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Acta bot. Gallica, 1994, 141 (4), 405-419. La place des symbioses mycorhiziennes dans l'évolution et la colonisation des continents par la vie par François Le Tacon et Marc-André Selosse INRA, Laboratoire de Microbiologie forestière, F-Centre de Nancy Résumé. - La symbiose mycorhizienne, c'est-à-dire l'association entre les ra- cines des végétaux et des champignons filamenteux, est un phénomène gé- néral, ne souffrant que très peu d'exceptions. Le champignon assure l'essen- tiel de la nutrition minérale de la plante et améliore sa croissance par divers autres processus. Ce type d'association n'est qu'un aspect particulier de la théorie de la symbiose généralisée qui est maintenant considérée comme un des mécanismes essentiels de l'évolution : des entités génétiques nouvelles formées par l'addition de deux génomes préexistants ont pu raccourcir le temps nécessaire à l'un des deux partenaires pour acquérir les potentialités de l'autre par sa propre évolution. Ainsi, les Eucaryotes sont le résultat de plusieurs symbioses successives qui ont lentement abouti à la différenciation d'organismes pluricellulaires. La symbiose mycorhizienne a joué un rôle essentiel dans la sortie des eaux et la colonisation des continents par la vie, et donc dans l'évolution. Au Silurien, il y a 430 Ma, lorsqu'ils ont commencé à coloniser les terres émergées, les vé- gétaux ont d0 résoudre des problèmes posés par leur alimentation hydrique et minérale, mais aussi par la lumière atmosphérique, plus riche en rayons ultra- violets que le milieu marin, et les écarts thermiques accrus en milieu terrestre. Les végétaux aquatiques ont été dans l'impossibilité de s'adapter simultané- ment à toutes ces contraintes par simple évolution. Une fois encore, c'est la symbiose qui a permis d'apporter les solutions et d'effectuer un saut macro- évolutif . Diverses associations ont été simultanément ou successivement utilisées. Toutes impliquent un autotrophe pour le carbone et un champignon. La quasi totalité des végétaux terrestres actuels présente donc des associations avec des champignons. Chez les Spermaphytes, ce sont les mycorhizes qui sont toujours aussi nécessaires à leur vie en milieu terrestre. Summary.- Almost ail terrestrial plant species form mutualistic associations with soif fungi. Their roots are infected with mycorrhizal fungi which contribute to their minerai nutrition and benefit the plants in a number of other ways. This type of association is one aspect of the serial symbiosis theory which is now considered as an essential mechanism of evolution. The establishment of a symbiotic association between two different organisms creates a new entity whose special features are the results not simply of the addition, but especial- ly of the interactions of the properties of the two partners. Symbiosis consIde- Ce) Société botanique de France 1994. ISSN 1253-8078.

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Acta bot. Gallica, 1994, 141 (4), 405-419.

La place des symbioses mycorhiziennes dans l'évolution et la colonisation des continents par la vie

par François Le Tacon et Marc-André Selosse

INRA, Laboratoire de Microbiologie forestière, F-Centre de Nancy

Résumé. - La symbiose mycorhizienne, c'est-à-dire l'association entre les ra-cines des végétaux et des champignons filamenteux, est un phénomène gé-néral, ne souffrant que très peu d'exceptions. Le champignon assure l'essen-tiel de la nutrition minérale de la plante et améliore sa croissance par divers autres processus. Ce type d'association n'est qu'un aspect particulier de la théorie de la symbiose généralisée qui est maintenant considérée comme un des mécanismes essentiels de l'évolution : des entités génétiques nouvelles formées par l'addition de deux génomes préexistants ont pu raccourcir le temps nécessaire à l'un des deux partenaires pour acquérir les potentialités de l'autre par sa propre évolution. Ainsi, les Eucaryotes sont le résultat de plusieurs symbioses successives qui ont lentement abouti à la différenciation d'organismes pluricellulaires. La symbiose mycorhizienne a joué un rôle essentiel dans la sortie des eaux et la colonisation des continents par la vie, et donc dans l'évolution. Au Silurien, il y a 430 Ma, lorsqu'ils ont commencé à coloniser les terres émergées, les vé-gétaux ont d0 résoudre des problèmes posés par leur alimentation hydrique et minérale, mais aussi par la lumière atmosphérique, plus riche en rayons ultra-violets que le milieu marin, et les écarts thermiques accrus en milieu terrestre. Les végétaux aquatiques ont été dans l'impossibilité de s'adapter simultané-ment à toutes ces contraintes par simple évolution. Une fois encore, c'est la symbiose qui a permis d'apporter les solutions et d'effectuer un saut macro-évolutif . Diverses associations ont été simultanément ou successivement utilisées. Toutes impliquent un autotrophe pour le carbone et un champignon. La quasi totalité des végétaux terrestres actuels présente donc des associations avec des champignons. Chez les Spermaphytes, ce sont les mycorhizes qui sont toujours aussi nécessaires à leur vie en milieu terrestre.

Summary.- Almost ail terrestrial plant species form mutualistic associations with soif fungi. Their roots are infected with mycorrhizal fungi which contribute to their minerai nutrition and benefit the plants in a number of other ways. This type of association is one aspect of the serial symbiosis theory which is now considered as an essential mechanism of evolution. The establishment of a symbiotic association between two different organisms creates a new entity whose special features are the results not simply of the addition, but especial-ly of the interactions of the properties of the two partners. Symbiosis consIde-

Ce) Société botanique de France 1994. ISSN 1253-8078.

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406 ACTA BOTANICA GALLICA

rably shortens the timespan for acquisition of new characteristics. Eukaryotic cells are the resuits of several successive symbioses which led to the diffe-renciation of pluricellular organisms. During the Silurian epoch, 430 Myr ago, the first land plants faced several difficult problems : water supply, minerai nutrition, the intensive effect of ultra-violet rays and strong variations of temperature. Such a complex adaptation could not arise by natural selection. New evolutionary potentials had rapidly arisen by mutualistic associations which brought together genetic material having different and complementary characteristics. The initial exploitation of the terrestrial environment by land plants depended on the establishment of mutualistic associations between fungi and algae (mycophycosymbiosis and lichens) and between fungi and vascular plants (mycorrhizas). Several asso-ciations have probably arisen in different groups or familles at different times or simuttaneously. Under natural conditions, these associations are still ne-cessary to the majority of land plants.

Key words : symbiosis - evolution - mycorrhizae - mycophycosymbiosis -lichens - algae - fungi.

INTRODUCTION

Depuis une quinzaine d'années, les théo-ries de l'évolution se sont enrichies d'un nouveau concept explicatif à la suite des travaux de divers auteurs, et plus par-ticulièrement de ceux de Lynn Margulis (1981). Au début des années soixante-dix, Lynn Margulis a été l'un des prin-cipaux promoteurs de l'hypothèse de l'endosymbiose, c'est-à-dire de l'origine symbiotique de certains organites cellu-laires, les mitochondries et les plastes des cellules eucaryotes. L'avènement de la biologie moléculaire a apporté à cette théorie des arguments très convain-cants. Il devient ainsi possible de par-ler de symbiose généralisée et d'intégrer cette théorie aux lois de l'évolution : elle permet de donner une explication à des sauts évolutifs qu'il n'était guère possi-ble d'expliquer jusqu'à présent. La sym-biose, c'est-à-dire la coopération entre deux structures différentes s'associant pour créer une structure nouvelle, douée de possibilités très différentes des deux structures initiales, paraît être un des moteurs essentiels de l'évolution. Au-delà de l'additivité des propriétés initiales des deux symbiontes, les deux associés évoluent conjointement et

créent de nouvelles fonctions adaptées à de nouveaux milieux qui peuvent ain-si être colonisés.

La symbiose mycorhizienne, c'est-à-dire l'association entre les racines des végétaux et des champignons filamen-teux, est un phénomène général, ne souffrant que très peu d'exceptions par-mi les Archégoniates, et s'intègre dans la théorie de la symbiose généralisée. Elle a probablement joué un rôle essen-tiel dans la sortie des eaux et la co-lonisation des continents par la vie, et donc dans l'évolution. Avant d'analy-ser ce rôle plus en détail, il apparaît nécessaire de rappeler le rôle des sym-bioses dans les grandes étapes de l'évo-lution.

I - EVOLUTION ET SYMBIOSE

Etapes pré-cellulaires Une des premières manifestations

de la vie a dû se produire vers - 3800/-4000 Ma, en conditions d'anaé-robiose, dans des milieux aquatiques à haute température, probablement à plus de 100°C en raison de la pression atmo-sphérique très élevée qui régnait alors. Les cellules actuelles sont en fait des associations de structures différentes,

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F. LE TACON ET M.A. SELOSSE 407

PROTÉINES 0000 Acides Aminés

Fig. 1.- Circa - 4000 Ma : coexistence de deux types de macromolécules : acides nucléiques et polypeptides.

Fig. 1.- Circa - 4000 Myr : coexistence of two ty-pes of macromolecules : nucleic acids and polypeptides.

AR N Phosphate Ribose Bases

qui coexistent en symbiose. Plusieurs étapes ont été nécessaires à la réalisa-tion de ces associations, qu'il est difficile de décrire dans l'état actuel des connaissances (Darnell et al., 1990).

Une des premières étapes a dû être l'association entre deux types de macro-molécules, les chaînes polypeptidiques et les chaînes d'acides ribonucléiques (ARN). On peut imaginer que ces deux types de polymères ont été synthétisés indépendamment en plusieurs étapes successives : des chaînes d'ARN et des polypeptides auraient donc coexisté li-brement dans le milieu marin.

L'association de ces deux macromo-lécules par l'intermédiaire d'un autre ARN, probablement très proche des actuels ARN ribosomaux, aurait permis la reproduction stable d'enchaînement d'acides aminés ayant des propriétés structurales ou enzymatiques particu-lières.

Pour que ces propriétés aient un in-térêt, encore fallait-il que les produits résultant de la catalyse puissent être confinés.

Une deuxième étape réunissant ces deux premiers polymères à un troisième composant, le plasmalemme primitif, a probablement permis leur confinement et la naissance d'un milieu isolé de l'ex-térieur, capable d'acquérir ainsi de nou-velles propriétés. C'est la naissance de la vie cellulaire. Il semble que ce plas-malemme primitif ait été constitué de polypeptides et de polysaccharides, is-sus ou non de l'activité catalytique de la première association. Cette triple as-

C FLN NE PR 011:1 QUE

Fig. 2.- Circa - 4000/-3800 Ma : association des acides nucléiques et des polypeptides par l'in-termédiaire d'ARN ribosomal.

Fig. 2.- Circa -4000/-3800 Myr : association of nucleic acids and polypeptides by way of ribo-somal RNA.

sociation aurait abouti à la naissance hypothétique, vers - 3800 Ma, des Pro-génotes, les ancêtres communs aux trois grands phyla, les Archébactéries, les Bactéries et un troisième phylum, celui des Protoeucaryotes, qui a conduit aux Eucaryotes (Woese, 1981 ; Stackebrandt et Woese, 1981). La différentiation des trois phyla se serait produite il y a 3500 Ma ou plus tôt (Knoll 1992).

La différentiation de ces trois phyla a été probablement précédée ou con-temporaine d'un autre processus parti-culièrement important, celui de l'appa-rition de l'ADN par remplacement du ribose de l'ARN par le désoxyribose et remplacement de l'uracile par la thy-mine. Il y a ainsi eu différenciation en-tre les processus de traduction de l'ARN en polypeptides et les processus de transfert de l'information génétique d'une génération à l'autre par l'inter-médiaire de l'ADN. Cette étape peut être considérée comme la véritable naissance de la vie actuelle.

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Fig. 3.- Circa - 3800 Ma : association d'un troisième type de macromolécule permet-tant le confinement des produits du mé-tabolisme et la naissance des Progéno-tes.

Fig. 3.- Circa - 3800 Myr : association of a third type of macromolécule allowing the confinement of the products of metabo-lism and the appearance of the Progeno-tes.

Fig. 4.- Circa - 3600 Ma : différentiation en-tre les processus de traduction de l'ARN en protéines et les processus de trans-fert de l'information génétique par l'inter-médiaire de l'ADN.

Fig. 4.- Circa - 3600 Myr : differenciation bet-ween the processes of translation of RNA into proteins and the processus of trans-fert of the genetic information by way of DNA.

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ACTA BOTANICA GALLICA

La mise en place de la cellule euca-ryote

Les Eucaryotes primitifs, ou Protoeu-caryotes, semblent s'être différenciés très tôt, probablement encore en anaé-robiose, vers - 3200 Ma (Knoll, 1992).

Il existe encore des Eucaryotes très primitifs, les Microsporidia et les Giar-dia, qui possèdent un noyau bien défi-ni, mais ni mitochondrie, ni plaste, ni flagelle, et sont encore anaérobies, quoi-que tolérants à l'oxygène. Selon la phy-logénie moléculaire décrite par Knoll (1992), basée sur la comparaison de séquence de l'ARN ribosomal, ces Eu-caryotes primitifs ont divergé très tôt de la lignée des Eucaryotes. Une amibe, Pelomyxa palustrLs, a encore des affi-nités avec ces Protoeucaryotes par son métabolisme anaérobie et par l'absence de mitochondrie. Ce stade Pelomyxa

pourrait lui-même dériver d'Archébac-téries de type Thermoplasma qui pos-sèdent des caractères eucaryotes, comme la présence de filaments d'ac-fine ou la présence de protéines pro-ches des histones et associées à l'ADN circulaire. L'acquisition d'une mem-brane nucléaire fait l'objet de différen-tes hypothèses. Whatley et Whatley (1982) en recensent six. Il pourrait s'agir d'une simple invagination du plasma-lemme qui aurait ainsi isolé l'ADN du reste du cytoplasme (Uzzel et Spolsky, 1974, 1981).

Vers -2800/-2400 Ma, voire plus tôt, va apparaître la première véritable en-dosymbiose avec coopération entre le génome d'un Procaryote aérobie et ce-lui d'un Protoeucaryote. C'est l'acquisi-tion des mitochondries, qui ont actuel-lement encore des gènes, un métabo-

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F. LE TACON ET M.A. SELOSSE 409

Fig. 5.- Circa - 3200 Ma : différentiation des Eucaryotes primitifs ou Protoeucaryotes par invagination du plasma-lemme et formation d'un noyau.

Fig. 5.- Circa - 3200 Myr : differentiation of the primitive Eukaryotes or Protoeukaryotes by invagination of the plasmamembrane.

lisme et des caractéristiques biochimi- ques proches des protéobactéries libres.

L'acquisition des flagelles est un évé-nement difficilement datable, dont cer-tains auteurs ont proposé qu'il soit lié à une endosymbiose avec des bactéries proches des actuels Spirillum. Cette hypothèse (Margulis, 1981) n'est étayée que par de rares arguments, actuelle-ment très controversés.

Plus tard, vers - 1100/- 1000 Ma, une nouvelle endosymbiose entre un pro-toeucaryote à mitochondries et des au-totrophes aurait abouti à l'apparition des cellules végétales. Les chloroplastes présentent en effet de nombreuses ana-logies avec les Cyanophytes, par exem-ple.

Cet événement aurait pu se produire à plusieurs reprises, conduisant à l'ac-quisition séparée des plastes des Glau-cophytes, des Rhodophytes et des Chlo-rophytes, ou bien une seule et unique fois suivie d'évolutions divergentes (Pal-mer, 1993). Il semble aussi que certains de ces Eucaryotes dotés de plastes pro-caryotiques aient pu à leur tour s'asso-cier à d'autres Eucaryotes hétérotro-phes. Ce serait l'origine des plastes à quatre membranes des Cryptophytes et des Chromophytes (Douglas, 1992) : aux deux membranes plastidiales s'ajoutent la membrane limitant l'eucaryote pha-gocyté et la membrane de phagocytose. Les plastes entourés de trois membra-nes des Euglénophytes et des Dinophy-

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PROTOEUCARYOTE MITOCHONDRIES

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Fig. 6.- Circa - 2800/- 2400 Ma : acquisi-tion des mitochondries par endosym-biose.

Fig. 6.- Circa - 2800/- 2400 Myr : acquire-ment of mitochondria by endosymbio-sis.

"CYAN. H YCEE" TFI YLA COID E

Fig. 7.- Circa - 1100/-1000 Ma : acquisition des chloro-plastes par endosymbiose.

Fig. 7.- Circa - 1100/- 1000 Myr : acquirement of chlo-roplasts by endosymbiosis.

tes en dériveraient par élimination de la membrane plasmique du premier hôte. Les Protozoaires, présentant ac-tuellement de nombreuses endosymbio-ses stables, acquises de façon plus ré-cente avec des Procaryotes ou des Eu-caryotes, sont un bon exemple de ce qu'auraient pu être les associations qui sont à l'origine des plastes (Kwang, 1983).

Mise en place des organismes pluri-cellulaires : une autre symbiose ?

Vers - 1000 Ma, un autre phénomène peut être associé à une exosymbiose : l'apparition des organismes pluricellu-laires vrais. Deux cellules, même géné-tiquement identiques, coopèrent, c'est-à-dire échangent des messages régulant l'expression de leurs génomes. La régu-lation atteint un niveau supplémentaire,

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Fig. 8.- Cima - 1000 Ma : apparition des organismes pluri-cellulaires. Une exosymbiose ?

Fig. 8.- Circa - 1000 Myr : appearance of pluricellular orga-nisms. Exosymbiosis ?

lorsqu'il y a différenciation cellulaire. Il n'y a en effet aucune différence de nature entre l'association de deux génomes diffé-rents, et l'association de deux génomes iden-tiques dont l'expression est différente. Il est à noter que certains Procaryotes met-tent en place des coopérations entre cellu-les différenciées (hétérocystes des Cyano-phytes fixatrices d'azote, en particulier) : cet événement s'est donc probablement produit indépendamment chez les Eucaryo-tes et les Procaryotes.

L'association de cellules Eucaryo-tes à génome identique mais à ex-pression modulée a permis, dès le Cambrien (Knoll, 1992), le dévelop-pement des Thallophytes avec, par-fois, des organes différenciés. Ces Thallophytes, surtout représentés par des algues et des champignons, ont colonisé les eaux marines super-ficielles et plus particulièrement les zones côtières.

La photosynthèse semble dater d'au moins 3700 Ma (Schopf, 1993), mais on ignore à partir de quand elle est devenue oxygénique. L'ap-parition de la photosynthèse oxygé-nique a permis l'accumulation d'oxy-gène gazeux : l'atmosphère terrestre est donc devenue oxydante, comme en attestent les précipitations massi-ves de fer ferrique âgées de 2000 Ma, ce qui a eu pour conséquence l'ap-parition des métabolismes respira-toires aérobies, et la création d'une couche d'ozone protégeant le milieu terrestre des ultra-violets : la con-quête du milieu terrestre pouvait alors commencer.

II - LA CONQUÊTE DU MILIEU TERRESTRE

Les particularités du milieu terres-tre

Pendant cette longue période de 2500 à 3500 Ma, la vie a évolué uni-quement en milieu aquatique et prin-cipalement marin. Dans ces condi-tions, l'alimentation minérale des cellules ne présente pas de difficul-tés particulières. Tous les éléments minéraux existent à l'état dissous et peuvent pénétrer de manière active ou passive à l'intérieur de la cellule. Les flux sont contrôlés par le plas-malemme en fonction des gradients de concentration que la cellule éta-blit entre le milieu extérieur et son

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412 ACTA BOTANICA GALUCA

cytoplasme. Mais il n'y a jamais réelle-ment de barrière au niveau du plasma-lemme. Lorsqu'un élément est absorbé, sa concentration extérieure aux abords du plasmalemme est rapidement réta-blie par simple diffusion, c'est-à-dire par mouvement des ions des zones à forte concentration vers les zones à plus faible concentration. Au Silurien, il y a 430 Ma, les végétaux ont commencé à coloniser les terres émergées et ont dû résoudre un certain nombre de problè-mes.

• Le premier est celui de leur ali-mentation en eau. Dans les milieux ter-restres, la disponibilité en eau est très faible et présente des variations très im-portantes, avec des phases de quasi ab-sence. De plus, le milieu terrestre est à l'interface entre un substrat lithique, et un milieu aérien pourvoyeur de pho-tons et de gaz en grande quantité. Si la disponibilité en oxygène et en gaz car-bonique est meilleure qu'en milieu aqua-tique, l'interface avec un milieu gazeux présente pour les végétaux de sérieux inconvénients, comme l'évaporation rapide de l'eau. De plus, l'intensité des échanges gazeux et photoniques néces-site la mise en place d'un système de contrôle.

• Le second est celui de leur alimen-tation minérale. Dans les sols et plus encore sur les matériaux primitifs non évolués, les éléments minéraux sont es-sentiellement présents sous forme de complexes insolubles dans l'eau et par conséquent inaccessibles à la cellule. De plus, il n'existe pas d'azote minéral dans les roches ignées ou sédimentaires. Avant l'apparition de sols contenant de la matière organique, la source exclu-sive d'azote était l'azote moléculaire N2, présent uniquement dans l'air et non accessible aux Eucaryotes chez qui au-cun dispositif non symbiotique de fixa-tion de l'azote n'est connu.

• D'autre part, la lumière atmosphé-

rique est plus riche en ultraviolets que la lumière filtrée par l'eau. La sortie de l'eau a donc nécessité la mise en place de mécanismes photoprotecteurs effica-ces.

• Le milieu terrestre est thermique-ment beaucoup moins tamponné que le milieu aquatique et se caractérise par des écarts de température très rapides et de très grande amplitude.

Les végétaux aquatiques ont proba-blement été dans l'impossibilité de s'adapter simultanément à toutes ces contraintes par simple évolution. Une fois encore, la symbiose a pu apporter la (ou les) solution(s) et a permis d'ef-fectuer un saut macroévolutif : des en-tités génétiques nouvelles formées par l'addition de deux génomes préexistants ont pu considérablement réduire le temps nécessaire à l'un des deux parte-naires pour acquérir les potentialités de l'autre par sa propre évolution. La sym-biose mycorhizienne pourrait expliquer la rapidité d'apparition d'une flore ter-restre diversifiée comme celle de Rhy-nie, au Dévonien (408 Ma) (Nicholson, 1967 ; Lewis, 1973 ; Pirozynski, 1981 ; Pirozynski et Malloch, 1975 ; Lewis 1991 ; Atsatt, 1991). Diverses associa-tions ont pu être simultanément ou suc-cessivement utilisées : toutes ces asso-ciations ont néanmoins en commun la caractéristique d'être constituées d'un champignon et d'un autotrophe pour, au moins, le carbone.

L'autotrophe peut être un Eucaryote capable de photosynthèse (Chlorophyte) ou une Cyanophyte. Dans ce dernier cas, l'autotrophie pour l'azote est égale-ment réalisée, ce qui est un avantage pour la colonisation du milieu terres-tre. Lorsque l'autotrophe est pluricel-lulaire, l'existence de tissus offre des potentialités d'évolution morphologique accrues.

Les champignons, bien qu'hétérotro-phes, sont adaptés à la vie en milieu

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F. LE TACON ET M.A. SELOSSE 413

terrestre, en particulier pour l'exploi-tation des ressources édaphiques :

- ils peuvent développer des surfaces de contact très importantes grâce à leur structure filamenteuse. L'hyphe est en effet parfaitement adaptée à l'explora-tion de grands volumes de substrats, et la production d'exoenzymes augmente le volume exploré.

- l'eau peut être emmagasinée au sein des hyphes et permet ainsi à la vie de continuer même lorsqu'il n'y a plus de précipitation. Les champignons possè-dent aussi des formes de résistance à la sécheresse comme les spores ou les sclé-rotes. Actuellement, ils sont capables de vivre dans des conditions extrêmes d'ari-dité (Staley et al., 1982).

- les hyphes ont d'autre part la capa-cité d'excréter dans le milieu extérieur des quantités importantes de protons qui désorganisent les réseaux cristallins (Lapeyrie et al., 1991). Les éléments minéraux passent ainsi de la forme in-soluble à la forme soluble. La plupart des champignons excrètent de plus dans le milieu extérieur de grandes quantités d'acides organiques et, en particulier, l'acide oxalique (Lapeyrie et al., 1987 ; Lapeyrie 1988). L'acide oxalique est un puissant chélatant qui piège les éléments minéraux, en particulier le phosphore, libérés des formes insolubles par les protons. Il y a ainsi synergie entre ex-crétion de protons et excrétion d'acide oxalique par passage d'un système sta-tique à un système dynamique.

Dans l'association, le champignon assure la nutrition minérale et hydri-que tandis que le végétal assure l'ap-port carboné, voire azoté. L'association permet aussi la synthèse de nouveaux composés. Les lichens, par exemple, ont la propriété de synthétiser des acides lichéniques qu'aucun des deux partenai-res ne peut synthétiser seul. Les plan-tes mycorhizées ont des taux de phy-toalexines augmentés par l'induction

continuelle qu'exerce le partenaire fon-gique. De tels composés, outre leur ef-fet phytosanitaire, ont peut-être eu un rôle photoprotecteur lors de la sortie des eaux.

Les données paléontologiques de la colonisation du milieu terrestre par les végétaux

Le début de la colonisation du milieu terrestre remonte au Silurien (- 430 Ma). Plusieurs tentatives de sor-tie des eaux, indépendantes phylogéné-tiquement, semblent avoir eu lieu, ce qui complique l'interprétation. Certains végétaux fossiles semblent associés à des structures fongiques, mais l'interpréta-tion est souvent discutable. En effet, il est difficile d'établir la nature des échan-ges qui pouvaient s'opérer entre ces structures (symbiose ou parasitisme, voire même saprophytisme post-mor-tem). Au Silurien, les Nématophytes, qui sont des structures thalloïdes ter-restres d'affinités systématiques discu-tées, ont pu être interprétées comme des symbioses algue-champignon (Pirozyns-ki et Malloch, 1975).

Au-delà de ces spéculations, il est in-téressant de remarquer que le plus ancien témoignage de végétation vascu-laire présente des associations symbio-tiques. Il s'agit de la flore silicifiée de Rhynie, datant du Dévonien (408 Ma), où une cinquantaine d'espèces fongiques a été observée (Kidston et Lang, 1921). Ces auteurs ne décrivent pas de sym-biotes, pourtant, Palaeomyces asteroxy-li, présent dans les rhizomes d'Asteroxy-ion, est souvent cité comme exemple de symbiose endomycorhizienne. Dans une autre étude des champignons de la flore de Rhynie, Boullard et Lemoigne (1971) décrivent une association symbiotique sur Rhynia gwynne-vaughanii et R. major. Par contre, ils estiment que Pa-laeomyces ne constitue pas d'association symbiotique.

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414 ACTA BOTANICA GALLICA

Dans une analyse critique très pous-sée de fossiles de Glomaceae, Pirozyns-ki et Dalpé (1989) estiment que les ves-tiges antérieurs au Dévonien seraient suspects de contamination par du ma-tériel moderne lors de l'extraction. Ils acceptent les endophytes fossiles du genre Glomus à partir du Dévonien. A partir du Carbonifère (360 Ma), des endophytes sont couramment décrits dans les restes des végétaux (Pirozyns-ki, 1976 ; Stubbelfield et Taylor, 1988).

Stubblefield et al. (1987a et b) font remonter les véritables associations endomycorhiziennes de type vésiculo-arbusculaire (VA) au Trias (248 Ma). L'observation de racines silicifiées pré-levées au pic Freemouw dans des for-mations triasiques du continent antarc-tique ont permis de mettre en évidence de façon indiscutable la présence d'ar-buscules dans les cellules de la plante-hôte. Au-delà de l'analyse des fossiles, les autotrophes terrestres actuels, algues

pluri- ou unicellulaires, Bryophytes et Trachéophytes, donnent des exemples de conquête plus ou moins avancée du milieu terrestre. Nous allons mainte-nant étudier ces stratégies et leur an-cienneté.

La colonisation de la zone intertidale par les algues : les mycophycosymbio-ses

Dans la zone intertidale se trouvent des algues résistant bien à l'émersion temporaire, voire prolongée, et aux conditions thermiques, hygrométriques et photoniques propres au milieu ter-restre. Certaines de ces algues sont do-tées d'endophytes fongiques. L'associa-tion intertidale ayant donné lieu aux plus nombreuses études physiologiques est l'association d'Ascophyllum nodosum (Phaeophyte) et de l'ascomycète Mycos-phaerella ascophylli. Le mycobionte ne pénètre jamais les cellules (Kohlmeyer et Kohlmeyer, 1972) et utilise probable-

Fig.9.- Une exosymbiose primitive les myco-phycosymbioses (ici avec un mycobionte sep-té comme Mycosphaerella).

Fig. 9.- A primitive exosymbiosis mycophyco-symbiosis (here, with a septate mycobiont like Mycosphaerella).

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ment les polysaccharides de l'algue (Fries, 1979). Celle-ci peut être cultivée axéniquement in vitro : sa croissance n'est pas accrue par des extraits de mi-lieu de culture du champignon (Fries, 1988). Pourtant, dans la nature, seuls les thalles d'A. nodosum colonisés sur-vivent après la première année de crois-sance (Webber, 1967), sans que leur morphologie soit très différente de celle obtenue en conditions axéniques. De plus, les ascocarpes du champi-gnon sont formés le plus souvent dans les réceptacles de l'hôte, ce qui impli-que un synchronisme dans les cycles de développement. Le même endophyte se rencontre dans une autre algue brune, Pelvetia canaliculata, qui oc-cupe, sur les côtes rocheuses, la po-sition la plus élevée de la zone interti-dale.

A l'inverse des lichens vrais, ces associations ont la morphologie du phycobionte, qui reste fertile : c'est pour cette raison qu'on les singularise sous le nom de mycophycosymbioses (Kohlmeyer et Kohlmeyer, 1972). D'autres associations semblables sont connues (Kohlmeyer, 1979). Elles sont constituées de mycobiontes septés, alors que les symbioses primitives étaient, selon toute vraisemblance, formées par des Zygomycètes non septés. Il faut donc supposer que ces associations primitives ont évolué sans laisser de descendance directe, ou qu'elles ont été remplacées par des associations à Ascomycètes. Néanmoins, les mycophycosymbioses actuelles sont peut-être très proches des associations primitives qui ont conquis le milieu terrestre.

La colonisation des terres émergées par les lichens

L'association de champignons et d'al-gues unicellulaires photosynthétiques et/ ou fixatrices d'azote atmosphérique a donné naissance aux lichens. Actuelle-

ment, ils comptent parmi les principaux colonisateurs de l'interface entre le mi-lieu terrestre et le milieu marin, et les premiers colonisateurs des matériaux éruptifs nouvellement produits ou des matériaux sédimentaires récemment émergés. En raison de leur état symbio-tique, les lichens sont particulièrement bien adaptés à ces conditions hostiles. Cette association est la seule qui sur-vive là où les autres végétaux terrestres ne peuvent s'installer. Les lichens sont par exemple très abondants dans la toundra où les températures extrêmes et les fortes amplitudes thermiques sont particulièrement limitantes pour les autres végétaux.

Doit-on pour autant considérer, comme Cain (1972) et Hawksworth (1988), qu'ils ont été parmi les premiers colonisateurs du milieu terrestre ? Ces associations font essentiellement intervenir des Ascomycètes et des Chlorophytes ou des Cyanophytes. Le groupe des Ascomycètes existe au Carbonifère, mais certains auteurs rapportent des témoignages isolés de leur existence au Silurien (Sherwood-Pike et Gray, 1985). De plus, les deux groupes d'autotrophes considérés existent dès le Paléozoïque (Knoll, 1992). Hawksworth (1988) attribue aux lichens une origine permo-triasique (190 à 280 Ma). H n'est peut-être pas exclu qu'ils soient même plus anciens et qu'ils aient donc été les premiers à coloniser le milieu terrestre mais, en l'absence de fossiles de lichens avant le Tertiaire, il est difficile d'avoir une certitude.

Néanmoins, l'autotrophie pour l'azote des lichens à Cyanophytes ou à Cholo-rophytes et Cyanophytes (Poelt et May-rhofer, 1988) est un argument de poids en faveur de leur intervention dans la conquête des milieux terrestres primi-tifs. Des formes lichénoïdes auraient donc pu contribuer à préparer le mi-lieu terrestre à d'autres colonisateurs

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ayant un potentiel évolutif plus impor-tant.

la colonisation des terres émergées par les Bryophytes

Les Bryophytes présentent de nom-breux traits archaïques. Parmi les Bryo-phytes, les Anthocérotophytes (Ligrone, 1988) et les Hépatophytes (Ligrone et Lopes, 1989) forment des associations avec des partenaires fongiques non sep-tés qui présentent des arbuscules. Elles occupent d'ailleurs les bordures des eaux douces, où la colonisation des ter-res émergées a probablement commen-cé. Les fossiles connus, d'interprétation difficile, indiqueraient une origine tar-disilurienne pour les Hépatophytes et mésozoïque pour les Anthocérotophytes (Krassilov et Schuster, 1984).

Les mousses au sens strict seraient apparues plus tardivement, au dévono-carbonifère (Krassilov et Schuster, 1984). La plupart d'entre elles, en par-ticulier les mousses des substrats lithi-ques secs, est dépourvue de symbiote. Elles semblent cependant avoir été ca-pables de quitter rapidement les milieux situés à l'interface entre le milieu aqua-tique et le milieu terrestre et de coloni-ser des milieux très difficiles. Ces mous-ses n'ont pas de stratégie symbiotique pour sortir de l'eau, ce qui fait excep-tion parmi les Archégoniates. Elles ont adopté une autre stratégie de tolérance aux stress hydriques : la croissance con-tinue d'un axe, qui ne se décompose que très lentement après la mort des cellu-les, permet de retenir l'eau lorsqu'elle est présente. Ces axes morts contribuent également au piégeage des débris résul-tant de l'altération du substrat, des cen-dres volcaniques et des apports éoliens. Ceux-ci s'accumulent avec la matière organique issue des mousses elles-mê-mes : c'est la stratégie du coussinet, par-ticulièrement bien adaptée à la forma-tion de sols primitifs et à l'installation

d'une microflore diversifiée. Mais rien ne permet d'affirmer que les Bryophy-tes ont été des pionniers au moment de la sortie des eaux ; de plus, la stratégie de tolérance adoptée constitue une re-lative impasse évolutive.

La colonisation des terres émergées par les végétaux vasculaires actuels

Les végétaux vasculaires primitifs semblent s'être développés à proximité de la limite entre la terre ferme et l'eau, comme les bords des eaux douces ou saumâtres. Ces milieux ont dû jouer un rôle prépondérant dans la colonisation des continents. L'originalité de l'appa-reil végétatif de ces végétaux est de com-porter des cellules différenciées permet-tant le transfert de sève des parties immergées ou enterrées vers les parties aériennes. Formation du xylème et port dressé sont autorisés par la synthèse de lignine.

Les Ptéridophytes actuelles sont fré-quemment associées à des partenaires non septés. Ces associations ne sont pas localisées à un seul organe, et affectent les gamétophytes comme les sporophy-tes (Boullard, 1979). Les Lycophytes abritent des champignons non septés formant des vésicules (Schmid et Ober-winckler, 1993) et souvent des arbuscu-les (Duckett et Ligrone, 1992). L'asso-ciation est régulière au moins dans le cas des gamétophytes non-chlorophyl-liens et souterrains, qui dépendent pro-bablement du champignon pour leur alimentation carbonée. Chez les Filico-phytes, les associations semblent moins obligatoires (Boullard, 1979), et sont de type VA. Les sporophytes des Prêles paraissent aussi abriter des associations de type VA. Seules les Isoetacées et quel-ques Filicophytes aquatiques paraissent dépourvues d'associations symbiotiques.

Les Psilophytes possèdent aussi des endophytes non septés, comme Psilotum

nudum où un endophyte non septé et

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ne formant pas d'arbuscules a été dé-crit à la fois dans le gamétophyte et le sporophyte (Peterson et al., 1981). Cette espèce aux caractères primitifs, sans feuille ni racine, rappelle la mor-phologie du Rhynia de la flore de Rhy-nie (Lemoigne, 1968), et pourrait cons-tituer un "fossile vivant". De fait, Rhy-nia et Psiloturn présentent tous deux des endophytes ne formant pas d'arbuscu-les - argument supplémentaire en faveur de leur parenté.

Les Spermaphytes, issus des Ptéri-dophytes, ont conservé ces associations avec des champignons. Leurs racines sont presque toujours associées à des partenaires fongiques : ce sont les my-corhizes. De nombreux endophytes exis-tent dans d'autres organes et, en parti-culier, dans les feuilles : les "mycophyl-les" seraient très fréquentes (Caron, 1988).

Les mycorhizes ont beaucoup évolué (Lewis, 1973 ; Malloch et al., 1980 ; Malloch, 1987). Les endomycorhizes, très fréquentes dans ces groupes, se sont parfois associées à des microorganismes

autotrophes pour l'azote (Frankia, Rhi-zobiacées...). Un autre type de myco-rhize est fréquent chez les Spermaphy-tes arborescents : les ectomycorhizes. Les champignons ectomycorhiziens, Ba-sidiomycètes ou Ascomycètes, semblent avoir remplacé, à partir du Crétacé, les champignons endomycorhiziens, dans des conditions écologiques difficiles, comme les sols pauvres ou les condi-tions climatiques extrêmes (Malloch et al., 1980). L'apparition des ectomyco-rhizes semble polyphylétique : la diver-sité des familles, aussi bien Angiosper-mes que Gymnospermes, possédant des ectomycorhizes, et l'éloignement phylo-génétique des différents champignons ectomycorhiziens suggèrent en effet que les ectomycorhizes soient apparues à différentes reprises.

D'autres types de mycorhizes, comme les endomycorhizes éricoïdes (Read, 1983), ou les mycorhizes à peloton des Orchidées, se seraient substituées aux endomycorhizes VA encore plus tardi-vement. Enfin une minorité d'espèces appartenant à diverses familles aurait

Fig. 10.- Les deux principaux types de mycorhizes des végétaux vasculaires terrestres (d'après J. Garbaye). Fig. 10.- The two main types of mycorrhizas of vascular land plants (from J. Garbaye).

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secondairement perdu leur association avec un partenaire fongique, en met-tant en place des systèmes de substitu-tion mal connus (développement d'abon-dants poils absorbants ou autres méca-nismes).

CONCLUSION

Les symbioses ont rythmé l'évolution de la biosphère et de la vie. Elles expli-quent les à-coups évolutifs ou "méga-mutations" (Haynes, 1991), par addi-tion de deux génomes préexistants, per-mettant ainsi la création de nouveaux niveaux d'organisation et donc la con-quête de nouveaux milieux. Parmi ces associations, celles regroupant les végé-taux terrestres et les champignons ont permis la colonisation des continents et sont encore nécessaires aux végétaux ac-tuels. Aujourd'hui encore, les symbio-ses avec des Glomales sont les plus ré-pandues. Elles descendent probable-ment directement des associations qui

ont conquis le milieu terrestre. En ac-cord avec cette théorie déjà ancienne, des résultats récents de paléontologie moléculaire indiquent que la diversifi-cation des champignons endomycorhi-ziens remonte à l'époque de la sortie des eaux des végétaux (Simon et al.,

1993). Ces associations ont pu contribuer à

accélérer l'évolution des végétaux ter-restres, notamment au niveau morpho-logique, comme en témoigne la compa-raison avec les mousses qui ne forment pas d'association. Actuellement, une grande diversité d'associations (divers types de mycorhizes, mycophycosymbio-ses et lichens) offrent des solutions adaptatives aux milieux terrestres les plus divers.

Remerciements.- Nous tenons à remercier de leur aide et de leurs encouragements F. Ardrée, B. Boul-lard, J. Kohlmeyer, J. Garbaye, F. Martin, D. Tagu et F. Lapeyrie ainsi que Dominique Vairelles pour sa contri-bution à l'illustration de cet article.

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