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7 Comment évaluer les besoins d’aide ? Réponse : ne posez pas la question How to Assess the Needs for Aid? The Answer: Don’t Ask William Easterly New York University 1 Le débat actuel sur l’aide étrangère est principalement fondé sur l’hypothèse que les pays les moins avancés sont pris dans une trappe à pauvreté. Celle-ci est habituellement expliquée par des phénomènes d’inadéquation des taux d’épargne et de rendements croissants des investissements. Dans ce cadre, l’aide extérieure est présentée comme un moyen de sortir de cette trappe. Quelle place ce raisonnement laisse-t-il à d’autres explications de la faible croissance des pays les plus pauvres, telles qu’un environnement institutionnel inadéquat ? L’analyse empirique suggère que les pays pauvres croissent moins vite que les pays riches uniquement à des périodes précises (en particulier les plus récentes). Durant ces périodes, la mauvaise gouvernance, plutôt que les méca- nismes habituels de trappe à pauvreté, apparaît comme le principal déterminant de la faible crois- sance, ce qui n’est pas sans implication quant au rôle de l’aide extérieure. Much of the current popular debate about foreign aid is based on the assumption that the poorest countries are in a poverty trap. The usual mechanisms suggested to explain the poverty trap are inadequate saving and increasing returns to investment, and foreign aid is offered as a way to escape poverty traps. How do these explanations for low growth of the poorest countries fare against alternative explanations, such as bad government and institutions? Preliminary results indicate that the poorest countries grow more slowly than the rest only during some time periods (especially recent ones), but not others. Bad government is the main explanation of the slower growth in these periods rather than the conventional mechanisms for the poverty trap, which in turn would suggest a different role for foreign aid. 1 Contact : [email protected], 1-212-992-8684, 110 Fifth Avenue, Room 510, New York NY 10011 http://www.nyu.edu/fas/institute/dri/Easterly/ Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.178.255.179 - 20/11/2016 18h36. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.178.255.179 - 20/11/2016 18h36. © De Boeck Supérieur

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Comment évaluer les besoins d’aide ?Réponse : ne posez pas la question

How to Assess the Needs for Aid? The Answer: Don’t Ask

William EasterlyNew York University 1

Le débat actuel sur l’aide étrangère est principalement fondé sur l’hypothèse que les pays lesmoins avancés sont pris dans une trappe à pauvreté. Celle-ci est habituellement expliquée par desphénomènes d’inadéquation des taux d’épargne et de rendements croissants des investissements.Dans ce cadre, l’aide extérieure est présentée comme un moyen de sortir de cette trappe. Quelleplace ce raisonnement laisse-t-il à d’autres explications de la faible croissance des pays les pluspauvres, telles qu’un environnement institutionnel inadéquat ? L’analyse empirique suggère queles pays pauvres croissent moins vite que les pays riches uniquement à des périodes précises (enparticulier les plus récentes). Durant ces périodes, la mauvaise gouvernance, plutôt que les méca-nismes habituels de trappe à pauvreté, apparaît comme le principal déterminant de la faible crois-sance, ce qui n’est pas sans implication quant au rôle de l’aide extérieure.

Much of the current popular debate about foreign aid is based on the assumption that the poorestcountries are in a poverty trap. The usual mechanisms suggested to explain the poverty trap areinadequate saving and increasing returns to investment, and foreign aid is offered as a way toescape poverty traps. How do these explanations for low growth of the poorest countries fareagainst alternative explanations, such as bad government and institutions? Preliminary resultsindicate that the poorest countries grow more slowly than the rest only during some time periods(especially recent ones), but not others. Bad government is the main explanation of the slowergrowth in these periods rather than the conventional mechanisms for the poverty trap, which inturn would suggest a different role for foreign aid.

1 Contact : [email protected], 1-212-992-8684, 110 Fifth Avenue, Room 510,New York NY 10011http://www.nyu.edu/fas/institute/dri/Easterly/

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1 INTRODUCTION

La communauté de l’aide est inondée de plans, de stratégies et de cadres detravail visant à rencontrer les réels besoins du monde des pauvres, doublésd’estimations du coût des « besoins d’aide ». Cet article combat l’idée que cesexercices ne prennent un sens qu’inscrits dans une mentalité de planificationcentrale, dans laquelle la réponse aux tragédies de la pauvreté est un largeappareil bureaucratique dictant par autorisation administrative les quantitésdes différents biens et services de développement à fournir. La mentalité deplanification est à son tour reliée à des théories précédemment discréditées,comme celle reliant la pauvreté à l’existence d’une « trappe à pauvreté », im-pliquant que la pauvreté ne puisse être réduite que par un afflux massif d’aidepour combler le « besoin de financement » des pays pauvres. Cet afflux d’aideest bien sûr administré par le même appareil de planification.

C’est une mauvaise nouvelle pour le monde des pauvres puisque, histori-quement, la pauvreté n’a jamais été résolue par les planificateurs centraux.Elle n’a été efficacement combattue que par les « chercheurs », économiqueset politiques, qui explorent des solutions par essais et erreurs, ont accès auxeffets en retour sur celles qui ont fonctionné, pour les étendre le cas échéant.Tout ce processus n’est pas planifié, il est spontané. Des exemples de tels cher-cheurs peuvent être trouvés dans des firmes du marché privé, dans les politi-ciens démocratiquement responsables, et même dans ceux qui ne le sont pasmais adoptent une approche pragmatique, graduelle et expérimentale de fairede la politique en tenant compte des effets en retour locaux. En font partieaussi les travailleurs de l’aide en première ligne qui adaptent les solutions à lademande locale.

2 LA NUIT DES PLANIFICATEURS

Le désir de la communauté internationale de l’aide d’estimer des « besoins »reflète en soi comment la planification a pris le pouvoir dans la sphère del’aide étrangère. La terminologie de « planification », ainsi que ses synonymesde « cadre de travail » et « stratégie », domine de façon croissante le discoursde l’aide. La source d’inspiration de ceci semble être l’exercice des objectifs duMillénaire pour le développement (ODM). Si vous pensez que j’exagère, consi-dérez la citation suivante de Jeffrey Sachs et du projet objectifs du Millénairede l’ONU sur la manière d’évaluer les besoins d’aide pour les ODM :

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« Une évaluation de l’aide est un élément clé d’un […] plan de politique[…]. La seconde étape du processus de planification sera pour chaquepays de développer un cadre d’action à long terme (10-12 ans) pour réa-liser les ODM […]. Le cadre de travail ODM devrait inclure un cadre depolitique et de management du secteur public pour augmenter l’échelledes dépenses publiques et des services, ainsi […] qu’une stratégie definancement pour soutenir le plan. La troisième étape du processus deplanification sera pour chaque pays de construire sa stratégie de réduc-tion de la pauvreté (DSRP) à moyen terme (3-5 ans) basée sur le planODM à long terme. Le DSRP est un document plus détaillé, opérationnel,et devrait être attaché à un Cadre de Dépenses à Moyen Terme (CDMT).[Accentuations ajoutées par l’auteur] »

Il peut sembler compréhensible que les officiels de l’aide se tournent versdes plans, des stratégies et des cadres de travail compliqués pour atteindre les54 ODM d’ici 2015. (Attendez, certains objecteront qu’il n’y a que 8 ODM.Apparemment embarrassés par le caractère baroque de l’exercice, les concep-teurs des ODM ont regroupé les 54 objectifs (appelés « indicateurs ») en 18groupes de « cibles », qui sont à leur tour agrégés dans les 8 ODM.). Pouratteindre les 54 objectifs, Sachs et le projet objectifs du Millénaire de l’ONUproposent un ensemble comprenant 10 recommandations (36 en réalité quandon compte tous les « points énumérés »), un « cadre d’investissement sur 10ans orienté vers les objectifs, audacieux et basé sur les besoins », 17 victoiresrapides à obtenir immédiatement, 7 « groupes principaux d’investissement etde politique », et 10 problèmes à être résolus via le système international del’aide. D’ici 2015, ils proposent, dans un rapport principal de 451 pages com-prenant 3300 pages d’annexes techniques, 449 interventions différentes poursatisfaire les 54 ODM. Jeffrey Sachs recommande que le Secrétaire Généralde l’ONU dirige personnellement le plan, coordonnant les actions de milliersd’officiels dans six agences des Nations Unies, des équipes pays à l’ONU, de laBanque Mondiale et du Fonds Monétaire International 2.

De leur côté, le FMI et la Banque Mondiale sont de fervents avocats desmarchés concurrentiels et non de l’économie administrée – mais des pays mal-chanceux sont si pauvres qu’ils doivent se plier à cette dernière. Cela prend laforme de ce qu’on appelle un Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté(CSLP). La préparation d’un CSLP requiert une planification qui submergerait

2 Voir Jeffrey Sachs, The End of Poverty: Economic Possibilities for Our Time, PenguinPress, New York, 2005, p. 285 et le projet Objectifs du Millénaire de l’ONU, Investingin Development, Janvier 2005.

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la plus sophistiquée des bureaucraties, n’importe où, mais beaucoup moins lesfonctionnaires sous-qualifiés et sous-payés des pays les plus pauvres :

« Les ministères concernés préparent des plans stratégiques à moyenterme qui établissent les objectifs clés du secteur, ainsi que les résultats,productions et prévisions de dépenses (à l’intérieur des limites agrééespar le Cabinet) associées. Ces plans devraient considérer les coûts desnouveaux programmes et de ceux en cours. Idéalement, les dépensesdevraient être présentées par programmes et catégories de dépenses endistinguant clairement les besoins de financements pour les salaires, lesopérations et la maintenance, et l’investissement. 3 »

S’il leur reste du temps après toute cette planification (sans mentionnerle temps pris par les rencontres avec les centaines de missions de don-neurs qui arrivent chaque année pour vérifier le plan), ils doivent aussisurmonter un plan conçu pour ces mêmes bailleurs, à savoir :

« une stratégie d’assistance externe dans le contexte du processus duCSLP qui identifie explicitement les secteurs et les programmes priori-taires pour les bailleurs de fonds…Des stratégies d’assistance externeplus détaillées peuvent alors être développées pour les domaines clés autravers de groupes de travail sectoriels dans lesquels participent lesreprésentants des principaux bailleurs de fonds et des ministères concer-nés du pays… Se mettant d’accord sur les priorités de financement desbailleurs individuels au sein du cadre de travail de stratégie globaled’assistance externe, plutôt qu’au travers d’accords bilatéraux… 4 »

Au moins l’injonction du CSLP est relâchée pour les États défaillants ;elle est plutôt limitée à des pays pauvres bien gouvernés, pacifiques, politique-ment stables, abondamment pourvus en personnel, comme le Cambodge, laRépublique Démocratique du Congo et la Sierra Leone 5.

On s’enfonce plus loin dans le cauchemar de la planification quand onconsidère comment chaque agence d’aide séparément offre son propre plan,qui ne peut être camouflé qu’en affirmant qu’il est nécessaire pour la réussitedu plan global ODM. Donc, on est confronté à des curiosités hybrides commele rapport de la Banque Mondiale (2003) sur les progrès du Cadre de Dévelop-pement Intégré, dont le titre principal est Getting Serious About Meeting the

3 Recueil de référence du CSLP, Jeni Klugman, éditeur, World Bank, Washington DC, 2002.4 Ibid.5 http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/TOPICS/EXTPOVERTY/EXTPRS/

0,,contentMDK:20240478~pagePK:210058~piPK:210062~theSitePK:384201,00.html

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Millennium Development Goals. Le CDI de la Banque Mondiale (conçu parl’ancien Président James Wolfensohn en 1999) doit toujours être intégré dansle plan ODM bien qu’il ait déjà été remplacé par le DSRP du FMI et de la Ban-que Mondiale. Pour ne pas rester en dehors de la course à la planification,même des organisations aussi éloignées de la thématique de l’aide commel’Organisation Mondiale du Commerce proposent le Cadre Intégré pour lesPays les Moins Avancés (CI) qui bien sûr va se connecter aux plans de tous lesautres. Le CI doit « incorporer un plan d’action priorisée (matrice d’actions)dans les plans nationaux de développement des pays comme le DSRP. 6 »L’admirable rapport de la Banque Mondiale sur les excessives réglementationsadministratives dont souffre le secteur privé dans les pays pauvres, appelé,Doing Business, 7 doit encore se pencher sur le noeud gordien résultant de laplanification des CDI/ DSRP/ CI/ CDMT/ ODM.

Qui a intérêt à appliquer effectivement tous ces plans ? Qui sera tenu pourresponsable si les plans échouent ? Apparemment, personne. Le SecrétaireGénéral de l’ONU a publié un rapport d’étape sur le programme ODM pour leSommet Mondial de l’ONU en septembre 2005. Hormis quelques succès dansles régions où l’aide internationale a eu un petit rôle (Inde, Chine et Asie del’Est), le rapport récite une litanie d’échecs 8.

« en Afrique sub-saharienne, qui avait déjà le plus haut taux de pauvretédu monde, la situation s’est encore détériorée et des millions de person-nes supplémentaires sont tombées dans une pauvreté profonde » (p. 6)

« Le processus de réduction de la faim se ralentit » (p. 7)

« Presque la moitié de tous les décès parmi les enfants âgés de moins de5 ans ont lieu en Afrique sub-saharienne, où le rythme des progrès s’estralenti dû aux faibles systèmes de santé et au SIDA. » (p. 19)

« Un vaccin sûr, efficace et relativement peu cher a été disponible pen-dant 40 ans. Mais la rougeole frappe toujours 30 millions d’enfants paran, tuant 540 000 d’entre eux en 2002 et laissant beaucoup des autresaveugles ou sourds. La couverture globale de l’immunisation à la rou-geole a cru lentement, mais affiche des retards en Océanie, en Afriquesub-saharienne et en Asie du Sud, où environ un tiers de tous les enfantsrestent non protégés. » (p. 20)

6 www.wto.org/english/tratop_e/devel_e/teccop_e/if_e.htm7 Banque Mondiale (2005), Doing Business in 2006: Creating Jobs, Washington DC.8 Je remercie William Duggan de l’Université de Columbia, qui a sa propre approche sur

le paradoxe des Nations Unies mettant en lumière un échec sans en assumer aucuneresponsabilité, d’avoir porté ce rapport à ma connaissance.

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« Il n’y a eu aucun changement en Afrique sub-saharienne, où la morta-lité maternelle est la plus élevée. » (p. 23)

« Les forêts disparaissent plus vite dans les régions les plus pauvres. »(p. 30)

« La croissance des bidonvilles devance la rénovation urbaine. » (p. 35)

Le rapport du Secrétaire Général de l’ONU documente l’échec des ODM.Jusqu’à présent, il n’est pas venu à l’esprit de l’ONU d’assumer la responsabi-lité de l’échec du plan qu’elle a conçu, sponsorisé et porté à l’attention dupublic. Au contraire, notre attention est dirigée vers la question des « besoinsd’aide » :

« Si tous les nouveaux engagements sont honorés, on espère que l’aideatteindra 100 milliards de dollars en 2010. Cependant, c’est toujours insuf-fisant par rapport aux montants généralement considérés comme néces-saires pour atteindre les ODM. »

Les rapports du FMI et de la Banque Mondiale sur les ODM obéissent à lamême logique d’échec sans responsabilité. On nous parle d’abord de l’échec :« Pour les pays les plus pauvres, beaucoup des objectifs semblent loin d’êtreatteints », puis du besoin d’étendre l’aide: « La plupart des pays les plus pau-vres auront besoin d’une aide additionnelle et devront regarder vers les paysriches pour qu’ils la fournissent. 9 »

En d’autres termes, la communauté de l’aide devrait augmenter encorel’échelle de plans qui sont en train d’échouer. La raison de montrer du doigtl’échec n’est pas de tenir qui que ce soit pour responsable, mais de documen-ter les incessants « besoins d’aide », c’est-à-dire d’offrir une raison pour uneexpansion accrue de l’aide. Les rapports de l’ONU et de la Banque Mondialen’expliquent pas pourquoi les pauvres ont besoin de davantage de la mêmechose qui a auparavant échoué à traiter leurs besoins.

Bien sûr, l’incapacité d’atteindre les objectifs pouvait apparaître mêmesans la faible efficacité de l’ONU, de la Banque Mondiale et des autres organi-sations internationales spécialisées dans la fourniture de services aux pauvres,parce que les objectifs étaient trop optimistes, ou dépendaient de facteurs endehors du contrôle de l’ONU et de la Banque Mondiale (cette excuse est moinsapplicable pour quelque chose d’aussi mesurable et faisable que la vaccinationcontre la rougeole). Loin d’absoudre la communauté de l’aide, néanmoins,cela soulève la question de comprendre pourquoi tant d’énergie est consacrée

9 http://ddp-ext.worldbank.org/ext/GMIS/gdmis.do?siteId=2&menuId=LNAV01HOME1

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à une campagne (ODM) qui ne crée aucune incitation positive pour aucunacteur, parce que les promesses sont sur-évaluées dans des domaines que lesacteurs ne contrôlent pas. La Banque Mondiale elle-même met en garde lespays pauvres contre la tentation de définir des objectifs trop optimistes ausein des CSLP pour exactement la même raison :

« Le plus souvent [les objectifs des CSLP] sont trop ambitieux; ils sonttechniquement et fiscalement inatteignables, ce qui annihile leur rôled’incitations effectives à l’action. 10 »

Tandis que le même recueil de référence de la Banque Mondiale sur lesCSLP prévient aussi :

« Il doit être possible d’isoler l’effet d’une mauvaise performance due auxacteurs de celui de chocs externes. 11 »

Alors que les organisations internationales tiennent les pays pauvres à cestandard, celles qui conçoivent les ODM sont apparemment exemptées de cesrègles.

Les organisations internationales semblent tout aussi inconscientes du pro-blème que pose la multiplicité des buts et des agents sur la structure d’incita-tions auxquelles font face les agences d’aide. Avoir plusieurs objectifs (54 enl’occurrence) est équivalent à avoir plusieurs principaux. Il est bien connu enthéorie de l’agence qu’avoir plusieurs principaux affaiblit, pour l’agent, sonincitation à délivrer le service requis à n’importe lequel d’entre eux. Alors lastratégie optimale pour chaque principal est d’essayer de pénaliser l’agentlorsqu’il poursuit d’autres buts que le sien et de le récompenser dans le cascontraire. Au niveau global, toutes les incitations construites par les princi-paux s’annulent les unes les autres laissant les agents avec peu ou pas du toutd’incitations. Un agent faisant face à de multiples tâches obtient du crédit endonnant des gages qu’il travaille sur toutes, si bien qu’il n’est pas motivé pourcompléter une seule d’entre elles, contrairement au cas d’un agent dont latâche et la responsabilité sont uniques. Pour mettre ce discours en termesintuitifs de la vie quotidienne, un salarié avec plusieurs patrons peut dire àchacun d’entre eux qu’il est trop occupé pour s’occuper de leur tâche parcequ’il travaille sur celles demandées par les autres patrons (Je parle d’après mapropre expérience de salarié).

10 Luc Christiaensen, Christopher Scott, et Quentin Wodon, Chapitre 4 : « DevelopmentTargets and Costs », dans le recueil de référence du CSLP, Jeni Klugman, éditeur,World Bank: Washington DC, 2002.

11 Ibid.

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Avoir plusieurs agents crée le problème évident de l’action collective et dupassager clandestin. Si tout le monde doit être blâmé quand quelque chose neva pas, alors personne n’est à blâmer.

Opèrent dans les montagnes boliviennes le FMI, la Banque Mondiale, laBanque Interaméricaine de Développement, l’ONUSIDA, la DEA (Drug Enfor-cement Agency), le Département Britannique pour le Développement Inter-national (DFID), environ toutes les autres agences d’aide des pays riches, demultiples ONG, et Bono. Aucune de ces agences n’est responsable d’un résul-tat particulier. Elles affectent conjointement le sort du développement écono-mique en Bolivie. Quand quelque chose ne va pas en Bolivie, comme lors de lacrise politico-économique de 1999-2005, après des années d’efforts par cesagences, laquelle est à blâmer ? On ne sait pas, donc aucune agence n’est res-ponsable. Cela affaiblit les incitations pour les agents à fournir des résultats.

L’introduction à la science économique explique pourquoi les cultivateursavec des droits de propriété individuels (responsabilité individuelle) obtien-nent de bien meilleurs résultats que les fermes collectives (responsabilité col-lective). Le miracle économique chinois a commencé avec la réalisation de ceprincipe dans la campagne chinoise.

Jeffrey Sachs rejette ces principes :

« Bien que les manuels élémentaires d’économie prêchent l’individua-lisme... notre sécurité et notre prospérité dépendent au minimum debeaucoup de décisions collectives pour combattre la maladie, promouvoirla science et l’éducation de masse, fournir les infrastructures critiques,et agir à l’unisson pour aider les plus pauvres des pauvres. » (p. 3, TheEnd of Poverty).

Bien sûr, il s’agit de biens publics, comme ceux mentionnés par le Profes-seur Sachs, pour lesquels les problèmes d’action collective doivent être réso-lus. Les sociétés riches le font à travers la responsabilité démocratique deshommes politiques et des bureaucrates vis-à-vis des électeurs. Les électeursveulent des routes, alors ils votent pour des politiciens qui établissent desministères des routes, responsables de la fourniture de routes de bonne qua-lité. La bureaucratie des pays riches n’exige pas de responsabilité collectiveenvers les ministères de la santé, des affaires étrangères, du trésor, de ladéfense, des retraites et des sports sur la fourniture de routes en bon état. Enfait, chacun de ces ministères est responsable envers les politiciens pour destâches spécialisées, dans son domaine de compétence, les politiciens étant àleur tour responsables devant les électeurs. C’est pourquoi un nid-de-poulepeut généralement être réparé suite à un coup de fil aux autorités. Hélas, le

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système de l’aide internationale n’a ni démocratie, ni responsabilité devantles bénéficiaires pauvres, ni responsabilité spécialisée.

Le FMI et la Banque Mondiale comptent beaucoup d’économistes bien for-més, connaissant les manuels d’économie élémentaire, pourtant ils produisenttoujours des documents comprenant les énoncés de leurs leaders respectifscomme :

« Comment créer un élan ? Ce rapport établit un programme qui chevau-che les responsabilités de tous les acteurs clés. 12 »

Plutôt que de promouvoir la responsabilité individuelle des agences pourdes tâches spécifiques, la communauté des bailleurs s’engage dans des fantai-sies telles que la responsabilité collective comme l’atteste l’extrait suivant :

« Le Forum de haut niveau de Paris sur l’harmonisation, l’alignement etles résultats a rassemblé les pays en développement, les bailleurs bilaté-raux, les fonds globaux, les agences de l’ONU, la société civile et les ins-titutions financières internationales pour évaluer les progrès et planifierla voie à venir, notamment à travers la surveillance d’indicateurs conve-nus de progrès. 13 »

Avec de tels défauts fatals, pourquoi l’exercice des objectifs du Millénaireest-il si largement suivi ? L’économie politique de l’aide dans les pays richestend à récompenser les grandes gesticulations et les promesses utopiques plu-tôt que des efforts modestes pour améliorer graduellement le bien-être et lesopportunités des pauvres. Les premières attirent Bono, Angelina Jolie et TonyBlair, les derniers n’attirent que les durs travailleurs de l’aide, en premièreligne, qui peinent sur le terrain, le plus souvent dans l’ignorance du public etdes médias des pays riches. En d’autres termes, la politique des pays richesrécompense ceux qui font les plus grandes promesses, particulièrement dansune situation où il n’y aura qu’une faible surveillance, des années plus tard,pour vérifier si les promesses ont été tenues (et même alors, le système de res-ponsabilité collective protégera chaque acteur de recevoir un blâme pour échec.)

Plus prosaïquement, les ODM sont peut-être attirants pour beaucoupd’agences d’aide puisqu’ils offrent quelque espoir de répondre à la questionqu’on peut lire dans le titre de cet article : comment évaluer les besoins d’aide.Malheureusement, les modèles qui permettent de calculer des coûts par objec-tif sont eux-mêmes des vestiges de la mentalité depuis longtemps révolue de laplanification qui a dominé les premiers jours de l’économie du développement,comme je vais l’explorer dans la prochaine section.

12 FMI et Banque Mondiale, Global Monitoring Report 2005, Washington DC, p. xi.13 Ibid., p. 235.

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Cependant, même s’il était possible d’estimer des coûts par objectif, ilfaudrait toujours répondre à la question de la détermination des objectifs.L’objectif du Millénaire numéro 1 est de diviser par deux la proportion de per-sonnes vivant dans une situation d’extrême pauvreté (tout comme diviser pardeux la proportion de personnes souffrant de la faim, avec six indicateurs entout, donc comme d’habitude l’objectif numéro 1 comprend en réalité six ob-jectifs). Pourquoi de moitié ? Pourquoi ne pas diviser des deux tiers ou destrois quarts ? Pourquoi le plan de Jeffrey Sachs doit-il éradiquer la pauvretépour 2025, plutôt que 2020 ou 2015 ? Même si nous ignorions le problème tou-jours fatal de la modélisation, le seul espoir de vérifier les « besoins de l’aide »est de vérifier les objectifs.

Le recueil de référence du CSLP qui guide le FMI et la Banque Mondialedonne quelques éclairages cruciaux sur ce qui va continuer avec les ODM. Lesauteurs de la Banque Mondiale écrivent :

« Mobiliser les ressources est sans aucun doute une fonction principaledes cibles définies par la communauté internationale des donateurs commeles Objectifs internationaux de développement. 14 »

Il y a quelque chose d’admirable dans le fait que la Banque Mondiale af-firme effrontément que la chose était circulaire tout du long. L’augmentationde l’aide est nécessaire pour atteindre les ODM. Les ODM sont nécessairespour augmenter l’aide. Bien que cette circularité détruise le dernier lambeaud’espoir que nous puissions arriver à déterminer à quel chiffre les « besoinsd’aide » s’arrêteront, l’indétermination mathématique n’est rien comparée augénie des relations publiques de l’entreprise dans son ensemble.

3 LES FANTÔMES DES MODÈLES DU PASSÉ

Si Rip Van Winkle était un décideur de l’aide, il aurait pu s’endormir en 1955pour se réveiller en 2005 sans être trop désorienté. Les mêmes modèles quiétaient utilisés dans les années 1950 pour justifier l’aide internationale sont tou-jours utilisés aujourd’hui dans le même but, en divertissant malheureusementl’attention du vrai problème de la création d’incitations pour rendre l’aide effi-cace. Ces modèles offrent une fausse précision pour « évaluer les besoins d’aide »aujourd’hui.

14 Luc Christiaensen, Christopher Scott, et Quentin Wodon, Chapitre 4 : « DevelopmentTargets and Costs », dans le recueil de référence du CSLP, Jeni Klugman, éditeur,World Bank: Washington DC, 2002.

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Il y a trois modèles, tous maintenant discrédités dans la littérature, quisous-tendent les estimations des « besoins de l’aide » :

1) Le modèle du « besoin de financement » de l’aide, de l’investissement et dela croissance ou le modèle à « double déficit »

2) Le modèle de la « trappe à pauvreté »

3) Le modèle de dépenses par résultats (« expenditures to outcomes ») en ma-tière de santé et d’éducation

Je me tourne vers l’exposé de ces trois modèles.

1) Le fantôme du besoin de financement

Un des articles les plus cités sur l’estimation du coût nécessaire pour attein-dre les ODM est celui de Devarajan, Miller et Swanson (2002), tous cher-cheurs à la Banque Mondiale 15. On ressent une certaine sympathie pour lescontorsions que ces auteurs bien considérés doivent exercer pour arriver àune estimation à laquelle ils disent qu’ils ne croient pas eux-mêmes. L’exer-cice central de l’article est d’utiliser le modèle du «besoin de financement »d’aide, d’investissement et de croissance et sa variante, le modèle à « doubledéficit », pour estimer les besoins de l’aide.

Selon ce modèle, la croissance économique est proportionnelle à l’investis-sement, lequel est financé par l’épargne domestique plus l’aide étrangère.Pour réduire le taux de pauvreté par deux (le but numéro 1 des ODM), on cal-cule un « taux de croissance requis » qui à son tour détermine un « taux d’inves-tissement requis ». Si l’épargne domestique n’est pas suffisante pour couvrir« l’investissement requis », il y a alors un besoin de financement – la différenceentre l’investissement requis et l’épargne disponible. Le rôle de l’aide est decombler cet écart. (Une autre version de ce modèle est le modèle à double défi-cit, qui prend en compte le déficit en devises en plus de l’écart investissement– épargne. Cependant, à ce niveau, le moins de temps on gaspillera à exposertous ces écarts, le mieux ce sera.) Le modèle prédit donc que l’investissements’accroisse de un pour un avec l’aide et que l’augmentation de l’investissementait un effet prévisible, stable et immédiat sur la croissance. Alors l’aide appa-raît comme la panacée pour créer le développement économique. La littératureconsacrée au développement économique a rejeté ces prédictions simplistesaprès les années 1960 et 1970 au vu des preuves empiriques du contraire 16.

15 Shantayanan Devarajan, Margaret J. Miller, Eric V. Swanson, “Goals for Development:History, Prospects, and Costs”, World Bank Policy Research Working Paper 2819, April2002.

16 Voir la discussion in: W. Easterly, The Elusive Quest for Growth: Economists’ Adven-tures and Misadventures in the Tropics, MIT Press: Cambridge MA, 2001, chapitre 2.

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Au cas où il subsisterait un doute sur le fait qu’ils utilisent exactement cemodèle, les auteurs écrivent,

« Pour estimer l’aide au développement additionnelle qui serait néces-saire pour réduire les taux de pauvreté des années 1990 par deux, nouscommençons avec un modèle simple de croissance à double déficit, danslequel la croissance dépend du taux d’investissement et de l’efficacité aveclaquelle l’investissement est transformé en production. »

Dans une note de bas de page, les auteurs notent que le modèle à doubledéficit souffre de quelques défauts, en particulier qu’il est dépassé et faux :

« Le modèle de développement courant des années 1960 et 1970, le modèleà double déficit, a été critiqué car inapproprié pour réaliser des projec-tions [Easterly, 1999] et analyser les politiques [Devarajan et al., 1997]et la pauvreté [Devarajan et al., 2000]. 17 »

En d’autres termes, les auteurs eux-mêmes ne donnent aucune raison decroire au modèle (y compris en se référant à leurs propres travaux antérieurs).Cependant, les estimations réalisées dans cet article, sur la base de ce manquede conviction, sont devenues la référence de beaucoup de discussions autourdes « besoins d’aide » en vue des ODM. Par coïncidence, leur résultat est quel’aide devrait approximativement doubler, la même augmentation à laquellele président de la Banque Mondiale, James Wolfensohn, avait appelé publique-ment avant que l’article n’ait été écrit (suivi simultanément par Tony Blair,Gordon Brown, Bono et d’autres dignitaires).

2) La trappe à pauvreté 18

Le second modèle suppose que les pays les plus pauvres sont dans unetrappe à pauvreté, de laquelle ils ne peuvent sortir sans un afflux massif defonds (big push) financé par l’aide, impliquant des investissements et des ac-tions pour remédier à toutes les contraintes qui pèsent sur le développement,après quoi ils connaîtront un décollage vers une croissance auto-entretenue

17 Les références sont :Devarajan, Shantayanan, et. al. (1997), “Simple General Equilibrium Modeling”, in:J. Francois et K. Reinert (eds.), Applied Methods For Trade Policy Analysis: A Hand-book. New York, Cambridge University Press.Devarajan, Shantayanan et Delfin Go. (2000), A Macroeconomic Framework for PovertyReduction Strategies. Washington, D.C., World Bank.Easterly, William (1999), “The Ghost of Financing Gap: Testing the Growth ModelUsed in the International Financial Institutions”, Journal of Development Economics60(2), p. 23-38.

18 Cette section est basée sur W. Easterly, “Reliving the 50s: Poverty Traps, the Big Push,and the Takeoff in Economic Development,” NYU Development Research Institute Wor-king Paper, 2005.

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rendant l’aide inutile. C’était exactement l’histoire qui a donné naissance àl’aide étrangère dans les années 1950, c’est exactement l’histoire que les avo-cats d’une augmentation massive de l’aide livrent aujourd’hui 19.

Selon Jeffrey Sachs et le projet objectifs du Millénaire de l’ONU (par exem-ple), le Big Push est supposé sortir les pays pauvres d’une « trappe à pau-vreté », qui empêche automatiquement les pays très pauvres de croître. CommeJeffrey Sachs l’explique dans son livre publié en 2005 The End of Poverty(p. 56-57) :

« Quand les gens sont...complètement dépourvus, ils ont besoin de toutleur revenu, ou plus, juste pour survivre. Il n’existe aucune marge derevenu au dessus du seuil de survie qui puisse être investie pour le futur.C’est la principale raison qui fait que les plus pauvres des pauvres sontplus susceptibles d’être piégés dans la trappe à pauvreté quand les tauxde croissance économique sont faibles ou négatifs. Ils sont trop pauvrespour épargner pour le futur et donc accumuler du capital qui pourrait lestirer de leur misère actuelle. »

Sachs soutient aussi que la trappe à pauvreté provient des rendementscroissants du capital :

« Une économie avec le double de stock de capital par tête signifie uneéconomie avec des routes qui fonctionnent toute l’année, plutôt que desroutes détruites à chaque saison des pluies ; de l’énergie électrique fiablevingt-quatre heures par jour, plutôt qu’une énergie électrique sporadi-que et imprévisible; des travailleurs en bonne santé et à leur poste, plutôtque des travailleurs chroniquement absents et malades. Il est vraisem-blable que doubler le stock de capital humain et physique augmentera deplus du double le niveau de revenu, au moins pour des niveaux très basde capital par tête. » (p. 250)

Dans ces circonstances, Sachs avance que « l’aide étrangère... permettraità l’économie de se sortir de la trappe à pauvreté et commencer à croître de sonpropre fait. » (p. 250)

On peut jeter un coup d’oeil à cette thèse. Nous avons des données sur lePIB par tête de 1950 à 2001 pour 137 pays grâce à la compilation de statisti-ques réalisée par l’économiste Angus Maddison. (J’exclue les économies com-munistes et les producteurs de pétrole du Golfe considérés comme des casparticuliers.) Nous classons les pays en fonction de leur revenu par tête en1950. Est-ce que les pays les plus pauvres en 1950 sont demeurés englués dans

19 Les références classiques sont Paul Rosenstein-Rodan, Sir Arthur Lewis, et Walt Rostow.

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la pauvreté lors du demi-siècle suivant ? Et bien, non. Les pays du dernierquintile en 1950 ont accru leur revenu sur les cinq décennies suivantes par unfacteur de 2,25. Les quatre autres cinquièmes ont augmenté leur revenu parun facteur de 2,47. L’écart de taux de croissance entre les deux groupes n’estpas significativement différent d’une fluctuation aléatoire. On peut statisti-quement rejeter l’hypothèse que le taux de croissance des pays les plus pau-vres pris comme un groupe ait été de zéro. En examinant toutes les périodes,seule celle de 1985-2001 correspond à l’histoire de la « trappe à pauvreté » ; jereviendrais brièvement sur cette période dans la section suivante.

On peut réaliser des tests statistiques plus poussés pour évaluer l’hypo-thèse de la trappe à pauvreté. Si cette hypothèse tient, alors les pays les pluspauvres devraient avoir des revenus stagnants à un très bas niveau. Le revenudevrait fluctuer autour de ce niveau, mais en y revenant toujours. Il existedeux manières de tester si les pays pauvres ont des revenus stationnaires. Onpeut supposer la stationnarité et regarder si les données rejettent cette hypo-thèse, ou supposer la non-stationnarité et regarder si les données ne parvien-nent pas à rejeter cette hypothèse. Quand on teste pour la stagnation desrevenus des pays du dernier quintile en 1950 sur le demi-siècle suivant, onrejette de manière décisive l’hypothèse de stationnarité. Quand on suppose lanon-stationnarité – une croissance positive – les données ne fournissent aucunélément allant contre cette hypothèse.

Peut-être est-ce l’aide qui a permis aux pays pauvres de sortir de la trappeà pauvreté ? Quand je partage l’échantillon en deux entre les pays pauvresayant reçu une aide internationale au-dessus de la moyenne et les pays pau-vres ayant reçu une aide internationale en dessous de la moyenne, je trouve

Tester la trappe à pauvreté sur longues périodes

Taux de croissance par tête pour : 1950-2001 1950-1975 1975-2001 1980-2001 1985-2001

Dernier quintile au début de la période indiquée 1,6 % 1,9 % 0,8 % 0,5 %* 0,2 %*

Quintiles 2 à 5 1,7 % 2,5 %** 1,1 % 0,9 % 1,3 %**Rejette l’hypothèse de revenu stable pour le dernier quintile

Oui Oui Oui Oui Oui

Ne rejette pas l’hypothèse de revenu non constant pour le dernier quintile

Oui Oui Oui Oui Oui

*Le taux de croissance du dernier quintile n’est pas statistiquement différent de zéro** Le taux de croissance du dernier quintile n’est pas statistiquement différent de celui des autresÉchantillon : 137 pays. Les tests statistiques excluent 12 économies en transition et les producteurs pétroliers du Golfe.

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des résultats identiques dans les deux sous-échantillons comme avec les testsprécédents de stationnarité. Sur la période 1950-2001, les pays avec une aideétrangère en dessous de la moyenne ont le même taux de croissance que lespays avec une aide étrangère au-dessus de la moyenne. Les pays pauvres quin’ont pas reçu d’aide n’ont pas connu de problèmes pour avoir une croissancepositive 20.

Pour être précis, il y a des pays parmi les plus pauvres qui ont échoué àinitier un processus de croissance. Le Tchad a eu une croissance nulle entre1950 et 2001. Le Zaïre/République Démocratique du Congo a eu une croissancepar tête négative sur la période. L’aide a toujours un rôle pour aider ces payssuffisamment malchanceux pour être nés avec une économie stagnante.

L’existence d’économies stagnantes est compensée par des succès commecelui du Botswana, qui était le quatrième pays le plus pauvre en 1950, maisdont le revenu a été multiplié par 13 entre 1950 et 2001. Le Lesotho était lecinquième pays le plus pauvre en 1950, mais son revenu a été multiplié par5 sur le demi-siècle. D’autres exemples de succès parmi les plus pauvres en1950 sont la Chine et l’Inde.

Continuons à rechercher une confirmation pour les deux principales pré-dictions de la théorie de la trappe à pauvreté : (1) le taux de croissance despays les plus pauvres est plus faible que celui des autres pays, et (2) la crois-sance du PIB par tête des pays les plus pauvres est nulle ou négative. Les pluspauvres ont connu une croissance plus faible que les autres dans une périodeantérieure : 1950-1975. Toutefois, on ne peut pas parler de trappe à pauvretépuisque le taux de croissance moyen des plus pauvres sur cette période affi-chait le score relativement vigoureux de 1,9 % par an. (A peu près le même quele taux de croissance de long terme de l’économie américaine, par exemple).

Il n’y a pas de preuves que les pays les plus pauvres connaissent une crois-sance plus faible que les autres sur les périodes récentes, comme 1975-2001 ou1980-2001. Leur croissance est décevante – bien plus que lors des périodesprécédentes – mais c’est le cas aussi pour les pays à revenu intermédiaire. Lespays du dernier quintile au début de ces périodes ont eu des performances decroissance sur les périodes suivantes statistiquement indistinctes de celles desautres pays. Il n’y a que lorsque le point de départ est fixé en 1985 qu’il apparaîtque les plus pauvres ont fait pire.

20 Plus généralement, une vaste littérature sur l’aide et la croissance échoue à trouverune relation causale robuste entre l’aide et la croissance ou l’investissement. Voir Rajanet Subramanian (2005) pour une revue de ce que cette littérature soutient aujourd’hui,et pour leurs propres tests sur la relation entre l’aide et la croissance.

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Les preuves qu’apporte Jeffrey Sachs en faveur de la trappe à pauvretédans son livre « The End of Poverty » sont issues de cette dernière période.Donc, de 1985 jusqu’à maintenant, il est vrai que les pays du dernier quintileont des taux de croissance du PIB par tête significativement plus faibles queles autres, d’environ 1,1 point de pourcentage. Même pour cette période, cepen-dant, on rejette l’hypothèse que tous les pays les plus pauvres ont eu un revenupar tête constant.

Les chiffres dans le tableau ne semblent pas raisonnables. Les pays lesplus pauvres n’ont pas une croissance plus faible sur l’ensemble de la période1950-2001, mais ils ont connu une croissance légèrement plus basse entre1950 et 1975 et une croissance beaucoup plus faible sur les périodes plus récen-tes. La solution de l’énigme est que l’identité des pays les plus pauvres audébut de chaque période change. Cela n’aide pas la thèse de la trappe à pau-vreté de savoir que 11 des 28 pays les plus pauvres en 1985 n’étaient PASdans le dernier quintile en 1950. Ils ont été rattrapés par la pauvreté suite àun déclin, plus qu’ils ne sont restés coincés dans une situation de pauvreté ini-tiale, pendant que d’autres pays se sortaient de cette dernière. Si l’identité deceux qui se trouvent dans la trappe à pauvreté n’arrête pas de changer, c’estqu’il ne doit pas s’agir d’une trappe.

Pour assombrir le tableau, les pays les plus pauvres ont reçu plus d’aideétrangère en termes de part de leur revenu dans la dernière décennie que lorsdes décennies précédentes (comme nous l’avons vu plus haut pour l’Afrique).L’aide étrangère est supposée aider les pays pauvres à se sortir de la trappe àpauvreté, donc les pays les plus pauvres aujourd’hui auraient dus être MOINSsusceptibles de rester dans la pauvreté dans la décennie récente que lors desprécédentes où ils recevaient moins d’aide. (Je peux aussi tester séparément sil’aide augmente la croissance économique, ce que je fais après.) Tous comptesfaits, il n’y a pas de preuves convaincantes de l’existence d’une trappe à pau-vreté se refermant sur les pays les plus pauvres.

D’autres chercheurs ont aussi échoué à trouver la moindre preuve d’une« trappe à pauvreté. 21 » Aart Kraay et Claudio Raddatz étudient dans un arti-cle de janvier 2005 le taux d’épargne et concluent qu’il ne se comporte pas dela manière dont la trappe à pauvreté l’aurait exigée pour des bas niveaux derevenus. Les raisons pour lesquelles les pays restent pauvres doivent se trou-ver ailleurs.

21 Aart Kraay et Claudio Raddatz, “Poverty Traps, Aid, and Growth”, World Bank mimeo,January 2005, Bryan Graham et Jonathan Temple, “Rich Nations, Poor Nations: Howmuch can multiple equilibria explain?”, Mimeo, Harvard University, 2004.

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Comment évaluer les besoins d’aide ? 23

Quid de la période 1985-2001 de croissance plus faible et de stagnation dansles pays pauvres mise en évidence ci-dessus ? Le projet objectifs du Millénairede l’ONU et Jeffrey Sachs soutiennent que c’est la trappe à pauvreté plutôt quela mauvaise gouvernance qui explique la croissance faible des pays à faiblerevenu et l’incapacité à faire des progrès vers les ODM. Sachs écrit que « laprétention que la corruption en Afrique est à la source du problème de{trappe à pauvreté} ne résiste pas à l’expérience pratique ou à un examenrigoureux. 22 » De même, il est écrit dans le projet objectifs du Millénaire que« beaucoup de pays raisonnablement bien gouvernés sont trop pauvres pourque les investissements leur fassent atteindre les premiers barreaux de l’échellemenant à la croissance. 23 »

Qu’est-ce que cela change si c’est la mauvaise gouvernance ou une trappe àpauvreté technologique qui prévaut ? Le dossier de la planification est encoreplus faible si les planificateurs doivent composer avec les complexités d’une mau-vaise gouvernance. Jeffrey Sachs s’inquiète dans The End of Poverty : « Si lespauvres sont pauvres parce que …leurs gouvernements sont corrompus, com-ment la coopération globale pourrait être utile ? 24 » Malheureusement, le faitque les gouvernements des pays pauvres soient corrompus ou pas doit être déter-miné par des preuves, non par des espoirs placés dans la coopération globale.

Testons la mauvaise gouvernance contre la trappe à pauvreté comme expli-cation de la faible croissance économique. La notation la plus ancienne que nousayons sur la corruption remonte à 1984, fournie par « l’International CountryRisk Guide ». On dispose d’une évaluation du niveau de démocratie pour lamême année, issue d’un projet de recherche à l’Université du Maryland appeléPolity IV. Prenons les pays qui ont les pires notations de corruption et dedémocratie, et appelons les « mauvais gouvernements ». Tandis que les payspauvres font moins bien, il est aussi vrai que les 24 pays avec de mauvais gou-vernements ont une croissance significativement inférieure entre 1985 et main-tenant : 1,3 point de pourcentage de moins que les autres. Ces deux histoiresse recoupent puisque les pays pauvres sont plus susceptibles d’avoir de mau-vais gouvernements. Alors, quelle est l’explication : la mauvaise gouvernance oula trappe à pauvreté ? Quand on prend en compte le niveau de pauvreté initialet la mauvaise gouvernance, c’est cette dernière qui explique la croissance plusfaible. On ne peut pas statistiquement discerner le moindre effet de la pau-vreté initiale sur la croissance de la période suivante une fois que l’on prend

22 Jeffrey D. Sachs, The End of Poverty: Economic Possibilities for Our Time, The PenguinPress, New York, 2005, p. 191.

23 Rapport du projet objectifs du Millénaire de l’ONU, Investing in Development: A PracticalPlan to Achieve the Millennium Development Goals: Main Report, p. 34.

24 Sachs 2005, p. 226.

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en compte la mauvaise gouvernance. C’est toujours vrai si on limite la défini-tion de la mauvaise gouvernance à la seule corruption. La récente stagnationdes pays les plus pauvres semble plus à voir avec l’existence d’ « abominables »gouvernements qu’avec celle d’une trappe à pauvreté, contrairement à l’hypo-thèse de Sachs.

3) Les dépenses par résultats (« expenditures to outcomes ») dans les secteurssociaux

Revenons à l’article de Devarajan et al. (2002). Ils reportent aussi un essaide dériver les besoins de l’aide pour les ODM basé sur les coûts des intrantsqui seront nécessaires pour atteindre les objectifs du Millénaire en termes desanté et d’éducation. Bien sûr, c’est une chose d’estimer le coût de la fourni-ture d’un service de santé comme, par exemple, qu’une dose de médicamentrevient à 1 dollar, et une chose complètement différente de supposer que 1 dol-lar d’aide internationale supplémentaire résultera en une dose de médicamentdonnée à un patient. Comme ils ont fait avec le modèle de « besoin de finance-ment », Devarajan et al. expliquent eux-mêmes qu’il n’y a pas de raisons decroire à leurs calculs : « les études empiriques sur les Pays en Développement(PED) suggèrent qu’il n’existe qu’un faible lien entre les dépenses publiquesd’éducation et les taux de scolarisation, ou entre les dépenses de santé et lamortalité ou la maladie. 25 »

Les auteurs cités, Deon Filmer, Jeffrey Hammer et Lant Pritchett (aussides chercheurs de la Banque Mondiale) mettent l’accent sur de tels élémentscomme, par exemple, les résultats d’une enquête sur des centres de santé gou-vernementaux dans le district de Mutasa en Tanzanie. Dans l’enquête, les jeu-nes mères reportaient ce qu’elles avaient le moins aimé dans leur expérienced’accouchement assisté par des infirmières gouvernementales. Les mères pau-vres étaient « ridiculisées par des infirmières pour n’avoir pas de vêtementspour bébés (22 %)… et les infirmières frappent les mères durant l’accouche-ment (13 %). 26 » A cause de l’insistance de travailler via les gouvernements,

25 Devarajan et al. (2002). Les travaux qu’ils citent sont : Filmer, Deon. 1999. “A Note onPublic Spending and Health and Education Outcomes”, Washington, D.C., World Bank.Filmer, Deon, Jeffrey S. Hammer et Lant H. Pritchett. 2000. “Weak Links in the Chain:A Diagnosis of Health Policy in Poor Countries”, World Bank Research Observer 15(2),p. 199-224.

26 Filmer, Hammer, et Pritchett. 2000. Les bureaucraties dans les pays riches dont les usa-gers n’ont pas beaucoup de voix peuvent être également oppressives, comme les servi-ces d’immigration et de douanes aux États-Unis. Le gouvernement des États-Unisdurant l’administration Clinton a essayé de rendre différentes agences plus accueillan-tes envers les usagers. Selon une anecdote de John Nellis, la réponse des autorités desdouanes fût : « Nous n’avons pas de clients, nous avons des suspects. »

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Comment évaluer les besoins d’aide ? 25

les fonds d’aide sont perdus dans les bureaucraties nationales et leurs relationsde patronage (sans mentionner les bureaucraties de la santé internationales).Dans des pays où la corruption est aussi endémique que n’importe quelle autremaladie, les autorités de la santé revendent souvent les médicaments financéspar l’aide au marché noir. Des études en Guinée, au Cameroun, en Ougandaet en Tanzanie ont estimé qu’entre 30 et 70 % des médicaments gouverne-mentaux disparaissaient avant d’avoir atteint les patients. Dans un pays àfaible revenu, un journaliste en croisade a accusé le ministre de la santé des’approprier 50 millions de dollars d’aide. Le ministre a répliqué que le jour-naliste avait de manière irresponsable sous-entendu que l’ensemble des 50millions était parti en une seule année, alors qu’ils avaient en réalité étédétournés sur une période de trois ans.

Jeffrey Sachs souffre de la même erreur d’appariement entre montant del’aide et fourniture des services dans le rapport pour le projet objectifs du Mil-lénaire intitulé Investing in Development (2005), The End of Poverty (2005) etdans le plus ancien Report of the Commission on Macroeconomics and Health(2001) 27. Chacun de ces travaux inclut un exercice de chiffrage de coût basésur les coûts unitaires de nombreux intrants, mais tous échouent à trouvercomment motiver la fourniture de ces intrants aux pauvres de telle manièrequ’ils produisent les meilleurs résultats. Devarajan et al. (2002) citent les esti-mations de la « Commission sur la macroéconomie et la santé » comme sup-port de leurs propres estimations, estimations basées sur la même méthodologieerronée que leur article disqualifie sur des bases probantes.

4 CONCLUSIONS

Le principe d’estimer « combien d’aide est nécessaire » dévoile une mentalitéde planification à l’opposé des principes élémentaires de l’économie. Que l’aideinternationale par elle-même puisse accomplir les ODM a toujours été uneillusion. Une grande part de l’espoir de réduction de la pauvreté et des souf-frances humaines provient des efforts autonomes que les pauvres fournissenteux-mêmes sur les marchés concurrentiels. Pendant que la communauté desbailleurs hésite pour augmenter l’aide de 50 milliards de dollars pour tous lespays pauvres, les citoyens de deux grands pays pauvres seulement – l’Inde etla Chine – ont augmenté leurs revenus annuels de 715 milliards de dollars.

27 Organisation Mondiale de la Santé, Macroeconomics and Health: Investing in Healthfor Economic Development, Report of the Commission on Macroeconomics and Health(Geneva, World Health Organization, 2001).

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26 William Easterly

L’aide peut toujours faire beaucoup de bien aux pauvres, mais seulementsi les agents de l’aide ont les incitations pour fournir des services tangibles àceux qui les tiennent comme responsables. Les mauvaises incitations crééespar la planification par le haut, la responsabilité collective, et les objectifs mul-tiples peuvent être remplacés par la responsabilité individuelle des agents déli-vrant l’aide, basée sur une évaluation indépendante des résultats de l’aide, quimotivera des recherches sur ce qui marche sur le terrain en différents lieux eten différentes époques.

Le meilleur plan d’aide est de ne pas en avoir. Simplement récompenserles agences d’aide pour faire plus de ce qui marche, et moins de ce qui ne mar-che pas. Il n’est pas possible de dire combien d’aide « est nécessaire ». Cepen-dant, si l’opinion publique des pays riches voit que l’aide permet de fournir lesnombreuses éléments qui réussissent à créer plus d’opportunités et moins desouffrances pour les pauvres, alors elle sera prête à en augmenter le montant.

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