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IngmAdmi‘lhmrOtakhrghmfBnlo‘mx This is a contribution from Language, Interaction and Acquisition 9:2 © 2018. John Benjamins Publishing Company This electronic file may not be altered in any way. The author(s) of this article is/are permitted to use this PDF file to generate printed copies to be used by way of offprints, for their personal use only. Permission is granted by the publishers to post this file on a closed server which is accessible only to members (students and faculty) of the author's/s' institute. It is not permitted to post this PDF on the internet, or to share it on sites such as Mendeley, ResearchGate, Academia.edu. Please see our rights policy on https://benjamins.com/content/customers/rights For any other use of this material prior written permission should be obtained from the publishers or through the Copyright Clearance Center (for USA: www.copyright.com). Please contact [email protected] or consult our website: www.benjamins.com

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This is a contribution from Language, Interaction and Acquisition 9:2© 2018. John Benjamins Publishing Company

This electronic file may not be altered in any way.The author(s) of this article is/are permitted to use this PDF file to generate printedcopies to be used by way of offprints, for their personal use only.Permission is granted by the publishers to post this file on a closed server which isaccessible only to members (students and faculty) of the author's/s' institute. It is notpermitted to post this PDF on the internet, or to share it on sites such as Mendeley,ResearchGate, Academia.edu.Please see our rights policy on https://benjamins.com/content/customers/rightsFor any other use of this material prior written permission should be obtained from thepublishers or through the Copyright Clearance Center (for USA: www.copyright.com).Please contact [email protected] or consult our website: www.benjamins.com

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L’imparfait dans le langage de l’enfantUne forme pour sortir de l’ici et maintenant

Christophe Parisse, Sophie de Pontonx etAliyah MorgensternInserm, MoDyCo, Université Paris Nanterre | CNRS, MoDyCo,Université Paris Nanterre | PRISMES, Sorbonne Nouvelle

Pour faire référence à des événements passés ou futurs, l’enfant doit parlerd’objets et de situations qui ne sont ni visibles ni audibles, mais mémorisées,imaginaires, ou désirées. L’imparfait est l’un des temps grammaticaux quipermet d’exprimer cette « déconnexion » avec l’ici et maintenant. Notreétude repose sur un suivi longitudinal de deux enfants en situation d’inter-actions familiales spontanées qui permet d’analyser l’usage des formes del’imparfait par rapport au présent et au passé composé, en lien avec ladéconnexion, l’aspect lexical des verbes utilisés, les situations d’emplois à lafois chez les enfants et les adultes du corpus. Les résultats de nos analysesmontrent que les productions d’imparfait de l’enfant sont tardives maisqu’elles se révèlent fortement liées à la déconnexion et aux verbes d’état.Ceci différencie l’imparfait des autres temps analysés. Son usage serait lamarque d’une nouvelle étape dans le développement langagier et cognitif del’enfant.

Mots-clés: imparfait, déconnexion, formes verbales, acquisition du français

L’étude du développement des capacités linguistiques des enfants apporte un éclai-rage important sur les liens entre langage et cognition, en particulier lorsquel’on travaille sur l’expression de la temporalité. L’enfant aurait moins l’occasiond’entendre parler d’événements en rupture avec le moment d’énonciation qued’événements présents et les formes temporelles référant au passé, au futur et aufictif seraient trop peu fréquentes dans le langage adressé pour que l’enfant puissese les approprier durant les premières étapes de l’acquisition du langage (Toma-sello, 2003). L’enfant serait tout d’abord incapable de se décentrer et ne parle-rait que de la situation et des actions en cours. Pour parler du passé, du futurou d’événements fictifs, l’enfant a besoin de pouvoir stabiliser ses représentationsmentales et de les mettre en mots en l’absence d’ancrage direct dans la situation

https://doi.org/10.1075/lia.18004.parLanguage, Interaction and Acquisition 9:2 (2018), pp. 183–225. issn 1879-7865 | e‑issn 1879-7873© John Benjamins Publishing Company

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d’énonciation. Selon Smith (1980), les enfants acquièrent très progressivement lacapacité à marquer un décalage entre le moment de la parole et le moment del’événement. On dit donc de l’enfant que son langage est d’abord ancré dans ladeixis.

Cet article a pour objectif de suivre l’entrée de l’enfant dans la référence aupassé à partir de l’usage d’une forme verbale dont la particularité est d’être régu-lièrement utilisée dans le langage adulte, mais avec une fréquence moindre qued’autres temps. Le français possède plusieurs formes grammaticales permettantd’évoquer la notion de passé. Si certaines formes sont spécifiques de la langueécrite ou d’une langue très recherchée dont l’acquisition est tardive, d’autres sontproduites à l’oral, et de ce fait, par les enfants longtemps avant leur entrée dansl’écrit. C’est le cas de l’imparfait, qui, bien qu’étant un temps grammatical relative-ment peu fréquent dans le langage oral adulte, va apparaître chez l’enfant dès l’âgede trois ans environ (Parisse & Morgenstern, 2012).

Cette étude repose sur un suivi longitudinal de deux enfants en situationd’interactions familiales spontanées. Nous analysons l’usage des formes del’imparfait par rapport au présent et au passé composé, en lien avec la décon-nexion, l’aspect lexical des verbes utilisés, les situations d’emploi chez les enfantscomparées à ceux des adultes du corpus.

1. Temps du français et imparfait

1.1 Travaux sur l’usage de l’imparfait en français

L’imparfait est un temps qui a suscité beaucoup d’intérêt de la part des linguistestravaillant sur le français, en raison des nuances sémantiques et des effets de senstrès variés auxquels il est associé. Certains travaux défendent l’idée que l’impar-fait n’a pas un invariant propre mais des emplois différents suivant, par exemple,l’optique de Meillet et Vendryes (1924). D’autres travaux considèrent que tous cesemplois divers relèvent d’une valeur centrale, à la suite de l’approche prônée parGuillaume (1929/1970). Ainsi, un ensemble d’auteurs attribue à l’imparfait unevaleur aspectuo-temporelle (Guillaume, 1929/1970 ; Gosselin, 1996 ; Wilmet, 2003 ;Brès, 2005). Au niveau temporel, l’imparfait permet de construire un procès dontau moins un point de référence est situé dans le passé ; au niveau aspectuel, laforme verbale est considérée comme étant imperfective et le procès est envisagédans son cours. En cela, l’imparfait s’oppose au passé simple et dans une moindremesure au passé composé qui sont décrits comme étant perfectifs car ilsprésentent le procès dans sa globalité et avec une perspective externe. A ces deuxtraits s’ajoutent des valeurs « modales », soit de l’ordre de l’irréel ou de l’hypo-thèse, soit de l’ordre de la pragmatique, afin de produire des actes de langage indi-

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rects, comme par exemple l’atténuation d’une demande. Les différents effets desens auxquels on associe généralement l’imparfait mettent en jeu l’un et/ou l’autrede ces deux traits, en interaction avec des éléments du contexte (situations extra-linguistiques et linguistiques). La littérature mentionne entre autres des effetsde sens descriptifs, hypothétiques, pittoresques, de rupture, préludiques, forains(Labeau, 2002).

L’imparfait est également étudié dans le cadre d’une analyse fondée sur desgenres spécifiques et en particulier littéraires. Ainsi, Weinrich (1964/1973) proposeune hypothèse selon laquelle imparfait et passé simple formeraient un systèmegrammatical permettant de créer du relief dans la narration : le passé simple indi-querait les événements de premier plan et l’imparfait permettrait de construirel’arrière-plan. Reid (1976) reprend cette hypothèse mais, pour lui, le passé simpleindique une focalisation sur les événements alors que l’imparfait indique unmanque d’attention à l’événement. Ces optiques rejoignent ce que montre Hopper(1979) qui associe la perfectivité à l’avant-plan et l’imperfectivité à l’arrière-plan.Ces travaux s’inscrivent dans ce que Brès (1998) appelle le paradigme textuel. Uneautre approche paradigmatique oppose la valeur anaphorique de l’imparfait à lavaleur non-anaphorique du passé simple (Berthonneau & Kleiber, 1993).

Enfin, l’utilisation de l’imparfait est également justifiée par la relation entretemps grammatical et aspect lexical du verbe utilisé. Pour Ducrot (1979 :6) :« Lorsqu’un énoncé est à l’imparfait, l’état ou l’événement constituant son propossont présentés comme des propriétés, comme des caractéristiques du thème, etqualifient celui-ci dans sa totalité ».

On pourra retenir des nombreux travaux sur l’imparfait, le fait que les valeursqu’il instancie font sens en fonction du système dans lequel il est en oppositionavec les autres temps employés par le même énonciateur dans le même type decontexte. Toutes ces analyses postulent que « l’imparfait ancre le procès dans uneactualité autre que celle de l’énonciateur, créant ainsi une distance, un changementde repère, etc. Cette actualité peut être comprise comme passée (lorsque l’inter-prétation est temporelle) ou fictionnelle (lorsque l’interprétation est modale) »(Patard, 2007 : 34). Cela rejoint « la valeur toncale » de Damourette et Pichon(1970) qui s’applique à tous les temps grammaticaux (imparfait, plus-que-parfait,conditionnel) situant un procès dans un plan en rupture par rapport au plan descoordonnées-origine, celle de « mise à distance » de Adam (1992) qui met en jeudes capacités méta-pragmatiques ou de « non-actuel » de Touratier (1996).

Ces études portent essentiellement sur des corpus écrits dans lesquels l’impar-fait est le plus souvent opposé au passé simple. En français oral contemporain, lepassé simple n’est presque jamais employé. On ne le trouve que dans certains rarescas de lecture de livre ou d’imitation de ce genre. Or, l’imparfait est encore large-ment utilisé en langue orale. On peut se demander dans quelle mesure les analysesfaites sur l’imparfait en langue écrite s’appliquent à l’oral, en opposition à d’autres

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formes verbales, en particulier le passé composé, et en quoi elles se retrouventdans le développement du langage. Les études sur l’acquisition de l’imparfaiten français L2 chez l’adulte et l’enfant nous donnent des pistes de travail. Elless’accordent sur le fait que l’imparfait émerge après le passé composé, qu’il y amoins d’occurrences, et qu’il y a une restriction au départ sur un nombre deverbes statifs avec une prédominance des trois formes avait, voulait, et était et unnombre limité de fonctions (Kihlstedt, 2002). On relève une difficulté acquisition-nelle de l’imparfait en raison de sa polyfonctionctionalité (Kihlstedt, 2009). Il estpar ailleurs difficile d’apprendre à utiliser la distinction aspectuelle entre perfectifet imperfectif en L2, quand elle n’existe pas dans sa L1, quand on ne l’acquiert passuffisamment tôt. Il faudrait avoir commencé l’acquisition du français L2 avant lamise en place de la capacité discursive, qui se construit progressivement entre 5et 10 ans (Hickmann, 2003) pour être capable de manipuler la distinction entrepassé composé et imparfait (Kihlstedt & Schlyter, 2009). Il paraît donc importantde se pencher de manière plus détaillée sur l’acquisition de ces formes en languematernelle.

1.2 Travaux sur l’usage des temps chez l’enfant

Les études sur le développement de la morphologie verbale de l’enfant fran-cophone (Fayol, 1985; Ferreiro, 1971; Morgenstern, Parisse, & Pontonx, 2014;Morgenstern, Parisse, & Sekali, 2010; Parisse & Morgenstern, 2012) montrent queles premières formes verbales utilisées en français par les enfants sont le présent,le participe passé et l’infinitif. Ce sont également les formes les plus fréquentesdans le langage adulte. Le système temporel s’enrichit dans un second temps d’unevariété de formes : passé (passé composé puis imparfait et plus-que-parfait), futur(futur périphrastique puis simple), irréel ou hypothétique (subjonctif, condi-tionnel et imparfait préludique).

Les productions des jeunes enfants sont d’abord extrêmement liées à la situa-tion d’énonciation. Pour sortir de cette référence à l’ici et maintenant, les enfantsapprennent à utiliser des références temporelles déconnectées du présent et del’actualité. Ce développement correspond à celui de la notion de « displacement »proposée par Hockett (1960), Smith (1980) et Weist (1986). Il s’agit de la capacitéà faire référence à une situation abstraite, hypothétique ou irréelle, qui, chezl’enfant, se développe en plusieurs étapes. Ceci rejoint la notion de distanceprésentée ci-dessus dans les travaux de Patard (2007), Damourette et Pichon(1970), Adam (1992) et Touratier (1996). Nous traduirons cette notion par« déconnexion » en l’étendant aux situations abstraites, hypothétiques ou irréelles.Les travaux sur l’usage de l’imparfait chez l’enfant montrent qu’il est surtout utilisépour référer à des procès duratifs (Fayol, 1985; Ferreiro, 1971). Certaines études

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indiquent que les premiers usages référant au passé ont des valeurs aspectuellesplutôt que temporelles (Antinucci & Miller, 1976 ; Weist, Wysocka, Witkowska-Stadnik, Buczowska, & Konieczna, 1984). Dans les récits étudiés par Bronckart(1985), l’imparfait se trouve majoritairement en début de récit et dans les passagesqui contextualisent le récit avec des procès statiques. Certains travaux, parexemple Patard (2010), évoquent également des emplois fictifs ou imaginaireset plus spécifiquement l’emploi préludique propre au monde de l’enfance, dansles jeux de rôle en particulier. Patard (2010) fait notamment une interprétationmodale atténuative de l’imparfait préludique, le rapprochant ainsi de l’usage atté-nuatif de politesse. Elle montre que ce sont les traits [−perfectif] et [−parfait] quiunifient les différents emplois de l’imparfait y compris chez l’enfant. Cependantcette auteure explique que c’est par une vision globale de l’ensemble des tempsverbaux que l’on peut comprendre le fonctionnement spécifique de chacune desformes d’imparfait utilisées par l’enfant.

On a démontré que les premières formes verbales utilisées par les enfantscorrespondent aux formes les plus fréquentes chez l’adulte (Ambridge, Kidd,Rowland, & Theakston, 2015) et que les formes les plus rares dans le langageadulte sont acquises plus tardivement par l’enfant (Tomasello, 2003, entre autres).Certaines unités, bien que rares, bénéficient cependant d’un degré de saillancecontextuelle et d’une valeur suffisamment spécifique pour que l’enfant se lesapproprie relativement tôt et les utilise de manière pertinente (Parisse & Morgens-tern, 2012 ; Morgenstern et al., 2014). Cette variété dans l’appropriation des formesverbales pourrait suggérer que l’enfant commence, comme l’indiquent Meilletet Vendryes (1924), par des emplois différenciés. Nous ajouterons à ce constatla nécessité de comparer les formes de l’enfant aux productions des adultes quil’entourent. Pour étudier l’acquisition des temps grammaticaux chez l’enfant, nousnous inscrivons donc dans une approche socio-interactionniste et construction-niste de l’acquisition du langage (Goldberg, 2006 ; Tomasello, 2003) en prenant encompte le contexte verbal et extra-linguistique dans nos analyses.

Cet article a pour but de comprendre quelle position occupe l’imparfait dansle développement du langage de l’enfant en lien avec son développement cognitifet en particulier l’expression de la temporalité. Nous chercherons notamment àsavoir si l’imparfait participe à la construction par l’enfant d’une déconnexionénonciative.

Nous étudierons l’apparition et les usages de l’imparfait par rapport à ceuxdes autres formes verbales produites par l’enfant et les productions adultes. Nousnous demanderons si ces formes apparaissent d’abord avec des usages et des situa-tions spécifiques, si elles sont variées dès les premières productions ou si elles ledeviennent plus tard.

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Nous ferons porter nos analyses quantitatives et qualitatives sur plusieurstraits correspondant à la littérature du domaine, résumée ci-dessus :

– les fonctions sémantiques et pragmatiques ;– la référence temporelle de ces formes ;– la déconnexion avec l’ici et maintenant ;– l’aspect lexical.

Ces résultats seront ensuite exploités statistiquement, et notamment par desmodèles mixtes, pour vérifier si les hypothèses que nous avançons sont confirméespar nos données, et notamment si la production des formes de l’imparfait parl’enfant :

– est, ou non, une copie de ce que produit l’adulte ;– se traduit par l’usage de valeurs sémantiques nouvelles exprimant la décon-

nexion ;– apparait de manière concomitante avec une maitrise de la notion de décon-

nexion.

2. Description du corpus et méthode

2.1 Description du corpus

Les données utilisées dans cet article sont issues de deux suivis longitudinauxcollectés dans le cadre du projet ANR CoLaJE1 (Morgenstern & Parisse, 2012).Nous travaillons à la fois sur les enregistrements vidéo mensuels d’Anaé etd’Antoine en interaction avec leurs parents et sur leurs transcriptions. Pour lesbesoins de cet article, l’analyse sémantique fine des verbes produits par les enfantset les adultes nous a imposé de limiter le nombre de séances à analyser. Nousavons sélectionné une douzaine de séances par enfant (11 pour Anaé, 13 pourAntoine), réparties uniformément entre l’âges de 2–4,5. Le Tableau 1 fournit laliste des séances pour chaque enfant avec les indications sur le nombre de motsproduits, la longueur moyenne d’énoncé (LME), ainsi que le nombre de verbescodés par séance et le nombre d’imparfaits.

Le Tableau 1 montre que les deux enfants ont un développement langagierassez proche, comme l’indique la longueur moyenne de leurs énoncés (colonne 7).Anaé a une LME un peu plus importante qu’Antoine autour de l’âge de 2 ans. Cetécart se réduit fortement à l’âge de 3 ans et disparait à l’âge de 4 ans. Les colonnes 4

1. Projet ANR CoLaJE, Communication Langagière chez le Jeune Enfant, ANR-08-COM-021,sous la responsabilité scientifique d’Aliyah Morgenstern

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et 5 permettent de mesurer l’utilisation des verbes par rapport à la quantité totalede mots produits par séance (colonne 3). On note de petites différences entre lesenfants, mais toute comparaison entre enfants doit être considérée avec prudence.En effet, le style d’interaction diffère d’un enfant à l’autre, ce qui peut favoriser laproduction langagière d’un enfant sans que son niveau de langage ne soit pourautant plus élevé.

Tableau 1. Liste des sessions analysées et description des productions d’Anaé etd’Antoine

Age

Mots Verbes Imparfait LME

Types Occ. Occ. Occ.

Anaé ;.      , ,;.      , ,;.    , ,;.  , ,;.  , ,;.    , ,;.    , ,;.    , ,;.  , ,;. , ,;.  , ,

Age

Mots Verbes Imparfait LME

Types Occ. Occ. Occ.

Antoine ;.       , ,;.      , ,;.      , ,;.      , ,;.      , ,;.    , ,;.    , ,;.    , ,;.    , ,;.  , ,;.  , ;.    , ,;.  , ,

Note : LME : longueur moyenne d’énoncé ; Occ : nombre d’occurrences. Le nombre de verbes corres-pond au nombre de groupes verbaux (les auxiliaires et les modaux ne sont pas comptés séparémentdes verbes). Le pourcentage d’imparfaits est calculé par rapport au nombre total de groupes verbaux.

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2.2 Méthode

2.2.1 Analyse des formes verbalesToutes les productions des enfants ont été prises en compte. Les groupes verbauxont été analysés de manière détaillée. Les codages ont été réalisés à l’originepar un codeur entrainé spécifiquement pour cette tâche. 10 des codages ontété contrôlés par l’un des trois auteurs de l’article. Les cas de désaccord ont étérésolus après discussion. Lorsque des erreurs systématiques ont été rencontrées, laméthode de codage a été revue et l’ensemble du corpus a été corrigé. Les formesverbales de l’imparfait (voir ci-dessous) ont, quant à elles, toutes été contrôlées.

Il est toujours difficile pour un linguiste qui analyse des productions langa-gières d’enfants d’évaluer l’intention communicative de ces apprentis énoncia-teurs. Nos codages sémantiques sont basés sur des critères non-langagiers,c’est-à-dire que c’est l’intention de communication globale qui est jugée, tellequ’elle est comprise par l’interlocuteur.

C’est pourquoi nous avons choisi de prendre la perspective de l’interlocuteur-adulte de l’enfant, avec toutes ses caractéristiques, dont le contexte discursif etextralinguistique. Ceci est valable aussi bien pour les valeurs syntaxiques quesémantiques et pragmatiques. Nos codages ne reflètent donc que l’interprétationde l’adulte en interaction avec l’enfant. Ceci nous permet de choisir une desinterprétations possibles lorsqu’il y a ambiguïté phonologique (par exemple entreparticipe passé, infinitif, imparfait, 2ème forme plurielle du présent) ou séman-tique. Dans les cas où l’adulte ne fait aucune interprétation, ce que nous voyonsdans l’interaction en fonction des réponses de l’adulte, alors nous ne ferons pas decodage et noterons l’énoncé comme incertain.

Cette prise en compte de la seule interprétation de l’adulte offre plusieursavantages. D’abord elle est cohérente avec notre position théorique, qui privilégiel’acquisition du langage en situation d’interaction. Ensuite, elle nous permet dene pas craindre les erreurs de codage. Si l’adulte interprète les propos de l’enfantde manière surprenante (ou d’une manière qui ne serait pas partagée par d’autrespersonnes), alors c’est cette interprétation que l’enfant reçoit dans l’interaction,donc celle avec laquelle il fera son développement langagier. Enfin, notre positionnous permet de coder toute production de l’enfant, du moment qu’elle contribue àl’interaction avec l’adulte, même si les productions sont très mal formées (du pointde vue de l’adulte) ou très surprenantes.

Ainsi, si l’enfant utilise des formes non standard, non attendues, ou mêmeerronées du point de vue du modèle de l’adulte, alors nous privilégions l’interpré-tation sémantique (le sens de la production de l’enfant dans son contexte commele fait le plus souvent l’adulte dans l’interaction) qui servira à coder les variablesayant une valeur sémantique. La forme verbale en revanche sera codée en fonctionde sa forme. Par exemple si l’enfant dit « tombe » alors que l’objet est déjà par

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terre, le repérage temporel sera codé comme « passé » mais la forme (temps gram-matical utilisé) sera codée comme « présent simple ».

Dans le cas de la référence chronologique et de la déconnexion (voir ci-dessous), c’est le sens que l’adulte donne à la production de l’enfant, dans l’inter-action, qui fixe la valeur de la chronologie et de la déconnexion. La pratiquedu codage montre qu’il est difficile de faire abstraction des termes produits parl’enfant : ceux-ci ont un effet très fort sur la compréhension de l’adulte (ce quimène à une interprétation formelle). Cet effet est d’autant plus fort quand la formeproduite est identique à une forme adulte, même si elle est utilisée avec une fonc-tion inattendue en contexte (un verbe utilisé à l’imparfait alors qu’un adulte utili-serait un autre temps). Nous espérons ne pas supprimer cet effet incontournablequi fait partie de l’interaction langagière et n’est pas un artefact du codage.

Les variables analysées sont :

– La forme temporelle : il s’agit du temps grammatical classique du français (cf.Grevisse & Goosse, 1993) – pour la liste des principales formes codées, voirTableau 2.

– La référence chronologique : il s’agit du repérage temporel du prédicatdésigné par le verbe. Notre paradigme comprend quatre références possibles :passé, présent, futur et atemporel. Le présent est codé de manière très restric-tive : s’il ne s’agit pas de présent générique (assez rare chez l’enfant), le procèsdoit être effectivement en cours, en train de commencer, ou en train de seterminer. Le terme « atemporel » est utilisé dans notre étude soit pour référerà des usages fictionnels (« il était une fois »), soit quand la prédication n’estpas repérée temporellement (« qu’est-ce que tu te ferais à manger si tu habitaistoute seule? »). Une action qui s’est achevée ou qui va commencer, même sil’écart temporel par rapport au moment de l’énonciation est quasi-négligeable,est considérée comme passée ou future.

(1)2 Anaé 2;06.27. L’enfant s’amuse à se mettre des lunettes sur le nez.Anaé : 0 [=! rit] yyy sur mon nez.act : CHI tripote avec ses lunettes qui lui tombent du nezMère : +< 0 [=! petit rire].Anaé : aïe.Observateur : +< 0 [=! rit].Anaé : mais e(lles) sont tombées tout seules.pho : me ! s"# t"#be tu sœl

2. Les extraits comportent en première ligne le nom de l’enfant, son âge et un commentairedescriptif. Les transcriptions comportent le prénom de l’enfant ou le rôle du locuteur adulte puisune transcription orthographique au format CHAT (MacWhinney, 2000), et lorsque nécessairepour la compréhension de l’exemple, des lignes dites secondaires comprenant une transcriptionphonétique (pho) ou des informations sur la situation (act, sit, add).

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Dans cet exemple, quand Anaé dit « elles sont tombées », elle a déjà ramassé leslunettes qui sont dans sa main, donc il n’y a pas d’ambiguïté, il ne peut s’agir icid’un résultat.

(2) Anaé 2;06.27. L’enfant parle d’elle-même.Anaé : +< yyy le sapin et c’est un Père_Noël.Anaé : tu sais yyy là que j’ a mis .pho : ty se aibu la kə % a miaAnaé : que j’ a mis.pho : kə % a miaAnaé : c’est que j’ a mis.pho : se kə % a miMère : t(u) as mis les boules sur le sapin c’est ça?Anaé : +< oui 0 [=! hoche la tête].

Dans l’exemple (2), on pourrait considérer soit le résultat, les boules sont sur lesapin, soit la description d’une action passée (cf. Sabeau-Jouannet, 1977). Dansce cas, nous avons privilégié l’interprétation passée, non pas pour affirmer qu’elleest plus plausible que l’interprétation « résultat », mais pour indiquer que l’enfantdispose de moyens pour exprimer une distance temporelle. C’est particulièrementvrai dans cet exemple car le sapin n’est pas présent, et la production est égalementdéconnectée (voir ci-dessous).

Le codage est réalisé sur une base sémantique, à l’aide des éléments contex-tuels. Il est donc possible de rencontrer des situations dans lesquelles le codagechronologique entre en contradiction avec le temps grammatical utilisé commedans l’exemple (3).

(3) Antoine 2;07.22. L’enfant est en train de jouer à la voiture. Sa mère lui demandede s’arrêter et de passer à table. Face à l’absence de réponse de l’enfant, elle luibloque le passage.Mère : voilà stop !Antoine : non c’était pas stop !Mère : Antoine !Mère : si on mange !

Ici, l’enfant refuse de s’arrêter et son propos contient une demande (continuerà jouer à la voiture) qui concerne un objet présent, ce qui nous amène en tantqu’adulte en interaction avec l’enfant, à une interprétation et un codage chronolo-gique « présent ». L’enfant n’est pas dans l’atemporel, puisqu’il réfère à une situa-tion présente et précise. Une interprétation plus complexe respectant la valeurtemporelle de l’imparfait est possible. Par exemple on peut considérer que l’enfantfait référence à la production précédente de sa mère, une seconde avant, qui

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correspondrait à une paraphrase du type « non, tu ne devais pas dire stop ». Maisune telle interprétation ne serait pas ici en phase avec le niveau de développementde l’enfant dans cette séance. L’interprétation au présent comme refus dans l’ici etmaintenant, est effectivement bien celle de sa mère dans l’enregistrement.

– La déconnexion : ce codage est délicat car l’interprétation langagière de ladéconnexion par un adulte se base en général sur des informations partagéesconventionnellement par la communauté culturelle, et portées ici par lamorphologie verbale. Or, l’enfant qui apprend à parler ne s’est pas encoreapproprié ces conventions. Le codage de la déconnexion doit donc reposersur des éléments concrets (présence ou non dans la pièce de la chose donton parle, …), plutôt que sur des éléments verbaux. Ainsi dans l’exemple (4),la seule mention du nom de la nounou (Tatie) qui n’est pas présente dans lasituation permet de faire référence à une situation antérieure.

(4) Antoine : 2;01.28. L’observateur est surpris parce que Antoine a un pansementsur le menton.Père : non il s’ est fait un petit bobo au menton.Père : comment tu t’ es fait bobo au menton mon chéri ?Antoine : Tatie.pho : y tatiPère : c’était chez Tatie ?

L’exemple (4) montre qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un verbe dans un énoncépour exprimer la déconnexion, ici justifiée à la fois de manière spatiale et tempo-relle. D’une façon générale, la déconnexion peut s’exprimer soit par la temporalité,soit par la distance spatiale, soit par la situation de production. La forme verbalen’est pas toujours suffisante pour induire la notion de déconnexion temporelle,sauf pour certaines formes temporelles précises comme par exemple l’imparfait.

(5) Anaé : 2;06.27. Anaé parle du sapin de Noël d’elle-même, sans être sollicitéespécifiquement. Il n’y a aucun sapin ni objets évoquant clairement Noël dans lapièce. Anaé s’adresse à l’observateur.Anaé : +< yyy le sapin et c’est un Père_Noël.pho : lək"#t&# lə sap!# e se œ## p!rno!lAnaé : tu sais yyy là que j’ a mis .pho : ty se aibu la kə % a mia… Anaé répète plusieurs fois ce qu’elle vient de dire puis la mère entre dans laconversationMère : non sur le sapin qu’est+ce+que tu as mis ?Mère : des boules et+puis quoi?Anaé : et+puis (.) une guirlande.

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pho : ep(i yn gil&#dMère : une guirlande ouais.Mère : c’était joli non ?

Dans l’exemple (5), Anaé utilise le passé composé sans autre référence temporellepour évoquer un événement passé et déconnecté. On voit que sa mère entre justeaprès dans la conversation en utilisant d’abord la même forme « as mis », puisun imparfait avec le verbe « être ». L’usage par la mère de l’imparfait n’est pasrepris par l’enfant où que ce soit dans cette séance. Toute cette séance présente(adulte et enfant) des énoncés déconnectés de l’ici et maintenant. D’un point devue temporel, les énoncés sont considérés comme référant au passé.

(6) Anaé : 4;00.13. Anaé est en train de raconter des histoires en se reposant sur seslivres d’images.Anaé : aujourd’hui ma(man) [/] maman yy [/] yy [/] yyy e(lle) portaitPetit_Lapin dans ses bras +…act : Anaé regarde le livreAnaé : et [/] et quand le lapin s’ assiya@c par+terre à l’ envers +…pho : e e k&# lə lap!# s asija part!r a l &#v!rAnaé : +, Petit_Soleil s’ endorma@c!pho : pətis"l!j s &#d"rmaAnaé : <et quand i(l)> [/] quand le soleil metta@c un chapeau pour pas qu’ il atrop chaud +…pho : e k&# i k&# lə sol!j m!ta œ## ʃapo pur pa k il a tro ʃoact : Anaé tourne la page, place le livre au niveau de ses yeux et le tournepour que MOT voie l’imageAnaé: +, i(l) fermait les yeux et tous les deux i(ls) sontaient@c amoureux eti(ls) rigolaient [=! sourit]pho : i f!rm! l! zjø e tu l! dø i s"#t! amurø e i rig"l!act : Anaé regarde Mère et remet le livre sur ses genouxMère : d’accord .

Dans l’exemple (6), Anaé s’est clairement placée dans la situation de reproduireles narrations avec support de livre qu’on a pu lui raconter. Elle utilise clairementdes formes verbales inhabituelles pour elle en dehors de ce contexte. On observeen particulier l’usage de surgénéralisations de passés simples, s’ assiya@c, s’endorma@c, metta@c, (le codage @c indique que la forme produite est spécifiquede l’enfant), et d’imparfaits, fermait, rigolaient, dont une surgénéralisation,sontaient@c. Dans ce type de situation, les énoncés sont codés comme décon-nectés et atemporels. La déconnection est donc, comme pour le cas du préludiqueci-dessous, liée à la situation d’énonciation et non à la sortie de l’ici et maintenant,

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l’enfant disposant d’un support livresque tangible qu’on pourrait situer dans l’iciet maintenant.

Le but du codage de la déconnexion est d’objectiver ainsi les informationsauxquelles l’enfant peut accéder au cours de son développement langagier. Toutcomme dans le codage chronologique ci-dessus, on peut trouver des contradic-tions entre les temps verbaux et la situation effective, comme dans l’exemple (7)où, malgré l’emploi de l’imparfait, il n’y a pas de déconnexion temporelle.

(7) Antoine 4;00.09. L’enfant est en train de placer un bonhomme sous uncamion.Antoine : Il était écras(é) écrabouillé le bonhomme.Observateur : Il était écrabouillé le bonhomme?

Le bonhomme dont parle l’enfant est présent (dans sa main) donc dans l’ici etmaintenant, l’action est en cours et la référence explicite un résultat présent dansl’ici et maintenant. L’enfant présente la situation en metteur en scène. Cet impar-fait pourrait s’interpréter comme un imparfait préludique, marquant l’activité defaire semblant et la créativité de l’enfant dans le jeu. L’existence d’une interpré-tation préludique n’ôte en rien le fait que les objets manipulés par l’enfant sontdans l’ici et maintenant. Rappelons ici que notre codage dans l’ici et maintenantest un codage qui ignore les interprétations et se base uniquement sur des critèresperceptifs : l’objet n’est pas déconnecté s’il est perçu, touché, visible ou audibleau moment où l’énoncé est produit. Ce critère strict nous permet de différencierl’activité sensible de l’enfant, de sa découverte du langage et des possibilités qu’iloffre.

– L’aspect lexical : afin de pouvoir analyser les liens éventuels entre certainstypes de procès et l’imparfait au cours du développement de l’enfant, nousutilisons pour les besoins de cette étude les catégories décrites par Vendler(1967) : achèvement, accomplissement, activité et état.

Ces quatre éléments de codage sont utilisés pour toutes les formes verbales qu’ils’agisse de l’imparfait ou des autres temps. Pour l’étude de l’imparfait, nous avonsajouté un codage de ses valeurs sémantiques ou emplois et de la situation deproduction, développé ci-dessous.

2.2.2 Analyse des fonctions et des situations de production de l’imparfait

Analyse des fonctionsNotre codage reprend certaines catégories proposées dans la littérature (voirsupra) pour étudier les valeurs de l’imparfait. Cela nous permet de faire uneanalyse assez fine de ce que fait l’enfant tout en utilisant des catégories sur

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Descriptif :

Fictif :

Hypothese :

Attenuation :

Concordance :

Pragmatique/Opposition :

lesquelles un accord inter-juge est réalisable. Nous avons conservé un nombreassez élevé de catégories car il y avait à rendre compte tant des usages des deuxenfants que de ceux des adultes. Les catégories sont décrites ci-dessous et toutessuivies d’un exemple extrait de notre corpus.

ce que l’enfant dit correspond à une situation passée réelle ou inter-prétée comme telle dans le contexte, comme par exemple l’évocation d’unsouvenir.

(8) Anaé 3;01.07.Mère : tu te rappelles quand tu étais monté sur Cacao avec Anaé?Anaé : +< et [/] et aussi y avait Timothée.Mère : non Timothée il était pas là.Dans cet extrait, c’est la mère qui introduit la référence au passé en invitantAnaé à évoquer un souvenir de vacances (cf. : « Tu te rappelles »).

l’enfant raconte une histoire inventée.

(9) Anaé 4;00. L’enfant raconte une histoire en faisant semblant de lire un livre.Anaé : et Petit Chien dormait en haut et Petit Lapin dormait en bas.Anaé parle avec une prosodie très particulière imitant la lecture d’histoire desadultes. On peut considérer que l’usage de l’imparfait est un marqueur dugenre « raconter une histoire à partir d’un livre ».

il s’agit de la formulation d’une hypothèse, souvent accompagnée dumarqueur si.

(10) Antoine 3;09,22.Grand-mère : Je te donnerais une fessée si tu cassais mon fauteuil.

c’est un procédé utilisé pour établir une distance pragmatique,plutôt que de faire une requête ou un commentaire direct.

(11) Anaé 3;08,10.Mère : Je voulais juste qu’on regarde ton truc

L’usage de l’imparfait est suggéré sinon imposé par la concordancedes temps en particulier dans le cadre du discours rapporté.

(12) Antoine 2;07,22.Mère : Tu lui as montré à tonton comment tu dormais ?

Il s’agit de cas où la situation implique une correction,une opposition ou un ajustement au thème en cours. L’imparfait permet deréaliser cette opposition de manière atténuée. Ce type de stratégies verbales est

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Suggestion :

Preludique :

très répandu dans les rectifications indirectes que l’adulte fait à l’enfant (Pontonx,Masson, Leroy-Collombel, & Morgenstern, 2014).

(13) Anaé 3;09.Mère : En fait c’était du orange, c’était pas du rouge.L’adulte cherche ici à notifier une correction sur le dire qui précède. Elle décritparfaitement les modifications à apporter à la situation sans exiger une correc-tion explicite.

Le locuteur fait une suggestion à l’interlocuteur ou prodigue unconseil, ici avec une pointe d’ironie.

(14) Anaé 1;06,08.Observateur : et si tu mettais dans ta bouche de temps en temps

il s’agit de la verbalisation des prédications durant un jeu de fairesemblant

(15) Antoine 4;05,16.Observateur : là ça fait une belle maisonAntoine : non mais là c’était la maison du lapin là c’était le garage.L’enfant aurait pu produire l’énoncé au présent mais, dans ce cas, cela aurait étéune simple correction de l’affirmation de l’observateur, alors qu’avec l’imparfaitl’enfant se place dans la sphère du (pré)ludique. Le préludique correspond, nonà une déconnexion temporelle, mais à une déconnexion énonciative.

Situation de productionL’utilisation de la référence chronologique (voir ci-dessus) par l’enfant peutamener à de grandes différences avec l’usage attendu de l’adulte. En particulier,l’enfant reproduit parfois la situation de production (lecture de livre, narration,usage spontané, etc.), en particulier les formes verbales entendues dans cette situa-tion, plutôt que la sémantique de l’usage temporel. Par exemple, l’enfant utiliseparfois des passés simples, formes habituellement absentes du langage oral, dansdes situations qui reproduisent les situations de lecture. Il a ainsi assimilé le faitque certaines formes sont plus attendues que d’autres dans certaines situationsde production. C’est pour prendre en compte cette dimension que nous avonseffectué un codage des situations de production qui comprend les grandes catégo-ries suivantes :

– L : Situation de lecture de livres– F : Fiction, narration (sans support)– R: Récit autobiographique– N: Référence au passé (usage spontané hors récit autobiographique)

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3. Analyses

3.1 Analyse des formes verbales temporelles

Le Tableau 2 présente la répartition (en pourcentage) des formes verbales selonleur temps grammaticaux dans chaque enregistrement pour les deux enfants et lesadultes. Ce tableau présente également des informations sur la valeur de décon-nexion, qui seront utilisées en complément des autres données dans la partie3.5. Les informations sur la déconnexion chez l’enfant et sur la référence chro-nologique, ont été codées sur l’intégralité de toutes les séances du corpus. Enrevanche, pour l’utilisation par l’adulte, une seule séance complète du corpusd’Anaé (2;09.23) et deux séances complètes du corpus d’Antoine, une séance oùl’interlocuteur principal est la mère (2;07.22) et une séance où l’interlocuteur prin-cipal est la tante (3;02.24), ont été codées. Toutes les autres informations, enparticulier toutes celles qui concernent l’imparfait, adulte comme enfant, ont étécodées sur tout le corpus.

Afin de positionner l’apparition et le développement des formes de l’imparfaitparmi les autres formes verbales, nous les avons regroupées en six grandes catégo-ries et nous confirmons les résultats décrits par Parisse et Morgenstern (2012) :

– Les présents et impératifs, qui sont des formes difficiles à différencier surtoutau début du développement lorsque l’enfant omet beaucoup de pronomspersonnels, sont les formes les plus courantes dans la langue à tout âge.

– Le passé composé (catégorie à laquelle nous ajoutons les participes passéssans auxiliaire) correspond aux premières formes de référence au passé chezl’enfant. Il s’agit de la forme la plus utilisée pour marquer le passé en français.

– Les formes du futur périphrastique qui sont construites à partir du verbe allersuivi de l’infinitif sont les formes standard de référence au futur dans la languefrançaise chez l’adulte comme chez l’enfant (Grevisse & Goosse, 1993).

– Les formes infinitives utilisées seules ou après une préposition, et les formesavec un auxiliaire modal suivi d’un infinitif (hors formes du futur périphras-tique) permettent d’articuler deux prédicats (préposition suivie de l’infinitif)ou d’exprimer le potentiel, le possible, les requêtes (formes modales).

– L’imparfait est une catégorie qui comprend toutes les formes à l’imparfait :verbes lexicaux (y compris avoir et être quand ils ne sont pas auxiliaires)et modaux (modal à l’imparfait plus infinitif – par exemple « je voulaismanger »).

– Autres formes comme le conditionnel, le futur flexionnel ou le plus-que-parfait qui sont extrêmement rares.

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Tableau 2. Pourcentages d’usage des temps grammaticaux et de la déconnexion chezAnaé, Antoine et les adultes

Anae ;

.

;

.

;

.

;

.

;

.

;

.

;

.

;

.

;

.

;

.

;

.

Adu

ltes

Présent, impératif                        Passé composé                                Infinitif, modal                             Futur périph.                                    Imparfait                                   Autres                                    Déconnexion                           Total Occ.    

Antoine ;

.

;

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;

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.

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;

.

Adu

ltes

Présent, impératif                           Passé composé                                 Infinitif, modal                                  Futur périph.                                           Imparfait                                           Autres                                           Déconnexion                                Total Occ.

Note : Tous les nombres sont donnés en pourcentage, sauf Total Occ. : nombre total d’occurrences, quicontient des valeurs absolues. Les valeurs pour la déconnexion sont présentées ci-dessous, partie 3.5.

Les usages des formes temporelles varient d’une séance à l’autre. Chez Anaé,la production d’imparfait est en moyenne de 2,7 (par rapport à l’ensemble desgroupes verbaux produits par Anaé), avec un écart-type important de 4,1, et desvaleurs extrêmes allant de 2 à 13 sans tenir compte des séances où l’enfant jeunene produit encore aucun imparfait. Chez l’adulte, elle est en moyenne de 3,8,avec un écart-type plus faible (2,3), en tenant compte de toutes les séances. ChezAntoine, elle est de 1,6 en moyenne (écart-type : 2,5) et varie de 2 à 9 ; chezl’adulte, la moyenne est de 3,3 (écart-type : 1,6). On constate donc une plusforte variabilité dans le corpus d’Anaé.

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Les valeurs obtenues confirment les tendances notées pour d’autres enfants duprojet CoLaJE.3 Ceci est valable aussi bien pour le développement de l’usage destemps en général (Parisse & Morgenstern, 2012), que pour des temps grammati-caux précis comme ceux du futur (Morgenstern et al., 2010).

Le présent est la forme la plus fréquente chez l’adulte et chez l’enfant, etla forme la plus précoce chez l’enfant. Les formes qui correspondent au passécomposé et aux modaux sont également très précoces chez l’enfant : 1;06 chezAnaé et 1;09 chez Antoine. Ces formes sont relativement fréquentes chez l’adulte(autour de 10 chacune) et apparaissent quasiment en même temps que lesformes de présent chez l’enfant, bien qu’elles soient sept fois moins utilisées. Il fautnoter que les formes participe passé et infinitif du 1er groupe étant homophones,elles sont très représentées dans les productions de l’enfant.

L’imparfait apparait beaucoup plus tard chez les deux enfants. Cette appa-rition est très rapide chez Anaé et plus progressive chez Antoine. L’imparfaitn’est produit systématiquement qu’à partir de l’âge de 3 ans, même si on trouvequelques exemplaires d’imitation dans des chansons chez Antoine à 2;03. Enrevanche, l’imparfait est présent chez l’adulte à toutes les séances.

On constatera que les fréquences d’utilisation de l’imparfait et du futur péri-phrastique sont assez semblables chez l’adulte. Or, l’usage de l’imparfait chezl’enfant est plus tardif et moins régulier que celui du futur périphrastique. Cetteémergence plus tardive de l’imparfait ne peut pas s’expliquer par une fréquencequi serait moindre dans le langage entendu par l’enfant. Il faut donc trouver uneautre explication à cet ordre d’apparition. On peut penser que l’enfant très jeunen’a pas recours aux formes de l’imparfait, soit parce qu’il n’en a pas besoin, soitparce qu’il ne maîtrise pas leurs fonctions tant au niveau cognitif que pragmatique.

3.2 Analyse des formes de l’imparfait

Afin de vérifier si les productions sont basées sur des items spécifiques ou sont aucontraire généralisées à tout un ensemble de verbes, nous avons analysé les formesproduites pour chaque séance. Les formes produites par les enfants aux différentsâges sont présentées de manière exhaustive dans le Tableau 3 (les séances sansproduction d’imparfait ne sont pas mentionnées). Le Tableau 4 fournit le nombrede types et d’occurrences pour toutes les sessions chez les adultes qui entourent lesenfants.

3. Les données du projet ANR CoLaJE a donné lieu au corpus Colaje disponible surwww.ortolang.fr dont l’identifiant pérenne est https://hdl.handle.net/11403/colaje. Les donnéeslongitudinales d’Antoine et Anaé en sont extraites.

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Tableau 3. Formes de l’imparfait produites par les deux enfantsAnaé ;. ;. ;. ;. ;. ;. ;.Formes était c’était avait

c’étaitappelait

c’était ()y+avait ()appelait ()avaitétait

c’était ()avait ()était ()étaisavaisfallait-dormirvoulait-dormir

avait ()c’était ()était ()dormait ()étais ()y+avait ()jouaient ()mettait ()sontaient ()arrosaitattendaitavaiscroyaientdessinaitétaientfaisaitfermaitmettaientparlaitpartaitportaitriaitrigolaientsentaittrouvaitvoyait

était ()avait ()étaisallaitglissaitpouvait-faireregardaitvendaitvoulait-attraper

Types    Occurrences

Antoine ;. ;. ;. ;. ;. ;. ;. ;.Formes venait était c’était avait

étaisétait-arrêté

c’étaitavaity+avait

avais ()était ()c’était ()rangé ()avaitétaisétait-fallaitvoulait-aider

c’était ()était ()croyaisfaisait

c’était ()était ()étais ()avait ()disait ()garait ()y+avaitavaientdisaisétaientpensaisvenait

Types   Occurrences

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Tableau 4. Nombres de types et d’occurrences des formes d’imparfait produits par lesadultes

Anaé Adultes ;

.

;

.

;

.

;

.

;

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;

.

;

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;

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;

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Types                

Occurrences  

Antoine adultes ;

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;

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;

.

;

.

;

.

;

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;

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;

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;

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;

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;

.

;

.

Types                  

Occurrences      

On peut distinguer deux grandes périodes dans la production de l’imparfaitchez les deux enfants. Pour Anaé, la première période va jusque 3;08.10 compris.Jusqu’à cet âge, elle ne produit quasiment que les formes homophones du verbeavoir (avais, avait, avaient) et du verbe être (étais-était-étaient). Les seules excep-tions sont « allait », « appelait » et « dormait ». Le nombre total d’occurrences estfaible mais atteint tout de même le nombre de 10 à 3;08.10. Les deux items [av!]et [et!] semblent être des formes spécifiques non généralisées que l’enfant a àsa disposition. En revanche, dans la session qui suit à 4;00.13, Anaé produit unegrande variété de types (23) et d’occurrences (71). La dernière séance ne contientpas autant d’items mais est tout de même plus riche que les sessions avant 4 ans.

En ce qui concerne Antoine, on trouve une tendance légèrement différente.Jusqu’à 2;11.16, il ne produit que les formes homophones des verbes avoir et être,ainsi que la forme « venait », et ne produit jamais plus de 3 formes d’imparfait. A3;09.22, il produit un nombre nettement plus important de formes (16), ce qu’ilréitère durant les séances suivantes. En revanche, les types restent encore assez peuvariés (deux nouvelles occurrences, « fallait » et « faisait »). Enfin, à la dernièreséance, 4;05.16, Antoine produit des formes deux fois plus variées et en bien plusgrand nombre. A la différence d’Anaé, on ne trouve pas un bond dans les produc-tions ni en type, ni en occurrence. On constate en revanche chez les deux enfantsun démarrage avec la production d’un nombre restreint de verbes, puis une géné-ralisation de l’usage et de la variété des formes.

Dans les corpus de chaque enfant, on trouve une séance particulière : Anaéà 4;00.13 et Antoine à 4;05.16, dans lesquelles les enfants produisent un trèsgrand nombre d’imparfaits. Ceci s’explique par des situations propices à l’usage de

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l’imparfait. Pour Anaé, il s’agit d’une situation de pseudo-lecture dans laquelle elletient un livre et raconte une histoire originale (qui ne suit pas exactement le livre),et elle utilise l’imparfait pour marquer la fiction. Pour Antoine, il s’agit de situa-tions de jeu fictif, dans lesquelles il utilise lui aussi l’imparfait (préludique) commecela est attendu en français. Pour les deux enfants, on constate la mise en œuvred’une compétence que nous n’avons pas constatée quelques séances auparavant.Ces deux exemples montrent clairement en quoi la production de l’imparfait peutêtre dépendante de la situation d’énonciation. Il reste à comprendre si les enfantsproduisent leurs premières formes d’imparfait justement parce qu’ils ont intégréle lien entre la situation et la forme, ou si c’est leur appropriation des fonctions del’imparfait qui leur permet d’initier ou de s’ajuster à ces situations d’énonciation.Cette question sera discutée plus loin.

Enfin, l’usage des formes par l’enfant ne reproduit pas celui de l’adulte. Ainsi, àla différence des enfants, les adultes produisent des imparfaits à toutes les séances,et ce, quel que soit l’âge de l’enfant. L’enfant dispose donc d’un modèle adulte del’imparfait, avec un grand nombre de types à chaque séance.

Malgré ce modèle régulier, l’enfant peut produire des formes non standardqui témoignent de son travail cognitif et linguistique. Anaé utilise « sontaient »à la place de « étaient » à 4 ans, manifestant ainsi sa connaissance de la formequi marque la troisième personne du pluriel du verbe être au présent (sont) en yajoutant le morphème d’imparfait (-aient). Ces erreurs sont néanmoins très raresen dehors des verbes irréguliers. La fréquence des emplois de « étaient » dans lecorpus de l’adulte permet sans doute à Anaé de rectifier son écart qui se justifieparfaitement car elle a tout simplement ajouté du régulier dans l’irrégularité.

La forme la plus fréquente de l’adulte [et!] (étais, était, étaient) représente55 des formes d’imparfait dans le corpus d’Anaé et 49 dans celui d’Antoine,tandis que la deuxième forme la plus fréquente [av!] (avais, avait, avaient) appa-rait respectivement à hauteur de 13 et 14. Ainsi, l’entrée dans l’imparfait desenfants reproduit bien dans sa distribution le modèle de l’adulte, ce qui corres-pond aux hypothèses constructivistes sur le langage de l’enfant (Ambridge et al.,2015; Tomasello, 2003).

3.3 Analyse des fonctions de l’imparfait

Le Tableau 5 présente les fréquences d’usage des fonctions de l’imparfaitLes adultes des deux corpus utilisent l’imparfait de manière régulière dans

toutes les séances. Chaque séance comporte de nombreuses occurrences de lafonction descriptive. Les autres fonctions sont toutes employées en moindre quan-tité et de manière variable selon les séances.

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Tableau 5. Distribution des fonctions de l’imparfait

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Anaé Adultes

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Tota

l

;.          ;.          ;.      ;.          ;.              ;.                ;.             ;.          ;.            ;.             ;.            ;.                  ;.            Total   total        

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Les premières formes de l’imparfait chez les deux enfants ont une fonctiondescriptive que l’on retrouve dans presque toutes les séances. Les usages del’enfant se diversifient progressivement avec l’âge.

L’usage de l’imparfait semble largement dépendant de l’activité en cours. Pourchacun des enfants, on observe au moins une séance comportant un nombreparticulièrement important d’imparfaits qui relèvent du même type de fonction.Dans ces séances, ce sont les enfants qui mènent l’échange avec l’adulte.

Ainsi, à 4;00.13, Anaé passe environ 30 minutes à faire semblant de lire deslivres en prenant soin, comme le ferait une maîtresse, de montrer les images à samère qui intervient très peu, si ce n’est pour acquiescer (voir Exemple (16)).

(16) Anaé 4;00.13Anaé : +, et [/] et [/] et Petit_Chien avait un pyjama de [/] de [/] de un dragonact : CHI, à la fin de son énoncé, regarde MOT en écarquillant les yeuxMère : 0 [=! rit]sit: CHI retourne le livre afin que MOT voie l’imageMère : ah oui !Anaé : et [/] et Petit_Lapin avait un [/] un pyjama de [/] de [/] de loupsit: CHI retourne le livre afin que MOT voie l’imageMère : waw !Anaé : et après yy [=! petit bruit] Petit_Chien était en+dessous son lit et i(l)dormait et [/] et Petit_Lapin était dessus le lit alors i(l) dormaitact : CHI tourne la page et pointe sur l’image

Cette situation l’amène à produire 63 imparfaits fictifs (pseudo-lecture), soit 80de ses imparfaits dans cette séance. Bien qu’Anaé raconte l’histoire à partir de ladescription des illustrations, elle maintient le genre narratif et la rupture opéréepar l’imparfait plutôt que d’utiliser le présent de description.

De même, à 4;05.13, Antoine produit 17 imparfaits préludiques lors d’unesituation de jeu fictif menée durant près de 40 minutes en interaction avec l’obser-vateur et sa mère, soit 68 de ses imparfaits dans cette séance (cf. Exemple (17)).

(17) Antoine 4;05.16Antoine: on disait que là c’était l(e) papa et la maman et là yy y avait l’enfantMère: +< hé doucement xxadd: au frèreObservateur: d’accord là c’est l’enfantAntoine: +< étaient troisObservateur: i(l)s étaient trois

Il est intéressant de noter que le mode préludique est à l’initiative de l’enfant quichoisit de le conserver même quand l’observateur passe au présent de descrip-

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tion (utilisation de « d’accord là c’est l’enfant » à la place de « d’accord là c’étaitl’enfant »).

La comparaison de la répartition des productions en nombre absolu d’occur-rences des enfants et des adultes ne montre aucune différence significative ni pourAnaé, ni pour Antoine. Pour Anaé, un test de chi carré donne un résultat deX2(4) =6, p= 0,199 et pour Antoine de X2(25) =30, p= 0,224 en ne tenant compteque des fonctions produites par l’enfant. Si on prend en compte toutes les caté-gories, en attribuant une fréquence de 0 pour les fonctions non produites parl’enfant, on trouve pour Anaé un résultat de X2(18)= 21, p=0,279 et pour Antoineun résultat de X2(42) =48, p= 0,242. On constate donc que dans tous les cas, lescatégories rares chez l’enfant le sont aussi chez l’adulte, et de même pour les caté-gories fréquentes.

3.4 Référence chronologique et usage de l’imparfait

Comme indiqué dans la méthodologie, nous avons observé le lien entre tempschronologique et situation de production. Les résultats obtenus par Anaé et parAntoine sont présentés en nombre d’occurrences dans le Tableau 6. Ce tableau neprend pas en compte les données inclassables du point de vue temporel (1 pourAnaé, 6 pour Antoine).

Le Tableau 6 montre que les enfants utilisent beaucoup l’imparfait pourexprimer le passé ou l’atemporel, tout comme les adultes. Ainsi, on relève trèspeu d’usages de l’imparfait faisant référence au présent (trois pour Antoine et unseul pour Anaé) et aucun au futur. L’utilisation de l’imparfait par les deux enfantsprésente des points communs et des différences qui traduisent les styles et les inté-rêts des familles et des enfants, ou encore les circonstances de l’enregistrement dela vidéo.

Le point commun entre les deux enfants est l’utilisation de l’imparfait pourdes récits autobiographiques. Cette utilisation devient plus systématique aprèsl’âge de 3 ans environ. Antoine l’utilise un peu moins qu’Anaé, et de façon plustardive. Il produit en revanche davantage de références non fictionnelles au passéqu’Anaé. Cette différence relève plutôt d’une différence de style que de maturitélinguistique.

Les autres usages révèlent d’importantes différences entre les enfants. Anaéproduit un grand nombre d’imparfaits en situation de lecture (ou pseudo-lecture)de livres. Dans nos enregistrements, Antoine n’a, quant à lui, pas l’occasion defaire semblant de lire. En revanche, il se lance dans un récit de fiction sans livredans la séance 4;05.16, produisant alors de nombreux imparfaits, ce qu’Anaé, àson tour, n’a pas l’occasion de faire. On peut remarquer que ces usages atem-porels sont, chez les deux enfants, spécifiques de certaines séances. Ainsi, Anaé

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Tableau 6. Usage de l’imparfait en fonction de la référence temporelle et de la situationde production chez Anaé et Antoine

Atemporel Passé Présent

L R F N L R F N L R F N

Anaé

;.  ;.  ;.  ;.     ;.   ;. ;.     Total général

Atemporel Passé Présent

L R F N L R F N L R F N

Antoine

;.  ;. ;. ;.  ;.   ;.      ;.    ;.     Total général

Note : L= Situation de lecture de livres, F =Fiction, narration (sans support), R = Récit autobiogra-phique, N =Référence au passé (usage spontané hors récit autobiographique)

produit 84 (54/64) d’imparfaits « livre » à la séance 4;00.13, tandis qu’Antoineproduit 90 (18/20) d’imparfaits « fiction » à la séance 4;05.16. Cette répartitiontrès circonstancielle des références atemporelles de l’usage de l’imparfait ne seretrouve pas dans les références au passé.

3.5 Déconnexion

Le Tableau 7 présente le nombre de formes verbales exprimant la déconnexionpour chaque type de temps verbal rencontré dans le corpus. On y trouve aussi lespourcentages de ces formes par rapport à l’ensemble des formes verbales du mêmetemps.

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Tableau 7. Nombres de formes verbales exprimant la déconnexion et pourcentages de cesformes par rapport à l’ensemble des formes verbales du même type

Anaé Antoine

Occ. Occ.

Futur flexionnel         Imparfait, plus que parfait      Passé simple     

Modal infinitif, infinitif, préposition infinitif        Passé composé et participe passé      

Futur périphrastique        Présent et impératif     Autres            Total    

On constate que les temps verbaux n’ont pas tous le même lien avec la décon-nexion. Certains temps grammaticaux, à savoir, l’imparfait, le futur flexionnel etle passé simple expriment le plus souvent la déconnexion et forment ce que l’onpourrait appeler le groupe « déconnexion ». Le passé simple est un cas spécial caril s’agit d’un usage exclusivement « narration » qui reproduit les formes verbalesque l’enfant entend lors des lectures qui peuvent lui être faites. Il est probable queles enfants n’ont jamais entendu un passé simple en dehors de ces circonstances.C’est ce qui se passe dans notre corpus : la mère d’Anaé utilise des passés simplesdans quelques séances (3;04.07 et aussi 3;10.00 et 5;10.30, séances ne figurant pasdans cette étude) et ce uniquement dans cet usage de narration. C’est égalementle cas dans le corpus d’Antoine, où l’usage du passé simple n’est attesté que chezAntoine lui-même à l’âge de 5;04.28, séance ne figurant pas dans cette étude.

L’imparfait et le futur flexionnel (formes incluant ou non un modal) neprésentent pas un usage aussi spécifique que le passé simple. On y trouve unfort usage de la déconnexion, mais cet usage n’est pas systématique comme nousl’avons vu dans l’exemple (15) concernant l’imparfait préludique.

L’apparition de l’expression de la déconnexion précède légèrement l’appari-tion de l’imparfait (voir Tableau 2). Il semble que l’enfant, lorsqu’il est amené àproduire ses premières déconnexions, le fasse en utilisant les formes verbales qu’ilmaitrise à cet âge-là (passé composé, futur périphrastique, qui permettent aussila déconnexion), sans chercher tout de suite à produire de nouvelles formes. Onpeut par exemple noter dans le Tableau 2 qu’Anaé produit quelques déconnexionsavant l’âge de deux ans (étant donné le faible nombre total de mots par séanceà cet âge, les petits pourcentages ne correspondent qu’à quelques occurrences),alors qu’Antoine n’en produit pas régulièrement (de manière attestée dans notrecorpus) avant l’âge de 2 ans et 3 mois.

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3.6 Aspect lexical

Le Tableau 8 présente les distributions des aspects lexicaux de Vendler (1967) pourl’imparfait et une comparaison avec le temps principalement utilisé par les enfants(le présent) et le temps du passé le plus fréquent (le passé composé).

Tableau 8. Usage des aspects lexicaux en fonction des temps présent, passé composé etimparfait pour les enfants et les adultes

Activité Achèv. Etat Accomp. Total occ.

Anaé

Enfant Passé composé , ,  , ,  Présent ,  , , , Imparfait ,  ,  ,  

Adulte Passé composé , ,  , ,  Présent ,  , , , Imparfait  ,  , ,  

Activité Achèv. Etat Accomp. Total occ.

Antoine

Enfant Passé composé , ,  , ,  Présent , , , , Imparfait    , , ,   

Adulte Passé composé ,  , , Présent , , , , Imparfait  ,   , ,  

On constate que la répartition des formes d’aspect pour ces trois temps esttrès proche entre les enfants et les adultes. Le présent est de loin la forme la plusfréquente. Adultes et enfants l’utilisent majoritairement pour les verbes d’état. Lepassé composé est, lui, surtout utilisé pour l’achèvement et l’accomplissement.Enfin, l’imparfait est majoritairement utilisé pour les verbes d’état. On note toutde même certaines différences significatives dans les répartitions lorsque l’oncompare enfants et adultes en utilisant un test de chi-deux. On trouve ainsiune différence dans la répartition des verbes d’activité entre enfant et adultedans le corpus d’Anaé, χ(2) =36,72, p< 0,00001, et celui d’Antoine, χ(2)= 17,79,p=0,00013. On trouve plus d’activités au présent chez les adultes et à l’imparfaitchez les enfants. On trouve également une différence entre les enfants et les adultespour les achèvements, dans le corpus d’Anaé, χ(2) =25,13, p<0,00001, commedans celui d’Antoine, χ(2) =25,31, p<0,00001. Les enfants utilisent encore plus lepassé composé pour les achèvements que les adultes. Enfin, il n’y a pas de diffé-rences enfant/adulte pour les verbes d’état, ni dans le corpus d’Anaé, χ(2)= 0,06,ns, ni dans celui d’Antoine, χ(2) = 1,83, ns.

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Lorsque l’on compare la répartition des aspects lexicaux selon les différentesformes temporelles chez les deux enfants (3 comparaisons possibles par enfant :imparfait vs. présent, imparfait vs. passé composé, passé composé vs. présent), onconstate que toutes les comparaisons sont significatives : à chaque temps gram-matical correspond une répartition spécifique des aspects lexicaux des verbesproduits. Les valeurs de chi-deux sont très grandes dans tous les cas (p< 0,00001),sauf dans la comparaison entre présent et imparfait, qui sont tous deux prin-cipalement utilisés pour les verbes d’état. On obtient pour Anaé une valeur deχ(3) = 11.27, p= 0,01035 et pour Antoine χ(3)= 19.10, p=0,0002606. En regardantles chiffres du Tableau 8, il semble que les différences soient dues aux productionsquasiment nulles de formes d’imparfait pour les achèvements et les accomplisse-ments. Ces formes existent au présent, mais elles sont plus rares que les autres.

On peut retenir pour conclure cette analyse que l’imparfait semble essentiel-lement utilisé par les enfants avec des verbes d’état. Pour Anaé, un usage sembleattesté pour les verbes d’activité, mais de manière moins forte que pour les verbesd’état. On trouve peu d’imparfaits pour les achèvements et les accomplissements,ce qui est aussi le cas chez les adultes. D’une façon générale, les enfants repro-duisent largement ce que font les parents. Cette faible distance entre adultes etenfants peut parfois surprendre car on pourrait attendre une différence impor-tante dans certaines situations spécifiques. Mais nous n’avons pas cherché à provo-quer cela dans notre recueil de corpus.

3.7 Analyse multidimensionnelle

Les analyses précédentes ne croisaient pas plus de deux paramètres à la fois. Il estintéressant de croiser statistiquement l’ensemble des paramètres utilisés jusqu’icipour vérifier si l’on trouve des relations entre paramètres de nature différente.Ainsi, en utilisant les modèles mixtes et l’analyse binomiale, on peut déterminersi l’utilisation de l’imparfait ressort plus particulièrement de certains traits parrapport à l’ensemble de tous les traits. Les paramètres que nous croisons sont :temps chronologique (passé, présent, futur, atemporel), aspect lexical (activité,achèvement, accomplissement, état), déconnexion (oui/non). On cherche à savoirquels traits sont présents de manière significative lorsque l’imparfait est utilisé.On pourra enfin comparer avec les traits qui accompagnent le présent ou le passécomposé.

Les mesures statistiques ont été menées à l’aide d’une analyse en modèlesmixtes réalisées avec le logiciel R (version 3.1.3) et le package lme4 (version :1.1–12). Nous avons utilisé la fonction glmer (modèles linéaires mixtes généralisés)avec une analyse binomiale. Notre variable dépendante est la forme temporelleproduite (imparfait, présent, passé composé). Les effets fixes sont la déconnexion,

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les formes d’aspect lexical (quatre variables : activité, achèvement, accomplisse-ment, état), le temps chronologique (quatre variables : passé, présent, futur, atem-porel) et l’âge de l’enfant. Les effets aléatoires sont les lemmes (des formeseffectivement produites) et les sessions. Une première analyse ne montrant aucunedifférence entre les modèles incluant ou non la différence entre enfants (Anaéet Antoine), cette variable n’a pas été incluse dans le modèle. Le modèle choisiest celui qui converge le mieux, ce qui est le cas des modèles incluant l’âge desenfants et les sessions. Les résultats statistiques complets sont fournis en Annexede l’article.

Chez les enfantsLes statistiques portent sur 5377 observations qui correspondent à 295 lemmeset 24 sessions (corpus des deux enfants). Les analyses portent successivementsur l’imparfait, le présent et le passé composé. Pour chaque calcul ci-dessous, lemodèle statistique est le suivant : variable à expliquer : forme verbale (imparfait,puis présent, puis passé composé) ; effets fixes : déconnexion, temps chronolo-gique, aspect lexical, âge en jours (centré et normalisé) ; effets aléatoires : âge enjours, lemme du verbe.

Imparfait

Tableau 9. Statistiques modèle mixte pour l’usage de l’imparfait chez les enfantsEffets aléatoiresGroups Name Variance Std. dev.Lemme (Intercept) . .Session (Intercept) . .

Effets fixesEstimate Std. error z value Pr(>|z|)

(Intercept)  −.  . −. .e- ***

Déconnexion   .  .  . < e- ***

Atemporel  −.  . −. . *Futur −. . −. .Passé  −.  . −. . *

Présent  −.  . −. .e- ***

Achèvement  −.  . −. . *

Etat   .  .  . .e- ***

Accomplissement  −.  . −. .Age   .  .  . .e- ***

Codes :*** 0.001 ** 0.01 * 0.05

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Les principaux résultats pour l’imparfait produit par les enfants figurent dansle Tableau 9. On constate que l’usage de l’imparfait est essentiellement lié à ladéconnexion (z= 9,1, p< 2e-16) et aux verbes d’état (z=4,844, p= 1.27e-06), ets’oppose massivement à l’usage du présent chronologique (z=−6.551, p= 5.70e-11).On observe une association légèrement significative avec l’atemporel, l’achève-ment et le passé. On note enfin un effet d’âge, l’imparfait étant produit lorsque lesenfants sont plus âgés. On peut être surpris du peu de liens obtenus entre impar-fait d’une part, et passé et atemporel d’autre part. En réalité, ce que les résultatsmontrent est que le passé et l’atemporel sont moins des marqueurs de l’imparfaitque la déconnexion, ce qui s’explique parce que passé et atemporel se rencontrentdans des cas hors déconnexion, ce qui n’est pas le cas de l’imparfait. De plus,l’imparfait implique soit le passé, soit l’atemporel, ce qui est une implication moinsspécifique que celle de la déconnexion qui ne s’oppose pas à une autre valeur.

Présent

Tableau 10. Statistiques modèle mixte pour l’usage du présent chez les enfantsEffets aléatoiresGroups Name Variance Std. dev.

Lemme (Intercept) . .

Session (Intercept) . .

Effets fixesEstimate Std. error z value Pr(>|z|)

(Intercept) −. . −. .

Déconnexion −. . −. .e- ***

Atemporel  . .  . . *

Futur −. . −. .

Passé −. . −. . **

Présent  . .  . .e- ***

Achèvement −. . −. .e- ***

Etat  . .  . . ***

Accomplissement −. . −. .

Age  . .  . .

Les principaux résultats pour le présent (forme verbale) produit par lesenfants figurent dans le Tableau 10. Dans notre corpus, le présent (forme verbale)est clairement dissocié de la déconnexion (z=−7,037, p= 1.97e-12) et associé auprésent chronologique (z=7,137, p=9.53e-13). Il présente donc des caractéristiques

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opposées à celles de l’imparfait. Le présent n’est ni un temps du passé, ni de l’achè-vement. En revanche, comme l’imparfait, c’est un temps fortement lié aux verbesd’état et également lié, mais de manière moins forte, à l’atemporel.

Passé composé

Tableau 11. Statistiques modèle mixte pour l’usage du passé composé chez les enfantsEffets aléatoiresGroups Name Variance Std. dev.

Lemme (Intercept) . .

Session (Intercept) . .

Effets fixesEstimate Std. error z value Pr(>|z|)

(Intercept) −. . −. .e- ***

Déconnexion  . .  . .

Atemporel −. . −. .

Futur −. . −. .

Passé  . .  . .e- ***

Présent  . .  . .

Achèvement  . .  . .e- ***

Etat −. . −. .e- ***

Accomplissement  . .  . . **

Age  . .  . .

Les principaux résultats pour le passé composé produit par les enfantsfigurent dans le Tableau 11.

Le passé composé n’est pas un temps lié de manière positive ou négative àla déconnexion (z= 1.817, p=0.06926, ns). En revanche, c’est clairement un tempsdu passé, de l’achèvement, et, dans une moindre mesure, de l’accomplissement.Enfin, ce n’est pas un temps utilisé avec des verbes d’état.

Chez les adultesLes mêmes calculs peuvent être réalisés chez l’adulte dans trois séances (une pourla mère d’Anaé, une pour la mère d’Antoine et une pour le père d’Antoine –l’observateur est également codé dans ces séances car il participe à la conversationavec l’enfant). De ce fait les résultats portent sur 2998 observations, 255 lemmes et3 séances.

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Imparfait

Tableau 12. Statistiques modèle mixte pour l’usage de l’imparfait chez les adultesEffets aléatoiresGroups Name Variance Std. dev.Lemme (Intercept) . .Session (Intercept) . .

Effets fixesEstimate Std. error z value Pr(>|z|)

(Intercept) −. . −. . **Déconnexion  . .  . .e- ***Atemporel −. . −. . *Futur −. . −. . **Passé −. . −. .Présent −. . −. . ***Achèvement −. . −. .Etat  . .  . . ***Accomplissement −. . −. .Séances −. . −. .

Les principaux résultats pour l’imparfait produit par les adultes figurent dansle Tableau 12.

On retrouve les mêmes effets que pour l’enfant : association de l’imparfait avecla déconnexion et les verbes d’état et dissociation avec le présent. Les effets sontmoins forts, ce qui peut s’expliquer par le nombre plus faible de séances. Commepour les enfants, il n’y a pas de différences entre les séances.

Présent

Tableau 13. Statistiques modèle mixte pour l’usage du présent chez les adultesEffets aléatoiresGroups Name Variance Std. dev.Lemme (Intercept) . .Session (Intercept) . .

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Tableau 13. (suite) Effets fixesEstimate Std. error z value Pr(>|z|)

(Intercept) −. . −. .Déconnexion −. . −. .e- ***Atemporel  . .  . . **Futur  . .  . .Passé −. . −. .Présent  . .  . .e- ***Achèvement −. . −. .Etat  . .  . . **Accomplissement −. . −. .Séances −. . −. .

Les principaux résultats pour le présent produit par les adultes figurent dansle Tableau 13.

Les résultats ressemblent à ceux des enfants mais de manière moins forte. Onretrouve une attirance pour le présent chronologique, l’atemporel et les verbesd’état. On retrouve aussi un rejet de la déconnexion. L’absence d’autres effets peuts’expliquer par le nombre plus faible de séances. Proportionnellement, l’atemporelest plus présent chez l’adulte que chez l’enfant.

Passé composé

Tableau 14. Statistiques modèle mixte pour l’usage du passé composé chez les adultesEffets aléatoiresGroups Name Variance Std. dev.Lemme (Intercept) . .Session (Intercept) . .

Effets fixesEstimate Std. error z value Pr(>|z|)

(Intercept) −. . −. .Déconnexion  −.  . −. .Atemporel  . .  . .Futur  . .  . .Passé  . .  . .Présent  . .  . .Achèvement   .  .  . . *Etat  −.  . −. .Accomplissement   .  .  . .Séances  −.  . −. .

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Les principaux résultats pour le passé composé produit par les adultes figurentdans le Tableau 14.

On trouve ici des différences avec les productions de l’enfant car seul l’aspectlexical achèvement a une association significative avec le passé composé. Il estpossible que le faible nombre d’enregistrements ne permette pas de voir apparaîtredes résultats, ce qui était pourtant le cas pour les autres temps.

L’enfant est proche du modèle adulte avec de petites différences qui peuventêtre dues à la situation. En effet, dans la plupart des cas, l’enfant est un partenaireactif qui est amené à commenter ses actions en cours, alors que l’adulte a peut-êtredavantage une fonction d’observateur. Dans les situations que nous avons filmées,les parents participaient pourtant activement aux jeux des enfants, mais peut-êtreavec une certaine réserve que l’on observe plutôt avec les temps liés à l’ici et main-tenant qu’avec les temps de la déconnexion.

Chez Anaé comme chez Antoine, l’imparfait est donc un temps clairementassocié à la déconnexion. Cette tendance existe aussi, mais dans une moindremesure, pour le futur simple (mais plutôt chez Antoine) et pour le passé simple(attesté essentiellement pour Anaé). Les temps comme le passé composé et le futurpériphrastique oscillent entre un usage déconnecté et un usage dans l’ici et main-tenant.

Plus qu’un temps du passé, on peut dire que l’imparfait n’est pas un temps duprésent. Il est utilisé en effet aussi bien pour le passé que pour l’atemporel. Enfin,il est massivement utilisé avec des verbes d’état, tout comme le présent.

4. Discussion générale

4.1 Résultats obtenus

Les résultats que nous avons obtenus sur l’étude de deux corpus de langage spon-tané d’enfants en interaction avec leurs parents montrent que l’imparfait est uneforme verbale qui apparaît plus tard chez les enfants que les formes verbales lesplus courantes comme le présent, le passé composé et le futur périphrastique.Pourtant l’imparfait est attesté dans le discours des parents adressé à l’enfant dèssa première année. L’usage de ce temps chez les parents ne se modifie pas lorsqueles enfants commencent à le produire. Par ailleurs, en dehors de quelques usagessporadiques et souvent en reprise des termes de l’adulte, lorsque l’imparfait appa-raît, il atteint très rapidement (en quelques mois) une fréquence d’usage stable etproche de celle des adultes (2 à 3 des occurrences). Enfin, on remarque que lanotion de fréquence d’usage de l’imparfait est peu précise car son emploi plus quecelui d’autres formes temporelles, semble lié à certaines situations. On trouve ainsi

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des usages très fréquents pendant quelques minutes de nos enregistrements, puistrès rares pendant d’autres périodes.

Les résultats trouvés sur les corpus de français L1 au début de l’appropriation del’imparfait, sont comparables à ceux qui ont été trouvés en français L2 (Kihlstedt,2002, 2009). Les premiers usages systématiques de l’imparfait tournent autour depeu de formes. On ne trouve en effet quasiment que les formes [et!] et [av!] quicorrespondent aux formes des verbes être et avoir à l’imparfait aux 1ère, 2ème et 3ème

personnes du singulier et 3ème personne du pluriel. Les autres formes d’imparfaitarrivent quelques mois après les premiers usages.

Les verbes utilisés à l’imparfait sont majoritairement des verbes d’état, enparticulier les verbes être et avoir. Seule Anaé utilise quelques verbes d’activité àl’imparfait (voir Tableau 8), pour marquer très correctement la référence à uneactivité passée qui est de fait non-présente dans l’ici et maintenant. On pourranoter ici que le calcul statistique ne rend pas justice à l’usage d’Anaé qui nepeut ressortir clairement dans la masse des usages de l’imparfait. Un travail engrand volume autour des usages de l’imparfait (qui visait le recueil de donnéesde tout type) donnerait peut-être un effet statistique à cet usage de l’imparfaitdans les verbes d’activité. Il est possible aussi que l’usage des verbes d’activité àl’imparfait devienne plus important avec l’âge. Dans notre corpus, nos enfantssont encore au début de l’usage de l’imparfait et, comme nous l’avons dit ci-dessus,ils utilisent encore majoritairement les formes des verbes « avoir » et « être ». Leprésent travail montre aussi que la compréhension du développement du langagene peut se résumer à analyser les formes les plus fréquentes. Mais inversement, ilest important de contrôler le travail réalisé avec ces statistiques plus globales, ceque permettent nos résultats.

L’usage des verbes d’état reproduit tout à fait l’usage des adultes. Il est eneffet plus rare pour un adulte d’exprimer le passé d’un verbe d’état avec le passécomposé qu’avec l’imparfait, qui est donc le temps le plus utilisé au passé avec lesverbes d’état.

La fonction la plus fréquemment utilisée dans le corpus par l’enfant et parl’adulte est celle de la description de situations ou d’actions. Les références portentla plupart du temps sur le passé ou le fictif (atemporel). On trouve également enproportion et variété différentes d’un enfant à l’autre, d’autres usages, et en parti-culier du fictif, du pragmatique et du préludique. Les productions de l’adulte sont,dans les catégories autres que la description, plus riches et plus variées que cellesdes enfants. Les enfants reproduisent donc bien les usages adultes, même si lesusages fréquents chez l’adulte sont plus rapidement acquis, comme pour d’autresformes temporelles (voir Parisse & Morgenstern, 2012). Qu’il s’agisse de descrip-tions ou d’autres usages, l’enfant est le plus souvent dans la déconnexion avec l’iciet maintenant. On constate enfin que l’usage de la déconnexion semble précédercelui de l’imparfait.

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4.2 Développement de l’imparfait chez l’enfant et construction del’opposition à l’ici et maintenant

On constate que l’usage de la déconnexion semble très corrélé à l’usage de l’impar-fait, même s’il le précède légèrement. La découverte des usages de l’imparfait parl’enfant pourrait donc reposer sur le processus de découverte de la déconnexion,même si celle-ci se trouve dans des usages autres que l’imparfait. Notre proposi-tion est que le principe de la déconnexion peut être découvert et utilisé dès lespremiers exemplaires rencontrés par l’enfant. Par exemple, l’enfant peut s’appro-prier la déconnexion en parlant de ses proches lorsqu’ils sont absents, de person-nages dans un film, un livre ou un jeu. Ce principe peut aussi être généraliséprogressivement et enfin très largement comme les principes de repères tempo-rels. Il peut être utilisé pour des situations déconnectées de l’ici et maintenant(histoires, jeu symbolique) pour lesquelles le repérage temporel s’applique mal.Or, on constate, au cours du développement, une mise en place progressive de lacapacité de l’enfant à déconnecter des événements qui peuvent avoir lieu dans l’iciet maintenant. Cette capacité apparaît très tôt après les premiers usages temporelsdescriptifs, et parfois presque en même temps (pour Antoine).

Il s’agit, a priori, d’un usage métaphorique, mais cet usage est tellementcourant qu’on peut se demander si, pour l’enfant, il n’est pas le premier usage quiest acquis avant ou en même temps que l’usage passé. Par ailleurs, lorsque l’événe-ment ou l’action représentés ne sont pas déconnectés, on constate que l’usage del’imparfait apporte une mise à distance non temporelle par rapport à l’ici et main-tenant. Par exemple, au niveau pragmatique, il va servir à atténuer une demandeou une affirmation, à construire le jeu de faire-semblant ou le préludique. Dans cesfonctions, les actions exprimées sont exécutées dans l’ici et maintenant, mais ellesprésentent un caractère fictif/irréel ou sont présentées dans des requêtes ou desdirectives atténuées, ce qui permet d’effectuer une déconnexion symbolique. Celacorrespond bien aux propositions de la littérature sur l’imparfait (cf. Patard, 2007 ;Damourette & Pichon, 1970 ; Adam, 1992 ; Touratier, 1996, cités dans notre intro-duction). Enfin, on retrouve chez les parents la plupart des fonctions de l’impar-fait décrites pour l’écrit. Notre corpus adulte relativement court ne permet pasd’affirmer que les usages absents dans l’interaction recueillie avec l’enfant sonttoujours absents à l’oral.

On peut cependant se demander pourquoi la découverte progressive de ladéconnexion ne s’accompagne pas de plus d’utilisation de l’imparfait. Pourquoiassiste-t-on à une apparition rapide de l’imparfait vers l’âge de trois ans, le mêmeâge que celui de l’apparition d’autres marqueurs temporels ? Il est possible commenous le proposons ci-dessus que cette apparition soit conditionnée à l’acquisitionpar l’enfant de la capacité à opérer une déconnexion explicite, ou passe par une

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première phase d’introduction à la narration et à la fiction. Malgré cela, nedevrait-on pas observer des usages au moins sporadiques en contexte limitécorrespondant à des exemplaires non encore analysés de manière adulte ? Nousn’avons pas les moyens avec les données de cet article de répondre de manièreargumentée à cette question, mais nous pouvons faire quelques suggestions quipourront être examinées de manière plus fine dans des travaux futurs.

D’abord, on constate bien quelques cas d’usages sporadiques à 2 ans chezAnaé. Il est intéressant de constater que, dans ces cas de figure, le parent nereprend en général pas l’usage du verbe mais répond de manière à faire sens parrapport à ce que l’enfant a dit. Cette tendance intrinsèque à toute conversationà vouloir faire sens des propos échangés est ce qui pourrait expliquer pourquoil’apparition des formes purement temporelles est tardive. Il faut noter que laproduction de l’imparfait est homophone d’autres formes, comme en particulierl’infinitif. Dans un contexte de production de l’enfant très jeune, l’interprétationde l’adulte (que nous utilisons dans notre codage) n’ira pas spontanément versl’imparfait si l’adulte n’a pas la sensation que l’enfant est capable de produire cesitems. De ce fait, les usages potentiels de l’imparfait rentreront peu dans l’interac-tion conversationnelle à 2 ans (comme dans nos exemples), alors qu’ils le ferontà 3 ou 4 ans. Selon nous, cela retarde l’apparition de ces formes car il faut quel’adulte ait le sentiment que l’enfant peut sortir de l’ici et maintenant pour luiattribuer l’usage de l’imparfait. Il pourrait être possible de tester cette hypothèsede deux manières : par une analyse du corpus, en recherchant si des productionsde l’enfant potentiellement à l’imparfait sont ignorées ou redressées vers d’autresformes attendues ; par une procédure expérimentale, en proposant des imparfaitsà des enfants jeunes pour contrôler si ces enfants sont capables de reproduire desimparfaits avant d’atteindre un certain âge.

5. Conclusion

Il reste encore beaucoup de travail à faire pour expliquer en détail l’ensemble dudéveloppement des temps grammaticaux complexes dans l’usage du langage. Untel travail appelle aussi bien la réflexion en linguistique qu’en cognition. Ainsi ilserait intéressant d’explorer le concept de déconnexion qui pourrait se révéler êtreun principe fondamental du langage. L’enfant met 3 à 5 ans à l’acquérir, et ce prin-cipe peut difficilement être inné puisque son acquisition repose sur l’interactionlangagière. La déconnexion permet de parler de choses qui ne sont pas présentes,pas tangibles ou qui n’existent pas dans le réel. Elle permet de créer par le langage,et elle doit passer par le langage car elle n’existe qu’en langage. La déconnexionest la clé qui permet à l’enfant de se déplacer mentalement dans le temps, dans

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l’espace, dans le fictif, et à raconter des événements survenus ailleurs, dans le passéou dans son imaginaire. Elle permet de partager avec l’autre son passé, ses projetset ses mondes intérieurs. Le concept de déconnexion permet donc d’expliquercomment nous partageons des valeurs en langage, et comment le langage peutavoir sa propre autonomie. Il nous permet de comprendre pourquoi l’interactionest un principe fondateur du langage. Et enfin il montre en quoi le développementlangagier entre les âges de 3 à 5–7 ans est aussi fondamental que le développementplus précoce pour le devenir de l’enfant.

Remerciements

Ce travail de recherche a bénéficié d’un financement de la Fondation de la recherche russeattribué à l’Université linguistique d’état de Moscou (projet N° 14-48-00067).

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Wilmet, M. (2003). Grammaire critique du français, 3ème éd., Bruxelles: Duculot.

Annexe. Données statistiques complémentaires

Statistiques pour les enfants

Corrélation des effets fixes pour l’imparfait

(Intr) Déc

onne

xion

Atem

pore

l

Futu

r

Pass

é

Prés

ent

Ach

èvem

ent

État

Acc

ompl

issem

ent

Déconnexion −.Atemporel −. −.Futur  .  .  .Passé −. −.  . .Présent −. −.  . .  .Achèvement −. −.  . .  .  .État −.  . −. . −. −.  .Accomplissement −. −.  . .  .  .  . .Age en jours −.  . −. . −. −. −. . −.

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Corrélation des effets fixes pour le présent

(Intr) Déc

onne

xion

Atem

pore

l

Futu

r

Pass

é

Prés

ent

Ach

èvem

ent

État

Acc

ompl

issem

ent

Déconnexion −.Atemporel −. −.Futur −.  .  .Passé −. −.  .  .Présent −. −.  .  .  .Achèvement −.  .  .  .  . −.État −.  .  .  .  .  . .Accomplissement −.  . −. −. −. −. .  .Age en jours −. −. −. −. −. −. . −. −.

Corrélation des effets fixes pour le passé composé

(Intr) Déc

onne

xion

Atem

pore

l

Futu

r

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ent

Ach

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ent

État

Acc

ompl

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ent

Déconnexion −.Atemporel −. −.Futur −.  .  .Passé −. −.  .  .Présent −.  .  .  .  .Achèvement −.  . −. −.  . −.État −. −.  .  . −. −. .Accomplissement −.  . −. −.  . −. .  .Age en jours −. −. −. −.  . −. . −. .

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Statistiques pour les adultes

Corrélation des effets fixes pour l’imparfait

(Intr) Déc

onne

xion

Atem

pore

l

Futu

r

Pass

é

Prés

ent

Ach

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ent

État

Acc

ompl

issem

ent

Déconnexion −.Atemporel −. −.Futur −. −.  .Passé −. −.  .  .Présent −. −.  .  .  .Achèvement −. −.  .  .  .  .État −.  . −. −. −. −.  .Accomplissement −. −. −. −. −. −.  .  .Séances  .  . −. −. −. −. −. −. −.

Corrélation des effets fixes pour le présent

(Intr) Déc

onne

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Atem

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Pass

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ent

Ach

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ent

État

Acc

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ent

Déconnexion  .Atemporel −. −.Futur −. −.  .Passé −. −.  .  .Présent −. −.  .  .  .Achèvement −.  .  .  .  .  .État −. −.  .  . −.  . .Accomplissement −.  . −.  . −.  . .  .Séances −.  . −. −. −. −. . −. −.

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Corrélation des effets fixes pour le passé composé

(Intr) Déc

onne

xion

Atem

pore

l

Futu

r

Pass

é

Prés

ent

Ach

èvem

ent

État

Acc

ompl

issem

ent

Déconnexion  .Atemporel −. −.Futur −. −.  .Passé −. −.  .  .Présent −. −.  .  .  .Achèvement −.  . −. −. −. −.État −. −.  .  . −. −.  .Accomplissement −. −. −. −. −. −.  .  .Séances  .  . −. −. −. −. −. −. −.

Abstract

In order to refer to past and future events, children must refer to objects and situations thatare not visible or audible, but are memorized, imaginary or desired. The imparfait is one of theFrench grammatical tenses that enable speakers to express this “disconnection” from the hereand now. Our study is based on the longitudinal study of two French children in interactionwith their families. This data allow us to analyze the use of the imparfait as opposed to theprésent and the passé composé, and to show its links to factors such as disconnection, lexicalaspect of the verbs and ongoing situations both in the children and adults’ productions. A multi-dimensional statistical analysis shows that the imparfait, which develops after age 3, is stronglylinked both to disconnection and state verbs. This differentiates it from the other tenses in ourstudy, and marks the development of new abilities.

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