· p rÉface d e tomb er sur le ridic ul e, de déc ri er le vic e, et d e mettre la v ertu d ans...
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T I R A G E A P E T I T N OM B R E
I l a é té fa it un t irage spéc ia l de
3 0 exemp la ires sur pap ier de Ch ine (N °81 à
3 0 sur p ap ier ! hatman (NO' 3 1 à
60 exemp la ires, numérotés .
D E STOUC H E S
_V/ I'
sÂg
CO M ED I E EN C I NQ A CT E S
A V E C U N E P R ÉFA C E
P A R
PAR I S
R R i E B L Ï C? i î . E
Rue Sa int-Hono r é 3 3 8
M DC C C . L X X X IV
—w -v-d‘ cv s ;
OT ICE
ESTOUCHES ava it deja fa it rep résen ter
une d iza inedegrandes comédies avan tde donner LE GLOR IEUX
, qui demeure
son chef—d’œuvre,b ien que cette p iece
n’
a itp a s été rem ise a u réper toire auss i souven t queLE PH ILOSOPHE MAR IÉ
,qu’on joue en core quelquefois
1 . En vo i c i la l i s te Le Cur ieux imp er tinen t ( 1 7 décembre 1 1 3 représen ta t ions .
—L’
Ingr a t ( 2 8 j anv ier1 5 représentat ions . L
’
Irréso lu ( 5 j anvier 6 repré
sentat ions . Le Médisa n t ( 2 0 févr i er 1 4 représen
tat ions . Le Tr ip le Ma r iage ( 7 ju i l let 7 représentat ions . L
’
Obsta c le impr évu ( 1 8 o cto bre 6 repré
sent a tions . Le P h ilosop he ma r ié ( 1 5 févr ier3 6 représentat ions . L
’
Env ieux , cr it i que de la p ièce précéden te ( 3 m ai 3 représen tat ions . Les Ph ilosop hesamoureux ( 2 6 novem bre com éd ie re t i rée à l ’ issue dela p rem ière repré sen tat ion . Nous ne par lons pas d ’une tragédie de j eunesse ,
les Ma ccha bées , non impr imée , n ide tro i s
11 N O T I C E
de nos jours Plusieurs de ces comédies, an térieures
a u GLOR I EUX, ava ien t même donné à Des tou ches une
réputa tion d’écriva in drama tique sufiîsan te pour que
l’
A cadémie fran ça ise l’a it app elé à remp la cer lepoêteCamp istron a u vingt-s ix ième fauteuil, le 2 5 aoû t1 7 2 3 , c
’
es t—à-dire neuf années avan t la comp ositionde son meilleur ouvrage. D
’
a il leurs,Des touches
s’éta it a cquis, en même temps
,une haute s itua tion
p o litique et socia le qui n’
ava it pa s nui à l’ éc la t de
son renom l ittéra ire .
Il n’
ava it pas été des tin é a ux lettres . N é à Tours,le 2 2 avril 1 680, Philipp e N éricault—Destouches éta itdevenu un bon élève du célèbre co l lège des Qua tre
N a tions, et à dix-neuf ans il s’éta it engagé comme
vo lon ta ire, et ava it fa it a lors les campagnes de1 70 1 et de 1 70 2 en Espagne . C’
est dans ses loi
sirs degarn ison, à Hun ingue, que, l isan t un p eu
p lus ta rd le célèbre roman de Cervan tes, DON QUICHOTTE , il ava it cru trouver dans un de ses ép isodes,in titu lé LE CU RIEUX IMPERT I NENT
,le sujet d
’
une
grande comédie qu’ il comp osa en c inq a c tes et en
vers, et qu’
il dédia au lieutenantgénéra l ma rquis dePuys ieu lr ,gouvern eur de Hun ingue et amba ssa deur
de Louis XIVen Suisse. Ce fut l’originede la fortune
1 . L a dern i ère repr i se de cette be l le coméd ie au ThéâtreFrança is date du 1 5 mars 1 85 9 . Les pr inc ipaux rô les é ta ientjoués par Provost père ,
B ressant , Leroux, Ma i l lart ,M…“ A . Plessy , Aug. B rohan et Jud i th .
- N OT I C E 111
dip loma tique de Destouches . Le ma rquis de Puys ieulx l
’
a tta cha , en effet, à sa personne comme se
créta ire , puis le recommanda au Régen t, lequell’
envoya en Angleterre avec l ’a bbé Dubois, qui s
’
y
renda it en qua lité d’ambassadeur ex traordina ire a up rès du roi George I” . Dubo is revin t en Fran ce p eude temps ap rès
,ma is D estouches reçut le titre et les
pouvoirs de m in is tre p lén ip oten tia ire et en remp lit lesfonctions p en dan t sep t ans à Londres . C’
est duran tce séjour qu
’
il épousa secrètemen t une jeune Angla iseca tho lique nommée Dorothée Johnston u l l dut ten ir,p our des ra isons po litiques, son ma r iage ca ché jusqu
’
à son retour en Fran ce. Cette aven ture lu i fourn itp lus ta rd le sujet de sa rema rqua b le comédie LEPH ILOSOPHE MAR IÉ
,ou LE MAR I HONTEUX DE L
’
ÊTRE .
En revenan t à Pa r is rendre c omp te de sa m 15 5 zon,
Des touches quitta défin itivemen t la d ip loma tie et les
affa ires p our se livrer tout en tier à songoû t pour lethéâ tre . Il ava it d ’
a il leurs une a ssez belle fortune,encore a ccrue p a r un don de fran cs don t leroi récomp ensa ses services en Angleterre . Il put don ca cquér ir unegra nde p rop riété dans le Ma ine, et il
dev in t même s eigneur de p lus ieurs villages . Un p eu
p lus ta rd,il ob tin t l’impor tan tgouvern emen t de
Melun et a cheta dan s les environ s de cette ville le
doma in ede Fortoisea u, où il mourut le 5 juillet 1 j54,à l
’
âge de so ixan te- qua torze ans .
Pa rm i les nombreuses p ièces qu’il composa postér ieuremen t au GLOR I EUX, on ne p eutguère c iter que
1v N O T I C E
les tro is suivan tes qui a ien t en core a ujourd’
hui quel
que renom . E lles furen t d’a bord p ub l iées en 1 7 36,
longtemps, comme on voit, avan t leur rep résen ta tionLE D ISS IPATEU R , j0ué p r im itivemen t en p rovin ce et
don t la censure ne p ermit la rep résen ta tion à Pa r is
que le 2 3 ma rs 1 7 5 3 . Cette comédie con tena it, en effet,des a llusions po litiques ou p ersonnel les que l
’
auteur fut
ob ligé d ’a ttén uer p our fa ire fléch ir l’a rrêt du lieu tenan t de p o lice . L e succès en fut d
’
a bord médiocre(s ix rep résen ta tions) . Reman ie de nouvea u pa r Des
touches,LE D ISS IPATEUR fut m ieux a ccueilli et s ’est
depuis ma in tenu a u réper to ire pendan t toute la
deux ième pa r tiedu dern ier sièc le.
LA FAUSSE AGNÊS,comédie rep résentée avec assez
de succès,le 1 2 ma rs 1 7 59 , ap rès la mor t de l ’a u
teur . Cette comédie est p récédée, dans la brochure,d’un p ro logue in titu lé LE TR I OMPHE DE L
’
AUT0MNE ,
lequel n’
a p a s été donné à la scèn e.
Enfin,LE TAMBOUR NOCTURNE
,ou LE MAR ! DEV1N ,
comédie jouée le 1 6 o c tobre 1 7 62 au Théâ tre- Franca is, où elle n e réussit p a s tout d
’
a bord . E l le s’
est
relevée ensuite avec un cer ta in éc la t et a même été
l’
objetde p lusieurs rep rises
1 . Parm i les au tres p ièces de Destouch es , c i to ns encoreL
’
Amb itieux_et l
’
Indiscr ète ( 1 4 j u in La B el le
orgueil leuse, ou l’
Enf an tgâ té ( 1 7 aoû t L’
Amour
usé ( 2 0 septembre Le Trésor ca ch é ( 1 7 ma rs
L’Homme singu l ier ( 2 9 oc to bre e t que l ques p i èce s
non représentées Le Ma r i confiden t . L’
Arclz i—Menteur .
Le Jeune Homme à l’ép reuve. Le Dép ô t , e tc .
N O T I C E
LE GLOR I EUX est à la fo is une comédie de ca ra ctère et d’ intr igue , qui a dû sur tou t songran dsuccès à cette doub le c irconstan ce, qui éta it chosenouvel le pour l’époque . Engén éra l les comédies dudern ier s ièc le b r illen t p eu p a r l
’
in térêt soutenu et
p rogress if du sujet; el les se soutiennen t p rinc ipa lemen t pa r la pein ture des ca ra c tères et pa r l
’
esp rit dus ty le. Dans LE GLOR I EUX
,a u con tra ire
,nous trou
vons une comédie p lus fortemen t cha rp en tée que
d ’
hab itude; l’
auteur s’
es t donné la p ein e d ’
inven ter un
sujet, d’
en comb iner les périp éties et d’en b ien distr ibuer l ’in térêt. C’
est la p rem ière fois,certa inemen t
,
qu’
un e comédie a uss i ha b ilemen t coup ée et aussi a ttachan te éta it donnée a u théâ tre .
Au mér ite des ca ra c tères et des s itua tions, ditLa Ha rpe
,LE GLOR1EUX join t celuid
’
un in térêt peucommun dans cegenre de drame
,et qui n
’
est pa s
tr0p romanesque ‘.
L’
a uteur a m is en p résen ce deuxgenres deglor ieux d ’
une pa rt, le comte de Tufiêres qui chercheà fa ire un beau m a riage p our redorer son b la son ,
1 . Cours de l ittéra ture, éd i t ion Depe la fo l; Paris, 1 82 5 ;
tome Xl .
v 1 N O T I C E
et,d ’a utre pa rt , le bourgeo is Lysimon qui veut
a bso lumen t que sa fille so it com tesse, et qui le veutd ’
a utan t m ieux que, par l’
esp rit de con tra dic tion quies t dan s son ca ra c tère
,il tien t à fa ire p ièce à sa
femme,laquelle s
’
est rangéed’un pa r ti contra ire. La
lutte en tre ces deux p ersonnages, Tufières et Lysi
mon,
éga lemen t p ersua dés et boufiîs de leur imp or tan ce
,donne lieu à des s cènes fort p iquantes;
ma is cette lu tte es t loin de con s tituer le fond de lap rece à elle seu le . En effet, Tufières a un père
,i l a
une sœur,et il rougit de leur s itua tion
, qui se tro‘
uve
m omen tan émen t et en app a ren ce infér ieure à celledon t il se p réva ut; il les évite, i l d issimule p our les
a utres leur ex isten ce,
ca r son père es t ruin é et sa
sœur est servan te. Qu el coup terrib le p our l ’orgueilde ceglor ieux ! E t l ’in tr igue de la p ièce s
’
augmen tede toutes les p récautions menues et secrètes p r ises pa rTufières p our ca cher son or igine et emp êcher son
père de comp romettre la belle a llian ce qu’
il médite.
Ma is tout va se découvrir : Lycandre, pèrede Tufie‘
res,
appa ra it en effet au momen t le p lus inopp ortun; leG lor ieux
,pour n e pas p erdre en un seu l instan t tous
les bén éfices qu’
il s’
est p romis de son en trep r ise,dé
c ide son père à ne pas se fa ire conna itre, et il le p résen te à son futur beau—p ère son in tendan t !
Il résu lte de cette situa tion une suite de scènes in téressan tes et un coup de théâ tre a dmira blemen t amenéoù Tufières se trouve tout à coup m is à nu et dévo ilé.
Ma lheureusemen t le dénouemen t de cette p iece,
N O T I C E vu
jusque- là s i b ien conduite, est inférieur, et cet te infér ierité es t due à une cause p assagère et futile. En effet,dans la version p r im itive du GLO R I EUX
,c’est-à- dire
dans le manuscrit or igina l de l’a uteur, tel qu’
il le lut
au com ité du Théâ tre-Fran ça is,Tufières, le Glo
r ieux,éta it pun i de son orgueil en voyan t la femme
qu’
il amb itionna it ép ouser son r iva l . C’éta it là lamora lité n écessa irede la p iece . Ma is ce rô le deva itêtre forcémen t dis tribué à @ inau lt—Dufresne
,le
ca detdes Œina ult, qui éta it a lors l
’
a cteur le p lus en
vue de la Comédie—Fra n ça ise , où il fa isa it un p eula loi. Or
,ce@ ina u lt—Dufresne éta it avan t tout un
importan t infa tuéde lui—même,engouéde ses p ro
p res mér ites, très réels d’a illeurs,et p lus glor ieux
p eut-être que le _glor ieux même si b ien m is en scènep a rDes touches La p enséedejouer un rô le où il éta itfina lemen t hum ilié et même bafoué lui p a rut p rofondément désagréab le, et il déc la ra qu’ il n e l’a cceptera it que dans le cas où l
’
auteur consen tira it à
modifier son dénouemen t . On comp rend ma l que
Destouches, qui éta it un glor ieux lui a ussi, et
qui n’
admetta it volon tiers n i comp rom is n i con cess ions
,se so it rendu auss i vite a u désir d’un comédien,
sans sogger que le p réjud ice qu’ il a l la it por ter a sa
p ièce deva it être éternel . Ma is il s’
agissa it p our lui1 . I l poussa i t
, nous dit M . Gueu llette , la van i té jusqu a
la fatu it é,e t la fatu i té jusqu ’à l ’impert inence . Voyez
p lus lo in la note re lat ive aux Qu inau lt .
v 111 N O T I C E
d etre joué ou de n e pa s être joué, être ou ne pa s
être. Il céda .
Tufiè rés , dan s la version nouvel le et devenue à
jama is défin itive,
recouv re don c, à la suite d’une
s cène for t touchan te,émouvan te même, dan s laquel le
il se jette a uxgenoux de son père en imp loran t sonpa rdon, sa faveur et du même coup la for tune, ca r
Ly candre n’éta it pa s s i ruiné qu’
il vou la it b ien le
dire . Pa r suite,Tufières épousera la fil lede Lys imon ,
et b ien p lus,de com te qu’
il éta it,il deviendra ma r
quis; a insi la p iece manquede la san ction mora le
qu’
el le ava it d’a bord,p u isque Tufières, a u lieu de
recevoir la dure leçon qu’
il mér ita it,est
,au con tra ire,
comb léde n ouvea ux b ienfa its,tout comme s
’
il y ava it
dro it . On a beaucoup rep roché à Destouches cette condescen dan ce a ux ex igen cesd’un comédien, indisp ensab le
,ii fa ut le reconna ître
,ma is qu’
avec un peu de fermeté et d’ha b ileté il eût sans doute amené à compo
s il ion . D ’
a il leurs,nous le rép étons
,il y a va it là
deuxglor ieux fa ce à fa ce,un a uteur célèbre et son
p r in c ipa l in terp rète,et il est regretta b le que, da n s le
déba t qui s’
es t élevé en tre eux,ce soit l
’
auteur qui a it
eu le dessous '
1 . Destouch es se vengea de s e xigences de Q 1 inau l t cadetdans la préface de sa p ièce , où l ’é loge qui su i t de son pr ine ipe l acteur e st évidemment une moquer ie , é tant exagéré àp l a is i r , dans le fond comme dans la formeM . Dufresne a trouvé l ’art d‘annoncer le caractère du
G lor ieux , m ême avant que de prononcer une paro le et par
N O T I C E 1x
Ma is ce n’
es t pa s le seu l b lâme qu’
encourut Des
touches de la p a r t de ses con tempora ins à p ropos duGLORIEUX On trouvagénéra lem en t que la p réfa cede sa p iece éta it empha tique, p résomp tueuse et même
trop glor ieuse E l le lui va lut quelques quo ll
bets,notamm en t le qua tra in suivan t de Vo lta ire
, qu i
courut b ien tô t les cou lisses et les ruelles !
Des touches , dans sa coméd ie ,A cru pe indre le glorieux ;E t mo i je t rouve
,quo i qu ’
on die,
Que sa pré face le pe int m ieux .
On ajouta même,de son v iva n t
,une ép itap he
,.
en un seu l vers, qui chercha it ma lignemen t tra cer
son portra it en deux mots
C i—git le G lor ieux , à cô té de la glo i re .
Il sufiî t d’
a il leurs de con s idérer a vec a tten tion le
la seu l e m an i e re de se pré senter sur la scène . (Lue l l e no
b lesse dans son port ! Q i e l le grandeur dans son a ir ! Qi e l le
fiert é dans sa démarche ! Qu e l art , que l les grâce s , que l l evér it é dans tou t le déb it du rô le , e t que l le fine sse
,que l le
var ié t é dans tous les j eux de théâ tre ! ! - Voyez,en t ê te de
la présente ré impress ion du G lor ieux,cette pré face de Des
t ouches, intégra l emen t reprodu i te .
1 . C ’est cependant le m ême Vo l ta ire
,un peu inconsé
quent avec lu i-même , qui ava i t d ’abord adressé à Destouchesle b i l le t s u ivan t
Au teur so l ide, ingén ieux ,
Qui du théâ tre ê tes le m a itre,Vous qui f ites le G lor ieux ,
Il ne tiendra it q u’
à vous de l ’être.
x N O T I C E
buste s i pa rfa itemen t ressemb lant de Destouches au
foyer de la Comédie—Fran ça ise (sa lon ca r ré du pub lie) , buste ex écuté pa r B er ruer, en 1 781 , p our se
conva in cre que la modes tie et la réserve n e deva ien t
p a s être les tra its sa il lan ts de son ca ra ctère . Cettefigure enfl ée, boursouflée, ces lèvres sufi
‘isan tes
cette tête rel evée très ha ut et p réten tieuse,
n’
app a r
tiennen t pas à un homme s imp le en sesgoû ts n i en
ses écr its . D estouches s’
es t p roba b lemen t jugé et pein tinconsciemmen t i ui—même en écr iva n t LE GLOR I EUXLa vers ifica t zon de la p ièce est élégan te, le dia logue
vif et rap ide. On y trouve des tra its heureux,p leins
de verve et d’à—p rop os,
et même des vers devenuspopu la ires et qui on t comme pa ssé à l
’éta tde p roverbes
,à ce poin t que deux d
’
en tre eux,no tammen t
,
on t cours dans la conversa tion usuelle,sans que, de
puis p lus de cen t ans, b ien desgens qui les répèten tsa chen t au juste à qui ils do iven t les a ttribuer
La cr it ique est a isée et l ’art est d i ffic i le .
(ACTE Il , SCÈNE v . )
Chassez le nature l , i l revient au
(ACTE I I I , SCÈNE v . )
La Ha rpe p référa it LE GLOR I EUX à LA METRO
1 . La p ièce de Destouches a é té parod1ee au th éâtre desMar ionnettes , dans une pet i te p iè ce int itu lée Pol ich inel le,comtede Pafier .
N O T I C E
MAN IE, qui est cep endan t, à l ega l de la p ièce de
Destouches,un chef—d’œuvredu théâ tre seconda ire au
KVIIIe s ièc leL
’élégan ce de la versifica tion ,un dia logue
semé de tra its heureux et de vers qu’
on a retenus,
a chèven t de mettre cette com édie au rangdes p rem ières de ce s ièc le. Qu elques p ersonnes p réfèren t LAMÉTROMAN I E ; LE GLOR I EUX a toujours été p lus su ivi,et,sans p réten dre décider legoû t des a utres s ur deux
pièces s i d ifféren tes, j’
a vouera i que le m ien in c linepour le chef-d’œuvrede D estouchesEn revan che
,G rimm
,don t les jugemen ts son t trop
souven t en ta chés de pa ss ion,se mon tra d’
un e sévér itéoutrée à l’ éga rd de D es touches et de sa p ieceM . Des touches ne manqua it pas de ta len t; il
éta it sur tout fécond et fa c ile, ma is il éta it froid et
cela tue la coméd ie,san s comp ter les ma uva isesp la i
san ter ies qu i règnen t dans ses Pour moi,peu
s’
en fa ut que je ne cro ie LE GLOR I EUX une ma uva isep ièce
,ma lgré les bea utés qui s ’y trouven t; el le est
longue, froide, puér ilemen t con tra stée, le rô le duG lor ieux est mauva is et son ca ra ctère n
’
est nu llemen t
éta b li; celui de la soubrette es t dans le même ca s;
celuide l’aman te est froid et ma ussa de 2 .
La critique moderne a été beaucoup p lus favora
1 . Cours de l ittéra ture, éd i t ion e t tome c i-dessus c ités .
2 . Corresp ondance l ittéra ire, éd i t ion Maur ice Tourneux,chez les frères Garn ier . Par is, 1 87 7 , tome I I .
N O T I C E
b le à la comédiede Destouches . Villerha in lui a toutp a r ticu l i eremen t rendu justice
Destouches a fa it une excellen te p ièce,
p a r ce que le com ique en est
,
à la’
fois anecdo-tique et
dura b le, selon les mœurs d’
une ép oque et selon le
cœur huma in . L’
orgueil tel qu’il le p ein t n’
est pa s
seulemen t un vicede ca ra c tère,ma is un vice d ’époque
et d ’
institutions . Il sera it difiîcilede b ien comp ren dreles an c iennes distin c tions de la soc iété en Fran cesans songer a u GLOR I EUX de Destouches .
Sous le rappor tde l ’a r t,l’
ouvrage n ’
es tp as mo insha b ilemen tdess in é .Ce qu
’
il y a d’imp révu, et,s i l
’
on
veut de romanesque, dans le p ersonnagedeLysimon,le p ere du G lor ieux
,es t p la cé à p rop os
,n ettemen t
exp liqué, et amène l’émotion croissan te du drame
jusqu’
a u s ub l ime de ces vers
J ’entend s , la van i té me déc l are à genouxQu
’
un p ère infortuné n ’
est pas d igne de vous
( l uan t a u s tylede l’
ouvrage, il estpa rtout élégan t,na turel
, vif même et va rié suivan t les personnages,et ce chef-d’œuvre inesp éré de Des touches est un deschefs-d’œuvre de la s cèneLE GLOR I EUX a été rep résen té
,pour la p remière
fois,à la Com édie—Fran ça ise, le 1 8 janvier 1 7 3 2 .
1 . Cour s de littéra ture f rança ise (XV I I I° s iècle , XI I° lecon) . Tome Par is . Did ier, éd it ion de 1 85 9 .
x 1v N O T I C E
28 ma rs . On fa isa it fran cs à la deux i eme;fran cs à la trois ième; fran cs à la cin
quième,et en core fran cs à la tren tzeme. En
somme,ces tren te soirées donnèren t un tota lde recettes
de fran cs,soit une moyennede francs
pa r soirée, c’
est-à-dire une somme rela tivement élevéepour l ’époque.
LE GLOR I EUX a d’a bord été pub lié iso lémen t,chez
Pra u lt,le Ca imann Lévy ou le Tresse du temps
,en
une bro chure in- 1 2 et en tro is éditions success ives,
1 7 3 2 , 1 7 3 4, 1 7 40 . En 1 745 , Destouches pub liachez le même Prau l t
, p a r les so ins et sous les a us
p ices du min is tre d’Argenson, une édition de ses
œuvres comp lètes,en cinq vo lumes in— 1 2 C’
es t danscette édition
,évidemmen t très surveil lée pa r l
’
auteur ,
que nous avons pr is le tex tede la p résen te réimp res
s ion . Trois ans après la mor tdeDes touches, en 1 7 5 7,
son fils donna une nouvel le édition,en cjuutre vo lumes
iii de ses œuvres . comp lètes . E lle sorta itdes p ressesde l’Imp rimerie roya le du Louvre
,et p orta it des .
mo
difica tions de tex te assez impor tan tes, ma is seule
men t pour quelques p ièces , pa rm i lesquelles ne figurep as LE GLO R I EUX N ous n ’
avons don c eu aucune ra i
1 . On trouvera,dit la pré face de cette éd i t ion , beaucoup
de ch angements dans les prem i ères p i èces , te l les q ue le Cur ieux imp er tinen t, l
'
Ingra l , l ’Irréso lu, leMédisa n t, l 'Obstacleimp révu, ch angements p réparés par Destouches , et qu i ont
produ i t des scènes et des actes refondus p resque tout ent iers .Ma is Destouches n ’
a pu fa ire” la même chose pour les autresp i è ces.
N O T I C E x v
son de p référer cette dern iere édition à cellede 1 7 45 ,
imp rimée sous les yeux de l’a uteur . N ous ne pa r
lon s pa s des éditions subséquen tes, qui on t toutes étéex écutées d’ap rès les p récéden tes . Citons seulemen t
,
comme la p lus comp lète,cel le de 1 7 7 4, en dix vo
lumes in— 1 2, chez les libra ires a ssoc iés et toute
semb la ble à l edition de l’Imp rimerie roya le ‘ et
en core le CHOIX DES CHEFS—D’
ŒUVRB de N éricau ltD estou ches, p ub lié à Pa ris en 1 7 9 2 , deux vo
lumes in— 1 8 sans nom d’éditeur . En tête de cetteédition figure un très bon por tra it de Destouches ,gravé d ’
ap rès la toile de La rgillière , appa r tenan tà l’Académ ie fran ça ise. Ce portrdit a étégravéd ’
a bord p a r Petit p our sa suite des hommes il
lustres . Il porte sur sa marge inférieure les vers
suivan ts
Te l s sont les tra i ts du moderne Térence ,% ’
A th è nes e t que Rome ont formé pour la France .
Dans ses charmants écr i ts , l ’espr i t , le j ugement ,
Le s grâces,le bon ton
, l’é légan t bad inage ,
Pour p la ire , pour instru i re , un issen t leur langage ,
E t l’
honnê te homme y jo in t le sent iment .
Compa rer Destouches à Térence,c ’est p eut—être
a ller un p eu loin . Ce n’
est, en tout cas, qu’
en pa ssan t
p a r Mo lière et p a r Regna rd que Des touches pourra it
Le d ix ième vo lume cont ient le d iscours de récep t ionde Destouches à l ’Académie frança ise et son é loge en verspar M . Taveno t sous le
‘
t itre de Le Tombeau de N érim a l t—Destouches .
x v 1 N O T I C E
être m is en pa ra llèle a vec le com ique la tin;ma is onp eu t d ire sans trop s
’
aven turer,et en le comp a ran t à
ces tro is illus tres modèles, Térence,Mo lière et
Regna rd, que si, dans LE GLOR I EUX, il s’
es t rap
p roché le p lus qu’
il a p u des deux p rem iers il s’
est,
à coup sûr,pour cette fois
,mon tré b ien sup er ieur au
troisième.
GEORGES D’
HEYLL1 .
Novemb re 1 883 .
P RÉFACE
ETTE coméd ie vient d e tre reçue si favorab lement du pub l ic que je me cro iro is ind igne desapp laudissemens dont i l m ’
a honoré , s i je ne
m’
efi’
orço is p as de lu i en témo igner m a reconno issance . J ’ose lui prote ster qu’
e l le est auss iv ive que j uste . Je ne trouve po int de te rmes q u i pu i ssentl’
exprimer ;ma is,pour la fa ire écla ter d ’une man ière sens ib le
,
je promet s à ce m ême publ ic, à qu i j e su is s i redev ab le ,qu ’
en
cherchan t à lui procure r de nouveaux amusemens je n’
épargnerai n i so ins n i travaux po ur m ér iter la cont inuat ion deses suff rages . Quo ique les caractère s semb len t épu isés , i l m’
en
reste encore p lus ieurs à tra iter . Ce n’est pas que je ne so is très
conva incu des di ffi cu l tés e t des péri l s de l ’en trepr ise,parce
q ue le s caractères les p l us fac i le s e t les p lu s sa i l lans ont déj àp aru sur la scène . Ma is
,comme les succès redoub lent mon
zè le,peut-être augmenteront—ils m es forces . Ce qu i do it au
m o i ns m’
en fa ire b ien augurer,c’est que mon ob jet est gêné
ra lement approuvé . On sa it que j’a i touj ours devant les yeuxce grand pr inc ipe d icté par Horace
Omne tu l it p unctum q ui m iscuit u t i le du l ci,
et que je cro is que l ’a rt dramat ique n’est estimab le qu’
autant
qu ’ i l a pour but d’ ins tru ire en d ivertissant . J ’
a i toujours eu
pour max ime inconte stab le que , que l que amusante q ue pu i sseêtre une com éd ie , c’est un ouvrage imparfa it
,et m ême dangereux, s i l ’auteur ne s
’
y propose pas de corriger les mœ urs,
Le G lorieux .
PR ÉFA C E
de tomber sur le r id icu le , de décr ier le vice, e t de mettrela vertu dans un si beau jour qu ’
e l le s’a ttire l ’est ime et la
vénérat ion pub l ique . Tous mes spectateurs ont fa it connoîtreunan imement
,et , s i je l ’ose d ire , d ’une man i ère b ien fi at
teuse pour mo i,qu ’ i l s se l ivro ient avec p la is ir à un obj et si
r a isonnable . Je ne cra indra i pas même d ’ajouter ic i qu ’en
m’hono rant de leurs app laudissemens ils se sont fa it honneur
à eux-mêmes . Car enfin, q u
’
y a- t-i l de p lus glor ieux pournotre nat ion
,s i fameu se d ’a i l l eurs par tant de qua l i tés , que
de fa ire auj ourd ’hu i connoître à tout l ’un ivers q ue les comêd ies , à qui l ’anc ien pré jugé ne donne pour obj et q ue ce lu ide p l a ire e t de d ive rt ir, ne peuvent l a d ivert ir e t lu i p la i relongtemps que lorsqu ’
e l le trouve dans ce t agréab le spectaclenon seu lement ce qui peut le rendre innocent et perm is
,ma is
m ême ce qui peut contr ibuer à l ’instruire et à la corr iger?I lest donc de mon devo ir
,en pay ant au pub l i c le j uste tribut
qu’ i l attend de ma reconno i ssance , de le fé l ic iter sur le goû tqu’ i l fa i t tou jours éclater pour les ouvrages qu i ne tendentq u
’à épurer l a scène
, qu’
à la purger de ces fr ivo les sa i l l ies,
de ces débauches d ’e spr i t , de ces faux b ril lans,de ces sa l es
équ ivoques , de ces fades jeux de mo ts, de ces mœ urs bassese t v ic ieu ses , dont e l le a é té souvent infectée
,et qu
’à la rendre
d igne de l ’est ime et de la présence des honn ê tes gens . Il est
a i sé de vo ir dans tous mes ouvrages, remp l is au surp l us d ’unei nfin i té de dé fauts
, que c ’est un iquement à ces sortes despectateurs q ue je me su is toujours e ff orcé de p la ire . I l nemanque à un obj et si l ég i t ime que les ta lens nécessa ires poury parven ir . Toute la glo i re dont je pu isse me fl atter
,c’est
d ’avo i r pr is u n ton qui a paru nouveau, quo ique ap rè s l ’incomparab l e Mo l i ère i l sem b lâ t qu’ i l n ’
y eût po int d ’autre se
cret de p la ire que ce lu i de m archer su r ses traces . Ma is que l l et émér i té de vou lo ir su ivre un modè le que les au teurs les plussages et les p lus j ud ic ieux ont toujours regardé comme in im itab le ! I l ne nous a la i ssé que le désespo i r de l ’éga lertrop heureux s i, par que l que route nouve l le
,nous pouvons
nous rendre supportab les ap rès lui ! C ’
est à quo i je me su i sborn é dans mes ouvrages dramat iques ; e t c’est sans dou te àcette précau tion essent ie l le q ue je do is l ’accue i l favorabl equ’ i ls ont reçu .
Je n’en su is pas mo ins redevable à l ’art des acteurs, qui
PR ÉFA C E
en ont emp loyé tous les ressorts et toutes les fi nesses,p r inc i
palement dans cet te dern ière coméd ie ,pour s igna ler l eur
zè l e e t leur am it ié pour moi . Je leur do is à tous,s ans nu l le
except ion,cette j ust ice ; et je la leur rends avec d ’autant p lus
de p la isir que le pub l ic l ’autorise par ses applaudissemens .M . Qu inau l t l ’aîné
,dans le rô le de Ly candr e , a fa it vo ir qu ’ i l
sa it se transformer en toutes sortes de caractères ; que , que lq ue diñ
‘
érens qu’ i ls pu issent ê tre les uns des autres, ils lu i
fourn issent éga lement une occas ion br i l lante de fa ire adm irerses talens e t son espr it , et qu ’ i l peut se donner le ton
, l a
gravité , les entra i l les de p ère ,avec autant de j ustesse , de
préc is ion e t de vér i té , qu ’ i l s ’approprie les sa i l l ies,la vivac i té
e t les grâces d’un j eune homme , quand i l est quest ion de lesreprésenter . Que l le est ime , que l le vénérat ion , que l amour ,
n’a—t- il po int insp irés pour le ma lheureux p ère du comte de
Tufi è re e t de L ise tte ?Je do is les m êm es louanges à son frère M . Dufresne , qu i
a trouvé l ’art d ’annoncer le caractère du G lor ieux , m êmeavant q ue de prononcer une paro le , e t par la se u le man i èrede se présenter su r la scène . Qu e l le nob lesse dans son por t !Que l le grandeur dans son a ir ! Que l le fierté dans sa démarche ! Que l art , que l les grâces, qu e l le vér ité , dans tout ledéb it du rô le
,et que l le finesse , que l l e var ié té , dans to us les
j eux de théâ tre !Jama is personnage ne fut p lus d i ffic i l e à représenter que
ce l u i de L ise tte,
fi l le de cond it ion e t femme de chambre en
m ême temps . Ê tre trop com ique , c’éto it dément ir sa na issance .
Ê tre trop sér ieuse , c’é to it s
’expo ser à refro id ir l ’act ion et à
rendre le personnage ennuyeux . I l s ’agissoit de trouver unj uste m i l ieu entre les sa i l l ies e t les vivac ités d ’une su ivante etla nob le retenue d ’une fi l le de qua l i té . C ’
est ce qu’
on vientde vo i r exécu ter avec tant de succès par l ’exce l lente actr icechargée du rô le de L isette .
Me sera—t-il perm is de fa ire souven ir le pub l i c de l ’a ir deconfiance , de jo ie ,
de naïveté , e t des p la isantes brusquer iesde Lisimon ,
ou p lutô t de l’acteur j ud ic ieux et nature l qui
1 . Quinaul t.M . Duchemin .
P R ÉFA C E
a paru sous le nom de ce bourgeo is anobl i ? L ’extrême
p la is ir qu’ i l a fa it aux spectateurs ne
'
me la isse assurémentaucun l ieu de douter qu ’ i l n
’a i t beaucoup contr ibué au
succès de mon ouvrage .
Je me fero is enco re un devo ir b ien agréab le de fa ire ic il e loge de mes autres acteurs
,si la crainte .d’ennuyer par un
trop long dé ta i l ne mettoit,ma l gré mo i, des b ornes à ma
reconno issance .
A CT E URS
LISIMON ,riche bourgeo is anobl i .
ISABELLE , fi l le de L isimon .
VALERE , fi ls de Lisimon .
LE COMTE DE TUF IÈRE , amant d’Isabel le .
PHILINTE , autre amant d’Isabe l le .
LYCANDRE ,v ie i l lard inconnu .
L I SETTE,femme de chambre d’Isabe lle .
PASQU IN , va let de ch ambre du comte .
LA FLEUR , l aqua is du comte .
M . JOSSE , nota ire .
UN LAQUAIS DE LYCANDRE .
PLU$1EURS AUTRES LAQUA’
1s DU COMTE.
La scène est à Pa r is dans un hôtelgarni .
L E G L O R IEU X
C OM É D I
A CT E P R EMIER
SCÈNE PREMIERE .
PASQU IN ,seul .
ISETTE ne v ient p o int je c ro is que la friponneA v ou lu se moque r un peude ma personne
En me donnan t tantô t un rendez—vous ic i.Pour le c oup je m
’
en vais . Ah ! ma foi,la v o ic i .
SCÈNE I I .
LI SETTE ,PASQU IN .
L I SETTE .Mon c her m onsieur Pasquin, je sui s v o tre servan te .
8 L E G L O R I E U X
PASŒJIN .
T rès humb le se rv iteu r à l ’aimab le suivanteD ’
une aimab le maîtresse .
LI SETTE .
Un si doux c ompl iment
M é rite de ma p ar t un l ong remercimen t ;
Mais , p our m’
en a cquit te r, je manque d
’
é loquence .
Vous vous conten te rez de ce t te r év é ren ce .
Je vous ai fait
PASQU IN .
A vous parle r sans fard ,Ma reine , au rendez-v ous v ous v enez un peu tard .
LISET‘
I‘
E .
J’
auro is vou lu p ouv o ir un peu p lus tô t m’
y rendre .
PASQU I N .
Au t re fo is j e tois v if,e t j
’
enrageo is d’a t tendre ;Rien ne pouvoit ca lme r mes d ésirs exc it és;Mais l
’
âge a mis un fre in à mes v iva cités .
LI SETTE .Si bien que vous vo il à devenu raisonnab le?
PASQU IN .
E t j’
en sms - bien honteux .
LISET‘
I‘
E.
Hon teux d e t re es timab le?
PASQU I N .
Oui, de l e tre ave c vous;e t je lis dans vos yeux(Lu
’
avec mo ins de raison je v ous plairo is b ien mieux.
LI SETTE .
A moi?je vous fu1101s , Si vous é tiez moins sage .
A C T E I , S C È N E I I 9
PASQU I N .
Me vo ilà d on c au fait,e t j ’ entends ce langage .
Vous me t rouvez t rop vieux p ou r ê tre un fav o ri,
Et de mo i vous fe re z un honnê te mari .Je me sens p ou r ce t itre un fond de pa tien ceDon t vous pou rre z b ien tô t faire l ’exp érien ce .
LI SETTE .
Vous vous t rompez b ien fort car je ne veux de vousN i faire mon aman t
,ni faire mon époux .
PASQU I N .
Qi_e me v ou lez—v ous donc ?Q1
_el su j e t nousa ssemb le ’
LI SETTE .
Je veux que nous tenions ici c onse il ensemb le .
PASQU I N .
Sur quo i?LI SETTE .
Su r vo t re maî tre e t ma maî tresse .
PASQU I N .
Eh b ien ?
LI SETTE .
_Traitons ce t te mat iè re , e t ne nous cachons rien .
Tous deux à les se rv ir é tan t d ’
intel ligence ,N ous leu r p ou rrons tou s deux ê tre u tiles, je pense .
PASQU I N .
Vot re idée est t rès j uste ; e lle me p laî t .LI SETTE .
Tant m ieux .
Le Comte'
vo tre maî tre est fro id e t sé rieux ,Et , depuis t ro isgrands mo is qu’
ave c nous il demeure ,Je n
’
ai pas enc o r pu lui par le r un quar td’
heu re .
LE G L O R I E U X
Que l est son caractère?Ent re n ous, j’
en t revois
Qu e ma maî tresse l ’aime ;e t cependan t je c ro is
Qu’
i l ne do it pas longtemps comp te r sur sa tendresseCar, ave c de l
’
esprit , du sens,de la sagesse
,
Desgrâ ces , des a t traits, e l le n’
a pas le donD
’
aimer ave c c onstan ce . Avant qu’
aimer,dit-on
,
I l fau t connoître à fond car l ’amour est b ien t raî tre .
P ou r Isabe l le , e l le aime avant que de connoître ;
Mais son penchant ne peu t l’aveugler te l lementQu
’
i l d é robe à ses yeux les d éfau ts d’
un amant . .
Les cherchan t ave c so in e t les t rouvant sans peine ,Ap rès qu e l ques e fforts sa v ict o ire est certa ine;Hon teuse de son ch o ix
,e l le reprendson cœur
,
E t l’
on vo it à ses feux su c c éder la f ro ideu r;Sur le p o int d’ épouse r, e l le romp t
\
sans mystè rePASQU I N .
Vo il à,sur ma paro le , un p la isan t carac tè re .
Un cœu r tendre e t v o lage , un esp rit vif,a rdent
J usqu ’à l’é tourderie,e t tou tefo is p ruden t ;
Coque t te au par- dessus .
L I SETTE .
Non,po int capricieuse ,
Po int c o que t te , e t su r tou t point a rtifi cieuse .
E lle aime tend remen t , e t de t rès bonne foi;Ma is ce la ne t ien t pas . Maintenan t d ites-mo iTou tes les qualité s
‘du Com te v o tre maî tre .
C’
e st pour le m ieux se rv ir que je v eux le connoître .
Sans deviner pou rquo i, j
’
aidu pen chan t p ou r lui,Et vou s l’épre
‘
t1vere z même dè s auj ou rd ’
hui .
S’
il a que l ques d é fauts, empê chons ma m aît resse
A C T_E 1,S CEN E 1 1
De s’
en ape r cevo ir, e t fixons sa tendresse .
Mais dé couvrez-le s-moi pou r me mett re en é tatDe faire que l
’
hymen prév ienne ce t é c lat .PASQU I N .
l nst ruit de vos desseins , je p ar lerai sans c raindre ,Et de la tê te aux p ieds je vais v ou s le dépeindre .
Ses b onnes qua l it és se ron t mon p remier po int ;Ses d éfau ts, mon se cond . Je ne v ou s cache p o in t
Qi_e je serai t rès c ou r t sur le premie r chapit re ,
Très l ong su r le dern ier . Premièremen t,son titre
De c om te de Tufi è re e st un t it re r ée l,
Et son air de grandeur est un air nature l
Il est cer tainement d’
une hau te n aissance .
LI SETTE .
C’
est l’effet du hasard . Passons .
PASQU I N .
Toute la Fran ceConvient de sa va leu r, e t , b rave c onfi rmé ,Pa rm i lesgens deguerre il e st t rès estimé .
Il fe ra son chemin , à ce que l’
on assu re .
I l est h omme d’honneur;on vante sa dro itu re .
'
Œ_oique vif
,p é tu lant , il a le cœu r t rès b on .
Voil à mon p rem ie r p o int .
LI SETTE .
Passons vite au se c ond .
l I
1 2 L E G L O R I E U X
SCENE I I I .
L I SETTE , PASQU IN ,LA FLEUR .
PASQU IN .
Ah ! te vo il à , La F leu r?(@e fait monsieu r le C0mte?LA FLEUR .
I l j oue ;e t , qui p lus e st , il y fait bien son c omp teCar il va me t tre à sec un fran c p rov inc ia l
,
Au mo ins aussi n igaud qu ’
il me paioît bru ta l ;No t re maî tre
,tand is qu ’
il j ure e t se déso le ,Embourse son argent sans d ire une paro le.
PASQU I N .
Pourquo i v iens-tu sitô t?LA FLEUR .
Pour un dessein que'
j’
ai.
PASQU I N .
Q1_el dessein?
LA FLEU R .
Je vous viens demande r mon c ongé .
PASQU I N .
A moi?
LA FLEUR .
Sans d ou te . Au tan t que je puis m’y connoître ,
Vous ê tes fac to tum de monsieur no t re maî tre .
On n’ose lui par le r sans le me t tre e n c ourroux
Il fau t par c onséquent que l’
on s’
adresse à v ous .
PASQU I N .
Tu me surprends, La F leu r , je te c royois p lus sage .
1 4- L E .G L O R I E U X
Ce la me fait sé cher,ce la me p ousse à bou t ;
Moi, qui dis vo l ontiers mon sentiment sur t ou t,
Le silen ce me tu e,
Vo us r iez?LI SETTE .
A chève .
LA FLEU R,en p leuran t .
Si je reste c éans, il faudra que je c rève .
LI SETTE,à Pasquin .
Qi_e j ’aime sa fran ch ise e t sa naïve té !
LA FLEUR .
Foide gar ç on d ’
honneu r , je dis lav é rit é .
PASQU I N .
N o t re m aî t re à ses gens faitgarde r le silen ce;Mais ils sen ten t l’ e ffet de sa magnifi cence ;B ien
'
nourris, b ienv ê tus , e t p ayé s largement .LA FLEUR .
Eh ! tout ce la p ou r mo i n ’
est p o int c onten tement .LI SETTE .
Enfin ,il fau t qu’
il par le ; e t c’
est là sa fo lie .
LA FLEUR .
Au t rement je su c c ombe à la mé lan c o lie .
J ’eus un maî t re au t re fo is qu e je regre tte fo r t,
Et que je ne se rs p lus,a t tendu qu ’
i l est mo r t .I l ne me faiso it pas de fo r tgros avantages ,I l me nourrissoit mal
,me payoit mal mes gages;
Jamais au cun p rofi t,e t souvent en h iver
I l me laisso it a l le r p resque aussi un qu’
un ver ;
Mais je l’
aimois . Pourquo i?C ’
est qu ’
il me faisoit rireEt que de mon c ô té je pouvo is t ou t lui d ire .
I l m’
appeloit son che r, son ami,son m ignon ;
A C T E I , S C È N E I I I 1 5
E t nous vivions tous d eux de pair à compagnon .
M ais,pour monsieur le Comte
,au d ian tre si je l
’
a ime !
Il est touj oursgourmé , renfe rme d ans lu i-même ,
Tou j ours po rtan t au ven t,fie r c omme un Écossois .
Je ne pu is le sou ffrir,à vous par le r fran ç o is ;
Et , dû t—il m’
en rich ir, que le diab le m
’
emporte
Si je vou lo is se rv ir un maî tre de la so rte !
PASQUI N .
Pa tien ce ; à ta fa ce on s’
accou tumera,
E t t u ve rras qu’
un j our monsieu r te par lera .
Mais n e t’
échappe p o int . A t tends l’
heure p rop ice .
D epu is dix ans au mo ins je suis à son se rvice ,
E t n’o se lui par ler que par o c casion .
LI SETTE,à Pasqu in .
Ce pauvregarçon- l à me fa it c ompassion .
Faites que l’
on lui d ise au mo ins que l ques paro les .
LA FLEUR .
Tenez , j’
aime ro is m ieux d eux mo ts que deux p isto les .
PASQU I N .
J ’y feraide mon m ieux .
LA FLEUR .
Enfin p o int de m il ieu ;I l fau t ou qu’ on me p arle , ou qu
’on me ch asse . A d ieu .
Vo il à mon dernie r mo t ;c’
est moi q u i v ous l’
annonce ;E t je par lerai, moi, si je n
’
ai pas rép onse .
1 6 L E G L ORI E U X
SCÈNE IV .
LI SETTE,PASQU IN .
PASQU IN .
J’
a i p itié,c omme vou s
,de ce pauvre La F leu r .
LISET‘
I‘
E .
Le c omte de Tufi è re est dont: un fi er seigneu r?PASQU I N .
C’
est la mon se c ond poin t .LI SETTE .
Fo r t b ien .
PASQU I N .
SAp o lit iqueEst d e t re touj ou rs grave ave c un d omestique .
S’
il lu idiso it un mo t , il cro iro it s’
abaisse r;
E t qu’
un v a le t lui par le,il se fera chasse r
Enfin,pour ébau che r en d eux mo ts sa peinture ,
C’
e st l ’h omme le p lus vain qu ’
ait p roduit la na ture .
P our ses in fé rieurs p le in d’un mépris ch oquan t ,Ave c ses égaux même il p rend l ’air impor tant ;Si fi erde ses aïeux
,si fie r de sa nob lesse ,
Q1_
’
il c ro it ê tre ici—bas le seu l de son e 5pè ce ;
Pe rsuad é d ’
ail leurs de son hab ile t é,
E t dé c idant sur tou t ave c au to rit é ;Se c royan t en tou t genre un mé rite suprême ;Dédaignant tou t le monde , e t s’admirant lui-même ;En un mo t
,des mo rte ls le plus impé rieux,
Et le plus suffisant , e t le p lus gl o rieux .
A C T E 1, S C EN E rv 1 7
nou s a l l ons
don c ?
Son faste ,
Sa fierté,ses hau teurs
,font un parfait cont ras te
Ave c les qua l ités de son humb le . rival,
Qu i n’
o sero it p arle r de p eur de p arle r ma l,
Qi_i par t im id ité rougit comme une fi lle
,
E t qu i, quo ique fo rt riche e t de n ob le famil le,
Tou j ours ram‘
pan t,c rain t if
,e t tou j ours c on ce rté ,
Prod igue les e xc ès de sa c iv ilit é ;Pour les m o ind re s va le ts remp li de d é fé rences ,E t ne p arlant j amai s que par ses rév é rences .
PASQUI N .
Oui,ma fo i
,le contrasté es t tou t des p lus p arfaits ,
Et nou s en pourrons vo ir d’
assez p laisans e ffe ts .
Ce dou ce reux rival,c ’e st Philin te
,sans dou te?
Mon maî tred’un regard do it le me t tre en dé rou te .
LISETTE .
Mais ce com te si fi e r es t don c-bien riche aussi?
Du mo ins il le paroît .
PASQU1N .
Riche ?N on, D ieu merc iCar c ’est la
,que l que fo is
,ce qu i raba t sagl o ire ;
E t tou t son revenu ,si j
’
ai b onne mémo i re ,Vien tde sa p ension e t de son régimen t ;Mais il sait tous les j eux e t j oue heureu semen tC’
e st par là qu’
il sou tient un t rain si magnifique .
Le G lor ieux . 3
1 8 L E G L O R I E U X
LI SETTE .
Et faites—vous fortune?PASQU I N .
Oui, par ma p o l itique .
Av e c moi que l que fo is il p ren d de s libe rt és .
Je le b ou de,il sourit . Mes dép its c on certés ,
Un air fro id e t rêveu r,que l qu es b ru squ es p aro les ,
L’
amè nen t où je veux . Par quat re ou c inq p isto lesI l cherche à m’
apaise r, à me calme r l’
esprit ;Et
,c omme j
’
ai b on cœur,son argen t m’
at tendrit .
LI SETTE .
Vous m ’
avez m ise au fait e t je vais vous instruire .
Le Comte va b ientô t lui-même se dé truireD ans l
’
esprit d’Isabe lle ;ou i , soyez-eu ce rtain,S’
il ne lui cache pas son na ture l hau tain .
E l le est d ’
humeu r l ian te,affab le
,so ciab le
L’
orgueil est à ses yeux un v ice insuppo rtab le ;E t
,malgré lesgrand s b iens qu i lu i son t assurés ,
Son a ir e t ses disc ours son t simples,mesurés ,
Honn ê tes, prévenans e t p le ins de modestie .
PASQU I N .
Si b ien qu ’
ave c mon m aî t re'
e lle ‘
est mal assor tie ?
LI SETTE .
I l aura son c ongé s’il ne se c ontraint p o in t .Donnez-lui ce t avis .
PASQU I N .
I l e st hau t à te lLI SETTE .
J ’entendsdu bruit . Je c ro is que c’
est notre vieuxmaî tre .
Ne me l aissez pas seu le ave c lui .
A C T E n S CÈ N E IN'
1 9
PASQUIN .
Ce v ieux reît reEst-il si dangereux ?
LI SETTE .
A c inquan te— cinq ans,
I l e st p lus l ibe r tin que t ous nos j eunesgens;E t
,ce qu i me surp rend
,c ’est que son fi ls Va l è re
A t ou te la sagesse et la vertu d’un p è re .
SCENE V
LISIMON,L I SETTE
,PASQU IN .
LISIMON ,couran t à L isette.
B onj our,ma chère en fant ;emb rasse—moi bien fo r t .
Comment don c , tu me fuis?
LISETTE .
Réservez ce transpo r tP ou r madame .
L1S1MON .
Eh ! fi donc Tu te moques, je p ense ?J ’a rrive de campagne , e t
,p le in d’
impatienceDe te revoir
, Que l est cegarç on—l à?Tê te à tê te tous deux?Je n
’
a ime po in t ce la .
Jegage qu ’
avec lui tu n’
é tois pas si fière?
LISETTE .
N ous nous entre tenions du c omte de Tufi è re ,
Son maî t re .
2 0 L E G L O R I E U X
LISIMON .
Ce seigneu r que l ’on m’
a p rop o séPou r ma fi lle?
PASQU I N .
Ou i,M on sieur .
LISIMON
Je suis t rès d isposé,
Sur ce qu ’
on m’
en é c rit,à le cho isir p ou rgend re ;
On me le van te fo rt , e t l’
on me fa it entendreest h omme d ’
honneur,degrande qua lité .
Mais est— il v if,a lerte , é to urd i, b ien p lant é ,
B on v ivan t?Car je veux tout ce la pou r ma fi l le .
PASQU I N .
Vous faite s son p or t rait , e t c’
est par l à qu’
il bril le .
LISIMON .
B on . A ime- t- il la tab le , e t bo it—il largemen t?PASQUI N .
D iab l e ! il est le p lu s fort de t ou t le régiment .
I l a fait son che f—d’œ uvre en A l lemagne,en Su i
ÿ se .
LISIMON .
Vo ilà mon h omm e . I l fau t que l’
au tre dégue rp isse .
LI SETTE .
(Qi, Philinte?LISIMON .
Lui—même . Il me c aj o le en vain .
C’
est un homme qu i me t le t iers d’
eau d ans son vin .
Ce fade personnage , en se s fa ç ons d isc rè tes,Me donne la c o lique à fo rce de courbe t tes .
Mon gend re buveu r d ’
eau ! Fû t-il p rince , morb leu '
Je le re fusero is . N ous a l l ons vo ir beau jeu
3 2 L E G L O R I E U X
I l fau t qu’
incessamment n ou s fassions c onno issance .
Li sETTE .
Son maî tre va rentrer .
PASQU IN .
E t je l’
a ttends ici.LISIMON .
Va l’
at tendre deh ors . Décampe .
SCÈNE V I .
LISIMON ,L I SETTE .
LISIMON .
D ieu merci,
N ous sommes t ê te à tê te ,e t ma vive
Où vas—tu donc?
LI SETTE .
Je va is re j o indre ma maî tresse,E l le m’
appe l le .
LISIMON .
LI SETTE.Ne l
’
en tende z —vous’
pas?
L15 1MON .
Moi ! p o int .LISETTE .
Moi, je l
’
en tends,e t j ’y c ou rsde ce pas.
LISIMON .
Qu’
e l le at tende .
A C T E I , S C È N E V I
LI SETTE .
Monsieu r,vou l ez—vous qu ’on me gronde?LISIMON .
Qi_i l
’
o sero it c éans?Je veux que tou t le mondeT
’
y regarde en m aî t re sse,e t me respe c te en toi;
(@e femme , enfeu s, va le ts, tou t t’
obéisse .
LI SETTE .
A mo i,
M onsieu r?Y pensez-v ou s?LISIMON .
Oui,ma p etite reine ;
De mon cœur,de mes b iens
, je te rends souve raine .
LI SETTE .
Ce langage est o b scu r,e t je ne l
’
en tends pas .
LISIMON .
Je m’
en vais m’
exp l ique r . Charmé de tes appas,
J’
ai con çu le desse in de faire ta fortune .
P our nou s débarrasse r d ’
une fou le impo r tune,
Je te veux à l’é cart loge r supe rbemen t .Les so irs , j
’
irai chez to i soup e r se c rè temen t ;Je fe rai tous les f rais d’un n ombreux domestique
,
D’
un équipage le ste au t an t que magnifique ;Hab its
,aju stemens , rien n e te manque ra ;
E t sur tou s tes désirs mon cœ u r te prév iendraM’
en tends- tu maintenan t ?LI SETTE .
Ou i,M on sieu r , à merveille .
LISIMON .
E t ce d isc ou rs, je c r o is, te cha tou il le l’
ore il le ?
Que r éponds- tu , ma chère , à ces c onditions?
3 4 L E GL O R I E U X
LISETTE .
Je ne puis a c cep te r vos p rop ositions ,M onsieu r , sans c onsu l ter une t rè s b onne dam e
(Que j’
honore .
LISIMON .
E t qui d onc ?
LI SETTE .
Madame vo tre femme .
L 15 1M0N .
Commen t , d iab le , ma femme '
L isETTE .
Oui,Monsieu r , s
’
il vou s plait .A ce qui me regarde e l le p rend inté rê t
,
E t je ne dou te po in t qu’
e lle ne so it rav ieDe me v o ir embrasser ce doux genre de vie .
LtSiMON .
Te moques- tu?
LI SETTE .
Je vais aussi p rendre l ’av is ’
De ma maî t resse , e t p uis de mon sieu r v o t re fi ls .
Tous t ro is , éd ifié s, à ce que j’
imagine,
Du soin que vous p renez d’
une p auvre o‘
rphe l ine,
Seront tou ch és de v o ir que , lui prê tan t la m ain,Vous la m e t t iez vous-même en un si beau
’
chemin,Et qu
’
à vo tre âge , enfin,v otre charité b ril le .
Jusqu’à les ruine r p our p la ce r,une fi l le .
LISIMON .
Tu le p rends sur ce ton ?
L1$ETTE .
Oui, Monsieur, je l
’y prends.
A C T E I , S C È N E V I
Apprenez , je vous p rie , à connoître vosgens .
Un cœur t el que le mien méprise'
les r ichesses,
(@andil fau t lesgagne r par de te l les bassesses .
LISIMON .
Oh ! pu isque mon amour,mes o ff res
,mes d isc ou rs
,
N e p euvent rien sur to i, je
LI SETTE,s’
enfuyan t .Au se c ou rs
LISIMON .
Quo i ! frip onne , me faire une te l l e in cartade ?
SCÈNE V I I .
LISIMON , VALERE,L I SETTE .
VALERE a ccouran t .qu
’
ave z - vous?
LISIMON .
Rien .
VALERE .
Ê tes—!
vous malade ?
LISIMON .
Non;je me po r te b ien . Qi_e vou l ez-v ou s?
VALERE .
Qui, moi?
On crioit au se cours , e t , p lein d’
un ju ste e ff ro i,
Je suis vite a c c ou ru .
LISIMON ._
C’
est prendre t rop de peine .
Liset te me suffi t .
2 6 L E G L O R I E U X
VALERE .
LISIMON .
Vo t re aspec t megêne ,So r tez .
VALERE .°
Mo i,vous quitte r en ce p ressant beso in !
Je n’
aigar de à c oup sû r . Lise t te , j’
aurai so inDe monsieur; so rtez v ite ;a l lez d ire à ma mè re
Qu’
e l le v ienne au p lus tô t .LISIMON .
Eh ! je n’
en a i que faire ,
Bou rreau .
LI SETTE .
J ’y vais .
LISIMON, à Va lère.D emeu re. Et toi
,so rs à l ’instant .
VALERE .
S’
il ne t ient qu’
à ce la pou r v ous rendre c ontent,
Lise tte‘ restera . M ais au ssi je vous j ure
De ne vous p o int quit te r dans ce t te c onj on c tu re .
Vous vo il à t rop ému . Vos yeux sont tou t en feu .
Je crains que l que a c c ident . Asseyez-vous un peu .
Vous ê tes, je le vo is, fatigu é du voyage .
Il faut v ous ménager un peu p lus à vo tre âge .
Enverrai-je cherche r le m éde c inLISIMON .
Tais—toi .
( En sortan t . )Traî t re
,tu le payeras .
A C T E I,S C EN E V I I I 2 7
SCÈNE VI I I .
VALERE ,LI SETTE .
LI SETTE .
Vous voyez ?
VALERE .
Oui, je voi
A que l ind igne exc ès veu t se p o rte r mon p ère .
Op e l exemp le pou r mo i ! (@e l chagrin p ou r ma mère 'Je ne m
’ é tonne p lus si sa fo ib le sant éL
’
ob lige à renonce r à laso c ié t é ,Et si
,tou j ours l ivrée à sa mé lan co lie
,
Dans son appartem en t e lle p asse sa vie .
LI SETTE .
Je veux so rt ir d’
ici .VALERE .
Non,non
,ne c raignez rien .
De mon p è re,ap rès tou t
,n ou s v ous d é fend rons b ien .
L i sETTE .
Je le sais;m ais enfin je veux sortir, v ous dis—je .
VALERE .
Songez—v ou s que l p o in t v o t re d isc ou rs m ’
affiige ?Oui, si vous nou s qu it tez , je mourraide dou leu r .
Vous sav ez mon dessein .
LI SETTE .
I l feroit mon bonheurS
’
il pouvoit s’
accomplir;mais il est imp ossib le .
Je sens de v ous à moi la d istan ce terrib le .
2 8 L E G L O R I E U X
Un mariage en fo rme est ce que je p ré tendsVous me le p rome t tez
,m ais en vain je l
’
a t tends .
Chaque j our, chaque instan t dé truit mon espé ran ce .
Vos parens sont puissans ;une fortune immenseDo it vous faire aspire r aux p lus n ob les partisJugez si vous et moi n ous sommes assor tis .
VALERE .
L’
amou r asso r tit tou t,e t mon âme ravie
Trouve en v ous ce qui fait le bonheur de la v ie .
L1SETTE .
S ongez que je n’
a i rien , e t ne saisd’où je so rs .
VALERE .
Esp rit ,grâ ces , beau té , ce son t la vos t réso rs ,Vos t it res , vos parens .
L isETTE .
Vous fl a t tez—vous, Va l è re ,De faire à no t re hymeri consen tir v o t re père?
VALERE .
N ous n ous passe rons b ien de son c onsen tement .
LI SETTE .
Oui, vous, mais non pas mo i .
VALERE .
Je puis
L isETTE .
Non , non , ne croyez pas qu’
un vain espo ir m’
endorme .
Je vous l’aidit, je veux un mariage en fo rme ,
E t me garderai b ien de c ou rir leVALERE .
Vous n’
avez rien à c raindre , e t . Qi_e veut ce vieil lard
3 0 L E G L O R I E U X
J’
y su is en service .
LYCANDRE .
Juste Cie l ! E t c ’e st don c p ou r ce vil exe r c ice
Qi_e sans m
’
en avertir v ous so rtez du c ou ven t ?
LI SETTE .
Aut re fo is p ou r me vo ir vous y ven iez souvent ;Mais depu is que l que temps vous m’
avez négligée .
De p lus,ma m è re est mo rte . I nqu iè te , affl igée ,
N’
entendan t rien de vous,sans espo ir, sans appui,
Qi_e lle ressource avo is-je en ce c rue l enn u i?
La fi l le de c éans,à p résent ma maî t resse
,
Mon amie au c ouv en t,sensible à ma t ristesse ,
Sur le p o int de so rtir,m
’
o ffrir o b ligeammentDe me prend re aup rè s d’e l le . E lle me fi t se rm en t
Qi_e je sem is p lu tô t c ompagne que su ivan te
Je ne pus ré siste r à son o ff re p ressan te .
Ce ne fu t pas p ourtan t sans ve rse r b ien des pleu rs ;Mais mon so rt le voulu t e t vo ilà mes ma lh eurs .
LYCANDRE .
O fo rtune c rue l le ! Et v ous t ien t-on par o lePar de j ustes égard s?
L isETTE .
Ou i.
LYCANDRE .
Ce la me c onso leD
’
un si t riste inc iden t, que j
’
auro is p révenuSi mes infi rmités ne m
’
eussen t re tenu
Pendan t p rès de six mo is dans la re t ra ite ob scure
A CT E I, SC È N E IX 3
Où je mène mo i—même une v ie assez dure .
Si b ien que v ous vo ilà p lus heureuse auj ou r d ’
hui?
LI SETTE .
Au tan t qu ’
on le peu t ê tre au se rv ice d’
au trui .
LYCANDRE .
Hé las !L i sETTE .
Vous soup ire z ?D ans ma t riste ave n tureJe ne sais que l espo ir me sou t ien t
,me rassu re ;
Ma is je n’
a i rien perdu de ma v ivac ité .
LYCANDRE .
Vo t re e spo ir es t fond é . Le momen t souhaitéPeu t a r rive r b ientô t . La fo rtune se lasse
De v ous pe rsé cu te r . M a is,d ites—mo i
,degrâ ce ,
A qu i parliez—v ous la, quand je su is su rvenu ?
L i sETT E .
Au fi ls de la ma ison . S’
il vous é to it connu ,
Vous l’ estime rie z fo rt .
LYCANDRE .
Il a donc v o tre est ime ?
Vous rougissez ?L i sETTE .
Op i, mo i?Me feriez—v ous un c rime
De lui rendre j ust ice ?
LYCANDRE .
Il est j eune,b ien fait ,
Riche ;il v ous v o it souve n t ?L15ETTE .
Oui, souvent , en e ffe t .
3 2 L E G L O R I E U X
LYCANDRE .
Vous ê tes j eune , aimab le,e t sans exp é r ience
Vo il à b ien de s é cue ils .
L1SETTE .
Soye z en assu ran ce .
Mon cœur est au- dessus de ma cond it ion .
J’
ai des prin cipes sû rs con t re l ’o c casion .
LYCANDRE .
J ’y c omp te . Mais enfin qu e v ousdit ce jeune homme ?LISETTE .
I l se nomme Va l è re .
LYCANDRE .
Eh ! mon D ieu,qu ’
il se nommeVa l ère , ou Cleon , que m
’
impo rte ?I l s’agitm
’
in fo rme r à fon d des cho ses qu’
il v ous dit .LI SETTE .
(Q’
il m ’
aime .
Est-ce
L1SETTE .
Oui,vousdis—je .
LYCANDRE .
Vous me t rompez .
LI SETTE .Eh ! mais… Ce rep ro che m’
affi ige .
Eh b ien donc , ce j eune homm e , à ne rien d éguise r ,
LYCANDRE .
l à t ou t ?
LI SETTE .
Oui .
LYCANDRE .
C’
est tout?
A CT E I , S C È N E IX 3 3
Si j ’y veux c onsent ir , m’o ff re de . m’
épouser
En se c re t .LYCANDRE .
En se c re t ?Il ch erche à vous surprendre .
LI SETTE .
N on ;je r ép ondsde lu i . Mais,b ien lo inde me rendre ,
En a ccep tan t son cœur je re fuse sa main,
A mo ins que se s p arens n ’
approuven t son dessein .
Ils le rej e t teron t, je n
’
en suis que t rop sûre ;Et
,p our fu ir un é c lat , Monsieur, je vous c on j u re
De me t irer d’ ic i dè s demain,dè s ce so ir
,
Pou r que Va lère e t mo i n ou s cessionsde nous vo ir .
LYCANDRE .
D’
un so rt mo ins rigoureux 6 fi l le vraim ent d igne !Ce que vous exigez est une p reu ve insigneE t de vo t re p ruden ce e t de vo tre ve rtu .
Il fau t vou s rév é le r ce que je vous a i tu .
Vou s pouvez asp irer à la main de Va lè re,
E t même l’ épouse r de l’
aveu de son pè re .
LISE'
I‘
TE .
Moi, M onsieur?LYCANDRE .
Je dis p lus ils se t iendron t heureux,
Dè s qu’
ils vous connoîtront ,de form er ces beaux nœuds;E t , respe c tan t en vous une hau te n aissan ce
,
Ils brigueron t l ’honneur d’une te l le a l liance .
L15ETTE .
Vous vous moquezde mo i . Pourquoi,jusqu’
à sa mor t ,Ma mère a—t-e lle eu so inde me cacher mon so r t ?
Mon père est-il vivan t?
Le G lorieux .
3 4 L E G L O R I E U X
LYCANDRE .
I l resp ire,il v o us aime
,
Et v iendra de ce l ieu v ous ret ire r lui-même .
LI SETTE .
Et p ou rquo i si l ongtemps m’
ab andonner ainsi?LYCANDRE .
Vous sau rez ses ra isons . M ais demeu rez iciJusqu’à ce qu’ il se mont re , e tga rdez le silen ce ;C’
est un p o int capita l .LISE'
I‘
TE .
Mo i,d’illustre naissan ce !
Ah ! je ne v ous c ro is p o in t , si v ous n’
éclaircissez
Tou t ce mystère à fond .
LYCANDRE.
Non, j
’
en ai dit assez .
P ou r savo ir tou t le reste , a t tendez v o t re p è re .
Ad ieu . M ais d ites—moi, le c om te de Tufi è reD emeure—t—il c éans?
L1SETTE .
Oui,depuis que l que s m o is.
LYCANDRE .
Il fau t que je lui par le .
LI SETTE .Ah ! M onsieu r
, je p r évo is
%’
il vous re cevra mal en ce t riste équipage ,Car on me l
’
a d épeint d’un o rgueil siL YCANDRE .
Je saurai l’
abaisser.
L1SETTE .
I l v ous insu l tera .
A C TE I , S C È N E IX
LYCANDRE .
J ’imagine un moyen qui le co rrige ra .
Jusqu ’
au revo ir . Songez qu’
une naissan ce illus t reDes sen t imens du cœu r reç o it son p lus beau lustrePour les faire é c late r il est de sû rs moyens;E t , si le so r t crue l v ous a rav i vos b iens,D
’
un p lus rare t réso r envian t le par tage ,
Soyez riche en ver tus c ’est la v o t re apanage .
ACTE II
SCÈNE PREMIÈRE .
L I SETTE .
CIS—JE me ré j ouir?d o is—je m’
inqujé ter?Ce que m
’
adit Ly candre e st b ien p romp t à fl a tte rMon pe tit amou r—p rop re ;e t p ou r tan t p lus j
’y pense ,Et mo ins à son d isc ours je t rouve d
’
apparence .
Le bonh omme , à c oup sû r,s’
est d ive rt ide mo i.Mais n on ,
il m’
a ime trop pou r me rail le r . Je c ro iDémêle r sa finesse . I l v eu t me rend re fi è reAfi n que je me c ro ie au-dessus de Va l è re
,
Et le v ieillard ad ro it,usan t de ce d é tour
,
A rme la vanité pou r c ombat tre l’amou r .
Oui, oui, t ou t b ien pesé , m’
en v o il à c onva incue .
De t ou tes mes grandeu rs je su is b ientô t dé chue !Je redev iens L ise t te
, et le so rtPauvre Lise t te ! Hélas ! ton règne a peu du ré !Je me suis endo rm ie e t j
’
ai fait un beau songe ,Mais dans mon t riste é tat le
,
réve il me repl onge .
3 8 L E G L O R I E U X
VALERE .
Je ne v ous c o mprends p o in t . Exp liquez ce mys t è re .
L1SETTE .
Ce la m’
est dé fendu;mais je ne pu is me taire ,E t
,qu o ique l’on m’
ordonne un silence d isc re t ,Je sens b ien que pou r v ous je n
’
ai p o in t de se c re t .Je sou tiens ave c pe ine un fa rdeau qu i me lasse .
VALERE .
A la tentat ion su c c ombez donc,de grâ ce .
LI SETTE .
C’
est le meil leu r m oyen de m’
en gué rir, je c ro is ;
Mais,si je vais par le r , vous v ous rirez de moi.
VALERE .(@oi ! v ous
LI SETTE .Jurez que, quo i que
rail le rez p o in t .
VALERE .
J’
en j ure .
LI SETTE .
Ma fran ch ise,Ou , si vous le vou lez , mon ind isc r é tion ,Exige de ma part cet te p ré cau t ion ;A u surp lus
,vous p ou r rez m’
éclaircir sur un d ou te
Qu i me tou rmen te for t . O r , é c outez .
VALERE .J ’é c oute .
L1SETTE.
Ce bonhomme m’
a Vous a l lez v ous moquer .
A C T E 1 1 , S C È N E 1 1 3 9
VALERE .
Eh ! non,vous dis—je , non .
LI SETTE .
Avant de m ’
exp liquer,
Va l è re,perme ttez qu e je vous in te rroge .
Répondez f ranchement , e t su rtou t p o int d e l oge .
VALERE .
Voyons .
LI SETTE .
Me t rouv ez-vous l ’ air de c ondition
Qi_e donne la naissance e t l’ éducat ion?
Et croyez- v ous mes t raits,me s fa ç on s , mon langage ,
Prop res à sou tenir un n ob le personnage ?VALERE .
Un aman t sur ce p oint est un j uge susp e c t .Mais vous m ’
avez d’ abo rd insp iré le respe c t,
La v énération . Qui les a pu p ro du ire ?
Vo t re rang?vo t re b ien?P lû t au Cie l ! Je S oup ireLorsqu e je vo is l
’é tat où vou s r é duit le sort .Mais p our v ous ab aisser il fait un vain e ffort
,
Et,de que l ques parens qu e v ou s soyez issue ,
Chacun remarque en v ous,à la p remière vue
,
Ce rtain airdegrandeu r qui frappe , qui saisit ;Et ce que je v ous dis , t ou t le monde le dit .
L1SETTE .
Ce disc ours est flat teu r;mais est- il bien sinc è re?
VALERE .
Oui, foide ga lant h omme .
L I SETTE.App renez d onc
,Val è re,
40 L E G L O R I E U X
Ce qu’ on v ien t de me d ire,e t ce qui m
’
est bien d oPar ce que son e ff e t re j ail lira sur vous .
Parde fo r tes raisons , qu’on do it b ientô t m’
appr _On m
’
a ca ch é mon rang. J’
ai l ’honneu r de descenD ’
une fam il l e il lust re e t de cond ition ,
Si l’
on n’
a p o int vou lu me faire il lusion .
VALERE .
Non,on vous a dit vrai
,c ’est mo i qui v ous l
’
assure
E t j’
en ferai sermen t .
L1SETTE ,
”
en r iant .
Fo rt b ien .
VALERE .
Je vous c onj u re ,Charman te O Cie l ! je ne sais plus c ommen tVou s nomme r ;m ais enfin
, je vous p rie instamment ,Si vous m’
a ime z enco r, d’ ê tre p e rsuad ée
Q1_
’
on v ous d onne de vous une t rès j uste id ée ,E t sou ff rez que l
’
amour,j a lo ux de vo t re d ro it
,
Vous rende le p rem ier l’hommage qu ’
on vous do it .
( Il se met àgenoux . )L I SETTE .
Va l è re , levez-vous, v ous me rendez confuse .
VALERE .
Q1_o i ! vous
,servir ma sœur ! Ah ! d é j à je m
’
accuse
D’
avo ir é té t rop lent à la d ésabuse r ;A vous manquer d’égards je pourrois l ’exposer.Mon pè re m ’
inquiè te, e t je sais que ma mère
Que l que fo is ave c v ous p rend un ton t rop sévè re .
Je vais don c aver tir ma fam il le , e t je
A C T E I I , S C EN E 1 1 4 1
LI SETTE .
Ah ! vo il à mon se c re t en de fo rt bonnes mains
On me dé fend surtou t de me faire connoître .
Si vous d ites un mo t à qu i q ue ce puisse ê t re ,B ien lo in de me
VALERE .
Eh bien, je me tairai.
Je suis dans une Oh ! je me c ont raind rai,Ne c raignez rien .
LISETTE .
Paixdonc ! j’
aperço is Isabel le .
SCÈNE I I I .
I SABELLE,VALERE
,L I SETTE .
VALERE,couran t au- devant d’Isabelle.
Ma sœur, que je v ous d ise unegrande nouv e l le !
LISETTE,le retenan t .
Eh bien,ne vo il à pas mon é tourdi?
VALERE .Mon cœu r
N e peu t se c ontenir . Je sors . Adieu , ma sœur .
I SABELLE .
Adieu Vousmoquez—vous’
?D ites—moi donc ,mon frè re ,Cet te grande nouve l le
—VALERE .
Oh ! ce n’
est rien .
4 2 L E G L O R I E U X
I SABELLE .
Va l è re,
Q}Oi ! v ous me plâisan te z ?°
VALÈRE .
Non,non
, quand vous sau rez …L I SETTE
,bas à Va lère.
A l lez-v ous—em.
VALERE sor t et revien t.Ma sœur
,lo rsque vous par lerez
L ise t te .
I SABELLE .Eh b ien don c ?
VALERE .
Ayez touj ou rs pOur e l leLe respe c t .
I SABELLE .
Le respe c t?VALERE.Oui
, car
Je veux d ire Lise tte , a ce rt ainement l ieuDe p ré tendrede v ous , e t de nous Ad ieu.
( Il sor t brusquement . )
SCÈNE IV .
ISABELLE ,L I SETTE .
I SABELLE .
Je ne sais que p ense r d’
un d iscou rs aussi vague ;
Qu’
en d ites-vous?Je c ro is que mon frè re ext ravague .
A C T E 11 , S C ÈN E tv 4 3
LI SETTE .
Que lque ch o se à peu près .
I SABELLE .
Mo i,p ou r vousdu resp e c t !
C’
est a l le r un peu lo in . Ce d iscours m ’
est su spe c t .
Oh ç à , c onviendrez-vous de ce que j’
im agine?L I SETTE .
I SABELLE .Mon frère v ous aime . Oh ! oui
,oui
, je dev ine ,Vo t re air embarrassé c onfi rme mon soup çon .
LI SETTE .
Et quand il m’
aimeroit , seroit—ce un crime ?
I SABELLE .
L 1SETTE .
Si je l’
en veux cro ire,il me t rouve
bon, je n
’
en crors n en .
I SABELLE .
Pou rquo i?LI SETTE .
Pure saillie
De j eune h omme qu i sait p ro digue r les dou ceu rs,Et qui, sans rien aime r , en veu t à t ous les cœu rs .
I SA BELLE .
Non,mOn frè re n
’
est p o int de ’c es c onteurs v o lages
(Qi d’obj e t en o bj e t vont o ff rir leu rs h ommages .
Je connois sadroiture e t sa sin c érité,E t
, s’
il dit qu ’il vous aime
,il dit la v érit é .
44 L E G L O R I E U X
L 1$ETTE vivement .
Qu o i ! s é rieusement?I SABELLE .
Ou i,la chose est c e rtaine .
Je v o is que ce disc ours ne vous fait po int de peine .
Ah ! ma b onne !LI SETTE .
Ql_0i don c?
I SABELLE .Je p énè t re aisément .
L I SETTE.
Qu o i?@e p éné trez-v ous?
I SABELLE .
Mon frè re est v o t re aman t ,E t mon f rè re , à c oup sûr
,n
’
aime p o int une ingrate .
Vous avez le cœu r haut e t l ame dé l icate .
LI SETTE .
Vo ici le fait . I l dit que , si je n’
é tois po intCe que je
I SABELLE .Eh bien?
L1SETTE.
I l m’
estime à tel p oint
Qu’
il feroit son bonheu r de m’
ob tenir pou r femme .
I SABELLE .
Ensuite Vous rê vez ! Je vous ouvre mon âmeEn t oute o c casion
,Lise t te , im itez-mo i.
Que lui r ép ondez-v ous?Pa r lez de b onne fo i.
_46 L E G L O R I E U X
LISETTE .
J’
en ai de la j o ie .
I l est d on c b ien épris?I SABELLE .Oui
,Liset te
,si b ien
Qu’
il le sera touj ou rs .
L I SETTE .
Oh ! ne j uronsde rien .
I SABELLE .
se rment .LISETTE .
Le Cie l v ous en p réserve '
I SABELLE .
Pourquor donc ?
L I SETTE.Vo t re esprit a touj ou rs en réserve
Q\u e l ques si, que lques mais, qui, m a l gré vo tre ardeu r ,
Pénè tren t t ô t ou tard au fond de v o tre cœu r .Le Comte est sû remen t d ’
une aimable figu re ,Son mérite y r ép ond , ou du mo ins je l
’
angu re ;Mais v ou s ne le v oyez que depu is que lqu es mo is ,Vou s le conno isse z peu . C’
est p ou rquo i je p rév o is
Qÿ avan t qu ’
il so it huit j ou rs,c royan t le m ieux connoître
,
Qr_e lque d éfau t en lui v ou s frappe ra peu t—ê tre .
I SABELLE.Ce la ne se peu t pas . C’
est un homme a c c omp li.De ses p erfe c tions mon cœu r est si remp liC@
’
il le me t à c ouver t de ma d é lica tesse .
S’
il a que lque d é fau t,c ’est son peu de tendresse .
I l me v o it rarement .
A C T E rr, S C È N E rv 4 7
LI SETTE .
C’
est qu ’
i l a du bon sens .
Qr_i se fait souhaite r se fa it a ime r l ongtemp s;
Q i nou s vo it t ro p souvent vo it bien tô t qu’
il nous lasse .
I SABELLE .
Vous l’excuse z t ou j ours ;mais dites-moi,de grâ ce
,
N e lu i t rouvez—vous po int que lque s dé fau ts?
LI SETTE .
(Qi, mo i?Pas le mo indre .
I SABELLE .
Tant m ieux .
LI SETTE .
Mais , S’
il en a, je c ro is
O\u_’
ils n é chappe ront pas longtemp s a vo tre vue ;
E t c ’est tan t pis p our v ous . Ê tes—vou s réso lueDe —n é prendre qu’
un h omme a c comp lide t ou t p o int?Ce t h omme est le Ph énix ;il ne se trouve p o int .Si le Comte à vos yeux est ce rare mirac le
,
C royez—eu vo tre cœur . Qu e ce soit vo tre o ra c le .
M e t tez l ’e sp rit à part , suivez le sen timen t ;S
’
il vous t rompe,du mo ins c ’est agréab lement .
Il est bon quelque fo isde s’
aveugler so i-mêm e ,Et b ien souv ent l’e rre ur est le bonheu r sup rêm e .
I SABELLE .
Me vo il à réso lue à suivre vo s avis .
LISETTE .
Vous me remercîre z de les avo ir su iv is .
Mais que va devenir no tre pauv re Philinte ?
48 L E G L O R I E U X
Son mé rite au t re fo is a p o r t é qu e l que a t teinte
A v o t re cœu r .I SABELLE .
Je sens qu ’
il m’
ennuie à m ourir .Je l
’
est ime beau c oup , e t ne pu is le sou ff rir .Le moyen d
’y du re r?Tou tes ses c on fé rencesConsistent en regards , ou b ien en rév é ren cesDè s qu’
il p a r le,il s
’
égare , il se pe rd ; en un mo t,
Q1_o iqu
’
il ait de l ’e sp rit,on le p rend p ou r un so t .
LISETTE .
I SABELLE .
C@e veut- il?LISETTE .
'
A vo t re esp rit c ritiqueI l vient fournir des t raits p ou r son panégyrique .
SCÈNE V .
I SABELLE,PHILINTE , LISETTE .
PHILINTE ,du fond du théâ tre
,ap rès p lusieurs
révéren ces .
Je c rains b ien de v ous impo rtune r .L I SETTE
,à Isabelle.
Cet homme a sûremen t le don de devine r .I SABELLE.
Un homme tel que
A C T E I I,S CEN E V 49
PH ILINTE , redoub lan t ses révéren ces .
Ah ! M adame ! de grâ ce ,Si je suis importun , punissez mon auda ce .
I SABELLE,lui fa isan t la révéren ce.
PH ILINTE .
E t faites—mo i l ’honneur de me chasser .I SABELLE .
De ma c ivil it é vous devez m ieuxp enser .
PHILINTE,lui fa isan t la révéren ce .
Madame, en
I SABELLE la lui rendan t .
J ai pour vo t re p ersonne
(A L isette . )L
’
estime e t les A idez—mo i donc,ma b onne .
LI SETTE,ap rès avo ir fa it p lusieurs révéren ces
à Ph ilin te,lui p résen te un s iége.
Vous p laît-il v ous asseo ir?
PHILINTE,vivemen t .
Qi_e m e proposez-v ous?
0 Cie l ! devant madame il fau t ê t re àgenoux .
LI SETTE .
(A Isa belle. )A v ous p erm is, M onsieu r . D ites— lui que l que ch o se .
I SABELLE .
Je ne saurois .
LI SETTE .
Fo rt b ien ; l’
ent re tien se d isposeA devenir M onsieur , je m
’
aperçoi
Le G lorieux .
5 0 L E G L O R I E U X
(@e v ous faites faç on de par ler devan t moi .Je me retire .
PHILINTE,la retenan t .
N on,il n
’
est pas n é cessaire ,ne veux ici qu
’
admire r e t m e taire .
L1$ETTE,à Ph ilin te.
v ous c ontentez donc de lui parle r desPHILINTE .
Je ne m’
en lasse po in t .LI SETTE .
Parlezde v o tre m ieux,
Rien ne vous inte rromp t .I SABELLE
,Lisette.
Oh ! je pe rd s c ontenan ce .
LI SETTE,ba s
,à Isa bel le.
Eh bien,inte rrogez— le , il répond ra , je pense .
I SABELLE,bas
,à Lisette.
Vous-même av isez-vou s de quelque question .
LTSETT‘
E,bas
,à Isa belle.
C’
est à v ou s d ’
en tame r la c onve rsation .
I SABELLE,à Ph ilin te
,ap rès avo ir un p eu rêvé .
(@e l temp s fait- il, Monsieur?
L I SETTE,à pa rt .Matiè re inté ressante !
PHILINTE .
en la j ournée est charm ante .
I SABELLE .
M onsieur , en j’
en suis rav ie .
LisETTE.
Et moi,
A CT E I I , S C ÈN E V
J’
en suis aussi charmée,en vé rité . Mais quo i !
La c onversation e st donc déj à finie ?
Ça, p ou r la re leve r employons mongénie .
(A pa r t . )Dit—ou que l que nouve l le?Enfin
,il par le ra .
I SABELLE .N
’
avez —vous rien app ris da -n ouve l op é ra?PHILINTE .
On en par le assez mal .
LISETTE,à pa rt .
Ce t homme e st laconique .
I SABELLE,à Ph ilin te.
Œ’
y d ésapprouvez—vou s?Les v ers ou la musique ?
PHILINTE .
Je sais peude musique e t fais de méchans vers,A insi j
’
en pourrois b ien j uger tou t de t ravers .
Et d ’
ail leurs j’
avoue rai qu ’
au p lus mauvais ouvrageB ien souvent , malgré moi, je donne mon suñrage .
Un au teur,que l qu ’
il soit,me paroît mé riter
Qu’
aux e ff o rts qu ’
i l a faits o n daigne se p rê ter .LI SETTE .
Mais on dit qu’
aux au teu rs la c ri tique est u tile .
PHILINTE .
La critique est aisée e t l’
art est d iffi cile :C ’
es t là ce qu i p roduit ce p eup le de censeurs,Et ce qui ré t ré c it les talens des au teu rs .
(A Isa belle. )Mais v ous ê tes distraite e t paroissez en peine .
I SABELLE .Je n
’
en puis p lus .
s i
5 2 L E G L O R I E U X
PHILINTE .
B on D ieu ! qu’
ave z —vous?
I SABELLE .
La m igraine .
PH ILINTE,s’
en a llant avec p récip ita tion .
Je m’
enfuis .
I SABELLE,le retenant .
Non,res tez .
PHILINTE .
Q1_e l exc ès de faveur !
I SABELLE .
C’
est mo i qui vais m’
en fu ir . Je c rains que ma dou leur
Ne vous af’fi ige trop . Je sou ff re le martyre .
PHILINTE .
J’
en su is au désesp o ir . Je veux v ous re c ondu ire .
(Il met sesga n ts avec p récip ita tion .
!Madame , v ous p laî t- il de me donne r la m ain ?I SABELLE .
Je n’
en ai pas la fo rce . Ad ieu,j usqu ’à demain .
PH ILINTE .
A que l le heure,Madame?
I SABELLE .
Ah M onsieur,à tou te heure .
Mais ne me suivez p o in t,de grâ ce .
PH ILINTE,à Lisette.
Je demeuréPour v ous d ire deux mo ts.
L I SETTE .M onsieu r en v é rité ,
J’
ai la m igraine aussi. Vou s au rez la b on té
5 4 L E G L O R I E U X
PHILINTE,‘
lui fa isan t la révérence.
(A p a rt. )Ah ! M onsieur . C ’
est à lui que l’
on me sac rifie .
M adame Lisimon n’
y pourra c onsen tir,Et je veux lui parle r avant que de so rtir .
( Il sor t . )
SCÈNE V I I I .
PASQU IN,LE LAQUA I S .
LE LAQUAI S .Ho là ! que l qu’
un desgens du c om te de Tu fiè re !PASŒIIN ,
d’un ton a rrogan t .(@e vou lez—vous?
LE LAQUAI S .Ce t homme a la paro le fi è re .
PASQU I N .
Par lez donc .LE LAQUAI S .
Est—ce vous qu i vous nommez Pasquin?PASQU I N .
C’
est moi-même,en e lIe t . Mais apprenez , faqu in ,
( ! re le mo t de monsieu r n’
éco rche p o in t la bou che .
LE LAQUAI S .Monsieu r
, je su is c onfus . Ce repro che me tou che,J
’
ignoro is qu ’
il fa l lû t vous appe ler Monsieur,M ais v ous me l’apprene z , j
’y so usc ris de bon cœur .
PASQU I N , d’
un ton imp ortan t.Trêve de complimens .
A C T E rr, S C EN E v… 5 5
LE LAQUAI S .Voud re z—vous b ien reme t t re
Au comte v o t re maît re un p e tit mo t de le t t re ?PASQU I N .
Donnez . De que l le pa r t?LE LAQUAIS .
Je me tais sur ce po int ;El le est d’un in c onnu qui ne se nomme po int .Adieu , M onsieur Pasqu in ;qu o ique mon igno ran ceAit pou r m onsieur Pasqu in manqu é de d é fé ren ce
,
Il ve rra d ésormais à mon air c irc onspe c t
%e p ou r m onsieu r Pasquin je suis plein de respec t .
SCÈNE IX .
PASŒIIN seul .
Ce maroufl e me raille , e t même je soup çonneCLu_
’
il n’
a pas to rt . Au fond le s airs que je me donneFrisen t
f
l’
impertinent , le suffi sant , le fat ;Et si
,t ou t b ien pesé , je n e su is qu’
un p ied p lat,
Sans ce pauvre garç on j’
a llois me méconnoître
Et megonflerd’o rgueil aussi b ien que mon m aît re .
Je sens qu ’
unglo rieux est un so t anima l !Mais j ’entends du f racas . Ah ! c ’est l ’origina lDe mes airs de grandeur qu i vient tê te levée ,
Mon é c lat emprunt é cesse à son arrivée .
5 6 L E G L O R I E U X
SCÈNE X .
LE COMTE ,PASŒJIN ,
e LAQUAI S .
LE COMTE en tre ma rchan t àgran ds p a s et la tête levée .
Ses s ix laqua is se rangen t a u fon ddu théâ tred’una ir respec tueux . Pa squin est un p eu p lus avancé.
L’
impert inen t'
PASQU IN , lui p résen tant la lettre.
Monsieur…
LE COMTE,ma rchan t toujours .
Le fat !
PASQU I N .
LE COMTE .
! Tais—toi.Un pe t it campagna rd s
’
emporter dev an t moi !Me manquerde respe c t poua_quatre cens p isto les !
PASQU I N .
I l a t o r t .LE COMTE .
H em à qui s’
adressen t ces paro les?
PASQU I N .
Au pe tit campagnard .
LE COMTE .
S o it . Maisd’un ton p lus basS
’
il v ous p laî t. Vos p rop os ne m’
intéressent pas.
Tenez , serrez ce la .
(Il lui donne unegrosse bourse. )
A C T E 1 1,S C EN E x 5 7
PASQU I N .
Peste ! qu’
e l le est dodue '
charm an t obj e t je me sens l’
âme émue
( Il ouvre la bourse et en tire quelques p lCCCS . )LE COMTE
,le surp renan t.
(@e fais- tu?
PASQU I N .
Je veux v o ir si ce t o r est de po ids .
LE COMTE,lui rep renant la bourse.
Vous ê tes cu rieux .
(Il fa it p lusieurs s ignes, et, à mesure qu’
il les fa it,
ses laqua is le serven t . Deux app rochen t la tab le,
deux autres un fa uteuil; le cinquième appor te uneécritoire et des p lumes
,et le six ième du pap ier;
ensuite il se met à écrire. )PASQU I N .
M onsieu r, je pu is , je c ro is,
Sans manque r au respe c t,vou s donner ce t te le t tre
( l ue pou r v ou s à l’
instant on v ien t de me reme t t re .
LE COMTE,continuan t d’écrire ap rès l ’avoir p rise.
Ah ! c’ est du pe t it duc?PASQU I N .
N on,un h omme e st
LE COMTE .
C’
est don c de la p rin cessePASQU IN .
El le est d’un inconnu
Q1_i ne se nomme pas .
LE COMTE .
Et qui v ous l'
a rem ise?
L E G L O R I E U X
PASQU I N .
Un l aquais malLE COMTE
,lui jetant la lettre.
C’
est a ssez ;qu’
on la l ise ,E t qu’
on m’
en rende c omp te . En tendez—vous?
PASQU I N .
J’
entens .
(Il lit la lettre bas . )LE COMTE
,toujours écrivant .
M onsieu r Pasqu in?PASQU I N .
’
M onsieur .
LE COMTE .
Faites sortirPASQU IN , d
’
un a ir suffisan t .So rtez .
LA FLEUR,a u Comte.
LE COMTE .
Comm ent?LA FLEUR.
Oserois—je vousLE COMTE .
Il me parle, je c ro is ! Ho la ! qu
’
i l se re tire,
(Lu’ on lui donne c ongé .
PASQU I N ,à La F leur .
Je te l ’avo is p ré dit .Va-t
’
en, je tâ cheraide lui ca lmer l
’
esp rit .
A CT E 1 1 , SCÈN E x r 5 9
SCÈNE X I .
LE COMTE,PASQU IN .
(Le Comte relit ce q u’
il a écr it,et Pasquin lit la lettre .V
LE COMTE,ap rès a voir lu ce qu
’
il é°
cr ivoit .
Tu ne pa rtiras p o in t ; e t c’
est une bassesseD ans lesgensde mon rangd’ou tre r la po litesse .
Un homme tel que mo i se feroit d ésh onneurSi sa p lume à que lqu’
un donno it du M onseigneur .
N on,mon p et it seigneur , vou s n ’
au rez pas laglo ireDegagner sur la m ienne une te lle v ic to ire .
Vous p ourriez m’
assure r un bonheur t rès c omp le t,
Mais,si c ’est à ce p rix , je su is vo t re va le t .
(Il déch ire la lettre. )O te—moi ce t te table . Eh b ien , que dit l
’
épître
PASQU I N .
Elle rou le,Monsieur, su r un certain chap it re
O\u_i ne vous plaira po in t .
LE COMTE .
P ourqu o i d on c?Lis tou j ours .
PASQU I N .
Vous me l’ordonne z,mais .
LE COMTE .
Oh ! t rêve de discours .
PASQU I N l it .Celui qui vous
6 0 L E G L O R I E U X
LE COMTE .
Q i vous é c rit ! Le sty leEst famil ier .
PASQU I N .
I l va v ous é chauffe r la b ile .
( Il lit .
Celui qui vous écr it, s’
in téressan t à vous,
Monsieur,vous aver tit sans cra in te et sans scrupule
(@e pa r vos p rocédés, don t il est en courroux ,Vous vous ren dez très r id icule.
LE COMTE,se levan t brusquemen t.
Si je teno is le fat qui m’o se é c rire ainsi
PASQU I N .
Pou rsuiv rai—1e?LE COMTE .
Oui, voyons la fi n de tou t cec i .PASQU I N lit .
Vous ne manquez p a s de mér ite,
LE COMTE .
Vous ne manquez pas ! Ah vraimen t je le c ro i.B e l é l oge ! en parlan t d’
un h omme tel que moi .
PASQUtN lit.
Vous ne manquez pas de mér ite,Ma is
,b ien loin de vous croire un p rodige étonnan t,Apprenez que cha cun s
’
irrite
De vo tre orgueil imp er tinen t.LE COMTE
,donnan t un soufflet à Pasquin .
Commen t,m araud?
6 2 L E G L O R I E U X
Voyons si je pou rro is connoître l e c riture .
(Il lit . )L
’
amide qui vous vien t cette utile leçonEmp run te une ma in étrangère;
( Haut . ) Il fait fo r t b ien .
Ma is il ne vous ca che son nom
Que pour donner le temps à votre âme trop fièreDe se p rêter à la seu le ra ison ;
Et lui—même,ce so ir
,il v ien dra sans fa çon
Vous deman der s i vo tre humeur a ltièreAura ba issé de quelque ton .
( Il jette le bil let . )Vo il à , sur ma paro le , un h ard i p e rsonnage ;S
’
il v ien t,il payera che r un si sensib le ou trage .
Qu i p eu t m’
avo ir é c rit ce l ibe lle ou tragean t ?P lus j ’y
SCENE X I I I .
LE COMTE,PASQU IN .
PASQU I N .
M onsieur, j
’
ai c omp t é ce t argen t .
LE COMTE .
I l se mon te ?PASQU IN .
A t ro is cen t qua tre—v ingt—dix p isto les .
LE COMTE .
A C T E rr, S C È N E x…
PASQU I N .
Si vous y trouvez seu lemen t deux obo lesDe p lus, je suis un fa t .
LE COMTE .
M ais cependant mon gainMonto it à quat re cens, e t j
’
en suis t rès certain .
PASQU I N .
C ’
est vous qui v ous trompez , ou c’
est moi qui vous t rompe ;Et vous ne pensez pas que l
’
argent me co rr ompe ?LE COMTE .
M onsieur Pasqu in?PASQU IN .
Mons i eur .
LE COMTE .Vous ê tes un fripon .
PASQU I N .
respec te t rop pour vous d ire que non ;
LE COMTE .
B risons l à—dessus .PASQU I N .
Oui . Par lonsd’Isabe lle .
Vous vous re fro idissez,ce me semble , p ou r e l le .
E l le s’
en p lain t,du mo ins .
LE COMTE .E l le sait mon amou r .
J’
ai par l é , c’
est assez .
PASQU I N .
Son p è re est de retour .
64 L E G L O R I E U X
LE COMTE .
C’
est à luide venir e t de m ’o ff rir sa fi l l e .
PASQU I N .
Ah ! M onsieu r ! vous Vou lez qu’
un p è re de fam il lePasse les p rem ie rs pas?
LE COMTE .
Oui,M onsieu r , je le v eux .
Un h omme de mon rangdo it tou t exiger d ’eux .
PASQU I N .
P renez une m aniè re un peu moins d édaigneuseCar Lisett e m’
a
LE COMTE.Petite raisonneuse
(Qi veu t par le r sur t ou t , e t n e dit j amaisPASQU I N .
Pour une raisonneuse , e l le raisonne b ien.
LE COMTE .Et que dit—e l le donc?
PASQU I N .
E l le dit qu’
Isabe lle
A pou r les g lo rieux une haine morte l le .
LE COMTE,se levan t .
Qi_e dites—vous?
PASQU IN .
Moi? rien . C’
est Lise tte .
LE COMTE .
v oy ez qui c’
e st .
PASQU I N .
Ma foi, c’
e st le beau—p è re .
A C T E I l , S C È N E X I I I 6 5
LE COMTE .
J’
é tois b ien assur é qu’
il fe ro it son devo ir .
PASQU I N .
I l faudro it vous lever p ou r l ’a l le r re cevo ir .
LE COMTE .
Je c ro is que ce c oqu in p ré tend m’
apprendre à v iv re .
A l lez,faites— le en trer , e t mo i
, je vais vous suivre .
SCÈNE X IV
LE COMTE,LISIMON , PASQU IN .
LISIMON,à Pa squin .
Le c om te de Tufi è re est—il ici, mon cœur ?
PASQU I N .
Oui,M onsieur
,le vo ic i.
(Le Com te se lève non cha lammen t et fa it un pa sa u—devan t de L is imon qui l
’
emb rasse . )LISIMON .
Che r Comte,serviteur .
LE COMTE,à Pa squ in .
Che r Com te ! N ous v o ilàgrand s am is , ce me semb le .
LISIMON .
Ma fo i, je suis rav i que nous l og ions ensemble .
LE COMTE,froidemen t .
J’
en su is fo rt aise aussi .
LTSIMON .
Parb leu ! nous bo irons bien .
Vous buvez sec , dit-on ; mo i, je n’
y laisse rien .
Je suis impa tien t de v ous ve rse r rasade ,Le Glorieux .
66 L E G L O R I E U X
Et ce sera b ien tô t . Mais ê tes—vou s ma lade?A vo t re fro ide mine , à v o tre somb re a c cue i l
LE COMTE,à Pasquin qui p résen te un S t!g! .
Faites asseo ir Non , o ff rez le fauteuil .I l ne le p rendra pas, mais…
LISIMON .
Je v ous fais excuse,
Puisque v ous me l’o ffre z , t rouvez bon que j’
en use .
Qi_e je m
’
é tale aussi car je suis sans façon,
Mon che r,e t ce la do it v ou s se rvir de le ç on .
Et je veux qu’
en t re n ous tou te c é rémonie,
D è s ce même momen t , pour j amais so it bannie .
Oh çà , mon chergarç on, veux- tu venir c hez moi?N ou s se rons tou s ravis de dîner ave c toi .
LE COMTE .
Me parlez—vous, M onsieur?LISIMON .
A qui d onc , je te p rie ?
A Pasquin?LE COMTE .
Je l’
ai cru .
LISIMON .
Tou t de bon?Je parie
Qu’
un peu de van ité t’
a fait c ro ire ce la?
LE COMTE .
Non ,mais je suis peu fait à ces maniè res- là .
LISIMON .
Oh b ien ! tu t’y fe ras, mon en fant . Sur les t iennes,
A mon âge, c rois-tu que je fo rme les m iennes?
A C T E rr, S C È N E x l v 6 7
LE COMTE .
Vous aurez la bon t é d ’y faire vos er rts.
LISIMON .
Tiens,c hez moi le dedansgouve rne le d ehors .
Je suis f ran c .
LE COMTE .
Quant à mo i, j’
a ime po l itesse .
LISIMON .
Moi, je ne l’
aime poin t,car c ’est une t raî t resse
Qu i fait d ire souven t ce qu ’
on ne pense pas .
Je h ais, je fa is cesgens q ui fon t les d é l icats ,Dont la fiè regrandeur d’un rien se forma lise
,
E t qu i c ra in t qu’
ave c el le on ne familiarise ;
E t ma maxime,à moi
,c’est qu ’
entre bons amisCertains p e tits é ca rts do iven t ê tre permis .
LE COMTE .
D ’
amis ave c am is on fait la diff é ren ce .
LISIMON .
Pou r moi, je n
’
en fais po int .LE COMTE .
Lesgensde ma naissanceS ont un peu d é lica ts sur les d ist inc t ions ,E t je ne su is ami rqu
’
à ces c on ditions .
LISIMON .
Ouais Vous le p renez hau t . Ec ou te , mon che r Com te ,Si tu fais tant le fi er, ce n
’
est pas la mon c omp te .
Ma fi l le te p laît fort , à ce que l’
on m’
a ditE l le est riche , e l le est b e l le , e l le a beau coup d’ esprit;T u lui p lais; j
’y sou sc ris du meil leu r demon âme ,D ’
au tant p lus que par l à je c ont redis ma femme ,
68 L E G L O R I E U X
Qui voudroit m’
engendre rd’un grand c omp l imenteu r ,Q i ne dit pas un mo t sans d ire une fadeu r .Mais aussi
,si tu veux que je so is ton beau-pè re ,
I l fau t baisse rd’un c ran e t changer demaniè re ,Ou sinon ,
m arch é nu l .
LE COMTE,à Pasquin , se levan t b rusquemen t.
Je vais le p rend re au mo t .
PASQU I N .
Vous en mo rd rez vos do igts, ou je ne suis qu ’
un so t .
Pou r un faux po in t d ’
honneur pe rd re v o tre fo rtune?LE COMTE .
Mais sr
LISIMON .
Tou te c on train te , en un mo t ,m’
importune .
L ’
heure du dîne r p resse,a llons , x eux- tu venir?
N ou s aurons le lo isir de nous en t re ten irSur nos arrangemens;mais c ommen çons par bo ire .
Grand so if , bon appé t it,e t surtou t p o int degl o ire .
C ’
est ma dev ise . On -est à son aise chez mo i,
Et vivre c omme o la v eu t , c’
e st no t re unique lo i.Viens
, et , sans tegourmer ave c mo ide la so rte ,Laisse en ent rant chez nous ta grandeu r à la p or te .
SCÈNE XV .
PASQU IN ,seul .
Vo il à mon glo rieux b ien t ombé ! Sa hau teurAvo it
,ma fo i
,beso in d’un pare il p ré cep teu r
,
Et, si ce t h omme—l à ne le rend pas traitable ,
Il faut que son o rgueil so it un mal incurable .
70 L E G L O R I E U X
PASQU I N .
Du mo ins pou r le gagne r vous avez fait merveil les ,Et v ous avez v id é p resque vos deux bou teil lesAve c tan t de sang- fro id e t d’ intrépidité
Qi_e le fu tu r beau-père en é to it en chan té .
LE COMTE .
I l vient de me j u re r que je sero is son gendre ;Sa fi l le é toit ravie , e t me faiso it entend reComb ien à ce d isc ours son cœu r preno itde p ar t ;Et mo i, j
’
ai b ien vou lu , par un tendre regard ,P ar tage r le p laisir qu’
e l le laissoit paroître .
PASQU I N .
Que l excès de bon té !LE COMTE .Si son pè re est le maî tre ,
L’
a fïaire ira grand t rain . Par mon airdegrandeu rJ
’
ai frappé le bonh omme ; il c ontrain t son humeu r ,Et n
’ose p resque p lus me tu toye r .PASQUI N .
Ce t h ommeSent ce que vou s valez ;mais je veux qu
’on m’
assomme
Si vous venez à b ou t de le rendre po li.LE COMTE .
D ’où v ient?PASQUI N .
C’
est qu’
il est v ieux e t qu’
il a pris son pli.D ’
ail leu rs, il c omp te fo r t qu e sa richesse immenseEst du mo ins c omp arab le à la hau te naissance .
LE COMTE.I l veut le faire c ro ire
,e t p our tant n’
en c ro it rien .
A C T E S C EN E 1 7 1
Je v o is c lair;je suis sû r que , malgré tou t son bien ,
Il sen t qu’
il a beso in de se donne rdu lustre,Et d’ache ter l ’é c lat d ’une a llian ce il lust re .
De ces h ommes nouveaux c ’e st l à l’ amb ition .
L’
avarice est d ’
abord leurgrande p assion;Mais ils changen t d ’
obj e t dè s qu’
e l le e st satisfaite ,
Et couren t les honneurs quand la fo r tune e st faite .
Lisimon ,nouv eau nob le e t fi ls d’un p è re heu reux
Qu i, le comb lan t de b iens, n’
a p û comb le r ses vœux ,
Souh aite de s’
en ter sur la v ie il le nob lesse ;Et sa fi l le
,sans dou te
,a la même fo ib lesse .
Un homme te l que moi fla t te leur v anit éEt -c ’est la ce qu i do it redoub ler ma fi erte .
Je veux me p réva l o ir du d roit de ma naissance ;Et
,p ou r les amen e r à l’humble dé féren ce
Q’
ils do iven t à mon sang, je vais dans le d isc oursLeu r donne r à penser que mon pè re est t ouj ou rsD an s cet é tat b rillant
,supe rbe e t magn ifique
Q i sou t in t si l ongtemps no t re nob lesse an tique,
Et leu r pe rsuade r que , par rapport au b ien
Q i fait tou t leu r o rgueil, je ne leu r cède en rien .
PASQU I N .
Mais ne p ou rron t— ils po in t dé couvr ir le c ontraire?Car un v ieux serv iteu r de monsieur vo t re p èreAu t refois m’
a c on té les crue ls a c c idens
Q i lui son t a rriv és,e t peu tLE COMTE .
Le t empsLes a fait oub lie r . D ’
ail leurs n o tre p rov in ce ,Où mon pè re aut refois tenoit l ’é ta t d’un p rince ,
7 2 L E G L O R I E U X
Est si lo in de Paris qu’
à c oup sû r ce s gens-ci
De nos adve rsit é s n’on t rien su j usqu’
ici,Si —ta
PASQUI N .
LE COMTE .
Po int de harangue ;Les e ffe ts par le ront .
PASQU I N .
D isposez de ma langue .
Je la gouve rnerai t ou t c omme il v ous p laira .
LE COMTE .
Sur e tat de mes b iens on t’
interroge ra .
Sans en tre r en d é tail,réponds en assuran ce
Q e ma fo r tune au mo ins égale ma naissanceA Lise t te surtou t pe rsuade- le b ien .
P our é tab lir ce f ait c’ est le p lus sû r moyenCar e l le a du c r éd it su r tou te la famil le .
PASQU I N .
Ma fo i, vous dev riez ménage r ce t te fi l le .
E l le v ous veu t du b ien,à ce qu’
e l le m’
a dit .
LE COMTE .
D ’
une suivan te,mo i, ménage r le c rédit ! !
J’
auro is t rop à rougir d’ une t e lle bassesse .
Près d’
e l le, j ’y c onsens , fais agir ton adresse ,
Sans d ire que ce so it de con cert avec mo i;J
’
approuve ce comm erce,il c onvien t d’
e l le à toi.On vient , sors , e t surtou t fais b ien ton personnage .
PASQU I N .
Oh ! quand il faut mentir nous avons du c ourage .
A C T E S C È N E 1 1 7 3
SCÈNE I I .
I SABELLE ,LE COMTE L I SETTE .
I SABELLE .
Je vous t rouve à p ropo s , e t mon père v eu t b ien
Q e n ou s ayons tou s deux un moment d ’
en tre tien .
I l me d estine à vous ; l’
a ffaire e st sé rieuse .
LE COMTE .
Et j ’ose me fl a t ter qu’
e lle n’
e st p as dou teus'
e ;
Q e par vous mon b onheu r me se ra confi rmé ;J
’
aspire à vo t re m ain ;mais je veux ê t re a imé .
A ce bonheu r p arfa it o sero is—je p ré tendre ?
C’
est un charmant aveu que je b rû le d’
en tendre .
LtSETTE .
Je sais ce qu’
e lle p ense,e t je c ro is qu
’
en e ff e t
Vous avez lieu ,M onsieur
,d’en ê t re sa tisfait .
LE COMTE,à Isabelle
,ap rès avo ir rega rdé
déda igneusemen t Lisette .
Eh ! faites—moi l ’honneur de rép ond re vous—même .
LI SETTE .
Une fi l le,M onsieu r
,ne dit po in t Je vous aime
Maisgarde r le silen ce en ce t te o c casion ,C’
est assez b ien répondre à vo tre question .
LE C OMTE, à Isa belle.
Ne par lez—v ous j amais que par une inte rp rè te?I SABELLE .
Comme e l le est mon amie, et qu’
e l le est t rè s
7 4 L E G L O R I E U X
LE COMTE .
Vo t re amie?
I SABELLE .
Oui,M onsieu r .LE COMTE .
Ce t te fi l le est à vous,Ce me semble ?
I SABELLE .
I l est v rai ;ma is ne m’
est-il pas douxD
’
avoir en sa personne une comp agne a imab le ,D on t la so cié t é rend ma v ie agré ab le ?
LE COMTE .
Q o i ! Lise t te ave c vous est en so c ie té?Je ne vous croyo is pas ce t excè sde bont é .
I SABELLE .
E t p ourqu o i non , Monsieur?
LE COMTE .
Cha cun a sa manièreDe pense r, m ais pou r
LI SETTE,à pa rt .Le c omte de Tufi è re
Est un f rancgl o rieux ;on me l ’avo it b ien dit .I SABELLE .
Je lui t rouve un bon cœur jo int ave c de l ’esp rit,
De la sinc é rité , de l’
amitié,du zè le
,
E t je ne puis avo ir trop de re tou r p ou r e l leCar
LE COMTE.Vo t re père a-t—il fixé le j ou r
Où je dois re cevo ir le p rix de mon amou r ?
A C T E S C EN E I I 7 5
I SABELLE .
Vou s al le z un peu vite , e t nous devons peu t-ê treAvan t le mariage un peu mieux n ous connoître ;Exam iner à fond qu e ls son t no s sentimens
,
Et ne pas n ous fi er aux p remie rs mouvemens .
C’
est peu qu’
à n ous unir le pen chan t nous an ime,
Il fau t qu e ce pen chant so it fond é sur l’
est ime ,
LE COMTE .
J’
a t tendois de v ou s,a par le r f ranchement
,
Mo ins de p ré cau t ion e t p lus d’empressemen t .
Je croy o is m é riter que d’
une ardeu r sin cèreVo t re cœur appuyâ t l ’aveu de vo tre p è re
,
Et que , sur vo tre hymen me voyan t v ous p resser ,Vou s me fi ssie z l’honneur de ne pas b a lancqr .
I SABELLE .
Moi, j
’
ai cru mériter que , du mo ins p our magloire ,Vous me fi ss ie z l ’honneur de ne pas tan t vous c ro ire ;Q e
,de vo tre personne o sant mo ins p ré sume r
,
Vou s parussiez moins sû r que l’
on dû t vous aimer ;Et ce dou te ob ligean t , qui ne pourroit v ous nuire ,Calmero it un soup çon que je voudro is d é t ruire .
LE COMTE .
Q el soup ç on,s’
il v ous p laî t ?
I SABELLE .
Le soup çond’un défau tDont l ’effet c ont re v ous n’
agiroit que t rop tô t .
7 6 L E G L O R I E UX
SCÈNE I I I .
I SABELLE , LE COMTE,VALÈRE , L I SETTE .
VALÈRE .
Do is—je c ro ire ,ma sœur,ce qu ’on vien tdé m
’
apprendre?I SABELLE .
Q oi?
VALÈRE .
Q e vous épousez monsieu r .LE COMTE .
J ’ose m’
a ttendre ,M onsieur , que son desse in aura vo t re agrémen t .
VALERE.Je c ro is . .
LE COMTE .
Et v ous p ouvez m’
en faire c omp lim en t .
( Il veut sortir .)J’
en serai t rès fi a t té . Je re j o ins v o t re pè re ,Pou r lui donne r p ar o le e t c on c lu re l ’affaire .
VALÈRE .
Vous p ourrez y t rouve r quelque d iffi cu l té .
LE COMTE .
Mo i, M onsieu r ?VALÈRE .
J’
en a i p eur .LE COMTE .
Aurez—vous laDe me fa ire savo ir qui peu t la faire naî tre?
Q i me t rave rsera?
7 8 L E G L O R I E U X
Et,l o in que le mépris e t m
’
ofi ense e t m’
irrite,
Je ne m’
en p rends j amais qu’
à mon peu de mériteVALERE .
Q i,nous , vous méprise r?En reche r chan t ma sœur
,
Ce rtainemen t , M onsieu r , v ous nous faites honneu r .LE COMTE
,avec un sour ire déda igneux .
Ah ! mon D ieu,p o intdu t ou t .
VALÈRE .
Mais,à par le r sans fe in te ,
Depuis assez l ongtemps ma mère e st p ou r Ph ilinte ;E l le a mêm e ave c lui que l ques engagemens
,
E t l ’amit ié,l ’e stime , en son t les fondemens .LE COMTE , d
’
un ton ra illeur .
Oh ! je le c rois . Philinte est un homme admirab le .
VALERENon
,mais
,à d ire v rai
,c ’est un homme estimable ;
Q oiqu’
il ne so it p lu s j eune , il peu t se faire a ime r ;Et
,r iche sans
LE COMTE .
Vous al lez m’
alarmer
Par le p ort rait bril lant que v ous en vou lez faire .
Je c omm ence à sen t ir que je su is t émé raireD
’
ent rer en c on cu rren ce ave c un te l riva l,
Q oiqu’
il so it,m
’
a—t—on dit , un f ran c o rigina l .Oui
,ou i, j ’ouv re les yeux . Ma figure , mon âge,
Tout ce qu ’on van te en mo i n’
est qu ’
un fo ib le avantage,S itô t qu ’
ave c Philin te on veu t me comparer ,E t c ’est lui faire t o r t que de dé libé re r .
LI SETTE,à Isabelle.
Q o i ! n’
admire z -vous pas ce t te humble repar tie?
A C T E I I I,S C EN E 1 1 1 7 9
I SABELLE .
Je n’
en suis po int la dupe,e t c e t te modestie
N ’
est,se l on mon avis
,qu ’
un o rgu eil déguisé .
LE COMTE,à Isabel le .
Madame , en v ain pou r vous je m’
é tois proposé .
Mon ardeur e st t rop v ive e t t rop peu c irconspe c te ;On m
’
oppose un riva l qu ’
il fau t qu e je respe c te .
I SABELLE,en sourian t .
Philinte du resp e c t veu t b ien vous d ispenser .
LE COMTE,fa isan t la révéren ce .
I l me fait t rop d’honneur .
VALÈRE .
Mais, sans vou s ofi’
enser,
I l a cen t qua l ité s respe c tab les . Du reste,
P lus on veu t l’en c onva in cre , e t p lus‘
il est modeste .
I l se tait sur son rang, su r sa cond ition .
LE COMTE .
Et fait très sagemen t car , san s p réven t ion ,
Il auro it un peu tort de van te r sa naissance .
VALERE .
Il e st b iengen tilhomme .
LE COMTE .
On a la comp laisanc eDe le c ro ire .
VALERE .
E t de p lus il le p rouve .
LE COMTE .
Ma foi,
C’
est tou t ce qu ’
il peu t faire . Adesgens te ls que moi,Ce n
’
est pas l à—dessus que l’
on en fait a c c roire ,
80 L E G L O R I E U X
Et j ’o se me van te r , sans me donne rde glo ire ,Car je suis ennem ide la p résomp t ion
,
Qu e, si Ph ilin te é to it d’
une c ond it ionEt de qu elque famil le un peu consid é rab le ,Nous n ’
aurions pas su r lui de d ispu t e semb lab le,
Et que b ien sûremen t il me se ro it c onnu .
Mais son nom j u squ ’
ic i ne m ’
e st pas parvenu ;P reuve que sa nob lesse est de nouve lle date .
VALERE .
C’
est ce qu’ on ne dit pas dans le monde .
LE COMTE .
On le flat te .
Par exemple,M onsieu r
,vous conno issie z mon nom
Avant de m ’
avo ir vu .
VALÈRE .
Je vous j u re que non .
LE COMTE .
Tan t pis pou r v ous , M onsieu r : car le nom de Tufi è reN ous ne le prenons pas d
’
unegen tilhommiè re ,Maisd’un châ teau fameux . L’
histo ire en cen t end roitsParle de mes aïeux e t vante l eu rs exp lo its .
D aigne z la p ar cou rir,v ous ve rrez qui nous sommes,
Et qu’
en tre mes v assaux j’
a i tro is cent s gentilshomme sP lus nob les que Philin te .
VALÈRE .
Ah ! M onsieu r, je le c roi.LE COMTE .
Les gensde qual ité le savent m ieux que mo i .
Pour moi, je n’en dis rien
,il fau t ê tre modeste .
82 L E G L O R I E U X
SCÈNE IV.
I SABELLE ,LE COMTE
,L I SETTE .
I SABELLE .
Vous traitez vo s rivaux ave c b ien du mép ris !LE COMTE .
Personne , se lon moi , n’
en do it ê t re surpris .
Je n’
ai pas de fiert é ;m ais , à parle r sans fe inte ,Je su is ch oqu é de vo ir qu’
on m’
oppose Philinte .
Un riva l comme lui n’
est pas fait , que je c ro i,Pou r t rave rser les vœux d’un homme te l que mo i .
I SABELLE .D
’
un h omme te l que mo i ! Ce term e- l à m’ é tonne ;Il me paroît b ien fort .
LE COMTE .
C’
e st se lon la pe rsonne .
Je c onv iens ave c v ous qu’
il sied à peu de gens .
Mais je c ro is que l’
on p eu t me le passer.I SABELLE .
J’
en tens .
Le Cie l v ous a fait naître ave c tant d ’
avantageQ e t ou t legenre humain vous do it un humble hommage .
LE COMTE .
Comment donc ! d’un riv al p renez-vous le parti?
I SABELLE .
Non pas;m ais, à p r é sent que mon frè re est so rti,S ouff rez que je vous par le ave c mo ins de c ont rainteEt b lâme vos hauteurs à l ’égard de Philinte .
A C T E I I I , S C È N E I V
LE COMTE.J
’
en at tendois de vous un plus j uste re tou r,
E t ma viva c it é v ou s p rouve mon amou r .I SABELLE .
D ites vo tre amou r-propre . Oui,tou t me le fait c ro ire
,
Vous avez mo ins d ’
amour que v ous n’
avez de gloire .
LE COMTE .
L’
un e t l’
au tre m’
anime,e t laglo ire que j’ ai
S ou t ient les in t érê ts de l ’amour ou tragé .
E lle n’
a pu souffrir l’
indigne p ré féren ceD ont j
’
é to is menac é, même en v o t re p résenceVous dites qu ’
e l le est fi è re e t p arle ave c hau teu r .Mais qu ’
e st— ce que maglo ire , après tou t?C’
est l’
h onneu r.Ce t honneur 11 est v rai, veu t le respe c t
,l’
estime ;Mais il estgenéreux , sin c è re , magnanime ;E t , pour dire en deux mo ts que lqu e chose de p lus,I l est e t fu t touj ours la source des vertus.
I SABELLE .
Des e ffets de l ’honneu r je suis persuadée ;Mais a—t—il de so i-même une si hau te idée
Q’
il la laisse é c later en p ropos fastueux?Le vé ritab le h onneu r est mo ins p résomp tueuxIl ne se van te po in t , il at tendqu
’ on le vante ;E t c ’est la van it é , qui, lasse de l
’
at ten te ,
E t qui, fi ère des dro its qu ’
e l le sait s’
arroger,Cro it ob ten ir l ’es time en o san t l ’exiger .
Mais,lo in d’y réussir
,e lle ofi°ense
,
’
e lle irrite ,
Et ternit tou t l ’é c lat du p lus parfait m é rite .
LE COMTE .
Degrâ ce , à que l p rop os ce t te dist inction?
L E G L O R I E U X
I SABELLE .
Je v ous laisse le so in de l ’app licat ion ;Et
,de la modestie embrassant la dé fense
,
Je sou tiens que par e l le on vo it la d iff é renceDu mé rite apparen t au mé rite p arfait .L
’
un veu t touj ours bril le r, l’
au tre b rillé en e ffe t
S ans j amais y p ré tend re,e t sans même le c ro ire .
L’
un est superbe e t v ain,l ’au t re n
’
a po int deglo ire .
Le faux aime le b ru it,le v rai craint d’écla ter ;
L’
un asp ire aux égards , l’au t re à les mé rit er .
Je d irai p lus . Lesgens nés d’un sangrespe c tab leDo iven t se d ist ingue r par un e sp rit affab le ,Lian t , doux ,
p révenan t ;au l ieu que la fie r téEst l ’ordina ire e ff e t d’un é c la t emp run t é .
La hau teu r est partou t od ieuse,importune .
Avec la p o litesse,un homme de fortune
Est m il le fo is p lusgrand qu ’
ungrand tou j ours gou rm é ,D
’
un l imon p ré c ieux se p ré suman t formé ,Traitan t ave c d édain
,e t même ave c rudesse ,
Tou t ce qui lui paroît d’
une mo ins nob le e spè ce ;C royan t que l
’
on est tou t quand on est de son sang ,
E t c royan t qu’ on n’
est rien au-dessous de son rang.LE COMTE .
Ce disc ours est fo rt beau ;mais qu e vou lez—v ous d ire?
I SABELLE .
Lise t te,m ieux que mo i, sau ra v ous en inst ruire .
Je lui laisse le so in de vou s in terp ré terUn d isc ou rs qu i paroît déj à v ous irrite r .
LE COMTE .
N on,de grâ ce
,avec v ous souffrez que je m
’
exp l ique .
86 L E G L O R I E U X
L15ETTE .
Oui,j ’ o se ;e t vo t re e rreu r ext rême
Me fo r ce à v ous p rouve r à que l p o int je vous aime .
Vous vous perdez,Monsieur .
LE COMTE .
Commentdonc , je me pe rdL1SETTE .
Vo t re o rgueil a percé .Vo s hau teu rs , vos grand s airs ,Vous dé cè lent d’abo rd
,ma lgré la p o l itesse
Don t vous les dé c orez . Lagl o ire est b ien t raî tresse .
Le d isc oursd’Isab e lle é to it vo tre po r t rait ,E t son disce rnement vous a peint t rait p our t rait .
Dû t lagl o ire en souff rir, je ne saurois me taire .
Je ne vous d irai pas Changez de ca rac tèreCar on n
’
en change p o in t , je n e le sais que t r op .
Chassez le nature l,il rev ien t auga lop ;
Maisdu mo ins je vousdis Songez à v ous c on t raindre ,Et devant I sabe l le eff o rcez-vous de feindre ;Paroisse z que l que temps de l’humeu r dont e l le est ,
E t faites que l’
o rgueil se p rê te à l’in té rê t .Vo il à mon sentiment . Profi te z —en ou non
,
Mon cœu r seu l m’
adic t é ce t te u ti le le çon .
Vo t regl oire irritée en paroît méc onten te ,Je lui baise les m ains
,e t je suis sa se rvante .
A C T E 1 1 1 , S C È N E v 1 87
SCENE V I .
LE COMTE , seu l .
-Il n’
es t don c p lus permis de sen tir ce qu’
on vau t ?
Sav o ir tenir son rangpasse ici pou r dé fau t ?Et ce s pe tits bourgeo is t raiteron t d’arroganceLes sen timens qu
’
inspire une hau te n aissan ce?Si je m
’
en croy0 1s N on, je veux p rendre sur moi
,
L’
amour e t l ’in té rê t m ’
en impo sen t la lo i .Oui
,devan t I sabe l le il fau dra me con t raind re .
Mais l’
indigne riva l qu’
on veu t me faire craind reVa dè s ce même instan t me v o ir te l que je suis
,
S’
il m ’ose d ispu te r l ’ob j e t qu e je p ou rsu is .
Je v eux connoître un peu ce p e tit p ersonnage ,Et lui parler d’un ton à le rendre p lus sage .
SCENE V I I .
LE COMTE ,PHILINTE .
PH1L1NTE,fa isan t p lus ieurs révéren ces . .
Je ne viens vous t roub le r dans vo s réflexions
Q e p ou r vous assure r de mes soumissions,M onsieur . D epuis longtemps je vous do is ce t h ommage,Et je ne le saurois diff é re r d avan tage .
LE COMTE.Très ob ligé ,M onsieu r . D
’où nous connoissons-nous?
88 L E G L O R I E U X
PH 1L1NTE .
Si je n’
ai pas l’
honneu r d ’ê tre c onnude v ous ,J ’ aurai b ien tô t ce lui de me faire connoître .
Mon nom n’
impo se pas, ma is …
LE COMTE .
Ce la peut b ien ê tre .
PH ILINTE .
T e l qu’
il est,pu isqu ’
il fau t qu’
i l vous‘
s oit d é c l ine
(En fa isan t une p rofonde révéren ce.)Je m’
appe l le Philinte .
LE COMTE .
Oh ! j’
ai donc de 'v iné .
Je vous ai reconnu d ’
abo r d aux r év é rences .
PHILINTE,d’un a ir très humb le.
Je ne puis vous m a rque r par t ro p de d é fé rencesComb ien je v ous hono re .
LE COMTE .
Et v ous avez raison .
Mais de qu o i s’agit- il?Parlez—moi sans fa ç on .
PH1LINTE .
Va l è re est mon ami,vou s le savez , je p ense .
LE COMTE .
Que m’
impo r te ce la?PH ILINTE .
Tantô t,en sa présence
,
Si j’
en c ro is son rappo r t,e t j
’
en suis peu surpris ,Vous m’
avez d’un assez grandmépris.LE COMTE .
I l v ous exaltoit fo r t, mo i, j
’
ai dit ma pensée .
Vo tre d é licatesse en est-e l le b less ée ?
9 0 L E G L O R I E U X
M’
a formé très r é tif e t t rès o piniâ t re,
Sur tou t l o rsque que l qu’
un veu t m’
imposer
LE COMTE .
L’
opin 1a tre té ne t ien t p o int c on tre moi,Je vous en aver tis .
PHILINTE .
La mienne est bien mutine .
Plus on lui fait la guerre , e t p lus e lle s’
obstine ;
E t j amais la hau teu r ne pou rra la domp ter .
LE COMTE .
Vous ê tes b ien hardide ven ir m’
insul ter !
Un pe titgen tilhomme ose avo ir ce t te audace ?
PHILINTE .
Moi, M onsieu r?Je v ous viens demande r une grâ ce .
LE COMTE .
E t c’est ?
PH1L1NTE .
De m’
accorde r le laisir e tP
De me c oupe r la go rge ave c v ous .LE COMTE .
La faveurEst bien grande , en e ffe t . Vous ê tes t émé raire .
Vou s v ous méconno isse z . Mais il fau t vous c omp laire .
L’
honneur que vou s avez d’ê tre un de mes rivaux
Va vous faire monte r au rangde mes égaux .
PHILINTE , d’
un a ir ra illeur,mettan t sesgan ts .
Je suis reconnoissan t de ce t te grâ ce insigne ,E t je v ais v ous p rouve r que mon cœur en est digne .
LE COMTE .
Trê ve de c omp liment . Moi, je vais v ous p rouve r
A C T E 1 1 1,S C EN E v u 9 1
Q e l’
on c our t un grand risque en o sant me braver .
( Ils metten t l’épée à la ma in . )
SCÈNE V I I I .
LE COMTE , PHILINTE,LISIMON .
LISIMON,a ccouran t.
Chez moi, morb leu , chez mo i faire un pareil vacarme?Par la mor t , le
PHILINTE .
Le respec t me désarme .
LISIMON .
Ah ! vous ê tes mu t in , Monsieur le dou cereux?PHILINTE.
Q elquefois .
LE COMTE .
Par bonheu r il n’
est pas dangereux .
PHILINTE.
C’
est ce qu’
il faudra vo ir . Du mo ins je vou s assu re
Q e de cet te m aison si que lqu ’
un peut m’
exclure,
Ce ne se ra pas vous .
se ra '
liber té
Je c roi
Q’
un pè re de famil le en ce cas est le m aître .
LISIMON .
N on,mais ce
PH 1L1NTE .
de vous d ireLISIMON .
9 2 L E G L O R I E U X
PH 1L1NTE .
J’
en c onviens .
L1S1MON .
Et je p rend s la l ibert é de l’
ê tre ,En d ép it de ma femme e t de ses adhérensSi tu ne le sais pas, c
’
est mo i qui te l’
apprens .
Le Comte a ime ma fi l le,il a d ro it d ’y pré tend re
J’
ai p ris la l ibert é de le cho isir p ou rgendre .
Ma fi l le en est d ’a c co rd , e t p rend la libe rt éDe se soume t t re en t ou t à mon auto rit é .
A insi, sans te fiat te r c on t re tou te apparen ce
,
En p renan t ton c ongé t ire ta révé ren ce .
PHILINTE .
J ’au rai l ’honn‘
eur,Monsieu r
,de répondre à ce la
Q e Madame n’
e st pas de ce sen t iment—l à .
LISIMON .
Madame n’
en e st pas?J’
a i donné ma paro le .
Si p ou r me chicane r Madame est assez fo l leM adame su r— le- champ
, par le p ouvoir que j ai,En même temps que to i, re cev ra son c ongé .
PHILINTE .
J ’ado re vo t re fi l le;e t l’
aveu de sa mèreMe pe rme t d’aspirer au b onheu rde lui p laire .
Dè s qu ’
e l les m’
excluront, je leur o béirai .
J usque—l à j’
ai mes d ro its,e t je les sou tiend rai.
( Il sort . )
94 L E G L O R I E U X
I sabe l le e t Liset te ave c gémissemen tL’
on t v ite sec ou rue,e t , par c é rémonie ,
Tou tes t ro is à p résen t p leu ren t de c ompagnieCar qu ’
une femme p leu re,une au t re p leu rera ,
Et t outes p leu re ront tan t qu’
il en surviendra .
LE COMTE .
A insi no t re p ro j e t souffre de grands obstac les?LISIMON .
Pour en venir à bou t je feraides m irac les .
Ce que j’
app rendsde to i me ré chau ffe le cœur .Je ne te croyo is pas un si pu issant se igneu r .Comment
,d iab le ! Ton p ère
,à ce que l
’
on m’
assure,
Fait dans sa baronnie une n ob le figure .
LE COMTE,lui frappan t sur l ’épaule.
A l lez, mon cher , allez , quand vous me connoître z ,
De vos t ons famil ie rs v ou s v ous corrige rez ;Vous ne tu to ie rez p lus ungendre de ma so r te .
LISIMON .
Ma foi,sans y pense r l ’hab itude m’
emporte ,
Au c é rémonial enfin je me soumets .
LE COMTE .
Me le p romet tez—vous?LISIMON .
Oui, je te le p rome ts .
Va , tu seras c ontent .LE COMTE .Fo r t b ien . Be l le man1e re
De se c o rrige r !LISIMON .
Oh ! t rêve à vo tre h eur fiè re ,
A C T E 1 1 1 , S C EN E rx 9 5
E t consu l tons t ous deux c omment je m’y p rendrai
Pou r finir .LE COMTE .
Le c onseil que je vou s donne rai,C’
est de ne p lus sou ffrir qu ’
ic i l ’on se hasardeA dire son avis sur ce qui me regarde .
Pour t ran cher en un mo t tou te d iffi cu l té ,Sa chez vous préva lo ir de vo tre au to rité .
LISIMON .
Si vous v ouliezLE COMTE .
N on,Monsieu r
, je vous j ure .
Q and v ous serez d’ac c o rd , je suis p rê t à c on c lure .
SCÈNE X .
LISIMON ,seul .
Il fau t que je so is bien po sséd é du démonPou r sou ff rir les hau teu rs d’ un pare il Rodomon ,
E t que l’
amb ition m ’
ait b ien tourn é la tê te,
Puisque dans mon dépit son empire m’
arrê te .
Je vais rompre . A t tendons . Si je p rends ce p ar ti,De mon au torit é me vo ilà d épar ti ;Je ferai t riompher e t mon fi ls e t ma femme
,
Et monsieur,d éso rmais
,dépendra de madame .
B e l honneur que je fais à messieurs les mari s !N on
,il n
’
en sera rien . Le dépit m’
a su rp ris;Mais l ’honneu r me réve ille ; il m
’
excite à c ombat treEt je m
’
en vais p ou r lui faire le diab le à quat re .
'
ACTE IV
S C ÈN E PR EM I ÈRE .
LI SETTE,PASQU IN .
( Ils en tren t p a r deuxdifiérens cô tés du théâ tre;Pasquin le p remier, et ma rchan t fo rt vite. )
LISETTE .
1101 ! sans me rega rde r d oub le r a insi le pas?PASQU I N .
Ah ! ma reine , pardon , je n e vous voyo is pas .
Au riez—vous par hasard que l que cho se à me d ire ?
LI SETTE .
Oui,sur de cer tains faits voud riez-v ous m’
instruire?
PASQUIN .
Le puis—je?LI SETTE .
Assu r ém ent .PASQU I N .
Vous avez d onc grand to r t
D’
en doute r .L1SETTE .
Mais sur vous il faut faire un effort .
9 8 L E G L O R I E U X
Et même beau c oup m ieux que si v ous le voy iez .
D ’
abo rd,ce son t sep t tours ent re seize
Ave c deux tenaillons p lac é s sur tro is c o l l ines .
Q i forment un v a l l on , don t le somme t s’é tendJusque un entouré d’unEt ce donj on
,p la c é sous la zone
Par t ro is angles saillans fo rme le pentagone .
LISETTE .
Vo il à, je vous l
’
avoue,un m e rveil leux châ teau .
PASQU I N .
Je c ro is, sans v anité , que v ous le t rouvez beau .
L 1SETTE .
Et c ’est don c en ce l ieu que le père du Com teTien t sa c ou r?
PASQU IN .
Oui, ma re ine ;e t faites vo t re c omp te
Q e dans t ou t le royaume il n ’
est p o in t de Se igneu rQ i sou tienne son rang ave c p lus de sp lendeu r .Meu tes
,chevaux , p iqueurs , sup erbes équ ipages,
Tab le ouver te en tou t temps,deux é cuye rs
,sixpages
,
Dome stiques sans n ombre e t b ien en t re tenus,
Tou t ce la ne sauroit manger ses revenus .
LI SETTE .
Mais c’est donc un seigneu r d ’
une richesse immense?
PASQUI N .
Vous en p ouvez juge r par sa magnifi cence .
L I SETTE.Je t rouve en vos r é cits que l que pe t it d é fau t .Vous mentez à p résent, ou vous mentiez tantô t .
A C TE I V , S C EN E I 9 9
PASQU IN .
Commen t don c ?L1$ETTE .
U n men teu r qu i n’
a paS de mémo ireSe d é cè le d ’
abord . Si je v eux v ous en c ro ire ,Le Comte e stgrandseigneu r dans un au tre en tre tien,
Vous m’
avez assuré qu’
il n’
avo it pas de b ien .
PASQU I N .
Tou t franc,vo tre argumen t me paroît sans rép l ique .
N a tu re llemen t,mo i
, je suis t rès v éridique .
Mais j’
ob é is . Au fond les faits son t très con stans,
E t n ou s n ’
avons men t i qu ’
en al l ongean t le temps .
LI SETTE .
Rendez-moi, S
’
il vous p laî t , ce t te énigme p lus c laire .
PASQU IN .
Q inz e ans auparavan t,ce que j
’
ai dit du pèreSe t rouve ra t rè s v rai . D epuis
,t ou t a changé .
D ans un p iteux é ta t le bonhomme est p longé ,E t le pauvre se igneur t raîne ‘
une vie o bscure .
Mais mon maî t re,vou lan t qu ’
il fasse encor figu re,
Par un ré c it pompeux,f ru it de sa vanit é
,
Vient de le ré tab lir de son au torit é .
Q’
ent re nous,s’
il v ou s p laî t , la chose so it secrè te .
LI SETTE .
A l lez,ne c raignez rien . Si j
’
é to is ind isc rè te ,Je fe ro is tort au Comte . E t si je fais de s vœux
,
C’
est pour pouvo ir l’aide r à devenir heureux .
Va l è re à mes e ffo rts sans re lâ che s’
oppo se ;Mais à les seconder je veux qu
’
i l se dispo se .
Il vien t fort à p ropos .
1 00 L E G L O R I E U X
PASQU IN .
Fo rt à p ropo s au ssiJe vais me re tirer
,pu isqu ’
il v ous cherche ici .
SCENE I I .
VALÈRE,L I SETTE .
L1SETTE,d’un a ir déda igneux .
Ah ! v ous vo ilà,Mo nsieur ?Vraimen t j
’
en suis rav ie .
VALERE .
Q oi ! vous v ou lez gronder?L15ETTE .
J’
en au ro is b ien env ie .
VALERE .
Et sur quoi, s’
il v ous p laî t ?
L1SETTE .
M ais sur vos beaux exp l o its .Mes mo indres vo l on tés
,d ites—vou s, sont vos lo is?
VALERE .
Il est v rai .L1$ETTE .
Cependan t devan t monsieu r le Com teVou s m ’
avez t émo igné n’
en fa ire pasgrand c omp te ,Et , c ont re mon av is
,vo t re zè le emport é
A su p o rte r Philin te à tou te ext rémité .
VALERE .
J’
aidit à mon ami qu ’on avo it eu l’
audaceDe risque r c on tre lui j usques à la mena ce .
1 0 2 L E G L O R I E U X
L ISETTE .
Oui;mais n ous que re l lions . Va l è re a la m anieDe v ou lo ir empê cher qu e ce j eune seigneu rQ i demeu re c éans ne p ré tende à sa sœur .
LYCANDRE .
E t vous,vou s sou tene z le c omte de T uffi è re?
LI SETTE .
Oui, M onsieu r , con tre t ous e t de t o u te m aniè re .
I l est v rai qu e le Comte est si p résomp tueux
Q’
on ne peu t se p rê ter à ses a irs fastueuxI l ne respe c te rien
,ne ménage p e rsonne ;
Et p lus je le conno is,p lus sagl o ire m ’é tonne .
LYCANDRE .
Ah ! que vous m’
affi ige z !L 1SETTE .
E t p ourquo i, s’
il v ous p laî t?LYCANDRE .
Mais vous-même,p ourquo i p renez—vous in té rê t
A ce qui le c on cerne ?Est- il don c b ien po ssib leQ
’
à v o tre empressement il se mont re sensibleJ usques à v ous marque rdes égards, des bon t és?
L 15 ETTE .
I l n ’
a p ayé mes so ins que pardes dure tés .
Je ne puis y pense r sans répand re des larmes .
N ’
impo r te ; à le servir je t rouve m il le charmes.LYCANDRE .
Q’
en tends—je?Juste Cie l ! Q el bon cœurd’un c ô té !De l
’
autre,que l exc è s d’insensib ilité !
O dé testab le o rgue il ! Non,il n
’
est po int de viceP lus funeste aux mo r te ls
,p lus d igne de supplice .
A C T E IV, S C EN E 1 1 1 … s
Vou lan t tou t asservir à ses inj ustes d roits,
De l’
human it é même il é touff e la vo ix .
LI SETTE .Je l eprouve .
LYCANDRE .
Pour v ous,vous se rez
, je l’
e sp è re ,La c onso lation d’un t rop malheureux p è re .
LI SETTE .
A chaqu e instant,Monsieur
,vous me parlez de lui .
Il devo it à mes yeux se mon tre r au j ou rd’hui ;Mais il ne paroît p o int . Vous me t rompiez
,peut—ê tre .
LYCANDRE .
Un peu de patien ce; il va bien tô t paroître .
LI SETTE .
Pourquo i d iff è re- t— il de trop heureux momens?
Q e ne v ient—il s’offrir à mes emb rassemens ?
LYCANDRE .
Ma lgré vo t re bon cœur,il c raint que sa p résen ce
N e v ou s a ffi ige .
L1SETTE .
Moi?Se peu t - il qu’
i l le pense?
LYCANDRE .
I l c ra int que ses ma lheu rs,t rop d ignes de p itié ,
N e re fro idissent même un peu vo t re amitié .
LI SETTE .
Ah ! qu’
il me connoît mal !
LYCANDRE .
Enfin avant qu’
il v 1enne,
Sur sa t riste aventure il veut qu on v ous p révienne .
1 04 L E G L O R IEÙX
P eu t—ê tre espé rez—v ous le vo ir dans son é c la t,
E t vous le t rouve rez d ans un c rue l é ta t .LISETTE .
Il m’
en se ra p lus che r,e t
,l o in qu ’
il m’
importune ,
Il v erra que mon cœur,p lein de son in fo rtune ,
Redoub le ra p ou r lui de t endresse e t d ’
amou r .Tou t baign é de mes p leu rs , av an t la fi n du j ou rIl sera po ssesseu r du peu que je p ossède .
Mon zè le à ses ma lheurs serv ira de remède .
Je ferai tou t pour lu i. Si je n’
ai po int d’
argen t ,J
’
a ide riches hab its don t on m’
a fait p résent ;Jegarde un d iaman t que m
’
a laissé ma mère .
Je v ais tou t e ngage r, tou t vend re pour mon pè re ;H euredse si je pu is , e t mille e t mille fo is
,
Lu i p rouve r q ue je l’
a ime au tant que je le do isLYCANDRE .
A rrê tez . Laissez-moi respirer , je vous p rie .
Donnez que lque re lâ che à mon âme a t tendrie .
Vous aimez vo t re p è re , il n’
es t p lus ma lheu reux .
LI SETTE .
Ah ! pu isqu ’
il e s t si len t à con tente r mes vœux,
Apprenez-mo i que l m onst re a causé sa m isère .
LYCANDRE .
Q e l monstre?L1SETTE .
LYCANDRE .
L’
o rgue il . L’
o rgueilde vo t re mè re .
Par son faste,les b iens se son t é va nou is;
Son o rgueil a causé desmal heu rs inouïs .
1 06 L E G L O R I E U X
LYCANDRE .
C’
é to it v o t re nourrice . E lle v ous ramena ,Suivit exac tement l
’o rd re que lu i d onnaVo t re p è re
,deux ans ap rès sa d é caden ce ,
De venir dans ces lieux é lever v o tre en fance,
Se d isan t v o t re mè re e t ca chant vo t re nom.
LISETTE .
Mais p ourquo i ce se c re t?Et par que l le . raisonMe laisse r igno rerde que ! sangj’ é tois née?
LYCANDRE .
Pou r vous rendre modeste au tan t qu’
infortunée,
E t p ou r v ous épargne r des regre ts, des dou leu rs ,Jusqu’ à ce que le C iel adouci t vo s m a lheu rs .
C ’
e st a insi que l’
avo it o r d onné vo t re p ère,
E t sa p ré cau tion v ous é to it n é cessaire .
LI SETTE .
Je b rû le de le v o ir , e t je t remb le p ou r lui.Commen t o se ra- t- ii se mon t re r auj ou r d ’hui,Après l’injuste ar rê t?…
LYCANDRE.
Pendan t sa l ongue absence ,De fi d è les am is
,sû rs de son inno cence
E t puissans à la c ou r , ont eu tant de su c c ès
Q’
ils l’ on t d é te rm inée à rev o ir le p ro c ès;E t deux des faux t ém oins , p rê ts à pe r d re la vie
,
On t enfin avou é leur no ire ca l omnie .
Vo t re pè re,caché depu is p rès de deux ans
,
A t tendo it les e ff e ts de ces se c ours puissans .
On vient de lui donner d ’
agréab les nouve l les;I l touche au term e heureuxde ses peines mor te l les .
A C T E IV,S CEN E 1 1 1
LI SETTE .
Q’
il ne s’
expo se p oint . Je c rains que lque a c c iden t,
Q e lque p iège ca ché . N ’
est— il pas p lus p ruden t
Q e n ou s l ’allion s cherch er?Par n o tre d iligencePrévenons ses b on té s e t son impat ien ce .
S o rtons,Monsieur;je v eux emb rasse r ses genoux
E t mou rir de p laisir dan sdes t ransports si doux .
LYCANDRE .
Vous n’
ire z pas b ien l o in pourgoû te r ce t te j o ie .
Vous vou lez la cherche r e t le Cie l vous l ’envo ie .
Oui,ma fi lle
,vo ic i ce p e re ma lheureux ;
Il vous v o it , il vou s parle ,il est devan t vos yeux .
LISETTE,se jetant à ses p ieds .
Q oi ! c ’est vous-même ?O Cie l ! qu e mon âme est rav ieJegoû te le momen t le p lus doux de ma vie .
LYCANDRE .
Ma fi l le,levez-vou s . Je conno is vo tre cœur
,
E t, je vou s l
’
ai prédit , vous ferez mon bonheu r .M ais
,h é las ! que je c rains de rev o ir v o tre frè re !
L1SETTE .
Mon frère ! Et que ! e st— il?
LYCANDRE .
Le c om te de Tufi è re .
LI SETTE .
Je ne sais où j’
en suis, je n e respire p lus .
Daigne z me sou tenir .
LYCANDRE .
Q’
il do it ê t re con fus
Q and il v ous connoîtra !
1 08 L E G L O R I E U X
LI SETTE .
Mo i,sa sœur?
LYCANDRE .
Oui,ma fi l le .
L15ETTE .
Sans d ou te, nous so rtons de la mêm e fam il le ;Oui
,le Com te e st mon frère ; e t dè s que je l
’
ai vu ,
A t rave rs ses mép ris mon cœu r l a re connu .
De mon fo ib le pou r lu i je ne su is p lus surp rise .
LYCANDRE .
Vo t re cœur le p révient,e t l
’
ingrat v ous méprise !Ah ! je veux p rofi ter de ce t te o c casionPou r j ouir devant vous de sa c on fusion ,
Q and le temp s pe rme t tra de v ou s faire connoître .
LI SETTE .
J usque- l à,devan t lu i ne d o is—je p lus paroître?
LYCANDRE .
N on . Je vais le t rouve r . La c onve rsationSera v ive 21 c oup sû r, e t sa p ré somp tionM é rite qu ’
ave c lui p renan t le ton de pè re ,Je fasse à ses hau teurs une le ç on sévè re .
LI SETTE .
S’
il ne vous connoît pas, v ous les ép rouve rez .
LYCANDRE .
Non . N ous n ous sommes vus . I l me connoît . Rent rez ,Ma fi lle . Q e lqu
’
un v ien t ;gardez b ien le silence .
LI SETTE,lui ba isan t la ma in .
Mon père,a t tendez t ou t de mon ob éissance .
1 1 0 L E G L O R I E U X
PASQU I N , à pa rt.
Il a,ma foi
,raisori.\Je re tombe t ouj ou rs,
(A Lycandre.
Et je veux m’
en punir . Je vo is que mon d isc ou rs ,M onsieu r
,n
’
a pas le don de vous ê tre agréab le ;Mais
,si je suis si fi e r
, je suis très excusab le .
LYCANDRE, vivemen t.
Et par où , S’
il vous p laî t ?
PASQU IN .
Pou r le d ire en un mot ,
E t sans t r op me vante r , c’
est que je suis un so t .
LYCANDRE .
A l lez , on ne l’est p o int quand on connoît sa fau te .
PASQU I N .
Mon maî t re a t rès souven t la p aro le si hau te,
I l est si suffi san t , que par o c casionJe le dev iens aussi, mais sans ré fl exion .
Heu reusement pou r moi, la raison ,la p rudence
,
Ab régent les a c c ès de mon impertinence .
Vous voyez que d’
abo rd j’
a i b ien baissé mon ton .
Maisdaignez , S’il vous p laî t , me d ire v o t re nom .
LYCANDRE .
Mon enfan t , d ites- lui, S’
il v eu t b ien le pe rm et tre ,
Q e je v iens demande r sa r ép onse à la let t re
Q e l’
on vous a p ou r lui rem ise de ma part .L
’
a- t—il lue?
PASQUI N .
Oui,Monsieu r . Se riez—v ous par hasard
A C T E rv,S C EN E rv
LYCANDRE .
Je le su is .
PASQU1N .
Mo i, que je vous annon ce
Eh ! v ite , sauvez—v ou s . J’
a i re çu sa r éponse,
E t je la sens enc o r .
LYCANDRE,souriant .
N e c raignez rien p ou r moi .I l sera p lus honnê te en me répondant .
PASQU I N .
Vous vous expo sez ?
LYCANDRE .
Ou i, j
’
en veux c ourir le risque .
PASQU I N .
Pou r j oue r ave c lui, p renez mieux v o t re b isque .
LYCANDRE .
Dépê chez-vous, de grâ ce .
PASQp IN va et revien t .
En v é rité, je
LYCANDRE , d’
un a ir impa tient .
PASQU I N .
S’
il vous en p rendmal, je m’
en lave les mains .
1 1 2 L E G L O R I E U X
SCÈNE V .
LYCANDRE ,seul .
Par les airs du va le t on peu t j uge r dum aît re .
Ah ! du mo ins , si mon fi ls pouvo it se re c onnoit re ,Se b lâm e r que lque fo is, c omme fait cegarç on ,
T ô t ou tard sa fie rt é plieroit sous sa raison .
M ais je n’o se
SCÈNE V I .
LYCANDRE , LE COMTE,PASQU IN .
LE COMTE en tre en fur ieux .
Q e l e st le t émé raire ,
Q el est l’
audacieux qu i m’
o se Ah ! c ’est mon pèreLYCANDRE .
L’
ac cueil est t rès t ou chant ;j’
en su is éd ifié .
PASQU I N , à pa r t.Comment don c?le vo il à c omme pé trifi é !
LE COMTE,é tan t son chap ea u.
Un premier mouvement que l quefo is nous abuse .
Excusez-moi, M onsieu r.PASQU I N , à pa r t .
I l lui demande excuse !LE COMTE.
(A Pa squ in . )Je So rs
,Pasquin .
…4 L E G L O R I E U X
De sa confusion vo t re cœu r est c omp lice ;Et , tou t bouffi degl o ire , il n ’ose se p rê terAux tendres mouvemens qu i devroien t l
’
agiter .
Ah ! je ne vo is que t rop , en ce t te conj on c ture ,Q
’
une mauvaise h on te é tou ff e la nature .
C ’
est en vain qu ’
un b ille t vous avo it p révenu ;Et je me suis t romp é
,c royan t qu’
un in connuVou s corrigeroit m ieux qu’
un p è re misé rabl e,
Q’
à vos yeux la fo r tune a rendu méprisab le .
LE COMTE .
Q i?moi je vous méprise?Osez—vous le pense r?
Q’
un soup çon si Crue l a dro itde m’
o ffense r !
\Croyez que v o tre fi ls vou s respe c te , v ous a ime .
LYCANDRE .
Vous?p rouve z—le—moi d on c , e t dans ce momen t même .
LE COMTE .
Vous pouvez d isp o se r de tou t ce que je puis .
—gParlei , qu ’
ex igez —vous?LYCANDRE .
Q’
en l e tat où je su is
Vous vou s'
fassie z honneur de bann ir tou t mystè re,
Et de me re connoi t re en qua lité de p è reD ans ce tte m aison—ci . Voyons si vous l
’bse z .
LE COMTE .Songez—vous au p éril o ù v ous vous expo sez?
LYCANDRE .
Do is—je me d éfie r d’une honnê te fam il le?
A l lons v o ir Lisimon , menez—mo i chez sa fi lle .
LE COMTE .
De grâ ce, à v ous montre r ne soyez pas si p romp t .
A CT E JV,S C È N E V I I 1 1 5
Vous les exp os e riez à vou s faire un aff ron t .
Vous ne save z donc pas j usqu’
où va l ’arrogan ceD
’
un b ourgeo is anob li, fi er de son opu len ce?S i le faste e t l
’é c la t ne sou tiennen t le rang,I l t raite ave c d édain le p lus illustre sang.M esu ran t se s égards aux dons de la fortune ,
Le mé rite ind igen t le choque,l’
impo rtune ,
E t ne peu t l’abo r‘
der qu’
en faisan t m il le e ff orts
Pou r cache r ses beso ins sous un b ril lant deho rs .
D epuis vo t re malheur,mon nom e t mon courage
Fon t tou te ma richesse ; e t ce seu l avantage ,Rehaussé par l e clat de qu elques a c t ions ,M’
a tenir lieu de b iens e t de pro te c t ions .
J’
ai monté par degrés, e t,riche en apparen ce
,
Je fa is une figure éga le à ma n aissan ce ;E t
,sans ce faux re lie f
,n i mon rangn i mon nom
N’
auroient pu m’
in troduire auprès de Lisimon .
LYCANDRE .
On me l’
a pe in t tou t au t re,e t j
’
ai p e ine à v ous c ro ire ;Tout ce d iscou rs ne tend qu
’
à cache r vo treglo ire .
Mais, pour mo i qu i n e suis ni superbe n i vain
,
Je p ré tends me mon tre r,e t j ’irai mon ch emin .
( Il veut sortir . )LE COMTE
,le retenant .
D iffé rez que l que s j ours; la faveur n’
est pasgrandeJe me j e t te à vos p ieds , e t je vou s la demande .
LYCANDRE .
J ’
entends . La v anité me dé c lare àgenouxQ
’
un pè re info rtun é n’
est pas d igne de vous .
1 1 6 L E G L O R I E U X
Oui,oui
,j ai tou t pe rdu par l
’
orgueil de ta mère ;E t tu n
’
as h érit é que de son cara ct ère .
LE COMTE .
Eh ! compatissez d on c à la no b le fi ertéD on t mon cœu r
,il est v rai , n
’
a que t rop h é rité .
Du reste,soyez sû r que ma p lus fo rte env ie
Sero it de v ous Serv ir aux d épens de ma vie ;
Mais du mo ins m énagez un honneu r d é lica t ;Pour mon int érê t même év itons un é c lat .
LYCANDRE .
Vous me faites p itié . Je vo is vo t re f o ib lesse,
Et veux,en m
’
y p rê tan t , vou s prouve r ma tendresse ;Mais à c ond it ion que si vo tre hau t eurÉc late devan t moi
,dè s
SCÈNE V I I I .
LYCANDRE ,LE COMTE ,
LISIMON .
LISIMON,au Com te.
S e rv iteu r .Je vous chercho is
,mon che r;vo tre f ro ideur m
’é tonneCar il est temps d ’
agir . Je c ro is , D ieu me pard onne ,
Q e ma femm e dev ien t raisonnab le .
LE COMTE .
Comment ?LISIMON .
E l le n’
a p lus p ou r vous cegrand é l o ignemen tQ
’
e lle a marqué d ’
abo rd . La bonne d ame e st sageCar j
’
a llois sans ce la faire un j o l i tap age .
1 1 8 L E G L O R I E U X
LYCANDRE , à pa rt.Je vo 1
Q’
il t rompe Lisimon en lu i par lant de moi .Sagl o ire est a larm ée à l’ aspe c t de son
‘
pè re .
LE COMTE,à Lisimon .
S achezLISIMON .
Eh b ien?
LYCANDRE,à pa r t .
Je re t iens ma c o lè re ,Esp é rant que b ien tô t il me se ra p ermisDe me faire connoître e t de punir mon fi ls;
E t mon j uste dép it lui p répare une sc èneOù je veux me t t re enfin son o rgue il à la gêne .
LE COMTE,à Lycandre.
Con traignez—v ous,degrâ ce , e t ne lui d ites rien
Qu i lu i fasse augu re r qu i vous ê tes .
LYCANDRE .
Fo rt b ien .
LE COMTE retournan t à L isimon .
C’
est un homme é conome autan t,qu
’
il est fidè le .
LISIMON ,haut .
O h ç à , je v ou s a idit une b onne nouve l leN e la n égl igeons pas . Ma femme veu t vous vo ir ;Pour gagner son e sp rit
,faites v o tre devo ir .
LE COMTE,en souriant .
Mon devo ir?LISIMON .
Oui,v raimen t .
A C T E I V , S C È N E V I I I 1 1 9
LE COMTE .
L’
exp ression est forte .
LYCANDRE,au Com te .
Q oi ! fau t—il p our un mo t vous cabrer de la sorte ?
LISIMON,au Com te .
Il parle de bon sens .
LYCANDRE .
I l est b ien questionDe chicane r ici sur une exp re ssion
LE COMTE , d’
un a ir un p eu fier, à Lycandre .
Mais,
LYCANDRE, d’
un a ir imp érieux .
M ais,Monsieur
, jedis ce qu’
il faut d ire ;Faites ce qu’
il fau t faire au p lu s t ô t .LE COMTE
,a
,
pa r t.
Q el martyre !I l va se dé c ouv rir .
LISIMON,a u Com te.
Ce v ieillar d est b ien verd,
Ce me semble?LE COMTE .
(A Lisimon . (A Lycandre. )Il e st v rai . Vo tre d iscours me perd .
D evant ce t h omme , au mo ins,tâ chezde vous c ont raind re .
LYCANDRE , au Com te.
Faites ce qu’il d ésire , ou je cesse de feindre .
L 15 1MON .
Ma femme v ou s at tend venez , d’
un air soumis,
P r évenant , la p rier d’ê tre de vos amis .
1 2 0 L E G L O R I E U X
LYCANDRE,au Comte.
Soum is;vous en tendez?LE COMTE
,d’un a ir p iqué.Oui
,j ’en tends à me rveil le .
LISIMON .
Vous app rouvez don c ce que je lui c onseil le ?
Bonh omme,exp liquez- vo us .
LYCANDRE .
Oui, je l
’
approuve fo r t ,E t
,S’
il ne s’
y rendpas , il au ra t rèsgrandt o r t .Vous lui do nnez
,Monsieu r
,une le ç on t rè s sage .
I l en av o it besoin . Je le connois .
LE COMTE,à par t .
J’
enrage .
LISIMON,à Lycandre .
Vous ê tes d on c à lui d epu is l ongtemps?LE COMTE
,à L isimon .
S o r tons .
Je regret te , Monsieur , le temp s que nous perd ons .
L1S1MON .
(Au Comte. ) (A Lycandre. )Un momentÏ A quo i v on t le s revenusdu Com te?
LYCANDRE .
Je ne sauro is v ous d ire à quo i c e la se monte .
L15 1MON .
Mais enc o r?LE COMTE
,à Lycandre.
D ites— lui
1 2 2 L E G L O R I E U X
Mais’so ngez aux égards qu ’
exige ma naissance .
Parlez pou r mo i v ous—même , e t faites b ien ma c our .Ce la su ffi t
, je c ro is?
L15 1MON .
Est-ce la le re tou rD ont v ous payez mes so ins?Su ivi de ma fam il le
,
Do is—je venir ici vous présente r ma fi l le,
Vous prian t à genoux de vou lo ir l ’a c cepte r?Si tu te l
’
es p romis , tu n’
as qu’
à d é c omp te r .Ma fi lle vau t b ien peu ,
si l’
on ne la demande .
Je te baise les mains, e t je me re c ommande
A ta grandeur . Ad ieu .
SCENE X .
LE COMTE,
seul .
Q e ces gens inc onnusSont fie rs ! Vo il à l’orgueil de tous nos parvenus .
C’
e st peu qu’
à leu rsgrands b iens n ot regl o ire s’immo le ,I l fau t , pou r le s avoir , fl échir devan t l
’
ido le .
Ah ! m audite Fo r tune,à quo i me r é duis—tu ?
Si tes c oups redoub lés ne m’ont p o in t aba t tu,
Veux- tu m’
humilier par l’
appâ t des richesses,Et n
’
a—t—on tes faveurs qu’
à fo r ce de b assesses
CTE V
S C E N E PR EM I E R E .
I SABELLE L I SETTE .
L1SETTE .
çà , Mademo ise lle,exp liquons—nou s un peu,
N ous p ouvons lib remen t n ou s parler en ce lieu .
I SABELLE .
Et sur qu o i, s
’
il vous p laî t?L1SETTE .
Vo tre mè re apaiséeA vos tendres désirs paroît mo ins oppo sée .
Vous p ouvez esp ére r d ’épouse r v o tre amant .
M ais,lo inde t émo igner ce d oux rav issement
Q e vous devez sen tir sur le po in t d ’ê t re heu reu se,
Je ne v ous vis j amais si t riste e t si rêveuse .
I SABELLE .
I l est v rai.LI SETTE .
Vous v ou l iez le Com te p our époux;Son amou r à vos yeux s
’
est signa l é p ou r vous;
1 2 4 L E G L O R I E U X
I l vous a demandée ;e t ce t te âme si fiè reVien t de p l ie r enfin .
I SABELLE .
Mais de que l le manière ?De ses soum issions la choquan te fro ideur
,
Son sou ris dé daigneux,son air fi er e t moqueu r ,
Son silen ce aff e c té,tou t me fa isoit c omprend re
Q e son cœur ju squ ’à nous avo it pein e à descend re .
Mon p è re avec a rdeu r so llicito it p ou r lui;A p eine de deux mo ts lui p rê to it- il l
’
appu i;E t
,sans v o t re c ré d it sur l ’esp rit de mon frè re ,
Q i s’
est servi du sien pou r ramene r ma mère ,Le Comte a si b ien fa it que tou t é to it rompu .
Pour ca che r mon dépit j’
ai fait ce que j’
ai pu .
M ais p lus de ce t instan t j’
o ccupe ma p ensée ,P lus je sens que j
’
en suis vivemen t o ffensée .
Pour un cœu r d é licat que ! t riste év énement !
L1SETTE .
Si b ien que v o t re amou r est mo r t sub itement?
I SABELLE .
Il est b ien refro id i .L1SETTE .
Parlez en c onsc ience .
N’
entre—t- il p oin t ici que l que peu d’
incon'
stance ?
I SABELLE .
Vous me conno isse z mal .
LISETTE .
Oh ! que pardonnez—mo i,Et, s
’
il fau t s’
exp lique r ici de b onne fo i.
1 2 6 L E G L O R I E U X
Aux yeux de mon ami je n’o se p lus p aroître .
J’
ai se rv i son rival . Je ne puis m ’
empê cher,
M ême devant vous deux,de me le rep ro che r .
C’
est une t rah ison don t j’
é to is incapab leSi l ’amou r n ’
eû t vou lu que j’
en fusse c oupa b le .
LI SETTE .
Vou s v ous en repentez ?
VALÈRE .
Je m’
en repent iro is,
Si je v ous aimo is mo ins . Mais enfin je voudro is
Qu e vous d é c larassiez le mo t if qu i v ous p o rteA m arque r p ou r le Comte une amitié si fo r te .
LISETTE .
Ce mo t if est t rès j uste,e t
,quand v ous l
’
apprendrez ,B ien l o in de m’
en b lâmer,v ous m’
en app laud irez .
VALERE .Je le veux c r o ire ainsi;mais daignez m’
en inst ruire .
L I SETTE .
Je l’
ignoro is tan tô t , e t ne pouvo is le dire .
Je le sais à p ré sen t,e t ne le d irai p o int .
VALERE .
Pou rquo i v ous o bst ine r à me ca che r ce po int?Q o i ! faut-il qu ’
un aman t vous trouve si d iscrè te?
I SABELLE,à Va lère.
Mais c’est d onc tou t de b on que v ous aimez Lise t te ?VALERE .
Je l’
aime , e t m’
en faisgl o ire .
I SABELLE.Un tel a t tachement
A C T E V , S C È N E I I 1 3 7
Prouve m ieux que j amais v orre d iscernem ent .
Mais que l en est l’ob j e t?que l le est vo t re esp é rance ?
LISETTE .
S ouff rez que 121-dessu s nou sgard ions le silence .
I SABELLE .
J ’y veux b ien c onsen t ir,e t me f ais cet e ff o rt
,
Jusqu’ à ce que l’
on ait dé c idé de mon so rt .
VALERE .
I l est tou t dé c idé .
I SABELLE .
Juste C ie l !VALÈRE .
Et mon p è re,
Pour dic te r le c on t rat,est chez no tre no taire .
I SABELLE .
Ma mère n’
y me t p lus au cun empê ch emen t?VALERE .
Non,e t vous me devez un si p romp t changement .
SCÈNE I I I .
LISIMON,VALÊRE ,
I SABELLE , L I SETTE .
LISIMON .
Ça, réj ouissons—nou s . Enfin , vaille que vail le ,L’
ennemi se soume t . J’
a igagn é la batailleLe champ m’
es t demeu ré . Je craigno is un e c lat ;M ais vo tre m ère enfin va signe r le con tra t .E lle a banni Philin te
,e t j ’a t tends le n o taire
Pour te rminer enfin cet te imp o r tante affaire .
1 2 8 L E G L O R I E U X
Excep t é que l ques po ints dont il fau t c onvenir,Je ne p révo is p lu s rien qu i pû t nous re tenir .
Tu se ras dè s ce so ir madame la Comtesse ,Ma fi l le .
I SABELLE .
Dè s ce so ir ?
Rien ne p resse .
Ce t te a ff aire mé rite un peu d’
a t ten t ion ;
E t j’
ai fait su r ce la que l que réflexion.
LISIMON .
Q e lque r éflexion?Commen t ! Mademo isel le,
A llez—vous nou sdonne r u ne sc ène nouve lle,
E t v ous déd ire ici,c omme v ous avez fa it
Sur c inq ou six p roj e ts qui n’
on t p o int eu d’
e ffe t?P ensez-vous que le Comte en tende rail lerie ,E t so it homme à sou ff rir v o t re b izarrerie?
VALERE .
Mais,mon p è re
,ap rè s tou t .
LISIMON .
Mais ap rès tout,mon fi ls ,
Croyez-v ous que d’
un fa t j e c ou te le s av is?
Q o i don c ! j ’aurai su fa ire un mirac le inc royab leEn rendan t auj ou rd ’
hu i ma femme raisonnab le
(Cho se qu’on n
’
a p o in t vue,e t qu ’on ne verra p lus) ,
Et mes en fans rend ron t mes t ravaux superfius?
Un che f-d’œ uvre si beau deviendro it inu t ile?Non
,parb leu . Gardez-vous de m’
échauffer la bile ,
1 3 0 L E G L O R I E U X
LISIMON ,le rep oussan t.
Monsieu r le méde c in ,ce n
’
est pas vo t re a ffaire .
Q e je m’
é chau ffe ou non,vous au rez la b on t é
De ne v ous p lus charge r du so in de ma san té .
(A pa rt . )Je c ro is qu e ce c oqu in est j a l oux de Lise t te ,Et je soup ç onne en tre eux que l que int rigue se c r è te .
(A Va lère . )Je veux m’
en é c lair cir . Sa ch ons un
VALERE .
Vo t re no taire .
LISIMON .
(A Va lère qui veut sortir . )Ah ! b0n ! Non
,non
,demeure ici .
Dans un pe tit momen t nous c omp te rons ensemb le .
SCENE IV
LES ACTEURS PRÉCÉDENS , M . JOSSE.
LISIMON .
App ro che,M onsieu r J o sse .
M . JOSSE.Est—cc s
’
assemb le?
LISIMON .
M . JOSSE .
Lisons ma m inute . A t ro is ar tic les p rès,
A C T E v , SCEN E TV 1%
Monsieu r , j’
ai stipu l é vos c ommuns intérê ts .
C’
est don c la la futu re ?
LISIMON .
A peu prè s . C’
est ma fi l le .
M . JOSSE,la rega rdan t avec ses lunettes .
Vo il à de quo i fo rm er une b e l le f am il le .
Où don c est le futur?I SABELLE .Je n
’
en sais en c o r rien .
M . JOSSE .
Commen t ! se faire at tendre?Oh ! ce la n’
est pas b ien;Et vous m é ritez
LISIMON .
Le - v o ic i qu i s’
avan ce .
Ass ieds- toi,Monsieu r J o sse;e t nous, p renons séance .
SCENE V
LES ACTEU R S PRECEDENS , LE COMTE .
( Ils son t tous assis, ex cep té L isette. )
M . JOSSE , vis—à—vis d ’un e tab le, ap rès avo i rm is ses lunettes, lit.
Par
LISIMON ,à Isabelle
, qui pa r le à Lisette.Ec ou te z .
M . J OSSE lit.Les Conse il le rs du Ro i,
N o ta ires s oussignés, furent
1 3 2 L E G L O R I E U X
LISIMON, à Va lère, qui par le d’
a c tion à Lisette.
Eh quo i !Vous ne vous tairez p o in t Est—il temp s que l
’
on cause ?
Va l è re , ici . Laissez ce t te fi l le,et p ou r cause .
M . JOS SE,a u Com te .
Vo t re nom , s’il vous p laî t
,vos t it re s
,vo t re rang
Je ne les savo is p o int ; ils sont restés en b lanc .
LE COMTE .
Je vais vous les d ic te r . N ’oub liez rien, degrâ ce .
Vous avez p ou r ce la laissé b ien peu de place .
M . JOSSE .
La marge y suppléra . Voye z que l le largeu r !LE COMTE .
( Il dicté . )Ecrivez d onc . Très haut e t très puissan t
M . JOSSE,se levan t.
M onsieu r , c onsid é rez qu’ on ne se
LE COMTE .
Po intde raisonnemens, je v ous le sign ifie .
M . J OSSE,écr ivan t.
Et t rès puissan t se igneu rLE COMTE
,dictant.M on se igneur Carloman ,
A lexand re , Césa r , H en ry,J ules , A rm and ,
Ph ilogène ,M . JOSSE .
Oh ! que l le ! y rie l le !Ma foi, sur tant de nom s ma mémo ire chan ce l le !
( Il répète. )Philogè ne , Ap rès?
1 3 4 L E G L O R I E U X
M . JOSSE .
Et c ! te ra .
Ce t te t irade- l à j amais ne fin ira .
LE COMTE .
M e t tez e t au tres l ieux en t rès gros carac tè re .
I SABELLE,à L isette.
En le tt res d ’o r .L I SETTE
,à Isabelle.
Paix don c !I SABELLE
,à L isette.
Je ne sau ro is me taire .
Je ne puis me p rê te r à tan t de van ité .
LI SETTE,à Isabelle .
C’
est le fo ib le c ommun desgens de qua l ité .
Leurs t itres b ien souvent fon t tou t leu r p at rimo ine .
M . JOSSE , à Lisimon .
( Il lit . )A v ous p résentemen t , M onsieur. Messire Antoine
LE COMTE,d’un a ir surp ris .
An to ine !LISIMON .
Oui .
LE COMTE .
Q o i ! c’
est la vo t re nom?
An to ine ! Est—il p ossib le?LISIMON .
Eh ! parb leu,pou rquo i
LE COMTE .
Ce nom est b ien b ourgeo is !
A C T E V, S C È N E V
L1SIMON .
Mais pas plus que les au tres ;Je c ro is que mon pa tron va lo it b ien t ou s les vô t res .
LE COMTE , d’
un a ir déda igneux .
Passons, Monsieu r , passons .Vos t itres . C’
e st le po in tDon t il s’agit ici .
LISIMON .
Q i,mo i?Je n
’
en ai po int .LE COMTE .
Commen t donc?Vous n ’
avez au cune seigneurie?LISIMON .
Ah ! je me souviens d ’
une . Ecrivez, je vous p rie .
( Il dicte. )Anto ine Lisimon
,é cuye r .LE COMTE .
Rien de p lus?LISIMON .
Et seigneur d’un mil lion (1 e cus .
LE COMTE .
Vous v ous moquez , je c ro is?L’
argent est—il un tit re?LISIMON .
P lus bril lan t que les t iens . E t j’
ai dans mon pupit reDe
‘
s bil le ts au p orteu r d on t je fais p lus de cas
Q e de vieux par chemins, nourriture des rats .
M . J OSSE .I l a raison
”
.
LB
Pou r moi, je tiens que laM . JOSSE .
Oh ! nous aut res bourgeœ s,nous tenons pour l ’espè ce .
1 3 6 L E G L O R I E U X
(A Lisimon . )ç a, stipu l ons la do t .
LISIMON .
Legend re que je p rensM’
engage à la p o rte r à neu f cent m il le f ran cs .
M . JOSSE , au Comte.
Vo ilà pou r la future un t itre magnifique ,E t qui sou tiend ra b ien vo tre n ob lesse antique .
LE COMTE,à M. Josse
,bas .
Monsieu r legarde-n o te , ou i, l ’argen t n ous sout ien t ;Mais nous purifi ons la sou r ce d ont il v ien t .
M . J OSSE .
Et que ! douaire au ra l ’ ép ouse c ont rac tan te ?
LE COMTE .
Q e l douaire,M onsieu r?Vingt mil le fran csde rente .
LISETTE,à pa r t .
Mon frè re e st magnifique . En t out cas, je sais b ien
Q e,s’
il donne beau c o up , il ne s’
engage à rien .
M . JOSSE , a u Comte.Sur quo i l ’assigne z —v ou s?
LISIMON .
Oui.
LE COMTE,d ictan t.Sur la baronnie
De Montorgueil .M . JOSSE , se levan t .Vo ilà vo t re affaire finie .
LISIMON .
donc m aintenant . La noce se fe ra
qu’
à Paris ton pè re a rrive ra .
1 3 8 L E G L O R I E U X
LYCANDRE .
Supe rbe , mon aspe c t ne peu t que t’
honorer .
Mon a rrivée ici t’ a larme e t t’
importune ;
M ais apprends que me s d ro its von t devan t ta fo r tune .
Rends- leur hommage , ingra t , par un p lus tendre a c cue il .LE COMTE .
Eh ! le puis-je , auLISIMON .
Baron de Mon torgueil,C’
est donc la ce superbe e t b rillant équipageDont tu faiso is tan tô t un si be l é ta lage?
LYCANDRE,à L isimon .
L éta t où je paro is e t sa c onfusionD
’
un excessif o rgueil son t la punition .
(Au Comte. )Je la lui réservo is . Je bénis ma misè re
,
Puisqu’
elle t’
humilie e t qu’
e lle venge un p è re .
Ah ! b ien l o’
in de rougir,ad ou c is mes ma lheu rs .
Par le , reconno is—mo i
I SABELLE , à Lisette.
Vous vo il à tout en p leu rs,Lisette
LI SETTE,à Isa belle.
Vous a l lez en apprend re la cause .
LYCANDRE , a u Comte.
Je vo is qu’
à ton pen chan t ta vanité S ’oppose .
M ais je veux la d omp te r . Red oute mon c ourroux,Ma m a l é d ic tion , ou tombe à mes genoux .
LE COMTE .
Je ne puis r ésiste r à ce ton respe c table .
A C T E v, S C EN E V I E T D E R N I ER E 1 3 9
Eh b ien ! vou s le vou le z ;rende z -mo i méprisab le .
J ouissez du p la15 1r de me vo ir si c on fus .
Mon cœu r , tou t fi er qu’
i l est , ne vous méconnoît p lus .
Oui, je suis v o t re fi ls , e t v ous ê tes mon père .
Rendez v o t re tendresse à ce re tou r sin c ère .
( Il se met auxgenoux de Lycandre . )Il me co û te assez che r pour avo ir mé ritéD
’
éprouver dé so rmais tou te v o tre bon t é .
LISIMON,à Lycandre .
I l a,ma fo i, ra ison . Par ce q u
’
il v ien t de faire,
Je jurerois, morb leu, que vous ê te s son père .
LYCANDRE relève le Comte et t’embra sse .
En sondant vo t re cœur, j
’
ai frémi,
’
j’
ai t remb l é .
Mais,ma lgré v o t re o rgueil , la n a tu re a parl é .
Q’
en ce momen t p’ou r mo i ce triomphe a 'de charmes !Je do is don c ma in tenan t te rmine r vo s ala rmes,Oub lier vos é carts qu i son t assez pun is .
Mon fi ls,rassu rez—vous . N o s malheurs sont finis .
Le Cie l,enfin pour nou s devenu p lus p rop ice
,
A de me s ennemis con fondu la ma lice .
No t re augu ste monarqu e,inst ruit de me s ma lheurs
Et des no irs a t ten ta ts de mes pe rsé cu teurs,Vien t par un ju ste arrê t de finir ma misè re .
Il me rend mon honneur ; à vous il ren d un pè reRé tab li dan s ses d ro its
,dans se s b iens, dans son rang,
Enfin danS tou t l’é c la t qui do it suivre mon sang.J
’
en re ço is la nouve lle . E t ma j o ie est ex trêmeDe p ouv o ir à p résen t vous l ’annoncer mo i-même .
LE COMTE .
Q’
en tends—je?juste Cie l ! Fortune , ta faveu r
1 40 L E G L O R I E U X
Au mé rite , aux ve r tus , éga le le b onheu r ;Om tu me rendsmes b iens
,mon rang e t ma naissance ,
E t j en ai déso rmais la p leine j ouissance .
LYCANDRE
D evenez p lus modeste en devenant heu reux .
LISIMON .
C’
est b ien dit . Je v ous fais c omp lim en t à t ous deux .
Je n’
ai pas a t tendu ce que je v iens d’
apprend rePour ch o isir vo tre
'
fi ls en qua lité degendre ,Parce qu
’
à l’
o rgueil p rè s il est j o li gar ç on .
Vo ici n o t re c on tra t ;signe z- le sans faç on .
LYCANDRE .
Q oique n o tre fo r tune ait b ien changé de face ,De vos b ont és p our lui je do is v ous rendre grâ ce ;Et
,p our m ’
en a c qu it te r en co r p lus d ignement,Je p ré tends ave c v ous m’
a llier doub lement .
LISIMON .
Comment?LYCANDRE .
Pou r vo tre fi ls je vous o ffre ma fi l le .
VALERE,à Lisette.
Je suis pe rdu .
LISIMON .
L’
honneur e stgrand p our ma fam il l e .
Trè s agréab lem ent vous me voyez su rp ris .
J ’ac cep te le p roj e t . Mais est-e l le à Paris ,Vo tre fi l le ?
LYCANDRE .
Sans d ou te . Appro chez—v ous , Constan ce ,E t recevez l ’époux .
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(Au Comte. )Ê tes-vous satisfait?
LE COMTE .
On ne p eu t davantage .
LISIMON .
B on ! nous a l l ons don c faire un d oub le m ariage .
I SABELLE,au Comte.
Mon cœur par le p our v ous ;mais je c rains vos hau teu rs .
LE COMTE .
L’
amou r p rend ra le so in d’asso rtir nos humeu rs ,Comp tez sur son p ouv o ir ;que fau t- il p ou r vous p laire ?
Vo sgo û ts , vos sen t imens, fe ron t mon carac tè re .
LYCANDRE .
Mon fi ls e st glo rieux ;ma is il’
a le cœu r bon .
Ce la répare t ou t .
LISIMON .
Oui,vous avez raison .
Et, s
’
il reste en t ich é d’un peu de vaineglo ire ,A vec t an t de mérite on peu t s’en faire ac c ro ire .
LE COMTE .
Non , je n’aspire p lus qu
’
à triomphe r de moi ;Du respe c t
,de l ’amou r
, je v eux su iv re la lo i:Ils m
’
ont ouvert les yeux ;qu’
ilsm’
a iden t àme va inc re .
Il fau t se faire aime r , on v ien t de m’
en c onvainc re ;Et je sens que la gl o ire e t la p ré somp t ionN
’
a ttiren t que la haine e t l ’ind igna tion .
Imp rimé pa r Jouaus t et Siga uxPOUR LA COLLECTION
D E S P ET I T S CH E FS D ’ŒUVR E
M D CCC LXXX IV