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101 LE XVIII e SIÈCLE Baroque tardif, rocaille ou rococo ? Répondre à la question posée dans le titre de ce nouveau chapitre est une tâche relativement difficile, d’autant plus que certains auteurs utilisent les termes baroque tardif et rococo comme synonymes, alors que d’autres estiment que rocaille et rococo sont interchangeables. La filiation entre le baroque et la nouvelle esthétique qui lui succède étant incontestable, il faut tout de même considérer le rocaille et le rococo comme des manifestations artistiques indépendantes et distinctes entre elles. Le terme rocaille désigne un style ornemental bien français qui naît à la fin du règne de Louis XIV, se développe sous la régence de Philippe d’Orléans et atteint son apogée à l’époque du règne de Louis XV. À l’origine, il définit un type de décoration faite de petits cailloux et de coquillages qui ornent – dans les jardins – les grottes, les rochers et les fontaines. Très tôt, ce nouveau style gagne le reste de l’Europe. Le décor rocaille est, selon les experts, l’une des sources du rococo. Ce mot est expliqué, dans le dictionnaire Le Petit Robert, comme une formation plaisante d’après le mot rocaille. Il est possible que le terme résulte de l’association du mot français rocaille et du mot portugais barroco (baroque). Pendant un certain temps, il est ressenti comme étant péjoratif, mais vers le milieu du XIX e siècle, les historiens de l’art l’adoptent et, depuis, il est employé pour désigner ce style décoratif et artistique, mais également un véritable style de vie, dont la domination en France se termine dans les années 60-70 du XVIII e siècle. L’art du XVIII e siècle est très différent de celui du siècle précédent, parce qu’il ne s’adresse pas au même public et parce que les mœurs ont changé. De nouvelles classes

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LLEE XXVVIIIIIIee SSIIÈÈCCLLEE

BBaarrooqquuee ttaarrddiiff,, rrooccaaiillllee oouu rrooccooccoo ?? Répondre à la question posée dans le titre de ce nouveau

chapitre est une tâche relativement difficile, d’autant plus

que certains auteurs utilisent les termes baroque tardif et

rococo comme synonymes, alors que d’autres estiment que

rocaille et rococo sont interchangeables. La filiation entre

le baroque et la nouvelle esthétique qui lui succède étant

incontestable, il faut tout de même considérer le rocaille et

le rococo comme des manifestations artistiques indépendantes

et distinctes entre elles.

Le terme rocaille désigne un style ornemental bien

français qui naît à la fin du règne de Louis XIV, se développe

sous la régence de Philippe d’Orléans et atteint son apogée à

l’époque du règne de Louis XV. À l’origine, il définit un type

de décoration faite de petits cailloux et de coquillages qui

ornent – dans les jardins – les grottes, les rochers et les

fontaines. Très tôt, ce nouveau style gagne le reste de

l’Europe. Le décor rocaille est, selon les experts, l’une des

sources du rococo. Ce mot est expliqué, dans le dictionnaire

Le Petit Robert, comme une formation plaisante d’après le mot

rocaille. Il est possible que le terme résulte de

l’association du mot français rocaille et du mot portugais

barroco (baroque). Pendant un certain temps, il est ressenti

comme étant péjoratif, mais vers le milieu du XIXe siècle, les

historiens de l’art l’adoptent et, depuis, il est employé pour

désigner ce style décoratif et artistique, mais également un

véritable style de vie, dont la domination en France se

termine dans les années 60-70 du XVIIIe siècle.

L’art du XVIIIe siècle est très différent de celui du

siècle précédent, parce qu’il ne s’adresse pas au même public

et parce que les mœurs ont changé. De nouvelles classes

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sociales, issues de la robe et de la haute finance, font leur

apparition sur scène. La bourgeoisie, par le biais de

mariages, réussit à pénétrer dans l’aristocratie. Dans les

salons parisiens, dont les plus célèbres sont tenus par des

femmes exceptionnelles, Madame Geoffrin ou Madame du Deffand,

se retrouvent les auteurs contemporains, les parlementaires de

renom, l’aristocratie éclairée et les étrangers attirés par

l’aura culturelle et intellectuelle française. Il faut

souligner que c’est la France qui donne le ton en Europe au

XVIIIe siècle.

Sous Louis XIV, les artistes ont travaillé surtout pour

Versailles et leur art reflétait le goût du roi. Mais dès la

fin du règne de Louis XIV, le nombre des amateurs d’art –

grands seigneurs et riches bourgeois de Paris – a augmenté

considérablement. Dans les œuvres des artistes, à la majesté

noble mais un peu compassée du baroque et du classicisme

s’opposent la grâce simple et la fantaisie du nouveau siècle.

L’atmospère raffinée et intellectuelle des salons et des

hôtels particuliers se substitue à la grandeur, au faste, au

caractère solennel de Versailles, qui n’est plus le centre de

la vie mondaine. Aux grandes salles solennelles on préfère des

pièces aux dimensions plus humaines ; dans les hôtels

particuliers apparaissent de petits salons, des cabinets de

travail, des boudoirs. Le décor y étant très important, la

peinture et la sculpture s’adaptent aux dimensions des

appartements, à leur intimité.

Sous Louis XV, chaque homme de goût désire posséder une

collection de tableaux ou de dessins. L’Académie royale de

peinture et de sculpture organise des expositions officielles

d’œuvres d’art, elle en fait la sélection tout en donnant la

priorité aux sujets historiques et mythologiques dans la

peinture. La nature morte et le paysage sont considérés comme

des genres mineurs. Les expositions, appelés salons, parce

qu’elles se tenaient, depuis 1725, dans le Salon carré du

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Louvre, contribuent à éduquer le goût du public. C’est alors

qu’apparaît un genre littéraire inconnu jusque-là : la

critique d’art. Sa création est attribuée à Diderot qui

rédigeait des comptes-rendus de ces expositions. Les fouilles

en Toscane, qui dès 1740 font connaître l’art des Étrusques,

puis la découverte d’Herculanum et de Pompéi, ravivent

l’attrait pour l’Antiquité.

Comme nous l’avons déjà dit, les styles rocaille et

rococo s’affirmaient avant tout dans les décorations, riches

et fantaisistes, d’intérieurs. Les artistes développent des

motifs floraux, exotiques (chinoiseries30 en particulier), des

fresques en trompe-l’œil, des arabesques. Les pièces des

hôtels particuliers, comme par exemple celles de l’hôtel de

Soubise, de l’hôtel de Rohan ou de l’hôtel de Sully, tous les

trois à Paris, deviennent de véritables ateliers de peintres,

de décorateurs, d’ébénistes et autres artistes et artisans.

78) Hôtel de Soubise : salon de la princesse.

L’architecture de l’époque reste fidèle au classicisme,

seuls quelques éléments de décoration – grilles et garde-corps

en fer forgé, têtes sculptées agrémentant les façades, petits

balcons arrondis et lampadaires – donnent une touche rococo

aux édifices. L’un des exemples représentatifs de

30 Les chinoiseries, très à la mode à l’époque du rococo, sont en général des objets d’art

provenant d’Extrême Orient, soit des objets de décoration – porcelaine, panneaux de boiserie,

de soierie, de laque – qui imitent le style oriental.

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l’architecture rococo en France est la place Stanislas de

Nancy (fig. 79), aménagée par l’architecte Emmanuel Héré.

79)

Le trait caractéristique de la peinture, ce sont avant

tout les couleurs pastels qui conviennent mieux aux thèmes

représentés parmi lesquels les plus fréquentes sont des scènes

pastorales, des scènes d’amour, parfois légèrement érotiques,

des scènes de la vie quotidienne et intime, des corps dénudés

sur un fond peuplé de chérubins et autres symboles de l’amour.

Le paysage, souvent mythologique, la campagne, mais également

les intérieurs servent de cadre à ces scènes raffinées. Le

portrait, qu’il soit d’une personne ou de famille – les deux

très en vogue – est un genre privilégié au XVIIIe siècle. De

nouveaux genres sont créés, comme la fête galante, terme

inventé pour qualifier la peinture de Watteau et la pastorale

que l’on doit à Boucher.

Le premier grand peintre rococo qui a eu une influence

déterminante sur ses contemporains, surtout Boucher et

Fragonard, est Antoine Watteau (1684-1721). Dans l’ambiance

d’une société raffinée, il développe son art des scènes de

comédie et surtout des « fêtes galantes » , genre créé par lui

et dont le Pèlerinage à l’île de Cythère (au Louvre) est le

chef d’œuvre. Après la présentation de ce tableau, Watteau est

reçu officiellement à l’Académie royale de peinture et de

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sculpture en 1717. Le thème de Cythère, île de l’amour, se

trouve dans plusieurs ballets et opéras du XVIIIe siècle, comme

le sont, entre autres, les œuvres de Jean-Philippe Rameau31.

Plusieurs hypothèses sont émises sur le sujet exact et la

destination de sa peinture, intitulée Gilles. Dans l’œuvre de

Watteau, c’est une peinture exceptionnelle de par son ampleur

monumentale. S’agit-il d’une enseigne pour l’ouverture du

nouveau théâtre de la foire Saint-Laurent en 1721 ou bien pour

les parades32 écrites par Gueullette à l’intention des forains

et intitulées Éducation de Gilles, ou encore d’une enseigne

pour le café ouvert par un ancien comédien, Belloni, en 1718 ?

Quoi qu’il en soit, tous les critiques s’accordent pour

souligner le caractère à la fois symbolique et personnel de ce

portrait idéalisé du Pierrot, du comédien (certains

reconnaissent même dans le Gilles un autoportrait transposé de

Watteau).

80) Antoine Watteau : Pèlerinage à l’île de Cythère.

François Boucher (1703-1770) est peintre, dessinateur,

graveur et décorateur. Madame de Pompadour, qui le protège,

joue un rôle important dans sa carrière. Boucher est le

peintre préféré de Louis XV. Il peint notamment des scènes

31 Jean-Philippe Rameau (1683-1764) est un compositeur français et un théoricien de la musique.

Auteur lyrique, il cultive en particulier le genre de l’opéra-ballet et compose de la musique

pour clavecin. Son œuvre la plus célèbre date de 1735, il s’agit de l’opéra-ballet Les Indes

galantes.

32 Les parades sont des scènes burlesques jouées à la porte d’un théâtre forain pour attirer du

monde.

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pastorales ou mythologiques qui constituent l’essentiel de son

œuvre. Il coopère avec les manufactures royales de tapisserie,

celle de Beauvais et les Gobelins de Paris, ainsi qu’avec la

manufacture de porcelaine à Sèvres, auxquelles il donne de

nombreux cartons, modèles et dessins d’ornements. Il réalise

des décors pour le théâtre et l’opéra, comme par exemple pour

les Indes galantes de Rameau ou encore pour Atys de Lully.

Boucher s’est également distingué comme décorateur des

intérieurs. Il a décoré, entre autres, le plafond de la

chambre de la reine et l’appartement du Dauphin à Versailles,

la salle à manger à Fontainebleau et l’hôtel de Soubise à

Paris. Il s’illustre aussi comme portraitiste (portrait de

Madame de Pompadour, conservé à Munich) et peintre de scènes

intimes. Son Déjeuner du matin, exposé au Louvre, est une

scène d’intimité bourgeoise, assez rare dans l’œuvre de

Boucher, dans laquelle on reconnaît l’épouse du peintre qui

avait alors 26 ans et ses deux premiers enfants. Le cadre,

précieux témoin d’un intérieur rocaille, évoque sans doute

l’appartement même du peintre. Il existe plusieurs dessins

préparatoires pour ce tableau, notamment une belle étude pour

le jeune homme servant le chocolat qui est conservée à l’Art

Institute de Chicago. Par la richesse et la variété de ses

œuvres, Boucher est, en quelque sorte, pour le XVIIIe siècle ce

que fut Le Brun pour le XVIIe.

81) François Boucher : Déjeuner du matin.

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Un autre grand peintre du XVIIIe siècle, Jean-Honoré

Fragonard (1732-1806) a, lui aussi, laissé à la postérité une

œuvre extrêmement riche du point de vue de sa thématique. Son

œuvre est marquée par des séjours en Italie où il étudie les

travaux des représentants du baroque, et également par les

peintres hollandais qu’il découvre pendant son voyage aux

Pays-Bas. En France, c’est avant tout Boucher qui l’influence.

Dans ses premiers tableaux, Fragonard développe le sujet

galant, mais ses couleurs sont beaucoup plus vives, plus

brillantes que celles de Watteau par exemple. Après 1767, il

travaille presque exclusivement pour une clientèle privée ce

qui le libère des contraintes de l’art officiel et lui permet

de se consacrer aux sujets sensuels, imprégnés d’une légère

touche érotique. Cette liberté se manifeste de même dans sa

technique picturale qui annonce, en quelque sorte,

l’impressionnisme du XIXe siècle. Certains de ses tableaux

rappellent ceux de Renoir, qui d’ailleurs aimait beaucoup la

peinture de son illustre prédécesseur. Le tableau de

Fragonard, Les Baigneuses, conservé au Louvre, est un bel

exemple de peinture érotique dans laquelle les figures nues

évoquent celles de Boucher mais font également penser aux nus

de Rubens33. Dans l’œuvre de Fragonard, une place importante

est réservée aux scènes qui se déroulent en plein air, dans

les parcs et les jardins. Le paysage y prend progressivement

de l’importance. Ainsi devient-il l’un des plus grands

paysagistes français du XVIIIe siècle. Dans La Bascule,

L’Escarpolette ou La Balançoire, on observe la gaieté, la joie

de vivre et la tendresse des personnages peints avec des

couleurs lumineuses.

33 Le Flamand, Pierre Paul Rubens (1577-1670) est l’un des plus grands représentants de la

peinture baroque. Le Musée du Louvre abrite, entre autres, son Cycle de Marie de Médicis que

la reine de France lui a commandé en 1621.

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82) La Liseuse de Fragonard.

En France, le XVIIIe siècle est celui de la sculpture. La

renommée des artistes français s’étend alors hors de

l’Hexagone. Houdon fait un voyage aux États-Unis ; sa Diane

est achetée par l’impératrice de Russie. Le Mercure de Pigalle

orne l’un des châteaux de Frédéric II de Prusse. Falconnet est

l’auteur de la statue de Pierre le Grand à Saint-Pétersbourg.

Les sculpteurs restent fidèles à l’art du portrait, à la

tradition antiquisante des sujets mythologiques. Ils

inaugurent un nouveau style, celui des petites sculptures

destinées à charmer par leur grâce et leur délicatesse, comme

par exemple les statuettes de Pigalle L’Enfant à la cage ou La

Fillette à l’oiseau et à la pomme.

Le premier des représentants de la sculpture du XVIIIe

siècle que nous allons présenter est Guillaume Coustou (1677-

1746). Il vient d’une célèbre famille de sculpteurs (frère de

Nicolas et père de Guillaume) qui est apparentée à Coysevox,

l’un des maîtres du baroque français. Guillaume Coustou se

forme dans l’atelier de son oncle Antoine Coysevox, puis à

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l’Académie de France à Rome. Après son retour en France, il

réalise, au château de Marly, plusieurs grandes œuvres, parmi

lesquelles les fameux Chevaux, placés place de la Concorde, à

l’entrée de l’avenue des Champs-Élysées. Aujourd’hui, ce sont

des copies, les originaux étant exposés dans la grande cour de

l’aile Richelieu du Louvre. Les deux groupes identiques

représentent des chevaux, se cabrant dans un mouvement

fougueux, tenus en bride par leurs palfreniers. Pour le

château de Marly, Coustou sculpte d’autres œuvres : Diane à la

biche qui est de nos jours installée au jardin des Tuileries,

Daphé poursuivie par Apollon ou encore Hippomène, les deux

dernières se trouvant au Louvre. L’Hôtel des Invalides abrite

son Louis XIV équestre en costume romain entre la Justice et

la Prudence, sa Minerve, sa Tête d’Hercule. Dans la cathédrale

de Notre-Dame de Paris, sa sculpture Louis XIII à genoux,

offrant son sceptre et sa couronne à la Vierge est placée à

côté de la Descente de la croix de son frère Nicolas Coustou.

83 Les Chevaux de Marly (Guillaume Coustou).

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Élève de Guillaume Coustou, Edmé (ou Edme) Bouchardon

(1698-1762) a, lui aussi, séjourné à l’Académie de France à

Rome où il présente un projet pour la fontaine de Trévi34.

À son retour de Rome, il est nommé sculpteur du roi et plus

tard, il devient membre de l’Académie. Cet artiste officiel de

goût classique et réaliste est l’auteur de la statue équestre

de Louis XV, destinée à orner la place du même nom. Terminée

par Pigalle, la statue est détruite pendant la Révolution de

1789. Les chefs-d’œuvre de l’Antiquité, que Bouchardon

découvre lors de son séjour à Rome, l’inspirent à réaliser le

buste de Charles-Frédéric de la Tour du Pin, en marbre blanc,

(vendu en 2012 pour 3,75 millions d’euros !). Au Musée

Jacquemart-André à Paris, un autre buste du même marquis est

exposé. Il est créé en terre cuite, traité comme le buste d’un

sénateur romain, mais le visage garde tout son naturel. Deux

statues de Bouchardon, la Mère de douleurs et le Christ à la

colonne sont adossées aux piliers du chœur de l’église

parisienne Saint-Sulpice. Rue Grenelle, dans le 7e

arrondissement de Paris, un monument commémoratif en l’honneur

de Louis XV est érigé. Il s’agit de la monumentale fontaine

des Quatre-Saisons dont le décor est entièrement sculpté par

Bouchardon. Avec cette œuvre, il a peut-être réalisé son

rêve : s’il n’a pas pu créer une fontaine à Rome, il a réussi

à en faire une à Paris. Ayant l’aspect d’une façade d’un

palais de style classique, la fontaine des Quatre-Saisons a un

trait commun avec sa « sœur » romaine qui est adossée à un

palais, et qui forme ainsi une sorte de façade.

34 Le pape Clément II confie, en 1732, la réalisation de la célèbre fontaine de Trévi à Niccolò

Salvi (1697-1751), sculpteur et architecte italien.

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84) Bouchardon : Cupidon.

Jean-Baptiste Pigalle (1704-1785) pratique un art

équilibré entre le baroquisme et la tradition classique. Lui

aussi passe quelques années à Rome, qui est une étape presque

obligée dans l’apprentissage des nombreux artistes français.

En 1741, grâce à la statue en terre cuite Mercure attachant

ses talonnières, il est admis à l’Académie royale des Beaux-

Arts.

85) Mercure attachant ses talonnières.

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Il devient alors le protégé de Madame de Pompadour, ce qui lui

assure un grand nombre de commandes. Son Enfant à la cage

(Louvre), marbre représentant un charmant bambin, lui vaut un

succès considérable. Pigalle exécute plusieurs sculptures à

caractère religieux. L’église Saint-Eustache à Paris abrite sa

Vierge à l’Enfant Jésus et dans une autre église parisienne -

Saint-Sulpice – on peut admirer sa Vierge à l’Enfant écrasant

le serpent et deux magnifiques bénitiers. Le monument

funéraire de Maurice de Saxe à l’église protestante Saint-

Thomas à Strasbourg est considéré comme son œuvre la plus

fameuse. Cette composition monumentale emplissant tout le fond

de l’église est conçue comme une mise en scène théâtrale. La

sculpture montre le maréchal de Saxe, bâton de commandement à

sa main, descendant vers son tombeau, tandis qu’une jeune

fille en pleurs, allégorie de la France, tente en vain de le

retenir. Le maréchal est entouré des symboles des pays

vaincus : le lion pour la Hollande, l’aigle Impérial et le

léopard anglais. Plus bas, la Mort, un sablier à la main,

ouvre le tombeau dont déborde le linceul sous forme d’un

superbe drapé. La scène fait penser au monument funéraire du

pape Alexandre VII, œuvre du Bernin, que Pigalle a

certainement vue lors de son séjour à Rome. La Mort,

partiellement dissimulée dans les plis d’un drap, brandit un

sablier qui s’est vidé, faisant ainsi comprendre au pape que

son temps s’est écoulé.

86) Le monument funéraire de Maurice de Saxe à l’église protestante Saint-Thomas à Strasbourg.

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La statue de Voltaire nu est un autre chef-d’œuvre de

Pigalle. Diderot et un groupe d’écrivains demandent à

l’artiste d’immortaliser l’écrivain-philosophe. Pigalle se

rend à Ferney, où Voltaire est exilé, pour exécuter un moulage

de son visage. La sculpture, en marbre blanc, représentant

Voltaire en vieillard décharné et squelettique, fait l’objet

d’un véritable scandale. Elle ne devient pas monument public

et est offerte à Voltaire qui ne se laisse pas entraîner dans

cette affaire désagréable. Aujourd’hui, la statue est exposée

dans l’aile Richelieu du Louvre. De la statue de Louis XV

(vêtu à la romaine) érigée à Reims, il ne subsiste plus que

quelques figures du piédestal. Cette œuvre de Pigalle n’a pas

survécu à la Révolution.

Jean-Antoine Houdon (1741-1828) est auteur de tombeaux et

de figures mythologiques. Cependant, il est plus connu et plus

admiré pour ses portraits d’enfants (par exemple le buste de

Louise Brongniart, fille de son ami), pour ses bustes et

statues, d’une vérité saisissante. De grands hommes du moment

ont posé pour lui : encyclopédistes, héros de l’indépendance

américaine, personnages de la noblesse ou de la bourgeoise,

membres de la famille royale. Houdon, souvent désigné comme

« le sculpteur des Lumières », crée leurs portraits

psychologiques, tout en essayant de capter et d’immortaliser

le regard et l’expression du visage de ses modèles. D’après

Melchior Grimm35, le sculpteur est probablement le premier

artiste ayant su modeler les yeux de l’homme. C’est grâce à

Houdon que nous connaissons les traits des hommes comme Louis

XVI, Condorcet, Diderot, Gluck, Turgot, Necker, Washington, La

Fayette, Mirabeau, Napoléon. Son émouvante statue de Voltaire

assis (fig. 87), qui orne la Comédie Française, est un chef-

d’œuvre représentant le vieil homme dont le corps tremble

d’impatience de se lever encore une fois et de réaliser encore

quelque chose.

35 Melchior Grimm (1723-1807), diplomate et homme de lettres bavarois d’expression française

a collaboré à l’Encyclopédie.

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Jean-Antoine Houdon connaît le même parcours que beaucoup

de ses prédécesseurs et contemporains. Il est élève de

l’Académie de France à Rome (1764-1768) et membre de

l’Académie royale (1777) dont il démissionne pendant la

Révolution. En 1795, il devient membre du nouvel Institut.

Régulièrement, il expose au Salon où il présente, tous les

deux ans, un nombre considérable de sculptures. Son premier

grand succès est l’Écorché, témoin de l’intérêt qu’il porte à

l’anatomie du corps humain et de sa propre conception du

réalisme. L’Écorché est créé en 1767, avant le retour de

Houdon à Paris. La statue est également interprétée comme le

désir de l’auteur de rompre avec la sculpture rocaille. Le

Musée du Louvre conserve une impressionnante collection

d’œuvres de Houdon, parmi lesquelles sa Vestale, statue en

marbre, sa Diane chasseresse, statue en bronze, son Monument

du cœur du comte d’Ennery, groupe en marbre et une multitude

de portraits sculptés en bustes.

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Avec Houdon, qui a successivement travaillé sous le règne

de Louis XVI, sous la Révolution française et sous l’Empire,

nous terminons la première partie de notre ouvrage. Nous y

avons présenté la peinture, la scupture et l’architecture à

travers les siècles, de la préhistoire jusqu’à la fin de

l’Ancien Régime. La deuxième partie de notre livre sera

consacrée à l’évolution artistique et architecturale en France

après la Révolution.