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LIGUE DE L'ENSElGN EIUI ENT FONDEE LE 26 i)ÉCF OBRC 1864 Loc i. :.- J?ouleuarrrl (lu Ilrxirirxut, //0, Pr ir a ..-elle.• •S1BLIOTHÈQUE CIRCULANTE N" RECC.M MAN DÉ AU LECTEUR La Ligue de t 'Enseignein ip .ent rt"te gratuite11iertt gres livres pour perinettre a ehacuii de -se distraire de s instruire. Elle espé re twen retour Ie lecteur e# aura.le plus grand soili : il c.iépeiid (le lui de les utaintenir en bon état de couservatioii. A cet effet, les precautions suivatites lui stbl recolnln aiid ées Tenir les livres revétus d'une couverture en papier. Lire en avant, autant que possible, le livre lplac(-, {levant soi sur tom: table débarrassée de tout ne q2-ii lpor r ri a.i t. Ie sal i r. Fviter de le replier sur lui-ruéme, les plats vonvers^i• firn sur ii"ire, ce qui Ie briserait ou f'erait sortir les feuilleens. Ne point u arquer dun pli, ou, continu on dit, duin co3ne, la á laquelle on s'a:•rëte ; il suffit de placet' dans- le volume rrne te bande de papier. Ne jamais tournor les feuillets en les f'r•oissant avec rin dolgt. illé. Prendre garde= qu'ii ne soit fait ni écritures, ni tac}res, soit sur couverture, soit à 1'intérieur du livre. Renfermer le volume dans un meuble aprés el)aque lectur•e. es soms sont prescri ts' deins I'i iité &i t (-e la lïothéque et de tous'les lecteurs. ira Lid dre ne .fixte pas que ehacurt tl'eiix ii'ait .t cour de les oe^ver. # Dans Ie cas o;i le lectuur conslate des (1é4ériorations, il voudra bi g ales si ,valer au Bibliothécaire avant (1 . emporter le volume. L'eut- prvnteur - est rendu responsable de toute dlétérioration causée• par liui 1'ouvrage prété. Le lecteur atteint de malarlie infectieuse uu transniissible est #eIlu den inforrner le Bibliothécaire, afin dè retirer de la circulation d'abord et de pouvoir faire désinfecter ensriite les livres gri'il a eus en s> possession.

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LIGUE DE L'ENSElGN EIUI ENTFONDEE LE 26 i)ÉCF OBRC 1864

Loc i. :.- J?ouleuarrrl (lu Ilrxirirxut, //0, Pr ira ..-elle.•

•S1BLIOTHÈQUE CIRCULANTE N"

RECC.M MAN DÉ AU LECTEUR

La Ligue de t 'Enseignein ip.ent rt"te gratuite11ierttgres livres pour perinettre a ehacuii de -se distraire

de s instruire. Elle espé re twen retour Ie lecteure# aura.le plus grand soili : il c.iépeiid (le lui de lesutaintenir en bon état de couservatioii. A cet effet,les precautions suivatites lui stbl recolnlnaiid ées

Tenir les livres revétus d'une couverture en papier.

Lire en avant, autant que possible, le livre lplac(-, {levant soi surtom: table débarrassée de tout ne q2-ii lpor r ri a.i t. Ie sal i r.

Fviter de le replier sur lui-ruéme, les plats vonvers^i• firn surii"ire, ce qui Ie briserait ou f'erait sortir les feuilleens.

Ne point u arquer dun pli, ou, continu on dit, duin co3ne, laá laquelle on s'a:•rëte ; il suffit de placet' dans- le volume rrne

te bande de papier.

Ne jamais tournor les feuillets en les f'r•oissant avec rin dolgt.illé.

Prendre garde= qu'ii ne soit fait ni écritures, ni tac}res, soit surcouverture, soit à 1'intérieur du livre.

Renfermer le volume dans un meuble aprés el)aque lectur•e.

es soms sont prescri ts' deins I'i iité &i t (-e lalïothéque et de tous'les lecteurs. ira Lid dre ne

.fixte pas que ehacurt tl'eiix ii'ait .t cour de lesoe^ver.

# Dans Ie cas o;i le lectuur conslate des (1é4ériorations, il voudrabi gales si ,valer au Bibliothécaire avant (1 . emporter le volume. L'eut-prvnteur - est rendu responsable de toute dlétérioration causée• par liui

1'ouvrage prété.

Le lecteur atteint de malarlie infectieuse uu transniissible est#eIlu den inforrner le Bibliothécaire, afin dè retirer de la circulationd'abord et de pouvoir faire désinfecter ensriite les livres gri'il a eusen s> possession.

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A MES AMIS

LOUIS DELATTRE, EUGÈNE DEMOLDER

et EDMOND PALLEMAERTS

en souvenir de

rexcursion du 22 mai 1890.

G. E.

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DU MÊME AUTEUR:

Kees Doorik (épuisé).

Kermesses (idem).

Les Milices de Saint Frangois (idem).

Nouvelles Kermesses (idem).

La Nouvelle Carthage.

EN PRÉPARATION :

La Nouvelle Carthage, édition complète et défini-

tive, considérablement augmentée.

Lettres pour les Illettrés.

Cycle Patibulaire.

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LES FUSILLÉS DE MALINES

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Il a été tiré de ce livre :3 exemplaires sur papier du Japon, numérotés de i á 3;

15 exemplaires sur papier de Hollande, numérotésde 4 á 18.

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GEORGES EEKHOUD

Les

Fu si l léde Malines

BRUXELLES

PAUL LACOMBLEZtditeur

RUE DES PAROISSIENS

MDCCCLXLI

Tous droits réservés

na schooltijd

"Je hebt nu kennis gemaakt met de verhalen over Job en de Heilige Antonius. Ga in een groepje zitten en discussieer over één van de twee volgende Stellingen: * Religieuze teksten zijn onzin-

nig; • Religieuze teksten zijn interes­

sant."

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PREMIÈRE ÉTAPE

Nlatine".

Je ne me rappelle pas vacarme comparable ácelui de cette nuit. On n'entendait; á trois ouquatre lieues á la ronde, que le son des cloches,des tambours et des ccii:nes., les hurlements deschiens et des hommes, et fes coups de fusil.(Lettre écrite de Waelhem (Malines), le

21 -octobre 1798.)

Après avoir fait subir aux Belges, an-nexés sous prétexte d'affranchissement, lepillage de leurs biens, rabolition de leurscoutumes, le mépris du sentiment national,des attentats réiterés â la liberté de con-science ; après la proscription politique, lapersécution religieuse, la récompense destraitres, Finvestiture des renégats, l'apos-

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8 LES FUSILLÉS DE MALINES

tasie imposée aux prétres, la félonie érigéeen civisme, l'anarchie substituée á la léga-lité et l'arbitraire â la justice, les Jacobinsvenaient de sommer leur ceuvre de régéné-ration par une mesure plus impopulaire etplus odieuse encore que les énormités quil'avaient précédée.

En vertu de la bi sur la conscription,tout Beige ágé de vingt â vingt-cinq ansdevenait le soldat, le défenseur armé, lemercenaire de l'oppression. On l'arrachait

ses foyers, et on l'envoyait combattreceux-là mémes auxquels il aurait voulus'allier pour secouer de conserve un régime

cóté duquel la tyrannie de l'Espagne auraitparu bénigne et paternelle.

Promulguée le septembre 1798, cettebi avait été suivie, le 23 du méme mois, dudécret de mobilisation d'un corps de200,000 hom- mes comprenant les conscritsde la première classe, c'est-à-dire les jeunesgens de vingt â vingt et un ans.

Contrairement á ce qui s'était produitpour d'autres édits, cette fois bi et décretaffichés le octobre, en franÇais et en fla-mand, soulevaient non seulement une ré-

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LES FUSILLÉS DE MALINES

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probation platonique, mais rencontraientune résistance inattendue dans tous lesrangs de la population

Nul ne se faisait inscrire sur les róles.Inquiétés par les recruteurs, les fils defamille passèrent en Angleterre, les pau-vres diables fuirent aux halliers. De vérita-bles campements de bagaudes se formaientdans la Campine et le Pays de Waes.D'abord les conscrits se contentèrent dere fuser le service et de dépister leurs tra-queurs ; c'étaient des réfractaires et pasencore des insurgés. Lorsque les rabatteurss'éloignaient, les fugitifs, avertis par leursparents, quittaient leurs cachettes, rega-gnaient leurs toits et reprenaient leurmétier, quitte á disparaitre â la premièrealerte.

Aucune rencontre n'avait encore eu lieuentre paysans et limiers Jacobins. Mais onprévoyait que cette partie de cache-cachene durerait pas, et que la collision étaitprochaine. Ces feintes et ces refuites, cettefastidieuse randonnée, ces défis réciproquesne pouvaient guère se prolonger. Le ma-laise, la tension augmentait de part et

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d'autre. La température morale s'alour-dissait.

C'est sous la suggestions de cette atmos-phère orageuse que se trouvaient, dans lasoirée du samedi 20 octobre 1798, ou,comme on était tenu de s'exprimer alors,le 29 vendémiaire de l'an VII' de la Répu-blique, quatre villageois de Bonheyden,localité des environs de Malines.

Attablés plus tard que de coutume, sur-tout en ces temps de troubles, cloués surleurs escabeaux, ils ruminaient sans cesseles mémes crispantes conjectures, profé-raient de loin en loin, entre deux soupirs,une parole de menace ou de désolation, ettelle était leur préoccupation, qu'ils lais-saient s'éteindre leurs pipes et boudaientla bière houblonneuse.

Une commune angoisse, un grave pres-sentiment qu'ils craignaient de se commu-niquer par la parole, leur to urnait le sanget leur étreignait la gorge. Il est de cesespérances tellement ardentes, qu'on doseles exprimer, peur de les effaroucher etd'en ajourner la réalisation. Dans ces dis-

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LES FUSILLÉS DE MALINES I I

positions on se comprend á mots couverts,tacitement, et les silences sont plus éloquentsque les discours.

Ces paysans, tous quatre dans la fleurde l'áge, l'ainé dayant que trente-trois ans,étaient Michel ou Chiel Van Rompaeye,surnommé, par une intelligente abréviation,den Romp ou le Torse, et qui, poitraillé,reinté comme un étalon, portait admira-blement ce sobriquet ; Henri ou Rik Scha-lenberg, dit, avec non moins cl.á propos,den Schalk, ce qui signifie respiègle ; unautre Henri Heratens, appelé den Witte, leBlanc, á cause de sa toison couleur filasse,enfin Guillaume Tuytgen, â qui sa tignassenoire, sa caboche tornenteuse comme larobe d'une taupe, valait ce nom de guerre,Willem de Mol ou Guillot la Taupe.

Quatre robustes garçons, quatre excel-lents garçons aussi; les meilleurs suj ets dela paroisse, compagnons éprouvés, hon,nêtes chrétiens de Campine, s'gpiniátrantdans leur rage et dans leur foi.

Le Torse était valet de meunier, l'Es-piègle travaillait chez le maréchal-ferrant,le Blanc, simple ouvrier agricole, battait en

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grange, semait, labourait ou moissonnait,suivant la saison, et Willem la Taupe, filsde notable, principal clerc de la paroisse,aidait son père dans la clirection de leurterme.

Ils prolongeaient leur critique veillée,quoique neuf heures eussent sonné depuislongtemps á l'horloge de chêne. Par égardpour de bons clients et d'intimes coreligion--naires, le baes ne les engageait pas á seretirer. Enervé lui- même, par les influencesambiantes et les occultes présages, il netenait pas en place, báillait ostensiblement,toussait avec éclat, mouchait â tout boutde champ la chandelle. Ii venait de cloreles volets et de tirer les verrous, lorsquedes pas s'arrétèrent sur le seuil, au dehors,et qu'on frappa violemment á la porte. Nosquatre songeurs sursautèrent et se redres-sèrent sur leurs pieds. Les avait-on dénon-cés ? Les patrouilles républicaines s'aven-turaient rarement dans ces écarts encoremieux défendus par leur aridité que parleur esprit incompatible. Le kus soufflale lumignon. En s'effgant contre le mur,dans rangle de la porte, les gars retenaient

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leur haleine et serraient leur rondin defrêne, résolus â assommer tout visiteurmalintentionné.

Mais ils se remirent bien vite de leurémoi. Une voix connue leur cria par letrou de la serrure

— Ouvrez, ouvrez garÇons ! Po ur l'amourdu ciel ! Gest moi Tiest Vervloet d'Elewyt !Grandes nouvelles !... Bonnes nouvelles !

Ils s'empressèrent de débácler le vantail,et le baes ayant battu le briquet et ralluméla chandelle, ils se trouvèrent en présencedu nouveau venu.

Un dégourdi brunet, ce Tistiet Vervloet,singulièrement affectif, avec sa mine lu-ronne et florissante, ses joues saines etfournies, sa large bouche aux commissuresrelevées par un pli gouailleur et cálin, debeaux yeux marrons pétillant de hardiesseou subitement radoucis et songeurs ; le nezdroit aux narines évasées, le menton carré,la chevelure broussailleuse et désordonnée,dont les mèches frisaient jusqu'au bas dufront bien modelé et masquaient de menuesoreilles de jeune faune. De stature moyenne,bien découplé, les membres agiles et ro-

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bustes, il portait presque avec élégance desguenilles sentant bon la feuillée, le foin, lasève et la grume. L'encolure et les bras nusse dégagaient d'une sorte de sac en toilegrossière, lui tenant lieu de chemise et deblaude et dont il ramenait les pans dansune culotte élimée qui lui venait â peinejusqu'aux mollets. 11 allait pieds déchaux,en toute saison. Orphelin, livré â lui-mêmedès le berceau, ivre de plein air, on ne luiconnaissait de métiers plus lucratifs queceux de taupier et d'oiseleur. Les cultiva-teurs lui payaient un hard par bête puantecrevée sur leur champ. Avant l'occupationfranÇaise, les dimanches il se rendaitMalines. Un rameau feuillu á la main,sifflotant une chanson pour entretenir legazouillis de ses petits captifs, assis devantle portail de Saint-Rombaut, ii guettait lasortie des patriciennes passant, au bras desmarguilliers ventrus, emmitouflées dansleurs failles de moire. Avec des parolesengageantes, mais non serviles, il faisaitvaloir ses pinsons et ses chardonnerets.

Malgré ses allures irrégulières et sa vienomade, un tel parfum d'honnêteté et de

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droiture se dégageait de son inculte per-sonne que jamais fermier ne lui auraitrefusé la platée et le Oe. Ii s'acquit-tait envers ses hótes en donnant le lende-main, suivant la saison, un coup de mainaux moissonneurs ou aux batteurs engrange. Patriote et chrétien exalté, tropjeune pour être incorporé lui-mérne dansl'armée républicaine, depuis les promulga-tions de la bi militaire et la chasse auxconscrits, 11 servait de messager et depourvoyeur aux réfractaires du pays, etles prévenait de l' approche des colonnesmobiles.

Hourrah les hommes ! cria-t-il enentrant dans l'estaminet. Gest fini de gé-mir et de gronder. On en vient aux mains.On se cogne, et ferme, de Fautre cóté del'Escaut ! Les nótres triomphent â Bev erenet guignent la grande ville d'Anvers...Cela chauffe en Campine comme en Flan-dre... Avant une heure toute la contréesera debout... Voyez... Ecoutez plutót,

Ils se précipitèrent sur la chaussée. Parcette tiède, un peu humide soiree, á cette

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heure avancée, d'ordinaire si calme, plusrecueillie que partout ailleurs ; ici, danscette contrée paisible entre toutes, des bour-donnements insolites annonÇaient le pas-sage d'un immense essaim d'abeilles. Maisen octobre, la Bruyère a cessé de fleurir etles sphynx seuls butinent pendant la fluit!

l'exemple de Tiest l'Oiseleur, les quatreparoissiens de Bonheyden s'étendirent áplat ventre, Foreille collée au sol. Le mur-mure anormal gonfla, s'accrut, devint unsouffle de rafale emplissant les espaceslointains. Les ondes sonores s'élargirent etse déployèrent sur la plaine immense. Etfamiliarisés avec ce tintamarre, nos paysansy démélèrent peu â peu des roulements detambours, des sonneries de trompes rusti-ques, les stridences du fifre, des aboiementsde chiens, des percussions d'armes á feu etjusqu'à des vivats et des huées.

Mais ce qui dominait, c'était le tintementcontinu et précipité des cloches. Toutes lescampanes du pays semblaient convoquéesá ce carillon nocturne. Quelle turbulences'emparait de ces voix solennelles ou se-reines ! On les brimbalait, on les coptait

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LES FUSILLÉS DE MALINES 17

décrocher leurs battants et á fèler leurspanses. Et le vacarme grandit et se rappro-cha tellement que les villageois ne furentplus obligés de s'allonger par terre pouren distinguer les facteurs. Il a urait fini parleur briser le tympan.

Si ces volées rageuses n'avaient rendutoute méprise impossible, les écoutantsauraient pu se croire á l'aube des Páques,lorsque les voyageuses étrangées par lesTénèbres de la Semaine-Sainte s'en revien-nent de leur migration á Rome, avec leshirondelles et les cigognes bienvoulues.Seulement on était plus proche de 1' octavedes Morts que du temps pascal, et les Té-nèbres jacobines avaient duré plusieursannées.

Aussi, jamais cloches retrouvées, clochesrapatriées n'avaient déchainé pareils alle-.luias!

Nos rustauds se régalaient de cette musi-que comminatoire. Les sanglantes matinesde Bruges et les vépres de Palerme, nepréchèrent plus impérieusement l'extermi-nation des FranÇais oppresseurs !

Les opprimés inhalaient, â pleines bouf-

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18 LES FUSILLÉS DE MALINES

fées, ces effluves insurrectionnels, de lamanière dont les pionniers, attardés dansles brumes crépusculaires de l'automne,respirent la ragoiitante odeur des pommesde terre cuites au feu des sarts, ce fumetqui fait s.ouvrir machinalement les boucheset claquer gouluement la langue contre lepalais.

Ils ne se parlaient pas les pitauds affrio-lés ! IJs piaulaient de plaisir, hennissaientcomnie poulains au pacage, se trémous-saient, humaient á pleins naseaux l'ozonede la tempête !

Au cours de leur rude vie de défricheurils avaient essuyé bien des temps contrai-res, commencer par les sécheresses pro-longées alors que, sirocco des sablonscampinois, le vent du sud-est souffle sanstrève et, sans rassembler les moindres nuesdans le ciel, chasse devant lui des tourbil-lons de poussière. L'immuable azur del'horizon est souvent aussi funeste aux ter-riens que le calme plat de l'Océan auxnavigateurs. Le soleil se ligue avec l'ha-leine enflammée de l'espace pour dessécher

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LES FUSILLÉS DE MALINES 19

Ja terre et ruiner le cultivateur. Avecquelle détresse les patients interrogent lerad ieux infini au-dessus de leurs têtes ! Lasérénité de l'éther nargue leur désespoir.La nuit même, les étoiles bénignes dardentd'obliques rayons sur la moisson brálée ápetit feu, et la lune est plus sardoniqueque la pire des lunes rousses. Chaqueheure diurne ou nocturne ajoute ainsi audésastre inéluctable. Les rustres voientleurs récoltes se fondre épi par épi. Mais,farouches, hagards, s'arrachant les cheveux,plutót que de blasphémer le Dieu juste deJob et de Lazare, ils se cramponnent â saprovidence qui se détourne d'eux. aspirentá s'anéantir comme leurs guérets et appel-lent su,r le chaume qui les abrite avec leurbétail, leurs femmes et leurs nichées famé-liques, le feu des holocaustes agréables auSeigneur !...

Tout á coup le vent tourne, d'impercep-tibles flocons blancs amatissent le bout del'horizon! Ils ont bien vu, ils ne divaguentpas : un léger voile de vapeur gaze un coinçlu ciel. Sous les coups de la brise occiden-tale, les brumes se condensent en nuages

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20 LES FUSILLÉS DE MALINES

qui déroulent un long cortège, s'entassenthouleux et compacts comme des ouaillesque le chien-loup mordille aux jarrets. A.présent les nuées envahissent toute la cam-pagne d'azur. Encore une halenée, ô ventsecourable ! Voilá le salut, le pain, la vie !Les premières gouttes de pluie, les gouttesde la guilée, â la fois rondes comme desflorins et aussi religieuses que l'eau bénitefiltrant entre les doigts qui se signent !

Alors, pouvaient croire ces blousiers,rien de comparable â l'élan de leur recon-naissance. Quelle explosion de sauvageallégresse répondait aux crépitements de lafoudre ! La terre gercée s'abreuvait â pleinssillons, pompait l'averse d'abondance partoutes ses brálures, et les terriens dépoi-traillés présentaient leur chair cortiqueuseaux lanières des lavasses, se laissaientlapider par les cataractes, se complaisaientdans les sanglades polissonnes des éléments.Trempés jusqu'aux os, c'était avec unevolupté nonpareille qu'ils secouaient leurshardes ruisselantes, trépignaient, barbo-taient, sabotaient dans ce déluge ! Ils par-ticipaient de l'allégresse de la nature,

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célébraient, par une orchestique spontanée,Ja rédemption de leurs cultures et de leursvergers.

Eh bien, jamais, après les plus néfastessécheresses, á l'heure oU les Rogations étantfinalement exaucées, les pacants se livraient

des démonstrations d'énergumène, ja-mais, au grand jamais ijs ne ressentirentcommotion aussi formidable, ne manifes-tèrent allégresse aussi effrénée qu'á rappelde ces cloches comparables aux trompettesdu Jugement !

Le tumulte continuait á se propager. Descloches de plus en plus rapprochées en-traient dans la danse. La bourrasquegrondait, tonnait â tel point, que l'onaurait juré ce tocsin sonné par toutes lescloches d'Anvers, du Brabant et de laFlan dre.

L'oreille tendue, sur le qui-vive, lescinq villageois reconnaissaient nombre deces voix d'airain et se nommaient les ck-chers. Etaient-ils le jouet d'une hallucina-tion ? mais ils prétendirent avoir entendu,en cette nuit du 20 au 21 octobre, véritablenuit des merveilles, jusqu'aux cloches fon-

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dues et monnayées par les sacrilèges. Avecla permission du Créateur des choses bap-tisées, les ámes de ces martyres auraientrepris possession des clochers dépouillés,pour les remplir de leurs voix prophéti-ques.

Quoi qu'il en soit, les survivantes sup-pléaient énergiquement les mortes et sem-blaient se multiplier comme une raceprolifique. Leurs clameurs redoublaientcrint'ensité, rayonnaient dans toutes lesdirections, gagnaient l'un clocher aprésl'autre, comparables aux flammes d'unincendie fouettées et tendues par Fouragan.

Les premiers tintements étaient partisde Duffel. Les communes riveraines de laNèthe, tant en amont, â commencer parLierre, qu'en aval, â partir de Waelhemet de Rumpst, y avaient répondu de procheen proche, d'une part jusqu'au Demer,même au fond du Hageland, d'autre partle long du Rupel jusqu'à l'Escaut, et,par delá, au cceur des Flandres.

Au nord, vers Anvers, c'était le fertilepays de Contich avec Waarloos, Hove,

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Reeth et Mortsel ; au nord-est c'était lamystique et mystérieuse Campine, deslieues de bruyères et de sablons, oû lesesprits cuvaient le plus d'opprobre et desainte colère, dont les religieuses paroissesdevaient s'insurger presque simultanément,o-á la conflagration chasserait avec la rapi-dité dun feu de prairie dans le Far-West,pays exalté et loyal, race de complexionvolcanique, o£1 Fincendie ressembleraitune explosion.

A Fest de Malines, la Campine et leHageland, les deux indigentes et noblesrégions se rejoignent, s'embrassent commedeux amants fidèles et déshérités, et deleur conjonction nait un site participant,en Fintensifiant encore, de leur affectivedésolátion.

C'est précisément ce terroir de Bonhey-den auquel appartenaient nos fermes gars,Entouré de parages fertiles, il fait reffetd'un désert dans une oasis. Il ne couvre pasune importante superficie, mais tel est soncaractère abrupt qu'il donne u ne impressiongrandiose et soufflètepar son attachante frus-tesse la banale et grasse cocagne d'alentour.

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Depuis les événements de la fin de l'autresiècle, da pas changé. J'y vaguais ré-cemment, en m.en assimilant la durableintransigeance contre laquelle ne prévalentni 1:hypocrisie provinciale, ni l'urbanitévoltairienne. Les terres vaines l'emportentencore aujourd'hui sur les cultures. Ceslandes cr une présence si suggestive et simélancolique prédisposent â la rêverie, aurecu eillement, aux visions rétrospectives,á une sorte d'examen de conscience histo-rique. Au milieu de cette nature invioléeon évoque le passé, on devine des fastesobscurs et tragiques.

Pas de plus saisissante antithèse quecelle de ce décor ravagé et atrabilaire, avecles noues et les pacages avoisinants de laDyle et de la Nèthe, favorables aux plantu-reux nourrissages, et avec la ville mème de1VIalines que la rivière limoneuse, des brasmorts, des canaux et de nombreux fossésentretiennent dans une claustrale humidité.

C'est surtout en gagnant Bonheydenpar la bourgade de Neckerspoel, habitaclede gros vachers oii , durant les époquesprospères de l'élevage, lorsque laitiers et

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engraisseurs faisaient les succulentes nour-ritures, ces parvenus sifflaient après lesmarchés fameux, plus de champagne qu'ilsne lampaient de bière, — c'est surtoutpassé Pasbrug, après avoir traversé cettebanlieue bouffie, crevant dans sa graisse,puant la bouse et le beurre, que la régionlégendaire vous étreint, vous capte et voushallucine.

Rien ne m'est plus cher, dans son ácre etréche saveur, que cette étendue de gari-gues mamelonnées Çà et lá de dunes sa -

blonneuses, enserrée dans les sapinièresdont le vert jaspé tranche sur le gris uni-forme de la plaine. Des laies droites etmyriamétriques traversent ces futaies rigi-des, s'enfoncent â perte de vue et se coupentde lieue en lieue, pour ménager d'imprévuset mystérieux carrefours, mi le poète errantest tenté de s'agenouiller comme le fidèleau centre de la croix formée par la nef et letransept des cathédrales.

A la différence des agglomérations dupays fertile, dans cette région les villagesne se rapprochent et ne voisinent pas.Quelques écarts aux noms rogues : Bon-

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heyden, Keerbergen, Rymenam, Beerselse disséminent comme des sentinelles per-dues et leurs clochers, pointant â l'horizon,font songer á des baïonnettes.

Ce coin immaculé, vierge de toute pollu-tion civilisatrice, fournit â la cause patrialele premier noyau de partisans et de mar-tyrs. C'est notre Terre-Sainte, â nous gensde race flamande. Ii y a près de cent ansune hecatombe le consacra pour jamais. Lesol est demeuré réfractaire, les sillons serebiffent et refusent de produire des céréalesutilitaires á rendroit oii les genéts burentla sève rouge des paysans. Souvent, aucoucher du soleil, la floraison des brandess'avive, bouillonne, scintille, rougeoie ; lanappe déferle comme un lac tragique etles améthystes religieuses se convertissenten rubis sanglants!

Aussi, le soir du 2 1 octobre 1798, ellesne devaient pas être les dernières â sonner,les cloches du cher pays.

Beerlaer... Heyst... Schrieck... Putte...les deux Wavre : Notre-Dame et Sainte-Catherine... Keerbergen... Beersel... Ry-menam! entraient en branle.

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— Elewyt ! s'écria le jeune Tiest, radieux.— En avant Bonheyden ! mugirent ses

compagnons.Et avec celui d'Elewyt, ils filèrent á

toutes jambes dans la direction de l'hum-ble église paroissiale. C'était â leur tour dese faire entendre. Les bourgades du Petit-Brabant allaient les distancer.

En route, ils se rappelèrent fort oppor-tunément que leur temple avait été ferméet mis sous scellés comme tous ceux de lacontrée. Rik l'Espiègle, forgeron et serru-rier, détala d'un tel bond pour chercherson attirail chez lui qu.il rejoignit encoreses camarades sous le porche. En un tourde bras il crocheta la porte et fit s'écarterles battants.

Cependant, d'autres habitants, réveilléspar le tintamarre, accouraient, pieds nus,vétus moitié, avec des lanternes, Misrapi dement au courant de ce qui se passaitpar les habitués de la Feuille de Trèfle, lesnouveau-venus se jetèrent â la fois sur lecáble de la cloche et tirèrent dessus, detoutes leurs forces, au risque de le rompresous leur poids. Non sans brimbaler

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crabord, l'humble cloche de Bonheyden,d'un joui timbre argentin et persuasif, entradans la symphonie, éleva le ton, elle aussi,et trouva peut-être, pour la première foisdepuis son baptème, des accents de me-nace et de colère.

Voilá de longs mois que les paroissiensne l'avaient plus entendue et ce leur futune béatitude de retrouver ces résonnancesfamilières, deux ou trois notes tout au plus,mais aux nuances infinies, contenant toutce qu'i1 faut pour aller â ces ámes primi-tives, compátir á leurs épreuves, sourireleurs déduits.

Au moins une douzaine de sonneursimprovisés s'agrippant les uns les autres,formant une véritable grappe humaine,táchant d'empoigner un bout de cáble,sonnaient maintenant â toute volée. Il s'enameutait d'autres, non moins zélés, avidesd'émouvoir leur tour le bronze si long-temps taciturne. Et, pour tromper leurattente, ils excitaient l'ardeur de l'équipe,clamaient, dansaient d'impatience et leursflexions de reins, et leur souffle d'ahan,rythmaient les mouvements des sonneurs.

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Schalenberg, Van Rompaeye, Heratens,Willem Tuytgen et Tiest Vervloet, avaientescaladé quatre â quatre 1* escalier en lima-Çon, jusqu'au-dessus de la chambre descloches

Les multiples clameurs saturant respacenocturne, se confondaient dans un tuttiformidable. Arpèges de l'ouragan pinontdes arbres séculaires, comme de simplesfibres. Fracas des vagues sur les brise-lames. Ce concert ne semblait s'apaiser parinstants que pour s'élever ensuite avec unerecrudescence, une furie, des transportsnouveaux.

Más, de la pointe du clocher, un spec-tacle non moins pathétique e.xaspérait lacommotion de l'ouïe. Des feux, des bíichersflamboyaient et s'éparpillaient dans laBruyère comme si les volées de tocsins.abattant de toutes parts sur les campagnes,avaient été des grenades et des flammèches.Le long des grand'routes, au fil des sen-tiers, hameaux et tènements déflagraientcomme une trainée de poudre. A mesureque la rumeur grossissait, ces brasiers se

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multipliaient et, en moins d'une heure, lepays entier revétit Faspect d'un immensebivac. Sur les hauteurs de Heyst-op-den-Berg et de Beersel, seules collines du pays,deux feux de joie déployaient de tellesgerbes de flammes que les observateursredoutèrent d'abord des représailles jaco-bines et des prouesses de chauffeurs.

Bientót au faite des églises, au palier desmoulins â vent, des vigies agitèrent desbrandons allumés. Tiest Vervloet, ne vou-lant pas demeurer en reste d'enthousiasmeavec ces conjurés lointains, exécuta dansFair, au risque d'incendier l'empoutruredu clocher, de furieux moulinets avec unede ces torches de galipot qui servaientéclairer aux musiciens les soirs de bals etde sérénades.

Les autres, lá-bas, tout lá-bas, répétaientles mêmes signaux. D'un bout á l'autre de

Thorizon, fulguraient d'analogues arabes-ques ; aux échos des clameurs se mélaientdes répercussions de lumière, et ces carac-tères de feu traÇaient peu á peu sur le cield'un gris d'ardoise, un alphabet d'hé-roïsme et d'épopée.

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Une commune aspiration dilatait lespoumons, des milliers de coeurs campinoispantelaient á la fois, palpitaient du mêmeespoir, battaient á Funisson ; et ces pulsa-tions véhL,mentes et généreuses se précipi-taient, sans cesse stimulées, au rythmegaccadé et frénétique des cloches ; et lescceurs de ces rudes hommes se sentaientaussi ferines, aussi solides, coulés dunmétal aussi éprom é que les coeurs de leursbeffrois...

Cependant la nuit s'écoulait. L'orient sezébrait d'ocre et de cinabre poudrés dor.On commenÇait â distinguer les sombresorées des sapinières ; des chaumes, desarbres surgissaient Çà et là; les feux cou-leur sang rosissaient dans le crépuscule, etpeu á peu les cloches échevelées ralentirentleurs oscillations , les voix furibon dess'apaisèrent, les tocsins s'exhortèrent mu-tuellement â moins de frénésie et se résol-vèrent en un frémissement.

Une seule élevait encore la voix. C'étaitcelle de Bonheyden. Más elle chantaitdoucement, elle cessait de mugir pour semettre en prière. Que sonnait-elle ainsi?

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Les quatre paroissiens, juchés au sommetde la tour, cherchaient â reconnaitre cestendres et intimes modulations.

— Más c.est dimanche aujourd'hui,garçons, et la cloche nous appelle â lamesse !...

Et comme Heratens vena' it de retrouverla signification de ces tintements étouffésdepuis près dun lustre, voilà que, plusbas, sous leurs pieds, s'élevant du jubé,les lents accords de Forgue se mgèrentaux vibrations du bronze.

Nos jeunes gens se regardèrent, â la foisradieux et abasourdis, se détendirentleur tour. A présent, de la dévotion semêlait á leur colère et des larmes leurmontaient aux yeux.

Qui, c'était bien dimanche, le dimanchereligieux et patrial, leur dimanche á eux,et non plus le décadi républicain, plus abo-minable que le sabbat des juifs !

De toutes parts, des quatre coins dupays, par les chaussées impériales ou vici-nales, par les routes, par les sentes et lestraverses, les fidèles vétus de leurs beaux

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habits dominicaux, munis de chapelets,tendaient â larges enjambées vers leuréglise. La cohue grossissant á chaque car-refour, roulait d'une poussée au cceur duvillage, oû ses premières files venaièntbattre, au risque de la renverser, les fragilesmurailles du temple. Tous les arrivants neparvenaient pas â s'enfourner par l'étroitportail. Ils assiégeaient le sanctuaire avecune irrévérence touchante, ils y apportaientl'ardeur fauve et bourrue de naufragés surle point d'atterrir, de pèlerins fourgonnésFapproche des reliques.

Aimantées â leur tour, les cinq vedettesdégringolèrent précipitamment rescalier.Ii était temps. A grand.peine nos amisarrivèrent á se tasser sous le jubé. L'égliserefoulait ses visiteurs dans le cimetière etjusque sur le parvis. Tous étaient là, mêmeceux des hameaux lointains, des fermesperdues, même ceux des paroisses circum-voisines.

D'ordinaire ils arrivaient au premieroffice, encore hébétés par le sommeil, tré-buchant, tournant les poings dans lesorbites, et se pinÇant pour ne pas se ren-

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dormir. Mais ce matin, des tiraillementsse produisaient au coin des bouches, lesnarines frétillaient, les paupières se con-tractaient, les prunelles se dilataient, lesmembres avaient des mouvements reflexes,les jambes tricotaient, les poings s'ouvraientet se fermaient, et les gorges étrangléescherchaient leur salive.

Convoqués á cette place par un mêmemot d'ordre, qu'attendaient-ils, pressés lesuns contre les autres, comme des épis dansune meule, avec cette persistance et cetteanxiété? Depuis la soirée on marchait desurprise en surprise. Quel ferment s*ajou-terait encore á cette cuvée humaine ?

La porte de la sacristie s'ouvrit lente.ment. Une longue oscillation se produisitdepuis les premiers jusqu-aux derniersrangs de la foule. Appréhendant un pro-dige, personne ne respirait plus. Deuxsecondes, trois secondes s*écoulèrent, etune figure de prètre vétue seulement d'unesoutane et d'un rochet marcha ou plutótsembla portée vers l'autel. Etait-ce unvivant, ce vieillard vot'ité et chancelant,plus blanc qu'un linceul, aussi décharné

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qu'un squelette? L'apparition s'agenouillaau pied du tabernacle et deux acolytes,deux garconnets du village, ceux-ci parfai-tement en vie, vinrent se placer de chaquecóté du mystérieux desservant. Aprés unecourte prière, il se releva, se tourna versl'assemblée. En le dévisageant, les fidèlesne purent réprimer un murmure de stupeurmélée de ravissement. Ce visage émaciéqu'achevaient de creuser deux prunellesincandescentes, était celui de leur proprepasteur, le vénérable octogénaire déportédans les pourrissoirs de Cayenne avecl'archevéque de Frankenberg, primat deBelgique, et les prétres insermentés dudiocèse.

Sous Fempire de cette surexcitation ner-veuse 'Dil les merveilles remplacent les loisordinaires, mi le surnaturel da plus rienque de plausible, ses paroissiens crurentcertainement â un miracle, á une résurrec-tion. Et comme le fantÔme vénéré étendaitses mains amaigries vers Fassistance etfaisait lentement le geste de les bénir, toussimultanément, hommes, femmes, enfants,confondus, tant ceux qui s'écrasaient dans

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l'étroit sanctuaire que ceux qui se piétaient,tête nue, au dehors, devant le porchetous, sans exception, tombèrent prosternés,d'un seul bloc, leurs genoux cognant ladalle avec un cliquetis farouche, comme sile souffle même de Dieu les dit abattus.

Quelles mains prévoyantes avaient paréFautel dénudé? Des chandelles ménagèresbrillaient dans ces flambeaux de cuivre quidécorent les átres rustiques, et les fleurs del'arrière-saison masquaient l'usure de laseule nappe blanche laissée par les train ardsrépublicains dans les armoires du bourg-mestre. Quant au calice, au corporal et auxburettes, le saint homme les avait sansdoute empruntés au trésor des anges ?

Aux trois coups de la clochette sonnéspar un des enfants de chceur, le vénérablecélébrant entonna Fintroït, et le silenceétait si profond, si absolu, que sa voixéteinte et chevrotante résonnait avec l'éclatd'une fanfare.

Ce que fut cette messe? Pour se la repré-senter ii faudrait remonter aux premiersjours de l'Église, â ces offices célébrés dansles catacombes, parmi les cendres encore

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chaudes des martyrs, au milieu des con-fesseurs et des vierges élus pour les holo-caustes futurs.

Au moment habituel du próne, le prètrese rendit â rentrée du chceur et prononcacette lyrique allocution

— Rassurez-vous, mes chers enfants, nereculez pas á ma vue. Qu'aucune inquiétudene se mêle â votre joie de me revoir.Réjouissez-vous en toute franchise. J' appar-tiens encore â ce monde. Gloire â Dieu,louanges au Tout-Puissant, qui a soustraitson serviteur aux embiiches des impies etdes régicides! Gráces soient ren dues auSeigneur ! Par l' entremise de pieux chré-tiens de la grande cité, ii m'arracha,comme jadis son prophète, aux tortures etaux supplices des suppóts de l'Antechrist....

» Dieu me renvoie parmi vous , mesbien-aimés ! Je suis porteur de la BonneNouvelle !

» Partout sur mon passage les opprimésrompent leurs entraves, et s'apprêtent ácourir sus aux oppresseurs.

» Déjá, se répand la nouvelle de pre-mières victoires :

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» Dans le pays de Waes, les patriotesde Saint-Paul et de Kemseke se sont em-parés de Hulst, d'Axel et du Sas... On lesdit maîtres de la plaine depuis Termondejusqu'á Gand... Nos milices marchent surSaint-Nicolas et la Tête de-Flandre... Del'autre rive elles correspondent avec Anverset y fomentent la révolte... D'autres partistraversent l'Escaut, occupent le Tolhuys,.soulèvent Bornhem, Saint-Amand et Wil-lebroeck. Ceux-ci s"-avancent vers nous.Encore un effort et les braves gal-gons deFlandre et de Brabant pourront se donnerla main â Malines !

» Ainsi me renseignent en haletant, en mebaisant les mains, les partisans que j accoste

chaque étape.» Ils voulaient me retenir, mais j'avais

háte de me trouver parmi vous, et pressaile pas après les avoir bénis. Si ceux-là sontsi bouillants et si déterminés, me disais-je,quels seront l'ardeur et le zèle de mes chersenfants! Ah! je savais bien que lorsque laCampine et le Hageland se levaient enmasse, comme autant d'épis d'un mêmeguèret, vous ne seriez pas les derniers á

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vous croiser contre les nouveaux déï-cides !

» Hourrah ! mes braves ligueurs! Viventles blouses, haro sur les carmagnoles !Conscrits réfractaires au service de l'étran-ger et de l'impie, la cause de la Patrie etde la Religion trouvera en vous ses soldatsles plus filiaux et les plus braves ! Enavant donc pour Dieu et pour la Patrie.Voor God en voor het *Vaderland »

Ici, les paysans, chauffés outrance, lit-téralement saturés de fanatisme, enflamméspar chacune de ces incendiaires paroles,réfrénant depuis longtemps un inéluctablebesoin de clamer, de bondir, de sesoulager par des vociférations et des gestes,ne parvinrent plus á se posséder et, malgréla sainteté du lieu, une effroya.ble clameuréclata sous les voUtes du temple, un rugis-sement, un tonnerre prolongé que dominaitcette devise adoptée spontanément pour cride guerre : Voor God en voor het Vader-land! Ce fut durant plusieurs minutes untolle, un hourvari, une trépidation indes-criptibles. Non contents de hurler â tue

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LES FUSILLÉS DE MALINES

tête, ils ruaient, soubresautaient, se ca-braient, se tortillaient avec la frénésied'étalons affolés par un essaim de guêpes,montraient le poing â des ennemis invisi-bles, crissaient des dents, projetaient lesbras en Fair, brandissaient leurs bátons,exécutaient de vertigineux moulinets au-dessus de leur tête. D'aucuns, pour se com-muniquer leur ravissement, se décochaientd'amicales gourmades en pleine poitrine,ou menaÇaient de défoncer, á violentscoups de coude, les cötes de leurs voisins.

Cependant, d'un signe magnétique leprêtre calma cette trombe humaine.

— Avant que vous vous mettiez en cam-pagne, reprit-il, — cette fois avec uneonction qui acheva d'apaiser le derniertumulte, j'ai tenu á vous prodiguer lessaints Sacrements de l'Eglise. Ils entre-tiendront votre énergie et votre valeur. Ilsvous seront un gage de triomphe et lesigne de l'alliance que le Dieu des arméesconclut avec vous ! A genoux, pauvres péni-tents, humbles laboureurs; á genoux, soldatsdu Christ !

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De nouveau la masse des genoux choquales dalles. En se martelant la poitrine, leshéros des prochainscombatspsalmodiaient,á l'unisson, les versets que leur lisait leprétre. Ils écrasés par non-fleur qui les attendait, eux, les infimes, eux,les indignes que la gráce avait abandonnésdepuis tant d'années ! Et, lorsque lepasteur prononÇa la formule de Fabsolu-tion, lavés de toute macule, purs commeá Faube de leur baptéme, dignes enfinde servir la grande cause, ils se rele-vèrent allégés, désormais invincibles etmême invulnérables, aussi radieux que lesélus.

Mais la communion allait leur adminis-trer le stiprême confort. Longtemps sevrésde la nourriture spirituelle, ils se ruèrentfaméliques et safres vers la Sainte-Table.L'instinct brutal reprenait le dessus. Pourarriver premiers ils se seraient passé sur lecorps. Les plus faibles étaient soulevés dusol et portés par les plus solides. Au pre-mier abord on aurait pu croire cette cohuefrappée de panique. Rogues et torves, desj urons affleurant aux lèvres, ils joignaient

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les mains et jouaient furieusement desgenoux et des épaules.

Femmes et enfants, serrés â étouffer,dévoraient leurs cris sans une révolte.D'irascibles palots se laissaient bousculer,quitte á traiter leurs voisins de la mémefaÇon. Un sourire conciliant revenait auxlèvres après unefugitive expression d'amer-tume, et si un éclair de mauvaise humeurou de défi jaillissait furtivement des pru-nelles, aussat en se rencontrant les regardspleins de mansuétude se pardonnaient, serassuraient mutuellement.

Méme au plus fort du remous, les com-muniants se réjouissaient de cette véhe-mente poussée, de cette solidarité étroite etvirtuelle, heureux de se trou-ver en massecompacte, de se sentir les coudes, de seconfondre dans une méme pensée, de semouvoir sous la méme impulsion. Ils secomplaisaient dans cette promiscuité chau deet magnétique. Un même fluide leur cha-touillait les moelles ; ils effluaient l'enthou-siasme par tous les pores. Ii y en avait dontl'expansion se traduisait en larmes tièdes,en paroles inarticulées, en soupirs cálins

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comme des caresses. Les muqueuses dis-tilaient le dictame de mystiques et sapidesb.aisers.

Repus de la chair d'un Dieu, ii tardait áces béats de se mêler, au dehors, pour secongratuler et s'étreindre fraternellement.Le flux des arrivants jalousait le refluxdes partani s et en frólant leurs camarades,les premiers ressentaient le choc en retourdu coup de foudre eucharistique.

Ce n'étaient que bras musclés, épaulescarrées, piliers charnus, croupes renforcéessur lesquelles bridaient des houzeaux bru-nátres et luisants comme un labour; com-plexions blondes, filasses, avec des facesmoufflardes oû s'azuraient de ferventesprunelles germaniques, ou tempéramentsde bruns, le poil noir, des nerfs plus actifs,la chair plus dense, têtes résolues, basanéesj usqu'á l'encolure, les traits décis, grandsyeux félins á raffelt sous le velours descils.

Ces légions dégageaient une effervescenteodeur d'étable et de grange, mais aussi lesséveux effluves d'une potée de corps luxu-riants et copieux, secoués par quelques

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lieues de marche après la tiédeur de la cou-chée, puis malaxés, pétris, bouleversésjusqu'aux moelles par le contrecoup phy-sique de toutes ces commotions morales.Et, fouettées de péripétie en péripétie, destade en stade, les humeurs n'étaient pasmoins troublées et moins virulentes que lesesprits.

Le prêtre semblait abecquer une couvéede poussins truculents et voraces. Man-quant d'hosties, il lui fallut consacrer lepain bis que ses acolytes quérirent dansles fermes voisines.

Cependant le crépuscule ambigu faisaitplace au jour. Le solea automnal rnontaitlentement et coulait sur ces éperdus unelumière humide et tremblée, apaisante etbalsamique, projetait sur ce grouillementde fiévreux un ruissellement d'or pále engouttelettes, une rosée de lumière, humec-tant la masse violátre et renflée des sarraux,oignant les visages exaltés, amortissant lefeu des pommettes, lubrifiant les yeuxvisionnaires, soulageant de son humidebaiser les lèvres brálantes des commu-niants.

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Et, lorsque le prètre, ayant enfin com-munié tout son troupeau, éleva sur lapatène la dernière fraction du pain consacrépour l'offrir á l'adoration des théophores,á ce moment précis de la bénédiction, ledisque du soleil vint s'encadrer dans levitrail du retable, et fit au saint Sacrementune auréole autrement éblouissante queFostensoir volé par les Jacobins.

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DEUXIÈME ÉTAPE

Dimanche.

Ce que j'avdis prévu dans ma lettre du 29 ven-démiaire dernier (20 octobre), ne s'est que tropréalisé. Le 30. qui était en même temps un jourde dimancbe, a vu éclater une rébellion furieusesur presque tous les points de ce département.(Rapport de Lévéque, commissaire central des

Deux-Nèthes, au ministre de la police géné-rale.)

Après la messe, au lieu de s'écouler, lafoule stagne obstinément dans le champdes morts et sur la place d'alentour. Aumoment oû le pasteur sort de l'église, lesvivats partent de toutes les poitrines.Casquettes et, bonnets volent en Fair. Lesaint homme se fraie, á grand'peine, unpassage á travers son troupeau. En vain

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essayerait-il de se dérober â ces démonstra-tions. Ses ouailles l'entourent, l'empri-sonnent dans leur masse grouillante, lepressent â l'étouffer. Tant de mains cher-chent les siennes ! Les mères lui tendentleurs enfants, c'est â qui lui arrachera unsigne de reconnaissance, une parole d'in-térêt. Tous parlent á la fois, s'égosillent,interpellent le vieillard, se nomment á lui :« Heer Pastoor, c'est moi Jann,... VoiciFrans !... Vous souvenez-vous de Nardine,la femme du sacristain !... -- Heer Pastoor,voici le petit Klaas de chez Mastboom... Neconnaissez-vous plus le vieux Verbist quevous avez administré et qu'un miracle aguéri... Mon petit dernier, baptisé par vossoms!... Heer Pastoor, Stann, Faveugle, nemanque pas encore á rappel... Soupesez lepetiot, heer Pastoor!... Que Stann , l'aveugle,sente encore une fois la caresse de vos chersyeux !... L'enfanÇon doit cette chair au bonlait et aux ceufs du presbytère

Le curé ne trouve de paroles pourrépondre á chacun de ses paroissiens. Il nepeut que dodeliner de la tête, abandonnerses pauvres doigts amaigris â la pression

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de ces phalanges calleuses. Ii bégaie, bal.-butie, un voile lui passe devant les yeux,va se trouver mal. Heureusement, Chiel leTorse et Guillot la Taupe Font vu chan-celer et changer de couleur.

Hopsa ! Ils juchent le vieillard sur leurslarges épaules et le portent en triomphe,acclamé par la paroisse et bien d'autresfidèles encore qui lui font escorte, á traversla campagne, jusqu'à la ferme de baesTuytgen, ()á il se remettra de cette émo-tion trop violente.

Revenus au coeur du village, les rustaudsse congratulent entre eux. Compagnons decharrue et de lit, prochains frères d'armesse tapent dans la main, se trouvent plusrapprochés encore depuis l'aube et pré-ludent par des simulacres de lutte auxétreintes meurtrières, aux féroces corps ácorps avec Fengeance excommuniée. Fa-rauds, ils retroussent leurs manches, secalent, les poings aux reins, se fendent, secambrent dans des postures avantageuses.Des ennemis feignent de se prendre á lagorge, et, après quelques feintes belli-queuses, de nature â donner le change aux

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regardants, tombent dans les bras Fun del'autre, et vident leur querelle dans unelongue accolade. Des camarades brouillésse regardent, se comprennent, se rapatrientet vont sceller, bras dessus, bras dessous,au cabaret, leur chaleureuse réconcilia-tion.

Si rien n'est plus intense que l'esprit desolidarité de ces villageois, natures frustes,expansives, exubérantes et de premier mou-vement, ils ne sont pas moins saturés derancoeur accumulée, d'affronts longtempsdévorés, et l'extrême exaltation sympa-thique cótoie la haine violente. La sève et lesang leur démangent á la fois.

Chiel le 'Forse parcourt les rassemble-ments qui continuent de trépigner et de setrémousser sur la place, avise le sapin pré-caire planté en face de l'église, sous prétexted'arbre de la liberté, et, sans embarras,comme pour se faire la main, déracine cemai républicain, et avec un moulinet lelance â dix mètres de lá, par dessus lestêtes effarées. Depuis longtemps ce soliveaune représentait que du bois mort. Le tailler

• en pièces, entasser les bikhes, y mettre le

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feu est l'affaire d'un instant pour ces éman-cipés mis en appétit de destruction.

La flamme s'élève, la résine crépite,rustauds et rustaudes se prennent par lamain et, en chantant, dansent une rondeéchevelée autour du bácher. Avant que lebois ait cessé de flamber, Rik rEspiègle sedétache de la chaine, et exécutant un leste ca-valier seul, pirouette, fringue au milieu ducercle, en plein brasier. C'est comique de levoir protéger, avec des mines poltronne s etdes tortillements convulsifs, ses chaussestrop larges et les pans de sa blouse, contreles familiarités des flammes que la frénésieet Finattendu de ses virevousses semblentvraiment refouler et déconcerter.

D'autres fois il les nargue, les provoque,les traite de sans-culottes jaloux, qui vou-draient bien l'habiller â leur mode et dechauffeurs désireux de lui chatouiller laplante des pieds. Sa langue frétillanteimite le dardement des langues de feu.Ses grimaces sont aussi fantastiques queses cortorsions. Prouesses d'un saint Geor-ges déluré, qui finit par étouffer sous sessabots la bave enflammée du dragon.

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Le vent chasse les cendres vers les mursdu cimetière, oû s'étalent encore impudem-ment les affiches proclamant la levée et lesinscriptions de milice.

— Par ici les hommes ! s'écrie le Blanc.Voici bien crun autre jeu.

De leurs doigts crispés, les tácherons semettent en devoir d'arracher l'amphigou-rique et melliflue proclamation, mais usés,émoussés par les rudes labeurs, les onglesne parviennent pas á entamer le papier.Dans leur rage impuissante, ils couvrentrimprimé d'une grêle de crachats.

— Un instant, gal-gons, laissez-moi faire.Nous allons rire !

Gest de nouveau Rik Schalenberg.— Place â notre Rik ! Hourrah pour le

Schalk!Vraiment l'Espiègle n'est jamais â court

d'inventions cocasses. Ii n'aurait qu'á mon-trer le bout de son nez frisé et mobilecomme celui d'un lapin, pour mettre engaieté l'assemblée la plus morose. Avantqu'il ait ou-vert la bouche, sa seule contenance, le retroussis de ses lèvres, le pétil-

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lement de ses yeux déchaine une bordée

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de rires. Il a surtout une faÇon â lui, abso-lument irrésistible de se gratter Foreille etde pouffer en dedans. pour lui-méme, encachotier, et de tenir son public en suspens.

Aussi, rien d'étonnant que la réputationdu Schalk ait dépassé les confins de sonclocher. A la veille de l'annexion fran-Çaise et de la suppression en bloc desgildes, confréries, métiers et sociétés detoute sorte, la chambre de rhétoriqueLa Pivoine de Malines, lui fit offrir parambassade, la succession de son bouffonattitré. Mais, campagnard endurci , leSchalk craignit que Fair de la \rille ne fittourner son humour en nostalgie et refusade troquer le tablier et le marteau de for-geron contre le hoqueton mi-parti et lamarotte â grelots.

— Que va-t-il bien imaginer encore ?En le voyant se dessangler, rabattre le

pont-levis de ses bragues et mettre culasseau vent, on devine son intention.

Un rire égrillard secoue l'assistanceaffriolée et peu vergogneuse.

Mais ii n'ajustera jamais l'arbalète áhauteur de la cible ! objecte Guillot la

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Taupe, le plus fort tireur de l'ancien Ser-ment de Saint-Sébastien, aboli, hélas,comme tous les autres.

— Attendez ! fait Chiel le Torse... Vatoujours, Schalk !

Celui-ci s'accroupit, glorieusement. Onfait silence. Le ventre libre, en bon culti-vateur habitué á éprouver sans répugnancela qualité de l'engrais, le luron se torchedes doigts et avant de se rajuster, bar-bouille dun odorant et majestueux para-phe, les fleurs de rhétorique jacobines.

- Cet impayable Schalk! clame lagalerie en se tenant les cótes.

— A mon tour! dit un autre.— Place! Garde á vous !...— A moi ! á moi! que je bande mon arc !Stimulés, tous imitent cette prouesse et

y vont de leur badigeonnage á l'ocre.— Gare que je tire !— Rose !- Bien décoché!L'un n'a pas fini que l'autre láche l'ai-

guillette, prend sa place et se met en posi-tion. On dirait qu'il vient de se déclarerune courante épidémique. Les gars se

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piquent d'émulation comme á un concoursde tir. L'incagade s'accomplit au feu rou-lant des gaillardises et des polissonnerieso£1 reparaissent les privautés des narquoisde Jan Steen et d'Adrien Brauwer. A courtde mitraille, le compère se fend dun simplearrosage. L'assistance juge de l'apport dechacun et des progrès de l'embrénement.Le tournoi ne cesse que lorsque le placardhonni a disparu sous ces estampilles á lacire brune.

Emoustillés, mis en liesse par cet inter-mède égrillard, les lurons ne perdent pointde vue la gravité de leurs desseins.

Guillot la Taupe entraine ses amis á laFeuille de Trèfie.

— Attention ! Ii s'agit de remplacer lesproclamations de nos ennemis, par un ma-nifeste de notre cru.

Qu'á cela ne tienne! fait le Schalk ense rengorgeant, avec ce tic qui lui est fami-lier de plonger les mains au fond de sespoches et de se piéter. Je me chargede vous le rimer !

Le maréchal ne se vantait pas. Il tournait

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aussi facilement les sentimentales com-plaintes que les couplets satiriques ; aussi,après s'are recucilli un instant, le nez enFair, comme un qui suit le vol des pigeons,ii declama sur un ton emphatique :

Jeunesse catholique,flamande et romaine,

Bonnes gens du Brabant et des Flandres aussi,Compagnons du village, anus de la cité,Si les FranÇais partaient, quellefélicité!

Ils pillent les coffres des riches.

A rrachent les saints Je leurs niches !

Fondent les cloches en canons,Entassent dans les cabanons

Les prétres dignes de ce nom.

Et pour peu que cela continue,

Je vous le dis, en vérité.

On verrait, diables effrontés,Ces républicains, ces sangsues,

Regorgeant du sang des proscrtts,Mettre les soes de nos charruesAux guillotines de Paris !

Bravant du Seigneur l'anathème

Après avoir au pauvre méme

Volé son dernier sol sous prétexte d'impdt.

Voici qu'ils réclament sa peau !

C'est au profit de la vermine

Qui nous réduit è la /amineEt nous mettrait nus comme un verQu'il nous faudrait, en plein hiver,

Combattre pour l'amour de ces bêtes sauvages

Des gens dont nous n'avons jamais vu les visages ,

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Des Russes, des Prussiens qui ne nous ont rien fait,Des chrétiens comme nous, dont l'unique nzefetitConsiste et détester comme nous, les Francais!Ce serait un péché, ce serait méme un crime,Plutó't marcher alors contre qui nous opprime.Ces tyrans ont voulu nous changer en soldats !Mais c'est pour les chasser que nous armons nos bras !A bas les Jacobins, assassins de leur roi!En avant pour la Paix, la Patrie et la Foi !Plutót mourir ici qu'ailleurs !

Le Schalk fut obligé de réciter trois foisces ïambes belliqueuses á son auditoireravi, subjugué par cette versification rudi-mentaire. Et comme, pareil â ses précur-seurs, les premiers rhapsodes, Rik nesavait écrire ses épopées, le grand clercWillem la Taupe aligna ces vers ingénusde sa main la plus large et la plus calligra-phique.

— Je mets ton nom au bas du morceau!dit Guillot au poète.

— Non, pas de Ça! Je n'ai fait qu'expri-mer nos sentiments, á nous tous. A toil'honneur de signer d'abord, objecte leSchalk, montrant autant de désintéresse-ment que de génie.

— Le Schalk a raison! insiste le Blanc.

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Nous signerons tous, mais le chef passed'abord. Or, ce chef, quel est-il, sinonnotre Willem, le fils de baes Tuytgen, lebourgmestre déposé par ces chiens deFranÇais, Guillot, le roi du serment Saint-Sébastien

— Oui, oui ! opinent tous les autres.Nommons Willem... Le commandementlui revient! Accepte, Guillot. Tu ne peuxrefuser. C'est entendu.

On le presse si fort, on l'étourdit de sicordiales instances, on couvre sa voix detelles vociférations en son honneur, lors-qu'il essaie de décliner cette suprématie,qu'après un court combat de générositéentre Schalenberg et lui, le fils Tuytgen,féal garçon de bon sens et de judicieuxconseil, consent â être élevé sur le pavois.Ii signe donc, en téte de son état-major, etaccompagne son nom de ce titre : capitainede l'armée flamande et catholique.

Schalenberg continuant de refuser toutgrade sous prétexte qu'il n'est pas assezsérieux et qu'il sera mieux â sa place pourles mettre en gaieté et les distraire auxheures difficiles, Guillot choisit pour lieu-

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tenant son ami, le vigoureux et déterminéChiel le Torse, qui signe après lui.

La proclamation , copiée et recopiéequatre fois, en caractères énormes, leSchalk court la coller sur les murs del'église et dans les principaux estaminets.Aux illettrés, comme lui, le poète qui lasait par coeur â présent, la récite. IJsl'écoutent religieusement, bouche bée, sepoussant du coude, faisant courir des mur-mures approbateurs, tirant, aux bons en-droits, des bouffées plus opaques de leurspipettes. Les autres, massés devant les pla-cards, les épèlent,ánonnant,leurs gros doigtspromenés de syllabe en syllabe, de peur deperdre le mot commencé, et se récrientébahis, le coeur chaud, chaque rime lessecouant ainsi qu'un ressort.

Dans tous les groupes, le choix du braveGuillot comme chef rencontre une sanc-tion non moins spontanée. Devant lescomptoirs, autour des tables, brocs etpintes s'entrechoquent â la santé du com-mandant. Depuis longtemps la bièreda plus paru aussi délectable et les braspotelés des servantes dont eu tant de peine

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servir la clientèle. A la Feuille de Trèjles'écrasent, se fcmlent une cuvée de buveurs.La grande salie regorge de monde commeun jour de vente publique par ministère dutabellion. Pour n'étre pas débordés dansl'arrière-pièce, Willem et ses amis posentune table en travers de la porte ouverte, etderrière cette barricade recouverte d'unméchant lambeau de serge, ils siègent,constitués en bureau de recrutement.

Les conscrits ne se font pas tirer Foreille,comme lorsqu'il s'agit de la « réquisition »franÇaise ! Ceux qui se cachaient dans lesbois sont accourus, haletants, empressés dese faire inscrire. Ah! ce n'est point parcouardise qu'ils se dérobaient, non ga! leursinsulteurs l'éprouveront bientót ! Quel ta-page, quels éclats de voix ! Quel train ijsmènent ces réfractaires, ces jeunes patriotesTout ce que le pays compte d'hommesvalides á trois lieues á la ronde, se com-prime, se bouscule, s'échauffe â boire,rire, â clamer dans la salie de la Feuille deTrèjle. C'est le pendant de la communion dumatin, mais on a moins peur á présent des-allonger des bourrades et de se marcher

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sur les pieds, pour arriver jusqu'á la table,l'appel de sa paroisse et de son nom.

L'inscription a commencé par les gars deBonheyden même. Et tous, au grand com-plet, se sont présentés, en se rengorgeant,déjà raides comme au port d'armes, unebouffée de noble orgueil leur rougissant lefront et avivant leur hále. 0! les braves !

Les pères qui auraient donné jusqu'áleur dernier hard, qui ont risqué leur vie,qui se sont exposés aux avanies des sans-culottes plutót que de conscrire leurs héri-tiers, brálent â présent d'enróler le meilleurde leur chair et de leur sang dans cettearmée de guerilléros, et les mères, lespauvresses, n'ont pas trop geint ou bienelles se sont cachées pour ne point troublerla force d'áme de leurs hommes.

Faites donc place á la petite mèreVaneylen !

C'est une pauvresse chenue, toute courbée,clopinant au bras d'un grand gars, son seulsoutien, son unique báton de vieillesse.Tony Vaneylen a Fair moins résolu quecette stoïque aïeule. C'est elle qui semblel'entrainer. 11 a hésité longtemps, en son

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geant â cette tant affectionnée grancrmère,quand son ami Tistiet 1.0iseleur est venule relancer et lui raconter ce qui se passait.

La vieille heuse de balais ayant écoutétoute grave, s'est roidie, et a dit á son petit-fils : « Va, mon enfant ! P uisque &est Dieuqui te réclame ! » Abraham se résignaitainsi au sacrifice d'Isaac. Et ils se sont misen route avec Tistiet. L'Oiseleur et leJoufflu sont du méme áge et de la mêmeparoisse d'Elewyt. Mais Tony Vaneylen estaussi blond, aussi stable que Tistiet estbrun et d'humeur vagabonde. Cela ne lesempéche pas de former une solide paired'amis. Tony, un hercule poupard, est ladouceur méme, malgré ses jambes degranit, son encolure de taureau, ses brasd'acier. Son visage de file s'empreintd'une inaltérable sérénité, ses yeux céru-léens ne connurent jamais la colère, sabouche conserve le sourire ingénu du ber-ceau. Wabord ils se sont rendus chez lebaes de Tony. Afin de permettre â leursvalets de marcher pour la bonne cause,les fermiers les tiennent quittes des enga-gements contractés â la Saint-Pierre et

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Paul (I). Rien n'empUhe donc Tonycrimiter l'exemple de FOiseleur. Et le pla-cide travailleur, qui ne tuerait pas unebestiole, va devenir tueur d'hommes. En seprésentant, ii regarde, dun air dépaysé,ses larges mains momentanément oisives,ses mains vigoureuses, comme si c'étaientcelles d'un autre! Et peut-être ce serf pa-tient et résigné de la glèbe éprouve-t-il déjâla nostalgie du labeur et du foyer! Tistietle raille et le réconforte. Ils seront les deuxbenjamins de la troupe.

Pendant que Guillot s'échine, au milieudu brouhaha et de la fumée, â coucher surles róles cette fournée de volontaires, sousles chaumes, mères et sc2urs, séchant leursyeux rougis, font c.ourir raiguille dans lesnippes de leurs fils et de leurs frères,reprisent les bas, empèsent et repassent lessarraux, rapiècent les culottes patinéescomme de vieilles monnaies. Elles se sontfait une raison ! Elles veulent les milicienspimpants, farauds et braves comme pour

(I) Voir, dans les Nouvelles Kermesses, la FÊTE DES SS. PIERRE ET

PAUL.

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leur noces! Elles leur confectionnent jus-qu'à des écharpes voyantes pour ceindreleun reins par dessus les longues blousesbleus, cousent une cocarde rouge aurebord de leurs chapeaux ou y attachentun panache de plumes de coq, un sca-pulaire , une médaille bénite á Mon -taigu.

Bazine Tuytgen a retrouvé le richecollier de cérémonie du serment de l'Arba-lète, le collier en argent massif, formé deplaques incrustées, grandes comme desécus d'Airitriche, et que le bourgmestreTuytgen mit au cou de Guillot, le jourcelui-ci décrocha le papegai. Le jeune chefcompte slarmer de sa fidèle arbalète et separer aussi de son collier royal. Sous lesyeux du pastoor, installé dans la meilleurechaise de la ferme, la diligente femmenettoie, â la craie, avec des précautionsquasi-sacerdotales , le précieux trophéesoustrait aux rapines des FranÇais, et soncceur maternel se serre de nouveau, encomparant les pacifiques victoires d'autre-fois aux sombres périls de demain, et,défaillante, elle cesse de remémorer

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l'hóte vénérable la journée du triomphe del'adroit tireur.

Les vétérans exhument des profondescachettes quelques-uns de ces fusils dontl'empereur Joseph II décréta la saisie aprèsla révolution brabanÇonne. De leurs doigtsraidis, les partisans de Vander Noot enfont jouer la batterie et en apprennent lemaniement aux novices. D'autres remettentau jour des tromblons, de vieux pistolets,des sabres rouillés, ornements d'antiquespanoplies.

l'exemple de Willem, les membresdes gildes et des serments supprimésreprennent leurs armes courtoises, qui vontdevenir armes â outrance, et, avant deviser des cibles plus conséquentes, les com-pagnons s'exercent sous les berceaux et lescharmilles, dont les ramures enchevêtréesn'ont guère été taillées depuis l'invasion.Rentrés chez eux, les tácherons inspectentleurs instruments de labeur : houes, four-ches, fauchets, piquets, fléaux et pioches.L''Oiseleur et le Jouffiu assujetissent aubout de leurs bátons les tranchants del'araire condamnée au repos. Il s'as git de

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prévenir les desseins des sans-culottes, ca-pables, comme Fa proclamé Rik Schalen-berg, de

Mettre les socs de nos charruesAux guillotines de Paris.

Une partie de la matinée se passe pourchaque maisonnée â fourbir, â décaper,huiler les pièces de l'armement. Au lieu deJa musique coutumière des fléaux battantl'airée, du ronron des tarares, du grince-ment des meules, du clapotis des vanscontre les genoux durillonnés, on perÇoit,par les portes Cies granges, un cliquetis deferraille, lin britissement d'acier, et Çá etlà, d'un courtil ou d'un verger, partentdes détonations d'armes â feu.

Les chefs siègent en permanence á laFeuille de Tréj1e. Ils ont des soldats, et ádéfaut darmes des engins pouvant en tenirlieu ii s'agit d'arrêter un plan de cam-pagne á présent. Heratens le Blanc préco-nise de se tenir simplement sur la défen-sive. On abattrait les arbres des grand'-routes pour empécher le passage de lacavalerie franÇaise. Schalenberg propose

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de rallier le contingent de Duffel ; maisChiel le Torse parle de courir directementsus á rennemi et de marcher sur Ma-lines.

Ils n'étaient point encore tombés d'ac-cord, lorsque, vers onze heures, un cavalierdéboucha tout á coup, au grand trot,devant l'église. Ii avait des bottes á revers,une blouse endossée par dessus la tunique,la mine d'un fils de famille. Les buveursintrigués sortirent des cabarets, s'ameu-tèrent autour de lui en le dévisageant d'unair torve, á la faÇon des molosses hargneuxqui fiairent et perscrutent un intrus. Ii fitcaracoler son cheval avec aisance et poussace cri, en brandissant un grand sabr.: dedragon : « Leven de Patriotten! » Lemalentendu n'était plus possible. La foule,qui menaÇait ii y a un moment cleI lui fairevider les étriers, aida hospitalièrement lecavalier â descendre de cheval, une flopéede gamins glorieux de jouer aussi un róleen ce jour d'agitation, conduisirent la bête

récurie, et l'inconnu s'étant informé deleurs chefs, en un pur dialecte des environs

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d'Anvers, ii s'acheminèrent vers la salledes délibérations.

Il se nommait Marguerie, et le curé deDuffel, fauteur de Finsurrection dans cettepartie de la province, le dépéchait verseux. Marguerie confirma les nouvellesapportées par le pastoor de Bonheyden.Le mouvement était général et Fissue dela lutte paraissait favorable. Partout lesagents républicains fuyaient, chargeant surdes charrettes leurs femmes, leurs enfants,la caisse communale et les registres de l'étatcivil. Les partisans ne leur laissaient pas tou-jours le temps d'accomplir cet exode, et demettre en sáreté les livres de la populationservant á dresser les listes de conscrits. Ainsi,

Wavre-Sainte-Catherine, les insurgés ve-naient de briiler en bloc toutes les archives.De plus, ils s'étaient emparés du collecteurdes contributions directes et le gardaient enotage. Cependant pas un cheveu ne tombe-rait de la tête de ce fonctionnaire. Les pa-triotes avaient reçu pour instruction derespecter, en dehors des combats, la vie destransfuges et de n'immoler que les traitres.On se contenterait de faire une belle peur

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aux « fransquillons » et de les mettre horsd'état de nuire.

Le bouillant Chiel et quelques autresdes plus montés contre les étrangers etleurs créatures, poussèrent un grognementen entendant cet appel â la modération.Pour les faire taire, leurs voisins leurappliquèrent, sans violence et comme enbadinant, la main sur la bouche. Au fond,ces irréconciliables se fussent montrés lesplus perplexes et les plus humains au mo-ment d'en venir aux extrémités qu'ils pré-conisaient.

« Vis á vis de la propriété, continuait deleur apprendre Marguerie , on entretientmoins de scrupules. Il faut de l'argent pours'organiser, pour équiper et nourrir lesenrólés sans ressources. C'est bien le moinsqu'on fasse dégorger les exacteurs. A Putte,on a mis â sac et pillé la demeure de deuxconcussionnaires : Borré, l'agent municipal,et l'huissier Lambert. La même dans:, semène á Lichtaert et â Berlaer. Dans cettedernière commune, les blousiers se ran-gent sous les ordres de Caeymax, un anciennotaire. Un autre notaire patriote, Anthoni

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de Broechem, &est mis á la tête du mouve-ment dans la canton de Santhoven et con-jointement avec les paysans de Leest, deViersel, de Ranst, d'Oeleghem, de Bouwelet de Nylen, ii vient de prendre la ville deLierre. »

D'énergiques trépidations accueillirentla nouvelle de cet important fait d'armes.Les rustres se trémoussaient, tapaient despieds et des mains, montaient sur lesbancs et sur les tables, enfiévrés par cettevictoire de bourgades peu éloignées desleurs, avides d'imiter, le plus tót possible,leurs frères de la Campine. Cette circon-stance que des notables et des bourgeois seliguaient avec les simples pacants doublaitleur confiance. Chiel le Torse et Rik Scha-lenberg parlaient de se mettre en route sur-le-champ , criaient : ( Naar Mechelen ! AMalines ! A Malines ! »

Marguerie prémunit ces ardents compa-gnons contre leur belle turbulence. Letumulte de la nuit a déjà donné reveil auxFranÇais. Trente dragons détachés de lagarnison d'Anvers, envoyés par Contich etDuffel, poussèrent ce matin une reconnais-

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sance dans les environs de notre camp.Voyant que nous étions en nombre, ils sesont prudemment repliés sur le pont deWaelhem, qu'ils gardent dans le but denous couper les communications avec An-vers; mais nous comptons bien les en dé-loger avant ce soir. Peut-être, au momentoû je vous parle, sommes-nous maîtresdéjá de ce point... Oui, je suis de votreavis, nos efforts, á nous, doivent tendres'emparer de Maiines, et cela le plus tótpossible. Mais encore faut-il choisir le mo-ment. Fortifiée comme vous le savez et,de plus, occupée par une forte garnison,ce n'est pas une poignée d'hommes quipourraient la conquérir. Pour ce motif,j'en arrive au principal objet de ma mis-sion, ii s'agit de réunir une armée assezimposante, et le curé-doyen, mon comman-dant, propose á vos milices de rejoindre,Duffel, le gros des patriotes de ce canton.Là-bas nous sommes forts d'environ cinqcents hommes, en y ajoutant le renfort desvótres, ici, nous en aurons sept cents; enfin,avant la nuit, avec les recrues des autrespoints de la province, je compte.sur un

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millier. Ce contingent-là permettrait derisquer l'aventure! »

Après avoir consulté les principaux deses camarades, Guillot la Taupe, au nomdes conscrits de Bonheyden et des paroissesenvironnantes, chargea Marguerie de rap-porter au curé-doyen de Duffel leur adhé-sion á son plan de campagne. Ils se met-traient en route après minuit de manièregagner le quartier général, avant Faube.Pour épargner au pasteur de Bonheydenune nouvelle marche forcée pendant lanuit, Willem réquisitionna le roussin et lacarriole de son père; on revétit le véhiculede sa báche imp2rméable et on y installa lesaint octogénaire qui partit sous la conduitede Marguerie, escorté de quatre gars dupays, entr'autres de Tony le Joufflu.

Tistiet l'Oiseleur souhaitait d'accompa-gner son camarade, mais Guillot lui réservaitun autre voyage. Tony prit donc congé desa grand'mère et de son féal. Sous les yeuxde Marguerie, dont l'uniforme et l'allurelui imposaient, il se tenait á quatre,táchait de prendre une contenance mar-tiale.

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—En route, garçon ! commanda l'officiér,sautant en selle.

La vieille femme toute fière du début deson enfant, de cette confiance placée en lui,Fembrassa tendrement et, comme il se pen-chait un peu, lui traÇa de ses doigts séreuxune petite croix sur le front. Lui, pále,voyant trouble, presque suffocant, brusquala séparation par un rauque : « Adieu.mère ! », allongea délibérément le pas etsans se retourner — le fanfaron de cránerie !— rejoignit la carriole qui s'engageait encahotant dans la traverse sablonneuse.

— Une ferme recrue, petite mère! disaitRik Schalenberg á la vieille heuse debalais fascinée par ce long chemin oU Tonydevenait invisible.

— Le meilleur des enfants ! murmural'aïeule.

— Toi, dit Guillot en prenant Wiseleurá part, tu courras d'une traite á la ville.On est habitué de t'y voir le dimancheavec tes volières. Epie les soldats, ouvreles yeux, renseigne-toi. S'il se passe quel-que chose, reviens nous le dire

- Compris !

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Et l'Oiseleur détala de la proverbialevitesse de ses pieds nus et de ses jarretsnerveux.

Cependant, â cette heure même, commepour le tenter et lui rendre son devoir pé-nible, des fumées de délectable augure tire-bouchonnaient au-dessus des toits, deragoíltantes odeurs de mangeailles s'éven-taient par l'entrebáillement des portes. Lebrave enfant, sans déplorer le moins dumonde l'ordre qui l'étrangeait des tabléesfumantes, retira philosophiquement de sonbissac un frugal quignon de pain noir, ymordit á belles dents, se garda méme deralentir le pas, et, la conscience -victorieuse,laissa bientót derrière lui les foyers decocagne et de tentation. Il se rappelait laforce d'áme inattendue déployée par soncher Tony et cette pensée achevait deFagaillardir.

Les préparatifs terminés , Willem laTaupe permettait â ses hommes de godail-ler, de se donner du bon temps jusqu'á lanuit, et de célébrer par anticipation ladélivrance promise. Ce furent, chez les

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chefs, des ventrées et des rótisseries aux-quelles participèrent tous les conscrits. IJsburent et máchèrent comme aux pluscopieuses frairies de l'áge dor, mémemieux qu'á ces annuels teerdagen, á cesrepas de corps des confréries prohibées parla République. Les hótes ne comptaient,ne thésaurisaient plus; ils traitaient prodi-galement leur monde. Les meilleurs mor-ceaux du porc ou du veau tenus en réserve,sautérent dans les poéles ; pigeons et pou-lets se dorèrent â petit feu au tour régulierdes broches. Avec une rondeur attendrieles parents engageaient les camarades deleurs fils á vider les plats. La grosse maté-rialité du festin se tempérait de mélancolie ;il participait de la cène et de ces repas queles anciens servaient aux condamnés ámort Beaucoup de rieurs forgaient leurjactance : l'inconnu, le vague pressenti-ment serrait la gorge aux moins réveurs.Il se pouvait que cette bombance feit ladernière ! Le Schalk lui-même perdait desa verve et ses saillies ratèrent plus d'unefois Résultat vraiment anormal de labonne chère ! constatait le bout-en-train.

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Quelques piffres profitaient de Faubaine,se regoulaient avec complaisance, mais â lalongue, malgré leur capacité, ils s'avouaientvaincus.

Les bazines, pour en finir, affectaient demettre double les morceaux que les san-glots empéchaient de passer. Alors ellesse moquaient de leur prétendue glouton-nerie! Vers la fin du repas elles se rappro-chèrent de leurs gal-gons. Que de chosesleur recommander enceJe !... En réalitéc'était pour mieux graver l'image adoréeclans leur souvenir et pouvoir se repré-senter, avec son timbre unique, la caressedes voix filiales.

Mais des chansons retentissent audehors, et, méme une fanfare de bal, uncrincrin de bourrée. Les grands enfantsfiévreux n'écoutent que d'une oreille lespuériles et touchantes exhortations, répon-dent machinalement, ne tiennent plus enplace, pressé3 de rejoindre leurs compa-gnons et aussi leurs compagnes, là-bas,sous le tilleuls, â l'ombre duquel slimpro-vise un bal : toujours comme au bontemps.

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Le réveil dominical est complet. Onassiste á une de ces débridées après-midide kermesses interdites par les Jacobins,car scribes, robins et soudards proscrirentcomme superstition les fêtes votives célé-brées en l'honneur du patron du village.Heratens le Blanc tire de son chalumeaudes trilles et des notes piquées á décon-certer un pinson ; le piston, ápre, détonneen basses rageuses, le martèlement de lacaisse claire se précipite. Le bal se déchaine,ivre, furieux. Affolés par le rythme, lescouples tournoient éperclUment ; les filestrides, allumées, se páment au cou desgal-gons; les mentons lisses se rápent auxmentons rugueux ; les cottes ballonnent,les pieds ne touchent plus la terre, oû lessabots marquent le pas louré. La coursesaccade le rire, il semble aux femelles queleur souffie s'abime et se fonde dansl'haleine forte des máles.

Au contraire de ce qui se passe d'or-dinaire, frénétiques au début, les ébatsperdent peu â peu de leur véhémence. Et,ici encore, se produit un étr ange retourdes choses. L'atmosphére insolite qu on

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LES FUSILLÉS DE MALINES

respire depuis l'autre nuit, altère, déna-ture, transpose, pour ainsi dire, l'allégresseaccoutumée. Ou plutót, on dirait quepatauds et patau des brálent leur plaisir,vivent plus vite, escomptent la sensation ávenir. Pourquoi déjà cette détente qu'ame-nait seulement l'approche de Faube ? Ils nesautent plus aussi lourdement ; pas de cestaquineries, de ces persécutions luronnes,de ces privautés prolongées, intermèdes dela danse, et qui ajournent ou tiennent ensuspens les faveurs dernières. Ce qu'ii y ade grossier etalage, de parade triviale, deveule promiscuité, de dévergondage exté-rieur après les carrousses et les lippées vil-lageoises, se dépose insensiblement, commela lie au fond d'une capiteuse liqueur.L'ivresse des sens, débarrassée de sonlicencieux et brutal cortège, n'en est pour-tant que plus grave et plus impérieuse.Les commères ne s'y trompent pas. Amesure que le jour baisse, que la campagneoctobrale s'embrume, elles se sentent moins,harcelées et pourtant plus sollicitée.s. Lavolupté tragique du sacrifice les gagneinconsciemment. Elles parlent â voix

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LES FUSILLÉS DE MALINES

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basse, ne rient plus, s'apitoient sur elles etsur eux ; elles ont peur, et moins quejamais elles ne songent á se dérober au tropdoux voisinage. Encore une fois, le mystèredu lendemain exaspère la jouissance pré-sente. Le crépuscule tombe navrant et fati-dique. A présent, sous les arbres, il faitpeu près la même lumière que dans réglise,ce matin... Les sauvages instruments setaisent. A quoi bon ce tapage ! On ne dansequ'á peine. Les couples s'écartent peu ápeu. Le vide se fait autour du tilleul

Comme le jour déclinait, que la musiquedu bal tremblotait avant de s'éteindre ainsiqu'un luminaire épuisé, Tistiet l'Oiseleurregagnait, â larges enjambées, les premièresmaisons de Bonheyden rendu â une appa-rente accalmie.

Une ombre adossée au mur lui dit dou-cement : « Bonsoir Tistiet ! »

Ii reconnut Linette, la petite vachère debaes Tuytgen, une sauvageonne de sonáge qu'il « voyait volontiers », tout en lataquinant beaucoup. Un jour il lui offraitun oiselet, le lendemain ii pourchassait sesvaches ou lui fourrait des orties dans le cou.

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8o LES FUSILLÉS DE MALINES

- Bonsoir, Linette ! fit-il, et il poursui-vit son chemin.

Mais elle, l'arrêtant par le brasEntends-tu la musique ? Allons danser

aussi ! Je t'attendais.- s'agit bien de danser. Mes jambes

font d'autre service aujourd'hui! Laisse-moi, je dois voir ton maitre.

— Eh bien, Tistiet, après, il sera tempsencore

Il la repoussa, assez dédaigneux, haus-sant les épaules, sans rien promettre.Arrivé â la Feuille de Trèjle, iJ raconta quedans l'après-midi, après un conseil présidépar Meurice, le commandant franÇais, unporteur de dépêches était filé â bride abat-tue sur Bruxelles.

- Es-tu fatigué ? demanda Guillot aujeune coureur.

- Fatigué ! De Ça?— Retourne lá-bas alors et ne reviens

ici qu'avec des nouvelles fraiches.Quelques minutes après, Tistiet repas-

sait devant la pctite vachère. Croyant qu'ilvenait la prendre, elle l'accosta, sautillanteet joyeuse.

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LES FUSILLÉS DE MALINES 81

— I mpossible, Linette ! Un autre jour situ veux. Quand nous aurons chassé lesFranÇais... Je repars â l'instant même...D'ailleurs, ii n'y a plus personne sous letilleul. Les musiciens sont couchés

- C'est dommage, na !— Quel gros soupir !... Bonsoir Linette !- C'est-il longtemps que tu seras parti ?

Si nous nous embrassions ?- Quelle folie tu fais !Les deux enfants échangèrent une chaste

et franche caresse, la première... La petioteaurait eu envie de recommencer. Ii devi-nait juste, l'Oiseleur ! Elle se sentait latête á l'envers, toute déroutée ce soir.Cette musique, dans le lointain, peut-être?Mais Tistiet avait déjá repris sa course. Adire vrai, un instant trouvant Linette plusá son gotit que jamais, ii aurait bien voulus'attarder auprès d'elle, simple histoire dejouen Mais la chair framboisée de la sau-vageonne ne le retint pas plus que lesfumets du midi dominical. Ii était dit

résisterait â toutes les tentations...Et pourtant, disséminés dans la cam-

pagne complice, cette nuit fatidique tant

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de couples épris vaguent et s'attardentindéfiniment. Ii semble qu'en communiantles paysans se sont approchés d'un sacre-ment nouveau, plus extrême que Fonctionet plus lustral que le baptéme, sacrementqui purifie et qui sublimise tout. En con-versant, les patauds revêtent une indicibleélégance dallures. Leur parole si volon-taire et si farouche ii y a quelques instantsencore, serpente en irrésistibles flexionsqui s'insinuent dans nme et s'inoculentsous la peau. Et, sans qu'ils y fassent allu-sion, méme lorsqu'ils parlent d'autre chose,surtout lorsqu'ils ne parlent pas, le prochedanger nimbe ces fronts halés d'une clartéhéroïque, affine ces visages mafflus, dé-gourdit les membres, équarrit les bustes,fait saillir ces traits et ces formes, palpiterces narines ; la prédestination illumine cesprunelles, oint l'incarnat des lèvres d'unchrême occulte et parfumé. Ainsi qu'unefleur prête â s'effeuiller, comme un fruitmár oscillant á la branche, leur com-plexion menacée semble plus chaude, phisfriande et plus désirable. A la fois ravieset anxieuses, les aimées traversent des alter-

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natives de silences pantelants et d'effusionsorageuses. Au fond de ce sentiment undésir religieux comme l'abnégation et,chez les coquettes, le repentir de leursmanèges taquins et de leurs résistances.Les fiancées, même celles qui n'avouèrentpas encore leur amour, sentent arrivéel'heure des épousailles imminentes. Lemoyen de se dérober â la péremptoire assi-duité de ces élus. L'acte consommé sousla suggestion de cette heure tragique auratoute la vertu du mariage. Et s'i1s nereviennent pas, les séducteurs, leurs aiméesporteront le deuil des veuves, et les bátardsde ces martyrs seront plus glorieux quedes fils légitimes!

Ce soir climatérique, comme aux tempsantédiluviens, les files des hommes purentse croire visitées par les archanges. Et pourbeaucoup de patriotes cette veillée d'armesfut une veillée d'amour !

Vers minuit, l'Oiseleur reparut devantson chef. Cela devenait sérieux : un géné-ral, Béguinot, était entré á onze heures áMalines avec du canon et des troupes de

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Bruxelles. Cela devenait si sérieux queGuillot crut devoir dépêcher sur-le-champun courrier â Duffel. Ii allait envoyer unautre homme en observation á Malines.

- Tu dois avoir faim, soif et sommeil!dit-il affectueusement Assieds-toi, je vais te faire servir â matiger, et tudormiras ici jusqu'au moment de partirensemble.

- Une crotte de pain et je suis « bon »encore pour quatre voyages! fit le coura-geux brunet. Il ne prétendit pas qu'on luidonnát un remplaçant.

En sortant seul du village, pour sontroisième pèlerinage â Malines, il croisadans l' ombre â l'endroit oû il avait ren-contré Linette, un couple d'amoureux,étroitement enlacés. Il se rappela le veloutéde cette joue fraiche et l'indéfinissablefrisson ressenti au contact de ces lèvres« C'est ainsi que j'aurais dii la tenirembrassée ! » songea-t-il avec un commen-cement de contraction du cceur. Jusquiáprésent il ignorait Famour, et s'était moquedes amoureux, leur trouva.nt la mine delunatiques.

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A trois heures, le courrier rev int ducamp de Duffel. En prévision d'une attaqueimminente, Marguerie réclamait Willem laTaupe avec cent hommes de renfort. Aus-sitót le capitaine fit battre et sonner l'assem-blée. Les paysans, équipés et armés á ladiable, s'alignèrent en bon ordre sur laplace. Willem divisa le contingent endeux: confia la réserve á son sous-ordreChiel le Torse et se rendit, en toute dili-gence, avec les autres, á l'appel de Mar-guerie. Chiel avait pour consigne de restersous les armes prêt â donner avec seshommes.

Cette nuit était aussi calme que celle deJa veille avait été tumultueuse. Quelquetemps ceux qui restaient entendirent s'éloi-gner et mourir les pas cadencés des par-tants. Puis un silence absolu plana sur lacampagne. Plus même Faboiement d'unchien ou le craquement c:rune branche sousle poids d'un oiseau. Les hommes, immo-biles dans les rangs, ne se parlaient pas.Ils rongaient leur frein, aspiraient impa-tiemment á Faction, tendaient l'oreille poursurprendre la rumeur révélatrice d'une ba-

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taille. On avait cessé de veiller dans lésfermes et plus une fenètre n'était éclairée.A part ces cent braves, dont la masse noires*étoilait de luisants métalliques, le restedu village dormait.

Après quelques heures de ce silence etde ces ténèbres, le chant réitéré d'un coqdemeura sans écho. Et graduellement,l'opaque obscurité se dissipa.

A présent, les hommes parvenaient â sedévisager dans le jour livide et oblique.Affamés de prouesses, les plus briquetésétaient roses, presque páles. IJs se compre-naient du regard et du bout des lèvres.Leurs yeux battus et cernés brasillaientpourtant comme la vague phosphorescente.

Une moitié de soleil spectral et sanguino-lent émergeait déjá d'un linceul vioiátre,lorsque les paysans perÇurent des battuesde cavalerie. Un moment le bruit parut serapprocher, ils se redressèrent sur leursreins, respirèrent plus librement, pous-sèrent un soupir de satisfaction. Las del'expectativ e et de Fincertitude, ils gril-laient méme de faire la moitié du cheminet de pousser á la rencontre des éclaireurs.

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Mals la galopade s'éloigna en obliquantdans la direction d'Anvers. Allaient-ils semorfondre ici jusqu'à demain? Sans douteon les oubliait et on vaincrait sans eux.Sept heures du matin. Rien encore. Chielle Torse, le plus impétueux peut-être, avaitpeine â les retenir. A la fin Tistiet, qui, nepouvant plus rentrer dans Malines après lecouvre-feu, avait passé la nuit â 1-kierautour des remparts, apporta l'explicationde la chevauchée entendue tout â l'heure

Le général Béguinot était sorti de laville, par la porte d:Anvers, á la tête detoute la garnison, se flattant de surprendreles brigands et de les exterminer dans leurprincipal foyer. Seulement, dans leur pré-cipitation, les FranÇais avaient négligé defermer les portes après eux.

A cette nouvelle, Chiel le Torse bonditde joie, et secouant le messager, de toutesses forces, dentendit plus le reste de son.rapport. 1VIalines, que Marguerie déclaraithier le but principal . de leur campagne,Malines qu'il s'agissait de conquérir auxpatriotes, Malines qu'il aurait fallu assiéger

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avec un millier de soldats et du canon,c'était lui, Chiel, qui allait s'en emparersans coup férir, â la tête de cette poignéed'hommes résolus ! Jamais pareille occa-sion ne se retrouverait. Décidément laProvidence aidait les siens! A conditionde ne point perdre une minute, dans uneheure ils seraient maitres de la place !

D'urgence, le Torse n'attendit pointl'approbation du commandant général etse contenta de lui envoyer avis de l'initia-tive qu'il prenait.

A peine eut-il commandé « marche ! »,que ses hommes fonÇaient en avant enpoussant un sauvage hourrah !

Son contingent était composé pour laplupart de gars de Bonheyden et des vil-lages riverains de la Dyle, même d'au del,dans le Brabant. C'étaient tous gaillardsd'élite, musclés, gigottés, se modelantavantageusement dans leurs frusquesouvriers agricoles, faneurs, gagne-deniers,simples goujats. Le plein jour éclairaitdes visages ambrés, rougeauds, brunis,recuits par les intempéries, gercés á l'évent,

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ou présentant ce luisant de couverte etd'émail, cet incarnat rissolé particulier ál'adolescence des rustauds flamands. Unfleur irrésistible de jeunesse, de santé et debonne conduite illuminait ces physiono-mies á la fois viriles et touchantes ! Leurbataillon formait une masse fauve piedspoudreux, jambes brunes, torses bleuátres,faces épanouies, — au-dessus de laquelleluisardait Farsenal hétéroclite des instru-ments de travail convertis en attirail guer-rier. A eux tous ils possédaient bien dixfusils, pour la plupart hors d'usage, etc'est á peine s'ils emportaient de quoicharger ces armes de rebut. Les mieuxlotis de la bande étaient Chiel le Torse etRik l'Espiègle, tous deux armés d'unefaÇon de canardière.

Le petit Tistiet, le pupille, ne trahissaitpas encore la moindre fatigue après cesallées et venues, ii paraissait même pluséveillé, plus alerte que jamais, quoique sescourses multipliées eussent mis ses petonsen sang. Ii marchait en tête, portant undrapeau taillé dans un rideau rouge de laferme Tuytgen, sur lequel se détachait, en

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lettres de carton doré, la devise du laba-rum: In hoc signo vinces, et auquel sonbáton armé du coutre servait de hampe.

Heratens, le joueur de fifre, venaitensuite, apparié â un apprenti maçon, bat-tant la caisse. Quant au piston, qui avaittenu la troisième partie dans le trio instru-mental accompagnant les loures et lesbourrées de la veille, ii appartenait audétachement de Willem la Taupe.

Les autres emboitaient le pas, en colonne,quatre sur chaque rang. Une sarbacane secognait contre une fourche. Des carquoisde fer blanc peint en vert, heurtaient lesfourreaux veufs de leurs sabres. Les ter-rassiers, couleur de glèbe et de feuillemorte givrée, portaient des pioches et desmaillets. Un gindre avait les bras nus,comme s'il allait triturer la páte dans lamaie. Le bissac et la gourde des manoeuvresqui se rendent en journée leur battaient lesfesses. Et â leur mine radieuse, presquedébonnaire, guillerette, on les aurait prispour une coterie de travailleurs matineuxqui se hátent de gagner le chantier au pre-mier coup de cloche, et non pour des

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jacques et des bagaudes montant á la con-quête d'une cité. De temps en temps lamusique sommaire entamait des marchessautillantes et pastorales, plutót enfantinesque belliqueuses. Pour suppléer â ce grêlegaloubet et á cet anodin tam-tam, lespatauds entonnaient â Funisson une chan-son du Schalk. Ou bien ils causaient etriaient aux éclats, comme d'ébaudis fami-liers de kermesses se racontant leurs esca-pades et leurs bonnes fortunes. A de courtsintervalles ils devenaient subitement graveset taciturnes, détournaient la tête, se mou-chaient bruyamment dans leurs doigts etse frottaient les yeux : de la poussière lesavait aveuglés, ou une mouche importuneleur bourdonnait aux oreilles. « Que peutfaire notre Tony â présent ? » disait l'Oise-leur á Chiel le Torse, mais ii pensait encoreplus â Linette.

Leur peloton grossissait â chaque croi-sée de chemin. Ces recrues de la dernièreheure étaient parties le dimanche de bour-gades lointaines, jusque de la banlieue deBruxelles et de Louvain, sans se préoccu-

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per de la longueur des étapes, guidées seu-lement par les appels des cloches, accour-cissant â travers les labours et les páturages,dérobant leur pérégrination suspecte auxtraqueurs franÇaisils s'agenouillaient pieu-sement au pied des colonnes crucifères etdevant les madones de plátre appendues,dans une caisse vitrée, aux plus beauxarbres. Agréés sans formalités par Chic',après un sincère vivat de bienvenue, cesnouveaux alliés prenaient la file. Beaucoupavaient longe des chemins fácheux, traverséles prairies inondées de la Senne et duDémer ; la boue les éclaboussait jusqu'á lacroupe, leurs sabots étaient restés dans lavase. Habitués, comme l'Oiseleur, á courirpieds nus, dès leur enfance, ii y en avaitqui, s'étant chaussés pour faire honneur ála bonne cause, finissaient par attacherleurs souliers au bout de leur báton depèlerin.

Au seuil des chaumes isolés, femmes,infirmes, vieillards, empêchés de se joindre

la caravane, acclamaient ces soldats ensarrau et leur souhaitaient bonne chance« Ons jongens .ullen wel winnen! Nos gar-

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Çons l'emporteront bien ! » répétaient-ilsavec une certitude prophétique. Un bar-rager refusa de les laisser passer avantqu'ils eussent mis deux tonneaux á sec.

Le guilleri des moineaux leur inspiraitconfiance dans l'issue de leur coup demain. Par contre, une compagnie de cor-beaux s'étant avisés de voleter en croas-sant au-dessus de leur colonne, á coups depierre Rik Schalenberg dispersa ces fácheuxaugures.

L'air gris était tissé de minces filandres.Les nues opalines cardées par le ventd'ouest finirent par se résoudre en unepluie fine et insidieuse qui perÇait leurdéfroque : mais leur enthousiasme étaitbien á l'épreuve de cette humidité.

Depuis longtemps, ils avaient beau seretourner, ceux de Bonheyden n'aperce-vaient plus numble tour natale. Le massifet trapu beffroi de Saint-Rombaut, carrécomme un monolithe, leur montrait le butde plus en plus proche. A un quart d'heurede la ville, Chiel commanda : « Halte ! »pour leur permettre de se rajuster, de rec-tifier leur équipement, de porter d'une

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manière uniforme leurs armes disparates,ear ii s'agissait d'inspirer confiance etrespect aux citadins. Lorsqu'on se remiten route, Chiel leur imposa silence et lesfit marcher au pas.

Ils avaient détourné par Rymenam, puisMuysen, pour mieux dépister les ennemis.Au moment oii Tistiet l'Oiseleur, agitantglorieusement sa bannière, enfilait la portede Louvain, les premiers rangs d'uneautre bande de ruraux, venus de Hombeek,de Sennegat et des confins de la Flandre,s'engagaient par la porte de Bruxelles.

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TROISIÈME ÉTAPE

A Malines.

Ce qui détermina Fabrice á rester, c'est que leshussards, ses nouveaux camara les lui faisaientbonne mie; ii commengait á se croire l'ami intimede tous les soldats avec lesquels il galopait depuisquelques heures. Il voyait entre eux et lui cettenoble amitié des héros du Tasse et de l'Arioste

II détaisait un á un tous ses beaux réves d'amitiéchevaleresque et sublime comme celle des héros dela Jérusalem délivrée. Voir arriver la mort n'étaitrien entouré d'ámes héroïques et tendres, de noblesamis qui vous serrent la main au moment du der-nier soupir; mais garder son enthousiasme, entouréde vils fripons I! !

(DE STENDHAL, la Chartreuse de Parme.)

Malines embéguiné dans révaporationgrise et lourde de la Dyle et de ses canaux,dormait encore d'un sommeil torpide. Il ne

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se trouva personne pour disputer le pas-sage aux visiteurs matineux.

mesure qu'ils défilaient sur le pont debois, la trépidation que causaient leurspieds, leur paraiésait presque une irrévé-rence. 11 y en eut qui marchèrent sur lapointe des orteils comme dans un dortoird'hópital. De Fautre cóté .de la poterne lespremières files s'arrêtèrent , hésitantes ,déconcertées par cette paresse. Un doigt surla bouche, ceux de la tète s'interrogèrentdu regard pour savoir sils avanceraient,tant cette extrême sécurité leur paraissaitsuspecte et mensongère.

Sur le point de franchir le seuil de lacité, l'Oiseleur lui-méme demeurait surplace, regardant devant lui, se prolonger lagrand'rue léthargique, presque reptilienne.Ainsi, dun regard déjá troublé par le ver-tige, le désespéré embrasse l'étendue etsonde la profondeur dun abime. Il lui sem-blait que derrière lui quelqu'un le retenaitpar un pan de la blouse.

Le Torse cria: « En avant ! » et cette voixloyale rompit le charme. Poussés et talon-nés par la masse, les chefs de files dépassè-

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rent résolument la vot\te sombre. Coudesau corps, relevant d'une saccade des reinset des jarrets, l'éten dard dont il serrait lahampe contre sa poitrine, Tistiet repartitlarges enjambées, tandis que le Blanc et legácheur de plátre attaquaient la marchedes anciens patriotes de Van der Noot.

A cette dissonnante aubade des portesbáillèrent avec des grincements de gonds,les façades jaunes et ridées écarquillèrentleurs fenétres palpébrées de persiennes et dejalousies, des volets s'étirèrent et derrièrela cornée vitreuse des carreaux, parurent,en guise de prunelles, des têtes rondes,bouffies, hydropiques.

Une relative conscience se déméla labo-rieusement, sous les espèces d'une curiositéhargneuse, dans ces masques effarés. Lesmaisonnées se montrèrent sur le pas desportes. Matrones en saindoux, hommescaséeux, marmaille mucilagineuse, assistè-rent á la procession avec une sorte deméfiance mélée de goguenardise, sansmanifester leur pensée autrement quepar des moues, des sourcillements et dessourires. Ils comprenaient á la longue ce

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que venaient faire chez eux de si grandmatin, ces rustauds de leur banlieue, maisdès l'instant qu'ils comprirent, ijs décidè -rent du même coup d'affecter non seule-ment l'indifférence, mais la plus profondeinertie. Race éduquée ijs ne pouvaient rienavoir de commun avec ces intrus, avec cespagnotes débraillés qu'ils dévisageaientcomme des bêtes curieuses. Les plus hardisavec des chuchotements, des rires malétouffés, se désignaient dans le cortège Funou Fautre va-nu-pieds, cheminant les mainsvides ou armé, tout au plus, d'une gauletaillée en chemin.

— Más c'est le dénicheur d'oiseaux !s'exclama, â la vue de Tistict, une mar-chande de moes et de pains d'épices...Le joli porte-drapeau, ma foi ! C'est le casde dire : Tant vaut l'enseigne, tant vaut laconfrérie.

Sans se laisser rebuter par ces minesdégditées, ces regards qui les déshabillaient,ces narines scandalisées, Tistiet et ses com-pagnons agitaient leur drapeau, brandis-saient leurs casquettes au bout de leursarmes ou clç leurs outils, poussaient des

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cris: Leven de patriotten! Weg met deFranschen! s'efforÇaient de se concilier cesspectateurs, se donnaient pour leurs alliés,leurs milices secourables, tournaient verseux leurs francs et radieux visages, siloyaux, si affectifs, les saluaient de leursvoix máles, tentaient de leur réchaufferráme â la flamme généreuse de leurs pru-nelles !

Efforts stériles ! IJs eussent plus facile-ment fait lever des épis dans la neige. Pasun regard, pas un geste ne répondit â leursavances, pas une main ne s'ouvrit auxleurs, aucune bouche ne leur souhaita labienvenue, nul ne fit un pas pour entrerdans leurs rangs et leurs acclamations nerencontrèrent aucun écho.

Avec des gloussem.ents de poule crai-gnant pour ses poussins, les femmes rete-naient l'un ou l'autre bambin plus commu-nicatif qui, séduit par ces mines ouvertes,aurait voulu danser devant la troupe. Lestsiganes, voleurs d'enfants, n'auraient pasinspiré plus de terreurs â ces bourgeoises.

Les moins prévenus, les moins bouchéséprouvaient pour ces gueux enthousiastes

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l'égoïste et rationnelle pitié des docteurspour les illuminés et les apótres. Pas souventque ces citadins établis, ces boutiquiers, cesfonctionnaires, ces bourgeois mitonnantdans leur bien-être, pactiseraient avec cesmeurt- de-faim, ces brálots, ces pouilleuxqui ne risquaient d'autre enjeu dans lapartie qu'une existence précaire et que desjours sans pain ! Respectueux du faitaccompli, las des aventures, ils estimaientque, régime pour régime, puisqu'il fallaitdes maîtres autant valait subir des tyrans apeu pres repus, que payer de nouvellescontributions de guerre á des libérateursfaméliques et héberger ces pieds poudreux.

Ii flottait dans cet air de la ville desmiasmes de lácheté et de compromission.

Et aussi convaincus qu'ils fussent del'excellence de leur cause, cette hostilitéambiante, cette attitude rétractile de lapopulation ne laissait pas d'énerver cesbraves et ferventes ámes. IJs n'avaient pointprévu pareil accueil. Ah! leurs cris patrio-tiques résonnaient autrement, hier, auvillage, sous les voátes de l'église, auxtablées du cabaret, autour du tilleul, sur le

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LES FUSILLÉS DE MALINES

parvis. Et le navrement du soir amoureuxles avait doucement étreints, mais sans lesglacer. A présent ils se montaient un peule coup. Leurs poumons se dilataient aveceffort. Une vertu maligne assourdissait letimbre vibrant de leurs voix ! Un froidfunèbre leur pénétrait Fáme. Et cette brus-que dépression de la température moraleles faisait vaguement douter d'eux-mêmesgiffon de leur devoir.

Más il s'agissait de réagir. Un de cesdomons qui possèdent les villes, venait lestenter. Sans se rendre exactement comptede ce qui se tramait d'occulte et de malé-fique autour de leur entreprise, ils sesignèrent, et leur foi triompha des fluidesdélétères.

Aussitôt après, l'appoint de quelquesgens du peuple, débardeurs, bateliers, mar-chands de moules, garçons poissonniers,les réconcilia avec Malines.

Conjonction plus réparatrice encoreAyant pris par la rue Notre - Dame crlians-wyck, la rue, d'Or et les Bailles de Fer,au moment de déboucher sur la Grand'-

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102 LES FUSILLÉS DE MALINES

Place, au tournant de la Halle aux Poissons,devant la cathédrale, ils. rencontrent lacolonne venue du Petit-Brabant et desFlandres. Impossible de se méprendre surles sentiments de ceux-ci! Ils portent lesmêmes blouses, les mêmes armes précaires,poussent des vivats dans la même lang-uebarbare et crune voix tout aussi fruste !Dès qu'elles se sont aperques, les deuxbandes courent Fune vers l'autre, fraterni-sent, se fusionnent de manière â n'en for-mer qu'une seule. A la bonne heure! Rienn'entamera plus leur confiance á présent.

Tandis qu'ils se réjouissent de leurréunion et lient, le demi-litre en main,plus amplement connaissance, surviennentquinze artilleurs et une dizaine de gen-darmes franÇais que Béguinot a laissés pourgarder la place. Aussitót les rangs se refor-ment, on se prépare recevoir honorable-ment ces indiscrets.

---En joue, camarades ! commande Chiel,reconnu aussi pour chef par les ruraux duPetit-Brabant.

Devant cet imposant effectif, et ignorant

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que la plupart des fusils qui les ajustent nesont pas chargés ou sont hors d'usage, lessoldats lèvent la crosse en Fair, demandantá se rendre. On les désarme et on les faitprisonniers, mais, loin de les maltraiter,les paysans, enchantés de ce premier avan-tage remporté sans effusion de sang, témoi-gnent aux FranÇais des égards presqueaffectueux. Ces militaires 1-rguliers, les pre-miers qu'ils rencontrent, leur inspirent uncertain respect et plus d'un adolescentdépenaillé, ouvrant de grands yeux, ja-louse les éclatants uniformes, tout en semoquant des grandes bottes, des mousta-ches terribles, des chevelures pendantes deces soudards. IVIoitié narquois, moitié défé-rent, Rik le Schalk s'excuse de devoir lesreconduire sous bonne garde dans leurspropres quartiers. En chemin, bara-gouine quelques mots de franÇais qu'i1leur entend échanger et s'efforsce de lesinitier â la prononciation du flamand.

y a moyen de s'entendre avecdes soldats ; Rik et les siens n'useraient pasde pareils ménagements â l'égard de sans-culottes et de motionnaires.

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Jusqu'à présent, le succès est une liqueurgénéreuse qui les grise agréablement, lesincline â la conciliation et â la réjouissance.La conduite de ces paysans rappelle davan-tage celle d'écoliers indisciplinés qui s'amu-sent aux dépens des cuistres et des porte-férule, que celle de rebelles décidés â envenir aux extrémités.

Ils en veulent â la Terreur avant de s'enprendre aux FranÇais, et songent plutót ásecouer l'oppression qu'à se venger desoppresseurs. A chaque occasion se mani-feste leur véritable sentiment. Il y a uninstant, ils épargnèrent leurs prisonniers,voilà qu'ils se jettent avec la furie detaureaux qui ont vu rouge, sur l'arbre dela Liberté érigé sur la place. Ils l'attaquent,

la fois par le fer et par le feu, le ligotentá grand renfort de cábles, j ouent de la hacheet de la cognée, mais en viennent moinsfacilement â bout que du maigre soliveaude Bonheyden. Quel concert de malédic-tions et de huées vengeresses, lorsque, sciéá la base, le hare récalcitrant vient s'abat-tre sur la place au risque d'écraser ses

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bíicherons ! La clameur est tellement féroce,que les riverains qui assistaient, de leurporte, aux progrès de l'exécution, rentrentprécipitamment dans leurs masures, croyantcet attentat le prélude de leur propre sup-plice.

L'arbre couché par terre, les exécuteurss'y attellent â dix, á vingt, â cinquante, eten ahanant, avec des coups de rein, par-viennent â émouvoir la lourde masse et latrainent trois fois â leur remorque autourde la Grand'Place. Ensuite, ils fendentl'arbre en pièces, enduisent ce bois vert depoix et de térébenthine, requises chez undroguiste, et en font un vaste feu de joieautour duquel ils fringuent et se dégin-gandent furieusement, comme la veille, auvillage.

Si leur première rencontre avec les Fran-Çais a bien tourné, c'est gráce á leur aplombet á leur sangfroid, car sinon, armés d'unefaÇon aussi pitoyable, malgré leur fortesupériorité numérique, la capture de cesquelques soldats exercés et pourvus dunécessaire leur ett co-áté autrement de

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besogne, et peut-être quelques chrétiens deJa bande. Chiel le Torse songe â remédierau plus vite â ces conditions déplorables etse fait conduire, Par une de leurs recruesmalinoises, avec une fraction de son clan,au magasin â poudre et á l'arsenal desFranÇais, situés au dehors de la Porte deDiest.

Ces magasins , sommaires baraques ,étaient établis dans un petit fortin entouréde palissades et de fossés. Un seul faction-naire en avait la garde. En un tour demain, les gaillards, déjà dressés â cetexercice, désarmèrent gentiment cette sen-tinelle et la confièrent avec délicatesseun trio capable de lui inspirer le respect.Puis , ils enfoncèrent la porte, firent irrup-tion dans l'entrepót, éventrèrent caques,barils, boites â cartouches ; firent s'écroulerdes piles de boulets, et remplirent de pou-dre, de pulvérin, de relien, de balles, decartouches, de mitraille, de tout ce qu'ilsempoignaient et palpaient, leurs poches,leurs goussets, leurs bissacs, et jusqu'auxcoiffes de leurs feutres. D'aucuns conver-tissaient en flasques et en fourniments, les

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vessies. de porc, contenant leur tabac, etjusqu'á leurs bas. IJs se fourrèrent mêmede la poudre au fond de leurs chaussures,sous la plante des pieds. Tous ces pillardssavaient-ils seulement la terrible propriétéde cette sournoise poussière noire qu'ilsmanipulaient plus cavalièrernent que lesmeuniers leur blanche farine?

— Sainte-Marie! On n'y voit goutte danscette bauge! fit un gars de Rymenam,Jacques Villeux, et il se mettait tout bon-nement en devoir de battre le briquet.Chiel, avec un juron terrible, lui, qui nesacrait jamais, n'eut que le temps de saisirle bras du téméraire et le lui broya telle-ment que l'autre Mcha la pierre. Autrement,tous sautaient. Lingénu, un gaillard peucommode, digne de se mesurer avec leTorse, se cabra et demanda raison de cetteviolence. Edifié sur son imprudence,n insista pas.

Après cette émotion, Chiel s'empressade ramener au plein jour, ses auxiliairespar trop novices.

Entretemps Rik Schalenberg entraine9.

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un autre détachement au pas de course,vers la prison oû sont détenus des prètresinsermentés et des gentilhommes. Pour sefaire ouvrir les portes des cachots ils sontobligés de recourir â la menace et desecouer d'une manière significative le géó-lier Verhuist.

A l'aspect de ces hommes misérablementvétus, á leur abord brusque, â leurs faÇonsáprement franches, aux formules un peucrues de leur langage, au timbre rèche deleur voix, ceux qu'ils viennent délivrer,gent policée et délicate, se reculent aveceffroi dans le fond de leur cellule et pren-nent leurs libérateurs pour les valets desbourreaux.

Les éclats de voix et la débauche desgestes les rassurent imparfaitement sur lamission de ces prétendus amis, et refusantde croire aux sublimes intentions animantces infimes, les prisonniers se cramponnentdésespérément â leurs barreaux. Au pointque pour gagner du temps les paysans serésignent á brusquer leurs gracieux cháte-lains et pasteurs. Avec un comique et tou-chant mélange de crainte révérentielle et de

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familiarité brutale, l'action expéditive con-trastant avec la physionomie penaude, Rikl'Espiègle et ses aides chargent sur leursépaules et déposent dans la rue, malgréleurs protestations, une légion d'otages etde proscrits : prêtres insermentés attendantleur déportation aux iles de Rhé et d'Olé-ron ou á Cayenne, gentilshommes, noblesdames, patriciens, banquiers, répondantsur leur fortune et méme sur leur tête de lasoumission de quelque jeune héritier réfrac-

.tal re.

Reconnaissant leur méprise, les aristo-crates remercient leurs sauveurs, maiss'en faut qu'ils manifestent leur gratitudeavec autant d'ardeur que ces humblesenvoyés de la Providence en témoignèrent

les extraire de leur prison. Quelle circon-spection, quels termes mesurés, quel ton decondescendance ces gens de qualité em-ploient pour reconnaitre le capital serviceque ces manants leur rendent sans bargui-gner !

— Et vous étes partis ce matin de votrevillage ?... Et vous n'étiez que cent pourrisquer ce coup ! Et vous croyez l'emporter

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définitivement? C'est bien, c'est dignecela !

Ils accordent une approbation platoniqueá ces obscurs champions du droit ; parlenten étrangers, en simples témoins des chances

entreprise qui devrait leur tenirétroitement au cceur.

Pas de danger que ceux-ci se passion-neut, gesticulent et élèv ent trop la voix !Maints de ces hobereaux et de ces digni-taires, encore fort valides, pourraient sejoindre â ces porte-blaude ou s'acquitterenvers eux en leur dépêchant pour les com-mander le réfractaire de qualité qui a misentre les enróleurs et lui la frontière d'Alle-magne ou la mer du Nord. Mais quel pré-jugé, quel sot orgueil les en dissuade? Lepeu qu'ils entendent de 1. organisation etdes ressources des insurgés n'inspire pasplus de confiance á ces nobles qu.aux bour-geois. Ils jugent la cause perdue oravance.Après quelques bons conseils, quelquesencouragements., quelques souhaits for-mulés du bout des lèvres, une négligentepoignée de main, abbés et gentilshommesse détachent de ce rassemblement servile

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et se hátent de rejoindre les nobles damesqui se tenaient â l'écart. Galants cavaliers,courtisans ayant l'usage du monde et dessalons â la franÇaise, avec quelle aisance ilsoffrent le bras â leurs compagnes de capti-vité! Ils s'éloignent par couples irrépro-chables, mais après quelques pas, les mar-quises daignent se rappeler la présence desrustres qui les suivent des yeux, se retour-nent négligemment, et, par dessus l'épaule,gratifient d'un sourire approbateur et d'uneimperceptible flexion de tête, ces bravesvilains pantelants, émus, encore essouffléspar leur équipée, mais se sentant la voca-tion des chevaliers d'autrefois, débordantde la joie héroïque des paladins !

Ils ne demandaient rien en retour de leurcordiale action : une poignée de main, unsourire et surtout l'approbation de leurconscience les paie et largement! Mais,c'est égal, ils trouvent tout de même leursobligés bien pressés de partir. Dans le tré-fond de leur áme inculte mais si probe,si droite, une fibrile s'est contractée pourtoujours

Et lorsque les prisonniers de droit com-

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mun, larrons, truands, mauvais sujetsqu'ils ont reláchés péle-mèle avec les aristo-crates et auxquels ils ne prenaient plusgarde; lorsque ces sacripants, fatigués deróder autour d'eux, se décident les abor-der, et, pour prouver leur reconnaissance,leur demandent en gráce d'un ton humble,contrit, en balbutiant, Fair dun chienbattu, á servir la sainte cause patriale, RikSchalenberg, le joyeux Rik, s'exclameavec une gaieté un peu forcée, un peurogue : « Topez-là, et soyez des nótres. Aumoins, ces paroissiens-ci ne rougiront pasde leurs nouveaux camarades ! »

La prison vidée, la petite troupe duSchalk et leurs nouveaux alliés, tombentsur Heratens qui, á la tête d.'une autreéquipe, assaillit llótel de ville. Après despourparlers sans résultat et une résistancedérisoire opposée par quelques zélateursmunicipaux, nos gaillards gravissent lesescaliers quatre â quatre, se déchainentdans les couloirs, enfoncent et battent desportes, pénètrent avec la violence de pro-jectiles dans les bureaux abandonnés. 1,á,

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ils font main basse indifféremment sur tousles livres qui leur tombent sous la main,balaient les tables, basculent et culbutentles bibliothèques, crochètent les cadenasdes coffres, fracturent tiroirs et layettes,fourragent et fouillent dans les dossiers,et soulèvent par leur pantomime effrénée,une trombe de poussière aussi suffocanteque séculaire. En consommant l'anéantis-sement complet des documents de Fétat-civil, ils se flattent d'empêcher, pour jamais,la confection des róles de miliciens ; etcomme le triage prendrait trop de temps,ils procèdent â la destruction, en bloc, desarchives quelles qu'elles soient, sans envérifier le contenu. De plus, incommodéspar l'obscurité, l'exiguit et la poussièredes bureaux, ils ouvrent les fenétres ; puis,afin d'aller plus vite en besogne, ils netrouvent rien de mieux que de jeter áleurs camarades stationnant dans la rue,lesrayons depaperasses et d'imprimés qu'ilsn'ont pas le loisir de déchirer eux-mêmes.Etats, fastes, contróles, matrices, lourds in-folio, piles de registres, s'écroulent et s'abat-tent dans le tas et menacent de défendre chè-

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rement leur existence , en lapidant etdécimant leurs impitoyables destructeurs.

Ceux de Fintérieur font pleuvoir sanscesse sur le pavé des liasses de parchemins,de grimoires, de formules, et vident sur latéte des agités du dehors, le contenu decentaines de cartons et de casiers. Ilsparlent de faire prendre le chemin de sesrefuges á souris â un greffier moins accom-modant que ses collègues, mais, devantleur air déterminé, le bonhomme file douxet Malines n'aura pas de « défénestration »

opposer â celle de Prague.En bas, au pied de l'édifice, les mains

levées, moins pour attraper les bouquinsque pour s'épargner des bosses, le popu-laire frondeur s'acharne sur ces tomesjaunes et moisis, qui lui représentent dessiècles de vexations et de chicanes. On tire

quatre, on écartèle les plus solidementreliés. Et lorsqu'ils dont pas assez de leursdoigts pour les mettre en pièces, les ga-mins, que ce jeu amuse entre tous, leslacèrent á coups de dents.

En moins de dix minutes, le sac desbureaux de l'etat-civil est terminé.

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Les soulevés se sont procuré de lapoudre ; ils ont élargi les otages et paralyséla conscription, il leur reste â se pourvoirde finances.

Poussant du collier, du poitrail, de lacroupe, des genoux, de tous les membres,se relayant sans cesse, la horde entièretrimbale un canon qu'une de leurs bandesa fait rouler du haut des remparts, versl'impasse des Récollets, non loin de la mé-tropolitaine, au fond de laquelle est instal-lée la recette des contributions. Edifiéspour servir de maison-mère aux Récollets,ces bátiments gardent de leur ancienneaffectation une porte massive condamnantl'entrée du cul-de-sac, une de ces portesabbatiales, á l'épreuve des béliers et descatapultes, qu'i1 s'agira d'enfoncer â coupsde canon. Mais pointant la pièce devantl'obstacle et s'apprétant â la charger, lescanonniers novices constatent, á leur pro-fonde mortification, qu'elle a été enclouée.

Il leur faut pénétrer pourtant, coûte quecoiite, dans la trésorerie publique, car,ainsi que Marguerie le proclamait diman-che â Bonheyden, s'ils respectent la pro-

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priété privée, ils feront rendre gorge auxconcussionnaires officiels. Ils se morfon-draient peut-être longtemps á cette place sice dégourdi de Schalk, décidétnent plusingénieux que tous ces pálots réunis,mesurant dun coup d'ceil la hauteur de laporte et de la maÇonnerie dans laquelleelle s'encadrait, ne se fiit écrié : « Mais riende plus simple que de nous introduire dansla cage ! Vous allez voir ! Allons, cinqhommes de bonne volonté, pour faire lacourte échelle á Tistiet, qui s'engage —n'est-ce pas l'Oiseleur ? — â nous ouvrir laporte quand il sera passé de l'autre cóté. »

Voilà les cinq auxiliaires demandés.Chiel le Torse se plaÇant á combreselle,

son lieutenant Heratens, avant de montersur ses épaules, profite de cette posturefavorable pour lui appliquer sur les fessesune claque retentissante. Chargé du Blanc,le Torse s'arcboute, les jambes un peuécartées, et les poings sur les hanches, seredresse lentement, de manière á servir desoubassement á rédifice en construction.Gilles Bull, un polderien trapu et rebondide Sennegat, s'aide comme marche-pied

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des mains rapprochées et de la muscula-ture saillante du Torse et du Blanc pour secaler sur les épaules de celui-ci et luiprendre le cou entre les talons. Gest,ensuite, au tour d'un aide-batelier de laDyle, Michel De Golder, ancien mousse aulong cours, qui opère l'ascension de sestrois camarades superposés comme s'ilgrimpait á la gabie. Alors le Schalk, enpersonne , gravit l'échafaudage charnuadossé au pied-droit de la porte, et, lousticincorrigible, s'amuse même en route â tirer

Je nez des atlas que son poids fait grimacer.Rik le Blanc renácle, l'effort et la tensionarrachent des bruits insolites au gros GillesBull et au nerveux De Golder, le Schalkpouffe tellement de rire qu'il fait chorusavec ces personnages flatueux, tandis quedes fondations de cette tour pantelante etorageuse montent par Ia -voix de Chiel, desadjurations pitoyables : « Vite Tistiet !Pa-uvre moil Aïe ! Dépêche ou je croule !Gráce ! »

Enfin, avec une élasticité féline,leur se guinde de palettes en palettes,.

jusqu'á l'étage supérieur. Más là, instigué

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par le Schalk, avant de lácher le dernierpoint d'appui que celui-ci lui offre, Tistietrepousse malicieusement, nerveuseruade, le gaillard du sommet, et patatra !la masse recrue, essouffiée, suant â grossesgouttes, s'effondre, les uns par dessus lesautres, et c'est devant la porte un culbutisde grenouillante chair humaine, un caram-bolage de têtes et de fesses, des ricochetsde nez et de culasses, des caboches prisesentre des cuisses comme dans un casse-noix, des lèvres bouquant ce que les sor-ciers s'embrassent á la Messe-Noire, unenchevêtrement de jambes et de bras, unebarricade de tronÇons vivants cherchant áse déblayer de cette collectivité incohé-rente et á recouvrer leurs fonctions in divi-duelles, un patrouillage féroce que Tistiet,á califourchon sur le fronton de la porte,salue dun rire de kobold égrillard !

Puis, hop ! l'Oiseleur saute d'un élandans la ruelle et avant que ses aides sesoient ramassés, ii retombe sur ses pattes,fait jo uer les verrous et tire les battants dela porte.

Avec l'impétuosité des eaux dun canal

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se précipitant entre les van nes qui s'entr-ou-vrent, la foule déferle dans les bátimentsconventuels, ratisse, bouleverse, fracture lemobilier, se livre á un nouveau carnage depaperasses, mais n'agrippe et ne ráfle qu'unedérisoire quantité de numéraire ou mêmede ces assignats tant depréciés, connus dupeuple sous le nom de « pampière d'ar-gent ».

Aussitót que les bourgeois apprennentle pillage de la recette, leur cupidité l'em-portant sur leur couardise, ils jugent l'oc-casion excellente de rentrer dans la posses-sion des sommes versées. Mais les paysansdont pas attendu leur arrivée pour nettoyerla caisse, et ils s'en reviennent de la recette,en affectant de s'être rempli les goussets,ou jonglent ostensiblement avec les florinset les jaunets. Les contribuables entourentles picorcurs et réclament une part, aumoins, du butin. C'est, en somme, leurargent, leur bel argent dont les rurauxs'accaparent ; du moment que les exacteursrévolutionnaires Font perdu, il faut qu'i1retourne á ses anciens détenteurs. Avec descriailleries, des tremblantes mains d'usu-

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riers, ils s'acharnent sur les pas des ruraux,s'accrochent â leurs blaudes, s'enhardis-sent même jusqu'à les fouiller, deviennentpresque agressifs ! Les lurons opposentune attitude railleuse et ironiquement com-plaisante á ces fallacieuses exigences, et nerepoussent d'un geste péremptoire les im-portuns, que lorsque leurs obsessionsdeviennent par trop irritantes. En ce mo-ment ces bourgeois évoquent un avortonessayant d'écarter de ses doigts débiles lesmáchoires d'un molosse pour lui reprendreun os â moelle. Le bon cjogue dédaignelui happer les phalanges et se bornel'avertir d'un grognement comminatoiresi le quidam dépasse les limites,

D'autres, plus avisés, apprenant le mai-gre butin ramassé par les paysans auxRecollets, se sont rendus directement â ladistillerie du receveur Van den Berg, siseau Casque Rouge, Marché au Bétail, pourlui réclamer leurs contributions. Avec lefonctionnaire, ces gens d'ordre se montrentplus arrogants, se comportent en tranche-montagne, singent méme les faÇons rogueset expéditives des ruraux. Si bien que

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devant la métamorphose de cette gent pla-cide et moutonnière en avaleurs de char-rettes ferrées, le receveur ahuri leur délivreles contributions encaissées. Et plus tardon imputera ces extorsions considérablesaux bandes rurales.

Pendant que les blousiers se partagentles quelques maigres cent francs trouvésla Recette, un chasseur franÇais, dépêchéen estafette par Béguinot, rentre â chevalpar la porte de Louvain et, ne remarquantrien d'anormal sur son passage, car tout lemouvement converge au cceur de la ville,trotte sans méfiance jusqu'à la Grand'-Place, oU se tient le marché.

Más ce dest pourtant pas jour demarche! se dit le cavalier en trouvant lecentre du pavé occupé par un fort rassem-blement de campagnards. A mesure qu'ilapproche, ii constate Fabsence des carriolesmaraichères â báches blanches ou despetites charrettes de laitier alignées généra-lement aux quatre cótés de la place. Pasun bidet broyant le picotin dans les man-geoires devant les hótelleries, pas mémeun chien de trait lapant la potée d'eau

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froide péniblement gagnée. Les véhiculesont peut-être été garés et les bêtes mises ál'écurie? Mais oá, diable, alors, les campa-gnards cachent-ils leurs paniers de légu-mes, leurs jarres de cuivre, leurs mottes debeurre. Auraient-ils déjà vendu toutesleurs provisions ? Il faut le croire, car plusune feuille de chou ou une botte de ca-rottes ne traine sur le carreau et les mar-chandeuses ont cessé crénerver les vendeurspar leurs dépréciations des lots de mauvaisedéfaite. Que restent fagoter alors cespacants ? Autre bizarrerie : on ne voit queblouses et souquenilles. Ni cottes, ni bon-nets blancs. Que deviennent les contadines?De plus, depuis qu'il garnisonne dans cepays, jamais le soldat n'a remarqué chezces villageois allures aussi dégagées.proviennent ces mines échauffées, cettedébauche de gestes, cette loquacité intern-pestive ? Leurs gourdins jettent des lueursétranges. On dirait des fourches, des faulx!A quoi ces outils leur serviraient-ils bien ála ville ? Voilà qu'i1 distingue des fusilsprésent... Mais alors, ce qu'il prenait pourun marché est une chouannerie !...

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Au moment même dl le soldat vient de sereconnaitre, sa présence a été signalée et lescollo ques s'interrompent. Les blousiers in-terpellent le survenant et le menacent de leursarmes. Plusieurs foncent á sa rencontrepour se jeter â la tête de son cheval ou pourle désarÇonner. Ii y en a qui épaulent ens'excitant mutuellement á tirer. Mais encoreune fois chacun hésite descendre ce sol-dat isolé. 11 a mine si martiale, il est sicránement ficelé dans son uniforme cha-toyant! Conscient de 1* attention flatteusequ'il suscite parmi ces brigands, le Fran-Çais entretient encore en faisant piaffer etvirevolter sa monture, puis après avoiramusé leur curiosité et de crainte qu'á lalongue ils ne se résolvent á le tirer commeun gibier sans conséquence, ii tourne brus-quement bride et détale au grandissimegalop. Alors seulement nos béats se déci-dent á faire feu, mais sans application,sans humeur, plutót par acquit de con-science et pour la forme, histoire des'amuser, de donner la frousse au beausoldat et de le voir déguerpir au plus vite.Quelques-uns le • ménagent au point de

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tirer en Fair. Et le chasseur a tournédepuis longtemps le coin de rue que desfusils continuent á partir. Seul le bruit deces détonations, véritables salves d'hon-neur, lui parvient, tandis qu'il regagne leschamps par la porte de Diest.

Si les paysans répugnent au meurtre etá des attentats contre les particuliers, pareilsscrupules n'arrétent pas une certaine caté-gorie de perturbateurs, populace louche,racaille intestine, pouacres vicieux, tourbeinfáme, que 1- agitation a fait remontercomme une lie â la surface, et qui comp-tent profiter du soulèvement po ur satisfaireleurs appétits de cannibales. Des figuresháves et flétries, véritables larves humaines,se glissant dans les groupes de campa-gnards, s'efforcent de les débaucher, d'allu-mer leurs convoitises et de faire dégénérerle mouvement patriotique en saturnales eten pirateries. IJs sont prêts á enchérir surles pires exploits des septembriseurs. Leurstentatives de corruption échouent partout,mais leur audace augmente avec leurnombre au point qu'ils pourront bientót secontenter de leurs propres forces et ne

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recourir qu'à leurs pareils. Ainsi les hyènesródent et se multiplient autour des char-niers. Chiel voit le moment di il seradébordé. Les déprédateurs l'entourent etdun ton de plus en plus menacant lui dési-gnent, pour en réclamer le pillage, lesdemeures cossues de préten dus traitres.L'autorisation se faisant attendre, despierres volent dans les vitres.

Déjá sous prétexte que le juge Vermeu-len tient ses fonctions des Frangais, lespillards ont mis sa maison á sac et lui-méme aurait péri s'il n'avait eu le tempsde se réfugier dans le voisinage.

Avec l'aide de la bourgeoisie, le Torsetiendrait ces rapaces en respect, mais sur-tout depuis qu'il a ouvert les prisons, leshonnétes gens ne sont pas loin de ravalerles partisans au niveau des malandrins;quoique les larrons mis en liberté se dis-tinguent par leur discipline et répudienttoute connivence avec leurs anciens com-plices.

Ii importe d'appeler des ruraux â la res-cousse. A cette fin, Heratens monte sur latour de Saint - Rombaut et vers neuf

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heures et demie la grosse cloche du beffroiconvoque â la ville de nouveaux contin-gents de patriotes avec lesquels le Torsemate le vandalisme et s'assure des princi-paux énergumènes.

Cependant, l'énergique répression desdésordres ne rassure pas encore Malinessur les intentions de ses liótes ruraux etdans leur effroi deux notables, CharlesSquedin, maitre du bureau des logements,et son compère, Antoine Van Keerbergen,huissier, sont sortis en toute háte de laville afin d'avertir la soldatesque franÇaise.Mais ils rencontrent, â un kilomètre desremparts, la brigade de Béguinot rejointeet déjà mise au courant par le chasseur ácheval. Le g(:..néral a suspendu ses opéra-tions contre le camp de Duffel pour aviserau plus pressé et arracher Malines â sestéméraires envahisseurs. La faute commiseen laissant ouvertes les portes de la cité,contribuait á sa rage. Les deux messagersentament en bredouillant le chapitre deleurs doléances : « Que dempêchiez-vou sles choses de se gáter á ce point, tas de f...pleutres 1 Coeurs de poulets Foireux ! »

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s'écria-t-il en corsant ce compliment d'unekyrielle de jurons empruntés au vocabu-laire du Père Duchêne et, sans vouloir enentendre davantage, rendit la main enmême temps qu'il piquait des deux et par-tit ventre â terre suivi de son escorte dedragons.

Les fantassins, chasseurs â pied et gre-nadiers, s'élancèrent au pas de charge.Vautrés dans Fornière, presque foulés auxpieds, soulevés du sol pour être brutale-ment jetés sur Faccotement, aveuglés,ébaubis, le recors et le publicain restèrentlongtemps â se táter, â s'écarquiller lesyeux, hochant la tête sans parvenir â digé-rer les compliments dont les avait gratifiésFire du général : « Pleutres ! Coeurs depoulets ! Foireux ! » Jamais on ne leur enavait tant dit.

cette heure, les paysans, dispersésdans tous les quartiers de la ville, croyaientles FranÇais trop vigoureusement entreprispar leurs amis de Duffel, pour trouver letemps ou le moyen de venis les inquiéterdans leur facile conquête.

Aux sons du tocsin, les villages circum-

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voisins déversaient dans Malines l'arrière-ban des patriotes, mais y láchaient aussides tapées de tróleurs et de baguenaudiers.Vieillards, infirmes, estropiés, ayant apprisla conquête, se béquillaient, clopinaientjusqu'à la ville. Des femmes, leur mar-maille accrochée leurs cottes ou le pou-pon sur les bras, plantaient lá leur ménage.Quelques promises s'aventuraient â relan-cer les héros de leur cceur. Et, commensalesdes champs de kermesse, des colporteusesaux paniers nappés de linge â carreaux,circulaient de groupe en groupe, criant lespetits pains, les ceufs durs, saucisses decheval, crabes, salicoques, harengs fumés,noix et noisettes, que leur achetaient lesinnocents tenaillés depuis l'aube par lesfringales mais trop honnêtes pour percevoirla moindre contribution en nature chez lesmarchands de comestibles ou inquietsaussi du prix fort que leur demanderaientboulangers et traiteurs. Ils pochetaient lesfruits secs, en distribuaient des jointéesleurs belles, non sans leur jeter les écaillesau visage et s'interrompaient de croquerune noisette pour gotiter aux cerises de

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leurs lèvres. Les plus argenteux se répan-daient dans les « herberges » et arrosaientleur collation de quelques pots de bière.Des families, des inséparables, des couplesamoureux s'accroupissaient sur la pierrebleue des portes et dévoraient, en silence,un hareng et un quignon de pain, chacunmordant á tour de róle, á même le pain etle poisson. Les appétits s'accordaient autantque les pensées.

En se réconfortant Festomac, de chaudesillusions leur pénétraient au coeur. Ils nedoutaient plus de rien.

En vain, Chiel le Torse s'efforgait degarder sous les armes le contingent deBonheyden, pour parer aux coups de sur-prise. Les gal-gons ébaudis se prélassaientdans leur consistance sanguine, s'aban don-naient aux suggestions matérielles et con-ciliantes de leur nature, riaient au nez deleur chef et se moquaient de ses précau-tions : « Allons ! Allons ! La guerre estfinie! Gest assez jouer au soldat ! » Et ijsle menaient pinter avec eu'x.

Un tel parfum de báfrée, de réfectionjubilaire, saturait Fair á présent que Tistiet

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ne se méfiait plus de la ville et oubliait lespressentiments du matin, les effluves em-poisonnés, les façades des maisons aussirébarbatives que des mégères, la main invi-sible qui l'avait retenu par un pan de lablouse

Finalement, Chiel lui-même écouta leporte-balle imaginatif, un peu émèché parles étapes, qui prétendait avoir fourni letrajet depuis Anvers, par Contich et Duffel,sans rencontrer l'ombre dun uniformerépublicain.

Survint un autre colporteur, plus positifencore, qui enchérit sur les avis rassurantsde son confrère. Le premier, piqué d.ému-lation, ajouta des détails â sa version pri-mitive. Ils se prenaient réciproquement

témoin pour attester la vérité de leursfariboles.

De la meilleure foi du monde, en répé-tant ce qu'il glanait de la bouche des pas-sants, un troisième, pour se donner del'importance et se faire bien venir des écou-tants, corsait et poivrait des inventionsaussi saugrenues que contradictoires, trans-formait les hypothèses en flagrantes cer-

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titudes, et lui-même, complice de sesillusions, finissait par prendre â la lettre sesimprovisations et s'enthousiasmait commeun augure. Aucun de ces simples ne trom-pait délibérément la galerie, qui buvait sesparoles. Tous demandaient á croire, tousétaient amenés â conniver. Souvent cequ'avanÇait timidement la bouche d'or, lesauditeurs le proféraient déjà du bout deslèvres ; il lui fallait affirmer ce qu'ellen'osait encore que conjecturer. On etitméme fait mauvais parti aux incrédules.Ii n'entrait dans Fesprit de personne decontróler et de comparer les assertions. Onavait bien le temps, ma parole, de remon-ter á la source !

Les commères, surtout, se distinguaientpar des relations d'un optimisme fleuri, etdéfilaient des chapelets de victorieux faitsdarmes et de prises copieuses.

Une laitière de Contich affirma sincère-ment que les troupes du révérend curé deDuffel venaient de défaire l'armée deBéguinot aux environs de Linth, et quebientót les vainqueurs rejoindraient leursalliés á Malines pour célébrer, avec eux, la

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double victoire. La bonne femme donnaitmême le signalement des chefs : Mar-guerie, Tony le Joufflu, Willem la Taupe.Et Tistiet, Heratens, jusqu'à ce malinSchalenberg, ne remarquaient pas qu'eux-mêmes, dans Finterrogatoire haletant qu'ilsfaisaient subir â la messagère, lui fournis-saient le portrait de leurs compagnons bienaimés. Mais seuls des indifférents, desapathiques eussent noté ces vétilles!

Plus moyen de rester incrédule! Le butétait atteint dés â présent. Ceux des autresbanlieues avaient dû se comporter dansleur rayon de pays, comme les ruraux deBonheyden. Toutes les cités appartiennentaux insurgés. Aussi, lorsqu'un derniercourrier, en sabots, proclama la prise d'An-vers même, ii n'apporta rien d'inespéré etla jubilation n'atteignit pas au délire.

Au degré d'excitation oû ils en étaientarrivés, après les péripéties, les secoussesdes deux journées précédentes, forts deleur droit, ne poursuivant rien que dejuste, d'équitable, de légitime, ce fou-droyant triomphe représentait le résultatlogique et fatal de leur soulèvement.

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Un élément sur lequel ils ne pouvaientguère compter, et dont nostilité narquoisepesait depuis le matin sur leur vocation,contribua maintenant â les rassurer eiendormit leurs dernières méfiances.

Voici que, pour completer le mirage, laren frognée et malaugurale population slu-manisait leur égard. Non seulement Ma-lines appartenait aux patriotes, mais lesMalinois aussi leur étaient acquis.

Aux premières rumeurs concernantl'écra-sement de Béguinot, les bourgeois, espritsforts, haussèrent les épaules. Le bruit pre-nant plus de consistance, les sceptiquesdevinrent perplexes et se demandèrent s'ilconvenait de bouder aussi ostensiblementles dominateurs possibles ? Au moins s'agis-sait-il de sortir pour s'assurer soufflaitle vent. Insensiblement, les citoyens semélèrent, en curieux, puis en hábleurs, auxcolloques des blousiers et des tácheronstant conspués, prètèrent Foreille aux con-fabulations, enfourchèrent même ce puérildada patriotique ! Jamais girouettes netournèrent avec tant de complaisance ausouffle d'une bourrasque. La conversion

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fut si catégorique qu'on vit bientót de grosbonnets payer chopine aux goujats et trio-quer avecavec eux. Loin de vouloir arracher lenanan aux bons molosses, on les flattait, onles caressait â l'envi.

Et se livrant, s'épanchant, définitivementrassurés, éprouvant une félicité suprême,les braves campagnards dattendaient plusque les camarades de l'autre armée pourouvrir le bal général. « C'est â présentque je fringuerais volontiers avec Linette ! »pensait 1.0iseleur, des fourmis aux mol-lets. « Qui, mais pas avant que le Joufflusoit arrivé aussi pour nous faire vis-á-visavec la vieille heuse de balais »

Aussi rien ne rendra la stupeur, l'épou-vante, l'affolement qui s'empara de cetteville émancipée, grouillante de populaire,quand, vers dix heures, des battues dechevauchée, un fracas de belliqueux équi-pages, un cliquetis d'étriers et de fourreauxdomina ce brouhaha de réjouissance. Lesol tremblait, les vitres dansaient entreleurs chássis. La ruisselante fonte humainecoulée dans le moule presque trop étroitdes vieilles rues parut figée du coup, puis

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reflua violemment, avec des bouillons delave vers le marché.

— Les FranÇais !.., les FranÇais !Ce cri retentit d'un bout â l'autre de la

ville, se répercuta de carrefour en carre-four.

— Aux armes! rugit Chiel le Torse. Auxarmes ! Oû les prendre? Qui les a sous lamain?

En un trois mille ámes, aubas mot, paysans et citadins, confondus,les badauds et les indifférents l'emportanten une écrasante proportion sur les vraispatriotes, se démènent, se pressent, s'empè-trent, se barrent le passage.

La panique tumultueuse des éperdusprévaut contre le sangfroid des braves dis-séminés dans ce tourbillon. Impossible degarder pied, le flot soulève ou renversequiconque tente de s'opposet á son pas-sage.

— A moi Bonheyden ! A moi ! rugitencore le Torse ! tentant des efforts surhu-mains pour se dégager. Une note stridenteet prolongée lui répond. C'est Heratens,qui parvient â porter son fifre jusqu'á ses

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lèvres. Et des voix connues se hèlent, desdivers points de la place, par dessus lesvagues : « Tiens bon Chiel... CourageTistiet !... Pousse á droite, le Blanc! Bon-heyden á nous ! »

IJs ne se voyaient pas ; bientól ils nes'entendent plus. Les remous de cettemarée humaine les projettent á une plusgrande distance les uns des autres. Sou-vent les ramassent deux courants con-traires ; au moment mi les emporte unevague, survient une autre lame qui lescharrie â leur point dé départ.

Une perspective atroce leur glace le coeur;celle de la défaite, de la débácle avantmême que l'ennemi ne soit entré sur lascène. Ah! ville trompeuse, voilà bien detes embáches!

Après un ressac plus formidable encoreque les autres, la cavalerie franÇaise appa-rut simultanément aux angles opposés du.Marché, poussant rune contre Fautre Fava-lanche que chaque escadron roule devantlui depuis les portes d'Anvers et de Lou-vain.

Montés sur leurs chevaux énormes, im-

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mobiles aux issues de la place, le sabre auclair, balafrant leur droite d'une strie b1a-farde et miroitante, depuis la cuisse jus-qu'á Fépaule, avec leur casque de cuivrejaune á chenille rouge, â crinière noireaussi longue qu'une chevelure d'amazone,moustachus, sourcilleux, chaussés de botteslongues, roides dans leur habit bleu etleurs culottes en peau de daim, la brumeautomnale qu'épaissit l'haleine et la tran-spiration des montures outrées par la galo-pade, leur prête un mystère inquiétant, etils évoquent de démesurées statues éques-tres. A leur aspect, le peuple angoissé leurattribue un pouvoir occulte qui ne luilaisse aucun espoir de salut. Ce calme, cetarrêt est le répit, la minute de gráceaccordée aux victimes. Les dispositionssont prises pour un massacre général.L'enfer a láché ses mauvais archanges.

Trois rues restent encore ouvertes ; ruestellement étroites que quatre hommes n'ypourraient passer de front. L'instinct de laconservation reprenant le dessus, les déses-pérés s'y jettent â la fois. Ils s'en disputentl'accès á coups de poings. Plutót que de se

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tourner contre leurs exterminateurs, lesvictimes s'écharpent les unes les autres.Des femmes, des enfanÇons hurlent, rálentde détresse, et ces larmes qui étoufferaient lesflammes des gehennes let désarmeraient leséternels bráleurs, n'apitoient même pas lessoudards jacobins ! Nombre parviennents'évader de ces étouffoirs en n'y laissantque quelques lambeaux de leurs vétementset de leur charnure. Leur chance redoubleFacharnement de ceux qui restent. Au plusfort de la poussée en avant, la masse ruti-lante est refoulée en arrière : l'infanterie arejoint les dragons et un peloton de chas-seurs â pied obstrue á présent les derniersdégagements.

Aussitót après, á la voix de Béguinot, lesdeux demi-escadrons s'avanÇant l'un versFautre, á travers la place, il se produit unphénomène incroyable : aussi compacte,aussi serrée que soit la mélée humaine, elleparvient â se condenser davantage. Lescorps se tassent, s'étranglent, menacent decrever comme du raisin dans un pressoir.On s'attend ,á voir gicler une nappe desang au-dessus de cette fumante purée. Eh

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bien, malgré l'abominable foulage, ii y aplace encore pour livrer passage aux che-vaux. Un sillon se creuse á mesure qu'ilsavancent de part et d'autre, et, sans tropd'encombre, la cavalerie parvient â réunirses deux détachements au centre du fo-rum.

Cette manceuvre a même pour effet deleurrer une fois de plus ces milliers depauvres diables. Ils se ruent vers les débou-chés que les dragons semblent leur ouvrir,mais, hélas ! pour rencontrer, de chaquecöté, une compagnie de fantassins, quiattendait, masquée par les chevaux, lemoment de reprendre la garde pour leurcompte. C'en est fait : le blocus est irrémé-diablement consommé.

Quelque temps Béguinot, capitaine trèsanonyme mais bureaucrate fielleux et bra-vache, s'amuse â entretenir les affres de cesdésespérés en commandant des caracoleset des changements de main, sans se sou-cier de leurs giries et de leurs alertes, bal-lottant ces chrétiens en peine d'un coin áFautre de la place, comme s'il manceuvraitdans un manège.

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Puis, les cavaliers, qui avaient fait l'of-fice de traqueurs et de rabatteurs, laissèrentá l'infanterie le somn de couronner la féte.A cette fin, sur Fordre du général, oncommenÇa par rendre une partie de lafoule á la liberté, moins par clémence quepour s.assurer plus facilement des paysans.Par groupes de cinq ou six â la fois, ba-dauds et badaudes s'esquivent entre lesrangs ouverts des soldats ; ceux-ci, dignesde leur général, prenant non moindreplaisir á prolonger les transes de ces misé-rables qui, renvoyés, bernés d'un pelotoná l'autre, arpentent la place, ródent, s'es-soufflent, prodiguent les implorations, pro-testent de leur civisme avec des alluresrampantes de chat échaudé ou des toupille-ments de rats éprouvant les fils de fer deleur prison.

A la longue le piège n'enferme plus quedes campagnards et du menu peuple.

Le premier mouvement des paysans avaitété de se défaire de leur armement, d'arra-cher insignes et cocardes, de retourner,pour les vider, poches et gibernes. Lesarmes ne leur étaient d'ailleurs d'aucun

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usage, au sein de cette multitude quiréduisait leurs bras á l'impuissance. Laconfusion était telle, qu'en jouant du cou-teau ou du sabre on eíit risqué créventrerun ami. 1VIème dans des circonstances favo-rables, la guerre des rues n'aurait pas con-venu á ces villageois.

Más les conjonctures présentes étaientdésastreuses. Les consciences sombraientdans un rapide de lácheté. Terrifiés parrimplacable physionomie des pavés et desmurailles, la plupart de ces ruraux, sibraves d'ordinaire, perdirent le courage enmême temps que la présence d'esprit et seportèrent pitoyablement vers les soldats, ála suite des suppliants urbains. Leur accou-trement, leur parler, le hále de leurs faces,leurs mains cortiqueuses proclamaient leursaccointances avec la sédition, et les gardesles culbutaient parmi les bien vivants des-tinés au supplice.

Toutefois, il s'en fallait que tous fussentdémoralisés á ce point. La mesure adoptéepar Béguinot Pour trier les suspects, eutpour conséquence de réveiller l'énergiechancelante des vaillants. Une partie de la

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foule évacuant la place, Chiel le Torse pro-fita des vides qui se produisaient, pour serapprocher de ses amis, et autour de cenoyau se rallia bientót une importantefraction des sarraux bleus » partis avecceux de Bonheyden.

Voués á la mort, en dépit de leur sou-mission, les défaillants rougissant dunmoment de faiblesse et ramassant la cara-bine ou l'outil, rentraient dans les rangsdes braves.

S'ils n'avaient pas été paralysés par ladébácle, Chiel et les siens n'auraient pasattendu aussi longtemps pourtenter 1. évasionde cette aire de malheur. Du moment qu'ilseurent les coudées franches et la liberté deleurs mouvements, ils se décidèrent â agir.

Soudain cinq coups de fusils partirentde la place, cinq gendarmes franÇais rou-lèrent sur le carreau. A la faveur du troublecausé par cette offensive subite , sansattendre la riposte, avec une clameurassourdissante, les ruraux foncèrent au pasde course et passèrent, d'une escousse,travers la barricade

Le troupeau, déjà bloqué et parqué dans

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Fabattoir, s'engouffra par la brèche â leursuite et se répandit dans les rues latérales.

Mais, après une centaine de pas, s'étantécarté pour laisser pass2r cette ruée defugitifs, le bataillon de Chiel le Torse s'ar-feta pour protéger leur fuite, et FinfanteriefranÇaise, revenue de son abasourdisse-ment, tomba, rue du Bruul, sur un carréde gaillards, déterminés, malgré leur infé-riorité numérique et leur armement pré-caire, á lui refuser le passage á leur tour, etá se faire tuer jusqu'au dernier plutót quede reculer d'une semelle.

Exaspérés par la résistance inopinéequ'ils rencontraient de la part de cesméprisables bagaudes, ils se mirent á tirerdessus, á coups redoublés, á les cribler demitraille, comme s'il s'agissait de les pul-vériser, de les réduire en bouillie.

En dépit de la frénésie de l'attaque,ceux-ci, les fermes garçons, ne bronchèrentpas. Il en tomba déjà de ceux qu'avaientcommunié le prêtre et épousé les plusbelles ! Leurs camarades serraient les fileset se retranchaient derrière les cadavres.

Au premier rang, Chiel, le Schalk,

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Heratens et Gilles Bull chargeaient etdéchargeaient leurs fusils sans perdre uneseconde, et leur adresse, suppléant leursarmes défectueuses, chaque balle portaitcoup. Derrière eux, se massait le gros deJa troupe, moins bien armé encore, et, aucentre, le jeune Tistiet déployait, en l'agi-tant, l'étendard rouge â croix d'or.

Le moment vint mi les francs-tireursflamands brCilèrent leur dernière cartouche.Ils ne fléchirent point pour cela, conti-nuèrent â braver la fusillade. S'apercevantde leur détresse, les FranÇais crurent déjàles tenir â merci, et, pour en finir, fondi-rent sur eux, baïonnette au canon. Maiscombien ils connaissaient mal ces cránesjot'iteurs !

Tout beau, citoyens ! La partie n'est pasencore gagnée! On vous invite simplementá un nouveau jeu.

Dam! En cette passe critique, les con-scrits réfractaires, trahis par leurs armesd'emprunt, se sont rappelé leur honnètemétier, et, simultanément, de lácher leursméchantes carabines pour reprendre leursfidèles outils!

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Pioches en Fair, en garde les faulx, auxboyaux les fourches !

Le Schalk empoigne son marteau deforgeron. Rik le Blanc manceuvre du fléauet Chiel le Meunier soulève, á défaut d'unsac de farine, le corps pansu d'un gen-darme. Fléau, pilon et lourde carcasses'abattent sur les approchants.

C'est donc de la blanche cervelle hu-maine, Chiel, que tu veux moudre aujour-d'hui ! Schalk, c'est du feu liquide que tufais jaillir de renclume, et, sur ma parole,ce sont des cheveux et des poils, mon braveRik, qui restent collés, au lieu de bále etde bourriers, á la verge de ton fleau !

Longtemps encore, nos manceuvresauraient abattu leur effrayante besogne, sila cavalerie, après avoir opéré un mouve-ment tournant, n'était venue tomber sur ledos de l'intrépide équipe. Les grandssabres secouraient les baïonnettes. Enquelques secondes le carnage réduisit áune dizaine, les cent braves manieurs d'ou-tils.

Sommés de se rendre, pour toute réponseles survivants continuaient leur formidable

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escrime en tácherons consciencieux quin'entendent pas voler leur salaire. Leursforces s'épuisaient. Tant pis. Jamais ilsn'avaient plaint leur peine. D'ailleurs, cesurmenage serait le dernier. Ils se sentaientmourir, sans douleur, dans le coup de feud'un travail agréable au Ciel. Ils ne laisse-raient tomber les bras que pour ouvrir desailes, et leurs ennemis ne désarmeraientque des cadavres.

A la fois féroces et fervents, un sourireséraphique illuminant leurs visages lubri-fiés, leurs bras nus contractés par lesspasmes de la tuerie, les mains pleinesd'homicides et des prières aux lèvres, ilsrecommandaient leur áme â Dieu en mêmetemps qu'ils rendaient aux démons cellesdes sacrilèges.

Et le vol oblique des faulx et le jeu 'ver-'deal desdes maillets traÇaient de fulgurantssignes de croix au milieu de la nuée sari-glante !

Cette poignée de pacants avait beaumettre hors de combat des pelotons entiersde réguliers, il s'en présentait toujours denouveaux. Chiel trébucha sur un cadavre,

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perdit l'équilibre, manqua son nouveladversaire, et fut aussitót pris au corps etdésarmé. Ii suffit aussi dun faux mouve-ment ou cl'une parade moins prompte pourréduire au pouvoir des républicains GillesBull, De Golder, Heratens et quelquesautres. L'Oiseleur, ayant plongé le coutrearmant la hampe de son drapeau dans lepoitrail dun cheval lancé sur lui, ne put segarer â temps et, s'étant abattue, la bêteexpirante le renversa sous elle.

Béguinot, qui avait suivi, non sans jalouseadmiration, cette héroïque résistance, or-donna de surseoir ,á l'immolation. n'au-rait garde pourtant de grácier ces chouanset de les traiter en prisonniers de guerre.La haine du sophiste jacobin l'emportaitsur la magnanimité du soldat. Le bourreause substituerait simplement au général.les frustrait de la mort des braves et leurréservait la peine des deserteurs et desespions. Il ne fit que grandir leur prestige.

leurs lauriers s'ajouteraient des palmesautrement glorieuses !

Les meilleurs, soumis : la dernière luttecessa. Ils n'a-vaient pas occupé assez long-

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temps les soldats pour assurer le salut detout leur monde.

Alors s'ouvrit une furieuse chassel'homme. La meute débt\chait le gibier, lejoignait, 1" acculait malgré la longueur deses randonnées.

Le gros de la bande s'était réfugié entreles Bailles de Fer. place tendue de chaineset, par conséquent, â Fabri d'une attaquede la cavalerie, mais oû vinrent les pinceren bloc quelques piquets de fantassins.

Le reste se fit arréter un peu partout. Onen repêcha qui s'étaient jetés á la nage dansla Dyle ; on en prit qu'un chaland cachaitau fond de sa cale.

Les ingrats cabaretiers expulsaient sansvergogne les plus prodigues des buveurs,et, pareils â des grives s'embarrassant dansles tenderies, beaucoup de pauvres diablesahuris, hébétés, complètement ivres, igno-rant le retour des FranÇais, allaient se jeteren titubant sur les gendarmes.

Ailleurs les soldats envahissaient la bras-serie, renversaient tables et pintes, cueil-laient, derrière le comptoir ou le culbutisdes escabeaux, le bougre trop conscient

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du sort qui l'attendait pour se précipiterdans la gueule des loups.

Toute porte ouverte représentait uneporte de salut. A la suite des fugitifs leschasseurs grimpaient les escaliers, jus-qu'aux galetas, prenaient même le chemindes gouttières ou dégringolaient au fonddes cav es.

Les baïonnettes sondaient les matelas,jaugeaient les futailles, lardaient de piqUres,harpaient, ramenaient par le fond de laculotte et non sans endommager la chair,les malheureux blottis sous les lits. Vaine-ment, engagés dans un corps á corps inégal,les simples essayaient de s'esquiver endépouillant leurs nippes entre les mains dessoudards. Les gendarmes confisquaientla défroque et trainaient leur capture ámoitié nue jusqu'à l'écrou.

Latente et sournoise le matin, l'hostilitédu milieu urbain éclatait â présent dansson entière hideur. Beaucoup de rustress'attachaient aux pas des habitants, s.accro-chaient á leurs basques et á leurs jupons,leur demandaient asile, mais ces 1VIalinoisqui venaient de trinquer avec eux, les

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répudiaient et les renvoyaient á présentcomme des pestiférés. Les matrones ne semontraient pas moins inhumaines queleurs époux. Dans leur háte â mettre laporte de la rue entre elles et ces fácheux,elles leur broyaient les doigts crispés déses-pérément au vantail ainsi que ceux dunnoyé â une épave. Aucun de ces bouti-quiers, de ces fournisseurs á Fáme vénaleet arithmétique ne se souciait de désignerson toit á la vindicte des sans-culottes en,recélant de maladroits sauveurs, de calami-teux messies. Des publicains s'avilirentjusqu'á prêter main forte aux FranÇais, enarrêtant les fuyards dans leur course et enles maitrisant jusqu.á Farrivée des sol-dats.

Incarcéré avec ses amis, dans la prisondont ils avaient extrait les nobles et lesprêtres, Rik le Schalk ne put s'empêchercl.en faire, en plaisantant, la constatationau guichetier Verhulst.

Parbleu ! disait-il, nos obligés de cematin eurent bien raison de nous bráler lapolitesse. Franchement, ils ne gagnaientrien á rester avec nous !

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LES rtsiLLs DE MALII<ES

Et, avisant un ou deux des gaillards aux-quels ils avaient donné la volée

— Pas de chance, camarades, fit-il.Nous vous avons rendu presque un mau-vais service. Votre affaire est claire .pré-sent.

Puis, d'un ton plus sérieux et leurtendant la main qu'ils serrèrent, non seule-ment sans rancune mais avec orgueil .« Nous voilá vraiment dignes les uns desautres et solidaires jusque dans la mort ! »

L'après-midi un calme énorme, un silencesépulcral prévalut dans la cité. Il ne restaitplus trace de sédition. Des balayeurs net-toyaient la place jonchée de papiers etcreclats de verre. Au Bruul, des ménagèresproprettes recuraient â grande eau ou sau-poudraient de sable les pavés saigneux.

On ne rencontrait dans les rues que despatrouilles prolongeant les transes des bour-geois claquemurés, et procédant, de porteen porte, â des visites domiciliaires.

Sous défiant des perquisitionnaires,les maîtres du logis rivalisaient de civisme,se congratulaient â haute voix, exaltaient la

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déroute des pouilleux et courtisaient leurstyrans jusqu'il piquer des cocardes trico-lores â leurs bonnets de coton jouant lesbonnets phrygiens.

Ceux qui s'étaient compromis en frayantun instant avec les émeutiers, forgeaient unalibi, achetaient le silence des délateurs oupayaient ranÇon aux geMiers. On eninquiéta quelques-uns, qu'on relácha en-suite. La politique conseillait de séparercomplètement la cause des ruraux de celledes citadins et de garder â ce soulèvementla couleur d'une jacquerie.

Malgré leurs platitudes et leurs pali-nodies, un placard signifia aux Malinois lamise en état de siège de leur ville. Durantneuf semaines les portes resteraient fermées,et personne n'aurait le droit de sortir desmurs sans permission du commandant.Après la retraite les habitants ne circule-raient dans les rues que munis de lumière.

« L'arbre sacré de la liberté a été coupésur la place, le drapeau tricolore a étéarraché, les prisons ont été ouvertes, lesanctuaire des lois a été violé et les archivesqu'il renfermait ont été lacérées et brtilées,

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des républicains ont été assassinés et cesscènes affreuses se sont passées sous vosyeux ! » proclamait le rhéteur proconsu-laire.

A Bruxelles, la municipalité félicitaitFautorité centrale pour cette belle victoire.Un cortège aux lumières témoignait del'allégresse publique et au théátre, oû onjouait une contrefaÇon de Macbeth, musca-dins et merveilleuses acclamaient la ty-rannie préservée.

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QUATRIÈME ÉTAPE

Le cimetière de Saint-Rombaut.

... et au même moment les ailes noiress'arrêtèrent aussi, et formèrent une granuecroix présentée par Notre Sauveur au der-nier regard de son ferme soldat.

(Les Fusillés de Malines, ch. Tv. G. E.)

Le lendemain, dans la matinée, les pri-sonniers entendent tonner l'artillerie. Ilsapprennent que nombreux, cette fois, aupoint de former une armée, leurs amis ontinvesti la ville pendant la nuit. Béguinotvient de sortir â la tête de ses troupes. Unebataille en règle s'engage.

A genoux sur les dalles de leur cachot,les prisonniers adressent au Ciel d'ardentessupplications en faveur de leur cause.

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L'anxiété les dévore. Sans cesse, ils inter-rompent leurs prières â haute voix, pourprêter Foreille aux progrès de la canon-nade.

Partant de cette idée que les efforts del'armée nationale tendront á pénétrer dansla ville, selon que la tourmente s'éloigne ouse rapproche, ils en augurent que leursamis ont le dessous ou le dessus. Combiende fois les prisonniers tombent du plusenivrant espoir dans le plus morne abatte-ment! A la longue, Favantage parait devoirrester aux patriotes. On se bat près desremparts mêmes. Qui, les insurgés rem-portent. Leur feu, continuellement nourri,étouffe celui des FranÇais, et á en juger parla faiblesse de leur fusillade, ceux-ci cher-chent, en fuyant, â regagner la place. Resteá savoir s'ils ne seront pas taillés en piècespar les assiégeants. Mais que signifie cefracas dartillerie intervenant dans le loin-tain! Sans doute, un renfort d'insurgéspour consommer la déroute des républi-cains. Pourquoi, dans ce cas, la fusilladereprend-elle avec tant de vivacité de part etd'autre? 11 serait étrange que cet appoint

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donné â leurs ennemis et\t ranimé le cou-rage des Francais!

A quelle tactique obéissent les paysansen transportant le théátre de Faction loinde la ville convoitée ?

Comme tout â l'heure, la fusillade lan-guit d'un cóté Mais duquel? Sur le pointde vaincre, les patriotes ont-ils fléchi subite-ment? A présent le feu cesse de part etd'autre et meurt sans s'éloigner.

Après une demi-heure d'angoisses, du-rant laquelle aucune rumeur du dehors neleur arrive plus, les prisonniers discernentle brouhaha des troupes entrant ou ren-trant dans la ville. Lesquelles ? Celles de lasainte cause, pour sik. La garnison nemettrait pas ce temps â défiler. Voilàqu'une partie se dirige vers ce quartier,sans se háter, toutefois. Pourquoi cettelenteur ? Les libérateurs touchent auxportes de la prison. Leurs pas résonnentdans les escaliers Ils approchent en grandnombre, mais toujours sans accourir ; sanss'annoncer par ie moindre cri d'allégresse

ceux qu'ils viennent délivrer.Les prisonniers agenouillés se relèvent

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pour voler á la rencontre de leurs frères.Ils les hèlent â travers la serrure. Pas deréponse. Cependant les arrivants se rap-prochent â pas mesurés. On leur ouvre.

Les voilà! Guillot la Taupe, Tony VanEylen et les autres ! Mais leur páleur, leursregards, leur physionomie, toute leur con-tenance proclame leur défaite avant qu'ilsdesserrent les lèvres et avant méme quesurgissent derrière eux les fusils de l'es-corte qui les réunit aux autres prisonniers!

A peine les gardiens se sont-ils retirésque Chiel, en proie á une violente exalta-tion, se jette au pied de Willem : « C'estma faute, s'exclame-t-il! Mes amis, c'estmoi qui vous ai perdus! Je suis cause detout le mal. Sans ma négligence, notrecause triomphait. Criminel imbécile que jesuis de m'en être fait accroire par le pre-mier ivrogne venu, qui racontait notretriomphe sur toute la ligne ! »

— Non, c'est faux! Chiel s'accuse â tort.n'y a de coupables que nous! déclarent

le Schalk et le Blanc. Chiel restait incré-dule jusqu'á la dernière heure. C'est nousqui nous efforcions d'endormir sa vigi-

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lance, et de lui faire partager nos illusions.Hélas ! Nous n'y sommes que trop par-venus!

— Va, mon brave Chiel, console-toi !disait Guillot en s'efforÇant de calmer sonami. Notre malheur dest pas irréparable.Ii n'y a plus en pays flamand un seulhameau soumis aux FranÇais. Les villesimitent les campagnes. Anvers nous appar-tien dra. Nous tenons toujours Lierre. Nosamis reviendront â la charge avec destroupes nouvelles. Tu n'as péchè que parune trop grande confiance, mais qui pour-rait t'en faire un grief? Autant alors tereprocher ta foi de chrétien ! Cesse de tedésoler, mon bon Chiel, et sois bien per-suadé que tous, á commencer par ton amiWillem, nous aurions fait comme toi!

Ces bonnes paroles ayant calmé le Torse,Guillot fit â ses amis le récit de ce quivenait de se passer.

La nouvelle de la reprise de Malines parles FranÇais avait été port& au camp deDuffel au moment oit on s'y réjouissait dela réussite du coup de main tenté parChiel.

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Sans perdre de temps en lamentations eten giries, sur la proposition de Guillot, ondécida de marcher immédiatement sur Ma-lines et de s'en rendre maîtres pour déli-vrer les camarades. Le camp fut levé. Lesoir même, l'armée nationale, forte dunmillier d'hommes, entourait la ville. Sansse douter de l'importance des troupesinsurgées, Béguinot opéra une sortie, mais,attaqué simultanément du cóté des portesd'Anvers, de Diest et des Vaches, ii avaitété forcé de morceler la garnison pour tenirtête aux assaillants. Servis par leur supé-riorité numérique, non moins que par leurbravoure, dès le premier engagementceux-ci firent éprouver des pertes considé-rables aux FranÇais. L'issue de l'actionétait certaine, la retraite allait même êtrecoupée â la garnison, un carriage se prépa-rait, 1 orsqu'un corps de gendarmes et d'infan-terie, envoyé d'Anvers sous le commande-ment du chef de brigade Mazingant, pouropérer sa jonction avec Béguinot, rencontrales patriotes au Bruinkruis, près de la ported'Anvers, les chargea avec impétuosité etmit en déroute Farmée nationale.

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Beaucoup de paysans auraient pu gagnerHaecht et ensuite Louvain avec le gros desfugitifs ralliés par le curé de Duffel etMarguerie, mais comptant retrouver leursamis dans les priso. ns de Malines, ils avaientpréféré se rendre au vainqueur, après luiavoir tenu téte le plus longtemps possible.

De ce nombre étaient, avec Chiel etTony, un cultivateur septuagénaire deLeest Philippe Van Elcke, Pierre Bos-mans et FranÇois De Becker de Keer-bergen, Ange Geerts et Jacques Rombautde Hever, enfin, Jean-Baptiste Selder-slaghs de Hombeek sur la Senne.

on mena tous les prison-niers dans une salie antique de Ffiótel deyille, oi siégeaient, derrière une tabledrapée de noir comme un cercueil, cinqofficiers constitués, par Béguinot, en tri-bunal, sous la présidence du chef debrigade Mazingant, le vainqueur du Bruin-kruis.

L'appareil solennel erítourant cette com-parution, les physionomies dures et impla-cables, la tenue sévère de ces personnagesen grand uniforme, démurent pas outre

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mesure les prisonniers. Quelques heuresde tourmente avaient suffi pour aguerrir ettremper le moral de ces villageois, sipromptement intimidés auparavant, et,sous les regards menaÇants qui les dévisa-geaient, aucun ne baissa les yeux.

Après lecture dun rapport, en franÇais,sur les événements des deux dernièresjournées, les accusés furent mis, 1' un aprèsl'autre, sur la sellette. Le président leurposait á chacun les mêmes questions. Unemployé municipal traduisait, â peu près,ces questions en flamand et donnait uneversion, plus approximative encore, desréponses flamandes. On demandait auxpaysans leurs nom et prénoms, le nom deleur mère, leur lieu de naissance, leurdomicile, leur profession. Ces noms deterriens et de terroirs flamands, prononcés

la diable par le juge et l'interprète,n'étaient pas orthographiés avec plus desomn par le greffier. Dam! on n'y regardaitpas de si près avec des brigands

L'interrogatoire des prévenus roulait, enoutre, sur les motifs de leur arrestation,l'époque de leur enrólement et de leur

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départ. On essayait de leur faire nommerleurs chefs, leurs compagnons, les auteursdes manifestes et des proclamations, ouceux qui, par des discours et des conseils,les avaient engagés â &armer contre laRépublique. On cherchait á savoir le mon-tant de leur solde et Forigine de leursfinances. On les confrontait avec les soldatsqui les avaient arrêtés, et des bourgeois,espions et délateurs, témoignaient contreeux.

ous avouèrent, en en tirant gloire, lesactes qu'on leur imputait â crime, et pous-saient la cránerie jusqu'à trier eux-mêmes,parmi les pièces â conviction, les armes, lesoutils, les insignes qui leur appartenaient ;mais tous aussi se refusèrent obstinémentdésigner leurs chefs, leurs frères d'armesou â révéler le moindre détail de leur orga-nisation et de leurs projets.

Rik le Schalk se moqua des interroga-teurs en se donnant pour le Fou de laChambre de rhétorique « la Pivoine » deMalines.

Et comme le président du Conseil luifaisait observer qu'il n'existait plus ni

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chambres de rhétorique, ni fous, ni « insti-tutions d'un autre áge »

Heu ! heu ! dit le Schalk. Vous avezbeau déraciner et ravager les pivoines, onen a gardé la semence. Et quant aux fous,il en court plus que jamais ; les plusgrands, les fous enragés étant ceux qui seflattent de supprimer les autres !

Quant Tistiet et Tony parurent devantla barre, ils excitèrent, chez les plus ron-frognés et les plus rébarbatifs de leursjuges, un visible mouvement d'intérét etd'admiration. Leur adolescence, leur heu-reuse physionomie plaidaient en leurfaveur. Sans doute, on ne rencontrait pasbeaucoup de conscrits d'aussi avenante etloyale mine dans les armées de la Répu-blique. Mazingant se consulta un momentavec ses collègues, puis, abrégeant Finter-rogatoire des deux jeunes gens, il leur tintun long discours, emphatique comme toutel'éloquence de cette époque, mais empreintd'une modération inaccoutumée. L'orateurmettait leur participation á la révolte surle compte de leur extréme jeunesse etréduisait la gravité de la faute aux propor-

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tions d'une fugue d'écolier, d'un simplecoup de tête. La commission militaire étaitpréte á les grácier, quoiqu'on les eût prisles armes â la main et signalés l'un etl'autre comme se trouvant constamment ála téte des rassemblements dans Malines oudans les environs. Il leur accorderait la viesaiiive et même la liberté, s'ils promet-taient, dorénavant, de rentrer dans ledevoir et de joindre, dès maintenant,comme volontaires, les régiments en cam-pagne. Il les engageait paternellementapporter, au service de la grande causerépublicaine, le zèle et l'ardeur qu.un cou-pable égarement, résultat de pernicieuxconseils, leur avait fait préter aux factieux,aux suppóts du fanatisme !

En s'adressant aux jeunes gens, Mazin-gant se départissait de son ton rogue etpéremptoire. Tistiet et Tony auraient puse croire, plutót que devant un conseil deguerre, devant un conseil de milice appelé

se prononcer sur leurs aptitudes pour leservice.

L'interprète leur ayant traduit en sub-stance cette admonestation clémente, ces

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tout jeunes hommes, spontanément, decommun accord, répondirent â ces avancespar un refus énergique et, au lieu derépéter la formule du serment de fidélité áJa République, ils s'écrièrent « Leven dePatriotten ! Voor God en voor het Vader-land ! »

Tous ensemble leurs compagnons rép.é-tèrent les mêmes vibrantes et enthousiastesexclamations.

— Vivent les patriotes ! En voilá toujoursun lot qui n'auront plus longtemps â vivre!grommela Mazingant et, sur le point debiffer de la liste fatale les noms de Tistietet de Tony, il déposa la plume.

Après un semblant de délibération, il fitdonner lecture dun long jugement élaboréd'avance et condamnant les quarante etun « brigands » â être passés par lesarmes.

L'arrêt portait que la sentence rece-vrait « tout de suite sa pleine et entièreexécution ».

Ils entendirent, sans témoigner grandestupeur, la lecture de cette sentence draco-nienne. IJs comptaient que leurs amis

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reprendraient la ville et les délivreraientavant le lendemain.

Ils se laissèrent reconduire â la prison,docilement.

Beaucoup prirent leurs dispositions pourla nuit. Harassés par trois nuits blanches etprès de trois journées d'excitation et defatigues, ils ne tardèrent pas â s'endormiraussi tranquillement que dans leurs grangeset leurs soupentes.

Au dehors, cependant, se réglaient lespréparatifs de leur supplice. Avant derepartir pour Bruxelles , Béguinot avait laissédes ordres détaillés et précis afin que cetteexécution fíit entourée d'un appareil redou-table. Ainsi, pour augmenter l'effet de ter-reur, devait-elle avoir lieu cette nuit même,

la lueur des torches, avec le concours detoute la garnison.

Depuis la séance du Conseil de guerre,aux quatre coins de la Grand'Place, setenait une pièce de canon flanquée de sesservants, la mèche allumée.

Le quart après dix heures, une escouadede soldats se rendit á la prison, avec mis-sion d'en extraire, pour les conduire au

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supplice, un premier convoi de quinze con-damnés. On réveilla ceux qui dormaient eton les fit marcher sans rien leur dire deleur destination. Les paysans n'auraientjamais cru ces soldats bien armés capablesd'assassiner de sang froid des ennemis sansdéfense. Les bourreaux mêmes chómentpendant la nuit.

A quelques paroles surprises de la con-versation des guichetiers avec les soldats,les condamnés pensèrent qu'on allait lesdiriger sur Anvers. En conséquence, ils semunirent de leurs menus bagages ren-fermés dans un foulard de cotonnade et dubissac contenant leur reste de pain bis.

Ils cheminèrent entre deux rangs de sol-dats et de porteurs de torches. Uneescouade ouvrait la marche, une autre lafermait. Ils arrivèrent dans eet ordre aucimetière de Saint-Rombaut. Là, on adossaces quinze hommes, au mur de l'église,environ un mètre Fun de Fautre, et sixsoldats s'alignèrent â dix pas, en face dechacun des condamnés.

Devinant alors seulement la vérité, chezbeaucoup de ces pauvres diables que

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n'échauffait plus l'entrain de la prisedarmes et de la bataille, une réactions'opéra ; l'instinct de la conservation repritle dessus. Des scènes atroces se produi-sirent. Plusieurs tombèrent â genoux,invoquèrent le Ciel, se trainèrent jusqu'auxpieds des exécuteurs, essayèrent de leurembrasser les mains. Ne parvenant á lesapitoyer, ils réclamèrent Fassistance desMalinois accourus en spectateurs et chezqui la curiosité remportait sur la poltron-nerie. Les cavaliers avaient peine â tenir

distance ces badauds féroces.Lofficier chargé de ce vilain service,

sentant peut-être fléchir son courage, coupacourt á ces scènes, brusqua la représenta-tion en commandant : « Feu ! »

On avait désigné pour cette répugnantebesogne, les soldats mal notés; trainards,soudrilles, rebut de l'armée, piètres tireurspar dessus le marché. Par malheur aussi,pour les condamnés, il bruinait. Le ventéteignait les falots ou ren dait leur lueurplus tremblotante encore, ce qui mettaitles soldats accessibles á un sentiment demiséricorde, dans l'impossibilité de bien

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viser. Les cabrioles auxquelles se livraientles misérables empêchaient aussi le pelotond'exécution de dépécher proprement sabesogne.

Les fusils crépitèrent avec un bruit detoile qu'on déchire.

Plusieurs paysans ne furent que blessésou simplement éraflés.

Ils se roulèrent par terre et se débattirentdans d'atroces contorsions.

Une deuxième décharge générale ne mitpas encore fin â ces affres. On entendaitgémir. Des membres remuaient. Les sol-dats se rapprochèrent des agonisants et,coups de pistolet et de sabre, les réduisi-rent au silence et á l'immobilité.

La foule des curieux, semblait á peinemoins immobile, moins silencieuse que lesmorts.

Quinze ombres mamelonnaient de tertresl'herbe du cimetière. A cöté de ces formeshumaines, gisaient des ombres accessoires :un bissac, une gourde, un paquet dehardes. Tandis que dragons et chasseurs ácheval demeuraient autour du cimetière,les fantassins accompagnés des porteurs de

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torches allèrent chercher les quinze vic-times suivantes.

Celles-ci avaient continué de dormir,lourdement, du bon sommeil qui suit lesjournées de semailles ou de fenaison. Lebruit des fusils et les lamentations des sup-pliciés n'étaient pas arrivés jusciu'á laprison. Les gars se levèrent, emportèrentleur pauvre bagage, sans entretenir plusd'appréhension que les premiers. Mais auterme du trajet leur détresse fut autrementterrible. Les corps des pauvres diablesétendus par terre apprirent á leurs compa-gnons le sort qui les attendait. On ne lesréveillait que pour les endormir d'un som-meil bien autrement profond! On denten-dait pas la respiration des dormeurs, etjamais chambrée de valets et de journaliers,lourde de sueurs et d'haleines, n'effluaitcette écoeurante odeur d'abattoir et deboucherie! On aurait même dit que le haloentourant la flamme des torches et avivantleur rougeur, provenait de sang évaporé.

Quoique, pour éviter les horreurs précé-dentes, l'officier dit rapproché les soldatsde leurs cibles, ils se montrèrent plus

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maladroits encore qu'à la première série ets'y reprirent jusqu'á trois fois, en s'aidantfinalement du sabre et des pistolets, pourarrêter le rále et les palpitations tenaces deces pauvres corps.

On fut quérir, avec le même appareil, lesonze qui restaient.

C'étaient les meilleurs, les vrais, lesbraves des braves, savoir Willem Tuyt-gen, Jean Michel Van Rompaey, HenriSchalenberg, Henri Heratens de Bonhey-den ; Jean-Baptiste Vervloet et AntoineVan Eylen d'Elewyt; Gilles Bull de Sen-negat, De Golder de Malines et PierreBosmans de Keerbergen.

En arrivant sur le sinistre préau, jonchédéjá de trente cadavres, ne pouvant lesenjamber tant ils étaient rapprochés, forcésde les fouler, de patauger dans leur sang,ces dignes gal-gons, mus par un méme sen-timent de piété et de vénération, laissèrentleurs sabots á l'entrée de la place pour nepoint trop peser sur ces restes. Ainsi sedéchaussent les manouvriers avant depénétrer dans la grand'chambre de laferme, orgueil de la bazine.

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C'est dans ce cortège de la mort queconsistait le véritable supplice. Les plusstoïques eussent senti leurs nerfs se révolter

Faspect de ces dépouilles inanimées, decette chaude et luxuriante floraison hu-maine, brutalement fauchée et vouée avantsa maturité â la pourriture souterraine

Más entre tous ces jeunes hommes, nulplus que Chiel le Torse ne devait ressentirFanomalie, 1:arbitraire atroce de cet attentat

neuvre du CréateUr. Aucune nature neproclamait aussi plantureuscment que cellede Chiel ses droits á la vie, á de longsjours sous le ciel natal, aucune nature nedevait se cramponner aussi opiniátrement ál'existence ! Son esprit ouvert et lucide, ,saconscience sans reproche, sa santé robuste,sa superbe musculature, tout ce qu'il yavait en lui de sève, de ressort, d'énergie,protestait contre cette suppression de sonêtre, contre ce trépas anticipé, contre cetteannihilation d'un corps cl.élite báti pourdurer un siècle. Cet homme qui, la veille,dans le combat, avait affronté mille morts,mais les mains libres et certain de n'expirerqu'en se vautrant sur une litière de cada-

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vres ennemis, ne pouvait se résigner â selaisser saigner comme une ouaille, sans sedéfendre, en tendant même la gorge auxbouchers. Soudain ii écarta les toucheursqui l'acheminaient vers la fatale murailleet fonÇa en avant, tête baissée, taureau quise retourne contre les abatteurs. Ii trouaun premier rang de soldats, mais la haieétait double et les hommes du second ranglui barrèrent le passage et se jetèrent surlui. Continuellement ii échappait â leursétreintes. Tenu par les mains, il ruait ;saisi par les pieds, il mordait, et telle étaitsa vigueur herculéenne, que désespérants'en rendre maitres, les soldats se virentdans Falternative de devoir le sacrifier surplace. Enfin on Fassomma d'un coup decrosse sur la téte et on profita de son courtétourdissement pour le ligoter et le ra-mener auprès des autres patients. Más ilne cessait dinvectiver ses bourreaux et,dans sa rage, s'oubliait jusqu'à blasphémeret â désespérer de Dieu.

Chiel! Chiel! Ne fais pas comme lemauvais larron ! Fadjurait Guillot. Songe

ce que souffrit le divin crucifié !

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A ce reproche, le Torse cessa de re-gimber. Il se détendit. La crise se résoluten crabondantes larmes. Derrière le voilede ses yeux, le rude garçon meunier vit sedresser le moulin, chantier de son éner-gigue et manuel travail, le cher moulinentre Rymenam et Bonheyden. Isolécomme une vedette, de la chaussée les pas-sants apercevaient ses ailes aussi noiresque celles des chauves-souris, au-dessusdun rideau de sapins, devant lesquelsrégnait , - au milieu d'une étendue debruyères et de genêts, une mare glauquetoujours coassante de grenouilles pámées áfleur d'eau ou á cropetons sur les largesfeuilles des nénufars. C'était un moulintrès vieux et très noir. Il parut á Chiel plusvieux et plus noir que d'habitude et sesailes tournaient par saccades comme aurythme des sanglots du meunier...

Les soldats prenaient leurs distances ets'alignaient pour la dernière fusillade. RikSchalenberg, facétieux jusqu'à la fin, —n'avait-il pas promis â ses camarades, là-bas, de les distraire aux heures critiques ?— Rik le Schalk, cria aux soldats

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— Un instant !... que je fasse place á vosbalies !

Et il se déboutonnait, voulant se donnerle supréme plaisir de traiter les FranÇaiscomme il avait traité leurs placardsBonheyden.

Guillot la Taupe comprit son idée et neput réprimer un sourire ; mais au seuil del'éternité une certaine décence lui semblaitde mise.

— Rik ! se contenta de dire doucementGuillot au loustic en levant la main vers leCie!.

Le Schalk se rajusta dun air boudeur« Tu es bon, toi! On prend ses précau-tions avant de partir en voyage ! » Mais seravisant aussitót et pressant les mains deson chef :

— Au fait, tu as raison, Willem. Ce n'estplus la peine Nous touchons â l'étapenous serons allégés pour du bon. Autantalors abandonner eet engrais-lá en mémetemps que le reste de notre guenille...Puis, ils auraient pu croire que je mouraisen sans-culottes...

Les amis se donnèrent une supréme

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accolade et se recueillirent, en posture dese présenter devant leur juge.

Sans s'appuyer au mur, le corps droit etfier, la tête levée, la jambe avancée pourmieux prendre son aplomb, son feutre á lamain, ses abondants cheveux noirs satinéscomme le pelage de la taupe lui retombantsur le front en mèches ébouriffées, sonfranc et droit regard arrêté sur les canonsdes fusils, Willem Tuytgen, le fils dubourgmestre, semblait aller au devant de lamort.

D'une voix ferme il s'écria : « Voor Goden het Vaderland ! »

Les éclairs jaillirent des fusils avec unaccompagnement de tonnerre grèle quiétouffa le bruit sourd des balles perfora.ntles poitrines.

Tistiet et Tony s'étaient tenus embrasséset au moment °á les soldats épaulaient,Tistiet avait essayé de protéger son ami deson corps. Mais chacun fut mortellementatteint. Pivotant sur eux-mêmes, ils glissè-rent lentement le long du mur, les bras sedélacèrent, ils se détournèrent Fun del'autre ainsi que deux frères inséparables

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qui se sont souhaité le bonsoir. Ils ten-tèrent de ramener leur blouse sur leurvisage, puis, n.y parvenant pas, se cachè-rent la tête sous leur bras replié. On lesavait souvent vus ainsi, allongés cótecóte, le brun Oiseleur et le blond Joufflu,dans les guérets dorés, á midi, l'heure dela sieste des moissonneurs, et comme ils segarantissaient alors contre les rayons tropbrillants du jour, maintenant ils cher-chaient â se défendre du froid de Fombreéternelle.

Plus heureux que les trente autres, pources onze braves le premier coup avait été lecoup de gráce.

Quelques secondes au plus, les fonds etles horizons de leurs payasages familierss'éloignèrent, se fondirent, décrurent jus-qu'à disparaitre dans le vide. Emportésdans une course rapide, il nous sembleque ce soit la campagne traversée qui nousfuit et se dérobe, alors que nous-mémesdévorons l'espace... Eux, avaient dévoré lavie ! C'était eux qui passaient.

Les ailes du moulin de Chiel tournèrentde plus en plus lentement, le tic-tac du

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moulin de Chiel et les battements du coeurde Chiel se confondaient, se ralentissaientensemble, s'arrêtaient en même temps, etau méme moment les ailes noires s'arré-tèrent aussi et formèrent une grande croixprésentée par Notre Sauveur au dernierregard de son ferme soldat...

Un seul survivait cependant ; Chiel DeGolder le batelier

A peine effleuré par une balie, ii eut laprésence d'esprit de se laisser tomber et,après quelques minutes de complète im-mobilité, ii profita de Fentassement descadavres autour de lui, pour se trainer áquatre pattes en dehors de la zone éclairéepar les torches et arriver â se perdre dansJa foule. Déjà ii approchait de la ligne descurieux, touchait au salut. Les specta-teurs haletants, qui avaient vu rampercette masse noire, allaient doucements'écarter et le masquer derrière leurs files.Mais une femme • que démangeait cetterage d'indiscrétion, ce besoin de toutdéceler, communs á la généralité de sespareilles, ne put réprimer un bruyant mou-vement des lèvres en méme temps que du

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doigt elle montrait machinalement le mal-heureux aux soldats en train de débourrerleurs fusils. Les bourreaux coururentFévadé et le sacrifièrent dans les rangsmême des spectateurs.

Un sourd grondement, une huée malcontenue, s'éleva de la multitude, jusqu'a-lors témoin impassible sinon complaisantde ce massacre. La conscience populaireallait-elle enfin protester? CommenÇaient-ils á se douter, les glabres citadins, queces bons pacants de la campagne circum-voisine, ces simples, abattus, de sang froid,comme une volée de pigeons, étaient —mieux que des hommes, plus que le pro-chain, — des compatriotes et des frères ;que cette blonde et rose chair â fusilsfrancais, que ces rondes et larges ciblesde chair épanouie, représentaient la fleurde leur sang, le meilleur de leur race !

L'inepte action de cette boutiquièreacheva d'édifier les Malinois sur leurpropre lácheté. Mais il était bien temps des'opposer á present á ces horreurs. Lim-molation était consommée. Honteuse, rou-gissant une grande partie de

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la foule s'écoula en silence, s'évitant lesuns les autres comme des complices qui seméprisent et se font mutuellement horreur.

La misérable commère, aussi bourreléede remords que Judas, s'était empresséed'abandonner la place. Une légende veutqu'elle devint folie et que, maudite dans sadescendance, plus jamais le malheur nesortit de sa maison.

Quarante et un cadavres gisaient sur lechamp de repos converti en champ desupplice. Ecartant par moments les nuagesqui la voilaient de leurs crêpes funéraires,Ja lune montrait sur le mur gothique,éraillé, labouré par les projectiles, unétrange espalier, un plant de vigne quiavait crá spontanément ; des lambeaux dehaillons, des chairs déchiquetées, des por-tions de cuir chevelu, des éclisses crosfracturés, s'étaient aplatis contre la paroi etdessinaient des sarments et des enlace-ments feuillus, oû les caillots et des gouttesde sang jouaient les grappes de raisins.

La garde des morts ayant été confiée augros des troupes, une escouade pilotée parquelques porteurs de falots se rendit au

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logis du fossoyeur métropolitain. Intro-.duits, après force sommations et bour-rades, dans un réduit humide et plein detouffeur, le gradé commandant la patrouilleapprit au terrassier macabre la corvée queJa République réclamait de son civisme.Más le minable bonhomme se rebiffa avecune vivacité inattendue, alléguant que lui,Pierre- joseph Gooris, n'ayant jamais in-humé que les prélats et prudes gens de laville, ne pouvait, après soixante ans no-norables services, salir ses mains et sesoutils â des voiries de manants !

Les Jacobins, peu démontables cepen-dant, demeuraient pantois devant si fantas-tiques scrupules de dignité et, dérogeant áleurs habitudes, se retirèrent sans violentereet aristocrate d'une espèce encore inconnue!

IJs se rabattirent sur une troupe debourgeois qu'ils cernèrent et contraignirent

creuser la tranchée destinée aux fusillés,en mettant précisément aux mains des fos-soyeurs improvisés les béches et les houesabandonnées par les paysans !

Avant crenterrer les victimes, les soldatsles fouillaient, retournaient leurs poches,

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commenÇaient par s'approprier quelquespauvres bijoux, et, de prise en prise, enarrivaient â les dépouiller de leurs nippes,

les mettre complètement â nu.Suivant un usage répandu parmi nos

gens de mer, l'aide-batelier De Golderportait de petits anneaux d'argent auxoreilles. Pour aller plus vite en besogne,les profanateurs tiraient si brutalement surce pi-. écaire objet de leurs convoitises, quele lobe se fendit et qu'ils ramenèrent unbout d'oreille accroché â la bélière.

En procédant á ces rapines sacrilèges, lessoudrilles, mises en verve par quelquesrasades et leur entrevue avec l'impayablefossoyeur, plaisantaient les infortunés pos-sesseurs de cette quincaillerie, et ne trou-vant plus rien â leur arracher, se livraientmême â d'infámes mutilations sur cescadavres.

Enfin, ils prirent les fusillés par lespieds, les trainèrent jusqu'á la tranchée, lesy précipitèrent, pêle-mêle, et sautèrenttalons joints dans la fosse pour mieux lestasser ; puis, ayant recouvert le tout dequelques pelletées de terre, ils finirent par

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danser une carmagnole féroce sur le rem-blai. De loin, en voyant tournoyer etvaciller les torches entre leurs mains, onaurait dit d'un sabbat ou de quelque dansedu scalp.

Or, ces quarante et un blousiers dupays de Malines furent les premiers mar-tyrs de la cause patriale. Une chroniquesommaire, un froid procès-verbal consignédans les archives de la ville, ne nous aperpétué leurs noms qu'en les estropiant,.et l'annaliste n'a pas songé davantagerebouter Forthographe de leurs paroissesd'origine.

De monument, bronze ou marbre ? Point.Ni pierre tumulaire, ni même de croixexpiatoire. Mais qui donc, en dehors desarchéologues qui leur portent un intérêtprofessionnel, et témoignent á leur endroitune docte et frigide curiosité, entenditjamais mentionner ces obscurs palots !

A la différence des classiques victimesdu duc d'Albe, ces va-nu-pieds marchèrent

la mort sans marcher á la postérité.Moi, qui chéris et vénère la mémoire de

ces patriotes impolitiques, j'essayai de fixer

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leurs traits et de reproduire leur róle ences pages votives.

A cette fin, je ne recourus point â desincantations redoutables. Aux coeurs ai-mants, l'intensité de la tendresse suffitpour conjurer les élus. Non, j'ai simple-ment entrepris le pèlerinage aux cam-pagnes qu'ils hantèrent Là, m'étantimprégné de leur atmosphère natale et del'immuable mélancolie de leurs garigues ;convaincu de Fatavisme des terriens autantque de la perpétuité du terroir, j'ai retrouvéla chair de leur chair et le sang de leursang!

Que de fois, en cette arrière-saison, auxlueurs d'un couchant qui transforme enrubis les améthystes des bruyères, â cetteheure humide et crépusculaire, mi les voixdes angelus prennent de rauques intona-tions de tocsin, ai-je pressenti rapproched'une occulte présence, exaspérant encorel'éloquence farouche et la poésie troublantede ce pays suggestif entre tous !

Dédaigneuses du ciel même, les ámesnostalgiques revenaient â leur patrie ter-restre et chez un plastique moissonneur,

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186 LES FUSILLÉS DE MALINES

chez un braconnier qui me dévisageait aupassage et me saluait d'un pathétique bon-soir, je retrouvais la voix passionnée, lesyeux héroïques, les lèvres frémissantes,Fallure intrépide, Fincarnation complètedes fusillés du 23 octobre 1798.

Bruxelles, 18 aofit 1890.

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PIÈCES JUSTIFICATIVES

1.

Extrait des Chroniques Malinoisesde 1798 â 1814.

Mechelen 21 october 1798.

Eenen alderdroefsten voorval is hier binnenMechelen geschiet ter oorzake van de requis;tievan het jaer 7 der Fransche Republiek welkedroeve is geschied als volgt

Zondag den 21 october 1798 verzamelde opde dorpen in het ronden dezer stad eene me-nigte van jongelingen toebehoorende aan devijf dassen der requisitie die .als gevraegt wasdoor de wet voor soldaet te dienen onder de

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fransche troupen ; men hoorde den zelven zon-dag avond op verscheyde dorpen het stormender klokken, met geschreeuw en getrommel,hetwelk duurden den geheelen nagt, maer's maendags wezende den 22 derzelve maandtrok het ligt garnisoen dat hier lag, hier uyt,langs de Antwerpsche poort om te vervolgen,alle degene die hun in de waepens gesteld had-den of bijeen vergaedert waeren om hun testellen tegen de zoogenaemde requisitie, maarterwijlen het militair uyt de stad getrokkenwas, zag men langs de Lovensche poorte eenemenigte van gewaepènde en ten deele onge-waepende boeren hier binnen komen tusschenhalf huilt en hacht uren met trommelen enblazende hórens en trok langs de Hanswijck,L. Vrouwe straet en Gulde straet en ijzereLeene troupsgewijs naar de groote Kerk alwaereen deel van dezelve den boom van vrijheydafkapte die geplant was in het midden derzelve,een deel van dit rot begaf hun buiten de Diester-sche poort naer het fransche poeder magazijndat stond ten deele in houd op het kleyngesloten bolwerk naer den kant van de Loven-sche poort en plunderden hetzelve, een anderdeel derzelve begaf hun naer het gevangenhuysdie met gewelt den scipier Verhuist dwongenom alle de gevangene los te laten met bedrey-

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ging van zijn leven indien hij hetzelve wey-gerde en dewelke ook seffens los gelaeten zijn,van daer liepen zij naer het Stadhuys om allede kerste boeken te verscheuren maer inge-raekt zijnde op den bureau van Vermeulen huy-devetter die dan vrederegter was, verscheurdealdaer alle papieren werpende de Stukken doorde venster op de straet, en andere liepen naerde huysen van degene die in bediening warenhun uytscheldende met duuzende verwijtingen.Eenige van dezelve waren op St-Romboutsthoren geraekt en tusschen negen uren en halftien begonsten zij op denzelven te stormen,alsdan kwam te been en naer de merkt geloo-pen met menigte en in denzelven oogenbliekkomt eenen franschen j aegerlangs de Diesterschepoort hier binnen gereden en gekomen zijndeniet wetende als dat de Stad in opstand was ;tot ontrent den halven van de merkt riep deneenen boer op den anderen schiet ! en seffensontfing hij eene menigte van geweer scheutennaer hem, waar op hij ongehindert in. vollengalop de Diestersche poort uytgereden is ; eenweynig hiernaer zag men eene menigte van volkafkomen met een vernagelt stuk kanon, troknaer de Minderbroeders gang omtrent St-Rom-bouts thoren alwaer den bureau was van den.Borger Vanden Berg, brandewijn stoker woo-

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LES FUSILLÉS DE MALINES

nende op de veemerkt « in den Rooden helm »alsdan ontfanger der Contributies, maer alzoode poort van den gang gesloten was, en met hetkanon niet konnende schieten, beklommen zijden muer met op malkanderen te staen en alzoodaer in geraekt zijnde, opende de poort endrongen met geweld in huys, waer voor desen,de moeder der Minderbroeders woonde, endaer den bureau was van den genaemdenVanden Berg, en namen weg het weynig datdaer was. Maer in den grootsten woel, zijn tweeborgers langs de Koey poort vertrokken naerhet fransch garnisoen dat hier uyt getrokkenwas, die den Commandant derzelve waer-schouwde van alles Eetgene in de Stad gebeur-den, welke met naemen waeren Charles Sque-din, meester van den bureau der logementenen Antonius Van Keerbergen huissier, tusschenwelken tijd verscheyde borgers nog geloopenzijn, naar het huys van den bovengenaemdenVanden Berg, om hun gegeven gelt der Contri-butiën terug te eysschen, maer rond tien urenvan den zelven morgend, drong het zelve gar-nisoen wederom de Antwerpsche poort in, metden toom in den mond, met de sabel in de eenehand en het geweer in de andere. Twee kwae-men vooruyt gereden de Stad in, recht naer demerkt, waer op het oproerende en bijeengeko-

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men volk hun op de vlugt begaven, worpende hungeweiren en stokken op den grond, waer dooreen menigte gepakt zijn en op het gevangen-huys gezet ; hier en daer is er ook al eenigeborgers gekapt naer hun huys gaende, en opweynigen tijd was alles stil en gerust. Desnamiddags omtrent den avond wierd gepubli-ceert dat de Stad in beleg verklaert, diensvol-gens de Stadspoorten negen weken geslotenbleven; zoodat niemand uyt de Stad konde gaenzonder een schriftelijk biljet van den Comman-dant.

Den dag daer naer wesende 23 octobre 1798(2 Brumaire) vergaederde hier naer middag.eenen krijs -raed die vonnisten ter dood een-en-viertig van de gene die den gepasseer-den dag gepakt waeren, en op de bezonderstehoeken van de merkt stond het kanon metkannonniers met de brandende lonten, ende hetgarnizoen onder de waepenen, welke ongeluk-2ge des avonds het kwaert naer tien uren, deeerste vijftien, van het gevangen huys gehaeltzijn, tusschen twee linien van soldaeten metbrandende tortsen, en wagt voor en agtergeleyd zijn naer St-Rombouts Kerkhof, nietwetende dat zij aldaer zouden ter dood gebrachtworden, want vele van deze naemen hun brooddat sij hadden, mede, niets anders denkende of zij

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wierden op Antwerpen getransporteert. Maeraldaer gekomen zijnde en hoorende dat zijmoesten doorschoten worden, riepen om bij-stand den hemel aen, en seffens is het teekengegeven en zijn alle aldaer doorschooten.Naer de eerste executie hebben zij wederomvijftien andere gehaelt en dan nog elf. Welkeeenenviertig menschen op eene halve uer daerhun leven gelaten hebben. Het is niet moge-lijk te beschrijven het droevig gehuyl en ge-schreeuw van deze ellendige. Onder dezelvewas er eenen of twee die ziende hun droevigeynde, hun lieten vallen voor dat de scheutenop hun gelost wierden, deze zijn daar door-schooten ; geheel het kerkhof en den omtrekderzelve was afgezet met soldaeten en terwijlendie een en viertig dooden menschen daer lae-gen, gingen eenige ligte borgers die de fakke-len droegen, met eene wagt van franschen,naer het huys van Pet. Jos. Gooris, grafmaekervan St-Rombauts, om hem met gewelt tedwingen van die dooden komen te begraeven,hij zeggende, dat indien imand konde getuygendat hij dit voor desen gedaen hadde, hij gereedwas het te doen en dat den grafmaker woondeop het algemeen kerkhof buyten de Stad, enhet direct nog indirect zijn werk niet en was ; —hierop zijn zij alle vloekende weg gegaen en

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LES FUSILLÉS DE MALINES 193

hebben onder hun cellen grooten put gemaekten naer hun alle berooft te hebben van dat zijaen hadden, zijn altemaal in een, en hetzelvegraf gedompelt, tot schrick en verbaestheydvan alle de inwoners dezer stad is hetzelvegeschied. Op waerheyd alzoo dit geschreven is.

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II

Texte du Jugement de la Commissionmilitaire.

Ce jourd'hui 2 brumaire, an re de la Répu-blique frangaise, une et indivisible.

La commission militaire, créée en vertu de labi et composée des citoyens Mazingant, chef debrigade, président ; Chameau, chef de bataillon,Lefebvre, capitaine, Carnaud, capitaine, et Da-bon, sous-lieutenant, tous nommés par le géné-ral de brigade Béguinot, commandant les dépar-tements de la Dyle, de Jemmappes et des Deux-Nèthes.

La Commission convoquée â l'effet de jugerles auteurs, instigateurs et complices de larévolte qui a éclaté â Malines et environs, buspris les armes la main dans les rassemble-ments contre lesquels s'est portée la forcearmee.

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La séance ayant été ouverte, et lecture donnéedu procès-verbal d'information, le Président afait amener les prévenus au nombre de quarante-un et leur a fait particulièrement prêter interro-gatoire,

La Commission, après avoir entendu lesaccusés dénommés ci-après, savoir

1. Philippe Vanelcke, 70 ans, fils de Jean etd'Anne Brekaers, natif de Liest, y domicilié.

2. Jean Sleutz (Sluyts), 56 ans, fils de Pierreet de Marie Wins, natif de Elewyt, y demeu-rant.

3. Jean Teurfs, 21 ans, fils de FranÇois et deClaire Timermans, né â Muysen, y demeurant.

4. Jean-Michel Van Rompoy, 33 ans, fils deMatthieu et de Marie Gorens, né â Bonheyden,y demeurant.

5. Henri Schalenberg, 28 ans, fils de Fran-Çois et de Jeanne Vanoten, natif de Bonheyden,y demeurant.

6. Marc Vanderseypen, 38 ans, fils de Jean etde Pétronille Getz, né â Hornebeck (Hoore-beke, près d'Audenarde), domicilie â Hever.

7. Henri Grevarts (Gevaeris?), 42 ans, filsde Christian et d'Anne Balieux, natif de Saven-them, domicilie près de Malines.

8. Henri Heratens, 24 ans, fils de Charles etde Claire...., né á Bonheyden, y demeurant.

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LES FUSILLÉS DE MALINES 197

9. Baptiste Geelaerts (Geeraerts), 35 ans, filsde Jean-Baptiste et de Susanne Verbiest, natifde PerCk, y demeurant.

I°. Antoine Vaneylen, 19 ans, fils d'Antoineet de Pétronille Culemans, natif d'Elewyt, ydemeurant.

Jean-Baptiste Vervloet, 19 ans, fils dePierre et d'Anne Lésinel, né â Hewys (Elewyt),y demeurant.

12. Corneille Briets. 28 ans, fils de FranÇoiset d'Anne-Catherine Desanges, né â Sumegt (?),département des Deux-Nèthes, y demeurant.

13. Gilles Bull, 36 ans, fils de Jacques etd'Elisabeth Van den Broeck,né â Campenhout,domicilié â Sumegaet (Sennegat).

14. Pierre Goossens, 41 ans, fils de Jean etd'Elisabeth Praes, né â Wavre-Sainte-Cathe-rine, domicilié â Reymenand (Rymenam).

15. Ange Geets (Geerts?). 25 ans, fils de Cor-neille et de Catherine Vanhoeren, né â Hever,y demeurant.

16. Antoine Lambrechts, 31 ans, fils de Rom-baut et d'Elisabeth Keulemans, né â Heren, dé-partement des Deux-Nèthes, y demeurant.

17. Jean-André Papen, 20 ans, fils de Pierreet de Thérèse Hontens, né á Westerloo, domi-cilié á Bruxelles.

18. Joseph Boeten, 26 ans, fils de Jean et

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198 LES FUSILLÉS DE MALINES

d'Elisabeth Vanolken, né â Keerberghen (Dy10,domicilié â Reymenand.

19. Jacques Villeux, 26 ans, fils de Jean etde Marie Vervloet, né â Keerberghen, domicilié

Reymenand.20. Michel de Golder, 26 ans, fils de Gilles

et de Barbe Mater, né á Bruges, domicilié áMalines.

21. Guillaume Meussemans, 39 ans, fils dePierre et de Barbe Leviaux, né â Humbeck(Deux-Nèthes), domicilié â Hombeck.

22. Pierre Jacobs, 49 ans, fils de Jacques etd'Anne-Marie Mulder, né â Liesens, domicilié áWavre-Sainte-Catherine.

23. Pierre Verlieven, 23 ans, als de Guillaumeet d'Elisabeth Gonon, né et domicilié á Hever.

24. Guillaume Peeters, 32 ans, fils de Jean-Baptiste et d'Anne Verlinck, né et domiciliéMalines.

25. Gérard Meutendeck, 49 ans, fils d'Adrienet d'Elisabeth Deremmé, né â Hynhoremen enHollande, domicilié â Malines.

26. Henri-Joseph Knops, 22 ans, fils de Jean-Baptiste et de Pétronille Denoué, né â Malineset y domicilié.

27. Jean-Baptiste Van der Auwera, 20 ans,fils de Jean-Baptiste et de Jeanne Jacobs, né áMuysen, y domicilié.

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LES FLISILLÉS DE MALINES 199

28. Jean-Baptiste Peeters, 22 ans, fils de Jeanet de Thérèse De Vos, né et domicilié â Muy-sen.

29. André Lemmens, 36 ans, fils de Jean-Baptiste et de Jeanne De Boester, né â Desmert(Deux-Nèthes), domicilié á Reymenand.

30. FranÇois De Becker, 28 ans, fils d'Antoineet de Marie De Peuter, né â Walher (Walhain?),dép. de la Dyle, domicilié â Keerbergen.

31. Pierre Bosseman (Bosmans?), 26 ans, filsde Jean et de Jeanne Van Wyck, né et domi-cilié â Keerberghen.

32. Jean Geez (Geerts?), 26 ans, fils de Jean-Baptiste et de Frangoise Faucominy, né á Ma-lines, y demeurant.

33. Henri Dewys, 65 ans, fils de Jean et deBarbe Soomers, né â Eppeghem et domicilié áMalines.

34. Jean-Baptiste Knops, 23 ans, fils de Jeanet d'Anne-Marie Flashuyt, de Vilvorde, demeu -rant á Malines.

35. Guillaume Tuytgen, 31 ans, fils d'Henriet d'Anne Smetz, né â Malines, domiciliéBonheyden.

36. FranÇois Tilleux, 6o ans, fils de Pierre etde Marie Gellem, né et domicilié â Malines.

37. Jacques Rombaut, 24 ans, fils de Jacqueset de Jeanne Geets, né á Hever et y domicilié.

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200 LES FUSILLÉS DE MALINES

38. Adrien Van der Kaux, 28 ans, fils deLaurent et de Ger trude Antoine, né et domicilié

Malines.39. Jean-FranÇois Kasseux, 27 ans, fils de

Rombaut et d'Anne-Catherine Kasseux, né etdomicilié â Malines.

40 Pierre-Joseph Teuget, 46 ans, fils deJoseph et de Pétronille Van Beveren, né â Hum.-beck et y domicilié.

41. Jean-Baptiste Selderslaghs, 23 ans, filsde Liévin et d'Adrienne Dennuya, né et domi-lié â Humbeck.

Reconnaissant qu'ils ont fait partie de ras-semblements et qu'ils ont tous été pris lesarmes á la main, les déclare â l'unanimité con--pables de révolte et attentat contre la Répu-blique, et les condamne comme tels á la peinede mort, conformément aux articles I, II, III dutitre er de la 2' section du code des délits etpeines du 25 septembre 1791

Article premier.Tout complot et attentat contre la République

sera puni de mort.Article second.

Toutes conspirations et complots tendant â trou-bler lttat par wie, guerre civile en armant les ci-toyens les uns contre les autres, ou contrel'exer-cice de l'autorité légitime, seront punis de mort.

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LES FUSILLÉS DE MALINES 201

Article trois.Tout enrólement de soldats, levée de troupes,

amas d'armes et de munitions, pour exécuterles complots et machinations mentionnés enl'article précédent;

Toute attaque ou résistance envers la forcepublique agissant contre l'exécution des ditscomplots ;

Tout envahissement de ville, forteresse, ma-gasin, arsenal, port ou vaisseau, seront punisde mort.

Les auteurs, chefs et instigateurs des ditesrévoltes et tous ceux qui seront pris les armesá la main, subiront la méme peine.

ORDONNE que le présent j ug-ement aura desuite sa pleine et entière exécution, et qu'il en.sera envoyé une expédition au général comman-dant les départements de la Dyle, de Jemmappeset des Deux-Nèthes.

Ordonne en outre l'impression , l'afficheet la distribution du dit jugement au nombrede 3,000 exemplaires en langue franÇaiseet flamande, et que la plus grande publi-cité lui sera donnée dans les départemèntsqui sont le théátre de la révolte et environ-nants.

Fait, clos et jugé sans désemparer, en séancepublique, á Malines, les jours, mois et an. que

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202 LES FUSILLÉS DE MALINES

dessus, et les membres de la Commission ontsigné la minute du jugement.

Signé : Mazingant, Chameau, Lefebvre,Carnaud et Dalon.

La pièce officielle porte« A Bruxelles, de l'imprimerie républicaine,

placé de la Liberté, hótel du Lotto. »En téte :« Egalité, liberté. »On a omis fraternité, le mot n'étant pas de

circonstance.

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III

Extrait du Rapport de Lévèque,commissaire centra!, au Ministre.

Anvers, le 6 brumaire an 7.

Le Commissaire central près Ie dép. arte-ment des Deux-Nèthes.

Au Ministre de la Police Générale.

CITOYEN MINISTRE,

Ce que j'avais prévu dans ma lettre du29 vendémiaire dernier (20 oct.) ne s'est quetrop réalisé. Le 30, qui était en m'ème temps unjour de dimanche, a vu éclater une rebellionfurieuse sur presque tous les points de ce dépar-

17.

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204 LES FUSILLtS DE MALINES

tement. Prévenu de grand matin de ce qui sepassait á Boom, commune située â l'embou-chure du Rupel et de l'Escaut,j'y fis passer sur-le-charnp le détachernent venu la veille de Bru-xelles avec les canons.

La révolte éclatait au méme instant á Duffelet á Lierre, communes sur la Nèthe, et c'étaitDuffel qu'elle avait été concertée. Je fis portersur-le-champ trente hommes sur Duffel parContich et Waelheim, mais les brigands setrouvant en force, ce détachement fut obligé dese borner á la garde du pont de Waelheim,poste important qui établit la communicationentre Anvers et Malines. Le matin Lierre futoccupé par les révoltés, ils y commirent toutessortes d'excès, ainsi qu'à Duffel. El parait qu'ilsdevaient s'emparer la nuit de Malines, mais legénéral Béguinot, commandant de Bruxelles,prévenu t temps, y arriva á onze heures du soiravec du canon. Cependant ayant quitté Malinesle ier brumaire au matin pour balayer la cam-pagne jusqu'à Anvers et venir â notre secours,les rebelles occupèrent alors Malines, qui futrepris aussitót par lui.

L'administration centrale était en permanenceá son poste depuis le 3o au matin et prenait deconcert avec moi les mesures commandées parles circonstances. Avec 250 hommes au plus.

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LES FUSILLÉS DE MALINES 205

nous contenions cette grande commune oui desplacards incendiaires affichés avec profusionnous annonÇaient un soulèvement prét á éclater.On approvisionnait â la háte la citadelle, pours'y retirer au cas qu'on y ftlt forcé.

Le 2 (23 octobre) nous renvoyámes â Malines,pour se joindre au général Béguinot que lesrebelles y tenaient bloqué, le dit détachementqu'il nous avait fait passer, et nous y ajoutámesun renfort en gendarmerie et infanterie. Cedétachement le dégagea en opérant sa jonctionet le mit méme de repousser une attaque desrebelles. Mais alors la révolte avait embrassépresque tous les cantons ruraux, et les commu-nications furent coupées par les attroupementsrévoltés dans les villages, entre Anvers et Ma-lines. Ii parait que c'était le premier projet desbrigands, pour isoler Anvers et y tenter unsoulèvement ou une surprise. Nous avionsécrit de tous cótés pour demander des secours.Le général Desjardin nous amena heureusementle 3 un renfort de 8 t 900 hommes. Le 4 aumatin il en détacha 600 sous les ordres de l'ad-judant-général Durutt pour marcher sur Lierreet Duffel. Il ne nous est pas encore parvenu denouvelles officielles de ses opérations, les bri-gands interceptant les courriers et ordonnances .Nous savons cependant qu'il a occupé Lierre et

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206 LES FUSILLÉS DE MALINES

que les brigands avaient quitté la ville, maisdont il a été obligé d'enfoncer les portes avecle canon, les habitants ayant refusé de les ou-vrir. Un autre détachement de wo hommesentra dans Boom que les rebelles évacuèrent áson approche.

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IV

Extrait des « Origines de la Francecontemporaine » par H. Taine.

A quoi bon raconter la tragi-comédie qu'ilsjouent et font jouer â l'étranger? C'est unereprésentation â l'étranger de la pièce qu'ilsjouent á Paris depuis huit ans, une traductionimprovisée et saugrenue en flamand, en hollan-dais, en allemand, en italien, une adaptationlocale, telle quelle avec variantes coupures,abréviations, mais toujours avec le méme finale,qui est une gréle de coups de sabre et de crossesur tous les propriétaires, communautés etparticuliers, pour les obliger â livrer leurbourse et tous leurs effets de valeur quelconques :ce qu'ils font jusqu'á rester en chemise et sansle sou. Règle générale : dans le petit Etat qu'ils'agit d'exploiter á fond, le général le plusproche ou le résident en titre am,eute contre les

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pouvoirs établis, les mécontents qui ne manquentjamais dans aucun régime, notamment lesdéclassés de toute classe, les aventuriers, lesbavards de café, les jeunes gens â téte chaude,bref, les Jacobins du pays; désormais pour lereprésentant de la France, ils sont le peup/e dupays, ne fussent-ils qu'une poignée et de la pireespèce. Défense aux autorités légales de lesréprimer et de les punir; ils sont inviolables.Par la menace ou de vive force, le représentantfrangais intervient lui-méme pour appuyer ouc onsacrer leurs attentats ; ii casse ou fait casserpar eux les organes vivants du corps social, icila royauté ou l'aristocratie, lá-bas le sénat et lesmagistratures, partout la hiérarchie ancienne,les statuts cantonaux, provinciaux ou munici-paux, les fédérations ou constitutions séculaires.Sur cette table rase, ii installe le gouvernementde la Raison, c'est-á-dire quelque contrefagonpostiche de la Constitution frangaise; á cet effet,ii nomme lui-méme les nouveaux magistrats.S'il permet qu'ils soient élus, c'est par sesclients et sous ses baïonnettes ; cela fait uneRépublique sujette, sous le nom d'alliée, et quedes commissaires expédiés de Paris mènenttambour battant. On lui applique d'autorité lerégime révolutionnaire, les lois antichrétiennes,spoliatrices et niveleuses. On fait et on refait

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LES FUSILLÉS DE MALINES 209

chez elle le 18 fructidor; on remanie sa Consti-tution d'après la dernière mode parisienne ; onpurge, á deux ou trois reprises et militairement,son Corps législatif et son Directoire ; on nesouffre á sa téte que des valets ; on ajoute sonarmée â l'armée franÇaise; on lève en Suisse,vingt mille Suisses pour combattre contre lesSuisses et les amis de la Suisse ; on soumetla conscription la Belgique incorporée ; on op-prime, on pressure, on blesse le sentiment na-tional et religieux, jusqu'à soulever des insur-rections religieuses et nationales, cinq ou sixVendées rurales et puissantes, en Belgique,en Suisse, en Piémont, en Vénétie, en Lom-bardie, dans l'Etat Romain, á Naples et, pourles réprimer, on brûle, on saccage, on fusille...

Naturellement, on ne peut opérerainsi qu'avecdes instruments de contrainte; il faut aux opé-rateurs parisiens des automates militaires « desmanches de sabre » en quantité suffisante. Or,á force de frapper, on casse beaucoup demanches de sabre, et on est tenu de remplacerceux qu'on a cassés; en octobre 170, il enfaut deux cent mille nouveaux, et les jeunesgens qu'on requiert pour cet office manquent ál'appel, se sauvent, et même résistent â mijnarmée, en Belgique notamment, par une ré-volte de plusieurs mois, avec cette de vise :

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« Mieux vaut mom ir ici » Pouy lesfaire rejoindre, on leur donne la chasse, on lesamène au dépót, les mains liées...

(La Révolution, t. III. LE GOUVERNEMENT

RÉVOLUTIONNAIRE, pp. 612 et sui—vantes.)

« Dans la Belgique récemment incorporée,oû le clergé seculier et regulier vient d'êtreproscrit en masse, une grande insurrectionrurale a éclaté. Du pays de Waes et de l'an-cienne seigneurie de Malines, le soulèvements'est étendu autour de Louvain jusqu'á Tirle-mont, ensuite jusqu'à Bruxelles, dans la Cam-pine, dans le Brabant meridional, dans laFlandre, le Luxembourg, les Ardennes et jusquesur les frontières du pays de Liége ; il a fallubdiler beaucoup de villages, tuer plusieurs mil-liers de paysans, et les survivants s'en sou-viennent. »

(Le Régime moderne, t. I.)

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V

Extraitdes « Époques » de Beaumarchais.

« Au commencement de mars dernier, unétratiger m'écrit et me demande un rendez-vousau nom de mon patriotisme, pour une affaire,me disait-il, très importante pour la France; ilinsista, se présenta chez moi, et me dit

» Je suis propriétaire de soixante mille fusilset je puis, avant six mois, vous en procurerdeux cent mille. Je sais que ce pays en a trèsgrand besoin.— Expliquez-moi, lui dis-je, com-ment un particulier comme vous peut être pos-sesseur d'une telle quantité d'armes? ‘— Mon-sieur, dit-il, dans les derniers orages du Brabant,attaché au parti de l'empereur, j'ai eu mes biensincendiés et fait des pertes considérables; l'em-pereur Léopold, après la réunion, pour me

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dédommager, m'a concédé l'octroi et le droitexclusif d'acheter toutes les armes des Braban-gons, soumis â la seule condition de les sortirtoutes du pays elles portaient de l'ombrage. »

(T. V. PREMIL'RE ÉPOQUE, pp. 138 et 139.OEuvres complètes de Beaumarchais,Paris, chez Léopold Collin, 1809.)

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VI

Extraits des « Conscrits belges en 1798et 1799,)) par Augustin Thys.

Ce qui manquait â l'insurrection, c'était deschefs doués d'intelligence et de circonspection,des hommes d'élite qui, dans les circonstancesrévolutionnaires, dominent la foule par leurprestige, leur caractère, leur énergie. La Vendéeavait les Henri La Rochejac.quelein, les Gigotd'Elbée, les de Lescure, de Bonchamp, Stofflet,Charette, d'Autrichamp, de Bourmont, de Cha-tillon, Georges Cadoudal, et tant d'autres encore,rnoins connus; nos pauvres villageois se trou-vaient entièrement abandonnés â eux-mémes,tandis que les habitants des villes étaient commepétrifiés par la crainte et la terreur et n'osaientsouvent méme pas montrer leur sympathieenvers ces vaillants et glorieux, patriotes quidéfindaient au péril de leur vie la cause na-

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LES FUSILLÉS DE MALINES

tionale. D'autre part, le défaut d'organisation,le manque de munitions et surtout de canons.constituèrent une grande cause d'infériorité pourla révolte. C'est â ces diverses circonstancesqu'il faut attribuer l'insuccès de Malines... n

(P. 63. Écliteur Paul Beerts, Anvers, 1885.)

remprunte aussi â l'intéressant livre deM. Augustin Thys, ces appels aux armes, ri-més en la langue originale et d'une naïvetépresque intraduisible, dont je me suis efforcé dedonner un équivalent dans la complainte deRik le Schalk, â la page 56.

Regeerders van dorpen en sté,Waren de Franschen eens wech, hoe had u daermé?

Nederlanders blijft nu bij eenWij moeten standvastig wezenOm te waegen ons lijf en bloed,Voor de Franschen zijn wij te goed,Om met schelmen en dieven te strijdenDat zijn wij niet van zinLiever den kogel of te guillotien.

(Segd het voorts.)

Et cette autre proclamation non moins savou-reuse

Brabantsche jongers, schept nu weer moet,Om voor 't geloof te strijenGaet gij naer Vlaendren toeEn wilt u niet vermeyden.

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TABLE

PREMIÈRE ÉTAPE.

Matines

DEUXIÈME ÉTAPE.

Dimanche

TROISIÈME ÉTAPE.

A Malines

QUATRIÈME ÈTAPE.

Le cimetière de Saint-Rombaut. . 155

PIÈCES JUSTIFICATIVES.

I. — Extrait des Chroniques Malinoises de1798 â 1814 187

II. Texte du Jugement de la Commis-sion militaire . . . 195

III. Extrait du Rapport de Lévéque, com-missaire centra', au Ministre . . . 203

IV. — Extraits des Origines de la Francecontemporaine, par H. Taine . . . 207

V. — Extrait des Époques de Beaumarchais. 211

VI. - Extraits des Conscrits belges de 1798et 1799, par Augustin Thys . . . 213

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Achevé d'imprimer levingt-sept janvier mil huitcent quatrt-vingt onze,par A. Lefèvre, pour

Paul Lacomblez,éditeur â Bruxelles.

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