la structure et la fonction du poumon - the union the international journal of tuberculosis and lung...

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INT J TUBERC LUNG DIS 14(4):391–396 © 2010 The Union REVUE GENERALE [Traduction de l’article : « The structure and function of the lung » Int J Tuberc Lung Dis 2010; 14(4): 391–396] 2010 L’ANNEE DU POUMON Editeur de la série: John F. Murray La structure et la fonction du poumon John F. Murray Professor Emeritus of Medicine, University of California, San Francisco, California, États-Unis Auteur pour correspondance : John F Murray, MD, FRCP, International Union Against Tuberculosis and Lung Disease, 68 boulevard Saint-Michel, 75006 Paris, France. Tel : (+33) 1 44 32 03 60. e-mail : [email protected] Comme je l’ai dit dans mon éditorial introductif dans le numéro de janvier du Journal, les objectifs spécifiques de la campagne de 2010: Année du Poumon sont « éveiller la conscience du public au sujet de la santé pulmonaire, com- mencer des actions dans les collectivités au niveau mondial et plaider pour des ressources destinées à combattre les maladies pulmonaires, y compris les ressources pour la recherche et des programmes de formation à la recherche au niveau mondial ». L’offensive vise avec insistance à améliorer la préven- tion et à renforcer la prise en charge des nombreuses maladies pulmonaires qui compliquent et raccourcissent d’innombrables millions de vies humaines chaque année. Mais elle inclut également « la prise de conscience au sujet de la santé pulmonaire » qui à mon avis comporte une certaine connaissance sur la façon dont les poumons des gens fonctionnent effectivement. A quoi ressemblent-ils ? Pourquoi sont-ils si particuliers ? Ici, vous trouverez donc une vue des pou- mons humains sains par l’intérieur pour illustrer leur parfaite structuration en vue de leur fonction principale : l’apport complet d’oxygène à notre corps et l’élimination du dioxide de carbone indésirable pendant toute la vie. John F. Murray, Editeur de la Série e-mail : [email protected] LORSQU’ILS SONT REMPLIS de leur volume habi- tuel d’oxygène, de dioxyde de carbone et des gaz ac- compagnants, les deux poumons prennent plus de place dans le corps humain que n’importe quel autre organe. Mais notre « plus grand organe » est composé d’environ seulement un demi-litre de tissu et d’environ la même quantité de sang : tout le reste, c’est de l’air —approximativement 4,3 litres dans le modèle repris pour cet article: celui d’un homme âgé de 30 ans, bien portant, d’une taille de 1,75 m et d’un poids de 70 kg. (La taille des poumons varie considérablement en fonction de l’âge, du sexe, de la taille et de l’ethnie.) A première vue, les proportions étonnamment diffé- rentes des tissus et du sang par rapport à l’air peuvent paraître disproportionnées, mais comme nous le mon- trons dans cet article, la structure anatomique des poumons correspond élégamment à leur fonction physiologique principale : l’absorption d’oxygène, l’élimination du dioxyde de carbone, un point sou- ligné récemment dans une analyse téléologique de la structure du poumon par Ewald Weibel, 1 qui a géné- reusement mis à disposition plusieurs illustrations pour cette revue. La structure des poumons ne change pas avec la position du corps, mais sa fonction le fait ; dans les discussions qui suivent, je vais décrire comment les poumons adultes sains fonctionnent lorsque le corps est vertical, assis, debout ou à la marche. Ensuite pour illustrer l’importance clinique des relations structure- fonction qui gouvernent le comportement des pou- mons humains, je conclurai par quelques brefs com- mentaires sur la façon dont cette interdépendance explique certaines observations courantes au sujet de la tuberculose pulmonaire (TB). Les articles précédents de cette série Éditorial: Murray J F. 2010: The Year of the Lung. Int J Tuberc Lung Dis 2010; 14(1): 1–4. Éditorial: Castro K G, Bell B P, Schuchat A. Preventing complications from 2009 influenza A (H1N1) in persons with underlying lung diseases: a formidable challenge for 2010 Year of the Lung. Int J Tuberc Lung Dis 2010; 14(2): 127–129. Éditorial: Barker K. Canadian First Nations experience with H1N1: new lessons or perennial issues? Int J Tuberc Lung Dis 2010; 14(2): 130. Unresolved issues: Lalloo, U G. Drug-resistant tuberculosis: reality and potential threat. Int J Tuberc Lung Dis 2010; 14(3): 255–258.

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INT J TUBERC LUNG DIS 14(4):391–396© 2010 The Union

REVUE GENERALE

[Traduction de l’article : « The structure and function of the lung » Int J Tuberc Lung Dis 2010; 14(4): 391–396]

2010 L’ANNEE DU POUMONEditeur de la série: John F. Murray

La structure et la fonction du poumon

John F. Murray

Professor Emeritus of Medicine, University of California, San Francisco, California, États-Unis

Auteur pour correspondance : John F Murray, MD, FRCP, International Union Against Tuberculosis and Lung Disease, 68 boulevard Saint-Michel, 75006 Paris, France. Tel : (+33) 1 44 32 03 60. e-mail : [email protected]

Comme je l’ai dit dans mon éditorial introductif dans le numéro de janvier du Journal, les objectifs spécifi ques de la campagne de 2010: Année du Poumon sont « éveiller la conscience du public au sujet de la santé pulmonaire, com-mencer des actions dans les collectivités au niveau mondial et plaider pour des ressources destinées à combattre les maladies pulmonaires, y compris les ressources pour la recherche et des programmes de formation à la recherche au niveau mondial ». L’offensive vise avec insistance à améliorer la préven-tion et à renforcer la prise en charge des nombreuses maladies pulmonaires qui compliquent et raccourcissent d’innombrables millions de vies humaines chaque année.

Mais elle inclut également « la prise de conscience au sujet de la santé pulmonaire » qui à mon avis comporte une certaine connaissance sur la façon dont les poumons des gens fonctionnent effectivement. A quoi ressemblent-ils ? Pourquoi sont-ils si particuliers ? Ici, vous trouverez donc une vue des pou-mons humains sains par l’intérieur pour illustrer leur parfaite structuration en vue de leur fonction principale : l’apport complet d’oxygène à notre corps et l’élimination du dioxide de carbone indésirable pendant toute la vie.

John F. Murray, Editeur de la Sériee-mail : [email protected]

LORSQU’ILS SONT REMPLIS de leur volume habi-tuel d’oxygène, de dioxyde de carbone et des gaz ac-compagnants, les deux poumons prennent plus de place dans le corps humain que n’importe quel autre organe. Mais notre « plus grand organe » est composé d’environ seulement un demi-litre de tissu et d’environ la même quantité de sang : tout le reste, c’est de l’air —approximativement 4,3 litres dans le modèle repris pour cet article: celui d’un homme âgé de 30 ans, bien portant, d’une taille de 1,75 m et d’un poids de 70 kg. (La taille des poumons varie considérablement en fonction de l’âge, du sexe, de la taille et de l’ethnie.)

A première vue, les proportions étonnamment diffé-rentes des tissus et du sang par rapport à l’air peuvent paraître disproportionnées, mais comme nous le mon-trons dans cet article, la structure anatomique des poumons correspond élégamment à leur fonction physiologique principale : l’absorption d’oxygène, l’élimination du dioxyde de carbone, un point sou-ligné récemment dans une analyse téléologique de la structure du poumon par Ewald Weibel,1 qui a géné-reusement mis à disposition plusieurs illustrations pour cette revue.

La structure des poumons ne change pas avec la position du corps, mais sa fonction le fait ; dans les discussions qui suivent, je vais décrire comment les poumons adultes sains fonctionnent lorsque le corps est vertical, assis, debout ou à la marche. Ensuite pour illustrer l’importance clinique des relations structure-fonction qui gouvernent le comportement des pou-mons humains, je conclurai par quelques brefs com-mentaires sur la façon dont cette interdépendance explique certaines observations courantes au sujet de la tuberculose pulmonaire (TB).

Les articles précédents de cette série Éditorial: Murray J F. 2010: The Year of the Lung. Int J Tuberc Lung Dis 2010; 14(1): 1– 4. Éditorial: Castro K G, Bell B P, Schuchat A. Preventing complications from 2009 infl uenza A (H1N1) in persons with underlying lung diseases: a formidable challenge for 2010 Year of the Lung. Int J Tuberc Lung Dis 2010; 14(2): 127–129. Éditorial: Barker K. Canadian First Nations experience with H1N1: new lessons or perennial issues? Int J Tuberc Lung Dis 2010; 14(2): 130. Unresolved issues: Lalloo, U G. Drug-resistant tuberculosis: reality and potential threat. Int J T uberc Lung Dis 2010; 14(3): 255–258.

2 The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease

VOIES AERIENNES

Une bonne façon de débuter, c’est par l’entrée du cou-rant aérien dans les poumons : la trachée qui com-mence au niveau du larynx à la partie supérieure du cou, descend vers le bas au travers du défi lé thora-cique jusqu’au bord supérieur de la cinquième vertèbre dorsale où elle se divise dans les deux bronches prin-cipales, une pour chaque poumon. Les deux bronches principales se divisent alors en différentes branches caractéristiques qui divisent le poumon gauche et le poumon droit en confi gurations anatomiques habi-tuelles lobaires et segmentaires. Toutes les bronches proximales relativement grandes, environ jusqu’au niveau sous-segmentaire, se dénomment bronches : par défi nition, leurs parois contiennent des cartilages et des glandes à mucus. Bien peu après, les bronches se métamorphosent en bronchioles dont le calibre est plus étroit (< 2 mm) ; ce sont des voies respiratoires à paroi membraneuse où cartilage et glandes font défaut.

Les bronches et les bronchioles se divisent habi-tuellement en deux branches fi lles qui diffèrent par la taille et par l’angulation (Figure 1). La branche des-servant les unités d’échange gazeux dans la région distale du poumon est plus axiale et a une surface de section plus grande que la branche plus petite et à angle plus aigu qui conduit aux unités proximales d’échange gazeux. La Figure montre également qu’en raison de leur inertie inhérente, les particules se trou-vant dans le courant gazeux d’entrée ont des diffi cul-tés à prendre un tournant aigu sans impacter les pa-rois des voies aériennes ; ceci explique pourquoi les particules qui survivent au voyage à risque au travers de l’arbre bronchique sont susceptibles de se déposer dans les régions périphériques desservies par les voies aériennes plus grandes et plus axiales.2 Le volume to-tal d’air contenu au sein des branches (en moyenne) des voies aériennes de conduction, ce qu’on appelle « l’espace mort anatomique », est grossièrement égal

en millilitres au poids de la personnes en livres : en d’autres mots, 154 ml pour notre prototype de jeune homme sain de 70 kg.

La Figure 1 illustre un autre aspect d’importance physiologique : le diamètre—et dès lors la surface transversale—des deux branches fi lles dépasse celui de la branche mère. En raison de l’augmentation ré-gulière de la surface transversale de l’arbre trachéo-bronchique, la résistance au débit aérien au sein du système diminue progressivement et la vélocité de chaque inhalation se ralentit considérablement, quand l’air inspiré se déplace de la trachée vers l’intérieur des poumons. En fait, dans les espaces aériens les plus périphériques, le mouvement par « débit massif » a cessé et l’oxygène entrant pénètre à proximité des al-véoles par diffusion moléculaire au sein des gaz de l’inhalation précédente.

Tant les bronches que les bronchioles sont recou-vertes d’un épithélium (plus épais dans les premières que dans les dernières), dont les cils battent de ma-nière coordonnée pour propulser une couche de mu-cus sus-jacente vers le pharynx où il est dégluti. Ce système, connu comme le tapis roulant mucociliaire, joue un rôle important dans l’épuration pulmonaire des particules inhalées et des microorganismes qui se déposent sur la couche de mucus des voies aériennes ou sur la couche de surfactant qui recouvre les alvéoles (description plus loin).

VAISSEAUX SANGUINS

La circulation pulmonaire commence à la sortie du tractus pulmonaire d’écoulement depuis le ventricule droit, comporte la valvule pulmonaire et se termine à l’ouverture des veines pulmonaires dans l’oreillette gauche. La fonction principale de la circulation pulmo-naire consiste à fournir la totalité du débit cardiaque sous forme d’un mince fi lm de sang vers les unités res-piratoires terminales où ont lieu les échanges gazeux. La circulation pulmonaire est également le site de l’in-activation de la bradykinine et de la conversion de l’angiotensine I en angiotensine II, ainsi que celui du traitement des amines (par exemple, norépinéphrine et épinéphrine) et d’autres hormones ;3 il sert aussi de fi ltre du drainage veineux de l’ensemble de l’organisme.

Lors de leur évolution conjointe en arborisation depuis le hile vers les unités respiratoires terminales, les branches de la circulation artérielle pulmonaire se situent côte à côte avec les branches de l’arbre bron-chique, et sont comprises au sein du même fourreau bronchovasculaire. A l’opposé, les veines pulmonaires, quoiqu’également encerclées par un même fourreau de tissu conjonctif, sont des structures solitaires qui sont anatomiquement distantes des artères pulmo-naires et de leurs compagnes bronchiques. Selon un parallélisme anatomique similaire à celui du système bronchique, les grandes artères pulmonaires centrales circulant à côté des bronches contenant du cartilage

Figure 1 Diagramme schématique du système de bifurcation des voies aériennes montrant qu’à chaque paire successive, une branche est plus axiale et plus grande que l’autre et comment cette modalité favorise la distribution des particules inhalées. Repris à Murray2 avec la permission de l’American Thoracic Society.

2010: Année du Poumon 3

ont des parois élastiques, alors que les petites artères pulmonaires périphériques, partenaires des bron-chioles membraneuses, ont des parois musculaires.

Quoiqu’elles soient appelées artères « muscu-laires », il y a beaucoup moins de muscles lisses dans la paroi des artères pulmonaires que dans leurs contreparties de la circulation systémique. Ainsi, en contraste frappant avec la circulation systémique, la couche clairsemée du muscle dans les petites artères pulmonaires diminue en fait encore davantage pour disparaître fi nalement à l’approche du lit capillaire.4

Ces distinctions anatomiques rendent compte des différences hémodynamiques profondes entre la cir-culation artérielle systémique à pression élevée (pres-sion moyenne environ 100 mm Hg), où la plus grande partie de la chute de pression proximalement par rapport au réseau capillaire survient au niveau d’ar-térioles munies de muscles importants et la circula-tion artérielle pulmonaire à basse pression (pression moyenne 12–14 mm Hg), dans laquelle seulement une petite fraction de la chute totale de pression se produit au niveau des artères à paroi fi ne et sa plus grande partie (70% à 80%) survient au niveau des capillaires pulmonaires eux-mêmes.5 (Comme cela sera discuté plus loin, la faible pression sanguine de la circulation pulmonaire est un déterminant majeur de la localisation de la TB pulmonaire de réinfection [dite de type adulte]).

UNITÉS RESPIRATOIRES TERMINALES

Les sites anatomiques d’échange gazeux, c’est-à-dire le lieu de travail terminal du poumon, sont appelés par certains unités respiratoires terminales et par

d’autres, particulièrement les morphologistes, acini. Les unités respiratoires terminales comportent une série de structures associées—les bronchioles respira-toires, les canaux alvéolaires et les alvéoles—qui pro-viennent des bronchioles terminales.6 La transition au départ des bronchioles terminales (dont la fonction est de diriger le débit aérien) en unités respiratoires terminales, dont la fonction est l’échange gazeux, ap-parait clairement dans la micrographie scannée d’un poumon de lapin gonfl é à son volume d’air habituel (Figure 2). Toutefois, les poumons humains diffèrent de ceux des lapins par le fait qu’il y existe une succes-sion de bronchioles respiratoires qui se divisent et qui ont une fonction à la fois de transit de l’air et d’échange de gaz, mais qui deviennent progressive-ment plus alvéolées lors des branchements successifs (Figure 3). Finalement, les bronchioles respiratoires se transforment en canaux alvéolaires qui sont entou-rés par les alvéoles (Figure 4). Les gaz qui sont dans les bronchioles respiratoires et les canaux alvéolaires font partie du volume alvéolaire, qui constitue la to-talité des 4,3 l d’air trouvé dans les poumons de notre sujet modèle humain, à l’exception des 155 ml de l’espace mort anatomique.

Le secret anatomique de l’échange optimal de gaz dépend du fait d’avoir une membrane vaste—mais extrêmement fi ne—qui se situe entre les gaz d’un côté, et le sang de l’autre côté, exactement comme c’est la cas dans les poumons humains (Tableau).1 La zone de surface alvéolaire totale qui fait face aux

Figure 2 Micrographie électronique scannée d’un poumon de lapin gonfl é au volume respiratoire normal et montrant les bifurcations dichotomiques d’une bronchiole terminale condui-sant à des bronchioles respiratoires partiellement alvéolées jus-qu’aux canaux alvéolaires et aux alvéoles. Repris à Weibel1 avec permission.

Figure 3 Représentation schématique des subdivisions anato-miques dans un seul plan au travers d’une unité respiratoire ter-minale humaine (c’est-à-dire les structures distales par rapport à une bronchiole terminale, TB). Les nombres romains indiquent les bronchioles respiratoires et les nombres arabes les conduits alvéolaires. L’entièreté de l’unité peut être visualisée en faisant tourner les structures jusqu’à 360 degrés au sein de la zone ha-churée. Repris à Murray6 avec la permission de l’éditeur.

4 The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease

molécules d’oxygène de l’air inhalé frais est en effet énorme (130 m2), presque exactement la moitié de la taille d’un court de tennis pour doubles (261 m2). De plus, la plus grande partie de la surface alvéolaire est conjointe à la surface voisine des capillaires pulmo-naires (115 m2), dans laquelle le sang veineux mêlé, incomplètement oxygéné, circule de manière constante. Lorsque l’organisme est au repos, les capillaires pul-monaires contiennent environ 200 ml de sang. Mais le volume des globules rouges et de leur élément vital, l’hémoglobine porteuse d’oxygène, peuvent augmen-ter considérablement par le recrutement de capillaires préalablement non remplis et par la dilatation d’autres dans lesquels le sang était déjà en circulation—un engorgement qui contribue de manière importante à l’augmentation de la résorption d’oxygène qui est multipliée par dix au cours d’un exercice violent.

Les capillaires pulmonaires, de petits tuyaux à pa-roi fi ne formés des prolongements cytoplasmiques aplatis des cellules endothéliales, occupent presque la totalité des parois alvéolaires (88% ; Figure 5), mais ont deux profi ls anatomiques différents qui dépen-dent de la position des prolongements des cellules épithéliales alvéolaires de type I, prolongements à pa-rois fi nes qui les recouvrent et qui ont été comparées à des œufs sur le plat : les prolongements cytoplas-

miques à taille des cellules représentant le blanc d’œuf plat alors que le noyau central représente le jaune d’œuf. Sur plus de la moitié de la circonférence des capillaires, les cellules endothéliales capillaires et les cellules épithéliales alvéolaires adhèrent étroitement les unes aux autres par leurs membranes basales fu-sionnées en une seule couche, formant par là la por-tion fi ne de la barrière alvéolo-capillaire (barrière air-sang ; Figure 6). A l’opposé, dans le périmètre capillaire

Figure 4 Micrographie électronique scannée du parenchyme pulmonaire humain, montrant le conduit alvéolaire surmonté par les alvéoles, qui sont séparées par de fi ns septums. Repris à Weibel1 avec permission.

Tableau Estimations—dérivées de l’analyse morphométrique—des observations typiques dans les poumons d’un homme adulte sain, mesurant 1,75 m et pesant 70 kg, gonfl és à 60% de la capacité pulmonaire totale, soit environ au volume existant à la fi n d’une inspiration usuelle*

Variable Moyenne DS

Volume pulmonaire, ml 4.340 285Zone de surface alvéolaire, m2 130 12Zone de surface capillaire, m2 115 12Volume sanguin capillaire, ml 194 30

* Données de Weibel.1DS = déviation standard.

Figure 5 Micrographie électronique scannée d’un poumon humain montrant une partie de la paroi alvéolaire étroitement associée aux capillaires pulmonaires contenant des globules rouges qui sont séparés de l’air par une barrière tissulaire très fi ne (voir Figure 6). Repris à Weibel1 avec permission.

Figure 6 Micrographie électronique d’un seul capillaire pul-monaire contenant des globules rouges (RBC), suspendu dans un septum alvéolaire avec un espace alvéolaire (AS) de chaque côté. La portion « fi ne » de la barrière air-sang se trouve du côté gauche où l’extension des cellules épithéliales alvéolaires de type I (EP) et les extensions sous-jacentes de la cellule endo-théliale capillaire (EN) reposent sur une membrane basale fu-sionnée (BM). La portion « épaisse » se situe du côté droit où les deux couches cellulaires sont séparées par un espace inter-stitiel (IS). Barre horizontale = 1 μm. Modifi é à partir de Murray6 et reproduit avec la permission de l’éditeur.

2010: Année du Poumon 5

restant, les couches de cellules endothéliales et épithé-liales sont séparées l’une de l’autre par un espace in-terstitiel contenant un petit nombre de fi bres conjonc-tives de soutien, qui forment la partie épaisse de la barrière. Les capillaires alvéolaires trouvent leur che-min au travers du septum alvéolaire de telle manière que leurs portions minces coulissent d’un côté à l’autre, faisant face alternativement à un espace alvéolaire et à son voisin—de façon à faciliter les échanges ga-zeux (voyez plus bas)—alors que les portions épaisses restent alignées dans la direction des septa.

La résorption d’oxygène et la libération du dioxyde carbone surviennent chacune par diffusion passive des molécules par suite des différences des pressions partielles des deux gaz de part et d’autre de la mem-brane alvéolo-capillaire. Mais la diffusion est égale-ment infl uencée de manière importante par l’épais-seur de la membrane, et pour l’oxygène par la distance entre la source des molécules dans l’espace alvéolaire et leur liaison chimique fi nale avec l’hémoglobine à l’intérieur des globules rouges : la diffusion est d’autant plus grande que la distance est plus faible. De la même manière, les échanges gazeux surviennent de manière préférentielle à travers la portion fi ne de la bar rière alvéolo-capillaire alors que les échanges des liquides et de solubles entre la lumière capillaire et l’espace interstitiel se produisent dans la portion épaisse. (Nous n’avons pas assez de place pour discuter ici du fait que les anomalies des échanges des liquides et des so-lubles sont à la base de la formation d’œdème pulmo-naire, le sujet peut-être d’un autre article).

Une caractéristique plus structurelle des unités res-piratoires terminales mérite une attention particulière : la totalité de la surface alvéolaire est couverte d’une couche de l’épaisseur d’une molécule par un matériel chimique remarquable appelé le surfactant, qui est synthétisé et libéré par les cellules épithéliales alvéo-laires de type II. Le surfactant stabilise les alvéoles par sa capacité extraordinaire à réduire la tension super-fi cielle lors de la diminution du volume pulmonaire au cours de l’expiration. Bien que 90% de la surface alvéolaire soient couverts par les cellules de type I ressemblant à un œuf sur le plat, l’épithélium contient en fait un plus grand nombre de cellules alvéolaires de type II, productrices de surfactant et de taille plus réduite, ce qui fait ressortir leur importance fonction-nelle, particulièrement dans les poumons des nouveau-nés dont les alvéoles sont fi nes et susceptibles de se collaber. Le surfactant stabilise également les poumons d’adultes, ce qui garantit les échanges gazeux.

INNERVATION

Les poumons se défendent eux-mêmes—et du coup le reste du corps—par des réfl exes de protection, parmi lesquels le réfl exe de toux est le plus évident et cer-taine ment le mieux étudié. Mais plus on investigue la toux, plus compliquée elle paraît. La toux chez

l’homme semble déclenchée par la stimulation méca-nique ou chimique de récepteurs d’irritation à adap-tation rapide situés dans l’épithélium des voies aé ri-ennes du larynx aux bronchioles, principalement aux points d’embranchement, mais dont l’abondance dé-croit au fur et à mesure de la progression vers la péri-phérie des voies aériennes. Les mêmes stimuli activent d’autres récepteurs sensoriels, les fibres pulmonaires et bronchiques C, et dans une moindre mesure les ré-cepteurs à adaptation lente dont l’arrivée dans le système nerveux central, tous via le nerf vague, peut supprimer ou amplifi er la réponse de toux qui en résulte.7

L’acte de la toux exige une contraction vigoureuse des muscles thoraciques et abdominaux qui, comme d’autres muscles striés, sont innervés par les neurones moteurs, mais qui reçoivent des ordres provenant d’un « centre du système nerveux central de la toux ». Les muscles qui contribuent à la respiration, connus dans leur ensemble comme muscles respiratoires, parmi lesquels le diaphragme est de loin le plus important et le mieux étudié, sont particulièrement bien dotés sur le plan physiologique. Selon McKenzie et coll.,8 les muscles respiratoires sont substantiellement différents de leurs équivalents non respiratoires : ils doivent tra-vailler pour la durée de vie de leurs propriétaires sans un repos prolongé ; ils sont plus résistants au déve-loppement de la fatigue et en récupèrent plus rapide-ment ; ils ont un débit sanguin et une densité capillaire plus importants ; et leur consommation maximale d’oxygène est de deux à six fois supérieure.

L’innervation efférente des poumons proprement dits comporte les fi bres parasympathiques (choliner-giques) et sympathiques (adrénergiques) qui condui-sent aux voies aériennes et aux muscles lisses des vaisseaux, aux glandes sécrétrices de mucus et à la muqueuse. L’activité cholinergique est prédominante dans toutes les espèces de mammifères étudiées, y compris les hommes, et elle entraîne la broncho-constriction et la sécrétion de mucus dans les voies aériennes. Bien que les récepteurs adrénergiques soient nombreux et répondent à des stimulations chimiques et au blocage (comme dans le traitement de l’asthme), les réponses à la stimulation des nerfs sympathiques sont étonnamment faibles. Des fi bres peptidergiques ont également été identifi ées, mais leur rôle physiolo-gique n’a pas encore été défi ni complètement. De la même manière, la fonction des corps neuroépithé-liaux des voies aériennes n’est guère connue ; certains faits suggèrent qu’ils pourraient jouer le rôle de chimio-récepteurs chez le fœtus et le nouveau-né.

AUTRES STRUCTURES

Vu la place limitée disponible, nous ne pouvons pas aborder diverses autres structures qui contribuent de manière importante au bien-être du poumon, tels les lymphatiques pulmonaires,9 la circulation

6 The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease

bronchique,10 les membranes pleurales11 et le contrôle de la respiration.12

STRUCTURE-FONCTION ET TUBERCULOSE PULMONAIRE

Lésions de la tuberculose primaireIl y a plus d’un demi-siècle, les observateurs anatomo-pathologistes avaient signalé que les lésions initiales de la TB pulmonaire et les foyers de Ghon qui en d érivent ont tendance à survenir dans les régions dé-clives des poumons en position verticale et, de plus, se trouvent à un ou deux centimètres de la surface pleurale.2 La préférence de la TB primaire pour la moitié inférieure des poumons en position verticale est facilement expliquée par la différence de pression pleurale qui existe entre les zones les plus élevées et les plus basses qui dirigent l’air frais entrant—ainsi que tous les noyaux de gouttelettes contenant Myco-bacterium tuberculosis inclus dans l’air inspiré—vers les régions déclives des poumons. La limitation de la localisation à la périphérie des lésions est déterminée par le type de ramification de l’arbre bronchique (voir Figure 1), qui favorise la dispersion des particu-les inhalées vers les bronches plus larges et plus axia-les qui accèdent aux régions subpleurales distales des poumons.2

Lésions de la réinfection tuberculeuseUn des mystères qui a rendu perplexes les personnes étudiant la TB depuis des siècles a été la propension marquée de la TB pulmonaire de réinfection (parfois appelée TB de l’adulte), pour les zones supérieures des poumons chez les hommes, pour la région dorsale la plus élevée chez les animaux à quatre pattes et pour les bases pulmonaires chez les chauves-souris, qui passent la plus grande partie de la journée la tête en bas.2 Comme déjà suggéré plus haut, l’explication réside dans la faible pression sanguine au sein des ar-tères pulmonaires, qui à son tour entraîne une distri-bution inégale de la circulation au sein des poumons. Une plus grande quantité de sang s’oriente vers les ré-gions déclives où la pression de perfusion est plus éle-vée par comparaison aux régions supérieures où la pression est beaucoup plus faible. Comme déjà décrit dans le paragraphe précédent, la ventilation elle aussi se distribue de façon préférentielle vers les zones pul-monaires déclives, mais de loin pas autant que le débit sanguin. L’inégalité de distribution de la ventilation et de la perfusion qui en résulte a deux conséquences fonctionnelles, toutes deux déduites et élaborées par William Dock.2 Premièrement, une ventilation abon-dante et un faible débit sanguin dans les zones supé-rieures signifi ent que la tension d’oxygène est plus élevée à ce niveau que n’importe où ailleurs dans les poumons ; elle crée un environnement local, un « sol favorable » favorisant le développement de M. tuber-

culosis qui est oxygéno-dépendant. Deuxièmement, un faible débit sanguin signifi e un faible apport de globules blancs, d’anticorps et d’autres défenses anti-mycobactériennes circulantes ainsi qu’une formation et une résorption médiocres de la lymphe, qui tous favorisent un développement non contrôlé des ba-cilles tuberculeux.

La touxL’examen microscopique des crachats provenant de personnes atteintes d’une toux chronique depuis deux semaines ou davantage (manifestation courante de la TB pulmonaire) s’est avérée une manière utile de diagnostiquer la maladie dans les pays à faibles res-sources. En dépit de sa fréquence impressionnante chez les patients atteints de TB pulmonaire, les méca-nismes sous-jacents à la toux ne sont toutefois que médiocrement compris et presque certainement mul-tiples. Une explication plausible est que la toux pro-vient de la stimulation des récepteurs d’irritation par les médiateurs chimiques infl ammatoires et/ou im-munologiques produits par les poumons dans leurs efforts innés pour se protéger eux-mêmes contre l’infection. La toux n’est pas liée à une atteinte paren-chymateuse étendue avec creusement, à une atteinte bronchique ou à la présence de sécrétions dans les voies aériennes, bien que celles-ci l’aggravent.

CONCLUSION

La constitution des poumons humains sains permet de façon spectaculaire de garantir l’absorption de l’oxygène vital et l’élimination du dioxyde de carbone indésirable. Les poumons sont également équipés pour se défendre eux-mêmes ainsi que l’ensemble du corps contre les agressions provoquant des maladies par in-halation. Si la maladie en vient à se produire, ils peu-vent maintenir le partenariat entre la distribution de l’air frais d’entrée et la pénétration du sang veineux mêlé médiocrement oxygéné, ce qui garantit ainsi un échange gazeux fondamental.

Références 1 Weibel E R. What makes a good lung? The morphometric basis

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