la vente breton ou le fantôme du surréalisme

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LA „VENTE BRETON“ OU LE FANTÔME DU SURRÉALISME Wolfgang Asholt Taking two discussions as examples, the contribution wants to show that surrealism still influences art and literature today as „Hauptgespenst“ (Marx / Derrida). Starting from the obsessive presence of the „Unheim- lich“ by Jean Clair, who discovered the invisible hand of surrealism even in the events of September 11, 2001, I will – on the basis of the statements on the „Vente Breton“ gathered on the website „remue.net“ of François Bon and on the basis of the discussions around the sale of this collection called „refuge contre tout le machinal du monde“ with which also surre- alism seems to have been sold out and buried – show that surrealism „has presented and formed the problem“, what Luhmann attested to the whole avant-garde. Even today artists are still faced with the question „how to cope with this auto-challenge“. Despite or maybe because of the failure of surrealism and its necessity (Bürger), the surrealism still forms today a part of the epoch horizon. Une des questions auxquelles ce volume veut tenter de répondre est celle de l’actualité du surréalisme; est-il toujours actuel, ou bien l’est- il à nouveau, ou peut-être de manière inattendue, ne fût-ce que comme un fantôme dans les sens des „living deaths“ de Paul Mann ou des „spectres de Marx“ de Derrida, donc un surréalisme comme fantôme de lui-même ou de qui ou quoi que ce soit? À une époque où règne une grande confusion dans l’usage des concepts, confusion contre laquelle l’imposant dictionnaire des „Concepts esthétiques de base“ coordonné par Karlheinz Barck peut aider à résister, non sans un cer- tain succès – qui a bien sûr ses limites –, à une époque où une série de voitures Mercedes est commercialisée sous l’étiquette d’„Avantgarde“ et où, dans les annonces publicitaires de ses programmes, la Volks- bühne de Berlin désigne de „Rock rétro-avantgarde“ les groupes de Wave and Punk (Zitty, n° 15, 2004), on constate que le surréalisme n’échappe pas non plus aux influences de notre époque actuelle post- avant-gardiste.

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La vente Breton ou le fantôme du surréalisme. Asholt

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  • LA VENTE BRETON OU LE FANTME DU SURRALISME

    Wolfgang Asholt

    Taking two discussions as examples, the contribution wants to show that surrealism still influences art and literature today as Hauptgespenst (Marx / Derrida). Starting from the obsessive presence of the Unheim-lich by Jean Clair, who discovered the invisible hand of surrealism even in the events of September 11, 2001, I will on the basis of the statements on the Vente Breton gathered on the website remue.net of Franois Bon and on the basis of the discussions around the sale of this collection called refuge contre tout le machinal du monde with which also surre-alism seems to have been sold out and buried show that surrealism has presented and formed the problem, what Luhmann attested to the whole avant-garde. Even today artists are still faced with the question how to cope with this auto-challenge. Despite or maybe because of the failure of surrealism and its necessity (Brger), the surrealism still forms today a part of the epoch horizon.

    Une des questions auxquelles ce volume veut tenter de rpondre est celle de lactualit du surralisme; est-il toujours actuel, ou bien lest-il nouveau, ou peut-tre de manire inattendue, ne ft-ce que comme un fantme dans les sens des living deaths de Paul Mann ou des spectres de Marx de Derrida, donc un surralisme comme fantme de lui-mme ou de qui ou quoi que ce soit? une poque o rgne une grande confusion dans lusage des concepts, confusion contre laquelle limposant dictionnaire des Concepts esthtiques de base coordonn par Karlheinz Barck peut aider rsister, non sans un cer-tain succs qui a bien sr ses limites , une poque o une srie de voitures Mercedes est commercialise sous ltiquette dAvantgarde et o, dans les annonces publicitaires de ses programmes, la Volks-bhne de Berlin dsigne de Rock rtro-avantgarde les groupes de Wave and Punk (Zitty, n 15, 2004), on constate que le surralisme nchappe pas non plus aux influences de notre poque actuelle post-avant-gardiste.

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    Il semble pourtant que le surralisme rsiste mieux la toute puis-sante rcupration de concepts engendre par la commercialisation tous azimuts, que lavant-garde dans son ensemble, qui se trouve rel-gue au niveau de ces dcors public-relations la mode. Certes, il est impossible de ne pas remarquer que le concept de surraliste, em-ploy comme substantif ou comme adjectif, se retrouve livr des interprtations varies et vampirisantes. Toutefois, comme lillustre lexemple dune exposition consacre Mnster au peintre nerlan-dais Ruud Antonius qui a eu lieu au moment du colloque, il demeure quelque chose de ce que le surralisme a jadis t (ou de ce quil pour-rait tre aujourdhui), comme on peut le lire dans la plaquette de lexposition: Ruud Antonius a cr un fascinant effet de distanciation du surralisme et, par son imagination, il a cr des images qui refl-tent notre socit moderne. On voit que le surralisme a poursuivi sa route. On postule ainsi que le surralisme continue vivre, mme habill autrement et peut-tre ce surralisme daujourdhui nest-il plus en effet quun fantme de lui-mme? On peut douter que cette mimesis qui cre cette distanciation, ici dsigne comme procd sur-raliste, soit conforme au potentiel provocateur et rvolutionnaire du surralisme, que Peter Brger voque avec la ncessit historique du surralisme (et de son chec) ou quelle ait quoi que ce soit de com-mun avec Surralisme et terreur de Karl Heinz Bohrer. Nanmoins, malgr sa domestication par les peintres et les crivains actuels, ce potentiel semble ne pas avoir compltement disparu ni tre termin historiquement (ni avoir touch sa fin historique).

    *

    Cest ce que Jean Clair illustre trs bien (contre son gr) dans un es-sai mais on peut tout aussi bien parler de pamphlet qui a paru Paris, juste au moment o la collection dAndr Breton allait tre mise aux enchres: Du surralisme considr dans ses rapports au totalita-risme et aux tables tournantes (2003). Comme lindique le texte de la quatrime de couverture, le surralisme est pour Jean Clair le seul mouvement davant-garde avoir acquis un succs populaire et dura-ble comme le prouve pour lui lexposition surraliste de Werner Spies qui sest tenue Paris et Dsseldorf. Lintention de lhistorien de lart quest Jean Clair, directeur de nombreuses expositions et ancien directeur du muse Picasso, nest pas tant une apprciation de lesthtique surraliste il laisse cela volontiers Werner Spies et aux autres historiens de lart quune confrontation avec le surralisme vu

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    comme symptme, on peut dire une confrontation avec le fantme toujours prsent et dangereux du surralisme: Cest une gnalogie de la violence au sicle dernier qu travers lui on tentera ici. Der-rire la violence qui a travers tout le XXe sicle jusqu aujourdhui, Jean Clair voit planer le fantme du surralisme quil faut savoir identifier et combattre; le surralisme ne saurait tre plus actuel en effet!

    Pour Jean Clair comme pour dautres, le surralisme est dautant plus dangereux quil attend toujours le procs qui a dj t fait il y a longtemps au futurisme italien, quon a galement fait il y a quelque temps au cubo-futurisme et au constructivisme russe (par Boris Groys par exemple) ou celui qui a t fait lexpressionnisme allemand par Jean Clair lui-mme dans La Responsabilit de lartiste (1997).

    Confisque par les universitaires et par les dvots, son historiographie est peu prs inattaquable. [...] Elle brille aujourdhui dans les hommages, les colloques et les expositions pour le grand public. Le surralisme, [...] dans un temps qui a fini par contester toute doxa, est demeur un idal. (Clair 2003: 17/18)

    Dans cette mesure ce volume et mme chacune de ses contributions font partie de cette entreprise de mystification qui, pour Jean Clair, refoule le ct inquitant du surralisme, le voile et le retourne en son contraire (et dans une certaine mesure, cest dailleurs ce que ce livre essaie dentreprendre). Quest ce qui rend le surralisme aussi dange-reux? Cest son totalitarisme car pour ce spcialiste de Picasso, la chose est claire ds le dbut de lessai:

    Sa violence, son sectarisme, son intransigeance, ses procs, son apologie du meurtre, mais aussi son attrait pour lirrationnel et la mystique des masses, repro-duisaient, lchelle du groupuscule, le programme et les modes daction des mouvements totalitaires du temps. (Clair 2003: 21)

    CQFD ou plutt ce qui va tre dmontr sur 200 pages. Il serait fasti-dieux dnumrer les inexactitudes ou les insinuations sans fondement de son argumentation, comme par exemple quand il tablit un lien entre la solidarisation des surralistes avec lInternationale commu-niste et avec le PC franais de 1930 et la terreur stalinienne et les grandes purges de 1934 (Clair 2003: 21) sans voquer lAffaire Aragon ni Du temps ou les surralistes avaient raison pas plus dailleurs que LAppel aux hommes avec sa condamnation explicite des procs de Moscou. Ce qui est plus important que ces dcomptes, cest bien sr le prsent. Cest de nos jours que Jean Clair voit son fantme du surralisme plus vivant que jamais. Comme il la dj crit dans son article du Monde dat du 22/11/2001, il accuse les surralis-tes de complicit intellectuelle avec les auteurs de lattentat du 11

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    septembre de cette mme anne et fonde cette accusation sur deux documents: la carte Le monde au temps des surralistes que la revue belge Varits avait publie en 1929 et quil commente ainsi:

    Les tats-Unis nexistent plus [...] Et un petit pays couvre un espace dmesur, plus vaste que lInde: lAfghanistan... Concidence? Non. Lidologie surraliste navait cess de souhaiter la mort de lAmrique, ses yeux matrialiste et strile et le triomphe dun Orient dpositaire des valeurs de lesprit. (Clair 2003: 118)

    en quelque sorte Ossama Ben Laden reprsente la rincarnation du surralisme. Cette relation entre le surralisme et le terrorisme actuel est prcise laide dune citation dAragon de 1925. Aragon crivit dans La rvolution surraliste: Et que les trafiquants de drogue se jettent sur nos pays terrifis. Que lAmrique au loin croule de ses buildings blancs et Jean Clair de commenter:

    Le 11 septembre 2001, la rverie dAragon quittait le surrel pour prendre forme dans la ralit. Les buildings blancs des Twin Towers scroulaient dans les flammes, tandis que lOccident incrdule dcouvrait sur la carte du monde un pays un peu oubli, lAfghanistan. (Clair 2003: 119)

    Pour Jean Clair, il ne sagit pas dune outrance verbale (loutrance des surralistes), pour lui, comme il essaie de le prouver en invo-quant Hannah Arendt (Les origines du totalitarisme. Le systme totalitaire, Seuil 1972), ces paroles participent du totalitarisme nihi-liste du XXe sicle: La destruction impitoyable, le chaos et la ruine en tant que tels assumaient la dignit de valeurs suprmes (Clair 2003: 120). Ce nest pas ici le lieu pour montrer lineptie de largu-mentation de Jean Clair (si on peut appeler cela une argumentation), il nen est dailleurs pas besoin. Danciens surralistes comme Annie Lebrun ou Jean Jouffroy lont dj fait dans Le Monde, et Die Aktion (n 204) a suffisamment parl de LAffaire Jean Clair en juillet 2002. En septembre 2003 dans Le Monde diplomatique, Rgis Debray sest exprim sur ce pamphlet, et y a galement rpondu dans sa bro-chure LHonneur des funambules. Rponse Jean Clair sur le sur-ralisme (2003). Jacqueline Chnieux-Gendron a dbattu avec Jean Clair dans une discussion organise et diffuse par France Culture le 19 juillet 2003 et y a montr linsuffisance de son argumentation.

    Mais Jean Clair met le doigt sur le surralisme comme un phnomne inquitant de nos jours, dont le retour fantomatique est visiblement une obsession relle chez Jean Clair. En empruntant la formule Marx / Derrida, on pourrait dire que pour lui, le surralisme constitue un fantme majeur du XXe sicle, un Unheimliches dont on na toujours pas russi se dbarrasser. Pour Jean Clair, ce qui visible-

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    ment continue de compter avant tout, cest le bilan quil tire sur Bre-ton dans la dernire phrase de son pamphlet: Trahi par lvolution du communisme [...], Breton resterait seul avec ses fantmes (Clair 2003: 204) car, tel le Breton de lanne 1938, Jean Clair lui-mme reste avec son fantme du surralisme. Ainsi il confirme ex negativo non pas tant la vitalit du mouvement que sa persistance en tant que fantme majeur dans le sens de Breton au dbut de Nadja: tout ne reviendrait-il pas savoir qui je hante? (I, 647)

    *

    Cest cependant dune toute autre manire que surgit le fantme ma-jeur du surralisme sur la scne littraire et culturelle, loccasion de la mise aux enchres de la collection Breton Drouot en avril 2003, et il faut dire que le discours dclench par cette vente a t plus int-ressant que la vente elle-mme. Limportance de cette vente a t remarque relativement tard mme si, grce Joseph Hanimann, un article a t publi sur ce sujet dans la FAZ du 9 novembre 2002. Mais ce sont les articles de Maurice Nadeau dans la Quinzaine littraire du 15 dcembre 2002 ou celui du New York Times du 20 dcembre, intitul Surralisme vendre, ou celui du Monde du 22 dcembre 2002, accompagn dune prise de position de Mathieu Bnzet, Fran-ois Bon et Laurent Margantin appelant protester massivement contre la vente, qui ont russi lancer un dbat public dans les mois qui ont suivi, ce qui a eu comme consquence, trs apprcie par les commissaires de la vente, de faire de la vente Breton un vnement spectaculaire. Pourquoi Bon et ses amis protestent-ils? Avant tout pour deux raisons. Dabord parce quils se sentent redevables au sur-ralisme, personnellement, cest--dire de par leur projet littraire ou leur conception de la littrature. Par son ge, Julien Gracq incarne une relation vivante au surralisme historique et ses fondateurs, les au-tres membres du mouvement daprs guerre encore en vie, exception faite dAnnie Lebrun et Alain Jouffroy, ne jouent pratiquement aucun rle, cest donc une autre gnration de prendre la relve. Dautre part les initiateurs de la campagne protestent, se situant ainsi dans la bonne tradition surraliste, contre linstitution de lart, cest--dire sa commercialisation tous azimut qui, de plus en plus, inclut sa virtuali-sation. Pour eux, lappartement de Breton et sa collection reprsentent, comme le dit Julien Gracq: un refuge contre tout le machinal du monde (22/12/02) cest--dire quelle est une cration artistique en soi car elle permet lexprience physique, en quelque sorte authenti-

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    que, du surralisme vcu et encore vivant. Et ce refuge doit mainte-nant tre mis sur le march. Aux riches collectionneurs les uvres arraches leur contexte si particulier, et au public un cdrom comme si les images devaient, dans nos socits modernes, remplacer toute exprience physique dun lieu (22/12/02).

    Mais il existe une autre motivation dont on parle peu, sans doute parce que la protestation a t tardivement institutionnalise. Le 22/12/2002, Franois Bon demande: Et nous l-dedans qui avons appris crire par le surralisme, en avons pratiqu les exercices, y avons duqu ou perverti nos rves? et dans le premier grand appel du 8/1/2003, il dit: Le surralisme, parce quil visait changer la vie, est une cole qui a t la ntre au premier chef. Protester contre le dpeage marchand de cette mmoire, organiser une action symboli-que forte au moment de la vente, cest revendiquer pour ce qui tous ensemble nous soude le sens mme de la littrature, ou tout simple-ment quelle soit action. Cette protestation sera faite sans illusion mais parce que ce jeu consensuel de la domination marchande fait insulte dune part la mmoire de Breton, et par lui au surralisme tout entier et ceux qui incarnrent ce bouleversement fondamental,

    Ce matin, lisant les textes sur la vente du premier avril, mapparat soudain lanagramme suivante, dans le nom dAndr Breton:

    TE BRADER, NON Didier Daeninckx

    plus de 3400 signatures au moment o commence la vente... . sans oublier les contributions de soutien de nos amis crivains amricains

    lappel de Mathieu Bnzet (7 janvier 2003) Ne vous inquitez pas, surtout pas. Dbut avril 2003 le fabuleux muse priv dAndr Breton sera dispers Drouot (la presse). Ce nest pas trs grave puisquon nous promet un CDROM avec visite virtuelle. Dormez en paix, braves gens! En France on na pas le sou pour projeter un muse Andr Breton. On continuera de parler du pape du surralisme, comme si rien navait eu lieu, rue Fontaine. En France on aime les clichs et les crivains virtuels, il resterait animer une photo: Andr Breton vous parle. Nous nen dirons pas davantage si ce nest notre dgot, notre rvolte, notre profonde peine. A lheure actuelle, seuls des crivains amricains ont ragi, cependant que des acheteurs de mme nationalit font dj offre pour lappartement Andr Breton. Nous ne laisserons pas passer pareille infamie. Nous nous rservons toutes formes de manifestations et dinterpellations aux dites autorits culturelles franaises. Centre Pompidou, Ministre de la Culture: tes-vous l?

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    plus largement ce qui fonde notre travail, chacun, et donne poids qui aujourdhui scrit (Cet appel est entre autres sign par Pierre Bergounioux, Didier Daeninckx, Dan Frank, Leslie Kaplan, Jean-Mi-chel Maulpoix ou Valre Novarina.).

    Mme si le prsent reprsente dans bien des aspects un dmenti au projet surraliste, et quil semble prouver lchec de celui-ci, une partie de la littrature contemporaine continue revendiquer de pour-suivre le projet des surralistes, cest--dire quon demande la litt-rature de reculer toujours plus ses propres limites et de dessiner les possibilits dune toute autre vie. Si lon voit le sens mme de la littrature dans le fait tout simplement quelle soit action, on pro-clame alors la revendication surraliste de la reconduction de lart dans la vie ce qui dailleurs constitue le dfi majeur dune grande partie de la littrature contemporaine. Certes, ceux qui postulent cela pour eux et pour la littrature en gnral, savent que les avant-gardes et avec eux le surralisme sont devenus historiques. La protestation nest cependant pas seulement un acte symbolique empreint de nostal-gie qui serait un acte presque gratuit. Quand Franois Bon cite la prise de position de Julien Gracq: Bien entendu, on ne peut pas voir sans mlancolie la disparition aux enchres de la collection Breton [...] Breton savait mieux quun autre que la loi du march stait abattue dsormais sur le destin final de sa collection. Ainsi va le monde..., cest pour la commenter ainsi: Que Julien Gracq parle de mlancolie, cela suffit de toutes faons ce que ceux de notre gnration se mani-festent et proposent quelques actions, au moins symboliques, contre cette dispersion marchande (7/1/2003). Ainsi Franois Bon dfend une position qui correspond celle formule par Breton la fin du Premier et du Deuxime Manifeste. Quand Breton se rsume ainsi dans le Premier Manifeste: Ce monde dans lequel je subis ce que je subis (ny allez pas voir), ce monde moderne, enfin, diable! Que voulez-vous que jy fasse? La voix surraliste se taira peut-tre, je nen suis plus compter mes disparitions (I, 345), il fait un procs au monde moderne en sachant pertinemment que le projet surraliste ny survivra pas. Et quand, dans la dernire phrase du Deuxime Mani-feste, il crit de manire encore plus tragique: un jour vaincu mais vaincu seulement si le monde est le monde il [le surralisme] ac-cueille la dcharge de ses tristes fusils comme un feu de salve (I, 828). Le Ainsi va le monde signifie pour Breton aussi peu quil faille abandonner le projet surraliste que le fait de savoir que le combat contre la vente du refuge contre tout le machinal du monde tait perdu davance aurait signifi pour Franois Bon et les signatai-

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    res de renoncer lancer leur appel. Si le surralisme incarne vrita-blement et aujourdhui encore le sens mme de la littrature, le silence vis--vis dune telle vente nest pas de mise. Pour Bon et les autres, la protestation provient dun projet auquel ils tiennent et elle est un tmoignage que le surralisme est encore quelque chose comme un fantme majeur de la littrature ou du moins pour une certaine littrature contemporaine.

    *

    Les phases du mouvement de protestation contre la vente aux enchres pourraient faire le sujet dun colloque particulier. En mettant aux en-chres Breton et le surralisme, on enterre de manire spectaculaire et semble-t-il dfinitive limpetus anti-institutionnel de ce mouvement. Au dbut du XXIe sicle, le surralisme dj devenu historique grce au discours thorique qui le prolonge, va ainsi se retrouver sur le devant de la scne. Ses illusions dabolir les frontires entre lart et la littrature en direction de la vie se retrouvent sous le marteau dun matre priseur institutionnel. Le problme du discours sur la vente consiste dans le fait quil faut trouver des solutions lintrieur des possibilits institutionnelles, ce qui signifie, tant donn le march priv de lart, lintrieur des structures nationales; et ainsi on se fait accuser dexclusivit nationale, mais aussi de nationalisation et de musification, mme si les noms des membres du Comit de vigi-lance, comme Alain Absire (en tant que Prsident de la Socit des gens de Lettres), Michel Deguy, Jacques Derrida, Alain Jouffroy ou Andr Velter apportent en fait un dmenti aux intentions ou tentations dinstitutionnaliser le mouvement contre la vente. Il semble cependant que rien ne puisse marcher sans un tel comit.

    Mais ce qui est plus intressant que ces structures, ce sont les pri-ses de position personnelles. Il en est venu de la part de politiciens, dcrivains, de lectrices et de lecteurs, de syndicalistes, de biblioth-caires, dtudiantes ou dtudiants, comme de la part des participants du sminaire de Hans T. Siepe (24/11/2003). Aux yeux de Maurice Nadeau pour qui le surralisme est devenu historique ds 1945, le fin mot de lhistoire de la vente aux enchres apporte un dmenti tout ce que le surralisme voulait tre: On ne pensait tout de mme pas que cela finirait comme a (19/1/2003, mais aussi 15/12/2002). Et si Yves Bonnefoy nest pas trop tonn de la vulgarit de lentreprise, il y voit surtout la ralisation dune intention idologique: Ce que veut le plus la spculation commerciale, cest radiquer jusquau sou-

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    venir de tout ce qui est aimant et libre (Le Monde, 4/2/2003), ce qui veut dire que linstitution de lart et de la littrature ne peut accepter que ses frontires soient remises en question mme lintrieur dune collection prive quil caractrise ainsi: Cette collection, mais faut-il la nommer ainsi? tait de ce fait la posie, radicalement. Cest comme posie ainsi dfinie que la collection du 42, rue Fontaine re-prsente un avant-got de ce que serait labolition des frontires entre lart et la vie, en rduit et aussi en priv: une communaut vivante dans le miroir courbe de laquelle se dessinait la socit laquelle Breton rvait pour lavenir (ib.). Ce qui devait arriver cette collec-tion, et ce qui est en effet arriv, cest, comme laffirme Bonnefoy, la preuve par labsurde que Breton avait raison, en tous cas souvent (ib.). Et pour Andr Velter qui a fait le discours douverture du prin-temps des potes le 10 mars 2003 la Mutualit, il se dgageait de cette collection une tension violente qui se donnait demble pour la porte daccs au merveilleux. Donc pour lui aussi, cette collection, parce quelle reprsente le surralisme vcu, abolit les frontires entre lart et la vie et cest pour cela quil a en tte avec la Rcriture dApollinaire la fin tu es las de ce monde nouveau car ce nouveau monde ne tient pas les promesses auxquelles Apollinaire pouvait en-core croire dans Zone. Des crivains et des potes comme Bonnefoy et Velter attestent ainsi que le projet surraliste est toujours dactualit et peut-tre la preuve par labsurde que Breton avait raison est-elle la meilleure preuve que le surralisme reprsente encore ou nouveau un des fantmes majeurs de notre poque et que le temps que les surralistes avaient raison est peut-tre encore lordre du jour. Le critique dart du Monde, Philippe Dagen aboutit la mme conclu-sion. Aprs avoir montr le risque dtre perverti pour devenir une simple mode, comme le font craindre les expositions sur le surra-lisme de Paris et de Dsseldorf, celle de la Modern Tate ou lexposition Magritte au jeu de Paume, il insiste pourtant sur le carac-tre historique exceptionnel du surralisme (et du dadasme) et de son actualit: Breton, Picasso, Magritte, Miro, Ernst, Picabia sont [...] dexcellents stimulateurs, auxquels bien des artistes daujourdhui peintres, photographes, cinastes se rfrent, non pour les imiter, mais pour se dgager de la pesanteur actuelle (21/2/2003). Dagen voit bien sr que le combat est perdu face lalternative rserve la collection: ou bien elle sera commercialise ou bien elle sera musifi. Mais le mouvement mis en marche par cette vente est pour lui lindice de la vitalit du surralisme: La passion quelle [la collection] suscite a, pour lheure, quelque chose de rconfortant: lalination et lamn-

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    sie nont pas gagn la partie. Pas encore. Ici aussi, les circonstances de la Vente Breton fournissent une preuve par labsurde et mon-trent, par la vente de ce patrimoine concret, combien le surralisme reste dactualit et comporte encore de potentiel de provocation.

    Ce nest pas un hasard si les responsables du forum Internet pu-blient aussi des textes historiques comme par ex. lAdieu Bre-ton, le discours ncrologique de Blanchot: Le Demain joueur (dabord dans NRF n 172, avril 1967). Ds 1949 Blanchot dans ses Rflexions sur le surralisme, avait constat une omniprsence du surralisme, invisible pour beaucoup: Cest quil nest plus ici ou l, il est partout. Cest un fantme, une brillante hantise (Blanchot 1993: 90). On pourrait y voir une ignorance rtrograde de ce qui a vrita-blement marqu laprs-guerre, cest--dire lexistentialisme et, plus tard, le Nouveau Roman; toutefois Blanchot, prs de 20 ans plus tard, montre dans son discours pourquoi le surralisme vit encore, et ceci semble actuel encore en 2003:

    Le surralisme fut unique en Breton, dans la mesure o celui-ci le produisit au jour, lui prta la vrit passionne dune existence, le fit commencer sans origine, dune manire vivante [...] En ce sens seulement, le surralisme est un phnomne dpoque. Par lui, quelque chose sest interrompu. Il y eut un hiatus, une csure dhistoire: le dsarrangement en tout sens, le dsarroi, que la ngation est incapa-ble de dfinir [...] et qui cependant ne saccorde avec aucune affirmation prte devenir loi, institution, fermet profrable. (27/2/2003)

    *

    Si les organisateurs de la protestation contre la vente Breton se sont identifis avec ce texte de Blanchot, il sagissait de parer au reproche qui nallait pas manquer de leur tre fait, celui de rendre un mauvais service Breton et au surralisme en les enterrant dans un muse. Mme sil est vrai, comme il est formul dans le premier appel, que la maison et la collection de Breton reprsentent, comme celle de Victor Hugo pour le XIXe sicle un grand lieu du XXe sicle [...] une cra-tion artistique en soi, il ne sagissait pas de viser crer une maison Andr Breton, rue Fontaine ou ailleurs. Danciens surralistes comme Franois-Ren Simon reprochent laction de contribuer, quelle le veuille ou non, faire une dgradation du surralisme en monument institutionnel (18/1/2002) de sorte que Franois Bon se voit oblig de rpondre On va avoir mener une action politique [...] pour que les institutions publiques aient une relle action de premp-tion [...] et non pas pour proposer une simple momification musogra-phique [...] mais un geste novateur quant la mmoire du surralisme

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    et ce quil symbolise (18/1/2003). Mais ce qui demeure, et que mme largumentation de Bon ne peut effacer, cest que toute tentative de sauvetage est dpendante des institutions publiques sans parler de la prsentation de la collection qui se situera ncessairement dans un cadre institutionnel.

    La proposition sans doute la plus intressante vient dEdgar Morin, et il lavait dj prsente au Prsident Mitterrand dans les annes 1980, sans que cela soulve un grand intrt. Comme on sait, ce der-nier privilgiait ses Grands Projets lui. Le 17/4/2003, donc trop tard pour un effet concret, Morin publie dans Le Monde un article intitul Pour un palais du surralisme dans lequel il dit:

    Quel beau palais que celui o lon pourrait contempler peintures et sculptures, o lon pourrait consulter revues, pomes et livres, o lon pourrait voir et revoir des films, o se rgnrerait pour chaque visiteur lardent message, o lon pourrait puiser lencouragement ne pas subir le dferlement de prose que produit notre civilisation, dont le surralisme est le meilleur antidote.

    Le charme de cette ide provient de la ressemblance du palais avec le chteau du Premier Manifeste dans lequel Breton rassemble les surralistes et le surralisme. Et de la mme faon quon pouvait faire Breton, cause de son chteau, le reproche de faire un mensonge potique, chacun sen ira rptant que jhabite rue Fontaine et quil ne boira pas de cette eau, Morin pourrait rpondre avec le Breton du Premier Manifeste: Mais ce chteau dont je lui fais les honneurs, est-il sr que ce soit une image? Si ce palais [!] existait pourtant! [...] Cest vraiment notre fantaisie que nous vivons, quand nous y vi-vions (I, 322). Morin sait probablement pourquoi il lance si tard, trop tard, cet appel reconstruire le chteau. Ce quil dsigne comme tant lvnement le plus important du XXe sicle dans lordre de lesprit, trouverait dans un tel palais un honneur sa mesure, mais il devrait en mme temps le craindre. Le chteau de Breton est imaginaire, cest pourquoi il peut tre prsent encore aujourdhui, et il semble que ce soit un tel palais que Morin souhaite pour le surra-lisme, un palais imaginaire et en mme temps rel; sa virtualit fait peut-tre plus sens que sa ralit ne le ferait.

    Dans le palais de Morin comme dans le chteau de Breton, le surralisme est cens vivre mais, comme le montre la citation du Ma-nifeste, grce au mensonge potique, il hante plus le lieu quil ny habite. Dans cette mesure, il nest pas surprenant que Breton rappa-raisse en personnification fantomatique du surralisme. Dans son dition du 4/3/2003, Libration publie un dialogue entre le revenant

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    Andr Breton et le Ministre de la Culture sous le titre: La voix des spectres. Malheureusement, le fan-tme de Breton na rien dtrange (unheimlich) tant il apparat en porte-parole des opposants la vente aux enchres et les lieux communs du sur-ralisme sont trop visi-blement instrumentaliss pour quune situation la Hamlet puisse en sortir: Encore que nous nous r-pugnions porter tmoi-gnage, comme tant croient pouvoir le faire, au procs que le monde rel intente cette part de rve qui em-brase nos crpuscules, il ne nous a pas sembl outre-cuidant de vous demander raison dun comportement dlibrment dmissionnai-re (4/3/2003). Grce de telles invectives, auxquelles le ministre de lpoque, Aillagon, rpond avec la langue de bois du discours officiel, le ct fantoma-tique de la situation se trouve toutefois un peu mieux mis en valeur, cest--dire que le surralisme doit tre refoul ou mieux encore limin pour de-venir le reprsentant du surnatur- surnaturel: Vous poursuivez avec une haine secrte les traces gnantes

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    dun sicle rebelle [...] il vous fallait [...] boucher la moindre fuite par laquelle pourrait fuser un rve [...] (ib.).

    *

    Pour Breton, les fantmes et les apparitions font partie de larsenal du surralisme. Non seulement ils figurent dans le Dictionnaire abrg du surralisme (avec un texte de Salvador Dal) mais ils traversent galement luvre de Breton. Ceci vaut autant pour le premier texte du Poisson soluble (Le fantme entre sur la pointe de pieds) (I, 349) que pour lapparition au dbut de Nadja (la reprsentation que jai du fantme avec ce quil offre de conventionnel aussi bien dans son aspect que dans son aveugle soumission certaines contingences dheure et de lieu vont avant tout, pour moi, comme image finie dun tourment qui peut tre ternel (I, 647). Quand Breton met en qui-valence sa propre vie avec celle dun fantme, il se peut bien que lanamnse qui le conduisit cela (essayer de connatre ce que je de-vrais fort bien reconnatre) soit aussi celle de notre prsent post avant-gardiste ou postmoderne, en ce qui concerne le surralisme. Dans ce contexte, Jacques Derrida sinspire, dans les Spectres de Marx de ltrange (unheimlich) chez Freud. Freud parle, au sujet des apparitions des esprits et des fantmes dexemple peut-tre le plus fort de ltrange, et ici ltrange et le familier se fondent car ltrange nest vraiment pas ce qui est nouveau ou tranger, cest au contraire quelque chose de trs familier la vie de lme, devenu tranger par le seul processus de refoulement (Freud 2000: 264). Derrida ne considre pas cet exemple fort quest lapparition seule-ment comme un exemple tout fait particulier: Et si ctait la chose mme, la cause de cela mme quon recherche et qui fait chercher? La cause du savoir et de la recherche, le motif de lhistoire ou de lpistm? (Derrida 1993: 275). Et il dconstruit la constellation o cela apparat, dpassant magistralement les Spectres de Marx: Or tout a, cela dont nous avons chou dire quoi que ce soit logique-ment dterminable, cela qui vient si difficilement au langage, cela qui semble ne rien vouloir dire, cela qui met en droute notre vouloir-dire, nous faisant rgulirement parler depuis le lieu o nous ne voulons rien dire, o nous savons clairement que ce que nous ne voulons pas dire mais ne savons pas ce que nous voudrions dire, comme si cela ntait plus ni de lordre du savoir ni de lordre du vouloir ou du vou-loir-dire, eh bien cela revient, cela fait retour, cela insiste dans lurgence, et cela donne penser, mais cela, qui est chaque fois irr-

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    sistible, assez singulier pour engendrer autant dangoisse que lavenir et la mort, cela relve moins dun automatisme de rptition (celui des automates qui tournent devant nous depuis longtemps) quil ne nous donne penser tout cela, tout autre, dont relve une compulsion de rptition: que tout autre est tout autre (Derrida 1993: 273). Et cest justement cela qui, pour Derrida, est la situation du marxisme, juste au moment (1993) o le monde entier saccorde pour constater son chec: Marx na pas encore t reu. Le sous-titre de cette adresse aurait donc pu tre: Marx das Unheimliche (Derrida 1993: 276) et il reproche Marx davoir, dans LIdologie allemande, fait une chasse sans relche aux fantmes (en particulier dans les parties ddies Sankt Max Stirner; Die Besessenen (Unreine Geisterge-schichte)) (Marx / Engels 1973: 136-146) et il voit le marxisme nouveau dans la situation du Manifeste du parti communiste, celle dun fantme donc. Est-ce que ceci ne serait pas la situation actuelle du surralisme un moment o le monde entier saccorde pour cons-tater son chec, que celui-ci soit post-moderne ou post-critique et nostalgique? Le surralisme nest-il pas aussi cela qui semble ne rien vouloir dire, cela qui met en droute notre vouloir dire, [] cela [qui] revient, cela [qui] fait retour? Pour Derrida, Marx reprsente ltrange prsent-absent parce quil fait partie dun, ou de notre time out of joint la Hamlet: On simagine laborieusement, douloureu-sement, tragiquement, une nouvelle pense des frontires, une nou-velle exprience de la maison, du chez soi et de lconomie (Derrida 1993: 276/77). Si cest cela qui est la situation sociale, conomique, idologique de notre temps, alors on peut dire que Breton et le surra-lisme y constituent sans aucun doute un fantme majeur pour linstitution de lart et de la littrature, ils sont ce tout autre qui continue aujourdhui encore de confronter linstitution avec son trange, quelque chose de trs familier (chez Freud), et dans ce cas il sagit du dbut du XXe sicle rvolutionnaire, devenu tranger au prsent par suite de maints processus de refoulement institutionnel (industrie de la culture, mdiatisation, virtualisation). Si le surralisme a voulu effacer ou mme abolir les frontires entre lart et la vie, son projet reste malgr tous ces processus de distanciation, un dfi per-manent pour linstitution de lart. Si le surralisme veut rendre per-mables les frontires tablies entre lart et la vie, voire les dissoudre, ce programme reste malgr tous les procds de commercialisation intervenus depuis un challenge pour linstitution artistique et littraire, et pour cette commercialisation gnralise, contre laquelle au cours des actions autour de la vente de la collection Breton fut protest in-

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    lassablement; la conception mme du surralisme reprsente une pro-vocation quon refoule volontiers comme anachronique.

    Malheureusement, les protestations, surtout de la part dinterve-nants institutionnels, donc du ct universitaire, politique, biblioth-caire, musal etc., se servent souvent darguments comme celui de la sauvegarde du patrimoine national, qui sont en contradiction avec la pense surraliste, dans ce cas son internationalisme dclar. La col-lection de Breton ne peut pas et ne doit pas tre musifie. On dit que Heiner Mller a dclar que la fin de la perspective socialiste en Russie avait commenc avec la dcision dembaumer Lnine, et avec le transfert de la collection Breton dans un muse, on domestiquerait de la mme manire le caractre spcifique du surralisme, qui repr-sente un dmenti vis--vis de toute conception traditionnelle de la culture; ce caractre serait dtruit par la vente prvue. Peut-tre un Palais du surralisme comme un phalanstre du XXe sicle aurait-il pu devenir le lieu dune utopie concrte, invitablement institutionna-lise mais malgr le Livre des Passages un phalanstre du XIXe sicle nexiste pas non plus. Le surralisme reste donc expos au di-lemme que Paul Mann, sous le titre du chapitre Night of the living Death dcrit de la manire suivante: Nevertheless even as discourse absorbs and annihilates the avant-garde precisely by historicising it [...] something like the avant-garde continues to be produced and de-fended. Ghostly apparitions keep appearing (Mann 1991: 40/41).

    *

    Le dbat public autour de la Vente Breton offre lavantage que le spectre du surralisme, au moins pour un certain temps, fait (de nou-veau) tant dapparitions en France, que nombre de gens se voient obli-gs de se confronter avec son tranget (unheimlich) et de dclarer celle-ci comme tant une ncessit pour notre poque. Si ce sont avant tout de jeunes crivains qui ont lanc cette campagne, ce nest pas parce quils auraient lillusion de pouvoir rellement empcher cette vente. Eux aussi savent (videmment), que le surralisme vivant de la collection et de lappartement de Breton peut tre dissolu et dtruit, mais avec une telle action, ltrange (unheimlich) du surralisme ne peut tre dfinitivement refoul, il reste plutt, et peut-tre de manire obsessionnelle, plus prsent que jamais. Si ces jeunes crivains se r-frent individuellement au surralisme, cest parce quil visait changer la vie, et cest cette intention qui en a fait ce basculement fondamental [] qui fonde notre travail, chacun, et donne poids

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    qui aujourdhui scrit (8/1/2003). Ce qui donne son unit toutes ces dclarations, cest une attente sans horizon dattente (Derrida 1993: 267), cest, comme Peter Brger commente juste titre Derrida: lvnement immdiat qui se dplace constamment, sur lequel se di-rige lattente des surralistes (Brger 2000: 167). Le projet ou la promesse du surralisme reprsentent un tel vnement, dont lattente pour nombre dauteurs et de lecteurs daujourdhui semble encore ou de nouveau quelque chose laquelle on ne veut pas renoncer: et cause de cette attente, le spectre du surralisme dambule peut tre encore en Europe.

    Bibliographie Barck, Karlheinz e.a. (ds.). 2000. sthetische Grundbegriffe. 7 vol. Stuttgart, Wei-

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