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Droits d'auteur © Diane Farmer, 2016 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 18 déc. 2020 14:17 Alterstice Revue internationale de la recherche interculturelle International Journal of Intercultural Research Revista International de la Investigacion Intercultural Migrations et « nouvelles mobilités » : regards d’élèves et d’enseignants dans une école de langue française en Ontario (Canada) Diane Farmer Prendre en compte la diversité à l’école Volume 6, numéro 1, 2016 URI : https://id.erudit.org/iderudit/1038283ar DOI : https://doi.org/10.7202/1038283ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Alterstice ISSN 1923-919X (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Farmer, D. (2016). Migrations et « nouvelles mobilités » : regards d’élèves et d’enseignants dans une école de langue française en Ontario (Canada). Alterstice, 6 (1), 105–119. https://doi.org/10.7202/1038283ar Résumé de l'article L’attention portée à la mobilité géographique – déplacements quotidiens, tourisme, migration, immigration, mouvements transnationaux, les configurations sont nombreuses – permet d’ouvrir de nouveaux chantiers en ce qui a trait à la construction de sens dans les relations à l’altérité. L’école est sans équivoque l'un des principaux lieux où se manifestent les pratiques plus mobiles des familles. Comment les élèves et les enseignants d’une école caractérisée par des mouvements rapides de population donnent-ils sens à leur parcours migratoire, en lien avec celui des autres acteurs de l’école, et dans l’esprit de vivre dans un monde en commun? Comment l’école s’adapte-t-elle au renouvellement continu des familles? Cet article présente la réflexion d’élèves, d’enseignants et de la direction d’une école de langue française de quartier populaire en Ontario. Il met en lien les représentations d’acteurs à partir de récits et entrevues dans le cadre des multiples mouvements migratoires caractéristiques du monde d’aujourd’hui. L’analyse vise à remettre en question le travail de classification entre locaux et migrants, en cherchant à mettre en valeur le travail de co-construction d’un univers de sens réalisé par les enfants et les adultes d’une école primaire.

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Droits d'auteur © Diane Farmer, 2016 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

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Document généré le 18 déc. 2020 14:17

AltersticeRevue internationale de la recherche interculturelleInternational Journal of Intercultural ResearchRevista International de la Investigacion Intercultural

Migrations et « nouvelles mobilités » : regards d’élèves etd’enseignants dans une école de langue française en Ontario(Canada)Diane Farmer

Prendre en compte la diversité à l’écoleVolume 6, numéro 1, 2016

URI : https://id.erudit.org/iderudit/1038283arDOI : https://doi.org/10.7202/1038283ar

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Éditeur(s)Alterstice

ISSN1923-919X (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet articleFarmer, D. (2016). Migrations et « nouvelles mobilités » : regards d’élèves etd’enseignants dans une école de langue française en Ontario (Canada). Alterstice, 6 (1), 105–119. https://doi.org/10.7202/1038283ar

Résumé de l'articleL’attention portée à la mobilité géographique – déplacements quotidiens,tourisme, migration, immigration, mouvements transnationaux, lesconfigurations sont nombreuses – permet d’ouvrir de nouveaux chantiers ence qui a trait à la construction de sens dans les relations à l’altérité. L’école estsans équivoque l'un des principaux lieux où se manifestent les pratiques plusmobiles des familles. Comment les élèves et les enseignants d’une écolecaractérisée par des mouvements rapides de population donnent-ils sens à leurparcours migratoire, en lien avec celui des autres acteurs de l’école, et dansl’esprit de vivre dans un monde en commun? Comment l’école s’adapte-t-elleau renouvellement continu des familles? Cet article présente la réflexiond’élèves, d’enseignants et de la direction d’une école de langue française dequartier populaire en Ontario. Il met en lien les représentations d’acteurs àpartir de récits et entrevues dans le cadre des multiples mouvementsmigratoires caractéristiques du monde d’aujourd’hui. L’analyse vise à remettreen question le travail de classification entre locaux et migrants, en cherchant àmettre en valeur le travail de co-construction d’un univers de sens réalisé parles enfants et les adultes d’une école primaire.

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ARTICLETHÉMATIQUE

Migrationset«nouvellesmobilités»:regardsd’élèvesetd’enseignantsdansuneécoledelanguefrançaiseenOntario(Canada)DianeFarmer1

Résumé

L’attention portée à la mobilité géographique – déplacements quotidiens, tourisme, migration, immigration,mouvementstransnationaux, lesconfigurationssontnombreuses–permetd’ouvrirdenouveauxchantiersencequia trait à la constructionde sensdans les relationsà l’altérité. L’écoleest sanséquivoque l'undesprincipauxlieuxoùsemanifestentlespratiquesplusmobilesdesfamilles.Commentlesélèvesetlesenseignantsd’uneécolecaractériséepardesmouvementsrapidesdepopulationdonnent-ilssensà leurparcoursmigratoire,enlienavecceluidesautresacteursdel’école,etdansl’espritdevivredansunmondeencommun?Commentl’écoles’adapte-t-elle au renouvellement continu des familles? Cet article présente la réflexion d’élèves, d’enseignants et de ladirection d’une école de langue française de quartier populaire en Ontario. Il met en lien les représentationsd’acteursàpartirderécitsetentrevuesdans lecadredesmultiplesmouvementsmigratoirescaractéristiquesdumonded’aujourd’hui.L’analyseviseàremettreenquestionletravaildeclassificationentrelocauxetmigrants,encherchantàmettreenvaleurletravaildeco-constructiond’ununiversdesensréaliséparlesenfantsetlesadultesd’uneécoleprimaire.

Rattachementdel’auteure1UniversityofToronto,Toronto,Canada

Correspondance

[email protected]

Motsclés

enfance;jeunesse;mobilité;migration:élèves;enseignants

Pourcitercetarticle

Farmer, D. (2016). Migrations et «nouvelles mobilités»: regards d’élèves et d’enseignants dans une école delanguefrançaiseenOntario(Canada).Alterstice,6(1),105-120.

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Introduction

Le Canada est un pays à deux langues officielles, le français et l’anglais. Ce statut juridique particulier a servid’appui audéveloppementd’un réseaud’enseignementdans la languede laminorité (l’anglais auQuébecet lefrançais au sein des autres provinces canadiennes). C’est ainsi qu’enOntario, on compte près de 450écoles delanguefrançaisedelamaternelleàla12eannée(la12eannéemarquantlafindusecondaire)quicoexistentavecleréseaudesécolesdelamajorité(delangueanglaise).Ilestaussipossibledepoursuivredesétudespostsecondairesdanstroisétablissementscollégiauxetsixuniversitésontariennes.Lapopulationfrancophoneesthistoriquementdistribuée entre les régions du nord, de l’est et du sud de l’Ontario. On y dénombre actuellement611550francophones, ce qui représente 4,8% de la population ontarienne (Statistique Canada, 2012). Lapopulation franco-ontarienne est diverse, ne se limitant pas aux familles d’origine canadienne-française etacadienne, et elle accueille depuis de nombreuses années des familles d’Afrique, d’Asie, du Moyen-Orient etd’Europe. À ce type de migration s’ajoutent aujourd’hui des mouvements de population plus variés etindividualisés, que ce soit au travers desmodèles demigration des familles ou encore des déplacements entrerégionsauseindesprovincescanadiennes.Leministèrede l’Éducationde l’Ontarioapubliéen2009 laStratégieontarienned’équitéetd’éducation inclusive (MEO,2009),unedéclarationdepolitiquequi insiste sur l’obligationfaiteauxenseignantsd’adopterdespratiquespédagogiquesaffirmantlapluralitédesidentitésdeleursélèves.

La réflexion proposée ici présente les résultats d’une étude ethnographique réalisée en Ontario en contextescolaire francophoneminoritaire.L’enquêtevisaitàexplorercommentde jeunesélèvesvivant l’expériencede lamobilité géographique sur le plan régional ou de la migration internationale, en fonction de déplacementsfamiliaux complexes, se construisent dans cesmouvements. Comment parlent-ils (s'ils en parlent) de leurs liensaveclafrancophonieetl'identitéfrancophone ?Etcommentdesélèvesplussédentaires,dufaitd’êtreexposésàlamobilité de leur groupe de pairs et des enseignants, sont-ils aussi appelés à se construire dans l’optique dumouvement ?Commentcesjeunesexpliquent-ilsleurparcoursdevieenlienavecl’imaged’ununiversmondialisé,ausensicidemondeenréseaux ?

Plusspécifiquement,ils’agirad’explorerlesquestionssuivantes:commentlesélèvesd’uneécolecaractériséepardesmouvementsrapidesdepopulationconstruisent-ilsleursrepèresquotidiensetquelsensdonnent-ilsàl’écolecommelieud’ancragedanslemouvement ?Commentlepersonneldecetteécoles’adapte-t-ilaurenouvellementcontinu des familles ? Ce texte vamettre en lien les représentations d’acteurs à partir d’une sélection de récitsvenantsaisirlesmodalitésdesrelationsavecautruidanslecadredemultiplesmouvementsmigratoires.L’analyseviseà remettreenquestion ladichotomieentre locauxetmigrantsauseinde l’école,encherchantàmettreenvaleurletravaildeco-constructiond’ununiversdesensréaliséparlesadultesetlesenfantsd’uneécoleprimaire.

Cadreconceptuel

Lesmouvementsdepopulationprennentaujourd’huides formesplus fluides,cequinousamèneà interroger ledécoupageclassiquequioppose«locaux»et«migrants»dans lesétudes traitantde l’immigration.Élias (1997)posait une question similaire en cherchant à expliquer l’opposition observée entre deux quartiers ouvrierssimilairesd’unepetitevilled’Angleterre.Leschercheursontconcluquelesdifférencesdeperceptionétaientliéesaumomentd’arrivéedes famillesdans lequartier.Cettedistinctionaensuiteété repriseet intérioriséedansunordrehiérarchiqueentreunecommunautéouvrièreétablied’uncôtéetunquartiermarginaldel’autre(voiraussiHeinich,2002).Dans lecasde l’immigration,onretrouveaussiuntravaildeconstructionpar lesacteurssociaux,entreunmilieu«quiaccueille»denouvellespersonnesetunepopulation«àaccueillir».Cetteoppositionentre«locaux» et «migrants» relève d'un découpage qui entraîne certains effets d’exclusion. Elle s’estompedifficilementmalgrél’effacementdelanouveauté:onreste«migrant»oufilleoufilsdemigrantsbienaprèslespremières années d’arrivée. Peut-on imaginer toutefois le dépassement d’une telle dichotomie au sein de«sociétéscontemporainesmobiles»(Urry,2005),desociétésoùlesacteursontàseconstruireenbonnepartieàtraverslemouvement ?Laconsciencequ’ontlesacteurssociauxdevivredansunmondecommunpeut-elleaideràbrouiller les allégeances identitaires ? Nous puiserons dans les travaux de sociologie urbaine, de sociologie del’éducationetdesociologiedel’enfancepouraborderceconceptde«nouvellesmobilités».

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Urry (2000) invite leschercheursà repensercequ’onentendpar le termedesociété,en faisantdumouvementplutôtquedelasédentaritéunélémentcentraldel’organisationdespratiquessociales.Ilentendparmouvementnonseulement lesdéplacementsdepopulationauquotidien,auseind’uneville,d’uneville (lieuderésidence)àuneautre(lieudetravail),ouencorelesvoyagesd’affairesoudetourisme,lesdéplacementssurdepluslonguespériodes,migrations voulues ou contraintes,mais également la circulation d’images et d’information à l’échellelocale, nationale et mondiale. Nous sommes ainsi en présence de mouvements plus individualisés, rapides,circulaireset soutenusparunepanopliede réseauxnumériques.Urrymetainsi à l’épreuve lanotionde sociétéconçuecommeterritoire.

Ilproposeunnouveauparadigmeensciencessocialesquimetl’accentsurl’analysedelafluiditédesmouvements(Urry,2000et2005 ;ShelleretUrry,2006).Loindeselimiteràrelaterlesgrandestendancesdanslesmouvementsdepopulation, leschercheurss’intéressentnotammentauxparcourssinguliersdesacteurssociaux.Onchercheàmieuxcomprendrecommentlespratiquessociales,parexemplelesdynamiquesfamiliales,sontreconstituéesdemanière complexe au travers de nouvelles formes de mobilité. En recueillant les histoires de mobilité, cesdynamiquesmettentenvaleurl’idéed’unecontinuitébienplusquecelled’unerupturedanslareprésentationdeparcoursmigratoires(voirparexemplelestravauxdeVatzLaaroussi[2009,2015]surlesréseauxfamiliauxetsurlesrapportsintergénérationnels).

Lesnouveauxespaces liés à lamobilité évoquentpar ailleurs l’idéed’un rapprochemententrepopulations jadisisolées les unes des autres. Elles génèrent de nouvelles situations où se pose la réciprocité des liens dans uneanalysecentréesurlarelationavecautrui(Bourdin,2005 ;White,2014).Certainsauteursfontremarquerquelesjeunes,mêmes sédentaires, sont exposés à lamobilité, notamment dans les rapports qu’ils entretiennent avecd’autresjeunescommedanslaparticipationauxréseauxdetechnologiedel’informationetdecommunicationquilesrassemblentdansune«culture jeune»mondiale (FaistetKivisto,2007 ;Nsamenang,2002;Suarez-OrozcoetQin-Hilliard,2004 ;Suarez-OrozcoetSuarez-Orozco,2008).Ilconvientalorsànouveaudesedemanders’iln’yapaslàuneoccasiondebrouillerladichotomieentrelocaux(leNous)etmigrants(l’Autrequin’estpasNous).

À laquestiondenouveauxespacess’ajouteune réflexionsur le rôle jouépar les infrastructuresdans l’étudedumouvement.L’imaged’unaéroportestsouventreprisepourévoquerladistancerelativeentrelesvilles(onseraitplusprèsdesautresrégionsdumondelorsqu’onvitdansunendroitquiasonpropreaéroport).Ilenvademêmepourcomprendrelacomplexitédesinteractionsauseindecesespacesparticuliers(onnefaitpasqu’attendresonvol,onytravaille,consomme,rencontred’autresgensquisedéplacentégalement)(Urry,2000et2005 ;ShelleretUrry,2006).Mobilitéetlieuxd’ancragesontalorsdesvariablesindissociables.Onnepeutanalyserlespratiquesdemobilité sans leur contexte et sans tenir compte des réseaux et infrastructures qui rendent possibles de telsmouvements(Appadurai,1996 ;Fass,2007 ;Portes,1999). Ils’agitdoncd’étudier lemouvementen lienavec lessystèmesquilerendentpossible.

Comment aborde-t-on la mobilité en sociologie de l’éducation ? Tout d’abord, il s’agit d’un thème encore peuabordé(LandrietNeumann2014).Lesenquêtesmettentde l’avant letravaildepréparationdes jeunes,visantàrendre ces derniers compétitifs sur lesmarchésmondialisés, ou encore dénoncent l’effet réducteur d’une telleperspective(Mitchell,2003 ;Weenink,2008).Cetravailpréparatoirequiexercedespressionssur l’école inclut lanécessitéd’«êtreformé»àl’espritcosmopolite(êtredisposéàbougeretcapabled’interagirdansdiverscontextesculturels), de vivre l’expérience d’échanges internationaux et enfin de développer un capital linguistique (Shin,2012; Song, 2010). Les systèmes d’éducation se seraient donc engagés dans la voie de la formation d’une élitemondialisée. Thamin (2007) évoque à cet égard l’idée d’une nouvelle doxa qui oriente les façons de faire enéducation.Lecontextedesnouvellesmobilitésnousincitealorsàrevoir laquestiondel’inégalitédeschancesenéducation : l’articulation de nouvelles formes demobilité peut-elle à la fois offrir de nouvelles possibilités auxacteurs sociauxetdevenir sourced’inégalité,«avoirpartie liéeavecunemobilité socialevers lehautouvers lebas…»(Urry,2005,p.27,voiraussiKaufmann,2005)?

Notreenquêtes’inscritparailleursdansl’avancementdestravauxsurlemétierd’élève(Perrenoud,1995 ;Sirota,1993)etdelasociologiedel’enfancepluslargement(parexempleBluebond-LangneretKorbin2007 ;ChristensenetJames2008 ;Corsaro,2005 ;James,2007 ;Montandon,1998 ;Prout,2005 ;Sirota,1998et2006 ).Cechampde

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rechercheaprisformeàpartird’interrogationssurlaconstructionsociologiquedel’enfance,lavoixdel’enfantetplusrécemmentlaparticipationd’enfantsauxdiversesétapesduprocessusderecherche.Onyabordel’enfanceentantquecatégoriesocialeetl’enfantentantqu’acteursociallégitime,observateur,commetouslesautresacteurssociaux,dumondedanslequelilsetrouveetsurlequelilagit.L’enfancenes’étudiepasdefaçonisolée,maisenrelation avec les adultes qui partagent les mêmes espaces, c'est-à-dire dans le cas qui nous intéresse avec lesenseignants de l’école. Reconnaissant que les enfants vivent diverses formes d’oppression, les chercheurss’accordentàdirequ’ilexistedefaitunepluralitéd’enfances.

Alorsquelestravauxenéducationcitésplushautmettentl’accentsurlapréparationdesjeunesauxmarchésdel’emploimondialisés,leschercheursdansledomainedel’enfancesesontintéressésàl’expériencedesenfantsetausensqu’ilsdonnentàdetellesexpériences.NíLaoire,Carpena-Méndez,TyrrelletWhite(2010),demêmequeRalphetStaeheli (2011),révèlentdans leursenquêtescomment les jeunesseconstruisenteffectivementdans lemouvementetsoulignentl’importancedesliensaffectifsetidentitairesdanscetteconstruction.Untelrecadragesurl’enfancepeutfournirunéclairagenouveauàlaquestiondudécoupagequioppose«locaux»et«migrants»enmilieuscolaire.

L’analyseprésentée iciexplore lesensqu’accordent lesélèvesà leursparcoursdemobilitéetauxrelationsqu’ilsdéveloppent à partir de mouvements migratoires complexes. On peut alors se demander dans quelle mesurel’expérience d’un parcours mobile (le sien ou celui des élèves de la classe) influence les représentationsidentitaires,représentationdesoietdel’autre.Lesréflexionsbiographiquescommentéesabordentlemouvementenmettantde l’avant lacomplexitédesallégeances identitaires. Ils illustrent letravailderecompositioneffectuépar ces jeunes et leurs enseignants et conduisent ainsi à brouiller les désignations identitaires entre locaux etmigrants.Cetteétudetraiteparailleursdurôledel’écoleentantqu’institutionpouvantfaciliterlemouvementdesfamilles. L’école évoque cette idée d’une structure (tel un aéroport) qui attire lesmouvementsmigratoires desfamillesetquisevoittransformée,par lamêmeoccasion,par lesmouvementsdepopulation(desfamilles,maisaussidupersonneldel’école).L’enjeuquinouspréoccupealorsestceluidel’inclusion.Commentl’écoles’adapte-t-elleaurenouvellementcontinudesfamilles ?Si lemouvementamènedenouvellespossibilitésd’action, ilpeutaussistigmatisercertainespopulations.Nousavançonsl’idéequ’untelenjeusejouedansletravaildeclassificationentre locauxetmigrants.Comment lepersonnelde l’écolenégocie-t-ilunetelle frontièreau jour le jour ?Qu’enest-il,plusprécisément,dudécoupageentrelocauxetmigrants ?Quelstypesdedéfisl’écoledoit-ellerelever ?

Approcheméthodologiqueetcontextedel’étudeLeschercheursontrecoursengénéralàl’approcheethnographiquelorsqu’ils’agitd’aborderuneproblématiquederechercheàpartird’uneperspectivevisantàrendrecomptedelacomplexitéd’unesituationsociale,ducontexteetdu jeudes acteurs. Cetteméthode s’avèreutilepour revoir les catégoriesdepenséesdevenues invisibles. LadichotomiepressentieentreleNouscollectifetl’Autre,l’étranger,lemigrant,constitueunetypologieconstruiteàpartir d’un regard macro-social, un regard alimenté par les documents de politique, par les discours sur lesidentités nationales ou encore par le biais de grandes enquêtes où populations locales et migrantes sontcomparéesetreconstruites,notammentenlienauxinégalitéssocialesdansledomainedel’emploi,del’éducationetdulogement.Maisqu’enest-ild’uneperspectivepartantdubas,desacteurseux-mêmes,etdelaconstructionqu’ils font de leur monde social, une construction qui oriente leurs actions ? L’enquête ethnographique, nousprécisentBeauetWeber(1997),visealorsàrestituerlepointdevued’acteursabsents,enmargedesanalyses.

Nousavonschoisicommeméthodologiederéaliseruneenquêtemulti-sitescombinantl’observationprolongéeensalle de classe et des entretiens en petits groupes ou individuels. Au-delà de ces techniques classiques dans laréalisationd’ethnographiesscolaires,nousavonségalementmenéuneenquêteintra-siteoùlesjeunesparticipantsonteul’occasionderéfléchirauthèmedelamobilitéenmenantleurpropreexplorationdansleurquartieretàlamaison.Àceteffet,nousavonsintégrédestechniquescréativesvisuellesderecherche,pouroffrirainsiauxjeunesparticipantsdesoutilsméthodologiquesleurpermettantdepartagerleurexpériencedevie,àpartirdemoyenssurlesquelsilsontunplusgrandcontrôle(FarmeretPrasad,2014).

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Les méthodes créatives visuelles sont généralement utilisées en lien avec une entrevue et d'autres techniquesdonnantlieuàdestémoignagesetaupartaged’uneréflexion,conjointementaveclechercheur(FarmeretCepin,2015 ;Rose,2014).Lerecoursaudessinréflexifviseparailleursàdiminuerl’influenceduchercheurenoffrantunespaced’échangemoinsdirectif.Lesdonnéesrecueilliesdanscetteenquêteontétéproduitesdanscetteoptique,àpartird’un cadredialogique réflexifdans lequel les jeunesparticipantsontdiscutéde leursparcoursdevieetconstruitleurrécitdevieaveclachercheureet,surtout,entreeux.Ilexistedenombreusestechniquesvisuellesderecherchequisoutiennentlesapprochesréflexives.Nousavonsutilisédanscetteenquêteàlafoisledessinréflexifet la photographie. Notre analyse traite plus spécifiquement de données recueillies à partir du dessin et desentrevuesréaliséesavec les jeuneset lepersonnelenseignantainsiqueladirectricedel’école. Ilexisteplusieurstechniques de dessin : celle utilisée dans cette enquête a été empruntée de la sociolinguistique (Busch, 2010 ;Castellotti et Moore, 2009 ; Krumm, 2008) et a consisté à dessiner son portrait de langues. Cet outil a étédéveloppédanslecadred’étudesportantnotammentsurlalangueetlepouvoir,l’éveilauxlangues,l’identitéetleplurilinguisme.Nousavonsreprisetadapté l’approchespécifiquedéveloppéeparBusch(2010 ;Busch,JardineetTjoutuku, 2006) qui consiste à prendre le corps comme métaphore pour aborder, dans une perspectivebiographique,lesmultiplesrelations(cognitives,affectivesetautres)aveclelangage.

Comment donc les enfants construisent-ils leurs repères quotidiens à travers l’expérience de la mobilitégéographiqueetdesmouvementsmigratoiresfamiliaux ?Laconsignereçueparlesélèvesetlesenseignantsaétélasuivante:«Dessinesurlasilhouetteleslanguesetlesculturesquit’habitent,desculturesaveclesquellestuasdéveloppéun lienaucourantde tavie».Tout commedans le casdeBusch, lesparticipantsdevaient créerunelégendedecouleursafindepréciserleurscatégoriesdeclassement.Ilsdevaientexpliqueraufildeladiscussionlesassociationsfaitesaveclespartiesducorps.Lasilhouettegénérique(unpetitbonhomme)aétéprogressivementremplacéedansl’enquêtemenéesurlamobilitéparunereprésentationnumériquedesparticipants1.

L’enquêteaétéréaliséedanscinqsallesdeclasseenOntario:uneclassede3eannée(élèvesde8ans)dansuneécole d’immersion française qui a servi d’étude exploratoire donnant lieu à l’expérimentation de techniquesvisuellesderechercheavecdejeunesélèvesetleurenseignante,uneclassede4eannée(élèvesde9ans)etuneclassede10eannée(élèvesde15ans)dansuneécoleprivéeinternationaledelanguefrançaiseainsiquedansuneclassede4e/5eannée(élèvesde9et10ans)etuneclassede5e/6eannée(élèvesde10et11ans)dansuneécolepubliquedelaminoritéfrancophoneaccueillantdesfamillesàfaiblerevenu.Autotal,125personnesontprispartàcetteétude,plusdesdeuxtiersétantdesélèves.Nousavonsinterviewéaussilesdirectionsd’écoleetenseignantsainsi que des parents d’élèves. Les élèves de ces trois établissements sont issus demigrations interprovincialeset/ouinternationales.Ilsnedisposentpasdesmêmesressources,ausensd’unnouveautypedecapitalévoquéparUrry(2005)etparKaufmann(2005).L’analysequisuivrafocalisesurl’écolepubliquefrancophoneaccueillantdesfamillesàfaiblerevenu.Ils’agitdel’écoleprimairel’Hirondelle2.

Lavilleoùl’étudeaétéréaliséesetrouvedanslarégiondusud-ouestdel’Ontario,régionoùlaprésencefrançaiseremonteaudébutdu18esiècle.Elleaunlongpasséindustriel,etlarégionestdevenueaudébutdu20esièclelacapitale de l’industrie automobile. Aujourd’hui, la ville travaille à rebâtir son économie en se diversifiant,notammentdans lesdomainesdutourismeetdes loisirs,dessciencesde lasantéet latechnologiedesénergiesrenouvelables.Surleplanlinguistique,72,9%delapopulationdéclarel’anglaiscommelanguematernelle,3,3%lefrançaiset21,5%une languenonofficielle(StatistiqueCanada,2012).Les languesmaternellesnonofficielles lespluscourantessontparordredécroissantl’arabe(16%),l’italien(14,2%),lechinois(4,7%),lepolonais(4,6%),leserbe(4,3%),l’espagnol(4,2%),leroumain(3,3%),l’allemand(3,1%),leslanguessémitiques(3,0%)etlependjabi(3,0%).

L’école primaire l’Hirondelle est une école publique de langue française ayant ouvert ses portes en 1998. Aumoment de l’étude (en 2011), la directrice, également fondatrice de l’école, et cinq membres du personnel

1 C’est le cas pour les élèves et pour les enseignantes de la classe de 4e/5e et de 5e/6e. Les portraits réalisés par les autresenseignants ayant participé à l’étude ainsi que les enseignants d’une autre école ont été faits à partir d’une silhouettegénérique.Ils’agitdoncd’unoutilquiaévoluéaucoursdel’enquête.2Nomfictif.Lesnomsdesparticipantsàl’étudeetlenomdel’écolesontdespseudonymes.

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enseignant(sur15enseignants)ytravaillenttoujours3.L’écoleaccueille215élèvesdefamillesàrevenumodeste,provenantenmajoritéduMoyen-Orientetdansunemoindremesured’Afrique,d’AmériqueduSud,d’Europe,del’Ontarioetd’autresrégionsduCanada.Lamajoritédesélèvesparlentarabeàlamaison.

Présentationetdiscussiondesrésultats

Nous présentons et discutons des résultats de recherche à partir d’abord de récits d’élèves, dans lesquels setrouvent imbriqués leurs récits familiaux et les propos qu’ils tiennent au sujet de l’école ainsi que sur l’identitéfrancophone.Nousexaminonsensuitecomment l’écoleperçoit lecontextedemobilitédes famillesetcommentellerépondauxenjeuxdelamobilitédansuneécolequiaccueilledesfamillesàfaiblerevenu.

Premierthème:enfancesetmouvements

Unesoixantainedeportraitsd’élèvesontétérecueillisaufildecetteétude,dontunpeuplusdelamoitiéàl’écolel’Hirondelle. Ces dessins véhiculent tous l’idée d’une présentation de soi à partir d’influences linguistiques etculturelles variées. Nous présentons ici deux récits (portraits de langues) et quelques extraits supplémentairesd’entrevuesquiillustrentàlafoisdesparcourscommunsdanslecasdesélèvesdelaclasse,etsinguliers,danslamanière de (se) comprendre, de mettre en lien des situations, de construire des repères au quotidien et deprésentersonparcoursdevie.Voicid’abordlesportraitsd’AyaetdeKouma.Enréponseàlaconsigne:«Jedessinesurmasilhouetteleslanguesetlesculturesquim’habitent»,voicicequecesélèvesontpartagé.

Aya(élèvedelaclassede5e/6eannée)

Aya: j’aicoloriématête,mesmainsetmespiedsenvert,c’estpourl’arabe.Machemiseenrouge,c’estpourlefrançais.Unepartiedemespantalonsenbleu,c’estpourl’anglais,unepartiepourlelatinestenviolet,meschaussuressontrosespourl’allemand.

3Desentretiensontétémenésavecladirectriceetquatredescinqmembrespionniersdupersonnelenseignantainsiqu’aveclesdeuxenseignantestitulairesdelaclassede4/5eannéeetdelaclassede5/6eannéeayantparticipéesàl’étude.

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Chercheure:etpourquoituaschoisicescatégories-là ?

Aya:l’arabe,c’estparcequejesuisLibanaise,jeparlearabeàlamaison,jeparlefrançaisàl’école,etjeparleanglaisavecmesamis,lelatinjesaisunpetitpeu,etl’allemandunpeu.

Chercheure:etcommentas-tuapprislelatinetpuisl’allemand ?

Aya: le latin, jeconnais justeunephrase,quemadameDominique(ladirectricede l’école)nousaapprise.L’allemand, jesavaisunpeuparcequemescousinsviventenAllemagne,etmonpèreestalléenAllemagneunefois,etilm’aapprisunpeu…

Chercheure:etpuis,tuasmisunegrandepartiedetondessinenrouge,est-cequ’ilyauneraisonpourça ?

Aya:unpeu,parceque…[jesuisnéeau]Québec,etonparlefrançaislà-bas

Chercheure:est-cequetupeuxmedire,est-cequ’ilyavaitdesraisons,pourquoituaschoisiparexempledemettrelevertici,àlatête,prèsdesjambes ?

Aya:commeça,c’estmapeau,vertc’estmacouleurpréférée,c’estpourleLibanencoreparcequelecèdreduLibansurledrapeau,c’estvert.(entretienavecIssam,Yusra,EliasetAya,élèves)

À la question de saisir comment les enfants construisent leurs repères quotidiens à travers l’expérience demouvementsmigratoiresfamiliaux,onvoitparaîtreiciunlienaffectifaveclepaysd’originedelafamille(«jesuislibanaise» ; «vert c’estmacouleurpréférée»). Elleajouteavoirdes liensdeparentéailleursdans lemondeenfaisantréférenceàl’Allemagne,avoirdesliensavecleQuébecetprécisequesesinteractionsaujourlejoursefontencontexteplurilingue(«jeparlearabeàlamaison,jeparlefrançaisàl’école,etjeparleanglaisavecmesamis»).PassonsauportraitqueKoumanousprésente.

Kouma(élèvedelaclassede5e/6eannée)

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Kouma:j’aichoisiquatrepays,lefrançaisenbleu,çaveutdirel’eauetlecielparcequ’ilnepleutpresquepasenAfrique,pasbeaucoup.J’aichoisilenoirpouranglais.LerosepourCamerounetgrispourLiban.J’aimislefrançais,lebleusurmespantalons.Lenoirsurmonchandail.Puisj’aimislerosesurmonchandailetmaface,puisleLibansurmescheveux…

Chercheure:ici,tuasmisbeaucoupderosepourleCameroun ?Tonvisageettoncorpsaussi ?

Kouma:parcequej’aifaitl’écolelà-basetj’aigrandiunpeulà-bas.J’aifaitplusdetempsavecmamèrequemonpère

Chercheure:ettamèreestduCameroun,c’estça ?

Kouma:oui

Chercheure:parcequetuasmisleLibanaussi ?

Kouma:parcequemonpèrevientduLiban,jen’aipaseuletempsd’allervoirmagrand-mèreetçac’estpourquoiparceque‘’Imissher’’.

Chercheure:donc,c’estpourterappelertagrand-mèreaussi[...]

Chercheure:finalement,lefrançaistul’asmissurtesjambes ?Pourquoitul’asmissurtesjambes ?

Kouma:parceque…toutemavie,(j’ai)parléfrançaisetjereviensd’unpaysfrançais.(entretienavecBassem,Marwa,WaëletKouma,élèves)

Dans cet extrait, Kouma nous présente une vision de la famille qui inclut demanière intégrée ses liens avec leCamerounetleLiban.EllefaitaussiunlienentresascolarisationauCameroun(«parcequej’aifaitl’écolelà-bas»)et l’écolede languefrançaiseenOntario(sans lementionnerenentrevue,maisdufaitdemenercetteentrevuealors qu’elle se trouve à l’école française). Elle crée aussi des liens à l’endroit d’une identité francophone enévoquantlacontinuité(«toutemavie,[j’ai]parléfrançaisetjereviensd’unpaysfrançais»).

Nous avons remarqué que les élèves ont eu recours, assez fréquemment, aux symboles nationaux, soit dans lechoix de couleurs («parce que le cèdre du Liban sur le drapeau, c’est vert») ou encore dans le dessin (lareprésentation de drapeaux sur la silhouette) (voir aussi, Farmer, 2012 ; Farmer, Cepin et Breton-Carbonneau,2015).Cecipeuts’expliquerenraisondufaitquel’étudetraitaitdelamobilitéinternationale,d’unepart,etquelecontexte scolaire constitueundes lieuxde transmissiondes idéologiesnationales.Par contre, l’agencementdescatégories identitairespermetd’illustrerundécoupageplus fluideau seind’espacesetde revoir la classificationentre élèves locaux et migrants. Tous les portraits recueillis mettent en valeur un agencement composé d’unegrande variété de références linguistiques et culturelles et de valeurs distinctes accordées aux élémentsconstitutifs. Ceci se voit dans la proportiondonnée àune couleur (dans le cadred’une légendede couleurs) enrelationàuneautreouencoredans l’association faiteavec lespartiesdu corps («c’estmapeau, vert, c’estmacouleurpréférée»).Cesélèvesréfléchissentainsiàleurparcoursdevieenintégrantdesélémentsimportantsdeleur histoire personnelle et familiale, des éléments qui souvent échappent aux classifications préétablies deschercheurs.Demanièrepluscritique,untelagencementinviteàétudierlesconditionssocialesetinstitutionnellesqui donnent lieu à la construction de nouvelles catégories d’inclusion et d’exclusion. Comme tous les récitsbiographiques,ilimportedenoterquelesdessinsconstituentunportraitréaliséàunmomentparticulieretdoncuntelportraitestsujetmodificationssuivantlesréflexions,momentsetexpériencesdeviedespersonnesqui"seracontent".

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Lesélèvesdel’écolel’Hirondelleontproposéunevision«encontexte»etnuancéedesliensculturelsetfamiliauxles reliant à un monde en réseaux. À la continuité des parcours s’allient ainsi la douleur de l’absence etl’éloignementde la famille.Cette idéeest ressortiedansdenombreuxentretiens,notammentdans lecadredesdiscussionssurdesphotosprisesparlesélèvesdansleurquartieretàlamaison4.

Chercheure:ettoiAshraf,situavaisàprendreunedernièrephoto ?

Ashraf: je prendrais une photo de toutema famille, pas juste ceux qui sont dans notremaison, de toutema famille, àMontréal,àTorontoetenAustralie.(entrevueavecAshrafettroisélèvesde4e/5eannée)

Hind:moiaussi,jeferaiscommeelle[prendrelafamilleenphoto]parcequequandonesttousensemble,tusensquetuestrèsfière,c’esttrèsbeau…

Lounis:jeprendraiunephotodemoietmafamille,mesgrands-pères,mesgrands-mèresdanslamer,pasdanslamer,unepetiterivière,jepeuxnager,cartoutemafamilleestauLiban,j’aipersonneici,j’aijustetroiscousins.[...]j’aijusteungrand-pèreetunegrand-mèreici,toutlemondeestauLiban…(entrevueavecYazel,Aïda,HindetLounis,élèvesde4e/5eannée)

Ceséchangesnousinvitentàréfléchiràl’épaisseurdesliensfamiliauxetsociauxquisetissentàtraversdifférentesexpériences de mobilité et à concevoir le quotidien de l’école comme espace privilégié d’exploration d’enjeuxsociauxetpolitiquesquitouchentdeprèslaviedesélèves(FarmeretPrasad,2014).

Deuxièmethème:écoleetmouvements

Commentl’écoles’adapte-t-elleaurenouvellementcontinudesfamilles ?Qu’enest-ildudécoupageentrelocauxetmigrants ? Et quels types de défis l’école doit-elle relever ? Afin de trouver des éléments de réponses à cesquestions,nousavonsorganisélaprésentationetl’analysedesrésultatsàpartirdetroiséléments:laprésentationd’élémentsbiographiquesde ladirectriceetd’uneenseignante, l’orientationsocialedonnéeà l’écoleetenfin lesdéfisauxquelssontconfrontéslesacteursinstitutionnelsdel’écoledanslapriseenconsidérationdeparcoursdefamillesenmouvement.

La francophonie évoquée dans les récits d’élèves s’inscrit ainsi dans la perspective d’une francophonieinternationale. Ilenvademêmedesreprésentationsmisesde l’avantpar ladirectiond’écoleet lesenseignants.Nousavançonsqu’untelpositionnementa jouésur lamanièredepercevoir lescatégoriesentreélèves locauxetmigrants.Commençonsparladirectricedel’école,MadameDominique.Ellesedéfinitcommefrancophoneissued’unparcoursfamilial international.Sa lecturedelasituationest liéeàcetteconsciencedepartagerunehistoiremigratoireavec les famillesde l’école, à l’idéed’avoirpar ailleurs grandidans le sud-ouestde l’Ontarioet enfind’avoirchoisiconsciemmentdes’entourerd’unpersonnelprovenantdesquatrecoinsdumondeetde larégion.Elleexplique:

Mesgrands-parentsétaientHongrois,mesgrands-parentsétaientdesimmigrants.Ilssontpassésàtraversdesépreuves.Ilsont trèsbien réussidans lavie canadienne.Donc, jevoyaismes racinesenétantdes racinesd’immigrantesdoncmoi, jeressembleàmonpersonnel(del’école)mêmesij’aigrandiàX,mesracinessontlesracinesdenouveauxarrivantsparcequecesontdesvaleursquejevis[…]etjenesaispas, j’aidesmembresdupersonneldepartout.(entretienavecDominique,directrice)

Onvoitdanscediscoursunpremierregardrelativisteentrel’icietl’ailleurs,«jeressembleàmonpersonnelmêmesij’aigrandi[ici]».Cediscoursestreprischezlesenseignants,cequ’illustreMadameLina,enseignantedelaclassede5e/6eannée.

4Danslecadred’uneapprocheméthodologiqueintra-site,lesélèvesontaussiprisunesériedephotographiesàl’école,danslequartieretà lamaison. Ilsontreçulaconsignesuivante:«Jeprendsenphotodespersonnes,desobjetsetdes lieuxquimebranchent(aveclesquelsj’aidéveloppéunlienaucourantdemavie)».Afind’ouvrirladiscussionenfind’entrevue,nousavonsdemandéauxélèvesd’indiquer,s’ilsavaientunedernièrephotoàprendre,quellephotoilsprendraient.

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MadameLina(enseignantedelaclassede5e/6eannée)

Linaprécisequ’elleenseignedepuis30ans.ElleatravaillédanslesécolesduLibanprincipalementetenseigneauCanadadepuis7ans.

Alors,lefrontetlecœursont[lacatégorie]internationale.Touteslescouleursdumondedel’arc-en-ciel.J’aichoisiaussilacouleurrougequireprésente…lefrançais…parcequejesuisfrancophone.J’aireprésentéunegrandepartiedemoncorpsenrougeet j’aicoloriéaussi lamoitiédemoi-mêmeenvertparceque jesuisLibanaise(entretienavecLinaetEmiranda,enseignantesàl’écoleprimairel’Hirondelle)

Danscetextraitd’entrevue, ilest intéressantdenoterquecetteenseignanteestd’originelibanaise,toutcommeuntrèsgrandnombredesélèvesdel’école.Ellepartagecelienaveceux.Ellefaitfréquemmentdesallers-retours,son conjoint, ses enfants vivent à la fois au Liban et au Canada5. Elle évoque une ouverture sur les cultures dumonde(«lefrontet lecœursont[lacatégorie] internationale.»)etuneidentificationàlafrancophonie.Danssareprésentationdelafrancophonieetdumouvement,onneressentpasuneoppositionentrel’icietl’ailleurs,maisplutôt, et de nouveau, un travail de recomposition dans son parcours de vie. Le récit des autres membres dupersonnel de l’école, qu’ils aient grandi en Ontario ou qu’ils aient un parcours plus international, ressemblebeaucoupàceluideLina.

Nousl’avonsévoqué,leparadigmedesnouvellesmobilitésmetdel’avantqu’onnepeutconcevoirlemouvementsanstenircompteparlamêmeoccasiondeslieuxd’ancrage.Leleadershipmisdel’avantparladirectiondel’écoleprimairel’Hirondelleainsiquelesoutiendupersonnelenseignantenversunetellevisionfontdecetteécoleunlieuparticulièrement intéressant pour comprendre les enjeux liés à la prise en considération du mouvement desfamillesparl’école.Plusieursstratégiesmisesdel’avantdonnentlieudecroirequel’écolel’Hirondellejoueunrôleimportant comme un lieu d’ancrage des familles. Celles-ci incluent notamment des stratégies d’accueil –l’ouverturedel’écoleauxactivitéscommunautaires,ladiversificationdesmomentsderencontresaveclesparents

5Cequ’ellepartagelorsdediscussionsinformelles.

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etl’aiguillagedesfamillesverslesservicessociauxdelarégion,untravailfaitspontanémentparladirectiond’écoleetsouventenréponseàunesituationd’urgence.

Etpoursoutenirlesélèvesetlepersonneldel’écolelorsdesituationsdifficiles,ladirectiondel’écoleamissurpieduneclassed’adaptation.Nousaimerionssoulignercetteinitiativeenparticulierdufaitqu’elleabordelesdifficultésscolairesnonpasàpartird’unevision individualisteetdéficitairede«l’élèveendifficulté»ou«encrise»(etsafamille),maisbienausensdesituationsliéesàuncontextedonnéetdontpersonnen’estàl’abri.Nousavançonsqu’unetelleapprocherelationnellepeutaideràréduireleseffetsnégatifsd’unevisiondichotomiqueentreélèveslocauxetmigrants.Elleneproposepasparailleursunevisionromantiquedesfamillesoudel’école,maisprévoitplutôtdesmécanismesdesoutien.

Doncj’aicrééuneclasse,c’estuneclassed’adaptationscolaire…Ondevraits’entraider,collaboreretçadevraitêtrefluide…Chaquepersonnevitsesmomentsdifficilesdépendantdescirconstances…Donc,j’aitoujoursenvisagécommeuneîledelapaixsivousvoulez,uneclasseouonpeutjusteallerrespirer…lachoselaplusimportantec’estdeleur[lesélèves]donnerun lieu ou ils peuvent juste arriver, se défouler, se calmer et ça, c’est toute sorte de stratégies, est-ce que tu veux unetoast…justet’assoiretbouder…faireundessin,lireunlivre… ?Donc…l’idéec’estqueçasoitfluide,queçasoitintégré.Lesenseignantes-ressources,[lesenseignantes]ensalledeclasse,peuimporte…toutlemondeàbesoind’aide !(entretienavecDominique,directrice)

L’extrait d’entretien qui suit avec Madame Léa, enseignante spécialisée et Monsieur Philippe, enseignantd’éducationphysiqueetdesoutienàl’intégrationdesélèves,illustrelamanièredontlamissionsocialedel’écoleestrepriseparlepersonnel.

Philippe:jetrouvequ’icilaplupartdesenfantsqu’onacesontdesenfantsquiviennentdefamillesnouvellesauCanada[...]lesparentsnesontpasnécessairementstablesauniveaudel’emploimêmeauniveaudel’immigration.Donc,souventc’estdesenfantsquisont icidepassage,quipeuventallerailleursdansd’autresvilles,dépendammentvraimentde lastabilitédesfamilles.Si[...]ellesontunemploioubienunbusinessquifonctionnebien,ellesrestent.Maissicesontdesfamillesquisontnouvelles,quirecherchentencore,souventellesrepartent.Onaperdubeaucoupd’enfantsquisontallésàEdmonton[...]

Philippe:jepenseaussiquel’écolesubitça…nousaussionsubitça.

Léa:lestressetl’anxiétémontent.

Chercheure:chezlesenfants ?

Léa:lecomportementchange.

Philippe:Oui…lecomportementdesenfantsjouebeaucoupaussiparceques’ilsnesontpasbienàlamaison,ilsnevontpasêtrebienàl’écolenonplus,ilsvontvivredesanxiétésqu’ilsamènentdelamaison,l’écoleessaiedelesintégrerdansl’école,lesaccueillir,deleurdonneruncertainréconfort,lematin,onfaitlaréceptiondesenfants.

Léa: Le petit déjeuner lematin oui, de leurmontrer des stratégies à utiliser.Mais, c’est difficile à expliquer,mais c’estvraimentdifficileaveccertainsélèves,quandleursamisquittent,oubienquandilyadelachicaneàlamaison,ouquand…ilyenamêmequin’ontpasassezd’argentpourlanourriture, ilyenaquec’estdifficilepoureux.Alors,oui ilsviennentàl’écoleetçasevide.(entretienavecLéaetPhilippe,enseignants)

Onvoitsedégagerlamissionsocialedel’écoleetl’attentionauxaléasdesparcoursmigratoiresdemêmequelesdéfisquepose l’établissementdansunevilleouvrière.Onsetrouve loin icidesmouvementsd’élitemondialisés.On connaît encore très peu ce que ce type de migration représente du point de vue des élèves et commentsoutenir plutôt que stigmatiser des parcours familiaux marqués par les pressions d’une mobilité précaire. Lesacteurs scolaires de l’Hirondelle s’interrogent sur ce sujet, réfléchissent, d’où tout l’intérêt de partager lesinquiétudessoulevéesenentrevues.Ilsneprônentpasunesolutionplusqu’uneautre,ilscherchentàcomprendre(«Mais,c’estdifficileàexpliquer,maisc’estvraimentdifficileaveccertainsélèves»).

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Malgrélesstratégiesmisesdel’avantauseindel’école,cettedernièrenepeutéchapperaufaitqu’elleserattacheàunsystèmed’enseignementprovincialqui,bienqu’ilsesoitdotéd’unestratégiesurl’équitéetl’inclusion(MOE,2009), ne tiennepas comptedumouvementdes familles. Ceci estparticulièrement criantdans lamanièredontsontévaluéesetclasséeslesécolesentreelles.Undesplusgrandsenjeuxpourl’écoleprimairel’Hirondelleatraitàl’obligation de réaliser des tests prescrits par la province dans les classes de 3e année et de 6e année (tests del’Officede laqualitéetde laresponsabilitéenéducation,aussiappelé l’OQRE).L’ensembledupersonnelya faitréférencespontanémentenentrevue.Cestestsdésavantagentlesélèvesdel’écoleennetenantpascomptedansces examens des connaissances d’élèves exposés à d’autres contenus etmanières d’évaluer dans leur parcoursmobiles.Parailleurs,àl’écolel’Hirondelle,lesfamillesquittentlesclassesavantlafindel’annéescolaireenraisondesdéplacements internationauxauseindesfamillesdurant l’été.L’écolesevide,explique-t-on,unpeuavant lapériodedestestsdefind’année.Ceciaaussiuneffetd’entraînementsurlaréputationdel’école,enajoutantàunesituationdéjàprécairel’exodedefamillesmieuxnanties.Surleplansystémique,lapublicationduclassementdesécolesauxtestsprovinciauxcontribuedesurcroîtàalimenter lespréjugésà l’endroitde l’école l’Hirondelle,uneécoleditedecentre-villeaccueillantdesfamillesmigrantesetdontlesrésultatsauclassementviennentrenforcerles préjugés dont elle fait l’objet. Mieux comprendre la complexité des nouvelles mobilités dans les parcoursfamiliaux pourrait atténuer le travail de classement qui s’opère actuellement, en soulignant en quoi cesinstrumentsdemesureàgrandeéchelleconduisentaussiàperpétuerlescatégoriesd’inclusionetd’exclusionentreélèveslocauxetmigrants.

Conclusion

Cetexteprésentelesrésultatsd’uneétudemenéedansuneécoledelanguefrançaisedel’Ontarioaccueillantdesfamillesàfaiblesrevenusissuesdel’immigration.Nousavonscherchéàexplorerlepotentielquepourraitavoiruneanalyse reposant sur le paradigme des nouvelles mobilités. Bien que ce cadre ait été développé dans d’autresdomaines que celui de l’éducation, nous nous sommes demandé si une analyse qui s’intéresse aux parcourssinguliersdesacteurs,uneanalysequipartdubas–danscetteétude,desélèveseux-mêmesenrelationaveclesadultesprésentsdansleurvie–peutoffrirdenouvellesperspectivespourcomprendrelesparcoursd’élèvesissusde l’immigrationet lerôle laisséà l’écoledanscesparcours.Laconsciencequ’ont lesélèves, leursfamilleset lesacteursdel’écoledevivredansunmondecommunpeut-ellemeneràbrouillerlesclivagesentrelocauxetmigrantsenmilieuscolaire ?Etquediredesnouvellesformesdemobilitéoùsedessinentdesmouvementsdepopulationplusrapides,fluidesetindividualisés ?Commentlesjeunesseconstruisent-ilsdanscesmouvements ?

L’explorationduparadigmedesnouvellesmobilitésetl’usaged’approchesvisuellesréflexivesnousontconduitsàmettre en valeur, à travers les portraits d’Aya et de Kouma, le travail d’agencement de catégories identitairesréalisépar les jeunesainsique l’idéede continuitédans lemouvementà travers les référencesà la familleetàl’école.Lesanalysesontaussifaitressortirunevisiondelafamilleétenduenonseulementausensdegénérations,maiségalementderéseauxinternationaux.Dupointdevuedesacteursinstitutionnels,nousavonsaussiobservéuntravailderecompositiondecatégoriesidentitairesdanslaquellelafrancophonieestcompriseàpartirdesliensinternationauxquirassemblentlesacteurs.Nousavonsmisdel’avantlamissionsocialedéveloppéeparl’école,enlien avec l’idée d’aborder l’école comme lieu d’ancrage, et nous avons souligné les défis auxquels se trouveconfrontée l’école,notammentdans lecadred’évaluationsauxquelleselleestsoumise lorsdes testsprovinciauxstandardisés.

Cetteétude,exploratoireàl’origine,asuscitébeaucoupintérêt,setraduisantparuneparticipationdeuxfoisplusélevéequecequiavaitétéanticipé.Nousavonscherchéàrecueillirdesparolesd’acteurs,enfantsetadultes,auxhistoires largement méconnues. Nous avons trouvé d’ailleurs très peu de documentation (tout au moins del’informationpublique)ausujetdel’écoleprimairel’Hirondelle,etrienquipermettraitderelaterlaprofondeurdesrelationsdéveloppéesentreacteursauquotidien.Au-delàdesrésultatsderecherche,ladimensionréflexivedecetyped’enquêtepeutaussiaideràremettreenquestionlacatégorisationentrelocauxetmigrants.

Remerciements

Nous remercions leConseil de recherchesen scienceshumainesduCanadaqui a financé cetteenquêtedans lecadreduprogrammedeSubventionsordinaires(2009-2012).

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