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BELGIE-BELGIQUE P.B. 1/9352 BUREAU DE DÉPÔT BRUXELES 7 P006555 NOV-DEC 2014 prix 2 euros | 58e année | novembre - décembre 2014 # 70

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La Gauche est le journal bimestriel de la Ligue Communiste Révolutionnaire LCR, section belge de la Quatrième Internationale. www.lcr-lagauche.org

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Page 1: la gauche #70

BELGIE-BELGIQUEP.B. 1/9352BUREAU DE DÉPÔTBRUXELES 7P006555NOV-DEC 2014

prix 2 euros | 58e année | novembre-décembre 2014#70

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Ont contribué à ce numéro: Sébastien Brulez, Charlotte Clabecq, Ida Dequeecker, Matilde Dugaucquier, Florent Gallois, Dominique Lerouge, Michèle Marteaux, Freddy Mathieu, Little Shiva, Daniel Tanuro, Guy Van Sinoy

La Gauche est le journal bimestriel de la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), section belge de la Quatrième Internationale.

Les articles signés n’engagent pas forcément la rédaction.

Adresse et contact: 20 rue Plantin,1070 Bruxelles [email protected]

Tarifs et abonnements: 2 euros par numéro; 10 euros par an étranger: 20 euros par an Abonnement de soutien: 15 euros

A verser sur le compte ABO LESOIL 20, rue Plantin, 1070 Bruxelles IBAN: BE93 0016 8374 2467 BBAN: 001-6837424-67 BIC: GEBABEBB mention “La Gauche”

La Gauche est éditée par la Formation Léon Lesoil e.r. André Henry, 20 rue Plantin 1070 Bruxelles

www.lcr-lagauche.org

prix 2 euros | 58e année

novembre-décembre 2014#70

3 Édito par La Gauche

4 «C'est une grève politique!» Oui, et alors? par Daniel Tanuro

6 Quelle stratégie syndicale? par Freddy Mathieu

8 Leçon de l'année 1977: Comment faire tomber le gouvernement par Guy Van Sinoy

9 La SNCB au centre des attaques gouvernementales interview de Philippe Dubois

10 De la difficulté d’être social-libéral quand la lutte de classe s’aiguise par Daniel Tanuro

11 Asile et migration: Theo Francken n'a rien inventé par Matilde Dugaucquier

12 Accord gouvernemental: L'art d'ignorer l’existence concrète des femmes par Ida Dequeecker

15 L'heure est venue de changer de cap lettre ouverte aux syndicalistes

19 à l'action!

20 Ce que la Suédoise réserve à la jeunesse par Charlotte Clabecq

22 «Si le syndicat se limite à son core business, il passe à côté de sa mission fondamentale» interview de Daniel Piron

24 Le cri d’alarme du GIEC par Daniel Tanuro

26 Dans la lutte contre Ebola, évitons tout néocolonialisme par Guillaume Lachenal et Vinh-Kim Nguyen

27 Elections législatives en Tunisie par Freddy Mathieu et Dominique Lerouge

28 Des nouvelles de Thessalonique par Matilde Dugaucquier

30 lectures

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Michel dégage! ✒ par La Gauche

La manifestation du front commun, le 6 novembre, a été un énorme succès, de même que les autres mobilisations du plan d’action: les grèves provinciales des 24 novembre, 1er décembre et 8 décembre. Il s'agit maintenant de réussir la grève nationale de 24 heures le 15 décembre. Les maîtres mots sont: unité, front commun, démocratie syndicale. Prenons notre lutte en mains à travers des assemblées du per-sonnel, formons des comités d’action pour renforcer les mobilisations syndicales, empêchons les bureaucraties, quelle que soit leur couleur, d’accepter un compromis boiteux avec le gouvernement.

Ce qui s’est mis en marche le 6 novembre va au-delà d’une mani-festation syndicale de militant.e.s. Plus de 1% de la population de ce pays est descendue dans la rue pour dire «basta», assez. Assez d’austérité, de discriminations, de pauvreté, d’expulsions, d’inégalités, de restric-tions. Assez de sacrifices cruels pour les uns et de cadeaux généreux pour les autres. Basta! Il est temps de changer de cap, il est temps de pren-dre l’argent là où il est pour satisfaire les besoins sociaux de la majorité. Sans cela, nous serons condamnés à survivre dans une société de plus en plus inhumaine.

On sent aujourd’hui la possibilité d’unir tous les mécontentements et toutes les aspirations dans une lame de fond en faveur d’un changement digne de ce nom. Cette possibilité doit être saisie à pleines mains, maintenant. Cela requiert 1°) de donner au mouvement un objectif clair, 2°) d’élaborer un programme, et 3°) de tracer des perspectives d’action allant au-delà du 15 décembre.

Ce gouvernement est un gouverne-ment des patrons et des riches, qui sont bien décidés à changer profondément les rapports de forces dans ce pays. C’est une guerre de classe qui est déclenchée. L’enjeu est énorme: les syndicats et les autres mou-vements sociaux garderont-ils à l’avenir une capacité de peser dans une certaine mesure sur les choix politiques? Ou devront-ils, pour être tolérés, se résigner à n’être encore plus que des accompag-nateurs de la gestion néolibérale? Telle est

la question posée. La réponse déterminera l’évolution de la société pendant de longues années.

Ce gouvernement doit être chassé. C’est le seul moyen d’imposer le retrait de toutes les mesures annoncées: l’austérité, mais aussi la précarisation des femmes et des jeunes, le "tout à la répression", le maintien du nucléaire, la pénalisation du cannabis, la chasse aux sans-papiers, les milliards pour des avions de guerre... Cela ne résoudra pas tous les problèmes, mais donnera un coup d’arrêt aux attaques que le monde du travail, les jeunes, les femmes subissent depuis plus de trente ans, à tous les niveaux de pouvoir.

Ce gouvernement doit être chassé... mais remettre le précédent à la place n’est pas une solution: Di Rupo, par sa politique, a ouvert la voie à De Wever, et le PS continue l’austérité en Wallonie et à Bruxelles. Pour qu’un vrai changement soit possible, il n’y a qu'une seule solution: créer par l’action, tous ensemble, les con-ditions d’une autre politique, nécessitant la formation d’un gouvernement différent: un gouvernement au service de la majorité sociale. Ce n’est pas une solution facile – elle nécessitera un combat de longue haleine, allant jusqu’à la grève générale – mais il n’y en a pas d’autre qui ouvre une perspective à la hauteur des aspirations exprimées ces dernières semaines.

Seul le mouvement syndical peut tracer cette perspective. Il doit pour cela changer la manière dont il voit sa fonction dans la société et son rapport aux partis, mais ce changement est légitime, néces-saire, et parfaitement cohérent avec le principe d’indépendance syndicale. Il y a dans ce pays trois millions de syndiqué.e.s qui sont spolié.e.s des richesses qu’ils/

elles créent et écarté.e.s des décisions sur la manière de les partager. Le mouve-ment syndical a non seulement le droit démocratique mais aussi le devoir de défendre un programme anticapitaliste qui renverse cette situation, et de se battre pour que ce programme soit appliqué [comme le secrétaire de la FGTB de Charleroi le propose dans l’interview que nous pub-lions dans ce numéro].

Michel dégage! Tou.te.s à l’action pour le partage du travail et des richesses, en Belgique et en Europe! ■

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✒ par Daniel Tanuro

Toute lu t te soc io-économique d’ensemble acquiert inévitablement le caractère d’une lutte politique parce qu’elle met face à face les deux classes fondamentales de la société: la classe ouvrière et la bourgeoisie. Du coup, qu’on le veuille ou non, se pose inévitablement la question politique par excellence: qui dirige ici? En fonction de quels intérêts?

Evitons les faux débats: nous ne parlons pas ici de "lutte politique" au sens étroit de la compétition politicienne entre partis et de la pratique du pouvoir. Nous parlons de lutte politique au sens large du conflit qui oppose des visions du monde contradictoires, exprimant les besoins historiques de classes sociales antagoniques. Ces visions du monde débouchent sur des priorités complètement différentes en termes d’action gouvernementale. Pour employer un terme à la mode: nous parlons du paradigme social et de sa traduction dans la gestion de la cité.

Une action de plus en plus politique

L’évolution du capitalisme entraîne un renforcement de la portée politique de l’action syndicale. D’une part parce que la classe de celles et ceux qui doivent vendre leur force de travail pour vivre est de plus en plus nombreuse, de sorte que le paradigme capitaliste tend objective-ment à avoir de moins en moins de base sociale (subjectivement, c’est une autre paire de manche). Se pose ainsi une ques-tion lancinante de démocratie. D’autre part parce que les trusts multinationaux veulent un return sur investissement à court terme mais que leurs profits dépen-dent de plus en plus de choix politiques et d’investissements publics à long terme, de sorte que l’Etat joue paradoxalement un rôle croissant dans le capitalisme mondi-alisé "du troisième âge".

La portée politique de l’action syn-dicale est particulièrement nette dans la période actuelle de l’économie de

marché sous gestion néolibérale. Ironie de l’histoire: au plus les gouvernements néo-libéraux œuvrent à laisser faire en toutes choses "la main aveugle du marché", au plus ils mettent en évidence le fait que cette main n’est pas aveugle du tout, qu’elle est commandée par une vision de long terme du capital, et que cette vision inclut d’infliger une défaite grave au monde du travail. Il est clair en effet que la dérégu-lation tous azimuts (bancaire, fiscale, sociale, environnementale...) est en réalité le produit d’une règle politique, que cette règle peut être remplacée par une autre, et que ce remplacement – qui demande une décision politique – est indispensable pour que soient prises d’autres décisions, favo-rables à la majorité sociale.

Une grève politique? Oui, et alors?

Dans le contexte présent, la portée politique de la mobilisation des travailleur.euse.s contre les mesures d’austérité du gouvernement MR-NVA crève les yeux. Entendons-nous bien: les dirigeants syndicaux ont raison de protester quand De Croo leur reproche de mener "une grève politique". Ils ont raison parce que cette déclaration insinue que le plan d’action vise à ramener le PS au pouvoir contre la volonté démocratique des électeurs, qu’il s’agit d’une manœuvre politicienne de la direction de la FGTB, et que celle-ci utilise la masse des travailleurs au profit de ses "amis politiques". Mais ils ont tort, en même temps, de ne pas assumer que leur combat est bien un combat contre ce gouvernement et pour une autre politique, au service de la majorité sociale.

Ils ont tort parce que c’est une illusion de croire que ce gouvernement pourrait reculer sur autre chose que des broutilles. C’est une illusion encore plus grande de croire qu’il serait possible d’en sortir par la mise en place d’une société (capitaliste) démocratique où un secteur associatif florissant et des syndicats puissants joueraient le rôle de contre-pouvoir face à un gouvernement qui accepterait une interaction constante avec eux... Il ne faut pas rêver: nous sommes entrés dans une

épreuve de force: il y aura un gagnant et un perdant, pas une "issue concertée" dans l’intérêt de tous et toutes!

Un virage à la ThatcherMichel ne changera pas de politique

et n’ouvrira pas de "vraie concertation". Pourquoi? Pour la simple raison que son objectif stratégique est justement de pousser les organisations syndicales hors-jeu et de les affaiblir afin de changer les rapports de forces dans ce pays et d’ouvrir la voie au démantèlement de la Sécurité sociale. Telle est la mission que cette coalition a reçue du patronat, et elle ne peut pas se permettre d’y déroger. Ce n’est pas du "fascisme" (le fascisme ne met pas les syndicats hors-jeu, il les écrase!). Mais c’est bien un virage important à droite. Un virage à la Thatcher. Comme sous Thatcher, il s’accompagne d’un discours élitiste/sécuritaire/individualiste visant à mobiliser des couches et des sentiments réactionnaires contre le mouvement ouvrier et ses valeurs: la solidarité et l’égalité des droits. Il y a donc un vrai danger.

Les quatre demandes du front commun – le maintien et le renforcement du pouvoir d’achat par la liberté de négo-cier et la suppression du saut d’index, une sécurité sociale fédérale forte, un inves-tissement dans la relance et des emplois durables en ce compris des services publics de qualité et une justice fiscale – ne peu-vent pas être satisfaites autrement qu’en faisant tomber cette coalition. Ne pas le faire, c’est se condamner en tant que syn-dicats à perdre (ce qui reste de) la capacité de peser sur les choix politiques. Dans ce cas-là, d’autres mesures suivront: contre les conquêtes sociales, bien sûr, mais aussi contre les organisations syndicales elles-mêmes (la fin du subside que l’Etat leur verse pour le traitement des dossiers de chômage, par exemple).

Une balle dans le piedLes responsables syndicaux ne sont

pas aveugles sur ces enjeux, mais leur refus d’assumer la portée politique de leur propre plan d’action les conduit à se tirer une balle dans le pied. Il suffit que le

"C’est une grève politique!" Oui, et alors?

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gouvernement évoque la possibilité d’un tax-shift au contenu incertain pour que le sommet de la CSC soit tenté de se précipiter à la table de négociation – en détricotant d’un seul coup le bon rapport de forces construit sur le terrain! Les incohérences sont visibles aussi à la FGTB. Marc Goblet déclare correctement que la NVA "dicte" la politique du gouvernement et que le patronat est derrière elle, il menace d’une grève "au finish"... mais il ne veut pas que le gouvernement tombe, il lui demande donc "de revenir sur toute une série de décisions pour permettre une réelle concertation parce que si le gouvernement tombe, alors la NVA aura gagné. Parce qu’elle dira: c’est un pays qui n’est pas gouvernable, il faut le confédéralisme". Que de contradictions!

Il faut cesser de se laisser hypnotiser ainsi par le souci "responsable" de la "concertation" et par les calculs politici-ens de la NVA. L’intérêt "responsable" du mouvement ouvrier commande de bloquer les projets de ce gouvernement, donc de le faire tomber et de ne pas hésiter devant cette conséquence – de l’assumer au contraire. Cette chute du gouvernement ne résoudra évidemment pas tout mais, 1) elle nous débarrassera de toutes les mesures (y compris l’achat de nouveaux avions de chasse, le maintien du nucléaire, les restrictions dans la culture, la pénalisa-tion du cannabis, le tout sécuritaire, etc.); 2) cette victoire consolidera l’unité des travailleurs et travailleuses, du Nord et du Sud. Elle améliorera donc leur rapport de forces dans le combat contre le démantèle-ment de la Sécu, et dissipera les nuages de fumée "confédéralistes" que De Wever répand à gros jet autour de cet enjeu.

Lutter pour une alternativeEvidemment, faire tomber le gou-

vernement NVA-MR pose la question de l’alternative. C’est peu dire que le retour du PS n’est ni une solution ni même un "moindre mal": Di Rupo et tous les gouver-nements à participation social-démocrate depuis 25 ans ont ouvert la voie à De Wever-Michel. La seule issue pour le mou-vement syndical est donc d’assumer que le monde du travail et la société dans son ensemble ont besoin d’une autre politique. Une politique qui prend l’argent là où il est, refinance le secteur public et associatif, rétablit le droit individuel aux allocations, supprime les discriminations contre les femmes et les jeunes, brise le pouvoir de la finance et des géants de l’énergie, audite la dette publique, lutte pour une

autre Europe, organise une transition écologique juste et créatrice d’emplois, et met fin au scandale d’une gestion inhu-maine de l’asile, notamment…

Beaucoup de ces revendications figurent déjà dans des documents de congrès des syndicats. Certaines cen-trales ou régionales ont même élaboré de véritables programmes alternatifs. La FGTB de Charleroi-Sud-Hainaut a adopté "10 objectifs" qui constituent un "plan d’urgence anticapitaliste". La CNE a élaboré avec ses militant.e.s un "projet de société" fort complet et radical. L’Interrégionale wallonne de la FGTB a dans ses cartons d’excellentes propositions antilibérales, et même anticapitalistes. Il faut assumer que ces programmes sont des programmes politiques, être conséquent et agir en tant que syndicats afin qu’ils soient concrétisés sur le terrain politique. Et c’est maintenant qu’il faut le faire, dans l’action. Sinon, quand? Après la lutte?

Le mouvement syndi-cal est à la croisée des chemins. Pour être à la hauteur des enjeux, de ses propres revendica-tions et de la force qu’il a mise en mouvement, il est décisif qu’il abandonne une fausse conception de l’indépendance syndicale. Comme le répètent les responsables de la FGTB carolo: "L’indépendance syndicale n’es t pas l’apolitisme". C’est le fond de la question. Avec ses 3,5 millions d’affilié.e.s, le mouvement syndical, s’il le veut, a la force d’élaborer et d’imposer une politique sociale (et écologique). Et ce n’est pas qu’une question de force. Avec leurs proches, ces 3,5 millions d’affilié.e.s constituent la majorité de la population. Un pro-gramme répondant à leurs aspirations, discuté dans des milliers de réunions de base, aura infini-ment plus de légitimité démocratique que le pro-gramme que les partis de cette coalition ont rédigé en secret, avec des mesures qui ne figuraient même pas à leur programme électoral. ■

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✒ par Freddy Mathieu

Près de 150 000 manifestants à Bruxelles et une importante participation aux grèves tournantes régionales, le plan de mobilisation syndicale a démontré que la colère est à son comble dans la base militante. Qu’en feront les directions syndicales?

Le réveil de la mobilisationLa manifestation du 6 novembre a

requinqué les troupes. Ce fut un succès quantitatif mais aussi qualitatif. 150.000 manifestants (ou plus ?), cela ne s’était pas vu depuis longtemps. Quelques jours avant la manif, on sentait bien "qu’il allait se passer quelque chose". Dans les régionales syndicales, les inscriptions se multipliaient. Malgré le matraquage médiatique contre les actions syndicales, ça venait de boîtes entières, beaucoup de "nouveaux",  des jeunes demandant à leurs profs comment aller à Bruxelles; alors que ce n’était même pas officiellement une grève.

La mobilisation a été importante dans les trois régions. Un grand succès en Flandre aussi: il y avait ainsi environ 20.000 participants de la province d’Anvers, près de 9.000 de Flandre Orientale. Dans les provinces de Liège et du Hainaut, 20.000 également. De différentes régions les trains supplémentaires prévus étaient insuffisants pour amener tout le monde à Bruxelles. Les sociétés d’autocars étaient dépassées par la demande. On a même dû appeler des renforts au Grand-duché du

Luxembourg…Mais surtout, les militant.e.s sont

revenu.e.s de Bruxelles en pleine forme. Celles et ceux qui en avaient marre des balades Nord-Midi y sont allés, en se disant que pour une fois ce ne serait pas une mobilisation sans lendemain. Mais il y en avait aussi beaucoup pour qui c’était une première et ils/elles en sont revenu.e.s avec un moral d’acier pour les journées de grève suivantes.

Ce fut une manif jeune, féminine, combative, colorée, créative. Certains avaient appelé à "manifester un livre à la main", 150 militants des organisations de jeunesse, dont les JAC, ont occupé la FEB. Un festival de théâtre avait proclamé "N'oubliez pas: gratuit pour les grévistes!". Il y a eu des grèves dans nombre d’entreprises pour pouvoir participer à la manif, mais aussi avant (Centrale Générale Mons-Borinage fin octobre) et dès le lendemain (grève générale de 2 jours dans les prisons).

Et puis le mouvement syndical avait su mobiliser bien au-delà de ses "troupes" dans les mouvements sociaux: les collectifs de sans-papiers ont manifesté juste derrière les "officiels", présence de nombreux étudiants, lycéens et organisations de jeunesse, le bloc féministe formé par toute une série de groupes de femmes, et surtout la présence visible et appréciée de Hart boven Hard ("Le cœur, pas la rigueur") qui rassemble en Flandre des centaines d’organisations et de mouvements du secteur social et culturel, le CNCD-11.11.11, etc.

Répartir l’effort ou chasser le gouvernement?

Au soir de la manif, les dirigeants syndicaux ont été reçus par le kern. Le gouvernement n’a pas laissé d’illusions. Les syndicats ont été invités à négocier la mise en œuvre des mesures. "Nous avons un cadre" nous dit le gouvernement et "le ministre de l'Emploi sera chargé de prendre des contacts discrets et informels avec tous les partenaires sociaux individuels pour préparer une éventuelle concertation ultérieure", précisait le Président de la CSC, Marc Leemans. "A leur sortie, un constat: la confiance n'existe toujours pas. Aucun calendrier de négociations n'a été fixé pour l'heure et on ne devrait pas éviter les grèves programmées à partir 24 novembre", indiquait la RTBF le 06 novembre en fin de soirée.

Eviter les grèves programmées? C’est bien là que se trouve le piège que les organisations syndicales devaient impéra-tivement éviter. Pour l’instant, l’arrogance affichée par les membres du gouverne-ment a suffi à décourager les directions syndicales de rechercher la négociation de compromis qui permettraient de "mieux répartir l’effort" comme l’indiquent cer-taines déclarations syndicales.

Les objectifs syndicaux ne doivent pas se limiter à partager l’austérité, mais à la combattre. Les patrons et le gouvernement à leur service ne sont d’ailleurs pas prêts à revenir en arrière. Bart De Wever, le vrai "chef" de la majorité le dit clairement

Quelle stratégie syndicale?

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"ce gouvernement ne "changera pas de cap", ne fera aucun "pas en arrière". Miser sur ce recul c’est créer des illusions. Les travailleurs n’ont qu’une seule possibilité de changer de cap: ils doivent chasser Michel 1er.

Retour à la concertation?Habituées aux négociations feutrées,

les directions syndicales ne semblent pas avoir adapté totalement leur discours à la nouvelle donne politique. Ils se plaignent de la rupture de la concertation, ils disent que les patrons devraient accepter de faire aussi des efforts pour qu’il y ait plus de justice sociale... Comme si cette concerta-tion sociale, même sous l’ère Di Rupo, avait permis de corriger un tant soit peu les mesures d’austérité, "d’éviter le pire"...

Le matin-même de la grande mani-festation du 6/11, Marie-Hélène Ska, Secrétaire Générale de la CSC, répondait sur Matin-Première (RTBF) à la question: "Cette table de concertation, vous accept-erez, après cette manifestation, d’aller la rejoindre?". "La CSC n’a jamais refusé de se mettre à table, mais nous discuterons évidemment du menu qui sera servi sur la table". Du côté FGTB, même ton plaintif: "Cet accord de gouvernement est particu-lièrement antisocial, inéquitable et injuste. Ce sont les travailleurs qui devront porter le poids des économies, tandis que les grosses fortunes et les grandes entreprises seront épargnées et ne devront fournir aucun effort". Voilà le problème majeur: aujourd'hui les syndicats ont un pro-gramme de compromis avec le patronat. Ils doivent rompre avec cette logique.

En embrayant dans la mobilisation – qui ira jusqu’aux grèves de grande ampleur (tournantes puis générale) –

les affilié.e.s mettent leurs organisations syndicales devant une triple obligation: être fermes sur les objectifs, ne pas aller négocier n’importe quel compromis et formuler des alternatives aux mesures du gouvernement actuel mais aussi celles imposées par le gouvernement Di Rupo. Pour réussir le plan d’action, les manifestants du 6/11 attendent d’elles une ligne de conduite transparente et démocratique: aucun accord sans votes démocratiques dans tout le mouvement syndical! La meilleure façon de réussir les actions, est l’implication la plus large et active possible de tou.te.s les membres et militant.e.s des syndicats sur l’élaboration de leurs alternatives, revendications et la politique pour les appliquer.

Relever le défi de l'alternative"Les syndicats n'ont aucune alterna-

tive", formule très clairement De Wever. La "vraie concertation" demandée par le front commun syndical est une illusion. Nous sommes face à un gouvernement qui exécute les quatre volontés des patrons. Pour satisfaire les revendications, mêmes les plus mesurées, il faut le faire tomber. Remettre Di Rupo au pouvoir n'est évidem-ment pas une solution. Car plusieurs des mesures programmées par le gouver-nement Michel 1er s’appuient sur des mesures appliquées par le gouvernement précédent ou les prolongent (exemple les mesures d’exclusion massives du chômage prises par le gouvernement Di Rupo).

Le mouvement syndical est donc devant l’obligation de relever le défi de l'alternative. Il n'y a qu'une seule stratégie possible :

1°) Le mouvement syndical élabore son propre programme, sur la seule base

des besoins du monde du travail. Dans leurs différents congrès, les syndicats ont élaboré des tas de documents, souvent de qualité, mais qui sitôt votés ont été enfouis dans des tiroirs. Il serait temps de remettre tout cela sur le tapis. D’en faire un programme choc, didactique, mobilisateur. Un peu à l’image des "10 objectifs d’un programme anticapitaliste d’urgence élaboré par la FGTB Charleroi-Sud Hainaut".

2°) Il mène une campagne d’explication systématique de ces alterna-tives auprès de la population, une sorte "d’opération vérité" qui permettra de faire toute la clarté sur les objectifs poursuivis.

3°) Il appelle les autres mouvements sociaux et les autres couches sociales victimes du néolibéralisme (jeunes, femmes, petits agriculteurs, artistes et intellectuels...) à compléter ce programme avec leurs propres revendications.

4°) Il donne à son plan d'action une perspective claire: créer les conditions d'un gouvernement de la majorité sociale pour appliquer ce programme, et rien que ce programme.

Cette ligne de conduite exigera une lutte de longue haleine. Mais il n'y a pas d'autre voie. Dans notre "Lettre ouverte aux syndicalistes" d’octobre [voir en page 15] nous écrivons: "Depuis le début des années 80, les travailleurs et travailleuses se défendent à reculons. Les victoires, même partielles, sont rares, voire inexistantes. On ne peut plus continuer de la sorte: reculer encore provoquerait un basculement dans le rapport de forces entre le Capital et le Travail". ■

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✒ par Guy Van Sinoy

Le plan de destruction massive des acquis sociaux et de neutralisation des capacités revendicatives du mouvement syndical, imaginé par le gouvernement Michel, dépasse de loin tout ce que nous avons connu depuis 1945. Il n’est donc pas étonnant que la première riposte des travailleurs ait été massive: plus de 120.000 manifestants dans les rues de Bruxelles, cela ne s’était plus vu depuis longtemps. Oui, mais la suite?

De nombreuses questionsL e f r o n t c o m m u n s y n d i c a l a

programmé des grèves tournantes, par provinces, le 24 novembre, le 1er décembre, le 8 décembre, et une grève nationale le lundi 15 décembre. Cependant les questions sont nombreuses. Pourquoi les dirigeants des trois syndicats se sont-ils précipités au 16 rue de la Loi alors que la manifestation n’était pas encore terminée et qu’il n’y avait rien à négocier sur la table? Le plan prévu par le front commun syndical suffira-t-il à faire reculer le gouvernement sur des mesures clés telles que la pension à 67 ans et le saut d’index? Et si le gouvernement cède sur ces deux points clés, pourra-t-il se maintenir? Ne vaut-il pas mieux mener directement la lutte pour la chute du gouvernement Michel? Comment? Et pour le remplacer par quoi? Par le retour du PS et du Spa au gouvernement fédéral?

En 1977, un mouvement de grève tournantes a balayé Tindemans

Au cours de l’année 1976, le gouver-nement Tindemans-Declercq (catholique, libéral et Rassemblement wallon) a pris une série de mesures contre les travail-leurs: plan d’austérité de 23 milliards de FB (570 millions €), manipulation de l’index, prolongation du stage d’attente des jeunes, coupes budgétaires (pensions, enseignement, soins de santé, chemin de fer). En janvier 1977, le gouvernement impose la cotisation de solidarité.

Le 25 janvier 1977, les comités nation-aux de la FGTB et de la CSC se réunissent chacun de leur côté. Ils annoncent une campagne d’information commune pour la défense des acquis et la réduction hebdomadaire du temps de travail. Cette campagne étant censée déboucher sur des actions à partir du 25 février. Le 12 février l’Interrégionale flamande de la FGTB manifeste à Bruges. Le 25 février, première journée des 5 jours de grèves tournantes par province, le Hainaut et la Flandre occi-dentale devaient partir en grève. Mais les directions syndicales sont débordées. Les services publics ont leur propre calendrier de grèves nationales en front commun.

Le 4 mars, deuxième jour de grève tournante, il y a 370.000 grévistes dans la province de Luxembourg et en Flandre orientale. Le 8 mars le Premier ministre Tindemans court donner sa démission au roi. Les chambres sont dissoutes et des élections anticipées seront organisées. Le 9 mars, les directions syndicales décident de suspendre les actions prévues. Le 11 mars, il y a malgré tout une quinzaine d’entreprises en grève dans la région de Namur. Le 15 mars, un comité national élargi de la FGTB décide d’organiser un congrès après les élections.

Quelques leçons importantes à tirer

Un mouvement de grèves tournantes allant crescendo est capable de faire tomber un gouvernement. Il faut pour cela que les travailleurs soient décidés non seulement à lutter mais à dépasser leurs directions syndicales pour élargir le mouvement [voir encadré].

Dès que le gouvernement cède (ou fait mine de céder) les directions syndi-cales multiplient les manœuvres pour mettre fin aux mouvements de grève et reprendre ainsi le contrôle de la situation. Après les élections de 1977, le PS et le SP sont allés au gouvernement pour mener une politique semblable. Cela ne vous rappelle rien? ■

Leçons de l’année 1977:

Comment faire tomber le gouvernement Comment les

travailleurs ont débordé leurs directions syndicales en 1977

Le 25 février 1977, pas un seul train n’a roulé dans l’ensemble du pays. 100.000 travailleurs des services publics (cheminots, communaux) ont fait grève. Dans les deux provinces concernées (Flandre occidentale et Hainaut) la grève a été un succès. Aucun bateau de la malle Ostende-Douvres n’a navigué. Meeting de 2.000 grévistes à Bruges. Grève totale dans le Hainaut avec manifestations massives (3.000 à La Louvière, 10.000 à Mons, les travailleurs de Caterpillar ont fait deux jours de grève.

Dans la province de Namur, aucune grève officielle n’était prévue. 4.000 verriers de la Basse-Sambre ont quand même fait grève. D’autres usines de la région ont connu des arrêts de travail à Andenne, Ciney, Couvin, Jemeppes (Solvay). A Namur, un cor-tège de 500 voitures a sillonné la ville.

A Bruxelles, 7.000 manifestants ont défilé (Michelin, Côte d’Or, Hôpital Brugmann, Banques et Assurances).

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wLa SNCB au centre des attaques gouvernementales ✒ propos recueillis par Guy Van Sinoy

le 4/11/2014

S’il est une des entreprises publiques particulièrement visées par les mesures de recul social annoncées par le gouvernement Michel, c’est bien la SNCB. Blocage de l’index, révision à la baisse des pensions, service minimum, réduction brutale du budget, suppression de trains, fermetures de gares. Si on voulait détruire le transport public, on ne s’y prendrait pas autrement. Nous avons interviewé à ce sujet Philippe Dubois, Secrétaire permanent de la CGSP-Cheminot à la Régionale de Bruxelles.

Comment s’annonce la mobilisation syndicale chez les cheminots?

Dans l’ensemble les travailleurs de la SNCB sont très attentifs aux mesures annoncées par le gouvernement Michel et aux déclarations provocatrices du PDG de la SNCB Jo Cornu. Ce dernier a déclaré lors d’une interview à la presse (donc en dehors du cadre de toute concertation sociale) que les "cheminots ne travaillaient pas assez" et qu’il fallait notamment envisager la suppression des jours de crédit (jours de compensation de la réduction du temps de travail). Il a aussi remis en cause la mutuelle des cheminots. Ces propos incendiaires ont pour effet que la mobilisation se fait toute seule car le personnel est profondément choqué.

On a l’impression que les cheminots sont en première ligne des attaques du gouvernement: l’âge de la pension, le calcul du montant de la pension, le service minimum, les coupes budgétaires, la privatisation du rail et à terme le démantèlement du statut de cheminot.

Le gouvernement Michel veut attaquer notre statut de plein fouet. Il faut savoir qu’à la SNCB les 36 heures ont été obtenues en échange d’une réduction du salaire. Si on doit allonger le temps de travail,

va-t-on augmenter les salaires? La sup-pression de la caisse de soins de santé est aussi dans la ligne de mire. Par la même occasion la caisse de solidarité sociale est aussi remise en question. Il s’agit d’une caisse pour laquelle les statutaires cotisent tous les mois et qui permet, par exemple, des remboursements particuliers pour des médicaments onéreux, d’envoyer les enfants dans des centres de vacances, etc. Cette caisse est en boni de plus de 50 mil-lions d’euros. Et donc vouloir supprimer la mutuelle des cheminots et la caisse de solidarité, c’est vraiment du vol! Il s’agit d’une attaque frontale contre le statut des cheminots.

Autre exemple: il existe pour les chemi-nots la pension prématurée pour invalidité. Quand on a cinq ans d’ancienneté comme statutaire et que malheureusement des problèmes de santé rendent impossible la poursuite du travail, on peut être pensi-

onné avec invalidité prématurée. Vouloir supprimer cela revient à jeter à la rue ceux qui seront dans l’incapacité de travailler sans atteindre 66% d’invalidité. Non seule-ment ces travailleurs statutaires perdront leur job à la SNCB, mais ils seront soumis à l’activation des malades et invalides pour retrouver un autre emploi.

Fin octobre, une assemblée nationale de délégué.e.s et de responsables CGSP Cheminots s’est tenue à la Maison des Huit Heures à Bruxelles. Quelle était l’atmosphère? Est-ce que vous estimez que les grèves tournantes et la grève nationale du 15 décembre suffiront à faire plier le gouvernement?

Dans l’ensemble nous pensons que cela ne suffira pas. Mais je pense néanmoins que cela va faire très mal au gouvernement et à la direction de la SNCB, d’autant plus que pour les grèves tournantes prévues tous les cheminots du pays sont couverts par un préavis de grève, quelle que soit la province où ils sont affectés.

Est-ce que les actions peuvent repartir en janvier?

En janvier, je ne sais pas. Mais de toute façon après les fêtes, il faudra à nouveau mobiliser.

En 1983, lors de la grève générale des services publics, qui a duré près de trois semaines dans certains secteurs publics, le Comité national de la FGTB n’avait pas embrayé sur le mouvement ce qui avait isolé les grévistes des services publics. Un tel scénario peut-il se reproduire aujourd’hui?

A ce stade, je n’en ai pas la moindre idée. Mais je souhaite en tous cas une solidarité la plus large possible entre tous les secteurs; entre Bruxelles, la Flandre et la Wallonie, et que, toutes professions confondues, nous soyons capables d’anéantir cette politique ultralibérale de droite. Tous ensembles, cheminots et autres travailleurs. ■

Mesures particulières du gouvernement Michelcontre les cheminots (sans compter le saut d’index et toutes les autres mesures qui frapperont l’ensemble des travailleurs)Allongement de la durée de carrière: actuellement la carrière est calculée en 48e (pour les roulants) et en 55e (pour les sédentaires). Le projet est d’aller vers un calcul en 60e pour tous.Calcul de la pension: actuellement sur la dernière année de service ou la moyenne des 4 dernières années. Objectif du gouvernement Michel: calcul sur toute la durée de la carrière!Recours au travail intérimaireInstauration d’un service minimum visant

à casser les grèves

contre les usagers de la SNCBRéduction du budget de la SNCB: de 2,1 milliards d’euros de 2015 à 2019Une plus grande liberté tarifaire (y compris la suppression de la gratuité pour les enfants)Suppression des trains "moins fréquentés" et fermeture de garesSuppression de lignes (remplacées par... des bus)Remise en cause de la présence d’accompagnateurs/trices sur certains trains

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✒ par Daniel Tanuro

La formation du gouvernement de droite a surpris la direction du PS. Di Rupo ne croyait pas que les libéraux francophones formeraient avec la droite flamande, NVA incluse, une coalition aussi nettement minoritaire du côté francophone. En prenant les rênes de majorités sans le MR en Wallonie et à Bruxelles, l’ex-Premier misait encore sur l’échec des négociations cornaquées par Kris Peeters et Charles Michel au niveau fédéral, donc sur le retour du PS aux affaires et la prolongation de la coalition précédente. Erreur de calcul: Michel a osé, et De Wever a fait ce qu’il fallait pour qu’il réussisse... en sachant qu’il serait de toute manière le vrai chef de la nouvelle équipe.

Voici donc le PS dans "l’opposition". Une opposition entre guillemets, pour deux raisons qui sont liées. La première: les socialistes pilotent les gouvernements régionaux dont la politique budgétaire découle tout droit de la sixième réforme de l’Etat ainsi que du TSCG, le traité budgétaire européen (que les parlementaires PS ont voté comme un seul homme). Di Rupo et Magnette ont beau répéter partout que la Wallonie fait de la rigueur, pas de l’austérité, personne n’est dupe (et ceux qui se font encore des illusions les perdront lorsque les chiffres seront enfin connus). La seconde

raison: la social-démocratie n’a d’autre perspective que de revenir au pouvoir au niveau fédéral, pour continuer la gestion néolibérale du capitalisme en crise. Comment gérer cette situation imprévue? Les réponses apportées au Boulevard de l’Empereur ne font que soulever de nouvelles contradictions.

Dans un premier temps, le PS a joué à fond la dénonciation virulente de Jan Jambon et de Théo Francken. Laurette Onkelinx a été jusqu’à déclarer à la Chambre que "le bruit des bottes se fait entendre jusqu’au sein de ce gouvernement". Beaucoup de francophones de gauche sont tombés dans le panneau et se sont mis à amalgamer la NVA au fascisme, ce qui est idiot. Le PS a pu ainsi se donner une image de "résistance" à bon marché, en détournant l’attention des questions sociales, donc aussi de son propre bilan catastrophique. Cela semblait bien joué, mais l’inconvénient de ce discours est qu’il exclut toute collaboration future avec la NVA (ce que le PS ne veut pas faire). De plus, il tend à exacerber le clivage communautaire, donc à faire le jeu de De Wever, qui voudrait pousser le PS à un repli wallon plus ou moins... confédéraliste.

Di Rupo ne veut pas tirer les marrons du feu pour le maître de la NVA. Il fallait donc changer de tactique. C’est pourquoi, après avoir risqué d’empoisonner le front commun syndical à coups de clichés sur les collabos flamands, le PS s’est ravisé et a appelé ses troupes à soutenir la grande manifestation du 6 novembre à Bruxelles, qui a réuni 120.000 personnes de toutes les régions du pays. Nécessité oblige, il a donc fallu parler du social. Pas facile, quand on a été au pouvoir pendant 26 ans et qu’on a appliqué toutes les potions néolibérales, de la traque aux sans-emplois à celle ses sans-papiers, en passant par l’allongement de la carrière, le blocage des salaires, les privatisations dans le secteur public, la précarisation des jeunes et des femmes, etc.

Pas facile, mais ce n’est pas seulement un problème de cohérence, ou de double discours, qui se pose ici. La difficulté est aussi stratégique: pour le PS, en effet, un enjeu majeur est de regagner le monopole de la représentation parlementaire de la gauche. De ce point de vue, l’idéal est que le gouvernement Michel-De Wever tienne, afin que celles et ceux qui se sont égarés à voter PTB-GO! bouffent tellement d’austérité qu’ils/elles comprennent leur "erreur" et reviennent au bercail du "vote utile" en faveur du "moindre mal". La reconstitution de l’Action commune socialiste fait partie de ce projet. Pour la social-démocratie, il s’agit de soutenir l’action syndicale, mais pas trop: car si le gouvernement tombait sous les coups de la mobilisation, cela mettrait la négociation d’une autre coalition sous la pression de la rue et de ses revendications. Gênant.

Le PS, et ce n’est pas une surprise, se trouve donc du côté des dirigeants syndicaux qui, à l’instar de Marc Goblet et de maints dirigeants de la CSC flamande, veulent que le plan d’action serve à amener le gouvernement à une "vraie concertation"... Une concertation en échange de laquelle le syndicat garantirait la "paix sociale" (comme la FGTB l’a écrit dans sa lettre aux employeurs). Problème: la marge de manœuvre est terriblement étroite. Il faudrait, soit que le gouvernement renonce au saut d’index et à la pension à 67 ans, soit que les appareils syndicaux prétextent d’un pseudo-impôt sur la fortune (annulé par de nouvelles baisses de cotisations patronales à la Sécu, comme l’a dit le chef de file NVA au Parlement) pour arrêter le combat. Ces deux éventualités semblent peu probables. Le CD&V Kris Peeters trouvera-t-il le moyen de détacher la CSC du front commun en faisant miroiter en plus une vague "politique de l’emploi"? Le PS n’a d’autre choix que de l’espérer. C’est dur d’être social-libéral, quand la lutte de classe s’aiguise! ■

De la difficulté d’être social-libéral quand la lutte de classe s’aiguise

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nsAsile et migration:

Theo Francken n'a rien inventé✒ par Matilde Dugaucquier

Quiconque consulte un tant soit peu la presse a dû se familiariser au visage du nouveau Secrétaire d'Etat à l'Asile et la Migration – par ailleurs chargé de la Simplification administrative (sic) et adjoint au ministre de la Sécurité et de l'Intérieur: Théo Francken. Chez nos voi-sins de l'hexagone – pourtant pas les plus férus de politique belge, le Petit journal de Canal+ en a d'ores et déjà fait la coque-luche de sa rubrique "Bonjour les Belges!" La rédaction du journal satirique y mène une enquête plus ou moins approfondie sur "l'arrivée des fachos au gouvernement belge". Il apparaît ainsi utile de rappeler que la politique d'asile et migration du gouvernement Michel Ier ne doit rien aux sympathies supposées ou avérées – dont il convient, certes, de s'indigner – du nouveau Secrétaire d’État. Au contraire, elle s'inscrit dans le prolongement de la politique menée entre 2011 et 2014 par le gouvernement Di Rupo et, plus générale-ment, dans le cadre d'une politique européenne placée sous le sceau du ren-forcement des frontières, de la diminution des flux et de la criminalisation des per-sonnes migrant.e.s depuis les années 1980.

D'aucuns s'indignent, et avec raison, du "ton" adopté dans le chapitre 7 "Asile et Migration" de l'accord de gouvernement 2014. Il est vrai que, comme le rappelait levif.be le 3 novembre, durant sa carrière parlementaire déjà, "l'élu N-VA [Théo Francken] [se] distinguait par une nette tendance à voir des abus et des scandales partout." Il est vrai également que les déclarations tonitruantes du même élu sur les réseaux sociaux – mises à jour allègrement par les médias – ne lais-saient rien présager de bon. Or un simple détour par la déclaration de politique générale 2011 (celle du gouvernement Di Rupo) permet de constater que les termes "abus" et "fraudes" étaient déjà présents du préambule à la conclusion du chap-itre sur l'asile et l'immigration (pages 129 à 135), tout comme la promotion du retour "volontaire si possible, forcé si nécessaire" (p. 131 – entendez "retour

volontaire forcé") et "la nécessité d'étendre les centres fermés" (p. 132) figuraient déjà à l'ordre du jour. La politique d'Asile et Migration selon Theo Francken n'est rien d'autre que l'exacerbation d'une logique raciste qui le précède, et ce par le biais de mesures favorisant – encore plus! – la surveillance et la criminalisation des per-sonnes concernées, tout en restreignant – encore plus! – l'accès aux procédures d'asile et de régularisation, les possibilités de recours, le droit à la vie privée, etc. La logique de privatisation de certains secteurs liés à l'asile et la migration, notamment les centres d'accueil et le transport, qui n'apparaît qu'en filigrane dans l'accord, est un autre aspect de la politique Francken dont on s'indigne fort peu dans les médias dominants. Les abus qui en découlent, eux, sont pourtant bien avérés, la désormais célèbre photo des agents de "sécurité" du centre d'accueil de Burbach en Allemagne faisant foi.

L'ensemble de ces mesures s'inscrivent dans le cadre plus large d'une prétendue "harmonisation" de la politique d'asile et de migration européenne appelée de leurs vœux par les plus grands Etats européens depuis les années 1980 – en pleine débâcle néolibérale – et sur laquelle nos dirigeants ont à cœur de s'aligner. Cette politique, faite de standards à minima et de toute sorte d'échappatoires pour les Etats en ce qui concerne l'asile, n'a d'autre finalité que de renforcer les frontières et de diminuer les flux, sous couvert de "protection" des frontières, de "lutte contre la traite des êtres humains", contre l'immigration "illégale" et autres objectifs nobles. Emblématique de cette tendance est le cas du FER, Fonds européen des Réfugiés créé en 2000, rebaptisé FER, Fonds européen du Retour en 2008. Non, Theo Francken n'est pas un bug dans la matrice, au contraire, il est le plus pur produit d'une politique générale,

qui vise à alimenter les divisions et à créer un climat délétère pour celles et ceux qui cherchent un meilleur ailleurs.

Mais alors, que faire? Comme par le passé, il faut lutter. Lutter, d'une part, contre l'indignation sélective (et

hypocrite dans le chef de ceux

qui sont aujourd'hui dans l'opposition). Lutter, d'autre part et surtout, contre une politique inhumaine et criminelle, aux côtés des collectifs de migrant.e.s sans-papiers et demandeu.rs/ses d'asile, les seul.e.s à pouvoir mener de front ce combat pour la justice et la dignité. D'ores et déjà, les collectifs s'organisent et passent à l'action chez nous, par le biais d'occupations d'immeubles, d'actions et de manifestions : le Collectif mobilisation 2009 ( les oubl iés de la "grande régularisation" de 2009), la Voix des sans-papiers, les Afghans du Béguinages, le groupe de travailleurs sans-papiers de la CSC, etc. Nous appelons à suivre ces groupes et à soutenir leurs actions! ■

La politique d'asile et migration du gouvernement Michel Ier s'inscrit dans le prolongement de la politique menée entre 2011 et 2014 par le gouvernement Di Rupo.

Centre d'accueil de Burbach, en Allemagne .........::::::

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✒ par Ida Dequeecker

L’espace que la déclaration gouver-nementale consacre à ce qui est appelé "la dimension de genre" est minimal et n’engage à rien, en particulier s’agissant du marché du travail. On lit que le gou-vernement "souhaite tenir mieux compte de la dimension de genre sur le marché du travail". Il consacrera une "attention particulière" à l’écart salarial, à la réc-onciliation entre travail et vie privée, à la lutte contre le plafond de verre et plus généralement à la ségrégation verticale aussi bien qu’horizontale sur le marché du travail.

Le mouvement des femmes attire constamment l’attention sur cette injus-tice structurelle. Doit-il se réjouir? Non, car il s’agit seulement d’une "attention particulière". De la même manière, la politique d’égalité des chances promet seulement de porter une "attention par-ticulière" à "l’égalité des sexes pour les personnes d’origine immigrée, aux per-sonnes ayant un handicap au travail" et à "l’augmentation de la participation au travail des aînés et la lutte contre le chô-mage des jeunes".

Remarquez que seul le plafond de verre vaut "une lutte". Même l’écart salarial n’entre pas en ligne de compte pour "la lutte". Normal, puisque celle-ci est liée, entre autres, à l’injustice structurelle. Mais ne coupons pas les cheveux en quatre!

La combinaison travail-foyerEt que fait la réconciliation entre vie

professionnelle et vie privée dans ce petit inventaire genré? Les femmes le savent: lorsqu’on en vient à devoir "choisir" une carrière à temps partiel, elles sont les premières à le faire et y sont sou-vent contraintes. Et ce gouvernement se préoccuperait de ce problème? Il s’en préoc-cuperait alors que le travail à temps partiel est une des pierres angulaires de la flexi-bilité que l’accord gouvernemental veut développer davantage, par l’organisation

flexible du travail et du temps de travail, comme l’annualisation du temps de tra-vail, le travail à temps partiel, les heures supplémentaires et les heures de travail glissantes?

Plus de flexibilité serait donc bon pour mieux combiner le travail et les activités de soin, peu importe qui se charge de l’un ou de l’autre. L’accord gouvernemental tend à "un nouveau modèle de carrière qui offre plus de souplesse aux entreprises pour l’organisation du travail d’une part et aux travailleurs un meilleur équilibre entre travail et vie privée d’autre part".

Seulement voilà: ce refrain nous est seriné depuis plus de 40 ans et on voit que la combinaison travail/soins du ménage reste un tour de force féminin. Qui croit encore que ce sera différent avec cet accord gouvernemental? La réconciliation entre travail et vie privée continuera à reposer sur les épaules des femmes via le temps partiel qui, pour un ensemble complexe de raisons structurel-les et culturelles, est surtout un travail féminin. Il est donc logique que, pour ce gouvernement, cette réconciliation relève précisément de la "dimension de genre".

La déclaration gouvernementale cache la position particulière des femmes sur le marché du travail derrière le terme "dimension de genre", qui englobe femmes et hommes. Les gouvernements précédents savaient aussi jongler délicieusement avec le terme "genre", mais ce gouvernement-ci, sans complexe, ajoute qu’il va "mieux" tenir compte de cette dimension... pour ignorer l’existence concrète des femmes travailleuses dans la vie réelle.

Et ceci n’est pas un méchant procès d’intention: la combinaison travail/vie privée foyer est abordée dans le chapitre "Fonction publique et entreprises pub-liques": "Le gouvernement fédéral mène une politique en faveur des femmes. A cet égard, il veille sur la possibilité de com-biner travail et vie de famille dans le cadre

de ses propres compétences et particulière-ment pour son propre personnel".

Pour que la répartition des tâches soit "la plus égale possible entre les femmes et les hommes", l’accord gouvernemental annonce un plan d’action, qui comporte entre autres "la mise en œuvre d’une politique qui lutte contre les stéréotypes; la possibilité d’encourager une utilisation plus équitable des régimes de congé par les deux parents."

Outre que l’expression "la plus égale possible" n’engage à rien, cette promesse est en contradiction avec la structure actu-elle sur le marché du travail, que l’accord gouvernemental flexibilise encore plus, et avec la réforme des systèmes de crédit-temps: aucune réduction de l’écart salarial n’est prévue, de sorte qu’ils seront de nou-

Accord gouvernemental:

L'art d'ignorer l’existence concrète des femmes

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moins (très souvent des femmes donc). Nier l’existence concrète de (beaucoup

de) femmes, c’est aussi ce que fait cette réforme du crédit-temps. Le crédit-temps non motivé, que des femmes prennent souvent de facto pour des tâches de soin, n’entre plus en considération pour le calcul de la pension. Le crédit-temps motivé est étendu d’au maximum 12 mois s’il est pris pour des soins (soins à un enfant jusqu’à 8 ans, soins palliatifs et soins pour un membre de la famille gravement malade ou handicapé)… et sera davantage contrôlé.

Non seulement il n’est question nulle part de mesures concrètes pouvant mener à un "meilleur" équilibre entre hommes et femmes dans la prise de congé pour soins, mais en plus, de facto, le travail à temps partiel devient plus que jamais une des rares alternatives. Pourtant, la nécessité des soins ne disparaît pas, au contraire: avec le vieillissement, elle menace de s’amplifier.

Règlement de la pensionS’agissant des pensions, l’accord

gouvernemental ne prétend même plus mener une politique "en faveur des femmes"… L’âge de la pension augmente. Le nombre d’années de travail qui donne droit à une pension complète aussi. La pension minimum légale est portée 10% au-dessus du seuil de pauvreté pour qui a une carrière complète à temps plein. Le calcul des pensions publiques se fera sur base des revenus sur toute la carrière, les années contractuelles ne seront plus prises en compte pour la pension et une harmonisation avec le privé se profile.

Autant de mesures qui rendront de facto extra difficile pour beaucoup de femmes de construire une pension décente, aussi dur qu’elles aient trimé pour combiner travail payé et travail non payé. A cela s’ajoute que l’accord gouvernemen-tal parie sur le renforcement de la part des pensions privées, prévoit une généralisa-tion du deuxième pilier et un renforcement du troisième (épargne-pension). Cette individualisation de la préparation de la pension agit au détriment des personnes financièrement plus faibles dans la société, dont beaucoup de femmes.

Femmes et enfantsIl est vain d’éplucher davantage

l’accord gouvernemental sous l’angle de la discrimination des femmes. Cette dis-

crimination est partout présente, comme c’était à prévoir. Et là où les femmes sont mentionnées, on peut à peine croire ce qu’on lit.

Les femmes se trouvent dans le paquet des "groupes à risques" pour lesquels on instaurera "un monitoring de pointe de l’(in)égalité des chances. Il portera non seulement sur l’inégalité entre les femmes et les hommes, mais également sur les personnes handicapées, les personnes âgées ou les LGBTI et d’autres groupes à risques. L’utilisation de limites d’âge sera également répertoriée afin de lutter contre les discriminations fondées sur l’âge."

Le texte annonce une "tolérance-zéro" en matière de discrimination: les minori-tés ethniques ne sont même pas nommées et disparaissent sous la dénomination "autres groupes à risques". Et quand elles sont mentionnées ailleurs, ici ou là, c’est en tant que "personnes avec un passé de migration" (?) ou "personnes issues de l’immigration".

Les femmes sont traitées à l’ancienne mode, avec les enfants et les "groupes à risques". Exemple tiré du chapitre sur les droits de l’homme: "Des points d’attention particulière sont le respect de l’intégrité physique de chaque personne, la défense des droits spécifiques des femmes, des enfants et des personnes fragiles".

Cet (apparent) souci pour la position des femmes (et autres groupes à risques) contraste de manière flagrante avec l’obsession détaillée de la lutte contre "le jihadisme violent" et la manière de voir les volontaires partis combattre en Syrie ou avec la digression – tout aussi détaillée – sur le travail flexible dans l’horeca et les brasseries (à étendre ultérieurement au commerce et à la construction), où les contrôleurs ne devront pas y regarder de trop près, car des "fautes sont commises de bonne foi". Par contre, quand il s’agit de traite des êtres humains, la position particulière des femmes ne mérite aucune attention particulière.

Le foulardLe foulard est l’objet de beaucoup

d’attention, fût-ce avec peu de mots. L’accord gouvernemental interdit le foulard pour les fonctionnaires en contact avec le public. Le choix des mots est codé mais ne laisse aucun doute sur les intentions:

"Le gouvernement veille à ce que les services de l’autorité fédérale aux citoyens soient neutres et perçus comme neutres. Conformément à la réglementation décou-

lant du statut, le port visible de signes qui reflètent une conviction personnelle (religieuse, politique ou philosophique) est interdit pendant l’exercice de leurs fonctions aux fonctionnaires qui sont en contact direct avec le public".

"Perçus comme neutres"? L’existence (supposée par la force des choses) d’un sentiment (partagé?) de personnes indi-viduelles détermine-t-elle dorénavant le code vestimentaire, en lieu et place de règles objectives, identiques pour tous les fonctionnaires? Et à qui renvoie la percep-tion de la neutralité? A ceux qui ne portent aucun signe extérieur de conviction per-sonnelle ou précisément à ceux qui en portent? Et qui est supposé se méfier de

qui? L’utilisation du mot "vis-ible" ne laisse pas de doute à

ce sujet… Le fait qu’une telle interdiction pourrait donc être sexiste et raciste ne mérite pas d’attention partic-ulière.

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me Le désastre continue

Le point faible de la politique d’égalité des chances a toujours été de trébucher sur la politique social-économique. Le travail à temps partiel est un facteur d‘inégalité sur la base du sexe sur le marché du travail, mais ça n’a pas empêché une politique d’extension de celui-ci. Le politique s’est caché derrière

la vision individualisante selon laquelle chacun peut choisir l ibrement, et s’est focalisé sur des cibles (plus atteignables) comme le plafond de verre, les objectifs à l’embauche et la combinaison entre travail et soin via les chèques-service et les campagnes pour que les hommes changent de mentalité. Du coup, la solution de la combinaison entre travail et soin était renvoyée dans la sphère privée.

Hors du terrain social-économique, une politique inspirée par le féminisme pouvait occuper plus d’espace: mesures contre les intimités non souhaitées au travail, contre la violence sexuelle ou conjugale, pour la parité en politique, etc. Mais cela restait une politique faussée.

Ces dernières années, l’espace pour cette politique faussée a continué à se rétrécir et cette politique elle-même à se dégrader. Joëlle Milquet a fixé dans une loi une définition du sexisme… qui épargne des formes de sexisme aussi grossières que la composition de l’actuel gouvernement fédéral. Pascal Smet a dépouillé la notion de genre de son contenu féministe et ceci aussi a trouvé sa réalisation dans la législation.

Le comble est que l’accord gouver-nemental rétrograde la compétence pour l’égalité des chances au niveau d’un secré-taire d’Etat. L’attention pour la "dimension de genre" masque une indifférence pro-fonde pour le genre. L’image des femmes qui ressort du texte penche nettement du côté des fantasmes masculins sur "le sexe faible" ayant besoin d’aide.

"Continuons donc à broder sur le thème de la délinquance familiale et de la violence intrafamiliale, avec ça, on ne peut pas se tromper": voilà ce qu’ont

dû penser les auteurs. Une attention particulière

est portée à la punition et au traitement des délinquants sexuels et des auteurs de violence intrafamiliale. Dans ce cadre, les lois des 15 mai et 15 juin 2012 seront corrigées, de sorte que l’interdiction temporaire faite aux auteurs de violence intrafamiliale d’entrer dans leur maison pourra être mieux appliquée. Ce point est évidemment positif, mais ne pèse guère dans l’image d’ensemble. ■

www.facebook.com/feminisme.yeah

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n!Delhaize: la bataille s’engage✒ par Correspondant

Delhaize: la bataille ne fait que com-mencer, titrions-nous dans La Gauche de septembre 2014, à l’occasion de l’interview de Delphine Latawiec, Secrétaire natio-nale du secteur commerce de la CNE. En effet, après les premiers débrayages spon-tanés de cet été, à l’annonce du plan de restructuration, il y a eu une longue phase d’information des délégations syndicales dans le cadre de la procédure Renault.

Vendredi 17 octobre, le personnel de 103 magasins Delhaize (sur 138) est reparti en grève. Les travailleurs des centres de distribution de Zellik, de Ninove et de Molenbeek ont également cessé le travail, ce qui a complètement désorganisé la distribution des marchandises, y compris chez les franchisés (AD Delhaize, Proxy, Shop & Go). Le 4 novembre, les négociations ont commencé. Une mesure significative annoncée par la direction: son souhait d’instaurer des contrats de 3 heures par jour (histoire d’accroître la flexibilité du personnel et de jongler plus facilement avec l’emploi du temps du personnel aux heures de pointe).

Les prochaines dates de négociations sont fixées au 13/11, 21/11, 26/11, 2/12, et 10/12. En plein calendrier des grèves tournantes interprofessionnelles! Le mois de décembre est une période de l’année où Delhaize réalise habituellement son meil-leur chiffre de vente. Gageons qu’il n’en sera pas ainsi en décembre 2014.

BM&S: 3 mois de grève!✒ par Correspondant

Les ouvriers de l'atelier BM&S du site SNCB de Schaerbeek sont en grève depuis près de 3 mois! Petit rappel des faits. Les nettoyeurs en grève s'opposent au licen-ciement de 5 collègues dont 2 délégués syndicaux, soupçonnés de corruption. Une première décision de justice, inédite en son genre, avait ordonné la levée du piquet de grève. Mais cette ordonnance a ensuite

été annulée par  le tribunal de Première instance. BM&S a fait appel. L'affaire était plaidée lundi 3/11, et la décision était attendue pour la fin de la semaine. La direction de BM&S veut maintenant une réouverture des débats devant la Cour d'appel, ce qui devrait prolonger encore la procédure!

La FGTB et la CGSP Cheminots demandent que les 5 ouvriers soient réin-tégrés immédiatement sur le chantier de l'atelier SNCB de Schaerbeek et qu'ils puis-sent travailler, le temps que l'enquête sur les allégations de corruption soit clôturée. Jo Cornu lui-même, patron de la SNCB, ne s'oppose pas à ce que les travailleurs soient réintégrés sur un site de nettoyage. En réaction, en collaboration avec la FGTB, la CGSP cheminots de Bruxelles propose d'organiser des actions le 24 novembre avec notamment un blocage du trafic fer-roviaire à Schaerbeek.

Pour suivre les infos: Philippe Dubois, Secrétaire régional CGSP cheminots, 0473/72.28.98.

Haro sur les dockers!✒ par Correspondant

Même si vous n’avez pas participé à la manifestation nationale interprofes-sionnelle organisée par le front commun syndical le jeudi 6 novembre, vous êtes certainement au courant qu’à la fin de la manifestation une bonne centaine de dockers anversois, venus manifester à Bruxelles, se sont battus avec la police qui les empêchait de remonter vers la Porte de Hal et le siège du MR. Si vous n’êtes pas au courant c’est vous étiez sur une île déserte, sans journaux, radio, télé, internet et téléphone. Car depuis lors les médias ne parlent que de cela. Ils en parlent tel-lement qu’on en viendrait à oublier les 120.000 manifestants qui étaient dans les

rues de Bruxelles. En pourcentage, cela signifie qu’un millième des manifestants s’est battu avec la police. Certes, lorsqu’il y a des affrontements avec la police, les dockers, les mineurs, les sidérurgistes, et d’une manière générale les travailleurs exposés quotidiennement aux travaux dangereux ne se laissent pas impression-ner par une auto-pompe et rendent coup pour coup. Une centaine de policiers auraient été blessés. Plus regrettable, une dizaine de voitures appartenant à des habitants du quartier populaire du Midi ont été incendiées. Les dégâts au mobilier urbain sont aussi très importants.

Il ne s’agit pas de cautionner de telles dégradations. Mais il faut de se distancier de la campagne médiatique et politicienne de la droite et du patronat à l’encontre des dockers en général. Car les dommages matériels qu’une centaine d’entre eux ont provoqués le 6 novembre sont insignifiants comparés aux dommages humains qui seront imposés à l’ensemble des dockers si la loi Major relative au travail dans les ports belges est abrogée, comme l’a annoncé le gouvernement Michel. Tra-vailler au chargement et au déchargement des bateaux dans les ports est un métier très dangereux qui ne peut être effectué que par des dockers formés et respectant les normes de sécurité. On peut rapidement y perdre un bras, une jambe ou la vie. Le démantèlement du statut des dockers ainsi que le recours au travail intérimaire et à toutes sortes de statuts précaires dans les ports exposent les dockers à des dommages autrement plus importants que les dégâts occasionnés à quelques abribus.

En janvier 2006, lors d’une manifes-tation européenne des dockers devant le Parlement européen de Strasbourg, ces derniers s’étaient copieusement battus avec la police. Mais sur le fond, les dock-ers avaient gagné car la libéralisation du travail dans les ports avait été postposée. C’est dans ce contexte qu’il faut replacer les incidents avec la police de Bruxelles le 6 novembre dernier. ■

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✒ par Charlotte Clabecq

1 Allocations d’insertion (1): Ces allocations comblaient jadis le manque de ressources d’un jeune qui sort de ses études en atten-dant son entrée sur le marché de l’emploi. Les plans de la suédoise: la diminution de l’âge maximum pour introduire une demande aux allocations d’insertions de 30 ans à 25 ans (ce qui signifie devoir ter-miner ses études à 24 ans) et conditions de réussite des études secondaire avant 21 ans pour pouvoir y prétendre.

2 Allonger la carrière jusqu’à 67 ans ou retarder l’entrée de la jeunesse sur le marché du travail tout en diminuant le nombre d’emplois disponibles (pour une raison inconnue, la Suédoise a pris soin d’écrire qu’un tel projet profiterait à la jeunesse!?). Mesure à laquelle s’ajoute le chèque de 3,5 milliards tout simplement offerts aux patrons et aux actionnaires pour une hypothétique création d’emploi, sans aucune garantie d’embauche.

3Saut d’index: D’après les calculs des jeunes-CSC et jeunes-FGTB, le saut d’index représente pour un jeune de 22 ans qui gagne 2200 euros brut une perte finale de 25 000 euros.

4Annualisation du calcul du temps de travail et conversion des 50 jours (2) de travail étudiant en heures: c’est encore une fois une politique qui vise à flexibil-iser les conditions de travail, à répondre aux intérêts des patrons en adaptant la présence de main d’œuvre au flux de l’offre et de la demande. Cette mesure répond aussi aux politiques de certains organismes publics comme les CPAS (3) qui déduisent des revenus alloués aux jeunes, les revenus obtenus par le travail étudiant ("l’habituation au travail" qu’ils appellent ça). Une façon de considérable-ment augmenter la durée des prestations précaires étudiantes (avant la journée de travail pouvait valoir 4h comme 8h) sans se soucier des conséquences que cela implique sur les études.

5Diminution des montants des complé-ments chômage pour les travailleurs à temps partiels, mesure qui s’attaque directement aux jeunes et aux femmes pour qui le temps-partiel est une condi-tion forcée pour entrer sur le marché du travail. Le gouvernement prévoit d’encore en diminuer le montant de moitié après deux ans ce qui précipitent une fois encore les femmes et les jeunes dans la pauvreté.

6Augmenter la TVA (taxe sur la valeur ajou-tée) à la consommation, taxe donc non proportionnelle aux revenus. La jeunesse, étant la cible principale du marketing et de la publicité et le public le plus démuni en termes de ressources, est tout particulière-ment concernée.

7Creuser l’écart entre les revenus de rem-placement et les salaires pour "renforcer l’attractivité du travail" en augmentant le salaire "poche" du travailleur avec... son propre salaire brut! Mesure indissociable de la précédente car c’est par l’augmentation de la TVA que le gouvernement compte palier à l’imposition proportionnelle au revenu. Encore une façon "d’aiguiser" le goût du travail à n’importe quel salaire en accentuant les préjugés de l’allocataire (le jeune) paresseux et jouissant d’une vie confortable qu’il faut éduquer à la carotte et au bâton. Là même où l’on parle d’une offre d’emploi disponible pour 22 à 40 "chercheurs" d’emploi...

Ce que la Suédoise réserve à la jeunesse

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La mise au travail forcé des travail-leurs sans emploi, sans nuancer la condition de disponibilité et de recherche active d’emploi exigée, les chômeurs se verront contraints de travailler deux demi-journées par semaine avec la menace de se trouver sans revenu en cas de refus. Une mesure expérimentée d’ores et déjà sur les usagers des CPAS, qui conduit à la mise en concurrence au rabais des salaires et des conditions de travail… Lorsqu’on parle d’un taux de chômage général de 8,4% et de 22,4% (4) lorsqu’il s’agit des jeunes, c’est dire à quel point ceux-ci sont con-cernés par la mesure.

9 (Re.re)remaniement de la notion d’emploi convenable: la notion, introduite en 2004, entendait par "emploi convenable" l’obligation pour le travailleur sans emploi d’accepter n’importe quel emploi légal (obligation conditionnée par un contrat avec l’ONEM) jusqu’à 25 km de son domicile. Di Rupo s’est à son tour approprié la notion pour que, passé les trois mois au chômage, l’emploi en question ne doive plus nécessairement correspondre au diplôme ou à la profession du travailleur, et qu’en plus cet emploi puisse se trouver jusqu’à 60 km de son domicile. Aujourd’hui la mesure reste floue mais vise à augmenter (encore!) la mobilité professionnelle et géographique du travailleur.

10Augmenter le prix des études: outre la sup-pression, en cours, des formations jugées insuffisamment rentables, la privatisa-tion et la marchandisation croissante de l’enseignement, les politiques d’austérités s’accumulent dans l’éducation. La fédéra-tion Wallonie-Bruxelles annonce 36,9 millions d’économies alors qu’en Flandre le minerval augmente scandaleusement. Ces politiques transforment bel et bien la jeunesse en une marchandise, favorisant

l’investissement privé et les entreprises pour trouver une force de travail immédi-atement productive et rentable.

À travers ces politiques, la jeunesse apparaît comme la cible idéale: peu organisée/représentée dans les organisa-tions syndicales, prête à tous les sacrifices pour accéder à l’indépendance, stéréotypée et criminalisée en tant que génération paresseuse qui manque d’ambition, main d’œuvre abondante, etc. Autant d’avantages au bénéfice des patrons, et c’est de leurs intérêts qu’il s’agit dans les plans du gouvernement Michel:

"L’ambition est de mener une poli-tique de croissance visant à renforcer la compétitivité et assurant ainsi que nos entre-prises créent des emplois supplé-mentaires. (…) Ceci sera réalisé entre autres en diminuant le coût du travail (par le biais de la résorption du handicap salarial) et la poursuite de la réforme du marché du travail et les pensions tout en consolidant l e sy s tème de sécurité sociale." (5)

Faisant o f f i c e d e cerise sur un gâteau de stages non-rémunérés, contrats précaires, générali-sation du travail intérimaire, exclusion massive du chômage… Les stages de "transi-tion en entreprise" semblent rester une priorité du gouvernement ; d’ores et déjà condition d’accès aux allocations d’insertion chez Actiris pour les jeunes "infraqualifiés", rémunérés 200 euros par mois par l’employeur, et sans obligation d’embauche. Le complément du salaire de +/- 600 euros est payé par la sécurité

sociale. En d’autres termes: comment vider la sécurité sociale de son sens et transformer les cotisations sociales (plus couramment appelées charges sociales dans l’accord) des patrons en une monnaie fiscale... ■

1) Le gouvernement Di Rupo avait déjà largement modifié le sens de ces allocations en limitant l’âge d’accès à 30 ans, en prolongeant le stage de 3 mois (soit 12 mois sans revenus au total) et en le ponctuant de contrôles arbitraires sur des critères tels que "la disponibilité" et la "recherche active d’emploi". Ces allocations assuraient jusque-là la survie matérielle des jeunes, étant déjà bien inférieure au seuil de pauvreté (770 euros par mois pour un isolé).

2) Avant le gouvernement Di Rupo, le nombre de jours maximum de travail étudiant était de 46 jours.

3) Centres publics d’Action sociale.

4) Chiffres de la FGTB, janvier 2014.

5) Accord de gouvernement, Emploi et compétitivité, p.3, 10 octobre 2014.

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"Si le syndicat se limite à son core business, il passe à côté de sa mission fondamentale"

Nous faisons de la politique, oui, mais dans le strict respect de l’indépendance syndicale.

✒ propos recueillis par Florent Gallois

La FGTB de Charleroi Sud-Hainaut a tenu le 18 octobre un important congrès sur l’actualité et sur son rapport aux partis politiques. Nous avons rencontré son Secrétaire régional interprofessionnel, Daniel Piron.

Pourquoi ce point sur les partis était-il à l’ordre du jour du congrès?

C’est la suite logique de la démarche que nous avons initiée depuis plusieurs années. Lors de notre congrès de 2010, nous avons décidé de ne plus entretenir de liens privilégiés avec le Parti Socialiste et d’avoir des rapports avec tous les partis démocratiques de gauche. Le premier mai 2012, nous avons critiqué durement le PS et appelé à un rassemblement politique anticapitaliste à gauche de la social-démocratie et d’Ecolo. Ces prises de position ont soulevé un certain nombre de questions, principalement sur notre indépendance syndicale. Pour y répondre, nous avons approfondi notre réflexion.

Le point de départ est celui qui est exposé dans notre brochure 8 Questions: en tant que syndicat, en tant qu’émanation directe du monde du travail, nous consi-dérons que nous avons non seulement le droit mais aussi le devoir d’élaborer un programme répondant aux besoins de nos affiliés. Or, ce programme n’est pas là pour la galerie: nous voulons qu’il soit porté sur le plan politique, dans les assemblées élues. Nous interpellons donc les partis, et nous allons le faire par écrit, en demandant des réponses écrites. En ce sens-là, oui, nous faisons de la politique. Mais dans le strict respect de l’indépendance syndicale.

Dans ce cadre, nous distinguons plus-ieurs niveaux. Pour ce que nous appelons les dossiers "pragmatiques" – face à une

restructuration d’entreprise, par exemple, qui implique l’intervention du politique – nous continuerons à avoir des contacts avec tous les partis démocratiques. Pour les dossiers "politiques" – tout ce qui concerne de près ou de loin le monde du travail – nous souhaitons avoir des con-tacts avec tous les partis démocratiques de gauche (par "démocratiques" on entend qui se présentent aux élections: on ne va pas s’immiscer dans leur fonctionnement interne).

De ces partis de gauche, nous exigeons qu’ils se prononcent et s’engagent sur notre programme, c’est-à-dire sur nos 10 Objectifs. Nous ne considérerons comme "relais" que les formations qui répondront positivement à cette demande. Enfin, nous souhaitons défendre et discuter nos priorités au-delà des partis. Nous avons donc décidé d’entretenir des contacts aussi avec le monde associatif, les mutuelles, les agriculteurs, les étudiants, les intellectuels... Cela fait partie de notre stratégie politique. A terme, pour nous, toute cette démarche doit être étendue aussi à la CSC, car nous plaidons avant tout pour l’unité des travailleurs.

C’est un vaste chantier…En effet, et je répète que notre action

est une action de long terme. Ce chantier nécessite de nous donner des moyens à l’interne. Nous songeons à organiser des journées d’étude en faisant appel, si nécessaire, à des experts extérieurs. Nous voulons augmenter le soutien militant à nos 10 Objectifs en réalisant une série de fiches "techniques" pour illustrer ce qu’impliquent nos revendications, quelles expériences menées ailleurs ou à d’autres époques montrent qu’elles sont réalisables, etc. Nous prendrons une initiative en 2015 pour faire passer le message de notre plan anticapitaliste. Je précise que toutes ces

décisions ont été prises à l’unanimité par le congrès.

Vous dites avoir le droit et le devoir d’intervenir sur le champ politique à partir de votre programme. Peux-tu revenir sur ce point et expliquer comment cette conception se concilie avec l’indépendance syndicale?

L’indépendance syndicale, ce n’est pas l’apolitisme. Notre Président l’a bien rappelé lors du congrès. C’est nous qui représentons les travailleurs. Il est donc logique que ce soit nous qui donnions un contenu, un programme. Nous trouvons normal d’être à la manœuvre. On n’est pas là pour être la courroie de transmission de quelque parti que ce soit. On n’est pas là pour fournir des électeurs aux partis lors des élections, ou pour amener des manifestants aux manifestations des partis. On est là pour défendre les intérêts des travailleurs sur tous les terrains, aussi sur le terrain politique.

L’indépendance syndicale, dans notre conception, c’est la capacité des syndicats de critiquer tout parti politique, quel qu’il soit. Dans la crise actuelle, le syndicat ne peut pas se limiter à son "core business" classique: les conventions, les salaires, l’emploi, etc. Il doit trouver des relais poli-tiques pour transformer ses revendications en décisions politiques. Sinon, il passe à côté de sa mission fondamentale.

Nous n’avons pas vocation à être au pouvoir, mais l’intérêt de nos affiliés demande que nous mettions au pouvoir un prolongement politique qui défend leurs intérêts. C’est ce que le mouvement syndical a fait au 19e siècle, avec le POB. On ne fait que reprendre cette continuité, mais en considérant que le PS n’est plus notre relais privilégié. Nous voulons donc favoriser l’apparition d’un nouveau relais,

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sur base de nos 10 Objectifs.

Que dites-vous face à ce gouvernement Michel? Faut-il le chasser?

Personnellement, je suis d’accord à 100% avec le tract que vous avez mis sur votre site: il faut chasser le gouvernement de Charles Michel, oui. Mais pas pour remettre un gouvernement Di Rupo à la place. Si on va à la bagarre, ce doit être dans le cadre d’une alternative anticapitaliste. Le "retour du cœur", non merci, on a déjà connu ça en 1988 et ça nous a donné 25 années d’austérité cogérée par le PS.

Michel et Di Rupo, c’est un peu comme l’original et la copie. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de différence. Je dis que toutes les attaques lancées par Charles Michel ont été amorcées par Di Rupo. Dans tous les domaines: allongement de la carrière, blocage des salaires, chasse aux chômeurs... Il n’y a pas eu de saut d’index sous Di Rupo, non, mais il y a eu un chipotage de l’index. Après tout ça, il ne faut pas s’étonner que Michel ose aller plus loin. Quand je dis ça devant un auditoire PS, ça fait bondir. Mais c’est la vérité. Nous avons dit cette vérité aussi à Di Rupo et Magnette, qui ont voulu rencontrer la FGTB de Charleroi, récemment.

Mais concrètement: si Michel tombe, quelle alternative politique?

La première étape c’est de faire tomber ce gouvernement. Ce ne sera pas facile, vu le dédain que ces gens-là ont pour le monde du travail. Une grosse manifestation ne suffira pas. Ce qui est rassurant: il y a un plan d’action, ce n’est pas le tir d’une cartouche unique. Cela fait une grosse différence avec l’attitude syndicale sous Di Rupo. La FGTB l’a dit: si ça ne suffit pas, on continue en janvier.

C’est vrai que la question de l’alternative politique à moyen terme n’est pas posée. C’est sans doute vrai aussi que beaucoup misent en fait sur un retour du PS au gouvernement. Il y a beaucoup de travail à faire dans les syndicats pour faire avancer l’idée d’un programme de revendications, d’une alternative. Il faut oser remettre en avant des choses cen-trales, comme les nationalisations, qui ont disparu du programme syndical. Il faut oser reparler de la lutte des classes. On dit que le gouvernement Michel est un gouvernement des patrons. C’est donc un gouvernement de lutte de classe. C’est le gouvernement d’une classe contre notre classe. On devrait oser parler d’un gou-

vernement de notre classe. Mais tout cela demande un travail de longue haleine. La gauche radicale a un rôle à jouer à ce niveau. En attendant, chasser le gouverne-ment Michel créera un meilleur rapport de forces pour le monde du travail. C’est la priorité.

Pour le front commun syndical national, le plan d’action a pour objectif une "vraie concertation"...

Je n’y crois pas. Quelle concertation est possible pour l’accord interprofessionnel? Les salaires sont bloqués, il y a un saut d’index, et le gouvernement va éplucher les conventions collectives pour remettre en cause celles qui augmenteraient les salaires. C’est la même chose dans tous les domaines. Le gouvernement a beau écrire partout qu’il est pour la concertation, il ne la pratique pas. Il n’a même pas rencontré les syndicats avant de prendre ses mesures.

Tu parlais de la gauche radicale. La FGTB de Charleroi n’a pas soutenu PTB-Gauche d’Ouverture mais a salué ce "premier pas dans le sens de [son] appel à un rassemblement anticapitaliste". Comment vois-tu les choses, six mois après?

Nous avons appelé à un rassemblement le plus large pos-sible à gauche du PS et d’Ecolo et nous continuons à le faire. Les réunions que nous avons organisées ici, à la FGTB de Charleroi, ont permis de faire émerger un rassemblement de trois composantes – PTB, LCR, PC – soutenu par un appel de personnalités. Le succès a été au rendez-vous. Pour nous, il ne s’agit en effet que d’une première étape. Ce n’est pas à nous de dire comment aller plus loin, les partis doivent prendre leurs responsabilités. Mais il ne faut en tout cas pas qu’il y ait un retour en arrière. Le PTB-GO qui devient PTB, ça ne va pas.

La Gauche d’Ouverture a créé un début de dynamique. Beaucoup de nos militants ont été enthousiastes. La ques-tion n’est pas de mettre des sigles les uns à côté des autres mais de maintenir cette dynamique, branchée sur ce qui bouge dans les syndicats, et de l’élargir si pos-sible. Sans cela, on ne concurrencera pas le PS. Si le PTB s’imagine qu’il va se substituer au PS il se fait des illusions.

D’ailleurs ce ne serait pas une solution car ça reproduirait des relations parti-syndicat du genre "eux c’est eux, nous c’est nous".■

Le PTB-GO!qui devient

PTB, ça neva pas.

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e Le cri d’alarme du GIEC✒ par Daniel Tanuro

Le Groupe d’experts intergouverne-mental sur l’évolution du climat (GIEC) vient de rendre public le rapport de syn-thèse de son 5e rapport d’évaluation et le résumé à l’intention des décideurs.

Une inquiétude palpableL’évaluation faite dans ce cinquième

rapport ne diffère pas fondamentalement des précédentes, mais le degré de précision des mises en garde est accru. L’expression "virtuellement certain" (plus de 99% de probabilité) est employée de plus en plus souvent pour caractériser le niveau de probabilité de tel ou tel phénomène. Un dégel accru du pergélisol et la poursuite de l’élévation du niveau des mers pendant plusieurs siècles, par exemple, sont considérés comme "virtuellement certains", même en cas de réduction drastique émissions.

Par-delà le ton scientifique "objectif" du rapport, c’est un cri d’alarme que lance le GIEC. La politique climatique suivie depuis le Sommet de la Terre (Rio 92) est inefficace. Nous allons tout droit vers un réchauffement de 3,7 à 4,8°C (2,5 à 7,8°C en tenant compte de l’incertitude clima-tique) qui entraînerait des "risques élevés à très élevés d’impacts sévères, largement répandus et irréversibles".

L’inquiétude des experts est palpable. Elle apparaît notamment dans l’attention prêtée au risque accru de "changements abrupts ou irréversibles" au-delà de 2100. On lit par exemple que "le seuil pour la disparition de la calotte glaciaire du Groenland, qui entraînerait une hausse jusqu’à 7 mètres du niveau des mers en un millénaire ou plus, est supérieur à 1°C mais inférieur à 4°C de réchauffement global". Limiter le réchauffement à 2°C n’élimine donc pas totalement le risque d’un basculement climatique grave et irréversible…

Combustibles fossiles, principaux responsables

Les médias se font régulièrement l’écho d’informations sur la responsabilité du méthane produit par les ruminants, ou des émissions de CO2 dues à la déforesta-tion. Il y a bien une part de vérité dans ces informations, mais le rapport du GIEC met

les pendules à l’heure: "Les émissions de CO2 provenant de la combustion des com-bustibles fossiles et des process industriels ont contribué pour 78% au total des émis-sions de gaz à effet de serre de 1970 à 2010, avec une contribution similaire en pour-centage de 2000 à 2010". Un graphique sur la part des différents gaz entre 1970 et 2010 confirme que le problème essentiel est là: l’utilisation du charbon, du pétrole et du gaz naturel comme sources d’énergie.

Ce constat est déterminant quand il s’agit d’élaborer des solutions. Les experts du GIEC distinguent huit scénarios de "mitigation", en fonction du niveau auquel la concentration atmosphérique en gaz à effet de serre serait stabilisée d’ici la fin du siècle. Pour chacun de ces scénarios, un tableau donne les réduc-tions d’émissions à réaliser d’ici 2050 et d’ici 2100, ainsi que la probabilité que la hausse de température par rapport à la période préindustrielle reste sous un cer-tain niveau (1,5°, 2°, 3°, 4°C) au cours de ce siècle. Dans chacun de ces scénarios, la réduction des émissions de CO2 provenant de la combustion des combustibles fossiles occupe une place centrale.

Scénarios: entre cauchemar et révolution

Le scénario le moins contraignant est celui dans lequel les émissions continuent à augmenter quasiment au rythme actuel. Dans ce cas, la probabilité de dépasser 4°C de hausse est "plus grande que la proba-bilité inverse" et "la combinaison de haute température et d’humidité dans certaines régions à certains moments de l’année compromettra les activités humaines normales, y compris la culture vivrière et le travail à l’extérieur". La productivité agricole, les pêcheries, seront très dure-ment affectées. Le déclin de la biodiversité s’accélérera.

A l’autre extrémité des possibles, un très petit nombre d’études envisagent une stabilisation de la concentration atmo-sphérique au niveau actuel (430ppm de CO2eq). L’effort à réaliser dans ce scénario est colossal: en 2050, les émissions mon-diales devraient avoir baissé de 70 à 95% (par rapport au niveau de 2010) ; en 2100, elles devraient avoir baissé de 110 à 120%. Ce scénario implique une réorientation

révolutionnaire dans tous les domaines de la vie sociale. C’est le seul qui donnerait une chance raisonnable de ne pas dépasser 1,5°C de réchauffement.

Le rapport se concentre en fait sur les deux scénarios suivants: celui d’une stabilisation à 450 ppm et celui d’une stabilisation à 500 ppm. Selon les modali-tés, ces scénarios font du respect des 2°C maximum un objectif "probable" (plus de 66% de probabilité), "plus probable qu’improbable", ou "également probable et improbable".

Une difficulté gigantesqueCes scénarios laissent une (faible)

marge pour brûler encore un certain temps une certaine quantité de combustibles fos-siles. Ils sont néanmoins extrêmement contraignants. Dans le cas d’une stabilisa-tion à 450 ppm, par exemple, les émissions mondiales devraient baisser de 42 à 57% d’ici 2050 et de 78 à 118% d’ici 2100 (par rapport à 2010). D’ici 2050, la part de l’énergie "zéro carbone" ou à faible inten-sité carbone devrait augmenter de 90% au niveau mondial. Sachant que 78% des émissions sont dues au CO2 provenant de la combustion de combustibles fossiles, et que cette combustion est la source de 80% de l’énergie utilisée par l’humanité, on mesure l’ampleur de la difficulté…

Il y a certes une dimension technique à cette difficulté, sur laquelle on ne s’étendra pas ici. Il y a surtout des dimensions sociales et politiques. Le rapport insiste sur plusieurs d’entre elles telles que l’importance de combiner lutte contre le réchauffement et lutte contre la pauvreté. En même temps, il est une difficulté d’ordre social sur laquelle le résumé pour les décideurs est très peu disert, alors qu’elle pèse d’un poids décisif. A un certain moment, on lit ceci: "La politique de mitigation pourrait dévaluer les actifs en énergie fossile et réduire les revenus des exportateurs de combustibles fossiles (…). La plupart des scénarios de mitigation impliquent des revenus diminués pour les principaux exportateurs de charbon et de pétrole".

Ces deux petites phrases plutôt discrètes renvoient en fait à un enjeu gigantesque: pour ne pas dépasser 2°C de réchauffement, 80% des réserves connues de combustibles fossiles devraient rester

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esous terre et ne jamais être exploitées. Or, ces réserves font partie des actifs des compagnies pétrolières et des (familles régnantes des) Etats producteurs. C’est donc un euphémisme d’écrire que "la politique de mitigation pourrait dévaluer les actifs en énergie fossile". En vérité, une mitigation digne de ce nom implique la destruction pure et simple de la plus grande partie de ce capital.

S’en prendre au capitalLa majorité des chercheurs qui font

des modèles de mitigation ne prennent pas en compte cette possibilité. Dévaluer massivement les avoirs des multinatio-nales fossiles est pour eux inconcevable. C’est pourquoi la capture et séquestration géologique du carbone (CCS) occupe de plus en plus de place dans les travaux des experts, et par conséquent dans le rapport du GIEC.

Le rapport estime que la transition énergétique nécessitera d’investir plusieurs centaines de milliards de dollars par an d’ici 2030, et nous rassure en affirmant que cela réduira la croissance d’à peine 0,06% par an. Mais ces chiffres sont basés sur l’hypothèse d’un déploiement massif de la capture-séquestration et du nucléaire, ainsi qu’une utilisation de la biomasse à une échelle si large qu’elle entrera en compétition avec la production vivrière. Sans cela, les coûts de la transi-tion augmenteraient de… 138%, voire 200%. Le résumé pour les décideurs men-tionne les risques de ces technologies. C’est cependant au mieux dans cette dangereuse direction que "les décideurs" se préparent à aller, pour ne pas "dévaluer les actifs".

Le rôle des combustibles fossiles n’est qu’un aspect d’une question plus vaste: c’est la logique d’accumulation qui est en jeu. C’est devenu une banalité de le dire: la croissance infinie dans un monde fini, ce n’est pas possi-ble. Pour réduire drastiquement les émissions d’ici 2050, sachant que ces émissions proviennent avant tout de la conversion énergétique, il faut forcément réduire la consommation finale d’énergie, et il faut le faire dans une mesure telle que cela remet inévitable-ment en cause le "toujours plus". En clair: il faut réduire la production matérielle et les transports.

C’est possible s i on supprime les productions inutiles et nuisibles, l’obsolescence programmée, les transports délirants dans le cadre de la mondi-alisation, etc. C’est possible sans nuire au bien-être et à l’emploi (en les favorisant, au contraire) si on partage le travail, les richesses, les savoirs et les technologies.Mais cha-cune de ces hypothèses ramène invariable-ment à la même conclusion: il faut s’en prendre au capital.

Bien plus qu’un combat écologique

Fin 2015, le sommet de Paris (COP21) est censé accoucher d’un accord climatique. Alors que les contours de la catas-trophe sont plus sûrs, plus clairs et plus effrayants que jamais, alors que des centaines de millions de pauvres sont déjà les premières victimes du réchauf-fement… ces gouvernements ne seront capables, au mieux, que de nous concocter dans notre dos un accord climatique insuffisant sur le plan écologique, injuste sur le plan social et dangereux sur le plan technologique. Pour qu’il en aille autrement, il n’y a qu’une seule solution: la mobilisation sociale la plus large en

faveur d’une alternative à la fois sociale et écologique. En un mot: écosocialiste. ■

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l Dans la lutte contre Ebola, évitons tout néocolonialisme✒ par Guillaume Lachenal

et Vinh-Kim Nguyen

Sierra Leone, juin 1994, les consul-tants de la Banque mondiale avaient réussi en trois ans à renvoyer plus de 5000 employés des hôpitaux et à réduire des deux tiers la masse salariale du ministère de la santé, appliquant à la lettre le plan imposé par le Fonds monétaire interna-tional (FMI) dans le cadre de l’ajustement structurel. Il s’agissait pour l’essentiel, disait un rapport, "d’employés fantômes ou trop vieux" – des personnels inutiles, sans doute. Au début des années 1990, après une décennie de crise économique, la Sierra Leone était considérée comme un petit "miracle" par le FMI et la Banque mondiale: inflation contrôlée, priorité donnée au paiement de la dette, coupes budgétaires drastiques. Dans le domaine de la santé, le pays était même présenté comme un modèle de "réforme".

La suite est connue, suivant le même scénario qu’au Liberia ("ajusté" dès le début des années 1980). La population a chuté dans la pauvreté, préparant le terrain à des guerres civiles qui détruiront ce qu’il restait d’infrastructures, tout en enrichissant les factions au pouvoir et leurs "partenaires" économiques au nord. Née de la déliquescence des institutions médicales de la région, l’épidémie de virus Ebola est un révélateur terrible des effets des politiques néolibérales.

Les plans d’ajustements structurels

Cette première leçon est très banale. Il n’est à vrai dire plus personne pour défendre ces politiques catastrophiques, déjà discréditées dans le monde de l’aide au développement longtemps avant la crise Ebola – même le président actuel de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, a autrefois dénoncé les conséquences sanitaires désastreuses des plans d’ajustements structurels.

L’épidémie d’Ebola, en particulier dans la région transfrontalière Liberia - Sierra Leone - Guinée où elle a commencé, s’inscrit par ailleurs dans une histoire

sanitaire. La région a été marquée, dès le début du XXe siècle, par une épidémie sévère de maladie du sommeil (une maladie parasitaire létale), qui était alors provoquée par l’essor de l’économie coloniale. La mobilisation médicale des Etats coloniaux reposait sur des campagnes mobiles de dépistage et de traitement et sur l’organisation de camps de ségrégation des malades; elle a donné lieu à des essais cliniques à grande échelle.

Les systèmes médicaux mis en place, avec leurs lots de vies sauvées, mais aussi d’accidents thérapeutiques et de coercition, suscitaient autant d’adhésion que de crainte, provoquant des mouvements transfrontaliers pour accéder aux soins (ou les fuir). De même, la source de l’épidémie était volontiers attribuée, par les populations africaines comme par les experts Coloniaux, aux étrangers d’en face. Comme dans d’autres pays africains, la mémoire de cet épisode est vive et ambivalente – le colonialisme ayant apporté la maladie et son traitement.

Rationalité historique et politique

Elle ne constitue sans doute pas une explication mécanique des problèmes rencontrés récemment par les équipes médicales, accusées de transmettre le virus Ebola. Mais il reste que les rumeurs et les accusations, loin de manifester un atavisme culturel, ont une part indéniable de rationalité historique et politique. Fonder exclusivement la

réponse à l’épidémie de virus Ebola sur le modèle de camps de traitement de masse et sur la "sensibilisation" paternaliste de populations considérées comme ignorantes expose au risque d’alimenter la défiance et d’amplifier l’épidémie.

L’expérience nous a montré qu’il est indispensable d’inclure dès le départ les personnes les plus touchées, car elles savent mieux gérer la réponse à la crise qui les touche. Le premier réflexe, naturel, de se concentrer sur une réponse médicalisée conjuguant isolation et exclusion ne doit pas se faire aux dépens des savoirs locaux et communautaires. Dans le cas du sida, l’implication des personnes atteintes et des activistes a accéléré, sur le plan de la recherche, le développement de traitements et de modèles de soin efficaces.

Dans le cas d’Ebola, l’hésitation à confier aux populations touchées les moyens de soigner (par exemple à domicile) traduit certes un souci lié aux risques de contamination, mais aussi un mépris envers les communautés qui font déjà ce travail, héroïquement, sans aucune aide extérieure, et en inventant des approches astucieuses – tel l’étudiante libérienne qui a soigné quatre membres de sa famille sans être contaminée, vêtue de sacs-poubelle, ou les villageois sierra-léonais qui ont pensé le modèle "1+1", pour que dans chaque famille atteinte un membre seulement soigne les malades pour éviter de contaminer les autres.

La question des approches alternatives aux camps de traitement se pose, non seulement parce que leur efficacité est peu connue, mais aussi parce que la course à l’ouverture de nouveaux lits est perdue d’avance. Enfin, une approche communautaire donne un autre rôle aux survivants qui bénéficient d’une immunité biologique face au virus. Au lieu d’y voir des réservoirs d’anticorps à prélever, ce qui semble la tendance actuelle, ne devrait-on pas plutôt en faire les acteurs à part entière de la lutte contre l’épidémie? ■

Article publié dans Le Monde du 22 octobre (p. 15) et repris du site alencontre.org

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sieElections législatives en

Tunisie✒ par Freddy Mathieu

et Dominique Lerouge

Malgré le désenchantement d'une partie de la population, particulièrement au sein de la jeunesse et des couches les plus défavorisées, la participation a été tout de même de plus de 60 %. Lors des élections d’octobre 2011, Ennahdha avait raflé 41,5 % des sièges. Il n'en obtient que 31,8 %. Une partie de la population a exprimé ainsi son rejet des deux ans de gouvernement Ennahdha et des violences islamistes qui les ont accompagnés. Le CPR et Ettakatol, qui avaient participé au pouvoir, ont vu leur nombre d'élus s’écrouler. Nida Tounès, dont les responsables sont pour l'essentiel issus du pouvoir en place de l’indépendance à 2011, arrive en tête avec 39,2 % des sièges. Le Front populaire, qui regroupe l’essentiel de la gauche et une partie des nationalistes arabes, multiplie par 2,5 son nombre d'élus, avec 6,9 % des sièges contre 2,8 % précédemment.

Le futur gouvernementCelui-ci n'entrera en fonction que

début 2015. Mais avant fin novembre, le Premier ministre proposé par Nida sera chargé de le composer dans le mois, voire les deux mois qui suivent. D'interminables tractations sont donc à prévoir car Nida ne détient pas la majorité à l'Assemblée. Le Président de Nida avait expliqué avant les élections qu'il s'adresserait en premier lieu aux trois petits partis avec lesquels il avait initialement décidé de se présenter aux élections. Mais ceux-ci n’ont eu aucun élu. Déclarant à l’époque vouloir élargir cette alliance "aux partis partageant les mêmes visions et les mêmes projets que les nôtres", il avait simultanément répondu par une énigmatique pirouette à la ques-tion de savoir si celle-ci pourrait inclure ou pas Ennahdha.

Une avancée électorale de la gauche

Contrairement à octobre 2011, l'essentiel des forces de gauche se sont présentés unies. Le nombre d'élus du Front populaire est passé de 6 à 15,

dont 6 du Parti des travailleurs, 4 des Patriotes démocrates unifiés, 2 de la LGO, et 3 nationalistes arabes. De fortes pressions vont s'exercer sur le Front pour le pousser à voter la confiance au futur gouvernement, voire participer à celui-ci, ou voter le budget. Pour relayer ses exigences, la population pourra également compter sur certains élus indépendants, comme par exemple Adnane Hajji, figure emblématique du bassin minier de Gafsa.

Une volonté affirmée de "refermer la parenthèse de 2011"

Nida Tounès a pour projet que la Tunisie reprenne pleinement sa place dans la politique voulue par les investisseurs étrangers et tunisiens, le FMI et la Banque mondiale. Dans la continuité des gouvernements précédents, ce parti veut notamment :

• continuer à rembourser la dette extérieure,

• développer le libre-échange dans le secteur agricole, les services et les marchés publics

• abaisser les impôts sur les bénéfices des sociétés,

• privatiser des sociétés confisquées au clan Ben Ali,

• poursuivre la compression des dépenses sociales en réduisant notamment les subventions aux produits de première nécessité.

La place des mobilisationsAprès avoir été parasitée pendant

près de quatre ans par la bipolarisation

entre néolibéraux "modernistes" et néolibéraux islamistes, la question sociale va donc revenir au premier plan. En ce domaine, l'attitude de l'UGTT va jouer un rôle déterminant. En 2012 et 2013, sa direction a été essentiellement absorbée par sa volonté de faire partir en douceur le gouvernement Ennahdha. D'où son rôle moteur dans la mise en place du cadre consensuel ayant débouché en janvier 2014 sur l'adoption de la Constitution et la mise en place du gouvernement provisoire "de technocrates" chargé notamment de préparer les élections. Cette politique s'est accompagnée de relations de bon voisinage avec le syndicat patronal UTICA.

Main tenant que l e s ob jec t i f s politiques que l'UGTT s'était fixés ont été pour l'essentiel atteints, reste à savoir comment évolueront en son sein les rapports de forces entre ceux qui ne voudront pas "gêner" le futur gouvernement au nom de "l’intérêt national", et ceux qui considèrent que la défense résolue des intérêts des travailleurs reste le fondement de l'action syndicale. Reste à savoir également comment la gauche politique associative et syndicale saura répondre aux attentes de celles et ceux qui ont été les moteurs de la révolution: la jeunesse, les chômeurs, les salariés, les femmes et les populations déshéritées de l'intérieur du pays. ■

Une version longue de cet article est disponible sur notre site www.lcr-lagauche.org

Les principaux leaders du Front Populaire lors de l'hommage à Chokri Belaîd le 29/10/ 2014

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e Des nouvelles de Thessalonique✒ par Matilde Dugaucquier

Thessalonique, 360 000 habitants et un taux de chômage dépassant les 30 %. Comme ailleurs, ce sont essentiellement les jeunes qui sont touché.e.s; plus de la moitié d'entre eux/elles sont sans emploi. Ici, les politiques d'austérités imposées par la Troïka ont poussé des milliers de personnes dans la précarité. Sans emploi ni accès à la sécurité sociale, ils et elles n'ont d'autre choix que de reconstruire par en bas les mécanismes de solidarité les plus basiques.

Résister c'est existerCes dernières années, Thessalonique

a vu fleurir une pléthore d'initiatives gérées notamment par des travailleu.rs/ses sans emploi au travers d’assemblées générales. Par exemple, au premier étage du 18 rue Aristotelous, le café Poeta a été ouvert par un collectif anarchiste qui paie un loyer modéré au propriétaire afin de pouvoir occuper les lieux. Outre le bar, qui propose une restauration végétarienne à petits prix, l'endroit abrite une boutique de produits d'alimentation écologiques locaux, une salle de conférence et une crèche autogérées. Sur le boulevard Ioan-nou on projette toutes les semaines des films d’auteur pour un public de travail-leu.rs/ses licencié.e.s. L’événement, qui a lieu en plein air durant l'été, est suivi d’un débat entre les participant.e.s à la projection. Cafés, centres sociaux et centres d'accueil pour migrant.e.s... les exemples de ce type abondent. Et pour ceux qui les fréquentent, le sens de l'existence de ces espaces va bien au-delà de la seule néces-sité économique : c'est là que celles et ceux qui sont relégué.e.s au ban de la société peuvent continuer à se rencontrer, à créer et à exister, en somme, à résister.

Droit à la santé pour tou.te.sAutre expérience répondant à un

besoin tout aussi urgent : la clinique sociale de solidarité située au troisième étage du 24 rue Aisopou, dans un quartier largement déshérité de la ville. La clinique émane de l’initiative de médecins qui, après avoir

assisté médicalement un groupe de 300 travailleu.rs/ses migrant.e.s sans-papiers en grève de la faim en 2010, ont compris la nécessité de s’organiser pour que les plus fragilisés aient accès à un droit élémentaire: le droit à la santé. L'établissement a ainsi ouvert ses portes dans des locaux mis à disposition par la maison des syndicats de Thessalonique. Pour le moment, elle compte une dentisterie, un cabinet de médecine générale et il est possible de consulter un pédiatre, un obstétricien, un psychiatre et un neurologue sur place. Pour les autres besoins, les patients sont redirigés par le médecin généraliste vers un spécialiste qui collabore au projet en dehors de la clinique, faute de place. Dans les locaux, une pharmacie fournit également des médicaments gratuits.

L’ensemble du personnel, administratif ou soignant, travaille ici sur base volontaire, de façon entièrement gratuite. Le matériel et l’argent nécessaires au fonctionnement sont récoltés grâce à des donations de particuliers ou d’organisations solidaires, parfois situées à l’étranger. La clinique ne dispose d’aucune subvention publique et refuse catégoriquement l'aide des partis traditionnels, de l'Union européenne et de l’Église. Elle a même dû refuser une proposition de subvention de la municipalité de Thessalonique, interprétée par le personnel comme une tentative mettre la main sur l’initiative pour mieux la contrôler.

Car ici, les patients ne sont requis de présenter aucun document d’identité ou certificat de mutuelle; les services sont totalement gratuits et tou.te.s ont droit au même traitement. Au départ, la patientèle de la clinique était presque exclusivement composée de migrant.e.s sans-papiers qui ne pouvaient être soigné.e.s autre part. Mais au fur et à mesure que se joue le scénario de la tragédie grecque, la clinique voit se présenter un nombre croissant de personnes disposant d’un titre de séjour,

voire de documents nationaux. Ces personnes ont même parfois un emploi mais ne peuvent se permettre le luxe d'une couverture sociale en ordre. Celle-ci revient en effet à 400 euros par mois depuis que les mutualités ont déclaré banqueroute après avoir spéculé avec l’argent des bénéficiaires. La Grèce dans son ensemble compterait aujourd’hui 1 300 000 personnes sans couverture sociale (y compris la pension) et médicale.

Assis derrière son bureau alors que la nuit commence à tomber, le docteur Alexandris Apostolos travaille ici depuis un an et demi, quand il a du temps. Avec les coupes dans le budget de la santé, c'est la sphère médicale publique dans son ensemble qui est mise à mal: outre les patient.e.s sans couverture médicale que l’on ne peut pas soigner, le personnel et même le matériel viennent à manquer. Comme l'explique le docteur Apostolos, cette situation force le personnel soignant à chercher des solutions alternatives pour des personnes qui sont parfois atteintes de maladies très graves ou ont besoin d’opérations qu’ils ne peuvent s'offrir. Et la clinique fait partie de celles-ci: "À travers cet endroit, nous voulons aussi montrer aux gens que, ce que le gouvernement nous refuse, nous pouvons le construire nous-mêmes".

A l'accueil de la clinique, une bro-chure multilingue interpelle le visiteur: "Tu es ici dans un lieu qui t’appartient". Car l'enjeu est également de conscientiser les patient.e.s sur le rôle qu'ils et elles ont à jouer pour que la clinique fonctionne. Comme l'explique le docteur Apostolos: "Ici, il faut de la patience, il faut s’adapter au rythme car c’est très difficile de répondre

Ce que le gouvernement nous refuse, nous pouvons le construire nous-mêmes.

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à toutes les demandes. Et nous demandons à tout le monde de collaborer et de ne pas se conduire comme des clients venus acheter un service". A travers la brochure de présentation, l’équipe veut rappeler aux patient.e.s la dimension horizontale du projet et la réciprocité de l’échange. "Nous ne sommes pas ici parce que nous sommes "de bon cœur" ou savons quelque chose de plus que toi. Nous sommes ici pour survivre, pour que l’un aide l’autre, pour lutter". Les patient.e.s sont ainsi invité.e.s à rejoindre les assemblées générales qui se tiennent toutes les deux semaines pour se familiariser au fonctionnement de la clinique et à l’équipe. Sur cette base, des équipes ont été mises en place pour bri-coler, distribuer des tracts, intervenir lors de séances d'information dans les hôpi-taux, coller des affiches, etc. Mais chacun.e est évidement libre de "ne rien faire".

Alors que les locaux de la section locale du parti néo-nazi "Aube dorée" se trouvent à quelques mètres de là, drapeaux flottant fièrement au vent, aucune attaque n'est à déplorer pour le moment. Le docteur Apostolos se dit agréablement surpris, bien que la situation soit tendue et qu'il faille être sur ses gardes à toute heure. Dehors, la nuit est désormais tombée et les patient.e.s s’amoncellent dans la petite salle d'attente. Si le docteur a choisi de donner de son temps ici mu par la conviction qu'une autre société est possible, il fait lui-même face des difficultés d'ordre personnel et, aucune amélioration politique et sociale ne pointant à l'horizon, il envisage de quitter le pays pour venir exercer en Belgique. ■

Pour soutenir la clinique, il est possible de faire un don au numéro IBAN suivant :BIC: PIRBGRAAIBAN: GR89 0172 2720 0052 7205 9087 744L'assemblée générale passe en revue le matériel à disposition tous les trois mois, afin d'évaluer les besoins.Le site internet de la clinique: www.kiathess.gr

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ures Retour vers le futur?

✒ par Guy Van Sinoy

Oliver Besancenot et Michael Löwy viennent de commettre un petit ouvrage (Affinités révolutionnaires, Nos étoiles rouges et noires, Ed. Mille et Une Nuits, Paris, 2014) qui ne manque pas de susciter les interrogations.

Cela commence fort car, dès l’avant-propos, les auteurs présentent César De Paepe comme un "militant libertaire". En Belgique, César De Paepe est connu comme un des pionniers du mouvement socialiste et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la clinique fondée par la social-démocratie à Bruxelles porte son nom. En plus d’être un des fondateurs du mouvement socialiste en Belgique, De Paepe, ouvrier typographe, avait fait des études de médecine et soignait les pauvres à Bruxelles. Influencé d’abord par les idées de Proudhon, César de Paepe s’en éloigne et devient collectiviste à l’époque où il est délégué de la section

belge auprès de la Première Internationale. Le 31 mai 1869, De Paepe écrit à Marx: "J’ai découvert votre ouvrage Misère de la Philosophie. Je l’avais lu en partie lors de mon voyage à Londres. Je l’ai relu avec la plus grande attention. Proudhon s’y trouve réellement battu, réduit à sa plus simple expression". Il propose à Marx de publier en Belgique les passages les plus importants tout en sautant les passages les plus caustiques à l’égard de Proudhon (Entre Marx et Bakounine, César De Paepe. Correspondance, Ed. Maspero, Paris, 1974). Adoptée en 1984, peu après la mort de De Paepe, par la social-démocratie

belge, la Charte de Quaregnon reprendra les thèses collectivistes de César De Paepe.

Les auteurs passent ensuite en revue, pêle-mêle, les martyrs de Chicago, la Charte d’Amiens, Louise Michel, Emma Goldman, Durruti, Benjamin Péret, le commandant Marcos, Makhno, Kronstadt, Daniel Guérin, etc. Au passage, les positions défendues par Rosa Luxemburg sur la révolution d’Octobre ne reflètent pas le véritable point de vue de Rosa. Celle-ci considère que le parti bolchevique est "la force motrice de la révolution" mais que des mesures telles que le partage des terres et le droit à l’autodétermination des peuples à disposer d’eux-mêmes sont

des mesures petites bourgeoises. Sur la dissolution de l’Assemblée constituante, élue avant Octobre, Rosa considère que sa composition reflétait le passé et se retournerait donc contre la révolution. Cependant, au lieu de dissoudre l’Assemblée constituante, Rosa pense qu’il aurait fallu la réélire de manière à y refléter les aspirations d’Octobre 1917 (Réforme sociale ou révolution, et autres textes, Ed. Spartacus, Paris, 1997).

Certes bon nombre de personnages anarchistes ou semi-anarchistes passés en revue par les auteurs incarnent des idéaux engagés, désintéressés et sincères.

Mais cela ne suffit pas pour développer un projet de renversement du capitalisme et d’instauration d’une société socialiste démocratique. Il est d’ailleurs étonnant qu’après avoir vanté les mérites de personnages qui ont voué leur vie à la lutte, Lénine et Trotsky soient véritablement jetés par-dessus-bord par les auteurs. Il aurait été intéressant de reprendre, par exemple, la polémique que Lénine entretient avec les anarchistes dans L’État et la Révolution (1917) [www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/08/er4.htm#c4.2].

Ou encore la polémique de Léon Trotsky avec les anarchistes, dans le bilan qu’il dresse de la révolution espagnole (Leçons d’Espagne, 1937) où il juge sévèrement les dirigeants de la CNT et de la FAI d’avoir joué le rôle de "cinquième roue de la démocratie bourgeoise" en soutenant et en participant au gouvernement de Fr on t popula i r e [www.mar x i s t s .org/francais/trotsky/oeuvres/1937/12/lt19371217.htm].

Il ne s’agit pas de polémiquer avec les anarchistes pour le plaisir de polémiquer. Il s’agit d’examiner et d’analyser les événements révolutionnaires du passé pour en tirer les leçons stratégiques afin d’éviter de refaire demain les même erreurs. Polémiquer de manière fraternelle, comme l’écrivait César De Paepe. Car les mamours et les déclarations platoniques faites par les deux auteurs ne font pas avancer d’un iota les questions de stratégie et de tactique pour renverser le capitalisme.

Retour vers le futur? Dans les années 80, un cinéaste américain avait réalisé un film de science-fiction où les deux principaux personnages voyageaient dans le temps et étaient souvent confrontés à des situations cocasses. Le petit ouvrage de Besancenot-Löwy est-il, à sa manière une machine à remonter le temps jusqu’à l’aube de la Première Internationale? La question vaut la peine d’être posée. Car si les compères pensent que le mouvement révolutionnaire doit être refondé sur une base à mi-chemin entre le marxisme et l’anarchisme, il faudrait qu’ils l’argumentent de manière plus conséquente. Sans quoi, leur petit ouvrage n’est sans doute qu’un "Bonjour en passant", sans lendemain, aux copains anarchistes. ■

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Conférences de la Formation Léon LesoilDepuis la rentrée de septembre, la Formation Léon Lesoil a organisé les conférences-débats suivantes à Bruxelles, au Pianofabriek (35 rue du Fort, à 1060 Saint-Gilles):

Le mardi 16 septembre 2014: Aldi, Carrefour, Delhaize, le personnel n’est pas une marchandise! Avec Irène Pètre, ancienne Secrétaire nationale CNE-Commerce.

Le mardi 14 octobre 2014: Travailleur.euse.s et sans papiers. Avec des militant/es du Comité des travailleur.euse.s Sans Papiers de la CSC Bruxelles-Hal-Vilvorde.

Le jeudi 13 novembre 2014: NON à l’exclusion des chômeur.euse.s au 1er janvier 2015. Avec Thierry Müller (Collectif Art 63§2), Mélissa Vasamuliet (Exclue au 1/1/2015), Freddy Bouchez (Droits Devant), Charlotte Chatelle (Vie Féminine).

Les dates des prochaines conférences au Pianofabriek sont les suivantes:Le mardi 9 décembre 2014 à 19h30 PODEMOS, catalyseur électoral de l’indignation populaire Avec Teresa Rodriguez-Rubio, membre d’Izquierda Anticapitalista et députée européenne de Podemos.

Le mardi 13 janvier 2015 à 19h30 Nos pensions sont dans le collimateur! Avec Jean-François Tamellini, Secrétaire national de la FGTB.

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Formation Léon Lesoil 20 Rue Plantin, 1070 Bruxelles 0487 / 20.90.62

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Organisées par la Formation Léon Lesoil au Pianofabriek 35 rue du Fort (Salle Catzand) 1060 Bruxelles (métro Parvis de St-Gilles)

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