compte rendu du colloque update 4 15-17/11/2012 · compte rendu du colloque update_4 15-17/11/2012...

54
– 1 – COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix d’art technologique nouveau), lié à l’exposition Update_4 qui a eu lieu du 15 au 17 novembre 2012, porte « Im- mortel » comme titre. Il remet en question la perfection de la technologie, ou ses défauts, la valeur éternelle de l’art, est compatible avec le débat public sur le développement durable, et ouvre le débat entre la science et l’éthique. Avec des experts du monde de l’art, de la science, de la philosophie, de la restauration et de la conservation, le sujet est abordé d’une façon interdisciplinaire, et à travers des conférences, une impulsion est donnée à la réflexion, à la discussion et au débat. Des penseurs scientifiques euphoriques prédisent que d’ici la prochaine génération, non seu- lement l’intelligence de l’informatique deviendra surhumaine, mais aussi que la connais- sance médicale sera à ce point avancée, que le corps humain demeurera éternellement jeune. En ce sens, des termes tels que niveaux, mises à jour et upgrading qui nous viennent du monde des jeux vidéo, semblent être des variations sur le mythe transhumaniste de Lazare et de la croyance en la réincarnation. L’évolution de la technologie a un impact indéniable sur notre façon de penser à propos de « être » et de « temps ». La question est de savoir quelles répercussions ce cadre conceptuel spéculatif a sur la pratique artistique ? Lorsque Sir Ernst Gombrich (1909-2001), en 1950, publia The Story of Art, ce best-seller fut traduit déjà un an après en néerlandais, sous le titre Eeuwige schoonheid. Inleiding tot de kunst. Néanmoins, Gombrich n’impose pas une beauté abso- lue et éternelle ; plutôt, il considère l’art comme un changement incessant d’idées et de be- soins. L’art devrait-il poursuivre l’éternité, et comment cela affecte-t-il la position de la documen- tation, de l’archivage, de la conservation, de la réparation, de la migration des données, de la conversion ou de modalités de mise en œuvre ? Il est un fait que la question de l’authenticité, du caractère original et de la copie, apparaisse toujours comme la plus immortelle. D’autre part, la culture d’une conservation (physique) semble être un concept du monde occidental et – comparée à la conservation de formes d’art éphémères comme la musique ou le théâtre – être caractéristique des arts visuels. Plusieurs intervenants ont été invités à nous parler de ces thèmes, à nous donner des infor- mations, à stimuler notre esprit à la réflexion, voire la résistance, de sorte à nous faire fomuler nos questions critiques ou autres idées. La pole position a été prise par Frederik Leen. En tant que chef de département d’Art Moderne des Musées royaux à Bruxelles, il se retrouve dans la position de ceux qui ne font pas de l’art, mais qui l’étudient, l’exposer et le conservent. Il est convaincu que quelqu’un qui produit de l’art qui plaît à tout le monde, équivaut à de la décoration. Cela n'a aucun sens de reformuler une fois de plus des banalités.

Upload: others

Post on 18-Oct-2020

2 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 1 –

COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4

15-17/11/2012

Introduction

Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix d’art technologique nouveau), lié à l’exposition Update_4 qui a eu lieu du 15 au 17 novembre 2012, porte « Im-mortel » comme titre. Il remet en question la perfection de la technologie, ou ses défauts, la valeur éternelle de l’art, est compatible avec le débat public sur le développement durable, et ouvre le débat entre la science et l’éthique. Avec des experts du monde de l’art, de la science, de la philosophie, de la restauration et de la conservation, le sujet est abordé d’une façon interdisciplinaire, et à travers des conférences, une impulsion est donnée à la réflexion, à la discussion et au débat.

Des penseurs scientifiques euphoriques prédisent que d’ici la prochaine génération, non seu-lement l’intelligence de l’informatique deviendra surhumaine, mais aussi que la connais-sance médicale sera à ce point avancée, que le corps humain demeurera éternellement jeune. En ce sens, des termes tels que niveaux, mises à jour et upgrading qui nous viennent du monde des jeux vidéo, semblent être des variations sur le mythe transhumaniste de Lazare et de la croyance en la réincarnation.

L’évolution de la technologie a un impact indéniable sur notre façon de penser à propos de « être » et de « temps ». La question est de savoir quelles répercussions ce cadre conceptuel spéculatif a sur la pratique artistique ? Lorsque Sir Ernst Gombrich (1909-2001), en 1950, publia The Story of Art, ce best-seller fut traduit déjà un an après en néerlandais, sous le titre Eeuwige schoonheid. Inleiding tot de kunst. Néanmoins, Gombrich n’impose pas une beauté abso-lue et éternelle ; plutôt, il considère l’art comme un changement incessant d’idées et de be-soins.

L’art devrait-il poursuivre l’éternité, et comment cela affecte-t-il la position de la documen-tation, de l’archivage, de la conservation, de la réparation, de la migration des données, de la conversion ou de modalités de mise en œuvre ? Il est un fait que la question de l’authenticité, du caractère original et de la copie, apparaisse toujours comme la plus immortelle. D’autre part, la culture d’une conservation (physique) semble être un concept du monde occidental et – comparée à la conservation de formes d’art éphémères comme la musique ou le théâtre – être caractéristique des arts visuels.

Plusieurs intervenants ont été invités à nous parler de ces thèmes, à nous donner des infor-mations, à stimuler notre esprit à la réflexion, voire la résistance, de sorte à nous faire fomuler nos questions critiques ou autres idées. La pole position a été prise par Frederik Leen. En tant que chef de département d’Art Moderne des Musées royaux à Bruxelles, il se retrouve dans la position de ceux qui ne font pas de l’art, mais qui l’étudient, l’exposer et le conservent. Il est convaincu que quelqu’un qui produit de l’art qui plaît à tout le monde, équivaut à de la décoration. Cela n'a aucun sens de reformuler une fois de plus des banalités.

Page 2: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 2 –

Il peut compter plusieurs artistes expérimentaux parmi ses amis personnels, mais cela ne veut pas dire que, dans sa fonction au musée, il achèterait leurs œuvres pour la collection du musée. Collectionner sur base d’un intérêt accidentel, personnel, avec un horizon de temps ou de conservabilité limités, qui ne transcende pas sa propre carrière, n’est pas pertinent pour lui.

Maarten Baes, astronome, a été invité pour nous donner un autre regard sur la notion de temps. Ce qui caractérise la recherche d’astronomes, ce sont les échelles énormes de distance et de temps. Ce que signifient les termes astrologiques « immortel » ou « (in)fini » dépasse notre monde quotidien et montre les limites de notre compréhension. Rien ne semble être éternel, même pas l’univers.

Frederika Huys a été invitée en tant que pionnière en Flandre dans le domaine de la conser-vation de l’art contemporain. Parfois les artistes utilisent des matériaux périssables, et la disparition ou la dégradation progressive constitue l’essence d’une œuvre d’art. Dans cer-tains cas, on peut même parler d’un « travail en cours », parce que les artistes continuent d’apporter des changements et n’arrivent pas à un état final et fixe, ce qui est quelque peu semblable à l’idée de « non-finito » de Michel-Ange. Frederika Huys analyse deux cas parti-culiers : Joseph Beuys et Suchan Kinoshita. À condition que les voies correctes puissent être explorées, l’art contemporain peut, à son avis, être sauvgardé pour l’éternité.

Julijonas Urbonas était dès son enfance fasciné par le phénomène du parc d’attractions. En tant qu’architecte, il est resté professionnellement intéressé par ce qu’il appelle l’esthétique physiquement observée du « théâtre gravitationnel ». Depuis lors, cette question est au cœur de sa vie créatrice, comprenant aussi bien des œuvres artistiques que des articles scientifi-ques. Ses œuvres ont été exposées internationalement et ont reçu de nombreux prix, dont le Prix de distinction Interactive Art, Prix Ars Electronica 2010, l’un des prix les plus presti-gieux dans le domaine des arts médiatiques. Dans son temps libre, Julijonas – par la création, l’expérimentation et les écrits – explore l’esthétique expérimentale des technologies et don-ne des conférences à ce sujet. Sa montagne russe Euthanasia Coaster, exposée pendant Update_IV, a été réalisée dans ce contexte.

Ann Van Sevenant a été demandée d’approcher l’immortalité d’un point de vue philosophi-que. Elle lie cette notion aux progrès technologiques et à la croissance de notre espérance de vie. Dans sa contribution, elle formule quelques questions pertinentes, qui remontent à Pla-ton et Zoroastre, et elle nucance notre vocabulaire, en soulignant la différence entre les mots immortel, éternel et impérissable.

Bram Vandeveire se pose des questions à propos de l’évidence avec laquelle l’art ancien est conservé, là où cela n’est pas évident pour l’art contemporain. Plus précisément, il a acquis une connaissance professionnelle profonde des formes d’art de la vidéo, et il a été confronté à la difficulté initiale de sa conservation à long terme. Si aucune marge de manœuvre n’existait – ce qu’il considère comme une nécessité absolue – permettant d’expérimenter avec de nouveaux supports et de nouveaux formats de conversion des masters, l’art vidéo risquerait effectivement de ne pas survivre à long terme.

En tant qu’employé des MRBAB, Pierre-Yves Desaive sait comment un musée conçoit une œuvre numérique. En tant que critique d’art, il sait comment les autres critiques d’art voient

Page 3: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 3 –

les œuvres numériques. Et en tant que professeur à La Cambre à Bruxelles, il enseigne à ses élèves sur NetArt, parce que même s’ils sont très familiers avec l’Internet, ils connaissent mal le rôle que celui-ci joue dans la création de l’art contemporain.

Marko Stamenković prépare un doctorat à l’Université de Gand sur le suicide comme phé-nomène et symptôme de la culture médiatique globale, et a publié plusieurs textes à ce sujet. Au cours de la conférence, il a apporté une performance avec texte, vidéo et chanson basée sur le projet Imagen Descende de l’artiste André Catalão.

Christophe De Jaeger approche l’intemporalité de l’art à partir de ses recherches sur les pionniers de l’art basé sur ordinatuer. Bien que cette forme d’art soit souvent conçue comme une Spielerei purement technique par de nombreux artistes plus conventionnels à partir des années soixante, il conclut que beaucoup d’œuvres ont quand-même été reprises dans le ca-non des collections d’art et dans des collections de plusieurs musées, où elles sont conservées pour « l’éternité ».

L’artiste Stanza fait de l’art qui, tout en utilisant un support (qui peut prendre des formes diverses), n’est pas limité par le temps et l’espace par les données qu’il utilise. Parfois, ces données sont piratées et existent dans le monde virtuel. La perturbation dans le flux de données a pour effet que l’œuvre n’existe plus à ce moment-là. Son autoportrait prend 107 années avant d’être pleinement établi, une période qui dépasse probablement sa propre durée de vie. L’œuvre existera donc encore ou sera seulement achevée quand lui-même ne sera plus là.

Rosa Menkman a été co-auteur du Glitch Manifesto. Le fait d’utiliser une erreur (dans un système informatique) rappelle la notion du « défaut » académique au 19ème siècle : la dévia-tion de la norme (ou de l’idéal) fut, pour les artistes modernistes, une source de créativité éternelle. Au 21ème siècle, Rosa Menkman semble bâtir sur le même principe qui semble générer une vie éternelle, sur la base de l’interprétation créative d’un état donné.

Peter Beyls est un des pionniers de l’art contrôlé par ordinateur, et bénéficie d’une renom-mée internationale. Dans sa quête ou sa mise en question de l’immortalité, il examine les processus et les mécanismes de la nature, et comment nous pouvons mettre en place un univers informatisé capable de produire de l’art.

Jean-Paul Fourmentraux approche l’aspect « immortalité » à partir d’œuvres sans début ni fin bien définis. Il s’appuie sur le programme de recherche Praticables – Dispositifs artistiques : les mises en œuvre du spectateur, qui examine le rôle que joue le public dans la création de l’art contemporain.

Angelo Vermeulen est artiste, mais a d’abord étudié la biologie et a même obtenu un docto-rat dans cette science. Ses œuvres et ses méthodes sont compatibles avec l’idée de l’immor-talité, en ce sens que les algues qu’il utilise souvent dans ses œuvres, peuvent être considé-rées comme un médium artistique « immortel ». Il travaille en effet toujours avec les algues de sa première culture qui remonte à 2002.

Page 4: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 4 –

Programme :

Jeudi, 15 novembre

14h00 : Stef Van Bellingen : Introduction

14h15 : Frederik Leen (15h : Q & R)

15h15 : Martin Baes (16h : Q & R)

16h15 : Pause

16h45 : Frederika Huys (17h30 : Q & R)

17:45h : Pause

19h15 : Discussion avec l’artiste Julijonas Urbonas

19h45 : Ann Van Sevenant (20h45 : Q & R)

Vendredi, 16 novembre

10-13h : Atelier de Rosa Menkman

14h00 : Stef Van Bellingen : Introduction

14h15 : Bram Vandeveire (15h : Q & R)

15h15 : Pierre-Yves Desaive (16h : Q & R)

16h15 : Pause

16h45 : Marko Stamenković

19h15 : Christophe De Jaeger

19h45 : Stanza

21h15 : Peter Beyls

Samedi, 17 novembre

14h00 : Stef Van Bellingen : Introduction

14h15 : Rosa Menkman (15h : Q & R)

15h15 : Jean-Paul Fourmentraux (16h : Q & R)

16h15 : Angelo Vermeulen (17h : Q & R)

17h15 : Yves Bernard

18h : Annonce des prix de Update_IV

Page 5: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 5 –

Stef Van Bellingen, Accueil

M. Van Bellingen, modérateur, accueille les conférenciers et le public, et décrit brièvement le contexte dans lequel le colloque se déroule, c’est-à-dire le concours biennal de Update (no-tamment la quatrième édition de cette manifestation), dans lequel les nouvelles technologies dans les arts sont abordées. Dans ce contexte, il s’est avéré pertinent de déterminer si, oui ou non, l’art (contemporain) a un caractère « éternel ». Ce thème a été inspiré par la mort d’une bonne connaissance du modérateur, ce qui a donné lieu à la question un peu sinistre de ce que doit devenir son compte Facebook – dans notre société qui est de plus en plus déterminée par les nouvelles techniques.

Page 6: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 6 –

Frederik Leen – Conserver éternellement de l’art immortel

M. Frederik Leen est conservateur et chef du Département d’art moderne des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (MRBAB) à Bruxelles. Il détient un doctorat en histoire de l’art. Comme le conférencier, dans une « vie antérieure », a aussi enseigné le dessin scienti+que, le modérateur s’attend à ce qu’il dé+nisse d’une manière presque « mathématique » les critères qu’il applique pour l’achat d’œuvres par son département.

Tout achat du département doit respecter, en plus des critères liés à la valeur artistique et historique de l’œuvre, des critères liés à la possibilité de conserver une œuvre, ce qui est une des responsabilités, à court et à long terme, qui incombent à un musée financé avec des fonds publics (ceci implique que des musées financés avec des fonds privés, ne sont pas nécessaire-ment tenus à respecter ces mêmes critères). La mission principale d’un musée peut être résumée sous le titre de sa publication de 1996 Beauté éternelle – montrer temporairement, à condition bien sûr que le concept de « éternel », en tant que concept indicatif, soit défini d’une manière suffisamment précise comme étant équivalent à « pour un temps très long (en termes de siècles) ».

Aussi, on peut dire que le musée est responsable de l’intégrité physique des œuvres dans sa collection, et qu’il doit (pouvoir) prendre les mesures de sauvegarde adéquates pour garder l’œuvre intacte. Ainsi, dans l’élaboration d’une politique de collection, l’aspect de la « con-servabilité » d’une œuvre est pertinent, et Frederik Leen a défendu cette thèse lors du sym-posium Modern art – who cares ?, où elle n’a pas rencontré l’acceptation unanime des partici-

Page 7: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 7 –

pants. En principe, chaque œuvre commence à se dégrader dès le moment qu’elle est créée, mais la vitesse de cette dégradation dépend des matériaux utilisés et des conditions dans lesquelles l’œuvre est conservée (même si cette information n’est pas toujours connue à l’avance : quelle est, par exemple, la durée de vie des supports de photos ?). Les artistes con-temporains sont de plus en plus conscients de l’impermanence de leurs œuvres, et préparent des manuels ou des instructions pour décrire comment celles-ci devront être manipulées. Dans le cas de Lawrence Weiner, il s’agit d’instructions générales applicables à l’ensemble de ses œuvres. Mais tous les artistes ne le font pas, et pour certaines œuvres, c’est loin d’être évident ; prenons le cas d’une œuvre créée in situ : une fois l’exposition en question terminée, la vie de l’œuvre touche en principe à sa fin elle-aussi ; ce genre d’œuvres, et d’autres œuvres hautement périssables, ne peuvent donc pas être collectionnées dans leur forme originale, du moins par des musées financés avec des fonds publics. Il s’agit d’œuvres pour lesquelles il faudra déterminer, cas par cas, l’opportunité de les reprendre dans la collection. Des critères stricts sont difficiles à établir, car les responsables n’échappent pas à l’air du temps.

M. Van Bellingen signale le problème que les prix des œuvres d’artistes vivants peuvent augmenter rapidement, de sorte que – si un musée attend trop longtemps avec un achat, notamment pour s’assurer d’abord du fait que l’œuvre en question peut être conservée à long terme – son acquisition devienne hors prix. Pour un musée comme les MRBAB, il est souvent devenu trop onéreux d’acheter des œuvres d’une importance exceptionnelle, bien que cela soit en fait la tâche d’un musée. En outre, un tel achat coûteux (nous parlons de millions d’euros), avec des fonds de la communauté, serait socialement difficile à justifier, compte tenu des nombreuses priorités qui doivent être financées avec l’argent de la communauté. Il s’agit d’ailleurs d’acquisitions avec un impact notable également au niveau politique. Le musée ne peut qu’espérer qu’un jour, une telle œuvre pourra être acquise grâce à du mécénat.

Le modérateur pose également la question de savoir si, en plus de la durabilité des matériaux utilisés, il n’y a pas de critères plus conceptuels pour évaluer l’« immortalité » d’une œuvre. Frederik Leen répond qu’un musée doit de toute façon opérer un choix parmi une large gamme, et que plusieurs critères, notamment le contenu, entrent en jeu. Mais la possibilité de pouvoir conserver une œuvre est et reste déterminante : il se réfère à des vidéos analogi-ques dont les bandes sont actuellement à ce point dégradées, qu’elles ne peuvent plus être lues ; il s’était, par le passé, opposé à l’achat d’œuvres sur ce support, ce qui n’avait pas tou-jours été apprécié par ses collègues, mais il s’est avéré entre-temps que, si le musée – quod non – avait acheté de pareilles œuvres, l’argent dépensé devrait être considéré comme étant perdu (seule l’idée derrière la vidéo est décrite). Avec la numérisation des médias, ce pro-blème est largement résolu.

Page 8: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 8 –

Questions & Réponses

Q. Le musée dispose-t-il d’une politique de pré-acquisition ?

R. Une politique de pré-acquisition est, en fait, la même chose que la politique de collection antérieure, et les conservateurs font, en effet, d’abord une présélection dans la gamme d’œuvres offertes, et rédigent une proposition d’achat, qui est soumise pour approbation à un comité consultatif externe indépendant.

Q. Dans le monde de la danse et du théâtre, on travaille avec des scénarios pour les presta-tions, de sorte que, toujours et en tout temps, l’œuvre puisse être ré-exécutée. N’est-ce pas envisageable également pour les beaux-arts, de sorte que la « conservabilité » d’une œuvre d’art puisse s’améliorer de manière significative ?

R. C’est déjà le cas pour des œuvres d’art éphémères telles que des performances, mais sou-vent le contexte dans lequel elles sont réalisées manque ou est insuffisamment connu. Une performance de 1959, même si elle est fidèlement recréée par les mêmes acteurs, aujour-d’hui, en 2012, n’a plus le même statut, sens, niveau d’expérience ni impact, que la version originale. C’est comparable aux partitions de musique qui existent encore, mais pour les-quelles nous ne savons pas comment la musique en question sonnait à l’origine. La même chose vaut pour des productions de théâtre et des déclamations dans des langues mortes. Dans tous les cas, il s’agit de re-créations, dans lesquelles l’objet original est donc créé à nouveau, à partir de zéro. Il est donc important de décrire aussi bien que possible l’inté-grité d’une œuvre d’art, y compris son environnement. Dans l’art visuel, il s’agit d’un phénomène relativement rare, ce qui ne pose pas de problème tant que l’artiste est encore en vie. Si une œuvre matérielle est refaite, il s’agit d’une reproduction. Il existe un large éventail de reproductions parfois réalisées par l’artiste lui-même ou sous sa direction, donc éventuellement avec l’aide d’assistants (une réplique et une copie). À ce propos, on peut se référer aux technologies d’analyse les plus récentes qui permettent des descrip-tions très détaillées (y compris d’aspects invisibles à l’œil nu). Mais même dans ces cas-là, on ne devrait pas avoir l’illusion qu’un musée puisse reconstruire le contexte historique d’une œuvre d’art, ce qui est la condition pour la bonne compréhension de ce type d’œuvres d’art.

Un musée collectionne et expose des originaux, pas des reproductions ou des reconstruc-tions. Le public le sait et s’y attend. S’il est néanmoins nécessaire, pour des raisons didacti-ques, de montrer une reproduction ou une reconstruction, cela doit se faire sous la stricte condition qu’une indication claire en soit donnée.

Q. Un musée peut-il laisser « mourir » une œuvre d’art ?

R. Non, même si l’œuvre a été endommagée : nul ne sait dans quelle mesure de nouvelles technologies seront développées qui permettent la restauration d’une œuvre, même en-dommagée ou dégénérée.

Retour

Page 9: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 9 –

Baes Maerten – Astronomiquement immortel

M. Maarten Baes est professeur d’astrophysique à l’Observatoire de l’Université de Gand. Son domaine de recherche principal est la partie invisible des galaxies : les nuages de gaz, de poussière, de matière noire et des trous noirs qui sont cachés parmi les étoiles. Il dirige une équipe qui combine des données d’observations des plus grands télescopes sur Terre et dans l’espace avec des simulations numériques très avancées.

Les astronomes s’emploient à étudier et expliquer scientifiquement la structure des systèmes solaires, des galaxies, les amas de galaxies et la structure à grande échelle de l’univers, et ce qui est frappant, ce sont les échelles énormes de distance et de temps qu’on y rencontre.

L’astronomie et la cosmologie ont connu un développement très rapide pendant les quelque cent dernières années. Ainsi, il fut pendant plusieurs siècles un mystère d’où venait l’énergie qui faisait briller le soleil, et d’aucuns avaient parfois recours à une déclaration divine ; le mystère n’était résolu qu’au début du XXe siècle, grâce à la découverte et à l’étude de l’éner-gie nucléaire (fusion), qui se produit à l’échelle inimaginablement petite des atomes, mais qui, par le grand nombre de ces processus (pour le soleil, il y a 9 × 1037 fusions nucléaires par seconde), détermine le comportement du soleil sur une échelle inimaginablement grande. Le fait que les étoiles traversent une évolution continue et ne sont pas statiques n’a été établi et bien compris que depuis le début du XXe siècle, notamment par l’analyse, d’une part, de la température de leurs surfaces, et de l’autre, de la brillance, à travers des diagrammes appelés

Page 10: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 10 –

Hirschsprung-Russell. Il est apparu que des étoiles « normales » comme notre soleil ont une durée de vie d’environ 10 milliards d’années (notre soleil est environ à la moitié de celle-ci), mais pour les étoiles massives, elle est de « seulement » 100 millions d’années, soit 1/100 de celle de notre soleil.

L’évolution des étoiles est maintenant assez bien comprise, mais qu’en est-il de l’évolution de l’univers, qui est étudiée en cosmologie ? Les questions cosmologiques sont aussi vieilles que l’humanité, mais il a fallu attendre la théorie de la relativité spéciale d’Einstein, développée en 1905, pour pouvoir formuler des réponses scientifiquement fondées. Grâce à cette théorie, nous savons que le temps est relatif, et qu’il n’y a qu’une seule constante universelle, à savoir la vitesse de la lumière, qui est la même pour chaque observateur, quelle que soit la vitesse à laquelle celui-ci se déplace. Cela implique que le temps est plus lent pour un observateur en mouvement que pour un observateur immobile, mais les différences ne sont vraiment per-ceptibles qu’à des vitesses très élevées. Grâce à la théorie de la relativité générale, nous savons maintenant que le temps est influencé par les champs gravitationnels qui courbent l’espace-temps quadri-dimensionnel de manière significative. Dans les cas extrêmes, comme les trous noirs, le temps vient même à l’arrêt.

L’exactitude de ces théories a été prouvée expérimentalement, par exemple, par l’explication qu’elles donnent aux déviations de la trajectoire de Mercure (non expliquées par la théorie de Newton), ou au phénomène des lentilles gravitationnelles dû au fait que la lumière est déviée sous l’influence de la force de la gravité.

Ces théories, complétées par des observations cosmiques, nous apprennent que l’univers est en expansion (voir la loi de Hubble), ce qui suggère qu’il y a environ 13,7 milliards d’années terrestres, l’univers a dû démarrer à partir d’un seul « atome primitif » qui a « explosé » dans le big bang, en expliquant ainsi l’origine de l’univers tel que nous l’observons actuellement et toujours en évolution. La théorie du big bang, qui a été formulée entre autres par le Belge Lemaître, n’est pas seulement basée sur et validée par le mouvement des galaxies que nous pouvons observer, mais aussi par la composition chimique de l’univers, qui remonte aux pre-mières minutes après le big bang, et par les différences dans le rayonnement de fond que nous percevons et qui date également de l’origine de l’univers. Les modèles théoriques déve-loppés convergent aujourd’hui dans un modèle standard, qui, cependant, présuppose l’exis-tence de formes de « matière sombre » (qui devrait représenter environ 22% de la masse totale de l’univers) et d’« énergie sombre » (qui devrait représenter environ 74%), que nous avons n’ont pas encore été en mesure d’observer dans l’état actuel de la technologie. Ce modèle pointe également vers une expansion continue de l’univers, jusqu’à ce que toute la matière se désintégrera. Rien ne semble donc être éternel, certainement pas les étoiles individuelles, mais pas non plus l’univers dans son ensemble.

Comme la vitesse de la lumière est finie, cela signifie que nous voyons actuellement les galaxies comme elles étaient dans le passé (c’est-à-dire au moment où la lumière a quitté la galaxie en question). Actuellement nous pouvons « regarder en arrière » dans le temps jus-qu’à environ 1 milliard d’années après le big bang, soit il y a environ 13 milliards d’années ; avec la nouvelle génération de télescopes qui sont planifiés, à la fois sur Terre et dans l’espa-ce, nous pourrons regarder plus loin dans l’espace et donc en arrière dans le temps.

Page 11: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 11 –

Questions & Réponses

Q. Le conférencier croit-il dans des voyages dans l’espace vers d’autres systèmes solaires

voire d’autres galaxies ?

R. Non : même l’étoile la plus proche (Proxima Centauri) se trouve à plus de quatre années-lumière (par rapport à la distance Terre-Soleil qui est de seulement huit minutes-lumière), ce qui rend des pareilles voyages irréalistes.

Q. Étant donné que l’on observe des galaxies toujours comme elles étaient dans le passé et donc là où elles étaient à ce moment-là, pouvons-nous déterminer où ces systèmes se trouvent actuellement ?

R. Cela n’est possible que pour les voisins les plus proches de notre galaxie, pour lesquels nous pouvons déterminer les vecteurs de vitesse, mais pas pour des systèmes plus dis-tants.

Q. Y a-t-il un effet de la relativité du temps qu’on peut observer concrètement sur terre ?

R. Pour tout ce qui se passe sur terre ou même dans notre système solaire, l’effet de la relativité du temps est, en fait, négligeable.

Retour

Page 12: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 12 –

Frederika Huys – Conservation des concepts d’art contemporain –

un monde de pièces de rechange et de scénarios exécutables De 6778 à 9:6:, Frederika Huys a dirigé le département Conservation & Restauration du S.M.A.K. à Gand. En 9:66, elle a créé ‘The House of Conservation’ (www.thehouseofconservation.com), une entreprise profes-sionnelle qui veut fournir un service optimal aux musées, galeries, artistes et collectionneurs. Elle a conservé des œuvres d’artistes tels que Marcel Broodthaers, Wim Delvoye, Carsten Höller, Suchan Kinoshita, Yves Klein, Edward Lipski, Bruce Nauman, Panamarenko, Marthe Wéry, Franz West.

Pour comprendre comment nous sommes arrivés aujourd’hui à une méthodologie permet-tant de conserver des œuvres d’art du type ‘installation’, Frederika Huys aborde dans sa con-férence quelques moments-clés qui ont graduellement conduit à certaines vues. Comment traite-t-on une collection d’art contemporain qui est un assemblage de différents formes et matiériaux ? Comment traite-t-on une œuvre d’art qui en soi est déjà un assemblage de dif-férents formes et matériaux ? Il est clair que le traitement de pareilles collections nécessite une multitude de connaissances, qui ne peuvent être acquises qu’en travaillant ensemble. C’est aussi la conclusion du colloque international Modern Art - Who cares ? organisé en 1999. Ce colloque est historiquement important parce que, pour la première fois, des spécialistes du monde entier furent réunis pour réfléchir à la conservation de l’art contemporain. Comment traite-t-on les nouveaux systèmes de peinture, des plastiques et des peintures

Page 13: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 13 –

monochromes ; qu’est-ce qu’on fait avec une œuvre d’art motorisée ou une chambre remplie d’équipements ?

L’échange de connaissances est visé à plusieurs niveaux. Les restaurateurs devraient con-naître les matériaux et les méthodes utilisés par l’artiste. De nouvelles méthodes pour pré-server et restaurer des matériaux contemporains doivent pouvoir être transmises plus rapi-dement. Pour répondre à cette problématique, le réseau INCCA (Réseau international pour la conservation d’art contemporain) a été créé à partir de 1999, dans le but d’encourager la coopé-ration et l’échange des connaissances sur la conservation de l’art moderne et contemporain. Outre une plate-forme d’information, INCCA est aussi une base de métadonnées collectées à propos d’interviews avec des artistes, de matériaux et de techniques de conservation. Les interviews avec des artistes sont devenues de plus en plus importantes, et à l’initiative de la Fondation néerlandaise pour la conservation de l’art contemporain, des interviews ont été menées avec dix artistes et publiées ultérieurement.

Huys a été invitée à mener l’interview avec Marina Abramović, ce qui s’est avéré être une expérience unique. Abramović avait des opinions bien arrêtées sur à la fois ses propres œuvres et la façon de traiter l’art contemporain dans les collections en général. Certaines déclarations de l’artiste sont à ce jour toujours pertinentes pour Frederika, notamment celles à propos de l’origine de la confusion :

Marina dit : « En fait, faire cette interview est vraiment une chose très utile car il y a tant de malentendus. Il y a eu beaucoup de malentendus depuis que Joseph Beuys a réalisé son œuvre avec de la margarine. Je veux dire que tant de questions doivent trouver une ré-ponse. »

Qu’est-ce Marina entendait par « Il y a eu beaucoup de malentendus depuis que Joseph Beuys a réalisé son œuvre avec de la margarine » ?

Dans ce contexte, Huys se réfère à l’œuvre Wirtschaftswerte de Joseph Beuys (1980). L’installa-tion a été réalisée avec une étagère métallique en forme d’angle, sur laquelle sont exposés plusieurs centaines de types de nourriture. Devant cette étagère a été placé un grand bloc de plâtre, dont les coins ont été abîmés, et que Beuys voulait faire réparer, à chaque exposition, avec du beurre. Après plusieurs années, le beurre a de plus en plus pénétré le bloc de plâtre, et en a affaibli la résistance. Le beurre symbolise la nature graisse, le plâtre, quant à lui, la culture, c’est-à-dire un objet fabriqué par l’homme. En fin de compte, la nature surmontera la culture, menant à la rupture du bloc. Beuys introduit le processus, la variabilité que ces œuvres peuvent subir au cours de leur existence. Mais comment la société réagira-t-elle à toutes ces variations?

Marina dit : « Je pense qu’il importe que les artistes et les musées d’aujourd’hui se rendent compte que les artistes continuent à apporter des modifications à leurs œuvres, et beaucoup d’artistes sont incapables de finaliser leur travail. Ils ont un énorme problème avec la fini-tion. L’œuvre n’est jamais vraiment prête ... Je pense que c’est un concept de base. Ils sont en quelque sorte attachés à leurs œuvres, et ne parviennent pas à les finaliser. Je ne comprends pas. Je veux finaliser mes œuvres. Et peut-être que je souhaite faire une autre version plus tard, comme une sorte de continuum, un processus de recréation des œuvres. Ceci est diffi-cile pour un musée, qui a besoin d’avoir un concept statique et fixe, et c’est tout. » – « Donc,

Page 14: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 14 –

il y a toujours le bon artiste – celui qui termine son œuvre – et le mauvais artiste qui la mo-difie, qui ne la complète pas ... C’est tellement clair. Une œuvre doit être réalisée et c’est tout, vous le savez, mais si votre œuvre change, alors l’ensemble du concept d’un musée devrait changer aussi. Et ceci est dû au fait que nous avons toujours des musées basés sur une struc-ture du XXe siècle. Le musée est le public, le visiteur, et l’objet au mur. Je pense que la com-munication soit nécessaire entre les artistes vivants et les musées qui ont des œuvres dans leurs collections. Cela doit devenir un dialogue constant. Je pense que c’est une sorte de processus de toute une vie. »

Est-ce que la conservation est un processus continu où le propriétaire et l’artiste sont en dialogue permanent, ou est-ce que certaines œuvres peuvent également être conservées et présentées sans une implication prolongée de leur créateur ?

En 2004, le projet européen Inside Installations a débuté, où 26 musées et institutions de re-cherche ont échangé des informations sur la préservation de leurs œuvres les plus com-plexes. Une des études de cas de la S.M.A.K. était l’œuvre Voorstelling de Suchan Kinoshita, composée d’une grande cabine à deux chambres, une pour les visiteurs, et une remplie de toutes sortes d’appareils et d’objets avec lesquels des performances sont exécutées.

Pour une collection publique, montrer dans ses galeries une œuvre d’art de type performance constitue un vrai défi. Comment faire cela du matin jusqu’au soir ? Est-ce qu’on réexécute chaque fois la même performance ? Les questions, formulées en matière de conservation et de présentation, ont été soumises à l’artiste, et un manuel de performance a été rédigé. Ce manuel contient un jeu de cartes sur mesure avec des icônes qui font référence aux objets et aux fonctions électroniques disponibles dans la cabine de l’interprète de la performance. Au départ, des cartes sont tirées au hasard et placées l’une à côté de l’autre, en déterminant ain-si la séquence des actions. De cette façon, la performance n’est jamais la même et cette ma-nière de travailler répond aux souhaits de l’artiste.

En plus du manuel de performance, on a également rédigé un manuel de conservation, qui tient compte d’une analyse des matériaux utilisés. La sauvegarde d’un rideau en polyuré-thane de l’installation est un bon exemple pour réfléchir aux techniques contemporaines de gestion et de conservation.

Outre la manière traditionnelle de sauvegarder ce qui existe, les techniques de conservation d’art contemporain explorent aussi les possibilités de duplication, de reproduction ou de migration de certains éléments. Dans le contexte de la conservation de l’art des nouveaux médias, c’est généralement admis qu’une œuvre soit copiée dans un nouveau format ou que certaines parties du hardware puissent être remplacées. Ces stratégies peuvent également être appliquées à des éléments plus plastiques de l’œuvre d’art, comme un objet, fait main par l’artiste. Le rideau en PU vert finira par se décolorer et par devenir cassant. L’artiste a réalisé, en collaboration avec l’équipe du SMAK, une vidéo dans laquelle elle montre com-ment cet objet peut être reproduit.

Pour la préservation d’art contemporain, on fait appel à un très large éventail de méthodes, par exemple :

- les techniques qui sont également utilisées pour les œuvres d’art « traditionnelles »

Page 15: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 15 –

- le remplacement de pièces originales par une pièce de rechange (dont un stock suffisant doit être constitué au moment de la création ou de l’acquisition de l’œuvre)

- copier les pièces

- la réexécution d’un acte conformément aux directives de l’artiste

- la mise en place d’une documentation la plus complète possible sur la façon dont l’œuvre a été créée (par exemple, avec le tournage d’une vidéo lors du processus de création, avec des interviews avec des artistes, avec des plans et des dessins).

Huys se réfère également à l’exposition Seeing Double au musée Guggenheim (New York 2004). Elle qualifie cette exposition d’historiquement importante, car elle montre, dans un musée, deux versions d’une même œuvre l’une à côté de l’autre. La version originale, sur le point de périr parce que la technologie utilisée n’est plus supportée, et une copie dans laquelle une nouvelle version de la technologie, plus durable, a été intégrée.

En 2010, une deuxième édition du symposium Modern Art - Who cares? a eu lieu. Au cours de ce symposium, Huys a organisé un workshop où des artistes étaient invités à réfléchir sur la pra-tique des restaurateurs actuels. Les artistes Nedko Solakov et Andreas Slominski ont parti-cipé aux discussions et ont indiqué que, souvent, l’élément ultime manquait dans les descrip-tions qui sont faites aujourd’hui. Un manuel d’une œuvre d’art contemporain doit être un document avec un certain dynamisme, qui doit ‘saisir’ les paramètres vraiment importants pour cette œuvre particulière. Les nouvelles façons de documenter doivent inclure les as-pects lumière, son, environnement et atmosphère de l’œuvre.

L’entreprise de Huys offre une approche innovante et pratique ‘no-nonsense’ qui inclut des stratégies et des outils spécifiques pour la conservation à long terme. Elle souligne que moyennant une documentation appropriée, des œuvres d’art contemporain pourront être conservées très longtemps.

Page 16: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 16 –

Questions & Réponses Q. Les caractéristiques des œuvres interactives ne dépendent pas uniquement de ce que l’ar-

tiste a voulu, mais aussi de la façon dont le public interagit avec l’œuvre. Comment cela peut-il être intégré dans la documentation qui sera rassemblée ?

R. Dans le cas d’œuvres interactives, une documentation elle-aussi interactive doit être créée, qui prévoit de la place pour les expériences futures. Il appartient aux artistes de déter-miner d’abord l’interactivité de l’œuvre d’art. Certains artistes facilitent l’interactivité, d’autres ne le font pas.

Q. Que se passe-t-il après la mort de l’artiste, surtout dans le cas où la documentation s’avère incomplète, voire inexistante.

R. Dans ce cas, il faudrait prendre contact avec les ayants droit de l’artiste. Mais il faut évi-demment agir maintenant, c’est-à-dire au moment où les artistes sont encore en vie. Dans le passé, les artistes en étaient peut-être insuffisamment conscients, mais le principe de la création de « partitures » est aujourd’hui largement accepté.

Q. Existe-t-il des solutions spéciales pour retarder ou arrêter la dégradation d’œuvres telles que celle de Beuys ?

R. Il existe la possibilité de conserver des œuvres ou des éléments sous une atmosphère de nitrogène, ce qui permet d’en retarder substantiellement la dégradation.

Retour

Page 17: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 17 –

Julijonas Urbonas – Concevoir la mort : design G, esthétique fatale,

et science-fiction sociale M. Juijonas Urbonas est un designer, artiste, écrivain, ingénieur et doctorant en design interactif au Royal College of Art. Dès son enfance, il a travaillé dans le domaine de développement de parcs d’attractions. En ayant travaillé dans un tel environnement – en tant qu’architecte, designer de circuits, responsable de foires – il est devenu fasciné par ce qu’il appelle l’esthétique physiquement perçue de « théâtre gravitationnel ». Depuis lors, cette question est au cœur de sa vie créatrice, et donne lieu à des réalisations artistiques ainsi qu’à des articles scienti+ques. Plus récemment, c’est devenu le sujet de sa thèse de doctorat pour lequel il fait des recherches sur l’esthétique gravitationnelle.

Ses œuvres ont été exposées internationalement et ont reçu de nombreux prix, dont le Award of Distinction in Interactive Art, le Prix Ars Electronica 2010, l’une des récompenses les plus prestigieuses dans le domaine des arts médiatiques. Dans son temps libre, Juijonas explore – par la création, l’expérimentation et l’écriture – l’esthétique expérimentale de technologies et donne des conférences sur ce sujet. Il vit et travaille à Londres et à Vilnius.

Son œuvre Euthanasia Coaster a vu le jour dans ce contexte : d’abord, l’artiste a cherché à con-cevoir ce qui l’on pourrait nommer l’« ultime » montagne russe. Le terme « ultime » doit être compris concrètement de la façon suivante : un utilisateur de cette montagne russe ne survi-vrait pas cette expérience. Plus précisément, ce serait dû au fait que, en raison de la vitesse

Page 18: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 18 –

que le chariot reçoit quand il descend d’une hauteur de 500 m, en parcourant une boucle, une force centrifuge est créée qui est tellement grande, que le sang est drainé du cerveau, qui de ce fait ne reçoit plus d’oxygène. Une personne le ressent d’abord brièvement comme un sen-timent euphorique, qui se transforme rapidement en la perte de ses perceptions sensorielles (l’ouïe et la vue, à commencer par la perte de conscience couleur appelée gray-out), pour ré-sulter en une perte de conscience complète (= black-out) et, finalement, dans la mort, tout en l’espace de seulement quelques minutes. La montagne russe contient, plutôt pour des raisons purement esthétiques, un certain nombre d’éléments hotline, qui causent un effet de spin. Bien que la montagne russe compte sept boucles, seulement une ou au maximum deux se-raient nécessaires pour obtenir l’effet décrit. Remarquons que le diamètre des boucles dimi-nue d’une boucle à l’autre, afin de compenser l’effet de la diminution de la vitesse du cha-riot ; ainsi, la force centrifuge qui s’exerce sur un voyageur reste constante (à l’équivalent de 10 g, 1 g correspondant à la gravité terrestre). Notez que ces boucles ont la forme d’une clothoïde, et que l’œuvre d’art est sur une échelle modèle de 1/500. De pareilles spirales sont aussi utilisées par exemple dans la conception de virages des routes.

Les effets physiques et psychologiques des forces g sur un être humain sont illustrés à l’aide d’un film de formation d’un pilote de jet. Afin de réduire l’effet des forces g, ces pilotes de combat portent des pantalons spéciaux qui contrecarrent le drainage du sang du cerveau vers les jambes.

Dans l’élaboration de son concept, l’artiste a eu des contacts avec des psychologues qui se spécialisent dans le suicide, et il a constaté que le suicidaire choisit souvent un « bon » en-droit pour son acte ultime, et respecte certains rituels. Si la montagne russe à huit boucles était construite en grandeur réelle, il est donc quasiment certain qu’elle exercerait une grande attraction sur des suicidaires potentiels.

Qu’en est-il de l’acceptabilité sociale de l’œuvre, qui peut être étiquetée comme une forme de « science-fiction sociale » telle qu’elle est également abordée dans certains films SF ? L’œuvre a été montrée à l’exposition de la Galerie des sciences à Dublin en 2011, et a recueilli beaucoup d’attention et de réactions des médias. Elle a également été discutée lors d’une émission plutôt humoristique de la BBC. À certains moments, l’artiste avait 20.000 visites par jour sur son site web, avec des messages qui allaient de suggestions, à des offres pour jouer le rôle de cobaye, mais également à des mails qui lui reprochaient d’être un nazi ou l’incarna-tion de Hannibal Lecter (également d’origine lituanienne). Une réaction venait d’un colla-borateur de la NASA, qui faisait remarquer que le trajet ne serait pas mortel pour des gens sans jambes, qui conserveraient suffisamment de sang dans le cerveau pendant le trajet. Une autre personne a demandé un plan détaillé, dont il a fait faire un tatouage.

Page 19: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 19 –

Questions & Réponses

Q. Existe-t-il un projet pour réaliser cette montagne russe en grandeur réelle ?

R. L’artiste répond par la négative, mais il confirme qu’il y a toujours un intérêt pour la construction d’une montagne russe « ultime », bien que ce terme aurait alors une autre signification. Il se montre plutôt indifférent de savoir si, oui ou non, son concept serait réalisé en grandeur réelle, car il ne souhaite pas prendre position dans le débat sur l’euthanasie.

Q. Quelles ont été les réactions en Lituanie même ?

R. L’œuvre a provoqué peu de réactions en Lituanie même, et n’a pas conduit à un débat approfondi sur l’euthanasie, même si la Lituanie a un des ratios les plus élevés de suicide dans le monde (mais peut-être les statistiques ne sont-elles pas très fiables).

Retour

Page 20: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 20 –

Ann Van Sevenant – Une façon mortelle d’être immortel

Mme Van Sevenant est docteur en philosophie (Université de Bruxelles) et a été professeur de philosophie à l’Université d’Anvers. Elle est l’auteur de quinze ouvrages sur la philosophie contemporaine (en néerlandais, français, italien et anglais).

Déjà dans l’Antiquité, les Romains ont fait des masques mortuaires de leurs défunts, que les descendants ont conservés en tant que tels, ou utilisés comme modèle pour une statue à la mémoire des décédés. Aujourd’hui, c’est très différent. La connaissance médicale évolue si rapidement, que l’espérance de vie moyenne augmente chaque année de trois mois, et à par-tir de 2025, on prévoit 1 an. En 2050, il deviendrait techniquement possible d’enregistrer la totalité des informations dans le cerveau d’un homme mort, et de la décharger dans la mé-moire d’un ordinateur, ce qui peut être interprété comme une forme d’« immortalité ». Il est également question d’immortalité physique, ce qui signifierait que l’évolution spirituelle s’arrêterait en quelque sorte. Si l’homme ne meurt plus, il va probablement piétiner morale-ment et existentiellement.

La question de l’immortalité est abordée dans les écrits de Platon au IVe siècle avant notre ère, mais remonte en fait beaucoup plus loin dans le temps : Zarathoustra l’a (probablement) traitée au XIVe siècle avant notre ère.

Ann Van Sevenant fait référence à deux citations de Platon :

Page 21: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 21 –

1) Eros n’est pas une ressource inépuisable, qui, par une générosité suprême, continuerait à faire des dons. Eros lui-même doit être alimenté par une fécondité spirituelle associée à la sagesse et à la justice

2) Plaire à Eros veut dire que nous, les mortels, sommes destinés à l’immortalité, pas littéra-lement à travers la reproduction, mais d’une manière spirituelle. Aimer l’immortalité plaît à Eros, et assure donc de continuer à recevoir ses bienfaits.

Les citations de Platon suggèrent que celui-ci recommande qu’un homme d’une grande moralité ne doive pas poursuivre des résultats immédiats, parce que cela conduirait à un ra-pide épuisement de ses bonnes idées. Platon dit que l’homme survit, et est donc dans un sens « immortel », à travers ce qu’il laisse derrière lui : ses enfants naturels et/ou spirituels. Cela conduit Ann Van Sevenant à la distinction entre les termes « immortel » – « infini/in-achevé » – « pour toujours » – « hors du temps » – « impérissable », et ce dernier concept pourrait être préférablement applicable aux créations d’artistes, qui deviennent donc « im-mortels » par leurs œuvres « impérissables ».

On peut se poser la question de savoir ce qui motive un artiste : s’agit-il d’une force inté-rieure, une nécessité existentielle, ou est-ce uniquement dans le but de succès rapides et sans profondeur ? Certaines œuvres présentées dans Update_4 pointent dans la première direc-tion, à savoir la création d’œuvres à partir d’une nécessité intérieure, basée sur des questions qui persistent et qui influencent peut-être notre mode de vie ; vu sous cet angle, les artistes concernés répondent aux critères postulés par Platon, à savoir agir sur base d’un sens de la justice et de la bonté.

Dans ce contexte, citons l’artiste peu connu Victor Vanhaelen, qui crée pratiquement une œuvre par jour, parce que « il ne peut faire autrement », mais qui ne les expose jamais, et qui, lorsqu’on lui a posé la question à propos de son « immortalité », a répondu par un « je m’en fous ».

D’autre part, on peut citer Derrida, fondateur de la déconstruction, qui indique une volonté humaine universelle selon laquelle, après sa mort, il subsisterait quelque chose, non seule-ment à travers des œuvres (livres, œuvres d’art) qu’il laisse derrière lui, mais aussi à travers ses gestes quotidiens.

Le modérateur fait remarquer que Platon lie le concept de « l’immortalité » à un idéal moral, alors qu’il y a de nombreux exemples de personnes dont nous nous souvenons mais qui étaient tout sauf moralement exemplaires, même si elles ont agi par nécessité intérieure. N’est-ce pas en contradiction avec ce que Platon écrit ?

Retour

Page 22: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 22 –

Bram Vandeveire – La mortalité ou l’immortalité de l’art vidéo contemporain, quel-

ques réflexions sur le sens et non-sens de la conservation de l’art vidéo contemporain

M. Bram Vandeveire travaille comme photographe et a une formation de technicien vidéo. Il s’exécute – en tant que freelance – dans l’installation d’expositions pour de nombreux artistes tels que David Claerbout, Johan Grimonprez, Chantal Akerman, etc. Des musées comme le MHKA, De Pont et Bozar font appel à lui pour la mise en œuvre d’installations (vidéo) multimédia complexes. Il travaille également, à temps partiel, à l’École des Arts de Gand (KASK en HoGent), en tant que coordi-nateur du programme de type troisième cycle TEBEAC (Exposition et Gestion d’Art Contemporain), un programme de formation postdoctorale organisé en collaboration avec l’UGent et SMAK

Le colloque Contemporary Art- Who cares ? a déjà été déjà mentionné ci-dessus. On peut sou-ligner l’ambiguïté de ce titre en anglais, Who cares pouvant être traduit par « Qui s’en sou-cie ? » mais aussi par « Qui s’en occupe ? » Actuellement, au MSK, on restaure l’Agneau Mystique, et personne ne pose de questions à propos du bien-fondé de cette opération : il règne une quasi-unanimité sur le fait que cette œuvre doit être conservée de façon optimale pour les futures générations, et qu’il faut donc prévoir les fonds nécessaires à cet effet. Pour des œuvres comme Wirtschaftswerte de Beuys, c’est peut-être déjà moins évident, et parfois des questions critiques sont posées à ce propos. Pour des œuvres contemporains : who cares ? Au début des années 1990, après une enquête préliminaire sur ce qui était possible dans ce domaine, la Flandre a lancé une formation BMW (personnel pour la conservation) au niveau

Page 23: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 23 –

post-universitaire, qui, depuis 2005/2006, est intégrée dans TEBEAC (Exposition et Gestion d’Art Contemporain) ; cette initiative postuniversitaire est prise en charge par le SMAK, l’Université de Gand et la Hogeschool de Gand, et le programme est surtout basé sur des étu-des de cas d’œuvres d’art en différents matériaux ou sur différents supports (au sens le plus large du terme), et donc, en d’autres termes, ayant un degré très différent de dégénération. La gestion des matières et l’organisation d’expositions vont main dans la main ; les étudiants peuvent également suivre des stages, et rencontrent, au cours de l’année scolaire, divers artistes et experts ; la problématique de la formation de collections est également abordée dans le programme, qui met également en exergue les politiques et pratiques de conserva-tion, et aborde la conservation d’œuvres d’art contemporain qui sont composées d’une variété de plus en plus grande de matériaux, dont certains périssent rapidement (et parfois c’est même intentionnellement prévu par l’artiste).

Une question conceptuelle est de savoir si l’art vidéo est immortel ? La conservation de pareilles œuvres d’art constitue de sérieux défis techniques aux musées : à titre d’exemple : une œuvre de Nam June Paik où les vidéos étaient projetées sur des moniteurs à tubes catho-diques qui ne sont plus fabriqués (et qui contiennent d’ailleurs des matériaux toxiques, com-me du plomb, qui sont maintenant interdits) ; des pièces de rechange étant de plus en plus difficiles à obtenir, les musées se voient confrontés au dilemme s’il est encore possible d’ex-poser une telle œuvre, et utilisant alors, le cas échéant, d’autres technologies plus récentes que celles que l’artiste a utilisées à l’origine. Dans ce contexte, il convient également de ne pas oublier que l’art est devenu « big business », et que des propriétaires sont donc prêts à engager des frais afin d’éviter que leurs œuvres ne perdent de la valeur. Cet aspect est peut-être moins pertinent pour l’art vidéo, qui est difficilement négociable, mais qui est confronté au fait que les techniques utilisées ont considérablement évolué. Plus précisément, la question se pose sur la façon dont une version master de la vidéo peut être créée et préservée. Sans répondre s’il est possible de rédiger un protocole afin d’assurer la conservation de l’art vidéo, quelques lignes directrices peuvent être tracées, qui, pour ce qui concerne la version master, devraient être fondées sur les principes de bases suivants :

1) les personnes doivent avoir des connaissances techniques suffisantes, et doivent avoir une vue claire à propos des différents paramètres techniques qui sont propres à l’art vidéo et qui doivent tous être appariés pour éviter des problèmes

2) ces connaissances techniques doivent permettre de créer un dossier complètement docu-menté, à la fois pendant la phase de la conception, celle de la construction, et celle de l’achèvement de l’œuvre d’art (vidéo) en vue de la réalisation d’un master.

Lors de la présentation des œuvres d’art vidéo, il y a toute une chaîne d’éléments qui doivent tous être corrects, sinon un problème surgira sûrement à un stade ultérieur, lors d’une future présentation. L’exemple a déjà été cité des vieux moniteurs qui, pour des raisons de manque d’argent, manque de temps ou autres, ne peuvent pas être réparés ou remplacés. La question éthique se pose alors de savoir si une œuvre d’art vidéo peut être « recréée » sur des moniteurs plus actuels ? Une certaine forme d’expérimentation doit être tolérée, sans quoi l’art vidéo serait effectivement mortel (dans la mesure donc où le matériel original n’est plus disponible). Dans ce contexte, la conservation et la reproduction des couleurs originales peu-vent poser de sérieux problèmes (ce fut, par exemple, le cas avec Dial H-I-S-T-O-R-Y de Gri-monprez, œuvre créée en 1997, qui devait être présentée lors d’une exposition au SMAK en

Page 24: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 24 –

2011/2012), tenant compte du constat que les couleurs de la phase finale (mastering) n’avaient pas été bien calibrées, ou que lors de l’enregistrement de l’œuvre vidéo finie sur la mastertape, le câblage utilisé n’est pas partout adapté aux différents appareils. Il peut aussi arriver que le matériel utilisé pour la projection n’a pas été (bien) calibré ou entretenu, ou que les différents appareils ne sont pas appariés. Pour des enregistrements numériques, ce problème, en principe, ne se pose plus, mais lors de la conversion d’images analogiques en images numériques, il faut d’abord attentivement examiner à quoi exactement ressemblait l’œuvre analogique.

Dans le cas de photographies (en particulier les œuvres avec des boîtes à lumière présentant des photos de Venise de l’artiste David Claerbout), la couleur est également déterminée par la qualité du papier et les autres conditions d’impression (température ambiante, l’état d’en-tretien des équipements, etc.). Il arrive que le papier utilisé à l’origine est en rupture de stock, et aussi que les techniques d’impression utilisées actuellement ont changé, faisant de sorte qu’il ne soit plus possible de faire une impression avec une gradation claire/obscure identique à l’original ; les paramètres utilisés lors de la première impression n’ont pas été bien documentés.

D’autres problèmes auxquels on doit parfois faire face, sont par ex. du matériel qui tombe simplement en panne, ou le fait que de mauvais choix ont été opérés en termes de matériel utilisé.

Dans tous les cas, il faut plaider en faveur de la fabrication de masters variables qui soient adaptés au type d’œuvre qui est réalisée, et qui soient documentés le mieux possible, de sorte que, à un stade ultérieur, suffisamment d’informations techniques soient disponibles pour réaliser une conversion correcte vers un meilleur format de master avec, à nouveau, une nouvelle résolution plus élevée.

Une idée finale qu’on peut formuler est que, lors de toute re-création d’une œuvre où de tels problèmes surgissent, l’on doit rechercher des solutions appropriées, dans le plein respect des intentions initiales et des méthodes des artistes. Mais inévitablement se pose alors la question de savoir si cette manière d’assurer l’« immortalité» d’une œuvre, en respecte en-core pleinement l’« authenticité » ?

Page 25: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 25 –

Questions & Réponses

Q. Quelle est la durée de vie moyenne d’une version master ?

R. Celle-ci se situe aux environs de trois ans, après quoi un nouveau master doit être réalisé. Dans cet esprit, Bram Vandeveire comprend parfaitement l’attitude de Frederik Leen (voir la discussion du 15/11) qui a préféré ne pas acheter des vidéos analogiques pour la col-lection des Musées royaux.

Retour

Page 26: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 26 –

Pierre-Yves Desaive – Art contemporain et art numérique: des écosystèmes différents,

mais de l’ADN identique M. Pierre-Yves Desaive est histoirien d’art et critique d’art, basé à Bruxelles. Il est professeur à l’École Natio-nale Supérieure des Arts Visuels, où il enseigne le cours d’art contemporain et d’art des médias. Il est membre de la Commission ‘Digital Art’ du ministère de la Culture. Il est également aQlié aux Musées royaux où il est responsable de la numérisation des collections, et le coordinateur des diRérents projets de numérisation, y compris le projet européen Digitizing Contemporary Art, avec PACKED en tant que coordinateur ; il colla-bore avec 9T partenaires.

En 1989, le premier colloque sur les perspectives à long terme des formes d’art numériques fut organisé par le Getty Museum. Les collections des Musées royaux se composent presque exclusivement d’œuvres d’art « classiques » (dont l’aspect « d’immortalité » est générale-ment moins problématique que pour des œuvres d’art contemporain) ; le musée possède quelques œuvres numériques, mais elles ne font certainement pas partie de son core business. En cas de besoin, on fait appel à de l’expertise externe en la matière, et c’est une bonne for-mule, qui doit cependant être développée davantage. D’autre part, le musée est déjà bien avancé dans l’accès aux collections numériques, et connaît bien les problèmes qui se posent dans ce contexte (par exemple la préservation de CD-ROM et DVD). Il a participé à divers projets dans un cadre européen, et il pense pouvoir dire que la gestion d’images numériques (et d’autres informations) ne pose plus de problèmes significatifs : quand bien même les technologies et les formats continuent d’évoluer, la conversion de l’ancien vers le nouveau

Page 27: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 27 –

matériel et logiciels semble assuré, même s’il se pose toujours le problème de l’enregistre-ment numérique de couleurs, où le monde informatique utilise des codes RGB, tandis que les photographes et l’industrie de l’impression travaillent avec des codes CMYK ; ces deux systèmes ne semblent pas entièrement compatibles ; le musée publiera d’ailleurs bientôt les différents points de vue sur son site.

En ce qui concerne l’archivage d’œuvres numériques (‘stand alone’) et de Net art, il se pose une série de problèmes similaires à ceux de l’art conceptuel, des performances et des créations in situ ; ces œuvres évoluent avec le temps, et la question se pose alors dans quel stade de leur vie un enregistrement (sous forme d’un « dossier complet » ou d’une « partiture ») doit en être fait en vue de son archivage. Un exemple est une œuvre qui renvoyait vers d’autres sites Web du type .com ; au départ, la plupart des liens ne donnaient pas de résultat (erreur 404), mais maintenant bien. La question est donc à quel moment une copie numérique doit être faite de ce net artwork. Mais il est peut-être plus important que la documentation sur l’œuvre soit conservée, plutôt que l’œuvre elle-même. Plusieurs projets tels que ARGOS et PACKED assistent les artistes dans le développement de lignes directrices pour la préparation des dossiers dans lesquels ils décrivent leurs œuvres, mais le rôle que peuvent et doivent jouer les musées, en tant que « centres d’expertise » dans le domaine de la conservation des œuvres d’art, ne doit pas être négligé.

Cependant, les MRBAB eux-mêmes ne sont pas encore prêts pour NetArt /media art, bien que ces formes d’art existent depuis près de 15 ans (cf. Documenta 10, quoique là encore d’une façon très modeste, et sans connexion Internet), et que certains musées aient déjà acheté de pareilles œuvres. Elles forment en quelque sorte un écosystème distinct par rapport à l’art contemporain, avec des événements distincts, bien que les deux aient beaucoup d’« ADN » en commun.

Pour clôturer, voici quelques exemples concrets d’œuvres « immortelles » ou traitant de « l’immortalité ». Un premier exemple concerne le projet Mission Eternity d’eToy (à ne pas confondre avec eToys !), où l’information numérique concernant des personnes décédées (appelées pilotes) est stockée sur des PC de personnes vivantes (appelées anges), afin de la préserver pour l’« éternité ». Un autre exemple concerne l’enregistrement, via web cam, de la vie de Chr. Boltanski, où les images sont stockées sur un système dans le MONA en Tas-manie ; un troisième exemple est la série de peintures de Roman Opalka, montrant des numéros consécutifs ; enfin, il y a le projet Every Icon de John F. Simon, où un ordinateur remplit un motif de 32 sur 32 pixels ; le nombre de façons possibles est si élevé, que cet ordi-nateur a encore plusieurs éons devant lui.

Page 28: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 28 –

Questions & Réponses

Q. Étant donné que les musées sont souvent réticents à acheter des œuvres numériques,

comment les artistes concernés peuvent-ils « vivre de leur art ».

R. Pierre-Yves Desaive ne voit pas de solution simple ; il faudra trouver de nouvelles formes de collaboration entre artistes et musées.

Retour

Page 29: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 29 –

Marko Stamenković– Antropomorphe

Marko Stamenković (67VV, Vranje, Serbia) est historien et critique d’art ainsi que curateur basé à Gand. Il est membre de l’IKT – International Association of Curators of Contemporary Art, et chercheur PhD (de-puis 9:66) à l’Université de Gand – Faculté des Arts et de Philosophie, Département de Philosophie et de Sciences Morales, Centre pour l’Éthique et la Mise en question de Valeurs.

André Catalão Lara Dhondt Avant la conférence, le film Antropomorphe par Andre Catalão et Lara Dhondt est projeté au public. Ces artistes ont également fait une performance basée sur le fado portugais Lenda da Fonte (La Légende de la Fontaine ; musique de Domingos Silva et Natalino Duarte), qui était à l’origine chanté par João Pedro, âgé de 9 ans, lors du spectacle de musique international Bravo Bravissimo en 1995. Il raconte l’histoire de deux amants qui avaient l’habitude de se rencontrer auprès d’une fontaine, à une certaine heure de la journée ; mais un jour, la fille ne vient plus, et les gens de son village la trouvent morte. L’amour entre le couple s’est ainsi arrêté brusquement, et, en conséquence, la fontaine a séché.

 

Sin embargo, uno de los sentidos de imago en latín, etimología de nuestra palabra “imagen”, designa la máscara mortuoria que se vestía en los funerales de la antigua Roma. Esta acepción vincula no sólo la imagen, que puede ser también el espectro o el alma del muerto, con la muerte, sino también con toda la historia del arte y de los ritos fúnebres.

Martine Joly (2009)

Si la vie donne à l’homme la forme d’un être humain animé, quelle est la forme que la mort donne à l’homme comme un être humain inanimé ? Quand l’homme, en tant que décédé, inanimé, n’est plus l’homme en tant qu’être vivant, animé, mais est devenu rien d’autre qu’un cadavre, la mort donne-t-elle alors à l’homme la forme d’un objet ? Si un homme mort n’est plus un homme comme un être humain vivant, mais un être humain incomplet étant transformé en un cadavre, la mort donne-t-elle une forme quelconque pour rendre inanimé le corps d’un être humain – une entité qui n’est pas plus animée ou vivante, mais inanimée

Page 30: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 30 –

ou morte, un objet, en effet, mais toujours humain ? En d’autres termes, la mort donne-t-elle à un homme mort la forme d’un objet humanoïde ?

Oui, effectivement. Et cette forme, la forme anthropomorphique, ne peut plus être reconnue uniquement comme un cadavre, mais comme un masque : a death mask, het dodenmasker, die Totenmaske, la máscara mortuoria, le masque mortuaire, la maschera mortuaria, пос-

мертная маскa. Au Portugal on l’appelle un máscara mortuária : c’est là, dans le sud de l’Eu-rope, près d’une ville qui s’appelle Midões dans la région de Tábua, qu’André Catalão et Lara Dhondt ont conçu leur projet Antropomorphe (2012), qui est aussi le titre de cet article. Com-me ma façon personnelle d’aborder ce qui avait déjà fasciné ce couple d’artistes (une tombe inhabituelle, mystérieuse, sculptée dans un rocher de granit, une « statue immortelle cons-truite sur la mortalité » dans leurs propres mots), je m’appuierai sur certains aspects de la pensée contemporaine à propos des cultures visuelles de notre temps et de notre passé, dans leur relation à la mort, le décès, et des lieux de mémoire.

Qu’est-ce que la mort? S’il n’y a pas de réponse unique à cette question volontairement sim-plifiée et apparemment inévitable, l’une parmi de nombreuses possibilités pourrait être que « la mort est une fin sans équivoque et permanente de notre existence » (Nagel 1970). Si la mort est donc inséparable de notre existence dans la mesure où elle doit être définie par la notion de la fin qui clôture tout ce qui l’a précédée, Nagel ajoute à la discussion la question suivante : « Est-ce une mauvaise chose de mourir ? ». Son hypothèse introduit les « difficultés sur la perte et les privations en général, et sur la mort en particulier ». Ainsi, poser la ques-tion de ce que la mort aurait de mauvais (au lieu de ce que la vie aurait de bien), introduit l’asymétrie qui entourne la perte (de la vie) plutôt que l’état d’être mort : « Si nous voulons

Page 31: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 31 –

donner un sens à l’idée que mourir est mauvais, cela doit être basé sur la constatation que la vie est bonne, et que, par conséquent, la mort constitue une perte et qu’elle est mauvaise, pas à cause d’aspects intrinsèques, mais à cause de l’opportunité à laquelle elle met fin ».

Comment se fait-il que le sujet de la mort en général ait, pendant des siècles, donné lieu à une masse énorme d’écrits, à la fois scientifiques et vulgarisants, mais aussi à une perception à travers la représentation de la mort ? Pour Douglas J. Davies, socio-anthropologue et pro-fesseur à la Faculté de Théologie et de Religion à l’Université de Durham (Royaume-Uni), la mort est « un sujet qui touche pratiquement tous les aspects de la vie. » Dans son livre A Brief History of Death (2005), il insiste sur le caractère très particulier de l’intérêt humain pour le thème de la mort, par rapport à tout autre sujet. Davies dit à cet égard : « L’intérêt inévitable que nous avons tous pour la mort – qu’il soit explicite ou silencieux – est souvent différent de l’intérêt que nous avons pour d’autres matières. Celui-ci est fusionné avec émotion, qu’il s’agisse de l’expérience de deuil ou de son anticipation, ou de la réflexion à propos de notre propre mortalité » (Davies 2005).

Si « l’histoire de la mort est une histoire d’auto-réflexion » (Davies), alors notre vision de la mort doit être comprise comme une mirror-situation : nous nous regardons nous-mêmes à tra-vers la pensée à la mort. Je fais ici référence à la nature des opérations de mise en miroir par lequel nous comprenons la mort comme un point final et inconnu sur le chemin de notre vie – la dernière étape vers laquelle nous marchons tous en passant par la vie. La mort est un mythe dont nous pourrions avoir seulement entendu des rumeurs vagues ou, en effet, des histoires sans aucune certitude. Néanmoins, ce que nous désirons savoir à ce sujet et ce que nous aimerions voir – par l’expérience de la mort par la faculté de la vue – reste caché, com-me il se doit. L’histoire de la mort comme une histoire de notre auto-réflexion nous rappelle constamment au moins trois choses : (a) la façon dont nous sommes incapables de voir notre propre mort ; (b) combien il est impossible, pour un être humain vivant, d’avoir une vue complète de ce à quoi ressemble l’autre côté, inconnu, de ce qui est visible ; (c) à quel point il peut être impossible et frustrant de vouloir apercevoir cet autre côté du visible, si on veut rentrer à ce côté du visible.

L’histoire de la mort comme une histoire d’auto-réflexion (et donc d’auto-observation, en re-gardant sa propre image) introduit l’un des aspects les plus significatifs de cet article – la relation entre la mort, les images, et la perception de soi. Qu’est-ce donc qui rend la relation entre la mort et des images si forte ? Et qu’est-ce que nous pourrions effectivement voir, con-frontés à l’image puissante et toujours invisible de la mort ?

La relation entre mort et images est fondamentale. Elle est fondamentale pour notre propre compréhension des idées autour de la mort et des images indépendantes les unes des autres, mais aussi, et c’est plus important encore, pour notre compréhension de leur relation réci-proque par le biais de leur matérialité respective. Pourquoi cette matérialité importe-t-elle ici ? Parce que c’est dans la matérialité des images et des opérations de la fabrication d’ima-ges (à la fois en termes de la production et de perception d’images) que notre relation en direction de la mortalité et l’immortalité est mise en vigueur. Ici, ma référence à l’immor-talité s’applique à des traces et des restes de la vie qui précède, ce qui reste et ce qui doit rester après la disparition de l’homme, mais aussi d’objets, de souvenirs, d’archives, de valeurs, du monde en général.

Page 32: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 32 –

La relation entre mort et images est essentielle dans la mesure où elle relie la mort à l’image « qui peut également être le spectre ou l’âme du défunt, mais aussi [vu les liens] la totalité de l’histoire de l’art et des rites funéraires » (Joly 2009). Dans son livre séminal Introduction to Image Analysis, Martine Joly (Professeur émérite à l’Université Michel de Montaigne Bordeaux III en France), nous rappelle l’importance de cette relation dans le monde, différente de tou-tes les autres relations potentielles qui pourraient servir pour notre analyse, en soulignant l’importance matérielle, culturelle et rituelle du phénomène des masques mortuaires. D’un point de vue étymologique, un masque mortuaire évoque les origines de la notion même d’image (imago, en Latin). Imago est une image qui dénote un masque mortuaire – un objet qui, à son tour, représente les traits du visage d’un être humain qui vient de décéder. En re-présentant ces traits (humains ou anthropomorphes, pour être plus précis) comme un enre-gistrement post-mortem, des masques mortuaires permettent aux sujets de la mort de s’ins-crire dans l’histoire de l’auto-réflexion comme une histoire de mort. L’auto-observation de-vient donc une opération paradoxale à orientation double, puisque les sujets qui observent échappent à toutes les possibilités de voir réellement l’image d’eux-mêmes au moment de mourir ou à l’état de défunt. Une telle impossibilité, d’autre part, impose également à ceux qui ont la possibilité de voir l’image de l’Autre (c’est-à-dire de quelqu’un en train de mourir ou déjà mort). C’est dans cette partie du jeu que l’immortalité entre en scène en étant littéra-lement mise en évidence par le biais du masque mortuaire. En étant exposé au public, en plein air, dans une cérémonie de procession, comme ce fut le cas dans la Rome antique, il devient inscrit dans des histoires précisément là où les sujets de l’observation exercent leur pratique de voir l’image de la mort, et ce à partir d’un point de vue très particulier.

Le point de vue auquel je fais allusion ici porte sur le point de vue ambigu situé entre deux positions essentielles. Sans cette approche binaire, aucune idée à propos de l’imagerie de la mort en tant que masque mortuaire n’eût jamais été possible. La première est la position de ceux qui meurent ou qui sont déjà morts (c’est-à-dire les « modèles aveugles »), et dont les traits sont reproduits dans les masques mortuaires, sans qu’ils aient l’occasion de voir à quoi ressemble leur propre masque mortuaire, tout simplement parce qu’ils ne sont plus en vie. La seconde position est celle des témoins de leur mort (c’est-à-dire des « observateurs »), qui regardent le processus de moulage, ou les resultats de ce processus. Les témoins sont ceux qui gardent leur statut privilégié de spectateurs des masques mortuaires des autres, à l’instar des observateurs d’autres objets d’imagerie du type memento mori. L’aspect curieux d’un pa-reil témoignage réside, néanmoins, dans leur rôle d’observateurs de traits humains dans les masques mortuaires des autres, comme si, par anticipation, leur propre masque mortuaire se présentait à leur yeux. En regardant le masque mortuaire de quelqu’un d’autre, les vivants regardent leur propre mort (virtuelle) encore à venir. C’est pourquoi la mirror situation men-tionnée ci-dessus, qui a lieu au moment de l’observation, devient transparente à la vue de la mort de quelqu’un d’autre (et pas la sienne, par exemple), ou plus précisément, à la vue du masque mortuaire d’un homme mort :

The corpse, whose horror seems to be precisely that of the living being become inert object […] is never wholly object, for it is always also image – an image of otherness that is also, paradox-ically, the image of self, image as self. […] Thus while we can never see our own corpse, we always see in the corpse of another something of what has constituted ourselves. That is, we see a subjectivity at the same time that we see an object; we see the degree to which subjectivity is

Page 33: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 33 –

the seeing of an object. This, and not death, is the source of the horror we feel when we look upon a corpse.

Schwenger 2000

Pendant les funérailles dans la Rome antique, une imago/masque mortuaire fut porté, dans le sens qu’il était montré publiquement (exposé, affiché) à ceux qui prenaient part au rituel de la procession, soit en tant que protagonistes, soit en tant que simples spectateurs. En outre, un masque morutaire n’est pas seulement constitutif de la relation entre l’observation et la mortalité, mais aussi une ultime image de la relation humaine avec l’invisibilité de la mort, une fausse solution à l’impossibilité pour l’homme d’entrer au royaume invisible et inconnu de la mort, du moins si on veut en retourner. Un masque mortuaire est un compro-mis par lequel l’homme tente de surmonter cette insupportable condition de vivre au bord de ce qui est visible, d’un point de vue qui, pour être efficace, en passant par la porte d’entrée à la mort, ne permet pas de fuite, pas de retour. Le masque mortuaire matérialise l’échec de l’homme de surmonter cet obstacle (le point de non-retour) et de construire sur un appareil de la vision comme un appareil idéologique de celui qui vise à assurer que la face de la mort puisse devenir visible, tandis que pour les « modèles aveugles » eux-mêmes (le défunt, dont l’image est rendue immortelle par le masque en cire ou en plâtre fait à partir de son visage après son décès), leur propre image de la mort restera finalement invisible.

Cette situation constitue un défi car il révèle le sens derrière le mot autopsia, dans son dou-ble sens au moins. D’une part, il se traduit comme « voir de ses propres yeux », étant donné qu’autopsia représente une forme d’examen post-mortem du cadavre de quelqu’un d’autre (vu de ses propres yeux, ce qui est le rôle généralement effectué, d’un point de vue privilégié, par des experts judiciaires, des orthophonistes ou de médecins légistes, dans les cas d’une mort non naturelle). D’autre part, dans ce cas précis (le cas de l’image prise pour la produc-tion et la perception de masques mortuaires), autopsia se réfère à l’un examen du cadavre de quelqu’un d’autre dont les traits du visage permettent à moi, observateur de l’objet, de voir la mort de quelqu’un d’autre (l’objet de l’observation), comme il ressort d’un point de vue externe, à en juger par l’apparence de son masque mortuaire. En outre, les traits du masque mortuaire de quelqu’un d’autre me permettent de voir (si « voir » est le terme approprié) l’empreinte de ma propre mort à venir. C’est une situation nouvelle et intéressante où la mort d’un individu, précisément à travers des images, acquiert sa dimension sociale. Elle s’étend à partir d’un corps individuel (notamment un cadavre, et son visage en particulier) vers une pluralité de personnes engagées dans le processus d’observation – l’observation de la mort de quelqu’un d’autre comme une préfiguration de sa propre mort. Cela me permet d’emprunter, comme un des postulats centraux de ma conférence, l’argument exprimé ré-cemment par W.J.T. Mitchell (l’un des « suspects » les plus habituels dans la théorie de la vue contemporaine) en matière d’images. Il les comprend comme étant pas seulement un type particulier de signes, mais comme quelque chose qui ressemble à un acteur sur la scène his-torique, comme une présence ou un caractère doté d’un statut légendaire, une histoire parallèle et participant aux histoires que nous nous racontons à propos de notre propre évo-lution de créatures faites « à l’image » d’un créateur, vers des créatures qui font eux-mêmes et leur monde à leur propre image » (Mitchell, 1986).

Page 34: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 34 –

Pour tous ceux qui souhaitent comprendre le rôle essentiel que les images ont joué dans la mort (la philosophie de la mort et ses rituels), la matérialité même du masque mortuaire de-vient un incontournable point de référence à travers lequel nos pratiques d’observer, autant que nos pratiques de vivre, se livrent à un combat éternel sur le territoire de la vision. Ce combat se produit précisément via un échange de regards entre ce qui est surexposé et de ce qui reste sous-exposé, entre ce qui est mis en évidence et ce qui est observé au moyen de ce dernier. Si les images sont bien de l’ordre des monstres, alors leur ultime monstruosité est inhérente à notre tentative de montrer (de faire la lumière sur quelque chose afin de la « rendre visible ») ce qui doit néanmoins rester toujours rester caché. La monstruosité des images est donc reliée à l’invisibilité de la mort dans une formule qui rassemble la matéria-lité visible d’un masque mortuaire, et la immatérialité invisible de la mort elle-même. L’exis-tence des Images ne réside pas en ce que nous sommes en mesure de percevoir et en notre capacité de le percevoir comme monstrueux (ici la monstruosité se réfère à ce que, dans la tradition catholique portugaise, est appelé ostensório, ou custódia, tandis qu’en français, il se réfère à monstrance). Elle se situe exactement en ce que nous ne sommes pas et ne serons jamais en mesure de percevoir au-delà de ce qui est démontré en face de nos propres yeux ignorants.

Ce lien inextricable entre les images et la mort, en particulier, est ce qui me ramène douce-ment à un résumé des principaux points exprimés ci-avant. Le premier est fondé sur la pers-pective singulière et égocentrique de l’observation, par laquelle une opération de mise en miroir se produit au moment de regarder quelqu’un d’autre à sa mort, par le biais d’un mas-que mortuaire. Le deuxième s’articule autour des aspects qui rapprochent notre propre sen-timent vis à vis de la mort au corps social de communautés d’observateurs culturelles et nationales, transculturelles et transnationales (des images de la mort). Et enfin, le troisième point établit un lien entre le singulier et le pluriel des moyens de l’observation à travers l’idée de la mort dans le but de mettre en évidence « le sens de l’espoir manifesté aux lieux de mémoire » (Davies, 2005), contrairement au sentiment de perte, exprimé dans les mythes sur l’origine de la mort.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES Douglas J. DAVIES (2005), A Brief History of Death. Oxford: Blackwell Publishing.

Martine JOLY (2009), Introducción al análisis de la imagen. Buenos Aires: La Marca.

W.J.T. MITCHELL (1986), Iconology: Image, Text, Ideology. Chicago: The University of Chicago Press.

Thomas NAGEL (1970), « Death », in Noûs, 4:1, p. 73-80.

Peter SCHWENGER (2000), « Corpsing the Image », in Critical Inquiry, 26:3, p. 395-413.

Retour

Page 35: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 35 –

Christophe De Jaeger – L’ordinateur, un artiste oublié dans les années 60 et 70 -

histoire de l’art généré par ordinateur vis-à-vis de l’art conventionnel M. Christophe De Jaeger a commencé comme conservateur indépendant, et a, entre autres, travaillé pour le Festival photo du Centre culturel de Knokke ; il est actuellement lié au BOZAR à Bruxelles en tant que res-ponsable du département photographique. Le sujet de sa conférence fait partie de recherches qu’il eRectue actuellement à l’Université de Londres. Dans ce contexte, l’occasion lui a été donnée de rencontrer personnel-lement et d’interviewer de nombreux pionniers d’art généré par ordinateur.

L’ordinateur a fait son apparition dans l’art dans les années 1960. Une distinction peut être faite entre deux types d’art généré par ordinateur : d’une part, il y a des figures créées à l’aide d’un algorithme informatique, et d’autre part, il existe des installations commandées par ordinateur. Dans la première catégorie, on peut mentionner les œuvres de G. Nees créées au moyen d’un traceur, mais également le programme AARON de Harold Cohen, qui permet à un ordinateur, tel un être humain, de dessiner des figures, sur la base de règles qui ont été programmées et enregistrées dans la mémoire de l’ordinateur ; celui-ci devient alors beau-coup plus qu’un simple périphérique qui commande un traceur, mais peut, en appliquant ces règles, procéder à des créations qui lui sont propres. À la seconde catégorie appartient, com-me l’une des premières œuvres, Collage of Mobiles que G. Pask a créée en 1968, et qui consistait de sculptures « masculines » et « féminines » dont les interactions sont contrôlées par un ordinateur, également sur la base de commentaires du public. Pour la première catégorie, il est pertinent de distinguer entre les périodes avant et après 1986 : pendant la première

Page 36: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 36 –

période, les pionniers écrivaient eux-mêmes les programmes pour générer les figures, tandis que, dans la seconde période, grâce à la disponibilité de Paintbox, cela n’était plus nécessaire.

Est-ce que l’art généré par ordinateur peut-il être considéré comme une forme d’art conven-tionnel (mainstream), qui s’inscrit alors dans l’histoire générale de l’art, avec des parallèles avec d’autres formes d’art non générées par ordinateur de la même époque, telles que minimalisme, constructivisme, concrétisme. En principe, la réponse à cette question nécessite d’abord une définition de ce qu’on entend par mainstream art.

Lorsque les premières œuvres d’art généré par ordinateur ont été créées, l’attitude des artis-tes de mainstream art a été négative : il s’agissait, à leurs yeux, d’expériences plutôt techni-ques, sans aucune valeur émotionnelle, plutôt pénibles, bien que de conception complexe, mais pas d’art ; ces artistes estimaient que les institutions culturelles établies n’achèteraient jamais de pareilles œuvres pour leurs collections. En faveur de computer based art plaident le fait que l’interactivité (qui est actuellement une partie essentielle de nombreuses œuvres d’art) n’a été rendue possible que grâce à l’ordinateur, ainsi que le fait que computer based art peut être conçu comme un élément du rationalisme qui a prévalu dans les années 60, et enfin le fait que – contrairement à ce que l’on prétend – beaucoup d’institutions d’art ont effective-ment acquis de pareilles œuvres pour leurs collection.

Une réponse plus fondée peut éventuellement être trouvée en comparant les deux formes d’art sous différents angles : économique, philosophique, sociologique et politique.

D’un point de vue économique, il faut se rappeler que cette forme d’art a son origine dans les années 60, années de forte croissance économique, suivies par le choc pétrolier de 1973, qui a conduit à la crise économique. Deux secteurs n’ont connu aucune perturbation du choc pétrolier : l’industrie informatique (alors dominée par les mainframes d’IBM), et le secteur des arts traditionnels (avec des représentants comme Warhol). Mais l’art généré par ordinateur maintient pendant toute cette période un « profil bas ». Néanmoins, il existe un certain nombre de galeries commerciales qui présentent ces œuvres, ce qui indique qu’il y avait une base économique pour l’art généré par ordinateur.

Aussi dans le monde scientifico-philosophique, cette forme d’art a été discutée notamment lors d’un débat innovant avec entre autres Beuys et Bensen, et on peut également se référer aux interfaces qui peuvent être constatées entre concrete art et computer based art (voir par ex. les œuvres de Manfred Moore).

La comparaison d’un point de vue sociologique montre que de nombreux pionniers ne se considéraient pas comme des artistes, mais plutôt comme des techniciens, et souvent ils avaient vraiment l’air de « bourgeois ». Mais il se pose bien sûr la question de la définition du terme « artiste » : dans de nombreuses œuvres interactives contemporaines, le visiteur est en partie « artiste ».

D’un point de vue politique, on peut dire que le grand public fut plutôt hostile à l’ordinateur, qui était perçu comme un dispositif essentiellement utilisé à des fins militaires (cf. les pre-miers ordinateurs utilisés pour le développement de la bombe atomique). Certains artistes mainstream ne se sont même pas abstenus à ridiculiser les pionniers de l’art généré par ordinateur.

Page 37: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 37 –

M. Stanza souligne l’aspect que, dans de nombreux cas, les pionniers n’ont pas signé leurs œuvres, comme si ce n’était pas eux, mais bien l’ordinateur qui fut le véritable artiste. Il fait également remarquer que ces pionniers ont travaillé avec des ordinateurs qui coûtaient encore très cher à l’époque, et pour cette raison-là, ils ont effectivement appartenu à l’« establishment » de l’époque, qui, presque par définition, est « mainstream ».

Retour

Page 38: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 38 –

Stanza – Open ended art

Stanza est actif dans de nombreux domaines artistiques : il a commencé avec des structures linéaires telles que peintures et estampes, puis a été actif avec des installations interactives, et travaille maintenant à des œuvres « open ended », dont le résultat dépend de l’input que l’œuvre reçoit d’une ou plusieurs sources exter-nes. Il a également composé onze albums de musique.

Il se concentre désormais principalement sur des systèmes ouverts en milieu urbain, dont l’input consiste principalement de données venant de systèmes CCTV (télévision en circuit fermé). Le processus de création se décompose en trois étapes : d’abord, la collecte des données nécessaires, puis leur traitement, et enfin leur représentation visuelle sous une forme ou une autre (écran ou autre).

Une première illustration de la façon dont il s’engage est un collage de douze écrans mon-trant des images de systèmes de vidéosurveillance. Ces images ont été piratées, ce qui sou-lève immédiatement la question de savoir si l’artiste peut s’appeler propriétaire de l’œuvre d’art, qui en fin de compte est créée en utilisant des images dont il ne détient pas les droits ; une seconde question est celle de savoir si l’œuvre subsiste si les écrans CCTV tombent en panne. En tout cas, il est un fait que l’œuvre d’art n’est pas fixe, ni dans l’espace, ni dans le temps.

De manière générale, la question est de savoir comment une signification et forme culturel-les peuvent être accordées aux données recueillies. Dans l’œuvre Genomixer, l’artiste utilise la

Page 39: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 39 –

séquence de son propre ADN, qui se compose d’une longue série de nucléotides A, C, G et T. Cette séquence est affichée à l’écran, accompagnée par de la musique composée par l’artiste. La présentation de la séquence entière prendra 107 ans. Cette œuvre peut, en quelque sorte, être considérée comme un autoportrait de l’artiste.

Un autre exemple de la collecte, du traitement et de la représentation poétique de l’informa-tion recueillie est le projet Public Domain, où l’artiste a mis dix caméras de vidéosurveillance à la disposition de particuliers, et où il a traité, dans son propre circuit de télévision fermé, les images qu’ils enregistraient. D’autres exemples ont été l’observation d’ovins, dont les mouve-ments ont été convertis en musique par un algorithme.

L’artiste évoque également le projet Sound Cities, où des sons sont enregistrés dans diffé-rentes villes à travers le monde, puis convertis en valeurs numériques ; la base de données est du type open source, et tout le monde peut utiliser les valeurs numériques comme input pour ses propres œuvres artistiques.

L’artiste se réfère également à un projet dans le Centre d’art de Plymouth, où les images de vingt caméras de vidéosurveillance captées dans la galerie sont envoyées vers un point cen-tral ; les mouvements des visiteurs, y compris ceux des visiteurs de la pièce où le point cen-tral lui-même est situé, sont représentés par des cercles en mouvement.

L’œuvre actuellement exposée à Update_4 constitue un développement encore plus poussé : les valeurs des paramètres qui sont mesurées par des capteurs qui se trouvent à Londres et qui prennent donc la forme de chiffres, sont utilisées pour recréer l’illusion d’un environne-ment urbain. La chaîne contient à la fois le maillon ‘réel’ → ‘virtuel’ et le maillon ‘virtuel’ → ‘réél’.

Retour

Page 40: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 40 –

Beyls Peter – Stratégies de survie esthétiques

Peter Beyls est un artiste et scienti+que dont la production artistique trouve ses racines dans le développe-ment de logiciels ; il crée des systèmes génératifs dans des formats pour la musique, les arts visuels et des for-mats hybrides.

Est-ce que l’observation du fonctionnement de la nature nous permet d’en tirer des ren-seignements sur la voie à suivre pour rendre « immortels » les produits générés par la culture.

En règle générale, on peut dire que la nature essaie de créer de l’ordre dans le chaos, ceci sur la base de processus qui respectent les lois de la nature. Un exemple de la façon dont les molécules peuvent être amenées à une forme de coopération qui imite la vraie vie, sont les oscillateurs chimiques, découverts dans les années 1950. La question est de savoir si l’obser-vation de ces processus peut contribuer à l’élaboration de programmes d’ordinateur qui soient aussi simples que possible et qui néanmoins essaient de créer de l’ordre dans le chaos.

De manière générale, la comparaison entre objets, créés par la nature, et ceux créés artificiel-lement, comme résultat d’une culture, nous apprend ceci :

- Les objets naturels se créent via un processus du type bottom-up, les objets artificiels via un processus du type top-down

Page 41: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 41 –

- Les objets naturels peuvent constamment changer et s’adapter aux circonstances chan-geantes, les objets artificiels n’ont pas cette capacité

- Les artefacts culturels ont un seul focus ou objectif fixe, les artefacts naturels ont un focus changeant

- L’approche de la nature conduit naturellement à la diversité, à travers un processus évo-lutif

- Les objets naturels sont le résultat d’une synthèse, des objets artificiels d’une analyse

- Les objets naturels sont complètement interactifs, les objets artificiels sont, au mieux, « responsifs » et réagissent à un déclencheur d’une manière préprogrammée.

Dans le contexte de l’art généré par ordinateur, il est également pertinent d’avoir une bonne définition du terme « machine ». Selon Michel Carrouges, des machines doivent satisfaire à quatre critères : elles doivent être autonomes « célibataires » – elles doivent fonctionner selon une certaine logique – elles doivent interagir avec les êtres humains – il faut un témoin humain de leur fonctionnement. Ces propriétés ont plus tard été reconnues par Duchamp.

Cette définition n’exclut pas que des machines peuvent évoluer de dispositifs simples à des machines très complexes que sont en quelque sorte une forme de vie artificielle.

Plusieurs exemples peuvent être cités dans lesquels des éléments naturels sont intégrés dans des œuvres d’art.

Un premier exemple d’art cybernétique est une sorte d’animal commandé par ordinateur, créé par Edward Ihnatowicz, qui s’était inspiré des pinces d’un homard. Un deuxième exem-ple est une œuvre hybride de l’artiste australien Oron Catts, dans laquelle des éléments orga-niques et inorganiques sont mélangés. Un nom important dans le domaine traité est Stelarc qui a, par exemple, développé un bras mécanique comme une sorte de troisième bras à son corps, et qui était capable d’écrire deux mots (evolution et decadence). Cet artiste a également développé la première œuvre de body art, où son corps exécute une sorte de chorégraphie, sur la base de ses propres impulsions nerveuses et de stimuli donnés à une partie du corps par la conversion d’e-mails en signaux électriques. Stelarc a également créé, avec Nina Sel-lars, l’œuvre Blender, dans laquelle un récipient d’environ 5 litres est rempli avec les fluides corporels (du sang, de la graisse, des nerfs, etc.) des deux artistes. Eduardo Kac utilise l’ADN pour créer des œuvres d’art, dans ce cas, en combinant l’ADN d’un lapin et une méduse.

Se référant au thème du colloque, à savoir l’immortalité, l’orateur cite le logiciel auquel Harold Cohen a travaillé pendant 40 ans, et qui contient, dans un système expert, toutes les règles esthétiques qu’il applique dans ses œuvres ; ce logiciel est maintenant capable de créer, d’une manière autonome, des œuvres d’art (même en couleur) dans le style de Cohen. Cela soulève la question de ce qui va se passer après la mort de l’artiste ? Est-ce que les œuvres générées par ce programme peuvent encore être considérées comme des créations originales ?

Peter Beyls décrit également plusieurs de ses propres créations, dans lesquelles il utilise des automates cellulaires qui, sur la base d’algorithmes simples, créent des motifs, qui sont en-suite, à travers un autre algorithme, convertis en musique. La création des motifs se fait par

Page 42: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 42 –

étapes, et dans une mise en œuvre plus complexe des principes, c’est comme si chaque étape est influencée par les étapes précédentes, donc, en fait, de la même manière que procède la nature. Peter Beyls travaille également sur des systèmes complexes qui, comme dans la nature, non seulement ont la capacité d’évoluer, mais aussi d’apprendre. De tels systèmes utilisent une multitude de capteurs, et comme c’est souvent le cas, il convertit les données collectées en sons, donc en musique.

Pour finir, quelques réflexions sur ce que les technologies pourront nous apporter à l’avenir : la propagation à partir d’une cellule de n’importe quelle partie du corps – la transplantation faciale – la nanotechnologie – des combinaisons de molécules naturelles et synthétiques – d’énormes réseaux informatiques mondiaux.

Retour

Page 43: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 43 –

Rosa Menkman – From xenoglossy to Cliche

Rosa Menkman prépare actuellement une thèse de doctorat sur les eRets d’art numérique. Plus spéci+que-ment, elle étude des « glitches », et elle est co-auteur du soi-disant manifeste glitch. Son travail artistique / théorique se concentre sur les artefacts visuels qui sont créés en raison d’« accidents » dans les médias analogi-ques et numériques.

Du terme « glitch », deux types de définition peuvent être donnés : l’un technologique et l’autre artistique. D’un point de vue technologique, un « glitch » se produit en raison d’une erreur de programmation ou autre dans un logiciel de traitement de texte ou d’édition d’image, ce qui fait qu’un phénomène indésirable se produit, et que l’utilisateur du logiciel ne sait pas ce qui se passe, ni si le problème peut être corrigé. D’un point de vue artistique, le terme « glitch » vise plutôt l’effet que le problème a sur l’utilisateur, qui vit une « expérience glitch ». En glitch art, les artistes « glitch » essaient de provoquer de pareilles expériences en insérant délibérément des erreurs dans les techniques informatiques utilisées.

Des « glitches » peuvent être causés par des langages de programmation, et en particulier des techniques de compression d’images incompatibles. En règle générale, toute l’information qui circule sur Internet a, d’une manière ou d’une autre, été comprimée ; il existe plusieurs algorithmes, adaptés au type d’informations ou d’images ou aux objectifs poursuivis, mais ils ont tous en commun que la compression revient à une omission d’informations. Pour les artistes numériques, c’est inquiétant, parce que, soit la compression a posteriori détruit une

Page 44: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 44 –

partie de leur travail créatif, soit son utilisation limite a priori leur liberté artistique (par exemple en limitant la palette de couleurs ou la luminosité qui peuvent être utilisées).

Comme déjà dit, un problème de compatibilité entre les techniques de compression peut conduire à des « glitches », mais ils peuvent également être provoqués : actuellement, neuf formats d’images sont couramment utilisés (RAW, JPEG, JPEG2000, PNB, TIFF, GIF, Photoshop, Terra et PNP), et dans chacun, il suffit de modifier les valeurs de quelques paramètres pour obtenir des images déformées. Ces techniques sont par exemple utilisées pour donner à des images numériques un look analogique. Les algorithmes de telles distorsions, qui à l’origine pourraient être considérées comme glitch art, sont désormais standardisés et disponibles dans de nombreux logiciels d’édition d’image. Dans un sens, les objectifs d’artistes glitches sont érodés, parce que ce qui avait initialement été conçu comme un moyen pour déranger l’« establishment », est vite intégré par celui-ci.

Dans ce contexte, on peut faire un parallèle avec l’évolution du langage. Rosa Menkman note tout d’abord que son intérêt pour les langues a été éveillé par la lecture du livre Babel Library de Jorge Luis Borges, qui décrit une bibliothèque dont chaque livre compte 410 pages et contient l’une des innombrables combinaisons possibles qu’on peut faire avec les lettres de l’alphabet et les signes de ponctuation conventionnels. Cette bibliothèque contient donc tous les livres qui pourraient jamais être écrits, et ce, dans toutes les langues ; elle contient donc aussi le livre « parfait ». Certains visiteurs sont à la recherche de celui-ci, mais perdent leurs esprits dans cette quête. D’autre part, cette bibliothèque contient également des livres avec des erreurs, et une équipe de « purificateurs » recherche constamment de pareils livres afin de les détruire.

Son intérêt pour les langues a également été aiguisé par la lecture de 1984 de Orwell, qui y décrit une société dont les citoyens sont tenus d’utiliser Newspeak, une langue à vocabulaire limité, ce qui réduit inévitablement la créativité et la liberté intellectuelles des citoyens. Ce n’est pas le cas tant qu’ils utilisent Oldspeak, et lors du lancement de son premier PC, Apple a utilisé cette métaphore, en disant que son PC permettrait de réhabiliter Oldspeak, comprenez par cela, favoriserait la liberté intellectuelle de ses utilisateurs. Aujourd’hui, Apple est juste-ment une des sociétés qui met les utilisateurs de ses produits dans une camisole de force, et limite leur liberté intellectuelle.

Un tel phénomène se produit également avec Facebook, où les utilisateurs sont tenus de respecter plusieurs normes. Un exemple concret de la façon dont la liberté intellectuelle chez Facebook est limitée, est l’interdiction d’utiliser des signes diacritiques (par exemple ǟ, ḗ, ḯ, ṓ, ṹ, ṧ). Des pages avec ces caractères sont enlevées par Facebook, y compris quelques pages de Rase Menkman même (après contact avec Facebook, elles ont été restaurées, et elle a même reçu une offre de Facebook pour aider à trouver des défauts dans leurs programmes).

Les artistes « glitch » contemporains testent les limites du système de numérisation et essaient de les pousser, mais c’est en fait la même chose que les artistes du passé ont toujours fait. Des artistes « glitch » résistent, à leur manière, à des situations du type Newspeak (cf. les New Estetics) qui nous imposent des règles, des normes et des standards que nous sommes tenus à utiliser mais qui, en fait, restreignent notre liberté intellectuelle.

Page 45: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 45 –

Questions & Réponses Q. Comment peut-on préserver du glitch art.

A. La plupart des artistes « glitch » sont bien conscients du fait que les technologies et les normes sont, à terme, dépassées, précisément parce que leurs œuvres testent les limites des technologies et des standards existants, et dans une perspective plus large, mettent en question plusieurs normes sociales. De ce point de vue, le mouvement « glitch » est un mouvement social plus large et ne se limite pas à la création d’effets visuels purement « glitch ».

Retour

Page 46: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 46 –

Jean-Paul Fourmentraux – Praticables – Dispositifs artistiques

M. Fourmentraux est sociologue, anthropologue et professeur à l’Université de Lille et de Paris. Il mène des recherches sur l’impact de l’Internet sur la manière de créer des œuvres d’art contemporain.

Le thème de « l’immortalité » est abordé à partir de l’aspect d’œuvres d’art sans début ou sans fin clairement définis. Le propos est illustré à l’aide de résultats du projet de recherche ‘Praticables – Dispositifs artistiques : les mises en œuvre du spectateur’, qui examine le rôle que joue le public dans la création d’œuvres d’art contemporain.

Il est indéniable que l’Internet affecte les artistes dans leur façon de travail pour créer de l’art. Ils font souvent appel à des dispositifs qui, après un certain temps, s’avèrent aboutir à des applications pour le « grand public ». Tirons l’attention sur le terme « dispositif » pour désigner l’art contemporain : dans les années 1960, le terme « installation » fut courant, par la suite remplacé par « creation in situ », et aujourd’hui donc par « dispositif ». Cette évolu-tion dans la dénomination était parallèle au rôle que joue le public, et qui a évolué à partir d’un spectateur plutôt passif, à travers celui d’un visiteur qui venait lui-même en scène, jus-qu’à un visiteur dont les mouvements et les gestes jouent un rôle essentiel dans la création de l’œuvre d’art : sans public, il n’y aurait pas d’œuvre d’art. C’est ce rôle particulier qui est étudié dans le programme de recherche « Praticables » ou « Médias praticables ».

Le rôle que peut/doit jouer le public peut être illustré à l’aide de trois exemples.

Page 47: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 47 –

Le premier est l’œuvre Réanimation du collectif artistique. L’aspect matériel/visuel de cette œuvre se compose d’un écran auquel apparaissent des silhouettes qui sont créées par un algorithme ; cet algorithme utilise comme input les mouvements du public qui observe l’œuvre, mais ces mouvements sont accompagnés de musique, qui à son tour est déterminée par les mouvements d’un danseur, qui sont introduits dans un autre algorithme. Ces deux algorithmes sont donc au cœur de l’œuvre, où, en fin de compte, ce qui est visible à l’écran ou joué comme musique, est le résultat des actions entreprises par le public et le danseur. Celles-ci sont toujours différentes, ce qui confère à l’œuvre un caractère inachevé, donc « im-mortel ».

La deuxième œuvre s’appelle Discontrol Parties et a été montrée au festival de Valenciennes. L’artiste fait appel à des technologies utilisées à des fins de surveillance, mais ajustées afin d’éviter de capturer les gestes d’un seul individu, au profit des gestes de tout un groupe. Cette information est entrée dans un dispositif qui génère alors de la musique, et peut donc être utilisée dans un contexte de fêtes, l’objectif étant que le public, à travers ses actions et gestes, met le système à l’épreuve et essaie de le « bugger ».

Un troisième exemple est l’œuvre appelée Capture, réalisée à Montréal par le consortium Hexagramme, qui se concentre sur l’étude de la valorisation du potentiel industriel des nou-velles techniques que les artistes utilisent dans leurs créations contemporaines, et à cette fin, reçoit des subventions d’institutions qui financent la recherche scientifique innovante.

Capture est un robot qui simule un groupe de rock ; il s’agit d’une performance sans début ni fin, avec un logiciel qui cherche des morceaux de musique et des fragments de textes sur Internet, et les « re-crée », ce qui est fondamentalement sans fin. Le dispositif a donc un caractère génératif, qui ne se limite pas à la musique, mais couvre également l’aspect du mar-chandising du groupe de rock virtuel. L’intervention humaine est uniquement nécessaire pour guider les processus, mais une fois que le dispositif a été développé, aucun être humain ne doit plus jouer un rôle créatif ou génératif, ce qui confère donc à l’œuvre un caractère « éter-nel ».

Sur la base de ces exemples, les caractéristiques de ces médias appelés praticables, par rap-port aux médias plutôt traditionnels, peuvent être identifiées. Il est en tout cas évident que le caractère interactif, grâce à Internet, a évolué, depuis des interventions hic et nunc de la part du public, à des interventions qui ne sont plus localisées. D’autre part, les œuvres ne sont réellement créées que grâce à l’input donné par le public au logiciel écrit par l’artiste. Mais sans cet input, il n’y a pas d’œuvre d’art. En fait, les artistes prennent un certain risque, car si le public n’intervient pas activement, l’œuvre d’art préconisée n’est pas créée. Ce qui caractérise également les médias praticables, c’est le fait que l’écran sur lequel le résultat de l’interaction est visualisé, ne constitue qu’une petite partie de l’œuvre : l’essentiel du travail créatif de l’artiste consiste dans le logiciel qu’il écrit ; pour utiliser une métaphore musicale : c’est comme une partition que le public peut interpréter, ou peut-être mieux encore, un instrument qu’il peut jouer à volonté. Cela suppose que le public apprécie le caractère « immersif » de ces médias praticables, qui peuvent donc être classés comme des œuvres ouvertes dans le sens le plus large du terme.

Retour

Page 48: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 48 –

Angelo Vermeulen – Construire des ordinateurs vivants,

terraforming de volcans, et colonisation de Mars En tant qu’artiste visuel avec un doctorat en biologie, Angelo Vermeulen est toujours à la croisée entre art et science. En 9::7, il a commencé SEAD (Space Ecologies Art and Design), qui est une plate-forme de recher-che artistique sur la colonisation de l’espace. Il collabore à cette +n avec les agences spatiales ESA et NASA.

Il illustre dans son exposé trois projets qu’il a déjà réalisés, puis parle de ses projets futurs, où la couche scientifique de son travail jouera un rôle important.

Le premier projet s’appelle Biomodd. Le terme mod ou modding est inspiré par le phénomène de case modding, où les passionnés d’informatique convertissent leur ordinateur d’une ma-nière comparable à ce que les amateurs de voitures font avec leur voiture (car tuning). Ceci peut conduire à une surchauffe de l’ordinateur, et cette sous-culture est donc constamment à la recherche de moyens pour éliminer cette chaleur résiduelle, en concevant des éléments de refroidissement spéciaux. Cela a inspiré l’artiste à chercher des façons plus créatives de mise à profit de cette chaleur, plutôt que de simplement utiliser des éléments de refroidissement. En outre, l’artiste a également été touché par le problème des e-déchets. Ces approches ont abouti au projet Biomodd, qui vise à construire un biotope à l’aide de matériel informatique recyclé, où la chaleur résiduelle est utilisée pour la promotion de la croissance de plantes à l’intérieur de l’ordinateur. Le concept utilise également des cultures d’algues. Une autre « couche » est ajoutée à l’oeuvre, et est d’ordre social. Biomodd est toujours réalisé selon la

Page 49: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 49 –

formulee de co-création, où seul le concept de base est élaboré par l’artiste, après quoi le projet prend sa forme concrète in situ via des séances de brain storming et grâce à la collabo-ration active d’équipes multidisciplinaires. Cette approche conduit à des résultats finals qui sont chaque fois différents, et dépendent notamment de l’endroit où, et donc de la culture dans laquelle le projet est réalisé. En outre, le système construit est pour l’essentiel un ordi-nateur accessible aux gamers, qui par leur jeux influencent la chaleur produite, et donc la végétation.

Une première version de Biomodd a vu le jour dans le Æsthetic Technologies Lab à Athens (Ohio), où l’artiste a séjourné pendant quatre mois, et a collaboré avec d’autres artistes, mais aussi avec des techniciens spécialisés en biologie, en design et en programmation. Le résultat final est une structure de 2 m de haut, construite sur la base de 5 ordinateurs recyclés, et couplé à un écosystème avec des plantes, des algues et des poissons. Les algues refroidissent le processeur du serveur, et vont à leur tour réchauffer un aquarium avec des poissons ; l’eau chaude et fertile de l’aquarium est finalement utilisée comme eau d’irrigation pour les diver-ses plantes. Se référant au thème « Immortel » de ce colloque, l’artiste fait observer que les algues peuvent en fait être considérées comme un médium artistique « immortel » : l’artiste utilise, depuis 2002, toujours des algues de sa première culture ; elles ont déjà voyagé vers chaque localisation où un projet Biomodd est réalisé, et ont entre-temps été mélangées avec des algues similaires de partout dans le monde, formant en quelque sorte une archive vivante, qui est en mesure de survivre même les conditions les plus extrêmes (par exemple, déshydratation).

Le projet a également été réalisé aux Philippines, un pays éminemment caractérisé par une culture de community building. Le travail a été effectué au pied du Mont-Makiling, que les gens locaux croient être habité par un esprit Maria Makiling ; celle-ci punirait sévèrement les crimes contre l’environnement, et la population locale montre donc un grand respect pour le système écologique de cette montagne. La co-création a conduit ici à une structure sculpturale qui incorpore beaucoup de sculptures en bois de style local, ce qui donne à l’œuvre un look typiquement philippin assez baroque.

Entre-temps, Biomodd est devenu un projet open source qui est réalisé à différents endroits à travers le monde entier, sans l’intervention de l’artiste.

La version la plus récente à laquelle l’artiste a collaboré, a été réalisée à New York pour l’exposition ReGeneration dans le New York Hall of Sciences. Ce musée est situé dans une zone où vivent majoritairement des Hispaniques. La population locale était, comme toujours, active-ment impliquée dans la construction, notamment via des ateliers organisés par l’artiste à propos du recyclage des e-déchets. Dans cette réalisation, plusieurs nouveaux concepts ont été explorés :

- L’utilisation de sources d’énergie renouvelable, notamment l’énergie solaire, pour couvrir une partie des besoins en énergie de l’œuvre

- L’agriculture urbaine, en veillant à ce que les plantes cultivées soient comestibles (p. ex. des tomates)

- Entangled reality, c’est-à-dire tenter d’influencer la croissance des plantes par une inté-gration plus profonde que juste par le recyclage de la chaleur résiduelle. Plus précisément,

Page 50: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 50 –

cela a été réalisé par l’incorporation de capteurs environnementaux qui informaient l’or-dinateur de l’état de l’écosystème. De plus, diverses formes de robotique simple étaient également incorporées dans l’écosystème. Il s’agissait de systèmes capables d’activement soigner les plantes : arroser, influencer l’humidité de l’air, tailler, etc. Cela a créé un effet de boucle de rétroaction, ou, autrement dit, un effet d’enchevêtrement. L’écosystème réel et le système virtuel sur le réseau informatique se sont influencés mutuellement dans une interaction incessante.

Un deuxième projet que l’artiste souhaite décrire fait partie du programme MELiSSA de l’Agence spatiale européenne. Ce programme vise à créer un écosystème autonome qui peut être utilisé pour des voyages spatiaux de longue durée. Cet écosystème fournit de la nour-riture, de l’eau et de l’oxygène et recycle en continu les déchets produits par les astronautes. Ceci a inspiré l’artiste la création de la plate-forme SEAD (Space Ecology Art and Design). Le terme SEAD se réfère également à la « semence » de la vie. Terraforming est un concept quoi-que toujours fictif, où, en utilisant des techniques biologiques et physiques, une planète morte est transformée en une planète qui pourrait abriter la vie. L’artiste a également utilisé ce concept de terraforming après une éruption du Mont Merapi à Java. Les flancs du volcan étaient recouverts de lave et étaient initialement nus, parce la lave ne contient pas d’azote – un élément essentiel à la vie végétale. Certaines bactéries sont capables de capturer l’azote dans l’air, puis, en symbiose avec certaines plantes, de le passer à celles-ci « en échange » d’éléments nutritifs dont les bactéries ont besoin. Une fois de plus, l’artiste, en collaboration avec des artistes, des architectes, des microbiologistes et la population locale, a réalisé un projet qui a finalement pris la forme d’une tour triangulaire en bambou, à plusieurs étages, où les biologistes pourraient exécuter leurs expériences de terraforming. Toutes les expé-riences ne réussissent pas, mais certaines le font, de sorte que cette tour puisse devenir un symbole d’espoir dans le paysage autrement désolé. Le fils de la famille où l’artiste pouvait loger a d’ailleurs, après son départ, construit sa propre version miniature de la tour, où il effectue des expérience.

Un dernier projet que l’artiste veut décrire cadre dans le Wittenveen + Bos Art + Technology Award qu’il a reçu en 2012. Il a eu l’occasion de collaborer avec les ingénieurs de Wittenveen + Bos, pour réaliser un projet qui consiste concrètement en un vaisseau sculptural qui, en théorie, devrait pouvoir être complètement autonome. Le résultat a été exposé à la Bergkerk à Deventer. Comme toujours, l’artiste a opté pour la formule de la co-création, dans ce cas, surtout avec des ingénieurs, ce qui a conduit à une confrontation intéressante entre l’appro-che des ingénieurs et celle des artistes. Les ingénieurs font d’abord un plan de travail qu’ils exécutent par après, tandis que les artistes opèrent plutôt par essai-erreur, étape par étape, vérifient si une idée est viable, et laissent alors « grandir » le résultat progressivement. Ceci est quelque peu comparable à la façon dont opère la nature. Le résultat est une sculpture d’environ 20 m de long, qui se compose d’environ 80% de matériaux recyclés, et dans lequel la biologie, l’art et l’ingénierie sont mélangés ensemble ; le modèle comprend un cockpit, une cuisine et un holodeck.

En plus de ces projets déjà réalisés, l’artiste traite d’un projet auquel il collaborera bientôt. Il s’agit du projet HI-SEAS financé par la NASA, qui veut vérifier comment de futurs colons de Mars garantiront leur approvisionnement en nourriture. L’artiste a, avec quatre Américains et un Canadien, été sélectionné parmi 700 candidats internationaux, pour être observés pen-dant quatre mois dans un habitat qui doit imiter les conditions de vie sur Mars, et qui est

Page 51: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 51 –

situé à Hawaï. Les participants peuvent, pendant cette période, réaliser quelques projets privés et, dans le cas de l’artiste, il s’agira d’un projet de teleoperated space farming. L’artiste croit que sa candidature a été retenue parce qu’il a beaucoup d’expérience avec la réalisation de projets dans des environnements complexes et en différents milieux sociaux.

Le modérateur remarque que le fait que l’artiste ait une formation scientifique, lui met dans une position presque unique. Angelo Vermeulen confirme que cela a certainement contribué à créer un climat de confiance entre lui et par exemple les ingénieurs de Witteveen + Bos, et donc à la réussite du projet.

Page 52: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 52 –

Questions & Réponses

Q. Sous quelles conditions peut-on arriver à une bonne co-création ?

R. Angelo Vermeulen prépare un doctorat à l’Université de Delft, où cet aspect sera étudié plus en détail, mais il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives. Il est vrai que le succès dépend d’un équilibre délicat entre, d’une part, laisser de la liberté, et d’autre part, diriger les gens. En cas de contrôle inadéquat et surtout pendant l’absence de l’artiste, il y a des tensions dans le groupe, qui ont souvent comme origine un sentiment d’insécurité parmi les membres de l’équipe. Pour l’interaction entre les ingénieurs et les artistes concernés, Angelo dit que, en général, il existe trois formes possibles :

1) les ingénieurs élaborent un projet de A à Z, et demandent, seulement dans l’étape ultime, à un artiste d’assurer que le résultat sera « beau à voir » ; c’est une vision an-cienne et dépassée

2) l’artiste apprend à connaître le monde des ingénieurs, et crée, avec les connaissances acquises, une œuvre d’une manière autonome, mais sans qu’il y ait vraiment un dialo-gue

3) l’artiste et les ingénieurs collaborent dans un vrai dialogue, dans lequel l’artiste donne les indications nécessaires, mais sans prendre une attitude prescriptive.

Q. Comment exactement l’artiste inclut-il la notion d’« immortalité » dans ses œuvres ?

R. L’accent est mis davantage sur la création de nouveaux écosystèmes et formes de vie dans l’art, plutôt que dans l’immortalité au sens strict du terme.

Retour

Page 53: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 53 –

Yves Bernard (IMAL) – Réflexions finales

Yves Bernard est fondateur et force motrice d’IMAL à Bruxelles, où se déroule une partie de Update_4.

L’aspect de l’immortalité est abordé via la question suivante : « Qu’advient-il des données sur un individu, et en particulier un artiste, une fois qu’elles sont mises sur Internet ou dispo-nibles dans le cloud, et à partir de ce moment-là, peuvent être partagées et éditées d’une manière essentiellement illimitée ? ».

Dans une première réflexion à ce propos, on peut se référer au logiciel AARON auquel l’ar-tiste Harold Cohen a travaillé pendant près de 30 ans, et dans lequel qu’il a intégré ses pro-pres idées créatives. Ce logiciel est maintenant en mesure de créer des dessins de manière autonome dans le style de Cohen lui-même, et ceci sans limite dans le temps. On peut donc dire qu’une partie du cerveau de Cohen (et plus particulièrement sa partie créative) est maintenant incorporée dans un logiciel « immortel ».

Une deuxième réflexion porte sur la question de savoir si, sachant que des données relatives à notre personne sont enregistrées dans des systèmes informatiques, même après notre mort, nous devrions déjà de notre vivant essayer d’influencer activement ces données, ou plutôt les subir passivement. En citant Chris Marker à propos de sa soi-disant seconde vie : Imaginez que nous parvenons à programmer [les avatars qui représentent notre seconde vie] avec toute notre mémoire, et une fois qu’ils peuvent aller par eux-mêmes, même quand nous ne serons plus pas ici.

Page 54: COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE 4 15-17/11/2012 · COMPTE RENDU DU COLLOQUE UPDATE_4 15-17/11/2012 Introduction Le colloque dans le cadre du Prix New Technological Art Award (Prix

– 54 –

Dans une variante de la première réflexion, on peut se référer au site web Jacksonpollack. org, créé par Miltos Manetas ; il s’agit d’un programme qui crée activement des œuvres dans le style de Pollack lui-même (appelées drippings), rendant ses processus créatifs immortels, même si cela a été fait par un tiers.

Retour