frappier - aspects de l´hermétisme
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ASPECTS DE
L HERMÉTISME
DANS
LA POÉSIE MÉDIÉVALE
Communication de
M. J. FRAPP
1ER
{Sorbonně)
au XIVe Congrès
de Г Association,
le
25 juillet 1962.
Si la série des
exposés sur la
redoutable
question de l he
rmétisme commence par le
mien,
je ne dois à
coup
sûr
ce
rang
qu à
une
raison
d ordre
strictement
chronologique.
Alors
que
j assistais
l automne
dernier
à
une
séance
du
Conseil
de notre
Association
où
déjà l on s occupait d organiser le présent
congrès,
plus
d un
dans cette
réunion estima
que
le
Moyen
Age, tant
de langue d oc
que
de langue
d oïl,
méritait d avoir
sa
place, ne fût-ce qu en
guise
de préambule, dans
des
consi
dérations sur « hermétisme et poésie ». Il ne m appartenait
pas
de m opposer
à
cet
avis.
Aussi
bien
il suffisait que fût
prononcée
—
ce
qui
advint promptement — l expression
apparemment irréfutable de trobar dus pour qu il ne fût
plus
permis
au
médiéviste qu on
avait sous la
main
de se
dérober à
une
amicale
invitation. Trobar
dus — art clos,
poésie fermée
—
n a-t-on
pas
là un équivalent exact, ou un
synonyme
plus
clair,
du terme d hermétisme ?
En fait, le trobar
dus,
qui
répond à
une volonté de
style
obscur,
qui
tend
à
rendre
difficile
d accès
le
sens,
celui-ci
n aurait-il
en soi rien
de mystérieux,
n est que
l aspect le
plus littéraire et le plus concerté
d une
tendance
fondament
le
u
Moyen
Age. Celle-ci relève initialement
d une con
ception
du monde
et
d un
outillage mental.
Comme
on
le sait,
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0
О JEAN
FRAPPIER
la
conception
est
d origine
platonicienne
et chrétienne :
les
apparences d ici-bas
ne font
que
refléter des
réalités sup
rieures et cachées. L outillage mental
provient surtout
de
l exégèse
biblique
et des préfigurations établies entre
l Ancien
et
le
Nouveau
Testament:
sous
le
sens
littéral
du
texte
sacré
11 convient de découvrir un sens allégorique et un sens myst
ique.
C est de
cette
conviction, de
cette
croyance essentielle
à
la
précellence des significations occultes, des
«
senefiances »,
pour user du terme médiéval,
que se
ramifient, comme
d un
tronc commun, les
divers
systèmes
de
la
symbolique (je
n ose
dire
immédiatement du symbolisme) et de la « moralisa-
tion
»,
la
hiérarchie
des
niveaux
d interprétation
(sens
littéral,
sens moral, sens allégorique, sens anagogique). Les animaux,
les
pierres
précieuses, les
couleurs,
les
nombres,
les lettres,
les sons, les mots et leur etymologie impliquent des vérités
morales et
spirituelles.
Sous leur écorce trompeuse les mythes
païens renferment des
leçons
de sagesse chrétienne. Des
r
seaux
à
demi
clandestins
de
correspondances et
d analogies
— orgueil des
clercs
initiés
à
leurs
secrets
— prêtaient en
principe
à
l hermétisme dans l ordre de la poésie.
Avec ou sans attaches avec l esprit de symbolique et
de
moralisation, le goût du secret, du langage clos, ou, plus
largement, du langage figuré, qu il semble permis de consi
dérer
comme un
commencement
d hermétisme, s est mani
esté au Moyen Age de bien d autres façons, sur des plans
variés,
à
des
degrés
bien différents.
Faut-il
rappeler le bl
son,
les
énigmes,
les
jeux
de
mots
et
les
rimes
équivoquées,
les emblèmes,
dont
la mode,
il
est vrai, se répand
surtout
aux
XVe et
XVIe siècles,
ou les senhals et l exigence du secret
dans
la fine
amor, ou
ces signatures par un «
engin
»
cryptographique
auxquelles eurent recours
par exemple
un Jehan
Renart,
que
la
critique moderne est parvenue
à
tirer des terriers où
il
s était
tapi,
comme
on l a
dit
(i), et l auteur encore probléma
ique
ujourd hui
des
Quinze
Joies
de
Mariage
?
Ce
ne
sont là
cependant
que
des
formes inférieures ou accidentelles de
(i) Cf. Ch.
V.
Langlois, La vie en France au
Moyen
Age, de la fin du
XIIe
au milieu
du XIVe
siècle d après des
romans
mondains
du temps
(Paris,
Hachette,
1924),
p. 357.
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ASPECTS
DE L HERMÉTISME DANS LA POÉSIE MÉDIÉVALE II
l hermétisme. On
en
dirait sans beaucoup d injustice à
peu
près
autant
du
style oraculaire, ténébreux
par définition,
si chez un Geoffroy de Monmouth, dans
les
Prophéties de
Merlin,
où
les
apparitions
et
les
métamorphoses
de
bêtes
fantastiques se mêlent à des visions d apocalypse,
une
im a
gerie comparable
à
la symbolique
des
bestiaires
ne
s apparent
itussi à un délire
onirique
propre à
contenter les fervents
du
surréalisme,
pourvu
qu ils consentent
à
lire quelques pages
de latin
médiéval.
Moins indiqué me paraît
le
rapprochement
qu on a
voulu faire entre le surréalisme
et
le genre mineur,
le tout petit genre, de la
fatrasie, caractérisé
par la divagation
verbale
et
des associations
d idées
éminemment
saugrenues.
Pour
ma
part
je
verrais plutôt dans la
fatrasie
une simple
amusette (peut-être
assaisonnée
par endroits
d allusions
satiriques
plus ou
moins
voilées)
et en quelque sorte un bur
lesque de l hermétisme.
Aussi
en parlerai-je un peu.
Non
moins que la symbolique,
une
tradition tout autre,
où s affirmait le souci d une poésie
savante,
entendons
d une
poésie
d art,
était
de
nature à
favoriser
l éclosion
de
l hermé
tisme.Ce culte d une forme
recherchée,
raffinée
à l excès,
non exempte
des
studieuses
puérilités
du
« maniérisme
»,
n était
pas
d une absolue nouveauté au temps
des troubadours.
L histoire
en raccourci
qu en a donnée
E.
R. Curtius
(2)
part
du
VIe siècle
avant J.-C.
et en
suit les principales étapes
à
travers
l alexandrinisme,
l Empire et
la fin du monde antique,
le
haut
Moyen
Age
et
le
Moyen
Age lui-même,
jusqu à
l épo
que
e la Renaissance
et
du
baroque.
De son côté Edgar de
Bruyne a estimé dans des pages consacrées à Virgile
le
gram
mairien (deuxième moitié
du VIIe
siècle) et
à
l idéal «
hispé-
rique », où florissaient les
artifices
du
style et
les surcharges
d ornements, qu il
s est
alors formé
«toute une
atmosphère...
qui
prépare
peut-être les voies
à
la poésie
savante et
her
métique du trobar
dus »
(3).
C est en
tout cas un
fait
(2)
Voir La littérature européenne et
le
Moyen Age latin
(traduit
de
l all
emand par Jean
Bréjoux), Paris, Presses Universitaires de France,
1956,
chap.
XV,
p.
331-367,
Le maniérisme.
(3)
Études
d esthétique
médiévale,
I,
De
Boèce
à
Jean Scot Erigène
(Bruges, 1946),
p.
114.
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12 JFAN
FRAPPIER
bien établi
aujourd hui
— depuis
un
article
décisif
de Robert
Guiette (4) — que la
lyrique des
troubadours
et
des
trouvères
d oïl, alliée à
la
musique,
fondait son
originalité
bien moins
sur un renouvellement
des
thèmes et
des
sentiments amou
reuxque
sur
des
variations
d ordre technique
—
un
agence
ment
ncore ignoré de
la strophe,
un mariage inattendu des
rimes
et
des sons,
une
surprise subtile dans
la
structure
de
la
chanson
— bref,
sur
des secrets de composition, menus, ex
quis, offerts
à
la
délectation
des
connaisseurs,
sinon des
in i
tiés. On
peut situer
le trohar
dus à l extrême
aboutissement
de
cette
«
poésie
formelle».
Cela
dit,
ne nous
berçons pas
trop
d illusions.
Si
des
vir
tualités
d hermétisme se trouvaient incluses dans la symbol
ique t dans les formes
savantes
de la poésie, il
reste à savoir
dans
quelle
mesure elles
se
sont réalisées. Des abords du
temple et
de son portique, nos poètes médiévaux ont-ils
pénétré
jusqu au
saint des saints ? Je crois que dans les
cas
les plus favorables ils n ont guère dépassé le vestibule de
l hermétisme.
Les
accords
mystérieux de
la
symbolique
furent
trop
souvent contrecarrés et dissipés par
le
didactisme,,
un zèle à peu
près
constant
d élucidation et
d enseignement.
Quant
au
trobar dus,
plus
proche
à coup
sûr
d une esthétique
de type mallarméen, on n en est
encore
avec lui
qu aux
« e
fances », disons, en toute
justice, aux intéressantes «
enfances
de l hermétisme. Il n en résulte
pas
qu à côté de
zones larg
ement
négatives je
n aurai pas à
signaler des éléments
positifs,
à
des degrés
divers,
suivant les catégories
considérées.
Mais
le plus important me
paraît
d écarter des méprises trop
fr
équentes et de distinguer, autant
qu il
m est permis, l authen
tiqueu faux hermétisme. Il faut avouer en effet que sévit
quelquefois
parmi les médiévistes la manie d attribuer,
in-
tempestivement,
des
sens secrets aux textes les plus limpides.
(4) D une poésie formelle en
France
au
Moyen
Age dans la
Revue
des
Sciences humaines, avril-juin 1949, nouv.
série,
fasc. 54,
p. 61-69
e* R°~
manica Gandensia, VIII,
Questions de
littérature,
Garni,
iq6o,
p. 9-23.
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ASPECTS
DE
L HERMÉTISME DANS LA
POÉSIE MÉDIÉVALE 13
Tout
dépend,
il est vrai, de
ce
qu on
entend
par hermétisme.
Afin
de
mettre
un
peu
de
clarté
dans une
question
qui n a
rien de très
lumineux
par nature,
il
me faut bien recourir
à
des
tentatives de définition,
à
mes risques et périls, avec
la
ferme intention
d abjurer
mes erreurs, si
je
m y vois
contraint
par
les
autres
communications
et par nos débats.
S agit-il
aujourd hui
entre
nous d hermétisme au sens pro
pre et premier
du
mot,
de la science
d Hermès
Trismégiste,
du
grand
œuvre,
de la
pierre
philosophale,
d alchimie,
ou,
plus
généralement, d une quelconque doctrine
occulte
(5) ?
Je ne le pense pas.
Que le contenu du poème soit
ésotérique
ou
non,
je tiens avant tout l hermétisme dont nous avons à
traiter
pour un fait de
style,
de technique littéraire, une obscur
ité
oulue,
calculée du langage.
Il
va
de
soi qu aune
forme
hermétique peut s unir un sens rare et profond —
et
dans ce
cas,
tant
mieux
—
;
mais ce
sens
n est
pas
nécessairement
incompatible
avec la
clarté
de
l expression.
Il
arrive,
inverse
ment,
u une pensée
ordinaire,
un objet banal
soient revêtus
des
prestiges de l énigme.
C est le
style
obscur, et
non
le
sens,
quel
qu il soit, qui
crée
l hermétisme. Quant aux exégètes
prompts à découvrir un sens caché sous des
termes
sans équi
voque,
il
y a
gros à
parier qu ils sont dupes
d un mirage,
à
moins
de
prouver
que
le
sens
évident constitue
un
truchement,
subtil
entre
tous, à
l usage
d initiés.
C est
ainsi
que
bien
vai
nement sans l ombre d une
justification,
on
a voulu
inter
préter la
fine
amor des
troubadours
comme une expression
ésotérique
de l hérésie
cathare.
Cependant une
définition trop
stricte
aurait
ses inconvén
ients.
Comment
ignorer qu indépendamment de l hermé
t ismenstitué consciemment par le
poète, un
autre
hermé
tisme
est
consubstantiel
à
la
part
inconnaissable
ou
incon-
(5) Rappelons-le
hermétique, «
relatif
à
l alchimie
»,
est
attesté
au
début
du xvue siècle
;
son
sens
figuré et littéraire ď « obscur, difficile
ou imposs
ible comprendre,
à
interpréter » n est pas antérieur
à
la fin du xxxe siècle,
de même
que
l apparition du nom hermétisme, dans ses différents sens.
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14
JEAN
FRAPPIER
nue de la
réalité,
aux
mystères
du monde et de l homme ?
Incertitude métaphysique, états inconscients ou subcon
cients, obscurément conçus,
ne
sauraient être exprimés
ou
suggérés qu obscurément,
échappent
du moins,
par essence,
à
la
pleine
clarté.
En
principe
un
langage
purement rationne
n est
pas
l instrument adéquat de l irrationnel. Au
contraire
il est
permis
de croire
à
un rapport
d équivalence,
on ne
dir
pas d exactitude, entre
une
forme
imprécise et le
don brut,
confus,
non
élaboré, de la sensibilité, de l émotion, de l
rêverie. A cet hermétisme spontané, plus vague, plus
fluide,
intermittent, devraient se rattacher, me semble-t-il,
le
sy
bolisme
et
le
surréalisme.
Hermétisme
spontané,
hermétisme
calculé,
celui-ci fondé
sur un
système
un
et
cohérent de l écri
ture, ont chacun un caractère distinct ; on admettra pourtant
que les
deux
catégories ne
restent pas
toujours sans contac
et qu elles
peuvent
s entrecroiser dans l acte poétique.
Il
n en
faut
pas moins
juger
qu une
obscurité voulue, ou
une demi-obscurité,
est
le fait
majeur de l hermétisme : « la
gage
au
cœur
du
langage
»,
ainsi
que
l a
dit
Valéry,
au
mieux,
langage
plus
dense
et plus
vrai, comme est
plus
vraie la valeu
étymologique d un
mot.
Hormis les cas de
mystification,
puériles
perfidies, le style
hermétique
a
ses exigences,
ses
devoirs, ses
avantages aussi.
La
règle du
jeu,
la
règle
d or,
consiste pour le
poète à enfermer un sens réel dans
le
coffre
de
sa
poésie,
mais
à n en pas
livrer
la clé, à laisser au lecteur
le soin de
la
chercher et,
par
une chance méritée, de
la
tro
ver.
Le
sens
doit
exister,
la clé
aussi.
Sans
quoi
l hermétisme
n est rien du
tout.
De cette invitation à
l exégèse,
étape provisoire et temps de
probation, on saisit aisément les bénéfices.
La
difficulté
opère
une
sélection :
le lecteur trop profane
est
écarté.
Seule
une
élite
est captivée,
entre
dans le jeu, est
mise
en
état
d alerte
poétique par la
surprise de l obscur
ou
du clair-
obscur.
Il
s établit
une coopération
du poète
à
l amateur.
Celui-ci ajoute
à
sa lecture des relectures ;
entre
le doute
et
l espérance, au delà
des
euphories de la poésie pure,
il
se
voue au tourment délicieux
du
déchiffrement. S il trouve la
clé de l énigme,
il
peut
dire
comme
le
«bateau ivre » de Rim-
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ASPECTS DE
L HERMÉTISME DANS LA POÉSIE MÉDIÉVALE 15
baud
: «
Et j ai vu quelquefois ce que l homme a cru voir.
»
S il a cru voir,
il
est déjà heureux. S il
continue
à
chercher,
il
prolonge
sa ferveur,
invente
peut-être un sens à
lui, crée
un
poème nouveau.
C est
à
cet
usager d élite,
et
non
à
l au
teur, que pensait amicalement Mallarmé en déclarant
: «
Nom
mer n
objet,
c est supprimer les
trois
quarts
de
la jouissance
d un poème, qui est
faite
du
bonheur de deviner peu
à
peu ;
le suggérer, voilà le
rêve. .. Il
doit y
avoir
énigme
en
poésie (6).
»
Qu on
veuille bien
excuser ces observations :
elles
vont
m aider,
je
l espère, à
séparer
le
faux
du véritable
hermétisme,
ou de
ce
qui tendait
à
celui-ci, dans quelques cantons, exami
nésommairement, de la poésie médiévale.
C est en
dernier
lieu
que je parlerai
du
trobar dus.
D abord la symbolique,
à
la
fois
symbolisme
en
puissance
et symbolisme desséché. Elle faisait
du monde
visible un
reflet
du
monde
invisible.
La
création
devenait
un
immense
alpha
bet. haque être,
chaque
chose était l hiéroglyphe
d une idée.
Quoi
de
plus
favorable à l hermétisme, apparemment,
que
ce chiffre
universel
? Mais là se trouvait
précisément
l écueil.
La
symbolique était considérée comme une
méthode,
un sy s
tème cohérent
d explication, une science, et
non un art.
De plus, les
clercs
n entendaient
pas
garder pour eux le tré
sor
du savoir. Entre
beaucoup,
Chrétien
de
Troyes
l a
dit
ainsi
: « Qui ne répand pas libéralement
ce
qu il a
de science,
autant que Dieu lui en donne la grâce, n agit
pas en
sage (7). »
C est
pourquoi
les
rapports
mystérieux,
fondés
presque
toujours
sur
de
vagues analogies,
de
simples impressions,
ou de
traditionnelles conventions, que
la symbolique
éta
blissait
entre
une apparence concrète
et
une réalité
abstraite,
étaient promptement révélés, dévoilés. En bonne conscience
et
le
cœur pur,
les auteurs livraient la
clé
et, du
coup,
abo
lissaient l hermétisme. Il
suffira d en juger par
les
bestiaires
(6)
Déclaration de Mallarmé à
Jules
Huret. —
Jules Huret,
Enquête
sur
l évolution littéraire, Paris, 1891.
(7) Erec et
Enide,
v. 16-18.
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1 6 JEAN
FRAPPIER
et par leur plus fréquente formule
ďélucidation,
comparabl
au signe de
l égalité
: E iço signefie... Cest
oisel [le
pélican]
signefie
le
fiz sainte Marie... (Philippe de Thaiin) ... Hydre
ki
a
plusours
testes
senefie
Готте
ki
a
autretant
ď
mies
co
il
a
ďacointances...
(Richart
de
Fornival).
Malgré quelque
variantes, d auteur
à
auteur,
la
symbolique
a tendu de
plu
en
plus à la fixité, a fini
par
constituer,
ou
peu s en faut,
u
répertoire
de
similitudes, un
code de «
senefiances
». Il
lu
manquait
et
l élan
créateur et la part
d ombre indispensabl
au symbolisme.
Est-ce à dire que
ce dernier
n a jamais
fructifié
dans
l
poésie
du
Moyen
Age
?
Ce
serait
là
une
disgrâce extrême
Heureusement, il n en va
pas ainsi. On peut même
estimer
qu
les
grimoires
des rapports symboliques,
l accoutumance
compter sur la
révélation
d un sens caché au delà de l imag
et du mot, le
réflexe
de la
«
senefiance », si
l on
veut,
ont
d
préparer des
auteurs de
plus grande envergure et animé
d autres
intentions
que
les
compilateurs
des
bestiaires
ou de
lapidaires
à
concevoir
et
à
réaliser,
en
quelque
mesure,
u
symbolisme
original.
Le Conte
du
Graal
est à
mes yeux
l exemple
le
meilleu
d une montée vers
le
symbole. Là, Chrétien de Troyes, u
maître du récit énigmatique au surplus, laisse flotter l im
gination du lecteur
entre
plusieurs interprétations possibles
entre un mythe païen
et
un graal christianisé,
en
jouant
de
ressources chatoyantes de l ambiguïté et de la pluralité de
sens.
Il
en
résulte un certain
hermétisme,
accru,
il
est
vrai
par l inachèvement du conte.
Accident
peut-être heureux
du biais
qui retient
aujourd hui notre
attention.
Il n en rest
pas
moins
que dans
le cours
de son récit, au développemen
gradué, Chrétien préserve
le
mystère, s abstient d expliquer
ou
ne consent
qu à
de
tardives, furtives, partielles explic
tions,
propres
encore
à aiguiser
la curiosité.
C est de cett
imprécision, de
cette
fluidité
que
proviennent
à
mon avis
l
symbolisme et le demi-hermétisme du Conte du Graal
(8 )
(8)
Je ne puis
présenter ici tous
les
arguments
utiles
à mon
interpré
tion.
e
l ai déjà
fait
ailleurs ]Perceval
ou
le
Conte
du
Graal, Paris, Centre
d
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ASPECTS
DE L HERMÉTISME
DANS LA POÉSIE
MÉDIÉVALE 17
Exemple à coup
sûr
privilégié que
celui-là,
mais non isolé.
Dans plus d une œuvre
médiévale,
on a le droit de recon
naître un symbolisme authentique
et
par conséquent, pour le
moins,
un
léger
hermétisme.
Il
suffit
parfois
d une
finesse
de
composition, d un trait insolite, un peu énigmatique.
Il
faut
surtout
que
la clé de
l interprétation
soit dissimulée, qu on la
cherche.
A l opposé,
l auteur de YOvide moralisé, féru
de
symbolique, épargne
à
son
lecteur
ce
beau
souci d une quête
:
pour chaque fable
des
Métamorphoses, il nous livre un sens
«
selonc estoire », un sens
«
selonc phisique », un sens
«
par
allégorie
ou
sentence »,
subdivisé
lui-même en
sens
moral
ou
satirique, en sens mystique, en sens eschatologique. Il nous
tend
non pas
une, mais un
trousseau
de
clés.
*
Le sens allégorique était un
échelon
dans la gamme des
significations symboliques (au surplus le terme d allégorie
était
employé
couramment
pour
désigner
toutes
les formes
et
tous
les
degrés de la symbolique). Précisons
une
fois de plus
que rattachée
à
la symbolique l allégorie
n est pas annexée
de
ce fait
au symbolisme. Il
est
même
assez
évident qu elle
s opposerait plutôt
à
ce dernier.
Au
lieu de s élever, comme
le symbole, du monde
visible au
monde
invisible,
de la
copie
au modèle, l allégorie correspond
à
un
mouvement
inverse :
métaphore
prolongée
ou
introspection
extériorisée,
elle
donne
une
apparence visible au
monde invisible des idées
et
des sentiments. De
toute façon,
ce que j ai
déjà
dit de la
symbolique en général convient spécialement à
l allégorie.
Cependant son rôle
est
si grand
chez les poètes
médiévaux
qu il mérite
peut-être
un
examen
particulier. D autant plus
que cet examen
ne
se révélera
pas
tout
à
fait négatif.
Pourtant, avouons-le d abord : les arts poétiques
du
XIIe
et
du
XIIIe
siècle
ont
beau
la
ranger
dans
la
catégorie
de
Vornatus
difficilis (9), on n attend pas, pour l hermétisme, un
Documentation Universitaire, 1953 — Chrétien de Troyes, Paris, Hatier
(Connaissance
des
Lettres), 1957, chap.
VII).
(9) Cf. Edmond
Faral,
Les arts
poétiques
du XIIe et du XIIIe siècle
(Paris,
Champion,
1923),
p.
89-90.
7/25/2019 Frappier - Aspects de l´Hermétisme
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1
8 JEAN
FRAPPIER
grand rendement de l allégorie. Il est rare en effet qu ell
n apporte elle-même
le
sens vrai de son discours. Personni
ication, elle donne son nom : Doux Regard, Nature, ou
Faim,
« maistresse
e
nourrice
Larrecin, le
valleton
lait
». Image,
elle ne
se
voile
d aucun
mystère
: la
Rose
fleurit au jardin d
Déduit.
L allégorie est
à
la
fois letre et sen, fable et vérité,
quand ce n est texte et glose dans
la
littérature
didactique
o
les formes
plus
ou moins variées qu elle revêt ne
restent
guèr
inexpliquées, si longtemps que s en fasse
attendre Yexposi
tion
(10). Qui
enseigne
doit être clair
et ne
saurait laisser couri
à
la letre
le
risque d une interprétation vicieuse.
Méditée,
orientée,
l image allégorique n apparaît
que
pour
éclater
sou
l analyse en mille
fragments
signifiants, ou
se
résoudre
e
idée. Captive, dans l esprit de
l auteur, du
sens
qui
la
justifie
elle ne
peut avoir l ambiguïté
du
symbole. Comme on l
dit
en
un
temps plus proche de nous que
le
Moyen Age,
«
l allégorie habite un palais diaphane
» (Lemierre).
Il n empêche qu on
irait trop loin
en déniant la
moindr
ressource d hermétisme
à
l allégorie,
ou,
plus
précisément,
à l usage
adroit
qu en ont
fait
certains poètes médiévaux
Je pense avant
tout
au Roman de
la Rose,
où
le jeu
allégorique,
appliqué chez
Guillaume de
Lorris aux
secrets de l amou
courtois dont
l intelligence
est
réservée
à une
élite,
acquier
assez de
complexité pour
devenir, dans
le
monde clos du song
et du
verger, un
arc-en-ciel
de
personnifications. Si classées,
étiquetées soient-elles, un halo d incertitude, avant de se
di
siper,
les
nimbe
un
moment
de
quelque
mystère.
Servant
imager,
à dramatiser
l abstrait,
l allégorie
confère alors
à l
pensée,
ou
banale
ou
subtile,
un attrait
d énigme.
De
plus Guillaume
de Lorris
et
Jean de Meun n ont
pas
manqué
de
déclarer,
plusieurs fois (n), qu ils
remettaient
à
plus
tard la
complète explication de telle allégorie
ou du
song
tout entier.
L opposition,
déjà
traditionnelle dans la poésie
allégorique,
entre
la
parole
«
coverte
»
et
la
parole
«
aperte
»
(ouverte) introduisait dans la
«
fable
»
un élément d hermé-
(10) L explication.
(11) Roman de
la
Rose,
éd. E. Langlois, vers 978-84,
1600-02, 2057-76,
10603-04, 21211-14, 15147-54.
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ASPECTS
DE
L HERMÉTISME
DANS
LA POESIE
MÉDIÉVALE IÇ
isme. Réserver
jusqu à
la conclusion l éclaircissement de la
senefiance
» était
propre
à
ménager
un charme, avec l espoir
une
exégèse,
au long
du
récit. Mais
ce qui
fait la nouveauté,
t
peut-être
aussi
le
piquant du
Roman
de
la
Rose,
c est
que
les
promesses de Guillaume et de
Jean
ne sont pas tenues,
que la glose attendue n est
jamais
donnée.
Il
semblerait par
conséquent que nos
deux auteurs aient
observé consciemment
une règle
essentielle
de la poésie hermétique
:
ne pas livrer
la clé. Cependant j hésite à soutenir cette opinion. Pour Guil
laume en
effet,
on sait qu il n a pas conduit son œuvre jusqu au
dénouement.
Quant
à
Jean, n aura-t-il
pas
finalement pensé,
en dépit
de
ses promesses
antérieures,
qu il
importait
peu
d ajouter
une glose
à
des
fictions
qui n en
avaient nul besoin,
tant
leur
sens était transparent ? On essaiera
d en
juger par le
seul passage où chez lui l invention
allégorique
puisse appa
remment déconcerter le lecteur (12) :
la
description
du
parc
merveilleux que Génius oppose,
point
par
point,
aux
«
truf es
et fanfelues »
du jardin de Déduit. Nous y trouvons trois
images
qui
ont
un
air
d énigme
:
i°
celle
des
trois
bouches
d où jaillit l eau de la fontaine
:
E
une e treis
en
trouverreiz,
20474
S ous voulez au conter
esbatre,
Ne ja
n en
i
trouverreiz quatre,
Mais toujourz
treis et toujourz
une
;
2°
celle
de
Г
«
olivete petite
»
qui pousse
et
croît
et
«
de
fueille
e
de
fruit s encharge » quand l eau
de la fontaine
baigne
ses
racines ;
30 celle de l escarboucle
toute
ronde
et cependant «
a treis
quierres
»
(à
trois
facettes), soleil de l enclos, qui
brille
dans la
fontaine.
Enigmes
?
Il faudrait être aveugle
pour
ne
point
reconnaître
le paradis dans
cet
enclos rond où la
nuit
et
le
temps
sont
abolis,
la
joie
et
la
connaissance
parfaites,
où
les
blanches brebis sont
menées
par un « bon pasteur ».
L olivier,
d ailleurs, porte un « rolet » où l on peut lire
:
(12) On ne
peut raisonnablement
croire
que la métaphore prolongée de
la fin (la
cueillaison de
la
Rose) ait
besoin d être élucidée.
7/25/2019 Frappier - Aspects de l´Hermétisme
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2O JEAN FRAPPIER
Ci
cueurt la
fontaine de vie
20521
Par
desouz
l olive
foillie
Qui porte
le
fruit de salu.
Les
deux
premières
allégories
désignent
à
coup
sûr,
l une
l Esprit Saint indissociable
des autres personnes
divines
l autre, la Vierge. L escarboucle ne défend guère mieux so
mystère :
cette
image de l unité dans la trinité est moin
banale
que celle
du triangle
equilateral
cher
aux
théologien
médiévaux,
mais
un esprit formé
par
l école
devait
la traduir
aussitôt — et
admirer la
virtuosité de l auteur (13).
Admettons pourtant
qu il
subsiste un léger voile, un sou
çon
d hermétisme dans
le
Roman
de
la
Rose,
assez
au
bou
du
compte pour que
Jean
Molinet,
deux siècles
après
Jean
d
Meun,
se
soit cru
autorisé à
le
« moraliser », à
le
« réduire
moralité
»,
comme il
dit, à l interpréter dans un sens chr
tien et
mystique,
en
oubliant
ou en
dépassant
la
«
substanti
fique moelle
»
du vieux
poème (on a
beau épiloguer, le sen
général est
courtois chez Guillaume de
Lorris,
correspond
une
sorte
de
naturalisme
évangélique
chez
Jean
de
Meun)
Molinet
explique,
explique
inlassablement. Rien
n est
plu
conforme
à
l usage
médiéval de la symbolique ;
rien
ne
s o
pose autant et au symbolisme et
à
l hermétisme.
Nous
changeons
de secteur,
et
de
registre,
avec
la
fatrasi
Il
ne
s agit plus
cette
fois de suggérer
ou
d énoncer,
au-del
au dessus du sens littéral, un sens caché,
moral,
allégoriq
ou spirituel. C est,
à
l opposé,
une poésie
du non-sens, un
jonglerie avec
l absurde. La
fatrasie,
nommée aussi fatra
derverie, resverie, c est-à-dire «
divagation
», n est pas an
rieure
au troisième
tiers du хше
siècle (fatrasies de Beaum
noir, fatrasies d Arras), mais elle se rattache
à
un courant
(13)
Voir
les
vers 20525-90. C est
sans
raison que certains exégètes
o
prétendu
interpréter
comme
des
symboles alchimiques, donc
hermétiqu
au sens
restreint du mot, les
images de
la fontaine,
de l olivier
et
de l es
rboucle (cf. M.
Caron et
S.
Hutin, Les alchimistes,
« Le Temps qui
court
Éditions du
Seuil,
Paris, 1959, p. 147-149).
7/25/2019 Frappier - Aspects de l´Hermétisme
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ASPECTS
DE
L HERMÉTISME DANS
LA
POESIE
MÉDIÉVALE
21
fantaisie
verbale
attesté
plus anciennement
et destiné à se
prolonger
jusqu au
XVIe
siècle, et
plus tard
encore, en
des
ormes diverses (sottes chansons, menus propos,
soties,
farces,
coq-à-1 âne, cocasseries
lexicales
et
autres
de
Rabel
ais) 14). La fatrasie
du
XIIIe siècle
apparaît comme
un
genre
fixe — onze
vers
de
cinq
et de
sept
syllabes, bâtis sur
deux
rimes, schéma
strophique (5a
5a 5b 5a 5a
5b/7b
7a 7b 7a
7b)
où domine
l impair.
La
forme
est
concertée, d un déséquil
ibrealculé.
Mais le contenu
s affranchit
du
possible et
du réel,
se caractérise
par l imprévu, le décousu,
le saugre
nu
15).
Non
sans parodier
le
lyrisme
courtois,
le
poète
s amuse
à
des associations d images
et
d idées que suscite la rime,
que
ne
freine
pas
la raison, qui
rompent avec la logique
ou qui
naissent spontanément les
unes des
autres. Est-ce de
l he
rmétisme
?
On en doutera fort, puisqu on voit
bien,
de prime
abord, qu aucun sens n est
à
trouver. Est-ce du
surréalisme
?
Il
y
a dans
la
fatrasie
une
étrange
combinaison de recherche
formelle
et
de mécanisme incontrôlé. De là vient
qu on
a
rapproché
fatrasie
et
écriture
automatique.
Cherchant
des
précurseurs du
surréalisme, Eluard,
entre
autres contempor
ains,
élevé
sur
le pavois
fatrasies et
fatras.
Honneur mérité
ou
non
?
Je crois que
P.
Zumthor a
justement pesé
le
pour
et
le contre
en écrivant : «
Surréalisme ? Sans
doute,
mais de
caractère purement linguistique. Le fatras vise
à
libérer la
langue de sa fonction la plus obvie (communicative
et
ra
tionnelle ,
alors
que
le
surréalisme moderne
a
tenté
d en
l
ibérer les
racines
mentales elles-mêmes...
Dans
la mesure
où
elle
rompt
fondamentalement
avec le langage
littéraire
court
ois t
sa
mentalité propre, la fatrasie constitue l une
des
toutes
premières émergences d une poésie
moderne,
d une
ors
nova.
(14)
Voir,
à
ce sujet,
l étude
fondamentale de Robert Garapon, ha fant
aisie
verbale
et
le
comique
dans
le
théâtre
français,
du
Moyen
Age
à
la
findu
XVIIe
siècle
(Paris,
Colin,
1957).
(15)
Je
ne
puis
entrer
dans
les détails et je renvoie
pour
un examen
moins
incomplet
au livre de Lambert C. Porter, La
fatrasie
et
le fatras,
Essai sur
la
poésie irrationnelle en
France au
Moyen Age
(Droz,
Genève,
et Minard,
Paris, i960), ouvrage
non
exempt d erreurs, et surtout
à
l article, perspi
cace t judicieux, de Paul Zumthor,
Fatrasie
et coq-à-l âne
(De
Beauma-
noir
à
Clément
Maroi)
dans
Fin
du Moyen
Age
et Renaissance, Mélanges
de
philologie
française
offerts
à
Robert
Guiette (Anvers,
1961),
p.
5-18.
7/25/2019 Frappier - Aspects de l´Hermétisme
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22
JEAN FRAPPIER
Mais, émergence
en
quelque
manière prématurée, surgie
de
besoins
encore
mal différenciés, dans
un
monde
encore trop
formaliste pour qu elle n y soit
pas
condamnée dès
le
be
ceau
à
la
sclérose
(16).
»
Soit.
Mais,
de grâce,
ne
guindons pas
la
fatrasie. Elle reste
plus près des
« loufoqueries », non
sans
étincelles, de Pierre Dac (17) que de la poésie d Eluard.
*
Je ne m écarterais
pas
de mon
propos
en parlant de
Villon.
Une
bonne
part
de son
œuvre appartient en effet
à
l herm
tisme,
n
hermétisme
très
personnel,
fait
d allusions
furtives,
de
railleries occultes,
compliquées, que pouvaient
saisir de
copains « dans
le
coup », mais que
le
lecteur d aujourd hui n
saurait déchiffrer sans avoir
une
clé
obtenue à
grand renfor
d érudition.
Cet hermétisme
est dû
aussi à la virtuosité
d
poète,
à
la densité de
son
style, et, plus profondément,
à
u
pli de
sa nature,
son
goût ou
son besoin de la
simulation, e
même
à
ses
obsessions
qu une
écriture secrète
aurait
enr
gistrées en multipliant les anagrammes de certains noms
pr
pres
— Catherine, Sermoise, Ythier
Marchant, etc.,
— dan
le Lais et le Testament, si Tristan
Tzara a
raison. Mais l
temps
me
presse
et seul le trobar
dus
des troubadours
doi
maintenant
me retenir
quelque peu.
Le trobar dus fut surtout
une
affaire de style. Il
ne
se fo
dait pas sur
de
la
métaphysique, une conception
symbolique
de
l univers. S il
ne fut pas
sans rapport
à l origine avec u
certain ésotérisme
de la fine
amor, avec
la loi
du secret, l
peur de
profaner l amour, l exaltation
tout intérieure du joi,
il devint
assez
vite
une manière
voulue
d écrire obscurément,
une
pure question
d art. On
sait
que
les troubadours
euren
au plus haut
point le
souci de la forme :
ouvriers
du vers,
ciseleurs de la
rime,
constructeurs de la strophe,
ils
miren
leur
point
d honneur
à
faire
de la
poésie
un métier
difficile,
à
polir dans leur
«
atelier
»
des
chansons «
de
bonne
couleur
»
(16)
P.
Zumthor,
loc. cit., p. 14,
16.
(17)
«
Les nuages sont
bien bas
ce
soir,
ils ne
passeront pas
la
nuit.
7/25/2019 Frappier - Aspects de l´Hermétisme
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ASPECTS
DE L HERMETISME
DANS LA POESIE
MEDIEVALE
23
comme
le
disait Guillaume IX
(18). C est là un trait
commun
aux tenants des trois styles qu on s accorde généralement à
distinguer
dans la
poésie
d oc au хие siècle :
apparent
déjà
dans le trobar
plan,
pourtant simple et clair, le
goût
de l art
savant, élaboré, atteint son apogée dans le trobar dus
et
dans
le trobar rie, tout de
raffinement
technique
et de virtuosité.
Trobar rie et trobar dus,
remarquons-le,
restèrent
au fond
étroitement
apparentés : si
le premier
ne visait pas en théorie
à l obscurité, en fait il se confondait
souvent
avec
le second.
A
moins
que
l inverse
ne soit
plus
exact et que l hermétisme
du
trobar dus n ait
surtout résulté d une recherche exagérée,
trop
passionnée,
de
la
forme
belle
et
rare.
Je ne songe pas,
on le devine,
à retracer
l histoire du trobar
dus.
Il me
faut
pourtant rappeler
qu il se discerne chez
Guillaume
IX
(19), le plus ancien des troubadours connus,
puis se
manifeste
amplement chez Marcabru, génie
orageux
qui
semble avoir besoin d un style enténébré pour
faire
jail
lir l éclair
(compte
tenu de toutes
les
différences, on serait
parfois
tenté
de
comparer son
hermétisme
à
celui
de
Rimb
aud). Cependant
deux troubadours,
plus jeunes d une génér
ation, Giraut de Borneil
et
Arnaut Daniel, passent
à juste
titre pour
les
maîtres
du
trobar dus. Encore advint-il qu après
avoir
pratiqué
et
vanté
le «
style
clos »,
Giraut de Borneil
chanta la palinodie au profit du trobar plan
: «
Je saurais
bien,
déclare-t-il dans
sa
chanson IV, la
rendre
plus obscure,
mais
un chant n a
pas
toute sa valeur, quand tous
ne
peuvent pas
y
prendre
part.
» C est donc Arnaut Daniel
qui
devrait
re
porter la
palme
du trobar dus, lui que Dante
et
Pétrarque
ont
mis
précisément au
premier
rang des troubadours
comme
le meilleur artisan de sa langue maternelle. Inventeur d une
forme exquise et
compliquée,
la sextine
—
celle qu il
a
composée, modèle
du
genre, est comparable
à
un travail de
marqueterie — Arnaut Daniel fuit studieusement
l expres
sion
imple
et
naturelle.
Aussi
son
trobar
dus,
auquel
ne
fait
pas
défaut
une pure beauté
d art,
appréciée, admirée des
(18)
Chanson
VI,
v.
1-3,
éd.
A.
Jeanroy (Les
classiques
français du Moyen
Age).
(19) Voir
sa
chanson
IV,
Farai un vers de dreyt nien...
7/25/2019 Frappier - Aspects de l´Hermétisme
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24
JEAN FRAPPIER
connaisseurs
médiévaux, a-t-il trop souvent l air
d un
jeu
gratuit autant que laborieux.
Allons
plus
loin
en
disant que malgré
leur
prétention au
style obscur
Arnaut Daniel et
ses
émules n ont
pas
tellement
pénétré
dans la voie de l hermétisme.
Ils
ont voulu, très
consciemment, donner un tour énigmatique
à
leurs
vers.
Dans le fait, les moyens du trobar
dus ont quelque
chose
d élémentaire
et
de naïf,
même
quand
ils
sont appliqués avec
virtuosité.
Ils consistent surtout
à forger des mots nouveaux,
non exempts de bizarrerie,
à
torturer des images et des mét
phores usées,
à
embrouiller arbitrairement
la
suite des idées
(ce
recours
facile
à
une
«
divagation
»
sans
commune
mesure
avec l intuition poétique était désigné
par
une expression
technique, entrebescar
los
motz, « entrelacer,
enchevêtrer
les
mots »).
Paix est
laissée en
revanche à la
syntaxe et
aux
ar
iculations logiques du discours.
Le
résultat global est
une
impression d étrangeté plus que d obscurité. Bref, on pour
ait
eprocher
à
l hermétisme du trobar dus de rester super
iciel,
trop
clair.
S il
fait
le
tourment,
délicieux
ou
non,
du
lexicographe
et du grammairien, il n éveille
que peu
l ém
tion sthétique issue du sens
secret
de l énigme. Il possède
à coup sûr
moins de mystère et de pouvoir d incantation que
l obsédante
et
crépusculaire chanson de Jaufré
Rudel, Amor
de
lonh, où l art,
tout
symbolique soit-il,
relève du trobar
plan. Pourtant ne soyons
pas
trop
sévère ou
trop négatif
:
malgré son insuffisance, on
admettra que
dans le trobar
dus
s ébauchait
un
hermétisme
analogue
aux
ambitions
de
Mal
larmé. Il faut
un
commencement à tout.
Voilà
terminée ma course
à
travers la
poésie
médiévale.
Elle
m a
fait traverser
des
secteurs si
divers
qu une conclusion
d ensemble
ne s impose
nullement. J ai
tenté
de montrer
pour
chacun
d eux
les
chances
de
l hermétisme
et
ses
échecs
partiels. Ai-je dissipé les malentendus auxquels j ai fait
all
sion
?
Si
oui,
j espère
avoir aidé
à
préciser les condition