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ESC 172 ESCTD 15 F rév. 1 fin Original : anglais Assemblée parlementaire de l’OTAN COMMISSION DE L’ECONOMIE ET DE LA SECURITE LA CONJONCTURE ACTUELLE EN UKRAINE ET LES PERSPECTIVES D’AVENIR RAPPORT Richard BENYON (Royaume-Uni) Rapporteur, Sous-commission sur la transition et le développement

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ESC

172 ESCTD 15 F rév. 1 finOriginal : anglais

Assemblée parlementaire de l’OTAN

COMMISSION DE L’ECONOMIE ET DE LA SECURITE

LA CONJONCTURE ACTUELLE EN UKRAINE ET LES PERSPECTIVES

D’AVENIR

RAPPORT

Richard BENYON (Royaume-Uni)Rapporteur,

Sous-commission sur la transition et le développement

www.nato-pa.int 10 octobre 2015

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TABLE DES MATIERES

I. INTRODUCTION..........................................................................................................1

II. L’ETAT DE L’ECONOMIE UKRAINIENNE ET LES CONSEQUENCES ECONOMIQUES DIRECTES DE LA GUERRE..............................................................3

III. LES RELATIONS AVEC L’UE.......................................................................................8

IV. LES STRATEGIES INTERNATIONALES POUR AIDER L’UKRAINE..............................12

V. LA DIMENSION ENERGETIQUE DE LA CRISE...........................................................14

VI. CONCLUSIONS.........................................................................................................16

BIBLIOGRAPHIE........................................................................................................22

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I. INTRODUCTION

1. Les tensions internationales résultant de l’annexion illégale de la Crimée par la Russie et le soutien que celle-ci apporte aux séparatistes pro-russes dans le Donbass engendrent ce qui constitue peut-être la plus grave crise diplomatique et en matière de sécurité en Europe depuis la fin de la Guerre froide. L’intervention manifeste de la Russie en Ukraine, l’occupation illégale et illégitime de la Crimée et ses efforts constants pour dénier le droit souverain de Kyiv de s’associer à l’Union européenne représentent d’ailleurs un rejet par Moscou des principes mêmes qui étaient considérés par beaucoup comme le fondement de l’ordre européen de l’après-Guerre froide : respect de la souveraineté nationale, création d’une Europe unie, libre et en paix, et système commercial ouvert comme base d’une prospérité commune. L’Europe et l’Amérique du Nord avaient vu en la Russie et en l’Ukraine des partenaires et des bénéficiaires de ce nouvel ordre. Il est désormais parfaitement clair que la Russie refuse cette logique et cherche désormais à compromettre ce système. L’Ukraine indique pour sa part qu’elle souhaite y adhérer, mais paie un prix très élevé pour son attitude, en partie du fait qu’elle est désormais divisée et surtout, que la Russie lui conteste le droit de s’associer librement à l’Europe.

2. Il est essentiel de souligner dès l’abord que l’annexion illégale de la Crimée par la Russie et l’intervention militaire de celle-ci dans l’est de l’Ukraine constituent une violation flagrante du droit international. Le 5 décembre 1994, la Russie a signé le Mémorandum de Budapest sur les garanties de sécurité lié, à l’adhésion de l’Ukraine au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont également signé cet accord, tandis que la Chine et la France ont fourni des garanties individuelles. Le Mémorandum fusionne une série de garanties de sécurité préexistantes dans le cadre de la Charte des Nations Unies, de l’Acte final de la CSCE et du Traité sur la non-prolifération, mais d’une manière spécifique à l’Ukraine. Il réaffirme en outre l’intégrité territoriale et l’indépendance politique de l’Ukraine, de même que du Bélarus et du Kazakhstan, en échange de la décision de Kyiv de renoncer au troisième arsenal nucléaire en importance au monde. La Russie a violé sans ambiguïté ses obligations liées à cet accord en ne respectant pas la souveraineté de l’Ukraine, en menaçant et en recourant à la force contre l’Ukraine et en exerçant des pressions économiques sur Kyiv pour influencer sa politique.

3. D’après des estimations prudentes des Nations Unies, en date du 15 mai 2015, 6 417 personnes avaient déjà perdu la vie et près de 16 000 avaient été blessées lors des combats. Le ministère ukrainien de la Santé signale en outre que 42 enfants ont été tués et 109 blessés par des mines et d’autres engins explosifs dans les régions de Donetsk et de Louhansk contrôlées par des groupes armés russes. Les Nations unies enquêtent sur des violations des droits humains par les deux camps (Cumming-Bruce). Le Secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a récemment signalé que Moscou continue à fournir aux insurgés ukrainiens des armes lourdes, des pièces d’artillerie, une formation et, surtout, du personnel militaire russe, tout cela en violation flagrante de l’Accord de Minsk conclu en février dernier. La Russie dément tout apport d’aide ou de troupes aux séparatistes pro-russes, mais des preuves solides attestent le contraire. De plus, d’après une étude récente du Royal United Services Institute, 42 000 soldats russes pourraient être directement ou indirectement impliqués dans le conflit (Harres).

4. L’Ukraine est donc en première ligne de ce qui apparaît de plus en plus comme une lutte entre une vision occidentale ou internationaliste de l’avenir du pays et une perspective eurasiatique dont l’ordre du jour est fixé par la seule Russie. Le nouveau gouvernement dirigé par le président Petro Porochenko est manifestement décidé à rompre avec le passé et à placer l’Ukraine sur la voie des réformes et de l’intégration à l’Union européenne. Il dispose de solides références technocratiques et inclut l’ex-citoyenne américaine Natalia Jaresko au poste de ministre des Finances, Aivaras Abromavicius, un partisan lituanien d’une réduction drastique des dépenses, de la déréglementation et de la privatisation, qui dirige désormais le ministère du Développement économique et du Commerce, ainsi qu’Alexander Kvitashvili, ex-ministre géorgien de la Santé, qui remplit désormais les mêmes fonctions en Ukraine. Les ministres de ce

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nouveau gouvernement sont jeunes et décidés à tourner la page en mettant en œuvre un programme de réformes, qui s’inscrit dans l’Accord d’association conclu en mars 2014 entre l’Ukraine et l’Union européenne. Ils sont toutefois confrontés à trois défis majeurs : une guerre, une profonde récession et la nécessité d’asseoir la légitimité du gouvernement post-révolutionnaire (Jaresko).

5. Le leadership russe conteste expressément la logique de l’intégration européenne et sa pertinence pour les non-membres tels l’Ukraine, la Moldova et la Géorgie, le rôle central actuel de l’OTAN pour la sécurité européenne, la nature avantageuse pour tout le monde de relations commerciales ouvertes, la pertinence des institutions et pratiques démocratiques dans les anciens Etats soviétiques, ainsi que ce que l’Occident considère comme les principes d’une bonne gouvernance. Le président russe Vladimir Poutine confond erronément l’adhésion à l’UE et à l’OTAN et lie en outre la consolidation de sa propre position en Russie à celle de son pays au niveau international. Il fait très ouvertement valoir le droit de la Russie à exercer son hégémonie sur les pays voisins et affirme que l’Ukraine relève légitimement de l’orbite russe. Pour M. Poutine, l’Ukraine est devenue le pivot même de l’autre univers qu’il cherche à édifier. La guerre menée en Crimée, et désormais dans le Donbass, ne concerne pas le seul avenir de l’Ukraine, mais aussi, pour une grande part, celui de l’Europe.

6. Le gouvernement russe actuel semble considérer les véritables réformes économiques et politiques en Ukraine comme une menace. Du point de vue de M. Poutine, la réussite de réformes démocratiques libérales dans ce pays et une association plus étroite de l’Ukraine à l’Union européenne représenteraient un rejet de l’ordre capitaliste de copinage intolérant qu’il a instauré en Russie et qu’il espère internationaliser dans le cadre d’une Union économique eurasiatique dominée par Moscou. Pour Poutine, cette union ne veut pas dire grand-chose si elle n’englobe pas l’Ukraine. L’Union eurasiatique, à laquelle rares sont les pays qui souhaitent adhérer, aurait – pour l’essentiel – recours à un système commercial régional afin de pérenniser le statu quo politique non seulement en Russie mais également parmi les pays qui se trouvent dans l’orbite économique de Moscou.

7. L’édification à l’Est d’un bloc dominé par Moscou constitue une ambition à long terme de la Russie post-soviétique. Celle-ci s’appuie sur différents outils pour y parvenir : la Communauté des Etats indépendants (CEI), un certain nombre de zones de libre-échange (ZLE), l’Espace économique unique (EEU), et désormais l’Union économique eurasiatique (UEE), que la Russie définit comme une alternative à l’Union européenne. Aucun de ces efforts ne sont cependant efficaces, ni ne suscitent un grand enthousiasme ; aucun d’eux ne s’est avéré capable de juguler les soupçons mutuels et les occasionnelles guerres commerciales entre différents membres. Les relations commerciales entre la Russie et l’Ukraine en particulier sont marquées par d’innombrables différends commerciaux, les plus graves ayant porté sur le prix du gaz et entraîné des interruptions des livraisons, surtout en 2006 et 2009.

8. La célèbre déclaration de Vladimir Poutine suivant laquelle l’effondrement de l’Union soviétique représente « le plus grand désastre géopolitique du siècle » (Aslund, 2013) n’était apparemment pas un lapsus et ce regret sous-tend la politique étrangère du président russe. George Kennan a pour sa part déclaré que l’Union soviétique ne tolérait que des vassaux ou des ennemis à ses frontières, une opinion qui semble avoir été ravivée au Kremlin. Le leadership russe a des opinions bien arrêtées sur les relations que les pays frontaliers établissent avec l’Europe – manifestement au cœur de la crise actuelle. De l’avis du président Poutine, l’Ukraine n’a pas besoin de se tourner vers l’UE, alors que la Russie propose l’édification d’un ordre eurasiatique basé sur les « principes universels d’intégration comme partie intégrante d’une Europe élargie, unie par des valeurs communes de liberté, de démocratie et de lois du marché » (Elder). Cette vision pouvait sembler anodine voire bienvenue jusqu’à ce que l’Ukraine ait osé la contester, en se tournant vers l’Union européenne. Le problème pour Vladimir Poutine est que le geste de défi de l’Ukraine a révélé la véritable nature du projet : une tentative voilée visant

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purement et simplement à établir une position hégémonique, du moins dans cette partie d’Europe orientale n’ayant pas encore totalement intégré les structures euro-atlantiques.9. Alors que le président Poutine évoque parfois une intégration consensuelle et démocratique, il tourne aussi souvent en dérision l’idée que l’Ukraine est un Etat viable ou qu’elle puisse avoir une réelle identité sans le consentement de la Russie. Cela implique au mieux que l’Ukraine est un pays vassal et, au pire, qu’elle fait naturellement partie de la Russie. Cela a sans aucun doute été le cas pour la Crimée et le drame qui se joue dans le Donbass permet de penser que cette logique motive également les actes de Moscou dans cette région, et peut-être même au-delà.

10. Les dirigeants ukrainiens d’allégeances diverses rejettent toutefois la vision de Poutine et la Russie prend désormais des mesures extrêmes pour démontrer que la souveraineté de l’Ukraine et sa capacité d’adopter des normes politiques et économiques occidentales sont une fiction, de même d’ailleurs que les engagements occidentaux à soutenir Kyiv dans cette ambitieuse tentative. Le président russe semble penser que le conflit gelé dans l’est de l’Ukraine en est la preuve. Les préoccupations du régime russe actuel sont peut-être compréhensibles, même si on ne les considère pas avec sympathie. Une transition démocratique et libérale réussie en Ukraine pourrait fort bien inciter de nombreux Russes à penser qu’une telle transition est également possible chez eux. En d’autres termes, si l’Ukraine devait finalement parvenir à mettre en œuvre des réformes et à se positionner pour intégrer plus facilement le reste de l’Europe, elle pourrait devenir une référence pour les réformateurs démocratiques russes, actuellement marginalisés et menacés. Il s’agit manifestement là d’une préoccupation majeure pour le Kremlin. Parallèlement, l’Occident se focalise bien davantage sur le droit de l’Ukraine à faire un choix que sur la nature du régime russe. Le problème posé par la Russie aujourd’hui est bien plus lié à son attitude sur la scène internationale qu’à ses structures internes, aussi lamentablement antidémocratiques soient-elles devenues. 11. Le présent rapport commence donc par reconnaître les immenses enjeux que l’issue de cette lutte revêt pour l’Ukraine, l’Occident et la Russie. L’avenir de l’Ukraine pourrait fort bien se décider autour d’une table de négociation ou, de façon plus inquiétante, sur le champ de bataille. Les autorités et le peuple ukrainiens, de même que – dans une certaine mesure – la communauté internationale, ont toutefois pour responsabilité, même en pleine crise actuelle, de jeter les bases et d’entamer le très difficile processus de la transition démocratique et économique que les gouvernements ukrainiens successifs ne sont pas parvenus à mettre en œuvre au cours des vingt dernières années. En conséquence, le présent rapport s’intéresse à la dimension économique de cette série spécifique de défis immédiats et à long terme, tout en reconnaissant dès l’abord que des facteurs militaires sont susceptibles d’éclipser les progrès dans le domaine économique.

II. L’ETAT DE L’ECONOMIE UKRAINIENNE ET LES CONSEQUENCES ECONOMIQUES DIRECTES DE LA GUERRE

12. A la différence des nombreux pays d’Europe orientale qui ont fini par adhérer à l’UE et à l’OTAN, l’Ukraine n’a jamais, en plus de deux décennies, entrepris les réformes difficiles nécessaires à une transition réussie. Ce qui s’est passé en Ukraine peut en fait se décrire comme l’émergence et l’enracinement d’une sorte de capitalisme de copinage de style semi-soviétique et en partie basé sur le marché, qui a permis à des entrepreneurs disposant de contacts politiques de prendre le contrôle des moyens de production et de systématiquement récompenser leurs amis politiques du favoritisme dont ils ont fait l’objet. Face à un Etat faible, à un système légal obéré par son prédécesseur soviétique, à une économie de marché truquée, à des marchés publics non concurrentiels, à une corruption endémique, le fonctionnement de l’économie s’est avéré particulièrement inefficace et coûteux. Les réformes du marché ont toujours été plus rhétoriques que réelles.

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13. Ce système a sapé la concurrence commerciale et entravé l’émergence d’un secteur dynamique de petites et moyennes entreprises, essentielles au maintien et au soutien d’une véritable économie de marché. Bien que très peu de personnes aient véritablement bénéficié de ces structures, l’élite gouvernante ukrainienne est parvenue à obtenir un minimum de soutien en menant de très mauvaises politiques non viables – subventionnement coûteux des énergies fossiles et toute une série d’autres pratiques faussant les prix –, affaiblissant la concurrence et décourageant les investissements nationaux et étrangers. Les « marchés » de l’énergie posaient une série décourageante de problèmes. Des responsables ukrainiens corrompus et leurs amis ont longtemps tiré profit d’achats de gaz au prix subventionné pour le revendre au prix du marché, tout en récoltant d’énormes profits aux dépens du pays (Aslund, 2014). Des pratiques de ce genre n’ont fait qu’encourager l’utilisation improductive d’une ressource stratégique très peu abondante et rendu l’Ukraine de plus en plus vulnérable à l’influence et aux pressions de la Russie. Aucun gouvernement ukrainien post-soviétique n’a, en outre, cherché à remédier systématiquement à ces problèmes fondamentaux, qui n’ont fait qu’empirer au fil du temps. Le niveau de la corruption est ainsi parvenu à une véritable apothéose sous la présidence de Viktor Ianoukovitch, qui aurait accaparé jusqu’à 12 milliards de dollars à son profit et à celui de sa famille (Aslund, 2014). On comprend, dès lors, que Transparency International considère qu’en 2014, l’Ukraine était l’un des pays les plus corrompus au monde, la classant à la 142e place sur 175 pays, soit pire encore que la Russie, classée à la 136e place.

14. Depuis longtemps, les performances de l’économie ukrainienne sont plus médiocres que celles de la plupart des pays voisins, en raison de carences à la fois institutionnelles et politiques. La Pologne, en revanche, qui présentait également un bilan économique catastrophique à la fin de la Guerre froide, a énormément bénéficié de politiques relativement cohérentes, stimulées par un enthousiasme partagé pour un rapprochement avec l’Europe occidentale. La Pologne a heureusement bénéficié des perspectives d’adhésion à l’UE et sa situation en matière de sécurité s’est très nettement améliorée avec son adhésion à l’OTAN. La Turquie, autre pays voisin, a elle aussi bénéficié de son adhésion à l’OTAN, mais elle existe en tant qu’Etat depuis longtemps et n’a pas d’héritage communiste. A l’instar de la Pologne, elle a utilisé la perspective, bien que plus lointaine, d’une adhésion à l’UE pour discipliner son processus de réformes. En dépit de ses nombreuses déficiences, même l’économie russe a connu une croissance plus soutenue que celle de l’Ukraine, bien que cette croissance ait largement reposé sur le développement de son potentiel énergétique et de réformes limitées du marché, ces dernières ayant néanmoins représenté une formidable rationalisation par rapport à l’ancien système économique soviétique. La Russie évolue toutefois actuellement en sens inverse, car le Kremlin et le noyau interne du secteur de la sécurité proche du président Poutine subvertissent désormais les derniers vestiges de l’autonomie du marché. En comparaison avec un pays tel que la Pologne en particulier, qui a très tôt, et sans ambiguïté, clairement manifesté ses ambitions euro-atlantiques après la chute du Mur de Berlin, l’Ukraine n’a entrepris que des réformes pouvant être qualifiées, au mieux, de partielles. La corruption est restée endémique, l’Etat naissant était faible et le pays n’avait trouvé aucun consensus durable quant à ses relations avec l’Occident et la Russie.

15. Les gouvernements ukrainiens successifs avaient depuis longtemps promis des réformes, mais aucun d’eux n’est parvenu à les mettre en œuvre. Après son élection en 2010, Viktor Ianoukovitch s’est même engagé à procéder à de substantielles réformes économiques et certains indices permettaient de penser qu’il le ferait avec le soutien du FMI et de l’UE. Le FMI conclut donc un accord de confirmation avec l’Ukraine pour un montant de 15 milliards de dollars. Le prêt ne fut toutefois jamais pleinement versé, car les autorités de Kyiv s’écartèrent rapidement du programme de libéralisation auquel elles s’étaient engagées. Le FMI attendait de l’Ukraine une diminution des subventions gazières, faussant le système de fixation des prix et générant d’énormes possibilités de corruption. Le FMI réclamait également une forte diminution du déficit budgétaire, lié aux très onéreuses subventions gazières et à un système de retraites d’un coût

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intenable, se caractérisant par des âges de départ à la retraite excessivement précoces. En fin de compte, le gouvernement ukrainien n’a réglé qu’en partie les problèmes des retraites et a ignoré les autres défis essentiels, ne laissant au FMI d’autre choix que d’annuler le programme.

16. Au cours des deux années suivantes, la situation de l’Ukraine n’a fait que s’aggraver alors que la croissance diminuait. En septembre 2013, le niveau de la dette publique grimpa à 38 % du PIB, tandis que le déficit des comptes courants atteignait 6 % du PIB. La hryvnia demeurait arrimée au dollar, pénalisant les exportations ukrainiennes et nécessitant le maintien par les autorités de taux d’intérêt élevés – d’où le coût prohibitif du capital. En août 2013, les réserves passèrent de 38 milliards de dollars à 21,7 milliards, ne permettant plus de couvrir que 2,7 mois d’importations (Aslund, 2013). Dans ce contexte macro-économique, les réserves bancaires fondirent jusqu’à des niveaux dangereusement bas.

17. L’économie ukrainienne s’orientait donc déjà vers un atterrissage brutal, dans la foulée de la révolution de la place Maïdan et, sans aucun doute, vers des résultats économiques désastreux du pays associés à une coûteuse corruption endémique, ce qui a suscité une profonde désillusion au sein de l’opinion publique à l’encontre du gouvernement Ianoukovitch. La décision de dernière minute de ce gouvernement de rejeter l’Accord d’association proposé avec l’Union européenne a sans doute été la plus grave de ce que de nombreux Ukrainiens (mais certainement pas tous) ont considéré comme une série inexcusable d’occasions manquées.

18. Le paradoxe de ce qui s’est passé en Ukraine au cours de l’année écoulée est que le nouveau gouvernement a finalement et sans ambiguïté décidé d’approfondir l’intégration avec l’Occident et adopté un programme de sérieuses réformes en ce sens, mais qu’il est contraint de payer le prix fort pour cette décision, sous la forme de la perte de la Crimée et d’une insurrection suscitée et soutenue par Moscou dans l’Est du pays. En dépit de ces revers, le nouveau gouvernement est parvenu à promouvoir une liste impressionnante de réformes.

19. Le 1er avril 2015, les prix du gaz ont été augmentés de 330 % et alignés sur les prix mondiaux. La communauté internationale soutient fortement cette initiative, que certains qualifient de plus importante réforme économique initiée à ce jour. Les subventions gazières représentaient une énorme source de corruption et conduisaient à la recherche d’une rente parasitaire et à une distorsion ahurissante des prix pratiqués. Les prix subventionnés représentaient la principale raison de l’utilisation si inefficace de l’énergie par l’Ukraine, qui plaçait le pays dans une situation de forte dépendance par rapport aux importations énergétiques russes et à la merci de toutes sortes de manipulations politiques extérieures. Le gouvernement a décidé cette hausse considérable au printemps 2015 afin de donner le temps aux consommateurs et aux producteurs de s’adapter à une tarification de pénurie avant le retour de l’hiver. Il est important de noter qu’un soutien financier sera apporté aux plus démunis, afin de les aider à couvrir leur coût de base en matière de chauffage.

20. Le gouvernement a en outre supprimé une myriade d’organismes de contrôle, de licences, permis et certifications qui bloquaient la voie aux entrepreneurs ambitieux et protégeaient les oligarques, tout en créant un environnement fécond pour la corruption (Wolf). Ce même gouvernement vient toutefois d’annoncer qu’il devra consacrer plus de 5 % du PIB national au renforcement de ses capacités militaires et l’on ne voit guère comment il pourra gérer simultanément les réformes et la guerre sans bénéficier d’un soutien international substantiel (Jaresko).

21. Comme déjà mentionné, le gouvernement ukrainien a signé en mars 2014 l’accord avec l’UE auquel Ianoukovitch avait décidé de renoncer, mais la situation économique demeure préoccupante et peut encore s’aggraver. L’économie ukrainienne s’est contractée de 6,7 % en 2014 et ce recul s’est encore accentué de manière inattendue au premier trimestre 2015, de 17,6 % comparé au premier trimestre 2014. Cette forte détérioration résulte dans une large

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mesure, de l’incertitude et du coût liés à la guerre et l’on peut se demander si les 17,5 milliards de dollars fournis sur quatre ans par le FMI dans le cadre d’un mécanisme élargi de crédit seront suffisants pour corriger la situation (Focus Economics). Début janvier 2015, le cours des obligations ukrainiennes a atteint un niveau historiquement bas, les investisseurs redoutant une éventuelle défaillance. Les réserves en devises étrangères sont passées de 16,3 milliards en novembre 2014 à 9 milliards de dollars en mai 2015. Il s’agissait là du niveau le plus bas atteint en dix ans. Les réserves en devises se sont fortement taries en raison d’abord du service de la dette, mais aussi des efforts des autorités pour défendre l’arrimage de la monnaie nationale au dollar (Olearchyk, 6 février 2015). 22. En mai 2015, la dette publique de l’Ukraine atteignait environ 100 % du PIB, cette dette étant, pour une grande part, libellée en devises étrangères. Au cours du premier trimestre 2015, le PIB ukrainien a reculé de 18 % par rapport à l’année précédente. L’Ukraine devra rembourser 6 milliards de dollars l’année prochaine et ses réserves en devises étrangères n’atteignent actuellement que moins de 10 milliards de dollars. Le FMI, qui a approuvé un mécanisme élargi de crédit en mars 2015, est très clair quant à ses attentes. Il veut que le gouvernement fasse passer le ratio dette/PIB sous les 71 % pour 2020. Le FMI a demandé aux autorités ukrainiennes d’établir un objectif financier dans le cadre duquel elles maintiendront le financement brut annuel à 10 % du PIB en moyenne entre 2019 et 2025, sans dépasser 25 % au cours d’une année donnée. Pour atteindre cet objectif difficile, l’Ukraine devra parvenir à un accord avec ses créanciers, mais elle n’y est pas parvenue pour l’instant. Elle cherche à repousser les calendriers de remboursement et à réduire le total de sa dette, mais ses créanciers se limitent à accepter un report des dates d’échéance. Un accord sera nécessaire pour le déblocage de la tranche en attente de 2,5 milliards de dollars liée au prêt du FMI (The Economist).

23. Lors de pourparlers difficiles en mai 2015, l’Ukraine a rejeté une proposition de restructuration de sa dette établie par des créanciers étrangers détenant 9 milliards de dollars d’obligations d’Etat. Le gouvernement a accepté de réduire l’endettement de l’Ukraine de 15,3 milliards de dollars au cours des quatre années à venir, mais les créanciers voudraient que cet objectif soit porté à 15,8 milliards de dollars. Une restructuration impliquerait de regrouper la dette extérieure du pays en une ou deux obligations et de prévoir un report du calendrier de remboursement pouvant atteindre dix ans. Tous les versements d’intérêts dus au cours des quatre années à venir seraient reportés et les obligations seraient structurées suivant un calendrier de remboursement échelonné. La ministre des Finances ukrainienne, Natalia Jaresko, veut que les détenteurs de la dette de l’Ukraine acceptent une réduction du capital qui leur est dû et demande en outre une prolongation des dates d’échéance et des réductions des coupons. Les créanciers de l’Ukraine s’opposent à cette décote, estimant qu’elle ne fera que retarder le retour du pays sur les marchés mondiaux des capitaux, tout en renchérissant le coût à long terme du capital. Jusqu’à présent, l’Ukraine a honoré tous ses engagements liés aux neuf obligations et prêts associés à son programme de restructuration. Il convient de noter que la Russie, qui détient une obligation devant être remboursée en décembre 2015, ne participe pas à ces négociations (More & Buckley).

24. Le gouvernement projette également une réforme fiscale et des réductions de dépenses pour contribuer à placer la dette sur une base solide. D’après les estimations, cinquante pour cent de l’économie ukrainienne échappe à la taxation. Des efforts seront nécessaires pour l’intégration de l’économie souterraine dans l’économie officielle. Un des moyens d’y parvenir consiste à améliorer les services publics, afin que les citoyens comprennent que les impôts qu’ils paient financent réellement des activités utiles à la société plutôt que la corruption. Un système de TVA électronique rendra la fraude plus difficile et une amnistie fiscale incite certains fraudeurs à officialiser leur situation et à sortir de l’ombre. Ces innovations politiques entraînent une augmentation des recettes fiscales. Des efforts sont en outre en cours pour réduire le coût du système de retraites, qui est déjà passé de 18 % à 14 % du PIB.

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25. L’Ukraine est également confrontée à de graves difficultés monétaires. En février 2015, après une dégradation manifeste de la situation en matière de sécurité dans l’Est, la hryvnia a chuté de 30 % en un jour, pour atteindre un niveau historiquement bas par rapport au dollar, directement après que la banque centrale a renoncé à ses efforts pour soutenir la monnaie. Le même mois, la banque centrale portait son taux directeur à 19,5 %, parallèlement à l’abandon de l’arrimage au dollar, cherchant plutôt à juguler l’inflation. Cette décision ne pouvait que ralentir la croissance économique et c’est effectivement ce qui s’est passé. Fin avril 2015, le hryvnia avait perdu deux tiers de sa valeur par rapport au dollar en janvier 2015.

26. La plupart des banques ukrainiennes sont inondées de dettes irrécouvrables et pâtissent depuis longtemps d’une mauvaise gestion et de la corruption. Nadra Bank, la onzième banque en termes d’actifs, s’est déclarée en cessation de paiement début 2015 et d’autres établissements bancaires feront probablement de même si l’économie demeure engluée dans la récession. Inutile de dire que les investisseurs potentiels sont désormais confrontés à de formidables primes de risque. Les obligations ukrainiennes se négocient actuellement avec une très forte décote et il est à craindre que les détenteurs de cette dette devront à terme accepter des réductions de créances (Olearchyk & Buckley). Le nouveau gouvernement a annoncé son intention d’élargir la base d’imposition en haussant les impôts touchant les contribuables les plus riches, d’éliminer toute une série d’échappatoires fiscales et de faire passer une plus large part de l’économie souterraine dans l’économie officielle taxable.

27. Le gouvernement reconnaît en outre qu’il doit lui-même faire l’objet d’une rationalisation et que certains licenciements semblent désormais inévitables au sein d’un secteur public en sureffectif et très inefficace. Ce même gouvernement s’apprête de surcroît à établir de nouvelles normes en matière de politique sociale et aura recours à des moyens plus précis pour déterminer quels sont les citoyens qui ont réellement besoin d’un soutien public. Ces efforts iront de pair avec une très nette réduction – déjà entamée – des subventions énergétiques, et que la plupart des économistes considèrent comme essentielle pour initier le processus de rationalisation économique et effacer un lourd héritage de corruption. Une déréglementation, de nouvelles privatisations et une législation antitrust sont également probables. La Banque mondiale considère que de telles mesures structurelles représentent le meilleur moyen de contrer les chocs économiques exogènes liés à l’effondrement de la sécurité dans l’est. 28. D’après les estimations, les opérations militaires coûtent actuellement au gouvernement ukrainien de 5 à 10 millions de dollars par jour (Herszenhorn), mais les dommages aux infrastructures du pays, la perte de relations commerciales et les graves incertitudes économiques et en matière de sécurité ont un coût beaucoup plus élevé. Depuis le début du conflit, les autorités de Kyiv continuent à fournir chauffage, électricité et eau aux régions contrôlées par les séparatistes pour un coût dépassant le milliard de dollars par an, alors que ces régions n’acquittent plus d’impôts à l’Etat ukrainien. Aux termes de l’accord de Minsk, Kyiv a promis de rétablir le paiement des salaires des fonctionnaires et des retraites dans l’est, de même qu’un éventail d’autres services. Si ces mesures sont appliquées, elles pourraient entraîner des charges supplémentaires venant s’ajouter à des problèmes budgétaires déjà très aigus, mais il existe des obstacles manifestes pour effectuer des paiements dans la région. 650 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays sont recensées par les autorités et bénéficient d’une aide sociale. L’UNICEF signale, en outre, que 1,7 million d’enfants sont affectés par la guerre. Les coûts humains du conflit sont donc très élevés et représenteront une charge durable pour l’Etat ukrainien (Jaresko).

29. D’autre part, la guerre sape les bases de l’industrie ukrainienne. D’innombrables usines sont endommagées ou détruites dans la région. Une nouvelle usine de Cargill d’une valeur de 80 millions de dollars située près de Donetsk et qui constituait l’un des plus importants investissements commerciaux en Ukraine, a été mise à l’arrêt lorsque des combattants pro-russes sont entrés dans les bâtiments. Ceux-ci ont depuis lors été détruits lors des combats

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(Wigglesworth & Olearchyk). La verrerie Merefa, qui employait 2 000 personnes, est désormais fermée en raison des pannes d’équipements et de la perte de fournisseurs essentiels situés en Crimée. L’entreprise de haute technologie Yuzhmash, qui fournissait des missiles à l’armée russe, a fermé ses portes car elle n’a plus accès au marché russe, et la Mryia Agro Holding Company, l’une des plus importantes firmes agricoles ukrainiennes, est au bord de la faillite, avec des dettes s’élevant à plus d’un milliard de dollars (Herszenhorn). Le président Porochenko affirme que des insurgés ukrainiens et des unités russes opérant dans le Donbass s’approprient illégalement certaines usines, démantèlent les installations et les expédient en Russie. Il ne s’agit là que de quelques exemples de la large crise déferlant sur le paysage industriel ukrainien et qui menace de faillite de nombreuses entreprises et l’économie de la région.30. La situation dans le Donbass est d’ailleurs désespérée. D’après les Nations unies, deux des cinq millions d’habitants ont quitté l’enclave depuis mars 2014. Ceux qui ont fui la région incluent la plupart des membres de la classe moyenne, des professionnels et des diplômés, laissant derrière eux des groupes très vulnérables composés de nombreux retraités et d’enfants. La production industrielle de la région a diminué d’un tiers en 2014 et continue à s’effondrer. Le Donbass est en outre confronté à des pénuries d’eau, d’électricité et de gaz, et moins d’un tiers de la population bénéficie d’un salaire régulier. Le niveau de la corruption est ahurissant ; associé aux nombreux affrontements, il a pratiquement mis fin à toute activité économique normale. Le Donbass est devenu un véritable gouffre financier pour la Russie, qui l’occupe de fait, mais sans le reconnaître officiellement, gouffre qui ne pourra que se creuser au fil du temps. Tout indique que les séparatistes ne parviennent pas à attirer de nouvelles recrues, en particulier parce que le mouvement a causé un désastre dans la région et semble enregistrer un taux élevé de pertes (3 000 morts d’après les estimations, ainsi que 1 750 disparus au combat confirmés et 1 250 portés disparus et morts présumés) (Motyl). En partie pour cette raison, le rôle des « volontaires » russes est en augmentation, ce qui suscite le ressentiment local tout en représentant un fardeau croissant pour la Russie elle-même, qui doit notamment entretenir la fiction selon laquelle ses forces ne sont pas directement impliquées dans le conflit.

31. Les pertes de l’Ukraine en Crimée sont également substantielles. L’occupation et l’annexion illégale et non reconnue par la Russie de cette péninsule soulèvent la question du contrôle d’une part importante du plateau continental de la mer Noire et des zones économiques exclusives liées à ce contrôle. Il est très probable que la Russie revendiquera des droits sur certaines parties du plateau continental et de la zone économique exclusive de l’Ukraine, susceptibles d’abriter d’importants gisements d’hydrocarbures. Les autres pays de la mer Noire et la majeure partie de la communauté internationale ne reconnaîtront pas la légalité de toute tentative de Moscou d’étendre sa juridiction maritime sur ces eaux litigieuses, même si le renforcement des dispositifs militaires russes en Crimée risque de compliquer toute contestation directe de ces revendications. D’autre part, les investisseurs internationaux ne joueront certainement aucun rôle dans ces eaux, en raison des sanctions et de la grave incertitude qui pèsent sur leur statut définitif. C’est ainsi, par exemple, que la Russie pourrait chercher à renégocier les accords de démarcation conclus par l’Ukraine avec d’autres pays riverains de la mer Noire, mais seuls quelques rares pays - et aucun pays européen ou nord-américain – reconnaissent la souveraineté russe sur ce qui demeure légalement un territoire ukrainien (Allison).

32. Il n’est dès lors pas surprenant que les prévisions à court terme pour l’Ukraine soient loin d’être roses. La Banque mondiale prévoit désormais une contraction de 7,5 % du PIB en 2015, soit bien davantage que ses prévisions initiales de -2,3 % et que l’actuelle prévision de diminution de 5,5 % du FMI (Deutsche Welle). La Banque considère le conflit dans l’est comme la cause principale de ce recul. La stabilité et le redressement du système bancaire sont nécessaires pour remettre le pays sur les rails. Le FMI considère que l’Ukraine a besoin de 40 milliards de dollars pour maintenir son économie à flot.

III. LES RELATIONS AVEC L’UE

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33. L’Ukraine a été confrontée à un défi bien plus considérable en matière de transition que la plupart des autres anciens pays communistes. En tout premier lieu, elle ne bénéficiait pas d’un statut souverain dans le système soviétique, ce qui l’a privée de l’expérience de base et des institutions relevant d’un Etat, et que des pays comme la Pologne et la Hongrie ont conservé en dépit de leur appartenance forcée à l’orbite soviétique. Après l’effondrement de l’Union soviétique, rares étaient ceux qui, en Europe, considéraient l’Ukraine comme un candidat prêt à l’adhésion à l’UE, car elle était confrontée aux défis liés à la définition de l’architecture d’un Etat viable et à la nécessité de développer des pratiques essentielles à son administration. Cela s’avéra être un véritable casse-tête, car – en l’absence de perspectives d’adhésion – l’Ukraine ne bénéficiait ni d’un soutien extérieur ni d’incitants intérieurs qui auraient pu renforcer le processus d’édification de l’Etat. Même si le pays a connu des taux de croissance relativement élevés entre 2002 et 2008, ses structures de gouvernance ont toujours été extrêmement faibles, rendant ainsi l’ensemble du système vulnérable aux chocs politiques et économiques, à la corruption et à l’ingérence extérieure.

34. L’Ukraine exprima pour la première fois son intérêt pour une adhésion à l’UE en 1995, mais – pour l’essentiel – la question fut renvoyée aux calendes grecques par Bruxelles, qui à l’époque devait déjà gérer l’entrée dans l’Union de pays plus proches. L’Ukraine avait pour sa part un long chemin à parcourir pour satisfaire aux exigences de l’adhésion et beaucoup considéraient en outre que l’UE devait parvenir à certains arrangements avec la Russie, puisque la Russie elle-même s’adaptait à la réalité post-soviétique. En 2003, l’UE initia la Politique européenne de voisinage (PEV), offrant un nouveau vecteur pour l’approfondissement des liens avec la Russie, l’Ukraine, le Bélarus, l’Azerbaïdjan et la Moldova, notamment en offrant à ces pays un plus grand accès au marché européen. La Russie choisit cependant de ne pas participer et finit par marquer son accord pour un statut différent, par le biais de l’initiative des espaces communs entre l’UE et la Russie. A l’instar de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan et de la Géorgie, l’Ukraine finit par adhérer à la PEV.

35. Après la Révolution orange, entamée en novembre 2004, l’Ukraine conclut un plan d’action avec l’UE, destiné à préparer le développement de relations plus étroites encore. Ce plan se focalisait en grande partie sur les réformes intérieures, la plupart desquelles étant nécessaires à l’Ukraine pour assurer tout simplement son intégration compétitive dans l’économie mondiale et son adhésion à des institutions économiques essentielles telles que l’OMC. L’UE commença à négocier un Accord de libre-échange approfondi et complet (ALEAC) avec Kyiv en mai 2009 et initia le Partenariat oriental dans le cadre de sa Politique de voisinage, afin de faciliter une intégration sans cesse plus étroite entre l’Union et six pays partenaires d’Europe orientale (Aslund, 2013). Les relations entre ces pays et l’UE devaient être renforcées par le biais du Processus de stabilisation et d’association, conçu pour aider ces partenaires à adopter des éléments clefs de l’acquis communautaire, contribuer à l’amélioration de la gouvernance et faciliter l’intégration desdits pays au marché européen et, par extension, au marché mondial.

36. L’Ukraine poursuivit les négociations ALEAC après l’élection de Viktor Ianoukovitch à la présidence en 2010, mais l’UE refusa en fin de compte de signer l’accord final en raison de graves préoccupations relatives au respect des droits humains en Ukraine sous M. Ianoukovitch. L’arrestation et l’incarcération de l’ex-Première ministre Ioulia Tymochenko s’avéra être le principal point d’achoppement. L’UE n’en parapha pas moins l’accord en juillet 2012, tout en conditionnant sa ratification à l’amélioration du respect des droits humains en Ukraine. Lorsque des signes d’amélioration apparurent dans ce domaine, les deux parties progressèrent rapidement en vue de la conclusion d’un accord ALEAC ambitieux.

37. Le fait que la crise actuelle avec la Russie ait commencé après que le président Viktor Ianoukovitch, soumis aux énormes pressions du Kremlin, a annoncé en novembre 2013 que son gouvernement avait décidé de ne pas signer l’Accord d’association entre l’Ukraine et

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l’Union européenne n’est absolument pas fortuit. Cette annonce est survenue à la veille du Sommet de Vilnius, où le traité devait être signé. Lorsque M. Ianoukovitch a fini par céder aux intenses pressions russes, les manifestations de la place Maïdan ont débuté, débouchant sur le mystérieux départ du président pour la Russie en février 2014, la création d’un gouvernement intérimaire dirigé par Arseni Iatseniouk et le début des actions militaires russes en Crimée, puis dans la région du Donbass.

38. La question du droit souverain de l’Ukraine à négocier un pacte commercial avec l’UE et, par extension, à mener sa propre politique économique nationale est donc au cœur de la crise actuelle. D’après les dirigeants russes, la révolution ayant débuté sur la place Maïdan résultait de l’ingérence de l’Occident et du soutien de celui-ci à une faction pro-européenne (allègrement qualifiée de fasciste par le Kremlin). Ils déclaraient en outre que, si les dirigeants ukrainiens signaient un pacte commercial avec l’UE, la Russie aurait le feu vert pour annexer la Crimée, chercher à déstabiliser l’est de l’Ukraine et y provoquer un conflit gelé. C’est précisément ce que la Russie a fait, mais cela n’a absolument pas modifié le désir de Kyiv d’établir un partenariat plus étroit avec l’Union européenne. Le comportement du Kremlin a, en outre, suscité le soutien de l’opinion publique en faveur d’un resserrement des relations avec l’UE, que les Ukrainiens considèrent de plus en plus comme allant de pair avec des réformes institutionnelles, politiques et économiques indispensables.

39. L’Accord d’association UE-Ukraine signé le 21 mars 2014 et ses chapitres additionnels signés le 27 juin 2014 prévoient d’ailleurs un certain degré de convergence de la politique économique, des législations et des réglementations dans un large éventail de domaines, dont le droit du travail, l’exemption de visa pour la circulation des personnes, la justice, la modernisation des infrastructures énergétiques ukrainiennes et l’accès par l’Ukraine à la Banque européenne d’investissement. L’Ukraine s’est pour sa part engagée à œuvrer à l’adoption des normes techniques et de protection des consommateurs de l’UE, tandis que celle-ci apportera son soutien financier et technique, tout en octroyant un accès préférentiel à son marché. L’accord prévoit la conclusion d’un Accord de libre-échange approfondi et complet (ALEAC), présentant un cadre libéral pour renforcer les relations commerciales, tout en offrant à l’Ukraine un meilleur accès à son marché par le biais de la suppression progressive des droits de douane et des quotas, ainsi que par l’harmonisation des législations et des réglementations dans toute une série de secteurs liés au commerce. L’accord prévoit, en outre, la convergence de l’Ukraine vers la Politique de sécurité et de défense commune de l’UE et les politiques de l’Agence européenne de défense, de même que des réunions au sommet régulières, ainsi que toute une série de réunions bilatérales officielles entre ministres, hauts responsables et experts politiques. Cette convergence repose sur des valeurs communes, incluant le respect intégral des principes démocratiques, la primauté du droit, une bonne gouvernance, ainsi que le respect des droits humains et des libertés fondamentales. L’Accord d’association entrera en vigueur lorsque tous les Etats membres et l’Ukraine l’auront ratifié. Il remplacera l’ancien Accord de partenariat et de coopération UE-Ukraine comme cadre légal des relations bilatérales (European external action service, site internet).

40. Comme nous l’avons dit, Moscou a exprimé de très fortes réserves face à cet accord, mais sa position est très alambiquée. Un certain nombre de mesures commerciales adoptées par Moscou en réaction à l’accord violent probablement ses obligations dans le cadre de l’OMC. En juillet 2013 déjà, en violation de ces obligations, la Russie a imposé des sanctions à l’Ukraine afin de faire pression sur Kyiv pour qu’elle rejette l’ALEAC et adhère à son union douanière avec le Belarus et le Kazakhstan. Il convient de noter que l’ALEAC avec l’UE n’exclut pas des accords économiques de l’Ukraine avec des tiers, ce qui ne serait pas le cas si elle adhérait à l’Union commerciale eurasiatique, qui exigerait de Kyiv une cession de sa souveraineté en matière commerciale. En août 2013, les autorités russes ont décrété que toutes les entreprises ukrainiennes présentaient « un risque élevé » et qu’elles feraient donc l’objet de contrôles fastidieux à la frontière, une procédure qui, pour l’essentiel, empêche l’entrée de marchandises

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ukrainiennes sur le marché russe. La Russie a ultérieurement officiellement levé ces restrictions, mais les problèmes persistent à la frontière, en particulier parce que Moscou empêche tout simplement l’Ukraine de contrôler cette frontière. La Russie utilise en permanence l’accès à son propre marché pour faire pression sur l’Ukraine, afin de l’empêcher de conclure des accords commerciaux particuliers avec l’UE et de la forcer à rejoindre l’Union économique eurasiatique.

41. La perspective de faire partie d’une union douanière dominée par la Russie est loin d’être réconfortante pour l’Ukraine et les éventuels avantages économiques offerts sont très maigres. C’est ainsi par exemple que, en joignant cette union, le Kazakhstan a été contraint de faire passer ses droits de douane moyens de 6,7 % à 11,1 % sur une base déséquilibrée et que cette adhésion lui fait pratiquement perdre toute capacité de négocier un accord séparé avec l’OMC. L’économiste suédois Anders Aslund a analysé diverses études comparant les coûts et les avantages de l’adhésion par l’Ukraine à l’Union économique eurasiatique et à l’ALEAC. L’une de ces études effectuée par Movchan et Giucci indique par exemple que l’ALEAC pourrait signifier un accroissement du PIB de l’Ukraine pouvant atteindre 11,8 % à long terme, à la suite de la création d’échanges commerciaux et des réformes structurelles spécifiées par l’accord, tandis qu’une l’adhésion à l’Union économique eurasiatique réduirait probablement ce PIB de 3,7 %, en raison des effets de détournement des flux commerciaux, sapant l’essentiel des avantages normaux liés aux échanges. En d’autres termes, une fois qu’elle aurait adhéré au système commercial dominé par la Russie, l’Ukraine serait contrainte d’importer des marchandises très coûteuses, tout en perdant la possibilité de vendre ses produits sur des marchés où les prix sont élevés (Aslund, 2013). Une union douanière eurasiatique réduirait donc probablement en termes absolus les échanges commerciaux de l’Ukraine. Qui plus est, il est fort peu probable qu’un tel accord commercial ne favorise jamais les réformes libérales intérieures, car c’est précisément ce que le Kremlin redoute le plus.

42. Ces perspectives contrastent fortement avec l’impact potentiel d’un approfondissement des liens avec l’Union européenne, qui générerait entre autres des échanges commerciaux résultant de l’accessibilité accrue de l’Ukraine au vaste marché de l’UE, une augmentation des investissements étrangers directs, un certain degré d’harmonisation des réglementations, avec un moteur favorisant les échanges commerciaux et une amélioration du climat des affaires liée au processus de réformes prévu par l’accord. Tout cela permettrait à l’Ukraine de mieux se positionner sur les marchés internationaux, tout en n’excluant absolument pas, chose importante, la poursuite de relations commerciales avec la Russie, même si celle-ci prétend le contraire.

43. Un rapport récent de la Banque eurasiatique de développement conteste les conclusions de la plupart des études soulignant les avantages pour l’Ukraine d’un resserrement de ses relations commerciales avec l’UE. Anders Aslund est cependant d’avis qu’il s’agit là, pour l’essentiel, d’un tract politique, ne tenant aucun compte de la théorie du commerce contemporaine. Les responsables du Kremlin ont tendance à percevoir les échanges commerciaux internationaux de manière très mercantiliste et comme un jeu à somme nulle, plutôt que comme une solution dynamique qui profite à tous. Un régime commercial ouvert et le genre d’ajustements intérieurs exigé par le marché mondial représentent le fondement même de la prospérité de l’Europe, de l’Amérique du Nord et de l’Asie après la Seconde Guerre mondiale. La Russie semble rejeter cette logique et a de plus en plus tendance à imposer sa vision très étroite des échanges commerciaux aux Etats voisins. L’Ukraine a décidé de résister et Moscou veut désormais faire payer à Kyiv un prix très élevé pour oser défier sa stratégie régionale.

44. L’adhésion à l’Union douanière eurasiatique aurait également empêché l’Ukraine de conclure des accords de libre-échange avec des non-membres et entraîné une beaucoup plus grande dépendance par rapport à la Russie, au sein d’un système commercial coûteux expressément conçu pour assurer l’hégémonie régionale de Moscou. On comprend, dès lors, que les sondages réalisés en Ukraine aient indiqué une claire préférence de l’opinion publique pour l’option occidento-mondiale. Pris en tenaille entre l’opinion de la population ukrainienne et les

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pressions russes, M. Ianoukovitch a cherché à parvenir à un compromis en renonçant à l’accord avec l’UE tout en refusant d’adhérer à l’Union eurasiatique. Personne n’a été satisfait  : pas plus le peuple ukrainien que Vladimir Poutine.

45. L’Ukraine assume ainsi un rôle central dans les aspirations de création d’une Union eurasiatique du Kremlin et celui-ci a, en conséquence, imaginé toute une série de nouvelles objections quant à l’accord que l’Ukraine a conclu avec l’UE. C’est ainsi par exemple que, selon Moscou, l’ALEAC entraînera un afflux massif de produits de l’UE transitant par l’Ukraine en Russie. Cette affirmation ne tient toutefois pas compte des règles d’origine de l’OMC, qui empêchent des marchandises produites dans l’UE d’être simplement revendues en Russie en prétendant qu’il s’agit de marchandises ukrainiennes. Cela ne pourrait être possible que pour un nombre très limité de biens intermédiaires.

46. La Russie prétend également que l’adoption des normes de l’UE concernant les produits empêchera toute fabrication par l’Ukraine suivant les normes russes. Cette affirmation est au mieux fallacieuse. Les normes relatives aux produits spécifiées dans l’accord UE-Ukraine couvrent des marchandises que l’Ukraine ne vend en aucune façon à la Russie et rien ne l’empêchera de vendre à la Russie des marchandises fabriquées suivant les normes de celle-ci. La Russie fait encore valoir qu’en octroyant à l’Ukraine un accès privilégié à son marché, l’UE contraindra l’Ukraine à pratiquer une discrimination à l’encontre des marchandises russes. Il s’agit à nouveau d’un faux problème, dans la mesure où de tels arrangements sont tout à fait permis par les règles de l’OMC, auxquelles l’Ukraine et la Russie adhèrent en théorie. Qui plus est, les exportations russes vers l’Ukraine sont principalement centrées sur le secteur énergétique et ne seraient pas affectées par les relations commerciales de Kyiv avec l’UE (Emerson). En 2012, un quart environ des exportations ukrainiennes a été vendu à la Russie et un quart à l’UE, ces deux entités s’adjugeant chacune quelque 30 % des importations ukrainiennes (Aslund, 2013).

IV. LES STRATEGIES INTERNATIONALES POUR AIDER L’UKRAINE

47. Pour l’Europe comme pour les Etats-Unis, la transformation économique et institutionnelle de l’Ukraine représente un objectif essentiel de leurs négociations avec ce pays. Il n’y a toutefois là rien de neuf et, par le passé, ces ambitions ont été déçues. A la suite de la crise en Crimée et alors que les combats font rage dans l’est de l’Ukraine, l’UE, les Etats-Unis et le Canada ont accru leur soutien politique et financier à Kyiv et soulignent désormais que l’avenir même de l’Ukraine est en partie subordonné à sa capacité et à sa volonté de procéder à des réformes profondes et durables.

48. Dans le cadre du soutien apporté par l’UE au gouvernement ukrainien, la Commission a lancé en 2014 deux programmes d’Assistance macro-financière d’un montant de 1,612 milliard d’euros. Le versement de la dernière tranche (250 millions d’euros) est attendu pour le printemps 2015 et conditionné par des progrès du programme de réformes ukrainien (Commission européenne). En janvier 2015, l’UE a accordé une aide supplémentaire de 1,8 milliard d’euros à Kyiv. L’objectif initial de cette initiative consiste à soutenir l’Ukraine financièrement, tout en encourageant des réformes structurelles essentielles pour renforcer la gouvernance, créer des conditions propices à une croissance durable et soutenir l’harmonisation législative avec l’UE. Le programme se focalise sur la gestion des finances publiques, la lutte contre la corruption, les politiques commerciales et fiscales, le secteur énergétique et le secteur financier.

49. Les Etats-Unis ont quant à eux fait part de leur ferme engagement à soutenir les efforts ukrainiens en vue d’établir la sécurité et la stabilité, réagir aux besoins humanitaires et de reconstruction, organiser des élections démocratiques, poursuivre les réformes constitutionnelles, lutter contre la corruption et restaurer l’économie. En septembre 2014, ils avaient déjà fourni

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291 millions de dollars d’aide pour l’année en cours et apporté des garanties de prêts à concurrence d’un milliard de dollars, dont 46 millions de dollars d’aide à la sécurité non létale, destinés à l’armée et aux gardes-frontière ukrainiens (Whitehouse.gov). L’administration américaine a promis à l’Ukraine deux milliards de dollars d’aide financière supplémentaire pour l’année 2015, mais cette intervention, associée à l’engagement de l’UE et à d’autres programmes de soutien international, ne suffira pas à aider l’Ukraine à couvrir ses besoins réels pour l’année 2015 (Donnan). Les responsables américains ont déclaré qu’ils pourraient proposer un milliard de dollars supplémentaires dès qu’il sera évident que l’Ukraine respecte les termes des nouveaux prêts du FMI (voir ci-dessous).

50. Le FMI est désormais prêt à proposer à l’Ukraine un autre plan de sauvetage, mais devra réagir rapidement pour permettre à Kyiv d’éviter un désastre financier. Début 2014, le FMI avait offert une enveloppe de 17 milliards de dollars pour aider l’Ukraine à contrer les conséquences de la récession et à réagir efficacement à l’amorce d’une crise de la balance des paiements, mais ce prêt a été abandonné après le début des combats dans l’est du pays. A la fin de l’année 2014, il est apparu que 15 milliards de dollars supplémentaires étaient nécessaires, après la perte par Kyiv d’une partie importante de son territoire oriental. A elles seules, Donetsk and Lougansk assuraient traditionnellement 16 % du PIB ukrainien (Wolf). Après le départ de Victor Ianoukovitch, le FMI a estimé que l’économie enregistrerait une contraction de 5 % en 2014, puis il a revu cette estimation à 6,5 %. Le pourcentage réel pourrait toutefois se situer entre 8 % et 10 % (Wigglesworth). Le ratio de la dette au PIB atteindra probablement les 90 % en 2015, soit plus de deux fois le niveau de 2013. Le FMI considère ce niveau d’endettement insoutenable et est d’avis que l’Ukraine a besoin de 15 milliards de dollars supplémentaires pour éviter un défaut de paiement.

51. L’actuel programme de prêts du FMI est subordonné à l’impression générale que les finances nationales reposent désormais sur une base viable, mais de nombreux experts considèrent que cela n’est pas le cas. Ainsi, si l’Ukraine ne bénéficie pas d’un apport important de capitaux de la part de créanciers internationaux, elle pourrait être contrainte au défaut de paiement. En janvier 2015, cette perspective a suscité une véritable panique sur le marché obligataire ukrainien et un effondrement des cours (Wigglesworth).

52. La convention de prêt de 18 milliards de dollars conclue en 2014 avec le FMI exige des autorités ukrainiennes qu’elles laissent flotter la monnaie. Elle définit également des critères pour garantir un effort soutenu de réduction de la corruption et des lourdeurs bureaucratiques, de même qu’une diminution substantielle des subventions énergétiques considérables. L’accord a été annoncé parallèlement à l’adoption de nouvelles mesures de gel du salaire minimum et d’augmentation de l’impôt sur les sociétés. A l’époque, le gouvernement estimait avoir besoin de 35 à 40 milliards de dollars pour couvrir ses besoins fondamentaux durant les prochaines années, tout en permettant au pays d’honorer ses lourdes obligations financières. Les changements exigés par le FMI sont difficiles, particulièrement à un moment de crise nationale et de guerre, mais les alliés internationaux de l’Ukraine et de nombreux membres du gouvernement considèrent généralement qu’il s’agit de réformes essentielles qui ne peuvent plus être reportées (Erlanger et al.). Il convient de noter que le gouvernement a nommé un responsable à la tête du nouveau Bureau national de lutte contre la corruption.

53. Le 12 février 2015, Christine Lagarde, directrice générale du FMI, a annoncé que l’équipe d’experts du Fonds à Kyiv était parvenue à un accord avec les autorités ukrainiennes sur un nouveau programme de réformes économiques qui serait soutenu par un Mécanisme élargi de crédit de 12,35 milliards SDR – special drawing rights – (soit environ 17,5 milliards de dollars ou 15,5 milliards d’euros) du FMI et des ressources supplémentaires apportées par la communauté internationale dans son ensemble, dont des créanciers bilatéraux. Christine Lagarde a annoncé qu’elle recommandera ce nouveau programme sur quatre ans au Conseil d’administration du FMI. Ledit programme devrait étayer les efforts immédiats de stabilisation économique en

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Ukraine et contribuer à la mise en œuvre d’une série ambitieuse de réformes politiques, visant à placer le pays sur la voie d’une croissance à long terme aboutissant, finalement, au relèvement du niveau de vie. Le nouveau programme du FMI contient un certain nombre de mesures se concentrant sur sa période initiale, dont une restructuration des banques, des réformes de la gouvernance des institutions publiques et des modifications de la législation pour renforcer l’ordre du jour essentiel du gouvernement en matière de lutte contre la corruption et de réformes judiciaires. Ce programme de 17,5 milliards de dollars n’est toutefois pas suffisant pour combler le trou de 40 milliards de dollars des ressources budgétaires auquel Kyiv sera probablement confrontée au cours des quatre prochaines années. Et cela n’inclut pas les formidables obligations qui pèsent sur le secteur privé en raison de la crise, pas plus d’ailleurs que les lourds investissements que les entreprises devront consentir pour satisfaire les normes européennes et se positionner sur le marché mondial alors que les débouchés commerciaux offerts par la Russie disparaissent. 54. En approuvant ce nouveau programme, Christine Lagarde a fait remarquer que l’Ukraine est parvenue à entreprendre un certain nombre de réformes ambitieuses, révélatrices d’une farouche détermination à progresser. Le déficit de 4,6 % du PIB en 2014 est bien en deçà de l’objectif de 5,8 %, en dépit des terribles conditions de sécurité auxquelles le pays est confronté. Qui plus est, l’Ukraine a finalement adopté un régime de change flexible, bien qu’elle ait mis en place des contrôles des mouvements de capitaux pour stabiliser la monnaie. Les autorités ont véritablement entamé le douloureux processus d’ajustement des prix du gaz et du chauffage. En 2014, le prix du gaz pour les ménages a représenté 56 % du prix à l’importation et le prix du chauffage a atteint approximativement 40 % de ce prix. Cela réduit considérablement la pression sur le budget public, mais l’Ukraine devra manifestement consentir davantage d’efforts dans ce domaine et prévoir, sous une forme ou sous une autre, un filet de protection en matière d’énergie pour les plus défavorisés. Le FMI contribuera à la conception et au financement de ces programmes.

55. Le nouveau programme marque également le passage de l’Accord de confirmation antérieur à un Mécanisme élargi de crédit et apportera donc un financement supérieur à celui de l’accord précédent. Il accordera, en outre, davantage de temps à l’Ukraine pour le remboursement des prêts, une plus grande flexibilité dans la dépense des fonds et de meilleures conditions de financement. Le FMI fait également remarquer que le gouvernement de Kyiv devra, à terme, discuter avec les institutions qui détiennent sa dette souveraine afin d’améliorer la viabilité financière à moyen terme. L’ensemble de ces mesures peut être évalué à 40 milliards de dollars sur une période de quatre ans. Le FMI fait preuve de prudence dans ses estimations et souligne que la situation en matière de sécurité dans l’est représente le principal facteur de risque auquel le pays est confronté ; la guerre pourrait en effet saper la confiance des investisseurs et le fonctionnement adéquat du marché ukrainien. Une solution au conflit dans l’est du pays engendrerait des perspectives nettement plus réjouissantes que celles retenues par le FMI dans son évaluation (IMF).

56. Le 12 février 2015, la Banque mondiale a annoncé qu’elle s’apprêtait à fournir 2 milliards de dollars à l’Ukraine en 2015, pour soutenir son budget, procéder à des investissements publics et l’aider à mener les réformes prévues. Ce crédit fait suite aux 3 milliards de dollars accordés en 2014, destinés en grande partie à contribuer au financement des services publics de base (eau, assainissement, chauffage, électricité, routes, soins de santé et services sociaux). La Banque a décidé qu’il convient en priorité d’assister les plus démunis, de soutenir les réformes institutionnelles dans les secteurs gazier et bancaire, d’améliorer la gouvernance, de lutter contre la corruption et d’améliorer l’environnement commercial. La Banque mondiale coordonne étroitement ses efforts avec ceux du FMI. Elle gère également un programme à long terme de soutien budgétaire et d’investissement de 4,5 milliards de dollars en Ukraine afin d’étayer les réformes structurelles, d’améliorer les services publics de base, de protéger les plus démunis et

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d’encourager le développement du secteur privé. Depuis 1992, la Banque mondiale a fourni environ 9 milliards de dollars pour soutenir le pays (World Bank).

57. Il est néanmoins évident qu’un certain nombre des alliés internationaux étrangers de l’Ukraine sont très préoccupés par la persistance d’une corruption profondément enracinée et cherchent à trouver des moyens d’aider l’Etat à réduire ce fléau. Transparency International place l’Ukraine au 142e rang sur la liste des pays les plus corrompus. Les efforts pour empêcher les malversations lors de la conclusion de marchés publics en exigeant la transparence devraient améliorer la situation, mais le problème persiste dans de nombreux autres domaines. Ecartelé entre les traditions civiles modernes européennes et l’ancien code civil soviétique, le système juridique est très inefficace, infiltré par des groupes d’intérêt et constitue désormais une source particulière de préoccupations (The Economist).

V. LA DIMENSION ENERGETIQUE DE LA CRISE

58. Plus de la moitié de l’approvisionnement énergétique primaire de l’Ukraine provient de ses gisements d’uranium et de mines de charbon, bien que le gaz naturel joue un rôle très important dans le bouquet énergétique. Avec 20 milliards environ de mètres cubes, la production nationale de gaz a couvert approximativement 37 % de la consommation totale en 2012, le reste étant fourni par la Russie, via les gazoducs Bratstvo et Soyouz (US Energy Information Administration). L’Ukraine importe, en outre, d’importantes quantités de pétrole de Russie, mais des différends en matière de paiement entraînent l’arrêt ou le retard de certaines livraisons.

59. En dépit de ressources énergétiques propres, le secteur gazier ukrainien constitue un véritable gouffre financier. En 2014, la compagnie publique Naftogaz, en position de monopole, a enregistré un déficit équivalent à 5,7 % du PIB en raison d’un système de subventions très irrationnel et coûteux. Les consommateurs ukrainiens ne paient qu’un cinquième du coût réel du gaz, ce qui génère d’énormes distorsions, ainsi qu’une grave incidence budgétaire. Le système de fixation du prix du gaz représente, en outre, la source majeure de corruption dans le pays et l’UE demande instamment aux autorités la mise en place de compteurs pour mesurer la quantité exacte de gaz provenant de Russie, pour éviter les écarts entre importations officielles et importations réelles. La décision de réduction de ce déficit en quadruplant le prix payé par les consommateurs de gaz entraînera sans nul doute de nouvelles difficultés financières pour ceux-ci, alors que le pays est déjà confronté à des temps difficiles depuis plusieurs années. Toutefois, avec le soutien du FMI, les autorités ont l’intention d’accroître les dépenses sociales de 30 % en 2015. Cette augmentation sera néanmoins probablement inférieure à l’inflation (qui atteint actuellement 60 %) et pourrait, en outre, être moins élevée qu’annoncé en raison de circonstances économiques et stratégiques imprévues.

60. Les marchés énergétiques ukrainiens sont depuis longtemps très opaques et inefficaces. Durant la majeure partie de l’après-Guerre froide, la Russie a fourni la moitié environ du gaz naturel consommé par l’Ukraine. Par la suite, elle n’a pas hésité à interrompre soudainement l’approvisionnement lors de différends politiques et relatifs au prix, même lorsque ceux-ci affectaient la fourniture de gaz à l’Europe orientale et méridionale. La dépendance de l’Ukraine envers l’énergie russe l’a manifestement rendue vulnérable aux interférences politiques du Kremlin, tandis que la corruption qui frappe le secteur a gravement compromis l’autonomie et la force de l’Etat ukrainien. Les dirigeants russes ont utilisé ce moyen de pression pour décourager l’exploitation par l’Ukraine de ses propres ressources énergétiques substantielles. Si l’Ukraine était parvenue à accroître sa propre production énergétique, Kyiv aurait pu accéder à une plus grande autonomie politique et économique. Les nombreux accords énergétiques occultes entre l’Ukraine et la Russie ont fourni de multiples occasions de corrompre l’élite politique ukrainienne.

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61. La situation est manifestement beaucoup plus périlleuse aujourd’hui et les questions énergétiques sont au cœur même des tensions entre les deux pays. Le 16 juin 2014, la Russie a interrompu toutes ses exportations de gaz vers l’Ukraine, contraignant celle-ci à importer du gaz de Pologne et de Hongrie. Par la suite, les compagnies gazières Naftogaz (Ukraine) et Gazprom (Russie) ont intenté l’une vis-à-vis de l’autre des actions devant l’Institut d’arbitrage de la Chambre de commerce de Stockholm, lui demandant d’interpréter les contrats existants et d’établir les obligations de l’une envers l’autre. Naftogaz cherche à obtenir l’annulation des clauses d’enlèvement ferme (« take or pay ») figurant dans les contrats, à modifier le système de calcul du prix du gaz et à récupérer six milliards de dollars de paiements indus pour le gaz fourni depuis 2010. La compagnie ukrainienne fait également valoir que le contrat gazier de 2009 conclu avec Gazprom n’est pas conforme au droit ukrainien, désormais aligné sur le Troisième paquet énergie de l’UE. Naftogaz cherche, en outre, à obtenir des compensations pour le manque à gagner lié aux volumes de gaz en transit et le même traitement que Gazprom accorde à ses autres clients européens, leur permettant de se rapprocher du prix du marché au comptant plutôt que d’être soumis à l’ancienne formule d’indexation sur le prix du pétrole. Gazprom rétorque que Naftogaz lui doit 4,5 milliards de dollars pour des fournitures antérieures de gaz (Radchenko). Il convient de souligner que la position financière de Naftogaz constitue depuis longtemps une lourde charge pour les finances publiques ukrainiennes et que la société doit manifestement être restructurée. Kyiv exige de surcroît que la Russie lui accorde des compensations pour la perte de Chernomorneftegaz, une compagnie énergétique de Crimée exploitant des gisements de 2,2 milliards de mètres cubes de gaz en mer Noire, dont la Russie s’est emparée lors de l’annexion de la péninsule. La procédure d’arbitrage entre Naftogaz et Gazprom est susceptible de durer plusieurs années et la situation demeurera très tendue en raison de la situation dans l’Est.

62. L’Ukraine est l’un des consommateurs de combustible les plus inefficaces au monde. Il s’agit là du résultat d’un héritage structurel du système soviétique irrationnel de fixation des prix et des subventions des prix énergétiques de l’après-Guerre froide (qui coûtent près de 7,5 % du PIB), faussant les coûts d’opportunité réels de l’utilisation de l’énergie. Cette situation reflète également un échec de l’Etat ukrainien post-soviétique et l’incapacité de la classe politique à remédier à cette série de problèmes. Ce n’est pas par hasard si l’industrie ukrainienne se range également parmi les plus gourmandes en énergie au monde et si son ratio utilisation énergétique/extrant est près de deux fois supérieur à celui de la Russie et dix fois celui de la moyenne de l’OCDE (Wigglesworth & Olearchyk). Les politiques énergétiques excessives de l’Ukraine ont longtemps dissimulé les coûts réels d’opportunité et les coûts pour la sécurité résultant de l’importation massive de gaz en provenance d’un seul fournisseur. Désormais, il est clair que le pays est confronté à ce coût, comme c’est d’ailleurs le cas d’un certain nombre de pays européens.

63. Le président Porochenko reconnaît que le problème énergétique de l’Ukraine constitue un défi économique et géopolitique fondamental et il a promis d’y remédier. Comme mentionné précédemment, le FMI a assorti son nouveau prêt à l’Ukraine de conditions liées à des réformes fondamentales du marché énergétique, dont une nette réduction des subventions des combustibles, le remplacement des réseaux de chauffage domestique très peu économiques remontant à l’ère soviétique et la diminution de la consommation énergétique industrielle. Durant des années, le prix du gaz pour les ménages n’a couvert que 15 % du recouvrement des coûts, bien que ce pourcentage se soit accru en 2014. La fin progressive des subventions réduira considérablement la consommation gazière dans le pays et générera de multiples autres économies et réductions de coût, tout en stimulant l’exploitation des ressources énergétiques ukrainiennes, parmi lesquelles de substantielles réserves de pétrole et de gaz non conventionnels. Des prix artificiellement bas et des interférences politiques entravent depuis longtemps le développement du secteur énergétique national (Aslund, 2014). Suite à la récente rupture avec la Russie, il est impératif que l’Ukraine commence à œuvrer en ce sens. Des efforts seront également nécessaires pour rompre avec d’anciennes habitudes, qui encouragent

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notamment les industriels à détourner du gaz fortement subventionné destiné aux ménages pour l’utiliser dans le processus de production (Wigglesworth & Olearchyk). Tout cela devrait produire d’importants avantages économiques à long terme, en rationalisant les signaux envoyés par les prix, en encourageant un degré beaucoup plus élevé d’efficience énergétique, en abaissant la charge que font peser les subventions sur le budget de l’Etat et en réduisant radicalement le niveau de dépendance de l’Ukraine envers l’énergie russe. Il va de soi que cette démarche s’accompagnera de chocs à court terme ; c’est pourquoi un soutien international est indispensable. La rationalisation du marché de l’énergie pourrait offrir à l’Ukraine une beaucoup plus grande liberté stratégique, tout en constituant un élan vers la modernisation industrielle.

64. L’Ukraine doit également relever le défi de son intégration aux systèmes énergétiques européens, afin de diversifier sa base d’approvisionnement et d’augmenter ainsi sa sécurité énergétique. Elle possède un formidable potentiel en tant que centre européen de stockage de gaz et pourrait, à terme, devenir l’une des plates-formes gazières dont l’Europe a besoin pour restructurer son marché. Adéquatement doté de dispositifs d’inversion des flux, le réseau de gazoducs européen pourrait aider l’Ukraine à devenir une importante plate-forme gazière au sein d’un marché européen restructuré (Wieczorkiewicz & Genoese).

VI. CONCLUSIONS

65. Il est révélateur que la crise actuelle entre l’Occident et la Russie à propos de l’Ukraine ait débuté lorsque le gouvernement Ianoukovitch a refusé de signer un traité avec l’UE, en revenant sur sa parole et en contrant l’aspiration de la plupart des Ukrainiens. Cette décision a directement conduit à la rébellion de la place Maïdan, à la fuite de Ianoukovitch en Russie et à la mise en place d’un nouveau gouvernement, qui n’a pas tardé à conclure un accord avec l’UE. La Russie a naturellement manifesté son vif mécontentement. Après avoir exercé d’énormes pressions sur M. Ianoukovitch pour qu’il abandonne le projet européen, elle a réagi militairement après la destitution du président en titre, bien qu’il soit clair que Vladimir Poutine prévoyait depuis longtemps de s’emparer de la Crimée. Il semble, toutefois, que la plus grande crainte de la Russie soit la présence d’une Ukraine libérale et démocratique à sa frontière, étroitement liée à l’Europe, ouverte sur le monde et prospère. Une Ukraine de ce type constituerait un reproche pour l’ordre beaucoup plus opaque et autoritaire mis en place par Vladimir Poutine en Russie. Qui plus est, une Ukraine libérale, démocratique et ouverte ferait naître un espoir pour les Russes de plus en plus marginalisés, qui considèrent que leur pays a raté d’innombrables possibilités de s’engager sur la voie des réformes (Wolf).

66. Le défi actuel pour l’Ukraine consiste non seulement à défendre son intégrité territoriale et sa souveraineté, que la Russie a manifestement l’intention de subvertir, mais également à fermement établir et consolider une primauté du droit obtenue démocratiquement, des mécanismes de gouvernance transparents et efficaces, un niveau d’ouverture plus élevé à l’économie mondiale et des relations plus étroites avec l’Europe. Il s’agit là d’un défi de taille, même en temps de paix ; un défi d’autant plus difficile à relever en raison des opérations militaires en cours dans l’est. L’Ukraine n’a cependant d’autre choix que d’entamer son processus de réformes dès maintenant, en dépit de la situation de crise actuelle.

67. En dépit de la situation difficile à laquelle elle est confrontée – l’occupation de la Crimée, l’horrible traitement réservé à la communauté tatare dans cette région, incluant des arrestations de masse et injustifiées, le recours à la torture et à l’intimidation, des combats dans ses régions de l’Est et un grave problème d’endettement – l’Ukraine est un pays qui offre un remarquable potentiel économique. A la différence de pays comme la Pologne et la République tchèque, elle n’avait jamais entrepris jusqu’à récemment la mise en œuvre du genre de réformes qui se traduit, en fin de compte, par une transition et une modernisation réelles, bien qu’ayant progressé par à-coups dans cette direction. De sérieux progrès ont été réalisés au cours des derniers mois,

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mais les conditions de crise actuelles s’avèrent peu propices. Le rythme des réformes s’est accéléré, avec des changements importants en matière de marchés énergétiques, de régulation des marchés, de gouvernance et de droits des actionnaires. Tout cela devrait donner une impulsion en faveur de réformes encore plus profondes, soutenues par le gouvernement et la communauté internationale.

68. Des réformes économiques fondamentales ne sont jamais faciles à mettre en œuvre et cela peut paraître impossible en temps de guerre. Le programme de réformes ukrainien est peut-être la chose que Vladimir Poutine redoute le plus, car il représente une mise en accusation explicite du genre de régime qu’il a édifié en Russie et qu’il veut voir étendu au « proche voisinage » de la Russie – une expression qui, en soi, exprime un certain dédain pour la souveraineté de ces pays. L’Ukraine ne peut toutefois entreprendre seule ce programme et aura besoin dans un avenir prévisible d’un niveau élevé de solidarité et de soutien à l’échelle internationale. Les autorités et le peuple ukrainiens doivent, pour leur part, demeurer attachés à un ambitieux programme de réformes et cela, même face à une très grave menace intérieure et internationale. Cela entraînera sans nul doute des coûts à court terme, mais permettra de récolter des avantages significatifs à plus long terme. Les Ukrainiens doivent entamer le plus rapidement possible ce programme de réformes. Les autorités russes et leurs partisans à l’intérieur de l’Ukraine veulent éliminer toute possibilité de mise en œuvre de réformes libérales, démocratiques et des marchés, et veulent le faire rapidement. Il s’agit là d’un aspect fondamental de la stratégie militaire de la Russie dans l’est de l’Ukraine.

69. Le tout premier objectif du gouvernement ukrainien consiste à continuer d’améliorer sensiblement la gouvernance de l’économie nationale pour pouvoir donner le coup d’envoi à une transition plus complète et durable. Il doit complètement éliminer les règles complexes et souvent contradictoires qui régissent aujourd’hui les marchés intérieurs et qui, depuis si longtemps, ne font qu’engendrer des possibilités de corruption et de mauvaise gestion. Le nouveau gouvernement doit également promouvoir un environnement qui encourage la création de nouvelles entreprises et industries. Des réformes judiciaire et juridique sont également essentielles, la réforme judiciaire devant demeurer une priorité fondamentale. Le système juridique ukrainien est depuis longtemps écartelé entre le code pénal occidental et les traditions juridiques soviétiques, avec, pour résultat, un ordre judiciaire désespérément corrompu et inefficace. Ce système doit désormais être revu en profondeur et l’aide internationale sera essentielle pour ce faire. Une structure juridique digne de confiance aidera, de multiples manières, le pays à mettre les forces du marché sur les rails. Plus vite il progressera dans ce domaine, mieux cela sera.

70. Le secteur énergétique constitue une base particulièrement opaque et corrompue de l’économie ukrainienne et a longtemps ouvert à la Russie de larges voies d’ingérence dans les affaires économiques et politiques ukrainiennes. Ce secteur exige des réformes en profondeur et notamment une réduction drastique des subventions énergétiques offertes aux consommateurs et aux industriels. Cette démarche est déjà en cours. La modernisation des infrastructures est essentielle à l’édification d’un marché plus efficient, réservant à juste titre à l’énergie le statut de matière première peu abondante. Cela contribuera fortement à réduire la dépendance de l’Ukraine envers un fournisseur russe qui utilise ouvertement sa position sur le marché pour exercer des pressions politiques. Les avantages pour l’Ukraine d’une telle réforme seront à la fois stratégiques et économiques. L’Europe peut apporter son concours, en multipliant le nombre de ses interconnecteurs dotés de dispositifs d’inversion des flux et en trouvant les moyens de faire de l’Ukraine l’un des bénéficiaires potentiels d’un système capable d’acheminer rapidement des fournitures d’urgence de l’ouest vers l’est en cas de chocs au niveau de l’offre.

71. L’adoption d’un système de fixation des prix rationnel pour l’énergie, reflétant mieux les conditions réelles de l’offre et de la demande, stimulera pour sa part les secteurs gazier et pétrolier ukrainiens, longtemps handicapés par les manœuvres douteuses avec la Russie et le

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mode de fixation des prix. L’Ukraine dispose d’un formidable potentiel énergétique et des raisons économiques et stratégiques justifient son exploitation. En 2013 déjà, le gouvernement Ianoukovitch avait élaboré un plan pour parvenir à l’autosuffisance énergétique en 2030. L’objectif était très ambitieux. Il n’est toutefois pas irréalisable si l’Ukraine commence à agir sans tarder. Au moment de la rédaction du présent rapport, Gazprom a annoncé l’arrêt des livraisons de gaz naturel à l’Ukraine, une fois encore en raison d’un différend sur le prix et bien qu’il apparaisse que les tensions politiques constituent très vraisemblablement la véritable raison.

72. Il est également important pour l’Ukraine de récupérer les avoirs spoliés et les fonds générés par la corruption, non seulement pour alimenter les caisses de l’Etat, mais également pour dissuader de futures malversations. Cela enverrait par ailleurs un signal aux bailleurs de fond et aux créanciers internationaux sur la ferme volonté de la nouvelle Ukraine d’établir des normes de gouvernance beaucoup plus élevées dans le pays et d’éliminer une fois pour toutes les anciennes pratiques. La récupération des avoirs ukrainiens spoliés ne constitue pas, en soi, une panacée aux déboires économiques de l’Ukraine, mais cette démarche est importante car elle permet au pays d’affronter à la fois son passé et ceux qui ont subverti la confiance publique et la solidité de l’Etat ukrainien à des fins personnelles. Le soutien international est également essentiel dans ce domaine et les centres bancaires internationaux doivent être prêts à geler les avoirs des acteurs dont les activités politiques et économiques se sont pour l’essentiel focalisées sur la spoliation du peuple ukrainien.

73. Une lutte réussie contre la corruption est essentielle pour permettre à l’Ukraine de se libérer des ingérences directes de la Russie dans ses affaires intérieures. Les marchés publics se prêtent depuis longtemps à la corruption dans le pays et il est impératif que le gouvernement adopte les normes de transparence et de responsabilisation les plus élevées en la matière, afin de générer des économies indispensables, tout en assurant l’autonomie et la force de l’Etat. Cette évolution est fondamentale si l’Ukraine veut satisfaire ses ambitions européennes. L’Europe et l’Amérique du Nord doivent être prêtes à fournir une assistance dans tous les domaines, en créant les structures et en favorisant les attitudes et le savoir-faire qui permettent la mise en place d’une gouvernance responsable. Il est largement prouvé que des acteurs publics et privés s’appuient depuis longtemps sur la corruption et toutes sortes de récompenses pour subvertir la capacité de l’Etat à prendre des décisions autonomes. Ces pratiques ont atteint leur apogée sous l’administration Ianoukovitch, mais le problème était également patent sous les gouvernements précédents, et il persiste aujourd’hui encore. Si les responsables ukrainiens désirent vraiment l’édification d’un Etat fort et autonome capable de défendre l’intérêt national de l’Ukraine, ils devront s’attaquer avec détermination au problème de la corruption. La chose est bien plus facile à dire qu’à faire, mais si le gouvernement continue à afficher sa volonté de poursuivre en ce sens, il devrait pouvoir compter sur un soutien international. Ce combat spécifique peut s’avérer aussi important que les batailles en cours dans les régions de l’est du pays.

74. L’Ukraine est actuellement confrontée à un très grave problème d’endettement et, au moment de la rédaction du présent rapport, demande à ses créanciers d’accepter une réduction de 40 %. Elle a besoin d’urgence d’une très importante injection de capitaux afin d’assurer le fonctionnement de l’Etat. Elle aura toutefois besoin d’un soutien supplémentaire pour mettre en œuvre une véritable transition et promouvoir un environnement qui encourage les investissements dans le secteur privé (Levy & Soros). Les gouvernements nord-américains et européens devront accompagner le prêt du FMI d’un généreux financement supplémentaire pour l’Ukraine afin de soulager les efforts exigés par les créanciers privés et d’aider le pays à commencer à investir dans l’avenir. Cela s’avère essentiel sur les plans économique et politique, et révélera le haut degré de solidarité dont bénéficie le gouvernement ukrainien assiégé. Un éventail de partenariats entre les secteurs public et privé est nécessaire pour aider l’Ukraine à gérer un moment très difficile de son histoire et à saisir l’occasion offerte par les protestataires de la place Maïdan d’édifier un pays ouvert, démocratique et finalement prospère. Un certain

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allégement de la dette serait également le bienvenu et, dans le cadre des sanctions imposées à la Russie, il pourrait même être utile de permettre à l’Ukraine de refuser d’honorer une partie de la dette souscrite par M. Ianoukovitch auprès de celle-ci. Cela serait pleinement justifié, lorsque l’on sait que la Russie a spolié l’Ukraine d’une myriade d’avoirs en Crimée et alimente l’instabilité dans l’est du pays. D’autres pays par le passé ont légalement refusé d’honorer des «  dettes odieuses » souscrites auprès de pays engagés dans des campagnes militaires contre les emprunteurs (Gelpern).

75. La Russie ne se contente pas de fournir des équipements militaires aux séparatistes pro-russes dans l’est de l’Ukraine, mais elle semble également déployer des troupes via des véhicules banalisés dans le pays. Le 13 février 2015, renonçant à envisager que ces déploiements puissent ne pas impliquer directement des ressources militaires russes, le porte-parole du département d’Etat américain a déclaré : « L’armée russe a déployé un grand nombre de pièces d’artillerie et de lance-roquettes multiples autour de Debaltseve, d’où elle pilonne les positions ukrainiennes… Nous sommes sûrs qu’il s’agit de systèmes de l’armée russe et non des séparatistes. L’armée russe a également déployé des systèmes de défense aérienne près de Debaltseve. Nous sommes également sûrs qu’il s’agit de systèmes de l’armée russe et non des séparatistes ». En ajoutant des responsables russes de la défense et deux généraux de haut rang à sa liste noire officielle pour « soutien au déploiement de troupes russes en Ukraine » et pour « implication dans la conception et la mise en œuvre de la campagne militaire des forces russes en Ukraine », la Haute représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, Federica Mogherini, en est désormais officiellement arrivée à la même conclusion (Gregory). D’après un récent rapport du Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, des preuves récentes révèlent que des soldats russes en service actif opèrent en Ukraine, sapant ainsi les accords de cessez-le-feu signés à Minsk (Cumming Bruce). Le nombre de violations du cessez-le-feu s’accroît, avec une augmentation de l’usage de tirs de mortiers et de chars, ce qui chasse les observateurs de l’OSCE de certaines régions contestées et conduit certains à conclure que la portée géographique du conflit pourrait être sur le point de s’étendre (Herszenhorn, 2015).

76. Ces déploiements discrets sont emblématiques de la stratégie hybride poursuivie par la Russie pour déstabiliser l’Ukraine et contrecarrer son programme de libéralisation, tout en niant agir de la sorte. Même si les gouvernements occidentaux sont à juste titre réticents à entamer une guerre par procuration avec la Russie, ils sont de plus en plus consternés par cette violation insolente et illégale de la souveraineté ukrainienne et y réagissent. Il est important de savoir que la Russie a reconnu la souveraineté de l’Ukraine dans le Mémorandum de Budapest de 1994, aux termes duquel l’Ukraine a renoncé à ses armes nucléaires en échange d’une garantie de ses frontières, une série d’accords qui a autant bénéficié à la Russie qu’à l’Occident (Perry & Shultz). L’annexion illégale de la Crimée constitue une violation manifeste et indéfendable de cet engagement. En dépit des dénégations de la Russie quant à son implication, ses déploiements d’armes lourdes et de troupes dans l’est de l’Ukraine sont répréhensibles et illégaux. L’Ukraine a le droit de défendre son territoire face à ces violations et il est dans l’intérêt de la paix et de la sécurité en Europe qu’elle le fasse. Si l’intervention de l’armée russe persiste, les gouvernements occidentaux pourraient devoir envisager la fourniture à l’armée ukrainienne de la formation et des équipements dont elle a besoin pour défendre la souveraineté du pays. Il se pourrait également que la communauté internationale doive alourdir les sanctions contre la Russie et peut-être même de l’exclure du réseau de la Société pour les télécommunications interbancaires mondiales (SWIFT), qui permet aux institutions financières dans le monde d’envoyer et de recevoir des informations sécurisées sur les transactions financières. Cette mesure s’avère particulièrement onéreuse pour l’Iran. Il s’agirait là d’une décision très délicate, tandis que la fourniture d’un soutien militaire direct à l’Ukraine et une exclusion de la Russie du système bancaire mondial présentent des risques incontestables. Mais il est bien plus dangereux encore de permettre à la Russie de bafouer unilatéralement l’accord sur l’Europe de l’après-Guerre froide – ce qu’il faut donc absolument empêcher.

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77. Les pays occidentaux ne devront d’ailleurs jamais répondre favorablement aux prétentions de la Russie à bénéficier d’une sorte de privilège spécial d’exercer un droit de regard sur les décisions souveraines de l’Ukraine, en particulier lorsque ces décisions reflètent des intérêts ukrainiens fondamentaux liés à la restructuration économique et au renforcement de la capacité de l’Etat. Si l’on peut comprendre que la Russie éprouve des préoccupations liées à son voisinage, il existe des moyens d’obtenir des assurances qui n’impliquent pas l’annexion illégale, la déstabilisation et l’opposition à des réformes intérieures. Les préoccupations de l’Ukraine à l’encontre de la Russie sont donc pleinement justifiées et elles sont partagées par l’Europe et l’Amérique du Nord. La Russie n’a aucun droit de veto sur les choix économiques et de politique étrangère de Kyiv et doit être dissuadée d’entretenir de quelconques illusions en ce sens. Communiquer sur ce point exige toutefois une grande solidarité et une coopération très étroite avec le gouvernement ukrainien. Il ne faut pas exclure toute discussion avec Moscou sur ses préoccupations légitimes, mais il ne peut s’agir là d’un moyen de saper l’Etat ukrainien et les choix qu’il fait de manière démocratique.

78. Le grand paradoxe au cœur de la crise actuelle est que Moscou a, en fait, tout intérêt au développement économique à long terme de l’Ukraine, à sa stabilité politique et à son intégration à l’économie mondiale, même si le leadership actuel ne le voit pas. Tout cela profiterait en effet à la Russie elle-même. Son actuelle stratégie de déstabilisation à ses frontières révèle un incroyable manque de clairvoyance et pourrait se retourner contre elle. Il est de plus en plus évident que la Russie cherche à établir un Etat fantoche dans l’est de l’Ukraine, ce qui ne pourrait que déstabiliser non seulement celle-ci mais aussi, toute la région. La communauté internationale doit s’opposer à ces visées de la Russie, contraires aux principes d’une Europe unie, libre et en paix, visées qui ne pourraient mener qu’à un conflit et à des tensions durables en Ukraine et au-delà.

79. L’escalade de la Russie dans l’est, et le débat qui s’amorce en Occident quant à savoir s’il convient de fournir un soutien militaire à l’Ukraine, donnent à penser que pour l’instant, les deux parties campent sur leurs positions. En soutenant sans ambiguïté les forces séparatistes pro-russes qui violent le cessez-le-feu de Minsk II, Vladimir Poutine pourrait à présent renoncer à la flexibilité tactique au profit de l’établissement d’une tête de pont permanente dans l’est de l’Ukraine. Si tel est effectivement le cas, les pays occidentaux doivent être prêts à aider l’Ukraine à contrecarrer cette ambition.

80. A long terme, cependant, la Russie elle-même aura besoin de la perspective d’une transition économique plus complète et de l’établissement d’une base durable pour des relations stables avec ses voisins et la communauté internationale. Ce qui se passe en Ukraine aura donc de très sérieuses implications pour l’orientation future de la Russie. Le projet d’un ordre européen plus harmonieux et intégré, dont la Russie pourrait tirer d’énormes avantages, doit être préservé, même en ces temps très sombres. Une Ukraine prospère et de plus en plus intégrée à l’Europe et à l’économie mondiale ira précisément en ce sens.

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