georges darboy-introduction-aux-oeuvres-de-saint-denys-areopagite-1845-1992-photocopies-annotees

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, :" ., ,-' " lW'DARBOY .... ARCHEVÊQUE DE PARIS . ;.':.to. . , ... . ' :, ŒUVRES .. DE . .SAINT DENYS L'ARÉOPAGITE . TRADUITES DU GREC PRÉCÉDÉES D'UNE INTRODUCTION ou L'OX DISCUTE DE, CE'3 LIVRES lIT OU 1.'0:-l E:l;POSE LA DOCTRIXE QU'ILS. RENPERlIE11T, ET L'INPLUENCE QU'ILS ONT EXERCÉE AU MOYEN 'Ma REPRODUCTIOK de J'édition originale de i845 rI " .....\- ':) __ } PARIS TYPOGRAPHIE AUGUSTINIENNE 6, RUE FRANÇOX:S 1" i892 iÏNQTlrUT , ........ __ __-",-

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Scan : livre reconstitué à partir de photocopies effectuées en bibliothèque. Annotations en marge, mise en valeur du texte.

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TRADUITES DU GREC

PRÉCÉDÉES D'UNE INTRODUCTION

ou L'OX DISCUTE L'AUTIlENTICIT~ DE, CE'3 LIVRES

lIT OU 1.'0:-l E:l;POSE LA DOCTRIXE QU'ILS. RENPERlIE11T, ET L'INPLUENCE

QU'ILS ONT EXERCÉE AU MOYEN 'Ma

REPRODUCTIOK

de J'édition originale de i845

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PARIS TYPOGRAPHIE AUGUSTINIENNE

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Mon Révérend Pèl'e,

Pm' vol?'e let/re vous me padez des œUV1'es de saint Denys

\? l'Aréopagite qu'on ne trouve plus nulle P.a.rt. Vous me dites . ,.. )� que vous pourriez peut-être, si.je vous en donnais l'autorisation, ·'1,

pousser à faire cette ~dition. Je~eux b'ien, mon révérend Père, l-1 ' : vous autoriser à faire ce que voüi voudrez. C'est mon bien-aimé.

''l� frère qui en a fait les frais; je c?'ois que la propriété éta-it à ilti, car aucul'? des l?'aités qu'il avait entre les mains ne dit un mot des œuvres de sa'int Denys l'Aréopagite. Je vous laisse toute latitude, car je Sli:ïS ,bien. aise ~e ,vou~ .ét-:e. agl'éable.

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t� JUSTINE DARBOY•

...f: .' Fayl-Billot, 6 mm's 1887,

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Au T. R. P. PICARD, supérieur général des Augustins de

l'Assomption.

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INTRODUCTION�

li faut que les livres, comme les hommes, justifient de leur origine. Lorsqu'ils ne sauraient nommer leur père, l'opinion publique les accueille avec une sorte d'humeur hostile; et l'obscurité et le mystère, si puissants ordinairement à exciter là curiosité, ne font ici que décourager la confiance. Une réprobation anticipée fait à ces enfants perdus des destinées ingrates; et la flétrissure qui ne les avait atteints cependant que par voie de solidarité, disparait à peine parmi le prestige et daris l'éclat de leur réelle et propre gloire. Cette loi est empreinte de­pensées hautement morales, et il ne faut pas l'abolir; mais on doit l'appliquer avec discrétion et réserve, de peur d'être injuste. Après tout, le bâtard de Dunois vaiait bien un autre homme; et quand même l'Iliade nëVleIidrait pas d'Homère, comme le disent en effet quelques critiques d'outre-Rhin, ce n'en serait pas moins un beau poème•.".' . . Ces remarques sont parfaitement applicables aux livres dont on· ~ffre' ici la traduction.' On Jes"connait peu;' ori lès étudie encore moîns. Qui a entendu parler de s~int Denys l'Aréopà6ite

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.,f'·· Il I:s'TRODuc'nON

comme d'un philoso he distin"ué et d'un thé 10 ien sublime?] Je ne SaiS même pas sion vous ardonnerait d'invoquer Son au on comme antique et vénérable, quoiqu'il soit certaine. ment impossible d'assigner il cet êcrivain une date moins reculée que le quatrième siècle.

Eh bien, quel est le principe de cette défaveur? Est-ce la faiblesse ou le peu d'importance des écrits eux-mêmes? Mais 'la philosophie n'a. rilln produit d'jlussi élexé et d'aussi ~r,. 1

l'antiquité ecclésiastique n'li. guère d'ouvrages pllis remarguables. _~ ~'est-ce .ras plutôt le dou:t~'on éleY!!...mr leur authenticité? Je

le pense assurément. Faut-il donc admettre que ces œuvres soient apocr)'phes? Il est beaucoup plus facile de faire voir qu'elles ne le sont pas. Alors pourquoi les flétrir, à raison de leur supposition qui est moins certaine, et non pas les honorer

J\ à cause de leur authenticité qui est plus probabl~? Ensuite pour­quoi cet anathème préventif ne reculait-il pas devant la valeur intrinsèque et le mérite réÙ-4-es livres dont il s'agit? C'est qu'en ~tière d'honn~1!!: et. de )i.g!ti!!l~é,_un soupçon est tou­1JI .iqurs chpse grav!,1, souy.ent chose ~ortelle; et puis encore c'est précisément un de ces cas d'injustice dont j'ai parlé plus haut.

Ainsi deux questions se présentent: les ouvrages attribués' __ à saint Den)'s l'Aréopagite sont-ils véritablement de lui? puis quelle utilité et quelle portée faut-il leur reconnaître?

D'abord J'opinion que ces livres sont apocryphes, opinion mise __:))\ à la mode ar des ommes d'un catholicisme douteux,.~

amicalemerlt saluée .par le protestantisme en fou e., est-elle la mieux fondée en raison? Nous sommes loin de le penser. Il ne

_ ~ ~( suffit pas d~ q~e!gues sophismes acerbes, ni3~..p.~.Èel

esprit, pour s~ dispenser d'un examen approfondi, ou pour renare une décision sans appel.. D'ailleurs, quand même on

.=- éb~a?.!~ra.~t no. s preuv.es, il. resterait encor,e à fon]}rT'opi~ion

~op~e; nous_n~I.~~~eron~...E.~_à nos adversai~esle moil d'ese - livrer avec intempéraJ!..illtÀ~tou1eJl les négations imaginables,

tandi~ que nous serons d,ans l'obligation ,de. tout établir positTve· ) Ir ment..C'est pourquoi,ncms demandonll l~ révision d'un procè,

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IV INTRODUCTION

AHTICLE PREMIER

OU L'ON DISCUTE L'AUTHENTICITÉ DES LIVRES ATTRIBUÉS

A. SAINT DENYS L'ARÉOPAGITE'

On doit estimer que saint Denys l'Aréopagite est l'auteur des livres connus sous son nom.

On désigne avec précision l'origine d'un grand nombre de monuments littéraires; tandis qu'on n'est pas encore fixé, si tant est qu'on doive jamais l'être, sur la véritable origine de quelques autres. Il y a donc des signes qui décèlent l'âge et le créateur des œuvres de l'esprit, et des principes qui règlent la critique dans l'appréciation de ces marques diverses et dans l'application qu'il s'agit d'en faire. En un mot, il y Il. une législation d'après laquelle se constate cette parternité intellectuelle;· autrement, on pourrait dire avec impunité que les poèmes d'Homère furent écrits par un de nos contemporains, et que les dialogues de l'orateur nous sont venus des Chinois; autrement encore, on

( ne pourrait, touchant les .questions de ce genre, ni entrer dans le doute, ni acquérir la certitude.··' ,

Il existe donc de!! caractères distinctifs auxquels on peut reconnaître l'origine d'un ouvrage, soit que nous les trouvions empreints en lui-même, soit que des témoins nous les présen­tent. Car tout livre rappelle nécessairement une épo'que, un style, un ordre d'idées qui sont comIIie ses titres de' naissance;

•� et presque toujours 'aussi il est cIté, applaudi, ou combattu par les coqtemporains, ou par les générations po~térieures. .

Mais ces indications i~~~~.~9u~:.9..~~.'5tri!!.~es ne sont pas toutes également significatives. Elles se présentent parfois comme faits" matériels, et alors on essaye moins volontiers de les co~ parfois commejaits?mo~ux, et alors il est plus facile peut-être de les plier au caprice des interprétations diverses.,

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I~TRODUCTIO:'i v

Encore faut-il avouer !l~.. dans l'une ~t )'autre espèce, ~ n'âUeint~s, pour~s3a~, il!!"JJl~Re Q\lgr.!Lde certitude: la critique ne répand pas une égale lumière sur t6us les points de son vaste domaine; il Y a, comme dans le monde phy': sique, les ténèbres" ép~sses, la clarté ~oute..!!se et la splellik-ur

3 JJ <:=­ébloy,issante. ' '

Quand donc, en vertu de règles communément avouées, on, Il'applique à discerner les-.E~euves d'authenticité et les preuves d~pposition de quelque 'écrit, il' arrive, ~n qU'elles \ s'imposent ù l'intelligence et 'ù la bonne foi, de sorte qu'on ne 4 l peut les rejeter sans cesser d'être raisonnable et loyal; ~i~ïl

qu!!~,s 2..01licite!1~ l'adhésion avec plus ou moins de force,~

tellement qu'on peut les rejeter sans absurdité, mais non pas J ,sans témérité: ,- - - -- ----­

Il était bon de raJ?peler ces principes, dans une matière où il s'agit d'apprécier le si~~_~e et les~c!~esdes temps anciens, les négations et les affirmations quelquefois passionnées des) partis, et no_us vouJo,!!s plutôt fourni!:..~!! l_e~!.~.r)e~ éléments d'une solution, que .pr,oposer notre opinion d'une manière -' tranchante, li nous semble donc téméraire de nier l'authen­ticité des œuvres de saint Denys, et nous croyons qu'on en conVIendra, SI l'on veut examiner les preuves, soit iutrinsè<I!!l'ls,"" soit e~es;que nous rassemblons ici.

§ t··, - PREUVES iNTRINSÈQUES

Comment un livre peut-il attester lui-même qu'il est l'œuvre ' de tel auteur? C'est sans doute par les choses qu'il renferme;

( par le caractère des doctrines, Pilr.Jit,..Ç"Q!ÙLUJ'---s~.ér.allLd~le;

par la nature 'des faits consignés, Ensuite quand est-ce que cette attestation d'un livre doit être réputée valable? Sans doute

( encore quand, il ne, présente aucUJle cQ.g,tradiction'soit avec lui­même,soi'Lavec,a'autres monuments,du témps. Donc,'un écrit l\.e....!.oit pas: être reje~é comme apocryphe, lorsque: ,", ";,' "J

~. Il existe une parraite.!nalos.i~,~ntr~s doctrine~ d~ rauteuf (-=-. #.,J

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VI I~T1Ü)DUCTlON

~ ( prétendu et les doctrines qu'il dut profes~eryans le 'siècle où on ~ce et dans la position qu'on lui fait; lorsque: 0

~ .: 2° Le style, aussi bien que' le fond des .choses, rap"pelle J!~

études et la Eofession d'ailleurs conl1.ue~ du 'personnage; lorsque: 3° L'écrivain signale la part qu'il a prise à des événements

contemporains, et qu'il cite les hommes de son époque et les ') relations qui l'aÙathaienl à eu"x:telleme~que ces indications

sont en conformité parfaite 'avec ce que l'histoirè nous apprend delui ; lorsque-: ­

4,0 En attribuant l'écrit à quelque faussaire, on tombe dans des. 1

I difficultés réellement insolubles, dans des impossibilités morales.

l- Ces indices suffisent, parce que, en droit, les adversaires ne ( sauraientênimaginer d'autres, et parce que, en fait leurs observa­\ tions se ramènent à ces quatre chefs. Ces ind.ices...r~ ~~nt

1 --::3:> J\a.L~oins un haut degré de probabilité à u~lon: autrement, en droit, il faudrait abolir cette partie de la critique qui consiste

! à juger de l'authenticité d'un livre par les caractères qu'il

·1- \\ présente, et._~!l_f.att, ~!E~~s au~~_n.}i::~I!.]..!!!'.ait ~~~~~~!es

) JJ intrinsèques d'authenticité. . 0 • 00i : '! C'est our uoi il reste à conclure ue notr Aréo anite ùt i :auteur des ouvrages qu on UI attribue. En effet:

iO)Il existe une parfaite analogie entre les doctrines exposées 'r. 0

es livres, et les doctrines que dut professer saint Denys.J D'abord, membre de l'Aréopage, comme le suppose son nom, ! . r et comme l'atteste positivement saint Luc (i), Denys ne dut pas

\ re..s~r é~anger à la 0 p~_ilosophie. cë tribunàr;-'aont il ét~it

président, au rapport de Michel Syngel (2), ne se composait que d'hommes versés dans la science des lois et de la religion, ~t

c~ables d'apprécier les différents délits contre les citoyens; la patrie et les die'!x (3). C'est là que Socrate plaida la cause de-ra

(1) Act. Apgst., cap. 17, 34.' - (2) l\lichael Svnge\.; encoin~ .. in S. Dionys. - (3) Valer. Max., lib. 11, cap. 6; D~th. advers. Aristoc.;

1: Cicero, lib. l, ad Â1Uc. Epist. 11; lsocrat., oral. areopagiticâ; Lucian., ~ -.. , ........... lU Anachar~ seu de gymnasiil. . .

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")­I~TlWDUC'~IQS VII

'1'philosophie (i); c'est là que fut amené à son tour saint Paul; . prédicateur d'une philosophie nouvelle (2): A la vérité, on pou~ait di~e que l'Aréopage, en ceUe double circonstance, n'a pas f!lit honneur à ses lumières; mais il n'en serait pas moins évidllnt que les doctrines philosophiques devaient comparaître de\'ant ce sénat pour y êtré di~utéeset ju~~~s. Au ~eStê~'cette

Objection, si c'en est une, ne nous atteindrait' pas, puisque Q.enys, S1!bju6ué par_la .PJ,!,~Sj).m!t. p.arSl~~I'Apôtr~, pr~.!a la \ jus~~ssé-1de_ ~oJl ~ns phi!~sop!t.ïque, aussi bien ~~ s~c.9rrespQ.nr /. dance1..à la grAce. De plus, au premier siècle de l'ère chrétienne, c;~e dlÎtë'mps de Ci~on (3), et comme plus tard du temps \ 's

l( de saint Basile et de saint Grégoire (4), Athènes était le sal!.ctu,!irEj de l'éloquence.!-~ de.l!!.J2.hilosophie. . . 'TotiCIé monde sait la passion du peuple athénien pour le

beau langage, et que ces Grecs dégénérés, qui trouvaient trop \ pesante l'épée des vainqueurs de Marathon et de Salamille~

Il'avaient.pl~guère d'auÊ'eQccupatio~CLue de dire et d'en~

tendre quelque chose de neuC(5). Or, conçoit-on que, seul, l'Athé· ) nien Denys ne se'soit pas laissé emporter par le tourbillon de . la curiOSité générale? Conçoit-on que les nombreux auditeurs qui tour à tour inondaient le Portique, le Lycée;I'ACa-démle, ne l'aient jamais entraîné dans . leurs flots? Qiiând Romëët l'Asie abor.dai~nt au Pyrée, en demandant le chemin .des é.coles, Denys, personnage disti~gu.tLpar ses richesses, sa naissance étfes( qualités dë-~l?!!-_e~rit(6l, ne céda I;oin~ àIa tentatil?.n d'étudier ce que venaient admirer et apprendre les maitres du monde? Voilà çe qu'on ne saurait admettre-:-Ce ne sont ici que des COll"

jectures, dira-t-on. Il est vrai; aussi je ne leur suppose pas ce caractère de force invincible, par lequel des fait~ nettement établ~s ,déterminent en nous une pleine conviction:-Oui, ce. ne

Œ ~o, in Apologiû Socratis. ~ (2) Act. Agost., cap. il, t9• ....;:. (3) De Orat., lib .. l, no 4. - (4) ~g. Naz., Cuneb. oral. in ~I:;

no i5, seqq. - (5) -,-"'ct. Apost., cap. n, 2! ..- (6) Menrea Grrec:,.- ad 3 octob.; Vita Dionys. ; ~h., li.b. II. .

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l'm INTRODUCTIO!'1

sont que des conjectures; mais je sens que la bonne 'foi, r . _~ f -}'impartialité du lecteur les accueillera comme }§gilimes et 1 valables dans l'espèce. D'ailleurs elles se trouvent justifiées et

puissamment confirmées par les ménologes des Grecs (i), par l'autorité de Siméon Métaphraste (2), de ltlichel Syngel (3), des historiens Nicéphore (4), Suidas (5) et Eusèbe de Césarée (6), et de saint Grégoire de Nazian~): témo~Q~?~!mese~nti<.!ues,

-~ II que l.~ ~ostérité préfèr~a .s~n~_go..ut.e....ll.,UX..!t~gg.tio~~rdives et .alraJ)lfii.Jres de queIques cnllques protestants. Ensuite,converli àla fofPar sainfpàùl, le philosophe deVint) théologien éminent. Il reçut la vérité chrétienne av~e

-:') p!§_ni~ude syr.l!-bondlljlte, dont sa science philosophique et surtout sa fidéli~ à. l'appel di.Yin le rendaient capable. Effectivement cette intelligence, qui avait demandé vainement la réalité et la vie à de faux systèmes, ne dut-elle pas saisir fortement les enseignements substantiels et pratiques de l'Apôtre? Ce cœur; ~

qui jusqu'àlors n'avait gUère pu aimer que les ténèbres, n't;l.!!1­brassa-t-il pas la lumière avec un indicible transp?rt? Quel ne)

i­ fut pas le tressaillement de cette âme; lorsque, enveloppéedans J

:1 f le f!!et de la parole évangélique, elle se vit t~e du courani,

_0> fangeux' des opinions païennes, et amenée au Stand jo.iI~è.J(f pure et" sainte doctrine? Après la stupeur où le plongea nécesl . ~' sairement une transformation si subite et si intime, le premiel'"

sentiment qui toucha l'âme du néophyte, ne fut-ce pas un :'.::> J s~timent de re~onnaissance et de dévouement sans b~es Eojir

\ la vérité connue? Qui doute des succès d'un homme étudiant sous l'empireëi'u~ conviction miraculeusement formée, avec

", , (i) MCnœa Grœcor., apud, Co'l'dI', Citil.ta; oper~ Dionys., t. II." ­

(2) Vita Dionysii. - (il) Encomium' sancti DionJsii. ....:. (4) Ubisupra. .:....: (5) Dionysius Areopagita, vil' eloquentissimus, ad proranœ doctrinie Castigium provectus, in patrio Grœcarlim' disciplinarum studio pI'œcellebat cujuslibet sectœ peritissimus...- (6} Dionysius Areopagita: prœ,stabilis olim philosophus claret. -' (7) Or runeb. in Bas. Mag" no U. seqq. '~,~_ _ ,.'" " '

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I:HRODUCTlON IX

toule la fécondité~_I!_esprit cultivé et mûr, et avec toute' la ch~d'üïii!I!"!Q..Ilt:'JI.uiJ;9mm.e!':ce ? De plus, comme l'insinuent"

1ses biographes (i), saint DenY~!3~o21_~e~~..que le seigneur c Jlpr~et aux chrétiens de-COtïS'I~ te_m~s (2), ce qui échut si large-­~ ment aux chrétiens des premiers sIècles, les souffrances et la

f persécution; il lui fallut briser les liens d'amitié, de famille, de J rëi1gion;ël ces déchirements ne s'opèrent que parmi les raille­ries, les reproches et la douleur. Mais à cha ue humiliation de J1 noyoe_espri.t, corre~ond un rayon delumière Ivme; caque C:=­froIssement de notre cœur, une étmcelle de chanté; à c~e

de nos larmes, une gloire. Il est d~nc permis de. penser à ceux qui ont la foi, que Dieu changea les tribulations de notre saint en des trésors de science sacrée. Enhn, salllt Denys lut m'ITié \\ .<j~ 1

à Ta doctrine chrétienne par le sublime Apôtre dont il élait (. ­devenuluc.onql1ête : c'est ce ~~me lui-même (3) ; c'est ce

( qu'attestent unanimement les diverses autorités déjà citées, les J\ <: J ~ 1 ( ménologes, les biographes, les. historiens ecclésiastiques. Si donc

1'011 se rappelle que saint Paul, au rapport de l'antiquité, prenait sur ses auditeurs un magique ascendant: si l'on se rappelle la-haute théologie dont il a confié le secret à ses épîtres, on avouera que le disciple d'un tel maHre dut faire des progrès rapides, et, pour employer un mot de saint Ckrysostome (4-), què"'le ~'E'­r~~son de ceJ.J!igll} dut ~~dre v~ les ch~~s di Yines u'i.!Dagni. 1 flqu~essor.(·Aussi est-il dit qu'il se di§tingua par sa scie_nc~il..!!-lant,\

que Ear sa vertu, et qu'il fut choisi pour évêqu~ villel _ n~~e: Dionysius COl'inthiomm Episcopus... indicat qUOmOdO)\ c­Dionysius Al'eopagUa ab apostolo Paulo ad (Idem, secundùm ea qUiIJ ) in actis sunt scripta, conversus, primus Atheniensis parœciiIJ episco­palum suscepit (5) • . Philosophe~dis~ngué, pieux et savant évêque, appelé àjustifier les dogmes du christianisme devant les nombreux sectateurs de_. - -- - .----;- ­

. N'" , .(l) Âpud i. Ha.\loi~, éap. Ill. - (2) J~n .• l5, 20•. -CLWinrr~ d~ <~

On'. nominibus, ca.p. 2, 3, , et 1. - (4) De Saeerd" lib. IV.":" (5) ~uleb., Hist. Eeel., lib. IV, 23: et lib. Ill, cap. 5: cr. am; Hist. Ecel~

~ -. -. . N~. '1": '

~P2:-~~

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,.... x l~TIIODUC'Î'IO~

Platon, d'Aristote et de Zénon, saint Denys aborda sans doute re~--lùs hautes quesii;~;Ui tourmentaient la hilosophie et

tJ~ -=9 leur onna une so utlOn scientifique. La direction Jusque-là imprimée à son génie et l'empire des circonstances le jetaient nécessairement dans cette voie. Si donc il a laissé quelques écrits, on devra y trouver le doùble caractère que revêtirent ses enSeiinements, letconc~tions d.u philosophe @)1a~~u

( théologien. Or il suffit de lire quelques-unes des pages qui suivent, , pour se ~onvaincre que l'auteur de ces œuvres était ~gal~l!!.ent

fa~~né aux spéculations philosophjques,~ersédans la science'L de.,.!!-x:~is!Pn. Il dis~ert~ avec justess~et profondeur ~r_les plus incompré~ensibl~s attributs de Dieu. La création, l'origine

Il

~~ , ~ rr èt la nature du mal sont admirablement expliquées. La hjéI~chie

~ . r1} ~ " \1 des esprits'cjles~s est présen~ée comme un rellet de la Trinité, )MI D '. et cO]!!Ine le type 4l;l notr~, ~gJise terrestre. Les sacrements,," 1canaux de la gràû, nous tran'smettent la charité, Ile\îve--dë~f~u

quljailli~ du~ne_de l'Éternel, traverse tous Tes ordres des ~hoses créées, et remonte à sa 'source, eIJ!porta~_v~r!.k.~ill­cipe tous les c91u.!'!L<Lu~a J2l!.~4,~s. le clleste incen~ie, Les mondes naturel et surnatùrel sont décrits; leur dill'érence établi'é,1'èüfS rapports constatés; et, emporlêe sur les atles de la foi, la raison

Il de e nchit d'un vol tran lUe et assuré des ré ions l'que ~ul re"ard n'a .amais clJ,ntem es fi en trem an. u sur­, plus, des 'hommes qui portent un beau nom ans a science et la

religion ont donné à saint n~_s un brevet authentique de philo­

J\ sopl!ie et de thé_ologie. Nul ciuvrape de l'antiquité eccMslastiëîue .\ , ne -fut si fréquemmèrit traduit ou c,ommenté que les écrits de \ "notre Xrêopagde. S~-Eri~e en offrit une 'Version latme aux t:'rançais du temps de Charles-le-Chauve. Le moyen âge en fit ses

N~ \) déliëes,' èt Hs ,con. 'rent l'estime d'es' plùsrenom!Dis cteurs, '~ 1 I.!upues de Samt-Vlc!pr, AIÈ~r - ,e~ ran, exan re de' H~lès,.

- saint Thomas. Marsile Fiein, que la renaissance appelait l'âme)} , .~'I\'d~~1 enrichit de,no~~is.~t~',p'li!~lêurs,_dis~e

_ sàil~Js. Enfin B~et leur emprunte'J;Jarfeis ces puissantes • . idées, par lesquelles son génie élargit et iI1~m:Î1i'e ·1~s·queStions.

11, (-;<..; "'.:: 1.)

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c.. r t";,.?lltt'l' .--.ll. L ~.L,'3 t~):. J...»...l...,

.. " .•~'.1_. -', .... '

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A,r INTRODUCTlO~ Xl

Puisqu'il a été prouvé d'un côté que saint Denys l'Aréopagite

/:1 l~ru,t l"ersé da,n,'s la science de l~ilosophie et du hristianisme, ~ et que .d'autre part, s~es rappellent à la fois I~~ehè:,(

et le docteur lde l'!t~lise, on doit condure qu'ils ont ce signe. iDt~iDsêqu; d'authenticité que nous avons indiqué en premier.' lieu. n est uai, la con~or#ri~e'que il~us venons. de signlller7G.. ~

n'établit pas une pa:fmte cer~ltude. Mals,~~uestlOn ne co~- o<e.. p()rtant poi~t une demonstratIon mat~ématIque, on ne sau~alt ~ ,( l'exiger de nous; tout ce qu'on peut attendre, c'est que notre )'" h~ ~0.

opinion soit marquée au coin de la vraisemblance et même de ê<.~ e.),' ~

( la probabilité. Or, nous croyons que le lecteur la jugera telle.. --' ­Ensuite, quoiqu'un faussaire donne sans doute à ses œuvres un semblant de légitimité;il ne faut pourtant pas traiter une œuvreJ~

comme supposée, par cela seul qu'elle a infiniment l'air d'être authentique;~Si vous trouviez une charmante toile, au coloris gracieux, aux lignes harmonieuses et pures, où une Vierge serrât contre son cœur de. mère un enfant qui sourit comme 1 un Dieu, ne feriez-vous pas acte de raison et de science, en· nommant Raphaël d'Urbin, lors même qu~on vous dirait que le nom du peintre n'a été peut-être inscrit au bas de la merveille que par une main frauduleuse?

Chacun pourra maintenant apprécier la valeur des objections \ présentées par les, v~rsaires, relativement au point que nous- t . venons d'établir. 'rasmè"}ecourt aux expédients pour faire voir ~~

que saint Ilenys n'était pas membre de l'Aréopage. Le même' grasme e(Laurent Va~essay,ent de railler agréablement ceux qui croiraient qUe~è'auvre Aréopagite pouvait être autre.

,chose qu'un idiot. culte jure sa foi de calviniste qu'il n'y a pas l'o:bre de tMologie ans les œmTes de notre écrivain, a~u\\ _ fJt'l

, qlJ,.!l ose parler des, .an€ie~ plus explicitement que les autres ( ­doctears de l'Egli~~ Erifin~,une nuée de critiques plus ou m6ins, obscurs, ' . ";.' , ._

" . r- " Et vet~rèm in limo ranœ cecin~re' querelam, ':(

trouvent plaisant qu'il cite- des témoi"na"es dont il n'y' a pas • • 0 0

"vestige 8.lIIeurs; l,""

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"a..... ~;~ ~

1e<--t: ~ v" 1..» rI' ~<..e.s ,.....ft ~~ v6~t;.'

1 XlI INTl\ODUCTION

, Un mot de réponse il chacun de ces aristarques, ' , -'--­ .Selon ~ le mot de saint Luc, &pEOitocy(rtl~, signifierait~

DOnon point membre de l'Aréopage, mais bien citoyen du quartier de • <l Mars, &pl\O~ 1tciyo~. Vraiment on était en droit d'attendre d'Érasme

autre chose que cette lourde espièglerie, Le spirituel littérate'ur q'iîi recevait de tous les monarques de son temps des pe'nsions ou des éloges, et que la gravité papale daigna honorer souvent d'un sourire de félicitation, n'aurait pas dû abuser de sa répu­tation, ou, si l'on Ilime mieuX, de- sa science~lléniste, pour iffiilginerun ar umentqui a le double malheur d'être une fausseté et de sen Ir a pé agogle. a ord le mot 'Irliyo~ des recs n'est pts et ne peut être air synonyme du pagus OÜ vicus des Latins; les meilleurs lexicographes assignent aux deux mots une étymo­logie, une quantité et une signJficatiQn di~rerites-(i).-D·ailleurs,

la rue qu'habitait le néophyte Denys importe peu il l'édification!des fidèles, et il est probable que saint Luc ne tint ni il savoir, ni à dire une semblable particularité. Enfin le contexte du récit des Actes (chap. XVIl)aPP..ell.e.u!1.~..i!!!~.!l~rétation; et de fait, il n'y a aucun père,~~J.'§;lis~ni ~~ commentateur <{ui

--) n'ait pensé que l'expression~ritig\lée_ désigne un membre de

1

Il __:::» l'A~age. O~, nous' aimons mieux suiyr.e_JaJ.çg~l~im~~~sê

fJ'] --::. 1des écrivains catholiques que ce batave indécis dont on n'a 'pu =~ JI constater précisément la physionomie religieuse,

~ Érasme et r;aurent l.ya!!.e, s~im~~x conte~o!,ain,

affirmentque, touta:reopagite qu'on le suppose, saint Denys ne connaissait nullementla philosophie. Sans doute on pouvait faire partie de l'Aréopage, on peut même s'appeler Laurent Valle

;. ( sans être éminent philosophe. Mais il faut avouer aussi que le \, titre§aréop,agite n:~mpl~g_~.P..ll:.s ~éci-~~iremenU'idiotisme.

L.·Antiquit~tou.~ entière adm~~of~.Ë~; c~n.,dit què ri:D ~lest.1!Jqs -constant, ferme.,.e.t séYè«....q~opagej et ailretîrs,

1"-" , que tAré.Qpage eslla pro,vidence.. t!'Athènes, comme Dieu est la, [

providence de l'univ.ers: Negare hune lIïundum irov'iden;,id "égi, - ----. -. ..... '. .

(t) Robert: Stephan., thesaur. ling. lat. verbo Areopag., ' : .

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.., i-~ VI....G~~ ~ S .,

INTl\ODUCTION XIIl

idem est ac si quis dicat Athenas sille Areopagitis "egï consilio (i).Si donc des conjectures grandement probables faisaient conclure .que ~rés~aent de ce tr~_~a:l ~~é laissa quelques écritsemprelDts es d?ctrlDes ph~l?sophi~ues de son te~ps, faudra!t­

( il crier de suite a la SupposItion, et IDvoquer son titre de magis­trat comme une fin de non-recevoir? Cela'ne semble pas logique;et même après le~ critiques de la renaissance, on peut ~.ps \\absurdité que samt Denys ne ~1~J_pas étr~nlier à l~ilülo~phle. J

~ _~.-!."inistre....p1:ote~tant ~s'est livré à des recherchesJ multipliées, je ne dis pas consciencieuses, sur la question qui .nous occupe. Or il a découvert

Labor iinprobus Olunia L....

que saint P~ul, déclarant ineffables les choses qu'il avait ~ntre- )\vues (2), voulait .pi1~is~m.eïlt-parler .de la' hiérarchie céleste,dont saint Denys trahit le secret dans ses livres, Ce_Sculletavaitune lat:ge manière d'Interpréter les tc..!'ll,.l!X:~s. Il a déèOiiVert que 1 j:.c./A~saint. Irénée Breres. lib. II ca • LV) condamne comme IDsensés

tf

, t.ous ces istoriens du royaume des anges. Ni à l'endroit cité parJefldèle dépOSitaire de la foi réformée, ni même ailleurs, le( saint évêque des Gaules ne dit rien de semblable à ce qu'on lui

fait dire. Pour être impartial, j'avouerai que saint Irénée flétritde son blâme et réfute ~ion qui admettait deux dieux, et lesV~iens qui faisaient de la divinité je ne sais quel monstrueuxassemblage de trente .Éones, de noms et de propriétés di verse~;

~ ce qui prouve clairement, comme chacun voit, qu'un papiste 'du(~ pren;liex;,.siècle ne pouvait rien nous a~prendre touchant les pur,s. esprits. Au fond, ScuUet lie manquait pas de sens commun :..a)

réforme ni dis cnse d'a' outer foi aux tradi tions, peut.dispen&er (- Il(JllU même titre de citer. exactement es t mOlgnages écrits. fi adécQùTert enfin, ce qui pour cette fois est véritable, que ~tAultustin éprouve quelque, embarras il définir cette que,stiQn de. '. .. . . ..

. " . ... (t) Lib. l, ad Atlie. Epist. 2; de Nat. Deor., Iib~ n, nO 40. - (2) Il;Cor., 12, ". ...:.. :. . . _. '.(, .

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I1".k.•

Il-t XIV I~H\OD.lJc:1.10~.',. la hiérar.ch.ie~~élique (f), et que saint Grégoire (2) et saint Uewi!rd (3) ne cherchent point àcIasser, d'après la doctrine de

f saint Denys,les rangs de l'armée céleste~ Un catliolique con­.N!] 01>0 =èl\ cIuerait de là que l'enseigneuient des docteurs en cette rencontre

Q v .. ne se présente pas comme fondant un dogme de foi; c'est effectivement ce qui ressort de leurs écrits, et ce qu'on pp,ut constater en interrogeant les théologiens, Petau par exemple (4).

. \MaiS le pasteur calviniste trouve que, tou;I;s Péres ayant usé ·N CI .~ J de ~tte libe~Jé d'QI!ini.QJ.I:~Église laissetouchal!!.l~ e0.ints

non .décidés, saint Denys dut être excepté de la loi universelle, et ne put dire son sentiment. C'esfjuste encore une foiS :pour­quoi ~ultey qui mutile les écrits des Pères, et explique les

\1 saintes fë1fres_au bénéfice ~e ses préjugés, serait-fI tenu de res­pecter la logique? .

Enfin on a voulu ériger en preuves intrinsèques de supposition les extraits que notre auteur emprunte à saint narth~lemi et aux personnages Hiérothée et Justus, et la diversité d'opinions qu'il attribue à quelques-ùns· de ses contemporains touchant un même texte ou un m·ème fait. Car, d'une part, qui est-ce qui a

~ ~ entendu parler des IÏ\'res de saint Barthélemi, de Hiérothée et de Justus? Et de l'autre, comment croire qu'on ait pu se ·livrer; dès les temps apostoliques, à une telle variété d'interprétations? Mais d'abord est-ce qu'on ne peut pas, est-ce qu'on ne doit pas

J ) \ admettre· que n~a'~ÏÏS perdu ïofiilt:~~ule-demonu­~ents de rantiquité_ch..r!~ienne? Plusieurs Pères et plusieurs théologiens, qui ont traité les questions d'herméneutique sacrée,

~ n'flvouent;'ils pas que certains écrits, même in§.p.irés, ont disparu J'l saris laisserJ;lw~~ (5)? Serait·il donc si étonnant que, chez des

hommes ,en grande partie illettrés, à une époJIY.!LQJU1.J!'.y-avaitW derâres et difficiles moyen.Lfueproduire les œuyr~s litté:

.... : ~ ...

(t) Eit.Q..~i~d Laurent., cap, 58. - (2) Hornil. 34, in Emng. ..;.. (a) .Sermo t9, in cantiq. - (4) De Angelis. - (5) Athanas. Synopsis. ­C1irYs05t.,h. 9 ili:1\1a:tf.,:et lilibi. - lkllarm.,î ~v., lib. IV. -

Serar., in Prolog. Dib!. - Bonfrer., Prolog. in Script., cap; 6. . .-. .......... ---­. '

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I~

IHnODUCTIO~ XV

raires, parmi les Alarmes et le5~1&ultés d'une vie incess~~-

[ rient agitée, on ait fini par ne l'lus entendre parler d'un livre de Iherollïéeou de Justus, et d'une épître de saint Barthélemi? Ou bien muIez-vous dire que les générations antérieures doivent à celles qui les sui vront, le catalogue et l'aualys~ des productions que, de plein bTé ou forcément, elles laissent aller à l'oubli'! Ensuite n'est-il pas certain qu'on peut trouver plusie.urs raisons

( J'un même rite; qu'un même texte et un même fait sont passibles d'interprétations multiples? Les dons de l'·Esprit-Saint ne sont­ils pas infiniment variés, soit dans leurs espèces, soit ,?ans leurs degrés d'intensité? ~e lit-on pas dans saint Paul qu~ les élans ispontanés d'une âme pieuse doi vent être accueillis, quand ils con­tribuent à l'édification des fidèles"( i)? Donc, dans les limites de l'orthodoxie et. de la piété, le pre~ siècle,_comme celui-ci,

l\~eux <t!!e .çelu!::ci, a_J~~_pré_sentër diver~~s _e~pl~lI.tï'ons

des mèmell choses. Et puisque ce fait est pos.sible, les livres qui a~ent qu'il s'est un jour accompli, et que plusieurs hommes ont trouvé dans un même événement plus d'une 'instruc-) , tion cachée, ne méritent pas pour cette seule raison d'être dépouillés de leur réputation d'authenticité. . .

Évidemment, les apparences jusqu'ici sont pour nous; et il semble difficile de nier que notre proposition n'ait été prouvée

nt au premier chef. Venons au second.. ~Le style des écrits que nous examinons, aussi bien que le

fond des choses, r~P..lielle les études e.LJa....)w.siJion d'ailleurs Cl..Q!!!lue.s...de-sainlILe.Ilys. . . ; Le style, forme sensible de l'idée, porte l'empreinte du carac­~e personnel, et des études antérieuresOë l'Iiomme-qûi parle ou qui écrit;.il le façonne à la ressemblance; et, si j'osais le dire,. à la taille des pensées qu'il e.xprime et revêt; il subit l'in­

. nUence de l'école et du temps auxquels un auteur appartient. .C~ à ~us les peuplès, à toutes les époques~~<:>us les_.!l~s,

l)·écho.!.LI1.!l~_uM. 6gale. part dans le_P!1trimome de Iuéri!§/ni • ", •. :••• :1. ) •. ,.' ". ;.. .

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1 hl. INTRODUCTION

lHle égale justesse de sentiment dans l'appréciation du beau, ni un égal génie pour le reproduire. Chaque siècle, chaque homme

( a sa physionomie littéraire. Cette diversité prodigieuse semble-' rait, au premier coup d'œil, rendre parfaitement arbitraire le: classement chronologique d'un livre, d'après les seules données que fournissent ~e, et, comme on dit en peinture, !.e-l9ire d'un auteur. Toutefois, si l'on observe que les phases subies par un même idiome sont en général bien tranchées, et qu'il est réellement impossible qu'une génération s'applique d'une part à .renier ses idées, ses sentiments, son caractère propres, et de l'autre, à dérober aux générations antérieures le secret de leur littérature, et à ne çréer que des pastiches; on avouera que la

\l

~o~!De artistique d'un monul!lent littéraire est l1n~ asse:t s.ûx:e indication de sa date, et qu'un ouvrage porte, dans le style don t il eseécrit, comme un extrait de naissance.

Or, dans l'espèce, et en appliquant ces remarques aux livres dont nous recherchons l'origine, quel sera le résultat probable de nos investigations? Arriverons-nous à conclure qu'ils sont

HG rQ') authentiques? Je le pense parce que lUQrme littéraire qu'ils J _~ JI affectent est précisém~.elle que pouvait pren.dre l'ouvnge

..cQ!!l.P..Q.§.~•.P1U:..\ll!.lLhUosophe converti du ~remier siècle. Effecti­vement, et sous ce point de vue partlcülier, quelle idée laisse dans l'esprit l~-!ec~ure d~~aint D~s? EJait-il possTbiëd'~~i~e

( ainsi à l'origine du christianisme? Double question qu'on peut rés-;;udre par les considérations suivantes.

Nt:, )\ En lisant ces livres, on y r.eco.nnatt sans peine le p!!'i~sop!!.e Il . acco~.~~..!l.tJ•..!a E.el!.s!~Ju:é.~ienne le!lormul~J!!!..P.lato~~me J

, "

)J a~:ue; le néop~~ ~~2.r.ant ~~~!:.l!<!.uire l~~ntiment religieux1-10" donUI est ob_s_~dé; le docteur des temps primitifs se ~t

Nt) )\ d~ns lesentr~~es j'U!!~ 1!.I!~ inhabi!!-en~~:LLeXR!i.I!I~s,

idées no~es, c~ enfi? l'écrivain d'un s~èille où}~~ût_~:étai!ri'J II pas sans pureté, ~l la hltérature sans glOire.' . . ~

Ainsi, qu'on parcoure, par exemplé, retraité des noms divins{ '" où les .questions discutées déjà par les anc.iens trouvaient natu­

rellement leur place,~et appelaient une solution philosophique,:

---. ~,

- ' ­

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''!:'

1.'). INTRODUCTIO~ XVII

n'est-il pas vrai que l~~t~~~ies pla!~~ciennes y apparais~t}J Ni? ramenées à l'orthodoxie, et sous le vêtement.JllLla..r-eligi.<lll...D.®­~elle,-lellement que, comme on ava~ Platon, que_ c'ét!!it \) Moise parla'!.U;!.ec, on po..urr<üt dire de saint Denys ~ue c'est J Plat~parlanJ._ç@:~Ë~n? Même on doit tenir compte de cette obsenation, si l'on veut comprendre parfaitement la doctrine de notre auteur: c'est ce qu'insinuent Nicolas dÛl!.sa, saint ~s (i) et ~rsile Ficin (2). Et il Y a plus: cet air de famille\1

'!Jest si prononcé, qu'on Il. voulu en faire contre saint Denyue ' .1

texte d'un rl!Eroche, soit pour l'accuser de paganisme, soit pour contestef l'authenticité que nous défendons, Or, il ~~ pas )\ étonnant que saint Denys eût été platonicien. Celui que les paièïïs l eux-mêmeSiiQj;}maient, pour l'élévation et la pureté de sa doc­

" trine, le dieu des philosophes (3), a bien pu entralner et ravir 'I~mes_<tu'une sa~~_et..!1ne ~~~nat~!!.es, préll~t \) ilu.shristianisme. Les anciens Pères ont Signalera-glorieuse

) analogie qui rél:pproche en quelques points la doctrine de Platon \) de celle de l'Evangile (4), et .~'!Part de 1l01L~rs sont) passés de récole du premier à la sainte discipline du "~d (5). )J ~

On peut facilement croire' que-l'âiéopagite Denys a parcouru )\ les mêmes phases. Au moins c'est une manière très naturelle

(i) Ad cap. 5 de Divin. nom. lect. l," " (2) ln argum. ad lib. de Divin nomin. .1(3) Quem enim omnibus locis divinum, quem sapientissimum, quem"

sanctissimum, quem Homerum philosophorum appellat (PanœtiIl8) , ~I., lib. i; lib. IV. - Epist. 15", ~ic. - Deum philosophorum Platonem. Plato ilIe deus noster. Idem, ad...Allic., lib. IV. Epist. t!i, et alibi. " . ('l ~b, lib. 1 et II, contra Gent... L~eil combattent les phi­losophes anciens, et Platon reçoit sa part d'un blâme mérité. Touterois le platonWne leur est moins odieux que les autres sectes, et, sans lui'

'1 raire aucun.emprunt, iule nomment avec éloge l le considérant c0l!!me D.9(sorte d'gM)' préparatoire 8U çhristianisU1~. C'est en ce sens qu'il. raut COqlprendre le sentiment du P. BilWs. , (5) Saint Jùstin, Clément Alex., Origène, Tertullien, Arnobe, Lactanee saint Augustlii; et d'autres enéore;" - - ­-

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( I( ,., XVIII I~TRODUCTlO~

f' '"='> JI d'e.xpliquer la tournure platonicienne .de ses conceptions, et rien absolument ne rend cette interprétation improbable ou illégitime.

( Il y a donc ici plutôt un préjugé en notre faveur qu'une arme contre nous . ( . Qu'on lise ensuite, si l'oll veut, les passages où saint Denys

traite des écritures, des apôtres, de nos mystères, de Dieu et de ( ses attributs. La pompe, l'énergie, la répétition des mots, décèlent

1\ évidemment ~_!~':..!lui essaye ~e_,~?~Il~r~~~~~à des­1 P~?S~~~_q!!! la rempl~~ent, à des sentimell!.s quLdébord~.!!Len

elle: à !ttl.aç~~<l!L~es prêtres que chante la poésie, et qui, f tQ~~hés_pa.r le so~fQe divin, terribles, l'œil en feu, s'agitaient,

( s'exprimaient d'une étrange sorte, comme pour s'affranchir 1

)~.

enfin de cette douce et indomptable possession, 1: •••..• Magnum si pcctore possit Excussisse Deum; . j

)I OU, si l'on ~ime. mi~ux, ~ la fa~on de tous !es hommes qu'eIlYahit une noble msplratlOn, un samt enthousiasme. Or, n'est-ce pas.

- làëé qu'orlpouvalt-;cèqu'ori dë;Rit-rètrouver dans ce néophyte? Ramené de laE!!ilosQP..hIe au christianisme, sa conscienct: tr~sai~n§_ dQuie_so!!~ le. !lotde ces s~ntiments dont l'âme

1=--> e?-Uo1!iQ.!;lrs inonQée, à la suit~-.<!.~.E!"and~~lenn~ls,~~n-\ g,ements q_~i boul~versent l'ex~!:ncè j~sg1!e dan_s~s profonde~urs

,,('. 1intimes, et creusent un aùtre lit' à la pensée et aux affections. Vivemimt-remUé' iLI!..voulli. ~prim~~Je; j.oies~i ne~v~~r.}~s

1 paroles !i~es et, hype!~pllques; sa phrase a pris une, all~re .del' dithyrambe, et srs fortes convictions éclatent en superlat,ifsr- 1~ mulliplié" C.lui qui ul"'it 1. ,.I.u, d. "li' ob,,,,atioo. ,'",, ~ •. r

q~Urait jamais eu le c~r saisi pi!r une de_ ces émotio~

~)\p~§~s, qui ont besoin ae parler une autre langue que celle de la vie matérielle et posiÜve. Ainsi s'explique naturellement

"" ,~ 1\ ~n des caractères les, PI.Us frappants .dU. style de sàint Denrs,1l'enthousiasme et le ton pindarique. . - . '. . . :""On remarquera égalemep.t -des locutions i.u~ue-Iàj.l!.l.l.sit.~~s,

par lesquelles le docteur chrétien s'efforce d'e rendre l~ subli­,.

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11 I~THODUCTIŒ'\. . XIX

mité'des enseignements évangéliques. La langue grecque se prê­tait, il e~t vrai, à de semblables compositions de mots; mais celles qu'adopte généralement saint Denys n'avaient pas été consacrées par l'usage. Aussi ~~~~ieurs éditeurs de ses œuvr~s \ lui ont rendu le service d'y joindre un lexique s~.§l~; eGes pariiphrastes_e~c_ommentateurson~~!iqué.et r,elevé.l'utilit.~ de ) son néologisfl.le; et tout le monde applaudira a la Justesse de

.leur pensée. Chrétien, et emporté par la foi vers des régions que le génie de son idiome natal n'avait ni explorées, ni décrites, saint Den_~vit contraint de to~menter non pas la syntaxe, dont les règles fondamentales, toujours larges comme l'esprit humain, comportent des formules assez variées pour l'expression de toutes les pensées et de tous les sentiments, mais bien~ )\ Y~cabulaire, ~ont les terme~ n'~aieI!t pas é~é_ <:réés pour les réalités de l'ordre surnaturel. Si donc notre auteur recourt à de nombre~~ës inno~t~e langage, si; par la combinaison et \ l'agencement de radicaux m1lltiple.§.Jlp~d~~~esJIlots_i!!j'Jllites

et e~phatig~s, c'est dans le louable dessein de ne rester que le moins possible au-dessous de la vérité, et de sa propre convic, tion. Et il est infiniment regrettable que les idiomes modernes, tous formés sous l'influence du christianisme, n'aient pas donné des lettres de naturalité à certaines manières de dire exception­nelles dont la théologie aurait besoin, et qu'ainsi nous soyousobli~s d'user de la liberté qu'a prise l'écrivain grec, et de faire; \1 à son imitation, les barbarismeuuivants : supl'à:divin, supl'Ii­~, tr~~.lu!!!ineu:J:, sur-essent~l, et d'autr~ncore. Comme chacun peut en juger,notre' opinion rend assez heureusement compte de ces étranget~~ de style que présentent parfois les œunes de saint Denys. . . - . .' • Enfin' la lecture même rapide des livres' dont il. s'agit, con-, vaincra que lafaçon d'écrire de l'auteur mérite à plusi~urs, \l ~8~s_!nt.r~._l!Pplaudie,quoiqu'on puisse bien ne' pas-la. , Dommer absolument iI1'éprochable. Parmi quelques taches ,qui lIqnt comme le pl!-chet de l'époque, brillent des beautés noIIi~

breU8$S, .q~e n~aurait pas. désavouées le' iiècle de. Périclès•.·,Et1 .' . ,

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l'~~­r '-~--"""1

xx INTRODUCTION:

f ' pourquoi nierait-on' qu'il en pût être ainsi? A..!!.!.~~,p~?j~s

p~çons saint Denys, Athènes n'était pas totalemen!..~Jshéritée)\ de_~g~t déli~at et pur que plusieurs langues ont honoré en \\IUi consacrant un nom propre; elle donnait encore des .leç.ons

d'éloquence aux grands hommes de tous les pays. Or, d'ou Vient ~ . que notre écrivain ne les aurait pas entendues, comprises et

[l-' pratiquées? Ensuite il lui fut p'ossible de....llil~er garis les idées l.ç!lréti~~.n~une notion d,u bea,u littéraire, plus correcte ct plus

\ splendide qu~,-~~~~u.vait P~ton. On conçoit dès lors com­ment son style n'est pas sallL-lll.~lte. D'autre part, le caractère

' particulier et les forces de so.ngenie, la dire.ction antér.:..il,

.. euremellt imprimée à ses études, l'influence inévitable du goût con!~o­t· rain ont ~ l'ëInpêcher de ,!.éaliser a~c un-.~eur Ilarfait( lJ.déa! q!l)! avait peut.:êtr~e~trevu. On conçoit dès lors aussi comment son' style n'est pas sanS2BIQÇhe. Donc sous ce point de ,'ue, comme sous tous les autres, notre opinion soutient l'examen de 'la critique; et il est au moins permis de la réputer vraisemblable:'" à moins toutefois qu'on ne veuille dire qu'en \ diminuant de deux cents ans l'antiquité de ces livres, on leur ~.

l ' trouverait encore la physionomie que nous leur voyons.' Car plusieurs monuments de récole néo-platonicienne sont à peu près de même style: ce qu'il est facile de constater par la lec­

'" ture des œuvres de ~lotin, de Proclus et des fragments qui nous

l' restent d'Hérennius. Mais cette'obJéctioD, quelque force qu'on

_:> lui suppose, ~ouve simplement qu'à envisager sO!l~un ce~tain

rapport liLforme littéraire des écrits de saint Denys, on serait obligé de leur assigner une date flottante, qui se fixe à quel point l'on veut d'une période de trois siècles. A.coup~ûr, il ne suit

rJ ~ \1 pas de là q,u'ils n'aient pu être composés .Pl!r qg~que (~ont~m­

} P()Ea.in des !.~~tres : c'est pourtant ce qll'il faudrait établir. D'ailleurs, quel livr.e a P.l!-.!'u Je premièr, celui des Noms divins

_;) Ij ou cel1,li des Erinéa~es'fPlotin apu copl.er le n.ai saint Del1!s;

l~ ,. comme un faux saint Denys a pu copier Plotm. Or, poUr' la

solution ~e ce, doute~, doit-on: croire JJ0.~l!e, ancienne qy.i , ' affirme gué Œ.roclus .emprunta à notr~ ttuteur' se~, 'pens,ées: et

\ .....

.", ~'"

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1

INTRODUCTiON XXI

mt\me ses,parQ.!es (i), OU l~ critique moderne qui présume que)~

c~ki a peut-être fait des emprunts à celui-là? Le lecteur Nf] \f jllf:era lui-même. J'observerai seulement que, dans la seconde

opinion même, nos livres ne seraient pas dépouillés de CJlllil\\\ X note intrinsèque d'authenticit( gue présent'::..!e .,!tyle : voilidJJ tout ce qu'ilnous suffit de conclure pour le présent.

Mais ne serait-ce point une preuve· de supposition que .~ l:o..bscurité" et~ _~nificen~, d~ux caractères si m~ués du,

s!m de saint D~ys/etque ne présentent millement les autres écrits de nos premiers docteurs, et en particulier des apôtres? En effet, rien 'de' simple«fet de...t~rent comme la pensée et la diction,d'Her~, de saint Ignace, de saint Polycarpe. or,~ne\\ 1) doit.on pas rapporter à des époques diverses des œuvres de si 1

dil'erse apparen'ce! ~ , , _ ' ' , D'abord en ce qui concerne l'obscurité alléguée, la remarque

qu'on nous oppose est fondée sur une ignorance totale de l'antiquité, soit profane, soit ecclésiastique. Tout le monde sait tJ avec quelle réserve la philosophie païenne distribuait ses oracles; ù

et qu'elle professait deux doctrines, l'une exotérique à l'usage de la foule, l'autre ésotérique, réservée aux disciples d'élite._ Clément_lfAlexaRdri~rapporte que le pythagoricien Hipparque, 1\ accusé et convaincu d'avoir trahi le secret du maitre, fut exclu de~le, et qu'on lui érigea une colonne funèbre comme à un homme mort. Chacun a rencontré, au moins une fois, dans ses lectures les logogriphes que Platon adressait à son royal adepte. Aristote dit qu'on doit revêtir d'ornements et rendre ainsi plus '\ accessibles au vulgaire les choses qu'il lui importe de savoir" J ~ais l{.u'il faut dissimuler sous des locutions mystérieuses J~ \ çhoses .gu'il ne lui est pas permis 'Jde connaître. Tels furent du ) reste l'aveu et l'usage des poètes et des piiIïosophes. . L'~R~ise. a pratiqu~ dans les prem.ier~ siècles cette même

dIsclphn!", du secret. C'était" conforme aux exempl\:s et aux:, '1 enseignements du Seigneurj car il s'exprimait en ,figures, et en. '

" ,

(1) Pachymeres in proœmio ad opera sancti Dionysii.. '-

=C:i"1;- :::::;U2?.z.~"- =< tooç;;oe1 • C

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"

1 .1 JI

xxu l~TltODlJCTIO:\il 2,

paraboles (i), et il recommandait formellement à ses disciples une sage discrétion (2). Aussi les premiers apologi~~!L.A.u

christianisme, Tertullien (3), Origène (4), Athénagore (5),. s11int Justin (6), Clément d'Alexandrie (7), n'ont pas cru devoir faire, à la nécessité de venger la religion, le sacrifice du silence prescrit, ni décourager la calomnie par-la divulgation positive

[) des saints mystères? Il )' a plus: les paste~esPëïiPles,dans" I~rs instructions aux catéchumènes, respectaient les limites

,posées par la tradition; et'è,e..JJ!Lllor~e d]n.t~rdi!l.j~urles

vérités les_plu.s_a~~stes de l'Evan..si!e, ne se levait qu'en faveur des initiés, comme nous l'apprennent' saint Ambroise (8),

nD l saint Cyrille de Jérusalem (9), saint Basile (fO), saint Grégoire de ( o Nazianze (ft), saint Jean Chrysostome (12), et saint Augustin (13).

Et en cela, la philosophie, et surtout l'J~glise, avaient de "raves raisons, qui subsistent en tout état de choses, et qu'on

)1pourrait se rappeler utilement plus d'une fois dans la vie. !!. y J!.~ls .JlSPl'i!LCLUiJll<g;Jlhèment ce qu'ils ne comprennent pas;

1- lJi1 y a tels cœurs qui ne battent jamais que pour ce qui est ignoble; il )' a-tels sims que vëüsfuilè'STIre quanovouslëïïr

JI parlë-;: le langage d'~~~cti~ ardenteeCprofonde. C'est ce. . qu'observent et développent les auteurs cités plus haut. C~e

que compri t saint Denys, élève à la fois de la philosophie et du (. christianisme. rI pratiqua sans doute.le commandement qu'il

fait ·:à Timothée (f4), et pOUl" employer' son langage ou plutôt cehii de la Bible, il se garda d~ jeter aux pieds des pourceaux'

( la beauté des perles spirituelles. Il dut d0!1~ s.9.n8er.~muler)) -':::, sa Bensée, surtout dans un écrit que des circonstances qu'il était

permis d'appréhen-der, amèneraient sous les yeux des païens., (1) iIlatth., cap. 13 et 14, et 15 el 21. - ~larc., cap. 3 el 13. - Luc.,

cap. 8 et 12, et 14 el 18. - (2) ~1allh., 1, 6. - (3) Apologet., no 1. ~

( , (4) Contl'à Celsum, lib. VI. - (5) Legatio pro chl'islianis. - (6) 1 et 2'

\. Apologia. - (1) 5lroll1at., lib .. I. - (8) De MJ'steriis, et alibi. - (9) Cale­ches, 6-. - (10) De spirilu sando. - (H) Oralio 35· el 42•. - (12) Ho- .t mil. 18, in-2 ad Cor. - (13) In Joan., Trac. 2, et alibi. - (14) Eccl. hie­l'arch., cag. !.~

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--

23 l:'>THODOCTIü:" XXIII

il s'enveloppa d'u.!!~rité E.rémé~e, laissant au voile assez \t ~ ,J'fS de transpare.W:LP...QllL1:Mification des inte!!iflences fidèles, et)l (­a;;ëz d'épaisseur pour que les profanes ne pussent devenir indiscrets. C'est pourquoi ses livres rappellent en certains endroits ces passages énigmatiques des a!1cie~s philosophes qu~

n'imitaient pas indistinctement tous les h~me~ au banquet de leur doctrine, el cèSreflgieux discours de nos' docteurs, où la y~omme si elle craignait.Je regard irrespectueux d'un e~pril mal préparé, se réfugie avec ses splendeurs dans une sorte de ténébreux !'anctuaire.

Loin donc qu'il y ait une preuve de supposition dans !.è~e

obscurité mystérieuse, on doit y voir au contraire une manifeste r ( P~!!~~_.de )laut_~tiqu~é, la discipiinect"u secreiu):ant existé ' dans l'Eglise dès le principe, et même les raisons de la pratiquer )1étant beaucoup plus fortes pour les premiers siècles que pour ' les temps postérieurs.

On ne peut non plus rien inférer contre nous de la magnifi­cence du st}'le qu'emploie saint Denys. Quand même son élo­qucnce serait ornée avec'èe luxe asiatique "que lui reprochent les ) protestants Illyricus et Scûïtëf,quëS'ensuivrait-il'? Qll'un auteur des lemps apostoliques a manqué de goùt :. conclusion qui, dans l'espèce, est parfaitement insignifiante, et laisse intacte la ques­tion de l'authcnticité. Mais reprenons. Le blâme d'Illyricus et de Scultel est-il fondé? Non pas précisément. C'est du moins ce qu'ont pensé plusieurs hommes renommés dans l'empire des lettres: ~int Grégoire de :'\a7.iall7.e dit que sainl Denys écrivit de belles elsuMimes pages (i). Pholius le nomme grand dans son style comme dans ses pensée~t si la délicatesse attique du protes­tantisme répugne au sentiment de littérateurs et de philologues� que la renaissance n'a point nourris de la pureté de son lait,� nous po~vons. citer C~ (3), Pic de la' )Iirandble, et de�

\1) Cilé par Lanssel; Disput. apolog. de sancto Dionys. -(2) Ci lé par� }ioEI Alexandre, Hist. Eccles:, Sœculo il>.�

(3) f'ingil voces novas, et composi'tiones format inusitatas mirificàs;

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XXIV INTRODUCTION

Il Marsile Ficin (f), qui louent les œuvres et admirent le style dé J~ saint Denys.

Ensuite de quelque épithète qu'on veuille honorer ou flétrir sa façon de s'exprimer, J'a!!.~henticité de ces livres ne s'y trouve aucunement intéressée. Un écrivain était-il dispense d"obéir à son genië particulier, parce qu'il existait au temps des apôtres, ou qu'il voulait traiter des questions de théologie? L'inspiration divine n'abolit pas le caractère des hommes qu'elle a touchés, et, sousÏe souffle-d'ëli. haùt, ilsformênt un concert et ne rendent pas un même son. Isaïe, élevé à la cour des rois, n'écrit pas comme le pâtre Amos, ni le discirl~ du pharisien Gamaliel

( comme le pubTIëaiiïMatthieu. A plus forte raison pourra-t-il se trouver dëSdillérences entre des contemporains qui ne suivent que l'impulsion de leur goût naturel: Bossuet ne parle pas comme Fénelon; qu'y a-t-il d'étonnant que saint Denys ne parle pas comme Hermas? --­

Ainsi, l'élévation, ou même, s'il y avait lieu d'employer ce . mot, l'enflure du style de saint Denys, n'autorise pas la conclu­

sion exagérée que nos adversaires médi taient d'en tirer. \ ,Au teste, il y a bien quelque étrange logiqu e à dire Qu'un ) livre ne remonte pas au temps des apôtres, parce que le style

1en estûE:.sur eCpl~ïiJ.ae-ma~nîficelice.-r:esprotéslants trouvent­ilSdëncsi faciles à lire les Epîtres de saint Paul aux Romains et

}\ aux Hébreux, si dénué de grandeur l'Évangile de saint 1ean, si simple et si claire l'Apocalypse? Cependant saint Pie~ce

l'JI q~.J.~n ne compren<!-~s sans ,p~, fe:"ecrr,l's-ùe son frère l'Apôtre des nations (2);\les CeI!U:,1Upr:ëinqalscours que s&1!\

et quœ unD verbo aut altero wei poterant, difTundit in plures voces admodùm sonoras et magnificas,atque congestis multis vcrbis obscurat sermonem. Cité par Lanssel, ubi supra.

(1) Dionysius noster exultat passim, etrundit œnigmata, eoneinit dithyrambos. Itaque quam arduum est pl'ofundos ejus sensus intelli~

gentiâ peiletrare, tam difficiles miras verborum eompositiones ae quasi eharaclerem imitari, ae latinis prœsertim verbis exprimere. (hi Opera saneti Di~nysii,) - (2) II Epist., 3, t6. -­

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r :;. ..;

INTRODUCTIO~ ·xxv

Augus~in_1.~9~~_1l~ssés_ne sel1!.bl~.~E..a~. .!o.l!~.;-à_~~~_~...i.~~!i~.es à ceuxqui veulent pénétrer les oracles de samt Jean; et des)'h'~;me; d~ foi et<rintellige~lë'ëon~tla?orielli;~inent commenté '1 l'A..E.0calypse, sans s.e flatter d e~ arOir ~Ie~ alle.mt le sens exact. ~ais aussi pourquoI ces catholiques n avalent-Ils pas confiance en l'esprit propre?

- Enfin des critiques ont vçmlu voir une trace de supposition r..-n dans les expressions -;:,).r~, eniant, que saint Denys adresse à ~-~ Timothée, son collègue dans le sacerdo<?e, et v7C6.-;-::x~\~ par , laquelle il désignê'la persollnali~!l_Djeu:Or, le premier terme

semble déplacé dans le cas présent: car ce n'est pas ainsi qu'un én1que appelle un évêque; le second n'avait pas encore reçu, par suite q,'une longue et àP.~~_coDt~rse,sa signification défi-) nitÏl'e; ct pourtant, à la manière nette et résolue dont parle notre auteur, on pourrait croire qu'il écrivit après la querelle terminée,

Mais quant au premier chef, il est difficile d'estimer jusqu'à quel point celle expression 'ltOCr, pouvait paraître singulière sous la plume de saint Den)·s. D'abord il était plus âgé que Timothée: car une de ~s le~~~~, dont l'~_iq~!!.<l.~~~perdu, ~~~s.3~~_x!_:tait\\

au teml'.~_ de Ch~~le:-l_~~~lluve~ et que nous p~ssé~ons e.n p~rtie \ c= Nr;>

d~ns la tra~~ctlon ae Scot-Erlgène, IE.ll.:gue g~~ a:~l: •.~·~~-I \ .,clOq ans il. 1epoque du crucifiement de Jésus-C1lrist. Ce fait peut J

sè'vérifIër'- d'une aufiê-façon-:"on-ïü-dans les Actes (1) qu'en '7

sorl.llnt d'Athènes, saint Paul vint à Corinthe où il trouva Aquila et l'riscille qui fuyaient de nome devant l'édit de l'empereur Claude. Or, cet édit, d'après le témoignage de Paul Orose, qui \

c:tc ~o8epb, a~ait ét.é. ~orté l'an de J:..:Ç_~.! (2); e~_~int .De.nys.)l c<==-­Il était converh il la fOI ou celte année mème ou la suivante,' .. )lnli'lïn'avàii pu de,~ffiir ~"iilbrë -düï;rë~i;'ib~-Mïdë s'an p~ys •. qu'en passant par 1~_~har&:._9).!.c_honte,comme le pres­crivaient les lois athéniennes (3). Denys était donc ho'mme fail

..•.:.;:::_~.:. ,. ,.- _.- -_. __._--­(t) ClIp. t7 et t8. - (2) lIist., lib.- VII. cap. 6, - (3) Plutarch. iu

Solon. - Item, in Periel. .:.

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3 T

, XXVI I:'iTHüDUCnü:'i

quand saint Paul le rencontra dans l'aréopage: aussi les aute!!!,s \ esümen,_Lqu'il~_'i!).t .chréti.e.n Vers l'âge dë ~ns, softfan de

) J.-C.. 52 : ce qui en eITet lui donnerait vingI=quatre ou vingt-cinq ans à l'époque de la mort du Sauveur. Or, en l'an 64, saint Paul écrivait à Timothée ces paroles : Nemo adolescentiam· tuam contemnat (:1). DQ..Il1:_quan.<lIiU1Qthée_~tait jeune homme encorej

( sai.!1t DenIs a.vait .~~~ins ciE.quante-ci~g_ans.

Or, cette supériorité d'âge pouvait-elle lui permettre l'expres­sion qu'on lui reproche ?En cas d'affirmative, l'objection qu'on voulait nous faire est. nulle.; en cas de négative, on aurait prouvé qu'il ne s'es~ pas tenu dans les strictes limites de la bienséance alors reçue. Mais comme unlivre ne doit pas être nommé authen­tique, par cela seul que les lois de la politesse y sont observées, de même il ne peut être réputé apocryphe, par cela seul qu'elles ( y seraient enfreintes.. . .

Ensuite est-il vrai que le terme critiqué impliquât toujours l'idée de protection et de supériorité que nous y attachons(

- '1. ~ujol:1rd'hui ? :Xous ne le croyons pas: car>- dans la primili..ve

}j\ Eg~s;., .~~L....... __ ~!~.:.étiens étaient ae.,pelés enfan~s, à raison de les" l'ingen!1ité et de la douce.ur de leurs mœurs; et pour la même

. ( l'DISon, îeQVêguëse(les autres ministres de l'autel recevaient ~ I~Jitre d~enfaQts sacrés: ~o:nb; lzpèt.Lëp;être Clément d'AIëXan­

drie dit à tous les fidèles et conséquemment aux évêques: 0 enfants, notre maître estsemblabl.e à Dieu son. Père (2)! Etc'est ainsi que parle le Seigneur lui-même; car il demand~ue nous( soyons des enfants(3), etil nomme enfants sesji~ljû.~~J;Mr.i!!.J?)1

Or, pourqïi.O'iSiifnt Denys aurait-il méconnu ou dédaigné ce ID'ofond et pieux langage? '.. . .

~ ~iw.liëi.i,-I'apparition dl{~7t6G~O'SJtans les œuvres \..Y de saint Denys. semble au premier coup d'œil créer pour notre

opinion une difficulté d'autant plus ·grave, qu'elle' se recommande de l'érudition d'un homme;distingué, leJ:. .Nm:!n. Il s'est plu à

(i) 1 Epist. ad Tirnoth., 4, i2...... (2) Predag., lib. l, cap. 2. - (3) S. Luc., iS, n. - (4) Joan., 2i, 5.'

...~J1tJd ...SL . ", ...

Jf.~

'-.

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.(1i~TRO))lJCTIO~ :tXVII

rélayer 'de citations nombreuses; et, du 'haut de ces textes amon­cel{~s, €!....§..9.JlsJr'Lpmte.ction d'un nom glorieux, I.:..CÙljection a r..qjr de hraver toute critique ultériel!!'e (i), Cependant il est permis dê discuter lës ralsonsâilégiié-es par le savant Qratorien.Il est ~

hie~ai HU·ùJ1P.og:ue ~~us plaçons saint Den~ l'expre,ssion) dont il ~'a;!it n'avait pas e~3~ç~jL§.ull'rag~JL,.l'Efilise

e,lItière une sorte de consécration; il est vrai aussi qu'elle ne fut ) ;;;TèiilleiIemënt âècreditée et n'entra dans le langage technique J Je la théologie qu'en' conséquence du concile d'Alexandrie, célébré en 362 par les soins de saint Athanase. Né~ins ce n~pas_ILq,\l-':"~paraîtp..9!!.r:.l.lLprem!1_~ois; et, pour ~re <­pas d'un fréquent usage chez les auteurs ecclésiastiques, elle ne laissait pas d'ètre connue et employée. Car le concile de :'\icée, sans vouloir alors fixer définitivement le sens de ce terme, s'en était 'servi pour dé'signer la~ers2.nnalité, comme le démontre ~ailit Basile (2). Quelque, temps aüparavant, le prédécesseur d'Athanase, Alexandre, adressait à l'évêque de Constantinople, SOli homonyme, une lettre qui nous a été conservée par Théo­'doret, et où il emploie le même mot pour exprimer la mt~me

1pensée que notre auteur (3). De plus, dès l'an ~60, saint~ys

1d'Alexandri~,~~ ég~Lel!!e_I!..LquJl..Y..L ~n Dieu plus~s \ by',postases.(4). On pourrait ajouter que ce mot d'hypostases se ~ Il trouve dll~'(E'lylairegrec_de l'éJ.lî.!rUl!~ Hébreux, X:;Pa.x't-rI ?

l't''i)~ ':'1rO~,::i~tw" que la Vulgate rend, il est vrai, par 'subs­lance (5), I!!ais q~e des anciens trJl.d.Yis.aienLpar.:...personne (6).

ll'n~lleurs, il ~en admettre que q~elgu''!.!!......~~~!~i!.J..e 1/<;0- /J'] remler de ce terme, et lui donna la valeur qui lui est restée.

I)o~rquoi "eut-on ~u~ le phi!os!:>.p!le Dens_s...n'ait p.u.l.e connaître \\<_ -.f'j

eU.e.mploS_lll: aussI bien que tout autre, même avàilt tout autre? J Appa.remment ~s ~~lre~avaient exactement ie ~y;;tè~'un

~-..----.- ._--:---­(I) De Ordi~at., part. II, cap. ,6, - (2fE'pi~t: 125, apud collect. select.�

J>atrum, t. XL VI. - (3) Ad Ale:t: Cr. apud collect. Patrum, t. xvnr: _� (') APlld collect, concilior. Labbœi. LI. - (5) Epist. ad Hrebr., cap. l,� 3. - (6)~, Epist. 38, apud collee!.. Patrum, t. XLV.

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4~

XXI'1I1 I:\TI\ODUCTlO~

Dieu en trois personnes; apparemment encore, ils l'ont fidële­ment transmlSàîëUrs disciples: pourquoi ceux-ci, à leur tour, n'auraient-ils pas exprimé al'ec justesse ce qui leur avait été

( expliqué avec précision, ce qu'ils croyaient avec amour? Et

-==> '1 parce qu~~ain~p~E!Js ne tint réellementy.uc'!~.9Jllp!ed'I.!ne - . p-2lémique qui n'était pas née, comment peut-op. lui faire un _»\ ~PEoëh-ëd;éméÜrë en toute tranquTImrd'â~eune expressîon

I~ do.nU.e_s.e.n~".n:était point coIilisté? Au reste, je ne voudrais pas dire, dans toute la rigueur du mot, ~

que les écrits de saint Denys nous soient venus sans la plus légère altération. D'abord, et indépendamment de toute mauvaise foi, ~-!e reprojuct~n de~JivJ:'es à ce~te ~p~q!.l~ r~ndait

r mor~k~ iné_vitables ~Ilelq~~s ?missl?~_o~ chaIlgements:;J, --').

.

'\ainSi,1

Corderius, un des meilleurs éditeurs de saint Denys, a signalé (~~ntu:...arlé!.nJ~5_eQviJ'.on dslllsÈs di~~1!121~res

diJIér.enls._q.u'iLaYaiLso.us..~~eux. Ensuite, le sentiment de notre auteur commandait le respect, soit ù raison de son anti ­quité présumée, soit à cause de l'élévation de ses doctrines :·...la

;.~1) ./ fraude étai! donc_~ile."Une obscuri~~J~~O.fon. de._.<J...vait. envelop'pé \\ s.~uYr_e§..dèsIQrigine ~JA.frn!!dJL~ta.~!-![Q!l~_JIl.çi}eJ;ll~l1!.~.~é

trfj

cu­table. On conçoit donc que, dans l'intérêt de l'erreur, ou même . de la vérité, des homme.!?.aÜmt..Jlu méditer la falsification de

;../, ---:.:;> J( ç_~o.!!.uments, et y faire réeIle;;~;t queiquëScoUllêsTnle"r­polations.

( Mais, iode ce que la chose est possible, on ne doit pas se hf/ter de conclure qu'elle existe; et 2°, d'une altération. partielle à une supposition totale, il y a tout un monde qu'on ne renverse

( pas d'un trait de plume, C'est pourquoi iI~lli!LP.rouvé~t

J?~n~ettoIlspa~, qu'on ne pujsse faîre_!~n:!2nte!:..j~u·ù

-''':> ) sjillLJ)~ny.s_J)nJtodllctioI) dU_ffi.o.L4y,.postase dans le la!lgage 1 théologique.

Ainsi, et pour résumer ce qui a été dit sur le style de saint Denys, ni les expressions qu'on allègue, ni quelques traits d'un goîit plus ou moins pur, ne détruisent les induction.s légitimes

ue nous il."-.QIl.sJondée.Jl surJ!l caractère g~ae ~ll rnQ,!!:iè!"ll

~~;::"':'~~;:;:.~.-:-

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~9

['iTHODUCTIO:" CX~IX) -------­

~re; et, de la sorte, une probabilité nouvelle confirme notre

!'entiment. 30 L'auleur rappelle ~.-par..LSIlÙl...&.P_r..i,s_e,3~,,~,!lS évén~!p&ntg \

co.u..l:,çmporains;i1:::-0te)~s.}.!~~.!!1.e~~e_So!L~_o_gue et les relations iJ ,fI? qui l'attachaient"à eux, tellement que ces ind~c~tions sont "en j" c==:: -conformité parfaite avec ce que nous savons d ailleurs de samt , Denys l'Aréopagite.

Ainsi il se nomme disciple, d.e_ ~?-!n~. P.aul (i): ce' qui est faci­ ) lement admissible, d'après ce qu'on lit dans les Actes des Apôtres (2). Il 0È.~~r!~!_~,~t:::i} (3), l'éclipse de soleil qui eut lien ) à la mort du Sauveur: phénomène miraculeux dont nous c::­lroü~;;;ilsTàÏlreû-Vëdilnsles Évangiles (4), dans Phlégon, cité par - N']Eu~èbe (5), dans Eusèbe lui-même (6), et dans l'historien Thallus, .:..-. cité par Jules Africain Pl. Il assist~ au trépas de la Vi.~E~_ Marie <....­llyeC Pierre, Jacques, frère du Seigneur, et Hiérolhée, son maître après saint Paul (8): ce qu'aucun fait ni aucun témoignage ne contredit. Il mentionne l'hospitalité qU]..tro.Y.Y.~. ~.~~..c.\\ffi!lS (9), I} C le m~e q!!i"~.s.L~~_p.~.!..X~~~!O).Il rappelle que ll.mothée)J rerut avec lui les leçons de saint Paul (1i)1; et que c'est à la ) prière de c.!!t,!mi_qu'il composa les deu;Jtv_r~s .de ta hLtké!rcfiIe eccŒ~jasÙqu~des........!!()~~_ divi~s' ïT2). Or, le premier fait a quelque rapport ayec ce que le.!.!~s inspirés nous apprennent de Timothée; et, e~..s..~, le second est parfaitement croyable. Il

éc~it au disc~~~~~~~.exilé_ dans Pathmos (i 3), ,Tite') )'\ ~)'J Ii~ Il étt.!~_~ de saint Paul ln), à.Polycarpe, évêque de Smyrne (i~à 1\ "'~' dont il est question'Qarlsplüsieurs endroits des saintes

lettres (i6), tous personnages évidemment contemporains. Les

(Il ~~ ~~t"in..~ml!l..:.~2. -: (2) Act., cap. i7 et i8. -:..ill..fuiliL \~ ~

1, ad lolycarp. - (4) ~Ialth., 21, 4;>. - Marc., i5, 23. - Luc., 23, 44. 1c::- . '? - (5) Chrono ad ann. Domini 33. - (6) Ibidem. _ (1) Julii Arric, A,'J chronog.-":(8)De-D!viI!,_~~m.t.~ 2:-- (9) Epist., 3,6. - (iOflI, ' ad TImotb., 4, i3. ~ (i i) D_e Divin. nOq)".J....ç~4. - {i2) Ibid., cap. 2. _ (i3) Eplst., iD. _(14) Epist.,.9. ;.... (i5) Epist., 1. _ (i6) Aç.!.:, Apost., t~9_d.!.~nn. , .. ; ';. ' ' .

"-----­

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30 :xxx I:\TnODljCTIO~

témoignages divers qu'il invoque en' ses œuvres sont de même empruntés aux hommes de son temps: ainsi s'appuie-t-il ùe l'autorité de saint Paul, dé H.iérothée qu'on cannait peu du reste (i), de saint Barthélemi (2), de suint Ig!l.l!.-ce (3), du philosophe Clément, soil qu'il désigne lLE~atoni~ien Actius C~s, à qui Pline-le-Jeune adresse une de ses lettres (4), soit qu'il désigne au contraire saint Clément Romain, troisième pape (;i). Enfin ce que dit l'auteur du chant dans les églises (6) est une nouvelle preuve de sa haute antiquité; car on voit, d'après ce passage, qu'en ce temps n'existait pas encore l'alter­nation des chœurs, qui cepe'ndant prit naissance à Antioche sous l'inspiration de saint Ignace, son contemporain, se répandit bient6t parmi les chrétientés de l'Asie occidentale, et fut univer­sellement adoptée sous Constantin (7).

Si donc il en faut croire la parole de notre écrivain, il n'y a pas' le moindre doute à conserver sur l'authenticité des œuvres que nous examinons. Si, au contraire, on veut les traiter comme apocryphes, il faut alors opposer des raisons graves, irréfutables à des assertions multiples et positives. Voyons ce qui peut nous Iltre objecté.

L'auteur, dit-on, se .trahit manifestement, lorsqu'il invoque une tradition ancienne, a.0Xrx(x ..xocioOGl' (8), et l'autorité de saint Ignace (9); lorsqu'en parlant des morts (iO), il décrit des ,rites qu'on n'a jamais pratiqués dans l'J~glise; lorsqu'ailleurs (li) iL«li~ une foule de cérémoIli~.!Uillxgu_elles il..!!'e~t !:as cr_?I~ble

qu'ou. se.soit exercé dès~Jl§..._des ~'pOtres, et qu'ennn il raë"ôntë1a consécration des moines, qui n'existèrent que long­temps après lui (i2).· .

(1) ln Oper. sancti Dionys., passim. - (2) De Mystic. Theo!., cap. I. - (3) De Divin. nom., cap. 4. -@ BE:9-n.;,_ An!lil\., ..J!Lann. 109"

-.:> ~. - <@)Pachymer., in paraphras. .ad hune locum. (6) De Eccles. hiérarch;, cap. 3. - (1) G~enebr. chrono!., srec. 1°. - (8) De Eccles. hierarch., cap. 1. - (9) De Divin. nom., cap. 4. - (10) Ibidem. - (11) Passim..... (12) De Eccl. hierarch., cap. 6.

Cc, 1..."

....:.7..~.:~.::.=:;: .. _.=:î~. _=­

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li I~TRODUCTION XXXI

~[ais, fO que saint Denys ait pu citer des traditions, et que ce mot ne suppose pas nécessairement une suite de 'générations par lesquelles nous serait arrivée la vérité, c'est ce qu'on doit con­clure d'un passage connu de s.'!!!!LI~.aul,..-qui,bi..e.nJIu':"1liltérieu!à )J saint D~!1Y~,1!..c(;ll..~~.pourta(ltl'existet.lce ~es tra~i!jons (1). Assu­rement il ne faut pas attendre que res protestants applaudissent il notre déduction: chacun sait pourquoi.

Or, cette tradition que saint Denys a trouvée sur son passage', pouvait-il la nommer ancienne, '~ei'~~1P~bor:(Lra!lll!!!~_L~OnJ\ radical, ce mot si~ifie!ai!_pE.~..r:!.!tilr,p.rimitif, originel. .01', quand u-;;ïêmïeëSt susceptible d'une double entente, on doit se décider pO~J:..~~I~e.'Iui_s:~c~~ ~e~les .a~tre~ affirmatio~èlï@'feür, l) et ne .ras Jui supposer l'envie çl.!l.se_c9Jl_t~aire. Comme donc, ai'nsi qu'on l'a YU plus haut, notre aréopagite indique en PIU-j sieurs endroits le temps précis où il a vécu, il est naturel de plier le mot ambigu &PI;Cti~ au sens aVé,ré de mots .parfaite~ent

clairs, et non pas de mepnser la nettete 'de ceUX-Cl au béneflce de l'ob~curité de celui-là. '

Puis, acceptons la traduction de nos adversllires : il sera tou­jours vrai que l'ancienneté est chose relati ve. Pour un homme

y~

du temps présent, les ancienssotlt la génération qui disparaît, après nous avoir initiés à la vie, ou bien les générations des divers siècles de notre monarchie, ou les écrivains des premiers siècles de l'Église, ou même les auteurs païens, comme on 'vou­dra ou plutôt comme le fera comprendre celui qui parle. Si donc saint Denys, qui ..!!L~t que vers l'âge de cent-dix ans-, ~\ '6' c.otJune'J.'é!ablit Baronius (2), è'tqui put écrire-à. une époque assez avancée de sa vie, ~ nommé_ancienne une tradition qui avait cin!I1!I,l!1te ans, il s'est seni d'un iëï'mequeïïàus --erri'ployons ~<-"olontiers en des circonstances analogues, sans que' personne nous reprenne.

D'ailleurs, si l'on repousse l'une et l'autre de ces réponses, il faut dire que, avec une grande élévation de génie, l'auteur man­

(1) 1[ Thessal., 2, 14. - (2) Ad ann. Domini 98 et 109. , ,/;1

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1t.. XXXI! INTRODUCTION

quait de bon sens, et que sa sagacité dans les discussions les plus épineuses n'a pu prévoir une contradiction que le plus épais Béotien eùt évitée sans peine. Or, cette conséquence n'est guère plus spirituelle que le délit qu'on prétend censurer, et il ne me plaît pas de croire que le lecteur veuille l'admettre. Saint Denys,

"t '6" , ou, si l'on y tient, l'imposteur qui a pris le masque de ce nom, se montre assez habile logicien et raisonneur assez subtil pour qu'on avoue qu'il était capable de couvrir sa fraude d'un prestige moins facile à vaincre, et de ne pas la laisser ainsi percée à jour.

2° Saint Denys allègue ce passage de l'épître de saint Ignace aux Romains: Mon amour est crucifie, cl ip.o, tpw, ~~,(1.UpW-;(1.\.

JI Lo.!~~ __ ~aj!l~-l~~écrivit ces liQnes en~!9.-a..J!~__,_iil \ v.ivait encQf~,....!!evai~ a,YojLg~_nt ans. Or, on peut présumer qu'il n'attendit pas ce grand âge pour composer ses traités ete;,

)) Rartic_~lJii' cel1,!! <;l~ ~omS::d!'ylrîs : ce quI SëTraduit en certitude quand on songe que ce livre fut destiné à Timothée, qui mourut

( avant l'an 108, date de l'épître de "SâTntîgnaceaux Homains. Il y a donc ici un anachronisme qui compromet gravement la justesse de notre sentiment sur l'authenticité des œuvres de saint Denys.

A cette difficulté, les savants ont donné plusieurs solutions. D'abord saint Denys survécut certainement à saint Ignace: celui­ci fut martyrisé la onzième année du règne de Trajan, la cent­dixième depuis Jésus-Christ, comme on le voit dans B~s,

qui cite Eusèbe et saint Jérôme (i); celui-là, la première année du règne d'Adrien, la cent-vingtième de l'ère chrétienne, comme on peut le voir dans les divers martyrologes (2), dans les bio­graphes Suidas et Michel Syngel, et dans Bar0.n.ius (3). Ainsi, admettant volontiers que saint Denys n'a point écrit les :Noms divins depuis la mort de son ami, ne pouvons-nous pas avancer

''/ \\ d~_~ins g\l~elu et retouché son œuvre, qu:iIl~~omplétée,;Jlj )~_~lai~~_ll.I!~SIue~~h.anQe~nts_ou~~i_tions? Il est vrai

(i) Baron., ad ann. Domini HO. - (2) Beda. ada. Notker. ad 3 octob. - (3) Baron., ad· ann. i09, nO 39 et seq.

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J I:\TRODccrIO~ XXXIII

ras llue saint Deup place, ,ent:~ deux t!:tes de l':\nc!en \~

Te;;tamel.lt un te.E.te e.. mprun,te,u s_.a ~lOll.. ~nt Ignace, CeITe li'iTëf(.l't côndange d'autorités d'inégal,~Ya..!e~n~.sonl-Ili rationnels, l~(\~rmes aux ha61fiïclësdé- notre écrirain, .\u ~ire,

s~r'ri~~-=-!es~~~;~(j,~i font r~je~e la di~cu~si~n, la m~che

~eures est re..6uh~.I~L~Ll.1L..bl~~J,lr reste p'arfail~m!)nt dans son: Hljet. Qu'on lise elTectiremeJ1t les numéros!1 et suivants du chapitre 1\' des Noms dirins, et l'on se conraincra de la jusle"se de ces remarques. Seulement, pour prérenir toute 'instance sur celle matière, j'obser~'erai que sSé!ill.LD.e.m:~...E!e 1\

d'après la rersion des soixante-dix,~ et quïci, comme ailleurs, ­il nt)lI~le théologiens-nDS écrivains sacrés,

En5Uite l'emprunt fait à saint Tgnace n'a pas la valeur qu'olllui donne dans les œmres de l'Aréopagite; et par suite, c'est DOII

sculemcnt. Ull document. mal à propos invoqué, mais c'est biell lin contre-sens, Car il fallait ~taLlir que les auteurs inspirés prenncnt le mot amour, Ëpw<;, dans une noble et pieuse aCGep­lioll, Or, dans répitre aux Romains, ce mot reçoit précisément une signification orposée; c'est ce qui résulte évidemment du passage enlier. Saint Ignace oppose entre eux l'amour de Jésus-Christ ù ) l'amour du monde, rappelle qu'on doit sacrifier celui-ci ù celui-III, attestc qu'il a le désir de soulTrir pour Dieu, tellement que,) ~i, plus tard, cédant ù l'amour des biens présents, il venait à I! demander la rie, on tienne compte, dit-il, de sa lettre d'aujour­d'hui plutôt <[ue de sa parole d'alors. Car, « à l'heure où je vous .. tcri" j'amiJil.ionne de. mourir, .llon amow' est CJ:.!E:iji~J~y \1 .. ~us cn mOl de feu PQur les clloses terrestres; mais une eau ) .. "he jaillit dall~ mon cu~ur ct me dit: \Iëns-au Père. Je ne me .. IIO~'U!Q!~~ !~5l.~>~Eéri~~~ joies~.ni de~-.J:9lun.tés ~,

.. ~,us Je._~lI:lJ1I'e après leJlalD~.J2Jeu gUI est la chair et le )1 !IA~~Ch~st(i).,,, I~ demeure é':id~nt parIèCOïi1ëXf~'\1

q~e da~s ~es paroles souhgn.ee.§.,~m.QJU'..§lgnlfie çonc\!p~ence,) -j C ~st alllsl, du rèste, que l'ont COl}lpl'is les meilleurs hellé­

(1) S. Ignat., Epist. ad ROIIJ., nO 7.

1'!,:.··· 2

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1'-1 XXXlI' I:-\THODUCTlOX

nistes (1). Or, on ne saurait douter que saint Denys n'ait connu le \Tai sens de saint Ignace. Donc il n'a pas pu songer à inroquer son, a..ut,oritc.' en cette rencontre; et si son liue se tro.l!.Y~ enrichi

/'I~ =-::> ) de c~t~e ~itati~~_malencontr~l;!se, ce n'est pas à lui sans doute \ qu'il faut l'imputer.

Telle est la ,double solution par où l'on réfute péremptoi­rement, selon nous, la difficulté fondée sur le mot de saint Ignace.

3° Doit-on penser que toutes les cérémonies que décrit saint Denys aient été en usage dès les premiers temps? Les courses laborieuses des apatres et leur rapide séjour parmi les chré­tientés naissantes, poumient-ils permettre _un~,i!~§isomplète

!org.a~j~(\Û(lI)..dlLfllJJ.\L di vjn? Et quand même ils eussent laissé aux Eglises un rituel si détailJj.,-~~~~.-lJu'on l'eùt sui ri

1 ponctuellement sous l'œil inquisiteur des païens, et sous le glaire \ des persécutions"! Car saint Del}Ys cite une foule de pratiques - touchant la célébration et l'administration ùes sacrements,

• { et en particulier touchant les devoirs funèbres rendus aux chrétiens (:!).

En premier lieu, il est facile d'enseigner et d'apprendre en quelques courtes journées les rites sacrés dont saint Denys fait l'exposition. ElTectivement, si du livre de la lJiérarchie ecdé­siastique on retranche les notions dogmatiques, et les considé­rations pieuses, il restera tout au plus cinq ou six pages, com­posant le rituel de notre auteur. Or, il y a plus que de l'incon­venance à baser une objection sur l'énorme amplitude de ces documents.

Puis, quelque peu de temps que les destructeurs rapides du paganisme aient dù mettre à fonder les diverses Églises d'Asie, ' d'Afrique et ù'Europe, il faut cependant convenir qu'ils ont établi et réglé parmi les fidèles la forme du culte public. Car quelle était leur mission, sinon d'apprendre aux Juifs et aux Gentils la doctrine et la pratique des sacrements, par où l'on

(Il Joann. Brunner, apud Petr. Ha':nix. -(2) De. Eccle!;. hier., passim. '- F --- '-- ­

'.....~

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------____------------:-----..-.-'.'--~-'r---.----.,- ...

Ir -' '

INTRODUCTIO~ xxxv

'Il l'on maintient et l'on recouHe la vie spirituelle; sinon rl.'r.(l " ,r~nnoncer le Hai Dieu et la manière de l'adorer? Il est donc impossible qu'ils n'aient. pas l~issé sur ce po~nt .capital des illStrucLions posi1tives, qUi ]Jouvalent, sans exageratlOD, formel' la matière de six pages.

Ile plus, ce n'est pas sérieuscment sans doute qu'on cherche dans l'idée de la persécution alors déchaînée, le moyen d'aggra­"er la difficuILé. Personne n'ignore que les orages qui accucil­lirt'nt le christianisme naissant, n'empèchèrent pas les frdèles de prier et de sacrifier en commun. Entre autres preuves de ce fait, nous pouvons citer la lettre de Pline-le-Jeune au pel'sécu­tcur Tt'ajan ',t). Si donc l'autorité publique conllut ces réuniom et les tl.léra, les rites innocents du peuple chrétien purcnt s,exé­cutcr sans peine. Si au contraire clle ne les connut pas, il était t()ujours aussi facile de faire des pénufiexions, que d'opérer des rasscmhlemcnts à son insu.

Eu1in, quand il serait impossible d'expliquer comment on eut, dès les prcmiers siècles, un cérémonial complet, si pourtant le fait est constaté, personne ne devra nous opposer une nn de nou-reccvoir. Or, l'origine reculée, l,:ap~~tolicité de la litur1;:iej\ est lln.point~hoI~ùe_togie _cont_r.o~·erse. L'observation que nous ,j ne possédons aucun rituel rédigé par les apôtres ou leurs suc­cesseurs, ct qu'ainsi ce qu'on sait aujourd'hui des rites antic[ues, ne nous vient que par tradition, ne fait difficullé que pour les protestants. Les catholiques savent et prouvent que 1a,J!i~line

dlL~ecrct n'a pas permis aux docteurs des temps primitifs de DOUS laisser par écrit toutes les .règles de la liturgie; ils savent et prouvent que la tradition est un moyen que Dieu daigne adopter, aussi Lien que l'écriture, pour nous faire parvenir ses volontés ~aintes. C'est pourquoi ils lisent sans étonnement dans sa~nt Justin" Tertullien, Origène, saint Cyrille de Jérusalem, salllt Cyprien, saint Basile, saint Jean Chr)'sostome et saint Augustin, les m~mes rites et les cérémonies que décrit saint

(1) Annal. Baron., ad ann. 10••

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Il

\, '3'" 1 XXXI"! I:.'\TI\ODUCnON 1

Denys (1). C'est pourquoi ils. acceptent et suivent volontiers ces1· diverses pratiques, quoique fondées il l'origine sur uP enseigne­

1 ment purement traditionnel: " Qllas (observaliones) sine ullius " scripturœ instrumento, solius traditionis litulo, flxindè con­

i: "suetullinis patrocinio vindicamus... Harum et aljarum ejus­li

II modi disciplinarum si legem expostules scripturarum, nullam

» imenies; traditio tibi pnl)tendetur auctrix, consuetudo confir­" matrix et li des. obsermtrix. Hationem traditioni, et consuetu­:,1

li li dini, eL fidei patrocinaturam aut ipse perspicies,'au t ab aliquo, » qui perspexerit, dices (2). _li

En ce qui concerne spécialement les cérémonies t)sitées dans les funérailles, saint Denys a trouvé des contradicteurs quii

Il estiment que c'est assez bien prouver la supposition de ses lines, que d'affirmer qu'ils ne croient pas il son récit;· Je traduis

1 lil>rement; mais voici le texte entier: Dionysius en'at 11lani(este, 1 ~ !Juocl docet oleo de{wldos pel'fundendos et lInuclldos (3). Des motifs

de cette sentence, pas un mot. D'ailleurs pourquoi les voulez­vous savoir? c'est Scultet (lui prononce. Quand rÉ~lise catho­lique parle, qu'on discute il fond sa décision, c'est un droit et un . devoir; mais quand un prolestant parle, allons donc!

Pourtant on ne peut qu'être édifié de ce que nods transmet ~aint Denys touchant les rites pratiqués envers les tiéfunts. Ce qui déplaît au protestantisme, c'est l'onction de!l cadavres, comme il vient de nous le dire; c'est surtout la prière pour les morts, comme il n'a pas voulu l'avouer. 01' il n'y a- rjen en cela qui ne soit fait, ou mème qui ne se fasse encore.

Les Juifs avaient coutume d'oindre et d'embaumer les morts,

(il Just., Apolog. 1. - Tertul., de Corooâ, nO 3. - ûri/1cn., Homil. 12, in :'i'Ullleros. - Cyril. Hicros., in prrefùt. ad calcch. et calcches. i et seq. - Cyprian., Epist. 16, ad ~Iagn; - BasiL, de spir. sanclo. - Chr~·sost., HOlllil. 21, ad popu\. Antioch.; et Homi\. 6, ad Coloss. -Aug., lib, l, de Symb., se l'lU. 206. - (2) Terlul., de Corpnil, nO 3 el ~.- Idem habel Basil., de Spiril. sanclo, cap. 21. _ (3) Scvltelus apud P. lIalloix, quresl. 2-. .

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11­xXXI'1II~TRODUCTIO;,{

en quelque5 circonstances du moins(i): qu'y a-t-il d'étonnant que le~ premier5 chrétiens, Israélites convertis, aient gardé cette rcli~ieuse pratique, et que les Gentils l'aient adoptée en embras­~anl- la foi'? ~Iarie-~Iaodeleine est louée de l'attention qu'elle eut ,racheter des parfums et de venir embaumer le corps de Jésu~,

dont elle i!!norait la résurrection (2) : pourquoi les pieux fidèles Il'auraient~ils pas continué envers les membres ce que la sainte femme al'ait fait pour le chef? Pourquoi n'aurait-on pas commis au prêtre, ou méme à l'évêque, le soin mystérieux de verser rhuile sainte sur les morts, d'autant plus, comme l'observe ~aint Denys, que celle onction signifiait que le défunt était r:lorieusement sorti des combats auxquels on l'avait voué catéchumène (3)?

(..!uant à la prière pour les morts, nier qu'elle ait été en usage dès l"orioine du christianisme, c'est abolir la valeur de tout

)(lémoionage ct introduire le scepticisme le plus complet dans l'bisoire. Tous les controversistes catholiques depuis trois siècles 0111 tellement mis ce fait en lumière, qu'il est inutile de s'y arrèler ici. ::'ious dirons seulement que Tertullien, saint Cyrille de Jérusalem, saint Chrysostome, saint Augustin, pensaient sur cc point comme les catholiques d'aujourd'hui, et comme les cOlltcmporains de saint Denys l'Aréopagite (4).

On ne voit donc pas bien comment les détails, peu compliqués d'ailleurs, dans lesquels entre le rituel de saint Denys, font échec à noIre sentiment. .. . -----~

~o Enfin Jo~.J!..Sc<iliger, avec une politesse renforcée pour lUI, el lin grand luxe d'injures pOUl' ses antagonistes, se félicite d'tH'oir découvert une preuve irréfutable de supposition dans ce que notre auteur raconte de la consécration et de la vie des

.'-' . (Ir Llln~. Inlrod. à l'Ecrit. sainte, ch. 1.7. - Fleury, ~Iœurs des

hrAt!\., no 19. - (2) ~Iarc., 16, 1; Luc., 24, '1. - Jean., 20, L - (3) De Eccl., hier., cap. 1, part. IIJ, no 8. - (4) Tert., de Coron., cap. 3. _ C~·pr .• Epist. GG. - Cyril. lIiero·s., calech. 5 lIIyslag. - Chrysost., in Episl. ad Philip. - August., Conressi:>nes..

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1S? X,"XVlII I:'\TRODUCTION

moines (i). Je ne veux pas rapporter les incolll"enantes paroles 1dont le lilLérateur protestant a souillé sa plume. Il parait que,o(-dès ce temps-là, des hommes d'un esprit même distingué

c:. \ .prenaient de lûches épithètes pour des arguments sans réplique, '.et au nom de la tolérance philosophique, vous couvraient ·d'outrages, ou I"OUS noircissaient de calomnies pour faire voir qu'ils al"aient raison. Je ne reproduis que l'argumentation, en observant toutefois que plusieurs critiques, séduits sans doute par le nom du célèbre philologue, se sont rangés à son avis. Donc, d'après eux, l'état monastique ne fut institué que long­temps après saint Denys, par les Paul, les Antoine et les l'acome; les cérémonies de la profession et l'bahit monacal ne sont mentionnées dans l'histoire ecclésiastique qu'au cinquième siècle. D'où il suivrait que le traité de la hiérarchie ecclésias­tique ne remonte qu'à celte époque (2).

Sous une apparence peut-l\[re sp(:cieuse, celle ohjection cache Ulle faiblesse réelle. Pour en convaincre, nous remarquerons que les disciples des Antoine et des Pacome, ou, si l'on I"eut, les moines du cinquième siècle, se nommaient et dcyaient en effet se nommer spécialement ermites, parce qu'ils habitaient le. désert, et cénobites, parce qu'ils vivaient en commun. Or saint Denys s'~ précisément de désigner ainsi ceux dont il pade. Il les appelle constamment moines et thérapeutes: et l'étymologie et l'explication qu'il donne de ces mots, si elles s'appliquent al"ec justesse aux ascètes des temps postérieurs, pou "aient très bien caractériser aussi quelques chrétiens de la primiti\'e Église, qui avait embrassé un genre de vie plus parfait. Cal'. il enseigne que le nom de_~es indiCQIe des hommes, n2n point en§...e"'yeli~daJis.unesolitude m~e, mais se créant au fond de leur conscience une sorte d'isolement mystique, et se dé"ageant autant gué' po~sible d~~s mondains;"pour s'unir plus intimement àDrëü-:-îï-ënseigne encore que le nom de théraQeutes indique des hommes voués au culte spécial et au

(i) De Eccl. hierar., cap. 6. ~ (2) Scalig.• Elcnchus trihœres. :\ic. Scrarii.

1..,._._"""",_ 1

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~9

I~TRODUCTIO;,\ XXXIX

service pins pur de la divinité. Or, que des néophytes généreux, .lès l'Ol'igine du christianis~e, aient fai~ Il.E0fession pU?li,que ~e

( ,e donner à Dieu, et scelle leur promesse par une ceremome re~(lui est-ce qui veut le nier'? Et que veul-on nier? le

droit ou ie fai l? . Mais d'abord qu'il soit possible, qu'il soit même probable que

r~:;.:lise naissanle ail enfanté de telles âmes, c'est ce qu'on ne doii pas con lester. Pourquoi les conseils de Jésus-Christ(i) el de ~ainl Paul (2), touchanl la pauvreté, la chasteté, la perfection,~eraient-ils demeurés plus stériles que les autres oracles de

( J'Évangile? Et I)Ot!EquQi n'aur~t:oE_pas cOI~pris et acceEté cette vie intérieure et sans partage qui cO!l~titue proprement le m~, ~~me dit saint Denys? En~ite q~e cette discipline salutaire ait été réellement sui vie par des personnes de fun et de l'autre sexe, c'est ce qu'insinue le passage cité de sailll Paul; c'est ce que prouve ce mot de saint Ignace dans sa lellre aux Philippiens : Je salue le eol/ege des Vie/'ges. li y il plus; Philon nous a laissé un pelil traité de la vie conlemplative, où il

, décrit les mœurs d'une classe d'hommes et de femmes qui ( s'appliquaient à honorer Dieu par les pratiques d'une religion

plus soutenue, Sur quoi il faut observer, i 0 que ces vrais philosophes sont appelés t~_érapeutes par Philon, aussi bien que par saint Denys, et pour la même raison (3); 20 qu'Eusèbe' et ~aillt Jéràme croient que c'étaient des chrétiens, façonnés par saint Marc à cette exemplaire piété (4). Il est vrai que :cette opinion n'a pas été partagée par le savant Valois (5); mais outre qu'Eusèbe et saint Jérorne étaient plus près que lui des lieux et des él'énements, et qu'ainsi leur témoignage remporte sur sa négation, ses preuves ne sont pas péremptoires, et de judicieux critiques les ont rejetées (6). Quoi qu'il en soit, sikp(l.ganisme

(

(1) MaUh., t9, 21. - (2) [ Cor., 1, 32. - (3) De Vitû contempl,. initio. - (4) Euseb., IIist., lib. lI, cap. n. - llieron., de Script. eccl. - (5) ln notis ad IIist. Eccl. Eusebii. -:(6) B~n" ad ann. 64. - Nat~l.

Alex., Hist. Eccl., sœc. prim·o., " . , , ) .

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tin XL I.'!THOOGCTWX

OU le judaïsme a PllfoQTI..lIT_ des thérapeutes, pourquoi, dans sa fécondîTé-dlvÎne; -l'j~glise catholique n'aurait-elle pas produit( un pareil miracle?Donc il a pu exister des moines ou thérapeutes à Athènes, comme dans les villes d1~gypte, et parce que Philon

r\ parle de ceux-ci sans ql!)l ~se d'apparlenir Q.\!Jl.!~emier siècle, . 1/ saint Denys a le droit de parler de ceux-là, sans qu'on l'accuse

d'avoirii:"ppartenu au cinquième siècle, . La sagacité de Scaliger lui a donc fait défaut en cette rencontre.

Mème il s'est inutilement mis en frais d'érudition pour donner de la valeur à son argument, et ce lui fut une inspiration mal heu­reus.e de demander appui il Tertullien. Quand l'éloquent apolo­

1 giste montre que ses frères ne sont pas misanthropes, inaborda­j bles, sauvages, comme on voudra, neque enim (sU/nus) si/vico/a:,

aut eXil les vitœ (n, cela prouve-t-il ql!.~-!lul d'entre eux n'était, 1 ne pouvait ètre célibataire ou retiré du tumulte des alfaires

pùbliques? Comprendreains0erait é\'idéffiffiëilrclé;aturer la 1 pêüS6ëde Tertullien, qui voulait uniquement absoudre ses core­

l, ligionnaires du reproche d'être inutiles à la paIrie, Il'ailleurs saint Basile s'est exprimé quelque part (2) dans les mèmes termes

1 \ 1

il peu près que le docteur africain: qui est-ce qui ignore, dit-il, l' que l'I~omj!le e~ur!._ani.œ.<l.l~UXet so~le, et non point solitaireIl'Il et ~aU\'ag,~, p.,o·,:x.~-;\xà'l o'Jil' ay,PI0'l? Pourtant pe~sonne. ne songe

( il dire qu Ji n y eut pas de mOine du temps de salllt llasJie, ancien moine lui-mème et précepteur de moines,

011 a également tort de prétendre que la coupe des cheveux et la forme exeeptionnelle de l'habit monacal dèsignaienlles moines aux fureurs de la persécution, et que la légitime appréhension de ce danger devait empècher l'introduction de ces pratiques. C'est

-~ là créer des funtàmes pour se donner le plaisir de les combatll;e, Riëiï ahsolUlu-el1t.de ce-qu'affl;-ffiê saintDenys neforce à croire que l'habit donné aux moines dans la cérémonie de leur consé­cration eùt une forme inusitée, étrange, ni qu'ils le tiussent perter en public et hor~ des cérémonies religieuses. Or, il fau­

(1) TertuJ., Apolog., no 42. - (2) Regulœ (usiùs tract. ad interr.og. 3.

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41 L'\Tl\ODCCTIO:-i Xl.I

.Irait 'lue ces deux choses fussent démontrées l'OUI' <juïl exis[ùt une difiicullé réelle. Saint Denys ne .parle pas non plus de la l,>n;;ure telle qu'on ra portée quand l'Eglise eut acquis une exis­l('nce légalement reconnue; ce qu'il dit signifie simplement que

Ile ch!i!:,ien dépo~ait 1~"luxe de sa chevelure mOI~daine, ?tl,a réd~i­"_ait~proportlOnsmo~~~~embl~volrconsc.dlee~alllt

Paul, Il. C'était là, du reste, un usage ancien parmi <luelqucs "('nite~rs de Dieu (2), et plein de hautes instructions (3).

Aimi, les assertions de saint Denys sont expre~ses; dIes se lronvent confirmées d'ailleurs par des fait!> ou positivement a\"t~­ri's ou facilement croyables. Les textes -ambigus qu'on invoque cOlllre nous peuvent rece\'o,ir une interprétation plausible, qui appuie notre opinion, ou du moins ne la ruine pas. Il résulte de là {lUI' le~ écrits attribués il notre Aréopagile ont un troisième c:lractère intrinsèque d'authenticité. Cf:)En accusant de faux rauteur de ces lines, i~~~"iennentIl ~l1cmSl-!"jJl~~fllicables, et la parole d'un homme, en aucune circonstance possible, ne sera une garantie de vérité. ~ou~ raYOnS dit et prouvé plus haut: si l'on ajoute foi aux

paroles de notre écrÎ\"ain, la date de son existenee est nettement Il sée, et nous sommes suffisamment éclairés ml' l'origine de ses ounages. Il est contemporain des apôtres, disciple de saint Paul, ami de saint Jean. Il a YU les funérailles de la Vierge Marie; il a été en rapport avec de pieux et illustres personnages. Or, ces citations sont-elles inexactes, oui ou non? Eh bien', non, cel homme n'est pas, ne peut pas être un imposteur.

En elTet, Il moins ù'l:!re fou, on ne trompe pas sans motifs, ( En~uite il n'y nja!pa!~~~tifsde four~~'ie_pour une âme honnète ct)oœe. On ne se fait Imposteur que par méchanceté ou par faIblesse: dans Je premier cas, on veut. le mal par le mal; dans le second, on emploie le mal comme moyen du bien. Mais les

(1) 1 Cor., il, ~. - (2) ~Ulller., 6, H. - (3) Dionys., de Eccles. hier., cap. 6. - Ilieron., Epis!. 48, ad Salvia.. , - Isidor. IIispaI., de Divin. ol!lcü••

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CI

1

f.., XLII l:\T.RODUCTIO:'{

esprits droits et les cœurs fermes y~ b~l~par le~ll, c'est­à-dire, par la vérité.

Or, il est absolument impossible d'assigner un motif quel­conque à la fraude qu'on ~uppose en notre auteur, et il est facile de prouyer que tous les motifs imaginables n'auraient jamais yaincu en lui le respect pour la justice et la \·érité.

Car que voulait-il en écrirant'? Prétendait-il recommander Je fausses doctrines, et chercher pour m secte un glorieux et puis­sant patronage dans le nom de saint Denys? Mais ses lines sont. purs de toute erreur. Il sonde, d'un~e et hard~ :..~gard, les

j dQ~~.lesJ)lus r~<!.9.!ltables, et p~t~les régions habitées par\ les anses, :'Ious lui devons d'heureuses explications de quelques o~s de nos l~critures, et des aper~us profonds sur le~ns

J\ caché des sacrements. Il parle de Dieu, de sa nature, de ses attributs ayec""iJi1ë"élévation et une exactitude que peut-être aucun------.. doctcur Mtleigpit; car il surpasse, au dire de plusicurs, saint r.régoire de :'\azianze et saint Augustin par la splendeur de sa doctrine et la majesté de son élocution. Les plus renommés héologiens ont loué son orthodoxie irréprochable. Il ne fut donc

pas prédicateur de l'hérésie; c'est un fait matériel dont tout. le monde peut se comaincre, et que personne ne saurait nier. Il n'a donc pas écrit pour propager l'erreur, .

Mais soldat de la vérité, n'a-t-il pas vonlu la servir par le mensonge? :'l'ous répondons que les faits combattent celle supposition et que la saine logique ne l'autorise pas.

En fait, comment les choses se sont-clles passées'! Qui est-ce )f qui~ produit ces livres au grandjou~ de la publicilé?Ceii:ëS'Ont1pas les orthodoxes, mais bien_les J!érétiques Sévériens (f). Si

dOüë l'auteur présumé se trouvait dans les rangs dë ceux-ci, c'est assez plaisant qu'il soit catholique sans le vouloir: imagi­nez-vous un homme de génie, qui compose de sayants traités pour défendre des doctrines dont il finit par ne pas dire un mot? Si, au contraire, il se trouvait parmi ceux-là, ce n'est pas moins

-~

(1) Collat. eathol. euro Severianis, Mansi, t. "lI!.

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qI~TRODUCTIO~ xun

~lran!!e qu'il n'ait pas réclamé contre l'usuIpaJLQILde_JJ.!..é-,.:,~sie, el qu'-il n'ait pas dénoncé à l'in?i~n~tion pu~lique la frg.1!..de des "évériens : étrange apôtre, qUi ecnt laborieusement ponr la J~ de la vérité, et attend d'un zèle impie la propagation de ,,011 œuvre.

Mais veut-on répondre que les lines, devenus pul~lics seule~

ment en 523, existaient depuis longtemps déjà; que l'auteur ~incèrement orthodoxe s'était enveloppé de mystèr~, et avait habHement placé sa foi sous la garde d'un nom révéré? Or, c'est ici que surgit réellement une forêt de telles illl'raisemblances, 'lue le plus intrépide contradicteur aura peine à les dévorer.

Car d'abord comment cet homme, qui, tout en dissimulant sa personnalité, voulait cependant le triomphe de ses doctrines, ne les a-t-il pas publiquement soutenues? L'occasion, certes, n'a pas manqué depuis l'an 300 jusqu'en 5:30; les hérésies Q':l.ri~,

dt- ~acédo~ de ~est~ri!:ls et {Eut)'chès désolaien~z

l'~:glise;-pour qn'un zère qui recourait il l'ignominie du mensonge essayât de la libre vérité et d'une discussion permise; s'il s'est, en effet, mêlé il la controverse, comment n'a-t-il pas invoqué l'él.-lJlor.iJé de saint ~nys qu'il venait d'imaginer tout exprès? S'il l'a invoquée, comment ne l'a-t-on tenue ni pour suspecte, ni pour vraie, ni pour fausse? Et si l'on a exprimé un doute, une acception ou un refus, comment se fait-il que personne n'en ait jamais rien entendu dire? Dans notre opinion, l'obscurité où fut laissé saint Denys se comprend sans peine; mais dans le sentiment opposé, c'est un mystère inexplicable. Qu'un homme confie à la discrétion sél-ère de ses amis des doctrines qu'il n'est pas prudent de divulguer enco\'e, et qu'ainsi son œuvre subisse un silence obligé, il n'y a rien là qui étonne;

( mais qu'un hom'me bâtisse une fable précisément pour étayer sa 1 foi religieuse, et qu'il ne lui vienne pas en esprit de s'en servir " à cet effet, voilà ce qui passe les bornes du possible, et ce qu'on

peut qualifier au moins d'invraisemblance. Ensuite l'allégation du nom de saint Denys devenait une

duplicité parfaitement inutile. Car les vrais croyants de tous les

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'1 ::1 1..,0

XLIV� l'''THODU'cTlO~

siècles ont admis que le témoignage d'un seul docteur, sur~out

quand il parle, non point comme organe de la tradition," mais comme écrivain qui philosophe, ne suffit pas à fonder les déci­sions de n~glise, ni conséquemment notre foi. Ses ass~r~i9.ns,

en matière de.<:!.ogme,...!Q!It ~,?I1J!'_Q...n~~_e_~ "~~~g __tenseignement général : (::onformes, on les reçoit; opposées, on les rejette. ÂiÏÏsile sceau de la catholicité ne leur est imprimé qu'avec

"ceUe épreuve, où elles figurent comme chose contestable encore, et non comme règle souveraine. Quand donLi!Qp~~tl..~S

\ 1œuvres attribuées à saint Denys, elles subirent cet examen. Sil' f elles eu~~nt combattu ïeîarig"age des' p.~I;ëS~-Oriles-"e&r"réprou­

vées; parce qu'elles furent admises, on doit conclure qu'elles reprodufsalënt lu doétrlnê-,!nT@~ue:'-Mals; cn-·ce-c~1S-'-à.-'q~oi bon l'imposture que supposent nos adversaires? La doctrine 011t110­doxe ét.ait plus éminemment encore et plus inc(lntestablement dans l'I~glise, qu'elle ne pouvait être dans les écrits qu'on se préparait à produire sous le nom de saint Denys. D'où il résulte, i 0 que les docteurs avaien t aussi facile de trouver la véri té dans n~glise ct de l'établir, qu'il fut facile à un faussaire de la décou­

fi \Tir et de la présenter sous un titre usurpé; et, 20 que l'hérési.e, ~ qui niait l'autorité de l'I~glise, ne voulait pas s'incliner del'ant

celle d'un homme. C'est pourquoi un écril'ain plein de génie, comme celui qu'on suppose, ne se fùt pas appliqué à combiner savamment une foule d'odieux et ingrats mensonges. Et parce que la fourberie devenait évidemment inutile, il n'est pas vraisemblable qu'il l'ait commise. "

De plus, comment cet esprit si remarquab!"e, q~idis_~ertEl ~lec

tant d'élévation sur la nature d"u bien ei dllmal, a-t-il pu igno­rur qu'on ne sert point Dieu par l'hypocrisie, et que ce qui n'est paS,Oule ~en~~nge;~e-~auraitprotéger ce qui est, ou la vérité? L'enfance connaît cette loi et la suit instinctivement, et, s'il lui arrive parfois de la violer, elle en atteste encore l'exis­tence par l'embarras de sa physionomie et la pudeUl: de son front. Quand même le philosophe etlt perdu de vue, le "chrétien se fût l'appelé sans doute ce noble principe que l'ÉI'angile avait

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4,:;­I~TIl0DUCTlO~ XI.V

popularisé dans le mOI~de. On. ~'a pas le dl'o~~ de s~pposel: ~IUC l'auteur ùu traité des :'\oms dlVlUS et de la Hierarchie ecc1eslas­tique ait .ignoré une d?ctrine que .tous nos li l'rC5 expriment, dont nos Eglises ont toujours relentl, .

El non seulement il l'a connue, mais il l'a sui vie. Car l'h~~le

~incèrement ~!igleux apparaît dans ses ou\Ta~eS, aussi bien que l'écrivain. dl~JlnBué, Sa parole grave et pieuse commande

. Je respect.; son regard s'est exercé aux contemplations les plus sublimes; les choses divines lui sont familières. Or, .ceLLe science intime et profonde de la vérité ne s'acquiert point par imagination, ou par un effort de génie; Dieu la donne à qui détache son esprit et son CŒ'Ul' des choses terrestres. Il répugne donc d'admettre que cet homme sanctifié, ct en qui la lumière dil'ine déborde avec tant de richesse et d'éclat, ait \'Oulu ternir la pureté de sa conscience par J'hypocrisie, Quelle ~Ioire y a-t-il donc demnt Dieu et devant le monde, quel avantage pOUl' celle vie et pour l'autre dans une lùche imposture? Que!!~ fascination pe,!!! exercer sur un. cU'ur droit le hideux plaisir de .!romper'! J'en demande pardon à ces illustres saints; mais con~oil-on que les Basile, les C1Jrysostome, les Augustin, à coté des solennels enseignements de la foi, à la suite d'un énergique cri d'amour, nous racontent du même style et avec le même accent des faus­selés insignes? Cette induction, légitime et concluante à leur

f égard, ne l'est pas moins à l'égard de notre auteur, La piétd, ( mère de la véracité, respire dans ses écrits; il n'est donc ni . juste, ni possible de penser qu'il ait sacrifié au mensonge,

Qu'on y fasse attention: si l'on repousse notl'e sentiment, il faut embrasser c~s suppositions gratuites, étranges, il se~ait

.permis de dire, absurdes. Car il ne suffit pas d'alléguer contre nous quelques faibles difficultés plus ou moins fondées sur un lexte dont l'authenticité se prète également aux conclusions de la mine critique et aux insinuations de la mauvaise foi; on doit

( encore émettre une opinion où tout se tienne, et qui ne croule pas sous' Je poids de sa propre invraisemblance. Or, on avouera que nos adversaires font de leur prétendu saint Denys un per- .

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"tG XI.VI Il\TRODUCTION

sonnage monstrueux, zélé pour la vérité et pour le mensonge, pieux et hypocrite, intelligent et stupide, man~~.....Qe sphinx placé alueuil dd~hi~J9lre ecclésiastique, uniquement pour prC­p~es tortures aux Saumaises à ;enir; car personne n'a pu dire eneore dans quel but il se serait enveloppé d'énigmes, pour­quoi il aurait fait de son nom un problème. Par là i1U!.bolissent les lois morales qui gouvernent les esprits; ou s'ils en recon­lïâissent l'existence, du moins ils en rendent toute application impossihle : car si cet écrivain a menti, alors un homme dïn­

"'Cl. telligence peut agir sans motif, un homme de cœur peut être fourbe; ou si cet écrivain n'a ni intelligence ni cœur, alors les mots n'ont plus aucun sens fixe, et la parole d'un lJom~e

saurait jamai~ êt~ le r~tet de..S.lLlW)sée. On a vu que les doctrines, le style, les assertions, le C<1ractère

de l'auteur des liues attribués à saint Denys, prouvent assez bien qu'ils ne sont pas apocryphes. Tels sont donc les titres d'origine que ce monument porte en lui-même.

Venons maintenant à la conriction des érudits sur celte matière: leurs témoignages donneront à notre sentiment un haut degré de probabilité, peut-être une certitude morale.

§ 2: - PREUVES EXTRli'iSÈQUES

Un liue est-il ou n'est-il pas de tel auteur? C'est là une qUeS'­tion de fait. Par suite, elle peut et doit se résoudre, comme toutes les questions de fait, par le témoignage. De là vient qu'outre les caractères d'authenticité ou de supposition qu'un monument littéraire présente par lui-même, il existe un autre ordre de documents qui éclairent et dirigent les critiques: ce sont les assertions des contemporains ou des hommes graves, qui ont consciencieusement étudié la matière et pris une opinion.

Or, trois choses donnent surtout du poids aux témoignages: la valeur intellectuelle et morale de ceux qui prononcent, le nombre des dépositions, et la constance avec laqueUe les siècles réclament.contre quelques rares contradicteurs. En général, on

~--'..

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q.I~TRODUCTlO~ XI.YlI

doit apprécier aussi la force des motifs qu'~xpos(mt parfois le~ Jéfenseurs d'un sentiment. Mais dans l'espèce, nous n'ayons pas il nous préoccuper de cette face de la question, soit parce (Iu'il nous serait impossible de décounir les raisons qui, en fail, déter­minèrent nos patrons, soit parce qu'elles furent sans doute iden­tiques ayec celles que nous avons nous-mêmes précédemment exposées. C'est pourquoi il suffit qu'on s'en tienne aux troi~

points de rue indiqués, et qu'on apprécie à leur juste valeur la force d'esprit et la probité des sa"ants que nous citerons, leur

.nombre, et la continuité, la constance de leurs suffrages. Afin d'établir, parmi cette foule de textes, un ordre qui Jonn~

il la discussion de la lucidité, nous croyons deroir rapfJeler les témoignages des érudits, en sui\"ant le cours des siècles, et de~cendant de l'époque où nous plaçons saint Den)"s jusqu'au temps où nous sommes.

Telles sont donc les dépositions de la science, tel est le jugement de la critique sur la question qui se débat ici.

Aucun texte ne se rencontre dans les écrits des plus anciens Pères, qui établisse po;;iti\"ement ct péremptoirement I"authcn­ticité des lines 3ltlribués il saint Denys l'Aréopagite. Cependant '(~uillaume Budé, nommé sarant par les samnts eux-nH"omes, el qui, à une époque où l'étude du grec sévissait comme ul1_ü épidémie sur toute l'Europe, était proclamé par Érasme et Scaliger, ses 'rimux, le plus grand helléniste de la reDais~~nce,

un \Tai phénix qui ne demit jamais renaltre de ses cendres( I3udé~

.1: disons-nous, pensait que suint Igna~e,. saint Grt·goire--deXal.iail1.e; ;,\1 saint)érôme, avaient eu quelque réminiscence des doctrines de i' saint Denys. Effectivement ces' docteurs parlent des hiéra'r~ï;ies

célestes dans les mêmes termes que notre auteur (i). Or, comme celui-ci traite au long cette matière que ceux-là se bornent à efJleurer, il est probable qu'il n'a pas été le copiste, mais que l"initiath'e lui appartient. Ce qui appuierait cette conclusion,

(1) Ignat., Epist. ad Traitons. - .Gx.eg. ~az., orat. 38, apull Collect. Select. Patr., 1. L. - I1ieron.;) lib. II, adv. Jo,inia.

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I.{~

XLVlIl I~TRODl.:CTIO~

c'est que s~lJ:~f~ire ajoute il sa citation ce mot révélateur: Ouelliadmorlum qllispiam alius IIWjOl'/lnl et pttlclle'I,'imè philoso]JhatHs

est, et sublimi..'.'imé; et f!U 'U!le. foule de_.passilFes montre.!! t clai­Il I:.e...ment nu'iL lisait et imitait saint D~.nys, Au reste, c'est le

sentiment de son saYant traducteur, de Il.ill~', dont le traYail fut JI loué par Huet. /

On trouve parmi les œuvreS;§'Ori~unehomélie où il nomme saint Denys L\.réopagite, et lui emprunte un passage que nous lisons effectivement au lirre de la Hiérarchie céleste: ln ipso enim, Ht os loquitul' divinll1n, virimus, mOt'emw' et S!l111ttS, et, ut ait !ll1{J.IWS. Diony.~ills Al'eopag'ita, esse omnium est slIpel'essentia et tiivinitas (il. Il e:,tjuste de dire que certains critiques ne croient pas (lue ce discours soit d'Origène; toutefois il faut admettre que HuOn, ou du moins quelque auteur du quatrième siècle, l'~a­

1d~0!ll'!pe2utheE~ique. On s'est trompé, soit; mais l'erreur n'a été possible que parce que la date précise de cette homélie commençait à "c voiler et à prendre un ail' antique, et il n'est guère permis de la regarder comme postérieure il Origène: ce

1quiprouverait, en tout cas, que le..J:.1:9isi_~me sièclL'l. professé notre oQinion. Au reste, on ne prétendra pas, sans doute, que cette citation ait été intercalée; la vérité qu'il s'agissait d'étahlit' est assez nettement exprimée dans les l~critures et asse7. sen­sible il la raison, pour qu'on n'ait pas songé à l'appuyer par une interpolation.

Au temps d'Origène, florissait Denys, évêque d'Alexandrie. 01' il écrivit des notes pour servir il fintelligence -de son- illustre

'-( homonyme, Ce fait nous est attesté et par Ana~, p'atria.!:E,heIl d'Antioche, personnage renommé par sa sainteté, son ûle pour a r;;iët sa doctrine (2), et par saint Maxime, philosophe et Imartyr, dont on n'a pas le droit de révoquer en doute la véracité (3). Comme donc ceux-ci croyaient à l'authenticité des

(1) l~p5 Orlg.'. homo i, in quœdam N. Testamentiloca.-(2rîfv"'agr, lIist., lib. IV, cap. 40. - (3) Anast;]in Odego. ~. Maxim ... in cap, 5 Cret. hierar. ­

> __._. '* "_":JIl'~. " .fr.;."!-_ _ w ~_.~ -.-,• .......,.. ­

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~"l

J~TRODUCTlOX XI.\X

œUvres attribuées à notre Aréopagite, si Denys Alexandrin eùt professé une autre opinion, ils l'auraient signalée au moins pour la combattre. D'ailleurs, l\\vèque ég~'ptien ne pou rait, en 250, r<.,Huer un commentaire que pour des li l'l'es qui fussent au moins des !)remières années du second siècle: ce n'est pas aU.tourd'hui, el ce fut moins encore en ce temps-là l'usage d'annoter les auteurs Yivants . . Saint Jean Chrysosto~è'';place aussi le nom de saint Denys parmi--t-~~~ï~~---graüds noms de l'antiquité chrétienne, ~t,

admirant sa doctrine et. comment son essor le porte jusqu'au sein de la divinité, l'appelle un aigle céleste: Ubi Evodius ille, I,onus OdOl' Ecclesim, et sanctorum apostolol'wn successol'? f.:bi Igna­tius Dei c1omicilium? L'bi Dionysius Areopagita 1'ol1lc1'is cœli (1 f .. '? (lue ce sermon soit de saint Chrysostome, c'est ce qu'on doit penser d'après J'autorité d·An.~s_~as_e.Je b.iqli9.ttlJ~.c.aire (2), du l:<trdinal dU.P.~rron, de UarQBius Pl, du P. Hulloix 14); c'est ce qu'~n 'peut conclure de l'Îir de famille qiifle-ëilstingue, et de ce que l'auteur ne ·nomme pas saint Chrysostome, entre les grands hommes du catholicisme, entre saint Basile et les deux

r saints Grégoire. Or tout le monde sentira que celte omission ne l, peut être expliquée que par la modestie et non pilr l'oubli.

Saint'Cyrille d'Alexandrie; quiappartient aux premières années du .cinquième siècle, invoque, entre autres témoignages, celui

1 de saint Denys l'Aréopagite contre les hérétiques qui niaient le 1 dogme catholique de l'Incarnation: « Cyrillus quatuor libros " scripsit, tres adversùs Theodorum et Diodorum, quasi :.'\esto­" riani dogmatis auctores, et alium de Incarnatione librum. In " quibus continentur antiquorum Patrum incorrupta testimollia, "Felicis papre romani, Djo.llysii Areo.pagitœ, Corinthiorum Il episcopi, et Cregorii, mirabilis Thaumathurgi cognominati (5). »

(1) Sermo de Pseudoprophetis, circà medium. - (2) Epist. ad Carol. Calvum infrà citata. - (3) Ad ann. Domini 109. - (4) De Vitû et Ope­ribus Dionys., quœst. 2. - (5) Liberal. jn Breviar. de causA Nestor. et Eutych., cap. 10.

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L ':).:;

I~THODl:CTlO:'\

A la vérité, Libérat dit que Den~;5 l'.-\.réopagite fut éYèque de Corinthe. Mais cette assertion, quïl est facile de réfuter, importe peu dans la question présente. Cc qui reste acquis, d'aprè~

Libérat lui-même, c'est que, dès l'an 1.00, notre é~.!·.!Yain fut cité a\'ec honneur, et entre deux autorités qui rem'oni~'üent' au milieu du troisième siècle.

Enfin 'Juvénal de Jérusalem,;é.crÏ\·ant à ~Iarcien et il Pulchérie, touchant le trépas de laSainte Yierge, cite comme une tradition de l'Eglise le récit même de notre Ar~9.Ea.:gi~e sur ce sujet, sans rien émettre absolument qui ressemble à un cloute: " Il Y avait » là, dit-il, aœc les apôtres, Timothée, premier én"que dï::phèse,

l' » e~ Denys l'Aréopagite, comme il nous l'apprend lui·mème en " » son liue ( des Noms di dns, chap. 3). C'est l'historien ~.icé­)l

ph~e qui nous a transmis ce témoignage (j), A partir de cette epoque, et en descendant le cours des temps,

nous rencontrons une foule d'écrivains qui confirme'nt notre sent.iment par des témoignages précis et d'une authenticité uni­versellement avouée, :\"ous les citons, non pas pour marquer qu'alors et depuis, les !l'unes dont il s'agit furent connues et jouirent ù'une éclatante publicité, ce que personne ne ~onge à combattre, mais pour montrer que des hommes de science ct de vertu distinguées les attribuent à saint Denys l'Aréopa~ite,

) ce que plusieurs critiques n'ont pas assez convenablement apprécié.

j

Donc sous l'empire de Justinien, dans la première moitié du sixième siècle, vécurent deux écrivains de quelque renom, et très versés dans la lecture des anciens Pères: c'était Léo!).c~c!.e

fl_Izance et saint ~.~lastase le Sinaïte, dont il a été parlé plus hal~t~ Dans un li \Te q'ilil'ci:iniposaêontre Xestorius et Eutychès, Léollce dit qu'il va confirmer les arguments d'abord produits par

"'autorité des anciens, et il cite en premierJi.eq.P.e.Uys l'Aréol?a­.1 gite, cont~mp<llilin des apotres (2). Dans un autre traité, il donne la liste des Pères qui ont illustré l'Église depuis Jésus-Christ

(1) msL Eccles., lib. XV. cap. 14. - (2) Lib., Il contra Kcst. et Eutych.

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,;/ l'''TRODUCTlO~ LI

jusqu'au règne de Consta~t~n, et il compte parmi eu~ no~re auteur: « Ces docteurs, dit-II, €urent Ignace, surnomme Theo­,. phare, Irénée, Justin, philosophe et martyr, Clément et Hippo­" l "te, él".?ques de Home, Denys l'Aréopagite, MéthlOdius de Patare, ,. (;ré~oire Thaumaturge, etc. (i). » Anastase écri \'ih des réflexions Illysttques sur l'œuvre des six jours: là, il rappelle en ces termes un passage du livre des Noms divins: « Ce Denys, célèbre contem-

JI porain des apôtres, et versé dans la science des choses di vines, . eilseigne en sa sublime théologie que le n~!? dopnép.a[ l~s

l;recs à la diYionité signifie qu'elle contemple et voit tout (2). »

-Cë firand"p~'p.!:_sairit Grégoir§; qui éclaira du feu de son génie et de sa charité les dernières années de ce mème siècle, explique quelques fonctions des esprits bienheureux avec les propres paroles de saint. Denys, et en le nommant ancien et vfnérable Père: Dionysius ,üeopagita, antiqulls videlicet ett:cne­l'aliNis l'atel" (3).

L.esfpl.it!.mLsiècle tout entier est plein de la gloire de saint Denys. Les meilleurs écri vains, de saints évêques, des papes et des

i .:onciles, rOrient et l'Occident le proclament l'auteur des livres ( que nous possédons aujourd'hui sous son nom. Pas une voix

discordante ne rompt l'unanimité solennelle de ce concert. L'hérésie elle-même invoque ou subit cette autorité il.lcontestée.

Happelons d'abord le philosophe et martyr Csâint :\faximi,J contemporain de rempereur Héraclius. Ami gé'néreux-'(ië' la vérité, il s'enfuit de la cour qu'infectait l'hérésie, embrassa la vie monastique, soutint sa foi par ses écrits, et soutl"rPt persécu­tion pour elle. Or, dans la célèbre conférence où il cOl1l'ertit le monothélite Pyrrhus, il cita, sans hésitation de sa part et sans réclamation de son' interlocuteur, l'autorité de Denys rAréo­pagite. Dans son li \Te des initiations ec.çJ~l~?tigues (de Ecclesias­tied mistagogiâ), il émitÎ-a-mê;iiè-opfnion. në plus, il enrichit de pieuses et savantes notes les œUlTes du docteur apostolique.

(i) Lib. de Sectis, act. 3. - (2) Anast. Sinaït., I1examer., lib. XYli. ­(3) Homil. 34, in Luc., cap. 15, de dragmA perditA.

'"1 « ~! ~ (..R'(,.

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t;"t. L:I IXTRODUCTIO~

On accordera sans doute du respect et de la confiance au senti­ment défendu par Maxime, quand on saura que les critique~,

Photius entre autres, ont loué sa science, comme les hagiogra­plies sa sainteté. Il est vrai que Scaliger vint au seizième siècle déclarer, avec une remarquable aménité de langage, que cet homme ne fut qu'un ignorant. Car est-ce qu'un saint, surtout quand il est moine, peut savoir quelque chose?

Mais le philologue protestant eùt dù étendre le bénéfice de sa spirituelle réfutation à beaucoup d'autres intelligences, qui méritaient bien un calembourg. Ainsi le pape~Iartin 1er., en plein synode de Latran, pour démontrer le dogmeclillù;lique et réfuter le monothélisme par l'enseignement u.nÎ\·ersel des anciens Pères, invoque, parmi beaue.oup d'autres autorités, celle de saint Denys d'.Uhènes. « L'illustre Denys, dans SOli livre des .. Xoms di vins, nous apprend que le Seigneur fut formé du pur " sang d'une Vierge, contrairement aux lois de la nature, et " qu'il foula les Dots d'un pied sec, sans que leur mobilité cédât .. sous le poids de son' corps. Et il dit enco·re dans sa lettre à " Caïus: Le Seigneur, s'abaissant jusqu'à notre substance, lui a " communiqué la supériorité de son être, etc. (1). » Etle concile d~..LalI'<l:..n, composé de cent quatre évèques (allnée 6...9), entendit ces citations faites par l'ordre du pape, et les approuva et en tant qu'elles expriment le dogme catholique, et en tant qu'elles venaient de saint Denys l'Aréopagite, « Le très saint et bien­"heureux Martin, évèque de la sainte Eglise catholique et .. apostolique de la ville de Home, dit: Que ceux qui ont cette

i' .. c.llarge apportent le volume de saint Denys, évèque d'Athènes. !» Tl;éophylacte, primicier des 1I0taires du Saint-Siège aposto­1" lique, dit: Selon l'ordre de votre béatitüde, j'ai tiré de votre \ » bibliothèque et j'ai entre les mains le livre du bienhenreux

" Denys, etc. (2). "

(1) Cr. aet. S:ynod. Later., Secret. 1 ct 3,1. VI. Cone. Labb. et Cossart. Dionys., de Div. nom., cap. 2, et Epist. ad Caïulll. - (2) Act; Coneil. Latcran., ubi suprà.

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53 l~TRODliCTlO:-l J.IIl

[n autre 'p~~~, S~~l:~:\~Ji!, dans sa lellre il Constantin, empereur, à HériiCTius ct Tibère, Augustes, s'appuie également ~ur les passages qu'on vient de rappeler, et il en désigne l'au leur par ces mots; Denys l'Aréopagite, éVt\que d'Athènes. Celle lettre ful lue au sixième concile général, troisième de Constantinople, el le texte allégué soumis à la confrontation. « On in "oqua un )1 autre témoignage, emprunté aux œuvres de saint Denys,

r )1 él"rque' d'Athènes et martyr, et en collationnant le passage cité l» avec le traité des Noms dhins, on vit qu'il y est enseigné que

» c'est le Verbe éternel qui seul a pris véritablement notre nature » et toutœ~;;;nstitue, qui seul a opéré et souffert les choses " que Dieu opéra et souffrit par cette sainte humanité (1). )1

Sous le pontificat des papes Honorius et Jean IV, vivait Sophrone, él't\que de Jérusl,l)em, le premier ad"ersaire que le

1monothélisme rencontra sur son chemin. Dans une lellre à Sergius de Cons~antinople, fauteur de l'hérésie et hérétique lui­même, il re~oll-.!·~~l'a~~o~lt(,~~__~~int l!~nys, comme les papes ct les conciles précités. « Kous croyons, dit-il, que celte puis­)1 sance, que l'on nomme nouvelle et théil.l1drique, n'est pas une

l" indivisible unité, mais le résultat de deux principes différents, \,» comme l'enseigne L\.réopagite Den;)'s, divinement converti par i» saint Paul. Or S,ergiusuecherchepas à décliner !ll_~:aleur de)1

.)� ce témoignage, en prétextant la supposition des liues d'où il élaIT'tiré: Au contraire, le monothélite Sergius approuve inté­

1gralement une lettre du monothélite Cyrus, où celui-ci invoque comme valable l'autorité de saint Denys. M,!~,!:iIe, patriarche d·~,r.!.ti9~he, s'accordait en ce point avec ses collègues de Cons­tantinople et d'Alexandrie, Sergius et Cyrus: car dans le concile de Constantinople, nommé quini-sexte (an (92), il déclara ne

(.-pas reconnaître .multiplicité, ~ai~ unité .d'~pération,.s'.al;lm~ant

~ du texte de samt Denys, qllll mterpretaJt, à la vente, dune manière fauti ve (2).

(1) Concil. Constanlinop. terlii, aclione S*. t. VI. - (2) CL concil. Latel'an. et C. P. quini-srxtum.

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'1 LIV 1~'l'R01)LCTlO::'i

Comme on le voit, tous les grands si~ges de la catholicité, Home, par la bouche de ses pontifes; Alexandrie, Antioche, Jérusalem, Constantinople, par leurs patriarches; l'Église, dans

J\ plusieurs conciles, aff1rment tenir pour authentiques ~s Œ..l!lres connues sous lenom de sai~t Denys l'Aré~aite. Pour donner à cette graye unanimité toute son importance, il faut se rappeler que, dans la controverse qui se débattait entre les catholiques et les monothélites, saint Denys était invoqué par les uns et par les autres, chacun essa~'ant de l'interpréter en son sens. Or il importait du moins à une moitié des combattants de prétext.er que les écrits allégués étaient apocryphes; car ainsi le terrain de la discussion se débarrassait d'une partie de son bagage d'érudition et de philologie;- on avait des difficultés de moins à

·11 N \) vaincre, et l'on enlevait à l'ennemi une arme de plus. Cepen­

-':> dant personne ne songe il cet expédient; si quelqu'un y songe, personne ne croit pouvoir s'en se1'l'ir. On craignait donc de suc­comber sous l'absurdité d'une pareille ruse de guerre. L'authen­

1) ~'J

_ J\ticité des l!'uvres de saint Denys était donc une opinlop. généraÏe, si parfaitement inattaquable, qu'il semblait plus facile de tordre le sens que de prouver la supposition des textes.

Le huitième siècle ne nous présente non plus aucun contra­dicteur, et nous y rencontrons d'illustres témoins de la vérité de notre sentiment. Sain(Jean Damascènê~ la lumière de l'Orient à cette époque, lecteur assidUëtadmirateur de notre écrivain, le cite souvent, et le _nomme_ toujours I2en~·~opagite.

« Les saints oracles, dit-il, nous enseignent, comme témoigne " saint Denis d'Athènes, que Dieu est la cause et le principe » de tout, l'essence de ce qui est, la Yie de ce qui Yit, etc. » Et plus loin: « Le saint et habile théologien, Denys l'Aréopagite, " affirme que la théologie, c'est-à-dire l'Écriture sainte, nomme, » en tout, !!euf ordres d'es2!.~ts céles.tes (i). » On peut encore consulter le traité touchant ceux qui meurent dans la foi, et le discours sur le trépas, ou, comme disent les Grecs, sur le som­

(i) Joan. Dam~ccn. de Odr. 01 tho,1 lib. Tt cap. i2.

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~

5~­

l:'lTHüDCCnü:'l I.V

wcil de la Bienheureuse Vierge, o~ saint Denys se trou,oe encore cité par le même docteur.

Le 'pape Ad!~~~.>rappelle et appl'ouve la parole de ses ploédéce~seur;;~ les saints Grégoire, :Uartin eh .·\gathon, dam ~~l

I.ctl!..e.o~ oÇ!glrlell."lagne, toucbant le culte des images. « Saint Denys I" L-\réopagile, éYèque d'.-\tliènes, a été loué par le pape (;régoire,

Jj" qui le nomme ancien et vénérable Père et docteur. Il fut " contemporain des apOtres, etA est cité au lin'e d.Ei.~ o~~t~.?

l " C'est pourquoi les glorieux pontifes, nos prédécesseurs, ont 1» confirmé, dans les divers cone.iles, la vérité. de ses el~sei?ne­, ,) ments touchant le eulle ùes Images. " El Il transcrIt, a ce ~ sujet, un fragment de la lettre il saint Jean, et un autre de la fi lIiérarchie céleste (1).

Enfin, le deuxièmll concile de :'i'icée, septième général, consacre, en quelque sorte, par sa haute approbalion, le sentiment des anciens. Il nous apprend que, seron le mot de l'iaustre saint DQ!lYS, notre hiérarchie est essentieJ1ementfondée sur la parole de Dieu, sur la véritable connaissance qui nous a été donnée des choses divines (2). 0'0

Au neu vième siècle, nous rencontrons ù'abord(Photius; dont tous, orthodoxes et hérétiques, reconnaissent lïn;igne-érUdition, et la critique judicieuse. Or, il atteste que vers l'an 400, une

(controverse s'étant déclarée, touchant la question de savoir si j les écrits répandus sous le nom de saint Denys lui appartenaient ; ,oéritablement, un prêtre, nommé Théodore, soutint l'affirmative,

(lj S. Diollysius :\.vcopagita, qui ct cpiscopus Athcniensis, valdè nimil'ùm laudatus est a divo Gregorio papà, eonfirmallie cum antiq,uum patrern et doctorem esse. Iste sub temporibus apostoJorum fuit, ct in aclibus apostolorlJ!m monstratur. undè et a prwc1ÎcHs sanchissilllis prœdecessoribus nostris pontificibus in saeris eoneiliis eorum ejus confirmata sunt veridica testimonia pro sacrarum imaginum vencra­tione: inter cœtera amplectentes ista ex epistolâ ad! Joanncm ... et ejusdem de eœlesti militiâ, etc. Cf. septimus tom. Cone. Labb. et CossaI"!. ubi legitur ista epistola. - (2)1 Conc. l\icœn. 2, tom. VII concil.

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.;C 1.\"1 l:"iTHODt:CTIü:'\

e.l entreprit la réfutation des arguments qu'on lui opposait (1). <PJlOtius ne rend pas compte des réponses de Théodore, dont le

li;:re- se trom'ait sans doute entre toutes les mains. Mais, de peur qu'on ne croie (lue Photius consenât des cloutes sur la question, rappelons ce qu'il dit ailleurs, parlant de l'épître synodale de saint Sophrone: « Là se trouvaient réunis les )l témoignages des anciens Pùres, qui vécurent, soit avant, soit )l après le quatriùme concile. Ces témoignages prou vaient véri­li tablement qu'il y a une double opération en Jésus-Christ li nolI'e Dieu. Or, les principales autorités étaient Léon, pape )l de l'ancienne nome, le quatriùme concile œcuménique, )l Pierre, très saint évèque de :'Ilyre, Gennade de Constantinople, " Diadochus de Photica, Euphremius d'Antioche, qui combattit " aussi les acéphales avec beaucoup de vigueur dans plusieurs

1" éèl'its, eJ}!enys, disciple de Paul, martyr du Christ el éVt\qlle '\I> d'~!!!!ln.es, grand dans ses paroles, et plus grand encore dansj'" ses pensées (2).

De la.même époque, nous avons l'opinion de Michel Syngel, prétre de Jérusalem, loué pour son zèle éclairé, et pour son éloquence, comme on peut voir dans Théodore Stlldite (3). ~ous avons le témoignage d'lIilduin, célèbre abbé de Saint­

Denis, qui, dans une leltl'e à L;-~i;-l.e-Débollnaire, félicite la France de ce qu'elle possède ënfin les -ŒIIHes de nlltre

(1) I!œc igitur quatuor dillicilia argumenta dissoh'ere aggresslls confirmat, quantùm in se est, lcgitimum esse magni Dion)'sii librum. llibl., Cod. L

(2) ln hoc volumine eonlinebanlur test~monia sanctorum variorum Patrum qui antè quarlam Synodum fuerunt, et qui posl il1am floruerunt, et post nali sunt. Quœ teslimonia duplicem in Christo Deo noslro operalioncm prœdicarunt. Quorum principes ct prœcipui erant Leo vetcris fiomœ ponlifcx... , et Dion)'sius serlUone quidem magnus, sed contemplatione major, discipulus Pauli, Christi mUl·t)T, ct Alhenien:-ium episcopus. Phot., Cod. 231.

(3) Tbeodor. Studit., lib. Il, Epis!.. 21.3, apud CI. Sirmund., lom. V. p. 7:13.-" - '. ~ ..

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5':}IYfllODUCTIO:'I L'-II

Aréopagite, glorieux présent dù à la munificence de l'empereur Michel; et il ajoute: « Grâce à Dieu et aux ordres que vous avez Jl ùonnés poui' la traduction de ces lines, nous avons pu nous )) réjouir en leur lecture, et les amateurs les trouvent en nos

('" bibliothèques. Ces œuvres authentiques, écrites en grec, nous \ )) furent remises la veille même de la fète de saint Denis, quand

,. l'économe de l'Église de Constantinople et les autres ambas­Jl sadeurs de Michel se présentèrent à votre Gloire, Cn audience )) publique, à Compiègne. Comme si ce présent, cher il notre Jl amour, fLit venu du ciel, les bénédictions de Dieu le suivi­Jl rent bientàt; et, dans la nuit même, Notre-Seigneur daigna )) opérer, il la louange de son grand nom, et par les prières )) et mérites de son illustre martyr, dix-neuf miracles sur ùes » hommes amigés de diverses infirmités: c'est ce qui est établi Jl par la déposition de personnes parfaitement connues et ùe Jl notre voisinage (1). ))

1I~..s.P}r de Heims écrit, touchant le ml\me sujet, il Charles-le­Ijchauve, et cite, en preuve de l'authenticité de ces li vres, l'attes­; tation des Grecs en voyés par Michel, empereur de Constantinople, 'J,~ témoignage précis de l'Église romaine, que nous allons

(1) Cœterùlll de notitiiJ. librorum ejus, quos patrio sennone cons­cripsit, et quibusdam pctentibus illos eomposuit, leelio nobis pel' Dei gratiam, et vestram ordinationem, e~ljus dispensatione interprctatos scrinia nostra petcntibus reserant, satisfaei!. Authentieos autcm eosdem libros gncefl linguà eonseriptos, quando cceonolllu;; Ecclcsiœ Constantinopolitanœ et cœteri missi ~Iichi;lis Icgationc publieâ ad vestrulll Gloriulll Compendio fllneti sunt in ipsà yigilià so!cmnitatis S. Dionysii pro munere magno suseepilllus. Quod donum dcyotioni noslrœ, ae si ecclitùs aliatulll, udeo dh-ina cst gratia proseeutu, ut in eâdem noete deeelll et novem nominatissimas virtutes in œgrotorum sanatione variarum infirmitatulll ex notissimis et vieiniIatis noslrœ personis eontiguis ad laudem et glol'Îam sui nominis, oralionibus et meritis exeellentissimis sui martyris, Christus Dominus sit opc­:rari dignatus. IIiiduin., Epis!. ad Ludov. pium, citat. apud ~lartirl.

D!lElo.·-- ----~.

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5et 1.Illi� !;-\TRODccno:,,\

rapporter aussi, et le sentiment de la Fral!ce, et en particulier d 'llilduin son maîlre:--~-----------_.­

Ce témoignage de l'l~glise romaine avait été directement transmis au roi lui-même par le bibliothécaire Anastase; c'étail à l'occasion de la traduction latine des œuvres de saint Denys par Scot l~rigène. Anastase félicite Je prince de son amour pour la philosophie, et Érigène de rexactitude de sa version, Il rappelle que les pontifes du Siège apostolique, les septième et huitième conciles généraux, les doc heurs grecs et latins non seulement pensent que saint Denys écrivit ces livres, mais encore citent fréquemment ses paroles, pour corroborer par cette autorité imposante leurs sentiments et leurs maximes propres, el les faire goùter et accepter aux autres hommes (t).

Enfin, aux noms précédemment indiqués des pontifes romains, s'ajollte encore celui de f Nicolas la, qui, dans une lettre à l'empereur Michel, s'appuie dëTautorilé de l'ancien Père et vénérable docteur Denys l'A.réopa.~ite, Il rappelle cette épître ~ DémophiJe, où il est dit qu'un prêtre t.ransfuge de son devoir ne peut être jugé par ses subordonnés et ses inférieurs, parce qu'autrement il y aurait désordre dans les rangs de la hiérar­chie, el que la pacifique harmonie de l'Église serait troublée (2).

Notre opinion est représentée au dixième si~le par Suidas et /<..\ Q S 1 ~-.(1.olt�

Siméon l\1étaphraste.(~Suidas, ou, si l'Oïlïlime mieux, l'auteur qui, sous son nom, ràssembla d'utiles documents pour servir à l'histoire ecclésiastique, rapporte que Denys, disciple de saint Paul, fut éVl'que d'Athènes; il lui attribue les livres que nous savons, et en présente un sommaÏl'e analytique. Également

(1) Anas!. biblioth., apud Vindic. Areopag. Martin. Dclri. (2) Scd si adhuc placet aliquid de hoc nosse (quod non possint

subjecti de prœlati sui vità judicare), antiqui patris cl venerabilis doctoris Areopagitre Dionysii, ad Demophilum vcrba l'obis recitari prrecipite; qui etiam in causà pietatis neras sancit delinqucntem sacerdotem à minoribus, l'el inCerioribus judicari, ne fiat in Ecclesiâ Dei aliquid inordinatum, et stalus ejus in aliquo confundatur. Nicol. papa l, ad Michael., epistoL8 apud Labb. et Coss., t. VIII , p. 30~-__0_'- .. '._"_'_' ___

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<:'"9 I~TROJ)L:CTIO:'i I.IX

il cite el approuve l'éloge que ~Iichel Syngel nous a laissé de saint Denys, et où celui-ci est réputé l"auleur des écrits qu'on lui allrfhue.

Siméon Mét,aphr~ste jouit d'une grande réputation de doctrine parn~i-ie;-Grecs; m0me [es Pères du· concile de Florence invo­quèrent son témoigna;:!e comme respectable. Or, il se déclare positivement pour l'authenticité des liues en question, en admire la doctrine, en allègue l'autorité, comme on peut voir dans sa Vie de saint Denys (t), ct dans son diseours sur le sommeil de la Vierge Mère de Dieu.

En ce dernier ouvrage, il dit: " Le Christ rassembla ses dis­" ci pies, afin qu'ils rendissent au corps de Marie les devoirs de ,. la sépulture. Et afin qu'on ne prenne pas pour une fiction ce " qui est dit de la réunion des ap6tres au trépas de la Vierge, il

1" yaut mieux rappeler ici sommairement ce qu'on lit dans saint i ,) Denys l'Aréopagite (2). » Et il s'appuie du passa,:te que nous

connaissons. Cn peu' plus tard (onzième siècle) se rencontre le ~élèbre

moine EuttJ,y'mius, qui s'était acquis glorieusement la renommée d'un érudit et d'un écrivain consciencieux. Outre ses commen­taires sur les Psaumes et sur les quatre l::vangiles, on a de lui

1 un traité contre les hérésies (Panop/ia ol'tltodoxœ fidei), où il rprouve ses assertions par une foule de textes empruntés à lsaint Denys, qu'il nomme contemporain des ap6tres. , Les douzième et treizième siècles se sont déclarés aussi pour nolre sentiment par leurs grands écrivains, H~g~es.de Saint­

':~.~~r, pi~!'I.~.,J,.2J.Pl'.'!:.rd, Al~xand!:L~.LH'!:.1ès, Al~~.!!":l.~-Grand,

-. (1) Apud Surï'um, tom. V, ad li oclobr. (2) Pel' nubem autem ycnerandos congregat discipulos ut venel'an­

dum (Mariœ) corpus mandarent sepulturre. i'\e autem videatur inane, quod dictum est de congregat.ïooe apostolorum, quœ facla est in dor­milione Virginis, satiùs fuerit ea summalim addere quœ à Dionysio Areopagità dicuntur in' 3 libro ,de dh'inis nomiuibus. - Apud Sœr., t. IV, in oral. de dormition8 Virginis.

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o LX I~TRODUCTIO~

s~..Q!.lave..!!.ture, saint Thomas: glorieuse constellation dont l'éclat senit de boussole il tous les docteurs de la scolastique, HUl>!les de Saint-YictQ6 expliqua le livre de la HiérarchiEl

__ \icéleste, dédiant son œuvre il Louis-le-Jeune, erierr~ Lomba!:.dl'

l

JJcite saint Deuys comme une autorité irréfragable. Saint Qonaventure, il rimitation de l'évêque athénien, composa son

pieux écrit de la Hiérarchie ecclésiastique.(saintThoin~ous

a laissé de précieux commentaires sur le traité aes Xoms di vins. l'iul d'entre eux n'émet l'ombre d'un soupçon touchant la question qui nous occupe. Au contraire, tous le nomment saint,

'let le révèrent comme tel; tous, pal' conséquent, croient à sa J1 ~cité. Et parce que lui-même se pl'ésente comme con tempo- .

rain des apàtres et disciple de saint Paul, il s'ensuit que les docteurs précités, en le proclamant un homme glorieux devant Dieu, le reconnaissent effectivement pour l'élève de Paul, rami de Timothée, le successeur immédiat des apMres, le t~moin des premiers ûg~s, lit gloire de l'I~glise naissante,

( l'auteur des écrits gui lui sont altribl!és. Pour tous ceux qui ont quelque idée de l'état de la science dans les' douzième et treizième siècles, il est manifeste que l'on tenait alors pour authentiques les œuvres qui portent le nom de saint DenysIr l'Aréopagite (1). .

j

Dans le mè~e temps, I~nt payait son tribut à la gloire de saint Den)'s.Q>. Pachymère~célèbre par ses connaissances sur la philosophie antique, et dont il nous reste un abrégé des doc­trines péripatéticiennes, composait sa paraphrase des écrits de notre Aréopagite. Or, il affirme positi\'ement que saint Denys

1 est l'auteur des ouvrages qu'il se propose d'expliquer, et il ne semble pas croire que celte assertion puisse faire l'objet d'un

i (I)Cf<!Iug. à-S. ~ictoiè:ldc IIier. cœle~ti. 41~.!..S!..1~t.l~~I;; lib. 11.1

'-Q.!:xan?r Alens. in part. 11. 4lbert. Mag,) in 2 sent., dis. 9 seqq. - BOnil\·en in easd. distinct. ct inter ejus opusc., lib. de Ecclesiast. IIicrar. ~Thoqg,; in 1 part., quœst. 108, passim; et COlUlllent. in lib. de Div. nomin.

[

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61INTIlODUCTIOX LXI

doule sérieux. ~Ième il ajoute, ce que saint Maxime avait déjil dit, lfuïl était promé par des témoignagesperemptoires que ces

1(li l-res étaient depuis longtemps consenés il Rome (t). Cinquante ans plus tard, Q~iCéphore Cal1~'iii:\ composait Ulle

histoire de l'Église, qui a réc1amé-desrecllerches multipliées et de~ soins pleins d'intelligence et de discernement. Or, la véracité de notre auteur lui paraît incontestable, et lui emprunte les détails déjà cités touchant le trépas de la Sainte Vierge (2). Ail­leurs, il reconnaît comme authentiques les li \'l'es attribués il saint Denys l'Aréopagite. Voici comment il s'exprime: « Telle était " sa foi au Christ que non seulement on le jugea digne du saint

'" haptème, mais que, rempli d'une admirable sorte pal' les grâces " d'en haut, il fut consacré évèfjue d'Athènes par les mains de

J » ~aint Paul. ... L'Apotre initié aux secrets divins par son ravisse­» ment dans les cieux lui transmit sa science touchant la théo­

1" logie, le fait de l'incarnation du Verbe, la hiérarchie céleste, l"~ I~raison _e~.YQ.!'~·~. ~s choses. Denys écrivit ensuite cette \ "doctrine.... Ses livres sont admirables pour sa science des \"secrets divins, ses pensées et sonlaugage, et ils dépassent de j' " beaucoup par leur excellence ce que le génie humain a pro- ,JI " duit. " Puis l'historien énumère les œuvres de saint Denys, et celles que nous possédons encore, et celles que nous a l'ons perdues (3).

Tout le monde sait la réputation littéraire du cardinaL..llessa­E!2.-n, et comment elle lui donna droit d'interYenir dans la

1qu.e~elle ardente qu0'é!.~'ya_au quinzièl~~~.0cle touchant le l mente comparatif d'Aristote et de Platon (4-). Dans un livre,

(1) Quidam Diaconus Homanus, nomine Petrus, nan'avit mihi omnia B. Dionysii opera Romœ in sacrorum scriptorum bibliothecà reposita servari. (~Iaxim. in prolog. ad Opera S. Dionys.) Quin et tes­Iimonio comprobatum est, hœc longo tempore in romanà bibliothecà .Jeposita fuisse asservata. - Pachym. in proœm. ad Opera Dionys.

(2) Niceph. C3.IL His!., lib. Il, cap. 22. - (3) Ibidem. - (4) Mém. de l'Acad. des . . InscripL, t. Il et lIT. . . \

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.(7... I~TnODl)CTJO:'{LXII

IJquïl composa pour lu. défense de ce dernier, il nomme s~i!lt

Denys père de la théoloëie chrétienne; et plus loin: " Il fut le i.l" premicr, dit-il) et le,.plus distingùé de nos théologiens; iln'cul , » pour préùécesseur que saint Paul et Hiérothée, dont il reçut le~

» lecons (1). »

C~ï;~sile Ficiri,' habile helléniste, éruùit consommé, et qui, outre ses traùùêtions de Platon et de Plotin,'a laissé plusieurs écrits philosophiques, ne doütë nullement de l'authenticité des lines attribués à saint Den~·s. " Je suis convaincu, écrit-il, que

,i» Numénius, Philon, lliotin, Jamblique et Proclus ont !~~~~s

q» eglprunts à Jean, à Paul, à Hiérothée, à .1l,e.n)'s J'Aréopagite,

II» C'est à cette source qu'ils puisèrent ce qu'ils ont dit dc sublime

,1» touchant la didnité, les anges et les autres sujets (lue traite la ) J» théologie (2). »

il 1

c-- Pic de la Mira.ndolè) dont la facilité précoce et la vi vc intelli ­~ ( geu-cc jouisséiiT' eliëore d'une célébrité proverbiale, tenait C11 l'1) haute estime les doctrines de saint Denys. Ille cite avec admi­

ration, et le confond al'ec cet .\réopagite dont il est parlé aux Actes des apôtres (3).

r Enfin le concile de Florence, huitième général, C-0ur0nllC les 1graves témoignages de ce temps, en approuvant le récit de 1 Siméon ~Iétapbraste, don t nous ill'ons parlé; car il admet ainsi , l'authenticité des œuvres d'où ce récit est tiré.

'~t I(Q.J~~_~~ --~ Si le seizième siècle nous a suscité des adversaires, il nous a aussi donné des patrons. On connaît déjà' Guillaume Budé'; U avait profondément étudié, et il goûtait la philosophie de saint Denys. Les marges de l'exemplaire qui lui avait appartenu étaient enrichies de notes savantes, destinées à \Jrouver que ccs œuvres ne furent pas ignorées dès les premiers siècles par les auteurs ecclésiastiques. On peut encore les lire dans l'édition qu'a faite de ,saint Denys l?:.~~rel (f~2).

(Gilbert Génébrard~ savant aussi distingué que ligueur intrépidc; 3" '- ~'._-,. ------ ------~

1;'.1

j; (i) Adversùs insectat. Platonis, lib. l, cap. 1. - (2) De Relig. chl'i~-

" tianâ. - (3) Pic de la ~lirandole, lib. de ent!.! .~~.uno, cap.:. 5. ­

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(I~TRODUCTIO~ n:l11

,tM~~~;d:Ët~ple~, qui devait naturellement nous être hostile, ui';qt;ë Tes uns l'accusaient, les autres le félicitaient d'a"oir

~~u de respect pour la vieille scolastique, et beaucoup de passion pour la nouveauté ;Joa9!~i_I1. ~ério~i~ reno~nmé pour sa .science

; 1philologique; les do~t:s cardmaux Bal'onlUS et'BellarmIll, t~us

'jlcrurent il rauth~ntlclte des œunes connues SOIIS le nom de Saint ~,lUeDYs L\.réopa"tle.

La FaculLé de théologie de Paris llétrit de sa censure Luther et Erasme, qui tenaient notre auteur pour U11 ignorant et un rêveur oisif, et ses lines pour apocryphes. Dans les deux circonstances, la Faculté déclara cette opinion téméraire et le senti men t oppôsé fondé en raison, et appuyé sür i'~pinion de, personnages illustres et sur l'autorité du sixième concile g'~nél'al (t)_ Et il faut

Aavouer qu'Érasme reconnait implicitement l'étrangeté de son ( assertion, da~>s' sa réponse aux théologiens de Paris, puisqu'il , ne cite en Sil faveur que Laurent ralle et Guillaume Grocin.

Certes si la Réforme et ses amis secrets n'ont pu paraitre envi­ronnés dûcor.lège des écrivains anciens, ce n'est pas que l'àpreté du travailleur ait manqué pour se liner aux perquisi­tions nécessaires, ni la sagacité philologique pour interpréter les textes en leur faveur, ni même, il faut bien le dire, la hardiesse et l'impudence pour nier et affirmer contre la vérité il tort et il travers. Ainsi les théologiens luthériens de \\ïttemberg et de Tubinge invoquèrent sur le point (Jui nous occupe, comme on :lmit invoqué sur les dogmes les plus graves, la foi de l'Eglise orientale. Mais comme ils n'avaient pu par ce moyen étabJir l'apostolicité de leur doctrine, ils ne purent justifier l'audace de

fJiy~ur critique. J~rémie, R\l-.triarche,de C9n~tanti.!l.9.ple, leu!...~t

Jrl:po~dre que les Grecs honoraient Denys comme un saint, le

(\) :'ion vel'O eruditis, sed temerariis et no\"itatum studiosis videtur non esse Dion~'sius Areop~gjtaJ qui libros ecciesiasticœ hieral'cllÎœ cons~!'ipserit; qualldoquidem ab ipso Dionysio AreopagitiL fuisse conscripto.s constat. Cf Nat. Alex." Ilis!. Eccles., sœe. i·. ­ Fleury, lib. 121 et i3L

\ 3')

--.-... -,----­

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"

"

I:'\THODUCTIO~1Jv plaçaient immédiatement iJ. la suite des apàtres, et que ses livres méritaient une foi complète (i).

Enfin, dans les derniers temps, Marli_~-'!>'~Jrio, Halloix, CQ.l:i~r,

Lanssel, Schelstrate et l'ioël Alexandre promèreïrtavec beau­coup d'érudition l'opinion que 'iiôus venons de défendre 112). Le :'Iourry expose les raisons des deux sentiments, sans décider la question, et Morin, qui ne nous est pas favorable, n'ose pas bien nous condamne; (31.

Mais avant de tirer aucune conclusion, et de faire appel ù la conscience du lecteur, il est juste de nommer aussi et de caractériser nos adversaires. Le premier duns l'orcire des temps ,

1;" est cet anonyme qui fut combattu par le prètre ThéodQ.re,·' comme on ra dil plus haut, d'aprèsl'autorilé de Photius. Viennent ensuite quclques critiques français du neurième siècle, qui ne

l' saluèrent l'apparition de notre Aréopagite qu'arec une bienveil­

ri lance ambiguë, et d'un air dubitatif, mais dont l'opinion publique

, lit justice si comlJlète, que leur nom mème a disparu. 1\1 Les œuvres ùe notre écrirainjouissaicnt doncd'une tranquille ,', réputation d'aulhenticité, quand tout à coup la douceur de ces

,; destinées s'altéra. Deux (;recs que le mahométisme chassait devant lui, George de Trébizonde, dont la loyauté ne fut pas

" toujours à l'épreuve, et Théodore Gaza, qui emporta dans la ;, tombe presque toute sa réputation, se prirent à publier soudain

qùe saint Denys n'était pas l'auteur-des livres connus sous son nom. Ils furent imités par Laurent Valle, au moins aussi renommé

(1) Seito CUIll virulU à nobis di\'inulll habcri, et seeundùm a]lostolos Christi ab Ecclcshî honorari, librumque cjus à nobis prohari, et fidc dignilJ qum in eo sunt scripta, dueL Jercm., in responso ad Luthc­ranos apud M. Delrion.

(20CDclrio,vindiciœ Aeropag. -'lraUoi~i de \ït,\ ct Opcr. S. Diony­sii. - ,~ol'der;:,in editione suâ 0Jl~rum-f5ionys. Are0pag. -+:Lanssci, Disputatio·Apolog. de S. Dionys. 1.,-,Sehelstratiu·s~:,.ç..:-Iatalis Alexander. Hist. Ecclesiast. sœculo primo. '- .._.. _- ..~ "--_.__._-_._-­

(3) Le Nourry, apparatus ad bibl. Ulal. Patrum, disscrt. 10. - :-'lorin,

! de Ol'dinationibus, part. II.

i'

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"5'"I~TllODUCTIO~ I.XI'

pour ses intempérances de langue et s~n humeur ~ontredisante, 'lue pour son amour des lettres, et ~rasme, eSlh:ce de Janus reli~ieux, qui, se plaçant entre l'Eglise et la HéI'ormc, inclinait d'~l;e part le front devant la papauté, et de l'autre souriait il la théologie ,,'ittembergeoise.

La Rdorme vint: son l'ole lui était marqué d'avance. Car qu'aurait-elle fait des expressions si précises et si nettes de saint Denys touchant les mystères et les rites catholiques? C'était bien plus simple de prononcer contre lui quelque solennelle

[injure, ou tout au moins de décider de haute lutte que, de 1même que Rome était Babylone, ainsi les liyres de saint Denys

étaient apocryphes. L'audace des assertions fait passer au lec­teur l'envie d'exiger des preuves, ou lui fait agréer des preu\'es sans \'aleur réelle,' Ainsi Luther et Call'in, qui étaient censés connaître la question, et quelques-uns de leurs sechateUI's qui l'étudièrent en effet, comme Daillé, le centuriateur Scullet, déjà cité plus haut, Scaliger et Rivet, écrivirent que notre auteur rê\'ait, qu'il était un bâtisseur d'allégories, un dangereux écri­vain, et ceux qui se plaisaient il sa lecture, ou le croyaient

'1 ! l'éridique, des ... (1). Et le moyen pour les éruùits du saint . El'angile de résister il cette logique et à cette caustici té!

Le sentiment que nous combattons fut encore suhi par C.ai.~t(ln

(Th.omas de Yio), « esprit ardent et impétueux, plus habile dans " les subtilités de la dialectique que profond dans l'antiquité " ecclésiastique. » C'est Bossuet qui le juge ainsi j et, du reste, il est connu dans les écoles théologiques par l'excentricité de ses

: (lllll Dionysio omnia sunt somniis p~'opè s)U1illüna... perniciosissimus est, ludit allegoriis (Luther., de Captiv. nabylonic.i). - Qui non l'idet (bos libros esse suppositos) stipitem, bardum, imperitulll', et omnis judicii in litteris expertem dixerill1 ... Homo (:\Iart. Delrio qui conten­debat genuina esse opera Dionysii), homo nescio an bellua, an \utum stercore maceratum, retrimentum inscitire, sterquilinium calumniarum stercus diaboli, scarabreum, etc. (Scaliger, Elencbus trihœres. Serrarii. ) - Daillé, de Libris suppositis Dionysio et Ignatio.- SCllltct, medulla Patrum. - Rivet, Criticus sacer.

;1

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6"' lXTlWDUCTIO~LXI"!

1 .1 1.. .i ,1':

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opinions (1), Les cl'itiques français des dix-septième et dix­huitième "iùcles n'ont pas plus fait grâce aux écrits de saint Denys qu'à beaucoup d'autres saints et à beaucoup d'autres lirres. :.'\ous ayons donc cont.re nous Tillemont et Fleury, qui toutefois ne semblent pas avoir étudié à fond la question; Morin, qui la traite plus complètement, et par suite se montre plus modéré; üudin, religieux apostat, dont le caractère ne fut pas sans défaut, ni la critique sans erreurs, et qui, duns la disserta­tion qu'on peut nous opposer, ,,'est montré partial ou peu judi­cieux, de l'aveu de toutes les biographies; Ellies du Pin, nomme d'un trayail rapide et int.elligent, mais qui trouvait dans sa faci­lité mème, la raison de fréquent.es méprises et d'appréciations

li trop peu fondées; Launoy enfin, redoutable à la terre et au ') ciel, qui défit plus de saints tout seul que dix papes n'en out

canonisé, et pal' ses exploits déréglés dans la critique hagio­grapltique, mérita le burlesque surnom que tout Je monde connait (2).

La critique allemande nous a donné, dans ce siècle, deux ou trois adyel'Saircs, Engclharclt pense que saint Denys déroba le se.cret de leurs idées mystiques à P10tin et il Proclus, et que cet intelligent' transfuge de la philosophie néo-platonicienne emport.a du sanctuaire de son école vaincue les formules de sa science, pour en revètir le symbole chrétien (3). Baumgarten ,"a plus loin, et estime quïl ne faut ,"oir dans notre auteur qu'un païen très· versé dans la science des mystères d'Éleusis,et qui, des autels de Cérès et de Bacchus, passant dans l'Église cat.holique, fit pré­

(1) Le cardinal. Thomas Cajetan, dont il est ici qucstion, ne doit pas êlre confondu a"ec un autre cardinal, IIclll'j Cajetan, Jegat en France au temps de la Ligue.

(2) Tillemont, !list. Eccl., t. 1. - l"leury, !lisL Eccl., t. XX,"I, et alibi. - Morin, de Ordinat. - Oudin, COlllmentar. de Script. Eccl. ­Du Pin, Biblioth. des auteurs ecclësiast., -lCI' et 51' si~cles. - Launoy, de duobus Dionysiis.

(3) Engclhardt, de Dionysio ploHnizante.

.,.

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-- -..y- ..

Cf. I:XTRODUCTION LX\'U

sent à la religion du Christ des idées nobles et pures que yoi­�Io.ient sans doute les fètes immondes de la gentilité (i).�

Tels sont nos antagonistes. A présent, que le lecteur juge, en se :;Qu\'enant que les dépositions s'apprécient par le nombre et l'unanimité, par la valeur intellectuelle et le caractère moral de_. ._. ceux qui les font.

Or, le nombre est pour nous; chacun a pu s'en conmincre par� l'inspection même rapide des pages qui précèdent.�

L'unanimité est pour nous. Douze siècles (de 300 à 1500) glo­rifient la mémoire de saint Denys l'Aréopagite, et reconnaissent� rauthenticité des œuvres qui portent son nom. Il est vrai,� d'obscures contradictions se font entendre un instant (rers ';'00� et (00); mais la croyance générale passe, en les COUVl'ant par la� majesté de son harmonieuse voix. Depll_iL!!:.ois_~l:Ol~.Ls_ ~ns_(de JI 1/ t1�

1:;00 à t800), l'uniformité est rompue. :lIais d'abord elle n'est ~ ­�pas"ï.îniverselle contre nous~ -èOnune elle l'a été lùour nous.� D'ailleurs elle n'a pas servi nos, antagonistes durant douze� siècles, comme elle nous a serris. Ainsi cet. argument sera bon� encore d'ici à neuf cents ans, Ensuite nous verrons.�

Je ne puis m'empêcher ùe trouver un sujet de réflexions� pénibles dans cette 'bonne fortune que fit si vite la négation� insolente du protestantisme relaU rement à l'authenticité des� œunes de saint Den)'s, Le mensonge parle; que dis-je? il se� montre; on n'en voit que l'ombre, et il séduit! La vérité parle� aussi j elle étincelle, elle resplendit d'une douce et pure clarté,� et on la dédaigne! Oui, ~n t0tls_l~§.. p-o.ints, o.ù .k..b.i.e.lL.eUe....@ù 1f ,..r;.� peuvent se touche~~.,oieu l~~se .(!.u.~1.CJ.!l_~fois prend~à celui-ci Il .'\� un scandaleux empire sur ~_elui-là. C'est une des grandes éPreuves qui fatiguent les hommes, et elle dure ju?qu'~5_~~\le ) 1 (, ,

le génie du mal aperçoive, dans sa course, quelque _chose de l !JI ~'3 ''3 )Jsplendide et de formidable devant quoi il s'arrète, comme la 1

monture de Balaam, que les coups ne firent pas avancer, ou� comme les flots fougueux qui meurent sur le sable. :\Iais avant�

(1) Baumgarten-Crusius, de Dionysia Areopagitù ...

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q; LXYlII Il'iTRODUCTlO~

. qu'arrh'c cclle heure, beaucoup de ruines se font; il Y a des intelligences que le mensonge areugle et que les ténèbres enve­

[ toppent, et des cœurs qui desce~dent et s'alfermissent dans la perversité et dans la haine de l'Eglise.

Au point de vue de la valeur intellectuelle, l'avantage cst encore pour nos patrons. Quand même il faudrait du génie pour étudier et résoudre la question, nous opposerions avec une sainte et légitime fierté les noms de nos docteurs, de nos papcs et de nos glorieux conciles aux noms dc quelques moines apos­tats dont l'audace faisait bien la moitié du talent, et aux noms des critiques français des dix-septième et dix-huitième siècles,

( et de ces démolisseurs de réputation que produit l'Allemagne. Mais il suffit d'un peu de sens et de quelqu~.!ectitude de juge­ment pour vider ce débat qui porte sur un fait. Le fait, ne pou­y-ani"" ~tre promé par les contemporains dont le témoignage manque, sera plus facilement et plus sùrement éclairci par ceux qui se rapprochent de la date et du théâtre de l'événement, que par ceux qui se trouvent placés à une énorme distance de l'un et de l'autre. Et les derniers, malgré leur génie supposé, auront toujours une infério~.ité à laquelle échapperont le~remiers,

Il}algré leur médiocrité j2rétendue. Or, notre opinion est appuyée précisément par tous ceux qui, plus voisins du fait en question, pouvaient le constater avec plus d'exactitude, et nous n'avons pour contradicteurs que ceux qui, venus plus tard, ne sauraient controler aussi heureusement les preuves qu'on leur administre, et courent risque de prononcer d'une manière fautive. Ainsi, à un double titre, à la supériorité du talent et parce qu'ils sont plus rapprochés du point en litige, nos patrons, mieux informés, ont pu donner une décision plus juste.

Et ceci fait connaître quel degré de confiance on doit accorder aux assertions téméraires d'Engelhardt et de Baumgarten. Depuis un siècle, depuis les prolegomènes de F. X:-\\Olfsur Homère, l'histoire des temps antiques est devenue pour beau­coup d'Allemands un ténébreux champ de bataille, où ces spa­dassins de la: critique s'essayent à réd,!ire des réalités longtemps

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b9 INTHODUCTION I.x:x

inconte5tées it une valeur purement nominale. Car, après leurs exploits, déjà bon nombre de personnages se trouvent relégués au wng des mythes, et n'apparaissent plus dans le désert du passé que comme des ombres, des manières d'ombre. Ajoutez il cela quoYUi_~I}!le!}..t_ ...e?s~.nt.iellement .Uit_L~'Q g~l-Q..._p~ilo~p~lie

de l'l.!L~J9J.re, comme ils dIsent, et sUJ'lPIJ.t.a la fa.lte__<i~ !?Olllt( de Vl!e .a.n..Uc~t.ho~~CJue. Leurs affirmations, en critique comme en' toute autre science, rentrent dans ce cadre inOexible, ,·~:ltal2.~ ..li_t!!.~_:I'_r~~u:te, où les pe~sonne~ et les ~hoses vien­( dront s'ajuster, maIgre qu'elles en aIent. N·opposez a ces spécu­lateurs ni doctrine avérée, ni événements rél'olus : Leu/' siege est (ait, comme disait quelqu'un. Or, faux et désastreux dans sa généralité, ce système est sans fondement et sans vérité dans l'espèce et en ce qui concerne saint Denys. Car il nous est If

----permis de nier, comme on s'est permis d'affirmer, que notreJ auteur ait copié les néo-pléttoniciens. S'il s'agit de la forme, l'air de parenté qu'atTecte"ii'tiêSœu~res de l'Aréopagite avec celles de l'école d'Alexandrie, considéré seul, ne prouve la priorité ni des unes, ni des autres, et ne peut motiver aucune affirmation

_. sur ce point. S'il s'agit du fond, à qui fera-t-on croire que le dogmesat~_(~.!i.q~~~.~..lil Trinité ne soit dans saint Denys qu'une épuration de la triade néo-platonicienne'l ou que l'union de l'bomme sanctilié avec Dieu, telle que Jésus-Christ l'avait sol­licitée par son ardente prière, ut sint ullum sicut et nos unum sumus (i), n'ait pu être admise, enseignée et décrite qu'après les élucubrations du païen Proclus? A qui surtout veut-on persuader que la p.!1.~~_et lumineuse doc~ri!.1~_e.~Q~r.e Aréo~gite s1!:x:.'pieu \ 1

et surJ~.~'ie.chré.t~enne doit être regardée comme..~!l_travestis. J

seI!!.ent de la_sci~n-ce .grecq~~., et. une..ri~~~latl()!!.. de~;~~res]1

<!Qnt la réalit.é~t.l'apparence~Jll!'..e.IlUa!!l.ai.?.queJ'Lf's. inf~mies? J '

Au reste, le sentimeïlCéleï3aumgarten fut combattu par Engelhardt lui-même (2), et le sentiment de ce dernier dO'il céder devant

(i) Joan., 11, 22, (2) Engelhardt, de Origine Script. Arcopagit.

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~i~~

Il! !'

+(.1Lxx L'ITHODUCTION

les témoignages précis de la critique ancienne. (j~lll~~.

) assure positi vement que les-f;entils, et en particulier q~~'2.:I~~)

\ connurent les liues de saint Denys, et~!1J)l'ircQLqu,0gueÎoi~

jl!§.qu·aux_ex]lI}l_~,ÜQns, Il fait remarquer eIl!suite, d'~pJ~~S

II l'autorité d.e ~aint B~sile, que l'envi~__~<J.l)12~i,<I~~<J.~~~~~)EgeIi les formulgsAeJ,1\..~~rité vint plus d'une fois aux philosophes, '1 dàntI~ pITe_il.. été JlQ!.1l!11~.QEe,~~eu, et qui succomba le ) premier à la conroitise du bien d'autrui (1). Cette remarque fut

faite encore par un anonyme qui, dans un manuscrit grec des œunes de saint Denys, annotées par saint àlaxime, rappelle les p~ar()les de(pach;ymère.,et ceIles de saini Basile, et ajlOtlte, avec

(1"j'EUSèbe de ëisaié.ê.:~'qU'après ~1m~~vant JéSUs-C.hrts.l. t les~~<J.ges

Idu pagani~m~ .eur~I).t ~outume de s'empal'euk n(ls ric!J.'::.s~es (2). (~'l]ant au caractère moral, ou, si l'on veut, quant aux garanties

d'impartialité CLue présentent les critiques de l'un et de l'autre parti, ~e trouve qu'il y aurait beaucoup à dire pour nous, et beaucoup contre ceux qui nous combattent. Certes, c'est un légitime et invincible préjugé en faveur de la véracité d'un homme, que la sainteté habituelle de sa vie. La prière produit lïn~gcefJ'ce ,g,!L..\<.g,:ur, et l'inno~ence répand la caiïJcur 'sui; Tes lènes. On croit yolOintiers au témoignage d'un savant qui sou-

f tient la vérité par ses écrit;;, la prêche toute sa vie, et meurt \ ennn pour elle. Or tels furent les défenseurs de notre sentiment,

des saints, desllOD}Jnesde _Rrière, des martyrs. J'ai nommé Je;ëï~rerÏseu~s-del-;opinionopposée: leur biographie n'est pas toujoms chose édifiante.

D'ailleurs la fraude est imputable à qui elle profite. A égalité de ve7hls, nous écliapperTons'ei';ëüre au-soùl')çon d'imposture

(1) Sciendum quoque aliquos externos philosophos, prœsertim Produm, contemplahionibus beati Dioll)"sii frequenter usum fuisse, atque adeo etiam meris ipsis dictionibus... quod autem fallliliare ipsis fuerit sibi nostra vindicare, docet eham Basilius in illud In pl'incipio el'at Ve1'bum, super illâ dictione disserens. Pachymeres in proœmio ad opera Dionysii.

(2) Lal15selius apud M. Dekionem, vindic. Areopagiticre, cap. 8.

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'fl L'{TRODucno:'( LXXl

ui accablerait nos adyersaires.' Nous n'avons pas besoin des ~\T(,s de saint Denys pour établir la doctrine catholique. Qu'on les supro,se apocryphes, que même on les supprime totalement, nôtresymbole reste le même; nos preuyes sont également fortes; rtcriture et les monuments non contestés de la tradition sufiisent ]pour terminer, sans appel possible, les difficu1tés sou­levées pair le protestantisme. Et effectivement no,s controversistes ne se sont pas appuyés du nom de saint Denys, dans lew' lutte avec la fiéforme : on lui a toujours fait grüce de ce coup. Mais si au contraire, les livresde saint Qenys sont authentiques, alors

ll~\fMorme,(IU(a déjà beaucoup d'autres 'n~fguÜons il soutenir et l' d'interprétations forcées à imaginer, se trouve menacée d'un \ surcroît de tramil. Car, d'après notre auteur, la--'prir!,!i,ti~_~J5'!~se

i~croyait il la[l!:.~~~er~~le; elle regardait l~tIaditi~n comme ­.• 'un-moyen d'enseignement parallèle à l'Ecriture; elle eneou- -

rageAi.Lle m.. o.naQ1. isme, et.c .. , sa.. int. D.~!~~_.os Il'es~T!-1.!21.Q.~~!lt fa~.o- )'1l'able à rh~r:~~.ie.; l'hérésie aurait-elle voulu le l2-ayer de réci- J~

proçi~é? Au moins est-il certuin'q'ü;ëlléa-~ié cÏes' ël"W-se-s'j)lus hautement incontestab1es que celle-ci, ct aHaqué des réputations plus uniyersellement vénérées, ct comballu des droits plus posi ti yement constatés,

Mais les écri rains catholiques ne pem'ent être suspects ùe partialité, du moins au même tibre : alors pourquoi ont-ils fait

,&,.- .- '/1 ";1sur ce point ca~s~ ..commune avec les protestants'? Je pourrais répondre d'abord que je n'ai point à l'é;plCquèr:. Ensuite il est Sa,...~·~t" ! permis, sans doute, d'avancer qu'il suffit que le courant de la ililté em,Eorte la foule ve~'s un but, pour que l'instinct ciela con!radiëiiO"iïfassëllüÙer certain'~ esprits d'une tout aulre sorte. Enfin j'aurai occasion de donner de ce fait une expEcation ultérieure en terminant celte dissertation.

D'après cela, il me semble que la preuve par témoignage de 1\ l'authenticité_~e.~.~~~es attribués ~~s~il1t l?ell)'~I'Ar.é()ll2-gite a J' \ tous les caractères d'une démOllstration yéritable; et les faits 1

étant si fort en crédit auprès de ce siècle, no~re senüment qui repose sur des assertions nombreuses, graves, positives, devrait

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1i. I~TRODl!CTIO~LXXII

être réputé non seulement plus probable, mais encore certain. Il est donc surpre.nant qU'01\ ait recouru il je :n~~ais que)l~s.!i!!S

{ déclinatoires, pour se dispenser d'admettre d"aussi légitimes \ déductions..-\ussi pouvons-nous affirmer d'am1\ce qu'on ne nous

opposera que de frêles prétextes, et des allégations impuissantes. Effectivement, on dit que ces livres viennent peut-être de quelque autre saint Denys, la similitude des noms aidant à la méprise; que peut-être enC0re les doit-on il la plume féconde d'Apollinaire; qu"enfin ils ne sont ni cités par les anciens Pères, ni mentionnés par les divers auteurs qui ont laissé la liste des écrivains catholiques.

Mais je ferai observer en général que de simples doutes, ou rde~ assert~ons .fond~es sur un silence. facilement explicable, Il.~

1premudralent JamaIs devant aucun. tnb.u!1al contre une foule de déJlosi!19ilS cilt~g~~ues, comme celles que nous ~eDô-;s"de

\ produire. Pourquoi la critique voudrait-elle répudier, dans le .l' cas présent, un mode d'appréciation que la justice de l'univers entier accepte, dans les cas où il s'agit de la fortune, de la répu­talion et de la vie des hommes?

Ensuite je ferai voir la fausseté ou la nullité de chaque objection en particulier.

D'abord comment peut-on renverser la série des témoignages in voqués, en émettant ce soupçon qu'il est probable que les livres de la Hiérarchie céleste et des Noms di\'Ïn5 furent com­posés par quelque saint Denys, tout autre que notre Aréopagite'! Des nombreux homonymes qu'on lui connaît, deux seulement peuvent être en cause, Denp de

1Corinthe et DeI.!~\i'Alexandrie.

Mais, d'abord, il faudrait admettre que ces glorieux pontifes, honorés comme saints par l'Église entière, ont passé leur vie à

, ourdir un tissu d'inutiles mensonges. Ensuite Den):~~.illLCorinthe

l,

avait un style tout différent du style de l'évêque d'Athènes, comme on peut le voir par les fragments qui nous restent de lui (1). Puis il était presque s..?~ __<:..o~l!~~~.:ain, et Ér~.!!le

(1) Apud' Euscb., Ilist. Eccles., lib. IV, cap. 27.

,'r}

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f'] INTHODUCTIO:'I LXXm

Ile "annerait rien à diminuer d~~Qixante ans l'antiq\ütL_~s

lirr~s,Oobjet de la discussion. Pour Der~.ys'Xl-':~~ndri'e,d'après Je ~

'l tc.~moif!nage de saint ~Iaxime, cité plus haut, i.l es~ a~t~u: de J' commentaires sur les œuvres dont nous examlIIons 1onglllc : c'est une preuve manifeste que les œUHes elles-mêmes ne doi\'ellt pas lui être attribuées.

-- En second lieu, comment penser qu'Apollinaire ait écrit ces lirrcs? Ce n'est pas d'après le texte qui JfCen--mille l~lanières

le contraire. Ce n'est pas d'après l'autorité de quelques écrivains; on n'en cite aucun. Ce n'est pas enfin d'après la conformité qui se trouverait entre les ouvrages qu'a certaine­ment composés l'évêque de Laodicée et ceux qu'on lui prète; les hérétiques assertions des premiers sont directement réfu­lées par la sévère orthodoxie des seconds. Ainsi A1Jollinaire enseignait que le Verbe s'est fait homme par changement sub­;;tanticl de la dil'Înité en l'humanité; qu'il a pris un corps, mais non pas en même temps une âme humaine; que même ce corps n'était pas véritable, n'lUis céleste ct non formé du sang

( très pur de la Sainte Vierge: to"*~_~.rE.êurs neUel~l~lltcO!~tredites

'par.E:i~I)_~IlYs (i). Celle éyocation d'APollina..ire., pour résoudre) la question qui nous occupe, est,A9.nc :u.!!..~JE~Lrmité : aussi, pour 1

l'al'oir faile, Laurent Ialle fut-il blâmé par Érasme lui-même. Enfin, pourqu"oi ';~t-on donner plus de force au silence des

anciens Pères, ou écrivains ecclésiastiques, qu'aux témoignages nombreux et précis que nous avons cités? D'abord on peut ne pas connaître, ou ne pas vouloir divulguer la vérité; soit ignorance, soit prudence intempesti ve ou opportune, à tort ou à raison, il peut prendre fantaisie à un homme de se taire. Qu'cst-ce qu'on en l'eut conclure? Aussi ce genre de preuyes ~

négatiyes qu'on nous oppose n'inspire qu'une médiocre confiance J

(t(çr. Atha-;;" de Saiutari adv. Christi, apud collect. select. Patrum, 1. XXXlr.··p·~361. -:~l'eg. Nazian" Epist. ad Cledon., ibid., t. LI, HL - Epiph., hœr. 11. - 1:)ionys. de l/ioral'. cœ\. cap. 3. et 4. - De Div. ~(lrn., .cap. ~.

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1

1 +l{ LXXIV Ii\TIIODl:CTION

aux éruùits. Ensuite il est bien 'Tai qu:~tusèbè; et saint Jérome n'ont pas donné place il saint Denys dans leu!' catalogue des auteurs ecclésiastiques. Mais l'omission de saint Jérôme ne crée pas une ohjection, car il avertit lui-même que son intention n'est pas de rappeler tous ceux qui, par leurs écrits, ont bien mérité de la religion, maiL~el~::l~_p..I:!~ip..u.le~~~~gu',!:~~mentionnés

( E_u~tJ!e (i). l\e:'te donc il rendre compte de l'omission faite par ce dernier. .

Or a-t-il voulu la commettre, ou n'a-t-i!.p_1.!Ï.-é~i.~er? Quelques­uns ont résolu affirmativement la première question; tout le monde a droit de résoudre négatirement la seconde. Eusèbe fut nommé par un de ses contemporains le porte-étendard de l'arianisme, et c.ertainement il obéit quelquefois à des inspira-

I tians très peu catholiques. Aurait-il céjé à. la.!~1-'al.i()n_d_:eJ!:se­

I\(r; r velir dans l'oubli les lines et la mémoire de ceux qui combat­\ tai~nt-~~-;;p(~'rl;? Est-ce poü~ cette mison qu'il n'a point -parlé

de 'l-héo;~~sl~, souvent invoqué cependant par saint Athanase conlr~ï~s ariens? Et parce que saint Denys s'exprime en termes très clairs touchant le dogme de la Trinité, Eusèbe a-t-:il entre-

tir] pris de punir par son sil~llç:e l'orthodoxie dudodeur -apoSto­[lique, et de senir ainsi Sn !!~~!ie? Eusèbe aura.!-!J,!:it a!~s

ce qu'ont toujours fait les hérésies et les fauteurs d'hérésies,•. r '1 !1une guerre déloyale et -lùche. Mais je répugne, pour lJ:lâ'part, à

penser si tristement de ce grand homme, et j'aime mieux adopter (~n.e autre i~te.rprétat,ion de. son silence. ~ar a-t-il pu réellement l enter l'omiSSIon qu on lUI reproche? c est douteux. Pour une

foule de raisons, beaucoup d'oli'Tages ont dû lui rester i~~onnus.

Lui-même avoue, d'ailleiJ.rs., q1Îë-s()n cataloguëne-conti~~Tl?as

\ la moitié des noms qui réclamaient justement le sOUl'enir .et la reconnaissance de la postérité. Dans le fait, il ne cite pas HyméIlé~..-.:..t_ i'lé!:!:.cisse, dont les ounages existaient encore du

1temps de saint Maxime (2); il ne cite pas At~~E?:gore, d mt nous

(i) Hieron. in Prolog. galcat. ad Dexterum. (2) Maxim., Prolog. in opera S. Dionys.

:, "

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..., [:\TRODUCTlO:'i LXX\'

avons deux discours parfaitement authentiques; il ne ci le pas oaint Pant.ène, cependant mentionné par d'autres auteurs. Il ne donne ~a liste complète des écrits de sail!LÇl~!!l-eJ:LtDcQ!!1_ain,

d'Origène, de saint D~.I!.y_~.-d'Alexandrie, Or, qui empèche de croil:é que saint Denp ne fùt e? \'~}5.~.r.-l?i!Œ.U)a2:"UJl hasard ~'il­heureux dans ce silence, où il ne paraît aucune trace de prémé­[ dirâiTon ?-Ainsi EUsèbe serait sans crime, et ['ohjection <lu'on nous fait sans force.

Mais il me semble encore plus facile d'expliquer pourquoi les anciens Pères n'ont pas cité saint Denys. Les anciens Pères, aussi bien qu'Eusèbe, pO~.LÜ;norer que saint Ilen~ût

1écrit,.ou n'avoir pas lu ses œuvres. La rareté, ou, si l'on veut, Jll~u d.LI.Q~Jle_de-PJlreils livres, aurait naturellement résulté

de la difficulté de les comprendre, et du sesret reli;oieux qu'on imposait au leëlëtir :Ja'première condi tian I1f~-leUl; permetlàit pas d'être populaires et de se répandre; la seconde, strictement exécutée, tendait ù les plonger ou ù les maintenir dans une mystérieuse ol)scurité. Au reste, ce sort leur fut commun aree

1f beaucoup d'autres livres de la même épo<lue, et traitant de matières analogues. illais quand on avouerait qu'ils furent uni­versellement répandus, il ne s'ensuivrait pas qu'ils dussent être

. fréquemment allégués en preuve. Les querelles théologiques se ( débattaient alors et se décidaient par les Ecritures, il l'exclusion

de toute autorité humaine, En effet, les ~ges d<U1..Q.LllIe­mj~!À.Q.Q.cleurs n'offrent presque d'autres témoignages que ceux des saints officIes, et il est très rare qu'ils citent nominatirement

/des écrivains catholiques. Même nous voyons que saint Athanase refuse aux ariens le droit de s'appuyer de la doctrine d'aucun homme; et s'il se relàche un peu de cette condit.ion, et descend sur le terrain qu'avaient choisi les adversaires, c'était pour mettre en évide11ce que, le droit même étant supposé, le fait serrait mal ses ant.agonistes: c'est de. la sorte qu'il ~~<jue,

( p~a cause du catholicisme, les noms de saint Denysf d'Alexandrie etd:'orig&rï~,doJlLl'lill:.é.?i~ .essayai!2~~oEiQer. ~

Peut-être ces explications seront jugées suffisantes touchant

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'Ob I.XXVI INTIWDUCTION

le ~il('nce objecté des anciens Pères. Mais il n'est pas hors de propos d'ajouter.encore qtLon reprochait il quelques philosophes, et en particulier il rrociusi d'a\"oir fait des empr~l11b à saint

rJ'S Denys et médité de cacher au public la sQ.lJ.rç~ f..é«iLI0e où_ils ) \ avalent puisé, comme l'a indiqué plus hau(Pach~'mèiediton

qu'il est bien permis de croire que le~philosophes-athénie.ns~(",)<"J

cachèrent au public les œuvres de saint Denys, aSI!iranl peut­1)\ ê~oil ~!LIl1!-.s~eJ' pour l~t1,l!~urs (i). .

Ainsi, et en conséquence de ces réfutations, subsiste dans toute sa force, l'argument fondé sur les témoignages graves, nombreux, positifs, que nous avons recueillis et présentés.

Ainsi semble établie par les preuves extrinsèques, comme par les preu \"es intrinsèques, notre opinion touchant l'authenticité des livres attribués il saint Denys.

Près de clore cette dissertation, je me demande pourquoi une chose, qui est presque é\"idente, a été longtemps rejetée comme fausse, et pourquoi, toute certaine qu'elle me paraisse, je ne l'ai soutenue qu'avec une modération circonspecte. :\lème mes asser­tions ne sembleront-elles pas hardies, un peu téméraires? Je pose ces questions, parce que, efTecti\"ement, l'état actuel de la science les rend problématiques.

Notre siècle publie qu'il refaill'histoire; notre siècle aurait beaucoup de choses il refaire, s'il ne lui manquait parfois l'intcllig~nce de ses d~oirs et la \"olonté de les remplir. Depuis trois cents ans, des hommes se sont succédé qui ont semé le mensonge sur toute l'Europe. Le sol remué profont~ment par les tE~ubles politiques et religieux, et rendu.k~ent féc~nd

1\ par la per~sité gfnér'lle, a produit de telles imraisemblances, de TëIlëS"calomnies, qu'il ne faut ..<I!Ù!!Lpeu de droiture et de

If sens commun pour s'effrayer des progrès de cette végétation hideuse. Oui, l'on a défiguré les faits les plus' graves et travesti les meilleures intentions; l'0Q.--il. mutilé les textes des auteurs

(1) Pachym. in proœm. ad opera Dionysii. On sait que Proclus vécut, enseigna ct mourut à Athènes.

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1

nI~TllODUCTIO~ I.XX\"II

'1

anciens, et le passé se trouve avec stupeur complice des imquités du présent. L'on a_écrit.-!'!J.istoire ,n-ec de È_Q9.ue; ct des physionomies d'une pureté radieuse, et des mémoires sans tache se sont obscurcies sous les insultes. ~Ième quand on a essayé de dire quelque chose qui ressemblùt il une appréciation des événements, l~_cœQ.r s'est montré p~__tl_nllt~lig~n_ce

( étroite. Vraiment la postérité sera tentée de croire qu'on avait nléaTté de c!,é~Lltuto-ur de son bet.c_eau)e.Lh..QrŒ..urs de je ne sais quelle so_mIu'e nuit.

/\ L-;s prot~stant~ ont dé~~té; c'e~ avec l.e....kv~Ldli:~~ge

- qu'ils ont ebr,!nl~J.!!...Jn9!tlé_dÙ~ur~pe,et aUJourdhlil l~eme

? ils ne sont pas encore à bout d'impostures. Les 1ill1sénistes -sont venus ensuite: secte chère à ceux qui aiment l'ostentation de la ,ertu, ellLnj!guit de la fourberie, et, l22..ur vi::!e, elle n'eut pas assez du génie de Pascal, il lui fallut un calomnieux pamphlet.

] Les magistrats':de Louis XIV et de Louis XV, continuant les con­e, seillers de Philippe-le-Bel, et les philosophes "du dix-huitième

siècle, continuant tout ce qui avait été mauv;üs aYant eux, lu~èrent contre les droits de 111 hiérarchie, contre les dogmes

_ de la foi par la duplicité : ~l:n,ti.!:, c'était leur cleYise. Enfin '> certains gallicans~ëe n'est pas moi qui leur choisis cette com­

pagnie, 'c~iJ\LgallicaJ!.L.!idig~r:enL!:.hisl<2.ire et firent des recherches critiques d'après un système préconçu, et a~e

pa~pris ~e leurs adv~rsai!es auraient tort, et l'on sait <I!lelles 1 énormes et immenses faussetés ces préoccupations accumu­lIèrent sous la plume d'écrivains ecclésiastiques.

Or le temps ne semblait pas encore venu où l'on puisse élever des monuments expiatoires à tous les hommes et il toutes les <;,hoses lésées~p'endant ,~s~ cell.~s qui -viênnent_de s'écouler. Quoi qu'elle- en pense, la sciiJAfe laïque est moins

1 propre que jamais à cette mission, pa~e q~dans la généra­, lité de ceux qui la possèdent, elle a reçu une déplorable impul­

sioQ., et qu'elle suit et menace de suivre encore longtemps les er~ements que nous venons de signaler. D'a~~satisf~~_n )1l t../'3 dOit venir d'où est partie l'injure, Une étroit~_soli~arité p~ur

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~.

-. ­

t!(l,

.:t?J LXXYUI INl'RODUCTIO~

tous les êtres d'un même ordre, qui participent à la honte 1fcomme àlagloire, aux obligations comme aux droits l'un de

l'autre. Et parce que de~oines apostat~_ .~t _~I~LP'!:è~e

Ir Jésus-Christ ont les premiers contristé rEdise, calomnié 'cs , pa~s, fausséSO'iiUisfcnre eteii}iav.é sa_ggii'~ion, il fâut peut­

être que les prêtres et les moines viennent refaire de leurs mains, à la sueur de leur front, parmi l'humilité et la prière, c~..-E.\le leurs prédécesseurs ont défait dans la r~bellion g~)eur .in!c~li­

genèê,- et aumépris des lois de la charité chrétienne èi de l'un"ité catholique. ~lais, de notre càté, il s:~ faut que nous soyons_en mesure d'entreprendre ces restaurations. On .nous a ôté~s

moyens d'être savants, et l'on n'est pas disposé à nous rendre les ~qeJ·eJ~ir. Xos '!.~Ties pacifiques et n~~i~ux

lines nous furent arrachés; nous _n'jarons pu les retrouver encore. Et puis, il y a trop de mal dans le présent pour qu'il

( noUS soit permis de songer au passé j etJ)ous ne ~on~~s

assez nombreux p-ourJ;IOI).S occ\!per d'au~rL~.ho_sLq\le..d-LUos CO~ll)OI~iI1S. Toutefois nous attendons de la justice de notre pays, surtout nous espérons de la grâce ùe Dieu, qu'il sera

( bientôt permis à_ quelques-uns d'entre nous de re,RrendreTes habitudes exclusivement studieuses de nos aînés. - -- ­A~~ra ùes savants, penchés toute leur vie sur quelque

tombe outragée, faire amende honorable pour les délits de la critique moderne. TIs restitueront aux hommes méconnus leur véritable physionomie et leurs titres de gloire j ils essayerontil arec succès de venger la ~i§~tion, l:esprite~esd'ép2ques méljrisées el de siècles.décrédités. Car tout n'est pas encore dit sur les. assertions. passionnées et gra.vement partiale_~,de(~!~l __ de~l1le~~; de(!dlem0rl~i des<.Eup~n,et de~aunoy): on seraIt étonné-ae la longue1rSte des causés indignemen"t jugées et des procès à réviser, que la juslice de l'avenir appréciera mieux' sans doute. -- - ­

Il ~ésumé, la critique~~s_d~mi.eEs.~~.Qte.sdlILceCL~_ne

l'histoireecëIesiastlqûe, a été notablement faussée: c'est un fait général que pèrsolme ne ?aurait nier désormais. Or, je pense

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1':!f:.'\TRODUCTIO~ LXXIX

que saintll,ÇIly.s-f.llLe.m.e.l.QIlPé da.ns la disgràce inj!!..s!e qui atlei;:.'11it plusieurs réputations jusque-là respectées. On est en voie ~le rectifier une foule d'assertions, pour le moins téméraires, d'après lesquelles nous avions l'habituùe de juger le passé; mais lous n'ont pas encore déposé ùes opiniolls trop crédulcmcllt re\~ues. On p~.!!LYQir par ces ~xplica.tions pounLuoi les liues de \ 1 saint Denys furent traités comme_~pocrYl.?hes; pourquoi cette Jl icté'eest peut-être encore aujourd'hui celle de plusieurs; pour­quoi enfin j'émets mon sentiment avec quelque timidité. J'espère cependant que l'~inion publique changill un jour sur ce ~lt,

si elle daigne l'examiner; et il me serait doux de trûllYer un augure de cette conversion dans l'assentiment du lecteur.

0-- ".j 'J

--.~-~--~---~--

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î? c' l.XXX I.'\THODUCTIO.'\

ARTICLE DEUXIÈ'IE

OU L'O:\ EXPOSE LA. DOCTRI:\E DE SAI:\T DENYS\ET ~I:\FL[ENCE

QU'ELLE A EXERCÉE ' ~//~

'\Q

Quelle mleur possèdent, comme monumen ts, les Ii nes de saillt Denys, et peut-on les invoquer pour connaître et prouver la croyance des temps apostoliques? C'est une question que nous avons essayé de résoudre dans les pages qu'on vient de lire.

Quoi qu'on en pense, et lors même qu'on s'obstinerait il les dépouiller de ce caractère de haute et vénérable antiquité que nous leur attribuons, il resterait'~;co;:-~";~-;J~ïlëiërSI;Co-mÏüe

co~p;'de doëtI;nes, ils ne tiennent pas un rang distingué parmi 1\ les Œ. UHes thé0logiques eïijhilosopiïiqllesq'ucïi'oiis âléguées

) . l'antiquité. C'est ce que nous voulons examiner maintenant. Or la so'lution de cette seconde question est prévue par le

lecteur, et ne peut être douteuse pour personne. On a vu .qgc.!le fO.llle de granùs noms escorte le !l0m de saint Denvs, et quds génies lui ont décerné une sincè~~-~'t' gÏo'rieuse- ad~i1'Ution; je rappelle seulement ici le moyen âge, e.!..dans le,.!!l-9.yen ~~yili~t

J\ TlL()!9.as, qui commenta le livre des .'\oms divins. Il est Hai que saint Denys Fut atteint par la proscription de la Renaissance; car ses doctrines, catholiques par le fond, orientales dans la forme, ne pom~ient plaire au p"~~?isme pr2~~q!1e qui enrabit wlors la science et l'art: aussi le mépris de ceux-ci el l'oubli de ceux-lit lui échurent. Dés lors, presque t~~~,0s .~istoriens de la pl~ilo­

1 sophie se sont abstenus de citer et d'analyser des livres gue P0t::~~~tt.~è~2.~~d~tres égal~nt, et qu'aucun autre assurément

\. ne surpasse en sublimité, Aujourd'hui donc, ne peut-on espérer • pour notre auteur une réhabilitation? Son orthodoxie, sa piété

et sa science, le devraient rendre cher aux théologiens; la phy­sionomie de ses écrits, qui semblent a voir servi de modèle aux

~

1

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'1: {I~TRODUCTION Lx:I.-x"l

pr~ctio~~~coJil...Q.~2-1e.6--a:li?rie,' et la. gravité des que:tiolls quïl traite, derralen~ lUI co~clher 1 a~ten~lOn de ceux. qui Ulmeut et étudient les doctnnes antIques et elevees. Ce serail pour tous un curieux spectacle, et peut-être un enseignement utile de voir comment le do[.rne chrétien, au lieu d'attendre que la philo­s~e!:ie$!lj@pril s!.ù'él~ ~ent jusS@.'à elle, ù~it,

a'-Çj; Lu çonscience de so~ncontest~ble supériorité, sur le terrain .le sa ri raIe, éclaira de sa lumière ce puys de ténèbres palpables, iiltr~(l'ordre au sein de l'anarchie intellectuelle, et remplit ae sa vie puissante les formules mortes de la science humaine. On constate et l'on décrit les évolutions que les intelligences accomplissent dans l'erreur, et des extral"Ugances quelquefois énormes ne manquent pas d'éloquents interprètes; d'où vient qu'on néglige d'observer l~retou.E d'un e~prit aux saines doc.trines, et son momement fécond dans la vérité? ---­

Toute grâce excellente, tout dou parfait rient d'en haut! et descelld du Père des lumières. t:"1ist par ces mots inspirés que saiiifDèî'iysou-;:-re le traité de la hiérarchie céleste, placé en tète de ses autres écrits; c'est par ces mots également qu'il comient de débuter dans l'appréciation de ses doctrines.

Oui, tout bon livre, comme toute~on!1~__~ction, a son prin- 1 cipc. en Dieu, qui fait à la ténébreuse indigenêe de ~ls h l'aumône de sa~pl_e.I}4j.QeJg~~re, et arme d'un courage surna-, J turel n~s originellement làclleS et pervers. Sans cet élé- J ment féconcfëi vital, l'homme s'agiterait en '-ain da~ÇJ!!jté ) de son ignorance et dans l'ignominie1 de ses penchants, capable se-ufement de quelques rares accès de vertu païenne, mais totale­ment impui~sant à mériter ~a gloire des cieux. Car il n'y a dnJ ~I-Ile...[Ulr.le nop1~ SeIgneur, et on n~ )]ey.ljlrOnO~eL.Ce . nom.Jl\!e par l~ Saint-~·it. L3!:-g~ce_est a~c<?E<iée-à...L0J:l2...les

ho~mes; car Dieu est le Père de l'liumanité entière, qu'il a bénie en Jésus-Christ son fils. Mais elle leur est distribuée à des degrés différents, pour la commune gloire de la société spirituelle, comme il fut départi aux membres du corps des fonctions direrses, pour la plus grande utilité du corps luj-même. Toute­

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~'Z,

LXXXII INTRODUCTIO:'l

fois, q~elill..q!lL'.l moins ne se plaigne pas, ca~ il neJ~ fut pas fait d;injustice; et que celui quI"' a plus, prenne garde d"être infidèle, car· on demandera beaucoup à qui l'on aura donné beaucoup (1).

Mais l'homme possède une activité propre, nécessaire résultat de sa nature intelligente; c'est pourquoi il peut réagir, et il réagit en effet sur l'impulsion qui lui est communiquée, soit pour l'accepter et s'y soumettre, soit pour y résister et s'en défaire. Comme une harpe que les vents du ciel feraient frémir et vibrer, l'homme touché par le souffle d~~lLhaut réâQI.l!1~. en harmonie ou en déSaccord avec la volonté divine. Mais dans l'Un et J'autre cas, il anime ~ ~hants par ie caractère propre de sa personnalité, et accuse la spontanéité de son concours ou de sa résistance. Ainsi~ toute.?_nos œuvre~ p.odent le_~-êu de notre liberté et l'empreinte de ..D0tre vale_ur i!ldi viduelle; l'intelligelï;;e"

( qui conçoit le bien et J'acti~~J'exécute créent ratOrme spéciale, la physionomie particulière sous laquelle vit et apparait s,g! terre laJ,râce divine, qui est J'âme de nos bonnes actions.

li y a quelque chose de plus: dans la vie présente, Dieu et l'homme ne se rencontrent pas, d'ordinaire, directement et sans milieu. Le pur rayon de la grâce se voile sous les choses sen- . sibles, et le monde entier est un sacrement général par lequel Dieu descend vers l'homme, et l'homme peut s'élever vers Dieu. il y a dans toutes les créatures un rejaillissement de la beauté incréée,et leSëieux et la terre laissent entendre commè un faible

( retentissement et un lointain 'écho de ln IJarole diVine.: harmonies \ é~tëS et €édicatiop~~use,qui sont po.uJ'_gs intel­

ligences droites et les cœurs purs une lecon de vertu ct un motif d'amour. Il est donc raisomlable et pie'ux ~ l'homme puise quelque inspiration dans les circonstances qui l'environnent et dont il subit nécessairemeÏiÏfiii1iuence; car elles éveillent et excitent ses facultés, quelguefois elles en rest;cignent ou même en paràJ.y5ent -l'ëxercice;de son cOté, il les plie souvent à sa

(1) Luc, 12, 48•.

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--

~1 ~

INTItOn·UCTIO:-i \ LXXXlll

volon lé, dl1..mo~ls il peut...!.~Wrs en tirer un arti salutaire. !\olre~~e à tous est. donscoJ!!l)1e une sp_hè~e_que le lem~ es

( é\'én~ntui!!litent, et dans laquelle l'inspiration'" cé~le et notre activité:nersonnelle se trouvent providentiellement circons­critescldfurminées; et par celte considération encore, il faut dire que le bien ne nous est possible qu'à de certains degrés ct

( sous une certaine forme. LïmpulsionAdivine, la réaction de 'tJ.a créature, les \ircons­«. _' '"" _ r_.-j

tances de temp~e~u daus lesque.lles la gr~ce et la liberté L

humaine s'unissent en une sorte d'embrassclnent fécond qui1 \ produit la '~ertu: tel est donc le triple élément qu'il faut connattre pour-31pp.r.écie~._une_œuvre pieuse ep 1:énéral, et spécialemcnt le

( liHe que nous voulons examiner ici. Or on denait trom'er sur ce point les documents les plus complets dans la biograpllie de notre écrivain; car c'est là qu'on pourrait juc;er al'ec quelle ,'igueur l,a grad l'int le saisir"avec quelle docil.llé~l répondit à l'appel dn'in, et comment des lcirconstances, soit générales, soit~ partieulières, exercèrent quelque influence sur ses actions. Il ya donc convenance, et mème utilité, à retraccr au moins brièvc­ment la vie de saint Denys. La~ saiJ),! De!lyÙ:Aréopagite s'écoula entre la (l' ct la 120­

année de l'ère chrétienne; il naquit la 50' année du règne d'Auguste, et mourut la 1re de l'empire d'Adrien. Ainsi la Provi­dence le plaça en face des deux plus grands spectacles qui

.L puissent être donnés à un h. o. mme : il vit la force'\nat.g,tielle \ -1 élevée.J ~a, plus haute expression dans le plus "îm'e ém15'ire qui) ait jaTais existé, et la-~c4mot.a~e s~~jugua~( sans .allcun \ p~ti.ge de richesse, de gloire et de _génie, des âmes que~ni-Jt YrJ;.ment du -e0uvoir et de la volupté semblaii avoir corromnues s~ur. Certes, c'était pour robser~ateur un sujet de graves réfiexions, que cette stérilité de lalorce matérielle, qui trouvait <!illJ.s son extension mêi"'e ëi ~s son développement ~i­tables dangers et une condition prochaine de ruine, et qui d'ail­Ic~ne poll.yait ri.e!!J!our le bonheur public et privé, !;ien .EiUl~1

la véritable gloire de lajat.!!i.lle ~ de la SOCiété. Et d'Une a~eJ

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1

8 LXXXIV lxmoi}\]cTIo~

p~t, n'était-ce NS une instru.ction .s~i:sissant~_cr..ue c~tt.!l fécon­dité de la force ~o!:.ale, qUI apaIsaIt la fiJUTe cie toutes les I~ns, répandait la lumièrë ll.armi Î'obscurité des e~its,

~ Il réchauffait les cœurs pleins d'égoïsme au feu inconnu le la cJ1â.r-ité céleste, et transformait si glorieusement les individus et les peuples, en domptant ce qu'il y a de plus noble et de plus puissant dans l'homme, la conviction?

Ce qui ajoutait à !ïntérèt et à l'utilité de ce double spectacle, c'est que les deux forces' àont nous parlons, au lieu d'attendre la chute l'une "de l'a.p:.tre, parmi les _douceurs de la paix et de l'in_ différence, s'attaq'uèrent mutuellemen~ec uneformidahle énergi~et avec toutes les armes dontelles disposaient. C'étaient deux- géants qui aYûient pris l'univers pour arène, et qui sous l'œil i~eu, juge du combat, s01,!tenus et c9.!!d~néspar)e

senre humain!.. oÙ chacuE.. ~vait son parti, se mesurèrent du regard, se saisirent corps à corps, et se tinrent serrés dans cefté étreinte ennemie qui devait durer tI.:,oi<. siècles, .ius51u'i~e

que l'un fùt étouffé dans les bras de l'aulre. Car, d'un cd té, d~uze hateliers!de Galilée, qui avaient osé se partager le JliO"ii"de, s'en allèrent, une croix à la main, la pureté dam le cœur, la prière sur les lènes, dénoncer aux dieux de César que leur temps était fait; et soudain les dieux et leurs autels se renversèrent. D'autre part, étonné de cette proscription générale, et dont les effets se produisaient si subitement, l'empiré' tira~ée, eLde c~e épée, dont la lueur sanglante faisait seule p,llir toutes les nations, il frappa sans relàche, comme sans succès, des hommes

1 \ igr~ts et timides pour la plupart,<re pauvres feiiiiTleS,"" de je~nes vierges et des enfants. )Iais si la bonne foi lui manquait

'_){ pour voir oÎi était la justICe, le.. Q.9l!sens aurai~ dù lui apprendre l'issue probable de la lutte; car le sang des martYrs était mer­veii'ï'ëtiSement fécond pour enfanter de nouveaux ·chrétiens.

Il y avait dans ce tableau, 119n seulement de la gra~ et une lumière qui instruit, mais encore de l'émotion et un mouvement qui électrise; car les choses ont un muet langage qui éclaire, frappe et remue. Les grandes révolutions politiques

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is-I:'\TRODUCTIO~ LXXXV

u reliaieuses imJ:lriment aux esprits et aux cœurs je ne sais o·uel éb~raÏiïement plein de force et de vie, ct l'énergie latente ~uïls recélaient se dégage e,t se I~anifest~ av~c éclat parmi s;e,s s!IOCS solennels. De pl~s, a cote de~ rImes énor?iès que l~s J\ hommes commettent, Dieu place touJours e s.!! Imes l\C1't'!3' Quelle que soit la cruauté des bourr_eaux, elle rencontre dans .les victimes un courage supérieur; la piété 2des llilns resplendit par- JI dcssus l'irréligioÔ'des mJchants; et, pour la gloire de l'humanité, c'est une loi du monde que la somme....des~'ertus, non seulement II fasse équilibre avec la somme~s~0les,mais encore la COUHe ~

et la dépasse. Même le sc~ale excite le mel.., et l'excès"du~al

détermine une réaction vers lel bien. Aussi, dans les circons­tances que nous venons d'e~quelle secousse-frofond~ut

subir l'âme du néonhyte Denys, lorsque l'empire, aveê toutes ses lois et toutes ses légiops, s'~vançant à la rencontre du ~is­tianisme,Ll'univers entier retentit du bruit de ce combat! avec quelle - ardeur le pl-;-i~s~phe embrassa la vérité connue! avec quel amour le disciple du Crucifié défendit la vérité attaquée! Et, comme à chaque effort que fait l'homme pour s'élel'cr àJ\ Dieu corresp"ond une grâce par laquelle Dieu â.atgne descendre vèrSrhOiiiïiJe, quelle charité se répandit sur ce cœur, que les él:eiiëffiëiïts avaient préparé, et do~ I~ ~re correspond!!:,nce )1 provoquait l'effusion des dons célestes!

-- A ces circonstallCes générales, il faut ajouter les circonstances -~

iT' particulièresqui environnèrent saint Denys. Athènes, qui le vit nailr~ne défendait plus alors sa liberté que p;;7'ie prestige de so~nne-S.!'andeur, et par un dèrnier reOet de gloire dont lillittérature et les arts éclairaient ~a dé,Ç-a~n.î&. Effectivement, enveloppée dans la ruine de P~~e, puis de B~s et de C~s, et enfin de Ma~oine, qu'elle avait ,successivement appuyés, elle, ne dut q~'à l!:,.m_émo..!r~ de ses grands. hommes delJ ne p~s devell1r dès ce ffi_ornent une_p.roviQc.e..romame. Ce~tJ

qu'~n pell p~~J.aLd" sous Vespasi!l.Il•.!l-u'oB sou.l.ui t diQ,niti ,·elvent.1 \ aU~qUl Resait sur le monde ces Grecs remuants, ~e

voulaient point obéir, et qui ne savaient pas.être libres, Mais au

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~,

LXXX\"( IYfKODCCTIO:\

temps de Saint Denys, Athènes conserrait encore son ancienne forme .fle -&ouyernement, -et l'on pouvait juger d'une mani-ère expérimentale ce que la législation païenne avait fait pour le

/ bonheur du peuple. Sous le r:appol't~elip~~x, Athènes était \ ensevelie dans une ténébreuse ct inlI.nense_su~rstition; car; de 1peur que quelques divinités ne vinssent à se plaindre de son

\1 lLubli, elle amit dressé un autel au dieu ins...onnu, ou, comme le Il rapporte saint Jérôme d'après d'anciennes autorités, ù~s

dieux inconnus et étrangers, Ce qu'il y a de certain, c'est que l'Olympe entier semblaitàvoir envahi la ville, tellement, dit un poète du temps, qu'il était lus facile d'y trouver un dieu u'un homme. Pourtant la philosophie réernaill< sans contrôle; toutes ~ciennes école; avaient leurs chaires et leurs adepJes, Mais,

là comme aill,eurs, alo!s comme to1!iours, la sagesse purement humallle IiêIaisait autre chose que tourner incessamment clans

}\un cercle d'erreurs énormes; erses représentants, plus occupés d-w~e savants et spirituels q~e nats" et utiles, comlnet'ïaient le crime inexpiaùle de donner le mensonge en"'11 pâture ~ êles eSl!flts que bieu <wait créés pour la vérité. Telles furent donc les conditions de temps et de lieux dans lesquelles vécut saint Denys. Quant il sa famille, elle était distin­~e comme sa patrie. Son éducation fuCdlg'ne àe sa nai~sance.

Jeune encore, et par amour de la science, il visita Q'E~

mère des superstitions grecques, et sanctuairereno;;m~la

philosophie religi.!:.use. Il était dans une ville de ce pays, à Héli.2Jlolis,-comme il nous l'àPiirend lui-même, 10rséju'ap~,rut

celte éclir-se miraculeuse par où fut annoncée au monde la ffi(;'l't du ~igneur. De retour cn sa patrie, son mérite, àüliiiit que son origine illustre, lui ouvrit la carrière des charges publiques, et il fut successivement élu archonte et membre de l'Aréonage, C'est au sein de ces ho~eurs, légitime réc~se

-~

... ­d'une sagesse mondaine, que la grâce de Dieu vint le s~isir

au cœur et lui révéler une meilleure sagesse, source d'une lüs d6sirable gloire. Déposé en cette conscience loyale, le

germe heureux de la parole évangélique se développa rapide­

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~n·Ii'\TRODUCTlO:\ LXXXl"ll

ment, et dednt plus tard un arbre couvert de verdure ct de fleurs, à J'ombre duquel se vinrent reposer dans la foi et dans la charité dSù.mes f~tigu~es e:-~e~par le crime. Effectivement, plein d~~ir de re1!.Jl!cr une vie de guara}1te ans"dispersée dans l'erreur et l'iniquité, et aspirant il louer Qieu 'son Sauveur par des œuvres parfaites, il entra dans sa vocation éhrétienne avec une ardeur excitée et nourrie par le souvenir du passé et par les espérances d'un avenir immortel.

____ • Assurément cette conversion subite et éclatante émut la \·iJle. Il est donc permis de penser que la foi du néophyte fut soumise à quelques épreuves, et que ses compatriotes, ses amis

1el ses .parents, ~e.,lui épa;gnèr,ent pas. les contradicti~ns, ksl raillefles ct les Il1Jures: c est la ce qUI manque le molUS aux

chrétiens. On rapporte communément à cette 4poque de la vie de ~aint~en~~ ~a discussion qu'il eut avec. ~lloph~, son ~

ancIen ami, etqu 11 rappelle dans ~a lettre a saintpolycarpe.-" 'LJ G\1 Comme le courgg~ &le.s_ fQr~s du soldat ~'auglTlenten-LPJ!I!ni

les périls et les fatigues de la gu~re, la ve~s'ac~roî!.p'armi~s

JJdifficultés qu'elle ~e~qcontre. Qu'on joigne il. cette condition naturelle de progrès, les instructions du saint personnagej ') lHiér~et du grand Apôtre, et surtout l'influence de la 3r~ce,

ètI~o~ a~a J'idée dl! !:.QPjde ~anccment de saint Deny~ansJaJ\ science théologique et dans la j!erfection chrétienne, Aussi fut­ifelëVèparsairitPaul au gouv;;:-nenÏeIitde-l'J~glise d'Athènes, \ soit qu'il en ait été le premier évêque, comme le rapporte son j homonyme Denys de Corinthe, soit qu'il en ait été le second seulement, commé le témoignent les ménologes grecs. Quelll zèle et quelle sainteté il lui fallut déployer dans ce difficile ministère, parmi ces philosophes lIU'ayeuglait l'or"llej! dUa science humaine, Rarmi ce ~le brillant et futile que fasci­nait l'enchantement des bagatelles! Qu~l coura~pour fonde une société disciplinée et chaste au sein de l'indépendante et voluptueuse Athènes!

C'est un point -;rrabli par les écrivains ecclésiastiques, que les premiers prédicateurs de l'Évangile, à l'exemple des apôtres,

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îCb LXXxnll I:',TnODUCTIO~

leurs maltres, parcouraient les diverses provinces de l'empire pour J' répandre la bonne odeur du nw d~ Jésus-Ch;:!st, Il faut peut-être rapporter à ces comses qu'entrepl'Ït saint Denys son y~g~er:!....?~·tlestine, où il assista au trépas de la \ïerge Marie; à moins qu'on àinie mieux dire qu'il fut miraculeusemen~.\;;!ti

d~ la {lrochaine mort de la sainte Mère ùe Dieu, comm~ la tradi-· ti6n;.;pporte que cela se fit pour les apôtres et 'h plupart des disciples ùu Seigneur, et qu'il se rendit en Orient seule­ment il cp.tte occasion.

Une semblable incertitude enveloppe un autre; événement de la vie de saint Denys, et rend par consérfuent problématique ce qui nous resterait à dire des dernières années du pieux écri­vain. Il s'agit de savoir si notre Aréopagite est le m0me person­nage que saint Denys, premier évêque de Paris, et apôtre de la France. Or, je désire ne pas entrer dans une discussion appro­fondie de la question; il suffit, pour l'intér0t de mon sujet, d'exposer brièvement les arguments dont s'appuient les deux opinions qui existent sur ce point.

Ceux qui croient il Iïdentité des deux pel'sonnages du nom de saint Denys, que l'l!.istoire place sur les siéges épiscopaux de Paris et d'Athènes,®,ont obsener que, lorsque la controverse présente s'éleva pour la première fois, sous Louis-le-DéiJon­naire, les Français et les Grecs s'accordèrent à rec~nna.îtr~.ue Denys l'Aréopagite, d'abord évêque d'Athènes, était ensuite passé dans les Gaules, et y avait fondé ëi"goûyerriTl;Égüsè de Paris.~nemarqùant que l'on trome fort peu de renseigne­ments sur saint Denys l'Aréopagite, dans les écri YUins grecs des premiers siècles, ils estiment quïl a quitté sa patrie, et qu'on ne saurait expliquer le silence des historiens orientaux sur un si grand homme, que par ses voyages dans rOccident.Ci5 Ils illYOqUent les témoignages de Siméon Métaphraste, de Nicéphore Calliste et de quelques autres hagiographes, pour démontrer qu'elTectivement saint Denys vint à Rome, où il reçut du ~ape

saint Clément une mission apostolique pour les Gaules.c!~Ils recommandent leur sentiment de l'autorité des historit'ns, chro­

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g'JI:"iTRüDUCTIO:'\ LXXXIX

noaraphes OU annalistes, Vincent d.e Beauyais, saint Antonin,

J1Gé;ébrard, :\~a, B~~~s,Vls rappellent plusieurs bio­~~ et certaines indications du martyrolQB~.!:.~!:nain, où ron .?o~me .~91-ll.Q..'!:t~nons de saint Denys L\.réopagi~e, des saints qmont YéCU dans les teIIll?.L,!p-QstQ!~ques ou du mOllis dans les)\

Ipreriii0rës années du deuxième siècle, et dont les trapy.lx ct la doire eurent exclusiyemellt les Gaules pour théfltre':-k-l-Is l'ap­pellent les ménologes gre~s" l~..li!~r~s ancien du ~art~Te_d,e

~a~Ys ~t d!., sa miSSion dans les J:;~es, plusieurs bre­"iaires, missels et martyrologes gallicans d'une époque fort

. reculée, -=- Ceux qui pensent que Denys d'Athènes et Denys de Paris sont IS deux personna~es distincts, se déterminent par les considérations

suivantes :®P~urs/'martyrologes latins, d'une très haute antiquité, et en particulier l'ancien martyrolo:,;e romain, celui de<!3èdej et celui 4.'Ado~ placent la fète de saint Denys l'.-\.réo­pagïte' au 3 octobre, ct celle de saint Denys de Paris, au D du même mois: distinction qui semble indiquer la di versi té des personnages, 2° Grégoire de Tours rapporte que saint Den ys de' Paris ne fut envoyé dans les Gaules que sous l'empire de Bécius, \ c"est-il-dire au milieu du troisième siècle, 3° Un autre historien de la mème époque, Sulpice-Sévère, écrit qu'il n'y eut aucun martyr dans· les Gaules avant le règne d'Antonin-Ie-Pieux ; d'où il suirrait que saint Denys l'Aréopagite n'a pu, comme Je pré­

(, tendent cependant les défenseurs de la première opinion, être martyrisé à Paris sous le règne d'Adrien, prédécesseur d'An­tonin (i),

Quoi qu'il en soit, et en quelque lieu que saint Denys ait passé les dernières années de sa vie, on peut affirmer deux choses: la

(1) On pe It consulter touchant ce point de la ,ie de saint Denys, qui fut l'objet e nombreuses et vives contestations, les auteurs suivants, P r ra lllion qui ne distingue pas saint Denys \'Aréopagit~ de

Denys de Paris: I:lildJ,!jn, AI'eopagitica, Cologne, 1563; ou bien SUl'ium;- Lanssel, 'Disputatio apologetica de sancto Dionysia; ­

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xc. llSTRODUCTIO~

première, c'est que se~tres, et en particulier celles qu'il '1 Jlécrivit à Démophile, à saint Polycarpe, à saint Jean, datent du

temps où il gouvernait l'Église d'Athènes; la seconde, que touiès Z 11 les autorités établissent unanimement, c'est que la couronne du

martyre vint orner les cheveux blancs du laborieux pontife. " Il Y a des existences dignes d'envie qu~ 1~2 décrets divins

prédestinent à tous)es travau~ et à toutes les g~es. Telle fut celle de saint Denys: illustre dans sa mort comme dans sa vie, il conf!..I'II!<l: d~so~ sang la foi qu'il avait prêchée dans ses IÏ\Tes. Les œuvres de son génie et ses exemples nous restent comme une grâce et un encouragement; sa prière est puissante et féconde, comme sa vertu fut pure et élevée. Les rois de France ont mis quelquefois à ses pieds la plus belle couronne de{ l'univers; Dieu accorda de nombreux et éclatants miracles à son intercession; et ainsi le ~l_~::.!.a terr~~éunis pour

JI honorer et consacrer sa mémOire. ==_...- Après ëe préambule qüënous del'ions aux exigences de notre iujet, venons à l'exposé des doctrines de saint Den~'s; et afin que l'appréciation qu'il s'agit d'en faire devienne plus facile, marquons d'abord le point d'où il part: puis nous réduirons il.

. quelques chefs principaux ses spéculations diverses. ----- Le caractère le plus général de la philosophie de saint Denys,

c'est une sorte d'éclectisme, dont la foi catholique est le principe, la règle et le terme. Et c'est là la seule philosophie véritable. _ L'ordre surnaturel étant supposé, trois choses en résultent: ~es vérités\ncompréhensibies 'se surajoutent aux vérités qui sont le nécèssaire patflmOfri'e de la:l'raison; même ~les1ci reçoi­

., 1vent de ~lles~là une sorte dit rejaillissement lumineux et plein de..srâce divine, _par o~ elles deviennent objectivement plus \

lIalloix, Vita sCl1lcti Dionysii,o et, de plus, de Yila et Opel'ibllS sancli jjlo~sii," .:- P. )\lénard, de unico Dionysio," - 4.him~t, de llllO Diony­

" sio. - Contre cette opinion: ~n, Bibliothèque "ireS Auleul's ecclésias­tiques, 3' siècle; - Launoy, de duobus Dionysiis," - Morin, de Ordi­

~"""" naLïonibus," - S~"'d,'Dissel"tatio ad hoc, t. IV, Paris,1696.

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51 INTRODUCTIO~ XCI

maI!! fe.sles, et subjectivement pLus certaines. D'oÙ il suit que la Û"alsôn rigoureusement suffisante pour certains points, radicale­

ment impuissante pour quelques autres, est secourue ou suppléée arec bonheur par la révélation-;"'qui est ainsi le principe obligé de toute affirmation sur l'0riaine, les moyens et la fin de l'hu.,

IlI{

- manitt" 201 est impossible que la philosophie ait jamais droit) coDtre la révélation, et,puisse entreprendrejuste~ent de la régler. Car ce qui e~inciR~, et cet~u[ementd!Orte..!nsoi la règle de ce dont il est. principe, la raison d1!:gir ne pouvant résulter que) de la raison d'être. ?lIais ce qui appartient à une sphère moins élevée ne peut ni créer, ni régir ce qui appartient à une sphère p~~me. Voilà pourquoi, d'une part, la:-philosophie, ou 2.. l'ordre naturel, ne doit pas estimer qu'elle est d~stinée à con­trMer l'0t:dre surnaturel,"la foi; et de l'autre,J.a....1:é.Yélation qui 1 e.§.L1e prin~!pe de nos affirmations'tles plus -S!aves et les plus nécessaires, en doit être aussi la règle.. 3° La subordination hiérarchique des choses, quelles qu'elles soient, ayantpoUil;âse léür valeur respective, ce qui est moins noble relevant twours de se qui e,st plus lliJbJe, et non pas ré~iproquemenl,~ 'raison, II moyen naturel, est subordonnée à la foi, moyen surnaturel. j,l

- Pa~ suite,~non seulemenfl~ rai~;"doit s'in~er sous le joug de la foi, mais encore toutes recherches rationnelles doi vent avoir pour but la justification, le triomphe de l'enseig~ement[ révélé. Dépendante dans sa fin, comme dans ses actes, la s'cience ne peut se rapporter légitimement qu'à I~révéla.tion quCse \1 trouve être par là le terme ultérieur, comme le principe et la Jl '1 règle de toute vraie}hilosophie.

Aussi saint Denys annonce positivement qu'il ne puise pas ses inspirations en lui-même, mais bien dans les Écritures, dont l.~xpiication eSfOonnée par lès dépositaires de Ï'enseignement catholique: L'homme ne saurait en effet ni comprendre, ni \ expri~ ce qu'est l~ s~pra-substantielle nature de D~û;iln'en j

.sait que ce qu'en disent les divins oracles; et c'est à leur lumière seulement qu'on peut découvrir quelque chose de cette majesté inaccessible.. En un mot, la vérité n'est pas la conquête de

. ...... :àI

....y.,

-..R. l.,~.",~ ~~~

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Z. XCIl INTRODUCTION

- 4'"* ....... l'homme, c'est un don du ciel; l'homme ne s'en saisit pas comme d'une 1:fépouille, il1â reçoitd'une libéralité purement gratuite,

Placé ainsi dans la sphère de la foi, le philosophe chrétien ramasse toutes les forces de son esprit et expJ.gre ces réS!9ns immenses, dont les bornes lumineuses reculent, par une sorte

1\ de magie sac~e, à mesure qu'OJl marche pour les atteindre-:-Sa raTSoll n'a pas descendu, elle a grandi; car l:W;ol-e;it~ne trans­fipuratiQ.Il et non pas une dégradation deJintelligence. s: rai-. t'on n'âpas faibli; car la foi est une victoire et non-rme pusilla­minité. Sa raison n'est pas contrainte, mais protégée; car la foi est un libre mouvement dans la vérité immuable. .1J__h. <2

C"- '" Cet éclectisme catholique;le seul qu'on puisse admettre, parce: qu'il a pour point de départ et d'arrêt un principe-absolu et ' infaillible, diffère essentiellement, comme on voit, de l'éclec- , tisme alexandrin, qui, en dehors de l'Église, ne pouvait être, et ne fut en effet qu'un s)-ncrétisme, ou rassemblement d'affir­mations multiples, groupées autour d'une idée flottante, incer- " taine, contestable. Il diffère au même titre de l'éclectisme actuel, dont le principe n'a qu'une valeur relative et arbitraire, et la méthode qu'une portée étroite et trompeuse: frêle et triste pro­duction que le génie de son père aurait peut-être fait vivre dans une atmosphère païenne, mais que le soleil du christia­nisme a fait sécher sur pied. Car l'Église, ~ïïd'O'n.nant sur toutes le-;pius graves questions des solutions claires, précises, élevées, et en créant une philosop.w.e_R1lll.!!Laire qui est passée à l'état ­de bon sens public,( a rendu inutiles les travaux du rationa­lisme, et son triomphe impossible.] t·o.

Armé de ce principe, comme d'un réactif puissant, saint Denys soumit ~ l'analyse les Qoctrines philosophiques, qui avaientJ).ris possession des intelligences; il conserva ce qui put résister, et rejeta ce qui dut succomber à l'épreuve d~s cette opération· de chimie intellectuelle, si l'on me permet ce mot. Ainsi furent épurées, et au moyen de cette transformation, ramenées à lal~h~te~r de la.,Rensée chrétienne, les~onceptionsquia;ai~fait

J.u?lus d'honne~r à l'esprit h~main. Le platonisme et la philoso­

~._._~. 10- _ .• ~ ..... or _ • - ........ ""'- ....---,-._-_.._- ~._. ce_.,~---.: ...__::

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9]INTRODUCTION XCIU

phie orientale prêtèrent leur.s formules pour ex primer ce résultat nouveau (i). T_el fut le'preml~r système de la philosophie catho­ N, li~ système vaste, plein de force el d'harmoniê:~ui

. porte le sceau d'une intelligence profonde et d'une foi pure. Voici les chefs principaux qu'expose ce catéchisme sublime.

1. IJe IJieu.

Le principe des choses étant aussi leur raison d'être et leur lin, toute science profonde, exacte et complète est la science des origines. L'origine de tout, c'est Dieu; Dieu doit donc avant tout être étudié et connu. Toute autre question 's'illumine de l'éclat de.celle-ci; toute autre solution trouve dans celle-ci son germe.

Or Dieu peut être connu de di verses manières. D'abord en lui­même, par les propriétés et perfections qui ornent la richesse de son essence, qui lui appartiennent nécessairement, et sont substantiellement incommunicables : telles sont l'unité de nature et la trini té des Personnes; tels son t les autres attri buts _ que nous adorons en Dieu.

Dieu est connu par le moyen des créatures dont il est le père, la providence et le terme. Car, comme tout ce qu'elles ont de réel vient de Dieu, il s'ensuit que les noms qu'elles portent, et qui expriment leurs propriétés, peuvent être appliqués à leur cause féconde, qui est ainsi manifestée par ses effets. Ce qu'on sait du monde on le transporte à Dieu, dont les invisibles beautés sont devenues intelligibles, en se voilant dans la création.

Enfin l'homme peut connaître Dieu, en s'élevant par delà toute chose finie, soit sensible, soit intelligible, en s'abdiquant lui­même. Car dans cette sublime et universelle abstraction, l'âme

(1) Par ce terme de philosophie orientale, je n'entends pas ici la philosophie de l'école alexandrine, qui n'existait pas encore au temps de saint Denys, mais seulement ces doctrines, quelles qu'elfes soient, qu'il a pu connaltre et étudier dans ses voyages en Égypte et en Orient.

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tJ '1 XCIV I~TRODUCTION

purifiée, puis touchée du feu de la charité, et émue par la dou-',. ceur de la grùce, s'élève et se précipite vers Dieu qu'elle atteint' sans le comprendre, Mais celte union pleine d'ignorance sublime, )' cette intuition pleine d'amoureuse extase est précisément le~'

plus haut degré de science où puisse monter l'inteUigence soit humaine, soit angélique.

Or ce qu'on sait de Dieu par ces voies diverses, c'est qu'il existe en une seule et indivisible essence, ornée des plus riches attributs, éternelle, bonne et puissante, et en trois personnes non pas séparées, ni di visées, mais distinctes et inconfuses. Saint _ Denys ami,t traité ces deux points du dogme catholique dans son'!

t livre spécial des Institutions théologiques, lequel ne nous est :. point panenu. Toutefois le lil'Fe des Noms divins, quoique des- '1 tiné particulièrement à nous faire savoir ce que Dieu a commu- ., niqué aux créatures, ne pouvait totalement omettre ce que Dieu ~

est en lui-même. C'est donc de là que nous extrayons la doctrine '~I

qui suit::' Ce qui se conçoit comme antérieur à. tout, c'est l'être; car ~.

l'être est le fond sur lequel repose toute propriété. Il est vrai T que, si ron considère Di,eu par rapport aux créatures, la bonté ';;1

i apparaît comme le premier de ses attributs: car, les choses' J 1 étant possibles avant d'être produites, et la production n'étant ,~1

qu'une communication de rètre déterminée par la bonté, il .'i,1 )

)

s'ensuit que la bonté, qui détermine la production, est anté- .~.

.j rieure à l'être communiqué. Ainsi, en partant de la création, le c~

~ plus fondamental, le dernier des attributs auquel on arriverait .1 par l'analyse; c'est la bonté. Mais il s'agit ici de concevoir Dieu, l non pas encore dans ses œuvres, mais bien en lui-même. Or, ,fi:

1 ce qu'il y a de plus profond, de plus général, de plus indépen- ,~

" ;, dant et de plus absolu, si on peutie dire, dans Dieu et dans quoi:~

r que ce soit, c'est rêtre assurément. Logiquement on est, avant '1. ~

;", ,';" d'être de, telle f~ç~n. Aussi Di.eu, ay~nt daigné, se faire précep~

teur de 1humalllte, nous a-t-tl appris par MOise que son vrUI .'~

nom est l'Ètre : Je suis celui qui suis; tellement que les créatures '-, n'ayant qu'un être d'emprunt ne méritent vraiment pas le nom

j'

,.' .. ­J.

(:'~

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35 INTRODUCTION xcv

glorieux d'être. C'est donc ce doubl~ aspect qu'il f~ut envisager en Dieu pour comprendre ce que saint Denys, apres les plato­niciens, affirme quelquefois de l'antériorité du bien, et quelque­fois de l'antériorité de l'être.

Mais tout ce qui est a une raison d'être; et autant elle .est large et puissante, autant l'être a d'extension et d'intensité. Or, comme Dieu existe par la nécessité éternelle de sa nature, il est donc éternellement, il est en tous sens, il est immensément. On sait qu'il est: mais on ne sait pas ce qu'il est; car ce n'est point un objet de compréhension, mais de foi. Il échappe à toute force d'esprit, non pas que nous mancluions d'arguments pour le connaître; mais notre connaissance n'est véritablement qu'une ignorance. Il dépasse donc, et d'une façon transcen­dante, toute définition: la notion la plus exacte qu'on en puisse avoir, c'est que nous n'en avons pas la notion. Rien effective­ment ne donne l'idée complète de cette bienheureuse essence, et nulle parole ne l'exprime. Tout ce que la pensée humaine peut concevoir, tout ce que le langage humain peut dire, c'est qu'il possède par droit de nature, par anticipation, et d'une manière suréminente, la totale plénitude de l'être. Il est.

Et Dieu n'est pas plus limité. dans la durée que dans les degrés d'être; voilà pourquoi l'éternité lui appartient. Il a été, il est, il sera. Il est le principe et la mesure des êtres, et comme

. il les borne dans leur natUi'e, il les borne aussi dans leur exis­tence, Il dispense la perpétuité aux substances immortelles, et le temps aux substances périssables. Il est l'Ancien des jours, parce que toutes choses trouvent en lui leur temps et leur

. durée, et qu'il précède les jours, le temps et la durée. Exempt de variations, inébranlable en ses mouvements, il se meut sans sortir de lui-même, et dure sans que rien puisse mesurer sa durée: car il est sans succession, et son règne est le règne de tous les siècles. /. D'après ces principes, il est bien impossible de caractériser dignement l'auguste nature de DIeu. Tous les noms lui con­

.,' viennent; car les mots étant les signes des réalités, on. peut

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3'XCVI l~THODUCTIO:'\

appliquer tous les noms à qui possède éminemment tout ce qui est réel. Et aucun nom ne lui convient; car les mots ne repré_ sentant que ce que l'homme conçoit, les noms que nous donnons à Dieu expriment ce que nous savons de lui, et lion ce qu'il est en .lui. Ces explications et ces restrictions données et comprises, nous osons appeler Dieu du nom des choses que notre intelIi.: gence connaît. _ '.

--- Or toutes choses se présentent à nous sous la raiso~

soit que l'on considère en général la totalité des êtres, soit que l'on considère à part chacun d'eux; c'b.r chaque propriété réside en une sub~tance qu'eHe comtitue, et chaque être entre dans l'universalité qu'il complète. L'unité supposée, les attributs ". qu'elle supporte et qu'elle possède se résument assez bien en force, beauté et bonté: toutes choses qui doi vent s'entendre d'une manière relative et analogue aux différentes espèces d'êtres.

Tout ce que le langage humain peut affirmer de Dieu sera donc compris sous cett~~adr~l.t..dénominalion. .Q Dieu' est 20n~L~est absolu, éternel, indivisible. ~qui brille dans les créatures n'est qu'un faible rayonne­

ment de~ineffa~--!.na~sil ya une différence incommen- , surable entre~t l'unité créée. Cnes, quand. on les. prend individuellement; unes, quand on les considère dans leur totalité, les choses niLsont véritablement unes sous ce double

-~ r~o!t, que par leur participation! l'Un esseI].~~llement simple; et si cette empreinte d'unité que portent. les choses venait à

( disparaître, les choses elles-mêmes s'anéantiraient: tant est puissante\[uni® . •.

Dieu est force, d'abord parce que éternellement il possède en 'L l~i toute pù'issance à un éminent degré; ensuite parce qu'il a produit et qu'il maintient toutes choses. Ainsi il dépasse toute force soit réelle, soit imaginable. On ne peut ni exprimer, ni' connaître la vigueur extraordinaire de cette puissance qui

'conserverait encore toute sa fécondité et toute son énergiè, lors même qu'elle se serait exercée de mille manières à la produc­

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H I~TRODUCTroN XCVII

tion de mondes infinis. Tout ce qui existe vient de lui; même le possible a sa raison en lui. Sa force éclate en ce qu'il étreint et 'protège toutes choses par une sorte d'inexprimable embras­sement: il tempère et harmonise entre eux les éléments; par lui persiste l'union de l'âme et du corps, et les purs esprits lui doivent leur permanente immortalité. Il commande aux mondes et les gouverne avec une pleine et forte indépendance; et' toutes choses subissent son joug; et convcrgent vers lui par

, une naturelle inclination. . 3)': Dieu est beauté; et par là il faut· entendrequïl est l'illtelli­. gence et la sagesse qui découvrent; disposent et détermincnt la

firi et les moyens; qu'il est l'harmonie de ces combinaisons diverses, et le charme de cette harmonie. Ainsi Dieu sait tout, et rien n'échappe à son (l'il vigilant. L'entendement divin pénètre toutes choses par une vue transcendante; il n'étudie pas les êtres dans les êtres eux-mêmes; mais de sa "ertu propre, en lui et par lui-même, il possède et contient par anticipation ndée, la science et la substance de toutes choses. Il ne les contemple pas dans leur forme particulière; mais il les voit et les pénètre dans leur cause qu'il comprend tout entière. Puis donc qu'elle se connait, la di vine sagesse connait tout; elle conçoit immatériellement les choses mat~rielles, indi visible­ment les choses divisibles, la diversité avec simplicité, et la pluralité avec unité. Dieu n'a donc plis une coimaissance parti ­culière par laquelle il se comprend et une autl'e connaissance par laquelle il comprend gér.léralement le reste des êtl'es; mais,~

cause universelle, dès qu'il se connait, il ne saurait rien ignorer de ce qu'il produit. Telle est donc la plénitude de la di vine sagesse. J::,t cet ordre, cette harmonie de vues, c'est la beauté, qui se reflète ensuite dans les créatures,selon le degré de leur capacité, ~t en des formes diverses. Dieu,est donc beauté absolue, surémi­n~nte, radicalement immuable, qui ne saurait commencer, ni finir, ni augmenter, ni décroit're; une beauté, où nulle laideur 'p.e se mêle, qU,e, nulle altération n'atteint, parfaite sous tous les !l~pects, pour t?U~ lès pays, aux yeux de tous les hqmmes. Dieu

4

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:J~

xcvm INTRODUCTION

est beau, parce què de lui-même, et en son essence, il a une beauté qui ne résulte pas de la variété; parce qu'il possède excel­lemment, et antérieurement à tout, le fonds inépuisable d'où émane tout ce qui est beau. Et effectivement, les choses créées ne sont belles, que parce que le beau qui les a produites a imprimé sur elles ses radieux vestiges; et c'est lui qui crée eri elles l'harmonie des proportions et les charmes éblouissants, qui leur verse à flots lumineux les émanations de sa beauté féconde et originale.

/., ) Dieu est bonté; la bonté est son essence. Comme le soleil,' pa"r le fait seul de son apparition, éclaire toutes choses, autant que leur organisation le comporte; de même la bonté résulte nécessairement de la nature divine, ou plutôt, c'est cette nature. elle-même. Par la bonté sont produits et subsistent tout être, toute faculté et toute perfection: les esprits angéliques avec leur glorieuse immortalité; les âmes avec la prérogative de leur raison et les richesses de la vertu; le reste des créatures enfin avec les propriétés qui les caractérisent. Après les avoir créés, la bonté maintient et perfectionne les êtres, dont elle est la mesure, la durée, le nombre, l'harmonie et Je lien pUIssant. Comme elle est cause et providence, la bonté di vine est aussi fin dernière; elle appelle en son sein, par un mystérieux attrait, toute la foule des êtres, qui sont, pour ainsi dire, à un état de dispersion; et tout ce qu'elle frappe de ses' rayons vivaIlts, la désire et se précipite vers elle: les purs esprits et les âmes par l'intelligence, les animaux par la sensibilité, les plantes par ee mouvement végétatif, qui est comme un désir de vivre, les choses sans vie et douées de la simple existence, par leur apti­tude à entrer en participation de l'être. Tel est l'amour divin: il a sa source dans le cœur de Dieu qui s;aime d'une inexpri- . mable sorte. Telle est la charité, suave écoulement de l'unité, force simple, spontanée, qui établit l'union et l'harmonie entre toutes choses, depuis le souverain bien, d'où elle emane, 'jusqu'à la dernière des créatures; et de là remonte par la même route à son point de départ, accomplissant d'elle-même, en elle-même

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3~

INTRODUCTION XCIX

et sur elle-même une révolution invariable, un cercle éternel, dont elle est à la fois le plan, le centri'l, le rayon vecteur et la circonférence, et qu'elle décrit sans sortir d'elle-même, et en revenant au point qu'elle n'a pas quitté.

L'amour, la beauté, la force réunies dans l'unité; voilà la perfection. Aussi Dieu est-il parfait, d'abord parce qu'il possède essentiellement la perfection, et qu'il trouve en lui et par sa nature propre sa forme immuable, et que tous ses attributs sont absolùment parfaits; ensuite parce que sa perfection dépasse celle de tous les êtres, et que tout ce qu'on nomme infini trouve en lui sa limite, et qu'il s'étend à tout et au-delà de tout par ses inépuisables bienfaits et ses opérations incessantes. Voilà la perfection divine: sous quelque aspect qu'on la considère, et, par suite de quelque nom qu'on la désigne, on doit l'affirmer de Dieu à un double titre, et parce qu'il la possède éternellement et éminemment, et parce qu'il l'a communiquée aux créatures.

Mais Dieu existe en trois personnes qui possèdent avec des 'distinctions relatives une même et indivisible substance. C'est 'pourquoi', après avoir nommé et décrit l'unité de la nature divine, il faut nommer et expliquer la trinité des personnes. Or 'il n'est pas douteux que dans le livre des Institutions théolo­giques, saint Denys n'ait revêtu des formes de sa philosophie ce dogme dont il traitait spécialement. Mais il ne nous reste de lui que quelques lignes où il rappelle les principales affirmations de la doctrine catholique sur ce point. . : ,n n'y a qu'un seul Dieu Père, un seul Seigneur Jésus-Christ, ln?- seul et même Esprit-Saint dans la simplicité ineffable li'une même unité. Ce qu'il y a de commun entre les trois personnes, c'est la vi~, l'essence, la divinité; ce qu'il y a de distinct, c'est ~e nom ,et la personne du Père, du Fils et du Saint-Esprit, 'tellemimt qu'on ne saurait faire, dans le premier cas, des affir­

. ~ations p~rticulières et exclusive's; ni, dans le second cas, des af~rmations réciproques et absolument générales. Le Père est la source de la divinité rle Fils et le Saint-Esprit sont, pour parler' de:là sorte, les frultsfueJ;veilleux de sa -fécondité, les

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c J.~TI\ODUCTIO:'i

fleurs et l'éclat de cette riche nature. Il y a. donc en Dieu distinction et pluralité dans les personnes, et unité, identité dans l'essence.

De là un peut et on doit conclure que tous les attributs essen­tiels, les propriétés absolues de la divinité, et, de plus, les œuvres extérielll'cs qu"eUe produit, sauf l'Incarnation,appar­tiennent sans distinction et au même litre, aux trois adorables personnes. Ainsi la Trinité a tout produit, tout ordonué; en elle tout subsiste ct se maintient; tout reroit d'elle son complément, et tout se dirioe vers elle. Et il n"est pas un seul être qui ne doive ce qu"il est, et sa perfection et sa permanence, à celle unité transcendante que nous reconnaissons en la Trinité. On doit donc louer la Trinité et l'Unité céleste; comme le principe unique, indi visible des choses, qui précède toute singularité ct pluralité, toute partie et totali té, toute limite et immensité; qui, sans altération de son unité, produit et constitue tous les êtres. Et ce qui a été dit plus haut de la nature divine en général est parfai­tement applicable à cette Trinité et unité: nous ne pouvons ni la comprendre, ni la décrire. Car il n'est ni trinité, ni unité; il n'est ni singularité, ni pluralité, ni nombre; il n"est ni existence, ni' chose connue qui puisse nous dévoiler l'essence divine, si excellemment élevée par-dessus tout.

Ainsi il la Trinité tout entière appartient la bonté, essentiel attribut de la divinité, l'être, la vie, la domination. Cal' ce que le Père possède, le Fils en hérite; ce que le Père et le Fils possèdent, le Saint-Esprit le reçoit. En elfet, tout ce qui est au Père, est également au Fils; et ce qui lui est commun avec le Père, comme d'opérer des œuvres diYines, de recevoir un cult~

religieux, d'être féconde et inépuisable causalité, et de distribuer les dons de la grâce, le Fils le transmet et le communique au Saint-Esprit dans une union substantielle. Mais cette intime et p.arfaite communion. des trois Personnes entre elles suppose, c~

qui est vrai, que les trois adorables Personnes habitent persévé~

;...~ .. ;; rammentl'une dans liautre, tellement q\1.e la plus stricte unit~

s.ubsiste avec. la distinction la. plus réelle. C'est ainsi que dans un

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10 INTRODUCTION CI

appartement éclairé de plusieurs flambeaux, les diverses lumières s'allient, et sont toutes en toutes, sans néanmoins confondre ni 'perdre leur existence propre et individuelle, unies avec distinc­tion, et distinctes dans l'unité. Effectivement, de l'éclat projeté par chacun de ses flambeaux, nous voyons se former un seul et total éclat, une même et indi visée splendeur, et personne ne pourrait, dans l'air qui reçoit tous ces feux, discerner la lumière' de tel flambeau d'avec la. lumière de tel autre flambeau, ni voir celle-ci sans celle-là, toutes se trouvant réunies, quoique non mélangées, en un commun faisceau. Si l'on vient à enlever de l'appartement une de ces lampes, l'éclat qu'elle répandait &ortira en même temps: mais elle n'emportera rien de la lumière des autres, comme elle ne leur laissera rien de la sienne propre; car l'alliance de tous ces rayons était intime et parfaite, mais elle n'impliquait ni altération, ni confusion. Or, si ce phénomène s'observe dans l'air, qui est une su1Jstance grossiè re, el. à l'occa­sion d'un feu tout matériel, que sera-ce de l'union divine, si infi­niment supérieure à toute union qui s'accomplit non seulement entre les corps, mais encore entre les âmes et les purs esprits!

Pour les attributs relatifs, ils sont propres à chaque personne, et lui doivent être exclusivement réservés. Ainsi dans la' géné­ration éternelle, toutes choses ne sont nullement réciproques: le Père seul est source substantielle de la di vinité; et le Père n'est pas le Fils, et le Fils n'est pas le Père. Également, quand il est question du salut qui 'flOUS fut accordé par la di vine misé­ricorde, il y a lieu à distinction: car c'est le Verbe sur-essentiel, qui seul a pris vérita1Jlement notre natu~e en tout ce qui la constitue; qui seul a opéré et souffert les choses que Dieu opéra et souffrit par cette sainte humanité. Ni le Père, ni le Saint· Esprit n'eurent part en ce mystérieux abaisse men t, si ce n'est qu'on veuille dire que pourtant ils n'y furent point étrangers,. à raison du pardon plein d'amour qui nous fut octroyé, à raison encore de la valeur surhumaine et ineffable des actes que produisit par son humanité celui qui est un seul et même Dieu avec le Père et le Saint-Esprit"

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1.:> _ I~TRODUCTION~

~.-=-

-- Telle est la Théodicée de saint Denys. 'Si l'on veulvoi... comment le christianisme donne à la pensée humaine sécurité;' élévation et justesse, que ron compare les notions pures, splen­dides, positi l'es que nous venons d'exposer, al'ec res affirma­tions douteuses, incohérentes, contradictoires de Philon, d'Al'is­tote et des philosophes alexandrins, tous pri l'és de la rérélatlon' chrétienne; les uns parce qu'ils la précédèrent, le~ au~res' parce. qu'ils ne voulurent pas l'accepter. Je choisis et je râppelle les, d,eux plus beaux noms de la sage~se antique, afin de mieux mettre en lumière l'impuissance du génie humain daM les questions les plus vitales; je choi~is et je rappelle les philo~

sophes alexandrins, parce que. leur doctrine a un air' de, parenté avec celle de ~aint Denys, et qu'ainsi sera rendue plus 5enslbl.e la différence qu'établit entre des théories analogues une docile soumission aux tutélaires enseignements de la foi. ; , Certainement Platon a écrit sur Dieu des lignes admirables,

qUe, les Père5 ont citées avec éloge, et que les siècles réalisent encore,' comme pour se consoler des erreurs du génie humain durant l'ère misérable du paganisme. La grave raison d'A rislote, si calme ordinairement et si didactique,' s'élève jusqu'ù l'élo­quence, lorsqu'elle invoque le témoignage du monde entier pour établir l'existence de.l:Être absolu. M~is pourquoi faut-il que· ces puissants espri'ts n'aient marché qu'en .chancelant dans ·le ' chemin de la vérité, et qu'ils n'aient pas su discemer'le mim­songe des opinions humaines d'avec la l'orx pure des traditions primitives? Car le premier a détruit la vraie notion de ladi.vinité;: en admettant d'abord des idées absolues, substantielles, inde-. pendantes de Dieu, puis une matière nécessaire, éternelle, et· qui échappe ainsi à toute action divine. Le second, moins irré­prochable encore que son maîti'e, fait à Dieu je ne sais quelle activité solitaire et égoïste qui met en mouvement un monde. qu'elle n'a pas produit, qu'elle régit sans le .connaître, et Sur . lequel pèse ainsi la loi' d'une aveugle et invincible fatalité.

Quant au dogme de la Trinité qui co~plète la notion catho-; lique de Dieu, Aristote n'a pas un seul mot qui semble y fatre')

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1°]INTRODUCTION -cm

même une lointaine et obscure allusion. C'est gratuitement aussi, selon nous, qu'on prétendrait qu'à la lueur de l'enseignement traditionnel, Platon aurait entrevu le mystère capital de notre foi: l'incertitude des commentateurs qui sont loin de s'accorder sur l'essence et la constitution intime de la trinité platonique, la discussion des textes qu'on allègue, ne permettent guère de penser que le philosophe athénien ait été mieux instruit sur ce point important que tous ses contemporains.

Ensuite les philosophes alexandrins, qui s'agitaient dans l'indé­pendance de leur raison, pour créer un système de doctrines qui pût être opposé au symbole chrétien, et commander l'assen­timent de l'univers, ont-ils obtenu plus de succès? Les con­quêtes scientifiques qu'ils ont faites doivent-elles inspirer aux hommes de foi, et à saint Denys en particulier, le regret de n'avoir exercé leur activité intellectuelle que dans les limites de la croyance catholique? Il ne paraît pas. La théorie des attri­buts divins, telle qu'on peut la déduire des Ennéades de Plotin et des écrits de Proclus, les deux plus illustres représentants de récole d'Alexandrie, est-elle plus élevée, plus pure, plus com­plète que celle....de saint Denys? Cette unfté primordiale, source etterme de toute réalité,'ll'est-elle pas trop semblable, dans l'éternelle inertie qu'on lui prête, au Saturne enchaîné de la mythologie grecque, ~u Brahm des Iodous, au Bythos des Gnos­tiques? Qu'est-ce que cette triade imaginée pour faire concur­rence Il la Trinité chrétienne, et dont les éléments ne furent jamais assignés et reconnus d'un commun accord, A1cinoüs, Numénius et Plotin ayant fourni chacun des indications di verses? Est-ce autre chose qu'une reproduction de la doctrine 'orientale des émanatio~s, et qui implique, par conséquence ultérieure, ou bien la pluralité de dieux inégaux, ou bien la multiplicité des formes purement nominales d'une seule et même substance?

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.ClV INTItODUCTION

1I. De l'ol'igine des choses.

La question ùe l'origine des choses appelle et défie à la fois la curiosité de lïntelligence humaine. D'où vient la matière '! comment est-elle l'œuvre de Dieu immatériel '! La simplicité est­·elle la raison formelle et la cause du niulLiple? Y a-t-il quelque chose de réel sous tous ces phénomènes que nous voyons? Ces degrés d'être qui constituent, distinguent et classent hiérarchi­quement les choses diverses que présente le monde, comment sont-ils hors de Dieu, qui est l'infinité, l'immensité? ou, s'ils sont en lui, c01.!1EIent ne sont-ils pas lui? Dans nos conceptions,

:.le sujet et l'objet:-:ne sont-ils pas une dualité imaginaire et une 'imîliCréelle, un'e parfaite identité? l'un seulement est-il réel, et l'autre fantastique, et alors lequel des deux n'est qu'une ombre'! .Toutes questions que l'homme a le besoin profondément senti d'étudier, et dont la véritable solution peut être clairement .connue, mais non pas pleineme'nt comprise.

Il n'y a pas de philosophe de quelque renom, qui n'ait sondé .ces difficiles secrets, et cherché labodeusement l'explication de ce grand mystère: mais ùe tous ceux qui n'ont pas connu, ou qui n'ont pas accepté le dogme catholique de la création, pas

-un seul n'a fourni une théorie raisonnable de l'origine des choses; c'est pourquoi en ce point, comme en beaucoup d'autres, la raison humaine s'est précipitée dans de graves erreurs, faut­

.il dire dans de nombreu,;es extra \'aganees? Mais quoi qu'on puisse faire une longue histoire.de ces travaux malheureux, on

~i~

peut aussi les résumer en quelques courtes formules. En effet, ou bien Dieu et le 'monde sont une seule et même

~ .' .chose, deux faces distinctes d'un même objet, et alors le pan­.'. théisme rêgne; ou bien Dieu et le monde sont deux réalités,

"'1.­i. non seulement distinctes, mais encore séparées essen~iellement,

et alors reparaît une double hypothèse: car ces deux réalités se

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conçoivent ou comme parallèles, indépendantes, et c'est le dualisme;

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absolues, réciproquement ou comme soutenant des

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10';)­INTRODUCTION cv'

rapporls mutuels de supériorité d'une parl et de dépendance de' l'aulre et c'est ce,. qu'affirme le dogme chrétien. Ainsi, pan­théisme et dualisme, ces deux mots expriment toutes les erreurs' connues et possibles touchant l'origine des choses. Chacune' d'elles ensuite se teint pOUl' ainsi dire de la couleur propre du syslème entier dont elle fait partie.

Saint Denys ne se propose pas de réfuter positivement ces assertions impies. Son but n'est pas de détruire, mais d'édifier;' car, comme il le dit lui-même, il n'y a qu'un difficile et ingrat' labeur il. démonéliser l'une après l'autre toutes les opinions que produit l'esprit humain, et il vaut mieux élablir directement la vérilé, qui alors trouvera dans sa force le principe d'un total triomphe et dans sa permanence la réfutation de ses contradic­teurs. C'est pourquoi il enseigne que les choses ont pris naissance et sont venue~ par création, et de la sorte se trouve combattu" le dualisme qui admet l'éternit~ de la matière. Et parce que' les panlhéisles reçoivent. le mot de création, sauf il. y ratlacher l'idée d'émanation, saint Denys enseigne que les choses onl une existence différente de celle de Dieu ct une tout aulre substance.

Voici donc, touchant la création, l'ensemble des conceptions de saint Denys. On y distinguera le dogme chrétien dans toute sa pUl'elé, puis des explications scientifiques qui sont du' domaine de l'opinion. Je rapprocherai de sa théologi e et de sa philosophie les doctrines auxquelles il fait allusion, ou bien qui se trouvent implicitement condam~ées par ses aft1rmations, afin que les unes et les autres puissent être mieux saisies et plus fucilemen t appréciées. ,

i 0 Tout vient de Dieu, et les substances et, leurs qualités, soit essentielles, soit accidentelles, et leur, être et leur perfection. Telle es~ l'origine des purs esprits auxquels il est donné de sai- ' sir par intuition directe le~ vérités dont ils se nourrissent; telle est l'origine des hommes, âmes attachées il. des'corps, et' qui, par suite" ont une vic complexe et des moyeris multiples de la maintenir et de la mener à. sa fin; telle est l'origine du reste des êtres doués de sensibilité, d'organisation ou de simple exis~'

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'" C.CVl INTRODUCTION

tence. La grâce qui déifie les natures intelligentes, la force de connaître et d'aimer qui les caractérise essentiellement, la vie animale des brutes, le mouvement végétatif des plantes, la marche régulière et harmonique de tous les mondes ont en Dieu même leur point de départ. De là encore, les c1lOses tiennent leur mesure, soit dans l'être, soit dans le temps, soit dans l'espace: sous quelque forme enfin que le réel apparais~e, de quelque nom qu'on le désigne, tout ce que possèdent les créa­tures, tout ce qui les constitue, tro~ve en Dieu sa source féconde.

Cette affirmation est un point de croyance catholique. La phi­losophie ancienne, transfuge des traditions primitives, et se con­fiant en la seule raison, a constamment professé une doctrine opposée; ses plus nobles représentants, Aristote et Platon, admettaient l'éternité du monde. Le panthéisme de tous les temps peut dire sans se compromettre, et dit èn effet comme' nous, que tout vient de Dieu; mais il se,réserve d'expliquer à sa façon comment il conçoit le mode de cette procession mysté-·

'" rieuse. C'est ce qu'on verra plus loin. . L:-' 2° Les choses viennent de Dieu par voie de création.

On conçoit qu'une chose puisse sortir d'une autre en plusieurs sortes: d'abord par procession, la substance ne se divisant pas, ne se déchirant pas, mais se distinguant seulement en person­nalités multiples; puis par émanation ou évolution, la forcé féconde se dédoublant, pour ainsi dire, et plaçant en dehors d'elle des réalités semblables, mais non pas consubstantielles, ou produisant de simples modifications dont elle est le principe et le sujet; enfin par création, l'existence suprême donnant une forme, un vêtement extérieur à des êtres finis, imparfaits, rela­tifs, dont elle est la cause libre, la raison éternelle et la fin absolue. C'est en la première façon que s'accomplit sans cesse

,.. le mystère ineffable par lequel les trois Personnes de la Trinité habitent l'une dans l'autre, se pénétrant intimement, unies par la substance, distinctes' par les relations. C'est en la seconde manière que les panthéistes exposent leur doctrine sur l'origine

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des choses, admettant, soit dès' émanations substantielles, soit de pures modifications. C'est en la troisième sorte que se conçoit

, le dogme chrétien de la créatioll et qu'il faut l'expliquer.. , Tout ce qui existe se conçoit comme possible préalablement à

soU existence; comme ayant une raison d'être réalité véritable plutôt que simple possibilité; camme passant en acte et se pro­duisant au rang. des choses. La création n'existe donc que parce qu'elle a un type sur lequel elle a été modelée; que parce qu'il y a un motif déterminant de son existence; que parce qu'il y a une force qui ra produite. ' . La 'création, avant d'apparaître, avait éternellement en Dieu son type,' son exemplaire. L'exemplaire des choses, c'est le concept que Dieu en a; car il voit dans sa riche unité, dans sa simplicité indivisible, qu'il peut produire la distinction, la mul­tiplicité. En contemplant ainsi les possibles sous leurs limites na'tutelles et avec leur essence respective, Dieu contemple égale­ment la raison de produire les uns et de ne pas produire les autres. Ces concepts des choses, ces raisons de les créer; sont donc nommés exemplaires, types', idées; idées, t)'pes, exem­plaires, raisons vivantes, substantielles, immuables, incréées, éternelles, qui ne sont autre chose que l'essence de Dieu et ne s'en peuvent distinguer. C'est p~urquoi, envisagées ainsi et dans leurs exemplaires, les choses sont Dieu en Dieu, Deus in De(},. C'jist de la sorte que le comprirent aussi plus tard Clément d'Alexandrie, saint Augustin, Boëce .et la plupart des Pères et des docteurs' de l'Église. Cette explication était empruntée au platonisme., mais purifiée par la foi catholique; car, pour les platoniciens, les idées étaient fOTIÇles improduites, éternelles, et. ceci n'est point faux; mais, de plus, et cela rie peut être admis, les idées, pour eux,' étaient formes douées de valeur prQpre et de subsistance indépendante; elles résidaient en Diim, mais n'étaient pas Dieu;. comme Dieu d'une part,. et la matière de l'autre, elles étaient un des trois principes de l'existence.

f.ll création a une cause déterminante, c~est la: bonté. Dieu est bon par essence. Sa bonté est infinie en soi;. elle rayonne dans

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l'ètre qu'elle daigne produire et dans le néant qu'elle couvre de sa fécondité puissante; elle réalise les possibles; elle a créé le monde. Ainsi le monde ne vient pas de Dieu comme un éclair sort fatalement d'un nuage ou comme une fieur de sa tige, ainsi qu'a rèvé l'Orient; le monde n'est pas ulle forme de Dieu devenant l'objet de sa propre contemplation et acquérant conscience de lui-même, comme dit la philosophie allemande; le monde n'est pas le résultat éternel d'une causalité absolue, eause parce qu'elle est substance, et ne pouvant pas plus s'empêcher d'être l'une que l'autre, comme on s'est exprimé en France. Le monde est tout simplement le produit contingent d'une activité éternelle, essentielle, mais parfaite et heureuse, et s'exerçant librement et avec une pleine indépendance en dehors d'elle-même.

Ces idées, ces types, qui sont l'objet des concepts divins, et que la bonté veut réaliser en dehors d'elle, la puissance leur donne un vêtement, une forme, des limites; elle les individualise. Car 1 en Dieu la force, comme l'intelligence et l'amour, ne reconnaît .tpas de limites. Si la distinction et la multipÜcité n'étaient pas .,

i Jchoses possibles, l'intelligence divine ne les concevrait pas. Puis­

qu'elles sont choses intrinsèquement possibles, Dieu peut les réaliser; autrement, il n'aurait qu'une force bornée et restreinte, Dieu peut donc créer.

Mais comment ces raisons exemplaires qui sont Dieu en Dieu deviennent-elles, en prenant forme et individualité, créatures hors de Dieu? C'est une question évidemment insoluble. La création se conçoit comme un rapport institué entre l'infini et le fini. Or, les rapports étant fondés sur la nature et les Jpropriétés des deux termes, il s'ensuit que les rapports ne seront jamais connus qu'au degré même où sont 'connues les natures mises en regard. Puisque l'infini dépassera toujours le fini, il implique que la création n'offre pour l'homme aucun mystère. . Toutefois voici comment on pourrait se représenter l'apparition' des êtres individuels.

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Iv!]IXTRODLCTION C1X

Entre eux ct le Créateur, il y a des réalités qui participent de Dieu, et sont participées par chaque créature: c'est pour cela qu'on les nomme participations.

En soi, ùans son fond intime, en tant qu'infinie, l'essence de Dieu est incommunicable, c'est-à-dire qu'elle ne peut devenir commune à aucun être. En d'autres termes, les créatures ne participent point de Dieu, 'comme les espèces participent dù genre, ni en ce sens qu'elles auraient avec lui une existence confondue, et par suite indiscernable et identique. Mais les créatures participent de Dieu, comme un effet participe de sa cause.

Cela étant, les participations se conçoivent comme propriétés ou vertus di vines, qui resplendissent dans la création; elles se conçoivent comme un miroir à double face, qui d'un côté reçoit le rayonnement des perfections infinies, et de l'autre les réfiéchit., et en fixe l'empreinte sur les êtres individuels, II suit de là que les participations soutiennent deux rapports: l'un avec Dieu qui les a produites, l'autre avec les êtres individuels dont elles sont l'essence. .

En conséquence, les créatures individùelles sont des formes temporaires et finies sous lesquelles subsistent et vivent, comme principes constitutifs, les participations ou propriétés di vines participées. Les créatures troùvent dans ces participations l'essence qui les fait ce qu'elles sont, les qualités qui les dis­tinguent, l'espèce et le genre auxquels elles se rapportent, le rang qu'elles occupent dans l'ordre universel. L'inégale Qature des êtres est déterminée par l'inégale répartition de ces partici­pations vivantes.

En résumé, le moment solennel où les propriétés divines, qui de toute éternité brillent au dedans d'elles-mêmes d'un éclat uniforme, immense, inamissible, laissèrent échapper en dehors. d'elles les lueurs multiples, bornées et contingentes, reflets lointains du soleil éternel, ce moment-là fu~ celui de la créat.ion.· L'acte par lequel se produisirent dans le temps et dans l'espace c'es lueurs qui sont la réalité, la dignité.et la bonté des êtres, et.

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1Î') ex INTRODUCTION

qui rayonnent du plus haut sommet jusqu'au plus humble degré de l'univers, cet acte fut celui de la création. Ces réalités qui sont venues du sein de la seule réalité parîaite, et que l'homme admire sous les noms et les formes multiples d'intelligences célestes, d'Ames raisonnables, de cieux et d'astres élincelants, de force, de vie et de beauté, ces réalités imparfaites sont l'œuvre de la création.

3° Tout subsiste en Dieu. Il conserve les choses, comme HIes a Créées; la même force qui les a posées dans l'existence les y maintient; et si Dieu retirait sa main, base puissante qui porte l'édifice de la création, à l'instant les êtres s'évanouiraient dans le néant d'où ils avaient été tirés. Dieu les maintient donc dans l'état et dàns le rang qu'il leur assigne au moment de leur apparition. Chaque chose subsiste', opère et vit par les facultés dont elle est naturellement pourl"lie; elle entre dans l'harmonie générale, ef exécute sa partie dans l'universel conèert de la création. Le principe et le régulateur de ce vaste mouvement, la vie de ces vies multiples, la force de toules ces forces, c'est Dieu, qui soutient et régit les existences d'une manière ana­10gue à leur constitution respective, altirant avec suavité et douceur les êtres libres, déterminant avec souveraine intelli­gence les mouvements avèugles des êtres matériels, ou privés de spontanéité.

Mais quoiqu'elles subsistent en Dieu, qu'elles y vivent, et qu'elles s'y meuvent, les choses ne sont pas confondues en. lui, ni avec lui; elles en sont substantiellement dislinctes, et même séparées; elles conserverit l'existence propre, individuelle, spé­ciale que le Créa~eur leur a départie. A la vérité, Dieu se les rat­tache par une inexprimable étreinte; sa providence, dans une sorte de mystérieux embrassement, les couvre et les protège; mais il est parfaitement indépendant d'elles, et, par la plénitude et l'excellence. de son être, il se. crée comme une solitude Iluguste, inaccessible, où il vit d'une incommwlicable vie. En un' mot, la conservation des êtres n'étant autre chose qu'une création contiilUée, il n'y a pas plus de 'confusion et d'identité

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/II INTRODUCTION _cu

~Dtre les -mondes et Dien qui les conserve, qu'entre les mondes et Dieu qui les produit.

40 Conséquences qui résultent de ces affirmations pour le langage théologique. Les paroles sont l'image des pensées; mais les images ne sont pas des identités, et par suite elles ne repro­duisent pas l'intime réalité des choses. Les pensées il leur tour n'ont que la largeur et la puissance de l'esprit qui les conçoit; et parce que l'esprit humain est frèle et borné, nos pensées ne peuvent qu'ètre débiles et imparfaites. Ainsi, ni nous ne saurions comprendre Dien et ses actes, ni nous ne saurionS exprimer dignement le peu que nous en savons: nos paroles trahissent notre intelligence, comme notre intelligence elle­même est au-dessous de la vérité. Cela serait vrai, alors même qUe notre science serait intuitive; c'est bien plus vrai puisque notre science est expérimentale; car les choses illYisibles de Dieu sont devenues intelligibles à l'homme par le spectacle de la création. Dieu ne nous est donc connu que par ses Œuvres soit naturelles, soit surnaturelles. Or, parce que l'artisan pos­sède sans doute ce qu'il a mis dans les merveilles de son art, on peut affirmer de celui-là les perfections qui resplendissent en celui-ci. Mais parce que les beautés que présentent les miracles de l'art sont chez l'artisan sous une forme plus excel­lente- et plus pure, on peut nier en un certain sens de celui-ci ce qu'on affirme de celui-là. C'est pourquoi Dieu étant le créa­teur de tout, - nons lui appliquons sans crainte les noms de toutes les réalités connues; puis, réfléchissant que son excellence dépasse to_ute perfection, nous refusons de le désigner par les choses même les plus sublimes que l'on sache.

Il y a donc deux théologies, on manières de s'exprimer tou­channes attributs divins: l'une affirmative, l'autre négative. La première, comme le mot l'indique, consiste à tout affirmer de

. Dieu: la secon de consiste précisément à tout nier de Dieu. L'une et l'autre théologie sont justes. D'abord on peut tout

affirmer de Dieu, parce que, dès l'éternité, il possède en soi d'une manière suréminente toutes les perfections; ensuite parce

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que c'est lui qui a répandu sur les créatures tout ce que nous leur voyons de bon et de beau. Ainsi il est éternité, inte11igence et vie; il est force, lumière et amour; il est gloire, félicité et justice; il est cause, moyen et fin de toutes choses; il est la raison et la mesure des êtres. Et quoiqu'on s'abstienne de lui appliquer certains noms, à cause de l'idée d'imperfection .qu'ils emportent, cepeudant parce que les exemplaires et prototypes des choses sont en lui, on peut dire que les choses e11es-mêmes sont en lui, non pas forme11ement et substantiellement, mais bien d'une façon suréminente et supl·à-substantiel/e. C'est d'après cette explication, et dans ce sens, que saint Denys affirme que Dieu est tout en tous.

D'un autre côté, on peut véritablement tout nier de Dieu;, car il estsi excellemment au-dessus de tout ce que nous cOilnais­sons, qu'il semble inconvenant de lui appliquer les noms des choses créées. Ainsi l'on dira sans erreur que Dieu n 'est ni connu ni compris; qu'il n'a ni figure, ni forme; quïlu'est ni substance, ni vie, ni lumière, ni sentiment, ni sagesse; ni bonté. Car les mots, en tant qu'expressions de nos concepts, subjectivement considérés, ne représentent que des objets limités et circons­crit", et par suite ils vont mal à la réalité infinie. C'est pourquoi la négatiOn appliquée à Dieu n'est pas repoussante, comme on serait tenté de le croire au premier coup d'œil, et d'apr'~s les règles ordinaires du langage; car ici elle n'implique pas le néant, et ne désigne pas la privation, mais elle exclut toute horne, et se comprend dans un sens transcendantal. '

De ces principes résultent plusieurs conséqu~nces. I)"abortlles aml'maLions et les négations précitées ne sont pas contradic­toires; e11es frappent, il est vrai, le même sujet; mnis non pas sous le mème rapport; elles peuvent donc être employées au sens qu'on vient de dire. Ensuite les négations ('Ifrent une plus sublime idée que les afl1rmations; cal' celles-ci posent des limites que celles-là font disparaître, et le philosophe calholirrue s'élève mieux à la pureté de l'Être dil'in par abstraclion lolale, que par posili l'e 'conception. Enfin, ni les négations ne sont

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JI] I~TRODUCTION CXIlI

iJllpies, ni les affirmations panthéisliques: car les premières si"nifient simplement que nos concepts, si on les re~arde

co"mme subjectifs, ou bien encore comme représentant ce qui se lrouve dans les créatures, sont inexacts, quand on les applique au Créateur, au point qu'il est permis de s'exprimer ainsi: Dieu n'est pas bon, c'est-ft-dire, Dieu n'a pas la bonté teUe que nous la concevons, ou telle que la possèdent les êtres contingents. Les secondes au contraire protestent que nos concepts, si on les considère o·bjectivement, et dans la réalité qu'ils représentent, sont d'une parfaite et transcendante vérité, au point qu'on pourrait ·s'exprimer de la sorte: Dieu est, et Dieu est seul, et Dieu est tout, c'est-à-dire, les choses finies ne possédant qu'un être d'emprunt ne méritent pas qu'on leur donne le nom d'être, qui appartient excellemment à Dieu, source profonde, abhne immense, océan infini de l'être. Il est bon d'observer toutefois que ces locutions, qui ne manquent certes pas de justesse et çr~lé­,'ation dans le langage philosophique, et avec les commentaires que leur donne saint Denys, ne doivent pas être employées témé­rairement et sans explication préalable dans le discours ordi­nair!'. Au reste, chacun sait fort bien qu'une proposition, outre le sens grammatical qu'elle a nécessairement, empt'llnte aux affirmations parmi lesquelles on la l'en-contre, un sens accidentel,

. et une valeur logique, et (lue c'est par ce dernier endroit qu'elle doit être définiti,'ement. appr~ciée : c'est un x qui reçoit sa siglli­ncation spéciale, quand on applique la formule aux donllées du problème. Aussi le sens commun innocente et même approuve avec raison en tel livre la parole qu'il flétrit et .condamne avec non moins de raison duns teI autre livre.

. III. De l'odgine du. mal.

. ' Le mal existe: c'est ce dont chacun se plaint.. Toute vie, ·cn· . effet, .semble n'être qu'un inconsolable gémissement et un dou­loureux effort contre des puissances ennemies. Les lumières de nos esprits· ne sont pas_ sans.ténèbres; . la raison .connait Ics.

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angoisses du doute; la volonté a ses chancellements et ses hési­tations, et la conscience ses remords. Nulle félicité n'est abso­lument pure, et le soleil de nos plus beaux jours se prend à verser tout à coup sur nos joies je ne sais quelles teintes mal­heureuses et. sombres. L'univers matériel apparalt lui-même comme le théâtre d'une hostilité flagrante, et l'on dirait que l'ordre général et la vie universelle sont attachés à la persis-· tance de ces rivalités ell'royables. L'air et les flots sont pleins de tempêtes; les [l"Ofolldeurs de la terre recèlent 'la destruc- . tion et la mort qu'elles vomissent de temps en temps parmi d'horribles feux; les saisons sont arméès de rigueurs funestes; la maladie et la guerre fatiguent et ravagent le genre humain, devant qui reste toujours béant l'inévitable abîme du tombeau, 'f

."{Mais autant il est facile de constater l'existence du mal, autant ".r. ,,:;'il est impossible d'en expliquer l'origine, Plus l'on remonte ou 'i{plus on descend dans l'investigation des choses, plus apparaît \~}

l'infirmité de l'esprit humain. n se trouve ébloui ou frappé de :~

vertige; il est également confondu par le spectacle de l'infini­.'~)

?;f ment grand et de l'infiniment petit; et la raison, déconcertée et . ,':t:

vaincue, ne peut assigner, même à la lueur des clartés révélées, :~la limite précise où se rencontrent et se concilient, sans confu­

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j sion ni mélange, Dieu et la création, l'être et le non-ètre, le souverain bien et la possibilité du mal. Nous savons que ces ':••'1 choses sont et coexistent, mais nous ne comprenons pas comment s'établit et persiste leur harmonie. ,~.II,,1

~,Oui, d'où vient le mal? Comment est-il possible? Pourquoi 1ui est-il permis d'exister? Quelle est sa nature précisément et comment rentre-t-il dans le plan général de la création? Sur toutes ces graves questions, la philosophie a fait ses réponses, vain et lamentabl~ résultat de recherches aussi longues que témérairement conduites; car elle a prononcé ou qu'il n'y a pas de mal, parce que tout est Dieu et que Dieu est le bien absolu, ou que le mal est lé produit nécessaire d'un éternel et tout-puissant princ.ipe qui existe parallèlement au principe du bien. Dans l'un et l'autre cas, panthéistes et dualistes arrivent

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· INTRODUCTION

énalement à la négation de toute culpabilité et à l'apo théose du c~ime. L'antiquité adopta ces solutions hideuses et les traduisit dans sa religion et sa vie morale. Du pied de l'autel de ses dieux 5Célérats, elle se lerait pour commetlre en leur nom d'abomi­nables œuvres. " .

Mais 'le christianisme, en réparant notre nature, a donné "" au sens moral des peuples une énergie et une délicatesse qui "rendent désormais impossible le règne de semblables docfrines. fi a jeté parmi les profondeurs de la conscience liumaine des lIunières- vives, efficaces; il a manifesté au monde ce qu'il y a de sainteté et d'amour en Dieu; il a fortifié les courages et multiplié la puissance des remords. Par .ces mystérieu x ensei­nements, nous avons appris que le mal n'est pas une réalité, absolue et objectire, mais qu'il est purement subjectif et ne se trouve que chez l'être contingent; qu'i! résulte d'une activité libre, éclairée sur sa destination, atlirée doucement et non pas soumise à l'empire d'une nécessité invincible. Nous avons appris que, comme l'immensité infinie de l'Être éternel n'exclut pas la possibilité et l'existence des substances créées, ainsi la souve­raineté absolue du bien n'exclut pas la possibilité ni l'existence du mal; et qu'ainsi les créatures sont des substances placées en dehors. de Dieu qui les a produitcS""par amour, et également le ,mal est l'abus réel d'une liberté qui se conçoit comme un bienfait. - Voici comment saint Denys expose philosophiquement ses

doctrines, qui devinrent aussi les doctrines des grands métaphy­siciens du christianisme, et en particulier de saint Augustin, de saint Anselme, de saint Thomas. En principe général, le mal n'est rien de positif, de substantiel; conséquemment, il n'émane pas de Dieu; il n'a pas son origine ni sa raison en Dieu. Le mal a'est qu'une limitation, une privation, une déchéance du bien. Or, cette privation, c'est la borne même et le terme nécessaire de tout ce qui n'est pas infini, et on ne peut la nommer propre­ment un mal. Pour la déchéance,. elle s'accomplit par· l'exercice déréglé de la ;force libre dont sont armées les natures iuteUi­

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gentes: elle est donc le résultat nétrutif d'une acti\'ité faussée: voilà le seul mal qn'il y ait au monde. Ainsi:

10 La pri ration du bien, l'imperfection naturelle, ou, comme on dit dans récole, le mal métaphysique n'est véritablement pas un mal; c'est seulement un moindre bien. Tout ce qui est créé reconnaît des bornes, car il n'est ni éternel ni infini. Ces homes constituentlïmperfection, la privahion: imperfection et primtion qui sont dams la nature des choses, qui se conçoi \"ent positi \"ement, ct qui ne pourraient disparaître sans laisser après elles une con­tradiction flagrante; car il répugne, même dans les termes, que ce qui a commencé soit éternel, et que ce qui a re~u l'ètre le possède en propre. Que l'imperfection et la prr\"ation soient un moindre bien, c'est ce qui demeure évident; car ou il y a imper­fection totale, et alors il ne reste plus rien, pas même le sujet de la privation, et le mal lui-même a disparu a\"ec la substance en laquelle il était possible, ou il n'y a qu'imperfection partielle, et alors il existe quelque chose de bien, ne serait-cc que le sujet de la pl"imtion avec les propriétés qui le constituent nécessai­rement et avec la capacité de recevoir des perfectionnements ultérieurs. Aimi on ne saurait dire qu'il y ait ici aucun mal; il ya seulement un bien qui n'est pas complet et absolu.

20 Le mal physique, c'est-à-dil'e, la variabilité, la produc­tion, le développement, la lutte mutuelle et la destruction des choses matérielles, n'est pas non plus un mal. Ce qui est mau­vais pour une nature particulière, c'est ce qui la combat, l'affai­blit et la dépouille de ses instincts et de ses facultés propres. Mais ce qui la modifie, ce qui la développe et la limite, comme il arrive aux choses qui se produisent par génération, cela n'est point un mal. La nature totale, l'ensemble des mondes étant ,. formé d'êtres divers dont les lois respectives ne sont pas les •l

mêmes, il s'ensuit assurément que ce qui convient à l'un ne con- l vient pas à l'autre. Mais dans cet antagonisme même, dans ce ,E déplacement des forces et des éléments de l'univers, il n'y a qu'une ~~

transformation au bénéfice. de l'ordre général, et ce qui semble périr sous une forme revit en réalité sous une forme nouvelle.

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D'après cela, la fureur et la convoitise des brutes etles autres qualités qu'on nomme ordinairement funestes, parce qu'elles fatj~uenl et brisent d'autres organisations, ne sont point un mal. Ote~ au lion sa force et sa fureur, ce n'est plus un lion; otez au chien sa sagacité à discerner les personnes de la maison pour les accueillir d'avec les étrangers pour les écarter, ce n'est plus un chien, et vous avez privé le monde de deux classes d'êtres qui l'embellissent, le complètent, ct entrent dans l'ordre unirersel pour y remplir d'utiles fonctions, Prenons encore pour exemple la laideur et la maladie, qui sont l'une primtion ct l'auhre désordre, Or, il n'y a pas ici mal absolu, mais seulement moindre bien, puisque si toute beauté, toute forme, toute ordonnance amit disparu, le corps lui-même périmit. Mt'me la perte de la rie n'est pas pOUl' les corps une complète ruine et une entière destruction; car, en se décomposant, ils conservent encore quelques qualités et manières d'être, et les élément.s dont ils <:taient formés retrouvent une place dans la totalité des choses et continuent de subsister, du moins à l'état passif et avec la capacité de recevoir des modifications nouvelles ct Ulle organi­sation ultérieure.

3° Le mal moral, le péché est le seul mal qu'il y ait au monde. ~fais il n'est pas créature de Dieu, et il fîabolit pas, dans les êtres où il se trouve, les propriétés naturelles qui les constituent, et son existence se peut concevoir sous Ull Dieu bon.

D'abord le mal n'est pas créature de Dieu; car Dieu est le bien absolu. Or, comme la lumière ne répand pas les ténèbres, le bi,en ne produit pas le mal. Le mal n'a donc pas d'existence propre, il n'est pas une substance; il n'y a pas de mal objectif. Quamd donc les intelligences trompées et les volontés séduites se décident pour un parti condamnable et choisissent le mal, l'objet préféré ne leur apparaît pas sous la raison du mal, mais sous la raison du bien; car, le mal pur et simple n'existant pas, il n'a un semblant d'existence que par son alliance avec le bien, c'est-à-dire, parce qu'il réside en un sujet qui a quelque chose de bon. Par exemple, l'homme qui se laisse aller à la colère

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eXYlIl L'\TRODUCTlO~

'.,. tient au bien par le fait même de son émotion et par son dé~ir

de redresser et de ramener ce qu'il estime mau rais à un but qui lui sem1Jle louable. De même l'impudique, d'un côté, s'exclut du bien l'al' sa brutale convoitise, et, comme tel, il n'est qu'un non•. être, et les choses qu'il désire sont un non-être; mais, d'autre part, il parlicipe encore .au bien, en ce sens qu'il garde ~ ) reste d'amitié et une certaine manière d'alliance avec ce qui esl. .

)Iais que deviennent les propriétés naturelles des êhres quand " ils ont accompli le mal? Jamais les choses ne se détériorent, ne "1 s.e corrompent, en tant qu'elle~ sont essence et nature; car, s'il·:. en était ainsi, elles cesseraient d'exister, une a1tération qui' frappe l'essence abollssant ce qui existait et produisant ce qui n'exist,lit pas. Jlais, les essences et les natures su!Jsistant, elles. peureut violer les lois par où elles sont régies; alors se trouble et s'afFai!Jlil l'harmonieux accord de lems facultés, et ce désordre. a dans leur conscience un retentissement douloureux, et elles'

?:, continuenl d'ex.ister ùans cet état d'angoisses. Elles. ne sont .,

done pas délmites; mais leur b~en-ètre est anéanH. De la sorle, les esprits sont réputés mauvais, non point à raison de ce qu'ils sont, mais à raison de ce qu'ils.n'ont pas; car une nature bonne leur fut départie, puisqu'ils sont l'œunc d'un principe bon; mais ils peuvent perdre leur excellence originelle, parce qu'ils ne possèdent qu'une connaissance et un amour imparfaits' et faillibles. Hs ne sont donc pas dépouillés de tout bien malgré

1 les fautes qu'ils commettent et la punition qui les atteint; car!. 1 il leur reste l'existence, la rie, l'intelligence et le désir; toutes(

choses bonnes en soi et accordées à la créature dans une bonne intention et pour une bonne fin. lis en ont abusé, en quelquel:

1

manière que ce soit, par excès ou par défaut, et voilà le mal; mais ils n'en sont pas totalement déchus. Bien plus, et voici le malheur, quand le temps de leur épreuve est écoulé, ils jouis­sent toujours de leur activité, mais ne peUYent plus l'exercer

1: l' dans le sens de leur destination primitive. Leurs facultés native~

) persistent, mais égarées et maudites, et eIlés semblent s'appliquer'.1'

à fuir d'une efl:'l:oyable et éternelle fuite le but où elles devaient

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IXTRODUCTIüN cnxIf'ndre ct où elles furent même providentiellement inclinées.

~e mal est donc la transgression de l'ordre établi; c'est une force se déployant à contre-sens; ce n'est pas une conquête rtell e, c'est une pure déchéance et une vanité d'efforts; c'est l'affaiblissement, l'abandon, la ruine de cette énergie intime qui maintenait la créature libre dans les limites du bien.

Enfin, peut-oll concevoir le mal, même subjectif, et comme accident, sous l'empire de la Providence? Sans aucun doute. Et d'abord, il faut rappeler que le mal n'est pas une réalité distincte, et qu'il n'a de subsistance propre en aucun être. Ainsi, le mal n'existant pas sans mélange de bien, tous les sujets dans lesquels il réside ont quelque chose de bOIl, et à ce titre sont l'objet des soins de la Providence divine: car elle embrasse dans sa sollici­tude tout ce qu'elle a produit dans son amour, et tout ce qui est bon à quelque titre vient d'clle. Il y a plus; elle se sert des choses devenues mauvaises pour leur amélioration, ou pour l:utilité générale ou particulière des autres, et elle pounoit il. toutes, comme il convient à leur nature respective. En un mot, la Providence qui gouverne se conçoit logiquement comme pos­térieure à la puissance qui a créé, et à l'intelligence qui a pré­senté les types et raisons des choses. De là vient que Dieu ne violente pas les natures, mais les régit selon les exigences et les besoins dont elles sont essentiellement pourvues. Toujours il verse ses bienfaits avec une libéralité splllndide, mais toujours aussi en des proportions qui conviennent il. chaque être. Il veille sur les créatures libres, sur l'univers entier et sur chacune de ses parties spécialeI!lent, en tenant compte de la spontanéité, de la totalité et des particularités, et selon que les objets sont natu­rellement susceptibles de ses soins pleins de tendresse. Si donc les êtres libres tombent dans le mal, on ne peut l'imputer à la Providence, qui ne doit pas les entraîner forcément à la vertu, puisque leur nature sollicite une législation de liberté, et non pas une tyrannique nécessité; on ne peut l'imputerà la Providence, ~ui prévient d'ailleurs par des grâces suffisantes la détermina­han de ses créatures. Parce que nous sommes libres, nous

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'2."cxx INTHOD{jCTro~

" 1

pouvons méconnaître l'ordre; parce que nous pourons le res­pecter, nous sommes inexcusables de J'enfreindre. Ce n'est poin~

une injustice de nous punir; ce ne fut point un mal de nous armer de la liberté.

En résumé, le mal n'est point un être, et il ne suhsiste propre- . ment en aucun être. Le mal, en tant que mal, n'est nulle part, et, <{uand il se produit, ce n'est pas comme résultat d'une fOl'ce, mais d'une infirmité naturellement inhérente il la créature. pour.

~:

être fondé ù dire que le mal moral ne peut exister sous l'empire .j d'uu Dieu bon, il faudrait, d'après ce qu'on vient de voir, promer ~ que ridée d'une créature libre est répugnante, absurde, el

Il qu'elle ne saurait par là même dorenir l'objet d~un concept divin,

l' En effet, ce que la sagesse infinie conçoit, l'amour peut le rou­loir, ct la puissance l'exécuter; car la raison d'aimer et d'agir sc

l' trouve dans l'intelligence. Mais il est clair par tous les moyens :'}, qui rendent une rérité certaine, évidente, palpable, que les deUIl (: notions de créature ct de liberté ne s'excluent nullement, cl,:"

sont au contraire parfaitement compatibles. Donc Dieu a pu ) créer des êtres libres. Celle liberté des cI'éatures est nécesslil'c­

ment imparfaite; autrement une chose essentiellement finicn

i! IlIl '1 aurait dc:s propriétés infinies, ce qui est absurde. Or, c'est celle li imperfection, ceLLe infirmité qui rend le mal possible. Donc,'

pour détruire la possibilité du mal, il fallait ou bien gomeruer les natures libres par une impulsion fatale ct irrésistible, ou hien' supprimer la classe entière des êtres doués d'inlelligence ct de liberté. Le premier expédient serait une véritable folie; le second est opposé à lïnteIJigence que Dieu a eue du monde, et ù l'amour par lequel il a daigné créer. .

1

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12./ I~THODUCTlO~ CXXI

IV. De la (in des choses, et des moyens qu'elles ont d'y pm've/li)',

Une intelligence a proùuit ct ordonné runÎ\'ers; une intelli­::cnce le conserve et le régit. Dans la création, comme dans le ie gouvernement des choses, cette intelligence laisse <Sc.later Hue merveilleuse sagesse: car des lois constantes ct hm'mo­nieuses règlent la marche des mondes; et, dans leur succession ininterrompue, les êtres semblent former une chaine vivante, dont les anneaux se rattachent, l'un par l'autre, au trone de la fécondité di\'ine. Un éclair de cette sagesse illumine les esprits .créés, dont les libres mOU\'cments sont aussi soumis il des lois sacrées, quoique souvcnt méconnuts, et va se refléter ensuite Jans la constitution des sociétés particulières, et dans la vje totale des peuples, Les cieux cl la terre, le monde intellectuel et le monde sensible proclament donc l'existence ct la gloire de la sagesse éternelle.

Or, la sagesse n'agit pas sans but. Elle apprécie les choses avec exactitude parfaite; elle leur fixe un terme analogue il leur nature respeclive, et les ordonne entre elles par rapport il la tin prévue. Il y eut donc pour la sagesse inl1nie un motif de produire, plutôt que de ne produire pas; de faire les ('lres comme ils sont plutôt qu'autrement. ée motif, celte raison ulté­rieure se nomme la fin des choses.

La fin drs choses ne saurait se trouver ailleurs que dans leur principe. Celui qui produit porte éminemment en lui le type de son œuvre; ce type prèsente il la fois et les faeultés qui cOllsti'­tuent et enrichissent l'objet conçu, et le but auquel ces facultés doivent définitivement conduire. Sans aucun doute, les idées de principe et de fin sont corrélatives et s'impliquent nécessai­rement. On est la fin au même titre qu'on est le principe, Voilà pourquoi l'homme ne trouvant ni en lui, ni en aucune chose finie, son propre principe, ne saurait placer sa fin ni dans les créatures, ni en lui-même. Voilà pourquoi il faut chercher et

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t.t CXXIl INTRODL'CTro~

voir en Dieu seul le terme comme la cause de tout ce qui est. Mais on pourrait concevoir que les êtres fussent. immédiate_

ment, et à l'instant même de leur création, placés dans leur fin, ou bien qu'ils ne dussent y parvenir qu'après des conditions remplies, et à la suite d'une épreuve: c'est ce dernier partage qui leur est échu, Cette épreuve, ils la traversent, armés de facultés qui sont comme un milieu entre ce qu'ils étaient dans leur princip~ et ce qu'ils seront dans leur fin, Puisque ces facultés sont un milieu, un moyen, elles participent de la nature des deux extrèmes qu'elles unissent, et soutiennent un rapport. avec la sagesse d'où elles émanent et avec le but où elles ten. dent. D'une autre part, les ètres étant constitués par la colle~

tian de leurs facultés ou propriétés, tout ce qu'ils possèdent essentiellement, et mème tout ce que les lois phJ'~iques, intel­lectuelles et morales, combinées ensemble, leur permettent d'atteindre et d'employer, tout cela est un moyen; et ils n'ont été faits ce qu'ils sont, que pour devenir ce qu'ils doivent être. Ainsi aux créatures purement matérielles et dépourvues de moralité, des lois fatales et une fin inévitable; aux créatures intelligentes ct libres, la lutte, le mérite et le bonheur arec la gloire. Ainsi encore toutes choses sont comme une voix de Dieu, qui nous appelle à lui; le monde entier apparaît comme un autel immense, où l'homme s'offre en holocauste, s'immole et meurt, comme brillent les étoiles, et comme gémissent les flots, pour l'honneur de l'Éternel.

Oui, quelle est la fin, et quels sont les moyens des ètres? C'est la seule question qui importe véritablement il. l'homme;. et de la manière dont elle est résolue et traduite en pratique dépend notre vie présente et future. Aussi l'Église a-t-elle placé en tête de ce cours de philosophie sublime qu'on nomme le caté­chisme, les demandes et les réponses que voici:

Qui vous a créé et mis au monde? - C'est Dieu. Pourquoi Dieu vous a-t-il créé et mis au monde"? - Pour le

connaître; l'aimer et le servir sur la terre, et le posséder éter­nellement dans le ciel.

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l'qIXTRODUCTlO:'i CXXIlI

Samnts, yoilà votre principe, vos moyens, votre fin. Après cela, traduisez a \'ec (IUelque génie des systèmes allemands que \"I\lIS mêlerez dans un peu de philosophie écossaise; écrivez des pages profond~ment l:e?sées, cOl~lme disent vos a~is, sU,r le progrès et sur 1. humalll.te; tra~ez d une plum~ autrefOIS magique des esquisses dune pllllosophle nom'elle : SI vous tenez compte des d'eux lignes de notre catéchisme, vous avouerez que l'on ne pourrait pas se soucier beaucoup de vos découvertes; car il n'y a ,'miment qu'une chose nécessaire (1). Si vous n'en tenez pas compte, il vous eût été bon de mourir avant de faire vos lines; car il est dit: Malheur à celui par qui le scandale arrive (2j !

Avant d'aborder la question de savoir quelle est notre fin, il faut se souvenir que deux ordres de choses sont possibles, l:elui de nature et celui de gr<\ce; et que c'est en ce dernier que les­créatures intelligentes furent et demeurent placées, Par suite, outre la de d;instinct et de raison qu'ils possèdent, s'ils sont doués d'organes corporels et soumis fi. une science de déduction et d'expérience,' comme nous autres hommes; outre la vie d'intelligence pure, comme peuvent et doivent nécessairement J'avoir les natures affranchies de la matière, telles que sont les anges; les esprits déifiés ont acquis une vie merveilleuse que la théologie nomme vie de la grùce ou surnaturelle.

Il ne s'agit pas ici ùe marquer comment s'avanceraient vers leur fin les esprits soit angéliques, soit humains, .dans un ordre de choses purement naturel; il s'agit seulement d'exposer comment ils entrent en possession de leurs destinées, dans l'ordre de choses existant, qui est l'ordre surnaturel. Mais alors la solu'tion cherchée ne peut être fournie par la raison,

.ni même par l'intellection pure, qui ne sont que des moyens naturels de connaître; elle ne nous viendra que par la foi, prin­cipe de l'illumination mystique, et source de connaissances sur­naturelles. Doii il suit que le philosophe chrétien doit se borner à tep'roduire, touchant notre fin, et le5 moyens, de l'atteindre, C&

(1) Luc, iO"., t2. - (2) Matt., 18, 7.' , '

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1Zoe,exxlv l~TRODuCTIO:'\

que la parole de Dieu nous a fait savoir: sa doctrine ne sera donc point une théorie de valeur contestable, mais bien le développement cie la croyance catholique et des enseignements

_==~révélés.

-- Or voici cc que renferment nos Ecritures. Le principe d'où sont sorties les intelligences créées, ,c'est Dieu) p_ar suite, la fin où eHes doi vent tenclre et arri l'cr, c'eStënëô'rë Diè-iy, pureté non souillée, IUI11ii~re splendide, infinie perfection~TIés ne peuvent entrer dans la gloire, qu'à la condition d'être conformes à leur princip~ et à leur fin, c'est-à-dire, puriftées, illuminées et par. faites, chacune à son degré, et selon sa vocation particulière. Tels étant le point de~~tlet le point de lr~to0:" et de plus, les moyens devant avoir avec leg extrèmes une exacte analogie,

1dès lors to~~éée ne sera autre chose_qu'un [email protected]· \1 purification, d'iHuminatioÏ'I éT ae_ILerfection.illlJ1!~nt. ~

-Ce travail est le résultat d'une double force, cie laQorce' d~,

qui I}ttir~.. l'être fini, le soutient et opère avec lui; et de la Qorce~ cré~, qui accueille, seconde ct met à profit les sollicita­tÏOÏïSûêla grâce. Le milieu où se rencontrenlDi~!ye~-ture, c'est l~ hiércwàlie, ~3~la sain~,:~~olue, et ty~e

( la sainteté'lfelative. C'est pourquoila_hierM~lie est, comme son (principe, pureté,~ lumière et perfection;- par suite, :eIle tend à \ pi.i:ri"1ier0 lluminerzet perfectionner; et en effet, à son image, et·

par son-érÎergie, ses membres deviennent purs, illuminés et parfaits.

j 0 Lll hiér(!rchje est pureté, lumière et perfection. Sans doute il n'y a pas de grùce qui n'ait ce triple caractère, et par là même toute bénédiction divine se résout, pour ainsi dire, en ce triple bienfait. Effectivement, la pureté est une essentielle. condi· tion de riIIuminatio~ divine, et elle la provoque; l'illumination,

( à son tour, en frappant les esprits, les porte vers Dieu et les \ perfectionne; enfin la perfection réagit sur le sujet en qui elle

éclate, et le transforme en versant sur lui les charmes d'unp. pureté plus complète et d'une lumière plus belle.

Mais, quoique essentiellement ~e et s~le, la gr.ice divine

l'bJ~le/::;;' 1 l .(),....;.t;...' l . ~ ! \ L

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cxxv 11.

, I:'imonCCTIü:\: '-­

apparaH comme~~,~lè, en ,ce (~u'dle se ~I'oportionne par providentielle bonte a nos besoms divers, et opere des ~s plus particuliers, il raison des dispositions, ou mème des obstncle~

qu'clle rencontre, Si elle descend sur eeux qui sont encore p~cheurs, on dit qu'alors elle ~j si l'esprit (Iu'elle Yisite est dégagé de tout lien d'iniquité, on dit (IU'elle illumine; enfin si elle atteint un cœur déjà enrichi des révélations saintes, on dit qu'elle p~~nne,

Telle est donc la grùcej et telle l,a Iliér.~, canal de la grùce, et efficace moyen de salut: pureté,-Iumière et perfection, ,'oiJà son essence.

20 La hiérarchie tend à purifier, illuminer ct perfectionner. Elle est constituée dans ce but, et ses membres s'ordonnent, l'un par rapport à l'autre, de manière il obtenir ce résultat. Car elle se di vise en trois rangs principaux, dont le plus humble représente et exerce la vertu purifiante; le premier et le plus digne possède et communique la perfedion; le second, qui est intermédiaire, brille de la lumière qu'il transmet ensuite il ses subalternes. Ainsi est constituée la hiérarchie des anges qui comprend trois ordres, et la hiérarchie humaine, qui renferme l'épiscopat, le sacerdoce et le diaconat, , Mais tout pouvoir supposant un sujet sur lequel il s'exerce,

on doit trouver une triple classe de subordonnés puisqu'il y a un triple ordre de supérieurs. Aussi les natures angéliques sont soumises, le troisième ordre au deuxième et celui-ci au premier, qui relève immédiatement de Dieu, et tous trois trouvent dans cette initiation respective: pureté, lumière et perfection. Également la hiérarchie humaine nous offre les pécheurs qui ont besoin d'expiation, et qui sont spécialement l'objet de la sollicitude des diacres; puis le peuple saint qui aspire à l'illumination et la reçoit par le ministère des prêtres; enfin les parfaits et surtout les moines auxquels l'épiscopat se réserve d'enseigner la voie d'une sainteté plus élevée..\u reste, tout ordre hiérarchique et, dans l'ordre, tout esprit, quelque qegré qu'ils occupent dans le classement général, reçoiYent el).

L'h~

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ttC CXX\'l I:\TRODUCTIO:-I

rafson de leur capacité respective, un écc·ulement plus ou moins direct ou médiat, plus ou moins abondant ou faible de la pureté non souillée, de la lumière infinie, de la perfection sans bornes.

Telle est donc la constitution des hiérarchies. Au-dessus de toutes les créatures, par delà les plus sublimes essences, se place Jésus-Christ, hiérarque suprême, initiateur et pontife général. Les flots de sa grùce, qui est pureté, lumière et. perfec':' tion, inondent l'armée angélique, qui comprend trois ordres, dont chacun se divise en trois chœurs..\près avoir traversé les rangs célestes, le don divin, orné de sa triple splendeur, nous est départi par les mains des anges, nos initiateurs, et se reflète dans nos évêques, nos prêtres et nos diacres, qui, à leur tour, le transmettent aux parfaits, au peuple saint et aux pécheurs:

D'après cela, les hiérarchies céleste et terrestre et les membres qui les composent ont des traits de similitude frap­pante et de dissemhlance profonde. Il y a similitude en ce que la même grtlce leur est accordée, sous les mt~mes conditions de subordination rigoureuse et de sainte dépendance; il Y a dissemblance en ce que la gr,lce leur est accordée à des degrés divers et par des moyens différents. Ainsi, parmi les anges et parmi nous, le supérieur préside à l'initiation de l'inférieur, et celui-ci ne s'ingère pas témérairement dans les fonctions de 'celui-là. Ainsi encore, la hiérarchie céleste n'a pas de sacre­ments; elle reçoit la lumière par intuition pure. La hiérarchie humaine, au contraire, participe à la grâce par voie indirecte et par le moyen de signes sensibles.

3° Ceux qui appartiennent à la hiérarchie en reçoivent pureté, lumière et perfection. .

Par ia pureté que la hiérarchie communique, il faut entendre l'expiation des péchés antérieurs, les mesures destinées à pré­venir des péchés nouveaux, et même cet effort constant de l'esprit pour reculer les limites de sa perfection et s'avancer en sainteté. D'où il résulte: f 0 que ceux-là ont besoin de purifica­tion qui ne sont jamais sortis de l'erreur et du mal; ceux encore

l' ;

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Jt:t I:XTRODUCTlO~ CXXYIl

que la gràce amit absous et que la passion a précipités une seconde fois sous l'empire des puissances ténébreuses, et ceux qui, véritablement changés de mal en bien, n'ont cependn.nt pas encore la constance de la vertu ni une sainteté à toute épreuve. Leur expiation s'opère au moyen de la lecture des saints livres, qui menacent, promettent, encouragent, et qui, par là, redressent l'intelligence égarée, abattent l'insolence du crime audacieux et fortillent les cœurs pusillanimes. C'est le diacre qui, par la vertu de son ministère, engendre spirituellement ces âmes, les forme et les prépare à une Yie plus pure et plus heureuse. Il résulte: 2° que les diacres eux-mùmes, les prêtres et les évêques et même les anges, cependant si purs, doivent être également soumis au travail de l'expiation; mai 5 alors cette expiation il pour but de dilater, pour ainsi dire, l'horizon des esprits déjà purifiés et de répandre autour d'eux une atmosphère plus lumineuse: tellement que des choses jusque-là dérobées à leur vue puissent désormais leur apparaître, et qu'ils se voient élevés à la gloire d'une intuition plus puissante et d'une science plus profonde.

L'illumination est la grâce par laquelle se manifeste à l'intel­ligence créée le spectacle des beautés divines, au degré où elle est particulièrement digne de cette communication sacrée; car, d'ange à ange et d'homme à homme, l'illumination diffère, et, à plus forte raison, l'ange et l'homme ne sont pas égalem~nl illu­minés. Les clartés à la lueur desquelles les anges voient Dieu, leur principe et leur fin, deviennent plus intenses et plus vives par le bienfait de l'illumination; et des secrets que ne saurait atteindre la pensée, ni chanter l'amour humain, leur sont révélés. C'est donc en un redoublement de science que consiste l'illumi­nation des anges. Pour les hpmmes, la vérité divine resplendit à leurs yeux lorsque, affranchis du péché et fixés dans la vertu avec un inébranlable courage, ils aspirent à la communion des augustes mystères et des réalités dont ils sont le symbole. Méditer dans le silence des passions les sacrements qu'ils reçoivent, correspondre docilement aux sollicitations de la grâce,

----. ..

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CXXl"Ill I~TllODt;CTION

imiter la vie parfaite de ,Jésus-Christ, considérée surtout dans sa charité eucharistique; enfin s'élever au-dessus des pensées ten'estres et échapper aux illusions de leur propre esprit et de leur CŒl\I': telles sont les conditions auxquelles ils obtiennent avec abondance, conservent avec un soin fidèle et augmentent sans cesse le trésor de la lumière désirée, L'objet livré à la contemplation des créatures sanctifiées, anges et hommes, c'est Dieu et toutes choses, en tant qu'elles sont expression et miroir de Dieu. Les perfections adorables de la Trinité, son amour pour tous les ètres et principalement cette charité qui a réparé le monde, les voies merveilleuses par lesquelles la Providence dirige les élus et rend le salut possible à tous, la valeur infinie de la grâce qui nous est accordée sur tene et les charmes de la gloil'e qui nous attend au ciel: tels sont les secrets que sondent d'un œil respectueux les intelligences illuminées.

Li! perfection est le terme ultérieur et le complément dél1nitil' de toute vie. Li! perfection est l'oubli de tout et méme de soi; c'est un sublime élan vers la seule réalit.é véritable et une mystique et ineffable union avec la source méme de toute grâce. Les parfaits atteignent ct saisissent le sens profond, l'esprit des choses saintes; ils adorent Dieu par un culte sincère et pleine- . ment spirituel; ils ramènent leur âme, du milieu de la distrac­tion ct ùes choses multiples, il l'unité et à la pureté du saint amour. Totillement puri liés, non seulement parce qu'ils sont exempts de tout péché ct supérieurs à toute imagination ct désir terrestres, lIlais aussi parce qu'ayant reculé les bornes de leur sainteté et m:rltiplié leurs forces; ils maintiennent glorieuse­ment en Dieu leur coastante acti vité, il leur est donné de puiser, dans ces rapports de familial'ité sacrée, une science profonde de la vérité ct un immense et inyincible amour de lu beauté qu'ils contemplent.. Arrivés à cette hauteur, ils n'ont plus ni science ni entendement j ils ne connaissent pas et ne voient pas; ils sont aveuglés et tombent dans une totale ignorance. Mais cette ignorance est sublime et transcendantale; on ne 'comprend pas Dieu, on en sent la présence. Alors, enivrée de félicité et

...,

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{2.-,IXTRODUCTlON CXXIX

comme liquéfiée dans l'amour, l'intelligence perd ce qu'elle a.ait d'imparfait et se trouve déifiée. Tels sont les laïques plus ayancés dam la vertu et surtout les moines; tels sont les diacres et les prêtres; tels sont les évêques, maîtres et types de la sain teté consommée et sous l'inspiration desquels les ordres inférieurs de la hiérarchie humaine s'exercent au noble et pieux travail de la perfection. Il y a plus de sublimité encore dans la perfection des anges: car leurs moyens de connaître étant plus relevés et plus puissants, le résultat obtenu doit être plus complet. Ils vont il Dieu avec plus de ferreur, se précipitent en lui par une contemplation plus aimante et lui sont plus éperdument unis.

Telle est la théorie de saint Denys toue,hant la vie qui doit mener à leur fin toutes les intelligences créées, ct spécialement l'âme humaine. C'est un écho de la parole évangélique qui nous a révélé que Dieu est notre Père et le ciel notre héritage, et que ceux-là sont prédestinés il la gloire qui, après avoir vaincu les appétits d'une nature dépravée, se rapprochent, autant qu'il est possible il l'homme, de la perfection céleste. C'est un reflet des lumineux exemples de Jésus-Christ, splendeur du Père et sagesse infinie, qui, placé au sommet de la CJ'éation comme un signe visible il lous les siècles cl à laus les peuples, nous donna le spectacle de sa vie laborieuse, de sa mort ct de sa résurrection, leçon mystique de cette mort, de cette résurrection et de cette, vie par où l'homme répare les ruines de sa déchéanc.e originelle, reprend son innocence perdue et se transforme il l'image de son Sauveur. C'est une esquisse que saint Paul avait largement tracée dans ses épîtres, où il enseigne que la vie chrétienne consiste: io en une véritable mort qui se commence dans le baptême, puis se continue et se eonsomme par une libre pénitence; et, 2° en la transfiguration de nous-mêmes par la foi qui éclaire et élève l'entendement soumis, et par la charité qui règle, épure et sanctifie nos affections. Or, sous le pinceau de saint Denys, cette esquisse revêtit une teinte philosophique; et, devant ce tableau, appendu, pour ainsi dire, aux murailles de l'Église de Dieu, le

5

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m.10'en 4ge, comme un artiste plein d'amour, "int s'agenouiller, étudier et prier, et c'est là qu'il trouya le secret de ces douces et suayes compositions de théologie mystique qu'il nous a

_____ légu6es, ainsi qu'il sera dit plus loin. Nous ayons achevé l'exposé analytique des doctrines de saint

' Denys, en les ramenant à ces quatre chefs: Dieu, la création, "'-~---~

1 •~ r--Pa.-, ( l'origine du mal et la fin et les moyens des choses, On pourrait r' désirer de plus amples renseignements sur des points particuliers

l /eJ--/: Y'-'-'­; ; ~---: qui sont proprement du domaine de la philosophie. Or, il semble 'd...,t. A. VI,? c.. / que notre auteur les avait traités dans quelques écrits dont il ne

nous reste plus que les titres. Ainsi, le Iharle ['âme et celui des choses intrlliaid:.les el des choses sensibles rcnfermaient sans doute un cours de psychologie et réso!Yaient la question si grave

'1 de l'origine dc nos connaissg;nces. Quoi qu'il cn soit, et telles "1 qu'elIes nous sont pancnues, les œuncs de saint Denys se recom·

! , mandent à j'attention des savants par leur caractère élevé,

, , comme on J'a yU, et par le l'ole important qu'elles ont jouéii dans le monde tlJéolo;.:ique, comme il s'agit de le montrer. Sùi­:{-===---=--JJ vo~c la marche de ces ùoctrines à traycrs les dilfére~s

! siècles du chnsltanlsme, et manluons 11 trace qu'elles op.t ! laissée en passant dans les écoles.

!:~ Dire quelle inlluence 1I3s lirres cie notre auteur exercèrent " ,r---­

II

\f à leur origine. n'est pa~ ~hose fac,ile .. l:'obscurité ct 1: silence ;~ui

1 ~ semblent avoir accuetlll leur al?panl!Q!!...J?Iouyent dabord qUlls ~.t (J- nèlouirë~.1:las de la faveur populaire; méme ils ne pouYUlent

la conquérir, à raison de la mélaph l'si que transcendante qu'ils , renferment. Mais faut-il penser ùu moins qu'ils ne furent pas

inconnus d~~miers l'èl~...fIui se les transmirent de main JI' ; en main comme expr~ssion.!une doctIj,llLés_ot.wiqu~~age

i des-disciPles plus aVJ.!lS,és? En cas d'affirmatire, on conccnait} ? encore que les spéculations de saint Denys ne durent aroir '1

sur l'esprit public qu'une action restreinte; car alors c'était le\ temps de combattre, plutôt que d'omrir des écoles; c'était le temps de pratiquer dans les fers et sur les échafauds la doc­

:1'

\ trine chrétienne, plutôt que d'en apprendre la théorie et de la, l'

1); 1

'1 1\

il

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fJ J~/--. \I<>.J'"'~-.... o

131 INTRODUCTlO~ CXXX1

rédiger en un savant système. Ainsi .le pe21 de retentissement -- fA-""J qu'eut dans cette période le nom de saint ~enys s·e.-pJiq~r

N~

l'inz~ti!!lde}le~ cÜ'wsJances, et non par luléClain q!(oIl...Q.~rait

fait de ses enseIgnements. Le;-livres de saint Denys furent-ils en vogue dans les écoles

d'Alexandrie, soit dans récole catholique, où brillèrent tour à tour saint e.~n~ c~~iiDet~ soit dans les écoles néo-platonicienne et éclectique, que rendirent célèbres 'Philon, l'\uménius; Ammonius-Saccas, ~lotin et 'Proclus (f)? Nous croyons devoir répondre par les considérations suivantes:

t o Entre les conceptions philosophiques de saint Denys et celles de saint Pantène, de Clément d'Alexandrie et d'Origène, il y a quelque analogie, mais non pas une exacte ressemblance. Saint(Pantèii.~ expliquait l'Écri~ure dans le sens allégorique, commêl'irëilt, après lui, <,Ç~ et -Q.rif?j'Îè) Ce que di se n.!., de cet auteur Eusèbe et saint Jérôme permet de penser que sa doctrine mystique différait peu de celle de saint Denys (2). Clément) d'Alexandrie était profondément versé dans la science \ d?raphilosophie païenne. l\"ul des anciens Pères n'a expliqué l'origine et ~[ystèmes.9~ectesQi\'ersesavec plus de sagacité J et de justesse. Il nous avertit lui-méme qu'il fut initié à ces

(1) Il Y avait dans Alexandrie, vers ces temps, plusieurs écoles philosophi~ues qui gardaient encore les doctrines greequesavec leur I2!!;reté native, Ce n'est pas de celles-la que nous "oulons parler ici. Uoe école sembla spécialement vouloir faire reYine le platonisme, qui eut pour représentants Apulée, Plutarque et l\uménius, Ce néo­-1platonisme rencontra sur sa route les spéculations orientales que lei gnostiques avaient c(lutribué à répandre; il s'examina lui-méme, discuta aussi la valeur des théories nouvelles; et ce qui resta debout dans les esprits après cette mt'hie des systèmes, prit le nom d'éclectisme

1'1 'alexandrin. (Ammonius-Saccast Plotin Jet Procius,furent les c~

~_ccessifs de cetle école, qui produisit plus tard(I'orphyr?et Jam­bliquh Or c'est à ce néo-platonisme et à cet écleètiSineque nous avons fait allusion.

(2) Eusèbe, His!., liv. V, ch. 10. - S. Jérôme, Calai.

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5-f û')J iD rv'- Y-"-'­

'12.. CUXII 1J.YrRODUCTlO:-i

connaissances variées par des maîtres ~cs et orientaux (L). C'est pourquoi il ne faudrait pas s'étonner de trouver chez lui, comme dan~ les œUHes de saint Denys, les formules philoso­phiques de la Grèce et de l'Orient. Cette remarque s'applique également à(Orjgè~dont les écrits ont un caractère prononcé de platonismce-r-a'"orientalisme. C'est même à ce culte exagéré de la philosophie qu'il dut l'espèr-e d'anathème qui pesa sur sa mémoire; et aujourd'hui encore, la postérité dépLore que la splendeur de cette belle intelligence se soit voilée quelquefois sous les ténèbres de la sagesse des Gentils.

2° Entre la forme don~~ revêt ses explications du dogme catholique et la forme sous laquelle !:fi" Alexandri~

cachèrent (luelques vérités, beaucoup d'erreurs el une foule de choses inintelligibles, il se renconlre 'vraimenl une similitude frappante. C'est ce que manifeste la confrontation du /iV"e des Noms divins avec les Ennéades de p~, et avec les Traité.~ et Com­mentail'es que nous a laissés P~us. :'Ious pensons assurément que la ressemblance signalée est plulot dans les mols que dans

Iles choses. Car on peut en croire les Alexanùrins eux-mêmes \ qui avaient le~ianismepour odieux, etlaseCt~e~Galiléens po~r lI!gpIisable, et qui par suite n'auraient pas voulu accepter intégralement nos doctrines. Ensuite, c'est un fail que la critique établit sans peine: si d'une part, dans quelques queslions de théologie naturelle, de métaphysique et de morale, Plotin et Proclus parlent comme saint Denys; d'un aulre coté, ilin'ad­mertent, au lieu de la Trinité calholique, qu'un polythéisme

\\ déguisé sous le nom de triade, qu'un panlhéisme réel à la ~ (place du dogme de la création, ct qu'une confusion totale de A (l'ùme humaine avec Dieu, a~uA~l'union mystiq.u.e"...q,g:en­

\ se!anent saint D!'!!y's et tous ~ologiens (2). 30 Or il y a deux raisons possibles de ces analogies au moins .

(i) Stroma!., Libro -l.

(2) D,e Gél,'anclo, !list. comparée, etc., t. III; J. Simon, IIist. de l'École d'Alexandrie; l'abbé Prat, His!. de l'Éclectisme alcxandriu, etc.

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iD INTRODUCTION CXXXIll

,'erbales: la première, qui ne demande aucune explication, ,'J

c'est que l'J!!l. des écrivainLill!rait~ l'autre; la seconde, c'est que, sous l'influence de circonstances identiques, chré­tiens et philosophes auraient conçu et expril1lékurUh,éories à J!. peu près en ~me. Cette assertion se fonderait sur la reîilafciUë;"que les livres sont l'expression d'une époque, autant que l'expression d'un homme, et que les doctrines de l'époque elle-même sonlle résultat des croyances qu'elle [l'aura vivantes aulour de son berceau, el qui la nourrirent de leur lait, autant que le résultat de sa propre activité et de son libre choix. Car, et il est vrai que chac!Ln -"it j!I~qu'à un certain point de la vie \ de son siècle et ~e s.2..~ pays, et il est vrai que les idées, comme 1

les races humaines, ont leur généalogie. Hommes et choses, 1

esprits et événements, nous avons tous racine dans le sol des temps passés. Ainsi, dans l'espèce, Plotiii\l'éclectique continnait

~'. -.--­le néo-platonicien"l·ium~n.h!s, ~u'il fiit m:.\me accusé de repro­duire trop fidèlement. ~1~ à_son tour, se rattachait par un endroit aux gnostiquescr if PhiloQ, qui, de leur colé, rappe­laient la Kabbale et l'antique Orient (1). Or cette rencontre s do_ctrines1 chrétiennes, PhilœgUeS, ori~titales e~ grec ues, ) se fit au commencement de no re ère. La lutte dura CIllC{ slecles avant que les rivales vaincues se ','inssent ranger, avec plus ou moins de perte, sous la loi inflexible de la vérité calholique. Il, y eut donc des études et ïo~~et'"To'~tes, de~a"faisons ' attenli ves, des rapprochements lumineux, par où les partis durent apprendre à s'apprécier mutuellement. C'est pourquoi il est rigoureusement possible que sa~nys connût la phi.lo­sophie grecque et orientale, dont ses œuvres offrent les formules, sans le secours de Plotin et de Proclus;, et que ceux-ci con- , nussent du symbole chrétien ce qu'en rappellent leurs écrits, 1 sans le secours de notre Aréopagite. '

40 En fait, laquelle de ces deux raisons possibles est la véritable'! D'abord nous regardons saint Deny~ comme ,antérieur

(i) Les auteurs précités, ubi 8llprà. '

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11Lt CXXXIV I:':TRODl.:CTION

à récole d'Alexandrie; nous ne saurions donc admettre qu'il soit allé dérober il Plotin' et il l'roclus ses sublimes contemplations et ses hiérarc!lies mystiques, par un accès de piété naive, comme on ra dit, et pour décorer les sombres autels du chris­tianisme persécuté (1). ~ous-ne pensons pas davantage que notre docteur soit un néo-platonicien converti, qui aurait voulu trans­o,'/férer sa philosophie dans l'Église, e1.~uhoIJ:l~~r la reli­

o gio~~ Ch!:,ist il sa science humaine, par ignorance pitoyable ou par dangereux cnlhousiasme (2). Ensuite que les œuvres de saint Denys aient exercé quelque inl1uence sur les' Alexandrins: c~st

ce que nous sommes inclinés à croire, d'abord 5uilëîémoignage de critiques anciens que nous avons cités plus haut, puis par cetle considération que l'école d'Alexandrie, dans le dé si l' ge

}.-~ !) t( présenter une c.çJltre.~épreUïe du _christianisme, aux esprits fascinés par le dogme nouveau, dut metlre à profit tous les

1écrits de nos maîtres, et que d'ailleurs il est facile)~!!l~a(~ble

1 qu'elle ait connu les œunes de l'Aréopagite. Toutefois !lOUS

\ respectons trop la vérité et le lecteur pour dire que ce fait soit chose absolument démontrée.

Nous entrons maintenant dans le champ de l'histoire, et nous pouvons constater avec certitude complète, et décrire les desti ­nées de saint Denys et de sa doctrine.

En l'an 53'> -, ou d'après Bini en 533 ", 'J les écrits de l'Aréopa".ite sorteIit du secret, où des circonstances, qu-ëlloUSIi'avonspoint( à rechercher ici, les avaient longtemps. retenus. L'~mpercur

A . Justinien, dUJ~s le dessein de pacifle~' Ïes,ÉgiTses d~O~nt, amitIl réuni les évêques ca~gues et sévér\ms, afin qu'une <!.!scussion, suivie et réglée éc1airâtles esprits prévenus, el corrigeûtl'erreur.'

(i) Saint Hené Taillandier, Scot É"igène et la Scolastique, p. 18. Ceux qui ont lu saint Denys trou'Ceront bien un peu étrange qu'on lui prête de la naïveté.

(2) De Gérando, Ilis!. comparée, etc., t. IV, ch. 22. M. de Géranllo estime que les œuvres de saint Denys furent un présent funeste fait li l'Europe.

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13.5'!:-ITRODUCTIO;,\ cxxxv

Le récit de cette con~ce devenue célèbre nous fut transmis par(. une lettre d'll!nocentius, él'èq~~ de P!arol}!a (1). Or dans le cours

des débtüs, les héré'hques, entre autres témoignages dont ils s'appuy~ent, invoCJuèrent l'autorité de saint Denys, A la l'érité, les catholiques, pour se dispenser d'entreprendre l'examen du~cité, opposèrent préalablement le silence où était demeuré jusqu'alors ce docteur prétendu; maiS il faut croire que bientôt cette difficulté disparut devant des recherches soigneuses; car tous1 orthodoxes et hétérodoxes, s'accordèr~nt

à reconnaître l'authenticité qu'on avait d'abord essayé deJI combattre.

=-- Dès lors la publicité s'empara de ces écrits al'ec une faveur extr l' inaire. Ils furent l'objet d'études et de méditations ardentes, de notes pleines de science, et de paraphrases nom­

~ r- breuses. Aleur apparition, Jean d~Scytol?.2.1is, dont ~s parle \ avec éloge dans sa bibliothèque, les enrichit de scolies esti­'- mées (2). L~ cé.illre_philosophe~moin~ saJnt~lax.ime y ~outa

!

'l.. \ des notes, pour appeler l'attention du lecteUI:....s.ur~__PJl.ssages dû'té"ite les plus imp.~r.tants (3). Outre ce travail, qui atteste et son estime et son amour pour l'Aréopagite, il comp.osa divers é~s, où apparaissent les mêmes sentiments. Ainsi il reproduit les considérations du livre Lie la Hid1'al'chic ecclc,;iastiquc dans son

. traitije la J\[!jJf(!:fJ.2fJ.ie, ou elPJi,Ç,\ill.Q.u..des..c.é.r.é.monies saçrées. ) Dans son commentaire sur l'Écriture, il définit et caractérise le

mal, comme avait fait saint Denys, et enseigne qu'on ~échappe 11\ par la connaissa~et l'amour accordés to~.LQJ!.r3 à l'homme qui)J s'est purifié: ce qui rappelle les doctrines de la Théologie mystique (4). . .

- Mais le plus beau titre de gloire que saint Denys se soit créé 3 en Orient, c'est saint JearfDamascène, dont il fut le maître par

ses écrits: car' les hommes soiîfëe que les fait leur étufle': Or,

(t}."C~Labb. et C~si!rt, t. IV, Paris, 167f. - (2) !?~n.(llibiiOt.

des Auteurs Ecc)és;, 6e siècle. - (3) Ces notes sont sauvent jointes au texte de saint D~~Ys. - (4) Opera Ma~J_j. Qomb~s!_Paris•.!~75.

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f70.F~ ; '" Iïi', Cf (b-'Z . v J c'>~

..J':" c..-.-:r""';"" ~ yC~., ro.<;""""--'yc.- v... ~ ~"'$ ri'cxxxvJ. I:'\TRODUCTlO~

d'une part, J~an de Pamas s'est acquis un grand nom dans la science théologique, et de l'autre, il avait en lla~stime, il connais;:ait il fond et reprodui;:ait saint Denys l'.-\.réoRagite.

L'érudition de Jean, sa justesse et sa force d'esprit, la pl'éci­sion et l'exactitude de son style sont louées par tous les critiques. Il a véritablement dépassé les théologiens ses prédécesseurs, et il a ouvert une route nouvelle il ceux qui vinrent après lui. Génie erme et organisateur, il réduisit la doctrine chl'étienne en

système complet, et gratifia rOrieut de cette méthode puissante que ~t An~ devait bientOt faire connailre il l'Occident, sous le nOiiïCIecola;:tiri~:~)A.ussi Antoine ~h!:!lu.ud et le mi~tre

CIl!!!.(,!.e n'ont pas craint de prononcer qu'il fut le saint ThomasIl des Grecs du nas-EmJ?ire. C'est ainsi que la postérité a jugé Jean de Damas.

Ses œunes ;:ont réellement une encyeIopédie, où toutes les connaissances ont trouvé place, depuis la science élémentaire des langues ju;:qu'aux plus relevés enseignements de la foi. Ses principaux écrits, réunis sous le titre de Sow'ce Je la Science,

~ formaient comme un !.D'!!lJlçlQ~:2!!l!o~l!.ieil l'usage du 1T1.Q~:en

~. (i). Ils comprennent la philosophie, où sont établies les _ règles de la dialectique et les principes de l'ontologie; la ll,éolo­

gie historique et critique, où il expose et réfute toutes les hérésies jusque-là connues; enfin la croyance catholique qui se trouve expliquée dans Je liue célèbre de la Foi orthodoxe. Dans cet édifice de doctrines, on peut distinguer les matériaux choisis par l'artiste, et le moyen par lequel il les mit en œuvre. La méthode de Jcan de Damas est empruntée à la philosophie d'Aristote; mais ses conceptions appartiennent à récole de saint Denys.

En effet, il enseigne, comme le docteur de l'Aréopage, que· l'essence de Dieu et son premier nom, c'est la bonté; qu'il y a deux manières de s'exprimer touchant la divinité, ou deux théo­logies, l'une affirmative et l'autre négative; qu'il y a en Dieu ~es attributs relatifs dont il faut parler par distinctions, et des

(i) De Gérando, Hist. comparée, etc., t. IV, ch. 23.

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J1î­H\TRODUCTION cxxxvu

attributs essentiels dont il faut parler dans un sens absolu; qu'enfin les trois adorables personnes habitent perpétuellement

J rune dans l'autre, et que Dieu e~rce sa f~condité merveilleuse ( en dehors de lui, mais sans sortir de lui-mème (1). Dans saint

Jean DamascèD.ë;com~s saint D-enys, la création est attri­buée à l'amour; les anges sont rangés en trois ordres, dont

. cllUcun se di "ise en trois chœurs; l'homme, objet d'une provi­dentielle bonté, est créé pour le bonheur, mais soumis à une rigoureuse justice (2). L'incarnation est expliquée ùans l'un comme dans l'autre écrivain; l'opér~tion théandr~que, résultat unique de deux principes distincts, _est admise par tous deux; seulement, à raison des erreurs d'Eutychès et des monothélites,

(Jean de Damas entre dans les détails que ne pouvait donner l'Aréopagite (3). Enfin, de part et d'autre, ct presque dans les

l

/ (mêmeS termes, il est établi que la sur-essenlielleJ2.9nté de Dieu a v01!!.\L<ill-l!I~ili21!-Jut de touu~_§..lg11llmes; que Dieu ;;:'èS'tpas, ne peut pas être l'auteur du mal, et qu'ainsi ceux-là périssent, qui ont négligé de prendl'e les moyens de se sauver (4).

n est vrai que les noms de suint Denys et de Jean de Damas ne purent se protéger par leur force propre, et il faut recher­cher dans les malheurs de l'empire le principe de la stérilité qui frappa la doctrine de ces grands hommes. fiurant deux. cent~~s,J<: ~rone fut occupé jJ~ ~~~. e:~IJ.è_ces d~ fous:'cruels, , qui ne pouyaient-ntmaintenir la tranquillité au dedans, ni faire honorablement la guerre au dehors, et qui, pour se venger sans doute de cette impuissance ignominieuse, commandaient ~ l'Église en tyrans, s'immisçaient dans les discussions théolo­giques, et décapitaient ceux que la logique impériale trou­vait invincibles. Ce gouvernement 'brutal et sanguinaire devait uécessa.irement empècher l'apparition et le d~veloppement des idées nobles et des sentiments généreux, comme, da.ns une atmosphère lourde, les plantes se llét1'Îssent et meurent d'étio­

. (1) Joan, Damase. de Fide Orthod., lib. I. -(2) Ibid., lib. TI. - (3) Ibid., lib. m. -j4) Ibid., lib. IV. . . .. . ....,

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,~~

CXXX\'lIl I~TRODUCTIO:'I

Iement. L'hérésie des Iconoclastes, destructive comme tout ce qui est opposé ù la vérité, combattait les arts aussi bien que le dogme catholique; et cette guerre contre les symboles devait réagir sur la philosophie religieuse dont ils représentaient une face. Si l'on joint à ces causes les fréquentes agl'essions des 13arbares, et en particulier le voisinage inquiétant des Turcs, d ont le cimeterre semblait toujours levé sur Constantinople, on co mprendra la décadence des arts, des sciences et de la philo­s ophie. J\Il~me les défenseurs-nés de la vérité furent souvent infidèles à leur mission; il Y eut des moines, des prt·tres et des évêques qui ne furent pas meilleurs que les princes; et quand Photius, consommant le schisme longtemps préparé, eut privé l'Orient de la sève du catholicisme et de la vivifiante protection des papes, l'Église grecque, en perdant la naie charité qui est l'unité des cœurs, perdit aussi la science qui est l'unitè des espri ts.

D ans cette nuit obscure et froide que le despotisme faisait autour de lui, comme une lampe, près de s'éteindre, jette long­temps encore des lueur~ dont chacune menace d'être la der­

( n ièr.e, la..E~ilosophie et ~a. thé.ologie inspir~rent en_coJ.:.C---9.!1cl.ques e~p~lstillg!lés, don,t 1histOire a conserve les noms. ParmI eux

'J se rencrnlre )'acll\1nè·re, qui semble s'êlre liué ayec ardeur à l'élude de la philosophie et à la contemplation mystique. Il comllosa, pour l'intel.!i.~e~ _d~~l!.Y.!'es de Den)"S, une savante p1!!"aphrase, oÙ les pensées de l'Aréopagite, exprimées quelque­fois d'une façon trop concise, reçoivent une explication ultérieure et un utile développement, dont la fidélité est suffisamment

' garantie par la connaissance qu'avait Pachymère des diverses J philosophies grecque et néo-platonicienne. C'est du reste le

dernier hommage que saint Denys recueillit sur cette terre depuis longtemps inhospitalière, mais autrefois si douce à ceux qui la foulaient.

---,-- Mtl.is l'~en~réservait à saint Denys un triomphe complet. !S JI Parmi les modernes, les uns ont maudit, les autres ont loué

l'influence qu'il exerça; mais tous l'oI!i unanimement constatée.

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c~- 01--, 10. J~ .,?- /7.,~ ,A

115. [ .I~TRODUCTIO~ CXXXIX ~.1Z. )-. c

[lu reste, elle a laissé.l'e pl'QÜmdes et glorie~l!ces! ~urtout .-te-. .J?.

dans les écrits de récole mystique, et ces suaves accents cl amour ~

diJil- qu'on entendit ùIlJ'ant trois siè.9Jes, dans tous les monas­tères de r~U1'ope, n.'ét~ie~lt qlle ~es h:Ym.ne~ JJont .l'Ar6opagitè

JI amit fourJ~1 pour.,!illlii dire, le riche eJ fec~oltf.

L'histoire fait connaître que les éléments di vers, dont le mélange harmonique devait former les sociétés modernes, veil ­laient aux porles du puissant empire de Charlemagne, attendan t un regard de ses yeux, ou un signe de son épée pour entrer, et prendre leur place, Mais ils firent im'asion tous ensemble autour du tr<lne de ses débiles successeurs, et le travail d'assimilatio n

l ré.0.roque et de constitution définitive, au Îieu '(fêtre'fél!ulië l' et insensible, fut violent ct plein d'un trouble immense, Là se -1 .----. ...... ._- --.---- 't

rencontrèrent les derniers débris de l'~pritiromain, le caractère J natif d!s .raceAaincues, mais non pas éteintes, la mâle énergie ., et la valeur indo!!!]?tée des co-bquérants, la dure et âpre ~IŒion ­

:,(,,,./ du Nord~ et la mansuétude.AJa fois douce et fen~.LèlS"christia- ~

-"'~nrsme: Il faut tenir compte encore de ce qu'apporta l'o~ntfSon)4.

influence fut avant tout une influence de doctrine; il...-il.!!~ya

se~rth..~sciences et sa J2hiloso.1?È_i~ visiter l'~u!ope, qui, un \ 'J peu plus tard, lui rendit cette visite, la croix sur lit poitrine, et) le glaive à la main. . ___

Or, un jour, l'empereur de Constantinople, Michel le Bègue, " o~

--"ib c...)C.ll-=::. fiLp..!'ésen.U!' l,&IDs...kl!ébonnaire d~_œ~e_si!.e......§~ys (i).JJ Soit qu'alors elles n'ai~p'oint été traduites, soit que la~-duction trop. incorrecl.e ftît...!Qmbée dans le mjpris, Charles le

Sc.td- tr....~Chauve en demanda une nouvelle il Jean Scot, que l'on nomme encore Scot Érigène, parce qu'il était descendu des montagnes de la verte Érin, aujourd'hui l'Irlande, po~iE s'asseoir au fover"p.!:.Qtecteur des rois francs (2).

(l) En 824, selon quelques-uns; en 827, selon d'autres. (2) On pense assez communément que ce nom de Scot désignait la

race ou la contrée d'où sortait Jean (10.3 Scotiens ou l'Écosse); et ce surnom d'Érigène, la terre qui le vit naltre, ou qui du moins nourrit

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ç 1 t-r-S!lt'E"P"'7, t d ' 't 1 . 't d l'" .Non seu emen .co 'rËe~e ra U~SI es eC~1 ~ e nreopaglte, 'et les commentaires de sa11lt MaXime, mUis il en adopta les doctrines, qui deYinrent ainsi la base de ses propres trayaux. Considéré comme philosophe, cet homme n'a pas d'aïeux dans la société qui ra nourri; il faut remonter au moins quatre siècles pour trom'er dans les Pères grecs, et surtout dans saint Denys, quelque chose à quoi il se rattache, Il est placé au seuil du moyen âge, ayec une science mystérieuse et une langue inconnue, comme une pyramide chargée de caractères hiérogly­phiques; et l'on ne peut expliquer son apparition qu'en admet­tant un passé dont il a recueilli l'héritage. Or, de tous les phi­losophes qui l'ont précédé, c'est Denys de l'Aréopage qu'il a choisi pour maître; même on doit dire qu'il le reproduit avec toute l'ardeur d'un disciple dévoué, Il "y a plus: cenx qui l'ont nommé le dernier représentant du néo-platonisme ,n'ouent qu'il n'a pas connu Plotin, ni Proclus, et que la métaphysique des Alexandrins Ini est parvenue par les PèP:s de l'Église grecque Çrégoire de !'\Y~-2rigène)etnotre sain.t Denysj( t). " '-O,-né conclusion est~due évidente par l'analyse du grand . ouyrage d'Erigène sur la Diyision de la nature, comme il dit

~

lui-même (2). C'est IKSOïltTIre à la réputation de philosophe, et la preuve irrécusable qu'il a subi l'intluence de saint Denys. ­Jean Scot suropose donc de concilier la raison avec la !pi. Au début de son œU'Te, il recherche la nature et fixe les limites de l'autorité et de la raison, en des t~ où l'on désirerait plus -- - . --~ .-'. -,,­

son esprit par la science (l'Irlande, alors peuplée tle monastères rcnommés pour leur piété et le~trine), Cf. Saint René Taillandier,

'Scot É"igène et la Scolastique; p, 304

(i) De Gérando, Hist. compar" t. IV, ch. 25; Guizot, llist. de la Ci"l'ilisation en-France, 29' leçon. Nous ne voulons pas nier que, même en regardant Scot Érigène comme la dernière expression des

Il doctrines orientales, on "ne puisse aussi le nOlUmer le père de la,.Ji) théolog!e _1!l:LJl!Qy'en 1.ge; seulement, nans écartons cette question,

"parce qu'elle ne revient pas ici. (2) De Divisione nat~œ, ed. ~e, Oxfo!,d, i68L .,1'

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------.... n s1~+)~JI""4- --.,.-~ (p.--<7-..,-->-~

~~--'Z-A~ ~~ G.C'-'"",S ... t::~

'1 D ~ V>..-. VJV- t:;: , - ""'- ....cxi:i~ 1#<1I.NTRODUCTIO:,\

@. ~ & d'exactitude théologique (1). Armé de ces deux moyens de ~ ~ .,...., connaître, il contemple l'ensemble des choses qu'il nomme C" - 1-...:. ,.,

() /) nature. Au sommet }_~J.~1!~-L~2-.!!.1-9ndes, e': par delà toute "\ 0--4>_ ~'"

conception,~)habite une inaccessible lumière. Ce que nous savons de lUi, nous np. pouvons l'exprimer qu'imparfaitement; et même prononcer qu'il n'est pas ce que nous connaissons, c'est un langage sublime. D'où il suit que tous les attributs et tous les noms lui conviennent, et qu'il ne conYient d'affirmer de lui aucun attribut, ni aucun nom (2). C'est textuellement, comme on voit, la doctrine de l'auteur des :'ioms divins. - De ces hauteurs, le philosophe redescend vers ~éatiOlJ; mais entre elle et le Créateur, l'esprit conçoit un ali1ïne insondable; immense. Pour le franchir, Érigène jette par-dessus, comme un pont sublime, la théorie des causes premières, ou principes absolus, que saint Den)'s nomme participations, et que nous avons précédemment décrits. L'ardente imagination de Scot l'a peut-être entraîné bien loin, ou les expressions l'ont mal servi dans le développement de ses idées sur la création j car iJ~.rrt1J)e

. ~ difficile de n'YJ2.!!.s voir ~octrine panthéiste (3). Scot donne ensuite du monde visible, et en particulier de lllOmme, des explic aHans allégoriques ou mystiques qu'il emprunte aux Pères

( grecs.� Là se remarque une psychologie qui nous mtlnque dans ( saint Denys (4). Le retour_de to~s choses en-Dieu, qui est�

princ2E..~3.!fin; s'a~compJir.1L].J!..JQur. En passant parle tomlieau,� l'-homme deviendra ce qu'il était primitivement; son corps� prendra un vêtement de gloire; son âme rentrera au sein de� Dieu. La~~~~ansfigurée dans le ciel, le monde sensible� dans le monde intelligible, la créature dans le Créateur. Toute­�fois, il n'y aura pas confusion, mais distinction permanente; il� n'y aura pas identité, mais union in~que (5).�

Que ScQ.L Ér~e ait franchi, par quelques expressions du moins, les limites de l'orthodoxie, et que, de la sorte, il se soit

(i) .De .Divisione Naturœ, lib. I. - (2) Ibid., lib. 1.- (3) Ibid., lib. II.� ct 111. - (4) Ibid., lib. III et IX. - (5) Ibid., lib. V•.�

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J~'i.

CXLll J~TRODUCTIO:'i

( 'bécarté de la pensée de saint Denys; que Iléren;;er d'abord, puis les arant-coureurs de' ce~ sectes}manichéennes, panthéistes et

+ ( follement mystiques, qui ravagèrent arec tant de cruauté et de licence le i)ays(}~ '~aud, le nord et le midi de la France et les bords du nhin, se sOient placés sous te. patronage d't.::rigène, inyoquant son nOm et ses doctrines, et qu'il faille, en c~sé­quence, tenir ses œuvres pour suspectes, c'est ce que nous ne songeons pas il contester (1). Toutefois il est juste d'observer deux chos~s : la première c'est que les panthéistesgAmâurr de

'15 ~ Cpa~tI;.e@ar~nan' ont pu abuser des paroles e Jean SCOfêllui imputer des théories qui ne furent pas ~nt

les siennes; la seconde, c'est que les propositions d'Erigène, comme celles de saint Denys, comme celles de tous les lines et de tous les hommes, ne_doivent pas être appréciées_isolément

( ct en dehors du système total dont elles font partie, et où elles trament leur signii'iëa.tion définitive et Îeu-;-,'aiéur complète, Il résulte de là que les reproches encourus par l~rigène, fussent-ils aussi grayes qu'ils paraissent fondés, ne sauraient en aucune manière retomber sur saint Denys comme sur leùr cause\ responsable.

Le moyen àge venait de s·oU\'rir. Tandis que les guerres et la politique, sous l'œil de la religion, initiaient à la civilisation les sociétés modernes encore au berc~la science, é~t

dirigée pa;:-la foT;formalt~ aTof!lÈ.!:e=<!e~ cloîtres, 1~...1.!!~on

et la puissante intelligence des peupleseuropéens. La l1~éolog,ie

et -la pliTlosophie, se donnant la main comme deux sœurs qu'unit une douce amitié, parcouraient ensemble le champ des connais­sances humaines. En dépit de quelques querelles domestiques

' témérair~ment soulevées par le déréglement de certains esprits,

( et que l'Eglise finissait par calmer assez bien, on peut dire que l'harmonie duraj~u',!!:!._~.:!èmesi~cle : glorieuse et féconde période qui fonda le droit public des nati?ns occidentales,

.----.- -.

. «() }acobLTholll~ïiJ Origin,e.s hist. philos. et eccles. ~ennemann"

JIist: de la Phil., t. 1i Concil~Labbe et Cossart, t. IX. -- .-J

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fL,jJ:'\TRODUCTIO:'i cx1. III

courritle sol de monuments prodigieux et organisa la scicnce en de vastes et magnifiques synthèses. La direction géneralècles e,:pri"ts était donc religieuse avant tout, et la théologie constituait le fond de la science, qui avait la philosophie pOUl' vètement ct pour forme.

Or, la théologie, même au point de vue de 'son unité intimc, se présentait, comme tout ce quc regardent les intclligences finies, sous des aspects multiples. Laissant de coté ceux qu'il est inutile de décrire ici, llOUS dirons seulement qu'elle amit deux tendances distinctes; l'une intellectuelle et l'autre morale. Sans doute, ces deux tendances doivent coexister et s'unir dans la théologie objectivement considérée; mais, dans le théologicn, si parfois elles se rencontrent heureusement alliées, sou \'ellt aussi l'une ou l'autre prédomine ou même règne exclusivcment. Ainsi, dans le moyen âge, à une époque donnée et chez quelques hommes, la tendaneé'lintellectuclle fut Yictorieuse ; plus tard et chez d'autres hommes, la tendance1norale remporta; entre ces deux triomphes solennels ëten quelques âmes d'élite, l'har­monie, une savante et douce harmonie, s·établit. La1colastique pure et le mysticismeteurent tour ù tour leur tèmps et lcurs adeptes.

Il s'agit maintenant de rccherchcr et de faire connaître si les œuvres de ~aint Denys ont déterminé, et jusqu'à quel point elles ont réglé cclte double direction de la théologie.

D'abord si ~ièju subit J'influence de l'Aréopagite, c'est plutôt dans es so utions qu'elle donna que ùans la forme dont elle les revêtit; c'est aussi plutot daRs la généralité de ses théories que dans les questions particulières.

Reprenons. La science, comme elle était conçue et enseignée

)lalors, aSf'irait ù tout embrasser dans une vaste étreinte. Les livres de'ce temps apparaissent comme des encyclopédies, et les hommes qui les écrivaient, comme 'des géants. Cet csprit d'universalité s'est personnifié plus complètement dans Albert, '-X'LVII

nommé Grand par ses contemporains stupéfaits. 11 conilUt la théologie, la morale, la politique, les' mathématiques, la

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1~'1

CXLIV INTRODUCTIO~

physique; il s'occupa d'alchimie et même de ma,~ie, disent les chroniques du temps (t). Malgré cette dispersion de forces, qui semblait del'oir affaiblir l'énergie des intelligences, on put encore porter une curiosité ùpre et une infatigable ardeur dans quelques questions de détail: une querelle où peut-être on ne vit d'abord qu'une bataille de mots, mais où se trouve véritablement impliquée la valeur objective de nos .:,onceptions, lu querelle des

A réali~es et des llomilll!:.u~appela et nourrit longtemps ractiYit"é

1,es esprits, "et quatre siècles ont retenti du fracas de ces tour­

nois scolastiques. Là devait naturellement intervenir le nom de saint Denys. Sa théorie sur les idées archétypes, principes absolus ou participations qui formp,nt l'essence et déterminent l'individuation des ètres, comme on disait, le range de droit

\ parmi les réalistes ~et, de fait, ceux que l'histoire re.E..!:.ésente comme aya;;ti;plus scrupuleusement étudié ses écrits devinrent les adversaires ardel!.tL...c.!.lL...!!9minalisme. Mais quel degré d'influence exerc(~rel\t en ce point les doctrines de l'Aréopagite, c'est ce qu'il n'est pas possible de fixer avec précision. Il est permis seulement d'affirmer qu'il contribua sans aucun doute à susciter et à entretenir ces fécondes luttes de la pensée humaine.

Il demeura beaucoup plus étranger à la môlhode qui s'intro­dl:lisit dans les études. On sait qu'elle était éminemment péripa­téticienne. Les conceptions de l'ordre de foi s'encadraient dans les formes qu'avait dessinées Aristote, et que J'Occident connais­sait par les traductions de Victorin et de lloëç,e (2). « La dialec­» tique d_u stagyri.te présida dès l'origine, ehe" présida constam­» ment aux étuà.~s du moyen âge; elle en\deyint le pil"Ot, à

........................

(1.) Les œuvres d'Albert le Granel ont été recueillies par le dominicain Jammi, en 2t ,01. in-folio; mais elles sont loin d'~tre completes, comme on peut le voir dans les SCl'ipt07·e,. ol'dini,s Pl'œ~icatol'll1n. t, I.

(2) A cette époque, on ne connaissait encore d'Aris.t,9te!3 que ses livres nommés organiques, c'est-à-dire les Catégo1'ies, de l'Intel'p1'éta­tion, les deux Allalytiques, les Topiques, et des Sophismes. Cette collec­tion porte le nom d'Q,'ganum.

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~s­I~TROIJUCTIOX exLV

" mesure que leur cercIe s'étendit; elle en détermina l'esprit, elle " en marqua la forme. Cette circonstance est peut-être le carac­" tère le plus général et le plus constant de la scolastique (i). » Or, ainsi qu'on ~é.Là ~~ p!usieurs fois l'occasion de l'observer,

"'(l-';> ~ saint. Denys est..plaW.is.l~~;' la. f?rm~ de sa !,hilosophie. a de I l'indepe~dance et ~ette elastlclte q~l caract.ense la l~e.tho_de

J d'inductlûn. Par SUite, elle ne POuvûlt devemr que medlOcre­ment chère à la théologie, qui, prenant l'autorité pour point de dévart et pour règle, est beaucoup mieux garantie par la m~~~dédu,cti,on contre les écarts possibles. La philosûp!lie fi d€'.,Jlaton)est plus en h':fmonie que celle d'Aristote avec les principes de la théologie; mais les procédés logiques du péripa­tétisme servent plus utilement une science qui naît toute faite et qui, avec raison, se proclame immuable, que n'eussent fait l'originalité et la liberté aventureuses des académiciens. On voit comment le moyen âge fut naturellement incliné à chercher

l ailleurs que d,ms saint Denys la forme seloILtag.Y-'lJ.L~jLp~é­dait en ses investigations. il en est autrement dcla série d'affirmations~ui se déguisaient JJ\ "/IJ

sous cette méthode; elles n'ont aucun air de parenté a"ec l'àriS"iOiélisme, dti"moins dans la première période de la scolas­tique. En effet, à part les livres organiques dont on vient de' parler, les autres écrits d'Aristote, et particulièrement sa méta­physique, ne pénétrèrent en Occident que sur les pas des.Arabes vainqueurs de l'Espagne; ils passèrent en France, d'abord à l'aide de simples commentaires, puis en des versions faites.21r - l'arabe; ce_u'est q~~ t!:'c~iè!!1e.•sièy'le qu'on put les étudier enfin dans la pureté originale du texte grec. Or""même à partir de ce moment, le règne de la métaphysique ar~icienne ne)1 '3

~/IJ •devint pas exc~usif..Précédée dans les écoles. par les doctrines .) de DenysfJl'Are()~9.1te, elle eut à eo sOlltemr la conCUiTence' A per~te, gui devint. eucore plus redoutable quand on connut

(i) De Gérando, Hist. comparée, t. IV, ch. 25. Voyez aussi Cousin. Hist. de la PhiL, 9< leçon.

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CXLVI I::'\TROD{jCTlO~

les œu l'l'es de Platon. La dispute acharnée des réalistes et des '7 nominaux, le dévèloppement immense du mysticisme dont il s~nt6t .question, les défenseurs que trouva au quinzième siÈ:cle le fondateur de l'Académie: tout cela fait voir que la fortune d'Aristote éprouva, durant les c!iverses périodes dU)

11moyen âge, desvariatioils considérables, et que sa ~que

fut moins constamment heureuse que s'! méll!Q.de ..\ussi les doctrines du Lycée n'entrèrent pas si avant qu'on le croit vul­gairement, dans le sol de ces sociétés méconnues qui pl;~paraient

l~;~ platonbme y fleurit al'ec éclat; et pour ceux devant qui le fond ne disparaît pets entièrement sous la forme, il restera

\ 1certain qu'on a beaucoup trop déclamé contre ce qu'on nomme la tyrannie d'Aristote et la S~J'I;iÜlé de ses disciples. Certe~,

n-oi~e époque si éclairée ne compterait pas autant d'intelligences véritablement indépendantes qu'en produisirent ces prétendus siècles de fer, et surtout ils curent des tendances plus :rlatoui­·ciennesque les nôtres. --­

Deux-faits appuient celte conclusion, et donnent lieu d'appré­l:ier l'estime dont jouit saint Denys, et la fal'eur que lui accor­dèrent les théolog~colas.!iques: c'est, d'une part, le grand nombre et la renommée de ceux qui alors commentèrent ses écrits, ou y puisèrent des inspirations; et d'un autre côté, c'est le caractère et l'ensemble des doctrines qu'ils professaient eux­mèmes.

Il y a une immense foule d'illustres docteurs qui étudièrent la pensée de saint Denys, en firent une explication samnte, et allumèrent leur génie à la flamme du sien. Tels furent le célèbre évèque de Poitiels,oGilbert de la Porée; Jean'~de Salis­bury, dont les écrits théologiques, philosophiques, moraux et ~itiques seraient même a~~ourd'hui consultés avec utilité et intérèt (1): Pierre Lombard, connu par son livre des Sentences, qui lui valut des appLaudissements universels, et devint le texte

. (i) M. de Gérando dit que le cOUllllcntuire de Jean de Salisbury sur suint Den)'s existe en-l~'it il la l\ibliothèque roJ·ule.

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I~ t T:'ITRODUCTIO~ CXLI'l[

des leçons théologiques pour l'ûge suivant: Alexandre de Halès 1'.3

1qui le premier iit entrer l,a psychologie dans les écoles par sa l tl~e du j!:.aité d'Aristot.e ;.?Il r l'ûme _hu~a~ne; r.uillaume'~de

Paris, dont les aperçus preludent aux theones de la métaphy­s1ë/ue moderne, et que l'étendue de son érudition et sa manière de penser et d'écrire rendaie~ supérieur à ses contempo­rains (j); Vincent de lùlau vais:~ qui mena de front toutes les sciences (2); Albert le Gr<md;"dont les vastes connaissances ont c" L'"

fait l'admiration ae son siècle, et qui fut le maître de saint Thomas; enfin saint Thoma's~ui-même, ce hardi investigateur du monde intelligible et en qui les universités anciennes ont reconnu la puissance, la profondeur et la sùreté d'un esprit(

i

angélique. Tous ces hommes, et tant d'autres, placés à la tète de l'enseignement public, et destinés par suite à guider les peuples dans les voies de l'avenir, marchaient le flambeau de la science théologique il la main. Ils se le passaient successivement; et pen-. dant cinq siècles, du haut de leurs chaires, ils faisaient descendre

!~l'.élite de~_.0tell~e~ réunies il l~u_~.~ e~eds les flots de cette féconde et céleste lumière, qui débordait ensuite sur la politique, sur les sciences naturelles ct sur les arts. Car, en sortant de là, ils se tr0l!.v'!iel!.l.tnèlés aux alT,aires ,l'eligieuses et ci l'i les, pub! iques et particulières, et protégeaient, en la représentant, l'idée du droit ' que Jesdurs fondateurs de nos sociétés essayaient souvent de confondre avec la force de leur épée et les caprices de la vic­toire. Si la direction général.e des esprits, et l'i!!.oEatitude d'une

( laI!glliLQ1J.in'était pas faite, ne leur permirent pas de produire, du moins ils eurent le g~ùt intelligent de conserver d~s cl~fs­

)/d'œuvre de littérature; aux lettres grecques ~t romjl.ines fuyant devant ces barons qut~_.:':'.o..~l~~s~av?i~re,ils accor­

( dèrent compassion et hospitalité, et la scolastique sauva dû;ns les pans de sa robe le génie de la civilisation moderne. L'art catholique leur doit aussi la gloire dont alors il rayonna, d'abord

_~ Opera~uillielmi Alver~2 vol. in-folio, I614. - (2)~tii

Bellov~;Speculum, 4 vol. in-folio.

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/'7'6CXLVlll l.:\TRODUCTION

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parce que la vie et lïnspiration artistiques dérivent de la science religieuse, dont ils avaient le secret; ensuite parce que plusieurs d'entre eux se firent même les architectes de nos cathédrales, les sculpteurs des statues et les dessinateul'S des verrières qui les décorent.

lOr on ne peut trop remarquer, il. la gloire de notre saint

Denys, quifl'ensemble et le caractère de ces théories sont pré­ciséll~ent l'ensem~le ;t le carac,tère ~es théori,es qu'ado~t~r~nt

ces Illustres maltres de la theologle scolastique. La diVIsion générale des questions qu'ils embrassent semble calquée sur les écrits de notre Aréopagite; comme lui, et il. son imitation, ils traitent de Dieu: de la création;-des mo)'ens de réparatiou3 accordés il. l'humanité déèhue et de la vie future~ Les œuvres du Il grand évêque d'Hippone purent bien accréditer ~n d'études

J théologiques; néanmoins ils ne l'avaient pas inspiré. Car depuis longtemps les clercs des Gaules étaient versés dans la lecture des anciens Pères, et en particul ier de saint Augustin; mais on ne voit pas qu'aucun d'eux ait rédigé en corps de doctrine systé­matique les vérités de la religion, peut-être parce que les héré­sies, les guerres, les oscillations d'une société qui se dissout pour se reconstituer sur une nouvelle base, n'avaient pas per­mis aux intelligences de prendr~ uue direction iihilosoP.!.iique. Sur le champ de bataille, le soldat pratique la bravoure, il n'écrit pas des théories. Mais lorsque le souffle de Charlemagne, en passant sur l'Europe, eut fécondé ce chaos, la philosophie

JI avec les b~ttres et les arts vint saluer le grand empéreur, qui les revêtit de son manteau. Les hôtes illustres trouvèrent aussi un asile dans les évêchés et les abba)'es (1); et c'est dans ce commerce mutuel que les meilleurs esprits se familiarisèrent avec les langues anciennes, se préparèrent il. étudier les modèles dans-les trésors' même où leur pensée était fixée comme sur l'airain, et contractèrent tes 'habitudes de synthèse et d'aualyse

(i) Cgncil. Gallic" t. 1; Capitul. Caroli Magni, 68, 12; 13aronins, ad ann. 181 et 804.

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I~ r lr\TllODUCT10~ CXLIX

qui augmentent la sagacité, assurent le jugement, et multiplient les forces intellectuelles.

Tel était l'Occident,..lorsque les écrits de l:.~r~opagitc y arri- Jf\ Nr:­(' yèrent. l'ious ayons dCJà YU comment Scot Eflgene, en les tra- ,

duisant, s'était intimement pénétré de sa doctrine, et rayait reproduite dans le livre de la DÎI;ision de la iYatw'e. Génie moins fougueux, mais aussi indépendant et plus ferme qu'Érigène,

ï- saint A.usehfé~ le grand métaphysicien du onzième siècle, et le 1 i? prïn"ce de la philosophie scolastique, adopta également les doc­trines du livre des J\'oms ditins et de la Hiérar.chie céleste. En passant par cet esprit si rigoureux et si profond, les conceptions orientales de saint Denys pre~nent. un caractère plus logique et

( se présentent dans un ordre de déduction plus sévère. C~a

même chaîne de vérités concues sous la méme forme, IJliill; dis­,t !;:-" posé.es sel (ln. une autre m~tho~e. A ~ra ver~ ~:es de~,x hommes, 'tv!.-, k fiJ

l'achon de samt Denys pénetre Jusqu au trelZleme slecle. Car les 1'\ ­divisions précédemment indiquées se perpétuent dans les écoles - Q.. '}.J

théologiques, et les hlst~s de la philosophie font obsener que c'était là le cadre obligé, ou du moins universellement reçu de l'ensëignement pUblic (i).

Au reste, si l'on pouvait conserver encore quelques doutes à cet égard, ils seraient facilement levés par la lecture du livre des Sentences, auquel on fit si brillante réception dans les écoles du temps, et .dont les plus renommés maîtres devinrent

'i 1 r (i) " Alain des Iles, qui ferme cette époque de la scolastique, parle

" comme Scot Êrigène, qui la commence. (Scot mourut vers 8iO, et " Alain des Iles en i203.) Alain dé<I'le}'~.~e Clément III son AI·t de

( ~_~1"1'~

" lI! Foi catholique" qui est divis.~ en ci~.!~res, comme il suit: i o Jc,,''''' A

. "De uno eodem que trino Deo, qui est una omnium causa; 20 De " ,rnundo, deque angelorum et, hominum creatione liberoque arbitrio; " 30 De reparatione hominis lapsi; 40 De Ecclesiœ sacramentis; 50 De " 'resurrectione et vitA futuri sœculi. Ce sont les divisions ordinaires 11-- th. " de la métaphysique théologique de cette époque. " Cousin, His!. de 3

la Phil., 9- leçon. Voyez 'aussi de Gérando, His!. comparée, t: IV, ch. a5 et suiv.

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les interprètes et les humbles commentateurs. Le plan de 11.. Pierre Lombard l'te reproduit sous des proportions plus larges

CX(~VI dans la Somme de saint Thomas, une des belles créations de l'esprit humain: métaphysicien profond, et profond mora­liste, la haute portée de ses conceptions et la .sagacité de Son analyse font de celte œuvre quelque chose de plus vaste et de plus complet que les Sentences; mais c'est la même idée autrement traduite. Ce qui le prouve, et ce qui montre de plus que l'ensemble des doctrines théologiques continua d'apparaîtref'lfj dans les écoles sous la même forme, c'est que longtemps on choi­sit indifféremment pour texte des leçons publiques les Sentences

( de l'évêgue de Paris, ou la Somme du docteur napolitain. En Espagne, Salani:'anque et Alcala; en Flandre, Lo--;;;a~t Douai gardèrent cet usage, qui cessa en France dès le règne de

---

( François 1er; mais tout en rédigeant lep.rs traités ou leurs thèses, les professeurs parisiens n'établirent ni une méthode nouvelle, ni une autre division des matières théologiques.

Voici donc ce 'lue répèt.e de siècle en siècle la voi x de ce solennel enseignement. -­

Dieu est l'essence suprême; la vie, la sagesse, et la force et la bonté s'unissent en cette bienheureuse nature à un degré infini; ct ces attributs éternels, absolus, immuahles la constituent et la perfectionnent.. Cette essence unique, indi,-isible, subsiste en trois personnes qui se pénètrent mutuellement, et sont unies avec distinction, et distinctes dans l'unité. Unité et trinité, mystère inexplicable, que la raison ne peut amener sous son regard pour en sonder les profondeurs, mais qui rayonne dans la création, et imprime sur les êtres je ne sais quels obscurs et radieux vestiges de lui-même. C'est ce que nous savons de Dieu (1).

Les créatures viennent de Dieu qui les a produites en la force de son bras, d'après les conseils de sa sagesse, par un décret de

A L (i) S. Anselmi Monolog. et Proslog.; Petri Lombard. Sentent., lib.l;

D. Thom. Sum., part. I. .J

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1'>/INTRODUCTlO;-' CLl

son amour. Elles sont en Dieu, sans se confondre avec lui; elies sont hors de Dieu, sans échapper aux embrassements de sa providence. Comparées à l'infini, elle~ ont si peu d'ètre qu'.on pourrait dire qu'elles ne sont pas, quoique pourtant on ne dOI\-e pas les nommer un pur néant. A la tète de la création entière sont les anges, substances immatérielles, vi l'antes, actives, douées d'intelligence. Puis vient l'univers sensible avec la tota­lité des êtres qu'il l'enferme; entre tous, il faut distinguer l'homme, placé aux confins des choses matérielles et des choses intelligibles, pour unir et rattacher en lui ces extrt,mes. Composé d'une âme et d'un corps qui ont leurs droits ct leurs devoirs, leur travail et leur mérite respectifs, l'homme est soumis à une législation complexe, qui a de plus un caractère particulier, à raison de l'ordre de grâce, où nous fùmes originairement cons­titués. Dieu soumit à une épreuve les créatures intelligcntes : des anges tombèrent; mais leur faute fut personnelle; l'homme aussi fut vaincu, et il entraîna. sa postérité dans sa ruine. Le mal existe donc; mais ce n'est point une substance que Dieu a faite; c'est le résultat d'une activité qui peut s'égarer, parce qu'elle est imparfaite, et qui s'égare, parce qu'clle le veut librement (1) .

.!lIais Dieu qui n'a pas produit le mal daigne y porter remède. Le Verbe, sans altération de sa substance di l'ine, prend la nature blessée de l'homme, et la guérit en mourant dans sa chair. Il remonte aux cieux, et laisse après lui son Église, qui est comme un prolongement de l'incarnation; il l'enrichit des trésors de la grâce, déposée dans le canal des sacrements, où va puiser tout homme qui veut participer à la vie didne (2).

La vie ainsi réparée, on la maintient, et on la développe par le travail de la vertu, qui consiste à détruire~~~es

(1) B. Ansef2i Monolog.; de Casu diab~li; de orig. Peccato; de Concord. grat. ct liberi arbitr.; Petri Lomb. Sent., lib. II; D. Thom;:? Sum., 2 part. - (2) B. Anseln:t:', de Fide Trinit. et Incarn. ; CUI' Deus homo ;P. Lomb Sent., lib. lU et IV; D. Thom] part. 3.

2

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/St•. CUI l:XTRODUCTlON

du mal, et.J!,. imiter Dieu, notre principe, notre moùèle et notre fin.I:a mort ouvre devant l'homme un monde nouvea"u, où les actes du temps présent doÏ\'ent ayoir un retentissement éternel. Vicieux sur terre, un affreux malheur nous attend au delà du tombeau. Justes ici-bas, la félicité des cieux nous est réserrée : le corps sera transnguré; l';\me verra Dieu ct l'aimera, et dans un frémissement d'adoration el. d'amour, les élus abaisseront leurs couronnes devant le trone de l'Éternel en disant: Amen ! et les échos de l'éternité répéteront sans nn : Aman! (1)

~0, Il Ces analogies entre la scolastiqu~ sainl: Denys furentjl constatées par quelques historiens de la philosophie; mais comme ils ne se sont exprimés qu'en de courtes paroles, et comme, en outre, ils ne se proposaient pas de signaler ce fait à la gloire de saint Denys, leur aveu n'a pas cu, sous le rapport qui nous occupe, la portée qu'il mérite; et par suite notre senti­ment pourrait sembler contestable et paradoxal. C'est facile pourtant d'en établir la vérité et méme l'évidence. Il faut croire, en effet, que ce point d'histoire fait saillie, et brille d'une éclatante lumière sur le fond obscur des événements anciens, puisque le peintre habile, qui, dans un cadl'e étroit, groupe les accidents variés d'une période de sept siècles, donne place à l'idée que nous exposons. « Scot l~rigène savait le grec, et il a » traduit Denys l'Aréopagite, et comme Denys l'Aréopagite est li un écriYain mystique, qui contient à peu près le mysticism e li alexandrin, Scot Èrigène avait puisé dans son commerce une » foule d'idées alexandrines qu'il a développées dans ces deu x li ouvrages originaux, l'un sur la prédestination et la gràce, li l'autre sur la division des ètres. Ces idées, par leur analog ie » uyec celles de saint Augustin, entrèrent faciiemcnt dans la l) circulation, et grossirent le trésor de la scolastique (2). li En un mot, le résultat acguis des recherches modernes, c'est qü'e

. (1) Ansel;2. Meditat.; Lombard:- Sent., lib. IV; D. Thom .~ part. 3 supplem.

(2) Cousin, !Iist. de la phiL, g- leçon.

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1S" J I:'lTRüDUC'flüN CLIn

les œunes de saint Denys sont. la source de la philosophie il ,cfa d'Ei-idme, et que des œUITes d'Erigène sort la philosophie du J~

~n âge et par suite la sciencc moderne (1).

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Au reste, pour résoudre il. l'avance les objections possibles, et donner la mesure de nos assertiom, il :::crai t utile de faire quelques remarque(B Les tendances que saint Denys a dél'e­loppées, que même il a jusqu'il. un certain point déterminées, aUraient fini par n~aître, et ~ainlellir s.ans lui; car elles sont fondées Sllr la nflture de l'homme et sur le christianisme qui est un ennoblissement, et Ilo~pas une -âeslniction de la nature humaine..Mais, de ce que les philosophe5 chrétiens auraient pu apparaître et se succéder, en dehors de l'action exercée par saint Denys, il IÙn résulte llullementJly'il.ne leur ail plls lr~é

la route, et qu'il n'ait pas le premier attaché iL l'autel de la foi la n cïïafll~ cles yt~rités philosophiquesGLes faits intellectucls, comme les lmts moraux, et comme ceux cle l'ordre physique, cachent toujours, sous leur unité apparente, l'interrention de causes multiplcs, la raison compO.Sée de plusieurs l'arecs. Car tout ) ce qui tombe clans le temps a son p~~.sÜuL'dont~I'e, ~n /l

<but qu'il faut atteindre par le tramil ou le mouvement, enfin un 1 ;ilieu-1qu'on ne traye~se j~I!!.~~ sans frottemcI~t.et sans~ort: ] C'èSt'pourquoi ricn de ce qu'opèrent les créatures n'eslle résul- . tat simple d'une cause unique et indécomposable. Ainsi les recherches précédentes ont ,pour but de constatcr quelle part

\)d'innu~nce écho.il à saint Denys, clans l~ di.rection q~'a prise·~a

scolastique; mats elles ne tendent pas a ruer que d autres éle­ments soicnt intervenus pour fortifier et accroÎlre la tendance indiquéeC.8.-\.insi qu'on va le yoir, le mysticisme du moyen âge \\ 11:reconnaît p~til'ementsaint D~S2.2.Ur ~Hre; rhistoire atteste U làlidé'lTI"é scrupuleuse du disClp e, et la parenté des doctrines de l'un et de l'ûutre se trahit au premier coup d'œil. Or, pour qui­conque sait comment, dans les profondeurs de l'àme humaine,

(1) Staudenmeyer, Scot Él'igène, ct la science de son tënips; de Gérando, llist. comparée, 1. IV, ch. 22 et suiv.

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f'fe--, le t? ~~--r- ~ no Ilcif)

" CLIV IXTRODCCTlON -4 'l...A 'L

la p~e et le sen~ent, l'~Etit et le ~ur se trouvent, pour ainsi dire, enlacés dans les liens d'un fraternel embrassement et d'une indissolubll(~.:.n_ion, il sera clair que la tendancé"ïnt.ellec_ HtueIle et la tendance zmorale de la science ont dû se pénétrer intimement, et exercer et subir une influence réciproque. Tout ce que nous pourrons dire touchant l'effet des doctrines de saint Denys, sur le T\2Ysticisme c1~J'l:~: prouvera donc l'effet de ces mèmes doctrine~~..

Qu'était donc le mystIcisme du moyen âge, et comment se rattache-t-il au nom de sai~ys?

Considéré dans son principesubjectif, dans l'ùme humaine, le mysticisme est un soupir plein de regret et d'amour que nous poussong vers les cieux perdus, mais espérés. C'cst le souvenir mélancolique que l'homme emporta de l'Éden et que Dieu daigne nous laisser dans l'exil pour ramener vers la patrie notre pensée

1 et nos vœux. De là vicnt qu'en passant par cette blessure qui fut ( faite à notre cœur, toutes les joies terrestres se revill-en~er­tu~et d'ennui, et que nous traversons la vie av~.uglt~ pLéni­~~ douleur gue nullelang~~mortelle ne saurait exprimer. De Iii vient encore que, ~y~~~~s ~pectacles d~_.!~ n~ture ) qui nous élèV.ent au-dessus des réalités grossières, il y a. com~ej

une voix douce et triste qui nous entretient de Dieu, de la vanité dutëffiïii~~sin\et ~'un meHleur. avenir.lJeîrvient~t

que, parmi les fèteS' et les enseig!:1.~ments J1l!-1Q.I~ligion~ parmi les pratiques>sacramentelles que Jésus-Christ a instituées, iLs'oll.~..re or

dans l'âme un renversement m~-stérieux pa.E-~n.!2:.éputéesl fau~..Lan~!:.~~~g~~~_~rys, et véritables et suaves \

1celles de l'éternité. Mais cette révélation, lointain écho des °

~nës-(fu-p;radis, 1}.~rri\'lUI!:1'àJ:0reille des cœurs purs, et ceu.x-là ne l'ent~nd.ent p_as qui sonCétourdis I?-~r 1!!.1uI!lult~<[une ) jOUll!.~ELi,!!lpie e~p_ar ~s entraînements ~crime: ou même par

"les frivolités d'une vie mondaine et distraite." L~-principe obSê7:tiCla cau~e créatrl~ ~ sentiment ~lystique, )

c'est Dieu qui le fait naître dans l'âme de l'hofume d).!!!...!!!-r~n

!!..~~re et d'amour surnaturels, .et qui, de la sorte, a~e

i) -----­

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'-..:tJ L. I-'Ll:iy--. ( l., 1~ "\ /...,. S""J7",~(; k-c. ("Go .I.\p-"':' 1<J.1d ~C·; ~,_~c;"" ... y""

1',--; INTRODUCTIO:'l CLV

et attire en son sein les créatures exposées'àux sollicitations des se,~âU~lionsde l~ t~Ire:-PaFti~'ü!!.~e sr~re'll

celte grilce ne sauraJt tendre à égarer l'homme; peut-ètre mème sWïb!erait- il tout d'abord qu'on ne dût pas oser tracer il ce HellYe un cours régulier et fixe;' car ~L!!j:J!Jie!'u;t~spo)ltané,<le_noble

=- et d'indépendant co_mme l'{lm2u!:..fIivin: Mais l'homme abuse --=­souI·ent de sa liberté pour altwr et corrolIUJre les meilleurs

ciJOses, ~OJl._co_n_l_ me to~s l~s~n!iJl1e~tsque Dieu met dans notre\ 1 IJ 0. ùme, Je nlJ'sticis~e peut être mal co.mAAs .llt mal appli.cIué, , <:"-­

( \-ï\~t énergique comme t()ut ce qui j'1ilIit.iu c~r, il peut' , 1 dégénérer en~ffi\ion déli.l:1Wte. Arbre fécond, il fâùt le cul­

tiver avec amour, mais aussi avec inttill.\gence~-fije peur (lue sa sève divine ne se perde en productions jnuliles'oll funestes. On

~(peut pousser le courage jusqu'à la fureuI', la bonté jusqu'à la , faiblesse etlê...::~nt mys~iQ~ju~~aux erreurs de rÉt'angi~e

\ dcrnel et aux folieS lhcosop/tlqucs de Jacob Bœhme (i), Ce senti ­ment ,vague et indécis par lui-mème a donc besoin d'ètre~-p~,' Aussi, afin quïl ne l'este pas aux hommes de bonne volonté roccasioll inél'itable de s'égarer eux-mèmes ou de séduire les autres, des principes sont consacrés et ug~_ d~e

exisle par où l~ vérité se distingue de l'er~r, et la véritable dilection, des mouvements d'un extrav(lgant all1,2ur, Le mysti ­cisme doit, par conséquent, être l'objet de la th~oloQie qui mIe les rapports de rhomme avec Die~,----sA'---~

Comme les autres sciences, Id~!Qgi.ell~..J'sliq~fut Qratiq~ée

avant d'01re réduile en système scientifique: car tous étant

(1) L'Évangile étemel, al.lribué ille_;!.2~~!iÏmf renrerme, outl:e des erreurs sur le dogme de la Trinité, certaines idées dont s'empa­rèrent tes faux mystiques et les hérésies des treizième ct quatorzième siècles, Il fut condamné par le concile œcuménique de Latran (1215), par Alexandre IV (1256) , par le concile d'Arles (1260). - Sur Jacob Bœbme, illuminé allemand, don! le théosophe français, saint Martin, a traduit quelques ou..-rages, voyez les historiens de la philosophie. Bœhme, né en 1515, lllourut en 1624.

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1')' CLVI I~TnODUCTlO~

destinés à rechercher et.a1..llll:r Dieu, il faut qu'on puisse arriver là sans ces théories habiles que la foule ne comprend jamais bien. Par cette raison et parce que t@t~s choses sur terre ont leurs périodes diLerses d'accroissement et de décadence alter­iïàti.fS' le illy~icisme se déveiOppe, ffë~itet fr1,LCtifie, pu~ble

\1 a.YQjL~ers qui amènent de nouveaux printemps. De nom­breuses et variées circonstances déterminent, acc'Jlèrent ou retar­dent la végétation de la cé)es~.__plante; mais elle n'en est pas moins, à quelque siècle que ce soit, kgrand arbre où l'ûme reli­g~eJ cQlpn1!le ~ttr~tge,par l'éloignement du hien-aimé, vient cherche~ le repos et l'ombrage jusqu'au soir de la vie et~se

consoler des soull'rances de son a;-ûur danSla 'dOuCeUr de ses plaintes. <-'­

Telle est, en elTet, ll'histoire dl!.J~ys~~i~IT.!.e,_~~tho!~~e.III a charmé les longs jours des patriarches et fortifié la foi des prophètes. Il ~ sa plus haute expression pratique dans la YÎe

[1mortelle, et sa plus haute exrres~n doctrinale dans _~s

~seignementsdu Seisneur. Il remplit la sainte ûme des apôtres. La parole émngélique en dispersa le précieux parfum parmi toutes les nations de la terre. Les solitudes de l'Égypte et de, la Palestine, le voisinage des temples chrétiens et le cœur de chaque fidèle en furent embaun1és. L'Orient "tout entier se '1.

peupla promptement d~~où,parmi l~ortil1cations et la pénitence, des hommes vivaient comme des an[es et jouissaient

.e.~

:"" 7 t') de la sainte familiarité cie Dieu. mc7;tàt le reste cie l'univers ëut son tour; et duh~ut d;;"'Mont Cassin;-"la grande voix de saint ~, ~~i a~paI'ai_ssait co.m.lI~e tr~n~figu~é?cofi\".iale~~êhrétlCns ~

de IOc~nt au banqu~ de la vIe ..mY~lque. 0 un autre coté, les évêques réunissaient autour de leur église comme une famille de clercs choisis. Une disciJ2.!ine1' exacte conservait dans la sain­teté les seniteurs dellieu, et l'étuèleTet la prilieJles f~ço~!1'!i~t

~~n~mplation. Il y a plus, si on veut l'observer: tout ,ri!] Il véfitabl~ enfaq,t du christianisIIle e~t J!loine_R<!-~ l'esp..!.it; il

.détache ses alTections de toute entrave matérielle, et, créant dans son cœur une sorte d'isolemen.t mystique, il s'exerce à u!1.e

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/{" ~

INTROD{jCTIO~ CLYn

connaissance p~_rfaite et à un sublime amour de Qi~u. C'est la 'rié~~hristqui se manifeste en ses disciples.

Le mysticisme était donc pratiqué par les ~CS) réguliers, parles ~oinei"et par les pieux(f1~~. L~~ile, Îes écrits des a~s, Jêsi:'ègles tracées par le;; Périls de la ,:ie ascétique, les lettres et les traités moraux des docteurs~de l'Eglise: tcl est le code qui régit d'abord la vie m:t'stique. Plusifmrs siécles s'éCOU­lèrent ayant qu'on s'occupût de réunir en corp~~ces1pr~~ptes complets, mais épars. Comme tO~.t~_qgil~i,t l'objet de f'ïicti vité intellect~eJle des hommes, laLth~oJ~i~mystiMC)suhit, dans sa forme;Tes modifications que subissait lui-méme l'espri t général des peuples chrétiens. Des recherches ~'~

précédèrent, par où elle vit les dive;::; points de son aomaine reconnus et éclairés; puis la ~e) suil'it, qui résuma les travaux de J'âge antérieur et les constitua définiti l'ement à l'état de doctrine scientifique. -Or, pour le mysticis.me, comme pour sa sœur la scolastiCL!!e, l'époque de cette transformation fut précisé l11 ent l'apparition \1 des œuues de sai..n.!;.R.\inys. Il y a plus: les th~oriêsdu~ 1J(j 'J athénien devinrent la base des travaux que nous allons 1\ r~er, et la forme même sous laquelle apparurent les idées fJfj et les sentiments des théologiens mystiques. C'es'1.~[fet, au. . nom de saint D~nys, q~e se rattache la longue chaîne des 1 ~Jo.lmaîtres de la vie spirituelle. C'est de ses hues, comme d'un " ardent foyer, que jailTISSent tous ces feux à la lueur desquels les chrétiens même du temps présent sont guidés par leurs chefs dans les sentiers de la perfection. Il a laissé fortement empreinte la trace de son essor vers les réalités ~s; il a transmis aux hommes des âges postérieurs le secret de son intuition si profonde; il a, pour ainsi dire,'ârmé l'œil des contemJ?latifs cl.'filstr'uments délic<ll?_et puissants. Du haut de ses enseigneInënts, comme d'un obserYatoireélevé, ils onuu 1 1

il;!.~uœr....Lé,tendujLd.es cieu~njrituels et voir comment lOl!.tesl) fJ'3l~s, vérités, soleils intelligibles, gravitent autour du soieil de la vérité suprême incréée. Dan~ l'eui vretr.ent des spectacles que

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cJ..ar--: t;: 4,.."...."

"11M)It t l"" .......~ .....

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CLVIII I~TRODUCTION

leur avait préparés le maître initié par "saint Paul a~rets

du monde_ s!!.pérLeur, ils olltpuisé l'i!lspiratiQ!~ystiqueet" le sublime délire de leur amour. C'est en descendant de ces régions, hélas si p~~e~pl~rées mainte~nt, et en se retroU\;ant dans f'exlÎ de celle terre, <[ue leur grande âme déchirée laissait échapper cl'ardents soupirs et des gé~ents)ncQ.!!..~I.'l.-b..les,

et le nom de l~:x~ie, en tombant de leurs lè\Te~ alors, était si 1doux à entendre, que le 3iècle !ui-m.ême inclinait l'oreille en , passant pour ouïr la mélodie de ces cantiques.

". ëes assertions ne sont pas dictées par les exigences d'une opi­nion préconçue; elles sont fondée§ sur l~ témoignage de l"histoire et sur l'aveu positif des "Înystiques eux-mêmes.

Dès que S~ ÉIjgfIle' eut fait connaître les lines de s\Û!1t D~s, le m~:s.ili,~e, d'ailleurs naturel il l'homme, surtout sous lerègne de la ~éol~ie, tendit à prendre un caractère arrété et systématique ("[). C'est au dou7.ième siècle que ce travail fut poussé avec plus d'actiYité, e~_q~'on s'Q...ccupa de rédig~.Qe

c~let d~_ !!l-ysticisme. Peut-ètre doit-on attribuer aux aridités naturelles et ~ux égasements Cll,!ellluefoi.?_ puérils d~ la s.E2Ès­ticœ..e le retour des esprits vers des~doctrines plus pratiques et plus vivantes? Ce qu'il y a de certain, c'est que::-Ies..J!~r.l.W-;;sIl my_sti,gyes"furent accueillis avec une faveur unanime, et que, saint Denys était réputé leur cOIllII!un maître. C'est ce que nous app~l'ûn d'entre eux; car, après"avoir rappelé qu'il y a pour l'homme quatre modes d'illumination, il s'arrète à décrire Je dernier, qui est surnaturel et qui révèle les vérités divines. Cette manifestation supérieure nous vient par l'Ecriture inspirée, qui a trouvé des interprètes habiles dont la parole fait loi. En efTet, comme l'Écriture enseigne trois choses, la foi, la morale et l'union de l'ùme avec Dieu, qui est le résultat de la foi admise et cle··la môffiïepratiquée, nous avons aussi trois guides célèbres parmi les anciens et qui" sont suivis par les écrÏ\'ains du temps

(1) ~n. Hist. de la Philos., 9· leçon; ~fA.ndo, Hist. comparée, 1. IV, ch. 26.

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/'i'j' I~TRODUCTIO:\ Cl./X

'"'­

JI présent: ce sont Augus.ti~l, ~;régoire et, Denys, . mmstin _~

mltitre..Jlgs,' do~~~rs ;@golr~. de$.,prcchcateurs, Den~d~ leW tJlS N· ~l1!.p.hl~!fs (11.êesL e@irîemcnt ce qu'affirment les historiens de la philosophie,

quand ils recueillent el comparenl toules les données que le moyen ùge fournit sur cette matière,· Ainsi il y a beaucoup d~a, l'.s

'-. lo~~, entre les d_octri~les_~ys~iq~es~e ~'.int llern2(î;;et celles s c..1;, de I~gues de SUtllL-':,I,çtoJ:)Sam( Bernard tu[ mêle ft toutes l,es

affaltes mon sreeJe; les papes et les rois x:et;urent ses conseils; il combattitpubliquement l'hérésie, prêcha et agit pour la réfor­mation des mœurs, et souleva l'Europe entière contre la barbarie el l'impiété mu sulmane5":1Ïugue s, au contraire, ne semblait pas fait pour ces luttes solennelles et ce zèle éclatant. On eût dit que la délicate fleur cie sa piété redoutait les ardeurs d'une atmosphère mondaine, el ne pouvail supporter que l'ombre et la solitude du cloître. Du reste, il pratiquait la vertu avec édit1eation, et l'ensei­gnait à ses religieux avec applaudissement. On le nommait la langue de saint Augustin, et saint Thomas le rel:aD~jt comme If' son maître, Celle diversité de vie e~re a dû se relJéter clans ", les écrits des illustres moines, et effectivement l'abbé de Clair­V~'i. donne aux questions qu'il traite des solutions plus pratiqtÎes que ne fait l'abbé de Saint-Vi0or. !\lais ft part cetle di/l'érence qu'on aurait même pu s'attendre ft trouver beaucoup plus grave, ils se rencontrent en ce qu'ils présentent la~u cOJ:!1m_e~résul- II ta!je l'action et de l'amour; tandis que plusieurs de lems con- J

(1) Tota sacra Scriptura hœc tria docet, scilicct Christi reternaID genc­rationem et incarnationem, vivendi ordinem, et Dei el animœ unionem. Primum respicit fidem, secundum mores, tcrtium finem utriusque. Circà primum insudare debet studiulU doctorum, circà secundum studium prœdicalorulU, ,,-!!,cà tertium studium contemg1liivorum. Primum maximèdoce~ustinus" secundulU maximè docét Gregorius> lertium vero doceŒonY~~~OnaYen1Mra,'1le Redllclione m'lill1nô ad Theol. 0pIlSC., p. 2; Lyon, i ·9. - Voyez aussi les historiens de la philosophie, de Gé~o et C~n, llbi Sllp'-à; Saint René Tail!., ~

tl;igèlle et la scola.stiqlle.

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CD Nr1, Nf,

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16.­CLX I~THODUCTlO~

temporains fondaient la YÏe ~J'stique, ceux-ci sur la~~ce-;

ceux-là sur!~ut'exclusi\"Cment. Or, comme il est certain qUe H~~étudia scrupuleusement saint !?$f's, dont il commenta les œuvres, on est fondé à croire que e même si!Înt D!l,!lYs exerça quelque influence sur le génie de saint Bernard."-Au reste, ,cette induction sera justifiée encore, lorsqüëiious ferons l'oir l'identité fondamentale_ des doctrines de tous ces maîtres (1).",(

Contemporain de lIugues et de saint Bernard, Richard de Saint-Vic12r fut plus spécialement encore le disciple de Ilotre Aréopagite. Le jeune Écossais ,était yenu à Par~a

( science; la sc'fence le conduisit à la p1:été. Son esprit suivit co'ilstammenrcêùe d~uble direction; lïpOrta l'analyse psycholo­

( gique dans la contenïplation religieuse, soumit à des règles fixes 1non pas l'illumination mystique que Diëïïfü1t descendre sur \ l'homme, mais le~Yai!..!.I!.tellectuel par où l'homme s'élève

} vers la lumière et l'ers Dieu. Or) Hichard,) qu'on peut regarder 1.111 comme le législateur du mysticisme, est peut-être ëëlui de tous

les théologiêns- mystiqûes -qura- reproduit plus exactement la pensée même de saint Denys: c'est le jugement de saint Bonal'enture (2), et ce sera 1e jugement de ceux qui voudront comparer la Thé%gie mystique de saint Denys arec les traités suivants d{BichaJ.:.d :tde Extcl'minationc mali, et pl"oll/otione boni;J e Statu interiol'is /wminis; tdc E'I'uditione hOl1linis ill/criol'is j

;tie Pl'aJramlione animi ad contcmp/ationcm; Ize Gmtiâ conteIll1J/a­tionis (3). ,

Un peu plus tard (vers [2.i-O) , l'Italie envoyait étudier en I France 19an Fidema, _~~lDU d~puis dans rÉ~lise_et dans l'é~eJIsous le nom de Bonaventure. C'était une f!!!!.ê pleine de candeur

etcî\nnocence, que n'atteignit jamais la contagion du siècle. Il ~t un docteur illustre. Sa parole, simple et brûlaJ!.k,_sor~

(J) Cf. auct. prœcit., ct opera D. ntfrnardi, ct Hugmis"à Sancto-\ïcL2re. - (2) S. nonav., de Heductione artlum ad Theo1. - {3} T&hardi li.,{

Sancta:Victo"fi~a, pelit in-folio, Venise, 1592. - Hicha.r-ù mourut en H73,

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1('1 !:,\TRODUCTIOX CLXI

son cœur dont elle est la ~?~~et}ld~e~mage; son ûme liquéfiée enamours~!Ubreun sé~~in qui parle la langue des hommes, La lu~e de seucrits esLill!§si puis~~ur_éc~r

l~clligence que pour émo~ir le sentiment. Il fut proclamé le (:\ pliïSgfaïld maître de la vie spirituelle par G~n,'\aYant maît;ë

../ lui-mème. Assurément, saint Bonaventure, qui avait nommél( ij'f.!, (saint Denys le meilleur guiaë des contemplatifs, dut l'étudier et

JlleSûl\Te. C'est ee qu'on ne peut révoquer en doute, soit parce q~tendance générale emportait alors les esprits les plus' distingués vers les œmres du docteur athénien, soit parce que, eifecth'ement, les livres de saint Denys sürles lÜ~m~hLe.~te

et ecclésiastigue sont la~_e et le point de d~art de saint Bonaventure dans son traité de la hiérarchie. De plus, ses nomhreux écrits de spil'ÏtuaÏitk;Qiü d~tinés à~~l;~J.uer et ~

décrire cette triple yi.D?Urgative, illyminaliye et " . , qu'avait) précédemment constatée l' Aréopagite (1).

« Les hommes les plus remarquables du quatorzième siècle 14~ 1

» furent presque tous des mystiques (2). » Le sôlde la chr6Üenté, fécondé par les doctrines de l'ûge précédent" produisit comme ~1.mille im~ell§e d~-pieux contempli!!ifs. Entre tOllS

" brillaient plusieurs Frères de J:Q~9F~ de Saint-Dominique: tel C~ fut le d?cteurJEc)~d, qui, à la vérité, se pei'd-It quelèjuefois

,-_." dans la sublimité de sa doctrine, mais qui en avait abandonné le jugement au Siège apostolique; tel fut l'aimable et doux Jean

Q Tauler? dont Cologne et Strasbourg entendirent la voix puiss~

. arëë'"'admiration et profit spirituel, et que Bossuet nomme « l'un des plus solides et dls plus corrects m)'stiques; )) tel encore Henri

,.. J....\ de Berg, ou Suso, l'amant passionné de l'éternelle sagèSSé, '----- . comme disaient' ses contemporains, et qui achetaLyar des

(1) Voir spécialement, e~lre les opuscules du saint docteur. n,,~IW'~-Z;;;:.-v... .

tinel'al'ium mentis ad Deum/lie septem Itillel'ibus œte1'llitatis~fystica -Theologia. L'authenticité de ce dernier ouvrage~èté contesté~mais à tort, selon le plus grand nombre des critiques. -........ VV

(2) ~, Hist. de la Phil., !lbi suprà. ~ """-" 0 ~

6

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"'t-CL XlI J~TI10DUCTIO~

( - . ", \....t...)

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(1;),---'

ë pénitences efTroyabl~5eL_J!..:iJldicjb!f";;_tribulations,la lum[ire de la-céjeste- doctrine d le tré~or de la [lieuse feneur. Ecl'~l;d"

dèiïïf'Tüwe0'e'iSusol-:ëntendirent les lecons, citait '~oU\'enl~in;

llen~'s;Tlll'est donc pas étonnant que 'les disciples, aussi bien quele maitre, aient sui\'i le docteur athénien, et !Ju'on retrOU\'e dans leurs écrits les traces de celle imitation (1). A c(Hé de ces brillantes clartés, étincelait à une f!rande hautepr, dans les cieux spirituels, le docteur dil'in Jean de nusbr0s.ck~ Cet homme,

\ par sa parole riche et puissante, fraJ2P~'l~ntraÎlIait ses auditeurs, qui le suimient en foule. Comme on avait appelé

Illll~::;lîCS de Saint·Victor un autre Augustin, Oll appelait Jean un autre saint Denys; et véritablement, il a dépassé la foule des

1 théol0i!rë'iis mystiques par la profondeur de ses méditations, et par l'éclat de ses pensées, tout illeUré qu'il était: car le Saint­Esprit a\'ait versé dans l'oreille de Sf'1I cœur des s<'crets qui ne s'apprerinellt pas sur les hancs des écoles (2j.

Les traces de saint Denys ne se perdent pas dans le !JlIinzièll1e­siècle. Dell~'s le Chartreux~'qui étollna ses contemporains par une prodi!:\'Ïeuse érudition, ct édifia ses frères par m piété, a commenté les œU\TeS de L\.réopagite. C'est là qu'il a puisé ces idées générales de la vic chrétienne et ces hautes considérations qui l~i ont mérit~ le titrè de docteur extaliquc.li;e'i-~~h,~et l'auteur, qllel qUï~soit, des œU\Tes l'épandues sous rëiiônf' de Tlw.mas à Kempis, ferment cette éclatante période. G~l, il est \Tai, eut occasion de relever quelques expressions incorrect0s de nusbroeck,~-quu-nOus avons représenté comme disciple dl) saint Denys. M,Ns si la droiture,de son jugement, et, comme le disent vololltiers, ses compatriotes, la justesse naturelle de l'esprit français maintinrent l_e doc~_~~-.!.!:~s~~réli.en dans les limites de l'orthodoxie, il n'en estyas moins vrai qu'il suit saint Bona\'enture; ~uf a\'ait suivi ],AréopàgTte~ ct que ses écrits

(i) c~er,.1Jnstit. divin.; II~so~Sagesse éternelle, '1es neur Rochers. - (2) Joan, Rusbrock, Opera omnia, petit in-folio, Cologne-, i692.

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lb]I:\TRODUCTIO:\ CI.Xl\[

de ~piritualité rappellent effectivement la thbologie mystique de saint Denys (1).

:'\on ~eulement les témoignages de l'histoire et l'aveu explicite des théologiens ~orcen~ à rec~l~na~tre que le ,mpticisme du Il Nt] Nfl

moyen âge croymt obéIr, et ~llt en elTet, u 1Influence de ­f'Xrc(lpagite; mais de plus il devient impossible d'élever sur ce Pôint un doute raisonnable, quand on voit que les théories du \ suint docteur sont si exactement reproduites dans les écrits de J N celle époque. Les différences qui se feraient remarquer dans ce tableau comparatif ne peuvent créer une véritable objection, et s'expliquent sans peine par les considérations suivantes{ i~.La

pensée de saint Denys, une fois mise en circulation dans le monde intellectuel, a dû subir les modifications que subiIToute i~ntlëSëSprits s'emparent et se nOlllTiss~;;t-: '~;ëstla

condition naturelle de toutëe ëjüi 'ëSl;oumis il un travail d'assimiIatioll~Parce que toutes les sciences, comme tous les êtres, se tiennent, et que, en conséquence, les J2Iggrès de ceTIes­ciserélléchissent sur celles-là; parce qu'en outre les-études ps)'chologiques devaient a"ec le temps se perfectionn-er, et les expériences multipliées des âmes pieuses s'ajouter aux connais· sances théoriques, il s'ensuit que les doctrines de saint Ife.!!J's surrem'ysticisïne ont pu, à une épo'que donnée, recevoir un erfectionnement, ou du moins, une eX12osition plu~omElè.te.

o Les erreurs même, et les illusions, si faciles en ce qui con­cerne la science mystique, provoquaient, de la part des docteurs orthodoxes, des explications précises, et des développements lumineux et variés. L~ vérili sort toujours triomphante et plus radieuse des ténèbres dont l'esprit du mal essaye vainement de l'enve~~r. Pour cette raison encore, il"étâTt naturel q\!.e la pensée de saint Denys vînt à s'éclaircir et à s'étendre en tral'ersant les siècles et les hérésies.

==- Ces observations émises, voici commen( les. mptiques du

(1) Entre les œuvres de Gerson, 5 vol. in-folio, YOJ'ez11e Theologia mystica ;"tle ~Ionte contempliliOnis.

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IÇ'l CLXII- L'\TItünCCTIO:\

mo:.en <If!..<' conçoivent et décril'ent la vie chrétienne, il la suite de saint Denys, et sourent avec ses propres paroles.

ci) - ( Ils partent de ce principe, quc"Jc hut ulLél'il'ur de nos ùmes est une intime ullion arec Dieu, tellement que nous de\'ons Ure des h01lnnes déifiés, comme Jésus-Christ est Dieu incarné:t Cette

Cunion s'accomplit sous une double influence: l'actioll de Diet@cÜ celle de J"homme, la gràc~t potre liberté, De plus, celle unicn,

'- ( comme toutes les atltres,.lsuppose qu'il n'y a entre les deux'U-termes rien d.'antipathique, ni de contradictoire, et qu'ils ont

,._ au contmire des analogies et des l'oints de contact, Or,"le péché 0) a introduit dans notre être une modification prorondt~; il a détruit les harmonieux rapports que nous soutenions primitive­

( ment arec Dieu, et leur a subslitué la discorde. Il faut donc que

c.; _( celte hostilité,')a\'ec tout ce qui pourrait en (Iéterrniner la . \ continuai ion, disparal;:se, et que des éléments d'ordre,Pt de paix

la remplacent. Iroù il ~'llit que notre vie exige \111 -tra\'ail deC5:1 ( destl'uclioll d'ahord, puis (le réédification (1) ..:r "~"I".,..J. , Le péché, et même les traces funestes que le pt:ché a laissées

en nous, font l'erret ll\l1l\'oile placé derant les FUX de lIotre"\, '1

1 :\me, ct qui l'aveugle; d'une rouille qui s'altar.he il l'or de notre nature, autrefois si éc.latant et si heau, et maintenant ohscurci comme un vil plomb; d'une liqueur risqueme qui appesantit les ailes de notre esprit, et J"empêche de s'éle\'er vers les régions de la lumière, De là vient que nous sommes inclinés vers la terre,

,J~ et déchus de la sc:ience et de l'amour de Dieu, C'est pourquoi 1 l'homme doit détestell?le mal riant il fut alleint, guédr les bles- , <--0

-( s~.c::s qu'il "reçut cn-sa'(ïé-r.lit~'aboJir les instincts mal\~e~

>remuent en Jui, il l'approche des créaturesh!t vil'ifier et rendre

l fa ries le~ l-ëndances pureSJc~~lltn[es qUI sont comme ~nse\'elieso sou~ les débris de sa 1}.<;Llur~ou~ée, Or, il faut que ce mira- 1 cul eux changement s'op(~re dans tout l'homme: et parce que, l

[ 1

( lU

d'après la parole sainte, il y a trois sources de concupiscence, il

-' ( ;ç;-­C:' (1.) Cf. D. Bernard" de Convers. ad Cler.; l\icharcl, li Sancto-Yictore,

de Exterm, mali, etc.; ~v" Diœta salutis.

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IC '"0­I~Tl\ODl:]CTIO~""" .... '!:...."'a:-J CI.X\'

, ~

y il aussi !(fQis'~ndroits par où notr~J~urifica~n~s'accoll1plil. On - CL'1' ~pp05C donc,la ch%.s~té et ~a t,empérance à lJt concupisce~ce

de la chair ~a p!111vrele, le meprls des honneurs et de la dOlre ~Wne-2:.1~ Co!~cupiscen~e de~ ye!1x,~t l.'orgueil de la vie se corrige par 1 obeissance, loubli de SOI, 1al'eu de ses fautes, l'étude et la conviction de cette vérilé que nous ne sommes rien ~

el que Dieu est toul. Tel est le premier pas de la vie chrétienne, telle est la destruction (tila pl/toatira) (i). T

Le traYail ,ciela réédification comprend d'abord l'illuminatioll,- t' ~,,"J.

de l'esprit (rita illumillalira), L'~ée ressemble il la tran­quille surface d'une eau limpide; e~reçoit et réfléclJ.!..t les ra~'ons de la vérité dil'ine, mais ...,on peut regarder la lumière intelligible par une simple pensée (cogitalio), et alors on ne fait que ramper, pour ainsi dire; <mi)ar la méditat.ion,1.et en ce cas, on marche et même on court quelquefois~bien enfin par la contemplation; et alors on yole, ct l'on sc balance, à la facon des aigl~ns les hauteurs des cieux spirituels. Le premi~r acte (cQ.!litatio{kst souyentle résultat de lïmagination qui appréhende ce qu'elle rencontre; le deuxième lmc~o)'Lestl'œuvre de la raison qui fixe sous son regard, et sonde avec ardem cc qu'elle a saisi; le troisième (conte11lplatio)~quin'a rien de laborieux, est ~rapide et profonde intuition iJ.ë l'intelligence supéri~ure. Le premier ordinairement conduit au deuxième, et celui-ci peut mener au tro~me les hommes de bonne volonté. Les moyens qui accumulent les splendeurs célestes dans l'âme purifiée, et la font passer par ces degrés qu'on vient de dire, sont principalement la simlZli/icalion et la dl'oitllte ~ cœur. L'esprit et le. cœur se ~~~l!P.!ifieQt, quand ils se détachent et se sépàrent des C?~es

se11§iJ~.les et corporelles pour se tourner exclusivement et adhé~r

a~n, ù·DieuÎ)è.!:.e; réd~!!!.pteur, épQ.l,lx et ami de sa créature.

(i) lli.chard" lIbi slIp"à, et de' Statu intel'. hominis tract. 1; J~,

Rusbrock, Speculum salutis reternœ; item, CC'mm. in Tabcrn.; et de prœcip. Yirlutibus; Uon<1\'., ubi slIp"à, et Itinel'ar. mentis ad Deum; Ilernard" tlbi slIp1'à; ~n, de Theo\. mysticÎl, '

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1 <. }""0'/o..J

I(C CLXI"l I:\THODUCTIOX

Le cœur acq'!!erUiLdroitlwe, quand il se dirige vers Dieu il tra­vers et par'::dessus tout, youlanLce_ q.u~ Dieu~eut, et comme il le veut, ct non pas autre chose, ni autrement. A celte élé\'alion l'âme éprou\'e un frémissement d'amour, elle goüte comLic:n l~

Seigneur est doux, Telle est la réhabilitatio21 ~e J~}J\'it; telle est lïllum.in~iç>ll (1). -nT Enlin,-rùme achthe de se perfectionner par une intime l~n

avec Dieu (vitrt wlitiva)l Dieu ne charme l'esprit par la lUlhièrè, que pour appeler il lui le cœur pal' l'amour; aussi, parmi les flots de clarté qui l'enveloppent, la créature est saisie par un sen­timent d'inexprimable tendresse. Celle dilection, gJorieux cou­ronE.~nt @s cOJltemèt.i~~es,se distingue par trois propriétés; elle ravit"en extase, unit àl.nieu, et remplit3'I'Ùme d'une pure et infinie allégresse, E~, il peut arrirer que l'ùme puissamment attirée se précipite dans l'amour a\'cc une telle \'iolence, que le~ns, l'imab;uultion et la raison, \'aincus et comme enchainé~, ou bien cessent tout il. fait leurs fonctions, ou ne les exercent plus que faiblement. Il y a, du reste, bcaucoup de dcgrés possiLles dans ce ravissement extatique. L'œil dc la raison étant ainsi aveuglé par une lumière immense, on ne connaît plus sous les conditions de temps et. de lieu; on éproure que tout ce qui représente Dieu, toute pensée et toute parole sont bien au-dessous de la réalité. i\lème, il \Tai dire, on ne l'oit pas ce qu'est Dieu; !!..!!..2ent sa prés~nce, Alors, pal'lni la douceur, de ces suaves embrassements, l'ùme se fond, si on ose parler ainsi, en l'objet aimé; et comme le fer, jeté dans une ardente fournaise, rougit, blanchit, étincelle, et prend les propriétés et la forme du feu, ainsi l'ùm.e, p~ngée dans les abîmes 'le l.i!mour

(1) Cr. JiUchurd. \'ietor" de Prmpar. nnimi ad ·eontemplat.; Gers.,­ de Meditat., de Simplifieat. cordis, de :'.lonle eontemplat.; ~I., ubi supl'à, de Consilleratione; 1l..2!l~~2!lt., ubi SIIp l'à, <.le septem ltineribus œlernitatis; Joan. Rusbr51ck" lIbi supl'à, de \'era Contelllplatione; T~', Institutions divines, dans le Panthéon littéraire; Henri Suso, li \'l'e de la sagesse éternelle.

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/(1­E'iTHüDCCTIO::\ CLXHI

iufini, conserve, il est vrai, son essence créée et sa personnalité, mais perd tout ~ qu'elle avait d'humain et de terrestre, et possède des façult~s_de.20nna!::.e.-:.~djimer~rmais déifiées. Tel est le prix des longs efforts de la vertu; telle est runion

Il) qu'elle détermine entre le Créateur et la créature (-1). Cette esquisse mon~re la ressemblance ~xacte des doctri~:J-':":'\

mystiques du moyen age avec celles de samt Denys, et conse- \~) Ct.!"

quemment, l'action exercée par le. docteur athénjen sur cett _ branche des études théologiques. Il a été prouvé d'ailleurs 'que la sco!as~ue lui emprunta le plan général de ses trava_ux et la fT ,,, .... ,, IX

soiUtioii. scientifique des questions qu'elle examinait. Ainsi se trouve constatée et décrite la part d'lnlluence qui revient à saint'

Il Denys sur cette période de cinq siècles durant laquelle se cons- '1 7.>"b î> JI titua l'esprit des peuples européens, et la science modernp. jeta

ses fondements. '=..::::::"'" Il nous reste un mot 11 dire sur ce que devinrent le nom et les

doctrines de l'Aréopagite, dans les trois cents ans gui viennent de s'écouler. -- -- --- '--­

D'àbo~d, et avant toute autre indication, il est certain que le nom de saint Denys fut en honneur et sa pensée accueillie, au moins chez quelques hommes, durant tout le cours du seizième

1 ç • .s siècle. En effet, la France, l'Italie et l'Allemagne publièrent à l'emi les œuvres du saint docteur; même il s'en fit rapidement de nombreuses éditions dans Ïes mêmes Yilles, à Paris (1;;15. 1544,1562, 15(5), à Bâle (153\l, 1:J76), à Cologne (1546, 1i);;), à ,Venise (1538,154-6, 1558), à Strasbourg (14!l8, 154û, 15:';?). Les -- ~

~_ ..esprits les plus distingués de l'époque étudi<;ent et admiraientde \ ~

si brillants écrits. Tels furent Marsile Ficin, Pic de la )lirandole, ...... Joachim l'érion, Lefebvre d'Eto:efes, Lanssel, Coroerius, Ambroise '\.- ~r'

~ 0 -r -'1 ----­ ~

(1) Berna.rd., in Cantic.; Richard. Victor,; ùe Graùibus charil,; de o quatu~d. vioientœ charit.; Doni!vcnt., ubi slIpl'à; item, Ineen­dium amoris; G~n, de l\IyslicfL Theo!.; Suson, ubi supl'à, Joan. ~r., de septem Gl'adibus amoris; ct potfssimùm de Nl;piTIS spiritualibus.

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CLXI'[II L'iTRODt:CTlO:'\ "­

le camaldule, qui commentèrent ou traduisirent saint Denys et firent passer ses doctrines dans leurs propres ounages.

Outre ce mouvement moitié matériel, moitié intellectuel, tlont saint Denys était le principe etl'objet, voici ce qui lui échut encore de gloire, La Réforme, en substituant hérétiquement le principe

"'-du libre-.Q:q].luen au principe de~ l"autorité catJlOIique,' étaJJlit un véritable schisme dans le monde des esprits; la science et la foi cessèrent de YÎITe en paix, et ce déchirement se prolongea sur toute l"étendue des connaissances humaines. D'un côté, les nOI'a­teurs se firent une critique à l'usage de leurs idées religieuses; de l"aut!e, la philosophie se sépara de la théologie, 0

OILt'i d'après leurs règles de critique, le~~21tt:à niQrent '1 l'authenticité des œUlTes. de saln~,AAe.!2)'s; pUîsJ1es m:œ ri­)is~t : ce n'était ni logique ni 1 Icile; mais c'était utile ct

commode. (1.VLa philosophie ne quilta pas si brusqucm~nt saint Denys;

clle lui COllscrm son amitiéJ_antJLU:clleJ:utné~latoni,çiennect mystiCLuC dans ses tendances, Ainsi, Ficin, Pic de la :lliramlole,

'Jean Hœüëiilin,SAgrippa de Cologne~peuvclll pa.sser pour les élères de saint Denys, aussi Lien que de l'I'oclus ct de Platon. l\la.is bientôt celte école, dont Agrippa faussait déjà notablement la direction, pratiqua la tJ0~!]ie, devint a.lçJ~ste, passa par lïllumini~me pour aboutir enfin au somnambulisme artificiel. L'Allemagne fut principalement le théâtre de ces erreurs, qui curent ppur apôtres Para'celse en, l'Anglais ~t

Fludd, les deux Yan-Helmont e Bruxelles, enfin Jacob Bœhme.

(f ~n c?nçoit qu'ici l"auteur du Livre des Noms cli1:ins n'avait plus l1en a faire.

3° Les théologiens catholiques, par la nécessité des circons­tances, devinrent presque tous controversistes, et, à ce titre, ils de~endirent sur le terrain qu'avaient choisi leurs adversai~es.

C'est pourquoi, en dehors des écoles, la théologie fut polémique, et eUe traita des motifs de séparation allégués par les ~1.9~_~urs

et des vél'ités qu'ils combattaient. Dans ~lli-llaix des é~s,"

la scolastique, ainsi que nous l'ayons déjà dit, continua son

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'" I~TRODUCTIO:\ CLXIX

règne, et la SOll/llle de saint Thomas ou les SeuftJlçe.s cLe .l'ierre (( L"-mbarcl restèrent presque universellement le texte des le,:ons

d;:ïi;i;ologie. PMU' le mysticisme chrétien, il se réfugia de l"autre ----'""' cÔté des Pyrénées, et rEspagne, que n'apitaient point lc~e- \ ( ";'1 0­

l'elles prote!'tantes, devint comme sa terre classique. Cest. Iil, \ ('cDeu erret, que fleurissaient Pierre d'Alcantara,V rardente sainte

~'1

Thérèse'" et le pur et suhlime J~la Croix~ Plus poétiCJnes dallST'expression de lcurs sentiments, moms didactiques dans la forme de Icurs écrits (lue les auteurs du moyen <'Ige, ces illustres chantres de ramour di l'in ont, en réalité, l,e mème plan de.,2c­

iVlJ Nf]trine, et l'on l'oit que, malgré les libres élans de leur amour, il y a encore dans leurs théories un souvenir des traditions .de l'emeignejllent général. Si, dans le reste de la catholicité, la théologie my~tique ne produisit pas d'aussi C>c1atante, mer­veilles, eHe cnntinnu néanmoins d'étahlir et d'expliquer ses principcs, qui furent et sont encore suivis par les directeurs des consciences, et sur lesquels doivent se Laser tous les lirres -destinés ù régler la vic intérieure des piegx fidèles. Ainsi, il est vrai de' dire cluCiu pensée de suint UeD)'s, teHe gue l'a modifiée JJ le douzième siècle, subsista et subsist.e encore au fond des traités de théologie dogm~ue et mystique,

En résumé, et. pour qu'on juge é(îiiTtablement celte seconde partie de notre Introduction, nous ne craindrons pas de rappeler ceci: lu question que nous voulons débattre n'est pas de sayoÎl' si le plan théologique de saint Denys n'aurait jamais pu être imaginé par quelque aulre doct.eur et s'il ne se présente pas nuturellement ù tous les esprits. Il s'agit seulement de saroir si, en fait, ce plan théologique, facile peut-être, mais 10!llileJ!lps

lIJillusité, n'a pas,.,g.é~ralemcnt préYaœ,.-2è~_'<l.!!.e~ _œll,\T~~~e

~ saint D_eny_sl'eul'ent fuit connaîl~e, Or, nous croyons ayoil' mon­tré qu'à dater de leur apparition et sous leur inOuence aYérée, il s'opéra dans les esprits un mouvement, et par suite une ten­dance qui n'est pas encore détruite. C'est tout simple: les théo-" ries de saint Denys venunt à s'offrir, il était plus naturel de les recevoir et de les développer, puisqu'elles ne manquaient pus de

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CLXX I~THODUCTIO~

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justesse, que d'en créer d'autres moins complètes et peut-ètre fauth-es. Yoilil d'abord pourquoi elles furent accueillies. Ensuite on n'échappe pas, mème on n'essaye pas de se soustraire aux iclées (lui sont devenues des conYictions puLliques, et qui forment ai~si _l:atmosphère où. resl~irent et vi\"~nt :es intelli­gences partlculleres, Le moyen age na pu songer a faIre abstrac­tion de saint Denys, de même qu'il ne saurait venir en pensée à aucun th&oJogien d'aujourd'hui de faire abstraction de saint Thomas, :'ious sommes donc partis de l'époque où apparaimnt ~\Tes de l'Aréopagite; nous en avons suivi la trace au tra­

1/ vers des siècles et constaté la .rré~~c!...Q.~ mille~__de~!ociétés

J qui tenaient le sceptre des idées et de la cirilisation, Dans cet acëUëil qui fut fait à notre écrimin, dans ces études et ces imitations dont il devint l'ohjet, nous avons vu le triomphe de son mérite et l<LpreUYe_d~-i.!l.flue~.ce.C'est cO;~lme un ileuve

'( d.s:nt nous avons rencontré la SOI![Ce : voyageur tërilé parla ( beauté de ses eaux, nous les avons suiYies à travers de nOIll~

breux royaumes. Elles ne conscnent pas toujours la même couleur ni le m(\me volume, à cause des terrains variés qu'elles arrosent et des rivières -dont leur cours se grossit. M'!iLceJ.a ne nous empêche pas de faire honneur au fleuve de la verdure, eT de IUféC"onditéqui embëiliss;mTSëSrf~;es; et, parvenu à

\1 son embouchure, nous disons que ses~f1ots rou~n~__ au_ seinII <kLvastes mers, quoique l'œil ne puisse bientôt plus les y .distinguer.

Et maintenant laissons parler notre auteur, Si cette Introduc­tion pouvait réconcilier quelques esprits avec saint Denys l'Aréo­

\1 pagite e~ lui fair!_ resti~~t..n~ g~dQ.nt il fut,-se]oE~us,

injustemenl:-.déshérité; si surtout elle pouvait incliner quelques ~its li. lire ses œmres, à étudier et aimer les doctrines élevées qu'elles renferment, notre désir ne serait pas trahi. Noull.urions ren:!porté une__gQ.!Jk.1~ victoire sur les tendances ~e

\, cette critique partiale et étroite qu'on applique depuis trois cents 1.. ans aux faits de l'histoire ecclésiastique, et sur ces tendances

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J 1-1 I:\"THOOCCTIO:\" CI.XXI

trop exclusives de perfectionnement matériel, qui ~ontla plaie M,espérée des sociétés modernes. ,\' oili! pourquoi nous dédions cc liITe aux hommes dont l'irllelIifu9 n'est pas obscurcie par

li la prévention, ni <l.ê..}:~abaissé pal' la ~rossièrcté d'une Yie toule extérieure et sensuelle.