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Faculté des sciences de l’administration Université Laval Québec (Québec) Canada G1K 7P4 Tél. Ph. Tel. : (418) 656-3644 Télec. Fax : (418) 656-7047

Édition électronique : Electronic publishing: Edición electrónica:

Aline Guimont Vice-décanat - Recherche et affaires académiques Faculté des sciences de l’administration

Disponible sur Internet : Available on Internet Disponible por Internet :

http://rd.fsa.ulaval.ca/ctr_doc/default.asp [email protected]

DOCUMENT DE TRAVAIL 2005-026 LES STRATÉGIES CONCURRENTIELLES DES COMPAGNIES AÉRIENNES TRADITIONNELLES FACE À LA COMPÉTITION DES COMPAGNIES À BAS COÛT : LE CAS D’AIR FRANCE Jacques GRISÉ Marie-Ève LÉCINE

Version originale : Original manuscript: Version original:

ISBN – 2-89524-248-8

Série électronique mise à jour : On-line publication updated : Seria electrónica, puesta al dia

10-2005

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Les stratégies concurrentielles des compagnies aériennes traditionnelles face à la compétition des compagnies à bas coût :

le cas d’Air France

Jacques Grisé*, Marie-Ève Lécine*

Faculté des sciences de l’administration Université Laval

RÉSUMÉ

Cet article vise à comprendre les stratégies concurrentielles développées par les compagnies

traditionnelles (CT) devant la concurrence des compagnies à bas coûts (CBC). Il aborde plus

particulièrement l’étude de la stratégie menée par Air France devant l’émergence des

compagnies à bas coûts sur son territoire depuis la fin des années 1990. Les résultats montrent

qu’Air France, à travers des choix stratégiques opérationnels cohérents et la recherche d’un

avantage concurrentiel durable par le biais d’un positionnement stratégique basé sur la

clientèle « haute contribution », a triomphé de cette compétition.

__________________________________________________________________________________

* Jacques Grisé est professeur titulaire retraité et professeur associé au département de management de la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval. Détenteur d’un Ph.D. de la Ivy Business School (University of Western Ontario), d’une licence spécialisée en administration des entreprises (Université de Louvain en Belgique) et d’un B.Sc.Comm. (HEC, Montréal), ses intérêts de recherche touchent principalement les comportements dans les organisations et la gestion des ressources humaines, les stratégies de changement organisationnel et le processus de consultation, le design organisationnel, la formation et la compétitivité des entreprises. Le professeur Grisé est l’auteur de nombreux articles à caractère scientifique ou professionnel. Il est également membre de plusieurs associations professionnelles dont Academy of Management, l’Association canadienne des sciences administratives (ACSA) et l’Ordre des administrateurs agréés dont il est Fellow. * Marie-Ève Lécine travaille au département de management de la Faculté des Sciences de l’Administration de l’Université Laval. Diplômée du MBA Management de cette même université, elle s'est particulièrement intéressée lors de son essai de maîtrise aux stratégies dans le domaine du transport aérien. Elle est également diplômée de Bordeaux École de Management dans le domaine de la finance et est titulaire du DECF, diplôme comptable et financier. Marie-Ève a travaillé comme consultante dans des cabinets spécialisés en finances et en stratégie.

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Les stratégies concurrentielles des compagnies aériennes traditionnelles face à la compétition des compagnies à bas coût :

le cas d’Air France

Jacques Grisé, Marie-Ève Lécine

Faculté des sciences de l’administration Université Laval

1. Introduction et problématique

Le secteur aérien est reconnu comme étant l’un des systèmes organisationnels les plus

complexes ; en effet, celui-ci est fortement influencé par un ensemble sophistiqué de

décisions stratégiques d’ordre sociogéographique, culturel, politique et économique. Les

compagnies traditionnelles (CT) doivent désormais composer avec un nouveau contexte, la

concurrence très vive des compagnies aériennes à bas coûts (CBC) résultant de la

déréglementation de l’industrie aérienne à l’échelle mondiale : en 1978 aux États-Unis et en

1998 en Europe.

Avant l’avènement de la déréglementation, la plupart des États exerçaient un contrôle élevé

sur le secteur aérien même si les interventions étaient plus ou moins vigoureuses selon les

pays. La concurrence n’existait pratiquement pas puisque les compagnies aériennes

s’entendaient sur les modalités de partage des routes aériennes. Après la déréglementation, ce

bel équilibre quasi stationnaire a été rompu. Les compagnies ont certes bénéficié d’une plus

grande latitude dans l’exploitation de leurs activités (par exemple, dans le choix des routes

desservies), mais ces nouveaux avantages ont largement été contrebalancés par un

désagrément majeur : l’entrée des compagnies à bas coûts. Ces compagnies ont bouleversé

l’équilibre de prix instauré dans le secteur aérien en proposant des billets à des prix, en

moyenne, 30 % moins chers qu’auparavant. Ainsi, de nombreuses compagnies traditionnelles,

prises au dépourvu, ont été acculées à la faillite. Leur structure de coûts était trop élevée et

elles ne pouvaient plus concurrencer les prix des compagnies à bas coûts.

En Europe, la déréglementation s’est produite en 1998, soit vingt ans après les États-Unis.

Ainsi, il est logique de penser que les compagnies traditionnelles européennes pouvaient

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mieux se préparer aux effets de la déréglementation car elles bénéficiaient de l’expérience

américaine. Elles avaient potentiellement en main les réponses adéquates pour faire face

efficacement aux nouvelles compagnies aériennes à bas coûts.

Cependant, il serait naïf de croire que ces stratégies sont parfaitement transposables. Les

différences dans les environnements européens et américains ont rendu la mise en place de

ces stratégies plus complexes qu’il n’y paraît. Plusieurs éléments perturbent la logique dont

on faisait état plus haut : (1) les caractéristiques propres à l’environnement du secteur aérien

européen, (2) les vingt années qui séparent les deux déréglementations (le secteur aérien a

subi de grands changements pendant cette période), et (3) la nature de la concurrence des

compagnies à bas coûts sur leur territoire (elle semble moins directe pour les compagnies

européennes qu’elle ne l’a été pour les compagnies américaines).

Dans ce contexte, des questions se posent sur la manière dont les compagnies européennes ont

ajusté les stratégies américaines en fonction des particularités de leur environnement. Dans

notre étude, nous nous intéressons plus spécifiquement au cas d’Air France. Cette compagnie

est la compagnie-fleuron de la France et elle est historiquement très ancrée dans la vie

politique française. Elle possède donc des spécificités supplémentaires dont il faudra tenir

compte dans l’analyse. Nous étudierons les choix stratégiques d’Air France, à travers

l’analyse des documents de référence, des informations corporates et des discours officiels, et

nous tenterons de répondre à la question centrale de ce notre recherche : dans quelle mesure

la compagnie Air France a-t-elle adopté les stratégies concurrentielles des compagnies

traditionnelles américaines à la suite de l’arrivée des compagnies à bas coûts sur son

territoire après les déréglementations de 1998 ?

Cette problématique entraîne plusieurs questions sous-jacentes dont les suivantes : (1) quelles

différences fondamentales entre les deux pays contribuent à freiner l’établissement des

compagnies aériennes à bas coûts en France, (2) comment la présence d’Air France peut-elle

être un obstacle à l’implantation des compagnies à bas coûts en France, (3) de quels avantages

concurrentiels Air France dispose-t-elle pour faire face à l’arrivée de nouveaux compétiteurs,

(4) dans quelle mesure les perturbations provoquées par les compagnies à bas coûts ont-elles

modifié la donne dans l’industrie aérienne mondiale, notamment en ce qui a trait à la

concurrence entre les compagnies traditionnelles ?

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Pour répondre convenablement à ces questions, nous décrirons les grandes caractéristiques

des deux types de compagnies - à bas coûts et traditionnelles - ainsi que l’éventail des

stratégies mises en œuvre par les compagnies aériennes traditionnelles aux États-Unis.

2. Les caractéristiques des deux types de compagnies aériennes

Les compagnies à bas coûts

Tous les choix de gestion des compagnies à bas coûts sont dictés par un leitmotiv : minimiser

les coûts de structure pour proposer des billets aux plus bas tarifs aux passagers. Les

caractéristiques proposées ci-dessous sont plus ou moins adoptées par les compagnies à bas

coûts.

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Les compagnies traditionnelles

Ce sont des compagnies aériennes de service régulier. Leur modèle d’affaires est plus

complexe et il possède des coûts de structure plus élevés, même si la tendance est de baisser

ces coûts. Les caractéristiques proposées ci-dessous sont plus ou moins adoptées par les

compagnies traditionnelles.

Caractéristiques

Répercussions / Sources d’économies

Desserte des aéroports secondaires

Taxes aéroportuaires plus faibles, pouvoir de négociation plus fort. Gain de temps et d’argent grâce à la moindre fréquentation des aéroports.

Pas de service à bord Économie sur les produits (journaux, boissons, etc.). Économies de personnel navigant.

Vente de billets par Internet Si le passager choisit de réserver selon un autre mode, des frais sont demandés..

Flotte homogène et récente

Économies sur la maintenance (pièces de rechange identiques) et sur la formation des pilotes. Économies d’énergie grâce aux moteurs performants.

Billet électronique Économies dans la distribution.

Classe unique

Possibilité de mettre plus de sièges dans l’espace prévu initialement pour la première classe des compagnies traditionnelles. Économies de gestion des réservations et de l’établissement des tarifs des billets.

Tarif unique Simplification dans la gestion et possibilité d’accroître l’automatisation des processus.

Rotation plus fréquente des avions

Possibilité de maximiser les « allers-retours » dans une journée.

Pas d’alliance, pas de programme de fidélisation

Économies de gestion.

Destinations courtes (court voire moyen courrier)

Plus grande fréquence de rotation journalière des avions.

Plus grande motivation du personnel, personnel jeune, travail à domicile des personnes en charge du « call center »

Économies sur la masse salariale, fidélisation du client grâce au service, économies de structure.

Pas de « hub » Choix des créneaux horaires indépendamment de toute contrainte de correspondance. .

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Caractéristiques

Répercussions/ Avantages

Les destinations Toute une gamme de destinations (court, moyen et long courriers).

Plusieurs types d’avions

Adaptés à chaque type de vols.

Desserte des aéroports principaux

Facilité d’accès pour la clientèle haute contribution, infrastructures bien aménagées.

Agents de voyage

Plus facile d’accès pour les clients.

GDS Système expert ajustant le prix des billets en fonction des périodes, destinations, correspondances, etc. qui maximise le profit de la compagnie.

Programme de fidélisation

Fidéliser la clientèle.

Trois classes sont disponibles Attirer un maximum de clients et leur offrir le service attendu en fonction des classes.

Services à bord

Gratuits, ils varient en fonction des compagnies. En général, ils concernent les plateaux de repas, les journaux, la musique, le cinéma, la téléphonie, etc. Il y a davantage de personnel en vol pour mieux servir les passagers.

Rotations stratégiques

L’idée n’est pas d’accroître l’utilisation des appareils, mais d’optimiser les heures de départs et d’arrivées afin de satisfaire un maximum de passagers ; assigner les passagers en transfert aux « hubs » sans qu’il y ait trop d’attente.

Sous-traitance Faible. Les compagnies traditionnelles ont généralement leur propre organisation de maintenance, formation, etc.

Budget publicitaire Élevé

3. Présentation des stratégies créées par les compagnies américaines lors de la déréglementation

Les stratégies mises en œuvre par les compagnies américaines ont été de trois ordres : (1) la

mise en place des fondamentaux, (2) la recherche d’économies et d’alliances, et (3) les

stratégies complémentaires. La mise en place des fondamentaux est une stratégie

indispensable qui a été très tôt adoptée par les compagnies traditionnelles européennes et ce,

bien avant la déréglementation. Les stratégies complémentaires se rapportent à la nature de la

concurrence et elles sont davantage opérationnelles.

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Stratégies de base

Les fondamentaux

Le « Hub »

Restructuration du réseau autour d’un aéroport pivot afin de rationaliser le trafic en faisant converger les liaisons de moindre importance (court/moyen courrier) vers le hub d’où partent les liaisons long courrier.

Le « Yield Management »

Système informatique qui maximise la recette des transporteurs aériens grâce à une gestion précise des prix des billets en fonction de plusieurs paramètres tels que l’heure du vol, le type de clientèle, la destination, etc.

Programme de fidélisation

Système de récompense pour la fidélité des passagers sous forme de points acquis à chaque achat de billet et échangeables contre des vols.

SIR ou GDS

Permet à toutes les CT et agences de voyage adhérentes à ces systèmes de connaître en temps réel les horaires et les disponibilités des vols des différentes compagnies membres de ces réseaux, d’enregistrer les réservations des voyageurs et d’émettre des titres de voyage. Ce système contient les informations sur les disponibilités, les horaires et les prix des services aériens.

Les stratégies de réduction de coûts

Couper dans les dépenses

Restructurer ses coûts de base en cherchant à économiser à tous les niveaux de la chaîne de Porter. Ces économies concernent essentiellement et historiquement les coûts liés à la masse salariale, la gestion de la flotte et la distribution.

Multiplier les alliances

Les alliances consistent en des rapprochements avec des compagnies ayant un réseau complémentaire. Elles permettent de proposer une offre plus étendue (davantage de destinations) à leurs clients qui bénéficient par ailleurs d’avantages tarifaires. Ainsi, les alliances réduisent la concurrence entre les transporteurs.

Les stratégies complémentaires Devenir une compagnie à bas coûts

Stratégie cherchant à transformer purement et simplement la CT en CBC en reprenant les éléments du modèle d’affaires qui font le succès et la rigueur des compagnies à bas coûts.

Renoncer à la route concernée

Signifie pour la CT de se concentrer sur les routes non concurrencées et d’abandonner les routes investies par les CBC, et ce, sans remettre en cause la pertinence du réseau.

Combattre

Signifie pour une CT d’aligner ses prix sur les prix pratiqués par la CBC sur la route. concurrencée.

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Coexister

Signifie pour une CT de choisir de se positionner sur le segment d’affaires tandis que la CBC récupère le segment « loisir ».

S’allier

Les CBC se chargent d’acheminer jusqu’au hub des compagnies traditionnelles les voyageurs en transit. Ainsi, les CBC récupèrent la partie court courrier des CT.

Fusions et acquisitions

Se rapprocher, acquérir ou fusionner avec une autre CT anciennement concurrente afin de peser plus fort dans le secteur et ainsi avoir plus de poids pour combattre les CBC.

Stratégie perdante Ne rien faire

Ne pas prendre au sérieux le potentiel des CBC.

CT : Compagnies aériennes traditionnelles, CBC Compagnies aériennes à bas coûts

4. Méthodologie

La méthodologie de recherche de cette étude est descriptive. Nous avons d’abord cherché des

informations sur les secteurs aéronautiques pour comprendre ses problématiques. Pour

l’analyse des stratégies d’Air France, nous avons décortiqué, avec un certain recul, les

éléments de la stratégie présentée dans différents documents de référence (articles de presse et

Internet, ouvrages spécialisés, etc.). Ces sources sont fiables et cautionnées par Air France.

5. Analyse

Dans cette analyse, nous dégagerons les caractéristiques propres à l’environnement d’Air

France et nous étudierons les modalités de la stratégie de la compagnie.

Pourquoi la concurrence des compagnies à bas coûts est-elle plus forte aux États-Unis qu’en Europe ou en France ? Deux facteurs principaux expliquent la moindre intensité de la concurrence entre les

compagnies à bas coûts et les compagnies traditionnelles en Europe : (1) des différences

d’ordre géographique et (2) la présence du rail.

Raisons géographiques

Les États-Unis possèdent de nombreuses villes principales et secondaires, souvent très

éloignées entre elles. Les Américains privilégient donc les déplacements en avion pour gagner

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du temps, que ce soit pour des raisons d’affaires ou de loisir. Ainsi, aux États-Unis, avant la

déréglementation, les compagnies traditionnelles proposaient déjà des liaisons entre la plupart

des grandes villes. Elles avaient bien souvent le monopole ou étaient en situation de duopole ;

dans ce dernier cas de figure, la concurrence était faible car les compagnies avaient signé des

ententes entre elles pour fixer les prix et les horaires. Le prix des billets étant souvent assez

élevé, plusieurs voyageurs potentiels ne pouvaient prendre l’avion. Quand les compagnies à

bas coûts sont entrées dans la concurrence, elles ont non seulement récupéré une partie des

passagers des compagnies aériennes traditionnelles (la frange des passagers sensibles aux

prix), mais elles ont également offert à de nouveaux voyageurs la possibilité de prendre

l’avion. La sous-capacité des aéroports a par ailleurs renforcé les possibilités d’essor des

compagnies à bas coûts, lesquelles ont ainsi été libres de choisir leurs créneaux horaires.

Cette concurrence a donc été frontale pour les compagnies traditionnelles. Celles-ci étant

financièrement plus fragiles, elles n’ont pas résisté et celles qui ont décidé de combattre ont

perdu beaucoup d’argent dans les premiers temps. En effet, elles ont d’abord réagi pour parer

au plus pressant en s’alignant sur les tarifs des compagnies à bas coûts afin de ne pas perdre

trop de clients. Cette stratégie est coûteuse, elle est en totale incohérence avec leur modèle

d’affaires, et surtout, elle est inefficace. Ce n’est donc que dans un deuxième temps que les

compagnies traditionnelles sont parvenues à concevoir des stratégies congruentes avec leur

positionnement stratégique.

Cette situation est différence en France (et en Europe) pour trois raisons majeures : (1) la

taille du pays, (2) la surcapacité des aéroports et (3) la présence du rail.

Les pays européens ont moins de villes principales et la distance entre celles-ci ne justifie pas

nécessairement un déplacement en avion. Le transport aérien est donc largement concurrencé

par d’autres moyens de transport, notamment le rail. Nous consacrerons la prochaine partie à

la concurrence du transport ferroviaire sur les compagnies traditionnelles. Par ailleurs, la

surcapacité des aéroports a freiné les possibilités d’implantation des compagnies à bas coûts

sur des lignes qui auraient pu être rentables pour elles. Dans ce contexte, les compagnies à bas

coûts ont préférés exploiter des lignes moyen courriers avec comme points de départ les

aéroports secondaires. Les nouvelles destinations à bas coûts qui ont été proposées ont attiré

une nouvelle clientèle laquelle est essentiellement intéressée par des voyages de plaisir. De

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plus, la nouvelle offre des compagnies aériennes à bas coût correspond bien aux nouvelles

habitudes de consommation qui, par le biais d’Internet, sont plutôt de type « impulsif ».

En générant, dans la plupart des cas, un nouveau marché, les compagnies à bas coût n’ont pas

concurrencé de plein fouet les lignes des compagnies traditionnelles. Elles ont, en revanche,

absorbé une large part de l’augmentation dite naturelle du trafic aérien lié à la croissance

économique. Cette concurrence est insidieuse.

En ce qui a trait aux compagnies marginales à bas coûts qui ont exploité des routes déjà

desservies par une compagnie traditionnelle, on constate que, la plupart du temps, les deux

types de compagnies ont survécu en se partageant la clientèle. Les compagnies à bas coûts ont

accaparé une clientèle de loisir dont le premier critère de décision d’achat est le prix, et qui

n’est pas préoccupé par des impératifs d’horaires ; les compagnies traditionnelles ont récupéré

le créneau des voyageurs d’affaires en multipliant les services afin de rendre leur voyage plus

agréable et en leur proposant des choix plus souples. Elles ont également conservé le créneau

des pré et post acheminements dans le cas où la ville en question était le hub de la compagnie.

Parfois, quand elle ne pouvait rivaliser avec la compagnie à bas coûts, la compagnie

traditionnelle choisissait de sortir purement et simplement de la liaison aérienne. Cette

dernière solution s’est avérée gagnante pour les deux compagnies car elle ne mettait pas en

péril l’équilibre de leur réseau.

Le transport ferroviaire

La prééminence du rail constitue l’autre obstacle de taille au développement des compagnies à

bas coûts en France, notamment le TGV. Le TGV est aussi concurrentiel pour les compagnies

traditionnelles en Europe que les compagnies à bas coûts le sont pour les compagnies

traditionnelles aux États-Unis. Trois raisons expliquent cette suprématie : (1) le TGV et le

train desservent la quasi-totalité des villes françaises ; (2) le temps de trajet entre deux villes

est de plus en plus court, et (3) les prix sont toujours très compétitifs.

Dans le passé, certaines compagnies ont proposé des vols sur des lignes où le TGV était plus

compétitif, c’est-à-dire là où la durée du transport était inférieure à trois heures. Elles ne sont

jamais parvenues à être rentables et elles se sont donc retirées de ces liaisons. Par ailleurs, la

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SNCF (Société nationale des chemins de fer), qui gère le TGV, regorge de créativité pour

toujours mieux servir sa clientèle. Récemment, la SNCF a lancé une nouvelle formule qui

propose des tarifs imbattables par une compagnie aérienne. Cette offre est jumelée à une large

gamme de services : possibilités de louer des DVD, service de presse, salons privés, etc. Cette

formule est très attirante pour les passagers désirant se déplacer sur leur territoire. Le TGV est

assurément le principal concurrent des compagnies à bas coûts. Celles-ci ont donc préféré ne

pas entrer dans une course perdue d’avance ; elles se sont redéployées sur les lignes moyen

courrier en Europe.

Au plan européen, le rail est largement soutenu par les choix politiques de la Commission

européenne. Cette dernière s’est manifestement donnée comme priorité le rail, au détriment

des autres modes de transport, à travers l’octroi de subventions au transport ferroviaires et la

mise en place de mesures contraignantes au transport aérien. Les priorités économiques de

l’Europe confirment les faibles possibilités d’expansion des compagnies à bas coûts sur des

liaisons déjà desservies par le train. Les compagnies à bas coûts, qui cherchent toujours à

diminuer leurs coûts, ne peuvent se permettre d’ajouter les multiples taxes imposées par les

États au prix du billet.

Au plan international, les politiques en faveur du transport aérien diffèrent selon les pays.

Certains pays comme l’Irlande ont des politiques fiscales qui facilitent l’implantation de

compagnies à bas coûts. C’est d’ailleurs ce pays qui accueille les deux plus importantes

compagnies à bas coûts en Europe : Easyjet et Ryanair.

Cette prédisposition à favoriser le développement du TGV doit cependant être nuancée car le

TGV ne peut se substituer entièrement à la majorité des flux domestique et ce, pour trois

raisons : (1) les compagnies aériennes doivent toujours conserver le segment du pré ou post

acheminement international1, (2) le TGV n’est pas adapté aux petits flux, et (3) le nombre de

trains pouvant s’arrêter à l’aéroport Charles-de-Gaulle (CDG) est limité.

En effet, sur les segments pré et post acheminements, les compagnies aériennes seront, dans

tous les cas, toujours plus à même de répondre aux attentes des passagers que le TGV

notamment pour une question de temps. Ensuite, l’offre du TGV ne lui permet pas d’offrir des

1 Le pré/post acheminement est le parcours domestique avant ou après un voyage moyen ou long courrier.

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liaisons régulières et rentables pour des petits flux. Enfin, le nombre de trains pouvant

desservir la station ferroviaire de CDG est limité. Cette offre est donc loin d’être

concurrentielle devant celle d’Air France qui propose de 42 à 48 arrivées moyen et court

courriers par heure.

En résumé, le rail est le frein principal, même si son poids reste à nuancer, à l’entrée des

compagnies à bas coûts en France. Alors que les compagnies traditionnelles américaines

doivent subir la compétition des compagnies à bas coûts sur les liaisons domestiques, Air

France et les quelques compagnies aériennes à bas coûts sur les lignes domestiques subissent

une vive concurrence du rail.

La complicité entre les compagnies traditionnelles et les États

Les compagnies européennes sont pour la plupart des compagnies publiques ou

parapubliques. Elles conservent donc de forts liens avec leurs États, lesquels possèdent parfois

de nombreux intérêts dans ces compagnies. De fait, même si les États sont dotés de structures

de contrôle du transport aérien, ils sont tentés de ménager leurs intérêts en surprotégeant leurs

compagnies nationales. Cela se fait par l’intermédiaire de subventions ou d’aides financières

ou logistiques. Les instances supérieures (européennes, organismes du transport aérien

mondial) essaient, quand elles le peuvent, de réagir en dénonçant ces pratiques. Mais, il faut

bien admettre que cette particularité de l’industrie européenne représente une contrainte réelle

à l’implantation des compagnies à bas coûts en Europe, notamment en France. La libre entrée,

même si elle a été proclamée haut et fort par l’Europe, n’est absolument pas, dans les faits,

aussi fluide qu’on le laisse croire. Les enjeux politiques sont encore bien présents.

La déréglementation

Les effets de la déréglementation ont été ressentis différemment dans les deux continents. La

déréglementation en Europe est arrivée non seulement vingt ans après celle des Etats-Unis,

mais elle a été davantage « préparée » et progressive. Dès 1987, de multiples accords

prévalaient entre les pays européens et entre les États-Unis et l’Europe. On assistait donc à

une situation intermédiaire entre la déréglementation et la réglementation où les compagnies

avaient la confortable position de choisir les modalités de concurrence ou de partenariat.

Ainsi, lorsque la déréglementation a été proclamée en 1998, les différents accords avaient

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permis de minimiser les diverses contraintes liées à la déréglementation. Les compagnies

européennes ont donc réussi à passer plus en douceur cette étape qui n’était qu’officielle. A

l’opposé, rappelons-le, les États-Unis ont vécu brutalement le passage à la déréglementation,

car ils ont eu moins de marge de manœuvre pour éviter les conséquences négatives et moins

de temps pour s’y préparer.

Les difficultés d’implantation d’une compagnie aérienne à bas coûts en France

Nous allons maintenant voir les difficultés auxquelles les compagnies à bas coûts doivent

faire face pour pénétrer le marché français.

Même s’il y a eu quelques tentatives de création de compagnies aériennes à bas coûts

françaises (Air lib Expres, Flyeco), celles-ci ont échoué ; ce sont des compagnies étrangères à

bas coûts qui ont investi le territoire français. Les possibilités d’implantation et de

développement ne sont pas faciles pour une compagnie à bas coûts en France. Outre les points

évoqués dans les sections précédentes, deux autres raisons, plus spécifiques au territoire, sont

à prendre en compte : (1) la suprématie d’Air France et (2) le niveau élevé des impôts.

L’hégémonie d’Air France a fait, qu’historiquement, elle a toujours neutralisé ses concurrents

aériens français traditionnels (UTA, Air Inter, contrats de partenariats avec ses concurrents

régionaux français). Cette position dominante est amplifiée par son poids dans les décisions

politiques, et ce même si le gouvernement s’est distancé de la gouvernance de la compagnie.

Par exemple, l’actuel P.D.G. d’Air France, Jean Cyril Spinetta, reste proche du

gouvernement. Il est en outre entouré de personnes également issues du milieu politique. De

plus, Air France s’est vue offrir un droit de regard sur la redistribution des créneaux horaires

lors de la faillite d’Air Lib (Belhassine, 1997). Cette décision aurait normalement dû ne faire

intervenir que les trois instances responsables du transport aérien, c’est-à-dire la DGAC

(Direction générale de l’aviation civile), le ministère des Transports, et le COHOR

(organisme d’État en charge de distribuer les créneaux horaires). Or, même si ces trois

organismes de régulation sont les acteurs officiels du transport aérien français, la réalité

montre qu’il s’agit en réalité d’un quatuor, dont le quatrième membre est Air France.2 Ainsi,

l’hégémonie et le poids d’Air France dans les décisions politiques sont un obstacle majeur

pour le développement d’une compagnie française à bas coûts. La compagnie « nationale » 2 Le Figaro Magazine, 23 mars 2002, p. 98.

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saurait se défendre, et elle serait probablement bien appuyée par le gouvernement français, si

une compagnie à bas coûts venait la concurrencer.

Une deuxième difficulté à laquelle se heurtent les compagnies aériennes à bas coûts en France

est le niveau très élevé des charges sociales et fiscales. De plus, la puissance des syndicats

français avec leurs grands moyens de pressions lors des négociations de salaires apparaissent

comme un frein à l’implantation et au développement de nouvelles compagnies aériennes.

Une compagnie à bas coûts préférera donc s’implanter dans des pays où les réglementations

en matière de relations de travail sont plus libérales.

À ce stade-ci de nos réflexions, on peut se demander si la compagnie Air France aurait

avantage à créer sa propre filiale à bas coûts. Cette possibilité, si elle était envisagée par Air

France, serait freinée pour deux raisons. D’une part, de par son positionnement stratégique sur

la clientèle haut de gamme, il apparaît hasardeux, en matière d’image, de créer une filiale

« Charter » ou à bas coûts (Tinard, 2003). Cette décision aurait pour effet de créer beaucoup

de confusion dans son marché d’affaires. D’autre part, le personnel fortement syndiqué d’Air

France craindrait qu’une telle initiative se traduise par la remise en cause de plusieurs

« avantages acquis ». Selon Tinard (2003), une telle initiative mettrait la compagnie dans une

situation sociale vraiment très délicate, et elle n’a pas besoin de nouvelles sources de conflit

avec son personnel ; elle en a déjà suffisamment !

Puisque ces deux raisons l’empêchent de penser sérieusement à créer une filiale à bas coûts,

Air France s’est donc tournée vers d’autres moyens de riposte. La compagnie a décidé d’opter

pour une réaction plus congruente avec son positionnement stratégique. Nous aborderons ces

modalités de riposte dans la partie consacrée exclusivement à Air France.

6. Le cas d’Air France : les stratégies utilisées

Les stratégies développées dans cette section sont tirées des différents documents de référence consultés (articles de presse et Internet, ouvrages spécialisés, etc.).

La maîtrise des fondamentaux

La compagnie Air France a procédé par étape pour consolider sa stratégie. Elle a d’abord

cherché à maîtriser un certain nombre d’éléments fondamentaux : elle a mis en place le hub

de Roissy Charles de Gaules, elle s’est dotée d’un logiciel de gestion des réservations

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(Amadeus) avec Iberia et Lufthansa, elle a mis en place un programme de « Yield

management », et elle a redéfini les avantages de son programme de fidélisation. Air France

s’est également donnée d’autres outils qui sont devenus incontournables : les accords

d’alliance au sein de Skyteam. Ces fondamentaux ont été adoptés par Air France avant la date

clé de la déréglementation en Europe. En fait, quand celle-ci a été officialisée en 1998, Air

France était déjà très bien préparée. Elle a mis en place un certain nombre d’outils

stratégiques qui avaient été adoptés par ses concurrents américains. Dans la section suivante,

nous élaborerons davantage sur deux outils stratégiques fondamentaux : les alliances et les

programmes de fidélisation.

Les alliances

La mise en œuvre d’alliances stratégiques trouve sa raison d’être dans le désir d’offrir aux

passagers un éventail de destinations élargies, une meilleure possibilité d’acquisition de points

de fidélité au sein des compagnies de l’alliance et une plus offre plus homogène de services

entre les compagnies de l’alliance. Air France offre ces services à travers Skyteam qui

possède maintenant des hubs sur tous les continents, permettant ainsi d’offrir de meilleurs

services par le biais de ce grand réseau international.

Dans cette quête aux alliances, le rapprochement qu’Air France a engagé avec KLM depuis

quelques années représente un exemple de bonne pratique de gestion stratégique. Ce

rapprochement a pour but de créer des synergies sur les plans commerciaux, industriels et

stratégiques dans le but de réaliser des économies structurelles. Cette stratégie permet en effet

de réaliser les économies nécessaires afin de faire baisser les tarifs et ainsi attirer la frange de

clients sensibles au prix. C’est la meilleure arme pour combattre les compagnies à bas coûts.

Ce rapprochement est donc bénéfique pour les deux compagnies ; sans cette alliance aucune

des deux compagnies n’aurait pu faire le poids dans un marché international aussi compétitif.

Le phénomène des alliances est propre aux compagnies traditionnelles. Il permet de réduire la

concurrence entre les compagnies traditionnelles, qui sont par ailleurs davantage parées pour

faire face à celle des compagnies à bas coûts. Il permet aussi de réaliser des économies de

structure en donnant la possibilité aux compagnies membres de proposer des vols sur une

gamme plus étendue de destinations qu’il aurait été trop onéreux de déployer par une seule

entreprise.

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Les programmes de fidélisation

Les programmes de fidélisation sont d’autres outils stratégiques utilisés pour conserver les

clients. Cette stratégie est conjointe avec celle de la recherche d’alliance. En effet, en offrant

des points de fidélité à ses clients sur tous les voyages qu’ils réalisent avec les compagnies

membres, en les récompensant avec des voyages gratuits et en leur proposant un éventail

complet de destinations, la compagnie se donne toutes les chances pour que le client soit plus

satisfait de son choix d’Air France et de ses partenaires.

Conclusion sur les fondamentaux

La bonne gestion de ces éléments stratégiques fondamentaux permet d’offrir un meilleur

service et de fidéliser le client. Le développement de la relation avec le client par la

fidélisation de celui-ci est la priorité d’Air France. Cette priorité réside dans le fait que même

si les compagnies à bas coûts ne concurrencent pas directement les compagnies

traditionnelles, elles récupèrent en leur faveur la croissance naturelle du transport aérien. Le

moyen de contrer cette concurrence est donc de miser sur la fidélisation des clients et non plus

sur la recherche à tout prix de nouveaux clients. Air France a fait de cette priorité un de ses

meilleurs avantages concurrentiels.

Voyons maintenant quels sont les autres avantages concurrentiels pour Air France : la bonne

gestion de ses employés, la segmentation stratégique et la spécialisation. Ces éléments de la

stratégie compétitive représentent d’autres moyens de faire face à la concurrence des

compagnies à bas coûts.

La gestion stratégique des employés

Toutes les compagnies aériennes ont désormais en leur possession sensiblement les mêmes

outils stratégiques pour réussir. Cependant, l’accent mis sur les bonnes pratiques de gestion

des ressources humaines devrait permettre à la compagnie de se différencier de ses

compétiteurs et d’acquérir un avantage concurrentiel durable car l’efficacité des

« ressources » humaines n’est pas facilement reproductible, copiable ou récupérable par les

concurrents.

La gestion des ressources humaines chez Air France est donc devenue stratégique. Elle passe

par un recrutement minutieux des employés et par une formation très complète de chaque

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employé embauché, notamment des employés « terrain ». Les employés sont formés pour

répondre le plus efficacement possible aux attentes des clients. L’idée, dans ce cadre, est de

roder les tâches du personnel technique « classique » en leur inculquant des automatismes

pour répondre aux questions courantes des passagers. D’autres employés, plus spécialisés,

sont formés en complément pour répondre aux questions plus rares de certains passagers et

aux cas particuliers. Cette nouvelle organisation permet de faire gagner beaucoup de temps

aux passagers tout en leur donnant satisfaction.

Par ailleurs, des changements de fonds sont mis en place pour dynamiser la culture

d’entreprise. Air France a toujours été une entreprise d’État où la culture d’entreprise se

rapprochait davantage du fonctionnariat. Avec la déréglementation, couplée à la privatisation

de la compagnie, cette culture doit être renouvelée pour être davantage tournée vers

l’international et vers une plus forte préoccupation pour les impératifs de performance. C’est

la condition sine qua non pour qu’Air France s’impose fermement dans le contexte mondial.

Ce travail est un véritable chantier de gestion du changement pour Air France et il est loin

d’être achevé à cause de la mentalité des « anciens », qui sont réticents à renoncer à certains

de leurs comportements et à leurs acquis. Dans ce cadre, le changement de mentalité des

« anciens » employés ainsi que l’intégration des nouvelles recrues aux nouvelles valeurs de

l’entreprise constituent un défi de taille pour l’organisation, mais c’est la pierre d’assise de la

nouvelle culture d’entreprise et la condition indispensable au succès des nouvelles stratégies.

La simplification du modèle d’affaires à travers la spécialisation dans le cœur de métier

La simplification du modèle d’affaires est devenue une nécessité pour les compagnies

traditionnelles qui ont toujours eu un modèle d’affaires trop complexe. Air France ne déroge

pas à la règle. Cette complexité provient du développement et de la prolifération, au fil des

ans, de produits et de services spécialisés, sur tous les plans : distribution, enregistrement,

traitement des bagages, etc. Pris séparément, ces processus ont certes prouvé leur efficacité,

mais pris dans leur ensemble, ils ne sont pas suffisamment harmonisés et cohérents et ils

alourdissent indûment le modèle d’affaires de la compagnie.

L’harmonisation de ces produits est une entreprise difficile, car il s’agit de ne pas perdre en

efficacité tout en gagnant en simplicité dans le modèle d’affaires. Cette simplification, pour

Air France, passe par une remise en question intégrale des différents outils de gestion et par

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une spécialisation de son cœur de métier : le transport de passager. Sa démarche a été

d’identifier et d’éliminer les foyers de dépenses inutiles, de conserver les activités en relation

directe avec le service aux passagers et de sous-traiter les autres. Le grand défi a été de réviser

ces différentes activités du groupe tout en conservant le niveau de services attendu d’une

compagnie traditionnelle pour conserver son positionnement concurrentiel, élément principal

qui différencie la compagnie d’une compagnie à bas coûts.

La segmentation stratégique

Air France a également révisé la segmentation de sa clientèle. Cette segmentation a

notamment contribué à simplifier son modèle d’affaires à travers une meilleure délimitation et

une meilleure gestion des services offerts aux différentes classes de passagers.

Le défi pour Air France a donc été de restructurer et de simplifier ses processus tout en

conservant les services et les aménagements attendus. Concrètement, elle a changé les

conditions attachées au billet en fonction des classes ; elle a tarifé certains services pour les

passagers de loisir (qui sont par ailleurs gratuits pour les passagers « haute contribution ») ;

elle a aménagé des salons dédiés à chaque type de clientèle ; elle a révisé son programme de

fidélisation pour le rendre plus intéressant, etc. Cela a permis une différenciation plus claire

des avantages attachés à chaque classe pour offrir un service d’une qualité supérieure, là où il

est attendu, à des coûts plus faibles, et ce, sans se départir des services clés qui marquent sa

différence avec les compagnies à bas coûts.

Les stratégies dédiées à la lutte de la concurrence des compagnies à bas coûts

Comme nous l’avons vu, les modalités de riposte contre la concurrence des compagnies à bas

coûts passent soit par la création d’une filiale à bas coûts, soit par la mise en place de ripostes

sur chaque route aérienne concurrencée. La concurrence des compagnies à bas coûts n’a pas

été frontale pour Air France ; c’est pourquoi la compagnie a choisi de traiter la concurrence au

cas par cas, en fonction des lignes concurrencées. Dans ce cadre, elle a opté pour la stratégie

« coexister » que nous avons présentée dans le tableau sur les stratégies de base. Air France a

récupéré la clientèle « haute contribution » et laissé la clientèle de loisir aux compagnies à bas

coûts. Nous allons revenir sur cette stratégie et sur ses exceptions à travers l’étude de trois

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types de courriers (court, moyen et long) et de deux groupes de clientèles (clientèle « haute

contribution » et clientèle loisir).

Les lignes domestiques

Air France a misé, pour ses routes domestiques, sur un outil créé par United Airlines : la

navette. La navette est proposée par Air France sur les principales lignes radiales les

moins concurrencées par le TGV (Toulouse, Bordeaux, Marseille et Nice). Elle consiste en

des vols à toutes les heures à des tarifs et selon des conditions variables. Le service y est plus

léger que pour les autres vols ; cependant, il est loin d’être aussi minimaliste que sur les vols

des compagnies à bas coûts. La navette récupère les passagers désireux de gagner du temps et

d’obtenir une plus grande flexibilité d’horaire. La navette est un service complet davantage

destinée à une clientèle d’affaires, la clientèle de loisir préférant voyager par le TGV. Ces

deux moyens de transports sont donc complémentaires et laissent peu de chance aux

compagnies aériennes à bas coûts de s’imposer sur ces routes.

Les lignes long courrier

Sur les lignes long courrier, Air France n’a pas été concurrencée par les compagnies à bas

coûts car leur modèle d’affaires ne leur permettait pas de rivaliser sur ce type de lignes. La

concurrence y a été cependant indirecte. Elle trouve son origine dans le redéploiement des

compagnies traditionnelles américaines, qui concurrencées sur leurs lignes domestiques, ont

cherché à rééquilibrer leur réseau en donnant une priorité nouvelle aux lignes transatlantiques.

C’est donc une nouvelle concurrence pour Air France. Nous ne développerons pas ici les

stratégies concurrentielles pour combattre cette concurrence.

Les lignes moyen courrier

Les lignes moyen courrier sont celles qui ont été les plus concurrencées par les compagnies à

bas coûts. Ce type de lignes a donc constitué une priorité pour Air France car la compagnie ne

pouvait se permettre de mettre de côté ce type de courrier sans déséquilibrer son réseau. Elle

s’est donc attachée à revoir son offre notamment, comme nous l’avons vu, à travers sa

démarche de segmentation.

La clientèle « haute contribution »

Pour la clientèle d’affaires, les études réalisées par Air France ont démontré que les attentes se

traduisent en termes de transport facile, fluide, agréable et sans coupure. Ces préoccupations

de la clientèle d’affaires sont donc toujours prioritaires et peuvent trouver toute leur

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signification au sol dans le cas d’une compagnie traditionnelle. Air France a donc cherché à

gagner la bataille du moyen courrier en privilégiant les services au sol. Cette stratégie est

d’autant plus pertinente que le temps passé par le client pour un voyage moyen courrier se

répartit à parts égales entre sol et vol et que les moments de stress les plus forts sont vécus au

sol.

Concrètement, Air France a cherché à raccourcir l’heure limite d’enregistrement, à accroître

la fluidité des circuits et à éliminer la frustration des files d’attente. Les tarifs élevés proposés

pour les clients « haute contribution » justifient une différenciation radicale dans les services

proposées (et souvent « gratuits ») par rapport à celle des clients « basse contribution » dont

les critères de choix et d’appréciation diffèrent.

La clientèle loisir

Pour sa clientèle de loisir, Air France a privilégié la stratégie de « combattre » telle qu’elle est

expliquée dans le modèle de stratégie de base. Une des particularités des lignes de type moyen

courrier est qu’elles sont pour la plupart des lignes très utilisées par une clientèle de loisir car

les destinations sont celles des vacances. Ainsi, l’acte d’achat dans le choix d’une destination

est-il davantage motivé par le budget du client que par un choix précis de destination. C’est ce

qui explique la popularité des compagnies à bas coûts sur ce type de courrier. La concurrence

des compagnies à bas coûts est donc, pour ces lignes, plus directe pour Air France.

Pour pallier cette concurrence, Air France a mis en place des tarifs attrayants (grâces au yield

management) mais avec des conditions contraignantes pour les clients attachés au prix du

billet. Ainsi, certains billets sont-ils proposés à des prix bas, même parfois à des prix plus bas

que certaines compagnies à bas coûts, pour directement se mettre au niveau des prix proposés

par les compagnies à bas coûts. Cependant, Air France apporte un plus par rapport au produit

des compagnies à bas coûts. En effet, même si la clientèle de loisir peut voyager à des prix

défiant toute concurrence, elle bénéficie également de la satisfaction d’avoir un service d’une

compagnie « major » en matière de réseau, des standards de qualité et de proximité des

aéroports. C’est un avantage compétitif irréfutable sur les compagnies aériennes à bas coûts.

Le développement de nouvelles technologies constitue un avantage comparatif déterminant.

Les nouveaux outils informatiques permettent de réduire les coûts et d’augmenter la

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productivité grâce aux technologies grand public (réservation Internet, E-ticket, BLS, etc.)

tout en augmentant les recettes par la valorisation du produit et une meilleure segmentation.

7. Conclusions

Les spécificités du ciel aérien européen, notamment du ciel français n’ont pas permis à Air

France de reprendre purement et simplement les stratégies concurrentielles des compagnies

traditionnelles américaines. La présence du rail notamment, même si elle minimise la

concurrence des compagnies à bas coûts sur le territoire français, est également une source de

concurrence pour Air France. Ainsi, Air France, pour combattre la concurrence des

compagnies à bas coûts, qui reste malgré tout bien présente, a choisi de ne jamais se départir

de son positionnement stratégique et d’adapter, en fonction de celui-ci, les stratégies

américaines.

Dans ce cadre, si nous reprenons les stratégies adoptées par Air France, la compagnie a

privilégié deux stratégies : « combattre » et « coexister » en fonction du type de courrier. La

mise en place du service de la Navette, notamment sur le court courrier, et d’une offre défiant

toute concurrence pour à la fois la clientèle loisir et d’affaires sur le moyen courrier

représentent les deux stratégies « phares » pour Air France. Ces stratégies opérationnelles ont

été appuyées par un processus de changement qu’Air France a mis en place pour alléger son

modèle d’affaires et pour mieux segmenter son offre. Les stratégies adoptées ont également

permis d’offrir rapidité, efficacité, et fluidité tout en proposant une offre personnalisée en

fonction des deux types de clientèle ; la compagnie mise sur des services à haute valeur

ajoutée pour sa clientèle « haute contribution » et sur des gammes de tarifs à bas coûts et la

satisfaction de bénéficier des standards de qualité et d’efficacité propres à Air France pour sa

clientèle de loisir. L’ensemble de ces choix stratégiques confère à Air France un avantage

compétitif indéniable.

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Octobre 2005