revue internationale de droit et science politique
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REVUE INTERNATIONALE DE DROIT
ET SCIENCE POLITIQUE
COMITE SCIENTIFIQUE
R.I.D.S.P, Vol. 1, N°4 – Décembre 2021
RIDSP
REVUE MENSUELLE
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COMITE SCIENTIFIQUE
Pr. Moktar ADAMOU
Agrégé des Facultés de Droit, Université de Parakou ;
Pr. Thomas CLAY
Agrégé des Facultés de Droit, Professeur à l’école de droit de la Sorbonne, (Université Paris 1), Avocat au
barreau de Paris ;
Pr. Nadège JULLIAN
Agrégé des Facultés de Droit, Professeur, Université Toulouse 1 Capitole ;
Pr. Victorine KAMGOUI KUITCHE
Maître de Conférences, Université de Ngaoundéré
Pr. Sandie LACROIX-DE SOUSA
Maître de Conférences HDR, Université d’Orléans ;
Pr. Marie-Colette KAMWE MOUAFFO
Maître de Conférences, Université de Ngaoundéré ;
Pr. Jean Pierre CLAVIER
Professeur, Université de Nantes ;
Pr. Guy Florent ATANGANA MVOGO
Maître de Conférences, Université de Ngaoundéré ;
Pr. Najet BRAHMI
Professeur, Université de Tunis El Manar
Dr. MFEGUE SHE Odile Emmanuelle épouse MBATONGA
Université de Yaoundé II
M. Maxime KALDJONBE
Magistrat, Juge et Juge d’instruction près le Tribunal de Grande Instance de la VINA ;
M. SABABA MAGAZAN
Magistrat, Juge et Juge d’instruction près le Tribunal de Grande Instance de la VINA et Juge d’instruction
près le Tribunal Militaire de l’Adamaoua ;
M. David YINYANG
Magistrat, Substitut du Procureur près les tribunaux d’instance du FARO à POLI ;
Mme Sandrine DATSE
Avocate au Barreau de Paris, Conseil Adjoint devant la Cour Pénale Internationale.
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Dr. WILLARBANG ZUINSSA
Dr. YAOUBA HAMADOU A.
Dr. Alexis BAAYANBE BLAMA
Dr. Ibrahima HALILOU
Dr. Raissa PAYDI
Dr. Dieu-Ne-Dort BADAWE KALNIGA
Mme Mbissa Valérie HAMBOA ZONGA
M. ARI HAMADOU GUY
Mme MOUANGA MOUSSENVOULA G.
Mme Adama SALME
M. Elie SAPITODEN
M. Bienvenu DOMBA
M. Jacob Israël Firina
M. Benjamin DIGUIR DABOLE
M. ALI BOUKOUN ABDOULAYE
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Rédacteur en Chef
Dr. Timothée MANGA BINELI
Université de Yaoundé II.
Rédactrice en Chef Adjointe
Dr. Calice Cléopatre MAINIBE TCHIOMBE
Université de Ngaoundéré.
Dr. Josué DIGUERA
Dr. Job Didier BAHANA
Dr. Eloi BAKARY
Dr. Gérard Müller MEVA’A
Dr. Sadjo ALIOU
Dr. Joceline Gaëlle ZOA ATANGANA
Dr. Deguia CHECK IBRAHIM
Dr. Issa Pave ABDEL NASSER
Dr Prosper Hugues FENDJONGUE
Dr ABOUKAR BANGUI AGLA
Dr Messi MBALLA ANGE
Dr. DJARSOUMNA LINDA
Dr Djidjioua Garba ISSA
Dr Norbert DOURGA
Dr Djorbele BAMBE
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Coordonnateur rubrique Droit Privé
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Coordonnateur rubrique Science Politique
Dr. Georges Francis MBACK TINA
Coordonnateur rubrique English Law
Dr. Waraï Michael TAOYANG
Coordonnateurs des rubriques
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Le Rédacteur en Chef
Dr. Timothée MANGA BINELI
Université de Yaoundé II.
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SOMMAIRE
❖ Droit Public
Le renouveau du parlement dans les états d’expression française étude à partir du Tchad à la
lumière des réformes constitutionnelles de 2018 et de 2020 .......................................................... 1
Douna Nang-Weye Dieudonné Et Mahamat Yassine Oumar
Les détournements de crédits d’indemnisation en matière d’expropriation pour cause d’utilité
publique en droit camerounais ...................................................................................................... 27
Grégoire Narcisse Manga Tsoungui
La gouvernance de recrutement du personnel dans les Collectivités Territoriales Décentralisées au
Cameroun : entre faible régulation normative et prévalence des normes pratiques ..................... 54
Metsagho Mekontcho Boris Et Yankeng Foyet Wilfried Aubin
L’imprécision du contenu des normes juridiques internationales à l’aune de la criminalité
transfrontalière en Afrique ............................................................................................................ 87
Belinga François Xavier
Le contrôle à postériori de la passation des marchés publics par l’auditeur indépendant au
Cameroun .................................................................................................................................... 114
Mevo Mevo Emmanuel
Réflexion à propos de l’encadrement des droits de l’homme dans les procédures d’urgence en droit
camerounais ................................................................................................................................ 138
Tonhoul Bienvenu
La coopération interinstitutionnelle entre l’ONU et l’UA dans les opérations du maintien de la paix
et de la sécurité en Afrique ......................................................................................................... 152
Yahya Hassoumi
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La judicisation du concept de gouvernance : propos sur un nouveau paradigme du droit électoral
camerounais ................................................................................................................................ 170
Agathon Ondoa Rodrigue Stéphane
La règle de l’inattaquabilité du titre foncier au regard de la dynamique du droit public africain
..................................................................................................................................................... 196
Agathon Ondoa Rodrigue Stéphane
La protection de l’autonomie financière des collectivités territoriales décentralisées au Cameroun
..................................................................................................................................................... 230
Sapmadzock Tchoffo Guy Rostand
L’incidence de la transaction douanière sur le plan social ......................................................... 264
Hadidjatou Yougouda
L’Union Africaine et les organisations sous régionales et le protocole d’accord de 2008 ......... 280
Tidimi Désirée Bérénice
Le contrôle fiscal des entreprises multinationales au Cameroun……………………………….292
Nkake Ekongolo David Bienvenu
Le contrôle de proportionnalité de la législation antiterroriste en Afrique noire francophone...331
Ekoto Julien
❖ Droit Privé
Le principe de l’irrévocabilité de l’ordre de paiement donné par carte bancaire en droit CEMAC à
l’épreuve du commerce électronique .......................................................................................... 345
Mohaman Nazir
L’adoption en droit camerounais : prendre acte des nouvelles réalités ...................................... 367
Pinlap Mbom Willy Claudel
La nature du droit du titulaire d’un compte ................................................................................ 386
Touaiba Tirmou Alice
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La specificite de la cessation de paiements des etablissements de credit en difficulté en droit
CEMAC………………………………………………………………………………………...407
Paydi Raïssa
❖ Science Politique
De la gouvernance de la COVID19 au biopouvoir au Cameroun : la revanche de l’Etat néo régalien
..................................................................................................................................................... 423
Mback Tina Georges Francis
Organisations féminines : levier du développement local au Cameroun .................................... 440
Sali Gaïri
Dynamiques d’urbanisation et gouvernance durable du Lac Municipal de Yaoundé : contribution
à une intelligence socio-politologique de la ville durable en Afrique noire ............................... 470
Mekinda Mbaga Gérard Didier
La résistance du terrorisme de Boko Haram sur les iles frontalières du lac Tchad .................... 502
Vahindi Gabriel
La Chine et l’intégration spatiale par le rail en Afrique subsaharienne depuis la guerre froide . 525
Tiogo Romaric
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Le renouveau du parlement dans les états d’expression française.
Etude à partir du Tchad à la lumière des réformes constitutionnelles
de 2018 et de 2020
Par :
Dieudonné DOUNA NANG-WEYE
Doctorant en Droit Public
Université de Dschang (Cameroun)
Et
Mahamat YASSINE OUMAR
Master en Droit Public
Université de Dschang (Cameroun)
Résumé :
Le Parlement tchadien a subi de profondes mutations multidimensionnelles suite à la
Constitution du 4 mai 2018 et la révision constitutionnelle du 14 décembre 2020. Il s’est agi pour
le constituant de chercher à améliorer au mieux les aspects organique et matériel du Parlement.
Du point de vue organique, il a fait l’objet d’une importante restructuration. Monocaméral
pendant longtemps, le Parlement est devenu bicaméral avec, non pas seulement des membres
émanant des partis politiques, mais désormais issus d’autres entités particulières. Du point de vue
matériel, le Parlement a connu un remarquable réaménagement. Ses compétences ont été élargies,
tant dans son rôle législatif que dans celui de contrôle. Bien plus, les Assemblées ont désormais
la maîtrise de leurs travaux et voient le temps parlementaire s’améliorer. Ces réformes
n’entrainent certes pas un renouveau immédiat, mais il est certain qu’elles créent des conditions
d’une participation accrue des parlementaires à la vie démocratique. Le temps révélera si ce
renouveau constitutionnel va s’accompagner d’une effectivité concrète.
Mots clés : Parlement, État, Renouveau, Constitution, Tchad.
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Introduction
Démocratie sans Parlement n’est-elle que ruine de la démocratie ? La réponse à cette
question ne peut qu’être affirmative dès lors qu’il est établi qu’« on ne peut concevoir la
démocratie indépendamment des organes habilités à l’animer ou à la rendre effective »1. En
l’absence donc de ces organes, la démocratie ne peut se réaliser convenablement2.
De ce point de vue, si en démocratie le peuple est au cœur du pouvoir qu’il n’exerce pas
directement mais le délègue à ses représentants élus3, il ne fait aucun doute que le Parlement se
place en première ligne de ces organes. Ceci procèderait évidemment du constat que « le
Gouvernement est l’ennemi dangereux du peuple »4, car souvent porté à abuser de son pouvoir5.
Et comme tel, le Parlement reste une tribune censée traduire les aspirations les plus légitimes de
peuple6 et un contre-pouvoir important vis-à-vis de l’Exécutif.
Pourtant, de nombreuses prises de positions doctrinales quasi unanimes sur le déclin du
Parlement en Afrique7 concluent à sa vacuité, donnant ainsi l’impression que la vie politique peut
se comprendre indépendamment de celui-ci. Autant de sentiment d’impuissance vis-à-vis du
Parlement au point où on s’interrogeait à la manière des Professeurs CHANDERNAGOR André
et ROCARD Michel : « Un Parlement pour quoi faire ? Un député, pour quoi faire ?»8. Peut-on
encore aujourd’hui se satisfaire de telles interrogations tendant à banaliser la mission assignée au
Parlement dans une démocratie ? La réponse à cette question reste différemment orientée par la
1 GUIMDO DONGMO Bernard-Raymond, « Constitution et Démocratie dans les États francophones d’Afrique », in
NAREY Oumarou (Dir.), La constitution, Sénégal, L’Harmattan, 2018, p. 174. 2 ADELOUI Arsène-Joël, « Les métamorphoses du Parlement béninois », in AHADZI-NONOU Koffi, KOKOROKO
Dodzi, KPODAR Adama et AÏVO Frédéric Joël (Dir.), Démocratie en questions, Mélanges en l’honneur du
Professeur Théodore HOLO, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2017, p. 288. 3 ARDANT Philippe, Institutions politiques et droit constitutionnel, 7e édition, Paris, LGDJ, 1995, p. 169. 4 Le pouvoir Exécutif a été toujours considéré par le courant libéral et démocratique triomphant comme virtuellement
porté à menacer les droits et libertés fondamentaux, parce que détenteur de la force publique. V. en ce sens, GICQUEL
Jean, Droit constitutionnel et institutions politiques, 15e édition, Paris, Montchrestien, 1990, p. 495. 5 MOYEN Godefroy, « L’exécutif dans le nouveau constitutionnalisme africain : les cas du Congo, du Bénin et du
Togo », Annales de la FSJP de l’Université Marien NGOUABI, 2009, p. 41. 6 DOSSO Karim, « Les pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire francophone : cohérences et
incohérences », RFDC, nº90, 2012, p. 65. 7 HOUNKPE Mathias, « Le parlement, cet inconnu, Façon de Voir », Mensuel béninois d’analyse politique et socio-
économique, n°6, 15 avril 2001, p. 2. 8 CHANDERNAGOR André, Un Parlement pour quoi faire ? Paris, Gallimard, 1967 ; ROCARD Michel, Un député,
pour quoi faire ? Paris, Syros, 1973.
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posture négative et positive de la doctrine. Ce qui n’est guère étonnant dans la mesure où
l’efficacité d’une institution dépend du contexte et demeure une œuvre qui s’inscrit dans le temps,
marquée à la fois des moments de gloire et de déception.
Quoi qu’il en soit, lorsqu’on jette un regard d’appréciation sur les trois pouvoirs publics
décrits par Montesquieu dans l’Esprit des lois, l’acte d’accusation du Parlement est très sévère9 ;
de sorte que, non plus, celui-ci ne peut se targuer d’être le détenteur réel du pouvoir politique.
Mais au-delà du récurrent procès de « négation » qui est fait aux parlementaires, il est certain que
la vie démocratique, dans sa dimension organique, s’accommode aujourd’hui impérativement du
Parlement10. Dès lors, il est impossible de dresser l’acte de décès de cette institution du fait que
rien n’est perdu pour elle et elle-même n’y est pas perdue. C’est ainsi que des réformes nécessaires
à sa réfection, à sa rénovation ou à sa revalorisation sont observables dans plusieurs États11. Ces
réformes créent, à bien des égards, des conditions d’une participation accrue des parlementaires
dans le cadre d’un Parlement rénové. Cette évolution est désormais bien présentée par une certaine
doctrine qui observe la mutation et confirme que « les parlementaires sont devenus plus actifs »12
et sont « moins portés à la servilité vis-à-vis de l’exécutif »13. Autant le signifier clairement, ces
avis sélectifs, conjugués aux diverses réformes, rendent compte d’une certaine vitalité et
permettent d’infirmer ou de nuancer tout au moins, la thèse des Parlements contreproductifs.
Des réformes en ce sens sont en cours dans les États d’Afrique noire francophone. Déjà,
elles sont perceptibles au Tchad suite aux réformes constitutionnelles de 2018 et de 2020 dont
9 Déclin, décadence, affaiblissement, abaissement, asservissement, domestication, humiliation, Parlements issus
d’élections souvent truquées, subalternisation des députés au seul Président de la République, des caisses de
résonances comparables aux chambres d’enregistrement sont les qualificatifs les plus souvent utilisés afin de traduire
la crise que connaîtrait les institutions parlementaires. V. TOULEMONDE Gilles, Le déclin du Parlement sous la Ve
République. Mythe et réalités, Thèse de Doctorat en Droit public, Université de Lille II, 1998, p. 9. 10 ADELOUI Arsène-Joël, « Les métamorphoses du Parlement béninois », in Démocratie en questions, Mélanges en
l’honneur du Professeur Théodore HOLO, op. cit., p. 489. 11 KOSSI Somali, Le Parlement dans le nouveau constitutionalisme en Afrique : essai d’analyse à partir des exemples
du Bénin, du Burkina-Faso et du Togo, Thèse de Doctorat en Droit, Université LILE 2, 2008, pp. 36 et ss ; LARRALD
Jean-Manuel, « La réforme de 2008, une réelle revalorisation du rôle du Parlement ? », CRDF, nº 10, 2012, pp. 107-
117. 12 AIVO Frédéric Joël, « Le parlement béninois sous le renouveau démocratique : réussites et échec », RADC-CRDA,
2011, pp. 1-24 ; SIETCHOUA DJUITCHOKO Celestin, « Les caractères actuels du discours des parlementaires des
États d’Afrique noire francophone », RRJ, 2010, p. 1606. 13 DOSSO Karim, « Les pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire francophone : cohérences et
incohérences », op. Cit., p. 65.
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l’exégèse montre que le Parlement a fait l’objet d’un réaménagement important. Ces réformes
augurent-elles un renouveau ou un renforcement du Parlement ? Rien de moins sûr, certes.
Cependant, il est incontestable que les réformes engagées vont légèrement desserrer les vices
enserrant le Parlement, et partant, participer de sa revitalisation. Une telle dynamique oblige à
étudier de très près la nouvelle donne du Parlement tchadien dans le cadre du nouveau
constitutionnalisme14.
Principale institution de réalisation de l’idée démocratique15, le Parlement16 est une
instance représentative composée d’individus à qui le peuple a confié la responsabilité de le
représenter en lui soumettant le soin de définir le cadre légal dans lequel la société sera gouvernée
et de veiller à ce que ces prescriptions légales soient mises en œuvre de manière responsable par
le pouvoir Exécutif17. Il désigne l’organe législatif et de contrôle d’un État. C’est ainsi qu’on
entend ici, par Parlement, « une institution politique représentative au niveau du peuple, formée
d’une ou de plusieurs Chambres en général, investie du pouvoir de faire les lois et de contrôler
l’action du Gouvernement ».
L’institution parlementaire, autant célébrée par les textes constitutionnels actuels, est en
réalité un héritage colonial déjà présent dans les Constitutions de l’indépendance du pays et dans
celles qui l’ont suivi18. Mais celle-ci sera rapidement dévoyée quelques années plus tard au profit
d’une personnalisation, voire d’une confusion des pouvoirs au profit du Président de la
République19. L’effondrement du monolithisme politique en 1990 et l’érection d’un nouvel ordre
14 YASSINE OUMAR Mahamat, Le Parlement dans le nouveau constitutionnalisme tchadien, Mémoire de Master en
Droit public, Université de Dschang, 2021, pp. 1 et ss. 15 NDZINA NOAH Jean Marie Noël « Le pouvoir législatif dans les constitutions des États post-crise : le cas
centrafricain », RARJP, nº1, Varia, Mai 2020, p. 5. 16 Étymologiquement, le terme « Parlement », du latin parabolare, désigne à la fois la conversation et le lieu où l’on
parle. Historiquement, il a d’abord désigné des « assemblées délibérantes » dénuées de véritables pouvoirs. Trois
critères permettaient fondamentalement de définir le Parlement. Le premier caractère se rapporte au cadre
organisationnel, c'est-à-dire qu’il renvoie à un organe, une institution assurant une fonction connue et reconnue. Le
deuxième critère a trait à la collégialité, désignant ainsi la présence de plusieurs personnes ou de plusieurs membres.
Le troisième se rattache à la délibération, c'est-à-dire, après une discussion, prendre une décision qui engage
l’ensemble. Cette institution porte différentes appellations selon les pays. Aux États-Unis d’Amérique, c’est le
Congrès, en Chine l’Assemblée populaire nationale, au Cameroun le Parlement, et dans d’autres pays l’Assemblée
nationale. Quant aux structures des institutions parlementaires, certaines sont monocamérales, c'est-à-dire constituées
d’une Chambre. D’autres sont bicamérales, composées de deux chambres. 17 L’UNESCO, Guide de la pratique parlementaire, p. 5. 18 L’expression « Parlement » est apparue dans le constitutionalisme tchadien avec la Loi constitutionnelle de 1962. 19 MOYRAND Alain, « Les vicissitudes du pouvoir législatif au Tchad », RIDC, 1989, pp. 206-259.
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politique fondé sur les vertus du constitutionnalisme de la troisième vague20 permirent à
l’institution parlementaire de prendre solidement ancrage dans le paysage institutionnel du Tchad.
La Conférence Nationale Souveraine, convoquée pour exorciser le mal être politique tchadien et
conjurer une crise sociale et politique inéluctable, va servir de tremplin à la revitalisation de la
démocratie et mettre sur orbite une représentation nationale appelée à contribuer à asseoir
l’essentiel des bases régulatrices des relations sociales et des fonctions de l’État. L’adoption de la
Constitution de 1996 et l’organisation des premières élections législatives en 1997 parachèvent
l’héritage de la Conférence nationale. Dès lors, différentes mandatures se succéderont et vont jouer
leur rôle de contre-pouvoir21, malgré les vicissitudes qu’elles vont connaitre22. Ces vicissitudes
attestent de ce que le Parlement de l’ère démocratique, lui aussi, n’a pas connu une trajectoire
heureuse en raison des remous qui agitent le nouveau cycle constitutionnel et des infortunes de la
démocratie tchadienne23. Pour emporter la conviction, il se révèle que de 1997 à 2021, le
fonctionnement du Parlement est caractérisé par une instabilité chronique et la précarité des
législatures. Ainsi, aucun Parlement n’a réussi à finir son mandat24, ni à véritablement accomplir
sa mission25.
Pour toutes ces raisons, le renouveau de la puissance législative, mis en perspective par
les Forums nationaux dits « inclusifs » de 2018 et de 2020 et entériné par les différents
constituants, est attendu comme un défi de l’expérience démocratique ouverte dès 1990. Le
Parlement connait ainsi un destin nouveau qui se laisse davantage appréhender à l’aune des
réformes constitutionnelles de 2018 et de 2020. Ces réformes dévoilent qu’au regard des
modifications dont l’institution parlementaire a fait l’objet, par rapport aux Parlements précédents,
de nombreuses innovations y ont été apportées. Elles participent à aménager et dynamiser
20 CABANIS André et MARTIN Martin-Louis, Le constitutionnalisme de la troisième vague en Afrique francophone,
Bruyant-Academia, 2010, 227 p. 21 Le Parlement est même allé jusqu’à démettre les membres du pouvoir Exécutif. 22 ABDELKERIM Marcelin, « La déparlementarisation du Parlement par le prisme majorité présidentielle au Tchad »,
Annales de l’Université de N’Djamena, Série B, n°06, 2018, pp. 240 et ss. 23 ABDELKERIM Marcelin et ALLAH-ADOUMBEYE Djimadoumngar, Réflexion sur la construction et
déconstruction de l’État de droit au Tchad : hommage à Hans Kelsen, 2016, 84 p. 24 Le mandat de la troisième législature élue en juin 2011 devait expirer le 20 juin 2015. Mais elle a continué de siéger
jusqu’en septembre 2021, date à laquelle le Conseil National de Transition a été mis en place. Cette prorogation n’est
pas nouvelle. La première législature avait déjà été prorogée d’un an en 2001 et la deuxième législature l’était
également de quatre ans. 25 DOUNA NANG-WEYE Dieudonné, L’apport du Parlement à l’État de droit au Tchad, op. cit., pp. 124 et s.
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l’architecture institutionnelle du Parlement, mais aussi, à donner dans la pratique au législateur,
les outils de son efficacité relative.
Seulement, il ne faut pas perdre de vue que le système politique tchadien issu des récentes
reformes est articulé autour de la prépondérance politique et institutionnelle du titulaire de la
charge présidentielle. Dès lors, le Parlement en sort avec un rôle, non moins important, mais limité
en ce qu’il suscite un rapport malaisé avec l’Exécutif. En dépit de ce déséquilibre structurel,
généralement propre au type de régime voulu par le constituant, le nouveau Parlement se voit
rénové sur le triple plan de la représentation, des pouvoirs normatifs et de contrôle.
À cet égard, peut-on parler de renouveau du Parlement tchadien ? Cette institution,
désormais bicamérale, pourrait-elle devenir un véritable centre du pouvoir politique ? La
possibilité à elle constitutionnellement reconnue de légiférer dans des domaines plus élargis et le
renforcement de son pouvoir de contrôle sont-ils des signes d’un véritable renouveau du pouvoir
législatif ? Ces questionnements sont soutenus par une interrogation centrale qui est celle de
savoir : en quoi et dans quelle mesure le Parlement tchadien connait un renouveau ?
La pertinence de cette interrogation réside dans le dépassement des études relatives à la
crise des Assemblées parlementaires qui inondent les travaux de la doctrine africaine26. L’on
comprend dès lors que cette étude élague les procès de négation fait de tout temps aux Parlements
africains. Alors, la simplicité de la démarche de cette réflexion a le mérite de focaliser l’attention
essentiellement sur les progrès significatifs susceptibles de redonner au Parlement sa place
d’institution phare de la démocratie. Dès lors, en s’appuyant sur une démarche interprétative des
textes constitutionnels et l’histoire constitutionnelle du Tchad, il apparait que les termes du
renouveau de l’institution parlementaire sont perceptibles au double plan.
La réponse à cette question induit un double intérêt : théorique et pratique. Au plan
théorique, elle permet de jeter un regard nouveau sur le Parlement dans le nouveau
constitutionnalisme tchadien, en évaluant la portée réelle de la volonté du constituant de revaloriser
se contre-pouvoir, afin de révéler à la doctrine constitutionnaliste les mutations dont il a fait l’objet.
Au plan pratique, cette étude permet d’inscrire la nouvelle donne politique et parlementaire au
26 MOYRAND Alain, « Les vicissitudes du pouvoir législatif au Tchad », op. cit., pp. 206-259 ; AIVO Fréderic
Joël, « Le Bénin à l’épreuve du fait majoritaire », Revue africaine d’Études politiques et stratégiques, nº5, 2008, pp.
47-68 ; KANKEU Joseph, « Les missions du parlement camerounais : regards sur une illusion », Juridis Périodique,
nº73, Janvier-Février-Mars 2008, pp. 42-52.
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cœur de la conscience citoyenne, tant le scepticisme sur la réhabilitation des institutions
parlementaires persiste encore dans les esprits.
Cela étant admis, par le truchement de la mobilisation du dispositif constitutionnel
constamment en proie à des changements, il apparait qu’en droit parlementaire tchadien, le
Parlement connait une mutation tant structurelle (I) que matérielle (II).
I- LE RENOUVELLEMENT DES STRUCTURES DU PARLEMENT
Le Parlement incarne le destin de la démocratie, en ce qu’il assure, non seulement une
fonction de « représentation nationale », mais aussi la participation du peuple au pouvoir qui est
le sien, à travers ses représentants dûment élus. Le Parlement tchadien, remodelé à la suite des
réformes constitutionnelles de 2018 et 2020, redécouvre une telle valeur. Ce remodelage est sans
nul doute l’une des plus belles innovations du constituant. L’œuvre de ce dernier a consisté d’abord
en un changement structurel qui pourrait permettre à cette institution de mieux jouer son rôle
constitutionnel et politique. C’est dans cette conjoncture empreinte de mutations qu’émerge un
Parlement bicaméral (A) dont les membres n’émanent plus seulement des partis politiques, mais
également d’autres entités (B).
A- L’émergence du bicamérisme
Déjà présent dans la Constitution née du renouveau démocratique opéré au Tchad dans les
années 1990, le bicamérisme ne sera toutefois effectif jusqu’à ce que la révision constitutionnelle
de 2005 consacre l’option du monocaméralisme. À la faveur du deuxième Forum national inclusif
d’octobre 2020, qui va conduire à la révision de la Constitution du 04 mai 2018, le constituant va
consacrer, à côté de la première Chambre (1), une seconde Chambre (2). Cette option est liée aux
réformes des administrations locales et se présente comme une opportunité d’élargissement de la
représentation nationale et d’amélioration du travail parlementaire27.
2- L’amélioration de l’Assemblée nationale
Désormais Chambre basse du Parlement, l’Assemblée nationale est une vielle institutions
politico-constitutionnelle dans la dynamique institutionnelle du Tchad. Même si son destin fut
27 KUAKUVI AVITSINU, Les secondes chambres du parlement dans les États francophones : le cas du Burundi, de
le France, du Gabon et du Sénégal, Thèse de Doctorat en Droit public, Université de Lomé, 370 p ; DOUNIAN Aimé,
« Le bicamérisme dans les États d’Afrique noire francophone », RADSP, Vol V, nº9, Janvier-Juin 2017, p. 69.
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contrasté, elle fut déjà consacrée dans les Constitutions de l’indépendance du pays et dans celles
qui l’ont suivi. De son introduction au Tchad dans les années 1946 jusqu’à nos jours, la vie
politique, organisée sous la base de la démocratie parlementaire, a suivi un itinéraire sinueux, à
l’image de l’histoire politique tourmentée du pays28.
Comme souligné ci-haut, c’est la Conférence Nationale Souveraine de 1993 qui va servir de
tremplin à la revitalisation de l’Assemblée nationale. C’est au cours de ces assises que l’option
d’un ancrage réel et définitif du Tchad dans la démocratie et l’État de droit a été retenue et
concrétisée par la mise en place d’un dispositif juridique et institutionnel, et partant, l’institution
d’une Assemblée démocratiquement élue en 1997. Ce nouveau dispositif va donc procéder à la
rationalisation de la puissance présidentielle pour permettre au pouvoir Législatif de faire jouer la
règle de l’équilibre des pouvoirs. En dehors du Conseil Supérieur de Transition, issu de la
Conférence Nationale Souveraine, trois législatures démocratiques se sont succédé. La première
de 1997-2002, la deuxième de 2002 à 2011, et la troisième de 2011 jusqu’à septembre 2021. Les
travers de la pratique parlementaire rendent donc compte du renouvellement non constant de
l’Assemblée nationale. Elle a aussi fait face à de nombreuses difficultés qui ont ralenti ses activités
ou compliqué ses rapports avec l’Exécutif29.
Le 30 avril 2018, une nouvelle Constitution a été adoptée et promulguée le 04 mai de la
même année. Cette Constitution, qui sera révisée en 2020, va revigorer l’Assemblée nationale,
ancienne et unique Chambre basse du Parlement, et améliorer sa structure. Cette amélioration
certaine tient à la diminution du nombre des députés, à la redéfinition de leur mandat et à la
restauration de la suppléance.
D’abord, le nombre des députés qui vont siéger à l’Assemblée aux prochaines législatures
est revu désormais de 161 députés30 contre 188 à la troisième législature dont le mandat s’est
achevé en septembre 2021. Ensuite, la durée du mandat des députés connait une légère
augmentation, passant de 4 à 5 ans renouvelable 31 ; celle des membres du Bureau, à l’exception
28V. YASSINE OUMAR Mahamat, « Le Parlement dans le nouveau constitutionnalisme tchadien », op. cit., pp. 4 et
ss. 29 Ces difficultés sont relatives aux mœurs politiques, aux pratiques parlementaires et aux nomadismes politiques ou
transhumances du personnel politique. V. pour plus de développement, DOUNA NANG-WEYE Dieudonné, L’apport
du Parlement à l’État de droit au Tchad, op. cit., p. 125. 30 Art. 1er de la loi n°046/PR/2019 Portant Composition de l’Assemblée nationale. 31 Art. 113 de la Constitution du 04 mai 2018 révisée.
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du Président de l’Assemblée nationale qui est élu pour la durée de la législature, passe d’une année
à deux ans et demi renouvelable32. Ce léger allongement du mandat des élus permet de mieux
intensifier leurs actions et d’éviter les prorogations répétitives. Enfin, pour assurer la continuité du
travail parlementaire, voire améliorer sa qualité, le constituant de 2018 a restauré la suppléance.
C’est dire que la suppléance au Tchad n’est pas une question nouvelle. Elle a déjà été consacrée
par la loi organique n°022/PR/2000 du 02 octobre 2000, avant d’être supprimée en 2005. En
réalité, on entend par suppléance, le remplacement temporaire d’un agent empêché ou absent par
un autre dans l’exercice de ses fonctions, qui s’opère de plein droit en vertu des dispositions
statutaires qui le prévoient33. En droit parlementaire, le suppléant est une personne élue en même
temps qu’un parlementaire, qu’elle est appelée à remplacer en cas de vacance du siège34. L’article
3 de la loi organique n°046/PR/2019 portant composition de l’Assemblée nationale dispose à cet
effet que : « Le suppléant est élu sur la même liste que le député titulaire du mandat. En cas de
vacance, par décès, démission, ou toute autre cause d’empêchement définitif, le mandat de député
est achevé par son suppléant ». La restauration de la suppléance au Tchad fait suite au
dysfonctionnement que la troisième législature a connu suite aux décès et démissions ayant réduit
le nombre des députés de 188 à 155. C’est une avancée du droit parlementaire tchadien qui a pour
objet d’assurer la continuité du mandat parlementaire en cas d’empêchement des élus titulaires.
L’Assemblée nationale, reconfigurée à la suite des constitutionnelles de 2018 et de 2020,
est dotée d’importants pouvoirs. Autant de prérogatives à mettre en œuvre, dans un contexte où le
pouvoir Exécutif a prépondérance sur le pouvoir Législatif, mais en même temps, suffisamment
de possibilités de faire d’elle un contre-pouvoir véritablement actif. Dans cette perspective, la
révision constitutionnelle du 14 décembre 2020 va rompre avec des décennies de monocamérisme
en instituant une seconde Chambre.
32 Art. 118 de la Constitution du 04 mai 2018 révisée. 33 ALLAH-ADOUMBEYE Djimadoumgar, « La désinvestiture en droit public », in ONDOA Magloire et ABANE
ENGOLO Patrick Edgard (Dir.), L’exception en droit, Mélanges en l’honneur de Joseph OWONA, Paris,
L’Harmattan, 2021, p. 585. 34 GUINCHARD Serge et DEBARD Thierry, Lexique des termes juridiques, 25e édition, Paris, Dalloz, 2017-2018, p.
1962.
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2- La résurgence du Sénat
Les Constitutions africaines des premières décennies après l’indépendance avaient adopté
le bicamérisme35. Ce dernier a été très tôt mis à l’épreuve, car qualifié « d’inutile et d’anomalie ».
Le Sénat, traduction du bicamérisme, ne sera réhabilité qu’avec les reformes des administrations
locales des années 199036. Le Tchad, à l’instar du Burkina Faso37, du Cameroun, du Congo et du
Niger38, n’est pas resté en marge de la faveur dont jouissait le Sénat en Afrique à l’ouverture de
la transition. C’est ainsi qu’il va l’inscrire dans sa Constitution de 1996 en attente d’une effectivité.
Toutefois, cette institution ne sera effective jusqu’à la révision constitutionnelle de 2005, à laquelle
l’option du monocamérisme sera désormais consacrée39. Le monocamérisme va caractériser plus
de deux décennies le système politique tchadien. Le bicamérisme sera en revanche retenu dès la
mise en œuvre des résolutions du deuxième Forum national, dans le cadre de la révision
constitutionnelle du 14 décembre 2020. Les formules saisissantes de l’article 108 de la
Constitution paraissent sans équivoque à cet égard : « le pouvoir législatif est exercé par un
Parlement composé de l’Assemblée nationale et du Sénat ».
Véritable innovation, qui constitue sans doute une révolution dans la dynamique
constitutionnelle du Tchad indépendant, le Sénat est une Assemblée composée des sénateurs élus
au suffrage universel indirect. Le mode constitutionnel de leur désignation est particulier. La
particularité de ce choix électoral vient de ce que les sénateurs sont désignés par les autorités élues
des Collectivités Autonomes, notamment par un collège électoral composé des conseillers
provinciaux et communaux, pour un mandat de 6 ans40. Ce qui conduit la doctrine constitutionnelle
à considérer ces élus comme « les élus des élus »41.
35 KUAKUVI Avitsinu, Les secondes chambres du parlement dans les États francophones : le cas du Burundi, de le
France, du Gabon et du Sénégal, op. cit., p. 17. 36 DOUNIAN Aimé, « Le bicamérisme dans les États d’Afrique noire francophone », op. cit., p. 69. 37 Au Burkina Faso, la seconde Chambre du Parlement, créée en 1991 et dont le rôle a été relativement renforcé par
la révision constitutionnelle du 11 avril 2000, a été supprimée en janvier 2002, puisqu’on ne voyait plus son utilité. 38 Le Niger, comme le Tchad, va abandonner la seconde Chambre du Parlement. 39 ABDELKERIM Marcelin, Le Parlement tchadien, du bicaméralisme au monocaméralisme : la lecture des textes
constitutionnels de 1958-2005, N’Djamena, Centre AL-MOUNA, 2015, 121 p. 40 Art. 120 al. 2 de la Constitution du 04 mai 2018 révisée le 14 décembre 2020. 41 GICQUEL Jean et GICQUEL Jean Éric, Droit constitutionnel et Institutions politiques, Montchrestien, Paris, 2007,
p. 656.
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De même, le Sénat fixe, par le biais d’un Règlement intérieur, les règles de son organisation
et de son fonctionnement42, marque première de la volonté du constituant de rendre autonome cette
nouvelle institution. Du point de vue de son organisation, la haute Assemblée dispose d’un
Président élu pour la durée de la législature, et d’un Bureau dont les membres sont élus parmi les
sénateurs et soumis au régime du renouvellement partiel. Ces deux organes constituent l’instance
directrice du Sénat. Pour ce qui est de son fonctionnement, il est similaire à celui de la Chambre
basse. La Constitution dispose à cet effet que « le Parlement se réunit de plein droit en deux
sessions ordinaires »43. Le Sénat peut aussi se réunir en session extraordinaire à la demande du
Président de la République ou de la majorité absolue de ses membres. Il peut toutefois se réunir en
congrès avec l’Assemblée nationale. Pour l’exercice véritable se son mandat, les membres de cette
institution nationale bénéficient d’une protection constitutionnelle due aux sénateurs44.
Si l’organisation et le fonctionnement du Sénat, ainsi que les garanties de protection de ses
membres sont de nature à lui permettre de prendre solidement ancrage dans le paysage
institutionnel du Tchad, une telle certitude se transforme en incertitude dès que l’on interroge sa
plus-value, son utilité et son adéquation au contexte actuel45. Cette incertitude se résume en une
interrogation fondamentale : une seconde Chambre pour quoi faire ? Les risques inhérents à un tel
modèle institutionnel et les trajectoires sénatoriales ont conduit le Professeur Jean GICQUEL à
constater que « le bicamérisme en Afrique est inutile en l’état actuel des choses »46. Patrice
GELARD s’y fait plutôt une idée plus reluisante, en affirmant que la seconde Chambre du
Parlement « est à la démocratie ce que la Cour constitutionnelle est à l’État de droit »47. Quoi
qu’il en soit, on ne peut se satisfaire pour le moment de telles positions, car l’institution n’est
formellement consacrée qu’en décembre 2020. Elle est donc nouvelle dans un État qui n’a pas fait
encore l’expérience du bicaméralisme. Il apparaît dès lors difficile de donner une indication sur le
réel poids politique du Sénat au regard de l’ordonnancement constitutionnel, sauf à emprunter les
42 Art. 130 de la Constitution du 04 mai 2018 révisée le 14 décembre 2020. 43 Art. 133 de la Constitution du 04 mai 2018 révisée le 14 décembre 2020. 44 Art. 25 de la Constitution du 04 mai 2018 révisée le 14 décembre 2020. 45 GELARD Patrice, « À quoi peut donc bien servir une seconde chambre en démocratie ? », in Le nouveau
constitutionnalisme, Mélanges en l’honneur de Gérard CONAC, Paris, Economica, 2001, pp. 139-148. 46 GICQUEL Jean, « La mise en place du Conseil constitutionnel camerounais », in PRIET François (Dir.), Mélanges
en l’honneur de Henry JACQUOT, 2006, Presses universitaires d’Orléans, p. 254. 47 GELARD Patrice, Une histoire de la démocratie en Europe, Paris, Le monde, 1991, p. 35.
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sentiers d’une projection purement théorique qui n’en demeure du reste pas vraie. Toutefois, les
expériences du bicaméralisme des sociétés politiques occidentales mais surtout d’Afrique
francophone, conjuguées à l’examen de l’apport doctrinal en la matière, conduisent à retenir que
l’institution du Sénat est une opportunité dont la pratique reste autant contrastée48.
L’opportunité espérée du Sénat dans le difficile champ de la lutte des pouvoirs politiques
tient de ce qu’il se présente comme un mécanisme d’élargissement de la représentation nationale
et d’amélioration du travail parlementaire. Son importance dans l’extension de la représentation
nationale tient, à la fois, à sa vocation à répondre à la question de l’identité d’une société politique
contemporaine et à exprimer l’individu dans la diversité de ses appartenances concrètes. Ainsi,
autant la Sénat y apparaît comme un acteur des nouveaux centres du commandement que sont les
instances locales, autant il conserve la possibilité de les impulser49. Son importance à
l’amélioration du travail parlementaire, en outre, découle de ce que d’une part, l’existence de deux
Chambres au Parlement serait un gage de la garantie de la qualité des lois50 et d’autre part, le
contrôle de l’action gouvernementale serait renforcé51. L’innovation la plus marquante réside dans
le partage de compétence avec l’Assemblée nationale en matière budgétaire. Si dans certains droits
parlementaires étrangers le bicaméralisme connait quelques limites en matière financière, il en va
autrement au Tchad. C’est d’autant vrai que le constituant consacre le principe d’égalité ou de
partage de compétence entre les deux (2) Chambres dans le domaine de la loi des finances. C’est
48 MAUS Didier, « Libre propos sur le Sénat », Pouvoirs 1993/64, pp. 89-97 ; NACH MBACK Charles, « La seconde
chambre dans les nouveaux Parlements africains », Revue Africaine de Parlementarisme et de la Démocratie, Vol. 1,
1999/1, pp. 107-134 ; DOUNIAN Aimé, « Le bicamérisme dans les États d’Afrique noire francophone », op. cit., p.
69. 49 ABA’A OYONO Jean-Calvin, « libres propos sur le sénat en droit constitutionnel camerounais », Afrilex, 2015,
pp. 5 et ss. 50 Avec le système monocaméral, l’examen des trois grandes composantes du pouvoir Législatif à savoir le droit
d’initiative, le droit d’amendement et la délibération des textes de lois appartiennent exclusivement à la Chambre des
députés. L’introduction du système bicaméral, avec la seconde Chambre, permet à celle-ci de participer aussi à la
procédure législative. Elle atténue ainsi la toute-puissance d’une Assemblée unique et augmente la potentialité de
l’initiative parlementaire. L’existence de deux Chambres au sein du Parlement permet alors une meilleure division du
travail parlementaire en un double examen législatif, gage d’une meilleure confrontation des idées. V. KUAKUVI
Avitsinu, Les secondes chambres du parlement dans les États francophones : le cas du Burundi, de le France, du
Gabon et du Sénégal, op. cit., pp. 188 et ss. 51 L’art. 119 de la Constitution révisée dispose que : « le Parlement vote les lois, contrôle l'action du Gouvernement,
évalue les politiques publiques et contrôle l'exécution des lois ».
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ainsi que : « Le projet de loi des finances est déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale et du
Sénat au plus tard la veille de l’ouverture de la deuxième session ordinaire »52.
Autant, certes, de force et d’utilité à espérer du Sénat, mais autant sa condition juridique
dessine les contours d’une faiblesse institutionnelle. L’on note à cet effet que la répartition des
tâches entre les deux assemblées parlementaires ou entre celles-ci et le pouvoir Exécutif fait
ressortir une certaine inégalité juridique. Le Sénat en sort ainsi avec une fonction législative
minorée et une fonction de contrôle faible.
En fait, l’on sait qu’autant l’Assemblée nationale participe au travail législatif du
Parlement, autant le Sénat détient cette prérogative en application de l’article 19 de la Constitution
du 04 mai 2018. Toutefois, si en cas de convergence d’opinions le texte est adopté, c’est surtout
en cas de divergence que l’inégalité entre les deux Chambres émerge et la prédominance de
l’Exécutif également s’impose53. Bien plus, l’article 147 dispose que « les projets et propositions
de la loi sont soumis, par le Président de la République, à la Cour suprême, pour avis, avant d’être
examinés en Conseil des ministres ». Une disposition sans doute inédite dans la procédure
législative ordinaire des parlementaires. Elle est la traduction de la participation active de
l’Exécutif à la fonction législative54.
La participation du Sénat dans le cadre du contrôle politique connait également une faiblesse,
alors qu’il dispose des techniques assez variées pour permettre un contrôle effectif, sinon efficace.
Mais à l’analyse, ces techniques de contrôle relèvent d’outils d’information qui ne conduisent à une
sanction contre l’Exécutif. La participation mesurée du Sénat aux travaux législatifs et la réduction
de ses pouvoirs de contrôle sont les signes d’une ambiguïté à son processus d’enracinement, qui
risque d’aboutir à un bicamérisme de façade, malgré l’expression désormais plurielle des opinions
au sein du Parlement.
B- La diversification politique et sociologique du Parlement
Le Parlement tchadien connait un regain de vitalité avec l’expression désormais plurielle
des opinions qui se traduit par une importante amélioration de sa représentativité. Ce souci d’une
52 Art. 146 al. 3 de la Constitution du 04 2018 révisée. 53 Art. 154 de la Constitution du 04 mai 2018 révisée. 54 SOGLOHOUN Prudent, « Les fonctions législatives du président de la République. Étude de droit comparé »,
RBSJA, 2017, pp. 83-121.
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meilleure représentativité est la preuve que le sentiment national n’est pas figé ; il peut sans doute
évoluer pour mieux refléter la nation, en tant qu’entité sociologique, et conforter la pratique de la
démocratie représentative par la démocratie de proximité. Trois entités particulières, notamment
les femmes (2), la diaspora et les nomades (1), sont désormais représentées au Parlement, et
constituent un indice particulièrement significatif du renouveau de celui-ci.
1- La diaspora et les nomades, une nouvelle identité au Parlement
La reconnaissance des droits de certains groupes particuliers et des citoyens de l’étranger
est une problématique majeure à laquelle beaucoup d’États y ont apporté une solution55 et sur
laquelle le constituant tchadien est resté muet pendant longtemps. Ce mutisme pourrait se justifier
par la prévalence de l’idéologie de « l’unité nationale »56 sous laquelle l’État tchadien a été porté
à l’existence après l’indépendance, dans l’optique de ressembler tous les ressortissants aux origines
sociologiques disparates autour d’une nation unifiée. Prenant conscience que la volonté
proclamant la nation ne reflétait pas la réalité des faits, les pouvoirs publics tchadiens vont
supplanter l’idéologie « d’individu collectif » par la reconnaissance des identités particulières.
Cette reconnaissance est l’œuvre de l’idéologie libérale, promue notamment par le renouveau
constitutionnel des années 1990. C’est ainsi que le rêve de l’égalité entre les citoyens dans la
jouissance des droits s’est transformé en réalité avec la reconnaissance des droits spécifiques au
profit de certaines entités que sont la diaspora et des nomades57. L’attachement des nomades à un
groupe et « la mondialisation de l’économie multipliant les possibilités pour les citoyens de vivre
en dehors de leur État d’origine sans y renoncer »58 justifient la prise en compte des droits de ces
55 MOUANGUÉ-KOBILA James, « Droit de la participation politique des minorités et des populations autochtones.
L’application de l’exigence constitutionnelle de la prise en compte des composantes sociologiques de la circonscription
dans la constitution des listes de candidats aux élections au Cameroun », RFDC, n°75, 2008, pp. 629-664 ; NAREY
Oumarou, « Les droits des minorités en Afrique : jeu et enjeux », Afrilex, 2012, pp. 1 et ss. 56 Au lendemain des indépendances, les États africains sont très vite confrontés à un certain nombre de problèmes
essentiels à leur viabilité, mais aussi à leur stabilité et donc à leur durabilité. Le premier de ces problèmes et
apparemment le plus urgent, était assurément celui de la construction d’une nation, interlocuteur sociologique
indispensable à tout État qui veut se consolider, et à plus forte raison d’un État construit en l’absence d’une nation.
Aussi fallait-il, dans chacun des États, engager le vaste et difficile chantier de la construction d’une unité nationale. 57 Art. 114 al. 2 de la Constitution du 04 mai 2018 révisée le 14 décembre 2020. 58 OLINGA Alain Didier, « Le citoyen dans le cadre constitutionnel camerounais », in ONDOUA Alain (Dir.), La
constitution camerounaise du 18 janvier 1996 : bilan et perspectives, Africaine édition, 2008, p. 165.
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« entités infranationales et supranationales »59 enfouies pendant longtemps sous le prisme de
« nation unifiée ».
S’agissant de la diaspora, qui désigne ici les citoyens d’un État vivant hors de ses
frontières, la prise en compte de ses droits est restée une question récurrente et sur laquelle le
pouvoir politique est resté longtemps inflexible. Mais le fait que ces citoyens, même vivant à
l’étranger, conservent leur lien de rattachement à leur État d’origine, justifie qu’on leur reconnaisse
le droit à la participation politique. Cette reconnaissance va se manifester, d’abord, par la mise en
place des représentations institutionnelles pour défendre leurs intérêts ou assurer l’effectivité de
l’exercice d’un certain nombre de leurs droits civils. Ensuite, le développement de la citoyenneté,
sous le prisme des questions électorales spécifiques, va conduire à la reconnaissance du droit de
vote aux élections politiques du pays. Enfin, et la plus originale est la nouvelle conception qu’en
donne la Constitution de 2018 aux citoyens de l’étranger. Celle-ci les conçoit désormais, non pas
seulement comme électeurs, mais aussi comme des citoyens éligibles, leur faisant bénéficier pour
la première fois d’une représentation spécifique à l’Assemblée nationale avec des députés élus par
eux. C’est dire qu’aujourd’hui, l’expression des droits politiques de la diaspora passe soit par la
mise en œuvre de son statut d’électeur, soit par le biais de l’éligibilité au Parlement. Cet état de
fait s’impose d’ailleurs dans la mesure où « le suffrage est universel, direct ou indirect, égal et
secret ; et qu’y participent tous les citoyens »60.
La présence des tchadiens de l’étranger au Parlement est ainsi une nouveauté pour laquelle
il faut s’en réjouir, au regard du nombre de pays dépourvus de représentation parlementaire
spécifique pour la diaspora61. Le constituant tchadien, en s’inscrivant dans cette logique de culture
démocratique, organise les rapports entre gouvernants et gouvernés de telle manière que la
diaspora puisse participer soit de façon médiate, soit de façon immédiate à l’exercice de la
souveraineté. Il résulte que les citoyens de l’étranger conservent un droit de regard sur l’exercice
59 MBALLA OWONA Robert, « Le citoyen et le renouvellement du droit constitutionnel en Afrique », in ONDOA
Magloire et ABANE ENGOLO Patrick Edgard (Dir.), Les transformations contemporaines du droit public en Afrique,
op. cit., p. 139.
60 Art. 6 de la Constitution du 04 mai 2018 révisée. 61 En plus du Tchad, les pays dans lesquels une représentation parlementaire de la diaspora existe sont : le Liban, la
Roumanie, le Sénégal, le Niger, et la France. V. L’Assemblée parlementaire de la francophonie, La représentation
parlementaire des citoyens expatriés, Québec, 2018, 13 p.
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par les gouvernants, du pouvoir politique62. Dès lors, ces citoyens participent à l’orientation de la
conduite des gouvernants.
En ce qui concerne des nomades, il est observable que malgré l’imprécision des critères les
déterminant, ces citoyens relevant d’un groupe social donné font leur apparition en tant qu’acteur
du jeu démocratique. Le nomadisme, faut le dire, est un mode de vie fondé sur le déplacement,
couvrant généralement des personnes sans domiciles ni résidences fixes. Leur origine et leurs
caractéristiques font de ces personnes une entité sous-représentée dans les instances décisionnelles.
Pourtant, cette entité participe de la nation étatique. Elle mérite pour ce faire reconnaissance et
protection juridique. Pour y commencer, le constituant fait d’elle un groupement politique appelé
désormais à intervenir dans le jeu démocratique, en lui réservant un quota dans les deux Chambres
du Parlement63. Cette représentation est avantageuse, car elle permet aux nomades de contribuer à
ce que leurs droits soient protégés et à ce que leurs intérêts particuliers soient pris en considération
et se traduisent par des politiques adaptées, en vue d’éviter les conflits liés à leur identité. En
application de l’article 121 de la Constitution du 04 mai 2018, le nombre des députés représentant
les nomades est fixé à cinq par une loi organique64. La représentation des femmes au Parlement
parachève la pluralité d’opinions au sein du Parlement.
2- La consécration de la parité dans l’accès au Parlement
Le constituant de 2018 fait mention de la parité65 comme un déterminant du processus
d'accès au Parlement. Il s’agit d’un principe qui bénéficie à certaines catégories de citoyens que le
constituant estime vulnérables et entend protéger davantage ; il d’agit notamment des femmes66.
De manière générale, la parité désigne un « principe selon lequel les hommes et les femmes doivent
être représentés dans certaines institutions ou partis politiques »67. Pour les Professeurs Pierre
AVRIL et Jean GICQUEL, la parité correspond à un « principe tendant à favoriser l’égal accès
62 OLINGA Alain Didier, « Le citoyen dans le cadre constitutionnel camerounais », in ONDOUA Alain (Dir.), La
constitution camerounaise du 18 janvier 1996 : bilan et perspectives, op. cit., p. 165. 63 Art. 121 de la Constitution du 04 mai 2018 révisée. 64 Art. 1 de la loi fixant la composition de l’Assemblée nationale, le régime des inéligibilités et des incompatibilités. 65 Le concept de parité, proposé par le Conseil de l’Europe en 1989, est apparu dans les années 1990 et s’est imposé
au monde politique. V. WANDJI NJINKOUE Odette Michée, Existe-il des droits spécifiques aux femmes?, Thèse de
Doctorat en Droit, Université Grenoble Alpes, 2017, p. 369. 66 Art. 34 de la Constitution du 04 mai 2018 révisée. 67 GUINCHARD Serges et DEBARD Thierry, Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 2017, p. 1665.
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des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux
responsabilités professionnelles et sociales »68. Mais de manière plus précise, « la parité est un
mot comptable [...] qui signifie 50% ou un sur deux » quant à la présence des femmes et des
hommes au sein des structures publiques et politiques69.
Le constituant tchadien s’est employé à garantir cet élément ayant fortement à voir avec la
problématique du genre en vogue dans les États70. L’obligation qu’assigne le constituant à l'État
d’« assurer à tous l'égalité devant la loi sans distinction d'origine, de race, de sexe […] », finit de
convaincre. Bien plus, en prescrivant que « l'État œuvre à la promotion des droits politiques de la
femme par une meilleure représentation dans les assemblées élues, les institutions et
administrations publiques et privées »71, le constituant de 2018 pose les jalons qui sous-tendent
fortement la parité. C’est d’autant plus vrai que ces dispositions constitutionnelles sont
approfondies par l’ordonnance nº12/PR/2018 instituant la parité dans les fonctions électives et
nominatives. L’article 2 de cette ordonnance dispose qu’« un quota d’au moins 30% est affecté
aux femmes dans toutes les fonctions nominatives. Ce quota doit évoluer progressivement vers la
parié. Sous peine d’irrecevabilité, les listes de candidatures aux élections législatives et locales
sont composées d’au moins 30% de femme ». Le Code électoral énonce également de mesures
spécifiquement liées à la « démocratie paritaire » et de fait, à l’inclusion des femmes sur les listes
présentées par les partis politiques pour les élections nationales et municipales72.
L’ancrage de la parité dans l’accès à la représentation nationale vise à restructurer les
rapports hommes et femmes longtemps déséquilibrés au profit des hommes. De toute évidence,
cet ancrage doit beaucoup aux mouvements féministes ayant conduit à une réelle politique
nationale de promotion du genre ces dernières années. Une telle politique répond non seulement à
une exigence de justice ou de démocratie, mais participe aussi de la nécessaire prise en compte de
l’évolution des droits des femmes.
68 AVRIL Pierre et GICQUEL Jean, Lexique de droit constitutionnel, 4e édition, Paris, PUF, Collection Que sais-je ?
2013, p. 78. 69 MONEMBOU Cyrille, « Le genre dans la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 », in AKEREKORO Hilaire
(Dir.), Les silences de la constitution béninoise du 11 décembre 1990, op. cit., p. 130. 70 DOUNA NANG-WEYE Dieudonné, « L’articulation des droits fondamentaux dans les Constitutions tchadiennes
post-transitions : contribution à la garantie normative des droits fondamentaux », RIDSP, Vol. 1, n°2, Octobre 2021,
pp. 17-18. 71 Article 34 de la Constitution du 04 mai 2018 révisée. 72 V. les art. 151 et 178 de la loi nº033/PR/2019 portant du Code électoral.
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De tout ce qui précède, la reconnaissance des droits de toutes les identités particulières
« suscite le renouvellement des piliers du droit constitutionnel pour le citoyen et participe de la
construction d’une démocratie rénovée »73. Au-delà de la rénovation structurelle du Parlement, la
Constitution du 04 mai 2018 révisée se démarque tout aussi particulièrement par le
perfectionnement de son cadre matériel qui conditionne aussi substantiellement la qualité du
travail parlementaire.
II- LE PERFECTIONNEMENT DU CADRE MATÉRIEL DE L’ACTION
PARLEMENTAIRE
Dans sa dimension matérielle, la Parlement s’accommode des outils et principes qui, peut-
on dire, concourent à la réalisation de ses deux principales fonctions classiques74. Sans ces outils
et principes insérés dans les textes constitutionnels, le Parlement ne peut s’affirmer. C’est dans ce
sens que ses deux fonctions font l’objet d’un perfectionnement conséquent (A). Il en est de même
de son agenda (B).
A- La dynamisation de la fonction parlementaire
Le Parlement, qui incarne un double rôle normatif et de contrôle de l’action
gouvernementale, s’est vu constamment porté à la servilité vis-à-vis de l’Exécutif, puis affirmé
progressivement. Sa fonction va être reconfigurée par la Constitution du 04 mai 2018 révisée de
manière à lui permettre de devenir un acteur de la scène politique. C’est ainsi que cette institution
est dotée d’importants nouveaux instruments de contrôle (1). Sa fonction normative connait tout à
la fois une revalorisation (2).
1- L’émergence des nouveaux mécanismes de contrôle
Il est de plus en plus admis que la fonction principale du Parlement moderne ne consiste
plus essentiellement à légiférer, mais plutôt à contrôler et à orienter le Gouvernement75.
L’institution parlementaire tchadienne incarne une telle valeur, malgré les vicissitudes qu’il
73 MBALLA OWONA Robert, « Le citoyen et le renouvellement du droit constitutionnel en Afrique », in ONDOA
Magloire et ABANE ENGOLO Patrick Edgard (Dir.), Les transformations contemporaines du droit public en Afrique,
op. cit., pp. 133-147. 74 AVRIL Pierre et GICQUEL Jean, Droit parlementaire, op. cit., p. 160. 75 KOSSI Somali, Le Parlement dans le nouveau constitutionalisme en Afrique : essai d’analyse à partir des exemples
du Bénin, du Burkina-Faso et du Togo, op. cit., p. 327.
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connait en raison de la montée en puissance de l’Exécutif. L’un des objectifs affichés des réformes
constitutionnelles de 2018 et 2020 est de rendre le Parlement plus contrôleur en redéfinissant sa
fonction de contrôle dans le sens voulu par le parlementarisme moderne76. En effet, pendant
longtemps, le contrôle parlementaire tchadien s’est exclusivement identifié à travers les moyens
classiquement connus : l’interpellation, les questions, les commissions d’enquêtes, l’audition en
commissions et la motion de censure. Les réformes de 2018 et de 2020 innovent le rôle du
Parlement en la matière, inscrivant désormais l’évaluation des politiques publiques77, le contrôle
de l’exécution des lois et la question d’actualité parmi ses missions.
L’innovation apparaissant comme la plus intéressante en matière de contrôle est
l’évaluation des politiques publiques. Pratiquée depuis longtemps par les Parlements anglo-saxons
et introduite en France par la révision constitutionnelle de 200878, ce mécanisme instaure une
nouvelle culture pour le Parlement tchadien. Il est introduit par le nouvel article 144 (5) de la
Constitution de 2018 révisée et constitue un fait à inscrire sans doute parmi les éléments les plus
marquants de la mutation du droit parlementaire tchadien. Car, pour reprendre l’expression de
Jean-Félix DE BUJADOUX à laquelle il est d’un intérêt certain de souscrire, l’institution
parlementaire aujourd’hui, c’est « un Parlement qui évalue et qui contrôle »79. Ainsi, au contrôle
classique du Parlement sur l’Exécutif, vient s’ajouter ce qu’on pourrait appeler « un contrôle sur
l’efficacité des choix gouvernementaux ». Ce qui distingue, dès lors, ce mécanisme de contrôle
d’autres activités plus classiques des parlementaires.
L’évaluation des politiques publiques n’est, en réalité, ni un contrôle de régularité de la
dépense, ni une fonction d’inspection générale des services ou, a fortiori, un contrôle juridictionnel
qui répondent à d’autres questions. Elle est plutôt un outil d’appréciation de l’efficacité des
programmes d’action gouvernementale qui permet de comparer les résultats aux objectifs et aux
moyens mis en œuvre80. Dans cette perspective, la logique de moyens s’efface, en effet, au profit
76 DE BUJADOUX Jean-Félix, « Le nouveau Parlement : la révision du 23 juillet 2008 », La Fondation pour
l’innovation politique, 2011, p. 10. 77 ARMEDRO Jean-François, « L’évaluation des politiques publiques. Structure et portée constitutionnelle d’une
nouvelle fonction parlementaire », Revue du Droit Public et de la Science en France et à l’Étranger, nº5, 2013, pp.
1137-1178. 78 DE BUJADOUX Jean-Félix, « Le nouveau Parlement : la révision du 23 juillet 2008 », op. cit., pp. 22-23. 79 Ibidem. 80 DOSIÈRE René, « Le contrôle ordinaire », op. cit., p. 45.
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d’une logique de résultat et de performance. Dès lors, cette nouvelle fonction est plus importante
qu’elle porte en elle une dynamique de l’action parlementaire. Non seulement elle serait tournée
vers le contrôle a posteriori, mais tendrait également à une démarche prospective avec la
formulation de recommandations pour l’avenir. Ce mécanisme peut ainsi conduire le Parlement à
s’interroger sur les projets des lois qui lui sont proposés en s’assurant de la qualité de ces lois et
de leur application.
L’une des innovations de la Constitution de 2018 révisée est le contrôle de l’exécution des
lois. Ce mécanisme de contrôle, posé à l’article 112, est sans doute le plus original et une des voies
les plus prometteuses pour redynamiser la fonction parlementaire. Son originalité résulte de sa
singularité au mécanisme de contrôle parlementaire tchadien. Grâce à ce mécanisme, le Parlement
retrouve enfin la possibilité de s’assurer des suites à donner à ses productions législatives. Les
énoncés constitutionnels ne précisent pas le contenu du contrôle de l’exécution des lois. Mais en
suivant les indications données par la doctrine en droit comparée, il pourrait s’agir globalement de
la vérification des suites réglementaires données aux dispositions législatives, de la pertinence et
de la fidélité à l’intention des dispositions votées. Le contrôle de l’exécution des lois a ainsi le
mérite de corriger les critiques faites, de tout temps, à la loi, notamment son foisonnement et son
ineffectivité, entrainant de facto son impuissance81.
Les questions d’actualité, in fine, sont également une des nouvelles formes
constitutionnelles des relations entre le Gouvernement et le Parlement introduites récemment par
l’article 144 (7) de la Constitution de 2018 révisée aux termes duquel : « une séance par mois est
réservée aux questions d’actualité au gouvernement ». Elles viennent s’ajouter aux deux
typologies de questions connues : les questions écrites et les questions orales, qui constituent en
fait un remède contre l’engourdissement de l’action gouvernementale au quotidien.
Si le renouveau du Parlement passe par de nouvelles prérogatives destinées à renforcer sa
mission générale de surveillance de l’action gouvernementale, la revalorisation de sa mission
législative participe également à cet objectif.
81 DJIKOLOUM BÉNAN Benjamin, « Une loi impuissante, la loi portant promotion de la santé de la reproduction au
Tchad », Revue Juridique et Politique, nº4, 2014, pp. 459-476.
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2- L’allongement du domaine de la loi et l’institution du vote des résolutions
L’un des axes majeurs de la Constitution de 2018 révisée a consisté à redéfinir le rôle du
pouvoir Législatif dans la fabrication de la loi. Les nouvelles dispositions constitutionnelles visant
à faire des deux Chambres les maîtresses de la norme législative jouent sur deux leviers. D’une
part, le Parlement voit son champ matériel d’initiative législative renforcé et d’autre part, il est
habilité constitutionnellement à adopter des résolutions.
Afin de renforcer la place de la norme législative, la Constitution de 2018 révisée apporte
une innovation considérable à cette norme en renforçant, par petites touches, l’article 121 qui
délimite depuis la Constitution de 1996 le domaine de la loi. Faut-il le souligner, le système
d’énumération limitative des objets sur lesquels peuvent porter les normes votées par le Parlement
est calqué sur l’article 34 de la Constitution française de 195882. Il est aujourd’hui un principe
majeur du trans-constitutionnalisme africain83 que le constituant tchadien de 2018 a trouvé
réducteur. C’est à ce titre qu’il revient désormais au Parlement législateur, en vertu de l’article 127
de la Constitution, de déterminer les règles relatives à « la promotion du genre, des jeunes et des
personnes handicapées » ; à « la mobilisation des ressources et des personnes dans l’intérêt de la
Défense Nationale » ; aux « principes fondamentaux de l’organisation des Forces de Défense et
de Sécurité ainsi qu’à la Charte des droits et devoirs de ses membres » ; à « la procédure civile » ;
aux « conditions d’exercice du service civique et du service militaire obligatoire » ; à
« l’obligation de la déclaration de patrimoine et la liste de personnes assujetties à cette
obligation » et à « la formule du serment confessionnel et les catégories de personnalités et agents
assujettis à cette obligation ». Il revient également à la loi de fixer les principes fondamentaux du
« Statut Général de la Fonction Publique ». Cette légère extension du domaine législatif, quoique
limitée du fait du domaine toujours plus étendu du règlement qui « fortifie la fonction normative
82 Ce principe n’est plus de mise depuis la jurisprudence audacieuse du Conseil constitutionnel. V. Décision CC 83-
162 DC du 19 juillet 1983, Démocratisation du secteur public, Rec. p. 49 ; Décision CC 84-167 DC du 19 janvier
1984, Contrôle des établissements de crédits, Rec. p. 23. 83 Le trans-constitutionnalisme se présente comme la recherche de normes et de pratiques constitutionnelles
transversales, c’est-à-dire que l’on peut retrouver dans divers États aux systèmes juridiques différents.
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de l’Administration »84, permet de soustraire certaines compétences normatives des griffes du
pouvoir Exécutif au profit du Parlement.
Par ailleurs, avec le nouvel article 112 (2), la Constitution consacre au profit du Parlement
la possibilité de voter des résolutions. À dire vrai, jusqu’à la Constitution de 2018 révisée, les
résolutions n’étaient limitées qu’à la création des commissions d’enquêtes parlementaires85. Elles
font aujourd’hui leur apparition de manière plus générale. Considérées comme des actes par
lesquels le Parlement émet un avis sur une question déterminée86, les résolutions sont de la
catégorie des « actes non législatifs »87. Désormais, non seulement elles servent d’outils de mise
en place d’organes ad hoc d’investigations, mais aussi et surtout, de moyens d’expression. La
technique des résolutions, pour reprendre les propos Professeur Jean-Manuel LARRALDE, « évite
d’utiliser la loi pour des prises de position politiques »88, mais aussi l’adoption de lois dénuées de
portée normative. Sous cet angle, leur introduction parmi les mécanismes constitutionnels
d’actions parlementaires est une tendance profonde de l’évolution des modes d’expressions des
parlementaires. Toutefois, si la possibilité de prendre des résolutions ne souffre peu, voire pas de
contestation, une telle certitude s’éloigne dès que l’on s’intéresse à leur autorité. Ainsi, les
résolutions restent assez limitées en raison de leur valeur non contraignante. C’est dire qu’en aucun
cas, les résolutions ne peuvent conduire à la mise en cause de la responsabilité du Gouvernement.
Et si elles sont prises, non plus, ne peuvent constituer des injonctions adressées au Gouvernement.
Tout de même, il est postulé que les résolutions peuvent avoir une autorité morale et politique
considérable. Elles peuvent, dans ce cas, avoir une influence sur l’action de l’Exécutif qui sera
tenu souvent d’orienter sa politique en fonction des résolutions qui lui sont adressées89.
Les détours de toutes ces analyses montrent que la valorisation de l’institution parlementaire
est la conjonction d’autant de prérogatives à mettre en œuvre que de possibilités de faire d’elle un
84 ABANE ENGOLO Patrick Edgard, « La spécificité des cadres de l’action administration en Afrique », in ONDOA
Magloire et ABANE ENGOLO Patrick Edgard (Dir.), Les transformations contemporaines du droit public en Afrique,
op. cit., p. 39. 85 Art. 148 du Règlement intérieur. 86 HOUILLON Philippe, « Le contrôle extraordinaire du Parlement », op. cit., p. 64. 87 DOMINGO Laurent, Les actes internes du Parlement, Paris, LGDJ, 2008, pp. 20 et ss. 88 LARRALD Jean-Manuel, « La réforme de 2008, une réelle revalorisation du rôle du Parlement ? », op. cit., p. 11. 89 KOUPOKPA Tikonimbe, Le modèle constitutionnel des États d'Afrique noire francophone dans le cadre du
renouveau constitutionnel : le cas du Bénin, du Niger et du Togo, Thèse de Doctorat en Droit public, Université de
Gand (Belgique) et Université de Lomé (Togo), 2011, p. 116.
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contre-pouvoir productif. Au nombre de ces possibilités, figure celle qui participe de la rénovation
de son cadre d’expression quotidienne de cette institution.
B- Le réaménagement de l’agenda parlementaire
L’un des axes majeurs du constituant de 2018 a pour vocation de limiter les moyens de
pression ou de contrainte excessifs dont dispose le Gouvernement dans le calendrier parlementaire.
L’innovation en la matière renvoie aux modalités de fixation de l’ordre du jour, qui est désormais
arrêté par chaque Assemblée et non par le Gouvernement (1). Corrélativement, le temps
parlementaire90 s’en trouve revalorisé (2). La volonté du constituant à travers ces deux leviers de
réhabilitation des institutions parlementaires est claire : donner aux Assemblées la maîtrise de leurs
travaux et éviter le vote de lois bâclées en raison de l’insuffisance du temps d’examen lors du
passage en commission.
1- La maitrise par le Parlement de son ordre du jour
L'ordre du jour est la liste des sujets que le Parlement doit aborder au cours d'une séance.
Sa fixation est un élément important de la vie parlementaire, qui traduit la hiérarchie des
préoccupations du Parlement et du Gouvernement91. S’affirmant ainsi, l’ordre du jour participe de
la structuration des rapports entre les deux pouvoirs. Il préside fondamentalement à l’agenda des
travaux des élus de la Nation, car les projets et les propositions de loi, après avoir été déposés,
distribués puis étudiés par la commission législative, doivent venir en discussion devant
l’assemblée plénière. Cette étape finale n’est possible que par l’inscription du texte à l’ordre du
jour. Au demeurant, le rôle des autorités qui l’exercent est important pour l’orientation du travail
législatif. À cet effet, le droit parlementaire retient deux solutions92. Il peut soit être fixé par le
Gouvernement, soit par le Parlement. Au Tchad, la fixation de l’ordre du jour parlementaire
connait une évolution. En effet, l’article 136 de la Constitution de 1996 réservait, par principe, au
Gouvernement la priorité dans le travail législatif. Cette disposition posait le principe de l'ordre du
90 JAN Pascal, « Les temps parlementaires », in TOULEMONDE Gilles et CARTIER Emmanuel (Dir.), Le Parlement
et le temps. Approche comparée, Paris, LGDJ, 2017, pp. 169-176. 91 FAVOREU Louis et autres, Droit constitutionnel, op. cit., p. 799. 92 KOSSI Somali, Le Parlement dans le nouveau constitutionalisme en Afrique : essai d’analyse à partir des exemples
du Bénin, du Burkina-Faso et du Togo, op. cit, p. 141.
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jour prioritaire au détriment de l’initiative parlementaire. La partie prioritaire relevait donc de la
volonté du Gouvernement qui pouvait y inscrire ses propres projets et les propositions des
parlementaires qu'il voulait bien accepter de voir discuter. Le Gouvernement faisait connaître ses
intentions à la Conférence des présidents qui ne pouvait que les entériner. De cette manière, non
seulement le Gouvernement peut faire discuter rapidement ses projets de loi, mais surtout retarder
ou bloquer l’examen des propositions de loi qu’il estime inopportunes.
Dans le but évident de revaloriser les pouvoirs du Parlement et de conférer aux
parlementaires davantage d'autonomie, la Constitution de 2018 modifie le système de l'ordre du
jour, qui, selon l’article 144, est désormais déterminé par la Conférence des présidents. Cette «
fenêtre parlementaire » semble, à première vue, permettre aux initiatives parlementaires d’être
inscrites à l’ordre du jour déterminé librement par la Conférence des présidents. Le constituant de
2018 met ainsi fin à « la présidentialisation ou à la déparlementarisation du Parlement »93, qui
empêche l’institution de disposer librement de son ordre du jour. Mais à l’analyse, cette
prérogative n’est qu’un trompe-l’œil ; de manière tout à fait contradictoire, elle semble largement
être amoindrie par les priorités gouvernementales. Les alinéas 2 et suivants de l’article 144 de la
Constitution sont très clairs à ce sujet : « Trois semaines de séance par mois sont réservées par
priorité à l’ordre fixé par le Gouvernement ; une séance par semaine est réservée à l’examen et à
l’adoption des propositions de loi ; deux séances par session sont réservées au contrôle et à
l’évaluation des politiques publiques ; une séance par quinzaine est réservée aux questions des
députés et aux réponses du Gouvernement ; une séances par mois est réservées aux questions
d’actualité au Gouvernement ». L’examen de cette disposition donne acte de la consécration d’une
« super priorité » gouvernementale.
2- La redéfinition du régime des sessions parlementaires
Le Parlement ne siège pas en permanence, souligne à juste titre le Doyen Louis
FAVOREU94. Il est soumis à des sessions bien déterminées pour que le travail législatif, le vote
du budget et le contrôle politique soient assurés dans de bonnes conditions. Les sessions sont en
93 Cette expression empruntée à Marcelin ABDELKERIM traduit la prise en otage du Parlement ou la forte implication
de l’autorité du Président au Parlement. V. ABDELKERIM Marcelin, « La déparlementarisation du Parlement par le
prisme majorité présidentielle au Tchad », op. cit., p. 273. 94 FAVOREU Louis et autres, Droit constitutionnel, op. cit. p. 796.
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fait des périodes de l’année, dont le nombre et la durée peuvent varier, au cours desquelles une
Assemblée peut se réunir et exercer ses fonctions.
La Constitution de 1996 et celle de 2018 révisée en 2020 prévoient deux sessions ordinaires
de plein droit chaque année, l’une en mars, l’autre en septembre95. La durée des sessions ordinaires,
sous l’ancien régime constitutionnel, était initialement très brève. Elle ne pouvait excéder 90 jours,
et la session principalement consacrée au vote du budget durait 80 jours96. Ce laps de temps limité
ne permettait pas aux rapporteurs des commissions saisies au fond de travailler de manière
approfondie et rigoureuse. Les amendements déposés en commission apparaissent alors
insuffisamment préparés. Ce qui oblige à convoquer des sessions extraordinaires à l’initiative du
Président de la République ou de la majorité des membres du Parlement. Or, comme le remarque
le Professeur Pierre AVRIL, le temps joue dans la procédure législative un rôle beaucoup plus
important qu’on ne l’imagine97.
Au regard de tout ceci, les réformes de 2018 et de 2020 vont redéfinir le temps réservé au
travail parlementaire. Elles donnent ainsi au Parlement plus de temps pour légiférer mieux et
étudier de manière plus approfondie le projet de lois de finances soumis à sa délibération. Ainsi,
aux termes de l’article 133, la durée de la première session ne peut excéder 150 jours et celle de la
deuxième session ne saurait excéder 120 jours, soit 60 jours de plus pour la première session et 30
jours de plus pour la deuxième session, par rapport notamment à l’ancien régime. La session
consacrée au vote du budget, elle aussi, connait un allongement de plus de 20 jours, passant
dorénavant de 80 à 100 jours98. Ces délais légèrement étendus sont directement la marque de la
volonté de revalorisation des commissions qui seront saisies au fond et qui devraient être
désormais assurées de bénéficier du temps suffisant.
95 Art. 118 de la Constitution de 1996 et 133 de la Constitution de 2018 révisée. 96 Art. 129 al. 4 de la Constitution de 1996. 97AVRIL Pierre, « Premier bilan de la réforme de la procédure législative », Nouveaux Cahiers du Conseil
constitutionnel, n°32, Juillet 2011, cité par JAN Pascal, « Les temps parlementaires », in TOULEMONDE Gilles et
CARTIER Emmanuel (Dir.), Le Parlement et le temps. Approche comparée, op. cit., p. 9. 98 Art. 146 al. 6 de la Constitution de 2018 révisée.
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Conclusion
Comme les autres Parlements des États de l’Afrique noire francophone, malgré toutes les
critiques plus ou moins acerbes dont il a pu faire l’objet, il se dégage de cette analyse que le
Parlement tchadien trouve aujourd’hui son regain de vitalité, et est devenu une institution rénovée
sur le triple plan de la représentation, des pouvoirs normatifs et de contrôle.
Sur le plan de la représentation, l’on note avec aise qu’au Parlement monocaméral se
substitue un Parlement bicaméral dont les membres n’émanent plus seulement des partis
politiques, mais sont issus également d’autres entités infranationales et supranationales. Cette
option se présente comme une opportunité d’élargissement de la représentation nationale et
d’amélioration du travail parlementaire. Du point de vue de ses fonctions classiques, le Parlement
bénéficie d’importants nouveaux instruments de contrôle. Sa fonction normative connait tout à la
fois une revalorisation. De même, le cadre d’expression quotidienne de l’institution fait l’objet
d’un réaménagement nécessaire à sa vitalité.
Si tous ces atouts augurent des lendemains meilleurs pour la démocratie parlementaire
naissante, il reste vrai que la fonction parlementaire subit encore une certaine limite juridique, en
raison d’un certain nombre de mécanismes de rationalisation du parlementarisme. Ce qui incline
à se demander si le renouveau du Parlement tchadien, théoriquement perceptible, aura lieu. Quoi
qu’il en soit, c’est à l’aune du temps que ce renouveau annoncé sera apprécié à sa juste valeur.
Mais déjà, il est judicieux que cette circonstance heureuse soit conjuguée « au recrutement des
parlementaires suivant certains critères de qualité et à la volonté du peuple », comme le relève le
Professeur Célestin SIETCHOUA DJUITCHOKO99. Ce qui conduirait à l’assainissement des
mœurs politiques et pratiques parlementaires, mais incidemment aussi, au perfectionnement du
travail parlementaire. C’est certainement à ce prix que l’on passera du renouveau constitutionnel
du Parlement tchadien à son effectivité concrète.
99 SIETCHOUA DJUITCHOKO Célestin, « Les caractères actuels du discours des parlementaires des États d’Afrique
noire francophone », op. cit., p. 1611.
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Les détournements de crédits d’indemnisation en matière
d’expropriation pour cause d’utilité publique en droit camerounais
Par :
Grégoire Narcisse MANGA TSOUNGUI
Doctorant en droit public
Université de Douala (Cameroun)
Résumé :
En droit camerounais, la réalisation des projets d’utilité publique nécessite généralement
de vastes étendus de terre. Pour l’acquisition de ces terres, l’Etat recourt souvent à la procédure
d’expropriation pour cause d’utilité publique. Conformément aux textes internationaux et
Camerounais en la matière, lorsque cette procédure exorbitante du droit commun est mise en
œuvre, les personnes qui en sont victimes, c’est-à-dire les expropriés autoritairement dépossédés
de leurs terres, doivent, en contrepartie, se voir allouer une indemnité compensatrice.
Malheureusement, ces indemnités appelées en jargon administratif crédits d’indemnisations
n’arrivent pas toujours à leurs destinataires. L’une des raisons qui explique cette situation, c’est
le détournement de ces fonds de contrepartie opérés par certains administrateurs ou hautes
personnalités intervenant de près ou de loin dans la procédure d’expropriation. Ces derniers, par
des manœuvres frauduleuses, recourent à des mécanismes leur permettant de faire main basse sur
les crédits d’indemnisation aussi bien avant qu’après la Déclaration d’utilité publique. Il est alors
impérieux d’arrêter la saignée si l’on veut rendre l’exécution des grands projets rapide et
préserver la paix sociale. Pour cela, l’Etat devra prendre un certain nombre de mesures
dissuasives telles que préconisées dans la présente réflexion.
Mots clés : Détournements des Crédits d’indemnisation-Expropriation pour cause d’utilité
publique.
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Introduction
La propriété est un pilier essentiel des Droits de l’Homme1. Le but de toute
association politique est la conservation de ce droit à l’instar des droits naturels et
imprescriptibles de l’Homme2. Cependant, les citoyens peuvent dans certains cas être privés de
leur droit de propriété. Il en est aussi notamment en cas d’expropriation pour cause d’utilité
publique. Cette dernière est un mode de cession forcée qui vise le droit à la propriété privée. Un
droit inviolable et sacré protégé par les textes nationaux3 et internationaux4. En réalité, tout Homme
imagine qu’il restera propriétaire de son bien et de ce qu’il possède. Cette propriété est l’objet de
ses espoirs et l’avenir de sa famille ; c’est le pilier de toute de sa vie. Néanmoins, pour la réalisation
des projets d’intérêt General, l’Etat est souvent amené à s’approprier des biens appartenant à des
particuliers. Dans cette optique, la constitution et les autres textes législatifs et règlementaires lui
permettent de recourir à l’une de ses prérogatives de puissance publique, en l’occurrence
l’expropriation pour cause d’utilité publique. L’opérationnalisation de cette procédure est
suspendue à l’observation de deux principales conditions à savoir : l’utilité publique5 et
l’indemnisation6. Ces conditions motrices de la mise en œuvre de l’expropriation font parfois
l’objet de transgressions administratives répétées7. Dans le cadre de cette réflexion, l’on va
exclusivement s’attarder sur la violation de la seconde condition, c’est-à-dire, la contrepartie
financière devant être allouée aux expropriés. L’expérience camerounaise des expropriations
démontre que celle-ci est en partie liée au détournement des crédits d’indemnisation.
1 KAMYAR (G), L’expropriation pour cause d’utilité publique en droit français et en droit iranien ; contribution à
l’évolution du droit iranien, thèse de doctorat soutenue à l’université de Jean-Moulin (Lyon III),2013, p.32. 2 Idem. 3 Voir à cet effet, d’abord la constitution camerounaise du 18 janvier 1996 dans son préambule qui dispose que « La
propriété est le droit d’user, de jouir et de disposer des biens garantis à chacun par la loi. Nul ne saurait en être privé
si ce n’est pour cause d’utilité publique et sous la condition d’une indemnisation dont les modalités sont fixées par la
loi » ; ensuite la loi n° 85/009 du 04 juillet 1985 relative à l’expropriation pour cause d’utilité publique et aux modalités
d’indemnisation, et enfin le décret n° 87/1872 du 16 décembre 1987 portant application de la loi n° 85/009 du 04
juillet 1985 relative à l’expropriation pour cause d’utilité publique. 4 Voir les article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 aout 1789 ; l’article 17 (1) de la
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 ; l’article 14 de la charte Africaine des droits
de l’Homme et des peuples du 27 Juin 1981. 5 OWONA (J), Domanialité publique et expropriation pour cause d’utilité publique au Cameroun, L’Harmattan, Paris,
2012, p.60 ; Voir également ATANGANA (E-P), L’utilité publique en droit administratif camerounais, Thèse de
doctorat Ph/D en droit public, Université de Yaoundé II-Soa, 25 Janvier 2020, p.160. 6 OWONA (J), Domanialité publique et expropriation pour cause d’utilité publique au Cameroun, op.cit ; p. 87. 7 MANGA TSOUNGUI (G-N), Les moyens de l’expropriation pour cause d’utilité publique en droit camerounais,
Thèse de doctorat Ph/D en Droit Public, Université de Douala, année académique 2018-2019, pp. 209 et s.
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Le détournement des crédits d’indemnisation constitue une véritable gangrène qui rend
difficile la réalisation des projets d’intérêt général. C’est paradoxalement au lendemain du discours
prononcé par le Chef de l’Etat camerounais au Palais de Congrès en 2006 en ces termes « Ceux
qui se sont enrichis aux dépens de la fortune publique devront rendre gorge (…). Les délinquants
en col blanc n’ont qu’à bien se tenir ! »8, que des détournements colossaux visant à spolier les
caisses de l’Etat ont été orchestrés par plusieurs autorités administratives de la République. Ces
attitudes condamnables ont causé un profond dommage à l’Etat du Cameroun quand on connait
les différents défis auxquels il est confronté. Ainsi, dans le cadre de la réalisation des projets
structurants9, l’on a recensé d’innombrables cas de détournements des crédits d’indemnisation10.
Toute chose laissant penser que la réalisation des grands projets est consubstantielle au
détournement des crédits d’indemnisation. Le choix porté sur cette thématique ne s’est pas fait ex-
nihilo. Celui-ci est justifié par les contexte économique, social et judiciaire.
Le contexte économique le justifie d’une part, par l’insuffisance des ressources financières
concourant à la réalisation des grands projets et d’autre part par l’accroissement de la dette du
Cameroun. Relativement au premier aspect, il faut souligner ici que les détournements des crédits
d’indemnisation perpétrés par certaines autorités administratives se déroulent à un moment où le
Cameroun fait face à une carence accrue des moyens financiers pouvant lui permettre d’atteindre
ses objectifs notamment la réalisation des grands projets structurants11. Cette carence répétée se
matérialise doublement à savoir par l’insuffisance ou le manque des ressources financières. Quant
au second aspect à savoir, la montée en puissance de la dette du Cameroun. Il faut bien se le dire
que la réalisation des grands projets engagés par l’Etat du Cameroun nécessite la mobilisation des
moyens financiers suffisants12. De ce fait, le Cameroun qui fait parfois face à de nombreux défis
8 Discours d'ouverture et de politique générale du président Paul Biya au 3ème congrès extraordinaire du RDPC, 21
juillet 2006. 9 Les grands projets au Cameroun sont non seulement des projets d’intérêt économique national, mais aussi permettent
la création de nouveaux instruments de production et/ ou de transformation (grandes exploitations agropastorales,
unité de transformation, etc.), la construction d’ouvrages nouveaux permettant le développement et la diversification
de la production (centrales hydroélectriques), ainsi que la construction de nouvelles infrastructures de transport (ports,
autoroutes, etc.). 10 Pour ne citer que ceux-ci, l’on a noté le détournement des crédits d’indemnisation dans le cadre de la construction
de certains projets structurants notamment le Complexe industrialo portuaire de Kribi, l’autoroute Yaoundé-Douala
(plus précisément à Lobo arrondissement situé dans le département de la lekié, région du Centre), ou encore le Barrage
de la Mape (Région de l’Adamaoua, département du Mayo Banyo, arrondissement de Bankim) 11 Voir BOUBAKARI (O), Expropriation pour cause d’utilité publique et mise en œuvre des grands projets au
Cameroun, Rapport d’intervention en vue de l’obtention du Master Management des organisations publiques,
ISMP,année académique 2018-2020,P.23-24.. 12 Voir Mensuel « investir au Cameroun », n° 49, Mai 2016, p. 12.
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se trouve généralement dans l’obligation de souscrire à des emprunts auprès de ses partenaires
financiers en vue de la réalisation des infrastructures gigantesques13. Ces crédits d’indemnisations
font parfois partie intégrante des fonds empruntés par l’Etat Camerounais. Le fait que ces fonds
d‘indemnisations fassent l’objet sans cesse de détournement conduit à deux principales
conséquences : La première étant relative à la décrédibilisation de l’Etat camerounais vis-à-vis de
ses partenaires financiers. La seconde étant la lenteur des travaux d’utilité publique pourtant
engagés avec accélération mais stoppés nettement par des détourneurs des crédits d’indemnisation.
Le contexte social n’est pas en reste. Il est notamment marqué non seulement par les difficiles
conditions de vie des expropriés en particulier et des citoyens en général mais aussi par la
permanence des conflits entre l’Administration et les expropriés. Sous le premier angle, comme le
dit Kamyar « Cette propriété est l’objet de ses espoirs et l’avenir de sa famille. C’est le pilier de
toute sa vie. »14. Les administrateurs s’activent à rendre vulnérable les populations par de tels actes
de détournements. C’est donc dans ce contexte que quelques administrateurs en leurs diverses
qualités trouvent nécessaire de s’emparer des fonds dédiés uniquement aux expropriés. Cet acte
de détournement concourt davantage à paupériser lesdites populations et par conséquent à créer
des inégalités dans la société. Par ailleurs, l’on note également des conflits permanents opposant
l’Administration et les populations riveraines notamment les expropriées. Ces conflits résultent de
l’absence de paiement des indemnités aux expropriés. Ces différends se matérialisent
généralement par le refus de libérer le site d’expropriation de la part ders expropriés. Ce refus
conduit indubitablement à l’arrêt des travaux15.
In fine, le contexte judiciaire a constitué également le choix de cette thématique. En effet,
l’on a assisté à des arrestations massives des autorités administratives et assimilés pour
détournements des crédits d’indemnisation à des fins personnelles. Ainsi, l’on a vu défilé devant
le Tribunal Criminel Spécial des autorités faisant partie des commissions de constat et d’évaluation
13 C’est le cas des Barrage réservoir hydroélectrique de Lom Pangar, de Memve’ele, de Mekin, ou des autoroutes en
cours de construction (autoroute Yaoundé-Douala, autoroute Yaoundé-Nsimalen Autoroute Douala-Limbé »,
Autoroute Edéa-Kribi-Lolabè…la liste étant loi d’être exhaustive. 14 KAMYAR (G), L’expropriation pour cause d’utilité publique en droit français et en droit iranien ; contribution à
l’évolution du droit iranien, Thèse de doctorat Ph/D en droit public interne Université Jean Moulin (Lyon 3), 2013,
p.25. 15 Voir Autoroute Yaoundé-Douala ou encore Autoroute Yaoundé-Nsimalen.
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dans le département de l’Océan16, dans le département du Mayo-Banyo17, dans le département de
la Lekié18.Ces différentes interpellations ont mis en cause des autorités administratives, des
individus ou encore des sociétés qui en coaction ou en complicité, ont délibérément décidé
d’accaparer la fortune publique, c’est-à-dire des crédits d’indemnisation au détriment des
populations expropriées.
Pour une meilleure compréhension de ce travail, la clarification des mots clés est une
nécessité. Dans cette perspective, deux mots clés doivent faire l’objet de définition. Il s’agit
notamment de détournement de crédits d’indemnisation et expropriation pour cause d’utilité
publique. Pour la clarté de la définition, il importe de disséquer le mot clé ‘’détournement des
crédits d’indemnisation’’. Dans cette optique, l’on s’attardera d’abord sur la notion de
détournement avant de voir celle de crédits d’indemnisation Le détournement traduit l’action de
soustraire frauduleusement une chose ou encore éloigner cette chose de sa destination initiale. De
leur part, les crédits d’indemnisation sont des fonds publics destinés à désintéresser les personnes
victimes d’expropriation. In globo, les détournements des crédits d’indemnisation sont
appréhendés comme « une atteinte aux droits d’autrui sur des fonds, au besoin par une
appropriation, en abusant de la confiance donnée par autrui »19. Dans l’approche de la présente
réflexion, l’on peut aisément affirmer que le détournement des crédits d’indemnisation est l’action
de porter atteinte aux indemnités allouées aux expropriés à des fins personnelles consécutivement
à l’expropriation pour cause d’utilité publique par l’Etat20.
Quant à la notion d’expropriation pour cause d’utilité publique, elle désigne « une procédure
par laquelle une personne publique impose à un propriétaire la cession d’un droit, le plus souvent
16 Cas du Complexe industrialo portuaire de Kribi. 17 Cas du barrage de la Mape. 18 Cas de l’autoroute Yaoundé-Nsimalen. 19 Lexique des termes juridiques 2017-2018, p.739. 20 Les articles 432-15 et 433-4 du code pénal français définissent les détournements des fonds publics comme étant
« le fait pour un agent de détruire, détourner ou soustraire des fonds ou des biens publics qui lui ont été remis en
raison des fonctions ou de sa mission ». De son côté, la loi n° 2016/007 du 12 juillet 2016 portant code pénal en
République du Cameroun en son article 184 dispose que le détournement des biens publics est assimilé à toute action
initiée par quiconque consistant par quelque moyen que e soit à obtenir ou retenir frauduleusement « quelque bien que
ce soit, mobilier ou immobilier,appartenant,destiné ou confié à l’Etat unifié, à une coopérative, collectivité ou
établissement, ou publics soumis à la tutelle administrative de l’Etat ou dont l’Etat détient directement ou
indirectement la majorité du capital… »
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immobilier, dans un but d’utilité publique, moyennant le paiement d’une juste et préalable
indemnité »21.
L’importance de cette thématique est de taille. Elle permet de remettre au gout du jour le
sempiternel problème de détournements des deniers publics, plus particulièrement en matière
d’expropriation. Le détournement des crédits d’indemnisation dans le cade de la réalisation des
grands projets au Cameroun est devenu banal voire la chose là mieux partagée. L’on est alors tenté
de dire à chaque réalisation de projet d’investissement, correspond un détournement
méthodiquement orchestré des crédits d’indemnisation. La présente étude permet de percevoir,
d’appréhender et d’exposer les différentes astuces mises sur pied généralement par certaines
autorités administratives dans l’optique de dévier la réelle destination des crédits d’indemnisation.
Cet article se présente donc comme un appel de prise de conscience des hautes autorités de la
République pour prendre sérieusement cet épineux problème de détournement des crédits
d’indemnisation à bras le corps. Acte qui asphyxie l’accélération des travaux d’utilité publique
mais également tend à envenimer la cohésion sociale. Le cadre méthodologique quant à lui
s’appuie sur les différents textes en vigueur au Cameroun, les textes étrangers ainsi que la
jurisprudence, notamment celle relative aux décisions du juge du Tribunal Criminel Spécial.
Au Cameroun, les crédits d’indemnisation en matière d’expropriation font l’objet la plupart
du temps d’accaparement par certaines autorités administratives qui usent de fourberies diverses
afin de siphonner les caisses étatiques. Partant de ce constat, l’on est en droit de savoir quels sont
les différents mécanismes de détournement des crédits d’indemnisation que l’on observe en
matière d’expropriation pour cause d’utilité publique au Cameroun ? Cette question est pertinente
parce qu’elle permet d’apprécier le mode opératoire de certaines autorités administratives pour
détourner les crédits d’indemnisation. Les démarches entreprises en ce sens amènent à constater
sur la base des différents rapports et décisions de certaines institutions, que les détournements des
crédits d’indemnisation peuvent être perpétrés avant même l’édiction de la DUP (I) mais aussi
postérieurement à la DUP (II).
21 GODFRIN (P), DEGOFFE (M), Droit administratif des biens, Domaine, travaux, expropriation, 8e éd ; Paris,
2007, p.378.
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I- LES MÉCANISMES ANTÉRIEURS À LA DÉCLARATION D’UTILITÉ
PUBLIQUE
La pratique des détournements des crédits d’indemnisation est une réalité vivante au
Cameroun. En amont, elle est l’œuvre de certaines autorités de l’administration centrale. Ces
dernières usent de toute sorte de subterfuges pour commettre leurs forfaits. Avant l’édiction de la
DUP, lesdites autorités développent des voies et moyens pour accaparer des terres afin plus tard
d’être indemnisées. Pour ce faire, plusieurs instruments sont ainsi mobilisés et mis à contribution
pour l’atteinte de ce crime. Etant à des positions privilégiées, elles matérialisent systématiquement
ces détournements par la pratique des délits d’initiés et de corruption (A) qui favorise l’invasion
tendancieuse des dépendances soumises à expropriation (B).
A- La systématisation de pratique des délits d’initiés et de corruption
La recherche effrénée du gain n’est pas seulement l’apanage des simples citoyens. Elle est
aussi le fait de certaines hautes autorités, surtout quand il s’agit d’être indemniser à hauteur des
centaines de millions à la suite d’une expropriation dont elles pourraient être victimes. C’est alors
qu’une fois informés de la réalisation des projets dans une localité, quelques administrateurs
n’hésitent pas à user des pratiques illégales dans la perspective d’accaparer les terres et de pouvoir
recevoir une indemnité conséquente au moment de l’expropriation. Il s’agit généralement des
délits d’initiés (1) et des pratiques de corruption (2).
1- La généralisation des délits d’initiés comme technique d’accaparement des terres
Pour une meilleure compréhension du lien existentiel entre les crimes d’initiés et
l’accaparement des terres, il convient nécessairement de cerner la définition des délits d’initiés.
En effet, la législation pénale camerounaise notamment la loi du 12 juillet 2016 portant Code
pénal a tôt fait de donner un plein contenu à cette notion. Il en découle alors de l’article 135-1 que
le délit d’initié est toute action consistant pour « a) des dirigeants d’une société commerciale ou
industrielle et pour les personnes disposant, à l’occasion de l’exercice de leur profession ou de
leurs fonctions, d’informations privilégiées sur la situation ou les perspectives d’un émetteur dont
les valeurs mobilières sont négociées sur le marché, de réaliser ou de permettre sciemment de
réaliser, directement ou par personne interposée, une ou plusieurs opérations avant que le public
ait connaissance de ces informations et avec pour but de réaliser un but indu ;
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b) Pour toute personne disposant à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, d’informations
privilégiées sur la situation ou les perspectives d’un émetteur dont les valeurs mobilières
sont négociées sur un marché, de les communiquer à un tiers en dehors du cadre normal
de sa profession ou de ses fonctions et avec pour but de réaliser un profit indu ;
c) Le fait pour toute personne disposant à l’occasion de l’exercice de ses fonctions,
d’informations privilégiées et soumise au secret professionnel, relative à la réalisation
d’un projet par l’Etat, une collectivité décentralisée ou toute autre personne morale de
droit public, d’utiliser lesdites informations pour se permettre ou permettre à autrui de
poser des actes à son profit de manière à faire retarder le projet envisagé ou de le grever
des charges supplémentaires. »22.
Il faut dire que ces délits d’initiés ont été fortement commis dans le cadre de la réalisation du
Complexe Industrialo Portuaire de Kribi (CIPK)23. Le projet de construction du port en eau
profonde au Cameroun ne date pas d’aujourd’hui. En effet, il a été initié par le gouvernement
camerounais dans les années 80 en vue de promouvoir l’exploitation et la commercialisation des
nombreuses ressources minières dont regorgent les régions du sud et du sud-est du pays (bois,
bauxite, fer, nickel, rutile, gaz naturel etc.). En 2008, ce projet est remis à l’ordre du jour des projets
à engager dans le cadre de la politique de relance de l’économie nationale, à la faveur de l’atteinte
du point d’achèvement de l’initiative PPTE24 marquée par l’allégement de la dette et la possibilité
pour l’État de relancer les investissements publics25.
Dans le cadre de la réalisation de cette gigantesque infrastructure, les populations ont
reproché aux élites et aux autorités d’user de leurs positions dominantes pour commettre des délits
d’initiés : « en acquérant en amont des terrains aux prix bas auprès des villageois, en vue de
réaliser des plus-values lors de l’expropriation »26.
22 En France, l’article 432-12 évoque plutôt la notion de « prise illégal d’intérêt » en disposant que c’est « le fait
pour tout agent de prendre, recevoir ou conserver un intérêt personnel dans une affaire dont il a à connaitre à
l’occasion de ses fonctions ». 23 Le Port de Kribi est créé suite au Décret n° 99/132 du 15 Juin 1999 portant création du Port Autonome de Kribi
signé par le Chef de l’Etat, S.E Paul Biya. 24 Pays pauvres très endettés. 25 NNOMO ELA (S-P), Le port de Kribi : force ou menace pour la proposition d’inscription des chutes de la Lobe
sur la liste du patrimoine de l’UNESCO et pour l’identité des populations riveraines, Master en techniques,
patrimoines, territoires de l’industrie : Histoire, valorisation et didactique, Université de EVORA, Octobre 2016, p.47. 26 LADO (H), « Prédation et expropriation pour cause d’utilité publique au Cameroun », Revue internationale des
études du développement, n° 231, 2017/3, pp. 33-55
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Les résultats des investigations menées par l'équipe de la CONAC27 sur le projet de
construction du complexe industrialo-portuaire de Kribi, sur le contrôle et la vérification des
opérations liées à l'expropriation et/ou la destruction des biens ainsi que sur l'indemnisation des
victimes ont permis d’aboutir à des constances portant sur des crimes d’initiés.
Pour la CONAC, l'on eût évoqué l'infraction de délit d'initiés si les faits incriminés à
l'occasion s'étaient opérés dans le monde des affaires et plus particulièrement de la bourse des
valeurs, mais il s’agit dans le cas évoqué, “d'une tentative fort préméditée de détournement des
deniers publics, d’où la qualification appropriée de crimes d’initiés, ce dessein que se partagent les
protagonistes. De fait, « ces personnages se sont constitués en bandes organisées de malfaiteurs,
avides de siphonner les Finances Publiques de l'Etat du Cameroun.” »28 A titre d’exemples, le
rapport présente des preuves nombreuses à l’instar de :
- La violation flagrante du décret n°76/165 du 27 avril 1976 fixant les conditions d'obtention
du titre foncier, modifié et complété par le décret n°2005/481 du 16 décembre 2005 dont l'article
11 (alinéas 3 et 4) interdit désormais toute immatriculation directe des terres provenant du domaine
national de l'Etat et prescrit dans de tels cas, la mise en concession comme condition obligatoire
et préalable à toute immatriculation foncière s'inscrivant dans ce cadre ; ;
- La précipitation avec laquelle des immatriculations foncières ont été enregistrées courant 2008
et plus particulièrement en 2009, postérieurement à l'arrêté du 06 février 2009, pour illégalement
chercher et obtenir des immatriculations foncières des terrains situés dans la zone déjà déclarée
expropriée pour cause d'utilité publique ;
- La courbe statistique de l'ampleur des montants prétendument dus à des propriétaires terriens dits
expropriés pour cause d'utilité publique montre que pour beaucoup d'entre eux, ils ne se sont fait
enregistrer comme propriétaires des grands immeubles dans les arrondissements de Kribi, Campo
et Lokoundjé qu'en 2009, feignant ainsi d'ignorer la signature de l'arrêté précité depuis le 06 février
de la même année.
Le constat est de mise au Cameroun, la réalisation des grands projets structurants au
Cameroun est toujours émaillée des conflits d’intérêt. Ces conflits d’intérêt tendent soit à des délits
27 Commission Nationale anti-corruption. 28 Voir rapport de la CONAC 2011, pp. 58-74.
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d’initiés, à la concussion29 ou au favoritisme30. Du fait de leur position politique et administratives
privilégiée, certaines autorités en profitent pour délester les populations riveraines de leurs terres
en les acquérant à des prix dérisoires31 pour ensuite les mettre en valeur et obtenir une indemnité
conséquente au moment de l’expropriation. Le contexte foncier camerounais met en évidence
plusieurs acteurs. Mais, dans le présent travail nous nous limiterons aux acteurs gouvernementaux
ou politiques.
Ces acteurs sont en mesure d’influer significativement sur un projet, du fait de
leurs compétences, de leur savoir et de leur pouvoir. Ils possèdent un triple atout, la solide
intégration à un réseau de relations, la détention d’importantes ressources et la
possession d’un haut degré de légitimité. Le soutien et la participation de ces acteurs sont
généralement indispensables à la réalisation des résultats attendus. Mais, malheureusement, au sein
des acteurs clés, certains sont capables de dévier le processus de son objectif de départ ou même
de le bloquer d’où leur désignation sous la dénomination « veto players »32. Plus un acteur est
puissant et influent, plus il a tendance à vouloir représenter ou exclure d’autres acteurs.
Dans le cas du Cameroun, les acteurs appartenant à cette catégorie sont fortement impliqués
dans la prise de décision sur l’attribution des terres, ou l’influencent de manière décisive. Au rang
de ces acteurs, l’on peut mentionner la Présidence de la République, les services du Premier
Ministre, le MINDCAF33, le MINHDU34,le MINEPAT35 ou encore le MINAT36. Ainsi, l’on a
recensé diverses autorités ayant des positions élevées dans la République se ruées du côté de Kribi
pour s’emparer des terres en vue d’être plus tard indemnisées à des couts énormes.
Fort donc de leurs statuts dans l’appareil étatique37 et ayant été au parfum de la réalisation de
cette infrastructure portuaire, certaines autorités administratives ont cru bon de se déployer dans
29 Voir article 142 de la loi du 12 juillet 2016 portant Code Pénal au Cameroun. 30 Voir article 143 de la loi du 12 Juillet 2016 portant Code Pénal au Cameroun. 31 MVONDO MVONDO (H), OYANE (M), « Le foncier au Cameroun : entre lourdeurs administratives et prédation
des élites », in L’accaparement des terres en Afrique Centrale, Revue semestrielle d’analyses géopolitique pour
l’Afrique centrale, Enjeux n° 54, 1er semestre 2021, pp. 21-42. 32 Voir OATGE (Observation pour l’acquisition des terres à grands échelle). Note de synthèse. Les appropriations
foncières à grandes échelles (AFGE) : Les acteurs et leurs interactions au Cameroun, Mars 2014,13 pages. 33 Ministère des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières. 34 Ministère de l’Habitat et du développement urbain. 35 Ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire. 36 Ministère de l’Administration territoriale. 37 Laurel Rose (2002) montre comment, en Afrique, les élites façonnent la législation foncière à l’échelle nationale
pour hiérarchiser leurs affiliations locales et comment elles manœuvrent à l’échelle locale pour consolider leurs
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l’arrondissement de Kribi afin d’accaparer des immenses lopins de terres et pouvant bénéficier des
crédits d’indemnisation. Ainsi, en application au vieil adage qui dispose que « Tout chemin mène
à Rome », ces dignitaires ont alors usé de la corruption, un autre moyen non moins perfide pour
accaparer des terres.
2- L’utilisation de la corruption comme moyen d’accaparement des terres
Fléau combattu depuis toujours par le gouvernement de la République38, la corruption a
désormais fait son nid en matière foncière, plus particulièrement en matière d’expropriation. Dans
leur but démesuré d’accaparer des terres soumises à expropriations, certaines autorités de la
République ont pris sur elles de corrompre un ensemble d’acteurs. Une fois informé de la
construction du Port en eau Profonde à Kribi, ces personnes publiques se sont rapidement ruées à
Kribi afin non seulement de soudoyer les membres de la Commission de constat et d’évaluation
mais aussi les populations riveraines.
Relativement à la corruption dans laquelle étaient impliquées certains membres de la CCE39,
le rapport de la CONAC de 2011 révèle que l’ensemble des membres de cette commission se sont
vu corrompre à hauteur de centaines millions afin d’acquérir des indemnisations assez
considérables. A la suite des dénonciations des populations de Kribi visant à s’indigner des
indemnités faramineuses dont bénéficiaient certains expropriés, des enquêtes avaient donc vus le
jour. La CONAC s’était saisie de l’affaire. Au terme de ses investigations, elle avait des preuves
démontrant que le projet de construction du port en eau profonde de Kribi avait suscité des
vocations criminelles ayant conduit à un complot financier contre l’Etat du Cameroun40. L’organe
de lutte contre la corruption a décelé « la tentative d’un crime, secrètement concerté entre, d'une
part les fonctionnaires des Domaines et des Affaires Foncières, de connivence avec les autorités
administratives de la Préfectorale, et d'autre part les personnalités publiques et privées
camerounaises et étrangères »41.Au regard de ces dénonciations de l’organe national en charge de
réseaux nationaux. Rose explique en particulier que, dans les zones pacifiques, les élites cherchent à contrôler la terre
pour s’assurer un positionnement politique, tandis que, dans les zones post-conflits, elles utilisent leur pouvoir
politique pour acquérir des terres en vue d’une réhabilitation économique. 38 Le Président de la République du Cameroun lors d’une communication spéciale à l’occasion du conseil ministériel
du 12 septembre 2007 affirmait que « C’est la corruption qui, pour une large part, compromet la réussite de nos
efforts. C’est elle qui pervertit la morale publique. Chacun (…) doit se sentir
responsable de ce combat dans son domaine de compétence (…). »
39 Commission de Constat et d’évaluation. 40 Voir Rapport de la CONAC de 2011. 41 Rapport de la CONAC de 2011.
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la lutte contre la corruption, l’on se rend compte qu’un montage a été intelligemment ourdi afin de
corrompre tous les acteurs de près ou de loin pouvant intervenir dans la chaine de l’expropriation
pour cause d’utilité publique.
De l’autre côté, à coup de billets, les populations habitant le site d’expropriation ont été
sollicitées afin de céder leurs terres à ceux que nous allons appeler ici les nouveaux propriétaires.
Des conclusions de la CONAC, il se dégage que plusieurs riverains ont cédé leurs terres entre
2006-2008, avant même que ne soit prise la Déclaration d’utilité publique en 200942.Certains
individus ont même témoigné en affirmant que c’était avec ou sans leur consentement que ces
opérations se déroulaient. Pour l’accomplissement de ce forfait, « des personnes communément
appelées démarcheurs étaient mises à contribution et servaient d’intermédiaire entre ces pontes
du régime et nous »43. Etant déjà en position de force en raison de la possession de la primeur de
l’information44 et utilisant la corruption afin d’atteindre leur but illégal, certaines personnalités de
la République prédatrices pouvaient aisément alors s’installer de manière outrancière et
tendancieuse aisément sur les dépendances soumises à expropriation.
B) L’invasion tendancieuse des dépendances soumises à expropriation
L’invasion tendancieuse des dépendances soumises à expropriation est la résultante de la
boulimie foncière que mettent en exergue ces personnalités surtout dans le cadre de
l’expropriation. Cette incursion pour la moins curieuse est matérialisée par l’occupation
préméditée des sites d’expropriation (1) et par une exploitation intentionnelle des terrains soumis
à expropriation (2).
1- L’occupation préméditée des sites d’expropriation
Dans le cadre de la construction du port en eau profonde de Kribi, Grand Batanga fut
initialement le tout premier site qui devait abriter l’infrastructure portuaire. Mais du fait d’une
profondeur de l’océan moins intéressante sur ce site, la localité de Mboro a finalement été choisie
pour héberger l’infrastructure45. Au moment de la prise de cette décision, « l’information qui n’a
42 Arrêté n°000156N.14.4/MINDAF/D410 du 06 février 2009 43 Propos d’un exproprié indigné à Kribi. 44 ATANGANA (E-P), L’utilité publique en droit administratif camerounais, Thèse de doctorat Ph/D en droit public,
Université de Yaoundé II- Soa, 25 Janvier 2020, p.165. 45 Voir l’hebdomadaire REPERES n° 001 de Juin 2014,
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circulé que dans les cercles très restreints, a permis à des hautes personnalités de la République
de réaliser un véritable hold-up foncier »46.
En effet, apprend-on des sources judiciaires, mis au parfum de la délocalisation du Port en
eau profonde de Kribi, des Directeurs généraux de sociétés, des Gouverneurs de régions, des
Ministres et autres dignitaires de la République, ont accouru à Mboro ou ils ont effectué
d’importantes acquisitions foncières, généralement à vil prix afin de bénéficier le moment venu
des indemnisations colossales47.
De ce qui en précède, il se dégage clairement que l’occupation voulue et matérialisée a été
conçue longtemps en avance. Il s’agit d’une intention irrévocablement criminelle dont le but est
uniquement de dépouiller les ressources financières de l’Etat. L’occupation préméditée des sites
d’expropriation a notamment été marquée par des achats démesurés d’énormes étendues de terres
aux riverains, de la sécurisation du site en procédant par l’instauration des bornes, par la
construction des duplex, villas, des étangs piscicoles, ou encore par l’érection des vastes étendu de
plantations. Tout ceci ayant pour objectif d’être exagérément indemnisé le moment venu. Certains
responsables de la République ont cru nécessaire dans leur recherche effrénée des moyens
financiers, de ne pas se limiter à occuper les dépendances soumises à expropriation mais sont
davantage passés à la vitesse supérieure notamment en procédant à l’exploitation desdits terrains.
2- L’exploitation intentionnelle des terrains soumis à expropriation
L’exploitation des terrains soumis à expropriation s’est déroulée intentionnellement. Ce
postulat résulte des différents dividendes provenant des investissements propulsés sur ce site que
percevaient ces hautes personnalités. En effet, cette exploitation se faisait alors même que les
populations pensaient qu’il s’agissait des individus qui sont juste venus se procurer de quelques
lopins de terres. C’était sans compter sur les plans fourbes que préparaient ces hautes personnalités.
Dans le cadre de la réalisation du Port en eau profonde de Kribi, plusieurs Généraux d’armée,
autorités administratives (Présidence de la République, Services du Premier Ministre…) ont réalisé
d’énormes bénéfices résultant des constructions et plantations érigées sur le site d’expropriation48.
46 Idem. 47 Echange avec le chef de la section Pénale du TCS en date du 16 juillet 2021 à 11h15 min. 48 Voir Rapport de la CONAC de 2011.
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Des développements qui précèdent, il se dégage que les détournements des crédits
d’indemnisation au Cameroun sont devenus une partie de chasse pour certaines autorités
administratives intervenant aussi bien dans les Commissions d’enquête que les autorités centrales.
Ces dernières pensent, murissent et passent à l’action aussi bien avant la Déclaration d’utilité
publique qu’après l’édiction de la DUP. Il s’agit alors à ce stade du gain proprement recherché.
II- LES MECANISMES POSTERIEURS A LA DECLARATION D’UTILITE
PUBLIQUE
Les détournements des crédits d’indemnisation opérés par certains administrateurs et
assimilés peuvent également être commis consécutivement à l’édiction de la Déclaration d’utilité
publique. Ainsi, ces malversations peuvent être l’œuvre des services du MINDCAF et des
communes (A) mais par ailleurs être perpétrés à l’occasion de l’enquête de constat et d’évaluation
(B).
A- Les détournements cautionnés par les services du MINDCAF et les communes
L’expropriation pour cause d’utilité publique obéit au Cameroun à une procédure
minutieusement encadrée. C’est justement dans cette lancée que l’article 5 de la loi du 04 juillet
1985 dispose que « L’acte de déclaration d’utilité publique est suspensif de toute transaction et de
toute mise en valeur sur les terrains concernés. Aucun permis de construire ne peut, sous peine de
nullité d’ordre public, être délivré sur les lieux ». De ce qui précède, il en ressort qu’aucun titre
foncier encore moins permis de construire ne doit être accordé à un demandeur lorsqu’une
déclaration d’utilité publique a déjà vu le jour. Toutefois, l’on a constaté que cette disposition
légale a été mise sous le boisseau par certains responsables des services fonciers mais également
des communes. Ce fut le cas à l’occasion de la construction du Port en Eau Profonde de Kribi, où
des titres fonciers (1) et des permis de construire (2) ont été frauduleusement délivrés sur le site
du projet.
1- La délivrance frauduleuse des titres fonciers
Dans la recherche pour l’établissement de la vérité49, la Commission anti-corruption a
identifié nombre de Camerounais venant de tous les horizons et d'étrangers, « ayant peu de
scrupules, immoraux sans aucun sens de l’intégrité et sans doute informés à travers des réseaux
49 A propos des responsabilités dans le cadre des détournements des crédits d’indemnisation lors de la réalisation de
l’infrastructure portuaire de Kribi.
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mafieux, qui se sont rués dès 2008 sur la zone destinée à être expropriée »50. Par le biais de
l'indemnisation des expropriés, ils pensaient ainsi avoir trouvé le chemin d’un enrichissement
facile et illicite sur le dos de l'Etat en recourant tout simplement, et à chaque fois qu'il le fallait, à
des manœuvres frauduleuses pour l'obtention hâtive de titres fonciers51.
Afin d’obtenir des indemnisations considérables, certaines autorités de la République ont usé
des mécanismes peu orthodoxes. Ainsi, ces dernières ont accéléré la procédure d’obtention des
titres fonciers et ce de manière frauduleuse52. Cette attribution s’opérait par les soins des services
déconcentrés du Ministère des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières53. C’est justement
ce qui s’est produit dans le cadre de la réalisation du Port en eau Profonde de Kribi. Certaines
dispositions du décret n° 2005/481 du 16 décembre 2005 modifiant et complétant certaines
dispositions du décret n° 76/165 du 27 avril 1976 fixant les conditions d'obtention du titre foncier
ont subi plusieurs violations. C’est le cas de l’alinéa 3 de l’article 11 qui dispose que « Les
demandes portant sur les terres libres de toute occupation ou de toute exploitation sont
irrecevables. Elles sont instruites selon la procédure de concession ». Selon la CONAC, plusieurs
autorités gouvernementales se sont vues immatriculées les dépendances de seconde catégorie au
mépris de la réglementation en vigueur qui exige au préalable la concession. Il apparait donc
clairement que les responsables de la délégation départementale des domaines, du Cadastre et des
Affaires foncières de l’Océan ont été impliqués dans cette attribution des titres fonciers d’un autre
genre. C’est alors que des plaintes provenant des populations riveraines ont vu le jour54. La tension
sociale était déjà si forte et perceptible que le Préfet de l’Océan avait sollicité et obtenu du
MINDCAF, la suspension des paiements pour clarifier cette situation55.
Lors de l’audition des témoins de l’accusation devant le TCS56 dans l’affaire Ministère Public
et Etat du Cameroun (Port en eau Profonde de Kribi) MINFI-MINDCAF-MINEPAT contre
50 Voir Rapport de la CONAC de 2011. 51 ATANGANA (E-P), L’utilité publique en droit administratif camerounais, thèse op.cit ; p. 166. 52 Idem. 53 Idem. 54 Les populations dénonçaient des situations diverses telles que : des personnes inconnues dans la localité bénéficiaire
de faramineuses indemnités, des cas d’omission de biens ou de mauvaises évaluations. 55 Voir rôle 20 de l’arrêt n° 019/CRIM/TCS du 09 Octobre 2020, Affaire Ministère Public et Etat du Cameroun (Port
en Eau Profonde de Kribi) MINFI-MINDCAF-MINEPAT contre VILON Jean François et consorts. 56 Tribunal Criminel spécial. Voir davantage la loi n°2012/011 du 16 juillet 2012 Modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n° 2011/028 du 14 décembre 2011 portant création d’un Tribunal Criminel Spécial
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VILON Jean François et consorts, l’inspecteur Général du MINDCAF, BENDEGUE Jean Marie
Vianney se prononçait en ces termes :
« Que le Ministre des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières a obtenu du Premier
Ministre, l’autorisation de dépêcher sur le terrain une commission de contre-expertise ; que les
travaux de cette commission qu’il a présidés ont révélé de nombreuses irrégularités à savoir que :
- Des terrains non mis en valeur ont été immatriculés ;
- Des terrains inexistants ont été immatriculés ;
- Des terrains insuffisamment mis en valeur ont été immatriculés sur de grandes superficies ;
- La duplication des dossiers en ce qu’un même dossier a servi de base de plusieurs titres
fonciers ;
- Des cas de fraude dans les titres fonciers établis sans procès-verbal de bornage ou à l’aide
de plans falsifiés ;
- Des titres fonciers établis sans paiement de la redevance foncière, les quittances ayant été
établies postérieurement à la date du titre foncier ;
- Des procédures d’immatriculation initiées par certaines personnes ayant abouti à des
titres fonciers établis aux noms d’autres personnes ;
Que la commission locale de constat et d’évaluation présidée par le Préfet VILON Jean François
a fait un travail qui a présenté des insuffisances ; que pour établir les responsabilités, il fallait
tenir compte de la nature des dysfonctionnements observé, qu’à titre d’exemple, pour le cas d’un
titre foncier établi sur un terrain inexistant, les responsabilités à retenir étaient celles des membres
de la commission consultative et de la commission de bornage ;
Que la vérification de la régularité des titres fonciers incombait à ceux qui ont proposé
l’indemnisation… »57.
Toujours dans le box des témoins de l’accusation, l’on retrouve également le MINDCAF de
l’époque, Monsieur BELEOKEN Jean Baptiste qui met en exergue les différentes irrégularités qui
ont émaillé la délivrance des titres fonciers. En effet, selon le membre du gouvernement, à la suite
des dénonciations émanant des populations, une commission d’enquête a été mise sur pied par ses
soins. A l’issue des conclusions de cette enquête, « plus de vingt titres fonciers ont été annulés
57 Voir rôle 20 de l’arrêt n° 019/CRIM/TCS du 09 Octobre 2020, Affaire Ministère Public et Etat du Cameroun (Port
en eau Profonde de Kribi) MINFI-MINDCAF-MINEPAT contre VILON Jean François et consorts.
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pour diverses irrégularités, trois titres fonciers rectifiés et les erreurs de calcul rectifiés ; que
l’Etat a pu récupérer près de 9 milliards de FCFA ; que des irrégularités constatées dans
l’établissement des titres fonciers étaient de plusieurs types58 ». Pire, l’autorité foncière et
domaniale affirme que « Bon nombre de transactions avaient abouti à l’établissement des titres
fonciers après la déclaration d’utilité publique, que des indemnités avaient indument été attribuées
à des personnes non concernées par la déclaration d’utilité publique ou alors pour des biens
appartenant à des tiers ou relevant du domaine public ».
De son côté, l’organe en charge de la lutte contre la Corruption dans son rapport publié en
novembre 2012 révèle des pratiques mafieuses qui ont eu cours dans la délivrance des titres
fonciers. Le présent extrait de la CONAC en dit long sur cette réalité. « Des 149 titres fonciers
(immatriculés), sur la base desquels l’indemnisation a été calculée, 44 titres fonciers ont été établis
postérieurement au 06 février 2009, date de l’arrêté n°156/MINDAF déclarant d’utilité publique
les travaux de construction du port en eau profonde de Kribi. Par rapport à la masse globale de
10 774 638 375 FCFA d’indemnisation des détenteurs de titres fonciers, l’indemnisation des
détenteurs de titres datés postérieurement au 06 février 2009 représente 4 821 356 625 FCFA. »59.
Près de 30% des titres fonciers ont ainsi été établis après la date de l’arrêté déclarant d’utilité
publique les travaux60. Ceci ne peut que traduire des connections mafieuses mettant en lumière un
vaste réseau de complicité. La CONAC affirme à ce sujet que des titres fonciers ont été hâtivement
établis pour être brandis par les chercheurs d’argent facile à l’occasion de la manne des
indemnisations. Des noms d’officiers supérieurs de l’armée et des pontes du régime ont été cités
dans ledit rapport61.
De ce qui précède, il se dégage clairement que la CCE a œuvré pour les délivrances
irrégulières des titres fonciers, appuyé en cela par les services fonciers du département de
l’Océan62.
58 L’on recensait de nombreux terrains en cours d’immatriculation ou immatriculés sur de grandes surfaces ne
supportant que des faibles mises en valeur ; l’immatriculation de terrain non mis en valeur, des titres fonciers établis
sans plan ni procès-verbal de bornage ou alors des plans falsifiés, des documents antidatés. 59 Rapport CONAC de 2011. 60 Arrêté n° 156/MINDAF du 06 février 2009 déclarant d’utilité publique les travaux de construction du Complexe
industrialo-portuaire de Kribi dans le département de l’Océan. 61 Rapport de la CONAC 2011, p.167. 62 L’on met en exergue ici le chef de service départemental des domaines de l’époque Monsieur EBIBI MESSI Ernest
qui selon l’accusation a participé activement à cette pratique sombre de délivrance des titres fonciers.
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Ainsi, deux principaux services ont été mis à contribution afin de délivrer illégalement les
titres fonciers. Il s’agit du service départemental des Domaines et du service départemental des
Affaires foncières du département de l’Océan. Ont donc été mis en cause respectivement Monsieur
EBIBI MESSI Ernest63 et BIBA’A BI NYEMB Aloysius Omam64.Pour l’accusation, il est clair
que ces deux autorités ont facilité et œuvré savamment à la délivrance illégale des titres fonciers à
diverses personnalités. Un autre service non moins important donne son onction à cette obscure
pratique de détournements de crédits d’indemnisation même lorsque l’arrêté déclarant d’utilité
publique les travaux a vu le jour. C’est le cas des communes qui ont attribué des permis de
construire en méconnaissance de textes en vigueur.
2- L’attribution frauduleuse des permis de construire
D’emblée faut-il procéder à quelques précisions. La première qui définit le Permis de
Construire « est un acte administratif qui autorise une construction après vérification de sa
conformité avec les règles de l’art et les règles d’urbanisme en vigueur. »65La seconde qui souligne
l’autorité habileté à délivrer les permis de construire. Ce document relève exclusivement de la
compétence du Maire territorialement compétent66.Ainsi, lors des commissions d’enquête qui se
sont succédé à Lobo dans le cadre de la construction de l’autoroute Yaoundé-Douala, l’on a
malheureusement enregistré des irrégularités relatives à l’attribution frauduleuse des permis de
construire au mépris du droit positif.
En effet, l’article 5 de la loi du 04 juillet 1985 est sans équivoque lorsqu’il dispose que «
L’acte de déclaration d’utilité publique est suspensif de toute transaction et de toute mise en valeur
sur les terrains concernés. Aucun permis de construire ne peut, sous peine de nullité d’ordre
public, être délivré sur les lieux ». Plus loin, l’article 14 du décret d’application de la loi du 04
juillet 1985 dispose que « Conformément aux dispositions de l'article 5 de la loi n° 85/9 du 4 juillet
63 En tant que chef de service départemental des domaines, Sieur EBIBI était secrétaire de la CCE et a dirigé par
ailleurs la Sous-commission chargée du foncier. 64 Sieur BIBA’A fut chef de service départemental des Affaires foncières de l’Océan du 2 décembre 2008-Juin 2011.Il
était en charge de du suivi des procédures d’immatriculations, de participer aux règlements des litiges fonciers, de
l’instruction des procédures sur le domaine national de première catégorie. 65 Voir article 107 alinéa 1 de la loi n° 2004/003 du 21 avril 2004 portant Code de l’Urbanisme au Cameroun. 66 L’alinéa 2 de l’article 107 dispose que « Quiconque désire entreprendre une construction, même si celle-ci ne
comporte pas de fondation, doit, au préalable, obtenir un Permis de Construire délivré par le Maire de la Commune
concernée »
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1985, l’arrêté de déclaration d'utilité publique est suspensif de toute transaction, de toute mise en
valeur, et de toute délivrance de permis de construire. ».
La conjugaison de ces dispositions non moins pertinentes et de l’actualité ayant défrayée la
chronique à Lobo permet de conclure qu’il y’a eu un décalage assez considérable entre la théorie
et la pratique. En fait, des emprisonnements massifs ont eu lieu de ce côté mettant ainsi sur la
sellette plusieurs membres de la commission constat de et d’évaluation au rang desquelles se
trouvait le Maire de la localité. Selon l’accusation, l’édile municipal aurait délivré irrégulièrement
les permis de construire postérieurement à l’édiction de la Déclaration d’utilité publique à des
individus sans foi ni loi. Tous ces membres de la commission ont été écroués à la Prison Centrale
de Yaoundé.
Si les détournements des crédits d’indemnisation67 sont favorisés par la délivrance
frauduleuse des titres fonciers et des permis de construire, ils sont davantage perpétrés lors des
enquêtes de constat et d’évaluation.
B- Les détournements perpétrés à l’occasion de l’enquête de constat et d’évaluation
A la suite de la demande d’expropriation déposée auprès de ses services et après avoir jugé
le projet d'utilité publique, le Ministre des Domaines va prendre un arrêté déclarant d'utilité
publique les travaux projetés et définissant le niveau de compétence de la commission chargée de
l’enquête d'expropriation dite commission de constat et d'évaluation. Cette étape motrice et
cruciale de la procédure d’expropriation va alors servir à diverses autorités de terreau fertile à
plusieurs types de pratiques dont le but ultime est de favoriser une indemnisation outrancière. Au
rang de ces actes répréhensibles, l’on enregistre l’insertion frauduleuse des expropriés fictifs (1)
et la surévaluation des dommages découlant de l’expropriation (2).
1- L’insertion frauduleuse des expropriés fictifs
L’insertion frauduleuse des bénéficiaires des indemnisations a été une réalité vivante lors de
la construction des deux projets structurants en l’occurrence le Complexe industrialo portuaire de
Kribi et le barrage de la Mape, arrondissement de Bankim, département du Mayo-Banyo, Région
de l’Adamaoua.
67 MANGA TSOUNGUI (G-N), Les moyens de l’expropriation pour cause d’utilité publique en droit camerounais,
Thèse de doctorat Ph/D en droit public interne, Université de Douala, année académique 2018-2019, p.91.
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Relativement à la construction du Port en Eau Profonde de Kribi, plusieurs irrégularités
relatives à l’insertion des expropriés ont été enregistrées. Dans ce sens, l’arrêt du Tribunal Criminel
Spécial est assez édifiant à propos. En effet, l’accusation a pu prouver que certains membres de la
Commission de constat et d’évaluation ont inséré frauduleusement des expropriés fictifs qui
n’étaient même pas habitants ou originaires de la localité. Ainsi, en date du 09 Octobre 2020, la
Haute Cour criminelle dans l’affaire Ministère Public et Etat du Cameroun (Port en eau Profonde
de Kribi) MINFI-MINDCAF-MINEPAT contre VILON Jean François et consorts se prononce en
ce qui concerne les cas de NDONG NDONG César68 et VILON Jean François69 en ces termes :
« CONSIDERANT qu’il leur est reproché d’avoir, en participation et en accord, tenté d’obtenir
ou de retenir frauduleusement la somme de 10.358.600 FCFA ;
QUE VILON Jean François a déclaré que cette somme n’a pas été payée ; qu’elle représentait la
contrepartie des cultures que comportait une parcelle de terrain qui lui a été offerte et pour le
compte de laquelle il a fait inscrire le nom de son beau-frère NDONG NDONG César dont il
possédait la thermocopie de la carte nationale d’identité ;
QUE NDONG NDONG César a déclaré n’avoir eu connaissance de cette indemnisation que dans
le sillage d’une convocation à laquelle avait déféré son beau-frère ;
CONSIDERANT que dans la rubrique des cultures au village Lolabè, une indemnité de 10.358.600
FCFA a été octroyée à NDONG NDONG César ;
QUE NDONG NDONG César n’a pas signé la fiche d’expertise des cultures dressée le 14
décembre 2009 par Dame NDJANA E.Lysette, Chef de Section Appui aux Projets et aux
investisseurs ;
QUE ce défaut de signature établi qu’il n’a pas été associé à l’expertise de ces cultures dont il
n’est pas l’auteur ;
CONSIDERANT en revanche que c’est en toute connaissance de cause que VILON Jean François
s’est fait établir une fiche d’expertise de cultures attribuées à son beau-frère, que ces cultures sont
68 Beau-frère de VILON Jean François 69 Préfet du département de l’Océan.
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composées de 135 palmiers à huile âgés de 3 à 25 ans, 30 pieds d’agrumes,20 manguiers et
avocatiers adultes et 10 Kolatiers adultes ;
CONSIDERANT qu’au regard des circonstances de l’octroi à VILLON Jean François de la
parcelle de terrain concernée, ces cultures indemnisées à 10.358.600 FCFA sont manifestement
fictives ;
QUE c’est VILON Jean François qui a communiqué à l’agent recenseur, les éléments
d’identification du pseudo propriétaire desdites cultures fictives ; ». La Juridiction en charge de
lutter contre les détournements des deniers publics conclut sans ambages en déclarant « Qu’au
regard des éléments qui précèdent, il convient de déclarer NDONG NDONG César non coupable
de tentative de coaction de détournement de la somme de 10.358.600 FCFA et déclarer VILON
Jean François coupable de tentative de détournement de ladite somme ».
Autre membre et non de moindre de la commission d’enquête à être reconnu coupable de
détournement des crédits en lien étroit avec l’insertion frauduleuse des expropriés fictifs. Il s’agit
de EBIBI MESSI Ernerst.Le Tribunal Criminel Spécial :
« CONSIDERANT que le susnommé occupait le poste de chef de service Départemental des
Domaines de l’Océan ; qu’il est ressorti des pièces du dossier de la procédure que c’est au nom
de son frère, ZAM Jean Marie, qu’ont été attribués les cultures existantes sur la parcelle en cours
d’immatriculation à Lolabé et évaluées à 9.364.500 FCFA alors que ce dernier était inconnu des
populations de Lolabé ;
QU’en utilisant le nom de ZAM Jean Marie pour l’attribution d’une indemnisation de cultures
fictives sur une parcelle reçue en récompense des services rendus à la collectivité Bongaalaambe,
EBIBI MESSI Ernest s’est rendu coupable de complicité de tentative de détournement de ladite
somme ». Dans le cadre de la construction du Port en eau Profonde de Kribi, d’autres personnes
ont également été mentionnées.70
Par ailleurs, l’on a noté des cas d’insertion frauduleuse des expropriés fictifs lors de la
construction du barrage de la Mape. Ainsi, après l’arrête n° 210 du 29 avril 2010 déclarant d’utilité
70 Voir arrêt n° 019/CRIM/TCS du 09 Octobre 2020 suscité.
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publique les travaux du barrage de la Mape, certains noms ont été insidieusement insérés dans la
liste des bénéficiaires des indemnisations.
Pour l’accusation, BOUBA DAIROU Sous-préfet de l’arrondissement de Bankim « s’est
impliqué dans le processus de paiement des indemnisations à travers : la signature des
procurations aux « soi-disant » représentants des bénéficiaires absents ou décédés, la certification
du protocole d’accord entre les victimes et MOUWA Flaubert ; QUE ce protocole d’accord
ensemble les procurations ont été les véritables instruments de manipulations des indemnisations
en vue de leur détournement ;
QU’en effet, s’est demandé le représentant du Ministère public, comment expliquer que l’autorité
administrative valide dans un protocole d’accord une clause qui lèse aussi grossièrement le
bénéficiaire d’une indemnisation qui lui est due, du fait d’un préjudice subi, au profit d’un
prétendu facilitateur qui s’octroie 35% du montant de l’indemnisation ;
QU’il s’agit là en réalité d’une clause « réputée non écrite » qui n’aurait jamais dû être validée
à ce taux usurier ;
Qu’à titre d’illustration : 35% d’un montant de 550.215.500 FCFA correspondent à la somme de
192.575.425 FCFA ;
QUE le protocole d’accord ainsi conçu a constitué le support du plan de détournement de deniers
publics ;
QUE l’installation de MOUWA Flaubert dans les locaux où s’effectuaient les paiements des
indemnisations, au vu et au su des membres de la commission participe de la logique de
recouvrement de ladite somme ;
QUE parallèlement, les procurations ont contribué à résoudre la question des noms fictifs qui
figuraient dans la liste des bénéficiaires et des décédés sans représentants, et permettre de
percevoir à tort, mais en toute légalité les indemnisations ;
QUE la somme totale de 105.207.000 FCFA a pu ainsi être indûment perçue »71.
71 Voir arrêt n° 017/CRIM/TCS du 07 aout 2019, Affaire Ministère Public et Etat du Cameroun (Ministère de
l’administration territoriale et de la Décentralisation) c/MOUWA Flaubert et autres. .
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Le second cas le plus ubuesque est celui de Sieur MOUWA Flaubert dont le rôle était de
faciliter le paiement des indemnisations et qui était allègrement installée dans les bureaux du Sous-
préfet de Bankim. A ce sujet, le TCS se prononce en ces termes: « CONSIDERANT que pour
l’accusation, sur le cas de MOUWA Flaubert et en dépit des dénégations de ce dernier, les
témoignages reçus, les documents produits (procurations), la proximité avec les autorités
administratives (signatures des fiches de présence dans les séances de travail), sont autant de
preuves que cet accusé a pris une part très active dans : la confection de la liste des sinistrés,
l’évaluation des cultures et le paiement des indemnisations par son installation dans les locaux de
la sous-préfecture de Bankim lors du paiement ;
QUE cette omniprésence dévoile les desseins de détournement d’une partie de l’indemnisation
due aux victimes, suite au décret du Premier Ministre, qui a débloqué une somme de 550.215.500
FCFA, à ces fins ;
QUE le « modus operandi » de MOUWA Flaubert a été de faire insérer dans le procès-verbal
d’évaluation des intrus et les membres de sa propre famille n’ayant pas de plantations dans les
villages concernés par les destructions déplorées, telle que démontré plus haut.
QUE les déclarations de MOUWA Flaubert à l’enquête préliminaire (EP0609), retracent
l’utilisation ou mieux la rétrocession à lui, des sommes déchargées par les membres de sa famille,
et illustrent parfaitement le détournement des indemnisations ;
De ce qui précède, il ressort que l’insertion frauduleuse des expropriés fictifs a été pratiquée
à outrance lors de l’enquête de constat et d’évaluation. Tout ceci ayant pour unique objectif de
spolier les caisses de l’Etat. La surévaluation des dommages découlant de l’expropriation s’inscrit
également dans ce sens.
2- La surévaluation des dommages découlant de l’expropriation
C’est à la suite de nombreuses dénonciations des populations de Kribi qui constataient la
présence des personnes fictives ayant des indemnités fortes que des investigations ont été menées
par les plus hautes autorités72.La surestimation des dommages consistait à majorer davantage les
72 Nous avons appris des sources introduites que sur instruction du président de la République, deux missions
d’enquêteurs, l’une de la sous-direction des enquêtes économiques à la Direction de la police judiciaire (DPJ) et l’autre
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indemnisations des cultures et autres biens. Sans toutefois être exhaustif, l’on va s’attarder sur
deux principaux cas.
Le premier cas de surévaluation comme l’ont reconnu les juges du Tribunal Criminel
Spécial fut celui de Monsieur MADOLA Innocent73.En fait, les juges s’expriment in extenso en
ces termes : « CONSIDERANT qu’il lui est reproché le détournement de la somme de 20.857.500
FCFA par la perception d’une indemnisation surévaluée de ses cultures ;
QU’au cours des débats, MADOLA Innocent a reconnu les faits ;
QUE s’expliquant davantage, il a déclaré que la proposition de la surévaluation de ses cultures
lui a été faite par MBILI Magloire74 qui, pour le convaincre de l’accepter, l’a rassuré qu’il n’aura
pas de contre-expertise ;
QU’il a signé sa fiche d’expertise et une semaine plus tard, MBILI Magloire lui a dit avoir
surévalué ses cultures et que lors du paiement de l’indemnité il devait lui reverser la somme de
10.000.000 FCFA, ce qu’il a fait après avoir été convoqué au bureau du Sous-Préfet saisi par
MBILI Magloire ; ». Pour la juridiction, « il apparait clairement que c’est sur une fiche d’expertise
vierge que MADOLA Innocent a apposé sa signature pour permettre à MBILI Magloire d’y
de la Direction générale à la recherche extérieure (DGRE), se sont succédé sur le terrain. Tous les acteurs qui ont
participé au processus d’identification, et de recensement des ayants droits, ainsi que les responsables de différentes
administrations chargées de l’établissement des titres fonciers du site déclaré d’utilité public (DUP), ont été entendus. Des indiscrétions de ces missions révèlent par exemple que plusieurs autochtones figurant sur la liste des
indemnisations ne connaissent même pas où est situé leur terrain, encore moins leur prétendu village.
Certaines parcelles décrites comme ayant été mises en valeur, question de renchérir le coût des
indemnisations, n’ont jamais reçu la visite d’un homme. Sans compter que certains prétendus occupants
sont introuvables. On estime à au moins 60% les cas suspects dans le processus d’indemnisation. Les
enquêteurs auraient même découvert que certaines personnes ont effectué des virements sur le compte des
membres des commissions. Des transactions jugées suspectes dans un tel contexte par les enquêteurs. Des
sources citent notamment un ressortissant d’un pays du moyen Orient, propriétaire de quelques cabanes en
planches dans la zone et bénéficiaire d’un montant de 300 millions de Fcfa qu’il a retiré d’un seul trait de
sa banque, provocant l’indignation des banquiers. Les enquêtes révèlent par ailleurs que les montants les
plus costauds dans la liste des indemnisations sont sujets à caution et doivent être passés au scanner. Les
différentes missions d’enquêtes dépêchées sur le terrain ont déjà remis leurs copies. En attendant
éventuellement d’autres recoupements pour complément d’informations. L’option étant de reprendre une
nouvelle liste toilettée, et donc un nouveau décret à proposer au premier ministre et à faire viser par les
services de la présidence de la République. La liste des complices d’une telle forfaiture s’annonce bien
longue. Et les sanctions retentissantes, apprend-on des sources introduites
73 C’est un pécheur domicilié à Kribi. 74 EX-Chef de la section Départementale des enquêtes et des statistiques agricoles à la Délégation Départementale
de l’Agriculture et du Développement Rural de l’Océan à Kribi.
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mentionner l’existence de cultures fictives afin de parvenir à l’indemnisation convenue ». De
même, la surévaluation des cultures de MADOLA Innocent a également été dénoncée par IVAHA
Théodore75 avec l’indication des modalités de partage.
Le second cas met en cause MBILI Magloire. Pour la juridiction compétente en matière
des détournements de fonds publics, il ne fait l’ombre d’aucun doute que MBILI Magloire a
participé activement à la surévaluation des indemnisations. Pour mieux saisir cette prise de
position la juridiction se prononce en ces termes : « CONSIDERANT qu’il lui est reproché le
détournement des sommes respectives de 13.000.000 FCFA, 10.000.000 FCFA et 11.000.000
FCFA par la perception des indemnisations surévaluées des cultures des nommés MEKWALA
François, MADOLA Innocent, NGOLE Marthe ;
QU’au cours des débats, MBILI Magloire a partiellement reconnu les faits ; qu’il est en outre
apparu que c’est lui qui a conduit les travaux de la sous-commission technique d’évaluation des
cultures à la place de son supérieur hiérarchique empêché et qu’il est l’auteur du rapport ayant
sanctionné lesdits travaux ;
CONSIDERANT que s’agissant de la surévaluation aux sommes respectives de 15.545.000 FCFA
et 15.357.000 FCFA des indemnisations des cultures de MEKWALA François et de MADOLA
Innocent, les dépositions de ceux-ci et de celles de IVAHA Théodore, corroborées par les fiches
d’expertises de leurs cultures, établissent à suffire la culpabilité de MBILI Magloire s’agissant
des faits ».
Des cas suscités, il se dégage que la surévaluation des dommages a été profondément
montée de toutes pièces. Un puzzle avait déjà été constitué à cet effet. Les rôles des différents
acteurs avaient déjà été élaborés.
Conclusion
L’ambition de cet article était de montrer comment les détournements des crédits
d’indemnisation s’opèrent au Cameroun dans le cadre de l’expropriation pour cause d’utilité
publique. En confrontant les différents textes législatif et réglementaire à l’épreuve des faits tout
75 Voisin de MADOLA Innocent.
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en prenant également en compte les décisions de justice rendues par le Tribunal Criminel Spécial,
l’on constate que ces détournements des crédits d’indemnisation obéissent à des mécanismes
malicieusement ficelés.
Dans un premier temps, l’on a montré que les détournements des crédits d’indemnisation
pouvaient s’opérer antérieurement à l’édiction de la DUP. Ils sont alors l’œuvre des hautes
personnalités de la République qui usent de manœuvres frauduleuses, notamment les pratiques des
délits d’initiés et de corruption.
Dans un second temps, l’on a montré que les détournements de crédits d’indemnisation
peuvent aussi se réaliser postérieurement à la DUP. Ils sont alors cautionnés par de nombreux
services tels que les services du MINDCAF, les Communes et même les commissions de Constat
et d’évaluation. Dans ce sillage, plusieurs acteurs participent à ces malversations financières. Au
rang de ces acteurs, l’on peut enregistrer les services déconcentrés du MINDCAF, les communes
et même la Commission de Constat et d’Evaluation, qui par leurs actes frauduleux favorisent les
malversations financières. Au cours des développements, nous avons pu retracer les différentes
implications des uns et autres dans cette opération de main basse sur les fonds d’indemnisation.
Fort de ce qui précède. Il apparait ainsi que les détournements des crédits d’indemnisation
au Cameroun sont devenus « la chose la mieux partagée ». La réalisation des projets
d’investissements publics au Cameroun fait appel ipso facto aux mécanismes de détournements
des crédits d’indemnisation. Ces derniers sont devenus une « manne financière » pour certains
administrateurs véreux et assimilés. Plusieurs conséquences sont observées consécutivement aux
détournements des crédits d’indemnisation, entres autres la lenteur dans l’exécution des travaux,
les contestations intempestives des populations qui fragilisent alors la paix sociale, l’accroissement
du service de la dette du Cameroun auprès de ses partenaires financiers et surtout l’édulcoration
de l’image de marque du Cameroun auprès de la communauté internationale. Au regard de la
recrudescence de ce phénomène, il est alors impérieux que l’Etat prenne ses responsabilités.
L’une de ces responsabilités serait alors de durcir la législation pénale en matière de
détournements des crédits d’indemnisation76. Ensuite, la délocalisation des fonds d’indemnisation
76 A défaut d’insérer dans la législation pénale générale des dispositions relatives au détournement des crédits
d’indemnisations, il est urgent d’introduire dans la loi inhérente à l’expropriation pour cause d’utilité publique, des
dispositions pénales en la matière. Ainsi, l’on pourrait par exemple mettre en exergue une disposition comme
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vers des partenaires privés au détriment des membres de la Commission de constat et
d’évaluation77 et enfin l’instauration de la signature des rapports d’indemnisation par les
expropriés lors des enquêtes78.
L’émergence à laquelle tend le Cameroun ne saurait également être atteinte si l’on continue
d’observer la manifestation de ce sempiternel problème de détournements des crédits
d’indemnisation qui devient au fil des temps un « serpent de mer » et « un caillou dans la chaussure
des gouvernants ».
suit : « Est puni d’un emprisonnement de dix ans à vingt ans et d’une amende de 20.000.000 FCFA à 40.000.000
FCFA ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque se fait recenser et indemniser de façon frauduleuse.
La condamnation est prononcée sans préjudice des restitutions et dommages‐intérêts qui peuvent être dus aux parties.
Lorsque les membres de la Commission de Constat et d’Evaluation sont impliqués, les peines et amendes
susmentionnés sont doublées. » 77 Il s’agit ici d’abord de contre expertiser les differents rapports produits par la Commission d’enquête ou alors à
défaut de confier lesdites enquêtes d’expropriation à ces personnes de droit privé. Ensuite, il s’agit de confier le
paiement des indemnisations à une personne morale de droit privé. En cas de dérives de la part du consultant ou de
l’organisme privé, des dispositions pénales suivantes peuvent lui être appliquées. Par exemple, Article 1 : Est puni d’un emprisonnement de un an à cinq ans et d’une amende équivalant au triple du préjudice
financier subi par l’expropriant ou de l’une de ces deux peines seulement, tout consultant commis au recensement qui,
en connaissance de cause ou en complicité avec toute personne affectée, recense des droits non constitués.
La juridiction saisie peut en outre ordonner l’exclusion du consultant des marchés publics pour une durée qui ne peut
excéder cinq ans.
Article 2 : Est puni d’un emprisonnement de cinq ans à dix ans et d’une amende de 5.000.000 FCFA à 10.000.000
FCFA ou de l’une de ces deux peines seulement, tout agent recenseur, en connaissance de cause ou en complicité
avec toute personne affectée ou avec le consultant qui l’a commis, recense des droits non constitués. 78 Il est important de mettre à la disposition des victimes avant leur publication les differents rapports. Cette lacune
considérable et de laisser un délai raisonnable aux victimes pour qu’elles puissent éventuellement suggérer des
rectifications matérielles aux informations qu’ils contiennent. Cette prise en compte de cette recommandation
permettrait d’éviter des cas d’insertion frauduleuse des expropriés et biens fictifs.
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La gouvernance de recrutement du personnel dans les Collectivités
Territoriales Décentralisées au Cameroun : entre faible régulation
normative et prévalence des normes pratiques
Par :
Boris METSAGHO MEKONTCHO
Docteur en Science politique
Université de Dschang (Cameroun)
&
Wilfried Aubin YANKENG FOYET
Doctorant en Droit Public
Université de Douala (Cameroun)
Résumé :
Environ trois décennies d’institutionnalisation de la décentralisation au Cameroun, la
mise en place d’une véritable fonction publique territoriale relève encore d’un horizon. Pourtant,
il est impossible d’envisager une décentralisation et un développement local sans des agents
administratifs et techniques compétents. À l’observation empirique, le recrutement des agents
communaux reste caractériser d’un côté, par une faible régulation normative ; et de l’autre, par
une prépondérance des normes pratiques qui ne sont pas sans effets pervers sur l’efficacité et la
performance des CTD à délivrer des services publics de qualité aux populations et à relever les
défis de développement au niveau local. Cette étude se propose donc à travers une démarche
sociologique reposant sur la théorie de normes pratiques mis en selle par OLIVIER DE SARDAN,
de saisir en acte la gouvernance « réelle » de recrutement du personnel communal au Cameroun.
Mots clés : Cameroun, recrutement, personnel communal, Collectivités Territoriales
Décentralisées, normes pratiques.
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Introduction
La décentralisation, dont l’histoire institutionnelle remonte à la période coloniale, s’est
imposée comme un « nouveau paradigme de développement1». Elle fait partie des phénomènes
complexes et dynamiques ayant pris corps dans le contexte de démocratisation en Afrique
subsaharienne. Elle est aujourd’hui l’objet d’agenda politique et institutionnel des pays africains
mais aussi de la part des partenaires internationaux. En effet, ce processus institutionnel amorcé
sur le continent en général et au Cameroun en particulier depuis le début des années 1990, dans
une perspective de la « co-production », est le fruit de croisement de plusieurs facteurs et
temporalités à la fois interne et externe. Comme le dit Gaudusson et Médard : « la décentralisation
et la démocratisation s’inséraient dans le mouvement idéologique global et des demandes
locales »2. Les institutions internationales de Bretton Woods (FMI, Banque mondiale) et les
puissances occidentales, font de l’énonciation de la décentralisation dans les politiques publiques,
un « nouveau référentiel »3 de la qualité de la « gouvernance » des pays, jadis gérés par des
pratiques néopatrimoniales, et aussi une conditionnalité de l’aide publique au développement.
Selon ces entrepreneurs internationaux de la norme décentralisatrice, la décentralisation est une
clé qui doit ouvrir de nombreuses portes. Elle permettrait non seulement l’introduction de la
démocratie locale et de la responsabilité politique (accountability), mais aussi la libération des
dynamiques de développement « à la base ». La mise en place d’une autonomie administrative
locale serait comme une « école de la démocratie » et liquiderait les résidus de pouvoir autoritaire4.
À ce titre, la décentralisation et la gouvernance démocratique locale ont été crédités d’une
intentionnalité et d’une fonctionnalité à multiplier les effets de développement à l’échelle locale.
C’est dans cette perspective, qu’à la faveur de la loi n°2004/018 du 22 Juillet 2004 fixant les règles
applicables aux communes, plusieurs compétences de l’Etat, relevant de divers domaines, ont été
transférées aux Collectivités Territoriales décentralisées. Ainsi, la mise en œuvre effective du
processus de décentralisation nécessite que les collectivités locales soient dotées de leur propre
capacité administrative. Sans une adaptation des structures administratives, les CTD ne seront pas
1 BELLINA Severina et al., La gouvernance démocratique. Un nouveau paradigme pour le développement ? Paris,
Karthala, 2008. 2 GAUDUSSON Jean du Bois et MEDARD Jean-Pierre, « La crise permanente de l’Etat et la recherche difficile de
nouveaux modes de régulation », Afrique contemporaine, n°99, 2001, pp.3-24. 3 MULLER Pierre, Les politiques publiques, Paris, Puf, 2000. 4 BIERSCHENK Thierry et OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre (dir), Les pouvoirs locaux au village. Le Benin rural
entre démocratisation et décentralisation, Paris, Karthala, 1998, p.12.
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à même d’assurer la prestation des services correspondant aux compétences et responsabilités qui
leur sont transférées. Les collectivités territoriales doivent des capacités humaines nécessaires à
l’exercice de nouveaux pouvoirs et de leurs nouvelles compétences en mettant en place des
politiques publiques de recrutement efficaces et rationnelles.
Cependant, force est de constater que la gestion des ressources humaines demeure le
maillon faible de la gouvernance locale et partant la principale cause de la faible performance des
administrations publiques locales en Afrique subsaharienne5 en général et au Cameroun6 en
particulier. La gouvernance de recrutement et de sélection des agents territoriaux7 reste
caractérisée par un cadre juridique incomplet, dominée par des normes pratiques ou informelles
éloignées des « normes officielles »8, qui ne sont pas sans effets pervers sur l’efficacité et la
performance des CTD à délivrer des services publics de qualité aux populations et de relever les
défis de développement au niveau local. Tel est l’objectif que se propose cette étude de saisir au
5Voir les résultats du rapport des deux Forums africains des Managers territoriaux et des instituts de formation ciblant
les collectivités territoriales organisés par CGLU-Afrique en 2017 et 2018. Le 1er Forum a été organisé par CGLU-
Afrique dans le cadre des actions de l’Académie Africaine des Collectivités Territoriales (ALGA, African Local
Government Academy), en partenariat avec le Ministère de l’Intérieur du Royaume du Maroc, l’Association
Marocaine des Présidents des Conseils Communaux (AMPCC), l’Association des Régions du Maroc (ARM) et
l’Université Internationale de Rabat (IUR), à Salé au Maroc du 18 au 21 Septembre 2017 sous le thème « Les
Ressources Humaines des Collectivités Territoriales Africaines : Le temps d’agir… C’est Maintenant !» auquel ont
pris part 450 participant(e)s. La 2e Edition du Forum a été organisée par CGLU-Afrique en partenariat avec le
Ministère de l’Intérieur du Royaume du Maroc, l’ARM, l’AMPCC, le Conseil de la Région de l’Oriental et l’Agence
de Développement de l’Oriental, à Saïdia, au Royaume du Maroc, les 25 et 26 Avril 2018 sous le thème « Se mobiliser
pour le développement du Capital Humain des Collectivités Territoriales : une exigence clé pour l’atteinte des
Objectifs du Développement Durable » (250 participant(e)s. 6 Voir Cabinet AGORA consulting, Etude portant sur l'évaluation des besoins en personnels des collectivités
territoriales décentralisées en vue de l'élaboration d'un tableau type des emplois communaux, mai 2008. 7 Le corps du personnel communal ne constitue pas un bloc monolithique. Il est formé de 12 catégories. De la 1 ière à
la 6ième catégorie, il s’agit des agents d’exécution ; de la 7ième à la 9ième catégorie sont des cadres d’exécution ou des
contractuels d’administration (les catégories 7 à 9 correspondent aux fonctions de préparation, d'élaboration et
d'application et les catégories 10 à 12 aux fonctions de conception, de direction, de contrôle ou d'évaluation); de la 10
à la 12ième catégorie, ce sont des cadres supérieurs. À la Commune de Dschang, le corps des agents communaux est
reparti en catégories professionnelles suivantes : les contractuels (40), les décisionnaires (62), les temporaires (101),
des agents en cours de contractualisation (8), des agents contractant avec les partenaires au développement (5). Ce qui
fait un total de 216 agents communaux. Voir Commune de Dschang & Secrétariat Général, Résultats du recensement
physique du 15 au 22 janvier 2020 à la commune de Dschang, 2020. 8 Les normes officielles quant à elles renvoient à l’ensemble des règles formalisées ou codifiées, et expriment des
prescriptions. Les normes officielles ne se réduisent pas aux lois ou aux règles juridiques (rules of law) ; par exemple,
il peut s’agir de conventions particulières, de règlements locaux, de procédures administratives ou professionnelles ;
mais, dans le champ de l’action publique ou des pratiques professionnelles, elles sont nécessairement formalisées ou
codifiées, et expriment des prescriptions, un « mode d’emploi ». Autrement dit, les normes officielles sont, dans ce
champ, assez proches du sens que les néo-institutionnalistes donnent au mot « institution » (rules of the game). Cf.
OLIVIER DE SARDAN (J-P.), « À la recherche des normes pratiques de la gouvernance réelle en Afrique », op.cit.
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concret la « gouvernance « réelle »9 de recrutement du personnel communal10 au Cameroun à
partir de la commune de Dschang, comme site d’observation11.
Pour ce faire, nous proposons dans cette perspective, de mobiliser l’approche par les
« normes pratiques»12 mis en selle par Jean-Pierre OLIVIER DE SARDAN. Une approche par les
9Nous empruntons la notion de « gouvernance réelle » à Jean-Pierre OLIVIER DE SARDAN. Il définit ce concept
comme « la façon dont les biens et services publics sont « réellement » délivrés (ce qui inclut évidemment la façon
dont l’Etat est « réellement » géré, ou dont les politiques publiques sont « réellement » mises en œuvre), par opposition
à la définition normative de la « bonne gouvernance » promue par la Banque mondiale et les principaux partenaires
du développement, qu’on pourrait aussi appeler « gouvernance idéelle ». Lire OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre,
« À la recherche des normes pratiques de la gouvernance réelle en Afrique », Discussion Paper, London, n°5, 2008. 10 Au Cameroun, la définition de la notion de « personnel communal » reste introuvable. À ce jour, l’évolution
textuelle n’a pas permis de définir le personnel communal. Cette situation trouve son explication dans l’inexistence
d’un statut propre aux agents communaux. Car on constate le mutisme des textes législatifs que réglementaires, ainsi
que la complexité des critères d’identification du personnel communal10. Toutefois, ce personnel régit par le décret n°
78/484 du 9 novembre 1978 fixant les dispositions communes applicables aux agents de l’Etat relevant du code du
travail, modifié par le décret n°82/100 du 3 mars 1982), il est composé de 12 catégories : (i) La première catégorie qui
va de de 1 à 6 constitue le personnel décisionnaire, dont le niveau de qualification le plus élevé est le BEPC + niveau
classe de 1ère et équivalent. Cette catégorie constitue la branche la plus nombreuse, renfermant le personnel de tout
bord y compris tous les exécutants avec engagement précaire. La deuxième catégorie qui va 7 à 12, constitue le
personnel contractuel. Elle est subdivisée en deux sous-catégories : de la catégorie de 7 à 9, il s’agit des agents de
maitrise. Ils s’occupent aux fonctions de préparation, d'élaboration et d'application. Ils assistent les cadres, participent
à la définition, développent, s’occupent du suivi et de l’organisation des projets et services, de l’accueil et de la
réception des usagers et des équipes. Ils sont titulaires d’au moins d’un diplôme de probatoire, d’un diplôme équivalent
ou d’une formation équivalente. La catégorie 10 à 12 est constituée des cadres supérieurs titulaires d’au moins du
diplôme de licence ou d’un diplôme équivalent. Ces cadres s’occupent des fonctions de coordination, de conception,
de direction, de contrôle ou d'évaluation, de la supervision des équipes et services. À côté de ces différentes catégories
d’agents communaux, on a également le personnel recruté dans de cadre de la coopération décentralisée par voie
contractuelle, conjointement par les autorités locales et les partenaires extérieurs de la Collectivité. Par ailleurs, on a
une autre catégorie de personnel communal mise à la disposition des CTD par l’Etat. Il s’agit des Secrétaires généraux
de communes et des Receveurs Municipaux. Ces deux dernières sont exclues dans le cadre de cette étude. 11Créée en 1954 comme commune mixte rurale par arrêté N°807 du 29 Novembre 1954, Dschang passe
successivement de Commune de plein exercice par la loi N° 62/COR/13 du 26 Décembre 1962 à Commune urbaine
au terme de la loi N° 74/23 du 05 Décembre 1974. Le territoire de cette municipalité est scindé en quatre entités
communales pour donner naissance aux communes de Fokoué, Penka Michel, Santchou et Dschang. Il est ainsi crée
la commune urbaine de Dschang et la commune rurale de Dschang à la tête desquelles siègeront les membres du parti
au pouvoir (parti unique à l’époque). C’est à la faveur des dispositions de la loi N° 204/018 du 22 Juillet 2004 sur la
décentralisation que les Communes urbaine et rurale sont supprimées au profit d’une seule commune calquée sur les
limites du nouvel arrondissement créé par le décret n° 2007/115 du 13 Avril 2007 du Président de la République.
Ainsi, Dschang se sépare de Fongo-Tongo devenu Arrondissement et s’érige en Commune unique et politiquement
homogène. 12 Olivier de Sardan définit la notion de « normes pratiques » en tant que modes de régulations des pratiques non
conformes aux nonnes officielles. Plus qu’un idéaltype, elle est comprise en tant que régulations des comportements des
acteurs, quand ils ne suivent pas les normes officielles. Cet auteur entend donc par normes pratiques, « les diverses
régulations informelles, de facto, tacites ou latentes, qui sous-tendent les pratiques des acteurs ayant un écart avec
les normes publiques (ou les normes sociales). Elles expriment la convergence relative de ces pratiques, et permettent
de comprendre le « jeu » avec les normes formelles : parfois les acteurs suivent celles-ci, parfois ils s'en éloignent
pour suivre des normes pratiques ». (Voir OLIVIER DE SARDAN (J-P.), « Les normes pratiques : Pluralisme et
agencéité », Colloque sur Normes pratiques. La régulation de l’informalité au sein des institutions publiques,
Université Paris Diderot 8, mardi 10 décembre 2011). Au niveau épistémologique, cet auteur précise: « Le concept de
normes pratiques n’est pas analytique: il ne donne pas un contenu substantif particulier aux phénomènes qu’il décrit,
il ne définit pas un modèle interprétatif spécifique. C’est pourquoi nous parlons de concept exploratoire: il permet
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normes pratiques de gestion des ressources humaines pour tenter de comprendre sans jugements
de valeurs, comment les gestionnaires des CTD régulent le recrutement du personnel communal
au Cameroun. Sur le plan méthodologique, nous avons privilégié des méthodes d’approche de la
réalité « telle qu’elle est »13 en réalisant des enquêtes de terrain de type socio-anthropologique14
développée par les chercheurs du LASDEL dont les têtes de proue sont Olivier de Sardan et
Bierschenk15.
Cette étude comprend trois articulations. Le premier axe montre que la gouvernance des
ressources humaines dans les CTD au Cameroun demeure caractérisée par un faible encadrement
normatif et par l’inexistence d’une fonction publique locale. En outre, on observe un faible respect
des conditions et des procédures de recrutement contenues le corps de normes officielles en
vigueur par les responsables municipaux. Le deuxième axe montre comment cette situation
favorise l’institutionnalisation d’une gouvernance informelle de recrutement du personnel
communal en décalage aux normes officielles en vigueur. La troisième et dernière articulation
présente les effets contre-productifs d’une telle politique informelle de recrutement aussi bien sur
simplement de mettre à jour, sous condition de recourir à l’enquête, une variété de modes de régulation sociale, de
patterns de gouvernance réelle, sans les agréger prématurément dans un modèle unique, sans les organiser en des
types a priori ». (Voir OLIVIER DE SARDAN (J-P.), « À la recherche des normes pratiques de la gouvernance réelle
en Afrique », Discussion Paper, London, n°5, 2008). Les comportements réels ne sont pas simplement des déviances
par rapport aux normes officielles, ils relèvent en fait d’autres normes, non dites, que l’on appellera normes pratiques.
Autrement dit, les comportements, dont on constate qu’ils ne suivent pas les normes officielles, ne sont pas simplement
erratiques, non conformes, aléatoires, ils sont réglés par d’autres normes de fait, qu’il convient de « découvrir ». Cette
découverte est d’autant moins simple que ces normes pratiques ne sont pas nécessairement conscientes, explicitement
connues en tant que telles, des acteurs eux-mêmes. Le concept de normes pratiques n’est pas analytique : il ne donne
pas un contenu substantif particulier aux phénomènes qu’il décrit, il ne définit pas un modèle interprétatif spécifique.
C’est pourquoi nous avons parlé de concept exploratoire : il permet simplement de mettre à jour, sous condition de
recourir à l’enquête, une variété de modes de régulation sociale, de patterns de gouvernance réelle, sans les agréger
prématurément dans un modèle unique, sans les organiser en des types a priori (OLIVIER DE SARDAN (J-P.), « À
la recherche des normes pratiques de la gouvernance réelle en Afrique », op.cit.). 13 OLIVIER DE SARDAN (J-P.), « À la recherche des normes pratiques de la gouvernance réelle en Afrique », op.cit. 14 Dans la mesure où les traditions de recherche empiriques de type qualitatif (fondées sur l’enquête de terrain,
l’observation participante, les entretiens libres, les études de cas) sont communes à l’anthropologie (héritière de
l’ethnologie) et à une certaine sociologie dite parfois « qualitative » (issue de l’École de Chicago), nous préférons
utiliser l’expression « socio-anthropologie » selon l’expression de Jean-Pierre Olivier De SARDAN. Sur le plan
opérationnel, notre étude essentiellement qualitative est basée sur l’observation directe qui nous permet de saisir au
concret le fonctionnement réel des collectivités territoriales décentralisées (CTD) au Cameroun. En outre, nous avons
mené de entretiens semi-directifs auprès des responsables en charge des ressources humaines, de quelques élus locaux,
de quelques employés communaux et populations locales. Enfin, nous avons également fait usage de la technique de
recherche documentaire. Ainsi, des textes juridiques encadrant la décentralisation notamment sur la gestion du
personnel communal ont été consultés. Des rapports d’étude et des articles de presse sur l’état des lieux du personnel
administratif local au Cameroun ont également consulté. 15 OLIVIER DE SARDAN (J-P.), Anthropologie et développement: essai en socio-anthropologie du changement
social, Paris, Karthala, 1995, p.10.
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la qualité des ressources humaines que sur l’efficacité et la performance des CTD à délivrer des
services publics de qualité et à relever les défis de développement local.
I- ENTRE FAIBLE ENCADREMENT NORMATIF, ABSENCE DU STATUT DU
PERSONNEL LOCAL, FAIBLE RESPECT DES PROCEDURES DE
RECRUTEMENT ET USAGE ABUSIF DU POUVOIR DISCRETIONNAIRE DES
RESPONSABLES MUNICIPAUX
À l’observation, l’administration des ressources humaines16 dans les collectivités
territoriales au Cameroun demeure caractérisée par une faible régulation normative ne consacrant
pas un véritable statut du personnel communal. En outre, on observe le non-respect des procédures
officielles de recrutement du personnel par les responsables des CTD. De même, les chefs des
exécutifs territoriaux détiennent un pouvoir discrétionnaire dans l’administration du personnel
mais en font un usage abusif.
A- La faible régulation normative de recrutement du personnel local
Le recrutement est considéré comme le premier acte de gestion ou d’administration du
personnel. C’est « un pari » dont la réussite nécessite la mise en place d’un corps de règles
officielles et de procédures claires. Toutefois, dans le contexte camerounais, la régulation
normative de cette activité est plutôt faible. Les normes en la matière sont incomplètes et peu
développées ne consacrant pas un statut propre du personnel communal. Ces normes officielles
peuvent être regroupées en deux catégories à savoir les normes les normes classiques antérieures
à la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 et les normes postérieures à cette constitution.
En ce qui concerne la première catégorie, elles remontent pour l’essentiel à la période
monolithique à savoir les années soixante-dix. Il s’agit les lois n°74/23 du 05 décembre 1974
portant organisation communale et la loi n°87 du 15 juillet 1987 portant création des Communautés
Urbaines. L’Article 181 de la loi n°74/23 du 05 décembre 1974 précise : « le personnel employé
par les communes sera régi par un statut général fixé par décret. Les dispositions réglementaires
16 Elle concerne principalement l’ensemble des formalités administratives liées à l’emploi d’un agent au sein de
l’administration au regard des lois et règlements en vigueur. Les principales activités de l’administration du personnel
sont : le recrutement, la gestion des carrières, le suivi des dossiers administratifs, la gestion de la paie, le management
du temps de travail, la gestion des congés et des absences, le code de conduite et la discipline au travail, le service
social, ainsi que les relations avec les partenaires sociaux. Voir les résultats du rapport des deux Forums africains des
Managers territoriaux et des instituts de formation ciblant les collectivités territoriales organisés par CGLU-Afrique
en 2017 et 2018, op.cit., p.100.
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en vigueur relatives à l'administration de ce personnel leur restent applicables jusqu'à la
publication de ce statut ». Toutefois, cet article ne fait pas vraiment de précision qui permettrait
de savoir de qui il est question. L’article 65 § 2 de cette même loi évoque le terme du personnel
communal, sans préciser le contenu lorsqu’il détermine les compétences du maire. La limite
principale de ces lois est donc leur mutisme sur la notion de personnel communal17. Comme le
souligne Bernard-Raymond GUIMDO NDONGMO : « relativement au personnel communal,
cette loi présente l’image d’un texte hâtivement élaboré ; imprécis et lacunaire. En effet, elle n’y
fait presque pas allusion, encore moins à son statut »18. En outre, on a le décret n°78-484 du 9
novembre 1978 portant dispositions communes relatives aux agents de l'Etat relevant du code de
travail qui dispose : « le statut du personnel des collectivités territoriales est régi par le code du
travail et par les différents textes règlementaires relatifs au personnel de l'Etat relevant du code
du travail ». Selon ce décret, le personnel communal est soumis pour son recrutement, aux mêmes
conditions générales que l’agent public ou privé. Il est également soumis à des conditions générales
propres au recrutement des agents contractuels des administrations publiques19. Le décret n°77/91
du 25 mars 1977 détermine les pouvoirs de tutelle sur les Communes et établissement communaux.
En effet, l'article 2 dudit décret précise : les autorités de tutelle sont notamment chargées : « de
définir les mesures propres à assurer le développement harmonieux des communes ; d'accroître
le rendement et d'améliorer la qualité des services communaux ; de promouvoir la formation, le
perfectionnement et le recyclage du personnel communal; de contrôler le fonctionnement des
organes communaux ».
La deuxième catégorie concerne les normes postérieures à la constitution du 18 janvier
1996. Ainsi, on a d’abord la loi n°2004/017/ du 22 juillet 2004 portant orientation de la
Décentralisation stipule en son article 19 que le statut du personnel des CTD est fixé par un décret
du Président de la République. Ensuite, l’arrêté n°1306/A/MINATD/DCTD du 24 Août 2009 qui
est venu définir trois modèles d’organigramme-types pour les Communautés Urbaines, les
Communes et les Communes d’arrondissement. Selon l’article 5 § 1 du dit arrêté:
17GUIMDO NDONGMO Bernard-Raymond, Le personnel communal au Cameroun. Contribution à la crise de
l’administration communale au Cameroun, Thèse de doctorat de 3ième cycle en Droit Public, Université de Yaoundé
II-Soa, 13 juillet 2014, p.27. 18 Ibid., p.29. 19 Voir DECRET N° 78/484 du 9 novembre 1978 fixant les dispositions communes applicables aux agents de l’Etat
relevant du Code du Travail.
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Les recrutements aux postes de travail prévus en application du présent arrêté sont autorisés
par voie de délibération du Conseil de la Communauté Urbaine ou du Conseil municipal et se
réfèrent aux profils retenus dans le répertoire des métiers joint en annexe. (2) Nonobstant les
dispositions de l’alinéa (1) ci-dessus, le recrutement des personnels à partir de la 7ème
catégorie reste soumis à l’approbation du Ministre chargé des Collectivités Territoriales
Décentralisées.
Ces organigrammes restent à titre indicatif. La responsabilité de l’établissement de
l’organigramme des collectivités territoriales revient à chaque collectivité territoriale ainsi qu’à
l’Etat via le Ministère de la Décentralisation et du Développement Local. L’adoption des
organigrammes-types a l’avantage de standardiser les RH dans les CTD afin d’avoir une meilleur
visibilité de la demande au sein des CTD. Ce même arrêté définit les conditions et les procédures
de recrutement du personnel communal. Le personnel de la 1ière à la 6ième catégorie est soumis aux
conditions suivantes : nationalité, aptitude physique, droits civiques, bonne moralité, âge, respect
des ratios (conformément à l’article 39 de la loi n°2009/ du 10 juillet 2009 portant régime financier
des CTD). Pour les procédures de recrutement, il faut une demande, une délibération du Conseil,
une décision de recrutement et l’approbation du Préfet. En ce qui concerne le recrutement du
personnel du de la 7ième à la 12ième catégorie, il est soumis aux mêmes conditions que les
précédentes. Mais les procédures diffèrent en ce sens qu’il faut un contrat et l’approbation
MINATD. Le circulaire n°1306/MINATD/DCTD du 25 juin 2010 qui se fixe pour objectifs
majeurs l’organisation efficiente des services communaux ainsi que la rationalisation de la gestion
des ressources humaines. Cette circulaire précise les règles et modalités de recrutement et de
gestion du personnel communal20.
20Cette lettre circulaire n°0001306/MINATD/DCTD du 25 juin 2010 complète les procédures énoncées dans l’article
39 de la loi n°2009/ du 10 juillet 2009 portant régime financier des CTD en indiquant les pièces qui doivent
accompagner les demandes de recrutement et en précisant quelques orientations en matière de recrutement,
susceptibles de garantir aux collectivités des ressources humaines de qualité : Conformément à cette lettre circulaire,
toute demande de recrutement doit être accompagnée des pièces suivantes : l’organigramme approuvé de la collectivité
; l’état du personnel de l’année en cours ; la délibération municipale autorisant ledit recrutement ; l’attestation
indiquant les dépenses totales, les dépenses du personnel, les dépenses de fonctionnement, telles que figurant au
dernier compte administratif approuvé, ainsi que les ratios dépenses de personnel/dépenses totales, dépenses de
personnel/dépenses de fonctionnement dûment visée par le Magistrat municipal et le Receveur Municipal. Cette lettre
circulaire n°0001306 donne également d’autres orientations en matière de recrutement, à savoir : la réalisation d’un
état des lieux des besoins, préalablement à toute décision de
recrutement ; la référence aux profils retenus dans le répertoire des métiers annexé à L’arrêté
n°00136/A/MINATD/DCTD du 24 août 2009 rendant exécutoires les tableaux-types des emplois communaux ;
l’adéquation entre les postes et les profils d’emploi ; - l’adaptation des effectifs aux moyens financiers ; la priorité
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Le contexte de la gestion des ressources humaines des CTD s’est enrichi d’un nouvel
instrument juridique. Il s’agit de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code général des
Collectivités Territoriales Décentralisées. Elle vient compléter le cadre juridique déjà existant.
Reprenant l’essentiel des dispositions de la loi n° 2004/017 du 22 juillet 2004 d’orientation de la
décentralisation, ce Code général des CTD renforce les principes relatifs à la garantie de la libre
administration et de l’autonomie fonctionnelle des collectivités territoriales. Conformément à son
article 22, « Les collectivités territoriales recrutent et gèrent librement le personnel nécessaire à
l’accomplissement de leurs missions, conformément à la législation et à la règlementation en
vigueur ». L’article 22 du Code général des CTD prévoit la création d’une Fonction Publique
Locale. A l’instar de la Fonction Publique de l’Etat, les emplois de cette Fonction Publique Locale
pourraient être organisés en corps de métiers, cadres ou catégories professionnelles, grades, classes
et échelons.
En somme, de l’analyse des textes législatifs et réglementaires, le régime de recrutement des
agents communaux relevant du code de travail est incertain en ce sens qu’il n’a pas d’issue. Il n’est
pas homogène et ne favorise guère une satisfaction du recrutement et voir même de la carrière du
personnel communal à cause de l’absence du statut du personnel communal. Ainsi le personnel
communal, au gré de l’insuffisance des textes et de l’absence de son statut réglementant son
recrutement est exposé à toutes les dérives dont l’hybridisme de l’arsenal juridique et de l’absence
du formalisme dans le recrutement21.
B- L’inexistence d’un statut de la Fonction Publique Locale au Cameroun malgré son
annonce
L’efficacité dans la mise en œuvre des politiques de décentralisation passe par l’existence
d’un personnel compétent, recruté, formé, géré dans le cadre d’un statut objectif. En effet, la
question des statuts revêt une importance capitale en matière de GRH dans toute administration,
qu’elle soit publique, para-publique ou privée, centrale, territoriale ou locale. Le statut de la
Fonction Publique Locale constitue le socle juridique sur lequel repose toute la relation de travail
accordée à la qualité du personnel pour répondre aux exigences techniques liées à l’exercice des compétences
transférées. 21 Lire DONFACK Hneri, « La Problématique Du Recrutement Du »Personnel Communal Au Cameroun »,
International Multilingual Journal of Science and Technology (IMJST), Vol. 5, Issue 11, November – 2020, p.1997-
1998.
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avec l’administration. C’est lui qui fixe les conditions et les avantages du travail avec pour objectif
principal, de garantir les droits du personnel et d’assurer l’efficacité et l’effectivité des services. Il
reste un support et un cadre de référence qui permet de fixer les limites de ce qui est possible et
d'assurer une homogénéité et une équité entre les agents qui sont amenés à travailler dans les
collectivités locales. C’est à cet égard qu’un bon statut constitue un moyen efficace pour accroître
l’attractivité, la motivation et la rétention des talents afin d’assurer la performance et la qualité des
services. Dans cette perspective, la Fonction Publique Territoriale consiste à créer un statut
particulier pour les fonctionnaires relevant des administrations des CTD, distinct du statut général
de la fonction publique de l’Etat. Elle vise à donner aux CTD, en tant qu’administrations publiques
autonomes un personnel dont la gestion correspond aux exigences et besoins des services publics
locaux.
Au Cameroun malgré que l’article 22 du Code général des CTD prévoit la création d’une
Fonction Publique Locale; elle demeure encore un horizon22 ou inexistante dans la pratiques.
Néanmoins des réformes sont programmées et en cours d’élaboration23. C’est la raison pour
laquelle à l’heure actuelle, le modèle de la Fonction Publique Territoriale camerounaise reste le
système-emploi. Il concerne la situation des agents non-fonctionnaires des administrations locales
et il est généralement déterminé par les législations règlementant le travail dans le secteur privé,
autrement dit le Code du travail. Le personnel des CTD reste régi jusqu’à présent par le décret N°
78-484 du 9 novembre 1978 portant dispositions communes relatives aux agents de l'Etat. Cette
absence d’un statut juridique du personnel communal et ses conséquences (personnels inadaptés,
situation de précarité…) constitue un obstacle à un développement harmonieux des communes. Il
22La Fonction publique locale n’existe toujours pas au Cameroun malgré le Décret du Président de la République
N°2020/111 du 02 mars portant création, organisation et fonctionnement de la National School of Local
Administration. Cette école (l’ENAL) aura comme mission, de former les personnels de la future fonction publique
locale prévue par la Loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code Général des Collectivités Territoriales
Décentralisées qui en son article 22 § 3 précise: « L'Etat met en place une fonction publique locale dont le statut est
fixé par un décret du Président de la République ». Malgré l’enchantement qu’a suscité la promulgation de ce décret,
sa mise en œuvre demeure encore incertaine. Surtout que l’incrémentalisme ou encore une évolution des politiques
publiques par un mécanisme de petits pas est devenue est une norme au Cameroun. Par conséquent, le recrutement et
la gestion du personnel communal relève encore de la responsabilité des CTD. 23 Le Ministre de la Décentralisation et du Développement Local (MINDDEVEL), Georges Elanga Obam, a tenu le
22 juillet 2020 une concertation technique consacrée à l’examen du projet de décret portant général de la Fonction
Publique Locale prévue par le processus de la décentralisation. Ce projet de décret, élaboré en application du Code
général des collectivités territoriales décentralisées, devra apporter des solutions aux problèmes auxquels les
ressources humaines des CTD font face.
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apparaît désormais urgent de définir les règles relatives à la détermination et, à la classification des
emplois, au recrutement, au déroulement de la carrière et à la cessation d’activité.
C- Le faible respect des conditions et des procédures réglementaires de recrutement du
personnel local
Il existe un lien intime entre la qualité des ressources humaines et la performance sociale
ou l’efficacité des CTD dans la délivrance des services publics de base. Ainsi, pour avoir une
bonne qualité des ressources humaines de l’administration publique locale, il faut un respect
rigoureux des conditions et procédures établies. Au Cameroun, la lettre circulaire
n°1306/MINATD/DCTD du 25 juin 2010 a suffisamment fixé les modalités et les procédures de
recrutement du personnel communal en ces termes :
Les recrutements doivent se faire dans le respect des orientations suivantes : 1.répondre à des
besoins réels et incontournables de la Commune ou de la Communauté urbaine ; ce qui suppose
pour chaque collectivité territoriale décentralisée de réaliser un état des lieux des besoins,
préalable à toute décision de recrutement ; 2.se référer aux profils retenus dans le répertoire
des métiers en annexe de l’arrêté, référence n’appelant pas le recrutement dans toutes les
filières prévues ; 3.s’operer dans une adéquation entre les postes et les profils d’emploi ; 4.se
conformer progressivement au ratio prévu à l’article 39 de la loi n°2009/011 du 10 juillet 2009
portant régime financier des Collectivités Territoriales Décentralisées, qui limitent les
dépenses de personnel à 35% des dépenses de fonctionnement ; 5.adapter les effectifs aux
moyens disponibles ; 6.metrre l’accent sur la qualité du personnel, afin de répondre aux
exigences techniques liées à l’exercice des compétences transférées. A ce sujet, les magistrats
municipaux doivent autant que possible solliciter l’expertise des cadres et responsables des
services déconcentrés de l’Etat, plutôt que de recruter de façon systématique dans les filières
concernées.
S’agissant de la procédure de recrutement, elle se décline comme suit :
L’adoption par le Conseil municipal d’une délibération autorisant ledit recrutement ;
l’autorisation préalable des Autorités de tutelle compétentes ; l’élaboration des actes de
recrutement ; l’approbation desdits actes par la tutelle, le la 1ière à la 6ième catégorie, le
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Ministère de la décentralisation et du développement local pour les personnels dès la 7ième à la
12ième catégorie24.
Tout recrutement doit normalement tenir compte de ces normes juridiques et procédures
administratives en vigueur. Cependant, à l’épreuve des faits, le respect rigoureux de ces procédures
par les responsables municipaux demeure encore un horizon dans les communes au Cameroun.
Comme le relève cet enquêté :
Le problème avec les normes juridiques encadrant la gestion du personnel des CTD au
Cameroun c’est d’abord, l’absence de leur statut ainsi que le respect des procédures de leur
recrutement. C’est en raison du non-respect de ces procédures que les responsables
municipaux utilisent le pouvoir que les normes leur confèrent pour procéder à des recrutements
personnalisées et subjectifs sans respect des principes de la publicité, de la transparence, de
l’égalité des chances, de la compétence et de l’adéquation profil/emploi, etc. Au sein de cette
institution communale, il n’existe pas une véritable politique formalisée de recrutement du
personnel. Il n’existe pas une commission de recrutement. J’ai été chef service des Ressources
Humaines dans cette mairie jusqu’en 2019. Cela signifie qu’aucun recrutement ne peut se faire
sans que le dossier ne passe devant moi. Mais, c’est le contraire. J’ai été parfois surpris par
les recrutements fantaisistes qui se font par le Maire. Le service des ressources humaines n’est
pas suffisamment impliqué dans le processus de recrutement pourtant, c’est lui qui s’occupe du
volet de la technicité. Souvent, vous êtes seulement surpris quand les nouveaux recrus sont déjà
en fonction sans savoir quand-est-ce que qu’ils ont été employés, ni les critères sur lesquels ils
ont été recrutés. Pourtant, c’est nous qui devraient examinés les dossiers de recrutement selon
les critères objectifs fondés sur les compétences, l’adéquation entre les profils des candidats et
le poste à pouvoir, etc. C’est la raison pour laquelle, il y a trop de recrutements anarchiques.
Un jour, je me suis amusé à demander au Secrétaire général de savoir quel est la politique de
recrutement ici à la mairie ? Voilà ce qu’il a répondu : c’est sur appels d’offre selon la
réglementation en vigueur. Mais je lui ai reposé la question, monsieur le SG, vous avez déjà
24Voir B. de la lettre circulaire n°1306/MINATD/DCTD du 25 juin 2010
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fait recruté environ quinze agents dans cette structure et je n’ai jamais été au courant d’un
quelconque appel d’offre. Il est resté silencieux25.
Ce verbatim montre que les recrutements dans cette institution communale tout comme dans
d’autres CTD au Cameroun, semblent se faire de manière fantaisiste, ou pour des raisons
politiques, sans tenir compte des moyens budgétaires, des besoins réels de la commune et des
compétences recherchées qui pourtant, constituent les principes fondamentaux à respecter en
matière de recrutement au niveau des administrations publiques locales.
On observe en outre un gap très préoccupant entre les fonctions organiquement fixées et les
fonctions réellement existantes ou fonctionnelles. Les données issues des résultats du recensement
physique des agents communaux du 15 au 22 janvier 2020 à la commune de Dschang, montrent
une importante sous-représentation des agents qualifiés ainsi qu’un sentiment d’analphabétisme
de certains agents. Sur 216 agents communaux qui ont été recensés, 138 agents soit 64,52% sont
sans formation professionnelle. Les mêmes résultats montrent que 61 agents communaux soit un
pourcentage de 30% sont sans diplôme académique. On a aussi une inéquation des profils des
agents et le poste occupé au sein de l’institution communale. Par exemple, sur 41 agents
contractuels, on recense 19 personnes dont leurs profils ne correspondent pas aux postes occupés26.
Ce qui atteste que les gestionnaires de cette commune au cours des recrutements, ne tiennent pas
suffisamment compte des profils retenus dans le répertoire des métiers fixé par l’arrêté
n°1306/A/MINATD/DCTD du 24 Août 2009. Cette situation n’est pas la particularité de cette
commune. Plusieurs CTD au Cameroun travaillent dans un cadre organique complétement
différent de celui fixé par les lois ou les règlements27. Cette situation s’explique par une pléthore
d’effectifs mais sous-qualifiés ne correspondant nullement aux besoins réels de l’administration
publique locale.
25Entretien avec un Cadre contractuel de commune de Dschang, ancien chef service des Affaires Générales et du
service des Ressources Humaines de-là dite commune, Dschang, 19 juin 2020. 26Entretien avec un Cadre contractuel de commune de Dschang, ancien chef service des Affaires Générales et du
service des Ressources Humaines de-là dite commune, Dschang, 19 juin 2020. 27 Voir Cabinet AGORA consulting, Etude portant sur l'évaluation des besoins en personnels des collectivités
territoriales décentralisées en vue de l'élaboration d'un tableau type des emplois communaux, op.cit.
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D- L’usage abusif du pouvoir discrétionnaire dans la gestion du personnel par responsables
municipaux aux larges pouvoirs discrétionnaires dans le recrutement du personnel à
usage abusif
Selon les normes officielles en vigueur, le recrutement et la gestion du personnel au sein
CTD est une attribution des chefs des exécutifs territoriaux. Par exemple, selon l’article 206 §1 de
la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code Général des Collectivités Territoriales
Décentralisées, le Maire sous le contrôle du Conseil Municipal est chargé de « de nommer aux
emplois communaux et, d'une manière générale, d'exécuter les délibérations du Conseil
Municipal ». L’article 209 de la même Loi précise encore : « (1) Le Maire recrute, suspend et
licencie le personnel régi par la législation du travail et les conventions collectives. (2) Il affecte
et gère le personnel placé sous son autorité ». Au regard de ce dispositif juridique, les responsables
des CTD détiennent par rapport à l’organe délibérant (le Conseil municipal) une compétence
totale. Ils sont investis ici d’un pouvoir28 discrétionnaire, dans les processus de recrutement et de
gestion du personnel. Toutefois dans la pratique, ce dont à quoi on assiste, c’est un usage abusif
de cette prérogative qui leur est reconnue. Comme le dénonce cet enquêté :
D’après les textes, c’est le Maire qui recrute et gèrent librement le personnel communal.
Cependant, il faut décrier l’usage abusif de cette prérogative dans le cadre des recrutements
qui fait problème. On les voit procéder à des recrutements arbitraires à caractère politique,
clientélistes et népotiques en violation de la réglementation en vigueur. On les voit recruter des
individus dont les profils ne sont pas conformes aux exigences du poste décrites dans le cadre
de l’organigramme-type des emplois communaux élaboré par le MINADT en 200929.
Les pratiques observées relèvent donc d’avantage du pouvoir arbitraire et non
discrétionnaire. C’est dans ce sens que Florence NDONGO : « d’une manière générale, le
personnel communal se recrute au gré du chef de l’Exécutif Communal, et cette pratique présente
des limites dans un contexte évolutif où la performance devient de rigueur : d’où la problématique
28 Défini comme la faculté, la capacité, la possibilité matérielle ou la permission de faire quelque chose, le pouvoir
désigne la capacité légale de faire une chose. ONDOUA BIWOLE Vivianne, La Budgétisation par programme en
Afrique subsaharienne entre Balbutiements et résistances, Paris, L’Harmattan, 2015, p.212. 29Entretien réalisé avec un agent contractuel, ancien chef Service des Affaires Générales et aussi du Service des
Ressources Humaines, Dschang, 19 juin 2020.
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de la qualité du personnel communal aujourd’hui »30. Parce qu’il est reconnu aux responsables
des CTD de recruter et de gérer le personnel, les abus observés dans les administrations publiques
locales peuvent expliquer les contre-performances actuelles. Ces abus contribuent à montrer que
les choix des ressources humaines subordonnés par les responsables municipaux se font sur des
bases peu objectives par rapport aux compétences requises. Les critères alors mis en avant sont
relatifs à l’affinité familiale, politique, clanique et entre autres ; ils ne sont pas toujours combinés
aux impératifs de la performativité des CTD.
Il faut aussi relever la négociation ou l’échange transactionnelle qui se tisse souvent entre
certains responsables des CTD et les autorités de tutelle locale au cours de l’approbation des actes
de recrutement. Car, faut-il le rappeler, l’approbation a pour finalité de vérifier la régularité, la
légalité, et même l’opportunité de l’acte de recrutement des agents communaux. Cependant, il
arrive que ces deux parties prenantes se livrent aux transactions corruptives. Car, comment
comprendre et expliquer l’approbation des actes de recrutement par l’autorité de tutelle en écart
aux normes juridiques en la matière ? Comme le souligne cet enquêté :
Souvent le maire procède à des recrutements à forte supersonnalisation dont les procédures
restent très en écart par rapport à la réglementation en vigueur. Cependant, on est surpris que
le Préfet approuve étant bien conscient que les dits recrutements n’ont pas respecté la
législation. Cela signifie que les deux parties prenantes se sont livrées à des pratiques
corruptives. Sur le terrain, nous avons eu à assister à des situations où le préfet a imposé
qu’avant de poser sa signature sur un acte de recrutement ne reçoit sa signature, il faut que le
maire recrute aussi ces gens31.
Les normes officielles en vigueur se trouvent donc vider de leur substance. De même, toute
décision de recrutement initié par le chef de l’exécutif communal, doit d’abord faire l’objet d’une
adoption par le Conseil municipal lors d’une délibération autorisant ledit recrutement. Toutefois,
30 NDONGO Florence, « La fonction publique locale dans le viseur ; expérience du Cameroun », in 2nd Issue de
L’observatoire des ressources humaines des Collectivités Territoriales en Afrique sur le thème : « Créer un
environnement porteur et attractif pour le Développement des Ressources Humaines des Collectivités Territoriales en
Afrique : partage de Défis et de Bonnes Pratiques », organisée par le l'Académie Africaine des Collectivités
Territoriales (ALGA) de CGLU-Afrique, janvier 2020. 31Entretien réalisé avec un agent contractuel, ancien chef Service des Affaires Générales et aussi du Service des
Ressources Humaines, Dschang, 19 juin 2020.
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ce processus de délibération donne aussi lieu à de nombreuses compromissions. Comme explique
cet ancien conseiller municipal :
Le Conseil municipal joue et a toujours joué son rôle d’organe délibérant lors de tout
processus de recrutement en donnant son autorisation ou pas. Cependant, il faut nuancer le
rôle de ce conseil car, dans la pratique, c’est un organe politisé qui subit le poids des influences
politiques. Il y a des tractations qui se passent entre le maire et les conseillers municipaux.
Souvent certains membres du conseil ont aussi leurs intérêts à défendre comme le recrutement
des leurs à la mairie. Ce qui fait qu’ils donnent souvent leur autorisation à des recrutements
arbitraires. De manière générale, il faut retenir que les recrutements obéissent à lobbying dont
seul le maire est la clé de voute32.
Ce verbatim dévoile donc les pratiques des acteurs lors du Conseil de délibération sur
l’autorisation des recrutements. En somme, en l’absence d’un cadre juridique suffisamment
élaboré, d’une véritable fonction publique locale et d’une application rigoureuse des conditions et
des procédures en vigueur, l’informalité ou les pratiques informelles en décalage aux normes
officielles deviennent souvent la règle dans les processus de recrutement.
II- L’INFORMATISATION DU PROCESSUS DE RECRUTEMENT DU
PERSONNEL LOCAL DANS LES CTD AU CAMEROUN
L’administration publique locale occupe une place très importante dans la vie publique
locale, du fait qu’elle est chargée de la gestion et de l’animation des services, des équipements et
des infrastructures dont disposent les CTD, ainsi que de la prestation des services sociaux de base
aux populations et aux communautés. Ainsi, pour relever ces défis, elles doivent élaborer et mettre
en œuvre des politiques publiques de recrutement des agents reposant sur le respect de certaines
normes comme le profil du poste, la compétence et la prohibité, afin d'employer un capital humain
engagé, professionnel, compétent, motivé, éthique en mesure d’impacter la performance des
structures et des services au niveau local. Cette exigence est loin d’être une réalité dans les
Communes au Cameroun notamment dans celle de Dschang. L’observation empirique laisse
entrevoir la forte prévalence d’un ensemble apparenté de normes informelles à l’œuvre dans les
processus de recrutement des agents communaux en décalage aux normes officielles en vigueur.
32 Entretien avec un ancien Conseiller municipal, Dschang, 29 juin 2020.
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Il se pose donc la question de « l’écarts aux normes »33 évoqué par Olivier de Sardan. Ces normes
pratiques inscrites dans les comportements routiniers et les stratégies qu’elles autorisent, forment
ce que Bailey a appelé les « règles stratégiques » et les « règles pragmatiques » dont les
gestionnaires des CTD, en fonction de leurs objectifs, s'en servent pour leurs intérêts : « Les règles
stratégiques enseignent à un concurrent comment gagner. Et les règles pragmatiques, qui sont un
sous-ensemble des règles stratégiques, disent comment contourner les interdits normatifs, mais
sans les contester ouvertement34. Dans ce cas, il faut prendre au sérieux cette observation de Le
Roi : « La concrétisation d’un dispositif de réformes juridiques quelque louables qu’en soient les
intentions doit aussi accepter des procédures particulières d’appropriation et de conversion selon
les constructions identitaires et les histoires sociales locales »35. Ainsi malgré l’efflorescence des
normes, les responsables continuent de maintenir une gouvernance informelle de recrutement des
agents communaux qui se traduit par des pratiques diverses. Sans prétention à l’exhaustivité, nous
regroupons cette «famille» spécifique de normes informelles, sous le vocable de néo-
patrimonialisme (ou de tel ou tel type de néo-patrimonialisme)36, de clientélisme, de favoritisme
politique ou patronage, de népotisme, de tribalisme, etc., qui sont entre autres expressions de ce
contournement des normes et des procédures formellement prescrites. Tous ces traits figurent, à
33 Dans cette visée, Jean Daniel Reynaud écrit, en distinguant le formel et l’informel : « … le formel ou l’officiel, c’est
ce qui est écrit dans les règlements intérieurs ou dans les codes, ou dans les définitions des postes. C’est ce que dit la
direction, ce sont les principes qu’elle affiche. L’informel, ce sont les relations réelles que découvre l’observateur
soigneux de la vie de l’atelier ou du bureau quand il a eu le temps et la patience de rechercher ce qui se fait vraiment
derrière les fictions officielles. L’objectif même du sociologue…est les pratiques réelles des acteurs, et pour cela, il
doit écarter la façade qu’ils présentent et la théorie qu’ils s’en font », REYNAUD J., Les règles du jeu. L’action
collective et la régulation sociale, Paris, Armand Colin, 1989, p.103. Dans le même sens, et pour une prescription
méthodologique, Pierre Bourdieu écrit : « La vision sociologique ne peut pas ignorer l’écart entre la norme officielle
telle qu’elle s’énonce dans le droit administrative, avec tous les manquements à l’obligation de désintéressement, tous
les cas d’ « utilisation privative du service public »…ou, de manière perverse, tous les « passe-droits », tolérances
administratives, dérogations, trafics de fonction, qui consistent à tirer profit de la non-application ou de la transgression
du droit », cité par ALAWADI Z., « chapitre1 : Décentralisation, usages pluriels des normes et logiques des acteurs
au Nord-Cameroun », ALAWADI Z., (dir.), Décentraliser au Cameroun : dynamiques institutionnelles et logiques
d’acteurs, p.59. 34 F. Bailey, Les règles du jeu politique, Paris, Puf, 1971. 35 LE ROI E., « La décentralisation en Afrique et le droit. Nouveaux outils et contraintes pérennes », Michelle
LECLERC-OLIVE (dir.), Affaires locales. De l’espace social communautaire à l’espace public politique, Paris,
Karthala, 2006, pp.1935. 36 Il ne s’agit pas ici d’une classification formelle mais d’une typologie «ancrée dans le terrain (grounded typology).
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des degrés divers, dans la culture politique locale37 au Cameroun38 tout comme dans d’autres pays
d’Afrique subsaharienne.
A- La gouvernance néo-patrimonialiste du recrutement des agents communaux
Le paradigme néo-patrimonialisme permet de rendre compte de l’ampleur des écarts de
normes en vigueur dans les CTD. En effet, le néopatrimonialisme est généralement considéré
comme un système de règles dans lequel cœxistent des normes étatiques formelles et de pratiques
patrimoniales d’appropriation privée des ressources publiques39. Il est le trait caractéristique de la
gouvernance publique des régimes africains postcoloniaux, et a consisté en la distribution des
ressources, non pas dans une perspective du développement des pays, mais à des individus ou à
des groupes qui allaient apporter leur soutien à ces régimes40. Cependant, l’avènement de la
modernité politique n’a pas mis fin à de telles logiques. Au contraire, elles se sont routinisées et
se sont enracinées dans les mœurs des gestionnaires des communes à l’ère de la décentralisation.
Sur la base d’une observation in situ, nous notons que la gouvernance communale est
soumise à des logiques de prédation ou de privatisation informelle des ressources transférées soit
par l’Etat central ou drainées par les partenaires internationaux pour la délivrance des services
sociaux de base aux populations locales. A cette aune, les CTD fonctionnent sur le mode d’une
gouvernance dévoyée, détachée de leur proximité normative et fortement incubée dans
37 La culture politique locale n’est pas la culture politique des élites de la capitale, elle n’est pas non plus l’expression
de la « tradition », et n’a évidemment rien à voir avec une quelconque « culture africaine ». La culture politique locale
est un ensemble de pratiques et de représentations modernes partagées, quant au fonctionnement pratique des modes
de gouvernance locale, qui incorpore les expériences multiples accumulées par les populations locales. On peut aussi
se représenter la culture politique locale comme étant constituée de l’ensemble des normes pratiques partagées, autour
de l’action collective, du pouvoir et de la délivrance de biens et services, que ces normes soient proches ou non des
normes officielles (OLIVIER DE SARDAN (J-P.), « Les huit modes de gouvernance locale en Afrique de l’Ouest »,
Working Paper, N°4, novembre 2009, p.44.). 38 Une précaution épistémologique s’impose à l’avance. Il ne faut pas tomber dans les pièges du culturalisme. Au
contraire, il faut une déculturalisation car, ces pratiques ne sont pas une invention ou une spécificité des sociétés
politiques africaines. Elles se retrouvent également dans les pays occidentaux dites de « démocraties avancées ». Il ne
s’agit en aucun cas de prétendre que ces traits sont présents en Afrique, et absents en Europe. Simplement, ils n’ont
pas au Nord la même extension et la même intensité que dans les pays africains. On peut dire que les ingrédients de
la sauce sont partout les mêmes, mais ce sont les proportions qui changent, et la sauce n’a pas de ce fait du tout le
même goût. 39 MEDARD (J-F.), (dir), Etats d’Afrique noire. Formations, mécanismes et crises, Paris, Karthala, 1991. Voir aussi
MEDARD (J.-F.), «L’État patrimonial», Politique africaine, n° 39, septembre 1990, pp. 25-36 ; MEDARD (J.-F.),
«La crise de l’État patrimonial et l’évolution de la corruption en Afrique subsaharienne», Cartier-Bresson Jean (dir.),
Mondes en développement, Vol.102, n°26, 1998, pp. 55-68. 40ALAWADI Zélao, « Introduction générale : Décentralisation entre raisons et sens institué », ALAWADI Zélao
(dir.), Décentraliser au Cameroun : dynamiques institutionnelles et logiques d’acteurs, Paris, L’Harmattan, 2018,
pp.15-32.
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l’environnement sociologique. Les logiques néopatrimoniales apparaissent comme des
expressions d’une gouvernance locale qui en se routinisant, peinent tangiblement à se vêtir de
nouvelles modalités gestionnaires en convergence avec la nouvelle donne institutionnelle41.
La néo-patrimonialisation met donc en relief les logiques de prédation des ressources
induites par le processus de la décentralisation au niveau des CTD. Désormais, le recrutement du
personnel communal tout comme d’autres services publics, épousent les marges d’une distribution
des rentes à des protégés ou à des apparentés. Au propre comme au figuré, nous évoluons dans un
environnement sociologique où les communes se gèrent comme des boutiques destinées à générer
des mannes pour des familles ou des factions qui restent ici soudées par le principe de l’esprit de
prébendes42. Les responsables municipaux dans certaines CTD ont mis en place un régime de
gouvernance de recrutement qui repose essentiellement sur l’informel. C’est-à-dire un système de
recrutement qui ne repose sur aucune règle de transparence et saborde allègrement le principe de
la publicité, la transparence et l’égalité des chances constituent les principes fondamentaux à
respecter en matière de recrutement au niveau des administrations publiques locales. « Dans cette
Commune, chaque maire arrive au pouvoir et fait recruté les membres de sa famille, ses obligés
politiques et même ses copines »43 déclare un agent municipal. Une gestion néo-patrimonialiste du
recrutement du personnel communal n’est pas en tout cas propice à l’émergence d’un personnel
administratif et technique compétent qui est chargé de mettre en œuvre le transfert des
compétences ainsi que de rendre des services de proximité de qualité et de gérer les affaires locales
dans le respect des principes de la bonne gouvernance.
B- La prévalence du clientélisme politique ou du favoritisme politique
Envisagée sous la forme la plus générale, la notion de clientélisme sert à désigner des liens
personnalisés, entre des individus appartenant à des groupes sociaux disposant de ressources
matérielles et symboliques de valeurs très inégales, reposant sur des échanges durables de biens et
de services, généralement conçues comme des obligations morales unissant un « patron » et les
« clients » qui en dépendent. Jean-François MEDARD l’a précisément définie, en distinguant
comme traits constitutifs du rapport de clientèle, à la suite des principaux travaux publiés à
41ALAWADI (Z.), « Décentralisation, usages pluriels des normes et logiques des acteurs au Nord-Cameroun »,
ALAWADI (Z.) (dir.), Décentraliser au Cameroun : dynamiques institutionnelles et logiques d’acteurs, op.cit., p.44. 42 Ibid., p.45. 43 Entretien réalisé avec un agent municipal de la Commune de Dschang, Dschang, 10 juin 2020.
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l’époque sur ce thème, la personnalisation, la réciprocité et la dépendance. Il propose ainsi du
phénomène la définition suivante :
Le rapport de clientèle est un rapport de dépendance personnelle non lié à la parenté, qui
repose sur un échange réciproque de faveurs entre deux personnes, le patron et le client, qui
contrôlent des ressources inégales…Il s’agit d’une relation bilatéraliste, particulariste et
diffuse (…) ; d’une relation de réciprocité (…) qui suppose un échange mutuellement
bénéfique (…) entre partenaires inégaux 44.
Appliqué aux bureaucraties des Etats africains contemporains, le clientélisme évoque en
particulier des pratiques généralisées de recrutement dans la fonction publique sur la base de
faveurs, d’allégeances, de népotisme, de rentes corruptives, qui contrastent avec les normes
officielles d’un recrutement45 qui valorisent l’expérience, les compétences et l’efficacité des
embauchés et plus tard la rentabilité et le management optimal des ressources de la commune.
Il s’agit donc d’une politisation de la fonction publique locale qui renvoie essentiellement
au contrôle partisan de la bureaucratie et dont, de l’administration publique locale : en d’autres
termes, lorsque l’activité des agents de l’État est davantage déterminée par des normes politiques
que par les normes professionnelles définies par les administrations et régies par la loi. PETERS
et PIERRE définissent la politisation de la fonction publique comme « le remplacement des
critères basés sur le mérite par des critères politiques dans la sélection, la rétention, la promotion,
les récompenses et la prise de mesures disciplinaires pour les membres de la fonction publique»46.
Cette tendance peut comprendre des tentatives de contrôler la mise en œuvre, ainsi que des
tentatives d’offrir des postes à des membres ou des partisans de partis et à des proches ou des clans.
Il est question ici de la « politisation péjorative »47, à savoir le remplacement des critères basés sur
le mérite par des critères politiques.
44Cité par BRIQUET Jean-Louis, « La politique clientelaire. Clientélisme et processus politiques », dans BRIQUET
Jean-Louis, SAWICKI (dirs.), Le clientélisme politique dans les sociétés contemporaines, Paris, Presses Universitaires
de France, 1998, pp.7-37. 45 OLIVIER DE SARDAN (J-P.), « A la recherche des normes pratiques de la gouvernance réelle en Afrique », op.cit.,
p. 46 PETERS (B.G.) and PIERRE (J.) (eds.), Politicization of the Civil Service in Comparative Perspective, London,
Routledge, 2004, p.2. 47GREGORY R. “Dire Expectations but Subtle Transformations? Politicisation and the New Zealand Public Service”,
in PETERS B.G. and PIERRE J. (eds.), Politicization of the Civil Service in Comparative Perspective, London:
Routledge, 2004, pp. 159-179.
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A l’ère de la décentralisation, il n’est pas étonnant que les CTD tendent à reproduire les
pratiques clientélistes et de favoritisme politique dans la gouvernance locale. C’est ainsi que les
processus de recrutement du personnel semblent pour une très grande part dominée par les logiques
de réseaux, de protection individualisée et de redistribution qui n’ont que fort peu à voir avec des
profils de poste dûment établis ou des critères de compétence. On peut se poser la question de
savoir de quel type de clientélisme s’agit-il? Il s’agit principalement du clientélisme partidaire48
proche du favoritisme politique considéré par Van de Walle comme la forme la plus habituelle de
clientélisme en Afrique est le favoritisme politique (ou patronage), qu’il définit comme « la
pratique consistant à se servir des ressources de l’État pour offrir des emplois et des services à
des clientèles politiques »49.
L’embauche des agents communaux est alors, de manière essentielle une ressource
électorale. Le recrutement s’effectue par recommandation, sur les bases « politiciennes ».
L’embauche clientéliste, étant un tribut payé par l’élu local à ses réseaux ou ses relations qui ont
contribué, directement ou indirectement, à son élection. Un ancien Conseiller municipal de la
Commune de Dschang affirme : « La majorité des agents communaux ont été recrutés sous le
règne de l’ancien Maire sans aucun respect des procédures législatives et règlementaires, le seul
souci étant de récompenser les copains politiques avec qui il a battu la campagne électorale ou
de donner de l'emploi à ses affidés »50. La distribution d'emplois communaux est ici une ressource
pour les élus locaux nécessaire au maintien et à l'élargissement de leur influence personnelle et de
leur notoriété en se créant des réseaux d'obligés. Les élus ne négligent pas des intérêts plus
personnels ou familiaux, en « casant » dans les services parents et amis. En fonction des multiples
changements d’alliances au sein des majorités et des alternances éventuelles au pouvoir, les
recrutements servent à remercier les militants, cadres et financiers des partis, et leurs obligés pour
les services rendus. Il n’y a inversement que peu de recrutements qui se fassent selon des critères
de compétence et de technicité.
48 OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, « La sage-femme et le douanier. Cultures professionnelles locales et culture
bureaucratique privatisée en Afrique de l’Ouest », in RAFFINOT Marc, ROUBAUD François (eds.), Les
fonctionnaires du Sud entre deux eaux : sacrifiés ou protégés ?, Paris, Éditions de l’Aube, IRD, 2001, Autrepart (20),
2001 : 11-26 pp.61-74. 49Van de Walle cité par CAMERON Robert, « La redéfinition des relations politico-administratives en Afrique du
Sud », dans Revue Internationale des Sciences Administratives, Vol.76, 2010, pp.709-734. 50 Entretien réalisé avec un ancien Conseiller municipal, Dschang, 14 juin 2020.
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C- La prépondérance du népotisme et du copinage dans le recrutement du personnel local
A côté des pratiques de clientélisme ou de favoritisme politique, on a également le copinage
et le népotisme qui sont entre autres expressions de ce contournement des règles formellement
prescrites en matière de gestion du personnel communal. En effet, le copinage renvoie à une forme
spécifique de favoritisme par laquelle l’agent public local donne la préférence à ses amis ou
connaissances. Le népotisme quant à elle est une forme spécifique de favoritisme, par laquelle un
agent public use de son pouvoir ou de sa position pour faire bénéficier un membre de sa famille
d’un avantage indu (emploi, faveur, traitement préférentiel, etc.). C’est donc l'attitude de quelqu'un
(dirigeant) qui use des privilèges liés à sa fonction pour favoriser ses proches. Si ces phénomènes
de népotisme et de copinage sont beaucoup observés dans l’administration publique de l’Etat, ils
sont aussi très prégnants dans le recrutement de ressources humaines dans les administrations
publiques locales dans un contexte de décentralisation. C’est l’aveu de cet agent décisionnaire :
La plupart de mes collègues au sein de cette mairie sont des proches -familles des différents
maires qui ont succédé au sein de cette commune. Je suis déjà à près de 15 ans de service. Je
constate que chaque fois quand un nouvel exécutif communal est là, il y a recrutement de
nouveaux employés et qui ne sont rien d’autres que les privilégiés de ces nouveaux élus. Moi-
même je suis un gars qui ne faisait rien au quartier. J’ai été recruté en 2007 quand l’ancien
maire de l’époque a pris la tête de la mairie. Je suis l’enfant à son oncle paternel51.
A l’interprétation de ce verbatim, on perçoit une certaine prédominance des logiques népotistes
et de copinage dans les procédures de recrutement parfois au détriment des exigences de
compétences et de la technicité.
D- La prédominance des logiques tribales et claniques dans le recrutement des ressources
humaines dans les CTD
Le tribalisme ou le clanisme étant un autre visage du népotisme est aussi dominant dans le
recrutement des agents communaux au Cameroun notamment à la commune de Dschang. Au
regard du tableau synoptique du personnel de ladite commune, en faisant une « anthroponymie des
noms »52 des agents communaux, nous apercevons qu’ils sont à près de 80% originaires des
51 Entretien réalisé avec un agent décisionnaire de la Commune, Dschang, 10 mai 2020. 52Traditionnellement, l’étude des noms est une discipline philologique, linguistique : l’onomastique. Elle étudie le
choix des noms de famille et des prénoms, en mesurant leur fréquence et en les classant selon leur origine : noms de
métiers, sobriquets. De façon générale, on parle plutôt d’anthroponymie lorsqu’il s’agit du système de désignation, et
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villages du Département de la Menoua. Ce qui traduit une sorte d’exclusion des autres ethnies dans
la gestion communale et un problème de la gestion de la diversité ethnique dans la fonction
publique territoriale. Car, la gestion de la diversité a des atouts éthiques, économiques et sociaux
qui s’articulent bien avec les exigences de la gouvernance démocratique locale qui prônent
l’inclusion de tous les groupes sociaux divers dans la gestion des affaires publiques locales.
Cependant, ce n’est pas tant le facteur tribal en soi qui est un problème mais au niveau de
son instrumentalisation par les gestionnaires des communes qui relèguent le profil et les
compétences au second plan. La plupart d’agents de cette commune, sont en majorité originaires
des villages du département de la Menoua, n’ont pas de qualification professionnelle. D’autres
occupent des fonctions qui ne cadrent pas à leurs profils ou n’ont pas les compétences requises.
Au regard de cette architecture de ressources humaines au sein de cette institution communale, on
est porté à croire que les processus recrutement ont été fait sur la base tribale au mépris des critères
de bonne gouvernance et de gestion optimale de ressources humaines.
III- LES EFFETS PERVERS DE L’INFORMALISATION DES PROCESSUS DE
RECRUTEMENT DES AGENTS COMMUNAUX
Max WEBER parlant du « paradoxe des conséquences » affirme : « L’acteur, aussi
rationnel soit-il, ne peut jamais prévoir toutes les conséquences de son action. Ses décisions n’ont
souvent pas les effets qu’il avait imaginés. L’action, prévue pour être positive, a souvent des effets
négatifs. On veut le bien et le mal se réalise. L’action prévue pour être rationnelle, débouche
souvent sur des effets irrationnels. C’est le paradoxe des conséquences »53. C’est ce que le
sociologue Raymond Boudon a appelé la « conséquence non-prévue des actions sociales
intentionnelles » ou « effet contre-intuitif »54. Suivant cette logique, la prédominance des pratiques
informelles ou de l’informalité dans les processus de recrutement du personnel communal au
détriment des normes juridiques et des procédures administratives en vigueur, produisent des effets
contre-productifs, préjudiciables à la performance et à l’efficacité des CTD dans la délivrance des
services publics et l’amélioration des conditions de vie des populations de base.
d’onomastique lorsqu’il s’agit du choix des noms personnels. Lire par exemple Jacques Fédry, «Le nom, c’est
l’homme », in L’Homme [En ligne], 191 | 2009, mis en ligne le 01 janvier 2011, consulté le 30 avril 2019. URL :
http://journals.openedition.org/lhomme/22195 ; DOI : 10.4000/ lhomme.22195 53Max WEBER cité par BRECHON Pierre, Les grands courants de la sociologie, Presses universitaires de Grenoble,
2000, p. 76. 54 Cité par GOSSELIN André, La logique des effets pervers, Paris, PUF, 1998, pp.2-24.
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A- La sous-qualification professionnelle et l’analphabétisme des agents et la mauvaise
utilisation des compétences
L’enquête sur l’état du personnel local dans la Commune de Dschang a permis de relever
trois problèmes inquiétants dans l’administration des ressources humaines à savoir un sur-effectif
d’agents non-qualifiés dont certains sont analphabètes et une mauvaise utilisation des
compétences.
1- Un sureffectif du personnel non-qualifié et sous-scolarisé
Les données issues des résultats du recensement physique des agents communaux du 15 au
22 janvier 2020 à la commune de Dschang confirment à la fois un sentiment général de «mal-
effectif » dans cette commune, illustré par une importante sous-représentation des agents qualifiés
ainsi qu’un sentiment d’analphabétisme de certains, en particulier parmi les décisionnaires et les
temporaires. Comme le montre les tableaux ci-dessous :
Tableau 1 : répartition de la catégorisation professionnelle des agents communaux en
fonction des statuts
Contractuels Décision
naires
Temporaire
s
Total Pourcenta
ges
Sans qualification
professionnelle 12 42 86 138 64,52%
Chauffeur 0 10 3 13 5,99%
Comptable 8 1 1 10 4,61%
Juriste 7 0 0 7 3,23%
Electricien 2 1 3 6 2,76%
Informaticien 2 1 2 5 2,30%
Secrétaire de bureau 3 1 0 4 1,84%
Comptable matière 3 0 0 3 1,38%
CEFAM 1 1 0 2 0,92
Couturière 0 0 2 2 0,92%
Génie civil 2 0 0 2 0,92%
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Maçon 0 2 0 2 0,92%
Menuisier 0 1 1 2 0,92%
Plombier 1 1 0 2 0,92%
Spécialiste en territoire,
environnement et
développement 2 0 0 2 0,92%
Aide-soignant 0 0 1 1 0,46%
Archiviste 0 1 0 1 0,46%
Bibliothécaire 1 0 0 1 0,46%
Gouvernance locale 1 0 0 1 0,46%
Ingénieur hygiéniste &
assainisseur urbain 1 0 0 1 0,46%
Journaliste 0 1 1 0,46%
Mécanicien 1 0 0 1 0,46%
Paramédical 0 0 1 1 0,46%
Paysagiste 1 0 0 1 0,46%
Peintre 0 1 0 1 0,46%
Sociologue 1 0 0 1 0,46%
Technicien en génie rural 1 0 0 1 0,46%
Technicien topographe 1 0 0 1 0,46%
Urbaniste 1 0 0 1 0,46%
Ingénieur de génie rural 1 0 0 1 0,46%
Ingénieur en énergie
renouvelable 1 0 0 1 0,46%
Guide touristique 1 0 0 1 0,46%
216 100,00%
Source : Secrétariat Général, Résultats du recensement physique du 15 au 22 janvier 2020 à
la commune de Dschang.
Il en ressort de ce tableau que, des 216 agents communaux qui ont été recensés, 138 agents
soit 64,52% sont sans formation professionnelle. On a également une faible proportion d’agents
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de conception et de maitrise et une très grande proportion d'agents destinés à des tâches d'exécution
courante. Par conséquent, on aperçoit que les compétences transférées par l’Etat central sont lésées
en personnel qualifié, il s'agit notamment de l'aménagement et urbanisme, des travaux publics, de
la foresterie, des affaires sociales culturelles et économiques, etc. Cette sous-qualification criarde
des personnels a trois conséquences principales sur l’organisation du travail communal : une
autonomie réduite et un faible taux d’activité des personnels d’exécution et une charge de travail
concentrée sur les personnels les plus qualifiés55. L’absence de qualification associée à une faible
motivation entraîne un niveau d’autonomie très réduit des agents.
A côté de cette sous-qualification professionnelle dans l’administration publique locale,
on a le phénomène de l’analphabétisme de certains agents, en particulier parmi les agents
décisionnaires et temporaires.
Tableau 2 : répartition des diplômes académique des agents communaux en fonction de la
catégorisation d’emplois
CONTRACTUEL
S
DECISIONNAIRE
S
TEMPORAIRE
S TOTAL pourcentage
SANS DIPLOME 0 20 41 61 28%
CEPE 0 24 37 61 28%
BEPC 0 10 9 19 9%
CAP 2 6 4 12 6%
PROBATOIRE 9 2 5 16 7%
CAPACITE 5 0 1 6 3%
BAC 14 0 3 16 8%
BTS 4 0 0 4 2%
LICENCE 7 0 1 8 4%
MASTER 1 5 0 0 5 2%
MASTER 2 8 0 0 8 4%
TOTAL 54 62 101 216 100%
55Cabinet Agora Consulting, «L’évaluation des besoins en personnels des collectivités territoriales décentralisées en
vue de l’élaboration d’un tableau-type des emplois communaux », op.cit., p.31.
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Source : Secrétariat Général, Résultats du recensement physique du 15 au 22 janvier 2020 à
la commune de Dschang.
Il en ressort que 30% des agents communaux sont sans diplôme académique. 30%
également ont un niveau académique équivalent au CEPE. Ce qui pose un réel problème de
qualification de ces agents. En outre, on a une très faible représentation des diplômes
professionnels au profit des diplômes de l'enseignement général (formation académique plutôt
qu'expertise professionnelle) et un niveau de formation inférieur à la moyenne soit moins de 30%
ont un baccalauréat d'enseignement général ou l'équivalent.
Les acteurs rencontrés expliquent cette sous-qualification professionnelle et
l’analphabétisme de la majorité des agents surtout dans la catégorie des décisionnaires et des
temporaires, par la qualité des processus de recrutement qui ne répond pas toujours aux normes en
la matière. L’absence des procédures claires et transparentes de recrutement, les interférences des
pratiques clientélistes, de népotisme, de copinage, de favoritisme dans le choix du personnel
communal restent donc les principaux facteurs explicatifs des faibles capacités en ressources
humaines des administrations locales camerounaises. Comme le relève cet agent communal :
Dans cette commune comme dans la plupart au Cameroun, l’exécutif communal semble ne pas
s’assurer que les personnes retenues disposent des compétences, des connaissances et de
l’expérience requises pour remplir les fonctions prévues. C’est la raison pour laquelle on a
plusieurs personnes incompétentes et non-qualifiés ayant été recruté sur de critères informels
(politiques, par exemple...). La majorité d’employés recrutés par l’ancien maire et même ceux
qui l’avaient précédé ne cadre pas nécessairement avec les besoins de la commune. Le
recrutement devrait se faire en fonction des qualifications en adéquation avec les besoins de la
mairie56.
A cause de la faiblesse du niveau de qualification des agents recrutés, il s’avère que la
plupart de ces derniers ne maitrisent pas les missions dévolues à leurs postes de travail. Comme le
constate cet enquêté :
56 Entretien réalisé avec un agent contractuel, Dschang, 12 juin 2020.
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En 2017, j’étais encore chef de bureau de Ressources humaines. En échangeant avec les
employés, j’avais constaté que la plupart ne maitrisent pas les missions dévolues à leurs postes
de travail. Ils ne savent même pas leur rôle dans la structure, justement parce qu’ils ont été
recrutés de façon fantaisiste par les responsables municipaux sans aucune qualification
professionnelle. C’est la raison pour laquelle pour essayer de remédier à ce problème, j’ai
élaboré deux importants documents à même d’aider le magistrat municipal à avoir une réelle
visibilité dans la gestion de la matière grise mise à sa disposition. Ces documents sont : le «
Job description » et le « Plan de formation des personnels communaux. Ce document qui
précise les tâches de chacun tout à la fois pris en compte les spécificités propres à chaque poste,
le profil de base des personnes affectées à ces postes, la validation des acquis de l’expérience
exprimée par les intéressés. Ce second outil de travail a permis d’identifier les besoins en
formation57.
Ce phénomène de sous-qualification professionnelle et d’analphabétisme est donc un
indicateur de l’absence d’une politique efficace de formation et le renforcement des capacités des
personnels communaux. Une politique informelle de recrutement, pouvait être compensée si les
CTD avaient non seulement une politique judicieuse de formation continue mais aussi un plan de
gestion prévisionnelle des emplois et compétences. Plus loin, la routinisation des recrutements
personnalisés et politisés, est, dans une large mesure, à cause de l’échec du recrutement effectué
par le biais du Centre de Formation pour l’Administration Municipale (CEFAM). A titre illustratif,
au regard du tableau de répartition de la catégorisation professionnelle des agents communaux en
fonction des statuts présenté ci-haut, il en ressort que sur 216 agents, seulement 2 personnes soit
0,92% sont diplômés du CEFAM.
2- Mauvais emploi des compétences : surqualification, sous-qualification, inadéquation
profil-emploi
A ces phénomènes de sous-qualification et d’analphabétisme des agents, il faut ajouter un
troisième à savoir le mauvais emploi des compétences qui se manifeste de trois façons.
Premièrement, certains agents ont une qualification nettement supérieure à la tâche qu’on leur fait
effectuer. Comme le montre ces quelques cas de figure issus du tableau synoptique du personnel
57Entretien réalisé avec un agent contractuel, Chef Service des Affaires Générales et ancien chef Service des
Ressources Humaines, 20 juin 2020, Dschang.
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de la commune de Dschang. Dans la catégorie des contractuels, on a un agent qui est titulaire d’un
master en Droit Public dont la qualification professionnelle est juriste. Cependant au sein de
l’institution communale, il travaille au service de la Recette municipale comme collecteur de la
taxe municipale. On a également un autre agent qui a un Master en Gouvernance locale,
Décentralisation et Développement mais il est agent secrétaire au Service des Actes d’Etat Civil
et de la Statistique58.
Deuxièmement, se rencontre aussi des agents sous-qualifiés accomplissent des tâches
délicates à la place des personnels qualifiés. En scrutant le tableau synoptique du personnel de
cette commune, on a par exemple un agent contractuel titulaire d’un diplôme de Capacité en Droit
et est chef de Service des Actes d’Etat Civil et de la Statistique dont le patron de quelqu’un qui a
un Master en Gouvernance locale, Décentralisation et Développement mais est plutôt est agent
secrétaire au dans le même service ? On a en outre cette fois-ci un agent décisionnaire qui n’a pas
que le CEPE sans aucune qualification professionnelle mais est chef de bureau de Chef Bureau
Comptabilité-matières59. Donc, ce responsable assume une fonction pour laquelle il n’a pas
d’expertise et de compétences requises.
Cette mauvaise utilisation des compétences se manifeste enfin par une inéquation des
profils des agents et le poste occupé au sein de l’institution communale. Par exemple, sur 41 agents
contractuels, on recense 19 personnes dont leurs profils ne correspondent pas aux postes occupés60.
D’où parfois la non-maitrise par ceux-ci des missions dévolues à leurs postes de travail61. Une
évaluation du profil du responsable des ressources humaines de cette institution communale est
encore plus édifiante sur ce phénomène d’inadéquation entre le profil et le poste occupé. Ce dernier
est titulaire d’un Master professionnel en Génie de l’Assainissement Urbain et Hygiène sans
aucune qualification en GRH62. Pourtant, selon l’Arrêté n°00136 du 24 août 2009 rendant
exécutoires les tableaux-types des emplois communaux, le responsable des ressources humaines
au sein des CTD a pour missions de :
58Commune de Dschang & Secrétariat Général, Résultats du recensement physique du 15 au 22 janvier 2020 à la
commune de Dschang. 59 Commune de Dschang & Secrétariat Général, Résultats du recensement physique du 15 au 22 janvier 2020 à la
commune de Dschang. 60 Ibid. 61 Entretien réalisé avec un agent contractuel, Chef Service des Affaires Générales et ancien chef Service des
Ressources Humaines, Dschang, 19 juin 2020. 62 Commune de Dschang & Secrétariat Général, Résultats du recensement physique du 15 au 22 janvier 2020 à la
commune de Dschang.
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Gérer et suivre la carrière administrative du personnel ; appliquer et faire appliquer les dispositions légales
régissant le personnel ; veiller au respect des normes de travail ; identifier les besoins en formation et rechercher
les formations adéquates au bénéfice des agents ; suivre le personnel et évaluer ses performances ; concevoir une
politique de ressources humaines et de recrutement.
Pour ce faire, il doit avoir des compétences sur les « textes et lois en vigueur en matière de
gestion des ressources humaines, techniques de recrutement, de mobilisation et de motivation ;
droit du travail ; management opérationnel de service (pilotage et gestion d’équipe) ». Cette
situation témoigne du faible intérêt qu’accordent les responsables et leurs administrations au
développement du capital humain car, les services sont mis en avant en fonction de l’intérêt que
leur accordent les exécutifs locaux.
De manière générale, une politique informelle de recrutement du personnel local n’a pas
permis de disposer des ressources humaines en qualité appréciable. La sous-qualification
professionnelle, l’analphabétisme, le mauvais emploi des compétences, l’absence de gestion
intelligente des ressources humaines, etc., tout cela compromettent l’efficacité et la performance
des collectivités territoriales décentralisées dans la prestation des services publics et la conduite
du développement local.
B- La compromission de l’efficacité et de la performance des CTD dans la délivrance des
services publics
Les pouvoirs locaux sont les structures publiques les plus proches des populations de base
les plus proches des citoyens et constituent leurs points d’interaction les plus courants. Compte
tenu de cette proximité, ils ont de meilleures chances d’être à l’écoute des populations locales et
de répondre à leurs attentes ; une plus grande souplesse permettant de fournir des services publics
transparents, responsables et adaptés aux besoins spécifiques des personnes et des populations.
L’atteinte de ces objectifs passe par une administration performante. Comme le précise le rapport
de l’UNDESA : « Il est aujourd’hui clairement admis que l’efficacité d’une administration dépend
dans une large mesure de la qualité de la gestion de ces ressources humaines qui est un levier
fondamental pour l’amélioration de la performance de l’organisation et de son capital humain »63.
La performance des services est fortement tributaire de l'organisation et des personnes qui la
composent. Jean-Marie PERETTI le soulignait à juste titre : « l'efficacité d'une entreprise résulte
63UNDESA, Unlocking the Human Potential for Public sector Performance, World Public Sector Report 2005, p.25.
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de la valeur de son organisation »64. Dès lors, dans le cadre des collectivités territoriales
décentralisées, une bonne organisation du service devrait donc s'appuyer sur : la maîtrise des
missions et des compétences de la commune ; des objectifs politiques et techniques (plan de
campagne, plan de développement, documents de planification des projets) ; la connaissance de
l'ensemble du personnel, de leurs profils et compétences (connaissances professionnelles,
compétences opérationnelles, managériales et relationnelles)65.
Dans le contexte camerounais, l’atteinte de cet idéal demeure encore un horizon dans la
mesure où, les procédures de recrutement du personnel dans les administrations publiques locales
sont encore dominées par des pratiques informelles (tribalisme, népotisme, favoritisme, copinage).
D’où l’absence criarde de l’efficacité et de l’efficience dans la prestation des services publics.
Comme le souligne cet expert en Gouvernance locale, Décentralisation et Développement :
L’informalisation de la gouvernance des ressources humaines constitue l’une des principales
causes de la faible performance des administrations publiques locales au Cameroun. La prise
en compte de la compétence individuelle des agents publics, leurs profils et motivations lors
des recrutements et des nominations (gages pour l’amélioration de la performance et de
l’efficacité du gouvernement local), est sacrifiée à l’autel des intérêts privés des responsables
municipaux lors des recrutements. Dès lors, on comprend mal comment le processus de la
décentralisation peut progresser si les collectivités territoriales continuent à recruter leurs
personnels sans respecter les normes minimales en matière de gestion des ressources
humaines66.
Dans le même sens, un conseiller municipal ajoute :
La privatisation croissante des recrutements a contribué au manque d’efficacité et de la
prestation des services dans la plupart des communes au Cameroun. C’est la raison pour
laquelle les administrations territoriales locales doivent se fonder davantage sur les
compétences dans le cadre des nominations et des recrutements67.
64 PERETTI Jean-Marie, Ressources Humaines et gestion du personnel, Paris, Vuibert, 1998. 65TONGUE Thomas Yves, La gestion des ressources humaines dans les collectivités territoriales décentralisées: un
gage au développement du Cameroun. Cas de la Commune de Dibombari, Mémoire de master en en Management des
Ressources Humaines, INEAD Vitrolles-France, 2015. 66 Entretien réalisé avec expert en Gouvernance locale, Décentralisation et Développement, Dschang, 14 juin 2020. 67 Entretien réalisé avec un ancien Conseiller municipal, Dschang, 3juin 2020.
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Par ailleurs, on observe une certaine incapacité des CTD à mettre en œuvre leurs
compétences et accomplir leurs missions de développement dans divers secteurs à cause d’un
déficit de ressources humaines appropriées. Comme l’a admis en 2017, le ministre en charge de
l’Administration Territoriale et de la Décentralisation :
Naturellement, pour exercer les compétences et accomplir leurs missions de développement
économique, sanitaire, social, éducatif, sportif et culturel, les CTD doivent disposer de
ressources humaines appropriées. Il s’agit d’une problématique essentielle de notre processus
de décentralisation, qui doit être convenablement prise en compte, notamment dans la
perspective de la mise en place des régions. Dans l’ensemble, le personnel de nos communes
aujourd’hui est insuffisant dans certaines, pléthorique, vieillissant et au profil inadéquat, dans
d’autres. Ce personnel n’est pas suffisamment outillé pour l’exercice des compétences
transférées68.
C’est là le nœud gordien de la décentralisation dont la performance et l’efficience repose
étroitement sur la qualité des ressources humaines mandatées pour la gestion des ressources
transférées au CTD. Les goulots d’étranglement résultent de cette carence voire de cette absence
notamment dans certaines localités, du personnel compétent et qualifié pour la conduite optimale
de la mise en œuvre de la décentralisation. Cette situation affaiblit même la confiance des
populations locales et nuit à l’image des autorités publiques locales en tant qu’entités servant les
intérêts de leurs administrés.
Conclusion
L’objectif de ce travail consistait à travers une démarche sociologique, de saisir en acte les
procédures « réelles » de recrutement de ressources humaines dans les CTD au Cameroun à partir
de la Commune de Dschang comme site d’observation. L’observation empirique nous a permis
d’aboutir aux résultats suivants. D’abord, l’administration des ressources humaines demeure
caractérisée par un faible encadrement normatif et par l’inexistence d’une fonction publique locale.
En outre, on observe un faible respect des conditions et des procédures de recrutement contenues
68 Lire Mutations, n°4350, 10 avril 2017.
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le corps de normes officielles par les responsables municipaux. De même, les chefs des exécutifs
territoriaux détiennent un pouvoir discrétionnaire dans ce processus de recrutement du personnel
mais en font un usage abusif.
Ensuite, cette situation favorise l’institutionnalisation d’une certaine informallisation des
processus de recrutement du personnel communal en décalage aux normes officielles en vigueur.
Ces normes pratiques, inscrites dans les comportements routiniers et les stratégies qu’elles
autorisent, forment ce que Bailey a appelé les règles stratégiques et pragmatiques dont les
gestionnaires des CTD, en fonction de leurs objectifs, s'en servent pour leurs intérêts. Sans
prétention à l’exhaustivité, nous regroupons cette «famille» spécifique de normes informelles, sous
le vocable de néo-patrimonialisme (ou de tel ou tel type de néo-patrimonialisme)69, de
clientélisme, de favoritisme politique ou patronage, de népotisme, de tribalisme, etc., qui sont entre
autres expressions de ce contournement des normes et des procédures formellement prescrites.
Cependant, ces normes informelles produisent des effets contre-productifs, préjudiciables
sur la qualité des ressources humaines et la performance de l’institution communale. En d’autres
termes, une telle politique informelle de recrutement du personnel local n’a pas permis de disposer
des ressources humaines en qualité appréciable. D’où la sous-qualification professionnelle,
l’analphabétisme de certains agents, le mauvais emploi des compétences, l’absence de gestion
intelligente des ressources humaines, etc., qui entravent l’efficacité et la performance de ces CTD
dans la délivrance des services publics et l’amélioration des conditions de vie des populations de
base. Le profil du personnel communal demeure donc une problématique lancinante dans la
mesure où les institutions ne valent que par la qualité des personnes qui président à leurs destinées.
69 Il ne s’agit pas ici d’une classification formelle mais d’une typologie «ancrée dans le terrain (grounded typology).
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L’imprécision du contenu des normes juridiques internationales à
l’aune de la criminalité transfrontalière en Afrique
Par :
François Xavier BELINGA
Docteur/Ph.D en droit international public
Université de Yaoundé 2 (Cameroun)
Résumé :
Au tant que surgisse de nouvelles menaces, les approches de définitions se multiplient, au
tant de vide, de lacune et de floue se font ressentir sur le droit applicable à cet effet. Toutefois tout
porte à penser que ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, cela impose sur le plan juridique
une exigence rédactionnelle de la part du législateur sur la clarté des contenus de normes, au
regard de la panoplie des crimes à caractère transfrontalière donc l’expansion n’en surprend
plus. L’Afrique considérée comme étant le ventre mou des phénomènes criminels tombent sous le
coup d’une escalade de violences moins encadrées par le droit international. A cet effet, la
conséquence directe née de cette situation n’est rien d’autre que le foisonnement des normes
juridiques non intelligibles, abstraites et imprécises. D’où la problématique de lisibilité ou de la
clarté du contenu des normes de droit internationales applicables en matière de lutte contre la
criminalité transfrontalière en Afrique. Il apparait à cet effet que la répression de ce phénomène
ne peut se faire par de normes floues et complexe, mais plutôt par la mobilisation d’un droit
débarrassé de toute gangue, de tous ses atermoiements. Par ailleurs cette contribution revêt un
double objectif. Le premier est de fournir des contenus précis aux normes de droit international
applicables à des phénomènes criminels attenants aux frontières. Le second est d’imposer au
législateur international de limiter la complexité de la loi tant du point de vue rédactionnel que
du point de vue du fond.
Mots clés : criminalité transfrontalière, frontière, norme imprécise, norme, phénomène criminel.
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Introduction
En observant la structure de la société internationale, il s’ensuit qu’elle est évidente de
constater qu’elle est faite d’une juxtaposition des règles qui, pour la plupart ont des caractéristiques
propres aux normes juridiques. En matière de terrorisme par exemple, depuis l’adoption de la
résolution 1373 relative aux attentats terroristes du 11 septembre 2001, il est apparu un nouveau
volontarisme juridique. Selon une manière de voir rattachée à Hegel et développée par Jellinek,
c’est le fondement de l’ordre juridique international qui repose sur la volonté de chaque Etat pris
uti singulis. La manifestation d’une telle volonté dans le domaine du maintien de la paix a dès lors
entrainé un foisonnement normatif voire un désordre normatif. La multiplication et la
surproduction des normes issues non seulement des laboratoires des Etats, ceux des organisations
internationales et des juridictions internationales ont engendré une sorte de submersion du droit
par le droit. Ce qui a dépouillé le droit de son impérativité d’Austin1.
En effet, si la règle de droit pour le professeur Denys BECHILLON n’existe nulle part.
Cela dit, qu’aucune définition d’elle qui vaille en tous lieux et pour tout usage ni même de
possibilité ne pourrait en exister. L’imprécision constatée aujourd’hui sur le contenu de la norme
est souvent disposée de façon abstrait dans divers instruments juridiques qui, pour la plupart
souffre de la flexibilité ou de la malléabilité de la norme elle-même à s’adapter aux nouvelles
situations2. Les causes étant multiples mais c’est la signification du message véhiculé qui importe.
L’on pourrait à cet effet, s’arrêter à l’appréhension de l’étymologie du concept de
« norme » qui représente un instrument de métrage3 pour caractériser son indécision pour les
besoins théoriques et pratiques de la société. Ainsi, la norme n’est précise que si son intelligibilité
n’est pas compromise dans la diversité de style4. Or, dans le cadre de la lutte contre la criminalité
transfrontalière, certaines infractions régulièrement commises, tout comme la norme, manquent en
elles-mêmes déjà l’absence d’une définition tant du point de vue normatif qu’idéologique. Il s’agit
1 Pour un droit dynamique et affranchi des entraves ou arraché des atermoiements de la prudence Austin, présente la
règle de droit sous la forme d’un commandement appuyé au besoin de la menace pour un souci à son obéissance. Voy.
OST(F), Le temps du droit, éd Odile Jacob, Paris 1999, p.191. 2 BERGEL (J-L), Théorie générale du droit, 4e éd Dalloz, Paris 2003, p.225. 3Ibid.p.165 4 WAGOUE TONGOUE (D. C), « L’intelligibilité de la loi dans le contexte de diversité de styles législatifs », in
FOMETEU (J) et al, La langue et le droit, éd L’Harmattan, Paris 2018. p.377
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en effet du terrorisme, de la piraterie y compris certaines infractions des droits de l’Homme qui
portent atteintes directement à la personne humaine.
Par ailleurs, l’univers juridique comme l’a bien observé KELSEN, parlant de l’ordre
juridique, est une structuration « dynamique » qui est rendu pensable par la conception formelle
de la validité et de la positivité des normes5. Pour débarrasser la norme juridique de la gangue
idéologique, le droit doit présenter un caractère d’ordre donc l'effet normatif est renforcé par la
rigueur de sa construction et la dogmatique juridique prenant appui sur la force obligatoire de la
norme qu’il en constitue. En revanche, quelle appréhension peut-on faire du contenu imprécis de
la norme de droit international à la lumière de la criminalité transfrontalière en Afrique ?
De ce qui précède, l’imprécision qui caractérise le contenu des normes applicables en
matière d’insécurité transfrontalière est sujette à deux principaux facteurs donc l’analyse ne peut
être menée au prix de l’examen binaire de la question. Au demeurant, l’étude de cette
problématique du contenu de la norme de droit international ne peut se faire de prime abord que si
l’on analyse l’application de ces normes à l’aune de certains crimes internationaux à caractère
transfrontalier tant par les instances internationales (I) d’une part. Ensuite penser à l’hypothèse
d’aboutir à l’édification d’un droit intelligible et cohérent ménagé par les législations nationales et
communautaires (II) d’autres part.
I- LA PROBLEMATIQUE DE LA LISIBILITE DU CONTENU DES NORMES
APPLICABLE AUX CRIMES A CARACTERE TRANSFRONTALIERE PAR LES
INSTANCES INTERNATIONALES
« Le droit est une abstraction, le produit d’une opération intellectuelle et il ne possède aucune
propriété empirique que l’on pourrait décrire à l’aide de propositions vraies », écrit Michel
TROPER6, pour dire que le droit relève d’un monde totalement abstrait des constructions de
l’esprit et peut être flexible et appliqué au gré de celui qui l’utilise ou le fabrique. En s’appuyant
sur des évolutions récentes de la doctrine sur l’émergence de nouvelles menaces et crises
sociopolitiques attenantes aux frontières, il en ressort que la diversité des normes juridiques ou la
constellation du droit observé et appliqué par les instances internationales se fait jusqu’ici de façon
5 OST(F), Le temps du droit, op.cit. p.191. 6 TROPER (M), Droit, 1989-10, p.10, BECHILLON (D), op.cit. p.9
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éparse et imprécise. Dans ces circonstances l’on est souvent confronté à un dilemme sur le texte à
appliquer par le fait qu’il en existe une pluralité de textes seulement pour une infraction
internationale7.
Si déjà il en existe d’abord une divergence d’opinion sur la détermination ou la
dénomination de certains crimes. Cela veut dire par la suite que la qualification s’est faite de façon
obscure à cause de la surenchère. L’opération de qualification étant une étapes préliminaire
importante pour en déterminer les contours d’une situation de menace, lorsqu’elle ne se fait pas,
même la production des définitions sera compliquée surtout si les éléments nouveaux resurgissent,
aussi la norme applicable sera-t-elle rendue non intelligible.
Pour comprendre pourquoi les normes applicables aux infractions issues de la criminalité
transfrontalière sont imprécises, il échoit tout d’abord de mener une analyse sur des textes y
afférents au cadre juridique applicable en la matière sur certains crimes internationaux qui, parait
assez incertain (A) avant d’en faire le point sur les implications(B) qu’une telle imprécision
pourrait engendrer au niveau de la constitution de leur socle normatif.
A- L’existence d’un cadre juridique incertain relatif à crimes internationaux
L’ambiguïté sur le démarquage et la délimitation des limites de frontières en Afrique a fini
par se constituer comme la matrice des zones d’incertitude sécuritaire s’exprimant en termes de
flux criminels transfrontaliers. La dévolution des repris de justice, des criminels d’une
souveraineté à une autre a entrainé une sorte d’amnésie sur la constitution d’un cadre juridique
adéquat à la lutte contre la grande criminalité affectant les frontières africaines. En effet, pour
démontrer cet amas d’incertitudes juridiques, il est opportun de mettre tout d’abord l’accent sur
les imprécisions relatives à l’adoption de certains projets de textes (1) et ensuite sur les
conséquences qu’une telle imprécision pourrait entrainer sur la sécurité des frontières (2).
1- Les imprécisions sur l’adoption de certains projets de convention réprimant les
crimes transnationaux
Le terrorisme et le crime contre l’humanité sont des infractions internationales définies
différemment par le droit international. L’Afrique ayant été envahi par des fanatismes de tout bord,
7 Le crime de terrorisme en l’occurrence, regorge à lui seul plus d’un millier de textes et trois cents pour la traite des
personnes. Voir le rapport du Haut-commissariat des Nations Unies pour les droits de l’homme, « Abolition de
l’esclavage et ses formes contemporaines », 2002, p.3
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s’est constituée aujourd’hui presqu’en une terre de désespoir né de la pauvreté8. Bref, le terrain de
tous les maux superflus de la violence externe et interne des crimes internationaux et
transnationaux. Pour le terrorisme, sa considération par le droit international manque de définition
précise. Il reste plutôt chargé de connotations politiques et idéologiques. Car les présumés
terroristes sont comme des « dieux Janus » aux yeux de la société9. Bien avant, les différentes
tentatives de définition de ce crime transnational par la convention du 9 décembre 199910, le
terrorisme connu en Afrique subsaharienne sous le label de Boko Haram a engendré d’importants
dégâts qui, jusqu’ici ne sont qualifiables que par un critère plus ou moins limitatif11 et constitutif
d’une infraction coutumière. Le projet de convention générale sur le terrorisme engagé par le
comité spécial des Nations Unies, créée par Résolution 51/210 du 17 décembre 1996 de l’AGNU
relative aux mesures visant à éliminer le terrorisme international a mis sur pied ce projet qui devait
être finalisé.
Cette important instrument juridique composé de 27 articles a certes fait l’unanimité, mais
la survenance des éléments « politiquement corrects et juridiquement incorrects »12 retarde encore
l’éclosion au grand jour cet important texte. Pour donner suite à une telle constellation de
divergences sur les points de vue, le Professeur Brusil Miranda METOU, à propos de ladite
convention soutient que non seulement cet instrument marque le pas sur place13 mais elle demeure
« une finalité ardue »14.
8FOGUE (A), « La lutte contre le financement du terrorisme international : un défi politique et administratif
pharaonique pour l’Afrique », in Revue africaine d’Etudes stratégiques et politiques, UYII, 2007, p.215 9 Le dieu Janus est ici considéré comme une personne ayant un caractère versatile. C’est-à-dire pour certain il est
considéré comme une figure cannibale de la société et pour d’autre un combattant de la liberté, un sauveur ou mieux
un libérateur. Voy. BOUCHET-SAULNIER (F), Dictionnaire pratique du droit humanitaire, op.cit. p.763. 10 Voir l’article 2.1(b) et la Résolution 1566 du conseil de sécurité, qui définit le terrorisme comme « des actes
criminels, notamment ceux dirigés contre des civils dans l’intention de causer la mort ou des blessures graves ou la
prise d’otages dans le but de semer la terreur parmi la population, un groupe de personnes ou chez des particuliers,
d’intimider une population ou de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir un
acte à s’abstenir de le faire ». 11BOYLE (D), « Génocide et crimes contre l‘humanité : convergences et divergence », in FRONZA (E) et
MANACORDA (S), La justice pénale internationale dans les décisions des tribunaux ad hoc, éd Dalloz, Milan 2003,
p.125. 12 Expression employée par le professeur ATEMENGUE Jean de Noel dans sa communication sur le thème « Débat
contemporains en DIH : terrorisme, participation directe aux hostilités », Table ronde de Douala, tenue du 11 au 14
juin 2018, séminaire-atelier sur « Les enseignements du droit international humanitaire », inédit. 13 METOU (B.M), « Nations Unies : le projet de convention générale sur le terrorisme marque le pas sur place », in
Bull Sentinelle n° 342, avril 2013, p.22. 14Ibid.p.25.
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Il convient de noter également que cette convention reste encore lettre morte, dû au fait que
la plupart des conflits armés de plus en plus en vue comportent des stigmates des actes terrifiants
à connotation terroriste. Or sur le plan de l’application du droit humanitaire qui est un droit
s’appuyant à son champ matériel, il ne reconnait pas le terrorisme comme un conflit armé. Ce n’est
lorsque celui-ci atteint un certain seuil qu’il peut être absorbé par le conflit armé.
Cependant, l’absence d’une définition générale sur le terrorisme crée encore d’énormes
bémols, le fait de mêler le terrorisme à des luttes légitimes que menaient des peuples pour leur
accession à l’autodétermination, invalide tout initiative et divise même des délégations à pourvoir
à un consensus général15. Sur ce, si une telle initiative a manqué de pertinence en créant un
amalgame juridique, il est fort probable que l’on envisage des imprécisions au niveau de son
application.
Le crime contre l’humanité quant à lui est une infraction de droit international coutumier,
généralement commise pendant les conflits armés et/ou crises sociopolitiques conduisant à une
série d’actes reconnus comme tels par les statuts des tribunaux internationaux (articles 5 et 3 du
statut du TPIY de 1993 et du TPIR)16. Le soin ou la compétence revient à ces tribunaux d’en
fournir une définition conventionnelle de ce crime. En réalité l’inflation normative issue de la
panoplie des décisions de justice de ce crime transfrontalier au regard du cas Jean Pierre BEMBA,
donc la responsabilité fut imputée pour les exactions commises par ses troupes en RCA, engendre
une espèce d’insécurité juridique sur la question.
Le comble est que jusqu’à date la définition du crime contre l’humanité en connaît onze
éléments constitutifs, telle que libellé à l’article 3(1) du projet de convention sur le crime contre
l’humanité en ces termes : « Aux fins du présent projet, on entend par « crime contre l’humanité »
l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée
ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque ... »17.
Une définition qui en réalité dans le sens juridique est vague et très imprécise du fait qu’elle
15METOU (B.M), « Nations Unies : le projet de convention générale sur le terrorisme marque le pas sur place »,
op.cit., p.25. 16 Il s’agit des statuts du tribunal militaire de Nuremberg, de Tokyo qui ont eu le toupet d’étendre cette définition à
l’assassinat, à l’extermination, la réduction à l’esclavage…, le TPI en fait également une extension progressive en
ajoutant l’emprisonnement arbitraire, la torture et le viol. Voy. BOYLE(D), op.cit. p.126. 17 Voir article 3 .1 (a), (b), (c), (d), (e), (f), (g), (h), (i), (j ) ,(e).
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comporte divers acceptations18. Cet important texte de 15 articles (donc le dernier équivaut à
l’article 33 de la CNU), examine de manière rigoureuse les différentes phases d’application de ce
texte toutes les fois où l’un quelconque des actes est commis ou perpétré par un individu. Il en va
même au niveau interne où la compétence est déférée aux Etats d’en faire des incriminations à
travers leurs législations pénales19. Nonobstant que ce projet ne soit pas encore mis en application,
à cause des divergences d’opinions qui n’en trouvent pas de solutions idoines et par rapport aux
modalités de son accomplissement entre les différents ordres juridiques qui devraient le rendre
intelligible.
Par ailleurs, que ce soit le projet de convention sur le terrorisme ou bien celui sur le crime
contre l’humanité, tant que les développements de leurs éléments restent encore en pleine
extension20, les délégations et les divergences de point de vue des tribunaux et dans leurs mises en
œuvre, le droit qui en découle demeure toujours imprévisible. Bien plus, il serait saugrenu ou
incongru de ne pas souligner que les progrès significatifs sont faits en ce sens. Par exemple en
matière d’application du droit pénal interne par les Etats sur le crime contre l’humanité, il relève
du « shadow side », c’est-à-dire que tout ce que les Etats font derrière le statut de Rome relève de
la complémentarité entre la CPI et les juridictions nationales21. On pourrait même envisager la
consécration des paradis pénaux pour régler de façon transversale cette question d’imprécision au
regard de la recherche d’un cadre juridique cohérent au niveau international.
2- La recherche d’un cadre juridique cohérent au niveau international
La recherche d’un cadre juridique international cohérent n’est pas un problème qui date
d’aujourd’hui. Si au XIXe siècle l’évolution a été lente, il n’en est plus le cas en ce jour. Car
l’époque contemporaine postérieure à la deuxième guerre mondiale connait une évolution
18 Lire BRETON (J.M), Le contrôle d’Etat sur le continent africain : contribution à une théorie des contrôles
administratifs et financiers dans les pays en voie de développement, LGDJ, Paris 1978, p.3. 19 Cf. l’article 6 al 1 et 2 du projet de convention sur les crimes contre l’humanité. 20 Voir les affaires : TPIY, jugement, affaire Kapreskic, IT-95-16-T, 14 janvier 2000 ; TPIY le jugement, Le procureur
c. Dusko Tadiç, IT-94-I-T, 7 mai 1997, §. 644et 650-652 ; lire aussi l’article 2 du statut du Tribunal Pénal International
spécial de la Sierra lionne, qui ajoute en extension la prostitution forcée, les grosses forcées comme élément constitutif
du crime contre l’humanité. 21 NTONO TSIMI(G), « Le projet de convention sur le crime contre l’humanité : risque de fragmentation ou
opportunité d’universalisation du droit des crimes contre l’humanité », communication faite lors d’une table ronde à
Douala, tenue du 11 au 14 juin 2018 sur le séminaire-atelier sur « Les enseignements du droit international
humanitaire », inédit.
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crescendo de la production normative. En effet, la constellation des normes soulève un certain
nombre de problèmes tant qualitatif que quantitatif.
D’abord sur le plan qualitatif, les normes font l’objet d’une production en fonction des
priorités des Etats en temps de paix, c’est-à-dire pour les relations purement économiques. Ainsi
l’établissement d’un ordre économique international efficace est une garantie de la sécurité
internationale. C’est donc à la suite de cette conception que le libéralisme économique a ouvert la
voie à l’adoption des règles garantissant la concurrence commerciale internationale qui débouche
à la « mondialisation » du droit22. Cette vision permet d’observer une diversification de règles
juridiques dans tous les domaines des disciplines juridiques.
L’expansion normative qui s’est faite à travers l’intensification des relations internationales
ainsi que la prise de conscience des interdépendances qui ont le plus encore favorisé le progrès
quantitatif du droit international et le développement des organisations internationales. Cependant,
en s’intéressant aux organisations internationales, leur activité a donné naissance à un vaste
mouvement conventionnel qui constitue aujourd’hui la toile de fond de la problématique de la
combinaison des règles juridiques. La période postérieure à la deuxième guerre mondiale va
davantage connaitre sous cet angle un effet boom rang, de telle sorte qu’une impulsion nouvelle
aux processus coutumier et conventionnel va entrainer une explosion normative autour de ce que
l’on peut qualifier de foisonnement de normes. En effet, il n’y a pas lieu de s’étonner d’une telle
situation qui répond à un besoin de cohérence et de sûreté juridiques surtout dans le cadre du
maintien de la paix et la sécurité internationales.
La mondialisation juridique comme opération délicate et ardue, in lege feranda, devrait
être mise en œuvre par tous les sujets et acteurs de la communauté internationale. Cette opération
qui vise la mise en cohérence du droit applicable en matière de criminalité transfrontalière engage
au regard du foisonnement textuel une sorte d'insécurité juridique sur les normes secrétées tant par
les Etats que par les organisations internationales. Par insécurité juridique s'entend comme le
précisait Olivier DUTHEILLET de LAMOTHE,« la dégradation de la qualité de la loi »23ou
mieux d'une absence de prévisibilité des décisions judiciaires qui découlent d'une inflation
22 STERN (B), « La mondialisation du droit », in Revue Projet, n° 262, paris 2000, p. 99. 23 Parlant de l’inflation législative, dans son exposé à l’occasion de l’accueil des hauts magistrats brésiliens le 20
septembre 2005, M. Olivier DUTHEILLET, membre de la cour constitutionnelle française, évoquât ces termes pour
interpeller les uns et les autres sur l’exigence de sauvegarder les lois.
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législative. Mais en réalité la prévisibilité dans le domaine juridique relève de la sécurité juridique
et ne se limite pas en aval aux décisions judiciaires de la CIJ ou de la CPI et des tribunaux pénaux
ad hoc.
En amont, il faut prendre en considération le rôle des organisations internationales voire du
Conseil de Sécurité, qui peuvent dans leur mini-système et en raison du principe de l’opportunité,
décider et prendre n'importe quelle décision nécessaire qui vaille pourvu qu'elle relève de sa
compétence afin de toujours songer aux exigences de sécurité des normes. Par ailleurs, rechercher
la combinaison des normes juridiques peut certes se révéler un exercice ardu et complexe, mais
leur mise en cohérence peut tout aussi s'avérer productif pour l'évitement de leur éparpillement au
risque de la non-intelligibilité dans leur utilisation.
Sur le plan quantitatif, la cohérence en elle-même s'entend comme la propriété d'un
ensemble dont tous les éléments sont intimement unis24. En fait, ce nouveau paradigme des
relations internationales est aujourd'hui sur toutes les lèvres et plumes des penseurs. Le libéralisme
dans tout le sens du terme a ouvert la voie à l'insécurité juridique et à la fragilité des frontières. Et
cela a favorisé un « boom normatif » tant du droit dérivé de la charte que celui des Etats.
L'apparition des phénomènes complexes tels que la piraterie, le terrorisme, mêlés aux conflits
sociopolitiques qui, en eux-mêmes regorgent des situations difficilement qualifiables par le droit.
Ces phénomènes n'ont cessé guère d'inflationner l'activité normative des organisations
internationales et ont concomitamment entrainé un bouleversement des relations entre les Etats
concernés d’avec leurs organisations internationales dont ils sont membres.
Cette situation délirante et délicate au regard d'indicateurs d'insécurité transfrontalière
suscite en conséquence, un certain engouement de fabriquer des paradis juridiques où le droit
unifié aura le mérite de redéfinir les besoins des Etats et ceux de la communauté internationale à
construire un monde pacifique où règnera l'ordre et la paix. « Les dangers étant globaux » d’après
Jacques LAROSIERE25, en appelle à l'existence d'un droit globalement unifié ou harmonisé qui
impulsera certainement une réelle politique juridique de surveillance des frontières applicable tant
aux forts comme aux faibles. Une politique qui pourvoira enfin à l'établissement de la
24Voir Dictionnaire Larousse illustré 2014, p.267. 25LAROSIERE (J), « Les implications de la mondialisation », In Rapport moral sur l'argent dans le monde, 1997,
p.36.
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responsabilité des groupes criminels et à la réduction de la fabrication du transfert et de la
circulation des armes comme objet de multiplication de conflits et de fragilisation des frontières
étatiques.
En effet, en s'appuyant sur une telle opinion qui cristallise tous les manquements et
superflues faits à l'encontre de l'hypothèse d'unification internationale du droit, il ne sera pas aussi
vain de souligner des retards qui se font encore jusqu'ici ressentir sur le plan national et
international. Les communautés européennes en illustration à travers leur droit matériel, ont
pourvu à l'unification de certains couloirs juridiques afin d'éviter de quelconques imprévisibilités
lors de l'application dudit droit par le juge européen26. L’Afrique quant à elle en a fait pareil,
notamment en matière du droit des affaires connu déjà sous l'appellation de droit OHADA27.
Dans le domaine des droits de l'homme, avec la mise en place de la cour africaine de justice,
pour étayer le risque de conflit né de l'inévitable multiplication et complexification de relations
interétatiques l’objectif premier est celui de répondre aux exigences de la conjoncture et de
s'adapter aux changements sur tous les plans à l'intérieur comme à l'extérieur pour éliminer le
fléau des conflits qui constitue un obstacle majeur à la mise en œuvre du développement et de
l'intégration28. La charte africaine des droits de l'homme et des peuples, en application de ses
dispositions par la cour de justice a une incidence directe sur les droits nationaux et par conséquent
c’est un facteur d'unification au niveau des procédures.
Cependant, la situation semble différente au niveau international, nonobstant que la charte
des Nations Unies en soit en elle-même un instrument de caractère unifié en matière du droit de la
coopération et de la coexistence pacifique. Mais il ne faut pas perdre de vue que l'ONU ne dispose
26En matière du droit commercial et du droit des contrat, il a été mis en place organisme de régulation dudit secteur
dénommé Uni droit ; idem dans le domaine des droits de l'homme la régulation est faite par la CEDH à travers sa
charte européenne de droits de l'homme, pour le maintien de l’ordre public européen, Europol et Interpol pour
l'échange d'informations et recherches criminelles, etc…Voy. JAUFFRET-SPINOSI (D.R), Les grands systèmes de
droit contemporains, 11e éd Dalloz, Paris 2002, p.8 ; THIELEN (O), « La coopération internationale dans le cadre
d’Interpol », In ASCENCIO(H), DECAUX (E) et PELLET (A), Droit international pénal, éd A. Pédone, Cédin 2012,
pp. 1074 et 1075 ; CHEMAIN ( R), «Les institutions Européennes de coordination », in ASCENCIO(H), DECAUX(E)
et PELLET(A),Droit international pénal, éd A. Pédone, Cédin 2012, pp.1083 et s. 27 Voir le traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ainsi que ses actes uniformes subséquents.
Voy. La collection du « Journal officiel de l’OHADA » vol.1, Documentation de l’OHADA, 2005. 28Voir la déclaration de Syrte, EAHG/DECL, (IV) REV I, adoptée à la quatrième session extraordinaire de la
conférence des chefs d'Etat et de gouvernement de l'OUA, Libye, 9 septembre 1999, reproduite dans AYIL,1999, vol.
7 pp.4156417, cité par BARSAC(T), La cour africaine de justice et des droits de l'homme, éd. A. Pédone Paris 2012.
p.13.
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pas d'instruments juridiques lui permettant de réguler les conflits internes ou de préjuger de la
responsabilité29 tant sur les crises sociopolitiques que sur les phénomènes transfrontaliers. En
effet, même si la charte a été mise en place pour réguler la société internationale, c'est le premier
pourvoyeur des normes et principes flou en droit international. Le concept de responsabilité de
protéger par exemple, créé dans le cadre du devoir d'ingérence humanitaire ne revêt en lui-même
aucun fondement juridique sur le plan du droit international. C’est un concept qui tire ses origines
des sources immatérielles à connotation purement idéologique voire politico philosophique. Car
la production normative du conseil de sécurité exclusivement contenue dans le chapitre VII se fait
en émancipation et de façon extensive. C'est la raison pour laquelle l’application de son droit dérivé
par les instances internationales se fait aussi de manière évolutive.
En se référant au droit international humanitaire, on observe une application universelle de
ses règles qui vaillent au-delà des intérêts de la communauté internationale. Ce droit a néanmoins
fait l'objet d'une codification dans des instruments conventionnellement reconnus comme telles.
Le législateur en a fixé un cadre conventionnel articulé autour de quatre conventions et deux
protocoles additionnels pour réguler les conflits armés et toutes les situations connexes pouvant
aboutir au conflit.
Par ailleurs, pour l'unification parfaite du droit et pour éviter l'insécurité dans les rapports
de droit international sans substituer le droit national existant, décrété par le législateur à l'échelle
mondiale30 ;Brigitte Stern31, parlant de la mondialisation du droit, s'interroge si l'apparition des
tribunaux pénaux et la CPI apte à juger les crimes de génocide et des crimes contre l'humanité
marque- t-elle une étape vers le développement d'un droit mondial? cette militante du droit
harmonisé corrobore à l'idée de mise en place d’une convention international qui traite de façon
efficiente les crimes internationaux, en l’occurrence le crime contre l'humanité et pourquoi pas le
terrorisme comme crime et non comme un phénomène à l'image de la convention des Nations
Unies de Montégo Bay de 1982 sur le droit de la mer afin que « l'intérêt commun, soit du fait de
ses capacités virtuelles d'extension à toute la planète, soit du fait de la gravité intrinsèque de la
29PASCAL (V), « Les Nations Unies et la sécurité en Afrique : jusqu'où ira le désengagement ? », in Revue
internationale et stratégique, N°24, Paris, IRIS, 1997, pp.169-170. 30JAUFFRET-SPINOSI (C.D.R), op.cit. p.8. 31STERN (B), « La mondialisation du droit » in Revue Projet, N° 262, 2002, p.106.
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violation, qui en fait un acte profondément attentatoire à ce qui fait l'essence de l'humanité»32dans
ce registre on songe aux actes graves en violation au droit international commis par les ennemis
de frontières.
De ce qui précède, il ne s'agit pas d'unifier tout le droit dans un seul instrument, ni de
pourvoir à une fragmentation assez étendue ou alors de le ranger dans les concepts flous pour que
celui-ci soit de plus en plus visqueux. Il s'agit plutôt de le sectionner en différents ordres juridiques
tels que l'ordre sécuritaire, l'ordre économique, l'ordre environnemental, etc. Une telle organisation
éviterait des applications vaines dudit droit au regard de ses violations. En effet, on ne peut pas se
faire prévaloir de dire que c'est ce manque de structuration du droit qui le rend de plus en plus
impuissant devant les activités et les phénomènes criminels qui sont observés tout le long des
frontières des Etats de la CEEAC. A cet effet, quel serait dont l'impact de l’insécurité juridique sur
l’intangibilité des frontières ?
B- L’impact de l’imprévisibilité du droit à contenu abstrait sur la protection des frontières
de l’Etat
La frontière, selon sa conception moderne, correspond à une ligne séparant des espaces
territoriaux où s’exercent deux souverainetés différentes33. C’est un espace de co-souveraineté,
construit à partir des expériences historiques. La problématique des frontières en Afrique s'inscrit
dans la perspective d'une dynamique d'ensemble qui peut offrir des solutions radieuses et durables
pour des frontières imperméables. Dans le cas d'espèce, le cas de l’Afrique subsaharienne s'est
constitué en un théâtre d'enchevêtrement de conflits et activités criminelles de tout rebord au point
où des experts des Nations unies et d'autres grandes organisations internationales ont convenu de
mener une expertise sur les questions conduisant à la recrudescence d'une telle criminalité sur les
frontières.
Il s'ensuit que ces normes de protection de frontières sont très complexes et s'y télescope
beaucoup de logiques dont il faut dénouer attentivement des écheveaux34. En effet, pour
32STERN (B), « La compétence universelle en France : le cas des crimes commis en ex-Yougoslavie et au Rwanda »,in
German yearbook of international Law, 1998, p.281. 33 DALLIER (P) et al, op.cit. pp. 516-517. 34WEMA(K),« Analyse du phénomène de la prolifération des groupes armés dans la partie septentrionale du Nord-
Kivu : défis de l’édification de l’Etat »,Actes du colloque international de Goma,2013,Conflits, frontières et rôle des
organisations régionales en Afrique subsaharienne : cas du Mal, de la Centrafrique et de la RDC, collection
mémoire et culture,2013;p.41.
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comprendre pourquoi ces crises ont un impact sur la sécurité des frontières, il convient de se fonder
sur l'émergence graduelle des atteintes aux droits de l’Homme et principe de droit international
(1), ensuite sur la persistance de cellules dormantes dans les zones non militarisées confluentes
aux frontières (2).
1- L’émergence graduelle des atteintes aux droits de l’Homme et aux principes de droit
international
Exacerbée par le flux des réfugiés et la recrudescence des violences multiformes en
l'occurrence : la traite des êtres humains, les rapts des groupes rebelles, terroristes et pirates35 et
des crises politiques ; certaines régions africaines se sont muées en une destination de transit ou
en un point de départ qui pourraient profiter à d’autres réseaux de criminalité organisée ou à des
réseaux terroristes et pirates.
De nombreuses jurisprudences internationales36 peuvent dans ce cas servir d'exemple sur
la violation des droits de l'homme et principes de droit international. Les cas les plus connus sont
ceux des tribunaux de Nuremberg, de Yougoslavie (TPIY), du Rwanda37 (TPIR) et de la Sierra
Lionne (TPSSL) et même de la CPI. Le conseil de sécurité en a institué ces tribunaux pour
renforcer les mécanismes de répression préexistants dans le droit international afin de mieux
conduire les développements importants pour la prévention et la répression des violations
subséquentes aux droits de l'Homme et droit humanitaire38. Dans l'ensemble de ces cours et
tribunaux, des éléments constitutifs de violations graves des droits de l'homme et de droit
international furent évoquées. Les affaires, le procureur c. Jean pierre BEMBA du 15 juin 2018 ;
Pinochet39recèlent de parfaites illustrations de violations graves des droits de l’homme.
De même, les actes de violence qui se poursuivent toujours : les incitations à la haine et
aux violences ethnique et religieuse ainsi qu’aux violences sexuelle et sexiste posés à l’encontre
des enfants commises notamment par des rebelles40 en disent quelque chose. Les attaques et les
35Experts des Nations Unies et d’autres grandes organisations internationales ont dénombré plus de 27 groupes armé
s au Nord-Kivu. 36Voir affaire DRAZEN ERDEMOVIC, chbre 1ere instance, 37Créé par la résolution 955 38Voir les articles 50, 51, 130 et 147 des quatre conventions de Genève du 12 aout 1949. 39Voir RGDIP, n°2 1999, p.319 40Il s’agit des éléments de l’ex-Séléka, des éléments antibalaka et d’autres groupes armés.
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incitations à la violence contre des soldats de la paix des Nations Unies et le personnel humanitaire
; le cycle continu de provocations et de représailles imputables à des groupes armés tant à
l’extérieur qu’à l'intérieur des frontières et le refus d’accès humanitaire par des éléments armés
aggravent la situation humanitaire. A cela s’ajoute le difficile accès des acteurs humanitaires aux
populations vulnérables, en sont autant d'actes de violence qui ont contribué à l'émancipation de
l'insécurité juridique41dans des zones à faible présence administrative.
2- La persistance de cellules dormantes dans les zones non militarisées
Tant que l'ennemi n'est pas neutralisé on ne peut pas l’avouer vaincu. Car les attaques
récentes des insurgés montrent que les mouvements rebelles et terroristes persistent et perdurent
dans les zones de frontière. La persistance des cellules dormantes peut émailler d'un ensemble de
facteurs juridico administratives et économico politiques.
D’abord les facteurs juridiques, les violences qui frappent de stupeur font en sorte que le
droit devient incapable de nommer ce qui se produit. Cela fait également qu’il n'obéit à aucune de
catégories juridiques homologuées42. Même si on peut prétendre à une expansion progressive d'un
cadre normatif de règlementation des violences extrémistes, aucun vocable n'est disponible pour
qualifier juridiquement la croisade djihadiste, les réponses militaires, diplomatiques et autres, de
sorte que le droit international puisse retrouver les mesures nécessaires43.
Au niveau administratif, le rapport sur la réforme de l'ONU de décembre 2004 rendu
publique par le groupe de personnalité de haut niveau sur les menace, les défis et le changement
constitués à la demande du secrétaire Général des Nations Unies dénonce la corruption tenace, le
faible empressement de l'Etat à règlementer le blanchiment des capitaux et la non présence de
l'administration dans des zones de frontière, l'absence des infrastructures de base en sont autant de
causes qui pourrait constituer un atout important pour la dévolution des acteurs armés non
étatique.
Ensuite, sur le plan politique, la lutte contre la criminalité transfrontalière est un objectif
de politique extérieure. En fait la mondialisation des valeurs tant négatives que positives ignore
41Résolution 2399 (2018) adoptée par le Conseil de sécurité à sa 8169e séance, le 30 janvier 2018 42NOAH (H-M), « Le problème terroriste actuel : perception d'une rationalité des comportements d'acteurs », AFSJP
N°1 de l'Université de Douala, p.210. 43Ibid.p.210.
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les frontières et la souveraineté. Ce qui importe aux ennemis de la paix c'est de promouvoir leur
influence pour se maintenir malgré la riposte des forces militaires étatiques. Au Cameroun par
exemple la survenance de la crise politique dans les régions du sud et nord-ouest favorise la
résistance de Boko haram. Il y'a également un autre facteur non négligeable, celui de la non-
ubiquité de l'armée sur des immenses territoires africains, la position géographique de certaines
localités comme Darack se trouvant sur une ile confluente de trois pays et des conflits pastoraux
sont des causes profondes d'intense activité terroriste et pirate dans la région du lac Tchad.
En fin sur le plan économique, les réseaux criminels étant actifs, ils continuent d’exploiter
la moindre occasion. La plupart des barrières en la matière étant aisément franchissables au vu de
la facilité relative avec laquelle leurs agents peuvent se procurer des armes et des esquifs. La
pluralité d'acteur a développé une économie de la criminalité parasitaire en tirant des profits d'un
monde sur-connecté. Cela dit, les dégâts de ces conflits ont eu une réelle incidence sur de
nombreux secteurs d'activités qui se chiffre en perte fiscale de presque 100 milliards et de 55
milliards de pertes bovines. La persistance de la pauvreté et du chômage jeunes pour ne citer que
cela, suffisent pour faire perdurer un réseau criminel.
En dépit des facteurs illustrés, d’autres contribuent au risque de résurgence des actes de
piraterie et de terrorisme, notamment : le sentiment nourri par les populations des régions en proie
à la violence criminelle et côtières. Selon cette étude, les ressources objet de convoitise ne sont
guère protégées par les autorités administratives, internationales et locales. Pour ce qui est de la
pêche illégale par les navires étrangers, la facilité avec laquelle des pirates potentiels sont recrutés
et les attaques financées se font grâce à la présence de solides réseaux criminels qui sont actifs
dans le pays ou à l’étranger. Par ailleurs, on peut aussi souligner la faiblesse des capacités des
institutions et des cadres juridiques pour repérer, capturer, poursuivre et condamner les pirates
suspectés ainsi que leurs complices. L’absence d’activités rémunératrices de substitution pour les
populations côtières touchées fait aussi parti du développement de réseaux criminels.
Tout cet ensemble de facteurs est susceptible de nourrir à long terme des réseaux criminels
plus ou moins encore existants ou localisables dans des zones de frontière à faible représentation
administrative et militaire. En effet, nonobstant les mesures jusqu'ici entreprises par les pouvoirs
publics des Etats affectés et le Conseil de sécurité, les mouvements rebelles présentent toujours
une certaine configuration à travers leur existence le long des colonnes de frontières avec le
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Nigéria, l’Ouganda, la Lybie et le soudan. Selon le rapport présenté au sommet mondial en 2003,
le SGNU a reconnu la vulnérabilité des Etats y compris des plus puissants d'entre eux, au « petit
réseau d'entité non étatique ». Le développement de ces acteurs de violence sur un plan
idéologique remet en question le principe du monopole de la violence jusqu'ici détenu par les Etats
souverains. Une logique qui peut expliquer la puissance desdits mouvements qui, depuis la
déstabilisation de la Lybie bénéficient du soutien international du D’Aesch et de l'organisation de
l’Etat islamiste.
Ainsi, la position juridique face à une telle analyse présente plus ou moins un cadre
juridique moins précis quoiqu'il soit en plein expansion. La Cour Internationale de Justice en a
insister sur l'apport de la coutume en s'appuyant sur les règles coutumières contenues dans l'article
38 de son statut, comme principe existants du droit coutumier. A cet effet, cet argument de la
CIJ44suffira-t-il pour en préciser le contenu des normes applicables aux criminalités
transfrontalières ?
II- L’EDIFICATION D’UN DROIT INTELLIGIBLE MENAGE PAR LES
LEGISLATIONS NATIONALES ET COMMUNAUTAIRES
Plusieurs infractions internationales ont par le passé connu leur expansion à cause du
manque de leur qualification par les instances internationales. C’est pourquoi on a l’impression
qu’elles sont disqualifiées du droit au profit des considérations purement politiques, idéologiques
et philosophiques. Il est vrai que dans les hypothèses de qualification d’une infraction
internationale de menace contre la paix, notamment : des raids israéliens à Beyrouth en 196845 ou
à Tunis en 198546, de l'affaire d'Entebbe47
, de la prise d'otages à Téhéran de 1979 ou des raids de
représailles américains en Libye suite à l'attentat contre la discothèque « La Belle» à Berlin en
198648, et dans pas mal d'autres ; le Conseil de sécurité s'est trouvé incapable de qualifier ces
44LOBO DE SOUZA (I.M), op.cit. p.31; voir aussi le jugement du TPIY sur l'affaire Celébiç, CIJ dans l'affaire du
détroit de Corfou du 9 avril 1949, laquelle a assisté sur « les considérations des élémentaires d'humanité ». 45Résolution 263 (1968) du 31 décembre 1968. 46 Résolution 573 (1985) du 4 octobre 1985. 47cf. SIPV 1941 et S/PV 1942. 48Un projet de résolution condamnant les États-Unis fut présenté par le Congo, le Ghana, Madagascar, Trinidad et
Tobago, et par les Émirats Arabes Unis. Soutenu par la Bulgarie, la Chine, la Thal1ande et l'URSS. Voy. Rapport
SIPV. 2682, p. 43 ; il se vit opposer les veto américain, britannique et français, ainsi que les votes défavorables de
l'Australie et du Danemark. L'action américaine fut cependant largement condamnée, notamment par l'Assemblée
générale (voir la résolution 41/38 du 20 novembre 1986.
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infractions de menaces contre la paix parce qu’il tenait davantage au contexte de guerre froide
qu'à des considérations de nature juridique49.
Cependant, avant la chute du mur de Berlin et l'effondrement des antagonismes Est-ouest
certaines infractions existaient déjà, la piraterie notamment. Cette infraction de droit coutumier
était en expansion dans la haute mer50, ce n'est qu’en 1982 que l'ONU va en fin décider de codifier
le droit de la mer à Montego Bay. Dès Lockerbie en 1992, la résolution 731 (1992) voit le jour le
21 janvier 1992 puis d'autre vont s'ensuivre pour en faire une menace contre la paix et la sécurité
internationale51. Cela dit, dès lors que le CSNU peut déjà faire une qualification des menaces
relatives à la criminalité transfrontalière de menaces contre la paix et la sécurité internationales, il
ne reste qu'aux législations étatiques et aux instances communautaires de prendre toutes les
mesures nécessaires en termes de mise en place d’un droit dit lisible afin de mieux lutter contre la
criminalité transfrontalière.
A- La lisibilité du droit applicable dans les législations nationales
En s'appuyant sur la contribution du Professeur Alain PELLET dans ses « notes sur la «
fragmentation » du droit international : droit des investissements internationaux et droit de
l'homme » ?52 la lisibilité en référence à la « fragmentation » est une notion à la mode même si sa
nature reste incertaine : s’agit-il d’un « concept » ? Ou alors n’est- il pas un terme chic et commode
pour désigner un phénomène difficilement saisissable ?53 En fait, si le problème de sécurité
juridique a acquis une popularité certaine en droit international en termes de risque posé sur la
fragmentation de ce droit, cela s'est ressenti en interne dans la mesure où le législateur national a
posé certaines exigences sur la sécurisation de la loi et celle de la sauvegarde de sa qualité afin de
limiter l'inflation législative encours en ce moment.
49PELLET (A), « L'Etat victime d'un acte terroriste peut -il recourir à la force armée ? »,in SFDI, 2004.p.96. 50 Cette infraction voit le jour en1717 et 1726 sur des iles espagnol, carrefour des routes commerciale maritime entre
l’Europe, l’Afrique et l'Amérique, dispo sur le site https://fr.m wikipedia.org. 51Résolution 731 (1992), 2éme considérant - italiques ajoutées. 52PELLET (A), « Notes sur la "fragmentation" du droit international : droit des investissements internationaux et droit
de l'homme », in Mel. Écrit en l'honneur du professeur Pierre -Marie DUPUY, "unité et diversité du droit
international", éd. Martinus Nijhoff, Leiden Boston 2014, p.772. 53Ibid. p. 772.
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Dans ce développement, il ne s'agit nullement pas de s'attacher au caractère ordonné de
l'ordre juridique interne mais plutôt de voir en termes de soumission de l'Etat aux décisions de la
Communauté internationale et aux principes de droit international (1), comme nouveau paradoxe
auquel l'ONU se trouve confronté dans un monde d'Etats souverains54. Cette suspicion va entrainer
quelques légères disparités ; c'est la préservation des intérêts globaux qui l'emporte face à la
virulence des phénomènes criminels et de conflits sociopolitiques aux conséquences humanitaires
sanglantes55 . D’où l'extrême nécessité d'adoption des mécanismes de filtrage des frontières (2).
1- La soumission de l’Etat aux décisions du Communauté internationale et aux principes
de droit international
La soumission des Etats aux décisions internationales ne date pas d'aujourd'hui. Dans
l'intérêt d'épargner les générations futures du fléau des conflits et faute d'une capacité de réponse
systématique à l'agression armée, la SDN s'est jeté de plein fouet pour mettre en place le
mécanisme de sécurité collective comme initiative qui, très tôt s'est enlisée à cause de l'absent de
l'autorité mondiale de mise en œuvre des décisions en effet. Dès la fin de la deuxième
conflagration, l'ONU vit le jour et de nouvelles ambitions furent inscrites à l'ordre du jour. La
création d'un organe de contrainte qui est le Conseil de sécurité, doté de pleins pouvoirs de
décisions que lui octroient la charte, notamment le Chapitre VII qui définit son régime d'action.
Ce système quoique voué à des diatribes, fait néanmoins montre de durabilité et d'adaptabilité à
toutes les catégories de conflits et de phénomènes criminels du monde contemporain56 .
Le droit international étant essentiellement basé sur la volonté des Etats est mise en place
au sein des Nations Unies pour servir et protéger ces Etats souverains. Le mécanisme d'action
collective offre des avantages considérables aux Etat membres, notamment en termes d'efficacité
et de coût comme atouts indispensables pour atteindre le résultat envisagé. L’inquiétude qui est
souvent faite se trouve surtout au niveau du contenu du texte de résolution qui ne garantit pas
toujours le consentement aux mesures d'exécutions encore moins sur le partage des coûts et
responsabilité.
54COT(J-P), « Le rapport Carrington sur la mise en œuvre des décisions du conseil de sécurité », in Revue Politique
étrangère, IFRI, 1999, N°1, p.110. 55Ibid., p.109. 56COT(J-P), « Le rapport Carrington sur la mise en œuvre des décisions du conseil de sécurité »,op.cit.pp. 110 à 111.
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A cet effet, le rapport Brahimi va s'appuyer sur l'exigence de production des mandats
clairs, précis et réalistes y compris la prise de décision en matière de maintien de la paix. En
conséquence les décisions ont été prises au coup par coup et des réponses s'en sont suivies dans
des contextes divers. Mais l'obéissance est souvent faite en dents de scie. Or, si le Conseil de
sécurité bénéficie statutairement des pouvoirs de décision à l'échelle internationale, cela dit que
tous les Etats membres et non membres lui sont soumis. L’exemple typique de soumission en
ressort de la résolution 1373 (2001), notamment en son paragraphe 8, fait une injonction aux Etats
de réprimer toutes les formes et actes de terrorisme57 .
Un peu plus avant cela, il demande aux Etats de collaborer de toute urgence pour prévenir
et réprimer les actes de terrorisme à travers une coopération accrue et l'application intégrale des
conventions internationales relatives au terrorisme, (...). Aux termes des articles 41 et 42 de la
Charte, le Conseil apparait comme un organisme gouvernemental, un super-gouvernement, chargé
de maintenir l'ordre international et en disposant d'une véritable police58.Pour la soumission aux
principes, ils sont obligatoires surtout lorsqu'ils sont impératifs ou portent sur le jus cogens59 .
Même si on peut dénuer le principe de son fondement ou de sa force juridique qui semble au regard
du droit substantiel n'est pas du tout cela. Le principe n'étant pas une règle impérative en soi. Il n'a
pas un caractère absolu comme la loi60et ne saurait contraindre les Etats à se soumettre. Si d'autant
plus que ces principes laissent transparaitre une considération d'un caractère mou et non
contraignant, cela suppose qu’ils sont de la soft law différent de la hard law. Une certaine exception
est faite sur les principes contenus dans la charte des Nations unies en l'occurrence le non-recours
à la force, qui ne peut être biaisé que lorsqu'un Etat est victime d'agression.
En effet, l’existence d’une agression armée pose bien l’exigence d’une action de
franchissement d’une frontière aux moyens de forces armées61. La violation d’une frontière
internationale est ici érigée en une condition substantielle de l’existence d’une agression62, la CIJ,
57Voir le résolution 1373 (2001) du 28 septembre 2001 ; DECAUX (E) et DE FROUVILLE(O), Droit international
public, 8eéd.Dalloz, Paris,2014, p.515. 58COLLIARD (C-A) et DUBOIS (L), Institutions internationales, 10e éd. Dalloz, Paris 1995, p.220. 59Voir article 53 de la convention de vienne du 23/05/1969. 60BECANE (J-C) et COUDERC (M), La LOI, éd. Dalloz, Paris, 1994, p.3. 61Les forces armées auxquelles on y fait référence sont celles des groupes rebelles bien identifiables et soumis à
l'application des règles du droit international humanitaire. 62BIDIAS (J.P), « Les organisations régionales, la légitime défense et la lutte contre le terrorisme », Revue québécoise
de droit international, 29.1 (2016), p.49.
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dans l'affaire concernant les activités armées sur le territoire du Congo (RDC c. Ouganda) a dans
les mêmes circonstances de faits attribué la responsabilité à L'Etat ougandais pour n'avoir pas
empêché, ni contrôler, ni réprimer les activités des miliciens ethniques et groupes armés dans la
ville frontalière d'Ituri. Le principe de l'exclusivité territoriale et son corollaire celui de
l'intangibilité des frontières, est récurremment violé dans de nombreuses zones des Etats de la
communauté ainsi qu'aux Etats environnants.
Le cas de l’invasion militaire par l’organisation de l'Etat Islamiste (OEI) d’énormes
parcelles de territoires irakiens et syriens, la perte par le Nigéria et la Libye de la souveraineté sur
une partie importante de leurs territoires, la dégradation de la situation sécuritaire dans l’extrême
nord du Cameroun, au nord-est du Nigéria, au sud du Niger et du Tchad du fait de l’OEI en Afrique.
Cela pourrait, dans une certaine mesure, donner de la teneur à l’expression « agression armée
privée » qui est sujette à une intervention militaire63.Par conséquent, le système juridique
international est entrain de relever les défis posés par les groupes armés et groupes terroristes, à
cause des développements normatifs, institutionnels et de procédure conçue pour règlementer leur
conduite lui attribuer la responsabilité en termes de conséquences juridiques64.
2- L’adoption de mécanismes de filtrage des frontières
La frontière, il convient de le rappeler, est le premier élément matériel et symbolique qui
conditionne l’existence d’un Etat. C’est dire qu’on ne saurait parler d’Etat sans frontière. C’est
également considérer que la disparition ou tout simplement la remise en question des frontières
d’un Etat serait un évènement lourd de conséquence. Cet Etat perdrait sa souveraineté, voire son
indépendance. Dans le cas d'espèce les frontières de l’Afrique centrale doivent être soumises à
deux types de filtrage, fonction de la nature des menaces auxquelles on y fait face. Les premiers
mécanismes sont relatifs aux crise endogène ou sociopolitiques, elles ont généralement des
origines ou vecteurs externes. Les mesures adoptables dans le cadre de la sécurité intérieure des
frontières relèvent de la police administrative et judiciaire.
Chaque Etat dans sa politique sécuritaire devrait opérer un déploiement des forces de
l'ordre de police et de gendarmerie pour assurer la sécurité publique, la tranquillité publique et la
63Ibid.p.52. 64LOBO DE SOUZA (I.M), op.cit. pp.54-55.
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salubrité publique. Les finalités de ces deux polices reposent sur les surveillances répressives et
préventives. En effet la mise en place d'un dispositif sécuritaire à l'intérieure des frontières consiste
en la création des unités spéciales telles que les forces de l'ordre comprenant la gendarmerie et les
forces de police. Ces deux forces sont au centre de l'éveil à la sauvegarde de l'ordre public. Leur
action se résume précisément sous cinq fonctions : le renseignement, la prévention, la dissuasion,
l’intervention et la coopération. Pour un meilleur éveil la coopération devrait se faire d'abord entre
les différentes forces à l'interne puis à l'externe avec Interpol ou dans le cadre d'une convention
d'entraide ou d'une commission rogatoire internationale65.
A côté de la police et de la gendarmerie, la douane, une force paramilitaire a aussi un grand
rôle à jouer dans le système de filtrage des frontières. Confrontée à la mondialisation des échanges,
facteur de bien-être et de développement des populations dans leur mouvements d'échange de bien
et de service; c'est aussi un vecteur d'insécurité transfrontalière, dont la gestion devient un souci
majeur de l'action des Etats, ce constat l'ex-directrice de la Douane camerounaise Madame Minette
LIBOM LI LIKENG ressort le rôle centrale de la douane face à la criminalisation des frontières66
dans un espace déjà confronté à des réseau d'économie parallèle, non réglementaire, objet
d'échanges illicite, fragilise la sécurité des frontières des Etats. Dans le Document de Stratégie de
l’Organisation Mondiale des Douanes (OMD) intitulé « La Douane au 21ème Siècle », résume le
rôle des administrations douanières dans ce contexte. Il consiste à élaborer et à mettre en œuvre «
une série de politiques et de procédures intégrées de nature à garantir la sécurité, la facilitation
réelle des échanges et le recouvrement des recettes aux frontières ».
Dans le cadre de ses Résolutions67, le conseil de sécurité, dès le 31 janvier 2019 demande
à tous les États Membres de continuer de prendre les mesures nécessaires pour interdire l’entrée
ou le passage en transit sur leur territoire des personnes désignées par le Comité. Demande
également au Gouvernement de la République centrafricaine de renforcer la coopération et les
échanges d’informations avec les autres États. dans le même sillage d'autres mesures nécessaires
ont été énumérer, il s'agit entre autre; celle demandant au Tchad et au soudan de renforcer la
65 YOUSSA(G), « L’action de la gendarmerie dans la sécurisation des frontières en Afrique », colloque de Yaoundé
2014, La problématique de sécurisation des frontières en Afrique, pp.115 et s. 66LIBOM LI LIKENG(M), « Le rôle de la Douane dans la politique de gestion des frontières en Afrique », in colloque
de 2014, La problématique de la sécurisation des frontières en Afrique, p.122. 67 Voir Rés 2399 (2018) et suivantes.
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sécurité de leurs frontières communes, en coopération avec la MINUSCA68 ; engager les États
Membres de la CEEAC à exiger des compagnies aériennes opérant sur leur territoire, s’il y a lieu
et conformément à leur droit interne et aux instruments juridiques et documents cadres
internationaux pertinents, qu’elles communiquent à l’avance aux autorités nationales compétentes
des informations sur les passagers afin de détecter le départ de leur territoire ou la tentative d’entrée
sur leur territoire ou de transit par leur territoire, à bord d’appareils civils, de personnes désignées
par le Comité ; leur demandant instamment de veiller à ce que les passeports et autres documents
de voyage faux, falsifiés, volés ou perdus, ainsi que les passeports diplomatiques annulés soient
dès que possible retirés de la circulation conformément aux lois et pratiques nationales,
communiquer les informations qu’elles possèdent sur ces documents aux autres États Membres en
passant par la base de données d’INTERPOL.
Cette série de batterie de mesures sont prise au niveau interne pour justifier par des raisons
humanitaires la nécessité qui est la leur de veiller à la stabilité et la sécurité de leurs territoires à
partir de la sécurisation des frontières.
B- La lisibilité du droit applicable dans la législation communautaire
Dans ses rapports69de sur la situation sécuritaire en Afrique centrale, le Conseil de sécurité
a toujours manifesté sa préoccupation sur les graves problèmes de sécurité que traversent certaines
zones de la sous-région Afrique centrale en l'occurrence la crise centrafricaine, la crise anglophone
au Cameroun, la persistance de la menace boko haram et des groupes armés et en fin l'insécurité
maritime dans le golfe de guinée et le commerce illicite d'espèce sauvages et la criminalité
organisée.
A cet effet, il en appelle les Etats membres de la CEEAC à faire preuve non seulement de
résilience mais à se doter des instruments fiables dans le but de jouer un rôle essentiel pour un
retour au calme70. Par ailleurs, la communauté économique des Etats de l’Afrique centrale, à
travers ses organes dirigeants et la compétence à elle octroyée par le Conseil de sécurité a fait un
certain nombre d'aménagement sur le plan normatif en implémentant des politiques multilatérales
68Voir S/RES/2399 (2018), p.6. 69Voir rapport S/2015/339. 70Résolution 2127(2013).
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de surveillance dans frontières (1), avant d'opérer un aménagement sur les mécanismes de
coopération et d'entraide dans les affaires criminelles (2). Ces deux éléments d'analyse du cadre
normatif de la législation communautaire permettront à ce qui précède d'avoir une perspective
globale sur la qualité du droit applicable dans la lutte contre l'insécurité transfrontalière.
1- L’implémentation des politiques multilatérales de surveillance des frontières
En dehors des textes émanant des nations unies pour lutter contre la criminalité
transfrontalière, l’Afrique s'est appuyée sur un certain nombre de résolution du Conseil de sécurité
et même de ses textes issus du laboratoire de l'OUA ou de l'UA pour forger son cadre juridique de
maintien de la paix et de surveillance des frontières. En effet cette politique normative ayant été
porté sur quelques textes, est jugés très utiles pour une sécurisation optimale des frontières.
D'entrée de jeu, le protocole du COPAX en son article 5 al c se positionne à la suite des
objectifs de cette institution à vocation communautaire pour rappeler le rôle de celle-ci à savoir
"veiller en permanence à prendre des mesures de maintien, de consolidation, et de promotion de
la paix et de la sécurité à l'intérieur de la communauté ou à ses frontières." les termes de cette
disposition démontre belle et bien l'engagement de la communauté à prendre des initiatives
juridiquement salutaires pour préserver la CEEAC du syndrome des guerres internes vectorisées à
partir des frontières. Elles laissent également transparaitre la volonté politique de Etats-membre
de préserver l'intangibilité de leurs frontières.
Un autre fait majeur de surveillance des frontières repose également sur la confiance des
Etats. Cette mesure, contenue dans l'exhaustive énumération des objectifs du COPAX, notamment
dans son article 4(e). La confiance faisant parti des mesures de sureté, se trouve en réalité au cœur
des préoccupations des Etats. C’est pourquoi il sera demandé aux Etats de s'assister mutuellement
lorsqu’un des leurs est agressé. Ainsi l'article 6(c) de la charte de Lomé sur la sureté et la sécurité
maritime et le développement en Afrique, en couverture à l'article 3(a) de la même charte, d’
« assurer les patrouilles de surveillance et de reconnaissance maritime dans les zones de
mouillage, les ZEE et le plateau continental à des fins de répression de recherche et de
sauvetage. »
Bien plus, le seul souci qui pourrait amenuirai les efforts entrepris par les Etats concerne
les mesures socio-économiques. Les Etats pour une sérénité des frontières devront pourvoir à une
série de mesures telles : la création d'emploi productif, la réduction de la pauvreté, le renforcement
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de la cohésion sociale par la mise en œuvre d'une politique juste, inclusive et équitable visant à
résoudre les crises socio-politiques.
En fait, méconnaitre ces mesures entraine directement le délitement des frontières qui sont
des variables à la transmigration des activités criminelles. Ainsi, la surveillance des frontières
suppose la politique de tolérance Zéro dans la lutte contre la criminalité tant nationale
qu'internationale. Le dispositif sécuritaire déployé doit être construit autour de la militarisation des
frontières, en y déployant des unités spéciales afin de contraindre les exactions des entrepreneurs
de violence transfrontalière. Cependant, quoique les opinions soient divergentes à cette logique.
Les pourfendeurs de la doctrine du libéralisme économique, promeuvent la création des zones
Economiques ou marchés frontaliers que l'Etat doit développer et transformé.
La tendance réaliste quant à elle insiste sur la présence de l'Etat dans les frontières. Sur
ceux certains Etats de la CEEAC ont adopté une posture médiane en conciliant les deux approches
pour avoir un contrôle optimal sur les frontières. Le Cameroun, la RDC, la Guinée Equatoriale, le
Gabon et bien d'autres ont créé des villes frontalières pour limiter le développement de la
criminalité. C’est le cas de Bakassi, Baiboum, Kyosi, Abangminko'o, Kribi et kampo pour le
Cameroun ; Ituiri, Kivu pour la RDC ; Ebebiyin et Malabo pour la Guinée... Cependant, cela n'est
qu'une infime partie de la solution au problème, car les nouveau problèmes ou conflits sans
frontières comme la criminalité financière, le terrorisme, la piraterie, la cybercriminalité ne
peuvent peut plus être traité de manière autonome. Plus grand enjeu des Etats est d'intégrer « la
communauté mondiale de paix et de sécurité », qui, au niveau de la sous-région tourne autour du
"Régionalisme" qui tire son fondement juridique de l'article 52 de la charte et vilipende un certain
"complexe régional de sécurité", un concept doté d'une forme d'interdépendance qui amené des
Etats à communier autour des initiatives de sécurité collective.
Par ailleurs pour assurer cette politique multilatérale dans la sous-région et en application
des dispositions de l'article 4 précité, une force permanente (FOMAC), constituée par des
contingents nationaux interarmes, de police, de modules civils, des Etats-membres a été instituée
pour des raisons humanitaires et également pour mettre en œuvre des sanctions prévues par les
textes en vigueur ou celles qui émanent de l'organe de direction ou plénier71.
71DUPUY(P-M) et KERBRAT(Y), Précis de Droit international Public, op.cit. p.219.
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Cette force de surveillance agit au moyen de l'article 7 du pacte d'assistance notamment en
matière de légitime défense du territoire, de la souveraineté, de l'unité Nationale, des institutions
démocratiques des Etats membres de la CEEAC, ou simplement de mettre fin à la commission des
actes entrant dans la catégorie des crimes internationaux. Elle agit également en urgence absolue,
pour faire face à une menace d'agression armée ou à une agression dirigée de l'extérieur contre un
Etat partie au pacte72. Elle peut aussi être mobilisée à la demande de l'ONU ou de l'Union Africain
comme en RCA(MINUSCA) au Congo (MONUSCO). Cette force d'élite agit au moyen d'autre
mécanismes pour la plus grande efficacité dans la traque des désorganisateurs de la paix et de la
sécurité des frontières.
2- L’implémentation de mécanismes de coopération et d’entraide dans les affaires
criminelles transfrontalières
En analysant la pensée du professeur THIELEN Ophélie en matière de coopération
internationale dans le cadre d’Interpol, « La souveraineté des Etats implique la territorialité et
l'exclusivité des compétences et des actions policières nationale : (...) »73. Il s'ensuit d'emblée que
les lois de police revêtent uniquement un caractère exclusif de la territorialité et non de l'extra-
territorialité. Sur ce, la répression efficace de certains crimes ou de certains phénomènes aux
ramifications transnationales ou transfrontalières a souvent posé d'énormes problèmes relatifs à la
poursuite des présumer auteur ou à la recherche de leur identité. En effet, la nécessité d'apposer
une institution coopérative dans la résolution des affaires criminelle entre Etats a vu le jours dès la
période post-première guerre mondiale plus précisément en 1923, dans le cadre de la commission
international de police criminelle et, depuis 1956 il agit sous le label de l'Organisation
internationale de police criminelle (Interpol) son adhésion s'apparente à un accord en forme
simplifiée contenu dans les termes de l'article 4 de son statut74.
L'article 4 dispose, en outre, que « Chaque pays peut désigner comme membre de
l'organisation tout organisme officiel de police donc les fonctions entre dans le cadre des activités
de l'organisation. La demande d'adhésion doit être présentée au secrétaire général par l'autorité
72Voir article 9 du pacte d'assistance mutuelle. 73THIELEN (O), « La coopération internationale dans le cadre d’Interpol », In ASCENCIO (H) et al, op.cit, p.1073. 74Interpol est une organisation internationale sui generis, son statut ne constitue nullement au sens classique un traité
international et formel qui obligerait en quelque sorte les Etats à en faire une ratification ou mieux à décliner leur
consentement à être lié. Il n'est que soumis à la seule adhésion des Etat via leurs organes de police. Ibid.p.1073.
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gouvernementale compétente ». Il est certes vrai que se sont les services de police des Etats qui
sont membres d'Interpol et non les Etats eux-mêmes aux sens strictes. Quoique celle-ci requiert le
consentement des Etats pour être membre, cette organisation bénéficie comme tout le reste d'une
personnalité juridique internationale octroyée aux organisations depuis l'affaire du comte Folke
Bernadotte.
Dans le cadre de l’Afrique centrale, cette organisation a acquis l'accord de siège le 3
novembre 1982 et donc la représentation est au Cameroun. Il agit en coopération avec les instances
du COPAX, qui à son tour s'appuie sur l’accord de coopération en matière de police criminelle75,
signé sous l'égide du comité des chefs de police d’Afrique centrale (CCPAC) ce comité agit en
conformité avec les aspirations d'Interpol afin de favorise un développement et une assistance
réciproque la plus large de toutes les autorités de police. Cette coopération orientée dans le
domaine policière porte sur les domaines prioritaires qui mettent en mal le développement et la
sécurité des Etats. Il s'agit entre autres la corruption, le trafic des stupéfiants, la criminalité
organisée, la criminalité financière la recherche des malfrats en fuite, l'exécution des mandats
d'arrêt internationaux, le terrorisme, le trafic des êtres humains.
Sous la couverture d'Interpol, le COPAX, au travers des articles 21 et 22 de son protocole
par le biais du MARAC est compétent pour collecter les informations et les renseignements
nécessaires à la traque des ennemis et même par l'intermédiaire des Bureaux centraux Nationaux76.
En fait, cette coopération passe par deux mécanismes complémentaires : la création et la gestion
d'une base de données policières centralisées et la production d'actes permettant de faciliter les
arrestations et les procédures d'extradition.
Le monde Etant donc morcelé en une multitude de souveraineté dont les territoires sont
séparés par les frontières et ces frontières connaissent au quotidien des flux d'échanges des biens
et services et d'immigration de personnes77. Elles sont d'un autre coté violées par les personnes et
des groupes rebelles pouvant commettre les crimes transfrontaliers. Le rôle de ces mécanismes
institués est donc celui de promouvoir par le biais de la coopération, implémenter un espace de
sécurité commune et de justice commune, harmoniser par les lois intelligibles et lisibles tant dans
75Accord signé à Yaoundé, en avril 1999. 76THIELEN (O), op.cit. p. 1074. 77 THOUVENIN(J-M), « L'extradition », in ASCENCIO (H) et al, op.cit. p.1107.
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la mise en œuvre des procédures d'arrestation et d'extradition que dans le déroulement des
sentences.
Conclusion
En définitive, traité de la question de l’imprécision du contenu des normes de droit
international à l’aune de la criminalité transfrontalière en Afrique n’est pas un exercice aisé à cause
de la complexité des activités criminelles et de leurs caractères polymorphes. Toutefois le droit
regorgeant en lui-même plusieurs atermoiements comme l’affirme Michel TROPER, c’est le
produit d’une opération intellectuelle. Cela dit, l’analyse des contenus de certains textes
internationaux réprimant des crimes internationaux à caractère transfrontalier perpétrées le long
des frontières africaines suscite au préalable une clarification perpétuelle. C’est à cet effet que la
nécessité de l’édification d’un droit lisible et cohérent par les Etats et les instances communautaires
parait efficiente. Ainsi s’il est avéré qu’un tel exercice au regard du boom normatif a une finalité
ardue, peut-on néanmoins envisager une consécration des paradis pénaux pour aboutir à la mise
en place d’un droit standard et penser en fin juguler la question de l’imprécision du contenu des
normes internationales applicables dans le cadre de la lutte contre la criminalité transfrontalière ?
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Le contrôle à postériori de la passation des marchés publics par
l’auditeur indépendant au Cameroun
Par :
Emmanuel MEVO MEVO
Doctorant en droit public
Université de Douala (Cameroun)
Résumé :
La prolifération des marchés publics dans l’univers des contrats publics Camerounais,
s’accompagne depuis deux décennies, d’un renforcement du contrôle de la passation desdits
marchés sur l’ensemble du territoire. Aux contrôles à priori et concomitants exercés jadis sur le
processus de passation des marchés, s’ajoute désormais un contrôle à posteriori effectué par
l’auditeur indépendant. Recruté par l’Agence de Régulation des Marchés Publics, le rôle dudit
auditeur, est d’identifier les cas de dysfonctionnements survenus dans le processus de passation
des marchés publics et de proposer des recommandations. Cependant, la restriction du champ
d’investigation, à laquelle s’ajoute des pratiques de corruption, sont des limites qui remettent en
cause la qualité du contrôle à posteriori effectué par l’auditeur indépendant.
Mots clés : Contrôle à postériori, Passation des marchés publics, Auditeur indépendant.
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Introduction
« Développement et vogue de contractualisation »,1 sont des expressions qui traduisent le
mouvement contemporain de montée en puissance des marchés publics dans l’univers des contrats
publics au Cameroun. Selon les chiffres fournis par le ministère des marchés publics, le Cameroun
a passé en 2020 six mille trois vingt-huit (6328) marchés publics, pour un montant total de cinq
cent milliards de Francs CFA. En réalité, ces chiffres vont grandissant2 depuis que les pouvoirs
publics Camerounais, ont perçu l’importance stratégique que revêtent les marchés publics dans la
politique d’émergence du Cameroun à l’horizon 2035.3
Cependant, cette euphorie4 des marchés publics n’est pas sans conséquence. Elle
s’accompagne, à l’aune de la fin de la « sacralisation (…) du pouvoir administratif »,5 et de la
mutation progressive des techniques d’organisation administrative, de deux grandes dynamiques.
La première consiste à soumettre les organes de passation des marchés au respect du droit en
vigueur, tandis que la seconde est relative au renforcement de l’architecture des organes de
contrôle à postériori des marchés.
Si la première s’explique par le dépassement de l’Etat de police du fait de l’émergence de
l’Etat de droit, la seconde quant à elle s’inscrit au cœur du processus de régulation des marchés
publics, dans lequel le contrôle administratif classique, est désormais renforcé et complété par un
nouveau mode de contrôle : celui effectué par l’auditeur indépendant. En d’autres termes, à côté
du contrôle classique « unilatéral, autoritaire, centralisé et souverain »,6 émerge désormais un
contrôle « assoupli, décentralisé, adaptatif et (…) négocié ».7 Un contrôle intervenant dans « un
1 KEUTCHA TCHAPNGA (C), Précis de contentieux administratifs au Cameroun : aspects de l’évolution récente,
Paris, L’harmattan, 2013, p.61. 2 En 2017, « les marchés publics représentent actuellement au Cameroun un volume annuel d’environ 550 milliards
de FCFA tout financement confondu et environ 4000 contrats par an » NGAKETCH TADOUM (J M) et MEBADA
MEBADA (G), « Du dispositif de contrôle des marchés publics au Cameroun », inédit, p.2367. 3 BIAKAN (J), Droit des marchés publics : contribution à l’étude des contrats publics, L’harmattan, 2011, p.2. 4 NGAKETCH TADOUM (Jean Marie) et MEBADA MEBADA (G), « Du dispositif de contrôle des marchés publics
au Cameroun », inédit, p.2367. 5 ABANE ENGOLO (P E), L’application de la légalité par l’administration au Cameroun, Thèse de Doctorat Ph.D
en droit Public, Université de Yaoundé II, 2009, p.4. 6 OST (François) & VAN DE KERCHOVE (M), De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit,
Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 2010, p.26. 7 OST (F) & VAN DE KERCHOVE (M), De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, Ibid.,
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nouveau système de régulation »,8 qui sans faire perdre à l’Etat ses prérogatives, lui permet en
principe de mieux les exercer par le canal d’une « autorité compétente et autonome dans son
fonctionnement ».9
Recruté,10 sur appel d’offres par l’Agence de Régulation des Marchés Publics, l’auditeur
indépendant apparait comme un « contrôleur qui n’est en apparence exposé à aucune situation
susceptible d’altérer l’objectivité de sa mission ».11 Son rôle est capital dans le contrôle à
postériori de la passation des marchés publics.
Aux termes des dispositions de l’article 5 al (w) du code des marchés publics, un marché
public se défini comme « un contrat écrit passé conformément aux dispositions règlementaires,
par lequel un entrepreneur, un fournisseur ou un prestataire de services s’engage envers l’Etat,
une collectivité territoriale décentralisée ou un établissement public, soit à réaliser les travaux,
soit à fournir des biens ou des services moyennant un prix.».12 Il apparait de ces dispositions du
code des marchés publics que plusieurs critères sont mobilisés pour définir un marché public. Il
s’agit : De la forme écrite du contrat, de la présence d’une personne publique dans le contrat, des
caractères synallagmatiques et onéreux, ainsi que de la détermination du besoin de l’administrions
faisant l’objet du marché.
Dans le cycle du projet, la passation des marchés publics est l’étape intermédiaire, comprise
entre la maturation et l’exécution. C’est durant cette dernière que se conclu le marché. Le
professeur GUIMDO DONGMO BERNARD, l’appréhende comme « la phase qui va pour
certains marchés (marchés sur appel d’offres) de l’avis d’appel d’offre à l’attribution du marché
en passant par la recevabilité, le dépouillement, pour d’autres (marchés de gré à gré) de
l’autorisation de l’autorité en charge des marchés publics à l’attribution en passant par la
8 PEKASSA NDAM (G M), « Les Etablissements publics indépendants : une innovation fondamentale du droit
administratif Camerounais », R.A.S.J, Vol 2, n°1, 2001, p.154. 9 PEKASSA NDAM (G M), « Les Etablissements publics indépendants : une innovation fondamentale du droit
administratif Camerounais », Ibid., p.154. 10 L’article 5 alinéa (c) du code des marchés publics de 2018 dispose que : « L’auditeur indépendant est un cabinet de
réputation établie recruté par voie d’appel d’offres par l’organisme chargé de la régulation des marchés publics, pour
réaliser l’audit à postériori des marchés signés au cours de l’année écoulée et exécutés ou en cours d’exécution ». 11MEVO MEVO (E), Le statut de l’auditeur indépendant dans les marchés publics au Cameroun, Mémoire de master
2 en droit public, Université de Yaoundé II, 2015, p.15. 12 Lire l’article 5 al (w) du Code des Marchés Publics de 2018.
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consultation, enfin les règles qui régissent l’attribution simplement pour les uns ».13 La passation
des marchés publics n’est pas un processus de non droit. C’est un processus encadré par des
principes juridiques de mise en concurrence des candidats, et garantie par des organes dont la
mission est de veiller à ce que les soumissionnaires et les autres acteurs impliqués dans cette
dernière, respectent la réglementation en vigueur.
Ayant pris conscience de ce qu’une bonne passation des marchés publics est le préalable
d’une bonne exécution, les pouvoirs publics n’ont pas hésité à resserrer l’architecture des organes
de contrôle dudit processus de passation des marchés publics.14 Il ne saurait en être autrement, car
face au souci d’assainir le processus de sélection des soumissionnaires, les pouvoirs publics
Camerounais n’avaient d’autres choix que de densifier la structure des organes ayant pour mission
de prévenir et de sanctionner le cas échant, les dysfonctionnements survenus dans la passation des
marchés publics.
Si sur le plan historique, il est possible de remonter jusqu’à la période d'avant l'indépendance
pour situer les premiers contrôle de la dépense publique sur le territoire Camerounais,15 il en va
autrement en ce qui concerne le contrôle à postériori de la passation des marchés publics effectué
par l’auditeur indépendant. Car, ce dernier fût institué au Cameroun par le canal du
décret n°2000/155 du 30 Juin 2000 dans un contexte de réforme marqué par « un impératif de
développement et de modernisation de la gouvernance »16 des marchés publics au Cameroun.
Intervenant deux décennies après son institutionnalisation, l’étude menée sur le contrôle à
posteriori de la passation des marchés publics par l’auditeur indépendant, n’est pas dénuée
d’intérêt. Au plan théorique, elle présente le mérite de décrire cette modalité peu orthodoxe de
contrôle de la passation des marchés publics. Tandis qu’au plan pratique, cette analyse réitère la
13GUIMDO DONGMO (B R), « le contentieux de la formation des marchés publics », in séminaire de formation sur
« le contentieux des contrats administratifs », Kribi du 28 Novembre au 1er Décembre 2011, p.2. 14 Lire l’article 48 al (2) du décret n°2018/366 du 20 Juin 2018 portant code des marchés publics. 15 Historiquement, le contrôle des marchés publics au Cameroun ne date pas de l’indépendance. C’est depuis la période
coloniale, lorsque le droit de la métropole française était encore applicable dans ses colonies, que les marchés publics
furent soumis au contrôle en vue d’assainir la dépense publique. Ce contrôle financier résultait de la circulaire du 15
décembre 1916 relative aux commandes effectuées par les différents services publics. En effet, selon la procédure en
vigueur à cette époque, si le gouverneur avait besoin de procéder à des achats importants de matières, il devait
« adresser une demande de matériel au chef du service des finances pour que la demande soit enregistrée dans sa
comptabilité des dépenses à engager, revêtue de son visa et du numéro de l’engagement ». 16BIAKAN (J), « La réforme du cadre juridique des finances publiques au Cameroun : la loi portant régime financier
de l’Etat », in l’administration publique Camerounaise à l’heure des réformes, L’harmattan, 2010, p.10.
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nécessité de veiller au respect des règles régissant la passation des marchés publics pour une santé
financière constante et un développement économique et social probant au Cameroun.
Cependant, il faut reconnaitre que cet intérêt dual n’occulte en rien les limites du contrôle à
postériori de la passation des marchés publics au Cameroun. Car, malgré le contrôle effectué par
l’auditeur indépendant, la passation des marchés publics demeure un « site privilégié
d’indélicatesse ».17 L’institutionnalisation de ce contrôle à postériori n’offre qu’une « fausse
quiétude », dans la mesure où la recrudescence des pratiques rédhibitoires à la bonne gouvernance
dans la passation des marchés publics se pose de plus en plus avec acuité.
Au regard de ce qui précède, quelle appréciation peut-on faire du contrôle à postériori de la
passation des marchés publics par l’auditeur indépendant au Cameroun ? En guise de réponse
anticipée, l’appréciation est celle d’un contrôle à postériori mitigé. Car, en dépit du fait que son
contrôle à postériori s’étende sur l’ensemble des phases du processus de passation des marchés
publics (I), il n’en demeure pas moins vrai que ce dernier est édulcoré par de nombreuses limites
(II).
I- UN CONTROLE A POSTERIORI ETENDU
Tout comme les contrôles à priori et concomitants, le contrôle à postériori de la passation
des marchés publics se justifie par la nécessité d’assainir le processus d’accès à la commande
publique au Cameroun.
C’est un contrôle qui vise à s’assurer que les acteurs du système des marchés publics (les
commissions de passations des marchés publics, les maitres d’ouvrages et les maitres d’ouvrages
délégués, les observateurs indépendants, les soumissionnaires, etc.), ne se sont pas rendus coupable
de dysfonctionnements ayant obstrué la concurrence, et la transparence dans le processus de
formation des marchés publics. Il s’opère tant sur l’ouverture (A) que sur l’attribution (B) des
marchés.
17 ONDOA (M), préface à BIAKAN (J), Le droit des marchés publics au Cameroun, Op.cit., p.12
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A- Le contrôle à posteriori de l’ouverture des marchés publics
Le vocabulaire approprié aux marchés publics, entend par ouverture des marchés la phase
durant laquelle l’administration procède à leurs lancements. A la lecture des textes en vigueur,
l’ouverture desdits marchés relève soit de la compétence du maitre d’ouvrage, soit de celle du
maitre d’ouvrage délégué.18
Au Cameroun comme dans plusieurs autres pays, les marchés publics sont conclus après
mise en concurrence des candidats. Le code des Marchés Publics dispose clairement que « les
marchés publics sont passés après mise en concurrence des cocontractants potentiels de
l’administration ».19 Très souvent, l’administration utilise le procédé d’appel d’offres pour inviter
ses potentiels cocontractants à lui proposer des offres dans le cadre d’un environnement
concurrentiel.
Dans le cadre de sa mission de contrôle à postériori de l’ouverture des marchés publics,
l’auditeur indépendant se réfère aux règles et procédures propres à chaque modalité d’ouverture.
A cet effet, il contrôle tant l’ouverture opérée par le procédé d’appel d’offres (1), que celui des
marchés de gré à gré et des demandes de cotation (2).
1- Le contrôle à postériori de l’ouverture sur appel d’offres
L’appel d’offres est la procédure par laquelle l’attribution d’un marché intervient après appel
public à la concurrence. L’appel d’offres peut être national ou international. Il peut être ouvert,
restreint, ou avec concours. L’appel d’offres est dit national lorsqu’il s’adresse aux personnes
physiques ou morales ayant leur domicile ou leur siège social au Cameroun.20 L’appel d’offres est
dit international lorsqu’il s’adresse aux personnes physiques ou morales ayant leur domicile ou
leur siège social à l’intérieur ou à l’extérieur du territoire national.21
18 Après avoir rappelé que « la passation d’un marché public relève de la compétence du maitre d’ouvrage, personne
physique à la tête d’un département ministériel ou assimilé, d’une collectivité territoriale décentralisée ou d’un
Etablissement public, bénéficiaire des prestations prévues dans le marché », le Code des Marchés Publics, dispose en
son article 6 que le maitre d’ouvrage ou la maitre d’ouvrage délégué est responsable du lancement des consultations. 19 Lire l’article 72 al (1) du Code des Marchés Publics de 2018. 20Lire l’article 74 al (1a) du code des marchés publics. 21Lire l’article 74 al (1b) du code des marchés publics.
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L’appel d’offres est dit ouvert lorsque l’avis public invite tous les candidats intéressés à
remettre, pour une date fixée, leurs offres.22 Il est restreint lorsqu’il s’adresse à un nombre de
candidats retenus à l’issue d’une procédure de pré-qualification.23 Lorsque des motifs d’ordre
technique, esthétique ou financier justifient des recherches particulières, l’appel d’offres peut être
assorti d’un concours.
Dans le contrôle à postériori de l’ouverture des marchés sur appel d’offres, l’auditeur vérifie
si les organes de passations des marchés ont respecté les exigences relatives à la qualité du dossier
d’appel d’offres (a), à la publicité de l’avis d’appel d’offres, ainsi qu’aux délais de soumission (b).
a)- La vérification à postériori de la qualité des dossiers d’appels d’offres
La préparation du dossier d’appel d’offres est soumise à l’examen de la commission de
passation des marchés publics compétente. Celle-ci doit en effet, s’assurer que le dossier d’appel
d’offres présente tous les éléments24 nécessaires pour une meilleure information des
soumissionnaires.
Aux termes des dispositions de l’article 85 al (1) du décret n° 2018/366 du 20 Juin 2018,
portant code des marchés publics, le dossier d’appel d’offres doit contenir : « l’avis d’appel
d’offres rédigé en français et en anglais, le règlement général de l’appel d’offres, le règlement
particulier de l’appel d’offres comprenant notamment les critères, les sous critères ou grilles
d’évaluation des offres et des critères minima de qualification des soumissionnaires, le cahier des
clauses administratives particulières, le cahier des clauses techniques particulières pour les
marchés de travaux, les termes de références pour les marchés de prestations intellectuelles, (…)
le cadre du détail estimatif contenant les quantités à exécuter ou le cadre de devis lorsque pour
certains marchés d’études les quantités doivent être fournies par le soumissionnaire en fonction
de la méthodologie de travail envisagé ».25 Ces éléments constitutifs du dossier d’appel d’offres
sont d’une importance capitale. Car, ils fournissent des éléments « de références sur la base
desquels d’une part les maitres d’ouvrages et maitres d’ouvrages délégués définissent leurs
22Lire l’article 75 al (1) du code des marchés publics. 23Lire l’article 76 al (1) du code des marchés publics. 24Lire l’article 85 al (1) du code des marchés publics. 25Lire l’article 85 du code des marchés publics.
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attentes, d’autre part les soumissionnaires établissent leurs propositions techniques et
financières ».26
Dans son rapport d’audit à postériori des marchés publics, effectué pour le compte de
l’exercice 2005, l’auditeur indépendant constate l’existence de nombreuses carences. Sur cent
vingt-trois (123) dossiers d’appels d’offres ouverts, onze (11) dossiers d’appel d’offres étaient
incomplets. Sur les six (06) dossiers d’appel d’offres restreints, un (01) cahier de charges
techniques était absent.
A ces anomalies, s’ajoute celui du lancement des consultations sans financement disponible,
toute chose allant à l‘encontre des dispositions du Code des Marchés publics. Certes ce principe
peut être remis en cause dans le cadre des marchés pluriannuels, mais il n’en demeure pas moins
vrai que cela ne reste qu’une exception. L’auditeur indépendant a eu à contrôler la disponibilité du
financement dans plusieurs marchés. C’est le cas du marché n°067/M/MINTP/CPM-TN/2008
(construction de la route Obala – Batchenga – Bouam – Lot 1 : Obala – Batchenga – Nkolessong),
dans lequel il constate que « certaines modifications ayant une incidence financière importante
(au-delà de 10%) sont engagées par un simple ordre service, sans que l’on ait des certitudes sur
la disponibilité des financements (…) et dont le montant représenterait près de 60% du marché de
base 27». Ainsi, pour éviter la répétition de pareilles modifications de nature à remettre en cause
l’objet même du contrat, l’une des solutions recommandées par l’auditeur, consisterait à opérer
des travaux d’études préalables nécessaires pour une meilleure expression des besoins.
Fort de ce constat, il n’est pas erroné d’affirmer que l’auditeur indépendant est un
contrôleur de la préparation des dossiers d’appel. Cependant, son contrôle ne se limite pas à la
préparation desdits dossiers. Il s’étend également sur la publicité de l’avis d’appel d’offres et le
délai de soumission.
26Lire utilement le « rapport final d’audit à postériori des marché publics exercice 2005 », GROUPEMENT2AC-
ACP, juin 2008, p.78. 27« Rapport provisoire d’audit à postériori des marchés publics exercice 2008 », OKALLA AHANDA & ASSOCIES,
Février 2011, p.84.
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b)- Le contrôle à postériori de la publicité de l’avis d’appel d’offres et des délais de soumission
des offres
La procédure d’appel d’offres doit respecter les règles de mise en concurrence des différents
soumissionnaires. L’auditeur indépendant doit vérifier que les destinataires desdites règles les ont
respectés.
La publicité a pour « objet d’informer le public de l’existence ou de la modification des
actes juridiques ».28 En droit, deux principaux modes sont très souvent usités pour effectuer une
publicité à savoir : la notification pour les actes individuels et la publication pour les actes
réglementaires. Pour le juge administratif Camerounais, la notification consiste à « la remise à
l’intéressé de la copie (…) de la pièce à notifier ou tout au moins d’un écrit contenant tous les
éléments nécessaires pour lui permettre de se faire un compte exact de la mesure prise à son égard,
ainsi que les motifs pour lesquels elle a été prise ».29 Mais, dans le cadre de la présente analyse, le
mode de publicité qui nous intéresse davantage est celui de la publication.
Il ne saurait en être autrement car aux termes des dispositions de l’article 88 al 1 du code des
marchés publics, « l’avis d’appel d’offres est publié dans le journal des marchés publics édité par
l’organisme chargé de la régulation des marchés ».30 D’autres moyens de publicité tels que le
communiqué radio, la presse disponible en kiosque et la presse spécialisée, les communications
électroniques viennent renforcer ladite publication.
Après avoir constaté dans son rapport d’audit à postériori des marchés publics comptant
pour l’exercice 2008, que la commission de passation des marchés du ministère de la santé « ne
dispose pas d’un journal de programmation des marchés »,31 l’auditeur indépendant recommande
le respect de la réglementation en vigueur en la matière. Car l’article 59 du code des marchés
publics dispose clairement que « la passation et l’exécution des marchés publics doit faire l’objet
d’une programmation par le maitre d’ouvrage ».32
28 TOGOLO (O), « La publication des actes administratifs par voie de mass-média », in l’administration publique
camerounaise à l’heure des réformes, l’harmattan, 2010, p.192. 29 CCA, Arrêt n°636 du 10 aout 1957 NJOCK JEAN C/ Etat du Cameroun. 30 Lire l’article 88 du code des marchés publics. 31 « Rapport provisoire d’audit à postériori des marchés publics, exercice 2008 », Op.cit., p.70. 32 Lire l’article 59 al 1 du code des marchés publics.
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En ce qui concerne les délais de soumission des offres, le Code des marchés publics de 2018
dispose que « les délais accordés aux soumissionnaires pour la remise des offres varient entre
vingt-cinq (25) jours et cinquante (50) jours ouvrables à compter de la publication de l’avis
d’appel d’offres dans le journal des marchés de l’organisme chargé de la régulation des publics
».33
Ainsi, les offres déposées en dehors des délais prévus les textes ne sont pas recevables et
doivent en principe être rejetées. Or, cela n’a pas toujours été le cas. Dans l’analyse des réserves
émises par les Observateurs indépendants durant la passation des marchés au cours de l’exercice
2008, l’auditeur constate des cas de « non élimination des soumissions parvenues après les délais
de recevabilité des offres ».34 Les anomalies constatées dans le contrôle de l’ouverture sur appel
d’offres sont certes les plus importants comptes tenus du volume des marchés ouverts selon ledit
procédé d’appel d’offres, mais en réalité elles ne sont pas exhaustives. Le contrôle à postériori
effectué par l’auditeur indépendant sur les autres modalités d’ouverture permet également de
déceler plusieurs cas de dysfonctionnements.
2- Le contrôle à posteriori de l’ouverture des marchés par d’autres procédés
En dehors du procédé d’appel d’offres, les marchés s’ouvrent également par diverses autres
modalités sur lesquelles s’étend le contrôle à postériori de l’auditeur indépendant. Tels sont le cas
du contrôle de l’ouverture par demande de cotation d’une part (a) et des marchés de gré à gré
d’autre part (b).
a) - Le contrôle à postériori de l’ouverture des demandes de cotation
Depuis la consécration du code des marchés publics de 2018, la définition de la demande de
cotation a été améliorée. Elle s’appréhende désormais comme une « procédure simplifiée de
consultation d’entreprises ou d’organismes de la société civile pour la passation de certaines
lettres-commandes ne nécessitant pas la proposition par le soumissionnaire d’une méthodologie
33Lire l’article 89 al 1 du code des marchés publics. 34Lire utilement le tableau n°55 sur le récapitulatif des réserves émises par les OI, du « rapport provisoire d’audit à
postériori des marchés publics, exercice 2008 », op.cit., p.107.
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d’exécution et dont la vérification de la conformité aux spécifications techniques ne requiert pas
une évaluation en sous-commission d’analyse ».35
En réalité, cette amélioration n’est pas le fait d’un hasard. Elle est plutôt la résultante d’une
prise en compte des recommandations de l’auditeur indépendant qui insistait déjà en 2003 sur la
nécessité d’une « réécriture des textes sur la demande de cotation et le parachèvement du corpus
réglementaire ».36 Car à cette époque le code des marchés publics précisait que c’était un arrêté
du Premier Ministre qui devait déterminer les modalités d’application de ladite demande.37
Ce n’est qu’à la faveur de la réforme opérée par le canal du code des marchés publics de
2018, que le régime d’ouverture des demandes de cotation est désormais plus explicite. Après
avoir rappelé en son article 112 al (2) l’ensemble des prestations pouvant faire l’objet d’une
demande de cotation,38 le code des marchés publics dispose que « la consultation est ouverte aux
prestataires exerçant dans le secteur concerné et répondant au critère de qualification indiqués
dans le dossier de demande de cotation ».39 Au contrôle à postériori des demandes de cotation,
s’ajoute celui des marchés ouverts en procédure de gré à gré.
b) - Le contrôle à postériori de l’ouverture des marchés de gré à gré
Aux termes des dispositions de l’article 108 du décret n° 2018/366 du 20 Juin 2018 portant
code des marchés publics, « un marché est dit de gré à gré lorsqu’il est passé sans appel d’offres
après autorisation préalable de l’autorité chargée des marchés publics ». Le contrôle de l’auditeur
s’effectue d’une part sur le contrôle de l’autorisation de gré à gré, et d’autre part sur le contrôle de
la consultation des prestataires.
En réalité, pour obtenir une autorisation de gré à gré du ministre en charge des marchés
publics, les demandes doivent être motivées. L’article 109 du code des marchés publics a prévu
des cas limitatifs susceptibles de justifier un recours à ladite procédure à savoir la spécificité du
35Lire l’article 112 al (1) du code des marchés publics. 36« Rapport final d’audit à postériori des marchés publics exercice 2005 », op.cit., p.134. 37Lire l’article 5 al (u) du code des marchés publics de 2004. 38 Il s’agit des fournitures, consommable et matériels divers, du mobilier, de l’outillage et du petit équipement, du
matériel informatique, du matériel roulant léger, de l’entretien courant des édifices publics et des petits ouvrages, des
travaux de cantonnage routier, notamment le débroussaillage, le désherbage, le curage des ouvrages et caniveaux, et
l’enlèvement des ordures etc. 39Lire l’article 113 du code des marchés publics de 2018.
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prestataire, la défaillance, l’urgence, et le monopole. Dans le cadre de l’audit à postériori des
marchés publics exercice 2005, l’auditeur indépendant constate parmi les limites au processus de
passation des marchés publics, « l’utilisation de la procédure de gré à gré, sur la base de
justifications non prévues par le code des marchés publics ».40 C’est le cas, de cinq (05) marchés41
d’un montant total de 6 219 632 720 Ffca, passés par les maîtres d’ouvrages sans autorisations
préalables de l’autorité en charge des marchés et justifiés à tort sur la base de « l’infructuosité ».
Un pareil constat, est d’une importance capitale car il fait ressortir les limites qui entravent le
processus de passation des marchés.
Après l’autorisation de gré à gré délivrée par l’autorité en charge des marchés publics, les
chefs des structures concernées doivent consulter au moins de trois sociétés.42 Les dossiers de
consultation, les offres des soumissionnaires ainsi que l'autorisation de gré à gré le cas échéant,
sont alors soumis à la Commission de Passation des Marchés compétente pour examen.43
Dans son contrôle à postériori effectué lors de l’exercice 2005, l’auditeur indépendant
constate « l’absence de preuve de consultation d’au moins trois fournisseurs (…) dans 72% des
cas »44 des marchés passés par la procédure de gré à gré. De plus, l’auditeur constate que, la
qualité desdits dossiers de consultation n’est pas souvent satisfaisante. Dans son rapport d’audit à
postériori exercice 2007, il affirme que « Comme pour l'audit 2006, l'audit couvrant l'exercice
2007 fait aussi ressortir une altération générale et élevée de la qualité globale des dossiers de
consultation des entreprises, illustrée notamment par l'augmentation de la proportion des dossiers
(…) sans bordereau des prix unitaires (23,7% contre 18,4% en2006), sans documentation
technique (12,8% contre 4,6% en2006), sans détail estimatif (19,1% contre 6,4% en 2006), sans
indication des critères d'évaluation (7,5% contre 1,1% en 2006). Cette détérioration confirme le
constat de l'audit de 2006 qui montrait que la majorité de DCE étaient lancés sans études
préalables sérieuses pour la plupart des projets ».45
40« Rapport final d’audit à postériori des marchés publics exercice 2005 », op.cit., p.11. 41 « Rapport final d’audit à postériori des marchés publics exercice 2005 », op.cit., p.91. 42Lire l’article 110 al 3 du code des marchés publics de 2018. 43Lire l’article 111 al 1 du code des marchés publics de 2018. 44« Rapport final d’audit à postériori des marchés publics exercice 2005 », op.cit., p.93. 45 Lire utilement le « rapport final d’audit à postériori des marché publics exercice 2007 », GROUPEMENT 2AC-
ACP, février 2011, p.11.
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De ce qui précède, il apparait clairement que l’auditeur indépendant contrôle l’ouverture des
marchés publics. Mais, n’étant pas limité à ladite ouverture, ce dernier s’étend également sur
l’attribution des marchés publics.
B- Le contrôle à posteriori de l’attribution des marchés publics
Dans la doctrine juridique camerounaise, l’expression « attribution des marchés » fait l’objet
d’une définition duale. Elle est tantôt appréhendée dans un sens large tantôt dans un sens strict.
Dans le premier sens, l’attribution des marchés désigne la procédure orchestrée par la personne
publique en vue de la désignation du titulaire du marché.46 Elle englobe les opérations d’ouverture
des marchés et de désignation leurs titulaires. Tandis que dans son sens strict, le vocable
« attribution des marchés » renvoie au processus qui commence avec l’évaluation proprement dite
des entreprises soumissionnaires se termine par la désignation de l’adjudicataire du marché.47
Dans le cadre du présent travail, c’est la seconde approche qui est retenue pour décliner les
articulations du contrôle à postériori effectué par l’auditeur indépendant. Concrètement, ce
contrôle s’opère tant sur l’attribution provisoire ou proposition d’attribution (1), que sur
l’attribution définitive du marché (2).
1- Le contrôle à postériori de l’attribution provisoire des marchés publics
La proposition d’attribution, est formulée par la commission de passation des marchés
publics. Aux termes des dispositions de l’article 9 du décret n°2018/366 du 20 Juin 2018 portant
code des marchés publics, les commissions de passation, des marchés sont des : « des organes
d’appui technique qui concourent au respect de la réglementation et garantissent notamment les
principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de
transparence des procédures de passation des marchés publics ».48
Pour attribuer provisoirement un marché public, la commission de passation des marchés se
réfère à un ensemble de critères lui permettant d’évaluer les offres des soumissionnaires. Ces
critères sont à la fois formels et substantiels. Au plan formel, l’offre du soumissionnaire doit
46 MESSENGUE AVOM (B), la gouvernance dans les marchés publics au Cameroun, Le Kilimandjaro, 2013, pp.
73-75. 47 BIAKAN (J), Droit des marchés publics au Cameroun, op.cit., p.75. 48 Lire l’article 9 du code des marchés publics de 2018.
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remplir certains critères pour ne pas être rejetée. Ces critères sont dits éliminatoires parce qu’ils
conditionnent la validité de l’offre du soumissionnaire. Pour l’essentiel, ces critères formels sont
à la complétude du « dossier administratif », à l’exclusion des fausses déclarations ou aux
falsifications des pièces, à la nécessité d’une conformité aux spécifications techniques majeures.
Au plan substantiel, les critères varient en fonction des marchés entre le critère du moins et du
mieux disant. Pendant que le critère du mieux est usité pour évaluer les offres des marchés de
prestations non quantifiables, celui du moins disant est utilisé pour l’évaluation des offres des
marchés quantifiables.
Dans sa mission de contrôle à postériori des marchés publics, l’auditeur indépendant ne
manque pas de s’assurer que les dossiers administratifs qui permettent d’attribuer les marchés
entrant dans son champ d’investigation remplissaient l’exigence de complétude. Le rapport d’audit
à postériori des marchés de l’exercice 2005 relève que parmi les marchés faisant partie de son
échantillon « le dossier administratif était irrégulier dans 18 cas sur 103 ».49 Pour ce contrôleur à
postériori, ces irrégularités apparaissent excessives « dans la mesure où un dossier administratif
non conforme ou incomplet est en principe un motif d’élimination de la compétition ».50
Dans l’appréciation du caractère compétitif des prix, il apparait qu’« en plus de s’assurer
que les Marchés ont été attribués aux soumissionnaires les mieux-disant ou les moins disant selon
les cas, l’Auditeur a procédé à la comparaison des prix unitaires entre différents contrats et
différents Maîtres d’Ouvrage, sur la base d’un échantillon de prestations et fournitures ».51 Les
écarts de prix les plus significatifs ont été signalés. C’est le cas des marchés
n°115/M/MINADER/CPM/2008 du 13/08/2008 passé entre CAMI TOYOTA et le MINADER
d’un montant de 69 200 000 FCFA pour la fourniture d’un véhicule de marque TOYOTA 4X4 (01
Station Wagon Land Cruiser) et du marché n°18M/MINSANTE/SG/DEP/CTPS/08 du 17/04/2008
entre CAMI TOYOTA et le MINSANTE d’un montant de 74 000 000 FCFA pour la fourniture
d’un véhicule de même marque. Dans ces deux marchés, l’auditeur constate le manque
d’uniformité des prix pour l’achat d’un véhicule de même marque par deux ministères durant la
même période. Ces écarts de prix constatés par l’auditeur indépendant, permettent de se rendre
compte que certains maitres d’ouvrages ne négocient pas suffisamment les montants des marchés
49 « Rapport final d’audit à postériori des marché publics exercice 2005 », Op.cit., p.84. 50 « Rapport final d’audit à postériori des marché publics exercice 2005 », Ibid., p.84. 51« Rapport provisoire d’audit des marchés publics exercice 2008 », op.cit., p.15.
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avant de les conclurent. Une telle négociation aurait pourtant pour avantage de réduire le montant
de la dépense en vue de l’achat desdits véhicules administratifs.
De ce qui précède, il apparait que le contrôle exercé par l’auditeur indépendant, sur
l’attribution provisoire des marchés est d’une importance capitale au regard des objectifs de
transparence et d’efficacité qu’il poursuit. Toutefois, le contrôle de l’auditeur indépendant ne se
limite pas seulement à l’attribution provisoire des marchés publics, il contrôle s’étend à
l’attribution définitive desdits marchés.
2- Le contrôle à postériori de l’attribution définitive des marchés publics
L’attribution définitive des marchés publics relève de la compétence du maitre d’ouvrage ou
du maitre d’ouvrage délégué. L’article 6 al (1f) du code des marchés publics de 2018 dispose
clairement que le maitre d’ouvrage est responsable de l’attribution des marchés. Au cours de sa
mission de contrôle à postériori des marchés de l’exercice 2005, l’auditeur indépendant a eu à
constater des irrégularités sur les délais d’attribution définitive des marchés et de la notification au
titulaire du marché.
En effet, les délais de signature du marché, sont impartis entre l’attribution provisoire du
marché et la notification du marché au titulaire. En principe, ces délais ne doivent souffrir d’aucun
retard. Mais dans la pratique ce n’est pas toujours le cas. L’auditeur indépendant constate que
« certains maîtres d’ouvrages mettent plus de temps pour signer le contrat que le temps mis du
lancement de l’Appel d’Offres à l’attribution du Marché ; alors qu’ils ne disposent que de 07 jours
suivant les dispositions du code des marchés publics pour le faire ».52 Fort de ce constat,
l’Auditeur recommande que tous les maîtres d’ouvrages dont la durée moyenne de passation des
Marchés (du lancement de l’Appel d’Offres à la signature du contrat) est supérieure à 150 jours,
doivent tout mettre en œuvre pour respecter les délais réglementaires.
En ce qui concerne la notification au titulaire du marché, l’auditeur indépendant révèle que
lors de sa mission d’investigation effectuée en 2005, sur deux cent vingt-sept (227) marchés
audités, cent quarante-deux (142) étaient dépourvus de notification définitive, soit un taux de
62,2% d’anomalies. Le manque de notification de l’attribution au titulaire du marché constitue
52Lire « Rapport provisoire d’audit à postériori des marchés publics exercice 2008 », ibid., p.53.
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incontestablement une violation des dispositions régissant la passation des marchés publics. Les
acteurs s’étant rendus coupable de violation des dispositions du code des marchés publics sont
passibles des sanctions prévues par la réglementation en vigueur.53 Que dire à présent des limites
du contrôle ?
II- UN CONTROLE A POSTERIORI EDULCORE
La nécessité de lutter contre la corruption, d’améliorer la transparence et l’équité dans
l’attribution des marchés publics, ainsi que celle de renforcer la bonne gouvernance et de réduire
les couts de la dépense, sont les principales raisons qui ont motivé les pouvoirs publics
Camerounais à renforcer l’architecture des organes de contrôle à postériori des marchés publics.
Ce renforcement s’est opéré par le canal d’un décret survenu en juin 2000, consacrant l’audit à
postériori des marchés publics, en plus du contrôle juridictionnel qui existait déjà. En la matière
Or, depuis son institutionnalisation il y a deux décennies, les mauvaises pratiques dans la
passation des marchés publics n’ont pas disparu. Ces dernières sont plutôt recrudescentes et
laissent entrevoir que le processus de passation des marchés publics au Cameroun demeure un «
site privilégié d’indélicatesse »,54 dans lequel le favoritisme, la fraude, la concussion et la
corruption limitent la mise en concurrence des candidats.
Dans la recherche des motifs susceptibles d’expliquer la recrudescence desdites pratiques,
le Doyen MAGLOIRE ONDOA fait un arrêt majeur sur la situation inconfortable dans laquelle se
trouve le maitre d’ouvrage. A ce propos, il explique que ce dernier « accède à sa fonction sur le
fondement de considérations discrétionnaires et politiques. Y étant, il se trouve soumis à des
impératifs difficilement conciliables. Il doit en effet obéissance au droit, gratitude à sa hiérarchie
politique, et redistribution à son groupe social d’origine ».55 En comparant cette situation du
maitre d’ouvrage à celle de l’auditeur indépendant, la différence n’est pas fondamentale. Car
malgré le fait qu’il ne soit pas maitre d’ouvrage, il se trouve néanmoins dans une situation marquée
par un « antagonisme entre les textes, et les contraintes sociologiques »,56 qui impacte
considérablement sur la qualité du contrôle qu’il effectue. Il ne saurait en être autrement car
53Lire l’art 105 al 1 du code des marchés publics. 54 ONDOA (M), préface à BIAKAN (J), Le droit des marchés publics au Cameroun, Op.cit., p.12. 55 ONDOA (M), préface à MESSENGUE AVOM (B), La gouvernance des marchés publics au Cameroun, Ibid., p.12. 56 ONDOA (M), préface à MESSENGUE AVOM (B), La gouvernance des marchés publics au Cameroun, Ibid., p.12.
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l’orientation de son contrôle, se trouve souvent partagée entre une logique politique, qui lorsqu’elle
ne s’éloigne pas de la logique juridique, entre inéluctablement en conflit avec cette dernière.57
De plus, il est nécessaire de souligner que les limites du contrôle à postériori effectué par
l’auditeur indépendant ne relèvent pas seulement des faits (B). Elles découlent également du
régime juridique régissant dudit contrôle (A).
A- Les limites textuelles
En dépit de l’aporie doctrinale autour de sa définition, il est généralement admis que le droit
tend à « établir un ordre social harmonieux et à régler les rapports sociaux avec le souci d’y
promouvoir à des degrés différents selon les cas, un certain ordre moral, la sécurité juridique ou
le progrès social ».58 La nécessité d’atteindre ces objectifs assignée au droit a eu pour
conséquence, la multiplication des organes de contrôle susceptibles de veiller au respect dudit droit
en détectant et en sanctionnant les atteintes y relatives.
En tant que branche du droit public, le droit des marchés publics ne déroge pas à cette réalité.
Au regard de la place importante qu’il occupe dans la réalisation des objectifs de politique
économique et sociale, les pouvoirs publics Camerounais n’ont pas hésité à renforcer la structure
des organes de contrôle à postériori susceptibles d’assurer le respect du droit des marchés publics
en général et d’assainir le processus de passation des marchés en particulier. Recruté par l’Agence
de Régulation des marchés publics parmi les cabinets de réputation établie, l’auditeur indépendant
est chargé d’assurer un contrôle à postériori sur les marchés publics dont la valeur est supérieure
ou égale à cinq cent millions (500 000 000 Fcfa).
Cependant, le renforcement de l’architecture des organes de contrôle à postériori des
marchés publics par la consécration de l’audit à postériori des marchés publics, contraste
fortement avec la recrudescence des infractions dans la passation des marchés publics au
Cameroun. Cette recrudescence ne saurait ne pas inquiéter lorsqu’on sait qu’elle risque d’habituer
« les esprits à l’irrespect du droit ».59
57 ONDOA (M), préface à MESSENGUE AVOM (B), La gouvernance des marchés publics au Cameroun, Ibid., p.12. 58 BERGEL (J L), Théorie générale du droit, Paris, DALLOZ 2012, p.6. 59 RIPERT (G), Le déclin du droit, Paris, LGDJ, 1949, p.VI.
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Dans la recherche des causes susceptibles de justifier cette défaillance, le régime juridique
du contrôle à postériori de la passation des marchés publics par l’auditeur indépendant n’est pas
exempté de toutes critiques. Il est fortement indexé dans la mesure où il laisse transparaitre de
nombreuses failles qui diluent la qualité du contrôle effectué par l’auditeur indépendant.
Ces limites juridiques tiennent pour l’essentiel à la nature du contrôle à postériori de la
passation effectué l’auditeur indépendant d’une part (1), ainsi qu’à la délimitation de son champ
d’investigation d’autre part (2).
1- Les limites relatives à la nature du contrôle
En droit, le vocable « nature » désigne « ce qui est de son essence, de sa substance au regard
du droit. L’ensemble des critères distinctifs qui constituent cette chose en notion juridique ».60 En
scrutant les règles juridiques qui gouvernent le contrôle effectué par l’auditeur indépendant, il est
possible d’affirmer que, ledit contrôle est un contrôle non juridictionnel effectué à postériori par
un prestataire de services ne disposant pas du pouvoir d’infliger des sanctions contraignantes.
A la différence du contrôle à postériori des marchés publics exercé par le juge pénal, celui
effectué par l’auditeur indépendant sur la passation des marchés publics apparait dépourvu du
pouvoir d’infliger des sanctions contraignantes aux contrevenants des règles de passation des
marchés publics. Au-delà de l’avantage qu’il offre de garantir l’indépendance du contrôleur, ce
régime de contrôle présente malheureusement la faiblesse de ne pas être accompagnée d’un
pouvoir de sanction contraignante susceptible d’opérer une « mise en œuvre de la règle de droit
par la force ».61
Loin de faire l’objet d’une définition unanime, la sanction est parfois appréhendée par
certains auteurs comme synonyme de contrainte. PAUL ROUBIER est de cet avis lorsqu’il affirme
que la sanction « peut consister à ce qu’on appelle peine c’est-à-dire une souffrance infligée à
celui est qui dans son tort, souffrance qui ne sera qui ne sera pas rigoureusement en rapport avec
la lésion violé, mais sera établie sur une base supérieure ».62 En effet, après avoir distingué la
sanction réparation de la sanction peine, l’auteur estime qu’avant l’accomplissement d’un acte
60 CORNU (G), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 12ème éd, PUF, 2018, p.1445. 61 OST (F) & VAN DE KERCHOVE (M), De la pyramide au réseau, pour une théorie dialectique du droit, Op.cit.,
p.226. 62 ROUBIER (P), Théorie générale du droit, 2è éd, DALLOZ, 2005, p.35.
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répréhensible, la connaissance l’existence d’une peine, constitue une mesure de prévention ou
d’intimidation. Certes, l’application des peines ne garantit pas toujours le respect du droit, mais il
est généralement admis qu’une fois que le forfait est accompli, « la peine jouera le rôle d’une
mesure d’expiation selon les uns, de défense sociale selon les autres, à l’encontre du
délinquant ».63
Dans le contrôle à postériori de la passation des marchés publics, l’auditeur indépendant
constate juste les irrégularités, mais ne peut punir les contrevenants. De plus, le rapport d’audit à
postériori des marchés assortit de recommandations qu’il adresse à l’Agence de Régulation des
marchés publics ne lie pas cette dernière. En d’autres termes, l’agence de régulation des marchés
publics qui le recrute n’est pas contrainte de se conformer aux avis émis par l’auditeur indépendant
dans son rapport. La sanction des contrevenants qui ont enfreint les règles régissant la passation
des marchés publics n’est donc pas systématique. Car la poursuite de ces dernières demeures
éventuelles. BOULOUMEGUE BEYEGUE est de cet avis lorsqu’il affirme que « les conclusions
de l’audit sont susceptibles d’enclencher des procédures répressives à l’encontre des acteurs jugés
défaillants ou coupables d’actes juridiquement répréhensibles ».64 En d’autres termes, les
conclusions de l’auditeur indépendant ne déclenche donc automatiquement la procédure
répressive. A cette limite, s’ajoute celles relatives à la délimitation du champ d’investigation de
l’auditeur indépendant.
2- Les limites relatives à la délimitation du champ d’investigation
La recherche des dysfonctionnements dans la passation des marchés publics par l’auditeur
indépendant, est une opération d’investigation circonscrite dans un périmètre précis. Ledit
périmètre est constitué de la totalité (100 %) des marchés dont le montant est supérieur à cinq cent
millions (500 000 000) de Fcfa d’une part et, d’un échantillon de 25 % des marchés compris entre
cinq cent millions (500 000 000) de Fcfa et trente millions (30 000 000) de Fcfa d’autre part.
L’analyse de ce champ d’investigation de l’auditeur indépendant, laisse clairement transparaitre
que le contrôle de l’auditeur ne s’effectue pas sur l’ensemble des marchés publics.
63 ROUBIER (P), Théorie générale du droit, Ibid., p.35. 64 BOULOUMEGUE BEYEGUE (E G), « La réforme des marchés publics », in l’administration publique
Camerounaise à l’heure des réformes, Paris, l’harmattan, 2010, p.272.
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A travers cette délimitation du champ d’investigation, il est possible de penser que les
pouvoirs publics Camerounais n’éprouvent pas la volonté d’assainir tous les marchés qui sont
passés sur le territoire Camerounais. Car, certains marchés d’un montant supérieur ou égal à trente
millions (30 000 000) de Fcfa et inférieur à cinq cent millions (500 000 000) de Fcfa, sont
susceptibles de ne pas être contrôlés par l’auditeur. De plus, il est avéré que l’exclusion de vingt
marchés d’une valeur de vingt-cinq millions (25 000 000) de Fcfa chacun, équivaut
incontestablement à démettre le contrôle sur des marchés dont la valeur cumulée des montants
équivaut la somme d’un marché de cinq cent millions (500 000 000) de Fcfa. Que dire des
obstacles de fait au contrôle à postériori de la passation des marchés publics par l’auditeur
indépendant ?
B- Les limites de fait
Dans les Etats africains qui ont adopté le modèle romano-germanique comme mode
d’expression du droit, il est généralement constaté que le droit éprouve de nombreuses difficultés
à encadrer le fait. Pour décrire cette situation, le Doyen JEAN CARBONNIER avait pu dire que
« dans le divorce entre le droit et le fait, c’est le droit qui a tort ».65 Il ne saurait en être autrement
car, en dépit de la multiplication des instruments juridiques susceptibles d’encadrer les
comportements sociaux, la recrudescence des comportements déviants se pose avec acuité.
Cette recrudescence des limites d’ordre factuelle dilue la qualité du contrôle effectué par
l’auditeur indépendant. Au-delà de la corruption dont sont répréhensibles les contrôleurs (1),
l’auditeur indépendant fait également face à la difficulté d’accès à la documentation nécessaire à
l’exercice du contrôle (2).
1- La persistance du problème de corruption des contrôleurs
La corruption dans le processus de passation des marchés publics au Cameroun est l’un des
maux qui empêche les fonds publics d’être utilisés pour répondre aux besoins pour lesquels ils ont
été mobilisés. Pour reprendre ROSE DJILA « Eu égard à leur importance économique en tant que
65 CARBONNIER (J), Flexible droit : pour une sociologie du droit sans rigueur, cité par BORIS (Barraud),
Repenser la pyramide à l’ère des réseaux, Paris, L’harmattan, 2012, p.17.
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moyen de développement et d’investissement, les marchés publics restent le lieu de prédilection
de pratiques déviantes, de rencontre des opportunités de corruption ».66
Cette corruption engendre la prise de mauvaises décisions dans la passation des marchés
publics. JOSETTE HERVET l’appréhende comme « un moyen utilisé pour fausser des règles
légales ou non (usage, honneur, morale, rites, jeux sports), en vue d’obtenir un résultat qui ne
pourrait être atteint si l’on se conformait à ces règles ».67
En droit Camerounais, plusieurs instruments juridiques proscrivent la corruption. Le Code
Pénal et le Code des Marchés Publics appréhendent la corruption sous deux grandes variables à
savoir : la corruption active et la corruption passive. La première est celle dans laquelle l’attitude
du corrupteur est mise en exergue, tandis que dans la seconde variante, c’est l’attitude du corrompu
qui est visé.
Ainsi, aux termes des dispositions de l’article 134 al (1) de la loi n° 2016/007 du 12 Juillet
2016 portant Code Pénal, « est puni d’un emprisonnement de cinq (05) ans à dix (10) ans et d’une
amende de deux cent mille (200 000) à deux millions (2 000 000) de francs, tout fonctionnaire ou
agent public national, étranger ou international qui, pour lui-même ou pour un tiers, sollicite,
agrée ou reçoit des offres, promesses, dons ou présents pour faire, s’abstenir de faire ou ajourner
un acte de sa fonction ». Le législateur camerounais intègre ce comportement illégal dans la
catégorie de corruption active. La corruption passive quant à elle est incriminée par le même code
à l’article 134-1 en ces termes « quiconque pour obtenir soit l’accomplissement, l’ajournement ou
le refus d’accomplissement d’un acte, soit des faveurs ou des avantages tels que prévus par
l’article 134 ci-dessus, fait des promesses offres, dons, présents ou cède ou cède à des sollicitations
tendant à la corruption, est puni des peines prévues à l’art 134 al (1) ci-dessus, que la corruption
ait ou non produit ses effets ».68
Dans le même ordre d’idée, le Code des Marchés Publics dispose en son article 197 al
(1) qu’est « convaincu d’acte de corruption quiconque offre, donne, sollicite ou accepte un
quelconque avantage en vue d’influencer l’action d’un agent public au cours de l’attribution ou
66 DJILA (R), « Libres propos sur la sanction pénale de la violation des procédures de passation des marchés publics
au Cameroun », Rev.de science crim. et dr. Pén. Comparé, 2014, n°14, p.761. 67 HERVET (J), La corruption et marchés publics : connivences et compérages sur la base de (…), cité par
MESSENGUE AVOM (B), La gouvernance des marchés publics au Cameroun, Op.cit., p.409. 68 Lire utilement l’article 134-1 de la loi n°2016/007 du 12 Juillet 2016 portant Code Pénal.
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de l’exécution d’un marché ».69 Par cette disposition, le code appréhende l’acte de corruption tant
à partir de l’acteur corrupteur, que de l’acteur corrompu. Aucune de ces variantes de la corruption
n’est autorisée par les textes.
Au Cameroun, la corruption demeure prégnante dans le processus d’accès à la commande
publique Camerounaise et le processus de recrutement de l’auditeur indépendant ne constitue
malheureusement pas une exception. Faire abstraction de ce constat « serait en fait méconnaitre
la réalité ».70 L’exigence selon laquelle le cabinet d’expertise retenu pour l’audit à postériori des
marchés doit être de « de réputation établie »,71 ne garantit pas véritablement une passation du
marché d’audit à postériori des marchés publics en dehors des pratiques de corruption. Le tout
n’est donc pas d’édicter des règles, mais de faire en sorte que ces règles soient appliquées. Or, cela
nécessite avant tout que la règle soit adaptée à son environnement, ce qui n’est pas toujours le cas
avec le droit des marchés publics. Pour MESSENGUE AVOM, « le droit apparait comme un
instrument relativement inadapté de lutte contre la corruption. Car face à cette gangrène, le droit
semble déboussolé, débordé par la vitalité de l’ingéniosité perverse des hommes ».72 Au
développement de cette ingéniosité perverse dans la pratique des actes de corruption, s’ajoute les
difficultés relatives à l’accès à la documentation nécessaire pour le contrôle à postériori de la
passation des marchés publics.
2- Les difficultés d’accès à la documentation nécessaire au contrôle à postériori de la
passation des marchés publics
Le contrôle à postériori de la passation des marchés publics effectué par l’auditeur
indépendant est un contrôle sur pièces. En d’autres termes, c’est un contrôle qui s’effectue sur la
base des archives et autres documentations ayant permis aux maitres d’ouvrages et commissions
de contrôle et de passation des marchés de recruter les soumissionnaires présentant les meilleures
offres.
Pour mener à bien ce contrôle à postériori de la passation des marchés publics, il est donc
nécessaire que l’auditeur indépendant dispose de l’ensemble de la documentation sur la totalité
69 Lire l’article 197 al (1) du Code des Marchés Publics. 70 MESSENGUE AVOM (B), La gouvernance dans les marchés publics au Cameroun, Op.cit., p.177. 71 Lire l’article 5 al (c) du code des marchés publics de 2018. 72 MESSENGUE AVOM (B), La gouvernance dans les marchés publics au Cameroun, Op.cit., p.419-420.
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des marchés entrant dans son champ d’investigation. Il ne saurait en être autrement car c’est sur la
base des informations recueillies dans les dossiers d’appel d’offres, les rapports d’analyses des
offres, les procès-verbaux de séances, les rapports des observateurs indépendants, les avis d’appel
d’offres, les communiqués de publication des résultats, les contrats et les avenants, que l’auditeur
s’attèle à détecter des irrégularités et à proposer des recommandations.
Cependant, cette documentation nécessaire au contrôle à postériori de la passation des
marchés publics n’est pas toujours disponible au moment opportun. Très souvent, ce n’est qu’après
des correspondances adressées aux maitres d’ouvrages et aux maitres d’ouvrages délégués que se
trouve faciliter « l’accès aux informations et à la documentation nécessaire à l’audit ».73
Ainsi, en plus d’être critiqué du fait de son intervention tardive (notamment après la
commission des irrégularités), le contrôle à posteriori de la passation des marchés publics par
l’auditeur fait face à la difficulté d’accès à la documentation.
Conclusion
Ayant pris conscience de la place déterminante qu’occupe la passation des marchés dans le
processus de la dépense publique Camerounaise, les pouvoirs publics ont soumis cette dernière au
contrôle à postériori effectué l’auditeur indépendant. Depuis le début des années 2000, ce contrôle
s’étend sur l’ensemble des étapes du processus de passation et s’effectue sur un échantillon précis
des marchés publics. Ce contrôle à postériori est accompagné d’un rapport d’audit faisant mention
des cas de dysfonctionnements constatés, et des recommandations pour une optimisation du
système camerounais des marchés publics.
Cependant, au regard de la recrudescence de certains fléaux, il est possible d’affirmer qu’en
dépit du contrôle à postériori effectué par l’auditeur indépendant, la passation des marchés publics
au Cameroun demeure une étape parsemée d’embuches. Loin d’être transparente, et libérale
comme l’énonce le code des marchés publics, cette procédure demeure le site privilégié de
mauvaises pratiques qui plombent le système camerounais des marchés publics et remet en cause
la qualité et l’efficacité du contrôle effectué par l’auditeur indépendant.
73 ARMP, Rapport final d’audit à postériori des marchés publics au Cameroun (exercice 2003), Mars 2006, p.23
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Dans les limites textuelles du contrôle à postériori de la passation des marchés publics, il
s’est avéré qu’au-delà de la nature du contrôle, la restriction du champ d’investigation de l’auditeur
indépendant constitue également un inconvénient. Tandis que dans les limites de fait, le problème
d’accès à la documentation, ainsi que la gangrène de la corruption ont une fois de plus témoigné
de l’impotence dont fait les règles juridiques dans l’encadrement des comportements des acteurs
intervenants dans ledit processus de passation des marchés publics. Une telle réalité conforte à
n’en point douter les propos du Doyen JEAN CARBONNIER selon lesquels « dans le divorce
entre le droit et le fait, c’est le droit qui a tort ».74
74 CARBONNIER (J), Flexible droit : pour une sociologie du droit sans rigueur, cité par BORIS (Barraud),
Repenser la pyramide à l’ère des réseaux, Paris, L’harmattan, 2012, p.17.
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Réflexion à propos de l’encadrement des droits de l’homme dans les
procédures d’urgence en droit camerounais
Par :
Bienvenu TONHOUL
Doctorant en Droit public
Université Ngaoundéré (Cameroun)
Résumé :
Dans le cadre de la réforme du contentieux administratif camerounais, deux lacunes étaient
reprochées aux procédures administratives d’urgence. D’une part, ces procédures ne permettaient
pas de suspendre des décisions administratives exécutoires et ne donnaient pas au juge
administratif le pouvoir d’adresser des injonctions ; d’autre part, elles étaient trop lentes à
obtenir, au point que les administrés préféraient saisir le juge judiciaire sur la base de la voie de
fait. Avec l’entrée en vigueur de la loi de 2006/022 fixant l’organisation et le fonctionnement des
tribunaux administratifs, les règles procédurales applicables devant le juge administratif s’est vu
doter de nouveaux pouvoirs susceptibles de lui conférer une plus grande efficacité. Dans
l’architecture des actions ouvertes aux justiciables à l’encontre des actes ou agissements de la
puissance publique, la place des procédures d’urgence doit s’envisager isolément par rapport aux
procédures au fond. On note, néanmoins, la lumière faite par le législateur sur cette question.
Ainsi, les procédures d’urgence ont été instituées pour remédier aux lenteurs du procès
administratif. Car elles permettent d’accélérer certains procès, et d’aménager la situation des
parties jusqu’à l’avènement de la décision au fond. Selon LE BAUT-FERRASSE, « il faut (…)
partir du principe que dès le moment où les procédures ont été spécialement instituées pour ne
pas retarder une issue juridictionnelle, on peut les qualifier sans peine de procédures
d’urgence »1. Les procédures d’urgence permettent de prendre rapidement des mesures
définitives, pour éviter que l’écoulement du temps ne préjudicie définitivement les droits de
l’homme.
Mots clés : Protection, Droits de l’homme, Procédures d’urgence.
1 LE BAUT-FERRARESE (B.), « Les procédures d’urgence et le langage du droit », RFDA, 2002, p.297.
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Introduction
Constatant les imperfections du droit des procédures d’urgence devant le juge administratif,
le vice-président du Conseil d’Etat a mis en place, en novembre 1997, un groupe de travail dont la
direction a été confiée au Président Daniel LABETOULLE d’identifier et de proposer une réforme
visant à perfectionner les procédures d’urgence. Ce groupe de travail a suggéré de renforcer
l’efficacité des procédures d’urgence par l’institution d’un véritable juge doté de pouvoirs élargis
dans le cadre d’une procédure accélérée et simplifiée. Monsieur Roland VANDERMEEREN
annonçait, en 2002, que « dans le domaine de la protection des droits fondamentaux par le juge
administratif, l’histoire distinguera peut-être deux époques : l’ancienne et la nouvelle, c’est-à-dire
avant et après la réforme du référé administratif que vient de réaliser la loi du 30 juin 2000 »2.
Cinq ans après, cette supposition est totalement vérifiée car la loi du 30 juin 2000 « a connu
un succès indéniable et a contribué à diffuser largement une culture de l’urgence au sein de la
juridiction administrative »3. Le juge administratif s’est affirmé, au vu de la jurisprudence, comme
un véritable juge de l’urgence à l’instar de son homologue civil et s’est parfaitement habitué au «
nouveau métier qui modifie de manière notable tant les méthodes de travail que les relations du
juge avec l’administration et les requérants »4. Ceci traduisait la volonté de rendre le contentieux
administratif relativement rapide eu égard aux situations dans lesquelles se trouvaient les
requérants. Ils devaient aboutir dans les meilleurs délais à une solution efficace permettant de
prévenir ou de constater une violation commise par une personne publique. Tout était fait pour que
les procédures d’urgence soient les plus efficaces possibles tout ne leurs accordant qu’une place
de second d’ordre dans le contentieux administratif, loin derrière les recours juridictionnels
classiques.
Le temps est une composante essentielle de toute procédure juridictionnelle. Gagner du
temps est parfois plus important que sauvegarder ses droits et libertés. Il s’introduit dans la justice
par le procès auquel il est lié de manière consubstantielle. Ce constat rappelle une intervention du
2 VANDERMEEREN (R.), La réforme du référé administratif, in Regards critiques sur l’évolution des droits
fondamentaux de la personne humaine en 1999 et 2000, LEBRETON (G.) (sous la dir. de), L’Harmattan, 2002, p.
143. 3 VIALETTES (M.), COURREGES (A.), ROBINEAU-ISRAËL (A.), Les temps de la justice administrative, in
Mélanges en l’honneur de LABETOULLE (D.), Juger l’administration, administrer la justice, Dalloz, 2007, spéc. p.
842. 4 STIRN (B.), Juge des référés, un nouveau métier pour le juge administratif, in Mélanges en l’honneur de
LABETOULLE (D.), Juger l’administration, administrer la justice, Dalloz, 2007, spéc. p. 795.
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juge. La procédure suivie par une juridiction est l’un des éléments permettant de caractériser celle-
ci, puisque les tribunaux « appliquent le droit en suivant des règles particulières de procédures
»5. C’est ainsi que la protection juridictionnelle des particuliers ne peut s'opérer aussi que dans le
respect d'un certain nombre de règles et formalités6. En général, la procédure s'entend comme
l'ensemble des formalités qui doivent être scrupuleusement suivies par les justiciables afin de
soumettre valablement leurs prétentions au juge. En réformant l'institution, le législateur
camerounais n'a pas éludé cet aspect. C'est ainsi que la loi de 1975 ainsi que l'ordonnance n°72/6
précitée alors existantes ont été remplacées par celles de 2006/022 et/016. Ce qui traduit tout le
dynamisme de la politique processuelle de ce pays. D’ailleurs, le juge administratif a lui-même
repris le principe selon lequel, « la forme prime sur le fond », en affirmant précisément : « qu’il
est de tradition devant les juridictions administratives d’examiner successivement les questions de
compétence, puis celles de procédure et, enfin, le fond de l’affaire (…) »7.
Les procédures d’urgence ont été instituées pour remédier aux lenteurs du procès
administratif. Car elles permettent d’accélérer certains procès et d’aménager la situation des parties
jusqu’à l’avènement de la décision du fond. Selon LE BAUT-FERRARESE, « il faut (…) partir
du principe que dès le moment où les procédures ont été spécialement instituées pour ne pas
retourner une issue juridictionnelle, on peut les qualifier sans peine de procédures d’urgences »8.
Ceci permet que d’éviter l’écoulement du temps ne préjudicie les droits du requérant.
L’intérêt de notre contribution intitulée « Le juge administratif camerounais : réflexion à
l’aménagement des droits de l’homme par une procédure d’urgence » repose entièrement sur la
protection que ce juge administratif camerounais a été appelé à établir dans le cadre des procédures
d’urgence afin que ces droits puissent sauvegarder de façon à être les plus efficaces possibles. Il
s’agit de la question de la protection des droits de l’homme dans la mise en œuvre des procédures.
Celle qui nous intéresse dans le cadre de la présente contribution est relative à la protection des
droits de l’homme par la mise en œuvre des procédures administratives d’urgence.
La problématique de cette étude consiste alors à démontrer que la réforme de 2006 a procuré
les moyens et les pouvoirs nécessaires au juge pour que son office devienne plus efficace, mais
5 BERGEL (J.-L.), Théorie générale du droit, 4ème édition, Paris, Dalloz, 2003, p.338. 6 PEISER (G.), Contentieux administratif, Paris, 13ème édition, Dalloz, 2004, pp. 111-112. 7 Jugement CA/CS, 1er février 1985, SENDE Joseph. 8 LE BAUT-FERRARESE (B.), « Les procédures d’urgence et le langage du droit », RFDA, 2002, p.297.
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surtout que ce juge a su saisir l’opportunité offerte par cette réforme pour s’affirmer comme un
véritable juge de l’urgence. Pour traiter cette problématique, il était nécessaire d’étudier les
différentes ordonnances rendues, au fur et à mesure par le juge administratif afin de retracer sa
démarche dans la mise en œuvre de l’ensemble des procédures d’urgence.
Incontestablement, la notion qui nous préoccupe le plus dans cette étude est celle de «
protection des droits de l’homme », objet et âme du juge administratif camerounais, conditionnant
la mise en œuvre de l’ensemble des procédures d’urgence de l’introduction de la requête au
prononcé de l’ordonnance. La question qui se pose est : Comment le juge administratif
camerounais contribue à la protection des droits de l’homme par la mise en œuvre des procédures
d’urgence ? Cette question soulève celle de surcroit à faire de la rapidité d’une bonne justice. Tout
d’abord, le requérant y a gagné en simplicité, rapidité et efficacité. Ensuite, l’administration y «
gagne beaucoup en rapidité. Ce n’est pas toujours agréable de s’entendre dire qu’on a
probablement commis une illégalité, mais l’administration de bonne foi préfère souvent savoir
rapidement à quoi s’en tenir, pour éventuellement corriger l’erreur et repartir du bon pied, y
compris à l’audience ». Enfin, le juge a gagné en « rapidité, efficacité, oralité, [ce] qui permet une
compréhension meilleure des pièces du dossier. On peut faire préciser les choses à l’audience. Le
juge ne se contente plus seulement de résoudre des questions compliquées, et de bâtir de belles
constructions intellectuelles, mais il a aussi plus le sentiment d’être directement efficace ». Dans
le cadre de cette analyse où l’on s’intéressera à la protection des droits de l’homme, il convient de
mettre en œuvre les procédures d’urgence spéciales (I) et celles accessoires (II).
I- LA MISE EN ŒUVRE DES PROCEDURES ADMINISTRATIVES D’URGENCE
SPECIALES FAVORABLE A LA PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME
Le Professeur GUIMDO DOMGMO définit l’urgence comme « le caractère d’une situation
ou d’un état de fait ou de droit susceptible de causer ou de provoquer un préjudice irréparable ou
difficilement réparable s’il n’y est porté remède à bref délai »9. Ainsi, les procédures d’urgence
permettent au juge administratif de protéger les droits et les libertés du requérant « au moyen des
9 GUIMDO DOMGMO (R-B.), Le juge administratif camerounais et l’urgence. Recherche sur la place de l’urgence
dans le contentieux administratif camerounais, op. cit., p.18.
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mesures définitives »10 (A). Elles se caractérisent par des allègements favorables à la sauvegarde
des droits de l’homme (B).
A- Les mesures préservant définitivement les droits du demandeur
Définies par Maria FERNANDA MAÇÃS comme « des procès principaux, autonomes et
indépendants (…) dont le dénominateur commun réside dans le besoin urgent d’obtenir une
décision »11, Les mesures d’urgence contentieuses ou mesures contentieuses justifiées par
l’urgence participent des conséquences de l’urgence sur la situation contentieuse. Elles constituent
la réponse du juge à la sollicitation du requérant quand les conditions de fond d’urgence sont
remplies. Autrement dit, c’est le résultat de l’action normative du juge.
Au contraire, la plupart de ces procédures existent en dehors de toute finalité de protection
des droits et libertés, même si elles peuvent faire bénéficier à ces derniers de leurs avantages12.
Les systèmes juridiques contemporains ont toutefois tendance à consacrer des voies de recours
reposant sur des principes de célérité et de simplicité dont la fonction exclusive est la protection
des droits de la personne humaine contre l’action de l’administration. C’est par exemple le cas du
Portugal et de l’Espagne où la Constitution13 consacre le droit, pour toute personne détenue, à
comparaître dans les plus brefs délais devant la justice et à bénéficier de l’appréciation impartiale
d’un juge quant à la légalité de sa privation de liberté. Visant à prévenir toute détention arbitraire,
cette procédure d’habeas corpus participe évidemment à la protection des droits fondamentaux.
Elle se révèle néanmoins limitée dans la mesure où la garantie offerte ne couvre que la liberté
individuelle14.
10 LEBRETON (G.), Libertés publiques et les droits de l’homme, Paris, 5ème édition, Armand Colin, 2001, p.222. 11 FERNANDA MAÇÃS (M.), « As formas de tutale urgente previstas no código de processo nos tribunais
administrativos », in A reforma da justiça administrativa, Coimbra editora, Boletim da Faculdade de direito,
Universidade de Coimbra, 2005, p. 211. 12 C’est par exemple le cas de la procédure de sursis à exécution précédemment étudiée. Cette voie de recours permet
de protéger les droits fondamentaux dès lors que l’acte administratif dont l’exécution est suspendue porte atteinte à
un droit ou une liberté de valeur supra législative. Mais ceci demeure une fonction secondaire. Pour une approche
concrète de cette problématique, le lecteur pourra se référer à la thèse du professeur CAMBOT (P.) à travers laquelle
l’auteur démontre dans quelle mesure le mécanisme du sursis à exécution participe à la protection d’un droit
fondamental déterminé : la liberté individuelle (La protection constitutionnelle de la liberté individuelle en France et
en Espagne), Economica, P.U.A.M., coll. droit public positif, Paris, 1998, pp. 437 et ss). 13 Au Portugal, cette procédure, dite d’habeas corpus, est prévue par l’article 31 de la Constitution. En Espagne, elle
est consacrée par l’article 17-4 du texte constitutionnel. 14 Sur la procédure d’habeas corpus, le lecteur pourra utilement se référer à ALMELA (C.), « Algunas reflexiones en
torno al procedimiento de habeas corpus », A.P., 1996, p. 221; VEGA De RUIZ (J-A.), « El habeas corpus », B.I.M.J.,
1983, p. 7 ; V. GIMENO (S.), El proceso de « habeas corpus », Tecnos, Temas Clave de la Constitución española,
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En Espagne, « lorsque l’on a affaire à un droit de premier rang et seulement dans ce cas,
l’article 53-2 de la Constitution dispose que le plaignant a le droit de demander protection au juge
ordinaire en utilisant une procédure spéciale fondée sur les principes de priorité et d’urgence »15.
Spécialement aménagée pour protéger les droits et libertés consacrés par les articles 14 à 29 de la
Constitution16, cette procédure d’urgence, également dénommée recours d’Amparo ordinaire, a
longtemps fonctionné sur la base d’un système « transitoire »17 organisé par la loi du 26 décembre
1978 relative à la protection juridictionnelle des droits fondamentaux de la personne18.
Actuellement, ce sont les lois régulatrices de chaque ordre juridictionnel qui en réglementent
l’exercice. De sorte qu’il n’existe pas une procédure sommaire et prioritaire commune à
l’ensemble des contentieux mais une procédure spécifique pour chaque ordre juridictionnel
envisagé. Pour s’en tenir à la matière administrative, le recours juridictionnel spécialisé est
organisé par les articles 114 à 122 de la loi de régulation de l’ordre juridictionnel contentieux-
administratif19. Caractérisée par l’urgence, la procédure mise en place déroge largement aux
principes directeurs du droit administratif. La règle du recours administratif préalable obligatoire
est écartée, les délais de procédure sont pour la plupart écourtés et, une fois l’instruction terminée,
le tribunal dispose de cinq jours pour rendre sa décision. Sa finalité est de permettre à toute
personne, estimant qu’une action ou une inaction de l’administration porte atteinte à l’un de ses
droits fondamentaux, de saisir le juge afin que celui, dans les délais les plus brefs, constate
l’illégalité et adopte toutes les mesures nécessaires au rétablissement ou à la préservation de la
permission altérée20.
Madrid, 1985 ; MARONDA FRUTOS (J-L.) et TENA FRANCO (M-I.), « El procedimiento de habeas corpus »,
R.G.D., 1995, p. 1635 ; SORIANO (R.), El derecho de habeas corpus, Congreso de los diputados, Madrid, 1986. 15 BON (P.), « Les droits et libertés en Espagne. Eléments pour une théorie générale », in Dix ans de démocratie
constitutionnelle en Espagne, Paris, CNRS, 1991, pp. 66-67. 16 En somme, les libertés protégés dans le cadre de la procédure sommaire et prioritaire sont les mêmes que celles
couvertes par le recours d’ Amparo constitutionnel, exception faite de l’objection de conscience qui peut seulement
être invoquée en matière d’Amparo constitutionnel. 17 Régime transitoire lié à l’absence de loi organique développant la procédure spéciale prévue par l’article 53-2 de la
Constitution et conduisant la loi organique du 3 octobre 1979 relative au Tribunal constitutionnel à affirmer que, tant
que ne seront pas développées les dispositions de l’article 53-2, la procédure sommaire et prioritaire fonctionnera sur
la base de la loi du 26 décembre 1978 relative à la protection des droits fondamentaux de la personne, BON (P.), « La
protection constitutionnelle des droits fondamentaux : aspects de droit comparé européen », op. cit., p. 257. 18 Loi n° 62-1978 du 26 décembre 1978, B.O.E. du 3 janvier 1979, p. 76. 19 Ley n° 29/1998 de 13 de julio de 1998, reguladora de la jurisccion contencioso-administrativa (modificada por la
ley no3/2020, de 18 de septiembre de 2020). 20 ENERIZ OLAECHEA (F-J.), La protección de los derechos fundamentales y las libertades públicas en la
Constitución Española, Universidad Publica de NAVARA 2007, p. 421.
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En revanche, avec l’introduction du référé-liberté fondamentale, c’est un mécanisme de
garantie spécialement aménagé pour la protection des droits de la personne humaine qui est mis
en place. Ce dernier prévoit la possibilité pour toute personne physique ou morale, camerounaise
ou étrangère, de droit privé ou de droit public d’obtenir, dans un délai record de quarante-huit
heures, la sanction d’une atteinte grave et manifestement illégale portée par l’administration à
l’une de ses libertés fondamentales. Pour ce faire, il suffit de faire état d’une situation d’urgence.
Susceptible d’ordonner « toutes mesures » nécessaires à la sauvegarde de la liberté, le juge dispose
de pouvoirs particulièrement étendus. Il peut se limiter à la suspension de la décision contestée,
mais également prononcer des injonctions, au demeurant assorties d’astreintes.
En ce qui concerne l’institution de la procédure d’urgence en matière électorale, le cadre de
l’élection est un domaine dans lequel s’expriment nécessairement les droits de l’homme. Ainsi, «
en matière électorale il y a toujours urgence étant donné les courts délais impartis au tribunal
administratif pour statuer »21. Comme l’écrit François. DELPEREE, « le contentieux électoral
n’est (…) pas un contentieux comme les autres. Le temps, l’espace, l’action ne se présentent pas
ici comme ailleurs »22. MABILEAU disait déjà qu’il était « l’une des plus grandes questions
politiques qui aient été présentées »23. Le juge administratif est compétent en ce qui concerne le
contentieux municipal24 et régional25. Le contentieux municipal électoral concerne d’une part les
opérations relatives à l’élection des conseillers municipaux; et, d’autre part, celles concernant
l’élection du maire ou de ses adjoints. Selon l’article 34 al.1 de la loi no92/022 du 14 avril 1992
fixant les conditions d’élection des conseillers municipaux, les constations portant sur les
opérations électorales dans la commune font l’objet d’une requête devant la juridiction
compétente. Le juge administratif admet des allègements tant au niveau des formalités de la saisine
qu’aux délais pour statuer favorable à la protection des droits de l’homme. Dans le souci de
protéger les droits de requérant, le juge administratif institue une procédure d’urgence dans
d’autres matières.
21 MEJAN, « Le nouveau référé administratif », RA, 1995, p.161. 22 DELPEREE (F.), Le contentieux électoral, 1ère édition, que sais-je ?, PUF, Paris, 1998, p.4. 23 Cité par DELPEREE (F.), ibid., p 7. 24 V. Les articles 34, 35 et 36 de la loi no92/022 du 4 aout 1992 fixant les conditions d’élection des conseillers
municipaux. 25 V. L’article 40 de la constitution camerounaise du 18 janvier 1996.
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Bien plus, il existe au Cameroun quatre types de contentieux administratifs spéciaux dont
la procédure juridictionnelle des règlements est régie par l’urgence26. Il s’agit entre autres du
contentieux de la suspension et de la dissolution des associations ; du contentieux de la législation,
de la suspension et de la dissolution des partis politiques ; du contentieux de la reconduite aux
frontières des étrangers ; du contentieux de la suspension et de la dissolution des organisations
non gouvernementales.
D’abord, en ce qui corne le contentieux de la suspension et de la dissolution des associations,
l’article 13 de la loi no90/053 du 19 décembre 1990 portant libertés d’association27 énonce que les
décisions de suspension ou de dissolution d’une association sont susceptibles de recours devant le
président de la juridiction administrative28.
Ensuite, quant au contentieux du refus d’autorisation des partis politiques, de la suspension
et de la dissolution, l’article 8 de la loi no90/056 du 19 décembre 1990 relative aux partis
politiques29 dispose que les actes y relatifs sont susceptibles devant le juge administratif30.
Enfin, pour le contentieux de la reconduite des étrangers à la frontière, l’article 36 de la loi
no97/012 du 10 janvier 1997 fixant les conditions d’entrée, de séjour et de sortie des étrangers au
Cameroun31 prévoit que l’étranger qui a fait l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière «
peut demander son annulation devant la juridiction administrative »32.
En somme, les procédures d’urgence permettent au juge administratif de protéger les droits
et les libertés du requérant au moyen des mesures définitives. Eu égard à la nature du litige, ceci
se justifie sans doute l’allègement de la procédure pour éviter l’écoulement du temps.
26 Le contentieux de la censure, de la saisie et de l’interdiction des journaux. 27 L’article 13 de la loi no90/053 du 19 décembre 1990 portant libertés d’association. 28 V. Ordonnance no20/CS/PCA du 26 septembre 1991, affaire KOM Ambroise, Ordonnance no19/CS/PCA du 26
septembre 1991, affaire OCDH, Ordonnance no21/CS/PCA du 26 septembre 1991, affaire CAP-liberté. 29 L’article 8 de la loi no90/056 du 19 décembre 1990 relative aux partis politiques. 30 Ordonnance no02/CS/PCA/91-92 du 16 septembre 1992, affaire UPC-MANIDEM c/Etat du Cameroun. 31 L’article 36 de la loi no97/012 du 10 janvier 1997 fixant les conditions d’entrée, de séjour et de sortie des étrangers
au Cameroun 32 Jugement no31 du 25 février 1993, MOMO Pierre Marie. Dans cette affaire, le juge administratif exige la notification
de la mesure administrative à l’étranger.
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B- L’allègement temporel de la procédure favorable à la protection des droits de l’homme
Dans le cadre de sauvegarder les droits de l’homme dans les procédures d’urgence,
Monsieur MOMO Bernard dans son article déclare que « la justice serait irrémédiablement
compromise s’il n’’était prévu des procédures d’urgence permettant de sauvegarder les preuves,
qui faute d’aller vite, se serait détériorées »33. Ces procédures spéciales d’urgence prévoient non
seulement d’allègement temporel, mais également des formalités de la saisine.
En ce qui concerne la considération temporelle de la procédure, le législateur a institué une
procédure spéciale de règlement des litiges administratifs notamment ceux relatifs aux libertés, «
pour obtenir en toute certitude une mesure immédiate »34. La procédure spéciale permet de prendre
rapidement des mesures définitives, eu égard à la nature du litige, pour éviter que l’écoulement du
temps ne préjudicie définitivement les droits du requérant. On note la réduction des délais de
saisine du juge et la fixation des délais relativement courts pour statuer. En matière électorale, les
contestations portant sur les opérations électorales dans la commune sont portées devant le juge
administratif dans un délai de Cinq (05) à compter de la proclamation des résultats. Et le juge
administratif statue dans un délai relativement court qui est de quarante (40) jours maximum à
compter de la saisine35. Pour ce qui est du contentieux de la suspension et de la dissolution des
associations, la saisine du juge doit intervenir dans un délai de Dix (10) jours à compter de la date
de notification de l’acte querellé, et le juge administratif doit statuer par ordonnance dans un délai
de Dix (10) jours36. Pour le contentieux du refus d’autorisation, de la suspension et de la dissolution
des partis politiques, le recours doit intervenir dans un délai de 30 jours à compter de la date de
notification et le juge administratif statue par ordonnance dans un délai de 30 jours37.
Toutefois, les décisions rendues par le juge administratif dans ces différents contentieux
sont susceptibles de voies de recours ce qui favorise les lenteurs considérables, voire des dénis de
justice. Dans le contentieux de la reconduite des étrangers à la frontière, il y a contre un effet
suspensif à la saisine du juge administratif car « la mesure de reconduite à la frontière ne peut être
exécutée avant l’expiration du délai de 48 heures suivant sa notification et avant que la juridiction
33 MOMO (B.), « Le problème des délais dans le contentieux administratif camerounais », Annales FSJP, Université
de Dschang, Tome 1, Vol 1, 1997, p.139. 34 FRIER (P.L.), L’urgence, Thèse, Paris, LGDJ, 1987, p.269. 35 Article 34 (nouveau) (2) de la loi no92/O22 sus-citée. 36 Article 13 de la loi no90/053 du 19 décembre portant liberté d’association. 37 Article 8 de la loi no90/056 du 19 décembre relative aux partis politiques.
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saisie n’ait statué »38. Ainsi, l’étranger qui a fait l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière
« peut, dans les 48 heures suivant la notification de celle-ci, demander son annulation devant la
juridiction administrative »39. Le juge administratif « est tenu, d’après l’article 37, de statuer dans
les huit (8) jours qui suivent la saisine »40. On note la brièveté du délai de la saisine et le délai
court imparti au juge pour statuer.
Bien plus, la procédure spéciale ne tient sa spécialité de la constitution de l’organe de
juridiction. C’est en principe un juge unique qui statue, à l’exception du contentieux de la conduite
à la frontière. Dans cette procédure, on note l’exclusion de la saisine préalable de l’administration
au moyen d’un recours gracieux préalable, au profit d’une « simple requête devant le président de
la juridiction administrative compétente »41. L’institution des procédures d’urgence se justifie
donc par le souci de voir certains litiges être réglés par le juge administratif, pour éviter
l’écoulement du temps et permettre une bonne administration de la justice. De même, le souci de
remédier à l’urgence justifie l’institution des procédures administratives accessoires plus efficace.
II- LA MISE EN ŒUVRE DES PROCEDURES ADMINISTRATIVES D’URGENCE
ACCESSOIRES FAVORABLE A LA PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME
Dans le but de préserver provisoirement les droits du demandeur et des parties contre
l’écoulement du temps, le législateur camerounais a mis à la disposition du juge administratif deux
moyens lui permettant, avant toute instance au fond. L’un permet de suspendre les effets de l’acte
administratif litigieux (A) : c’est le sursis à exécution42; tandis que l’autre permet, plus largement,
au juge de prendre des mesures conservatoires utiles à sauvegarder les intérêts du requérant (B) :
c’est le référé administratif43. Ces deux moyens sont tous commandés par l’urgence et permettent
d’éviter que le jugement rendu au fond ne devienne inutile et la situation litigieuse compromise du
fait de l’écoulement du temps. Les procédures d’urgence accessoires permettent au juge
administratif de protéger les droits et intérêts du requérant « aux moyens des mesures provisoires,
38 Article 38 de la loi no97/012 du 10 janvier 1997 fixant les conditions d’entrée, de séjour et de sortie des étrangers
du Cameroun. 39 Article 36 de la loi sus-citée. 40 Idem. 41 Article 3al.2 de la loi no99/014 décembre 1999 régissant les organisations non gouvernementales. 42 Voir articles 16, 17 et 18 de la loi n°75/17 du 8 décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour suprême statuant
en matière administrative. 43 Voir articles 122, 123 et 124 de la loi n°75/17.
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valables uniquement dans l’attente du jugement au fond »44. Il s’agit de deux procédures qui se
justifient par l’urgence qui, empêchent d’attendre l’intervention du juge du fond, nécessite le
prononcé immédiat des mesures protectrices des intérêts des parties.
A- La suspension des effets de l’acte administratif litigieux
La procédure de sursis à exécution des décisions administratives est liée au principe de l’effet
non suspensif des recours exercés devant le juge administratif. Ce principe est consacré par la loi
n°75/17, en son article 16 al. 1er, en ces termes : « Le recours contentieux contre une décision
administrative n’en suspend pas l’exécution ». Ce principe est repris par l'article 30 de la loi
n°2006/022 créant les tribunaux administratifs. On l'entend souvent comme la « suspension de
l'applicabilité d'un acte dans l'attente du jugement à rendre sur sa légalité... »45.
Le sursis à exécution consiste en « la suspension de l’applicabilité d’un acte dans l’attente
du jugement à rendre sur sa légalité »46. Il n’atteint son but que « s’il est ordonné rapidement »47.
Cette procédure permet « d’ordonner la suspension provisoire des décisions administratives
jusqu’à ce que le juge tranche le litige au fond »48. Au vue de l’urgence qui entoure cette
procédure, « urgence » que Bernard Raymond GUIMDO DONGMO définit comme « le caractère
d’une situation ou d’un état de fait ou de droit susceptible de causer ou de provoquer un préjudice
irréparable ou difficilement réparable s’il n’y est porté remède à bref délai »49. En vertu du
privilège du préalable dont jouit l’acte administratif, la contestation d’un acte administratif devant
le juge ne suspend pas son exécution. L’intervention du juge saisi peut durer des mois d’où l’intérêt
de la procédure du sursis qui permet de demander au juge de suspendre l’exécution de l’acte
incriminé, sans attendre la solution au fond du litige. Il importe d’analyser les conditions et les
effets de la procédure.
En ce qui est des conditions du sursis à exécution, « le recours gracieux contre un acte
administratif n’en suspend pas l’exécution. Toutefois, lorsque l’exécution est de nature à causer
un préjudice irréparable et que la décision attaquée n’intéresse ni l’ordre public, ni la sécurité ou
44 LEBRETON (G.), Libertés publiques et droits de l’homme, op. cit., p.41. 45 PACTEAU (B.), Contentieux administratif, Paris, P.U.F, 1989, p.235. 46 KEUTCHA TCHAPNA (C.), « Le régime juridique du sursis à exécution dans la jurisprudence administrative »,
Juris périodique, no38, avril-mai-juin 1999, p.83. 47 PAMBOU TCHIVOUNDA (G.), « Recherche sur l’urgence en droit administratif français », RDP, 1983, p.104. 48 GUIMDO DOMGMO (R-B.), Le juge administratif camerounais et l’urgence, Thèse soutenue à l’université de
Yaoundé, 2004, p.48. 49 Ibid., p.18.
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la tranquillité publique, le président du tribunal administratif peut, saisi d’une requête, après
communication à la partie adverse et conclusion du ministère public, ordonner le sursis à
exécution »50. Le sursis à exécution peut être accordé si deux conditions sont réunies : le préjudice
subi doit être irréparable, et la décision attaquée ne doit intéresser ni l’ordre public, ni la sécurité
ou la tranquillité publique51.
Bien plus, l’objet du sursis à exécution n’est la paralysie de la décision administrative
incriminée. Selon l’article 31 de la loi no2006/022, « l’ordonnance du sursis à exécution est, dans
les 24 heures, notifiée aux parties en cause. L’effet de l’acte attaqué est suspendu à compter du
jour de cette notification ». Le juge administratif en a fait application dans l’affaire SDF52,
concernant la demande de sursis à exécution du décret no2008/463 du 30 décembre 2008 du
Président de la République portant nomination des membres d’ELECAM. Ainsi, seule la décision
du juge administratif peut suspendre l’exécution de la décision administrative. Une telle
suspension ne peut être commandée que par l’urgence car elle fait échec au caractère exécutoire
de la décision administrative.
Concernant les limites de ces procédures, « aucun délai n’est imparti au juge administratif
pour statuer. Entre la prise de la décision administrative contestée et la saisine du juge, il y a de
fortes chances que la décision ait produit tous ses effets. L’autre limite de cette procédure est que
la décision de sursis ne suspend pas la décision incriminée à compter de son entrée en vigueur
mais seulement de la seule notification. Ces limites ne sont pas propres au droit camerounais. Il
en est de même du référé suspension en droit français (…) »53. Quid à la procédure du référé ?
B- Les mesures conservatoires utiles à sauvegarder les intérêts du requérant
Classiquement, le référé administratif est essentiellement destiné à la préparation des procès
et à la conservation ou à la recherche d’éléments de preuve sur des dommages ou situations54. A
l’instar du sursis à l’exécution, le référé administratif est une mesure d’attente dont la finalité est
de geler la situation contentieuse afin d’écarter immédiatement un péril qui menace à court terme
l’intérêt du requérant. Il assure ainsi, en sauvegardant les droits des parties, « que le jugement,
50 Article 36 de la loi no2006/022 sus-citée. 51 Ordonnance no1/OSE/CS/PCA, 1977-1978, DJOBET Mathieu c/Etat du Cameroun. 52 Ordonnance no01/OSE/CS/CA du 23 janvier 2009, SDF c/Etat du Cameroun. 53 GUIMDO DOMGMO (R-B.), Le juge administratif camerounais et l’urgence, op. cit., p.30. 54 PACTEAU (B.), op. cit., p. 310.
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quand il sera rendu sur le fond, produira tous ses effets, et ne sera pas simplement un coup d’épée
dans l’eau »55.
Le référé administratif permet au juge saisie de prendre, sans toucher au fond du litige, des
mesures d’urgence de nature à sauvegarder les intérêts du requérant, c’est pourquoi pour AUBY
et DRAGO, « l’urgence est l’âme du référé »56. Cette procédure a été prévue par les articles 27,
28, et 29 de la loi no2006/022 du 29 du décembre 2006. Il convient d’analyser les conditions
d’octroi et d’examen son efficacité.
Pour ce qui est des conditions du référé administratif, le litige ne doit intéresser ni l’ordre
public, ni la sécurité et la tranquillité publique ; il faut qu’il ait urgence. Ainsi, pour le juge : « il
est constant que l’urgence constitue le fondement même de la décision du référé »57. Ainsi le juge
décide qu’il y a urgence à ordonner l’arrêt provisoire des travaux sur un terrain litigieux « pour
garantir les droits de tout un chacun »58. Le référé administratif est recevable que si la demande
principale relève de la compétence du juge administratif. Le juge administratif serait incompétent
pour statuer sur une demande de référé, si le litige principal relatif à la question de l’indemnisation
à une expropriation pour cause d’utilité publique relève de la compétence du juge judiciaire59. Le
juge des référés ne peut qu’ordonner des mesures d’instruction qui se ramène aux expertises
d’urgences et des mesures conservatoires.
Outre les mesures d’instruction, le référé permet au juge d’ordonner des mesures
conservatoires. Les mesures d’instruction tendent « à éclairer le juge, de façon qu’il puisse statuer
en bonne connaissance de cause »60, tandis que les mesures conservatoires « sont destinées à
sauvegarder les droits et les intérêts d’une partie, dans l’attente du règlement au fond »61. Pour le
Professeur GUIMDO, « la procédure de référé permet au justiciable dont les droits se trouvent
subitement menacés d’en faire sauvegarder provisoirement l’intégralité par le juge. Si l’urgence
55 FRIER (P-L.), L’urgence, op. cit., p. 296. 56AUBY (J-M.) et DRAGO (R.), Traité du contentieux administratif, T. 2 Paris, LGDJ, 3ème éd., 1984, p.48. 57 Arrêt no91/CFJ/CAY du 6janvier 1970, KWEMKAM MOLHIE Luc c/C.P.E Yaoundé. 58 Ordonnance no06/PCA/CS/93-94 du 25 novembre 1993, affaire Collectivité Maképé II c/Etat du Cameroun. 59 Arrêt no159/CFJ/CAY, NLIBA NGUIMBOS François Anatole c/Etat du Cameroun Oriental. 60 CHAPUS (R.), « Le juge administratif face à l’urgence », Rapport de synthèse, Gaz. Pal, 1985, p.318. 61 Ibid.
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est avérée, le juge sera obligé de statuer afin d’éviter que l’écoulement du temps ne le défavorise
(…) par rapport à l’autre partie qu’est généralement la personne publique »62.
Conclusion
La célérité prend corps dans la procédure à travers le délai. Comme le souligne le Professeur
VITU, « un délai s’enracine dans l’écoulement du temps ; ce qui implique d’en préciser les points
de départ et d’arrivée, de même qu’un géomètre détermine un segment sur un axe, par sa longueur
et par les points qui bornent »63. En matière d’urgence, le rigorisme du juge administratif
camerounais, a été confirmé par le législateur. On note la saisine du juge en matière d’urgence est
marquée par l’absence d’un recours gracieux. La mise en place d’un système qui prône le devoir
de rendre compte des agents publics et l’exigence de répondre de leurs actes devant les autorités
judiciaires passent indubitablement par un accès libre au juge administratif statuant en urgence.
Ce faisant, les garanties procédurales sont incontournables pour la protection des droits de
l’homme. Il ressort de l’article 8 de la déclaration universelle des de l’homme du 10 décembre
1948 qui dispose « toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales
compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la
constitution ou par la loi »64. Afin donc de rendre l’accès au prétoire du juge administratif plus
commode et moins tracassier dans le cadre du référé et du sursis, l’on suggère que le législateur
camerounais procède à une extension de l’usage du droit de citation directe en cette matière. La
raison en est que l’exclusion de cette règle donnerait l’occasion au juge d’assurer la protection des
droits de l’homme et serait de ce fait le gage de l’excellence des procédures d’urgences, laquelle
se présente comme le signe extérieur d’une bonne justice65. Il s’agit ainsi, d’une mesure susceptible
de permettre au juge administratif camerounais de jouer efficacement son rôle dans le processus
d’arrimage du Cameroun au train universel de la gestion transparente, de la modernité et surtout
de l’affermissement de l’Etat de droit.
62 GUIMDO DOMGMO (R-B.), Le juge administratif camerounais et l’urgence, op. cit., p.31. 63 VITU (A.), « Les délais des voies de recours en matière pénale », in Mélanges offerts à CHAVANNE (A.) : Doit
pénal, propriété industrielle, Litec, 1990, p. 179 et s. 64 L’article 8 de la déclaration universelle des de l’homme du 10 décembre 1948. 65 CHAPUS (R.), Rapport de synthèse du colloque du 30ème anniversaire des tribunaux administratifs, Grenoble,
éditions du CNRS, 1986, p. 341.
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La coopération interinstitutionnelle entre l’ONU et l’UA dans les
opérations du maintien de la paix et de la sécurité en Afrique
Par :
YAHYA HASSOUMI
Doctorant en droit public
Université de Maroua (Cameroun)
Résumé :
L’Afrique souffre, depuis les indépendances, de conflits qui ont émaillé son histoire
contemporaine au point de faire coïncider l’évocation du continent avec l’état de conflit. La
persistance des conflits dans cette région du monde puise sa source. Depuis la fin de la période
bipolaire, on assiste dans le domaine de la résolution des crises et des conflits, un développement
croissant de la coopération et des partenariats interinstitutionnels. Cette dynamique traduit la
similarité des objectifs et des perspectives opérationnelles de l’ONU et l’UA. Elles évoluent en
parfaite collaboration afin d’apporter une solution idoine et adéquate à ces foyers des conflits qui
ne cessent de fléchir la sécurité en Afrique. C’est ce qui atteste la rigidité de la conception formelle
de cette coopération interinstitutionnelle. Seulement, les actions conjointes de ces organisations
laissent apparaitre des failles notoires dans les foyers des conflits qui minent les Etats africains.
Toute chose qui marque le caractère souple de l’opérationnalisation de la coopération
interinstitutionnelle entre l’ONU et l’UA dans les opérations du maintien de la paix en Afrique.
Mots-clés : Afrique, ONU, UA, sécurité, indépendance, coopération.
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Introduction
Partage de compétence ou délégation de compétence ? La réponse à cette question sur la
mission du maintien de la paix et de la sécurité internationales entre l’ONU et les Organisations
régionales n’est pas aisée, car bien des esprits avertis du droit international savent que cette mission
reste, de toute évidence celle de l’Organisation des Nations Unies. Il est l’un des outils les plus
essentiels pour la résolution des conflits dans la boite à outils de cette organisation1.
En effet, La prolifération des conflits en Afrique, le nombre de plus en plus croissant des
Organisations internationales s’activant dans la prévention, la gestion et la résolution desdits
conflits, le caractère multidimensionnel du maintien de la paix, impliquent par ailleurs, la
coordination des actions, résultant des partenariats interinstitutionnels. La coopération
interinstitutionnelle est appréhendée par Thierry TARDY comme « la relation entre plusieurs
organisations internationales participant à la réalisation d’un projet commun. La coopération
sous-entend le caractère itératif des échanges et une certaine convergence sur les objectifs et
méthodes »2. Elle est mise en œuvre, poursuit l’auteur, « avec un degré d’intensité variable, par
l’établissement de canaux de communication, un transfert de connaissances et de normes, un
échange ou une mutualisation des ressources, des actions coordonnées ou conduites en commun.
L’interaction a par ailleurs pour effet d’influer sur les comportements respectifs des organisations
impliquées »3. Cette interdépendance s’identifie comme un fondement de toute relation
internationale.
Depuis la fin de la période bipolaire, on assiste dans le domaine de la résolution des crises
et des conflits, au développement de la coopération et des partenariats interinstitutionnels. « Plus
précisément, la fin de la guerre froide produit une évolution structurelle de l’environnement de la
gestion de crise. La décennie 90 est caractérisée par une demande forte en la matière, à laquelle
l’ONU ne peut répondre que partiellement et imparfaitement »4. Pour écarter ou éviter les risques
d’essoufflement d’une Organisation, pour combler les insuffisances et les lacunes de telle autre
1 LABBE (J.) et BOUTELLIS (A.), Les opérations de maintien de la paix par procuration : Conséquences des
partenariats de maintien de la paix de l’ONU avec des forces de sécurité non-onusiennes sur l’action humanitaire,
Revue internationale de la Croix-Rouge, Volume 95 sélection Française 2013/3 et 4, p. 49. 2 TARDY (Th.), « Coopération interinstitutionnelle : de la compatibilité entre l’ONU et l’Union européenne dans la
gestion de crise », Étude Raoul-Dandurand, n° 23, Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques,
Québec, 2011, p. 9. 3 Idem. 4 Ibid., p. 10.
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Organisation, les coopérations interorganisationnelles ou interinstitutionnelles deviennent une
nécessité. C’est ce que semble dire Boutros BOUTROS-GHALI en 1995, dans l’un de ses
rapports : « Au Chapitre VIII de la Charte, les fondateurs de l’ONU envisageaient pour les
organisations régionales un rôle important dans le maintien de la paix et de la sécurité
internationales. Il est de plus en plus évident que l’ONU ne peut s’occuper de tous les conflits et
de toutes les menaces de conflits dans le monde. Les organisations régionales ou sous-régionales
ont parfois un avantage comparatif qui leur permet de jouer un rôle directeur dans la prévention
et le règlement de différends et d’aider l’ONU à les circonscrire »5. KOFI Annan va dans le même
sens : « Dans le cadre de la mission première de l’ONU, qui est d’assurer la paix et la sécurité
internationales, il est nécessaire et souhaitable de soutenir les initiatives prises au niveau régional
et sous-régional en Afrique. C’est nécessairement parce que l’Organisation n’a ni les moyens ni
les compétences requises pour régler tous les problèmes pouvant surgir sur ce continent. C’est
souhaitable parce que la Communauté internationale doit essayer, chaque fois que possible,
d’accompagner les efforts faits par l’Afrique pour résoudre ses problèmes, plutôt que de se
substituer à elle »6. Cet accompagnement s’est opéré dans un partenariat vertical.
La volonté de voir se renforcer les capacités africaines de maintien de la paix résulte d’une
double nécessité : compenser le désengagement militaire occidental et accroître la maîtrise des
africains sur le maintien de la paix et de la sécurité sur leur propre continent7. Illustré de façon
tragique par le retrait des contingents américains de Somalie en 1993 et belges du Rwanda en 1994,
ce désengagement se confirmera par une réduction graduelle des forces françaises basées en
Afrique et par l’absence de contingents occidentaux au sein des grandes opérations de l’ONU sur
le continent noir8. En plus, l’autre moteur du processus de renforcement des capacités africaines
de maintien de la paix réside dans le renouveau de panafricanisme lequel se concrétise en 2002, à
l’occasion du sommet de Durban, par la création de l’Union africaine qui remplace l’ancienne
Organisation de l’unité africaine (OUA)9. La nouvelle organisation se voit assigner des objectifs
5 BOUTROS-GHALI (B.), « Amélioration de la capacité de prévention des conflits et du maintien de la paix en
Afrique », Rapport du Secrétaire Général, 1 novembre 1995, paragraphe 4. 6 ANNAN (K.), « Les causes des conflits et la promotion d’une paix et d’un développement durable en Afrique »,
Rapport du Secrétaire Général, 13 avril 1998, paragraphe 41. 7 LIEGEOIS (M.), « Les capacités africaines de maintien de la paix : entre volontarisme et dépendance »,
Bulletin, n° 97, 2010, p. 1. 8 Idem. 9 Idem.
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ambitieux dans le domaine de la paix et de la sécurité et, à cette fin, décide de mettre en place un
dispositif institutionnel dénommé Architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS). Celui -ci
est placé10 sous la direction du Conseil de paix et de sécurité (CPS), un organe de décision
permanent lequel, à l’instar du CSONU, compte 15 membres et est chargé de la prévention, de la
gestion et de règlement des conflits. De ce fait, il s’avère important voire nécessaire de se poser la
question de savoir existe-t-il une coopération interinstitutionnelle entre l’ONU et l’UA dans le
cadre des opérations du maintien de la paix et de la sécurité en Afrique ? La réponse à cette
question suppose l’analyse des textes onusiens, de l’OUA/Union Africaine. Partant du caractère
ambigu de cette coopération, l’on peut affirmer d’une part, qu’elle est formellement rigide (I) et
d’autre part, opérationnellement souple (II).
I- UNE APPROCHE THEORIQUE IMPERFECTIBLE DU PARTENARIAT ONU-
UA DANS LES OMP EN AFRIQUE
Le partenariat stratégique établi entre l’Organisation des Nations Unies et l’Union
Africaine (UA), deux des principales organisations chargées de remédier aux problèmes liés à la
paix et à la sécurité collectives en Afrique, continue d’être une priorité absolue pour l’une comme
pour l’autre11. Depuis lors, l’évolution de la dynamique des conflits et le développement
institutionnel de l’UA ont orienté ce partenariat vers les questions liées à la paix et à la sécurité12.
Ce partenariat doit toutefois faire face à des pressions croissantes qui compromettent les réponses
collectives aux conflits se déclenchant en divers points du système multilatéral mis en place13.
Ainsi, ce partenariat est basé sur un fondement précis (A) et sur un rapport hiérarchique entre
l’ONU et l’UA consolidé (B).
10 Ibid., p. 2. 11 FORTI (D.) et SINGH (P.), Vers un partenariat ONU/UA plus efficace sur la prévention des conflits et la gestion
des crises, International Peace Institute, Octobre 2019, p. 2. 12 Pour un bref aperçu, voir le texte d’Ulf Engel, « The African Union and the United Nations: Crafting an International
Partnership in the Field of Peace and Security », paru dans The African Union: Autocracy, Diplomacy and
Peacebuilding in Africa, sous la direction de Tony Karabo et Tim Murithi, (Londres, RoyaumeUni : I. B. Tauris &
Co. Ltd, 2018). 13 Ibid., p. 3.
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A- Un fondement certain du partenariat ONU-UA dans les omp en Afrique
Le souci de vouloir œuvrer en coopération ou en partenariat émane du principe
fondamental de toutes les relations internationales qui est celui de la réprocité. Le partenariat
ONU-UA n’est pas en reste. Seulement, le fondement de cette relation interinstitutionnelle s’avère
certainement certain sur le plan politique que juridique. Cette précision est le fruit d’une
interprétation très large des textes, des résolutions et tout autre document du droit de la Charte des
Nations Unies.
En effet, l’idée politique du partenariat ONU-UA atteste qu’au préalable l’ONU ne dispose
pas des moyens en tous genres pour faire face aux nombreuses sollicitations dont elle fait l’objet
depuis le début des années 1990 en matière de paix et de sécurité internationales14. Parce que la
prolifération filgurante des foyers de conflits en Afrique ne permet pas à cette organisation
internationale à vocation universelle de les contenir. C’est ce qui a d’ailleurs poussé l’ancien
Secrétaire Général des Nations Unies de dire que c’est « parce que nos moyens sont et seront
toujours limités, il importe de les utiliser tous (…). Il faut admettre que la tâche serait démesurée
si elle devait être exclusivement confiée à une seule organisation ; c’est pourquoi, il parait plus
raisonnable de songer à un ensemble ordonné d’organisations de différents niveaux, dont la forme
régionale serait la plus fréquente, et que couronnerait l’instance universelle (…) »15. Il sied de là
que l’incapacité financière et matérielle de l’ONU exige une délégation partielle de ses pouvoirs à
l’organisation régionale afin de trouver des solutions adéquates au maintien de la paix et de la
sécurité en Afrique. L’ONU, désespérément a noué des relations franches avec l’UA sur sa mission
fondamentale.
Précisément, on se plait à reconnaitre à l’organisation régionale bien des atouts qui en font
un instrument particulièrement bien adapté pour apaiser les conflits à l’échelle régionale :
proximité de la situation de conflit, ce qui laisse espérer une bonne connaissance de celle-ci par
ladite organisation ; histoire et culture que les Etats de la région ont en partage, facteur de
rapprochement et de compréhension ; cout allégé dans certains cas à supposer toutefois que
l’organisation dispose du savoir-faire et des moyens nécessaires, instruments et cadre
14 KODJO (E.), « Article 55 de la Charte des Nations », in COT (J.-P.), PELLET (A.), FORTEAU (M.), La Charte
des Nations Unies, commentaire article par article, Economica, 2005, p. 13. 15 BOUTROS-GHALI (B.), « Les ententes régionales et la construction de la paix », Défense nationale, octobre
1992, pp. 12 et 13.
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d’intervention plus adaptés…16. L’ONU reconnait bien volontiers que l’UA présente l’avantage
de la proximité, de la connaissance des situations conflictuelles, de la culture et de l’expérience
commune de ses Etats membres et de la volonté politique de résoudre les problèmes de la région17.
Par ailleurs, en règle général, et conformément au droit international, dès lors qu’une
organisation internationale possède la personnalité juridique internationale, elle a la capacité, dans
le cadre de ses compétences d’entretenir tous types des relations avec d’autres organisations
internationales et même d’acquérir la qualité des membres auprès d’elles18. Cette idée du
partenariat se justifie dans l’article 52 de la Charte des Nations Unies qu’ « 1. Aucune disposition
de la présente Charte ne s’oppose à l’existence d’accords ou d’organismes régionaux destinés à
régler les affaires qui, touchant au maintien de la paix de la paix et de la sécurité internationales,
se prêtent à une action de caractère régional, pourvu que ces accords ou ces organismes et leur
activité soient compatibles avec les buts et les principes des Nations Unies. 2- Les Membres des
Nations Unies qui concluent ces accords ou constituent ces organismes doivent faire tous les
efforts pour régler d’une manière pacifique, par le moyen desdits accords ou organismes, les
différends d’ordre local, avant de les soumettre au Conseil de sécurité. 3- Le Conseil de sécurité
encourage le développement du règlement pacifique des différends d’ordre local par le moyen de
ces accords ou de ces organismes régionaux, soit sur l’initiative des Etats intéressés, soit sur
renvoi du Conseil de sécurité. 4- Le présent Article n’affecte en rien l’application des articles 34
et 35 »19. Ces dispositions attestent que l’ouverture de l’Organisation des Nations Unies aux autres
organismes régionaux est une condition sine qua non dans le processus du maintien de la paix et
de la sécurité accès sur le développement du règlement pacifique des différends d’ordre local.
Ainsi, si l’on s’en tient à la Charte des Nations Unies, les mesures coercitives entreprises
par les organismes régionaux comme l’UA, doivent être autorisées par le Conseil de Sécurité des
Nations Unies. L’UA n’a pas dérogé à cette règle même si d’une part, aucun texte dans son cadre
16 CHAUMONT (C.), « Vers un partage des responsabilités entre les Nations Unies et les organisations dans le
maintien de la paix », L’Observateur des Nations Unies, n° 5, 1998, pp. 40-41. 17 Coopération entre l’ONU et l’OUA, Rapport du Secrétaire général, A/48/475, du 15 octobre 1993, § 14. 18VALLEJO (D.V.), « les organisations internationales », Economica, 2002, p. 653. La Cour par un célèbre avis
consultatif du 11 avril 1949 (réparation des dommages subis au service des Nations Unies) a autorisé la reconnaissance
de la personnalité juridique des OI. En l’absence des dispositions expresse établissant cette personnalité juridique. En
pratique, il est rare que les traités constitutifs reconnaissent la personnalité juridique de l’OI qu’ils créent. La plupart
du temps, les textes annoncent une capacité de droit interne et des privilèges et immunités. Cf. MVELLE (G.), L’Union
Africaine : fondements, organes, programmes et d’actions, l’Harmattan, 2007, p. 139. 19 Article 52 de la Charte des Nations Unies.
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ne l’oblige pas formellement à observer cette conditionnalité et d’autre part, même si, l’on observe
la cristallisation d’une coutume en droit du maintien de la paix et de la sécurité internationales, en
vertu de laquelle les organisations régionales agissent en recourant aux mesures coercitives sans
l’autorisation préalable du Conseil de sécurité des Nations Unies20.
En plus, la coopération entre les Nations Unies et l’OUA a toujours été ambitieuse et, de
ce point de vue, il ne devrait pas en aller différemment avec l’Union Africaine même si
l’éventualité d’adaptations et de modifications n’est pas à exclure21. C’est avec l’Agenda pour la
paix, et dans le contexte politique post-guerre froide, que les accords et organismes régionaux
reviennent au premier plan. Désormais dans ce document, « (…) les accords et organismes
régionaux peuvent rendre de grands services s’ils agissent de manière compatible avec les buts et
les principes de la Charte et si leurs relations, en particulier avec le Conseil de Sécurité, sont
conformes au Chapitre VIII ». Et d’ajouter que si le Conseil de Sécurité conserve la responsabilité
principale du maintien de la paix et de la sécurité, « l’action régionale, par le biais de la délégation
et de la coopération aux efforts de l’ONU, pourrait non seulement rendre plus légère la tâche du
Conseil, mais contribuer également à la création d’un sentiment plus fort de participation, de
consensus et de démocratisation en ce qui concerne les affaires internationales »22. La
compatibilité des buts et des principes entre l’ONU et l’UA reste à désirer car la première est à
caractère universel et la seconde dispose une vocation régionale.
L’UA joue un rôle secondaire dans la mission du maintien de la paix et de la sécurité en
Afrique. Elle est assistée par l’ONU. Cette subordination présume la rigidité du partenariat entre
ces deux organisations. Ainsi, il ressort de ces analyses que le partenariat entre l’ONU et l’UA
existe, et il est basé sur un fondement certain. C’est ce qui marque la solidification du rapport
hiérarchique entre l’ONU et l’UA.
20 L’émergence d’une telle coutume porterait sur la possibilité des organisations régionales d’établir une mission de
maintien de la paix à condition que leurs accords ou activités soient compatibles avec les buts et les principes des
Nations Unies. Ce point évoque également la nature des opérations de maintien de la paix établies ou décidées par les
organisations régionales. Cependant, leur mode d’opération ne saurait être comparable sur le fond à celui des Nations
Unies parce que conditionné par l’exercice du droit naturel de légitime défense (art. 51 de la Charte) ou par le principe
de compatibilité (art.53 de la Charte). C’est dire que l’hypothèse du peacekeeping régional africain actée par le recours
aux missions « robustes » reste encadrée par le respect des buts et principes consacrés par le chapitre 8 de la Charte
des Nations Unies. 21 Voir Rapport du Secrétaire général sur la coopération entre l’ONU et l’OUA, doc. A/56/489 du 19 octobre 2001, §§
2-3. 22 Doc. A/47/277-S/24111, 10 juin 1992, §§ 63-65.
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B- Un rapport hiérarchique solidifié entre l’ONU et l’UA
Au préalable, La relation entre le Conseil de sécurité des Nations Unies et le Conseil de
paix et de sécurité de l’UA (CPSUA), organes dotés de pouvoirs décisionnels en ce qui concerne
les questions de paix et de sécurité, est un facteur essentiel pour le fonctionnement du partenariat
entre l’ONU et l’UA23. La relation politique et opérationnelle entre les deux conseils s’est
considérablement développée depuis la tenue de leur première consultation conjointe en 200724. Il
faut considérer que l’analyse du lien entre les systèmes de sécurité collective universels et
régionaux, est largement analysé par la littérature internationaliste25 et récemment, est revenu
d’actualité par l’intensification des conflits de dimensions locales en Afrique. Cette nouvelle invite
à examiner d’un côté, le besoin d’une transformation du système de réglementation originaire,
concentré évidemment sur la primauté du Conseil de sécurité26, plutôt en direction de la réduction
progressive de la centralité de l’ONU; de l’autre côté, l’extension des compétences liées à
l’entretien et rétablissement de la paix par les Organisations régionales et sous-régionales27.
En effet, si l’autorisation du Conseil de sécurité n’est pas nécessaire dans le cadre des
missions de maintien de paix ou d’opérations de maintien de paix non contraignantes, à caractère
régional, elle l’est pour les opérations de nature contraignante. Et souvent, dans la pratique des
Nations unies, comme des Organisations régionales, les opérations de maintien de la paix prennent
une allure coercitive. Elles exigent donc l’accord du Conseil de sécurité ou doivent se dérouler
sous son contrôle. Les rapports entre l’ONU et les Organisations régionales, sont donc des rapports
de subordination, même si, ils sont aussi souvent complémentaires. Ici, l’article 53 permet de
23 Idem. 24 Idem. 25 DRAETTA (U.), Principi di diritto delle organizzazioni internazionali, Milano, Giuffrè, 2010, p.84 le lien entre
l’ONU et les Institutions spécialisées est reconduit aux articles 57 et 63 de la Charte des Nations Unies, tandis qu’il
est appelé «décentralisation fonctionnelle» les rapports descendants de relations de la première à la seconde, identifiés
dans les articles 52-54. VILLANI (U.), « Les rapports entre l’ONU et les organisations régionales dans le domaine du
maintien de la paix », Recueil des cours de l’Académie de droit international de la Haye, Vol. 290, 2001, pp. 225 ss.,
ABASS (A.), Regional Organisations and the Development of Collective Security. Beyond Chapter VIII of the UN
Charter, Oxford, Hart Publishing, 2004 et BOISSON DE CHAZOURNES (L.), « Les relations entre organisations
régionales et organisations universelles », Recueil des cours de l’Académie de droit international de la
Haye, Vol. 347, 2010, pp. 79 ss. 26 CIMIOTTA (E.), « L’azione di contrasto agli atti di terrorismo perpetrati da Boko Haram nei rapporti tra Nazioni
Unite, organizzazioni regionali e subregionali », ( www.sidi-isil.org/sidiblog/?, p.1334, consulté le 02 Octobre 2021
à partir de 16h). 27 Ibidem.
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convaincre. Il s’agit de retenir que le Conseil de Sécurité peut solliciter les organisations régionales
pour l’application des mesures coercitives prévues au Chapitre VII de la Charte des Nations Unies.
De même, ces Organisations régionales peuvent entreprendre des mesures coercitives tout
en ayant demandé au préalable l’autorisation du Conseil de sécurité car aucune action coercitive
ne saurait être engagée, en vertu d’accords ou d’organismes régionaux, sans l’autorisation du
Conseil de sécurité28. À en croire Ugo VILLANI, « Les organisations [régionales ou sous-
régionales] apparaissent en fait destinées à réaliser l’objectif du maintien de la paix et de la
sécurité internationales, selon les déterminations du Conseil de sécurité. Cet aspect des
organisations régionales est encore plus évident dans l’hypothèse où le Conseil de sécurité les
utilise pour l’application des mesures coercitives prises sous son autorité. Mais il est aussi présent,
quoique d’une manière plus nuancée, dans l’autre hypothèse prévue par l’article 53, c’est-à-dire
l’autorisation des mesures entreprises par l’organisation régionale même »29. Il résulte que l’on
ne peut s’empêcher de dire d’attester qu’il y’a un pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité
qui juge l’opportunité d’utiliser les organisations régionales ou sous régionales dans le maintien,
d’imposition et de la consolidation de la paix en Afrique.
Toutefois, ce rôle principal est beaucoup plus théorique, directif et normatif. Car, sur un
plan pratique et opérationnel, les Organisations régionales ou sous-régionales, s’activent
davantage et jouent de plus en plus un rôle majeur dans le maintien de la paix et de la sécurité
internationales30. On peut donc faire du rôle principal, en matière de prévention, de gestion et de
résolution des crises et des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité internationale, une
double lecture, théorique et pratique. Si, sur un plan formel, ce rôle revient à l’Organisation des
Nations unies et à son organe principal en charge du maintien de la paix, le Conseil de sécurité,
d’un point de vue pratique et opérationnel, ledit rôle est joué par les Organisations régionales, en
l’occurrence, dans les conflits en Afrique, l’UA, l’OTAN, l’Union européenne, et parfois la
CEDEAO31.
28 Cf. Article 53, alinéa 1, de la Charte des Nations unies. 29 VILLANI (U.), « Les rapports entre l’ONU et les organisations régionales dans le domaine du maintien de la paix »,
RCADI, tome 290 (2001), p. 326. 30 Ibid., p. 174. 31 Voir notamment le rôle de la CEDEAO dans les conflits au Libéria, en Sierra Leone, et en Guinée Bissau. Lire
KPODAR (A.), Essai de réflexion sur la régionalisation du maintien de la paix et de la sécurité collectives : l’exemple
de l’Afrique de l’Ouest, thèse, Université de Poitiers, 2002, p. 45.
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Ainsi, ce partenariat est caractérisé par une dimension rigide à tous les niveaux; en effet,
s’il est vrai que les deux conseils sont de plus en plus interdépendants, il n’en reste pas moins
qu’ils continuent d’entretenir une relation qui est fondamentalement subordonée du point de vue
des pouvoirs, de l’autorité, des ressources et du statut politique. Alors que le Conseil de sécurité
protège jalousement la primauté de son mandat de maintenir la paix et la sécurité internationales,
la légitimité politique croissante dont jouit l’UA et sa capacité d’action politique en font l’un des
moteurs des activités entreprises à l’échelle du continent tout entier en vue d’y promouvoir la paix
et la sécurité32.
Le partenariat ONU-UA établi pour promouvoir le processus de paix en République
centrafricaine (RCA) montre comment cette relation entre les deux conseils peut donner des
résultats positifs. En juillet 2017, le CPSUA a donné des instructions pour que soit lancée
l’Initiative africaine pour la paix et la réconciliation en RCA. Dans le cadre de cette initiative, il a,
de concert avec la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEAC), fourni un
soutien politique à la Commission de l’UA pour l’aider à assurer le succès de ses efforts de
médiation entre le Gouvernement centrafricain et 14 groupes armés33.
De toute évidence, pour une collaboration franche dans le domaine du maintien de la paix
et de la sécurité, l’ONU et l’UA se devaient d’opérer un cadre légal et privilégié pouvant les
permettre de repérer tous les mécanismes d’imposition ou de la consolidation de la paix en Afrique
qui va de pair avec leurs principes fondamentaux afin d’éviter d’une opérationnalisation perplexe.
II- UNE APPROCHE MATERIELLE PERFECTIBLE DU PARTENARIAT ONU-UA
DANS LES OMP EN AFRIQUE
Les rapports entre l’ONU et l’UA se matérialisent, tout au moins pour ces premières années
d’existence de l’organisation continentale par des actions au plan opérationnel. Outre le soutien
accordé aux africains dans le cadre de création même de l’Union Africaine, l’ONU en a appelé à
la communauté internationale au soutien des programmes de l’organisation africaine. C’est
pourquoi, l’opérationnalisation du régionalisme sécuritaire en Afrique n’a jamais été une œuvre
32 La responsabilité principale incombant au Conseil de Sécurité dans le cadre de l’exercice de son mandat est énoncée
dans le Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, Addis-Abeba, 29 juillet
2002, article 17.1. 33 Communiqué DCCXXXVII (21 novembre 2017) du Conseil de paix et de sécurité de l’UA, document de l’UA
PSC/PR/COMM(DCCXXXVII).
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facile, parce qu’elle est en bute d’une intervention politique incertaine (A) et d’une intervention
économique conditionnée (B).
A- Une intervention politique incertaine
L’une des manifestations du regain d’intérêt pour le principe de légitimité démocratique
est l’observation internationale des élections34. Bien des observateurs avertis de l’évolution du
droit international ont pu parler d’un « droit émergent à la démocratie »35. La souveraineté n’est
plus un obstacle car il est du devoir de la Communauté internationale de veiller à la régularité des
opérations électorales. Pourtant, pour Luc SINDJOUN que « l’observation internationale des
élections est devenue le cheval de Troie du nouveau constitutionnalisme »36. C’est pourquoi, le
partenariat politique entre l’ONU et l’UA passe par un accompagnement électoral à géométrie
variable. En effet, l’assistance électorale y compris l’observation des élections est un moyen
important de contribuer à la pérennité des processus de démocratisation. Au cours de ces années
passées, les instances internationales et les pays occidentaux ont proposé et apporté leur concours
à l’organisation des premières élections multipartites dans de nombreux pays37. Ils ont par ailleurs
envoyé des missions d’observations38 dans différentes régions du monde souvent dans le cadre des
principales organisations internationales en la matière en l’occurrence les Nations Unies et
l’OSCE. Les Nations Unies ont été amenées très tôt à se mêler des élections en Afrique. Mais elles
34 Il est à signaler sept types d’assistance électorale : organisation et conduite d’élections, supervision, vérification,
coordination et soutien des observateurs internationaux, soutien aux observateurs électoraux nationaux, assistance
technique et observation internationale des élections. Il est à préciser que c’est l’observation internationale des
élections qui nous intéresse dans le cadre de cette étude. 35 ACHOUR (R.B.), « La contribution de B. Boutros-Ghali à l’émergence d’un droit international positif de la
démocratie », Amicorum discipulorumque Liber Boutros BOUTROS-GHALI, Bruxelles, Bruylant, 1998, pp. 909 et
s. 36 SINDJOUN (L.), La formation du patrimoine constitutionnel commun des sociétés politiques : Eléments pour une
théorie de la civilisation politique internationale, Dakar, Conseil pour le développement de la recherche en sciences
sociales en Afrique, 1997, pp. 27 et s ; SINDJOUN (L.), « La loyauté démocratique dans les relations internationales :
sociologie des normes de civilité internationale », (2001) 32 Etudes internationales 31, SICILIANOS (L-A.), « Les
Nations Unies et la démocratie de l’Etat. Nouvelles tendances », La contribution des Nations Unies à la
démocratisation de l’Etat, Dixièmes Rencontres internationales d’Aix en Provence, Colloque des 14 et 15 décembre
2001, Paris, Pedone, 2002, p. 13. 37 En 1998 et en 1999, des élections qui se sont tenues, par exemple, Togo et Nigeria ont bénéficié d’une assistance
technique ou ont fait l’objet d’une mission d’observation. L’Union Européenne a apporté une assistance au Togo pour
les élections présidentielles en juin 1998. 38 Le don des urnes scellées ainsi que l’envoi d’observateurs internationaux pour minimiser ou éviter le phénomène
de fraude électorale est souvent préconisé même si ce dernier procédé est souvent perçu comme une ingérence dans
les affaires intérieures des Etats. Cf. ATANGANA AMOUGOU (J-L.), « Conditionnalité juridique des aides
et respect des droits fondamentaux », Revue électronique Afrilex, 2001, p. 13.
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l’ont fait dans un contexte d’autodétermination, et avec l’autorisation expresse d’un organe
délibérant dénommé Assemblée Générale. La fin de la guerre froide ayant généré un monde
complexe relativement instable, l’organisation internationale élargit son champ d’intervention en
matière de maintien de la paix et de la sécurité internationale.
Ainsi, entre autres missions, l’ONU intervient en accompagnant les processus
démocratiques par l’assistance électorale. Pour ce faire, en novembre 1992, le Secrétaire général
établissait des directives à l’intention des Etats membres qui envisageaient de formuler une
demande d’assistance électorale. Il retenait six types de missions d’assistance électorale :
l’organisation et la conduite d’une élection ; la supervision ; la vérification ; le suivi du processus
électoral ; la coordination et le soutien des activités des observateurs détachés par d’autres
organisations ; l’assistance technique39. L’assistance technique et matérielle revêt plusieurs types
d’actions généralement dénommés « bénéfices collatéraux »40. Dans les pays de l’espace
CEDEAO, les domaines couverts par l’assistance électorale sont entre autres : élaboration des
systèmes électoraux, organisation matérielle des élections, éducation civique des électeurs,
acquisition de matériels, formation des responsables chargés de l’organisation des élections….41.
Bien des demandes d’assistance électorale technique émanant de pays africains sont la
manifestation la plus connue de l’internationalisation du droit des élections et l’ONU qui fait de
cette assistance le principal instrument de promotion de l’impératif démocratique, y a presque
toujours favorablement répondu42. Par ailleurs, cette assistance se greffe toutefois sur des stratégies
endogènes de légitimation auxquelles l’ONU reste en revanche totalement extérieures.
39 Ibidem. 40 HUU DONG (N.) et RECONDO (D.), « L’ONU, artisan du processus électoral », Critique internationale, n°24,
2004, pp. 159-176, notamment p. 171. Cette notion recouvre diverses modalités : conseil aux autorités électorales ;
administration et planification électorale ; enregistrement des votants ; budgétisation des élections ; examen et
rédaction des lois électorales ; formation des personnels en charge des élections ; logistique ; éducation civique des
électeurs ; achat de fournitures et de matériels pour les élections ; règlement des différends électoraux ; informatisation
de registres électoraux ; délimitation de circonscriptions électorales, etc. 41 Voir à ce propos BOKATOLA (I.O.), « Un exemple d’observation internationale des élections : la Commission des
Communautés européennes, la Commission internationale des juristes et les élections présidentielles à Madagascar de
1992-1993 », in Liberté des élections et observation internationale des élections, op.cit., pp. 147-174. 42 Jusqu’en 1996, près de 60 demandes d’assistance électorale ont été adressées aux Nations Unies par les
Etats africains : A/51/512, 18 octobre 1996, annexe 1. KAMTO (M.), L’ONU et l’assistance électorale, Septième
Congrès annuel de la Société africaine de droit international et comparé 1995 (7), pp. 71-92 ; MBADINGA (M.I.), «
Brèves remarques sur l’assistance électorale internationale et la souveraineté des Etats africains, RJPIC 1998 (52), pp.
309-326 ; voir également Voir CAHIN (G.), « Les Nations Unies et la construction d’une paix durable en Afrique »,
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Ce faisant, dans la plupart des cas l’assistance électorale fournie par les Nations Unies43
implique le Département des affaires économiques, le Centre des droits de l’homme, le Programme
des Nations Unies pour le développement (PNUD) et surtout la Division de l’assistance
électorale44. Au fil des années, la Division de l’assistance électorale de l’ONU est apparue comme
le pivot des activités d’assistance électorale au sein des Nations Unies45. Elle s’applique de plus
en plus « à assurer un contrôle centralisé et cohérent de la qualité de ses projets d’assistance
considérés dans leur intégralité quel que soit l’agent d’exécution. Elle s’emploi aussi davantage
en collaboration avec les gouvernements, à renforcer les capacités et à adapter l’assistance à
l’environnement politique et électoral des pays »46.
En cas d’accord, les deux parties concluent une convention de financement de l’élection.
A titre d’illustration, on peut citer l’accord de projet de financement d’un montant de 20 milliards
de FCFA signé le 7 septembre 2010 entre le Représentant de l’ONU et le ministre nigérien de
in La contribution des NU à la démocratisation de l’Etat, Colloque des 14 et 15 décembre 2001 (sous la dir.) de
MEHDI (R.), A. Pedone, Paris, 2002, pp. 133-159. 43 L’assistance électorale obéit à une procédure spécifique: elle consiste d’abord en une demande écrite adressée au
Secrétaire Général adjoint aux affaires politiques par le gouvernement de l’Etat demandeur, au moins trois mois avant
la date prévue pour la tenue des élections. Ensuite, saisie de cette demande, la Division de l’assistance électorale
consulte sa Division régionale pertinente et le Représentant résident du PNUD concerné pour savoir si la situation
préélectorale de l’Etat demandeur satisfait aux critères qu’elle a établis (vérifier par exemple si les principaux partis
d’opposition et les représentants de la société civile soutiennent l’implication des Nations Unies). Enfin, en cas de
doute, une évaluation en profondeur peut être diligentée par la Division de l’assistance électorale, avec la coopération
du PNUD. Voir ONDO (T.), « L’internationalisation du droit relatif aux élections nationale : à propos d’un droit
international des élections en gestion », , pp.1421-1422. 44 La Division d’assistance électorale a été créée en 1992 après la première mission d’observation électorale au
Nicaragua (1989-1990), celle de Haiti (1990-1991) et pendant le montage de la mission au Cambodge et au Salvador.
Elle est de taille modeste puisqu’elle ne comprend que six fonctionnaires ayant le rang d’administrateurs sous
l’autorité d’un Directeur. Elle possède trois fonctions principales. La première vise à offrir une assistance technique à
l’organisation des élections. La seconde consiste en l’organisation de ces élections lorsque, comme ce fut le cas au
Cambodge, l’Etat national est défaillant et que la Communauté internationale lui en confie la responsabilité. La
troisième fonction, la plus lourde, est l’organisation directe de l’observation électorale ou encore, la coordination de
l’observation électorale internationale. Cette coordination comprend une partie logistique : le déploiement pratique
des observateurs, et une partie méthodologique : l’homogénéisation du travail d’observation. Voir à ce sujet HUU
DONG (N.), « L’assistance électorale comme préalable à la restauration de l’Etat », in Les Nations Unies et la
restauration de l’Etat, Rencontres internationales de l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence, Colloque des
16 et 17 décembre 1994 (sous la dir.) d’Yves DAUDET, A. Pedone, Paris, 1995, pp. 34-40. 45 En effet, depuis la création du Groupe de l’assistance électorale de l’ONU qui est devenu opérationnel le
1er avril 1992, jusqu’à mai 1993, l’ONU a fourni une assistance électorale à 31 Etats membres sur leur demande: 24
d’Afrique, 2 d’Asie, 1 d’Europe orientale et 4 d’Amérique Latine. Cf. Doc. ONU, Communiqué de presse GA/491 du
5 mai 1993, « Activités d’assistance électorale du système des Nations Unies ». 46 Assemblée Générale des Nations Unies, Rapport du Secrétaire général A/56/150, « Renforcement de l’efficacité du
principe d’élections périodiques et bonnets », 19 octobre 2001, p. 3.
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l’intérieur pour le financement de l’organisation du référendum constitutionnel et des élections
présidentielles et législatives de 201147. De même que lors de l’élection présidentielle en Côte
d’Ivoire48 de 2010, la Communauté internationale a contribué à environ 60 millions d’euros pour
l’organisation de ladite élection49. A côté de cette assistance standard, l’ONU peut intervenir dans
le processus électoral proprement dit, à travers une assistance plus spécifique. Depuis 1988, les
opérations de maintien de la paix sont devenues l’instrument du Conseil de Sécurité pour faciliter
l’implantation d’un plan global de paix convenu entre les parties, ce qui inclut parfois
l’organisation ou la surveillance des élections.
Toutefois, sur le continent africain comme ailleurs, cette intervention directe de l’ONU
dans le processus électoral est la résultante d’instabilités politique, sociale et économique mais
aussi de conflits interétatiques qui sapent les bases du régime démocratique. L’assistante électorale
de l’ONU dans le cadre des opérations de maintien de la paix se traduit ici par un soutien au
processus de démocratisation. Elle se matérialise ainsi par l’organisation et la conduite des
élections par la supervision et la vérification du processus électoral et enfin par la certification du
scrutin en question.
En tout état de cause, la souveraineté permet à tout Etat d’organiser, d’orienter et même de
suivre son processus électoral. Aucune intervention étrangère n’est sollicitée. Pourtant, les
opérations électorales des Etats parce qu’étant un cadre d’expression des droits fondamentaux des
peuples50, deviennent de plus en plus un sujet préoccupant la Communauté internationale.
De toute évidence, il serait tentant pour nous de dire que, l’instauration d’un processus électoral
démocratique dépend entièrement de la compétence interne des Etats. Elle constitue l’expression
de la souveraineté politique de ces derniers même si le respect de la souveraineté étatique n’est pas
facile à observer, dès lors que l’Etat a pour mission première d’assurer la protection des
47 En 2005, le PNUD en partenariat avec l’Union européenne, a contribué au renforcement de la gouvernance
démocratique dans plus de 130 pays avec environ 1,4 milliard de dollars américain. Rapport annuel 2006 du PNUD :
Un partenariat pour le développement, New York, 2006, p. 5 ; voir également Rapport du Secrétaire Général de l’ONU
sur l’activité de l’organisation, A/61/1, 2006, §126. 48 Voir GALY (M.), « Coup de poker en Côte d’Ivoire », Le Monde Diplomatique, novembre 2010, p. 6. 49 Il faut souligner ici que sur le plan multilatéral, les Etats ont décidé, lors du Sommet mondial de septembre 2005,
de créer le Fonds des Nations Unies pour la démocratie, dont le montant s’élève en 2006 à environ 49 millions de
dollars. Cf. Rapport du Secrétaire Général sur l’activité de l’organisation, A/61/1, 2006, § 129. 50 Ces droits sont consacrés comme principe général du droit international.
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individus51. Toute ingérence de la Communauté internationale dans les opérations électorales d’un
Etat, serait une remise en cause de sa souveraineté. Même si l’observation internationale des
élections se présente comme le seul moyen d’imposition des principes démocratiques, alors elle
ne serait légitime que sauf si elle respecte la volonté de l’Etat. Cette incertitude d’assistance
électorale manifestée dans le processus de démocratisation en Afrique est intimement liée aussi à
la conditionnalité économique que les Etats africains subissent.
B- Une intervention économique conditionnée
Depuis fort longtemps, les Etats exerçaient leur fonction dominante de l’ « Etat-
gendarme » qui a écarté toute intervention active dans la réglementation internationale de leurs
activités économiques. Ils étaient à la recherche d’une plus grande efficacité dans la défense des
intérêts nationaux. Mais avec l’expansion industrielle, ils se sont intéressés désespérément à
l’encadrement juridique de leurs relations économiques internationales. L’article 2, paragraphe 1
du Chapitre II de la Charte des droits et des devoirs économiques des Etats de 1974 rappelle que
« chaque Etat détient et exerce librement une souveraineté entière et permanente sur toutes ses
richesses, ressources naturelles et activités économiques, y compris la possession et le droit de les
utiliser et d’en disposer »52. Autrement dit, l’objet primordial de la notion de souveraineté
permanente est de constater l’existence d’un pouvoir de contrôle particulièrement étendu de l’Etat
sur les intérêts étrangers53. La CIJ a reconnu le caractère coutumier de ce principe dans son arrêt
du 19 décembre 200554. Les Etats exercent la plénitude de leur compétence territoriale sur toutes
leurs ressources sans qu’il y’est une intervention extérieure. Ils sont libres dans l’orientation de
leurs activités économiques et industrielles. Pourtant, avec l’intervention active des Etats dans les
relations internationales, leur souveraineté économique reste limitée.
En effet, outre le soutien accordé aux africains dans le cadre de création même de l’Union
Africaine, l’ONU en a appelé à la communauté internationale au soutien des programmes de
l’organisation africaine. Ce fut le cas pour le NEPAD et même pour l’ensemble des actions de
l’Union Africaine dans lesquelles les organes techniques et organismes spécialisés de l’ONU
51 MOUTON (J-D.), « Retour sur l’Etat souverain à l’aube du XXIe siècle », op.cit., p. 316. 52 Article 2, paragraphe 1 de la Charte des droits et devoirs économiques des Etats de 1974. 53DAILLIER (P.), FORTEAU (M.), PELLET (A.), Droit international public, op.cit., pp. 1156-1158. 54 CIJ, arrêt du 19 décembre 2005, Affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (RDC c. Ouganda), par.
244.
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œuvrent pour une meilleure en œuvre et en efficacité dans l’action55. C’est dire que le système des
Nations Unies voudrait jouer un rôle de premier plan dans la mobilisation de la communauté
internationale à l’activité de l’union africaine en général et au NEPAD en particulier. Il se veut un
des piliers de l’action internationale en faveur du NEPAD56. Son appui en la matière englobe
plusieurs activités qui vont de l’assistance technique pour le développement institutionnel aux
compagnes de sensibilisation, en passant par le renforcement des capacités, la conception des
projets ou encore la mobilisation des ressources de toutes natures.
Ainsi, la réunion de consultation régionale des Nations Unies qui œuvre en Afrique a créé
des groupes thématiques concernant les domaines prioritaires du NEPAD. En plus de cela,
plusieurs organes techniques et organismes spécialisés des nations œuvrent chacun en ce qui le
concerne au soutien de l’action de l’Union Africaine en général, et à la mise en œuvre du NEPAD
en particulier.
Le programme alimentaire mondial (PAM) a élaboré pour le NEPAD une stratégie de
préparation aux situations d’urgence dans le cadre d’un mémorandum d’accord signé avec le
secrétariat du Nouveau Partenariat57. Cette collaboration étudie les systèmes autochtones de
réserves alimentaires dans les pays africains. Elle vise par ailleurs à renforcer les capacités aux
fins de la planification des ressources alimentaires et de leur distribution à l’échelon national et de
faire des enfants, les principaux bénéficiaires de ces ressources, grâce aux programmes
d’alimentation scolaire58. Dans le même ordre d’idées il est question de créer des capacités de
réserves à l’échelon sous régional. Le but final est d’atténuer l’effet des catastrophes alimentaires
et prêt à intervenir en pareilles circonstances.
Le Fonds International de Développement Agricole (FIDA), avait accordé en fin 2003 aux
pays africains des prêts d’un montant total avoisinant 3,6 milliards de dollars us afin de financer
317 projets dans 51 pays. De tous ces projets, 97 ont été destiné au continent africain pour 47% du
financement actuel total fourni par le fonds59.
55 Rapport du Secrétaire Général : « Nouveau partenariat pour le développement en Afrique : deuxième rapport
complet sur le progrès de la mise en œuvre de l’appui international », 4 aout 2004. 56 Rapport du Secrétaire Général : « Nouveau partenariat pour le développement en Afrique : deuxième rapport
complet sur les progrès de la mise en œuvre et de l’appui international », 4 aout 2004. 57 MVELLE (G.), L’Union Africaine : fondements, organes, programmes et actions, L’Harmattan, 2007, p. 144. 58 Idem. 59 Ibid., p. 145.
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Toutefois, à partir de la fin des années 80, on assiste à un revirement du discours60. Les
institutions internationales et, un peu plus tard, les Etats commencent à évoquer l’indispensable
bonne gestion des Etats demandeurs de l’aide internationale61. Les conditionnalités économiques
sont donc les premières à faire leur apparition. Elles n’ont pas pour objectif premier la promotion
de la démocratisation, il s’agit plutôt d’imposer aux Etats bénéficiaires de l’aide des obligations
de transparence et de bonne gestion de l’aide octroyée62. D’ailleurs selon WISEMAN (J.A.), « le
but des conditionnalités économiques était plutôt de restructurer les économies des pays africains
que d’avoir des effets particuliers sur les systèmes politiques africains »63. Cette imposition des
politiques économiques étrangères aux Etats africains, implique la dénaturalisation complète du
principe de la non-ingérence. Elle ne cadre pas avec le principe de la souveraineté. Depuis que la
Banque mondiale, le FMI64, le groupe des Sept, la Francophonie lors de ses sommets (La Baule en
1990 et Paris en 1991), le Commonwealth (Hararé en 1991), la Conférence mondiale sur les droits
de l’homme (Vienne 1993) ont tour à tour affirmé leur conviction qu’il y aurait une «
interdépendance entre la démocratie, le développement et le respect des droits de l’homme et des
libertés fondamentales », l’Afrique n’a pas retrouvé son autodétermination économique. Ainsi, il
ressort de toutes ces analyses que le partenariat institutionnel existant entre l’ONU et l’UA, dispose
un fondement clair et d’une opérationnalisation incertaine c’est-à-dire s’appliquant à géométrie
variable. Pour un processus d’imposition et de consolidation de la paix réussi en Afrique, le
partenariat ONU-UA doit s’articuler sur un mécanisme excluant l’usage de la force. Les mesures
coercitives ne pourront intervenir qu’accessoirement.
60 ATANGANA AMOUGOU (J-L.), « Conditionnalité juridique des aides et respect des droits fondamentaux »,
Revue électronique Afrilex, 2001, p. 1. 61 Ibid., p. 2. 62 Idem. 63 WISEMAN (J.A.), Démocratisation, réforme économique et conditionnalités en Afrique subsaharienne :
contradictions et convergences, in Développer par la démocratie ? Injonctions occidentales et exigences planétaires,
MAPPA (S.), (dir), Paris, Karthala, 1995, p. 467. 64 Rappelons que dans les années 70, les Etats occidentaux et les institutions financières partagent le discours des
dirigeants du Tiers-Monde sur la nécessaire construction des Etats forts et stables. Tout le monde s’accordant sur le
fait qu’il fallait d’abord aux Etats un certain niveau de développement avant de songer à des réformes démocratiques.
Lire à ce propos ATANGANA AMOUGOU (J-L.), L’Etat et les libertés publiques au Cameroun, thèse de droit,
Université Jean Moulin, Lyon3, 1999.
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Conclusion
Il était question tout au long de cette contribution d’évoquer la coopération
interinstitutionnelle entre l’ONU et l’UA dans les opérations du maintien de la paix et de la sécurité
en Afrique.
Il ressort de cette étude que la coopération entre ces organisations est d’une part,
formellement imperfectible, et d’autre part, opérationnellement perfectible. De toute évidence, la
bestialité à laquelle donne lieu parfois les conflits en Afrique ne permet plus aux acteurs du
maintien de la paix et de la sécurité de rester passifs et impassibles. Il est devenu difficilement
tolérable, voire « moralement inacceptable d’assister sans rien faire aux spectacles de violences
et de destructions qui nourrissent les médias à longueur de journée »65. A cet effet, dans les
nombreuses régions et contrées du continent africain désertées par la sécurité et où la paix est à
l’épreuve, les Organisations internationales universelles, régionales et subrégionales se voient
presque obligées de faire leur preuve, en volant à son secours66. Du coup, c’est en nombre pluriel
qu’elles se lancent à l’assaut de la paix, s’impliquant fortement dans la résolution des conflits en
Afrique, et mettant en mouvement des stratégies diverses et variées. Du coup, c’est en nombre
pluriel qu’elles se lancent à l’assaut de la paix, s’impliquant fortement dans la résolution des
conflits en Afrique, et mettant en mouvement des stratégies diverses et variées. Pour autant,
parviennent-elles à la conquérir ? Autrement dit, réussissent-elles à maîtriser les données, à tout le
moins variables, et à identifier les inconnues de l’équation de la prévention, de la gestion et de la
résolution des conflits ? Subrepticement, se posent les questions de l’efficacité et de l’impact de
l’action des Organisations internationales sur la dynamique des conflits en Afrique67. Sans doute,
l’évaluation de l’efficacité des Organisations internationales, et l’appréciation de leur contribution
à la paix et à la sécurité, peuvent-elles s’avérer subjectives. Néanmoins, certains indices autorisent
à penser que leur implication, massive, contraste avec leur contribution, relative.
65 LECOUTRE (D.), « Le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, clef d’une nouvelle architecture de
stabilité en Afrique ? », op.cit., p. 133. 66 Idem. 67 Ibid., p. 134.
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La judicisation du concept de gouvernance : propos sur un nouveau
paradigme du droit électoral camerounais
Par :
Rodrigue Stéphane Agathon ONDOA
Doctorant en droit public
Université de Douala (Cameroun)
Résumé :
Le concept de gouvernance connait une entrée fulgurante dans l’univers du droit. Inondant
désormais l’ensemble de ses branches, le concept de gouvernance va particulièrement marquer le
droit électoral au point d’en révéler une catégorie particulière dont il est convenu d’appeler droit
de la gouvernance électorale, droit dont l’originalité réside, tout compte fait, dans la mise en
perspective de nouvelles techniques de management de la chose électorale à partir d’une approche
consensuelle et participative. Ce droit qui découle logiquement de la judicisation du concept de
gouvernance vient ainsi confirmer l’hypothèse d’un droit électoral vivant qui, se moulant à la
dynamique de la société, induit, par ce fait, une reconfiguration des règles juridiques destinées à
la gestion des élections politiques. Son émergence entend que branche à part entière du droit
électoral et consécutivement du droit de la gouvernance aura alors été rendue possible au prix de
la convergence de dynamiques textuelles et doctrinales, et dont l’expression autorise à l’envisager
comme une discipline juridique pouvant en toute légitimité faire l’objet d’étude scientifique.
L’étude d’alors engagée à partir de l’expérience camerounaise témoigne, s’il en était encore
besoin d’en conclure, de la pertinence du mouvement juridique qui aura en définitive permis de
formuler des conclusions sur l’existence d’un droit de la gouvernance électorale.
Mots-clés : Gouvernance, Droit électoral, Judicisation, Internationalisation, Démocratisation
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Introduction
Le droit électoral est sans doute l’une des branches du droit dont l’étude n’aura autant cessé de
fasciner la doctrine en dépit de l’abondante littérature à lui déjà consacré. Il continue pour ainsi
dire de cristalliser toutes les attentions. Ce droit qui s’abreuve constamment à la sève nourricière
des valeurs de l’international trouve en effet un regain d’intérêt à l’introduction dans sa sphère du
concept de gouvernance, et à la manifestation de laquelle les conséquences sur le plan du droit en
général et sur le plan du droit électoral en particulier vont s’avérer aussi bien incontestables
qu’irréversibles. Ayant en effet colonisé avec un certain succès l’environnement juridique
international, le concept de gouvernance va-t-il avec la même réussite pénétrer l’environnement
juridique national et revêtir dès lors un caractère on ne peut plus obligatoire. En toute hypothèse,
cette pénétration qui se traduit selon le Professeur Jacques CHEVALLIER par la judicisation des
préceptes managériaux, produit une série d’effets, non seulement sur l’action publique, mais
encore sur le droit lui-même […]1 augurant alors la marche vers un droit post-moderne2 : le droit
de la gouvernance. Mais avant de tirer toutes les conséquences de cette nouvelle perspective
juridique, il serait judicieux d’apporter certaines précisions terminologiques préalables nécessaires
à la compréhension de notre objet d’étude. Techniquement, il faut entendre par judicisation
« l’extension du droit et des processus juridiques à un nombre croissant de domaines de la vie
économique et sociale ». [Ainsi] « un processus peut être décrit comme judicisé dans la mesure où
il fait l’objet de modes de création ou d’application de règles, ou encore de modes de résolution
des conflits, semblables aux processus qui ont cours à l’intérieur du système juridique »3. Le
concept de gouvernance quant à lui est susceptible d’être abordé sous l’angle économique,
politique, sociologique et de plus en plus juridique. Cette polysémie qui laisse entrevoir la
complexité même de ce concept trouve néanmoins son unité dans la manifestation de la gestion de
la « chose publique ». Ainsi, selon qu’il soit appréhendé sous ces divers angles, le concept de
gouvernance fait constamment référence à un mode de prise et de mise œuvre des décisions
publiques fondé sur la collaboration d’un réseau d’acteurs qui ne sont pas que publics, mais aussi
privés de telle sorte qu’aucun acteur pas même la puissance publique n’est à même d’imposer sa
1 J. CHEVALLIER, « La judicisation des préceptes managériaux », Revue Politiques et Management Public, Volume
11, n04, décembre 1993, p.111. 2 J. CHEVALLIER, « Vers un droit post-moderne ? Les transformations de la régulation », RDP, 1998, pp. 659-690. 3 A.-J. ARNAUD (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, 2e éd., LGDJ, Paris, pp.319-
320. Cité par ZIBI P., Le droit de la gouvernance au Cameroun, Ph. Doctorat en Droit Public, Université de Yaoundé
II, 25 juin 2015, p.3.
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volonté aux autres. La négociation, la persuasion et l’incitation remplace la coercition comme
mode d’intervention publique4. Ce concept s’apprécie alors, en tenant compte du degré
d’organisation et d’efficience et est évaluée à l’aune de quatre axes principaux: la responsabilité,
la transparence, la prévisibilité et la participation5. Il y a donc à la réalité un frottement permanent
entre le droit et la gouvernance. Et à partir de ce moment, la judicisation de ce concept devient-il
dès lors inéluctable. D’ailleurs c’est précisément à cette intersection que se positionne la présente
réflexion. Mais on l’aura déjà sans doute compris, la judicisation du concept de gouvernance, c’est-
à-dire son érection dans le champ du droit aura été déterminante à la poursuite d’une réflexion sur
les conséquences d’une telle dynamique sur le droit électoral puisque de toutes les façons la
gouvernance pénètre également ce dispositif normatif particulier.
C’est le lieu ici de reconnaitre que cette double offensive de la « gouvernance » sur le terrain
du droit international et national va contribuer à nourrir une réflexion doctrinale sur la dialectique
« droit et gouvernance », réflexion à la manifestation de laquelle seront élaborées des grilles de
lecture dont la riche consistance permettra finalement, à partir de matériaux juridiques spécifiques,
d’élaborer ce qu’il est convenu d’appeler droit de la gouvernance. Ce droit dont l’étude va dévoiler
une certaine épaisseur sera-t-il, à son tour, le point de départ d’une réflexion tout azimut sur ses
implications juridiques en raison de sa tendance à pénétrer l’ensemble des branches du droit et à
l’intersection de laquelle se trouve le droit électoral. Inéluctablement, cette dimension analytique
posée laisse à considérer qu’il y a, dans l’univers du droit, autant de sous catégories juridiques
inexplorées en considération des domaines variés de la vie publique auquel le droit de la
gouvernance s’applique valablement. La judicisation du concept de gouvernance qui est ainsi à
l’origine de l’avènement du droit de la gouvernance autorise en tout cas à envisager d’autres
perspectives analytiques dont l’effet est de dévoiler les sous catégories juridiques qui en découlent
certainement. D’ailleurs, ZIBI PAUL ayant exploré les contours juridiques du « droit de la
gouvernance au Cameroun » ne reconnaissait-il pas que des pans entiers restaient encore
inexplorés dans la mesure où chaque sous-ensemble de la gouvernance pouvait constituer une
4 B. ENJOLRAS, « Gouvernance verticale, gouvernance horizontale et économie sociale et solidaire : le cas des services
à la personne », Dans Géographie, économies, société, vol.12, 2010/1, pages 15 à 30. Consulté sur www.cairn.info le
14/06/2019. 5 M. MOINDZE, « Les standards internationaux de la bonne gouvernance des finances publiques », mars 2010, p.2. [En
ligne] consulté 23/03/2018.
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discipline à part entière de cette nouvelle branche6. Quoi qu’il en soit, la pénétration dans le droit
électoral du concept de gouvernance et consécutivement des principes et préceptes qui en
constituent la substance autorise la poursuite d’une telle réflexion.
Et en toute logique, il va se poser la question de savoir s’il existe alors dans l’ordre juridique
électoral des dispositions spécifiquement mobilisées autour du thème de la gouvernance et dont
l’expression légitimerait l’étude d’alors engagée ? Au risque de nous reprendre, le droit électoral
camerounais notamment enclin à la persistance d’une remise en cause de son contenu n’a cessé
depuis lors de s’enrichir des valeurs de l’international dans l’espoir de conquérir l’assentiment des
acteurs politiques. C’est dans ce contexte de crise et d’incertitude du droit électoral qu’il convient
de situer l’érection dans ce dispositif normatif le concept de gouvernance, concept qui tend ainsi à
modifier les paradigmes de la gouvernance électorale. Au demeurant, il apparait incontestable que
la problématique d’alors suggérée dans notre sujet confirme bien, s’il était encore besoin de le dire,
l’hypothèse d’un « droit vivant » se moulant à la dynamique de la société, et dont les réflexions
conséquentes devraient-elles également s’arrimer à ces différentes mutations. C’est en tout sur
cette trajectoire que se situe le Professeur Valérie LASSERRE lorsqu’elle envisagea une étude sur
la mutation du droit en rapport avec la dynamique de la sociale qui, tout compte fait, a permis de
révéler l’avènement d’un nouvel ordre juridique ; le droit de la gouvernance7. C’est dire le défi
permanent auquel l’on est tout le temps appelé à relever chaque fois qu’on objective la
compréhension rationnelle du phénomène juridique. Formulant alors l’hypothèse d’un « autre
droit » duquel découle le droit de la gouvernance électorale, il devient judicieux d’explorer à l’aide
d’outils juridiques appropriés tels que l’exégèse et le normativisme, les dynamiques constructives
de cette nouvelle catégorie (I) dont la convergence ne pouvait logiquement qu’aboutir à sa
consécration juridique entend que branche à part entière du droit (II).
I- UNE CONSECRATION INDUBITABLE DU CONCEPT DE GOUVERNANCE EN
DROIT ELECTORAL
Lorsqu’on aborde le thème de gouvernance en rapport avec le droit électoral, il faut prendre à
la mesure de l’enjeu toute la complexité qui caractérise le concept même de gouvernance et
considérer en même temps le contexte de son introduction dans l’univers du droit en général, et
6 P. ZIBI, Thèse, op.cit., p.27. 7 Voir V. LASSERRE, Le nouvel ordre juridique. Le droit de la gouvernance, LexisNexis, 2015, 358 pages.
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plus spécifiquement en droit électoral si l’on veut percer à jour le message subliminal qui est
dissimulé derrière cette dynamique.
Alors inscrite à l’aune de la politique économique, le concept de gouvernance du moins tel
qu’on l’envisage aujourd’hui avait été pensé et introduit dans le champ juridique africain par les
institutions financières internationales à travers tour à tour les programmes d’ajustements
structurels (PAS) et les nouveaux programmes de gouvernances (NPG) dans le souci de corriger
les dysfonctionnements ayant affectés les économies des pays en voie de développement du fait
de la crise des années 1980. Devenu alors l’instrument de consolidation des stratégies de
développement, la gouvernance telle que perçue en cette ère va alors entrainer que l’idée que la
conception et la mise en œuvre de l’action publique soit résolument tournée sur des perspectives
tenant à la participation citoyenne, à la responsabilisation des acteurs, à la performance, à la
neutralité, à la transparence (celle-ci alliant prévisibilité et lisibilité de l’action publique) et à la
sincérité. Pour tout dire, cette approche moderne gouvernance objective la résolution de la « crise
de gouvernabilité »8 dont souffrent manifestement les démocraties actuelles. Ce concept va par la
8 En effet, l’observation empirique de la dynamique des sociétés humaines révèle constamment la récurrence des crises
internes. Ces crises, si elles sont considérées par certains comme un moteur essentiel de l’évolution des sociétés
politiques, sont aussi révélatrices d’un certain malaise dont l’exacerbation entraine leur instabilité. Cette situation
d’instabilité qui affecte particulièrement les États de l’Amérique Centrale et de l’Afrique s’origine principalement de
la mauvaise gestion des élections et de la redistribution problématique des richesses. Ce qui amène très souvent à
interroger le sens de la gouvernance publique dans ces régions du monde. Quoi qu’il en soit, la frustration engendrée
s’illustrera alors à travers la remise en cause de la représentation politique (Lire avantageusement B. SADRY, Bilan et
perspectives de la démocratie représentative, Ph. Doctorat en Droit, Limoges, 18 décembre 2007, 584 pages) et
partant, la résistance des citoyens à l’égard des gouvernants. Ces constantes contradictions qui immobilisent l’action
publique sont autrement la traduction d’une certaine crise de gouvernabilité (CURAPP, La gouvernabilité, PUF, 1996.
Cité par J. CHEVALLIER, « La gouvernance et le droit », op.cit., p.2.). Cette crise, symptomatique de la mauvaise
conduite des politiques publiques, entraine très souvent l’État dans une tourmente susceptible de « contraindre les
titulaires des positions officielles d’abandonner leurs fonctions » du moins si l’on considère les conclusions de Daniel
GAXIE. (Cf. D. GAXIE, « Gouvernabilité et transformations structurelles des démocraties », Centre de Recherches
Politiques de la Sorbonne, p.271. [En ligne] Consulté le 29/03/2019.). C’est en effet dans une analyse complémentaire
que cet auteur illustrait la crise de gouvernabilité en France lorsqu’il rapportait par exemple que dans sa parution du
15 février 1994, le journal Le Monde, en consacrant en sa Une ‘‘l’inévitable réforme de l’appareil administratif’’ sous
le titre ‘‘État: la crise est mûr’’, a entendu recenser les exemples et les facteurs de la "crise" de l’État en citant
notamment "l’incapacité des pouvoirs publics à répondre autrement que par une kyrielle de gestes symboliques,
d’adoption de projets de loi brouillons ou de «mesures d'urgence» prises dans la tourmente de l’actualité". Ce climat
délétère décrit par le journal Le Monde en 1994 connait une certaine résurgence si l’on prend en compte la crise dite
des Gilets jaunes déclenchée en 2018 sous le Président Emmanuel MACRON. Loin d’être le propre de la France, l’on
retiendra succinctement que, en ce début de siècle, l’Afrique est particulièrement touchée par des crises à répétition
qui, en dernière analyse, fragilisent considérablement les jeunes démocraties. Les cas du Cameroun, du Gabon,
Burundi, du Tchad, de la Libye, de la République Démocratique du Congo, des Soudans du Nord et du Sud, du Mali,
pour ne citer que ceux-là, sont l’illustration d’une Afrique en pleine ébullition à tel point que l’on serait tenté d’aboutir
à la conclusion qu’il s’agit là des « symptômes de la crise de l’Etat ». Il faut donc admettre avec Daniel GAXIE que
« la gouvernabilité est le degré auquel une unité politique est susceptible d’être gouvernée. […] C’est en particulier le
degré auquel les autorités sont en mesure d’exercer un pouvoir de commandement sur les choses et sur les hommes,
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suite faire l’objet de propagandes politiques et juridiques réengageant au passage la société
politique dans une dynamique de restructuration et de légitimation de l’action publique à l’effet de
correspondre le processus décisionnel non plus à l’idée de « verticalité » ou d’unilatéralité qui
garantissait le privilège de l’Etat souverain, mais, désormais, à l’idée d’« horizontalité »9. Cette
dernière implique alors que les décisions publiques soient le fruit d’une négociation, d’une
concertation entre tous les acteurs de la société politique. Ayant ainsi modifié le logiciel de la
décision de « la chose publique » économique le concept de gouvernance va-t-il être
définitivement injecté dans l’univers du droit pour lui donner une véritable signification juridique
et assurer ainsi son obligatoireté. On assiste donc là à une judicisation presqu’inéluctable de la
gouvernance. Ayant alors investi le droit, ce concept de gouvernance va-t-il définitivement revêtir
une signification particulière au point d’affecter l’ensemble de l’architecture du droit et dont les
conséquences vont être déterminantes sur le plan du droit électoral.
L’étude rapproché de la législation électorale révèle en effet une mobilisation particulière
autour du concept de gouvernance et des principes et « préceptes managériaux » qui en constituent
la substance, laissant alors augurer une nouvelle perspective juridique savamment construite à la
convergence des textes d’origine externe (A) et à l’alignement de l’ordre juridique interne (B).
A- La pénétration internationale du concept de gouvernance
L’apport des acteurs internationaux dans la construction du concept de gouvernance est
indéniable. Cependant, si cette construction dès le départ a été motivée par le souci de redresser
les économies des États touchés de plein fouet par la crise économique des 1980, en proposant une
nouvelle approche de la gestion des finances publiques assortie des exigences de performance, de
responsabilité, de neutralité, de participation, de transparence et de sincérité, ces nouveaux
paradigmes ont-ils par la suite investi le champ de la gestion électorale. Il faut reconnaitre en tout
cas que la persistance de la remise en cause des résultats des élections et bien avant des règles
électorales, conjuguée à la remise en cause de la gestion par l’Administration du processus
notamment le degré auquel elles obtiennent l’obéissance ou le consentement ». (Cf. D. GAXIE, « Gouvernabilité et
transformations structurelles des démocraties », Centre de Recherches Politiques de la Sorbonne, p.249.). Pour ainsi
dire, la crise de gouvernabilité est consubstantielle à la crise de légitimité des dirigeants. Il importe alors pour les
pouvoirs publics d’engager, et au besoin, d’accentuer les réformes structurelles et de d’orienter résolument l’action
publique dans un sens favorable à l’autodétermination des couches sociales à l’effet d’assurer la stabilité de la société
politique. 9 Cf. J. ZADI, La question de la bonne gouvernance et des réalités sociopolitiques en Afrique : Le cas de la côte
d’Ivoire, Ph. Doctorat Droit Public, Université Paris-Est, 2013, pp.13-14.
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électoral qui très souvent plongeaient le continent africain dans une instabilité chronique va être
un élément catalyseur dans l’érection dans le droit électoral africain du concept de gouvernance et
modifier à son tour les logiques de gestion des processus électoraux jadis réservée aux
Administrations d’États. C’est en tout cas à cette faveur que l’on va observer sur la scène
internationale un mouvement législatif d’ensemble convergent à la judicisation du concept de
gouvernance.
En toute hypothèse, le concept de gouvernance désormais évoqué en droit international n’est
autre que le résultat d’une détermination législative de l’instance mondiale (1), laquelle a alors
inspiré dans son dynamisme le législateur électoral africain à s’y intéresser encore de plus près (2).
1- La gouvernance dans le dispositif normatif onusien
Lorsqu’on envisage la gouvernance dans le dispositif normatif électoral de l’instance
onusienne autrement qualifiée dans nos propos d’instance mondiale, il sied d’indiquer d’entrée
que parler d’une instance mondiale qui produirait un droit électoral ou tout au moins des règles à
incidence électorale peut a priori paraitre contradictoire, tant on sait qu’à l’origine le droit électoral
est le produit de la manifestation de la volonté souveraine des États, celui-ci organisant alors les
modalités de désignation de ses représentants. Pris sous cet angle, le droit électoral apparait-il
comme le « domaine réservé »10 de l’État. Parler donc d’un droit électoral international dont la
dynamique produirait des conséquences en droit interne suscite alors des interrogations légitimes.
Il convient alors de fixer un préalable.
C’est que, avec le phénomène d’internationalisation, on « s’aperçoit aujourd’hui que
l’internationalisation touche de plus en plus à la matière électorale »11 de telle sorte que ce secteur
qui jadis relevait de l’autorité souveraine des États ne dépend plus uniquement, ainsi que le
professeur Didier MAUS l’observe, du cadre constitutionnel national et amenant alors à considérer
qu’il existe finalement une véritable dimension internationale des élections 12. En tout état de cause,
10 Selon JAN SALMON un « domaine d’activités dans lequel l’État, n’étant pas lié par le droit international, jouit
d’une compétence totalement discrétionnaire et, en conséquence, ne doit subir aucune immixtion de la part des autres
État ou des organisations internationales ». Voir S. JAN (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles,
bruylant, 2001, p.356. 11 K. AFO SABI, La transparence des élections en droit public africain, à partir des cas Béninois, Sénégalais et
Togolais, Ph. Doctorat en Droit, Montesquieu-Bordeaux IV, Lomé, mars 2013, p.117. 12 D. MAUS, « Élections et constitutionnalisme… », op.cit., p.57. Cité par K. AFO SABI, Thèse, op.cit., p.117.
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l’implication internationale dans la production du droit électoral est bien réelle. D’ailleurs la
plupart des normes électorales sont aujourd’hui d’essence ou d’inspiration de cet ordre
internationale13 et constituent une source importante dans la formation des droits électoraux
nationaux. Il devient donc pertinent d’envisager désormais l’idée d’un dispositif normatif électoral
produit par une instance internationale quelle qu’elle soit d’ailleurs. Et suivant nos propos
introductifs, l’on s’intéresse ici à la dynamique législative de l’ONU qui, dans sa production
normative, a injecté implicitement le concept de gouvernance déclenchant ainsi le mouvement de
judicisation qui intéresse la présente contribution. Pour le dire, il faut déjà garder en esprit que les
instances internationales ont dans la plupart des cas émergées dans des conditions assez
particulières. En règle générale leur avènement résulte de la volonté des acteurs internationaux,
qu’ils soient étatiques ou non, de mettre en commun leurs efforts pour maintenir la paix et la
sécurité internationale, favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie des
peuples14. Telles constituent d’ailleurs les axes majeurs de l’action à travers la planète. Ces termes
qui ressortissent de la Charte des Nation Unies constituent à n’en point douter les bases de
l’ébauche juridique de la gouvernance mondiale, celle-ci étant fondée sur les principes de
participation, de consensus, d’égalité et de liberté puisque de toutes les façons l’implication
nécessaire des États à l’édification de cet ordre était incontournable.
Au demeurant, ces principes chers à la gouvernance mondiale résultant de la Charte des
Nations Unies vont par la suite être renforcés et réédités en 1966 par le Pacte International relatif
aux droits civils et politiques. Ce texte pose en effet que conformément aux principes énoncés dans
la Charte des nations Unies, les Etats parties s’engagent, entre autres, à respecter et à garantir les
droits civils et politiques des populations15, l’autorité des institutions judiciaires, administratives
ou législatives. Désormais conscient de la fragilité du tissu social international, et dans l’espoir de
« préserver les générations futures du fléau de la guerre », et créer du coup les conditions
nécessaires à l’épanouissement des peuples, les acteurs internationaux n’ont pas eu d’autres choix
que d’inscrire la gouvernance mondiale sur des perspectives assorties d’objectifs clairs et encadrée
13 K. AFO SABI, Thèse, op.cit., p.120. 14 Voir en ce sens le Préambule de la Charte des Nation Unies adoptée le 26 juin 1945 au lendemain de la seconde
guerre mondiale à San Francisco aux USA. 15 Voir en ce sens l’article 6 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques de 1966.
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par des principes tenant à la participation, au consensus, à la neutralité, à la transparence, pour ne
citer que ces quelques exemples.
À ce stade des développements, certaines observations méritent d’être faites :
D’une part, l’exploration des textes tels la Charte des Nations Unies, le Pacte International
relatif aux droits civils et politiques ou encore la Déclaration Universelle des droits de l’homme,
révèle une certaine convergence à l’idée d’une gouvernance mondiale. D’autre part, ayant posés
les bases d’une nouvelle gouvernance, ces textes évoquent constamment les principes qui en
constituent la substance et précisent très clairement les objectifs qui doivent alors guider l’action
publique internationale. On l’aura donc sans doute compris, la question de la gouvernance n’est
en réalité abordée ici que de façon implicite dans le dispositif normatif mondial. Traitant de
l’implicite dans ce modeste exercice, il devient nécessaire de préciser les contours conceptuels de
mot qui à vrai dire n’est pas d’essence juridique, pas plus que son champ définitionnel ne fait
l’unanimité16. Convoquant alors à l’analyse une certaine doctrine, il se dégage que « l’implicite
désigne à la fois, dans sa conception statique, ce qui se trouve dans l’énoncé, ce qui relève du non-
dit et, dans une conception dynamique, ce qui résulte d’un raisonnement logique »17. A partir de-
là, il est déduit une méthode dite de « l’implication nécessaire » qui, pour reprendre Madame Anne
JENNEQUIN, « vise à combler une lacune de fond résultant de ce que l’auteur n’a pas exprimé en
effet de droit qui est pourtant entraîné inévitablement comme conséquence de l’acte ou de la norme
»18. L’implicite est donc autrement dit quelque chose d’inexprimé qui découle logiquement soit
d’un acte ou d’un comportement, soit d’une norme.
En tout état de cause, la mobilisation onusienne autour de l’idée de gouvernance est réelle
quoi que subtilement abordée. Mais aussi subtile et implicite soit elle, le concept de gouvernance
ne perd pas sa notoriété et sa vigueur. Il reste en effet au cœur de la dynamique de l’action publique
internationale. Par ailleurs, ce concept du moins tel qu’il est envisagé par l’instance onusienne va
par la suite connaitre une entrée remarquable dans l’univers du droit devenant ainsi une véritable
« obligatoire ». Ce processus de judicisation amorcée du concept de gouvernance par l’instance
16 A. JENNEQUIN, L’implicite en droit administratif, Notes de résumé, Thèse, Université Lille 2, 10 novembre 2007. [En
ligne] consulté 02/04/2017. 17 A. JENNEQUIN, op.cit. 18 Ibidem.
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onusienne sera emboité par le législateur africain à travers le dynamisme normatif de l’Union
Africaine, confirmant alors la juridicité de ce nouveau paradigme.
2- La gouvernance dans le dispositif normatif africain
À l’exploitation de textes cibles, le législateur de l’UA aborde la question de la gouvernance,
du moins telle qu’on l’envisage en cette ère, de façon assez expressive contrairement au législateur
onusien. Il faut reconnaitre que cette démarcation a été à la réalité consécutive au constat de la
persistance sur le continent de crises très souvent occasionnées par la remise en cause de la
conduite des opérations électorales. Les modèles organisationnels des élections politiques sur le
continent jusqu’alors proposés, à en croire le niveau de contestation, ne permettaient pas
visiblement d’atteindre les objectifs démocratiques fixés, tant les appareils Administratifs d’États
étaient fortement soupçonnés de favoriser les partis politiques au pouvoir. Il n’est pas douteux en
effet que les processus électoraux observés depuis au moins 1990 « ont conduit pour la plupart à
une plus grande fragilisation des situations politiques sans apporter de véritable gain en terme de
légitimation du pouvoir »19. Cependant, même s’il convient de s’accorder avec le Professeur Jean
Du Bois De GAUDUSSON sur le fait que ni au Nord, ni au Sud, il n’existe d’opérations électorales
parfaites20, le problème de l’instabilité électorale, et partant, de l’instabilité de la société politique
se pose, il faut le dire, avec une certaine acuité lorsqu’on l’envisage sous l’angle strictement
africain. D’ailleurs les élections sont désormais présentées comme la principale source de conflit
et d’instabilité du continent21. Face donc à l’instabilité politique ambiante occasionnée par la
détérioration continue des situations électorales, le législateur panafricain a entendu s’impliquer
davantage sur la problématique de la gouvernance électorale. Ce qui lui a valu de produire certains
textes essentiels dont nous retenons pour les besoins de la cause la Déclaration de 2002 relatives
aux principes régissant les élections démocratiques en Afrique et la Charte africaine de la
démocratie, des élections et de la gouvernance de 2007. Ce dernier texte qui va parachever au
niveau africain le processus de judicisation du concept de gouvernance et des principes et
19 Election et risques d’instabilité en Afrique : quel appui pour des processus électoraux légitimes ?, Mai 2014. 20 J. Du BOIS DE GAUDUSSON, « Les élections entre démocratie et crise : l’enjeu stratégique des opérations électorales
», In Prévention des crises et promotion de la paix : démocratie et élections dans l’espace francophone, Volume II,
Textes réunis par Jean-Pierre VETOVAGLIA, Jean DU BOIS DE GAUDUSSON, Albert BOURGI, Christine
DESOUCHES, Joseph MAILA, Hugo SADA et André SALIFOU, Bruyant, Bruxelles, 2010, p.179. 21 Voir le Rapport du Groupe des Sages de l’Union africaine, « Les conflits et la violence politique résultant des
élections. Consolider le rôle de l’Union africaine dans la prévention, la gestion et le règlement des conflits », La
collection Union africaine, International Peace Institute, New York, décembre 2012, 120 pages.
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« préceptes managériaux » qui en constituent la substance se positionnent, s’il était encore besoin
de le dire, comme les bases textuelles qui ont servi à une certaine doctrine et avec l’aide d’autres
dynamiques, de révéler l’existence d’un autre droit, le droit de la gouvernance envisagé en l’espèce
à l’international et à la manifestation de laquelle découlera comme on le verra, le droit de la
gouvernance électorale. Pour tout dire, en réponse à l’instabilité politique ambiante sur le
continent, le législateur africain n’a pas hésité à entériner le processus de judicisation de la
gouvernance amorcée par les instances onusiennes pour leur conférer, au niveau africain, une
véritable signification juridique et garantir du coup son obligatoireté. C’est le lieu d’indiquer que
la gouvernance telle qu’elle est perçue en cette ère impose que l’action publique soit portée par
des considérations tenant, entre autres, à la participation citoyenne dans les processus décisionnels
publics, à la responsabilisation des acteurs publics, à la transparence et à la neutralité de ceux-ci,
et à leur sincérité.
Les termes de la CADEG sont en tout cas assez révélateurs de l’engagement du législateur
africain et ne laisse subsister aucun doute, ni aucune ambiguïté sur la force normative du concept
de gouvernance et des principes et préceptes qui le porte. D’ailleurs la Charte sus évoquée ne
renferme-t-elle pas des dispositions relatives à la démocratie, aux élections et à la gouvernance
prise à tous les niveaux. Le chapitre VII va ainsi être dédié à la gouvernance électorale et des
principes qui finalement constituent les fondements matriciels des élections démocratiques.
Incontestablement alors, le thème de gouvernance, qui plus est, électorale, apparait dans le
dispositif normatif de l’instance africaine avec la conviction que les États parties actionnent les
mécanismes internes pour l’adopter.
Au demeurant, cette judicisation au niveau africain du concept de gouvernance va être
déterminante dans l’orientation des dynamiques juridiques déployées à l’échelle camerounaise
puisque de toutes les façons le texte de la CADEG va être ratifié par les pouvoirs publics
compétents. On va alors assister à une judicisation interne du concept de gouvernance.
B- La pénétration nationale du concept de gouvernance
L’investissement international du concept de gouvernance a inéluctablement débouché sur sa
judicisation au point de lui donner une véritable signification juridique et, du coup, assurer son
obligatoireté puisqu’il est finalement porteur d’un certain nombre d’exigences dont l’expression
tend à définir et à orienter l’action publique. Déployant alors des principes directeurs, la
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gouvernance, du moins telle qu’elle est envisagée en cette ère, devient ainsi l’instrument de
légitimation de l’action publique internationale, instrument qui va par la suite séduire. En ce sens,
le mouvement juridique observé à l’international ayant abouti à l’érection en droit international du
concept de gouvernance va par la suite investir de façon progressive les environnements juridiques
nationaux et s’imposer également comme un véritable « obligatoire » dans la gestion des affaires
publiques.
Le Cameroun qui n’est pas resté en marge de ce mouvement va tout logiquement s’inspirer des
valeurs de l’international pour structurer ou restructurer les paradigmes de la gestion de la « chose
publique », chose à laquelle les élections politiques intègrent nécessairement. Une telle approche
s’avérait d’ailleurs utile dans un contexte camerounais transpercé de toute part par des crises
électorales à répétition, tant la gestion du processus électoral, les résultats des élections autant que
les règles même de la compétition politique font l’objet d’une remise en cause dont la persistance
affecte à tous les niveaux la stabilité de ce pays. En tout état de cause, le parachèvement du
processus de judicisation au niveau interne du concept de gouvernance a été acté au lendemain de
la ratification par le Cameroun de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la
gouvernance (1), instrument qui venait ainsi compléter la longue liste de textes internationaux qui,
chacun à son niveau, a été déterminant à l’affirmation interne de la juridicité de ce concept (2).
1- Une pénétration consécutive à la ratification des textes internationaux
Les textes internationaux ont ceci de particulier, qu’ils émergent tantôt à la suite d’une crise
entre les acteurs internationaux, tantôt à la suite d’une crise entre un sujet de droit international et
la population. Qu’elle que soit en tout cas leur origine, les textes internationaux s’inscrivent, selon
les cas, dans la perspective de restaurer la paix, la sécurité et la confiance perdue entre les sujets
de droit international, soit entre eux, soit encore, entre les populations et leurs gouvernants. Ces
textes sont donc en soi porteurs de valeurs qui tirent leur essence profonde de la volonté
permanente de légitimation et/ou de relégitimation de l’action publique internationale. Ces valeurs
dont l’universalité est confirmée à travers leur diffusion et leur pénétration constante dans les
ordres juridiques internes22, vont incontestablement influencer les logiques nationales de
22 Par ordre juridique interne notamment, il faut entendre autrement « système juridique » ou « ordonnancement
juridique », pour désigner l’ensemble des règles qui, pour un Etat et à un moment donné, définissent le statut des
personnes publiques et privées et les rapports juridiques qui existent entre elles. Il symbolise l’ordre social, un tout
cohérent, rationnel dans lequel chaque norme à une place bien déterminée.
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modélisation du droit et de l’action publique. Il ne sera donc pas exagéré de dire que la gestion
interne des affaires publiques est inscrite, en un certain sens, à la normalité internationale marquant
alors une rupture avec la conception jadis développée par certains théoriciens du droit du 18ème et
du 19ème siècle qui estimaient que les droits nationaux et consécutivement la gouvernance étatique
devaient être exclusivement appréhendés comme des phénomènes culturels s’enracinant dans les
modes d’organisation spécifique aux différents groupes humains23. Ces idées qui avaient permis
de structurer ce que la doctrine a qualifié de « nationalisme juridique » concevait la conclusion
que le droit en vigueur dans un État ou entité politique donnée ne pouvait se comprendre que dans
la manifestation « des habitudes sociales et économiques et attitudes de ses membres passés et
présents »24. Il n’était donc pas à considérer qu’un État ou une entité souveraine analogue puisse
être influencé de quelque manière que ce soit par une entité extérieure dans le processus de
formation de sa législation. Après tout, ne considère-t-on pas la production du droit comme une
activité souveraine de l’État.
Seulement lorsqu’on observe avec attention les dynamiques qui entourent ce processus et
finalement modèle et oriente la gouvernance étatique, il devient incontestable que celui-ci « ne se
laisse pas enfermer ni par les frontières des États ni par les identités des peuples »25. On observe
en effet une pénétration constante mais savante des valeurs de l’international dans les systèmes
juridiques internes et à la manifestation de laquelle les États n’hésitent pas très souvent à marquer
leur consentement à être lié par ces valeurs dira-t-on universelles au moyen de la ratification. Il
faut entendre par cette dernière et au sens de la Convention de VIENNE sur le Droit des traités «
de l’acte international ainsi dénommé par lequel un État établi sur le plan international de son
consentement à être lié par un traité »26. C’est le lieu ici d’indiquer que l’acte de ratification réalise
l’intégration en droit interne des valeurs de l’international, entrainant alors l’obligation pour les
pouvoirs publics de conformité afin d’assurer l’harmonie dans la pyramide. Pris sous cet angle, les
pouvoirs publics camerounais pour juguler la crise de gouvernabilité à laquelle ils font
manifestement fasse depuis une bonne vingtaine d’années, ont ratifié progressivement des textes
dont les contenus dévoilent des principes qui définissent les modes de conduite de l’action
publique. Ainsi selon qu’on l’envisage sous l’angle économique, social ou politique, la
23 Voir en ce sens DUPRET B., Droit et sciences sociales, janvier 2008, p.4. 24 FREEMAN, 2001. Cité par DUPRET B., op.cit., p.7. 25 H. RABAULT, « Pour une théorie transnationaliste du droit », 30 septembre 2017. [En ligne] consulté le 23/02/2020. 26 Article 2 de la lettre « b » de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969.
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gouvernance et les principes qui le porte guide-t-elle en tout temps l’action publique. Il convient
de préciser lorsqu’on aborde les textes ratifiés en l’espèce par le Cameroun que ceux-ci sont
nombreux. Mais outre la Charte des Nations Unies, du Pacte International relatif aux droits civils
et politiques, de la Déclaration de Bamako de 2000 ou de la Charte africaine définissant les
principes régissant les élections démocratiques, c’est particulièrement la CADEG qui va retenir
l’attention en raison du fait que c’est ce texte qui, bien que limité au niveau africain, apparait
comme le plus achevé dans l’entreprise de judicisation du concept de gouvernance et dont le
Cameroun a clairement marqué en 2011 son consentement à être lié par ce texte fondamental.
Incontestablement alors, le concept de gouvernance revêt-il en droit camerounais une véritable
signification juridique.
2- Une pénétration confirmant la juridicité du concept de gouvernance
Pour mieux aborder la préoccupation qui est la nôtre, il convient de préciser au préalable le
sens du terme de juridicité. Le concept de juridicité soulève un nombre considérable de
questionnement qui trouvent cependant leur unité dans la recherche de la mise en lumière de
l’identité des objets afin d’établir leur rapport au droit.
Autant donc l’indiquer directement, ce « néologisme » évoque « la qualité de ce qui est
juridique, de ce qui relève du droit. Ainsi, lorsqu’un auteur traite de la juridicité d’une règle, il
examine son caractère proprement juridique, exclusion faite de toute autre considération, qu’elle
soit morale, administrative, sociologique, ethnographique ou politique. Il s’agit de déterminer la
qualité d’un ordre normatif, sa juridicité sera fonction de son appartenance exclusive à un ordre
juridique. On parle également de degré de juridicité d’une expression, d’une règle, d’une
proposition, d’un précepte, d’un principe, d’une théorie, d’une doctrine, d’une directive
d’interprétation, d’une maxime, d’une sentence, d’un adage, pour désigner la mesure dans
laquelle ils se rattachent au droit. Bref, il s’agira d’établir le niveau d’appartenance de l’objet au
droit. De même, la juridicité du signe (pour le distinguer de l’indice) est le caractère juridique
que présente le signe matériel, concret, par son origine (c’est le droit qui l’a créé), par son contenu
(c’est le droit qui gouverne son contenu), par son régime (c’est le droit qui régit son utilisation)
par sa caractéristique fondamentale (fondée sur l’intention de communication du message
juridique transmis par le signe). Un signe est juridique quand il est porteur un message juridique,
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par exemple l’enseigne commerciale ou la borne qui délimite un terrain »27. Fondé sur ces
éléments définitionnels, on désormais poser que, parler de la juridicité du concept de gouvernance
revient à relever son caractère proprement juridique, c’est-à-dire, son appartenance au droit et à
l’affirmation de laquelle le législateur a entendu assurer son obligatoireté.
Nous l’avons déjà alors exposé, la pénétration en droit interne du concept de gouvernance et
corrélativement les principes et valeurs qui en constituent la substance a été le fruit d’un long
processus de ratification des textes internationaux ou régionaux et dont le plus significatif est, en
notre sens, la CADEG. Aussi cette érection autorise-t-elle qu’on aborde désormais le concept de
gouvernance sous un angle proprement juridique. D’ailleurs Jean PADIOLEAU n’avait-il pas déjà
vue juste lorsqu’il affirmait que la gouvernance pour se déployer avait nécessairement besoin que
soit établi un cadre stable d’interaction, bref, que soient définies certaines règles du jeu28. En toute
hypothèse, le concept de gouvernance entretien des rapports étroits avec le droit. Ce dernier
constituant alors l’enveloppe dans lequel il se déploie29. Cependant s’il est vrai que la juridicité du
concept de gouvernance, c’est-à-dire son appartenance au droit est incontestablement affirmée, les
conséquences de cette reconnaissance vont être déterminantes.
Autant donc le dire, à travers le processus de judicisation du concept de gouvernance, il s’opère
un passage « du concept » à « la norme ». Le concept de gouvernance devient-il ainsi une norme
à part entière et porteuse d’un message juridique subliminal dont il nous incombe de préciser.
II-UNE SINGULARITE JURIDIQUE IMPLICITEMENT CREEE
Dans la première partie de notre travail il a été posé que le concept de gouvernance et
consécutivement les valeurs et préceptes qui s’y rapportent, doit son avènement à la volonté des
acteurs internationaux et nationaux de corriger certains problèmes spécifiques liés notamment à la
gestion des affaires publiques. Et dans la mesure où ce concept renvoi selon PADIOLEAU à une
certaine fonction à remplir, à certains objectifs à atteindre, il a besoin, en conséquence, pour sa
27 Éléments de définition tirés du Juridictionnaire, disponible sur https://w.w.w.btb.termiumplus.gc.ca. Pour une étude
approfondie sur cette notion, se référer au Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, sous la
direction d’André-Jean Arnaud ». Voir également ARNAUD A.-J. (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et
de sociologie du droit, 2e éd., LGDJ, Paris, pp.319-320. 28 Jean G. PADIOLEAU, « L’action publique post-moderne : le gouvernement politique des risques », Politique et
management public, 1989, n°4, pp.85 sq. Cité par J. CHEVALLIER, op.cit. p.5. 29 D. LOCHAK, « Le droit, discours de pouvoir », Itinéraires, Mélanges Léo Hamon, Economica, 1982. Cité par J.
CHEVALLIER, « La gouvernance et le droit », op.cit., p.1.
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mise en œuvre, que soit établi un cadre stable d’interaction. Ce cadre n’est rien d’autre alors que
le droit où s’articule finalement cette gouvernance. L’érection de cette dernière dans l’univers du
droit devenait-elle inéluctable, d’autant qu’elle érigea du coup la gouvernance en une « véritable
obligatoire ». Allant plus loin, il faut dire que la judicisation du concept de gouvernance à laquelle
on a assisté, a donné lieu à l’émergence d’un autre droit, le droit de la gouvernance considéré à
juste titre comme une nouvelle catégorie juridique et à la manifestation de laquelle découle
logiquement un ensemble de sous catégories dont nous explorons dans la présente contribution
l’une d’elle. Pour le dire autrement, la judicisation et parallèlement l’affirmation de l’appartenance
du concept de gouvernance au droit, est porteuse d’un message juridique subliminale dont il nous
incombe cependant de révéler. C’est que, et nous l’avons déjà mis en relief, on observe depuis
quelques années une dynamique aussi bien au niveau internationale qu’au niveau nationale de
mobilisation des textes juridiques autour du concept de gouvernance et à la convergence de
laquelle a émergé le droit de la gouvernance, droit dont la manifestation va révéler une sous-
catégorie juridique tout aussi particulière.
La dynamique constructive en effet en mouvement a pénétré l’ordonnancement juridique
interne déployant ainsi sa substance créatrice dans toutes les branches du droit et à l’intersection
de laquelle se trouve le droit électoral. En tout état de cause, la diffusion dans le dispositif normatif
électoral du concept de gouvernance et corrélativement des principes et valeurs qui s’y rapportent
(A) a, inéluctablement, consacré l’avènement de ce qu’il est convenu d’appeler droit de la
gouvernance électorale (B), droit qui tire en conséquence ses racines de la législation tant bien
internationale que nationale.
A- La diffusion dans le droit électoral national des principes de la gouvernance publique
D’une manière assez évidente il est incontestable que la légitimité30 de la représentation
politique31 est nécessairement liée à la qualité démocratique du processus qui a conduit à sa mise
30 La légitimité est entendue au sens du Lexiques des termes juridiques comme « la qualité d’un pouvoir d’être
conforme aux aspirations des gouvernés (notamment sur son origine et sa forme), ce qui lui vaut l’assentiment général
et l’obéissance spontanée. Du point de vue démocratique, la légitimité est celle qui est « fondée sur l’investiture
populaire des gouvernants (élection) ». Voir R. GUILLIEN, J. VINCENT, Lexique des termes juridiques, sous la direction
de GUINCHARD Serges et MONTAGNIER Gabriel, 5e Edition, Dalloz, Paris, 1985, pp.254-255. 31 Selon de Philippe BRAUDE, il réside au cœur de la notion de représentation l’expression de « tenant-lieu », c’est-
à-dire celui qui parle et agi en lieu et place des autres. En droit camerounais ces « tenants-lieux » sont incarnés par le
Président de la République et les membres du Parlement. Pour une lecture approfondie, voir P. DIEHL et A. ESCUDIER
(dir.), La « représentation » du politique : Histoire, concepts, symboles, Les Cahiers du CEVIPOF, n°57, février 2014,
104 pages.
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en place. Et inéluctablement, la gestion de ce processus doit obéir à un certain nombre d’exigences
à la fois démocratique et managériale pour pouvoir assurer aux gouvernants la dose de légitimité
dont ils ont besoin non seulement pour prétendre valablement parler au nom du souverain, mais
aussi conduire à bien les affaires publiques. Faut-il rappeler qu’au sens de la loi constitutionnelle
camerounaise du 18 janvier 1996, la dévolution du pouvoir politique est soumise aux règles de la
concurrence électorale et, selon les cas, interviennent directement ou indirectement les citoyens en
âge de voter. Pris comme tel, la légitimité de la représentation politique va-t-elle alors être au cœur
de la dynamique de la gouvernance électorale. Cette dernière qui, il faut le reconnaitre, a
considérablement évoluée ces trente dernières années, en dépit de la survivance de certaines
ambiguïtés faisant par exemple passer d’une gestion exclusivement étatique à une gestion
électorale démocratisée.
Explorant alors la législation électorale en vigueur, il est frappant de constater la référence
législative constamment faite aux principes moderne de la gestion publique relativement à la
participation, à la responsabilité, la neutralité, à la transparence et à la sincérité. D’ailleurs ces
principes directeurs constituent en matière électorale les fondements même démocratiques des
élections politiques. Il faut alors voir en leur transposition dans le champ de la gouvernance
électorale (2) l’universalité qui les caractérise (1).
1- L’universalité des principes de la gouvernance publique
Pour atteindre les perspectives de performance et parallèlement l’atteinte des objectifs fixés,
l’action publique doit être guidée en tout temps et en toute circonstance par des considérations
tenant à la participation des citoyens, à la neutralité et responsabilisation des acteurs, saupoudrée
de l’exigence de transparence et de sincérité. Ces arguments constituent, s’il était encore besoin
de le dire, les principes directeurs sur les s’appuie la gestion de la chose publique, « chose » que
les élections politiques intègrent nécessairement. Ils constituent pour ainsi dire le gage de
légitimité de l’action publique.
Ayant alors été injectés dans l’univers du droit à la suite de la judicisation du concept de
gouvernance, ces principes vont progressivement investir avec succès d’ailleurs le champ de la
gestion électorale. Le projet étatique étant ici d’assurer non seulement la légitimité des
gouvernants, mais, ultimement, la construction d’un modèle de gestion électorale capable de
garantir la tenue d’élections démocratiques digne de ce nom. En toute hypothèse, on voit se
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dessiner au travers mise en perspective de cette transposition l’universalité juridique des principes
de la gouvernance autrement qualifiée de gestion publique.
Au demeurant, ces principes directeurs qui sont positionnés comme les gageurs de la
légitimation de l’action publique, objectivent, à n’en point douter, la résolution de la « crise de
gouvernabilité » du processus électoral. Leur évocation en droit électoral camerounais obéit donc
à la logique étatique d’inscrire, dans les perspectives démocratiques souhaitées, une gouvernance
électorale manifestement en crise.
2- La transposition juridique des principes de la gouvernance publique dans le champ
électoral
Résolument en quête de la légitimation du processus électoral, les pouvoirs publics vont à
travers la ratification d’un certain nombre d’instruments juridiques internationaux injecter dans
l’univers du droit électoral notamment, les principes chers à la gestion publique. D’ailleurs le Code
électoral reprend désormais à son compte ces principes fondamentaux lorsqu’il pose par exemple
que « ‘‘Elections Cameroon’’ est l’organisme chargé de l’organisation, de la gestion et de la
supervision de l’ensemble du processus électoral […] »32. Par cette disposition de principe posée
par le législateur électoral, les pouvoirs publics ont entendu inaugurer les bases d’une gestion
participative du processus électoral. Il convient de relever ici qu’ELECAM est constitué de
membres recrutés à la fois au sein de l’appareil Administratif de l’État, de la société civile, du
milieu religieux, du milieu traditionnel, et enfin des partis politiques. Allant plus loin, le législateur
électoral pose que le Conseil électoral veille au respect de la loi électorale par tous les intervenants
de manière à assurer la régularité, l’impartialité, l’objectivité, la transparence et la sincérité des
scrutins33.
S’il apparait clair qu’à la lumière de ces dispositions pertinentes l’administration électorale
poursuit un objectif ultime celui notamment d’assurer et de garantir l’authenticité des votes, et
partant, l’avènement d’élections véritablement démocratiques, c’est surtout la mise en perspective
des considérations relatives la régularité, l’impartialité, l’objectivité, la transparence et la sincérité
qui vont retenir l’attention. Faut-il alors repréciser qu’en plus d’être les référentiels de ce qui
finalement constitue une élection démocratique, ces principes directeurs auxquels il convient en
32 Voir les articles 4 al.1 et 7 al.1 de la loi n°2012/001 du 19 avril 2012 portant code électoral. 33 Article 10 al.1 de la loi no2012/001 du 19 avril 2012 portant code électoral.
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effet d’intégrer celui de la participation et de la responsabilité, constituent, dans le même temps,
les fondements de la gestion publique du moins telle qu’elle est perçue aujourd’hui. Ayant alors
prescrit et définit des objectifs démocratiques clairs, la responsabilité des acteurs en charge du
processus électoral pourrait-elle valablement être engagée toutes les fois que ceux-ci ne l’auront
pas atteint. D’ailleurs le Président de la République est fondé au sens du Code électoral à mette
fin, selon le cas, aux fonctions du Président, du Vice-Président et des membres du Conseil
Électoral, ainsi que le Directeur Général et le Directeur Général Adjoint34. Il faut voir également
dans l’institution du contentieux électoral la volonté de sanctionner les indélicatesses et irrégularité
dont la manifestation ferait dévier l’élection de sa trajectoire démocratique. Quoi qu’il en soit, la
violation par l’administration électorale des exigences fixées par la loi peut donner lieu à
l’ouverture d’un contentieux devant le juge, garant de la sincérité des scrutins. Bien entendu toute
action pernicieuse aussi bien des candidats, des partis politiques que celle même des citoyens pris
dans leur globalité est susceptible d’engager devant les juridictions électorales compétentes la
responsabilité des contrevenants. La pénalisation de certain comportement ou tout simplement
l’institution du droit pénal électoral autorise en tout cas une telle perspective35.
Au total, il apparait suffisamment clair que dans la perspective de légitimer le processus
électoral et de garantir que de véritables élections démocratiques aient lieux, le législateur
camerounais n’a hésité à introduire dans l’univers du droit électoral les principes même de la
gestion publique afin de soutenir le projet étatique. Une telle démarche devenait d’ailleurs
inéluctable dans un contexte camerounais marqué non seulement par la persistance à la fois de la
remise en cause des résultats électoraux, mais aussi et corrélativement la crise de légitimité de
l’administration électorale. La référence ainsi faite à ces principes directeurs dans la législation
électorale, marque alors un tournant décisif dans la modélisation d’un autre droit. En état de cause,
l’érection en droit électoral du concept de gouvernance et des principes et préceptes qui en
constituent l’ossature est porteur, comme nous l’avons dit plus haut, d’un message juridique
subliminale qui, à la référence de tout ce qui a été dit, converge à l’idée de l’avènement d’une sous-
catégorie qu’il convient d’appeler droit de la gouvernance électorale.
34 Article 44 de la loi no2012/001 du 19 avril 2012 portant code électoral. 35 Voir d’une part les dispositions pertinentes des articles 122-1, 123-1, 141, 288, 289, 290, 291, 292 et 293 de la loi
n°2012/001 du 19 avril 2012 portant Code électoral, et, d’autre part, l’article 131 du Code Pénal.
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B- L’avènement du droit de la gouvernance électorale
On le sait déjà sans doute à ce stade, l’avènement du droit de la gouvernance est consécutif à
l’érection dans l’univers du droit, du concept de gouvernance. Cette judicisation va alors permettre
de donner une signification juridique à ce concept qui, à vrai dire, a toujours été très proche du
droit. Affirmant désormais son obligatoireté, les pratiques de gouvernance s’imposent aux
pouvoirs publics. Au demeurant, le mouvement de judicisation déclenché depuis l’extérieur va
progressivement investir l’asphère nationale au lendemain de la ratification par le Cameroun de
textes internationaux sus évoqués. À son immersion alors en droit interne, le concept de
gouvernance va inéluctablement modifier l’architecture de l’ordonnancement juridique et
provoquer des conséquences que la doctrine n’hésitera pas à saisir pour révéler le nouveau visage
projeté par la pyramide. C’est dans cette veine qu’il sera par exemple produit en 2015 une Thèse
sur « le droit de la gouvernance au Cameroun ». Ces travaux riches d’enseignement réalisés par
Monsieur ZIBI Paul vont davantage préciser les contours juridiques de cette nouvelle branche du
droit et à la manifestation de laquelle vont logiquement découler une kyrielle de sous-catégories
juridiques à l’intersection de laquelle va se dévoiler le droit de la gouvernance électorale. Ce
dernier qui également consécutif à l’érection en droit électoral du concept de gouvernance et des
principes et préceptes qui en constituent la substance, va en conséquence s’affirmer comme une
catégorie à part entière. Tel est, en notre sens, la portée du message juridique subliminale qui
transparait de cette dynamique d’ensemble.
Il devient alors nécessaire, pour que nul n’en doute encore, de fixer la notion et les sources de
catégorie émergente du droit électoral notamment (1) non sans explorer les logiques qui
accompagnent cet évènement juridique (2).
1- La définition et les sources du droit de la gouvernance électorale
Pour aborder sereinement en étude le droit de la gouvernance électorale, il est nécessaire que
soit fixé un certain nombre de préalable, relativement à sa définition et à la mise en perspective de
ses sources. Ceci permettrait alors au surplus de lever tout doute sur sa pertinence existentielle.
Sur le premier point, il ne fait aucun doute que les définitions sont essentielles en droit36.
Celles-ci consistent alors à « un processus par lequel l’on tente d’imprimer un contenu à un concept
36 H.L.A. HART, « L’importance des définitions en droit », Texte n° 9.
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ou une expression en dégageant notamment son sens précis »37. L’étude d’alors engagée sur le
droit de la gouvernance impose que soit fixé une définition claire. Partant ainsi des travaux
pionniers de la doctrine et du dynamisme législatif observé au sein des instances nationales,
régionales et internationales, il est possible de déterminer le contenu de ce droit émergent, puisque
l’opérationnalité même de la notion de droit de la gouvernance électorale ne laisse plus aucun
doute sur sa « cohérence normative et logique ». En tant qu’il est alors un mode d’organisation,
une combinaison d’éléments ou de dispositions réunis de façon à former un tout cohérent pour
atteindre un but précis, puisque de toute façon, « c’est le « destin inévitable » du droit à l’époque
moderne, d’être de plus en plus considéré comme un « appareil technique rationnel » […] »38, le
droit de la gouvernance électorale peut donc s’entendre de l’ensemble des règles juridiques et des
pratiques érigées comme telles, s’imposant aux pouvoirs publics, qu’elles soient d’origine externe
ou interne encadrant la gestion des élections politiques, et notamment le processus par lequel les
actes relatifs à leur “préparation” et à leur “réalisation” sont pris et mis en œuvre pour assurer la
légitimité des titulaires des postes électifs.
Cet ensemble normatif disséminé dans l’ordonnancement juridique interne a été forgé au prix
des expériences nationales et internationales pour finalement faire émerger une structure
organisationnelle capable de garantir la tenue d’élections démocratiques. C’est dire qu’en l’état,
du moins au Cameroun, le droit de la gouvernance électorale tire ses sources à la fois des différents
textes internes et des textes de portée internationale dument ratifiés par les pouvoirs publics, de la
pratique nationale et internationale, des travaux doctrinaux et de la jurisprudence. Évoquant donc
au second point la question des sources du droit de la gouvernance39, il résulte que celles-ci sont
moulées dans les dynamiques internationales et nationales et importe alors qu’elles soient révélées
au grand jour. À l’exploration des trajectoires juridiques, le droit de la gouvernance électorale tire
ses fondements des sources formelles et matérielles. Les premières qui, il faut le rappeler
37 P. ZIBI, Thèse, op.cit., p.77. 38 C. COLLIOT-THELENE, Le désenchantement de l’Etat. De Hegel à Max Weber, Editions de Minuit, Paris, 1992,
pp.238-239. Cité par Jacques COMMAILLE, « De « l’Etat-juriste » à « l’Etat-manager ». La réforme de la carte
judiciaire française : un nouveau modèle d’action publique sans droit ?, Apparaitre in Du concept à l’analyse.
Mélanges en hommage à François Chazel, Textes édités par Charles-Henry CUIN & Patrie DURAN, Presses de la
Sorbonne, pp.1-21. 39 Par sources du droit, il faut retenir au sens partagé de Michel VIRALLY qu’elles s’entendent « des modes de
formation des normes juridiques, c'est-à-dire des procédés et des actes par lesquels ces normes accèdent à
l’existence juridique, s’insèrent dans le droit positif et acquièrent validité ». M. VIRALLY, La pensée juridique, LGDJ,
Paris, 1960, p.149, cité in J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, Dalloz, Paris, 1989, p.51.
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constituent une catégorie importante dans la formation des normes juridiques, sont d’inspiration
externe et interne. Prisent alors comme telles, les sources formelles du droit de la gouvernance
électorale peuvent être déployées ainsi qui suit :
- Loi constitutionnelle de 1996,
- Code électoral de 2012,
- Code de bonne conduite de 2011,
- Loi n°90/O56 du 19 décembre 1990 relative aux partis politiques au Cameroun,
- Décret n°92/030 du 13 février 1992 fixant les modalités d’accès des partis politiques aux
médias audiovisuels du service public de la communication, etc. ;
- Charte des Nations Unies du 10 décembre 1948,
- Pacte de 1966 relatifs aux droits civils et politiques,
- Acte constitutif de l'Union Africaine,
- Charte Africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance 30 janvier 2007,
- Charte Africaine des droits de l'homme et des peuples,
- Déclaration de l’UA sur les principes régissant les élections démocratiques en Afrique
adoptée en 2002,
- Déclaration de Bamako adoptée le 3 novembre 2000.
Ces textes pour s’en convaincre contiennent des dispositions qui valorisent en un certain sens
les principes de la gestion publique dans la matière électorale. C’est ainsi par exemple que la
Charte Africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, à en témoigne son intitulé,
pose successivement que les États parties s’engagent à mettre en œuvre la présente Charte
conformément aux principes, entre autres, de la tenue régulière d’élections transparentes, libres et
justes40 et à promouvoir la bonne gouvernance, notamment par la transparence et l’obligation de
rendre compte de l’administration41. Il est donc question pour le législateur africain de préserver
40 Article 3 (4) Charte Africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. 41 Article 12 (1) Charte Africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance.
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une certaine authenticité de l’expression du souverain dans les processus de désignation des
titulaires des postes électifs. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le texte d’alors élaboré invite
constamment les États parties à considérer la participation populaire par le biais du suffrage
universel comme un droit inaliénable des peuples42. Et c’est bien logiquement que le législateur
électoral camerounais affirme sans détour que le Conseil Electoral veille au respect de la loi
électorale par tous les intervenants de manière à assurer la régularité, l’impartialité, l’objectivité,
la transparence et la sincérité des scrutins43 comme pour marquer la volonté étatique d’arrimer
définitivement la gouvernance électorale du pays aux exigences de la gestion publique des affaires.
D’ailleurs il ne cesse de le réitérer tout au long des dispositions du Code électoral d’avril 2012.
Mais on l’aura sans doute compris, il s’agit là d’une énumération non exhaustive des textes qui,
au niveau national, soutiennent l’idée d’un droit de la gouvernance électorale. Qu’à cela ne tienne,
le droit de la gouvernance électorale tire également ses fondements des sources matérielles.
En ce sens, il conviendra de faire remarquer que dans le processus de formation du droit fait
également référence aux sources non juridiques, celles-ci n’étant pas moins importantes. C’est
d’ailleurs ce que le Professeur Magloire ONDOA fait clairement signifier lorsqu’il enseigne que
le droit procède également des sources matérielles qui peuvent être en l’espèce qu’un simple fait
ou document écrit dénué de toute valeur juridique44. Ainsi, au rang de ces sources matérielles il
faut retenir essentiellement les différents Rapports et études dressés avant, pendant et après les
élections soit par ELECAM ou tout autre organisme public ou privé, qu’il soit national ou
international, mais dont la particularité commune est d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur
les axes devant constituer l’amélioration de la gouvernance électorale. Nous nous sommes
d’ailleurs longuement appuyé sur ces différents rapports et études réalisés tantôt par ELECAM,
tantôt par la Commission des Droits de l’Homme du Cameroun et des productions documentaires
des organismes internationaux investis dans l’observation des pratiques électorales dans le mondes
pour réaliser une étude générale sur les mécanismes juridiques de gestion des élections politique
au Cameroun, ceux-ci découlant logiquement du droit de la gouvernance électorale. Ces différents
documents insistent constamment sur la nécessité pour les pouvoirs publics camerounais d’inscrire
résolument la gouvernance électorale à la normalité de la gestion publique, c’est-à-dire
42 Article 4 (2) Charte Africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. 43 Article 10 (1) Loi n°2012/001 du 19 avril 2012 portant code électoral. 44 Voir M. ONDOA, « Ajustement structurel et réforme du fondement théorique des droits africains postcoloniaux :
l’exemple camerounais », RASJ, Vol. 2, n° 1, 2001, p.91, cité par ZIBI P., Thèse, op.cit., p.81.
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conformément aux exigences de neutralité, de responsabilité, de transparence et de sincérité. On
peut en tout cas lire de telles recommandations dans les différents Rapports d’ELECAM et/ou de
la désormais Commission des Droits de l’Homme du Cameroun produits à l’occasion des rendez-
vous électoraux. Mais cependant, s’il est vrai que ces Rapports et Études sont dépourvus de toute
signification juridique comme l’enseigne le Professeur Magloire ONDOA, il n’en demeure pas
moins vrai qu’ils constituent des sources matérielles pertinentes qui inspirent constamment le
législateur à orienter la gouvernance du processus électoral dans le sens qui convient pour assurer
la légitimité des gouvernants. Ces sources matérielles participent pour ainsi dire de la formation
même du droit électoral.
Quoiqu’il en soit, la détermination de ce préalable permet de percer à jour l’effet de sens
recherché lorsqu’on envisage cette mobilisation massive des textes autour du concept de
gouvernance, et, partant, des principes et préceptes qui en constituent sa substance même.
2- La détermination de l’effet recherché
Pour mieux comprendre le sens et l’essence du droit de la gouvernance électorale qui, il faut
le dire, n’est pas le fruit d’un hasard, il convient de convoquer à l’analyse la grille de lecture
« herméneutique » et même « factualiste ». Il s’agira par leur entremise de révéler le dessein de
l’effort organisationnel entrepris par les pouvoirs publics depuis une vingtaine d’années.
La première grille de lecture celle notamment dite de « l’herméneutique » amène à poser des
préalables. De son étymologie grecque « hermeunèo », le mot « herméneutique » veut dire «
interpréter ». C’est alors la partie de la critique qui consiste à déchiffrer, traduire et à interpréter
les textes. Dans De l’art de philosopher avec sobriété et précision, ANTOINE GUILLAUME
AMO, notait en 1738 que « l’art d’interpréter ou herméneutique est une attitude de l’intelligence
théorique qui, par des règles logiques et des moyens appropriés mis en œuvre, dégage le sens d’un
texte assez spécial ». Pour cet auteur, toutes les choses sont déterminées selon une intention et une
fin. Mais dans la mesure où celles-ci sont souvent cachées, il incombera au chercheur d’adopter
une attitude féconde pour les révéler. Dans le cadre de cette étude, l’exploitation de cette approche
en considération d’un contexte marqué à la fois par la persistance de la remise en cause des règles
électorales et parallèlement du relâchement du lien social, a permis de mettre en lumière les fins
poursuivies par les autorités étatiques. Il est donc possible d’établir que, d’un point de vue « spécial
», c’est-à-dire, ce qui se rapporte à un dessein déterminé, le droit de la gouvernance électorale met
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en perspective la dynamique de restauration de la participation politique au travers l’instauration
de mécanismes juridiques et de techniques managériales mieux adaptés à la réalisation d’élections
démocratiques. La « modernité » juridique à laquelle le Cameroun aspire ainsi donnerait
l’assurance d’une stabilité et d’une pérennité de la société politique. Tel est d’ailleurs le cheval de
bataille du constituant de 1996 lorsqu’il réitéra le droit de chacun de participer, en proportion de
ses capacités, aux charges publiques… Ces termes non exhaustifs du préambule de la loi
constitutionnelle camerounaise du 18 janvier 1996 laissent entrevoir un objectif plus large. D’un
point de vue « universel », c’est-à-dire, ce qui est commun à tous, le droit de la gouvernance
électorale s’inscrit dans le sillage de la construction démocratique, et partant, la modulation des
antagonismes politiques.
On le voit bien, dans une société politique, les choses sont conçues et destinées à une fin précise
avant d’être matérialisées. Et c’est à ce juste titre qu’il convient de prendre en considération la
grille de lecture « factualiste » autrement appelée sociologie du droit. En tant qu’il est un «
phénomène empirique », l’étude ordonnée du droit de la gouvernance appelle à interroger les
conditions de son émergence, ses mécanismes de mise en œuvre et son impact social. Cette
restitution préalable permet de comprendre avec LÉON DUGUIT que le droit qui émerge des
nécessités sociales constitue la réponse commune apportée dans l’optique d’harmoniser les
rapports entre les membres. Et c’est à partir de ce moment qu’il est possible d’envisager en toute
sérénité l’apport de l’approche « factualiste » ou sociologique du droit. Dans le cadre de cette
étude, l’emprunt de la grille sociologique nous a permis, en considération d’un contexte
camerounais marqué par la détérioration continue des situations électorales, de repréciser l’objectif
social objectivé alors par les autorités étatiques et de mettre en lumière les conditions d’émergence
des mécanismes juridiques de gestion des élections politiques à travers l’adoption de techniques
particulières telles que suggérées par les logiques du droit de la gouvernance électorale. Mais pour
le dire simplement, le droit de la gouvernance qui plus est, électorale, objective incontestablement
la revalorisation démocratique des élections politiques.
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Conclusion
La judicisation du concept de gouvernance qui a donné lieu à l’avènement d’une catégorie
juridique nouvelle, le droit de la gouvernance, conduit à considérer dans sa dynamique
l’émergence d’autres sous-catégories juridiques à la manifestation de laquelle découle
logiquement le droit de la gouvernance électorale. L’avènement de ce dernier qui n’a pas échappé
dans sa formation à l’érection en droit électoral du concept de gouvernance et des préceptes
managériaux auxquels il est rattaché, occupe désormais une place de choix dans l’ordonnance
juridique nationale duquel il tire incontestablement ses sources. Il faut néanmoins reconnaitre qu’il
reste inconnu du grand public, pas plus d’ailleurs que le droit de la gouvernance lui-même. Mais
ceci ne remet pas en cause, cependant, sa pertinence existentielle ni même théorique.
L’observation de la dynamique législative a en tout cas révélée une mobilisation
constructive des acteurs internationaux et nationaux autour du concept de gouvernance et dont le
décryptage du message juridique subliminale qui en découlait a permis, à l’aide des travaux
pionniers de la doctrine, de percer à jour l’existence d’une catégorie juridique tout aussi
particulière qu’émergente, le droit de la gouvernance électorale. Ce droit qui s’origine des sources
tant bien formelles que matérielles identifiées justifie alors sa pertinence existentielle et théorique.
Au demeurant, les dimensions théoriques ainsi formulées constituent, en dernière analyse, un
véritable plaidoyer visant à attirer l’attention de la doctrine à l’effet de s’investir davantage dans
la promotion et la vulgarisation du droit de la gouvernance, et, partant, de l’ensemble des branches
qui en découlent. La révélation et l’étude du droit de la gouvernance électorale participe en tout
cas de cette vulgarisation.
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La règle de l’inattaquabilité du titre foncier au regard de la
dynamique du droit public africain
Par :
Rodrigue Stéphane Agathon ONDOA
Doctorant en droit public
Université de Douala (Cameroun)
Résumé :
La problématique de la sécurisation du titre foncier trouve un intérêt renouvelé lorsqu’on
aborde la règle dite de l’inattaquabilité. Cette règle emblématique qui constitue l’une des pierres
angulaires de la sécurisation de la propriété foncière est susceptible de perceptions dont la portée
varie à la dynamique du droit public africain. Ainsi, si de prime abord l’importance du titre foncier
est incontestablement marquée par l’autorité dont il est investi et confirmé par la mobilisation
d’un protocole de mesures juridiques tendant à assurer sa protection contre d’éventuelles pétitions
intempestives, cette grande tendance du droit public africain est toutefois relativisée pour des
raisons tenant à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Il était alors question dans cette contribution
d’appréhender au regard du droit foncier africain la portée juridique du sacro-saint principe de
l’inattaquabilité du titre foncier. La lecture constante qu’il convient de faire à ce titre est que,
cette règle, en dépit de sa dimension sacramentelle, reste malgré tout limitée au regard de la
dynamique du droit public africain.
Mots-clés : Droit foncier , Droit public africain, Sécurisation, Propriété foncière, Inattaquabilité
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Introduction
La terre est sans doute l’un des éléments de la nature sans la présence de laquelle la
sédentarisation de l’homme serait rendu difficile. Son accès est appréhendé aujourd’hui comme
un droit inaliénable de l’homme, et dont la disponibilité et la viabilité doivent constituer pour les
États un axe prioritaire dans la définition des politiques publiques de développement. D’ailleurs la
terre est considérée à ce jour comme un outil de développement économique et joue par conséquent
un rôle prépondérant dans l’activité économique. Il faut en tout cas reconnaitre pour le moins qu’on
puisse dire que le droit des citoyens à la terre peut, certes, être traduit de différentes manières selon
les considérations juridiques propres à chaque pays, mais, se rapportant constamment à la même
idée dans le fond. Ainsi par exemple, le droit des citoyens à la terre est-il traduit par les constituants
africains à travers le sacro-saint principe du droit de propriété, principe en vertu duquel tout homme
a le droit de se fixer en tout lieu sous réserve des prescriptions légales relatives à l’ordre public, à
la sécurité et à la tranquillité publique1. Mais bien qu’apparaissant sous différentes formulations,
ce droit est néanmoins consacré et exprimé au plus haut point dans les instruments juridiques de
l’instance panafricaine à travers la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples2 et, plus
récemment, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance qui réaffirme
l’engagement des États parties à assurer que les citoyens jouissent effectivement des droits
fondamentaux de l’homme3. Le droit des citoyens à la terre est pour ainsi dire un droit fondamental
et inaliénable exprimé à travers la consécration du droit de propriété, et à la manifestation de
laquelle s’inscrit le titre foncier, objet principal de notre étude.
Par ailleurs, la constance de certaines régularités observées en matière foncière dans les
législations nationales et capitalisées dans le cadre de cette étude jette une lumière sur la trajectoire
du droit foncier en Afrique, droit dont les dynamiques sont principalement encadrées et orientées
par ce qu’il conviendrait d’appeler droit public africain. Tout porte à considérer en effet que le
processus d’harmonisation des législations déjà engagé dans certains domaines tels que
1 À titre d’illustration voir par exemple le Préambule de la loi Constitutionnelle Camerounaise du 18 janvier 1996 ;
l’article 35 de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006 ; l’article 15 de la
Constitution Ivoirienne du 23 juillet 2000 ; l’article 35 de la Constitution du Royaume du Maroc (Dahir n°1-11-91 du
27 chaabane 1432 (29 juillet 2011)) ; article 33 al. 2 (a) de la Constitution de la République Fédérale du Nigéria de
1999 ; le Préambule de la Constitution du Sénégal ; l’article 14 de la Constitution de République Tunisienne Loi n°
59-57 du 1er juin 1959 ; l’article 27 de la Constitution Togolaise de la IVème République. 2 Selon l’article 14 de ce texte, « le droit de propriété est garanti ». 3 Article 6 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance.
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l’éducation, les affaires, les finances publiques pour ne citer que ces quelques occurrences,
aboutira inéluctablement à l’harmonisation en Afrique du droit foncier. Une telle perspective est
déjà perceptible voire même en gestation puisqu’en l’état des droits fonciers nationaux, il existe
des régularités et des constances qui incontestablement sont, tout compte fait, des matériaux de
base servant la construction d’un droit foncier harmonisé. Il n’est donc pas fait entorse à la logique
juridique en parlant, en la matière, de droit public africain, puisque de toute évidence, même s’il
est vrai que l’Afrique n’est pas une réalité homogène constituée d’un droit positif unique,
l’ampleur des régularités observées dans les législations des entités souveraines qui la compose
autorise à envisager, du moins à l’échelle continentale, un droit public unifié ou harmonisé,
d’autant qu’il existe à ce niveau élevé une densité de règles constamment sécrétées par l’Union
Africaine et destinées à la régulation de la vie publique de l’ensemble des États membres. Le droit
public africain pourrait-on ainsi le qualifier apparait donc comme le produit des régularités
juridiques présentes à diverses échelles de la régulation de la vie publique en vue de proposer une
législation commune régissant, au niveau africain, « l’organisation des pouvoirs publics politiques,
administratifs et judiciaires, et la mise en œuvre de l’action publique définie par les gouvernants
et appliquée par leurs administrés »4. On l’aura donc sans doute compris, le site africain constitue
pour cette modeste contribution, le terrain expérimental utilisé à l’occasion pour rendre compte de
la dynamique en Afrique de la règle de l’inattaquabilité du titre foncier régulièrement posée par
les textes africains.
Dans ce sillage africain, on observe une certaine détermination des pouvoirs publics
nationaux qui ne ménagent aucun effort à travers la précision de cadres juridiques, qui, non
seulement favorisent et garantissent l’accès de tous à la terre, mais aussi, apportent un minimum
de sécurité aux propriétaires terriens titulaires d’un titre foncier dument acquis. Et le droit foncier
qui intègre nécessairement cette dynamique d’ensemble, présente des constances et des régularités
indéniables selon qu’il s’agit du droit en vigueur dans telle ou telle entité souveraine du continent.
C’est le lieu ici d’indiquer que le droit foncier est constitué par l’ensemble des règles juridiques
concernant les propriétés immobilières, en particulier les terrains et à la manifestation de laquelle
4 Cf. Résumé, GALLETTI Florence, Les transformations du droit public africain francophone - Entre étatisme et
libéralisation, Bruylant (Emile), 01/06/2005, 682 pages. Consulté le 05/09/2021 sur www.dicitre.fr
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s’articule le titre foncier, document de certification de la propriété immobilière5. Ce dernier est
autrement dit le document administratif qui confirme et certifie le titre de propriété dont pourrait
se prévaloir un individu sur telle ou telle parcelle de terre. Donnant en effet lieu à l’établissement
d’un titre foncier, l’acquisition de la terre est au regard de la constance du droit public africain,
sujette à une procédure administrative qui donne à son titulaire de jouir et d’exercer un ensemble
de droits mobilisés autour du triptype usus-fructus-abusus6. Les droits ainsi attachés à la propriété
foncière se veulent permanents et exclusifs du moment où le titre foncier est investi d’une autorité
qui le met à l’abri de toute action tendant à sa remise en cause. On assiste donc à une certaine
sacralisation du titre foncier dont l’expression se révèle, en droit public africain, à travers la mise
en œuvre d’une protection juridique particulière, traduite et déployée dans les textes nationaux par
la consécration de la règle dite de l’inattaquabilité7. La référence ainsi faite au droit public dans le
cadre de l’étude sur l’inattaquabilité du titre foncier se trouve justifiée en ce que la procédure
d’obtention même de ce document est gouvernée par les règles de droit public, ce qui fait d’ailleurs
du titre foncier un document administratif dont les règles de protection vont également révéler la
prépondérance du droit public. C’est du moins l’idée défendue par la doctrine majoritaire
relativement à la nature juridique du titre foncier qui, suivant les propos de Monsieur MPESSA
Aloys, « n’est donc qu’une variété d’acte administratif unilatéral, issu d’une opération complexe,
qui émane d’une autorité administrative »8. Mais tout compte fait, l’étude rapprochée de ce droit
permet d’établir qu’au cœur de cette dynamique de sécurisation s’articule la règle de
l’inattaquabilité du titre foncier dont l’objectif ultime est d’assurer la permanence de ce document
vue l’importance qu’il revêt. Ainsi suggéré, l’incontestabilité immédiate du titre foncier de laquelle
5 C’est du moins ce qui transparait clairement de la législation camerounaise à la lecture de l’article premier du Décret
n° 76-165 du 27 avril 1976 Fixant les conditions d’obtention du titre foncier, modifié et complété par le Décret N°
2005/481 du 16 Décembre 2005. 6 La qualité de propriétaire terrien confère au titulaire de jouir d’un certain nombre de droits ou de prérogatives à
l’articulation de laquelle s’exerce le droit d’user de la chose (usus), le droit d’en percevoir les fruits (fructus) et le droit
d’en disposer (abusus). Cf. Raymond Guillien et Jean Vincent, Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 12e
édition, 1999, p.211. L’usus est le « droit du propriétaire d’une chose d’en jouir ou d’en user à sa guise » ; le fructus
désigne « le droit de percevoir les fruits d’une chose meuble ou immeuble (ces fruits peuvent être civils, industriels
ou naturels) ; l’abusus désigne « le droit d’aliéner un bien ». Cf. GATSI Jean, Dictionnaire juridique, Presses
Universitaires Libres, 2e édition, 2010, 340 pages. 7 Pour quelques occurrences légales, voir par exemple l’article premier du décret n°76/165 du 25 avril 1976 fixant les
conditions d’obtention du titre foncier au Cameroun. Ce texte vient ainsi poser la règle de « l’incontestabilité
immédiate » du titre foncier obtenu régulièrement (Cf. MPESSA A., op.cit., p.626). 8 MPESSA A. (2004). « Le titre foncier devant le juge administratif camerounais : les difficultés d’adaptation du
système Torrens au Cameroun », Revue générale de droit, 34 (4), 611–659, p.635. https://doi.org/10.7202/1027311ar.
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découle logiquement la règle dite de l’inattaquabilité consacrée en droit public africain s’érige, on
l’aura compris, comme un outil clé de la politique juridique de sécurisation de la propriété foncière.
Au demeurant, le titre foncier au regard de son importance matérielle va faire l’objet de
convoitises légitimes et parfois malsaines au point de le mettre dans une situation peu confortable
en raison de l’accumulation et de la convergence d’un certain nombre de faits et de pratiques qui
ne sont pas sans incidences sur la stabilité du protocole de sécurisation mobilisé par les pouvoirs
publics nationaux. Pour tout dire, la récurrence de ces faits tendent à fragiliser le système de
protection du titre foncier, et, partant, dévoient sa sacralité. C’est que pour avoir le précieux
sésame, il n’est pas rare de voir les demandeurs de titre foncier se livrer à des pratiques mêmes des
plus insidieuses pour parvenir à leurs fins, d’autant qu’il est souvent rapporté et établi au terme
des procès que certains titres fonciers sont délivrés par l’entremise de procédures administratives
dont les irrégularités se sont avérées manifestes, déteignant, au final, sur l’autorité des titres
fonciers acquis dans ces conditions. Et c’est au cœur de ce paradoxe que se positionne l’objet de
notre étude qui, il faut le rappeler, s’organise autour de la règle de l’inattaquabilité du titre foncier
au regard de la dynamique du droit public africain. Par ailleurs, cette étude part de l’observation
empirique d’une pratique devenue assez récurrente et embarrassante pour les juges africains qui
sont souvent appelés à statuer sur les recours formulés par les pétitionnaires en contestation de
l’autorité de tel ou tel titre foncier détenu par tel ou tel propriétaire alors même que les textes en
vigueur ont formulé son caractère inattaquable. Ces procès sont d’autant plus délicats lorsqu’on
sait la robustesse de la législation africaine et la rigidité des positions jurisprudentielles militant
presque toujours en faveur de la stabilité du titre foncier. Mais pour autant, les titres fonciers se
valent-ils encore aux yeux du législateur africain et des juges protecteurs de la légalité lorsqu’il est
clairement établi que certains titres fonciers ont la fâcheuse réputation d’avoir été obtenu en marge
de la rigueur du droit posé. Il va alors sans dire qu’un bénéficiaire ne pourra en toute logique
invoquer le principe de l’inattaquabilité pour se prévaloir d’une quelconque protection toutes les
fois qu’il sera établit que le titre foncier querellé aura été obtenu à la suite de démarches
administratives douteuses. Et dans ce contexte plutôt défavorable, on voit nettement se dessiner
les frontières juridiques du principe de l’incontestabilité. Vue sous cet angle, on est tenté de passer
au crible l’actualité d’un principe cardinal pourtant mobilisé à la cause de la stabilité juridique du
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titre foncier. Comment dès lors appréhender la portée de la règle de l’inattaquabilité du titre foncier
au regard de la dynamique du droit public africain sans courir le risque de dévoyer sa sacralité ?
À partir d’une lecture juridique9 tintée de normativisme10 et de relativisme11, il est possible
d’observer une double posture du droit public africain, autant il est mobilisé autour du sacro-saint
principe de l’inattaquabilité du titre foncier d’ailleurs érigé en caractère fondamental (I), autant il
en relativise sa portée juridique pour des raisons d’ordre publique qu’il conviendra de préciser (II).
I- UNE MOBILISATION EFFECTIVE DU DROIT PUBLIC AFRICAIN EN
FAVEUR DE L’INATTAQUABILITE DU TITRE FONCIER
Le droit des citoyens à la terre, convient-il d’en repréciser, est un droit fondamental dont
l’inaliénabilité est constamment affirmée par des instruments juridiques divers, qu’ils soient de
portée internationale, régionale, sous régionale ou nationale. L’universalité qui le caractérise
justifie alors son inscription dans la quasi-totalité, sinon dans l’ensemble des législations foncières
à travers le monde. Son expression est d’autant plus affirmée lorsqu’on sait l’ampleur des conflits
provoqués par la ruée à la terre. La terre est en effet « au centre d’une problématique aux enjeux
multiples dont la complexité et le caractère récurrent font penser à un nœud gordien. Ainsi, il ne
se passe pas un seul jour sans que les instances de régulation que sont les autorités coutumières
administratives et judiciaires ne soient saisies de conflits fonciers opposant différents acteurs dont
les intérêts, les stratégies et les logiques d’occupation ou d’appropriation sont divergentes, voire
9 Selon la doctrine, la méthode juridique reste un outil indispensable pour « une meilleure compréhension des
dispositifs normatifs et de leurs mécanismes institutionnels. Elle se justifie ici par une connotation juridique du champ
de réflexion ». Voir Christian ATIAS, Epistémologie juridique, Paris, P.U.T., 1985, p.54. 10 L’approche normativiste « vise à décrire les normes existantes et non à élaborer de nouvelles normes ou à remettre
en cause les normes existantes. Le normativisme correspond à l’approche formaliste du positivisme classique et à la
théorie analytique du droit. » (MOUANGUE KOBILA J., Méthodologie de la thèse de doctorat et du mémoire de
master en droit public, Université de Douala, Faculté des sciences juridiques et politiques, 19 octobre 2018, p.32.) Ou
davantage à appréhender le droit dans son expression normative formelle (M. BENNOUNA, Droit international du
développement, Tiers-monde et interprétation du droit international, Paris, Berger-Levraut, 1983, pp.25 et Ss). Cette
approche permettra ainsi d’appréhender le contenu des instruments juridiques africains mobilisés autour du principe
de l’inattaquabilité du titre foncier pour en déterminer les sens et les contours. 11 Selon le Professeur BENNOUNA, le relativisme juridique consiste à « rechercher les réalités concrètes derrière
l’expression formelle de l’accord des volontés étatiques, à revenir aux réalités socio-économiques en aval, et en amont
de la règle de droit, à dégager les contradictions en présence pour en saisir la signification et la portée véritable des
accords contractés par les Etats ». Cf. Mohamed BENNOUNA, Droit international du développement. Tiers monde
et interpellation du droit international, Paris, Berger-Levrault, 1983. On pourra par exemple dire qu’il y a un
relativisme juridique au sens où « le juriste accepte de soumettre le caractère légal d’une pratique aux règles propres
à un lieu, une époque, un groupe de personnes ». Il s’agira donc d’appréhender la portée réelle du principe de
l’inattaquabilité du titre foncier pour en cerner les frontières juridiques.
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antagoniques »12. C’est dans ce sillage qu’il convient d’appréhender l’institution du titre foncier
comme instrument de rationalisation de l’accès à la terre et de justification, par conséquent, de la
qualité de propriétaire terrien. Cette considération générale à laquelle ont souscrit les États
démocratiques actuels, va ainsi se traduire, pour ce qui concerne particulièrement l’Afrique, par
une mobilisation juridique inédite en faveur de la sécurisation du titre foncier à l’effet d’assurer la
permanence des droits déduits de la propriété foncière. D’où l’affirmation assez constante d’un
certain nombre d’attributs dont l’expression juridique marque clairement les axes de la sécurisation
du titre foncier. Et au rang de ces attributs figure en bonne place la règle dite de l’inattaquabilité
autrement traduit par l’incontestabilité immédiate du titre foncier. D’ailleurs une certaine
mobilisation du droit public africain en faveur de cette règle s’observe aisément en ce sens.
L’effectivité13 de la règle de l’inattaquabilité apparait en droit public africain à la fois comme un
moyen d’affirmation de l’autorité (A) et de protection (B) du titre foncier.
A- Une effectivité consacrant l’autorité du titre foncier
L’étude comparée des législations africaines révèlent des régularités qui montrent, s’il était
encore besoin de le dire, le caractère universel de certains droits dont l’importance va justifier la
mobilisation des pouvoirs publics en faveur de leur pérennité. Le droit des citoyens à la terre se
trouve-t-il dans cette catégorie de droits universels matérialisé, cependant, par la justification d’un
titre de propriété. Ainsi nommé, le titre foncier constitue pour le citoyen le document sans la preuve
de laquelle il ne pourra prétendre revendiquer un quelconque droit sur tel ou tel parcelle de terre.
12 Cf. Gago Shélom Niho, Cours de droit foncier ivoirien, Université Félix Houphouet Boigny de
Cocody/Abidjan.31/05/2017. [En ligne] sur www.ivoirien-juriste.com consulté le 15 septembre 2021. 13 Il faut reconnaitre qu’en dépit des très nombreuses études menées sur le concept d’effectivité, celui-ci reste aussi
complexe que fascinant. D’ailleurs, il ne figure qu’exceptionnellement dans le dictionnaire Larousse comme pour
signifier le « caractère de ce qui est effectif », c’est-à-dire « ce qui est fait, exécuté ou achevé » et/ou « un effet, une
réalisation, un accomplissement ». Sinon, ce terme n’existe dans aucun autre dictionnaire français, pas même celui de
l’académie française comme Julien Bétaille le fait remarquer. Néanmoins, et sans revenir sur les travaux qui ont permis
de construire ce concept aux allures insaisissables, l’on retiendra que le terme d’effectivité à une « vocation pratique
dans la mesure où elle vise à évaluer les degrés d’application du droit, à préciser les mécanismes de pénétration du
droit dans la société » (Selon RANGEON F., « Réflexions sur l’effectivité du droit », in CURAPP, Les usages sociaux
du droit, PUF, 1989, p. 128.). C’est autrement dit « l’instrument conceptuel d’évaluation (du) degré de réception (de
la norme), le moyen de mesurer des "écarts" entre pratique et droit » (Pierre Lascoumes et Evelyne Serverin, « Théories
et pratiques de l’effectivité du droit», Droit et Société, n° 2, 1986, p. 127.) Mais mieux encore, le « degré de réalisation,
dans les pratiques sociales, des règles énoncées par le droit » (Pierre Lascoumes, entrée « effectivité », in André-Jean
Arnaud (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, 2ème éd., LGDJ, 1993, p. 217.). Sur
les auteurs référencier, voir Julien Bétaille, « Le concept d’effectivité-action », in Los retos actuales del derecho
administrativo en el Estado autonómico: estudios en homenaje al profesor José Luis Carro Fernández-Valmayor
(coord. Luis Míguez Macho, Marcos Almeida Cerreda), Vol. 2, 2017, pp. 367-383.
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L’importance ainsi formulée du titre foncier va nécessiter une mobilisation particulière des
pouvoirs publics africains afin d’assurer sa stabilité et sa pérennité juridique, preuve sans doute
que ce document est investi d’une certaine autorité qu’il conviendrait d’illustrer.
L’autorité ainsi consacrée du titre foncier au regard de la convergence en droit public
africain des moyens de son affirmation, s’évalue à l’aune de l’énonciation d’un certain nombre de
caractères propres (1) qui révèle alors la dimension singulière (2) de ce document officiel de
certification de la propriété immobilière.
1- La constance des caractères du titre foncier
L’étude de la législation foncière en Afrique amène à considérer sans ambiguïté le titre foncier
comme l’acte de naissance de la propriété immobilière. D’ailleurs, il se forme une certaine
unanimité juridique en l’idée que le titre foncier est le document officiel de certification de la
propriété immobilière14, lequel donne alors lieu à la jouissance par le titulaire des droits réels qui
y sont attachés15. Cette perspective juridique s’inscrit en effet dans le sillage de l’engagement pris
par les États membres de l’Union africaine d’accorder désormais une attention particulière au droit
au développement lorsqu’ils réaffirmaient leur attachement aux droits de l’homme et des peuples
contenus dans les déclarations, conventions et autres instruments adoptés dans le cadre de
l’Organisation Africaine16. Faut-il encore rappeler que le droit des citoyens à la terre est désormais
envisagé comme un droit fondamental et inaliénable de l’homme. Et l’institution du titre foncier
se positionne à la fois comme moyen juridique de reconnaissance de la propriété immobilière et
de consolidation des droits qui s’y rapportent. Le Professeur Jean GATSI n’en dit pas d’ailleurs
14 À titre d’illustration, voir l’article 1er du décret camerounais n°76/165 du 27 avril 1976 fixant les conditions
d’obtention du titre foncier et réitérée par le décret de n°2005/481 du16 décembre 2005. 15 Ainsi par exemple à la lecture de la loi sénégalaise N°2011-07du 30 mars 2011 portant régime de la propriété
foncière, l’acquisition par un tiers d’un titre de propriété sur un immeuble à la suite d’une immatriculation dument
consignée dans le Livre foncier (Article 14), confère au titulaire la jouissance d’un certain nombre de droits réels
tenant notamment à l’usufruit, au droit d’usage et d’habitation, à l’emphytéose, aux droits de superficie, de servitudes
et de services fonciers, aux privilèges et hypothèques et des actions qui tendent à revendiquer ces droits réels (Article
19). Dans la même veine, le législateur malien en posant d’une part que « Le service de la conservation foncière,
gestionnaire du régime de la propriété foncière, assure aux titulaires la garantie des droits réels soumis à publicité
qu'ils possèdent sur les immeubles relevant du régime de l'immatriculation […] » (Article 71), et d’autres part que le
titre foncier constitue, devant les juridictions maliennes le point de départ unique de tous les droits réels existant sur
l'immeuble au moment de l'immatriculation (Article 169), consacre quasiment les mêmes droits réels que son
homologue sénégalais en ajoutant cependant l'antichrèse (Article 88) tel que cela se dégage de l’ordonnance N°00-
027/P-RM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier. 16 Voir le Préambule de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples.
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autre chose lorsqu’il écrit que « la propriété est également devenue un des droits fondamentaux et
inaliénable de l’homme consacré dans la plupart des constitutions »17. Pour toutes ces raisons, le
titre foncier est investi d’une autorité juridique dont l’expression par les législateurs fonciers
africains se mesure à l’aune de l’affirmation de caractères qui singularisent alors ce document. Le
Directeur camerounais du cadastre Jean Bosco Awono, ne croyait pas si bien le dire lorsqu’il
affirmait dans un quotidien que le titre foncier doit être inattaquable et définitif18.
Mais en toute hypothèse, il faut reconnaitre que les législations africaines dédiées à la propriété
foncière n’ont pas attendu que soit formulé le vœu cher au Directeur camerounais en charge du
cadastre, puisqu’au regard de la tendance textuelle ambiante, il se dégage une constance, que le
titre foncier revêt des attributs juridiques qui marquent sa dimension sacramentelle, et à la
manifestation de laquelle sont constamment énoncés les caractères inattaquable, intangible et
définitif19 auxquels on peut valablement ajouter les caractères irrévocable et imprescriptible20.
Ainsi, quel que soit l’environnement juridique africain spécifiquement considéré, le titre foncier
reste-t-il imprégné des considérations tenant à son intangibilité, à son inattaquabilité et à son
caractère définitif. Ceci fixé, il convient dès lors de faire quelques précisions utiles sur
l’entendement juridique de ces caractères.
D’entrée de jeu, il faut indiquer que pour les besoins de la cause, nous nous référons à certaines
tendances doctrinales, mais encore, aux considérations du juge a qui il appartient d'en donner le
sens et la portée juridiques exacts vue que les textes africains qui consacrent ces attributs du titre
foncier ne sont pas suffisamment explicites.
Relativement au caractère inattaquable du titre foncier, objet de notre contribution, il est
suggéré qu’en principe, aucune action portant sur ce document ne peut être recevable. Le
17 GATSI Jean, Droit des biens et des sûretés dans l’espace OHADA, Presses Universitaires Libres, Douala, 2012,
pp.6-7. 18 Cf. Camer.be, 30 septembre 2016. 19 À titre d’illustration il est assez constant de lire dans les législations foncières africaines que « Le titre foncier est
définitif et inattaquable » tel que cela se dégage par exemple de l’article 169 de l’ordonnance malienne N°00-027/P-
RM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier; de l’article 42 de la loi sénégalaise N°2011-07du 30 mars 2011
portant régime de la propriété foncière. Le législateur camerounais abonde dans le même sens lorsqu’il pose à l'article
1er alinéas 1 et 2 du décret n° 76-165 du 27 avril 1976 que Sous réserve des dispositions des articles 2 (alinéa 3) et 24
du présent décret, le titre foncier est inattaquable, intangible et définitif. 20 Article 61 Loi n°3/2012 du 13 août 2012 portant ratification de l’ordonnance n°5/2012 du 13 février 2012 fixant le
régime de la propriété foncière en République gabonaise.
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législateur sénégalais l’exprime d’ailleurs en de termes clairs lorsqu’il pose que : « Toute action
tendant à la revendication d’un droit réel non révélé en cours de procédure et ayant pour effet de
mettre en cause le droit de propriété même d’un immeuble immatriculé est irrecevable »21. Cette
disposition n’est d’ailleurs pas éloignée de celle formulée par le législateur gabonais qui pose
qu’« Aucun recours ne peut être exercé sur l’immeuble à raison d’un droit réel par suite d’une
immatriculation »22.
C’est dire qu’une fois que le titre foncier a été délivré par les autorités administratives
compétentes, aucun recours n’est dès lors admis. Cet attribut vient ainsi réitérer avec force, le
principe d'incontestabilité immédiate23 qui assure la protection de tout détenteur de titre foncier
obtenu régulièrement24. L’inattaquabilité du titre foncier apparait en tout cas comme la marque
distinctive propre à tout régime foncier dérivé de l’Act Torrens comme Pierre Lampue semble
l’indiquer lorsqu’il écrit que : « Ces formules énoncent le principe essentiel et le plus
caractéristique du régime de l'immatriculation foncière, principe que l’on retrouve dans les autres
textes instituant un pareil régime dans différents pays africains. Il a été jugé nécessaire de le
consacrer, pour atteindre les buts visés par le législateur, c'est-à-dire, la clarté et la sécurité des
droits sur le sol. Il faut en effet, que le titre foncier établi à la suite d'une procédure destinée à
assurer un examen complet de la situation matérielle et juridique d'un immeuble, soit doté d'une
force probante irréfragable et ne puisse pas être remis en question »25.
En tout état de cause, une fois établit, le titre foncier devient intangible et définitif.
L’intangibilité attachée au titre foncier induit l’idée force qu’une fois délivré, celui-ci ne peut
plus faire l’objet de retranchement ni d’ajout de mentions ceci dans le but de préserver sa
correspondance d’avec les souches conservées dans le Livre Foncier. Mais de façon plus précise,
la règle de l’intangibilité du titre foncier appel à envisager une double lecture juridique et
matérielle. Ainsi à la suite de la doctrine, MPESSA Aloys soutient que :
21 Article 43 de la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la Propriété foncière. 22 Article 63 Loi n°3/2012 du 13 août 2012 portant ratification de l’ordonnance n°5/2012 du 13 février 2012 fixant le
régime de la propriété foncière en République gabonaise. 23 BROCHU François, « Le système Torrens et la publicité foncière québécoise », Canada, Revue de droit McGill, n°
47, 2002, p.641. Cité par MPESSA A., op.cit., p.626. 24 MPESSA A., op.cit., p.626. 25 Ibid., p.626.
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« Du point de vue juridique, la règle de l’intangibilité du titre foncier « signifie tout d'abord, que la
personne désignée au titre foncier lors de son établissement, est réputée propriétaire originaire de
l'immeuble. Et ensuite, que les limites matérielles ne peuvent plus être contestées. Cette disposition peut
s'articuler en deux propositions : les droits inscrits ne peuvent plus être contestés ; les droits non révélés
ne peuvent plus être inscrits et les droits non-inscrits ne peuvent plus être remis en cause, ni par les parties
qui ont signé les conventions qui les consacrent, ni par les tiers qui y sont étrangers. Les droits non révélés
ne peuvent non plus être inscrits. A l'issue de la procédure d'immatriculation marquée par une large
publicité, et concrétisée par la délivrance du titre foncier, les droits non révélés sont ignorés et réputés non
avenus. […] Du point de vue matériel, l'intangibilité du titre foncier signifie qu'en principe, aucune
modification matérielle postérieure, ne peut plus être apportée à la superficie de l'immeuble immatriculé.
C'est pourquoi, souligne-t-il, la description de l'immeuble (situation, superficie) est l'un des éléments
importants du dossier d'immatriculation » 26.
Pour terminer, le titre foncier revêt un caractère définitif en ce qu’il parachève en principe une
procédure minutieuse, marquant ainsi la fin de l’immatriculation. Sa remise en cause perd donc de
ce point de vue tout sens à condition cependant que la procédure qui a sous-tendu son obtention
soit conforme à la législation en vigueur.
S’il était encore besoin de le dire, le titre foncier, suivant la dynamique africaine du droit
public, est, au regard de l’affirmation constante de ses caractères, un document dont la démarcation
juridique ne fait l’ombre d’aucun doute.
2- La singularité juridique du titre foncier
L’acquisition de la propriété foncière est, en droit public africain, justifiée par la détention d’un
titre foncier. C’est donc ce dernier qui donne au citoyen de revendiquer avec succès la qualité de
propriétaire terrien de telle ou telle parcelle de terre. Le titre foncier apparait de ce point de vue
comme un document dont la sacralité va justifier sa singularité juridique, laquelle s’évalue à l’aune
de la procédure et de la qualification spécifique que les législateurs fonciers africains ont bien
voulu lui accorder.
Sur le premier moyen il existe plusieurs moyens d’obtention du titre foncier. Ainsi par exemple
le législateur camerounais en décline-t-il les modes d’obtention de ce document selon qu’il s’agit
26 MPESSA A., op.cit., pp.628-630.
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d’une dépendance du domaine national occupé ou exploité27, à la suite de démembrements ou
fusion d’immeubles immatricules28. Quoiqu’il en soit, l’obtention du titre foncier est, au regard de
la constance du droit public africain, soumise à une procédure administrative spécifique et
relativement complexe qui donne finalement à son titulaire de jouir des droits réels sur la propriété
dument acquise. Et d’une façon constante, il est possible d’établir à une nuance prête29 que
l’obtention du titre foncier en Afrique est soumise à une demande d’immatriculation préalable de
la parcelle de terre convoité30 auprès des autorités administratives en charge du cadastre et des
affaires foncières. C’est le lieu néanmoins de souligner que les demandes d’immatriculation, selon
qu’elles soient facultatives ou obligatoires, relèvent tantôt de la seule faculté de l’État31, tantôt
élargie à d’autres personnes32. Mais on l’aura sans doute compris l’immatriculation entend qu’elle
est une action par laquelle un immeuble est inscrit sur le registre foncier en vue de la création d’un
27 Voir les articles 9 ; 10 ; 11 ; 12 ; 13 ; 14 ; 15 ; 16 ; 17 ; 18 ; 19 ; 20 ; 21 du décret n° 76-165 du 27 avril 1976 fixant
les conditions d’obtention du titre foncier et modifié et complété par le décret N°2005/481 du 16 décembre 2005. 28 Voir les articles 22 ; 23 ; 24 ; 25 ; 26 ; 27 ; 28 ; 29 dû et modifié et complété par le décret N°2005/481 du 16
décembre 2005. 29 En effet, selon l’Article 5 de la Loi sénégalaise n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la Propriété
foncière, « L’immatriculation est facultative. Exceptionnellement, elle est obligatoire pour la validité des
conventions constituant, modifiant ou transférant un des droits énumérés à l’article 19 de la présente loi ». 30 Au Cameroun voir l’Art. 35. (Décret N° 2005/481 du 16 décembre 2005). « Chaque cas d'immatriculation donne
lieu à l'établissement par le conservateur foncier d'un titre foncier ». Le législateur gabonais se veut même on ne peut
plus clair en affirmant sans détour que « L’immatriculation est obligatoire » (Article 26 Loi n°3/2012 du 13 août 2012
portant ratification de l’ordonnance n°5/2012 du 13 février 2012 fixant le régime de la propriété foncière en
République gabonaise). 31 Pour citer quelques exemples :
Selon la législation malienne « Seul l'État peut demander l'immatriculation des immeubles » (ARTICLE 138 N°00-
027/P-RM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier). Le législateur sénégalais abonde également dans le
même sens lorsqu’il pose que « Seul l’Etat est autorisé à requérir l’immatriculation des immeubles aux livres
fonciers » (Voir l’Article 4 de la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la Propriété foncière). 32 Au Gabon notamment, les demandes d’immatriculation peuvent être formulées par plusieurs personnes. Ainsi, au
sens de la Loi n°3/2012 du 13 août 2012 portant ratification de l’ordonnance n°5/2012 du 13 février 2012 fixant le
régime de la propriété foncière en République gabonaise, il est fixé à l’Article 27 que : « Seuls peuvent requérir
l’immatriculation :
- le propriétaire ;
- le copropriétaire, lorsque celui-ci se trouve dans les conditions requises pour l’exercice de ce droit ;
- les détenteurs des droits réels notamment l’usufruit, l’habitation, l’emphytéose et l’antichrèse ;
- les détenteurs de servitudes foncières ou d’hypothèques, avec le consentement du propriétaire ou des copropriétaires
;
- le mandataire légal ».
Également, les Articles 28 et 29 de la même loi posent respectivement que : « Peut également requérir
l’immatriculation, le créancier hypothécaire non payé à l’échéance qui, en vertu de la décision de condamnation
devenue définitive qu’il a obtenue contre son débiteur, entreprend une saisie immobilière ».
« Le tuteur ou le curateur d’un incapable a qualité pour requérir l’immatriculation au nom de sa pupille, au cas où
celui-ci est détenteur des droits qui lui permettraient de la requérir lui-même, s’il n’était pas incapable ».
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titre conférant à son titulaire des droits réels33, se veut alors un processus non négligeable dans la
procédure d’acquisition du titre foncier. Ainsi, non sans avoir satisfait à certaines conditions
préalables à toute demande d'immatriculation34, toute réquisition d'immatriculation remise au
Conservateur de la propriété foncière, doit contenir, quel que soit l’entité souveraine considérée :
1. les noms, prénoms et qualité du représentant de l'État ;
2. une élection de domicile de celui-ci dans le ressort judiciaire où se trouve l'immeuble à
immatriculer ;
3. la description de l'immeuble, ainsi que des constructions et plantations qui s’y trouvent, avec
indication de sa situation, de sa contenance, de ses limites, tenants et aboutissants et, s'il y a lieu,
le nom sous lequel il est connu ;
4. la réquisition adressée au Conservateur de procéder à l'immatriculation.
La législation malienne se veut même encore plus précise lorsqu’elle fixe que le requérant doit
déposer à l'appui de sa réquisition, un plan de l'immeuble daté et signé, établi conformément aux
instructions topographiques, à l'échelle de :
- 1/100, 1/200 ou 1/500 pour les terrains urbains et suburbains bâtis ;
- 1/500, 1/1000, 1/2000, 1/5000 ou 1/10.000 pour les terrains lotis et les terrains ruraux;
- 1/5000 ou 1/10.000 pour les concessions minières35. Une fois la demande d’immatriculation
formulée, un extrait en est inséré, à la diligence du Conservateur au Journal Officiel ou dans un
journal autorisé à publier les annonces légales. […] Un placard reproduisant cette insertion est
33 Article 3 (nouveau) Loi n°3/2012 du 13 août 2012 portant ratification de l’ordonnance n°5/2012 du 13 février 2012
fixant le régime de la propriété foncière en République gabonaise. 34 La législation Malienne prévoit par exemple à l’article 141 de l’Ordonnance N°00-027/P-RM du 22 mars 2000
portant code domanial et foncier que : - Préalablement à toute demande d'immatriculation, l'immeuble doit être
déterminé quant à ses limites au moyen de bornes en pierre, en maçonnerie ou en béton plantées à chacun des sommets
du polygone formé par le terrain.
Ces bornes doivent comporter un dé et un socle. Le dé, à section carrée, mesurera au minimum 10 centimètres de
hauteur et 10 centimètres de côté. Le socle, enfoui en terre, aura la forme d'un tronc de pyramide d'au moins 20
centimètres de hauteur et 25 centimètres de côtés à la base inférieure.
Au Cameroun voir l’Art. 35 du Décret N° 2005/481 du 16 décembre 2005 modifiant et complétant le décret n° 76-
165 du 27 avril 1976 fixant les conditions d’obtention du titre foncier. 35 C’est du moins ce qui ressort de l’Article 142 de l’Ordonnance malienne N°00-027/P-RM du 22 mars 2000 portant
code domanial et foncier.
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adressé par le Conservateur au greffier du tribunal de première instance ou à la justice de paix à
compétence étendue, dans le ressort duquel se trouve l'immeuble, pour être affiché en l'auditoire36.
Cet affichage est maintenu au moins pendant 30 jours afin de susciter de toutes personnes
intéressées des interventions soit par oppositions, en cas de contestation sur les limites de
l'immeuble, soit par demande d'inscription, en cas de prétentions élevées à l'exercice d'un droit réel
susceptible de figurer au titre à établir37. Quoiqu’il en soit, une fois ce délai de 30 jours passé le
bornage de l'immeuble à immatriculer est effectué à la date fixée par le géomètre désigné à cet
effet, en la présence du représentant de l'administration et, autant que possible des propriétaires
riverains dûment convoqués38. Au cours de cette opération, le géomètre dresse, séance tenante, un
procès-verbal faisant connaître les jour et heure de l'opération ; ses nom, prénoms et qualité, avec
rappel de sa prestation de serment ; les noms, prénoms et qualités des assistants, avec indication
des motifs de leur présence ; la déclaration que les mesures prescrites en vue de la publication ont
été régulièrement prises ; la description des limites reconnues avec mention de la longueur des
côtés, chacun des sommets du polygone formé par l'immeuble étant désigné par un numéro
d'ordre ; l'énonciation sommaire de la nature et de la consistance de l'immeuble ; la description des
parcelles spécialement délimitées à raison d'une contestation ou la déclaration qu'il ne s'est produit
aucune contestation ; la mention relative à la signature du procès-verbal par les assistants39. Le
titre foncier est pour ainsi dire, écrit Monsieur MPESSA Aloys, « un acte juridique qui fait foi par
lui-même, jusqu'à l'inscription de faux, en raison des formes légales dont il est revêtu. C'est un acte
qui émane d'une autorité compétente et atteste d'un droit. Deuxièmement le titre foncier est
présumé de l'auteur auquel on l'attribue. Et enfin, troisièmement, l'autorité, la réalité et la vérité du
titre foncier ne peuvent être contestées »40. Loin cependant d’épuiser les contours de cette
procédure dont la complexité n’est plus à démontrer, il y a lieu d’indiquer qu’à son terme,
l’acquisition de la propriété foncière au travers la justification d’un titre foncier emporte alors
l’obligation pour les pouvoirs publics de mobiliser des mécanismes tendant à la pérennisation des
droits acquis. Ce premier jet de pierre a en soi le mérite d’aborder le titre foncier dans toute sa
36 Au Mali voir l’Article 144 de l’Ordonnance N°00-027/P-RM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier. 37 Article 146 de l’Ordonnance malienne N°00-027/P-RM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier. 38 Article 149 de l’Ordonnance malienne N°00-027/P-RM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier. 39 Article 150 de l’Ordonnance malienne N°00-027/P-RM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier. 40 MPESSA A., op.cit., p.625.
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singularité, laquelle s’illustre alors à travers l’institution d’une procédure d’acquisition dont la
particularité révèle en quelque sorte sa dimension sacramentelle.
Sur le second moyen, la singularité juridique du titre foncier va également s’exprimer sur un
tout autre paradigme. Ainsi, cette singularité s’affirme-t-elle à travers l’idée force que le titre
foncier ou titre de propriété est, au regard de la législation foncière africaine, le document officiel
de certification de la propriété immobilière. Le législateur camerounais en fait particulièrement
échos aux termes de l’article premier du décret n° 76-165 du 27 avril 1976 fixant les conditions
d’obtention du titre foncier. Ou davantage un « document authentique établi par le conservateur
de la propriété foncière et des hypothèques garantissant, sécurisant et protégeant un droit réel
immobilier comme le suggère le législateur gabonais41. C’est donc à la fois l’acte de naissance et
de certification qui atteste à l’égard de tous de la jouissance par le titulaire de droits réels sur un
terrain dont il est propriétaire.
Il faut donc en conclure partiellement que si de première intention la mobilisation effective du
droit public africain en faveur de la règle dite de l’inattaquabilité apparait comme un moyen
d’affirmation de l’autorité du titre foncier, celle-ci va également, en seconde intention, marquer
les velléités de sa protection juridique.
B- Une effectivité marquant la protection du titre foncier
La règle de l’inattaquabilité du titre foncier joue au regard de la dynamique du droit public
africain plusieurs fonctions. En effet comme nous l’avons déterminé plus haut, cette règle de
première intention apparait incontestablement comme un moyen d’affirmation de l’autorité du titre
foncier. Et bien plus, et c’est l’hypothèse qu’il convient de retenir dans ce titre, la consécration de
cette règle dite de l’inattaquabilité est un moyen pour les législateurs fonciers africains de justifier,
en seconde intention, la protection spécifique dont ce document va faire l’objet. Il s’agit là une fois
encore d’une position assez constante des législations africaines dédiées à l’encadrement juridique
du titre foncier qui, d’une manière bien coordonnée, mobilisent et organisent à travers des
dispositifs normatifs spécifiques la protection de ce document dont l’autorité a été préalablement
affirmée. Cette constante position du droit public africain en faveur de la protection du titre foncier
41 Article 3 (nouveau) Loi n°3/2012 du 13 août 2012 portant ratification de l’ordonnance n°5/2012 du 13 février 2012
fixant le régime de la propriété foncière en République gabonaise.
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montre bien aux forceps la relation particulière entre les individus et la terre dans une Afrique
marquée par l’existence de liens très forts entre les peuples et leurs terres ancestrales. Ainsi la règle
dite de l’inattaquabilité apparait-elle pour les législateurs fonciers africains comme un moyen de
pacification des rapports juridiques non seulement entre les pouvoirs publics et les particuliers,
mais aussi entre les particuliers.
C’est en effet dans l’institution de la limitation des actions pétitoires (1) et de l’admissibilité
des demandes de réparation des dommages subis par les tiers (2) qu’il convient de mesurer la
pertinence de ce postulat.
1- La limitation des actions pétitoires
La protection du titre foncier est consécutive à l’affirmation en droit public africain de son
autorité. Il ne saurait d’ailleurs en être autrement dans un contexte mondial où la terre constitue,
en croire Simon Pierre PETNGA NYAMEN, « l’une des principales richesses des populations
pour améliorer leurs conditions de vie, en l’absence d’un tissu économique et industriel viables
»42. Cette protection juridique vise alors à assurer la permanence de la propriété terrienne et tend
même à être renforcée, du moins si l’on considère la limitation des actions tendant à la contestation
du titre foncier.
C’est que, le droit public africain et singulièrement encore les règles dédiées au titre foncier
posent constamment que la règle de son inattaquabilité. Alors érigée en mesure d’ordre publique,
cette règle qui s’inscrit dans le sillage de la protection du titre foncier entend préserver celui-ci
d’éventuelles « interminables contestations [qui, si elles n’étaient pas encadrées] aboutiraient à
ruiner la garantie du système »43. Cette règle met ainsi fin, « à toutes prétentions concurrentes et
aucune action portant sur ce document ne peut être recevable, en clair, cela signifie que dès lors
qu’il est délivré, aucun recours n’est plus admissible »44. Les dispositions y relatives sont en tout
42 PETNGA NYAMEN Simon Pierre, Modes d’accès à l’espace habité et insécurité foncière dans les quartiers
Gambara II, Burkina et Jérusalem de la ville de Ngaoundéré (Cameroun), Mémoire de Master 2 option : géographie
et pratique du développement durable, 2010. Disponible sur https://www.memoireonline.com/12/13/8290/m_Modes-
d-acces--l-espace-habite-et-insecuri-fonciere-dans-les-quartiers-Gambara-II-Burkina31.html#toc70, consulté le
3/11/2021. 43 AMBIALLET C., note sous tribunal civil de Lomé, du 18/11/1949, In : Revue Penant, 1951, p. 10. Cité par
MPESSA A., op.cit., p.627. 44 NKOA NZIDJA Lidwine Ariane, La faute de l'Administration en matière foncière au Cameroun, Université de
Yaoundé II - Diplôme d'études approfondies en droit privé 2008. [En ligne] consulté le 15/06/2021.
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cas formelles et explicites. Ainsi selon la législation malienne, « Toute action tendant à la
revendication d'un droit réel non révélé en cours de procédure et ayant pour effet de mettre en
cause le droit de propriété même d'un immeuble immatriculé est irrecevable »45. Pour prendre à
témoin d’autres occurrences, l’on dira par exemple au surplus que le législateur camerounais46
autant que son homologue sénégalais47 n’en disent pas autre chose à ce sujet. S’il était donc encore
besoin de le dire, le droit public africain limite significativement les actions pétitoires dirigées à
l’endroit du titre foncier. Les actions pétoires font en effet référence à la notion juridique selon
laquelle un plaideur revendique la propriété d’un bien immobilier. C’est autrement dit une action
en justice relative à la protection judiciaire de la propriété immobilière. L’action pétitoire concerne
ainsi celui qui se prévaut d’un titre de propriété et peut ainsi être mise en œuvre lorsqu’une
personne s’approprie la propriété d’un bien immobilier d’une autre personne. Cette dernière utilise
alors ce moyen juridique pour obtenir du juge la restitution du bien immobilier dont elle se prétend
propriétaire. On comprend donc mieux les propos du Professeur Jean-Louis BERGEL qui affirme
48que « les actions pétitoires sont des actions tendant à la défense d’un droit réel. […] Ces actions
sont donc les instruments de la protection judiciaire des droits réels ». Seulement comme il ressort
des législations foncières africaines, ces actions ne peuvent être recevables du moment qu’elles
tendent à contester le titre de propriété régulièrement acquis de bonne foi par un tiers. Seules
restant alors admises les demandes relatives à la réparation des dommages subis par les personnes
lésées.
2- L’admissibilité des demandes de réparation de dommages
Le droit foncier africain ainsi que l’expose constamment les règles en vigueur se montre assez
protectrices vis-à-vis du titre foncier. Et bien logiquement, ces règles vont-elles limiter
considérablement les actions tendant à sa contestation. D’où la règle même de l’inattaquabilité.
Mais dans la mesure où le droit vise également la recherche de la justice et de l’équité, il sera
admis certains bémols dans les législations en vigueur à l’effet de compenser un certain équilibre
45 ARTICLE 170 l’Ordonnance N°00-027/P-RM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier. 46 Art. 2. (Décret N° 2005/481 du 16 décembre 2005 Fixant les conditions d’obtention du titre foncier). 47 Article 43 Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la Propriété foncière. 48 BERGEL Jean-Louis, Les contentieux immobiliers, Lextenso éditions, 2010. [En ligne] sur https://www.labase-
lextenso.fr/les-contentieux-immobiliers, consulté 13/07/2020.
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juridique. Ainsi en est-il alors de l’admission des demandes tendant à réparation des dommages
subis par les tiers.
À cette faveur, il est possible d’illustrer les bémols législatifs à travers la constance que « Toute
personne dont les droits ont été lésés par suite d'une immatriculation, n'a pas de recours sur
l'immeuble, mais seulement en cas de dol, une action personnelle en dommages-intérêts contre
l'auteur du dol »49. Plusieurs autres législations africaines abondent dans le même sens. C’est le
cas notamment de la législation sénégalaise en vertu de laquelle « Les personnes dont les droits
auraient été lésés par suite d’une immatriculation ne peuvent se pourvoir que par voie d’action
personnelle en indemnité »50 ou encore de la législation malienne d’après laquelle « Les personnes
dont les droits auraient été lésés par suite d'une immatriculation ne peuvent se pourvoir par voie
d'action réelle, mais seulement en cas de dol, par voie d'action personnelle en indemnité »51. Au
demeurant, l'action est portée devant la juridiction civile du lieu de situation de l'immeuble. En
droit camerounais par exemple, cette action personnelle en dommages-intérêts, n'est pas intentée
contre l'Etat, mais contre le bénéficiaire du titre foncier. Elle obéit aux règles générales de toute
action en responsabilité. La personne victime de l’immatriculation, doit d'abord démontrer qu'il y
a eu un fait fautif, consistant en un dol52.
Le contentieux de la réparation ainsi admis en droit foncier africain vient au moins confirmer
une volonté constante, celle de la stabilisation du titre foncier en dépit de certains griefs.
Seulement, si ces griefs sont incompatibles avec les visées du droit posé, le titre foncier perd-t-il
dès lors toute crédibilité juridique. Il en est ainsi lorsque la délivrance de celui-ci aura été obtenue
en violation de certaines dispositions essentielles, c’est-à-dire celles nécessaires à sa validité. L’on
va observer à cet effet une démobilisation du droit en vigueur en faveur de l’inattaquabilité d’un
tel titre foncier.
49 Tels sont les termes au Cameroun de l’Art. 2. (1) (Décret N° 2005/481 du 16 décembre 2005 Fixant les conditions
d’obtention du titre foncier). 50 Article 44 de la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la Propriété foncière. 51 Article 171 l’Ordonnance N°00-027/P-RM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier. 52 MPESSA A., op.cit., p.631.
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II- UNE MOBILISATION RELATIVISEE DU DROIT PUBLIC AFRICAIN EN
DEFAVEUR DE L’INATTAQUABILITE DU TITRE FONCIER
L’on ne le dira sans doute jamais assez, la terre en Afrique revêt une dimension hautement
spirituelle qui s’origine d’une dynamique ancestrale particulièrement ancrée dans les mœurs. Et
même s’il est vrai que la pénétration occidentale a quelque peu désarticulée la dimension sacrée
que la terre à toujours revêtit dans les traditions profondes de l’Afrique, cela n’a pas pour autant
ôtée la conviction que la terre constitue la matrice ancestrale à travers laquelle se structure les
rapports entre les familles et les communautés. Il faut reconnaitre à ce sujet que les pouvoirs
publics africains ne ménagent en ce sens aucun effort en articulant autant que se peut les
dispositions foncières avec les réalités locales pour créer des régimes fonciers adaptés à la
dynamique ancestrale. Les questions foncières ont donc toujours été présentes à divers moments
essentiels de l’histoire Africaine. Et à l’ère de la modernité, la sécurisation de la propriété foncière
par de-là l’institution du titre foncier, apparait logiquement comme la continuité de la préservation
de ce qui est désormais considéré comme un droit inaliénable de l’homme.
Autant alors le dire, s’il est incontestable que les législations foncières africaines ont pour
sacro-saint principe commun la protection de la propriété foncière justifié en l’espèce par la
consécration de la règle de l’inattaquabilité du titre foncier, il apparait tout aussi irréfutable que
cette mobilisation doit être relativisée. C’est que l’obtention du titre foncier au regard de certaines
régularités du droit public africain, est sujette à la satisfaction d’un certain nombre de conditions
sans lesquelles ce document essentiel perdrait toute autorité juridique. Ainsi l’acquisition du titre
foncier doit-elle résulter d’un ensemble d’actes de procédure administrative dont la régularité
serait, pour le moins que l’on puisse dire, irréprochable. En ce sens, la régularité des actes consiste
dans l’observation rigoureuse, en ce qui concerne leur forme extérieure, des dispositions légales
et réglementaires en vigueur. Les termes du législateur camerounais permettent en tout cas de
situer la portée juridique de la protection du titre foncier en Afrique. Du moins l’on observe une
certaine convergence dans l’idée qu’un titre foncier est nul d'ordre public dans les cas suivants :
- lorsque plusieurs titres fonciers sont délivrés sur un même terrain ; dans ce cas, ils sont tous
déclarés nuls de plein droit, et les procédures sont réexaminées pour déterminer le légitime
propriétaire. Un nouveau titre foncier est alors établi au profit de celui-ci ;
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- lorsque le titre foncier est délivré arbitrairement sans suivi d'une quelconque procédure, ou obtenu
par une procédure autre que celle prévue à cet effet ;
- lorsque le titre foncier est établi en totalité ou en partie sur une dépendance du domaine public ;
- lorsque le titre foncier est établi en partie ou en totalité sur une parcelle du domaine privé de
l'Etat, d'une collectivité publique ou d'un organisme public, en violation de la réglementation53.
S’il était donc encore besoin de le dire, la règle de l’inattaquabilité du titre foncier est-elle
d’une portée relative en droit public africain et connait-elle, en conséquence, des limites pour des
raisons tenant essentiellement à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Ainsi par exemple, le titre
foncier obtenu en violation de la réglementation en vigueur donne-t-il lieu à contestation (A),
contestation qui révèle alors au grand jour la vulnérabilité juridique de ce document (B).
A- Une relativité favorisant la contestabilité du titre foncier obtenu irrégulièrement
Le titre foncier est au regard de la dynamique du droit public africain, un document officiel
dont l’institution permet de certifier à l’égard de tous le titre de propriété dont pourrait revendiquer
une personne sur telle ou telle parcelle de terre. Et entend que tel, une mobilisation particulière des
textes permettra non seulement d’affirmer son autorité, mais aussi d’assurer sa protection, d’où la
règle dite de l’inattaquabilité ou de l’incontestabilité immédiate. Au demeurant, cette règle, à en
croire la constance des textes africains, ne peut être valablement invoquée qu’à la condition que le
titre foncier querellé ait été acquis dans le respect des lois et règlement en vigueur. Le respect des
textes ainsi évoqué permet en réalité de préserver la dimension sacramentelle même du titre foncier
et de justifier en conséquence l’autorité et la protection juridique déployée. Il va alors sans dire
qu’un titre foncier obtenu au mépris de la législation en vigueur ne saurait revendiquer une
quelconque autorité, encore moins une quelconque protection. Une lecture exégétique du droit
public africain permet en tout cas d’attester le postulat de la contestabilité d’un titre foncier obtenu
soit frauduleusement ou par erreur (1), soit sur le domaine public ou privé d’une collectivité
publique (2).
53 Article Art. 2. Al. 6 (Décret N° 2005/481 du 16 décembre 2005 Fixant les conditions d’obtention du titre foncier au
Cameroun).
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1- La contestabilité du titre foncier obtenu frauduleusement ou à la survenance d’une
faute
Le titre foncier revêt un certain nombre de caractères à travers lesquels les législations
foncières africaines expriment une volonté permanente de protection consécutive à l’autorité qui
lui conférée. Mais seulement, l’expression de ces caractères au rang desquels se trouve en bonne
place celui de l’inattaquabilité est conditionnée par le respect par le titulaire des modalités
juridiques de son obtention. Ainsi l’exploitation des textes en vigueur quelle que soit l’ère
géographie et l’environnement juridique africain considéré, révèle qu’un titre foncier obtenu en
marge du droit posé peut valablement faire l’objet de contestation devant les juridictions
compétentes. Il en est ainsi en cas d’obtention frauduleuse du titre foncier ou à la suite d’une erreur
de l’administration.
Sur la première hypothèse relative à l’obtention frauduleuse du titre foncier, il faut indiquer
pour les besoins de la cause qu’ici, c’est la responsabilité du demandeur ou du bénéficiaire du titre
foncier querellé qui est particulière mise en cause. C’est que le titre foncier entend qu’il est le
document de certification de la propriété immobilière fait l’objet de convoitise légitime, mais dont
la grande ruée va paradoxalement révéler des pratiques de fraudes dont les demandeurs n’hésitent
pas à faire usage pour parvenir à son obtention. Une étude empirique de cette problématique révèle
à l’expérience la prolifération dans la procédure d’acquisition du titre foncier en Afrique des
procédés frauduleux de plus en plus sophistiqués. Mais loin de revendiquer une étude exhaustive
sur cette question hautement préoccupante, il convient néanmoins d’indiquer pour la gouverne que
l’expérience africaine montre que l’ardant désir pour certaines personnes de devenir propriétaire
immobilier a fait se développer des pratiques insidieuses que l’on peut regrouper sous le terme de
fraude documentaire. Cette dernière est selon les usages un terme générique qui regroupe des
techniques insidieuses telles que : la contrefaçon, falsification, vol de document vierges afin d’être
personnalisés, documents fantaisistes ou encore usurpation d’identité. Mais pour le moins que l’on
puisse dire, la récurrence de ces manœuvres qui se greffent très souvent au processus de délivrance
du titre foncier se comprend à partir du postulat de l’impossibilité, voire de la volonté manifeste
pour certains demandeurs à contourner les exigences légales pour facilement acquérir le précieux
sésame. Pour rappel, l’acquisition du titre foncier est sujette à la production par le demandeur de
certain nombre de pièces officielles qui renseignent non seulement sur son état civil, mais
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également sur l’état du terrain dont il entend acquérir légalement la propriété. Concrètement, il
s’agira pour le demandeur de fournir à l’administration foncière des informations relatives à ses
noms et prénoms, date et lieu de naissance, filiation, profession, domicile, régime matrimonial,
nationalité, le nom sous lequel l'immeuble doit être immatriculé ; tous renseignements permettant
d’identifier l’immeuble (situation, superficie, nature de l'occupation ou de l'exploitation,
estimation de sa valeur, indication des charges qui le grèvent) ; et auxquels s’ajoutent valablement
outre le plan et le procès-verbal de bornage de l’immeuble, tous les contrats et actes publics ou
privés constitutifs des droits réels dont l’immatriculation est requise. Et on le voit bien, la
procédure d’obtention du titre foncier obéit à un formalisme juridique spécifique auquel les
prétendants au titre foncier sont astreints. Seulement, et c’est le lieu de le regretter, la plupart de
ces prétendants n’hésitent pas en effet à se livrer à une manipulation documentaire pour tromper
la vigilance de l’administration en faisant alors usage de moyens frauduleux dont l’étude révèle
des actes, comme nous l’avons indiqué plus haut, assez spécifiques. En ce sens, la contrefaçon, la
falsification, l’usurpation d’identité, la production de documents vierges volés tantôt fantaisistes
observées sur ce terrain consistent-elles respectivement en la reproduction complète d’identité ; en
la modification d’un ou plusieurs éléments sur le document original (date, mentions d’identité,
photographie, etc.) ; en l’utilisation d’un document appartenant à autrui ; en l’utilisation de
documents authentiques ayant été volés avant leur personnalisation et en enfin en l’utilisation de
documents créés de toute pièce par le faussaire. Ces pratiques se sont mêmes intensifiées ses
dernières années avec la digitalisation des processus ainsi que le révèle une étude assez récente54.
Pour en conclure, il va sans dire qu’un titre foncier obtenu dans ces conditions de fraude ne saurait
revêtir une quelconque autorité ni protection d’ailleurs, encore moins être opposable aux tiers.
Ainsi à travers la répression de la fraude documentaire, les législations foncières africaines sont-
elles anticipées sur l’éventualité que des titres fonciers aux allures authentiques puissent faire
l’objet de contestation devant les juridictions compétentes. L’expérience africaine aura en tout cas
permis de percer à jour des comportements répréhensibles dont se rendent très souvent coupables
les demandeurs de titre foncier. Ces comportements répréhensibles que l’on peut volontiers
assimiler à ce que le Code appelle dol s’entendent alors d’un « ensemble de manœuvres
frauduleuses destinées à tromper quelqu'un et notamment l’administration foncière pour l'amener
54 Cf. www.archimag.com consulté le 25/03/2021.
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à passer un acte juridique qui n’est autre que la délivrance d’un titre foncier. Par ailleurs, selon
l'article 1382 du Code civil, il peut s'agir de simples affirmations mensongères, de dissimulations,
ou de réticences. Certaines doctrines laissent même à considérer que le dol peut également
« consister en une abstention volontaire de révéler au cours de l'immatriculation, un acte portant
reconnaissance aux titres d'un droit sur la propriété ». Quoiqu’il en soit, la fraude s’accompagne
très souvent des actes de corruption dont fait montre le demandeur pour parvenir à ses fins. Et sans
nous y étendre, les actes de corruption manifestés par certains demandeurs de titre foncier
s’évaluent à l’aune de l’achat de conscience de divers acteurs y compris ceux des administratifs et
autorités traditionnelles intervenant dans le processus de délivrance du titre foncier. En tout état de
cause, les législations africaines étudiées se montrent bien sévère à l’égard de tels comportements
à en témoigne la loi gabonaise qui, ayant fixée au préalable qu’« aucun recours ne peut être exercé
sur l’immeuble à raison d’un droit réel par suite d’une immatriculation. [Réaffirme] toutefois
[que], tout intéressé peut exercer une action en responsabilité contre la personne qui aurait établi
ou fait établir un titre foncier en usant du dol, de moyens illicites ou frauduleux, sans préjudice, le
cas échéant, de l’exercice de la procédure d’inscription de faux »55.
Mais tout compte, s’il est vrai que l’on peut reprocher à certains demandeurs le fait de se livrer
à des actes de production de faux documents et de manipulation des consciences pour parvenir à
leurs fins, il est également un fait incontestable, que l’administration elle-même se trouve bien de
fois à l’origine de la remise en cause de l’autorité du titre foncier.
Sur la seconde hypothèse relative à la faute de l’administration, il sied d’observer que celle-ci
peut résulter soit d’un acte volontaire, soit acte involontaire. La faute administrative en matière
foncière fait en effet l’objet de plusieurs études et dont l’une qu’il convient de retenir est sans doute
celle de Madame NKOA NZIDJA Lidwine Ariane. Cet auteur a en effet réalisé une étude édifiante
en la matière même si, il faut le souligner, reste circonscrite au site Camerounais. Néanmoins, l’on
doit également le reconnaitre, les développements et conclusions réalisés constituent pour notre
travail un matériau édifiant pour la compréhension de la seconde hypothèse que nous entendons
développer ici. Ainsi à sa suite, en rappelant opportunément quelques éléments définitionnels
relatifs à la faute qui, selon PLANIOL est entendu d’une manière générale comme « un
55 Article 63 Loi n°3/2012 du 13 août 2012 portant ratification de l’ordonnance n°5/2012 du 13 février 2012 fixant le
régime de la propriété foncière en République gabonaise.
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manquement à une obligation préexistante » ou davantage « un acte illicite supposant la réunion
d’un élément matériel : le fait originaire ; d’un élément d’illicéité : la violation d’un devoir, et d’un
élément moral le discernement de l’auteur des faits »56, il faudrait insister sur le fait que la faute
administrative se démarque notamment de la faute civile, celle-ci prenant essentiellement sa source
dans le Code civil. Pour ce qui concerne spécifiquement la faute Administrative, il convient
nécessairement de la lier à celle commise par un agent soit dans l’exercice de ses fonctions, soit
au mépris de celles-ci : l’on distinguera alors la faute de service57 de la faute personnelle58. Mais
quoiqu’il en soit, la faute administrative peut s’échelonner à diverses étapes de la procédure de
délivrance du titre foncier et mêler ainsi plusieurs agents de l’administration. Et selon que la faute
soit réputée volontaire ou involontaire, celle-ci selon les propos de Madame NKOA NZIDJA
Lidwine Ariane va constituer l’une des causes profondes de dénégation, de contestation du titre
foncier59. Il faut dire à cet effet que la lecture des différentes législations foncières africaines et
complétée par une lecture empirique révèle que la faute administrative s’origine tantôt d’un acte
qu’on pourrait qualifier d’involontaire (l’erreur de l’agent : la représentation inexacte de la réalité
des données foncières, l’incompétence de certains agents), tantôt d’un acte volontaire posé en toute
connaissance de cause (la corruption des agents). Et particulièrement à la déviance des agents de
l’Administration, les législations en vigueur se montrent on ne plus claire. Ainsi, considérant que
l’Administration foncière joue un rôle essentiel dans le processus d’attribution du titre foncier, les
lois et règlements en vigueur dans les différents pays vont-ils par conséquent être assez regardant
sur le comportement des administratifs pour préserver l’honorabilité des Administration publique
qui, il faut le rappeler, sont investies des missions d’intérêt général. Pour s’en convaincre l’on peut
évoquer à titre d’illustration certaines dispositions spécifiques :
Au Sénégal par exemple, le législateur pose successivement que « Le Conservateur est
responsable du préjudice résultant :
1) De l’omission sur ses registres des inscriptions régulièrement requises en ses bureaux ;
56 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 4e éd. QUADRIGEǀPUF, pp.388-390. Cité par
NKOA NZIDJA Lidwine Ariane, op.cit. 57 Consacré par la décision TC 30 juillet 1873, PELLETIERS, Rec. 1er suppl. 117, concl. David D. 1873.3.5 58 TC 05 mai 1877, Rec. p.437. 59 NKOA NZIDJA Lidwine Ariane, La faute de l'Administration en matière foncière au Cameroun, Université de
Yaoundé II - Diplôme d'études approfondies en droit privé 2008. www.memoireonline. Consulté le 03/01/2021.
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2) De l’omission sur les copies, des inscriptions portées sur le titre, sauf l’hypothèque prévue à
l’article 66 ;
3) Du défaut de mention, à savoir :
a) sur les titres fonciers, des inscriptions affectant directement la propriété ;
b) dans les états et certificats d’une ou plusieurs inscriptions existantes à moins qu’il ne soit
exactement conforme aux réquisitions des parties ou que le défaut de mention ne provienne de
désignations insuffisantes qui ne pourraient lui être imputées »60 ; « Les erreurs, et les omissions
engagent la responsabilité du conservateur qui les a commises, dans la mesure préjudice qu’elles
ont pu causer aux intéressés »61 ; « Si l’omission ou l’erreur est reconnue par le tribunal ou par le
conservateur, celui-ci fait immédiatement sommation aux détenteurs des copies de titres et
certificats d’inscription d’avoir à effectuer dans un délai de trois jours, le dépôt desdits certificats
et copies. Faute de réponse dans ledit délai, la rectification est opérée sur le titre, dans les formes
indiquées à l’article 66 »62 ; « Les conservateurs de la propriété et des droits fonciers sont tenus de
se conformer, dans l’exercice de leurs fonctions, à toutes les dispositions de la présente loi, à peine
d’une amende, de 100 000 à 500 000 francs, pour la première infraction, et de destitution pour la
seconde, sans préjudice de dommages intérêts envers les parties, lesquels seront payés avant
l’amende »63.
La législation camerounaise sur cette problématique abonde dans le même sens. Ainsi,
l’article 2 (nouveau) du Décret N° 2005/481 du 16 décembre 2005) pose à l’alinéa (3) UE
« Toutefois, le ministre chargé des Affaires foncières peut, en cas de faute de l'administration,
résultant notamment d'une irrégularité commise au cours de la procédure d'obtention du titre
foncier, et au vu des actes authentiques produits, procéder au retrait du titre foncier irrégulièrement
délivré ». Et dans ces conditions, Les agents publics reconnus auteurs ou complices des actes
irréguliers ayant entraîné le retrait ou la constatation de nullité d'un titre foncier, sont sanctionnés
60 Art. 82 Loi n° 2011-07du 30 mars 2011 portant régime de la Propriété foncière. 61 Art. 83 Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la Propriété foncière. 62 Art. 87 Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la Propriété foncière. 63 Art. 88 Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la Propriété foncière.
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conformément aux dispositions de l'article 2 de la loi n° 80/22 du 14 juillet 1980 portant répression
des atteintes à la propriété foncière et domaniale64.
La législation malienne n’en dit pas autre chose lorsqu’il pose d’une part que « Le
Conservateur est responsable du préjudice résultant :
1. de l'omission sur ces registres des inscriptions régulièrement requises en ses bureaux :
2. de l'omission sur les copies des inscriptions portées sur le titre sauf l'hypothèse prévue en
l'Article 196 ;
3. du défaut de mention, à savoir : sur les titres fonciers, des inscriptions affectant directement la
propriété ; dans les états et certificats d'une ou plusieurs inscriptions, à moins qu'il ne soit
exactement conformé aux réquisitions des parties ou que le défaut de mention ne provienne de
désignations insuffisantes qui ne pourraient lui être imputées »65, et d’autre part que « Les erreurs,
comme les omissions, et dans les mêmes cas que celles-ci, engagent la responsabilité du
Conservateur qui les a commises, dans la mesure du préjudice qu’elles ont pu causer aux
intéressés »66.
La jurisprudence tunisienne va plus loin, en assimilant la faute lourde au dol67.
On peut dans tous les cas lire dans les différentes législations foncières africaines de telles
dispositions dont la similarité confirme, s’il était encore besoin de le dire, une certaine régularité
qui autorise à envisager une harmonisation du droit foncier en Afrique. Et bien assez
incontestablement, la thèse du droit public africain se trouve-t-il renforcé. En définitive, la fraude,
la corruption et la faute de l’Administration donnent inéluctablement lieu à la contestation du titre
foncier. Cette contestation consistera alors en une action en revendication par lequel une personne
envisage d’obtenir la restitution d’un terrain dont elle se prétend propriétaire. Son exercice suppose
64 Article Art. 2. Al. 8 Décret N° 2005/481 du 16 décembre 2005 fixant les conditions d’obtention du titre foncier. 65 ARTICLE 213 de l’Ordonnance N°00-027/P-RM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier. 66 ARTICLE 214 de l’Ordonnance N°00-027/P-RM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier. 67 Voir en ce sens MPESSA A., op.cit., pp.631-632.
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donc qu’un tiers ait pris possession d’un bien dont le demandeur à l’action insinue avoir la
propriété68.
Par ailleurs, un titre foncier obtenu sur le domaine public ou privé d’une collectivité
publique fait-il également l’objet de contestation.
2- La contestabilité du titre foncier obtenu sur le domaine public ou privé d’une
collectivité publique
On ne le dira sans doute jamais assez, l’obtention du titre foncier est sujette à la satisfaction
par le demandeur d’un certain nombre de conditions tenant à la production par celui-ci de pièces
qui renseignent sur son état civil et la situation de l’immeuble ou du terrain dont il sollicite la
propriété. De même, l’Administration foncière est-elle tenue de respecter la procédure de
délivrance du titre foncier telle que prescrite par les lois et règlements en vigueur. Et ce n’est qu’à
ce titre que le document de certification de la propriété immobilière sera chargé de toute l’autorité
nécessairement pour sa protection. Il existe alors de ce point de vue un ensemble de prescriptions
textuelles sans l’observation de laquelle le titre foncier devient contestable ou attaquable. Ainsi
au-delà des hypothèses de fraude et de faute régulièrement mentionnées dans les législations
foncières africaines, y figurent également celles relatives notamment à la délivrance arbitraire de
titres fonciers sans suivi d'une quelconque procédure, ou obtenu par une procédure autre que celle
prévue à cet effet ; à la délivrance de plusieurs titres fonciers sur un même terrain, et auxquels il
est par ailleurs convenu de retenir la nullité d’ordre public des titres fonciers établis en totalité ou
en partie sur une dépendance du domaine public ou établis en partie ou en totalité sur une parcelle
du domaine privé de l'État, d'une collectivité publique ou d'un organisme public, en violation de la
réglementation69. Seules les deux dernières hypothèses seront retenues dans le cadre de cette partie
puisque, d’une part, l’hypothèse de la fraude et de la faute ont déjà fait l’objet de développement,
et, d’autre part, l’hypothèse de la délivrance arbitraire et de la pluralité des titres fonciers sur un
même terrain peuvent valablement être rattachée à une faute tantôt volontaire tantôt involontaire
mais qui, de toute évidence, n’exclut pas la contestabilité des titres fonciers obtenus dans de telles
68 SEIGNALET Gabriel, « La protection du droit de propriété et l’action en revendication », [En ligne] sur
https://www.conseil-droitcivil.com/article-droit-civil-1062-La-protection-du-droit-de-propriété-et-l-action-en-
revendication.html, consulté le 23/08/2020. 69 Au Cameroun par exemple voir Art. 2 al. 6 du Décret n° 76-165 du 27 avril 1976 Fixant les conditions d’obtention
du titre foncier, modifié et complété par le N° 2005/481 du 16 décembre 2005.
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conditions70. L’hypothèse de l’obtention d’un titre foncier sur le domaine public ou privé d’une
collectivité publique constitue alors notre champ expérimental dans cette partie.
Relativement à l’hypothèse d’alors retenue notamment sur la proscription de délivrance de
titres fonciers sur le domaine public ou privé d’une collectivité publique, il convient d’indiquer
pour la gouverne que pour un État, le domaine national englobe généralement l'espace aérien, le
sol et le sous-sol du territoire national et comprend à cet effet :
a) les domaines public et privé de l’État central ;
b) les domaines public et privé des collectivités territoriales ou locales (souvent qualifiée de
décentralisées) ;
c) le patrimoine foncier des autres personnes de droit public à l’instar des établissements
publics et parapublics.
Pour faire simple, le domaine public et privé de l’État est respectivement composé de tous les
immeubles et meubles déterminés comme tels par la loi ou ayant fait l'objet d'une procédure
spéciale de classement ; des immeubles immatriculés et droits immobiliers détenus par l'État, de
tous les immeubles non immatriculés, des biens meubles détenus par l'État. En ce qui les concerne,
le domaine des collectivités locales ou territoriales est composé de tous les immeubles et meubles
déterminés comme tels par la loi ou ayant fait l'objet d'une procédure spéciale de classement ; le
domaine privé composé de tous les meubles, les immeubles et droits immobiliers détenus par
celles-ci. Le patrimoine foncier des établissements publics et parapublics comprend tous les
immeubles détenus par celles-ci en vertu d'un titre foncier transféré à leur nom à la suite de la
conversion d'un droit de concession en titre de propriété immatriculée, d'une cession ou de tout
autre mode de transfert d'un titre foncier. Il va alors sans dire que si une parcelle de terrain relevant
70 Il faut néanmoins préciser qu’au Cameroun, l’on est en voie d’aboutir à une certaine révision de la législation
foncière relativement au cas particulier de l’hypothèse de la nullité d’ordre public du titre foncier délivré plusieurs
fois sur un même terrain. Cameroon tribune rapporte en effet qu’une équipe a été mise en place par le Ministre des
Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières ayant pour mission de rectifier certaines dispositions du décret de
2005, modifiant et complétant celui de 1976. Et selon ce qui ressorti de ce projet de texte, l’annulation d’un titre
foncier ne sera bientôt plus aussi automatique qu’avant. C’est en effet dans le souci du Ministre Henri Eyebe Ayissi,
insiste le Quotidien gouvernementale de ce pays, d’éviter des interminables litiges fonciers qu’il a été mis en place le
2 mars 2021 une équipe chargée d’élaborer un projet de décret modifiant et complétant certaines dispositions du décret
n° 76-165 du 27 avril 1976 Fixant les conditions d’obtention du titre foncier. Cf. http://www.cameroon-tribune.cm,
consulté le 05/11/2021.
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du patrimoine foncier d’une personne publique n’a pas fait l’objet de déclassement et de
désaffectation préalable. Pour être clair, alors que la désaffectation fait cesser l’utilisation du bien
appartenant à l’État, à des collectivités locales et à des établissements publics ou d’autres
personnes publiques, le déclassement fait sortir le bien du domaine public. Et ce n’est qu’à ce titre
que l’on pourra désormais envisager, selon les cas, une immatriculation à des fins d’utilisation
privée. A contrario, solliciter et obtenir un titre foncier sur une dépense du domaine public ou privé
d’une personne publique revient à s’emparer illégalement d’un bien public, d’où l’idée même de
nullité d’ordre public d’un tel titre. Au surplus, les détenteurs de titres fonciers sur les dépendances
du domaine public, aussi longtemps qu’ils auront indument occupés ces dépendances, en
restitueront lesdites dépendances chaque fois que la personne publique concernée le sollicitera.
Ceci obéit en effet à la formule de Antoine LOISEL selon laquelle « qui mange l’oie du roi, cent
ans après il en rend la plume », comme pour signifier que « si vous vous appropriez les terres de
État, vous devrez les lui rendre un jour ». La maxime du juriste français de l’Ancien Régime
d’alors retenu dans les pratiques juridiques contemporaines fait ainsi référence au caractère
insaisissable et plus loin, imprescriptible du domaine public puisqu’en dernière analyse, les
particuliers ne peuvent valablement invoquer la prescription acquisition de ce domaine au
détriment de la personne publique.
Toutes ces récriminations ont alors la fâcheuse conséquence de fragiliser la force probante du
titre foncier71 et de le rendre vulnérable à la contestation.
B- Une relativité dévoilant la vulnérabilité du titre foncier obtenu irrégulièrement
L’obtention du titre foncier quelle que soit la législation africaine considérée obéit à un
formalisme juridique dont le respect non seulement par le demandeur, mais aussi par
l’Administration foncière confère au document demandé et délivré une force probante à l’égard de
tous. Le respect des formalités juridiques alors attachées à la procédure de délivrance du titre
foncier conditionne pour ainsi dire l’autorité dudit titre et la protection conséquemment déployée.
On peut le dire autrement, la demande d’obtention du titre foncier autant que l’acte administratif
portant délivrance dudit titre sont, pour le moins qu’on puisse dire, des actes formels à la
71 NKOA NZIDJA Lidwine Ariane, La faute de l'Administration en matière foncière au Cameroun, Université de
Yaoundé II - Diplôme d'études approfondies en droit privé 2008. www.memoireonline. Consulté le 03/01/2021.
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manifestation de laquelle ce document acquiert validité et confirme alors le point de départ de la
jouissance par le demandeur d’un certain nombre de droits réels regroupés au sein du tritype usus-
fructus-abusus. Mais a contrario, la délivrance et l’obtention d’un titre foncier en marge des
prescriptions légales et réglementaires en vigueur en plus de dévoyer l’autorité d’un tel document
(1), le rend vulnérable à la contestation juridictionnelle puisque son titulaire ne peut valablement
revendiquer une quelconque protection (2).
1- Une autorité perdue
L’une des constances qui se dégage clairement des législations foncières africaines est que,
l’obtention du titre foncier est sujette à l’observation d’un formalisme qui s’impose aussi bien au
demandeur qu’à l’Administration. Ainsi, autant le demandeur de titre foncier doit satisfaire sans
exclusive les formalités tenant notamment à la production d’un certain nombre de pièces qui
renseignent non seulement sur son état civil, mais aussi sur la situation du terrain dont il sollicite
la propriété, non sans avoir recouru, selon les cas à une immatriculation préalable ; autant,
également, l’Administration foncière en charge de la délivrance des titres fonciers doit-elle
observer scrupuleusement l’ensemble des étapes prescrites à cet effet. Il va alors sans dire que ce
n’est qu’à ce prix qu’un titre foncier pourra être investi d’une certaine autorité juridique qui
justifiera finalement la protection conséquemment déployée.
L’autorité juridique ainsi attachée au titre foncier révèle à l’égard de tous une force probante
qui confirme la dimension sacramentelle de ce document dont l’importance est constamment
affirmée au regard de la dynamique du droit public africain. Pris donc sous cet angle, un titre
foncier délivré et obtenu suivant les prescriptions légales et réglementaires en vigueur sera
pleinement investi des caractères définitif, intangible et inattaquable. Telles sont en tout cas les
marques de l’autorité d’un titre foncier régulièrement obtenu par un demandeur. Seulement et on
l’aura sans doute compris, un titre foncier délivré et obtenu à la suite soit de l’usage par le
demandeur de manœuvres insidieuses ou à la manifestation d’une faute administrative, soit encore
à sa délivrance ou à son obtention sur le domaine public ou privé d’une collectivité publique, fait
inéluctablement perdre à un tel document l’autorité juridique dont il devrait normalement être
investie. Ainsi un titre foncier délivré et obtenu en marge des prescriptions légales perd-t-il toute
autorité et valeur juridique de telle sorte qu’il ne puisse être opposable aux tiers. Un tel titre délivré
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et obtenu en fraude à la législation n’est donc investi d’aucune force probante qu’il soit tel qu’il se
dégage avec constance des textes nationaux en vigueur.
Et de cause à effet, le titre foncier entaché d’irrégularités donne-t-il lieu à contestation devant
les juridictions compétentes puisqu’indéniablement la perte d’autorité désactive le protocole de
protection existant.
2- Une protection désactivée
Le titre foncier revêt pour des raisons de sécurité juridique des caractères qui, lorsqu’il a été
régulièrement obtenu, protège celui-ci des éventuelles contestations. La règle dite de
l’inattaquabilité permet ainsi de stabiliser et d’assurer la pérennité du titre foncier, document
officiel de certification de la propriété immobilière. Il existe alors en ce sens et quelle que soit la
législation africaine considérée, un protocole juridique qui protège le titre foncier face aux actions
tendant à son annulation. Ce protocole de sécurisation juridique du titre foncier constitue pour ainsi
dire un écran qui empêche de le remettre directement en cause. D’où même l’idée
d’incontestabilité immédiate déduite de la règle dite de l’inattaquabilité du titre foncier. Mais
comme nous l’avons déjà signifié à l’introduction de notre seconde partie, la mobilisation du droit
public africain en faveur de l’inattaquabilité du titre foncier doit nécessairement être relativisée
pour des raisons tenant à l’ordre public et aux bonnes mœurs. La fraude des bénéficiaires, la faute
de l’Administration et la délivrance d’un titre foncier sur une parcelle du domaine public ou privé
d’une collectivité publique sont autant d’arguments sur lesquels les législations foncières
africaines s’appuient pour tourner le dos à des documents délivrés et obtenus dans de telles
conditions. Il va alors sans dire qu’un titre foncier délivré et obtenu en fraude à la législation en
vigueur ne saurait revêtir une quelconque autorité, pas plus qu’il ne pourra être protégé. L’autorité
juridique étant ainsi perdue, la protection qui y était attachée est-elle automatiquement désactivée.
En ce sens, ni le caractère intangible, ni le caractère définitif encore moins celui de
l’inattaquabilité ne pourront être retenus devant le juge saisit. Il est dons de notoriété publique
qu’un titre foncier délivré et obtenu au mépris des lois et règlements en vigueur peut valablement
faire l’objet de contestabilité immédiate comme l’atteste constamment la jurisprudence. Le
législateur Sénégalais n’en sous-entend pas d’ailleurs autre chose lorsqu’il pose avec une certaine
insistance d’une part que l’immatriculation d’un immeuble au Livre Foncier est précédée d’une
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vaste publicité et exige l’observation des formalités multiples et minutieuses destinées à
sauvegarder les droits des tiers72 et, d’autre part que les droits réels énumérés à l’article 19
n’existent, ne se conservent et ne produisent effet à l’égard des tiers qu’autant qu’ils ont été rendus
publics dans les conditions, formes et limites fixées par la présente loi, sans préjudice des droits et
actions réciproques des parties pour l’exécution de leurs conventions73.
Pour une autre illustration de jurisprudence, voir par exemple la décision de la Chambre
administrative de la Cour Suprême en son jugement n°61///96-97 du 27/03/1997 affaire Sté
Africaine commerciale de Diffusion (AFCODI) contre État du Cameroun. Le juge administratif a
en effet dit pour droit vu la requête contentieuse de la Société Africaine Commerciale de Diffusion
en date du 27 Juillet 1992 et des pièces versées au dossier et après avoir entendu à la lecture du
rapport de Monsieur ATANGANA Clément, Président par intérim de la Chambre Administrative
de la Cour Suprême, déclare le recours de l’AFCODI recevable en la forme et que, parce que
fondé, le titre foncier n°2895/Wouri du 24 Septembre 1960 établi au profit du sieur Pierre
HERNANDES est annulé. On peut également en dire autant du jugement N°24/2001-2002 de la
même instance du 28 février 2002 affaire EMAH Basile & Autres contre État du Cameroun
(MINUH)74. Les recours contentieux ainsi formulés sont régis au Cameroun par l'article 7 de la loi
n° 75/17 du 8 décembre 1975 fixant la procédure devant la Cour suprême statuant en matière
administrative en ces termes : sous peine de forclusion, les recours contre les décisions
administratives doivent être introduits dans un délai de 60 jours à compter de la décision de rejet
de recours gracieux visé à l'article 12 de l’ordonnance n°72/6 du 26 août 1972. Mais quoiqu’il en
soit, la jurisprudence foncière du Cameroun est pour le moins qu’on puisse dire, assez abondante
sur les cas d’annulation des titres fonciers irrégulièrement obtenu par certains bénéficiaires pour
les causes qui ont été mentionnées plus haut. Et le fait incontestable qui apparait est qu’à l’insu du
droit posé, le titre foncier perd toute autorité et toute mesure de protection normalement mobilisée
à cet effet. Il est donc dans l’intérêt des demandeurs de titre foncier de se conformer à la législation
en vigueur pour voir leur document bénéficier des mesures de protection expressément prévues à
en témoigne par exemple la décision de rejet au Fond du pourvoi à la requête de Maître
72 Voir les modifications de fond apportée à la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la Propriété
foncière. 73 Article 20 Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la Propriété foncière. 74 Cf. www.camimo.com/revjurisarch1.htm, consulté le 03/11/2021.
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HOUNNAKE, substituant Maître KOFFIGOH, Conseil du demandeur au pourvoi de la Chambre
judiciaire de la Cour Suprême du Togo et de condamnation par conséquent du demandeur aux
dépens75.
Conclusion
Notre préoccupation, il faut le rappeler, tendait à illustrer la perception juridique de
l’emblématique règle de l’inattaquabilité du titre foncier au regard de la dynamique du droit public
africain.
Cette règle dont la tendance législative africaine semble accorder une attention particulière,
s’inscrit en effet dans le sillage de la sécurisation de la propriété immobilière. Et partant du fait
que la terre en Afrique demeure la principale, sinon l’une des principales richesses dont disposent
les populations pour améliorer leurs conditions de vie en l’absence d’un tissue économique et
industriel viable76, toutes les institutions juridiques portent-elles, en conséquence, la marque de
l’attachement des noirs à la terre77. À cet effet, il apparait judicieux pour les pouvoirs publics de
proposer un protocole juridique de sécurisation de la propriété foncier surtout dans une Afrique
dit-on en pleine essor. Il faut en tout cas reconnaitre que l’identification d’un terrain à son
propriétaire par de-là l’institution du titre foncier tombe à point nommé dans cette Afrique où il
est de plus en plus certain que la terre apparait désormais comme un véritable levier de
développement78. On observe à cet égard une grande ruée vers le titre foncier emportant dans ses
flancs, pour le regretter, de pratiques insidieuses tendant à contourner les lois et règlements
destinés à encadrer son obtention. C’est que l’obtention du titre foncier qu’elle que soit la
législation considérée obéit à un protocole de règles qui, à leur étude, laissent clairement entrevoir
75 Il s’agit d’un litige foncier qui tendait à la revendication d’un droit de propriété dont se prévalait le sieur Colley
Kloté Kouassi Félicien, demandeur à l’issue d’une immatriculation soutenait-il irrégulière. Voir Chambre judiciaire
de la Cour Suprême du Togo, Arrêt N°34/2005 du 17 Novembre 2005 (www.juricaf.org, consulté le 4 novembre
2021). 76 Robinson TCHAPMEGNI, « La réforme de la propriété foncière au Cameroun », communication présentée au cours
du Géo congrès 2007 tenu à Québec du 03 au 05 octobre 2007 ; disponible sur le site web www.quebec2007.ca, p.20.
Cité par NKOA NZIDJA Lidwine Ariane, op.cit. 77 Guy Adjeté KOUASSIGAN, L’homme et la terre, éd. Berger-Levrault, 1966, p.8. Cité par NKOA NZIDJA Lidwine
Ariane, op.cit. 78 Paul Mathieu, « La sécurisation foncière, entre compromis et conflit », Cahiers Africains, n°23-24, Paris,
L’Harmattan, 1996, p.28.
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la manifestation d’une procédure qui se veut essentiellement administrative ; procédure qui donne
alors au titre foncier d’être un acte administratif unilatéral79, mais dont le contentieux va cependant
révéler en fonction de l’espèce l’application des règles tantôt de droit privé, tantôt des règles de
droit public avec l’intervention tantôt du juge judiciaire, tantôt du juge administratif selon les cas.
Mais quoiqu’il en soit, le titre foncier connait une certaine prépondérance des règles de droit
public ; prépondérance à laquelle il convient de souligner certaines régularités observées et
contenues dans les différentes législations foncières africaines qui légitime alors notre objet
d’étude.
Ainsi, au regard de la dynamique du droit public africain, il est constant que le titre foncier
entend qu’il est le document de certification de la propriété immobilière, est par conséquent investi
d’une autorité juridique probante et soutenu par un module de protection mobilisée autour de la
règle dite de l’inattaquabilité. C’est du moins ce qui en ressort de la première partie de cette
contribution. Ainsi la grande tendance du droit public africain penche-t-elle pour la théorie « du
principe d'incontestabilité différée du titre du titre foncier80. Seulement, cette mobilisation du droit
posé en faveur de l’inattaquabilité du titre foncier n’est valable sur le principe qu’à la condition
que ledit titre ait été obtenu conformément à la législation en vigueur. A contrario, un titre foncier
délivré et obtenu en marge des prescriptions légales ne saurait revendiquer une quelconque autorité
et attendre une quelconque protection. Il se forme en tout cas une certaine unanimité juridique dans
la possibilité de la contestation d’un titre foncier obtenu au mépris des lois et règlements en
vigueur. Et s’il était encore besoin de le dire, l’inattaquabilité du titre foncier est, en droit public
africain, d’une portée relative qui en dernière hypothèse se justifie pour des raisons tenant à l’ordre
public et aux bonnes mœurs.
79 MPESSA A., op.cit., p.634. 80 F. BROCHU, id., p. 647 et 648. Cité par MPESSA A., op.cit., p.634.
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La protection de l’autonomie financière des collectivités territoriales
décentralisées au Cameroun
Par :
Guy Rostand SAPMADZOCK TCHOFFO
Doctorant en droit public
Université de Douala (Cameroun)
Résumé :
L’autonomie financière en tant que liberté locale, permet aux collectivités territoriales de
disposer des ressources financières suffisantes et de les gérer librement dans l’optique de couvrir
leurs charges. Cette liberté locale est reconnue aux CTD par la loi fondamentale et ses
déclinaisons sont opérées par les lois et règlements de la République. Il s’est agi pour l’étude de
se demander si la consécration de l’autonomie financière des CTD par la législation camerounaise
est assortie des mesures de sauvegarde suffisantes en vue de juguler toutes atteintes aux finances
locales. A cette préoccupation, l’on a émis l’hypothèse d’une faible préservation de l’autonomie
financière locale au Cameroun. Cette hypothèse se vérifie d’une part, par une prise en compte
insuffisante de la dimension protectrice dans la formulation de l’autonomie financière des
collectivités territoriales ; et d’autre part, par un aménagement limité des garanties de
l’autonomie financière locale.
Mots clés : protection, autonomie financière, collectivités territoriales décentralisées
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Introduction
La loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code général des collectivités territoriales
décentralisées (CGCTD) a opéré une évolution substantielle en matière de financement de la
décentralisation au Cameroun. En effet, depuis l’avènement de cette loi, la fraction des recettes de
l’Etat affectée à la Dotation Générale de la Décentralisation (DGD) est fixée à un taux supérieur
ou égal à 15%. Le CGCTD indique également que c’est la loi de finances qui fixe chaque année,
la fraction des recettes de l’Etat affectée à la DGD1. Pourtant, la loi n°2020/018 du 17 décembre
2020 portant loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice 2021 est restée muette
par rapport aux prévisions relatives à la Dotation Générale de la Décentralisation. Aussi, le
ministre des finances M. Louis Paul MOTAZE, dans son discours de lancement de l’exécution du
budget de l’Etat, au titre de l’exercice 2021 dans la région du Sud a précisé que « (…) le montant
des ressources mises à la disposition des collectivités territoriales décentralisées en 2021 et dont
elles-mêmes assureront la gestion, s’élèvent à 232,1 milliards. Ce montant représente une fraction
de 7,2% des recettes de l’Etat, (…) soit donc en deçà du seuil de 482,6 milliards requis pour
respecter la fraction légale de 15% fixé par le Code de la décentralisation »2. De même, dans sa
Circulaire n°001 du 30 août 2021 relative à la préparation du budget de l’Etat pour l’exercice 2022,
le Président de la République relève qu’ « un effort devra être fait pour accroître le niveau des
ressources mobilisées au profit des CTD, conformément aux dispositions de la loi portant Code
général des collectivités décentralisées et des textes d’application y afférents »3. Ces quelques
morceaux choisis relancent alors le débat autour de l’autonomie financière des collectivités
territoriales au Cameroun, mais davantage sous l’angle de sa protection. D’où l’idée d’une étude
sur la protection de l’autonomie financière des collectivités territoriales au Cameroun. Mais pour
aller plus loin, conviendrait-il de faire une exploration préalable des termes qui constituent
l’ossature de ce sujet.
1 Art. 25 du CGCTD. 2 Voir le discours de lancement du budget au titre de l’exercice 2021 dans la région du Sud, sur http :
www.minfi.gov.cm, consulté le 26 septembre 2021 à 11h59. 3 Voir point 61 de la Circulaire n°001 du 30 août 2021 relative à la préparation du budget de l’Etat pour l’exercice
2022.
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Concept fondamental en matière de décentralisation4, l’appréhension de l’autonomie
financière ne fait pas l’unanimité au sein de la doctrine juridique. C’est dans ce sens que le
Professeur Robert HERTZOG fait observer que « si l’autonomie financière constitue un objectif
politique faisant consensus, elle devient insaisissable et pétrie de contradictions dès qu’on veut
l’enfermer dans une définition juridique apte à produire des effets normatifs »5. Pour Vincent
DUSSART, l’autonomie financière « se mesure plus qu’elle ne se définit »6. Cette versatilité de
l’autonomie financière est aussi exprimée par Pierre LALUMIERE pour qui « l’autonomie
financière reste une notion mal définie (…) »7. A l’évidence, l’autonomie financière est une notion
complexe et difficile à cerner. Elle est une notion multidimensionnelle et protéiforme8. Aussi,
l’autonomie financière n’est pas une notion statique ; car elle est appelée à évoluer, soit vers
davantage de décentralisation financière, soit au contraire vers une recentralisation des finances
locales9. Selon André ROUX, « (…) L’autonomie financière revêt une double dimension. En
premier lieu, c’est la reconnaissance d’une capacité juridique de décision qui, en matière de
recettes, implique un véritable pouvoir fiscal, le pouvoir de créer et de lever l’impôt et, qui en
matière de dépenses implique la liberté de décider d’affecter les ressources à telle ou telle dépense.
En second lieu, c’est la possibilité pour les collectivités régionales ou locales d’assurer le
financement de leurs dépenses par des ressources propres en volume suffisant »10. Cette définition
aussi pertinente soit-elle, pèche par l’évocation de la notion de pouvoir fiscal local. Car les
collectivités territoriales décentralisées ne disposent pas d’un réel pouvoir fiscal11 mais plutôt des
4 Lire en ce sens OLIVA (E.), « La conception de l’autonomie financière locale. Quel contenu ? Quelle effectivité ? »,
In Gestion et finances publiques, n°2, 2017/2, p. 13. Pour cet auteur, « l’autonomie financière est d’abord au centre
de la décentralisation dont elle permet la réalisation ». 5 HERTZOG (R.), « L’ambiguë constitutionnalisation des finances locales », Actualité juridique, Droit administratif,
mars 2003, p. 548. 6 DUSSART (V.), L’autonomie des pouvoirs publics constitutionnels, Préface Michel LASCOMBE, Paris, CNRS,
2000, p. 13. 7 LALUMIERE (P.), Finances publiques, Paris, Armand Colin, 7e éd., 1983, p. 153. 8 Lire en ce sens OLIVA (E.), « La conception de l’autonomie financière locale. Quel contenu ? Quelle effectivité ? »,
op. cit. p. 14. 9 Sur la recentralisation des finances locales au Cameroun, lire utilement MONEMBOU (C.), « Les paradoxes de la
décentralisation camerounaises : de la décentralisation à la recentralisation », Revue africaine de droit et de science
politique, Vol. I, n°1, jan.- Juin 2013, pp. 161-180. 10 ROUX (A.), « L’autonomie financière des collectivités locales en Europe », Rapport introductif, Annuaire
internationale de justice constitutionnelle, 2006, p. 499. 11 Lire en sens AYRAULT (L.), « L’autonomie fiscale des collectivités territoriales en question : réflexions sur sa
remise en cause », Gestion et finances publiques, n°2, 2017/2, pp. 25-30.
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compétences en matière fiscale12. L’autonomie financière désigne suivant les mots de Vincent
DUSSART « la situation d’une collectivité locale disposant d’un pouvoir propre de décision et de
gestion de ses recettes et des dépenses, regroupées en un budget, nécessaire pour l’exercice de ses
compétences »13. Au total, l’autonomie financière des collectivités territoriales peut être
appréhendée comme un principe constitutionnel suivant lequel, les CTD dans le cadre de l’exercice
de leurs compétences, disposent des ressources propres ou extérieures en quantité suffisante, dont
elles peuvent décider librement de leur affectation dans le respect des sujétions imposées par les
lois et règlements de la République.
Quant à la notion de protection, elle désigne la précaution qui, répondant au besoin de celui ou
de ce qu’elle couvre et correspondant en général à un devoir pour celui qui l’assure, consiste à
prémunir une personne ou un bien contre un risque, à garantir sa sécurité, son intégrité, etc. par
des mesures juridiques ou matérielles. Elle désigne aussi bien l’action de protéger que le système
de protection établi14. Il s’agit alors de l’ensemble des mesures prises pour sauvegarder
l’autonomie financière locale. Car l’autonomie financière en tant condition de réalisation de toute
décentralisation effective mérite d’être préservée des atteintes de toute nature. Sous ce rapport, on
pourrait légitimement se demander contre qui devrait-on protéger l’autonomie financière des
CTD ? A cet égard, en tant que liberté concédée aux entités locales, l’autonomie financière mérite
d’être préservée vis-à-vis de l’Etat central. Car dans la dynamique des rapports financiers entre le
centre et la périphérie, l’Etat est toujours enclin à « recentraliser » les finances locales. Cette
recentralisation des finances locales est plus prégnante lorsque le centre fait face à des tensions de
trésorerie. D’un autre côté, l’autonomie financière est conférée aux CTD parce qu’elles ont des
missions d’intérêt général à réaliser. Les finances locales ont alors pour but ultime
l’accomplissement des services sociaux de base au plan local, lesquels services concourent à la
réalisation des droits fondamentaux des citoyens. Ainsi, dans son rapport avec les droits et libertés
fondamentaux, l’autonomie financière mérite d’être protégée contre les autorités locales elles-
mêmes. Car les finances publiques locales sont la condition intrinsèque de l’existence des droits-
12 Ainsi en a décidé le Conseil constitutionnel français dans sa Décision n°2009-599 DC du 29 déc. 2009, Loi de
finances pour 2010, consid. 64. 13 DUSSART (V.), L’autonomie des pouvoirs publics constitutionnels, op. cit. pp. 12-13. 14 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Paris, Presses Universitaires de France, 11e édition, 2016, p. 823.
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créances15 dont la jouissance nécessite une intervention de la collectivité publique16. Ainsi,
l’autonomie financière concédée aux CTD a pour dessein, la réalisation des objectifs à elles
assignés par les lois et règlements de la République17. Sous ce rapport, il est à relever que les
ressources financières locales ne constituent pas la propriété des autorités locales ; elles constituent
le moyen d’accomplissement des missions d’intérêt local dont le bénéficiaire ultime est le citoyen-
contribuable. En tant que deniers publics, les finances locales devront être utilisées à bon escient,
et dans l’optique de promouvoir le bien-être collectif.
Des lors, la majorité des Etats africains d’expression française qui ont souscrits à la
décentralisation ont formellement consacrés le principe de l’autonomie financière des CTD. Le
Cameroun ne fait pas exception, car ce principe figure même désormais dans la Constitution18. La
question centrale à laquelle répond cette étude est la suivante : la consécration du principe de
l’autonomie financière au Cameroun est-elle assortie des précautions suffisantes pour permettre
une sécurité financière des collectivités locales ? Cette préoccupation est d’autant plus
fondamentale que « sans autonomie financière, la décentralisation n’est que mirage »19. De toute
évidence, l’on a émis l’hypothèse d’une faible préservation de l’autonomie financière locale au
Cameroun. L’autonomie financière est entamée par l’inadéquation et les dysfonctionnements du
système couplés aux mentalités des gestionnaires publics locaux, peu enclines à la res communis.
A cet égard, sur un plan purement théorique, l’enjeu réside dans l’approfondissement de l’étude
et la compréhension des relations financières entre l’Etat et les entités infra étatiques. Car les Etats
africains ayant souscrit à la décentralisation sont confrontés à la nécessité d’améliorer l’efficience
de la répartition et de la gestion des ressources dans le secteur public. Sur le plan pratique, cette
étude permet de mettre en exergue l’ensemble des goulots d’étranglement qui hypothèquent encore
15 Les droits-créances sont des prérogatives que l’individu peut faire valoir auprès des pouvoirs publics. Les droits-
créances relèvent de la catégorie des droits de deuxième génération. Lire en ce sens RANGEON (F.), « Droits-libertés
et droits créances : les contradictions du préambule de la Constitution de 1946 », disponible sur https : //www.u-
picardie.fr, consulté le 17 octobre 2021, à 9h15. 16 BLONDIO-MONDOLONI (V.), Finances publiques et droits fondamentaux. Essai sur les relations entre les
finances publiques et les droits fondamentaux, Thèse pour le doctorat de Droit Public, Université d’AIX-Marseille,
2014, p. 221. 17 Art. 17 du CGCTD, « l’Etat transfère aux collectivités territoriales les compétences nécessaires à leur
développement économique, social, sanitaire, éducatif, culturel et sportif ». 18 Art. 55 al. 2 de la loi n°96/06 du 18 janvier 1996. 19 HOLO (T.), « La décentralisation au Benin : mythe ou réalité ? », Revue béninoise des sciences juridiques et
administratives, n°7, décembre 1986, p. 1.
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la gouvernance financière locale au Cameroun. Il s’agit alors de montrer à l’aune de la nouvelle
gouvernance financière, comment les autorités mobilisent les ressources publiques au service de
la satisfaction des besoins vitaux des populations à la base.
Ainsi, suivant une analyse encadrée par le positivisme normativiste et sociologique d’une part,
et la méthode comparative d’autre part, l’on note une prise en compte insuffisante de la dimension
protectrice dans la conception de l’autonomie financière (I). Aussi, en tant que liberté locale,
l’autonomie financière reste vulnérable quant à sa mise en œuvre. On assiste alors à un
aménagement approximatif des garanties inhérentes à l’autonomie financière des collectivités
locales camerounaises (II).
I- Une prise en compte insuffisante de la dimension protectrice dans la formulation de
l’autonomie financière des collectivités territoriales
L’adhésion à la logique décentralisatrice se traduit par l’aménagement des principes
décentralisateurs par l’ordre juridique camerounais. Suivant une lecture kelsenienne de cet ordre
juridique, on note une consécration aléatoire de l’autonomie financière des CTD (A) et une
détermination ambiguë des modalités de mise à disposition et de gestion des ressources locales
(B).
A- Une consécration aléatoire de l’autonomie financière des collectivités territoriales
camerounaises
L’autonomie financière est l’aspect fondamental de la décentralisation. Elle se présente comme
la condition de réalisation d’une décentralisation effective20. En tant que liberté locale, l’autonomie
financière mérite d’être garantie de par le support normatif qui l’insère dans la pyramide des
normes et au regard des conditions et possibilités de sa mise en œuvre. Dans le paysage juridique
camerounais, on assiste à une constitutionnalisation limitée de l’autonomie financière (1). La
primauté a été plutôt donnée au législateur dans la structuration et l’organisation de l’autonomie
financière des CTD (2).
20 BEGNI BAGAGNA, « Le principe de libre administration des collectivités territoriales au Cameroun », in SOLON,
Revue africaine de parlementarisme et de démocratie, Vol. III, n°7, août 2013, p. 100.
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1- Une constitutionnalisation limitée de l’autonomie financière
En faisant le choix de faire du Cameroun un Etat unitaire décentralisé21, le constituant de 1996
a procédé à la déclinaison des principes fondateurs de la décentralisation dans le texte
constitutionnel. « Par cette démarche du constituant, la décentralisation et les collectivités
territoriales prennent place dans la Constitution politique de l’Etat »22. En effet, la
constitutionnalisation23 de la décentralisation au Cameroun a eu comme corollaire la
constitutionnalisation du principe de l’autonomie financière. L’article 55 (2) de la Constitution
dispose que « Les collectivités territoriales décentralisées (…) jouissent de l’autonomie
administrative et financière pour la gestion des intérêts régionaux et locaux ».
Seulement, le constituant n’a pas pris le soin de décliner les dimensions de l’autonomie
financière des CTD, encore moins de lui donner une consistance intelligible. La Constitution a
plutôt renvoyé au législateur la compétence pour la détermination des ressources financières
locales24. Ce faisant, le constituant camerounais se démarque alors négativement de certains de ses
homologues africains qui sont plus expressifs dans la consécration de l’autonomie financière des
CTD.
En effet, à la lecture de la Constitution de la République de Cote d’Ivoire, il ressort que « les
collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les
conditions fixées par la loi. Elles peuvent recevoir tout ou partie des produits des impositions de
toute nature. Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales
représentent une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources »25. La même Constitution
indique que « tout transfert de compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales
s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur
21 Art. 1 al. 2 de la Constitution du Cameroun. « La République du Cameroun est un Etat unitaire décentralisé ». 22 WANDJI K. (J. F.), « La décentralisation du pouvoir au Cameroun, entre rupture et continuité. Réflexion sur les
réformes engagées entre 1996 et 2009 », in JANUS, Revue camerounaise de droit et de science politique, 5e années,
n°3, déc., 2010, p. 117. 23 Sur la constitutionnalisation de la décentralisation, lire GUIMDO (B.- R.), « Les bases constitutionnelles de la
décentralisation au Cameroun (Contribution à l’étude de l’émergence d’un droit constitutionnel des collectivités
territoriales décentralisées), in Revue générale de droit, n°29, 1998, pp. 79-100 ; voir aussi WANDJI K. (J. F.), « La
décentralisation du pouvoir au Cameroun, entre rupture et continuité. Réflexion sur les réformes engagées entre 1996
et 2009 », op. cit., pp. 116 et s. 24 Art. 26 al. 2-c-3; art. 56 al. 2 de la Constitution du Cameroun. 25 Art. 173 de la Constitution de la République de Côte d’Ivoire du 08 novembre 2016.
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exercice »26. De même, dans la Constitution de la République du Congo du 06 novembre 2015, il
est indiqué que dans le cadre de l’exercice des compétences à elles assignées, « en plus de leurs
ressources propres, l’Etat alloue, chaque année, aux collectivités locales une contribution de
développement. Toute imputation des dépenses de souveraineté de l’Etat sur les budgets des
collectivités décentralisées est interdite »27. Aussi, dans la Constitution de la République de
Guinée-Bissau du 16 décembre 1996, le constituant, après avoir indiqué que « l’organisation du
pouvoir politique de l’Etat comporte l’existence de collectivités locales jouissant d’une autonomie
administrative et financière »28, a décliné quelques principes essentiels de l’autonomie financière
des entités locales. Cette volonté du constituant de la République de Guinée-Bissau à déterminer
l’organisation des ressources financières locales trouve son assise dans les dispositions pertinentes
de l’article 110 de la Constitution. On peut y lire que « les collectivités locales ont un patrimoine
et des finances qui leur sont propres. Le régime des finances locales est établi par la loi et vise
une juste répartition des ressources publiques entre l’Etat et les collectivités locales et la
nécessaire correction des inégalités entre collectivités. Les recettes propres des collectivités
locales proviennent de la gestion de leurs avoirs et des sommes perçues à raison de l’utilisation
de leurs services ». Dans d’autres pays africains encore, le constituant est plus prolixe dans la
détermination et la répartition des ressources financières entre l’Etat central et les entités
périphériques. Ainsi, au Ghana, le constituant a prescrit que 5% du revenu national doit être
automatiquement transféré et distribué aux collectivités locales. Cette proportion est de 10% au
Nigeria29.
Au regard de ces clichés, tout porte à croire que le constituant camerounais a constitutionnalisé
le principe de l’autonomie financière mais de façon vague. Toute chose qui ne concourt pas à une
réelle protection constitutionnelle des ressources locales. Pourtant comme le relève pertinemment
le Professeur Eric OLIVA « l’un des défis constitutionnels du XXIe siècle sera d’assurer une
protection effective des finances publiques propre à assurer le respect effectifs des droits
fondamentaux ainsi que d’offrir des garanties soutenables aux contribuables contre l’arbitraire
26 Ibid. art. 174. 27 Art. 209 de la Constitution de la République du Congo. 28 Art. 105 al. 1 de la Constitution de la République de Guinée-Bissau. 29 KEUTCHA TCHAPNGA (C.), « L’influence de la bonne gouvernance sur la relance de la décentralisation
territoriale en Afrique au Sud du Sahara », in Revue africaine de droit public, Vol. I, n°1, juin- déc., 2012, p. 158.
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de certaines législations fiscales »30. La consécration constitutionnelle de l’autonomie financière
lui confère une garantie solide car le juge constitutionnel sera enclin à sanctionner les manœuvres
du législateur visant à réduire les recettes locales, dans le cadre des lois ordinaires ou dans le cadre
des lois de finances31. Ainsi, en renvoyant la détermination et l’organisation des ressources locales
au législateur, le constituant camerounais contribue à réduire l’échelle de sécurisation des finances
locales.
1- Une primauté du législateur dans la structuration de l’autonomie financière des
collectivités locales
Bien que l’autonomie financière des CTD ait un statut constitutionnel dans l’ordre juridique
camerounais, son organisation a été renvoyée expressis verbis au législateur. Cette opération de
renvoi est le fait des dispositions pertinentes de la Constitution. Ainsi, à la lecture des dispositions
de l’article 26 de la Constitution, sont du domaine de la loi, « l’organisation, le fonctionnement,
la détermination des compétences et des ressources des collectivités territoriales »32. Il en est de
même de l’article 56 alinéa 2 de la même Constitution qui dispose que « la loi détermine (…) les
ressources des régions ». Dès lors, le législateur camerounais aménage l’autonomie financière des
CTD par l’entremise du Code général des collectivités territoriales décentralisées, de la loi
n°2009/019 du 15 décembre 2009 portant fiscalité locale et des différentes lois de finances. Ainsi,
« La loi de finances fixe, chaque année, la fraction des recettes de l’Etat affectée à la Dotation
Générale de la Décentralisation (…) »33. La fraction des recettes de l’Etat affectée à la Dotation
Générale de la Décentralisation (DGD) ne peut être inferieure à quinze pour cent (15%)34.
Seulement, cette importante réforme opérée par le législateur de 2019 et visant à consolider
l’autonomie financière locale reste vulnérable. Pour cause, le statut législatif de la fraction des
ressources étatiques allouées à la Dotation Générale de la Décentralisation.
30 OLIVA (E.), « La reconstitution du droit constitutionnel financier », in Revue française de droit constitutionnel,
n°100, 2014/4, p. 1021. 31 La valeur constitutionnelle du principe d’autonomie financière n’est pas sans conséquences. Elle signifie que,
conformément au principe de constitutionnalité, l’autonomie financière doit être respectée par toutes les autorités de
l’Etat et en particulier par le législateur sous la vigilance du juge constitutionnel. Lire en ce sens OLIVA (E.), « La
conception de l’autonomie financière locale. Quel contenu ? Quelle effectivité ? », op. cit., p.18. 32 Art. 26 (2) c-3 de la Constitution du Cameroun. 33 Art. 25 al. 2 du CGCTD. 34 Art. 25 al. 3 du CGCTD.
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En effet, en donnant la possibilité au législateur de fixer le taux de la DGD, les pouvoirs
publics ont soumis cette importante ressource locale à l’instabilité législative, couplée à la pratique
récurrente de l’inobservance des textes de lois. Ainsi, la loi n°2020/018 du 17 décembre 2020
portant loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice 2021 a violé allègrement les
dispositions pertinentes de l’article 25 de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code
général des collectivités territoriales décentralisées. La loi de finances pour l’exercice 2021 reste
muette sur la fraction des recettes de l’Etat à allouer aux collectivités locales. C’est plutôt le
ministre des finances M. Louis Paul MOTAZE qui, dans son Discours de lancement de l’exécution
du budget de l’Etat pour l’exercice 2021, indiquera que 7,2% seulement des recettes de l’Etat
seront transférées aux CTD au titre de DGD. Pour cause, d’après le ministère des finances, il
manque encore certaines « préalables nécessaires pour permettre l’exercice effectif de certaines
compétences transférées aux CTD »35. Pourtant le législateur n’a pas soumis le respect de
l’exigence du transfert d’au moins 15% des ressources de l’Etat aux CTD à une condition. Cette
situation met ainsi à nu la fébrilité du statut juridique de la portion des recettes de l’Etat dédiées à
la DGD. Il devient alors urgent que cette importante ressource locale soit constitutionnalisée. Et
sous ce prisme, toutes violations y afférentes pourraient être sanctionnées par le juge
constitutionnel.
B- Une détermination ambiguë des modalités de mise à disposition et de gestion des
ressources locales
En tant que principe constitutionnel, l’autonomie financière vise à conférer aux collectivités
locales certaines prérogatives financières leur permettant de choisir librement les dépenses et les
recettes leur permettant d’exercer une action politique et économique dans la limite de leur
domaine spatial de compétence et sous le contrôle de l’Etat36. La concrétisation de cette autonomie
suppose alors la mise à la disposition des CTD des ressources suffisantes et l’octroi d’une marge
importante de manœuvre dans le déploiement du pouvoir financier local. Cependant, l’analyse de
l’ordre juridique camerounais donne à voir une interférence remarquable des autorités exécutives
35 Voir le discours de lancement du budget au titre de l’exercice 2021 dans la région du Sud, sur http :
www.minfi.gov.cm, consulté le 26 septembre 2021 à 11h59. 36 OLIVA (E.), « La conception de l’autonomie financière locale. Quel contenu ? Quelle effectivité ? », op. cit., p.
24.
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dans la gestion financière locale (1). Aussi, on assiste à une limitation substantielle du pouvoir
financier local (2).
1- Une interférence remarquable des autorités exécutives dans la détermination de
l’action publique locale
Sur le plan étymologique, le terme autonomie vient du grec auto nomos, qui signifie se régir
par ses propres lois. Dans ce cas, l’autonomie s’oppose alors à l’hétéronomie, qui est le fait de
dépendre d’autrui ou de voir son destin déterminé par une autorité extérieure. De ce point de vue,
l’autonomie constitue le fondement même de la décentralisation, car cette dernière « implique le
principe de liberté, liberté pour la collectivité territoriale décentralisée de régler par des autorités
élues les affaires considérées comme locales »37. Cependant, cette liberté reconnue aux autorités
dans la conduite des politiques publiques locales est fortement limitée par les interventions des
autorités relevant du pouvoir exécutif. En fait, les autorités exécutives prennent des actes
réglementaires pour orienter l’action publique locale. Elles déterminent et fixent les objectifs
assignés à l’action publique locale. Toute chose de nature à hypothéquer la vision des autorités
locales pour le développement de leurs terroirs.
En effet, chaque année, le Président de la République prend une Circulaire relative à la
préparation du budget de l’Etat. A travers ce texte, le chef de l’Etat fixe les grands axes des
politiques publiques pour l’année à venir. C’est un acte qui permet au Président de la République
d’orienter l’action de l’Etat en général, et celles des CTD en particulier38. Si le Président de la
République se borne à indiquer les grandes orientations des objectifs poursuivis par les pouvoirs
publics39, le ministre de la décentralisation et du développement local, et le ministre des finances
brillent par leur présence notoire dans la détermination de l’action publique locale. Le ministre de
la décentralisation et du développement local et son homologue des finances prennent chaque
année une lettre-circulaire conjointe relative à la préparation des budgets des collectivités
territoriales. A travers ce texte, l’Exécutif oriente l’action publique locale. Il détermine les objectifs
37 WANDJI K. (J. F.), « La décentralisation du pouvoir au Cameroun, entre rupture et continuité. Réflexion sur les
réformes engagées entre 1996 et 2009 », op. cit., p. 144. 38 Voir la Circulaire n°001 du 30 aout 2021 relative à la préparation du budget de l’Etat pour l’exercice 2022. 39 BILOUGA (S. T.), Finances publiques camerounaises. Budgets-Impôts-Douanes-Comptabilité publique, Paris,
L’Harmattan, 2020, p. 139.
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assignés aux autorités décentralisées ; il fixe les dépenses à effectuer au courant de l’exercice
budgétaire au plan local. On assiste alors à une immixtion de l’exécutif dans la gestion financière
locale. Ainsi, dans la lettre-circulaire conjointe n°00007497/LC/MINDDEVEL/MINFI du 11
novembre 2020, relative à la préparation des budgets des collectivités territoriales décentralisées,
il est indiqué que « les budgets des CTD de l’exercice 2021 devront assurer le fonctionnement
effectif, efficace et efficiente de leurs service et organes délibérants, en vue de concourir à
améliorer la gouvernance, le cadre et les conditions de vie des populations par la réalisation des
projets de développement et le fourniture régulière des services sociaux de base aux
populations »40. En outre, le même texte liste un ensemble d’actions que devront mener les
autorités décentralisées en cours d’exercice budgétaire41. De même, dans la lettre-circulaire
n°004211/LC/MINFI/MINDDEVEL du 07 octobre 2021 relative à la préparation des budgets des
collectivités territoriales décentralisées pour 2022, on peut y lire « l’action publique locale au
Cameroun pour l’exercice 2022 mettra l’accent sur l’approfondissement et l’accélération du
processus de la décentralisation, la promotion du développement local, ainsi que le renforcement
de la gouvernance locale. Ceci dans la perspective d’améliorer le cadre et les conditions de vie
des populations d’une part et d’assurer le progrès économique et social, tout en jugulant les effets
néfastes de la pandémie du Covid-19 »42.
L’analyse de ces textes réglementaires donne à voir une forte présence de l’Etat central dans
la conduite des affaires locales. On se retrouve alors dans un schéma où c’est l’autorité centrale
qui détermine ce qui est utile sur le plan local. Pourtant l’autonomie financière implique la
possibilité pour les autorités locales de choisir en toute liberté, dans le cadre de leurs compétences
les projets de développement utiles pour leurs localités. Avec cette « ingérence » du centre, on
assiste alors à une véritable cogestion au plan local. Toute chose de nature à altérer le pouvoir
financier local.
40 Voir la lettre-circulaire conjointe n°00007497/LC/MINDDEVEL/MINFI du 11 novembre 2020, relative à la
préparation des budgets des collectivités territoriales décentralisées. 41 Ibid. 42 Voir la lettre-circulaire n°004211/LC/MINFI/MINDDEVEL du 07 octobre 2021 relative à la préparation des
budgets des collectivités territoriales décentralisées pour 2022
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2- Une limitation du pouvoir financier des autorités locales
Les collectivités territoriales ne sont pas des segments de la hiérarchie étatique. Elles sont le
siège d’une liberté d’action. Elles sont dépositaires d’une certaine autonomie43. De ce point de
vue, en matière financière, les entités infra étatiques bénéficient d’un ensemble de compétences
limitativement énumérées par le droit positif. Ces compétences financières permettent aux
autorités locales d’organiser le financement des affaires locales. Les compétences financières
locales se déclinent alors dans la possibilité de décider des dépenses et des recettes, pouvoir de
contracter des emprunts et dans l’aménagement des compétences en matière fiscale. Elles
permettent de mettre en œuvre l’autonomie financière des CTD. Seulement, ce pouvoir financier
local dans ses linéaments, est loin de conférer une réelle autonomie aux collectivités territoriales
camerounaises.
Sur le plan budgétaire, l’autonomie financière implique la possibilité pour les CTD de se
constituer librement un budget et d’en dégager leurs priorités. Il s’agit alors d’une marge de
manœuvre concédée aux CTD et leur permettant de maîtriser leurs choix financiers44. Pourtant la
législation camerounaise a imposé un certain nombre de contraintes budgétaires qui dépouillent
les CTD de l’essentiel de leur pouvoir financier tant en ce qui concerne les dépenses que les
recettes. Lorsque les autorités locales sont appelées à confectionner leur budget, elles sont
astreintes d’une part à l’observance des principes budgétaires, et d’autre part, au respect de la
réglementation des dépenses locales. Si les autres principes budgétaires peuvent subir des
réadaptations, le principe de l’équilibre budgétaire45, encore appelé « la règle d’or »46, s’impose
aux autorités locales. Contrairement au budget de l’Etat, le budget des collectivités territoriales
doit être voté en équilibre. L’équilibre doit être réel, ce qui signifie que les postes de recettes ne
peuvent être majorés arbitrairement, de même que les postes de dépenses ne peuvent être
43 AUBY (J.-B.), AUBY (J.-F.), ROZEN NOGUELOU, Droit des collectivités locales, Paris, Presses Universitaires
de France, 4e édition, 2008, p. 63. 44 ESSONO OVONO (A.), « L’autonomie financière des collectivités locales en Afrique noire francophone. Le cas
du Cameroun, de la Côte-d’Ivoire, du Gabon et du Sénégal », disponible sur http://afrilex.u-bordeaux.fr, p. 2. 45 Art. 377 du CGCTD, « le budget voté est équilibré en recettes et en dépenses ». 46 BOUVIER (M.), Les finances locales, Paris, LGDJ, Lextenso éditions, 15e édition, 2013, p. 265.
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minorés47. La règle de l’équilibre s’applique à chaque budget (budget primitif48, budget annexe49,
budget rectificative50) et à chaque section du budget. Le non-respect de ce principe d’équilibre
budgétaire constitue l’un des motifs pouvant amener l’autorité de tutelle, après une mise en
demeure restée sans effets, à modifier d’office le budget local51. Dans le même ordre d’idées, les
dépenses dont les autorités budgétaires locales sont appelées à effectuer sont encadrées de façon
rigide52.
A cet effet, le budget de la commune et de la communauté urbaine est élaboré dans le respect
des ratios ci-après :
- Les prévisions des dépenses d’investissement doivent être fixées à un taux minimum de
40% des dépenses totales ;
- Les prévisions des dépenses de fonctionnement ne doivent pas excédées le taux de 60%
des dépenses totales ;
- Les dépenses de personnels ne doivent pas excéder 35% des dépenses de fonctionnement53.
De même, le budget de la région est élaboré dans le respect des ratios-cipres :
- Les prévisions des dépenses d’investissement doivent être fixées à un taux minimum de
60% des dépenses totales ;
- Les prévisions des dépenses de fonctionnement ne doivent pas excéder le taux de 40% des
dépenses totales ;
47 Ibid. 48 Le budget primitif constitue le premier acte obligatoire du cycle budgétaire annuel d’une collectivité territoriale. 49 Le budget annexe est établi pour tout service public régional ou communal doté de l’autonomie financière, sans
personnalité juridique. Il s’agit concrètement du budget affèrent aux services des CTD spécialisés dans la production
de biens ou des prestations de services donnant lieu au paiement d’une redevance. Lire dans ce sens BOUVIER (M.),
ESCLASSAN (M.-C.), LASSALE (J.-P.), Finances publiques, Paris, LGDJ, 15e édition, 2016-2017, pp. 289-290. 50 Le budget rectificatif est une innovation de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code général des
collectivités territoriales décentralisées. Il permet alors de prendre en charge les nouvelles ressources qui adviennent
en cours d’exécution et de rajuster le budget initial. Il comprend notamment, les crédits supplémentaires nécessaires
en cours d’exercice, les recettes nouvelles non prévues dans le budget initial et les opérations de recettes et de dépenses
reportées au titre du budget de l’année précédente. Voir l’article 388 du CGCTD. 51 Art. 427 al. 1 du CGCTD. 52 ESSONO OVONO (A.), « L’autonomie financière des collectivités locales en Afrique noire francophone. Le cas
du Cameroun, de la Côte-d’Ivoire, du Gabon et du Sénégal », op. cit. p. 9. 53 Art. 417 al. CGCTD.
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- Les dépenses de personnel ne doivent pas excéder 30% des dépenses de fonctionnement54.
Si cette fixation des ratios vise d’une part à mettre en cohérence les budgets locaux avec la
politique gouvernementale sous-tendue par la Stratégie Nationale de Développement (SND30), et
d’autre part à accorder une priorité aux dépenses d’investissement local, ayant un impact sur le
bien-être des populations55, il faut tout de même relever son revers. Cette fixation des ratios est en
stricte contradiction avec le principe de la libre administration des CTD. Ainsi, pour Charles
EISENMANN, il ne peut y avoir une authentique décentralisation administrative si la législation
est impérative et déterminée au point de ne laisser à l’autorité locale chargée de son application la
moindre part du pouvoir discrétionnaire56.
Aussi, on assiste à une consécration des dépenses obligatoires et interdites. Pourtant
l’autonomie financière implique également que « les collectivités locales peuvent utiliser leurs
ressources pour les dépenses de leur choix »57. Les dépenses obligatoires correspondent à des
attributions que les collectivités territoriales doivent obligatoirement exercer58. Elles sont
imposées par la loi, et sont nécessaires au bon fonctionnement de la CTD en raison de l’intérêt
qu’elles présentent59. Ainsi, sont obligatoires les dépenses ci-après :
- Les traitements et salaires ;
- Les indemnités et autres avantages prévus par les textes en vigueur ;
- Les cotisations sociales ;
- Les impôts et taxes à reverser ;
- Les charges incompressibles liées au fonctionnement des services ;
- Les dettes exigibles ;
54 Art. 417 al. 2 du CGCTD. 55 BEGNI BAGAGNA, « Le principe de la libre administration des collectivités territoriales décentralisées au
Cameroun », op. cit. p. 113. 56 CHIFFLOT (N.), Le droit administratif de Charles Eisenmann, Paris, Dalloz, 2009, p. 131. 57 ESSONO OVONO (A.), « L’autonomie financière des collectivités locales en Afrique noire francophone. Le cas
du Cameroun, de la Côte-d’Ivoire, du Gabon et du Sénégal », op. cit. p. 11. 58 FERSTENBERT (J.), PRIET (F.), QUILICHINI (P.), Droit des collectivités territoriales, Paris, Dalloz, 2e édition,
2016, pp. 418-419. 59 Art. 403 du CGCTD.
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- Les contributions aux organismes d’appui aux collectivités territoriales prévues par la
législation et la réglementation en vigueur, etc.60.
A côté des dépenses obligatoires, le CGCTD a également prévu les dépenses interdites, qui sont
celles formellement prohibées par les lois et règlements en vigueur. Sont notamment interdits :
- Les prêts consentis par une collectivité territoriale à une personne privée ;
- Les subventions aux associations non déclarées et autres structures non agréées ;
- Les subventions aux associations et congrégations religieuses ;
- Les subventions aux partis politiques61.
Sous l’angle des recettes locales, le pouvoir financier des autorités décentralisées est limité
notamment en matière fiscale. Cette limitation du pouvoir local en matière fiscale est nocive pour
l’autonomie financière des CTD car « les recettes fiscales représentent plus de la moitié des
recettes des communes »62. En outre, la fiscalité est à la fois, un moyen efficace de financer le
développement, une voie d’accès privilégiée à une responsabilisation de la gestion publique et un
élément clef de la démocratie de proximité63. De façon principielle, les collectivités locales ne
disposent pas d’un pouvoir fiscal64. Ce pouvoir échoit constitutionnellement au législateur65. Les
collectivités locales ont plutôt bénéficié d’un pouvoir fiscal dérivé ou plus concrètement des
compétences en matière fiscale66. Au regard de l’importance de la fiscalité dans la conduite des
affaires locales, il aurait été plus concevable qu’on octroya en la matière, une marge de manœuvre
conséquente aux entités infra étatiques. Au Cameroun cependant, les impôts les plus rentables sont
60 Art. 404 du CGCTD. 61 Art. 406 al. 2 du CGCTD. 62 KOM TCHUENTE (B.), Cameroun : la décentralisation en marche, Yaoundé, Les presses universitaires de
Yaoundé, 2013, p. 145. 63 BOUVIER (M.), in « Editorial », « Le pouvoir fiscal local : d’un pouvoir en trompe-l’œil à un ordre des
autonomies », Revue française de finances publiques, n°131, septembre 2015. 64 BOUVIER (M.), Les finances locales, op. cit. p. 115. Voir également la Décision n°2009-599 DC du 29 décembre
2009 du Conseil constitutionnel français. Le juge constitutionnel français a ainsi indiqué qu’ « il ne résulte ni de
l’article 72-2 de la Constitution, ni d’aucune autre disposition constitutionnelle que les collectivités territoriales
bénéficient d’une autonomie fiscale ». 65 Art. 26 al. 2-d-3 de la Constitution. Sont du domaine de la loi « la création des impôts et taxes et la détermination
de l’assiette, du taux et des modalités de recouvrement de ceux-ci ». 66 La loi n°2009/019 du 15 décembre 2009 portant fiscalité locale intervient dans l’optique de « renforcer l’autonomie
financière des collectivités territoriales (CTD) par l’organisation du transfert progressif des compétences en matière
de gestion des impôts locaux et l’accès direct aux recettes qui leur sont dévolues ». Lire dans ce sens, la Circulaire
conjointe n°0002335/MINATD/MINFI du 20 octobre 2010, précisant les modalités d’application de la loi n°2009/019
du 15 décembre 2009 portant fiscalité locale.
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l’apanage de l’Etat central. Aussi, les impôts locaux sont émis et recouvrer par les services fiscaux
de l’Etat, et reverser aux CTD67. Pour ces impôts locaux recouvrer par les services fiscaux de
l’Etat, une retenue de 10% est opérée au profit de l’Etat. Toute chose qui participe de
l’amenuisement des recettes locales. Les collectivités locales ne disposant que d’une compétence
fiscale limitée, et consistant à administrer les taxes locales. Concrètement, les autorités locales ont
la possibilité d’instituée sur leur territoire une taxe créée par la loi, de déterminer son taux dans
une fourchette déterminée par la loi, et de procéder à son recouvrement68. Cette compétence
résiduelle concédée aux CTD n’est pas de nature à consolider l’autonomie financière qui constitue
la trame de fonds d’une décentralisation accomplie. L’Etat central continue de peser de tout son
poids dans la gouvernance fiscale au plan local. Cependant, l’élargissement de la marge de
manœuvre des CTD en la matière ne devrait pas aboutir à l’institution d’un véritable pouvoir fiscal
local. Une telle option engendrerait alors le risque d’exacerbation de la pression fiscale. Aussi, on
assisterait à l’éclatement du pouvoir fiscal de l’Etat, toute chose de nature à entamer les fondements
même de l’Etat. Car comme le note avec infiniment de sens le Professeur Michel BOUVIER,
« c’est en se construisant comme l’attribut d’un pouvoir universel que la fiscalité a permis la
construction des Etats les plus solides »69. Il importe pour une gouvernance fiscale locale, de
concéder la gestion des impôts les plus importants aux CTD, et de prendre des mesures adéquates
pour renforcer leurs capacités en mettant sur pied une vraie fonction publique locale. En l’état
actuel des choses, c’est la volonté de l’Etat qui règne en matière fiscale au plan local.
En tout état de cause, on est d’avis avec Michel BOTTIN qui souligne que « la pratique
budgétaire est d’abord une autodiscipline que l’Etat finira par imposer aux pouvoirs locaux. Là
commence l’histoire de l’infériorité locale en matière budgétaire »70. Sous ce registre, il devient
alors crucial de tabler sur les moyens juridiques permettant aux autorités locales de préserver leurs
ressources financières.
67 Art. 127 de la loi n°2009/019 du 15 décembre 2009 portant fiscalité locale. 68 Ibid. art. 3. 69 BOUVIER (M.), Les finances locales, op. cit. p. 40. 70 BOTTIN (M.), « L’autorisation budgétaire », in Histoire du droit des finances publiques, vol. III, Les grands
thèmes des finances locales, sous la direction de ISAIA (H.) et SPINDER (J.), Paris, Economica, 1988, p. 98.
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II- UN AMENAGEMENT APPROXIMATIF DES GARANTIES DE L’AUTONOMIE
FINANCIERE LOCALE
L’autonomie financière locale s’inscrit dans le cadre des relations financière entre le centre et
la périphérie. L’Etat central met à la disposition des CTD des moyens financiers suffisants pour
couvrir les charges locales71. Aussi, les collectivités locales, dans le cadre de leur libre
administration doivent, d’une part gérer ces ressources, et d’autre part, se déployer pour générer
les ressources financières complémentaires72. L’objectif étant la consolidation de l’autonomie
financière locale, et la prise en charge optimale de l’intérêt général au plan local. Sous ce prisme,
les garanties de l’autonomie financière locale méritent d’être scruter aussi bien vis-à-vis de l’Etat
central qui peut ne pas respecter ses engagements financiers, qu’en rapport avec les autorités
locales qui peuvent dévoyer la portée des ressources dont elles ont la charge. Cette lecture donne
à voir une impuissance des autorités locales à préserver leurs ressources vis-à-vis des
empiètements des organes étatiques (A), et la persistance de la mal gouvernance au plan local (B)
qui continue à engendrer des déperditions en matière de recettes locales.
A- L’impuissance des collectivités locales dans la préservation de l’autonomie financière
L’autonomie financière s’analyse aussi comme une liberté locale. En fait, le principe de la libre
administration des CTD dont l’autonomie financière en constitue un élément73 est aujourd’hui
considéré comme une liberté fondamentale74. En tant que liberté locale constitutionnellement
71 Art. 12 du CGCTD, « les ressources nécessaires à l’exercice par les collectivités territoriales de leurs compétences
leur sont dévolues soit par transfert de fiscalité, soit par dotations, soit par les deux à la fois ». 72 Art. 11 al. 1 du CGCTD. 73 La libre administration en tant que principe directeur de la décentralisation se décline en trois composantes
majeures que sont l’autonomie institutionnelle, l’autonomie fonctionnelle et l’autonomie financière. Voir LEHMANN
(P.-E.), « Libre administration et QPC : les enseignements de quatre années de jurisprudence », in Civitas europa,
n°34, 2015/1, p. 227. 74 La question s’est posée au sein de la doctrine française à l’effet de savoir si la libre administration est un principe
d’organisation de la République coïncidant avec celui de la décentralisation ou au contraire, était-elle une liberté
fondamentale ? Une telle controverse naquit de la décision du Conseil d’Etat du 18 janvier 2001, Commune de
Venelles. Dans cette affaire portant sur un référé-liberté fondamentale, le juge administratif a indiqué que le principe
de libre administration constitue « l’une des libertés fondamentales auxquelles le législateur a ainsi entendu accorder
une protection juridictionnelle particulière ». Pour Michel VERPEAUX, la libre administration constitue un principe
d’organisation étatique et non une liberté fondamentale. Il considère ainsi la libre administration comme « une forme
de séparation verticale des pouvoirs ». Voir VERPEAUX (M.), « Libre administration, liberté fondamentale, référé-
liberté, note sous Conseil d’Etat, Section, 18 janvier 2001, Commune de Venelles », in RFDA, 2001, p. 682. Pour
Louis FAVOREU et André ROUX, la libre administration constitue « une liberté fondamentale ». Lire dans ce sens,
FAVOREU (L.), et ROUX (A.), « La libre administration des collectivités locales est-elle une liberté
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consacrée, les mécanismes de sauvegarde de l’autonomie financière méritent d’être envisagés. Car
le pendant d’une liberté ou d’un droit réside dans l’aptitude de son bénéficiaire à le faire valoir
dans le commerce juridique afin d’obtenir gain de cause. Il ne suffit pas d’affirmer dans une
Constitution ou dans les lois une liberté, encore faut-il permettre sa libre expression75. Mais à
l’analyse du droit positif camerounais et de la pratique, il ressort le constat de l’inexistence des
mesures contraignantes à la disposition des CTD (1) pour exiger le respect de leur autonomie
financière. Aussi, l’incapacité des collectivités territoriales camerounaises à mobiliser les
ressources suffisantes handicape considérablement l’autonomie locale (2).
1- L’inexistence des mesures contraignantes à la disposition des collectivités locales
Les contours de l’autonomie financière des CTD consacrée dans la loi fondamentale sont
précisés dans les différents textes législatifs et réglementaires. Dans ce sens, le législateur doit
s’abstenir à adopter les lois qui portent atteinte à l’autonomie financière des CTD76. De même, les
autorités du pouvoir réglementaire qui jouent un rôle fondamental dans l’aménagement et la mise
à disposition des ressources aux CTD doivent se garder de tout acte visant à dénaturer l’autonomie
locale. Sous ce rapport, on peut se demander ce qui adviendrait si les principes de l’autonomie
financière se trouvent empiéter. Autrement dit comment amener les pouvoirs publics à respecter
leurs engagements financiers ? Cette préoccupation vaut tout son pesant d’or dans le contexte
camerounais où l’autonomie financière des CTD fait l’objet d’une kyrielle d’entorses venant du
pouvoir central. La doctrine camerounaise parle volontiers de la « recentralisation financière »77.
Il en est ainsi des violations législatives à l’instar du non-respect de la fraction des recettes dédiées
fondamentale ? », in Cahiers du Conseil constitutionnel, 2002, pp. 91-101. A l’évidence, il apparaît comme un truisme
que la libre administration constitue une liberté garantie par le Constitution. Cette position est régulièrement confirmée
par le juge constitutionnel, gardien de la suprématie constitutionnelle. Voir en ce sens, la Décision n°2010-29/37 QPC,
du 22 septembre 2010, Commune de Besançon et autres, consid. 6-8. 75 WANDJI K. (J. F.), « L’Etat de droit en Afrique : l’arlésienne ? », in RRJ, n°2, 2013, p. 1024. 76 Voir la Décision n°2011-142/145 QPC du 30 juin 2011 du Conseil constitutionnel français, Départements de la
Seine-Saint-Denis et autres, consid. 14. Le juge indique que « les règles fixées par la loi sur le fondement de ces
dispositions ne sauraient avoir pour effet de restreindre les ressources des collectivités territoriales au point de
dénaturer le principe de libre administration de ces collectivités ». 77 MONEMBOU (C.), « Les paradoxes de la décentralisation camerounaise : de la décentralisation à la
recentralisation », in Revue africaine de droit et de science politique, Vol. I, n°1, jan. - juin 2013, pp. 173 et s.
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à la Dotation Générale de la Décentralisation (DGD)78, les suspensions de perception de certains
impôts locaux par l’autorité réglementaire79 ; les transferts de compétences sans moyens
conséquents80, les retards dans le circuit de mise à disposition des ressources, les cas de non
allocation de la Dotation Générale de Fonctionnement (DGF) par les communautés urbaines aux
communes81, la gestion totale de la fiscalité régionale par l’Etat.
Face à ces violations flagrantes de l’autonomie financière locale, les collectivités territoriales
camerounaises ne disposent quasiment d’aucun voie de recours pour contraindre l’Etat central à
exécuter ses engagements financiers82. L’autonomie financière des CTD se présente alors dans le
contexte camerounais comme une liberté locale reconnue mais dépourvue de garanties suffisantes.
Cette situation s’explique par l’absence des voies de recours juridictionnelles devant permettre aux
CTD de faire sanctionner toute violation portée à leurs ressources financières. Cependant, avec la
mise en place des régions au lendemain de la première élection régionale du Cameroun le 6
78 Voir la loi n°2020/018 du 17 décembre 2020 portant loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice
2021. Cette loi de finances est restée muette au sujet de la fraction des recettes allouées à la Dotation Générale de la
Décentralisation, violant ainsi les dispositions pertinentes de l’article 25 de la loi n°2019/24 du 24 décembre 2019
portant Code général des collectivités territoriales décentralisées. 79 Dans le cadre de la stratégie nationale de riposte à la pandémie du covid-19, le Président de la République a décidé
d’un certain nombre de mesures fiscales d’accompagnement qui ont été publiées le 30 avril 2020 par le Premier
Ministre. Certaines de ces mesures ont consisté en l’exonération de l’impôt libératoire et de la taxe de stationnement
pour les taxis et les motos taxis ainsi que de la taxe à l’essieu au titre du deuxième trimestre 2020 ; l’exonération au
titre du 2eme trimestre, de l’impôt libératoire et des taxes communales au profit des revendeurs des vivres. Lire dans ce
sens la Circulaire n°20/169/CF/MINFI/DGI/DLRI/L du 13 mai 2020, précisant les modalités d’application des
mesures fiscales de riposte au covid-19. Si le bien-fondé de ces mesures est évident, on peut tout de même regretter
l’absence des compensations financières conséquentes devant permettre aux CTD de continuer à couvrir
convenablement leurs charges. A ce sujet, M. Olivier CROMWELL BEMBELL D’IPACK, maire de Bertoua 1er ,
note que « malheureusement, des mesures n’ont pas été prises pour accompagner les municipalités (…), notamment
des subventions, pour faire face au déficit que l’ensemble des mairies ont noté du fait de l’exonération du paiement
de certaines taxes (…) ». Lire dans ce sens Cameroon Tribune, n°12292/8491, 47eme année, du mercredi 24 février
2021, p. 10. 80 ALBERT (J.-L.), « Les compensations des transferts de compétences », in Gestion et finances publiques, n°2,
2017/2, pp. 44-56. 81 Au sujet de la Dotation Générale de Fonctionnement allouée aux communes d’arrondissement par la communauté
urbaine, M. John KUMASE NDANGLE, alors maire de la commune de Douala IV en 2009 évoquait déjà les
dysfonctionnements créés par le non-versement de la DGF. Lire utilement l’intervention de M. John KUMASE
NDANGLE in Mutation, n°2080, du jeudi 9 avril 2009, p. 13 ; de même, au cours de l’exercice budgétaire 2012, les
communes d’arrondissement de Bertoua I et Bertoua II n’avaient reçu qu’une partie de leur Dotation Général de
Fonctionnement, et aucune dotation au cours de l’exercice 2013. Voir TCHIENO TIMENE (A.), Recherche sur les
mécanismes juridiques de financement des collectivités territoriales décentralisées au Cameroun, Thèse pour le
doctorat Ph.D, Université de Dschang, 2016, p. 167. 82 EYANGA MEWOLO (A.), « L’équilibre entre les compétences et les ressources transférées aux collectivités
territoriales décentralisées au Cameroun », in SOLON, Revue africaine de parlementarisme et de démocratie, Vol. III,
n°24, janvier 2021, p. 367.
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décembre 202083, les présidents des exécutifs régionaux pourront, sur le fondement des
dispositions constitutionnelles, attraire devant le juge constitutionnel toute loi qui menacerait les
intérêts régionaux. En effet, il ressort de l’article 47 al. 3 de la Constitution que « avant leur
promulgation, les lois ainsi que les traités et accords internationaux peuvent être déférés au
Conseil constitutionnel par (…) les présidents des exécutifs régionaux lorsque les intérêts de leur
région sont en cause ». Sous ce prisme, le juge constitutionnel camerounais devra se montrer hardi
et courageux, car les garanties inhérentes à leur statut se sont effritées au gré de la réforme
constitutionnelle du 14 avril 2008. En effet, comme le note le Professeur WANDJI Jérôme Francis
K., « l’introduction de la formule du mandat renouvelable prive à ce jour les membres du Conseil
constitutionnel d’une réelle indépendance non seulement parce que la révision constitutionnelle
du 14 avril 2008 à raccourci le mandat de conseiller à six (6) ans mais aussi parce qu’elle fait
dépendre son renouvellement moins du professionnalisme du juge constitutionnel et du libre
exercice des compétences attribuées à l’institution que de son niveau d’inféodation à l’autorité de
nomination »84. Il s’agira alors pour le juge constitutionnel, bien qu’il soit nommé par l’Exécutif,
de sanctionner toutes les dispositions législatives qui violeraient le principe constitutionnel de
l’autonomie financière des collectivités territoriales décentralisées. Cet office du juge
constitutionnel camerounais est vivement attendu pour au moins deux raisons. La jurisprudence
du Conseil constitutionnel dans ce champ permettra de déterminer les contours de l’autonomie
financière des CTD ; aussi, elle contribuera à la construction et à la consolidation du droit public
financier local. A titre de droit comparé, le juge constitutionnel français constitue le gardien du
principe de l’autonomie financière des CTD. Il n’hésite pas à sanctionner les violations portées
aux ressources financières locales. Sa jurisprudence constitue l’une des sources privilégiées du
droit financier français85.
Dans leurs rapports avec les autorités du pouvoir Exécutif, les collectivités territoriales ne
disposent d’aucune voie de recours pour contraindre les ministres à respecter leurs engagements
financiers. Le droit positif n’a pas aménagé la possibilité pour les CTD de saisir le juge
83 Art. 1 du Décret n°2020/547 du 07 septembre 2020 portant convocation des collèges électoraux en vue de l’élection
des conseillers régionaux. 84 WANDJI K. (J. F.), La justice constitutionnelle au Cameroun, Paris, Editions Menaibuc, DL 2015, p. 70. 85 ALCARAZ (H.), CHARPY (C.), LAMOUROUX (S.), PHILIP (L.), « Jurisprudence du Conseil constitutionnel. 1er
juillet-31 août 2006 », in Revue française de droit constitutionnel, n°69, 2007/1, pp. 79-122.
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administratif pour exiger le transfert de ressources. Ainsi, on assiste alors à des cas de prolifération
des transferts sans ressources financières, ou au refus pur et simple de tout transfert en direction
des collectivités locales, violant par la même occasion les dispositions du Code général des
collectivités territoriales décentralisées86. Toute chose qui a amené le Premier Ministre « a instruit
tous les membres du gouvernement concernés par le transfert des compétences aux régions de
faire tenir au ministre de la décentralisation et du développement local, sous huitaine, les projets
de textes y relatifs, assortis de leurs cahiers des charges, en vue de leur sanction »87. Cependant,
si la pression exercée par le Premier Ministre sur les autres membres du gouvernement est salutaire,
on peut tout de même se poser la question de savoir ce qui adviendrait si ces derniers ne déféraient
pas aux injonctions du chef du gouvernement ? Cette préoccupation est fondamentale car les
membres du gouvernement tiennent leur nomination non du Premier ministre, mais du Président
de la République88. Il revient alors au chef de l’Etat, de sanctionner tous les contrevenants. En
outre, il urge d’opérer les réformes dans le sens d’ouvrir le prétoire du juge administratif aux
autorités décentralisées dans l’optique de sauvegarder les ressources financières locales. Le juge
administratif en tant juge financier89, devra contraindre les autorités exécutives à transférer les
ressources nécessaires au plan local. La brèche déjà ouverte aux autorités décentralisées de pouvoir
contester les actes pris dans le cadre du contrôle de tutelle constitue à n’en point douter une
avancée90. Il importe alors d’étendre cette faculté afin de permettre aux CTD de déférer au juge
administratif compétent tous les cas de violation de la législation financière imputables au pouvoir
Exécutif. En France par exemple, le Conseil d’Etat joue un rôle fondamental dans la protection de
l’autonomie locale. Il a d’ailleurs considéré que le principe de la libre administration faisait « à
l’évidence partie des droits et libertés garantis par la Constitution »91.
86 Art. 27 du CGCTD. « Les charges financières résultant, pour chaque collectivité territoriale, des transferts de
compétences, font l’objet d’une attribution par l’Etat de ressources d’un montant au moins équivalent auxdites
charges » ; et que « les ressources attribuées sont au moins équivalentes aux dépenses effectuées par l’Etat, pendant
l’exercice budgétaire précédant immédiatement la date du transfert de compétences » 87 DION NGUTE (J.), in Cameroon Tribune, n°12196/8395, 47e année, 08 octobre 2020, p. 3. 88 Art. 10 de la Constitution. « Le Président de la République nomme le Premier ministre et, sur proposition de celui-
ci, les autres membres du gouvernement. Il fixe leurs attributions ; il met fin à leurs attributions (…) ». 89 KUREK (A.), Le juge financier, juge administratif, Thèse de doctorat en Droit Public, Université de Lille 2- Droit
et santé, 2010, 498p. 90 Voir les arts. 77 et 79 du CGCTD. 91 C.E, Commune de Dunkerque, 18 mai 2010. Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a décidé de surseoir à statuer afin
de soumettre au Conseil constitutionnel l’examen des dispositions législatives vis-à-vis dudit principe. La haute
juridiction administrative a alors mis en branle le mécanisme de la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC).
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En tout état de cause, l’inexistence des mesures de sauvegarde des ressources financières
locales oblitère considérablement les capacités des CTD dans l’accomplissement de leurs
missions. Cette situation est d’autant plus dommageable que les collectivités camerounaises
peinent à produire les ressources propres.
2- L’incapacité des collectivités territoriales à mobiliser suffisamment les ressources
propres
L’option pour les collectivités locales de disposer des ressources propres suffisantes est une
nécessité constamment renouvelée par les textes92 fondateurs de la décentralisation territoriale. Les
ressources propres regroupent tous les produits ou impositions dont la loi autorise les collectivités
territoriales à fixer l’assiette, le taux ou le tarif et procèdent à leur recouvrement93. Ainsi définies,
les ressources propres constituent le gage de l’autonomie financière des collectivités locales, car
elles limitent la dépendance financière des collectivités locales vis-à-vis de l’Etat central94.
La constitution des ressources propres est tributaire, aussi bien de l’office de l’Etat central, que
de celui des autorités locales. A cet égard, l’Etat central adopte des textes de loi, prend des mesures
et établit des mécanismes pertinents pour donner aux CTD l’autorité de mobiliser et libérer les
ressources au niveau local pour le développement économique local95. De leur côté, les
Ce mécanisme permet d’effectuer le contrôle de constitutionnalité des lois déjà entrées en vigueur. Lorsque la QPC
est soulevée devant une juridiction, celle-ci doit surseoir à statuer et de renvoyer ladite question devant le juge
constitutionnel. Plusieurs conditions doivent être réunies à cet effet : la disposition législative contestée doit être
applicable au litige ou à la procédure, ou constituée le fondement des poursuites ; la disposition ne doit pas avoir été
déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf
changement de circonstances ; la disposition soulevée doit avoir un caractère sérieux ; le moyen soulevé par le
requérant doit viser à préserver une atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Voir les articles 23 et 61
de la loi organique française n°2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la
Constitution. Lire également LEHMANN (P.-E.), « Libre administration et QPC : les enseignements de quatre années
de jurisprudence », in Civitas Europa, n°34, 2015/1, pp. 211-241. 92 Art. 11 al. 1 du CGCTD, « Les collectivités territoriales disposent de budgets et de ressources propres pour la
gestion des intérêts régionaux et locaux (…) ». 93 FERSTENBERT (J.), PRIET (F.), QUILICHINI (P.), Droit des collectivités territoriales, Paris, Dalloz, 2e édition,
2016, p. 399. 94 En France, « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour
chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de leurs ressources (…) ». Voir l’article 72 de la Constitution
française du 04 octobre 1958. 95 Art. 7 al. 1 de la Charte africaine des valeurs et principes de la décentralisation, de la gouvernance locale et du
développement local, adoptée par la vingt-troisième session ordinaire de la conférence tenue à Malabo le 27 juin 2014.
Elle a été ratifiée par le Cameroun par l’entremise du Décret n°2019/583 du 31 octobre 2019 portant ratification de la
Charte africaine des valeurs et des principes de la décentralisation, de la gouvernance locale et du développement
local.
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collectivités locales doivent exploiter toutes les possibilités à elles conférées par les lois et
règlements pour « produire les ressources propres nécessaires à la promotion du développement
économique, social, sanitaire, éducatif, culturel et sportif de leur territoire »96. Cependant, il est
évident que les mesures prises par les autorités camerounaises ne permettent pas aux autorités
locales de mobiliser convenablement les ressources propres. En matière fiscale, les marges de
manœuvre conférées aux CTD sont extrêmement limitées. Elles ne peuvent statuer
convenablement qu’en matière de taxes. La gestion des impôts locaux reste sous la coupole de
l’Etat central. De même, les impôts les plus rentables relèvent de l’Etat. Cette structuration des
recettes fiscales ne permet pas aux collectivités locales de disposer des ressources propres
suffisantes. Dans le cadre des concours financiers de l’Etat, l’enveloppe des dotations reste faible,
et leur caractère fléché97 annihile toute marge de manœuvre devant permettre aux autorités locales
de décider sereinement des dépenses à effectuer. Enfin, les collectivités territoriales camerounaises
font encore face à la délicate question de l’indigence d’un personnel qualifié. Il urge alors de mettre
sur pied la fonction publique locale formellement créée par le Code général des collectivités
territoriales décentralisées98.
D’un autre côté, les collectivités locales peinent à produire les ressources propres. Pour cause,
une « valorisation économique »99 limitée de leur patrimoine100. La valorisation optimale du
domaine des CTD est hypothéquée par le phénomène d’occupation anarchique par les particuliers,
et par la gestion approximative des autorités locales. En fait, le phénomène d’occupation
anarchique des propriétés publiques par des particuliers à des fins commerciales et même
d’habitation, occasionne un manque à gagner pour les municipalités. Les dépendances publiques
sont occupées de façon anarchique en Afrique en général et au Cameroun en particulier. Cet
96 Art. 11 al. 1 du CGCTD. 97 Arts. 10 et s. du décret n°2009/248 du 05 août 2009 fixant les modalités d’évaluation et de répartition de la dotation
générale de la décentralisation. 98 Art. 22 al. 3, « l’Etat met en place une fonction publique locale dont le statut est fixé par un décret du Président de
la République ». 99 MORAND-DEVILLER (J.), « La valorisation économique du patrimoine public », L’unité du droit. Mélanges en
hommage à Roland DRAGO, Paris, Economica, 1996, pp. 273-292. 100 Au Cameroun, la loi a reconnu aux CTD le droit de disposer d’un patrimoine. En effet, « les collectivités
territoriales décentralisées disposent d’un patrimoine, du personnel, des domaines public et privé et de services
propres, distincts de ceux de l’Etat et des autres organismes publics ». Voir art. 9 du CGCTD.
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encombrement du domaine public se fait pour des raisons commerciales101. De même, la gestion
approximative du domaine public des collectivités locales camerounaises n’est plus à démontrer.
Elle se traduit par le manque d’initiative des autorités chargées d’exploiter le patrimoine local. Ce
laxisme des magistrats municipaux est observable tant en milieu urbain qu’en milieu rural. Ils
peinent à mettre en branle les techniques de valorisation102 du patrimoine pour capter sa plus-value.
Cependant, certaines municipalités camerounaises sortent du lot et brillent par la réalisation d’un
certain nombre de projets générateurs de revenus sur leurs territoires.
Au niveau de la commune d’arrondissement de Douala II, l’exécutif a procédé à la réalisation
des équipements générateurs de revenus pour la collectivité. Il s’agit de la construction d’un Cercle
municipal, qui est un immeuble composé des salles de célébration des cérémonies d’envergure
comme des mariages ; des salles de conférences et un centre multimédia. Ce Cercle génère
d’importantes recettes pour la commune. Toujours dans cette municipalité, on note la construction
de la Maison de la jeune fille. C’est un centre bien équipé et destiné à la formation des jeunes filles
à plusieurs métiers, à des coûts relativement faibles.
Au niveau de la commune de Dschang, les autorités de la ville dans le cadre de la coopération
décentralisée103, ont mis sur pied une usine de traitement et de transformation d’ordures appelée
VAL’BOX. Actuellement, l’engrais produit dans la ville de Dschang est vendu à la Plantation
Haute Penja (PHP) ainsi qu’aux stades de football de Japoma à Douala et d’Olembe à Yaoundé
pour l’entretien des pelouses. Les produits de ces ventes constituent alors une source de revenus
importante pour la commune de Dschang. Comme l’a si bien relevé le ministre de la
décentralisation Georges ELANGA OBAM, « à travers la réalisation de cet important projet, la
commune de Dschang envoie un message clair à l’ensemble des collectivités territoriales
101 KOUPOKPA (T.), « La valorisation économique des propriétés publiques en Afrique noire francophone : le cas du
Togo », in Revue Afrilex, p. 21, (Disponible en ligne). 102 Dans son Rapport du groupe de travail consacré à « la valorisation des propriétés publiques », l’Institut de la
Gestion Délégué (I.G.D.) a identifié trois techniques de valorisation des propriétés publiques : la valorisation par
l’aliénation des biens publics devenus inutiles et dont la gestion devient du coup plus onéreuse, afin d’en retirer le
juste prix ; la valorisation par l’autorisation d’occupation des dépendances publiques à des fins de rentabilité
financière ; la valorisation au moyen de la réalisation et de la gestion d’un équipement public à un moindre coût. Voir
le Rapport de l’Institut de la Gestion Délégué (I.G.D.), in Petites affiches, 2004, n°147, pp. 44 et s. 103 Ce projet est le fruit du partenariat entre la commune de Dschang et une société française appelée Ar-Val-SAS.
L’Union Européenne a également aidé la réalisation de cette infrastructure en octroyant entre 2014 et 2020 une
subvention de 228 millions de FCFA. Le Trésor français a aussi apporté un soutien financier de près de 372 millions
de FCFA. Voir Décentralisation. Com, n°007, juillet 2021, p. 29.
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décentralisées ». La mise en exploitation de cette usine, poursuit-il, « est non seulement une
occasion de rendre la ville de Dschang plus propre et plus belle, mais aussi une formidable
opportunité d’amélioration de la production agricole de la localité, ainsi qu’une source de revenus
pour la commune et une niche d’emplois direct pour les jeunes »104. Il en est de même de certaines
communautés urbaines qui disposent des espèces boisés, fleuris et joliment équipés, parfois avec
une faune sauvage apprivoisée, dont la visite par les usagers est payante105.
En tout état de cause, l’incapacité des autorités locale à mobiliser convenablement les
ressources propres hypothèque leur autonomie financière. Aussi, la mal gouvernance qui gangrène
toutes les strates de l’administration camerounaise n’épargne pas le secteur des finances locales.
B- La persistance de la mal gouvernance au plan local
La bonne gouvernance, art de gouverner, consiste à administrer la chose publique avec
méthode et efficacité106. Elle intègre généralement un faisceau de principes au rang desquels la
recevabilité, la transparence, l’efficience et l’efficacité, la réactivité, la participation citoyenne,
l’Etat de droit et l’égalité107. Les principes de la bonne gouvernance sont articulés dans l’optique
de consolider la saine gestion des ressources financières108. Sous ce rapport, la mal gouvernance
s’installe lorsque les autorités en charge de conduire les affaires locales se détournent des principes
sus évoqués. Et dans ces conditions, c’est l’autonomie financière locale qui en pâtit, du fait des
autorités locales. De façon concrète, la mal gouvernance se traduit dans la gestion des collectivités
locales par l’inobservation de la législation financière (1) et la prolifération des mauvaises
pratiques dans la gouvernance financière locale (2).
104 ELANGA OBAM (G.), in Décentralisation. Com, op. cit., p. 29. 105 C’est le cas de la communauté urbaine de Yaoundé qui dispose des bois de Saint Anastasie ; la communauté
urbaine de Ngaoundéré qui dispose des bois de Mardock. Lire en sens, BILOUNGA (S. T.), Finances publiques
camerounaises…, op. cit. p. 264. 106 KEUTCHA TCHAPNGA (C.), « L’influence de la bonne gouvernance sur la relance de la décentralisation
territoriale en Afrique au Sud du Sahara », in Revue africaine de droit public, n°1, vol. 1, juin.-déc. 2012, p. 154. 107 OCDE, « Bonne gouvernance au niveau local pour accroître la transparence et la redevabilité dans la prestation de
services : expériences de Tunisie et d’ailleurs », 2018, p. 7, disponible sur https://www.oecd.org, consulté le
13/11/2021 à 19h29. 108 Art. 33 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, adoptée par la huitième session
ordinaire de la conférence tenue le 30 janvier 2007 à Addis Abeba. Cet instrument juridique a été ratifié par le
Cameroun par l’entremise du Décret n°2011/240 du 09 août 2011 portant ratification de la Charte africaine de la
démocratie, des élections et de la gouvernance.
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1- L’inobservation de la législation financière au plan local
L’autonomie financière est conférée aux CTD dans l’optique d’impulser le développement
local. Il s’agit alors pour les autorités locales de mettre les finances locales au service de la
réalisation des droits fondamentaux des populations au niveau de la base. Pour que cet objectif
d’intérêt général associé aux finances publiques locales puisse se concrétiser, la gouvernance
financière devra être adossée sur une orthodoxie financière sous-tendue par des principes et une
législation adéquate. Les règles qui permettent la gestion saine et efficace des finances locales,
pourtant consacrées au Cameroun, ne sont pas toujours respectées au plan local. Ces manquements
sont décelables successivement dans la procédure budgétaire, dans le cadre du recouvrement des
recettes fiscales locales et en matière de passation des marchés publics au plan local.
Le budget de la collectivité territoriale constitue l’outil de mise en œuvre de l’action publique
locale109. A cet effet, la procédure d’élaboration, d’exécution et de contrôle du budget local obéit
à des canons régulièrement établis, donc la violation est de nature à entamer le rendement des
recettes locales. Au Cameroun, les CTD ne respectent pas les exigences légales inhérentes à la
préparation du budget. En effet, le CGCTD exige de l’exécutif de la collectivité l’établissement
d’un Cadre budgétaire à moyen terme (CBMT), définissant les ressources et les projets à réaliser
sur une période minimale de trois (03) ans110. Et sur la base de ce cadre budgétaire, l’exécutif
établit le cadre de dépenses à moyen terme (CDMT), décomposant, sur une période minimale de
trois (03), les grandes catégories de dépenses locales111. Ces documents de cadrage budgétaire
transmis à l’organe délibérant, font l’objet d’un débat d’orientation budgétaire en séance publique
mais sans vote. Ces documents de préparation budgétaire pourtant fondamentaux pour la
planification optimale de la dépense publique locale, ne sont pas toujours établis par les CTD. Tout
au plus, les exécutifs municipaux continuent à faire usage des plans de compagne comme
document de référence en matière budgétaire. De même, si avec l’avènement du CGCTD, on
assiste formellement à la consolidation de la budgétisation en mode programme112, force est de
109 BILOUNGA (S. T.), Finances publiques camerounaises. Budgets-Impôts-Douanes-Comptabilité publique, op. cit.
p. 49. 110 Art. 373 al. 1 du CGCTD. 111 Art. 373 al. 2 du CGCTD. 112 NJOYA YONE (C.), « La consolidation de la budgétisation en mode programme au niveau local en droit
camerounais. Regard sur le Code général des collectivités décentralisées », in Revue africaine de finances publiques,
n°6, 2nd semestre 2019, pp. 191-212.
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constater que les CTD peinent à s’arrimer à ce mode présentation des budgets locaux113. Certaines
municipalités continuent d’élaborer les budgets de moyens qui de toute évidence sont dépassés, et
ne répondent plus aux exigences de la nouvelle gouvernance financière.
En matière de recouvrement des taxes communales, il est à noter que « les collectivités
territoriales assurent l’administration des impôts et taxes qui leur sont dévolus, sous réserve de
ceux gérés par l’administration fiscale »114. De ce fait, les taxes communales sont émises,
liquidées et recouvrées par les services compétents de la commune. Par conséquent, « les
opérations d’émission et de recouvrement des taxes communales ne peuvent faire l’objet de
concession, sous peine de nullité »115. Pourtant les communes camerounaises continuent à
transgresser ces exigences légales en confiant le recouvrement des recettes fiscales aux particuliers
dans le cadre des concessions. A titre d’illustration, toutes les communes d’arrondissement de la
ville de Douala, exceptée la commune de Douala II, ont confié le recouvrement des taxes
communales aux sociétés privées. Cette privatisation de la phase de recouvrement des taxes locales
a plusieurs implications. Elle peut induire une minoration des recettes locales du fait de la
rémunération du concessionnaire de la collectivité locale concernée. Aussi, elle peut exacerber le
climat de tension entre les contribuables et les autorités locales du fait des tracasseries. C’est fort
de ce constat que le ministre de la décentralisation et du développement local, Georges ELANGA
OBAM a lancé un rappel à l’ordre aux maires quant au respect des règles de compétences en
matière de fiscalité. Pour le MINDDEVEL, « le recours à de tels partenariats est contraire aux
dispositions combinées de l’article C6 alinéa 3 du Code général des impôts et le point 22 de la
Lettre-Circulaire n°003/LC/MINFI du 15 février 2021 relative à l’exécution, au suivi et au
contrôle de l’exécution des budgets des CTD pour l’exercice 2021, qui ne confèrent aux
113 Voir. Le point 61 de la Circulaire n°001 du 30 août 2021 relative à la préparation du budget de l’Etat pour l’exercice
2022. « S’agissant de la décentralisation, un effort devra être fait (…) dans l’accompagnement des CTD à l’exercice
de nouvelles compétences à elles transférées, à la maîtrise du mode de budgétisation des ressources transférées, à
l’arrimage de leur calendrier budgétaire à celui de l’Etat et au passage au budget programme ». Aussi, dans le cadre
de la mise en service des régions, les responsables exécutifs des conseils régionaux bénéficient d’une formation
relative à la présentation du budget en mode programme. Ladite formation est initiée par une mission conjointe des
professionnels des ministères des finances, de la décentralisation et du développement local et de l’économie, de la
planification, et de l’aménagement du territoire, sous l’impulsion du Comité national des finances locales (CONAFIL).
Lire dans ce sens, Décentralisation. Com, op. cit. p. 15. 114 Art. 4 al. 1 de la loi n°2009/019 du 15 décembre 2009 portant fiscalité locale. 115 Art. C 121 du Code général des impôts.
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collectivités territoriales décentralisées que la gestion des seules taxes communales ou
régionales »116.
Dans le secteur des marchés publics locaux, les finances locales sont également entamées du
fait des mauvaises pratiques qui y règnent au mépris de la législation régissant les contrats des
CTD. Ainsi, les recours abusifs ou injustifiés aux procédures dérogatoires, notamment aux
marchés de gré à gré et aux avenants sont monnaie courante117. De même, certains élus locaux
continuent à soumissionner et à gagner les marchés dans leur collectivité ; violant ainsi allègrement
les dispositions du CGCTD qui disposent que « les membres de l’exécutif, ainsi que le receveur
de la collectivité territoriale ne peuvent, sous quelque forme que ce soit, par eux-mêmes ou par
personne interposée, se rendre soumissionnaires ou adjudicataires, sous peine d’annulation par
le représentant de l’Etat »118. Cette pratique engendre des cas de conflits d’intérêts, de délits
d’initiés119 et de surfacturation des marchés publics ; lesquels sont nocifs pour les recettes locales.
En outre, les soumissionnaires des marchés publics ne sont pas en reste. Selon l’Agence de
Régulation des Marchés Publics120, sur un échantillon de 32519 offres vérifiés par l’Agence en
2012, on a décelé 30% de fausses attestations de non faillite, 14% de fausses cautions bancaires et
11% de faux registres de commerce. Au total, 566 entreprises frauduleuses ont été recensées.
De toute évidence, l’inobservation de la règle de droit au plan local, avec son corollaire
l’enrichissement illicite et la corruption constituent les manifestations réelles de la mal
gouvernance qui affecte la gestion des finances publiques locales121.
116 Voir la Lettre n°002436/L/MINDDEVEL/SG/DFL/SDFIL/IE2 du 25 juin 2021. Disponible sur,
https://www.impots.cm, consulté le 16 novembre 2021, à 18h07. 117 NKOU SONGUE (F.), Marchés publiques au Cameroun : entre recherche d’efficacité et pesanteurs systémiques,
Mémoire de Master en Administration publique, ENA, Université de Strasbourg, 2014, p. 41. 118 Art. 63 du CGCTD. 119 Voir les articles 198 et 199 du décret n°2018/366 du 20 juin 2018 portant Code des marchés publics du Cameroun. 120 Voir Edition du Journal des marchés publics, parution du 11 mars 2013. 121 C’est fort à propos que le ministre de la décentralisation et du développement local, Georges ELANGA OBAM a
organisé le 16 novembre 2021 à Yaoundé, un Séminaire sur « L’évaluation du système de gestion des finances
publiques ». L’objectif étant de disposer d’une appréciation commune acceptée et partagée avec l’opinion publique et
les bailleurs de fonds, sur les forces et les faiblesses actuelles. Aussi cet atelier s’inscrivait dans le renforcement des
systèmes financiers des administrations publiques tel que prescrit par la Stratégie Nationale de Développement
(SND30). A cet effet, 12 collectivités territoriales ont été choisies pour subir des évaluations. Notamment quatre
communautés urbaines : Yaoundé, Garoua, Kribi et Maroua ; deux communes d’arrondissement (Douala V et Garoua
1er ), et six communes (Tiko, Obala, Ambam, Doumé, Yagoua et Dschang). Lire dans ce sens Cameroon Tribune,
n°12475/8674, 48e année, du Mercredi 17 novembre 2021, p. 4.
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1- La prolifération des mauvaises pratiques dans la gestion financière locale
La consolidation de l’autonomie financière des collectivités territoriales est substantiellement
tributaire de la façon dont les recettes locales sont gérées. Il ne suffit pas seulement pour les CTD
de disposer des ressources financières, encore faudrait-il qu’elles soient affectées convenablement
au service du développement local. Sous ce registre, la nouvelle gouvernance financière qui
imprègne l’ensemble des finances publiques camerounaises postule alors une gestion transparente
des deniers publics au plan local. Car « la légalité, la transparence et la responsabilité sont des
principes essentiels de gestion des finances publiques, mais également des exigences financières
d’un Etat de droit »122. Cependant, dans la gouvernance financière des CTD au Cameroun, on
relève encore la prolifération des mauvaises pratiques de gestion sous-tendues par l’opacité et la
corruption.
La gestion opaque s’inscrit aux antipodes de la transparence. Au cœur de la transparence, on
trouve l’idée selon laquelle il faut rendre visibles et intelligibles les réalités sous-jacentes des
dépenses publiques pour certaines communautés d’utilisateurs. C’est ainsi que les dépenses
publiques doivent être communiquées sous une forme intelligible pour les personnes extérieures à
la collectivité. Les collectivités territoriales camerounaises ne respectent pas cette exigence de
transparence pourtant inscrite dans le CGCTD. De par le Code général de la décentralisation, tout
habitant ou contribuable d’une collectivité territoriale peut, à ses frais, demander communication
ou prendre copie totale ou partielle des procès-verbaux des organes délibérants, des budgets,
projets et rapport annuel de performance, plans de développement, comptes ou arrêtés, suivant des
modalités fixées par voie règlementaire123. De même, la population est tenue informée des grandes
étapes de la procédure budgétaire et de leurs enjeux économiques, sociaux et financiers124. Aussi,
le budget approuvé est publié sur le site électronique de la collectivité territoriale, par voie
d’affichage, par tous autres moyens et déposé à son siège où il peut être consulté125. Dans la
pratique, ces mesures de transparence ne sont pas toujours respectées. Le citoyen est tenu à l’écart
de la gestion des affaires locales. Les documents budgétaires locaux ne sont pas rendus publics, et
122 Voir le préambule du Code de transparence dans la gestion des finances publiques au sein de l’UEMOA. 123 Art. 40 al. 2 du CGCTD. 124 Art. 381 du CGCTD. 125 Art. 429 du CGCTD.
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certaines communes ne disposent même pas de site internet car la gestion reste en grande partie
manuelle126. Cette gestion opaque limite considérablement la participation citoyenne, et dépouille
la transparence de ses vertus ; car il est unanimement reconnu que la transparence limite la
corruption, améliore l’efficience et l’efficacité dans l’utilisation des ressources publiques, renforce
la légitimité et la responsabilité des institutions locales127.
La corruption est un mal qui gangrène tous les secteurs d’activités au Cameroun. Elle persiste
dans la gestion des finances publiques en dépit de l’évolution et de la consolidation des contrôles128
d’une part, et de l’exigence légale de l’intégrité morale des gestionnaires publiques d’autre part.
En fait les finances publiques sont désormais soumises à un double contrôle de régularité et de
performance129. De même, le CGCTD dispose que « dans l’exercice de son mandat, l’élu local
poursuit l’intérêt général, à l’exclusion de tout intérêt personnel, direct ou indirect, ou de tout
intérêt particulier »130. Cependant à l’épreuve des faits, on assiste à une véritable distraction des
ressources financières locales dans certaines communes. Cette dilapidation des recettes locales se
traduit par le laxisme des autorités locales en matière de lutte contre la corruption et la prolifération
des cas de détournements massifs des deniers publics au plan local.
En effet, les collectivités territoriales décentralisées camerounaises en général sont réfractaires
à la lutte contre la corruption. Pourtant chaque collectivité locale dispose d’une cellule dédiée à la
lutte contre la corruption. A titre d’illustration, la production du Rapport annuel de la Commission
Nationale Anti-Corruption (CONAC) est une synthèse des actions menées par tous les acteurs de
la lutte contre la corruption. Dans le cadre de l’élaboration de son Rapport de 2018, une seule
collectivité territoriale (Commune d’arrondissement de Douala II) a fait parvenir son Rapport
126 C’est dans ce sens que l’Agence Nationale des Technologies de l’Information et de la Communication (ANTIC) a
organisé en date du 7 août 2020 un atelier pour mieux outiller les magistrats municipaux de l’Ouest à l’usage des TIC
et recenser leurs besoins en la matière. Voir https://www.cameroon-tribune.cm, (consulté le 20 novembre 2021 à
17h48). 127 HEALD (D.), « Pourquoi la transparence des dépenses publiques est-elle si difficile à atteindre », in Revue
internationale des sciences administratives, Vol. 78, n°1, 2012, p. 34. 128 A propos, le Professeur BEGNI BAGAGNA note avec infiniment de sens que « la fonction de contrôle est allée
en se renforçant au point de devenir un des standards du droit et de la gestion des finances publiques dans le monde ».
Voir BEGNI BAGAGNA, « Réflexion sur le contrôle international des finances publiques : le cas des Etats d’Afrique
subsaharienne francophone », in Revue africaine de finances publiques, n°7, 1er semestre 2020, p. 39. 129 Art. 481 al. 2 du CGCTD. 130 Art. 145 du CGCTD.
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d’activité sur la corruption à la CONAC131. Plus grave encore, en 2019, aucune collectivité locale
n’a fait parvenir son rapport d’activité à la CONAC132. On comprend alors qu’une telle réticence
des acteurs locaux est encline à exacerber les mauvaises pratiques dans la conduite de l’action
publique locale. Dans le même ordre d’idées, les receveurs municipaux n’envoient pas toujours
leurs comptes de gestion à la juridiction des comptes aux fins de contrôle et d’apurement. En 2014,
pour ce qui est des comptes des receveurs municipaux, quatre-vingt-huit (88) comptes de
l’exercice 2014 sur 374 attendus en 2015 ont été produits, soit un taux de production de 23,52%,
le même que l’exercice 2013133. En outre, sur 3282 comptes des exercices antérieurs à 2014 des
receveurs municipaux attendus en 2015, 110 ont été produits. Les comptes des receveurs non
produits depuis 2004 s’élèvent à 3458 au 31 décembre 2015, dont 286 pour l’exercice 2014 et
3172 pour les arriérés134. Cette attitude des gestionnaires locaux renseigne à suffire sur la mal
gouvernance qui règne au plan local. Cette gestion opaque ne permet pas de disposer des
statistiques réelles en matière de finances locales. Pourtant la mise à disposition de l’information
financière constitue d’une part un gage de transparence et de légitimé des autorités locales, et
d’autre part, un préalable à une réforme efficace des finances locales. Dès lors, on comprend
pourquoi dans certaines collectivités locales camerounaises, les cas de détournements à grande
échelle soient observables.
En effet, on assiste dans certaines CTD camerounaises à « un système organisé de prédation des
biens publics »135 par les magistrats municipaux. Cette situation se traduit par des détournements
des ressources financières dédiées au développement local. Le Tribunal Criminel Spécial (TCS)136
a alors eu l’occasion, dans le cadre de certaines de ses décisions à condamner les anciens maires
de certaines communes pour le détournement des sommes faramineuses. Ainsi, le TCS a condamné
deux (02) anciens maires de la commune de Messondo dans le département du Nyong-et-Kelle,
131 Voir Rapport sur l’état de la lutte contre la corruption au Cameroun en 2019, p. 3. 132 Ibid. p. 3. 133 Voir Rapport de la Chambre des comptes de la Cour suprême 2015, p. 26. 134 Ibid. pp. 26-27. 135 MPESSA (A.), « Le Conseil de discipline budgétaire et financière à l’épreuve de la protection de la fortune publique
au Cameroun », in Juridis Périodique, n°92, oct.- nov. – déc., 2012, p. 78. 136 Le TCS est compétent pour connaître, lorsque le préjudice est d’un montant minimum de 50.000.000 FCFA, des
infractions de détournements des biens publics et des infractions connexes prévues par le Code pénal et les
Conventions internationales ratifiées par le Cameroun. Voir art. 2 de la loi n°2012/011 du 16 juillet 2012 modifiant et
complétant certaines dispositions de la loi n°2011/028 du 14 décembre 2011 portant création d’un Tribunal criminel
spécial.
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region du Centre, M. Gabriel NGONG ZEBO et M. Paul NDJINJOCK respectivement à 10 et 12
ans de prison ferme. Ils ont été reconnus coupables des détournements de fonds publics à hauteur
de 261 millions de FCFA137. Ces sommes d’argent représentaient le produit de la vente d’un
volume de 305m3 du Bubinga (une essence rare), frauduleusement abattu dans la brousse de Song-
Ntoume où se trouve la forêt communal, sensée offrir à la mairie de Messondo des ressources
financières138. Aussi, nous pouvons relever le cas de l’ex maire de la commune de Mbang, M.
Joseph NGOLZAMBA dans le département de la Kadey, région de l’Est. Ce dernier a été
condamné à 15 ans de prison ferme et au paiement de lourdes pénalités, pour le détournement de
503 millions de FCFA139. De ce qui précède, force est de constater que la corruption et son
corollaire les détournements des deniers publics est sans nul doute l’un des fléaux qui minent
considérablement les ressources financières locales140 qui sont d’ailleurs très dérisoires au regard
des enjeux en présence. Il urge alors d’appeler à un sursaut patriotique fondé sur une réelle volonté
politique et la soumission de l’action publique locale à « l’Etat de droit financier »141,
soubassement d’une gestion efficace des finances publiques locales.
Conclusion
L’autonomie financière locale est une condition très importante d’une décentralisation
concrète. De ce point de vue, il est impossible d’imaginer une politique décentralisatrice sans les
ressources financières conséquentes. Ainsi, le Cameroun, à l’image des autres Etats africains a
formellement consacré le principe de l’autonomie financière locale dans la loi fondamentale. Mais
à l’évidence, une lecture exégétique de la législation camerounaise donne à voir que l’autonomie
financière constitue une « liberté retenue »142. L’emprise de l’Etat central reste encore manifeste
137 Voir Décision n°003/CRIM/TCS du 26 février 2019, Ministère public et Etat du Cameroun (commune de
Messondo) c/ N.Z.G. ; N.P ; M.H.P ; N.G.P. 138 Lire également dans ce sens Kalara, n°286, du 04 mars 2019, p. 4. 139 Décision n°008/CRIM/TCS du 15 avril 2019, Ministère public et Etat du Cameroun (Ministère de l’administration
territoriale et de la décentralisation, Ministère des finances, c/N.J.C. 140 NNANGA (S. H.), « La protection juridictionnelle des finances publiques africaines », in RASJ, Vol. 6, n°1, 2009,
p. 214. 141 BILOUNGA (S. T.), op. cit. p. 30. 142 BEGNI BAGAGNA, « Le principe de la libre administration des collectivités territoriales décentralisées au
Cameroun », SOLON, Revue africaine de parlementarisme et de démocratie, Vol. III, n°7, août 2013, p. 117.
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sur l’ensemble de la chaîne financière locale. Toute chose de nature à plomber le processus en
cours car, l’autonomie est le pendant de la décentralisation. Au plan local, si le constat de
l’insignifiance des ressources financières est un truisme, il est tout de même évident de noter que
la gouvernance ne cadre pas toujours avec l’orthodoxie financière. Il urge alors de consolider les
mécanismes de préservation des deniers aussi bien vis-à-vis de l’Etat central que des gestionnaires
locaux pour l’affermissement d’une réelle décentralisation financière, répondant aux besoins
locaux.
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L’incidence de la transaction douanière sur le plan social
Par :
HADIDJATOU YOUGOUDA
Doctorante en droit public
Université de Ngaoundéré (Cameroun)
Résumé :
La vision positive de la transaction douanière, lui reconnait de nombreuses vertus sur le
plan social. Ce procédé de résolution à l’amiable, engendre l’établissement d’une relation
harmonieuse entre l’administration des douanes et les opérateurs économiques tout en assurant
la protection de la société. La transaction confère la maitrise du règlement du litige aux parties,
et leur permet de maintenir une relation de confiance. Elle favorise l’instauration d’une certaine
harmonie entre l’administration des douanes et les contribuables jadis inexistante. Outre les
conséquences sociales mentionnées ci-dessus, la mise en œuvre de la transaction douanière
devrait permettre de promouvoir la sécurité ainsi que la protection de la société. Ainsi
socialement, le contrat constitue également un « pilier de l’ordre juridique » et semble alors
naturellement dépasser les frontières du droit civil pour figurer parmi les institutions essentielles
au fonctionnement d’une société. Bref, la transaction douanière a vocation à « sanctionner un
comportement nuisible à la société ». Autrement dit, elle adopte une vision punitive centrée sur
l’auteur du comportement et exige une prise en compte des intérêts, non pas de la victime mais de
la société.
Mots-clés : Vertus, Relation, Harmonie, Sécurité, Protection, Société.
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Introduction
La transaction, considérée « depuis les romains jusqu’à nos jours comme le moyen le plus
heureux de mettre fin aux différends »796, témoigne de la place exceptionnelle qu’elle occupe dans
la régulation des rapports juridiques devenus conflictuels ou susceptibles de le devenir. Le procédé
contractuel connait depuis plusieurs années un regain de vitalité, laissant augurer une évolution
vers un « ordre juridique conventionnel »797 mieux adapté à la réalisation de l’Etat de droit,
remplaçant le modèle napoléonien, militaire, autoritaire par des relations égalitaires fondées dans
le libre accord de volontés. Il s’agit ainsi de prendre moins en compte une relation juridique qu’un
« lien derrière le contrat »798. Parmi les contrats que traite le code civil, la transaction est regardée
comme le plus utile non seulement parce qu’il est un « instrument de paix »799 garantissant la
« pacification sociale »800 des rapports juridiques devenus conflictuels, mais également parce qu’il
éteint le litige entre les transigeants.
De prime abord, il faut clarifier les concepts du sujet afin d’être mieux éclairer sur la
pertinence de la réflexion. La technique retenue consiste à recourir aux définitions spécifiques qui
permettent de bien cerner la démonstration projetée. Ainsi, le terme incidence constitue donc une
catégorie de « trace » c’est-à-dire la conséquence d’un événement801. Le mot transaction802 quant
à lui revêt deux acceptions bien distinctes ; l’une économique assez large, l’autre juridique
restreinte et précise. Dans son sens large il signifie un accord, une convention quelconque, le plus
souvent une opération de commerce, on entend dans le monde des affaires que « les transactions
796 PONT (P), Explication théorique et pratique du Code Napoléon, Commentaire-trait- des petits contrats, Tome II,
Ed. Delamotte, 1867, n° 451. 797 HOLLEAUX (A), « Vers un ordre juridique conventionnel », Bulletin de l’institut international d’administration
publique (I.I.A.P), vol. 32, octobre-décembre 1974, p. 667-691. V. également, ISSALYS (P), Répartir les normes : le
choix entre les différentes formes d’action étatique, rapport de recherche, Québec, Société de l’assurance automobile
du Québec, 2000, p. 13. 798 FRISON-ROCHE (A.M), Contrat, concurrence, régulation, RTD civ. 2004, p. 451 et s. 799 BAUDRY-LACANTINERIE (G) et WAHL (A), Traité théorique et pratique du droit civil, XXI. Des contrats
aléatoires, du mandat, du cautionnement et de la transaction, Librairie de la société du recueil générale des lois et des
arrêts, 1899, n° 1202. 800 LAGARDE (X), « Transaction et ordre public », D. 2000, chron. P. 218. 801 Dictionnaire historique de la langue française, 2001, p. 1250. 802 Venant du latin « transactio », la transaction dans le sens juridique se scinde en deux verbes en occurrence
« transigere » qui signifie mener à bonne fin et « agere » équivaut à conduire, mener, faire des concessions
réciproques, de manière à régler, à terminer un différend, s’arranger etc… passer un acte pour accommoder un procès,
mieux vaut transiger que plaider.
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sont en baisse » ou que « la forte hausse des transactions a déterminé le cours des changes ».
Dans son sens juridique, il vise suivant les matières, soit un contrat ayant pour but de mettre fin à
une situation contentieuse, soit une institution sui generis qui éteint l’action publique mettant en
rapport un particulier et une administration. C’est cette seconde acception qu’on se propose
d’étudier en matière douanière. L’auteur David DELDICQUE803, souligne que la définition
juridique de la transaction au plan général peut être transposée en droit douanier dans les termes
suivants : «contrat par lequel l’administration des douanes d’une part, une personne poursuivie
pour infraction douanière d’autre part, terminent un litige à des conditions convenues entre eux
dans la limite des pénalités fixées par la loi pour sanctionner l’infraction ».
La transaction douanière a un double objectif régler le litige d’une part et, d’autre part rétablir
les relations, voire la confiance, entre les parties. Les parties qui jouent un rôle primordial dans la
résolution de leur différend peuvent profiter du processus transactionnel pour renouer le dialogue
et se rapprocher. Elles sont amenées à travailler ensemble. Le mécanisme transactionnel aide les
parties afin de créer une solution inédite permettant de sauvegarder les intérêts de la société. La
transaction douanière au plan social emporte des incidents remarquables. De ce fait, quelles sont
les suites de la transaction douanière en matière sociale ? Il sied de dire qu’au plan social,
l’empreinte de la transaction douanière est duale. Ce procédé de résolution à l’amiable, engendre
l’établissement d’une relation harmonieuse entre l’administration des douanes et les contrevenants
(I) tout en assurant la protection de la société (II).
I- L’INSTAURATION D’UNE HARMONIE ENTRE LES PARTIES
La matière douanière n’ignore évidemment pas le lien existant entre les parties à une
transaction. En effet, cette dernière à titre « de contrat, n’est pas insensible aux sentiments que se
portent les parties. S’il est avant tout (…), il est aussi l’occasion d’une relation humaine entre les
deux parties »804. La notion de confiance permettrait d’ailleurs de justifier l’idée de bonne foi en
considérant cette dernière comme la traduction de la confiance que se portent les parties805. La
803DELDICQUE, (D.), Les Eléments de base du contentieux répressif douanier, mémoire, Kinshasa, OFIDA, 1989,
p.4. Cité par BOBUA KAPUKU (B) dans son mémoire De la Répression en Droit Douanier, Université libre des pays
des grands lacs, RDC, 2000/2001. P.41. 804 STOFFEL-MUNCK (Ph.), L’abus dans le contrat. Essai d’une théorie, LGDJ, 2000, n° 235. 805 Le TOURNEAU (Ph.), Existe-t-il une morale des affaires ? in La morale en droit des affaires, Colloque Toulouse,
Montchrestien, 1996, p. 7, n° 26.
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transaction est un processus « sur-mesure » qui présente l’intérêt d’être « malléable ». Ce sont les
parties qui fixent le cadre du litige et organisent la procédure au sein du contrat de transaction.
Elles fixent les termes du contrat, décident si elle sera le fruit d’un compromis. Les parties sont
finalement maitresses de la procédure qu’elles peuvent adapter à leur guise. L’amélioration de la
relation communicationnelle (A) a conduit l’administration des douanes à se spécialiser dans la
négociation, en utilisant notamment la technique de la « négociation raisonnée » pour résoudre de
manière amiable les litiges. Cette négociation particulière renforce cependant, l’image de
l’administration des douanes (B).
A- La naissance d’une relation souple entre l’administration douanière et les
opérateurs économiques
Un des objectifs du processus transactionnel est de créer ou recréer le lien entre les parties.
Renouer le dialogue est essentiel dans le droit de transaction. A l’instar des autres modes de
règlement amiable, la transaction a une « vocation pacificatrice »806 et permet « un règlement
apaisé des conflits »807.Les parties s’expriment librement avec respect afin de permettre
l’établissement d’une relation de confiance sereine. Elle laisse aux parties le « choix de solution
qui leur parait adéquate pour régler leur différend ou, si le contrat n’est pas rompu, leur permettre
de préserver leurs relations »808. De ce fait, elle permet aux parties « de trouver leur accord selon
un processus précis permettant un abandon dépositions rigides, une reprise de dialogue, à tout le
moins, une écoute de l’autre »809. Une partie de la doctrine refuse de parler de « parties » dans le
cadre des modes amiables considérant que cette appellation renvoie au vocabulaire du procès et
insistant sur ce qui ne va pas. Elle privilégie le terme de « partenaires » à un mode amiable, signe
qu’ils sont « co-responsables » du bon déroulement du processus810. Ils sont véritablement
« copropriétaires » du processus et « coresponsables » de son bon déroulé. Les partenaires sont
invités à dialoguer de bonne foi et loyalement811 dans une optique d’apaisement et en vue d’un
rapprochement de leurs positions. L’objectif est d’arriver à une solution viable et satisfaisante pour
806 BANDLER (B), La médiation et la justice prud’homale : une association nécessaire, Gaz. Pal., n°186 à 188, 2015,
p. 7. 807 PUYLAGARDE (M), « la médiation en droit du travail dans le projet de loi Macron », JCP S., 2015, p. 143. 808 Ibid. 809 BANDLER (B), La médiation et la justice prud’homale : une association nécessaire, op. cit., p. 7. 810 GUILLAUME-HOFNUNG (M), La médiation, coll. Que sais-je?, PUF, 7e éd., 2015, p. 821 et s. 811 BOURSIER (M.E), Le principe de loyauté en droit processuel, préf. GUINCHARD (S), Dalloz, 2003.
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les deux parties, celle-ci passe par plusieurs réunions, plusieurs temps de discussion et
d’explication812. Récréer le lien social et le dialogue, prendre le temps d’expliquer pourquoi une
mesure a été prise et écouter sont essentiels dans la transaction. La transaction ne repose pas
uniquement sur le droit. C’est avant tout un dialogue entre les partenaires au processus de
transaction. Retracer les faits qui ont conduit à l’émergence du différend est la pierre angulaire du
processus. Ainsi, les partenaires doivent dialoguer sur les faits et produire des explications avant
d’évoquer le cœur du conflit813.
« La flexibilité est le maitre mot de cette procédure »814. Le droit de transaction s’inscrit dans
un climat de confiance815 et de transparence entre les parties. Il rejette l’idée qu’il y ait un
« gagnant » et un « perdant » comme dans un procès classique, le processus doit aboutir à un
résultat « gagnant-gagnant ». La transaction restaure de ce fait, le dialogue et les liens entre les
parties. Elle contribue à l’amélioration ou au maintien d’une relation « cordiale » entre les parties.
Ce point mérite une attention particulière puisque, les parties devront travailler et collaborer dans
différentes fonctions et situations au cours d’événements futurs, comme c’est le cas dans le monde
fiscal. On a pu parler à ce propos de nouvel essor du concept contractuel816. Et c’est encore ces
avantages qu’ont présents à l’esprit ceux qui appellent de leurs vœux une « société contractuelle »
812 La transaction permet d’humaniser les débats, de rendre à l’administration son équilibre interrompu, de donner au
contrevenant la possibilité de négocier sa situation. 813 Le terme conflit provient du latin impérial conflictus qui signifie « choc », « lutte », « combat » au propre et au
figuré. Auparavant, il était assimilé au vocabulaire guerrier. Il peut dorénavant être défini comme une opération de
vues d’intérêts, une mésentente ou une situation critique de désaccord pouvant dégénérer en litige ou en procès. Une
partie de la doctrine affirme qu’il n’est pas indifférent d’utiliser les notions de conflit ou litige. Le conflit a vocation
à englober la notion de litige. Le professeur JEAMMAUD donne une définition large et globale du conflit. Il s’entend
comme une « relation antagoniste que réalise ou révèle une opposition de prétentions ou aspirations souvent
complexes, plus ou moins clairement formulées, entre deux ou plusieurs groupes ou individus, et qui peut connaitre
une succession d’épisodes, d’actions, d’affrontements ». Voir JEAMMAUD (A), Conflit/Litige, Dictionnaire de la
culture juridique, sous la dir. De Denis ALLAND et Stéphane RIALS, PUF. 814 FOULON (M), TRICKLER (Y), JCI. Pr. Civ., Fac. 1000 : Mode alternatif de résolution de litige. –Conciliation-
Procédure participative- Médiation. N°53. 815 La doctrine propose ainsi de la percevoir comme « une valeur sociale qui doit etre protégée contre des atteintes
perpétrées par le truchement du mensonge ». V. MALABAT (V), Appréciation in abstracto et appréciation in
concreto en droit pénal, thèse, Université Bordeaux IV, 1999, n° 254.
Dans le même sens, LAJUS-THIZON (E), L’abus en droit pénal, Dalloz « NBT », 2011, n° 124 et s. D’après l’auteur,
« la vie en société impose en effet que les individus aient suffisamment confiance en leurs pairs et en l’Etat qui les
gouverne afin de permettre les échanges privés ». 816 VASSEUR (M), Un nouvel essor du concept contractuel, les aspects juridiques de l’économie concertée et
contractuelle, Paris, Sirey, Extrait de la RTD civ. 1964, p. 5. V. également SAINT-MARTIN-DRUMMOND (C),
« Le contrat comme instrument financier », in Mélanges TERRE (F), 1999, pp. 661 et s.
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et qui préconisent de substituer au modèle de régulation étatique un modèle d’autorégulation, au
droit imposé par l’Etat un droit négocié au sein de la société817.
Prise dans son sens le plus large, la transaction douanière suscite de l’enthousiasme chez
le contrevenant et constitue pour lui une solution de facilité dans la résolution de ses problèmes
douaniers818. Le droit de transiger reconnu à l’administration des douanes et à l’infracteur permet
de terminer à l’amiable un litige douanier. En effet, tombé dans les mailles de l’administration des
douanes, le contrevenant a la latitude de s’expliquer facilement sur son comportement, de
demander l’indulgence à l’administration des douanes et même de discuter des modalités de sortie
de ce guêpier sans passer par la voie judiciaire. Et ceci, sur la base d’une transaction.819 Pour le
citoyen moyen, la douane est une procédure tracassière où le douanier, avec son képi n’a cessé de
créer des ennuis dans les ports, les aéroports, les frontières, pour quelques paquets de cigarettes,
quelques flacons de parfums, des bouteilles d’alcool etc…820. Le contribuable considère son statut
comme un fardeau, une punition et exige à ce titre de plus en plus de garanties pour le protéger.
Afin de favoriser l’adhésion de l’ensemble de la population à l’impôt, la nouvelle philosophie de
l’administration fiscale tente de placer l’être humain au centre de ses préoccupations. Il est sans
doute permis de penser que l’émergence d’un Etat de droit fiscal, corollaire de l’Etat de droit fait
en sorte que l’administration fiscale ne considère plus le recouvrement comme un acte de
contrainte ou de répression, mais plutôt un partenariat entre l’administration fiscale et le
contribuable. La logique ici consiste à faire comprendre au contribuable qu’il participe au
processus fiscal. Et de ce point de vue, les droits du contribuable en matière fiscale font partis des
droits fondamentaux reconnu par la constitution tel que le principe du consentement de l’impôt821.
Ainsi, même en cas de contentieux, L’administration douanière semble décider à développer des
relations de partenariat avec les contribuables de plus en plus perçus comme des clients.
L’administration douanière a effectivement à cœur de garantir au contribuable l’égalité d’accès au
service publique et surtout l’adaptabilité du service pour répondre aux évolutions
817 CADIET (L), Les jeux du contrat et du procès : esquisse, Mélanges Farjat, 1999, p. 23et s. 818www.douanes.mg/en/node/67 consulté le 12 novembre 2017. 819 WANGUIA (V), L’extinction des poursuites des infractions douanières, op. cit. p.30. 820BILONG BI NKOTH (J), droit public financier, cours, Université de Ngaoundéré, cycle de capacité en droit et
économie, Niveau 1, 2013/2014. 821 FADA (I.A), La protection des droits du contribuable au Cameroun, mémoire, Université de Ngaoundéré,
2012/2013, p.2.
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environnementales822. En somme, la transaction douanière, de nature contractuelle, se forme sur
la base des négociations faisant appel au consentement des parties litigieuses.
B- Le renforcement de l’image positive de l’administration
D’une manière générale, les administrations fiscales performantes ont une stratégie
d’adaptation permanente de leurs services à la demande des usagers. Il est à préciser que la mise
en place d’un interlocuteur fiscal pour l’usager serait réalisée en utilisant les procédés amiables de
règlement des différends. Il s’agit dans une certaine mesure, de rendre un meilleur service aux
contrevenants. Les relations entre les contribuables et l’administration fiscale en outre s’avère de
plus en plus solide. Ce service, permet non seulement à l’administration de prélever tous les droits
et taxes compromis ainsi que les pénalités dans un court délai mais aussi au contrevenant
d’échapper à des sanctions sévères si elles étaient prononcées par le juge. Cette démarche de
simplification de règlement transactionnel solidifie leurs liens qui jadis manquaient de réciprocité.
En effet, la transaction a renforcé l’amélioration des relations administration-contribuables
pour un meilleur service rendu. Ce mécanisme transactionnel regroupe en lui trois thèmes : la
« simplicité » pour aider, guider le contribuable ; « le respect », conduisant à la mise en place de
« relance amiable » lorsque le contribuable de bonne foi fait une erreur dans sa déclaration et
« l’équité » l’administration fiscale est tenue aux obligations que ceux imposés aux contrevenants.
Cette technique révèle les engagements réciproques entre le contrevenant et l’administration
fiscale et permet en particulier au contribuable de s’en prévaloir systématiquement auprès de
l’administration. La transaction répond effectivement au souhait exprimé par le conseil des impôts
qui soulignait que : « l’amélioration de la qualité des relations entre l’administration et le
contribuable contrôlé passe désormais bien davantage par la modernisation des comportements
administratifs (…) »823.
Mais une question demeure : l’amélioration des comportements administratifs suffira-t-elle à
rendre l’impôt plus acceptable ? En définitive, la réorganisation de l’administration fiscale en
fonction des services rendus aux contribuables-usagers a certes une finalité pédagogique et
822 Ibidem. 823 Conseil des impots dans son XXe rapport de 2002 consacré aux relations entre les contribuables et l’administration
fiscale. Cité par DE VILLIERS (M) (dir), Droit public général, 3e éd., op. cit., p. 183-185.
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préventive. Cette stratégie s’est inspirée de l’exemple de l’Irlande, toute entreprise nouvelle reçoit
la visite d’un inspecteur des impôts non pas pour la contrôler, mais pour l’assister dans ses
obligations fiscales824. Cependant, cinquante ans plus tôt et de façon certes prémonitoire, Maurice
LAURE évoquait déjà dans son célèbre traité de politique fiscale, la nécessité pour l’administration
fiscale de devenir « une administration de service », en soulignant que les administrations fiscales
« doivent donner aux contribuables l’impression qu’elles sont des organismes préposés à leur
rendre des services beaucoup plus qu’à les surveiller ».
Mode commode et efficace de règlement des affaires contentieuses, la transaction douanière,
protège la société.
II - LA PROTECTION DE LA SOCIETE
« L’ordre social est un droit sacré, qui sert de base à tous les autres. Cependant ce droit ne
vient point de la nature ; il est donc fondé sur des conventions »825. Ainsi socialement, le contrat
constitue également un « pilier de l’ordre juridique »826 et semble alors naturellement dépasser les
frontières du droit civil pour figurer parmi les institutions essentielles au fonctionnement d’une
société827. Bref, la transaction douanière a vocation à « sanctionner un comportement nuisible à la
société »828. Autrement dit, elle adopte une vision punitive centrée sur l’auteur du comportement
et qui exige une prise en compte des intérêts, non pas de la victime mais de la société829. Ce sujet
touchant aux droits des douanes, ne touche pas seulement notre système économique mais bien la
société entière. La transaction permet dans une certaine mesure de poursuivre les objectifs toujours
824 Ibid. 825 ROUSSEAU (J.J), Du contrat social, 1762, L. 1, Ch. 1, T. III, p. 352. 826 CARBONNIER (J), Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, 10e éd., LGDJ, 2001, pp. 255- 313
et s. 827 « Il n’est nul besoin d’être juriste pour percevoir que le contrat constitue l’un des rouages essentiels de la vie en
société ». Voir TERRE (F), SIMLER (PH), LEQUETTE (Y), Droit civil. Les obligations, op. cit., n°17. 828 FABRE-MAGNAN (M), Droit des obligations. 2- Responsabilité civile et quasi-contrats, 2e éd, PUF, 2010, p.11. 829 MAYAUD (Y), Ratio legis et incrimination, RSC 1983, p. 597 et s. cité par MERLE (R), VITU (A), Traité de
droit criminel. Problèmes généraux de la science criminelle. Droit pénal général, 7e éd., Cujas, 1997, n°6. V.
également SAINT-PAU (J.C), Droit à réparation. Conditions de la responsabilité contractuelle. Fait générateur.
Inexécution imputable au débiteur, J.- Cl. Civ., fasc. 11-20, 2004, n°42 ; THIEBIERGE (C), « Avenir de la
responsabilité, responsabilité de l’avenir », D. 2004, p.577 et s. ; VINEY (G), JOURDAIN (P), Traité de droit civil.
Les conditions de la responsabilité, 3é éd., LGDJ, 2006, n°247.
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recherchés par le droit criminel830. Outre les conséquences sociales mentionnées ci-dessus, la mise
en œuvre de la transaction douanière devrait permettre de promouvoir la sécurité ainsi que la
protection de la société. L’efficacité de la transaction permettrait de restaurer l’ordre social troublé
par l’infraction commise par le délinquant. Le recours à un règlement transactionnel de l’infraction
a forcément une incidence sur la situation des transigeants, puisque l’efficacité de la transaction
entraine l’extinction de la cause sur laquelle il a été transigé. La transaction implique non
seulement la responsabilisation de l’intéressé (A) et la réparation du préjudice de la victime de
l’infraction, mais également la resocialisation de la personne mise en cause (B).
A- L’inscription de la transaction dans la logique de responsabilisation du délinquant
Le recours à une procédure transactionnelle pour régler une infraction en droit répressif a une
incidence sur la situation juridique de l’auteur des faits. Dans la mesure où une sanction librement
consentie serait mieux exécutée par l’intéressé qu’une sanction imposée, la transaction implique
une responsabilisation « inclusive » de l’auteur des faits. Lorsqu’en effet, l’intéressé participe à la
détermination de sa sanction831, il est plus enclin à comprendre le pourquoi de sa
responsabilisation832. Sachant pertinemment qu’il risque de voir les poursuites exercées contre lui
en cas d’inexécution des mesures proposées par les autorités de poursuites ou l’administration
concernée, l’auteur des faits trouve dans la transaction, une sorte de rédemption, une voie de sortie
honorable, lui permettant d’échapper au procès pénal833. Ainsi, l’auteur de l’infraction qui participe
à l’élaboration de sa sanction serait plus enclin à l’accepter et à l’exécuter, laissant entrevoir les
perspectives d’une meilleure réinsertion834.
Pour pouvoir atteindre l’objectif du droit pénal visant à poursuivre la répression des infractions,
la transaction met en œuvre un certain nombre de mesures dont la logique reste distincte de celle
830 Cette conciliation toujours souhaitée entre l’impératif de protection des intérêts de la société et le souci de garantir
et d’assurer les droits de la personne mise en cause, sans oublier la nécessité de prendre en compte les intérêts de la
victime de l’infraction. 831 Par une adhésion spontanée ou volontaire à l’offre de transaction, en acceptant les mesures proposées. 832 Cette responsabilisation des parties et dans une certaine mesure de l’auteur des faits repose sur un modèle dit
« thérapeutique » des modes alternatifs de règlement. V. JARROSSON (Ch.), « La contractualisation de la justice :
jusqu’où aller ? », in CADIET (L), RICHER (L) (dir.). Réforme de la justice, réforme de l’Etat, Paris, PUF, 2002p.
188 et s. 833 Là où au contraire la sévérité de la répression aurait conduit à poursuivre systématiquement l’intéressé et lui infliger
une sanction pénale. V. GARAPON (A), ALLARD (J) et GROS (F), Les vertus du juge, Dalloz, 2008, p. 157 et s. 834 PUIG (P), « La transaction : atouts et risques », LPA, 3 décembre 2009, n° 2.
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des sanctions pénales. Lorsqu’un fait infractionnel a été commis par le délinquant, la sanction de
ce dernier devient une nécessite non seulement pour réprimer son acte, mais aussi et surtout pour
prévenir la commission de nouvelles infractions. Si le principe de la sanction n’est pas discuté, les
modalités de déterminations et de mise en œuvre de celle-ci sont à repenser pour une plus grande
efficacité dans les réponses à apporter à la commission des infractions. En cela, les mesures
proposées dans la transaction se situeraient en droite ligne des objectifs du droit répressif835,
puisqu’elles visent à responsabiliser l’auteur de l’infraction. Les sanctions contenues dans la
transaction comportent, tout comme les sanctions pénales836, des mesures principales que sont les
amendes transactionnelles, auxquelles peuvent s’adjoindre des mesures accessoires. En matière de
transaction douanière, la mise en œuvre des mesures proposées par l’administration concernée,
révèle que l’amende transactionnelle apparait comme la sanction phare et incontournable. En plus
d’autres mesures accessoires à l’exemple de la confiscation peuvent être ajointes à l’amende.
L’amende douanière est une sanction omniprésente dans presque toutes les hypothèses où la
sanction d’un fait infractionnel est envisagée contre une personne ayant atteint les intérêts de
l’administration. Par rapport au droit commun, l’amende douanière présente une double
particularité837. Des controverses se sont élevées sur la nature des amendes douanières. Ces
amendes sont des sanctions fiscales ayant à la fois un caractère pénal et le caractère de réparations
civiles838.
Dans la mesure où il n’est pas de l’intérêt de la justice que les auteurs d’actes infractionnels
échappent à toute répression, la dimension répressive de l’amende transactionnelle s’affirme en
termes de nécessité à travers la responsabilisation de l’auteur des faits. L’amende transactionnelle
835 Pour permettre au droit pénal d’être efficace dans le traitement des infractions, le législateur a prévu une panoplie
de sanctions visant tant la répression de celles-ci, que la prévention de leur commission. Aussi, a-t-il prévu des peines
et des mesures de suretés pour réprimer les auteurs d’infractions et permettre leur amendement. Les mesures proposées
dans la transaction en matière douanière, de par leur pragmatisme, leur efficacité et leur célérité, semblent poursuivre
les mêmes objectifs assignés à la sanction pénale. 836 Les amendes pénales prévues comme peines principale à l’article 25 al 1 de CP. Pour GARRAUD, « l’amende en
principe est pénale à moins qu’il résulte, expressément ou implicitement de la loi que le fait pour lequel elle est
prononcée n’est pas une infraction. 837 SCHMIDT (D) et SCHMIDT (D), Le contentieux douanier et des changes, Dalloz, Paris, 1982, p. 39. 838 En matière pénale, le caractère de l’amende est de constituer une peine et non une réparation pécuniaire corrélatif
au dommage causé déclarait Trébutien. Or, il existe différents types d’amende n’ayant pas la même nature à l’instar
des amendes pénales, des amendes civiles, des amendes disciplinaires, des amendes administratives et des amendes
fiscales.
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apparait comme étant la principale sanction à caractère pécuniaire proposée par l’administration
concernée à la personne mise en cause et dont la finalité est d’éteindre l’action publique, et
corrélativement le litige pénal839. Une telle prévision marque ab initio le caractère répressif de
cette sanction. Dans tous les cas, les amendes transactionnelles devraient s’inscrire dans la
dynamique de l’adaptation de la sanction à la situation patrimoniale de la personne mise en cause.
Il reste à espérer que dans la pratique transactionnelle, l’administration concernée fixe le montant
de l’amende transactionnelle en tenant compte des ressources et des charges de la personne mise
en cause840.
Au-delà de la dimension patrimoniale de l’amende transactionnelle, il faut relever la logique
répressive qui est sou jacente à cette sanction. En effet, le non-paiement dans les délais impartis
des amendes proposées par l’administration concernée, expose l’auteur des faits à des mesures
d’exécution forcées ou à des poursuites judiciaires. L’intéressé sait en effet que s’il n’exécute pas
les obligations pécuniaires qui sont mises à sa charge, l’action publique « différée » pendant le
temps imparti pour l’exécution de la sanction, pourra être mise en mouvement par l’administration
concernée. Au-delà du fait qu’elle soit une mesure incitative, l’amende transactionnelle affiche
ostensiblement sa nature de sanction à caractère répressive. Ce caractère répressif de l’amende
transactionnelle découle également du fait que dans la plupart des cas, les sommes versées par la
personne mise en cause sont reversées au Trésor public rejoignant ainsi la définition de l’amende
donnée par l’article 25 al 1 du CP841. Lorsque l’auteur des faits a parfaitement exécuté les mesures
proposées, le litige est éteint et par conséquent l’action publique ne peut plus être mise en
mouvement pour les faits sur lesquels il a été transigé842. La transaction implique ainsi une
responsabilisation de la personne mise en cause, en le conduisant à prendre conscience de
l’infraction commise, et d’en assumer les suites dommageables. Une telle responsabilisation est
839 L’ensemble des matières où le législateur a prévu la transaction comme cause d’extinction de l’action publique
comporte comme sanction à caractère pécuniaire, l’amende transactionnelle. 840Les pouvoirs de l’administration quant à la détermination du montant transactionnel lui confèrent toute latitude pour
arrêter, mieux, déterminer la somme. Ils lui permettent de choisir dans la fourchette tels que le législateur lui a servi.
La liberté de l’administration est d’autant plus importante qu’il bénéficie d’un pouvoir discrétionnaire analogue à celle
du juge La liberté du juge est fréquemment rappelée par la chambre criminelle de la Cour de Cassation française, pour
qui « la détermination par le juge, dans les limites prévues par la loi, relève d’une faculté dont ils ne doivent rendre
aucun compte ». V. Crim. 19 décembre 1996, bull. Crim. N° 482 et Crim. 18 décembre 1997 bull. Crim. N° 428. 841 L’article 25 al 1 du CP dispose en effet, « l’amende est une peine pécuniaire en vertu de laquelle le condamné,
personne physique ou morale verse ou fait verser au Trésor public une somme d’argent déterminée par la loi ». 842 ONGUENE (B), La transaction en matière pénale, thèse, Université de Yaoundé II, 2019-2020, p. 255.
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visible à travers l’ensemble des mécanismes transactionnels prévus par le législateur notamment
en matière douanière843.
Si la sanction du comportement de la personne mise en cause révèle l’aspect répressif de
l’amende transactionnelle, elle n’est pas la seule finalité poursuivie par ces mesures à caractère
pécuniaire. Aussi, il n’est pas exclu que la sanction de l’auteur des faits soit inspirée par une
logique indemnitaire844. Ceci est révélateur de la finalité mixte que poursuit l’amende
transactionnelle douanière845. Les amendes douanières et fiscales ont vocation dans leur principe,
non seulement à sanctionner le comportement infractionnel de l’intéressé, mais également à
réparer le préjudice causé aux dépens du Trésor public. Compte tenu de ce que l’infraction
incriminée porte atteinte aux intérêts civils de l’Etat, la logique des amendes à caractère mixte est
alors simplement compréhensive. Puisque l’infraction porte atteinte à deux intérêts juridiques
distincts, des valeurs « pénales » d’une part et des valeurs « économiques » d’autre part, il est
nécessaire de sanctionner chaque fait distinctement sur la base des intérêts civils et des pénalités.
Hormis l’amende transactionnelle, il semble que d’autres mesures sont adjointes à celle-ci pour
combler les besoins de répression ou de réparation. Les mesures susceptibles d’être proposées à
l’auteur des faits ne se résument pas à des mesures à caractère pécuniaire. En effet, à côté de ces
mesures, la personne mise en cause peut aussi se voir proposer des mesures en nature, consistant
dans des prestations ou des abstentions. Ainsi, ces mesures viennent accompagner l’amende
transactionnelle afin d’étendre la répression sur des choses ayant participé à la commission de
l’infraction sur des choses ayant participé à la commission de l’infraction ou l’ayant facilité.
Comme l’amende douanière, la confiscation vise à sanctionner le comportement de l’auteur
présumé des faits et à réparer les conséquences dommageables d’une infraction. La confiscation
affecte l’objet et la personne846. Elle peut être prononcée en nature ou en valeur. Celle en nature
affecte la marchandise de fraude et se rapporte aux moyens de transport et aux marchandises ayant
843 Ibid. 844 Ibid. p. 203. 845 La chambre criminelle a indiqué depuis des lustres que les amendes douanières et fiscales ont un caractère mixte.
Cf. Cass. Crim, 10 juillet 1963, Bull. crim n° 250, où la Cour fait observer que les amendes douanières et fiscales
présentent un « caractère mixte de réparation civile et de peine, et tendent à réparer le préjudice causé au Trésor par
la fraude ». 846 SCHUMACHER (M), « Les sanctions et leur exécution en matière douanière », Annales de la faculté de droit et
de sciences économiques d’Aix-en Provence, PUF, Tome 1, 1968, p. 149.
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servi au masquer la fraude. Cette appropriation par les douanes des objets confisqués permet leur
aliénation dans des conditions prévues par le code des douanes847. La confiscation en valeur,
encore appelée confiscation par équivalent est prononcée lorsque les objets saisis n’ont pas pu être
saisi ou lorsque, ayant été saisis, la douane en fait la demande848. En tout état de cause, les mesures
adjointes à l’amende transactionnelle manifestent leur caractère répressif en ce sens qu’elles
viennent sanctionner le comportement infractionnel du contrevenant, mais comme les amendes,
elles peuvent être proposées en vue de réparer le dommage causé au préjudice de la victime de
l’infraction849.
Outre la finalité de répression attachée à la sanction douanière, cette dernière recherche
également à réintégrer celui qui, par la transgression de la norme, s’est mis en marge de la société.
B- L’inscription de la transaction dans la logique de resocialisation du contrevenant
Les sanctions transactionnelles s’orientent-elles aussi vers l’idée de réinsertion de l’auteur des
faits ? Une réponse a priori affirmative semble s’imposer en la matière. Le caractère consensuel
et apaisé de la transaction y trouve un écho assez favorable. La nécessité de prendre en compte
l’intérêt du délinquant est perceptible dans les mesures proposées dans la transaction, lesquelles
s’inscrivent dans la dynamique de la réinsertion de l’intéressé. Le mécanisme transactionnel, du
fait de sa logique consensuelle et apaisée, s’inscrit dans une dynamique d’atténuation de la
répression, laquelle recherche in fine la resocialisation de l’auteur des faits. La dynamique de
réinsertion s’inscrit à travers sa logique et sa technique.
La transaction s’inscrit dans une démarche dynamique et consensuelle dont la finalité en droit
répressif est la resocialisation du délinquant. La préférence des mesures transactionnelles aux
décisions imposées, qui n’ont pas toujours fait preuve d’efficacité, témoigne du souci de réinsérer
celui qui s’est mis en marge de la société. Aussi, la réinsertion du délinquant peut être recherchée
aussi bien en amont qu’en aval de la mise en œuvre des alternatives aux poursuites.
847 Article 390 CD français. 848 Article 435 du même code. 849 ROUSSEAU (F), « La fonction réparatrice de la responsabilité pénale », in Droit pénal et autres branches du droit.
Regards croisés. Actes du XXe congrès de l’Association française de droit Pénal, sous la dir. De SAINT-PAU (J.Ch.),
Cujas, coll. Actes & Etudes, 2013, p. 127 et s.
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Lors de la commission d’une infraction, il appartient à l’administration des douanes de décider
de l’orientation à donner à la procédure. Etant en effet, juge de l’opportunité des poursuites, celle-
ci peut décider d’ouvrir une action judiciaire ou soit décider de recourir à une alternative aux
poursuites et dans ce cas, le règlement des suites de l’infraction se fait hors du cadre classique. Le
choix de recourir, en amont de la procédure judiciaire, à une alternative aux poursuites plutôt qu’à
la mise en mouvement de l’action publique, constitue une forme sui generis de resocialisation.
Compte tenu du caractère souvent stigmatisant et infamant du procès pénal850, le recours à une
sanction transactionnelle est souvent vue par l’auteur des faits comme constituant un moindre mal,
une mesure de rédemption lui permettant d’échapper à des sanctions plus sévères en cas de
condamnation. L’anachronisme du mythe de l’emprisonnement du délinquant comme étant la
solution à sa réadaptation dans la société ne fait plus l’ombre d’aucun doute, d’autant plus que les
effets criminogènes de la prison se manifestent de plus en plus sur le terrain de la récidive851. De
plus, la « radicalisation » des individus est souvent due au fait que non seulement le procès pénal
est source de stigmates, mais aussi et surtout, la condamnation et l’emprisonnement s’éloignent
souvent de l’objectif de resocialisation qu’ils entendent poursuivre852.
Applicables à des infractions de moindre gravité ne relevant pas chez les auteurs une
« anormalité constitutionnelle »853, le mécanisme transactionnel serait une solution qui favorise
une meilleure réadaptation ou resocialisation des personnes qui ont traversées la frontière de
l’infraction. Compte tenu de ce que la transaction est la chose des parties, en ce qu’elle détermine
elles-mêmes leur situation juridique, le cadre apaisé et consensuel de celle-ci favoriserait une
meilleure resocialisation de l’auteur des faits. Le choix d’adapter les mesures aux circonstances de
commission d’une infraction et à la personnalité de l’infracteur, fait en sorte que la logique
consensuelle qui sous-tend le règlement transactionnel favorise davantage l’atteinte de l’objectif
de resocialisation de ce dernier. La transaction apparait dans ce cas comme une sorte de
850 Sans oublier qu’il est souvent suivi des conséquences parfois irréversibles d’une décision entrainant parfois à
l’application d’une peine d’emprisonnement ou d’amende, avec inscription de la condamnation au casier judiciaire. 851 BOUNOUNGOU NGONO (R), La réforme du système pénitentiaire camerounais : entre héritage colonial et
traditions culturelles, thèse de Doctorat, Grenoble, HAL, 2012, p. 139 et s. 852 Généralement, après une condamnation, et le cas échéant, l’exécution d’une peine d’emprisonnement plus ou moins
longue dans les conditions carcérales que l’on connait, certains condamnés sont « dépaysés » et leur resocialisation
s’avère plus délicate pour ne pas dire parfois impossible. 853 GARAFALO (R), La criminologie, 5e éd., Alcan, 1905, p. 1
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rédemption, une seconde « chance » accordée à des délinquants primaires qui ont plus besoin, pour
leur réinsertion, d’une prise de conscience quant à la gravité de leurs actes. De ce fait, la transaction
participe amplement de l’idée de resocialisation de la personne mise en cause, puisque la logique
du procédé voudrait qu’on privilégie davantage le traitement à la punition.
La technique de la transaction permet d’atteindre également cet objectif à travers la pluralité
de mesures susceptibles d’être proposées à l’intéressé. La logique thérapeutique du mécanisme
transactionnel se traduit à travers des mesures visant à faire comprendre au délinquant la gravité
de l’infraction et celles favorisant de facto sa réinsertion par la mise en œuvre traitement approprié.
L’esprit qui anime les procédés répressifs alternatifs révèle la dimension pédagogique dans
laquelle s’inscrivent les différentes mesures proposées à l’auteur des faits. La transaction vise à
provoquer chez la personne mise en cause la conscience du trouble causé à la société, les
conséquences dommageables que ses agissements ont sur la victime de l’infraction854. En cela, le
mécanisme transactionnel se situe en droit ligne des idées de la doctrine de la défense sociale
nouvelle telle que prônée par Parc ANCEL855. La transaction marque donc un nouveau paradigme
dans la resocialisation de l’auteur des faits : les mesures pédagogiques visant la réinsertion de
l’intéressé ne lui sont pas imposées, plutôt, elles s’inscrivent dans une démarche consensuelle
visant une adhésion spontanée de la personne mise en cause. La technique de resocialisation du
mécanisme transactionnel s’inscrit dans une dynamique de compréhension, d’éducation,
d’accompagnement dans un esprit empreint de consentement et d’apaisement. La dimension
clinique révélée de la transaction se traduit à travers la pluralité des mesures de traitement
susceptibles d’être proposées à l’intéressé.
854 La logique de la transaction est, moins de punir celui qui a commis une infraction à la loi pénale, que de permettre
sa resocialisation en lui faisant prendre conscience de la gravité des actes commis. 855 La nécessité de prendre en compte la personne du délinquant est une idée qui a profondément révolutionné la
conception classique du droit pénal, à travers l’émergence de la doctrine de la défense sociale. La défense sociale, il
est vrai, est une idéologie visant à protéger la société contre les délinquants, mais dans sa logique, elle vise à
promouvoir l’instauration d’une politique pénale plus humaniste, dans une dynamique de resocialisation systématique
des infracteurs. V. ANCEL (M), « La peine dans le droit pénal classique et dans les doctrines de Défense sociale »,
RSC, 1973, p. 193. Par la suite, Marc ANCEL développera la doctrine de la Défense sociale nouvelle dans laquelle il
part du postulat que la responsabilité de l’individu est fondée, non sur le concept de libre-arbitre, mais sur « le
développement de ce sentiment inné de la responsabilité que tout homme, y compris le délinquant, possède
nécessairement en lui ». Cf. ANCEL (M), La Défense sociale nouvelle, 1ère éd., Paris, Cujas, 1954, p. 69.
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Conclusion
La transaction, technique très utilisée en matière douanière, s’avère très pertinente en
matière sociale. Ce processus censé permettre le fonctionnement de la justice privée favorise
l’instauration d’une certaine harmonie entre l’administration des douanes et les contribuables jadis
inexistante. Naturellement, une pareille obligation exprimée par l’article 1134 du Code civil856 doit
par ailleurs être associée au respect de la parole donnée, indispensable à la cohésion sociale857. Le
témoignent désormais non seulement les économistes mais également les sociologues858. Par
conséquent, la vocation générale et essentielle attribué au contrat de transaction parait rendre
logique sa présence en droit douanier qui se doit de défendre les valeurs jugées fondamentales
pour la société859. Le droit de transaction constitue un processus pratique, promoteur et novateur.
856 « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ». 857 La religion chrétienne, elle-même, a imposé aux hommes la foi de la parole scrupuleusement gardée » : RIPERT
(G), La règle morale dans les obligations civiles, 4e éd., LGDJ, 1949, n°22. 858 RIDEL (L) Du pacte au contrat, Cultures en mouvement, n° 1, janvier 1997, cité par BOY (L), Les utilités du
contrat, préc. V. SAVAUX (E), La théorie générale du contrat, mythe ou réalité ? LGDJ, 1997, n° 141 et s. pour
l’apport des sciences humaines et des sciences sociales à l’étude du contrat. 859 La définition du trouble social de MM. MERLE et VITU, in Traité de droit criminel. Problèmes généraux de la
science criminelle. Droit pénal général, 7e éd., Cujas, 1997, n° 6. V. LACAZE (M), Réflexions sur le concept de bien
juridique protégé par le droit pénal, LGDJ, 2010, n° 375 ; LAZERGES (CH), « Processus de socialisation et
apprentissage de la règle de droit », RSC, Dalloz, 1993, pp.593 et s. ; PIN (X), Droit pénal général, 4e éd., Dalloz,
2010, n° 3.
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L’Union Africaine et les organisations sous régionales et le protocole
d’accord de 2008
Par :
Désirée Bérénice TIDIMI
Doctorante en Droit Public
Université de Maroua (Cameroun)
Résumé :
Les opérations de maintien de la paix et de la sécurité internationale en générale et africaines
en particulières ont connu un essor aussi tout important avec l’implication des organisations
régionales et sous régionales. En effet, avec l’avènement de l’Union Africaine, qui a remplacé
l’OUA, en tant qu’organisation principale dans le domaine de la paix et de la sécurité sur le
continent, les opérations de maintien de la paix africaine sont devenues au centre des
préoccupations africaines. Le maintien de la paix et de la sécurité est un domaine plus important
pour un pays. Raison pour laquelle les Organisations régionales originellement confinées à la
mission d’intégration économique ont progressivement pris en compte le lien étroit existant entre
la paix et le développement et se sont en conséquence investies dans le domaine de la prévention,
de la gestion et du règlement des conflits. Ainsi, pour mener à bien sa mission, l’Union Africaine
va impliquer les organisations sous régionales en collaborant avec elles. A cet effet, une
collaboration étroite entre l’Union Africaine et les organisations sous régionales sera établie.
Coopération qui d’ailleurs sera très fruitive et matérialisée.
Mots clés : Collaboration, Union Africaine, Organisations sous régionales, Communauté
économique régionale
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Introduction
Les opérations de maintien de la paix et de la sécurité africaine ont connu un développement
tout aussi particulier depuis l’avènement de l’Union Africaine (UA). En effet, ayant pour principal
objectif de « (a) Renforcer l’unité et la solidarité des Etats africains ; (b) Coordonner et intensifier
leur coopération et leurs efforts pour offrir de meilleures conditions d’existence aux peuples
d’Afrique »1, l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) a connu un déclin car avec des nouveaux
conflits qui s’sévissent sur le continent, ce dont le peuple africain en a besoin, c’est une sécurité
totale car, à quoi servirait un développement sans sécurité ? Pour cela, l’Union Africaine est arrivée
avec une nouvelle donne tout aussi époustouflante comme un espoir pour les pays africains avec
son objectif principal de « promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité sur le continent »2. Ayant
succédée à l’OUA l’Union Africaine outre une référence aux principes et objectifs de cette
dernière, a dans le préambule de son Acte constitutif évoqué la promotion de la paix, la solidarité,
la cohésion et la coopération entre les peuples et les États africains. Principal organe dans le
maintien de la paix et de la sécurité, l’UA est une organisation internationale regroupant tous les
Etats africains. En tant que « toutes mesures visant à éviter, prévenir la survenance d’un conflit,
maintenir ou rétablir la paix dans un contexte déjà conflictuel ou garantir la conservation de la
paix nouvellement acquise »3, le maintien de la paix et de la sécurité est une notion qui lie les Etats
et les mets ensemble pour mieux faire face aux conflits.
Dans les dispositions de son Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité
(CPS), l’Union Africaine énonce que « les mécanismes régionaux pour la prévention, la gestion
et le règlement des conflits font partie intégrante de l’architecture de paix et de sécurité de l’Union
Africaine, qui assume la responsabilité principale pour la promotion de la paix, de la sécurité et
de la stabilité en Afrique »4. Ce qui nous amène à dire que les mécanismes régionaux en tant que
organisations sous régionales œuvrent également pour le maintien de la paix et de la sécurité. Dans
le désir de renforcer et d’approfondir leurs relations et d’améliorer leur capacité à faire face
collectivement au fléau des conflits et à assurer le maintien de la paix, de la sécurité et de la
1 Article II (1) de la Charte de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA). 2 Article 3 (f) de l’Acte Constitutif de l’Union Africaine 3 Rapport du Secrétaire Général des Nations Unies, Boutros Boutros Ghali, du 31 janvier 1992, Cf. Doc. /A/47/277,
S/24111 du 17 juin 1992. 4 Article 16 du Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité.
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stabilité, à travers la conclusion du Protocole d’Accord, conformément aux pouvoirs conférés par
le Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, elles vont
collaborer. Ceci étant, il en ressort que l’UA et les CER entretiennent des liens étroits dans le
domaine du maintien de la paix et de la sécurité. Dès lors, quel est l’impact ou l’importance du
protocole dans les relations entre l’UA et les OSR en matière de paix et de sécurité? A
l’observation, l’Union Africaine et les organisations sous régionales entretiennent un rapport
multiforme en matière de paix et de sécurité. Faisant donc partie intégrante de l’AAPS de l’UA,
les CER se doivent de respecter les principes et objectifs de l’Union afin de permettre une
collaboration étroite dans leurs différentes activités. Ainsi, pour matérialiser cette reconnaissance,
un Protocole fut signé (I) et au travers de l’application dudit Protocole (II).
I- L’ADOPTION DU PROTOCOLE D’ACCORD EN 2008
La promotion de la bonne gouvernance et, de manière plus générale, celle de mesures axées
sur la prévention structurelle des conflits, ainsi que la mise en œuvre de programmes pour la
reconstruction et le développement post-conflit sont essentiels à la promotion de la sécurité
collective et à l’instauration d’une paix et d’une sécurité durable sur le continent5. C’est pourquoi
dans le but de renforcer et d’approfondir leurs relations et d’améliorer leur capacité à faire face
collectivement au fléau des conflits et assurer le maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité,
un Protocole fut conclu entre l’UA et les mécanismes régionaux. Signé en 2008, ce Protocole
prouve l’engagement de ces organismes à promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité sur le
continent. Ce Protocole a des objectifs bien définis (A) et un domaine de coopération bien précise
(B).
A- Le renforcement de la coopération au travers des objectifs poursuivis par le Protocole
de 2008
L’élaboration des activités et programmes conjointes dans le domaine de la paix, de la
sécurité et de la stabilité en Afrique s’effectue par « l’intensification des efforts des parties en vue
5 Préambule du Protocole d’accord de coopération dans le domaine de la paix et de la sécurité entre l’Union Africaine,
les communautés économiques régionales et les mécanismes de coordination des brigades régionales en attente de
l’Afrique de l’Est et de l’Afrique du Nord.
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de la prévention structurelle des conflits, à travers notamment des politiques visant à promouvoir
de principes et pratiques démocratiques, la bonne gouvernance, l’état de droit, la protection des
droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que le respect du caractère sacré de la vie
humaine et du droit international humanitaire »6. Selon le Protocole portant création du CPS de
l’UA, entré en vigueur en décembre
2003, les mécanismes régionaux de paix et de sécurité sont les piliers de l’architecture
africaine de paix et de sécurité. En signant en 2008 le Protocole d’accord en matière
de paix et de sécurité, l’UA et les CER se sont entendues pour institutionnaliser et
renforcer leur partenariat et leur coopération dans le domaine7. Pour le renforcement de leurs
capacités à prévenir et à prévoir et à prévenir les conflits, et les actions qui pourraient conduire
contre l’humanité, les parties coopèrent8.
A cet effet, pour la pratique effective de ce Protocole et sa a mise en œuvre, plusieurs
objectifs furent énumérés. Ainsi cette pratique est en ce qui la concerne guidée par ce qui suit :le
respect scrupuleux des principes et dispositions de l’Acte constitutif et du Protocole relatif au CPS,
ainsi que des autres instruments pertinents convenus au niveau continental; la reconnaissance et le
respect de la responsabilité principale de l’Union dans le maintien et la promotion de la paix, de la
sécurité et de la stabilité en Afrique, conformément à l’article 16 du Protocole relatif au CPS ; la
reconnaissance du rôle des CER et, le cas échéant, de celui des Mécanismes de coordination dans
la prévention, la gestion et le règlement des conflits dans leurs zones de juridiction, ainsi que de la
contribution qu’ils peuvent apporter à la promotion et au maintien de la paix, de la sécurité et de
la stabilité dans d’autres régions du continent ; et le respect des principes de subsidiarité, de
complémentarité, ainsi que des avantages comparatifs respectifs des Parties, afin d’optimiser le
partenariat entre l’Union, les CER et les Mécanismes de coordination dans la promotion et le
maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité.9
6 Article 7(1) du protocole d’ accord entre de 2008. 7 Union africaine, Mémorandum d’Entente de 2008 sur la coopérationdans le domaine de la paix et de la sécurité entre
l’Union africaine, les Communautés économiques régionales et les mécanismes de coordination, Addis Abéba, 2008. 8 Article 7(3) du protocole d’Accord de 2008. 9 Article 4 du protocole de 2008 portant accord entre l’UA et les Communautés Economiques Régionales dans le
domaine de la paix en Afrique.
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Ce Protocole de 2008 entre l’UA et les CER/MR fournit la base juridique à partir de
laquelle l’UA et les CER/MR se coordonnent pour opérationnaliser l’Architecture africaine de
paix et de sécurité (APSA). Un des objectifs du Protocole est de « contribuer à la mise en œuvre
opérationnelle intégrale et au fonctionnement effectif de l’architecture continentale de paix et de
sécurité »10.
Le Protocole d’accord de coopération dans le domaine de la paix et de la sécurité entre
l’Union Africaine et les Communautés économiques régionales et les mécanismes de coordination
des brigades régionales en attente de l’Afrique du Nord11 est adopté en 2008. Ce Protocole pose
comme principe la reconnaissance du rôle des CER et des Mécanismes de coordination dans la
prévention, la gestion et le règlement des conflits dans leur zone de juridiction12. C’est justement
ce qui ressort de l’article III (2) du Protocole, où mention est faite que « les Parties
institutionnalisent et renforcent leur coopération et coordonnent étroitement leurs activités pour
réaliser leurs objectifs communs d’éliminer le fléau des conflits sur le continent et de poser les
jalons d’une paix, d’une sécurité et d’une stabilité durables ». Le protocole de 2008 poursuivait
plusieurs objectifs : contribuer à la mise en œuvre opérationnelle intégrale et au fonctionnement
effectif de l’Architecture continentale de paix et de sécurité; assurer l’échange régulier
d’informations entre les parties sur toutes leurs activités relatives à la promotion et au maintien de
la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique; promouvoir un partenariat plus étroit entre les
Parties en vue de la promotion et du maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité sur le
continent, et renforcer la coordination de leurs activités; élaborer et mettre en œuvre des activités
et programmes conjoints dans le domaine de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique ;
assurer que les activités des CER et des Mécanismes de coordination sont conformes aux objectifs
et principes de l’Union; faciliter la coordination et renforcer le partenariat entre les Parties, d’une
part, les Nations unies et leurs agences, ainsi que d’autres organisations internationales
compétentes, d’autre part; contribuer à assurer que toute initiative extérieure dans le domaine de
10 Article 3, paragraphe 2 (i) du Protocole d’accord de 2008. 11 Le Protocole définit comme « Mécanisme de coordination » l’EASBRICOM et la capacité régionale pour l’Afrique
du Nord (NARC) qui ne sont pas des CER mais qui servent de support à la mise en place de leur brigade régionale,
citée par Amandine GNANGUENON dans « Le rôle des Communautés Economiques Régionales dans la mise en
œuvre de l’Architecture africaine de paix et de sécurité », octobre 2010, p. 44. 12 Article 4 du Protocole de 2008.
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la paix et de la sécurité sur le continent est entreprise dans le cadre des objectifs et des principes
de l’Union; consolider et renforcer les capacités des Parties dans les domaines couverts par le
Protocole. Au vue de ces objectifs, force est de constater la volonté absolue de collaborer entre
l’UA et les CER dans le cadre de la mise en œuvre des objectifs établis par le Protocole de 2008.
Ainsi, en renforçant leur collaboration, il va naitre un rapport étroit entre elles.
B- L’établissement d’un rapport entre l’UA et les CER
Les Parties institutionnalisent et renforcent leur coopération et coordonnent étroitement
leurs activités pour réaliser leurs objectifs communs d’éliminer le fléau des conflits sur le continent
et de poser les jalons d’une paix, d’une sécurité et d’une stabilité durables. A cet effet, le Protocole
de 2008 établi un rapport étroit entre l’UA et les CET/MR dans le domaine de maintien de la paix
et de la sécurité. Pour ce fait, plusieurs rapports seront mis en exergue par le Protocole en vue
d’une coopération plus étroite et coordonnée. Pour ce fait, les parties doivent dans le but de mieux
collaborer : contribuer à la mise en œuvre opérationnelle intégrale et au fonctionnement effectif
de l’Architecture continentale de paix et de sécurité; assurer l’échange régulier d’informations
entre les Parties sur toutes leurs activités relatives à la promotion et au maintien de la paix, de la
sécurité et de la stabilité en Afrique; promouvoir un partenariat plus étroit entre les Parties en vue
de la promotion et du maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité sur le continent, et
renforcer la coordination de leurs activités; élaborer et mettre en œuvre des activités et programmes
conjoints dans le domaine de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique; assurer que les
activités des CER et des Mécanismes de coordination sont conformes aux objectifs et principes de
l’Union; faciliter la coordination et renforcer le partenariat entre les Parties, d’une part, les Nations
unies et leurs agences, ainsi que d’autres organisations internationales compétentes, d’autre part;
contribuer à assurer que toute initiative extérieure dans le domaine de la paix et de la sécurité sur
le continent est entreprise dans le cadre des objectifs et des principes de l’Union; et consolider et
renforcer les capacités des Parties dans les domaines couverts par le Protocole13.
Afin de réaliser les objectifs énoncés à l’article III (2) du Protocole, les parties coopèrent
dans tous les domaines concernant la promotion et le maintien de la paix, de la sécurité et de la
13 Article 3 du protocole de 2008.
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stabilité en Afrique, y compris : la mise en œuvre opérationnelle et le fonctionnement de
l’Architecture continentale de paix et de sécurité, telle que prévue par le Protocole relatif au CPS
et d’autres instruments pertinents; la prévention, la gestion et le règlement des conflits; l’action
humanitaire et l’intervention en cas de catastrophe; la reconstruction et le développement post-
conflit; le contrôle des armements et le désarmement; le contre-terrorisme, ainsi que la prévention
et la lutte contre le crime organisé transnational; la gestion des frontières; le renforcement des
capacités, la formation et le partage des connaissances; la mobilisation des ressources; et tous
autres domaines d’intérêt commun et de priorités partagées dont les Parties pourraient convenir.
Pour une réalisation et la réussite de ces objectifs, l’UA et les CER doivent tout mettre en œuvre
concernant leur coopération et leur collaboration. Ce qui revient à dire que ces deux organisations
doivent d’une manière ou d’une autre tout faire et tout mettre en œuvre pour que les objectifs
énoncés dans ledit Protocole soient atteint.
II- LA MISE EN OEUVRE AU TRAVERS DU PROTOCLE DANS LA GESTION
DES CONFLITS
Dans l’application du Protocole de 2008, il en ressort l’établissement d’un rapport entre
l’UA et les CER, un rapport de coordination et de coopération fut établi en ce qui concerne leurs
différentes collaborations. Ce protocole servira à établir une harmonisation des mécanismes de
promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité sur le continent. Ainsi donc, dans la gestion
de, l’UA et les CER sont appelées à œuvrer conjointement tout en coopérant (A) en coordonnant
leurs efforts dans le cadre de l’Architecture de paix et de sécurité africaine (B).
A- La coopération entre l’Union Africaine et les Communautés Économiques Régionales
dans le cadre de gestion des conflits
Dans un souci d’efficacité, l’UA (article 3-1 de l’Acte constitutif) décidait à Maputo, en
juillet 2003, de l’établissement d’une plate-forme de collaboration avec les Communautés
économiques régionales (CER), dans l’optique de la création d’une Force africaine en attente
(FAA) dont l’opérationnalisation était prévue en 2015, et plus récemment la Capacité africaine de
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réponse immédiate aux crises (CARIC)14. Les CER (5 brigades issues des 5 sous-régions), aux
multiples avantages comparatifs,15 fondées sur le principe de subsidiarité en matière de maintien
de la paix, constituent les organes centraux de prévention et de gestion des conflits de l’UA, au
niveau sous régional. Au plan structurel, chaque force régionale comprend trois composantes
classiques : une composante civile (60 personnes par région), une composante police (720 agents
de police et 5 unités de police constituées par région) et une composante militaire (300 à 500
observateurs militaires et des unités terre-mer-air d’environ 5 000 hommes par région).
A cet effet, dans le but de résoudre les problèmes de paix et de sécurité sur le continent, les
parties intensifient leurs efforts en vue de la prévention structurelle des conflits, à travers
notamment des politiques visant à promouvoir des principes et pratiques démocratiques, la bonne
gouvernance, l’état de droit, la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales,
ainsi que le respect du caractère sacré de la vie humaine et du droit international humanitaire. Les
Parties coopèrent et s’aident mutuellement en ce qui concerne l’action humanitaire et
l’intervention en cas de catastrophe naturelle majeure, conformément aux dispositions pertinentes
du Protocole relatif au CPS16.
Au fin de mise en œuvre des dispositions de l’Article 3 (a) du présent Protocole et des
Articles è7(j) et 16(4) du Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité de l’Union,
les parties conviennent : (a) d’harmoniser et de coordonner leurs activités dans le domaine de la
paix, de la sécurité et de la stabilité afin d’assurer leur compatibilité avec les objectifs et principes
de l’Union et ceux des CER ; (b)d’œuvrer à l’établissement d’un partenariat effectif entre elles
dans la promotion et le maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité, (c) et de définir les
modalités de leur relations en matière de la promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité
dans un Protocole d’accord entre l’Union et les CER. A cet effet, « tout différend entre les parties
11La création de la CARIC a été annoncée le 27 mai 2013 à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’UA tenu à
Addis-Abeba.
12Il s’agit du voisinage étatique, des affinités culturelles, de l’existence d’une organisation à compétence régionale
défendant les intérêts politiques et économiques communs aux États-membres telle que la CEEAC en Afrique centrale,
la CEDEAO en Afrique de l’Ouest, l’UMA en Afrique du Nord, la SADC en Afrique australe et le COMESA en
Afrique orientale.
16Article VIII du Protocole de 2008.
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né de l’interprétation ou de l’application des dispositions du présent Protocole est réglé à
l’amiable par les parties concernées au sein du Comité de Coordination »17. Et « si le Comité de
coordination ne parvient pas régler le différend, l’une des Parties peut en saisir la Cour de justice
de l’Union pour régler conformément aux Articles 18 et 19 du Protocole de ladite Cour »18. « En
cas de différend né de l’interprétation ou de l’application des dispositions de l’Acte constitutif, du
Traité et des traités, l’Acte constitutif prévaut, ipso facto, et constitue avec le présent Protocole
la base juridique pour les Parties non signataires du Traité »19. Le Protocole sur les relations entre
les CER et l’UA prévoit un mécanisme de coordination entre la Communauté économique
africaine et les CER. Ce mécanisme comporte les deux éléments suivants :
Le Comité de coordination fournit des conseils stratégiques et supervise la mise en œuvre
du Protocole (article 7). Il est également chargé de coordonner et de suivre les progrès accomplis
par les CER dans la réalisation des objectifs d’intégration régionale. L’article 6 du Traité d’Abuja
en indique les différentes étapes. Ce Comité est composé du président de la Commission de l’UA,
des secrétaires généraux des CER, du secrétaire exécutif de la Commission économique des
Nations Unies pour l’Afrique (CEA), du président de la Banque africaine de développement
(BAD) et des directeurs généraux des institutions financières de l’UA. Conformément à l’article 8
du Protocole, le Comité doit se réunir au moins deux fois par an. Il est présidé par le président de
la Commission de l’UA. Le Comité prend ses décisions par consensus ou, à défaut, à la majorité
simple des membres présents et votants. Il transmet ses décisions au Conseil exécutif sous forme
de recommandations. Des experts et des conseillers peuvent accompagner les membres du Comité
aux réunions.
Le Comité des hauts fonctionnaires du secrétariat quant à lui prépare des rapports
techniques pour examen par le Comité de coordination (article 9 du Protocole). Il est composé de
hauts fonctionnaires de la Commission de l’UA et des CER chargés des affaires communautaires,
ainsi que de hauts fonctionnaires de la CEA et de la BAD. Le Comité se réunit au moins deux fois
par an, avant les réunions du Comité de coordination, sous la présidence de la Commission de
17 Article 32 (1) du Protocole de 2008 18 Article 30 (2) du Protocole de 2008. 19 Article 30 (3) du Protocole de 2008.
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l’UA. Le Comité prend ses décisions par consensus ou, à défaut, par un vote à la majorité simple
(article 9).
B- La coordination dans le cadre de l’Architecture Africaine de Paix et de Sécurité
La création de l’Architecture Africaine de Paix et de Sécurité (APSA) s’inscrit dans le
cadre de la mutation de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) en Union Africaine. A l’issue
de la guerre froide, cette mutation procède d’évolutions tant en Afrique que dans le reste du monde.
Pour symboliser le passage de la non-intervention à la non-indifférence, avec la mise en place
d’une architecture institutionnelle sophistiquée20, l’UA voit le jour.
L’APSA21 repose sur une conception élargie de la sécurité22 qui prend en compte les «
menaces à l’existence, au développement et à la durabilité des systèmes politiques, économiques,
militaires, humains, sociaux, du genre et de l’environnement au niveau de l’État, régional et
continental»23 . Cette acception de la sécurité a l’avantage de rendre compte de la diversité des
causes des conflits sur le continent et permet, en même temps, de légitimer diverses initiatives
politiques, militaires, économiques, environnementales, etc., que l’Union pourrait entreprendre en
faveur de la sécurité et de la paix. Cependant, dans la mise en œuvre opérationnelle de
l’Architecture continentale de la paix et de sécurité, les parties œuvrent conjointement24.
Nous avons la coordination et la coopération dans le cadre de l’APSA. Dans ce rapport, il
y’a eu intensification des efforts déployés conjointement par l’UA et les Communautés
économiques régionales/Mécanismes régionaux pour la prévention, la gestion et le règlement des
conflits (CER/MR) pour résoudre des conflits violents. Entre 2013 et 2014, les efforts conjoints
de l’UA et des CER/MR ont de plus en plus évolués. Ces efforts sont passés de 56% à 69% et ont
20 Le socle normatif de l’APSA est formé par l’Acte constitutif de l’Union Africaine, le Protocole relatif à la création
du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine (Protocole relatif à la création du CPS) et la Politique Africaine
Commune de Défense et de Sécurité (PACDS). 21 L’APSA a été créée avec l’adoption du Protocole relatif à la création du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union
Africaine par la première session ordinaire de la Conférence de l’Union Africaine à Durban, le 9 juillet 2002. 22 Anthoni van Nieuwkerk, « The regional roots of the African peace and security architecture: exploring centre-
periphery relations », South African Journal of International Affairs, vol.18, no.2 (2011), p.171, cité par Arsène Brice
BADO, op.cit.,p. 2. 23 Commission de l’Union Africaine, Plan stratégique 2009-2012, Addis Ababa, 19 mai 2009, p.22. Disponible en
ligne : http://www.au.int/en/sites/default/files/Plan_Strategique_2009_2012.pdf (consulté le 3 sept. 2020). 24 Article VI du Protocole de 2008.
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même atteint 75% en 201425. On constate cependant que plus l’UA et les Communautés
économiques régionales alignent et coordonnent leurs activités, plus leurs interventions n’ont des
chances d’être efficaces.
En plus de la coordination et de la coopération, les interventions de l’UA et des CER/MR
passent également par une combinaison d’instruments, généralement de la médiation conjuguée à
de la diplomatie. Cette combinaison de médiation et de diplomatie de l’UA et des CER/MR ne
cesse d’augmenter entre 2013 et 2015, passant de 32% à 40%, puis44%26. En outre, le déploiement
d’une intervention et d’activités de l’UA et des CER/MR sous l’égide de l’APSA est d’autant plus
probable que le conflit gagne en intensité. L’exemple palpable est l’intervention conjointe dans
89% des guerres en Afrique au cours de la période 2013-2015. A la même période, l’UA et les
CER/MR ont accentué leurs efforts de médiation et de diplomatie préventive face aux conflits
violents. Les chiffres montrent qu’au cours de cette même période, ils ont pris part à 73% des
processus ayant abouti à la signature d’un accord de paix, bien qu’ils y aient le plus souvent joué
les seconds que les premiers rôles car l’UA, en particulier s’engage toujours plus. Les missions
liées aux élections sont par ailleurs devenues des plates-formes pertinentes pour la diplomatie
préventive de l’UA et des CER face à des contextes propices aux conflits, surtout lorsque des
missions pré-électorales de haut niveau sont conjuguées à des missions d’observation électorale à
court et à long terme.
Conclusion
Le maintien de la paix et de la sécurité a permis aux Etats Africains grâce à l’Union
Africaine à avoir un maintien de la paix et de la sécurité africaine ceci avec la collaboration des
organisations sous régionales qui ont prêté mains fortes à cette dernière. Ce qui a permis également
l’africanisation des opérations de maintien de la paix et le développement de la sécurité
25 DESMIDT (S.), HAUCK (V.), « Gestion des conflits dans le cadre de l’Architecture africaine de paix et de sécurité
(APSA), Résultats d’une analyse des interventions menées par l’Union Africaine et les Communautés économiques
régionales en vue de résoudre et de prévenir des conflits violents en Afrique au cours de la période 2013-2015 »,
Document de réflexion, ecdpm, No 211, juillet 2017, p. ii. 26 Idem.
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collective27. Dans sa collaboration avec les organisations sous régionales, l’Union Africaine et les
organisations sous régionales ont ensemble au travers de la signature d’un protocole d’accord leur
permettant de base juridique signé leur engagement et prouvé leur détermination à maintenir la
paix et la sécurité.
En somme, la collaboration plus étroite entre l’Union africaine et les Mécanismes régionaux
pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits afin de faire effectivement face aux
problèmes posés par l’insécurité28 a permis de mieux gérer les conflits régionaux et sous régionaux
et à trouver des solutions plus efficaces et fiables. Ainsi, les Parties institutionnalisent et renforcent
leur coopération et coordonnent étroitement leurs activités pour réaliser leur objectif commun
d’éliminer le fléau des conflits sur le continent et de poser les jalons d’une paix, d’une sécurité et
d’une stabilité durables. A cet effet, la contribution de l’Union africaine et des Mécanismes
régionaux pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits à la promotion et au maintien
de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique, ainsi que la coopération et la collaboration
accrues entre eux dans la mise en œuvre de l’agenda paix et sécurité du continent a été d’une
grande importance.
27 AYISSI (A.), « Le défi de la sécurité régionale en Afrique après la guerre froide : vers la diplomatie préventive et
la sécurité collective, Travaux de recherche no 27 UNIDIR, Nations Unies, 1994, p.3. 28 Tels que la prolifération, la circulation et le trafic illicites des armes légères et de petit calibre, au fléau des mines
antipersonnel et à la menace du terrorisme et du crime organisé transnational, ainsi que l’importance que revêt le
contrôle des armements et le désarmement, et ce sur la base des instruments africains et internationaux pertinents.
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Le contrôle fiscal des entreprises multinationales au Cameroun
Par :
David Bienvenu NKAKE EKONGOLO
Docteur/Ph.D en droit public
Université de Douala (Cameroun)
Résumé :
Face aux impératifs de développement, l’administration fiscale camerounaise, à l’instar
des autres pays d’Afrique noire, met en œuvre l’élargissement de l’assiette fiscale comme le levier
stratégique pour une collecte optimale des ressources fiscales. C’est dans ce contexte que se
conçoit la fonction de contrôle fiscal confrontée à la mondialisation de l’économie dont le
corolaire est l’expansion des entreprises multinationales. Pour accroitre le rendement de l’impôt
et saisir les flux financiers illicites de ces grandes entreprises, le contrôle administratif fiscal
connait des reformes de ses organes et de ses mécanismes. Il en va ainsi de la spécialisation de la
Direction des Grandes Entreprises qui implémente l’initiative des Inspecteurs des impôts sans
frontière et l’échange des renseignements fiscaux afin d’appréhender les prix de transfert de ces
multinationales. Les litiges fiscaux qui en résultent permettent de constater le renforcement du
contrôle juridictionnel des multinationales tant du point de vue des techniques fiscales que de la
lutte contre les abus de conventions fiscales.
Mots clés : Entreprises multinationales, contrôle fiscal, prix de transfert, juge fiscal.
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Introduction
Une étude restée classique de Jean THILL identifie quatre défauts majeurs de la fiscalité
des pays francophones d’Afrique. Elle a des incidences économiques négatives, sa fragilité tient à
une assiette particulièrement étroite, les services chargés de l'assiette et du recouvrement sont
faiblement efficaces et enfin, la législation fiscale est inadaptée tant au comportement des
contribuables qu'à la capacité de gestion des administrations1. Plusieurs années après ce rapport de
1991, comment se comporte la fiscalité camerounaise face à la mondialisation de l’économie et à
l’implantation de plus en plus visible des entreprises multinationales ? Tel est le sens à donner à
cette étude consacrée au contrôle fiscal des entreprises multinationales au Cameroun. Avant toute
chose, il s’agit d’envisager que la présente réflexion s’applique à un pays en voie de
développement. Ces pays sont sans cesse à la recherche d’une amélioration de leurs ressources
intérieures nécessaires au financement de leurs programmes de développement. L’Etat du
Cameroun n’en constitue pas une exception lorsque son gouvernement s’efforce de financer de
manière optimale sa stratégie d’émergence par une collecte efficiente des ressources budgétaires2.
L’une de ses priorités porte sur l’optimisation des recettes fiscales internes qui sont passées de 809
à 1900 milliards de FCFA, soit un taux d’évolution de 134,85% pour la décennie 2010-20203. Ces
réalisations résultent d’une série de réformes touchant aussi bien la structure de l’administration
fiscale, les normes fiscales ainsi que les procédures d’assiette, de liquidation, de recouvrement et
de contrôle fiscal. L’un des mécanismes concernant le dernier aspect évoqué qui ne cesse d’être
clamé est la rationalisation des contrôles fiscaux. Il s’agit de réduire le nombre de contrôles
fiscaux, mais de les rendre efficaces. En effet, le contrôle fiscal vise généralement trois objectifs
principaux : « un objectif budgétaire de recouvrement des recettes, un objectif répressif de sanction
des fraudeurs et un objectif dissuasif visant à prévenir les fraudes 4». Thierry LAMBERT,
appréhende ainsi le contrôle fiscal comme « la recherche des contribuables, et l’analyse des
1 Cf. J.THILL : Fiscalité et ajustement structurel en Afrique francophone. Rapport, Paris, mars 1989, IIAP ; J.
THILL (dir.), "Rapport de synthèse sur la fiscalité et l’ajustement structurel en Afrique francophone", Inspection
générale des Finances, République française, Paris, avril 1991, pp. 185-226. 2 Cf. République du Cameroun, Stratégie Nationale de développement 2020-2030, Pour la transformation structurelle
et le développement inclusif (SND30), 1ère édition 2020, 231p, spéc. n° 427, p.100. 3 Cf. Direction Générale des Impôts du Cameroun (DGI), Rapport annuel 2018, pp. 34-47. 4 Cf. Cour des Comptes de la France, Le pilotage national du contrôle fiscal, Rapport public annuel 2012, pp.229 et
s. ; V. également B. DELAUNEY, BEPS et contrôle fiscal, in : REIDF n° 1, 2018, pp. 111- 117, spéc. p.113
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éléments déclarés5 ». Il s’agit d’une vérification de l’impôt ou des impôts6. Envisagé dans un
système fiscal déclaratif7, le contrôle fiscal permet de vérifier la sincérité des déclarations des
contribuables et leur conformité à la législation en vigueur. La loi fiscale consacre à cet effet le
pouvoir de contrôle de l’administration sur les éléments déclarés par le biais des procédures de
contrôle8. Ce qui lui permet le rehaussement des impôts éludés, la rectification des déclarations, le
redressement des bases imposables9, voir la sanction du contribuable. Dans cette optique, le
contrôle fiscal est conçu comme une mission régalienne, « le garant du civisme et de l’égalité
devant l’impôt 10». Le Professeur Alexandre MAITROT DE LA MOTTE voit d’ailleurs en la
souveraineté fiscale, le fondement nécessaire des contrôles fiscaux11. C’est la contrepartie normale
de l’obligation qui est faite aux contribuables à l’effet de produire des déclarations à la fois sincères
et exactes de la matière imposable12. Le contrôle fiscal prend dès lors deux formes classiques.
Premièrement, il peut s’agir d’un contrôle de bureau, depuis les locaux de l’administration,
consistant en une analyse des déclarations fournies par le contribuable. Le second mode est le
contrôle sur place qui permet, une fois descendu au sein de l’entreprise, de s’assurer de l’exactitude
des éléments déclarés par le contribuable, d’examiner sa comptabilité, ses transactions avec des
clients ou des tiers ou encore sa situation fiscale personnelle ou d’ensemble13. Le contrôle fiscal
consiste également pour l’administration, de demander des renseignements, mener des enquêtes et
études particulières des déclarations, contrats, actes et opérations du contribuable servant de base
5 T. LAMBERT, Contrôle fiscal : droit et pratique, 2ème éd., Paris, PUF, Septembre 1998, p. 14. 6 T. LAMBERT, « Contrôle fiscal (organisation générale du-)», in PHILIP (Loïc) (sous la dir. de), Dictionnaire
encyclopédique de finances publiques, Paris, Economica, 1991, pp. 497-500.D.D DJOUSSI KWETCHE, Le contrôle
fiscal des sociétés étrangères implantées au Cameroun à travers leurs filiales, Mémoire de Master professionnel en
fiscalité appliquée, FSJP, Université de Douala, 2014-2015, pp.11-12 7 M.G PEKASSA NDAM, « L’obligation déclarative en droit fiscal camerounais », in ANOUKAHA (François),
OLINGA (Alain Didier) (sous la coordination de), L’obligation, Etudes offertes au Professeur Paul Gérard
POUGOUE, L’Harmattan Cameroun, 2015, pp. 793-807. 8 S. LAMBERT-WIBER, Le contrôle fiscal décodé : Comprendre le contrôle fiscal et apprendre à gérer les risques,
L’Apart éditions, 2013, pp.11 et s. 9 J. KWUIMO, Le redressement fiscal en droit fiscal camerounais, Editions PUL, Douala, 2010, 170 p ; A.J FAUTIER
SOUOP, La procédure de redressement fiscal au Cameroun, Mémoire de Master 2 professionnel, Université de
Yaoundé II, 2015, 109 p. 10 Ibid, p.12 11 A. MAITROT DE LA MOTTE, « Contrôle fiscal et souveraineté », in : Gestion & Finances Publiques / N° 12 -
Décembre 2011, pp.905-910, spec. p.907 12 C. DE LA MARDIÈRE, « La déclaration fiscale », in : RFFP, n° 71, 2000 13 J. BRURON, Le contrôle fiscal, LGDJ,1991.
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à l’impôt, faire de recoupements, investiguer et rechercher14 toute information afin de prélever
dans sa plénitude tout impôt. La tâche est dès lors très ardue lorsqu’il s’agit du contrôle fiscal des
entreprises multinationales. Ce constat résulte de la complexité de la forme de ce type d’entreprise.
Du point de vue structurel, l’entreprise multinationale comprend généralement une société-mère
et une ou plusieurs filiales souvent disséminées à l’étranger dont la société-mère détient le contrôle
voire le centre de décisions15. L’entreprise multinationale se dit ainsi « d’un groupe plus ou moins
institutionnalisé de sociétés de nationalité différente opérant chacune dans son État national mais
relevant ensemble d’une direction commune, plus ou moins effective et plus ou moins localisée
dans un seul État16 ». L’on parle aussi d’entreprise ou de firme multinationale, de société
transnationale ou encore de « multinationale », de holding ou même de groupe de sociétés. Selon
MERCADAL et JANIN, le groupe de sociétés est l’ensemble constitué par plusieurs sociétés
ayant chacune leur existence juridique propre, mais unies entre elles par des liens divers en vertu
desquels l’une d’elles, dite société-mère, qui tient les autres sous sa dépendance, exerce un contrôle
sur l’ensemble et fait prévaloir une unité de décision.17 Le groupe de sociétés18 est susceptible de
contenir une société mère, une ou plusieurs filiales ainsi que des succursales. La société mère
est celle qui a sous contrôle les filiales et les succursales .Les filiales ou société-fille sont dotées
de la personnalité juridique alors que la succursale19 est un démembrement d’une société mère ne
disposant pas d’une personnalité juridique distincte20. En la matière le juge administratif
camerounais a procédé à la distinction de la notion de filiale par rapport à la succursale lorsqu’il
14 M.BOUVIER, Introduction au droit fiscal général et à la théorie générale de l’impot,10ème éd., LGDJ, Lextenso
Editions, paris 2010, pp. 127 et ss. 15 B. TROTIER « Le contrôle juridique des entreprises multinationales », Les Cahiers de droit, Volume 27, numéro
2, 1986, pp. 419–435, spc. pp. 420 et ss. 16 G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 12ème éd. Mise à jour, Quadrige, PUF, 2018,
pp.1432 17 B. MERCADAL et P. JANIN, Droit des affaires, Sociétés Commerciales, éd. LEFEBVRE (F.), 2004, p.
1097. 18 Selon D. VIDAL, un groupe de sociétés « est un ensemble de sociétés qui présentent une structure juridique
distincte, mais qui sont liées par des participations ou des relations contractuelles leur conférant une certaine
interdépendance économique ou financière laquelle peut se manifester par l’existence d’un pouvoir de décision,
uniquement prépondérant ou partagé, extérieur à plusieurs de celles-ci et propre à l’ensemble du groupe ». Cf. D.VIDAL, « Les mérites de la méthodologie ponctuelle d’un droit des groupes de sociétés », LPA, 1993, n° 78, p. 17. 19 Voir l’article 117 alinéa 1 de l’Acte Uniforme OHADA relatif au droit des sociétés commerciales et du Gie
révisé : « La succursale n’a pas de personnalité juridique autonome, distincte de celle de la société ou de la
personne physique propriétaire ». 20KAMAL LAGTATI, les succursales en droit international européen, Thèse, Université d’Auvergne-
Clermont-Ferrand, 2011, p. 7 – 22.
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décide que : « (…) les unités installées au Cameroun des sociétés d’origine étrangère ne sont pas
des succursales desdites sociétés, mais des sociétés autonomes régies par la loi camerounaise »21.
Les articles 179 et 180 de l’acte uniforme OHADA sur le droit des sociétés commerciales et des
Groupements d’Intérêt économiques distinguent la société-mère22 de la filiale23, la première
possédant dans la seconde plus de la moitié du capital. Les entreprises multinationales sont aussi
des entités complexes à saisir sous l’angle juridique24 de leur organisation25 et même en
considérant les aspects économiques de leur capital26, leur taille ou leurs activités27. L’étude du
contrôle fiscal des entreprises multinationales au Cameroun implique des enjeux liés au droit
public, droit fiscal, au droit comptable, au droit social, au droit des affaires et de la concurrence,
ainsi qu’au droit financier. Sous cet angle, le contrôle fiscal se voit de plus en plus assigner une
mission de performance dans les finances publiques28.
Les sociétés multinationales développent ainsi des techniques complexes de manipulation des
prix des transactions avec leurs filiales leur permettant de transférer en toute quiétude les revenus
ou bénéfices réalisés dans les pays d’accueil à fiscalité contraignante vers des territoires à fiscalité
plus souple, désignés sous le vocable de paradis fiscaux. Les conséquences de cette évasion fiscale
sont néfastes sur les économies des Etats. Elle fait perdre selon l’OCDE entre 100 et 240 milliards
21 Cf CSCA, Jugement n° 31/05-06 du 14 décembre 2005, Société HAMELLE AFRIQUE c/ Etat du Cameroun
(MINEFI). 22 Voir l’article 179 de l’Acte uniforme OHADA relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE révisé : « Une
société est société mère d’une autre société quand elle possède dans la seconde plus de la moitié du capital. La
seconde société est la filiale de la première » 23 Voir l’article 180 de l’Acte uniforme OHADA relatif au droit des sociétés et du GIE révisé : « Une société est une
filiale commune de plusieurs sociétés mères lorsque son capital est possédé par lesdites sociétés mères, qui doivent :
1) posséder dans la société filiale commune, séparément, directement ou indirectement par l’intermédiaire de
personnes morales, une participation financière suffisante pour qu’aucune décision extraordinaire ne puisse être
prise sans leur accord ;
2) participer à la gestion de la société filiale commune ». 24 L’entreprise multinationale et le droit international, Colloque SFDI 19, 20,21 mai 2016, Université Paris 8
Vincennes Saint-Denis. 25 B. GOLDMAN et Ph. FRANCESCAKIS, L’entreprise multinationale face au droit, Librairie Technique, Paris,
1977. 26 L’interdépendance économique et financière entre les sociétés d’un même groupe a conduit Yves GUYON à penser
qu’un groupe de sociétés « est un ensemble de sociétés juridiquement indépendantes les unes des autres mais en fait
soumises à une unité de décision économique». Cf. Y. GUYON, « Droit des Affaires », Droit commercial général et
sociétés, Tome 1, 9e Ed., Economica, 1996, p. 600. 27 G. S.O. ADETONAH, L’évasion fiscale des multinationales dans les pays de l’UEMOA, Thèse de Doctorat en
droit, Université d’AIX MARSEILLE, 9 février 2018, pp.31-47. 28 E.S AMOUGUI ATANGANA, Contrôle fiscal et performance des finances publiques au Cameroun, Thèse de
doctorat en droit, Université de Paris I Panthéon –Sorbonne, 21 avril 2017.
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de dollars de recettes fiscales c’est-à-dire l’équivalent de 4 à 10 % de la somme des recettes
résultant de l’impôt sur les sociétés à l’échelle planétaire.29 Conscient de cette réalité, l’Etat du
Cameroun développe un système d’imposition accordant la priorité aux impôts non pétroliers. Il
s’agit d’améliorer son système de taxation pour mieux appréhender le recouvrement des
prélèvements obligatoires30 et accroitre l’efficacité des contrôles fiscaux en développant la
coopération fiscale bilatérale et multinationale. Compte tenu de la part très importante qu’occupent
les multinationales dans les économies des pays d’Afrique noire francophone en général et dans
celle de l’Etat du Cameroun en particulier, il est nécessaire que l’administration fiscale nationale
soit de plus en plus outillée pour être en mesure d’imposer à leur juste valeur les nombreuses
transactions que les multinationales effectuent au quotidien. La tâche est même de plus en plus
complexe compte tenu de la mondialisation, de la digitalisation des services, du développement
exponentiel des transactions par internet, via les logiciels, les plates-formes numériques ou les
contenus électroniques31. Pour agir dans ce contexte, l’Etat du Cameroun conclut des conventions
fiscales bilatérales selon les modèles de l’OCDE et de l’ONU. Par ailleurs, il adhère aussi aux
conventions de coopération, d’échange d’information et d’assistance fiscales. Les entreprises
multinationales quant à elles développement des stratégies complexes d’optimisation fiscale à
travers l’érosion des bases d’imposition et la dissimulation des bénéfices. Elles se rendent parfois
coupables de fraude fiscale lorsque leurs transferts illégaux de bénéfices finissent par être détectés.
Néanmoins, ces entreprises de grande taille évoquent l’obligation de protection des
investissements directs étrangers et la nécessité de l’amélioration du climat des affaires alors que
l’Etat escompte accroitre ses revenus fiscaux pour être en mesure de financer les nombreux projets
de développement donc priorité est donnée à la construction des infrastructures. Sur le plan
strictement fiscal, le contrôle des entreprises multinationales concerne l’ensemble des
prélèvements obligatoires en vigueur notamment les impôts directs, les impôts indirects, les impôts
réels, les impôts personnels, les impôts proportionnels, les impôts progressifs, les impôts
spécifiques, les impôts ad valorem, les taxes, les taxes parafiscales, les redevances et même des
29 OCDE, Collecter et analyser les données sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, Paris,
Editions OCDE, 2015 30 M.G PEKASSA NDAM, « Les transformations de l’administration fiscale camerounaise », in ONDOA (Magloire)
(s. dir. de), L’administration publique camerounaise à l’heure des réformes, L’Harmattan Cameroun, 2010, pp. 29-65. 31 O. SIVIEUDE, « Les enjeux du contrôle fiscal pour l’administration », RFFP, mai 2017, p.43.
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cotisations sociales. Le sujet en examen se conçoit dans le contexte d’un pays en développement
qui fait face à des contraintes budgétaires d’accroissement des recettes fiscales et donc de
recherche de la soutenabilité des finances publiques. La doctrine oppose dans ce sens la logique
de rendement budgétaire des contrôles fiscaux à l’obligation de protection des droits des
contribuables.32 Cette problématique classique reste actuelle en ce que les Etats confrontés à la
crise des finances publiques ne peuvent plus rester passifs face aux montages fiscaux agressifs des
entreprises multinationales.33 Avec l’évolution des systèmes juridiques34, elle côtoie les nouvelles
problématiques du contrôle fiscal que le Professeur Thierry LAMBERT contribue à identifier
notamment les questions relatives à la mise en place des dispositifs facilitant l’accès à
l’information , l’adaptation des pouvoirs d’investigation de l’administration fiscale et l’échange
automatique d’informations dans le cadre international35. Le Professeur Michel BOUVIER
souligne à ce propos que le contrôle fiscal est également nécessaire pour des raisons liées à la
justice fiscale et à l’acceptation de l’impôt36. S’agissant du Cameroun, le système de contrôle
fiscal connait une évolution normative depuis le décret du 30 décembre 1912 sur le régime
financier des colonies37 jusqu’au code général des impôts adopté dès l’indépendance intervenue
en 1960.Ce système détermine les mécanismes du contrôle fiscal , l’administration qui en est
chargée à savoir la Direction générale des Impôts (DGI), ainsi que les droits et obligations des
contribuables, avec en toile de fond l’obligation de remise à ces derniers de la Charte du
contribuable vérifié à l’entame de toute procédure. Compte tenu de ce qui précède, la question
centrale au cœur de cette recherche peut être formulée ainsi qu’il suit : quelles sont les mutations
que connait le contrôle fiscal des entreprises multinationales au Cameroun ? Pour répondre à cette
32 R.ATANGA FONGUE, Contrôle fiscal et protection du contribuable dans un contexte d’ajustement structurel : Le
cas du Cameroun, Thèse Publiée, Paris, l’Harmattan, 2007, 242 p. spec.pp.22-25 33 Contrôle fiscal des entreprises multinationales, Communication de M. P. MARINI devant le SENAT français ,26
juin 2013, p.1. 34 M.DJOUHRI, L’évolution du contrôle fiscal depuis 1945 : aspects juridiques et organisationnels, Coll.
Bibliothèque finances publiques et fiscalité, LGDJ, 2012, p.12. 35 T. LAMBERT, Contribution à la définition des nouvelles problématiques du contrôle fiscal, Les métamorphoses
du contrôle fiscal. Quelles procédures ? Quelles conséquences ? Revue européenne et internationale de droit fiscal, n°
1, 2018, Bruylant, pp.7-15. 36 M. BOUVIER, Le contrôle fiscal dans une société en transition, RFFP n° 138, mai 2017, pp. V-IX. 37 V. décret du 30 décembre 1912 sur le régime financier des colonies, Journal Officiel de l’Afrique Equatoriale
Française (J.O. A.E .F) 1913, p 222. Ce texte a été complété par le décret 15 février 1937. A ce propos, l’article 21 de
ce texte disposait que : « les réclamations relatives à l’impôt personnel sur le revenu sont présentées, instruites et
jugées comme en matière de contributions directes et conformément aux dispositions des décrets du 05 août 1881, du
22 février 1896 sur le Conseil du contentieux et du 30 décembre 1912 sur le régime financier des colonies ».
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question, l’on doit observer que dans sa dimension administrative, ce contrôle a été reformé (I).
Par ailleurs, dans son aspect juridictionnel, le contrôle fiscal des entreprises multinationales est
renforcé (II).
I- UN CONTRÔLE ADMINISTRATIF REFORMÉ
L’administration a toujours joué un rôle essentiel dans l’exécution du service public en Afrique.
Crainte pour sa toute puissance et sa tendance à privilégier ses prérogatives de puissance
publique38 parfois au détriment des droits des particuliers, l’administration occupe une place
centrale au sein de l’Etat, surtout lorsqu’il lui est assigné une fonction de collecte des ressources
publiques. Les administrations fiscales africaines, héritières de l’histoire coloniale39 et des
traditions juridiques métropolitaines, ont entamé dès l’indépendance, leur « africanisation ». Il
fallait mettre en place une administration fiscale nationale capable d’impulser, par le recouvrement
des ressources, le nouvel Etat indépendant. Sur le plan national, c’est d’abord la direction du trésor
et la direction des douanes qui avaient la charge d’assurer la rentrée des ressources d’ordre divers
provenant des différentes sources de revenus de l’Etat40. L’administration fiscale naissante
s’articula alors autour des différents impôts et taxes en vigueur41. Cette organisation ne facilita pas
son déploiement. Elle entraina un rendement mitigé42. La crise économique de la fin des années
1980 agira comme un électrochoc puisque l’administration fiscale camerounaise est inscrite dans
le programme d’ajustement structurel avec son corollaire, la réforme des finances publiques43.
Cette administration est désormais astreinte à la direction par objectifs (DPO), un mécanisme
managérial qui détermine les objectifs chiffrés à atteindre. Le rendement financier ainsi privilégié
heurte les droits des contribuables de sorte qu’il devient inéluctable de rationaliser le contrôle
38 M.G PEKASSA NDAM, « La notion d'administration publique dans la jurisprudence de la Cour de Justice de
l’Union européenne », RDP 2012 - n° 2 – p. 347. 39 M.DJOUHRI, L’évolution du contrôle fiscal depuis 1945 : Aspects juridiques et organisationnels, LGDJ, 2012,
Coll. Bibliothèque des thèses de finances publiques et fiscalité, T.57, 466p, spec.pp 13-35. 40 Cf. B.BIDIAS, Finances publiques et économie financière de la République fédérale du Cameroun, Imprimerie
nationale du Cameroun, Yaoundé, mars 1971, pp.389-390. 41 R.OSSA, « Le dispositif organisationnel des administrations fiscales en Afrique: une réforme à achever », RFFP,
n°121, février 2013, p. 264. 42 S.M OUEDRAOGO, « Les mutations récentes des administrations fiscales africaines : à la
recherche de la performance » in : Annales de l’Université de Ouagadougou, Série B, Vol. 006,
Décembre 2017, pp.7-60. 43 Il s’agit de la réforme fiscalo-douanière instituée au Cameroun au cours de l’année 1993/1994.
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fiscal. Intervient alors la circulaire cadre du 03 juin 2016 fixant les modalités des interventions des
services fiscaux auprès des entreprises dans le cadre des contrôles et investigations. La réforme du
contrôle fiscal ainsi effectuée entraine le renforcement des organes de contrôle administratif (A)
et l’affinement de ses mécanismes (B).
A- Le renforcement des organes de contrôle administratif
La réforme de l’administration fiscale camerounaise permet d’avoir des services non plus
organisés en fonction des impôts et taxes en vigueur, mais plutôt en fonction de la population
fiscale. Aux petits contribuables, les Centres Divisionnaires des Impôts (CDI). Aux moyens
contribuables, les Centres des Impôts des Moyennes Entreprises (CIME). Aux contribuables
professionnels, les Centres Spécialisés des Impôts des Professions Libérales et de l’Immobilier
(CSIPLI). Aux grandes entreprises, multinationales, groupes de sociétés et holdings : la Direction
des Grandes Entreprises (DGE). Pour mieux contrôler les transactions des entreprises
multinationales, celle-ci s’est spécialisée par secteur économique (2) tout en créant en son sein une
cellule des prix de transfert (1).
1- L’activation d’une cellule des prix de transfert
La logique actuellement développée en Afrique noire francophone s’agissant de l’aspect
organisationnel des services fiscaux, est la segmentation de la population fiscale. Elle consiste à
regrouper les contribuables en fonction de leur taille : petits, moyens, grands, le chiffre d’affaire
étant retenu comme critère de classification44. Ainsi, au Cameroun, la loi n° 2010 / 001 du 13 avril
2010 portant promotion des PME au Cameroun modifiée par la loi n° 2015/010 du 16 juillet 2015
définit la grande entreprise comme une entreprise employant plus 100 personnes et dont le chiffre
d’affaires annuel Hors Taxe est supérieur à 03 (trois) milliard de FCFA. Sur cette base, les grandes
entreprises parmi lesquelles l’on classe les multinationales, sont regroupées dans un fichier unique
confié à la Direction des Grandes Entreprises (DGE), elle-même logée au sein de la Direction
Générale des Impôts (DGI).Un organisation similaire est observée au Sénégal avec la structure
44 Toutefois, la Circulaire n° 006/MINFI/SG/DGI/DER du 28 avril 2014 précisant les critères de rattachement des
contribuables aux unités de gestion de la Direction Générale des Impôts a apporté une exception au principe de
rattachement selon le chiffre d’affaires. Elle précise que, sans considération du chiffre d’affaires, les contribuables
sont rattachés à la DGE lorsqu’ils opèrent dans les secteurs ci-après : pétrolier amont, minier ( à l’exclusion des
artisans miniers), gazier , téléphonie mobile , banque de premier ordre.).
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dénommée Centre des Grandes Entreprises (CGE)45. La DGE est l’interlocuteur fiscal unique des
multinationales au Cameroun. L’interlocuteur fiscal unique regroupe au sein d’un même service
l’ensemble des impôts à acquitter par chaque catégorie de contribuable. Le ciblage des grandes
entreprises est justifié en ce que celles-ci, qui figurent uniquement dans le fichier de la DGE (0,4%
du fichier de la DGI), contribuent à hauteur de 70% de recettes fiscales mobilisées par la DGI en
201846. Pour assurer un contrôle fiscal efficace des entreprises multinationales, la DGE a activé en
son sein une cellule des prix de transfert. L’Etat camerounais comme la plus part des Etats dans le
monde perd une bonne partie de ses recettes fiscales par voie de transfert indirect de bénéfices
effectué par les multinationales installées sur le territoire au profit de leurs filiales ou autre société
apparentées basées à l’international. Pour inverser cette tendance, le pays a adhéré à l’initiative
BEPS (Base Evasion and Profit Shifting) dans le cadre de l’Organisation pour la coopération et le
développement économique (OCDE). Il s’agit de réduire voir éliminer les risques d’érosion de la
base d’imposition et de transfert des bénéfices pratiqués les groupes multinationaux.
L’opérationnalisation effective de cette unité dédiée au contrôle des prix de transfert constitue en
enjeu majeur et une condition nécessaire pour obtenir un contrôle fiscal de qualité. Instituée par la
circulaire présidentielle relative à la préparation du budget de l’Etat pour l’exercice 201847, la
cellule des prix de transfert de la Direction des Grandes Entreprises (DGE) assure la lutte contre
les formes les plus ingénieuses d’évasion fiscale permettant d’améliorer la qualité et le rendement
des vérifications fiscales. L’opérationnalisation de cette unité de contrôle des prix de transfert
s’appuie sur trois éléments essentiels afin de parvenir à une gestion performante du contrôle des
transactions intragroupes :
- La maîtrise du phénomène d’évasion fiscale par la généralisation de l’utilisation du
matériel informatique en vue de l’appropriation progressive et optimale des logiciels
informatiques par les vérificateurs fiscaux ;
45 Cf Y.S DIAGNE, La réforme du Code General des Impôts au Sénégal : principales mesures et implications, Thèse
Cotutelle, Université de Reims Champagne-Ardenne, 2017,338p. spéc. pp. 160-180. 46 En 2018, l’on compte 455 contribuables inscrits au fichier des Grandes entreprises de la DGI au Cameroun. Cf. Rapport annuel 2018 de la Direction Générale des Impôts du Cameroun, pp.47 – 48. 47 Cf. Le circulaire n° 001/CAB/PRC du 20 juin 2017 relative à la préparation du budget de l’Etat du Cameroun pour
l’exercice 2018, point 28.
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- La formation des vérificateurs portant sur les plus récents développements en matière
de planification fiscale abusive ;
- L’application de sanctions sévères aux phénomènes de corruption et de malversation.
Ayant signé l’Instrument Multilatéral (IML) de lutte contre l’érosion des bases
d’imposition et les transferts illicites des bénéfices, le 11 juillet 201748, l’Etat du Cameroun, à
travers la Cellule des prix de transfert, développe une stratégie de contrôle fiscal portant sur le
contrôle des charges payées ou dues par des résidents fiscaux camerounais à des personnes
soumises, dans leur Etat ou territoire de résidence49, à un régime fiscal privilégié ou non
coopératifs50. Par ailleurs, elle effectue également la correction des bases taxables des entreprises
liées coupables du transfert indirect des bénéfices à travers le redressement des sommes
indirectement transférées et leur réintégration dans le chiffre d’affaires consolidé imposable. Pour
prévenir tout risque ou abus dans la manipulation des prix de transfert, cette unité spéciale exige
aux entreprises multinationales, dans le cadre de l’obligation documentaire, des accords préalables
de prix51 et des accords de répartition des coûts52. Ce déploiement est rendu possible par la
spécialisation économique du service fiscal dédié aux grandes entreprises.
48 Cf. Cadre inclusif BEPS, Programme d’appui de l’OCDE-Atelier technique 13 février 2018, Yaoundé (Cameroun),
Inédit 49 J. AYANGMA, AYANGMA, La Pratique du contrôle fiscal des prix de transfert dans l’espace CEMAC, le cas du
Cameroun, Paris, l’Harmattan, 2015, p.12. 50 Il s’agit du principe de non déductibilité des charges résultant des transactions avec les pays à fiscalité privilégiée
ou « paradis fiscaux ». C’est en 2012 que le Cameroun a établi une liste des paradis fiscaux. D’après l’annexe 2 de la
circulaire n° 001/MINF/DGI/LC/L du 30 janvier 2012 précisant les modalités d’application des dispositions fiscales
de la loi n° 2011/020 du 14 décembre 2011 portant loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice
2012, sont considérés comme « paradis fiscaux », les pays ci-après désignés : «
1-Andorre ;2-Anguille ;3-Antigua ;4-Belize ;5-Bermudes ;6-Brunei ;7-Costa Rica ;8-Dominique ;9-Guatemala ;10-
Grenade ;11-Iles Marshall ;12-Iles Cook ;13-Montserrat ; 14-Nauru ;15-Niue ;16-Panama ;17-Philippines ;18-
Saint Kitts et Nevis ;19-Sainte Lucie ;20-Saint Vincent et Grenadine ;21-Vanuatu » 51 En anglais, Advance Pricing Agreement ou « APA ». Un accord préalable en matière des prix de transfert (« APP »)
est un accord qui fixe, au préalable à des transactions entre entreprises associées, un ensemble approprié de critères
pour la détermination des prix de transfert appliqués à ces transactions au cours d’une certaine période
donnée. C.SILBERZTEIN « Prix de transfert : négociez un accord préalable avec l’administration », Option Finance,
1999, n° 653, p. 45. K.SID AHMED, Le cas des accords préalables sur les prix de transferts (APP), Les relations entre
l’administration fiscale et les contribuables in : Les Annales de la Faculté de Droit et des Sciences Politiques, de la
Faculté de droit et des sciences politiques de l’Université d’Oran 2, Numéro Spécial, Laboratoire : Investissement et
Développement Durable (IDD), ENADAR, 2017, pp.227-236. 52 L’Accord de Répartition des coûts (ARC) est un arrangement écrit dans le cadre duquel deux ou plusieurs entités
liées, membre d’un groupe, s’entendent pour partager les coûts et les risques de production, de mise en valeur ou
d’acquisition d’un bien, ou encore d’acquisition ou de prestation de services, proportionnellement aux avantages qu’il
est raisonnable de croire que chaque participant tirera du bien ou des services par suite de l’arrangement. Cf. P.-
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2- La spécialisation de la Direction des Grandes Entreprises par secteur
économique ou d’activités
L’impôt est un moyen privilégié du point de vue économique. Il agit sur la consommation
en s’interférant dans le comportement des ménages. Lorsque le législateur fait varier son taux ou
lorsqu’il accorde des exemptions fiscales, l’impôt laisse une liberté de choix beaucoup plus grande
que tous les autres moyens d’intervention étatique. Sous l’angle économique, l’impôt peut être
utilisé comme instrument d’incitation53 ou de dissuasion54. L’impôt peut également constituer un
élément de relance économique en cas de crise sécuritaire55 ou de crise sanitaire56. Toutes ces
considérations expliquent la pertinence de la classification économique de l’impôt retenue dans
la théorie fiscale par la doctrine.57 En matière économique, les impôts sont alors classés soit en
J.DOUVIER, « Cost Contribution Arrangements – France », International Transfer Pricing Journal, mai-juin 2001,
p.93. T.LAMORLETTE et P.RASSAT, Stratégie fiscale internationale, Maxima, 1997, p.35. 53 L’on parle de la fiscalité incitative. L’utilisation de l’impôt dans le secteur économique s’illustre alors à travers les
régimes de faveur du code des investissements (loi sur les incitations à l’investissement privé), la loi sur les contrats
de partenariat, le régime des zones franches, le régime des zones économiques, les conventions d’établissements, les
dépenses fiscales etc Tel est également le cas avec l’exonération de patente pour la 1ère année d’activité afin
d’encourager la création des entreprises. 54 C’est la fiscalité dissuasive. Elle consiste à augmenter la charge contributive d’un contribuable pour le dissuader
d’adopter un comportement déterminé. Elle peut pourra prendre la forme d’un taux alourdi sur un impôt déterminé,
soit celle d’une imposition nouvelle. Au Cameroun, l’on peut citer le cas de la forte taxation des véhicules d’occasion
à cause de leur caractère très polluant, des pneumatiques d’occasion et même des articles de friperie. Cf. Loi n°
2018/022 du 11 décembre 2018 portant loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice 2019 en son
article Cinquième qui augmente le taux des droits d’accises applicables aux pneumatiques d’occasion et aux articles
de friperie à 12 %. Par ailleurs l’on note dans le même registre, l’augmentation de la taxe à l’exportation du bois en
grume au titre de la loi de finances 2018 (de 17 % à 30 %), en vue d’amener les exploitants de cette filière à transformer
le bois localement au Cameroun. 55 Cf. Décret n° 2019/3179 PM du 02 septembre 2019 portant reconnaissance du statut de zone économiquement
sinistrée aux régions de l’Extrême-Nord, du Nord-Ouest et du Sud-Ouest au Cameroun. Ce texte institue une fiscalité
incitative en faveur des entreprises qui réalisent de nouveaux investissements dans les zones économiquement
sinistrées au Cameroun du fait de la guerre contre les groupes terroristes et séparatistes : (exonération de TVA, de
patente, de droits d’enregistrement, de taxe foncière), voir l’article 121 (1) de la loi de finances 2020. Ces entreprises
bénéficient d’un crédit d’impôt de 30 % des dépenses engagées aux entreprises qui réalisent des investissements visant
à la reconstruction de leur outil de production dans une zone économiquement sinistrée (article 121 bis (1) de la loi
de finances 2019). La loi de finances 2020 renforce les avantages fiscaux accordés aux entreprises installées dans les
zones économiquement sinistrées, à travers l’exonération de TVA sur leurs intrants et l’abattement de 75 % de leurs
arriérés fiscaux (articles 121 et 121 ter). 56 Cf.D.B NKAKE EKONGOLO, Les mesures financières, budgétaires et fiscales de lutte contre la COVID 19 : entre
concertation sous-régionale et concertation nationale, Chapitre 3 de l’ouvrage collectif intitulé : Concertocratie locale,
nationale et internationale contre le Covid-19 : Quelles leçons pour le futur ? Sous la coordination d’E.KAMDEM
et J - R. ESSOMBE EDIMO NYA BONABEBE, Une publication de l’Institut Panafricain pour le Développement
(IPD), en collaboration avec l’Université des Nations Unies pour la paix, la Fondation P. CROUGNEAU pour la
Recherche Scientifique et Technique et le Bureau International du Travail, pp. 53 à 67, 2020, 268p ; 57 Cf. M. BOUVIER, Introduction au droit fiscal général et à la théorie de l’impôt, Paris, LGDJ, Lextenso 14e éd.,
2020, pp.20-22. O. NÉGRIN : « Une légende fiscale : la définition de l’impôt de Gaston Jèze », in RDP nº 1-2008.
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fonction des éléments économiques taxés, soit en fonction des facteurs et acteurs économiques
supportant la taxation, soit en fonction de l’objet ou de la catégorie socio-économique visés par la
taxation. La classification économique de l’impôt considérée comme plus claire et plus opératoire
permet ainsi à l’administration fiscale de s’organiser en fonction des secteurs d’activités qui
présentent toujours des particularités. La Direction des Grandes Entreprises traite de l’assiette, du
recouvrement et du contrôle fiscal des entreprises multinationales en se déployant par secteur
économique ou d’activités. Ses différents services ont en charge un portefeuille de sociétés qui
relèvent toutes d’un même secteur d’activité. La DGE regroupe autour d’une même équipe, des
entreprises qui relèvent de dispositions qui ne concernent que leur seul secteur d’activité, ceci à
deux niveaux opérationnels :
- Les cellules de gestion et de suivi des grandes entreprises ;
- Les brigades de contrôle et de vérification des grandes entreprises.
Ces deux composantes de la DGE qui ne se distinguent qu’au niveau de la fonction
opérationnelle la gestion/suivi et de contrôle/vérification, se spécialisent par secteur. L’on
dénombre ainsi respectivement des cellules et des brigades chargées du :
- Secteur des industries ;
- Secteur du commerce général ;
- Secteur des banques, des Assurances, des technologies de l’information et de la
communication ;
- Secteur de la forêt, de l’eau et du pétrole ;
- Secteur des services.
Ce regroupement permet de développer les compétences de l’équipe sur le secteur
d’activité. Chaque cellule spécialisée de gestion et suivi comporte à sa tête un chef de cellule qui
coordonne une équipe de six (06) inspecteurs gestionnaires et six (06) contrôleurs gestionnaires.
Chaque brigade de contrôle et vérification comprend à sa tête un chef de brigade et huit (08)
inspecteurs vérificateurs. Ces démembrements de la Direction des Grandes entreprises travaillent
en collaboration avec la Division des Enquêtes, de la Programmation et du Suivi du Contrôle Fiscal
(DEPSCF) de la Direction Générale des Impôts. Pour l’exercice 2021, l’orientation stratégique des
interventions fiscales au Cameroun consacre la mise en œuvre de la phase pilote du contrôle fiscal
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reformé dont les axes phares sont le suivi informatisé de l’ensemble de la chaine du contrôle
fiscal58 et la mise en place d’un dispositif de contrôle de qualité.59 Ce contrôle se fait sur la base
de l’analyse-risque notamment des opérations économiques internationales à fort risque fiscal
incluant la taxe spéciale sur le revenu. Par ailleurs, l’attention est également portée sur les transferts
des dossiers entre structures opérationnelles avec une précision sur les risques fiscaux à adresser
de ce fait. Aussi, les changements de comportement fiscal manifestes faisant suite notamment à
l’opérationnalisation des procédures dématérialisées, sont pris au sérieux. Dans ce sens les types
d’interventions retenus dans le cadre de ce contrôle reformé sont :
- les vérifications générales de comptabilité ;
- les contrôles sur pièces et ;
- les droits d’enquête et de constatation.
D’abord, cette note de service met à la charge de la Direction des Grandes Entreprises ,50
(Cinquante) vérifications générales de comptabilité. Il s’agit d’un contrôle sur place prescrit par
l’article L16 alinéa 1, 2, 3 du CGI. Par ce contrôle l’administration fiscale vérifie l’ensemble des
impôts et taxes dont un contribuable est assujetti au titre de la période non prescrite .Elle a pour
objet, l’examen critique de la comptabilité d’une entreprise, et permet de confronter les éléments
d’exploitation, aux renseignements détenus par l’administration fiscale à la suite des recherches
externes ou internes de l’entreprise afin de mesurer la sincérité et l’exactitude de ses déclarations.
Elle prend la forme d’un contrôle général et approfondi de comptabilité. En se fondant sur l’idée
que chaque contribuable est astreint à la tenue d’une comptabilité60, les grandes entreprises dont
les multinationales font l’objet de vérifications générales de comptabilité excluant tout autre
58 Cf. R.GOUYET, Les grands principes du contrôle fiscal des comptabilités informatisées, in REIDF n° 2018/1,
Bruylant, pp. 45-50. 59 Cf., Note de service n° 076/MINFI/DGI/DEPSCF du 17 septembre 2021 portant orientation des interventions en
matière fiscale au titre de l’exercice 2021, point I. 60 La comptabilité apparait comme « un système d’organisation financière permettant de saisir,
classer, enregistrer de données de base chiffrées et présenter des états reflétant une image fidèle
du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entité à la date de clôture ». C’est
également un « procédé permettant d’enregistrer grâce à la tenue permanente de comptes toutes
les opérations commerciales réalisées par un commerçant personne physique ou par une
entreprise commerciale et de dégager la situation financière générale de cette personne physique
ou de cette entreprise par la présentation du bilan ». Cf. S.EVRAERT ; C. PRATDIT HAURET,
Comptabilité cours et applications, 6e éd., Paris, Vuibert, Mai 2004, p. 24.
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contrôle fiscal. C’est le sens à donner à la rationalisation du contrôle fiscal implémentée au
Cameroun depuis 201661.La VGC d’un contribuable ne peut être effectuée que par les agents de
l’administration fiscale ayant au moins le grade d’inspecteur. Elle a lieu dans les locaux de
l’entreprise, c’est-à-dire son siège social ou le lieu de son principal établissement. Au cours de ce
contrôle, sont principalement visés le livre journal, le grand livre, la déclaration statistique et
fiscale (DSF), les balances des comptes, la balance générale, le livre d’inventaire, les états
financiers annuels tels que le bilan, le compte de résultat, le tableau des flux financiers, ainsi que
les annexes. La VGC appliquée par la DGE aux entreprises multinationales installées au Cameroun
vise les méthodes de la détermination des prix des opérations de nature industrielle, commerciale
ou financière qu’elles effectuent avec les entreprises, groupes de sociétés, filiales succursales ou
sociétés apparentées. Les inspecteurs y détectent des dissimulations de chiffres d’affaires, des
prélèvements injustifiés, les mouvements suspects dans les comptes courants associés, les cessions
d’éléments d’actifs dépréciés, les abandons généreux de créances etc Pour les années 2017 et 2018
la fonction de contrôle fiscal à travers les vérifications générales de comptabilité ont permis de
recouvrer respectivement 2,72% et 3,58 % du montant total annuel des impôts recouvrés sur le
plan national62.
Ensuite, au sein de la DGE, les contrôles sur pièces sont également programmés en raison
de cinquante (50) pour l’ année 2021. Les contrôles sur pièces63 sont des contrôles effectués
depuis les bureaux de l’administration fiscale, c’est-à-dire des contrôles de cohérence menés au
vue des seuls éléments contenus dans le dossier fiscal des contribuables et plus particulièrement
ses déclarations. Les contribuables et particulièrement les entreprises multinationales sont obligés
de souscrire un certain nombre de déclaration de façon périodique ou occasionnelle relatives à
leurs activités de par les informations qu’elles renferment. Ces contrôles sont focalisés sur
l’examen des déclarations, des actes utilisés pour l’établissement des impôts et taxes ainsi que des
documents déposés en vue d’obtenir des déductions, des restitutions ou des remboursements64. La
61 Cf. Circulaire cadre n°1011/MINFI/DGI/DEPSCF du 03 juin 2016 fixant les modalités des interventions des
services fiscaux auprès des entreprises dans le cadre des contrôles et investigations fiscaux 62 Voir Rapport annuel 2018 de la Direction Générale des Impôts du Cameroun, pp.42 – 43. Pour cette période les
rendements de la fonction du contrôle fiscal suite à vérification générale de comptabilité connaissent une progression
de 42,7%. 63 Les contrôles sur pièces sont consacrés à l’article L21 du Code général des Impôts. 64 Cf. Lettre de notification de redressement n° 1944/DGI/CRIL1/CIMED-B/CGS/SCSP du 15 décembre 2016 relative
au contrôle sur pièces effectué contre la Société Commerciale des Industries du Bois (SOCIB SA) Cameroun.
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DGE privilégie ce type de contrôle du fait de son caractère ponctuel65 et restreint sur un ou
plusieurs impôts et taxes66.
Enfin, la Division des Enquêtes, de la Programmation et du Suivi du Contrôle Fiscal (DEPSCF)
avec l’appui de sa Cellule de Recherches et d’Analyse des Informations Fiscales (CRAIF) et la
Brigade des Enquêtes fiscales (BEF) ont implémenté pour l’exercice 2021, 20 (vingt) procédures
de droits d’enquête et de constatations des stocks. L’article L 50 ter en son alinéa troisième du
Code Général des Impôts consacre la procédure de droit de constatation physique des stocks ainsi
qu’il suit : « [d]ans tous les cas, l’assujetti ou son représentant a l’obligation de faire tenir aux
agents des impôts ayant au moins le grade d’Inspecteur, copie de tous documents ou supports
numériques relatifs à la gestion de ses stocks (…) ». Cette procédure vise à déterminer les stocks
existants, les manquements constatés ou l’absence de tels manquements, au regard des règles
comptables fiscalement admises en matière de gestion de stocks67. Le droit de constatation
physique des stocks participe du renforcement des moyens d’action de l’Administration fiscale en
matière de contrôle de l’impôt68. Ce dispositif complète le droit d’enquête69 et le droit de
communication70. Depuis son institution au Cameroun en 2016 cette procédure contribue au
renforcement des pouvoirs de collecte de l’information fiscale. Elle a fondé plusieurs
redressements fiscaux des entreprises multinationales dont la plupart ont révélé d’importants
65 Cf. Lettre n° 1005/MINFI/DGI/CRIN/CSIB/BC/SBCSP du 29 décembre 2016 du Chef de centre spécialisé des
impôts du Nord à M. Le Directeur exécutif de CNPC Cameroun. 66 Cf. Notification de redressement n° 068/MINFI/DGI/DGE/CGS du 06 juin 2014, suite à contrôle sur pièces effectué
contre TOTAL Cameroun SA. 67 Cf.La circulaire n° 004/MINFI/DGI/LRI/L du 24 février 2016 précisant les modalités d’application des dispositions
fiscales de la loi de n°2015/019 du 21 décembre 2016 portant Loi de finances de la République du Cameroun pour
l’exercice 2016. 68 Cf R.D YANKE, Le droit de constatation des stocks des entreprises en droit fiscal camerounais, Mémoire de Master
professionnel en fiscalité appliquée, Faculté des sciences juridiques été politiques de l’Université de Douala, année
académique 2015/2016,112p. spec. pp. 21-37. 69 Selon l’article L49 du CGI, le droit d’enquête permet aux agents des impôts d’intervenir de manière inopinée dans
les entreprises pour faire des constatations matérielles et se faire présenter tous les documents comptables dont ils
peuvent solliciter la communication au cours d’un contrôle de la TVA. 70 Conformément à l’article L4 du Code Général des Impôts, « les contribuables sont tenus de présenter à toute
réquisition de l’Administration fiscale, tous les documents et pièces comptables obligatoires complétés, le cas échéant,
par les éléments de la comptabilité spécifiques à la nature de l’activité exercée, permettant d’établir la sincérité des
éléments portés sur leurs déclarations ».
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achats à l’étranger dissimulés,71 des passifs fictifs ayant échappé à l’IS et à l’IRCM72, des stocks
de productions reconstitués entrainant des risques fiscaux en termes de reste à payer73 et de reste
à recouvrer74.
B- L’affinement des mécanismes de contrôle administratif
Compte tenu des nombreuses recettes fiscales que font perdre aux pays en développement les
pratiques d’évitement fiscal développées par les entreprises multinationales, les administrations
fiscales d’Afrique se trouvent dans l’obligation d’affiner leurs mécanismes de contrôle
administratif de l’impôt. En effet, il est question de rendre les contrôles fiscaux beaucoup plus
efficaces en les ouvrant mécanismes internationaux de contrôles transfrontaliers (1) et d’échanges
internationaux de renseignements à fins fiscales (2).
1- L’ouverture contrôle fiscal à l’initiative des « Inspecteurs des impôts
sans frontières »
Initié en 2012 par l’OCDE et le PNUD, le Programme des Inspecteurs des Impôts sans
frontière (IISF) a pour but d’aider des pays en développement à renforcer leurs capacités en
matière fiscale et accroitre la mobilisation de leurs ressources intérieures75. Ce programme permet
l’échange des savoirs et de compétences en matière de vérification fiscale avec les administrations
71 Cf. Lettre n° 0489/MINFI/DGI/DGE/ DEPSCF/CRAIF du 27 novembre 2019 portant notification de redressement
au Directeur général de la société CAMCI SA, suite à procès-verbal de clôture d’enquête fiscale du 15 novembre 2019
de la Brigade de contrôle et de vérification de la Division des Enquêtes, de la Programmation et du Suivi du Contrôle
Fiscal (DEPSCF) de la Direction Générale des Impôts. 72 Cf. Lettre n° 0161/MINFI/DGI/ DEPSCF/CRAIF du 27 avril 2017 portant avis de passage complémentaire suite à
procès-verbal d’ouverture d’enquête fiscale et de constatation des stocks du 11 avril 2017 au Directeur général de la
société SMPC, et le procès-verbal de clôture d’enquête fiscale du 16 novembre 2017 de la Brigade de contrôle et de
vérification de la Division des Enquêtes, de la Programmation et du Suivi du Contrôle Fiscal (DEPSCF) de la
Direction Générale des Impôts. Ici, le contrôle a révélé sur la base de l’exploitation du Grand livre, dans la rubrique
« Autres dettes » Tableau 4 Ligne 29, de montants exercice 2014 : 2 851 229 351 FCFA ; exercice 2015 :
2 606 258 433 FCFA ; exercice 2016 : 2 852 695 504 FCFA ; des sous comptes intitulés « comptes de regul.
Interco » qui ne sont pas assez expressifs. En l’absence de justificatifs probants l’administration fiscale les considère
comme des passifs fictifs à soumettre à l’impôt sur les sociétés (IS) et à l’impôt sur le revenu des capitaux mobiliers
(IRCM) 73 Cf. Lettre n° 0199/MINFI/DGI/ DEPSCF/CRAIF du 18 mai 2017 portant avis de passage au Directeur General de
la Société CIMENCAM SA filiale du Groupe français LAFARGE HOLCIN. Voir la lettre n° 4689/ MINFI/DGI/
DEPSCF/CRAIF du 13 juin 2017 portant réponse à la demande de report de la procédure d’enquête et de constatation
des stocks. 74 Ibid. Cf. Procès-verbal de clôture d’enquête fiscale du 1er novembre 2017 suite à l’avis de passage n°
0199/MINFI/DGI/ DEPSCF/CRAIF du 18 mai 2017. Les inspecteurs vérificateurs tirent les conséquences des écarts
entre la production déclarée et le production reconstituée. 75 S.ABDELGHANI, L’initiative « Inspecteurs des impôts sans frontières » au service de la mobilisation des
ressources intérieures, in REIDF n° 2018/1 Bruylant , pp.103-110.
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fiscales des pays en développement grâce à une approche ciblée fondée sur l’apprentissage par la
pratique en temps réel76. Les experts travaillent avec les inspecteurs des administrations d’accueil
sur les dossiers réels. L’initiative est destinée à enrayer le manque de maîtrise, par l’administration
fiscale, des caractéristiques des entreprises multinationales et facilite l’assistance d’experts dans
des domaines tels que : la sous-capitalisation, les règles anti-évasion, les taxes sur la
consommation (TVA, impôts généraux sur les ventes), les particuliers fortunés, l’évaluation des
risques avant une vérification et la sélection des dossiers, les techniques d’enquêtes ainsi que les
questions spécifiques à une industrie ou un secteur donné. A l’instar des autres pays africains qui
implémentent cette initiative77, le Cameroun a consacré le dispositif de l’Inspecteur des impôts
sans frontières dans son système fiscal camerounais depuis l’exercice 2015. Ce dispositif permet
à l’administration fiscale de se faire assister à l’occasion de certains contrôles complexes qu’elle
juge opportune, par des inspecteurs internationaux notamment des inspecteurs des impôts d’autres
Etats avec lesquels il dispose des accords en la matière. Le champ d’application de l’assistance
technique de ces experts internationaux est bien déterminé. Ainsi, les demandes d’assistance
technique étrangère78 doivent être effectuées exclusivement dans le cadre des investigations
fiscales complexes79. Pour ce faire, les besoins d’assistance technique peuvent être formulés par
les Centres Régionaux des Impôts ainsi que la Direction des Grandes Entreprises et transmis au
Directeur Général des Impôts pour approbation. Ils peuvent aussi être identifiés d’office à
l’occasion des opérations de programmation des contrôles fiscaux par la Division des Enquêtes de
la programmation et du Suivi des contrôles fiscaux (DEPSCF). Cette autorisation trouve son
fondement à l’article L18 du LPF du CGI qui prévoit que « L’administration fiscale peut (…)
faire appel à des experts internationaux dans le cadre des accords dont le Cameroun est partie ».
Les demandes de services doivent préciser, le nom ou la raison sociale de l’entreprise, la nature
des opérations réalisées, ainsi que les enjeux financiers y relatifs, la période concernée, l’objet et
76 Cf. Inspecteurs des impôts sans frontières, Rapport 2017/2018, PNUD/OCDE, 2018, p.11 77 C’est le cas du Ghana, du Lesotho, du Kenya, le Tchad, le Maroc etc. Il convient de noter que de juin 2013 à juin
2014, le rendement fiscal du Kenya est passé de 52 millions de dollars américains (environ 28.6 milliards de FCFA)
à 107 millions de dollars américains (soit environ 58 milliards de FCFA) grâce à l’IISF. Le Sénégal a collecté, toujours
grâce à cette initiative, un montant de 12 millions de dollars soit environ 6.6 milliards de FCFA en 2014 78 C’est le continent africain qui concentre la plus forte demande d’assistance IISF. S.ABDELGHANI, L’initiative
« Inspecteurs des impôts sans frontières » au service de la mobilisation des ressources intérieures, op.cit. p.107. 79 D.D DJOUSSI KWETCHE, Le contrôle fiscal des sociétés étrangères implantées au Cameroun à travers leurs
filiales, Mémoire de Master professionnel en fiscalité appliquée, FSJP, Université de Douala, 2014-2015, pp.93-96.
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la durée de l’assistance sollicitée. Cependant, s’agissant de son autorisation, seul le Ministre des
finances peut, sur proposition du Directeur Général des Impôts, autoriser l’assistance technique
étrangère en matière fiscale. S’agissant des modalités d’assistance technique par le mécanisme des
Inspecteurs des impôts sans frontières, deux techniques sont envisageables à savoir l’assistance
sur place et l’assistance à distance. L’assistance sur place peut être permanente ou ponctuelle, pour
une période déterminée, longue ou courte. Quant à l’assistance à distance, elle peut être à plein
temps ou à la demande du service, renouvelable ou non. Les grands contrôles appuyés par
l’Initiative Inspecteur des Impôts sans Frontière (IISF) ont été effectués dans les secteurs de la
téléphonie mobile, de la banque et des brasseries. A la demande du gouvernement camerounais,
un expert international de nationalité française80 a été mis à la disposition de la Direction Générale
des Impôts (Direction des Grandes Entreprises), dans le cadre de la stratégie globale
d’élargissement de l’assiette fiscale ayant comme pilier majeur la lutte contre la fraude et l’évasion
fiscales internationales. Sept (07) missions sur place entièrement financées par la France ont été
effectuées. A l’issue des travaux, les résultats sont élogieux81 ; tant cette assistance a permis de
récupérer une bonne frange de fiscalité manquante auprès des entreprises de ces secteurs ciblés. Il
convient de signaler qu’un nouveau programme IISF consacré à d’autres secteurs a été lancé pour
une période de douze mois à compter du 05 mars 2019 toujours sous l’égide de l’OCDE en
collaboration avec le Gouvernement du Royaume du Maroc dans le cadre de la coopération sud-
sud de l’IISF. Le financement dudit programme est assuré par le Programme des Nations Unies
pour le Développement (PNUD).
Pour une amélioration du contrôle fiscal des entreprises multinationales, l’administration
fiscale camerounaise devrait :
- suspendre toute relation avec les territoires non coopératifs, c'est-à-dire les territoires qui
s’appuient sur le secret bancaire pour appliquer une coopération judiciaire virtuelle ;
80 Il s’agit de M. F. QUILICHINI. Cf. Rapport annuel 2018 de la Direction Générale des Impôts du Cameroun, pp.89.
C’est le Programme F2017-0002 des Inspecteurs des impôts sans frontières. 81 Cf. S’agissant du Cameroun, voir le Programme F2018-0012 des Inspecteurs des impôts sans frontières qui a pour
impact à long terme :
- L’amélioration du respect de leurs obligations fiscales par les entreprises ayant fait l’objet d’une vérification ;
- L’évolution dans le comportement des contribuables qui se montrent plus disposés à communiquer des données et des
renseignements.
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- recourir à tout moyen qui permet de garantir la traçabilité des revenus et mouvements des
fonds y compris des trusts, des fiducies et des fondations ;
- renforcer les moyens de vérifications et d’entraide judiciaire.
2- Le développement du contrôle fiscal par le mécanisme de transparence et
d’échange de renseignements à fins fiscales
La coopération fiscale internationale est un axe majeur de la stratégie de mobilisation des
recettes de l’administration fiscale camerounaise. En effet, quelles que soient la qualité de son
organisation, l’expertise de ses fonctionnaires ou l’efficacité de sa planification, aucune
administration fiscale ne peut prétendre atteindre ses objectifs sans coopérer avec d’autres
juridictions fiscales. C’est fort de cette certitude que le Cameroun a engagé de nombreuses actions
de coopérations dynamiques et fructueuses en matière fiscale avec d’autres Etats et certaines
organisations internationales82, sous-régionales83 et régionales84. Le Cameroun est le 70ème pays à
adhérer à la convention de l’OCDE sur l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale85.
C’est en mars 2013 que le gouvernement avait déposé sur la table du parlement, un projet de loi
autorisant le chef de l’Etat à faire adhérer à la convention susmentionnée86. Elaborée en 1988, puis
amendée en 2010, cette convention, selon l’OCDE, est « l’instrument multilatéral le plus complet
et offre (aux pays qui y adhèrent) toutes les formes possibles de coopération fiscale pour combattre
82 C’est le cas de l’OCDE. 83 Sur le plan sous régional, le Cameroun est partie à la convention fiscale de nom double imposition du 13 décembre
1966 conclue entre les six Etats membres de la CEMAC ainsi que la convention d’assistance administrative mutuelle
en matière fiscale conclue entre ces mêmes Etats le 14 décembre 1965. 84 Le Cameroun est membre de l’ATAF (Forum de l’Administration Fiscale Africaine) . Au sein de l’ATAF, le
Cameroun a joué un rôle actif dans l’élaboration du modèle africain de convention fiscale de non double imposition.
L’ATAF permet de mettre ensemble les administrations fiscales du continent africain pour un partage d’expériences
et des meilleures pratiques. L’ATAF, grâce à son programme d’assistance technique à différents pays a constamment
noté un besoin urgent de décisions stratégiques dans le domaine fiscal, en vue de mettre en œuvre les changements
législatifs requis pour un recouvrement optimal des recettes fiscales. Le Cameroun officie au sein du CREDAF (Centre
de Rencontre et d’Etudes des Dirigeants des Administrations Fiscales). Cette association dédiée aux hauts
responsables des administrations fiscales francophones est depuis plus d’une trentaine d’années (en 1982), date de
création du CREDAF, l’acte constitutif et les statuts sont préparés à Yaoundé (Cameroun) un lieu d’échange et un
laboratoire des réformes et des meilleures pratiques en termes de management fiscal via des séminaires et autres
colloques qu’elle organise. 85 Ph. DEROUIN, Les avancées de l’échange international d’information à des fins fiscales, in REIDF 2018, n° 1,
Bruylant, pp.118-124. 86 La loi n° 2013/001 du 18 avril 2013 a autorisé le Président de la République à procéder à l’adhésion du Cameroun
à la Convention de l’OCDE relative à l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale signée en 1988, amendée
par le protocole du 27 mai 2010 et ouverte à l’adhésion des pays non membres depuis novembre 2011. Cette
Convention a été signée par le Ministre des Finances le mercredi 25 juin 2014, au siège de l’OCDE à Paris.
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l’évasion et la fraude fiscale ». Les pays membres du Forum mondial sur la transparence et
l’échange des renseignements à des fins fiscales se sont réunis à Yaoundé au Cameroun le 15
novembre 2017. Ils ont signé un « Appel à l’action pour lutter contre les flux financiers illicites
par la coopération fiscale internationale. 87» Le contrôle fiscal des entreprises multinationales au
Cameroun s’opère ainsi par le développement des mécanismes institués par ce Forum. Cette
plateforme promeut et surveille la mise en œuvre de deux normes internationales sur la
transparence et l’échange des renseignements (ER) à des fins fiscales. Il s’agit de la norme sur
l’échange des renseignements sur demande (ERD) et la norme sur l’échange automatique des
renseignements sur les comptes financiers (EAR). Ces deux normes sont complétées par les
normes minimales de transparence liées à l’érosion de la base et au transfert de bénéfices, c’est-à-
dire la déclaration pays par pays et l’échange des décisions fiscales anticipées. Les autres normes
d’échange des renseignements comprennent l’échange des renseignements spontané, le contrôle
fiscal à l’étranger, le contrôle fiscal simultané et l’échange de renseignements à l’échelle du
secteur88. Le mécanisme de l’échange de renseignements sur demande (ERD) implique qu’une
administration fournisse, sur demande, des renseignements à une autre administration fiscale qui
sont utiles pour que cette administration puisse enquêter et appliquer sa législation fiscale ou les
dispositions de l’accord fiscal. Si le Cameroun constitue la juridiction A, il émet la demande de
renseignement à l’intention d’un membre du Forum qui représente la juridiction B. Cette dernière
apporte une réponse à la demande initiale. Les renseignements demandés peuvent être des
renseignements sur la propriété (propriété légale et bénéficiaires), les documents comptables et les
renseignements bancaires. La transparence fiscale qui est au cœur de ce mécanisme oblige les
Etats-membres du Forum mondial à rendre l’information fiscale disponible et à permettre l’accès
aux renseignements par les autorités compétentes. Cette obligation de transparence à la charge de
chaque Etat membre, exige pour chacun d’entre eux de rendre effectif l’échange de renseignements
entre les autorités fiscales du monde entier. Dans la même perspective du contrôle fiscal des
entreprises multinationales en vue de lutter contre les flux financiers illicites (FFI), le Cameroun a
également adhéré à la Convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière
87 Cf. La Déclaration de Yaoundé, in : Transparence fiscale en Afrique 2021, Rapport de progrès de l’initiative en
Afrique, UA/OCDE 2021, pp.84-85. 88 Cf. Transparence fiscale en Afrique 2021, Rapport de progrès de l’initiative en Afrique, UA/OCDE 2021, p.18.
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fiscale (désignée en anglais : MAAC89). L’Etat camerounais a opté pour l’échange de
renseignements sur demande (ERD) et l’assistance technique sur mesure. La mise en œuvre de la
norme ERD y a été jugée conforme pour l’essentiel lors du premier cycle d’examen des ERD en
2016.90 Une assistance technique est fournie pour la mise en œuvre de la norme ERD renforcée y
compris la disponibilité des renseignements sur bénéficiaires effectifs. Les autorités compétentes
ont mis en place l’infrastructure de l’échange de renseignement à savoir : une unité ER, un
personnel dédié et des procédures y afférentes. Une évaluation préliminaire du cadre de
confidentialité et de protection des données en vue de la mise en place du deuxième mécanisme
du Forum Mondial, à savoir l’échange automatique de renseignements (EAR), a été réalisé en 2019
et les premières discutions ont débuté en vue de sa mise en effectivité. Par ailleurs douze
fonctionnaires fiscaux ont participé à une formation du Forum mondial sur l’échange de
renseignements en 2020 et une formation a réuni soixante fonctionnaires de l’administration
fiscale. On le voit très bien, l’Etat du Cameroun implémente les mécanismes de coopération
internationale de contrôle fiscal pour circonscrire et saisir les flux financiers illicites des entreprises
multinationales91 dont l’activité se développe sur son territoire, en vue d’accroitre les ressources
fiscales. Le juge de l’impôt contribue également à cette dynamique inhérente à la mondialisation.
II- UN CONTRÔLE JURIDICTIONNEL RENFORCÉ
Le juge fiscal est un acteur essentiel qui contribue à l’application des règles du système fiscal.
C’est à lui que revient la noble tâche d’assurer l’application de la loi fiscale par une administration
soucieuse de recouvrer le maximum de recettes fiscales et par des contribuables jaloux de la
sauvegarde de leurs droits92. Lorsque la phase administrative n’a pas permis à l’administration
fiscale et au contribuable de s’entendre sur l’impôt à payer, la phase juridictionnelle du contrôle
fiscal devient inéluctable. Plusieurs études identifient la nature du juge de l’impôt93. Pour certains,
89 MAAC : Mutual administrative assistance convention. Plusieurs pays africains rejoignent progressivement la
MAAC. Au titre de l’année 2021, 14 pays l’ont signée et ratifiée à savoir : l’Afrique du Sud, Cabo Verde, Cameroun
, Eswatini, Ghana, Kenya, Maroc, Maurice, Namibie, Nigeria , Seychelles , Tunisie , Ouganda. 90 Cf. Transparence fiscale en Afrique 2021, Rapport de progrès de l’initiative en Afrique, UA/OCDE 2021, p.68. 91 D. FALCO, Pratiques abusives et fiscalité indirecte, in REIDF 2020/3, pp. 313-328. 92 R. ATANGA FONGUE, Contrôle fiscal et protection du contribuable dans un contexte d’ajustement structurel, le
cas du Cameroun, l’Harmattan, Paris, Janvier 2008. 93 C. de la MARDIÈRE, Recours pour excès de pouvoir et contentieux administratif de l’impôt, LGDJ, Bibliothèque
de science financière, Tome 41,2002 ; J. MARTINEZ-MEHLINGER, Le recours pour excès de pouvoir en matière
fiscale, L’Harmattan 2002.
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le juge fiscal n’est autre que le juge administratif94 qui applique des normes spéciales édictées dans
le Code général des Impôts (CGI), le Livre des Procédures Fiscales (LPF), la constitution et les
conventions internationales95. Pour d’autres, il est le juge judiciaire ou le juge administratif lorsque
le litige concerne respectivement les impôts indirects96 ou les impôts directs,97 cette distinction
tendant à s’estomper s’agissant du système camerounais98. Une partie de la doctrine n’hésite pas à
considérer le juge fiscal comme un juge financier malgré l’inexistence de l’autonomie d’une
juridiction financière99dans les systèmes judiciaires d’Afrique noire francophone. L’incertitude du
statut du juge fiscal côtoie donc la difficulté de détermination des contours de son office100. En
effet, le juge fiscal intervient dans une matière jugée hermétique, technique voire rébarbative
traversée par des données des sciences mathématique, économique, comptable et de gestion101.
C’est dans cette zone de fortes turbulences que le juge fiscal102 est appelé à effectuer un contrôle
94 AKONO ONGBA SEDENA, L’apport du juge administratif au droit fiscal au Cameroun, Thèse pour le Doctorat
Ph/D en droit public, Université de Yaoundé II-, 2013, 654 p. 95 E. BOKDAM-TOGNETTI, Le juge fiscal face à la règle comptable : la connexion fiscalo-comptable ne serait-elle,
au fond, qu’une forme d’union libre ? In : Le contrôle fiscal des entreprises, RFFP n° 138-Mai 2017, pp.31-37. 96 Les impôts indirects sont ceux qui ne frappent le contribuable que lorsqu’il dépense son revenu. Il s’agit des impôts
supportés pas le redevable réel mais acquittés parle redevable légal. Au Benin et en France, l’impôt indirect relèvent
de la compétence du juge judiciaire. Cf. N. MEDE, Le juge fiscal en Afrique de l’ouest francophone, Regards sur un
moucharabieh juridictionnel, in : Les nouveaux chantiers des finances publiques en Afrique, Mélanges en l’honneur
de Michel BOUVIER, l’Harmattan Sénégal, 2019, pp.405-410. 97 Les impôts directs sont ceux qui font l’objet de rôle nominatif et qui sont directement acquittés par ceux qui y sont
assujettis. Les impôts directs relèvent de la compétence du juge administratif. Cf. N. MEDE, Le juge fiscal en
Afrique de l’ouest francophone, Regards sur un moucharabieh juridictionnel, op.cit. p.406. 98 Au Cameroun, depuis 2015, l’on observe un mouvement d’unification du contentieux fiscal en faveur du juge
administratif. Ceci découle des dispositions de la loi de finances de l’exercice 2015, dont le nouvel article 412 du
CGI établit que : « Les règles de procédure en matière de contentieux et de recouvrement des droits
d’enregistrement sont les mêmes que celles prévues par le Livre des Procédures Fiscales en matière d’impôts, taxes
et droits directs. » Par ailleurs, l’article L126 du LPF dispose qu’: « En matière d’impôts directs et de taxe sur la
valeur ajoutée ou de taxes assimilées, les décisions rendues par le ministre en charge des finances sur les
réclamations contentieuses, et qui ne donnent pas entièrement satisfaction aux intéressés, peuvent être attaquées
devant les Tribunaux administratifs, dans un délai de soixante (60) jours à partir du jour de la réception de l’avis
portant notification de la décision.» Cette unification du contentieux fiscal au profit du juge administratif (c'est-à-
dire du Tribunal Administratif ou de la Chambre Administrative de la Cour Suprême en cas de cassation) induit une
compétence résiduelle du juge judiciaire qui ne conserve que le contentieux pénal de la fraude fiscale. 99 P.E ABANE ENGOLO, Pour un ordre juridictionnel financier, in Les nouveaux chantiers des finances publiques
en Afrique, Mélanges en l’honneur de Michel BOUVIER, l’Harmattan Sénégal, 2019, pp.313-330. 100 H. AKEREKORO et S. A. LASSISSI, L’office du juge administratif en contentieux de l’impôt au Benin et au
Cameroun, Revue Africaine de Finances Publiques (RAFIP), n° 09, 2021, pp.73-100. 101 P.E ABANE ENGOLO, Pour un ordre juridictionnel financier, in Les nouveaux chantiers des finances publiques
en Afrique, p.327. 102 M. MATENBOU, Recherches sur le contentieux fiscal au Cameroun, Thèse de droit public, Université de Yaoundé
II, 2016, 421 p
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juridictionnel de la régularité de la procédure d’imposition103 appliquée aux entreprises
multinationales au Cameroun. Ce pan de l’étude questionne l’apport du juge administratif au
système fiscal dans son ensemble104, lui qui a pour mission d’instaurer et de sauvegarder la sécurité
juridique au sein du cadre d’imposition105. La question devient plus ardue lorsqu’on considère le
contexte camerounais106 marqué par le rapprochement du juge fiscal près des contribuables avec
la mise en effectivité depuis 2012, des Tribunaux administratifs officiant dans chacune des dix
(10) régions du pays107. Ces Tribunaux administratifs statuent en premier et en dernier ressort sur
le contentieux fiscal et financier108, entre autres champs de compétence. La Chambre
Administrative de la Cour Suprême, en sa section du contentieux fiscal et financier109, demeure
l’instance suprême qui connait en cassation110, des décisions rendues par les premiers juges. Par
ailleurs avec la croissance économique en cours, l’on observe le développement des affaires et
l’augmentation des investissements de sorte que la plupart des contribuables (ici, les entreprises
multinationales) se tournent de plus en plus régulièrement vers le juge fiscal notamment du lieu de
situation de leur résidence ou de leur siège social111 généralement basé à la capitale économique
du Cameroun, c’est-à-dire Douala dans la région du Littoral. Dès lors, comment se manifeste le
103 Cf. L. AYRAULT, Le contrôle juridictionnel de la régularité de la procédure d’imposition, L’Harmattan, Collection
Finances publiques, 2004. 104 AKONO ONGBA SEDENA, L’apport du juge administratif au droit fiscal au Cameroun, Thèse, op.cit., p.-v. P.
ALAKA ALAKA , Les procédures de contrôle en matière fiscale dans l'espace Ohada, Universitaires Européennes -
septembre 2017, 84 p. 105 F. ATECK A DJAM (F), Droit du contentieux fiscal camerounais, Paris, L’harmattan, 2009, 267 p. 106 I. MOULIOM, Le contentieux de l’imposition au Cameroun : essai d’analyse sur sa nature juridique. Thèse de
Doctorat en droit, Université de Yaoundé II , Juin 2002, 107 Cf. Décret n° 2012/119 du 5 mars 2012 portant ouverture des tribunaux administratifs a consacré l’ouverture d’un
tribunal administratif par région, avec pour siège le chef-lieu de celle-ci. 108Cf. Loi n° 2006/022, du 29 décembre 2006, fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs
est claire dans son article 2 (alinéa 2) : « Les tribunaux administratifs connaissent en premier ressort, du contentieux
des élections régionales et municipales et en dernier ressort, de l’ensemble du contentieux du contentieux administratif
concernant l’Etat, les collectivités publiques territoriales décentralisées et les établissements publics administratifs,
sous réserve des dispositions de l’article 14 (2) de la présente loi. » . 109 Article 9 alinéa 1, loi n°2006/016, du 22 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour
Suprême:« La Chambre Administrative comprend :
- une section du contentieux de la fonction publique ;
-une section du contentieux des affaires foncières et domaniales ;
- une section du contentieux fiscal et financier ;
-une section du contentieux des contrats administratifs ;
-une section du contentieux de l’annulation et des questions diverses ». 110 Cf. La loi n° 2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême, op. cit. 111 Cf. Article L 124 du CGI camerounais. : « En cas de silence du Ministre des Finances aux termes du délai de deux
(02) mois, le contribuable peut saisir d’office le Tribunal administratif du Centre des impôts de rattachement ou le
Tribunal administratif de sa résidence ou de son siège social. »
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renforcement contrôle juridictionnel fiscal des entreprises multinationales ? A l’évidence, la
saisine de plus en plus fréquente du juge fiscal l’amène à contribuer de manière décisive au
renforcement du contrôle fiscal qui se traduit par un contrôle juridictionnel progressivement
approfondi des techniques fiscales (A) et une sanction juridictionnelle fondamentalement accrue
des abus de conventions fiscales internationales.
A- Le contrôle juridictionnel approfondi des techniques fiscales
La théorie générale de l’impôt comprend d’abord l’étude des techniques juridiques qui lui sont
propres. Ces techniques peuvent être assez différentes suivant la nature des impositions. S’il est
difficile d’en faire une synthèse exhaustive, du moins est-il possible d’examiner les techniques
dont l’utilisation est la plus fréquente, celles qui s’appliquent pour les impôts les plus importants.
En s’inspirant de la définition donnée par CORNU à propos de la technique juridique112, l’on peut
dès lors identifier la technique fiscale comme l’ensemble des moyens spécifiques en termes de
procédés, opérations, présomption, fiction, assimilation, qualification, etc, qui président à
l’agencement et à la réalisation de la procédure d’imposition. La technique fiscale comporte ainsi
les procédures d’assiette, de liquidation et de recouvrement de l’impôt ainsi que les opérations de
contrôle fiscal conduites par l’administration. Il est donc intéressant de voir comment le juge fiscal
camerounais examine la mise en œuvre par l’administration des techniques d’imposition (1) et
des opérations de contrôle (2).
1- Le contrôle juridictionnel de la conformité des opérations d’assiette, de
liquidation et de recouvrement fiscal
La plupart des opérations, activités, contrats et transactions des entreprises multinationales
imposables au Cameroun ont un caractère international indéniable. L’œuvre du juge fiscal consiste
ici, non seulement à vérifier que la matière imposable prélevée est bien celle expressément
déterminée par la loi fiscale, mais aussi à s’assurer que le taux de l’impôt effectivement appliqué
est celui qui est strictement consacré par la norme fiscale.
112 G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri CAPITANT, 12ème éd. Quadrige, PUF, 2018, pp.1263-1264.
Voir aussi A. ANDRÉ-JEAN, (Sous la dir. de), Entrée : « Technique juridique », Dictionnaire encyclopédique de
théorie et de sociologie du droit, Paris, LGDJ, 1993, 1456 p ; pp 605-607.
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S’agissant de la matière imposable, l’intervention du juge fiscal vise à vérifier que l’administration
fiscale a recherché, qualifié, et évalué la matière imposable qui peut être un revenu, une activité,
un bénéfice, un bien, une plus-value, une transaction, une opération économique , un contrat, un
acte, une prestation etc, conformément à la norme fiscale. C’est dans ce sens que le juge fiscal
camerounais a rejeté le recours pour excès de pouvoir d’un établissement financier international
tendant à obtenir l’annulation de la taxation à la TVA des intérêts rémunérant un emprunt
obligataire de l’Etat. Pour le juge fiscal, « (…) l’emprunt obligataire est une opération économique
de prestation de service113 (…) Qu’il résulte de ce qui précède que contrairement à l’interprétation
de la société requérante, l’exonération appliquée ne concerne pas la TVA, s’agissant d’un impôt
indirect sur la consommation114. »
Par ailleurs, le juge fiscal sanctionne d’annulation toutes les impositions assises sur un
avoir fiscal car, «(…) l’impôt ne peut être calculé sur l’impôt, (…) un impôt ne peut être assis sur
une créance fiscale115.» Dans le même sens, toute procédure d’imposition effectuée en violation
des règles régissant l’assiette fiscale, encourt annulation. C’est le cas d’une décision et d’un titre
de perception émis par l’administration domaniale et appliqués à une entreprise multinationale
spécialisée dans la diffusion d’images par satellite, alors même que la loi fiscale attribue le
recouvrement des redevances foncières à un régisseur de recettes, à charge pour ce dernier de les
reverser au receveur des domaines territorialement compétents. La motivation du juge fiscal est
des plus précises : « Attendu (…) que ni le titre de perception ni la mise en demeure ne précise les
fondements et l’assiette des redevances réclamées (…) Attendu que l’incompétence et le défaut de
motivation sont constitutifs d’excès de pouvoir, qu’il y a lieu d’annuler les actes querellés pour
ces motifs. » 116 Le contrôle des opérations d’assiette conduit tout aussi le juge fiscal à rejeter la
prétention d’une entreprise multinationale africaine tendant à imputer l’impôt sur le revenu des
capitaux mobiliers sur le crédit de l’impôt sur les sociétés, sanction juridictionnelle retenue au
113 L’instruction du 10 mars 1999 portant application de la loi de finances 1998/1999 définit une activité économique
comme : « toute opération comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes
ayant un caractère de permanence. » 114 Cf. TA Littoral, Jugement n° 349/FF/17 du 28 septembre 2017, EDC Investment Coorporation SA c/ Etat du
Cameroun(MINFI) 115 Cf. TA Littoral, Jugement n° 029/FF/2020 du 05 mars 2020, Société L.D International SARL c/ Etat du Cameroun
(MINFI) 116 TA Littoral, Jugement n° 013/FF/2020 du 16 janvier 2020, Canal + Cameroun SA c/ Etat du Cameroun (Recette
départementale des domaines du Wouri).
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motif qu’une telle opération ne peut prospérer s’agissant des impôts de nature différente, car en
effet , « (…) tandis que l’impôt sur les sociétés qui est un impôt direct acquitté par l’entreprise
elle-même , est assis sur le bénéfice par elle réalisé sur une période donnée , l’impôt sur le revenu
des capitaux mobiliers quant à lui est un impôt indirect ,retenu à la source par l’entreprise en cas
de distribution du bénéfice réalisé après paiement de l’impôt sur les sociétés117. » Dans la même
espèce, un simple contrôle de cohérence objet de la procédure de contrôle sur pièces ne saurait
fonder le redressement fiscal des opérations internationales de ladite multinationale. Selon le juge
fiscal : « (…) l’administration fiscale n’est pas fondée à opérer un tel redressement dans le cadre
d’un contrôle sur pièces dès lors que la nature juridique des sommes payées à l’étranger (…)
nécessite des investigations approfondies et des documents fiables dont l’interprétation est
incompatible avec le contrôle de cohérence ayant abouti à ce redressement. 118» Pour respecter la
lettre et l’esprit de la loi fiscale , le juge fiscal camerounais analyse les méandres des opérations
du commerce international s’agissant des transactions d’une entreprise de transport maritime pour
rejeter l’imposition des surestaries définis comme les sommes dues par l’affréteur au voyage pour
le dépassement du laps de temps, compté par jour et par heure, mis gratuitement à sa disposition
pour charger ou décharger la cargaison119. La motivation est la suivante : « Attendu (…) que les
surestaries ne sauraient être considérées comme des rémunérations de prestation de service et
comme telles passibles de la taxe spéciale sur le revenu, encore que la personne morale bénéficiaire
n’est pas domiciliée au Cameroun120.» La problématique des procédures d’imposition des
entreprises multinationales est donc étroitement liée au principe de territorialité fiscale.
Le juge fiscal camerounais opère un contrôle strict de l’application des taux légaux
d’imposition aux entreprises multinationales en vertu du principe d’égalité des contribuables
devant la loi fiscale. Deux espèces sont mobilisées pour illustrer cette assertion.
D’abord, à la suite du contrôle du droit d’accises perçu suite à une opération d’importation,
l’administration fiscale s’est fondée sur une nouvelle disposition de la loi de finances 2015 créant
117 TA Littoral, Jugement n° 019/FF/2018 du 1er février 2018, Société NSIA assurances SA c/ Etat du Cameroun
(MINFI).
118 Ibid. 119 Cf. G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri CAPITANT, 12ème éd. Quadrige, PUF, 2018, pp.2083,
2116. 120 TA Littoral, Jugement n° 201/FF/18 du 05 juillet 2018, Société GETMA Cameroun SA c/ Etat du Cameroun
(MINFI).
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à côté des droits d’accises ad valorem, un droit d’accises spécifique relatif aux tiges de tabacs,
pour appliquer à une entreprise multinationale un taux d’imposition de 76 %, malgré une directive
CEMAC qui limite ce taux d’imposition à 25%. Pour résoudre ce litige, le juge fiscal
décide : « Attendu qu’il est de jurisprudence établie qu’un justiciable peut se prévaloir , à l’appui
d’un recours dirigé contre un acte administratif non règlementaire , des dispositions précises et
inconditionnelles d’une directive , lorsque ladite directive n’a pas été transposée dans les délais
prévus à cet effet ou a été mal transposée ; Attendu que l’article 57 de la directive n° 07/11-UEAC-
028-CM-22 du 19 décembre 2011 édicte que ‘’le taux normal applicable au droit d’accises ad
valorem est arrêté librement par chaque Etat membre dans une fourchette allant de 0 à 25% sans
possibilité de rabattement. Nonobstant les dispositions de l’article 55 ci-dessus , la mise en œuvre
d’un systèmes de taxation spécifique aux droits d’accises est laissée à l’appréciation de chaque
Etat membre et devra comprendre obligatoirement les tabacs et les boissons alcooliques’’ (…)
Attendu qu’en l’espèce , il est acquis aux débats que le taux appliqué au droit d’accises et ayant
généré les impositions contestées est supérieur à 25% ; qu’il y a donc violation de la directive
suscitée ; qu’il échet par conséquent d’annuler les impositions contestées (…)121. Une application
exagérée des droits d’accises a tout aussi été sanctionnée par le juge fiscal s’agissant de
l’imposition des bouteilles de vins importés122.
Enfin, le respect du taux d’imposition spécifique applicable à une entreprise multinationale
du fait de son classement dans le régime stratégique du code des investissements, est de mise.
Faute d’appliquer ce régime incitatif, les inspecteurs-vérificateurs de la Direction des Grandes
Entreprises (DGE) voient leur avis de mise en recouvrement suite à vérification générale
comptabilité, annulé. Suivons le juge fiscal à cet effet : « Attendu que la requérante fait grief à
l’administration fiscale d’avoir méconnu les dispositions de l’arrêté n° 002/MINDIC/CGCI du 15
janvier 2004 du Ministre du développement industriel et commercial portant son reversement au
régime des entreprises stratégiques du Code des Investissements pour une durée de sept ans
(…) ; Attendu que l’article 2 dudit arrêté dispose :’’ pendant ladite période, la Société
Camerounaise de Transformation de Blé (SCTB) bénéficie des avantages ci-après : (…) - la
121 TA Littoral, Jugement n° 040/FF/18 du 15 mars 2018, Société de Distribution et de Négoce International
(SODESNI) c/ Etat du Cameroun (MINFI). 122 TA Littoral, Jugement n° 385/FF/18 du 05 décembre 2019, Société Africaine de Distribution (SAFDI) SARL c/
Etat du Cameroun (MINFI).
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réduction de : - (…) 50 % de la taxe proportionnelle sur les revenus de capitaux mobiliers
(TPRCM) ; Attendu qu’à la lecture de ce texte , il est aisé d’affirmer , contrairement à la position
du Ministère public , que la requérante bénéficie de la réduction d’IRCM de moitié , qu’elle soit
redevable réelle ou légale ; qu’il n’est pas ans intérêt de rappeler que la loi fiscale est
d’interprétation restrictive ; qu’il convient par conséquent d’annuler les impositions relativement
à ce point ; (…)123 ».
2- Le contrôle juridictionnel de la légalité des opérations de contrôle fiscal
La chronique jurisprudentielle du contrôle de la légalité des procédures de contrôle fiscal
appliquées par l’administration124 aux entreprises multinationales au Cameroun, illustre
l’évolution la situation d’un juge fiscal confronté à l’impératif d’assurer l’équilibre entre les
pouvoirs d’investigation du fisc et le respect des prérogatives des contribuables. D’un côté,
l’administration fiscale dispose d’une panoplie de procédures de contrôle fiscal consacrées dans le
Livre des Procédures Fiscales (LPF). De l’autre, les contribuables défendent de plus en plus leurs
garanties légalement consacrées. Dans ce contexte, le juge fiscal camerounais s’assure du respect
des conditions de recours par l’administration à une procédure spécifique de contrôle, d’émission
des titres exécutoires, de redressement ou de recouvrement des ressources fiscales. Ainsi,
l’administration fiscale n’est fondée à déclencher une procédure de déclaration pré- remplie que si
le contribuable n’a pas déclaré ses impôts au cours de la période considérée125.Est par contre
conforme à la loi, une taxation d’office effectuée par l’administration fiscale (ici la Direction des
Grandes Entreprises) suite au défaut de dépôt de la déclaration statistique et fiscale (DSF), malgré
la mise en demeure dument notifiée à l’entreprise126. Aussi, est exposée à la nullité absolue, la
procédure de contrôle dans laquelle l’administration fiscale répond aux observations du
contribuable au-delà du délai de 60 (soixante) jours imparti par l’article L 24 du Livre des
123 TA Littoral, Jugement n° 382/FF/18 du 06 décembre 2018, Société Camerounaise de Transformation de Blé
(SCTB) SA c/ Etat du Cameroun (MINFI). 124 B. RICOU, Chronique jurisprudentielle annuelle des procédures fiscales, in : REIDF n° 2018/1, Bruylant , pp. 138-
147. 125 TA Littoral, Jugement n° 177/FF/2020 du 20 août 2020, Société Le Grand Moulin du Cameroun (SGMC) SA c/
Etat du Cameroun (MINFI). 126 TA Littoral, Jugement n° 155/FF/19 du 06 juin 2019, Société BAKER HUGHES SA c/ Etat du Cameroun
(MINFI).
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Procédures Fiscales du Cameroun127. Cette nullité s’étend également à une procédure de contrôle
effectuée sans remise au contribuable d’une notification de redressement ou d’un avis d’absence
de redressement suite au procès-verbal de fin de contrôle128. Cette solution est confirmée par le
juge fiscal saisi suite à pourvoi en cassation introduit par l’Etat129.Le juge fiscal retient aussi la
nullité d’ordre public de la procédure de vérification générale de comptabilité conduite contre une
entreprise multinationale du secteur bancaire au motif que l’avis de redressement a été notifié au
contribuable 73 (soixante-treize) jours après la clôture de la vérification en violation de la loi
fiscale qui accorde strictement un délai de 60 (soixante jours)130. Le contrôle fiscal d’une
entreprise multinationale de distribution des images par satellite a permis au juge fiscal de
consacrer le principe de l’interdiction des contrôles fiscaux multiples s’agissant des mêmes impôts
au cours d’un exercice fiscal. Selon le juge fiscal : « Attendu que l’article L 36 dispose : ‘’Lorsque
la vérification au titre d'un exercice fiscal donné, au regard d'un impôt ou taxe ou d'un groupe
d'impôts ou taxes est achevée, l'Administration ne peut procéder à une nouvelle vérification pour
ces mêmes impôts ou taxes sur le même exercice fiscal’’; Qu’une nouvelle vérification n’est
possible que lorsque l’administration fiscale a déposé une plainte pour agissement frauduleux ;
Que par ailleurs , non seulement le fisc ne peut se prévaloir de son droit de reprise en ce que les
renseignements reçus ou regroupés proviennent d’un contrôle sur pièces postérieur à la vérification
générale de comptabilité effectuée dans la société requérante mais aussi, en l’absence d’une plainte
pour agissements frauduleux ; Qu’il y a lieu en conséquence d’annuler l’avis de mise en
recouvrement contesté.131 » Le juge fiscal camerounais sanctionne aussi le dépassement du
périmètre du contrôle sur pièces lorsque celui-ci, par la faute de l’administration, a abouti à une
vérification générale de comptabilité, conformément à une circulaire cadre n°
0004/MINFI/DGI/CC/C du 08 mai 2008 qui dispose qu’ « (…) aucun document ayant servi à
l’enregistrement d’une opération en comptabilité ne doit être réclamé à l’usager dans le cadre d’un
127 TA Littoral, Jugement n° 307/FF/19 du 24 octobre 2019, Security Services Group (SSG) SARL c/ Etat du
Cameroun (MINFI). 128 TA Littoral, Jugement n° 080/FF/15 du 05 novembre 2015, Société GENITRAM/TP SARL c/ Etat du Cameroun
(MINFI). 129 CSCA, Section du contentieux fiscal et financier, Arrêt n° 108/FF/2017 du 08 novembre 2017, Etat du Cameroun
(MINFI) c/ Société GENITRAM/TP SARL 130 TA Littoral, Jugement n° 136/FF/18 du 17 mai 2018, Société CITIBANK Cameroun SA c/ Etat du Cameroun
(MINFI). 131 TA Littoral, Jugement n° 022/FF/19 du 28 février 2019, Société ASTON SAT SARL c/ Etat du Cameroun (MINFI).
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contrôle sur pièces.». Par une motivation méthodique et argumentée, le juge fiscal le réitère ainsi
qu’il suit : « Attendu qu’il ressort de l’exploitation des pièces du dossier que la reconstitution des
achats effectuée par l’administration des impôts à partir du listing communiqué par la douane a ,
dépassant le cadre normal du contrôle sur pièces , abouti à la reconstitution du chiffre d’affaires ;
qu’une telle opération juridique ne peut être réalisée , en application des dispositions légales et
doctrinales précitées , que dans le cadre d’un contrôle général de comptabilité afin de garantir au
contribuable tous ses droits, notamment par la discussion contradictoire des éléments essentiels de
sa comptabilité susceptibles d’apporter des éclaircissements ou même de contredire ceux contenus
dans le listing en cause dont on ne saurait établir , en l’état , le caractère probant ; qu’ainsi, la
reconstitution et la déduction des valeurs facture , la reconstitution du chiffre d’affaire à partir du
listing communiqué par la douane , le retraitement supposé des informations y contenues sont
autant d’éléments établissant que les vérificateurs se sont largement écartés du cadre juridique du
contrôle sur pièces dès lors que ledit contrôle porte sur des éléments substantiels de la procédure
administrative ; qu’il échet, sans s’attarder sur les autres moyens invoqués , d’annuler l’avis de
mise en recouvrement querellé comme résultant d’une procédure irrégulièrement menée et
d’invalider subséquemment les impositions qui en sont issues132. » Les entreprises multinationales
sont également contrôlées au niveau de l’application des conventions fiscales internationales
qu’elles invoquent généralement à l’appui de leurs opérations.
B- La sanction juridictionnelle accrue des abus de conventions fiscales internationales
Parmi les causes évoquées pour expliquer l’évasion fiscale des multinationales dans l’espace
africain subsaharien de l’UEMOA133, figurent entre autres :
- La faiblesse des administrations fiscales malgré l’attractivité fiscale de leur législation ;
- Les stratégies fiscales agressives des entreprises multinationales ;
- Et l’utilisation abusive des conventions fiscales par ces dernières.
Cet état des lieux est similaire aux pays membres de la CEMAC en général et au Cameroun en
particulier s’agissant du cas spécifique des entreprises multinationales opérant sur le territoire
132 Cf. TA Littoral, Jugement n° 006/FF/18 du 18 janvier 2018, Société Horizon Phyto Plus c/ Etat du Cameroun
(MINFI). 133 Cf. G. S. O. ADETONAH : L’évasion fiscale des multinationales dans les pays de l’UEMOA, Thèse de doctorat
en droit, Faculté de droit et science politique d’Aix-Marseille, Ecole Doctorale ED 67,09 février 2018,528p, spéc. p.6.
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national. Dans leurs opérations internationales, les multinationales exploitent généralement les
multiples possibilités offertes par les conventions fiscales bilatérales ou multilatérales ratifiées par
le Cameroun. Dès lors l’optimisation fiscale internationale côtoie la fraude fiscale. L’élargissement
du réseau des conventions fiscales, élément central de la politique fiscale internationale du
Cameroun constitue aussi un canal plus que probable des abus de conventions. L’administration
fiscale camerounaise tente tant bien que mal de juguler ces abus par les opérations de contrôle
fiscal, d’échange de renseignements, de contrôle des prix de transfert et d’assistance administrative
examinés plus haut. Ces contrôles administratifs fiscaux, gravitant autour de la question de la
territorialité de l’impôt134, génèrent dans la plus part des cas d’énormes redressements qui sont
soumis à la sanction du juge fiscal camerounais. Cette occasion permet ainsi au juge fiscal national
d’identifier des abus de conventions fiscales (1) et de contrôler les mesures administratives
unilatérales de lutte contre ces abus (2).
1- L’identification prétorienne des abus de conventions fiscales
L’abus de convention dont il est question ici traduit des cas où des entreprises
multinationales opérant au Cameroun cherchent à bénéficier ou à profiter d’une protection plus
avantageuse consacrée par un traité en termes d’exonérations fiscales ou de réduction du taux de
l’impôt. L’administration fiscale, notamment la Direction des Grandes Entreprises procède aux
notifications de redressement dès lors qu’elle constate de tels agissements de la part des entreprises
multinationales. Les contestations qui s’en suivent généralement aboutissent à la saisine du juge
fiscal qui a la charge de sanctionner aussi bien les fraudes des contribuables que les abus de
l’administration. Il en résulte l’identification par le juge fiscal de plusieurs types d’abus des
conventions fiscales. L’un de ces mécanismes consiste pour le juge fiscal à confirmer l’imposition
d’une multinationale qui tente d’invoquer une convention fiscale afin de soustraire sa filiale ou sa
succursale du paiement de l’impôt dû, au nom de l’évitement de la double imposition. Tel est le
cas dans l’affaire Société BANOS Cameroun S.A c/ Etat du Cameroun (MINEFI)135. La Société
BANOS Cameroun S.A. société de droit camerounais, ayant une filiation avec la Société BANOS
134 F. ABENG MESSI, « L’impôt au Cameroun : entre territorialité, extra-territorialité et re-territorialité », RFFP nov.
2021, p. 109. Voir aussi l’article 5 du CGI du Cameroun. 135 Cf. CS/CA, Jugement n°36/2014 du 22 Janvier 2014, Société BANOS Cameroun S.A c/ Etat du Cameroun
(MINEFI)
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et Compagnie domiciliée à Bangui en République Centrafricaine (RCA), pays membre de la
Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), fait l’objet d’un contrôle
de comptabilité générale des exercices 1994/1995, 1995/1996, 1996/1997 et 1997/1998. Au terme
dudit contrôle fiscal, la Société BANOS S.A est redressée « minorisation du chiffre d’affaires » et
fait immédiatement l’objet d’une taxation d’office136. Ici, la société-mère BANOS Cameroun S.A
se réfère aux dispositions communautaires de la CEMAC en matière de TVA afin de permettre à
sa filiale BANOS et Compagnie RCA d’échapper à l’imposition sur les revenus issus de l’activité
de transport exercée au Cameroun. La Directive convoquée ici est celle n°1/99/CEMAC-028-CM-
03 du 17 décembre 1999 portant harmonisation des législations des Etats-membres en matière de
TVA et de droit d’accises, dont l’article 9 paragraphe 3 dispose que : « par exception, en ce qui
concerne les transports internationaux, les opérations sont réputées faites dans l’Etat du lieu du
domicile ou la résidence habituelle s’il s’agit d’un transporteur individuel, ou du lieu du siège s’il
s’agit d’une société, alors même que le principal de l’opération s’effectuerait hors de cet Etat ».
Le principe étant que : « sont soumise à la TVA, toutes les affaires réalisées dans un Etat non
comprises dans la liste des exonérations (…), quand bien même le domicile de la personne
physique ou le siège social de la société débitrice serait en dehors des limites territoriales de cet
Etat 137». Le juge fiscal se prononce ainsi qu’il suit : « Attendu en l’espèce qu’il ressort du dossier
que non seulement les opérations de transport ont été réalisées au Cameroun par la Société BANOS
Bangui, au profit d’une entreprise camerounaise (AITI) mais que la société recourante n’a pu
rapporter la preuve ni l’imposition du chiffre d’affaire relative auxdites opérations à Bangui ni
celle de la séparation du patrimoine des deux sociétés ; Que c’est donc à juste titre que
l’administration fiscale a, en vertu des textes susvisés procédé à la taxation d’office de la société
concernée ; Qu’il s’ensuit que le recours n’est pas justifié et qu’il encourt le rejet. » Le juge fiscal
conforte le principe de l’imposition des sociétés étrangères au Cameroun tel que consacré par les
136 Lire à ce propos l’excellente note d’A. EYANGA MEWOLO sous CS/CA, Jugement n° 36/2014 du 22 Janvier
2014, Société BANOS Cameroun S.A c/ Etat du Cameroun (MINEFI) (RECOURS n° 1160/99-2000), in : Revue
Africaine de droit public (RADP), Vol VIII, n° 15, janvier - juin 2019,pp. 07-30. 137 Cf. Article 9, paragraphe 1, de la Directive n° 1/99/CEMAC-028-CM-03 du 17 décembre 1999 portant
harmonisation des législations des Etats-membres en matière de TVA et de droit d’accises.
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articles 13138 et 14139 du Code Général des Impôts (CGI). Selon ces dispositions, les sociétés
étrangères non installées au Cameroun et qui disposent des liens de filiation ou d’interdépendance
avec d’autres personnes morales ou entreprises installées au Cameroun sont imposables de plein
droit, si elles exercent une activité commerciale à cycle complet. Le juge fiscal camerounais établit
ainsi une inflexion de la localisation du siège social à l’étranger comme cause de non-imposition
à l’impôt sur les sociétés et un dépassement de l’extranéité fiscale140.
L’identification prétorienne de l’abus de convention fiscale concerne aussi l’imposition de
multinationale ayant opté à dessein pour la nationalité d’un Etat de source, dépourvue de domicile
fiscal dans l’Etat d’accueil, mais qui y réalise des revenus par l’intermédiaire des sociétés
partenaires sur la base d’une convention fiscale favorable, une pratique désignée sous le vocable
« treaty shopping 141». Tel est le cas dans l’affaire relative à la Société Western Union Network.
En effet, ladite société, leader mondial des services des services de transfert international d’argent
est de nationalité américaine comme étant basée dans l’Etat fédéré du New Jersey. Pour les besoins
de la cause, la Société Western Union Network crée une filiale de nationalité française sous la
forme d’une société par action simplifiée (SAS) chargée de développer ses activités en Afrique.
Compte tenu du fait que la France dispose de conventions fiscales favorables avec la plupart des
Etats africains dont le Cameroun142, cette filiale française de la Société mère américaine Western
Union Network conclut des conventions avec des établissements financiers partenaires qui
138 Cf. Article 13 du CGI : « Les personnes morales situées hors du Cameroun et ayant des liens de filiation ou
d’interdépendance avec d’autres personnes morales ou entreprise installées au Cameroun, ont pour lieu d’imposition
le même que celui des personnes morales avec lesquelles elles ont des liens. Ces dernières sont solidairement
responsables du paiement de l’impôt dû par les personnes morales situées hors du Cameroun. » 139 Cf. Article 14 du CGI : « L’impôt sur les sociétés est établi sous une côte unique au nom de la personne morale ou
association pour l’ensemble de ses activités imposables au Cameroun, au siège de la direction de ses entreprises ou
à défaut au lieu de son principal établissement. (…) En ce qui concerne les personnes morales situées hors du
Cameroun et ayant des liens de filiation ou d’interdépendance avec d’autres personnes morales ou entreprises
installées au Cameroun, le lieu d’imposition sera le même que celui des personnes morales ou entreprises avec
lesquelles elles ont ces liens. Ces dernières sont solidairement responsables du paiement de l’impôt dû par les
personnes morales situées hors du Cameroun… ». 140 Cf. A. EYANGA MEWOLO, Note sous CS/CA, Jugement n° 36/2014 du 22 Janvier 2014, Société BANOS
Cameroun S.A c/ Etat du Cameroun (MINEFI), op. cit. p.15. 141 K. JESTIN, Le treaty shopping à la lumière du droit de l’Union européenne, REIDF 2020/3, pp. 329-337. 142 Cf. Convention fiscale entre le Cameroun et la France, signée le 21 octobre 1976 et modifiée par les avenants du
31 mars 1994 et du 28 octobre 1999. L’article 3 de cette convention dispose que : « On ne considère pas qu’une
entreprise d’un Etat contractant a un établissement stable dans l’autre Etat contractant du seul fait qu’elle y effectue
les opérations commerciales par l’entremise d’un courtier , d’un commissionnaire général ou de tout autre
intermédiaire jouissant d’un statut indépendant , à condition que ces personnes agissent dans le cadre ordinaire de
leur activité (…) ».
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exploitent chacun, au sein de ses guichets, le service Western Union. C’est dans ce sens que la
Banque Internationale du Cameroun pour l’Epargne et le Crédit (BICEC) S.A143 fait l’objet d’une
vérification générale de comptabilité menée par les inspecteurs de la Direction des Grandes
Entreprises (DGE), portant sur les exercices 2008,2009 et 2010. Il en résulte un avis de mise en
recouvrement d’un montant total de 1.571.535.992 FCFA soit 994.323.622 FCFA en principal et
577.212.369 FCFA en pénalités. L’administration fiscale est confrontée à une multinationale non
installée au Cameroun, mais qui réalise d’énormes revenus par un service mondialement connu à
travers ses partenaires. Le fisc décide de considérer la BICEC comme un établissement stable de
la Société Western Union Network afin de l’assujettir à l’impôt sur les sociétés dont le taux est de
38,5 % à l’époque des faits et non d’appliquer le taux favorable de la taxe spéciale sur le revenu
(TSR) de 15/85, soit 17,64 % prévu par la convention fiscale franco-camerounaise lorsqu’une
société de nationalité française est concernée. La BICEC fait grief à l’administration fiscale de
l’avoir, pour l’assujettir à l’impôt sur les sociétés en substitution à la TSR et la TVA initialement
notifiées, considérée comme établissement stable du bénéficiaire des commissions querellées, tout
ceci au mépris des dispositions de l’article 3 de la convention fiscale franco-camerounaise tendant
à éviter la double imposition. Le juge administratif applique dans le cas d’espèce les dispositions
de l’article 226 du CGI selon lequel : « Pour être imposables, les produits ci-dessus doivent avoir
été soit payés par les entreprises ou établissements situés au Cameroun, (…) à des personnes
n’ayant ni établissement stable ni une base fixe au Cameroun, soit comptabilisés comme charges
déductibles pour la détermination des résultats de la partie versante (…).» Finalement, le Tribunal
administratif décide : « (…) Qu’il y a lieu de conclure que les commissions querellées
appartiennent à cette catégorie de revenus, la Société Western Union Network étant dépourvue de
domicile fiscal au Cameroun ; (…) Qu’il convient en définitive de la soumettre à la TSR et à la
TVA et de maintenir les impositions y relatives comme justifiées sur cette base légale, (…) Attendu
que la BICEC fait grief à l’administration d’avoir reconduit les impositions de 104.030.865 FCFA
alors que , procédant à une substitution d’impôt , la liquidation à l’IS a nécessairement intégré
lesdites impositions ; Attendu que cette assertion n’est justifiée qu’autant que l’assujettissement
des commissions susvisées à l’impôt sur les sociétés est maintenu ; Qu’ayant été rejeté par le
143 Cf. TA du Littoral, Jugement n° 81/FF/15 du 05 novembre 2015, Banque Internationale du Cameroun pour
l’Epargne et le Crédit (BICEC) S.A c/ Etat du Cameroun (MINFI).
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Tribunal au profit de la TSR et la TVA y relative, la double imposition alléguée n’est plus établie. »
Il est à mentionner que l’application de l’impôt sur le revenu aux opérations de transfert d’argent
au départ du Cameroun est rendu possible à la suite d’un changement de législation interne
intervenu respectivement en 2009144 et en 2015.145 Par cette décision le juge fiscal camerounais a
validé une nouvelle législation destinée à imposer à sa juste mesure une multinationale ayant
jusque-là bénéficié d’un abus de convention fiscale146.
2- Le contrôle juridictionnel des mesures administratives unilatérales de
lutte contre les abus de conventions fiscales
A la suite du législateur qui agit par voie de modification de la législation applicable,
l’administration fiscale camerounaise met en œuvre des mesures unilatérales de lutte contre les
abus de conventions fiscales. Le juge fiscal est alors sollicité pour en apprécier la légalité. La
première espèce convoquée dans pallier met en scène la Société Camerounaise Equatoriale de
Fabrication de Lubrifiants (SCEFL) qui a effectué des versements au profit de la Société Lybia Oil
Supply SMCC dont le siège social est situé à Dubaï dans les Emirats Arabes Unis. Il est à rappeler
que le Cameroun dispose avec les Emirats Arabes Unis d’une convention fiscale destinée à
éliminer la double imposition147. Suite à un contrôle sur pièces, la Cellule de coordination de la
Direction des Grandes Entreprises (DGE) met à la charge du contribuable un redressement total
de 3. 402 378 126 FCFA à travers une déclaration pré-remplie, montant d’ailleurs confirmé par
144 L’article 225 du CGI camerounais complété par la loi de finances 2009, rajoute dans le champ d’application de la
TSR, en plus des autres dispositions, en son dernier paragraphe : « (…) s’applique (…) d’une manière générale, sur
l’ensemble des sommes versées à l’étranger, en rémunération des prestations de toute nature fournies ou utilisées au
Cameroun » 145 Avec la loi de finances 2015, le législateur camerounais a établi de nouvelles dispositions avec l’article 5 bis du
CGI qui spécifie à son alinéa 2 que : « Le bénéfice des entreprises ne remplissant pas les conditions visées à l’alinéa
(1), est imposable au Cameroun dès lors qu’elles y réalisent des activités formant un cycle commercial complet. »
Cette nouvelle législation ciblait ainsi les commissions des opérations Western Union tirées de son activité au
Cameroun et imposées désormais au taux général de l’impôt sur les sociétés de 33%. 146 Ladite solution a d’ailleurs été notifiée aux autres établissements financiers abritant les opérations de transfert
d’argent de la firme Western Union Network SAS. Cf. Lettre du Ministre des finances du Cameroun n° 001170
/MINFI/DGI/DC/CCF du 01er mars 2017 adressée au Président de la Société Western Union (WU) – France SAS. 147 Il s’agit de la convention tendant à éviter la double imposition et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts
sur le revenu entre le gouvernement de la République du Cameroun et le gouvernement des Emirats Arabes Unis du
13 juillet 2017, disponible sur le site www.dgi.cm (consulté le 15 novembre 2021, 21h40). La signature de cette
convention est intervenue le 13 juillet 2017 auprès du Ministère des Affaires financières des Emirats Arabes Unis à
Dubaï. La signature a été accomplie coté camerounais par le Ministre des Finances M. Alamine Ousmane MEY, et
coté émirati par son homologue Monsieur OBAID HUMAID AL TAYED.
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une correspondance du Ministre des finances à ladite société. Les représentants de l’Etat du
Cameroun allèguent que les Emirats Arabes Unis donc Dubaï constituent un paradis fiscal au
sens de l’article 8 ter alinéa 3 du Code général des Impôts.148
Le juge fiscal est donc appelé à contrôler la légalité de cette mesure unilatérale ayant
consisté à imposer une déclaration pre-remplie au contribuable tout en rejetant comme non
déductibles ses rémunérations et charges pour la détermination de l’impôt sur les sociétés ou de
l’impôt sur le revenu des personnes physiques, au motif qu’ils auraient été exposés avec une
entreprise basée dans un paradis fiscal. Pour y parvenir, le juge fiscal, en application du critère
légal d’identification des paradis fiscaux, vérifie si le taux de l’impôt sur le revenu des personnes
physiques ou morales en vigueur dans ce pays, est inférieur au tiers de celui pratiqué au Cameroun.
Il constate ainsi qu’au Cameroun, le taux nominal de l’impôt sur les sociétés est de 30 % tandis
que celui de l’impôt sur le revenu des personnes physiques est progressif, soit de 10 à 35 %. Au
regard de ce critère, un Etat ou un territoire ne devrai être assimilé à un paradis fiscal que si son
taux d’imposition est inférieur à 10% pour l’IS et 11,66 % pour l’IRPP. Cette recherche
approfondie pousse le juge fiscal à admettre la prétention du demandeur qui relève qu’à Dubaï ,
l’impôt sur le revenu est régi par le décret du 1er janvier 1969 duquel il ressort qu’une personne
morale est assujettie à un taux d’imposition d’au moins 20% dès lors que son revenu imposable
franchit le seuil de 320.500.000 FCFA, taux largement supérieur au tiers du taux d’IS requis au
Cameroun, en dessous duquel tout pays ou juridiction est considéré comme un paradis fiscal.
Tirant les conséquences de son analyse, le juge fiscal décide : « Attendu qu’en l’espèce, l’Etat du
Cameroun n’a ni prouvé que l’Emirat de Dubaï est un paradis fiscal au sens des dispositions légales
sus rappelées, ni établi que les achats réintégrés dans la base imposable n’ont jamais été soumis
aux droits de douane ; (…) Que dans ces conditions, cet Emirat ne peut être considéré comme un
paradis fiscal , d’où il en suit que le redressement n’est pas justifié ; (…) il y a lieu (…) d’annuler
conséquemment les impositions qui en découlent (…). » Au final le juge fiscal condamne
l’administration, qui voulant lutter contre les transferts illicites de bénéfices des entreprises
multinationales, est allé jusqu’à considérer comme paradis fiscal un pays avec lequel l’Etat du
148 Selon cette disposition : « Est considéré comme paradis fiscal , Un Etat ou territoire dont le taux de l’impôt sur le
revenu des personnes physiques ou morales est inférieur au tiers de celui pratiqué au Cameroun ou un Etat ou un
territoire considéré comme non coopératif en matière de transparence et d’échanges d’informations à des fins fiscales
par les organisations financières internationales .»
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Cameroun dispose pourtant d’une convention fiscale bilatérale de lutte contre la double imposition
et de la prévention de l’évasion fiscale internationale.
La deuxième affaire convoquée concerne l’entreprise multinationale SIEMENS SAS. Au
terme d’une vérification générale de comptabilité, faite au titre des exercices 2011 à 2013,
l’administration fiscale met à sa charge un montant global d’imposition de 612.629.682 FCFA. Le
fisc reproche à la succursale SIEMENS SAS basée au Cameroun de ne pas avoir enregistré comme
revenus imposables, les importations d’équipements réalisées par KPDC une société parapublique
camerounaise dans le cadre de deux (02) contrats signés avec cette dernière et la société française
SIEMENS Transmission et Distribution, société-mère du groupe éponyme située à Grenoble en
France. Pour l’administration fiscale, les achats des équipements par SIEMENS-France auraient
contribué à la minoration du chiffre d’affaires de la succursale camerounaise, raison pour laquelle
elle les a subséquemment valorisées au taux de marge de 20% en tenant compte des listings
douaniers des importations de la société KPDC. En présence d’un élément d’extranéité à savoir
une succursale camerounaise ayant conclu des contrats pour son client KPDC avec la Société -
mère française, il était question pour le juge fiscal de savoir si l’administration fiscale en imposant
la succursale et la société-mère, avait violé la convention bilatérale franco- camerounaise visant à
éviter la double imposition. Avec méthode, le juge fiscal décide que : « Attendu qu’aux termes de
l’article 10 alinéa 2 de la Convention fiscale franco-camerounaise du 21 octobre 1976 ‘’lorsqu’une
entreprise possède des établissements stables dans les deux Etats contractants, chacun d’eux ne
peut imposer que le revenu provenant de l’activité des établissements stables situés sur son
territoire’’ ; Que d’autre part , le Code Général des impôts soumet à l’impôt sur les sociétés
uniquement ‘’ les bénéfices obtenus dans les entreprises exploitées ou sur les opérations réalisées
au Cameroun’ ; Attendu qu’il est constant que l’achat du matériel a été réalisé en France entre la
société SIEMENS-SAS, société-mère , fiscalement autonome et la société KPDC , bénéficiaire du
matériel au Cameroun ; Que c’est donc à tort et en violation de la Convention fiscale susvisée que
l’administration a reconstitué le chiffre d’affaire de SIEMENS Succursale camerounaise comme
sus indiqué , les opérations d’achat de matériels ne lui étant pas attribuables ; Que de même , c’est
sans fondement légal que ces opérations ont été soumis au taux de 20% ; qu’il échet , en
considération de ce qui précède , d’annuler les impositions relatives à l’impôt sur les sociétés
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(…)149 » Une fois de plus, l’intervention du juge fiscal consiste à s’assurer que l’action de
l’administration fiscale, respecte les clauses des conventions fiscales internationales légalement
ratifiées , malgré sa volonté légitime de saisir toutes les transactions internationales qui
éluderaient les impôts au Cameroun.
Conclusion
Le professeur Marie Christine ESCLASSAN s’interrogeait sur la question de savoir si
l’organisation du contentieux fiscal est toujours actuelle150, tant il est nécessaire d’adapter les
finances publiques aux évolutions contemporaines. La question conserve toute son pesant d’or
s’agissant du cas particulier du contrôle fiscal des entreprises multinationales au Cameroun. Une
fois rendus au terme de cette réflexion, des constantes s’imposent : une administration fiscale
menant un contrôle reformé et un juge fiscal auteur d’un contrôle renforcé. Plusieurs espoirs sont
placés en ce contrôle fiscal de plus en plus dématérialisé dont le rendement croissant doit permettre
d’assurer la soutenabilité des finances publiques. Il restera alors l‘exigence du respect des droits
des contribuables dont la rationalisation du contrôle fiscal constitue déjà, de ce point de vue, un
signe encourageant, de même que la consécration récente de la médiation fiscale151. La justice
fiscale en dépend !
149 Cf. TA du Littoral, Jugement n° 228/FF/19 du 22 aout 2019, Société SIEMENS SAS c/ Etat du Cameroun (MINFI). 150 M.-C. ESCLASSAN, L’organisation du contentieux fiscal est-elle toujours actuelle, in RFFP n° 100/2007, p.59-
69. 151 L’article L 140 bis nouveau du CGI camerounais institué par la loi de finances 2020 consacre la médiation comme
mode alternatif de règlement des litiges fiscaux. La loi de finances de l’exercice 2020 formalise pour la première fois
au Cameroun la procédure de médiation en matière fiscale. La médiation est la procédure par laquelle les parties à un
litige fiscal conviennent de recourir à un tiers médiateur pour son règlement amiable. La médiation fiscale constitue
un mode alternatif de règlement des litiges fiscaux qui trouve son fondement dans l’Acte uniforme OHADA relatif à
la médiation, adopté le 23 novembre 2017 à Conakry en Guinée.
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Le contrôle de proportionnalité de la législation antiterroriste en
Afrique noire francophone
Par:
Julien EKOTO
Doctorant en Droit public
Université de Douala (Cameroun)
Résumé :
Le contrôle de proportionnalité de la législation antiterroriste en Afrique noire
francophone a pour objet d’assurer la conciliation entre l’ordre public et les droits et libertés
individuelles dans le contexte de la lutte contre le terrorisme. L’importance du recours à ce
contrôle se pose de nos jours avec acuité en Afrique noire francophone au regard de la
multiplication des attentats terroristes et de la floraison des lois antiterroristes afin de trouver le
juste milieu entre le maintien de la survie de l’Etat menacée par les actions terroristes et la
préservation des droits humains dont la lutte contre le terrorisme peut constituer une menace.
Toutefois, la législation antiterroriste semble, de par sa nature singulière, difficilement saisissable
par le juge et l’amène non seulement à adapter le contrôle de proportionnalité de ladite législation
à cette nature particulière, mais aussi oblige le juge à procéder à un contrôle restreint façonné et
adapté lui aussi au fait terroriste étant donné que le contrôle classique de proportionnalité
apparaît en l’espèce inapproprié.
Mots clés : contrôle de proportionnalité, contrôle restreint, législation antiterroriste, juge
constitutionnel, terrorisme.
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Introduction
La lutte contre le terrorisme est l’une des préoccupations contemporaines majeures des
Etats de l’Afrique subsaharienne francophone en raison non seulement de la prolifération des
mouvements terroristes152 mais aussi et surtout, de l’implosion des activités terroristes dans cette
partie du continent africain comme partout dans le monde153. Il va de soi que ces différents Etats
prennent des mesures au plan militaire, politique et juridique pour faire face au terrorisme154. Au
plan juridique particulièrement, l’on assiste à l’adoption d’un certain nombre d’instruments
juridiques dont le degré de rigueur des dispositions qui y sont contenues reste très impressionnant.
Ceci certainement dans le souci de mieux faire face à la gravité du phénomène du terrorisme155.
Cependant, la lutte contre le terrorisme en Afrique noire francophone doit se faire dans le
respect de l’Etat de droit156 qui constitue également une exigence majeure des temps modernes.
Cette exigence ne peut être atteinte que sous le regard du juge constitutionnel appelé à « maintenir
l’action politique dans les limites de l’Etat de droit, dans le but d’assurer, en toutes circonstances,
la conservation et la protection de la Constitution et de l’ensemble des valeurs démocratiques
qu’elle proclame »157 en opérant par exemple le contrôle de proportionnalité de la législation
antiterroriste. De manière concrète, il s’agira pour le juge constitutionnel africain francophone de
152 On peut citer comme exemple, la Secte islamiste Boko Haram. 153 NCHOUWAT (Amadou), « L’Etat de droit à l’épreuve de la menace terroriste », Revue Juridique et Politique,
2016, N° 3, p. 403. 154 Idem. 155 On peut le voir par exemple avec la Loi camerounaise N° 2014/028 Portant répression des actes de terrorisme ; Loi
n° 003/PR/2020 portant répression des actes de terrorisme en République du Tchad ; Loi N° 2018-17 du 25 juillet
2018 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en République du Bénin ; et,
la Loi N°084-2015/CNT Portant modification de la Loi N°060-2009/AN du 17 Décembre 2009 Portant répression
d'actes de terrorisme au Burkina Faso. 156 L’Etat de droit est une expression traduite de l’allemand Rechtsstaat, employée pour caractériser un Etat dont
l’ensemble des autorités politiques et administratives, centrales et locales, agit en se conformant effectivement aux
règles de droit en vigueur et dans lequel tous les individus bénéficient également de libertés publiques et de garanties
procédurales et juridictionnelles. En droit français, l’Etat de droit s’incorpore techniquement dans le principe de
légalité. Il correspond au concept anglo-saxon de rule of law. Cf. GUINCHARD (Serge) et DEBARD (Thierry) (dir.),
Lexique des termes juridiques, 25e éd., Paris, Dalloz, 2017-2018, p. 472. A cette conception formelle de l’Etat de
droit, le professeur Jacques CHEVALLIER suggère qu’elle soit relayée par une conception matérielle ou substantielle
où l’Etat de droit devra désormais être entendu comme « impliquant l’adhésion à un ensemble de principes et de
valeurs qui bénéficieront d’une consécration juridique explicite et seront assortis de mécanismes de garantie
appropriés ». Cf. CHEVALLIER (Jacques), L’Etat de droit, 5e éd., Montchrestien, 2010, p. 95. 157 Le juge constitutionnel devient ainsi en même temps, le garant du respect des principes essentiels qui constituent
l’essence de l’Etat et le garant des droits de l’Homme, qui appartiennent aussi à ces principes et constituent l’un des
piliers des démocraties modernes. Cf. ROUDIER (Karine), « Le contrôle de constitutionnalité de la législation
antiterroriste ou la conciliation des libertés avec la raison d’Etat », Politique américaine, 2014/2 N° 24, p. 109.
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parvenir à combiner le souci pour les autorités publiques d’assurer la sécurité publique troublée
par les actes terroristes dont la législation antiterroriste a pour ambition de parer et parvenir en
même temps à maintenir les actions des Etats dans les limites de l’Etat de droit. Le besoin de clarté
invite à s’intéresser au contrôle de proportionnalité de la législation antiterroriste en Afrique noire
francophone. Mais cela n’exclut pas le fait que l’on puisse, si l’opportunité se présente aller au-
delà de cet espace géographique. Ceci dit, avant tout développement sur le thème de réflexion, des
clarifications conceptuelles méritent au préalable d’être faites.
A cet effet, il faut dire d’emblée que « le contrôle de proportionnalité renvoie à l’examen
par le juge du degré du lien qui unit deux ou plusieurs éléments de la norme contrôlée »158. Il peut
aussi être entendu comme l’ensemble des techniques contentieuses qui conduisent le juge à
apprécier un acte ou une situation en faisant une balance entre les moyens et le but159 visé. La
législation quant à elle est comprise comme l’ensemble des règles se rapportant à un objet
particulier160. De son côté, le terme terrorisme est certes défini de manière sectorielle à travers les
différentes conventions comme celles concernant la sécurité aérienne, la navigation maritime, le
financement du terrorisme ou le terrorisme nucléaire qui s’attardent sur les aspects particuliers du
phénomène en présentant certains actes et éléments fondamentaux161. Mais il n’existe pas, en l’état
actuel du droit international, une définition générale, claire et précise du concept de terrorisme162.
Selon le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, « on entend communément
par terrorisme les actes de violence visant des civils et poursuivant des buts politiques ou
idéologiques »163. Ainsi, en l’absence d’une perception juridique uniforme du terrorisme, la
158 DUCLERCQ (Jean-Baptiste), « Les mutations du contrôle de proportionnalité dans la jurisprudence du Conseil
constitutionnel », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 01 octobre 2015, n° 4, p. 121. 159 KALFLECHE (Grégory), « Le contrôle de proportionnalité devant le juge administratif », Les Petites Affiches, n°
46 spécial, 5 mars 2009 ; v. du même auteur, KALFLECHE (Grégory), « Le contrôle de proportionnalité exercé par
les juridictions administratives », Petites affiches, 05 mars 2009, n° 46, p. 46. 160 CORNU (Gérard), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitan, 11e éd. Mise à jour, Paris, PUF, 2016, p.
601. 161 In Droits de l’Homme, terrorisme et lutte antiterroriste, Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de
l’Homme, Office des Nations Unies à Genève, Fiche d’information n° 32, 2007, p. 6. 162 NCHOUWAT (Amadou), « L’Etat de droit à l’épreuve de la menace terroriste », op. cit., p. 405. Pour
approfondissement lire HENNEBEL (Ludovic) et LEWKOWICZ (Gregory), « Le problème de la définition du
terrorisme », in Juger le terrorisme dans l’Etat de droit, Bruxelles, Bruylant, 2009, pp. 17-59. 163 Office des Nations Unies aux droits de l’Homme à Genève, Fiche d’information n° 32, 2009, p. 6. La définition
donnée par le Vocabulaire juridique du Doyen Gérard CORNU n’est pas très loin de cette dernière puisqu’elle perçoit
le terrorisme comme étant des « agissements criminels destinés à semer l’épouvante dans la population civile, par
leur caractère meurtrier systématiquement aveugle », CORNU (Gérard), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 1021.
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qualification, par les législations nationales africaines francophones, d’un groupe, d’un individu
ou d’un acte de terroriste sera fonction d’elles comme on l’observe aujourd’hui et, à certains
égards, relèvera de la discrétion voire de l’arbitraire des Gouvernements en place164. Malgré cette
difficulté à définir le terrorisme, la législation antiterroriste sera appréhendée dans cette étude
comme étant l’ensemble des règles de droit adopté par les Etats pour lutter contre le terrorisme.
Néanmoins, il convient de remarquer que la législation antiterroriste précédemment
appréhendée semble combiner en même temps les normes de droit commun et les normes
d’exception pour répondre aux actes terroristes165. Il se pose alors le problème de la nature de la
législation antiterroriste, qui définit le type de contrôle dont le juge constitutionnel pourrait
soumettre celle-ci. Pour ce faire, le contrôle de proportionnalité de la législation antiterroriste en
Afrique noire francophone peut-il assurer une conciliation satisfaisante entre le besoin de sécurité
de l’Etat et le souci de préservation des droits et libertés fondamentaux des citoyens ? La réponse
à ce questionnement laisse voir que pour qu’il y ait conciliation entre le besoin de sécurité et le
souci de préservation des libertés, il faut que le juge constitutionnel africain adapte non seulement
le contrôle de proportionnalité de la législation antiterroriste à la nature particulière de cette
législation (I) mais aussi et surtout qu’il se limite à effectuer un contrôle restreint de ladite
législation (II).
I- UN CONTROLE MODELE PAR LA NATURE DE LA LEGISLATION
ANTITERRORISTE
Le contrôle de proportionnalité de la législation antiterroriste doit s’adapter à la nature
particulière du droit antiterroriste. Il s’agit d’un contrôle modelé par la nature de cette législation.
Primo, la législation antiterroriste peut être considérée comme un droit en quête d’identité. Il se
pose en effet un problème de classement de cette législation dans l’une des deux situations,
164 Le Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme est aussi arrivé à cette conclusion : « sans
définition, on peut interpréter les appels de la communauté internationale à la lutte contre le terrorisme comme signifiant qu’il appartient à chaque Etat de définir ce qu’il faut entendre par terrorisme. Il peut en résulter des violations non intentionnelles des droits de l’Homme et même une utilisation délibérément abusive du terme par certains Etats », In Droits de l’Homme, terrorisme et lutte antiterroriste, Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, Office des Nations Unies à Genève, Fiche d’information n° 32, précité, p. 41. 165 MONEBOULOU MINKADA (Hervé Magloire), « Le terrorisme au Cameroun : d’une loi confuse à l’émergence
d’un droit pénal terroriste », Revue Burkinabè de Droit, N° 53, 2e Semestre 2017, p. 265.
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normale ou d’exception, connues en droit. En réalité, on peut se poser des questions sur la nature
ou l’identité véritable de la législation antiterroriste, à savoir, si elle relève du droit ordinaire ou
du droit d’exception. Et de ce fait, secundo, on constate donc qu’on est en face d’une législation
hybride. Ainsi, l’examen de la nature de la législation antiterroriste laisse comprendre qu’il ne
s’agit ni du droit ordinaire de l’Etat encore moins du droit d’exception généralement prévu par les
textes juridiques d’un Etat (A) mais plutôt d’une législation hybride (B).
A- La législation antiterroriste : un droit en quête d’identité
La législation antiterroriste est un droit en quête d’identité. C’est dans ce sens que le
professeur Karine ROUDIER la considère comme une sorte d’entre-deux166. Cette législation ne
relève en réalité ni uniquement du droit ordinaire ni uniquement du droit exceptionnel, elle est
située entre les deux. Elle est écartelée entre le droit ordinaire et le droit d’exception. Les raisons
étant dues au fait que ladite législation est devenue plus exceptionnelle (1) et plus ordinaire (2).
1- Une législation d’exception du fait du degré de sévérité
La législation antiterroriste est devenue plus exceptionnelle au regard du degré de sévérité
des dispositions qu’elle met en œuvre167. Les Gouvernements n’hésitent pas, au fil du temps, à
renforcer le degré de sévérité de l’arsenal législatif de lutte contre le terrorisme dans deux
directions. Les mesures antiterroristes étaient au départ assez bien circonscrites, elles s’élargissent
aujourd’hui, d’une part horizontalement, à travers l’extension du champ d’application des lois et
d’autre part, elles sont modifiées verticalement, pour grimper sur l’échelle de sévérité. Le tout met
en place des mesures à large spectre d’intervention. L’on remarque ainsi que chaque modification
des lois antiterroristes correspond à une extension de son emprise sur le régime des droits
fondamentaux. Ceci se produit très souvent dans le cas d’une résurgence et récurrence de nouvelles
attaques terroristes qui viennent démontrer les failles des mesures en vigueur et inciter les
166 ROUDIER (Karine), « Le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste ou la conciliation des libertés
avec la raison d’Etat », op. cit., p. 110. Du même auteur, ROUDIER (Karine), Le contrôle de constitutionnalité de la
législation antiterroriste. Etude comparée des expériences espagnole, française et italienne, Thèse pour le Doctorat
en droit public, Université du Sud Toulon-Var, 10 décembre 2011, 537p. 167 On peut, à titre d’illustration, le voir avec la Loi camerounaise N° 2014/028 Portant répression des actes de
terrorisme ; Loi n° 003/PR/2020 portant répression des actes de terrorisme en République du Tchad ; Loi N° 2018-17
du 25 juillet 2018 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en République
du Bénin ; et, la Loi N°084-2015/CNT Portant modification de la Loi N°060-2009/AN du 17 Décembre 2009 Portant
répression d'actes de terrorisme au Burkina Faso.
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Gouvernements à les retoucher, afin de les rendre plus effectives. Que ce soit au Cameroun, au
Tchad ou au Burkina Faso, on remarque bien que de nouvelles lois de lutte contre le terrorisme
sont apparues avec la résurgence et la récurrence des actes terroriste. Face à de telles situations,
les doutes des populations sur la nécessité de ces révisions répétées sont le plus souvent balayés
par la gravité de la menace que le terrorisme fait peser sur les États168. La rigueur croissante des
dispositions législatives ainsi observée due au niveau élevé de la menace terroriste pousse la
législation antiterroriste vers les frontières du droit d’exception sans toutefois atteindre ce droit au
regard de son caractère permanent qui laisse subsister son caractère de droit ordinaire.
2- Une législation ordinaire au regard de son caractère permanent
La législation antiterroriste devient plus ordinaire au regard de son caractère permanent.
On a qu’à se concentrer sur sa durée d’application. Force est de constater « qu’elle perd
fréquemment, pour ne pas dire systématiquement, son caractère temporaire pour acquérir un
caractère ordinaire car les mesures antiterroristes sont appliquées sur des périodes de plus en
plus longues, au point de devenir quasiment permanentes »169. De ce fait, tout un pan de lois
antiterroristes entrent et restent en vigueur sans une véritable limite temporelle et intègrent ainsi le
corpus normatif de manière définitive170. Or, le propre de la législation d’exception est qu’elle est
souvent limitée dans une durée encadrée par les textes. C’est le cas par exemple de la Constitution
tchadienne qui accorde au Président de la République, le pouvoir de prendre des mesures
exceptionnelles pour une durée n’excédant pas trente jours171. C’est pour cette raison que,
l’affirmation du professeur Amadou NCHOUWAT selon laquelle « les attentats terroristes
peuvent être considérés comme des circonstances exceptionnelles justifiant l’adoption de la
légalité d’exception »172 mérite d’être prise avec réserve. A la vérité, on constate que la législation
antiterroriste ne relève ni uniquement du droit ordinaire ni uniquement du droit d’exception, elle
est en réalité hybride.
168 ROUDIER (Karine), « Le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste ou la conciliation des libertés
avec la raison d’Etat », op. cit., p. 111 ; ROUDIER (Karine), Le contrôle de constitutionnalité de la législation
antiterroriste. Etude comparée des expériences espagnole, française et italienne, op. cit., pp. 8 et 9. 169 Idem. 170 Ibid. 171 V. l’article 96 de ce texte. 172 NCHOUWAT (Amadou), « L’Etat de droit à l’épreuve de la menace terroriste », Revue Juridique et Politique,
2016, N° 3, p. 412.
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B- La législation antiterroriste : un droit hybride
La législation antiterroriste est hybride. Elle est plus sévère d’un côté et plus permanente
de l’autre. Elle est en effet le produit du mélange de deux catégories juridiques différentes. Cela
se traduit par le fait qu’elle combine en même temps du droit ordinaire et du droit d’exception. Il
s’agit donc d’une législation imbriquée (1) mais à dominance ordinaire (2).
1- Une législation imbriquée
Le droit de lutte contre les actes terroristes est un droit imbriqué c’est-à-dire qui mêle en
même temps le droit des périodes normales ou ordinaire et le droit des périodes de crise encore
appelé droit d’exception. Plusieurs raisons peuvent démontrer le caractère hybride des mesures de
lutte contre le terrorisme. Mais la justification de ce propos se limitera à deux d’entre elles. La
première raison est liée au degré de sévérité des dispositions qu’elle met en œuvre et dans ce cas,
elle semble se rapprocher du droit d’exception. L’autre raison tient à son caractère permanent, sur
ce point, elle porte en quelque sorte la coloration du droit ordinaire. C’est d’ailleurs ce que
remarque le professeur Karine ROUDIER : « cette ondulation renforce sa position de législation
hybride puisque plus sévère d’un côté et plus permanente de l’autre ». La législation antiterroriste
« s’éloigne du droit ordinaire, tout en semblant le devenir. Elle se rapproche du droit d’exception
sans jamais en recevoir la qualification »173. On constate au demeurant que la lutte contre le
terrorisme entraîne ainsi une altération de l’ordre des choses avec « un ordinaire qui s’éloigne et
un exceptionnel qui s’installe et qui, sans être jamais qualifié comme tel, devient le nouvel
ordinaire »174.
En tout état de cause, le droit antiterroriste est une législation imbriquée mais à dominance
ordinaire.
2- Une législation à dominance ordinaire
Malgré l’affirmation du caractère hybride du droit antiterroriste, ce qu’on remarque de ces
règles juridiques est qu’il s’agit d’un droit plus proche de l’ordinaire qu’il ne l’est par rapport à
173 ROUDIER (Karine), « Le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste ou la conciliation des libertés
avec la raison d’Etat », op. cit., p. 111. 174 Idem, p. 112.
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l’’exception. On note ainsi une forte coloration de l’ordinaire au détriment de l’exception. Il s’agit
en réalité d’une législation exceptionnelle et non d’exception175 puisque le droit d’exception est
d’abord et avant tout un droit appelé à s’appliquer pendant un temps précis. En outre, « la menace
terroriste par l’intermédiaire des organes et des instruments du droit ordinaire, qui ne sont
pourtant pas destinés habituellement à la gestion de l’urgence et, surtout, sans que cela interdise
aux dispositions adoptées d’altérer les caractéristiques fondamentales du cadre constitutionnel
ordinaire, tels que l’équilibre et la séparation des pouvoirs, le principe de légalité, le
développement des fonctions de contrôle sur les organes exécutifs, l’exercice des droits et
libertés »176. Ce qu’il faut noter en définitive est que la législation de lutte contre le terrorisme
accorde, au regard de la gravité de ce phénomène, un pouvoir discrétionnaire élargi aux autorités
publiques afin de mieux faire face à ce dernier. Mais en dépit du caractère élargi de ce pouvoir
discrétionnaire octroyé, le juge exerce tout au moins un contrôle restreint de cette législation.
II- UN CONTROLE RESTREINT DE LA LEGISLATION ANTITERRORISTE
Les caractéristiques du terrorisme, notamment sa gravité, conditionnent, en effet, la
rédaction des normes législatives qui visent à lutter contre ce phénomène. Ces mêmes
caractéristiques agissent ensuite sur le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste.
De ce fait, le contrôle de constitutionnalité de cette législation ne peut, par conséquent, être
identique à celui qui est mis en œuvre pour les autres lois177. C’est un contrôle restreint. La
restriction du contrôle de proportionnalité de la législation antiterroriste provient de ce que l’on
observe une certaine inefficacité du contrôle classique de proportionnalité (A) pour un contrôle
constitutionnel de proportionnalité façonné par le fait terroriste (B). Mais en l’absence, en l’état
actuel, de jurisprudence constitutionnelle sur la question, un recours à celle de certains Etats
européens comme la France, l’Espagne et l’Italie sera fait.
175 LAHORGUE (Marie-Béatrice), « L’état de droit à l’épreuve de la lutte anti-terroriste : le pot de terre contre le pot
de fer », Journal des Accidents Collectifs (JAC), n° 151, pp. 2-4 et 8-10. 176 ROUDIER (Karine), Le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste. Etude comparée des
expériences espagnole, française et italienne, op. cit., p. 16. 177 ROUDIER (Karine), « Le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste ou la conciliation des libertés
avec la raison d’Etat », op. cit., p. 114.
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A- L’inadaptation du contrôle classique de proportionnalité au fait de terrorisme
En Europe, terre natale du contrôle de proportionnalité, celui-ci se décompose
classiquement, en trois phases, à savoir, le contrôle de l’« aptitude »178 ; celui de la « nécessité »179
; et le contrôle de la « proportionnalité au sens strict »180. Cependant, le contrôle de
proportionnalité de la législation antiterroriste ne peut pas s’accommoder avec ce schéma
classique. La raison tient au fait que la gestion de la menace terroriste sur le long terme par les
pouvoirs publics en Afrique francophone ne peut pas aisément permettre au juge constitutionnel
africain de trancher la question de savoir si la loi antiterroriste adoptée et qu’il doit contrôler est
adaptée à l’objectif de lutte contre le terrorisme poursuivi (1). De même, il apparaît
presqu’impossible pour le même juge de vérifier la nécessité de ce même droit de lutte contre les
actes terroristes (2).
1- La difficulté à vérifier l’adaptation de la législation antiterroriste au but poursuivi
Il est, pour plusieurs raisons, difficile pour le juge constitutionnel d’apprécier si la
disposition antiterroriste dont il doit examiner la constitutionnalité est adéquate au but poursuivi.
L’on observe d’abord une certaine persistance du terrorisme sur l’ensemble des pays africains
francophones malgré la multiplication des arsenaux législatifs au fil des attentats terroristes. Cela
illustre pleinement que la question de l’adaptation des moyens employés pour l’éradication du
phénomène est soumise à une forte relativité puisque le but poursuivi n’est pas toujours atteint.
En outre, les Gouvernements africains veulent généralement parer efficacement la menace
terroriste, si bien qu’ils mettent en place des mesures à large spectre qui, en toute logique, sont
susceptibles d’atteindre l’objectif visé. En plus de cela, le perfectionnement incessant des
dispositifs antiterroristes prouve l’inadéquation des mesures antérieures et soumet les nouvelles à
une adéquation toute relative. Il est difficile de compter avec exactitude le nombre de fois que les
Etats africains francophones sont victimes des attaques terroristes malgré l’existence de tout cet
178 « Geeignetheit ». 179 « Erforderlichkeit ». 180 « Verhaltnismassligkeit im engeren Sinne ». Pour approfondissement, lire à ce sujet CAPITANT (David), Les effets
juridiques des droits fondamentaux en Allemagne, Paris, LGDJ, 2001, n°s 213 et s ; BOUSTA (Rhita), « Contrôle
constitutionnel de proportionnalité. La spécificité française à l’épreuve des évolutions récentes », Revue française de
droit constitutionnel, 2011/4 (n° 88), pp. 1-9.
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arsenal juridique. Le Burkina Faso, le Cameroun181 et le Mali par exemple ont été à plusieurs
reprises le théâtre des actes de barbarie perpétrés par les terroristes.
Enfin, il semble délicat, pour les juges constitutionnels, d’exercer un contrôle de
l’adaptation des mesures au but poursuivi, dès lors qu’ils ne contrôlent que rarement la réalité de
la situation à laquelle le législateur doit faire face. En effet, les juges constitutionnels ne peuvent
pas tous adopter la même attitude face à la qualification juridique de la réalité de la situation que
le législateur doit affronter au travers de l’adoption de la norme législative qu’ils doivent contrôler.
Si la gravité et le danger des actions terroristes pour la société toute entière sont admis, les juges
se livreront à une appréciation générale de la situation, qui a incité le législateur à intervenir. Un
tel contrôle induit qu’en cas d’erreur grossière ou manifeste d’appréciation, le juge constitutionnel
pourrait censurer l’appréciation manifestement erronée du législateur. Or, la qualification par les
juges constitutionnels, de la réalité de la situation que crée le terrorisme n’est pas systématique
dans les décisions sur la législation antiterroriste. Bien que tous reconnaissent la nécessité de lutter
contre le terrorisme, par le biais d’instruments juridiques adaptés à ce phénomène. L’absence de
qualification précise de la réalité de ce qui anime l’action législative place, dès lors, le contrôle du
juge dans une zone d’incertitude qui limite considérablement le contrôle de l’adéquation des faits
dans le cadre du contrôle de proportionnalité. L’appréciation du juge constitutionnel est
relativement étroite en l’espèce, car l’action des pouvoirs publics face au terrorisme ne répond pas
toujours à des critères objectifs, préalablement énumérés dans les normes sur lesquelles l’action se
fonde, qui permettraient de jauger, en amont, l’utilité de l’intervention. Le cadre de l’action
politique en la matière confère au législateur une large marge d’appréciation182 qui rend ainsi
difficile le contrôle de l’adaptation de la législation antiterroriste au but de sécurité publique
recherchée. Le juge se retrouve en même temps dans une sorte d’impossibilité à contrôler la
nécessité du droit antiterroriste.
181 L’armée camerounaise a par exemple perdu huit militaires lors d’une attaque perpétrée par des présumés éléments
de Boko Haram dans un poste militaire situé près de la frontalière entre le Cameroun et le Nigéria. Explication donnée
par Gouverneur de l’extrême-Nord, Bakari MIDJIYAWA le 24 juillet 2021. 182 ROUDIER (Karine), Le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste. Etude comparée des
expériences espagnole, française et italienne, op. cit., pp. 407-409.
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2- L’impossibilité de contrôler la nécessité du droit antiterroriste
Le contrôle de la nécessité d’une décision adoptée par la personne publique voudrait que
ne puissent justifier le but poursuivi que les moyens employés qui lui sont proportionnels. C’est
ce qui peut être lu dans l’affaire DJOUAKOUA Gérard C/ Etat du Cameroun (MINDEF) où le
juge administratif camerounais recommande à l’Administration d’employer des moyens qui «
soient proportionnels au but poursuivi »183.
En effet, le contrôle de nécessité laisse voir que les pouvoirs publics dans
l’accomplissement de leurs missions d’intérêt général, à l’instar du maintien de l’ordre public, ne
doivent plus prendre toutes mesures qu’ils désirent même si elles semblent adapter à la situation,
mais doivent plutôt adopter les décisions qui apparaissent nécessaires. Ici, la légalité ou la validité
d’une décision est conditionnée par sa nécessité.
Ceci étant dit, le contrôle de la nécessité de la mesure adoptée passe, de la part du juge
africain, par la vérification de la nécessité même du moyen employé pour atteindre la décision qui
s’est avérée adaptée à l’objectif poursuivi184. A la vérité, le moyen choisi doit être nécessaire à
l’objectif185 qu’il prétend poursuivre186. Cela implique pour le juge de vérifier si la personne
publique a fait le choix du moyen optimal. Ce qui le conduit nécessairement par la suite, à se
rassurer de l’absence d’un moyen alternatif. Certains auteurs comme le professeur Karine
ROUDIER, traitant du contrôle de nécessité préfère parler du contrôle du bien-fondé de la décision
prise par la personne publique187.
Ce postulat de départ n’est valable que lorsqu’on est en face d’une législation ordinaire,
mais face au droit antiterroriste, les paramètres de contrôle du juge se trouvent modifiés. Il apparaît
183 Tribunal administratif du Centre, Jugement n° 203/2015/TA(YDE du 1er décembre 2015, DJOUAKOUA Gérard
C/ Etat du Cameroun (MINDEF). 184 MERLAND (Guillaume), L’intérêt général dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Paris, LGDJ, 2004,
p. 305. 185 ROUSSEAU (Dominique), GAHDOUN (Pierre-Yves) et BONNET (Julien), Droit du contentieux constitutionnel,
11e éd., Paris, LGDJ, 2016, p. 310. 186 BOUSTA (Rhita), « La ‘’spécificité’’ du contrôle constitutionnel français de proportionnalité », Revue
internationale de droit comparé, Vol. 59, N° 4, 2007, p. 862 ; du même auteur, BOUSTA (Rhita), « Contrôle
constitutionnel de proportionnalité. La spécificité française à l’épreuve des évolutions récentes », Revue française de
droit constitutionnel, 2011/4 (n° 88), p. e3. 187 ROUDIER (Karine), Le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste. Etude comparée des
expériences espagnole, française et italienne, op. cit., p. 417.
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impossible pour le juge constitutionnel de contrôler la nécessité de la législation antiterroriste. Au
vu de la gravité du phénomène terroriste, il est impossible pour le juge de se prononcer sur le bien-
fondé d’une disposition législative réprimant les actes terroristes. Il ne saura demander au
législateur s’il a fait le choix du moyen optimal ou se prononcer sur l’existence d’un moyen
alternatif moins contraignant.
En clair, le contrôle classique de proportionnalité s’avère inadapté au fait de terrorisme.
Deux raisons permettent de l’expliquer, la difficulté pour le juge à vérifier l’adéquation de la
législation antiterroriste avec l’objectif poursuivi et l’impossibilité de contrôler la nécessité du
droit antiterroriste. Pour l’efficacité du contrôle de proportionnalité de la législation de lutte contre
le terrorisme, il s’avère nécessaire que les juges constitutionnels africains adaptent le contrôle de
proportionnalité au fait de terrorisme.
B- La nécessité d’une adaptation du contrôle constitutionnel de proportionnalité au
phénomène du terrorisme
La singularité du terrorisme rend particulier en terme de rigueur la législation adoptée pour
y faire face. Cela ne va pas sans impacter le contrôle constitutionnalité opéré par le juge
constitutionnel sur ladite législation. Pour ce faire, le contrôle constitutionnel de proportionnalité
de la législation de lutte contre les actes terroristes devrait s’adapter au phénomène terroriste.
Deux tendances se présentent. D’une part, le contrôle de constitutionnalité doit s’adapter au
terrorisme (1) et d’autre part, il est délimité par le fait de terrorisme (2).
1- L’adaptation du contrôle constitutionnel de proportionnalité au fait de terrorisme
L’adaptation du contrôle de constitutionnalité au fait de terrorisme est symbolisée par un
glissement du cadre du contrôle vers une zone de tolérance plus grande que d’ordinaire. Le juge
va en effet effectuer son contrôle avec plus de souplesse que d’habitude. Ce déplacement du cadre
du contrôle est exigé par la dangerosité du terrorisme et l’exigence de lutter contre ce phénomène.
La dangerosité du terrorisme est généralement mise en avant par les différentes appréhensions
législatives des actes terroristes. Pourtant, l’appréhension des actes terroristes pèse sur le contrôle
de constitutionnalité. La dangerosité de l’objet même que la législation antiterroriste a pour but de
combattre se trouve, en effet, automatiquement intégré par le juge constitutionnel dans les
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paramètres de l’examen. Par ailleurs, la dangerosité du terrorisme exige une réaction normative
efficace. La reconnaissance par l’ensemble des juges constitutionnels de la nécessité de lutter
contre le terrorisme, les conduit à faire glisser le cadre de leur contrôle dans une zone plus souple,
dans laquelle ils acceptent, par principe des aménagements plus importants que d’ordinaire. Pour
cela, ils admettent dans un tel contexte, que les droits fondamentaux puissent impérativement «
céder » sous le poids de la menace sans jamais, évidemment, être totalement remis en cause188. En
sa qualité de garant des droits fondamentaux, le juge de la Constitution reste tout de même éveillé
face aux éventuels débordements des autorités publiques qui peuvent prendre pour prétexte la lutte
contre le terrorisme afin de restreindre l’exercice des droits. Malgré tout, en dehors de l’exigence
d’adaptation du contrôle du juge au fait de terrorisme, ce contrôle se retrouve également délimité
par le même fait.
2- La délimitation du contrôle constitutionnel de proportionnalité par le fait de terrorisme
La délimitation du contrôle de constitutionnalité par le fait de terrorisme est induite par
l’influence qu’il opère sur l’étendue de la compétence législative et ce, quelle que soit la
configuration normative, y compris constitutionnelle, qui encadre la législation antiterroriste.
L’action contre le terrorisme confère aux législateurs ainsi qu’aux autorités administratives un
pouvoir discrétionnaire très étendu vis-à-vis de leur liberté de choix des mesures à prendre
notamment celles limitatives des droits et libertés fondamentaux des individus. Le juge
constitutionnel ne peut, en conséquence, en pareille circonstance, développer qu’un contrôle réduit
dont les paramètres se trouvent, en outre, modifiés189. Cela peut se voir en droit comparé dans la
jurisprudence des juges constitutionnels français190, espagnol191 et italien192.
188 V. la décision de la Cour constitutionnelle italienne n° 15 de 1982, cons. en droit n° 5. Lire aussi ROUDIER
(Karine), « Le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste ou la conciliation des libertés avec la raison
d’Etat », op. cit., p. 115. 189 ROUDIER (Karine), « Le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste ou la conciliation des libertés
avec la raison d’Etat », op. cit., p. 116. 190 Conseil constitutionnel français n° 86-213 DC. 191 Tribunal constitutionnel espagnol 199/1987. 192 Cour constitutionnelle italienne n° 15 de 1982, cons. en droit n° 7.
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Mais, ce même juge constitutionnel se positionnant toujours comme un rempart solide
contre l’arbitraire, sera amené à censurer les erreurs d’appréciations193 du législateur. Ainsi, en
matière de lutte contre le terrorisme, le législateur bénéficie d’une marge d’appréciation très forte
au regard de l’objectif poursuivi194. C’est pourquoi le juge constitutionnel limitera son contrôle à
un degré restreint et ne va censurer que les erreurs manifestes d’appréciation195 de ce dernier.
Conclusion
En conclusion, le contrôle de proportionnalité de la législation antiterroriste en Afrique
noire francophone est un contrôle qui a pour ambition de concilier la sécurité et l’ordre afin de
maintenir la lutte contre le terrorisme dans un cadre démocratique et respectueux de l’Etat de droit.
Mais compte tenu de la particularité du phénomène terroriste et de la législation adoptée pour le
contrer, le contrôle de proportionnalité de cette législation se retrouve en temps modelé par la
nature particulière de la législation antiterroriste et restreint. L’analyse de la législation de lutte
contre le terrorisme a démontré qu’elle apparaît comme un droit qui manque d’une identité
particulière puisqu’il semble mêlé en même temps le droit d’exception du fait de son degré de
sévérité et du droit ordinaire au regard de son caractère permanent. Les lois antiterroristes relèvent
donc du droit hybride mais à forte dominance ordinaire. Ce qui impacte fortement sur le contrôle
de constitutionnalité de ces lois qui est restreint. Etant donné que c’est un contrôle restreint, le
contrôle classique de proportionnalité est inadapté pour assurer la constitutionnalité de ces lois. Il
est nécessaire pour le juge de savoir concilier la lutte contre le terrorisme dont lesdites lois ont
pour ambition de mener d’avec la protection des droits humains qui ne doit pas être totalement
relayée au second plan.
193 L’erreur manifeste d’appréciation est « une erreur évidente, invoquée par les parties, reconnue par le juge et qui
ne fait aucun doute pour un esprit éclairé », BRAIBANT (Guy), Conclusion sous CE, 13 novembre 1970, Lambert,
AJDA, 1971. 194 ROUDIER (Karine), « Le contrôle de constitutionnalité de la législation antiterroriste ou la conciliation des libertés
avec la raison d’Etat », op. cit., p. 122. 195 GREWE (Constance) et KOERING-JOULIN (Renée), « De la légalité de l’infraction terroriste à la proportionnalité
des mesures antiterroristes », in Mélanges G. COHEN-JONATHAN, Liberté, justice, tolérance, Bruxelles, Bruylant,
2004, pp. 891-916.
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Le principe de l’irrévocabilité de l’ordre de paiement donné par
carte bancaire en droit CEMAC à l’épreuve du commerce
électronique
Par :
MOHAMAN NAZIR
Docteur en Droit privé
Université de Maroua (Cameroun)
Résumé :
La réalisation d’une opération de paiement à partir d’une carte bancaire repose sur le
principe de l’irrévocabilité qui signifie que l’ordre de paiement donné par carte n’est pas
susceptible de révocation. Néanmoins, cette situation est remise en cause par le développement du
commerce du commerce électronique, et en particulier par les modalités de paiement par carte
sur internet ainsi que les exigences de protection du consommateur. A partir de ce constat, une
question se pose : dans quelle mesure doit-on admettre l’irrévocabilité de l’ordre paiement par
rapport aux modalités du commerce électronique pour garantir une protection efficace des
titulaires sans pour autant sacrifier la sécurité des transactions ? Cette interrogation a permis de
faire un rapprochement entre le principe de l’irrévocabilité de l’ordre de paiement et le
développement du commerce électronique. Dans un premier temps, l’analyse est menée dans le
cadre de l’évolution des modalités de paiement dans le « E-commerce ». Dans un second temps,
elle est menée dans le cadre de la protection du consommateur dans le « E-commerce ». Ceci nous
a permis surtout de relever la crise du principe de l’irrévocabilité qui se manifeste par la
fragilisation de la protection du titulaire de la carte et l’insécurité dans le processus du paiement
par carte. C’est à ce titre que des pistes de solution ont été dégagées.
Mots clés : Irrévocabilité, Ordre de paiement, Carte bancaire, CEMAC, Commerce électronique.
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Introduction
Dans la vie quotidienne de chacun, les éléments qui relèvent de la matière d’instrument de
paiement tiennent une place essentielle. A maints égards, il s’avère même impossible de se passer
des instruments de paiement. En effet, les hommes entretiennent souvent des rapports
d’obligations qui se dénouent généralement par un paiement. C’est dire qu’aucune activité
économique n’est possible sans qu’on prenne très au sérieux la question du paiement1. Le paiement
est un mot polysémique. Dans son sens courant, il désigne l’action de payer une somme d’argent
ou de s’acquitter d’une obligation portant sur une somme d’argent. Juridiquement le paiement a
un sens plus large et consiste en l’exécution de toute obligation quel que soit son objet2. Dans son
sens qui consiste à payer une somme d’argent, il faut noter que divers moyens ou instruments de
paiement sont mis en place pour la réalisation de cette obligation de payer. Entre autre, l’on peut
relever le chèque3, la carte de paiement4, le virement5, le prélèvement6, la monnaie électronique7.
La présente étude porte sur la carte de paiement qui est une carte émise par un établissement
de crédit ou par une institution ou un service autorisé à effectuer des opérations de banque et
permettant à son titulaire de retirer ou de transférer des fonds8. La carte de paiement constitue en
fait une opération de banque. D’où son de carte bancaire9. Le législateur de la Communauté
Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale10, réserve en effet l’émission des cartes de
1 BRAUD (A), Droit des instruments de paiement et de crédit, Galino éditeur, EJA – Paris – 2007, p. 19. 2 BRUSORIO-AILLAUD (M), Droit des Obligations, Larcier collection paradigme, 5eed., p. 326. 3 V. art. 13 à 78 Règlement no03/CEMAC/UMAC/CM relatif aux systèmes moyens et incident de paiement du 21
décembre 2016. 4 V. art. 166 à 176 Règlement no03/CEMAC/UMAC/CM relatif aux systèmes moyens et incident de paiement du 21
décembre 2016. 5 V. art. 177 à 189 Règlement no03/CEMAC/UMAC/CM relatif aux systèmes moyens et incident de paiement du 21
décembre 2016. 6 V. art. 190 à 192 Règlement no03/CEMAC/UMAC/CM relatif aux systèmes moyens et incident de paiement du 21
décembre 2016. 7 V. art. 193 à 195 Règlement no03/CEMAC/UMAC/CM relatif aux systèmes moyens et incident de paiement du 21
décembre 2016. 8 GUINCHARD (S) (dir.), Lexique des termes juridiques, 22eed., Paris, Dalloz 2014, p. 151. 9 COQUELET (M-L), Entreprises en difficulté, instrument de paiement et de crédit, 6eed, Dalloz, 2017, p. 545. 10 Instituée par le traité du 16 mars 1994 signé à N’djamena au Tchad, la Communauté économique et monétaire de
l’Afrique centrale, en abrégé CEMAC, est composée des six pays : le Cameroun, le Congo Brazzaville, le Gabon, la
Guinée Equatoriale, la République centrafricaine, et le Tchad.
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paiement aux seuls établissements de crédit et établissements assimilés11. En pratique, une carte
bancaire peut jouer plusieurs fonctions. Elle peut être une carte de retrait, c’est-à-dire qu’elle
permet le retrait d’espèces auprès d’un distributeur automatique de billets12. Elle peut aussi être
une carte de crédit. Dans ce cas, même si sa fonction première est celle du paiement, la carte donne
lieu à un débit différé du compte de titulaire ou tout autre forme de crédit consentie expressément
au porteur13. Du point de vue juridique, la carte bancaire est un instrument de paiement qui vient
rompre avec les vieilles habitudes tant au niveau du régime juridique applicable (une relation
largement contractuelle entre les parties et subsidiairement légale) que de la mise en œuvre
effective du droit14.
L’utilisation de la carte bancaire est tributaire des plusieurs contrats. Le premier est celui qui
lie l’émetteur au porteur de la carte. Le second contrat est celui qui lie l’émetteur au fournisseur
des biens et des services. Aux termes de celui-ci le fournisseur s’engage à honorer les cartes
présentées selon les modalités convenues. Enfin le contrat qui lie le porteur au commerçant ou
fournisseurs des biens et service qui accepte d’être payé par la carte.
La réalisation d’une opération de paiement à partir d’une carte bancaire repose sur le principe
de l’irrévocabilité de l’ordre de paiement. D’après le vocabulaire juridique de Gérard CORNU,
l’irrévocabilité signifie le « caractère de ce qui n’est pas susceptible de révocation unilatérale
(…) »15. La révocation d’un acte désigne par contre une « déclaration unilatérale de volonté par
11 art. 66 Règlement no03/CEMAC/UMAC/CM relatif aux systèmes moyens et incident de paiement du 21 décembre
2016 dispose que « constitue une carte de paiement toute carte émise par un établissement assujetti et permettant de
transférer des fonds ». Et l’art. 1er de ce Règlement définit l’établissement assujetti comme « entités qui émettent ou
acceptent des moyens de paiement. Il s’agit :
- Des établissements de crédit au sens de la convention du 17 janvier 1994 portant harmonisation de la
règlementation bancaire dans les Etats de l’Afrique Centrale ;
- Des établissements de microfinance au sens du Règlement no01/02/CEMAC/UMAC/COBAC/CM du 13 avril
2002 relatif aux conditions d’exercice et de contrôle de l’activité de microfinance dans la CEMAC.
- Du trésor public et des services de chèques postaux, sous réserves des spécificités liées à leur statut ;
- Des autres établissements agréés ». 12 NAMMOUR (F), Instruments de paiement et de crédit, librairie générale de Droit et de la jurisprudence, EJE,
Paris, 1ereed., Mars 2008, p. 78. 13 SIDI MOUKAM (L), La sécurisation des moyens de paiement dans la zone CEMAC, Mémoire de Master II,
Université de Dschang, p. 49. 14 MAMADOU KOUNVOLO (C), « La problématique de la protection juridique des titulaires de carte bancaires dans
le traitement des réclamations dans l’espace UEMOA », Revue de l’ERSUMA, NO 04-septembre 2014, p. 112. 15 CORNU (G) (dir), Vocabulaire juridique, PUF, 11e édition, 2016, p. 577.
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laquelle une personne anéantit un droit éventuel dont elle est la source (exemple d'une offre) »16.
Concrètement le principe de l’irrévocabilité signifie que l’ordre de paiement donné par carte
bancaire n’est pas susceptible de révocation.
Néanmoins, cette situation est remise en cause par le développement du commerce du
commerce électronique, et en particulier par les modalités de paiement par carte sur internet ainsi
que les exigences de protection du consommateur. Cette remise en cause est accentuée par le fait
que la règle de l’irrévocabilité de l’ordre de paiement donné par carte était souvent discutée,
pourtant rarement sans confusions17. Dès lors, il est légitime de se demander si le législateur
CEMAC, dans sa politique de promotion des nouveaux instruments de paiement scripturaux, a pris
en compte les spécificités du commerce électronique dans le processus du paiement par carte
bancaire. Plus précisément, dans quelle mesure doit-on admettre l’irrévocabilité de l’ordre
paiement par rapport aux modalités du commerce électronique pour garantir une protection
efficace des titulaires sans pour autant sacrifier la sécurité des transactions ? l’analyse de cette
interrogation est d’une importance capitale en ce sens que d’une part, le législateur communautaire
s’est fixé l’objectif d’édicter des règles fondamentales destinées, à promouvoir, à encadrer, l’usage
et l’essor des moyens modernes de paiement 18. A ce titre, la carte bancaire joue un rôle essentiel
dans la mise en œuvre de cet objectif. Et d’autre part, le commerce électronique vient révolutionner
la vente et les achats des biens et services. De plus en plus naissent des plateformes de vente et de
paiement en ligne19 et par carte bancaire. Envisagée sous l’angle d’efficacité, la démarche ainsi
adoptée par le législateur CEMAC, notamment la consécration de l’irrévocabilité de l’ordre de
paiement donné par carte, quand bien même classique, semble inadéquate par rapport aux réalité
du commerce électronique. C’est pourquoi, il convient d’étudier tour à tour l’irrévocabilité de
l’ordre de paiement donné par carte face à l’évolution des modalités de paiement dans le « E-
16 CABRILLAC (R) (dir.), Lexique de vocabulaire juridique, Lites, 1ere éd., 2002, p. 243. 17 HENDRYCHOVA (K), Ordre de paiement sur internet, Mémoire de DEA, Université Robert Schuman Strasbourg
III, 2001, p. 31. 18 Préambule du Règlement no03/CEMAC/UMAC/CM relatif aux systèmes moyens et incident de paiement du 21
décembre 2016. 19 CEPPA (J B), La sécurisation des instruments de paiement dans la CEMAC, Thèse de doctorat, Université de
Ngaounderé, 2020, p. 224.
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commerce » (I) et ; l’irrévocabilité de l’ordre de paiement donné par carte face aux modalités de
protection du consommateur dans le « E-commerce » (II).
I- L’IRREVOCABILITE DE L’ORDRE DE PAIEMENT DONNE PAR CARTE
FACE A L’EVOLUTION DES MODALITES DE PAIEMENT DANS LE « E-
COMMERCE »
A l’origine, le caractère irrévocable de l’ordre paiement reposait sur les conventions types liant
le titulaire de la carte à l’émetteur20. On admet de la sorte que la banque émettrice doit rester
étrangère à tout différend pouvant naitre entre le titulaire de la carte et le commerçant. Il en découle
que si un litige survient entre le titulaire de la carte et le commerçant, le premier ne pourra pas
invoquer ce litige pour refuser de rembourser les paiements effectués par la banque21. Cette
solution fut reprise par la jurisprudence, notamment française, puis consacrée par le législateur22.
Dans la CEMAC, l’admission de l’irrévocabilité (A) résulte de la réforme des moyens de paiement
qui est intervenue en 2003. Au départ, la carte de paiement était utilisée dans le commerce de
proximité où le titulaire de la carte avait la possibilité de vérifier la qualité et la conformité du bien
qu’il envisage d’acheter. Or avec le commerce électronique cette possibilité est devenue difficile.
En outre, les modalités de paiement sont simplifiées. Désormais le titulaire de la carte peut
déclencher un ordre de paiement par simple communication du numéro apparent de la carte.
Cependant, la simplification n’est pas toujours synonyme de sécurité. Cette simplification des
modalités de paiement annonce d’ailleurs une certaine crise de la règle de l’irrévocabilité par
rapport à l’ordre de paiement donné par simple communication du numéro de la carte (B).
A- L’admission de l’irrévocabilité par le législateur CEMAC
La CEMAC étant un espace économique et monétaire23, le législateur veille à ce que les
paiements puissent être exécutés dans des conditions de sécurité et de stabilité maximale. Ceci est
20 Le fonctionnement de la carte de paiement intervient dans un cadre contractuel préétabli qui met en relation trois
acteurs : le titulaire de la carte donneur d’ordre, l’émetteur de la carte, et le bénéficiaire du paiement ou le commerçant.
V. BRAUD (A), Droit des instruments de paiement et de crédit, op.cit., p. 213 ; v. aussi CHAMINAH (L), La
responsabilité civile du banquier en Droit malagasy, Thèse de Doctorat Université de Paris I Panthéon-Sorbonne
décembre 2015, no 691, p. 303. 21 JEANTIN (M) et LE CANNU (P), Droit commercial, instrument de paiement et de crédit, entreprises en difficultés,
6eed, 2003, p. 138. 22 Ibid. 23 V. art. 2 du Traité de la CEMAC révisé en janvier 2009.
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d’autant plus vrai que parmi les missions essentielles du législateur communautaire figure en
bonne place l’adoption des bases juridiques harmonisées et organisationnelles nécessaires à la mise
en place et au fonctionnement de systèmes de paiement modernes efficaces et conformes aux
normes et standards internationaux24. Dans le cadre de la recherche de cette stabilité, le Règlement
numéro 02/03 du 04 avril 2003 relatif aux systèmes, moyens et incidents de paiement tel que révisé
en décembre 2016 a consacré le principe de l’irrévocabilité de l’ordre de paiement donné par carte
(1). Ce principe permet d’assurer la stabilité des transactions. Du point de vue de l’accepteur25,
l’irrévocabilité de l’ordre de paiement est essentielle. Si l’ordre pouvait être révoqué à l’instant où
la livraison du bien a eu déjà lieu, le commerçant s’exposerait à la perte du bien. Il préférerait être
payé en espèces. Ou bien il devrait attendre si son compte est crédité ou non. Dans cette situation,
il paraît raisonnable d’instaurer le système de l’irrévocabilité absolue. Or, du point de vue du
donneur d’ordre, il y a des situations où l’irrévocabilité de l’ordre de paiement engendre des
conséquences trop dures. C’est à ce titre que le principe est assorti de quelques tempérament (2).
1- Le principe
Lorsqu’il précise que « l’ordre ou l’engagement de payer donné au moyen d’une carte de
paiement est irrévocable »26, le législateur communautaire assimile un ordre de paiement à une
instruction inconditionnelle, sous quelque forme que ce soit, donnée par le titulaire à une banque
émettrice de mettre à la disposition d’un bénéficiaire une somme d’argent déterminée. En d’autres
termes, cette règle interdit au client qui a payé par carte de se rétracter et d’empêcher l’émetteur
de régler sa facture27. Ainsi, celui qui a composé le code au guichet d’un distributeur automatique
ne peut revenir sur son engagement ; pas plus que l’adhèrent l’ayant composé sur la machine d’un
commerçant28. Cette disposition emporte des conséquences considérables. Ainsi, l’on note
l’absence d’influence du décès ou de l’incapacité du titulaire de la carte postérieurement à l’ordre
de paiement. Si le décès ou l’incapacité du titulaire intervient après le déclenchement de l’ordre
de paiement, l’opération doit être poursuivie. Dans une telle hypothèse, le compte du titulaire est
24 V. préambule du Règlement nO 02/03 du 04 avril 2003 relatif aux systèmes, moyens et incidents de paiement. 25 HUET (J), indiquait que « l’irrévocabilité permet de donner plus de sécurité à la banque, tout comme au fournisseur
de biens et service, car elle implique l’interdiction pour le client de revenir sur son ordre une fois celui-ci émis ». 26 V. art. 170 du règlement no03/CEMAC/UMAC/CM relatif aux systèmes moyens et incident de paiement du 21
décembre 2016. 27 SIDI MOUKAM (L), La sécurisation des moyens de paiement dans la zone CEMAC, op.cit., p. 51. 28 BRAUD (A), Droit des instruments de paiement et de crédit, op.cit., p.217.
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bloqué en réalité à la date du décès ou la survenance de l’incapacité. Le bénéficiaire du paiement
se trouve donc rassuré. Mais, il se pose un problème. En fait, le titulaire de la carte autorise un
débit automatique sur son compte bancaire, en exécution de son ordre de paiement. Le débit a lieu
immédiatement, sauf stipulation contractuelle contraire prévoyant un débit à une date ultérieure29.
Au regard de cette disposition, une distinction doit être opérée entre la catégorie des cartes à débit
immédiat30 et la catégorie des cartes à débit différé31. Pour la seconde catégorie, la question se
pose de savoir : la révocation de l’ordre de paiement peut-elle intervenir entre la date où l’ordre de
paiement est donné et celle pendant laquelle le débit du compte du titulaire a eu lieu ? Lorsqu’il
s’agit d’une carte à débit différé, généralement le titulaire de la carte bénéficie d’une ligne de crédit
spéciale lui permettant de régler ses transactions même si son compte est débiteur. Le bénéficiaire
de l’ordre de paiement désintéressé, le donneur d’ordre devient alors le débiteur de l’émetteur.
2- Les tempéraments du principe
L’alinéa 2 de l’article 170 du règlement relatif aux systèmes moyens et incidents de paiement
précise que « seules sont autorisées les oppositions motivées par la perte, le vol, l’utilisation
frauduleuse de la carte ou des données liées à son utilisation, l’ouverture d’une procédure de
redressement judiciaire ou de liquidation des biens à l’encontre du bénéficiaire du paiement ». Il
ressort que les tempéraments ne concernent que deux situations : le cas des ordres de paiement
frauduleux et le cas d’ouverture d’une procédure collectives d’apurement du passif. Les ordres de
paiement réguliers ne sont pas concernés. On doit appliquer à leurs égards le principe absolu de
l’irrévocabilité.
En fait, le titulaire de la carte bancaire court le risque d’un ordre de paiement frauduleux soit
parce qu’il est dépossédé de sa carte du fait de la perte ou du vol, soit parce que sa carte fait l’objet
29 Art. 171 du règlement no03/CEMAC/UMAC/CM relatif aux systèmes moyens et incident de paiement du 21
décembre 2016. 30 Il s’agit de carte de paiement au sens strict du terme. Le titulaire ne peut que retirer ou transférer des fonds avec une
telle carte. Elle est donc dépourvue de la fonction de crédit. 31 Comme il a été relevé à l’introduction la carte bancaire peut être investie d’une fonction de crédit. Il s’agit en réalité
du crédit revolving où le porteur de la carte peut dans la limite d’un plafond d’encours étaler le remboursement.
Concrètement chaque fois que le porteur a réglé le solde débiteur, il bénéficie d’un nouveau découvert.
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d’une utilisation frauduleuse alors que le titulaire n’est pas dépossédé de sa carte32. Pour
l’utilisation frauduleuse sans dépossession, deux situations sont possibles : soit les informations
confidentielles permettant l’utilisation de la carte ont été divulguées ou découvertes, soit la carte a
été contrefaite ou falsifiée33. Dans tous les cas si le titulaire veut annuler un ordre de paiement
frauduleux, il doit déclarer à l’émetteur la perte, le vol ou l’utilisation non autorisée de son
instrument dans un délai de trois jours francs après qu’il ait eu connaissance de la perte ou du vol
de la carte34. Contrairement au cas de perte et de vol où le titulaire de compte n’a pas effectué un
paiement de son plein gré, dans le cas d’opposition pour ouverture de procédure de redressement
ou de liquidation judiciaires, le titulaire du compte a valablement ordonné le paiement, il fait
opposition simplement par crainte de ne pas recevoir la contrepartie due à la situation du
bénéficiaire35. Toutefois, il faut avouer qu’une telle crainte réside également dans le commerce à
distance où le « E-consommateur » qui commande un produit sur internet court le risque de
recevoir à la livraison un produit défectueux ou non conforme à sa commande. Au regard de
l’article 171 précité, il ne pourra pas malheureusement révoquer l’ordre de paiement.
B- La crise de la règle de l’irrévocabilité par rapport à l’ordre de paiement donné par
simple communication du numéro de la carte
Il sera question, dans un premier temps, d’analyse la critique de la règle de l’irrévocabilité par
rapport à l’ordre de paiement donné par simple communication du numéro de la carte (1) ; et dans
un second temps proposer une piste de solution (2).
32 V. CHAMINAH (L), La responsabilité civile du banquier en Droit malagasy, op.cit., p. 311 ; aussi FOKO (A), « La
responsabilité du titulaire d’une carte bancaire dans la zone CEMAC », RDJ-CEMAC, n001 /2èmesemestre 2012, p.
152. 33 Cette dernière hypothèse fait l’objet d’une incrimination pénale au regard du Règlement no03/CEMAC/UMAC/CM
relatif aux systèmes moyens et incident de paiement du 21 décembre 2016. V. art. 239 et 243. 34 V. art. 172 al. 2 Règlement no03/CEMAC/UMAC/CM relatif aux systèmes moyens et incident de paiement du 21
décembre 2016. 35 CHAMINAH (L), La responsabilité civile du banquier en Droit malagasy, op.cit., p. 313.
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1- La critique de la règle d’irrévocabilité par rapport à l’ordre de paiement donné par
simple communication du numéro de la carte
Il s’agira pour nous de mettre en relief l’analyse critique de la doctrine (a). En outre, les juges
ne sont pas restés indifférent sur ce point. A cet effet nous nous appuierons sur la jurisprudence
française, où les juges hésitent à appliquer l’irrévocabilité de l’ordre de paiement donné par simple
communication du numéro de la carte (b).
a- L’analyse critique de la doctrine
L’indication du numéro apparent de la carte vaut il ordre irrévocable ? La réponse à cette
question n’est pas chose aisée. En effet, au regard de la règle de l’irrévocabilité consacrée par le
législateur communautaire, chaque utilisation de la carte par son titulaire dans le cadre de l’achat
d’un bien ou d’un service constitue un ordre de paiement donné par celui-ci à l’émetteur en faveur
de l’accepteur. Et cet ordre est irrévocable.
Mais pour qu’il en soit ainsi, il faut que le mandat de payer émane bien du titulaire de la carte.
Il se pose donc le problème de l’authenticité de l’ordre de paiement. La preuve de cette authenticité
pèse, en principe, sur l’émetteur qui se prétend libérer de son obligation de restituer au dépositaire
les sommes déposées par celui-ci sur son compte bancaire. Cette authenticité résulte suffisamment,
lorsque c’est le cas du paiement par saisie du code confidentiel ou par signature de la facturette36.
S’agissant du paiement par simple indication du numéro apparent de la carte, bien que possible,
ce mécanisme est beaucoup plus risqué. A cet effet, le constat est que, s’il a pu être admis qu’un
paiement soit effectué au profit d’un fournisseur sans signature ni manuscrite ni électronique du
porteur de la carte c’est parce que celui-ci a la faculté, au reçu de son relevé de compte, de contester
le débit correspondant au paiement. Le banquier donne suite automatique à des telles instructions
ainsi qu’il est prévu dans le contrat porteur, à la seule condition que la contestation soit formulée
dans le délai convenu. On notera que l’irrévocabilité des ordres de paiement par carte n’intervient
pas dans ce cas puisque précisément, l’émetteur a payé en l’absence d’ordre.
36 Dans le commerce de proximité, il y a généralement combinaison à la fois de la saisie du code confidentiel et la
signature de la facturette. Dans ce cas l’identification du titulaire de la carte est facilité car le commerçant est tenu de
vérifier la conformité de la signature figurant sur la facturette et celle apposée sur la carte de paiement.
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S’attaquant à la règle de l’irrévocabilité, l’on peut s’interroger sur la formulation « au moyen
d’une carte » contenue dans la disposition communautaire37, plus précisément sur le point de
savoir si la seule communication du numéro facial de la carte suffit à caractériser l’ordre de
paiement donné au moyen d’une carte. L’acceptation de la simple communication du numéro
d’identification de la carte comme l’utilisation conforme de la carte mènerait à la négation du rôle
de la piste magnétique, la puce électronique ou la signature. Dès lors il est à constater que l’ordre
de paiement donné par communication du numéro facial n’est pas irrévocable car il ne peut pas
être considéré comme donné « au moyen d’une carte ».
b- L’incertitude jurisprudentielle
Si l’irrévocabilité de l’ordre de paiement donné au moyen d’une carte est admise sans difficulté
pour l’ordre passé par la signature de la facturette38, tel n’est pas le cas pour l’ordre passé par
l’indication du numéro apparent. Après consécration de l’irrévocabilité par le juge français, l’on
note un revirement jurisprudentiel. Ce qui traduit une certaine incertitude dans l’application du
principe d’irrévocabilité par les juges.
En effet, le 8 juin 1999, la Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt intéressant notre sujet,
bien qu’il s’agisse de l’ordre de paiement passé par fax39. L’importance de cet arrêt tient non
seulement dans le fait qu’il accepte l’irrévocabilité de l’ordre de paiement donné par simple
communication du numéro facial de la carte. Il paraît aussi être le premier à consacrer la validité
d’un tel ordre40.
37 V. art. 170 du Règlement no03/CEMAC/UMAC/CM relatif aux systèmes moyens et incident de paiement du 21
décembre 2016. En droit français l’art. L132-2 du Code monétaire et financier est l’équivalent de de cette disposition. 38 Dans un arrêt du 12 mai 1995, la Cour d’appel de Paris rappelle cette règle en prononçant que « l’apposition de la
signature du titulaire de la carte sur l’ordre de paiement confère à celui-ci un caractère irrévocable et abstrait ; le
donneur d’ordre doit rembourser les factures réglées par l’émetteur […], sans pouvoir lui opposer aucune exception
tirée du rapport fondamental qui a donné lieu au paiement […] ». V. CA Aix-en-Provence, 18 juin 1984, D. 1986, IR.,
p. 326, obs. VASSEUR (M). 39 C.A. Paris, 8e ch. A, 8 juin 1999, Mlle Marcilhacy c/ CIC, D. 2000, Somm., p. 337, obs. Thullier (B). 40 WELLE (D), Commerce électronique et ordre de paiement : l’exemple des cartes bancaires dans l’espace UEMOA,
Mémoire, Université de Saint-Louis du Sénégal, 2006, p. 14.
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Suite à une conversation téléphonique, Mlle Marcilhacy a envoyé un fax à la société
anglaise Byte Indirect en vue de l’achat d’un ordinateur. Le fax contenait son numéro apparent de
la carte bancaire de la SA Crédit industriel et commercial (CIC). N’ayant pas obtenu confirmation
de sa commande, Mlle Marcilhacy l’a annulée par téléphone. (Elle n’arrive pas à prouver ce dernier
événement.) Mais son compte bancaire a été pourtant débité. Elle protestait auprès du CIC qui a
recrédité le compte et a établi un bordereau de réclamation. Or, comme la réclamation ne pouvait
pas être traitée sans justificatif de l’annulation de la part de Mlle Marcilhacy, son compte a été
redébité. Mlle Marcilhacy a alors assigné le CIC en paiement de la somme débitée et en
dommages-intérêts. Le tribunal d’instance l’a débouté et elle a interjeté appel.
La Cour d’appel de Paris déboute l’appelante et confirme le jugement déféré. Avant de
pouvoir faire cette conclusion, la Cour procède à une application parfaitement correcte des
dispositions applicables. Elle cite tout d’abord l’article 9 des conditions de fonctionnement de la
carte bancaire et l’article 57-2 du décret-loi du 30 octobre 1935 qui, tous les deux, posent la règle
de l’irrévocabilité de l’ordre de paiement donné au moyen d’une carte. Après, elle vérifie s’il s’agit
d’un ordre de paiement. Ainsi, elle s’assure si Mlle Marcilhacy a passé la commande et si elle a
accepté de procéder au règlement de celle-ci au moyen de sa carte bancaire. Donc, la Cour vérifie
l’imputabilité de l’ordre à son prétendu auteur et l’approbation de l’ordre de paiement, deux
conditions sans lesquelles il ne peut pas s’agir de l’ordre de paiement valide. La vérification faite,
la Cour d’appel de Paris conclue à l’irrévocabilité de l’ordre de paiement.
Cependant, quelques années plus tard, la Chambre commerciale de la Cour de cassation
française décide que la règle de l’irrévocabilité ne pouvait pas jouer à l’égard d’un ordre de
paiement donné par simple indication du numéro apparent.41.
En avril 2000, M. Bardie avait constaté, sur ses relevés de compte bancaire, un débit par
carte de 6191,97 Frs en faveur d’une société France By Alekx. M. Bardie contestait l’opération
auprès de sa banque, la Banque Populaire Provençale & Corse, en affirmant qu’il n’était pas à son
origine et qu’il n’en connaissait pas le bénéficiaire. La banque refusait d’annuler le débit ce qui
emmène M. Bardie à saisir le juge. N’ayant pas obtenu gains de cause M. Bardie formule un
41 www.courdecassation.fr., consulté le 05 janvier 2020.
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pourvoi en cassation. A l’issue de ce pourvoi, il s’ensuit, dès lors que l’ordre de paiement était
contesté et que le paiement était intervenu par le seul moyen de la communication du numéro de
la carte, ce dont il résultait, d’une part, qu’il appartenait à l’émetteur de rapporter la preuve de
l’ordre de paiement en question, d’autre part, que la règle de l’irrévocabilité du paiement ne jouait
pas. Le tribunal devrait effectivement en déduire que la banque avait l’obligation d’annuler le débit
litigieux, d’où la cassation prononcée. L’acheteur se trouve donc efficacement protégé42
2- Proposition d’une piste de solution
Au regard de l’analyse critique de la doctrine et les hésitations jurisprudentielles, il est à retenir
que le véritable problème n’est pas l’irrévocabilité, mais plutôt le paiement par simple
communication du numéro apparent de la carte qui est un procédé peu sécurisant. La fiabilité du
moyen de paiement, dans le cas de la communication du numéro apparent de la carte de paiement,
et l’irrévocabilité de l’ordre de paiement ne sont pas des notions corrélatives. La fiabilité du moyen
de paiement ne peut pas avoir une influence sur la révocabilité ou irrévocabilité de l’ordre. La
fiabilité du moyen de paiement est une catégorie qui nous enseigne sur le taux d’ordres frauduleux
possibles avec un moyen de paiement précis tandis que l’irrévocabilité concerne seuls les ordres
de paiement émanant d’un ayant droit, c’est-à-dire libres de toute fraude. L’enjeu du paiement par
simple communication du numéro facial de la carte concerne en réalité les mécanismes
d’authentification43 de l’ordre de paiement donné par carte. C’est par rapport aux mécanismes
d’authentification que l’on pourrait déterminer si l’ordre de paiement émane du titulaire ou s’il
s’agit d’un ordre frauduleux44. Ainsi, nous considérons irrévocables tous les ordres de paiement
donnés par n’importe quel usage de la carte, à savoir par la communication du numéro facial de la
carte, la tabulation de numéro de code confidentiel, ou encore par le contrôle physique de la carte.
Dans cette logique, on pourrait dissiper tout équivoque à l’avenir pour les praticiens y compris les
juges qui ont jusqu’ici des hésitations vis-à-vis de l’irrévocabilité de l’ordre de paiement donné
par simple communication du numéro apparent de la carte.
42 HONTEBEYRIE (A), « La relative fragilité de l’ordre de paiement à échéance successives », (com., 27mars 2012)
Actualité du droit civil des affaires, disponible à l’adresse : www.erudit.org, p.1. 43 L’authentification signifie en réalité l’action d’authentifier un ordre de paiement c’est-à-dire identifier avec
assurance l’identité de l’auteur et du bénéficiaire de la transaction, le montant, la date de l’opération etc.. 44 Le cas échéant le titulaire de la carte est fondé à faire opposition. Le régime de l’opposition fera l’objet d’une analyse
dans la deuxième partie de notre travail consacrée au traitement des fraudes et incidents de paiement.
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Pour renforcer la sécurité du paiement, le législateur CEMAC peut envisager un standard
auquel le banquier émetteur et le commerçant accepteur de la carte devront être soumis lorsqu’ils
examinent un ordre de paiement donné par simple communication du numéro apparent de la carte.
A cet effet, le droit canadien nous offre un exemple qui pourrait être source d’inspiration. Le
commissariat à la protection de la vie privée du Canada, afin de prévenir le vol d’identité et les
conséquences désastreuses qui peuvent en découler, a édicté des lignes directrices45 en matière
d’identification et d’authentification. Ces lignes proposées conformément à la loi sur la protection
des renseignements personnels et les documents électroniques prévoient quelques balises pour
aider les entreprises lors de l’identification et l’authentification de leurs clients. Le commissariat
indique que les discussions sur l’authentification portent sur au moins trois types d’éléments
d’informations. Il s’agit de :
- Quelque chose que la personne connaît, par exemple un mot de passe, un numéro de
compte, une couleur préférée, le nom du premier animal de compagnie ;
- Quelque chose que la personne possède par exemple un jeton d’authentification, une carte
d’identité, un certificat d’utilisateur numérisé ;
- Quelque chose qui fait partie de la personne par exemple un trait biométrique comme le
visage, la rétine, la voix…
II- L’IRREVOCABILITE DE L’ORDRE DE PAIEMENT DONNE PAR CARTE
FACE AUX MODALITES DE PROTECTION DU CONSOMMATEUR DANS LE
« E-COMMERCE »
Avec les nouveaux moyens de communication, la traditionnelle vente par correspondance s’est
transformée en vente à distance. Cette vente fait appel à l’utilisation d’un ou plusieurs moyens de
communication tels qu’internet, téléphone46 etc. C’est ainsi par exemple, que le client découvrira
le produit ou le service sur le site internet du vendeur, ce qui conduira ceux-ci à s’engager dans
une relation contractuelle. Celle-ci se dénoue généralement après que le vendeur ait livré le produit
45 Commissariat à la protection de la vie privée du CANADA, lignes directrices en matière d’identification et
d’authentification, octobre 2006, disponible en ligne à l’adresse : www.priv.gc.ca/information/auth_061013_f.cfm. 46 GRYNBAUM (L), LE GOFFIC (C), LYDIA MORLET-HAIDARA (L), Droit des activités numériques, 1ere éd.,
Dalloz, 2014, p. 201.
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ou le service et que le client ait payé le prix. Le paiement se fait conforment aux clauses du contrat.
Elles peuvent stipuler que le paiement se face à distance grâce aux instruments tel que le virement,
la carte bancaire ou la monnaie électronique.
Cependant, dans le commerce électronique, la possibilité pour le consommateur de voir le
produit qu’il commande et de prendre connaissance est très limitée47. La promotion de l’économie
numérique dans la CEMAC mise fondamentalement sur l’adhésion de la clientèle des services
électronique à ces derniers par la consécration d’un droit exceptionnel : le droit de rétractation48
du consommateur. Cette faveur du droit du commerce électronique s’articule avec les principes du
droit commun de la consommation reconnus dans le contexte de la protection de la partie faible
dans les contrats à distances49. Toutefois, il a été souligner un peu plus haut que la règle de
l’irrévocabilité interdit au client qui a payé par carte de se rétracter et d’empêcher l’émetteur de
régler sa facture. Dès lors, il ressort que le droit de rétractation de « E- consommateur »
et l’irrévocabilité de l’ordre de paiement donné par les instruments de paiement électronique sont
difficilement conciliables (A). Mais une tentative de conciliation à partir de commun de contrat
serait envisageable (B).
A- L’irrévocabilité de l’ordre de paiement et le droit de rétractation de « E-
consommateur » : deux mécanismes difficilement conciliable
Du latin retractare, le substantif « rétractation » dérive du verbe rétracter ou se rétracter qui
est considéré comme le fait de désavouer ses propos50. En d’autres termes, c’est la « manifestation
de volonté contraire par laquelle l’auteur d’un acte ou d’une manifestation unilatérale de volonté
entend revenir sur sa volonté et la retirer comme si elle était non avenue, afin de la priver de tout
effet passé ou à venir »51. Le droit de rétraction est donc une faculté reconnue par la loi ou établie
par le contrat permettant à son bénéficiaire, pendant un certain délai, de rétracter unilatéralement
47 V. GHAZOUANI (C), « La protection du consommateur dans les transactions électroniques selon la loi du 9 août
2000 », Revue de jurisprudence et de législation RJL, juin 2003, p. 14. 48 Sur la question v. aussi EDDEROUASSI (M), Le contrat électronique international, Thèse de doctorat, Université
de Grenoble Alpes, décembre 2017, pp. 413 et suivant. 49 BEPYASSI OUAFO (V), « Le droit des technologies de l’information dans la communauté économique et
monétaire de l’Afrique centrale », Les cahiers de droit, volume 60, numéro 3, 2019, pp. 691-692. 50 NDOUMGA (M), La théorie générale du contrat à l’épreuve du numérique, Thèse de Doctorat, Université de
Maroua, 2020, p. 149. 51 CORNU (G) (dir), Vocabulaire juridique, op.cit., p. 925.
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son engagement, par dérogation au principe de l’irrévocabilité de la promesse52. C’est donc une
prérogative comme le confirme l’article 48 projet de directive de la CEMAC sur le commerce
électronique53. Toutefois, certains législateurs nationaux54 ont devancé celui de la CEMAC en
mettant en place un cadre légal de protection des consommateurs des contrats à distance à partir
du fondement du projet de la directive communautaire55.
Si le droit de rétractation est octroyé au consommateur afin de le protéger contre les pratiques
commerciales agressives56 et lui permettre par la suite d’opérer un choix en toute connaissance de
cause dans la vente à distance de produits et services tant au niveau national qu’au niveau
communautaire, alors une harmonisation du droit de rétractation est souhaitable dans l’espace
CEMAC. Etant donné qu’internet brise les frontières, une transaction électronique peut s’opérer
hors du cadre légal interne. Ainsi par exemple, le consommateur camerounais ne doit pas être
seulement protégé par le droit de rétractation de son pays mais il doit pouvoir être protégé quand
il effectue un achat avec une entreprise installée dans un autre pays de la CEMAC comme c’est le
cas en matière d’obligation d’information du professionnel57.
Certes, l’irrévocabilité est nécessaire pour assurer la stabilité et la sécurité des transactions58.
Néanmoins son application peut susciter des difficultés dans le cas de la vente à distance réalisée
par un consommateur59. Ce dernier bénéficie d’une prérogative qui lui permet de revenir sur une
opération commerciale conclue à distance pour laquelle il a effectué un ordre de paiement au
52 GUINCHARD (S) (dir), Lexique des termes juridique, op.cit., p. 383. 53 Le législateur CEMAC dispose que le consommateur exerce son droit « sans avoir à motiver sa décision ». Le projet
de directive de la CEMAC prévoit un droit de rétractation fixé à 14 jours à partir du jour de la conclusion du contrat
pour assurer la protection des consommateurs dans les contrats à distance. 54 V. Loi no2010/021 du 21 décembre 2010 régissant le commerce électronique au Cameroun. Il ressort par exemple
de l’art. 20 que l’exécution du contrat de consommation offre la possibilité au consommateur de disposer du droit de
se dédire par la rétractation dans un délai de 15 jours suivant la signature du contrat électronique. 55 BEPYASSI OUAFO (V), « Le droit des technologies de l’information dans la communauté économique et
monétaire de l’Afrique centrale », consulté à l’adresse www.ohada.com-ohadata D-16-01, p. 693. 56 ALLEME (A), La protection du consommateur à l’épreuve des technologies de l’information et de la
communication : étude du Droit ivoirien à la lumière du Droit français, Thèse de Doctorat Université de Perpignan,
2019, p. 86. 57 V. Directive no 02/19 du 22mars 2019 harmonisant la protection du consommateur au sein de la CEMAC ;
Règlement nO 01/20/CEMAC/UMAC/COBAC relatif à la protection des consommateurs des produits et services
bancaires dans la CEMAC. 58 GARANCE (M) et SAHUT (J M), « Le paiement : enjeu du E-commerce », 2emecolloque Etienne Thill, septembre
1999, p. 224. 59 Ibid.
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moyen d’une carte. La question qui se pose est celle de savoir : dans le cadre d’un contrat de vente
ou de prestation de service à distance par exemple, le consommateur qui se rétracte peut-il
demander à son banquier de révoquer l’ordre de paiement qu’il a émis pour payer son
cocontractant ? Cette interrogation soulève la difficulté relative à la conciliation entre le droit de
rétractation et le principe de l’irrévocabilité de l’ordre de paiement donné au moyen d’une carte
en droit CEMAC (1). Mais la recherche d’une solution pourrait être envisagée en droit comparé
(2).
1- La difficile conciliation en droit CEMAC
En l’état actuel des choses en droit CEMAC, l’ordre de paiement donné par carte a un caractère
irrévocable. C’est-à-dire que le paiement doit s’effectuer en toute hypothèse. Ainsi celui qui a
effectué un achat sur internet ne peut revenir sur son engagement pas plus que le titulaire ayant
composé le code confidentiel de sa carte sur la machine d’un commerçant. De ce fait, l’acheteur,
lorsqu’il s’agit de vente à distance, s’oblige à laisser la banque débiter son compte du montant de
l’opération effectuée par carte. Les rapports entre la banque et le titulaire de la carte sont donc
constitués d’obligations réciproques60. Et il existe une indépendance entre le contrat qui est à
l’origine du paiement par carte et le paiement par carte lui-même61. De la sortes, l’organisme
émetteur ne peut pas se voir opposer une exception du fait des rapports existants entre le titulaire
et le commerçant62. Dès lors, l’exercice du droit de rétractation par le titulaire de la carte ne peut
entrainer la révocabilité d’un ordre de paiement qu’il s’agisse d’un ordre à échéance successive ou
un ordre à échéance unique.
Toutefois, concernant l’ordre de paiement à échéances successives, une analyse nuancée peut
être faite. Si l’on analyse l’ordre de paiement comme un mandat, dans ce cas la révocabilité du
mandat de payer est envisageable63 notamment pour les sommes qui n’ont pas encore été versées
au créancier au jour de la révocation. Si l’ordre de paiement peut être analysé comme un mandat
de payer, l’on ne doit pas ignorer qu’il s’agit d’un mandat donné au « moyen d’un carte ». Et le
paiement par carte bancaire se trouve au carrefour de plusieurs disciplines notamment le droit des
60 COQUELET (M-L), Entreprises en difficulté, instrument de paiement et de crédit, op.cit., p. 547. 61 BRAUD (A), Droit des instruments de paiement et de crédit, op.cit., p. 217. 62 Infra. 63 V. GARANCE (M) et SAHUT (J M), « Le paiement : enjeu du E-commerce », op.cit., p. 224.
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obligations, le droit bancaire et le droit de la consommation. C’est ainsi que le paiement par carte
bancaire a reçu diverses qualifications en doctrine64 à savoir : le mandat65, l’acte d’indication d’un
tiers pour la remise des fonds en dépôt prévu à l’article 193766 du code civil, la subrogation légale,
la cession de créance, la délégation, la novation. Tout en faisant l’économie des débats au tour de
ces différentes qualifications, il convient de préciser qu’aucune de ces qualifications ne fait l’objet
d’un consensus. Les spécialistes de droit bancaire concluent que la carte constitue un moyen de
paiement autonome dont le régime juridique découle des contrats et des règles de droit impératives
qui lui sont spécifiquement applicables67. A cet effet, le Règlement numéro 03/CEMAC/
UMAC/CM du 21 décembre 2016 Considéré comme un droit spécial des instruments de paiement
peut évincer le droit commun. En l’espèce le texte précise que « l’ordre de paiement ou
l’engagement de payer donné au moyen d’une carte de paiement est irrévocable »68. Dans ce cas
et, à titre de droit prospectif, la recherche de l’équilibre entre l’irrévocabilité de l’ordre de paiement
donné par carte et la protection du consommateur dans le commerce électronique pourra être trouvé
en droit comparé.
2- Un regard prospectif en droit comparé
Certes l’irrévocabilité d’un ordre de paiement donné au moyen d’une carte est un principe
majeur qui garantit la sécurité des transactions. Mais les exigences du droit de la consommation
ont permis d’accorder au consommateur une protection supplémentaire. Cette protection permet à
ce dernier de faire valoir à l’endroit de l’institution émettrice de la carte les moyens de défense
qu’il a vis-à-vis du commerçant. Ainsi le titulaire d’une carte qui, au moyen de sa carte, a effectué
l’achat d’un bien ou d’un service à distance peut, en cas d’exercice de son droit de rétractation,
demander à son banquier l’annulation du paiement effectué. L’idée que les institutions émettrices
de carte puissent agir en quelques sortes comme médiatrices entre le titulaire et le commerçant se
justifie simplement. En fait, les institutions financières sont très bien placées pour concevoir et
64 V. pour approfondir la question v. par ex. CUMYN (M) et LALANCETTE (L), « Le cadre juridique du paiement
par carte de crédit et les moyens de défense du titulaire », Revue générale de droit, vol.35, no 1, 2005, p. 34 – 42. 65 V. JEANTIN (M) et LE CANNU (P), Droit commercial, instrument de paiement et de crédit, entreprises en
difficultés, op.cit., p. 110. 66 Cette disposition précise que « le dépositaire ne doit restituer la chose déposée, qu’à celui qui la lui a confiée, ou
à celui au nom duquel le dépôt a été fait, ou à celui qui a été indiqué pour le recevoir ». 67 CUMYN (M) et LALANCETTE (L), « Le cadre juridique du paiement par carte de crédit et les moyens de défense
du titulaire », op.cit., p. 23. 68 V. art. 170 al. 1.
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mettre en œuvre des procédures efficaces de règlement des litiges en faveur des titulaires. Elles
possèdent un pouvoir de contrôle important sur les commerçants, à qui elles peuvent refuser le
paiement de certaines transactions ou qu'elles peuvent désaffilier du système. D'ailleurs, elles ont
intérêt à exercer ce contrôle, puisque le simple fait qu'un commerçant soit affilié par les grands
systèmes de carte de crédit suscite la confiance du consommateur à l'égard de ce commerçant, et
les institutions financières qui opèrent ces systèmes n'ont pas intérêt à ce que cette confiance soit
trahie69.
Dans ce sillage, le législateur canadien, par exemple, a consacré le mécanisme de la
rétrofacturation70 que le professeur Gautrais a qualifié d’une très grande innovation71. En fait, la
rétrofacturation est un recours permettant sous certaines conditions72 à un consommateur de
demander, à la compagnie émettrice de la carte qu’il a utilisée pour payer un achat à distance de
recréditer son compte. Lorsqu’un commerçant est en défaut de rembourser le consommateur qui a
effectué un paiement par carte, celui-ci peut dans les soixante jours suivant le défaut, demander à
l’émetteur la rétrofacturation de toutes les sommes payées en vertu du contrat de même que
l’annulation de tous les frais imputés sur son compte en relation avec ce contrat73.
De même, aux USA, le consommateur peut, en vertu du « Fair Credit Billing Act », opposer à
l’institution émettrice de la carte les moyens de défense qu’il possède à l’encontre du commerçant
qui lui a vendu un bien ou un service dont le paiement a été effectué au moyen d’une carte de
crédit74.
Le droit CEMAC par contre se rapproche du droit européen où le droit de rétractation est
consacré mais le législateur reste muet sur un droit à la rétrofacturation ou sur une éventuelle
solidarité entre l’institution émettrice de la carte et le commerçant. A cet égard le droit Québécois
et le droit américain offre une meilleure protection légale au consommateur. Dans l’espace
69 Organisation de Coopération et de Développement économique (OCDE), « Report on Consumer Protections for
Payment Card-holders (2002) », [En ligne], http : //www.oecd.org/publications, p. 10. 70 V. art. 54.14 à 54.16 de la Loi RLRQ, c. P-40.1 sur la protection du consommateur. 71 V. IONATA (A) « Contrat à distance en droit québécois et en droit européen », Revue juridique étudiante de
l’université de Montréal, vol. 1. 2, 2015, p. 18. 72 V. art. 54.13 de la Loi RLRQ, c. P-40.1 sur la protection du consommateur. 73 V. art. 54.14 de la Loi RLRQ, c. P-40.1 sur la protection du consommateur. 74 CUMYN (M) et LALANCETTE (L), « Le cadre juridique du paiement par carte de crédit et les moyens de défense
du titulaire », op.cit., p. 55.
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CEMAC le seul rempart du consommateur c’est le droit commun qui règle la question de
remboursement en cas d’exercice du droit de rétractation dans le rapport titulaire de la carte et
commerçant.
B- La tentative de conciliation à partir du droit commun de contrat
Lorsqu’un ordre de paiement est intervenu, l’exercice du droit de rétractation doit être cantonné
dans la relation entre le porteur de la carte et le commerçant. L’émetteur de la carte ne peut se voir
opposer une exception résultante des rapports fondamentaux entre le porteur et le commerçant75.
La règle de l’inopposabilité des exceptions trouve ainsi une nouvelle application (1). Cependant la
question n’est pas entièrement résolue, car l’on note une certaine perplexité sur les modalités de
remboursement du prix par le commerçant (2).
1- L’application de la règle d’inopposabilité des exceptions dans la relation porteur-
émetteur
En principe, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites76.
Les contrats ont donc force de loi pour les parties : les obligations nées du contrat s’imposent avec
la même force que si elles étaient imposées par une loi. Toutefois, dans un contrat synallagmatique
chacune des parties est redevable envers l’autre. A ce titre, l’exécution d’une obligation
contractuelle de l’une ne vaut que si l’autre exécute sa propre obligation telle que convenue. Dans
le cadre du commerce électronique, le consommateur peut refuser de payer son vendeur parce qu’il
a exercé son droit de rétractation. A cet effet, il faut relever que l’exercice du droit de rétractation
doit être circonscrit dans la relation commerçant et son cocontractant (donneur d’ordre de
paiement). L’émetteur du moyen de paiement électronique reste donc étranger c’est
l’inopposabilité des exceptions.
En fait, la règle de l’inopposabilité des exceptions a un double revers dans ce cas. D’une part,
l’émetteur est indépendant à tout différend pouvant naitre entre le porteur de la carte et le
commerçant. Les exceptions que le porteur pourrait efficacement faire valoir contre le commerçant
75 LE CANNU (P) GRANIER (T) ROUTIER (R), Droit commercial, instrument de paiement et de crédit, titrisation,
8eed., Dalloz, 2010, p. 222. 76 Art. 1134 du Code civil.
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ne peuvent être opposées à l’émetteur77. D’autre part, une fois que l’ordre de paiement est exécuté
par l’émetteur, la somme transférée au compte du commerçant est indépendante des rapports
juridiques antérieurs qui existe entre le porteur de la carte et l’émetteur. Par conséquent, sont
inopposables, les exceptions qui existent entre l’émetteur et le porteur. C’est le cas par exemple de
l’insuffisance du solde créditeur du compte du donneur d’ordre, si le banquier a malgré tout
exécuté l’ordre. Le bénéficiaire est alors protégé contre tout recours grâce à l’irrévocabilité de
l’ordre de paiement et la règle d’inopposabilité des exceptions.
Néanmoins, l’inopposabilité des exceptions soulève une autre difficulté liée à la protection du
titulaire de la carte. Si ce dernier en exerçant son droit de rétractation ne peut pas demander à son
banquier de révoquer l’ordre de paiement, les modalités de remboursement des fonds versés restent
perplexes.
2- La perplexité sur les modalités de remboursement des fonds par le commerçant
Dès lors que le droit de rétractation est mis en œuvre, le commerçant est tenu de rembourser
les fonds qui lui ont été transférés par le banquier mandataire du consommateur. Ainsi l’on peut
s’interroger sur les modalités de remboursement. En l’absence d’un dispositif juridique
communautaire certaines législations internes relative au commerce électronique78 nous donnent
quelques éléments de réponses. Dans cette situation où l’insuffisance d’harmonisation
communautaire est constatée, le risque de divergence et de déséquilibre dans la protection du
consommateur est avéré.
Conformément à la législation camerounaise, en principe le commerçant est tenu de
rembourser les sommes perçues dans les quinze jours à compter de la date de retour des
marchandises ou de la renonciation au service79. Et le remboursement doit porter sur l’ensemble
des fonds perçus y compris les frais de livraison. Concernant les frais de livraison, les dispositions
ne sont pas précises. En effet, si les frais de livraison devraient être mis à la charge du
consommateur, non seulement cela le dissuaderait d’exercer son droit de rétractation80. En
77 LE CANNU (P) GRANIER (T) ROUTIER (R), Droit commercial, instrument de paiement et de crédit, titrisation,
op.cit., p.223. 78 V. Loi de 2010 régissant le commerce électronique au Cameroun. 79 Al.3 de art. 20 de la Loi de 2010 régissant le commerce électronique au Cameroun. 80 AVENA-ROBARDET, « Vente à distance : les frais de livraison doivent être remboursé au consommateur qui se
rétracte », disponible : www.dalloz.fr., consulté le 06 janvier 2020.
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comparaison avec le droit français, le remboursement intégral des frais de livraison est conditionné
par deux critères. D’une part, il faut que les sommes aient été versées pour donner lieu à un
remboursement. D’autre part, ces sommes doivent avoir été versées à l’occasion du contrat. Cela
inclut évidemment les paiements partiels qui interviennent à l’occasion d’un contrat de vente81.
Toutefois, pour ce qui est des frais de retour des marchandises, il est précisé que le consommateur
devrait en supporter82.
Dans les pays de la CEMAC où la question de remboursement n’est pas traitée explicitement,
l’on se demande si le commerçant n’est pas tenu à une telle obligation après avoir reçu le produit
renvoyé par le consommateur ? Nous pensons que dans le silence de la loi relative au commerce
électronique, le droit commun des obligations trouverait à s’appliquer notamment l’enrichissement
sans cause. En effet, l’obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne
peut avoir aucun effet83. Ainsi, le consommateur peut entamer une action en restitution de l’indu
pour l’enrichissement sans cause du commerçant. Il faudra pour cela démontrer un enrichissement
du débiteur quelle qu’en soit l’origine, un appauvrissement corrélatif du créancier et une relation
de cause à effet entre l’enrichissement et l’appauvrissement84.
En outre, le choix du moyen de paiement pour le remboursement des fonds perçus est
déterminant car, certains sont plus couteux que d’autres. En dépit du mutisme du législateur
communautaire, nous pensons que ce remboursement se fait en principe par le moyen de paiement
utilisé lors de la transaction. Mais, comme il s’agit d’une matière contractuelle, le consommateur
et le commerçant peuvent stipuler que le remboursement se face par un moyen de paiement
différent. A titre de droit comparé, en France le remboursement doit être effectué par tout moyen
de paiement à moins que le consommateur n’opte pour une autre modalité de remboursement85.
81 ALLEME (A), La protection du consommateur à l’épreuve des technologies de l’information et de la
communication : étude du Droit ivoirien à la lumière du Droit français, op.cit. p .84. 82 Al. 4 de l’art. précité. 83 Art. 1131 du Code civil. 84 ALLEME (A), La protection du consommateur à l’épreuve des technologies de l’information et de la
communication : étude du Droit ivoirien à la lumière du Droit français, op.cit. p .84. 85 Art. L 121-20-1 du Code de la consommation française.
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Conclusion
La carte bancaire, principal concurrent du chèque, est devenu aujourd’hui l’un des instruments
de paiement privilégiés dans le commerce électronique. Le choix d’utilisation de la carte plutôt
qu’un autre moyen de paiement est avant tout lié à la stabilité, la sécurité et à la simplicité dans
l’usage86. Parmi les mécanismes garantissant la stabilité des opérations de paiement figure le
principe de l’irrévocabilité de l’ordre de paiement donné au moyen d’une carte87. Au regard de ce
qui précède, il ressort que le développement du commerce électronique a largement impacté ce
principe. C’est à ce titre que notre étude a été centré sur la question de savoir dans quelle mesure
doit-on admettre l’irrévocabilité de l’ordre paiement par rapport aux modalités du commerce
électronique pour garantir une protection efficace des titulaires sans pour autant sacrifier la sécurité
des transactions ? une réflexion menée sur cette interrogation montre d’une part une certaine crise
annoncée par la doctrine et la jurisprudence à l’endroit de la règle de l’irrévocabilité par rapport à
l’ordre de paiement donné par simple communication du numéro de la carte. Toutefois une analyse
minutieuse nous a permis de comprendre que le véritable problème n’est pas l’irrévocabilité, mais
plutôt l’authenticité de l’ordre de paiement donné par simple communication du numéro apparent
de la carte qui est un procédé peu sécurisant. Ce qui interpelle le législateur sur la nécessité de
mettre en place un protocole d’authentification adéquate dans le cadre d’un tel ordre de paiement.
D’autre part, il a été constaté que l’irrévocabilité de l’ordre de paiement et le droit de rétractation
de « E- consommateur » sont difficilement conciliables. Au regard de la législation CEMAC,
lorsqu’un ordre de paiement est intervenu, l’exercice du droit de rétractation doit être cantonné
dans la relation entre le porteur de la carte et le commerçant. L’émetteur de la carte ne peut se voir
opposer une exception résultante des rapports fondamentaux entre le porteur et le commerçant.
Toutefois en tenant compte du pouvoir de contrôle que l’émetteur exerce sur les commerçants
accepteurs de carte, on peut accorder au porteur la possibilité de se tourner vers l’émetteur pour
annuler le paiement en cas de rétractation. Ce ci contribuera certainement au renforcement de la
protection du titulaire de la carte dans le commerce électronique.
86 PAUGET (G), CONSTANS (E), L’avenir des moyens de paiement en France, Rapport présenté au Ministère de
l’Economie, des Finances et de l’Industrie, mars 2012, p. 43. 87 V. art. 170 Règlement no03/CEMAC/UMAC/CM relatif aux systèmes moyens et incident de paiement du 21
décembre 2016.
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L’adoption en droit camerounais : prendre acte des nouvelles
réalités
Par :
Willy Claudel PINLAP MBOM
Doctorant en droit privé
Université de Dschang (Cameroun)
Résumé :
Si la circulation des enfants a toujours été pratiquée dans les sociétés africaines, l’adoption au sens
juridique du terme n’a été introduite qu’après la colonisation. Initialement conçue comme un moyen destiné
à apporter une consolation aux ménages stériles, on assiste aujourd’hui à un retournement. Une nouvelle
finalité de l’adoption est apparue vers le milieu du XXe siècle, orchestrée par l’État et fondée sur l’idée de
donner une famille à un enfant qui en est dépourvu. C’est l’intérêt de l’enfant qui en devient la
considération primordiale, comme le préconise l’article 3 de la Convention Internationale relative aux
Droits de l’Enfant (CIDE). Toutefois, l’adoption au Cameroun, régie par un texte vieillot, ne s’arrime pas
à ce nouvel objectif ; on note une inadéquation entre les conditions et formes d’adoption et l’intérêt de
l’enfant. Ceci s’observe tant au regard des conditions relatives aux protagonistes qu’à celles relatives aux
rapports entre protagonistes. En outre, l’adoption plénière empêche l’établissement du lien de filiation de
l’enfant avec ses parents de naissance et représente un obstacle au droit de connaître ses origines. Une
adaptation de la législation applicable s’impose donc pour une meilleure prise en compte de l’intérêt de
l’enfant, acteur majeur en la matière.
Mots clés : adoption, adoption coutumière, confiage, filiation, fosterage, intérêt de l’enfant, origines.
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Introduction
L’absence d’enfant dans un couple était et reste source de préoccupation et de nombreux maux,
surtout dans la plupart des ethnies camerounaises1. À l’origine, l’adoption apparaissait comme une
alternative pour de nombreux couples, voire des personnes célibataires, qui souhaitaient connaître
le bonheur d’être parent. Un ou des parents sans enfants pouvaient adopter un descendant destiné
à perpétuer la lignée en héritant des biens et parfois du nom, et à les assister dans leur vieillesse2.
Le but de l’adoption a cependant évolué ; de la recherche d’un descendant héritier, il est passé à la
recherche d’un fils ou d’une fille à chérir, avant d’être aujourd’hui la protection des enfants
abandonnés3. Il convient de relever que, la société traditionnelle africaine en général et
camerounaise en particulier a connu une forme d’adoption particulière, différente de son acception
actuelle et qui subsiste dans les faits.
En effet, l’adoption coutumière ou adoption de fait était et reste une pratique très répandue
dans bon nombre de cultures africaines. Elle s’y trouve pratiquée à travers un modèle de confiage
de l’enfant4. Ce modèle contraste avec celui de l’adoption pratiquée dans les sociétés occidentales5.
Remplissant une fonction sociale multiforme, le confiage de l’enfant vise à renforcer les liens de
parenté ou d’alliance6. Parfois, il est pratiqué en vue de couvrir l’opprobre et la honte des couples
infertiles et leur offrir une progéniture. Il s’agit d’un modèle d’adoption, de type consensuel, à
l’intérieur de la parenté et des alliances. Il présente les caractéristiques d’une adoption simple du
fait qu’il ne rompt pas le lien de filiation avec la famille biologique. Ainsi, en tant que institution
juridique de filiation, l’adoption n’a pas de tout temps existé7. Elle n’apparaît dans le droit français
1 NANA (P. N.), « Aspects psycho-sociaux chez les patients infertiles à la maternité principale de l’hôpital central de
Yaoundé, Cameroun », Clinics in Mother and Child Health, vol. 8, 2011, pp. 1-5. 2 AGNÈS (F.), « L’évolution de l’adoption en France, entre filiation et parentalité », Journal de Pédiatrie et de
Puériculture, Elsevier Masson, 2005, p. 155. 3 Idem. 4 Il s’agit d’un syllogisme pour tenter de mieux désigner ce modèle d’adoption traditionnelle ; en anglais, « fostering »
reste sans doute le terme le plus couramment utilisé. 5 AGNES (F.), « Regard anthropologique et historique sur l’adoption. Des sociétés lointaines aux formes
contemporaines », Informations sociales, 2008, vol. 2, n° 146, p. 10. 6 GOODY (E.), Parenthood and social reproduction : fostering and occupational roles in west Africa, Cambridge
University Press, 1982. 7 AGNES (F.) « L’évolution de l’adoption en France, entre filiation et parentalité », op. cit., p. 155.
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qu’en 1804 avec le code civil8. Ce dernier va résister au temps et traverser les mers pour se diffuser
dans l’empire colonial français où, dans certains pays il reste encore en vigueur aujourd’hui9.
L’adoption au sens juridique du terme est donc définie comme la création, par jugement, d’un
lien de filiation d’origine exclusivement volontaire, entre deux personnes qui, normalement, sont
physiologiquement étrangères10. Il existe en la matière plusieurs types11 : l’adoption ordinaire et
la légitimation adoptive. Dans le premier cas, elle est révocable et il subsiste le lien filial entre
l’adopté et sa famille biologique. Dans le second, elle est irrévocable et le lien juridique entre
l’adopté et sa famille biologique est rompu.
Loin d’être exclusivement une réponse ponctuelle à la souffrance des couples infertiles comme
ce fut le cas à l’origine, l’adoption est aujourd’hui une institution de protection de l’enfant ; elle
vise à donner un toit à un enfant sans parents, ou ayant des parents incapables d’en prendre soin.
Elle doit permettre à un enfant, qui est à un moment donné privé d’une famille, de s’ancrer dans
une nouvelle famille, de lier des liens d’attachement, de se construire une histoire avec un passé,
un présent et un futur. C’est en considérant ce nouveau but, cette nouvelle orientation, que la notion
d’intérêt de l’enfant12 va faire son entrée comme indicateur devant guider les différents acteurs
intervenant dans le processus d’adoption.
L’intérêt de l’enfant est devenu la pierre angulaire de toutes les décisions prises à son endroit.
En matière d’adoption, il est devenue incontournable, au point où aucun acteur ne peut prétendre
à quelque légitimité que ce soit s’il ne souscrit pas d’emblée à ce principe13. En effet, dans sa
perspective la plus élevée, la recherche de l’intérêt de l’enfant devrait être l’âme de l’adoption, la
finalité unique et supérieure qui justifie et transcende toutes ses règles. Le problème est cependant
8AGNES (F.), « Regard anthropologique et historique sur l’adoption. Des sociétés lointaines aux formes
contemporaines », op. cit., p. 10. 9 TCHAKOUA (J.M.), Introduction générale au droit camerounais, PUCAC, 2008, p. 83. 10 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 37. 11 À la différence du législateur camerounais qui a consacré les deux types, le législateur congolais a institué un seul
type d’adoption à savoir l’adoption simple. Voir en ce sens l’article 650 du code de la famille de la République
Démocratique du Congo qui définit l’adoption. 12 La notion d’intérêt de l’enfant est une notion fondamentale qui reste pourtant mal définie ; elle consiste à faire
systématiquement prévaloir l’intérêt d’un enfant face à des intérêts concurrents, notamment ceux de ses parents ou
des tiers ; l’article 523 du code des personnes et de la famille malien prévoit par exemple que toute adoption est faite
uniquement en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. 13 Françoise-Romaine (O.), « L’intérêt de l’enfant adopté et la protection de ses droits », Éthique publique, (2001)
3(1), p. 148.
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que le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant n’est défini ni en droit international ni en droit
interne, bien que certaines indications soient données. Ainsi, peuvent être pris en compte les
besoins moraux, intellectuels, affectifs et psychiques de l’enfant, son âge, sa santé, son caractère,
son milieux familial et les autres aspects de sa situation14.
L’article 21 de la CIDE dispose en effet que : « les États parties qui admettent et/ou autorisent
l’adoption s’assurent que l’intérêt supérieur de l’enfant est la considération primordiale en la
matière ». Partant, il nous a semblé nécessaire d’évaluer la législation applicable en la matière au
Cameroun pour s’assurer que l’orientation donnée par la CIDE est respectée. L’adoption, relevant
d’un domaine du droit intimement lié aux mœurs, coutumes et perceptions partagées au sein d’une
société à un moment donné se doit d’évoluer avec celle-ci. La CIDE, prenant en compte le
changement de but de l’adoption, pose des orientations nouvelles qui n’ont point encore été
intégrées en droit camerounais. L’intérêt de cette étude est donc de relever les insuffisances de la
législation camerounaise quant à la prise en compte de l’intérêt de l’enfant en matière d’adoption
et faire des propositions visant à les endiguer.
En raison du principe de la subsidiarité de l’adoption internationale, cette analyse portera
essentiellement sur l’adoption interne. Grâce à cette institution, les enfants abandonnés, orphelins
ou autres devraient pouvoir trouver un foyer, une éducation, une affection qu’aucun organisme ne
saurait leur assurer malgré tout son dévouement. Malheureusement, dans la pratique, cette
institution ne fait pas le grand bonheur des aspirants à la fonction parentale en raison de la vétusté15
des textes applicables en la matière, qui sont de nature à décourager plus d’un postulant. Le code
civil de 1804 encore applicable au Cameroun ne s’arrime pas à la réalité sociale actuelle s’agissant
précisément des règles relatives à l’adoption, puisque l’époque qu’il réglementait est elle-même
révolue16. L’on note une inadéquation des conditions et formes de l’adoption à l’intérêt de l’enfant
(I), d’où la nécessité d’un réaménagement (II).
14 MONA PARÉ, « L’adoption coutumière au regard du droit international : droits de l’enfant vs droits des peuples
autochtones », RGD, vol. 41, n° 2, 2011, p. 638. 15 À titre de comparaison, la législation applicable en matière d’adoption en France a sensiblement évolué avec les
lois de 1976, de 1996 et de 2005. 16 TEGUIA (J.), Plaidoyer pour un accès facile à l’adoption au Cameroun, mémoire de Master, Université de
Dschang, 2012, p. 6.
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I- L’INADEQUATION DES CONDITIONS ET FORMES D’ADOPTION A L’INTERET
DE L’ENFANT
À l’analyse du droit positif camerounais, on s’aperçoit que l’intérêt des protagonistes (et
surtout de l’enfant) n’est pas suffisamment pris en compte tant au regard des conditions (A) que
des formes ou types d’adoption prévus en droit camerounais (B).
A- La rigidité des conditions de l’adoption
En tant qu’institution, l’adoption est soumise à des conditions de fond. Il s’agit des
circonstances qui touchent aux personnes concernées par ladite institution : l’adoptant, l’adopté,
et les rapports qu’ils pourraient entretenir. Lorsqu’on parcourt le code civil, l’on constate que
lesdites circonstances sont loin d’être favorables pour ceux qui seraient intéressés par l’adoption à
nos jours. L’on présentera ces conditions tout en démontrant leur caractère anachronique. Qu’il
s’agisse de l’adoption ordinaire ou de la légitimation adoptive, seront examinées tant les conditions
relatives aux protagonistes (1) que celles relatives aux rapports entre protagonistes (2).
1- Les conditions relatives aux protagonistes
L’on analysera successivement les conditions relatives à la situation conjugale de l’adoptant
(a) et celles relatives à sa situation de descendance (b).
a- La situation conjugale de l’adoptant
L’article 344 du code civil dispose que : « […] toutefois, elle peut être demandée conjointement
par deux époux non séparés de corps dont l’un au moins est âgé de plus de 35 ans s’ils sont mariés
depuis plus de dix ans […] ». À la lecture de cet article, deux points attirent l’attention : il s’agit
d’une part de la condition relative à la durée du mariage et d’autre part celle relative à l’âge. C’est
l’occasion de relever que ces conditions sont identiques qu’il s’agisse de réaliser une adoption
ordinaire ou plutôt une légitimation adoptive.
S’agissant de la durée du mariage, le code civil requiert des époux désirant adopter d’être
mariés depuis plus de dix ans. L’on se demande alors si cette exigence qui, autrefois se justifiait
par la nécessité de s’assurer de la stérilité17 du couple et de sa stabilité reste d’actualité face aux
17 CARBONNIER (J.), Droit civil, la famille, tome 2, 18e éd., PUF, 1997, p. 481.
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progrès de la médecine et au changement de mentalités de la population camerounaise. En effet,
grâce aux progrès de la médecine, la stérilité peut désormais être décelée le plutôt possible ; rien
ne justifie le maintien d’une telle exigence18.
En plus de la durée de mariage, et à condition qu’une séparation de corps n’ait été prononcée,
le code civil exige que l’un au-moins des conjoints soit âgé de plus de trente-cinq ans19. N’eût été
la volonté du législateur de s’assurer de la stérilité du couple, une telle condition d’âge même à
l’époque était excessive. Les mariages étant généralement contractés entre Seize et dix-huit ans20,
demander aux époux d’attendre pratiquement quinze ans avant d’envisager adopter un enfant était
ignorer le but du mariage en Afrique et par ce fait même favoriser les adoptions de fait, sans
garantie aucune pour l’adopté. Que dire de la situation de descendance ?
b- La situation de descendance
Le code civil prévoit en son article 344, alinéa 2 que : « les adoptants ne devront avoir, au jour
de l’adoption, ni enfants ni descendants légitimes. L’existence d’enfants légitimés par adoption ne
fait pas obstacle à l’adoption ». Cet article pose clairement comme condition de l’adoption
ordinaire ou de la légitimation adoptive l’absence d’enfants ou de descendants légitimes issus de
(s) l’adoptant (s). Condition sine qua non de l’adoption, elle fait obstacle dans la pratique à tout
candidat à l’adoption ayant déjà des enfants par le sang. Autrefois nécessaire dans un contexte où
les enfants n’étaient pas traités également, elle visait à protéger les enfants légitimes et s’arrimait
bien au but de l’adoption qui était d’apporter une consolation aux ménages stériles. Cependant,
prenant en compte l’intégration du principe d’égalité en droit de la filiation et l’évolution du but
de l’adoption qui n’est plus d’apporter consolation aux couples stériles mais plutôt d’offrir un foyer
aux enfants qui en sont dépourvus, l’absence de descendance ne devrait plus prévaloir car elle a
perdue de son efficacité. Si les exigences d’âge et de consentement se justifient par des besoins de
sécurité et de sincérité, la condition d’absence de descendance au moment de l’adoption ne cadre
18 En Afrique où l’un des buts du mariage est la procréation, une présomption de stérilité pourrait être tirée du fait
pour deux époux d’avoir passé un temps relativement long sans faire d’enfants ; ce qui conduira sans doute l’un d’eux
à s’en donner aux examens médicaux pour déceler le plutôt possible le problème et ainsi chercher à y remédier dans
la mesure du possible. 19 V. article 344, alinéa 1 du code civil camerounais. 20 V. KUATE-DEFO (B.), « L’évolution de la nuptialité des adolescents au Cameroun et ses déterminants », in
Population, 55e année, n° 6, 2000, pp. 941-973.
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pas avec la conception africaine de la famille21. En outre, il faut relever que l’adoption est parfois
investie, en Afrique, comme un acte magico-religieux ouvrant la chance à l’enfant biologique22.
De plus, comment expliquer qu’en interdisant l’adoption en présence d’enfants légitimes, le
législateur ait prévu que la présence d’enfants légitimés par adoption ou encore la naissance
d’enfants légitimes après l’adoption n’altère pas sa validité ? Il s’agit là d’une grossière
contradiction qu’il convient de corriger. S’il est reconnu que la naissance d’enfant légitime
intervenue après une adoption n’altère pas la validité de celle-ci, et compte tenu du fait que l’enfant
adopté a les mêmes droits et obligations que s’il était né du mariage, en quoi est-ce que la situation
serait différente si l’adoption intervenait plutôt postérieurement à la naissance d’enfant légitime ?
Que l’adoption soit postérieure ou antérieure à la naissance d’enfant légitime, tous ces enfants
auront les mêmes droits et devoirs, ceci en vertu du principe de non-discrimination posé à l’article
3 de la Charte Africaine des Droits et du Bien Être de l’Enfant (CADBEE) de 1990.
L’institution qui, à l’origine ne devait pas concurrencer le mariage légitime23, doit être
réaménagée pour tenir compte de l’évolution tant des buts de l’adoption que de l’abolition de la
hiérarchie entre filiations. Ce réaménagement devant être élargi aux conditions relatives aux
rapports entre protagonistes.
2- Les conditions relatives aux rapports entre protagonistes
L’adoption étant une filiation qui singe la nature, pour qu’elle soit en quelque sorte conforme
à celle-ci, le législateur a entendu s’assurer de l’existence d’une certaine vraisemblance à travers
l’exigence d’une différence d’âge entre adoptant et adopté (a). Il a en outre trouver logique de
subordonner cette création juridique du lien de filiation à une situation affective correspondant
effectivement au rapport familial (b).
21 TIMTCHUENG (M.), Le droit camerounais de la famille entre son passé et son avenir, thèse de Doctorat 3e cycle,
Yaoundé II, 2000, p. 219. 22 TETOU (S.) et al., « Du modèle de confiage à l’adoption plénière de l’enfant : Crises, évolution et émergence d’une
nouvelle parentalité en Afrique (exemple du Togo) », Neuropsychiatr Enfance Adolesc, 2017, p. 1. 23 AGNÈS FINE, « L’évolution de l’adoption en France, entre filiation et parentalité », op. cit., p. 155.
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a- La différence d’âge
Pour s’assurer de toute vraisemblance, le législateur a estimé qu’il était nécessaire de prévoir
un écart d’âge entre l’adoptant ou les adoptants et la personne qu’ils se proposent d’adopter. C’est
dans cette logique qu’il est prévu à l’article 344, alinéa 3 du code civil que les adoptants doivent
avoir quinze ans de plus que les enfants qu’ils se proposent d’adopter. Et si ces derniers sont les
enfants du conjoint, la différence d’âge est ramenée à dix ans. Deux interrogations surgissent alors
à l’esprit : l’on peut se demander si cette différence d’âge est satisfaisante et si en outre elle doit
être appréhendée seule ou être cumulative.
S’agissant tout d’abord de son caractère suffisant, en supposant que cette différence d’âge ait
été déterminée en considération de l’âge nubile chez la femme prévue à l’article 144 du code civil,
l’on peut dire qu’elle est suffisante. Par contre, l’insuffisance dans la prévision législative vient de
ce que le législateur camerounais a omis de prévoir une différence d’âge maximum. En effet, si la
différence d’âge entre adoptant et adopté vise à s’assurer de la vraisemblance de la filiation ainsi
créée, il aurait été souhaitable de prévoir une limite d’âge maximum, cette limite pouvant alors
être fixée en se référant à l’âge de la ménopause chez la femme ou tout autre critère ; ceci pour
éviter qu’un jeune enfant ne puisse être adopté par des personnes qui vraisemblablement pourraient
être, en considération de leur âge, non pas ses parents, mais ses grands-parents .
À la question de savoir si elle doit être appréciée cumulativement avec les autres conditions,
une réponse négative s’impose, qu’il s’agisse de l’adoption de l’enfant du conjoint ou toute autre
adoption. Certes un enfant ne saurait être plus âgé que ses parents, mais cette différence d’âge peut
être sensiblement réduite ou effacée selon les cas, ceci en considération de l’intérêt de l’enfant.
Partant, le législateur pourrait inscrire à la suite de l’article 344, alinéa 3 ci-dessus ce qui suit :
« Toutefois, le tribunal peut, dans l’intérêt de l’adopté, passer outre cette exigence »24. Une telle
recommandation trouverait à s’appliquer qu’il s’agisse d’une adoption extrafamiliale ou
intrafamiliale
24 Une prévision similaire est prévue à l’article 547 du code civil québécois qui dispose que : « L’adoptant doit avoir
au moins 18 ans de plus que l’adopté, sauf si ce dernier est l’enfant de son conjoint. Toutefois, le tribunal peut, dans
l’intérêt de l’adopté, passer outre à cette exigence ».
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b- La question de l’adoption intrafamiliale
L’adoption intrafamiliale peut être entendue comme celle réalisée entre des personnes unies
par un lien de parenté ou d’alliance. Les exemples les plus fréquents sont l’adoption de l’enfant
par ses grands-parents ou par un oncle, une tante. Les législateurs français et québécois se montrent
conciliants envers de telles adoptions qui ne sont pas soumises aux mêmes mécanismes de contrôle
que les adoptions hétéro-familiales25. Ces adoptions peuvent assurer la protection de l’enfant, mais
elles entraînent pour ce dernier un dérèglement de ses repères identitaires et généalogiques26, voire
des troubles psychologiques. En effet, l’adoption doit, avant tout, créer de la filiation respectueuse
de la différence des générations ; or, l’adoptabilité de l’enfant issu de la parenté méconnaît cet
objectif27. Un auteur regrettant l’existence de cette forme d’adoption en France a noté que
l’adoption entre frère et sœur « perturbe fortement les structures familiales, le rapport fraternel se
trouvant changé en un rapport de parent-enfant »28.
Le code civil camerounais, sans expressément traiter de la question a consacré un cas
d’adoption intrafamiliale à savoir : l’adoption de l’enfant du conjoint prévue à l’article 344, alinéa
3 qui ne détermine aucun régime. Partant, l’on peut se demander quelles sont les hypothèses dans
lesquelles elle doit être admise et sous quelle forme doit-t-elle l’être. Pour pallier ces
manquements, l’on pourrait s’inspirer mutatis mutandis de la position du législateur français29 sur
la question. L’adoption à la suite d’un consentement spécial en faveur du nouveau conjoint du
parent qui a la garde de l’enfant devrait créer un lien de filiation avec le beau-parent, sans rompre
la filiation établie avec le parent absent (qui doit y consentir, à moins d’être déchu de ses droits),
sans éteindre la filiation déjà existante entre l’enfant et le parent gardien. C’est dire qu’elle ne
devrait être admise que sous la forme simple. Qu’en est-il des autres hypothèses d’adoptions
intrafamiliales ?
25 LAVALLE (C.), « Pour une adoption sans rupture du lien de filiation d’origine dans les juridictions de civil Law et
de Common Law », Informations sociales, vol. 146, n° 2, 2008, p. 136. 26 LAVALLE (C.), op. cit., p. 136. 27 MAHAMANE COULIBALY, L’adoption et les droits de l’enfant en Afrique francophone : réflexions sur les droits
malien et sénégalais, thèse de Doctorat, Université de Grenoble Alpes, 2015, p. 108. 28 MURAT (P.), note sous Paris, 10 février 1998, Dr. Fam., 1998, comm, n° 83. 29 V. articles 345-1 et 356, alinéa 2 du code civil français.
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Le silence du législateur doit-il être perçu comme une admission ou plutôt comme un rejet de
ces formes d’adoptions ? Faute d’autres précisions, et bien que la jurisprudence y soit favorable30,
il faudrait conclure à leur exclusion. Partant, et pour remédier aux inconvénients qui résulteraient
de cette exclusion, proposition est faite au législateur camerounais de règlementer l’adoption
coutumière pour en faire une institution légale comme son homologue malien31. Au regard des
conditions de fond ainsi étudiées, l’intérêt de l’enfant semble ne pas être la considération
primordiale pour le législateur camerounais en matière d’adoption ; la même observation peut être
faite s’agissant des effets de la légitimation adoptive.
B- L’inadéquation entre légitimation adoptive et intérêt de l’enfant
Cette forme d’adoption voit le jour en France en 196632, grâce à l’intervention d’un nouvel
acteur, l’État, représenté par les services administratifs de la protection de l’enfance33. C’est durant
l’entre-deux guerres mondiales que l’histoire de l’abandon et celle de l’adoption, longtemps
parallèles, se sont croisées de manière durable. Auparavant en effet, non seulement les enfants
adoptés n’étaient pas des enfants abandonnés, mais ces derniers n’étaient pas adoptés34. L’adoption
plénière est exclusive en ce sens qu’elle constitue une barrière à l’établissement de la filiation
d’origine de l’enfant abandonné (2), en outre il faut relever que la distinction adoption et
légitimation adoptive est devenue inopérante en droit camerounais depuis la réforme de 1981 qui
a unifié la procédure d’adoption35. La légitimation adoptive, au regard de ses effets, ne milite pas
en faveur de la préservation de l’intérêt de l’enfant (1).
1- L’inadaptation des effets de la légitimation adoptive à l’intérêt de l’enfant
Comme le relevait un auteur36, les effets de la légitimation adoptive sont inapplicables au
Cameroun ; il est impossible qu’un enfant soit complètement détaché de sa famille par le sang.
Quelle que soit la solidité du lien d’adoption, l’enfant continue d’être tenu à l’égard de sa famille
30 V. TPD de Dschang, Jugement n° 056/C du 26 janvier 2017, Affaire GENTILHOMME Raymond Roger et
AMADZA MANGA Marie Anne ; 31 Voir l’article 522 du code malien des personnes et de la famille. 32 Loi n° 66-500 du 11 juillet 1966. 33 AGNÈS FINE, « L’évolution de l’adoption en France, entre filiation et parentalité », op. cit., p. 157. 34 Idem. 35 Voir l’article 41-1, alinéa 1 de l’ordonnance de 1981. 36 TIMTCHUENG (M.), Le droit camerounais de la famille entre son passé et son avenir, op. cit., p. 221.
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de sang, même si ces devoirs sont moindres. La légitimation adoptive crée une situation identitaire
paradoxale. Elle attribue à l’adopté une filiation adoptive tout à fait exclusive, mais dans un
contexte culturel qui ne permet pas de croire à l’insignifiance de ses liens familiaux d’origine,
lesquels sont conçus comme une part fondamentale de son histoire et de son identité. Le code civil
n’énonce-t-il pas que l’enfant adopté cesse d’appartenir à sa famille d’origine, tout en maintenant
les empêchements à mariage avec les membres de cette famille (père, mère, frère, sœur, etc.)37 ?
Les empêchements à mariage qui subsistent entre l’adopté et les membres de sa famille adoptive
posent l’idée suivant laquelle l’enfant a un passé et un avenir intimement liés à ses origines. La
légitimation adoptive au Cameroun, calquée sur le modèle occidental ne cadre pas avec le contexte
social. En effet, le droit occidental est teinté par la prédominance des droits individuels au
détriment des droits collectifs38. Dans les sociétés occidentales, l’enfant est considéré comme un
individu d’abord et avant tout. Son appartenance à une famille, à une communauté ou à une nation
spécifique ne sera qu’accessoirement prise en considération39.
La personne adoptée plénièrement est tenue de se définir uniquement à travers sa parenté
adoptive, mais l’interdiction qui lui est faite de connaître ses origines familiales et de s’y référer
confère à celles-ci une importance cruciale40. Il n’est pas surprenant, dans ce contexte, que des
adoptés privés de la connaissance de leurs origines se sentent amputés d’une part d’eux-mêmes41.
2- Le déni du passé de l’enfant adopté
La légitimation adoptive assure certes l’égalité juridique de l’adopté par rapport à l’enfant
biologique de ses parents adoptifs ; par contre, le fait qu’elle constitue un obstacle à l’établissement
de la filiation d’origine et fasse de l’enfant un étranger à sa famille d’origine implique que l’enfant
adopté sous cette forme n’a pas, comme tout autre enfant, le droit de connaître ses parents tel que
posé à l’article 7 de la CIDE. Le droit de connaître ses origines biologiques occupe aujourd’hui
une place importante dans le discours juridique. En effet, l’affirmation de l’existence d’un tel droit
37 Voir l’article 370, alinéa 1 du code civil. 38 LAVALLÉE (C.), « L’adoption coutumière et l’adoption québécoise : vers l’émergence d’une interface entre les
deux cultures ? », RGD, vol. 41, n° 2, 2011, p. 682. 39 Idem. 40 FRANÇOISE-ROMAINE (O.) et ROY (A.), « Prendre acte des nouvelles réalités de l’adoption, coup d’œil sur
l’avant-projet de loi intitulé Loi modifiant le code civil et d’autres dispositions législatives en matière d’adoption et
d’autorité parentale », RJT, vol. 3, n° 44, 2010, p. 18. 41 Idem.
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nécessite de s’interroger sur sa véritable signification, ses assises possibles dans notre droit mais
aussi sur la portée que pourrait ou devrait avoir le droit de connaître ses origines. À la réflexion,
on peut se demander si l’intérêt de l’enfant, si souvent invoqué dans ce débat, est réellement servi
par la mise en scène d’une nouvelle naissance faisant fi du passé et des origines biologiques de
l’enfant. Considérant l’impact identitaire de la légitimation adoptive sur l’enfant concerné, il serait
nécessaire que l’on mentionne dans son acte de naissance le fait de l’adoption, ouvrant ainsi la
voie à un possible établissement de sa filiation biologique. En effet, il est possible que l’adopté
exprime un jour la volonté de connaître l’identité de ses parents d’origine, son histoire préadoptive
et le contexte qui a mené à son adoption. Si l’on a pu jadis banaliser la quête identitaire de l’enfant
adopté en y voyant l’expression d’une curiosité déplacée ou d’un caprice malsain, de nombreuses
études permettent désormais d’en saisir l’ampleur et le sérieux42.
La légitimation adoptive répond moins directement à l’intérêt supérieur de l’enfant qu’à celui
des adoptants qui veulent être les seuls parents. L’intérêt de l’enfant, dans le cadre de la
légitimation adoptive, ne peut être apprécié uniquement en fonction de son jeune âge, de ses
besoins immédiats et de la protection que peuvent lui assurer ceux et celles qui sont prêts à
l’accueillir sous leur toit. Il doit l’être aussi au regard de l’impact qu’aura inévitablement la
création d’un nouvel état civil. Il faut non seulement tenir compte de la sécurité et du
développement de l’enfant, mais également du fait que le bambin assigné aujourd’hui à une
nouvelle famille deviendra un jour adolescent, puis une personne adulte qui entendra connaître ses
origines biologiques. L’urgence pour le jeune enfant abandonné est certes d’avoir un ancrage
familial inconditionnel, cependant, cela doit-il nécessairement exclure la possibilité
d’établissement de sa filiation d’origine ? L’intérêt de l’enfant, qui deviendra inévitablement un
adolescent, puis un adulte, est-il de perdre définitivement son lien d’appartenance à sa famille
d’origine en tant que source sociale et symbolique d’identité et d’appartenance ? Faut-il
nécessairement faire obstacle par anticipation aux relations entre un enfant et un parent en grave
difficulté qui lui a fait irrémédiablement défaut, mais qui pourrait bien un jour trouver un meilleur
équilibre ?
42 Idem, p. 33.
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II- PLAIDOYER POUR UNE ADOPTION CONFORME A L’INTERET DE L’ENFANT
Comme évoqué précédemment, l’euphorie que devrait engendrer l’adoption n’est pas très
perceptible au Cameroun, en raison de la vétusté des textes relatifs à ladite institution et du
changement des mentalités ; ce qui justifie largement un souci de réforme de l’adoption. Celle-ci
devant passer par l’assouplissement de ses conditions de fond (A) et la revalorisation de l’adoption
sans rupture du lien de filiation d’origine (B).
A- L’assouplissement des conditions de fond de l’adoption
La réforme de l’adoption au Cameroun doit passer par le réaménagement de ses conditions de
fond, qu’il s’agisse de celles relative à la situation conjugale de l’adoptant, à la situation de
descendance, voire à la différence d’âge entre adoptants et adoptés.
Relativement à la situation conjugale de l’adoptant, tant la durée du mariage que l’âge de
l’adoptant doivent être revus à la baisse. En effet, ne devant plus s’assurer de la stérilité du couple,
et étant donné que cette dernière peut être, en ce XXIe siècle, décelée le plutôt possible, le
législateur camerounais devrait s’inspirer d’autres législations qui ont connu une évolution dans
ce sens pour réaménager la condition d’âge. En France par exemple, l’âge de l’adoptant, marié ou
non a été ramené à plus de vingt-huit ans43. L’Angleterre a mieux fait en ramenant l’âge de
l’adoptant à vingt et un ans44. En considérant l’âge nubile45 prévu en droit camerounais, et s’il
faille tenir compte de la proposition visant à ramener la durée du mariage à deux ans46, le
législateur camerounais pourrait substantiellement modifier la condition d’âge non seulement pour
l’adoption conjointe, mais aussi pour l’adoption individuelle. Il pourrait alors ainsi formuler
l’article 344, alinéa 1 du code civil : « L’adoption n’est permise qu’aux personnes de l’un ou de
l’autre sexe âgées de vingt et un ans (21) au moins ». Partant, il s’inscrirait dans la même logique
que son homologue congolais47.
43 V. article 343-1 du code civil français. 44 V. les articles 50 et 51 de l’Adoption and Children Act de 2002. 45 V. article 144 du code civil camerounais. 46 Cette solution ayant déjà été adoptée par le législateur français, voir l’article 343 du code civil français. À notre
avis, deux années sont largement suffisantes pour vérifier la solidité du couple marié et s’en convaincre de l’aptitude
de la famille d’accueil à recevoir l’enfant.
47 V. article 653 du code de la famille du Congo Kinshasa qui dispose que : « Ne peuvent adopter que les personnes
majeures et capables […] ». La majorité étant alors fixée à 18 ans.
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Si elle convenait bien au but de l’adoption qui était de donner un enfant à un couple stérile,
l’évolution du but de l’adoption et des mentalités de la population devrait conduire la condition
d’absence de descendance dans les décombres. En effet, l’ adoption était sollicitée et l’est encore
aujourd’hui par des personnes ou des couples qui ne souffrent d’aucune stérilité48. La hiérarchie
des filiations ayant cédé la place à l’égalité entre tous les enfants, il n’y a plus lieu de craindre un
amenuisement des droits successoraux de l’enfant légitime en présence d’enfant adopté.
Pour ce qui est de la différence d’âge, son maintien permettrait d’éviter que la maternité ou la
paternité de l’adoptant ne soit pas trop invraisemblable, mais elle ne devrait pas être appréciée
cumulativement avec les autres conditions. En outre, l’adoption ne devrait plus entraîner la rupture
ou constituer une barrière à l’établissement du lien de filiation d’origine.
B- La revalorisation de l’adoption sans rupture du lien de filiation d’origine
Elle passera par le relèvement de l’adoption simple (1) et la reconnaissance de l’adoption
coutumière (2).
1- La revalorisation de l’adoption simple
L’adoption simple traduit en effet l’idée d’une coexistence non seulement en droit, mais aussi
dans la réalité de la vie de l’enfant de plusieurs parents. Elle favorise l’interconnaissance entre les
géniteurs et les parents adoptifs pour ce qui est de l’enfant déjà rattaché aux géniteurs par un lien
de filiation et permettrait l’établissement de la filiation de l’enfant sans filiation (abandonné ou
orphelin) à l’égard de ses parents d’origine qui, après coup, ressentent le besoin de se rattacher à
lui. L’adoption simple permettrait également aux mères d’origine de dédramatiser l’abandon qui
sera alors perçu comme un don altruiste d’un enfant qui gardera des relations avec elles. Elle
pourrait en outre être perçue comme un instrument politique de lutte contre l’avortement.
L’adoption simple apparaît comme la forme d’adoption la plus respectueuse de l’intérêt de
l’enfant, seul critère décisionnel acceptable49. Les limites relevées quant à l’adoption plénière
invitent à réévaluer l’adoption simple, et à éventuellement lui donner une place plus importante,
voire une place exclusive. Il s’agirait alors d’admettre dans le domaine de l’adoption qu’un enfant
48 V. aff. Dame HUGOT GUEYO Rose, TGI de la MIFI, jugement n° 13/civ du 16 décembre 2003. 49 FRANÇOISE-ROMAINE (O.) et al., « L’adoption, projet parental et projet de vie pour l’enfant. L’exemple de la
« banque mixte » au Québec », Informations sociales, 107, 2003, p. 66-75.
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peut avoir besoin pour se construire de plusieurs figures parentales, à condition que le statut des
uns et des autres soit clairement institué sur le plan juridique50.
Les échanges directs entre parents adoptifs et d’origine peuvent en effet favoriser le passage
de l’enfant de sa famille d’origine à sa famille d’adoption en permettant que circulent entre ces
deux familles les paroles, les gestes et les désirs qui font qu’un enfant trouve la place unique qui
lui revient parmi ses proches, sans avoir à se sentir rejeté par les uns et possédé par les autres51.
L’adoption simple semble alors être la seule avenue permettant de respecter l’intérêt de l’enfant à
être adopté, sans qu’il soit pour autant question de lui faire perdre des liens significatifs. À
l’intérieur de la famille cependant, il faudra consacrer l’adoption coutumière.
2- La reconnaissance de l’adoption coutumière
D’emblée précisons le paradoxe consistant à parler d’adoptions de fait ou coutumière. En droit,
l’usage du terme est abusif dès lors qu’il n’y a pas changement de filiation de l’enfant. Cependant,
la manière dont ces transferts informels d’enfants sont vécus et nommés par les acteurs concernés
invite à les rapprocher sinon à les assimiler. En effet, l’usage du mot « adoption » est polysémique
dans l’imaginaire populaire en Afrique. La distinction adoption/fosterage n’est pas communément
réalisée dans le langage commun. Les personnes se réfèrent soit à l’adoption (simple ou
légitimation adoptive) soit au fosterage ou adoption coutumière, tout en parlant d’adoption52.
Pourtant, dans le premier cas, il s’agit d’une procédure juridique régie par l’État, alors que dans le
second cas il s’agit d’une pratique privée entre parents. Le recours à cette pratique étant dans
certains cas justifié par les difficultés liées aux conditions et à la procédure d’adoption ci-dessus
évoquées ; les candidats à l’adoption jugeant la loi trop contraignante53. Dans d’autres cas, elle
trouve son fondement dans une logique de solidarité familiale et lignagère et le refus d’intégrer un
enfant étranger dans la famille. Outre la règle qui pousse à garder le patrimoine dans la famille et
50 Idem. 51 FRANÇOISE-ROMAINE (O.) et ROY (A.), « Prendre acte des nouvelles réalités de l’adoption, coup d’œil sur
l’avant-projet de loi intitulé Loi modifiant le code civil et d’autres dispositions législatives en matière d’adoption et
d’autorité parentale », op. cit., p. 22. 52 BONNET (D.), « Adopter un enfant dans le contexte de la procréation médicalement assistée en Afrique
subsaharienne », Cahiers d’études africaines, n° 215, 2014, p. 770. 53 Idem, p. 773.
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à rester solidaire des proches auxquels on se sent lié affectivement, une autre raison d’adopter dans
la parenté peut être : la certitude de savoir « à quel sang on a affaire ».
De manière générale, on peut donc définir l’adoption coutumière comme un arrangement privé
entre deux familles, qui sert à décider d’un transfert de responsabilité à l’égard de l’éducation et
du soin d’un enfant. En l’état actuel de la pratique en effet, il s’agit essentiellement du transfert
des responsabilités parentales sur une base temporaire ou indéterminée ; la mesure peut être conçue
au départ comme temporaire, mais elle peut durer par la suite sur une longue période et devenir
permanente. Dans ces conditions, il n’est pas toujours aisé de savoir s’il s’agit d’une délégation
complète des droits parentaux ou d’un partage de l’autorité parentale, qui serait exercée
conjointement par les parents biologiques et les adoptants. Il n’est non plus aisé de savoir si
l’enfant ainsi adopté peut être compté parmi les héritiers de ses parents adoptifs ; ce qui n’est pas
dans son intérêt. En l’absence de quelques décisions qui auraient attribué la tutelle ou consacré
l’adoption de l’enfant, la société traditionnelle reconnaît l’existence d’un lien de filiation de fait
plus fort que celui qui unit l’enfant à ses parents biologiques ; les obligations qu’a l’enfant vis-à-
vis de son « tuteur » dépassent celles qu’il aurait envers ses parents par le sang54. Comme le
relevait un auteur55, l’adaptation de l’adoption à l’intérêt de l’enfant doit donc tenir compte de
cette donnée de notre vécu de tous les jours.
Le manque de reconnaissance juridique de l’adoption coutumière peut rendre l’exercice de
l’autorité parentale très difficile pour les adoptants dans les cas où l’enfant confié était déjà
juridiquement rattaché à ses parents biologiques ; en effet, l’autorité parentale appartient aux
parents juridiques, et sans reconnaissance légale de ce transfert d’autorité parentale au profit des
adoptants, ceux-ci ne pourront valablement exercer l’ensemble des droits et obligations qui sont
censés leur avoir été transmis par les parents biologiques dans l’intérêt de l’enfant. Les adoptants,
s’ils ne sont pas les tuteurs légaux de l’enfant, pourraient avoir des difficultés à inscrire l’enfant à
l’école, à consentir aux soins de santé pour l’enfant, à lui obtenir un passeport, à pouvoir voyager
avec lui à l’étranger etc. Ces raisons sont présentées au soutien de la nécessité de reconnaître la
pratique. En sens contraire, la reconnaissance juridique de l’adoption coutumière pourrait elle aussi
54 TIMTCHUENG (M.), Le droit camerounais de la famille entre son passé et son avenir, op. cit., p. 219. 55 Idem, p. 220.
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poser des problèmes selon les effets de cette reconnaissance ; s’il s’agit de la reconnaissance avec
un transfert des effets juridiques de l’adoption plénière par exemple, comme en Colombie-
Britannique56, on risque de dénaturer cette dernière. Les effets de l’adoption légale, notamment la
légitimation adoptive, peuvent être trop radicaux, car ils entraînent notamment le changement de
filiation, le retrait de tous les droits parentaux des parents biologiques, la coupure des liens avec la
famille biologique, les modifications en matière de droit des successions, etc.
L’adoption coutumière concerne majoritairement des nouveau-nés. En principe, le transfert de
l’enfant se réalise à l’intérieur de la famille élargie, mais pas exclusivement. La décision d’adopter
ou de donner l’enfant en adoption est prise durant la grossesse de la mère ou dès les premiers jours
après la naissance. Cependant, il peut arriver que l’enfant soit plus âgé. Dans ces hypothèses, un
ascendant ou un parent en ligne collatérale peut l’adopter sous la forme coutumière. Adoptés au
sein de leur famille, ces enfants vivent souvent dans la même maison que leur mère biologique57.
Si ce n’est pas le cas, l’enfant connaît généralement l’identité de ses parents et peut continuer
d’entretenir, ou non, des relations avec eux. Cette ouverture est considérée comme positive par
toutes les parties. Tout le processus se déroule verbalement ; la parole donnée est sacrée58.
L’adoption coutumière se réalise sans intermédiaire, sans papier et sans délai.
La difficulté en cas de reconnaissance de cette forme d’adoption résidera au niveau de sa
preuve. Pour pallier celle-ci, la procédure pourrait consister à colliger les renseignements sur
l’enfant, ses parents biologiques et l’(es) adoptant dans une attestation établie devant notaire.
L’attestation devrait être signée par le notaire, les parents biologiques, l’(es) adoptant et
éventuellement les témoins. Dans les cas où l’enfant n’a pas de filiation établie, en raison du décès
de sa mère en couche par exemple, l’accouchement valant reconnaissance à l’égard de la mère,
son acte de naissance serait établi avec le « vide » dans la zone réservée à la mention du nom du
père, ceci pour permettre à ce dernier de reconnaître son enfant ultérieurement le cas échéant.
L’acte délivré par le notaire n’est pas un acte de naissance, mais une attestation d’adoption
coutumière devant produire des effets quasi-identiques à ceux produits par un jugement d’adoption
56 Adoption Act, R.S.B.C. 1996, c. 5. 57 L’adoption est souvent réalisée par les grands-parents parce que la mère est trop jeune et n'est pas encore prête à
élever un enfant. 58 LAVALLÉE (C.), « L’adoption coutumière et l’adoption québécoise : vers l’émergence d’une interface entre les
deux cultures ? », op. cit., p. 662.
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simple. Il faut admettre que ces adoptions produisent presque les mêmes effets que si elles avaient
eu lieu selon le droit étatique. La solution ainsi proposée est contraire à celle prévue au Québec
où, s’appuyant sur le préambule de la loi sur la reconnaissance de l’adoption selon les coutumes
autochtones, la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest s’est dite d’avis que les effets de l’«
adoption coutumière » devaient être déterminés par la coutume et qu’en conséquence, les effets
prévus au régime général d’adoption ne trouvaient aucunement application en l’espèce59.
Ainsi, l’adoption coutumière devrait créer une obligation alimentaire réciproque entre adoptant
et adopté, voire une vocation successorale. En effet, « dans la coutume, une fois que le père mettait
un enfant sous sa protection ou que l’enfant était né dans sa concession, il n’hésitait pas à lui
conférer les attributs de fils de la concession »60. Comme dans l’adoption simple, l’enfant adopté
coutumièrement devrait pouvoir hériter des biens de ses parents biologiques en plus de ceux de
ses parents adoptifs. Elle ne devrait cependant entraîner aucun changement dans la filiation ou
dans l’identité juridique de l’enfant. Le maintien du lien de filiation entre l’enfant et les parents
biologiques sans création d’un nouveau lien avec les parents adoptants devant être perçu comme
un élément fondamental de la pratique. Un mécanisme à peu près similaire est consacré en droit
malien, et sa particularité invite à le mentionner ; il s’agit de l’adoption-protection.
L’adoption-protection est une institution consacrée par le droit malien dont l’objet est d’assurer
l’entretien, l’éducation, la protection matérielle ou morale d’enfants sans toutefois créer de lien de
filiation entre l’adoptant et l’adopté. D’après l’article 58 du code de la parenté malien61, toute
personne majeure peut recueillir un ou plusieurs enfants mineurs en état d’abandon matériel ou
moral qui lui sont simplement remis par les parents. L’adoption-protection a lieu selon les règles
de la tradition, sans égard au nombre d’enfants et sans autres conditions que la prise en charge
effective. Elle s’exerce au bénéfice d’enfants orphelins ou non, sans distinction tenant à la filiation,
à la race, à la religion ou à la nationalité. L’adoption-protection est sans effet sur les attributs de la
59 S.KK. v. J.S., [1999] N.W.T.J. 94 (aussi répertorié Kalaserk v. Strickland), cité par FOURNIER (A.), « L’adoption
coutumière autochtone au Québec : quête de reconnaissance et dépassement du monisme juridique », RGD, vol. 41,
n° 2, 2011, p. 727. 60 DJONKO KAMDEM (J. F.), Étude jurisprudentielle de l’énonciation de la coutume bamiléké en matière de
succession, mémoire de maîtrise, Université de Dschang, 2000, p. 71. 61 Ordonnance n° 73-036 du 31 juillet 1973 ; voir également les articles 526 et suivants de loi n°2011 – 087 du 30
décembre 2011 portant code des personnes et de la famille.
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personnalité de l’adopté, le domicile légal excepté62 ; elle n’ouvre droit à la succession que dans
les conditions prévues par la loi sur les successions.
Conclusion
Dans toute procédure d’adoption, l’enfant est la personne la plus vulnérable et celle vers
laquelle doivent converger les préoccupations éthiques. L’intérêt de l’enfant est l’âme de
l’adoption ; cependant, en droit positif camerounais, il n’est pas suffisamment pris en compte. L’on
note un certain anachronisme quant aux conditions de fond de l’adoption. Donner un enfant à des
parents qui n’en ont pas, tel n’est plus l’objet de l’adoption au 21e siècle. L’adoption de nos jours
vise à offrir un cadre familial à un enfant qui en est dépourvu. Partant, nombre de conditions de
fond adapté à l’objet passé doivent connaître une évolution pour s’adapter à la nouvelle orientation.
À titre illustratif, il n’est plus nécessaire de s’assurer de la stérilité du couple adoptant pour lui
ouvrir accès à la procédure. En outre, la revalorisation de l’adoption simple au détriment de
l’adoption plénière participera aussi de la mouvance qui vise à garantir à l’enfant le droit à la
connaissance de ses origines. En facilitant l’adoption, notamment par l’assouplissement de ses
conditions, l’on permettrait à bon nombre de personnes de surmonter leur handicap, en même
temps on permettrait aux enfants en détresse, dont le nombre ne cesse de croître, de pouvoir
bénéficier de la chaleur d’une famille normale. L’adoption coutumière telle que proposée ne
devrait être admise qu’à l’intérieur de la parenté, c’est-à-dire lorsqu’il sera question d’adopter le
neveu, la nièce, le petit fils, etc. La reconnaissance d’un tel mécanisme ne saurait donc résoudre le
problème du vide juridique en matière d’adoption en zone anglophone qui reste d’actualité.
62 Voir l’article 63 du code de la parenté.
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La nature du droit du titulaire d’un compte
Par :
Alice TOUAIBA TIRMOU
Doctorante en droit privé
Université de Ngaoundéré (Cameroun)
Résumé :
La théorie classique de la distinction établit entre le droit réel et le droit personnel
caractérisé par une certaine rigidité semble ne plus être efficace. De nombreuses hypothèses à nos
jours, présentent des droits dénués de sujet passif c’est-à-dire des droits qui ne s’exercent ni sur
une chose ni contre une personne, il existe également des « droits doubles » qui s’exercent en
même temps sur une chose et sur la tête d’une personne comme le présente le droit exercé par le
titulaire d’un compte. En effet, le titulaire d’un compte exerce un pouvoir ou mieux, un droit
concomitamment sur son compte et sur la tête de l’établissement monétaire émettrice. La présente
étude a pour ambition de définir la nature du droit exercé par le titulaire d’un compte. Il ressort
de cette analyse que ce droit se trouve être entremêler. On y retrouve en même temps les
caractéristiques du droit de créance et ceux du droit de propriété. La non détermination exacte de
la nature du droit du titulaire d’un compte s’avère être dangereux dans la mesure où chaque type
de droit à un fonctionnement propre à lui. C’est ainsi que le droit de créance diffère du droit de
propriété de part plusieurs aspects à savoir : leurs natures, leurs origines, leurs mécanismes de
transmission, leurs opposabilités aux tiers, leurs effets sur le patrimoine de leur titulaire et surtout
de par les privilèges qu’ils confèrent à leur titulaire. Néanmoins du fait de la présence des
caractéristiques fondamentales du droit de créance dans l’exercice du droit du titulaire d’un
compte, nous sommes parvenus à une fin avec l’idée que le droit exercé par le titulaire d’un compte
est un droit de créance d’une particularité prononcée.
Mots-clés : Droit réel, Droit personnel, Etablissement monétaire, Titulaire, Compte, Nature du
droit.
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Introduction
Un compte, dans son acception globale, se révèle de nos jours, indispensable dans la vie
quotidienne pour percevoir des ressources financières et effectuer des dépenses ou des charges.1
Son utilité et son usage sont des plus exponentiels et ne cessent de faire des adhérents au fil du
temps. Le compte est un terme que peu de personne peuvent définir précisément car c’est un terme
complexe, un terme à multiple définitions au regard de la nature et des objectifs distincts.2 Tout
d’abord il existe des comptes dans différents types d’établissements monétaires. On peut ouvrir un
compte dans un établissement bancaire aussi bien dans les banques centrales que dans celles
spécialisées3, un compte peut également exister dans un établissement émetteur de monnaie
électronique4 tel que les opérateurs de téléphonie mobiles qui mènent désormais des opérations
bancaires. Ainsi, de manière globale, un compte peut être entendu comme un contrat par lequel
une personne dépose des fonds (sommes d’argent) dans un établissement monétaire qui lui
permettra d’effectuer des opérations financières diverses comme relevé plus haut, à l’instar de la
perception d’un salaire, la réalisation des dépenses de différentes natures, des virements ou des
prélèvements. Il faut préciser qu’il existe plusieurs comptes de différent type à savoir le compte
courant qui est le plus classique et le plus courant, le compte épargne, le compte à terme, le compte
joint ou indivis, pour ne citer que ceux-là. Ces comptes se différencient selon leur utilisation.
Toutefois, malgré cette distinction, malgré cette diversité de comptes, le droit exercé par le titulaire
reste indifféremment le même, quitte à ce qu’il soit exercé sur tel ou tel autre type de compte
Nonobstant le visage attrayant de l’usage d’un compte, le compte reste pour le droit un
domaine partiellement exploré et donc partiellement réglementé. Les relations juridiques qu’il
génère ont besoin d’une linéature, ou mieux, d’une détermination bien précise. La question de la
nature du droit du titulaire d’un compte mérite d’être posée. De ce fait, la nature du droit exercé
par le titulaire d’un compte reste à déterminer.
1 Un compte peut servir à recevoir un salaire, une pension, ou une quelconque paie, il sert à conserver son argent, à
réaliser des dépenses de différentes natures (achat, paiement de facture,..), des virements ou des prélèvements. 2 Compte bancaire : type, fonctionnement et frais en 2021, https://selectra.info. 3 Compte bancaire 4 Compte mobile dans sa généralité mais il existe également des appellations spécifiques selon l’opérateur de
téléphonie mobile qui l’émet ; C’est ainsi qu’on peut relever : compte Orage Money pour les comptes créés par la
société Orange,… etc.
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Le présent article se donne pour objectif de déterminer la nature du droit exercé par le
titulaire d’un compte. En tout état de cause, il n’est pas aisé de dire avec certitude, quel type de
droit le titulaire d’un compte exerce puisque ce dernier se comporte tantôt comme un propriétaire
tantôt comme un créancier. L’on note dans l’exercice de ce droit un « melting-pot »5 de droit de
différente nature (droit de créance et droit de propriété6) avec prédominance du droit de créance.
Cet entremêlement au sujet de la nature du droit du titulaire d’un compte amène à se demander
quelle est la véritable nature du droit exercé par le titulaire d’un compte ? Autrement dit, comment
peut-on donc qualifier le droit dont dispose le titulaire d’un compte ? Nous sommes à même
d’orienter notre interrogation sur la rigidité de la distinction classique établit entre le droit réel et
le droit personnel. Ainsi, nous nous posons la question de savoir si la distinction classique du droit
réel et du droit personnel est applicable au droit exercé par le titulaire d’un compte, considérant
que ce dernier s’exerce concomitamment sur une chose, le compte et sur la tête d’une personne
qui est l’établissement monétaire émettrice.
Cette interrogation revêt d’une importance d’envergure tant sur le plan théorique que
pratique. Au plan théorique, elle permet d’abord de déterminer le régime juridique applicable au
titulaire d’un compte, car chaque type de droit à un fonctionnement propre à lui. Le droit de créance
a un mécanisme de fonctionnement et des règles de droit distincts de ceux applicables au droit de
propriété. C’est ainsi que le droit de créance diffère du droit de propriété de part plusieurs aspects
à savoir : leurs natures, leurs origines, leurs mécanismes de transmission, leurs opposabilités aux
tiers, leurs effets sur le patrimoine de leur titulaire et surtout de par les privilèges qu’ils confèrent
à leur titulaire. Cette interrogation, sur le plan théorique vient ensuite incontestablement illustrer
le caractère évolutif de la nature du droit, permettant de renouveler la réflexion y relative et de
soutenir l’idée d’une réforme nécessaire du droit des biens7 ; par exemple en instaurant un droit
5 Expression anglo-saxonne qui signifie brassage, assimilation, mélange, un lieu où se mêlent divers éléments. Dans
notre contexte, il s’agit de l’entremêlement du droit de créance et du droit de propriété sur la tête du titulaire d’un
compte. 6 Le droit réel étant un droit s’exerçant sur une chose alors que le droit personnel s’exerce sur une personne. Ces deux
droits de différente nature, ont conséquemment des mécanismes de fonctionnement et des effets différents. 7 D’ailleurs, il existe en France, un avant-projet Catala initié par l’Association Henri Capitant des Amis de la culture
juridique française au printemps 2006 sur la réforme du droit des biens, disponible en ligne. Aussi, la doctrine n’a pas
tardé à s’interroger sur l’avenir de cette discipline, en ce sens voire Romain BOFFA (dir.), L’avenir du droit des biens,
op.cit., pp. 1-207. Des critiques sont déjà formulées à propos de cet avant-projet. En ce sens, William DROSS et
Blandine MALLET-BRICOUT, « L’avant-projet de réforme du droit des biens, premier regard critique », Recueil
Dalloz 2009, pp.508 et s.
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mixte ou alors un droit de créance typique ou particulier qui pourrait s’appliquer aisément aux
situations similaires au compte. En effet, la classification du droit de créance et du droit de
propriété semble être trop rigide, car il existe à nos jours, certains droits de propriété qui, bien que
n’ayant pas n’étant pas considéré comme des droits de créances, sont ponctués à certains égards
par des caractères du droit de créance, et vice versa. C’est dans ce même sillage que Mme Nadège
REBOUL-MAUPIN à penser à une rénovation de la summa divisio8 des personnes et des biens9.
L’on relève alors à cet égard que l’ensemble des summa divisio connues en droit civil en général
et plus précisément en droit des biens connaît de profondes mutations. Que l’on songe à la
distinction des personnes et des choses ou à la classification des droits subjectifs, il est notoire de
constater une porosité entre les différents critères adoptés.
Sur le plan pratique, les clarifications juridiques relatives au droit exercé par le titulaire
d’un compte contribueraient à limiter les contentieux liés à l’usage d’un compte. Plus précisément,
le titulaire d’un compte, en contractant, espère à tort détenir les droits de propriétés sur les fonds
déposés et se retrouve alors buté face aux nombreuses contraintes qui s’imposent à lui telles que
la limitation du droit d’usage plus précisément. Une entreprise de clarification de la nature du droit
exercé par le titulaire d’un compte permettra de déterminer avec exactitude, le régime juridique
applicable à ce droit, ce qui participera à la réalisation de l’exigence d’objectivité postulée par la
sécurité juridique.
En tout état de cause, le droit exercé par le titulaire d’un compte n’est ni un véritable droit
de propriété ni un droit de créance au « stricto sensu », mais un droit de créance particulier, ce qui
aboutit alors à l’exercice d’un droit de créance typique ou alors spécial. En effet, il n’est à point
douter que le droit du titulaire d’un compte est un droit de créance, d’où le qualificatif de
8 La summa divisio est une expression d’origine latine qui signifie : « la division la plus élevée ». Elle se compose du
superlatif summus au féminin summa qui signifie « la plus haute » ou « la plus élevée » et du substantif divisio qui
veut dire « division ». 9 Nadège REBOUL-MAUPIN, « Pour une rénovation de la summa divisio des personnes et des biens », Actu-
juridique.fr, 28 Décembre 2016. Dans cet article, il est dénoncé la mise à l’épreuve de la summa divisio des personnes
et des biens qui fait en sorte que certaines entités juridiques ont du mal à trouver leur juste place qui s’ordonne à partir
de cette séparation radicale. L’illustration est prise avec le cas des animaux et celui de l’embryon qui sont concernés
par l’indestructible logique binaire biens-personnes. Afin de surmonter cette fragilité, l’auteur de cet article propose
l’une des solutions, l’adaptabilité de la summa divisio en ménageant la dissociation des biens et des personnes en y
ajoutant une catégorie intermédiaire. Cette solution peut s’appliquer en matière de droit réel ou droit personnel et plus
précisément en matière du droit du titulaire d’un compte.
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« titulaire d’un compte» et non de « propriétaire d’un compte ». Cette qualification oriente déjà
vers le type de droit que le titulaire d’un compte exerce. C’est alors un droit personnel 10 ; Le droit
personnel encore appelé droit de créance renferme des caractéristiques fondamentales que l’on
retrouve dans le droit exercé par le titulaire d’un compte (I). Toutefois, il existe dans l’exercice de
ce droit des dérogations au droit de créance dans la mesure où l’on note des limites au droit de
créance ; il est également retrouvé dans ce même droit exercé par le titulaire d’un compte, des
caractéristiques d’un droit de propriété (II).
I- LE DROIT DU TITULAIRE D’UN COMPTE, UN DROIT DE CREANCE A
DOMINANCE
Au premier abord, le droit du titulaire d’un compte peut être qualifié de droit de créance.
On entend par là, un droit établissant un rapport permettant à une personne, le créancier, d’exiger
d’une autre, le débiteur, une obligation quelconque. Il s’oppose au droit réel11. Le droit de créance
est donc ce droit qui permet au créancier d’exiger du débiteur l’exécution d’une obligation. Le
droit de créance est « généralement utilisé pour désigner le droit d’exiger la remise d’une somme
d’argent »12 selon le lexique des termes juridiques. Il est alors synonyme d’une dette ou d’une
obligation. En effet, du point de vue du créancier, il s’agit à proprement parler de droit de créance
et du point de vue du débiteur, il s’agit d’une obligation. Il ressort de cette définition que le droit
de créance s’exerce à l’encontre d’une personne et crée des exigences à l’encontre de cette
dernière. C’est le même mécanisme qui se perçoit dans les rapports de droit entre le titulaire d’un
compte et d’un établissement monétaire. En effet, le titulaire d’un compte exerce un droit personnel
à l’encontre de l’établissement monétaire (A) et ce droit personnel dont détient le titulaire du
compte, permet à ce dernier d’exiger de l’établissement émettrice, des obligations ou des
prestations diverses (B).
10 Cf. Infra. 11 Le droit réel est un droit subjectif qui porte sur une chose. Il est définit selon l’article 544 du code civil comme le
droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue à moins de ne pas en faire un usage prohibé par
les lois ou par les règlements. 12 Raymond GUILLIEN et Jean VINCENT, Lexique des termes juridiques, 17e édition, Dalloz, 2010.
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A- L’établissement d’un rapport personnel au profit du titulaire d’un compte
Le droit de créance peut être considéré comme un droit personnel, c’est-à-dire un droit
subjectif d’exiger d’une personne une prestation. C’est en effet un rapport juridique entre deux ou
plusieurs personnes. Contrairement au droit réel qui s’exerce directement sur une chose, le droit
personnel s’exerce contre une personne. En effet, pour que l’on soit en présence d’un droit de
créance, il faudrait que le droit ou le pouvoir exercé par le créancier le soit sur la tête d’une
personne et que celle-ci soit redevable vis-à-vis du créancier c’est-à-dire, qu’elle soit son débiteur.
Plus spécifiquement, le titulaire d’un compte exerce un droit personnel à l’encontre d’une personne
morale (1) et cette dernière agit en tant que débitrice vis-à-vis du titulaire du compte (2).
1- L’exercice du droit personnel du titulaire d’un compte à l’encontre de
l’établissement monétaire, personne morale
La personne morale sur laquelle le titulaire d’un compte exerce son droit de créance n’est
autre que l’établissement monétaire dans lequel il possède un compte. IL n’est plus à démontrer
que l’établissement monétaire constitue une personne morale. D’ailleurs en vertu de l’article
L.511-1 du Code monétaire et financier13, « les établissements de crédit sont des personnes
morales (…) ». Toutefois, il convient de présenter l’établissement émetteur comme une personne
morale. En effet, l’établissement monétaire est doté de la personnalité juridique suite à son
agrément.
Pour exercer valablement une opération bancaire, l’établissement concerné doit être
agrémenté. Dès l’or qu’un organisme souhaite exercer à titre professionnel les services de
paiement, il doit présenter un agrément en qualité d’établissement de paiement à l’autorité de
contrôle prudentiel. Au Cameroun, il s’agit de la Banque Centrale (au Cameroun BEAC) et de la
COBAC pour les Etats de l’Afrique centrale ou l’UEMOA pour les Etats de l’Afrique de l’Ouest.
Relativement à l’émission des moyens de paiement électronique, l’article 4 alinéa 1 du règlement
n°01/11-CEMAC/UMAC/CM relatif à l’exercice de l’activité d’émission de monnaie électronique
précise que « l’exercice de l’activité d’émission de monnaie électronique est soumis à
l’autorisation de la BEAC ».
13 Article L.511-1 du Code Monétaire et Financier français modifié le 27 Octobre 2021.
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L’agrément confère à un établissement monétaire, dûment constitué, le droit d’exercer une
activité bancaire ou financière dans un Etat membre de l’union l’ayant agrémenté. Ainsi, ils
peuvent offrir en libre prestation des services bancaires ou financiers dans toute l’union ou s’y
installer librement selon les modalités définies. Par ricochet, l’agrément contribue à l’attribution
de la personnalité juridique à l’établissement monétaire. Cette personnalité juridique donne à
l’établissement des droits et des devoirs. Concernant les droits, on peut au préalable faire mention
de l’individualisation de l’organisme monétaire. Ce dernier possède un nom, un domicile qui est
son siège social et un patrimoine propre à lui qui est constitué de l’ensemble des apports des
associés et des recettes qu’ils font suite à leurs activités. Ensuite, un droit lié à l’action en justice
qui lui donne la latitude de représenter ses associés en justice et de les défendre et enfin le droit
d’ester en justice. Pour ce qui est des devoirs de l’établissement monétaire, il faut préciser qu’ils
sont assez nombreux. On peut relever l’exécution de sa prestation envers ses clients14 (ordre de
paiement, d’encaissement, …) et les devoir liés au domaine fiscal.
2- L’exercice de la prestation de débiteur par l’établissement émetteur
Dans les rapports de droit entre le titulaire d’un compte et l’établissement émetteur, ce
dernier est le débiteur et le titulaire du compte en est le créancier. Sachant que le débiteur encore
appelé ‘‘solvens’’ désigne une personne physique ou morale qui doit une somme d’argent à une
autre personne qui représente le créancier. Le débiteur a donc une dette envers le créancier. Il faut
toutefois préciser que la dette n’est pas que financière, elle peut se décliner en l’obligation
d’exécution d’une prestation. Un débiteur est donc soumis au droit des obligations. Il existe de
nombreux types de dettes qui peuvent faire naitre une relation d’obligation entre deux personnes,
notamment le créancier et le débiteur. Une dette peut se créer suite à une transaction commerciale
ou financière ou à la contraction d’un emprunt.
Il importe toutefois de préciser qu’il peut se poser des hypothèses où il y a renversement
de la tendance et que la dette se pose plutôt sur la tête du titulaire lui-même. Ainsi, un établissement
monétaire peut être autorisé à octroyer des crédits (c’est le cas des établissements de crédits) et
lorsqu’elle le fait, le client bénéficiaire c’est-à-dire le titulaire d’un compte, sera tenu de
14 Cf. Infra
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rembourser le crédit octroyé sur un temps échelonné et le plus souvent avec intérêt15. On dit alors
que le titulaire du compte se trouve dans une situation de découvert16 qui implique que son compte
est débiteur17. Hormis cette hypothèse, l’établissement monétaire est le débiteur et le titulaire du
compte, le créancier.
En effet, l’établissement monétaire est redevable envers le titulaire d’un compte suite au
dépôt effectué dans son agence considérée comme un prêt puisqu’il est restituable. « Une bonne
partie des ressources courantes de la banque est constituée par les dépôts de la clientèle. Ces
dépôts collectés par les banques constituent une dette à l’égard des déposants »18.
Il découle de cette dette, en même temps l’exécution d’une prestation financière et
l’exécution d’une prestation matérielle de la part de l’établissement émetteur à l’égard du titulaire.
C’est ainsi que l’établissement monétaire exécute les ordres de paiement et d’encaissement du
titulaire d’un compte.
B- L’établissement d’un rapport d’obligation au profit du titulaire d’un compte
Le titulaire d’un compte est en droit d’exiger des prestations diverses à l’égard de
l’établissement monétaire. Ces prestations ou mieux, ces obligations sont des plus diverses et qui
peuvent bénéficier soit au titulaire lui-même soit à un tiers. Néanmoins, on peut les regrouper en
15 L’intérêt, qui, dans son acception financière est la rémunération d’un prêt, sous forme, généralement, d’un versement
périodique de l’emprunteur au préteur. Pour le préteur, cela représente le prix de sa renonciation temporaire à une
consommation : il ne peut utiliser son argent puisqu’il l’a prêté. Pour l’emprunteur, c’est un coût correspondant à une
consommation anticipé. Il peut faire usage d’une somme d’argent, par exemple pour payer l’achat d’un bien ou d’un
service, avant d’avoir acquis les ressources nécessaires pour se l’offrir. Une épargne rémunérée par un intérêt est
assimilable à un prêt, l’emprunteur étant la banque ou l’organisme bénéficiaire de cette épargne. En d’autres termes,
le client qui dépose de l’argent sur un compte à la banque prête en réalité cette somme à celle-ci et reçoit donc un
intérêt correspondant à ce prêt. L’intérêt accru quant-à lui représente les intérêts qui ont été gagnés mais pas encore
payés. 16 Un découvert est un solde négatif sur votre compte. Cela signifie que les sommes prélevées sont supérieures aux
sommes créditées sur votre compte. Vous pouvez prévoir avec votre établissement monétaire une autorisation de
découvert. En contrepartie du découvert, vous paierez des intérêts débiteurs (agios). En cas de dépassement du
découvert, la banque peut vous facturer des frais et commissions bancaires, dont le montant est plafonné. L'autorisation
de découvert peut être révisée ou annulée. 17 On dit qu'un compte est débiteur ou a un solde débiteur lorsque le montant total des sommes enregistrées au débit
est supérieur à celui inscrit au crédit du compte. Un compte bancaire débiteur est alors un compte bancaire dont le
solde est négatif. Autrement, un compte sur lequel il y a eu trop de débit. 18 La finance pour tous, « Dépôts, crédits et création monétaire », https://WWW.lafinancepourtous.com , Publié le 10
Aout 2020.
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deux grandes catégories ; à cet effet, les prestations de l’établissement monétaire impliquent d’une
part, les ordres de paiement (1) et d’autres parts, les ordres d’encaissement (2) de ses clients.
1- L’exécution des ordres de paiement du titulaire d’un compte
Le titulaire d’un compte peut faire des ordres de paiement à l’encontre de l’établissement
monétaire et ce dernier est tenu de l’exécuter. Un ordre de paiement est une instruction donnée à
un établissement monétaire, qui est son teneur de compte, de mettre une somme d’argent ou mieux,
de transférer de l’argent de son compte à un certain bénéficiaire. Cette instruction peut être donnée
pour une opération précise ou pour une série de transferts à des dates différentes. Ainsi, le fait
d’effectuer un virement, un prélèvement ou même un retrait de son compte est constitutif d’un
ordre de paiement.
Un virement représente une opération par laquelle des fonds sont transférés d’un compte
vers un autre compte. C’est en d’autres termes, une opération d’envoi et de réception d’argent
entre deux comptes bancaires. L’ordre de débit ou de crédit doit être donné par le propriétaire du
compte ou par chacun des propriétaires des comptes respectifs à leur établissement monétaire. La
personne qui demande l’émission du virement et dénommée le « donneur d’ordre », celle qui
reçoit l’argent est appelé le « bénéficiaire ». L’exécution d’un virement peut intervenir dans la
minute, c’est-à-dire dans l’immédiat ou alors intervenir à une date programmée.19 Lorsque le
virement est effectué dans un même établissement monétaire, on parle de virement interne,
lorsqu’il est effectué dans deux établissements différents on parle de virement externe. Lorsque le
virement est réalisé dans le même pays, on parle de virement domestique, et lorsqu’il est réalisé
entre deux pays on parle de transfert international. Enfin, lorsque le virement est ponctuel ou
permanent, on parle de virement automatique20.
Concernant le prélèvement, il peut arriver qu’un titulaire d’un compte soit débiteur d’un
titulaire d’un autre compte et qu’il l’autorise à retirer la somme due de son compte pour le placer
dans le compte de son créancier. Ce mécanisme prend le nom de prélèvement ou d’un « Ordre
Général de Paiement (OGP) » selon le jargon bancaire. Il peut lors être défini comme un transfert
19 Cf « Qu’est-ce qu’un virement bancaire ? Gestion de patrimoine », sur France patrimonial. 20 L’exemple est celui d’un virement de son loyer au propriétaire réalisé par un locataire, programmé à date mensuelle
fixe dans le système de l’établissement monétaire.
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réalisé directement d’un compte à un autre sous autorisation du titulaire de du compte dans lequel
il est prélevé la somme. En effet, l’argent est prélevé directement sur le compte d’une personne
qui a fourni ses coordonnées à l’organisme qui est à l’origine de ce prélèvement. Le prélèvement
suppose ainsi que le propriétaire du compte qui sera débité, ait fourni ses coordonnées à
l’établissement monétaire qui va lui prélever de l’argent, et octroie une autorisation de prélèvement
dument signée à cet organisme. Cette autorisation est constitutive d’un ordre de paiement.
Enfin, le titulaire d’un compte peut effectuer des opérations des retraits des sommes issues
de ce compte. Elle consiste (cette opération), pour le titulaire d’un compte, à retirer des espèces
de son compte. Le retrait peut se faire de plusieurs façons différentes : il peut s’effectuer via un
distributeur automatique, au moyen d’une carte ou alors en agence au niveau du guichet. Les
retraits sont gratuits lorsqu’ils sont réalisés dans l’établissement monétaire du titulaire du comte,
mais peuvent être payant -et c’est le mécanisme général- lorsqu’ils sont réalisés dans un autre
établissement. Dans cette dernière hypothèse, l’on parle d’ailleurs de « retrait déplacé ».
2- L’exécution des ordres d’encaissement du titulaire d’un compte
Le titulaire d’un compte peut donner l’ordre d’encaissement à l’établissement monétaire à
travers les dépôts qu’il effectue dans le but de garnir son compte. Les dépôts auprès des organismes
monétaires sont la forme la plus courante de placement financier. Ce sont des ressources de
financement. Le dépôt consiste de manière simple, à remettre des espèces (billets ou pièces de
monnaie) à un établissement monétaire afin de les placer sur le compte du titulaire. Il consiste à
remettre à l’établissement monétaire des actifs, une somme d’argent qui sera gardée et transmis ou
mieux, rajouter à la valeur de son solde bancaire. En général, il prend acte le jour même, dans
l’immédiat, et le titulaire verra une somme apparaitre sur ses relevés quasi-immédiatement. Durant
cette période de conservation, l’établissement a le droit de disposer des fonds issus de ce dépôt
pour son propre compte, mais doit les restituer selon les modalités déterminées telles que les règles
spécifiques fixées par la loi (comme par exemple : les sommes doivent être restituées au titulaire
du compte à première demande de celui-ci) ; et les clauses d’un contrat entre l’établissement
monétaire et le titulaire d’un compte ( la justification des sommes déposées au-delà d’un certain
seuil).
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On distingue plusieurs types de dépôt qu’on peut regrouper en deux groupes à savoir : le
dépôt à vue, le dépôt à terme.
Un dépôt à vue est un dépôt dont les fonds peuvent être retirés à tout moment. C’est en
effet un dépôt fait dans un organisme monétaire et que l’on peut retirer à tout moment, sans qu’il
soit soumis à un délai. Ces fonds déposés peuvent être retirés totalement où en partie. Le dépôt à
vue peut être à l’origine de la création de trois types de compte à savoir : le compte de dépôt21, le
compte courant 22et le compte épargne23.
Un dépôt à terme désigne une somme d’argent mise en dépôt et bloquée sur un compte.
Cette somme ne peut être retirée par son titulaire qu’après un certain laps de temps fixé d’avance
dans un contrat et signé par les personnes concernées par le dépôt. Le dépôt à terme se différencie
par cet aspect du dépôt à vue, qui permet de retirer l’argent à n’importe quel moment. En
contrepartie du blocage de la somme déposée, le dépôt à terme fait bénéficier au titulaire du compte
d’un taux d’intérêt plus élevé. Le taux d’intérêt qui régit ce type de dépôt est librement fixé par les
établissements monétaires. Si le contrat de dépôt à terme est rompu avant l’échéance, des pénalités
peuvent être appliquées à l’encontre de l’initiateur de la rupture ou à l’encontre du fautif de la
rupture. Le dépôt à terme peut être à la base de la création de trois types de compte à savoir, le
compte à terme proprement dit, le compte à préavis et le plan d’épargne.
21 Le compte de dépôt traditionnellement appelé « compte chèque », est un compte ouvert dans les livres d'un
établissement bancaire (dit « teneur de compte ») qui est destiné à accueillir des dépôts de fonds de la part de clients
particuliers (dits « déposants »). L'argent pourra alors être retiré à tout moment par le déposant, dans la limite de la
capacité de la banque au regard de sa liquidité et de sa solvabilité. Le compte de dépôt donne accès aux services de
règlement proposés par l'établissement bancaire. Ce compte est parfois assorti d'une autorisation de découvert
permettant que son solde soit temporairement négatif à concurrence d'un plafond de débit autorisé en contrepartie de
l'application d'un taux d'intérêt. 22 Le compte courant n'est réglementé par aucun texte sinon de jurisprudence et est plutôt destiné aux personnes
morales (bien que s’agissant d'un contrat négocié de gré à gré rien n'interdise à un particulier d'en souscrire). S'il n'est
pas soumis aux règles protectrices du consommateur, il suppose la réciprocité des remises, c'est-à-dire des crédits et
des débits. Le teneur de compte est donc supposé autoriser les paiements allant au-delà de la provision du compte,
dans la limite de cette réciprocité. Le compte courant présume ainsi une certaine opposabilité des autorisations de
découvert. On comprend alors tout l'intérêt du compte courant pour un commerçant ou une entreprise qui doit pouvoir
compter sur les facilités de caisse qui lui sont octroyées. 23 Le compte d’épargne est parfois appelé aussi « compte sur livret », du fait que les opérations étaient à l'origine
reportées sur un livret d'épargne que le titulaire conservait par-devers lui (c'est encore le cas dans certains pays). Il
doit obligatoirement être créditeur. C'est un compte où les fonds sont là-aussi disponibles à vue, mais seulement sous
forme de retrait d'espèces, donc en général sans moyens de paiement. Ces comptes sont rémunérés par un intérêt et
fiscalisés.
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Un dépôt peut être considéré comme un prêt ou une vente selon que la somme déposée le
soit dans un compte au nom du déposant et soit échangée contre remboursement d’un même
montant, soit contre des titres. Pour certains auteurs, le déposant d’une somme sur un compte
ouvert à son nom conserve la propriété de la somme déposée. Selon que le dépôt est à vue ou à
terme, le déposant peut exiger la restitution de la somme à tout moment. On parle alors de compte
courant. Dans le cas d’un dépôt à terme, tel qu’un compte d’épargne ou un compte de titre, la
somme peut être prêtée ou donnée à la banque en échange soit d’une reconnaissance de dette du
même montant soit d’un certain nombre de titres de créance à la valeur du moment.24
En tout état de cause, un ordre de paiement et d’encaissement peuvent être mis en place et
stoppés selon les modalités applicables à chaque organisme monétaire.
Le droit de créance du titulaire d’un compte bancaire se résumant à l’exercice d’un droit
personnel sur la personne de l’établissement monétaire et à l’exigence d’une quelconque prestation
à l’encontre de cette dernière, fort est de préciser que toutefois, ce mécanisme de créance propre
au droit du titulaire d’un compte n’est pas appliqué stricto sensu. Il y a dans l’exercice de cette
créance, des éléments spécifiques qui dérogent au droit de créance ordinaire.
II- LE DROIT DU TITULAIRE D’UN COMPTE, UN DROIT DE CREANCE EDULCORE
Le droit de créance, dans les rapports du titulaire d’un compte et son établissement
monétaire, n’y est pas parfaitement représenté. Le droit de créance du titulaire d’un compte n’est
pas appliqué au sens strict du terme. L’on perçoit à certains égards des éléments spécifiques qui
dérogent au droit de créance. Ces dérogations font ressortir le caractère spécifique voire, particulier
du droit de créance du titulaire d’un compte. En effet, dans la relation qui lie le titulaire d’un
compte et l’établissement monétaire dans lequel il a ouvert un compte, l’on perçoit les limites au
droit de créance d’une part (A) et d’autres parts, l’on note la présence dans cette relation, des
caractéristiques du droit de propriété (B).
24 Dépôt à terme : définition, traduction (définition du mot dépôt à terme), Journal du net (JDN),
https://www.Journaldunet.fr.
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A- Les limites au droit de créance dans les rapports du titulaire d’un compte et de
l’établissement monétaire
Le droit de créance du titulaire d’un compte comporte plusieurs limites auxquelles il faut
s’appesantir. En effet, le droit de créance dispose de nombreuses caractéristiques qui le distinguent
du droit de propriété ou d’autres types de droit25. Parmi cette panoplie d’éléments le différenciant
des droits d’une autre nature, on relève l’exigence faite au débiteur de détenir le titre de propriété
de la chose donnée en paiement or dans les rapports ‘‘titulaire d’un compte - établissement
monétaire’’, le débiteur qui n’est autre que l’établissement monétaire, n’est pas propriétaire des
fonds donnés en paiement (1) ; il n’est qu’un simple dépositaire (2).
1- De l’absence du titre de propriété de la chose donnée en paiement
Les rapports de créance exigent une prestation de paiement. Ce dernier doit se faire sur la
base des biens du débiteur. En effet il est stipulé à l’article 1238 alinéa 1 du Code Civil26 que :
« pour payer valablement, il faut être propriétaire de la chose donnée en payement, et capable de
l’aliéner ». Cet article stipule que le paiement ne peut être valable que si la chose donnée en
paiement relève de la propriété du débiteur. En effet, par principe, aucun débiteur ne peut purger
sa dette en donnant en paiement une somme d’argent ou un bien ne l’appartenant pas et ce, même
s’il en est le possesseur. De nombreux cas de figure illustrent cet argument. Nous pouvons nous
référer au cas de l’usufruit27 où l’usufruitier ne peut aliéner les fruits qui, en réalité appartiennent
au nu-propriétaire. Ainsi, l’usufruitier ne peut ni vendre ni donner en paiement les fruits soumis à
sa gestion. Un deuxième cas de figure nous ramène à l’idée de bail immobilier, contrat de louage28
d’un immeuble dans lequel le locataire est possesseur de l’immeuble et de ce fait dispose de la
latitude de bénéficier de l’usus, à certains égards du fructus29, mais ne peut pas aliéner cet
immeuble qu’il loue. C’est dire en d’autres termes que le locataire fait usage de l’immeuble mais
25 Droit intellectuel. 26 Code Civil camerounais. 27 Droit réel principal, démembrement du droit de propriété, qui confère à son titulaire le droit d’utiliser la chose (usus)
et d’en percevoir les fruits (fructus), mais non celui d’en disposer (abusus), lequel appartient au nu-propriétaire. 28 Contrat par lequel l’une des parties s’engage soit à faire jouir l’autre d’une chose, soit à lui procurer ses services ou
son industrie, temporairement et moyennant un certain prix. 29 Il peut arriver qu’un locataire d’un immeuble loue cet immeuble à une autre personne, cela est appelé « sous-
location ». La sous-location est définit comme un contrat par lequel le locataire d’un immeuble le donne à bail à un
tiers appelé sous-locataire ; le premier preneur est dit locataire principal. Dans le droit commun du bail, cela n’est
possible qu’avec l’accord du bailleur.
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ne peut ni le vendre ni détruire. Il faut toutefois préciser que cela n’est pas le cas de l’emphytéose
qui est plutôt un droit réel qui confère au titulaire, tous les droits d’un propriétaire sur l’immeuble
louer. Bref, pour revenir l’idée des illustrations, il faut prendre en considération toutes les
hypothèses où l’on est en présence d’une simple possession. Ceci signifie qu’un débiteur d’une
dette par exemple ne peut valablement se libérer que s’il paie avec les biens dont il est propriétaire.
Or, dans le cas de figure des rapports entre le titulaire d’un compte et l’établissement
émetteur, ce dernier octroie en paiement une somme déposée par le titulaire du compte qui en est
le véritable propriétaire. Puisque l’idée ici est que le client (titulaire du compte) a déposé une
somme dans le but de la garder et non pas dans le bus que l’établissement monétaire l’utilise à ses
fins personnel comme ce serait le cas pour la « dette »30, c’est donc là la différence entre « la
dette » et « la créance du titulaire d’un compte ».
L’établissement monétaire ne peut aliéner la chose donnée en paiement, car n’étant pas le
propriétaire. Le véritable propriétaire se trouve être le titulaire du compte et l’établissement, joue
le rôle d’un simple dépositaire.
2- L’établissement émetteur du compte, un simple ‘‘dépositaire’’
L’établissement émetteur d’un compte n’est pas propriétaire des fonds déposés dans le
compte. Il agit en tant que simple dépositaire. Ce compte ainsi que les fonds contenus
appartiennent en réalité au titulaire mais il est placé entre les mains de l’établissement émetteur.
On dit alors que le titulaire est le nu propriétaire31 puisqu’il est le véritable propriétaire et
l’établissement émetteur le possesseur.
30 La dette est octroyée par le créancier dans un but personnel, c’est-à-dire que le débiteur sollicite une somme pour
satisfaire ses intérêts personnels (se nourrir, se vêtir, payer des factures, exercer une activité lucrative, ou même
rembourser une autre dette). Alors que les sommes déposées dans un compte dans un établissement financier est fait
à titre de conservation ou à titre de garde, c’est pour cette raison que ces établissement sont appelés des
« dépositaires ». Ainsi, la prestation exigée par le dépositaire est juste une réclamation de la somme gardé par le
dépositaire. C’est en fait le même phénomène que l’on perçoit dans « des réunions de cotisations » où le trésorier est
un simple dépositaire. 31 Droit réel principal, démembrement du droit de propriété, qui donne à son titulaire le droit de disposer de la chose,
mais qui ne lui confère ni usage, ni la jouissance, lesquels sont les prérogatives de l’usufruitier sur cette même chose.
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Le dépositaire est entendu comme une personne qui reçoit quelque chose en dépôt32, une
personne à qui a été remis quelque chose et qui s’oblige à le garder jusqu’au jour où elle le
restituera à première réquisition. En effet, il a été remis une somme d’argent à l’établissement
monétaire et cette dernière la restituera à chaque réquisition jusqu’à la fermeture du compte en
question. Le dépositaire est un simple débiteur de la somme déposée. Cette somme étant portée au
compte du client. Il est débiteur du solde du compte.
L’établissement monétaire assume à l’égard de son client les obligations du dépositaire33.
Il s’engage à garder et conserver les fonds qui lui ont été confiés et à les restituer à première
demande à celui qui les a déposés.
La garde de la chose déposée constitue l’obligation principale du dépositaire. C’est dire
que celui-ci doit prendre soin de la chose et la garantir de toute menace telle que le vol, la perte ou
la dégradation s’il s’agit d’un bien meuble corporel. Il est tenu d’entretenir la chose et de percevoir
les fruits de la chose au profit du déposant. D’ailleurs le code civil en son article 1927 précise que
« le dépositaire doit apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu’il apporte
dans la garde des choses qui lui appartiennent ». Cet article laisse entrevoir que le dépositaire doit
gérer la chose déposée en bon père de famille, avec toute la diligence qui soit. En droit monétaire,
un établissement monétaire est soumis à ces mêmes obligations à l’égard du fond déposé, auquel
cas, il pourrait être poursuivi pour abus de confiance ou pour détournement des fonds perçus. Il
faut préciser ici que les fruits dont il est question ici ne sont autres que les intérêts générés par les
fonds déposés.34
Toutefois, lors de sa garde, en tant que dépositaire, l’établissement monétaire a la
possibilité d’utiliser les fonds reçus en déposition. En effet, le dépositaire a « le libre usage »35 de
la somme déposée eu égard du consentement du déposant. Il est libre de l’utiliser mais ne doit pas
32 Le contrat de dépôt est une convention par laquelle une personne, appelée dépositaire, se charge gracieusement de
la garde et de la conservation de la chose qui lui a été remise par une personne appelée déposant. 33 Nicolas FONTAINE, Avocate, « La responsabilité de la banque qui se dessaisit des fonds sur présentation de faux
ordres de paiement », Village de la justice, https://www/village-justice.com, 1ère parution : 14 Janvier 2013. 34 Voir Aurélien BAMDE et Julien BOURDOISEAU, « Le dépôt : les obligations du dépositaire »,
https://aurelienbamde.com., publié en Juin 2019, 35 En principe ce droit d’usage des fonds constitutifs de dépôt est soumis à un consentement de la part du client qui
n’est autre que le déposant, mais dans la pratique, les établissements monétaires ne se gardent pas d’utiliser ces fonds
à des fins personnelles, pour leurs propres affaires.
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perdre de vu qu’il a obligation de restitution à première demande surtout pour ce qui est d’un
compte à vue36. S’il s’agit d’un compte bloqué, il est tenu de restituer le fonds au moment de
l’arrivé du terme fixé.
En principe, la restitution doit se faire entre les mains du déposant. Dans le cas où
l’établissement monétaire restitue les sommes demandées à une personne autre que le déposant, il
engage sa responsabilité, à moins que le déposant ait expressément désigné une personne autre que
lui pour recevoir les fonds. Ainsi, aux termes de l’article 1937 du code civil, « le dépositaire ne
doit restituer la chose déposée, qu’à celui qui la lui a confiée, ou à celui au nom duquel le dépôt
a été fait, ou à celui qui a été indiqué pour le recevoir » et s’il arrive que le dépositaire restitue les
fonds déposés à une autre personne, il doit prouver en cas de contestation qu’il a recul du déposant
l’ordre de restituer les fonds contestés. Appliqué au dépôt bancaire, une jurisprudence affirme le
contenu de cette article précédemment cité en ces termes : « il appartient au banquier, dépositaire
des fonds que lui a confié son client et qui, à ce titre, a l’obligation de ne les restituer qu’à celui
qui les lui a confiés ou conformément aux indications de paiement de ce dernier, d’établir, en cas
de contestation, qu’il a reçu du déposant l’ordre d’effectuer le paiement contesté »37.
Le droit de créance du titulaire d’un compte est tout aussi particulier du fait de la présence
des caractéristiques du droit de propriété dans les rapports liant le titulaire d’un compte et
l’établissement monétaire.
B- Les caractéristiques du droit de propriété dans les rapports du titulaire d’un compte et
son établissement monétaire
On retrouve dans le droit de créance du titulaire d’un compte, les caractéristiques du droit
de propriété. Le droit de propriété étant définit comme « le droit de jouir et de disposer des choses
de la manière la plus absolue, pourvue qu’on en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les
règlements ».38En effet, le titulaire d’un compte peut exercer sur le compte un droit attribué à une
36 Un compte à vue également appelé compte courant, sert à gérer les finances au quotidien. C’est un compte qui sert
à effectuer des opérations financières quotidiennes telles que versements, des retraits, des virements, des prélèvements
et paiement. 37Cassation Commerciale, 2 Octobre 2007, n°05-21421. 38 Définition contenu dans l’article 544 du Code Civil français et camerounais. Une définition quelque peu clarifiée
par la doctrine. En ce sens, voir William DROSS, « Que l’article 544 du code civil nous dit-il de la propriété ? », RTD
Civ. 2015, pp.27 et s. ; Frédéric ZENATI, « Notion de propriété », RTD Civ., 1999, PP.305 et s. ; Pierre Joseph
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personne ayant la qualité de propriétaire. C’est ainsi qu’il dispose de la latitude d’user et d’aliéner
ce compte (1), de plus, il est utilisé dans le droit de créance du titulaire d’un compte, des éléments
caractéristiques du droit de propriété à l’instar de l’usufruit et du terme « indivis » (2).
1- Le droit d’aliénation du titulaire d’un compte
Les mécanismes du droit de créance du titulaire d’un compte laissent entrevoir ceux
rattachés aux droits de propriété. On fait allusion ici aux mécanismes d’extinction du droit de
propriété tel que le droit d’aliénation.
Les causes d’extinction d’une créance ou mieux, d’une obligation sont visées à l’article
1234 du Code Civil. Elles sont diverses. Cet article précédemment mentionné précise que « les
obligations s’éteignent : par le paiement, par la novation, par la remise volontaire, par la
compensation, par la confusion, par la perte de la chose, par la nullité ou la rescision, par l’effet
de la condition résolutoire, (…). Et par la prescription (…) ». La remarque faite après la restitution
de cette disposition est que, tous les éléments qui mènent à l’extinction de l’obligation conduit
toujours à l’idée de décharge ou d’apurement de la dette ou de non-conformité du contrat mais
jamais d’aliénation. Ce qui, de toute évidence est normale car, l’aliénation constitue un mécanisme
d’extinction du droit de propriété et non du droit de créance. L’aliénation stipule la destruction ou
la transmission volontaire à titre du droit de propriété ou constitution d’un droit réel qui le
démembre. Ainsi, le propriétaire peut décider de vendre son bien ou décider de transmettre sa
propriété à une autre personne soit en le vendant ou en le cédant à titre de gratuit entre vif ou cause
de mort39.
Toutefois, la créance du titulaire d’un compte déroge à cette disposition. L’aliénation est
admise comme mode d’extinction des rapports entre le titulaire d’un compte et l’établissement
monétaire. Ceux-ci peuvent prendre fin du fait de l’aliénation du compte par le titulaire de ce
compte. La logique voudrait que la relation entre les deux s’éteigne par le fait du paiement, de la
compensation, de la novation ou tout autre élément cité à l’article 1234 du code civil ou alors que,
s’il arrive que l’on parle de l’aliénation dans ce cadre, ce serait celui de la capacité de
PROUDHON, Qu’est-ce que la propriété ? Premier mémoire, Paris, Librairie de Prévot, 1840.
https://www.uqac.uquebc.ca/zone30/Classiques des sciences sociales/index.index.html. 39 Par testament.
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l’établissement monétaire (débiteur) d’aliéner la somme donner en paiement comme nous l’avons
détaillé plus haut40. Or dans ce cas de figure, le droit d’aliénation appartient au titulaire du compte,
celui qui est considéré comme le créancier dans leur rapport de droit (d’autant puisqu’il donne
ordre de paiement à l’égard de l’établissement monétaire qui exécute le paiement vis-à-vis de lui).
En effet, le titulaire d’un compte peut aliéner celui-ci en le vidant, en retirant toute la
somme contenue dans ce compte et ou en fermant son compte dans l’établissement monétaire.
Dans ce cas, il n’aura plus le pouvoir d’exiger un paiement à l’encontre de l’établissement. Il en
est de même également si le titulaire détient un compte débiteur. A cet instant, il y aura plutôt un
changement de tendance, un renversement de la situation, car le titulaire du compte débiteur
deviendra le débiteur et l’établissement monétaire, le créancier.
Dans les rapports titulaire d’un compte – établissement monétaire, il est également utilisé
certains termes propres au droit de propriété pour définir les mécanismes de fonctionnement d’un
compte.
2- Les mécanismes de fonctionnement du droit de propriété dans le
fonctionnement d’un compte
Il est retrouvé dans les rapports entre le titulaire d’un compte et l’établissement monétaire
des termes qui sont exclusivement utilisés en cas de l’exercice d’un droit de propriété. Ces termes
sont notamment, « l’usufruit », la notion d’« indivis » et celle du « droit d’usage ». L’usufruit
étant un démembrement de la propriété et l’on parle généralement de propriété indivis.
Un compte bancaire, sujet du droit de créance entre les deux parties suscitées, peut
également faire l’objet d’un usufruit. L’usufruit étant définit comme un droit réel principal,
démembrement du droit de propriété, qui confère à son titulaire le droit d’utiliser la chose (usus)
et d’en percevoir les fruits (fructus), mais non celui d’en disposer (abusus), lequel appartient au
nu-propriétaire. Le code civil le réglemente aux articles 57841 à 624. Toutefois ce quasi droit de
propriété est exercé par le successeur du titulaire d’un compte. En effet, en présence d’avoir
bancaires ou de liquidités dans la succession, le conjoint survivant usufruitier bénéficie d’un droit
40 Cf. supra (II-A-1). 41 Article 578 du code civil : « L’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le
propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance ».
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de quasi-usufruit sur les sommes : il peut s’en servir à sa guise, à charge pour lui ou ses héritiers
de les restituer à la fin de l’usufruit. La loi prévoit toutefois certaines garanties au profit des nus
propriétaires. Dans le cadre d’une succession, le conjoint (légalement marié) du défunt peut
bénéficier de l’usufruit des biens à deux titres : soit lorsqu’il choisit d’opter pour l’usufruit au titre
de ses droits légaux, comme le lui permet la loi lorsque le défunt ne laisse que des enfants issus
des deux époux ; soit lorsque le conjoint bénéficie d’une libéralité entre époux (donation au dernier
vivant ou testament) lui accordant des droits en usufruit42. Il est extrêmement fréquent en pratique,
que l’usufruit du conjoint survivant trouve à s’exercer sur des avoirs bancaires ou financiers
dépendant de la succession. En effet, quel que soit le régime matrimonial, le conjoint est toujours
réputé, à l’égard de la banque, avoir la libre disposition des fonds déposés sur ses comptes
personnels43
La loi prévoit toutefois des dispositions destinées à sauvegarder les droits des personnes
concernées. Il s’agit de l’inventaire dressé avant l’entrée en jouissance de l’usufruitier, de la
caution de l’usufruitier aux nus propriétaires et de la possibilité pour les héritiers nus propriétaires
de demander la conversion de l’usufruit en rente viagère. Le conjoint a la même faculté.44
De plus, il est souvent utilisé le terme « indivis » pour définir un compte collectif sur lequel
les opérations réalisées doivent être approuvées par tous les cotitulaires. Cette situation prend le
nom de « compte indivis ». Cependant, le terme « indivis » est le plus souvent employé pour
qualifier les rapports de plusieurs personnes sur une propriété, il découle en fait de ce concept, un
sens d’appartenance et qui dit appartenance dit propriété. On parle souvent de « propriété
indivise ». C’est alors un terme qui est rattaché au droit de propriété et non à un droit de créance.
En effet, ce terme met en évidence le type de rapport ou mieux, le type de pouvoir que plusieurs
personne ou que chacune d’elle peut exercer sur la choses indivise ; et ce type de pouvoir s’exerce
généralement sur un bien réel c’est-à-dire, un bien meuble corporel ou un bien immeuble.
S’agissant d’un bien meuble incorporel tel qu’une créance, le pouvoir issu de l’indivision ne saurait
s’appliquer, il ne peut y avoir qu’un pouvoir personnel dont une personne exige une quelconque
42 Article 1094 du code civil. 43 Cf. article 220 et 221 du code civil. 44 Réda BEY, notaire, « succession : usufruit du conjoint survivant sur les comptes bancaires », Village de la justice,
Parution 5 Aout 2015, https://www.village-justice.com.
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obligation d’une autre personne (la prestation de paiement en ce qui concerne une créance). Bref,
on ne peut diviser qu’un bien matériel, la division d’un bien immatériel est difficile à concevoir.
Ainsi, si ce terme (indivis) est appliqué pour déterminer la nature d’un compte, cela
reviendrait à sous-entendre que chacun des coindivisaires entretiendraient un pouvoir de propriété
sur le compte indivis.
De surcroit, le titulaire d’un compte exerce un droit d’usage sur son compte. Il peut de ce
fait retirer des fonds (de l’argent), effectuer des virements, recevoir des fonds (salaires, pensions,
remboursement divers,), activer des ordres permanents pour régler vos factures récurrentes,
effectuer des paiements en ligne ou dans les grands magasins, …etc. L’on constate alors qu’il
exerce un droit d’usage qui serait attribué au seul propriétaire, il se comporte ainsi comme un
véritable propriétaire sous réserve d’émettre des ordres à l’établissement monétaire.
Toutefois, nonobstant la présence de plusieurs éléments se rapportant au droit de propriété,
le droit du titulaire d’un compte ne saurait être qualifié de droit de propriété car, il existe également
un manquement des caractéristiques fondamentales de ce droit de propriété dans la manifestation
du droit du titulaire d’un compte. L’on remarque en effet des limites de l’usage d’un compte. Cette
limite est dérogatoire au droit de propriété en ce sens où ce dernier recommande un droit d’usage
(l’usus) absolu dans les limites toutefois de la loi ou des règlements.45 Cette limite d’usage du
compte s’explique par la fixation des plafonds. En clair, le droit d’usage d’un compte présente des
limites à cause des plafonds fixés. Il existe ainsi des plafonds de retrait et parfois des plafonds de
dépôt. Les plafonds de retrait peuvent être mensuels, hebdomadaires et journaliers. Les
établissements monétaires fixent des plafonds pour permettre aux clients de mieux gérer leur
argent. En fixant le plafond, il permet au client de limiter les dépenses et d’éviter ainsi les situations
désagréables telles que les découverts. Il permet en outre de lutter contre les situations frauduleuses
sur le compte. Mais toujours est ’il que le titulaire d’un compte ne dispose pas de la totalité de son
droit d’usage comme c’est le cas pour le propriétaire.
45 Cf. Article 544 du Code Civil camerounais.
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Conclusion
En sommes, il était question pour nous de déterminer, tout au long de ce travail, la nature
juridique du droit du titulaire d’un compte. D’emblée, il ressort de cette analyse que deux solutions
similaires peuvent s’appliquer à la nature du droit que le titulaire d’un compte exerce. Il s’agit en
effet du droit de créance à plusieurs égards et du droit de propriété à certains égards. En effet, l’on
note, dans l’exercice du droit du titulaire d’un compte, la présence des caractéristiques
fondamentales d’un droit de créance et également, dans ce même droit exercé par le titulaire d’un
compte, il est perçu à plusieurs reprises des éléments qui dérogent au droit de créance à l’instar
des limites au droit de créance ordinaire ou classique, et la présence des caractéristiques du droit
de propriété. Au vue de tout ceci, nous somme tenter de dire que la nature du droit du titulaire d’un
compte est déclinée concomitamment en droit de propriété et en droit de créance, ce droit est en
fait mitigé. En effet, dans une analyse un peu plus poussée, et on ne peut plus logique, le titulaire
d’un compte exerce un droit de propriété sur le compte et un droit de créance sur la personne de
l’établissement monétaire. Toutefois conclure en disant que la nature du droit du titulaire d’un
compte est double s’avère être dérisoire et rédhibitoire. Suite à notre analyse, nous somme venu à
conclure que le droit exercé par le titulaire d’un compte est un droit de créance particulier en ce
sens que, nonobstant le fait qu’il ne soit pas appliqué « stricto sensu » et qu’il soit teinté ou mieux,
altéré par la présence des caractéristiques du droit de propriété, l’on perçoit néanmoins des
caractéristiques fondamentales du droit de créance. Le droit du titulaire d’un compte est ainsi un
droit de créance partiel et altéré, et donc un droit de créance particulier. Toutefois, pour une
application d’un régime juridique légal et éviter toute sorte de gymnastique des juges, ne serait-il
pas opportun d’additionner à la summa divisio existante en la matière une troisième catégorie qui
mettrait en place un droit mixte? Ou alors spécifiquement, un régime juridique applicable au
titulaire d’un compte ?
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La spécificité de la cessation de paiements des établissements de
crédit en difficulté en droit CEMAC
Par :
PAYDI Raïssa
Docteure en droit privé
Université de Ngaoundéré (Cameroun)
Résumé :
Les autorités monétaires afin de mieux surveiller et d’affirmer la particularité des
activités bancaires étaient obligées d’instaurer une conception spécifique de la cessation des
paiements contraire à celle instauré par le législateur OHADA. Ainsi, le premier critère de
défaillance d’une entreprise commerciale de droit commun est la cessation de paiements, or en
droit CEMAC, il est unanimement admis que la conception de la cessation de paiements de
droit commun ne saurait être applicable aux établissements de crédit en difficulté, à cause de
la nature du contrat de dépôt qui est singulière et le bilan des banques qui est spécifique. Le
législateur CEMAC a donc consacré une nouvelle définition de la cessation de paiements
applicable aux banques. Cette nouvelle définition met l’accent sur la crise de liquidités dont
les indicateurs de référence sont les ratios de liquidité et de solvabilité.
Mots clés : Cessation de paiements, établissements de crédit en difficulté, droit commun
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Introduction
L’établissement de crédit en difficulté est une notion qui auparavant n'était pas définie
légalement par le droit CEMAC. La convention de 19901 constituait le cadre légal de traitement
des difficultés des établissements de crédit. À cet effet, la COBAC était seule habilitée à
nommer un administrateur provisoire si la gestion ne pouvait plus être assurée dans des
conditions normales d’exploitation, ou lorsque les dirigeants étaient démis d’office2. En vertu
de l'article 14 de l'annexe de la convention, ce dernier disposait du pouvoir de déclarer la
cessation de paiements3. Mais l'adoption du Règlementn°02/14/CEMAC/UMAC/COBAC/CM
du 25 avril 20144 relatif au traitement des établissements de crédit en difficulté est venu lever
le voile sur la notion d’ « établissement de crédit en difficulté »5. La notion de difficulté retenue
par le législateur CEMAC sera plus large et ira au-delà de simples difficultés économiques et
financières comme c’est le cas dans le cadre de l’OHADA avec l’AUPC.
Au-delà de la notion de difficulté qui est appréhendée différemment par le droit
spécifique bancaire, la notion de la cessation de paiements sera différente de la conception
classique du droit commun OHADA.
1La Convention du 16 octobre 1990 portant création d’une Commission Bancaire de l’Afrique Centrale est le texte
de base du régulateur COBAC. Il est accompagné d’une Annexe. 2 Dans ce sens, Arrêt n° 010/CJ/CEMAC/CJ/09, 13 nov. 2009, Aff. Silienou Christophe et a. c/ décision COBAC
n°D-2008/52, Amity Bank Cameroon PLC, Autorité monétaire in Juridis Périodique, n° 83, juill.- août- sept. 2010,
p. 35 et s. note E. KALIEU. 3 D. PIIH, Le traitement des établissements de crédit en difficulté en zone CEMAC, Thèse, Université Paris-
Descartes, 2018, p. 8. 4 Depuis le 25 avril 2014, le Comité Ministériel de l'UMAC (Union Monétaire de l'Afrique Centrale) a adopté un
nouveau Règlement relatif au traitement des établissements de crédit en difficulté. Ce nouveau Règlement, qui
abroge certaines dispositions des conventions de 1990 portant création de la COBAC et de 1992 portant
harmonisation de la réglementation bancaire dans les Etats de la CEMAC, apporte des changements relativement
importants dans le régime jusque-là applicable. 5 le Règlement CEMAC 02/14 en son article 4, dispose qu’« un établissement de crédit est considéré en difficulté
lorsque la COBAC constate des dysfonctionnements de toute nature ayant un impact immédiat ou potentiel sur sa
gestion et/ou sa situation financière. Il s’agit notamment des cas où : il ne fonctionne pas en conformité avec la
réglementation bancaire ; sa gestion ou sa situation financière sont de nature à mettre en cause la bonne fin de
ses engagements ; sa gestion ou sa situation financière n’offrent pas de garanties suffisantes sur le plan de sa
solvabilité, de sa liquidité ou de sa rentabilité ; ses structures de gestion, son organisation administrative ou
comptable ou son contrôle interne présentent des lacunes graves ». La notion de dysfonctionnement majeur est
une notion ouverte qui peut englober d’autres considérations comme les crises relationnelles à la tête de l’entreprise
ou une mauvaise structuration de l’entreprise. Cette notion nous permet de comprendre que les difficultés ne sont
pas seulement d'ordre économique et c'est à l'organe communautaire de régulation bancaire de désigner si un
établissement est en difficulté ou non. Sur les compétences de la COBAC en matière bancaire en général, lire par
exemple. NJOYA KAMGA (B.), « La COBAC dans le système bancaire de la CEMAC », in Annales de la Faculté
des Sciences Juridiques et Politiques, Université de Dschang, T.13, 2009, pp. 85-100. Cité par KALIEU (E.), « Le
nouveau régime de traitement des établissements de crédit en difficulté en Zone CEMAC », Juridis Périodique
N°105, Rev de droit et de science politique, 2016, p. 141.
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S’agissant ainsi de la cessation de paiements, pendant longtemps, le seul fait de l’arrêt
des paiements ne suffisait pas à caractériser la cessation de paiements, la cour de cassation
française exigeait une situation irrémédiablement compromise. Puis, la chambre commerciale
a défini cette notion floue comme étant « l’impossibilité pour le débiteur de faire face à son
passif exigible avec son actif disponible »6.
De manière triviale, la cessation de paiements d’une entreprise est la situation juridique
d’une personne physique ou morale qui ne peut plus payer ses dettes. Dans les entreprises
commerciales de droit commun, la cessation de paiements est importante puisqu’elle est la
condition d’ouverture des procédures de redressement judiciaire et de liquidation des biens7.
De ce fait, le législateur OHADA a conservé la définition traditionnelle de la cessation de
paiements qui prévoyait que, « ce qui caractérise la cessation de paiements c’est l’absence des
disponibilités immédiates suffisantes pour le passif échu, en d’autres termes l’impossibilité
d’obtenir le moindre concours (bancaire notamment) pour faire face à une échéance »8.
A cet effet, pour qualifier la cessation de paiements en droit commun, trois critères sont
à retenir : Premièrement, il faut un passif exigible, c'est-à-dire que ses dettes doivent être
liquides, certaines et exigibles9. Ensuite, il faut que l’actif soit disponible, cela renvoie au fait
que l’entreprise dispose des fonds immédiatement disponibles soient parce qu’elles sont
liquides, soient parce que leur conversion en liquides est possible sans délai10. Enfin, il faut que
l’entreprise soit dans l’incapacité de faire face au passif exigible avec l’actif disponible de sorte
qu’il y’a cessation de paiements11.
Si pour les sociétés classiques de droit commun la cessation de paiements renvoie à un
déséquilibre entre l’actif disponible avec le passif exigible, le législateur de la CEMAC n’a pas
entendu maintenir les mêmes critères de qualification que ce dernier.
Cela dit, la cessation de paiements, difficulté classique d’une entreprise ordinaire, n’a
pas la même signification dans une entreprise bancaire. Dans la première, elle évoque donc
6 Cass.com., 14 févr. 1978 : Bull. civ. IV, n°66. Disponible sous le lien https://WWW-actu-juridique-fr. Consulté
le 23/12/2021. 7 Cour d’Appel du Littoral, Arrêt du 16/03/2012, www.ohada.com, Ohadata J-14-14. Disponible sur le site
http://WWW.actualitésdroitohada.com. Consulté le 21/12/2021. 8 J. ISSA- SAYEGH, dans Penant, numéro spécial OHADA, p.211. 9 V. http://WWW.actualitésdroitohada.com. 10 Y. GUYON, Droit des affaires, Tome 2 : Entreprises en difficultés, redressement judiciaire, faillite,
Economica, 8e éd., 2001, n°1031. 11 P-G. POUGOUE, L’organisation des procédures collectives d’apurement de passif OHADA, PUA 1999, n°43.
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l’idée d’un déséquilibre de patrimoine en ce sens que l’actif disponible ne permet plus de faire
face au passif exigible. Dans la seconde, elle traduit plutôt une crise de liquidité12.
Une banque est en cessation de paiements lorsqu’elle n’est plus en mesure d’assurer
ses paiements, immédiatement ou dans un délai de trente jours13. La cessation de paiements
a donc un contenu différent en ce qui concerne les établissements de crédit en zone
CEMAC. Elle s’inscrit en marge à la conception classique de la cessation de paiement telle
que reprise par l’Acte Uniforme de l’OHADA relatif aux Procédures Collectives
d’Apurement du Passif. Cela est perceptible à travers l’introduction de la cessation de
paiements dans la loi bancaire (I) et la consécration de la cessation de paiements d’office
en droit CEMAC (II).
I- L’INTRODUCTION DE LA CESSATION DE PAIEMENTS DANS LA LOI
BANCAIRE
A ce niveau, il est procédé à la mise à l’écart de la conception classique de la cessation
de paiement (A), pour une mise en place de la cessation de paiements spécifique en droit
CEMAC (B).
A- La mise à l’écart de la conception classique de la cessation de paiements de droit
commun
La cessation de paiements de droit commun est une conception patrimoniale des
difficultés de l’entreprise. Elle renvoie à l’incapacité d’une entreprise à faire face au passif
exigible avec l’actif disponible.
Par passif exigible, il faut entendre le passif échu, c'est-à-dire, les dettes arrivées à échéance et
non réglées14. Si les parties ne se sont pas accordées sur l’échéance de la dette ou s’il y a un
malentendu sur l’échéance15, il ne devrait pas y avoir cessation de paiements16. Ainsi, un
commerçant qui refuse de payer une dette non échue n’est pas en état de cessation de paiements.
Il en est de même de celui qui bénéficie d’un délai de paiement en raison de l’adage « qui doit
12 D. PIIH, Thèse, op. cit., p. 17. 13 Art. 86, Règlement n° 02/14/CEMAC/UMAC/COBAC/CM relatif au traitement des difficultés des
établissements de crédit en zone CEMAC. 14V. M-A. FRISON-ROCHE, « L’invitation de l’article 52 de la loi bancaire », RD. Bancaire et bourse, 1996, p.
86 ; B. GRELON, « Les banques en difficulté », D. 1997, chr. p. 199. 15Ibidem. 16Ibidem.
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à terme ne doit pas ». Il faut alors se référer sur la partie correspondante du bilan pour identifier
tous les éléments du passif exigible17. En revanche, les dettes doivent être certaines et donc non
litigieuses, c’est-à-dire, qu’elles ne doivent pas être légitimement contestées par le débiteur
quant à leur existence ou leur montant18. Au cas où il y a contestation, il faut qu’elle soit sérieuse
puisque le débiteur ne doit pas pouvoir échapper à la cessation de paiements du seul fait de la
contestation des droits de ses créanciers poursuivant. Il a ainsi été jugé que le débiteur doit
établir que le refus de paiement est motivé par une autre raison que la cessation de paiements19.
La créance est certaine si la dette résulte d’un jugement au fond frappé d’appel mais exécutoire
par provision20.
Un arrêt de la chambre commerciale qui considère que « pour se prononcer sur
l’existence de l’état de cessation des paiements, il n’y a pas à rechercher si le passif exigible a
été effectivement exigé dès lors que le débiteur n’a pas allégué qu’il disposait d’une réserve de
crédit ou d’un moratoire de la part de ses créanciers lui permettant de faire face à son passif
exigible… »21 . La jurisprudence française est restée constante quant à l’exigence du critère du
passif exigible et non du passif exigé22. A cet effet, « le passif exigible ne peut donc être limité
aux seules dettes dont le paiement est expressément demandé. Tout passif échu entre dans la
composition du passif exigible et n’en sort qu’à la condition d’avoir fait l’objet d’un accord
exprès de report »23. Tel est le sens de l’analyse de la Cour d’Appel de Lyon pour laquelle « la
cessation de paiements est suffisamment caractérisée même en l’absence de poursuite de
recouvrement, lorsque le passif actuellement exigible ne peut être payé avec les disponibilités
; que c’est seulement lorsqu’un accord a été trouvé avec les créanciers pour aménager les
conditions de règlement que la cessation de paiements n’est pas caractérisée »24.
17 DIEYNABA SAKHO, Les droits communautaires des procédures collectives dans l’espace OHADA, Mémoire
DEA, Université Gaston Berger de Saint Louis, Sénégal, 2008, p. 59. 18 D. FAURY, « La notion de cessation de paiements et la loi de sauvegarde des entreprises », Gaz. Pal., janv.-
févr. 2007, p. 85. 19 Cass.com. 27 avr. 1993, n° 91. 16470 : JurisData n° 1993-000800. 20 Cass. com. 13 mai 1980, Bull. civ. IV, n° 198. 21 Cass. com. 15 fév. 2011, n° 10-13.625, Bull. civ. IV, n° 23 ; D. 2011. Actu. 591, obs. LIENHARD (A.) ; JCP E
2011. 1280, note ch. Lebel ; LEDEN avr. 2011, p. 3, obs. DELATTRE; BJE. 2011. 176, note MARTINAUD-
BOURGINAUD. 22E.A. MOHO FOPA, Réflexions critiques sur le système de prévention des difficultés des entreprises de
l’OHADA, DEA, Université de Dschang-Cameroun, 2007, p. 71. 23 Cass. com. 15 fév. 2011, n° 10-13.625, Bull. civ. IV, n° 23; D. 2011. Actu. 591, obs. LIENHARD (A.) ; JCP E
2011. 1280, note ch. Lebel ; LEDEN avr. 2011, p. 3, obs. Ch. DELATTRE; BJE. 2011. 176, note MARTINAUD-
BOURGINAUD. 24 CA Lyon, 3e ch., 3 août 2005.
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Par actif disponible, il faut comprendre les fonds immédiatement utilisables,
mobilisables, c'est-à-dire, l’ensemble des sommes en caisse, des effets de commerce à vue, du
solde créditeur du compte courant et des comptes bancaires en général25. L’actif disponible
comprend les marchandises de réalisation immédiate permettant un apport rapide de la
trésorerie et ne s’étend pas au stock de produits intermédiaires ou finis26.
Au critère d’actif disponible, il est ajouté le critère de l’actif réalisable sans que ce
nouveau critère fasse gloser la doctrine comme ce fût le cas du passif exigé. En effet, ce qui est
disponible est différent de ce qui est réalisable27. Un bien réalisable est susceptible d’apporter
de la disponibilité dans un bref délai mais n’est pas en lui-même cette disponibilité. La Cour
Commune de Justice et d’Arbitrage a admis la liquidation des biens lorsque le débiteur avait un
passif exigible supérieur à son actif réalisable et disponible28. Dans le même sens, la CCJA a
homologué un concordat préventif en tenant compte de l’actif réalisable à court terme dans une
motivation qui mérite d’être relevée, « attendu que le règlement préventif tend à éviter la
cessation de paiements ou d’activité de l’entreprise par la formalisation d’un concordat qui ne
peut être homologué qu’à la suite du rapport d’un expert ; qu’il ressort des conclusions du
rapport de l’expert sur la situation économique et financière de la SITACI qu’elle dispose d’un
niveau suffisant d’actifs disponibles et réalisables à court terme pour couvrir ses dettes
exigibles à court terme ; que le niveau et la qualité de ses actifs lui permettent de maintenir la
continuité de l’exploitation dans de bonnes conditions en dépit de quelques difficultés liées à la
crise financière ayant entrainé la chute des cours de matière première dont l’acier ; que le
concordat proposé est viable »29.
Dès lors, il faut tenir compte non seulement de l’actif disponible mais aussi de l’actif
réalisable à court terme. Ce nouveau critère jurisprudentiel peut contribuer à retarder la
25J. STIGLITZ ET A.WEISS, “Credit rationing in market with imperfect information”, La Revue Economique
Américaine (American economic association), vol 71, 1981, p. 393. 26 S. J. MEDAMKAM TOCHE, La sécurité des déposants dans le système bancaire de la CEMAC, Mémoire de
DEA, Université de Dschang, 2006, pp. 49 et s. 27 DIEYNABA SAKHO, Les droits communautaires des procédures collectives dans l’espace OHADA, op. cit.,
p. 80. 28 CCJA, 3ème ch., arrêt n° 22/2011, 6 déc. 2011, Aff. La Compagnie Cotonnière de la Côte d’Ivoire c/ Tiemoko
Koffi et Guillemain Alain, note PIIH. 29 CCJA, Arrêt n° 064/2014, 25 avril 2014, Sté F.J ELNSER Trading GMBH ; Sté STEEL RESSOURCES c/ Sté
Industrielle de Tubes d’Acier dite SITACI ; Sté STEEL LINK ; Sté TRADESCA et Conseil de l’Ordre des Avocats
du Burkina Faso, note D. PIIH.
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cessation de paiements si le débiteur justifie que son actif peut être réalisable dans un délai
bref30.
Par ailleurs, la cessation de paiements se caractérise par une impossibilité pour l’actif
disponible et réalisable à court terme de faire face au paiement du passif exigible. Ainsi, ce
n’est pas tant le volume du passif exigible ou la quantité de l’actif disponible pris isolément qui
caractérise la cessation de paiements. C’est la confrontation entre l’actif disponible et le passif
exigible qui permet de la constater31. L’expression « faire face » a suscité deux interprétations.
Selon la première interprétation, l’emploi de cette expression par le législateur signifie que le
débiteur en cessation de paiements ne peut pas payer, non pas parce qu’il ne le veut pas, mais
parce qu’il ne le peut pas. D’après la seconde interprétation, la cessation de paiements serait
caractérisée dès que le débiteur ne paye pas, sans qu’il soit besoin de s’interroger sur ses
intentions.
En 1984, la Cour d’appel d’Aix-en Provence a eu l’occasion de préciser que la cause
du défaut de paiement est sans incidence lorsque les juges du fond examinent la situation du
débiteur ; ceux-ci n’ont pas à rechercher les mobiles du non-paiement des dettes exigibles32.
Plus récemment, dans une affaire très médiatisée en France, l’affaire Sodimédical33, la Cour de
cassation a considéré que dès lors que le débiteur est en état de cessation de paiements, la
demande d’ouverture de la procédure collective ne peut être rejetée en raison de ses mobiles34.
Un auteur commentait en faveur de cet arrêt que, «… permettre au tribunal de refuser
l’ouverture d’une procédure collective en se fondant sur les mobiles du débiteur reviendrait
tout d’abord à ajouter une nouvelle condition aux textes, mais surtout risquerait de soulever
bien de difficultés d’application tout en retardant l’ouverture de la procédure. Analyser les
mobiles supposés ou réels du débiteur à ce stade serait pour le moins périlleux(…) »35. La Cour
de cassation française est d’ailleurs constante sur cette position puisqu’elle avait déjà jugé que
30 M-A. FRISON-ROCHE, « L’invitation de l’article 52 de la loi bancaire », op. cit., p. 86. 31 DIEYNABA SAKHO, Les droits communautaires des procédures collectives dans l’espace OHADA, op. cit.,
p. 42. 32 CA Aix-en Provence, 24 juin 1984, D. 1984, IR p. 6, obs. A. HONORAT. 33 Cass. com., 3 juill. 2012, n° 11-18.026 : JurisData n° 2012-015231, Rev. proc. coll. 2013, comm.6, obs.
SAINTOURENS (B.). D. 2012, Actu. 1814, obs. LIENHARD (A.); Rev. sociétés 2012. 527, obs. HENRY (L.C.);
JCP E 2012. 1509, note CERATI-GAUTHIER (A.); ibid. 1757, no 1, obs. PÉTEL (Ph.); Gaz. Pal. 5-6 sept. 2012,
p. 5, obs. DEMEYERE (D.); BJE. 2012. 279, concl. BONHOMME (R.);Act. proc. coll. 2012, no 206, obs. FIN-
LANGER (L.); Dict. perm. diff. entrep., Bull. no 340, obs. ROUSSEL GALLE (Ph.); Dr. sociétés 2012, no 189,
note J.-P. Legros ; Dr. et patr. sept. 2013. 48, obs. MONSÈRIÉ-BON (M. –H.). 34 I. ALASSANE OUSSENI, Problématiques de la performance financière des institutions de microfinance : cas
de l’agence PAPME/Bénin, op. cit., p. 81. 35 Ph. ROUSSEL GALLE, « Ouverture des procédures », Rev. proc. coll., juill. 2013, n° 24, p. 2.
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le fait de rechercher à échapper à ses obligations contractuelles36, est sans incidence sur
l’ouverture des procédures collectives, ou à tout le moins d’une procédure de sauvegarde37.
B- La conception de la cessation de paiements instauré en droit CEMAC
La cessation de paiement revêt une conception particulière en droit de la CEMAC.
Elle ne se rapproche pas de celle fournie par le droit de l’OHADA relatif aux procédures
collectives. En effet, avant le Règlement du 25 avril 2014, les pays de la CEMAC, par ailleurs
membres de l’espace OHADA, ne connaissaient qu’une seule définition de la cessation de
paiements : l’impossibilité pour un débiteur de faire face à son passif exigible avec son actif
disponible. Cette définition avait vocation à s’appliquer à toutes les entreprises sans exception,
notamment aux établissements de crédit de la zone CEMAC. La situation était différente dans
la zone UEMOA qui avait repris depuis 2007 la définition de la cessation de paiements
applicable aux établissements de crédit issue du Code monétaire et financier français, selon
laquelle « sont en état de cessation des paiements, les établissements de crédit qui ne sont pas
en mesure d’assurer leurs paiements, immédiatement ou à terme rapproché »38.
A partir de l’entrée en vigueur de la loi bancaire de l’UMOA en 2007, la définition
de droit commun n’était plus applicable aux établissements de crédit. Ce n’est qu’en avril 2014
que la définition de droit commun a cessé d’être applicable dans la zone CEMAC. Il faut
rappeler que la nouvelle définition proposée par le législateur CEMAC se démarque de celle
applicable en droit français et en zone UMOA par la précision sur le délai du terme rapproché.
Ainsi, d’après le législateur CEMAC, « les établissements de crédit sont en état de cessation
des paiements lorsqu’ils ne sont pas en mesure d’assurer leurs paiements, immédiatement ou
dans un délai de trente (30) jours »39. Ainsi, les établissements de crédit sont en état de cessation
de paiements lorsqu’ils ne sont pas en mesure d’assurer leurs paiements, immédiatement ou
dans un délai de 30 jours. La doctrine a tenté de justifier la spécificité de la définition par le
36S.J. MEDAMKAM TOCHE, La sécurité des déposants dans le système bancaire de la CEMAC, op. cit., pp. 70
et s. 37 Cass. com. 8 mars 2011, n° 10-13.988 : JurisData n° 2011-002852 ; Bull. civ. 2011, IV, n° 33 ; D. 2011, p. 919,
note LE CORRE ; D. 2011, p. 2069, obs. F. LUCAS ; D. 2011, p. 743, obs. A. LIENHARD; RTD com. 2011, p.
420, obs. VALLENS (J. – L.); JCP E 2011, 1215, note B. DONDERO et A. COURET, Ibid, 1263, n° 1, obs. PH.
PETEL ; Gaz. Pal. 1er-2 avr. 2011, p.7, note REILLE (FL.); Dict. perm. diff. entr., mars 2011, p. 2, note ROUSSEL
GALLE; LEDEN avr. 2011, n° 4, p.1, obs. S. GORRIAS et THEVENOT; RJDA mai 2011, p. 359, rapp. J-P.
RÉMERY. 38 Art. 86, loi bancaire UMOA et C. mon. fin., art. L. 613-26. 39 Art. 86, Règlt 02/14/CEMAC/UMAC/COBAC/CM relatif au traitement des établissements de crédit en
difficulté. Il est à remarquer l’identité du chiffre de l’article en zone CEMAC et UMOA. A la lecture des deux
textes, on s’aperçoit que le législateur CEMAC s’est profondément inspiré de l’architecture du texte de la loi
bancaire de l’UMOA. Nous rappelons que les deux zones utilisent le Franc CFA.
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rôle des établissements de crédit à savoir la monnaie, et la diversification de leurs activités40.
Pour mieux s’en rendre compte, certain aspect particulier des établissements de crédit doivent
être abordés permettant de mettre en lumière la cessation de paiement à savoir le contrat de
dépôt bancaire, l’obligation du banquier et la disparition de la notion d’exigibilité au profit de
celle de disponibilité dans le cadre des comptes à vue notamment.
Il faut relever que le contrat de dépôt bancaire pose des difficultés de qualification
qui ont nourri une controverse doctrinale41. Tout d’abord, il est admis que le contrat de dépôt
bancaire est un contrat intuitu personae42. Il repose sur la confiance43 et l’assurance que
l’épargnant a d’entrer en possession de son argent à tout moment. Le dépôt bancaire s’analyse
comme un contrat par lequel un déposant remet une chose mobilière à un dépositaire à charge
pour lui de la conserver et de la restituer en nature lorsque la demande lui en sera faite44. Il
ressort de cette définition que le déposant demeure au terme de l’obligation, propriétaire de la
chose remise45. Or, du fait de la fongibilité de la monnaie, la seule remise de la chose au
banquier lui fait perdre sa caractéristique de corps certain et se confond avec le patrimoine du
dépositaire46. Ce dernier n’est alors tenu que de la restitution par équivalent47. Il s’opère une
transmutation qui transforme le droit de propriété de l’épargnant en simple droit de créance48.
L’on a pu déduire alors qu’il s’agit d’un dépôt irrégulier49. Cette thèse s’oppose à une position
constante de la doctrine qui considère que le banquier devient propriétaire de la chose déposée
40 S. DIENG, Procédures de sauvetage et coexistence de normes dans l’espace OHADA : le cas des établissements
de crédit, Thèse Université de Toulouse, 2014, n° 106 et s, pp. 113 et s. 41S. PIEDELIEVR et E. PUTMAN, Droit bancaire, Economica, 2011, n° 272, p. 288. 42 D. KRAJESKI, L’intuitu personae dans les contrats, Thèse Toulouse, 1999, n° 48, p. 33. 43 La confiance est la matière première de l’industrie bancaire, lire dans ce sens Ch. LEGUEVAQUES, « Les
apports des nouvelles règles spécifiques sur les faillites des établissements de crédit », LPA, déc. 2003, n° 248, p.
16. 44 Art. 1915 du Code civil camerounais, lequel est identique en droit français. Il faut souligner que du fait de la
colonisation, les Etats africains ont hérité la plupart des législations applicables en France, en l’occurrence le Code
civil. Si en France, le Code civil a connu beaucoup de réformes, le législateur camerounais est resté à la traîne en
continuant à appliquer le même Code malgré l’évolution de la société. 45V. CATILLON, Le droit dans les crises bancaires et financières systémiques, LGDJ, 2011, n° 94, op.cit. p. 80. 46 F. PELTIER, « Le sort des déposants en cas de faillite de la banque dépositaire », RDBB, sept.-oct. 1991, n° 27,
p. 75. 47H.CABRILLAC, « Les difficultés d’interprétation des contrats bancaires », in Mélanges R. Secrétan, Université
de Lausanne, Montreux, 1964, p. 1. 48I. ALASSANE OUSSENI, Problématique de la performance financière des institutions de microfinance : cas
de l’agence PAPME/Bénin, op. cit., p. 98. 49 G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité élémentaire de droit commercial, t. 2, LGDJ, Paris, 13ème éd., 1992, n°
2361.
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et devrait pour cela échapper à l’infraction de vol ou d’abus de confiance50. Il a donc été proposé
une autre qualification du contrat de dépôt bancaire : le prêt de consommation51.
Par ailleurs, au-delà de l’obligation du banquier, l’une des singularités du dépôt de
monnaie en banque est sa disponibilité ad nutum. Les fonds remis au banquier peuvent être des
fonds restituables à terme ou constitutifs de dépôts à vue. Il est classique de distinguer le compte
à vue du compte à terme. Le compte à terme, encore appelé dans la pratique compte bloqué, est
celui dont le titulaire ne peut disposer des fonds avant l’expiration d’un délai déterminé à partir
de la date d’ouverture52. Par compte à vue, on entend des comptes permettant l’utilisation
d’instruments de paiement à vue tels que le chèque, et plus largement le retrait à tout moment
sur demande du client et sous réserve des délais de mise à disposition des fonds figurant sur le
compte53. C’est cette dernière catégorie de compte qui nous intéresse pour démontrer la
disponibilité ad nutum des fonds remis54.
Pour ce qui est de la disparition de la notion d’exigibilité au profit de celle de
disponibilité dans le cadre des comptes à vue, il faut observer que les titulaires des comptes à
vue sont libres d’effectuer des opérations de retrait à tout moment dans le respect des heures
d’ouverture des guichets préalablement affichées et communiquées au public55. La spécificité
de ce compte vient de ce que le dépositaire n’est pas informé ni du délai, ni du montant de
retrait. A cet effet, le banquier, dépositaire doit disposer en permanence des liquidités pour
rendre disponibles en permanence les fonds remis. Ainsi, par exemple, le client qui se présente
devant un distributeur automatique de billets s’attend à recevoir la quantité de billets qu’il lui
est permis de retirer par sa carte bancaire quelle que soit l’heure à laquelle il se présente. De
même, dans la limite de la provision disponible, le banquier est tenu d’exécuter les ordres de
virement de son client et les paiements ordonnés, sans lui opposer une échéance ou une durée.
Il apparaît dès lors que la disponibilité des fonds s’oppose et se substitue à l’exigibilité des
engagements du banquier vis-à-vis du déposant. Plus clairement, la notion d’exigibilité
disparaît au profit de celle de disponibilité56. La créance du client, titulaire d’un compte à vue,
50Ibidem. 51 J. HAMEL, G. LAGARDE et A. JAUFFRET, Traité de droit commercial, t. 2, Dalloz, Paris, 1966, n° 1640. 52 J-M. NYAMA, Droit bancaire et de la microfinance en zone CEMAC, t. 2, CERFOD, 2006, p. 47. 53 S. PIEDELIEVRE et E. PUTMA , op.cit., n° 263, p. 277. 54S-J. MEDAMKAM TOCHE, La sécurité des déposants dans le système bancaire de la CEMAC, op. cit., pp. 80
et s. 55 M-S. FRISON-ROCHE, « L’invitation de l’article 52 de la loi bancaire », op. cit., p. 89. 56 DIEYNABA SAKHO, Les droits communautaires des procédures collectives dans l’espace OHADA, op. cit.,
p. 10.
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ne doit pas être considérée comme une créance exigible, mais plutôt comme une créance
disponible. Elle n’est pas soumise à la condition du temps comme les créances ordinaires.
Aussitôt que les fonds sont remis au banquier, ils doivent immédiatement être disponibles.
Concrètement, le client qui dépose son argent sur son compte, peut décider de le reprendre dans
la minute qui suit. Tout se passe exactement comme si le dépositaire n’était qu’un simple
gardien de la chose qu’il doit restituer à la première demande du déposant57.
En outre, en vertu de l’obligation de tenue d’une comptabilité58, toutes les entreprises
doivent élaborer les états financiers destinés à retracer l’ensemble de leurs mouvements et à
communiquer aux différents intervenants les informations nécessaires sur leur situation
patrimoniale59.
A ce propos, une banque ne peut arrêter de prêter en utilisant ses ressources qu’elle a
l’obligation de rendre disponible à tout moment, c’est l’essence même de son activité. En effet,
elle connaît des difficultés parce qu’elle a des actifs non performants, parce qu’elle subit des
coûts exagérés ou un excès de charges, mais pas parce que le volume du passif est important60.
C’est pour pallier à cette distorsion que le régulateur met un accent particulier sur le respect des
fonds propres inscrits dans le bilan, lesquels doivent être disponibles et permettre de mesurer la
capacité d’un établissement de crédit à faire face aux demandes ad nutum des déposants. Il
apparaît que pour assurer sa stabilité, une partie des actifs dépend non pas des dettes, mais des
fonds propres61. Ce qui explique pourquoi le ratio de solvabilité d’une banque se calcule par le
rapport du montant des fonds propres avec les concours bancaires. Ce ratio a été jugé
insuffisant, c’est pourquoi il a été proposé de nouveaux ratios pour remplacer le ratio COOKE
57E.A. MOHO FOPA, Réflexions critiques sur le système de prévention des difficultés des entreprises de
l’OHADA, op. cit., p. 24. 58L’article 1 de l’Acte Uniforme OHADA relatif au Droit Comptable et à l’Information Financière (AUDCIF)
dispose que « Toute entreprise au sens de l’article 2 ci-après doit mettre en place une comptabilité destinée à
l’information externe comme à son propre usage. A cet effet : elle classe, saisit, enregistre dans sa comptabilité
toutes opérations entraînant des mouvements de valeur qui sont traitées avec des tiers ou qui sont constatées ou
effectuées dans le cadre de sa gestion interne ; elle fournit, après traitement approprié de ces opérations, les
redditions de comptes auxquelles elle est assujettie légalement ou de par ses statuts, ainsi que les informations
nécessaires aux besoins des divers utilisateurs ». Il faut souligner qu’à côté du plan comptable OHADA, il existe
un plan comptable spécifique des établissements de crédit régi par le Règlement COBAC R-98/01 du 15 février
1998 relatif au plan comptable des établissements de crédit. 59S.J. MEDAMKAM TOCHE, La sécurité des déposants dans le système bancaire de la CEMAC, op. cit., pp. 80
et s. 60G. MANCEAU, « La dualité des régimes juridiques », in La Défaillance d’une banque, colloque de Deauville
organisé les 8 et 9 juin 1996 par l’association Droit et Commerce, RJ com., nov. 1996, p. 9. 61I. ALASSANE OUSSENI, Problématique de la performance financière des institutions de microfinance : cas
de l’agence PAPME/Bénin, op. cit., p. 12.
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en pondérant dans un premier temps, les risques par les établissements de crédit et en y
incorporant le risque de crédit, le risque de marché et le risque opérationnel, puis en préconisant
de renforcer le niveau et la qualité des fonds propres62.
II- LA CESSATION DE PAIEMENTS D’OFFICE EN DROIT CEMAC
L’article 86 alinéa 2 du Règlement CEMAC n° 02/14/CEMAC/UMAC/COBAC/CM
relatif au traitement des établissements de crédit en difficulté dispose que « tout retrait
d’agrément d’un établissement de crédit vaut cessation des paiements ». Par-là, le droit
CEMAC procède à la consécration de la cessation de paiement d’office des établissements de
crédit en difficulté (A), en assimilant le retrait d’agrément à la cessation de paiement d’office
(B).
A- La consécration de la cessation de paiement d’office
En droit CEMAC, un établissement de crédit est en cessation de paiement lorsqu’il
y a eu retrait de son agrément63. En effet, l’activité bancaire est une activité fortement
réglementée dans la zone CEMAC et dans toutes les autres régions64. Pour l’exercice ou l’accès
à cette activité, toute personne est contrainte de se conformer à la réglementation de police
spéciale édictée par la loi bancaire65. Dans la zone CEMAC, composée de six Etats, le dispositif
légal de police spéciale régissant les règles d’accès et de l’exercice de l’activité bancaire ainsi
que sa supervision a été harmonisée par la Convention du 16 octobre 1990 portant création
d’une Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC), complétée par la Convention du
17 janvier 1992 portant harmonisation de la Réglementation Bancaire dans les Etats de
l’Afrique Centrale et par le Règlement CEMAC n° 01/00/CEMAC/UMAC/COBAC portant
institution de l’Agrément Unique dans la CEMAC du 27 novembre 200066. Ces textes
harmonisés posent comme préalable à l’accès et à l’exercice de l’activité bancaire l’octroi d’un
agrément. L’article 12 de l’Annexe à la Convention du 17 janvier 1992 dispose que « l’exercice,
62 Pour une étude approfondie des ratios, V. Bâle II, « La genèse et les enjeux », Rév. éco. fin., n° 73 (4-2003) ; V.
également S. LEBOUCHER (dir.), Bâle III : « Les nouvelles règles passées au crible », Rev. banque éd., Paris,
2010. 63 J.E. STIGLITZ ET A.WEISS, “Credit rationing in market with imperfect information”, op. cit., p. 399. 64S.J. MEDAMKAM TOCHE, La sécurité des déposants dans le système bancaire de la CEMAC, op. cit., pp. 72
et s. 65 M-A. FRISON-ROCHE, « L’invitation de l’article 52 de la loi bancaire », op. cit., p. 86. 66 Pour les principales raisons ayant milité pour l’institution d’un agrément unique ainsi que les obstacles à cette
institution, A. MADJI, « L’institution d’un agrément unique dans la CEMAC : fondements, critères d’admission
et défis pour les banques », disponible sur https://www.beac.int/download/agreuniquecemac.pdf. Consulté le 21
juin 2021, pp. 39 et s.
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par les organismes de droit local et par les succursales d’établissement ayant leur siège à
l’étranger, de l’activité d’établissement de crédit (…) est subordonné à l’agrément de l’Autorité
monétaire, prononcé sur avis conforme de la commission bancaire ». De même que
l’établissement de crédit doit être agréé, leurs dirigeants et leurs commissaires aux comptes
doivent également être agréés dans les conditions prévues par l’article 20 de la même
Convention qui dispose que « l’agrément des dirigeants et des commissaires aux comptes (…)
est prononcé sur avis conforme de la Commission Bancaire ».
A ce propos, l’autorité monétaire de chaque pays membre de la CEMAC délivre
l’agrément pour l’établissement de crédit, pour ses dirigeants et ses commissaires aux comptes,
mais aucun de ces assujettis ne peut s’implanter dans un pays membre de la CEMAC ou ne peut
exercer dans un établissement de crédit sans l’avis conforme de la COBAC67. L’autorité
monétaire nationale intervient en amont et en aval de la procédure de délivrance de l’agrément.
En amont, l’autorité monétaire de chaque pays membre se charge de fixer le capital minimum
qui équivaut à un « ticket d’entrée » dans la profession bancaire68, permettant de recevoir les
dossiers de demande d’agrément69 et, en cas d’accord sur la création de l’établissement de
crédit, à les transmettre à la COBAC pour instruction70 ; à définir les conditions d’implantation
des réseaux sur le territoire national et à déterminer les catégories dans lesquelles peuvent
exercer les établissements de crédit71. En aval de la procédure d’octroi d’agrément, l’autorité
monétaire nationale délivre, après avis conforme de la COBAC, l’arrêté portant agrément,
immatricule auprès du Conseil National de Crédit l’établissement dûment agréé et procède le
cas échéant, au retrait de son agrément lorsque l’établissement ne remplit plus les conditions de
son agrément72. Il apparaît que le rôle de l’autorité monétaire nationale est d’ordre administratif
67I. ALASSANE OUSSENI, Problématique de la performance financière des institutions de microfinance : cas
de l’agence PAPME/Bénin, op. cit., p. 22. 68 Il faut souligner qu’en application du Règlement COBAC R-2009/01 du 1er avril 2009 portant fixation du capital
social minimum des établissements de crédit, la COBAC a harmonisé et porté le capital minimum à 10 milliards
de FCFA, soit environ 15 millions d’euros. L’article 3 de ce Règlement abroge toutes dispositions nationales
contraires qui prévoient un capital social minimum inférieur. Ce texte peut s’interpréter comme une entorse à la
compétence reconnue à l’autorité monétaire nationale de fixer le capital social minimum. 69 Ces dossiers sont reçus en double exemplaire et sont composés : des projets de statuts, de la liste des actionnaires
et dirigeants ainsi que leurs pièces justificatives relatives à leur identité, moralité, compétence et nomination, des
prévisions d’activité, d’implantation et d’organisation, du détail des moyens techniques et financiers dont la mise
en œuvre est prévue etc… 70 Art.14, Annexe à la Convention du 17 janvier 1992 et Art. 7, Règlt n° 02/15/CEMAC/UMAC/CM modifiant et
complétant certaines dispositions relatives à l’exercice de la profession bancaire dans la CEMAC. 71 Art. 15, Annexe à la Convention du 17 janvier 1992. 72 J.G. STIGLITZ et A. WEISS, “Credit rationing in market with imperfect information”, op. cit., p. 398.
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par rapport à celui de la COBAC dont l’avis conforme doit être interprété comme un droit de
véto, car étant obligatoirement sollicité. A cet effet, il ne peut être passé outre à son avis.
Par ailleurs, la COBAC a essentiellement un rôle d’instruction du dossier
d’agrément. De manière générale, elle apprécie l’aptitude de l’entreprise à réaliser ses objectifs
de développement dans les conditions requises pour le bon fonctionnement du système bancaire
et la sécurité des déposants73. Cette instruction consiste notamment à vérifier la cohérence entre
la nature des activités projetées et la catégorie d’établissements de crédit sollicitée ainsi que
l’adéquation des moyens humains, techniques et financiers envisagés au regard notamment du
programme d’activités que le requérant envisage de mettre en œuvre ; s’assurer du respect des
dispositions des articles 474 et 575 du Règlement n°02/15/CEMAC/UMAC/COBAC/CM ;
évaluer la qualité des actionnaires, des administrateurs, des dirigeants et des commissaires aux
comptes ; vérifier l’origine des fonds apportés par les promoteurs pour la constitution du capital
initial de l’établissement de crédit ainsi que la capacité des principaux actionnaires à apporter
un soutien financier à leur établissement en cas de besoin ; apprécier la solidité de la situation
financière prévisionnelle de l’établissement de crédit en rapport avec la stratégie proposée,
l’adéquation des fonds propres envisagés au profil de risque, afin de déterminer la capacité de
l’établissement à respecter ultérieurement les normes prudentielles ; s’assurer que les structures
d’actionnariat et de gouvernance de l’établissement de crédit et du groupe auquel il appartient
n’empêcheront pas un contrôle efficace, tant sur la base individuelle que consolidée et ne sont
pas de nature à entraver, à l’avenir, une mise en œuvre efficace de mesures correctrices ; évaluer
les dispositifs de contrôle interne et de gestion des risques que l’établissement de crédit envisage
de mettre en place, au regard des risques prévisibles, de la nature, du volume et de la complexité
des activités projetées.
B- L’assimilation du retrait d’agrément à la cessation de paiement d’office
Selon le législateur CEMAC, tout retrait d’agrément d’un établissement de crédit vaut
cessation de paiements76. Le retrait d’agrément influe sur la qualification de la cessation de
paiement. En effet, le retrait d’agrément est prononcé soit à la demande de l’établissement de
73 Art. 17, Règlement COBAC R-2016/01 relatif aux conditions et modalités de délivrance des agréments des
établissements de crédit, de leurs dirigeants et de leurs commissaires aux comptes. 74 Cet article traite de l’agrément des bureaux des établissements de crédit ayant leur siège hors de la CEMAC. 75 Cet article oblige les établissements de crédit à se constituer en SA avec conseil d’administration. 76 Art.86 al. 2, Règlt n°02/14/CEMAC/UMAC/COBAC/CM relatif au traitement des établissements de crédit en
difficulté.
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crédit, soit d’office lorsqu’il ne remplit plus les conditions auxquelles l’agrément est subordonné,
lorsqu’il n’a pas fait usage de son agrément dans un délai de douze mois ou lorsqu’il n’exerce
plus son activité depuis au moins six mois77. En combinant ce texte avec celui de l’article 86 du
Règlement CEMAC n°02/14/CEMAC/UMAC/COBAC/CM relatif au traitement des
établissements de crédit en difficulté qui dispose sans équivoque que tout retrait d’agrément vaut
cessation de paiements, on peut conclure qu’il y a plusieurs cessations de paiements selon le
mode et la procédure de retrait d’agrément78.
Il faut émettre une réserve quant au champ d’application du Règlement CEMAC
02/14. Ce texte s’applique en matière de difficulté des établissements de crédit. Aussi,
conformément à l’article 86 du Règlement 02/14, l’établissement de crédit en cessation de
paiements ne remplit plus les conditions auxquelles l’agrément est subordonné79. Tous les
autres modes de retrait de l’article 17 ci-dessus ne devraient pas être assimilés à la cessation de
paiements dans la mesure où l’établissement de crédit n’est pas en difficulté. Certes, dans ces
autres cas, l’établissement de crédit peut faire l’objet d’une liquidation, mais il s’agit d’une
liquidation amiable ou « solvable »80.
Si tout retrait d’agrément vaut cessation de paiements, cela revient à admettre
plusieurs cessations de paiements selon la procédure de retrait d’agrément. D’après le
législateur CEMAC, la COBAC peut procéder au retrait d’agrément à l’issue d’une procédure
disciplinaire ou lorsque l’administration provisoire débouche sur l’impossibilité de rétablir les
conditions normales d’exploitation ou encore en cas de clôture des opérations de restructuration
spéciale. Dans le premier cas, on parle de retrait d’agrément disciplinaire et dans les deux
derniers cas, le retrait d’agrément est dit prudentiel81.
L’article 17 de l’Annexe à la Convention du 17 janvier 1992 énonce les différents modes
de retrait d’agrément. Il est d’office retiré si l’établissement de crédit ne remplit plus les
conditions auxquelles il est subordonné82. Cette disposition est la reprise de l’article 19 de la loi
bancaire française. Il incombe à la COBAC, en qualité de régulateur de l’activité bancaire, de
77 J.E. STIGLITZ et A. WEISS, “Credit rationing in market with imperfect information”, op. cit., p. 400. 78I. ALASSANE OUSSENI, Problématique de la performance financière des institutions de microfinance : cas
de l’agence PAPME/Bénin, op. cit., p. 44. 79S.J. MEDAMKAM TOCHE, La sécurité des déposants dans le système bancaire de la CEMAC, op. cit., p. 91
et s. 80 Ch. LEGUEVAQUES, op. cit., n° 528, p. 274 81 M-A. FRISON-ROCHE, « L’invitation de l’article 52 de la loi bancaire », op. cit., p. 90. 82S.J MEDAMKAM TOCHE, La sécurité des déposants dans le système bancaire de la CEMAC, op. cit., pp. 36
et s.
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vérifier si les conditions en question sont respectées. Parmi les conditions que l’établissement
de crédit doit respecter, figurent la solvabilité et l’ensemble du dispositif prudentiel. On pourrait
s’apercevoir que la prévention des risques et défaillances bancaires sont fondées sur un principe
essentiel, celui de la représentation des fonds propres. Il existe bien d’autres règles, dont le non-
respect peut être sanctionné, qui concernent la liquidité, le contrôle interne, la présentation des
comptes. Mais le cœur du dispositif prudentiel, ce sont les fonds propres83. Le postulat est que
tout établissement solvable est à l’abri d’une défaillance et que cette solvabilité est assurée par
la représentation des fonds propres, la protection des tiers, ce qui va assurer en définitive la
conservation de leurs avoirs, ce sont les fonds propres de la banque qui constituent une réserve
de solvabilité. Les résultats vont, le cas échéant, amputer ou améliorer les fonds propres. Les
provisionnements sur les actifs et spécialement sur les crédits consentis aux emprunteurs sont
consommateurs de fonds propres.
Conclusion
Techniquement, un établissement de crédit en difficulté ne peut être rapproché aux
entreprises commerciales classiques qui seraient en difficulté. La situation économique des
établissements de crédit est donc un élément essentiel. C’est pour cela que la cessation de
paiements n’est pas perçue de la même façon en droit CEMAC et en droit OHADA. Le premier
étant considéré comme le droit spécial des établissements de crédit.
Par la consécration de la nouvelle définition de la cessation de paiements et la nouvelle
conception de la cessation de paiements d’office, la cessation de paiements de droit commun
perd son sens et sa portée dans le déclenchement des procédures collectives des établissements
de crédit. Il y a éviction de la cessation de paiements de droit commun dans le déclenchement
de la procédure de redressement judiciaire en ce sens que le juge saisi doit rechercher si les
conditions prévues dans la nouvelle définition applicable aux établissements de crédit sont
réunies84.
83I. ALASSANE OUSSENI, Problématique de la performance financière des institutions de microfinance : cas
de l’agence PAPME/Bénin, op. cit., p. 14. 84 D. PIIH, Thèse, op. cit., p. 167.
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De la gouvernance de la COVID19 au biopouvoir au Cameroun : la
revanche de l’Etat néo régalien
Par :
Georges Francis MBACK TINA
Docteur/Ph.D en Science politique
Université de Ngaoundéré (Cameroun)
Résumé :
Le glissement terminologique objectivé dans le discours savant par le passage du lexème
‘’politiques publiques’’ à celui d’’action publique’’ est porteur de toute une philosophie : celle
d’une clôture temporelle de la trajectoire destinale de cette modalité historiquement datée et
socialement située d’organisation du politique qu’est l’Etat. Tout se passe comme si l’avènement
d’une société civile, la montée en puissance du secteur privé et de ses acteurs corporatifs signaient
l’avènement du post-politique et a fortiori du post-étatique. C’est en tout cas l’inférence à laquelle
incline chez certains spécialistes des politiques publiques, qui par ‘’effet de théorie’’
surenchérissent le déclassement de l’approche ‘’top-down’’ par la perspective ‘’bottom-up’’ dans
l’intervention publique. Si le complexe nominal politiques publiques a pour référent l’Etat, le
complexe nominal action publique serait, quant à lui, le marqueur intellectuel et institutionnel
d’une atrophie socio institutionnelle de la désétatisation des processus sociaux, à telle enseigne
qu’il est légitime de poser la question : que reste-t-il de l’emprise sociale de l’Etat face à la
poussée intrusive des acteurs sociaux dans l’activité de régulation politique ? L’observation de la
gestion de la crise sanitaire dite de la Covid19 au Cameroun donne à voir qu’en dépit d’une
profonde activité de remise en cause, la représentation instituée du politique demeure, à travers
ses politiques publiques réglementaires, distributives et répressives, l’horizon indépassable de
l’intervention publique.
Mots clés : Gouvernance, Politiques publiques, Analyse des politiques publiques, Etat, Etat néo
régalien
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Introduction
L’Analyse des politiques publiques semble avoir constitué – dans la Science politique aussi
bien interne qu’internationaliste – le terreau intellectuel de la déconstruction savante de la majesté
et de l’emprise sociale de l’Etat contemporain. Autant le lien est intime entre l’approche libérale
des politiques publiques à travers le tempérament de recherche labélisé ‘’Action publique’’,
affectionné par les chercheurs, et la gouvernance, autant l’inclination est grande chez ces
chercheurs à conclure, si n’est à une émasculation de l’Etat, du moins à son atrophie politique.
D’un mot, l’Etat ne serait pas loin d’être un empereur sans sceptre.
En fait, aussi bien la conclusion des travaux universitaires1 que les études d’experts de la
société civile et autres organismes idéologiquement imprégnés de libéralisme donnent à voir une
perte du sens et de la puissance des éléments définitionnels de l’Etat et en même temps objectivant
sa puissance en tant que principal instituteur et inspirateur du social. Si l’on considère avec Max
Weber que « l’Etat est une entreprise politique à caractère institutionnel dont la direction
administrative revendique avec succès, dans l’application des règlements, le monopole de la
contrainte légitime »2, la mise en résonnance de cette acception de l’Etat avec les corrélats
épistémologiques de l’analyse des politiques publiques révèle une mise à l’étroit, aussi bien
intellectuelle qu’empirique, de cet Etat-là.
Si l’on considère en effet la prétention de l’Etat au monopole de la contrainte, on ne peut
ignorer la conséquence de ce monopole : la plenitudo potestatis, c’est-à-dire la puissance absolue.
Pourtant, c’est presqu’en opposition à cette prétention que se construit l’Analyse des politiques
publiques comme cadre d’intellection de l’intervention publique, dès lors qu’une frange
importante des jeunes chercheurs trébuchent sur la distorsion cognitive induite par la confusion
entre ‘’Politiques publiques’’ comme cadre d’analyse et ‘’politiques publiques’’ comme
programme d’action gouvernemental. C’est qu’une lecture distraite les amène à assimiler ces deux
ordres de réalité, établissant ainsi une mutuelle référentialité entre eux, dès lors qu’ils sont plus
enclins à retenir deux postulats.
1 NGUELIEUTOU (A.), « L’évolution de l’action publique au Cameroun : l’émergence de l’État régulateur », dans
Polis, R.C.D.S.P/C.P.S.R ; Vol 15, n° 1&2, 2008 ; ELA ELA (P.A.), La politique d’assainissement au crible d’une
sociologie de la gouvernance urbaine au Cameroun, thèse de doctorat en Science politique, Université de Yaoundé
2. 2 Economie et société, Paris, Plon, 1959.
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D’une part, l’enjeu des politiques publiques est de décrypter les logiques, les modalités et
les conséquences sociopolitiques non pas de l’action gouvernementale au sens étroit, mais plus
largement de la gouvernance publique3. D’autre part, les politiques publiques visent un ‘’public’’
multiples bien décidés à faire entendre leurs voix dans les processus de décision et de mise en
œuvre4. On est là au cœur de l’emmêlement générateur de distorsion cognitive constituant le
fermant d’une désacralisant intellectuelle de l’Etat à travers une Analyse épistémiquement biaisée
et, plus moins consciemment, idéologiquement informée de l’intervention publique
contemporaine.
Il résulte, de la plupart des études biaisées par cette distorsion cognitive inhérente à la fautive
et malheureuse assimilation entre ‘’Analyse des politiques publiques’’ et ‘’Politiques publiques’’,
que l’Etat en sort bien souvent : éborgné, amputé et presqu’impotent. Dès lors, la conscience de
ce biais cognitif dans la démarche d’intellection objective de l’intervention publique rend légitime
un retour sur la question suivante: la conception et la mise en œuvre de l’intervention publique
sous le prisme de la gouvernance induisent-elle de manière ferme et décisive un déclassement de
l’Etat comme principal agent instituteur et régulateur du social face à ces publics multiples bien
décidés à faire entendre leurs voix dans les processus de décision et de mise en œuvre de l’action
publique ?
Moyennant une démarche réflexive s’inscrivant dans la sociologie compréhensive wébérienne,
et à partir des faits empiriques que fournit la gestion de la crise de la COVID19 au Cameroun
depuis sonavènement, l’on voudrait vérifier l’idée qu’en dépit de l’activité de délégitimation dont
il est l’objet, l’Etat demeure l’horizon indépassable de l’activité politique en général et des
politiques publiques en particulier. C’est qu’autant la société évolue, autant l’Etat lui-même, qui y
est encastré, modifie ses modalités de domination qu’il rend de plus en plus subtiles, à telle
enseigne que si Jean Paul Chagnaullaud a pu dire à la suite de Bertrand Badie que la souveraineté
n’est plus ce qu’elle était, on pourrait lui renchérir que l’Etat contemporain, cet Etat néo régulateur
là, domine dorénavant autrement en articulant gouvernementalité et biopouvoir à l’exercice
ouvertement surplombant de sa souveraineté. Objet d’une intense entreprise de délégitimation (I),
l’Etat se saisit de la gouvernance de la Codiv19 pour se repositionner comme maitre du jeu (II).
3 ONANA (J.), Initiation à la Science politique. La notion, le mode de connaissance, les savoirs, Paris, l’Harmattan,
2009. 4 MASSARDIER (G.), « quatrième de couverture », in Politiques et action publique, Paris, Armand Colin, 2003.
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I. DE LA DÉ LÉGITIMATION DE L’ETAT COMME PRINCIPAL RÉGULATEUR
DU SOCIAL
Si la science est réputée tenir son crédit social et donc être affectée d’un fort coefficient de
validité du point de vue des savoirs qui en résultent, c’est parce qu’on la tient pour distincte, et
pourquoi pas dichotomique de l’idéologie5. Pourtant à bien y regarder, la production scientifique
n’est jamais entièrement exempte de parasitages idéologiques plus ou moins volontaires, et la
frontière est souvent bien ténue6 entre les deux comme semble le témoigner la remise cause
doctrinale de l’Etat (A) qui trouve un écho dans une actualisation empirique entreprise par divers
acteurs sociaux (B).
A. La remise en cause doctrinale de la prééminence de l’Etat : entre marxisme délégitimant
et libéralisme désacralisant
L’activité doctrinale de délégitimation sociale contemporaine de l’Etat est perceptible aussi
bien dans le marxisme que dans le néo libéralisme.
Faisant pièce aussi bien au système de pensée hégélien que durkheimien sur l’Etat, Karl
Marx mène une activité scientifique, très idéologiquement informée, ayant pour cœur de cible
l’Etat soumis à une critique virulente et voué à un dépérissement inéluctable. C’est que le grand
idéologue socialiste pense que l’Etat est simplement une excroissance pathologique de la société.
D’une part, l’une de prémices fondamentale de l’immense philosophe politique qu’est
Hegel est que l’Etat pousse à la réconciliation des citoyens, parce qu’il est fondé sur la réciprocité ;
ladite réconciliation s’opérant par synthèse entre l’éthique aristocratique et le point de vue
bourgeois. En fait, l’Etat permet la réconciliation entre le Maître reconnu et l’Esclave
reconnaissant. Il y a là en arrière fond un mécanisme de construction cognitive et de légitimation
subliminale de l’Etat dans les représentations citoyennes. D’autre part, c’est précisément ce travail
de légitimation que continue un peu plus tard Emile Durkheim lorsqu’il pense l’Etat comment une
5 KUHN (Th.S.), « Objectivity, Value Judgment and Theory Choice», in KLEMKE (E.D.) HOLLINGER (R.) and
WYSS RUDGE (D.) (eds), Introductory Reading in the Pholisophy of Science, 3rd ed, Prometheus Books, New-
York, 1998pp.435-450. 6 ZIMAN (J.) « What is Science ? », in KLEMKE (E.D.) HOLLINGER (R.) and WYSS RUDGE (D.) (eds),
Introductory Reading in the Pholisophy of Science, 3rd ed, Prometheus Books, New-York, 1998, pp. 48-53.
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nécessité structuro-fonctionnelle qui apparaît comme le seul véritable rempart contre l’anomie
dans une société de plus en plus différenciée et spécialisée.
C’est pourtant exactement le contre-pied de ces deux illustres penseurs politiques prend
Karl Marx7. C’est tout le sens sa thèse du dépérissement de l’Etat, cette excroissance sociale
pathologique résultant de la lutte des classes. En fait, dans le système de pensée marxien, cette
lutte des classes est le moteur de l’histoire et oppose les classes issues de cette division du travail
social, à laquelle Emile Durkheim consacre une partie substantielle de son œuvre. Le conflit des
classes est d’autant plus profond que les intérêts des classes en présence, la bourgeoisie et le
prolétariat, sont antagoniques et inconciliables. Or l’Etat apparaît pour garantir et perpétuer par
instrumentation du Droit, la domination des bourgeois sur les prolétaires. La solution à ce conflit
des classes n’est autre l’instauration d’une société égalitaire, qui ne peut elle-même, advenir à
l’existence que suite à la disparition de l’anomalie sociale qu’est l’Etat. on comprend alors que la
thèse de l’inéluctable dépérissement de l’Etat, bien qu’à certains égards, drapée du manteau
valorisant de ‘’théorie scientifique’’ est bien lestée d’une idéologie délégitimante et
désacralisatrice de l’Etat, moins de deux siècles après son invention comme forme d’organisation
(du) politique, c’est dire comme principal agent instituteur et régulateur du social.
L’activité doctrinale classique de délégitimation sociale de l’Etat a pour pendant contemporain
le néolibéralisme, lui-même, très lié au postmodernisme ; cette collusion épistémique fondant et
nourrissant à la fois une profonde remise en question savante de l’Etat au regard du prestige et du
crédit social dont jouit le savant.
Les tenants du libéralisme, dont quelques-unes des figures les plus représentatives sont James
Rosenau8 et Bertrand Badie, soulignent avec une emphase particulière la position d’usurpateur, au
mieux de simple courtier, de l’Etat aussi bien dans la vie interne que sur la scène internationale.
D’une part, James Roseau remet en question la centralité de l’Etat dans les processus
internationaux. Pour ce faire, il montre que les figures étatiques du diplomate et du soldat sont
désormais concurrencés – avec succès, doit-on dire – par les skillful individuals capables de donner
de la visibilité aux causes en vue de leur inscription à l’agenda, d’initier et de conduire des
7 Cette contradiction est d’autant plus significative que Karl Marx est l’un des critiques les plus systématique et
méthodique de la philosophie hégélienne de l’Etat. 8 Il est le principal théoricien du transnationalisme, et donc au cœur la pensée libérale en Relations internationales et
inspirant à ce titre Bertrand BADIE et les autres libéraux.
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négociation9. La preuve la plus patente du succès de ces skillful individuals, et donc de la
délégitimation insidieuse de l’Etat, étant le recours de ces derniers à leurs comme médiateurs.
D’autre part, quelques-uns des éléments de bibliographie de Bertrand Badie éloquemment
édifiants quant à l’orientation négationationiste de l’emprise sociale de l’Etat moderne chez cet
auteur. Le temps des humiliés : Pathologie des relations internationales10 ; L’Hégémonie
contestée : Un monde sans souveraineté, les Etats entre ruse et responsabilité11 ; Les nouvelles
formes de domination internationale12 ; Quand le Sud réeinvente le monde. Essai sur la puissance
de la faiblesse13 ; L’impuissance de la puissance : essaie sur les nouvelles relations
internationales14 ; La diplomatie des droits de l’homme : Entre éthique et volonté de puissance15.
Dans « Le retournement du monde. Sociologie de la scène internationale »16, cet auteur et sa
collègue tisse la trame de leur ouvrage autour du thème de la crise de l’Etat-nation pour y montrer
comment la revanche des sociétés et des individus aboutit à une multiplication des acteurs, des
enjeux et des espaces internationaux. Le premier axe de leur démonstration est consacré à
l’effritement du monopole de l’Etat sur la scène internationale ; cet Etat, là, ayant du reste échoué
à s’universaliser. En somme, à cause de la crise des identités et de la reconfiguration de l’action
internationale, l’Etat se trouve de plus en plus concurrencé dans sa fonction de mobilisation des
hommes et des ressources. D’autre part, La fin des territoires. Essai sur le désordre international
et sur l’utilité sociale du respect17 permet de voir que l’auteur pense que le territoire, en tant que
marqueur de la souveraineté de l’Etat et support d’une citoyenneté est aujourd’hui ébranlé, tant de
nouvelles dynamiques inhérentes à la mondialisation dépassent les frontières classiques et créent
de nouveaux espaces, à telle enseigne que de ‘’formes inédites d’organisation du politique
réeinventent le principe de territorialité’’.
Il n’est pas excessif que l’économie de la pensée Bertrand Badie est marquée et travaillée par
d’un cachet idéologique négationniste de l’emprise sociale de l’Etat. La distance entre l’activité
9 ROSENAU (J.), Turbulence in World Politics. A Theory of Change and Continuity, Princeton University Press,
1990. 10 BADIE (B.), Paris, Odile Jacob, 2014, 190 p. 11 BADIE (B.), Paris, Fayard, 1999, 306 p. 12 BADIE (B.), Paris, Odile Jacob, 2019, 227 p. 1313 BADIE (B.), Paris, La Découverte, 2018, 250 p. 14 BADIE (B.), Paris, Fayard, 2004, 293 p. 15 BADIE (B.), Paris, Fayard, 2002, 380 p. 16 BADIE (B.) et SMOUTS (M.C.), Paris, Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques – Dalloz, 1992. 17 BADIE (B.), Paris, Fayard, 1995, 280 p.
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proprement savante et l’idéologie étant alors mince, l’actualisation empirique de la remise en
question théorique de l’Etat est un pas qui est allègrement franchi par les autres acteurs sociaux
prenant le relais des acteurs du champ savant.
B. De la migration (il)légale à la dérégulation des marchés : l’actualisation empirique de la
remise en question théorique de l’emprise sociale de l’Etat
La migration illégale et la dérégulation des marchés par les acteurs économiques comme
autant d’activités de contestation de la majesté sociale de l’Etat.
L’une des conséquences et marqueurs le plus visibles du travail doctrinal de délégitimation
sociale de l’Etat est l’immigration, qu’elle soit légale ou illégale qu’il est loisible d’observer aussi
bien ailleurs qu’au Cameroun. Mais qu’il suffise de suspendre l’intérêt pour l’’’ailleurs’’ pour bien
prendre la mesure du phénomène au Cameroun.
L’actualisation de la remise en question de l’Etat et des allégeances citoyennes qui en sont
la raison d’existence se donne en effet à voir au Cameroun à travers l’ampleur de la migration des
camerounais vers d’autres pays, dont principalement la France, le Royaume- Uni de Grande
Bretagne et d’Irlande du Nord, les Etats-Unis, le Canada et dans une certaine mesure la Belgique.
Marquons un intérêt particulier pour la migration vers le Canada qui est l’une des destinations
privilégiées des citoyens camerounais en rupture de rationalité avec leur pays d’origine. C’est que
l’attractivité migratoire de pays est renforcée par l’existence d’un puissant programme qui lui est
dédié : Accès Canada. Cette organisation qui structurent les départs des africains, dont les
camerounais, vers ce pays d’Amérique du Nord est installée dans la plus part des pays africains.18
C’est dans ce cadre qu’il est loisible de voir que les citoyens camerounais sont parmi les
plus gros effectifs de migrants. en effet, lorsqu’en 2012 la structure d’intermédiation en procédure
d’immigration en direction du Canada présente fièrement quelques statistiques de ses activités, il
est loisible de lire : « des hausses encore plus spectaculaires pour certains bureaux ACCES
CANADA notamment le Congo RDC avec une hausse de 400 %, 195 % pour le Cameroun, 139 %
pour la Côte d’Ivoire, 133 % pour le Burkina Faso et 100 % pour le Mali (…) toute l’équipe
18 Elle y aide les candidats à l’immigration à entamer et faire aboutir les procédures d’immigration et d’installation au
Canada. Présente à travers des bureaux aussi bien à Yaoundé qu’à Douala, Accès Canada compte parmi ses clients
de nombreux Camerounais.
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d’ACCES CANADA travaille d’ors et déjà afin que l’année 2013 présente encore de meilleurs
statistiques que celles déjà remarquables de 2012 »19.
Cette citation renseigne éloquemment sur la propension des camerounais à migrer vers
l’extérieur. Le fait significatif, pour le présent propos, n’est pas cette migration en elle-même, mais
le rapport affectif entre les migrants camerounais, désormais immigrés, avec leur pays d’origine :
dans la plupart des cas, c’est un sentiment de rejet de ceux-là à l’endroit de celui-ci ; marquant une
quasi rupture d’allégeance citoyenne des immigrés envers l’Etat du Cameroun contesté et
délégitimé dans les représentations qu’ils en s’en font. C’est précisément ce dont témoigne un
échange entre deux immigrés camerounais vivant l’un au Canada, et l’autre aux Etats-Unis et un
de leurs concitoyens restés au Cameroun. La substance de cet échange est la suivante :
- Didier Ibii Otto : Les personnes sous assistance respiratoire suite à la COVID19 font
comment sans électricité ou ce n’est pas mon problème ?
- Notable Bansoa Fotouni : Ils vont bientôt te dire que la coupure fait partie des mesures prises
aujourd’hui par le dictateur pour arrêter les 500 chauves-souris qui se balladent à Yaoundé
(…) donc par conséquent c pour la Prévention COVID.
- Pierre Ndjeck Ndjeck : Notable Bansoa Fotouni : vs racontez mm quoi aux svt avec vos maux
tels que DICTATEUR ? Vs allez en occident aujourdhui vs devenez coe fou parce que vs avez
vu des pays developpés…
- Notable Bansoa Fotouni : affamé. Tu ressembles à quelqu’un qui mange bien ? misérable de
la première génération. Achète même déjà un bon lait de toilette. Ca va te faire ressembler à
quelqu’un, même comme tu n’est rien. Ton gd dictateur n’a rien fait pour développer le pays ;
c moi que tu attends pour venir te nourrir heinnn. MENDIANT20.
Ces échanges très vifs entre camerounais de l’intérieur et camerounais de l’extérieur
illustrent assez éloquemment la désaffection des second vis-à-vis de leur Etat d’origine dont ils
contestent l’autorité, lui déniant parfois leur allégeance en affirmant clairement qu’ils n’y
retourneraient jamais s’installer.
19 www.accescanada.com, consulté le 24 novembre 2020 à 11h 13mn. 20 Page Pacebook de Notable Bansoa Fotouni, le 13 juillet 2020, à 19 h 40 mn.
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Si la libéralisation est présentée comme une condition souhaitable pour le développement des
économies dans cette ‘économie-monde’’ tant exaltée, la lecture économiciste qui en est souvent
faite occulte le fait que la dérégulation nécessaire à l’édification de l’économie-monde implique
au plan politique la remise en question des privilèges de l’Etat. Autant le Cameroun n’échappe pas
à l’actualisation du paradigme libéral.
Vers la fin des années 2000, le Cameroun se retrouve dans un cycle de négociations qui le
conduit à la signature d’un instrument inscrit au cœur de la pédagogie d’action occidentale visant
à l’ancrer dans le terreau du libéralisme économique. En effet, dans ses relations et transaction
avec l’Union Européenne, l’Etat Cameroun signe un APE séparé autrement appelé APE
Intérimaire (APEI). Le principal effet de cet instrument diplomatico-économique est de démanteler
les barrières aussi bien tarifaires et que celles non tarifaires à l’entrée du marché national
camerounais pour les divers produits en provenance des pays de l’UE.
C’est en droit ligne que le 1ier janvier 2008, l’APEI est entré en vigueur de façon unilatérale au
Cameroun. Il en a résulté pour ce pays une possibilité d’exporter ses produits sur le marché
européen, sans être confronté à la question de taxes ou de quotas ; le pays n’étant du reste pas
astreint à accorder la réciprocité à l’UE. Ces avantages ne doivent pourtant occulter la menace que
représente l’APEI pour le Cameroun au regard d’un déséquilibre certain.
La relation UE-Cameroun met, dans le cadre de l’APEI, en présence deux partenaires dont le
niveau de développement est sans commune mesure. En effet, si l’UE est constitué d’un ensemble
d’Etats intégralement développés et puissants, le Cameroun est un pays sous développé. Ensuite,
le déséquilibre s’objective au regard de la nature des échanges entre les deux partenaires en
présence. Alors que les pays de l’UE exportent massivement les produits manufacturés à très forte
valeur ajoutée, le Cameroun n’exporte au mieux que des matières premières sans grande incidence
sur son essor économique. Enfin, il est loisible de prendre acte du déséquilibre en termes de
compétitivité des biens échangés. Ainsi, si les produits mis à disposition par les pays de l’UE
respectent le rapport qualité-prix, s’imposant de ce fait sur la plupart des marchés à travers le
monde, les produits camerounais sont loin de cette trajectoire destinale du fait des difficultés
rencontrées lors des contrôles relatifs aux normes qualité, esthétiques et phytosanitaire.
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L’APEI induit pour l’Etat camerounais une menace qui peut s’énoncer en termes d’éviction de
producteurs locaux et de désintrustrialisation. En fait, avec la signature et l’entrée en vigueur de
l’APEI au Cameroun, il plane une véritable hypothèque sur le secteur privé national. Ainsi,
l’instrument conventionnel entre le Cameroun et l’UE se présente comme un facteur de stagnation,
si ce n’est de régression, des filières de production agricoles, avicoles et aviaires. Par ailleurs, les
entreprises nationales dont les activités sont concernées par l’APEI ne sont pas à mesure de
soutenir une compétition commerciale équitable avec les unités industrielles européennes. Il en
résulte que la très grande – et pourquoi pas trop ? – des produits manufacturés européens ne peut
qu’aboutir à la fermeture des entreprises camerounaises, exacerbant du reste le chômage.
La conséquence la plus grave de cette désindustrialisation induite par l’APEI, et donc la
plus significative du point de vue de la présente réflexion, est la difficulté que peut avoir l’Etat à
prélever l’impôt qui est l’une de ses sources de revenus les plus importantes. Or un Etat désargenté
ne peut très difficilement prendre en charge les aspirations de ses citoyens, perdant ainsi toute sa
légitimité sociale dans les représentations qu’ils s’en font.
Ainsi, la libération et a dérégulation des échanges qui lui est consubstantielle implique,
même de manière insidieuse, une érosion du monopole fiscal, marqueur essentiel de la puissance
et de la majesté sociale de l’Etat qui se trouve ainsi ébranlé dans ses fondements. On est alors
préparé à comprendre que l’Etat Camerounais se saisit, presque, parfaitement de la pandémie de
la COVID19 qui devient une ressource politique a priori méconnaissable dans son travail de
permanent de (re)légitimation.
II. A LA (RE)LÉGITIMATION DE L’ETAT COMME INCOMPRESSIBLE
NÉCESSITÉ STRUCTURO FONCTIONNELLE
La COVID19 se présente comme un péril aussi bien pour les citoyens que pour l’Etat et ses
institutions, en somme, une crise sociétale. Paradoxalement, cette pandémie est le ferment qui
permet au moignon de l’Etat de se régénérer et de redéployer son autorité et son emprise sur la
société toute entière, se réaffirmant ainsi comme une nécessité structuro fonctionnelle
incompressible. D’où l’exploration de la pandémie de la COVID19 comme une crise de sécurité
sociétale (A) et l’idée de l’émergence d’un Etat néo régalien (B).
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A. La crise sanitaire comme crise de sécurité sociétale : désarroi citoyen, désir social d’Etat
La pandémie de la COVID19 apparaît à plusieurs égards comme une crise sociétale. Si elle
inspire une telle perception, c’est bien en regard de la profonde incertitude existentielle dans
laquelle elle plonge aussi bien les institutions de l’Etat camerounais que ses citoyens dont elle
affecte les certitudes destinales.
La pandémie de la COVID19 induit des effets négatifs directs sur les citoyens, surtout ceux
appartenant à la classe populaire n’ayant pas d’emploi stable et devant trouver quotidiennement
des moyens de subsistance. Mais aussi bien la classe moyenne que la haute bourgeoisie ne sont
épargnées des effets négatifs de la pandémie.
Qu’il suffise par exemple de prendre à titre d’illustration la polémique que nourrit au
Cameroun au mois d’avril la convocation de la session ordinaire du Parlement camerounais, alors
que le monde entier est confronté à l’avancée de la pandémie. D’aucun, dont notamment les
membres de l’opposition, affirment que la convocation de la session parlementaire est inopportune
en moment de crise sanitaire mondiale. D’autres soutenant que les instances de l’Etat ne sauraient
être paralysées dans leur fonctionnement par une crise sanitaire. Quoi qu’il en soit, l’idée qui
retient l’attention est celle d’un malaise dans l’être et l’agir de l’Etat.
Le malaise dans l’être de l’Etat et les institutions qui l’incarnent au quotidien se perçoit dans
la manière dont les institutions en question sont rééquilibrées pour leur structuration. Ce qui se
donne à voir sous la modalité pratique du ‘’service minimum’’. Sous ce qui apparaît à la fois
comme une notion et une modalité pratique d’aménagement des institutions de l’Etat en contexte
de crise sanitaire, il convient de voir la réduction à leur plus simple expression de tous les grands
– et même petits – services publics de l’Etat. Si ceci est observable dans une logique républicaine,
il est tout aussi loisible de relever des logiques de pouvoir personnels se nichant au cœur de cette
stratégie de service minimum, notamment au sein de certaines entreprises à capitaux publics.
D’un point de vue républicain, le service minimum s’est objectivé à la faveur de la COVID19
par exemple au niveau des services publics de la justice au Cameroun. Les audiences y ayant été
suspendues et renvoyées à des dates ultérieures. Les justiciables, notamment en détention
préventive étant ainsi privés de manière plus ou moins abusive de leur liberté eu égard aux lenteurs
judiciaires et procédurales inhérentes à la logique du service minimum.
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D’un point de vue du déploiement des stratégies de déploiement et d’aménagement des marges
de pouvoirs personnels, les cas les plus exemplifiant se donnent à voir au sein des entreprises
publiques. La crise et le mesures édictées par le Gouvernement de la République pour combattre
la transmission du virus fournissent au manager d’accroître leurs marges de manœuvres vis-à-vis
de leurs collaborateurs en rusant avec les textes, si ce n’est en les subvertissant. L’on voit en en
effet une entreprise publique comme le Laboratoire National du Génie Civil réduire drastiquement
ses effectifs pour cause de confinement. Raison noble s’il en est. Pourtant à bien y regarder et en
congruence avec certaines données de terrain, le confinement et l’exigence de service minimum
qui s’y attache fournissent l’occasion rêvée aux managers de se défaire pour plus ou moins long
terme des collaborateurs les plus embarrassants car rétifs à leurs options managériales. Il est alors
loisible de relever le cas d’une entreprise publique dont le manager met en congé la majeure partie
des employés de sa structure pour cause d’urgence sanitaire. Seulement à bien y regarder, parmi
les employés ‘’placés en confinement’’ se trouve le Délégué du personnel de l’entreprise dont les
rapports avec la hiérarchie sont réputés bien houleuses. Il n’est pas alors excessif de voir le
confinement et le service minimum comme des ressources de pouvoirs dont se sert le manager
pour accroitre sa marge de manœuvre et donc son autorité autant sur ses collaborateurs que sur
l’entreprise dont il a la charge.
Les effets induits et cumulés de ce service minimum induit par la crise de la COVID19 se
traduisent dans les faits et de manière agrégée en un mal être de l’Etat qui réduit à sa plus simple
expression, n’est pas à même de répondre de manière efficace aux nombreuses sollicitations
sociales dont il fait l’objet, courant ainsi le risque d’une délégitimation sociale, qu’on a déjà vue
assez bien nourrie au plan théorique. C’est précisément pour conjurer un tel péril que l’Etat
s’aménage des moyens de redéploiement de son emprise sur la société toute entière. La COID19
apparaît alors comme une ressource de domination don se sert avec succès l’Etat néo régalien.
B. Confinement comme bio pouvoir réhabilitant l’Etat : surveiller, réguler, punir
La sévère crise de légitimité à laquelle l’Etat a fait face dans les années de gloire du néo
libéralisme n’a, aujourd’hui de pendant, que la revanche de cet Etat qui réinvente ses modes de
domination en se servant de la crise de la COVID19 comme une structure d’opportunités dont il
sait se saisir ainsi que le montre l’usage stratégique qu’il fait du confinement conduisant à
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l’instrumentation des politiques réglementaires et redistributives qui restaures ses légitimité et
majesté sociales.
Face à la fulgurance de la progression de la COVID19, induite par la relativisation des
frontières, et au très fort taux de mortalité l’accompagnant, les dirigeants politiques de tous les
Etats de la planète doivent prendre des mesures drastiques en vue de la préservation de la sécurité
nationale, c’est-à-dire de l’Etat et de leur concitoyen. Or, assurer la sécurité individuelle des
citoyens et collectives de leurs concitoyens permet aux dirigeants, mais aussi et surtout en dernière
ressort à l’Etat, de restaurer leur emprise sur l’ensemble de la société. Comme dans les autres Etats
de la planète, c’est précisément cette situation qui s’observe au Cameroun dans le cadre de
l’édiction et la mise en œuvre de mesures de confinement.
Le confinement est une stratégie de réduction des risques sanitaires qui oblige une
population à rester dans son logement ou à un lieu spécifique21. Il s’agit d’une pédagogie d’action
souvent utilisée pour prévenir la propagation des maladies infectieuses comportant des risques
d’épidémies ou de pandémies22. Dans le cadre de la pandémie de la COVID19, le confinement
renvoie, au Cameroun, à un ensemble de mesures d’hygiène et de distanciation physiques,23 dites
barrières, imposées aux gouvernés par les gouvernants.
Au Cameroun précisément, c’est le 16 mars 2019 que les camerounais sont confrontés à la
dure réalité du confinement qu’ils n’ont jusque-là fait qu’observer à la télévision telle qu’appliquée
en Espagne et en Italie. En effet, plus ou moins médusés, les camerounais, ordinaires, découvrent
soit par le truchement des journaux télévisé et parlé de ce jour la Stratégie gouvernementale de
riposte face à la pandémie de coronavirus (COVID19) dévoilée par M. Joseph Dion Ngute, Premier
Ministre et Chef du Gouvernement. Ce dernier, après avoir présenté les motivations du plan de
riposte, indique l’entrée en vigueur jusqu’à nouvel ordre de certaines mesures. M. Joseph Dion
Ngute indique les mesures qui entrent en vigueur à compter du mercredi 18 mars 202024.
21 BONMARIN et BRUHL (D.), « Apport et modélisation des épidémies dans la décision de santé publique : exemple
de la pandémie grippale », dans Médecine et maladies infectieuses, vol.37, supplément 3, décembre 2007. 22 DEMOULE (Jean Paul), Pré-histoire du confinement, Paris, Gallimard, 2020. 23 DAVID (ROTH) et BONNIE (Henrie), « La distanciation sociale comme mesure de prévention de la grippe
pandémique », in National Collaborating Center for Infectious Deseases, juillet 2011. 24 Les frontières terrestres, aériennes et maritimes du Cameroun seront fermées : tous les vols et passagers en
provenance de l’étranger sont suspendus à l’exception des vols cargos et des navires transportant des produits de
consommation courante ainsi que les biens matériels essentiels dont les temps d’escales seront limités et encadrés ;
- Les missions à l’étranger des membres du Gouvernement et des agents du secteur public et parapublic
sont suspendues ;
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Il est loisible de relever à la lumière de cette dernière restriction que la COVID19 fournit à
l’Etat camerounais – comme à d’autres d’ailleurs – le prétexte d’une recette de domination fondée
sur le contrôle des corps à travers le confinement. En effet, la période-stratégie de confinement
impose à tous les citoyens camerounais une restriction des libertés d’aller et de venir, le port
obligatoire du masque. D’ailleurs, à l’entame de chaque édition du journal télévisé de la chaîne de
télévision à capitaux public Cameroon Radiotélévision (CRTV) il est loisible de regarder et
d’écouter (le Chef de ) l’Etat, (Paul Biya), marteler avec vigueur : « N’oublions pas que la
négligence d’une seule personne peut nuire gravement à l’ensemble de la communauté (…) il est
essentiel que les mesures qui ont été édictées soient absolument respectées par chacun de nous
(…) le port du masque dans l’espace public restera obligatoire jusqu’à nouvel ordre (…) ».
Il s’agit là de prescriptions auxquelles les citoyens se conforment, même contre leur
volonté ; reconnaissant ainsi l’autorité de l’Etat dont ils implorent par ailleurs la magnanimité qu’il
ne manque pas de manifester à travers la mise en œuvre de politiques redistributives et
règlementaires dans cette période de confinement.
Les politiques publiques sont, au premier abord perçues comme le travail du Gouvernement
ordinairement dévolu à la prise en charge des demandes citoyennes quotidiennes. Ainsi que
permettent de le voir les politiques publiques mises en place dans le cadre de la gouvernance de la
COVID19 au Cameroun, ces politiques réglementaires et redistributives un levier substantiel de
redéploiement de l’autorité et un puissant multiplicateur de légitimité de l’Etat qui se repositionne
ainsi en surplomb de la société toute entière.
- Les administrations publiques devront privilégier les moyens de communication électroniques et les
outils numériques pour les réunions susceptibles d regrouper plus de dix (10) personnes ;
- Tous les établissements publics et privés de formation relevant des différents ordres d’enseignement, de
la maternelle au supérieur, y compris les centre de formation professionnelle et les grandes écoles seront
fermés ;
- Les rassemblements de plus de cinquante personnes seront interdits sur toutes l’étendue du territoire
national ;
- Un système de régulation des flux des consommateurs sera instauré dans les marchés et les centres
commerciaux ;
- Les déplacements urbains et interurbains ne devront s’effectuer qu’en cas d’extrême nécessité ;
- Les débits de boissons, les restaurants et les lieux de loisirs seront systématiquement fermés à partir de
dix-huit (18) heures, sous le contrôle des autorités administratives.
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Ces politiques redistributives et réglementaires se sont précisément données à voir à partir
des mesures d’allègement décidées par le Chef de l’Etat Camerounais après près de deux mois de
confinement endurés par les camerounais. En effet, en date du 1ier mai 2020, le Président
camerounais décide de de l’assouplissement des mesures prises pour faire pièce à la propagation
du coronavirus dans le pays. Parmi les secteurs bénéficiant des politiques redistributives figurent
notamment les Transports, l’hôtellerie et la restauration et les entreprises industrielles.
Dans les Transports, le Chef de l’Etat décide l’exonération de l’impôt libératoire et de la
taxe de stationnement pour les taxis et moto taxis, ainsi que de la taxe à l’essieu au titre du
deuxième trimestre, ladite mesure pouvant être étendue au reste de l’année 2020. Ensuite, dans le
secteur de l’hôtellerie et de la restauration, (le Chef de) l’Etat décide de l’exonération de la taxe
de séjour pour le reste de l’exercice 2020 à compter du mois de mars. Enfin, l’Etat prend des
mesures d’accompagnement fiscal pour les entreprises et pour les particuliers. Ces mesures
consistent précisément d’une part en l’exonération au titre du deuxième trimestre, de l’impôt
libératoire et des taxes communales au profit des petits revendeurs de vivres, et d’autre part au
soutien à la trésorerie des entreprises à travers une allocation de 25 milliards de FCFA, en vue de
l’apurement des stocks de crédits de TVA en attente de remboursement.
Si l’Etat justifie ces mesures d’assouplissement du confinement et d’accompagnement des
citoyens pendant cette période éprouvante par les distorsions économiques et sociales induites par
le mesures de lutte contre la propagation du coronavirus, il n’est pas excessif de tenir qu’il s’agit
là d’un ordre de rationalisation noble qui recouvre et voile une rationalisation plus stratégique à
téléologie de (re)légitimation de l’Etat. En effet, derrière cette magnanimité de l’Etat, on peut voir
sa volonté à démontrer qu’il demeure le maître du jeu, c’est-à-dire le principal instituteur et
régulateur de la vie sociale au Cameroun. Car décider d’exonérer les diverses catégories de
contribuables du paiement de l’impôt et diverses autres taxes, c’est procéder à une manipulation
du pouvoir, une administration, en creux, du monopole de la coercition légitime dont il dispose en
matière fiscale. Autant l’Etat manifeste son pouvoir à partir de la sphère fiscale, autant il donne à
voir son emprise en matière pénale.
L’un des aspects importants de la COVID19 au Cameroun est la gestion financière de cette
pandémie. En fait, la crise du COVID19 a amené le Gouvernement camerounais à se doter d’un
Plan global de riposte sur trois (03) ans. C’est dans ce sens qu’un compte d’affection spéciale est
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créé. Il s’agit concrètement du « Fonds Spécial de Solidarité Nationale pour la lutte contre le
coronavirus et ses répercussions économiques et sociales ». Au regard des enjeux liés à la réussite
de ce plan pour la santé des populations et le développement économique national, la chambre des
comptes inscrit l’audit de ce Fonds dans son programme de contrôle de 2020.
De manière générale, toutes les administrations publiques camerounaises reçoivent une
dotation financière en vue de faire face à la pandémie. Seulement, près d’un an après le début de
la pandémie et sa prise en charge institutionnelle au Cameroun, agissant comme lanceur d’alerte,
le député du parti d’opposition Jean Michel Nintcheu du Social Democratic Front (SDF) se dit
convaincu de surfacturations lors de l’achat du matériel sanitaire et dans la construction des
infrastructures d’urgence. Il signe dans ce sens une tribune le 13 juillet 2021 dans laquelle il attire
l’attention de l’opinion publique sur les faits qu’il dénonce. C’est la genèse de l’affaire politico-
judiciaire qui est labellisée ‘’Covidgate’’ par les acteurs médiatiques.
Le parlementaire de la Région du Littoral affirme notamment que : « l’absence d’avis
d’appel d’offres publics dans la fourniture du matériel et des équipements de lutte contre la Covid-
19 soulève de forts soupçons de collusion et de délits d’initiés dans les contrats de livraison de
tests et d’autres matériels (…) on achète une boîte de 100 gants en latex à 10.000 francs CFA
contre 3.500 francs CFA en pharmacie, les thermomètres infrarouges coûtent 150.000 francs CFA
à l’Etat contre 25.000 francs CFA en pharmacie… et on peut multiplier les exemples à l’infini »25.
L’alerte lancée par l’Honorable Jean Michel Nintcheu trouve un écho adjuvant auprès des citoyens,
des ONG et même des institutions financières internationales qui s’en font des relais. S’agissant
de ces dernières, dans le cadre de la coopération avec l’Etat du Cameroun, le Fonds Monétaire
International (FMI), sans doute informée de la sulfureuse actualité autour du fonds Covid, aurait
conditionné le déblocage de nouveaux fonds à un audit portant sur la précédente somme de 125
milliards qu’il avait allouée au pays en mai 2020. Il en résulte que le Chef de l’Etat Paul Biya
instruit au ministre de la justice, Laurent Esso, d’ouvrir une enquête concernant les détournements
présumés de fonds qui estimés à 50 milliards de francs CFA26.
25 FOUTE (F.), « Au Cameroun, soupçons de malversations autour de la gestion des fonds du Covid-19 »,
www.jeuneafrique.com , consulté le 11 décembre 2021 à 16 h 21 mn. 26 OLIVIER (M.), « Cameroun : comment Paul Biya veut reprendre les ‘’fonds Covid’’ en main »,
www.jeuneafrique.com , consulté le 12 décembre 2021 à 16 h 30 mn.
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Les politiques distributives et répressives ainsi élaborées et mises en œuvre au Cameroun
dans le cadre de la lutte contre la pandémie Covid-19 révèlent la capacité de l’Etat à reprendre le
contrôle de la société et se repositionner au centre du jeu comme le principal agent instituteur du
social, à défaut d’être cette nécessité structuro-fonctionnelle dont parlait Emile Durkheim en son
temps.
Conclusion
La gouvernance, comme corpus idéologique et corpus normatif, a instillé, comme par effet
de mode, et induisant effectivement un ‘’ effet de théorie’’ dans de nombreux travaux
universitaires et autres expertises, une idée de désacralisation de l’Etat entant que principal agent
instituteur du social. C’est que les postulats inhérents à la théorisation des politiques publiques
sous leur versant libéral formulé en termes d’’’action publique’’ et de ‘’gouvernance’’ sont souvent
par cet ‘’effet de théorie’’ transposés par une sorte de contrebande méthodologique aux divers
travaux qui essaient de rendre compte de l’intervention publique contemporaine en contexte
polyarchique. Si des acteurs autres que l’Etat nourrissent la prétention de co piloter cette
intervention publique aux côtés ou contre l’Etat, il convient pourtant d’être attentif aux micro et
crypto stratégies que met en œuvre cet Etat-là, prétendument émasculé, pour demeurer au centre
du jeu. Plus que jamais, même de manière insidieuse, - et c’est aussi cela l’activité tactique de
domination -, les politiques réglementaires, les politiques distributives et les politiques répressives
élaborées et mises en œuvres par lui, par-delà leurs fonctions allocative des biens rares et lénifiante
des inégalités sociales en conjonctures routinières ou de crise, lui fournissent les ressorts tant
matériels que symboliques de son emprise sociale légitime. Ailleurs comme au Cameroun, la
gouvernance de la pandémie de la Covid-19 aura contribué en remettre en selle un Etat bien
souvent proclamé désarçonné dans l’énonciation et la maîtrise du devenir collectif. En définitive,
le ‘’bottom-up’’ n’est-il pas qu’un vœu pieux auquel résiste le ‘’top-down’’, l’’’Action publique’’
et la ‘’gouvernance publique’’ le nom pompeux donné aux politiques publiques qui demeurent en
réalité stato-centrés ? L’observation assidue de la réalité effective de la chose sera instructive à
cet égard.
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Organisations féminines : levier du développement local au
Cameroun
Par :
SALI GAÏRI
Doctorant en Science politique
Université de Ngaoundéré (Cameroun)
Résumé :
La pauvreté est un phénomène qui engendre le sous-développement, l’insuffisance
alimentaire. Plusieurs pays en développement sont plus confrontés à cette réalité. Le Cameroun
est engagé dans la lutte contre la pauvreté par la prise des mesures dans les Services publics et
les secteurs privés notamment les groupes associatifs féminins ou les organisations
communautaires de base. Ces regroupements sont entre autres : les associations, les groupes
d’initiatives communes (GIG), les coopératives, les fédérations, les confédérations, etc. Les
associations peuvent jouer plusieurs rôles comme l’amélioration des conditions de vie des
populations, l’impulsion au développement par le lobbying, l’initiative et suivi des actions locales,
etc. Les GIC, coopératives par contre font dans la production, la transformation, la
commercialisation des aliments et servies.
Mots clés : pauvreté, organisations féminines/Organisations, développement.
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Introduction
La dégradation de l’environnement socioéconomique engendrée par la crise économique
des années 1980 a exacerbé la cherche d’une réponse holistique à ce phénomène dans le cadre de
la stratégie de réduction de la pauvreté. En effet, depuis quelques années, la crise économique, les
aléas climatiques, les urgences humanitaires ont modifié l’environnement politique, économique
et social. Or la femme camerounaise joue un rôle indéniable dans l’économie. En tant que
« mamelle nourricière », elle contribue largement dans la survie des populations par des multiples
activités de base. Cependant, sa contribution reste moins visible. Pour relever les défis, la femme
doit se joindre aux autres dans les associations des personnes dans le but d’être plus solidaires,
plus intégrés, plus dynamiques, plus écoutées, plus responsables, plus rentables et plus visibles.,
elles s’exercent dans les organisations créées localement afin de rendre l’entreprenariat collectif et
constructif. Compte tenu de ces difficultés, elles se sont jointes aux décisions des acteurs publics
et privés pour la dynamisation de leurs rôles dans la société et un investissement accru dans les
activités communautaires de base.
Il existe les organisations des sociétés civiles et que leur fonctionnement est conditionné
par une autorisation et les associations des personnes qui se forment et fonctionnent librement
après une simple déclaration par devant une autorité compétente. L’essentiel c’est qu’elles soient
reconnues. C’est ce dernier cas qui fera l’objet de notre étude à l’instar des associations féminines,
les Coopératives et Groupes d’Initiatives Communes (COOP/GIC), les fédérations et
confédérations. En effet, l’adage selon lequel « L’union fait la force » n’est pas encore obsolète.
La politique du développement socioéconomique permet l’amélioration des conditions de
vie des populations et la lutte contre la pauvreté. Dans l’optique de l’amélioration des conditions
de vie et de respect de leurs droits fondamentaux, plusieurs actions ont été menées aussi bien par
l’État que par les femmes. La question est celle de savoir comment les associations féminines
contribuent-elles à la lutte contre la pauvreté et comment façonnent-elles leur épanouissement et
le développement ?
Les organisations féminines contribuent au développement à travers la lutte pour
l’autosuffisance alimentaire, la lutte contre la pauvreté, l’autopromotion et le développement local.
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Le courant de pensée utilisé est le fonctionnalisme. La fonction « est la contribution
qu’apporte un élément à l’organisation ou à l’ensemble dont il fait partie ». Talcott Parsons1 a
identifié quatre fonctions du système d’action : l’adaptation qui est de rechercher des ressources
extérieures pour les adapter aux besoins ; la poursuite de but, qui est important pour déterminer les
moyens ; l’intégration et la latence (motivation). Dont, toute société doit remplir certaines
fonctions naturelles comme la production des biens et services (nourriture), se reproduire et assurer
la protection des membres (solidarité, la défense). La synergie d’action sera analysée en (I) et la
contribution des associations féminines à la gouvernance et au développement local fera l’objet de
la deuxième partie (II).
I- LA SYNERGIE D’ACTIONS DANS LA CONTRIBUTION DES
ORGANISATIONS FEMININES A LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET
L’INSUFFISANCE ALIMENTAIRE
Les experts reconnaissent la pauvreté objective qui a des critères objectifs et vérifiables et la
pauvreté subjective qui concerne les perceptions réelles du vécu quotidien du pauvre. Cette réalité
fait que les femmes ne doivent pas seulement être des simples bénéficiaires ou des retombées du
développement mais celles qui contribuent à l’épanouissement de leur cadre de vie, de leurs
communautés. En effet, La lutte contre la pauvreté et la garantie pour la sécurité alimentaire ont
toujours été un défi pour les hommes, les jeunes et femmes. Cet état des lieux a permis de trouver
les pistes des solutions. Nous allons tabler sur l’aspect institutionnel et les rôles des acteurs de
promotion des associations féminines (A). Par ailleurs, voir les actions des organisations féminines
(B).
A- Le renforcement institutionnel et des mécanismes d’encadrement des organisations
féminines dans leurs actions communautaires
Dreze et Sen2 soulignent l’importance des politiques publiques dans la lutte contre la faim. En
dehors de la pauvreté, les femmes dans la plupart des cas rencontraient des contraintes structurelles
1 Talcott (P.), Social Systems and the Evolution of Action Theory, New York, The Free Press, the present status of
structural functional ; 1975. 2Dreze J. et Sen A. (dir.), L’économie politique de la faim. Trois tomes. Presses de l’Université d’Oxford ; 1991
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et des barrières à la mise en œuvre de leurs potentiels au service du développement. Il s’agit entre
autres :
- Le faible accès aux services sociaux de base par manque d’une offre sanitaire de qualité, à la
terre, aux crédits, manque d’une autosuffisance/sécurité alimentaire à cause de l’économie
embryonnaire comme la pratique d’une agriculture majoritairement de subsistance et l’activité
commerciale informelle, la sous-scolarisation ou la déperdition scolaire au niveau très bas. C’est
l’une des raisons qui a permet la prise en compte de l’évolution de leurs droits dans la société.
D’autant plus que les Organisations à Base Communautaires des femmes ont plusieurs apports.
C’est ce qui ressort dans leurs feuilles de route:
-libérer les femmes des diverses emprises de la société, assurer l’éducation et la formation ;
-susciter l’esprit d’initiative chez les femmes et booster leur insertion aux crédits/ financement des
projets, lutter contre le chômage et l’oisiveté, etc. Il sera question de faire une visibilité sur la
redynamisation du rôle de l’État (1) et les Responsabilités des autres acteurs (2).
1- La redynamisation du rôle de l’État dans les organisations féminines
L’État doit relever les défis pour garantir la vie de ses populations et de leurs biens. En effet, les
mesures de puissances d’un État pour l’intérêt national se mesurent au niveau de l’autonomie
décisionnelle, sa survie, sa sécurité et celle de ses citoyens, la prospérité et son rayonnement. C’est
dans cette logique qu’intervient la lutte contre la pauvreté et la recherche d’une sécurité alimentaire
grâce au Document de Stratégie de Lutte contre la Pauvreté. D’abord, l’État doit mener les actions
pour aider les femmes et les filles à progresser sur tous les plans et bénéficier de toutes les mesures
et autres avantages reconnus à tous les individus, comme les hommes en bénéficient (art. 3 de la
Convention sur l’Élimination des Toutes les Violences à l’Égard). La démocratisation du système
économique, politique et social des années 1990 à libéraliser ces domaines. L’État a cherché à
assurer un cadre propice pour un bon épanouissement des activités de sa population. C’est pour
raison que la volonté politique du Cameroun se manifeste à travers le cadre juridique leur
permettant d’être en groupe.
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- La loi N°92/006 du 14 août 1992 relative aux sociétés coopératives et aux groupes
d’initiatives communes (GIC) et son décret d’application N°92/455/PM du 23 novembre
1992 ;
- La loi N°92/007 du 14 août 92 portant code de travail et le décret N°93/574 du 15 juillet
93 fixant la forme des syndicats professionnels admis à la procédure d’enregistrement ;
- La loi N° 93/015 du 22 décembre 1993 qui s’intéresse aux groupements d’Intérêts
Économique (GIE) ;
- La loi N°99/014 du 22 décembre 1999 régissant les Organisations Non Gouvernementales ;
- La loi n°90/053 du 19 décembre 1990 portant sur les associations.
Dans la rubrique de ces regroupements, nous avons :
En premier point, les GIE au sens de la loi n°93/015 du 22 décembre 1993 en son article 2,
un Groupe d’Intérêt Économique est, une entité résultant d’une convention par laquelle deux ou
trois personnes physiques ou morales, s’engagent à mettre en œuvre tout ou partie de leurs moyens
pour une période déterminée, en vue de faciliter et/ou de développer leur activité économique,
chaque membre conservant sa personnalité juridique. Alors qu’une association n’est pas le cas.
Ensuite l’association, au sens de la loi suscitée est une convention par laquelle les personnes
mettent en commun leurs connaissances ou leurs activités dans le but autre que le partage des
bénéfices. Elle peut être définie également comme le regroupement volontaire de plusieurs
personnes dans le but de la fédération de leurs efforts afin de se soutenir les uns les autres. Elle a
sa raison d’être dans le but de résoudre les difficultés, besoins ou les manquements identifiés dans
la communauté. La naissance d’un projet c’est suite aux désirs de résoudre les difficultés. C’est
cette perspective adoptée comme démarche ou des esquisses de réponses à la solution qui constitue
un projet.
S’agissant des Groupes d’Initiatives Communes (et leur hiérarchisation comme les
coopératives, les fédérations, les Confédérations sont presque similaires dans la définition).Le
GIC : est une organisation à caractère économique et social composées des personnes volontaires
ayant des intérêts communs et réalisant à travers le groupe des activités communes (article 49 de
la loi de 1993 sus-évoquée). Quant aux coopératives, l’article 4 de l’acte uniforme OHADA,
stipule que « La société coopérative est un groupement autonome de personnes volontaires réunies
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pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs, au moyen
d’une entreprise dont la propriété et la gestion sont collectives et où le pouvoir est exercé
démocratiquement et selon les principes coopératifs. »
Enfin, les autres regroupements comme les syndicats professionnels, les Organisations non
Gouvernementales sont aussi importants dans la recherche du bienêtre de la population par leurs
contributions multiformes.
De tout ce qui précède, il y a lieu de reconnaitre que malgré leur différence, ces structures
regorgent un élément commun qui est de mettre l’Homme au centre de leurs préoccupations en
aidant la communauté, de minimiser la pauvreté, etc.
Les pouvoirs publics reconnaissent et contrôlent le bon fonctionnement, la supervision et
le droit de regard sur les associations communautaires. L’assainissement de l’environnement
associatif par l’État, ses institutions et ses partenaires :
Il s’agit la mise en œuvre des politiques gouvernementales en matière d’incitation à
l’implication politique de la femme dans les domaines variés. C’est le cas de l’existence d’une
ligne de crédit allouée aux organisations privées, la professionnalisation des filières de formations
et des acteurs dans leurs services d’activités artisanales, commerciales, les programmes et projets
destinés à l’appui des organisations féminines comme la filière Agropastorale concerne celles qui
optent faire l’agriculture (les semences des tubercules comme la patate, le manioc…) et l’élevage
ou les activités agropastorales. Quelques Programmes et Projets ont été mis en place à l’instar de
Programme National de Développement des racines et Tubercules, le Programme d’Amélioration
de la Compétitivité agricole (ACEFA) ; Programme d’Amélioration de la Compétitivité agricole
(PACA) ; Projet d’Appui à la Micro-finance Rurale (PADMIR) ; le Programme Maïs, le
Programme de Production Laitière. Toutes ces opportunités ont été mise en place pour aider la
population à se nourrir et augmenter aussi la demande sur le marché. Beaucoup des structures de
productions ont été créées. Cependant l’écoulement dans les zones rurales fait problème. Des
regroupements ont été mis en place comme le GIC capital économique dans la ville de
Ngaoundéré ; le Groupes d’Initiatives Communes (GIC) des femmes de cultures maraichères, etc.
Au niveau opérationnel, l’État met en œuvre ces programmes et projets par ses départements
ministériels. Il encourage également les regroupements des femmes en groupes d’initiatives
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communautaires, en associations afin qu’ils soient capables de venir à bout des problèmes
élémentaires de base. C’est ce qui montre l’orientation des politiques inclusives, la définition et la
mise en place d’un dispositif organisationnel à l’épanouissement des associations, au renforcement
des capacités, à une assistance technique. Il s’agit entre autres du Ministère de la Promotion de la
Femme et de la Famille, du Ministère de l’Administration Territoriale et du Ministère de
l’Agriculture et du Développement Rural qui sont des Départements ministériels en matière de
l’encadrement des organisations associatives féminines. Ces structures de terrains ont en charge :
le parrainage des associations dans la recherche de financement, le soutien à l’élaboration des petits
projets à soumettre aux bailleurs de fonds, l’encadrement technique, administratif (appui pour la
reconnaissance juridique, la structuration, conseil en organisation, formations, éducations,
informations…). Ceci dans l’optique de leur permettre à se doter d’un cadre règlementaire pour
défendre leurs intérêts en tant que canaux de mobilisation, cadre de concertation, coordination,
développement de synergie, etc.
Dans leurs interactions, les Organisations féminines aident les Services publics dans
l’atteinte de leurs missions régaliennes. Elles servent des relais pour les activités d’animations dans
localités non représentées par ces services ou dans l’arrière-pays, la diffusion d’informations, la
mobilisation si nécessaire des femmes et associations, la facilitation de l’identification des
problèmes, des difficultés et les attentes rencontrées par les femmes et la population.
2- Le rôle des acteurs et organisations de promotion féminine dans la lutte contre la pauvreté.
La pauvreté est l’insuffisance des ressources et une privation ou limitation de possibilités
de choix et d’opportunités légitimes que font face les individus. D’où nous assistons à des
mauvaises conditions de vie (la santé, le manque d’accès à l’éducation, d’exercice des droits
civiques). Verhaege a insisté tout en relevant le sens de la pauvreté dû à la restriction à l’accès des
ressources matérielles des femmes: « ces lieux de pouvoir qui peuvent être source de revenu, la
femme est exclue ou confinée dans une position inférieure 3». Même si les femmes ne sont pas
assez intégrées dans ce phénomène, elles sont quand même des acteurs importants dans la lutte
contre la pauvreté.
3Verhaege (B.) Femmes Zaïroises Kisangani : combats pour la survie, Paris, l’Harmattan, 1992, p. 214.
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Les études empiriques ont montré que la pauvreté à plusieurs dimensions : la pauvreté non
économique et celle dite économique. La pauvreté non-économiques peut couvrir les aspects
comme l’absence du pouvoir qui exige par exemple le renforcement de capacité d’action par
″l’empowerment ″; l’exclusion sociale pouvant être résolue par la politique de réinsertion sociale ;
l’ignorance d’une identité qu’on peut trouver la résolution par la discrimination positive ‘’
affirmative active’’). Gondard Delcroix4 a mené les travaux sur les types des pauvretés au
Madagascar ce qui a permis de renforcer la vision opposée de la pauvreté de Dubois et Marniesse5
et d’autres conceptions de ce phénomène.
La pauvreté économique : avec trois composantes à l’instar ‘’la pauvreté monétaire’’, ou
de revenu est liée à une insuffisance de ressources comme le niveau de vie ; la ‘’pauvreté des
conditions de vie’’ se manifestant par un manque des besoins concernant l’alimentation (la sécurité
alimentaire), sanitaire (l’accès aux soins de base), l’éducation (faible scolarisation), le logement,
l’eau potable, etc. L’approche des besoins essentiels et dont l’accès aux biens et services de base
commence par l’alimentation, l’éducation, la santé, etc. Streeten P. (et al)6 perçoivent
l’amélioration du bien-être comme la satisfaction d’un ensemble de besoins fondamentaux et non
seulement une croissance soutenue du revenu réel des ménages.
La ‘’pauvreté de potentialités’’ : « retrace l’insuffisance de capital physique (terres,
équipements), ou financier (crédits, actifs financiers), capital humain (niveau d’éducation et de
santé facilitant l’accès à un emploi ou une activité) et capital social (état des relations sociales
permettant l’accès à un revenu). Cette grille d’analyse montre l’obligation d’une réponse holistique
afin de minimiser cette pauvreté.
De prime abord, il faut reconnaitre que les acteurs du système des associations et GIC sont
nombreux. Il s’agit des Organisations Non Gouvernementales (ONG), la société civile, les
individus, etc. Ils jouent plusieurs rôles à l’instar de l’identification des besoins fondamentaux des
femmes ; de la sensibilisation et de l’orientation des femmes vers des activités porteuses ; de leurs
4Gondard (D.) ; « Mondes en développement », 35, n°137, 2007, p. 51-66 5 Dubois, (J.), Marniesse (S.), « Mettre en valeur le lien entre pauvreté et formes d’emploi au Bangladesh, un
objectif pour une adaptation de l’enquête 1-2-3 », Document de Travail, Développement et insertion internationale,
DT/2001/15. 6Streeten (P.), et (al.); Firtthingsfirts : Meeting basic human world ; oxford : Oxford UniversityPress ; 1981
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éducations, formations ; du renforcement d’informations dans le montage des projets et des
business-plans ; de l’initiative et de la mise en œuvre des projets en faveur des femmes (le projet
filets sociaux) ; de la mobilisation des ressources et de l’octroi de financement aux femmes et
groupes des femmes ; de la défense des droits des femmes, etc. Pour le parvenir, ils s’appuient sur
les séminaires et atelier de formations et renforcements des capacités, l’octroi des bourses de
formations, de l’accompagnement financier, technique par des projets et programmes, etc. C’est
dans ce sens que giz voudrait mettre en œuvre le Projet ProCISA « Centre d’innovations vertes
pour le Secteur Agroalimentaire » via le MINADER et le (Ministère de l’Élevage des Pêches et
Industries Animales (MINEPIA). C’est une approche communautaire pour la réduction de la
pauvreté et la faim dans quelques Régions du Cameroun. Ceci sans oublier l’apport des anciens
intervenants comme l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)
dans le combat contre l’insécurité alimentaire et la malnutrition, de la faim, etc.
En second lieu, il existe d’autres intervenants, c’est notamment les Élites. En effet, les élites
politiques (Sénateurs, Députés, Conseillers Régionaux, etc.) vont non seulement implémenter les
politiques publiques mais d’appuyer les projets grâce à la ligne destinée aux financements des
projets. Les élites intellectuelles pour identifier les obstacles locaux, en débattre et proposer des
pistes de solutions. Les élites économiques pour développer les projets communautaires, la
création des entreprises, etc. la mise sur pied des comités locaux développement ; Les élites
traditionnelles et religieuses pour atténuer la rigueur des pesanteurs socioculturelles néfastes et
faciliter aux femmes l’accès aux espaces d’exploitations, à la terre. En effet, « les autorités
traditionnelles, les leaders d’opinion, les autorités administratives et les autorités religieuses
doivent jouer pour éliminer la discrimination à l’égard de la femme »7.
7 L’article 2 de la CEDEF/
a) Les autorités doivent aider les hommes et les femmes à éliminer les idées reçues, les comportements et les
pratiques qui considèrent les femmes comme des personnes inférieures, faibles ou incapables qui ont besoin
d’être assistées dans tous les actes qu’elles posent au quotidien.
b) Être mère est une lourde responsabilité qui mérite d’être reconnue par les familles les communautés et
l’État. Par conséquent, les hommes et les femmes doivent toujours se mettre ensemble pour entretenir,
élever et éduquer leurs enfants en tenant compte de ce qui est bien pour leur vie et leur avenir.
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B- Le rôle des organisations féminines à la lutte contre la pauvreté et la garantie d’une
autosuffisance alimentaire
L’autonomisation de la femme peut être comprise comme une situation de complémentarité
c’est-à-dire la conjugaison des efforts des hommes et ceux des femmes pour le bien-être de de la
population. Cependant, les préjugés et les stéréotypes orientent les femmes plus comme des
bénéficiaires et moins comme actrices de développement. Pour l’épanouissement de la société, les
femmes doivent intervenir dans les activités communautaires. C’est dans le même sens qu’un
proverbe oriental dit que : « la société humaine ressemble à un oiseau avec ses deux ailes : l’une
masculine et l’autre féminine. Il ne peut voler que si les deux (2) ailes sont développées de manière
égale. » C’est-à-dire que l’admission des femmes à l’égalité serait la marque la plus sûre de
construire la société de demain, qui pourrait être juste et plus fraternelle8.
1- Les motivations de luttes contre la pauvreté et l’insuffisance alimentaire
La gent féminine en période de paix, de tranquillité serait la plus vulnérable et pendant les
crises, les troubles ou les insécurités sociopolitiques, la plus exposée. Si cela semble être non loin
de la réalité, les femmes cherchent non seulement à résoudre leurs problèmes quotidiens mais
d’anticiper les éventuelles situations dégradantes comme les guerres, la famine, etc. Ceci de
manière individuelle par le travail personnel et collective par les Organisations Communautaires
de Base. Les défis de l’heure à l’instar de la contribution à la réduction des maux sociaux. Pour
parvenir à cet objectif, certaines activités sont menées. L’animation des organisations féminines
permet d’assurer la circulation d’informations pour faire connaitre la structure, ses objectifs et ses
activités à ses membres et à toute la communauté. La vulgarisation de ces informations se passe
par l’usage de moyens de communication (communication électronique/médias (téléphones),
séminaires ou les ateliers, des visites d’échanges d’expériences, l’organisation des formations, les
rapports, des procès-verbaux, des comptes rendus, la communication verbale, etc.). Les femmes
africaines en général et les camerounaises en particulier, de manière individuelle ou en groupe sont
interpelées autant que les hommes à redoubler d’efforts. En effet, Daniel Cohen pense que : « les
paysans les plus pauvres du monde vivent majoritairement en Afrique. L’homme le plus pauvre
8 Nicolas Tchingbybe Gong-hai ; La construction de l’autonomisation de la femme dans la société Moudang : pour
une étude des stratégies et des difficultés dans la commune de Léré (Tchad). Mémoire en vue de l’obtention d’un
Master recherche en sociologie de l’Université de Ngaoundéré. 2015/2016 ;
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du monde est sans doute l’un d’eux. C’est une femme, une femme africaine »9. Il s’agit non
seulement d’identifier les facteurs de la pauvreté qui sont à la fois naturels, politiques et
humains comme l’exclusion/marginalisation, manque des politiques incitatives, l’ignorance, la
dépendance, le manque d’éducation, la paresse, l’attentisme, mais de pouvoirs trouver une solution
à ces fléaux qui sont entre autres :
D’abord une tendance à la féminisation de la pauvreté et de certaines maladies. En effet,
l’expérience de la vie courante et les statistiques montrent que les femmes sont plus touchées par
certains fléaux que les hommes. Ceci tant dans l’espace urbain qu’en en milieu rural. Les
conditions précaires de la femme rurale est selon les Objectifs de Développement Durable (OMD)
70% sont des femmes. Cette féminisation de la pauvreté peut s’analyser dans plusieurs domaines.
En effet, les femmes mènent des activités dans le secteur informel, elles ont un accès limité aux
ressources et moyens de production, tels que l’engrais, les technologies améliorées, etc. En matière
d’accès à la terre et aux crédits, quelques femmes seulement sont des propriétaires d’un titre
foncier. Par ailleurs, beaucoup d’entre elles ne s’occupent que des travaux domestiques. Et celles
qui ont d’ambitions ne font que dans l’agriculture vivrière avec toutes ses pénibilités. C’est ces
dernières années que les femmes investissent de plus en plus dans la culture de rente comme le
cacao, le café, la banane dans le Sud et le coton, l’élevage dans la partie Nord du pays. Cette
concentration dans des activités à faible rendement et le fait d’exercer majoritairement dans
l’économie non formelle influencent sur la vie familiale.
Ensuite la « féminisation des responsabilités » et les exigences pour la « survie » des
ménages. La vie urbaine est différente de celle du milieu rural. C’est par exemple l’exigence d’un
emploi tant pour les hommes que pour les femmes. De nos jours, les femmes jouent désormais
plusieurs rôles notamment la production, la reproduction et le travail communautaire.
Conséquemment, elles doivent intervenir non seulement dans la contribution aux charges
familiales ; la gestion des pratiques familiales essentielles et dans des problèmes locaux. Par
ailleurs, le contexte est de plus en plus marqué par la recrudescence des femmes chefs de ménages,
9 Cohen (D.), Richesse du Monde, pauvreté des Nations, Paris, 1997, Flammarion.
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des filles-mères, des femmes célibataires, des femmes divorcées, répudiées et ayant des enfants à
charge, les veuves, etc.
Troisièmement une apparente insuffisance alimentaire : Le manque d’une garantie
alimentaire peut avoir plusieurs causes. C’est le cas d’un déficit alimentaire à cause de sous-
production ; il peut s’agir aussi de la mauvaise utilisation des produits et services par l’exportation.
Pendant, la période des récoltes la vente est à vile prix étant entendu que les paysannes n’ont pas
d’activités parallèles pour subvenir à leurs besoins. C’est la raison d’être des organisations de base
pour canaliser et organiser les ressources du territoire. Selon les Objectifs Mondial de
Développement (OMD) N°2-4, il s’agit d’éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire,
améliorer la nutrition et promouvoir une agriculture durable d’ici 2030. Selon les experts, la
sécurité alimentaire comporte quatre composantes notamment : la disponibilité en qualité
suffisante de nourriture ; l’accès à cette nourriture ; la stabilité de l’accès à la nourriture ;
l’utilisation appropriée de la nourriture.
Les pays en développement rencontrent des difficultés qui peuvent se justifier par
l’importation des denrées alimentaires (le riz, le blé, le sucre, etc). La raison d’un développement
autocentré est certes, aucun pays ne peut vivre en autarcie, mais il existe un seuil raisonnable du
taux d’importation. En effet, avec une situation comme le Corona ou Covid-19, où la circulation
des biens et personnes devient restrictive, il serait aussi important de valoriser nos ressources. C’est
paradoxal en ce sens que nous avons des terres arables, de mains d’œuvres abondantes pour parler
d’une tendance à l’insuffisance alimentaire. Les femmes rurales ne demandent qu’un petit appui
pour relever les défis car beaucoup d’entre elles sont oisives par manque des stratégies et moyens
de démarrage des micros-projets. La CEDEF, en son article 14, précise qu’« au regard des
difficultés particulières qu’elle rencontre et du rôle primordial qu’elle joue dans la sécurité
alimentaire, la femme rurale est un partenaire qu’on doit consulter et qui doit bénéficier des actions
spécifiques. De nos jours, les activités comme l’agriculture sont en perte de vitesse quant aux
jeunes, il faut également booster les initiatives dans cette catégorie des personnes qui sont
physiquement actives. La valorisation des produits locaux par la disponibilité des produits
agropastoraux, les denrées alimentaires peuvent non seulement entrainer la diminution du taux
d’importation des denrées alimentaires de base mais de lutter contre la faim et la pauvreté. Les
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problèmes se multiplient à plus d’un titre : la volonté politique d’une part et les catastrophes
naturelles (les inondations, la sècheresse, les aléas saisonniers, etc.). René Dumont, dans une
réflexion sur les moyens de mettre fin au sous-développement, pense qu’il s’agit de « réduire les
inégalités (…) ou manque aussi de maïs et de transports, au Kenya ; et on y souffre plus du manque
de logement et d’une santé rurales très déficientes »10 . Les associations féminines et les GIC
contribuent énormément à nourrir la population par leurs activités agricoles. Le Cameroun est un
bassin de production du riz, de maïs, etc. L’importation excessive peut empêcher l’émergence des
produits locaux. En tant que mamelles nourricières, les femmes en générale et les femmes rurales
par les GIC et coopératives en particulier contribuent énormément à la production agricole et donc
à la sécurité alimentaire. Le manque de l’offre de la production locale pousse les familles
populaires ou modestes à une précarité alimentaire et à la difficulté de répondre efficacement aux
besoins élémentaires de base. Au niveau plus vaste, le manque de surproduction agricole touche
non seulement les entreprises, mais l’État qui, souvent se sent obliger d’importer des produits
alimentaires. Les femmes doivent donc être organisées. Elles doivent être dans la transformation
des outils rudimentaires de production vers les méthodes techniques ; de passer de l’agriculture de
subsistance vers celle dite de seconde génération par l’augmentation de la production agricole,
d’élevage, de pêche, de l’artisanat, etc.
En quatrième lieu le manque d’accès au financement. D’où l’autofinancement des
microprojets par les organisations féminines. L’accès au financement constitue encore un goulot
d’étranglement dans la plupart des pays en développement. C’est la raison pour laquelle ces
associations créent leurs propres sources de financement. En effet, au rang des sources locales, il
a été relevé entre autres, les parents et amis, l’épargne-investissement, etc. Les banques locales
exigent une certaine conditionnalité comme l’apport personnel (au moins « 20% du coût total des
investissements ») et les garanties réelles (assurance vie, l’hypothèque, etc.). Alors que « les
tontines, contrairement aux lenteurs et aux multiples formalités du système bancaire, une démarche
écrite n’est pas nécessaire, en fait tout est simple et rapide ; il suffit que vous soyez membre du
groupe ».11
10 Dumont (R.) ; Marie-France Mottin ; L’Afrique Étranglée 1980, p.185 11 Norbert Monkam et Romain Weladji ; Guide du créateur d’entreprise au Cameroun : Fascicule du Promoteur de
la PME ; 1ère édition ; Collection Métier 1990 ; p. 48 ;
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Enfin, de contrecarrer à l’oisiveté par l’auto-responsabilisation dans des postes dirigeants.
Grâce aux organisations féminines, les femmes apprennent la gestion des activités
communautaires de manière démocratique ; elles font les élections et elles occupent les fonctions
diverses : Présidente, trésorières, etc. La loi accorde la liberté aux membres fondateurs d’une
association de fixer l’objet, l’organisation et le fonctionnement de leur association, pareil pour le
siège et la durée. Elles peuvent réussir ce bon fonctionnement à travers les statuts et règlement
intérieur (articles7, 8 et 9 de la loi suscitée).
2 –Les organisations féminines : Le renforcement du professionnalisme économique, la
promotion des bonnes pratiques pour l’accès et la modernisation de tissu économique
La bonne réalisation des activités se fait par la formation, la gestion du groupe et l’alphabétisation
professionnelle. Les femmes par leurs regroupements vont en guerre contre les difficultés
rencontrées. Ceci par la lutte contre leurs faibles pouvoirs économiques ; la création d’emplois par
le montage et la gestion des micros entreprises ; l’amélioration de cadre de vie des membres; le
renforcement de l’accompagnement financier, technique et administratif, matériel par les pouvoirs
publics et autres acteurs ; la possibilité d’accès aux ressources productives comme les matériels
d’œuvres, la terre, le financement des initiatives locales; la recherche de leur intégration politique
en ce sens que les associations en elles-mêmes sont organisées démocratiquement,
économiquement, socialement et ont des conseils stratégiques. C’est dans ce sens que ces femmes
investissent dans le domaine entrepreneurial pour connaitre les notions de base sur le statut
juridique d’une entreprise et dans les projets de développement, etc. Elles mènent les Activités
Génératrices des revenus par la valorisation de l’entrepreneuriat féminin qui est une base de
l’économie. C’est dans ce sens qu’on peut dire que l’entrepreneur c’est celui qui passe de la théorie
à l’action. Pour cela, les qualités que tout entrepreneur doit apprécier et appliquer sont: « la
ténacité, le sens de responsabilités, l’esprit d’initiative, la résistance aux chocs, la capacité de
travail, la santé, l’enthousiasme et l’aptitude à communiquer cet enthousiasme aux autres,
l’aptitude à décider, l’art de vendre, le bon sens et de jugement, l’adaptation, la curiosité, le désir
de comprendre les autres, et le flair. »12 Chaque femme se bat seule ou en groupe pour être occupée
12 Source : Stratégie pour la création d’entreprise Dunod, 2ème Edition p. 18. Citée par Norbert Monkam et Romain
Weladji: Guide du créateur d’entreprise au Cameroun ; Fascicule du Promoteur de la PME/PMI ; Collection Métier
1ère édition. 1990 ;
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dans la société par une activité financière, économique ou sociale. Les activités valorisées sont
surtout dans la formation, les œuvres artistiques, le travail non déclaré ou occasionnel dans
l’économie marchande ou des prestations des services. Il s’agit de :
❖ Les activités menées sont : Les fonctions publiques/privées (entreprises, la société
civile, associations, GIC/Coopératives) ; la pêche ; l’élevage ; l’agriculture ; les petits jardins ; la
cueillette ; le restaurant/bar ; service traiteur ; l’art/artisanat (Tisserant, poterie, teinture, couture,
coiffure… lits, tabourets, fauteuils, buffets, etc.) ; le petit commerce et buyers and-sellers; la bière
traditionnelle ‶Bilbil″ ; la musique ; l’activité des griot et de danses traditionnelles, la spéculation
des denrées alimentaires ; bailleresses, domestiques, quincaillerie, la santé (accoucheuse
traditionnelles) ; la boulangerie traditionnelle (beignets, gâteaux, etc.).
❖ Les activités moins développées par les femmes : Chauffeur, conducteur de taxi et
mototaxis ; le commandement traditionnel, blanchisserie, l’apiculture, la cordonnerie, le
berger, la maçonnerie, la menuiserie, le charpentier, le travail de la forge, le gardiennage,
la manutention, l’industrie, l’exploitation minière, la soudure, transport, réparation
/mécanique, l’innovation technologique, la boucherie, la chasse, etc.
Les femmes dans leurs regroupements se donnent dans l’apprentissage des métiers porteurs. Sans
être exhaustif, nous avons 04 spécialités ou secteurs d’activités qui permettent aux femmes d’être
autonomes. Il s’agit :
D’abord de technologie de l’information et de la communication. Les métiers possibles
sont par exemples : opérateurs de saisie, opérateurs d’Infographie ; moniteur du support ; opérateur
de télécommunication, etc.
Ensuite la filière textiles et Industrie et habillement (avec au moins 07métiers) : Brodeur,
tisseur ; couturière ; décoratrice ; teinturière ; joaillier ; tricoteuse ;(bonnèterie), blanchisseur, etc.
Troisièmement la filière agropastorale (avec au moins 08métiers) : Porciculteur ;
pisciculteur ; aviculteur ; Producteur de plantes fruitières ; producteur de plantes à tubercule et
racines ; maraichers ; Producteurs des céréales ; Transformateur des produits agricoles ; etc. C’est
l’art d’exercer son métier d’une manière fiable grâce à l’expérience obtenue dans le cadre de
l’exercice des divers métiers. D’une manière pratique, il s’agit ici de la mise en valeur des filières
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étant comme l’ensemble d’activités de production, de commercialisation. Par ailleurs, nous avons
le volet de la transformation de matériels de base (y compris le conditionnement) qui est important.
La transformation chimique comme la fabrication du savon avec des feuilles mortes de manguier
et d’autres composantes ; la teinture sur tissu ; la filière coiffure et cosmétiques (la fabrication des
laits de toilettes, etc.) ; la filière Intervention sociale (sur les pratiques familiales essentielles et les
droits de la femme) et l’éducation entrepreneuriale, etc.
Enfin la filière hôtellerie et Restauration (au moins 04 métiers) : gouvernante ; serveur ;
réceptionniste ; cuisinier, etc.
La femme joue un rôle dans la communauté et l’économie. Dans la famille elle exerce dans
des tâches comme les activités de survie ; la gestion du ménage (éducation des enfants), etc. Au
village, parfois elle travaille plus de 12h/jour. Cependant, les femmes font face à plusieurs
problèmes dans la réalisation des projets. La dégradation de l’environnement économique, social,
politique pousse les femmes à des regroupements pour le reboisement ; le développement de la
dynamique d’autopromotion économique, l’alphabétisation fonctionnelle, etc. Les organisations
sont des lieux d’acquisitions des conseils stratégiques en création, le développement d’une
entreprise est un tremplin politique (mentorat, tutorat, parrainage renforçant les nouvelles
entreprises). C’est aussi un cadre où les femmes peuvent travailler en partenariat avec les
administrations, les partenaires privés, localement ou au niveau national et international. Ce sont
des interlocuteurs privilégiés pour tous les acteurs comme les associations, les publics et les privés.
Ils facilitent l’accès aux marchés intérieurs, extérieurs ; possèdent des techniques
d’accompagnement à la création, la gestion, la pérennité des entreprises, l’acquisition du potentiel
d’initiatives sociales, économiques, le partage d’expérience et plus de réflexion sur les actions à
innover. Ce sont enfin des structures à but non lucratif fonctionnant pour solutionner un problème
ciblé, jugé comme prioritaire pour le développement.
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II - LA CONTRIBUTION DES ORGANISATIONS FEMININES A LA GOUVERNANCE
LOCALE/MUNICIPALE ET AU DEVELOPPEMENT
Joseph Kizerbo13 disait qu’ : « On ne développe pas, on se développe ». « Si on se
développe, c’est en tirant de soi-même les éléments de son développement ». Beaucoup des
politiques, des mesures et d’aides au développement ont été mises en œuvre tant par le Cameroun,
que par les partenaires mais les résultats ne sont pas toujours satisfaisants. C’est la raison pour
laquelle nous avons opté d’autres sources alternatives du développement. Il s’agit des
organisations féminines de base. En effet, comme toutes autres organisations communautaires, ces
dernières n’ont pas nécessairement pour but premier la recherche et le partage des bénéfices. Mais
c’est d’abord la satisfaction des besoins de leurs membres, de leurs communautés, etc. Le premier
rôle c’est d’accomplir les actions de développement. Le faisant, dans leurs actions individuelles
ou collectives elles ne sont pas en mesure, voire incapables de se réapproprier les techniques venant
d’ailleurs et parfois trop techniques. En plus elles connaissent mieux les problèmes élémentaires
de base et les sources d’opportunités pouvant nécessaires. Par ailleurs, il faut aussi dire que « le
développement durable ne se décrète pas, sa mise en œuvre s’inscrit dans des processus
d’apprentissage et de participation des autorités et de la société civile qui requièrent du temps ».14
C’est dire que la notion des « Aires de Développement Concertées » devrait être fluide entre le
« haut » et le « bas ». Si la population à la base est inorganisée, elle devient « un interlocuteur
muet ». C’est qui rend difficile l’aménagement du territoire et le développement du potentiel
humain. L’analyse de cette partie montre une grille à double entrées. D’abord les actions de
développement (A) et ensuite la dynamique de la décentralisation, de gouvernance et du
développement local grâce aux organisations féminines (B).
A-La mise en œuvre des actions de développement par les organisations féminines
La définition de la notion du développement est loin d’être unanime. Il englobe les efforts
des hommes, des jeunes et des femmes et non seulement la contribution d’une catégorie ou groupe
de personnes. Isabelle Droy constate que le développement, vu seulement au masculin, aboutit à
13 Kizerbo (J.), Histoire de l’Afrique noire, Paris, Éd. Hatier, 1972. 14 Développement durable et aménagement du territoire. Presses polytechniques et universitaires romandes. CH
1015 Lausanne Suisse. 2003. P. IX.350 p.
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un non-développement15. La notion du développement local est mise au-devant de la scène depuis
quelques décennies. Pour clarifier son sens, Biranes Owens Ndiaye la définie comme « la
participation des différents acteurs à la libéralisation des initiatives, en particulier, celles locales et
communautaires. »16 L’auteur met en exergue une approche qui se focalise sur la contribution
effective des populations locales au développement. Il faut ajouter pour abonder vers la même
direction que d’autres experts pensent que le développement est « l’ensemble de transformations
sociales, techniques, culturelles accompagnant la croissance de la production ». Nous pouvons dire
que le développement c’est l’amélioration des conditions de vie économique, culturelle, technique,
politique des populations.
L’une des objectifs du développement local est de renforcer une collaboration, un
partenariat dans le jeu socioéconomique, culturel et politique pour la construction d’un éventuel
projet en prenant en compte les efforts de toutes les composantes d’un quartier, d’un village, d’une
commune, etc. Le développement place la femme à une position favorable avec l’épanouissement
de ses conditions de vie. Il sera question de faire une investigation sur la recherche des solutions
pertinentes (1) et l’engagement pour l’auto-épanouissement (2).
1- Les organisations féminines dans la recherche des solutions durables aux
problèmes locaux
La floraison des organisations féminines à base communautaire peut se justifier par la
recherche d’accroissement du bienêtre des populations. Au Cameroun les lois dites de libertés de
décembre 1990 ont été un facteur d’accélérateur pour l’éclosion des organisations dans la société.
Il faut dire que si les associations, les OSC et les ONG œuvrent uniquement dans le domaine social
et caritatif, les GIC, les GIE et les sociétés coopératives mènent les activités économiques. De plus,
l’avènement de la démocratie qui n’a pas uniquement favorisé l’expression des opinions politiques,
mais a aussi suscité l’expansion des activités économiques à travers l’entreprenariat privé a
renforcé le rôle et la place de la gent féminine dans la société. Ces organisations rendent des
services communautaires de diverses formes. Il s’agit :
15 Isabelle (D.) Femmes et développement rural ; p. 124 16 Birane (N.O.), « Rôle des ONG dans la décentralisation pour un développement local » In Les Cahiers du congad
n’’, Janvier 1999
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D’abord la création d’emploi, c’est dans ce sens qu’on peut dire que les regroupements
féminins sont une alternative à la création d’emploi. En effet, le GIC selon l’art 8 de la loi
N°92/006 du 14 août 1992 suscitée, est une Société coopérative, c’est un groupe de personnes
physique/ou morale qui s’associent librement pour atteindre les buts communs par la constitution
d’une entreprise dirigée de manière démocratique et à laquelle elles sont liées par un contrat qui
fixe les règles de leur activité à cette organisation ; la répartition équitable de son capital ; la
participation aux fruits et aux risques liés à ladite activité, etc.
Dans un contexte marqué par le taux de chômage pour les populations moins intégrées que
sont les femmes et les jeunes, ces projets peuvent contribuer à l’amélioration du cadre de vie des
membres par l’accroissement de leurs revenus. L’élaboration des microprojets permet que les
membres soient occupés, aussi à ce que ces entités puissent leur permettre de financer directement
les microprojets qu’elles ont initiés. Cette création d’emploi est suivie de la création des richesses.
Une association ou un GIC qui mène une Activité Génératrice de Revenus génère de l’emploi non
seulement aux membres du groupe grâce à un fonctionnement interne notamment la gestion
administrative, la gestion technique, la gestion comptable, la gestion du stock, mais fait aussi
profiter la population. La coopérative des producteurs de maïs par exemple en dehors d’un surplus
alimentaire, peut offrir un projet de développement comme la construction des magasins des
stockages, l’installation des moulins, des boutiques, etc. Il y a donc l’amélioration des conditions
de vie des bénéficiaires directes membres (car il y aurait plus de bénéfice) et familles (la
scolarisation des enfants, l’investissement, etc.) et des bénéficiaires indirects comme les
consommateurs (manger à suffisance) ; la population (le Communautarisme économique) ; les
établissements d’épargnes et des crédits ; l’État et les partenaires au développement (la croissance
économique et l’amélioration de PIB). C’est dans ce sens que les organisations obtiennent des
dons, appuis ou de l’aide des administrations, des ONG, des élites, etc. Il peut s’agir d’appui
financier ou matériel comme les tracteurs, les moulins, etc. C’est aussi la disponibilité des lignes
des crédits pour l’accompagnement des initiatives privées, etc. Les partenaires techniques et
financiers interviennent dans le cadre des renforcements des capacités, de montage des
microprojets, l’encadrement, le suivi-évaluation. Les institutions de Brettonwoods (FMI –Banque
mondiale), précisément la banque mondiale ou la banque internationale pour la reconstruction et
le développement (BIRD) est une banque interétatique qui vise aussi la promotion de
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développement économique et la réduction de pauvreté dans les pays en développement par le
financement des projets, de l’économie. Elle a trois filiales et l’une d’entre elles qui nous concerne
dans ce travail est : l’Association Internationale de Développement AID (IDA) qui accorde des
crédits aux entreprises privées et donc celles des femmes. Tout ceci dans le but d’augmenter l’offre
des services et des productions. En effet, dans la production, le promoteur cherche à maximiser le
profit. Une entreprise est une unité de production des biens et services destinée pour la vente ou à
la consommation. Elle a besoin de « inputs » comme les intrants ou matières de base, services, les
informations, capitaux. Elle transforme en « outputs » ou production comme les marchandises, les
services, les informations. D’où la création des richesses ou de la valeur ajoutée. Il s’agit également
d’entrevoir une amélioration des conditions de vie. Les groupes d’initiatives communes sont des
organisations à but économique et dont leur raison d’être est de booster les ressources financières
des membres. Ce groupe peut avoir plusieurs branches d’activités. Il peut s’agir d’élevage (de
l’embouche bovine), de l’activité commerciale ou de toute autre activité de production, etc. Cela
donne l’occasion à la création d’une chaine de valeur agricole, d’élevage ou de pêche. Ceci en ce
sens que la première équipe va faire dans la production, la pêche, l’élevage ou la collecte du lait.
Une autre équipe s’occupe de la transformation, du fumage du poisson/viande, du lait en produits
dérivés. Et enfin une dernière équipe qui s’occupe soit du stockage, de spéculation soit de la
commercialisation de ces produits.
Deuxièmement, les organisations féminines aident à la promotion des groupes vulnérables.
Les avantages du regroupement ne sont plus à démontrer. En effet, si les femmes se mettent
ensembles c’est pour rechercher une macro-production, une plus-value dans la réponse ou la
résolution des problèmes holistiques de la précarité économique, du sous-développement, de
l’aspect sanitaire. C’est dans ce sens que la nouvelle donne met l’accent sur une démarche
collective dans la réalisation des projets et des actions pour penser à l’agriculture de seconde
échelle ou de seconde génération. L’impulsion ne peut être faite que par le développement des
branches d’activités multiformes à l’instar des organisations de producteurs d’aliments, les
Activités Génératrices de Revenus comme la valorisation des filières économiques, du secteur
informel par le développement de l’agriculture, le commerce, l’entraide, l’épargne et des crédits,
etc. Il s’agit également des facilités possibles comme le faible coût de production grâce à
l’augmentation des rendements ; de l’acquisition des matières premières à des prix réduits. C’est
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par exemple une Coopérative qui a 100 membres et que chacun décide d’acheter 01 sac d’engrais,
cette forte demande entrainerait une réduction du prix du sac. Ce qui fait que les handicapés, les
veuves, les veufs sont socialement intégrés.
Troisièmement, l’auto-mobilisation des fonds et autres gains, pour l’auto-emploi des
femmes. Les organisations des femmes ont une autonomie d’organisation et de fonctionnement
d’activités. Pour la facilitation de mobilisation des ressources, elles organisent les évènements
récréatifs ou des loisirs pour montrer l’art culinaire d’une Région ou d’un village, d’un peuple.
C’est le cas aussi des kermesses, les foires-expositions-ventes au niveau communautaire, national,
Régional ou international lors des rencontres spéciales. Par ailleurs, il existe aussi d’autres activités
comme les défilés des modes, les soirées culturelles ou de gala qui sont rentables. Dans la même
logique, certains regroupements peuvent faire dans la location des ressources matérielles comme
les meubles à l’instar des chaises, des tentes, des magasins ou d’immeubles pour stocker les
denrées alimentaires et des boutiques, etc. Enfin, dans ces organisations, il y a les moyens
permettant de trouver les ressources financières notamment la caisse de secours, le fonds de
garantie, l’épargne, etc.
Quatrièmement, la promotion et la défense des droits de la femme sont très importantes
dans l’épanouissement de la gent féminine. En effets, les droits fondamentaux de la femme selon
la Convention d’Élimination des toutes les violences à l’Égard des Femmes (CEDEF)
sont notamment : les droits civils : ils concernent la vie professionnelle et donc sa famille et ses
biens ; les droits politiques : c’est la reconnaissance à part entière à la participation politique ; les
droits économiques : il s’agit de production, de la gestion et de contrôle des revenus et biens ; les
droits sociaux: c’est l’épanouissement et la contribution au développement et les droits culturels
liés à la production ( œuvre) intellectuelle, la religion, l’identité culturelle.
Il faut reconnaitre que les pesanteurs socioculturelles ; les préjugés ; les stéréotypes
sexistes influencent sur la femme, sur ses ambitions, ses potentiels et ses activités pour
l’épanouissement communautaire. C’est la raison pour laquelle des mesures récentes ont été prises
dans les avancées sur l’égalité des droits entre les femmes et les hommes par les politiques des
discriminations positives et autres initiatives dans l’environnement juridique. Cependant, il revient
aussi à la femme de les maîtriser et de s’en servir quand le besoin se fait ressentir. C’est dans ce
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sens que Maurice Kamto pense qu’il faut la « transparence, la responsabilité, l’obligation de rendre
compte et la primauté du droit »17dans un État de droit. Les organisations des femmes ont une
grande responsabilité pour diminuer les préjugés sur la gent féminine afin qu’elle participe
activement à l’épanouissement du territoire. Il s’agit de mener des actions porteuses sur quelques
aspects suivants : Les organisations féminines œuvrent à l’employabilité des femmes à travers des
aptitudes techniques et professionnelles pour un travail décent; l’éducation à la gestion rationnelle
de ressources naturelles et environnementales dans le but de lutter contre la destruction des forêts
et faunes, la coupe anarchique des bois (le reboisement, la formation des populations à l’adhésion
de la notion du développement communautaire) ; de booster la solidarité et l’accompagnement des
femmes, les familles pauvres pour qu’elles soient capables d’accéder aux besoins essentiels de
base non seulement dans le renforcement des initiatives locales comme les Activités Génératrices
de Revenus mais à les aider à la création des GIC, des associations ; les appuyer à
l’épanouissement des compétences pratiques par la mise en œuvre des alternatives des structures
de formation et d’éducation professionnelle ; la sensibilisation pour l’amélioration de l’offre des
services ; la sensibilisation et l’accompagnement des familles (pour l’établissement des actes de
mariages, les actes de naissances, les actes de décès ) afin de réduire des violences d’unions libres,
conjugales, familiales et la recherche d’équilibre entre les droits et les devoirs de la femme ; la
promotion de l’égalité de chance et de l’équité, de justice sociale entre les hommes et les
femmes par les plaidoyers; par ailleurs, les associations familiales et communautaires doivent créer
ou renforcer les mécanismes d’entraide dans le but de minimiser les précarités économiques, etc.
2- L’engagement pour l’auto-épanouissement et l’intégration sociopolitique et économique
de la gent féminine
Après des temps du travail individuel, les femmes décident d’unir leurs forces, leurs savoirs
pour agir ensemble car un adage dit que « seul on peut aller vite » et « ensemble on peut aller
loin ». En effet, un groupe est formé des personnes qui se sont fixées et ont décidé de mettre des
moyens ensembles afin d’atteindre un but précis et des mêmes objectifs. Dès lors, les enjeux sont
énormes. Ce sont des enjeux stratégiques à travers la lutte contre l’insécurité, la cohésion sociale
et la paix en ce sens que selon les vœux de Saint Exupéry que la terre soit « une terre des
17Kamto (M.), Droit international de la gouvernance, Paris, -Éditions : A.Pedone, oct.2013, 338 p.
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hommes » ; les enjeux politiques par leurs avis personnels les femmes participent dans les prises
de décisions en ce sens que la femme est appelée à résoudre le problème de citoyenneté ; l’enjeu
économique, les femmes par les associations et les GIC veulent construire un espace de
développement économique. En effet, la perception du niveau du développement par le PNUD en
1990 est fonction du revenu par habitant : L’indice de développement de genre (IDG), compare
IDH des hommes et des femmes. L’indice d’inégalité de genre (ING) s’occupe de l’autonomisation
des femmes. PNUD (ISDH indicateur sexospécifique de développement humain par l’espérance
vie, savoir et revenus. Les IPF indicateurs de participation des femmes à la vie économique
politique 1995 pour réduire les inégalités, l’IPH (indicateur de pauvreté humaine J. Gadrey,
F.Jany-Catrice18, permet de reconnaitre les nouveaux indicateurs de richesses.
L’objectif c’est la recherche de l’intégration et l’insertion socioéconomique, politique,
sociale et culturelle de la femme. Cette intégration est importante dans l’amélioration de leurs
conditions de vie. L’éclosion des GIC et associations sont fonctions du domaine d’activité des
femmes. Il y a les organisations des femmes rurales, des femmes travaillantes dans l’État, les
femmes ménagères, les femmes commerçantes, les femmes d’affaires, les femmes buyers and
sellers, les femmes artisanes, les associations et GIC des femmes des partis politiques, etc. Par
ailleurs, il existe des associations de défenses des droits des femmes comme l’Association des
femmes juristes, l’Association de lutte contre les violences faites aux femmes, etc. C’est dans ce
sens que Oberschal Antony a montré la dimension horizontale d’intégration en terme de solidarité
communautaires dans les sociétés traditionnelles comme la classe, les tribus, les villages, les
ethnies ou dans la société industrielle par les associations. Le sens vertical d’intégration grâce à la
densité des liens qui unissent les groupes sociaux entre eux19. L’intégration économique de la
femme peut se faire par la réduction de la pauvreté, leur autonomisation économique, etc.
Socialement et culturellement, elle peut se faire grâce à la socialisation moins discriminatoire, la
prise en compte des avis des femmes dans les décisions communautaires. Tandis que l’intégration
politique peut se passer par l’implication, la participation des femmes dans les cercles de décisions.
Pour atteindre ce but, il faut un changement personnel à travers la promotion de
18Gadrey (J.), Jany-Catrice (F.)18, Les nouveaux indicateurs de richesses. Repères, La Découverte, 2007.
19Oberschall (A.), Social conflicts and socialmovement, 1993
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leadership féminin. La femme doit avoir plus de connaissance dans le partage d’expérience ;
l’éveil et le renforcement de la prise de conscience et la connaissance de l’attente de son milieu
(les besoins pratiques des femmes, des jeunes et des hommes). La non prise en compte des
conditions de base de toute la population a toujours des conséquences moins favorables au
développement. Cette idée a été partagée par Isabelle Droy en ce sens qu’il nous amène à
comprendre que « la liste des échecs des opérations de développement est bien plus longue que
celles des réussites, même partielles : le bilan de l’évaluation des générations des projets de toutes
natures est négatif et la répétition de ces constats vire à la litanie .»20Le développement
communautaire peut être lié au volet générateur de revenus ou aux aspects à caractère social. Pour
abonder dans ce sens, Blanc et Cuerrier21, 2007, disent que : « le mentorat organisé par le Groupe
des Femmes Politiques et Démocraties a permis d’acquérir ou de consolider des savoirs
concernant le terrain politique, les règles du jeu électoral, l’administration municipale et
l’organisation politique de la municipalité. Les participantes ont également acquis un savoir-faire :
une meilleure capacité de communication, de réseautage, d’argumentation, de prise de décision,
de résolution de problèmes et de stratégies politiques, et un savoir être : confiance en soi, le sens
relationnel ».
Quant au leadership transformatif, il existe le leadership transactionnel et celui dit
transformationnel. C’est une manière d’apprentissage social et de motivation permettant de
développer et à se forger une personnalité susceptible d’affronter les échanges interindividuels.
Dans le cas de l'engagement politique de la femme, il doit lui permettre de se cultiver
politiquement. Autrement dit, il est question de donner son avis, de prendre la parole et expliquer
son projet de société, d’être candidate à une élection. D’une manière pragmatique, il est question
de faire parler une femme qui a eu à faire une expérience, qui est engagée politiquement afin que
d’autres puissent s’inspirer de son parcours politique. Ceci pourrait susciter en elle, l’envie de
connaitre, d’apprendre la chose politique tant ses difficultés et ses avantages. Pour cela
l’expérience doit être bien « riche et enviable ».
20Droy I., 1990. Femme et développement rural. Karthala, pp. 57, Paris. 21 Blanc (M.) et Cuerrier (C.) Le mentorat en politique auprès des femmes. Un mode d’accompagnement prometteur,
Les éditions du remue-ménage, 2007, 136p. www.ucs.inrs.ca. La participation et la représentation politique des
femmes au sein des instances démocratiques municipales.
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Les Avantages de l’intégration socioéconomique des femmes sont à relever. Il peut aider à
s’émanciper par l’accès à plus des droits notamment la libre participation aux élections, le droit à
l’information, à l’éducation, l’élargissement de l’espace d’opportunités socioéconomiques.
Plusieurs des structures des femmes listées s’occupent de la sensibilisation de l’approche genre
afin de réduire la marginalisation de la femme dans la gestion de la cité. Des associations qui
mettent au-devant de la scène, l’autonomisation des femmes. Ces regroupements tiennent souvent
compte des hommes, proportion par sexe des certaines associations.
B- Décentralisation et organisations féminines : dynamique, gouvernance et développement
local
Le concept de « libéralisme communautaire » ne date pas d’aujourd’hui dans notre pays
même s’il n’est pas facile de voir son impact dans le développement. En effet, il s’agit du « devoir
de solidarité », de la « liberté d’entreprendre » pour s’adapter dans un contexte en pleine mutation.
Tiepolo et Braccio22 ont pensé que le mécanisme de préparation des plans de développement
devraient tenir compte des femmes et les communautés locales dans la prise de décisions et le suivi
de ces derniers. Si la contribution des femmes tant individuelle que dans les organisations est un
droit, alors elles peuvent agir en toute légalité et elles peuvent intervenir dans tous les domaines
d’activités en tant que citoyens à part entière et non comme une faveur. S’appuyant sur la
décentralisation, Awa Gueye23 a montré le caractère participatif, l’éclosion des initiatives tant
individuelles que communautaires de ce système de gestion de proximité. Cela nous permet de
voir le rôle des organisations féminines comme lobbying (1) et la recherche du bien de la
population (2).
1 -Les organisations féminines comme le lobbying
Les organisations à base communautaire ont une contribution dans l’applicabilité des
politiques de l’État en matière de la décentralisation. La réussite des actions communautaires exige
la mobilisation des acteurs, le renforcement de leurs rôles pour une gestion participative en matière
du développement local. Il y a lieu de dire que la décentralisation est une action en synergie à
22Tiepolo (M.) et Braccio (S), « Mainstreamingdisasterriskr eductioninto local development plans for rural tropical
Africa :Asystematicassessment », In Sustainability, 2020 23 Awa Gueye, Les structures élémentaires de parenté, Mouton, 1989, Paris ; p. 132 ;
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travers les interventions des protagonistes comme les élus locaux, les parlementaires qui doivent
prendre de mesures facilitant l’implication des femmes dans les actions communautaires. Elle
exige non seulement la « concertation », la « co-construction » mais la « codécision ». En effet,
« La décentralisation implique un partage du pouvoir, des ressources et des responsabilités et doit
permettre de rapprocher géographiquement les prises de décisions. Dans ce contexte, le rôle de
l’acteur public évolue. Aujourd’hui « le rôle d’une municipalité n’est plus de « faire » pour des
individus mais d’être plutôt catalyseur de l’action des citoyens, en apportant une aide ou en
facilitant la mise en relation des acteurs. Ce type de posture exigeant d’être d’abord à l’écoute des
initiatives, des attentes, des projets, demande corollairement à renoncer à une forme d’action
politique qui impose par le haut »24.
Premièrement la participation collaborative aux programmes et projets de développement.
Le suivi participatif des plans d’actions, des projets et programmes comme l’exemple des
programmes municipaux intégrés de lutte contre la pauvreté au niveau des Communes, du Plan
Régional de Développement initié par le Conseil Régional. Ceci dans le but de soutenir le
Gouvernement dans le cadre de mise en œuvre de la Stratégie Nationale de réduction contre la
Pauvreté (DSRP) et d’autres politiques de développement. C’est dans ce sens que les organisations
accompagnent ces initiatives par des indicateurs précis. Dans ce partage de pouvoir, il existe
également une compétence des acteurs sectoriels afin que les ressources locales soient bénéfiques
pour le bien-être de la population grâce à leurs bons usages. À cet effet,
- Les planificateurs et statisticiens doivent intervenir et sont chargés de la mise en œuvre des
plans et politiques de développement vont non seulement faire approprier la population de
ces concepts mais comment les opérationnaliser pour mettre au service des bénéficiaires ;
- Les chercheurs et les spécialistes pour appuyer les responsables à mieux saisir les enjeux
de développement. Ceci en ce sens que certains élus locaux ne s’approprient pas facilement
des textes ou des nouvelles initiatives pour booster l’épanouissement local. C’est la raison
pour laquelle les filières professionnelles sont créées à cet effet. C’est l’exemple de Master
ou la Licence professionnelle en Collectivités Décentralisées, etc.
24https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2007-1-page-45.htm
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- Les femmes dans le sens de faire prévaloir leurs intérêts de base et stratégiques dans des
projets, ou tout autres opportunités à travers les plaidoyers, de lobbying et des animations
dans les villages et quartiers, etc. Les organisations féminines peuvent changer
positivement les donnes sociales, politiques, etc.
Ensuite le rôle de suivi des projets planifiés pour le développement. Les associations, les
OSC et les ONG bien qu’elles soient apolitiques constituent des lobbies et des groupes de pressions
sérieuses. Elles doivent fonctionner dans le respect de la législation. La société civile devrait jouer
son rôle dans l’exécution et le suivi et même l’évaluation des actions de développement qui sont
destinées au développement des circonscriptions territoriales. En effet, beaucoup des constructions
sont souvent abandonnées ou inachevées à cause de manque de suivi de proximité. Les indicateurs
de suivi sont : les indicateurs de mobilisations qui concernent les ressources permettant de mener
les projets ; les indicateurs d’impacts permettent de constater le changement au sein de la
communauté à l’issue d’un projet réalisé ; les indicateurs de résultats qui sont capables de mesurer
les résultats escomptés ; enfin les indicateurs de performance qui permettent de voir l’état
d’avancement ou de l’exécution d’un projet, etc. La réussite de ces indicateurs est liée au niveau
de partage des rôles. Pour Jean-Christophe Deberre, la décentralisation implique « le partage du
pouvoir, des ressources et des responsabilités ». Il nous fait savoir que « la notion de
développement local est née en France de la prise de conscience que les politiques d’aménagement
du territoire mises en œuvre pour corriger les grands déséquilibres géographiques et
socioéconomiques ne pouvaient trouver leur pleine efficacité qu’en s’appuyant sur une
structuration des populations locales, propice à une mise en mouvement de la société civile. Il
s’agit donc d’un mouvement aux dimensions culturelles, économiques et sociales, qui cherche à
augmenter le bien-être d’une société, à valoriser les ressources d’un territoire par et pour les
groupes qui l’occupent25. C’est dans cette logique que les femmes transcendent les multiples
barrières pour se regrouper dans des structures comme les mouvements associatifs qui sont des
associations dirigées par les femmes, légalisées ou non.
De plus, l’impulsion des initiatives et la valorisation des ressources communautaires
développées et non développées. Parmi les activités connues c’est l’agriculture, le commerce et
25 Jean-Christophe Deberre ; Décentralisation et développement local. Afrique contemporaine 2007/1 ; n°221),p. 45
à 54. https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2007-1-page-45.htm;
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les activités de revenus. Celles qui ne sont pas valorisées sont l’apiculture, les activités touristiques,
etc. Les femmes se donnent aujourd’hui dans les petites entreprises comme : les entreprises de
production : qui sont des entreprises qui produisent ou transforment des produits ; les entreprises
des services : servant à vendre leur main d’œuvre et les entreprises commerciales, elles sont des
entreprises qui font dans l’achat et reventes des produits. L’économie en termes d’emplois et les
ressources des femmes sont de plus en plus grandissantes. Dans l’avenir, les femmes seront à la
hauteur d’exercer moins dans les entreprises individuelles et plus dans les sociétés commerciales
avec – la SARL, -la SA, la société en nom collectif (SNC), etc.
Quatrièmement le rôle de la gouvernance participative. L’appropriation sociale, politique,
économique de la politique de décentralisation assure la gouvernance communale ou Régionale.
La gestion de la cité tend à ne plus être l’apanage d’un groupe privilégié de sorte les élites
« agissantes » et le bas peuple « subissant ». La vision concertée des actions, des programmes et
projets exige l’implication de toutes les parties prenantes à l’instar des femmes, des jeunes, etc.
C’est l’applicabilité de ces variétés de la démocratie qui est nécessaire. Il s’agit de la démocratie
locale c’est la « participation dans les projets d’intérêt général ». Et la démocratie participative est
une prise de décision « plus inclusive ». La démocratie de proximité est la prise en compte des
« avis des bénéficiaires d’un projet/politique ». Enfin, la démocratie délibérative c’est la
« participation au débat public ». Il faut dire que la démocratie et la gouvernance sont les mêmes
réalités au service de développement. Amartya Sen26, parlant de la bonne gouvernance pense que
le progrès et la démocratie sont des processus qui se renforcent mutuellement. Au bout de sa
logique, il conclut que : « Le pilotage unilatéral, y compris s’il est le fait du meilleur des experts,
ne saurait en soi constituer une solution ». Cette problématique de gouvernance au Cameroun a été
aussi posé par M. Finken27 dans le but parait-il de voir sa prise en compte dans la décentralisation.
En effet, Pierre Félix kandolo on’ufuku wa kandolo, « la littérature sur la gouvernance identifie trois
dimensions de la gouvernance. La gouvernance est : économique, c’est le processus de décisions
ayant une incidence sur les activités économiques ; politique : c’est le processus de prise de
26 Sen (A.), La Decouverte, 1999, p. 55 ; 27Finken (M.), Gouvernance communale en Afrique et au Cameroun, Paris ; L’Harmattan, 2011, 324 p.
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décision axé sur l’élaboration des politiques publiques ; administrative : qui concerne la mise en
œuvres des politiques publiques. »28.La gouvernance implique le changement à plusieurs niveaux.
2 – Les organisations féminines et la recherche de bien être des sociétés
Il s’agit d’abord, de l’identification de la gestion concertée des problèmes locaux. C’est
ainsi que l’un des rôles du Maire c’est qu’il puisse appuyer financièrement et matériellement les
associations locales dont les activités concourent au bien-être des citoyens ou à l’amélioration de
leur cadre de vie. Les organisations n’ont pas souvent les sources de financement de leurs activités.
Il serait donc une initiative allant dans ce sens. En effet, certaines organisations féminines ont
bénéficié d’une création de fonds pour les appuyer à l’autonomisation socio-économiquement.
C’est le cas des associations de l’Arrondissement de Garoua IIème dans la Région du Nord
Cameroun. Elles ont bénéficié des renforcements des capacités entrepreneuriales, matérielles,
financières (le prix FEICOM de meilleur pratique des activités communales pour un montant de
50 millions pour soutenir 267 associations féminines) en ce sens qu’elles permettent d’accéder aux
ressources productives ; la scolarisation des enfants, le soutien à la cohésion sociale. L’existence
des OSC /des associations et autres structures locales (comités, chefferies, etc.) est très importante
dans les actions communautaires à savoir : le désenclavement des bassins de productions à cause
de l’impraticabilité des routes desservants ces zones par la réalisation d’ouvrages d’arts (ponts)
afin d’assurer une interconnexion ou l’accès au marché; le renforcement de la collaboration et la
participation de toutes les parties prenantes à l’élaboration et la mise en œuvre des décisions
permettant de réduire les conflits parmi les acteurs notamment entre agriculteurs-éleveurs en
traçant les pistes de transhumance, la limitation des zones de pâturage, les zones de l’agricultures
périurbaine, la bonne gestion domaniale. Il faut la mise en place des comités des quartiers/des
villages, les comités de développement, les comités de concertations, les regroupements associatifs
dans le but de mettre en pratique les politiques et projets (la prise en compte de l’aspect genre, le
Plan de gestion de l’environnement), les engagements du gouvernement pour l’égalité des chances
concrétisent la valorisation des intérêts communs, le curage des lacs et certains points d’eaux pour
l’accès à l’eau et développement des espèces aquatiques comme le poisson. Les Organisations des
28 kandolo (p.f.), Université de Nantes / Université de Lubumbashi, 2005, « De l’exercice des droits et libertés
individuels et collectifs comme garantie d’une bonne gouverne en Afrique noirs : cas de la république démocratique
du Congo ». Dans la catégorie : Droit et Sciences Politiques, Droit de l’homme et libertés fondamentales.
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femmes peuvent veiller à la prise en compte de leurs besoins dans l’élaboration et la mise en œuvre
des politiques locales. L’implication des femmes et associations reconfigure le niveau de pauvreté
à la baisse. En effet, « l’incidence de la pauvreté chez les femmes est passée de 40,5% (2011) à
33,4% en (2007). Ce qui traduit une régression sensible du phénomène parmi les femmes de façon
générale. Le niveau de pauvreté des femmes a baissé dans les régions du Centre, de l’Est, du
Littoral et de l’Ouest. L’Extrême-nord enregistre la proportion la plus élevée de femmes pauvres,
soit prêt de 63% en 200729 ».
Conclusion
En somme, la pauvreté n’est pas une fatalité encore moins l’insuffisance alimentaire. Les
actions de synergie permettent de faire avancer la donne vers le développement participatif. En
effet, les pouvoirs publics qui, dans leurs efforts comme l’élaboration des lois de décembre 1990
portant sur plusieurs types des libertés vont structurer l’épanouissement de diverses organisations
féminines et des OSC qui œuvrent parmi lesquelles les mouvements de défense des Droits de
l’Homme et donc ceux des femmes. L’apparition d’une kyrielle des GIC, GIE et des sociétés
coopératives qui ont esquissé la maquette matricielle d’une économique libérale. Cependant, les
organisations féminines sont en manque de structuration. Beaucoup fonctionnent sans remplir les
conditions. Elles sont souvent limitées financièrement, techniquement et matériellement l’accès à
la terre n’est aisé.
29 Ministère de la Promotion de la Femme et de la Famille. Femmes et Hommes au Cameroun en 2012 : Une analyse
situationnelle de progrès en matière de genre. Mars 2012 ; p.4 ;
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Dynamiques d’urbanisation et gouvernance durable du Lac
Municipal de Yaoundé : contribution à une intelligence socio-
politologique de la ville durable en Afrique noire
Par :
Gérard Didier MEKINDA MBAGA
Doctorant en Science politique
Université de Ngaoundéré (Cameroun)
Résumé :
Le présent article vise à rendre compte du « bricolage » de ce qui s’institue
progressivement au Cameroun, comme une gouvernance urbaine du développement durable du
Lac Municipal de Yaoundé. Bricolage « politique », en l’absence d’un schéma d’ingénierie « sur
mesure » concernant le développement durable urbain des lacs municipaux, d’une part, et d’autres
parts, du fait de l’adossement de l’urbanisation du Lac Municipal de Yaoundé sur « le prêt-à-
porter » institutionnel constitué du schéma directeur de l’aménagement urbain, du plan directeur
de l’urbanisme, et du Programme de Gouvernance Urbaine. Bricolage « politique », dont
l’ingénierie « savante », à l’observation des faits, nous permet de situer entre construction
structuraliste de la gouvernance « top-down » et construction sociale de la gouvernance « bottom-
up ». Le constructivisme structuraliste, nous permet de questionner le poids des « habitus » et du
« champ » dans la construction de la gouvernance urbaine durable « à partir du haut » ; tandis
que le constructivisme social, nous permet d’interroger la force des représentations et des identités
dans son édification « à partir du bas ». Du reste, il ressort après analyse des faits que : la
gouvernance urbaine durable du Lac municipal est à la fois construite dans les structures et
institutions objectives et vécue dans les dispositions et les représentations inter subjectives.
Mots clés : urbanisation, territoires, développement durable, gouvernance top down, gouvernance
bottom up, constructivisme structuraliste, constructivisme social.
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Introduction
« Les villes ne meurent pas, elles se régénèrent »1
La question de l’urbanisation territoriale pose trois problèmes politiques dans « le bassin
versant de la rivière Mingoa »2au Cameroun. Le premier problème est celui de la « polity », à
savoir la répartition « des responsabilité urbanistiques entre l’Etat, les villes, les communes et les
quartiers »3. Le second problème est celui de la « politics », à savoir la place du lac dans les luttes
urbaines de conquêtes et de conservation du pouvoir. Le troisième problème est celui de la
« policy », à savoir la place du lac dans l’agenda territorial de prise et d’exécution des décisions
urbaines.
Le 02 février 2015, le Président de la République du Cameroun, signe deux décrets, en
habilitant le ministre de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire, à signer
avec la Deutsche Bank A.G. London Branch « un accord de prêt »4, et la Deutsche Bank S.A.E.
« un accord de prêt complémentaire »5, en vue du financement du projet de valorisation touristique
et économique du Lac Municipal de Yaoundé. Le 13 septembre 2016, le ministre de l’Economie
et des Finance signe avec la Deutsche Bank d’Espagne, un accord de financement d’un montant
de 25 milliard, en vue lancer la première phase des travaux d’aménagement du lac, censé se
terminer en 2019, et consistant en la dépollution et l’assainissement des eaux, l’installation
d’équipements de sports nautique, l’aménagement des berges, la construction d’un hôtel cinq
étoiles, de restaurants de classe internationale, d’un centre de remise en forme, de boutiques, et
d’un espace de détente et de loisirs. Face à l’enlisement des travaux, le Président de la République
signe deux décrets le 04 novembre 2019, autorisant le ministre de l’Economie, de la Planification
et de l’aménagement du territoire à signer avec la Deutsche Bank d’Espagne, des accords de
financement de 9 et 3,6 milliards en vue de lancer la première phase des travaux. Le chantier est
1 Michel Lam, « Des villes à hauteur d’hommes », Planète+, DOC-SOCIETE-CANADA-Ep 5/6, 2018, diffusé le
27/11/2021, 13h06-14h05. 2 Le bassin versant de Mingoa couvre une superficie de 3,7 km2. Il est l’un des sous bassins du Mfoundi. La rivière
Mingoa qui le traverse mesure 4 km de long, pour une largeur comprise entre 0,5 et 3m. 3 J-V. Ntuda Ebodé, « Crise de l’urbanisation et urbanisation de crise. Analyse typologique de la violence des modèles
exogènes », in Cahier de l’UCAC, « Violences urbaines au sud du Sahara », Presses de l’Université Catholique
d’Afrique Centrale, 1998, p. 27. 4 D’un montant de 27 544 454 Euros, soit 18 069 161 824 FCFA. 5 D’un montant de 5 272 002,17 Euros, soit 3 458 433 423,52 FCFA.
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confié à l’entreprise ELEANOR, qui rendu en 2021 à un taux de d’avancement des travaux de
3,71%, capitalise une consommation des délais de 23% dans le cahier de charges. Le 24 juin 2021,
le Premier Ministre pose la première pierre du chantier de construction du complexe hôtelier et
touristique, baptisé « Hôtel du Lac de la vallée de Mingoa à Yaoundé ».
Situé entre les 3°51’55’’ de latitude Nord et 11°30’37’’ de longitude Est, le Lac Municipal,
selon « les paramètres morphologiques »6, s’élève sur une altitude de 710,8 m, et s’étend sur une
surface de 79500 m2. Sa longueur maximale est de 576,3 m, et sa largeur maximale de 267,5 m.
Son volume est de 190000 m3, pour une profondeur maximale de 4,3 m, et une profondeur
moyenne de 2,4 m. Par-delà de cette approche, géographique, le Lac municipal se donne également
à voir, sur le plan de la gouvernance, comme un lieu de l’interaction entre urbanisation et
développement durable.
L’urbanisation se définit, sur le plan économique, comme « l’ensemble des interrelations
entre les mutations économiques et l’élévation rapide de la proportion de citadins dans la
population totale »7, sur le plan social, comme l’ensemble constitué des « politiques urbaines dans
leur double dimension de régulation et de planification, que celle du territoire et de contrôle de la
force de travail »8. Sur cette base l’urbanisation territoriale, renvoi ici, à la planification et à la
régulation urbaine, non à partir de l’Etat central, mais à partir des territoires, constitués en l’espèce,
par les communautés9 urbaines. Si la création coloniale de la ville de Yaoundé est un phénomène
ancien, la trajectoire historique de l’urbanisation territoriale du Lac Municipal pourrait s’inscrire,
pour reprendre J. Njoya, sur la « trilogie temporelle »10, constituée du « territorial escamoté » en
situation coloniale, du « territorial en filigrane » en situation post coloniale, et du « territorial
reconsidéré » en situation de « transition démocratique », selon l’expression de L. Sindjoun. La
trajectoire spécifique de l’urbanisation de Yaoundé se situe, selon M. Naah, entre, hibernation du
6 Les paramètres morphologiques du Lac Municipal de Yaoundé, selon Kemka, Njine et al. (2004) et (2006), Zébazé
Togouet (2011), in M. Naah, Impact du developement urbain du bassin versant de la rivière Mingoa sur la Lac
Municipal de Yaoundé (Cameroun), Thèse de Doctorat en Sciences de la terre, Université Paris-Est, 2013, p. 64. 7 J-V. Ntuda Ebodé, « Crise de l’urbanisation et urbanisation de crise. Analyse typologique de la violence des modèles
exogènes », op. cit., p. 23. 8 Idem. 9 Il s’agit ici principalement de la Communauté Urbaine de Yaoundé et de la Commune urbaine d’arrondissement de
Yaoundé 3. 10 J. Njoya, « Les mutations de la vie politique en Afrique : la trajectoire erratique de l’élu local au Cameroun », Revue
Africaine d’Etudes Politiques et Stratégiques, N° 7, 2010, p. 21.
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processus dûe aux difficultés de l’ajustement structurel, et, initiative dès 2006 « d’une politique de
restructuration des quartiers pauvres et spontanées de la ville dans le cadre des travaux
d’embellissement et d’amélioration du cadre de vie des populations »11. Cette dynamique
territoriale12 de l’urbanisation contraste avec la dynamique centrale au niveau de l’Etat, qui
s’articule, selon E. Voundi, C. Tsopbeng et M. Tchindjang13, principalement en quatre phases : la
première phase dite « coloniale » est celle de l’aménagement des villes sous le modèle occidental ;
la seconde phase (1960-1982), marqué par la croissance économique, est celle de la construction
des bâtiments publics et l’établissement d’un plan directeur. La troisième phase (1985-2006),
marqué par la crise économique, est celle de la mise en sommeil du développement urbain ; la
quatrième phase qui va de 2007 à nos jours, est celle de la reprise en main à travers le Plan directeur
de l’urbanisme de la ville.
La notion de « développement durable » quant à elle, par-delà ses « ambigüités »14, se définit
selon le Rapport Brundtland comme le « processus de changement par lequel l’exploitation des
ressources, l’orientation des investissements, des changements techniques et institutionnels se
trouvent en harmonie et renforcent le potentiel actuel et futur de satisfaction des besoins des
hommes »15. Autrement dit, tout développement qui vise à satisfaire les besoins des générations
présentes, sans compromettre la capacité des générations futures, à satisfaire les leurs. Trois
domaines constituent le développement durable : la protection de l’environnement, la cohésion
sociale et l’efficacité économique. Sur la base du capital produit et reproductible par l’homme, le
capital en ressources naturelles renouvelables, le capital en ressource naturelles non renouvelables,
on distingue « la soutenabilité forte » de « la soutenabilité faible ». En situation de soutenabilité
11 M. Naah, Impact du développement urbain du bassin versant de la rivière Mingoa sur le Lac municipal de
Yaoundé (Cameroun), Thèse pour l’obtention d’un Doctorat en Sciences de l’environnement, Université Paris-Est,
2013, p. 53. 12 Les territoires renvoient, selon E. Ritaine, aux « espaces socio-politiques aux modes de régulation différents, aux
types de mobilisation divers, au rapport à l’Etat différentiel ». E. Ritaine (1997) cité par P. Le Galès, « Régulation,
gouvernance et territoire », in B. Jobert, J. Commaille (dir), Les métamorphoses de la régulation politique, Paris,
LGDJ, 1999, p. 10. 13 E. Voundi, C. Tsopbeng et M. Tchindjang, « Restructuration urbaine et recomposition paysagère dans la ville de
Yaoundé », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Volume 18 Numéro
3 | décembre 2018, mis en ligne le 05 décembre 2018, consulté le 29 novembre 2021. URL :
http://journals.openedition.org/vertigo/23083 14 P. Lascoumes, « Les ambiguïtés du développement durable », pp. 561-570, in Université de tous les savoirs, Qu’est
ce que les technologies ?, vol 5, Paris, O. Jacob, 2001. 15 O. Nay (dir), Lexique de science politique. Vie et institutions, éditions Dalloz, Paris, 2008, p. 141.
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forte, « l’on ne peut pas substituer le capital artificiel au capital naturel »16. En situation de
soutenabilité faible, « le capital produit et reproduit par l’homme est substituable au capital en
ressources naturelles non renouvelable »17.
Si l’essentiel de la littérature18 sur le Lac municipal semble porter sur : « les indicateurs
microbiens de pollution », « la biologie des parasites des poissons », « la bactériologie »,
« phytoplanctons/Cyanobactéries », « Bio indicateurs et pathogènes bactériens »,
« Phytoplancton/eutrophisation », « Zooplancton/eutrophisation », « gestion des eaux usées »,
« Zooplanctons », « « Métaux/sédiments de surface », « Physicochimie/métaux sédiments de
surface », Les travaux portant sur la relation19 entre « urbanisation et développement durable » au
Cameroun peuvent être regroupé en deux axes : les travaux sur la dimension « subjective »,
notamment les analyses en termes de « cohésion sociale et citoyenneté urbaine », et de
« structuration de l’espace urbain au Cameroun », d’une part, et d’autres parts, les travaux sur la
dimension objectives, notamment les analyses en termes de « politiques urbaines et durabilité »,
et de « gouvernance urbaine ».
Les analyses en termes de « structurations de l’espace urbain au Cameroun », s’intéressent aux
questions de : « villes modernes, villes cosmopolites », « composantes spatiales, ségrégation
sociale et replis identitaires », « le phénomène des ghettos : la bidonvilisation des villes ». Les
analyses en termes de « cohésion sociale et citoyenneté urbaine » s’interrogent sur les questions
de : « urbanité et identité sociale urbaine », « communautarisme et citoyenneté : la villégialisation
des villes ».
Les analyses en termes de « politiques urbaines et durabilité » s’intéressent aux questions de :
« la problématique du désordre urbain et les implications pour le développement des villes »,
« changement climatique et implications sur l’urbanisation des villes côtières », « de la révolution
verte au développement durable ». Les analyses en termes de « gouvernance urbaine », quant à
16 M-C Smouts, D. Battistella, P. Vennesson, Dictionnaire des relations internationales, 2e édition, Dalloz, 2006, p.
131. 17 Idem. 18 Selon M. Naah, Impact du développement urbain du bassin versant de la rivière Mingoa sur le Lac municipal de
Yaoundé (Cameroun), op. cit., p. 70. 19 Selon A. Giardinelli (2018), « Urbanisation et développement durable au Cameroun », Appel à contribution,
Calenda, https://calenda.org/435568, (consulté le 22 novembre 2021).
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elles, s’interrogent sur les questions de : « urbanisation et aménagement des villes », « problèmes
et compétences et politiques d’urbanisation », « aménagement et gestion des équipements
urbains », « gestion des déchets dans l’espace urbain », « préventions et gestions des risques dans
les espaces urbains ». D’où la problématique de savoir, si la gouvernance par les acteurs, ainsi
formulée, est conforme à la théorie et à la pratique de la gouvernance du développement durable.
Si la pratique de la gouvernance oscille historiquement entre Corporate Governance20 ou
gouvernance d’entreprise, Good Governance ou bonne gouvernance, Multi-level Governance ou
gouvernance multi-niveau, et Global Governance ou gouvernance globale, la théorie de la
« gouvernance du développement durable »21 distingue, quant à elle, la « gouvernance
programmatique », de la « gouvernance technique », et de la « gouvernance discursive ». La
logique ici est celle de la gouvernance par les institutions, en termes « de structures et de
procédures ». Cette logique contraste avec celle de la gouvernance « par les instruments »22, et
partant celle de la gouvernance par les instruments à partir de la construction. C’est de cette mise
maladroite sous le boisseau par la théorie et la pratique, de la gouvernance come « un construit »23,
qu’émerge la justesse d’un questionnement24 de la gouvernance urbaine durable du Lac Municipal,
en termes de construction par les structures et les représentations. D’où la question de savoir :
Comment se construit territorialement la gouvernance urbaine durable du Lac municipal de
Yaoundé ? Comment les structures sociales contribuent-elles à renforcer potentiel territorial
souverain de programmation urbaine de la durabilité ? Comment les représentations sociales
20 La gouvernance, fait référence ici, aux institutions susceptible de gérer les transactions et les coûts de transactions. 21 P. Pattberg, « La gouvernance, une simple mode ? », in P. Jacquet, R.K. Pachauri, L. Tubiana (dir), La gouvernance
du développement durable, Paris, Presses de Science Po, 2009. Dans son « acception programmatique », la
gouvernance est « un programme politique visant à regagner la capacité étatique de pilotage de la résolution des
problèmes à l’époque postmoderne ». Dans son « acception analytique », la gouvernance éclaire « les modes de
pilotage non hiérarchique et le transfert de l’autorité à des acteurs non-étatique ». Dans son « acception discursive »,
la gouvernance est « un discours hégémonique visant à dissimuler sous la rhétorique les implications négatives des
programmes économiques et politiques néolibéraux ». 22 P. Lascoumes et P. Le Galès, Gouverner par les instruments ?, Presses de Science Po, Paris, 2007. 23 P. Le Galès, « Régulation, gouvernance et territoire », in B. Jobert, J. Commaille (dir), Les métamorphoses de la
régulation politique, op. cit., p. 8. 24 Ce questionnement pourrait se situer dans la trajectoire des questionnements liés à la gouvernance territoriale,
notamment celui de savoir « quels sont les mécanismes et les processus en jeux, pour quelle conséquence ? », telle
que formulé par P. Le Galès, « Régulation, gouvernance et territoire », in B. Jobert, J. Commaille (dir), Les
métamorphoses de la régulation politique, op. cit., p. 26.
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contribuent-elles à renforcer le potentiel « sans souveraineté » territoriale de participation à la
durabilité ?
Le recours aux techniques documentaires et d’entretien, ainsi qu’à l’observation directe, nous
permettra de vérifier empiriquement l’hypothèse que nous avons à charge de défendre dans le
cadre du présent travail, à savoir que, territorialement la gouvernance urbaine durable du Lac
municipal est à la fois construite25 dans les structures et institutions objectives et vécue dans les
dispositions et les représentations inter subjectives. Autrement dit, territorialement, gouverner la
durabilité urbaine du Lac municipal, c’est gouverner par les structures d’agents « d’en haut » et
par les représentations d’acteurs « d’en bas ». Le recours à la théorie constructiviste nous permettra
dans son obédience « structuraliste » de comprendre, avec P. Bourdieu, la construction à partir de
« l’existence dans le monde social de structures objectives indépendantes de la conscience et de la
volonté des agents, capables de contrainte ou d’orienter leur pratiques ou représentations », et de
« la sociogenèse des schèmes de perceptions, de pensées et d’actions (…), et des structures » (I).
L’instrumentation du constructivisme dans son obédience « sociale » nous permettra d’expliquer,
avec J. Searle, P. Berger et T. Luckmann, la construction par les représentations identitaires,
comme « construction de la réalité sociale »26 et « construction sociale de la réalité »27 (II).
I- PROGRAMMER L’URBANISATION DURABLE DU LAC MUNICIPAL : UNE
TECHNIQUE DE CONSTRUCTION « STRUCTURALISTE » DE LA
GOUVERNANCE « TOP-DOWN ».
Programmer territorialement l’urbanisation durable du Lac municipal constitue, pour
emprunter à G. Pinson, une modalité de repositionnement de l’Etat à travers le changement des
modes de coordination, de pilotage, en partant des « organes classiques de gouvernement »28 vers
25 La gouvernance construite est à la fois une gouvernance par les structures d’agents et une gouvernance par les
représentations d’acteurs, d’où la réconciliation des approches de gouvernance en termes « d’acteurs » et les approches
en termes « de structures » et « de représentation ». Les structures d’agents sont dans notre analyse, les structures de
disposition (habitus) et les structures de positions (champ), tandis que les représentations d’acteurs sont des
« représentations d’identités sociales » et des « représentations sociales d’identités ». 26 J. Searle, La construction de la réalité sociale, Paris, Gallimard, 1998. 27 P. Berger, T. Luckmann, La construction sociale de la réalité, Paris, Armand Colin, 2012. 28 G. Pinson, « Gouvernance et sociologie de l’action organisée. Action publique, coordination et théorie de l’Etat »,
L’année sociologique, PUF, vol 65, 2015, p. 499.
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« l’au-delà »29, que constituent en l’espèce les organes décentralisés. C’est aussi une mutation des
formes de coordination « pures » notamment, « (…) l’imposition réglementaire, la hiérarchie,
l’organisation, la planification, etc. », pour les formes de coordination « mixtes », notamment,
« (…) marché, l’incitation financière, la confiance, la réciprocité, etc. ». Dans son acception
programmatique, la gouvernance repose notamment sur : « le pilotage politique de la
mondialisation (…), plusieurs formes de coopération, de coordination et de processus de décision
à différents niveaux du système (…), la structure essentiellement multipolaire de la
politique (…), l’incorporation d’organisations non gouvernementales comme condition préalable
au renforcement de la légitimité démocratique et à la résolution efficace des problèmes ». Aussi,
l’idée force de notre discussion ici est que, l’action de gouvernance urbaine durable du Lac
municipal est « structuralement »30 construite comme « programme politique », à travers « le
système de dispositions durables et transposables »31, et par « le système de position et de relations
objectives entre les différentes positions »32. Autrement dit, et pour emprunter à P. Bourdieu,
l’action territoriale de gouvernance urbaine durable du Lac Municipal, se comprend en tenant
compte à la fois, de l’espace objectif de distribution des relations de pouvoirs (B), et des
représentations et perceptions qui dominent l’espace social des agents (A).
A- L’« habitus » de la gouvernance urbaine de la durabilité du Lac municipal : la
résilience d’une disposition post coloniale « structurée et structurante »
L’action urbaine de gouverner durablement le Lac Municipal de Yaoundé est une action
héritière des dispositions coloniales d’administration des espaces urbains en Afrique, en l’espèce
il s’agit de la disposition « indirecte » française et de la disposition « directe » anglo-saxonne.
C’est aussi une disposition post coloniale socialement conditionnée par la trajectoire sociale des
agences de formulation de la problématique urbaine de « l’avenir du Lac Municipal », et,
socialement conditionnante des logiques de classes au cœur des processus de formalisation du dit
lac dans l’agenda urbain. Dans la logique constructiviste structuraliste, la résilience des
dispositions est à la fois une résilience des dispositions structurées, et une résilience des
29 G. Pinson, « Gouvernance et sociologie de l’action organisée. Action publique, coordination et théorie de l’Etat »,
op. cit.. 30 En référence au constructivisme structuraliste. 31 Définition de « l’habitus », selon P. Bourdieu. 32 Définition du « champ », selon P. Bourdieu.
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dispositions structurantes. Aussi, dans le cas d’espèce, l’habitus de gouvernance urbaine durable
du Lac Municipale, est-il fonction de la résilience des trajectoires sociales (1), et de la résilience
de la logique de classe (2).
1- Habitus urbain durable et trajectoire sociopolitique des agents : la résilience d’une
disposition structurée de gouvernance
La disposition post coloniale à gouverner durablement est une disposition socialement
conditionnée par les trajectoires sociales de formulation des problèmes de décrue du Lac Municipal
de Yaoundé. Autrement dit, il y’a un habitus urbain de la durabilité qui se donne à voir à travers
la trajectoire sociale des agents urbain de la gouvernance durable du Lac Municipal. La notion de
trajectoire sociale est au cœur du paradigme bourdieusien d’ « habitus », entendu comme
« système de dispositions durables et transposable ». Concept « repris »33 à des auteurs tels
Aristote, Saint Augustin, Marcel Mauss, Max Weber, Edmund Husserl, Alfred Schutz, Maurice
Merleau-Ponty et Norbert Elias, Bourdieu fait de l’habitus le fondement de la « théorie
dispositionnelle »34 de l’action sociale. L’habitus est le produit de « la trajectoire sociale des
individus »35 en ceci que « l’appartenance sociale structure l’acquisition et produit un habitus de
classe »36, et en ceci que « chaque individus n’est qu’une variante d’un habitus de classe »37.
En l’espèce, l’idée de gouvernance urbaine de la durabilité du Lac municipal à travers la
trajectoire sociale des agents permet de voir et de penser les « dispositions post coloniale » de la
durabilité urbaine. Il s’agit en l’espèce, comme évoqué plus haut, des dispositions dites civilistes
ou « francophone »38. La disposition civiliste fondamentalement héritière de la colonisation
française, se distingue des dispositions « commune » liées à la colonisation anglaise en ceci que
reposant sur le principe de « l’indirect rule ». Le principe de l’indirect rule reposait sur la gestion
indirecte des espaces urbains, tandis que le principe du « direct rule » reposait sur une gestion
directe des espaces urbains par les colonisés. La dénomination du Lac de la vallée de Mingoa, en
33 Wacquant Loïc, « Brève généalogie et anatomie de l’habitus », Revue de l’institut de Sociologie, 2016, p. 9. 34 Wacquant Loïc, « Brève généalogie et anatomie de l’habitus », op. cit.. 35 Sur « l’homo sociologicus bourdieusien » comme « agent social », Cf. P. Bonnewitz, « Premières leçons sur la
sociologie de Pierre Bourdieu », 2eme édition PUF, 1998, p. 63. 36 P. Bonnewitz, « Premières leçons sur la sociologie de Pierre Bourdieu », op. cit., p. 63. 37 Idem, p. 65. 38 Op. cit., p. 92.
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« Lac Chrystol » en hommage au maire français de la ville de Yaoundé à cette époque, est un
élément à verser au dossier de la disposition coloniale de l’urbanisation territoriale du Lac
Municipal de Yaoundé, dès les fonds baptismaux.
L’idée bourdieusienne de « trajectoire sociale » commande d’être attentif à la hexis, à l’ethos,
dans la dynamique primaire et secondaire de formation de l’habitus. En effet, les dispositions
constitutives de l’habitus urbain durable sont à la fois des valeurs pratiques ou « ethos », et des
postures du corps ou « hexis », acquises par « les gens de Yaoundé » tout au long de leur processus
de socialisation. Ici l’observation empirique permet de relever un contraste entre dispositions
familiales et dispositions scolaires. L’habitus familial des ménages qui vivent autour du Lac
municipal est celui de la pollution du Lac à travers le déversement des eaux usées dans les
canalisations entrainant les débris sur le lit du lac, et du rejet sur la rivière Ntoungou l’un des
affluents de la rivière Mingoa, « des déchets solides et solides des garages et des laveries »39 . Il
s’en suit ainsi une pollution du lac et un développement d’espèces végétales néfastes pour la survie
de l’écosystème du lac. Le Rapport MINDUH 2009, selon M. Naah, fait état de ce que « 30% des
ménages rejettent leurs eaux dans le milieu naturel via des rigoles par lesquelles les eaux pluviales
convergent vers le Lac municipal ». L’habitus scolaire, quant à lui, acquis à travers les
enseignements secondaires et primaires dans les domaines disciplinaires de la géographie et des
sciences naturelles, consacre la préservation de l’environnement et le développement durable des
cours d’eau.
La disposition post coloniale de la gouvernance urbaine, au Cameroun, est celle de la puissance
publique, qui contraste avec la gouvernance urbaine à partir de la loi commune, propre à la
représentation anglo-saxonne de la gouvernance du développement durable urbain. Le Rapport40
Habitat III, formule les problèmes de la gouvernance urbaine à partir : du renforcement de la
législation urbaine, de la décentralisation et le développement des collectivités locales, de
l’amélioration de la participation et des droits de l’homme dans le développement urbain, du
39 L.B. Jugnia, T. Sime-Ngando, « An assessment of the impact of Mingoa stream input to the bacteriological quality
of the Municipal Lake of Yaoundé (Cameroon) », Water ressource management (15), 2001, p-p. 203-209, cité par M.
Naah, Impact du développement urbain du bassin versant de la rivière Mingoa sur le Lac municipal de Yaoundé
(Cameroun), op. cit, p. 49. 40 République du Cameroun, Troisième Conférence des Nations Unies sur le logement et le développement durable
en milieu urbain (Habitat III), Rapport National de Contribution du Cameroun, 2015.
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renforcement de la sécurité et de la sérénité en milieu urbain, de l’amélioration de l’intégration
sociale et de la justice sociale. Il ressort de cette formulation, par la puissance publique, de la
nomenclature des problèmes de la gouvernance urbaine, le constat de l’absence de dispositions
spécifiques relatives à la gouvernance urbaine des Lacs municipaux. La question relative aux
études de l’aménagement urbain de la vallée de Mingoa dans le centre-ville de Yaoundé, est
survolée dans la rubrique « planification et l’aménagement durable des villes ».
La disposition civiliste de la gouvernance urbaine se donne également à voir à travers l’appui
de l’Institut de la Francophonie pour le Développement Durable, dans la formulation des
problèmes « d’aménagement du Lac municipal de Dschang »41 autour de l’évaluation des impacts
environnementaux directs et indirects. Les impacts directs et indirects du projet de construction
concernent ainsi : la pollution de l’air, l’augmentation de l’érosion du sol, la réduction en porosité
du sol, la pollution et compaction du sol, la modification du cycle et du régime de l’eau, la
déforestation, la destruction de la biodiversité, des habitats, la migration de la faune, la pollution
sonore, les nuisances dues aux vibrations, la réduction des terres cultivables, l’augmentation du
cout de la vie, les accidents de travail. Les impacts directs et indirects dû aux activités
d’exploitation du musée, de la base nautique et du centre artisanal, concernent : l’augmentation de
la compaction du sol, la réduction de la biodiversité du sol, l’augmentation des activités
touristiques, l’augmentation du cout et niveau de vie, la dépravation des mœurs, la modification
du cycle et du régime de l’eau. Les impacts directs et indirects concernant les activités de dragage
du Lac concernent : la réduction de l’humidité de l’atmosphère, l’augmentation de la capacité
d’évaporation de l’air, la modification dans la structure et la texture du sol, la fragmentation du
sol, la réduction de la biodiversité, la réduction des activités touristiques.
La disposition post coloniale à gouverner durablement le Lac Municipal n’est pas qu’une
« disposition socialement conditionnée » de formulation des problèmes urbain à partir de la
« trajectoire politique des agents », c’est aussi une « disposition socialement conditionnante » de
formalisation de l’urbanité dans l’agenda institutionnel à partir de « la logique de classe ».
41 C. Ako Eyong, « Etude d’impact environnemental du projet d’aménagement du lac municipal de Dschang
(Cameroun) », Maitrise des Outils de Gestion de l’Environnement pour le Développement, Institut de la Francophonie
pour le Développement Durable, 2015.
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2- Habitus urbain durable, entre habitus de classe et classe d’habitus : la résilience
d’une disposition structurante de gouvernance
La disposition post coloniale à gouverner durablement est aussi une disposition socialement
conditionnante de classement à l’agenda, du Lac Municipal à partir de la position des individus au
sein des classes, et la position des classes au sein de l’ordre social. En effet, il y’a un habitus
urbain de la durabilité qui se donne à voir à travers les « dispositions de classe » et les « classes de
disposition ». Les classes sociales renvoient, dans la perspective marxiste, à « des groupes aux
intérêts contradictoires liées par des rapports de domination et en lutte permanente pour le contrôle
de la direction de la société »42. Sur le plan sociologique, les classes désignent « des vastes groupes
sociaux relativement homogène sur le plan des conditions matérielles et des valeurs partagées »43.
Idée reprise à K. Marx, la logique de classe en termes de luttes est au cœur la théorie
bourdieusienne de l’habitus en ceci que l’appartenance d’un individu à une classe sociale, autant
elle structure ses acquisition, autant elle produit un habitus de classe. La logique de classe permet
de prendre au sérieux la logique générative de l’habitus comme « système classé » destiné à
fonctionner comme « système de classement », autrement dit « structure structurée destinée à
fonctionner comme structure structurante ».
L’observation des « dispositions classées » dans la genèse historique de la gouvernance
urbaine durable du Lac Municipal permet d’observer deux « classes de dispositions » : la classe
dominante « blanche » et la classe dominée « indigène ». La classe dominante se caractérisait par
la pratique des plaisirs « ludiques » sur le cours du lac municipal. Il s’agissait en l’espèce de la
pratique du sport nautique dans le cadre des activités du « Club Nautique de Yaoundé ». Le dit
club comptait parmi ses membres, des personnes financièrement aisées et pouvant s’offrir le luxe
d’une propriété de bateau de course, au rang desquelles nous pouvons citer Coron, Engold, et J.
Despo. La classe prolétaire, quant à elle, était essentiellement constituée d’« indigènes
volontaires » et de prisonniers, dont la participation à l’urbanisation du lac, consistait pour
l’essentiel à la construction d’un barrage de retenue sur le cours de la rivière Mingoa, en vue de
42 O. Nay (dir), Lexique de science politique. Vie et institutions, op. cit., p. 63. 43 O. Nay (dir), Lexique de science politique. Vie et institutions, op. cit.,
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l’aménagement urbain du lac municipal comme espace nautique : c’est la classe des « bimanes »44.
Ce contraste entre la classe bourgeoise jouisseuse de l’espace nautique, et la classe prolétaire
bâtisseuse manuelle du dit espace, est traductrice des « inégalités » de classes dans l’urbanisation
du Lac municipal. C’est cette disposition raciale des classes dans l’urbanisation du lac, que semble
évoquer M. Naah, lorsque parlant de la disposition spatiale des classes raciales, elle soutient que,
l’urbanisation du bassin versant de la rivière Mingoa, amorcée sous l’administration coloniale
française en 1923, a séparé les « communautés concentrées dans l’agglomération » en deux
classes raciales: la classe « des blancs » occupant le centre de la ville, notamment, le centre
commercial, le centre administratif, le quartier Messa qui abritait à l’époque le camp des
fonctionnaires indigènes ; et, la classe « des noirs », expulsés en périphérie, notamment dans les
quartiers Mokolo et Briqueterie. Ce développement séparé des races blanches et noires change
après l’indépendance avec l’installation des fonctionnaires camerounais dans « la ville blanche ».
En outre, l’observation des « dispositions classées » dans la dynamique actuelle de la
gouvernance urbaine du lac, permet également de contempler la splendeur de la logique de
classement « endogène » en trois classes : La classe bourgeoise constituée des expatriés, des hauts
cadres de l’administration, et, des membres du gouvernement et assimilées résidents aux quartiers
du Lac et du centre administratif ; la classe moyenne constitué des « fonctionnaires moyens » et
de leurs familles, résident les quartiers du SED45 et de la cité SIC46 de Messa ; et, la classe
populaire47 constitué des habitants des quartiers Mokolo et Briqueterie. La construction de la cité
SIC de Messa, aux environs du Lac, nous semble s’inscrire dans la logique de dénivellement des
classes sociales autour du lac, en ceci que la construction des logements « dits sociaux » vise à
mettre dans la même enceinte les différentes couches sociales. L’observation de la réalité concourt
plutôt à soutenir l’hypothèse d’une forte tendance au reclassement des classes moyennes et
44 Les « bimanes » renvoient, selon S. C. Abéga, à ceux qui travaillent de leurs mains. Il s’agit en l’espèce et selon les
propos de G. Kyriakydès : des prisonniers et des indigènes volontaires qui ont travaillé de leurs mains à l’aide des
machettes. M. Naah, Impact du développement urbain du bassin versant de la rivière Mingoa sur le Lac municipal de
Yaoundé (Cameroun), op. cit., 45 Secrétariat d’Etat à la Défense. 46 Société Immobilière du Cameroun. 47 En termes d’occupation de l’espace, la classe populaire réside dans les quartiers « peu structurée et peu équipé »,
contrairement à la classe moyenne et bourgeoise qui réside dans des quartiers structuré et équipés. A. Ngamini Ngui,
Le développement de l’habitat spontané à Bafoussam, ville de l’ouest Cameroun, Montréal, 2012, cité par M. Naah,
Impact du développement urbain du bassin versant de la rivière Mingoa sur le Lac municipal de Yaoundé (Cameroun),
op. cit., p. 49.
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bourgeoise dans les logements sociaux, au détriment des classes populaires, n’ayant pas toujours
les moyens de « payer la clé »48 donnant accès au logement, ou ne disposant pas toujours d’un
réseau de relation à même de les permettre de conclure le contrat de bail. Selon A. Bopda, le
quartier Grand-Messa, c’est le quartier d’attente des fonctionnaires « en instance de
nomination »49.
La « logique de classe »50 de la gouvernance territoriale est aussi celle du classement politique
et technique de l’urbanisation du Lac Municipal. Le classement politique de l’urbanisation est celui
issue des actes délibératifs des conseils municipaux et du conseil de communauté, en tant que
organes politiques de décision au sein des communes et communautés urbaines de Yaoundé. En
l’espèce trois communes urbaines d’arrondissement sont concerné par la gestion urbaine du bassin
versant de Mingoa, il s’agit des communes de Yaoundé 2e, 3eet 6e. Le classement technique, quant
à lui, est celui opéré par le Programme de Développement Urbain (PDU) et les services
déconcentrés des ministères impliqués dans l’urbanisation de la ville de Yaoundé : il s’agit entre
autres du Ministère Développement Urbain et de l’Habitat (MINDUH), du Ministère des
Domaines du Cadastre et des Affaires foncières (MINDCAF), de la Mission d’Aménagement et
d’Equipement des Terrains Urbains et Ruraux (MAETUR). Cette pluralité d’agents intervenant
crée une situation de confusion et de de conflits de compétences. Ce qui fait dire à E. Voundi, C.
Tsopbeng et M. Tchindjang que : « Les informations recueillies auprès des autorités municipales
de la CUY et des communes d’arrondissement de Yaoundé 4e et 6e ne clarifient pas la question et
s’avèrent même contradictoires. Pour certains, les aménagements répondent aux prévisions du
48 L’expression « payer la clé » renvoi dans l’imagerie populaire à deux situations. La première est celle de l’individu
qui fait acte de candidature pour l’attribution d’un logement. Ici la justification d’une mensualité salariale fait partie
des conditions exigées, en plus du payement d’une caution en cas d’attribution du logement. La seconde est celle de
l’individu qui a souscrit avec succès à l’acquisition du logement et procède, soit à sa sous-traitance locative, soit à la
vente de la clé obtenue à un tiers. Les prix de clé varient en fonction de la situation du marché. Il s’élèverait souvent
à un million et plus, selon nos informateurs. 49 A. Bopda, Yaoundé dans la construction nationale du Cameroun : territoire urbain et intégration, Thèse de
Doctorat en Géographie, Université de Paris 1-Panthéon Sorbonne, Paris, 1997, p 138. 50 Situer « la logique de classe » entre « positions et dispositions de classes » (dominantes, dominées) et « classes de
positions et de dispositions » (politiques, techniques), permet de sortir de l’opposition à l’absolue de « l’habitus »
comme « système de dispositions » et « le champ » comme « système de positions ». L’analyse de la gouvernance,
que nous opérons, à partir des termes séparés de dispositions et de positions, n’a de valeur que comme « idéal type »
au sens wébérien. La position d’un agent dans le champ dépend des dispositions acquises durablement, et les
dispositions s’acquièrent durablement en fonction des positions dans le champ.
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PDU, pour d’autres, ils sont le fruit des délibérations du Conseil municipal au niveau de la
communauté urbaine »51.
La disposition territoriale à la gouvernance urbaine durable du Lac Municipal est également
fonction des positions et systèmes de positions des agents dans le champ.
B- Le « champ » de la gouvernance urbaine durable du Lac municipal : un système de
position et d’opposition en tension
La gouvernance urbaine durable est un espace structuré de positions et de relations objectives
entre les différentes positions. Notion reprise à la physique quantique pour désigner l’espace de
rayonnement de l’énergie matérielle, les champs désignent selon P. Bourdieu « les sphères de la
vie sociales qui se sont progressivement autonomisées dans la société et constituent autant
d’espaces où les individus sont en concurrence pour le contrôle des positions dominantes »52. Dans
la logique constructiviste structuraliste, les tensions du champ, sont des tensions de capitaux et des
tensions de luttes. Aussi, le champ de la gouvernance urbaine durable est-t-il marqué, en l’espèce,
par une tension de distribution inégale des capitaux (1) et une tension de luttes en vue de la
conservation et la transformation de l’ordre établi (2).
1- Se positionner dans le champ : la tension des capitaux de l’urbanisation durable,
entre structures et distributions
Le champ de la gouvernance urbaine durable du Lac Municipal, est un espace structuré de
capitaux dont la dynamique53 historique d’expansion va, du capital originel écologique, au capital
actuel durable constitué du « capital environnemental, du « capital économique », et du « capital
sociale ». La dynamique des capitaux de développement durable du Lac Municipal est celle de la
tension des capitaux du développement durable entre « capitaux légitimes » de la durabilité,
notamment ceux sus évoqués, et, les « capitaux légitimant » notamment, le « capital politique »,
le « capital scientifique », le « capital culturel », pour ne citer que ceux-là. La dynamique des
capitaux de la durabilité est aussi celle de la tension du fait de leur inégale distribution entre les
51 E. Voundi, C. Tsopbeng et M. Tchindjang, « Restructuration urbaine et recomposition paysagère dans la ville de
Yaoundé », op. cit., p. 11. 52 O. Nay (sous la dir), Lexique de science politique. Vie et institutions, op. cit., p. 55. 53 E. Muhenhover, « De l’environnement au développement durable ? », in C. Fréderic (dir.), Les notices des Relations
Internationales, la documentation française, Paris, 2006.
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agents sociaux, créant de fait un rapport de force entre une classe dominante pourvue en capital,
et une classe dominée dépourvue ou disposant d’un volume de capital inférieure.
Penser la durabilité urbaine en termes de capitaux permet de sortir de la logique romantique
du développement durable comme droit de l’homme de troisième génération. Il s’agit en l’espèce
d’envisager le lac municipal à la fois comme « ce par quoi » et « ce pour quoi » les agents
investissent durablement. Le capital, renvoi à l’ensemble de ressources détenues par les agents
sociaux. Les capitaux s’héritent, s’investissent, et dégagent des bénéfices en fonction des
placements. Par capitaux urbains de la durabilité, nous faisons référence à l’ensemble des capitaux
objets de transaction entre les différents agents de la gouvernance du lac municipal, qu’ils soient
légitimes ou légitimant.
La notion de capital, en termes de structures et de distributions, est cœur de la théorie
constructiviste structuraliste du champ. Selon P. Bourdieu, autant chaque champ est marqué par
un capital spécifique, autant un champ peut être traversé par une pluralité de capitaux54. S’agissant
de la structure des capitaux, et sans prétention à l’exhaustivité, Bourdieu en distingue
plusieurs dont : le « capital politique »55, le « capital symbolique »56, le « capital social », le
« capital économique »57, le « capital scientifique »58, le « capital littéraire »59, le « capital
religieux »60. La distribution inégale des capitaux dans un champ permet de distinguer les agents
dominants des agents dominés. Les agents dominants sont ceux qui sont le plus pourvu en capital,
et les agents dominés sont ceux peu pourvus ou en manque du capital.
A l’observation, la structure des « capitaux légitimes » de l’urbanisation durable se donne à
voir sur le plan du « capital environnemental », à travers « le nettoyage et le faucardage des plantes
54 P. Bonnewitz, « Premières leçons sur la sociologie de Pierre Bourdieu », op. cit. 55 P. Bourdieu, « La représentation politique. Eléments pour une théorie du champ politique », in Actes de la recherche
en sciences sociales, vol. 36-37, février-mars, 1981, pp. 3-24. 56 P. Bourdieu, « Sur le pouvoir symbolique », in Annales Economies, sociétés, civilisations 32e année, n° 3, 1997, pp.
405-411. 57 P. Bourdieu, « Le champ économique », in Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 119, septembre 1997,
pp. 48-66. 58 P. Bourdieu, « Le champ scientifique », in Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 2, n° 2-3, juin 1976, pp.
88-104. 59 P. Bourdieu, « Le champ littéraire », in Actes de la recherche en science sociales, vol. 89, septembre 1991, pp. 3-
46. 60 P. Bourdieu, « Genèse et structures du champ religieux », in Revue française de sociologie, vol. 12-3, 1971, pp.
295-334.
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présentes sur la surface du lac » par la société KOOP et les pêcheurs riverains. Il se donne
également à voir sur le plan du « capital social », à travers le système de relations liés aux « plaisirs
ludiques » au sein du Club Nautique de Yaoundé. Il se donne enfin à voir sur le plan du « capital
économique », à travers les facteurs de production en ce qui concerne « les pécheurs établis de
façon permanente sur [les] berges pour pêcher des tilapias et des silures. En fonction de la saison,
10 à 100 kg de poisson peuvent être pêchés par jours ». En outre la structure des capitaux légitimant
permet de distinguer le « capital culturel » constitué des qualifications intellectuelles produites par
l’école ou transmises par la famille, qui se donne à voir à travers « les compétitions de pêche, de
ski nautique, et des courses de pirogues (…), ainsi que des foires et des expositions de peintures » ;
et, le « capital de sécurité incendie », qui se donne à voir par « le service aux pompiers de la ville
de Yaoundé lors des fréquentes ruptures d’approvisionnement en eau ».
La distribution du capital urbain de la durabilité du lac municipal peut être envisagée sur le
plan spatial et sur le plan temporel. La distribution spatiale du capital permet de distinguer deux
types d’agents : les agents de la durabilité forte pour qui l’impératif de protection de
l’environnement du lac est supérieure à sa rentabilisation économique, et les agents de la durabilité
faible pour qui la rentabilité économique du lac devrait être supérieure à l’impératif de protection
de la ressource en eau. La poire nous semble avoir été coupée en deux, à travers le projet de
valorisation du lac municipal qui fait à la fois de la protection de l’environnement du lac et de sa
rentabilisation à travers l’éco-tourisme, un impératif catégorique de survie du lac pour les
générations futures. L’impact de la distribution des capitaux durable dans la variation des
ressources en eau dans l’espace est fonction selon qu’il s’agit des eaux de surface ou des eaux
souterraines du lac. L’impact de la distribution des capitaux urbain de la durabilité dans la variation
des ressources en eau dans le temps est fonction que l’on soit en situation de crue ou de décrue des
eaux.
Toutefois, l’entretien et le développement des capitaux, supposent des stratégies plus ou moins
conscientes d’accumulation, d’entretien et de reproduction.
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2- S’opposer dans le champ : la tension des luttes sur l’urbanisation durable, entre
stratégie dominante et stratégie dominée
Le champ de la gouvernance urbaine durable du Lac Municipal est espacé de luttes entre agents
inégalement dotés en capitaux pour la conservation ou le renversement de l’ordre établi. C’est un
champ d’opposition marqué par la tension des luttes entre dominants et dominés. La stratégie
dominante est celle de la conservation de l’ordre établi de gouvernance, fondé sur le « noyau
dur »61 des modèles exogènes occidentaux d’urbanisation. L’urbanisation à partir des « modèles
exogènes »62, c’est l’urbanisation à partir de l’Etat et de ses démembrements, qui dans une
perspective fonctionnaliste, crée des violences « colériques et frustratives »63. Ici l’ordre social est
centré sur l’individu, l’ordre économique centré sur l’économie de marché, et, l’ordre
environnemental sur la fondation « judéo-chrétienne »64. La stratégie dominée est celle de l’ordre
à établir, celle du renversement de l’ordre établi de gouvernance occidentalisée, à partir des
« modèles endogènes ». C’est la stratégie du « coup de force » traditionnel de « l’ordre à établir »
à partir de la « case pleine »65 et de l’arbre à palabre. La stratégie d’urbanisation à partir des
modèles endogènes est source de violence instrumentale. Ici l’ordre social est centré sur
« l’Ayon »66 et « le Mvog »67, l’ordre économique est centré sur « la femme comme base de
l’économie »68 et « le mariage comme indice de richesse »69, l’ordre politique est centré sur « la
61 L. Sindjoun, L’Etat ailleurs : entre noyau dur et case vide, Paris, Economica, 2002. 62 J-V. Ntuda Ebodé, « Crise de l’urbanisation et urbanisation de crise. Analyse typologique de la violence des
modèles exogènes », op cit. 63 Idem. 64 Sur les propos de pape Benoit 16 concernant la fondation judéo-chrétienne de l’environnement comme « lieu de
vie de la famille humaine, est une création divine dont l’homme a la responsabilité de protéger quotidiennement pour
ses besoins et ceux des générations futures », lire K. Ruppel, « Introducing Environmental Law », in O. Ruppel et E.
Kam (dir.), Droit et Politique de l’environnement au Cameroun, afin de faire de l’Afrique l’arbre de vie, Presses de
l’UCAC, Yaoundé, 2018. 65 Néologisme tiré d’une manipulation de la métaphore de la « case vide » formulé par L. Sindjoun, pour désigner la
force du pouvoir traditionnel. 66 J. F. Owono, Pauvreté ou paupérisation en Afrique. Une étude exégético-éthique de la pauvreté chez les Béti-Fang
du Cameroun, University of Bamber Press, 2011, p. 64. 67 J. F. Owono, Pauvreté ou paupérisation en Afrique. Une étude exégético-éthique de la pauvreté chez les Béti-Fang
du Cameroun, op. cit., p. 68. 68 Idem, p. 78. 69 Idem, p. 81.
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liberté comme base sociale de la vie »70 et « le Ntobo (…) indice d’une société esclavagiste »71,
l’ordre cosmogonique est centré sur l’ancestralité de « Zamba » et la divinité de « Eyo ».
Toutefois, la logique évaluative du rapport entre violence et urbanisation à partir de la « crise
de l’urbanisation et l’urbanisation de crise » des « modèles exogènes » et « endogènes », contraste
avec la logique compréhensive qui est la nôtre de dire que, si la violence des actions coups de
poings de la police municipale sur les marchés et les sites des destruction des habitations illégales,
peut être une ressource d’urbanisation à travers les slogans tel que « Jack Bauer »72, la politique
de restructuration des quartiers pauvres et spontanés de la ville dans le cadre des travaux
d’embellissement et d’amélioration du cadre de vie des populations, gagnerait à s’inscrire
durablement dans l’alternative de la non-violence.
Le rapport de force entre modèle exogène et modèle endogène de gouvernance urbaine,
s’inscrit dans la théorie bourdieusienne du champ comme espace de luttes. Selon P. Bourdieu,
parce que le champ est un espace de luttes pour la conservation et la transformation du rapport de
force, les agents élaborent des stratégies. Ces stratégies dépendent de la forme et de la structure du
champ ainsi que de la position qu’occupent les agents dans le champ. Les dominants ont parti lié
avec l’état global du champ. Les forces du champ orientent les dominants vers les stratégies qui
ont pour fin de renforcer leur domination. Les dominés peuvent soit attaquer les dominants, soit
éviter le conflit. De manière globale, la stratégie des dominés est de transformer le rapport de force
à leur avantage. Cette transformation peut se faire lors de l’entrée en scène d’un nouveau capital
non maitrisé par les dominants, mais maitrisé par les dominés.
A l’observation du projet de valorisation économique et touristique de Lac Municipal, il se
dégage une volonté d’urbanisation selon le modèle exogène occidental. Il s’agit ici de mettre en
place des structures et commodités qui ressortissent de la modernité occidentale, en l’occurrence,
l’installation d’équipements de sports nautique, la construction d’un hôtel cinq étoiles, de
70 Idem, p. 71. 71 Idem, p. 76. 72 Acteur principal de la série « 24h chrono » s’illustrant par sa bravoure à déjouer les plans de menaces à la sécurité
des Etats-Unis, est devenu le sobriquet de l’ancien délégué de la communauté urbaine de Yaoundé G. Tsimi Evouna,
resté célèbre du fait ses opérations de « casses » des habitations illégales, et de déguerpissement des commerçants sur
les chaussées. La rumeur disait que celui-ci se baladait avec un cercueil dans son véhicule afin de signifier aux victimes
des casses qu’un mort n’a peur de rien.
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restaurants de classe internationale, d’un centre de remise en forme, de boutiques, et d’un espace
de détente et de loisirs. Sur un autre registre, à l’observation des « forets urbaines » que constituent
le bois Sainte Anastasie et les chutes du Mfoundi, constat est fait de la restructuration par la
Communauté Urbaine de Yaoundé, du paysage urbain sur un modèle paysagiste endogène reposant
sur la valorisation des essences forestières locales, en l’espèce l’eucalyptus. D’où la tension entre
modèle exogène et modèle endogène. Il s’agit toutefois d’une tension à l’avantage du premier
modèle, du fait de la culture exotique des espaces verts.
Au demeurant, penser l’urbanisation territoriale de la durabilité du lac municipal à partir de la
construction structuraliste, parce que reposant sur la rationalité structurellement limitée, ne permet
pas de prendre au sérieux l’émancipation à l’égard des structures, et donc : la rationalité des
acteurs. D’où l’intérêt, pour une intelligence complète de la dynamique constructiviste, de prendre
au sérieux la rationalité des « représentations actancielles » qui se donne à voir dans le cadre de la
construction sociale.
II- PARTICIPER A L’URBANISATION DURABLE DU LAC MUNICIPAL : UNE
TECHNIQUE DE CONSTRUCTION SOCIALE DE LA GOUVERNANCE
« BOTTOM-UP ».
L’urbanisation durable du lac municipale est socialement construite, à travers les
représentations identitaires des différents acteurs qui participent la gouvernance. Les constructions
« sociale de la réalité » et « de la réalité sociale », si elles admettent une double construction
objective et subjective, se distinguent des constructions structuralistes de P. Bourdieu, en ceci
qu’elles mettent l’emphase sur le poids des représentations intersubjectives, à travers
principalement d’identité comme facteur de conduite sociale. La logique participative permet ainsi
de substituer la gouvernance technique, celle de l’expertise « des petites gens » à la gouvernance
programmatique, celle des structures de l’Etat décentralisé. Dans son acception technique, la
gouvernance « accorde une pertinence particulière aux acteurs non étatique ; analyse différents
niveaux spatiaux et fonctionnels de la politique ainsi que de leurs interactions ; se penche sur les
nouveaux modes et mécanismes de production et de maintenance des biens publics (…) ; souligne,
enfin, la mise en place de nouvelles sphères fonctionnelles d’autorité, en dehors de l’Etat-nation
et de la coopération (…) ». Aussi, la construction par les représentations sociales des acteurs est à
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la fois, en l’espèce, une « construction sociale de la réalité » (A) et « une construction de la réalité
sociale » (B).
A- La « construction de la réalité sociale » de gouvernance : une modalité routinière de
participation des identités urbaines
La participation comme modalité territoriale de construction de la réalité sociale d’urbanisation
durable du Lac Municipal, repose sur le poids des représentations identitaires urbaines : la
participation renvoyant à « l’intervention des citoyens dans les affaires de la cité »73, et l’identité,
à « une catégorie sociale définie par des règles d’appartenance et par certaines caractéristiques
qu’il s’agisse d’attributs ou de comportements probable »74. La participation par les
représentations identitaires urbaines, en l’espèce, oscille entre patrimoine identitaire commun (1),
et pluralité de trajectoires identitaires (2).
1- « Etre comme l’autre » à participer à la durabilité urbaine : le patrimoine identitaire
commun, entre identité compacte et identité relâchée
La participation des identités urbaine est cœur de la dynamique de construction de la réalité
sociale de gouvernance du Lac Municipal de Yaoundé à partir du bas. Les « codes de la mêmeté »75
des identités urbaines permettent de distinguer dans le patrimoine identitaire commun urbain, ce
que le L. Sindjoun76 appelle « l’identité compacte » et « l’identité relâchée ». Dans le cadre de la
constitution du 16 janvier 1996, « l’identité nationale compacte » s’entend à partir de : l’hymne
nationale, la devise, les armoiries et le drapeau national entre autres ; tandis que « l’identité
relâchée » se comprend en référence au notions « d’autochtones » et « d’allogènes ». Sur la base
de l’histoire politique et constitutionnelle du Cameroun, il est possible d’envisager une dynamique
compacte de l’identité urbaine, entre identité unitaire réunifiée (1972-1984) et l’identité unitaire
décentralisée (1996-2021), tout comme il est également possible d’envisager une dynamique de
73 O. Nay (dir), Lexique de science politique. Vie et institutions, op cit., p. 384. 74 D. Alcaud L. Bouvet, J-G. Contamin, X. Crettiez, S. Stéphanie, M. Rouyer, Dictionnaire de sciences politiques,
Paris, Sirey, 2 eme édition, 2010, p. 284. 75 Etat de ce qui est « même », par opposition à ce qui « est différent ». R. Kastoryano (dir), Les codes de la différence.
Race, origine religion. France, Allemagne Etats-Unis, Presses de Sciences Po, 2005. 76 L. Sindjoun, « Identité nationale et révision constitutionnelle du 18 janvier 1996 : comment constitutionnalise-t-on
le nous au Cameroun dans l’Etat post-unitaire ? », Polis, vol. 1, numéro spécial, 1996, pp. 43-46.
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relâchement de l’identité urbaine, entre identités fédérales et fédérés (1961-1972), et identités
allogènes et autochtones (1996-2021).
La notion de participation identitaire dans la construction de la réalité sociale de la
gouvernance, intègre parfaitement la théorie constructiviste de J Searle, en ceci qu’elle permet de
distinguer le « fait brut », notamment, le Lac Municipal, du « fait institutionnel » construit,
notamment la gouvernance urbaine durable dans son articulation « bottom-up », c’est-à-dire à
partir des acteurs sociaux d’en bas, que constituent les identités urbaines.
A l’observation de la dynamique urbaine des peuples, trois types de peuples s’illustrent de par
leur style de vie sociale autour du Lac Municipal. Le premier peuple est celui de la forêt, dont le
style de vie tourne autour du règne forestier en termes de chasse, de cueillette et d’activités
agricoles. Il s’agit pour l’essentiel des peuples bantous, dans leur variante béti, et qui constituent
le peuple majoritaire dans l’occupation spatiale du territoire du lac, au soir et au matin de
l’urbanisation coloniale de la ville de Yaoundé. Le second peuple est celui des zones arides
septentrionales. Il s’agit pour l’essentiel des peuples soudano-sahélien, dont le style de vie sociale
tourne autour de la quête effrénée des points de ressources en eau, pour l’usage domestique et
l’activité agro-pastorale. Le troisième peuple, communément appelé le peuple des eaux, est
originaire du Wouri et le long de la bande littorale sud du Cameroun. Ici le style de vie sociale
tourne auteur des eaux, à travers les rites et cultes en l’honneur des esprits des eaux. Le festival du
Ngondo, regroupant les tributs Sawa en est une parfaite illustration. Ce peuple se compose d’un
ensemble de groupe qu’on pourrait ranger sous les labels : « les Duala », « les Batanga », etc.
Cette mosaïque des peuples urbains de Yaoundé, peut, selon la constitution du 18 janvier 1996,
se classer en deux ensembles identitaires nationaux : les « autochtones » et les « allogènes ». Les
peuples de la forêt d’Ongola constituent l’essentiel des peuples dits autochtones, tandis que, les
peuples des eaux et des zones arides, en constituent l’essentiel des peuples dits allogènes. L’on
serait tenté de croire que l’autochtonie majoritaire des peuples des eaux et des zones arides auraient
certainement permis au Lac Municipal, une destinée plus heureuse dans l’organisation sociale
urbaine de la ville de Yaoundé. Force-nous est cependant de constater que l’autochtonie
majoritaires des peuples de la forêt semble dominante dans la structuration des représentations
identitaires urbaines du Lac Municipal, du fait de son absence dans l’agenda culturel urbain de
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Yaoundé. On se serait au moins attendu à ce que l’un des moments de magnification de la culture
urbaine de Yaoundé, baptisé « festival Yafé »77, ait pu s’appeler « festival du lac Municipal »,
d’autant plus que les premières éditions de Yafé se déroulaient sur le boulevard du 20 mai, situé à
quelques encablures du lac. Cette destinée urbaine heureuse aurait peut-être permis l’émergence
d’une mobilisation collective en vue de l’inscription du Lac Municipal dans le patrimoine culturel
national que nous appelons de tous nos vœux.
Toutefois « être identique » autour du Lac Municipal de Yaoundé n’est pas seulement « être
comme » l’autre, c’est aussi et surtout « être différents de » l’autre.
2- « Etre différent de l’autre » à participer à la durabilité urbaine : les trajectoires
identitaires de la « rurbanisation » ou « villégialisation »
La participation identitaire comme modalité de construction sociale de la réalité de
gouvernance, se fait aussi à partir des « codes de la différence », des trajectoires identitaires de « la
rurbanisation ou ville éparpillée »78 selon G. Bauer et J.M. Roux. « Être différent de l’autre »,
« être différent des autres » est une modalité de participation identitaire au jeu de la gouvernance
urbaine du lac, dans les parties de l’inscription sur l’agenda et l’exécution des agendas urbains. Il
s’agit ici de la dimension sociale du développement durable à partir des communauté identitaires,
comme semble le souligner A. Bopda « l’intégration métropolitaine africaine est soit le fait
d’appartenir à une communauté nouvelle, distincte et pas nécessairement indépendante des
communautés qu’on a quitté, soit l’évolution vers cette nouvelle appartenance (…) le villageois
venu du pays rural lointain passe par la ville et revient au village proche pour devenir vraiment
citadin (…) en y suscitant la trans formation du village qui l’accueille en ville »79. Être en ville
c’est aussi d’une certaine manière porter et transporter son village en ville, ses habitudes et ses
modes de vies.
L’enquête réalisée par A. Bopda dans la cadre de sa thèse de Doctorat sur la thématique de
« Yaoundé dans la construction nationale : », fait état d’un coefficient d’omniprésence des
77 La dénomination du festival urbain annuel de Yaoundé en « Yafé », dérivant de la jonction de termes « Yaoundé »
« en » « fête », est en réalité, une réappropriation de l’expression béti « Ya’a feu », qui signifie « comment ? » en
Ewondo, comme l’atteste l’intonation de prononciation de l’expression par son créateur G. Tsimi Evouna, par ailleurs
ancien Délégué de la communauté urbaine de Yaoundé, et initiateur dudit festival. 78 G. Bauer, J.M. Roux, La rurbanisation ou la ville éparpillée, Paris, Seuil, 1976. 79 A. Bopda, Yaoundé dans la construction nationale du Cameroun : territoire urbain et intégration, op. cit., p. 120.
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communautés dans la ville de Yaoundé : seuls les autochtones disposent d’un coefficient de 80% ;
celui des Bamiléké, des Douala, des Maka, des Mbo, des Kribiens, est compris entre 50% et 80% ;
celui des Eton, des Bassa, des Boulou, des Bafia, est compris entre 30% et 49% ; celui des Ewondo,
des Haoussa, des sénégalais, des Baya, des Bamoun, est compris entre 20% et 29% ; celui des
Tchadiens, des Nigérians et des Foulbé est inférieure à 20%.
La même enquête, portant sur le rôle de l’origine géographique dans la représentation du
territoire urbain, fait état d’une disposition des communautés selon les quartiers : entre 83% et
87% des interviewés estiment que les quartiers Briqueterie et Ntougou sont des quartiers
« Nordistes » ; 73% estiment que le quartier Etoa-Meki est un quartier des Bassa et des gens du
Littoral ; 58% estiment que le quartier Messa et 79% estiment que le quartier Madagascar sont des
quartiers Bamiléké. Selon l’auteur, « presqu’au même degré qu’à Mokolo, les Eton sont aussi
localisé à Mvolyé, les Ewondo à Nkolndongo, les Haoussa et les Nordistes à la Briqueterie, les
Anglophones à Biyemassi et les Bassa à Essos ».
Sur la base de ces chiffres, il est possible d’envisager une « rurbanisation » du Lac Municipal
à partir des communautés résidents les quartiers situé sur le bassin versant la Mingoa et des
quartiers en amont traversés par les deux fluents de la rivière Mingoa: il s’agit ainsi des quartiers
Messa-Mezala et camp sic Messa, des quartiers Melen 1, 3, 4 et 5, des quartiers Elig-Effa 1, 2, 3,
4, 5, 6, et 7, et, du Quartier du lac. Si globalement, dans les quartiers de Yaoundé « l’autochtone »
est perçu comme un « paresseux », un « fainéant, tandis que « l’allogène » ou « nouveau venu »
est perçu comme un « envahisseur », la dynamique des rapports entre communauté est conviviale.
Parlant des rapports entre communauté dans le quartier de Melen, un informateur s’exprime en ces
termes :
« Le soir il y’a de l’ambiance (…) il y’a des petites « mininga » de toutes les sortes. Si tu as froid
(…) certaines ont le « tobassi » (…) si elles t’aiment elles te charment et tu ne peux plus partir
(…) [les gens de Melen] viennent de partout : Bamileke, Bassa, Ewondo, Bafia, Béti (…) les
Bamiléké vous font du porc (…) les femmes Bamenda vous font un bon « Achu » (…) les filles
douala font un « ndole » magique (…) »80.
80 A. Bopda, Yaoundé dans la construction nationale du Cameroun : territoire urbain et intégration, op. cit., p. 23.
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Si telle est la construction de la réalité sociale de gouvernance à partir du patrimoine identitaire
commun et des trajectoires identitaires de la rurbanisation « d’en bas », qu’en est-il de la
construction sociale de la gouvernance urbaine durable à partir du bas ?
B- La « construction sociale de la réalité » de gouvernance : une modalité conjoncturelle
de participation des civilisations urbaines
La construction sociale de la réalité est celles des représentations, à travers les mythes et
légendes sur le Lac Municipal, et de l’émergence d’une citoyenneté durable.
1- Les traditions urbaines : le poids des mythes et légendes sur le lac
L’idée force de notre discussion ici est que les traditions urbaines, à travers les mythes et
légendes, contribuent à la construction sociale de la gouvernance par « le bas » de l’urbanisation
durable du Lac Municipal de Yaoundé. L’idée féconde du poids des mythes et légendes urbaines
sur le Lac municipal permet d’explorer « les fondements anthropologiques »81 de la gouvernance
telle qu’indiqué par G. Pinson, comme un domaine en « friche » que les travaux sur la gouvernance
ont jusqu’à l’heure éludé. Toutefois, l’analyse de la gouvernance à partir des mythes et légendes,
n’est pas forcément innovante et innovatrice au Cameroun. L’analyse de la gouvernance à partir
de la « totémisation du pouvoir »82 et des « mythes fondateurs »83, constitue un axe
d’argumentation de P. C. Belomo Essono, sur la « Sécurité et ordre politique au Cameroun : entre
dynamiques internes et connexions internationales ». Ceci dit, la plus-value heuristique de la
présente entreprise, réside forcément, sur le niveau d’échelle territorial de l’urbanisation, et le
secteur concerné, notamment, le secteur du développement durable du Lac Municipal de Yaoundé.
L’idée du poids des mythes et légendes s’inscrit dans le cadre de la construction sociale de
la réalité théorisée par P. Berger et T. Luckmann. Selon les auteurs, la construction sociale de la
réalité se fait par un double mouvement de cristallisation dans les institutions, et de vécu dans
l’inter subjectivité des acteurs sociaux. On pourrait dire en l’espèce, pour reprendre les auteurs,
81 Pinson Gilles, « Gouvernance et sociologie de l'action organisée. Action publique, coordination et théorie de
l’Etat », op. cit. 82 P. C. Belomo Essono, « Sécurité et ordre politique au Cameroun : entre dynamiques internes et connexions
internationales », Revue africaine des relations internationales, vol. 12, N° 1 et 2, 2009, p. 47. 83 P. C. Belomo Essono, « Sécurité et ordre politique au Cameroun : entre dynamiques internes et connexions
internationales », op. cit, p. 45.
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que la construction sociale de la réalité territoriale de la gouvernance bottom-up, se fait par
cristallisation de la durabilité du lac dans les traditions urbaines à travers les mythes et légendes.
A l’observation, la composition sociologique de la population urbaine de Yaoundé révèle une
mosaïque de peuples dits « autochtones », tel que dit plus haut, au rang desquels on peut citer : les
Mvog Mbi, les Mvog Atangana Mballa, les Mvog-Betsi, les Mvog Atemgue, les Mvog Ada, les
Mvog-Manzé, les Mvog Belinga, les Mvog Fouda, les Mvog Effa, les Baaba, les Emombo, les
Yanda, les Ndong, les Etoudi. Le groupe Mvog Atemengue est celui qui a durablement occupé le
site abritant le lac municipal. Sans être des peuples des eaux à l’instar des peuples Sawa et assimilés
qui se mettent en scène à travers le festival du Ngondo, les peuples de la foret d’Ongola84 ont un
rapport anthropologique à l’eau à travers leurs divinités85 des eaux, leurs légendes86 des eaux
basées sur la traversée de la Sanaga à dos d’un serpent, et leurs rites et rituels d’initiations où
l’élément eau tient une place de choix lors du bain initiatique. Sur la base de l’origine africaine de
la gouvernance à travers l’arbre à palabre en Afrique de l’ouest, l’on peut se risquer à émettre
l’hypothèse d’une gouvernance historique des eaux du Lac d’Ongola à partir de la « case » du chef
supérieur des Ewondo, en tant qu’institution territorialement compétente en matière de
commandement traditionnel des eaux et de règlement des différends portant sur les conflits
d’utilisation des eaux entre riverains du lac.
84 Nom originel de la ville de Yaoundé signifiant « clôture », et qui selon une première tradition orale viendrait de la
clôture en tige de bam bou, bâtie par les soldats Allemands Kund et Tappenbeck autour de leur camp militaire, situé
sur la colline habité par le notable Ewondo Essono Ela. Selon la deuxième tradition orale, « Ongola » viendrait de la
clôture ou piège « mi- physique, mi- mystique » de capture d’éléphants, construite au niveau de l’emplacement actuel
du rond-point de la BEAC, qui était alors un passage obligé des troupeaux d’éléphants. « Ongolo-Ewondo » faisant
donc référence à cette clôture, ce piège des Ewondo. Cf. A. Bopda, Yaoundé dans la construction nationale du
Cameroun : territoire urbain et intégration, op. cit, p. 23. 85 La théogonie des peuples Beti n’attache pas la souveraineté spécifique des eaux à une divinité particulière. Le nom
Zamba, qui vient de « Za ambe » signifiant « qui était là ? », et le nom Ntondobe qui signifie « soutien de la marmite »,
sont quelques noms exotériques du divin dans la mythologie Béti. Le nom ésotérique de Dieu est « Eyo » qui signifie
« celui qui vomit toutes chose ». Celui-ci après avoir créé le monde et ce qu’il renferme, s’est retiré et « n’intervient
jamais dans les affaires des hommes », bien qu’il « soit présent en toute chose ». Cf. J. F. Owono, Pauvreté ou
paupérisation en Afrique. Une étude exégético-éthique de la pauvreté chez les Béti-Fang du Cameroun, University of
Bamber Press, 2011. 86 Le mythe de la traversée de « Yom », raconte l’histoire de la traversé de la Sanaga par les Béti sur le dos d’un
serpent. Au cours de la traversée, un des voyageurs planta sa lance par accident sur le serpent, qui se retourna et la
traversée fut interrompue. Ceux qui réussirent à traverser, trouvèrent habitant sur le site qui devait devenir plus tard
« Ongolo-Ewondo », un conglomérat de peuples constitués des Maka, des pygmées et des Bassa. Ceux qui ne purent
traverser et restèrent sur l’autre rive sont désigné comme les « Ossananga ». Cf. J. F. Owono, Pauvreté ou
paupérisation en Afrique. Une étude exégético-éthique de la pauvreté chez les Béti-Fang du Cameroun, op. cit.
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Cependant, la tradition urbaine du lac municipal n’est pas qu’une tradition coutumière, elle est
aussi et surtout une tradition républicaine à travers le transfert de compétence, de la chefferie
supérieure aux colons d’abord, puis à l’Etat ensuite, et, du transfert de compétence de l’Etat aux
collectivités territoriales décentralisées, en l’espèce, à la Communauté Urbaine de Yaoundé. De
2002 à 2010, l’activité de la communauté en matière de protection de l’environnement du lac a
consisté : à la signature d’un contrat de désherbage entre la CUY et les pêcheurs, à la signature
d’un contrat de faucardage et de curage entre la CUY et la société Koop, à l’interdiction de la
pêche sur le Lac municipal. L’anthropologie politique du pouvoir permet aussi de relever le lien
entre « le pouvoir de Yaoundé » et le lac municipal à travers la dispositions spatiales des édifices
principaux des organes de pouvoir que sont l’exécutif, le législatif et le judiciaire, à proximité du
lac municipal.
On pourrait, sur la base de la fonctionnalité unificatrice de l’élément eau dans les cosmogonies
occidentales et africaines, creuser le lien entre la proximité du palais présidentiel d’avec le lac puis
sa délocalisation à Etoudi, et, l’évolution politique du Cameroun : ceci en mettant en lumière le
fait que la proximité du lac municipal au palais présidentiel semble avoir été propice à l’impulsion
présidentielle d’une unification nationale sur le modèle de « l’un » entre francophone et
anglophone, et l’éloignement du palais par rapport au lac a été propice à l’impulsion présidentielle
d’une identité nationale sur le modèle du « multiple » entre les différentes compositions sociales,
notamment, autochtones et allogènes selon la constitution du 16 janvier 1996.
La proximité de l’Etat d’avec le lac n’est pas qu’une proximité des pouvoirs87 constitués et
constituants, c’est aussi une proximité des grandes administrations ministérielles de l’Etat et le
quartier général en tant principal laboratoire de la stratégie de défense du Cameroun. La proximité
de l’ENAM88 ou « école du lac » n’est du reste pas anodine. C’est l’Ecole qui forme les hauts
cadres de la république dans le domaine de l’Administration et la magistrature. On pourrait ici
s’accorder la liberté d’invoquer les propos de l’ancien Directeur Général89 dans le cadre d’une
87 Il s’agissait, en l’espèce, du palais présidentiel (symbolisant le pouvoir exécutif), de l’Assemblée Nationale
(symbolisant le pouvoir législatif), et du Ministère de la Justice (symbolisant le Pouvoir judiciaire). Tous ces pouvoirs
étaient disposés autour du lac. En dehors du palais présidentiel qui a été reconstruit à Etoudi, tous les autres pouvoirs
semblent conserver leur position initiale. 88 Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature. 89 L. T. Mendjana.
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interview accordée à la chaine de télévision Canal 2, sur la question de l’opportunité d’une
délocalisation de l’ENAM du fait de l’exiguïté du site abritant les locaux. Le Directeur Général
faisait alors remarquer au journaliste que l’hypothèse que les « anciens » aient enterré quelques
objets de pouvoir sur le site ne serait pas à balayer d’un revers de la main. D’où la justification du
maintien de l’école sur le site du lac.
La construction de la réalité sociale du lac à travers les mythes et légendes sur le lac n’est pas
qu’une construction par cristallisation de la réalité sur les institutions, elle est également vécue à
travers l’émergence et la consolidation d’une citoyenneté urbaine sur les eaux du lac municipal.
2- La citoyenneté urbaine des « gens de Yaoundé » : entre éco-citoyenneté et citoyenneté
durable cosmopolite
L’idée force de notre discussion ici est que la citoyenneté urbaine est une modalité inter
subjective de construction sociale de la gouvernance durable des eaux du lac Municipal. La
citoyenneté fait référence à l’ensemble des droits et des devoirs des citoyens qui, en tant que
membre de la communauté politique, sont habilité à participer aux affaires publiques. En tant que
telle, la citoyenneté suppose l’allégeance à une communauté politique nationale. Dans le contexte
camerounais la citoyenneté environnementale ou écocitoyenneté est encadré par le préambule de
la constitution du 18 janvier 1996, qui dispose que « Toute personne a droit à un environnement
sain. La protection de l’environnement est un devoir pour tous. L’Etat veille à la défense et à la
promotion de l’environnement » : telle est, sur le plan national, le fondement juridique de la
citoyenneté environnementale ou écocitoyenneté, entendue, selon L. Sauvé, comme « une
citoyenneté critique, compétente, capable et désireuse de participer aux débats publics, à la
recherche des solutions et à l’innovation écosociale »90.
Toutefois la citoyenneté n’est pas que nationale, en ceci que dans son évolution, la notion
intègre aujourd’hui désormais et de plus en plus, l’allégeance à des ensembles politiques supra
nationaux et infra nationaux. La citoyenneté urbaine fait référence à l’allégeance aux ensembles
infra nationaux, en l’espèce, l’allégeance aux communes et communauté urbaines. Selon A.
90 L. Sauvé, « Au cœur des questions socio-écologiques : des savoirs à construire, des compétences à développer »,
Education relative à l’environnement, n° volume 11, 2014, p. 21, https://dx.doi.org/10.4000/ere662 (consulté le 11
mai 2020).
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Bopda, « l’appropriation de la ville ou du pays, l’appropriation du statut de citoyen de la ville ou
du citoyen du pays devient tout simplement la recherche du droit de participer à une aventure.
Aventure de construction de la ville par la construction dans la ville, du côté physique, aventure
de la participation à l’invention d’une communauté de cité dans une communauté de nation, du
côté mental ». C’est dire toute la dimension intersubjective de la citoyenneté urbaine, qui intègre
parfaitement la théorie de la construction sociale de la réalité sociale, à partir du vécu des acteurs
sociaux.
Deux faits permettent de d’illustrer l’actualité récente de la citoyenneté d’honneur au
Cameroun, citoyenneté entendu comme une distinction honorifique qu’une municipalité ou un Etat
confère à un individu, pour service rendu, ou pour honorer son mérite pour la défense d’une cause.
Le 21 décembre 2020, après un don aux enfants orphelins et démunis de l’arrondissement de
Yaoundé 6, le footballeur S. Eto’o Fils est fait citoyen d’honneur de la commune urbaine
d’arrondissement de Yaoundé 6. Autre lieu et autre date, mais même événement, le 21 janvier
2021 à la Communauté Urbaine de Douala, le footballeur L. Thuram est fait citoyen d’honneur de
la ville de Douala, au cours d’une cérémonie solennelle qui a vu la participation des chefs Sawa,
cérémonie au cours de laquelle lui seront remises symboliquement les clés de la ville de Douala.
Si l’on peut comprendre l’octroi des dites distinctions à S. Eto’o Fils et à L. Thuram, sur la
base de leur action humanitaire en faveur des cadets sociaux pour l’un, et pour l’autre, de son
militantisme dans la défense de la « cause des noirs », l’on serait tenté tout de même de se poser
la question de la sélectivité d’une telle entreprise de distinction eu égard à l’implication
« héroïque » de deux citoyens de la ville de Yaoundé dans la cause du développement durable du
Lac Municipal de Yaoundé. Il s’agit en l’occurrence, de G. Kyriakidès, qu’on peut considérer
comme le père géniteur du Lac Municipal de Yaoundé, en ceci que c’est à lui que nous devons le
chantier de retenue d’eau de la rivière Mingoa en vue de réaliser un lac au centre-ville de Yaoundé,
comme l’attestent ses propos :
« (…) Je descendais de Mvo-Ada, après une nuit pluvieuse, pour aller acheter du cacao au
comptoir de vente du Mfoundi. Il était six heures du matin. J’aperçue du haut de la colline la vallée
inondée de Djoungolo (…). Ce spectacle exceptionnel me donna l’idée de faire d’un lac, cette
vallée si bien encaissée. Après quelques échanges les jours et les mois suivants sur le sujet avec
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des amis, je fis face aux réticences, et fut obliger d’y renoncer pendant un temps (…). Le 14 juillet
51, je repris contact avec les autorités françaises qui gouvernaient la ville et le pays à l’époque,
et leur fit par de ma proposition d’emménager un lac. Cette fois, l’idée rencontra un intérêt
favorable. Plusieurs sites possibles furent passés en revue sans succès et la vallée de Djoungolo
essuya également un refus. Mais le site actuel du lac, fut favorablement accueilli par les autorités,
y compris M Christol, maire de la ville de Yaoundé à l’époque. Ce site situé derrière l’ancien
palais et contiguë au quartier administratif devait en effet contribuer significativement à
l’embellissement de la ville. L’accord me fut donné, dès le 15 juillet, de m’atteler à ce projet, mais
sans aucun apport. Je décidais néanmoins de relever le défi (…). Je mobilisais autour du site
toutes les populations volontaires (…) auxquelles l’administration accepta d’adjoindre chaque
fois à la demande des prisonniers nourris et entretenu par moi. Tous les travaux furent effectués
manuellement entre juillet 1951 et septembre 1952, avec des moyens rudimentaires (…), et tous
les efforts financiers furent supportés par ma famille. Le 15 septembre 1952, la construction du
barrage de retenue sur le cours de la Mingoa fut achevé et la mise en eau commença (…) ».91
Il s’agit ensuite du Président P. Biya, qu’on peut considérer comme le sauveur du Lac
Municipal à partir de la conception du projet de valorisation touristique du Lac Municipal de
Yaoundé, sa quête effréné de financement pour la réalisation dudit projet par la signature de
nombreux décrets, aux rangs desquels, on peut citer : les décrets du 02 février 2015, habilitant le
ministre de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire, à signer avec la
Deutsche Bank A.G. London Branch « un accord de prêt », et la Deutsche Bank S.A.E. « un accord
de prêt complémentaire », en vue du financement du projet de valorisation touristique et
économique du Lac Municipal de Yaoundé.
Protection de l’environnement du Lac municipal, engagé par G. Kyriakidès, et, efficacité
économique renforcée par P. Biya, constituent à n’en pas douter des actions citoyennes en vue de
satisfaire les besoins en eau des générations présentes, sans compromettre la capacité des
générations futures à satisfaire les leurs, selon la conception du développement durable à partir du
Rapport Brundtland. Toute chose contribuant à soutenir l’idée de la construction sociale de la
91 Propos de G. Kyriakidès, cités par M. Naah, Impact du développement urbain du bassin versant de la rivière Mingoa
sur le Lac municipal de Yaoundé (Cameroun), op. cit, pp. 65-66.
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gouvernance urbaine durable du Lac Municipal de Yaoundé à partir des représentations des
acteurs.
En somme, la genèse et la dynamique territoriale de la gouvernance urbaine durable du Lac
Municipal, structuralement et socialement constituée, qui se forme et se transforme à partir du lien
entre urbanisation territoriale et développement durable, semble contredire la théorie de « la
gouvernance durable de l’eau »92, selon laquelle « la gouvernance de l’eau peut être qualifiée de
durable lorsqu’elle soutient ou assure la promotion du développement durable dans le domaine de
l’eau »93, à partir des caractéristiques suivantes :
• La promotion de l’intégration à travers la coordination entre les secteurs concernés, la
coordination verticale entre les différents niveaux de pouvoirs, la coordination horizontale
dans les zones selon l’échelle géographique appropriée ;
• La garantie de clarté du bon fonctionnement des processus à travers l’efficacité
fonctionnelle des institutions et procédures, la clarté de l’attribution des droits et devoirs,
l’efficacité des mécanismes de résolution des conflits ;
• La promotion de la participation à travers l’intégration des acteurs concernés, la
transparence des processus, la possibilité de participation suffisante ;
• Le maintien de la capacité d’adaptation à travers l’accès aux ressources, à la technologie
et au savoir, la flexibilité et la solidité des structures institutionnelles, la capacité
d’apprentissage, de coopération et d’interconnexion.
La présente étude, sur la base des faits observés et observables, se veut une contribution
sociologique aux fondements « positionnels » et « dispositionnels » de la gouvernance urbaine
durable du Lac Municipal de Yaoundé, à travers les notions de « champ » et d’« habitus » qui en
indiquent la dimension « top-down » structuralement construite. Elle se veut également, un essai
sur les fondements anthropologiques de la gouvernance urbaine durable du Lac Municipal, à
travers les notions d’identité et de représentations, qui en constituent la dimension « bottom-up »
92 F. Schmid, F. Walter, F. Schneider, S. Rist, La gouvernance durable de l’eau : enjeux et voies pour l’avenir,
Synthèse thématique n° 4 dans le cadre du Programme national de recherche PNR 61 « Gestion durable de l’eau »,
Berne, 2014. 93 F. Schmid, F. Walter, F. Schneider, S. Rist, La gouvernance durable de l’eau : enjeux et voies pour l’avenir, op.
cit, p. 24.
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socialement construite. Somme toute, il s’agit d’une construction qui admet un matériau
objectivable inscrit dans les « choses », et un matériau intersubjectif inscrit dans les « les têtes et
les cœurs ». C’est aussi une construction qui admet une pluralité de « bâtisseurs » territoriaux
souverains et sans souveraineté, constitués d’acteur sociaux rationnels et d’agences structurelles
dotées de rationalité limitée.
La gouvernance territoriale n’étant toutefois pas une tour de Babel vivant en autarcie94, son
« rapport au monde » de la gouvernance centralisée, semble la confiner au rôle d’agence
d’exécution de celle-ci, dans le cadre du projet de revalorisation touristique et économique du Lac
Municipal. Ici, la dimension « héroïque présidentielle »95, se teste et s’atteste de la quête effrénée
de financement pour la réalisation du dit projet. Il s’agit d’un projet « si cher au Président de la
République », comme en témoigne C. Keutcha Courtez, alors ministre de l’urbanisme, de l’habitat
et du développement urbain, et par ailleurs présidente du comité de pilotage du projet, lors de la
réunion de coordination du projet, le 06 juillet 2021 à Yaoundé. Si l’on accorde, un temps soit peu
de crédit, aux rumeurs inscrivant le projet de valorisation touristique et économique du lac dans la
dynamique des travaux préparatoires en vue de la tenue de la CAN96 en 2022, dans un contexte
des « signes du temps » d’une probable transition politique au sommet de l’Etat, l’on serait tenté
de « donner le Christ sans confession » aux thèses du « coup d’Etat scientifique », ardemment
défendu par P. Messanga Nyamding, en prédisant au projet de valorisation touristique et
économique de Lac Municipal, un à venir « d’éléphants blancs »97.
Au final, assigner à la réflexion sur la gouvernance, et partant sur la gouvernance urbaine
durable du Lac Municipal, la destinée du trafic « d’import-export institutionnels » des modèles
exogènes, au-delà de raviver le sentiment intérieur de « quête du prince charmant » top-down et
de « la belle au bois dormant » bottom-up, suggèrerait une attention plus soutenue aux mille et une
vies de l’origine africaine de la gouvernance. D’où la question de la gouvernance « ailleurs ».
94 Selon P. Le Galès, « l’une des dimensions de la complexité du social renvoi justement à l’impossibilité d’établir des
frontières nettes entre secteurs, territoires, réseaux », P. Le Galès, « Régulation, gouvernance et territoire », in B.
Jobert, J. Commaille (dir), Les métamorphoses de la régulation politique, op. cit, p. 10. 95 La dimension héroïque ou charismatique, selon M. Weber, fait référence « à la vertu héroïque ou à la valeur
exemplaire d’une personne », M. Weber, Economie et société, Plon, « Presses Pocket », Paris, 1921, p. 289. 96 Coupe d’Afrique des Nations. 97 Terme servant à désigner les grands projets non réalisé sous le régime du Président de la République A. Ahidjo.
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La résistance du terrorisme de Boko Haram sur les iles frontalières
du lac Tchad
Par :
Gabriel VAHINDI
Doctorant en Science Politique
Université de Ngaoundéré (Ngaoundéré)
Résumé :
Le bassin du lac Tchad est plongé dans la violence du terrorisme islamique de Boko Haram
depuis presque une décennie. En dépit, des efforts consentis par les Etats de la région pour
éradiquer ce phénomène, la zone lacustre transfrontalière reste encore sous l’emprise de cette
violence. La faible présence des Etats et l’amenuisement des ressources naturelles favorisées par
la dégradation de l’environnement ayant appauvrie les populations a rendu celles-ci vulnérables
et malléables pour la secte islamiste. Et les ressentiments qu’éprouvent les communautés
insulaires envers l’Etat ont aggravé cette criminalité transfrontalière. Les Etats sont aujourd’hui
dans une urgence de redressement de la situation socioéconomique et sécuritaire de la région qui
tarde à avoir ses effets immédiats sur les îles frontalières.
Mots clés : Secte, Boko Haram, terrorisme, Lac, Frontière, Lacustre
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Introduction
Depuis quelques années l’on remarque que les effets du changement climatique ont
provoqué la sècheresse et baissé énormément le niveau des eaux du lac Tchad, « bien public
régional1 » voire mondial. Cette situation constitue une véritable épreuve pour les populations
riveraines et insulaires. La diminution des eaux du lac suite avec la sècheresse consécutive avait
donné lieu à une « pénurie » des ressources halieutiques, mais aussi à une dégradation des sols
cultivables ayant pour conséquence la faible production agricole. Cette calamité naturelle est
visible dans l’espace palustre et lacustre du lac Tchad. Et ce problème climatique qui a des
répercussions sur les conditions de vie des populations attisent les conflits entre les pratiquants des
diverses activités (pêcheurs, éleveurs, agriculteurs). La concurrence autour des ressources
naturelles du lac avait renforcé les prétentions de « privatisation » de ce bien public mondial par
certains Etats membres de la CBLT comme le Tchad. Les antagonismes interétatiques ont été
enregistrés çà et là pour l’accès et la gestion des ressources naturelles, mais sans avoir trop
d’impact sur la stature de l’institution. Si à la création de la CBLT, les acteurs étatiques de la région
avaient pour défis cardinaux les problèmes environnementaux, ces dernières décennies ils sont
confrontés à des nouvelles menaces. De plus, la zone lacustre transfrontalière est soumise à une
dynamique d’insécurité liée à la piraterie fluviale, au trafic des armes, de la drogue, à la criminalité
transfrontalière et aux conflits politico-militaires. Ceci est la manifestation de la fragilité des
acteurs de la CBLT dans ces « périphéries nationales2 » isolés. Et le délabrement progressif du
climat sociopolitique dû aux anciennes crises sécuritaires avait préparé le lit à la secte terroriste
Boko Haram. Cette situation est la conséquence d’un réveil tardif de l’ensemble des Etats membres
de la CBLT après l’envahissement d’une partie de l’Etat du Borno State (Nigéria). La prise de
conscience « tardive » des Etats de la CBLT à mutualiser les forces pour repousser cette horde
des « fous de Dieu3 », est la preuve de la fébrilité de cette institution régionale. Nonobstant,
1Terme emprunté à Louis BAASSID SOOKZO qui distingue fait une distinction entre le « bien public mondial » et
« bien public régional ». En bref, tout bien public dont dépend des millions de vie comme le bassin du lac Tchad, en
dépit son importance sur le plan régional est également un « bien public mondial ». La menace de sa disparition
interpelle l’ensemble de la communauté mondiale.
2John OGUNSOLA IGUE, L’Afrique de l’ouest entre espace, pouvoir et société. Une géographie de l’incertitude,
Paris Kartala, 2006. 3Voir le monde des religions. N° 69 Janvier-Février 2015, pp.24-52. Cité par Bruce Marcel NGOUYAMSA MEFIRE, La lutte contre l’insécurité transfrontalière dans le bassin du lac Tchad, In Ibrahim MOUICHE et Samuel KALE
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l’engagement courageux du Tchad, le Cameroun, un habitué de la « solft power4 » et du Niger,
dont l’on n’entend pas trop parler de ses interventions dans les conflits internationaux ; Boko
Haram résiste encore. La pauvreté ambiante et l’ignorance alimentent encore cette « entreprise
criminelle5 » transnationale dans la zone transfrontalière lacustre devenue son antre en dépit des
efforts militaires et socioéconomiques que fournissent les Etats de la CBLT pour éradiquer cette
criminalité.
En approchant l’espace lacustre des quatre frontières sur le prisme géopolitique, c’est-à-
dire en tenant compte de l’influence des facteurs géographiques, économiques et culturels sur la
politique des acteurs étatiques, nous nous posons les questions suivantes : qu’est ce qui explique
l’enracinement de la secte Boko Haram dans l’espace lacustre transfrontalière du lac Tchad ?
Notre hypothèse est que les causes de l’enracinement de la secte islamiste Boko Haram
viennent de la dégradation des conditions de vie des populations insulaires provoquée par le
changement climatique et les actions anthropiques qui ont entrainé l’amenuisement des ressources
naturelles. Autrement dit, le groupe salafiste radical Boko Haram a profité de la pauvreté de
communautés indigènes insulaires frustrées pour les enrôler comme une « main d’œuvre
criminelle ».
L’analyse met l’emphase sur la situation socioéconomique des populations insulaires
même si elle n’est pas la seule, qui explique l’arrimage de la secte Boko Haram dans l’espace
lacustre transfrontalière du lac Tchad. Notre démarche se nourrit du constructivisme et du
transnationalisme.
EWUSI, Gouvernance et sécurité en Afrique francophone subsaharienne francophone : entre corruption politique et
défis sécuritaires, Addis Abeba, UPEACE, 2015, p.234. 4C’est un concept utilisé en relations internationales. Développé par le professeur américain Joseph NYE, il est
traduisible en français par la « manière douce » ou le « pouvoir de convaincre ». Cf. Joseph NYE, Soft power, The
means to success in world politics. 5Terme emprunté à Issa SAIBOU. Lire ce dernier auteur dans, « Les jeunes patrons du crime organisé et la contestation
politique aux confins du Cameroun, de la Centrafrique et du Tchad », International conférence, Dakar, 2006.
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I- LA BAISSE DU NIVEAU DES EAUX DU LAC TCHAD ET SES CONSEQUENCES SUR
LE PLAN SECURITAIRE.
La création de la CBLT par les Etats riverains n’a pas permis à cette dernière institution de
bien protéger les ressources naturelles du lac. Le lac continu à perdre ses eaux et les problèmes
sécuritaires augmente. Et le terrorisme de Boko Haram, « nouvelle » forme de violence moins
connue dans la région s’est greffé aux criminalités passées dont les « germes » sont encore vivants.
La pauvreté ambiante provoquée par le manque des ressources est devenue pour les islamistes une
sorte « stimulus »6 pour mobiliser les combattants djihadistes. Le terrorisme ravisseur de la secte
Boko Haram est l’expression d’une frustration des insulaires. C’est peut-être dans ce sens que Seid
MBODOU affirme que : « Selon l’opinion générale de la population, le désengagement de l’Etat
dans les îles du lac Tchad plonge les habitants dans la misère et donc dans la déshérence et la
désespérance. Les jeunes s’estiment être aux abois et donc n’ont rien à perdre et c’est
effectivement ce genre de sentiment qui poussent à l’extrémisme. Les habitants des zones
insulaires, dans leur ensemble, disent qu’ils ont ménagé un monde qui ne leur promet rien, qui
non seulement, ne fait plus rêver, mais le confine à la galère et à une mort certaine »7. De tout ce
qui précède, les migrations saisonnières autours des activités agropastorales, halieutiques et la
propagation de l’idéologie obscurantiste (1) et l’endoctrinement des jeunes populations
désœuvrées des îles facilitées par la dégradation de leurs activités et l’interaction avec le Borno
stade (2) feront l’objet de notre analyse.
1-les migrations saisonnieres autours des activites agropastorales, halieutiques et la
propagation de l’ideologie obscurantiste.
Les lignes suivantes nous permettrons de parler de l’expansion de l’islamisme radicale
favorisée par la mobilité incontrôlée autour des activités génératrices de revenu (a) et la
transnationalité comme boulevard du développement des activités criminelles à caractère politico-
religieux (b).
6Jean-Bosco Germain ESAMBU MATENDA, Flux migratoires et émergence du fondamentalisme en Afrique
centrale, Paris, l’Harmattan, 2018, p.33. 7Seid MBODOU, Le terrorisme transfrontalier au lac Tchad : pour lutter efficacement contre Boko Haram, Paris
éditions, L’Harmattan, 2020, p.39.
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a- L’expansion de l’islamisme radicale favorisée par la mobilité incontrôlée autour des
activités génératrices de revenu
Depuis le début de l’existence, la recherche du bien-être a toujours été à l’origine de la
mobilité en masse des hommes. Dans le bassin du lac Tchad la récurrence de la sècheresse
détermine les migrations de faible ou moyen amplitude, en direction des zones disposant encore
de ressources8 (terres fertiles, pâturages, poisson). Les berges du lac Tchad ont été occupées depuis
des siècles par des populations plus ou moins antagonistes. Mais l’implantation des entités
politiques modernes a encouragé la libre circulation des hommes et des biens et a accentué
davantage le phénomène migratoire. Les calamités naturelles qui se succédaient dans cet
« eldorado » sahélien ont amené les populations à occuper les terres émergées du lac. Les
populations ont développé ainsi des formes d’adaptation fondées sur un recours généralisé à la
mobilité, valorisant au mieux les ressources du milieu par des formes variée de pêche, d’agriculture
et d’élevage9. Les îles frontalières sont devenues des greniers et des véritables pôles exportateurs
des produits halieutiques, agricoles et pastoraux pour la sécurité alimentaire de la capitale
tchadienne et bien d’autres métropoles mais aussi surtout les villes du nord du Nigéria, la région
de Diffa au Niger et celle de l’extrême-nord du Cameroun. Les activités exercées dans cet espace
lacustre tchadien, exigent pour la plupart des mouvements permanents. La recherche des eaux
poissonneuses, de verdure, ou des terres fertiles a contraint des nombreux insulaires au nomadisme
et surtout au non-respect des frontières des Etats. Cette situation a donné naissance à un nombre
élevé des populations sans résidence fixe qui suivent le mouvement des activités « productrices »
de naira10 qui fait figure de monnaie d’échange. Profitant des échanges dominés par les populations
d’origines nigérianes et de l’interaction constante, les îles ont développé une criminalité parfois
« voilée ». En d’autre terme, l’abondance des ressources naturelles cachait le malaise profond de
cet espace désétatisé. Et la propagation de l’idéologie islamiste de Boko Haram est la conséquence
de l’absence d’encadrement des religions par les Etats. Les populations des îles qui sont en contact
permanent avec les villes du nord du Nigéria, ont été en grand nombre dans les écoles coraniques
8Issa SAIBOU, Conflits et Problèmes de sécurité a ux abords sud du lac Tchad : Dimension historique (XVIe-XXe
siècles), thèse de doctorat/Ph. D d’Histoire, Université de Yaoundé I, 2001, p. 54. 9Jacques LEMOALLE et Gérard MAGRIN, (dir.), Le développement du lac Tchad : situation actuelle et futurs
possibles, Marseille, IRD Editions, coll. Expertise collégiale, bilingue françaisanglais, 216 p. + clé USB, 2014, p. 41. 10La monnaie nigériane utilisée dans cette frontalière par l’ensemble des populations riveraines et insulaires.
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des fondamentalistes de cette partie du pays. Ces almajirins11 ou talibés dont certains ont suivi les
prêches des leaders de la secte à la mosquée Markaz Ibn Tamiyya12 de Maiduguri, sont revenus
propager ces enseignements dans la zone lacustre. Ces personnes déguisées en commerçants,
marabouts, pêcheurs ont détourné plusieurs jeunes insulaires.
La migration incontrôlée et l’irruption du terrorisme de Boko Haram dans cet espace
lacustre frontalier traduit d’une part la faiblesse des Etats et d’autre part les dynamiques complexes
et enchevêtrement des conflits dans la région du lac Tchad. Le manque des ressources naturelles a
conduit ces populations nomades du lac Tchad sans perspectives d’emploi à entrer dans le
« djihado-banditisme »13. Le regroupement des personnes au degré de moralité et civisme douteux
venant des différents horizons dans cet « no man’s land » a fait des îles frontalières des refuges
des criminels. Le faible ancrage des quatre acteurs de la région (Cameroun, Niger Nigéria, Tchad)
ayant facilité la mobilité sur ces eaux frontalières à favoriser l’implantation de la secte BH.
L’isolement des îles, les alliances « ethnico-religieuses » de la secte islamiste avec les
communautés insulaires Buduma, Kanembu, Kanouri et bien d’autres a rendu la situation
sécuritaire plus chaotique. Le facteur identitaire et religieux est le socle de l’implantation de Boko
Haram dans le lac Tchad. Mais l’incapacité des acteurs souverains à imposer leur volonté en
exerçant leur autorité sur les portions de leurs territoires incite les « organisations criminelles »
transnationales à dicter l’anarchie. Jean Marc SOREL augure quant à lui que « C’est la
confrontation des souverainetés que résulte la nécessité d’une délimitation au moyen de la fixation
d’une frontière destinée à empêcher tout empiètement d’une souveraineté à l’autre. La frontière
est donc l’instrument de séparation de deux souverainetés »14. En réalité, en dépit de la volonté
qui anime les acteurs de la CBLT à éradiquer toutes les formes de criminalités, la perméabilité des
11Nom de élèves des écoles coraniques itinérantes, errants et mendiants leur pitance quotidienne entre deux séance
d’apprentissage. 12Selon Issa SAIBOU et al, littéralement « Centre Ibn TAYMIYYA », nom que donna le fondateur de Boko Haram
Muhamed YUSUF à la mosquée ou il prêchait à Maiduguri. Comme de nombreux fondamentalistes, Muhamed
YUSUF citait abondamment Ibn TAYMIYYA (22 janvier 1263-26 septembre 1328), l’un de plus éminents
théologiens musulmans. Issu de l’école hanbalite, Ibn TAYMIYYA a voulu purifier l’islam en ramenant la
compréhension de ses textes à celles qu’en avaient les savants de premières générations après le prophète. En son
temps, il avait appelé à la guerre sainte contre le Mongols qu’il accusait d’être des mécréants. Des postures qui en font
l’un des principaux inspirateurs des mouvements et leaders fondamentalistes du XXe et XXI siècle, d’Al-Qaeda à
Boko Haram, de Ben LADEN à Mohamed YUSUF. 13Terme emprunté à Issa SAIBOU 14Jean Marc SOREL cité par Jean-Bosco Germain ESAMBU MATENDA, Flux migratoires et émergence du
fondamentalisme en Afrique centrale, Paris, l’Harmattan, 2018, p.51.
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frontières et l’usage des moyens de communication sophistiqués qui rapproche de plus en plus le
monde favorise le terrorisme. C’est aussi dans cette veine que Robert SACK cité par Bertrand
BADIE et Marie-Claude SMOUTS, pense que :’’ A l’heure de la mondialisation, de société post-
moderne et de la globalisation, lorsqu’on sait que les flux transnationaux découpent les territoires
et recomposent les espaces, font fi des frontières tout en dessinant, au gré des dynamiques sociales,
instables et mobiles, des géométries variables de la communication, du commerce, des
investissements, des migrations. Les territoires offre évidemment encore à l’Etat des modes de
contrôles souverain sur les hommes et sur les biens, mais sur de moins en moins de biens et tout
et en retirant de moins en moins d’allégeance citoyenne’’15.
b- La transnationalité comme boulevard du développement des activités criminelles à
caractère politico-religieux
Les acteurs de la CBLT se retrouvent en difficulté pour résoudre cette crise sécuritaire de
Boko Haram au sein d’un peuple qui appartenait au même « micro-Etat-nation », qui aujourd’hui
du fait des indépendances se retrouvent disperser dans plusieurs pays avec des nationalités
modernes différentes. Ces peuples « trait-d ‘unions» ou « transnationaux » aux nationalités
« flottantes », s’identifient plus à leurs ethnies qu’à leurs Etats. Même si paradoxalement ceux
acteurs criminels qui disent n’est pas reconnaitre l’Etat moderne se donnent le pseudonyme parfois
en empruntant le nom de leur pays d’origine, tel comme le tristement célèbre, commandant de la
secte Boko Haram d’origine tchadienne le dénommé Mustapha CHAD. L’identité « ethnico-
religieuse » se retrouve ainsi en opposition à la citoyenneté de l’Etat moderne internationalement
reconnu. Et la difficulté d’identification des acteurs criminels qui pour la plupart ne possèdent pas
des pièces d’identités, facilite leur déplacement dans les quatre territoires voire au-delà. La
transnationalité favorise le développement de la criminalité djihadiste de la secte. Le flux
incontrôlé des personnes et des biens rend complexe les actions de maintien de l’ordre. Cet
embrouillamini constitue un grand obstacle pour les forces de défense et de sécurité qui assurent
la sécurité.
15 Robert SACK cité par Bertrand BADIE et Marie-Claude SMOUTS, L’internationale sans territoire, p.9.
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En sommes, au-delà de l’ « islamo-fascisme »16 de façade, la sociogenèse de Boko Haram
illustre bien qu’il y a un profond malaise lié aux identités blessées. Les Etats de CBLT ont
fabriqués depuis leurs indépendances illettrées et des chômeurs. Cette situation fait renaitre un
ressentiment envers le système occidental de gouvernance. C’est ainsi que Valérie ROUAMBA-
OUEDRAOGO affirme que : « la rébellion, la révolte ou le terrorisme peut s’expliquer par le fait
que, le plus souvent, les autorités politiques orientent leurs actions plus vers certaines régions au
détriment des autres régions. Ainsi, certains citoyens sont favorisés et d’autres en disgrâce »17.
Cette négligence des Etats de la région du lac Tchad des certaines parties de leurs territoires ne
suffit pas et ne justifie pas les actes de violences. Et c’est aussi dans ce sens qu’Emmanuel KANT
qui encourageait la révolte contre la tyrannie à son époque en reconnaissant par exemple la,
‘’justesse de la révolte » contre un chef dictateur quand il affirme que : « le peuple est en droit de
secouer par la rébellion le joug d’un tyran ». Il condamne en même temps cette pratique politique
en ce terme que : « toute révolte n’est pas à cautionner et l’imperfection des autorités politiques
ne doit légitimer ou justifier le recours à la rébellion et au terrorisme’’18.
2-l’endoctrinement des jeunes populations desœuvrees des iles facilitees par la degradation
de leurs activites et l’interaction avec le borno state.
Le développement de cette partie nous conduira à évoquer la vulnérabilité des jeunes
insulaires conséquences de l’amenuisement des ressources naturelles (a) pris en étau entre
l’ignorance et l’inaction des acteurs étatiques : les populations insulaires à la merci de la secte
salafiste (b).
a- La vulnérabilité des jeunes insulaires conséquences de l’amenuisement des ressources
naturelles
La secte Boko Haram qui avait pour ambition de mettre fin aux gouvernances à l’allure
occidentale et corrompu de la région, comptant sur son ancrage dans certains pays. Malgré sa
composante sociologique hétéroclite, le bassin tchadien possède la religion musulmane comme
16Zachée BETCHE, Le phénomène Boko haram : au-delà du radicalisme, Paris l’Harmattan, 2016, p.16. 17Valérie ROUAMBA-OUEDRAOGO, Crise sécuritaire dans les pays du G5 Sahel, Paris, l’Harmattan, 2021.
Consulté en ligne le 19/06/2021 sur https://www.youscribe.com/BookReader/Index/3225778?documentld=4185130. 18Emmanuel KANT cité par Valérie ROUAMBA-OUEDRAOGO, 2021, op.cit.
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objet de convergence et d’union du fait que la quasi-majorité des populations sont les pratiquants
de cette dernière. Plusieurs facteurs ont contribué pour permettre à Boko Haram de gagner une
bonne partie du septentrion de l’Etat fédéral du Nigéria et s’attaquer à ses homologues tels comme
le Cameroun, le Niger et le Tchad. Selon Corentin COHEN cité par Benjamin Eric BITYILI BI
NLEME la mutation idéologique et l’internationalisation des actes de violence de Boko Haram se
lit sous trois dynamiques : « la question de la reformulation des réseaux de clientèle politique, le
phénomène de reconversion dans le mouvement de bandes, criminels et autres coupeurs de routes ;
la redéfinition de l’économie de la région et le rôle de redistribution »19.
Les acteurs de la CBLT se retrouvent quasiment sur la même longue d’onde sur le plan de
développement dans l’espace tchadien et surtout dans sa partie lacustre. Si un pays comme le
Tchad est plongé dans la guerre civile quelques années seulement après son indépendance, cette
partie du territoire national est resté relativement épargné par les conflits armés. Malgré que la
coalition rebelle de la MDD/FAO et MDD/MPLT (Mouvement pour la démocratie et le
développement/Force armées occidentales/Mouvement pour la démocratie et le
développement/Mouvement populaire de libération du Tchad) ait fait des îles du lac Tchad sa base
arrière, mais cet espace est peu politisé et a produit peu d’élites politiques et intellectuelles. Le lac
Tchad demeure largement hors des radars des régimes successifs, même si le président Hissène
HABRE avait initié quelques grands projets de développement comme le polder qui n’ont jamais
été achevé. La grande partie du lac appartenant à l’Etat tchadien n’a pas aussi bénéficié de la manne
pétrolière du début des années 2000, contrairement à d’autres régions du pays. Les avancées sur
le plan économique du pays, l’accès aux biens publics des populations insulaires est insignifiant.
L’Etat fédéral du Nigéria a vu l’initiative de développement agricole par irrigation dénommée
Chad Basin Development Project, bloqué à cause de la sécheresse. Le Cameroun a mise sur pied
de projet agricole de la SEMRY en amont du lac, au bord de son affluent Logone. Ce projet a eu
moins d’impact sur les riverains directs et les insulaires du lac. Et le Niger a brillé par son absence
à entreprendre de lancer un grand projet de développement dans cette zone. Même si le projet de
l’exploitation de gisement du pétrole d’Agadem concerne cette partie du bassin, le lac profond est
resté ignoré. Et le taux de scolarisation dans tout l’espace lacustre frontalier appartenant aux quatre
19Benjamin Eric BITYILI BI NLEME, « Boko Haram : Des paradoxes locaux à la violence armée transfrontalière
dans le bassin du lac Tchad », op.cit. Consulté en ligne le 11/10/2021 sur https://www.academia.edu, p. 8.
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pays reste très dérisoire. Cette situation explique aussi l’enrôlement en grand nombre des jeunes.
Contrairement au « terrorisme de luxe » que l’on voit dans les pays occidentaux, le terrorisme sur
le continent africain est l’œuvre des personnes désœuvrées. Jacques Didier Lavenir MVOM pense
que : « La pauvreté dont sont victimes les populations africaines devient une source d’insécurité
et d’habilitation de nouvelles menaces à la paix et à la sécurité du continent. A partir de ce
moment, il faut considérer que l’Afrique vit sous des menaces multiformes qui nécessitent de
prendre le concept de la sécurité en l’élargissant pour comprendre à la fois, la défense et la
sécurité. Il est question pour l’Afrique, de défendre ses acquis territoriaux, en même temps que
ceux relevant désormais du concept de la sécurité humaine. Cette dernière intègre à la fois la
défense de l’Etat et la protection des individus vivant dans cet Etat »20.
b- Pris en étau entre l’ignorance et l’inaction des acteurs étatiques : les populations insulaires
à la merci de la secte salafiste
Pourchassé aux abords du lac Tchad et surtout dans son bastion de Borno State, certains
combattants de la secte terroriste se réfugient sur les villages-îles qui deviennent de bases arrière.
Dans cet espace lacustre, les illuminés de la mouvance djihadiste revenant des localités terrestres
récupérées par la Force multinationale mixte, procède de plus en plus au recrutement des jeunes
issus en majorité de l’ethnie Yedina, mais aussi des autres communautés et de toutes les
nationalités d’Etats riverains et même au-delà pour grossir leur effectif. La secte islamiste a tissée
une « alliance » avec certains représentants de la communauté indigène. Cette dernière se sent
délaissée et abuser par les différents pouvoirs publics et les groupes ethniques allogènes qui
exploitent anarchiquement les ressources naturelles du lac Tchad. Les frustrations accumulées se
manifestent à travers la violence terroriste. Et une fidélité et un engagement des jeunes Yedina au
sein de la secte, permet à cette dernière de contrôler les espaces isolés du lac. L’implantation de
Boko Haram sur le lac et le recrutement de jeunes sans réelles perspectives d’insertion dans une
zone pourtant dynamique sur le plan économique mettent en relief les défaillances des Etats de la
région dans leurs périphéries. En effet, l’attractivité économique du lac et ses ressources en ont
fait un carrefour commercial qui contraste avec l’insuffisance et l’inconstance des politiques
20Jacques Didier Lavenir MVOM, L’Afrique de la défense et de la sécurité, Paris, l’Harmattan, 2021. Consulté le
24/09/2021 sur https://www.youscribe.com/BookReader/index/3225735?document=4185087.
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publiques menées par les Etats riverains. Et l’urgence interpelle les différents pouvoirs publics et
les organisations internationales d’être solidaire et de trouver une issue à cette crise qui brise une
région et une jeunesse désespérée. Seid MBODOU en faisait allusion à cette situation de détresse
déclare : « Il est à remarquer que dans la région du lac Tchad, les jeunes Boudoumas, natifs du
lac, sont en majorité les combattants de Boko Haram. C’est pourquoi pour éradiquer le mal à sa
racine essentielle dans un contexte d’endoctrinement des jeunes à des pratiques terroristes dans
la région du lac, il est nécessaire d’organiser des campagnes de sensibilisation au bénéfice des
formateurs d’éducateurs et des leaders d’opinion. Ces campagnes de sensibilisation vont
renforcer les capacités des acteurs dans la culture de paix en lien avec l’islam véritable »21.
En définitive, l’homme n’est ni bon ni mauvais par nature, c’est son environnement qui le
façonne. Vivant dans une société politique l’homme intériorise les valeurs et normes de celle-ci et
en font une partie de lui. La socialisation politique est « le processus par lequel les individus
intégrés dans une société donnée, intériorisent les valeurs, normes, codes, symboles et font
l’apprentissage par le langage, l’environnement etc.»22. La socialisation politique sert a consolidé
le fondement de l’Etat. Principal acteur ayant pour rôle d’encadrer les citoyens, l’Etat a également
pour devoir de mettre sur pied certains instruments qui facilitent la socialisation de sa population.
La jeunesse doit être la cible de cette socialisation surtout dans un environnement cosmopolite où
les acteurs transnationaux sont en permanente concurrence avec les Etats. Le faible encrage des
Etats dans un espace désétatisé comme celui du lac Tchad rend très difficile ce travail. La sous-
scolarisation des jeunes est d’une part la cause du taux élevé des analphabètes est d’autre part un
problème que les Etats de la région ont ignoré. L’instruction a un rôle d’inculcation des valeurs
socialisatrices. L’école enseigne ainsi à l’homme l’attachement à la patrie et l’inculcation massive
de l’ « idéologie nationale »23 ou des valeurs patriotiques qui créent des liens sociaux. L’Etat pour
être visible doit s’imposé pour s’enraciner en chaque citoyen, face aux « acteurs libres de
souveraineté » qui cherchent à se substituer à lui. La socialisation politique devient ainsi un travail
de légitimation par lequel tout groupe produit l’effet de croyance en l’existence d’un sentiment
21Seid MBODOU, Le terrorisme transfrontalier au lac Tchad : pour lutter efficacement contre Boko haram, Paris,
l’Harmattan, 2020, p.23. 22Madeleine GRAWITZ, Lexique des sciences sociales, 11e Edition, Paris Dalloz, 2001, p.113. 23Augustin NGUELIEUTOU, Le peuple dans la vie politique camerounaise postcoloniale, Thèse de Doctorat Ph.D,
Université de Yaoundé II, 2004, p.126.
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d’unité, d’indivisibilité et de la représentation qu’il en fournit. D’une part, on peut dire que le
découpage politique colonial du lac en quatre Etats distincts ne facilite pas son contrôle en dépit
de la mise sur pied de la CBLT. Cet instrument d’intégration régional à vocation environnementale
se heurte aux multiples défis sécuritaires avec la montée en puissance des « organisations
criminelles » transnationales comme la secte Boko Haram. Cette secte politico-religieuse qui
conteste le pouvoir de l’Etat moderne cherche à se substituer à lui en instaurant une vision
archaïque du monde. Cette manœuvre violente que l’acteur Boko Haram utilise pour remettre en
question le rôle du « Léviathan » qui est une forme de déviance de l’autorité de l’Etat. Cette
situation force ainsi les acteurs étatiques de faire usage de sa « force physique légitime » Et ceci
va presque dans le même sens de ce que Richard FILATOKO souligne : « La dialectique
dominants/dominés, s’effectue un rapport de force conventionnel et non conventionnel à travers
lequel dominent la violence légitime de l’Etat, et la violence religieusement légitimes des dominés
; les premiers s’organisant pour sauvegarder leur légitimité et se maintenir au pouvoir tandis que
les seconds, animes par leur foi religieuse aspirent à un changement socioculturel, voire
politique »24.
II- LA PRECARITE ET L’INCERTITUDE DU LENDEMAIN MEILLEUR FACTEUR
FACILITANT LA PROPAGATION DE L’IDEOLOGIE TERRORISTE.
L’« entreprenariat d’insécurité25» implantée dans l’Etat de Borno State au Nigéria, étend
ses réseaux dans les autres espaces tchadiens en s’appuyant sur les affinités anciennes, c’est-à-dire
en se focalisant sur le lien de fraternité sanguin et religieuse. Inquiété par leurs conditions de vie
qui se dégrade au fil des années et de l’indifférence des acteurs étatiques d’apporter une solution
durable, les insulaires été nombreux à adhère à cette vision utopiste et obscurantiste. Une situation
accentuée par une injustice sociale donc aucun acteur de la région n’a pu trouver une solution ces
dernières décennies. Nicolas OWONA NDOUNDA, concernant la radicalisation des jeunes au
Nord-Cameroun va presque dans le même sens lorsqu’il affirme que : « Le sentiment d’abandon
par le pouvoir central serait ainsi exploité tant exploité par les djihadistes que les hommes
24Richard FILATOKO cité par Joseph TCHINDA KENFO, Dynamiques locales, transitions et politisations de la
lutte anti-terroristes au nord-Cameroun : les Kanuri entre le marteau et l’enclume ! In Acte du Colloque sur Boko
Haram au Sahel camerounais. Trajectoires identitaires. Expansion territoriale, instrumentalisations et réponses
politiques. Montréal, Revue Béninoise des sciences Po, 2017, pp.50-51. 25Terme emprunté à Issa SAIBOU.
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politiques. […] En effet, la pauvreté ambiante dans la région, les oppressions subies par la
population de la part des autorités traditionnelles et la négligence de l’Etat central, incarné au
plus près par les pratiques des nouvelles élites des nouvelles kirdis encouragent les jeunes à un
replis sur eux, et pour certains, à se retourner vers Boko Haram »26. En effet, les populations
insulaires Buduma appelés Yedina se considèrent marginalisés et abandonnés par l’Etat et se
laissent influencés par la secte islamiste. Voilà pourquoi Boko Haram jouit de la bienveillance des
certains Buduma, car selon le responsable d’une cellule de Boko Haram, arrêté, puis condamné à
mort à N’Djamena (Tchad), le terroriste Bana Fanaye de nationalité camerounaise, disait lors de
son interpellation que : « l’implication des Buduma est prouvée par d’importantes opportunités
logistiques et surtout par le transfert de fonds à Boko Haram »27. Ces insulaires indigènes qui se
considèrent comme « rejetés » géographiquement, matériellement ou symboliquement28 trouvent
ainsi refuge dans le terrorisme de la secte islamiste ou l’utilise comme moyen d’expression
violente. Et nous parlerons de la faillite socioéconomique provoquée par la rareté des produits
halieutiques (1) et du découragement dû au problème climatique et à l’abandon par les Etats : Boko
Haram un refuge pour une jeunesse désespéré (2).
1-La faillite socioéconomique provoquée par la rareté des produits halieutiques.
Pour plus de clarté, il sera judicieux pour nous d’évoquer la dégradation de
l’environnement à la précarité des conditions de vie des insulaires du lac Tchad : les acteurs
étatiques dans une posture indolente (a) et le retour progressif de l’ « Etat providence » face à
l’urgence socioéconomique et sécuritaire (b).
26Nicolas OWONA NDOUNDA, « Boko Haram et la radicalisation des jeunes au Nord-Cameroun : Entre protestation
sociale et nécessité de survie », Emulations : Revue des jeunes chercheuses et chercheurs en science sociales, presses
universitaires de Louvain, 2017, p. 9. 27Seid MBODOU, Le terrorisme transfrontalier au lac Tchad : pour lutter efficacement contre Boko Haram, Paris,
l’Harmattan, 2020, p.40. 28Henri DORVIL, Problèmes sociaux, Tome III, Théories et méthodes de la recherche, presses de l’Université du
Québec, 2007. Consulté le 12/10/2021 sur
https://www.youscribe.com/BookReader/index/3217381?documentld=415662.
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a- De la dégradation de l’environnement à la précarité des conditions de vie des insulaires
du lac Tchad : les acteurs étatiques dans une posture indolente
De nos jours la question écologique s’invite toujours dans les débats politiques nationaux
ou internationaux. Cette dernière se place en amont des activités humaines. Quelle soit
économique, politique, culturelle et même spirituelle, celle-ci est inséparable de l’environnement.
La protection de l’écosystème fait partie de la sécurité des populations. Et la mauvaise gestion des
ressources naturelles peut provoquer un déséquilibre pouvant conduire à certaines crises
sécuritaires. Le bassin du lac Tchad est dans une situation où les problèmes écologiques combinés
à la criminalité endémique accentuent l’instabilité de la région. Jean-Claude LACAZE affirme
que : « Du fait du non-respect des lois de l’écologie, la surpopulation et son cortège de milliards
de pauvre, empêche tout progrès éthiques de la société »29. L’on peut dire que, le manque matériel
entraine d’une part une dégradation de comportement sur le plan moral. Malgré que cette région
ne soit pas totalement dévastée par la sécheresse, mais les prémisses de ce phénomènes naturels
néfastes pour la vie des populations se font déjà ressentie au quotidien. Sur le lac Tchad, l’on
observe une disparition sans pareil des forets de papyrus et l’envahissement du lac par les herbes
et les roseaux. Et dans les zones boisées, il y a une déforestation rapide et cette perte de biodiversité
due aux actions anthropiques dont les conséquences sont aujourd’hui visibles sur la vie des
populations locales. Sur îles de Kofia, Kinasserom, Koulboua, Darack, Blaram, Kawaram,
Koukléa et bien d’autres, les pêcheurs qui autrefois pratiquaient leurs activités non loin des berges
sont obligés de parcourir des kilomètres et sans assurance de capturer une bonne quantité des
poissons afin de subvenir aux besoins alimentaires. A Goria îlot située à quelques encablures de
Kofia dans la partie camerounaise. Le petit lac en face de cette bourgade est envahi par les herbes.
Et la population désespérée se focalise plus sur l’activité agropastorale. Seuls quelques téméraires
parcourent chaque matin et soir la voie serpentée à bord des petites pirogues en bois ou en tôle, au
milieu de longues herbes pour avoir accès au partie du lac encore utilisable pour la pêche. Tel est
le supplice que vit au quotidien les pêcheurs de Basara, Tcholéré à quelques Kilomètres de la
localité riveraine de Guitté sur le territoire tchadien. Cette baisse de la production halieutique a
impacté la vie des populations riveraines et insulaires, au point où, ils sont obligés de faire
29Jean-Claude LACAZE, Surmonter la crise écologique, Paris, l’Harmattan, 2015, p.66.
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l’agriculture et d’autres activités pour leur survie. Bien que le changement climatique est le facteur
majeur, mais il ne faut pas oublier que la surexploitation des ressources a exaspérée la situation et
aucune solution pérenne n’est encore trouvée par les Etats de la CBLT.
La région du lac Tchad sombre longtemps dans une paupérisation endémique et
structurelle. D’ailleurs l’indice de développement humain (IDH) ne cesse de l’étayer chaque
année. Tous les pays du bassin sont classés parmi les pays pauvres selon le Programme des Nations
Unies pour le développement (PNUD). Le revenu par habitant reste également en dessous de la
moyenne mondiale. Et le programme des Nations Unies pour le développement quant à lui,
explique que depuis quelques décennies que les carences gigantesques en termes de
développement humain et la polarisation persistante des ressources sont les bases même de
l’insécurité30. Mais il faut d’une part reconnaitre qu’il existe un problème systémique mais aussi
culturel en Afrique et dans cette région. Car, la trajectoire du développement de l’ensemble des
pays du bassin du lac Tchad est presque « uniforme » dans la portion lacustre. Les acteurs de la
région brillent par leur négligence à investir dans cette zone frontalière enclavée. Le manque de
valorisation des potentialités économiques dont regorge cette périphérie nationale commune au
quatre pays de la CBLT est tributaire du « jacobinisme31 » qui caractérise les différents pouvoirs.
« Tant que Yaoundé respire, le Cameroun vit ! »32.Une déclaration au cours d’un meeting de
30Programme des nations Unies pour le développement, Nouvelles dimensions de la sécurité humaine, Rapport sur le
développement humain de 1994 cité par Roger MARTELLI dans L’identité c’est la guerre, p.29. 31C’est une doctrine politique qui défend la souveraineté populaire et l’indivisibilité de la république française. Il tient
son nom du club des jacobins, dont les membres s’étaient établis pendant la révolution française dans l’ancien couvent
des jacobins à Paris. Le jacobinisme s’est développé comme une idéologie et mise en application lors de la révolution
française de 1789. Selon les termes de l’historien français FURET dans penser la révolution française, « le jacobinisme
est à la fois une idéologie et un pouvoir : un système de représentation et un système d’action ». De nos jours ce terme
désigne une doctrine qui tend à organiser le pouvoir de façon administrative (bureaucratie) et centralisée
(centralisation) et à le faire exercer par une élite d’experts (technocratie) qui étendent leur compétence à tous les
échelons géographiques et tous les domaines de la vie sociale afin de les rendre uniformes, ce qui en fait l’adversaire
du régionalisme et du fédéralisme. L’usage moderne du mot est anachronique, sans rapport avec le sens du mot sous
la révolution française. En effet, le jacobinisme, pendant cette période, était une réaction aux enjeux particuliers de
l’époque, sans rapport avec les enjeux contemporains de centralisation. Pour n’en retenir que la philosophie, on
pourrait aussi entendre le jacobinisme comme une doctrine opposée aux politiques communautaires qui tendraient,
par exemple, aux divisions internes. Comme mouvement historique le jacobinisme peut s’apparente au XVIIIe siècle
en Autriche au Joséphisme et au XXe siècle en URSS au « centralisme démocratique ».cf
https://www.fr.m.wikipedia.org.wiki/jacobinisme. Dans cadre des Etats postcoloniaux africains, le jacobinisme est
cette tendance à centraliser toutes les décisions ; même dans les Etats dits décentralisés, régionalistes et voire fédéraux.
Cette concentration du pouvoir rend difficile le développement des périphéries nationales. Tel est le cas pour les
acteurs de la Commission du Bassin du Lac Tchad, qui depuis les indépendances négligent cette zone frontalière
commune. 32https//www.osidimbea.cmbiya-paul
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campagne électorale à Yaoundé pour dénigrer l’opération « villes mortes » qui n’était pas suivie
dans la capitale. Cette phrase de son excellence le président Paul Biya de la république du
Cameroun résume d’une part la centralisation des Etats postcoloniaux de la région. Ce
« jacobinisme » privilégie les chefs-lieux des institutions au détriment des zones périphériques ou
l’arrières pays. Et l’institution régionale pivot33 qu’est la CBLT a manqué de créer un contexte
favorable au développement des îles frontalières.
b- Le retour progressif de l’ « Etat providence » face à l’urgence socioéconomique et
sécuritaire
Depuis que les Etats-Unis a déclaré la « guerre contre le terrorisme » ou « guerre contre
la terreur » (« war on Terrorism », « war on terror » ou Global War on terror »34, GWOT), nom
donné par l’administration américaine du président George Walker BUSH à ses campagnes
militaires faites en réplique aux attentats du 11 septembre, les organisations terroristes ont
augmenté à travers le monde. La métastase des bandes criminelles transnationales va crescendo
avec les armes de guerre dans les pays en voie de développement, surtout sur le continent africain.
Cette diffusion « soudaine » des réseaux terroristes à travers la planète est la conséquence du
dérèglement socioéconomique dû à l’affaiblissement progressive des « gladiateurs » du champ
politique international qui sont les Etats face à la montée exponentielle des acteurs légaux et
illégaux « hors-souveraineté ». C’est dans ce « désordre mondial » que la zone du bassin tchadien
voit réapparaitre le premier embryon de prosélytisme islamique de l’époque. L’on pouvait peut
être pensé vivre le « choc des civilisations » de l’historien américain Francis FUKUYAMA, qui
pour cette partie de l’Afrique ressemble à une « lutte des classes » ou une manifestation de la
jeunesse plébéienne contre la « bourgeoisie compradore »35 au pouvoir. L’expression violente de
frustration des populations démunies contre leurs institutions à travers le canevas de l’islamisme
radicale prend de l’ampleur et les Etats-nations encore fragiles vacillent progressivement. Cette
guerre que certains auteurs ont qualifiée de religieuse ou idéologique devient confuse. La barbarie
33Jacques LEMOALLE et Géraud MAGRIN, (dir.), Le développement du lac Tchad : situation actuelle et futurs
possibles, Marseille, IRD Editions, coll. Expertise collégiale, bilingue françaisanglais, 216 p. + clé USB, 2014, p.77. 34https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Guerre_contre_le_terrorisme 35Il s’agit ici des élites politiques qui forment de cercle vicieux ou des réseaux clientélistes autour du pouvoir central
pour la protection de leurs intérêts propres au détriment de l’intérêt général. Ces personnes qui servent parfois les
intérêts des étrangers plutôt que de leurs pays, sont devenues dans beaucoup des pays africains les ennemis du
développement.
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s’augmente et la « civilité » s’éclipse un tout petit peu, par ce que l’« Etat gendarme » est et a du
mal à imposer sa « violence légitime », à cause des organisations transnationales « hors
souverainetés » qui exploitent la vulnérabilité de la masse pauvre des pays du tiers-monde.
En outre, l’illusion de l’harmonie planétaire après la bipolarité s’est vite estompée par la
multiplication des conflits intercommunautaires, interreligieux sur le continent africain.
L’émergence des organisations « hors souveraineté » à caractère politico-militaire, religieux et
économico-mafieux, entrent dans l’arène de la politique continentale et influence de ce fait les
Etats. C’est dans ce cafouillage que la secte terroriste Boko Haram voit le jour. C’est aussi
l’expression de l’ « interdépendance complexe » de Joseph NYE et Robert KEOHANE36 qui
fragilise les acteurs principaux de la scène internationale qui sont les Etats. L’« institution
fragilisée »37 (CBLT) à cause des multiples problèmes à résoudre et l’ « autisme des
gouvernements »38 des pays de la CBLT qui n’ont pas parfois tenu compte des propositions des
experts sur les questions sensibles a conduit ces derniers devant un fait accomplie avec l’explosion
de la violence.
Dans son livre People, States an Fear, publié en 1983, Barry BUZAN en parlant de la
sécurité, pense que celle-ci ne se réduit pas seulement au niveau nationale, c’est-à-dire la sécurité
nationale. Elle a un champ plus large touchant à des nouveaux objets et secteurs. Pour ce dernier
auteur, les secteurs militaires, le politique, l’économique, l’environnemental et le sociétal sont
primordial dans la stabilité d’un pays. Et conscients de leur défaillance sur le plan
socioéconomique, les acteurs de la CBLT touchés se sont engagé individuellement et
collectivement sur le plan du développement en mettant en œuvre quelques grands projets avec
l’aide des partenaires internationaux. En 2016 le Groupe de la banque mondiale a approuvé des
opérations de l’Association internationale de développement (IDA), d’un montant total de 346
millions de dollars, destinées à financer le renforcement de la résilience39 et des moyens de
36Joseph NYE et Rober KEOHANE cité par Abou-Bakr Abélard MASHIMANGO, Les conflits armés africains dans
le système international : Transnationalisme ethnique et Etats dans la corne de l’Afrique 1961-2006, Paris l’Harmattan,
2012, p.26. 37Benoit DURIEUX et al, Dictionnaire de la guerre et de la paix, Paris, l’Harmattan, 2017. Chercher le site 38Cyriaque ESSEBA et Réné BIDIAS, Comprendre les relations internationales contemporaines, Paris, l’Harmattan,
2020, p.29. 39Capacité de résistance d’une personne ou d’une communauté confrontée à l’adversité, au stress ou à toute menace
grave à son existence, à la cohésion, à ses espaces et modes de vie. La récurrence et l’imbrication des crises
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subsistance dans la région du lac Tchad à la frontière de quatre pays (Cameroun, Niger, Nigéria,
Tchad). Le projet pour la relance et le développement de la région du lac Tchad (PROLAC, 170
millions de dollars) ayant pour objectif d’appuyer les plateformes de coordination nationale et
régionale et le renforcement des capacités locales40, contribuer à la restauration d’une mobilité
rurale durable et la connectivité et consolider la reprise des activités dans les portions des territoires
victimes de Boko Haram et les projets PRESIBALT (Programme de réhabilitation et de
renforcement de la résilience socio-écologique du Bassin du Lac Tchad) et PRESIBALT dont
l’objectif est de réduire la pauvreté dans cette zone par l’accompagnement et l’appui matériel aux
populations sont lancés. Ces initiatives de développement contribueront au renforcement de la
situation économique précaire.
2-Du découragement dû au problème climatique et à l’abandon par les Etats : Boko Haram
un refuge pour une jeunesse désespérée.
De tout ce qui précède, il ressort que la fragilité sécuritaire des insulaires liée au problème
climatique est une « aubaine » pour Boko Haram (a) et la secte Boko Haram est une manifestation
violente des ressentiments envers l’Etat d’origine westphalienne des communautés indigènes
insulaires (b).
a- La fragilité sécuritaire des insulaires liée au problème climatique : une « aubaine » pour
Boko Haram
La dégradation de l’environnement dans le bassin tchadien a rendu plus difficile les
conditions vie des populations riveraines et insulaires qui dépendent des ressources du lac.
L’immobilité des populations à la recherche de poisson, des espaces cultivables et du pâturage
pour les bétails devenus insuffisant a accentué leur vulnérabilité socioéconomique. Cette migration
incontrôlée ayant conduit à une pression démographique forte, a fait perdre en quelques années au
environnementales, des clivages identitaires, des conflits d’accès aux ressources et de l’insécurité dans le bassin du
lac Tchad placent la construction de la résilience au cœur de l’action de l’intervenant. Il s’agit à la fois d’un travail
cognitif, du renforcement du mécanisme de gestion des conflits, de la capacitation des jeunes et des femmes pour leur
autonomisation et la réduction de leur vulnérabilité aux offres opportunistes extrémistes, à l’amélioration des sources
de revenus et des modes de production etc. La résilience comme mécanisme intégré de prévention de l’extrémisme
violent, et des crises en général, est au cœur de la Stratégie de la Stabilisation. Cf. lexique d’Issa SAIBOU et al. 40https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2020/0526/world-bank-provides-346-millions-to-
strengthen-resilience-and-livelihoods-in-the-lake-chad-region.
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lac Tchad sa place de pôle d’attraction dans cette zone aride du continent. Les populations
insulaires habituées à suivre le mouvement de poisson sont plongées dans un nomadisme presque
improductif, à cause de la rareté des ressources. Isolés sur les innombrables îles et îlots ; les
insulaires abandonnés à eux-mêmes font face à la force de la nature sans le soutien des Etats qui
brillent par leurs faibles représentations. Et les eaux du lac Tchad qui sont exploité comme des
eaux internationales41 selon Armel SAMBO, ces espaces sont devenus au fil des années, des
espaces des conflits pour les maigres ressources. Des querelles entre les différentes ethnies qui y
vivent, les rebellions contre les pouvoirs de certains Etats membres de la CBLT, ou encore les
actes des violences imposés par les bandes des hors-la-loi, les îles du lac Tchad sont dans une
succession permanente des hostilités armées. Les causes de conflits que connait cette partie du
continent sont variées et complexes, s’ancrant dans les différentes dynamiques de cette région
hétéroclite. Le changement climatique et ses effets sur l’environnement du lac Tchad ne présente
aucun obstacle à la prolifération et à l’action asymétrique qu’ils soient subversifs d’obédience
terroriste ou revendicatif pour le partage des ressources nationales ou prédateurs de par leurs
actions criminelles. Le lac qui se rétrécit au fil des années laisse apparaitre des îlots et îles dans
l’espace lacustre de « quatre frontières ». Ces espaces sont devenus de « no man’s land » dont
s’établissent des différentes communautés venant de tous les pays de la région. La ruée vers ces
zones insulaires attire les « réfugiés climatiques » mais aussi des « organisations criminelles »
transnationales.
Les sentiments d’inégalité et d’injustice qui animent les populations autochtones de la
région, ont facilité l’implantation de la secte terroriste dans les zones lacustres. D’une part, la
récurrence de conflits s’explique en grande partie par les limites et les défaillances dans les
modes de gestion et de résolution des conflits intercommunautaires autour des ressources
naturelles. En effet, que ce soit par le recours à la répression ou par les voies de la négociation, les
processus utilisés portent en eux, le germe du conflit d’après. De plus, les sentiments d’être
abandonnées par l’État a fait naitre au sein des certaines populations insulaires et riveraines des
attitudes antipatriotiques pour les communautés qui ont accepté les valeurs de l’Etat moderne et
de rejet pour le camp opposé. En bref, il y a eu un désengagement des acteurs étatiques pour assurer
41Armel SAMBO, Les cours d’eaux transfrontalières dans le bassin du lac Tchad : accès, gestion et conflits (XIXè-
XXè siècles), mémoire du DEA en Histoire de Université de Ngaoundéré, 2005. p.43.
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leurs fonctions régaliennes. Cette situation a ainsi profité à la secte terroriste Boko Haram de se
substitué à ces derniers. Et ceci a permis une forte adhésion des certaines communautés à leur
autorité mais également à leur idéologie barbare et au mode d’action violente qu’il préconise42.
b- La secte Boko Haram comme une manifestation violente des ressentiments envers l’Etat
d’origine westphalienne des communautés indigènes insulaires
Le ressentiment et désir de vengeance d’une partie des communautés insulaires tchadiennes
dont les membres ont été tués pendant la rébellion des 1990 a attisé cette haine aveugle envers
l’Etat et les autres populations voisines. La répression par les forces de défense et de sécurité
fidèles au pouvoir de N’Djamena contre les insulaires pendant les années de la coalition des
rebelles de la MDD/FAO et MDD/MPLT a laissé des plaies béantes dans la psyché collective. Ce
passé douloureux a créé les conditions d’un cercle de vengeance et a alimenté d’une part les
velléités obscurantistes de la création du Califat islamique imaginaire d’Abubakar SHEKAU.
Comme le dit un dicton populaire, « la nature a horreur du vide ». Le vide sécuritaire a poussé
une partie des populations à suivre les insurgés de BH. Face à l’urgence de la situation sécuritaire,
les FDS de certains pays de la région ont mené des opérations d’éradication, dont il y a eu quelques
bavures contre les populations civiles. Et ces « accidents » ont d’une part creusé un fossé et
renforcer la méfiance entre ceux derniers et les populations civiles. C’est peut-être dans ce sens
que Claude AKE affirme que : « la plupart des régimes Africains ont été si aliénées et si
violemment répressifs que leurs citoyens voient l’Etat et ses agents comme des ennemis à dérober,
tromper et vaincre si possible, mais jamais comme des partenaires. Les leaders ont été si absorbés
à gérer les hostilités causées par leur mauvaise gouvernance et la répression qu’ils sont
incapables de s’intéresser à autre chose, incluant la poursuite du développement »43.
En outre, l’arrivée de Boko Haram a permis aux adeptes majoritairement des jeunes
indigènes insulaires d’exprimer leur mécontentement par la violence aveugle et inouïe contre les
populations civiles, les forces de défense et de sécurité et les symboles de l’Etat. Les
moudjahidines les plus expérimentés sur les îles du lac Tchad, sont des anciens membres de
42Aristide Briand REBOAS, Terrorisme et mutations géostratégiques en Afrique, Paris, l’Harmattan, 2021, p. 35. 43Roger YOMBA NGUE et Takwa Zebulon SUIFON, Qui menace la paix et la stabilité en Afrique ? Paris,
l’Harmattan, 2013, p.98.
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groupes politico-militaires, des milices armées et les déserteurs des rangs de forces régulières. Les
dynamiques de repli identitaire qui a longtemps caractérisé ces communautés ont creusé,
davantage le fossé entre eux et les autres. La secte Boko Haram joue principalement sur l’affinité
religieuse et ethnie au détriment de la nationalité qui est encore une idée fragile dans cet espace
frontalier. Ce qui rend la lutte contre cette nébuleuse très compliqué pour les armées des Etats de
la CBLT.
Les acteurs terroristes dont les liens avec les acteurs « traditionnels » de la criminalité
organisée sont désormais établis, sont parfaitement informés des fragilités des espaces dans lequel
ils opèrent, et exploitent de ce fait les failles des systèmes étatiques44, en exploitant la solidarité
ethnique et religieuse. L’on peut ainsi dire, qu’un ensemble des facteurs45 sont réunis pour attirer
la jeunesse dans cette criminalité transfrontalière. En dépit de l’éparpillement des peuples riverains
et insulaires dans différents pays avec le partage du continent par les puissances impérialistes, les
liens de solidarité n’ont jamais été brisés. Et il en résulte, non seulement des frontières et des
populations mobiles d’un pays à un autre suivant les périodes de crue et décrue du lac Tchad, mais
une continuité ethnique qui partage des valeurs communes. Les adeptes de la secte terroriste Boko
Haram qui pensent que le « hukm est à Allah »46 (la souveraineté est à Dieu) valorisent la oumma
plutôt que la nationalité de l’Etat souverain. Bien que l’action militaire porte des fruits mais les
acteurs de la CBLT doivent valoriser davantage l’aspect socioéconomique. Et combattre non
seulement les insurgés qui sont sur le terrain mais « amputer » les têtes pensantes, c’est-à-dire les
44Aristide Briand REBOAS, Terrorisme et mutations géostratégiques en Afrique, Paris, l’Harmattan, 2021, p.32. 45Selon Nabons Laafi DIALLO, danns son ouvrage Le terrorisme au Sahel, Paris, l’Harmattan, 2020, pp.84-85, un
ensemble des facteurs expliquent l’adhésion des jeunes au sein des « entreprises criminelles ». les facteurs
dits incitatifs (« push factors ») (la pauvreté généralisée, le chômage des jeunes, le manque d’opportunités
économiques, la mauvaise gouvernance, les violations des droits humains par des régimes répressifs,
l’inaccessibilité ou la mauvaise qualité des services publics de base, et la corruption) sont mis en avant pour
expliquer l’adhésion des jeunes à l’idéologie terroriste, il faut ajouter les facteurs attractifs (« pull factors
») qui joue un rôle critique pour attirer certains individus vers les groupes extrémistes. La satisfaction des
jeunes sans perspectifs d’appartenir à un groupe ou de participer à certaines activités ou encore un certain
idéal de réussite social. Et les facteurs dits processuels (« process factors ») qui incluent la capacité des
individus à traiter des donnés, les informations reçues du monde extérieurs, à former des jugements corrects,
à faire preuve d’esprits critique, et à faire des choix pro-sociaux , contribuent à l’incitation aux activités
criminelles.
46Gérard FELLOUS, Daech-« Etat islamique » : cancer d’un monde arabo-musulman en recomposition, Paris,
l’Harmattan, 2015.
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idéologues. Concernant cette question du djihadisme, le politologue Myriam BENRAAD y voit
une « réaction politique », qui, pour le comprendre, nécessite de « le traiter comme une idéologie
contemporaine et s’attacher au discours et à la vision du monde de ses adeptes ».47 Et l’ancien
ministre des Affaires étrangères français Dominique de VILLEPIN opposé autrefois à la guerre
contre l’Irak et l’intervention militaire de la France en Syrie en 2014, déclare quant à lui que :
« L’échec est annoncé par ce que le terrorisme est une main invisible, mutante, changeante,
opportuniste. On ne se bat pas contre une main invisible avec des armes de la guerre. Il faut être
capable d’employer la force de l’esprit, la ruse, les moyens de la paix pour désolidariser des forces
qui s’agglutinent autour de ces forces terroriste »48. Et c’est dans cette logique que les Etats de la
CBLT font aujourd’hui dans la double lutte, c’est-à-dire militaire et socioéconomique.
Conclusion
Tout au long de ce travail nous avons cherché à répondre aux questions suivantes : qu’est-
ce qui explique l’enracinement de la secte Boko Haram dans l’espace lacustre transfrontalière du
lac Tchad ? En ce réfèrent sur les foisonnements des différents facteurs qui expliquent l’irruption
de la secte Boko Haram, sur la base d’une littérature sélective nous et les données du terrain avons
fait l’hypothèse selon laquelle l’enracinement de la secte islamiste Boko Haram viennent de la
dégradation des conditions de vie des populations insulaires provoquée par le changement
climatique et les actions anthropiques qui ont entrainé l’amenuisement des ressources naturelles.
Autrement dit, le groupe salafiste radical Boko Haram a profité de la pauvreté de communautés
indigènes insulaires frustrées pour les enrôler comme une « main d’œuvre criminelle ». En
opposant les données issues de nos recherches à d’autres arguments littéraires glanés çà et là sur
la question, nous arrivons à la conclusion selon laquelle, la désétatisation de la zone
transfrontalière lacustre et l’amenuisement des ressources naturelles provoquées par la variation
climatique, les actions humaines ont conduit à la frustration des communautés indigènes insulaires
devenus une « main d’œuvre guerrière » pour Boko Haram. Face à cette situation urgence les
47Myriam BENRAAD cité par ;Akram BELKAÏD et al, « Beaucoup de controverses et peu d'études de terrain: Le
djihadisme sous la loupe des experts », Le Monde diplomatique (Décembre 2017), p. 8. 48Diensia Oris-Armel BONHOU OU, Le terrorisme international existe-t-il en Afrique noire ?, Paris, l’Harmattan,
2018, pp. 55-56.
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acteurs de la Commission du Bassin du Lac Tchad avec l’aide des partenaires étrangères luttent
pour éradiquer la menace terroriste sur le plan militaire mais ont également entrepris les actions
sur le plan socioéconomique afin de venir à bout du mal en dépit de son faible impact dans l’espace
lacustre.
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La Chine et l’intégration spatiale par le rail en Afrique
subsaharienne depuis la guerre froide1
Par :
Romaric TIOGO
Doctorant en Science Politique,
Université de Dschang (Cameroun)
Résumé :
Depuis la guerre froide, l’implication de la Chine dans la dynamique de configuration des
espaces intégrés par le rail en Afrique subsaharienne contribue à changer la physionomie des
territoires. Appuyées diplomatiquement et financièrement par le gouvernement chinois, les
entreprises chinoises de construction d’infrastructures ferroviaires ont opéré une percée au
détriment de certaines puissances établies et émergentes qui luttent pour se repositionner. Grand
« exportateur » du chemin de fer en Afrique, la Chine y participe, au gré de ses intérêts
géopolitiques et géoéconomiques, à la composition des micro-espaces maillés et à l’imposition de
ses normes. Adulée par la majorité des dirigeants qui voient en elle un acteur susceptible de leur
permettre de redonner sens à leurs territoires et de se refaire une santé économique, la Chine, à
travers ses entreprises de construction, entretient cependant des rapports conflictuels avec les
populations locales, qui s’insurgent contre l’asymétrie des dividendes du rail. Entre ces deux
extrêmes, le deal « rail contre ressources naturelles », que propose la Chine, déresponsabilise
l’Afrique qui a un besoin urgent en transfert de technologie.
Mots clés : Chine, Afrique subsaharienne, intégration spatiale, rail, intérêts, asymétrie.
1 Cet article est extrait de notre thèse (en attente de soutenance) intitulée Aide internationale et cristallisation d’un
espace de sens en Afrique : Analyse comparée des approches de la Chine et de l’Union européenne, dirigée par les
Professeurs Jean Njoya et André Tchoupie.
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Introduction
En 2007, Roland Pourtier, l’un des spécialistes du chemin de fer africain, qualifiait de
rêveurs les Etats africains soucieux de donner sens à l’Afrique en configurant les territoires par le
rail. Substantiellement, il faisait observer que « Le chemin de fer continue pourtant à faire rêver,
tout comme au début du XXe siècle quand des ingénieurs dessinaient des transsahariens. L’utopie
reste d’actualité ainsi qu’en témoignent par exemple les projets ferroviaires présentés par le Niger
dans le cadre du NEPAD, ou le projet inter-Etats AFRICARAIL […] avec pour objectif
l’interconnexion entre les lignes existantes. Mais tout cela n’a d’autre réalité que les traits tracés
sur des cartes et relève plus d’un fantasme géographique que d’une analyse rationnelle des coûts.
Le long terme donnera peut-être raison aux utopistes ; dans l’immédiat, toutefois, l’horizon du
rail africain reste bouché…».2 Le temps lui aurait peut-être donné raison si, en cette période post-
guerre froide, la boulimie de matières premières de la Chine ne l’avait pas poussée à rechercher,
sur le continent noir, des sources additionnelles d’approvisionnement.
On sait en effet qu’avec la fin de la guerre froide, l’Afrique tout entière a souffert d’un
déclassement géopolitique du monde occidental en général et de l’Europe en particulier. Cette
dernière s’était plus occupée à réaliser son unité et à sortir de la marginalité économique les anciens
Etats du giron russe. La guerre des idéologies, qui était au cœur de la guerre froide s’étant soldée
par la victoire américaine, l’Afrique a connu une baisse stratégique pour Washington. Dès lors, le
continent noir est devenu l’une des attractions privilégiées de la Chine qui s’évertue à combler le
vide créé. Plus que tous les autres partenaires internationaux, la Chine y apparaît actuellement
comme le plus grand « exportateur d’infrastructures »3 en général et ferroviaires en particulier. La
présente réflexion, qui analyse le secteur du rail, s’attèle à explorer la contribution de l’Empire du
Milieu à la dynamique de recomposition spatiale en vue de l’intégration des territoires en Afrique
subsaharienne depuis la période de la guerre froide. Car, plusieurs études menées sur l’action
chinoise dans cette partie du monde tendent à ne braquer les projecteurs que sur le bilatéralisme
entretenu avec les Etats.
2 POURTIER Roland, « Les chemins de fer en Afrique subsaharienne, entre passé révolu et recompositions
incertaines », Revue belge de géographie, 2 | 2007, p. 12. 3 NICOLAS Françoise, PAJON Céline et SEAMAN John, « La nouvelle diplomatie économique asiatique : Chine,
Japon, Corée comme exportateurs d’infrastructures », Ifri mai, 2014, p. 52.
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Continent le plus désintégré du globe du fait du déficit en infrastructures routières et surtout
ferroviaires majoritairement configurées au sein des territoires nationaux, l’Afrique a du mal à
communiquer et à commercer avec elle-même. Selon les statistiques des institutions financières
internationales et de l’Union Internationale des Chemins de fer (UIC), malgré sa croissance
économique, la longueur du chemin de fer africain ne représente que 5% de la longueur des voies
ferrées internationales pour une population mondiale de 15 % vivant sur 23 % de la superficie du
globe. Le contraste est saisissant avec l’Europe, mieux maillée : 36% des voies ferrées
internationales pour 11% de la population mondiale et 3% seulement de la superficie terrestre.4 Le
réseau ferroviaire africain, dont la longueur n’était que de 74.773 km contre 2.300.000 km de
routes en 20105, suscite à nouveau l’intérêt des architectes de l’intégration africaine. D’autant plus
que, le trafic des passagers par le rail sur le continent ne représente que 2% du trafic ferroviaire
voyageurs mondial, contrairement à la route, 80/90%, et 7 % du trafic de marchandises mondial,
ce qui fait de l’Afrique le moins loti des continents en la matière.6 Cette faible performance trouve
une explication dans la cherté du rail. Car, comme le dit Soteri Gatera de la Commission
Economique des Nations Unies pour l’Afrique : « Construire un kilomètre de rail coûte en
moyenne 21 millions de dollars. La route est dix fois moins chère ».7 En 2010 à Kampala
(Ouganda), le lancement du Programme pour le Développement des Infrastructures en Afrique
(PIDA) dont les principes sont repris en 2013 dans l’Agenda 2063 de l’Union africaine (UA)
accorde une place de choix au rail dans une perspective intégrationniste et développementaliste.
Le PIDA indique dans ce sens que : « Le programme des transports vise à relier les grands centres
de production et de consommation, à réaliser des liaisons entre les grandes villes, à définir les
meilleures plates-formes portuaires et liaisons ferroviaires, et à offrir aux pays enclavés un
meilleur accès au commerce régional et international ».8 Notons que l’importance du rail tient au
4 Cf. Banque Africaine de Développement, Les Infrastructures ferroviaires en Afrique : les options de politiques de
financement, Banque africaine de développement, Abidjan, 2015, p. 3. 5 Commission Economique pour l’Afrique, Rapport 2015 sur le développement des infrastructures en Afrique.
Domaines et intervention prioritaires, Addis-Abeba, 7-9 décembre, 2015, p. 4. 6 UIC, La revitalisation du rail en Afrique : Destination 2040, février, 2014, pp. 5-7. 7 Voir DEFAIT Vincent « En Afrique, le train revient au cœur des grands projets du continent », Le Monde, 05 octobre
2016. http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/10/05/en-afrique-le-transport-ferroviaire-interesse-a-
nouveau_5008330_3212.html, 12/11/2021. 8 Programme pour le développement des infrastructures en Afrique : interconnecter, intégrer et transformer un
continent, p.14. http://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Project-and-
Operations/PIDA%20note%20French%20for%20web%200208.pdf, 12/11/2021.
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fait que, le réseau construit par les colons il y a un siècle, désormais vétuste, tourne au ralenti : 30-
35 km en moyenne, 9 ce qui constitue un véritable goulet d’étranglement. La solution à ce problème
vient pour le moment en grande partie de la Chine, leader mondial du train à grande vitesse (TGV).
A travers ses entreprises de construction d’infrastructures ferroviaires, qui ont fait leurs preuves
en Chine,10 Pékin, qui les soutient financièrement et diplomatiquement, apporte une plus-value
aux territoires africains en les connectant par des rails « made in china », c’est-à-dire construits
selon les normes ou standards chinois. Ceci dit, la question qui guide cette réflexion est la
suivante : Comment et pourquoi la Chine influence-t-elle la configuration des territoires en
Afrique par le rail ? La réponse à l’interrogation consistera à démontrer qu’à travers sa technologie
ferroviaire, la Chine influence, dans un environnement concurrentiel, la composition des territoires
par la configuration de micro-espaces intégrés (I) au gré d’intérêts réciproques (II). Comme
théories d’analyse, nous avons mobilisé l’interaction stratégique11 et l’interdépendance.12
L’interaction stratégique a permis de mettre en exergue le déploiement de la puissance financière
voire diplomatique13 par la Chine en vue de conquérir le marché ferroviaire africain et se
positionner au détriment de ses concurrents qui luttent aussi pour se maintenir. L’interdépendance,
quant à elle, a été non seulement utile pour mettre en relief les liens d’interdépendances
économiques et socio-politiques qui se trouvent renforcés entres les micro-espaces connectés, mais
aussi, pour analyser l’asymétrie des dividendes du rail en dépit de la réciprocité des intérêts entre
les Etats africains bénéficiaires du rail et la Chine.
9 Commission Economique pour l’Afrique, op. cit., p. 3. 10
A la fin de l’année 2015, le réseau ferré chinois était de 120.000 km dont 19.210 km de Lignes à Grande Vitesse
(250 à 350 km/h) et 40,000 km de lignes « express » (160 à 250 km/h) représentant 60% du réseau mondial à grande
vitesse. Cf. CLERC-RENAUD P. « La mondialisation chinoise sur les rails »,
https://www.cnccef.org/TPL_CODE/TPL_PUBLICATIONLISTE_INTERNET/ID_PUBLICATION/2949/DL/PUB
_FICHIER/46-publications.htm, 20/11/2021. 11 LAMBORN Alan C. et LEPGOLD Joseph, World politics into the twenty-first century: Unique contexts, enduring
patterns 1st ed, Upper Saddle River, New Jersey, 2003, p. 485. 12
Sur l’interdépendance, voir KEOHANE O. Robert et NYE Joseph S. Jr., « Power and Interdependence Revisited
», International Organization, Vol. 41, No. 4, 1987, p. 725-753. 13 Désireux d’occuper une position centrale dans la politique infrastructurelle africaine, les autorités chinoises, dont le
Premier Ministre chinois, Li Keqiang, mènent en Afrique ce que nous pourrions qualifier de « diplomatie du chemin
de fer ». En effet, le 5 mai 2014, au siège de l’UA, Li Keqiang avait exposé quatre trains « made in china », un train
de grande vitesse, trois locomotives puis dix modèles d’avions. Cf. People Daily, « Li Keqiang vante les technologies
chinoises dans les transports ferroviaires et l'aéronautique en Afrique », 7 mai 2014.
http://french.peopledaily..com.cn/Chine/8619271.html, consulté le 10 décembre 2021.
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I- LE « RAIL CHINOIS » COMME INSTRUMENT DE CONFIGURATION DE
MICRO-ESPACES INTEGRES DANS UN ENVIRONNEMENT
CONCURRENTIEL
Fredrik Söderbaum et Ian Taylor définissent les micro-espaces comme des espaces
transfrontaliers ou des corridors de développement.14 L’on s’intéresse ici non seulement aux micro-
espaces intégrés par le rail qui se (re)dessinent grâce à l’aide financière chinoise (A), mais aussi
aux luttes qui se font entre la Chine et d’autres puissances installées et émergentes dans la
dynamique de conquête du marché ferroviaire africain (B).
A- La composition de micro-espaces intégrés par le rail
Dans un discours prononcé le 05 mai 2014 au siège de l’Union africaine, Li Keqiang, le
Premier Ministre chinois, avait émis, à la suite des dirigeants africains, le « rêve de voir toutes les
capitales africaines interconnectées grâce à des trains à grande vitesse afin de renforcer
l’intégration régionale et le développement ».15 A la suite de ce discours dont les racines peuvent
remonter à la guerre froide, nous entendons fixer les projecteurs sur les infrastructures ferroviaires
qui, financées par la Chine, configurent des micro-espaces intégrés. Il s’agit, pendant la guerre
froide, du TanZam qui dessine le micro-espace Tanzanie-Zambie (1), et, récemment, des corridors
de Benguela et djibouto-éthiopien (2).
1- La composition du micro-espace Tanzanie-Zambie à l’ère de la guerre froide
Longue de 1860 km, la ligne internationale Tanzanie-Zambie fut financée et construite par
la Chine entre octobre 1970 et juillet 1976, au plus fort de la guerre froide. Dans ce contexte de
conquête des esprits, le leader communiste chinois, Mao Tsé-toung, se déclara prompt à financer
cette infrastructure au sortir de la ruineuse et dévastatrice Révolution culturelle, quitte à délaisser
les grands travaux de développement en cours en Chine.16 Il le fit ainsi au détriment des Allemands
et des Américains, qui considéraient ce projet comme une ‘‘inutile’’ et ‘‘coûteuse folie’’.
14 SÖDERBAUM Fredrik et TAYLOR Ian, Afro-regions: The dynamics of cross-border micro-regionalism in Africa,
Nordiska Afrika Institutet, Sweden, Elanders Sverige AB, Stockholm, 2008, 203 p. 15Li Keqiang's speech at Africa Union, disponible sur http://www.chinadaily.com.cn/world/2014livisitafrica/2014-
05/06/content_17531846_2.htm, page consultée le 10/10/2021. 16 Cf. http://tazarasite.com/?cat=3, 24 mai 2016, consulté le 12 juillet 2021.
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Infrastructure stratégique pendant la guerre froide, le TanZam fut construit pour un montant de
500 millions de dollars, un prêt chinois sans intérêt, remboursable sur une période de 30 ans.
L’objectif des dirigeants des deux États bénéficiaires, Julius Nyerere et Kenneth Kaunda, était non
seulement de s’affranchir de la dépendance infrastructurelle des ‘‘territoires portugais’’ (Angola
et Mozambique), de la Rhodésie du Sud (Zimbabwe) et de l’Afrique du Sud sous apartheid, mais
aussi de connecter Dar-es-Salaam ( Tanzanie ) et Lusaka (capitale zambienne) via la ceinture de
cuivre de Kapiri Mposhi.17 En 2012, cette ligne a bénéficié d’un nouveau prêt chinois de 42
millions de dollars pour sa réhabilitation.18 Il est important de noter qu’étant le projet le plus
important réalisé par la Chine en Afrique pendant la Guerre froide, le TanZam répondait au moins
à une dimension stratégique triadique. Outre la course pour le siège du Conseil de Sécurité de
l’Organisation des Nations Unies, Mao recherchait des clients politiques pour contrecarrer
l’adhésion de l’ex-Union Soviétique à l’Association des peuples Afro-asiatiques dont le sommet
était prévu à Alger en 1965.19 Aussi voulait-il positionner la Chine dans les consciences collectives
en Afrique au même rang que l’ex-Union Soviétique, qui avait financé la construction des barrages
de Volta au Ghana et d’Assouan en Egypte.20 Comme le postule le paradigme de l’interdépendance
développé par Keohane et Nye, il est loisible de constater que la stratégie de financement chinoise
était mue par la quête des soutiens diplomatiques des pays africains. D’autres infrastructures
ferroviaires post-guerre froide s’inscrivent dans la dynamique de configuration de micro-espaces
maillés.
17 LAL Priya, African socialism in poscolonial Tanzania: between the village and the world, Massachusetts,
Cambridge Univesity Press, 2015, p. 57. 18 SCHOLVIN Sören et STRÜVEN Georg, « Tying the region together or tearing it appart? China and transport
infrastructure projetcs in the SADC region », Monitoring regional integration in southern Africa, Year book, 2012, p.
188. 19 Cf. Embassy of the People’s Republic of China in The united Republic of Tanzania, “TAZARA: How the great
Uhuru Railway was built”, disponible sur http://tz.china-embassy.org/eng/media/t921927.htm, consulté le 12 juillet
2021. 20 ALTORFER-ONG Alicia N., Old Comrades and New Brothers: A Historical Re-Examination of the Sino-Zanzibari
and Sino-Tanzanian Bilateral Relationships in the 1960s Thesis submitted for the Degree of Doctor of Philosophy
Department of International History, London School of Economics and Political Science, February 2014, p. 196.
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2- Les connexions spatiales post-guerre froide
Nous ferons allusion aux corridors ferroviaires du Benguela et à la ligne djibouto-
éthiopienne. Relativement au corridor du Benguela, il configure un micro-espace intégré entre
l’Angola, la République démocratique du Congo et la Zambie. Détruite suite à la guerre civile
angolaise qui débuta au lendemain de l’indépendance en 1975, la reconstruction du corridor de
Benguela a été possible grâce à un prêt concessionnel de l’Exim bank China de 1,83 milliard de
dollar.21 Réalisée par la China Railway Construction Corporation (CRCC) en août 2014 au
détriment des entreprises européennes évincées,22 elle a été inaugurée en février 2015 par les
Présidents angolais, congolais et zambien.23 La voie ferrée de Benguela, 1344 km, est ainsi « la
plus rapide et la plus moderne »24 jamais réalisée en Angola. Comme le montre la carte ci-après,
ce corridor régional « stratégique »25 relie le port de Lobito en Angola au réseau ferré du Katanga
en RDC, dans la ville frontalière de Luau.26
21 BARROW Keit, « Benguela railway reconstruction completed », International Railway Journal, 13 août 2014,
http://www.railjournal.com/index.php/africa/benguela-railway-reconstruction-completed.html, page consultée le
24/10/2016. 22 LAMFALUSSY Christophe, « La CHINE réhabilite le chemin de fer de Benguela », La Libre.be, 12 janvier 2006,
http://www.lalibre.be/economie/libre-entreprise/la-chine-rehabilite-le-chemin-de-fer-de-benguela-
51b88d00e4b0de6db9ad4ac6, consulté le 20 Octobre 2016. 23 BATTUTA, « Three presidents inaugurate rebuilt Benguela railway », Railway Gazette, 16 Février 2015.
http://www.railwaygazette.com/news/infrastructure/single-view/view/three-presidents-inaugurate-rebuilt-benguela-
railway.html, page consultée le 24 Octobre 2016. Il s’agissait de José Edouardo Dos Santos (Angola), de Joseph Kabila
(RDC) et d’Egard Lungu (Zambie). 24 Contrairement à l’ancienne ligne coloniale qui roulait à 30 km/h, la nouvelle ligne en fait le triple, soit 90 km/h. Cf.
MUDRONOVA Jana, « Chinese construction of Angola Benguela railway project completed », The Chinafrica
Project, 02 Septembre 2014. http://www.chinaafricaproject.com/chinese-construction-angola-benguela-railway-
project-completed-translation/, page consultée le 24 Octobre 2016 ; Jeune Afrique, « China Railway Construction a
achevé la rénovation du Chemin de fer Angola-Katanga », 22 Août 2014. 25 Luzakatimes, « Lungu pledges completion railway line », 13 Fevrier 2015,
https://www.lusakatimes.com/2015/02/13/lungu-pledges-completion-benguela-railway-line/, 25/10/2016. 25 Jeune Afrique, « China Railway Construction a achevé la rénovation du Chemin de fer Angola Katanga », 22 Août
2014.
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CARTE NO 1 : CORRIDOR REGIONAL ANGOLA-RDC-ZAMBIE
.
© Centre for Chinese Studies (non datée).
Notons enfin le corridor Djibouti-Addis-Abeba, qui intègre les territoires djiboutien et
éthiopien. Soucieux de construire un chemin de fer parallèle à la ligne coloniale djibouto-
éthiopienne afin de doper ses échanges avec Djibouti, dont elle était devenue dépendante à 90 %
depuis la guerre d’indépendance qui l’opposa à l’Erythrée,27 le gouvernement éthiopien se tourna
vers les bailleurs occidentaux. Toutefois, le désintérêt de ces derniers pour cette infrastructure
obligea les bénéficiaires à lorgner vers la Chine qui la finança à hauteur de 4 milliards de dollars28.
La construction de cette ligne fut alors attribuée à la China Railway Engineering Corporation et la
China Civil Engineering Construction Corporation, au détriment des entreprises occidentales
rivales,29 dont les experts et les institutions, l’Union européenne et le FMI30 notamment, trouvaient
la construction « irréaliste »31 du fait de sa cherté. Première ligne « électrique transnationale »32
27 À l’issue du conflit qui opposa l’Éthiopie à l’Érythrée, lequel a reconfiguré les frontières héritées de la colonisation,
l’Éthiopie a perdu sa position stratégique qui donnait à la mer. S’amorça dès lors le rapprochement avec Djibouti. 28 JACOBS Andrew, « Joyous Africans Take to the Rails, With China’s Help », The New York Times, 7 Février 2017. 29 Global Times, « China-built railway brings modern land transport – and hope – to Africa », 10 août 2016,
http://www.globaltimes.cn/content/1010037.shtml, page consultée le 20/10/2016. 30 Voir BAUER Anne, « L’avenir de Djibouti s’écrit avec la Chine », Les Echos. Fr. 31 FOCH Arthur, « Terminus pour le chemin de fer djibouto-éthiopien », Slate Afrique, 21 avril 2011,
http://www.slateafrique.com/1553/chemin-de-fer-djibouti-ethiopie 21/04/2011, 22/10/2016. 32 JACOB (A), « Joyous African Take the Rails, With China’s Help », The New York Times, op. cit.
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construite par la Chine en Afrique pour interconnecter deux pays foncièrement interdépendants,33
elle est longue de 752,7 km et « substitue » 34 la « vieille » ligne coloniale française, plus étroite.
Autrement dit, elle est conforme aux normes ferroviaires internationales adoptées par l’UA, 1,435
m. Comme on peut en apercevoir le tracé sur la carte ci-après, elle a vu le jour en octobre 2015,
quatre ans après le début de sa construction en octobre 2011. Elle permet de gagner en temps
d’autant que, contrairement à la ligne coloniale, le train roule à 120km/h, ralliant le port de Djibouti
en 10 heures au lieu de 10 à 12 jours avant.
CARTE NO 2 : LE CORRIDOR DJIBOUTO-ETHIOPIEN
Source : France 24, 2016.
Il est important de préciser que ce corridor, qui configure un micro-espace intégré entre
l’Éthiopie et Djibouti, est la première phase d’un projet panafricain. Il devrait s’étendre d’est en
ouest, de la Mer Rouge à l’Océan Atlantique, dans le richissime golfe de Guinée. L’ambition est
de relier le Soudan via Mekele (nord), le Kenya via Moyale (sud) et le Soudan du Sud via Gambella
(ouest).35 S’il est ainsi des micro-espaces dont l’interconnectivité a été exclusivement assurée par
des infrastructures ferroviaires financées par la Chine, il n’en demeure pas moins que Pékin subit
la concurrence d’autres acteurs dans le domaine du rail sur le continent.
33 En effet, l’Ethiopie, l’une des économies les plus dynamiques d’Afrique (10, 2% de croissance en 2015 et 6,5% en
2016 du fait de la sécheresse qui l’a impactée), est une puissance démographique (95 millions de personnes) utile à
l’économie djiboutienne qui offre une ouverture stratégique à l’Ethiopie sur la Mer Rouge via son port. 34 Cf. Album des Résultats des 15 Années du Forum sur la Coopération Sino-Africaine à l’occasion du Sommet de
Johannesburg sur le FOCAC tenu en décembre 2015, p. 66. 35 Cf. http://www.france24.com/fr/2016006-ethiopie-djibouti-inauguration-train-chinois-relier-addis-abeba, consulté
le 22 Octobre 2016.
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B- Les luttes entre la Chine et d’autres puissances concurrentes impliquées dans la
dynamique de configuration de micro-espaces intégrés par le rail
En Afrique subsaharienne, la Chine est confrontée à la concurrence d’autres puissances
installées et émergentes dans le secteur du ferroviaire qu’elle domine depuis le début des années
2000. Nous analyserons les collisions franco-chinoises pour la conquête de la boucle ferroviaire
ouest-africaine puis la concurrence entre la Chine, le Portugal et la Turquie sur la ligne ferroviaire
est-africaine.
La domination de Pékin dans le domaine du ferroviaire en Afrique et son approche, qui
consiste à donner de l’aide contre les ressources naturelles n’a cessé d’enrager les Français qui en
sont arrivés à mobiliser la stratégie dite du « jeu d’échecs »36 pour stopper la percée chinoise. A la
différence de la stratégie chinoise du « jeu de go » qui mobilise la « puissance douce » dont l’aide,
et qui prône la coexistence harmonieuse sur un espace disputé, le « jeu d’échecs », d’essence
occidentale, vise l’élimination d’un concurrent, généralement par des voies militaires, en vue d’un
positionnement exclusif sur un territoire convoité. C’est dans ce sens qu’en 2008, trois grandes
entreprises chinoises, la China State Construction and Engineering, Sinohydro et China Tiesiju
Civil Engineering Group se positionnent pour le financement d’un important projet ferroviaire du
PIDA, la boucle ferroviaire ouest-africaine, contre des gisements miniers.37 Infrastructure
prioritaire du PIDA, la boucle ferroviaire ouest-africaine vise à configurer un micro-espace intégré
par le rail sur une distance de 3000 km, d’Abidjan à Cotonou (Benin), via Ouagadougou, Kaya
(Burkina Faso) et Niamey (Niger), avec un possible prolongement sur Lomé.
Le deal « minerais contre infrastructure », proposé par la Chine, avait, selon les mots de
Michel Rocard, soudainement « réveillé » la France. Et, en février 2010, le Président nigérien,
Mamadou Tandja, fut renversé par un coup d’Etat.38 Comme l’a expliqué Michel Rocard, il fallait
36 SWIELANDE STRUYE Tanguy de, La Chine et les grandes puissances en Afrique : Une approche
géostratégique et géoéconomique, Belgique, Presses universitaires de Louvain, 2010, p. 72. 37 Notamment l'uranium déjà exploité par l’entreprise minière française Areva, le manganèse de Tambao au Burkina
Faso ou encore le gisement de Say-Kolo au Niger qui renferme 1,215 milliard de tonnes de fer d’une teneur de 44,9 %,
soit près de la moitié de la plus grande réserve de fer non exploitée au monde. Il faut aussi signaler l’existence dans la
zone du pétrole et du phosphate. 38 Rocard, cité par TILOUINE Joan et MICHEL Serge, « Ligne Cotonou-Abidjan : « Vincent Bolloré est en train
d’essayer de nous voler », dénonce Rocard », Le Monde, 03 septembre 2015.
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arrêter la Chine dont l’objectif « était clair : mettre la main sur Areva ».39 En 2014, l’UE était
entrée dans la danse. Elle avait financé une étude de faisabilité de la construction de ladite boucle.
En 2015, suite à moult manœuvres, la boucle ferroviaire fut confiée au groupe français Bolloré
Africa Logistics au détriment de l’homme d’affaires béninois Samuel Dossou, attributaire
préalable du tronçon Niamey-Cotonou. Il était question pour Bolloré de réhabiliter le tronçon
Abidjan-Kaya via Ouagadougou, de construire Kaya-Parakou au Bénin via Niamey, puis Parakou-
Cotonou pour un montant total de 2,5 milliards d’euros.40 Après la pose des 140 premiers km de
rail « métrique » 41 ou « étriqué » datant de l’époque coloniale plutôt que du rail à l’écartement
standard agréé par l’UA entre Niamey et Gaya dans le désert nigérien, une décision de justice
béninoise d’octobre 2017 intima l’ordre à Bolloré d’interrompre les travaux sur le territoire
béninois, au profit de Samuel Dossou, patron du groupe Pétrolin. Dans les coulisses, la Chine, à
travers la China Railway Coporation, travaillait à évincer le groupe français Bolloré que préférait
Niamey. En juillet 2018, le Président Patrice Talon, qui qualifia l’offre française de « bas de
gamme » du fait du rail métrique suranné se constitua en Voyageur Représentant Placier de Pékin.
Il alla convaincre le Président Mahamadou Issoufou de l’opportunité de s’arrimer à la norme de
l’UA promue par la Chine qui était à ses yeux la meilleure offre de développement économique,
et bien plus en termes de rapport qualité/prix. Il argumentait que « la rentabilité d’un projet de
chemin de fer n’est pas évidente. Il faut des financements particuliers de type concessionnel, qui
comportent des dons ».42
Les luttes sino-françaises ont ainsi donné de constater que, d’un côté, le Niger et le Bénin
ont fini par jeter leur dévolu sur la Chine, qui devrait construire 1000 km de rail pour relier les
deux États et leurs populations, puis, de l’autre, la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, qui ont plutôt
requis l’expertise de Bolloré qui poursuit la réhabilitation de leur ligne commune depuis 2017. Si
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/09/03/michel-rocard-vincent-bollore-est-en-train-d-essayer-de-nous-
voler_4744700_3212.html, 20/10/2021. 39 Ibid. 40Cf.http://www.ilboursa.com/marches/le-groupe-francais-bollore-investit-2-5-milliards-d-euros-enafrique_7345,
consulté le 20 Octobre 2016. 41 La Nouvelle Tribune, « Installation de vieux rails métriques : un expert béninois désapprouve le groupe Bolloré »,
10 juillet 2015, http://www.lanouvelletribune.info/benin/politique/24574-installation-de-vieux-rails-metriques-un-
expert-beninois-desapprouve-le-groupe-bollore, 23 Octobre 2021. 42 BAYO Ibrahima Jr., « Boucle ferroviaire ouest-africaine : au Niger, Patrice Talon pousse la piste chinoise », La
Tribune Afrique, 07 Avril 2018.
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l’on pourrait déboucher de part et d’autre sur l’ancrage des micro-espaces intégrés Abidjan-
Bamako puis Cotonou-Niamey, il y a lieu de noter l’impossible contact futur le long de la boucle
ferroviaire, du fait des écartements très divergents implémentés. En effet, alors que la ligne ivoiro-
burkinabé est réhabilitée selon l’écartement métrique, 1 m, le Niger et le Bénin, sous l’impulsion
de Porto-Novo, entendent plutôt construire un chemin de fer conforme aux normes agréées par
l’UA, 1,435 m. L’on aboutirait donc à une boucle fragmentée.
Quant au mégaprojet ferroviaire est-africain, qui a vu l’entrisme du Portugal et de la
Turquie expliquant le retrait chinois, il concerne primordialement les pays de l’East African
Community. C’est-à-dire le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda, la Tanzanie, le Burundi et le Soudan
du Sud auxquels il faut ajouter et la RDC, comme l’indique la carte ci-dessous.
CARTE 4 : CARTE DU MEGAPROJET FERROVIAIRE DE L’EAC
Source : Africa Confidential, 2014.
Le 12 mai 2014 à Nairobi (Kenya), Li Keqiang, le PM chinois, avait signé, avec quatre
chefs d’État africains, un accord relatif à la construction d’une ligne ferroviaire en Afrique de l’Est.
Il s’agissait des présidents Uhuru Kenyatta, Kaguta Museveni, Paul Kagame et Riek Machar en
l’occurrence. Aussi avait-on noté la présence des représentants de la Tanzanie, du Burundi et de
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la BAD.43 Le coût global de cette ligne est alors estimé à 13,8 milliards de dollars. Débutée en
décembre 2014, la réalisation de la phase 1 du projet, Mombasa-Nairobi, d’une longueur de 480
km, a été achevée et inaugurée le 31 mai 2017(voir la carte 4). D’une valeur de 3,8 milliards de
dollars, elle a été financée à 90% par Exim Bank of China (3,4 milliards de dollars) et 10% par le
gouvernement kenyan.44
Plus connue sous le nom de Standard Gauge Railway (SGR),45 cette voie à écartement
normal, 1,435 m, vise à desservir les pays fermés de la région (Ouganda, Rwanda, Burundi et
RDC) à partir de la ville portuaire de Mombasa, porte d’entrée du corridor nord.
Contractuellement, l’Ouganda devait collaborer financièrement avec Nairobi afin d’assurer le
prolongement de la ligne kenyane jusqu’à Malaba, sa frontière, une fois qu’elle aura atteint le port
de Kisumu au Kenya. Toutefois, l’Ouganda est allé à l’encontre de cet engagement, faisant
observer que le Kenya était plutôt tenu par « l’obligation d’étendre le chemin de fer jusqu’à
Malaba, faute de quoi il ne le soutiendrait pas dans sa quête de financement chinois pour la
réalisation de la totalité du projet ».46
Si le gain en temps est évident, car la ligne kenyane permet d’acheminer plus rapidement
des marchandises en Ouganda à travers le transport multimodal port-rail-route, il n’en demeure
pas moins que les agissements de l’Ouganda ont contribué à mettre en veilleuse le prolongement
de cette ligne jusqu’à Malaba, la frontière ougandaise. Du fait du désagrément causé par
l’Ouganda, le Rwanda, autre pays enclavé, qui devait prendre le relais une fois la ligne ougandaise
entièrement construite, s’est rabattu sur la Tanzanie pour se tailler une ouverture sur la mer via le
corridor central. Désormais, l’on observe un micro-espace de sens en train de se dessiner entre la
43 BBC, « China to build new East Africa railway line », 12 Mai 2014, http://www.bbc.com/news/world-africa-
27368877, 21/10/2016. 44 De fait, pour le financement de ce projet, Exim Bank China a octroyé 1, 6 milliard de prêt concessionnel
remboursable dans un délai de 20 ans, et 1,82 milliard de prêt commercial, remboursable dans 15 ans. Cf. ORIERE S,
« Kenya readies first standard gauge rail line », International Rail Journal, Juin 2016,
http://www.railjournal.com/index.php/africa/kenya-readies-first-standard-gauge-line.html, consulté le 22 Octobre
2016. 45 KAUNDA D, « Standard Gauge Railway project: forging new frontier in railway development in Kenya and the
region », Uchukuzi, Issue 1 juin 2014, p. 6. 46 MUGABO Peter, « Rwanda bypasses Uganda for its own standard Gauge Railway Line », News of Rwanda, 18
Janvier 2018.
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Tanzanie et le Rwanda,47 ce qui pourrait conduire à un isolement relatif de la ligne kenyane et à la
polarisation du commerce sur le corridor central au détriment du corridor Nord, jusque-là le plus
important de la région. Comme on peut le voir sur la carte précédente (carte 4), il est prévu la
construction de la ligne Kigali-Isaka-Arusha-Moshi-Tanga (port) qui fait partie intégrante du grand
projet ferroviaire est-africain. Alors qu’elle devait financer la construction de cette infrastructure,
la Chine s’est retirée suite à l’attribution de l’axe Kigali-Moshi, en cours de réalisation, aux
concurrents portugais et turcs.48
Si la portion tanzanienne progresse en direction du Rwanda, Kigali est encore en quête
financements, américains notamment, pour la réalisation de l’infrastructure sur son territoire.49 Par
le choix du corridor central en Tanzanie, le Rwanda espère une réduction des prix des
marchandises qui débarquent sur son territoire. Car, selon le Cabinet Infhotep :
« Les coûts logistiques sont 4 à 6 fois plus importants en Afrique subsaharienne que dans
les autres pays émergents. 750$, c’est le coût de déplacement d’un container entre Tokyo et
Mombasa (Kenya) soit 11 180 km. 750$ × 3 ! C’est le coût de déplacement d’un container entre
Mombassa et Kigali (Rwanda) soit 1 437 km ».50
De ce qui précède, bien que concurrencée, il est clair que l’implication de la Chine dans le
processus de composition des territoires interdépendants est une réalité. Toutefois, si dans leurs
discours, les dirigeants chinois affirment promouvoir des gains réciproques, il n’en demeure pas
moins vrai que ces intérêts demeurent asymétriques.
47 Lire, dans ce sens, ATCHA Emmanuel, « Rwanda-Tanzanie : un projet ferroviaire déjà sur les rails », La Tribune
Afrique, 16 Janvier 2018. 48 MUGABO (P), « Rwanda bypasses Uganda for its own standard Gauge Railway Line », op. cit. 49 MULYUNGI Patrick, « Rwanda seeks US $1.3bn to subsidize its portion of the Isaka-Kigali SGR line», May 29,
2019. 50 BERTRAND Olivier et HAKMI Daoya, Les infrastructures de transport en Afrique : enjeux et perspectives, op.
cit., p. 44. Voir, dans le même sens, FOFACK Hippolyte, « Une Afrique compétitive : l’intégration économique
pourrait faire du continent un acteur à l’échelle mondiale », op. cit., p. 50.
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II- LE RAIL COMME INSTRUMENT DE CONSTRUCTION DES INTERETS
RECIPROQUES
Il faut entendre par réciprocité des intérêts une situation dans laquelle chaque acteur tire
des avantages d’une coopération. Toutefois, hâtons-nous de préciser, comme le rappellent
Kehoane et Nye, que la réciprocité entre acteurs sur la scène internationale n’implique pas
forcément la « symétrie ».51 Dès lors, s’il va de soi que le rail apparaît avant tout comme une
stratégie d’affirmation de la puissance chinoise en Afrique (A), ne convient-il pas aussi de faire
observer que la ritournelle « gagnant-gagnant », mise en avant par Pékin, doit être tempérée du
fait d’un déséquilibre constaté dans les échanges ? (B).
A- Une stratégie d’affirmation de la puissance chinoise en Afrique
Comme déjà évoqué, le chemin de fer, le TanZam notamment, a été conçu depuis la guerre
froide comme un instrument de construction des intérêts chinois en Afrique. Ici, il est analysé à la
fois comme une stratégie de « déseuropéanisation » de l’Afrique ou de diffusion des normes
chinoises de construction (2) et comme une stratégie géoéconomique (2).
1- Le « rail chinois » comme technologie de « déseuropéanisation » de l’Afrique
Nous entendons par « déseuropéanisation » le déclassement géopolitique de l’Europe par
la Chine en Afrique à travers la technologie ferroviaire. En effet, par-delà leur vocation première
qui est de connecter les territoires, les lignes ferroviaires construites par la Chine en Afrique sont
avant tout des « marqueurs géopolitiques »52 porteurs de sens. De ce fait, la politique d’exportation
de la technologie chinoise du rail en Afrique sonne progressivement la déseuropéanisation de
l’Afrique, c’est-à-dire la perte de l’influence européenne sur le continent dans le domaine du rail.
Dans son entreprise d’effacement des traces de l’Europe coloniale sur les territoires, la Chine
procède par une double stratégie.
51 KEOHANE O. Robert et NYE S. Joseph Jr., Power and Interdependence: World Politics in Transition, third
edition, New-York, Longman, 2001, p. 8. 52 BEYER Antoine, « Le contact des réseaux ferrés à écartement russe et européen. Héritage embarrassant ou futur
trait d’union continental ? », Strates, 2008. http://strates.revues.org/6681, consulté le 24/10/2016.
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D’abord, à travers la construction des chemins de fer ultramodernes conformes à ses
normes53 et à l’écartement international agréé par l’UIC et l’UA, Pékin inscrit dans le registre
archéologique les chemins de fer coloniaux jusque-là considérés comme des bases européennes de
domination symbolique de l’Afrique. Loin de toute neutralité, son projet d’interconnexion des
capitales africaines par le rail, lancé en 2014 à l’UA, apparaît comme une stratégie de construction
de son omniprésence sur les territoires et de renforcement de son « soft power »54 dans les
consciences collectives.
Il convient cependant de noter que les Africains, autrefois inconditionnels des normes
ferroviaires occidentales jugées « supérieures », les ont souvent réclamées en vain. Ce fut le cas
lors de la construction de l’axe Ethiopie-Djibouti, où les partisans des normes chinoises et
européennes s’affrontèrent, certains jugeant les normes chinoises « inférieures » avant de se
raviser. Comme l’a expliqué l’ingénieur chinois Long Zongming : « Au début, les Ethiopiens
étaient sceptiques au sujet des normes chinoises, parce que leur référence était les normes
européennes et américaines. Ils ont progressivement accepté nos normes après que nous les ayons
invités en Chine à voir les chemins de fer que nous avons déjà construits ».55
Aussi bien les politiciens que les académiciens chinois se réjouissent de la domination de
Pékin. A l’instar du ministre des Affaires étrangères de Chine, Wang Yi, qui exultait au Kenya que
« les normes chinoises ont gagné la confiance des peuples africains », Wang Hongyi, expert en
études africaines à la China Institute of International Studies affirme ce qui suit: « Historiquement,
les infrastructures construites en Afrique ont recouru aux standards européens. La construction
du chemin de fer de Benguela témoigne du grand effort mené par la Chine pour exporter ses
53
S’il est vrai que la Chine a bénéficié de l’expérience des grands groupes occidentaux comme General Electric,
Siemens, etc. elle a dû conjuguer les acquis de la technologie « étrangère » avec sa propre technologie pour procurer
à ses entreprises une identité normative et faciliter l’exportation de ses produits. Les premières normes des TGV
chinois, qui ont été publiées en 2014, couvrent 20 aspects du design et de la construction. Cf. « Des trains à grande
vitesse de conception chinoise vont remplacer les anciens modèles étrangers »,
http://fr2.mofcom.gov.cn/article/chinanews/201507/20150701064930.shtml, 28/10/2016 ; CLERC-RENAUD « La
mondialisation chinoise sur les rails », op. cit. 54 Sur cette notion, lire NYE Jr. J. S., Soft power. The means to success in world politics, Publicaffairs 2004. 55People’s Daily, « Chinese railway standards lauded in Africa », 30 août 2016,
http://en.people.cn/n3/2016/0830/c90000-9107725.html, 24/10/2016.
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propres normes et établir la réputation de ses entreprises ».56 Ainsi, dans le domaine du
ferroviaire, la Chine s’affirme comme une « puissance normative »57 qui bouscule le « statu quo »
établi sur les territoires et dans les têtes en Afrique subsaharienne en imposant subtilement ses
standards.
Ensuite, dans la même veine géopolitique, on peut lire le discours des politiques chinois
sur le développement des infrastructures d’intégration tels les trains à grande vitesse, les réseaux
autoroutiers et les réseaux régionaux d’aviation comme une stratégie de déconstruction de l’axe
Europe-Afrique concurrent. Dans un discours prononcé au siège de l’UA le 27 janvier 2015, Zhang
Ming, le Vice-ministre chinois des Affaires étrangères, l’a clairement exprimé en ces termes
: « l’Afrique est un vaste continent où il devrait être possible que les gens voyagent sans plus être
obligés de transiter par Paris et Londres ».58 Si cette déclaration vise a priori le transport aérien,
l’on peut aussi y voir que, désormais, pour la Chine, les infrastructures sur lesquelles il devient
digne de voyager en Afrique sont non plus européennes mais chinoises. Il est d’ailleurs capital de
préciser qu’en plus des normes de construction européennes et chinoises qui diffèrent, les
infrastructures ferroviaires nouvellement bâties par la Chine en Afrique sont généralement
parallèles à celles construites autrefois par les ex-puissances coloniales. Cette stratégie chinoise
viserait à construire la marginalité des infrastructures européennes avec lesquelles elle souhaite
créer une certaine distance. En attribuant donc à son infrastructure une vocation émancipatrice (il
faut que les gens voyagent sans plus être obligés de transiter par Paris et Londres), la Chine entend
déconnecter l’Afrique de Bruxelles pour consolider l’axe Afrique-Beijing. Véritable grammaire
d’un basculement, « l’infrastructure (ferroviaire) est alors, comme l’a résumé Antoine
Beyer, révélatrice de données géopolitiques que de réponses à de réels problèmes de transport ».59
Ne devrait-on pas voir, dans le discours des politiques chinois sur l’infrastructure ferroviaire,
« l’avènement d’un impérialisme…gondwanien » 60 provenant d’un Sud jadis à la merci du Nord
56 Cité par LEI Zhao « Angola rail line, built by Chine, gets rolling », China Daily, 16 février 2015,
http://www.chinadaily.com.cn/world/2015-02/16/content_19600829.htm, 25 /10/2016. 57 TOCCI Nathalie et MANNERS Ian (2008), « Comparing Normativity in Foreign Policy: China, India, the EU, the
US and Russia», in Tocci Nathalie (ed.) Who is a normative foreign policy actor? The European Union and its Global
Partners, Centre for European Policy Studies, Brussels, p. 301. 58 Cité par OBAJI Konye Orie, « China signs deal with AU to connect Africa's big cities », 2015, op. cit. 59 BEYER A., op. cit. 60 ROPIVIA Marc-Louis (1986), « Géopolitique et géostratégie : L’Afrique noire et l’avènement de l’impérialisme
tropical gondwanien », Cahier de géographie, vol. 30, No 79, 1986, pp. 5-19.
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? A ces ambitions de déclassement géopolitique de l’Europe en Afrique, il faut nécessairement
ajouter des motivations géoéconomiques.
2- Le « rail chinois » comme stratégie de construction des intérêts géoéconomiques
Au début des années 1990, Gerald Segal affirmait que l’Afrique ne sera qu’un appendice
dans la politique étrangère de la Chine montante.61 Il poursuivait que la Chine sera plus utile à
l’Afrique que l’Afrique à la Chine.62 Au regard de l’intérêt sans cesse croissant de la Chine pour
l’Afrique, dont le marché de construction se révèle comme un appât pour sa politique énergétique
et minière, on est en passe d’affirmer que c’est plutôt le contraire qui s’est produit. Grâce au
« triangle d’or »63 constitué des entreprises, de l’Etat et des banques chinoises pourvoyeuses des
prêts « agressifs », la Chine a pu attirer dans sa sphère d’influence des pays africains riches en
ressources naturelles et minières utiles à ses usines. Offrir le rail a donc un sens économique,
surtout lorsqu’on s’attèle si peu que ce soit à décrypter le sens du rail chinois, c’est-à-dire la
direction qu’il prend. Ce sens est loin d’être anodin, surtout lorsqu’on observe le lien étroit qui
existe entre sa politique de création des Zones Economiques Spéciales (ZES) 64 où se trouvent
nombre d’industries chinoises récemment « délocalisées » en Afrique.
Le développement parallèle d’un réseau d’infrastructures multimodales de transport (train,
ports maritimes, aviation) et des ZES en Zambie, Ethiopie, Djibouti, Nigeria et Egypte65 est en
phase avec les besoins de la Chine. Bâtis pour la majorité dans des pays abritant des ZES, le rail
facilite la commercialisation des marchandises manufacturées tout comme sa construction est
motivée par la quête de pondéreux dont il sert d’exutoire.
61 SEGAL Gerald, « China and Africa », The Annals of the American Academy of Political and Social
Science, Vol. 519 No.1, janvier, 1992, p. 126. 62 Ibid. 63 Institute of Developing Economies-Japan External Trade organization (IDE-JETRO), « China in Africa: The Role
of China's Financial Institutions », http://www.ide.go.jp/English/Data/Africa_file/Manualreport/cia_11.html,
23/10/2021. 64 Les ZES construites en Afrique sont les répliques des recompositions spatiales créées autrefois en Chine. De 1979
à 1985, se sont constituées sept zones spéciales munies de quatorze ports ouverts dessinant un espace régional
d’intégration liant Xiamen (Amoy) à Taïwan, Shenzhen à Hongkong ou Zhuhai à Macao. Voir BADIE Bertrand, La
fin des territoires. Essai sur le désordre international et sur l’utilité sociale du respect, Fayard, Paris, 1995 p. 225. 65 Ces ZES sont : le Parc industriel oriental (Ethiopie), Zone franche internationale (Djibouti) Chambishi (Zambie),
Lekki (Nigeria) et Suez (Egypte).
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Relativement au commerce des marchandises manufacturées, le 05 octobre 2015 par
exemple, l’inauguration de la ligne ferroviaire djibouto-éthiopienne avait suscité beaucoup
d’espoirs chez des industriels chinois désireux de réaliser des gains optimaux. Zhang Huarong, le
président de la société chinoise Huaajian logée au Parc industriel oriental (Ethiopie), qui exporte
mensuellement environ trois millions de chaussures vers les Etats-Unis et l'Europe via le port de
Djibouti construit par la Chine s’était montré confiant ainsi qu’il suit : « Nous espérons que ce
train réduira les efforts logistiques et réduira les coûts. Nous sommes très optimistes…».66 Bien
plus, la Chine souhaite conquérir de nouveaux marchés fermés du fait d’un déficit
d’infrastructures. Le rail, comme les autres infrastructures physiques, permet à Pékin de pénétrer
plus aisément en Afrique et d’y introduire ses produits bon marché. En mai 2014, avant
l’émergence de la covid-19, Li Keqiang indiquait dans un discours en Ethiopie que l’objectif
derrière la connexion des territoires était de porter les échanges commerciaux avec l’Afrique à 400
milliards de dollars à l’horizon 2020.67
En ce qui concerne la quête de pondéreux tels le pétrole, le gaz ou les minerais, une étude
menée en 2014 par Workneh a révélé que l’engagement de la Chine dans la réalisation du
mégaprojet ferroviaire est-africain était motivé par la découverte du pétrole et du gaz au Kenya et
en Ouganda.68 Mue par la recherche du pétrole pour ses industries énergivores, la Chine a intensifié
sa politique infrastructurelle en Afrique depuis que les Etats-Unis ont conquis le Moyen-Orient et
envahi l’Afghanistan qui faisaient partie de ses sources d’approvisionnement.69 Face aux
concurrents établis et émergents, Pékin entend conquérir l’Afrique en donnant le chemin de fer et
d’autres infrastructures telles les ports et les routes qui y font le plus défaut, afin d’assurer un
positionnement prioritaire de ses industries extractives.
Grâce aux chemins de fer considérés comme le « nouveau parangon » du
développement chinois, Pékin trace ses routes en Afrique et se fait de nouvelles frontières
66LE BRECH Catherine, « Ethiopie: un train chinois pour Djibouti », Geopolis 05 octobre 2016.
http://geopolis.francetvinfo.fr/ethiopie-un-train-chinois-pour-djibouti-120817, 26/10/2016. 67 Voir le discours de du PM chinois, Li Keqiang, prononcé au siège de l’UA le 05 mai 2014, précité. 68 Voir CISSÉ Daouda, « Globalisation and sustainable Africa-China trade: what role play the African regional
organisations? », Occasional Paper, http://nai.diva-portal.org/smash/get/diva2:782298/FULLTEXT01.pdf, p. 23. 69 CORKIN Luci, « China’s strategic infrastructural investments in Africa », in Guerrero D-G. et Manji F. (eds),
China’s New Role in Africa and the South: A Search for a New Perspective. Fahamu and Focus on the Global Nairobi,
Oxford et Bangkok, 2008, p. 135.
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économiques. Une « Afrique sans frontières »70 fait d’autant sens à Pékin que la circulation de ses
marchandises et de ses ambassadeurs économiques que sont ses migrants se trouve facilitée. Ceci
amène à questionner la nature des intérêts des Etats africains. S’ils tirent en effet leur épingle du
jeu, des asymétries constatées ne semblent-elles pas répéter l’histoire coloniale ?
B- Un instrument de construction des intérêts africains malgré des asymétries
« Ce projet est la preuve qu’il existe une coopération égalitaire et mutuellement bénéfique
entre la Chine et les pays d’Afrique de l’Est ».71 Tels furent les mots prononcés par le PM Li
Keqiang lors de la signature de l’accord portant construction du chemin de fer est-africain. Ces
paroles ont été ressassées par les diplomates chinois à l’occasion de la signature d’autres
contrats, et surtout lors de la livraison des chantiers achevés comme le corridor Angola-RDC-
Zambie et la ligne djibouto-éthiopienne. Pourtant, si ce discours trouve un écho favorable au
sein de la majorité de la classe dirigeante, car la Chine dote ainsi les États africains d’un
« capital spatial » minimal (1) , il va de soi qu’à l’observation des faits, des « asymétries »
persistent (2).
1- La dotation d’un « capital spatial » aux Etats africains
Par « capital spatial », il faut entendre la capacité des acteurs régionaux à désenclaver
leurs territoires ou à les recomposer par des infrastructures interterritoriales visant la mobilité des
biens et des personnes.72 Au lendemain de la Conférence de Berlin cependant, les infrastructures
ferroviaires ont été « pensées en fonction des configurations spatiales issues du partage de
l’Afrique ».73 A cette fragmentation de l’espace par le rail, s’ajoutait l’implémentation, par les
colons, des écartements divergents, rendant la communication entre les territoires dits allemands,
70MUTANGA Innocent « What a borderless Africa could mean for China »,
https://www.hongkongfp.com/2016/07/14/what-a-borderless-africa-could-mean-for-china/, 25/10/2016. 71Voir Aljazeera, « China to build railway linking »,
12 mai 2014,
http://www.aljazeera.com/news/africa/2014/05/china-build-railway-linking-east-africa-201451263352242135.html,
25/10/2016. 72 Voir LEON Alain, « L’East African Community : vers une intégration régionale des espaces ? », IFRA – Les
Cahiers de l’Afrique de l’Est, No 23, février-mars, 2004, pp. 18-19. 73 POURTIER (R.), « Les chemins de fer en Afrique subsaharienne …», op. cit. p. 2.
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français, anglais, etc. impossible.74 Hormis l’Afrique australe mise au diapason de l’écartement
anglais (1,067 m), le rail fut plutôt un instrument désintégrateur. Or, sans régionalisation voire
continentalisation du train, pas d’intégration, ni commerce intra-régional et encore moins
d’industrialisation en Afrique, nous enseignent les exemples russes, américains et chinois. Grâce
au train en effet, la mobilité des biens et des personnes fut assurée sur ces vastes territoires.75 Dès
lors, depuis longtemps, l’Afrique tout entière connaît un processus de stagnation économique et
de faible intégration régionale tant au niveau des flux de marchandises, de capitaux que des
mouvements de facteurs. Ceci est en grande partie dû à un déficit avéré des voies de
communication interconnectantes.76 Si le continent est devenu une destination prisée pour les
investisseurs, à cause des goulots d’étranglement, entre autres, il ne capte qu’à peine 3% des
Investissements Directs Etrangers.77 D’où l’impératif de lui donner une armature en la
« vertébrant ». Le rail constitue de ce fait un instrument de configuration des espaces. Il apparaît
comme un trait d’union entre les territoires et les économies interdépendantes, et donc entre les
populations, ce qui crée un nouveau rapport à l’espace.
En tant qu’instrument de développement économique des territoires d’abord, il redessine
les frontières dans le but de configurer des corridors économiques. Il assure le désenclavement des
pays sans littoral désireux d’exporter et d’importer plus rapidement les marchandises. Le corridor
de Benguela, par exemple, permet la valorisation du potentiel économique du Katanga ainsi que
celui de la ceinture de cuivre du Nord de la Zambie, deux zones minières dépourvues de littoral et
économiquement dépendantes du port de Lobito en Angola. Le rail s’affirme donc comme un outil
de développement, voire un correctif du désordre territorial créé par les conférenciers de Berlin,
peu soucieux de la non-viabilité de certains territoires coincés à l’intérieur des terres. C’est
pourquoi les dirigeants africains, tous ou presque, voient d’un bon œil l’implication chinoise dans
le développement de l’infrastructure régionale, et ne manquent pas de tancer les Occidentaux et
74 Tandis que les Allemands appliquaient un écartement de 1 mètre au Cameroun, par exemple, les territoires sous
domination anglaise et belge étaient soumis au même écartement de 1,067 m et certains espaces comme le Congo
contrôlés par les Français, 60 cm. 75 GALACTEROS Caroline, « La Chine et la Nouvelle Route de la Soie : vers le plus grand empire de l’Histoire ? »,
27 mai 2016, http://galacteros.over-blog.com/2016/05/la-chine-et-la-nouvelle-route-de-la-soie-vers-le-plus-grand-
empire-de-l-histoire.html, 28/10/2021. 76 LEON (A.), op. cit. p. 2. 77 BROADMAN Harry G, La route de la soie en Afrique : nouvel horizon économique pour la Chine et l’Inde,
Banque Mondiale, http://siteresources.worldbank.org/AFRICAEXT/Resources/ASR_French_Overview.pdf. p. 7.
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leur modus operandi. Tout comme le Président Uhuru Kenyatta voyait en la Chine un « partenaire
honorable »78 relativement aux financements apportés pour la construction du rail est-africain, le
président Museveni, quant à lui, la félicitait en ces termes : « Nous sommes heureux de voir que
la Chine se concentre sur les vraies questions du développement … Elle ne donne pas de leçons
sur la façon dont les gouvernements vont être gérés et sur bien d'autres choses que je ne veux pas
mentionner ».79
L’approche chinoise d’intégration des espaces épouse largement ce que veulent80 les
dirigeants et les populations africains. Ces derniers ont consigné, en mai 2014, dans l’Agenda 2063
de l’UA, des priorités pour les 50 prochaines années. Il s’agit d’intensifier les échanges intra-
africains qui, en 2021, ne sont estimés qu’à environ 16%, d’industrialiser l’Afrique et d’y assurer
la libre circulation des personnes, des biens, des capitaux, des idées, etc. L’interconnectivité des
territoires est dans ce sens cruciale. En 2015, une étude de la BAD a indiqué que le train est d’autant
indispensable qu’il constituera un catalyseur de l’industrialisation et de la croissance économique
du continent. Car, il est seul capable d’assurer le transport de grandes quantités de marchandises à
l’instar des conteneurs, des voitures, etc. d’un pays à l’autre.81 Les déclarations du Président
kenyan vont dans ce sens. Pour lui, le rail permettra à son pays d’élever son PIB à 1,5% et de
réaliser un taux de croissance d’au moins 8%.82 C’est le même sentiment en Ethiopie où, outre
l’amélioration de la compétitivité de l’industrie qui est attendue, le rail a permis la création d’une
« ceinture économique ».83 Ceci est la preuve que le rail, loin d’être seulement un exutoire de
pondéreux, est appelé à servir dans un continent dont l’économie se diversifie progressivement.
Comme moyen de renforcement de la mobilité des personnes ensuite, il est de notoriété
qu’à l’exception des réseaux « clandestins »84 développés par les « acteurs du bas » irrévérencieux
78 Aljazeera, « China to build railway linking », op. cit. 79 Ibid. 80 Commission de l’Union africaine, Agenda 2063 : l’Afrique que nous voulons, mai 2014, pp. 54-55.
http://www.africa-platform.org/sites/default/files/resources/au_agenda_2063_french.pdf, 25/10/2016. 81 Banque Africaine de Développement, Les infrastructures ferroviaires, op. cit., p. 9. 82 Cf. JUNQING Zhu, « China’s railway construction helps Africa realize modernization », 21 septembre 2015,
http://news.xinhuanet.com/english/2015-09/21/c_134645672.htm, 25/10/2016. 83 Ibid. 84 Voir TCHOUPIE André, « La dialectique État/société dans la dynamique d’institutionnalisation d’une intégration
spécifique entre le Cameroun et le Gabon en Afrique centrale », Annales de la FSJP de l’Université de Dschang, 2015,
p. 41.
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des frontières, « les marchandises circulent plus facilement que les hommes »85 en Afrique. La
décision prise lors du 27e sommet de l’UA en juillet 2016 à Kigali, par les « acteurs du haut »,
d’instaurer un passeport panafricain viserait à renverser cette tendance. Etant donné que le voyage
par train est plus massif et moins coûteux que l’avion, il est plus susceptible de créer des contacts
à grande échelle entre les peuples et de favoriser l’émergence progressive des identités
dénationalisées. Tel est le cas du corridor de Benguela. Le site du Tazara86 indique qu’il a contribué
à renforcer les interactions entre les populations de Tanzanie, de Zambie, du Malawi, de la RDC
ainsi que du Burundi et du Rwanda, effaçant relativement les frontières tant physiques que
mentales issues de Berlin. Au total, en 2016, le TanZam avait déjà permis le transport d’au moins
4 millions de personnes. Citons aussi le corridor djibouto-éthiopien. Il rend particulièrement plus
perméables les rencontres entre les tribus afare, qui vivent de part et d’autre de la frontière, et entre
les populations éthiopiennes et djiboutiennes en général. Le développement accru du ferroviaire
pourrait donc permettre aux Africains, dont les 4% vivent dans des territoires fermés87, d’être
progressivement extirpés de leur enclavement. Pourtant, malgré l’optimisme visible au sommet
des Etats, des remous sociaux et l’absence de transfert de technologie témoignent d’une
péréquation imparfaite entre les États bénéficiaires du rail et la Chine.
2- Les chaînons manquants : entre remous sociaux et déresponsabilisation des
acteurs africains
De toutes les critiques adressées à la Chine et ses à entreprises opérant dans la construction
en Afrique, les plus virulentes sont liées à l’inobservation des normes du travail. A cette asymétrie,
ajoutons une autre, le transfert de technologie qui fait défaut dans ce partenariat que la Chine
qualifie de « gagnant-gagnant », ce qui induit une certaine déresponsabilisation des acteurs
africains.
85 MAGNOUT Christelle, « Glasser A. De l'OUA à l'UA : l'avis d'Antoine Glaser de la Lettre du Continent »
http://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/info/Les-dossiers-de-la-redaction/sommet-union-africaine-janvier-
2010/p-6822-De-l-OUA-a-l-UA-l-avis-d-Antoine-Glaser-de-la-Lettre-du-Continent.htm, consultée le 20 octobre
2016. 86 http://tazarasite.com/?cat=3, consulté le 12 juillet 2021. 87 BROADMAN (H. G.), op. cit., p. 6.
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Relativement à la violation des normes du travail, cause des remous sociaux, notons que
des affrontements entre chefs d’entreprises chinoises et employés locaux désireux de tirer un plus
grand profit du rail persistent. En effet, outre les mauvais traitements évoqués, les employés
accusent généralement non seulement les entreprises chinoises de leur verser des salaires de
famine, mais aussi de procéder aux licenciements abusifs. Au Kenya par exemple, où 20.000
locaux et 2.000 Chinois ont participé à la construction de la ligne ferroviaire Mombasa-Nairobi,
des travailleurs qui exigeaient une augmentation de moitié de leur salaire journalier furent
licenciés.88 Le 2 août 2016, environ 200 émeutiers s’armèrent de bâtons et de pierres à l’aide
desquels ils bloquèrent les routes, puis, blessèrent, à l’aide d’armes blanches, 14 Chinois du staff
de la China Road and Bridge Corporation (CRBC).89 Les grévistes pointaient aussi du doigt la
« mauvaise réputation » de la CRBC qui ne leur attribuait que des tâches et postes subalternes ;
importaient une main d’œuvre chinoise bon marché, y compris des chauffeurs, et draguaient,
« secrètement », les fonds des plages kenyanes desquelles ils récoltaient du sable utilisé ensuite
sur le chantier en construction.90
Interpellé sur le traitement salarial « inégal »91 réservé aux Africains lors de sa tournée
africaine en 2014, le PM chinois avait qualifié des réclamations similaires à celles du Kenya de
« cas isolés » dans une coopération qu’il jugeait mutuellement bénéfique. Il mobilisait, pour s’en
convaincre, des projets sociaux : hôpitaux, écoles, stades et points d’eau potable qui accompagnent
les infrastructures ferroviaires, routières, etc. Toutefois, à l’occasion d’un symposium auquel
participaient les entreprises chinoises en Angola, Li Keqiang avait appelé toutes les autres
entreprises sur le continent à « préserver l’image de la Chine en se conformant aux lois, cultures
et coutumes locales ».92 Ces propos, qui n’ont vraisemblablement pas été suffisamment suivis,
88 Ces derniers exigeaient 500 shillings, soit 5 dollars américains, au lieu des 250 shillings qui représentent le salaire
moyen auquel a droit un travailleur non qualifié. Cf. TOMASEVIC Goran “Kenyan rail workers are protesting
against their Chinese employer for a raise—to $5 a day”, 2016, http://qz.com/749177/kenyan-rail-workers-are-
protesting-against-their-chinese-employer-for-a-raise-to-5-a-day/, 28/10/2021. 89 Ibid. 90 Ibid. voir également BUCHANAN Elsa, « Rise in anti-Chinese violence in Kenya forces halt of major rail project
», BST, 19 août 2016, http://www.ibtimes.co.uk/rise-anti-chinese-violence-kenya-forces-halt-major-rail-project-
1576945, 28/10/2016. 91 NATHALIE Ornell, « Premier Li Keqiang called disputes arising from China’s relationship with Africa
“growing pains’’ », China Digital, 05 mai 2014, http://chinadigitaltimes.net/2014/05/premier-sino-africa-disputes-
just-growing-pains/, 28/10/2016. 92 http://www.fmprc.gov.cn/mfa_eng/topics_665678/lkqzlcfasebyfmnrlyaglkny/t1155445.shtml, 28/10/2016.
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témoignent de ce que le partenariat demeure peu équitable. Car, malgré la réciprocité entre la Chine
et les États africains, leurs intérêts restent loin d’être « symétriques ».93 Pour emprunter
l’expression du sociologue américain Erving Goffman, il y a un hiatus entre la partie chinoise qui
se « présente au quotidien »94 aux Africains comme « une force pour le bien »95 et la réalité vécue
par ces derniers.
D’ailleurs, en Ethiopie tout comme au Kenya, la situation n’est pas loin d’être similaire.
La ligne djibouto-éthiopienne a été pendant six ans environ gérée au grand dam des deux pays
bénéficiaires. Le train, chinois, a eu à sa tête des chefs de gare, des techniciens, des contrôleurs et
des personnels navigants chinois travaillant pour les Ethiopiens et les Djiboutiens. Comme l’a
motivé Mekonnen Getachew, le responsable du projet pour la Compagnie ferroviaire éthiopienne :
« Nous n'avons pas encore l'expérience nécessaire. L'accord de gestion prévoit la présence de
personnels chinois pendant cinq ans, avec un homologue éthiopien en formation ».96 Ce n’est
qu’en 2019, que de jeunes Ethiopiens et Djiboutiens se sont rendus en Chine pour suivre des
formations théoriques et techniques, en vue de l’exploitation et de la gestion d’un chemin de fer
électrique.97 L’absence de formation des gestionnaires éthiopiens et djiboutiens, en Chine
notamment, au même moment que la construction du rail, incline à penser que par-delà la quête
des ressources naturelles, la Chine saisit ainsi l’occasion pour trouver des emplois à ses
compatriotes dans des pays africains où le chômage demeure pourtant ambiant.
En ce qui concerne le défaut de transfert de technologie, il conduit inéluctablement à la
déresponsabilisation des acteurs africains. A l’instar du modus operandi de l’Europe coloniale hier,
tout laisse penser que la Chine donne plus du poisson à l’Afrique qu’elle ne lui apprend à pêcher.
93
KEOHANE (O. R.) et NYE (S. J. Jr.), « Power and Interdependence Revisited », op. cit., p. 730. 94 GOFFMAN Erving, The presentation of self in everyday life, University of Edinburgh,
Social Sciences Research Centre 39 George Square, Edinburgh 8 Monograph No. 2, 1956, 174 p. 95 Ces propos sont de Steven Zhao, responsable de la CRBC, entreprise chargée de construire la portion kenyane de
la ligne ferroviaire est-africaine. TOMASEVIC (G), “Kenyan rail workers are protesting against their Chinese
employer for a raise—to $5 a day”, op. cit. 96 La dépèche.fr, « Ethiopie: inauguration d'un train chinois pour relier Addis-Abeba au port de Djibouti », 05 octobre
2016. http://www.ladepeche.fr/article/2016/10/05/2433175-ethiopie-inauguration-train-chinois-relier-addis-abeba-
port-djibouti.html, 10/10/ 2016. 97 NGUEYAP Romuald, « Le chemin de fer Ethiopie-Djibouti, géré par la Chine, aura des chauffeurs locaux d’ici
2020 », Agence Ecofin, 17 octobre 2019, consulté le 22/11/2021 sur
https://www/agencecofin.com/transports/1710.70230-le-chemin-de-fer-ethiopie-djibouti-geree-par-la-chine-aura-
des-chauffeurs-locaux-d-ici-2020.
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Pour mobiliser un adage très populaire à l’Ouest-Cameroun, nous dirions que « la Chine vend à
l’Afrique la chèvre, mais retient la corde ».98 Ce d’autant plus que, dans le domaine du ferroviaire
comme dans d’autres en effet, « le transfert de technologie est encore très rare »99. Lors de la
construction du corridor de Benguela par exemple, « tout est venu de Chine : ciment, wagons,
locomotives, rails, outils de communication, etc. »100. Hormis l’Afrique du Sud101 où 85
locomotives ont été assemblées localement après que la China South Locomotive and Rolling
Stock Corporation Ltd en avait fabriqué 10 pour Pretoria, la Chine construit encore tout pour
plusieurs pays africains. A dire vrai, l’objectif de la Chine, commercial d’abord, est comme l’a
expliqué Clerc-Renaud, « d’écouler ses excédents d’acier et de maintenir l’activité de ses ateliers
de matériels ferroviaires tournant jusqu’alors à plein régime pour équiper la Chine…».102
L’Afrique apparaît donc pour Pékin comme un débouché pour sa technologie.
Or, le montage, en Afrique, d’usines de production du matériel roulant permettrait aux
bénéficiaires de s’approprier la technologie ferroviaire, et réduirait, sur le long terme, leur
dépendance vis-à-vis de la Chine et surtout la déresponsabilisation du continent. Dès lors,
renverser la tendance en partant du modèle « made in China » à « made in Africa » et plus tard
« made by ‘’Africa’’ » serait un gage de coopération mutuellement bénéfique. Naguère « bons à
ne faire que du textile », les Chinois se sont eux-mêmes responsabilisés en exigeant des
investisseurs et constructeurs américains, japonais et européens, le deal matières premières contre
industrialisation et transfert de technologie.103 Ignorer cette variable relèguerait davantage les
98 Chez les Bamiléké de l’Ouest-Cameroun, entre autres, le très populaire proverbe « vendre la chèvre et retenir la
corde » désigne le fait pour un marchand de transférer de façon incomplète la marchandise acquise par le client. En
l’espèce, il renvoie à la volonté de la Chine de garder une emprise sur le domaine du ferroviaire en Afrique au détriment
des Africains et la construction de la dépendance du continent à son égard à travers l’absence du transfert de
technologie. La « chèvre » représente donc le chemin de fer et le matériel roulant qui demeurent construits par la
Chine, tandis que la « corde », cardinale, renvoie à la technologie à la base de la production du rail et des équipements
nécessaires pour faire fonctionner les lignes ferroviaires. 99 GUMEDE William « One-sided relationship between Africa and China is increasingly irking Africans », World
Commerce Review, décembre 2014, p. 20. , 100 LE BELZIC Sébastien. « La Chine et la diplomatie des transports », Le Monde, 02 février2015,
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/02/02/la-chine-et-la-diplomatie-des-transports-en-
afrique_4567960_3212.html ; Lei Z. « Angola rail line, built by China, gets rolling », Chnadaily 16 février,
http://www.chinadaily.com.cn/world/2015-02/16/content_19600829.htm, 20/10/2016. 101 Cf. Album des Résultats des 15 Années du Forum sur la Coopération Sino-Africaine, op. cit., p. 99. 102
CLERC-RENAUD (P.) « La mondialisation chinoise sur les rails », op. cit. 103 Ainsi, la firme américaine General Electric fut obligée, pour avoir accès au marché ferroviaire chinois, de concéder
la construction de certaines locomotives en Chine tout comme le Japon qui, convoitant les ressources naturelles
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Africains à la division internationale du travail qui leur confère la place de pourvoyeurs de matières
premières brutes et d’éternels consommateurs de technologies importées. Il leur revient donc de
renégocier leurs intérêts dans le jeu de l’adversité internationale.
Conclusion
Au terme de cette étude sur la contribution de la Chine en interaction parfois conflictuelles
avec d’autres acteurs concurrents impliqués dans la dynamique de configuration de micro-espaces
intégrés en Afrique susbsaharienne, il ressort que Pékin s’y affirme comme un bâtisseur des ponts
entre les territoires par le rail. En Afrique, la Chine contribue, comme l’aurait dit Bertand Badie,
à la « révision de la géographie westphalienne dont la marqueterie figée n’est plus à l’échelle du
temps ».104 Selon Wang Yi, le ministre chinois des Affaires étrangères, en septembre 2015, les
entreprises chinoises avaient déjà construit 5 675 kilomètres de chemins de fer en Afrique.105
Contrairement à l’Europe qui divisa l’Afrique pour régner, tout laisse penser que la Chine l’intègre
pour régner. Tout en configurant des micro-espaces au sein desquels se crée une interdépendance
certaine entre les économies, le rail sert en même temps de carte de visite pour les intérêts
géopolitiques et géoéconomiques de la Chine. La Chine souhaite accroître son « soft power » au
détriment de l’Europe dont elle efface symboliquement les traces sur le continent. Aussi, envisage-
t-elle poursuivre sa croissance économique en exploitant l’important potentiel énergétique de
l’Afrique et le milliard de consommateurs de ses produits bon marché. Cette approche intégratrice,
qui vise à recomposer les territoires est très appréciée par les dirigeants. Ceux-ci la perçoivent
comme une aubaine pour booster les échanges intra et extra-africains. Cependant, les manœuvres
locaux, moins compétitifs dans le domaine de la construction par rapport à leurs collègues chinois,
considèrent plutôt les entreprises chinoises des travaux publics comme des « exploiteuses » du fait
chinoises, fut contraint par la Chine d’opérer un transfert de technologie en sa faveur et les industries dont elle avait
besoin pour sa croissance économique. Sur ces deux exemples, voir respectivement U.S. Congress Office of
Technology Assessment, Technology Transfer to China, OTA-ISC-340 Washington, DC: U.S. Government Printing
Office, 1987, p. 6 ; BRAUTIGAM Deborah, « Africa’s Eastern Promise What the West Can Learn From Chinese
Investment in Africa », Foreign Affairs, No 5, janvier 2010, p. 1. 104 BADIE Bertrand, Un monde sans souveraineté : les États entre ruse et responsabilité, Paris, Fayard, 1999, p. 169. 105 Xinhua, « Infrastructures : les Chinois s’engagent dans des projets prometteurs pour l’intégration économique en
Afrique », French/news.cn http://french.xihuanet.com/2015-12/27/c_134954599.htm consulté le 12/10/2021.
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des asymétries dans le traitement. Il convient dans ce sens de se souvenir qu’en 1978, lorsque la
Chine ouvre ses frontières aux investisseurs étrangers qui s’empressent de l’inonder d’une main
d’œuvre qualifiée, elle exige la formation et l’emploi de ses compatriotes en limitant l’octroi des
visas aux travailleurs importés.106 Le réalisme voudrait que la Chine participe à la formation d’une
main d’œuvre panafricaine capable de suppléer ses « bulldozers » certes très appréciés sur le
continent pour leur travail rapide. Bien plus, n’est-il pas temps pour les acteurs africains de
négocier, auprès de la partie chinoise, la « corde », c’est-à-dire la technologie que lui a vendue
l’Occident ? Le transfert de technologie est ce sans quoi le mémorandum d’entente pour la
construction des infrastructures de transport multimodales, signé entre la Chine et la Commission
de l’UA le 27 janvier 2015 à Addis-Abeba, 107 ne serait autre chose qu’un marché de dupe.
106 Voir DOLLAR David, China’s Engagement with Africa: From Natural Resources to Human Resources, The John
L. Thornton China Center at Brookings, Washington, 2016, p. 77. 107 Voir LE BELZIC Sébastien, « La Chine et la « diplomatie des transports » en Afrique », Le Monde, 22 février
2015.
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