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UNIVERSITE DE LILLE II Facultè des Sciences Juridiques Poli tiques et Socia1 es ,t' . ,1:"""1< -,,"'*" '" Ji', _, { '""" \: '\ .....>1;;A LES VICTIMES COLLECTIVES EN DROIT PENAL DES AFFAIRES Thèse pour le Doctorat en Droit présentée et soutenue , par Michel DEFOSSEZ JURY Présiden t Suffragants Madame Mirei Ile DELMAS _MARTY Professeur à l'Université de Paris XII Monsieur Dominique RANDOUX Professeur à l'Université de Lille Il Mademoiselle Danielle MAYER Maitre de Conférences agrégée à l'Université de Lille Il JUIN 1978 D

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  • UNIVERSITE DE LILLE II

    Facultè des Sciences Juridiques

    Poli tiques et Soci a 1es ~ ,t' . ,1:"""1<

    :~: -,,"'*"'" Ji', _,

    { '""" \: '\ ~J., ~_.'!.....>1;;A

    LES VICTIMES COLLECTIVES EN •

    DROIT PENAL DES AFFAIRES

    Thèse pour le Doctorat en Droit

    présentée et soutenue ,

    par Michel DEFOSSEZ

    JURY

    Présiden t

    Suffragants

    Madame Mirei Ile DELMAS _MARTY Professeur à l'Université de Paris XII

    Monsieur Dominique RANDOUX Professeur à l'Université de Lille Il

    Mademoiselle Danielle MAYER Maitre de Conférences agrégée à l'Université de Lille Il

    JUIN 1978

    D T~.112,'

  • LA FACULTE DES SCIENCES JURIDIQUES POLITIQUES ET SOCIALES

    DE LILLE NE DONNE AUCUNE APPROBATION OU IMPROBATION AUX

    OPINIONS EMISES DANS LES THESES QUI RESTENT PERSONNELLES

    A LEURS AUTEURS~

  • 1

    l N T R 0 DUC T ION

    1 - L'une des caractéristiques de la société moderne

    est le développement de l'interdépendance des hommes et des

    nations. Le réseau des liens sociaux est si serré que les

    conséquences d'un événement se répandent instantanément dans

    le monde entier (1).

    Les possibilités de communication, la concentration et le

    renforcement des moyens techniques font qu'un acte unique

    peut porter atteinte aux intérêts d'un grand nombre de per-

    sonnes. De fausses informations divulguées par les diri-

    geants d'une société cotée en bourse peuvent nuire à tous

    les acheteurs potentiels d'actions de cette société et même

    à l'ensemble du marché boursier, en entretenant un dérègle-

    ment de la spéculation. La pollution d'une rivière cause un

    préjudice à tous les riverains en aval. Une publicité men-

    songère peut induire en erreur des millions de ~onsommateurs

    Chacun a en mémoire les événements de Minimata au Japon,où

    les rejets de mercure d'une usine ont provoqué l'intoxica-

    tion de milliers de pêcheurs, et la récente catastrophe du

    (1) TOFFLER, Le choc du Futur, Denoël, 1971~ p. 29

  • 2

    pétrolier géant Amoco-Cadix, dont la cargaison a pollué

    environ 130 kilomètres de plages, entra1nant des consé-

    quences fort graves pour l'économie de toute une région.

    Les échanges et les conflits de la société actuelle

    se font entre masses (1) et non plus seulement entre indi-

    vidus (2). Ceux-ci sont alors amenés, pour défendre leurs

    intérêts à se regrouper. De là provient l'importance et

    le développement actuels des mouvements associatifs et

    syndicaux.

    2 - Il Y aurait actuellement en France environ

    250 000 associations. Tous les ans il se crée environ

    (1) nous n'employons pas ici à dessein le terme de "classe", qui en sociologie est réservé à un groupement de type particulier, défini n2tamment par la "conscience de classe" ou, si l'on préfère·un terme plus neutre, une "conscience collective prédominante et les oeuvres de "civilisation spécifiques", selon la formule de GURVITCH, La vocation actuelle de la sQgio10gie , T.I., P.U.F.,

    1968, p. 401; V. aussi, DUVERGER, Sociologie de la po- litique, P.U.F., 1973, p. 211. Le terme de masse, s'ap- pliquant à tout agrégat de personnes, est plus général.

    (2) CAPPELLETTI, "La protection d'intérêts collectifs et de groupe dans le procès civil", R.I.D.C., 1975, p. 572.

  • 3

    20 000 associations nouvelles (1)~ Le nombre de disparitions

    est assez difficile à déterminer. Ceci explique des diver-

    gences assez sensibles quant au nombre d'associations exer-

    çant leur activité dans un secteur déterminé.

    Selon le Ministère de l'intérieur il y avait en 1975,

    17 500 associations se consacrant à la défense de l'envi-

    ronnement (2)& Une autre évaluation (3) en limite le nombre

    à 6 000. Une centaine seulement de ces associations sont

    suffisamment importantes pour recevoir des subventions des

    pouvoirs publics.

    Les mouvements de défense de consommateurs sont re-

    lativement structurés. Il existe plusieurs associations

    nationales, et un certain nombre d~Unions Régionales

    (1) rep. Q.E.~ J.O. déb. Sénat, 30 avril 1975, po 718; V. Aussi VIANSSON-pcij'rE ~ "L'essor des associations 9V , ~ Monde, 16-17 avril 1978~ p. 9, qui décrit la situation d'une ville de 16000 habitants du Centre de la France, où il existe environ 70 sections locales d'associations na- tionales ou associations locales qui exercent leurs ac- tivités dans les domaines les plus divers.

    (2) rep. QGE., ~.O. débo sé~t, 30 avril 1975, p. 718.

    (3) Le Monde, 22 juillet 1977, p. 8.

  • 4

    d'Organisations de consommateurs (U~R~O.C.). Toutefois les

    U.R.O.C. ne sont que des centres techniques, dont le but

    est de mettre à la disposition des organisations de consom-

    mateurs les moyens susceptibles de développer leur action

    propre. En 1975, il Y avait 284 unions départementales ou

    régionales, 350 associations locales, 104 associations non

    affiliées aux organismes nationaux ce qui ferait, en comp-

    tant en outre ~es derniers~ environ 745 organisations (1).

    En 1976, 18 associations ont été subventionnées (2).

    Le degré de participation des citoyens dans les

    mouvements de défense des consommateurs est assez diffici-

    le à déterminer. La Fédération Nationale des Coopératives

    de Consommation comprend 3 millions d'adhérents, mais son

    objet commercial rend difficile l'assimilation des adhé-

    rents à des consommateurs militants. L'Union Française des

    Consommateurs, qui édite à plus de trois cent mille exem-

    plaires la revue uQue choisir?li, n'a été agréée qu'en

    septembre 1976 faute d'atteindre avant cette date~ le

    (1) D. BAUMANN, Droit de la consommation, Litec, 1977, n° 257. .

    (2) J.O. Doc. Ass. Nat., 1977, n° 2534~ p. 36.

  • 5

    seuil des dix mille adhérents (1). Actuellement, la Con-

    fédération Syndicale du Cadre de Vie (C.SQCoVo) revendique

    50 000 familles adhérentes 7 la Confédération Syndicale

    des Familles (C.SoFo) 25 000 familles, la Fédération des

    Familles de France (F.FoF.) 128 000 familles et l'Union

    Féminine Civique et Sociale (UoF.C.S.) 15 000 adhérents.

    En 1975, on évaluait à environ 4 % de la population les

    effectifs de l'ensemble des associations s'intéressant à

    la consommation (2). Cette proportion est certainement en

    augmentation. La participation militante aux mouvements

    écologistes ou consuméristes est en constante progression.

    En ce qui concerne les syndicats ouvriers, il y

    aurait environ trois à qua.tre millions de syndiqués soit

    15 à 20 % de la population susceptible d'adhérer (3). Ce

    taux varie sensiblement selon les régions, les professions

    et les syndicats (4).

    (1) Le Mond~, du 22 Septembre 1976.

    (2) Le Monde 7 dossier et documents n~ 37, p. 3.

    (3) REYNAUD, Les syn~icat~n Franc~, T. 2., Le Seuil 1975, p. 104 et suivantes.

    (4) VERDIER, ~es §Yndic~ts, Dalloz, 1966~ n° 15.

  • 6

    Mais l'infl.uence de ces organismes, qU'il sVagisse des

    associations ou des syndicats, est plus importante que

    ne le laissent supposer. leurs effectifs. Ainsi aux é-

    lections professionnelles, les syndicats obtiennent les

    suffrages de près de 60 % des électeurs inscrits et de

    85 % des votants (1).

    Ces divers groupements constituent des groupes

    de pression qui exercent leurs activités dans le but de

    défendre les intérêts communs de leurs adhérents. Leur

    action se fera souvent par des moyens politiques, elle

    peut parfois revêtir une forme juridique, car le droit

    a suivi l'évolution sociale et tend de plus en plus à

    régler collectivement les Jiçhanges et les conflits.

    3 - Les vieilles opérations juridiques indivi-

    duelles disparaissent dans la pratique au profit d'actes

    répétitifs. Au contrat individualisé et librement négocié

    (1) REYNAUD, Q.E.... cit., loc. cit .. Tou.tefois le monopole syndical de la présentation des candidats au premier tour joue certainement un rÔle.

  • 7

    succède le contrat d'adhésion (1), quand ce n'est pas le

    distribu'teur automatique, par lequel la vente entre dans

    nla zone crépusculaire de la machine et du geste machi-

    "nal (2)".

    Pour s'adapter, le droit va saisir "en masse"(3)

    les relations juridiques. Ainsi, en matière de vente, il

    Va "fixer impérativement les prix, réglementer les quali-

    "tés par une législation sur les fraudes." Des techniques

    ~macro-juridiques" (4) apparaissent dans toutes les bran-

    ches du droit. La convention collective (5) en est une

    des manifestations les plus notables. Connue depuis

    longtemps en droit du travail, elle tend à apparaltre

    (1) BERLIOZ, Le contrat d'adhésion, 2° éd., L.G.D.J., 1976.

    (2) Expression de CARBONNIER, Flexible Droit, 3° éd., L.G.D.J., 1976, p. 241.

    (3) CARBONNIER, Op. cit., loc. cit.

    (4) CARBONNIER, op. cit., p. 242.

    (5) RIVERO et SAVATIER, Droit du Travail, P.U.F., 1970, p. 265; STARK, obligations, Litec, 1972, n° 1045.

  • 8