventions, alors que les relations hiérarchiques se manifestent à

l'intérieur d'une intervention. L'existence d'une relation hiérarchique

nous permet de distinguer deux types de constituants : le constituant

directeur (acte ou intervention) et le constituant subordonné (acte ou 14)

intervention) . La concession argumentative, illustrée par matst

présente ces deux types de relations : linéaire dans le cas du mais

de relation indirecte (cf. (18)), hiérarchique dans le cas du mais de re­

lation directe (cf. (19)). Dans le premier cas, la relation entre p et

q ne peut être que linéaire dans la mesure où aucun constituant ne peut

prétendre constituer l'acte directeur de la séquence : p et q sont

13) Le problème de la limite des unités complexes que sont l'intervention et l'échange ne peut être résolu à partir de ce principe d'organisa­tion hiérarchique de la conversation. Nous verrons en (iii) que les contraintes de nature argumentative décident de la limite de telles unités (cf. également Auchlin, Moeschler & Zenone 1981).

14) Selon la terminologie proposée par Roulet (1981), les relations liné­aires définissent des fonctions illocutoires (initiatives ou réactives) et les relations hiérarchiques des fonctions interactives.

- 30 -

coordonnés e t c ' e s t l a conclusion impl ic i t e non-r qu i cons t i tue l ' a c t e

d i r e c t e u r . Dans le deuxième cas par cont re , la r e l a t i o n e s t h ié ra rch ique

puisque d'un poin t de vue fonct ionnel , l ' a c t e d i rec teur correspond à

l a conclusion non-r e x p l i c i t é e . I l pou r r a i t sembler que l ' a n a l y s e fonc­

t i o n n e l l e en termes d ' a c t e d i r ec teu r e t d ' a c t e subordonné s o i t redon­

dante par rappor t à l ' ana ly se argumentative en termes de conclusion e t

d'argument. Or, s i dans le cas de mais, ces deux analyses sont dans

une r e l a t i o n biunivoque, ceci n ' e s t pas toujours l e c a s . Par exemple,

quand même, qui argumentativeinent e s t analogue au mais de r e l a t i o n

d i r e c t e , peut ê t r e associé à ce q u i , du po in t de vue fonct ionnel , cor­

respond à l ' a c t e subordonné. Ainsi , en (28)

(28) Le point s'est effondré^ parce qu'il avait quand même

deux cents ans.

quand même en t re dans la composition d'un ac t e subordonné marqué par

parce que (acte i n t e r a c t i f d ' e x p l i c a t i o n ) . Bien que ce t exemple ne

concerne pas un emploi concessif s tandard de quand même, i l pose l e

problème des r e l a t i o n s en t re analyse argumentative e t analyse fonction­

ne l l e pour la concession. C ' e s t dans ce cadre de réf lex ion que nous

proposons d'examiner l e t rois ième pr inc ipe d ' o rgan i sa t ion de l a conver­

s a t i on .

( i i i ) Les rapports entre ces deux types d 'ana lyse peuvent ê t r e p réc i sé s

en recourant à l a notion d'intégration. Par i n t é g r a t i o n , nous entendons

le processus rendant compte de la cons t i t u t i on des un i t é s complexes

comme l 'échange ou l ' i n t e r v e n t i o n (nous par le rons respectivement d ' i n ­

tégra t ion d ia loga le e t d ' i n t é g r a t i o n monologale). Nous ferons l 'hypo-

thpse que, pour que des cons t i tuan t s d'un c e r t a i n niveau d 'ana lyse pu i s ­

sent ê t r e i n t ég ré s dans un cons t i tuan t de niveau d 'analyse supér ieur (par

exemple des ac te s de langage dans une i n t e r v e n t i o n ) , i l faut q u ' i l s so i en t

co-or ien tés argumentativement. Cette coor ien ta t ion argumentative rend

poss ib le l ' i n t é g r a t i o n argumentative des c o n s t i t u a n t s . Ains i , nous

dirons que la séquence suivante e s t in tégrab le argumentativement :

(29) II pleut à verse (a)

La chaîne de mon vélo est cassée (h)

Peux-tu me ramener en voiture ? (e)

31 -

s i l ' i n t e r l o c u t e u r comprend que (a) e t (£>) sont tous deux des arguments

qui motivent l a requête (c?) , c ' e s t - à - d i r e q u ' i l s sont coor ien tés argu­

mentât! vement. Sans c e t t e i n t e r p r é t a t i o n , i l s e r a i t impossible de rendre

compte du s t a t u t d ' a c t e d i r ec teu r de (<?) e t de la fonction de (a) e t de

(.b), c ' e s t - à - d i r e de comprendre comment s 'opère l ' i n t é g r a t i o n fonctionnelle

de l a séquence (a)-(&)-(<?) en une i n t e rven t ion . En d ' a u t r e s termes,

l ' i n t é g r a t i o n argumentative e s t une condit ion nécessa i re à l ' i n t é g r a t i o n

fonc t ionnel le .

Nous pouvons t i r e r des remarques précédentes l e s deux conclusions

p rov i so i r e s su ivan tes .

En premier l i e u , i l appara î t que l e s rappor ts en t re analyse argu­

mentative e t analyse fonct ionnel le sont complexes dans l a mesure où i l

n ' e s t pas poss ib le de f a i r e l 'économie de l ' une ou de l ' a u t r e (puisque

l ' a n a l y s e argumentative e s t une condit ion nécessa i re à l ' a n a l y s e fonc­

t ionne l l e ) .

En second l i e u , la concession, déf in ie préalablement comme posant

une con t rad ic t ion , semble met t re en défaut l e p r inc ipe général de c o n s t i ­

tu t ion des uni tés conversa t ionnel les posé en ( i i i ) .

Nous nous proposons d'examiner ce problème à l ' a i d e de la

notion d ' i n t é g r a t i o n .

4 . 3 . Deux quest ions se posent concernant l ' i n t é g r a t i o n des séquences

concessives :

( i) l a r éso lu t ion de l a con t rad ic t ion (cf. 2 .4 . ) au niveau de

1 ' in te rvent ion »

( i i ) l e s modalités d ' i n t é g r a t i o n de l ' i n t e r v e n t i o n concessive

avec l es in t e rven t ions p réa l ab l e s ou consécut ives .

(i) Au niveau de l ' i n t e r v e n t i o n , l a con t rad ic t ion e s t réso lue par l ' e x i s ­

tence d'une conclusion ( impl ic i t e ou e x p l i c i t e ) de même o r i e n t a t i o n argu­

mentative que l ' un des termes de la séquence concessive. Ains i , l e s

p r inc ipes de force argumentative e t d ' a c c e s s i b i l i t é de la conclusion

(cf. 2 .2 . e t 3.3.) rendent p o s s i b l e , dans l e cas de la concession, l ' i n ­

t ég ra t ion argumentative, elle-même condi t ion de l ' i n t é g r a t i o n fonc t ionne l le .

( i i ) Au niveau de l ' échange, l ' i n t é g r a t i o n des séquences concessives se

f a i t différemment selon l a s t r u c t u r e in t e rne de l ' i n t e r v e n t i o n e t les

rapports en t re tenus par ses cons t i t uan t s avec l ' i n t e r v e n t i o n précédente .

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Nous pouvons à ce t i t r e d i s t inguer deux types d ' i n t é g r a t i o n au niveau

de l 'échange :

a) l ' i n t é g r a t i o n dialogale-monologale,

b) l ' i n t é g r a t i o n monologale-dialogale.

Dans l 'exemple su ivant

(3o) A : Tu viens au ciné ce soir ?

B : Je viendrai,, mais ça m'embête.

{ B : Ça m'embête, mata je viendrai quand même.

la réponse B présente le type d ' i n t é g r a t i o n (a) dans l a mesure où

i l e s t peu adéquat de considérer l 'ensemble de l ' i n t e r v e n t i o n comme

l a réponse à A» cela s i g n i f i e que l ' i n t é g r a t i o n se f a i t en deux temps,

d ia loga le d 'abord avec je viendrai, puis monologale ent re je viendrai

e t mais ça m'embête. En revanche, la réponse B présente le type

d ' i n t é g r a t i o n (b) : ça m'embête ne pouvant cons t i t ue r à l u i seul une

réponse à A ( s i ce n ' e s t par l ' i n t e r m é d i a i r e d'un imp l i c i t e comme donc

je ne viens p a s ) , i l e s t d 'abord in tégré monologalement à maia je viendrai

quand même e t c ' e s t l ' i n t e r v e n t i o n dans son ensemble (en ce q u ' e l l e cons­

t i t u e une réponse pos i t i ve ) qui e s t in tégrée dialogalement.

Nous pouvons t i r e r deux conséquences des remarques p r é a l a b l e s ,

l i é e s d'une p a r t à la notion de conclusion e t d ' a u t r e p a r t aux conséquen­

ces i n t e r a c t i o n n e l l e s de la concession.

En premier l i e u (cf. no t re remarque en f in de 2 . 4 . ) , l e s séquences

concessives c réen t une organisa t ion p a r t i c u l i è r e du discours de par l e

s t a t u t a t t r i b u é à l a conclusion. Ce l l e - c i permet en e f f e t non s e u l e ­

ment de résoudre l a con t rad ic t ion associée à l a concession, mais encore

de r e d i s t r i b u e r l e s fonctions argumentatives aux énoncés. Dans l 'exemple

su ivan t

(31) A : C'est un très bon film.

B : Oui, mais avec les moyens qu'ils avaient,

ce n'est pas étonrmant.

s i A concevait son énoncé comme une conclusion, B, par son énoncé, l e

r é i n t e r p r e t e comme un argument — dont i l contes te la conclusion — ce

qui l u i permet de l a i s s e r entendre l ' e x i s t e n c e d'une suçerconcluaion,

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déduct ib le de ce n'est pas étonnant. Ainsi donc, on peut imaginer une

chaîne argumentative où chaque conclusion s e r a i t elle-même r é i n t e r p r é t é e

comme un argument pour une conclusion e t a i n s i de s u i t e .

En second l i e u , suivant que l ' i n t é g r a t i o n de l a séquence concessive

e s t d ia logale-oonologale ou monologale-dialogale, l e s conséquences i n t e r -

ac t t onne l l e s da l ' a c t i v i t é concessive sont d i f f é r e n t e s . Dans l e premier

ca3 , e t cec i en conformité à l ' i d é e d'une chaîne argumentat ive, l e d i s ­

cours se trouve dynamisé par l ' i n t r o d u c t i o n d'un nouveau thème d i s c u r s i f

(en B (30) , mais ça m'embête ne c l ô t pas l a séquence, mais re lance

l ' i n t e r a c t i o n ) . Par con t re , dans l e deuxième cas , l a séquence se résout

par 1 ' e x p l o i t a t i o n de l a conclusion (en B ( 30) mais je viendrai quand

même cons t i tue fonctionnellement la réponse e t argumentativement la conclu­

sion) . A ces deux modes d ' i n t é g r a t i o n sont assoc iés a i n s i non seulement

deux types d'enchaînement d i s c u r s i f (immédiat comme en B ou non immédiat

comme en B ) , mais également deux dynamiques conversa t ionne l l e s .

5 . CONCLUSION

Nous avons t en té dans ce t r a v a i l de donner une desc r ip t ion à l a

fois argumentative e t fonc t ionnel le de l ' a c t i v i t é d i scurs ive q u ' e s t l a

concession. Cet te double approche se légi t ime pour l e s ra i sons s u i ­

vantes . D'une p a r t , toute approche d'un t ex te d o i t rendre compte à la

fo is de l a cohésion au plan sémantique e t de l a cohérence au plan prag­

matique. La desc r ip t ion des r e l a t i o n s argumentatives permet de s p é c i ­

f i e r l e ca rac t è re cohésif du t e x t e , a l o r s que l a desc r ip t ion des r e l a t i o n s

fonct ionnel les a pour tâche d ' e x p l i c i t e r sa cohérence. D'autre p a r t ,

ces deux composantes nous ont permis de s i t u e r l ' é t u d e des f a i t s d ' a rgu­

mentation dans l e cadre général des r e l a t i o n s logico-sémantiques (cf.

l a d i f férence en t re ê t r e un argument pour e t ê t r e cause de) e t l ' é t u d e

des f a i t s d 'o rgan i sa t ion fonct ionnel le dans la problématique de l ' i n t e r ­

a c t i o n , c ' e s t - à - d i r e des r e l a t i o n s en t r e l ocu t eu r s .

Ce type d'approche nous a permis de formuler deux hypothèses à

propos de l a concession, hypothèses qui pour ra ien t cons t i t ue r deux p e r s ­

pec t ives de recherche :

(i) l a notion s c a l a i r e de la concession (cf. l ' é c h e l l e posant

un continuum en t re la concession argumentative e t la concession

log ique) ;

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( i i ) e t corol la iretaent l ' i d é e de d i f f é ren tes modalités de

p résen ta t ion du discours (échel le a l l a n t du d iscours

argumentât!f au discours démonst ra t i f ) .

Ces deux hypothèses pe rmet t ra ien t de donner une desc r ip t ion plus

systématique des marqueurs concess i f s , qui p o u r r a i t déboucher à son tour

sur une typologie p lus f ine des sous-ca tégor ies de l a concession.

*

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