rendre compte du social cet article des editions lavoisier

26
JEAN-PASCAL GOND Cass Business School, City University London JACQUES IGALENS Toulouse Business School – ESC Toulouse LUC BRÈS Université Laval, Québec (Canada) DRM, université Paris-Dauphine DOI:10.3166/RFG.237.201-226 © 2013 Lavoisier Rendre compte du social L’art du compromis performatif Comment rendre compte du « social » ou encore faire rendre compte aux entreprises de leur responsabilité sociale ? Cet article propose un modèle de compromis performatif pour étudier la façon dont les théories et les idéologies, ainsi que leurs formes d’instrumentation et les catégories d’acteurs qui les produisent interagissent pour constituer l’accountability du social. Ce modèle est évalué empiriquement en comparant deux traductions juridiques de la notion de responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) dans le droit français : la loi sur le bilan social de 1977, et la loi sur les nouvelles régulations économiques de 2001. ACCOUNTABILITY Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur archives-rfg.revuesonline.com

Upload: others

Post on 18-Jun-2022

0 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Rendre compte du social Cet article des Editions Lavoisier

JEAN-PASCAL GONDCass Business School, City University London

JACQUES IGALENSToulouse Business School – ESC Toulouse

LUC BRÈSUniversité Laval, Québec (Canada) DRM, université Paris-Dauphine

DOI:10.3166/RFG.237.201-226 © 2013 Lavoisier

Rendre compte du socialL’art du compromis performatif

Comment rendre compte du « social » ou encore faire rendre compte aux entreprises de leur responsabilité sociale ? Cet article propose un modèle de compromis performatif pour étudier la façon dont les théories et les idéologies, ainsi que leurs formes d’instrumentation et les catégories d’acteurs qui les produisent interagissent pour constituer l’accountability du social. Ce modèle est évalué empiriquement en comparant deux traductions juridiques de la notion de responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) dans le droit français : la loi sur le bilan social de 1977, et la loi sur les nouvelles régulations économiques de 2001.

A C C O U N TA B I L I T Y

Cet

art

icle

des

Edi

tions

Lav

oisi

er e

st d

ispo

nibl

e en

acc

es li

bre

et g

ratu

it su

r ar

chiv

es-r

fg.r

evue

sonl

ine.

com

Page 2: Rendre compte du social Cet article des Editions Lavoisier

202 Revue française de gestion – N° 237/2013

« L’entreprise elle-même a une responsabilité non plus seulement

économique, mais sociale, et elle se doit de rendre des comptes

à la société, comptes qui ne sont plus financiers mais citoyens. »

(Dumez, 2008).

La reddition de comptes sur les dimensions « sociales », « extrafi-nancières » ou encore de « responsa-

bilité sociale » de la gestion est un exercice complexe car il questionne les frontières des prérogatives de l’État et des entreprises, exige la construction d’indicateurs suscep-tibles de capturer ces dimensions, mais surtout suppose l’existence d’une définition du social et de son périmètre. En France, dès les années 1970, les travaux du conseil économique et social (CES) questionnaient la définition même du social :« Peut-être est-il possible de faire l’hy-pothèse qu’à chaque moment, dans une société donnée, sont considérés comme sociaux toute situation ou tout problème concernant les conditions de vie au sens large, et dans lesquels la société considère que sa responsabilité est engagée. Dans ce sens, le concept de “social” se trouve opposé, d’une part, à ce qui est considéré comme étant du ressort strictement indivi-duel, d’autre part, à ce qui apparait comme fatal et échappant à la responsabilité et de l’individu et de la société. » (CES, 1974, p. 789)Cette citation suggère que le contenu du social se modifie avec l’évolution de la société et notamment les transformations du droit. Mais comment se constitue à un moment donné un consensus sur une définition du social ? En d’autres termes :

comment rendre compte du social pour faire rendre compte aux entreprises de leur responsabilité sociale ?C’est la question à laquelle cet article se propose de répondre en proposant une théo-risation de la constitution socio-historique de l’accountability du social qui s’appuie sur la notion de performativité, initialement définie par John Austin comme le pouvoir de certains énoncés linguistiques de « réa-liser » ce qu’ils décrivent (Austin, 1962). Le concept de performativité a été depuis mobilisé par de nombreux auteurs pour rendre compte des processus au travers des-quels des formes de connaissance, des dis-cours et/ou des idéologies se matérialisent et ainsi constituent les phénomènes sociaux autant qu’ils les décrivent ou les représen-tent « idéalement » (Barad, 2003 ; Butler, 2010 ; Callon, 2007 ; Hacking, 1983).Alors qu’une approche critique de la per-formativité comme « recherche d’effi-cience » dans les sociétés post-modernes proposée par Lyotard (1994) se concentre sur l’influence du contexte idéologique et de son instrumentation via les rapports de force entre acteurs pour expliquer la façon dont les formes de compte rendu du social sont constituées, la vision de la performa-tivité comme « création de la réalité par la théorie » proposée par Callon (1998) pour analyser les effets concrets de la théorie économique invite à considérer le rôle des théories et de ceux qui les produisent, ainsi que la matérialisation des théories dans des outils de calcul (Callon et Muniesa, 2005), pour étudier la formation de pratiques de reddition de comptes.Nous proposons un nouveau cadre d’ana-lyse pour rendre compte de la constitution de l’accountability du social comme « com-

Cet

art

icle

des

Edi

tions

Lav

oisi

er e

st d

ispo

nibl

e en

acc

es li

bre

et g

ratu

it su

r ar

chiv

es-r

fg.r

evue

sonl

ine.

com

Page 3: Rendre compte du social Cet article des Editions Lavoisier

Rendre compte du social 203

promis performatif » qui intègre ces deux approches de la performativité dont nous montrons qu’elles sont complémentaires. Ce cadre d’analyse articule quatre compo-santes essentielles dans la constitution d’un compromis performatif dans un contexte socio-historique donné : les concepts ou théories, les idéologies, les instruments et les acteurs. Il vise à rendre compte de la façon dont les idéologies et les concep-tualisations théoriques sont mobilisées ou performées par les acteurs et via la constitu-tion de nouvelles instrumentations lorsque se constituent des formes d’accountability du social.Après avoir introduit notre cadre d’ana-lyse de l’accountability du social comme compromis performatif et présenté notre approche méthodologique comparative his-torique, nous mobilisons notre modèle pour évaluer la constitution de formes de compte rendu du social dans le cadre de la loi sur le bilan social (1977) et de la loi NRE (2001). Les implications de cette étude empirique pour les futurs travaux sur la performa-tivité et l’accountability du social sont finalement discutées avant de conclure en rappelant les principales contributions de cette recherche.

I – RÉINTÉGRER IDÉOLOGIE ET THÉORIE DANS L’ANALYSE DE L’ACCOUNTABILITY DU SOCIAL : LE CONCEPT DE COMPROMIS PERFORMATIF

Pour rendre compte de la façon dont se constituent les formes de reddition de comptes qui portent sur le domaine social, nous mobilisons deux approches de la performativité qui mettent l’accent sur des dimensions distinctes susceptibles

de contribuer à la matérialisation d’une forme stabilisée de compte rendu du social. Nous montrons comment ces perspectives peuvent être intégrées dans un nouveau cadre d’analyse qui appréhende la construc-tion d’une forme d’accountability du social comme « compromis performatif ».

1. La dualité de la performativité dans l’accountability du social

Si tous les auteurs mobilisant le concept de performativité s’appuient sur l’idée fon-datrice d’Austin selon laquelle certains énoncés ont la propriété d’agir en « fai-sant ce qu’ils décrivent » (Austin, 1962), la notion de performativité a ensuite été réinterprétée et élaborée par de multiples auteurs en sciences sociales (ex. théorie du genre avec Butler, 1993) et en philosophie (ex. Derrida, 1979 ou Hacking, 1983) pour rendre compte de la façon dont les identi-tés, les rôles sociaux ou les représentations co-construisent la réalité sociale. Ces pers-pectives ayant offert autant de points d’an-crages aux théoriciens des organisations, il en résulte une polysémie forte du concept de performativité en gestion (Cabantous et al., 2012). Latour (1996, p. 4) affirme que les sciences de gestion « entretiennent un rôle performa-tif capital » car elles définissent des savoirs autant que des savoir-faire, lorsqu’elles ne construisent pas activement leurs propres objets d’étude. Si l’idée selon laquelle le fait de rendre compte du social via les dispositifs comptables contribue à consti-tuer ce qu’est le social en question, deux approches de la performativité semblent plus particulièrement pertinentes pour com-prendre comment se constitue l’accounta-bility du social.

Cet

art

icle

des

Edi

tions

Lav

oisi

er e

st d

ispo

nibl

e en

acc

es li

bre

et g

ratu

it su

r ar

chiv

es-r

fg.r

evue

sonl

ine.

com

Page 4: Rendre compte du social Cet article des Editions Lavoisier

204 Revue française de gestion – N° 237/2013

La performativité selon Lyotard : idéologie de la performance et accountability du social

Une première approche théorise la domina-tion de la rationalité instrumentale comme l’avènement de la « performativité », elle-même définie comme un principe de recherche permanente d’efficience dans les sociétés post-modernes. Cette définition pro-posée par Lyotard (1994, p. 79) dans La Condition Postmoderne a été utilisée par les théoriciens critiques en management pour justifier leur tentative de construire une discipline de gestion « anti-performative » (Fournier et Grey, 2000). Suivant un mode de raisonnement proche de celui de Fou-cault (1975), Lyotard montre comment toute forme de connaissance est inscrite dans une logique de pouvoir et doit désormais faire la preuve de son efficacité (Jones, 2003). Ainsi, il considère l’énoncé performatif d’Austin comme une « figure extrême » ou « idéale » de la performativité définie comme idéologie de la recherche d’efficience (Lyotard, 1994, p. 88), la connaissance devenant elle-même performance. Cette approche de la perfor-mativité comme traduction d’une idéologie en dispositif de mesure de performance est bien illustrée par le modèle d’Hasselblad et Kallinikos (2000) qui met en lumière la façon dont des idéologies et discours influencent la réalité sociale en constituant de nouveaux rôles sociaux et en s’inscrivant progressivement dans des dispositifs et ins-trument de mesure.En adoptant cette approche de la perfor-mativité comme « recherche d’efficience », la constitution d’un mode de reddition de comptes par les entreprises dans le domaine du social peut s’interpréter comme la tra-duction d’une idéologie de la recherche de performance à de nouveaux objets et

domaines. Analyser la constitution de la performativité implique alors de décrire le substrat idéologique sous-jacent à la construction du domaine social et invite à s’attacher à la façon dont ces idéologies sont mobilisées via des jeux de pouvoir pour constituer de nouveaux acteurs et de nouveaux rôles et in fine créer des instru-ments visant à améliorer la performance dans le domaine du social.

La performativité selon Callon : le rôle de la théorie dans l’accountability du social

Le concept de performativité initialement proposé par Austin a fait l’objet d’une autre réappropriation en sociologie de la traduc-tion et ensuite en sociologie économique, suivant la logique de la thèse de « la perfor-mativité de la science économique » énon-cée par Michel Callon dans son ouvrage The Laws of the Markets (1998). Selon cette approche, l’économie (théorique) ne décrit pas son objet, mais le coconstruit active-ment, comme l’ont montré MacKenzie et Millo (2003) dans le cas de la formule de Black et Scholes. Le pouvoir prédictif de la formule au départ très faible n’a fait que s’améliorer au fil de sa mobilisation par les acteurs financiers puis de son incorporation dans les dispositifs matériels utilisés pour calculer le prix des options. Suivant cette approche, les théories construisent la réa-lité du fait, d’une part, de « l’encastrement cognitif » dans des représentations théo-riques, et, d’autre part, que les hypothèses théoriques sont intégrées dans les disposi-tifs de calcul utilisés par les acteurs (Callon et Muniesa, 2005 ; Garcia-Parpet, 1986 ; MacKenzie et Millo, 2003). Cette approche de la performativité est traduite en théorie des organisations par Cabantous et Gond (2011, 2012) qui montrent comment les

Cet

art

icle

des

Edi

tions

Lav

oisi

er e

st d

ispo

nibl

e en

acc

es li

bre

et g

ratu

it su

r ar

chiv

es-r

fg.r

evue

sonl

ine.

com

Page 5: Rendre compte du social Cet article des Editions Lavoisier

Rendre compte du social 205

théories rationnelles de la prise de décision peuvent être « performées » en pratique du fait la conventionnalisation de la rationalité, de son incorporation dans des outils et de sa marchandisation par des acteurs tels que les consultants.Alors que la vision lyotardienne de la per-formativité mettait en lumière les dimen-sions idéologiques et de pouvoir, ainsi que la façon dont elles s’incarnent matérielle-ment dans des outils de gestion, l’approche callonienne de la performativité complète l’analyse de la constitution d’un mode d’ac-countability du social en se focalisant sur la nécessité de questionner l’ingénierie du social sous-jacente à la performativité et en mettant en lumière le rôle des théories, des concepts et de leurs traductions en outils, ainsi que celui des acteurs du monde uni-

versitaire dans la constitution d’une forme d’accountability du social.

2. Le compromis performatif comme cadre d’analyse intégrateur

Nous proposons d’intégrer ces deux approches de la performativité dans un nouveau cadre d’analyse qui approche la constitution d’une forme de reddition de comptes dans le domaine social comme un « compromis performatif » mettant en jeu à la fois des théories et des idéologies et qui se constituent de manière dynamique en défi-nissant de nouveaux rôles et de nouvelles catégories d’acteurs et en instituant l’usage et la construction de nouveaux outils. La figure 1 propose une vue d’ensemble de cette conceptualisation de la performativité dont nous spécifions les composantes par la suite. Ce modèle combine les dimensions

Figure 1 – Les dimensions du compromis performatif

IdéologiesIdées représentant

les aspirations des acteurs et cadrant leurs actions

ActeursManagers, consultants,

experts, état, groupes sociaux(ex. employés, patronat)

InstrumentsIndicateurs de mesures,

tableaux de bords, dispositifs d’évaluation

ThéoriesConnaissance experte,concepts, prédictions

théoriques

Performativité à la Callon (d’après Cabantous et Gond, 2011)

Performativité à la Lyotard (d’après Hasselblad et Kallinikos, 2000)

Régimed’accountability du social résultant d’un compromis

performatif

Cet

art

icle

des

Edi

tions

Lav

oisi

er e

st d

ispo

nibl

e en

acc

es li

bre

et g

ratu

it su

r ar

chiv

es-r

fg.r

evue

sonl

ine.

com

Page 6: Rendre compte du social Cet article des Editions Lavoisier

206 Revue française de gestion – N° 237/2013

des approches proposées par Cabantous et Gond (2011) et Hasselblad et Kallinikos (2000) pour construire une vision intégrée des deux modes de performativité précé-demment décrits.

Théories

La première dimension du cadre d’analyse permet de saisir le départ d’une boucle de performativité renvoyant à l’approche de Callon (1998) qui met en jeu théorie, acteurs et instruments (Cabantous et Gond, 2011, 2012) (partie gauche et basse de la figure 1). Par théorie, nous entendons nous seulement les principes de la théorie économique au sein de laquelle les acteurs sont susceptibles d’être encastrés (Callon, 1998), mais aussi l’ensemble des représen-tations savantes et connaissances expertes qui sont susceptibles d’être mobilisées à une période donnée par les acteurs. Cette définition intègre bien sûr les relations entre variables théorisées ou prédictions relatives à une meilleure prise en compte du social dans la gestion, mais aussi les concepts issus des sciences de gestion (Latour, 1996) tels que celui de RSE (Gond, 2013). En décrivant les théories en vogue au moment de l’institution d’un compromis performa-tif, les conceptualisations mobilisées par les acteurs dans leur recherche d’une définition de l’accountability du social, ou encore le rôle joué par les universitaires dans le compromis performatif, il est possible de mettre en lumière les effets de la théorie sur la définition du « social » mobilisée pour définir les paramètres de la reddition de comptes.

Idéologies

La deuxième dimension du cadre d’ana-lyse renvoie aux idéologies que nous dis-

tinguons clairement des théories, comme des ressources susceptibles d’amorcer une seconde boucle de performativité au sens de Lyotard (1994) en reliant idéolo-gie, acteurs et instruments d’évaluations (Hasselblad et Kallinikos, 2000) (partie gauche et basse de la figure 1). La notion d’idéologie renvoie à un corps de doctrines et de valeurs susceptibles de servir de base aux comportements de groupes sociaux en leur fournissant un idéal normatif à poursuivre et en leur permettant d’évaluer ce qu’ils jugent être approprié ou non (Goll et Zeitz, 1991). L’idéologie consti-tue un élément central du positionnement politique des acteurs (Althusser, 1986). Dans la performativité telle que définie par Lyotard, l’idéologie joue un rôle moteur, et Hasselblad et Kallinikos (2000) montrent comment elle s’intègre dans les dispositifs.

Acteurs

Les théories de la performativité partagent toutes un intérêt pour l’activité incarnée des acteurs et la façon dont elle consti-tue la réalité sociale et ce faisant trans-forme les idéologies ou théories en réa-lité concrète. Toutefois les perspectives de Callon et Lyotard divergent quant aux types d’acteurs sur lesquels se focaliser dans l’analyse et aux modes d’interaction qui les relient. Alors que le premier privilégie les acteurs universitaires ou tout au moins les acteurs « encastrés dans les représentations savantes » et la façon dont ils mettent les théories en pratique, le second insiste sur les rapports de force entre acteurs à l’œuvre via l’influence de la performativité et leurs orientations idéologiques.L’analyse de la transformation d’idéologie en instruments de gestion suggère aussi que de nouvelles catégories d’acteurs et de

Cet

art

icle

des

Edi

tions

Lav

oisi

er e

st d

ispo

nibl

e en

acc

es li

bre

et g

ratu

it su

r ar

chiv

es-r

fg.r

evue

sonl

ine.

com

Page 7: Rendre compte du social Cet article des Editions Lavoisier

Rendre compte du social 207

nouveaux rôles sociaux sont susceptibles d’être constitués lorsqu’un idéal normatif s’institutionnalise au sein des organisations (Hasselblad et Kallinikos, 2000). Dans le cas de l’accountability du social, la défi-nition et la constitution du social sont susceptibles de faire émerger de nouvelles expertises et de créer des « communautés épistémiques » autour du nouveau champ de connaissance performé (Brès et Gond, 2014 ; Malsch, 2013), tout comme le fait de rendre « auditable » l’environnement a pu altérer les frontières des expertises per-tinentes dans les cabinets d’audit et en faire émerger de nouvelles (Power, 1997). Les interactions entre acteurs et la constitution de nouveaux acteurs jouent donc un rôle clef dans la recherche d’un « compromis » performatif.

Instrumentations

L’instrumentation joue un rôle essentiel dans les deux approches de la performa-tivité sous-jacente à la construction d’un compromis performatif : elle matérialise la théorie ou l’idéologie, en renforçant les boucles de rétro-actions par lesquelles une théorie sera validée empiriquement (performativité à la Callon) et en poussant les acteurs à améliorer leur propre perfor-mance (performativité à la Lyotard). Dans le modèle du compromis performatif, il peut s’agir de simples indicateurs sociaux, d’outils de mesure ou de dispositifs de reporting ou de reddition de comptes plus complexes. Quel que soit leur degré de complexité, les outils de gestion ne sont pas neutres (Berry, 1983 ; Chiapello et Gilbert, 2013 ; Dagognet, 1993 ; Moisdon, 1997), de simples indicateurs peuvent constituer les groupes sociaux qu’ils catégorisent, comme l’a bien montré Boltanski (1989)

dans le cas des cadres. Les acteurs tendent à se conformer aux présupposés des théo-ries qui sont encastrées dans ces outils (Cabantous et Gond, 2011). Ils peuvent aussi s’approprier les indicateurs, au point que de nombreuses négociations sociales consistent, dans un premier temps, à négo-cier sur les indicateurs qui seront pris en compte pour exprimer la réalité sur laquelle porte la négociation. Un exemple connu est celui de la masse salariale (Bezes, 2004). Pendant des décennies dans la fonction publique, les représentants de l’État et ceux des fonctionnaires se sont affrontés sur les indicateurs et il a fallu que le conseil-ler d’État Toutée produise un rapport en 1964 pour qu’un accord soit établi sur la mesure de la masse salariale (salariés per-manents, charges sociales exclues et struc-ture constante).Les quatre dimensions que constituent les théories, les idéologies, les acteurs et les instruments fournissent les ingrédients théoriques qui permettent d’intégrer les deux types de performativité distingués. Il est toutefois nécessaire d’analyser la façon dont ils interagissent dans la constitution de compromis performatif afin de consolider notre analyse théorique en renforçant ainsi l’intégration des deux types de performati-vité complémentaires. Afin d’approfondir la nature des interactions entre ces éléments, nous analysons le cas de deux compromis performatifs relatifs à l’accountability du social dans le contexte français.

II – MÉTHODE ET DONNÉES

Étant donné le caractère fluide et l’issue incertaine de la constitution d’un compro-mis performatif, nous avons opté pour une approche historique en nous appuyant sur

Cet

art

icle

des

Edi

tions

Lav

oisi

er e

st d

ispo

nibl

e en

acc

es li

bre

et g

ratu

it su

r ar

chiv

es-r

fg.r

evue

sonl

ine.

com

Page 8: Rendre compte du social Cet article des Editions Lavoisier

208 Revue française de gestion – N° 237/2013

des cas permettant clairement d’identifier à

un moment donné des compromis « stabili-

sés » par le droit dans le domaine de la red-

dition de comptes qui portent sur le domaine

social. Le caractère « performatif » du droit

a été documenté (Austin, 1962 ; Latour,

2002) et l’analyse du contexte dans lequel

se négocie un cadre juridique et les effets

qu’il produit est propre à éclairer les quatre

dimensions de notre modèle (figure 1). En

outre, la perspective historique permet de

rendre compte du contexte socio-politique

(Antheaume, 2004 ; Berland et Pezet, 2000)

au sein duquel se constitue un compromis

performatif et est bien adaptée pour rendre

compte des dimensions processuelles inhé-

rentes aux deux formes de performativité

mobilisées (Langley, 1999). Deux cas ont

été retenus pour leur importance et rôle

structurant dans le contexte français : la

loi sur le bilan social de 1977 et l’ar-

ticle 116 et son décret d’application (décret

n° 2002-221 du février 2002) de la loi

n° 2001-420 relative aux nouvelles régu-

lations économique de 2001 (ci-après loi

NRE). Le tableau 1 résume les grandes

lignes de ces deux lois qui cristallisent la

forme du compromis performatif.

Tableau 1 – Cadres juridiques étudiés et sources des données

Bilan social (1977)

Nouvelles régulations économiques (2001)

Contenu de la

reddition de comptes

Production sous la responsabilité du chef d’entreprise d’un rapport annuel contenant environ 700 indicateurs chiffrés portant essentiellement sur les relations de travail regroupés en 7 catégories (emploi, rémunérations et charges accessoires, santé et sécurité au travail, autres conditions de travail, formation, relations professionnelles, autres conditions de vie relevant de l’entreprise)

Obligation d’inclusion dans le rapport annuel du CA ou du directoire d’informations suivant 9 rubriques d’« informations sociales » (ex. effectif total, hygiène et sécurité), et 9 rubriques « relatives aux conséquences de la l’activité de la société sur l’environnement » (ex. démarches de certification environnementales, provisions pour risques en matière d’environnement)

Périmètre d’application

Toutes les entreprises de plus de 300 salariés, document à destination des partenaires sociaux de l’entreprise

Entreprises cotées en Bourse, document à destination des parties prenantes externes et des marchés financiers

Sources de données

mobilisées

– Données d’archives (débats parlementaires, rapport Sudreau, textes de loi, débats académiques antérieurs et postérieurs, articles de journaux)– Bilan du bilan social de 1999 et actes du colloque de l’IAS sur le bilan– Discussions informelles avec les acteurs qui ont développé les activités d’audit social en France et observé les effets de la loi

– Données d’archives (débats parlementaires, textes de loi et décret, débats académiques, articles de journaux)– Sites d’organisations ayant étudié les effets de la loi (ex. rapports de l’ORSE)– Articles académiques sur la loi NRE (ex. Antheame, 2004)– Entretien avec l’un des rédacteurs du texte de loi (Vincent Jacob)

Cet

art

icle

des

Edi

tions

Lav

oisi

er e

st d

ispo

nibl

e en

acc

es li

bre

et g

ratu

it su

r ar

chiv

es-r

fg.r

evue

sonl

ine.

com

Page 9: Rendre compte du social Cet article des Editions Lavoisier

Rendre compte du social 209

Notre analyse s’est portée sur les contextes de production de ces lois et leurs effets per-formatifs en termes de constitution de nou-veaux rôles, acteurs et instruments. Pour ce faire, nous avons collecté un ensemble de données d’archives comprenant les textes de lois, les débats parlementaires, des articles de journaux et publications académiques de l’époque. Lorsque ce fut impossible, nous avons aussi interviewé des acteurs qui ont participé à la définition de ces cadres juridiques. Ces sources sont résumées dans le tableau 1.Nous avons adopté une approche narrative pour rendre compte de ces données dis-parates et longitudinales (Langley, 1999), en comparant de manière systématique les deux périodes à l’aune des grandes com-posantes de notre modèle, ce qui apparente notre analyse à une étude de cas historiques comparative (Yin, 2003). Cette approche comparative permet de mettre en lumière les faits saillants propres à chaque période et de caractériser l’importance relative des composantes du modèle dans la constitu-tion des deux compromis performatifs.Le tableau 2 synthétise les principales dif-férences relatives aux quatre composantes du modèle entre les deux périodes et offre une vue d’ensemble de notre analyse qui met en lumière la contribution de chacune des composantes à la constitution du com-promis performatif. Dans la présentation de nos résultats, nous avons cherché à décrire de manière narrative la façon dont chaque composante du modèle participe ou non au compromis performatif, et de quelle manière elle était impliquée. Par exemple, nous analysons les théories et idéologies disponibles ou mentionnées à l’époque où les compromis performatifs sur la reddition

de comptes sur les aspects sociaux ont été négociés, et ensuite, nous analysons dans quelle mesure elles ont été mobilisées et/ou ont été influencées par la dynamique de constitution de ce compromis performatif. Nos résultats présentés ci-après détaillent le rôle de ces composantes. Le tableau 3 présente la façon dont nos sources ont été mobilisées pour étudier chacune des com-posantes du modèle.Notre analyse éclaire les processus de com-binaison dynamique des théories, idéolo-gies, acteurs et instruments qui ont conduit en 1977 à un compromis performatif sur une conceptualisation étroite et rigide de la RSE et en 2011 à un compromis performa-tif renvoyant à une vision élargie et flexible de la RSE plus ouvertes aux influences globales.

III – LE FAÇONNEMENT DE L’ACCOUNTABILITY DU SOCIAL COMME COMPROMIS PERFORMATIF

1. La mise en jeu des théories et concepts dans le compromis performatif

La constitution d’un compromis performa-tif relatif à un mode d’accountability du social par les entreprises met nécessaire-ment en jeu des représentations de l’orga-nisation et de son environnement social. La problématisation des modes de reddition de comptes vis-à-vis de la société peut ainsi mobiliser des concepts et des repré-sentations théorisées de l’entreprise à son environnement. L’entreprise responsable des ressources humaines qu’elle emploie et devant « rendre des comptes », globalement et régulièrement sur l’usage qu’elle fait de ces ressources humaines apparaît pour la première fois en France, à partir des travaux

Cet

art

icle

des

Edi

tions

Lav

oisi

er e

st d

ispo

nibl

e en

acc

es li

bre

et g

ratu

it su

r ar

chiv

es-r

fg.r

evue

sonl

ine.

com

Page 10: Rendre compte du social Cet article des Editions Lavoisier

210 Revue française de gestion – N° 237/2013

Tableau 2 – Analyse comparative des dimensions du compromis performatif

Bilan social(1977)

Nouvelles régulations économiques (2001)

Théories

– Travaux sur la comptabilité des ressources humaines (Flamholtz, 1974 ; Marquès, 1978 ; Rey, 1977)– Problème macro-économique des indicateurs de bien-être sociaux– Concepts américains de Corporate Social Responsiveness (Ackerman et Bauer, 1976) et Corporate Social Responsibility

– Influence du concept de Triple Bottom Line d’Elkington (performance sociale, environnementale et économique)– Normes de la GRI inspirées des travaux sur les parties prenantes et normalisation européenne de la RSE– Vision élargie de la RSE et de la gestion des parties prenantes

Idéologies

– Volonté de « moderniser la gestion des entreprises », promesses de campagne d’un gouvernement de droite– Rapports de forces inhérents au dialogue social français : face à face patronat/syndicat – ligne dure des syndicats ouvriers

– Volonté de contrôler le pouvoir actionnarial dans un contexte globalisé après le scandale Michelin par un gouvernement de gauche– Tentative du ministère de l’Écologie d’intégrer des éléments dans une réforme plutôt financière

Acteurs

Acteurs du dialogue social classique :– Syndicats (ouvriers, cadres, patronat)– Représentants de l’État– Patrons réformateurs (ex. Alain Chevalier) impliqués dans les think tanks du CNPFNouveaux rôles et acteurs :– Auditeur social– Gestionnaire des RH et consultants

Acteurs du dialogue social classique :– Syndicats (ouvriers, cadres, patronat)– Représentants de l’ÉtatNouveaux rôles et acteurs :– Organisations non gouvernementales– Consultants en RSE (ex. Terra Nova)– Agences de notation RSE (ex. Arese)– Think tanks sur la RSE (ex. ORSE)

Instruments

Professionnalisation de la GRH :– Mobilisation des indicateurs produits pour développer des tableaux de bord sociaux– Émergence du contrôle de gestion sociale– Formalisation des pratiques d’audit social en interne (services RH) et en externe (consultants)

Professionnalisation de la gestion de la RSE :– Reddition de comptes RSE/DD consolidée et systématisée dans les grands groupes– Développement d’instruments de reporting internes et extension/consolidation des périmètres de reporting RSE– Développement de la notation extra-financière

Compromis performatif

Conception étroite et rigide de la RSE :– Vision « restreinte » du social focalisée sur les employés et leur bien-être– Approche très quantifiée et normée– Absence de comparaison des performances– Lente appropriation interne (logique de mise en conformité)

Conception élargie et flexible de la RSE :– Vision « élargie » du social selon la logique Triple Bottom Line et RSE– Approche structurée mais moins quantifiée– Développement d’un champ de comparaison des performances RSE national et global– Appropriation interne rapide

Cet

art

icle

des

Edi

tions

Lav

oisi

er e

st d

ispo

nibl

e en

acc

es li

bre

et g

ratu

it su

r ar

chiv

es-r

fg.r

evue

sonl

ine.

com

Page 11: Rendre compte du social Cet article des Editions Lavoisier

Rendre compte du social 211

Tableau 3 – Principales sources mobilisées pour analyser les composantes du cadre d’analyse pour chaque cadre réglementaire

Bilan social (1977) Loi NRE (2001)

Gén

éral

e

– Entrevue du 11/04 /2013 avec Igalens J., fondateur de l’AGRH et rapporteur auprès du CES sur la question du bilan social (mai 1999)– Benoit-Guilbot O. (1971). « Un ouvrage français sur les indicateurs sociaux », Revue française de sociologie, vol. 12, n° 4, p. 579-582. – Combemale M., et Igalens J. (2005). L’audit social, Paris, PUF.

– Entrevue avec Jacob V. conseiller de Voynet D. et rédacteur pour le compte du ministre de l’Environnement de l’article 116 de la loi NRE– Antheaume N. (2004) Papier présenté au 25e Congrès de l’AFC.

Thé

orie

s su

r la

RSE – JORF (mai 1974)

– Numéro spécial sur le bilan social – Le dossier de la loi (1977). Revue française de gestion (n° 12-13).– Sudreau P. (1975). Rapport du Comité d’étude pour la réforme de l’entreprise, Paris, La Documentation française.

– Laboratoire interdisciplinaire de recherche sur les ressources humaines et l’emploi (1997). Actes du colloque : 20e anniversaire du bilan social : « quelles leçons et quelles perspectives ? » sous le haut patronage du ministère du Travail et des Affaires sociales, 5-6 juin 1997.– Le bilan social – Annexe au procès-verbal de la réunion du 6 janvier 1999, Section travail, Paris, CES.

Idéo

logi

e et

nég

ocia

tion

– Archives du Monde sur le bilan social 1975-1977 (10 articles)– Avis et rapports du CES (1976) table du JORF, Paris.– Avis et rapport du CES sur l’établissement d’un bilan social (élements relatifs à l’évolution des situations et des droits), JORF du 9 mai 1974, Paris.– Brochure du secteur commerce et services (1977) le Bilan social. Paris, ministère du Travail.

– Archives Le Monde sur la loi NRE 1987-2002 (22 articles)– Dossier : Bilan social des entreprises françaises, (novembre 1997), Alternatives économiques. – Gautier J., rapporteur (18 mai 1999) Le bilan social – Rapport, Paris, CES– Gautier J., rapporteur (18 mai 1999) Le bilan social – Projet d’avis, Paris, CES.

Out

illag

e/in

stru

men

ts/

acte

urs

de m

arch

é

– Site de l’Institut International de l’audit social : www.auditsocial.org (consulté nov. 2013) – Site Institut entreprise et personnel : www.entreprise-personnel.com (consulté nov. 2013)– Site de l’Association francophone de gestion des ressources humaines : http://www.reims-ms.fr/agrh/index.html (consulté nov. 2013).

– Site de l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (ORSE) : www.orse.org (consulté nov. 2013)– Site de Novethic : www.novethic.fr (consulté nov. 2013)– Site de l’Association professionnelle des conseillers en développement durable et RSE (ADD) : http://add-conseil.org/ (consulté nov. 2013).

Cet

art

icle

des

Edi

tions

Lav

oisi

er e

st d

ispo

nibl

e en

acc

es li

bre

et g

ratu

it su

r ar

chiv

es-r

fg.r

evue

sonl

ine.

com

Page 12: Rendre compte du social Cet article des Editions Lavoisier

212 Revue française de gestion – N° 237/2013

préparatoires à la mise en œuvre du bilan social au début des années 1970. Elle cor-respond à l’époque où des auteurs français de comptabilité traduisent le concept nord-américain de comptabilité des ressources humaines développé par Flamholtz (1974) dans des ouvrages qui feront ensuite réfé-rence (voir Marquès, 1978 ; Rey, 1977). Les ouvrages de Marquès (1978) et Rey (1977) font d’ailleurs usage de la notion de responsabilité sociale de l’entreprise, qu’ils définissent dans un sens large comme une responsabilité vis-à-vis de la société et ins-crivent clairement le développement d’une comptabilité des ressources humaines dans ce courant. Aux États-Unis, dans les années soixante-dix, on voit s’imposer le concept de Corporate Social Responsive-ness (Acquier et al., 2011) qui demande explicitement aux entreprises de prendre le relai de l’État :« Nous sommes les témoins de l’apparition d’entreprises réactives et sensibles à leur environnement qui devraient, si le processus est mené à bien, être de plus en plus aptes à prendre en charge une grande diversité d’en-jeux, qu’ils soient économiques ou socié-taux » (Ackerman et Bauer, 1976, p. 13).Le candidat Valéry Giscard d’Estaing, avait promis une « réforme de l’entreprise », sans être très précis sur son contenu. Élu, en 1974, il met en place une commission, présidée par un ancien ministre gaulliste, Pierre Sudreau et cette commission rend son rapport en 1975. L’une des pistes évo-quées, parmi bien d’autres, était ainsi for-mulée : « Établir un bilan social annuel au niveau de chaque entreprise à partir d’indicateurs représentatifs de sa situation économique et sociale ». Elle reposait sur le constat suivant :

« La gestion financière et économique s’appuie sur une information quantifiée et précise. Si l’on veut que la gestion sociale participe aux mêmes préoccupations stra-tégiques de la firme, il faut qu’elle sorte du relatif et du subjectif même si, dans ce domaine, la quantification est difficile et si le progrès relève surtout de l’ordre qualita-tif. Le moment est venu de donner une base chiffrée au dialogue entre partenaires de l’entreprise, permettant de mesurer l’effort accompli en matière sociale et de mieux situer les objectifs. (…) Ce progrès est nécessaire si l’on veut définir des objectifs au niveau national. » (Rapport du Comité d’étude pour la réforme de l’entreprise, Sudreau, 1975)L’analyse des écrits de Jacques Delors au sein du Commissariat général du Plan (CGP) et des travaux du Conseil écono-mique et social (CES) confirme que l’idée d’un bilan social s’inscrit d’abord dans une réflexion d’ordre macro-économique sur les indicateurs sociaux qui accompagnent et guident les politiques sociales, et était avant tout compris comme étant du ressort de l’État. Mais, la conceptualisation du bilan social renvoie aussi du constat que « l’État ne peut pas tout » et visait à faire jouer un rôle aux entreprises dans le domaine des conditions de vie et en particulier des conditions de vie au travail, suivant une logique proche de celle qui a présidé à la conceptualisation de la notion de Corporate Social Responsiveness. Si les concepts de Corporate Social Res-ponsibility ou Responsiveness ou encore de comptabilité des ressources humaines ne sont pas repris tels quels dans les tra-vaux sur le bilan social, des think tanks proches du patronat qui ont participé aux

Cet

art

icle

des

Edi

tions

Lav

oisi

er e

st d

ispo

nibl

e en

acc

es li

bre

et g

ratu

it su

r ar

chiv

es-r

fg.r

evue

sonl

ine.

com

Page 13: Rendre compte du social Cet article des Editions Lavoisier

Rendre compte du social 213

discussions sur le bilan social contribueront à leurs diffusions. Dans ces cercles, où se côtoient des professeurs d’écoles de com-merce et des dirigeants d’entreprise tels qu’Alain Chevalier (directeur général de Moët-Hennessy) les acteurs connaissent ces concepts. Une fois que le bilan social sera stabilisé, il sera d’ailleurs présenté comme visant à faciliter la gestion de l’entreprise avec un très large ensemble de parties prenantes (Blind, 1977) et sera interprété au prisme de la Corporate Social Responsi-veness. Le numéro spécial de la Revue française de gestion (1977) consacrée au bilan social est emblématique : l’idée de la Corporate Sociale Responsiveness y est très présente. Ackerman et Bauer eux-mêmes, à qui l’on attribut en général la paternité du concept, coécrivent l’un des articles (Ackerman et Bauer, 1977).En 1999, le CES travaille sur une réforme du bilan social, et le ministère du Travail et des Affaires sociales mandate le Laboratoire interdisciplinaire de recherche sur les res-sources humaines et l’emploi (Lirhe) pour organiser un colloque faisant le bilan de la loi de 1977. L’analyse des actes de ce col-loque et des débats du CES (1999) permet de comprendre l’évolution de la vision du bilan du social à ce moment. Les critiques faites au bilan social sont particulièrement éclairantes : on lui reproche d’être trop peu lisible, trop peu diffusé, pas assez en lien avec la stratégie de l’entreprise, pas assez intégré au bilan financier des entreprises (et invisible pour les investisseurs), de man-quer de crédibilité en l’absence de vérifica-tion et de certification externe. Bref, on lui reproche de ne pas être un bilan financier. Sur le contenu, on lui reproche également d’intégrer des dimensions désuètes (ex.

temps de réunion) et de ne pas intégrer des dimensions critiques (environnement). D’un point de vue théorique, le bilan social s’affirme donc rétrospectivement comme une « traduction » très étroite et partiale des concepts proposant des visions plus larges du « domaine social ». Avec la loi sur les nouvelles régulations économiques, le paysage conceptuel a évolué, même si la vision universitaire du domaine social dont les entreprises devraient idéalement rendre compte reste très large. La notion de RSE revient alors en force (Capron et Quairel-Lanoizelée 2010 ; Gond et Igalens, 2012), et le concept plus opérationnel de Triple Bottom Line qui invite les entreprises à rendre des comptes aux investisseurs et autres parties prenantes sur les dimensions économiques, sociales et environnementales, s’impose depuis la fin des années 1990 auprès des entreprises, suite à la publication de l’ouvrage de John Elkington (1997). Ce consultant vedette du développement durable assurera la pro-motion de ce concept avec son cabinet SustainAbility, et à sa suite Simon Zadek va créer le cabinet AccountAbility en 1995 pour diffuser des standards de RSE. Ces deux consultants assureront la promotion de leurs idées auprès des instances de la Commission européenne et auront une influence non négligeable sur le monde académique (Acquier et Gond, 2006).L’analyse des débats autour de la loi NRE (Antheame, 2004) et notre entrevue avec Vincent Jacob, qui fut conseiller de Domi-nique Voynet pour l’établissement de cette loi et la rédaction de ce décret, révèle l’in-fluence des travaux de la Commission euro-péenne sur la RSE (qui aboutiront au Livre vert) et la volonté des acteurs de « s’inscrire

Cet

art

icle

des

Edi

tions

Lav

oisi

er e

st d

ispo

nibl

e en

acc

es li

bre

et g

ratu

it su

r ar

chiv

es-r

fg.r

evue

sonl

ine.

com

Page 14: Rendre compte du social Cet article des Editions Lavoisier

214 Revue française de gestion – N° 237/2013

dans cette mouvance » ainsi que dans la logique des standards de reporting RSE qui s’imposent alors, avec la Global Reporting Initiative (GRI). Ces deux sources d’ins-piration de la loi NRE sont profondément inspirées de l’approche Triple Bottom Line.Les deux compromis performatifs de 1977 et 2011 opèrent donc des traductions très divergentes de conceptualisations du compte rendu du social appuyées sur des visions théoriques finalement assez proches de l’en-treprise et de ses obligations sociales. Dans les deux cas, un socle théorique conceptua-lise de manière élargie le domaine du social pour intégrer de multiples parties prenantes et l’ensemble des impacts de la gestion sur la société (encapsulée au travers de la notion de RSE) (voir Roy et Peretti, 1977). Dans les deux cas des approches plus opérationnelles ou instrumentales sont proposées avec la notion de Corporate Social Responsiveness en 1977 et celle de Triple Bottom Line ou encore les lignes directrices de la GRI à la fin des années 1990. Ce seront des approches contrastées qui seront « performées » par les textes juridiques (cf. tableau 1), avec dans le cas du bilan social, une vision centrée essentiellement sur le respect des demandes sociales surtout vis-à-vis des employés, très axée sur le respect des réglementations et bornée par des indicateurs prédéfinis, et, dans le cas de la loi NRE, une vision ouverte sur des parties prenantes externes, notam-ment les investisseurs, plus axée sur la trans-parence et la qualité de l’information que sur la conformité, et potentiellement intégrée à une vision stratégique. Les différences de contextes idéologiques et de rapports de forces entre acteurs dans chacun des proces-sus de constitution du compromis performa-tif expliquent en partie ces divergences.

2. Le rôle des idéologies et des rapports de force dans le compromis performatif

L’analyse des débats préparatoires au sein du CES permet de comprendre, à travers le jeu des rapports de force, pourquoi les concepts de Corporate Social Responsibility et Cor-porate Social Responsiveness prendront la forme particulière d’une focalisation sur la relation employeurs-employés en France. La trajectoire de la loi du bilan social de 1977 est révélatrice de la structuration idéo-logique et des jeux de pouvoir de l’époque. Les syndicats y jouent un rôle clef. Ils sont divisés, ne croient généralement pas en cette loi, et ils sont surtout d’accord pour maintenir et mettre en avant les prérogatives du comité d’entreprise (CES, 1999, p. 21 ; Validire, 1976). Le patronat, globalement plus neutre, va s’opposer à la proposition d’une vérification externe. Le gouverne-ment en lien avec les recommandations du rapport Sudreau obtient que le bilan social se traduise par des indicateurs obligatoires prédéfinis et chiffrés. Globalement l’idéo-logie qui domine l’établissement du bilan social est celle du dialogue social comme l’illustrent de manière frappante certaines déclarations officielles tirées des travaux du CES : « … ce n’est pas le bilan social tel qu’il est conçu par le gouvernement, qui fera dispa-raître dans les entreprises les rapports de classe qui y existent, ni les affrontements, ni les tensions que les oppositions d’intérêts y provoquent, car ce projet n’a pas d’inci-dence réelle sur les pouvoirs de l’employeur ni sur la marche générale de l’entreprise. » (Groupe CFDT, CES, 27 janvier 1977). Au final, la loi du bilan social de 1977 rend obligatoire pour les entreprises de plus de 300 salariés la production d’un docu-

Cet

art

icle

des

Edi

tions

Lav

oisi

er e

st d

ispo

nibl

e en

acc

es li

bre

et g

ratu

it su

r ar

chiv

es-r

fg.r

evue

sonl

ine.

com

Page 15: Rendre compte du social Cet article des Editions Lavoisier

Rendre compte du social 215

ment public (mais sans obligation légale de diffusion hors de l’entreprise, ni de vérification) dans lequel l’entreprise publie environ 130 indicateurs chiffrés (ex. : santé et sécurité au travail, salaire, genre, âge), pour l’essentiel déjà obligatoires pour les comités d’entreprise, autour de 7 thèmes uniquement orientés sur les questions de l’emploi1. Le jeu des rapports de force entre les acteurs traduit et donne à la RSE une forme propre au contexte français : orienté sur les questions du travail dans une logique de conformité, surtout destinée aux parties prenantes internes (les syndicats), sans obligation de vérification externe, mais structurée autour de catégories établies et formalisées par des indicateurs chiffrés prédéfinis dont les entreprises ne peuvent s’écarter. Certains universitaires critique-ront très tôt le caractère trop rigide du bilan social et son appréhension restrictive du social, appelant à créer un « autre bilan social » (ex. Marquès, 1979).Le contexte idéologique au sein duquel se constitue une approche en termes de Triple Bottom Line avec la loi NRE offre un contraste intéressant avec celui de 1970. L’« affaire Michelin » est généralement considérée comme étant à l’origine de la loi (Antheaume, 2004). En septembre 1999, Michelin annonce 7 500 licenciements alors que l’entreprise affiche par ailleurs une hausse de 22 % de ses bénéfices. Cette annonce provoque « un tollé politique et syndical » (Le Monde, 11 septembre 1999) et choque l’opinion publique, mais elle entraîne aussi une envolée du cours en Bourse de l’entreprise. En réaction, le Pre-mier ministre Lionel Jospin annonce la loi

sur les nouvelles régulations économiques (NRE). L’affaire Michelin symbolise un rapport de force propre à un capitalisme financier et mondialisé dans lequel les investisseurs, les marchés financiers, les institutions internationales et les organisa-tions non gouvernementales (ONG) appa-raissent comme de nouveaux pouvoirs qui se superposent aux acteurs classiques du dialogue social et qui vont influencer la mise en place d’un nouveau compromis performatif autour du bilan social en France en 2001.La loi NRE compte 144 articles dont une bonne part vise à moraliser une économie financiarisée. La lutte contre le blanchi-ment d’argent, contre les OPA hostiles, le pacte des actionnaires, le renforcement des autorités de régulation sont autant de ques-tions au cœur de la loi NRE. La question de l’accountability du social de l’entre-prise ne concerne qu’un article en particu-lier : l’article 116. La négociation du décret d’application de la l’article 116 de la loi NRE (décret n° 2002-221 du février 2002) montre le rôle du nouveau jeu de rapport de force dans l’établissement du compromis performatif. Le patronat d’abord hostile voit peu à peu à travers l’exemple d’ini-tiatives privées comme la GRI, la possibi-lité d’utilisation plus stratégique du bilan social. Il obtient toutefois que la loi NRE soit limitée aux entreprises côtés en Bourse et que la vérification externe ne soit pas ren-due obligatoire. Les syndicats sont divisés et s’interrogent notamment sur leur rôle et celui du comité d’entreprise. Par rapport à 1977, ils sont en retrait, mais l’inclusion des lignes directrices de l’Organisation interna-

1. Les différents thèmes sont : emploi, rémunérations et charges accessoires, conditions d’hygiène et de sécurité, autres conditions de travail, formation, relations professionnelles, autres conditions de vie relevant de l’entreprise.

Cet

art

icle

des

Edi

tions

Lav

oisi

er e

st d

ispo

nibl

e en

acc

es li

bre

et g

ratu

it su

r ar

chiv

es-r

fg.r

evue

sonl

ine.

com

Page 16: Rendre compte du social Cet article des Editions Lavoisier

216 Revue française de gestion – N° 237/2013

tionale du travail (OIT) reflète leur poids. On voit surtout apparaître de nouveaux acteurs dans les débats qui interviennent dans les concertations organisées par le gou-vernement, et influencent de manière plus ou moins directe le compromis performatif. Des organisations non-gouvernementales (ONG), notamment les Amis de la Terre, vont défendre un élargissement considé-rable de la notion française de bilan social en introduisant de nombreuses catégories propres à l’environnement (impact environ-nemental, gestion des ressources, biodiver-sité, etc.). Les organisations internationales comme l’UE ou la GRI qui, depuis le début des années 2000, développent une vision internationale de l’accountability du social sont évoquées régulièrement pendant les débats, et jouent un rôle important dans le design de la loi NRE. Ces initiatives ont en commun de proposer une reddition de comptes relatifs au domaine social sur le mode du reporting financier, et notamment de rendre obligatoire la diffusion d’in-formations. Pour Vincent Jacob, l’un des artisans de cette loi, les différents acteurs acceptent cette loi parce qu’ils perçoivent la logique de transparence qui l’accompagne comme inéluctable :« Il y avait quand même la compréhension, y compris chez les acteurs industriels, que c’était plus ou moins inexorable et qu’il fal-lait passer par là au lieu d’essayer de s’arc-bouter sur les “clous” et le volontarisme absolu […]. On ne peut pas demander aux gens d’être transparents sur leurs comptes et de ne pas être transparents sur les conséquences de leurs actes de gestion. » (Vincent Jacob, entretien, 2004)C’est donc à travers une transformation du contexte idéologique et des rapports

de force, que les compromis performatifs de 1977 et 2011 sont amenés à diverger. L’article 116 de la loi NRE et son décret d’application marquent une nouvelle façon de rendre compte du social : l’accent est mis sur la divulgation obligatoire d’infor-mation à destination des marchés et des parties prenantes externes. Les indicateurs ne sont plus prédéterminés, ni chiffrés, mais ils englobent des catégories plus larges comme « les mesures prises pour limiter l’atteinte à l’équilibre écologique » ou « la formation ». Le champ de l’accountability du social intègre désormais largement des dimensions environnementale et, à travers la question de la sous-traitance, certaines problématiques internationales.

3. La constitution de nouveaux acteurs dans le compromis performatif

Si notre analyse des dynamiques de mobi-lisation des théories et des idéologies ont déjà permis de révéler l’implication d’ac-teurs similaires dans la constitution des deux compromis performatifs, tels que les acteurs « classiques » du dialogue social, elle met en aussi lumière l’émergence de nouveaux acteurs en 2001, avec notam-ment les ONG. Mais d’autres divergences émergent si l’on se penche sur les nouveaux rôles sociaux et les formes de profession-nalisation qui se sont constituées à partir de ces deux cadres juridiques. La loi sur le bilan social de 1977 entre totalement en vigueur en 1982 et concerne alors envi-ron 4 300 entreprises qui produisent un bilan social (Igalens et Peretti, 1980). Les consultants et professionnels des ressources humaines (RH), qui disposent alors d’une nouvelle information chiffrée sur l’emploi et les relations de travail dans l’entreprise, vont jouer un rôle particulièrement impor-

Cet

art

icle

des

Edi

tions

Lav

oisi

er e

st d

ispo

nibl

e en

acc

es li

bre

et g

ratu

it su

r ar

chiv

es-r

fg.r

evue

sonl

ine.

com

Page 17: Rendre compte du social Cet article des Editions Lavoisier

Rendre compte du social 217

tant dans l’appropriation de cette loi par les entreprises. L’institut Entreprise et Person-nel met en place des groupes de travail sur l’audit social dès la fin des années 1970 et en 1982 Raymond Vatier fonde l’Institut de l’audit social (IAS), une association qui mêlera des universitaires souvent impliqués dans des activités de consulting aux nou-veaux « professionnels » de l’audit social (Combemale et Igalens, 2012). L’analyse de la documentation de ces deux organismes montre la contribution des professionnels de la RH dans la diffusion du compromis performatif de 1977. L’IAS met en place un réseau autour de l’audit social qui s’étend à de nombreux pays francophones et des formations sont créées en France dans les écoles et universités autour de la pratique de l’audit social, dont une première forma-tion à Toulouse dès 1982.S’ils participent à la diffusion du com-promis performatif, ces nouveaux acteurs lui donnent aussi une forme qui lui est propre. Lors du colloque du Lirhe sur le 20e anniversaire du bilan social, plusieurs communications attribuent le fait que les bilans sociaux soient surtout réservés à un usage interne et peu diffusés aux profes-sionnels RH qui n’ont pas vraiment intérêt à les diffuser (Zardet, 1997). En outre leurs besoins opérationnels les conduisent sou-vent à une interprétation pragmatique des indicateurs de la loi de 1977 (Chaplain, 1997). En fonction des données disponibles et des problématiques spécifiques de leurs entreprises, ils développent des modes de calcul idiosyncratique des indicateurs qui les rendent très difficiles à comprendre pour des acteurs extérieurs, et a fortiori à com-parer à d’autres organisations (Barel, 1997). Ainsi, en focalisant le cadre juridique du bilan social sur les relations employeurs-

employés via le contexte idéologique, la loi de 1977 facilite l’émergence d’une nouvelle figure professionnelle – celle de l’auditeur social – et rend possible la constitution d’une comptabilité des ressources humaines qui existait en théorie (Rey, 1977), mais elle limite aussi ce mode de profession-nalisation au périmètre de la gestion des ressources humaines, renforçant une forme d’accountability du social limitée. En élargissant le périmètre de l’accounta-bility du social à une conception plus large de la RSE, la loi NRE consolide dans son sillage la constitution de nouveaux rôles professionnels et renforce la position des acteurs qui portent en France les concepts de RSE ou de Triple Bottom Line. Ainsi, l’Observatoire de la responsabilité sociale (ORSE) et Novethic sont créés au début des années 2000. Ces associations ont pour vocation de suivre les évolutions de la RSE en France, et vont notamment s’attacher à évaluer les effets de la loi, ou à aider les acteurs à les traduire en pratiques aux travers de groupes de réflexion visant à promouvoir les bonnes pratiques. Bien que le décret d’application de l’article 116 fixe quelques règles sur le rapport RSE, il laisse une importante marge d’application pour les entreprises. Dès 2001 38 des 40 entre-prises du CAC 40 produisent un bilan social sous le nom de rapport de dévelop-pement durable ou de rapport de RSE, et les entreprises du SBF 120 sont suivies par des nombreuses études en 2002 et 2003 pour évaluer l’influence de la loi sur les pratiques de reporting dans le domaine extrafinancier. Deux autres catégories d’ac-teurs vont jouer un rôle important dans la promotion et consolidation du compromis performatif de 2001. Premièrement, les agences de notation extrafinancières, telles

Cet

art

icle

des

Edi

tions

Lav

oisi

er e

st d

ispo

nibl

e en

acc

es li

bre

et g

ratu

it su

r ar

chiv

es-r

fg.r

evue

sonl

ine.

com

Page 18: Rendre compte du social Cet article des Editions Lavoisier

218 Revue française de gestion – N° 237/2013

que Vigeo, qui s’appuient sur ces rapports pour construire une information compré-hensible pour les investisseurs (Avetisyan et Ferrari, 2013 ; Igalens et Gond, 2005) et permettent ainsi aux investisseurs de savoir si les entreprises dans lesquelles ils inves-tissent sont gérées de manière responsable. Ces agences complètent l’infrastructure de calcul qui supporte la professionnalisation du domaine de la RSE (Acquier et Aggeri, 2007, p. 155). Deuxièmement, la loi NRE va donner aux acteurs du contrôle de gestion ou en charge du reporting sur les domaines sociaux ou environnementaux dans les plus grandes entreprises françaises une nouvelle légitimité et des moyens de consolider leurs outils qu’ils n’auraient pu espérer obtenir en l’absence de la loi (Gond et Herrbach, 2006). La figure du respon-sable développement durable ou RSE qui émergeait alors à cette période, s’en trou-vera renforcée. Mais les rapports « NRE » sont aussi suivis par les autres parties prenantes (syndicats, ONG, salariées, universitaires), et ils vont rendre les questions de la RSE d’autant plus stratégiques que les contours flous du périmètre d’application de l’article 116 laisse place à l’expérimentation et permet aux entreprises de se démarquer (Igalens et Joras, 2002). Finalement, de nombreux cabinets de conseil en RSE comme Utopies ou Des Enjeux et des Hommes vont propo-ser des services pour préparer les rapports NRE ou aider les entreprises à construire une démarche RSE, alors que les grands cabinets d’audit et/ou de conseil, comme Ernst & Young, Deloitte ou KPMG vont proposer des services inspirés de l’audit comptable pour construire, vérifier et cer-tifier les rapports RSE, élargissant le péri-

mètre des activités de l’auditeur social ou de l’auditeur financier, et faisant ainsi émerger une nouvelle figure de l’auditeur de la Triple Bottom Line. Ainsi, les deux compromis performatifs vont mettre en avant ou consolider les positions d’acteurs différents qui donneront une vie sociale et managériale aux concepts théoriques d’abord désincarnés en France de comptabilité des ressources humaines ou de RSE, en en « performant » les ver-sions idéologiquement retraduites. Para-doxalement ce sont les acteurs du marché qui avaient montré le plus de résistances idéologiques lors des négociations de la loi NRE (Antheaume, 2004) qui vont contri-buer le plus à traduire en pratiques, et donc potentiellement à renforcer l’influence de, l’article 116 de la loi NRE.

4. L’instrumentation du social et son influence dans le compromis performatif

En rendant obligatoire la publication de certains indicateurs quantifiés ou non, les deux cadres juridiques de 1977 et 2001 vont aussi façonner de nouvelles instrumenta-tions à même de renforcer les boucles de performation, que ce soit en équipant et cadrant les acteurs d’une manière propre à faire exister des concepts liés à la définition du social (ex. : comptabilité des ressources humaines, RSE), ou en les poussant à une recherche de performance dans le domaine de l’accountability du social. L’information quantifiée produite par les entreprises suite à la loi du bilan social de 1977 permet aux professionnels des RH de développer de nombreux outils de suivi et de gestion des ressources humaines : les premiers tableaux de bord sociaux émergent, et à leur suite les pratiques de contrôle de gestion sociale pourront se développer, ainsi que la vérifi-

Cet

art

icle

des

Edi

tions

Lav

oisi

er e

st d

ispo

nibl

e en

acc

es li

bre

et g

ratu

it su

r ar

chiv

es-r

fg.r

evue

sonl

ine.

com

Page 19: Rendre compte du social Cet article des Editions Lavoisier

Rendre compte du social 219

cation des indicateurs avec les formes d’au-dit social. À travers la création de nouveaux outils de GRH quantifiés, la loi sur le bilan social contribue à donner une légitimité « scientifique » aux professionnels des RH et les techniques de gestion prévisionnelles des emplois et des compétences vont émer-ger (Igalens, 2007 ; Mallet, 1991). Des normes et des référentiels sont également construits par les auditeurs sociaux qui permettent d’uniformiser, de valoriser et de garantir une gestion responsable des RH. Ce travail de professionnalisation de l’audit et de la mesure des RH sera aussi consolidé avec la publication des standards internationaux comme ILO-OSH sur la santé et la sécurité au travail, ou encore le label « Égalité professionnelle » en France. Ces labels diffusent le compromis per-formatif, mais l’entraînent également loin des préoccupations des investisseurs, et de ce point de vue on peut penser qu’ils le fragilisent également en le déconnectant du nouveau rapport de force qui s’établit dans les années 2000. En parallèle, les données relatives à la loi du bilan social de 1977 facilitent les débats scientifiques sur la responsabilité des entreprises, et un bilan des bilans sera régulièrement publié dans la Revue de gestion des ressources humaines (voir Allouche, 1992, 1993). Les indicateurs sur la précarité de l’emploi, sur le différentiel des salaires permettent d’enregistrer des évolutions importantes et viendront nourrir certains débats qui abou-tiront à la loi NRE.Le compromis performatif sur l’accounta-bility du social qui s’établit en 2001 favorise l’expérimentation en termes de reporting interne et externe dans les grandes entre-prises françaises et la collecte de données

sur les domaines « extrafinanciers ». S’il est plus délicat de tracer l’influence directe de ce cadre juridique sur la constitution d’indicateurs et d’outils, la consolidation juridique de l’approche Triple Bottom Line en France via la loi NRE va faciliter la dif-fusion et l’adoption d’outils visant à mieux évaluer et rendre compte des domaines sociaux et environnementaux tels que l’ana-lyse sociale du cycle de vie, ou les tableaux de bords équilibrés étendus à des nouvelles parties prenantes (ex. sustainable balanced scorecard). La loi NRE s’inscrit aussi dans une tendance à la « prolifération » de normes et référentiels (Waddock, 2008) qui visent à mieux encadrer la reddition de comptes du social au niveau international (GRI, ISO2600, reporting intégré, etc.). L’étude de la documentation de l’ORSE (2001) et de Novéthic montre également que la loi NRE permet aux entreprises françaises de positionner la forme élargie d’accountability du social suscitée par la loi NRE comme un outil de gestion straté-gique, par exemple en travaillant autour de la notion de risque avec des normes comme ISO14001.Ainsi, les deux compromis performatifs négociés en 1977 et en 2001 n’ont pas seu-lement fait vivre des concepts, traduits des préoccupations idéologiques et constitués de nouveaux rôles professionnels et de nou-veaux acteurs, ils ont aussi facilité et contri-bué au façonnement de nouveaux outils ou instruments de reporting qui ont permis d’équiper les nouveaux professionnels de la RSE et les professionnels des RH en recherche de légitimité, et ont aussi rendu possible de manière directe ou indirecte la mesure des concepts qu’ils performent, que ce soit en offrant des indicateurs quantifiés

Cet

art

icle

des

Edi

tions

Lav

oisi

er e

st d

ispo

nibl

e en

acc

es li

bre

et g

ratu

it su

r ar

chiv

es-r

fg.r

evue

sonl

ine.

com

Page 20: Rendre compte du social Cet article des Editions Lavoisier

220 Revue française de gestion – N° 237/2013

pour évaluer certains paramètres de la qua-lité de la GRH (voir, par exemple, Allouche, 1992, pour la loi de 1977) ou encore en facilitant le travail des agences de notation qui permettent d’évaluer la notion de RSE (voir, par exemple, Igalens et Gond, 2005).

IV – DISCUSSION ET IMPLICATIONS

1. Reconsidérer l’accountability du social

Au final, les quatre composantes de notre cadre d’analyse permettent de rendre compte des dynamiques à l’œuvre dans la constitution d’un compromis performatif dans le domaine de l’accountability du social et d’en capturer certains des effets. La comparaison de ces dimensions aux périodes de négociation et de mise en appli-cation de deux cadres légaux montre com-ment elles se complètent et interagissent pour rendre compte des modalités d’exis-tence de l’accountability du social à chaque période. Ainsi les acteurs mobilisent, par-fois délibérément, mais le plus souvent indirectement, des conceptualisations théo-riques du social en les traduisant au prisme de leurs orientations idéologiques. Ce fai-sant, ils constituent des rôles professionnels et des outils de gestion dont l’existence va conforter l’existence théorique de certaines notions, en permettant notamment de les mesurer, et va confirmer certaines orienta-tions idéologiques en focalisant les acteurs sur certains indicateurs.L’approche en termes de compromis per-formatif souligne que les dynamiques de constitution d’un mode de compte rendu du social à un moment donné n’est pas uniquement un processus de rationalisation d’une idéologie sociale (Hasselbladh et Kallinikos, 2000 ; Lyotard, 1994) ou, selon

l’approche de Callon (1998), de performa-tion d’une théorisation de la responsabilité des entreprises (Gond, 2010, 2013) qui serait matérialisée en outillage pour devenir tenue pour acquise et former le contexte sociotechnique « invisible » au sein duquel opèrent les acteurs (Berry, 1983), même si une forme d’accountability du social peut résulter d’un tel enchaînement via la mobi-lisation du reporting en interne (Acquier, 2007). Ce faisant notre analyse contribue au rapprochement des approches comptables avec la théorie des organisations (Miller et Power, 2013).Les différentes formes de jeu entre théories, idéologies, acteurs et instruments illustrées dans le cas de la France et capturées par la notion de compromis performatif sug-gèrent une approche plus ouverte et moins déterministe des processus qui produisent les formes de compte rendu social dans un contexte socio-historique donné. D’une part, les composantes du modèle s’autono-misent : les indicateurs vivent et meurent, les catégories d’acteurs se reconstituent autour de nouvelles pratiques et de nou-veaux concepts, et les théories subissent le test de la confrontation empirique et l’in-fluence non négligeable des effets de mode. D’autre part, les composantes du modèle ne s’agencent pas telle une mécanique bien huilée, il reste du jeu, des désajustements sont possibles et fréquents, et les relations entre composantes sont à double-sens. Une théorisation cadre les systèmes de référence des acteurs mais peut aussi être délibé-rément (re)mise en jeu pour justifier des formes de pouvoir à un moment donné et se trouver validée ou invalidée du fait de la création d’indicateurs permettant de la tester, ou d’incarner ses concepts centraux.

Cet

art

icle

des

Edi

tions

Lav

oisi

er e

st d

ispo

nibl

e en

acc

es li

bre

et g

ratu

it su

r ar

chiv

es-r

fg.r

evue

sonl

ine.

com

Page 21: Rendre compte du social Cet article des Editions Lavoisier

Rendre compte du social 221

2. Le compromis performatif au-delà du social

Le concept de compromis performatif développé ici offre une première tentative de surmonter la fragmentation du champ d’étude de la performativité (Cabantous et al., 2012) en spécifiant les différences entre deux approches de la performati-vité et en soulignant leurs convergences. Le cadre proposé pour étudier les formes de compte rendu du social contribue à l’analyse en termes d’institutionnalisa-tion comme rationalisation (Hasselblad et Kallinikos, 2000 ; Lyotard, 1994) ou de performativité des théories via les pratiques (Callon, 1998 ; Cabantous et Gond, 2011), en évitant tout forme de déterminisme et en réinjectant les éléments permettant de considérer les rapports de forces. La notion de compromis a permis d’approcher les changements de régime et de régulation du compte rendu du social en France comme autant de négociations au sens de Reynaud (1988), qui ne mettent pas seulement en jeu les acteurs, les idéologies et les règles existantes, mais aussi les dispositifs maté-riels (instruments, outils, indicateurs) et les théories et concepts. Cette notion complète utilement les travaux visant à étudier les conditions susceptibles d’assujettir de nou-veaux domaines aux techniques comptables et d’audit (Malsch, 2013 ; Power, 1997) en spécifiant les processus par lesquels une forme d’accountability est constituée dans un contexte socio-historique donné. Ainsi, le concept de compromis performa-tif pourrait être mobilisé pour analyser la façon dont les acteurs s’efforcent de rendre de l’environnement écologique, de leurs impacts sur les droits humains via leurs activités économiques, ou d’autres formes

d’externalités positives ou négatives, en invitant à suivre les multiples connexions entre acteurs, instruments, idéologies et théories qui visent à se saisir de ces enjeux.

3. Limites et perspectives pour les recherches futures

Notre analyse empirique est bien évidem-ment limitée par la focalisation sur le cas spécifique de la France et le caractère illus-tratif de notre étude. Le « système d’affaires national » (Whitley, 1999) français présente des traits spécifiques, tels qu’un certain dirigisme et un rôle important octroyé aux syndicats, qui ont certainement influencés les conceptualisations et modes de mesure de la responsabilité sociale (Gond et Boxenbaum, 2013 ; Zarlowski, 2007). Les formes de compte rendu du social que nous avons analysées au prisme du concept de compromis performatif sont donc en partie idiosyncratiques, et des travaux ultérieurs pourront comparer les modes de constitu-tion de compromis performatifs au travers de multiples systèmes d’affaires nationaux, dans la lignée des analyses comparatives des systèmes de comptabilité sociale (voir Preston et al., 1973), afin d’évaluer ce qu’il y a de spécifique à la France dans la recherche d’une forme d’accountability du social. De telles études permettront d’analyser si les processus décrits par notre conceptualisation sont généralisables au-delà du cas français, et si des configurations spécifiques de processus compromis perfor-matif sont mises en jeu dans des contextes distincts. Le caractère comparatif, mais néanmoins illustratif, de notre analyse empirique invite finalement à développer des travaux empiriques visant à évaluer la façon dont l’intensité ou la coprésence des processus influencent les mises en forme

Cet

art

icle

des

Edi

tions

Lav

oisi

er e

st d

ispo

nibl

e en

acc

es li

bre

et g

ratu

it su

r ar

chiv

es-r

fg.r

evue

sonl

ine.

com

Page 22: Rendre compte du social Cet article des Editions Lavoisier

222 Revue française de gestion – N° 237/2013

des comptes rendus du social à différentes périodes de temps.

CONCLUSION

Dans cet article, nous avons proposé une nouvelle théorisation de l’évolution des formes de compte rendu du social comme compromis performatif résultant de la mise en jeu des idéologies, théories, instru-ments et acteurs. Ce cadre d’analyse du compromis performatif synthétise deux approches distinctes de la performati-vité comme « recherche d’efficience » et comme « transformation des théories en réalité sociale », et, ce faisant, réintègre les jeux de pouvoir entre acteurs dans l’analyse

en appréhendant la constitution de formes de compte rendu du social comme une négociation complexe et indéterminée qui s’appuie sur des concepts théoriques et leurs traductions aux prismes d’idéologies, mais est aussi sujette à l’influence auto-nome des nouveaux rôles professionnels et des instruments créés dans la constitution du compromis performatif. Les change-ments de modalités du compte rendu du social par les entreprises en France depuis les années 1970 ont permis d’illustrer la pertinence et la plausibilité empirique des processus inhérents au compromis perfor-matif, ouvrant de nouvelles perspectives de recherche.

Bibliographie

Ackerman R.W. et Bauer R.A. (1977). « Pour une approche empirique », Revue française de gestion, n° 12-13, p. 32-33.

Ackerman R.W. et Bauer R.A. (1976). Corporate social responsiveness. The modern dilemma, Reston VA, Reston Reston.

Acquier A. (2007). Les modèles de pilotage du développement durable : Du contrôle externe à la conception innovante, thèse de l’École des mines de Paris, Paris.

Acquier A., Daudigeos T. et Valiorgue V. (2011). “Corporate social responsibility as an organizational and managerial challenge: the forgotten legacy of the corporate social responsiveness movement”, M@n@gement, vol. 14, n° 4, p. 221-250.

Acquier A., et Aggeri F. (2007). “The development of a CSR industry: Legitimacy and feasibility as the two pillars of the institutionalization process”, Managing corporate social responsibility in action: Talking, doing and measuring, den Hond F., de Bakker F. et Neergaard P. (Eds.), London, Ashgate Publishing, p. 149-165.

Acquier A. et Gond J.-P. (2006). « Les enjeux théoriques de la marchandisation de la responsabilité sociale de l’entreprise », Revue Gestion, vol. 31, n° 2, p. 83-91.

Allouche J. (1993). « Les rémunérations salariales : une analyse de 255 bilans sociaux d’entreprises 1979-1989 », Revue française de gestion des ressources humaines, n° 8.

Allouche, J. (1992). « La formation dans l’entreprise : une analyse de 255 bilans sociaux d’entreprises 1979-1989 », Revue française de gestion des ressources humaines, n° 2.

Althusser L. (1986). Pour Marx, Paris, La Découverte.

Cet

art

icle

des

Edi

tions

Lav

oisi

er e

st d

ispo

nibl

e en

acc

es li

bre

et g

ratu

it su

r ar

chiv

es-r

fg.r

evue

sonl

ine.

com

Page 23: Rendre compte du social Cet article des Editions Lavoisier

Rendre compte du social 223

Antheaume N. (2004). « Aux origines de l’obligation de publier des informations sociales et environnementales : le cas de la loi NRE en France », Normes et Mondialisation, France. Disponible : http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/59/27/63/PDF/Antheaume.pdf

Austin J.L. (1962). How to Do Things with Words, Oxford, England, Oxford University Press.Avetisyan E. et Ferrari M. (2013). “Dynamics of stakeholders’ implications in the

institutionalization of CSR field in France and in the United States”, Journal of Business Ethics, vol. 115, n° 1, p. 115-133

Barad K. (2003). “Posthumanist performativity: Toward an understanding of how matter comes to matter”, Signs: Journal of Women in Culture and Society, vol. 28, n° 3, p. 801-831.

Barel Y. (1997). « Apport du bilan social dans l’appréciation de la coherence interne et externe de la GRH », Actes du congrès de l’IAS, 20e anniversaire du bilan social, p. 163-178.

Berland N., et Pezet A. (2000). « Pour une démarche pragmatique en histoire de la gestion », Comptabilité Contrôle Audit, vol. 6, n° 3, p. 5-17.

Berry M. (1983). « Une technologie invisible. L’impact des instruments de gestion sur l’évolution des systèmes humains », Cahier du Centre de recherche en gestion, Paris.

Bezes P. (2004). « Rationalisation salariale dans l’administration francaise : un instrument discret », Gouverner par les instruments, Lascoume P. et Le Gales P. (dir.), Paris, Presses de Sciences Po, p. 71-122.

Blind S. (1977). « Les relations de l’entreprise avec ses parties prenantes », Revue française de gestion, n° 12-13, p. 30-31.

Boltanski L. (1989). Les cadres : La formation d’un groupe social, Paris, Les Éditions de Minuit.

Brès L. et Gond J.-P. (2014). “The visible hand of consultants in the construction of the markets for virtue: Translating issues, negotiating boundaries and enacting responsive regulations”, Human Relations (forthcoming).

Butler J. (2010). “Performative agency”, Journal of Cultural Economy, vol. 3, n° 2, p. 147-161

Butler J. (1993). Bodies that matter, New York, Routledge.Cabantous L. et Gond J.-P. (2012). « Du mode d’existence de la théorie dans les

organisations : la fabrique de la décision comme praxis performative », Revue française de gestion, vol. 38, n° 225, p. 61-81.

Cabantous L., Gond J.-P., Hardy N. et Learmonth M. (2012). “What do organizational scholars mean by performativity?”, Communication à la Conference de l’European Group on Organization Studies, Montréal, July.

Cabantous L. et Gond J.-P. (2011). “Rational decision-making as a ‘performative praxis’: Explaining rationality’s eternel retour”, Organization Science, vol. 22, n° 3, p. 573-586.

Callon M. (2007). “What does it mean to say that economics is performative”, Do economists make markets? On the performativity of economics, MacKenzie D., Muniesa F. et Siu L. (Eds.), Princeton, Princeton University Press.

Cet

art

icle

des

Edi

tions

Lav

oisi

er e

st d

ispo

nibl

e en

acc

es li

bre

et g

ratu

it su

r ar

chiv

es-r

fg.r

evue

sonl

ine.

com

Page 24: Rendre compte du social Cet article des Editions Lavoisier

224 Revue française de gestion – N° 237/2013

Callon M. (1998). The Laws of the Markets, Oxford, Blackwell Publishers.Callon M. et Muniesa F. (2005). “Economic markets as calculative collective devices”,

Organization Studies, vol. 26, n° 8, p. 1229-1250.Capron M. et Quairel-Lanoizelée F. (2010). Mythes et réalités de l’entreprise responsable,

Paris, La Découverte.CES (1999). « Le Bilan Social », avis adopté le 26 mai 1999 sur le rapport présenté par

M. Jean Gautier, Journal officiel de la République française, avis et rapports du Conseil économique et social, n° 9 du 3 juin 1999.

CES (1974). « Établissement d’un Bilan Social », Étude présentée par la section des activités sociales sur le rapport de M. Yves Chaigneau, le 21 novembre 1973, Journal officiel de la République française, avis et rapports du Conseil économique et social, n° 16 du 9 mai 1974.

Chaplain E. (1997). « Les positions syndicales dans l’élaboration de la loi relative au bilan social de l’entreprise », Actes du congrès de l’IAS, 20e anniversaire du bilan social, p. 41-52.

Chiapello E. et Gilbert P. (2013). Sociologie des outils de gestion. Introduction à l’analyse sociale de l’instrumentation de gestion, Paris, La Découverte.

Combemale E. et Igalens J. (2012). L’audit social, Paris, Presses Universitaires de France.Dagognet F. (1993). Réflexions sur la mesure, Paris, Encre Marines.Derrida J. (1979). “Signature event context”, Glyph 1, Johns Hopkins Textual Studies 7,

p. 172-197.Dumez H. (2008). Rendre des comptes : Nouvelles exigences sociétales, Paris, Dalloz et

Presaje.Elkington J. (1997). Cannibals with forks: The triple bottom line of 21st Century business,

Oxford, Capstone publishing.Flamholtz E. (1974). Human resource accounting: Advances in concepts, methods and

applications, Encino, CA, Dickenson.Foucault M. (1975). Surveiller et punir, Paris, Gallimard.Fournier V. et Grey C. (2000). “At the critical moment: Conditions and prospects for critical

management studies”, Human Relations, vol. 53, n° 1, p. 7-32.Garcia M.-F. (1986). « La construction sociale d’un marché parfait », Actes de la recherche

en sciences sociales, vol. 65, n° 65, p. 2-13. Goll I. et Zeitz G. (1991). “Conceptualizing and measuring corporate ideology”, Organization

Studies, vol. 12, n° 2, p. 191-207.Gond J.-P. (2013). « La RSE comme praxis performative », Repenser la Responsabilité

Sociale : l’École de Montréal, Gendron C. et Girard B. (éd.), Paris, Armand-Colin, p. 149-164.

Gond J.-P. (2010). Gérer la performance sociétale de l’entreprise, Paris, Vuibert.Gond J.-P. et Boxenbaum E. (2013). “The glocalization of responsible investment:

Contextualization work in France and Québec”, Journal of Business Ethics, vol. 115, n° 4, p. 707-721.

Cet

art

icle

des

Edi

tions

Lav

oisi

er e

st d

ispo

nibl

e en

acc

es li

bre

et g

ratu

it su

r ar

chiv

es-r

fg.r

evue

sonl

ine.

com

Page 25: Rendre compte du social Cet article des Editions Lavoisier

Rendre compte du social 225

Gond J.-P. et Igalens J. (2012). La responsabilité sociale des entreprises, Paris, Presses Universitaires de France.

Gond J.-P. et Herrbach O. (2006). “Social reporting as an organisational learning tool? A theoretical framework”, Journal of Business Ethics, vol. 65, n° 4, p. 359-371.

Hacking I. (1983). Representing and intervening. Introductory topics in the philosophy of natural science, Cambridge, UK, Cambridge University Press.

Hasselblad H. et Kallinikos J. (2000). “The project of rationalization: a critique and reappraisal of neo-institutionalism in organization studies”, Organization Studies, vol. 21, n° 4, p. 697-720.

Igalens J. (2007). « La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, intérêts et limites pour la gestion du personnel », Droit Social, n° 11, Revues Dalloz, p. 1067-1074.

Igalens J. et Gond J.-P. (2005). “Measuring corporate social performance in France: A critical and empirical analysis of ARESE data”, Journal of Business Ethics, vol. 56, n° 2, p. 131-148.

Igalens J. et Joras M. (2002). La responsabilité sociale de l’entreprise. Comprendre, rédiger le rapport annuel, Paris, Éditions d’Organisation.

Igalens J. et Peretti J.-M. (1980). Le bilan social de l’entreprise, Paris, Presses Universitaires de France.

Jones C. (2003). “Theory after the postmodern condition”, Organization, vol. 10, n° 3, p. 503-525.

Langley A. (1999). “Strategies for theorizing from process data”, Academy of Management Review, vol. 24, n° 4, p. 691-710.

Latour B. (2002). La fabrique du droit. Une ethnographie du Conseil d’État, Paris, La Découverte.

Latour B. (1996). « Que peuvent apporter l’histoire et la sociologie des sciences aux sciences de la gestion ? », Communication présentée aux XIIIe Journées nationales des IAE, Toulouse.

Lyotard J.-F. (1994). La condition postmoderne : rapport sur le savoir, Paris, Les Éditions de Minuit, 2nd édition (1er édition 1979).

MacKenzie D. et Millo Y. (2003). “Constructing a market, performing a theory: the historical sociology of a financial derivatives exchange”, American Review of Sociology, vol. 109, n° 1, p. 107-145.

Mallet L. (1991). La gestion prévisionnelle de l’emploi et des ressources humaines, Paris, Liaison.

Malsch B. (2013). “Politicizing the expertise of the accounting industry in the realm of corporate social responsibility”, Accounting Organizations and Society, vol. 38, n° 2, p. 149-168.

Marquès E. (1979). « Plaidoyer pour un autre bilan social », Humanisme et Entreprise.Marquès E. (1978). Le bilan social : L’homme, l’entreprise, la cité, Paris, Dalloz. Miller D. et Power M. (2013). “Accounting, organizing and economizing: Connecting

accounting research and organization theory”, Academy of Management Annals, p. 1-43.

Cet

art

icle

des

Edi

tions

Lav

oisi

er e

st d

ispo

nibl

e en

acc

es li

bre

et g

ratu

it su

r ar

chiv

es-r

fg.r

evue

sonl

ine.

com

Page 26: Rendre compte du social Cet article des Editions Lavoisier

226 Revue française de gestion – N° 237/2013

Moisdon J.-C. (éd.). (1997). Du mode d’existence des outils de gestion. Les instruments de gestion à l’épreuve de l’organisation, Seli Arslan.

ORSE (2001). La Lettre de l’ORSE, 1, juillet.Power M. (1997). “Expertise and the construction of relevance: Accountants and environmental

audit”, Accounting, Organizations and Society, vol. 22, n° 2, p. 123-146.Preston L., Rey F., et Dierkes M. (1978). “Comparing corporate social performance,

Germany, France, Canada and the US”, California Management Review, vol. 20, n° 4, p. 40-48.

Revue française de gestion (1977). Numéro spécial, « Le bilan social. Les recherches et les expériences », n° 12-13, novembre-décembre.

Rey F. (1977). « La comptabilité sociale », Revue française de gestion, n° 12-13, p. 139-144.Reynaud J.-D. (1988). « La régulation dans les organisations : régulation de contrôle et

régulation autonome », Revue française de sociologie, vol. 29, n° 1, p. 5-18.Roy P. et Peretti J. (1977). « Faut-il des sociétés à responsabilité illimitées », Revue française

de gestion, n° 12-13, p. 19-29Sudreau P. (1975). La réforme de l’entreprise, Paris, La Documentation française.Validire J.-L. (1976). « Un bilan social dans chaque entreprise ? Les syndicats y sont hostiles

et les milieux patronaux sont réticents », Les Échos, 27 octobre.Waddock S. (2008). “Building a new institutional infrastructure for corporate responsibility”,

Academy of Management Perspectives, vol. 22, n° 3, p. 87-108.Whitley R. (1999). Divergent capitalisms: The social structuring and change of business

systems, Oxford, Oxford University Press.Yin R.K. (2003). Case study research, Thousand Oaks, CA, Sage Publishing, 2nd Ed.Zardet V. (1997). « Bilan social et pratiques de pilotage : points de vue de DRH », Actes du

congrès de l’IAS, 20e anniversaire du bilan social, p. 3-17.Zarlowski P. (2007). “Marketing corporate social responsibility in a national context: The

case of social rating agencies in France”, Managing corporate social responsibility in action: Talking, doing and measuring, den Hond F., de Bakker F. et Neergaard P. (Eds.), London, Ashgate Publishing, p. 167-186.

Cet

art

icle

des

Edi

tions

Lav

oisi

er e

st d

ispo

nibl

e en

acc

es li

bre

et g

ratu

it su

r ar

chiv

es-r

fg.r

evue

sonl

ine.

com