Colloque international “Les frontières de la question foncière – At the frontier of land issues”, Montpellier, 2006 1
Tutorat et pratiques foncières : migrants entre pouvoir de la terre et
pouvoir des « dieux » à Bougnounou (Province du Ziro – Burkina Faso)
Tutor-migrant relationship and land practices: the migrants caught
between the power of the land and the power of the gods in Bougnounou
(Ziro Province, Burkina Faso)
Sita ZOUGOURI
Doctorante, Uppsala University (SUEDE)Department of Cultural Anthropology and EthnologyAu Burkina Faso, Etudiante / INSS (Institut des Sciences des Sociétés)E-mail : [email protected] [email protected]
Résumé
Cet article propose un état des lieux de la réalité des rapports fonciers tuteurs - migrants dans un
contexte d’emprise du pouvoir religieux / coutumier dans les clauses foncières entre migrants et
autochtones et entre autochtones eux-mêmes. Nous présentons ici une analyse dans le cas de
Bougnounou, de l’évolution des statuts fonciers des migrants depuis le début de la migration, de
l’actualité de leur quotidien entre le pouvoir de la terre et l’exigence des dieux pour leur sécurisation
non seulement foncière mais « existentielle » et enfin de l’organisation des rapports tuteurs - migrants
entre hier et aujourd’hui.
Mots clés : foncier rural, migration, tutorat, pouvoir, kwere, nuni, gurunsi.
Abstract
This article proposes to show the reality of land relationships between tutors - immigrants in a context
of influence of the power of religion and customs in the land clauses between immigrants and
indigenous and also between indigenous themselves. It will be a question of analysing, in the case of
Bougnounou, the evolution of the land statutes of the immigrants since the beginning of the
immigration, the topicality of their daily life between the power of the land and the requirement of
gods for their land security and “existential" life, and finally the organization of tutors - immigrants
relationships since yesterday to today.
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Introduction
Il ressort de la littérature et des différentes problématiques sur la recherche sur le foncier que les
rapports fonciers ne renvoient pas seulement à des catégories juridiques, mais sont aussi à la fois
enchâssés dans du social, du spirituel, de l’économique, et du politique. Ainsi l’analyse des réalités
locales en matières de pratiques foncières nous amène-t-elle à cerner le foncier comme un fait social
total constitué à la fois par la terre et les ressources naturelles imbriquées dans des dimensions
religieuses, culturelles et affectives (Volker Stamm, 1998). Les rapports fonciers sont accompagnés et
précédés à la fois par des contrats moraux (basés en général sur l’historique du premier contact), très
souvent religieux et plus tard économiques (cet aspect rentre toujours en compte) et politiques qui
permettent d’établir le type de rapport qu’un autochtone accepte d’avoir avec tel lignage ou plus
précisément avec telle famille migrante. Nous nous intéressons ici à une approche compréhensive des
rapports tuteurs migrants autour de différentes arènes déjà existantes ou développées suite à
l’évolution de ces rapports fonciers. Il sera alors important d’identifier et de comprendre les types et la
nature des rapports qui se tissent ou s’affrontent autour de l’accès, de la distribution et de
l’appropriation des ressources foncières. Aussi il ressort que les types de ressources impliquées dans
ces rapports fonciers reformulent très souvent les rapports établis à la base car c’est la cohabitation qui
affine très souvent les normes et règles des rapports fonciers des migrants et des tuteurs. Le foncier ne
doit pas être seulement compris comme espace mais plutôt à travers les ressources qu’il renferme et à
travers les usages et les activités qui ont cours (Lavigne Delville, 1998). L’espace ne vaut que par les
ressources qu’il porte ou est susceptible de porter.
Il s’agira ici d’analyser dans le cas de Bougnounou, l’évolution des statuts fonciers des migrants
depuis le début de la migration à Bougnounou, l’actualité de leur quotidien entre le pouvoir de la terre
(tout ce qui sous tend et anime leurs rapports fonciers de tous les jours) et l’exigence des dieux pour
leur sécurisation non seulement foncière mais « existentielle » à Bougnounou, et l’organisation des
rapports tuteurs migrants entre hier et aujourd’hui. Le texte sera précisément structuré autour des
points suivants : a) une présentation et analyse du contexte local de la recherche, b) la fondation du
village et l’organisation de l’espace foncier, et c) les migrants entre terre et dieux à travers le tutorat
foncier.
Cette recherche a été menée dans le cadre d’une étude anthropologique1 sur la gestion d’une ressource
mise en commun comme la forêt protégée de Bougnounou constituée en chantier d’aménagement
forestier2. Il s’est agi pour le projet PNUD/FAO/BKF/85/011 (qui a créé ce chantier) de rassembler
les brousses de différents lignages et de différents villages pour créer des forêts protégées prêtes pour
des chantiers aménagés dans la plupart des départements de la région du centre-ouest. L’absence totale
1 Nous remercions l’Agence Suédoise de Développement International (ASDI) qui finance notre thèse deDoctorat et nos recherches ethnographiques.2 Pour quelques approches anthropologiques en matière de gestion de ressources naturelles voir Chauveau,2003 ; JACOB J.-P., Ouedréaogo S., Paré L., 2002 ; Lavigne Delville Ph., CHauveau J.-P., 2002
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de migrants (qui pourtant ont prés d’un demi-siècle d’existence dans le village) dans cette organisation
nous amène à chercher à cerner les stratégies et logiques de gestion de toute la ressource foncière dans
ce village. Ainsi, nous avons procédé à une approche compréhensive des rapports tuteurs - migrants
autour des différentes arènes de cohabitation, de confrontation ou de rapprochement. En fonction de
quel type d’activités et de ressources, l’exclusion ou l’inclusion des migrants se fait-il savoir ? Les
principaux outils de production de données ont été l’observation et les entretiens semi-directifs.
Cette étude s’appuie sur les recherches antérieures qui se sont penchées sur l’analyse de la question
foncière en général un peu partout en Afrique (Crousse ; le Bris ; le Roy, 1986). Ces recherches se
sont aussi tout intéressées à l’évolution des systèmes fonciers locaux et à leur capacité d’adaptation
face à la crise de la pression foncière, à la complexité des règles socio foncières, aux politiques
étatiques campées sur la propriété formelle comme solution nécessaire (Lavigne Delville, 1998 :7-19),
à la question récurrente de la sécurisation foncière pour tous les acteurs.
Cette étude continue dans la même lancée et se base sur une étude de cas qui contribue à élargir la
réflexion sur les rapports fonciers, spécifiquement entre autochtones et allochtones à travers les
pratiques du tuteur (responsable de la tête du migrant) et du migrant (qui se trouve d’abord un Zaksoba
ou un Santiu). Elle se base sur une approche par les acteurs, par les pratiques des acteurs, reliée à la
réflexion sur la sécurisation foncière des migrants sur les terres d’accueil (Mathieu, Lavigne Delville,
Paré, Zongo, Ouedraogo, Baud, Bologo, Koné, Triollet, 2004). Dans ce cas ci, cette sécurisation des
exploitations familiales, nous verrons, se précisera et se définira à travers différentes clauses qui
formulent le rapport du migrant à la terre dans sa zone d’accueil.
a) Contexte local
Nous nous intéresserons particulièrement au village de Bougnounou mais nous nous référerons
souvent aux autres villages du département de Bougnounou. Bougnounou est un département de la
province du Ziro au Burkina Faso et compte 20 villages nuna3 en majorité. Certains villages sont
habités exclusivement par des Moose4. La plupart des villages nuna sont habités tout aussi par des
migrants moose et peuls. La migration dans ce village nuni a plus d’un demi-siècle d’existence. Ils ont
pour origine le centre, le Centre-Ouest et le Nord du pays. Bougnounou est un village de 16.800
habitants avec prés de 70% de migrants en majorité moaga.
La configuration sociale, géographique et démographique de ce village semble importante pour cerner
la distribution de la terre et de la brousse. Ainsi, administrativement, il y a deux secteurs nuni, les
secteurs 1 et 2 dans lesquels habitent ceux qu’on appelle les moose de Bougnounou5 village. Trois
3 Il est dit un nuni des nuna. La langue c’est le nuni4 Nous adoptons cette écriture : un moaga des moose.5 Découpage et recomposition des secteurs administratifs revus suite à l’avènement proche des électionscommunales rurales de Avril 2006. Ils se sont servit du découpage traditionnel du village afin de rapprocher deslignages les uns au autres. Le secteur 1 a été agrandi pour augmenter le nombre d’habitants de ce secteur et doncle nombre de potentiels électeurs (car il est le plus petit).
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autres secteurs sont habités par les Moose et les Peuls. Le secteur 3 habités par les Moose et Peuls, le
secteur 4 habité par les Moose, le secteur 5 habité également par les Moose. Par rapport au découpage
traditionnel, le secteur 1 comprend 3 quartiers de la chefferie, deux diyu (sing. diyè : concession)
autonomes d’un même san (lignage), des zakse (sing. Zaka : concessions) des Moose du village ainsi
qu’un nouveau quartier de Moose. Le secteur 2 comprend tout le reste des quartiers traditionnels nuni
et un quartier moaga. Le secteur 3 comprend le quartier Soula, le secteur 4 comprend le quartier Yarsé
et Watinoma et le secteur 5 enfin le quartier Lao un des plus gros quartiers ayant des infrastructures
propres à lui.
Bougnounou fait partie des zones dites boisées du Centre-Ouest du pays. Il fait partie des 9
départements où ont été aménagées des forêts protégées sous forme de chantiers d’aménagement
forestier à travers le programme « Aménagement des forêts naturelles pour la sauvegarde de
l’environnement et la production de bois de feu » projet PNUD/FAO/BKF/85/011. La zone a été
identifiée comme ayant une potentialité considérable en ressources naturelles qui a depuis ces années
attiré sur ses terres des milliers de migrants Moose.
A Bougnounou, le regroupement géographique des migrants, comme toujours, est liée à la zone
d’origine, à l’appartenance religieuse (cela compte pour très peu), ou encore à la connaissance du
même intermédiaire (Zongo, 2004, Zougouri, 2001).
Avoir le statut de migrant golia6 veut dire en premier qu’on est dépendant d’un autochtone comme
répondant ou comme tuteur / Santiu. Etre migrant rentre dans le cadre de tout un processus migratoire
(Bologo, 2004). D’abord il faut avoir entendu parler de la zone, ensuite connaître quelqu’un qui en dit
du bien au moins sur un plan : disponibilités en terre fertiles, ensuite accepter de venir au nom de la
personne migrante qui a mobilisé votre venue, accepter d’être le migrant du même tuteur autochtone
que son tuteur migrant. Aujourd’hui voilà comment se prépare le processus d’installation des
migrants. Avant cela des migrants se sont vus installés à Bougnounou grâce à une amitié ou à une
alliance, ou à la demande du tuteur autochtone. Le déséquilibre actuel entre population et ressources
de nos jours est bien une des raisons pour laquelle la migration spécifiquement interne est perçue au
Burkina et plus particulièrement au Centre-Ouest comme un phénomène social à connotation
conflictuelle7. De nouvelles installations ne se font plus. Les terres des migrants jadis vastes et non
mesurées connaissent des rétrécissements considérables qui amènent des migrants à aller voir d’autres
tuteurs autochtones afin de compléter leur besoin en superficie. Il s’avère important de ne pas s’arrêter
aux seuls tuteurs autochtones. Les tuteurs migrants jouent tout aussi un rôle considérable dans le
processus migratoire entrepris et exécuté.
Le tutorat foncier comme le dit Chauveau « correspond à une institution agraire générale aux sociétés
paysannes africaines. Elle s’insère dans le dispositif normatif caractéristique d’une économie morale
6 Gens de brousse.7 Voir aussi Mathieu, P., Bologo, E., Zongo, M., 2005, Des transactions foncières ambiguës : les retraits de terre dans leSud-Ouest du Burkina Faso IIED Drylands Programme
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dans laquelle il existe un consensus sur le fait que tout le déroulement des processus économiques ne
doit pas mettre en cause l’accès de tout individu, même étranger à la communauté, aux moyens de
subsistance pour lui et sa famille – à charge pour l’étranger de respecter un « devoir de
reconnaissance » à l’égard de son tuteur et de la communauté d’accueil, dans la perspective de son
intégration plus ou moins explicitement recherché et plus ou moins complète dans la communauté
hôte » (Chauveau, 2004 : 3). L’institution du tutorat est de toute façon nécessaire au processus
d’installation qui mobilise non seulement la ressource terre mais aussi les croyances religieuses
coutumières pour lesquelles il est nécessaire d’avoir un tuteur sur lequel compter. Autant il est
important d’avoir un tuteur autochtone autant il est important qu’il soit un tuteur crédible tant par sa
place dans le village, que par son propre statut de « propriétaire » foncière. Nous avons catégorisé
deux types de lignages en fonction de la statut foncier vis á vis de la terre de Bougnounou : les
lignages « forts » et les lignages « faibles ». Il apparaît que la force et la faiblesse d’un lignage sont
liées à leur dépendance ou non à la terre sur laquelle ils sont installés. C'est-à-dire au type de droit
d’usage et de gestion de la terre (brousse ou terre d’habitation) dont il jouit (Zougouri, 2005). Les
lignages dits « faibles » s’occupent de deux brousses Brego et Zoulouakabié qui « par coïncidence »
ont été les brousses choisies pour l’aménagement de la forêt protégée du chantier. Ces lignages ne
peuvent pas être des tuteurs autonomes de migrant pour procéder á une installation. Il faut qu’ils se
réfèrent au chef de village ou au propriétaire de la terre qui les concerne. Ils peuvent néanmoins
donner des terres de cultures. Ces lignages sont des tiokolia (gens du village) différents des tiokotia
(propriétaires du village). Parmi les tiokolia il y a néanmoins un lignage fort grâce à son statut de
propriétaire de ses terres et de ses brousses.
b) Fondation du village / organisation de l’espace foncier
L’historique de la fondation du village nous semble important dans l’appropriation de l’espace
traditionnel, dans la compréhension de la structuration foncière du village, dans la spécification de la
place et du statut foncier des différents lignages nuna, et aussi dans la compréhension des rapports
socio politico économiques entre autochtones et entre autochtones et migrants.
Pour arriver à établir un récit historique de ce village, il nous a fallu faire un travail de recoupements
entre les sources d’informations venant des autochtones fondateurs, des autres lignages et aussi des
autres chefferies et autres Nuna des autres villages. Nous avons suivi une logique d’analyse qui
montre aussi les versions de ceux qui se disent auteurs et faiseurs de l’histoire de Bougnounou.
Comme le disent, au premier abord, certains informants « seuls les Tiogotia ont le droit de raconter
l’histoire de Bougnounou, pas les autres ». Il ressort de ce fait que le village de Bougnounou a été créé
sur le site d’un ancien village dont les premiers habitants (Gonsao) ont été chassés par les ancêtres8
des Benao. Il avait fallu livrer bataille pour s’installer. L’ancêtre qui s’est installé à Bougnounou était
8 Nous ne généralisons pas le nom de Benao aux ancêtres des Benao à cause d’éléments historiques spécifiques.
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le petit frère et avait donc été accompagné par les aînés pour l’aider à s’installer. Selon toutes les
sources, les premiers habitants n’ont pas résistés et sont partis.
Après avoir chassé les premiers habitants de Bougnounou, l’ancêtre Benao s’est installé avec sa suite
constituée par ses compagnons de guerres. Cet ancêtre descend en effet d’une famille de conquérants
venue du pays moaga conquérir toute la partie nord-ouest de Bougnounou. L’ancêtre s’est donc
approprié la terre et de tout ce qui vit dans l’espace de ce village et s’occupa de l’institution du
pouvoir de roi. Ces ancêtres sont des descendants de princes déchus de chefferies moose. Ils vinrent
avec leur instrument du pouvoir : le Pa-kwere. La chose la plus certaine est que l’institution de la terre
dans le cas de Bougnounou appartient intégralement à la chefferie Benao. Ayant chassé les anciens
habitants de cet espace, ils se sont eux-mêmes occupés de tout. La chefferie de terre à Bougnounou n’a
« aucun poids » vis-à-vis du pouvoir établi. Le rôle du chef de terre a plutôt toujours été un rôle de
sacrificateur.
N’étant pas ceux qui ont chassé les génies de la terre (Jacob, 2004 : 28) ou ceux qui sont entrés en
relation divine avec la terre de ce village (Hagberg, 2000 : 64), ils ont plutôt subordonné (en terme de
référence prioritaire) ce pouvoir de la terre au pouvoir politique et au pouvoir de leur kwere qui veille
aussi bien sur les hommes que sur la terre : «...le culte du kwéré tend à supplanter celui de la terre qui
n’est plus qu’une divinité presque secondaire par rapport à l’autre » (Duval,1985 : 27). Les nuni de
Bougnounou font une grande différence entre le chef de terre et le chef « coutumier » (kweretiu). Le
chef coutumier est contrairement au chef de terre incontournable. Il est le « chef9 ». Tout est beaucoup
plus concentré sur le kwere10 Aniaba qui est responsable de tout. Pourtant pour que toute activité
humaine soit possible sur la terre d’un village il faut qu’auparavant que la terre soit débarrassée de ses
génies et qu’elle ait été une terre «neutralisée » maniable et manipulable par l’homme (Jacob,
2004 :29). Ce travail a été fait par d’autres personnes avant les fondateurs. La « propriété » de l’autel
de la terre fut aux tiokotia lorsqu’ils se sont installés. Cependant selon les fondateurs elle a été
transférée à une autre personne au temps de la famine et de la guerre. Cette personne avait été
retrouvée en brousse et ramenée au village. Lorsque la famine et la désolation s’abattirent sur le
village, les Benao ont « douté » de leur capacité à garder la terre pour eux, de leur capacité à se faire
écouter par les génies de la terre vu que cet espace a été un espace conquis : « les gens du pouvoir
coulent leur territorialisation dans les moules façonnés par les gens de la terre » (Izard, 1985 : 351).
Comme le dit un tiokolia mais chef d’un lignage « fort » : « De toute façon ces gens là ne peuvent rien
me faire eux qui continuent d’enterrer leurs morts dans la terre des autres. Moi ici j’ai ma terre, ma
brousse et mon marigot ». C’est probablement pour cela que la force religieuse et politique du kwere
9 Nous ne pourrons pas entrer dans les détails dans ce travail ci. Mais il est bon de savoir que le pouvoir àBougnounou a connu une évolution conceptuelle considérable, une perpétuelle réadaptation de la notion de chefdepuis l’installation des ancêtres jusqu’à nos jours. Cela en fonction des contextes historiques, des intérêts et deschoix politico religieux.10 Kwere nom générique de fétiche (appellation français burkinabé). Il y a en a plusieurs en fonction de leur rôle,de leur pouvoir, de leur appartenance lignagère etc. Aniaba veut dire « ancêtre ». Il est l’ancêtre de tous. C’est lekwere du village de Bougnounou appartenant aux Benao.
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Aniaba est autant utilisée pour protéger les tiokotia. C’est aussi à cause de cette non maîtrise de la
terre (propriétaire) qu’ils subordonnent dans leurs discours et attitudes la représentation du pouvoir de
la terre. Le couteau sacrificateur a donc été passé à cette personne à qui on donna le nom de Benao. A
ce niveau les fondateurs ajoutent que c’est parce qu’ils ont voulu aider cette personne perdue en
brousse qu’ils l’ont amené au village. Alors pourquoi lui avoir confié la terre s’ils n’étaient pas
certains que ce dernier faisait partie des habitants de Gonsao chassés avant l’installation et
probablement chef de terre. En effet comme le dit Kibora, chez les kasena, le récit sur l’origine des
chefs de terres parlent en général d’un être sorti de nulle part, rustre et barbare et aussi tout nu,
sauvage et ne sachant pas parler (source Bougnounou). Ces détails, loin de le dégrader, soulignent en
fait qu’il n’est pas originellement de ce monde (Kibora, 2003 : 283). Les discours des tiokotia
traduisent « qu’ils sont venus en aide à cette personne en lui confia la gestion de la terre » ou encore
« c’est à cause de la faim qu’ils ont été obligés d’échanger le couteau contre du maïs11 ». L’analyse
des discours sur l’origine, l’importance dans la construction historique de la terre, le pouvoir et
l’autochtonie du chef de terre concourent à montrer qu’il y a eu depuis toujours à Bougnounou une
politique de fragilisation, de subordination du pouvoir du chef de terre dans ses pratiques et sa
représentation au niveau des instances de croyances du village. Peut être bien que cela est considéré
comme un Tchulu12 de dire que le chef de terre (comme ils l’ont reconstruit : dépendant du kwere) est
le propriétaire de la terre. Il a été clair pour ce chef de terre que la terre dépendait toujours des Benao
chefs et que le rôle de ce maître de terre était d’être celui de sacrificateur. Aujourd’hui cette famille de
chef de terre n’existe plus à Bougnounou. La cour est en ruine, pas une âme n’y vit : « le chef de terre
a été puni parce qu’il a oublié d’où il venait et à qui il appartenait » un tiokotia. Aujourd’hui, c’est un
neveu13 de ce lignage qui fait office de chef de terre14.
Tout un processus politique, coutumier et économique est conçu pour faire revenir le couteau au frère
Benao qui doit être chef de terre. Il n’y a donc pas de chef de terre depuis une dizaine d’années. Le
kwere Aniaba a permis cette année (2005) que le couteau revienne aux gens de la cour de Moreliasan
(cour d’un des frères Benao). Cela fut annoncé à une cérémonie de ce kwere. Le diyètiu de cette cour
(le futur chef de terre) nous confia qu’il lui restait maintenant à trouver de l’argent.
La maîtrise politique de l’espace villageois et des hommes a été pour ces ancêtres une de leur grande
préoccupation. Cela a certainement un lien avec le type de pouvoir qui les a forgés depuis leur histoire
11 L’échange du couteau contre le maïs a été un contrat sociohistorique décisif dans la construction del’autochtonie des fondateurs de Bougnounou. (Nous ne nous étalerons pas sur cet aspect dans ce travail ci).12 Interdit, totem, secret de parole, inceste.13 Le neveu peut toucher au couteau sacrificateur de l’oncle. C’est d’ailleurs très courant à Bougnounou. Trèspeu de chef de famille et de lignage font eux-mêmes leur sacrifice sur l’autel des ancêtres (Tchira). Ils sont tous« endettés de funérailles » faute de moyens économiques. Alors c’est le neveu qui passe à chaque fois. Ainsi il ya des cérémonies auxquelles on ne peut pas participer parce qu’on n’est pas « propre » ; parce qu’on doit se laverde beaucoup de choses.14 Il y a actuellement une menace qui plane sur ce dernier. La seule explication que nous avons eu est qu’ildépasse ses prérogatives par rapport au rôle de « chef de terre » et de chef de brousse qu’il joue pour la broussede Brego (brousse des lignages « faibles », des lignages de tiokolia). Nous ne pouvons pas mesurer la teneure decette menace, le prochain séjour nous le dira. Les deux frères de ce monsieur ont déjà été chassés du village.
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de conquérant avec en leur possession cet instrument du pouvoir le Pa-kwere, le kwere des rois qui est
un kwere de sang dont l’origine remonte au pays dagomba (Gomgnimbou, 2004)15. Bien que
l’utilisation de ce kwere fut abandonnée pour des raisons plus politiques au profit du kwere Aniaba
(qui est un kwere de paix par rapport au kwere de sang qui demande et réclame trop de choses), il reste
que la gestion du village en passant par les institutions foncières religieuses et sociales demeure
subordonnée au politique local. Il y a beaucoup plus cette disposition à contrôler d’abord les
hommes et ensuite le reste : gouverner les hommes et gouverner ensuite la nature pour emprunter ces
termes à J.P Jacob (Jacob, 2004). Il y a cependant une liaison structurelle et dynamique qui fait de la
société un tout construit. Car c’est aussi l’institution de la terre et de la brousse qui définissent un
ordre social dans sa double dimension de rapports du groupe a lui-même et aux autres (Jacob,
2004 :28). Tout ceci afin de situer la force de la chefferie dans la gestion et la distribution des
ressources foncières plus précisément les brousses et les terres de culture.
Le chef de village est celui qui donne la permission au tuteur de faire installer son étranger dans sa
partie de brousse qui lui est attribuée depuis des générations. L’arrivée des différents lignages entre
aussi dans cette constitution de l’histoire foncière. Ainsi avons-nous retenu trois principaux modes
d’entrée des lignages: soit à la recherche de protection, soit par amitié, soit par alliance. Dans les deux
cas il y a des rapports d’alliance qui rapprochent ces lignages au lignage des ancêtres fondateurs.
D’autres lignages cependant ont été toujours là. Mais pas dans l’espace village de Bougnounou mais
dans une brousse d’un autre village qui entre en contact avec l’espace du village. Le lignage s’est donc
rapproché pour s’asseoir dans l’espace du village (mais toujours sur ses propres terres) et a fait
allégeance à la chefferie de Bougnounou16. Il y a donc une frontière physique et « foncière » entre
l’espace des Ziba et le reste de l’espace du village. Cependant il n’existe pas de frontière sociale et
religieuse à partir du moment où ils ont fait allégeance aux Benao, au kwere. Ils n’existent que par le
kwere. Ils gardent leurs références religieuses et « coutumières » mais font soumission à toutes les
entités et institutions propres au village. L’espace du village est déjà conquis par les fondateurs. Vivre
en faisant partie de cet espace là signifie qu’on est sous la protection de ceux qui en ont la maîtrise
aujourd’hui.
La distribution de la brousse suit alors l’arrivée historique des lignages. Ainsi ce lignage Ziba a son
chef de terre. Nous faisons la différence entre le chef de lignage (santiu) qui sacrifie sur l’autel des
ancêtres (Tchira se dit toujours au pluriel) et le chef de terre (Tiatiu). Ainsi les migrants doivent tenir
compte de cette distribution de la brousse pour savoir où se diriger et surtout pour savoir qui choisir
comme tuteur.
15 Une bonne partie de la thèse de Gomgnimbou a été consacrée au Pa-kwara (en kasena) en pays gurunsi. Pourkwara voir aussi Kibora, 2003, Liberski, 1991.16 En ce moment le village cherchait de nouvelles alliances et cherchait à s’agrandir. Ce village n’est pas basé surla recherche d’une certaine uniformité ethnique ou identitaire. Elle voulait s’agrandir et être politiquement forte.L’analyse lexématique du nom de Bougnounou nous permet d’affirmer que entre autre, ce nom signifierait :« venez on va se mélanger pour s’asseoir ».
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Tous les chefs de lignages peuvent être tuteurs de migrants mais seulement pour ceux qui sont
propriétaires de brousse sinon ce sera juste un tuteur intermédiaire ou un tuteur de « contact ». Les
migrants disent qu’ils « appartiennent » soit au chef soit au chef de lignage propriétaire de brousse et
non aux personnes (autochtones, contacts préliminaires dans leur processus d’installation). Leurs
rapports politiques, économiques et religieux sont plutôt gérés avec ces tuteurs « officiels ». La
relation sociale du tutorat semble beaucoup complexe à Bougnounou.
c) Migrants entre terre et dieux à travers le tutorat foncier
Les migrants peuls sont des pasteurs éleveurs sédentarisés depuis plus de 30 ans. Les potentialités
naturelles de la région les ont amenés à rester. Certains s’y sont arrêtés dans leur transhumance et
n’ont plus voulu repartir. D’autres sont venus du Yatenga Nord Burkina Faso, d’autres encore se sont
déplacés à Bougnounou en se trouvant dans les environs dans la province. Leur sédentarisation
(Hagberg, 2000) a été encouragée par la disponibilité de ressources en termes de pâturages pour les
bœufs. C’est le type de ressource qui définit en premier le type de rapport foncier avec son tuteur. Les
Peuls étant installés dans le quartier Soula ont eu pour tuteur le lignage Ziba. Le « chef » peul dit avoir
eu toute l’étendue de terre qu’il lui fallait. Il a eu autant de terres qu’il souhaitait.
Les migrants moose sont arrivés d’horizons divers, certains lors de leurs aventures migratoires se sont
arrêtés à Bougnounou, d’autres sont venus par personnes interposées parce que ces terres ici sont plus
fertiles, d’autres encore sont venus grâce à la route du commerce avec le Ghana et se sont établis par
amitié, d’autres encore sont venus et sont restés grâce à des alliances matrimoniales. Tout cela pour
dire que la source de la migration, à Bougnounou, est animée par diverses motivations. Les migrants
moose sont tous des agriculteurs, certains font de l’agro-pastoralisme. Ils sont ainsi intéressés
essentiellement par la terre pour des champs de culture. Il faut faire remarquer que l’ouverture de
Bougnounou aux étrangers, aux migrants a toujours été animée par cette politique de s’agrandir par les
hommes. Dans ce sens dans la constitution des sociétés, nous pensons comme I. Kopytoff, que les
acteurs ont toujours mis en priorité l’approche politique par rapport à l’appropriation et au contrôle des
ressources naturelles. La ressource rare ici, c’était les hommes, qu’il fallait contrôler c’est à dire attirer
et retenir, et non pas les richesses naturelles dont ils vont tirer parti (Jacob, 2004 : 25).
Bougnounou, par exemple a connu l’invasion entre autre djermabe (Duval, 1985, Bayili, 1998) et
aussi beaucoup de guerres avec d’autres villages nuni tel Cassou, Dalo, etc. Bougnounou17 a toujours
eu besoin de se protéger pour faire face à la guerre. Tout semble avoir un lien avec ce contexte
d’insécurité pour les hommes. Le nom des brousses est révélateur de cet aspect de choses.
La migration à Bougnounou n’est donc pas récente. Elle se construit autour de vieilles familles moose
qui existent là (en fonction des quartiers) depuis toutes ces années. Les rapports entre migrants et
17 Seconde interprétation du nom de Bougnounou : venez, on va se préparer « waker » pour s’asseoir. Cetteinterprétation du nom de Bougnounou n’est pas aussi éloignée de la première qui dit « venez on va se mélangerpour s’asseoir ». Appeler les gens d’horizons divers est une façon d’appeler des connaissances d’horizons divers.Le même but c’est de faire face aux ennemis communs. La force et la connaissance du grand nombre.
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autochtones ne sont pas seulement fonciers, ils sont enchâssés dans le social, dans le religieux et dans
l’économique. Ces rapports sont « sans repos » et sont gérés continuellement : «…en cette période
surtout, ils prennent nos poulets, nos animaux. Ils viennent nous les arracher de force… Ils disent que
c’est pour le bien de tout le village ». Ce qui explique pourquoi dans la relation de tutorat entre
migrants et autochtones, nous parlons de migrants entre pouvoir de la terre et pouvoir des dieux.
L’étranger est accepté et est amené à faire comme les autres parce que la terre sur laquelle il vit, doit
être aussi sa préoccupation : «ils doivent contribuer, ils marchent aussi sur cette terre : mais nous ne
les forçons pas nous demandons». Les migrants sont impliqués dans les croyances religieuses des
autochtones plus précisément par rapport à la procession du kwere Aniaba du village. Ils sont
impliqués en termes de participation, de cotisation (apports économiques) et de consultation du
kwere Aniaba: «… le kwere (Duval, 1985 :73-75) est là pour tout le monde, même toi-même il sait
que tu es là… ». Et cela presque tous les jours de la semaine sauf les jours de marché.
Dans presque tous les pays africains en zone sahélienne, les migrants sont en premier accueillis par un
tuteur qui est supposé être un propriétaire foncier autochtone capable de fournir à ce migrant une
possibilité de s’installer dans le village et de bénéficier du statut juridique foncier auquel il peut avoir
droit. « On ne refuse pas la terre à un étranger » (Bologo, 2004 :3). A Bougnounou, ces migrants
obtiennent d’office un droit d’usage et aussi un droit de transmission (non établi dans les « contrats »
mais évident dans les pratiques locales) par rapport à l’accès et à l’exploitation des terres de cultures.
Ils obtiennent aussi un droit de prélèvement, contrairement aux peuls, sur les fruits et produits
forestiers. Ils obtiennent par ailleurs un droit d’affiliation au kwere Aniaba qui implique une obligation
de reconnaissance, d’acceptation de la protection du kwere et de sa soumission au kwere18 (Duval,
1985 : 94-96). L’accès à la terre des nouveaux venus se faisait ainsi à travers une relation sociale
globale continuellement réaffirmée, plutôt que par une transaction spécialisée et ponctuelle
(Coulibaly, A. 2003).
Le tutorat s’inscrit dans des principes de l’économie morale, de la socio-économie et aussi de
l’intégration qui fait de l’accueil de l’étranger un devoir moral du groupe, un devoir de transfert
temporaire ou définitif de droits d’exploitation et un devoir d’acceptation et d’intégration (Bologo,
2004 :3). Le tutorat foncier est un fait social total globalisant dont la spécificité se dessine en fonction
des arènes dans lesquelles les acteurs se trouvent. Lorsqu’on se retrouve en face de l’espace
d’investissement comme la construction des maisons en tôle et des enterrements19, les rapports
fonciers s’engagent dans des situations de négociation perpétuelle. Aussi, assistons nous à une
situation d’exclusion lorsque les rapports fonciers touchent à l’exploitation des produits forestiers à
des fins de commercialisation (comme le projet de vente de bois et de semences forestières pour
lequel, Bougnounou possède un chantier d’aménagement forestier). En quinze ans d’exploitation et de
18 Voir aussi le cas des yapèrè chez les Miyanka au mali (Colleyn, 1985).19 Nous admettons l’enterrement comme un investissement dans le sens où il est une construction identitaired’une famille, d’un lignage.
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commercialisation de bois les migrants résidents moose et peuls n’ont jamais été appelés à s’intégrer
dans les groupements de gestion forestière20. C’est la ressource en jeu qui définit mieux les rapports
fonciers. Les autochtones disent toujours qu’il n’y a pas d’interdits pour les migrants de faire partie de
l’organisation. Mais les migrants nous disent qu’il n’y a pas eu permission de faire partie de
l’organisation. Le protocole, utilisé d’habitude pour des questions d’intégration, n’a pas été mis en
route. L’entente d’exclusion est plutôt tacite. Les migrants disent « n’avoir pas reçu d’invitations de
leur tuteur et même jusqu’aujourd’hui on les tient à l’écart parce que la brousse leur appartient…on a
aussi nos groupements de culture et de coton ».
Par ailleurs, nous ajoutons le terme « clauses religieuses », aux termes « clauses sociales » et de
« clauses foncières » empruntés à Chauveau pour distinguer le contenu de la convention foncière. Les
« clauses foncières » sont impératives et spécifient les termes de la convention foncière. Les « clauses
sociales » quant à elles sont de type relationnel et précisent très peu de lignes de conduite que le
bénéficiaire du prêt de terre doit avoir envers son chef de terre et laissent plutôt une grande marge au
respect des valeurs et des normes de la bienséance locale (Coulibaly, 2003). Il est admis comme le dit
JP. Jacob que c’est à la condition de lui avoir donné ces moyens de travail lui permettant de « nourrir
son ventre » que la communauté peut être en droit d’attendre de l’accueilli un certain type de
comportement notamment de résider au village et d’adopter des attitudes socialement et
économiquement acceptables, se faisant conseiller et rappeler à l’ordre, le cas échéant, par son tuteur.
(Jacob, 2004 :39)
Les « clauses religieuses » elles sont plus explicites quant à ce que le bénéficiaire doit faire par rapport
au respect de la terre sur laquelle il est installé. Dans le cas de Bougnounou, cela est rappelé à chaque
fois que le besoin se fait sentir d’impliquer les migrants. Il y a même une préparation financière,
concernant chaque concession moose, peul et nuni par quartier du village, pour les cérémonies de
remerciement du kwere Aniaba et du kwere Bedoumini. Ce second kwere des Benao est la propriété
exclusive des Benao. Il n’appartient pas au village mais est disponible pour tous : c’est celui là plutôt
qui est le kwere de la sorcellerie. Aniaba combat aussi la sorcellerie mais a un domaine d’exercice plus
large. C’est lui qui assure le contrôle social (Duval 1985). Tout ceci afin de montrer l’importance des
clauses religieuses dans les rapports fonciers tuteur - migrant. C’est aussi le lieu de souligner au
migrant les lieux sacrés, les marigots et brousses sacrées. S’il y a une chose de certaine dans le
contexte foncier local à Bougnounou, c’est que ces « clauses religieuses » protégent et sécurisent
convenablement les « clauses foncières » de telle sorte que nous avons l’impression que les
conventions autour de la terre et de la brousse ne changent partiellement pas depuis des années : et
lorsqu’un migrant veut sortir des routes et chemins dessinés il est menacé de répudiation immédiate.
Les moose se plaignent beaucoup de cette situation parce que même leur pratique religieuse n’est pas
respectée à Bougnounou, leur dynamisme et motivation d’investissement à grande échelle ne sont pas
20 Cependant, il est accepté des moose « mercenaires » (appellation locale) qui sont de passage à certainessaisons de la coupe du bois vert. Ils ne viennent que pour couper du bois vert et repartent.
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encouragés : «… regarde les Mossi de Bakata, ils ont tout. Et ils viennent d’arriver là bas mais on ne
peut pas se comparer. Ils sont plus riches que nous. On dira même que la terre de Bougnounou ne veut
pas qu’on parte en avant », « …on nous dit si tu n’es pas content tu peux partir ».
Par ailleurs, toutes les clauses renforcent la position des tuteurs dans le village lorsque la question du
politique local se pose. Avec l’avènement des élections des conseillers municipaux, les tuteurs
principaux s’affichent en ayant l’appui en nombre de leurs migrants. Ceux qui ont installé le plus de
migrants se voient plus rassurés parce que les rapports fonciers entre eux et leurs migrants compteront
pour beaucoup dans leurs positions politiques.
Aussi, la responsabilisation sociale et morale du tutorat est-elle très importante dans les rapports
fonciers établis entre un étranger et son tuteur. Le tuteur est responsable vis à vis des autres
autochtones des faits et gestes, de la moralité et de la maniabilité de son étranger par rapport aux
règles et normes de la vie de tous les jours au village. Cela nous ramène aussi au contexte du village
de Dana (village de Bougnounou distant de19 km) qui vient d’avoir son premier migrant, il y a
environ 6 ans. Il a fallu que quelqu’un s’engage à être tuteur migrant de ce premier migrant. Dana
contrairement à Bougnounou, est un village beaucoup plus fermé (comme le disent les autochtones de
Bougnounou « c’est un village de sorcier »). L’autochtone nuni qui a accepté cette responsabilité avait
pour but d’ouvrir le village à des infrastructures comme l’école (c’est d’ailleurs la seule infrastructure
pour le moment : 3 ans d’existence) et comptait sur le pouvoir économique des migrants moose à
mobiliser les moyens de le réaliser. Ce premier tuteur nuni de Dana décéda selon mes enquêtés de
Dana après les premières récoltes du premier migrant (il y a en tout 5 familles moose dans le village).
Etre un tuteur c’est engager beaucoup plus que sa propre personne, c’est engager des valeurs, c’est
engager le village en lui-même parce qu’on l’ouvre à l’extérieur et à autrui. Les moose appellent le
tuteur zaksoba dans le sens de propriétaire de la maison relatif ici au village. Ce zaksoba comme chez
eux signifie le maître et responsable moral, physique et économique des autres. Comme le disent les
nuni « le santiu ou le diyètiu c’est lui qui se lève lorsque quelque chose arrive à quelqu’un. C’est lui
qui fait tout. ». C’est pour cela qu’en contrepartie de cet engagement de tuteur, le migrant se doit de
respecter les différentes clauses libellées ou sous-entendues dans ses rapports fonciers avec son tuteur.
Comme le dit Coulibaly, la jouissance de la ressource foncière impliquée, implique au migrant le
respect de certaines clauses vis-à-vis de celui auprès de qui on a obtenu le droit. (Coulibaly, 2003).
Cependant il apparaît important de distinguer les différents types de tutorat relevés dans ce village.
Nous spécifions en effet deux types de tutorat pas obligatoirement graduel. Le tuteur migrant qui est
un migrant « ancien » est responsable d’un autre migrant. Le tuteur autochtone qui est un autochtone
et qui est responsable d’un migrant. Lorsque le migrant arrive dans le village il vient toujours par
l’intermédiaire d’un premier contact très souvent qui est un ancien migrant qui l’a déjà rassuré sur la
disponibilité de la terre et aussi sur les modes d’attribution de la terre. Ce tuteur migrant devient le
répondant de ce nouveau venu. C’est lui qui l’accompagne voir les propriétaires fonciers et l’aide à
poursuivre le processus d’installation. Ce nouveau migrant devient alors le protégé du tuteur migrant,
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lui-même migrant d’un tuteur autochtone. Le tuteur migrant accumule de l’importance vis-à-vis de ses
pairs par rapport au nombre de migrants qu’il a aidé à installer. Même s’il n’est pas mosnaba il devient
bien écouté.
Il y a aussi la situation où ce tuteur migrant est beaucoup plus qu’un contact, il constitue le vrai tuteur
du nouveau migrant parce que c’est lui qui l’a accepté et installé. Lao est un des gros quartiers moose
de Bougnounou. Le chef de quartier est moaga mais gère toute la terre et la brousse de Lao. Ce dernier
dépend certes du chef de village mais la spécificité de cette terre et brousse c’est qu’elle appartenait ou
appartient à un segment lignager Benao, la cour de Boliassan, la cour du kwere Aniaba. Ce quartier
était la brousse de cette cour et l’ancêtre, chef de lignage à cette période, a « donné » (prêt de terre à
durée indéterminée) à un migrant moaga, un ami à lui, cette brousse où il ne faisait que faire pousser
des calebassiers (Lao). Depuis ce temps ce migrant et ensuite ses descendants ont installé des migrants
moose sur les terres de Lao et leur ont procuré de la brousse pour leurs champs de culture. Cependant
pour toute nouvelle installation sur la terre de Bougnounou un poulet est amené chez le chef pour
l’autel de la terre, le second est tué par le tuteur migrant pour l’autel de la brousse. Cette famille
migrante est musulmane mais depuis des générations ils sont obligés d’adopter un comportement
syncrétiste21 qui prend son sens dans leurs rapports fonciers avec les autochtones du village.
Dans le cas du tuteur autochtone, un étranger qui désire s’installer, se constitue en étranger de
l’autochtone qui devient d’office le « responsable de sa tête ». Ce dernier va informer le chef du
village et qui pourra lui donner la permission de laisser son étranger être « gens du village » d’abord et
ensuite avoir accès à la ressource demandée. Dans ce cas c’est le chef de terre qui procède au sacrifice
d’installation. Cela se fait ainsi dans le cas ou une partie de l’autel de la brousse a été confiée à un chef
de lignage (faible) pour faire office de chef de brousse (cas de la brousse de Zouloukabié et de la
brousse Brego « gérées » par deux lignages différents). Dans ce cas ci, ces lignages ne sont pas
propriétaires de terre et de brousse, ils dépendent directement du chef de village qui leur donne la
permission d’installer. Le migrant doit alors fournir deux poulets que le tuteur va offrir en premier à la
terre et en second à la brousse avant de délimiter le champ de brousse ou de donner la permission au
migrant de le faire soi même (les premiers migrants du village). Même lorsque la terre et la brousse lui
appartiennent dans le cas du lignage Ziba, il y a cette information au chef de village par rapport à une
installation dans le village. Le reste du processus ne le concerne plus ni lui, ni son chef de terre. Aucun
poulet n’est amené chez le chef. Ce sont des protocoles à respecter autant par les autres autochtones du
village que par le migrant lui-même. Les migrants de Ziba ne dépendent que de Ziba. L’attribution
d’une terre, n’entraîne de la part du migrant aucune obligation de dons quelconques au tuteur dans le
cadre de la transaction. Il est libre d’entretenir ou de ne pas entretenir (dans le sens de lui faire des
cadeaux ou de lui donner du mil) socialement sa relation avec son tuteur. Cependant la réalité montre
21 Ils disent qu’ils n’ont pas le choix de continuer à être musulman. Ils sont Guiré à l’origine et la plupart desMoosé venus s’installer sur « leurs terres » sont des Guiré de leur village d’origine et là bas ils sont tousmusulmans.
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que le tuteur, lorsqu’il a des difficultés d’ordre économique, dépend souvent de ses migrants. Les
migrants participent aux cérémonies du lignage que lorsqu’on souhaite qu’ils soient informés. Les
informations et nouvelles du village passent par ce tuteur pour atteindre ses migrants. Lorsque la
demande de participation des migrants à une quelconque cérémonie ou activité vient du village, c’est
le tuteur qui informe ses migrants et ceux-ci sont tenus d’y participer : « On n’a pas de lien avec le
kwèrè sauf quand c’est Babou qui dit de lui donner quelque chose à Babou lui-même. Nous, on ne
contribue que quand c’est Babou qui nous dit de donner quelque chose pour faire des sacrifices au
kwèrè » (migrant musulman de Yarsé). Un migrant ne peut pas outrepasser son tuteur pour atteindre le
chef de village parce qu’il croit que ce dernier peut beaucoup plus l’aider à résoudre son problème.
Sinon c’est le tuteur qui essuie un échec comme s’il était incapable non seulement de « maîtriser ou de
contrôler » ses hommes mais aussi de bien gérer sa terre.
«… Amidou s’emporta et demanda à Séni de ne plus lui parler ainsi sinon il lui jure que d’ici, les
récoltes, Séni ne pourra plus jamais parler à quelqu’un dans ce village. Séni a pris peur et a
convoqué Amidou chez le vieux Ziba. Ce dernier leur demanda de revenir le lendemain matin. Le
matin, au lieu de venir chez Ziba, Amidou, alla directement voir le chef du village et y convoqua
Séni d’exposer le même problème. Le chef fit son jugement en accusa le propriétaire de ce
quartier (sans citer de nom) de ne pas savoir bien gérer ses terres. Il ajouta d’autres choses. Le
petit frère du vieux Ziba qui était assis à côté, a tout entendu. Ce dernier rapporta tout à son aîné.
Le vieux Ziba s’est donc mis en colère et a décidé d’aller à la chefferie se battre. Les gens se sont
mis à plusieurs pour lui demander pardon. Cela n’a pas suffit. Ses oncles d’à côté ont été appelés
et ont réussi à le calmer. Le vieux Ziba a fait convoquer les moose en leur disant qu’il ne jugera
plus ce différend et qu’il demande à Amidou de quitter son quartier ; Le village il ne peut pas le
chasser de là, mais ici c’est son quartier… » (Enquête septembre 2004)
La difficulté à Bougnounou lorsqu’il y a un différend entre un tuteur et son migrant, la sanction ne se
limite pas seulement au retrait de terres, elle va jusqu’à la rupture de tous les liens sociaux fonciers et
religieux. S’il s’agit d’un tiokolia, le migrant peut encore chercher une autre possibilité d’avoir de la
terre. Lorsqu’il s’agit d’un tiokotiu, la répudiation du migrant est totale. Le village, la terre et le kwere
ne veulent plus de lui. Dans ce cas « le kwere ne doit plus te voir» disent les tiokotia. (Phrase utilisée
aussi dans le cas de la répudiation de nuna).
Ce différend entre le tuteur et les migrants a été finalement réglé après plusieurs démarches de la part
des Moose. Une amende a été toutefois apposée au migrant qui a enfreint « la juridiction » du tuteur.
Voilà pourquoi les migrants moose dans cette zone de forte migration ont très peu de stratégies pour
contourner les clauses ou encore les obstacles quotidiens. Avec la pression démographique et le regard
plus rapproché des autochtones sur la disponibilité des terres, la culture du coton pour les moose
devient difficile disent-ils. C’est pour cela qu’aujourd’hui ils se cherchent des tuteurs fonciers. Dans
ce cas, c’est strictement la question de la terre qui les relie. L’alliance au premier tuteur est prioritaire
mais n’empêche cependant pas au migrant d’agrandir par d’autres moyens ses exploitations.
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Conclusion.
Dans la logique coutumière l’accès à la terre fait partie intégrante des relations sociales, tout se passe
comme s’il existait un droit naturel à la terre (Bologo, 2004 :3). Accueillir et installer des migrants
rentre dans un système de rapports sociaux fondés sur l’alliance. L’institution du tutorat ne prend pas
seulement en compte la terre comme seul élément de la clause foncière. Beaucoup d’autres aspects
rentrent toujours en ligne de compte : la religion basée ici sur une allégeance et une affiliation à vie au
kwere. Les migrants de Bougnounou sont dans l’obligation de tenir compte et de respecter les
interdits, les devoirs ou les services que le tuteur leur impose. Le migrant n’est pas obligé d’entretenir
ses relations plus précisément de faire des cadeaux à son tuteur. Mais si le tueur demande (dans ce cas,
il se met en position de faiblesse alors qu’il ne devrait pas) le migrant se voit dans l’obligation de
« satisfaire » à la demande.
Par rapport à la migration, les nuni ont aujourd’hui fermé la porte aux nouveaux migrants. Ils n’ont
plus de terres disent-ils. Les migrants qui arrivent ont pour tuteur actuel d’autres migrants qui
acceptent de redistribuer leurs terres (le droit de transmission étant accepté dans les pratiques). Cela ne
concerne plus les clauses foncières autochtones – migrants ; seules les clauses sociales et religieuses
sont valables pour ces nouveaux migrants. En général ces migrants sont issus des arrivées des rapatriés
burkinabés de côte d’Ivoire.
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