stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

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HAL Id: inserm-02102646 https://www.hal.inserm.fr/inserm-02102646 Submitted on 17 Apr 2019 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Stress au travail et santé: situation chez les indépendants Elisabeth Algava, Dominique Chouanière, Cohidon Christine, Jean-yves Dubré, France Kittel, Annette Leclerc, Michel Le Moal, Marc Loriol, Marie-Pierre Moisan, Isabelle Niedhammer, et al. To cite this version: Elisabeth Algava, Dominique Chouanière, Cohidon Christine, Jean-yves Dubré, France Kittel, et al.. Stress au travail et santé: situation chez les indépendants. [Rapport de recherche] Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). 2011, Paris : Inserm : Editions EDP Sciences (ISSN 1264-1782) / 495 p. inserm-02102646

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HAL Id: inserm-02102646https://www.hal.inserm.fr/inserm-02102646

Submitted on 17 Apr 2019

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.

Stress au travail et santé : situation chez lesindépendants

Elisabeth Algava, Dominique Chouanière, Cohidon Christine, Jean-yvesDubré, France Kittel, Annette Leclerc, Michel Le Moal, Marc Loriol,

Marie-Pierre Moisan, Isabelle Niedhammer, et al.

To cite this version:Elisabeth Algava, Dominique Chouanière, Cohidon Christine, Jean-yves Dubré, France Kittel, et al..Stress au travail et santé : situation chez les indépendants. [Rapport de recherche] Institut national dela santé et de la recherche médicale (INSERM). 2011, Paris : Inserm : Editions EDP Sciences (ISSN1264-1782) / 495 p. �inserm-02102646�

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Stress au travailet santé

Situation chezles indépendants

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Stress au travail et santé - Situation chez les indépendants

© Les éditions Inserm, 2011 101 rue de Tolbiac, 75013 Paris

Ce logo rappelle que le code de la propriété intellectuelledu 1er juillet 1992 interdit la photocopie à usage collectifsans autorisation des ayants-droits.Le non-respect de cette disposition met en danger l’édition,notamment scientifique.

Toute reproduction, partielle ou totale, du présent ouvrage est interdite sans autorisation de l’éditeurou du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC, 20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris). C

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Dans la même collection ¬ Susceptibilités génétiques et expositions professionnelles. 2001

¬ Éducation pour la santé des jeunes. Démarches et méthodes. 2001

¬ Alcool. Effets sur la santé. 2001 ¬ Cannabis. Quels effets sur le comportement

et la santé ? 2001 ¬ Asthme. Dépistage et prévention chez l’enfant. 2002 ¬ Déficits visuels. Dépistage et prise en charge

chez le jeune enfant. 2002 ¬ Troubles mentaux. Dépistage et prévention

chez l’enfant et l’adolescent. 2002 ¬ Alcool. Dommages sociaux, abus et dépendance. 2003 ¬ Hépatite C. Transmission nosocomiale. État de santé

et devenir des personnes atteintes. 2003 ¬ Santé des enfants et des adolescents, propositions

pour la préserver. Expertise opérationnelle. 2003 ¬ Tabagisme. Prise en charge chez les étudiants. 2003 ¬ Tabac. Comprendre la dépendance pour agir. 2004 ¬ Psychothérapie. Trois approches évaluées. 2004 ¬ Déficiences et handicaps d’origine périnatale.

Dépistage et prise en charge. 2004 ¬ Tuberculose. Place de la vaccination dans la maladie. 2004 ¬ Suicide. Autopsie psychologique, outil de recherche

en prévention. 2005 ¬ Cancer. Approche méthodologique du lien

avec l’environnement. 2005 ¬ Trouble des conduites chez l’enfant

et l’adolescent. 2005 ¬ Cancers. Pronostics à long terme. 2006 ¬ Éthers de glycol. Nouvelles données toxicologiques. 2006 ¬ Déficits auditifs. Recherches émergentes

et applications chez l’enfant. 2006 ¬ Obésité. Bilan et évaluation des programmes

de prévention et de prise en charge. 2006 ¬ La voix. Ses troubles chez les enseignants. 2006 ¬ Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie. Bilan

des données scientifiques. 2007 ¬ Maladie d’Alzheimer. Enjeux scientifiques,

médicaux et sociétaux. 2007 ¬ Croissance et puberté. Évolutions séculaires, facteurs

environnementaux et génétiques. 2007 ¬ Activité physique. Contextes et effets sur la santé. 2008 ¬ Autopsie psychologique. Mise en œuvre et

démarches associées. 2008 ¬ Saturnisme. Quelles stratégies de dépistage

chez l’enfant. 2008 ¬ Jeux de hasard et d’argent. Contextes et addictions. 2008 ¬ Cancer et environnement. 2008 ¬ Tests génétiques. Questions scientifiques, médicales

et sociétales. 2008 ¬ Santé de l’enfant. Propositions pour un meilleur suivi. 2009 ¬ Transplantation d’organes. Quelles voies de recherche ? 2009 ¬ Santé des enfants et des adolescents. Propositions

pour la préserver. 2009 ¬ Réduction des risques infectieux chez les usagers de drogues.

2010 ¬ Téléphone et sécurité routière. 2011

ISBN 978-2-85598-884-5

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Expertise collective

Stress au travailet santé

Situation chezles indépendants

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Cet ouvrage présente les travaux du groupe d’experts réunis par l’Inserm dansle cadre de la procédure d’expertise collective (annexe 1), pour répondre à lademande du Régime social des indépendants (RSI) concernant le stress d’ori-gine professionnelle chez les travailleurs indépendants et ses répercussions surla santé.Ce travail s’appuie sur les données scientifiques disponibles en date du secondsemestre 2010. Près de 1 500 articles ont constitué la base documentaire decette expertise.Le Centre d’expertise collective de l’Inserm, rattaché à l’Institut thématiquemulti-organismes Santé publique, a assuré la coordination de cette expertisecollective.

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Groupe d’experts et auteurs

Elisabeth ALGAVA, Département Conditions de travail et santé, Dares(Direction animation recherche et études statistiques), Ministère du Travail,de l’Emploi et de la Santé, Paris

Dominique CHOUANIÈRE, Département Homme au travail, INRS (Institutnational de recherche et de sécurité), Vandoeuvre-lès-Nancy ; IST (Institutuniversitaire romand de Santé au travail), Lausanne

Christine COHIDON, Département Santé travail, InVS (Institut de veillesanitaire) ; Umrestte (Unité mixte de recherche épidémiologique et de sur-veillance transport travail environnement), Ifsttar-Université Lyon I, Lyon

Jean-Yves DUBRÉ, Direccte (Direction régionale des entreprises, de laconsommation, de la concurrence, du travail et de l’emploi), Pays de la Loire,Nantes

France KITTEL, Unité épidémiologie et prévention des maladies cardio-vasculaires et Unité psychologie de la santé, Département d’épidémiologie etpromotion santé, Université libre de Bruxelles, Belgique

Annette LECLERC, Inserm U 1018, Centre de recherche en épidémiologie etsanté des populations (CESP), Équipe 11 - Épidémiologie des déterminantsprofessionnels et sociaux de la santé, Université de Paris-Sud 11, Villejuif

Michel LE MOAL, Neurocentre Magendie, Inserm U 862, Université deBordeaux, Bordeaux

Marc LORIOL, CNRS UMR 8533, Institutions et dynamiques historiques del’économie (IDHE), Laboratoire Georges Friedmann, Institut des sciencessociales du travail, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Paris

Marie-Pierre MOISAN, Laboratoire NutriNeuro, Inra UMR 1286, Universitéde Bordeaux 2, Bordeaux

Isabelle NIEDHAMMER, Inserm U 1018, Centre de recherche en épidémiologieet santé des populations (CESP), Équipe 11 - Épidémiologie des déterminantsprofessionnels et sociaux de la santé, Université de Paris-Sud 11, Villejuif

Valérie PEZET-LANGEVIN, INRS (Institut national de recherche et de sécu-rité), Département expertise et conseil technique, Paris

Catherine SERMET, Irdes (Institut de recherche et documentation en écono-mie de la santé), Paris

Hélène SULTAN-TAIEB, Laboratoire d’économie et de gestion (UMRCNRS 5118), Université de Bourgogne, Dijon

Laurence WEIBEL, Cram (Caisse Régionale Assurance Maladie) Alsace-Moselle, Service Prévention, Strasbourg VII

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Ont présenté une communicationPhilippe ASKENAZY, CNRS, Paris-Jourdan Sciences économiques, Écoled’économie de Paris, Paris

Jack BERNON, Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions detravail), Lyon

Christophe DEJOURS, Laboratoire Psychologie du travail et de l’action,Conservatoire national des arts et métiers, Paris

Françoise PIOTET, Laboratoire Georges Friedmann (UMR 8593), UniversitéParis I Panthéon-Sorbonne, Paris

Stéphane RAPELLI, Rapelli Études Socioéconomiques, Orléans

Grégoire REY, CépiDc (Centre d’épidémiologie sur les causes médicales dedécès), Inserm, Le Kremlin-Bicêtre

Annie THÉBAUD-MONY, Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeuxsociaux (IRIS), Inserm U 723, École des hautes études en sciences sociales(EHESS), Paris

Coordination scientifique, éditoriale, bibliographiqueet logistiqueFabienne BONNIN, attachée scientifique, Centre d’expertise collective del’Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Catherine CHENU, attachée scientifique, Centre d’expertise collective del’Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Véronique DUPREZ, chargée d’expertise, Centre d’expertise collective del’Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Jeanne ETIEMBLE, directrice de recherche émérite, Centre d’expertise collec-tive de l’Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Cécile GOMIS, secrétaire, Centre d’expertise collective de l’Inserm, Faculté demédecine Xavier-Bichat, Paris

Marie-Christine LECOMTE, directrice, Centre d’expertise collective del’Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Anne-Laure PELLIER, attachée scientifique, Centre d’expertise collective del’Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Chantal RONDET-GRELLIER, documentaliste, Centre d’expertise collective del’Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

IconographieJean-Pierre LAIGNEAU, InsermVIII

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Sommaire

Avant-propos ...................................................................... XI

AnalyseIntroduction ......................................................................................... 1

1. Ébauche d’une sociologie des travailleurs indépendants ............... 5

2. Facteurs psychosociaux au travail : modèles et conceptsen épidémiologie ............................................................................ 25

3. Facteurs de stress et mécanismes psychologiques .......................... 47

4. Facteurs de risque psychosociaux au travail chez lesindépendants ................................................................................. 65

5. État de santé des travailleurs indépendants selon le secteurprofessionnel .................................................................................. 83

6. Conséquences sur la santé mentale ............................................... 99

7. Épuisement professionnel .............................................................. 119

8. Conséquences sur la santé cardiovasculaire .................................. 129

9. Troubles musculosquelettiques ...................................................... 145

10. Autres effets sur la santé ................................................................ 161

11. Accidents liés au travail ................................................................ 165

12. Bases neurobiologiques et neuroendocriniennes du stress ............ 171

13. Mécanismes associant stress et pathologies ................................... 193

14. Facteurs de vulnérabilité individuelle au stress ............................. 217

15. Prévention du stress au travail : types d’interventionet évaluation de leur efficacité ....................................................... 241

16. Surveillance et prévention selon le secteur d’activité .................. 279

17. Analyses coût-avantage des interventions de préventiondu stress au travail ......................................................................... 321

Synthèse et recommandations ........................................... 347 IX

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CommunicationsTravailleurs indépendants : des normes aux faits ................................. 397

Des mutations du travail aux travailleurs indépendants ...................... 415

Autonomie et dépendance des indépendants ...................................... 423

Place des travailleurs indépendants dans l’organisation du travailet ses conséquences sur leur santé ........................................................ 435

Données de décès par suicide ............................................................... 443

La référence au « travailler » dans le rapport entre santé mentaleet travail ................................................................................................ 453

Réseau Anact et prise en compte du travail dans la préventiondes risques psychosociaux ..................................................................... 461

Annexes .............................................................................. 473

Expertise collective Inserm : éléments de méthode ............................. 475

Institutions dans le champ de la santé au travail en Franceet leur évolution ................................................................................... 481

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Avant-propos

La santé au travail, thème largement médiatisé en 2010 en France, fait l’objetde divers publications et rapports tant au plan national qu’international dontles propos concernent essentiellement les travailleurs salariés.

Dans de nombreux secteurs d’activité, le stress au travail, et plus globalementles risques psychosociaux sont considérés comme faisant partie des risquespour la santé auxquels peuvent être confrontés les travailleurs. Pour la com-munauté scientifique, le stress professionnel renvoie à un concept qui dis-tingue les « stresseurs », l’état de stress (ensemble de réactions psychologiqueset physiologiques) et les conséquences de cet état de tension sur la santé.

Le Régime social des indépendants (RSI) assure la couverture maladie etretraite des artisans et des commerçants, des professions libérales et des chefsd’entreprise indépendants. Le RSI a sollicité l’Inserm dans le but de disposerd’un bilan des connaissances scientifiques sur le stress d’origine profession-nelle chez les travailleurs indépendants et ses répercussions sur la santé.

Pour répondre à cette demande, l’Inserm a mis en place un groupe pluridisci-plinaire d’experts regroupant des compétences en sociologie du travail, statis-tiques, santé au travail, santé publique, épidémiologie, économie de la santé,psychosociologie, santé mentale et neurosciences. À travers la procédured’expertise collective, le groupe d’experts a réalisé un bilan des donnéesconcernant les principaux troubles associés au stress au travail chez les tra-vailleurs et en particulier chez les indépendants, les modèles explicatifs inté-grant les différents concepts mettant en relation stress et travail, et les straté-gies de prévention individuelles et collectives. Le groupe d’experts a conduitsa réflexion en suivant la grille de questions suivantes :

• Quelles sont les données sur les caractéristiques des travailleurs indépen-dants en France et leurs conditions générales de travail ?

• En quoi la position de l’indépendant peut-elle différer de celle du salariévis-à-vis des « stresseurs » et vis-à-vis de la santé ?

• Quelles sont les données sur la mortalité et la morbidité chez les travailleursindépendants selon le secteur professionnel ou le métier ?

• Quels sont les facteurs de stress et les facteurs de protection qui ont pu êtremis en évidence chez les travailleurs indépendants ?

• Comment adapter les différents modèles (Karasek, Siegrist...) intégrant lesfacteurs psychosociaux au travail pour les travailleurs indépendants ?

• Quels sont les principaux problèmes de santé associés au stress (maladiescardiovasculaires, troubles mentaux et pathologies musculosquelettiques...) ? XI

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• Quelles sont les dérégulations engendrées par le stress et quels sont lesmécanismes physiopathologiques ? Comment les facteurs individuelspeuvent-ils moduler cette réponse ?

• Quelles sont les différentes approches (individuelles, organisationnelles...)utilisées pour prévenir et prendre en charge le stress au travail ? Dispose-t-onde données sur le coût–efficacité de différentes interventions ?

• Quels types d’interventions pourraient le mieux s’appliquer aux travailleursindépendants pour dépister et prévenir le stress ?

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Introduction

Cette expertise collective est intitulée « Stress au travail et santé, situationchez les indépendants ». Le terme de « stress » est employé dans le titre enraison de son usage commun tant dans la population que dans les différentssecteurs d’intervention. Cependant, il convient dans cette introduction depréciser les définitions attachées à ce terme en fonction des disciplines médi-cales, biologiques, médico-sociales, en sciences humaines et sociales qui y fontréférence dans le cadre de la recherche ou de la prévention.Le terme de « stress au travail » est aujourd’hui largement utilisé pour rendrecompte du malaise ressenti dans de nombreux secteurs d’activité. D’après unsondage de 2007 en France, 78 % des actifs déclarent que le mot « stress » estcelui qui décrit le mieux ce qu’ils ressentent au travail contre 30 % pour« corvée », 19 % pour « ennui » et 16 % pour « souffrance ». Cependant, ceterme « stress » englobe de multiples concepts sous-jacents.Issu des disciplines biologiques et médicales, le concept de stress a toutd’abord été rattaché à des manifestations touchant les fonctions adaptatives.Le stress peut être défini comme un état biologique qui menace l’ « homéosta-sie » ou équilibre interne de l’organisme. Lorsque survient dans l’environne-ment un changement important ou menaçant, les mécanismes de réponse austress sont activés. Ces réponses nécessitent l’intervention de l’ensemble dusystème nerveux central et périphérique et activent des fonctions adaptativesde survie, assurant ensuite un retour à l’équilibre homéostatique. Le stress estalors une réponse adaptative qui permet à l’organisme de gérer les stimulimenaçants ou « stresseurs ». Si la source de stress se prolonge, la réponse austress échoue à rétablir un équilibre et la réponse inadéquate peut être asso-ciée à différents états pathologiques. Les premiers travaux ont cependantentretenu la confusion entre deux éléments distincts : l’agent, le stresseur et leprocessus physiopathologique qui résulte de l’exposition au stresseur nocif, lestress. On peut penser que le mot stress repose sur cette confusion sémantiquedommageable aggravée par un usage médiatique inconsidéré. Le terme « stres-seur » devrait être utilisé pour désigner le facteur déclenchant (au lieu du mot« stress » employé indifféremment dans le langage courant pour décrirel’agent stressant ou la réponse à ce stimulus), le terme de stress devant êtreréservé à l’état de l’organisme.S’agissant de l’environnement de travail, les stresseurs sont appelésaujourd’hui facteurs psychosociaux regroupant des facteurs de stress très diversrencontrés en milieu de travail. Il s’agit des contraintes psychologiques, socia-les et relationnelles dérivées de l’organisation du travail. Les facteurs psycho-sociaux peuvent également se définir comme l’ensemble des expositions pro-fessionnelles, qui ne relèvent pas d’agents physico-chimiques. Pour rendre

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compte des interactions de ces facteurs sur l’individu, deux modèles de réfé-rence dominent la littérature (le modèle élaboré par Karasek à la fin desannées 1970 et le modèle de Siegrist élaboré dans les années 1990). Desétudes étiologiques ont confirmé les effets prédictifs de ces modèles sur lasanté en particulier cardiovasculaire. Au cours de la décennie 2000, d’autresmodèles ou concepts ont intégré de nouvelles dimensions telles que la justiceorganisationnelle, les violences au travail et l’insécurité/précarité.

Faisant l’hypothèse que les perceptions et le vécu des événements déter-minent l’apparition d’un état de stress plutôt que les événements eux-mêmes,les travaux dans le domaine de la psychologie ont, dans les années 1960/1970,commencé à mettre en évidence l’importance des perceptions dans la surve-nue de l’état de stress. Le modèle transactionnel du stress de Lazarus etFolkman a ensuite décrit ces processus cognitivo-émotionnels et introduittrois notions principales : l’évaluation des enjeux de la situation de travail(comment la personne perçoit la situation), les ressources dont elle disposeface aux exigences de la situation et les capacités à y faire face.

Dans une démarche compréhensive des situations de travail, la psychodyna-mique du travail analyse la souffrance psychique en lien avec le travail, lesréflexes défensifs individuels ou collectifs mais aussi la reconnaissance fondéesur la construction de la confiance et la coopération dans le travail.

Quelle que soit l’approche disciplinaire, le stress peut être considéré commeun élément d’un processus complexe, à la fois biologique, psychologique etsocial en réponse à une situation aversive.

Les stresseurs induisent des mécanismes biologiques (influencés par des fac-teurs individuels, génétiques), psychologiques (liés à la personnalité, aucontexte et à l’expérience de l’individu) et sociaux (le contexte et les rela-tions sociales qui conditionnent le sens des situations et l’environnement detravail). Ils produisent des réponses physiologiques et comportementalesd’intensité variable selon la perception de ces stresseurs par les personnes etleurs ressources pour y faire face. Ces réponses sont elles-mêmes impliquéesdans la survenue à moyen ou long terme de différentes pathologies, comme lesmaladies cardiovasculaires, les troubles de la santé mentale, les désordresmétaboliques, les maladies du système immunitaire et les troubles musculo-squelettiques.

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Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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L’ensemble des processus impliqués dans la survenue des pathologies peut êtreschématisé de la façon suivante :

Aborder la question du stress, c’est donc aborder un processus complexe quiva du psychisme jusqu’aux mécanismes moléculaires impliqués dans de nom-breux systèmes de régulation. La compréhension de ce processus nécessite deconjuguer différentes disciplines même si chacune se focalise sur un aspectspécifique. Ainsi, l’épidémiologie s’intéresse plus particulièrement aux asso-ciations statistiques entre stresseurs et pathologies. La biologie concentre sesefforts sur la traduction physiologique des perceptions des stresseurs et lesmécanismes biologiques qui en résultent. De son côté, la psychologie insistesur les formes individuelles de perception cognitive et d’adaptation (coping)au stress tandis que la sociologie étudie la façon dont les collectifs gèrent etinterprètent les contextes et environnements professionnels.

L’amélioration des connaissances dans ces différents domaines disciplinairesconcernant d’une part les facteurs et les processus impliqués et d’autre partl’élaboration de modèles et d’outils a contribué au développement de straté-gies de prévention et de prise en charge des conséquences pour la santé del’exposition aux facteurs de stress. Les recherches qui se sont développées aucours des dernières décennies ont donné lieu à une panoplie de méthodes deprévention individuelles et organisationnelles dont certaines ont fait l’objetd’évaluations.

Face à l’enjeu économique majeur, notamment à travers le poids financier desmaladies imputables à l’exposition aux facteurs de stress au travail, l’évalua-tion économique des politiques de prévention utilise les méthodes de l’écono-mie de la santé pour estimer les coûts et les avantages attendus de cesinterventions. Ces évaluations constituent un outil d’aide à la décision à lafois pour les décideurs publics et les entreprises.

Dans chacun des chapitres de cet ouvrage, les experts se sont efforcés de faireune analyse critique de la littérature scientifique largement dévolue auxtravailleurs salariés et d’adapter ou étendre les résultats aux différentes catégo-ries de travailleurs indépendants ou secteurs d’activités et métiers.

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Introduction

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1Ébauche d’une sociologiedes travailleurs indépendants

Étudier l’histoire et la sociologie des différentes catégories de travailleursnon-salariés est un moyen de mieux comprendre leur identité collective, leursattitudes par rapport au travail, au stress et à la santé en général. Cettedémarche vise à caractériser à grands traits les éléments qui pourraient justi-fier, au-delà de l’évidente hétérogénéité des métiers indépendants, une cer-taine homogénéité de condition, de culture et de valeurs des travailleursnon-salariés relativement aux salariés. Si globalement les conditions de tra-vail des indépendants sont assez proches de celles des salariés de métierscomparables, elles diffèrent au moins sur deux points : le temps de travail etl’autonomie. Mais tous les indépendants ne possèdent pas forcément le mêmeniveau d’autonomie et d’indépendance économique. Dans la dernière partiede ce chapitre, le cas des indépendants fortement dépendants (d’un donneurd’ordre, d’une chaîne de franchisés...) sera abordé à part, dans la mesure oùcette situation pourrait les exposer à des risques spécifiques1.

Morphologie sociale des travailleurs non-salariés

En 2007, les travailleurs non-salariés étaient 2 778 000 soit environ 11 % dela population active (Chevalier et coll., 2008). Il s’agit d’une populationplutôt masculine (tableau 1.I).

Tableau 1.I : Répartition (%) des salariés et non-salariés selon le genre (d’aprèsl’enquête Emploi de l’Insee, 2007)

Hommes Femmes Total

Non-salariés 14 7,3 10,8

Salariés 86 92,7 89,2

1. Pour une analyse typologique et sociodémographique des indépendants, voir la communica-tion « Travailleurs indépendants : des normes aux faits » à la fin de cet ouvrage.

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Les travailleurs non-salariés, hors exploitants agricoles, peuvent être divisésen trois familles : commerçants (42 %), artisans (40,5 %) et professions libé-rales (17,5 %).

Les indépendants ont un âge moyen plus élevé que les salariés, y comprislorsque l’on retire les exploitants agricoles : la moyenne d’âge des travailleursnon-salariés en 2006 était de 46 ans contre 40 ans pour l’ensemble des actifs(données Insee, citées dans Rapelli et Piatecki, 2008). Cet âge plus élevé peuts’expliquer par une entrée plus tardive (32 ans en moyenne) dans le statutd’indépendant (passage par le salariat, études plus longues, attente de latransmission d’une affaire familiale...) ainsi que par la présence parmi lestravailleurs non-salariés de groupes (artisans, commerçants et exploitantsagricoles) en vieillissement démographique.

Le niveau de diplôme des travailleurs non-salariés est légèrement supérieur àcelui des salariés, ce qui s’explique par la présence parmi les travailleursnon-salariés des professions libérales, mais également par le fait qu’un certainnombre de professions artisanales sont soumises à l’obligation de diplôme pourpouvoir exercer.

Enfin, les travailleurs étrangers sont un peu plus nombreux parmi les tra-vailleurs non-salariés qu’au sein de la population salariée (10,3 % contre8,2 % pour l’ensemble des actifs), notamment dans le bâtiment, l’hôtellerie-restauration et le commerce de détail.

Ces données sur la structure sociodémographique du groupe des indépendantsappellent à la prudence : une partie des problèmes de santé pourraient être liésà la composition sociale du groupe (effet de structures) plutôt qu’au statutd’indépendant lui-même.

Éléments d’histoire des indépendants

Plusieurs études en sociologie et sciences politiques ont montré commentl’identité collective d’un groupe se construisait historiquement autour desrapports entre les représentants de ce groupe et le reste de la société ou lespouvoirs publics (Zarca, 1986 ; Hassenteufel, 1997). En prenant la parolepubliquement au nom des représentés, les représentants forgent une image dela profession, de ses intérêts, qui sera d’autant plus prégnante qu’il n’existe pasde discours alternatifs. Une des premières façons de s’identifier, c’est des’opposer collectivement à d’autres groupes : « eux et nous ». Cela peut êtreles ouvriers contre la maîtrise ou les patrons, les gens du terrain contre ceux dusiège... Pour les indépendants, le « eux » concerne à la fois les salariés, suppo-sés être des assistés en puissance, et les grands patrons représentant unelogique gestionnaire qui serait oublieuse des métiers et de la qualité.6

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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Une identité constituée dans une relation ambiguë face à l’Étatet au marché

Les « métiers » et occupations qui constituent le gros des catégories indépen-dantes d’aujourd’hui sont le fruit d’une longue histoire et semblent plusanciens que les activités salariées. Pourtant, la notion « d’indépendance »,paradoxalement, ne prend son sens qu’avec et en réaction au développementdu salariat. Tant que le salariat n’est pas constitué comme un groupe stable etbien défini, les catégories indépendantes ne peuvent être clairement distin-guées. C’est dans un double combat contre la condition de salarié et contre ladérégulation du marché que se construisent progressivement les catégoriesindépendantes. C’est pourquoi, politiquement, les indépendants seraient, glo-balement passés, au fur à mesure que le salariat se définissait dans la subordi-nation et la protection, de la défense de valeurs révolutionnaires et républi-caines (lors de la révolution française et au début du XIXe siècle) à despositions plus conservatrices et anti-étatiques au cours du XXe siècle.

Dès le XIIIe siècle, le pouvoir royal distingue les métiers réglés (contrôlés parla puissance royale et dont l’accès est fortement contrôlé), les métiers jurésdont les membres prêtent serment de respecter leurs règles disciplinaires et lesmétiers non réglementés. L’apprentissage, la maîtrise, le compagnonnage,structurent la vie et le travail des gens de métiers. L’organisation en confrériespermet d’assurer une certaine solidarité interne, mais aussi de promouvoir desœuvres caritatives afin d’améliorer l’image sociale du groupe. En 1791, les loisd’Allarde et Le Chapelier (interdiction des corporations) suppriment lesprivilèges accordés aux groupes professionnels et interdisent en principe toutedéfense en commun des intérêts collectifs. Les corporations et organisationsde métiers ne vont renaître que progressivement et partiellement après larévolution française pour éviter les troubles sociaux, protéger les consomma-teurs et favoriser, à partir des années 1860, l’entraide mutuelle.

Au XIXe siècle et au début du XXe siècle, la distinction entre ouvrier ettravailleur indépendant n’est pas encore stabilisée, particulièrement enFrance où l’industrialisation est moins rapide qu’en Grande-Bretagne ou enAllemagne. Nombre d’ouvriers qualifiés peuvent passer du statut d’employé àcelui de patron suivant le parcours ou la conjoncture économique. Le rêve debeaucoup est d’ailleurs de pouvoir s’installer à leur compte. C’est la raisonpour laquelle l’opposition aux assurances sociales aura un écho dans ce milieu(refus des cotisations obligatoires qui viendraient grever les économies per-sonnelles et renvoient au statut de salarié à vie, voir Hatzfeld, 1971). Dans lescampagnes, une grande masse des ouvriers sont des ouvriers-paysans quialternent le travail aux champs et à l’usine au gré des saisons et des criseséconomiques. Il faut aussi mentionner le système du travail à domicile (proto-industrialisation) sous la dépendance d’un marchand : un négociant ou unagent d’une grosse entreprise distribue des tâches et les matières premières,parfois l’outillage ou les machines, à des ouvriers-paysans ou des artisansurbains. La dépendance est très forte, les conditions de travail et les tarifs sont

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particulièrement mauvais, parfois plus que pour les ouvriers en usine. Cesystème de dépendance brouille encore la distinction entre patron et ouvriers.Ainsi, les canuts lyonnais : au milieu du XIXe siècle, on compte environ8 000 chefs d’atelier à Lyon (dont la moitié à la Croix-Rousse) et près de40 000 compagnons. Ces petits ateliers, souvent familiaux, sont très dépen-dants des marchands et industriels qui achètent leur production et fixent lestarifs. Bien qu’employeurs de quelques compagnons, les canuts ne sont pastotalement « indépendants ».

Si la distinction entre les indépendants et les salariés apparaît comme uneconstruction historique complexe, cela est également le cas de la distinctionpar rapport aux chefs d’entreprises. Après la première guerre mondiale et leretour de l’Alsace-Lorraine à la France, un équivalent français du modèle deformation de la main-d’œuvre artisanale par l’apprentissage développé outre-Rhin est mis en place, avec la loi Courtier de 1925 qui institue les chambresde commerce et d’artisanat. Si dans un premier temps, toutes les entreprisespeuvent y être représentées, rapidement des limites de taille (pas plus de dixsalariés) et d’activité (seulement les patrons appartenant à une corporation demétier) sont imposées pour être reconnu comme « artisan » (Zarca, 1986).L’artisan est un homme de métier qui fait le même travail que ses salariés etnon un gestionnaire dont la seule activité serait de faire travailler les autres.

Il faut attendre le XXe siècle, les assurances sociales (1930) et la codificationdes emplois salariés (accord de Matignon en 1936 et grille Parodi en 1945)pour que la distinction entre salariés et indépendants apparaisse clairementdans les statistiques (Dérosières et Thévenot, 2002). Au XXe siècle, la mobi-lisation syndicale et politique des indépendants s’est alors faite pour unegrande part en réaction au développement de la protection sociale, de lafiscalité et de l’emploi salarié.

C’est le cas tout d’abord des médecins qui pour beaucoup d’entre eux cumu-laient une pratique libérale, des charges publiques prestigieuses mais peurémunératrices et différentes formes de paiement (à l’acte, capitation, sala-riat). Déjà divisée sur l’accès gratuit aux soins et le tiers payant institués parcertaines lois sociales (loi de 1893 sur l’aide médicale gratuite, loi de 1898 surles accidents du travail, lois de 1919 sur les pensions de guerre et sur lesmaladies professionnelles), la profession va se restructurer contre le projet deloi sur les assurances sociales prévoyant des tarifs opposables et le tiers payantpour les ouvriers. Une minorité active se constitue au sein du monde médicalcontre toute forme de contrôle collectif et parvient à faire voter les fameuxsept principes de la médecine libérale (libre choix du médecin, secret médical,paiement à l’acte et par le malade, liberté thérapeutique et de prescription, lescaisses d’assurance ne pourront contrôler que les malades et non les médecinsmais les syndicats médicaux auront un droit de regard sur le fonctionnementdes caisses). Le nouveau syndicat qui naît de ce mouvement (la CSMF,Confédération des syndicats médicaux français) s’oppose alors avec vigueur àla loi de 1928 sur l’assurance maladie qui prévoit la négociation de tarifs dans8

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le cadre de contrats locaux et la possibilité du tiers payant. Une nouvelle loidoit être votée en 1930 qui laisse de côté cette fois la question de la fixationdes honoraires et du tiers payant. Ce coup de force des tenants de la médecinelibérale fige pour longtemps la position des syndicats de médecins face à laprotection sociale et la régulation des coûts. Le syndicalisme médical tentealors de contrer les institutions médicales qui pourraient faire concurrence àla médecine libérale, comme l’hôpital, réservé jusqu’en 1941 aux indigents, lamédecine du travail et scolaire ou les PMI après 1945, qui n’auront pas le droitde prescrire ni de soigner.

Ce combat à la fois contre la concurrence et contre différentes formes decontrôle externe lié aux réglementations étatiques ou à la protection socialese retrouve dans d’autres mouvements d’indépendants. En témoigne le succèsdans les années 1950 du poujadisme2 et de l’Union de défense des commer-çants et artisans (UDCA), tout comme l’histoire du CID (Comité d’informa-tion et de défense, 1969, qui rejoint l’Unati, Union nationale des travailleursindépendants) et les manifestations parfois violentes contre les cotisationsmaladie ainsi que le développement des grandes surfaces. Ces mouvementsdébouchent notamment sur la loi Royer de 1973 censée réguler les implanta-tions commerciales de grandes surfaces pour protéger les petits commerçants,des aménagements du régime de protection sociale.

Regroupements et associations comme garants de l’indépendance

En se constituant en collectifs organisés, les différentes catégories de tra-vailleurs indépendants vont progressivement rompre leur isolement et bâtirtout un réseau d’institutions, d’associations professionnelles, de syndicats, delieux d’échange et d’entraide, comme le montre notamment l’exemple dumonde agricole. Les paysans ont longtemps été isolés et dépendants au sein desystèmes locaux de domination dont le servage a été la manifestation la plusvisible. Au XIXe siècle encore, Karl Marx dans Le 18 brumaire de LN Bona-parte (1852) note : « Les paysans parcellaires constituent une masse énormedont les membres vivent tous dans la même situation, mais sans être unis lesuns aux autres par des rapports variés. Leur mode de production les isole lesuns des autres, au lieu de les amener à des relations réciproques. Cet isolementest encore aggravé par le mauvais état des moyens de communication enFrance et par la pauvreté des paysans. L’exploitation de la parcelle ne permetaucune division du travail, aucune utilisation des méthodes scientifiques, parconséquent, aucune diversité de développement, aucune variété de talents,aucune richesse de rapports sociaux. Chacune des familles paysannes se suffit

2. Pierre Poujade, libraire-papetier dans la ville de Saint-Céré, est à l’origine, avec l’Union dedéfense des commerçants et artisans (UDCA) d’un mouvement politique de protestation contreles contrôles fiscaux et le développement des grandes surfaces. Ce mouvement obtient plus de2 millions de voix et 52 députés aux élections de 1956 sous l’étiquette d’Union et fraternitéfrançaise (UFF), avant de disparaître en 1958.

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presque complètement à elle-même, produit directement la plus grande partiede ce qu’elle consomme et se procure ainsi ses moyens de subsistance bien pluspar un échange avec la nature que par un échange avec la société. La parcelle,le paysan et sa famille ; à côté, une autre parcelle, un autre paysan et une autrefamille. Un certain nombre de ces familles forment un village et un certainnombre de villages un département. Ainsi, la grande masse de la nationfrançaise est constituée par une simple addition de grandeurs de même nom, àpeu près de la même façon qu’un sac rempli de pommes de terre forme un sacde pommes de terre. Dans la mesure où des millions de familles paysannesvivent dans des conditions économiques qui les séparent les unes des autres etopposent leur genre de vie, leurs intérêts et leur culture à ceux des autresclasses de la société, elles constituent une classe. Mais elles ne constituent pasune classe dans la mesure où il n’existe entre les paysans parcellaires qu’unlien local et où la similitude de leurs intérêts ne crée entre eux aucunecommunauté, aucune liaison nationale ni aucune organisation politique. ».

La constitution des agriculteurs en groupe structuré, défendant ses intérêts, estprogressive au XXe siècle. La lutte contre les retraites ouvrières et paysannes(1910), les assurances sociales (1928-30) ou la sécurité sociale pour les salariésagricoles, ainsi que le syndicalisme et le militantisme agricole après la secondeguerre mondiale vont à la fois contribuer à diffuser les méthodes modernes et àconforter l’identité des agriculteurs autour d’une image plus homogène de laprofession. Comme l’écrit Henri Mendras (1988), grand spécialiste de socio-logie rurale : « Dans les années 1950, la JAC (Jeunesse agricole chrétienne) etle CNJA (Centre national des jeunes agriculteurs) ont mis sur pieds unformidable réseau de formation générale et technique qui, à coup de stages, desessions, de journées d’étude, de voyages, a diffusé chez les militants, puis dansleur famille, une nouvelle vision du métier, une fierté d’être paysan, desconnaissances techniques et un savoir économique élémentaire. C’est sansdoute la plus grande réussite d’éducation populaire qui soit au monde : touteune population, en une génération, a appris un métier rénové et s’est acclima-tée au monde moderne. Une nouvelle conception des rapports sociaux, libé-rée des tabous anciens, autorise l’échange et la coopération entre voisins, laparticipation à des associations professionnelles, l’écoute d’un technicien et ladiscussion de ses avis. Aujourd’hui, les agriculteurs sont une des catégories lesmieux informées, les plus en éveil et les plus ouvertes au progrès. ». En 1954, ily avait 4 millions d’agriculteurs exploitants. Ils sont 539 000 en 2007, pourune production trois fois plus élevée.

Les associations professionnelles agissent comme un amortisseur des angoisseset un moyen de mutualisation des connaissances face aux difficultés profession-nelles et aux innovations techniques. De nombreux travaux sociologiques surla diffusion des innovations (présentés notamment dans Mendras et Forsé,1992) ont montré l’importance des réseaux sociaux : une innovation (commel’utilisation d’une nouvelle technique, d’une nouvelle matière première...) estd’autant plus facilement acceptée et mise en œuvre que les agriculteurs, artisans10

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ou libéraux concernés peuvent en discuter avec d’autres membres de leurmétier et en connaître les effets chez les devanciers. Sans le soutien d’uneorganisation capable d’assurer la veille technologique, l’évaluation de l’impactde l’innovation et la prospective sur les marchés, les indépendants ont besoinde connaître les effets concrets chez les « pionniers ». Les premiers à adopterune innovation, souvent mieux informés, peuvent alors jouer un rôle d’entraî-nement par l’exemple ou la diffusion d’informations sur l’intérêt de la nouvelletechnique ou de nouveaux produits et ainsi rassurer les « suiveurs ».

Les métiers indépendants se structurent tout d’abord autour de leurs instancesde représentation collectives. Les chambres de commerce et d’industrie,créées en 1803, sont réaménagées par la loi du 9 avril 1898 qui leur confère lestatut d’établissement public et règle l’essentiel de leur organisation et de leursattributions. Devenues Chambres de Commerce et d’Industrie (CCI) pardécret en 1960, leur action est coordonnée par 21 chambres régionales crééesen 1964 et 155 chambres départementales. La loi du 26 juillet 1925 institue,quant à elle, les chambres de métiers et de l’artisanat (CMA), aujourd’hui aunombre de 107. Les élus y sont issus des métiers représentés et jouent un rôleimportant dans la défense des intérêts des indépendants et la diffusion deréférents identitaires (Rapelli et Piatecki, 2008).

Il n’est pas possible de dresser une liste exhaustive des multiples formesd’associations, de syndicats ou de groupements professionnels assurant lemaillage des différents métiers des travailleurs non-salariés. Si à l’origine, lesyndicalisme patronal regroupe à la fois les indépendants et les grosemployeurs (plus de 10 salariés), à partir des années 1920, artisans et commer-çants tendent à séparer leurs revendications et leurs organisations de celles dupatronat (Offerlé, 2009). Pour comprendre cette évolution, il est possibled’évoquer l’opposition ancienne entre deux visions du libéralisme, un libéra-lisme des groupes et un libéralisme des marchés. Les premiers se réunissent parmétiers pour développer des secours mutuels, partager des informations sur lesmarchés et les techniques, défendre leurs intérêts en justice ou face auxévolutions de la législation. Ils n’hésitent pas quand cela leur semble néces-saire à limiter les formes de concurrence pour défendre leurs intérêts. Commel’écrivait déjà Adam Smith en 1776, « toutes les fois que les marchands demême métier se réunissent, on peut être sûr qu’il se trame quelque chosecontre les poches du public. » (cité dans Offerlé, 2009, p. 9). Les seconds, aucontraire, valorisent le libre jeu de l’offre et de la demande et condamnent lesprivilèges et protections dont bénéficieraient les premiers.

L’Union professionnelle artisanale (UPA), créée en 1975, regroupe trois fédé-rations (la Capeb, Confédération de l’artisanat et des petites entreprises dubâtiment ; la Cnams, Confédération nationale de l’artisanat, des métiers etdes services et la CGAD, Confédération générale de l’alimentation en détail),cinquante confédérations, 115 structures régionales et 5 000 syndicats dépar-tementaux pour 920 000 artisans. De leur côté, les commerçants sont regrou-pés en une myriade d’associations mal connues : unions de commerçants qui

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s’occupent de l’animation commerciale et peuvent porter des revendicationscollectives auprès des municipalités ; organisations autonomes et contesta-taires (comme l’UDCA, le Cidunati, le CDCA) qui s’oppose tant aux « gros »distributeurs qu’aux prélèvements fiscaux et sociaux (Offerlé, 2009).

Les professions libérales, enfin, sont souvent représentées par différentes struc-tures syndicales, traversées par des oppositions politiques ; par des divergencespar rapport aux Ordres professionnels, des différences d’intérêts économiques(par exemple entre médecins spécialistes et médecins généralistes, entre petitset gros cabinets de comptables ou d’architectes)... Les syndicats coexistentavec des sociétés savantes plus tournées vers la diffusion et la certification desconnaissances ; les ordres professionnels, des groupes de réflexion sur l’avenirde la profession... (voir par exemple les travaux de Florent Champy (2001) surles architectes, de Lucien Karpik (1995) sur les avocats ou de Patrick Hassen-teufel (1997) sur les médecins...).

Les institutions représentatives des organisations et groupements profession-nels pourraient constituer un vecteur important pour toute action de préven-tion des risques psychosociaux. Les indépendants n’apprécient pas forcémentun regard extérieur sur leur façon de travailler (qui pourrait leur rappeler lecontrôle étatique qu’ils rejettent souvent), mais peuvent plus se reconnaîtredans des discussions et réunions extérieures de professionnels partageant lesmêmes activités. Les associations, syndicats ou réseaux professionnels pour-raient également jouer un rôle dans la prévention des facteurs potentiels destress dans la mesure où ils permettent aux travailleurs indépendants d’avoircollectivement une certaine prise sur l’environnement économique, de secréer des marges de manœuvre en stabilisant et en segmentant leur marché,leurs fournisseurs, les normes de qualité... De nombreux travaux de sociologieéconomique (Bagnasco, 1993 ; Roy, 1995 ; Burt, 2005 ; Comet, 2007) ontmontré l’importance du capital social et des réseaux sociaux dans la perfor-mance. Cette entraide entre professionnels peut prendre plusieurs formes :partage de l’information ; échanges de clients (surtout entre métiers complé-mentaires, comme carreleurs et plombiers) ; échanges temporaires de matérielou de main-d’œuvre, accords locaux sur les prix, les horaires d’ouverture, pourlimiter la concurrence ; mise en commun des achats pour mieux négocier avecles fournisseurs...

Identité sociale et conditions de travail communesaux indépendants

Le groupe des travailleurs indépendants, au-delà d’une histoire commune derésistance à la fois au salariat et au marché, présente de grandes divergencesinternes tant en terme de niveau d’étude que de revenu. C’est la raison pourlaquelle la typologie de l’Insee des professions et catégories professionnellesdisperse les travailleurs non-salariés dans plusieurs catégories pour tenir12

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compte de ces différences (ainsi, les professions libérales sont regroupées avecles cadres dont ils sont proches par les niveaux de revenu et de diplômes).

Une culture propre aux indépendants ?

S’il devait y avoir un socle identitaire commun à tous les indépendants, il sestructurerait autour de quelques grandes dimensions.

On distingue tout d’abord la non subordination et l’autonomie, bien quecelle-ci existe chez certains salariés et soit remise en cause pour divers indé-pendants (par exemple les commerçants franchisés, les prestataires de servicedépendant d’un seul client...). De par leur histoire, des groupes comme lesjournalistes pigistes ou les intermittents du spectacle ont pu bénéficier de laprotection sociale des salariés tout en étant dans leur travail proches desprestataires de service indépendants (dans plusieurs pays, ils n’ont pas le statutde salarié).

On note également la volonté de conserver une relation de proportionnalitéentre la quantité de travail ou les résultats et le niveau de rémunération,même si cela est également le cas de certains salariés (commerciaux, pigistes,traders...). L’indépendant est responsable de ses gains comme de ses pertes. En2005, 67,4 % des non-salariés estimaient que leur rémunération dépend deleur façon de travailler, contre seulement 18,5 % des salariés (source Enquêteconditions de travail 2005, dans Algava et Vinck, 2009).

Enfin, la responsabilité financière, un goût plus grand pour le risque sontvérifiés par plusieurs recherches de psychologie économiques (Levesque etcoll., 2002 ; Rapelli et Piatecki, 2008). Mais tous les indépendants n’ont pasle statut d’entreprise individuelle avec responsabilité sur les biens propres(69,2 % dans la boulangerie, pâtisserie, charcuterie, contre 35,3 % dans lecommerce et la réparation automobile). Pour les agriculteurs, les médecins,les patrons-taxis, il existe des garanties de tarifs minimaux ou réglementés.Certaines professions sont protégées par des aides, un numerus clausus, desclauses de non-concurrence. La responsabilité financière se mesure égalementaux conséquences des erreurs dans le travail. Dans tous les secteurs, à travailéquivalent, les indépendants déclarent plus que les salariés qu’une erreur deleur part entraînerait des coûts financiers pour l’entreprise : 70 % des agricul-teurs exploitants contre 48 % des salariés agricoles, 70 % des artisans contre50 % des ouvriers qualifiés de type artisanal ; 45 % des commerçants contre37 % des employés de commerce et 86 % des chefs d’entreprise contre 79 %des cadres d’entreprise (source Enquête conditions de travail 1991, dansHamon-Cholet, 1998).

La protection sociale est généralement moins importante et moins protec-trice, à la fois parce que les indépendants se sont montrés longtemps hostilesaux prélèvements sociaux, mais aussi parce qu’il est compliqué de leur garantirsur certains risques les mêmes droits qu’aux salariés (revenus de remplacementen cas de grossesse ou de maladie, formation continue...).

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Les travailleurs indépendants se définissent en référence à un métier ou à uneprofession, même si la plupart des métiers peuvent être exercés en indépen-dant ou comme salarié, ce qui peut occasionner des conflits et des rapports deforce internes à ces métiers (par exemple, dévalorisation de la médecinesalariée non hospitalière par les médecins libéraux ; conflit au sujet du conseilde l’ordre entre infirmières libérales et salariées...). Pour les indépendants,cela se traduit par un fort attachement à la valeur travail. D’après l’enquête« histoire de vie, construction des identités » de l’Insee (2003), les indépen-dants sont, avec les cadres supérieurs (qui comptent aussi les professionslibérales), parmi les plus nombreux (68 %) à citer le « métier » comme un destrois éléments permettant de les définir (contre 57 % pour les professionsintermédiaires et seulement 33 % pour les ouvriers non qualifiés).

Une conséquence importante, pour la problématique de la santé au travail desindépendants, de cet ensemble d’attitudes est le rapport à la médecine et leniveau de consommation médicale. Globalement, et en neutralisant l’effet del’âge, la consommation de soins des indépendants est plus faible que celle dessalariés (Mormiche, 1995 ; Raynaud, 2002). Cela peut s’expliquer par uneplus grande difficulté à trouver le temps de se soigner et d’avoir des arrêtsmaladie, par une tolérance plus grande à la fatigue ou à la douleur, une éthiquedu travail plus forte, mais aussi, pendant longtemps, par une moins bonnecouverture sociale qui a pu installer des habitudes durables, même après unemise à niveau. La question qui se pose alors est la suivante : cette moindreconsommation est-elle le signe d’une résistance plus forte ou de meilleuresconditions de vie et de travail (moins de stress) ou au contraire un risque demauvais suivi médical (avec comme conséquence plus de problèmes de santéà terme) ?

Conditions de travail des indépendants : quelles spécificités ?

Globalement, les conditions de travail des indépendants sont tout aussivariées et hétérogènes que celles des salariés, notamment du point de vue del’exposition aux risques physiques, chimiques et biologiques. Il y a peu encommun entre un boulanger, un agriculteur et un médecin libéral confrontésà des produits, des environnements de travail, des gestes et une organisationtrès différents. De ce point de vue là, au sein d’un même métier, les contrain-tes sont très proches entre salariés et non-salariés.

Pour mettre au jour des différences, il faut distinguer plusieurs familles parmiles travailleurs non-salariés. En effet, le fait que les conditions de travail desprofessions libérales sont globalement très proches de celles des cadres supé-rieurs, atténue le fait que les conditions des autres indépendants sont souventproches de celles des ouvriers (travail physiquement pénible, exposition à dessubstances dangereuses...). Les conditions de travail des « agriculteurs exploi-tants », notamment, sont sur certains points, plus difficiles que pour les autresprofessions et catégories socioprofessionnelles (CSP), comme le montre14

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notamment l’enquête décennale santé 2003 de l’Insee (Cohidon et Santin,2007). Ainsi, les hommes agriculteurs exploitants sont les plus nombreux(40,9 %) à être exposés à des produits chimiques (contre 24,3 % pour lesouvriers qui arrivent en deuxième position) et aux intempéries (63,8 %contre 27 à 3 % pour les autres catégories). De même, ils sont un peu plusnombreux à déclarer porter des charges lourdes (48,9 % contre 47,6 % pourles ouvriers). Les mêmes tendances se retrouvent pour les femmes.

Le groupe « artisans, commerçants, chefs d’entreprise » se rapproche plutôtdes « employés » et des « ouvriers ». Les artisans ont des conditions physiqueset environnementales de travail très proches de celles des ouvriers qualifiés,tandis que les commerçants se situent entre les professions intermédiaires etles employés.

Sur deux points, toutefois, la différence peut être importante entre salariés etnon-salariés : la durée du travail d’une part et l’autonomie et la solitude faceaux responsabilités d’autre part.

Temps de travail et horaires

Globalement, le temps de travail des non-salariés est supérieur à celui dessalariés. D’après l’enquête Emploi 2007 de l’Insee, en France, les indépen-dants travaillent en moyenne 53,3 heures par semaine (et parmi eux lesemployeurs 57,3), contre 37,6 pour l’ensemble de la population active occu-pée. La tendance est la même en Europe où les indépendants travaillent enmoyenne 44,5 heures contre 36,7 pour les salariés (Fondation européennepour l’amélioration des conditions de vie et de travail, 2002). Cet écart aplusieurs explications : l’absence de réglementation sur le temps de travail desnon-salariés, le lien entre rémunérations et quantité de travail, le cumul del’activité professionnelle et de tâches annexes de gestion, comptabilité, mana-gement et la faible part du temps partiel, ce dernier point étant plutôtfavorable aux indépendants. En revanche, les non-salariés sont moins soumisque les ouvriers ou les professions intermédiaires aux horaires atypiques.Ainsi, les agriculteurs, artisans, commerçants ou professions libérales sontbeaucoup moins nombreux que les ouvriers, employés et professions intermé-diaires à déclarer avoir des horaires alternants, tardifs ou très matinaux (mêmesi les travailleurs non-salariés sont plus nombreux à travailler 5 jours d’affilée)(tableau 1.II). Or l’alternance travail du matin et du soir, jour/nuit est réputéeparticulièrement nocive.

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Tableau 1.II : Part des actifs (%) déclarant des horaires atypiques (d’aprèsl’Enquête décennale santé Insee, 2003)

Horairesalternants

Coucheraprès minuit

Lever avant5 h

Pas dormirde la nuit

Ha Fb H F H F H F

Agriculteurs exploitants 5,3 1,9 6,4 1,3 13,1 7,7 2,3 0

Artisans, commerçants, chefs d’entreprise 5,1 1,2 7,9 2,7 13,8 6,0 3,5 2,2

Cadres professions intellectuelles 1,1 1,2 6,8 3,3 4,0 1,7 2,0 1,1

Professions intermédiaires 12,2 10,8 10,4 4,1 11,4 4,5 6,9 3,6

Employés 27,2 16,2 17,7 3,8 16,7 6,1 12,2 2,4

Ouvriers 28,5 35,1 15,7 8,0 30,9 31,4 13,5 5,6a Hommes : N=6 232 ; Femmes : N=5 663

Autonomie et solitude

L’autre grande caractéristique qui distingue les indépendants par rapport aureste de la population active et aux catégories salariées proches est l’autonomie,l’absence de routine dont la contrepartie peut être la solitude (tableau 1.III).

Tableau 1.III : Part des actifs (%) déclarant chaque caractéristique de travail(d’après l’Enquête décennale santé Insee, 2003)

Travail varié Choix dansla façon

de procéder

Moyens defaire un travail

de qualité

Travail répétitifsous contrainte

de temps

Ha Fb H F H F H F

Agriculteurs exploitants 95,3 87,7 95,8 91,1 93,7 90,6 3,7 6,2

Artisans, commerçants,chefs d’entreprise

87,9 84,4 97,7 98,3 91,8 93,8 3,1 1,1

Cadres professions intellectuelles 95,1 94 92,1 95,1 92,1 89,2 0,6 0,5

Professions intermédiaires 87,2 90,4 87,5 87,2 86,2 86,4 3,2 11,5

Employés 76,5 70,7 72,2 75,1 79,7 79,9 5,4 29,7

Ouvriers 73,9 58,4 71,2 54,9 79,7 73,2 18,5 40,9a Hommes : N=6 232 ; b Femmes : N=5 663

Cette autonomie est également confirmée par l’enquête Conditions de travailde 2005 : les non-salariés sont seulement 18,5 % à ne pas avoir la possibilitéd’interrompre leur travail (contre 40,4 % pour les salariés) et 13,7 % à ne pasrégler seuls les incidents (contre 48,6 % pour les salariés). Du coup, lesnon-salariés sont moins nombreux (35 %) à déclarer ne pas pouvoir respecterà la fois la qualité et les délais que les salariés (52 % ; cité dans Algava etVinck, 2009).16

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La contrepartie est que les catégories indépendantes (à l’exception des profes-sions libérales) sont les moins nombreuses à trouver de l’aide (auprès de leurscollègues supérieurs hiérarchiques ou de l’extérieur) en cas de difficultés,notamment parmi les hommes : en 1991, 71,1 % pour les agriculteurs exploi-tants et 73,9 % pour les artisans, commerçants, chefs d’entreprise, contre 80 à90 % pour les autres CSP (Enquête conditions de travail, 1991). De même,25 % des non-salariés déclarent ne pas pouvoir coopérer pour faire leur travailcontre 13 % des salariés. Les plus mal lotis sont les commerçants (40 %) et lesartisans (31 %) (source Enquête conditions de travail 1991, dans Hamon-Cholet, 1998). En 2005, les non-salariés sont 33,8 % à déclarer ne pas rece-voir d’aide des supérieurs ou des collègues ni de personnes extérieures et23,4 % à ne pas avoir la possibilité de coopérer pour effectuer leur travail,contre respectivement 15,2 % et 11 % pour les salariés. Les écarts restentdonc stables (source Enquête conditions de travail 2005, dans Algava etVinck, 2009).

Au total, les indépendants présentent une situation de forte durée de travail,des responsabilités importantes, mais également une assez forte autonomie etdes marges de liberté dans l’organisation de leur travail. On pourrait doncfaire l’hypothèse qu’ils seraient plus proches des « travailleurs actifs » que des« travailleurs tendus » au sens du modèle de Karasek3. À travail équivalent,les indépendants sont moins soumis, par exemple, à l’interruption des tâches.Les infirmières libérales ne sont ainsi que 27 % à déclarer devoir abandonnerune tâche pour une autre non prévue contre 70 % pour les infirmières sala-riées (source Enquête conditions de travail 1991, dans Hamon-Cholet, 1998).

De même, au vu des remarques précédentes, il est possible de faire l’hypothèseque les indépendants seraient plutôt moins touchés que les salariés, touteschoses égales par ailleurs, par le déséquilibre décrit dans le modèle de Siegrist4

(meilleures rémunérations, sens et valeurs fortes du travail). Par exemple, lesinfirmières et médecins libéraux sont un peu moins nombreux que leursconfrères salariés à déclarer vivre des tensions avec le public (source Enquêteconditions de travail 1991, dans Hamon-Cholet, 1998).

Cela ne se retrouve pas dans les déclarations de stress et de fatigue perçus. Lefait de se voir comme un métier à responsabilités, à lourde charge de travail,par rapport aux salariés, pourrait encourager la représentation des problèmesen termes de stress et de fatigue. D’après la quatrième enquête européenne sur

3. Selon le modèle de Karasek, utilisé pour évaluer les facteurs psychosociaux au travail, lacombinaison d’une forte demande psychologique et d’une faible latitude décisionnelle (autono-mie) chez les travailleurs « tendus » conduit à une situation particulièrement à risque pour lasanté. Chez les travailleurs « actifs », la forte demande est pondérée par une latitude décision-nelle importante, la situation la plus favorable pour la santé étant retrouvée chez les travailleurs« détendus » exposés à à la fois à une faible demande psychologique et à une faible latitudedécisionnelle.4. Le modèle de Siegrist est centré sur le déséquilibre entre deux composantes de l’environne-ment psychosocial au travail, les efforts et les récompenses, l’exposition à un déséquilibre entredes efforts élevés et des récompenses faibles constituant un risque pour la santé.

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les conditions de travail (2005), les travailleurs indépendants (self-employed)sont plus nombreux que les salariés (employés) à déclarer des problèmes desanté liés au travail (tableau 1.IV) (Milczarek et coll., 2009).

Tableau 1.IV : Part des travailleurs (%) qui déclarent des troubles liés au stresset à la fatigue (d’après la quatrième enquête européenne sur les conditions detravail, 2005 ; Source : Milczarek et coll., 2009)

Stress Fatiguegénérale

Problèmesde sommeil

Anxiété Irritabilité Maux detête

Problèmescardiaques

Self-employed 24,9 27,3 9,4 9 11,2 17,3 3,3

Employés 21,3 20,2 8,1 7,6 10,4 14,3 1,8

De nouvelles catégories d’indépendants ?

Depuis quinze ou vingt ans, économistes, sociologues et juristes ont évoqué ledéveloppement de « faux » indépendants (à propos de non-salariés dépen-dants économiquement) ou de « nouveaux » indépendants (travaillant dansdes activités nouvelles, encore peu organisées collectivement) qui connaî-traient une forte croissance contrastant avec les catégories traditionnellesd’indépendants (commerçants, agriculteurs, artisans, professions libérales).Ces travailleurs, dont l’appellation n’est pas bien stabilisée, cumuleraientalors, du point de vue de leurs conditions de travail, les inconvénients dusalariat et de l’indépendance sans en avoir les avantages.

Des indépendants dépendants

Certains travailleurs non-salariés peuvent parfois se trouver, pour différentesraisons, dans des situations de forte dépendance par rapport à un donneurd’ordre ou une chaîne de franchise. Ce groupe hétérogène d’indépendants, enexpansion numérique, regroupe les personnes qui suite à la perte d’un emploiou de difficultés à en trouver se mettent à leur compte, ou des salariés pousséspar leurs employeurs à prendre le statut d’indépendant. On peut y ajouter lescommerçants franchisés. Les changements juridiques récents, comme la loiMadelin de 1993 qui facilite la présomption de travail non-salarié, lescontrats d’accompagnement de la loi Dutreil de 2003 ou le statut d’auto-entrepreneur d’août 2008, ont pu alimenter ce mouvement.

« Une autre zone intermédiaire retient depuis quelques années l’attentioncroissante des chercheurs : celle qui sépare le travail salarié du travail indé-pendant. Se multiplient ainsi les situations dans lesquelles un travailleur placédans la position de subordination qui est constitutive du salariat adopte (ou sevoit incité à adopter) un statut de travailleur indépendant, tout en n’obtenantsouvent de commandes que d’un seul donneur d’ordre. Certains secteursd’activités, nouveaux comme anciens (le plus souvent dans le cadre du déve-loppement de la sous-traitance), sont propices au développement de telles18

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situations, qui peuvent recouvrir le meilleur comme le pire. On les appelle« faux indépendants » en Belgique, « pseudo-indépendants » en Allemagne,ou encore « indépendants dépendants » au Royaume-Uni. Certains pays ontcréé des statuts particuliers pour rencontrer ces situations. Ainsi, en Italie, les« parasubordinati » sont des personnes qui, sans être salariées, exercent leuractivité de travail dans un contexte où elles sont soumises à une subordina-tion. » (Pierre Desmarez, 2003).

En France, « le phénomène est difficile à quantifier précisément. Toutefois, lesenquêtes Emploi de l’Insee signalent à la fois une diminution annuelle cons-tante (2,5 %) du nombre d’indépendants depuis 1990 et une croissance(1,3 %) des professions libérales non réglementées et des entreprises deconseil et d’assistance n’employant aucun ou un seul salarié. » (Reynaud,2009). En 2009, le nombre de créations d’entreprise a été supérieur de 75,1 %par rapport à 2008 du fait des créations d’auto-entrepreneurs5 (sans ces der-nières, il aurait connu au contraire une baisse de 21,5 % ; Hagège et Masson,2010). Au Canada, le mouvement est plus ancien et plus profond. Martined’Amours (2006, p. 26) note ainsi « l’archétype du travailleur indépendantn’est plus l’agriculteur, l’artisan ou le professionnel libéral, mais le profession-nel qui dispense des services aux entreprises ou le non-professionnel quidispense des services personnels ». Les trois premières catégories représen-taient 65 % des indépendants en 1976 et 46 % en 1998.

Fluctuation en fonction du contexte économique et juridique

Dans son étude sur le secteur du bâtiment, Nicolas Jounin (2008) expliquecomment, face à la crise économique (on passe de 1,7 à 1,2 millions de salariésdans le BTP entre 1973 et 1986) et au renforcement des protections juri-diques des salariés (indemnités de licenciement en 1967, limitation des licen-ciements et interdiction du « marchandage » de main-d’œuvre en 1973), lesemployeurs, de plus en plus concentrés autour de quelques grosses entreprises,développent le recours au travail indépendant. On passe entre 1973 et 1986de 220 000 artisans dans le secteur à 330 000 (dans un contexte de réductiondes effectifs). Mais de nouvelles lois sur l’intérim et la sous-traitance, offrentd’autres opportunités pour flexibiliser la main-d’œuvre. Entre 1990 et 2005,alors que le nombre de salariés continue à baisser (de 10 %), le secteur du BTPperd 42 000 artisans, mais gagne 52 000 emplois intérimaires.

Au-delà du seul secteur du bâtiment, le nombre d’indépendants semble varieren fonction de la conjoncture économique et des opportunités juridiques per-mettant aux employeurs de gérer de façon plus flexible et moins coûteuse leurmain-d’œuvre (D’Amours, 2006). En période de ralentissement économique, il

5. D’après l’observatoire des auto-entrepreneurs à partir d’un sondage « Opinion way » denovembre 2009, 32 % des auto-entrepreneurs sont des salariés et 17 % des retraités. Seuls39 % sont sans autres activité ou statut.

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est fait appel, en fonction de la législation, à des travailleurs indépendants ou àd’autres formes d’emplois flexibles (intérimaires, saisonniers, sous-traitants...).

Des indépendants plus fragiles ?

Ces catégories de « faux » ou de « néo » indépendants se distingueraient dureste des indépendants par un certain nombre de caractéristiques qui pour-raient en faire un groupe à risque pour le stress :• plus grande dépendance par rapport à un client ou une chaîne commerciale(avec une extension de la présomption de non-salariat à l’auto-entrepreneurpar la loi d’août 2008 dite de « modernisation de l’économie ») ;• un choix du statut d’indépendant plus contraint (par le chômage, lesemployeurs, les systèmes d’assurance chômage...), donc moins lié à un projetpersonnel faisant sens pour l’intéressé ;• contraintes légales (chiffre d’affaire maximum, pas d’employés pour lesauto-entrepreneurs) parfois imposées par les nouveaux dispositifs juridiques ;• moindre expérience ou tradition familiale de l’indépendance. Différentesétudes montrent que le fait d’avoir des parents (Dunn et Holtz-Eakin, 2000)ou un conjoint (Caputo et Dolinski, 1998) eux-mêmes indépendants permetnon seulement d’avoir plus facilement un capital de départ, mais surtoutapporte une formation informelle, des compétences entrepreneuriales quifont défaut aux personnes qui n’ont connu dans leur entourage familial que lesalariat ;• taux de mortalité des entreprises plus élevé du fait du manque d’expérienceet de capitaux de ces néo-entrepreneurs, mais aussi en raison du contexte decrise et de chômage dans lequel ils créent leur entreprise ;• moindres protections réglementaires (de métier et syndicale) pour desmétiers nouveaux dont les structures collectives ne sont pas encore forcémentmises en place ;• statuts hybrides entre indépendance et salariat comme dans le cas duportage salarial, des franchisés...

De plus, ces « faux » ou « néo » indépendants sont souvent soumis à denouvelles formes de travail potentiellement stressantes. Selon une étude de laDares (Dares, 2004), par exemple, le nombre des télétravailleurs indépen-dants à domicile s’élevait en 2004 à 160 000 (ce qui représente 6 % destravailleurs non-salariés), tandis que les travailleurs indépendants « noma-des »6 étaient 106 700 (4 % des travailleurs non-salariés). Ces salariés peu-vent se sentir isolés et privés du support social que peut offrir l’entreprise.

Les enquêtes qualitatives (Reynaud, 2003 ; Durand, 2004 ; Reynaud, 2007)donnent néanmoins des résultats plus nuancés. Moins protégés par des orga-nisations ou des formes de régulation collectives, les « faux » et les « néo »

6. Le « télétravailleur nomade » est un grand utilisateur de l’informatique, plutôt jeune etmasculin, qui partage son temps de travail entre plusieurs lieux sans travailler beaucoup à sondomicile. Il occupe souvent une fonction spécifique (commerciale ou technique) qui l’astreint àtravailler dans les locaux des clients de son entreprise.20

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indépendants sont plus soumis aux contraintes du marché. Ainsi, les risquesde précarisation et de pertes des protections touchent surtout les moinsqualifiés (travailleurs du bâtiment ou de la maintenance par exemple). Enrevanche, ceux disposant d’une compétence professionnelle reconnue, parfoisqualifiés de « nouveaux entrepreneurs » ou de « nouveaux professionnels »,déclarent trouver dans l’indépendance un univers de travail moins étriqué,plus ouvert à l’initiative et la création personnelle, que l’univers bureaucra-tique qu’ils critiquent souvent. Mais certains expriment des craintes et desangoisses au sujet de la viabilité de leur entreprise. Les échecs peuvent êtred’autant plus mal ressentis qu’il y a un fort investissement personnel.

En conclusion, les travailleurs indépendants constituent un ensemble decatégories largement hétérogènes du point de vue des conditions de travail, duniveau de diplôme ou de rémunération. Ils partagent toutefois en commun lefait de se distinguer à la fois des salariés, et des employeurs seulement dédiés àla gestion du travail de leurs employés. Cette position d’autonomie est sourceà la fois d’avantages et d’inconvénients. D’après une étude canadienne(Delage, 2002), « les inconvénients cités par le plus grand nombre de tra-vailleurs indépendants sont l’incertitude ou le manque de stabilité, les longuesheures de travail et le fait de ne pas avoir de vacances, l’instabilité du revenuet les problèmes de liquidités, l’absence d’avantages sociaux, le stress et lestâches liées à l’administration d’une entreprise. ».

Pour défendre leur indépendance, se ménager collectivement des marges demanœuvre afin de réduire les incertitudes économiques et sociales, obtenir unrapport de force plus favorable face aux pouvoirs publics, les travailleursnon-salariés se sont regroupés autour de diverses structures (chambres decommerce et d’artisanat, syndicats, ordres, associations professionnelles ousavantes...) qui pourraient être autant de lieux pertinents pour initier desactions de prévention des risques psychosociaux au travail.

Toutefois, ces vingt ou trente dernières années suivant les pays, se sontdéveloppées des catégories nouvelles de travailleurs autonomes moins encas-trés dans ces réseaux sociaux qui ont permis aux indépendants de construire etde préserver leur autonomie collective. Pour les moins qualifiés d’entre eux, ily a alors cumul des inconvénients du salariat (forte subordination) et del’indépendance (insécurité économique) ; cumul potentiellement générateurd’un stress d’autant plus difficile à prévenir que les réseaux sociaux ou institu-tionnels qui pourraient en être vecteur d’action de santé publique font défaut.

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2Facteurs psychosociaux au travail :modèles et conceptsen épidémiologie

Au cours des dernières décennies, la notion de stress au travail ainsi que sesdéterminants (ou sources ou facteurs de risque) ont gagné en popularité et denombreux questionnaires, échelles, outils de mesure, et autres instrumentsd’évaluation, sont apparus. Les instruments qui explorent ces déterminants sesont appuyés sur une théorie ou un concept focalisant sur une ou plusieursdimensions du stress au travail. Ainsi, la littérature s’est enrichie d’une multi-tude de concepts et modèles. En se focalisant sur certains aspects de l’environ-nement psychosocial au travail, ces modèles et concepts donnent une repré-sentation de cet environnement en réduisant sa complexité. La littérature,notamment en épidémiologie, a défini la notion de facteurs psychosociaux autravail, probablement plus représentative de la variété et de la diversité desfacteurs de stress rencontrés en milieu de travail. Ces facteurs recouvrent lescontraintes psychologiques, sociales et relationnelles dérivées de l’organisa-tion du travail, jusqu’à englober toutes les expositions professionnelles, qui nerelèvent pas d’agents physico-chimiques. Les modèles et concepts ont aboutiau développement de questionnaires, pour la plupart validés en termes psy-chométriques, permettant l’évaluation de certains facteurs psychosociaux autravail via auto-questionnaire ou questionnaire posé par un enquêteur. L’éva-luation des facteurs psychosociaux au travail par d’autres méthodes, l’observa-tion notamment, est restée très marginale en épidémiologie. Ce chapitre viseà faire le point des modèles et concepts permettant l’évaluation des facteurspsychosociaux au travail qui ont fait leur preuve, en termes d’effets prédictifssur la santé, dans la littérature épidémiologique. Ces facteurs ont ainsi étéconceptualisés à un niveau suffisamment général pour s’appliquer à toutepopulation au travail, néanmoins les études ont principalement porté sur despopulations salariées, les études sur les indépendants étant rarissimes.

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Modèles précurseurs : de Karasek à Siegrist

Modèle de Karasek

La littérature a longtemps été dominée par le modèle conceptuel élaboré parRobert Karasek à la fin des années 1970 (job strain model) (Karasek, 1979 ;Karasek et Theorell, 1990). La diffusion et la longévité de ce modèles’expliquent par le fait que très tôt des études étiologiques ont souligné leseffets prédictifs sur la santé cardiovasculaire du job strain de Karasek (Karaseket coll., 1981). Le modèle était à l’origine composé de deux dimensions, lademande psychologique, définie par la charge psychologique associée à l’exé-cution des tâches (en termes de quantité et de complexité des tâches, et decontraintes temporelles), et la latitude décisionnelle (combinant à la foisl’autonomie décisionnelle et l’utilisation des compétences). Selon Karasek, lacombinaison d’une forte demande psychologique et d’une faible latitude déci-sionnelle (job strain) conduit à une situation particulièrement à risque notam-ment pour la santé cardiovasculaire. Les différentes combinaisons des niveauxde la demande et de la latitude conduisent à quatre situations de travail, cellela plus à risque étant celle décrite précédemment, le job strain, et celle lamoins à risque étant probablement celle combinant une faible demande etune forte latitude (figure 2.1). À ce modèle à deux dimensions, s’est ajoutéeune troisième dimension, le soutien social traduisant l’aide et la reconnais-sance des collègues et du supérieur hiérarchique (Johnson et Hall, 1988 ;Johnson et coll., 1989). Cette troisième dimension permet d’identifier unesituation de cumul dont les effets seraient marqués pour la santé, l’iso-strain,qui combine à la fois le job strain et l’isolement social (ou absence de soutien).Le questionnaire dérivé du modèle de Karasek a été validé dans de nom-breuses langues, y compris en français, soulignant des qualités psychomé-triques satisfaisantes de l’instrument pour les populations salariées (Karasek etcoll., 1998 ; Niedhammer, 2002 ; Niedhammer et coll., 2006a). Aucune ten-tative n’a à ce jour été menée afin d’adapter cet instrument à la population destravailleurs indépendants.

Par construction, la définition du job strain (forte demande et faible latitudedéfinies par la médiane des scores dans les populations étudiées) conduit à uneprévalence d’exposition d’environ 25 %. Les études menées dans divers paysont toutefois montré que cette prévalence était plus élevée pour les femmes etpour les catégories sociales et/ou professionnelles les moins avantagées (deSmet et coll., 2005). En France, selon les données de l’enquête nationaleSumer menée en 2003, la prévalence d’exposition au job strain était de 20 et28 % pour les hommes et les femmes salariés respectivement, et variait de 10 à36 % selon la profession et la catégorie sociale, les ouvriers et les employésétant les plus exposés (Niedhammer et coll., 2007a).

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Figure 2.1 : Diagramme de Karasek : 4 situations de travail

La longue antériorité du modèle de Karasek permet aujourd’hui d’avoir unlarge corpus de connaissances à la fois sur l’évaluation des expositions décritesvia ce modèle, et sur leurs effets étiologiques sur la santé, notamment sur lasanté cardiovasculaire et mentale (voir le chapitre sur la santé cardio-vasculaire et celui sur la santé mentale). Deux méta-analyses récentes (Kivi-mäki et coll., 2006a ; Stansfeld et Candy, 2006) basées sur des études prospec-tives permettent de résumer les augmentations de risque de maladiescardiovasculaires et mentales induites par l’exposition aux différentes dimen-sions du modèle de Karasek (tableau 2.I). L’exposition au job strain augmente-rait le risque de pathologies cardiovasculaires et de troubles de la santémentale d’environ 40 % et 80 % respectivement. Il est notable de constaterqu’un ajustement plus complexe que celui basé sur l’âge et le sexe conduit àréduire l’augmentation du risque de maladies cardiovasculaires associé au jobstrain de 1,45 à 1,16, mais que les covariables prises en compte sont suscep-tibles d’être au moins en partie des variables intermédiaires dans l’associationcausale menant du job strain aux maladies cardiovasculaires. C’est le casnotamment pour les facteurs de risque cardiovasculaires, tels que : l’hyperten-sion artérielle, l’hypercholestérolémie, le surpoids et le tabagisme, souventpris en compte dans les études. Des associations entre les dimensions dumodèle de Karasek et d’autres aspects de santé que les maladies cardio-vasculaires et les troubles mentaux ont également été observées, mais lesétudes prospectives restent rares. Ces associations concernent des indicateursde santé générale tels la santé perçue (Niedhammer et Chea, 2003), l’absen-téisme pour raison de santé (Head et coll., 2006), la qualité de vie (Cheng etcoll., 2000). Des liens existent également avec d’autres problèmes de santéspécifiques tels les pathologies musculosquelettiques (Rugulies et Krause,2005), le diabète de type 2 (Heraclides et coll., 2009), les troubles du sommeil(Ota et coll., 2009), ou la prise/perte de poids (Kivimäki et coll., 2006b).Notons que quelques études étiologiques (pas toutes prospectives) ont été

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menées à l’aide du questionnaire de Karasek auprès des salariés en France,dans des échantillons nationaux, notamment dans l’enquête Sumer(Niedhammer et coll., 2008a et b), ou sectoriels (Niedhammer et coll., 1998a,b et c ; Niedhammer et Chea, 2003). Une étude française et prospective sur lasanté mentale (Niedhammer et coll., 1998a) a d’ailleurs été intégrée dans laméta-analyse sur la santé mentale citée précédemment (Stansfeld et Candy,2006).

Certaines limites du modèle de Karasek sont parfois évoquées. Entre autres, lademande psychologique peut ne pas couvrir toutes les dimensions de lademande, notamment la demande émotionnelle, ou encore la notion d’utili-sation des compétences incluse dans la latitude décisionnelle, de par lesexigences induites par les processus d’apprentissage, peut relever de lademande psychologique. Les limites de ce modèle, largement répandu etutilisé, sont également mieux connues, et le modèle de Karasek a ouvert lavoie à d’autres concepts, venus les combler.

Tableau 2.I : Résultats issus de méta-analyses sur les associations entre lesfacteurs psychosociaux au travail et les maladies cardiovasculaires et mentales

RR/OR IC à 95 %

Maladies cardiovasculairesa

Job strain (avec ajustement sur âge et sexe) 1,45e 1,15-1,84

Job strain (avec multiple ajustement) 1,16 0,94-1,43

Déséquilibre efforts-récompenses (avec ajustement sur âge et sexe)b 1,58 0,84-2,97

Déséquilibre efforts-récompenses (avec ajustement sur âge et sexe)b 2,52 1,63-3,90

Déséquilibre efforts-récompenses (avec ajustements multiples)b 2,05 0,97-4,32

Déséquilibre efforts-récompenses (avec ajustements multiples)b 2,51 1,58-3,98

Injustice organisationnelle (avec ajustement sur âge et sexe) 1,62 1,24-2,13

Injustice organisationnelle (avec ajustements multiples) 1,47 1,12-1,95

Troubles de la santé mentale

Faible latitudec 1,23 1,08-1,39

Forte demandec 1,39 1,15-1,69

Job strainc 1,81 1,06-3,10

Faible soutienc 1,32 1,21-1,44

Déséquilibre efforts-récompensesc 1,84 1,45-2,34

Insécurité de l’emploic 1,33 1,06-1,67

Emploi temporaired 1,25 1,14-1,38

a Kivimäki et coll., 2006a ; b Deux estimations liées à des sélections d’études différentes (2 études doublons surpopulation identique) ; c Stansfeld et Candy, 2006 ; d Virtanen et coll., 2005 (cette méta-analyse n’inclut pas quedes études prospectives) ; e Risque relatif ou odds ratio ; Valeurs en gras : risque significatif à 5 %

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Modèle de Siegrist

Le modèle du déséquilibre efforts-récompenses (effort-reward imbalance – ERI)de Johannes Siegrist, plus récent (Siegrist, 1996 ; Siegrist et coll., 2004),élargit l’évaluation des facteurs psychosociaux au travail pour couvrir desaspects relevant de la personne et de sa personnalité et des dimensions pluslarges du contexte socio-économique de travail. Le modèle postule que lesefforts réalisés en milieu de travail s’inscrivent dans un contrat de réciprocitésociale dans lequel des récompenses sont obtenues en retour en termes desalaire, d’estime, de perspectives de carrière et de sécurité de l’emploi. Ilsuppose que nombre de contrats échouent dans cet équilibre entre effortsconsentis et récompenses obtenues en retour. Différentes situations sont envi-sagées qui expliqueraient que des personnes puissent se trouver dans unesituation de déséquilibre : de faibles possibilités de retrouver un emploi, desstratégies à long terme pour obtenir des promotions internes et/ou un meilleuremploi ailleurs... Ce déséquilibre serait plus fréquent dans les économiesmondialisées du fait de l’insécurité de l’emploi grandissante, des contrats deplus en plus précaires, de la concurrence accroissant les exigences en termesde flexibilité, rentabilité, productivité... Ce déséquilibre prévaudrait égale-ment en période de récession, et en cas de chômage endémique. Le modèlepropose donc de focaliser sur le déséquilibre entre deux composantes del’environnement psychosocial de travail : les efforts (liés aux contraintes detemps, interruptions, responsabilités...) et les récompenses obtenues en retouren termes d’estime, de perspectives de promotion et de salaire, et de stabilitéde la situation de travail. Selon Siegrist, l’exposition à un déséquilibre entredes efforts élevés et des récompenses faibles constitue un facteur de risquepour la santé, notamment cardiovasculaire. À ces deux dimensions s’ajoute lesurinvestissement, ou la propension à se surinvestir dans le travail, caractéris-tique de la personnalité, susceptible également d’être un facteur de risque pourla santé. Ce profil de personnalité est susceptible d’exacerber le risque lié audéséquilibre entre efforts et récompenses ; en effet, les personnes ayant un fortsurinvestissement dans le travail seraient plus enclines à déployer plusd’efforts que nécessaire et seraient donc plus exposées au déséquilibre efforts-récompenses. Il est toutefois difficile de déterminer si cette caractéristique depersonnalité est stable dans le temps ou peut être influencée par les conditionsmêmes de travail. Selon Siegrist, le surinvestissement serait en lui-même unfacteur de risque pour la santé et l’exposition combinée au déséquilibre et ausurinvestissement constituerait la situation la plus à risque, le surinvestis-sement augmentant les effets du déséquilibre sur la santé.

Le questionnaire dérivé de ce modèle a été développé et validé en plusieurslangues, dont le français, et des études ont souligné des propriétés psychomé-triques satisfaisantes dans les populations salariées (Niedhammer et coll., 2000 ;Siegrist et coll., 2004). Plusieurs versions successives de l’instrument se sontsuccédées en 1996 (Siegrist et Peter, 1996), 2004 (Siegrist et coll., 2004) et2009 (Siegrist et coll., 2009), tendant à accroître les qualités psychométriques

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de l’instrument, mais aussi à améliorer et standardiser son utilisation. La der-nière version (Siegrist et coll., 2009) présente l’intérêt, par rapport aux versionsantérieures, de ne plus interroger les personnes sur le degré de perturbationqu’elles ressentent par rapport aux différentes situations proposées (qui tendaità mélanger évaluation des conditions de travail et impact de celles-ci), mais surleur degré d’accord avec ces affirmations (échelle de type Likert similaire à celleutilisée dans le questionnaire de Karasek, de « pas du tout d’accord » à « tout-à-fait d’accord »). Notons que cette dernière version devrait être de nouveauvalidée en langue française afin de vérifier la stabilité de ses qualités psychomé-triques. Une tentative d’adapter l’instrument à la population des indépendantsa été réalisée en France pour la population des exploitants agricoles de la MSA(Bernard et coll., 2009), toutefois l’évaluation psychométrique de cette adapta-tion n’a à ce jour pas été réalisée mais pourrait apporter des informationspertinentes sur la population des indépendants.

Des études étiologiques ont mis en évidence les effets prédictifs du déséqui-libre efforts-récompenses sur les maladies cardiovasculaires et les troubles dela santé mentale. Deux méta-analyses (Kivimäki et coll., 2006a ; Stansfeld etCandy, 2006) montrent des effets du déséquilibre sur ces deux types depathologies sur la base d’une sélection d’études prospectives, deux études pourla santé mentale et trois pour les maladies cardiovasculaires (tableau 2.I).Toutefois, les associations ne sont pas toutes significatives pour les maladiescardiovasculaires, du fait notamment du faible nombre d’études concernées.Des études prospectives mettent également en évidence des associations entredes dimensions du modèle ERI et d’autres aspects de santé : absentéisme pourraison de santé (Ala-Mursula et coll., 2005), santé perçue (Niedhammer etcoll., 2004), troubles du sommeil (Ota et coll., 2009), dépendance alcoolique(Head et coll., 2004), migraine (Maki et coll., 2008), et diabète de type 2(Kumari et coll., 2004), mais les études prospectives sont encore extrême-ment parcellaires. Enfin, il est à noter que dans les études publiées les auteursne suivent pas tous les recommandations, ni sur le questionnaire à utiliser, nisur les méthodes pour l’exploiter, soulevant ainsi des questions à la fois sur lavalidité du questionnaire utilisé et sur la comparabilité entre études. Parailleurs, des critiques ont été soulevées pour le modèle ERI portant sur lemanque de précision des dimensions des efforts et des récompenses etl’absence d’évaluation de certains aspects de ces deux dimensions : surchargede travail, intensification, réorganisation, augmentation de la concurrence,primes, changements souhaités versus imposés dans le travail... L’impossibilitéde distinguer dans la mesure du surinvestissement la pression informelle del’environnement de travail et la motivation intrinsèque de la personne de sesurinvestir dans son travail a également été évoquée. Enfin, le mode d’évalua-tion du déséquilibre, qui s’appuie sur un ratio des efforts et des récompenses,conduit dans de nombreux échantillons à une prévalence d’exposition trèsfaible : par exemple, il a été observé une prévalence d’exposition de 6 et 7 %pour les hommes et les femmes de la cohorte Gazel, composé d’agents d’EDF-GDF (Niedhammer et coll., 2004). Cette limite conduit certains auteurs à30

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explorer ce déséquilibre par d’autres méthodes de construction, telles un ratiocontinu, en quartiles, ou encore log-transformé (Pikhart et coll., 2001 ; Nied-hammer et coll., 2004). Néanmoins, aucune de ces mesures ne permet d’éva-luer la prévalence d’exposition au déséquilibre efforts-récompenses dans lespopulations au travail de manière consensuelle.

Concepts émergents

Depuis l’apparition des modèles de Karasek, puis de Siegrist, d’autres conceptsont vu le jour permettant ainsi d’élargir l’évaluation des facteurs psychoso-ciaux au travail à des aspects jusqu’alors négligés par ces modèles. Cesconcepts, qui pour la plupart sont apparus au cours de la décennie 2000,permettent d’aborder la justice organisationnelle, la qualité du leadership, lesviolences au travail, l’insécurité et la précarité au travail, ou encore le tempsde travail prolongé.

Justice organisationnelle

La justice organisationnelle, et son corollaire, l’injustice, est un conceptancien qui initialement ne concernait pas uniquement le milieu de travail etqui a évolué au fil du temps. Apparu récemment dans la littérature épidémio-logique sur les risques psychosociaux au travail, trois composantes de la justicepeuvent être distinguées. La justice distributive a longtemps constitué laprincipale forme de la justice étudiée dans la littérature (Miller, 2001), etrelève de la justice dans la distribution des ressources (des résultats). La justiceprocédurale est maintenant considérée comme encore plus importante que lajustice distributive ; elle porte sur la justice dans les procédures, les méthodeset les mécanismes utilisés pour obtenir les résultats (et non l’équité desrésultats eux-mêmes) et en particulier dans les procédures de prise de décision(prise en compte des positions de l’ensemble des parties, cohérence dans laprise de décision...). Plus récemment, l’intérêt s’est porté sur la justice rela-tionnelle, qui se définit par l’équité et la justice par lesquelles les personnessont traitées sur le lieu de travail en termes de relations sociales (considéra-tion, politesse, respect, dignité...), cette dernière composante étant jugéeégalement cruciale. Certains auteurs évoquent enfin une dernière compo-sante de la justice, la justice informationnelle qui focalise sur les modalités decommunication de la hiérarchie notamment en termes d’information sur lesprocédures et les résultats. Cette thématique de recherche n’est apparue quedepuis le tout début des années 2000 dans la littérature épidémiologique ensanté au travail (Elovainio et coll., 2002). Différents instruments ont étédéveloppés pour mesurer ces notions relatives à l’injustice, notamment lequestionnaire d’Elovainio et coll. (2002), le plus utilisé dans la littérature

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épidémiologique pour évaluer les deux composantes procédurale et relation-nelle de la justice, et lui-même dérivé d’un questionnaire élaboré par Moor-man (Moorman, 1991). Bien qu’utilisé dans plusieurs pays, notamment enFinlande, cet instrument n’a fait l’objet que de très peu d’analyses afin d’éva-luer ses propriétés psychométriques. À ce jour, il n’existe pas de versionfrançaise de l’instrument, ni d’étude étiologique française sur ce concept. Lesdonnées sur la prévalence d’exposition aux différentes dimensions de l’injus-tice restent extrêmement parcellaires, et inexistantes en France.

Les études restent encore éparses mais suggèrent que l’injustice au travailconstituerait un facteur de risque pour la santé, notamment pour la santécardiovasculaire et mentale, et pour des indicateurs globaux de morbidité(santé perçue, absentéisme...) (Ferrie et coll., 2006 ; Head et coll., 2007 ;Kouvonen et coll., 2008 ; Elovainio et coll., 2009 ; Gimeno et coll., 2010 ;Ybema et van Den, 2010). La méta-analyse de Kivimäki et coll. (2006a),basée sur deux études prospectives, souligne le lien significatif entre l’injusticeet les maladies cardiovasculaires (tableau 2.I), toutefois, la rareté des étudesétiologiques prospectives conduit à conclure à la nécessaire poursuite destravaux sur ce concept afin de conforter les études déjà réalisées, dont lagrande majorité sur la même population, celle des fonctionnaires londoniensde la cohorte Whitehall. Des études dans la population française semblentégalement nécessaires.

Qualité du leadership

La qualité du leadership est un autre concept, qui présente quelques similitudesavec ceux de la justice relationnelle et de la justice informationnelle, puisqu’il atrait aux méthodes de management et de communication de la hiérarchie. Ceconcept peut également être rapproché du soutien social de la hiérarchie et desrécompenses du modèle d’ERI. Toutefois, la qualité du leadership repose sur descomportements managériaux plus concrets que les notions abordées dans lesconcepts de justice, soutien ou récompenses, permettant ainsi plus facilementla mise en place éventuelle d’actions de prévention. En effet, le concept dequalité du leadership se focalise sur les comportements managériaux en termesd’intégrité (manager honnête, juste, fiable, sincère), de motivation (positif/optimiste, encourageant, mobilisateur, enthousiaste), d’intégration (intégra-teur, informant, communicant, stimulant le travail en équipe), d’autocratisme(autocratique, autoritaire, élitiste, dictatorial), et d’auto-centrage (égoïste, aso-cial, solitaire, non-participatif). L’introduction de ce concept dans la littératureépidémiologique est très récente, et il existe à ce jour encore peu d’études. Unquestionnaire permet de mesurer la qualité de leadership avec les 5 sous-dimensions décrites précédemment (Nyberg et coll., 2008), ce questionnaireétant lui-même dérivé de 21 échelles élaborées dans le cadre du projet Globe(Global Leadership and Organizational Behaviour Effectiveness programme), pro-jet international centré sur les relations entre culture et leadership. Cetinstrument n’a toutefois fait l’objet que de peu d’études de validation, et il32

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n’existe pas de version française de cet instrument. Les données de prévalenced’exposition sont inexistantes pour la plupart des pays à l’exception peut-êtrede la Suède où des travaux ont été menés (Nyberg et coll., 2008 et 2009). Deplus, une seule étude étiologique prospective est disponible. Elle montre leseffets protecteurs d’une bonne qualité du leadership sur l’incidence de mala-dies cardiovasculaires dans un échantillon de salariés de la région de Stoc-kholm (Nyberg et coll., 2009). Cette étude suggère aussi que plus la duréed’exposition à une bonne qualité de leadership est longue, plus le risque desurvenue de ces pathologies diminuerait, une telle relation dose-effet étant unélément épidémiologique particulièrement important. Néanmoins, des étudesprospectives de qualité sont encore nécessaires pour asseoir les effets prédictifsde la qualité du leadership sur la santé, et de surcroît en France, où aucuneétude n’a encore été menée sur ce sujet.

Violences au travail

Les violences au travail constituent une autre facette des relations sociales autravail. Ce concept se distingue des précédents car constituant des aspectsextrêmes des relations sociales. Jusqu’à récemment, cette problématique enépidémiologie était restée très localisée dans les pays scandinaves et semblaitcentrée sur les aspects de violence à la fois les plus durs mais aussi les moinsprévalents : agression physique (y compris homicide) essentiellement de lapart du public, et harcèlement sexuel. Plus récemment, le thème de la vio-lence psychologique a émergé et a fait ressortir la partie immergée de l’icebergdes violences.

La violence psychologique engloberait les formes de violences les plus large-ment répandues en milieu de travail. Malgré un manque de consensus sur ladéfinition de ces violences psychologiques, qui explique la pléthore de termesemployés dans la littérature internationale pour qualifier le phénomène (bul-lying, mobbing, psychological terror, harassment, interpersonal conflict...), il sembleque les auteurs s’accordent sur le fait que ces agissements doivent se caractéri-ser par leur répétitivité et leur durée. Ils recouvrent une multitude de situa-tions dans lesquelles la personne victime peut être mise à l’écart, exclue,attaquée sur des aspects personnels et sur sa vie privée, agressée verbalementet insultée, critiquée et/ou sanctionnée dans son travail par une ou plusieurspersonnes de son environnement de travail. Selon Heinz Leymann(Leymann, 1996a), un des précurseurs sur ce thème, la violence psycholo-gique au travail peut se définir par « l’enchaînement, sur une assez longuepériode, de propos et d’agissements hostiles, exprimés ou manifestés par uneou plusieurs personnes envers une tierce personne ». La mesure du phéno-mène reste toutefois très hétérogène selon les études. Selon les études, laprévalence varie de moins de 5 % à plus de 20 % de personnes exposées. Ilsemble cependant difficile de comparer les résultats, tant la définition, l’ins-trument d’évaluation, la période de temps et l’échantillon étudié fluctuent

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d’un auteur à l’autre (Einarsen, 2000). Plusieurs instruments ont été dévelop-pés pour mesurer l’exposition à la violence psychologique au travail. Le plusancien et le plus complet est celui élaboré par Leymann : le Leymann Inven-tory of Psychological Terror (LIPT), dont une version française a été élaborée etvalidée montrant des propriétés psychométriques satisfaisantes et une bonneadaptation au contexte français (Niedhammer et coll., 2006b). Cet instru-ment repose sur une liste de 45 situations de violence. Selon Leymann,l’exposition à la violence psychologique se définit par l’exposition à au moinsune de ces situations, au moins une fois par semaine et pendant une périoded’au moins 6 mois (Leymann, 1996b). En France, une prévalence d’exposi-tion d’environ 10 % a été observée dans la population salariée (Niedhammeret coll., 2006b et 2007b), plaçant la France bien loin devant les pays scandi-naves, notamment la Suède (Leymann, 1996b). Notons que les situations lesplus fréquentes relevaient de comportements tels qu’être constamment inter-rompu quand on s’exprime, être l’objet de critique permanente à propos deson travail, et entendre dire du mal sur soi-même derrière son dos. Desdifférences dans la prévalence d’exposition à la violence ont été observées enfonction des secteurs d’activité et des professions dans la population salariéefrançaise, soulignant que chez les hommes, la prévalence d’exposition la plusforte était observée dans le secteur des services, et la plus faible chez lescadres/ingénieurs (Niedhammer et coll., 2006 et 2007). L’étude des facteursde risque de la violence psychologique semble montrer une étiologie multifac-torielle ; l’environnement organisationnel et psychosocial au travail joueraitun rôle crucial (Leymann, 1996a ; Hauge et coll., 2007).

La violence psychologique au travail, enfin, apparaît comme un axe de recher-che incontournable étant donné les effets sur la santé qu’elle peut générer.Même si à l’heure actuelle les études étiologiques prospectives sont relative-ment rares, elles suggèrent que la violence psychologique au travail aurait desrépercutions majeures sur la santé et surtout sur la santé mentale (Appelberget coll., 1996 ; Romanov et coll., 1996 ; Kivimäki et coll., 2000 ; Kivimäki etcoll., 2003a ; Eriksen et coll., 2008). En France, des études transversales enpopulation salariée confirment les associations de la violence psychologiqueau travail avec le syndrome anxio-dépressif, les troubles du sommeil et la prisede psychotropes (Niedhammer et coll., 2006c et 2009 ; Niedhammer et coll.,2011). Cependant, les études prospectives manquent encore, notamment enFrance, sur la thématique des violences au travail.

Insécurité au travail

L’insécurité au travail a fait l’objet de travaux au cours des dernières années etest considérée comme un facteur psychosocial important en milieu de travail.Cette problématique est étroitement liée aux changements intervenus dans lemarché du travail et notamment ceux liés aux effets de la conjoncture écono-mique et de la mondialisation des économies. En effet, les entreprises, situéesdans une logique de rentabilité économique sans cesse plus contraignante,34

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s’adaptent via des changements organisationnels qui les conduisent à menerdes plans de restructuration (acquisition, fusion...) et/ou des plans sociaux.Ces changements organisationnels se traduisent chez les salariés par un senti-ment d’insécurité lié à la perte éventuelle de leur emploi, mais aussi à leurperception plus générale du futur. Dans ce contexte, l’insécurité de l’emploireflète l’anticipation d’un événement capital et non souhaité (Sverke et coll.,2002). Ce concept d’insécurité doit toutefois être différencié de la perte réelled’emploi, dans le sens où la perte d’emploi est immédiate, alors que l’insécu-rité de l’emploi est une expérience quotidienne impliquant une incertitudeprolongée par rapport au futur. La mesure de l’insécurité de l’emploi repose surdes instruments très variés allant de l’item isolé (crainte de perdre son emploidans les 6 prochains mois par exemple) à l’échelle à plus de 50 items (Sverkeet coll., 2002 ; Sverke et coll., 2006) rendant la comparaison entre étudesdifficile. Notons que les instruments les plus sophistiqués sont aussi les plusperformants en termes d’évaluation, mais qu’il n’existe pas de consensus surl’instrument à recommander (Sverke et coll., 2002). Ces instruments sophis-tiqués permettent d’évaluer différentes dimensions de l’insécurité, et desauteurs (Sverke et coll., 2006) insistent sur l’intérêt de distinguer a minimal’insécurité quantitative (proche du concept global, à savoir la crainte deperdre son emploi) de l’insécurité qualitative (crainte de perdre la qualité deson emploi, en termes de conditions de travail, de salaire, de perspectivesprofessionnelles...). Par ailleurs, deux types de mesures tendent à cohabiterdans la littérature, l’une évaluant la perception individuelle d’insécurité etl’autre l’insécurité objective dont fait l’objet une entreprise ou un groupe desalariés menacés d’un changement organisationnel majeur, cette dernièreapproche permettant de mesurer les effets d’une insécurité réelle sans le filtrede la perception, la mesure ne reposant pas sur l’exposition au niveau del’individu, mais de l’exposition collective d’un groupe, d’un service ou d’uneentreprise (Ferrie et coll., 1995). En termes étiologiques, la méta-analyse deStansfeld et Candy (2006) souligne des effets prédictifs significatifs de l’insé-curité de l’emploi sur les troubles de la santé mentale sur la base de deuxétudes prospectives (tableau 2.I). Des études prospectives ont aussi montré lesassociations entre l’insécurité de l’emploi et des variables de santé telles quel’infarctus du myocarde ou la santé perçue (Ferrie et coll., 2002 ; Lee et coll.,2004 ; Rugulies et coll., 2008). Toutefois, alors que les études transversalessont relativement nombreuses, les études étiologiques prospectives fontencore défaut. Des travaux doivent aussi se poursuivre en vue d’aboutir à unconsensus et à une standardisation de la mesure de l’insécurité et à un plusgrand raffinement de la mesure, qui ne devrait pas seulement intégrer lacrainte de perdre son emploi. L’évolution actuelle allant vers une flexibilité dumarché du travail toujours plus grande, il est probable que cette thématiqueprendra une grande importance dans les années futures.

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Précarité de l’emploi

La précarité de l’emploi est une thématique connexe de l’insécurité del’emploi. En effet, l’insécurité de l’emploi est particulièrement présente dansles emplois où le contrat de travail est précaire/temporaire : CDD, intérim,contrats aidés, ou toute autre forme de contrat de travail temporaire. Laproportion de salariés concernés par ces contrats précaires est en augmenta-tion dans les pays industrialisés. Ces contrats, qui exposent les salariés engénéral à un risque accru de chômage, les soumettraient également à denombreux désavantages par rapport aux salariés en contrat à durée indétermi-née ; moins d’avantages sociaux et professionnels et plus d’expositions à dessituations professionnelles à risque. Ce cumul de désavantages pourrait aumoins en partie expliquer les résultats de la littérature qui soulignent des effetsdes contrats précaires sur la santé, notamment sur la mortalité (Kivimäki etcoll., 2003b), sur la santé mentale (Virtanen et coll., 2008) et sur les accidentsdu travail (Benavides et coll., 2006). Une méta-analyse de Virtanen et coll.(2005) met l’accent sur les effets de la précarité de l’emploi sur les troubles dela santé mentale (tableau 2.I). Notons que cette méta-analyse ne s’appuie pasuniquement sur des études prospectives. Les mécanismes par lesquels lescontrats précaires pourraient agir sur la santé, les effets de sélection (lapopulation recrutée sur certains contrats précaires pourrait dans certains casconstituer une population sélectionnée, notamment en meilleure santé), maisaussi le contexte dans lequel s’inscrivent les pays étudiés (taux de chômage,évolution de la sous-traitance, part des contrats précaires, temps partiel nonchoisi, système de protection sociale...) nécessitent des approfondissements.

La mesure de la précarité, comme celle de l’insécurité, nécessiterait plus dedéveloppement pour parvenir à des instruments validés et précis dans leurévaluation. Par ailleurs, le lien entre précarité et insécurité de l’emploi méri-terait d’être éclairci ; il serait notamment éclairant de déterminer si l’insécu-rité est susceptible d’expliquer au moins en partie l’association observée entreprécarité et santé.

Temps de travail prolongé

Le temps de travail prolongé est un concept apparu initialement au Japon à lafin des années 1970 avec les phénomènes du Karoshi (décès ou incapacitépermanente par excès de travail) (Iwasaki et coll., 2006) et du Karojisatsu(suicide par excès de travail) (Amagasa et coll., 2005). Il se définit par desheures de travail excessives, sans pour autant que la littérature s’accorde pourdéterminer le seuil au-delà duquel cet excès de travail devient une situation àrisque, certains auteurs proposant des seuils de 45 ou 50 heures par semaine,d’autres, japonais notamment, des seuils encore plus élevés. Ce temps pro-longé peut aussi se caractériser par des heures supplémentaires, payées ou non,réalisées en plus des 8 heures journalières souvent considérées comme lanorme en Europe (même si l’hétérogénéité entre les pays européens est36

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grande). Il semble toutefois nécessaire dans l’étude du temps de travail pro-longé de pouvoir faire la part entre la pratique d’horaires atypiques, et l’excèsde travail. Ainsi, les connaissances nombreuses accumulées sur le travail posténe sont pas strictement applicables aux heures de travail excessives, même siun certain recoupement peut s’opérer, dans les cas notamment où les heuresexcessives sont réalisées lors d’horaires atypiques (soirée, nuit, week-end...).En effet, les heures excessives ne conduisent pas systématiquement commedans le cas du travail posté à une désynchronisation des rythmes circadiens.

Une revue de la littérature (van der Hulst, 2003) tente de recenser les études(quel que soit leur protocole – transversal ou prospectif – à l’exception desétudes cas-témoins) et suggère des effets éventuels d’un temps de travailprolongé sur la santé, en particulier sur les maladies cardiovasculaires, lediabète, et des indicateurs spécifiques de santé perçue et de fatigue. Les auteursconcluent toutefois à la nécessité de poursuivre les travaux, notammentprospectifs, avant que des conclusions plus solides puissent être établies. Plusrécemment, quelques études prospectives ont souligné le rôle d’un temps detravail prolongé sur les troubles du sommeil, la fonction cognitive et lescardiopathies ischémiques (Virtanen et coll., 2009a et b, 2010). Outre que lesétudes prospectives soient encore nécessaires pour confirmer le rôle étiolo-gique d’un temps de travail prolongé, plusieurs questions méthodologiques seposent : quel est le recoupement entre ce concept et celui de la demandepsychologique, et quel est le rôle de chacun ? L’étude de Virtanen et coll.(2009b) suggère par exemple que la demande psychologique est susceptibled’expliquer une partie de l’association entre temps de travail prolongé ettroubles du sommeil. Quel est le seuil à partir duquel le temps de travaildevient pathogène, ou encore quel est le nombre d’heures de travail supplé-mentaires au-delà duquel la situation devient à risque ? Les différences sont eneffet importantes d’une étude à l’autre, les auteurs définissant le temps detravail prolongé de manière hétérogène, le groupe de référence n’étant doncplus vraiment comparable entre les études.

Quelques questions méthodologiques de l’évaluationdes facteurs psychosociaux au travail

Les concepts et modèles développés précédemment soulèvent un certainnombre de questions sur la qualité et la pertinence de la mesure. Ces conceptscapturent-ils bien les aspects cruciaux de l’environnement psychosocial detravail ? Leur introduction dans la littérature épidémiologique souligne-t-ellel’importance de ces aspects, ou n’est-elle liée qu’à des hasards ou des opportu-nités de la recherche ? Pourquoi ces concepts plutôt que d’autres, nombreux,ont-ils abouti à des recherches épidémiologiques de type étiologique ? Commesouligné par Kasl (1998), très peu d’auteurs ont tenté de dresser une classifica-tion ou une taxonomie des facteurs psychosociaux au travail, qui aurait

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l’avantage de souligner les lacunes et les manques en matières d’évaluationdes facteurs psychosociaux au travail et de recherche étiologique. Une ques-tion connexe est aussi le degré de recoupement entre les concepts. Autrementdit, quelles sont les associations entre ces différents concepts et dimensionsainsi évalués ? Quels sont leurs recoupements mais aussi leurs complémenta-rités ? Des recoupements peuvent exister par exemple entre l’injustice etcertains aspects de la latitude décisionnelle, du soutien et des récompenses.Des réponses à ces questions auraient sans aucun doute l’intérêt de pouvoirmieux évaluer les effets prédictifs respectifs des différents facteurs sur la santé.De plus, l’exploration des effets conjoints ou combinés des facteurs mériteattention. Des tentatives ont été menées pour analyser les effets respectifs dedifférents concepts pris en compte simultanément dans les études, mais celles-ci restent encore rares et trop souvent limitées à l’exploration de deux modè-les ou concepts notamment les modèles du job strain et de l’ERI (Bosma etcoll., 1998 ; Peter et coll., 2002 ; Niedhammer et coll., 2006d). Ces étudessoulignent l’apport respectif que peuvent avoir les différents concepts et leurcomplémentarité. Une autre question porte aussi sur la comparabilité inter-culturelle de ces concepts. Les concepts ont-ils les mêmes qualités et perti-nence d’une culture à une autre, au sens large, et aussi en termes géogra-phiques ? Peu d’études à ce jour se sont aventurées à explorer les différencesinter-culturelles dans l’évaluation des facteurs psychosociaux au travail (Tsut-sumi et coll., 2009). Par ailleurs, l’essentiel des instruments d’évaluation desfacteurs psychosociaux au travail porte sur la présence ou non de l’exposition,mais en général aucune information n’est disponible sur la fréquence et ladurée des expositions, ces précisions pouvant pourtant avoir un rôle impor-tant dans l’évaluation de ces facteurs et leur rôle étiologique. Enfin, un autreproblème souvent soulevé au regard de certains de ces concepts est la difficultéd’en dégager des pistes aisées en matière de prévention.

Une question importante, largement débattue dans l’évaluation des facteurspsychosociaux au travail, et volontairement isolée du reste dans ce chapitre,est celle relative à la différenciation opérée entre évaluation subjective etévaluation objective des facteurs psychosociaux au travail. Cette question estdans la littérature souvent ramenée à la différence entre des mesures fondéessur la déclaration des personnes et des mesures non déclarées, ceci étant unesimplification du problème sans doute abusive, les problèmes liés à l’évalua-tion subjective n’étant pas strictement transposables à ceux posés par ladéclaration de données. Les réfractaires de l’évaluation objective (issus pourl’essentiel de l’approche psychologique du stress) s’appuient sur l’argumenta-tion que seule la perception est pertinente, et que sans elle aucune expositiondite objective relative aux conditions de travail ne pourrait avoir d’effets sur lasanté. D’autres arguments plus modérés et plus pragmatiques évoqués pourlaisser de côté l’évaluation objective sont que ce type d’évaluation est coû-teuse, longue et compliquée à mettre en place. Il est vrai que pour des étudesen population générale au travail, l’évaluation objective peut s’avérer unvéritable challenge. Pour des échantillons plus restreints, centrés notamment38

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sur une ou quelques professions, des mesures objectives peuvent être tout à faitenvisageables. Des tentatives d’évaluation par observateur ont d’ailleurs étémenées dans quelques études (Roelen et coll., 2008 ; Waldenstrom et coll.,2008). Indépendamment du temps et du coût inhérents à la méthode, desdifficultés ont également été soulevées telles la nécessaire formation et expé-rience des observateurs, et l’adaptation parfois incontournable des instru-ments selon la profession étudiée. De plus, la subjectivité de l’observateurpeut aussi être une source supplémentaire d’erreur. Par ailleurs, des matricesemplois-expositions, visant à fournir des estimations d’expositions pour desprofessions/secteurs donnés, et non pas des évaluations pour un individudonné, ont fait l’objet de plusieurs tentatives au niveau national dans diverspays (Schwartz et coll., 1988 ; Johnson et Stewart, 1993 ; Cohidon et coll.,2004 ; Niedhammer et coll., 2008a et b). Les résultats sont tout de mêmemitigés du fait des limites inhérentes à la méthode (erreurs de classement,absence de variance intra-groupe...). De plus, l’usage de telles matrices s’avèreencore plus difficile pour l’évaluation de certaines dimensions psychosocialesdont la demande psychologique. L’évaluation objective présente des avan-tages qui sont autant d’arguments pour poursuivre les efforts de recherchedans ce sens : l’évaluation objective porte sur des conditions de travail réelles,et est susceptible de fournir des informations sur ce qui pourrait être modifié,elle permet de produire des résultats étiologiques plus satisfaisants, et permetde dresser un schéma causal plus clair car l’exposition ainsi définie n’est passur la trajectoire des réactions et impacts. Dans ce sens, des auteurs (Kasl,1998 ; Pearce, 1998 ; Bussing, 1999), en-dehors des champs disciplinaires liésà la psychologie, insistent sur l’intérêt d’explorer les conditions de travailobjectives qui ont sans aucun doute des effets sur la santé indépendamment dela perception. D’un point de vue préventif, de tels travaux soulignent l’impor-tance d’agir sur les expositions elles-mêmes, en prévention primaire. Toute-fois, les deux approches, évaluation objective et évaluation subjective, ayanttoutes deux des avantages et des inconvénients, il convient de poursuivre lestravaux à l’aide des deux approches, des études ayant de surcroît montré uneconcordance satisfaisante entre leurs résultats (Theorell et Hasselhorn,2005).

En conclusion, l’ensemble des concepts présentés dans ce chapitre ont mon-tré des effets prédictifs sur la santé, en particulier sur les maladies cardio-vasculaires et les troubles de la santé mentale. L’état d’avancement desconnaissances est toutefois très variable d’un concept à un autre, notammentdu fait des différences d’antériorité. Ce chapitre n’est toutefois probablementpas entièrement exhaustif sur les concepts/modèles d’évaluation des facteurspsychosociaux au travail dont on peut attendre des effets sur la santé. Il seveut représentatif des dernières avancées réalisées en épidémiologie des ris-ques professionnels en tentant de prendre en compte les facteurs psychoso-ciaux au travail qui par des études prospectives de qualité ont montré deseffets étiologiques sur la santé. Depuis l’introduction du modèle de Karasek,

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élaboré dans un contexte d’industrialisation, la tendance de cette littératureva vers une ouverture plus large et plus variée de ces facteurs. En effet, depuisl’élaboration du modèle de Karasek, le monde du travail a poursuivi sa muta-tion tendant vers une tertiarisation de plus en plus massive, où les contraintespsychosociales tendent à changer et de nouvelles à apparaître. Il est probablenotamment que la latitude décisionnelle (dans ses deux dimensions, autono-mie et compétences) se soit accrue au cours des années, même si des diffé-rences d’exposition persistent au sein des populations au travail. Pour lademande psychologique, des études, notamment en France, suggèrent quecette demande s’est accrue conduisant à une intensification du travail. Pourcertains auteurs néanmoins, ce concept global de la demande ne permet pasde faire la différence entre l’intensification du travail (cadences, rythmes...probablement plus propres aux ouvriers) et l’« extensification » (temps detravail prolongé, contraintes de temps... plus propres aux cadres) (Kristensenet coll., 2004). Par ailleurs, les concepts passés en revue ne sont pas tousindépendants les uns des autres, et certains recoupements peuvent existerentre eux. Ces concepts, pour certains anciens, restent pertinents, mais ilsnécessitent probablement des mesures plus fines et élaborées pour prendre encompte les évolutions récentes du monde du travail. Enfin, certains auteurs enépidémiologie, Kasl en tête (Kasl, 1998), prêchent depuis longtemps pour quela thématique des risques psychosociaux au travail ne soit plus associée auconcept du stress postulant que le principal bénéfice serait de faciliter l’iden-tification des facteurs de risque, objectifs, de l’environnement de travail pourla santé.

Au vu de cette littérature, il apparaît que les travailleurs indépendants pour-raient être particulièrement concernés par certains facteurs, notamment uneforte demande psychologique, un faible soutien social, certaines formes deviolences et d’insécurité, et un temps de travail excessif. Les études étant raressur cette population spécifique de travailleurs, de plus amples travaux sontnécessaires pour confirmer ces hypothèses et améliorer la connaissance desexpositions aux facteurs psychosociaux au travail dans cette population.

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3Facteurs de stresset mécanismes psychologiques

La littérature scientifique dans les différents domaines de la psychologie (diffé-rentielle, de la santé, du travail, des organisations...) apporte des éléments deconnaissance sur les mécanismes du stress et les caractéristiques des situationsde travail susceptibles de provoquer un état de stress. Certaines de ces caracté-ristiques ont été étudiées spécifiquement chez les travailleurs indépendants.

Modèle transactionnel du stress

Dans les années 1960-1970, des travaux, dépassant le modèle un peu troplinéaire de type « stimulus-réponse » de Selye (1956), ont commencé à met-tre en évidence l’importance des perceptions, autrement dit des processuscognitifs, dans la survenue de l’état de stress. Le modèle transactionnel dustress de Lazarus et Folkman, proposé en 1984 (Lazarus et Folkman, 1984),permet de décrire ces processus cognitifs. Ces auteurs postulent que ce ne sontpas les événements eux-mêmes qui déterminent l’apparition d’un état destress (avec ses conséquences négatives sur la santé physique et mentale desindividus). Ce qui est déterminant, ce sont les perceptions et le vécu de cesévénements. Ainsi, ils définissent le stress comme étant « une relation entrela personne et son environnement, qui est évaluée par la personne commetarissant ou excédant ses ressources et menaçant son bien-être ».

Processus cognitifs

Selon le modèle transactionnel du stress, face à une situation de travail, letravailleur va dans un premier temps évaluer la situation, puis développer desstratégies d’adaptation (figure 3.1).

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Figure 3.1 : Modèle transactionnel du stress (d’après Lazarus et Folkman, 1984)

Évaluation cognitive

L’évaluation cognitive d’une situation potentiellement stressante (ou transac-tion entre la personne et la situation) se fait de deux manières.

La première évaluation, dite « évaluation primaire », répond à la question del’enjeu de la situation. Pour qu’il y ait stress, il faut tout d’abord que lapersonne perçoive un enjeu. Trois types d’évaluation de l’enjeu sont pos-sibles :• la situation peut représenter pour la personne une perte ou un préjudicedéjà subis antérieurement (harm/loss), comme par exemple la perte de sonemploi, la perte de l’usage de ses jambes, ou le décès d’un proche ;• la situation peut être vécue comme une menace (threat), c’est-à-direcomme l’éventualité d’une perte. C’est le cas par exemple d’une menace delicenciement collectif dans une entreprise. La personne peut vivre cetteperspective comme une possible catastrophe financière, professionnelle,sociale, et identitaire. Il y a anticipation d’une perte dommageable ;• enfin, la situation peut être vécue comme un défi (challenge). La menaced’un licenciement, ou un licenciement effectif, est envisagé(e) par l’individucomme l’occasion de prouver ce dont il est capable (Folkman, 1984 ; Lazarus,1993). Son licenciement va lui permettre de s’évaluer sur le marché dutravail, d’évoluer dans sa carrière professionnelle, ou de quitter un emploi necorrespondant plus à ses aspirations.

Cette évaluation primaire de l’enjeu donne lieu à ce que l’on appelle le« stress perçu ».

La seconde évaluation cognitive dite « évaluation secondaire » répond à laquestion des ressources disponibles pour la personne face aux exigences de lasituation. Elle porte sur la notion de « contrôle perçu ». Ces ressources peu-vent être d’ordre personnel comme par exemple l’état de santé, le niveau decompétences, les ressources matérielles mais également d’ordre relationnel ou48

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organisationnel comme par exemple l’importance de son réseau social, laplace occupée dans l’organigramme d’une entreprise ou encore les moyensdisponibles pour faire son travail.

Stratégies d’adaptation ou de « coping »

Suite à ces évaluations, et afin de répondre aux exigences de la situation quiont été perçues comme stressantes, la personne élabore des stratégies d’adap-tation ou de coping. Les stratégies de coping sont définies comme « les effortscognitifs et comportementaux pour maîtriser, réduire ou tolérer les exigencesinternes et/ou externes créées par la transaction stressante. » (Folkman, 1984,p. 843). Le processus de coping passe donc aussi bien par l’action (effortscomportementaux) que par un processus de pensée (efforts cognitifs).

Deux grands types de coping ont été initialement distingués (Folkman, 1984) :• les stratégies « actives » centrées sur la résolution du problème (problemfocused coping) correspondent à des efforts en vue d’éliminer ou de circonvenirles sources de stress. Les individus essaient de modifier la situation elle-même.Par exemple, la personne va essayer de mieux organiser le temps dont elledispose, définir ou dégager des priorités, négocier auprès de son supérieur undélai, demander de l’aide à un collègue... ;• les stratégies « passives » centrées sur les émotions (emotion focused coping)correspondent à des efforts en vue de réduire ou d’éliminer les émotionsengendrées par la situation. L’individu n’agit pas directement sur ce qui luipose problème. Il essaie de diminuer directement la tension émotionnelle(Paulhan, 1994 ; Scheck et coll., 1995). Par exemple, la personne va se mettreen colère, se dire que cela ne se reproduira plus jamais, se reprocher de s’êtremise dans une telle situation ou d’être trop sensible face à la situation.

L’évitement, troisième type de stratégies de coping, fait également partie desstratégies passives de gestion du stress à disposition de l’individu (Endler etParker, 1990). L’évitement a été identifié très tôt comme un mode de réponseau stress chez l’animal, à côté de l’attaque (« fight or flee » ; Cannon, 1932).

On distingue également les « styles de coping » et les « comportements decoping » (Rolland, 1998). Les styles de coping correspondent à des modeshabituels de réponse face aux situations stressantes de la vie courante. Autre-ment dit, les styles de coping correspondent à la gestion du stress chronique.On s’intéresse à la façon dont les individus répondent aux stress de la viecourante. Les « comportements de coping » correspondent aux modes deréponse utilisés face à une situation stressante bien spécifiée. Ils sont impli-qués dans l’étude des processus de stress au cours d’une seule et uniquesituation stressante (stress aigu) (par exemple : Folkman et Lazarus, 1985 ;Scherer et coll., 1993). On s’intéresse à la façon dont les individus gèrent unesituation stressante bien précise, et non de façon générale (Dewe, 1992 ;O’Driscoll et Cooper, 1994).

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Processus cognitifs et effets du stress sur la santé

Le rôle intermédiaire joué par les processus cognitifs d’évaluation et de coping,entre la situation aversive et les atteintes à la santé, a été vérifié par un certainnombre d’études.

Rôle de l’évaluation cognitive

Concernant l’évaluation primaire de l’enjeu de la situation, une étude trans-versale montre que le stress perçu chronique, mesuré par l’échelle de stressperçu PSS (Perceived Stress Scale) (Cohen et coll., 1983), est beaucoup pluscorrélé avec des symptômes physiques et psychologiques (coefficient de corré-lation, r respectivement de 0,52 et 0,72, pour N=332), que le nombre d’évé-nements majeurs intervenus dans la vie des sujets au cours de l’année écoulée(respectivement r=0,31 et r=0,18, pour N=332), et que l’évaluation par lessujets de l’impact de ces événements sur leur bien-être (respectivementr=0,23 et r=0,29, pour N=332) (Cohen et coll., 1983).

Une étude longitudinale réalisée par Jerusalem (1993) montre, sur la based’une modélisation par équations structurales (méthode d’analyse en pistescausales), le rôle intermédiaire joué par l’évaluation cognitive et les stratégiesd’adaptation dans une transaction potentiellement stressante : l’émigrationdes Allemands de l’ex-RDA vers l’ex-RFA, après la chute du mur de Berlin.Les processus cognitifs intermédiaires prédisent davantage l’état de santéperçu ultérieur que les contraintes environnementales (conditions de vie etemploi) créées par la situation d’émigration des sujets.

La valeur prédictive des processus cognitifs du stress, par rapport à l’état desanté perçu ultérieur, persiste si, au lieu de prendre pour critère l’auto-évaluation de l’état de santé par les sujets eux-mêmes, on se base sur desindicateurs biologiques, plus « objectifs ». Autrement dit, les processus cogni-tifs du stress n’ont pas uniquement un impact sur l’état de santé perçu, maisont aussi une influence sur l’état de santé évalué selon des critères médicaux etphysiologiques. Une étude expérimentale a permis de le montrer (Cohen etcoll., 1991 et 1993). Après avoir obtenu l’autorisation du Comité d’ÉthiqueBritannique, ces chercheurs ont recruté 420 personnes (hommes et femmes)en bonne santé. Trois cent quatre-vingt quatorze sujets étaient exposés à unvirus de rhume, pendant que 26 autres recevaient un placebo (solutionsaline), afin de constituer un groupe témoin. Les sujets étaient placés enquarantaine pendant sept jours, seuls ou avec d’autres sujets, dans des appar-tements. Jusqu’au septième jour, les sujets subissaient un examen médicalquotidien, et un certain nombre de relevés d’état de santé physique étaienteffectués. La présence de l’infection était établie par deux examens biolo-giques : culture des sécrétions nasales et présence d’anticorps dans le sang. Ledéveloppement du syndrome respiratoire était identifié sur la base d’unensemble de relevés cliniques. L’ensemble du protocole était réalisé en doubleaveugle. Conformément au modèle transactionnel centré sur les processuscognitifs, les résultats montrent que les sujets présentant un état de stress50

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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perçu élevé, avant l’expérience, sont plus atteints par le rhume que les autres.Autrement dit, cette expérience montre que le stress perçu accroît la vulnéra-bilité aux agents infectieux.

Rôle (et limites) du coping

Certaines études portent de façon spécifique sur le rôle intermédiaire joué parles stratégies d’adaptation, entre le stress perçu et les issues (conséquences) dustress. Il s’agit de pouvoir identifier les stratégies les plus efficaces dans lagestion du stress, celles qui évitent des atteintes à la santé.

L’efficacité des stratégies d’adaptation dépend tout d’abord des interactionsentre elles, puisque les unes ne sont pas nécessairement exclusives des autres.L’étude longitudinale réalisée par Koeske et coll. (1993) montre que lesstratégies d’évitement sont inefficaces si elles sont employées de façon quasi-exclusive. En revanche, il n’en va pas de même lorsque les sujets adoptent enplus des stratégies de contrôle (du problème, des émotions, et réévaluation).

Il existe plusieurs études dont les résultats convergent vers l’identification destratégies d’adaptation plus efficaces que d’autres : les stratégies de coping dites« actives » (centrées sur le problème) ne sont pas associées à des problèmes desanté alors que des stratégies dites « passives » (stratégies centrées sur lesémotions et l’évitement) sont corrélées à des atteintes à la santé (Billings etMoos, 1984 ; Shinn et coll., 1984 ; Schmidt, 1988 ; Girault, 1989 ; Mikulin-cer et Solomon, 1989 ; Bolger, 1990 ; Rodhe et coll., 1990 ; Girault, 1992 ;Pezet, 1994 ; Hart et coll., 1995).

Cet ensemble de résultats est cependant contradictoire avec la théorie transac-tionnelle du stress, les stratégies d’adaptation au stress étant, dans ce modèle,définies indépendamment de leur efficacité. Il n’y aurait pas de stratégiesefficaces en elles-mêmes, indépendamment des caractéristiques personnelles etperceptivo-cognitives du sujet, et des particularités de la situation (Folkman,1982 et 1984 ; Koeske et coll., 1993 ; Lazarus, 1993 ; Bruchon-Schweitzer,1994 ; Bruchon-Schweitzer et Dantzer, 1994). Alors que ces études font appa-raître les stratégies centrées sur le problème comme des stratégies efficaces, lesrésultats pourraient en fait dépendre du caractère contrôlable de la situationstressante. Ainsi, dans le cas de maladies graves, comme le cancer, il a étémontré que des stratégies centrées sur les émotions (le déni et la réévaluationpositive) avaient un effet positif sur l’état psychologique des malades (Greer etcoll., 1979 ; Dean et Surtees, 1989). Une étude menée par Miller et Mangan(1983) montre également que l’efficacité des stratégies d’adaptation est varia-ble selon les caractéristiques de la situation. Ces chercheurs font varier le degréd’informations fourni à des femmes passant un examen de dépistage du cancerdu col de l’utérus, indolore mais anxiogène. Les stratégies de coping « vigilant »(recherche d’informations, centré sur le problème) sont efficaces dans laréduction de l’anxiété, lorsque les femmes disposent d’informations en quan-tité suffisante sur l’examen. En revanche, les stratégies de coping « évitant »

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(évitement, fuite, déni...) sont efficaces (réduction de l’anxiété) dans la situa-tion où peu d’informations sont fournies. Cette étude indique donc uneinteraction entre des stratégies d’adaptation et les caractéristiques de la situa-tion, dans la détermination de l’état émotionnel de l’individu.

Cette divergence de résultats concernant l’efficacité intrinsèque des stratégiesd’adaptation peut s’expliquer par le poids accordé, selon les études, à lavariabilité intersituationnelle ou interpersonnelle. Lorsque les études portentsur les comportements de coping (et le stress aigu), la variabilité intersituation-nelle est accentuée, puisque l’évaluation se fait en référence à une transactionstressante bien précise. Lorsque les études portent sur les styles de coping (et lestress chronique), la variabilité interpersonnelle est augmentée. L’accent estmis sur ce que les individus font en général ; le poids des différences interindi-viduelles est alors essentiel.

Autrement dit, l’accumulation des résultats sur les processus cognitifs de stressconfirme l’interaction entre les caractéristiques personnelles des individus etcelles des situations auxquelles ils sont confrontés. Cette interaction a étéretrouvée dans d’autres études (Bolger, 1990 ; Larsen et Ketelaar, 1991 ;Roskies et coll., 1993 ; Scheck et coll., 1995).

Rôle de la personnalité

Comme on vient de le dire, les mécanismes cognitifs du stress sont en partiedéterminés par la personnalité. Les premiers travaux sur le sujet ont mis enévidence un type de personnalité prédisposant au stress et aux maladiescoronariennes : le type A ou « Type A Behavior Pattern » (Friedman et Rosen-man, 1974). Le type A a été défini par un ensemble complexe de traits :impatience, hostilité, compétitivité, vigueur des gestes, débit rapide de laparole, événements aversifs perçus comme des défis (Friedman et Booth-Kewley, 1987 ; Rodin et Salovey, 1989). En fait, il s’avère que seule ladimension « hostilité-colère », de surcroît évaluée par un entretien à partirdes comportements effectifs de la personne (voix, gestes...) et non pas auto-déclarée, est pertinente pour prédire le risque coronarien (Bruchon-Schweitzer, 1994).

Du fait des limites de la validité prédictive du type A dans son ensemble(Mathews et Haynes, 1986 ; Powell, 1987), des difficultés liées à son évaluation,mais également des limites de la « validité de construit7 » de ce type de person-nalité (Powel, 1987 ; Ganster et Schaubroeck, 1991 ; Bruchon-Schweitzer,1994 ; Parkes, 1994 ; Rolland, 1999), les travaux se sont orientés vers d’autresapproches de la personnalité plus robustes et plus prédictives du stress et de lasanté mentale.

7. La validité de construit d’un concept de personnalité correspond au fait qu’il permeteffectivement de rendre compte de patterns de différences de comportements.52

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On observe, depuis le début des années 1990, un consensus dans la littératureinternationale sur un modèle (modèle de la personnalité en 5 facteurs) quipermet, en conjuguant parcimonie et exhaustivité, de résumer les dimensionsde personnalité (sphère de conduites habituelles) en cinq dimensions fonda-mentales : névrosisme (encore appelé affectivité négative, anxiété-trait ouneuroticisme), extraversion, ouverture, agréabilité, caractère consciencieux(Digman, 1990 ; Deary et Matthews, 1993 ; Rolland, 2001a). C’est un modèlede référence, notamment en raison de sa robustesse, de sa validité et de soninter-culturalité. Les liens entre ces dimensions de la personnalité, en par-ticulier le névrosisme (versus stabilité émotionnelle) et parfois l’extraversion,et le stress ont été largement documentés (Rolland, 1999). Par exemple, dansune étude réalisée auprès de 605 personnes d’unités de l’Armée de l’Airfrançaise, le rôle de ces cinq dimensions dans les phases des processus cognitifsdu stress a été étudié. Des régressions multiples montrent que les dimensionsde personnalité sont associées diversement aux processus cognitifs du stress.Le pourcentage de variance expliquée varie de 23,4 % pour le coping centrésur les émotions à 1,45 % pour l’évaluation primaire de type défi (tableau 3.I).

Tableau 3.I : Liens entre les 5 dimensions du modèle de la personnalité et lesdifférents processus cognitifs d’évaluation et de coping – Régressions multiples(d’après Rolland, 2001b et 2002)

Stabilitéémotionnelle

Extraversion Ouverture Agréabilité Caractèreconsciencieux

R_ ajusté

Évaluation primaire : défi Bêta=0,135 0,0145

Évaluation primaire :menace

Bêta=-0,234 0,065

Évaluation secondaire :manque de contrôle perçu

Bêta=-0,407 Bêta=-0,170 0,189

Coping Émotions Bêta=-0,458 Bêta=-0,116 Bêta=0,103 Bêta=-0,102 0,234

Coping Tâche Bêta=0,169 Bêta=0,137 0,061

Coping Évitement Bêta=-0,128 Bêta=0,131 0,032

Détresse psychologique(GHQ)

Bêta=-0,355 Bêta=-0,120 0,123

R2=Pourcentage de variance expliquée. Exemple : R_=0,0145 signifie que 1,45 % de la variance de l’évaluation dela situation de travail comme étant un défi est expliquée par les 5 dimensions de personnalité ; Bêta=Coefficient derégression multiple. Seuls les Bêta significatifs apparaissent ; GHQ : General Health Questionnaire

Cette étude confirme le rôle protecteur de la stabilité émotionnelle (versusnévrosisme) dans les processus d’évaluation et de coping : elle est associée àl’évaluation primaire, secondaire, aux stratégies de coping centrées sur lesémotions et d’évitement, ainsi qu’à la détresse psychologique. Elle fait égale-ment apparaître le rôle protecteur du caractère consciencieux. Cettedeuxième dimension est liée à l’évaluation secondaire, au coping centré sur lesémotions, sur la tâche, et à la détresse psychologique.

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Rôle des situations de travail

De manière complémentaire aux travaux portant sur le lien entre stress etpersonnalité, un autre pan de la littérature psychologique aborde les caracté-ristiques des situations de travail potentiellement stressantes pour les per-sonnes. En effet, un ensemble de travaux ont mis en évidence le rôle détermi-nant des représentations qu’ont les personnes de leurs situations de travaildans les affects liés au travail (satisfaction, motivation...), les comportementsde retrait (absentéisme...) et la productivité (Hackman et Lawler, 1971 ;Hackman et Oldham, 1975 et 1976 ; Mowday et coll., 1982 ; Landeweerd etBoumans, 1994). Si un ensemble de recherches montre que les perceptionsdes situations de travail dans lesquelles sont impliquées les personnes sontliées à la personnalité des individus (cf. supra), ces perceptions ne sonttoutefois pas pour autant déconnectées des propriétés objectives du travail(Dodd et Ganster, 1996 ; Oldham, 1996, par exemple).

Caractéristiques perçues de la tâcheParmi les modèles d’analyse soulignant l’importance de la perception descaractéristiques du travail, l’un des plus utilisés et validés est le modèle descaractéristiques de la tâche (Job Charateristics Model) de Hackman et Oldham(1975 et 1976). Les travaux effectués à partir de ce modèle mettent enévidence cinq aspects du travail à accomplir, susceptibles d’engendrer dustress (mais également de l’insatisfaction au travail, de l’absentéisme, unediminution de la performance, du turnover). Ces aspects concernent lavariété (complexité) de la tâche, l’impact de la tâche (portée ou importancede son travail pour les autres), l’identité de la tâche (possibilité d’identifierclairement le produit de son travail, sa propre contribution dans la productionde biens ou de services), l’autonomie, et le feedback sur l’efficacité de sontravail. Ces caractéristiques centrales de la tâche ont des effets personnels etorganisationnels via des états psychologiques intermédiaires (figure 3.2).

Figure 3.2 : Modèle des caractéristiques de la tâche (d’après Hackman et Oldham, 1976)54

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Une méta-analyse portant sur 259 études, réalisée à partir des dimensions dumodèle de Hackman et Oldham enrichies de dimensions complémentaires ouplus détaillées, permet de situer la validité prédictive de ces dimensions(Humphrey et coll., 2007). Les auteurs distinguent les caractéristiques moti-vationnelles (les dimensions du modèle de Hackman et Oldham, parfois plusdétaillées), sociales (interdépendance, soutien social, interaction avec l’exté-rieur de l’entreprise...) et physiques (exigences physiques, conditions de tra-vail, ergonomie du poste) du travail, susceptibles de prédire un ensemble decomportements, d’attitudes et la santé mentale des salariés. L’ensemble de cescaractéristiques des situations de travail, incluses dans la méta-analyse, per-met de prédire entre 20 % et 64 % de la variance expliquée des mesures delasanté mentale (tableau 3.II).

Ces résultats confirment la valeur prédictive des caractéristiques motivation-nelles des situations de travail, même si cette valeur est utilement complétéepar les caractéristiques sociales des situations de travail. Parmi l’ensemble descaractéristiques motivationnelles prises en compte dans l’étude, celles quisont le plus liées aux mesures de la santé mentale sont l’autonomie, l’identitéde la tâche, le feedback et l’impact de la tâche. L’autonomie est associéenégativement aux mesures de santé mentale (corrélation entre -0,10 et-0,30), de même que l’identité de la tâche (corrélation entre -0,17 et -0,28).Le feedback, que les auteurs de la méta-analyse classent dans les caractéris-tiques sociales alors qu’il apparaît comme caractéristique motivationnelledans le modèle de Hackman et Oldham, est associé négativement au stress(r=-0,32) et au burnout (r=-0,17). Le rôle de l’impact de la tâche est ambigu :il est négativement associé au burnout (r=-0,29) mais positivement associé à lasurcharge perçue (r=0,38).

Tableau 3.II : Prédiction de la santé mentale par les caractéristiques motiva-tionnelles, sociales et physiques des situations de travail (d’après Humphrey etcoll., 2007)

Caractéristiquesmotivationnelles

Caractéristiquessociales

Caractéristiquesphysiques

Total R_

Étape 1R_

Étape 2ΔR_

Étape 3ΔR_

Anxiété 0,15 0,06 0,20

Stress 0,14 0,09 0,16 0,38

Burnout 0,17 0,04 0,02 0,23

Surcharge perçue 0,54 0,10 0,64R2=Pourcentage de variance expliquée ; ΔR2=augmentation du R2 / étape précédente

Une revue de la littérature portant sur quatre enquêtes européenne, nationaleou professionnelles compare l’autonomie perçue de trois catégories de tra-vailleurs : les indépendants (sans salariés), les employeurs (avec quelquessalariés) et les employés. Les indépendants et les employeurs rapportent plus

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d’autonomie dans le travail que les employés. Cette revue de la littératuremontre également que le rôle protecteur de l’autonomie vis-à-vis du stress etson impact positif sur les attitudes au travail (satisfaction, engagement) sevérifient quel que soit le statut dans l’emploi (Prottas, 2008). Les corrélationsentre l’autonomie et le stress sont toutes significatives, que ce soit pour lesemployeurs, les indépendants ou les salariés. Ce lien se confirme avec lesrégressions multiples. Toutefois, cette revue de la littérature montre quel’intensité de la relation entre l’autonomie et le stress n’est pas plus impor-tante pour les indépendants (r=-0,14 et r=-0,09 respectivement pour 2 échan-tillons de travailleurs l’un américain et l’autre européen) ou les employeurs(r=-0,30 et r=-0,08) comparativement aux salariés (r=-0,17 et r=-0,09).Autrement dit, les indépendants ne tirent pas plus avantage de l’autonomieque les salariés (quand ils perçoivent eux-mêmes en avoir) (Prottas, 2008).Ceci est confirmé par les régressions multiples : la prise en compte de l’inte-raction entre le statut et l’autonomie n’augmente pas de façon significative lepourcentage de variance expliquée.

Stresseurs de rôles

Il y a conflit de rôles lorsqu’une personne fait l’objet d’attentes ou d’exigencesincompatibles ou contradictoires entre elles (ou avec les valeurs de l’individu). Ily a ambiguïté de rôles lorsque les informations concernant les attentes ou exi-gences liées au poste occupé ne sont pas assez explicites pour que la personnepuisse effectuer correctement son travail. Les conflits de rôles et l’ambiguïté derôles sont dénommés « stresseurs de rôles ».

Les recherches chez les salariés montrent également que les conflits de rôles etl’ambiguïté de rôles sont générateurs de stress (Fisher et Gitelson, 1983 ;Jackson et Schuler, 1985) mais sont également en relation (comme les carac-téristiques de la tâche précédemment) avec l’insatisfaction au travail, l’absen-téisme, et la diminution de la performance (Fisher et Gitelson, 1983 ; Jacksonet Schuler, 1985 ; Peiro et coll., 1994).

Des études ont montré que les stresseurs de rôles interviennent égalementdans le stress chez les indépendants. Ainsi, une étude menée auprès d’entre-preneurs suédois montre que les stresseurs de rôles, déterminés à la fois par ledegré de complexité de la tâche, l’environnement (notamment concurren-tiel) et la personnalité de ces entrepreneurs, sont prédictifs d’un faible niveaude récompenses perçues (satisfaction au travail, performance perçue) et detendances dépressives (Wincent et Örtqvist, 2009) (figure 3.3).

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Figure 3.3 : Antécédents et conséquences des stresseurs de rôles. Équations structurales(d’après Wincent et Örtqvist, 2009)

Une autre étude auprès d’entrepreneurs suédois, cette fois-ci longitudinale,porte sur le lien entre les stresseurs de rôles et l’intention d’abandonner sonactivité, médiée par les sentiments d’épuisement émotionnel et de compensa-tion des efforts8 (Wincent et coll., 2008). En plus du conflit de rôles et del’ambiguïté de rôles, les auteurs introduisent la surcharge du rôle (sentiment dedébordement). L’ambiguïté et la surcharge du rôle sont prédictives de l’épuise-ment émotionnel et de la perception d’absence de compensation des efforts.L’épuisement émotionnel est à son tour prédictif de l’intention de cesser sonactivité aux temps T1 et T2 (deux ans après). La non compensation des effortsest faiblement prédictive de l’intention de quitter son activité au temps T1 maissa valeur prédictive augmente au temps T2. Les effets directs des stresseurs derôles sur l’intention de cesser son activité sont marginaux (figure 3.4).

Figure 3.4 : Prédiction de l’intention de cesser son activité par les stresseurs de rôles,chez les indépendants. Rôle médiateur de l’épuisement émotionnel et de la compensa-tion des efforts (Wincent et coll., 2008)

Engagement dans le travail ou addiction au travail ?

Il est communément admis que les travailleurs indépendants sont très investisdans leur activité professionnelle. L’investissement dans le travail, ses ressorts,ses formes, ses effets ont fait l’objet de conceptualisation et d’études dans la

8. Quelques exemples d’items : « Les profits générés par mon entreprise compensent... mesefforts / le temps que j’y consacre » ; « En considérant le planning de l’année dernière et, auregard de la moyenne du secteur, nos volumes de vente sont (1 = clairement au dessous de lamoyenne, 7 = clairement au-dessus de la moyenne) ».

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littérature internationale sur les processus motivationnels au travail. Unconsensus semble émerger sur le fait de distinguer deux aspects différents del’investissement dans travail : d’une part l’engagement positif de l’ordre de la« passion », d’autre part l’addiction au travail (Burke et coll., 2004 ; Taris etcoll., 2008 ; Burke et Fiksenbaum, 2009 ; Gorgievski et coll., 2010). Ces deuxcomposantes n’ont pas les mêmes antécédents ni les mêmes conséquences,notamment en termes de santé et de performance (Burke et coll., 2004 ;Burke et Fikenbaum, 2009). Certains distinguent même dans l’addiction autravail deux sous-dimensions : le fait de travailler beaucoup et l’incapacité à sedétacher psychologiquement du travail (attitude compulsive au travail).

Une étude centrée spécifiquement sur les travailleurs indépendants examineles relations entre les deux aspects de l’addiction au travail d’un côté et del’autre la santé et l’efficacité professionnelle perçues (épuisement émotionnel,plaintes psychosomatiques et sentiment d’efficacité professionnelle) (Taris etcoll., 2008). Cette étude porte sur 477 travailleurs indépendants néerlandais.Les résultats des régressions hiérarchiques montrent que l’incapacité à sedétacher du travail est bien reliée à la fatigue, à la douleur physique et àl’efficacité professionnelle perçues (bêta respectivement égaux à 0,32, 0,37 et-0,15, p<0,01). En revanche, aucun lien significatif n’apparaît entre le nom-bre d’heures travaillées et les mesures de santé et d’efficacité professionnelle.Les résultats de cette étude confirment donc, sur un échantillon de tra-vailleurs indépendants, le lien entre l’addiction au travail, au sens d’attitudecompulsive (incapacité à se détacher du travail), et la dégradation de l’état desanté perçue.

Une autre étude, comparative cette fois-ci, mérite également d’être signalée(Gorgievski et coll., 2010). Elle compare les relations entre l’engagement/l’addiction au travail et les différentes facettes de la performance (perfor-mance liée à la tâche, performance contextuelle9 et créativité), entre unéchantillon de travailleurs indépendants (N=262) et un échantillon de sala-riés (N=1 900). Les résultats de cette étude montrent que les travailleursindépendants ont un score moyen plus élevé que les salariés sur l’échelled’engagement au travail et travaillent plus d’heures. Cependant, il n’y a pas dedifférence entre les deux échantillons par rapport à l’attitude compulsive autravail. L’engagement au travail est relié positivement à la performance liée àla tâche et à la créativité pour les deux groupes. L’engagement est égalementrelié à la performance contextuelle pour les salariés. En revanche, ce lien n’estpas retrouvé pour les travailleurs indépendants. Le fait de travailler excessive-ment est fortement relié à la créativité pour les deux échantillons. Le lienentre le fait de travailler beaucoup et la performance contextuelle n’estretrouvé que pour les travailleurs indépendants. Enfin, pour la composante

9. La performance liée à la tâche correspond aux comportements mis en œuvre directement enlien avec les exigences du poste, alors que la performance contextuelle renvoie à tous lescomportements non directement liés à la tâche et qui visent à l’entraide, à l’amélioration desprocédures, à favoriser les évolutions...58

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compulsive de l’addiction, les résultats diffèrent selon les deux échantillons.Pour les travailleurs indépendants, on trouve une relation négative entrel’attitude compulsive au travail et à la fois la performance contextuelle et lacréativité. Pour les salariés, les résultats montrent une relation négative entrel’attitude compulsive et la créativité mais une relation positive avec la perfor-mance contextuelle.

Malgré la différence de taille entre les deux échantillons et le caractèretransversal de cette étude, celle-ci met en évidence le fait que les travailleursindépendants ont plus de « passion » pour leur travail que les salariés. Ilstravaillent plus d’heures que ces derniers et rapportent un niveau plus élevéd’engagement au travail, ce qui est relié à une meilleure performance auto-évaluée. Les travailleurs indépendants ne travaillent pas de manière pluscompulsive que les salariés. Cette étude confirme par ailleurs que le fait detravailler de manière compulsive est la composante épineuse de l’addiction autravail. Une des implications pratiques tirée de cette étude est de promouvoirdes séances de formation pour les travailleurs indépendants qui les amènent àtravailler « intelligemment » plutôt que « durement », en maintenant leurmotivation positive au travail et en développant des compétences permettantde prévenir les effets néfastes sur la santé d’une addiction au travail.

En conclusion, au-delà des mécanismes physiologiques, les processus cognitifsd’évaluation et de coping jouent également un rôle dans la survenue de l’étatde stress et interagissent avec ces mécanismes. Ces processus cognitifs mis enjeu par la personne pour faire face à une situation de travail sont déterminés àla fois par la personnalité et par les caractéristiques des situations de travail.Concernant la personnalité, le rôle du névrosisme (ou affectivité négative –versus stabilité émotionnelle) a été clairement établi. Toutefois, d’autresdimensions de personnalité peuvent également jouer un rôle, comme parexemple l’extraversion et le caractère consciencieux. Concernant les caracté-ristiques perçues des situations de travail, non déconnectées des propriétésobjectives de celles-ci, on peut retenir l’importance de l’autonomie, de l’iden-tité de la tâche, du feedback et de l’impact de la tâche. Ces caractéristiquespeuvent se retrouver dans les situations de travail des travailleurs indépen-dants. Les stresseurs de rôles (conflit, ambiguïté, surcharge) sont égalementdes prédicteurs de l’état de stress et de la santé mentale, que ce soit chez lessalariés ou les travailleurs indépendants. Enfin, la question de l’engagementdans le travail nécessite pour les travailleurs indépendants, comme pour lessalariés, de distinguer les deux facettes de l’addiction au travail : le fait detravailler de nombreuses heures et le fait de travailler de manière compulsiveet d’être incapable de se détacher psychologiquement de son travail. Seule laseconde dimension apparaît néfaste pour la santé ou le bien-être des per-sonnes et pour leur performance professionnelle.

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4Facteurs de risque psychosociauxau travail chez les indépendants

Ce chapitre vise à déterminer à quels facteurs de risque psychosociaux autravail les indépendants, ou plus généralement les non-salariés, sont exposésau cours de leur travail10. Toutefois, ces facteurs ont généralement été initia-lement mis en évidence pour les salariés et l’extension de la grille d’analyse dutravail des salariés aux non-salariés nécessite parfois un détour par l’explicita-tion des liens entre facteurs d’exposition et conséquences sur la santé.

Peu d’études intègrent les indépendants et moins encore s’intéressent spécifi-quement à eux. Cela contraint à faire l’hypothèse qu’un même facteur derisque produit peu ou prou les mêmes effets sur un salarié et sur un indépen-dant. Or, l’activité de travail constitue un tout, indissociable du contexte danslequel elle est exercée, et du statut en premier lieu : les mêmes facteurs derisque peuvent par conséquent avoir un impact différent sur la santé dessalariés et des non-salariés. Ces différences sont rarement étudiées mais sem-blent pourtant assez importantes : par exemple, en ajustant sur les variablessociodémographiques et de santé, l’absence de variété du travail est significa-tivement associée à une prévalence de dépressivité plus importante pour leshommes cadres mais non pour les hommes artisans, commerçants et chefsd’entreprises (Cohidon et Santin, 2007).

Sentiment de stress et satisfaction au travail

Le « sentiment de stress » des indépendants est d’après certaines enquêtes plusélevé que celui des salariés (EASHW, 2009) : « les scores de « bien-être » desindépendants sont plus bas que ceux des salariés ». Dans l’enquête euro-péenne sur les conditions de travail réalisée en 2005 (Eurofound, 2007), 43 %des indépendants considèrent que leur travail a un impact négatif sur leur

10. Le terme « Non-salariés » est plus large que celui d’« indépendants » puisque cela com-prend l’ensemble des personnes qui occupent un emploi sans être salariées (y comprisles personnes qui aident un membre de leur famille dans son travail sans être salarié, aides fa-miliaux) et les chefs d’entreprise salariés. Le terme d’indépendant est parfois attribué à l’ensem-ble des non-salariés hors aides familiaux et parfois réservé à ceux qui travaillent seuls, à l’exclu-sion des employeurs.

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santé, et 26 % citent le stress parmi les symptômes ressentis de cet impact.Dans le même temps, le degré de satisfaction au travail des indépendants estplutôt plus élevé. Une étude à partir des enquêtes ISSP (Programme interna-tional d’enquêtes sociales) montre que les indépendants sont significati-vement plus satisfaits de leur travail que les autres, mais aussi que ce statut estplutôt envié (Clark, 2009). Pour la France, plus de 40 % des actifs disentpréférer être indépendants, soit quatre fois plus que la part des actifs qui sonteffectivement indépendants. Pourquoi alors les salariés ne deviennent pasplus souvent indépendants ? Les barrières à l’entrée (capital nécessaire) sontcertes une explication, mais les auteurs de l’étude avancent une autre piste,intéressante dans la perspective d’analyse du stress des non-salariés : en deve-nant indépendants les salariés gagneraient peut-être en termes de satisfactionau travail (work satisfaction), mais la prise de décisions, plus fréquente quandon est indépendant, serait aussi associée à une diminution de la satisfactionpar rapport à sa vie en général (life satisfaction).

Dans l’enquête « Bonheur et Travail », à la question « Finalement, dans votretravail, qu’est-ce qui l’emporte ? Les motifs de satisfaction, les motifs d’insatis-faction, les uns et les autres s’équilibrent à peu près ? », 49 % des femmes et51 % des hommes pensent que les motifs de satisfaction l’emportent (Baude-lot et coll., 2003). Les professions non-salariées se trouvent aux deux extrêmesde cette échelle de satisfaction : parmi les chefs d’entreprise, ce sont 100 %des femmes et 75 % des hommes qui sont satisfaits, ce qui les situe au sommettandis que les agriculteurs exploitants sont plutôt en bas de l’échelle avec29 % de femmes et 38 % d’hommes pour qui les motifs de satisfaction l’empor-tent. Artisans et commerçants sont dans une position intermédiaire avec àpeu près une moitié de satisfaits. Mais « leurs critères de jugement (ceux desprofessions indépendantes) différent profondément de ceux des salariés. Latransmission du capital économique, du métier et du statut d’indépendant estle principal argument développé à l’appui d’une réponse positive. Dans leregistre psychologique, la liberté est, avec le plaisir du travail, un élémentqu’ils mettent particulièrement en avant ».

Stress perçu et satisfaction au travail ne s’élaborent donc pas nécessairementselon les mêmes critères pour les salariés et les non-salariés. Il est doncnécessaire de contourner le terme de « stress », trop polysémique pour adopterla notion de facteurs de risque psychosociaux au travail utilisée par les épidé-miologistes, c’est-à-dire un ensemble de situations de travail auxquelles lesnon-salariés peuvent être « exposés », qui génèrent un déséquilibre entrecontraintes et ressources, et par conséquent peuvent être nocives pour lasanté. Usage courant et usage scientifique des termes sont en décalage sur cesujet (Cohidon et Imbernon, 2009) : « « stress », « risques psychosociaux »,« santé mentale », « burnout » sont des termes largement utilisés par les diffé-rents interlocuteurs intervenant sur cette problématique. Ils ne sont cepen-dant pas synonymes pour les épidémiologistes, pour lesquels il est nécessairede distinguer ce qui est du domaine de l’exposition de ce qui est du domaine66

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de la santé. C’est pourquoi le terme « stress », utilisé seul et décrivant à la foisdans le langage courant une exposition et une réaction physiologique del’organisme, ne paraît pas le plus approprié. Les expressions « facteurs destress » ou « agent stressants » sont néanmoins plus recevables puisqu’ellesimpliquent une notion d’exposition. [...] Pour ce qui est des expositions,l’expression « facteurs psychosociaux au travail » demeure consacrée enépidémiologie ».

Job strain chez les indépendants ?

La plupart des études sur le stress et les facteurs de risque psychosociaux autravail s’intéressent uniquement aux salariés. Le modèle qui domine la littéra-ture, en particulier épidémiologique, est celui du « job strain » (Karasek,1979 ; Karasek et Theorell, 1992). Ce modèle met l’accent sur deux dimen-sions des conditions de travail : la latitude décisionnelle regroupant autono-mie décisionnelle et utilisation des compétences dans le travail ; la demandepsychologique. C’est la combinaison d’une faible latitude et d’une fortedemande qui crée des situations de job strain (tension au travail) supposées lesplus néfastes pour la santé.

Ce modèle donne une clé de lecture importante des conditions de travail desnon-salariés et de leur exposition à des facteurs de risque psychosociaux autravail.

Différentes études convergent pour montrer que les situations de job strain(« tendues ») ou « passives » (combinaison de faibles exigences et d’une fai-ble autonomie) sont plus fréquentes au sein des emplois peu qualifiés oud’exécution, et particulièrement chez les employés. Au contraire, les situa-tions « actives » (fortes exigences, forte autonomie) sont plus fréquentes dansle haut de la hiérarchie des professions. Ces résultats sont confirmés pour lessalariés français dans plusieurs études (Roquelaure et coll., 2002 ; Niezboralaet coll., 2003). L’enquête Sumer de 2003 a permis d’étudier le positionnementdes différentes professions en couvrant toutes les régions et 80 % de l’ensem-ble des salariés (à l’exclusion principalement de la fonction publique territo-riale et d’État) (Guignon et coll., 2008). Là encore, les cadres se situent plutôtdans le cadran « actif » que « tendu » comme le montre la figure 4.1. Legraphique est structuré par deux axes représentant les valeurs médianes de lademande psychologique d’une part, de la latitude décisionnelle d’autre part.Les étoiles représentent les femmes. Ainsi, les ouvrières non qualifiées ont enmoyenne un score de latitude décisionnelle de 59,1 et un score de demandepsychologique de 20,8.

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Figure 4.1 : Scores de demande psychologique et de latitude décisionnelle par sexe etcatégorie socioprofessionnelle (d’après l’enquête Sumer 2003, Dares-DGT)L’enquête concerne un échantillon représentatif de 80 % des salariés, soit l’ensemble dessalariés surveillés par la médecine du travail du régime général et de la Mutualité socialeagricole, les salariés des hôpitaux publics, d’EDF-GDF, de la Poste, de la SNCF et d’Air France.

Toutefois, cette enquête ne concerne que les salariés, comme la plupart desétudes sur ce sujet. L’extrapolation des résultats obtenus pour les cadres auxnon-salariés conduit à supposer une faible prévalence du job strain chez lesnon-salariés, essentiellement du fait d’une plus grande latitude décisionnelle.Une étude australienne aboutit d’ailleurs à ce résultat attendu en montrantune prévalence plus de deux fois moindre du job strain chez les indépendants :9 % des femmes et 10 % des hommes indépendants sont en situation de jobstrain contre 28 % des femmes salariées et 21 % des hommes salariés (Keegelet coll., 2009).

Pourtant, il est difficile de s’en tenir à ce premier résultat et de conclure queles non-salariés sont protégés du stress par leur plus grande latitude. Lequestionnaire de Karasek et Theorell ne s’adapte pas toujours bien à lasituation des non-salariés : même en restant dans ce cadre d’analyse, d’autressources et d’autres interprétations peuvent être mobilisées en matière d’auto-nomie comme d’exigences du travail.

Importance et limite de la latitude décisionnelle

L’autonomie des non-salariés mesurée avec les mêmes outils que ceux utilisés pourles salariés montre logiquement qu’ils disposent d’une forte latitude décisionnelledans leur travail, presque consubstantielle à leur statut d’indépendant. Même sides nécessités techniques peuvent contraindre les indépendants dans leur rythmede travail, leur autonomie est bien plus grande en matière d’organisation de leurtravail que celle des salariés : par exemple, ils règlent le plus souvent eux-mêmes68

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les incidents, peuvent plus souvent que les salariés interrompre leur travail. Leurtravail est aussi plus rarement monotone et leur permet plus souvent d’apprendrede nouvelles choses (Algava et Vinck, 2009).

Mais cette autonomie peut être fortement limitée dans certains contextes. En2005, 250 000 non-salariés, dont 80 % des femmes, étaient des personnes quiaident un membre de leur famille dans son travail sans être salariées. Il s’agitnotamment de conjoint(e)s d’agriculteurs, d’artisans, de commerçants ou deprofessionnels libéraux. Leur autonomie décisionnelle est moindre et ils peu-vent se trouver parfois dans une situation de subordination proche de celle dessalariés. D’après l’enquête Conditions de travail 2005, ils règlent moins souventseuls les incidents que les autres non-salariés, et ont moins d’occasionsd’apprendre de nouvelles choses. Une autre situation assez fréquente est repré-sentée par les non-salariés qui exercent en même temps une activité salariée,qui doivent coordonner les deux activités et sont sans doute également soumis àdes contraintes importantes. Parmi les non-salariés, 130 000 soit 6 % d’entreeux sont des pluri-actifs permanents, c’est-à-dire des personnes qui cumulent demanière permanente activité salariée et activité non-salariée. Cela concerneplus souvent les agriculteurs ou les professionnels de santé. Mais « si les profes-sionnels de santé occupent comme salariés des positions équivalentes (cadrepour les médecins, profession intermédiaire pour les professions paramédicales),les agriculteurs pluri-actifs occupent majoritairement (60 %) des postesd’ouvrier ou d’employé » (Evain, 2009), ce qui implique pour eux un position-nement hiérarchique très différent dans les deux activités.

Plus généralement, de nouvelles formes d’entreprenariat individuel semblent sedévelopper qui se rapprochent parfois de la situation des salariés d’entreprisessous-traitantes11. De la dépendance économique par rapport à leur principalclient, qui se trouve parfois même être l’ancien employeur, naissent des situationsoù les contraintes de respect des délais et des engagements peuvent être plus fortesque pour un salarié. Les enquêtes monographiques, l’augmentation de la sous-traitance entre entreprises (Perraudin et coll., 2006), le succès du statut d’auto-entrepreneur en 2009 (Hagege et Masson, 2010) sont autant d’éléments quilaissent à penser que ces situations sont de plus en plus fréquentes. Une autremanière d’aborder ces sujets est de considérer la fraction d’indépendants qui lesont devenus par nécessité, c’est-à-dire qui disent avoir créé leur entreprise fauted’autres opportunités intéressantes sur le marché du travail et qui constituent enFrance comme ailleurs une proportion non négligeable des entrepreneurs

11. La frontière entre les différents statuts est parfois ténue : le niveau de responsabilité, despécialisation professionnelle, les risques encourus et l’autonomie dans l’organisation de leurtravail font que certains salariés intérimaires qui interviennent dans le cadre de la sous-traitancesont dans une situation proche d’indépendants qui contracteraient directement avec uneentreprise cliente. Ces situations ont été observées par exemple dans la maintenance descentrales nucléaires (Thébaud-Mony, 2007) ou pour les tâcherons dans l’industrie de découpede la volaille (Amossé et coll., 2011).

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(Poschke, 2010). En période de crise et de hausse du chômage, devenir indépen-dant peut constituer une solution de repli.

Une enquête complémentaire à l’enquête sur les forces de travail d’Eurostat,Labor force survey-LFS 2004, portant sur l’organisation et les aménagementsdu temps de travail, comprenait deux questions spécifiquement destinées àmesurer le degré d’autonomie des travailleurs indépendants (tableau 4.I). Lepremier élément apporté par cette enquête est que 9 % des travailleurs indé-pendants français travaillent régulièrement pour un unique client. Sans pointde référence, il est impossible de dire si cette proportion évolue à la hausse ouà la baisse. À titre de comparaison, la proportion s’élève à 11 % au Royaume-Uni et 13 % en Italie et en Espagne. Autre élément apporté par cette enquête,les travailleurs indépendants français disent en majorité (62 %) pouvoir déci-der quand et comment faire leur travail. Mais ils sont néanmoins nettementplus nombreux qu’au Royaume-Uni et en Espagne à ne pas déterminer com-ment faire le travail (29 %). En dehors de ces éléments fragmentaires, on nepeut que regretter l’absence de données statistiques plus détaillées sur cessujets, car il semble que se développe, autour du noyau d’indépendants clas-siques, une nébuleuse de situations plus complexes, avec une baisse de la partdes artisans et commerçants qualifiés, et une hausse des effectifs aux deuxextrémités de l’éventail des qualifications : professions libérales d’une part,indépendants peu qualifiés d’autre part (Amossé et Goux, 2004)12.

Tableau 4.I : Indicateurs d’autonomie des travailleurs indépendants dans troispays européens, 2004 (d’après enquête LFS 2004, module Ad Hoc Organisationet aménagement du temps du travail, Données Eurostat, calculs Dares)

Espagne (%) France (%) Royaume-Uni (%)

Nombre de clients

Un seul 13 9 11

Plusieurs 80 85 78

Non réponse 7 6 11

Ensemble 100 100 100

Liberté d’organisation

Ne peut pas déterminer ni comment ni quand faire le travail 3 11 10

La personne peut déterminer comment faire le travail 10 5 8

La personne peut déterminer quand faire le travail 2 18 3

La personne peut déterminer quand et comment faire le travail 83 62 70

Non réponse ou sans objet 2 5 10

Ensemble 100 100 100

12. http://epp.eurostat.ec.europa.eu/portal/page/portal/employment_unemployment_lfs/data/database70

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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Horaires étendus

En matière d’exigences, le rythme et l’intensité du travail des non-salariés nesemblent pas tellement plus élevés que ceux des salariés, ils sont mêmemoindres à l’aune de certains critères. En particulier, 36 % des salariés et 19 %des non-salariés subissent trois contraintes différentes ou plus sur leur rythmede travail13 (Algava et Vinck, 2009). Pour autant, le mouvement d’intensifi-cation du travail de ces vingt dernières années ne les a pas épargnés et les aconduit comme les salariés à devoir choisir plus souvent entre respect de laqualité et du travail bien fait ou respect des délais. Toutefois, ce qui distinguele plus nettement les non-salariés des salariés, ce sont leurs plages de travailbeaucoup plus étendues : nombre d’heures hebdomadaires en moyenne bienplus élevé, travail plus fréquent le samedi et le dimanche, nombre de journéestravaillées dans la semaine plus important (tableau 4.II).

Tableau 4.II : Horaires des salariés et des non-salariés (d’après l’enquête Condi-tions de travail, complémentaire à l’enquête Emploi, 2005, Dares-Insee, France)

Catégorie socioprofessionnelle (non-salariés)

Salariés(%)

Non-salariés(%)

Agriculteursexploitants

(%)

Artisans(%)

Commerçants(%)

Chefsd’ent.

10 salariésou plus (%)

Prof.libérales/artistiques

(%)

Prof.interm.

(%)

Ne pas pouvoir modifierses horaires ens’arrangeant avec descollègues en casd’imprévu

38,2 57,4 63,2 59,4 64,7 24,8 47,0 47,7

Ne pas connaître seshoraires du lendemain

5,0 13,3 19,4 11,4 11,5 12,3 10,4 9,5

Travailler plus de50 heures par semaine

3,4 45,1 56,2 42,1 45,6 56,8 33,5 27,4

Travailler 6 ou 7 jours parsemaine

7,7 57,1 82,1 46,1 62,0 46,9 38,0 33,3

Travailler habituellement lanuit

7,4 3,9 2,4 5,7 4,6 0,0 4,6 1,7

Travailler habituellement ledimanche

11,9 31,6 59,8 14,6 37,8 9,4 8,7 32,3

13. Parmi les contraintes de rythme suivantes : le déplacement automatique d’un produit oud’une pièce, la cadence automatique d’une machine, d’autres contraintes techniques, ladépendance immédiate vis-à-vis du travail d’un ou plusieurs collègues, des normes de produc-tion ou des délais à respecter en une heure au plus, des normes de production ou des délais àrespecter en une journée au plus, une demande extérieure (clients, public) obligeant à uneréponse immédiate, les contrôles ou surveillances permanents (au moins quotidiens) exercéspar la hiérarchie, un contrôle ou suivi informatisé.

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Les longues heures de travail sont reconnues comme un facteur de risquepsychosocial au travail par l’European Agency for Safety and Health at Work(EASHW, 2009). Travailler sur des plages horaires étendues diminue mécani-quement les capacités de récupération et de ce fait constitue un risque pour lasanté. Cela augmente significativement les risques d’accidents via une aug-mentation de la fatigue et du stress, comme le montre une étude réalisée auxÉtats-Unis sur des salariés (Dembe et coll., 2005). Le taux d’accidents déclarésest de 37 % plus élevé chez les salariés qui travaillent sur des journées éten-dues (plus de 12 heures par jour) après ajustement sur le sexe, l’âge, laprofession, le secteur et la région. Une forte relation était également observéeentre le temps de travail et le taux d’accidents.

Or, certains non-salariés, en particulier les agriculteurs et les artisans, exer-cent des activités qui comportent des pénibilités physiques et des risquesd’accident particulièrement élevés (Algava et Vinck, 2009). Ils déclarentdans leur ensemble bien plus souvent que les salariés risquer des accidents dela circulation au cours de leur travail (56 % d’entre eux contre 30 % dessalariés), ainsi que risquer d’être blessé ou accidenté (60 % des non-salariés,48 % des salariés). Par rapport aux salariés qui travaillent dans les mêmessecteurs et encourent les mêmes risques, s’ajoute donc pour les non-salariés lerisque lié aux horaires étendus et à la fatigue qui l’accompagne. Le risqued’accident de la circulation devrait lui aussi être augmenté par ces horairesétendus, les non-salariés étant beaucoup plus souvent que les salariés amenés àconduire dans le cadre de leur travail.

Au-delà de l’augmentation presque immédiate du risque d’accidents, leshoraires étendus ont également des conséquences à plus long terme sur lasanté : augmentation du risque de maladies cardiovasculaires et d’infarctus,état de santé général dégradé (voir par exemple : van der Hulst, 2003 ; Carusoet coll., 2004 ; Harma, 2006). Au Japon, la durée du travail est en moyennebien plus élevée qu’en France et dans les autres pays industrialisés, notam-ment pour certaines catégories de travailleurs, essentiellement les hommesd’âge intermédiaire ayant un emploi stable (Iwasaki et coll., 2006 ; Kanai,2009). Les cas de « Karoshi », maladies cérébrales et cardiovasculaires entraî-nant un décès prématuré ou des invalidités permanentes et directement liés àl’accumulation d’heures de travail excessives, ont été reconnus et indemnisésà partir des années 1990 et de façon croissante depuis 2000. Cette reconnais-sance s’appuie sur les connaissances scientifiques accumulées qui relient desheures de travail excessives, en lien avec d’autres dimensions du « workaho-lism », à la survenue de problèmes de santé. Le parallèle n’est pas tout à faitincongru dans la mesure où parmi les non-salariés, 21 % des hommes et 13 %des femmes déclarent travailler 70 heures ou plus par semaine, ce qui peutfaire craindre la survenue de conséquences importantes pour la santé (Algavaet Vinck, 2009).

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Toutefois, le lien entre des horaires de travail prolongés et la dégradation dela santé mentale est rarement établi directement14. La plupart des étudesaboutissent à des résultats plus nuancés : travailler de longues heures aurait uneffet atténué sur la santé lorsqu’il s’agit d’un « choix » et dans la mesure oùle travailleur conserve le contrôle sur ses propres horaires et son degréd’implication.

Toutefois, plusieurs études permettent de nuancer ce résultat : travailler delongues heures aurait un effet atténué sur la santé lorsqu’il s’agit d’un« choix » et dans la mesure où le travailleur conserve le contrôle sur sespropres horaires et son degré d’implication.

Une étude (Taris et coll., 2008) portant sur les indépendants montre que(après ajustement sur la demande psychologique et la latitude décisionnelledu modèle de Karasek et Theorell, le sexe, l’âge, le niveau d’étude et l’ancien-neté), seule une des deux composantes du syndrome de workaholism, à savoirl’inaptitude à se détacher de son travail, a un effet délétère sur la fatigue, lesplaintes physiques et l’efficacité professionnelle. L’autre composante, un nom-bre d’heures excessif, n’a pas d’effet propre. Le lien étroit qui existe entredemande psychologique et heures de travail excessives pourrait cependantexpliquer pour partie ces résultats.

La possibilité de contrôler ses horaires est également un facteur important deréduction des effets du job strain et du déséquilibre efforts-récompenses. Cela adu moins été démontré pour les femmes salariées chez qui une situation de jobstrain avec contrôle sur les horaires s’accompagne d’une moindre hausse desjournées d’absence pour maladie qu’en l’absence de contrôle sur les horaires(Ala-Mursula et coll., 2005).

Patricia Van Echtelt (2005) distingue quatre motivations pour les salariés defaire des heures supplémentaires : gagner plus d’argent, considérer son travailcomme un passe-temps, gérer les situations imprévues notamment dans lesorganisations flexibles ou qui fonctionnent en juste-à-temps, et enfin prendrede l’avance dans la compétition entre collègues pour obtenir une prime, unepromotion ou simplement garder son emploi. Ces quatre mécanismes peuventsans difficulté être transposés aux indépendants, et contribuent pour partie àexpliquer qu’ils aient de longues journées de travail. Mais les deux dernierssont la conséquence d’un fonctionnement organisationnel sur lequel les non-salariés ont a priori plus de latitude pour agir que les salariés. Or, justementseuls ces deux derniers sont associés à un sentiment accru de pression tempo-relle, d’interférence entre le professionnel et le domestique et de surmenage.

14. Une étude sur des « managers » cadres salariés (Hobson et Beach, 2000), dont la portéeest néanmoins limitée par le faible effectif de personnes incluses dans l’étude (n=41), relève que71 % d’entre eux ressentent les horaires lourds et 10 % le fait de s’ennuyer à leur travail commedes facteurs de stress. Ces facteurs semblent de plus être associés significativement à uneélévation des scores de santé mentale dégradée (questionnaire GHQ 30, General HealthQuestionnaire incluant 30 items) et de dépressivité.

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Les non-salariés sont globalement plus satisfaits de la durée de leur travail.Ainsi, d’après l’enquête Conditions de travail 2005, seulement 4 % des non-salariés souhaiteraient réduire leur temps de travail (et leur rémunération enconséquence). Comme ils peuvent plus facilement ajuster leurs horaires queles salariés, il est possible que leurs longues journées de travail aient desconséquences moins importantes sur leur santé.

Un autre aspect de cette plus grande emprise du travail sur la vie des non-salariés concerne leurs difficultés à concilier travail et vie privée ou familiale.Les non-salariés sont en effet plus nombreux que les salariés à dire avoir dumal à concilier travail et obligations familiales : 17 % des agriculteurs, 16 %des autres non-salariés, 10 % de l’ensemble des actifs (source SIP-Santé etitinéraire professionnel 2007, Collège d’expertise sur le suivi statistique desfacteurs de risque psychosociaux au travail, 2009). Ils rejoignent en cela lescadres qui sont nombreux à connaître ces difficultés (16 %). Ces difficultés deconciliation sont d’ailleurs étroitement corrélées aux conditions de travail quicaractérisent les catégories favorisées (exercice de responsabilité et d’autorité,fortes exigences, investissement au travail, temps de travail prolongé etvariété du travail). Le fait que les catégories favorisées disposent de davantagede moyens pour faciliter l’équilibre entre vie privée et professionnelle (enpremier lieu matériels en recourant à des services d’aide), ne suffit pas à lespréserver de ce type de risques (Schieman et coll., 2006).

Soutien social et isolementLe modèle de Karasek a été étendu en lui adjoignant les concepts de « soutiensocial » et d’iso-strain, combinaison de job strain et d’un manque de soutiensocial au travail. Ces concepts sont difficilement applicables aux non-salariéscar l’absence de hiérarchie modifie profondément la nature des relations detravail et les difficultés que les non-salariés peuvent rencontrer. Les modèlesémergents autour de la justice organisationnelle montrent le lien entre senti-ment d’injustice et dégradation de l’état de santé (Kivimaki et coll., 2007).Mais les concepts sont également impossibles à transposer aux indépendants,qu’il s’agisse de la notion de justice relationnelle (le traitement équitable parle supérieur hiérarchique) ou de celle de justice procédurale (cohérence ettransparence des décisions).

Les non-salariés sont en effet plus fréquemment confrontés à un certainisolement dans leur travail qu’à des tensions relationnelles importantes. Arti-sans et commerçants soulignent ainsi souvent qu’ils n’ont pas la possibilité decoopérer pour effectuer correctement leur travail ou qu’ils ne reçoivent pasd’aide en cas de travail difficile. De ce fait, les non-salariés (en dehors deschefs d’entreprise de plus de 10 salariés) sont aussi plus souvent épargnés parles conflits au sein du collectif du travail (Algava et Vinck, 2009).

Là encore la pertinence d’outils de mesure mis en œuvre pour les salariés doit êtrenuancée. Aucune des études quantitatives consultées n’évoque les difficultés74

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spécifiquement rencontrées vis-à-vis des subordonnés et associées au statutd’employeur. De plus, selon les situations, la capacité d’auto-organisation collec-tive des indépendants autour de leur métier (voir la communication « Autono-mie et dépendance des indépendants » à la fin de cet ouvrage) peut venir com-penser l’isolement dans le travail, tandis que la concurrence directe avec lesautres indépendants peut au contraire renforcer ce sentiment d’isolement (voir lacommunication « Réseau Anact et prise en compte du travail dans la préventiondes risques psychosociaux » à la fin de cet ouvrage).

Nouveaux risques et risques spécifiques

Au-delà du modèle de Karasek et Theorell, l’analyse des facteurs de risquepsychosociaux au travail fait appel à de nombreux concepts, dont l’applica-tion aux non-salariés est plus ou moins facile ou pertinente. Le modèle deSiegrist, qui définit les situations à risque comme celles où existe un déséqui-libre entre les efforts fournis et les récompenses, les études sur les modèles dejustice organisationnelle, les conséquences de l’insécurité au travail, les mesu-res du harcèlement, de la violence, ou encore celles sur l’épuisement profes-sionnel sont autant d’analyses qui introduisent de nouveaux concepts etmettent en avant différentes situations à risque. Devant ce foisonnement,l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail a sollicité desexperts pour repérer les facteurs de risques émergents, c’est-à-dire à la foisnouveaux ou nouvellement repérés et en augmentation (EASHW, 2009). Lesnouvelles formes d’emploi et l’insécurité liée aux contrats, les risques liés auvieillissement, l’intensification, les exigences émotionnelles et le mauvaiséquilibre entre vie privée et vie professionnelle sont apparus aux expertssollicités comme les risques les plus fortement émergents.

Ce travail rejoint celui du Collège d’expertise sur le suivi statistique des facteursde risque psychosociaux au travail (2009) qui a ajouté différentes dimensionsaux facteurs de risque psychosociaux habituels issus plus ou moins directementdu modèle de Karasek. La structuration en six dimensions qu’il a adoptée dansson rapport intermédiaire permet également de faire le tour des problématiquesexistantes ou émergentes sur les facteurs psychosociaux au travail. Trois de cesdimensions recoupent largement des concepts déjà évoqués pour les salariés : lesexigences au travail, l’autonomie et les marges de manœuvre, les rapportssociaux et relations au travail. Les trois autres, à savoir les exigences émotion-nelles, les conflits de valeur et l’insécurité d’emploi permettent de compléter ladescription des expositions des non-salariés dans leur travail.

Exigence émotionnelle

D’après l’enquête Conditions de travail 2005, plus de 90 % des non-salariés(hors agriculteurs exploitants) déclarent travailler en contact avec le public,soit une fréquence nettement supérieure à celle observée pour les salariés

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(63 %). Pour certains d’entre eux, cela s’accompagne de fortes exigencesémotionnelles, qu’il s’agisse de vivre des tensions avec le public, de devoircalmer des personnes ou d’être en contact avec des personnes en situation dedétresse. Les professions libérales de niveau cadre sont les plus soumises à cetype d’exigences. Dans le secteur médico-social, les professionnels peuventêtre soumis à ce type de facteurs de façon exacerbée ou répétée, qu’il s’agissepar exemple du suicide d’un patient pour les psychiatres (Fothergill et coll.,2004), de l’anxiété ou de l’insatisfaction des patients pour les dentistes (Myerset Myers, 2004). Au contraire, les artisans et commerçants travaillent trèssouvent en contact avec le public mais dans un contexte émotionnellementmoins chargé. Les exigences émotionnelles auxquelles ils font face lorsqu’ilssont en contact avec le public sont comparables à celles des employés decommerce pour les commerçants et des ouvriers qualifiés de type artisanalpour les artisans. La peur au travail semble pour sa part une émotion àpremière vue bien corrélée aux risques physiques encourus au cours du tra-vail : les agriculteurs et les salariés ouvriers sont en effet les plus nombreux àdire éprouver de la peur pendant leur travail (tableau 4.III).

Tableau 4.III : Indicateurs d’exigences émotionnelles (d’après le tableau« Résultat par catégories socioprofessionnelles » du rapport intermédiaire duCollège d’expertise sur le suivi statistique des risques psychosociaux au travail,2009)

Agriculteurs(%)

Autresnon-

salariés(%)

Cadres(%)

Professionsintermédiaires

(%)

Employés(%)

Ouvriers(%)

Ensemble(%)

Etre en contact direct avec le public(usagers, patients, élèves, voyageurs,clients, fournisseurs) (CT 2005)a

56,3 95,7 72,3 75,3 78,8 45,8 69,9

Je vis toujours ou souvent des ten-sions avec un public : usagers,patients, élèves, voyageurs, clients (CT2005)

5,7 10,3 12,9 14,4 13,5 4,8 11,2

Etre amené à être en contact avecdes personnes en situation dedétresse (CT 2005)

7,5 38,7 41,5 48,4 43,5 18,5 37,2

Etre amené à devoir calmer des gens(CT 2005)

11,1 41,7 55,4 57,7 51,7 24,5 47,4

Dans mon travail, je dois toujours ousouvent cacher mes émotions ou fairesemblant d’être de bonne humeur (SIP2007)b

15,8 58,6 50,9 46,9 46,5 23,6 42,2

Il m’arrive toujours, souvent ou parfoisd’avoir peur pendant mon travail (SIP2007)

55,9 31,7 23,4 34,6 30,7 41,8 33,6

a Enquête Conditions de travail, complémentaire à l’enquête Emploi, 2005, Dares-Insee, France ; b EnquêteSIP-Santé et itinéraires professionnels Dares-Drees, 200776

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La principale reconnaissance de leur travail provient pour les non-salariés dupublic, des patients ou des clients, alors que les salariés peuvent trouverd’autres formes de reconnaissance. Les non-salariés en dehors des agriculteurssont d’ailleurs particulièrement nombreux à dire que dans leur travail ilsdoivent « cacher leurs émotions ou faire semblant d’être de bonne humeur ».Cela les place vraisemblablement dans une situation de plus grande vulnéra-bilité au risque d’épuisement professionnel ou burnout. Celui-ci, caractérisépar « un épuisement physique, mental, émotionnel et un désintérêt profondpour le contenu de son travail », est d’ailleurs très souvent étudié sur despopulations de médecins et plus généralement chez les actifs en contact avecle public (par exemple Cruz et coll., 2007).

Insécurité et conflits de valeur

La dimension des « conflits de valeurs » regroupe dans l’analyse du Collèged’expertise sur le suivi statistique des facteurs de risques psychosociaux autravail les « conflits éthiques » (faire des choses que l’on désapprouve dans sontravail) et la « qualité empêchée » (ne pas avoir les moyens de faire un travailde qualité). L’indépendance des non-salariés les protège en théorie de ce typede conflits puisqu’ils sont normalement en capacité de prendre les décisionsqui leur conviennent. Mais les limitations à leur autonomie déjà relevées,ainsi que la pression concurrentielle et les exigences de rentabilité les condui-sent assez fréquemment à connaître des formes de conflits éthiques dans leurtravail : 31 % des agriculteurs et 24 % des autres non-salariés disent faire aumoins parfois des choses qu’ils désapprouvent, contre 33 % de l’ensemble desactifs, d’après l’enquête SIP 2007 (Collège d’expertise sur le suivi statistiquedes facteurs de risques psychosociaux au travail, 2009). Ils ne sont pas nonplus épargnés par les problèmes de « qualité empêchée » : si seulement 4 %des non-salariés hors agriculteurs disent n’avoir que parfois ou jamais lesmoyens de faire un travail de qualité, ils sont un tiers à devoir parfois ousouvent sacrifier la qualité aux délais.

La crainte de perdre son emploi est un facteur de risque psychosocial impor-tant et qui a des conséquences démontrées sur la santé et plus particulière-ment la santé mentale (Ferrie et coll., 2005). Le sentiment d’insécurité quantà l’avenir de son emploi semble globalement partagé entre salariés et non-salariés : 15 % des agriculteurs, 27 % des autres non-salariés et 23 % del’ensemble des actifs disent qu’ils travaillent avec la peur de perdre leuremploi. L’effet des restructurations, avéré pour les salariés, n’a pas fait l’objetd’étude pour les indépendants et plus particulièrement les employeurs : lapression temporelle accrue en cas de réduction d’effectifs et le sentiment deculpabilité doivent les concerner tout autant. D’autres formes d’insécuritésont rarement étudiées, qui mériteraient d’être analysées plus précisémentpour les non-salariés : l’incertitude quant au revenu et sa variabilité d’un moisà l’autre peuvent constituer une source importante de stress. En revanche, lesnon-salariés apprécient plus favorablement la « soutenabilité » de leur

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emploi : seule une minorité d’entre eux se sent incapable de faire le mêmetravail jusqu’à la retraite.

Contexte et parcours

Cette revue rapide de l’exposition des non-salariés aux facteurs de risquepsychosociaux au travail est nécessairement simplificatrice : ce groupe est trèshétérogène, au-delà de quelques points communs (absence de subordination-salariale, horaires de travail étendus), les métiers exercés sont très divers et lesconditions de travail d’un agriculteur exploitant et d’un avocat n’ont que peude choses en commun. Rares sont les travaux incluant une analyse fine parsecteur d’activité mais une étude réalisée en Belgique conclut à des contrain-tes très différentes selon le secteur. Auprès d’un échantillon de travailleursindépendants (N=2 128) en Flandres, sur la base de 8 indicateurs de qualitéde vie et de contraintes au travail dans 6 secteurs professionnels différents(Bourdeaud’hui, 2009), il a été établi que la fatigue psychique était particuliè-rement importante dans les secteurs de la construction et de la restauration.Le déséquilibre de la relation vie privée/vie professionnelle concernait surtoutle secteur de la restauration. Au niveau des deux contraintes les plus souventretrouvées, les exigences de travail et la charge émotionnelle, le secteur leplus vulnérable était la construction pour les exigences de travail et lesprofessions libérales pour la charge émotionnelle.

Les professions indépendantes s’exercent souvent en couple et se trans-mettent plus que d’autres : cette dimension familiale et patrimoniale doitaussi être prise en compte pour comprendre leur rapport au travail et leurexpérience du stress. Par exemple, le sentiment d’insécurité d’un des conjointspeut se répercuter sur l’autre (Westman et coll., 2001), ce qui doit vraisembla-blement être encore plus effectif lorsque l’incertitude est partagée par les deuxconjoints qui travaillent ensemble.

De plus, les tensions seront vécues diversement par les indépendants selonleur trajectoire sociale, familiale et professionnelle ainsi que l’évolution de laposition sociale et du prestige de leur groupe social (sentiment de déclasse-ment vécu par les agriculteurs et les artisans). La fragilité des entreprises estplus grande durant leurs premières années et l’incertitude est plus forte pourles indépendants « débutants » que pour les autres. Mais elle n’est pas demême nature pour un indépendant qui reprend l’entreprise familiale et pourcelui qui se met à son compte après avoir exercé une profession en tant quesalarié pendant dix ou vingt ans. L’enquête Santé et Itinéraires professionnelsde 2007 permettra peut-être d’apporter des éléments sur les trajectoires profes-sionnelles des indépendants, leur exposition à des facteurs de risque psychoso-ciaux au travail et leur état de santé. Les premières analyses ont permis dedistinguer un groupe de « parcours stable d’indépendants » dans l’ensembledes trajectoires professionnelles : « Au regard de leurs première et dernière78

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professions, les personnes de cette classe (parcours stables d’indépendants)sont essentiellement des agriculteurs ou artisans-commerçants. Leur parcoursprofessionnel est marqué par une grande stabilité et pas ou peu de ruptures.Leur travail a souvent été physiquement exigeant, avec davantage d’exposi-tion aux produits nocifs. Les personnes de ce groupe, en majorité des hommesplutôt âgés et peu diplômés, déclarent à plus d’un tiers (37 %) une santé« moyenne » ou « mauvaise », mais cette forte prévalence de difficultés desanté apparaît largement liée à leurs caractéristiques sociodémographiques :leur état de santé perçu est en fait proche de la moyenne, à caractéristiquescomparables. En revanche, elles souffrent plus souvent que les autres de gênesmotrices » (Bahu et coll., 2010). Ce premier résultat laisse supposer un état desanté des indépendants relativement comparable à celui des salariés et plutôtmarqué par l’exposition à des contraintes physiques. Mais il s’agit du noyau« traditionnel » d’indépendants. Les parcours plus complexes dans lesquelsune partie de l’activité s’est faite en tant qu’indépendant mériteraient d’êtreanalysés plus finement pour voir si les pénibilités psychosociales y ont uneimportance plus grande.

En conclusion, tout comme les salariés, les indépendants sont confrontésdans leur travail à de multiples facteurs psychosociaux susceptibles de dégra-der leur santé physique ou mentale. Selon les situations concrètes de travail,ils y sont inégalement exposés. Mais leur plus grande liberté d’organisationdans le travail est loin de constituer une protection universellement efficacecontre ces différents risques psychosociaux et leurs conséquences.

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Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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5État de santédes travailleurs indépendantsselon le secteur professionnel

Les inégalités sociales ou professionnelles devant la mort ou la maladie sontune préoccupation qui émerge dès la fin du XVIIIe siècle dans la littératureéconomique et démographique (Vedrenne-Villeneuve, 1961). À cette épo-que, les premières données de mortalité montrent l’existence de risques diffé-renciés selon la classe sociale, la richesse ou la profession. Dans un ouvrage de1778, Moheau donne l’exemple du calcul de l’espérance de vie des moinescomparée à l’espérance de vie moyenne, mettant en évidence une plus grandelongévité chez les premiers et soulignant l’importance de l’étude de la viemoyenne à « l’intérieur des métiers » (Moheau cité par Vedrenne-Villeneuve,1961). Plus tard, le statisticien Villermé dresse un tableau très précis de lamortalité de chaque groupe de profession, constatant que les maladies sem-blent plus souvent mortelles chez les pauvres que chez les gens aisés (Villermécité par Vedrenne-Villeneuve, 1961). Les études les plus récentes confirmentla persistance de ces inégalités. Un des résultats très marquants ces dernièresannées est le constat répété d’un écart important d’espérance de vie à l’âge de35 ans chez les hommes entre les ouvriers et les cadres (Monteil et Robert-Bobée, 2005). Ces inégalités entre professions ne se limitent pas à la mortalité :les ouvriers et les ouvrières, au sein d’une vie plus courte, passent égalementplus de temps que la moyenne en incapacité, constituant ainsi ce que Camboisappelle « la double peine » des ouvriers (Cambois et coll., 2008).

Parallèlement, les évolutions du travail au cours du XIXe, et en particulier ledéveloppement de l’industrie, ont conduit à porter une attention croissante àla santé des travailleurs : les accidents du travail, les catastrophes minièressont devenues inacceptables et au début du XXe siècle sont apparus lespremiers médecins d’usine. La notion de maladie professionnelle est apparueen 1919 dans le code de sécurité sociale et la liste des maladies indemnisabless’est progressivement complétée au fil des années (INRS, 2009). La médecinedu travail pour les salariés a été créée par la loi du 11 octobre 1946.

Les travailleurs indépendants constituent une catégorie particulière de tra-vailleurs, non seulement en raison de leur statut, mais également par la

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diversité des métiers et des situations sociales qui les caractérisent. Les obser-vations réalisées sur la santé des salariés peuvent-elles s’appliquer aux indé-pendants ? Que sait-on de la mortalité et de la morbidité selon le secteurprofessionnel ou le métier ? Ce chapitre fait le point sur les connaissances enmatière d’état de santé des travailleurs indépendants. Différents indicateursdirects ou indirects de santé sont explorés : mortalité, santé perçue, maladieschroniques, accidents du travail, arrêts de travail, facteurs de risque. Lapremière partie du chapitre est consacrée à l’état de santé de cette population,indépendamment des problèmes de santé liés au travail. Une deuxième partietente ensuite d’approcher les maladies et les risques professionnels spécifiquesdes indépendants.

État de santé des indépendants

MortalitéLa recherche de données sur la mortalité des indépendants se heurte auxregroupements imposés par les nomenclatures socioprofessionnelles utiliséesen France. Cependant, deux catégories regroupent très probablement majori-tairement des indépendants : les agriculteurs et les artisans, commerçants,chefs d’entreprise. Leurs espérances de vie à 35 ans sont, pour les hommes,légèrement supérieures à la moyenne de la population française. Sur lapériode 1982-1996, à 35 ans, les hommes agriculteurs exploitants ont uneespérance de vie de 43 ans, les chefs d’entreprise de 43,5 ans, les artisans de41,5 ans et les commerçants de 41 ans, pour une moyenne nationale de40 ans. Les écarts entre catégories sociales sont plus réduits chez les femmesmais les espérances de vie des femmes indépendantes se situent également trèslégèrement au dessus de la moyenne : 47,5 ans pour les agricultrices exploi-tantes, 48,5 ans pour les artisanes et 49 ans pour les commerçantes versus47,5 ans en moyenne (Mesrine, 1999). L’espérance de vie à 35 ans a encoreaugmenté sur la période la plus récente (1999-2003). Elle atteint désormais44,4 ans pour les hommes indépendants (42,8 ans pour l’ensemble des hom-mes), dont 68 % sans problème fonctionnel physique ou sensoriel et 50,1 anspour les femmes indépendantes (48,8 ans pour l’ensemble des femmes) dont63 % sans problème fonctionnel (Cambois et coll., 2008).La sous-mortalité des indépendants est encore plus frappante quand on exa-mine les risques annuels de décès (Robert-Bobée et Monteil, 2006). Ainsi, surla période 1991-1999, par rapport aux ouvriers, le risque relatif de décès est de0,62 pour les hommes et de 0,76 pour les femmes artisans, commerçants ouchefs d’entreprise. Comme pour les indicateurs d’espérance de vie, les catégo-ries socioprofessionnelles les plus favorisées restent les cadres (figure 5.1). Laprogression professionnelle est également un facteur déterminant de longé-vité : une ascension sociale est assortie d’une diminution du risque annuel dedécès et inversement (Cambois, 2004).84

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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Devant ce tableau globalement favorable, des études plus pointues mettent enévidence une plus grande fréquence de certaines causes de mortalité. Sur unéchantillon de travailleurs en Caroline du Nord, le taux de décès par accidentou homicide est plus élevé pour les travailleurs indépendants (7/100 000 paran) que pour les employés du secteur privé (4,4/100 000 par an) ou lesemployés du gouvernement (1,9/100 000 par an). Chez les indépendants,certains secteurs professionnels sont particulièrement touchés, l’agriculture,le commerce de détail et les transports (Mirabelli et coll., 2003).

Figure 5.1 : Risques relatifs de décès des femmes et des hommes, pour la période1991-1999 (d’après Robert-Bobée et Monteil, 2006)Professions inter. : Professions intermédiaires ; Prof. intell. sup. : Professions intellectuellessupérieures ; Artis. : Artisans ; Com. : Commerçants ; Chefs d’entr. : Chefs d’entreprise

État de santé

La mesure de l’état de santé d’une population utilise des indicateurs très variésqui se classent globalement en trois catégories : les indicateurs subjectifs,comme la santé perçue ; les indicateurs médicaux, objectivant l’existence depathologies ou d’écart à une norme physiologique ou biologique ; les indica-teurs fonctionnels, mesurant des restrictions d’activité ou des incapacitésfonctionnelles (Blaxter, 1989).

Les enquêtes sur la santé par interview fournissent des indicateurs de santéappartenant à chacune de ces catégories, en particulier grâce à une série de3 questions baptisée « mini module européen ». Ce module comprend unequestion sur la santé perçue, une question sur l’existence de maladies chro-niques et une question sur les limitations dans les activités depuis au moins6 mois. Nous avons exploité pour ce chapitre les données de l’enquête Santé

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État de santé des travailleurs indépendants selon le secteur professionnel

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et Protection Sociale de l’Irdes (2008) et comparé les réponses des indépen-dants, identifiés ici par leur affiliation au RSI (Régime social des indépen-dants), à celles des ressortissants de la MSA (Mutualité sociale agricole) et desautres régimes d’indépendants, en prenant comme référence les salariés durégime général.

Pour chacun des indicateurs, les indépendants se déclarent en meilleure santéque les personnes appartenant aux autres régimes de sécurité sociale, et ce,quel que soit l’indicateur de santé utilisé (tableau 5.I).

Tableau 5.I : Pourcentages de personnes en bonne santé par indicateur d’étatde santé et selon le régime de sécurité sociale (d’après l’Enquête sur la santéet la protection sociale 2008, Irdes)

Régimegénéral

MSA RSI Autresrégimes

% sur données pondérées Effectifs

% de personnes en bonne ou très bonne santé 77,30 77,80 80,90 80,10 7 864

% de personnes sans limitations fonctionnelles 83,96 84,80 87,15 87,55 7 754

% de personnes sans maladie chronique 75,34 77,50 79,12 81,47 7 426

% de personnes sans Affection de longue durée 87,48 88,70 92,20 88,56 11 104MSA : Mutualité sociale agricole ; RSI : Régime social des indépendants

Ces écarts persistent à âge et sexe comparables (modèle 1, tableau 5.II). Lesressortissants du RSI ont ainsi une meilleure santé perçue (OR=0,719), moinsde limitations fonctionnelles (OR=0,671), moins de maladies chroniques(OR=0,743). Ils sont également nettement moins exonérés du ticket modéra-teur pour affection de longue durée (ALD).

En revanche, les ajustements sur les variables sociales que sont le revenu, leniveau d’éducation, le statut de l’emploi (actif, chômeur, femme au foyer,inactif), le type de ménage (seul, seul avec enfant, couple, couple avecenfant) et la profession (manuel/non manuel), réduisent la significativité desécarts entre les professions indépendantes et les autres (modèle 2, tableau5.II). Seule persiste avec une significativité au seuil de 5 % la plus faiblefréquence des ALD chez les indépendants, tous les autres résultats restanttoutefois significatifs au seuil de 10 %. Ce résultat signifie donc que l’âge, lesexe et la situation sociale expliquent en grande partie les différences entre lesindépendants et les salariés, mais on ne peut toutefois pas exclure complète-ment un effet de sélection à l’entrée ou des conséquences positives du faitd’être indépendant sur l’état de santé.

Des résultats apparemment contradictoires ont été publiés récemment (Sauzeet coll., 2011) sur les taux d’admissions en ALD en 2008. Cette comparaisonentre le Régime général et le Régime social des indépendants met en évidenceun taux global d’admissions en ALD, toutes pathologies confondues, nette-ment plus élevé chez les indépendants (indice standardisé par âge et sexe :86

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1,09). Les écarts les plus importants sont observés pour les maladies cardio-vasculaires (1,28), la maladie d’Alzheimer, les démences et la maladie deParkinson (1,12), l’hypertension artérielle sévère (1,11) et le diabète (1,03).Les différences ne sont pas significatives pour le cancer et les déclarationsd’affections psychiatriques sont moins fréquentes chez les indépendants (0,81).

L’exonération du ticket modérateur pour affection de longue durée (ALD)reflète à la fois un état de santé, par la reconnaissance de l’existence d’unemaladie chronique et grave, mais aussi les pratiques des médecins traitants,des médecins de chacun des régimes de sécurité sociale et l’utilisation dudispositif par la population.

Tableau 5.II : État de santé selon le régime de sécurité sociale (population âgéede 20 à 64 ans) en prenant comme référence les salariés du régime général(d’après l’Enquête sur la santé et la protection sociale 2008, Irdes)

Indicateurs de santé Modèle 1Régression logistique avec

ajustement sur l’âge et le sexe

Modèle 2Régression logistique avec

ajustement sur l’âge, le sexeet les variables socialesa

Odds-Ratio [intervalle de confiance à 95 %]

Santé perçue dégradée

Mutualité sociale agricole 0,880 [0,697-1,11] 0,805 [0,628-1,031]

Régime social des indépendants 0,719 [0,564-0,918] 0,801 [0,621-1,032]

Autre ou inconnu 0,953 [0,69-1,317] 1,075 [0,764-1,514]

Limitations fonctionnelles

Mutualité sociale agricole 0,846 [0,648-1,106] 0,865 [0,651-1,149]

Régime social des indépendants 0,671 [0,505-0,892] 0,765 [0,568-1,031]

Autre ou inconnu 0,804 [0,546-1,185] 0,835 [0,552-1,264]

Maladie chronique

Mutualité sociale agricole 0,804 [0,635-1,018] 0,948 [0,742-1,212]

Régime social des indépendants 0,743 [0,587-0,942] 0,798 [0,627-1,017]

Autre ou inconnu 0,734 [0,521-1,034] 0,731 [0,515-1,036]

Exonération pour ALDb

Mutualité sociale agricole 0,763 [0,592-0,985] 0,814 [0,618-1,072]

Régime social des indépendants 0,506 [0,385-0,664] 0,614 [0,460-0,821]

Autre ou inconnu 0,926 [0,662-1,294] 0,895 [0,619-1,295]

En gras, les valeurs statistiquement significatives. a Variables sociales : revenu, statut d’emploi, niveau d’éducation,type de ménage, profession ; b ALD : affection de longue durée

Les écarts entre les indépendants et les autres régimes sont-ils le reflet dedifférences d’état de santé, de différences d’utilisation ou d’une plus ou moinsgrande générosité du système ? L’étude de l’Irdes et l’étude de Sauze et coll.(2011) se différencient par le fait que la première compare des nombres de

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État de santé des travailleurs indépendants selon le secteur professionnel

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personnes bénéficiant un jour donné d’une exonération pour ALD (autre-ment dit un stock) tandis que la deuxième compare des nouvelles admissionssurvenues une année donnée (et donc des flux). Les écarts favorables auxindépendants observés dans la première peuvent être la résultante de compor-tements passés, parfois anciens puisque dans la plupart des cas, l’ALD estaccordée à vie, tandis que les écarts défavorables observés sur les nouvellesadmissions seraient le reflet de la situation actuelle.

Chez les indépendants, le système des ALD permet de mettre en évidencecertains secteurs où la prévalence de ces affections diffère de façon significa-tive par rapport à l’ensemble très hétérogène des indépendants. Ainsi, au seinde la population masculine du RSI, la prévalence des ALD est plus élevéedans le secteur des transports (SPR15=1,44), de l’alimentation et de la restau-ration (SPR=1,35) et de la construction (SPR=1,09). Elle est nettement endessous de la moyenne pour les professions libérales (SPR=0,68) et les autresartisans et commerçants (SPR=0,98). Des prévalences très similaires sontretrouvées chez les femmes, avec un écart plus faible entre les extrêmes(Brechon et coll., 2005).

Les différences de consommation de psychotropes selon le secteur d’activitéconfirment l’hétérogénéité des problèmes de santé de la population des tra-vailleurs indépendants. Le travail dans le secteur des éventaires et marchés etdans le secteur hôtel-restaurant est ainsi associé à une consommation accruede tous les psychotropes. Les commerçants ambulants sont par ailleurs plusconsommateurs de médicaments de la dépendance aux opiacés, alors que leshôteliers et restaurateurs ont une consommation accrue de médicaments de ladépendance à l’alcool. Travailler dans le secteur du commerce de détail del’habillement, dans le secteur comptable, juridique et financier, de même quedans le secteur informatique et ingénierie est associé positivement à laconsommation d’anxiolytiques et d’antidépresseurs, tandis qu’à l’inverse, lestravailleurs du secteur pharmaciens santé et action sociale consommentmoins d’anxiolytiques (Ha-Vinh et coll., 2011).

Le score de qualité de vie du profil de Duke16 confirme les tendances observéesplus haut sur l’état de santé. Après ajustement sur l’âge, le sexe et la catégoriesocioprofessionnelle, il n’y a pas de différence significative entre les indépen-dants d’une part, les travailleurs en CDI, les fonctionnaires et les personnes destatut précaire d’autre part, que ce soit au niveau du score de santé général, desanté mentale ou de santé physique (Ménard et Léon, 2007).

Finalement, par rapport aux salariés, les indépendants sont plus nombreux àconsidérer que leur travail a des effets positifs sur la santé et inversementmoins nombreux à déclarer un effet négatif. Plus précisément, les travailleurs

15. Standardized Prevalence Ratio16. Profil de santé de Duke : échelle de perception de la qualité de vie qui prend en comptedifférentes dimensions, dont les principales sont la santé physique, la santé mentale ainsi queles relations sociales.88

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

Page 104: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

indépendants ont 1,25 fois plus de chances de déclarer que leur travail est bonpour leur santé physique et mentale que les salariés. Cet effet s’atténue unefois prises en compte les caractéristiques du travail, telles que la latitudedécisionnelle, la pression au travail et le niveau de compétence nécessaire(Ettner et Grzywacz, 2001).

Focus sur l’état de santé de certaines professions

La caractérisation de l’état de santé des indépendants dépend plus de laprofession que du statut d’indépendant en tant que tel. La population affiliéeau régime des indépendants est de fait très hétérogène, associant trois grandescatégories : les artisans, les commerçants et les professions libérales.

Les données administratives issues des prestations d’invalidité RSI permettentd’identifier quelques spécificités distinguant les professions d’artisans de cellesde commerçants. Ainsi, les maladies du système ostéoarticulaire sont relative-ment plus fréquentes chez les artisans où elles représentent 33 % des causesmédicales d’invalidité contre 25 % chez les commerçants. De même, lestraumatismes constituent une part nettement plus importante des prestations,respectivement 11 % contre 7 %. En revanche, les troubles psychiatriquessont relativement plus fréquents chez les commerçants, représentant 15 % descauses d’invalidité contre 10 % chez les artisans (Régime Social des Indépen-dants, 2008).

Les enquêtes européennes sur les conditions de travail permettent d’affiner lesconnaissances sur les problèmes de santé des indépendants. Dans ces enquê-tes, les travailleurs indépendants ont été séparés en deux groupes : lesemployeurs de petites entreprises (moins de 9 salariés) et les entrepreneursisolés (aucun salarié), ces derniers étant ensuite catégorisés selon leur travail àtemps plein ou à temps partiel. Les employeurs de petites entreprises déclarentdavantage de stress et de fatigue que les salariés à temps plein. Les entrepre-neurs isolés travaillant à temps plein déclarent également plus de stress et defatigue, mais aussi plus de douleurs de dos et de douleurs musculaires. Enrevanche, les entrepreneurs isolés qui travaillent à temps partiel sont moinssouvent stressés. Tous les indépendants ont en commun des taux d’absen-téisme plus faibles que les salariés à temps plein (Benavides et coll., 2000).

D’une manière générale, les travailleurs manuels sont plus exposés aux pro-blèmes physiques et les travailleurs non manuels aux problèmes psychiques(tableau 5.III). Les agriculteurs et les autres travailleurs du secteur primaireeuropéens font exception en cumulant les deux sortes de difficultés soufrantplus fréquemment que la moyenne de problèmes physiques : 60 % souffrent demal de dos (moyenne européenne des travailleurs indépendants tous secteurs,EU=33 %), 39 % de douleurs musculaires (EU=20 %) et 35 % de fatiguegénérale (EU=23 %), et tout aussi souvent de problèmes psychologiques :maux de tête 18,5 % (EU=12 %) et stress, 34,5 % (EU=33 %). Les tra-vailleurs des hôtels et restaurants sont les plus exposés au stress (48 %), suivis

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des travailleurs des services (35 %). Globalement, stress mis à part, les tra-vailleurs du secteur des services sont les moins exposés aux problèmes de santéde quelque nature que ce soit (Letourneux, 1997).

Tableau 5.III : Fréquence des problèmes de santé chez les travailleurs indépen-dants en Europe en 1996 (d’après Letourneux, 1997)

Secteurprimaire

(dontagriculteurs)

(%)

Artisans(%)

Hôtelset

restaurants(%)

Commerce(%)

Services(%)

Moyenneeuropéenne

toussecteurs

(%)

« Le travail affecte ma santé » 73,5 62 63 56 58 60,5

« Ma santé ou ma sécurité est menacéepar mon travail »

52 34 27,5 26 2 30

Mal au dos 60,5 37 31 26 25 33

Fatigue générale 35 18,5 34 26 18 23

Douleur musculaire dans les bras et les jambes 39 23 22 14,5 14 20

Maux de tête 18,5 10 15 9 12,5 12

Stress 34,5 31 48 30,5 35 33

Problèmes de santé chroniques ou permanents 34 16 13 21 13 17

Plusieurs études attestent de l’existence de stress, ou de la perception d’unstress plus élevé chez les indépendants (Lewin-Epstein et Yuchtman-Yaar,1991 ; Jamal, 1997 ; Piotet et Lattès, 1998 ; Dolinsky et Caputo, 2003). Dès1991, sur un échantillon d’hommes de 25-65 ans, Lewin-Epstein etYuchtman-Yaar (1991) montrent que, à caractéristiques démographiquescomparables, le fait d’être travailleur indépendant augmente la perception dustress au travail. Toutefois, le stress perçu diminue dans un environnementplus favorable à la fois physiquement et socialement. L’association de ce stresset de problèmes psychosomatiques est également évoquée (Jamal, 1997),prenant la forme de perte d’appétit, d’incapacité à se relaxer ou de nervosité(Jamal et Badawi, 1995). Les avocats semblent soumis à un stress profession-nel important et ils sont une population particulièrement à risque de dévelop-per une souffrance psychologique (Rouillon et coll., 2003 ; Tsai et coll.,2009). Au-delà du stress, Jamal (2007) relève que les indépendants souffrentplus souvent de burnout pour 2 des 3 composantes de ce syndrome (voir lechapitre sur l’épuisement professionnel) : l’épuisement émotionnel et la dimi-nution du sentiment de réalisation de soi.

Les professions médicales ou paramédicales, médecins, infirmières, dentistesont fait l’objet de nombreuses publications. En France, une étude récentepermet de comparer les réponses des médecins généralistes aux trois indica-teurs du mini module européen à celles de l’ensemble des actifs de la popula-tion française. D’après ses auteurs, les médecins généralistes hommes se per-çoivent en meilleure santé que les hommes actifs de même âge, ils sont moins90

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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nombreux à déclarer souffrir de maladies chroniques et sont moins limitésdans leurs activités (Desprès et coll., 2010). Les femmes médecins généralistesne se différencient pas de l’ensemble des femmes actives en termes de santéperçue, mais à l’instar des hommes, elles se déclarent moins souvent atteintesde maladies chroniques et de limitations fonctionnelles.

La plupart des études sur les professions médicales sont toutefois centrées surles professions concernées et ne permettent pas de comparaisons avec d’autresprofessions. Une revue de littérature des problèmes de santé des médecinssuggère que la santé physique des médecins est similaire à celle de la popula-tion générale, même si les femmes médecins semblent en meilleure santé. Enrevanche, les problèmes de santé mentale de même que le suicide semblentplus fréquents (Tyssen, 2007). Il semble généralement admis d’ailleurs que lesprofessions médicales ou infirmières sont fortement génératrices de stress et lerisque de burnout est très souvent évoqué dans la littérature en particulier pourles soignants travaillant dans des services d’urgences, de soins intensifs ouconfrontés avec des maladies graves (Felton, 1998 ; Embriaco et coll., 2007 ;Véga, 2007 ; Kay et Lowe, 2008). L’étude française citée plus haut fait étatégalement de la grande fréquence des troubles du sommeil, de la fatigue et dustress, même chez les médecins généralistes se percevant en bonne santé(figure 5.2). Toutefois, ils sont moins nombreux à se déclarer en situation dedétresse psychologique, estimé par le questionnaire MH5 (Mental Health 5) etont un recours aux psychotropes proche de celui de la population active(Desprès et coll., 2010).

Figure 5.2 : Symptômes ressentis par les médecins généralistes en France selon leur étatde santé déclaré (d’après Drees, URML, Fnors, panel d’observation des pratiques et desconditions d’exercice en médecine générale ; Desprès et coll., 2010)Lecture : Parmi les médecins se percevant en mauvaise santé, 57 % déclarent êtrefatigués de manière répétée, 37 % être stressés et 68 % avoir des troubles du sommeil.

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Facteurs de risque

Les données du Baromètre santé en France montrent une plus grande fré-quence du tabagisme, de la consommation d’alcool et de la consommation decannabis chez les indépendants. Pour cette population d’actifs à leur compte,le risque de consommation d’alcool est multiplié par 1,5, le tabagisme régulierpar 1,2 et la consommation actuelle de cannabis par 1,5 (Ménard et Léon,2007). Sur des données israéliennes, les facteurs de risque cardiovasculaireque sont le tabagisme et le HDL-cholestérol sont également augmentés(Lewin-Epstein et Yuchtman-Yaar, 1991). En revanche, un risque accru decardiopathie ischémique n’est pas retrouvé sur une population d’indépendantsde Taiwan (Chen et coll., 2007).

Absences pour raison de santé

Les arrêts de travail pour maladie ne sont pas un reflet exact de l’état de santé.Ils révèlent la pénibilité physique du travail, la survenue d’un accident oud’un traumatisme, une maladie aiguë, mais certaines maladies chroniques,même graves, ne donnent pas forcément lieu à arrêt de travail une fois qu’ellessont stabilisées. Par ailleurs, même en cas d’arrêt de travail justifié, la craintede perdre son emploi, la pression financière ou celle de la clientèle, peutdissuader le travailleur indépendant de déclarer un arrêt de travail. Tous ceséléments peuvent en partie expliquer que l’incidence des arrêts de travail soitplus faible chez les indépendants que chez les salariés, en moyenne 8,2 % enFrance pour les indépendants contre 20 % pour les salariés. L’incidence desarrêts de travail est toutefois plus élevée chez les artisans (9,7 %) que chez lescommerçants (7 %), atteignant des taux particulièrement élevés dans certainssecteurs, comme la production et distribution d’électricité de gaz et d’eau(13 %) et la construction (11,6 %) (Lewin-Epstein et Yuchtman-Yaar, 1991 ;Kusnik-Joinville et coll., 2006 ; Ha-Vinh et coll., 2009).

En moyenne en Europe, 23 % des travailleurs déclarent s’être absentés dutravail pour raisons de santé au cours des douze derniers mois, avec un nombremoyen de jours d’absence de 20,2 jours pour les travailleurs ayant pris aumoins un jour de congé. Les travailleurs indépendants sont moins nombreux às’absenter que les salariés (12,4 %) mais pour des durées aussi longues,21,2 jours en moyenne (Parent-Thirion et coll., 2007).

Pathologies et risques professionnels

Les pathologies d’origine professionnelle reconnues et indemnisabless’articulent en cinq grands groupes : les troubles musculosquelettiques et enparticulier les affections du rachis et les affections du membre supérieur, lesaffections cutanées représentées par les dermites de contact allergiques et92

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irritatives, les affections de l’appareil respiratoire et en particulier l’asthmeprofessionnel, les cancers professionnels et la surdité. Les risques auxquelssont exposés les travailleurs sont de trois types : l’exposition à des risquesphysiques tels que les contraintes posturales, la manutention, les gestes répé-titifs ou le bruit ; l’exposition à des substances chimiques et biologiques ;l’exposition à des conditions pénibles de travail telles que des contraintesorganisationnelles, l’intensification du travail, le manque d’autonomie ou desoutien social. Parmi la population des salariés, certaines professions sontparticulièrement touchées par ces risques professionnels. La liste des profes-sions concernées est particulièrement longue, mais il faut souligner la fré-quence des risques pour les ouvriers du bâtiment, de l’alimentaire, de l’indus-trie métallurgique et chimique, du textile et de la confection, de lamanutention et des transports. Sont également concernés les professionsintermédiaires administratives et commerciales, de la santé et du travailsocial, les employés de commerce, les personnels de services aux particuliers(Develay, 2007).Les problèmes de santé au travail constituent cependant un ensemble pluslarge que celui des seules maladies professionnelles indemnisables. En par-ticulier, l’émergence des risques psychosociaux au travail préoccupe de plus enplus. Cinq facteurs principaux pourraient être à l’origine de ces risques psy-chosociaux : les nouvelles formes de contrat de travail et l’insécurité dutravail, le vieillissement de la population des travailleurs, l’intensification dutravail, une forte demande psychologique et un mauvais équilibre entre tra-vail et vie privée (Brun et Milczarek, 2007).Le Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies profession-nelles publie régulièrement des données sur l’ensemble des consultationsréalisées par les Centres de consultation des pathologies professionnelles.Ainsi, parmi les patients adressés pour diagnostic en 2007, 27 % présententdes troubles mentaux ou du comportement et trois sur cinq ont des réactions àun facteur de stress sévère. Le secteur des services est le plus concerné par lestroubles mentaux et du comportement, alors que le secteur industriel l’est peu.Un tiers de ces maladies répondent aux critères actuels des maladies profes-sionnelles indemnisables (Réseau national de vigilance et de prévention despathologies professionnelles, 2009).L’absence de système de reconnaissance des maladies professionnelles et desaccidents du travail chez les indépendants explique le manque de donnéesspécifiques pour cette population. Les quelques études qui ont été réalisées,soit sur certaines professions, soit sur quelques caisses régionales du RSIsemblent toutefois montrer que les problèmes de santé pourraient être simi-laires à ceux rencontrés chez les salariés des mêmes professions.On retrouve ainsi des éléments déjà connus pour :• les professions du bâtiment et des travaux publics, avec une surconsomma-tion médicamenteuse en analgésiques et en anti-inflammatoires probable-ment en lien avec des troubles musculosquelettiques. À noter également une

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forte consommation de cicatrisants et d’antiseptiques chez les maçons,concordant avec les affections cutanées d’origine professionnelle déclarées parles salariés ;• les menuisiers avec les mêmes surconsommations d’analgésiques, d’anti-inflammatoires et de cicatrisants, concordant avec les affections profession-nelles observées chez les salariés (Develay, 2007) ;• l’analyse de la fréquence des affections de longue durée dans les données duRSI met en évidence une forte prévalence d’insuffisances respiratoires chro-niques chez les prothésistes dentaires (SPR=2,57) ainsi que les boulangerspâtissiers (SPR=2,52) (Brechon et coll., 2005) ;• une étude sur les risques propres aux artisans coiffeurs souligne des risquesprofessionnels spécifiques et des maladies qui remplissent les conditions destableaux des maladies professionnelles applicables aux salariés. Les atteintesostéoarticulaires sont particulièrement fréquentes de même que les problèmesrespiratoires et cutanés. Bien que l’échantillon ne soit pas représentatif, prèsde la moitié des 42 artisans coiffeurs examinés présentent au moins unemaladie remplissant les conditions requises pour la reconnaissance en tantque maladie professionnelle (Paumier et Filipetti, 2010).

L’étude de Bréchon et coll. (2005) déjà citée, analyse la fréquence des ALDchez les indépendants. Elle met en évidence, pour certaines professions, despathologies dont l’origine professionnelle est possible, sans toutefois êtredémontrée ou reconnue à ce jour :• fortes prévalences de diabète chez les boulangers-pâtissiers (SPR=2,01), lescommerçants alimentaires (SPR=1,86), les restaurateurs et traiteurs(SPR=1,71), les barmen et les débitants de tabac (SPR=1,72) et les chauffeursde taxi et ambulanciers (SPR=1,87) ;• maladies cardiovasculaires chez les boulangers et pâtissiers (SPR=1,46) etles taxis-ambulanciers (SPR=1,40) ;• troubles mentaux plus fréquents chez les teinturiers (SPR=2), les cordon-niers (SPR=2,45) et les ébénistes et fabricants de meubles (SPR=1,79) ;• insuffisances respiratoires chez les barmen et débitants de tabac(SPR=1,47), les taxis et ambulanciers (SPR=1,51) ou les cordonniers(SPR=1,58) ;• maladies graves du foie chez les barmen et débitants de tabac (SPR=1,96),les cordonniers (SPR=2,37) et les restaurateurs et traiteurs (SPR=1,87) (Bre-chon et coll., 2005).

Cette revue des problèmes de santé et des maladies liés à l’activité profession-nelle chez les indépendants ne doit pas occulter le fait que cette populationest soumise, comme les salariés, aux risques d’accident du travail. Il n’existetoutefois que très peu de données spécifiques aux indépendants.

Deux enquêtes menées en Haute-Normandie ont montré que les professionsles plus touchées par les accidents du travail sont les charpentiers, les cou-vreurs, les menuisiers et les maçons. Les chutes de hauteur ou de plain-pied94

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sont de loin les circonstances les plus fréquentes, avec les objets en mouve-ment, la manipulation d’objets et les véhicules (Develay, 2007).

En conclusion, la plupart des indicateurs de santé semblent mettre en évi-dence une meilleure santé des indépendants : l’espérance de vie à l’âge de35 ans est au-dessus de la moyenne de celle de la population française, ils sontplus nombreux à se percevoir en bonne santé. Cette situation plus favorablene fait que refléter l’hétérogénéité des situations sociales de cette population.À âge, sexe et situation sociale comparables, indépendants et salariés ont uneperception équivalente de leur état de santé, de leurs maladies chroniques etde leur incapacité.

L’analyse par pathologie révèle des différences, essentiellement en termes defréquence. Il n’y a pas de maladie spécifique des indépendants. Le stressprofessionnel, cependant, est très souvent évoqué et paraît particulièrementtoucher les indépendants. En revanche, les exonérations pour ALD et lesarrêts de travail sont moins nombreux que pour les salariés.

Il existe d’importantes lacunes dans les données. L’absence de système dereconnaissance des maladies professionnelles chez les indépendants s’associe àune absence de système d’information permettant de mesurer l’ampleur duproblème. La connaissance sur les accidents du travail est également trèsparcellaire. Il est probable cependant que les risques professionnels auxquelssont soumis les indépendants soient les mêmes que ceux des salariés. Ce quidifférencie les uns des autres est essentiellement lié à une répartition diffé-rente des professions dans chacun des deux groupes.

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6Conséquencessur la santé mentale

Les problèmes de santé mentale en lien avec le travail prennent une impor-tance qui semble actuellement grandissante dans notre société. Parmi lespopulations salariées, de nombreux médecins du travail rapportent une fré-quence de plus en plus élevée de problèmes de santé mentale au travail. Il estprobable que les professions indépendantes n’échappent pas à cette situation.Parallèlement à cette prise de conscience sur le terrain, la littérature épidé-miologique dans ce domaine, véritablement initiée depuis la fin des années1970, s’est depuis considérablement enrichie pour aboutir aujourd’hui à unnombre très important d’études permettant d’engranger certaines connais-sances solides.

Ce chapitre, après une rapide mise au point sur la définition des conceptsabordés, présentera une synthèse des résultats épidémiologiques sur les liensentre les expositions psychosociales au travail et des indicateurs de santémentale (symptômes, pathologies mentales, problèmes d’alcool, troubles dusommeil et suicide). La dernière partie du chapitre abordera la situation chezles indépendants, malgré la rareté des données épidémiologiques. Par ailleurs,les mécanismes physiopathologiques ne seront pas abordés ici ; ils font l’objetd’un chapitre dédié.

Définitions des concepts utilisés

La notion de santé mentale est très vaste. L’Organisation mondiale de la santé(OMS) considère que « posséder une bonne santé mentale, c’est parvenir àétablir un équilibre entre tous les aspects de sa vie : physique, psychologique,spirituel, social et économique ». En épidémiologie, l’atteinte de la santémentale fait référence à une altération de l’état de santé dont le degréd’intensité varie depuis la présence de divers symptômes relatifs à la sphèrementale jusqu’à l’existence de pathologies psychiatriques avérées. Dans lechamp qui nous occupe ici (santé mentale et activité professionnelle), lessyndromes dépressifs sont de très loin les plus étudiés.

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Outils de mesure de la santé mentale en épidémiologie

Le recueil de données distingue classiquement deux types d’outils, les listes desymptômes et les outils d’entretien dits « diagnostic » (Kovess, 1996). Lespremiers sont les plus utilisés ; le recours aux outils « diagnostics », pluscontraignant de par sa longueur et la nécessité de l’intervention d’un tiers, estplus récent et moins répandu. Les listes de symptômes sont généralementproposées en autoquestionnaire. Elles ne permettent pas de porter un diagnos-tic et recensent généralement des symptômes physiques et psychiques décritsdans l’anxiété et la dépression. Le General Health Questionnaire (GHQ)(Goldberg et Hillier, 1979) et le Center for Epidemiologic Studies Depression Scale(CES-D) (Fuhrer et Rouillon, 1989) sont les questionnaires les plus utilisésdans la littérature épidémiologique. Les outils diagnostics sont des instru-ments administrés par un tiers permettant une interview « en profondeur »,destinés à couvrir toutes les pathologies psychiatriques et à fournir des diag-nostics. Le Composite Interview Diagnostic Schedule (CIDI) (Kessler et Ustun,2004) et le Mini International Neuropsychiatric Interview (MINI) (Sheehan etcoll., 1998) en sont les deux principaux représentants en épidémiologie.Enfin, plus récemment, les études s’appuient aussi sur des diagnostics cliniquesétablis dans le cadre d’hospitalisations ou de consultations spécialisées.

On notera qu’il existe également des échelles passant en revue un ensemblede symptômes de stress perçu tels que des manifestations cardiovasculaires(tachycardie, sueurs...), digestives (coliques, maux d’estomac...), émotion-nelles (nervosité, hypersensibilité, angoisse...) ou comportementales (troublesalimentaires, conduites addictives...). La présentation de ces échelles estabordée dans le chapitre sur les facteurs de stress et les mécanismes psycholo-giques.

Outils de mesure des expositions professionnelles

Pour ce qui est des expositions professionnelles, le terme de stress, tantôtemployé pour désigner un facteur d’exposition ou un effet sur la santé ne serapas utilisé pour caractériser les expositions. On préfèrera le terme d’exposi-tions psychosociales au travail, exposition aux facteurs de risque psychoso-ciaux au travail.

Les études épidémiologiques en santé mentale analysées dans ce chapitres’appuient très majoritairement, comme c’est le cas pour les autres champs demorbidité, sur deux modèles d’exposition aux facteurs psychosociaux au tra-vail, les modèles de Karasek (déséquilibre demande psychologique/latitudedécisionnelle) et de Siegrist (déséquilibre effort/récompense). Les travauxintégrant d’autres concepts plus récents, tels que la justice organisationnelleou l’insécurité d’emploi, seront également abordés. L’ensemble de ces conceptsest présenté de manière détaillée dans le chapitre sur les modèles et conceptspour l’évaluation des facteurs psychosociaux au travail en épidémiologie.100

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Expositions psychosociales au travailet troubles dépressifs et anxio-dépressifs

La littérature épidémiologique dispose aujourd’hui d’un important corpusd’études, méthodologiquement rigoureuses, permettant de considérer qu’ilexiste des liens entre des expositions professionnelles psychosociales et unealtération de la santé mentale, principalement au travers d’une symptomato-logie dépressive. De plus, la plupart des auteurs s’accordent sur la naturecausale de ces liens, bien qu’il persiste encore quelques réticences.

Données épidémiologiques

En 2008, trois revues de la littérature épidémiologique sont parues dans cechamp (Bonde, 2008 ; Netterstrom et coll., 2008 ; Siegrist, 2008). Ces revues,basées exclusivement sur des études longitudinales de bonne qualité (entre 12et 14 selon les auteurs), concluent toutes les trois au rôle prédictif, toutefoismodéré, de certaines expositions psychosociales au travail, sur la survenue desyndromes dépressifs. Par ailleurs, ces synthèses de littérature viennent com-pléter la méta-analyse de Stansfeld et Candy menée en 2006 sur le sujet. Leursrésultats respectifs sont tout à fait convergents (Stansfeld et Candy, 2006).Les expositions psychosociales explorées sont pour l’essentiel issues du ques-tionnaire de Karasek. Les syndromes dépressifs sont évalués, à peu près à partéquivalente, sur la base des symptômes dépressifs issus d’autoquestionnaires etdes diagnostics de dépression issus de critères du Diagnostic and StatisticalManual of Mental Disorders (DSM). Du fait de critères d’inclusion légèrementdifférents selon les auteurs, les résultats ne sont pas strictement superposablesmais leurs conclusions demeurent très similaires. Les valeurs des risquesmoyens sont présentées dans le tableau 6.I (estimés pour deux revues delittérature). Dans la plupart des études considérées, les risques sont inférieurs à2 et le plus souvent inférieurs à 1,5. À noter que les risques associés à d’autresatteintes de la santé, en particulier les maladies cardiovasculaires, sont demême ordre de grandeur. Les auteurs s’accordent sur le rôle prédictif supérieurde la combinaison des dimensions, sous la forme de job strain (demandepsychologique élevée combinée à une faible latitude décisionnelle) ou d’iso-strain (job strain combiné à un faible soutien social) par rapport à l’introduc-tion des dimensions de manière indépendante. En revanche, la compilationde ces études prospectives montre que le poids attribuable à chacune desdimensions du modèle n’est pas toujours consensuel. Il est possible que celui-ci varie dans le temps du fait de l’évolution du monde du travail, en particulierpour le soutien social, mais aussi selon les populations étudiées, notammentpour la dimension « latitude décisionnelle » (Netterstrom et coll., 2008). Parailleurs, l’intensité des risques ne semble pas varier selon le sexe (Netterstromet coll., 2008).

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Conséquences sur la santé mentale

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Tableau 6.I : Risques de troubles dépressifs associés aux dimensions du modèlede Karasek

Risques estimés selon les expositionsa

Fortes exigences Faible latitude Faible soutien Job strain

Bonde, 2008 1,31 (1,08-1,59) 1,20 (1,08-1,39) 1,44 (1,24-1,68) -

Stansfeld et Candy, 2006 1,39 (1,15-1,68) 1,23 (1,08-1,40) 1,32 (1,21-1,44) 1,81 (1,06-3,1)

a Odds ratio ou risques relatifs (intervalle de confiance à 95 %)

Le nombre d’études disponibles ayant recours au modèle de Siegrist n’autorisepas pour l’instant la conduite de méta-analyses ou de synthèses réellementpertinentes. Pour autant, les études prospectives utilisant ce modèle ont étéen forte augmentation ces dernières années et celles-ci permettent déjà dedégager des premiers enseignements. Signalons cependant que la synthèse desrésultats des études utilisant le modèle de Siegrist se heurte à l’hétérogénéitédans le traitement des réponses. À ce propos, Niedhammer et coll. (2004) ontmontré que l’intensité des associations pouvait différer selon la manière deformuler le score du déséquilibre (ratio en continu, en quartiles, supérieur à1...). Il s’agit probablement d’éléments à prendre en considération pour lesétudes futures. Le tableau 6.II présente des résultats issus d’études longitudi-nales. Les liens mis en évidence entre les dimensions explorées par Siegrist etles troubles dépressifs semblent plus constants et d’une intensité plus élevéeque ceux rapportés pour le modèle de Karasek (Siegrist, 2008). Le rôleprédictif du modèle de Siegrist probablement supérieur à celui de Karaseksemble se retrouver aussi pour les pathologies cardiovasculaires.

Tableau 6.II : Risques de troubles dépressifs associés aux dimensions du modèlede Siegrist

DéséquilibreEfforts/Récompensesa

Mesure santé mentale Ratio Efforts/récompenses

Godin et coll., 2005

Hommes 2,8 (1,3-5,7) Symptômes dépressifs Quartile supérieur

Femmes 4,6 (2,3-9,0) Symptômes dépressifs Quartile supérieur

Stansfeld et coll., 1999

Hommes 2,6 (1,8-3,6) GHQc Définition imprécise

Femmes 1,7 (1,0-2,9) GHQc Définition imprécise

Kivimäki et coll., 2007 2,8 (1,6-2,1) GHQc Quartile supérieur

1,5 (1,2-1,8) Diagnostic médecin Quartile supérieur

Stansfeld et Candy, 2006b 1,8 (1,4-2,3)

a Odds ratio ou risques relatifs (intervalle de confiance à 95 %) ; b Méta-analyse, 2 études : Godin et coll., 2005 etStansfeld et coll., 1999 ; c GHQ : General Health Questionnaire102

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Les relations entre expositions psychosociales et troubles dépressifs mises enévidence par les études épidémiologiques sont sous-tendues par les méca-nismes neurobiologiques du stress chronique qui fragiliseraient le psychismedes sujets les rendant plus vulnérables à la dépression (voir le chapitre sur lesmécanismes associant stress et pathologies).

Limites et réserves sur la causalité

La nature causale de la relation entre expositions psychosociales au travail etaltération de la santé mentale demeure cependant encore parfois discutée,notamment par Bonde en raison des limites des études épidémiologiques dansce domaine. La non indépendance des mesures d’exposition et de santé(circularité des données) (Waldenstrom et coll., 2008 ; Wieclaw et coll.,2008), la non prise en compte de certains facteurs de confusion personnels(Macleod et coll., 2001), l’hétérogénéité des outils utilisés, tant pour lamesure de l’exposition que pour celle de la santé et le schéma d’étude trans-versal sont les principales limites régulièrement mises en avant (Virtanen,2008). Certaines de ces limites sont plus facilement contournables. Les étudesde type longitudinal sont toujours encouragées et ne sont désormais pas rares.Le problème de circularité des données demeure assez récurrent même sil’établissement du diagnostic de santé psychique par une tierce personne peuty pallier. De même, le recours à une mesure de la santé plus objective via, parexemple les arrêts maladies pour problème dépressif, commence à apparaîtreet donne des résultats plutôt concluants. L’étude longitudinale menée parInoue et coll. (2009) montre qu’une latitude décisionnelle élevée au travailest associée à un risque moindre d’arrêt maladie de longue durée. Enfin,quelques auteurs ont montré que l’effet « reverse » (ou réciproque) dans larelation facteurs psychosociaux au travail et santé mentale pouvait êtremodeste (De Lange et coll., 2009).

Deux éléments font souvent l’objet de larges débats quant à leur rôle dans larelation entre expositions psychosociales au travail et atteintes de la santémentale : il s’agit du type de personnalité (affect négatif, pauvre estime desoi...) et de l’existence d’antécédents psychiatriques. Les études introduisantdes variables de personnalité montrent que les liens existent indépendam-ment du type de personnalité (Stansfeld et coll., 1999 ; Tennant, 2001 ;Paterniti et coll., 2002 ; Melchior et coll., 2007). Par ailleurs, pour ce quiconcerne la prise en compte de l’existence d’antécédents psychiatriques per-sonnels (et familiaux) voire même l’exclusion dans les analyses de ces per-sonnes, celle-ci semble nécessaire afin de ne pas biaiser l’interprétation desrésultats (Melchior et coll., 2007 ; Stansfeld et coll., 2008). Les études mon-trent qu’en effet, l’existence d’antécédents psychiatriques est très prédictivede la survenue d’un nouvel épisode d’atteinte de la santé psychique. Leproblème est assez similaire pour la prise en compte d’événements potentiel-lement traumatisants, soit survenus récemment, soit survenus dans l’enfance.

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L’intensité de leur association avec les problèmes de santé mentale est généra-lement forte, ce qui justifie leur prise en compte comme facteur d’ajustement.

Les modifications engendrées par la conduite d’actions de prévention consti-tuent un argument supplémentaire dans la mise en évidence d’une relationcausale. Malheureusement, dans ce domaine, force est de constater que lesétudes qui évaluent l’efficacité de ces actions sont encore peu nombreuses.

Enfin, il existe encore un déficit de connaissance quant aux effets liés à ladurée et l’intensité des expositions en cause.

Au final, même si pour de très nombreux auteurs les expositions psychoso-ciales au travail peuvent générer des troubles dépressifs, ces mêmes auteurssoulignent également la nécessité de considérer que l’existence préalable (aucours du parcours scolaire par exemple ou à l’entrée dans la vie active) detroubles de santé mentale peut induire une sélection à l’emploi et conduire àoccuper des emplois plus exposés aux risques psychosociaux. Ainsi, des per-sonnes ayant rencontré des difficultés pour mener à bien un parcours scolaireou une formation professionnelle peuvent être amenées à occuper des emploismoins favorisés socialement et donc généralement plus exposés aux contrain-tes psychosociales. Cet autre sens du lien entre santé mentale et expositionspsychosociales au travail ne doit pas être négligé (de Lange et coll., 2005 ;Stansfeld et coll., 2008 ; Dalgard et coll., 2009).

Études introduisant des éléments novateurs enrichissant le débat

Afin d’enrichir les connaissances et de mieux éclairer les problèmes de causa-lité dans ce champ, certaines études font appel à des schémas d’étude plusoriginaux dont les résultats restent néanmoins à confirmer.

Ainsi, certaines études longitudinales ont pu inclure plusieurs mesuresd’expositions psychosociales et décrire les conséquences de leurs évolutionsdans le temps sur les troubles dépressifs. Globalement, les liens mis en évi-dence sont d’autant plus forts que les expositions sont prolongées ; de plus, lesliens les plus forts sont observés pour les expositions les plus récentes (Godinet coll., 2005 ; Clays et coll., 2007 ; Wang et coll., 2009).

La recherche de modification d’effet par l’introduction dans les analyses de laclasse sociale ou d’un indice de niveau économique a été conduite par certainsauteurs (Tennant, 2001 ; Wege et coll., 2008 ; Cohidon et coll., 2009a ;Simmons et Swanberg, 2009). Ces études suggèrent que l’intensité des liensobservés entre expositions psychosociales au travail et santé mentale puissedifférer selon la classe sociale ou un indice de niveau économique. L’étude deSimmons et Swanberg décrit des liens significatifs entre les fortes exigences, lefaible soutien social et l’existence de symptômes dépressifs, chez les tra-vailleurs « non pauvres » ; en revanche, cette association disparaît au profitd’un lien avec l’insécurité d’emploi chez les travailleurs pauvres (Simmons et104

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Swanberg, 2009). Cohidon et coll. (2009a) observent, dans une étude trans-versale, que seule la dimension du soutien social est associée à une symptoma-tologie dépressive au sein de chacun des groupes socioprofessionnels (cadres,professions intermédiaires, employés et ouvriers). De tels résultats avaient étédécrits par Tennant (2001). Ils ont également été rapportés par Wege et coll.(2008), cette fois en utilisant le modèle de Siegrist.

Études incluant de nouveaux concepts sur les expositions psychosociales

Les études prenant en compte des facteurs psychosociaux autres que ceuxinclus dans les modèles de Karasek et de Siegrist, sont pour l’instant bienmoins fréquentes et ne permettent pas encore de généraliser les résultats.Cependant, plusieurs d’entre elles ayant recours à des schémas d’étude debonne qualité montrent des résultats convaincants. L’étude longitudinale deFerrie et coll. (2006) décrit le rôle prédictif de l’injustice relationnelle dans letravail sur la survenue d’un mal-être psychologique. De plus, cette étudemontre les effets respectivement bénéfiques et délétères sur la santé psychiqued’une réduction de l’exposition d’une part et d’une aggravation de cetteexposition d’autre part. Concernant l’exposition à la violence au travail (eninterne), Kivimäki et coll. (2003) rapportent dans une étude prospective, uneforte association (OR=4,81 ; IC 95 % [2,46-9,40]) avec la survenue d’unedépression dans les deux années suivant la mesure de l’exposition.

L’insécurité d’emploi est également un concept introduit récemment dans lesétudes et qui prend de plus en plus d’importance compte tenu de la conjonc-ture actuelle. En 2006, Stansfeld et Candy rapportaient un risque moyenassocié à l’insécurité d’emploi (calculé sur deux études) de 1,33 (IC 95 %[1,06-1,37]) pour la présence de symptômes anxio-dépressifs (Stansfeld etCandy, 2006). L’étude prospective de Rugulies et coll. menée sur une cohortede plus de 4 000 travailleurs danois décrit une prévalence deux fois supérieure(RR=2,09 ; IC 95 % [1,04-4,20]) de symptômes dépressifs parmi les hommesexposés à une insécurité d’emploi (Rugulies et coll., 2006).

Enfin, il paraît intéressant de signaler que les études combinant plusieursoutils de mesure des expositions commencent à se multiplier et que leursrésultats semblent justifier ces combinaisons (De Jonge et coll., 2000 ; Tsut-sumi et coll., 2001 ; Godin et Kittel, 2004 ; Ylipaavalniemi et coll., 2005 ;Kivimäki et coll., 2007 ; Dragano et coll., 2008). Kivimäki a par exemplemontré le pouvoir prédictif supérieur sur les symptômes dépressifs de l’exposi-tion simultanée au déséquilibre efforts/récompenses et à l’injustice organisa-tionnelle, par rapport à leur prise en compte isolée. Il est vrai d’ailleurs que laplupart des auteurs s’accordent déjà sur le caractère incomplet des deuxmodèles de référence tels ceux de Karasek et de Siegrist. Des travaux pluridis-ciplinaires psychosociologique et psychométrique doivent être développésavant de pouvoir proposer des outils plus adaptés aux changements du mondedu travail.

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Pour ce qui concerne les troubles anxieux, ils sont la plupart du tempssimultanément explorés avec les symptômes dépressifs (comme dans le ques-tionnaire GHQ). En revanche, les études sur les troubles anxieux pris isolé-ment sont encore trop peu nombreuses et non convergentes pour tirer desconclusions (Plaisier et coll., 2007 ; Waldenstrom et coll., 2008 ; Wieclaw etcoll., 2008). Ainsi, les études de Plaisier et coll. (2007) et Waldenstrom etcoll. (2008) rapportent un excès de risque non significatif entre les fortesexigences et les troubles anxieux. Ce risque augmente et devient significatifdans le cas d’une association avec des troubles dépressifs. L’étude de Wieclawet coll. (2008) montre le rôle prédictif de la faible latitude décisionnelle sur lasurvenue de troubles anxieux mais, en revanche dans cette étude, l’expositionà une forte demande est associée à une diminution de l’anxiété.

Expositions psychosociales au travailet autres effets liés à la santé mentale

Concernant d’autres indicateurs classiquement inclus dans les études relativesà la sphère mentale, telles les conduites addictives ou les troubles du sommeil(qui peuvent faire partie d’un état de stress chronique), la littérature épidé-miologique est moins abondante et généralement moins concluante.

Troubles du sommeil

Concernant le lien entre expositions psychosociales et troubles du sommeil, ilexiste trop peu d’études épidémiologiques et encore trop de résultats diver-gents pour tirer des conclusions générales. De plus, la plupart des étudesdisponibles sont de type transversal et ne permettent pas de se prononcer surla causalité (Linton, 2004 ; Akerstedt, 2006).

Parmi les études transversales, les facteurs psychosociaux au travail les plussouvent associés à des troubles du sommeil sont les fortes exigences (modèlede Karasek) et le déséquilibre effort/récompense (modèle de Siegrist). Quel-ques études longitudinales disponibles permettent d’envisager sérieusementun rôle prédictif sur la survenue de troubles du sommeil. Ainsi Linton (2004)montre, dans un suivi d’une année, un risque deux fois plus élevé de dévelop-per des troubles du sommeil lors d’une exposition au job strain. Un faiblesoutien social au travail serait également prédictif de tels troubles (OR=1,64 ;IC 95 % [1,06-2,54]). Dans un suivi d’une cohorte de travailleurs danois(environ 2 000 personnes), Rugulies et coll. (2009) décrivent l’effet del’exposition au déséquilibre effort/récompense sur les difficultés d’endormisse-ment et de ré-endormissement mais uniquement chez les hommes. Enfin,l’étude longitudinale d’Ota et coll. (2009) est intéressante dans le sens où elleexplore non seulement la survenue des troubles du sommeil mais égalementleur persistance en fonction d’expositions psychosociales au travail via les106

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questionnaires de Karasek et de Siegrist. De plus, l’insomnie est définie enréférence aux critères précis de la Classification internationale des maladies(CIM-10) et du DSM-IV. Les résultats montrent l’effet d’un faible soutiensocial au travail et de l’exposition au déséquilibre effort/récompense sur lapersistance des insomnies (pas de liens observés avec le job strain) ; en revan-che, la survenue d’insomnies est liée à l’exposition au job strain et au surinves-tissement dans le travail. L’interprétation de ces résultats n’est pas simple. Lesrésultats assez hétérogènes de ces quelques études justifient pleinement laconduite de nouvelles études.

Conduites addictives

Problèmes d’alcool

Les indicateurs sanitaires utilisés pour décrire les problèmes d’alcool sont assezhétérogènes. Ils peuvent être soit relatifs à des consommations (combinantplus ou moins fréquence et quantité) soit plus globalement explorer un pro-blème d’alcool tel qu’une consommation nocive ou une dépendance.

Une revue de la littérature a été menée en 2006 par Siegrist et Rodel sur18 études à la fois longitudinales (6/18) et transversales (Siegrist et Rodel,2006). Environ la moitié seulement de ces études décrit un rôle prédictifsignificatif des contraintes psychosociales au travail sur les problèmes d’alcool.On notera par ailleurs que la proportion d’études concluant dans ce sens estsupérieure parmi les études prospectives (par rapport aux études transversales).

Deux études méritent d’être soulignées. Dans l’étude prospective de Head etcoll. sur la cohorte des fonctionnaires britanniques Whitehall, les expositionspsychosociales ont été mesurées à la fois par le questionnaire de Siegrist etcelui de Karasek. Seuls les salariés (hommes) exposés au déséquilibre effort/récompense présentent un excès de risque de dépendance alcoolique(OR=1,93 ; IC 95 % [1,4-2,7]). Aucune association n’est observée avec lesdimensions de Karasek (Head et coll., 2004). En revanche, Hemmingsson etLundberg, dans une étude longitudinale menée auprès de 50 000 jeuneshommes, décrivent le rôle prédictif de l’exposition au travail dit « passif »,défini par une faible latitude décisionnelle combiné à une faible demande, surla survenue de troubles liés à une alcoolisation chronique excessive (RR=1,7 ;IC 95 % [1,2-2,3]) (Hemmingsson et Lundberg, 1998). Il apparaît nécessaired’améliorer les connaissances dans ce domaine.

Consommation de psychotropes

La consommation de psychotropes commence désormais à être utiliséecomme indicateur d’atteinte de la sphère mentale en épidémiologie de lasanté au travail. Bien qu’il s’agisse la plupart du temps de données déclarativesde consommation, celles-ci sont souvent considérées comme plus objectivesqu’un questionnaire de symptômes. En 2004, Pelfrene et coll. ont décrit

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l’association entre l’exposition au job strain (fortes exigences et faible latitudedécisionnelle) et la consommation de benzodiazépines mais dans le cadred’une analyse transversale (Pelfrene et coll., 2004). En revanche, l’étudelongitudinale de Virtanen et coll. rapporte que les hommes exposés au jobstrain ou à de fortes exigences présentent un risque accru de consommationd’antidépresseurs (Virtanen et coll., 2007). L’étude de Bœuf-Cazou et coll.menée dans la cohorte VISAT montre le rôle prédictif de la faible latitudedécisionnelle et des faibles récompenses sur l’initiation d’une consommationde psychotropes, mais uniquement chez les femmes (Bœuf-Cazou et coll.,2010). Pour ce qui concerne le passage à la chronicité d’une consommation depsychotropes, l’étude de Marchand et coll. ne décrit qu’un lien avec lenombre d’heures travaillées (pas de liens avec les expositions psychosocialesde Karasek) (Marchand et coll., 2010). Les études doivent encore se multi-plier pour permettre la généralisation des résultats.

Mortalité par suicide

Pour ce qui est de la mortalité par suicide, très peu de données épidémiolo-giques permettent actuellement de documenter le lien entre les actes suici-daires et les conditions de travail. L’essentiel des travaux existants fait état dedifférences de taux de mortalité par suicide entre professions. Les résultats nesont cependant pas toujours convergents selon les études qui sont par ailleurs,parfois entachées de sérieuses limites. Seules les professions du domaine de lasanté ainsi que les agriculteurs semblent présenter assez systématiquement desexcès de risques (Conroy, 1989 ; Boxer et coll., 1995 ; Kposowa, 1999 ; vanWijngaarden, 2003). De tels résultats sont également observés sur les donnéesfrançaises (Cohidon et coll., 2010a). La description de la mortalité par suicideselon les grandes catégories socioprofessionnelles (tableau 6.III) montre unexcès de risque des agriculteurs, des ouvriers et des employés par rapport auxcadres (Cohidon et coll., 2010b). Les hypothèses explicatives avancées etrelatives au travail portent principalement sur l’accessibilité des moyens desuicide de certains secteurs d’activité tels que la santé (Boxer et coll., 1995 ;Hawton et Heering, 1995 ; Stack, 2001 ; Agerbo et coll., 2007), l’agriculture(Boxer et coll., 1995 ; Stark, 2006) ou encore la police (Hem et coll., 2001) etl’armée (Mahon et coll., 2005) mais aussi sur les expositions psychosociales.Dans ce dernier domaine, on peut souligner l’étude de Tsutsumi qui a suivi3 000 hommes sur 9 ans autour de cette question. Les données montrent queles hommes exposés à une faible latitude décisionnelle présentaient un risquede décès par suicide quatre fois plus élevé que les autres (RR=4,1 ; IC 95 %[1,3-12,8]). Aucun lien avec une exposition aux fortes exigences n’étaitobservé (Tsutsumi et coll., 2007). Citons également l’étude de cohorte menéesur près de 100 000 infirmières américaines. Celles déclarant un stress profes-sionnel sévère présentent un risque deux fois plus élevé de décès par suicide.Les résultats ne sont cependant pas significatifs, probablement par manque de108

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puissance statistique (Feskanich et coll., 2002). Enfin, une hypothèse émer-gente impliquerait certaines expositions professionnelles chimiques (pesti-cides, solvants...) dans la survenue de suicide (van Wijngaarden, 2003).

Tableau 6.III : Risques relatifs (RR) de décès prématuré par suicide chez leshommes selon la dernière catégorie sociale connue en tant qu’actif occupé,ajustés sur l’âge, le dernier secteur d’activité connu et la période (d’aprèsCohidon et coll., 2010b)

Hommes

Dernière catégorie sociale connue en tant qu’actif occupé Décès (N) PAa RR IC 95 %

Agriculteurs exploitants 127 289 192 2,77 1,74-4,42

Artisans, commerçants, chefs d’entreprise 92 319 053 1,81 1,30-2,52

Cadres et professions intellectuelles supérieures 61 378 137 1

Professions intermédiaires 136 645 948 1,37 1,01-1,86

Employés 141 423 514 2,34 1,73-3,18

Ouvriers 557 1 584 266 2,45 1,86-3,23a Personnes-années

Expositions psychosociales et santé mentalechez les indépendants

Face à la rareté des études épidémiologiques menées spécifiquement dans despopulations d’indépendants ou comparant les salariés aux indépendants, unepremière approche sera de décrire cette population en termes de prévalencede troubles de santé mentale et de la comparer aux autres catégories sociopro-fessionnelles. Dans un second temps, seront évoquées les quelques étudespouvant apporter des éléments chez les indépendants.

Santé mentale des indépendants par rapport aux autres catégoriessocioprofessionnelles

L’enquête « Santé mentale en population générale : images et réalités » per-met d’obtenir des prévalences de différents troubles psychiatriques (mesuréspar l’outil diagnostic Mini) selon les catégories socioprofessionnelles (premierniveau de la classification) en France (Cohidon et coll., 2009b). Celles-cisont présentées dans le tableau 6.IV. Les catégories d’indépendants semblentoccuper une position intermédiaire en termes de prévalence d’épisode dépres-sif et de troubles anxieux, entre les catégories de salariées les moins favorisées(employés et ouvriers) et les plus favorisées (les cadres). On peut regretter dene pas pouvoir décliner ces prévalences selon un niveau plus fin de catégoriessocioprofessionnelles. De plus, la catégorie des « artisans-commerçants » ne

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regroupe pas l’ensemble des indépendants puisque les professions libéralessont incluses dans la catégorie des cadres.

Une autre enquête nationale, l’Enquête décennale santé, permet des descrip-tions un peu plus fines selon le second niveau de la classification des catégories(Cohidon et coll., 2007). Ici l’outil utilisé est le CES-D (Center for Epidemio-logic Studies Depression scale) qui explore un ensemble de symptômes dépressifset non un diagnostic de dépression caractérisée. Les professions libéralesrapportent une faible prévalence de symptômes dépressifs (6,1 % versus11,7 % pour l’ensemble des hommes actifs). Chez les hommes, les commer-çants présentent en revanche, une prévalence élevée de symptômes dépressifspar rapport aux autres catégories professionnelles (17,7 %). Les femmes indé-pendantes, en revanche, déclarent très peu souffrir de problèmes dépressifs(4,0 %). L’interprétation de ces résultats est loin d’être évidente. On pourraitsupposer que la décision de se lancer dans une profession indépendante estmûrement réfléchie chez les femmes (en particulier dans l’artisanat et lecommerce) et que seules les femmes « solides psychologiquement » s’y aven-turent. Les résultats doivent cependant être relativisés en raison de la faiblessedes effectifs.

Tableau 6.IV : Prévalence (%) de troubles psychiatriques selon la catégoriesocioprofessionnelle (Enquête Santé mentale en population générale, extraitde Cohidon et coll., 2009b)

N Épisodedépressif

récent

Troublesde l’humeur

(au moins un)

Troublesanxieux

(au moins un)

Problèmesd’alcool

Catégorie socioprofes-sionnelle

H F H F H F H F H F

Agriculteurs exploitants 307 105 3,3 9,9 4,6 12,8 12,1 15,1 3,5 0,8

Artisans, commerçants,chefs d’entreprise

904 596 7,8 11,6 9,6 13,6 16,4 22,8 6,7 1,8

Cadres et professionsintellectuelles supérieures

1 598 1 175 5,0 7,8 7,8 9,9 13,7 20,0 4,2 1,5

Professions intermédiaires 1 849 2 774 5,9 8,3 8,4 11,0 14,8 20,9 5,1 1,2

Employés 2 537 4 091 9,5 12,9 12,5 16,1 20,9 29,3 8,1 1,5

Ouvriers 3 773 1 377 8,8 13,9 11,3 16,4 19,8 29,0 10,3 3,2

F : Femme ; H : Homme

Pour ce qui concerne la mortalité par suicide, les analyses des donnéesfrançaises ne décrivent pas d’excès de risque (chez les hommes) dans lacatégorie socioprofessionnelle des artisans-commerçants et chefs d’entreprise,en position intermédiaire par rapport aux cadres et aux employés et ouvriers(tableau 6.III) (Cohidon et coll., 2010b).110

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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En revanche, quelques études internationales décrivent un risque plus élevéchez les dentistes et les médecins (Boxer et coll., 1995), en particulier chez lesfemmes (Hawton et coll., 2001 ; Schernhammer et Coldiz, 2004 ; Petersen etBurnett, 2008). Notons cependant que dans ces études, la distinction selon lestatut des médecins (salarié ou libéral) n’est généralement pas faite.

Enfin, rappelons que ces données sont purement descriptives et n’explorentpas directement et exclusivement des situations de travail. Derrière cesregroupements en catégories socioprofessionnelles, il y a effectivement destypes d’emplois et des conditions de travail mais aussi des éléments d’ordresociologique tels par exemple que les comportements ou les styles de vie.

Santé psychique des indépendants en lien avec leurs conditionsde travail

L’étude australienne de Parslow et coll. (2004) avait pour objectif de compa-rer des salariés à des indépendants en termes d’expositions psychosociales etde conséquences sanitaires. Les résultats ne montrent pas de différence signi-ficative sur la prévalence de symptômes dépressifs ni anxieux. Pour ce quiconcerne les expositions, on n’observe pas de différence de perception de lasécurité d’emploi entre indépendants et salariés. En revanche, les indépen-dants rapportent une latitude décisionnelle supérieure et des exigences detravail plus acceptables (chez les femmes seulement). L’étude décrit égale-ment des liens entre la santé psychique et certaines expositions psychosocialesau travail (fortes exigences, faible utilisation des compétences, sentimentd’insécurité) mais l’intensité de ces liens ne diffère pas selon le statut de salariéou d’indépendant. Cette étude, malgré ses limites (faibles effectifs d’indépen-dants et nature transversale), apporte quelques éléments de connaissancepouvant alimenter ce débat. Il serait souhaitable de poursuivre ce type d’étudecomparative entre les salariés et les indépendants.

Par ailleurs, des études sur les conditions de travail décrivent des fréquencesde forte exposition à certains facteurs psychosociaux ou organisationnels chezles indépendants. Il s’agit principalement d’un temps de travail élevé, d’horai-res atypiques peu conciliables avec la vie privée et d’un faible soutien social dufait du statut fréquent de travailleur isolé. Ces expositions plus spécifiques destravailleurs indépendants peuvent être envisagées comme potentiellementgénératrices d’atteintes de la santé psychique pour ces populations. L’étudelongitudinale de Virtanen et coll. (2009) a rapporté le rôle prédictif du tempsde travail excessif sur les difficultés d’endormissement et le raccourcissementdu temps de sommeil. Cependant, l’importante autonomie décisionnellepourrait venir contrebalancer les effets de ces contraintes (Parslow et coll.,2004).

Enfin, certaines études ont montré que le fait d’occuper un emploi exposant àla violence (en interne ou en externe de par un contact avec le public) étaitun facteur de risque de développer des troubles dépressifs (Wieclaw et coll.,

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2006). On imagine que certaines professions d’indépendants telles que lescommerçants, les artisans et certaines professions libérales puissent se trouverdans cette situation.

En conclusion, les données de la littérature épidémiologique sont globale-ment en accord avec l’existence de liens causaux entre certaines expositionspsychosociales au travail (fortes exigences, faible latitude décisionnelle, faiblesoutien social, efforts importants et faibles récompenses...) et la survenue decertains troubles de santé mentale, principalement de nature dépressive. Pource qui concerne la population particulière des indépendants, force est deconstater que les données épidémiologiques dans ce champ sont trop limitéespour en tirer des conclusions. Rappelons seulement que la santé mentale deces catégories de travailleurs ne semble pas particulièrement détériorée parrapport à d’autres catégories professionnelles telles que les salariés ouvriers etles employés.

Par ailleurs, la conduite d’études épidémiologiques auprès de ces populationsse heurte à certaines difficultés. Une première difficulté provient de la mau-vaise adéquation des modèles d’exposition psychosociale au travail, dévelop-pés pour des salariés, aux contraintes des travailleurs indépendants. Le déve-loppement d’outils de mesure de l’exposition plus adaptés pourrait constituerune première étape utile. De plus, l’hétérogénéité des emplois au sein mêmede la « grande catégorie » des indépendants pourrait gêner la généralisationde résultats épidémiologiques issus d’études menées au sein d’une profession àl’ensemble des indépendants.

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7Épuisement professionnel

Le terme de burnout ou d’épuisement professionnel en français est aujourd’huilargement employé jusqu’à être passé dans le langage courant. Pourtant, sonexistence en tant qu’entité clinique à part entière fait encore débat au sein dela communauté scientifique. Ainsi, il ne fait actuellement pas partie desdiagnostics officiels de maladie dans les classifications de référence, que ce soitdans la Classification internationale des maladies (CIM-10) de l’Organisationmondiale de la santé (OMS) où il figure en tant que facteur influençant l’étatde santé, ou dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux(DSM-IV) établi par l’Association américaine de psychiatrie. Son existencedemeure encore controversée auprès de certains professionnels cliniciens dela santé mentale.

Du fait de son utilisation courante dans le monde du travail, il a été décidé delui consacrer un chapitre spécifique en le distinguant des autres troublesrelatifs à la santé mentale.

Définitions du concept et outils de mesure

Le terme « burnout » est apparu dans les années 1960, en dehors de toutcontexte scientifique pour traduire une fatigue extrême ainsi qu’une perte depassion et d’idéalisme pour son travail. Dans les années 1970 aux États-Unis,son utilisation est devenue plus récurrente dans le monde scientifique, enparticulier pour décrire des phénomènes concernant les professions « au ser-vice des personnes ». Il a été conceptualisé pour la première fois par Freuden-berger en 1975, pour décrire l’épuisement au travail de professionnels et debénévoles travaillant avec des toxicomanes et caractérisé par le fait de « nepas y arriver, s’user, être épuisé par une exigence excessive en énergie, force ouressources » (Freudenberger, 1975). Depuis, de nombreuses définitions plus oumoins précises mais relativement convergentes, ont été proposées. ChristinaMaslach le décrit initialement dans les années 1970 comme « un épuisementmental et physique des personnes dont le travail nécessite un contact perma-nent avec autrui » (Maslach, 1976). Schaufeli et Enzmann le décrivent plustard comme « un état d’épuisement physique, émotionnel et mental résultantd’une exposition à des situations de travail émotionnellement exigeantes »(Schaufeli et Enzmann, 1998).

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Plusieurs outils de mesure ont été proposés, néanmoins très peu d’entre euxont fait l’objet de validation scientifique. Le modèle développé au début desannées 1980 par Christina Maslach (Maslach et Jackson, 1981), le MaslachBurnout Inventory (MBI), est encore de très loin le plus utilisé, couvrantaujourd’hui environ 90 % de la littérature dans ce domaine. On peut citerégalement pour mémoire le modèle BM « Burnout measure » développé parPines (Lourel et coll., 2007a).

Le syndrome décrit par le modèle MBI inclut trois dimensions : la première etla plus centrale est l’épuisement émotionnel, psychique mais aussi physique.D’après Maslach et contrairement à ce que certains auteurs ont pu suggérer, lesyndrome d’épuisement professionnel ne peut se résumer à cette seule dimen-sion, qui, si elle est nécessaire n’est cependant pas suffisante à la définition dusyndrome. La seconde dimension est la dépersonnalisation (ou cynisme) setraduisant par un retrait et une indifférence vis-à-vis du travail. Il s’agit d’uneréaction très rapidement mise en œuvre par le sujet face à la survenue del’épuisement émotionnel. La troisième dimension est la perte de l’accomplis-sement personnel, se traduisant par une inefficacité au travail et une dévalo-risation. Les corrélations entre les deux premières dimensions sont assezévidentes et fortes ; les liens avec la troisième sont en revanche plus com-plexes. Certains auteurs remettent d’ailleurs en question son inclusion dans lesyndrome du burnout, considérant qu’il s’agirait plutôt d’un trait de personna-lité ou d’un facteur plus indépendant (Demerouti et coll., 2001 ; Maslach etcoll., 2001 ; Lourel et coll., 2007b). De manière assez consensuelle, les deuxpremières dimensions semblent les plus prépondérantes.

Le questionnaire MBI comporte 22 questions explorant les trois dimensions(respectivement 9, 5 et 8 questions). Les réponses s’expriment en 7 modalitésselon la fréquence d’exposition (« jamais » à « quotidienne »). De nombreusesmanières de traiter les réponses au questionnaire ont été proposées. Il peut êtreexploité soit de manière globale en un syndrome unique soit par dimension. Lesrecommandations de Maslach portent sur l’exploitation en dimensions enraison de l’association complexe des dimensions. Cependant, les résultats issusd’un traitement global semblent plus concluants (Ahola et coll., 2005). Troisversions relatives à des populations au travail différentes ont été successivementdéveloppées : la première concernait les professions de soins à la personne ; laseconde a été développée pour les professions d’enseignants et d’éducateurs ; latroisième, en 1996, pour être utilisée en population générale au travail(16 questions) (Maslach et coll., 1996). Des seuils sont recommandés pour lesdifférentes populations étudiées (Dusmesnil et coll., 2009).

Les prévalences d’épuisement professionnel en population au travail varientbeaucoup selon les études, de quelques pourcents à quelques dizaines depourcents mais se situent le plus souvent entre 5 % et 20 %. Malgré l’utilisa-tion quasi systématique du même outil (MBI), les comparaisons de prévalenceentre études sont particulièrement difficiles en raison de la grande variété detraitement des réponses au questionnaire.120

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Ces dernières années, les travaux ont porté sur l’évolution au cours du tempsde l’épuisement professionnel. Quelques études ont montré que celles-cipouvaient différer selon le degré d’atteinte initiale (syndrome complet, pré-sence d’une seule des trois dimensions, absence d’atteinte) (Boersma et coll.,2009). Ces résultats devraient présenter des pistes intéressantes de préventionmais de nombreux travaux sont encore nécessaires avant d’envisager unestabilité des connaissances.

Facteurs de risque professionnels

Le concept du burnout se définit dans un contexte spécifiquement lié àl’activité professionnelle et son développement repose sur les mêmes théoriesque celles du stress au travail (Lindblom et coll., 2006).

La contrainte de travail la plus fréquemment associée à l’épuisement profes-sionnel est, incontestablement, l’importance de la charge de travail. La pres-sion temporelle, très souvent associée à une charge de travail élevée, est de cefait également souvent rapportée comme en lien avec le burnout (Lindblom etcoll., 2006). Les autres expositions psychosociales décrites dans le développe-ment du burnout relèvent de cinq dimensions : manque de ressources (faiblesoutien social de la hiérarchie et des collègues), faible contrôle, faibles récom-penses, manque d’équité et conflits de valeur (Maslach et coll., 2001 ; Mas-lach, 2003 ; Lindblom et coll., 2006). Le conflit de rôle et l’ambiguïté de rôlesont également des contraintes fréquemment rapportées comme associées auburnout. Leiter et Maslach ont suggéré de classer l’ensemble de ces facteurspsychosociaux au travail en six domaines : les cinq dimensions citées ci-dessuset la charge quantitative et qualitative de travail (Leiter et Maslach, 1999).On retrouve donc classiquement les expositions psychosociales au travail,telles que celles explorées dans les modèles de Karasek et de Siegrist etauxquelles viennent s’ajoutent des concepts plus novateurs (comme parexemple les problèmes d’éthique, les conflits de rôle... de plus en plus étudiésdans les modèles de stress au travail). Comme pour les liens avec les autresatteintes de la sphère mentale, les valeurs des risques n’excèdent jamais 2 etsont la plupart du temps inférieures à 1,5. Par ailleurs, des études montrentque certaines contraintes sont préférentiellement en lien avec l’une ou l’autredes dimensions de l’épuisement professionnel. Ainsi, la charge de travailélevée et les fortes exigences seraient plus liées à la dimension d’épuisementémotionnel alors que l’insuffisance des ressources disponibles serait plus enlien avec la dépersonnalisation. De plus, le faible soutien social pourrait aussise comporter comme un modulateur d’effet dans les relations contraintesprofessionnelles-burnout (Fernet et coll., 2009).

Plus récemment, un modèle prédictif du burnout a été développé, le modèleJD-R (Job Demands-Ressources) ou exigences/ressources. Celui-ci regroupe les

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expositions professionnelles relatives au burnout en deux catégories : les exi-gences, à la fois quantitatives et qualitatives et les ressources, incluant l’auto-nomie, le soutien social et les possibilités de développement. Le syndromed’épuisement professionnel résulterait alors d’un déséquilibre entre ces deuxdimensions (Demerouti et coll., 2001). Les exigences seraient plus particuliè-rement en lien avec la dimension d’épuisement émotionnel alors que lesressources seraient plus en lien avec la dimension de dépersonnalisation. Cemodèle demeure encore assez peu utilisé dans la littérature épidémiologique.

En plus de ces contraintes liées à l’environnement de travail, les chercheursdu domaine soulignent l’importance de caractéristiques liées à la nature del’activité elle-même. Ainsi, ce n’est pas un hasard si les secteurs des soins à lapersonne ont été les premiers à être étudiés en matière d’épuisement profes-sionnel. La charge émotionnelle liée à ces activités, nécessitant d’exprimer oude réprimer ces émotions, de manifester de l’empathie, jouerait un rôle nonnégligeable dans la survenue du burnout. La combinaison de l’exposition à cesstresseurs et d’un « emploi chargé émotionnellement » serait particulière-ment prédictive du burnout (Zapf et coll., 2001). Ainsi, même si de nombreuxauteurs s’accordent aujourd’hui sur le fait que tous les types d’emploi peuventêtre concernés (Schaufeli et coll., 1996 ; Demerouti et coll., 2001 ; Ahola etcoll., 2006a ; Lindblom et coll., 2006), le fait d’être confronté ou non àl’attente d’un individu est un élément supplémentaire à prendre en considé-ration (Schaufeli et Greenglass, 2001).

Enfin, du fait des modifications récentes de l’organisation du travail, d’autresfacteurs professionnels, tels que le sentiment d’insécurité d’emploi et la néces-sité de flexibilité des salariés, font l’objet d’études quant à leurs associationsavec le burnout. L’hypothèse sous-jacente s’appuie sur la diminution del’investissement vis-à-vis du travail par le salarié, ne se sentant plus commeindispensable à son entreprise mais plutôt considéré comme un élémentinterchangeable (Schaufeli et Greenglass, 2001).

Il est cependant important de noter, et cette remarque vaut pour l’ensembledes propos développés ci-dessus, que la très grande majorité des études dontsont issus ces résultats sont de nature transversale. De ce fait, la nature causaledes associations ne peut être affirmée.

Déterminants individuels

Historiquement, les femmes ont été présentées comme plus concernées par leburnout mais par la suite les études se sont révélées contradictoires. Certainsauteurs rapportent des différences selon les dimensions du burnout, l’épuise-ment serait plus fréquemment observé chez les femmes et le désinvestissementchez les hommes (Schaufeli et Greenglass, 2001). La distribution sexuée desemplois pourrait finalement expliquer ce constat. Les résultats concernant122

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l’âge ne sont pas non plus toujours concordants. Les premières études décri-vaient une fréquence d’exposition plus élevée parmi les classes d’âge les plusjeunes suggérant le rôle du manque d’expérience professionnelle. Une récenteétude menée en population générale en Finlande rapporte, en revanche, uneaugmentation de la prévalence avec l’âge (Ahola et coll., 2006a). L’hypothèseavancée est que les nouvelles organisations de travail sont désormais plusdélétères pour les plus âgés et que les jeunes générations sont plus qualifiées(et donc peut-être mieux « armées ») qu’avant à l’entrée sur le marché dutravail. Les associations avec l’âge semblent donc complexes et pourraientfinalement aussi varier selon le sexe (Ahola et coll., 2008). Les résultatsdivergent également sur les liens avec le niveau d’étude.

Enfin, l’existence d’antécédents personnels ou familiaux de troubles dépressifsserait prédictive de l’épuisement professionnel. Nyklicek et Pop décrivent unlien fort entre la première dimension du burnout, l’épuisement émotionnel etdes antécédents dépressifs (OR=1,82 ; IC 95 % [1,38-2,40]) ou des antécé-dents familiaux (1,63 ; IC 95 % [1,27-2,10]) (Nyklicek et Pop, 2005). Notonsqu’il s’agit d’une étude transversale. Il en est de même pour certains traits depersonnalité tels que le neuroticisme (propension à développer des affectsnégatifs) et la personnalité de type A (besoin de compétition, agressivité,pression temporelle et contrôle des situations). Ceux-ci joueraient un rôlenon négligeable dans la genèse du burnout (Maslach et coll., 2001). La trèscomplète méta-analyse d’Alarcon et coll. (2009) rapporte des liens entre denombreux facteurs de personnalité et chacune des trois dimensions du bur-nout. La personnalité de type A n’est cependant associée qu’à la dimension« perte d’accomplissement personnel ». Ces résultats illustrent la nécessité deprendre en compte ces variables dans les études sur le burnout. Il semble aussique les liens entre les traits de personnalité et le syndrome d’épuisementprofessionnel puissent varier selon la population étudiée (population généraleou secteur spécifique de la santé et du social) (Alarcon et coll., 2009).

Conséquences morbides

Les conséquences morbides du burnout sont assez documentées dans la littéra-ture épidémiologique bien qu’encore une fois, la majorité des études soit detype transversal et ne permette pas de se prononcer sur la nature causale dulien observé.

Les conséquences potentielles sur la sphère mentale sont les plus étudiées. Lesliens avec les troubles dépressifs ont été et sont encore actuellement souventdécrits puisque pour certains, en particulier les cliniciens, le burnout serait uneforme de dépression. Néanmoins, la plupart des études concluent que burnoutet dépression sont des entités séparées même si elles partagent des caractéris-tiques communes, non seulement sur les symptômes exprimés mais aussi au

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niveau des répercussions sur la vie courante (Iacovides et coll., 2003 ; Lind-blom et coll., 2006). La variance expliquée du burnout par un syndromedépressif se situerait autour de 20 %, avec pour chacune des dimensions, unevariance expliquée située entre 12 et 38 % pour l’épuisement émotionnel,entre 2 et 29 % pour la dépersonnalisation et entre 3 et 20 % pour l’accom-plissement personnel (Schaufeli et Enzmann, 1998). Par ailleurs, certainesétudes ont montré que des personnes souffrant de burnout ne présentaient pasde syndrome dépressif et à l’inverse que des personnes dépressives ne remplis-saient pas les critères permettant un diagnostic de burnout (Iacovides et coll.,2003). Les deux syndromes pourraient co-exister surtout dans les burnoutsévères. Certains auteurs pensent que le burnout sévère pourrait être une étapeintermédiaire dans le développement de la dépression caractérisée (Iacovideset coll., 2003). À l’inverse, Ahola décrit une évolution possible des troublesdépressifs vers le burnout (Ahola et Hakanen, 2007). De la même manière, lestroubles anxieux et le burnout partagent une symptomatologie commune(Lindblom et coll., 2006).

Les troubles du sommeil (Ekerstedt et coll., 2006 ; Armo et coll., 2008 ;Vela-Bueno et coll., 2008) et les problèmes d’alcool font également partie desconséquences morbides rattachées au burnout (Ahola et coll., 2006b).

Enfin, des conséquences de l’épuisement professionnel sur les systèmes cardio-vasculaires, musculosquelettiques (Honkonen et coll., 2006) et immunitairesont également été décrites.

Spécificité des indépendants

Les expositions spécifiques des catégories professionnelles d’indépendants àcertaines contraintes telles qu’une charge de travail élevée, une faiblesse del’environnement social, des difficultés à séparer vie professionnelle et vieprivée et un rapport au travail particulier induisant un surinvestissement dansle travail pourraient les placer dans une situation favorable au développementde l’épuisement professionnel (Jamal, 1997).

La charge de travail élevée, avec des journées de travail de plus de 10 heures etparfois l’absence de 2 jours de repos consécutifs, semble représenter un facteurde risque majeur de burnout. Pour autant dans le même temps, leur contexte detravail leur épargne certaines expositions, notamment celles explorées dans ladimension « ressource » du modèle fondé sur le déséquilibre exigences-ressources. En effet, les indépendants sont généralement décrits comme jouis-sant d’un important degré d’autonomie dans leur organisation de travail ainsique dans les prises de décisions ; ils échappent à la position de subordination,peuvent espérer certaines contreparties financières de leurs efforts (non systé-matique quelle que soit la catégorie d’indépendants) et pourraient plus facile-ment éprouver un sentiment de fierté et d’accomplissement dans leur travail(Jamal, 1997). Il est à noter cependant que ces situations ne s’appliquent124

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peut-être pas à la nouvelle catégorie des indépendants que sont les auto-entrepreneurs. Nous avons vu précédemment que, ces dernières années, leconcept d’épuisement professionnel pourrait être lié à la perte du sentimentd’appartenance et au sentiment d’interchangeabilité du salarié vis-à-vis deson entreprise. Néanmoins, ces situations ne semblent pas s’appliquer auxindépendants.

Il n’existe, à notre connaissance, quasiment aucune étude comparant la pré-valence de l’épuisement professionnel chez les indépendants à celle observéechez les salariés. Signalons une étude menée dans cet objectif et rapportantune prévalence significativement supérieure de syndrome d’épuisement pro-fessionnel complet (ainsi que pour les dimensions d’épuisement émotionnelet de perte d’accomplissement) chez les non-salariés par rapport aux salariés.Ces résultats sont cependant à interpréter avec une très grande prudence enraison des limites méthodologiques de cette étude (faibles effectifs, représen-tativité, choix des facteurs d’ajustement...) (Jamal, 2007).

Il existe, en revanche, des connaissances issues d’études menées parmi cer-taines catégories professionnelles d’indépendants. En effet, l’origine du déve-loppement du concept se situant parmi des professionnels « au service despersonnes », des données sont disponibles au travers de nombreuses étudesmenées parmi les professionnels de la santé et en particulier les médecins(médecins généralistes et spécialistes) et les dentistes. Deux limites à cesétudes sont toujours à prendre en compte : d’une part la distinction entresalariés et libéraux est rarement faite ; d’autre part ces études sont pour laplupart transversales. Plusieurs revues de la littérature font état d’une préva-lence élevée d’épuisement professionnel chez les médecins (Houkes et coll.,2008). Les résultats concernant les facteurs de risque ne sont pas toujoursconvergents bien que certains d’entre eux soient plus souvent rapportés : lesfortes exigences, le faible soutien social des collègues, les conflits avec lafamille et le manque de ressources.

En France, Dusmesnil et coll. rapportent une prévalence d’épuisement émo-tionnel de 23 % chez des médecins généralistes de la région Paca. Cetteprévalence semble variable selon les régions, pouvant dépasser 45 % en Bour-gogne (même outil de mesure et mêmes seuils). Un burnout complet (épuise-ment émotionnel élevé, dépersonnalisation élevée et accomplissement per-sonnel faible) concernerait 1 % des généralistes de Paca et 3 à 4 % desgénéralistes dans les autres régions. La charge de travail élevée (supérieure à65 h/semaine, OR=2,1 ; IC 95 % [1,3-3,3]) et les fortes exigences mentales(OR=2,0 ; IC 95 % [1,4-3,1]) sont associées à l’épuisement émotionnel(Dusmesnil et coll., 2009). Des résultats similaires avaient été rapportés parCathébras et coll. dans une étude menée auprès des généralistes des Pays de laLoire (Cathébras et coll., 2004). Enfin, au sein des spécialités médicales, lespsychiatres semblent plus particulièrement concernés par l’épuisement pro-fessionnel (Korkeila et coll., 2003 ; Kumar et coll., 2005).

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En conclusion, le concept d’épuisement professionnel fait l’objet depuis sonémergence dans les années 1970 d’une attention très soutenue, aussi bien dela part des chercheurs que des professionnels de terrain. Il est toujours actuel-lement en cours d’évolution, comme en témoigne l’abondante littératured’ordre méthodologique et plutôt issue du domaine de la psychologie que del’épidémiologie.

Par ailleurs, la façon dont différents milieux professionnels s’emparent ou nonde la notion de burnout, l’envisagent et lui donnent sens est variable. Certainsmétiers sont beaucoup plus étudiés que d’autres sous l’angle du burnout ; demême, le burnout n’est généralement pas décrit de la même façon pour lesinfirmières, les assistantes sociales et les cadres en fonction des débats etenjeux propres à ces milieux. Dans un même métier, il peut aussi y avoir desvariations, d’un établissement à l’autre (Meyerson, 1994), ou d’un pays àl’autre (Truchot, 2004). Cela peut rendre plus délicat l’interprétation desrésultats d’étude, si des répondants de culture professionnelle, locale ou natio-nale ne donnent pas le même sens aux différents items utilisés pour mesurer leburnout (notamment pour les indépendants, hors professions libérales, peuhabitués au langage du burnout).

Certaines catégories d’indépendants, tels que les médecins se trouveraientplus particulièrement concernées par ce syndrome d’épuisement profession-nel. Cependant, les données épidémiologiques sont pour la plupart issuesd’études transversales et par ailleurs, les études menées sur ce thème devraientbénéficier d’une grande rigueur méthodologique au regard de la complexité etdes intrications des différents concepts relatifs à ce syndrome.

Il est, de ce fait, difficile de se prononcer sur la nature causale des expositionsprofessionnelles qui lui sont associées et donc sur l’histoire naturelle de cesyndrome.

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8Conséquencessur la santé cardiovasculaire

Les pathologies cardiovasculaires constituent depuis le début du siècle dernierla première cause de mortalité dans les pays industrialisés, bien qu’un déclinde ces pathologies ait été observé à deux reprises au milieu des années 1950et 1970.

Actuellement, les recherches portant sur les facteurs psychosociaux, via l’étatde stress, les problèmes de santé en général et les pathologies cardio-vasculaires en particulier s’appuient sur un modèle biopsychosocial (Ogden,2010) qui peut être schématisé pour les maladies cardiovasculaires par lafigure 8.1.

Figure 8.1 : Relations directes et indirectes entre les facteurs psychosociaux et lespathologies cardiovasculaires selon un modèle biopsychosocial (Kittel, communicationpersonnelle)

Les facteurs psychosociaux via l’état de stress peuvent avoir une influenceindirecte sur les affections cardiovasculaires au travers des comportements desanté et des facteurs de risque biocliniques et/ou une influence directe auniveau des mécanismes neuroendocriniens ou du système autonome.

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Critères d’analyse de la littérature épidémiologique

En épidémiologie en général et en épidémiologie psychosociale en particulier,ne seront considérés comme facteurs causaux (Hill, 1965) que les facteursrépondant à un certain nombre de critères :• la cohérence chronologique : le facteur doit précéder l’effet. Seules desétudes prospectives peuvent donc vérifier si le critère est réellement rencon-tré ;• la force d’association ou intensité de la relation entre le facteur et l’effet :risque relatif RR > 1 avec un intervalle de confiance statistiquement signifi-catif ;• la constance de l’association : la majorité des études montrent systémati-quement la même relation entre le facteur et l’effet ;• le gradient biologique ou relation « dose-effet » : plus le facteur est présent,plus le risque d’effet négatif sur la santé est grand et vice-versa ;• la plausibilité biologique : il existe des mécanismes physiopathologiquesexplicatifs ;• l’indépendance par rapport aux facteurs de risque (re)connus, en l’occur-rence pour le stress il s’agit de l’indépendance par rapport aux facteurs derisque cardiovasculaires classiques, soit le cholestérol, la tension artérielle, letabagisme...• l’expérimentation : la diminution du facteur entraîne la réduction del’apparition de l’effet, phénomène à la base de toute prévention/intervention.

Afin de rechercher l’existence d’une relation causale entre stress et patholo-gies cardiovasculaires, la sélection de la littérature a porté sur les étudesrencontrant les critères énoncés précédemment.

Il s’agit donc d’études prospectives (critère de cohérence chronologique).Elles doivent porter sur un échantillon de taille et de durée de suivi suffisantespour pouvoir observer des différences statistiquement significatives (critère deforce d’association), car l’incidence annuelle des maladies coronariennes estde 1 % au maximum. Ces mêmes études offrent également, pour la plupart, lapossibilité de vérifier si le critère de relation dose-effet est rencontré.

Par ailleurs, les articles ont été choisis en fonction de l’inclusion d’un des deuxprincipaux modèles de stress, le modèle du Job Demand-Control-Social Support(Karasek, 1996) et le modèle du déséquilibre entre efforts-récompenses Effort-Reward Imbalance (ERI) (Siegrist et coll., 1990). En effet, ces modèles ont faitl’objet de suffisamment d’études en relation avec les affections cardio-vasculaires, permettant ainsi de vérifier le critère de constance.

La plausibilité biologique (analysée de manière plus approfondie dans lechapitre sur les mécanismes associant stress et pathologies) sera abordéebrièvement dans la partie sur la plausibilité biologique spécifiquement pour lesaffections cardiovasculaires.130

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Les publications sélectionnées concernent également les études qui vérifientl’apport spécifique du stress par rapport aux autres facteurs de risque cardio-vasculaires reconnus : analyses multivariables qui permettent de contrôler lesautres facteurs de risque et de répondre ainsi au critère d’indépendance.

Quelques études satisfont au dernier critère d’expérimentation. Par définition,les études ayant pour objet la prévention ou la réduction du stress se fondentsur l’expérimentation et permettent de confirmer ou non la diminution del’apparition de la pathologie.

Après une présentation rapide des pathologies cardiovasculaires, les 4 pre-miers critères de causalité sont examinés conjointement dans le paragraphesuivant.

Pathologies cardiovasculaires

Les maladies cardiovasculaires constituent un ensemble de troubles affectantle cœur et les vaisseaux sanguins, qui comprennent (OMS, 2009) :• les cardiopathies coronariennes, également appelées cardiopathies isché-miques, qui affectent les vaisseaux sanguins alimentant le muscle cardiaque ;• les maladies cérébrovasculaires qui affectent les vaisseaux sanguins alimen-tant le cerveau (AVC pour accident vasculaire cérébral, stroke en anglais) ;• les artériopathies périphériques qui affectent les vaisseaux sanguins alimen-tant les bras et les jambes ;• les cardiopathies rhumatismales, affectant le muscle et les valves cardiaqueset résultant d’un rhumatisme articulaire aigu, causé par une bactérie strepto-coque ;• les malformations cardiaques congénitales : malformations de la structuredu cœur déjà présentes à la naissance ;• les thromboses veineuses profondes et les embolies pulmonaires : obstruc-tion des veines des jambes par un caillot sanguin, susceptible de se libérer etde migrer vers le cœur ou les poumons.

De plus, les maladies du cœur comportent les affections coronariennes dont lamort subite, l’infarctus du myocarde et l’angine de poitrine.

À elles seules, les cardiopathies représentent 75 % des pathologies cardio-vasculaires. Les 25 % restants sont des maladies vasculaires et comprennentles accidents vasculaires cérébraux (à l’origine desquels figurent la thrombose,l’hémorragie, et l’embolie cérébrale) ainsi que l’artérite des membres infé-rieurs, l’embolie pulmonaire et les affections congénitales.

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Conséquences sur la santé cardiovasculaire

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Association prédictive entre exposition aux facteurs de stresset pathologies cardiovasculaires

L’étude cas-témoins Interheart (Rosengren et coll., 2004), menée dans 52 paysdes quatre continents, a évalué l’exposition aux facteurs de stress globale (autravers des facteurs : travail, maison, finances, événements de vie) à partird’un questionnaire incluant une question sur les stresseurs au travail. Lesrésultats montrent un risque accru d’infarctus du myocarde aigu lié aux stres-seurs en général (au travail, à la maison ou les deux) sur plusieurs périodes(OR=1,45), au stress permanent au travail (OR=2,17), à des événementsstressants (OR=1,48) et à la dépression (OR=1,55).

Les revues de la littérature des cinq dernières années rapportent en majoritédes résultats positifs quant à la relation existant entre exposition aux facteursde stress au travail et pathologies cardiovasculaires.

Belkic et coll. (2004), dans un document très approfondi relatif au job strain(modèle de Karasek) en tant que facteur de risque cardiovasculaire, indiquentque, sur 11 études longitudinales 8 montrent des relations positives statisti-quement significatives, et 3 des relations non significatives. Les auteurs pré-cisent que chez les hommes les relations sont fortes et constantes et que chezles femmes elles sont plus faibles et moins constantes. Ils soulignent de plusque la plausibilité biologique corrobore l’hypothèse du job strain comme fac-teur de risque cardiovasculaire majeur.

Une revue classique de littérature portant plus globalement sur les facteurspsychosociaux et les pathologies cardiovasculaires (Everson-Rose et Lewis,2005) analyse les relations existant entre le stress aigu et chronique, ainsi quele support social d’une part et les affections cardiovasculaires d’autre part. Uneassociation positive entre le job strain et la mortalité cardiovasculaire estmontrée dans trois études, bien que dans deux études c’est principalement lemanque de contrôle qui occasionne des effets défavorables pour la santé.Quant au modèle de déséquilibre efforts-récompenses (modèle de Siegrist),deux études montrent une association avec la progression de l’athéroscléroseet deux autres avec de nouveaux événements coronariens. Les auteurs pré-cisent par ailleurs que les deux modèles utilisés ensemble contribuent indé-pendamment à prédire les événements coronariens.

L’incertitude d’emploi (composante du modèle de déséquilibre efforts-récompenses) est liée à l’incidence coronarienne dans une étude.

En ce qui concerne l’isolement social, trois études dans cette revue de littéra-ture montrent des associations nettes avec les pathologies et la mortalitécardiovasculaires. Trois autres études témoignent que le support social émo-tionnel peut être cardioprotecteur. Une forme de conflit social, la détressemaritale, pourrait être associée à une augmentation de la morbidité cardio-vasculaire.132

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La revue de littérature de van Vegchel et coll. (2005) porte uniquement sur lemodèle de déséquilibre efforts-récompenses de Siegrist. Elle concerne 45 étu-des, mais seules six se rapportent à l’incidence de maladies cardiovasculaires(maladies ischémiques, infarctus du myocarde ou accidents vasculaires céré-braux). Toutes montrent une association prospective avec une situation dedéséquilibre efforts-récompenses, trois études sur six avec une situation desurinvestissement, et une avec l’interaction ou la combinaison des situationsprécédentes.

Un an plus tard, une méta-analyse a été publiée sur les maladies corona-riennes concernant le modèle du job strain (Karasek), du ERI (Siegrist) ainsique le modèle de l’injustice sociale (Kivimäki et coll., 2006). Les auteurs yincluent 14 études de cohortes prospectives. Pour un total de 83 014 tra-vailleurs, le risque relatif du job strain ajusté pour l’âge et le sexe est de 1,43(IC 95 % : 1,15-1,84) et après ajustement pour les autres facteurs de risque de1,16 (IC 95 % : 0,94-1,43) pour une population de 11 528 travailleurs. Quantau risque relatif de la combinaison efforts élevés et récompenses faibles, il estde 1,58 (IC : 0,84-2,97) quand ajusté pour l’âge et le sexe, et de 2,51(IC 95 % : 1,58-3,98) après ajustement multiple. Pour le modèle d’injusticesociale, les risques relatifs évalués à partir d’une population de 7 246 tra-vailleurs sont respectivement de 1,62 (IC 95 % : 1,24-2,13) avec ajustementpour l’âge et le genre et de 1,47 (IC 95 % : 1,12-1,95) après ajustementmultiple.

En 2008, sont parues deux autres revues de littérature. La première (Goble etLe Grande, 2008) signale ne pas être en mesure de certifier la relation causaleentre stresseurs chroniques et pathologies cardiovasculaires. Les huit étudesqui présentent des résultats positifs émanent selon eux de l’étude Whitehallsur les fonctionnaires, alors que les huit autres études qui ne présentent pasd’association émanent de populations autres et diverses. Toutefois, les auteursne se réfèrent à aucune des revues de littérature précitées. Ils concluent quec’est principalement la dépression qui peut être considérée comme un facteurde risque cardiovasculaire. La seconde revue de littérature (Byrne et Espnes,2008), bien que ne reprenant que quatre études prospectives récentes conclutque les deux modèles de Karasek et de Siegrist offrent des cadres conceptuelsprédictifs qui lient facteurs stressants et affections cardiovasculaires. Toute-fois, les auteurs précisent que la force d’association est relativement peuélevée.

En résumé, il semble que la taille de l’effet du job strain en relation avec lesaffections coronariennes varie entre 1,2 et 4,0 chez les hommes et entre 1,2 et1,6 chez les femmes après ajustement pour les variables confondantes. Avec lemodèle de Siegrist, les OR varient respectivement de 1,4 à 3,6 pour leshommes et de 1,2 à 4,6 pour les femmes (Siegrist et Dragano, 2008). Selon lesétudes, la proportion de risque de développer des événements coronariensattribuables au job strain – mesurée à un moment donné – varierait entre 7 et16 % chez les hommes. Elle pourrait atteindre 35 % en cas d’exposition de

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Conséquences sur la santé cardiovasculaire

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longue durée à un manque de contrôle sur son travail (job control) (Lamonta-gne et coll., 2006).

Byrne et Espnes (2008) suggèrent, comme d’autres auteurs, d’approfondir lesmécanismes psychobiologiques et d’effectuer des études en termes d’interven-tions.

Plausibilité biologique

Plusieurs revues de littérature récentes ont été consacrées aux mécanismesbiologiques reliant stress et pathologies cardiovasculaires (Everson-Rose etLewis, 2005 ; Brotman et coll., 2007 ; Chida et Hamer, 2008). Il en ressortque de nombreux mécanismes physiologiques complexes interagissent etconfèrent dans une certaine mesure au stress son rôle nocif en matière desanté cardiovasculaire rencontrant ainsi le critère de plausibilité biologiqueexigé pour tout facteur étiologique.

Les mécanismes s’exercent potentiellement via :• l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (ou axe HPA, ou axe cortico-trope) qui libère le cortisol et l’ACTH (hormone adréno-surrénalienne) ;• le système nerveux autonome sympathique (catécholamines) et parasym-pathique (variabilité du rythme cardiaque) ;• un effet direct sur le système cardiovasculaire (rythme cardiaque, pressionartérielle systolique et diastolique).

Relation entre stress et pathologies cardiovasculairesselon les facteurs sociodémographiques

Dans la perspective des relations indirectes entre stress et affections cardio-vasculaires, il importe de préciser les relations entre un certain nombre devariables et le stress.

Plusieurs facteurs sociodémographiques peuvent conditionner l’associationentre le stress et les pathologies cardiovasculaires. Leur détermination per-mettra comme pour tout autre problème de santé publique de mieux com-prendre la dynamique de la problématique engendrée et ainsi d’intervenir plusefficacement.

Genre

Dans l’étude cas-témoins Interheart, l’exposition aux facteurs de stress autravail (qui n’est pas dans cette étude mesurée par un des deux modèlesclassiques) ne semble pas, chez les femmes, être associée à l’infarctus dumyocarde contrairement aux hommes (Rosengren et coll., 2004).134

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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Dans l’étude de Framingham (Eaker et coll., 2004), après contrôle des facteursde risque biocliniques, les auteurs n’ont pas pu mettre en évidence de relationentre le job strain et la mortalité ou l’incidence coronarienne sur une durée de10 ans, ni chez les hommes ni chez les femmes. Contrairement aux attentes,les femmes du sous-groupe « actifs » (demande élevée – contrôle élevé)avaient un risque coronarien augmenté de 2,8 fois (IC 95 % : 1,1-7,2) com-paré au risque des femmes du groupe job strain. Chez les hommes, le risquecoronarien ne variait pas significativement en fonction du job strain, tandisque le niveau d’instruction supérieur, les revenus personnels et le prestige dela profession s’accompagnaient d’un risque coronarien réduit.

Une revue de littérature extrêmement exhaustive (Pilote et coll., 2007)couvrant la plupart des aspects qui différencient les hommes des femmesconcernant les affections cardiovasculaires, précise qu’un statut socioécono-mique bas est associé à une prévalence élevée d’obésité et de diabète chez lesfemmes, mais de manière moins nette chez les hommes. En revanche, unerelation négative entre tabagisme et aisance matérielle est davantage pronon-cée chez les hommes.

Classe sociale

Dans une revue de littérature portant sur des études remontant jusqu’à 1949,Kaplan et Keil (1993) montrent que divers indicateurs sociaux (niveau d’ins-truction, de revenus, niveau socioprofessionnel...) sont associés avec la mor-talité totale ainsi que la mortalité coronarienne. L’explication proposée estque des facteurs psychosociaux tels que l’isolement social, le manque desoutien social, l’état de stress, des comportements du type « hostilité » ou desstyles de coping peu adéquats, peuvent médier ces relations.

Tout récemment, Clark et coll. (2009) ont publié une revue de littératuremontrant qu’il existe une relation entre la classe socioéconomique (classesociale des parents, niveau de revenus) et l’incidence cardiovasculaire.

Type d’occupation et secteur d’activité

Dans l’étude ARIC (Atherosclerosis Risk in Communities) (Carson et coll.,2009), il a été montré que les femmes étant occupées à l’extérieur avaientmoins de risque de développer une affection coronarienne (Hasard Ratio,HR=0,79 ; IC 95 % [0,63-0,99]) que les femmes au foyer. La relation étaitd’autant plus forte quand il s’agissait de femmes n’ayant pas fait d’étudessupérieures (HR=0,65 ; IC 95 % [0,45-0,93]).

Dans une étude relativement ancienne effectuée en Suède (Hammar et coll.,1992) et reprise en 1998 par l’European Heart Network, le type d’occupation etle secteur déterminent des risques divers et de plus variables selon le genre. Àtitre d’exemples d’incidence faible (RR<1) d’infarctus du myocarde, ontrouve chez les hommes : les juges, les médecins, les designers, les musiciens et

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les professeurs d’université ; chez les femmes : les enseignants, les employéesde l’administration, les kinésithérapeutes, les infirmières et les secrétaires. Enrevanche, sont à risque élevé parmi les hommes (RR>1,6) les ouvriers métal-lurgistes, les ouvriers du secteur chimique, les officiers de la marine, lessuperviseurs du trafic routier, les conducteurs de bus et de tram. Chez lesfemmes, le risque élevé se retrouve dans les domaines de la menuiserie, del’électricité, de la restauration et pour les femmes de ménage.

Stress et facteurs/comportements de risque cardiovasculaire

Si une relation causale directe existe entre le stress et les affections cardio-vasculaires, le stress ne devrait pas être lié aux facteurs de risque reconnus deces pathologies et permettre ainsi de vérifier l’indépendance de cet état.Toutefois, dans la perspective d’une relation indirecte, il est attendu aucontraire que l’état de stress soit en rapport avec les autres facteurs causaux.

Les principaux facteurs de risque des cardiopathies et des AVC sont unemauvaise alimentation, un manque d’activité physique et le tabagisme. Cesfacteurs de risque comportementaux sont responsables d’environ 80 % desmaladies coronariennes et cérébrovasculaires (WHO, 2009). Les effets d’unemauvaise alimentation ou de l’inactivité physique peuvent se manifester parde l’hypertension, une élévation du taux de glucose ou du taux de lipide, unexcès de poids ou une obésité, ces effets étant appelés « facteurs de risqueintermédiaires ».

Il existe également un certain nombre de déterminants sous-jacents des mala-dies chroniques, ce sont en quelque sorte les « causes des causes ». Ils reflètentl’action des principaux moteurs de l’évolution sociale, économique et cultu-relle : globalisation, urbanisation et vieillissement des populations. Parmi euxfigurent aussi la pauvreté et l’état de stress.

Pour ce qui est de la relation entre stress et facteurs physiologiques de risquecardiovasculaire, une revue récente de la littérature (Hansen et coll., 2009) aanalysé sur la base de 20 études longitudinales et de 12 études de populationl’effet de différents facteurs d’exposition : job demands, job control (maîtrise surle travail), soutien social, comportement de leadership, déséquilibre efforts-récompenses, changements occupationnels, travail posté, événements trau-matiques et autres. Les réponses physiologiques étudiées étaient les catéchola-mines (adrénaline, noradrénaline) (14 études), le cortisol (28 études), lecholestérol (23 études), l’hémoglobine A1c glucosée (HbA1c) (6 études), lamélatonine (1 étude), la thyroxine (1 étude), l’immunoglobuline Ig A (5études), l’IgG (4 études), l’IgM (1 étude) et le fibrinogène (8 études).

En général, quand l’environnement de travail était perçu comme peu favo-rable, le fibrinogène et les indicateurs cataboliques étaient augmentés, alorsque les indicateurs anaboliques étaient diminués. Il est conclu dans cette136

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revue de littérature que l’HbA1c, la testostérone et le fibrinogène sérique sontdes candidats potentiels d’effets physiologiques de l’environnement de travail.

Les études réalisées depuis 2000 confirment qu’il existe une relation entre lejob strain et plusieurs facteurs de risque cardiovasculaires. L’exposition au jobstrain serait reliée à une augmentation de divers facteurs de risque cardio-vasculaires connus, tels que :• la pression artérielle observée ou auto-rapportée, plus importante chez leshommes que chez les femmes (Tsutsumi et coll., 2001 ; Cesana et coll., 2003 ;Greiner et coll., 2004 ; Guimont et coll., 2006 ; Kjeldsen et coll., 2006). Enrevanche, Fornari et coll. (2007) observent une relation inverse ;• la pression artérielle ambulatoire élevée au travail, à la maison et durant lesommeil liée à un job strain élevé dans un groupe de femmes et d’hommes(Clays et coll., 2007) ;• l’obésité : un niveau de contrôle bas, un job strain élevé ou un déséquilibreefforts-récompenses élevé est associé à un indice de masse corporelle (IMC)plus élevé (Kouvonen et coll., 2005). Une relation dose-effet a été mise enévidence entre le job strain et le risque d’obésité générale (IMC ≥30 kg/m2) etd’obésité centrale (circonférence de la taille >102 cm chez les hommes et>88 cm chez les femmes) largement indépendant des autres covariables(Brunner et coll., 2007) ;• le diabète : la combinaison d’un niveau socioéconomique bas et d’unelatitude décisionnelle faible est associée au diabète du type 2 avec un RR de2,6 (1,2-5,7) (Agardh et coll., 2003) ;• le fibrinogène : chez les hommes de niveau d’instruction bas et chez lesfemmes de niveau d’instruction moyen, le job strain est associé à des taux defibrinogène plus élevés après ajustement pour les autres facteurs de risque(Kittel et coll., 2002). Les hommes ayant des demandes au travail élevéesprésentent, indépendamment des autres facteurs de risque, un taux de fibrino-gène plus élevé. Cette relation n’a pu être mise en évidence chez les femmes(Hirokawa et coll., 2008) ;• l’inhibiteur-1 de l’activateur du plasminogène : l’association entre le jobstrain et ce facteur ne se vérifie que chez les femmes (Brostedt et coll., 2004) ;• le syndrome métabolique : les salariés masculins présentant du job strainchronique – mesuré au moins 3 fois – avaient un RR de 2,04 en termes desyndrome métabolique (Chandola et coll., 2008).

Dans une étude portant sur les salariés (N=42 212) du secteur public enFinlande (Kouvonen et coll., 2007), il a été montré que l’association entre lejob strain et les comportements de santé à risque (tabagisme, consommationd’alcool excessive, indice de masse corporelle > 25 et sédentarité) augmentaitavec le nombre de comportements co-associés. Par rapport au groupe n’ayantpas de comportements de risque, les OR sont respectivement chez les hommeset chez les femmes de 1,11 et 1,17 pour un comportement à risque ; de 1,21 et1,22 quand deux comportements défavorables à la santé sont associés et de1,43 et 1,34 dans le cas de trois comportements à risque.

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Toutefois, une revue de la littérature (Siegrist et Rödel, 2006) portant sur46 études ne supporte que modestement l’hypothèse d’une association cons-tante entre exposition aux facteurs de stress (modèle de Karasek ou de Sie-grist) et comportements à risque. Les relations les plus fortes sont observéespour le surpoids, et chez les hommes pour l’alcool et dans une moindre mesurepour le tabagisme.

Autres facteurs psychosociaux et santé cardiovasculaire

La 4e enquête de la Fondation pour l’amélioration des conditions de vie et detravail (Burchell et coll., 2007) signale dix risques psychosociaux émergentsprésentant sur une échelle de Likert de 1 à 5 des valeurs moyennes de plus de4. Parmi eux, cinq risques pourraient être compatibles avec le « profil » desindépendants : le sentiment d’insécurité professionnelle, les longs horaires detravail, l’intensification du travail, les fortes exigences émotionnelles au tra-vail et le déséquilibre entre vie professionnelle et vie privée.

L’investigation des facteurs de risque psychosociaux émergeants dans la litté-rature cardiovasculaire livre les observations suivantes.

Une étude cas-témoins en Suède (Medin et coll., 2008) montre qu’en termesd’insécurité de travail, le changement organisationnel s’accompagne d’uneaugmentation du risque d’accident vasculaire cérébral avec un OR de 3,38,même après contrôle pour les autres variables susceptibles d’être liées à lapathologie.

Pour ce qui est des horaires, l’étude Belstress I (De Bacquer et coll., 2009) amontré prospectivement que le travail posté augmentait significativement lerisque de développer un syndrome métabolique, reconnu comme prédicteurd’événements cardiovasculaires.

Quant aux fortes exigences émotionnelles et à leur impact sur la santé cardio-vasculaire, Chida et Steptoe (2009) ont effectué une méta-analyse sur 21 étu-des et ont observé un HR global de 1,19 (IC 95 % : 1,05-1,35) de développerun événement coronarien.

Dans l’étude de Whitehall sur les fonctionnaires anglais (De Vogli et coll.,2007a et b), l’injustice ressentie s’est avérée un prédicteur (OR=1,55 ;IC 95 % [1,11-2,17]) d’événements coronariens indépendamment des fac-teurs de risque classiques, du job strain (modèle de Karasek), de l’état de stressselon Siegrist (modèle ERI), de la justice organisationnelle.

Relativement au déséquilibre vie professionnelle/vie privée, deux études peu-vent être citées. Toujours dans l’étude de Whitehall (Chandola et coll.,2004), le manque de contrôle dans la vie privée prédit chez les femmes, maisnon les hommes, des événements coronariens. Dans l’étude Belstress III,l’interférence vie privée/vie professionnelle est associée chez les hommes138

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comme chez les femmes à des absentéismes de longue durée au cours del’année de suivi, dont les causes principales sont les événements coronarienset les problèmes de santé mentale (Clays et coll., 2009).

Interventions sur le stress pour réduirele risque cardiovasculaire

Une revue de la littérature (60 études) portant sur l’évaluation des interven-tions sur le stress au travail (Lamontagne et coll., 2007) montre que lesinterventions centrées sur l’individu affectent favorablement les consé-quences du stress sur la personne mais ont peu d’effet au niveau organisa-tionnel. En revanche, les interventions sur l’organisation du travail influen-cent positivement à la fois le niveau organisationnel et individuel. À titred’exemple, l’étude quasi-expérimentale effectuée au sein d’un site de l’entre-prise Brabantia en Allemagne (Maes et coll., 1998) a montré que des modifi-cations au niveau organisationnel (certainement via une réduction de l’étatde stress) s’accompagnaient de réductions du risque cardiovasculaire.

La reconnaissance de l’état de stress au travail par la communauté scientifiquecomme facteur de risque par rapport aux affections cardiovasculaires aentraîné une série de recommandations par diverses instances internatio-nales.

La Fondation nationale du cœur d’Australie (Bunker et coll., 2003) conclutque :• la dépression, l’isolement social et le manque de soutien social sont desfacteurs de risque significatifs pour les maladies coronariennes ;• les « stresseurs » ou événements de vie aigus peuvent précipiter des événe-ments coronariens ;• la dépression, l’isolement social et le manque de soutien social peuventexpliquer en partie la variabilité des occurrences des maladies coronarienneset le risque accru dû à ces facteurs est comparable à celui de facteurs de risqueclassiques tels que le tabagisme, l’hypercholestérolémie et l’hypertension ;• les facteurs de risque psychosociaux peuvent se cumuler de manière ana-logue aux facteurs de risque conventionnels ;• la dépression est le facteur de risque le plus commun et le plus évident enmatière de maladies coronariennes ;• la dépression et les maladies coronariennes coexistent fréquemment ;• chez les patients cardiaques, la présence de dépression a plus de chances demener à des issues plus défavorables ;• le désavantage social est plus fortement associé aux facteurs de risquepsychosociaux qu’aux facteurs de risque cardiovasculaires conventionnels ;• l’attention portée à ces facteurs psychosociaux peut améliorer les issuesauprès des patients cardiaques ;

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• le terme « stress » est trop imprécis et dès lors peu utile. Il devrait êtreremplacé par des termes plus spécifiques pour lesquels il y a des preuves tantdans les domaines cliniques, de santé publique que dans les environnementsmédico-légaux.

Les recommandations de prévention des maladies cardiovasculaires en pra-tique clinique au niveau européen (Graham et coll., 2007) incluent la priseen compte de la dépression, de l’hostilité, du niveau socioéconomique peuélevé, de l’isolation sociale et du stress chronique dans les interventionsauprès des patients cardiaques.

La déclaration de politique de l’American Heart Association (Carnethon etcoll., 2009) précise que les programmes de bien-être en entreprise doiventcomporter des éléments tels que la gestion du stress et l’introduction dechangements dans l’environnement de travail qui encouragent les comporte-ments de santé sains et promeuvent la sécurité et la santé au travail.

Si des associations scientifiques dans le domaine cardiologique généralementorientées vers des aspects purement somatiques, reconnaissent au stress sacontribution dans ces maladies, cela constitue un argument de taille pourintroduire des stratégies, interventions qui permettraient de réduire ce stressen améliorant les conditions de travail au niveau collectif.

En conclusion il semble que le stress – selon les deux modèles les plusutilisés – contribue, en tant qu’état de l’organisme à côté de certains facteurscausaux, à déterminer un risque accru au niveau cardiovasculaire. Il répondlargement aux divers critères épidémiologiques de causalité. Le stress tel quedéfini est probablement très prévalent chez les indépendants ainsi qu’une sériede nouveaux facteurs organisationnels et psychosociaux reconnus commeétant associés au développement de problèmes de santé, comme le sentimentd’insécurité professionnelle, les longs horaires de travail, l’intensification dutravail, les fortes exigences émotionnelles au travail et le déséquilibre entrevie professionnelle et vie privée. Des investigations spécifiques devront doncêtre effectuées auprès des indépendants, afin de préciser les dimensions impor-tantes pour préserver leur santé cardiovasculaire et intervenir sur celles-ci.

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9Troubles musculosquelettiques

Les affections musculosquelettiques sont, en France comme dans d’autres paysindustrialisés, la première cause de maladie professionnelle indemnisée (Ha etRoquelaure, 2010), et la première source de limitations dans le travail(Ferrand et coll., 2005). Les données qui montrent le poids important de cesaffections concernent avant tout les salariés ; celles portant sur les indépen-dants sont plus rares, mais on peut penser que ces affections ont également unpoids important dans cette population. Bien que la majeure partie des exposi-tions professionnelles suspectées ou reconnues soient des hypersollicitationsde nature physique, la question du rôle des expositions psychosociales etorganisationnelles se pose aussi, de nombreuses études mettant en évidencedes liens avec des expositions autres que biomécaniques.

Le terme « affections musculosquelettiques » recouvre un large ensemble dediagnostics et de symptômes. Dans ce chapitre, on se limite aux troublesfréquents et dont les liens avec les expositions professionnelles, particulière-ment les contraintes posturales et biomécaniques, sont reconnus ou discutés :rachialgies (principalement : lombalgies et cervicalgies), troubles musculo-squelettiques (TMS) du membre supérieur, ainsi que les TMS du membreinférieur, principalement les problèmes de genou (Inserm, 2000 ; Lasfargues etcoll., 2003 ; Chalès, 2009). Un examen du tableau 9.I de ce chapitre montreque ces troubles sont habituellement classés selon la localisation des douleursou des limitations de mouvement. Pour certains sites de douleurs, sont consi-dérés aussi des diagnostics fondés sur un examen clinique, des explorationsspécifiques, ou de l’imagerie. Ainsi, la définition d’une épicondylitepourra-t-elle être basée sur un examen clinique, la définition d’un syndromedu canal carpien sur une mesure de la vitesse de conduction nerveuse, et unearthrose du genou sur l’imagerie. De façon générale, en dehors de pathologiestrès spécifiques, ou de situations expérimentales, les connaissances sur laphysiopathologie des troubles sont très partielles. La conséquence en est uneincertitude sur les mécanismes par lesquels les expositions psychosociales ontdes effets négatifs. Autrement dit, parmi tous les mécanismes potentielsd’action du « stress », on ne sait pas bien lesquels sont réellement à l’œuvre.

Dans ce chapitre, on préfèrera au terme « stress » d’autres termes dont ladéfinition est plus précise ou plus cohérente avec les connaissances dispo-nibles : facteurs psychosociaux au travail, facteurs liés à l’organisation dutravail ou contraintes organisationnelles. Ce dernier terme inclut les

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contraintes temporelles ou l’intensification du travail, et plus généralementles facteurs qui définissent le cadre dans lequel le travail doit être effectué,indépendamment de la façon dont le sujet les perçoit. Ces contraintes ont laparticularité de se situer « en amont », à la fois par rapport aux expositionsbiomécaniques et par rapport à des expositions psychosociales au niveau dusujet lui-même, ou au « stress perçu ».

Mécanismes d’action des facteurs psychosociaux spécifiquesau domaine musculosquelettique

La question des mécanismes physiologiques et neurologiques reliant stress etpathologies est largement traitée dans d’autres parties de cet ouvrage ; quel-ques développements propres aux autres mécanismes mis en jeu dans ledomaine musculosquelettique sont cependant nécessaires. En effet, ici lesexpositions biomécaniques jouent un rôle très important, et doivent êtreprises en compte.

D’emblée, il est utile de distinguer deux types de facteurs étiologiques desTMS en lien avec le travail ; les premiers sont ceux liés à l’organisation dutravail, que l’on appellera également des facteurs « en amont » (Huang etcoll., 2002). Tels que définis par Huang, il s’agit des aspects structurels liés auxtâches à accomplir et à l’organisation, la façon dont les processus de travailsont structurés et gérés. Certaines dimensions ne semblent pertinentes quepour les salariés, par exemple le style de management, et les pratiques desupervision. Cependant, pour les indépendants, les facteurs liés à la relationaux donneurs d’ordre et aux clients peuvent être importants, ainsi que lescontraintes liées aux sources de revenu. Ils peuvent entraîner des contraintestemporelles, la nécessité d’effectuer des tâches dans des délais courts, et parfoisla nécessité de prendre des risques ou de travailler dans de mauvaises condi-tions, tous facteurs appelés ici organisationnels.

Les seconds types de facteurs sont ceux dénommés classiquement « psycho-sociaux » qui se réfèrent aux qualités de l’environnement de travail telles queperçues par le sujet, donc comportant une dimension subjective.

Trois principaux types d’effets des facteurs psychosociaux peuvent conduire àune altération de la santé musculosquelettique (figure 9.1) :• les effets « en amont » liés à l’organisation du travail ont des conséquencesdirectes sur les expositions biomécaniques (et des effets sur les expositionspsychosociales au sens usuel du terme) ;• les effets d’interaction, directs et à court terme, entre exposition bioméca-nique et conditions stressantes, ont été documentés par des études expérimen-tales. Il a ainsi été montré que l’activité musculaire en réponse à une tâche demanutention était accrue si les sujets devaient travailler « en situation destress » (Marras, 2000). D’autres auteurs ont répété ce type d’expérience, et146

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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montré que l’activité musculaire mesurée par EMG (électromyographie)dépendait du « niveau de stress » ;• les effets d’interaction à plus long terme entre exposition biomécanique etconditions stressantes pourraient être évoqués en termes d’effets du stresschronique. Ici les conditions stressantes ou les expositions psychosocialesinterfèrent avec les processus qui suivent l’activation musculaire, dont laréparation des lésions. Les processus d’inflammation sont discutés, ainsi que lerôle du sommeil et du système nerveux végétatif (Elfering et coll., 2008 ;Kompier et van der Beck, 2008 ; Kiecolt-Glaser et coll., 2010). La littératureportant sur la chronicisation des douleurs apporterait d’autres pistes concer-nant les effets potentiels d’un stress chronique, dont des effets sur les seuils deperception de la douleur. De façon générale, c’est l’activité musculaire qui estprincipalement concernée dans les interactions (comme élément dans unechaîne causale) mais certains mécanismes peuvent impliquer d’autres élé-ments anatomiques ou physiologiques (Fouquet, 2004).

Enfin, il est nécessaire de mentionner le rôle des facteurs psychosociaux dansles déclarations des troubles. Ces effets peuvent être considérés comme desbiais d’information, mais ne peuvent être ignorés du fait de leur importancedans les études épidémiologiques, s’agissant de troubles le plus souvent auto-déclarés. Les épidémiologistes y accordent une telle importance qu’ils traitent« à part » (le plus souvent en les ignorant) les études d’observation transver-sales, les plus sensibles à ce type de biais.

Figure 9.1 : Différents niveaux d’impacts des facteurs psychosociaux au travail surla santé musculosquelettique

Ce qui précède est volontairement simplificateur ; les connaissances sur leseffets du stress suggèrent la possibilité de mécanismes variés, dont les méca-nismes physiologiques conduisant à des changements organiques ou à des modi-fications de la perception de la douleur, avec des conséquences sur la façon dont

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Troubles musculosquelettiques

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les sujets font face à des problèmes de santé (Theorell, 1996). En se limitant auxmécanismes physiologiques conduisant à des changements organiques, deuxauteurs d’une revue générale sur ce sujet soulignent que les théories sontnombreuses et difficiles à valider (Deeney et O’Sullivan, 2009). Certainsauteurs évoquent par exemple des mécanismes impliquant la vasoconstrictionet l’oxygénation des muscles, ou l’accumulation de métabolites (comme l’acidelactique) et de substances inflammatoires dans les muscles. On peut identifierdes mécanismes qui relèvent conjointement de plusieurs des processus indi-qués : ainsi la « guérison » ou la réparation de lésions peut être rendue difficiledu fait d’expositions psychosociales concomitantes (mécanisme « 3 »), maisaussi du fait de l’organisation du travail (mécanisme « 1 ») qui ne permettaitpas, par exemple, de réduire provisoirement l’activité physique.

Il peut être difficile de distinguer un type de mécanisme d’un autre. Cettequestion sera évoquée dans la suite du chapitre. MacDonald et ses collèguessoulignent que les expositions physiques et psychosociales, dans un environ-nement de travail réel, loin d’être indépendantes, sont extrêmement liées(MacDonald et coll., 2001). Par exemple, la répétitivité des gestes (classée« biomécanique ») et le manque de contrôle sur le travail (classé « psychoso-cial ») concernent (presque) les mêmes sujets. De ce fait, on peut parfoisattribuer soit aux facteurs physiques, soit aux facteurs psychosociaux, destroubles de santé qu’il serait plus pertinent d’attribuer à des facteurs d’organi-sation du travail qui « gouvernent la structure du travail » en amont. Ce typede situation se rencontre également chez les indépendants : le stress perçupeut être associé dans certains professions au fait d’avoir une charge physiquetrop importante par rapport au temps disponible. Il faut alors se demander cequi, en amont, génère à la fois le stress et la charge de travail.

En complément de ce qui est souligné par MacDonald et ses collègues, « lamême » exposition physique peut être en réalité d’intensité variable selon lecontexte psychosocial. Un exemple est le port de charge avec ou sans soutiende la part des collègues. Le manque de soutien des collègues est classé parmiles expositions psychosociales, mais parmi les conséquences négatives d’unmanque de soutien, il faut s’intéresser à l’exposition physique, c’est-à-dire lacharge « réelle » à laquelle est exposée le sujet s’il doit travailler sans aide,qu’il s’agisse de transfert de malades ou de port de charges dans le secteur dubâtiment.

Concernant les mécanismes et les effets sur la santé, il faut remarquer que les« effets » dont il est question ne sont pas tous de même nature. En particulier,que l’activité musculaire soit accrue en présence de conditions stressantesn’implique pas automatiquement des conséquences négatives sur la santé àmoyen ou long terme.

On peut aussi se demander si les expositions psychosociales peuvent jouer unrôle négatif direct sur la santé musculosquelettique, en l’absence d’expositionsbiomécaniques. Rien ne dit que ce soit impossible, c’est même vraisemblable148

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

Page 164: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

pour des pathologies spécifiques comme la fibromyalgie. Cependant, concer-nant des populations au travail, ce n’est pas un phénomène de grandeampleur. Dans les groupes professionnels où se pose la question des effets desexpositions psychosociales sur les troubles musculosquelettiques, les contrain-tes biomécaniques, d’une nature ou d’une autre (y compris contraintes sta-tiques), sont également très importantes, ce qui est cohérent avec des effetsd’interaction plutôt que des effets propres des expositions psychosociales.

Facteurs psychosociaux au travailet troubles musculosquelettiques

La synthèse de la littérature scientifique présentée dans le tableau 9.I a étépréparée à partir de revues générales publiées dans les dix dernières années etportant sur un site de douleur ou (moins souvent) une pathologie spécifique.

Méthode d’analyse de la littérature

Les revues générales portant sur la survenue ou la présence de TMS ont étérecensées. Ont été retenues les revues qui concernaient (exclusivement ou non)les facteurs professionnels, en incluant les revues non centrées sur les facteurspsychosociaux, qui apportent également une information sur le poids des fac-teurs psychosociaux (l’information pouvant être que ceux-ci occupent une placeminime). N’ont pas été pris en compte : le devenir d’un trouble existant, sesconséquences (sociales, professionnelles, médico-administratives...) ainsi que la« réponse » des sujets (recours aux soins...). Parmi les articles de synthèse, celuide Macfarlane est particulier puisqu’il s’agit d’une « revue » de revues datant deplus de 10 ans (Macfarlane et coll., 2009). Néanmoins, cet article ne suffit pas àrésumer l’information, car il ne prend pas en compte les informations les plusrécentes ni ce qui porte sur une pathologie spécifique.

Les conclusions principales sur les liens entre le trouble considéré et lesfacteurs psychosociaux ont été reprises des revues générales, en excluant cequi portait sur la satisfaction au travail et les dimensions psychologiques. Sousle terme « psychosocial », il s’agit le plus souvent des dimensions « demande »et « latitude » du modèle de Karasek, ainsi que du soutien social au travail. Lesaspects psychologiques sont en général considérés comme une question à part(mais très étudiés en particulier en lien avec les douleurs chroniques). Uneexception serait le sur-investissement dans le travail, qui est une composantede certains modèles psychosociaux, mais dont le rôle spécifique a été peuétudié. La satisfaction au travail a l’avantage d’être une variable simple,l’inconvénient est qu’elle est très liée aux déclarations. Le fait qu’elle recouvredes dimensions composites est également un inconvénient important si l’ons’intéresse aux mécanismes, ce qui explique probablement un usage relative-ment limité dans des études récentes.

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Le tableau 9.I indique pour chaque site de douleur les conclusions d’un seulauteur de revue, sauf exception. Dans la plupart des cas, en effet, différentesrevues sur le même sujet aboutissent aux mêmes conclusions. Il arrive cepen-dant que des revues, quoique basées sur les mêmes articles, ne soient quemoyennement cohérentes entre elles dans leurs conclusions. C’est le cas enparticulier pour les lombalgies. Même si les revues retenues utilisent toutes des« grilles de lecture » comme celle présentée en note du tableau 9.I, les critèresde jugement peuvent être plus ou moins restrictifs selon les revues ; ceci est lasource principale des différences observées dans les conclusions.

Les limites ou les lacunes de certaines revues, telles que la non prise encompte d’études ou des interprétations un peu discutables, ne sont pas inclu-ses. En effet, nuancer les conclusions des auteurs n’aurait pu se faire que defaçon très partielle, et aurait posé des problèmes d’homogénéité, ceci sans queles conclusions soient fondamentalement modifiées.

Lien entre facteurs psychosociaux et troubles musculosquelettiquesen fonction des sites de douleur

Globalement, comme on le voit dans le tableau 9.I pour la plupart des sites dedouleur, de nombreuses études montrent des liens avec les expositions psy-chosociales. Le niveau de preuve varie cependant selon les sites de douleurs ;pour les douleurs cervicales et les douleurs d’épaules, les associations avec la« demande » au travail, le manque de latitude et le manque de soutien social,sont retrouvées de façon assez constante (Ariëns et coll., 2001 ; Palmer etSmedley, 2007 ; Côté et coll., 2008). Pour les troubles portant sur le cou et lemembre supérieur, on peut conclure d’après l’étude de Bongers et coll. (2006)que les facteurs psychosociaux sont liés de façon modeste aux troubles, sansqu’il y ait d’association spécifique. Les relations sont moins nettes pour despathologies du coude et surtout le syndrome du canal carpien. Concernant leslombalgies, les associations, observées dans des études transversales, sontmoins nettes, voire inexistantes, dès lors qu’on se limite à l’examen d’étudeslongitudinales, a priori plus solides du point de vue méthodologique (Hoogen-doorn et coll., 2000 ; Hartvigsen et coll., 2004). Néanmoins, dans l’étudeBelstress portant sur 2 556 sujets suivis pendant plus de 6 ans, après ajuste-ment sur les facteurs d’exposition physique, il subsiste pour les hommes unlien de faible amplitude entre lombalgie et manque de latitude décisionnelle,et entre lombalgie et peu de soutien social (Clays et coll., 2007). Enfin, lesconclusions concernant le membre inférieur sont plutôt négatives. Le faiblenombre d’études pertinentes sur ce sujet pourrait en être la cause, mais il estpossible que certaines des pathologies à l’origine des douleurs, dont l’arthrose,ne soient pas liées de façon étroite à ces facteurs de risque.

Par ailleurs, les résultats positifs observés dans différentes études manquentsouvent de cohérence (ce ne sont pas toujours les mêmes facteurs qui sontassociés aux troubles) et les « effets », quand ils sont observés, sont d’assez152

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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faible intensité. Il n’y a pas unanimité sur le fait que retenir des critèresméthodologiques plus stricts, en particulier s’assurer de la temporalité desrelations et tenir compte de sources de biais, tende à réduire les associations,voire à les faire disparaître (Bongers et coll., 2006 ; Harvigsen, 2009). Cepen-dant, différents auteurs soulignent que les conclusions sont très sensibles auxcritères retenus pour juger de la qualité des études (Ariëns et coll., 2001 ;Hartvigsen et coll., 2004).

Deux remarques, ci-dessous, complètent cette synthèse fondée sur des revuesgénérales.

La première porte sur la temporalité entre « cause » et effets sur la santé ainsique sur la nature de ces effets. Il est probablement difficile de conclure defaçon générale sans distinguer les effets à court terme des effets à long terme,et sans préciser le type de troubles. Une hypothèse est que les effets « directs »des expositions psychosociales sont plutôt à court terme qu’à long terme, cequi serait cohérent avec les connaissances sur les mécanismes d’action.

La seconde porte sur les liens entre expositions biomécaniques et psychoso-ciales. La méthodologie classique « evidence based » (basée sur des preuves),telle qu’elle est présentée en note du tableau 9.I, fait référence à l’éventualitéde biais et d’effets de confusion. Tout ceci est pertinent dans la situation où lesexpositions psychosociales auraient un effet propre sur les troubles, autrementdit un effet à situation égale du point de vue des expositions biomécaniques, ycompris en l’absence de celles-ci. Si telle n’est pas la situation, alors le rôle desexpositions psychosociales peut être sous-estimé. C’est le cas si les effets sontdes effets d’interaction (une exposition biomécanique donnée génère plusd’« effet » délétère en situation de « stress »). C’est également le cas s’il s’agitd’effets en amont. Par ailleurs, on peut noter que ce qui porte sur « l’organisa-tion du travail » de façon générale est peu pris en compte de façon explicitedans la littérature épidémiologique. Dans certaines études, ce qui est classé« exposition psychosociale » est aussi proche ou plus proche de facteursd’organisation du travail, ou d’exposition biomécanique, que de « stress ».Ainsi, concernant les cervicalgies, Ariëns cite une étude où la variable carac-térisant l’exposition est le nombre d’heures de travail avec des délais stricts àrespecter (Ariëns et coll., 2001). Ainsi, dans certains articles, des expositionsclassées « psychosociales » reflètent l’organisation du travail et (de fait) lacharge physique. À l’inverse, d’autres portant explicitement sur le rôle defacteurs liés à l’organisation du travail sont probablement classées « horssujet » dans des revues générales portant sur les expositions psychosociales.C’est le cas par exemple d’une étude française sur le syndrome du canalcarpien (Leclerc et coll., 1998). Il est possible que pour une pathologie (lesyndrome du canal carpien) où il y a un relatif consensus sur les facteurs derisque « proximaux » biomécaniques, tout se passe comme si les causes étaientconnues, sans plus d’intérêt pour les facteurs intervenant en amont. Or,s’intéresser à l’organisation du travail enrichirait la connaissance sur l’ensem-ble des facteurs de risque et les liens entre ces facteurs.

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Face à la complexité des liens entre « biomécanique » et « psychosocial », peud’auteurs ont étudié de façon explicite les effets d’interaction ; dans une étudesuédoise, l’incidence annuelle de douleurs au cou et aux épaules a été étudiéedans différentes configurations, dont : exposition biomécanique seule, exposi-tion psychosociale seule, et cumul des deux (Ostergren et coll., 2005). Lesrésultats suggèrent l’existence d’un effet d’interaction – le rôle des expositionsbiomécaniques étant majoré en présence d’expositions psychosociales – etaussi, mais seulement pour les femmes, un effet propre des expositions psycho-sociales. Les auteurs soulignent, à juste raison, que ces questions d’interactionfont l’objet de trop peu d’études.

Facteurs liés au devenir ou à la « réponse » du sujetà un trouble présent

Le rôle des expositions psychosociales dans le devenir de troubles ou dans lesconséquences a été peu étudié. Une étude portant sur le pronostic de douleurstouchant le cou et les épaules montre un résultat inattendu, à savoir unmeilleur pronostic pour les sujets exposés (Grooten et coll., 2007). Les auteursn’avancent pas d’explication à ce résultat surprenant, qui pourrait être dû àdes questions de méthodes, telles que la difficulté à prendre en compte lasévérité des troubles au départ de l’étude.

Concernant le retour au travail, les mécanismes par lesquels les facteursprofessionnels pourraient jouer sont spécifiques, puisque les sujets n’y sontplus exposés à partir du moment où ils ne sont plus au travail. Ceci expliqueque le terme de « facteurs psychosociaux » dans le retour au travail faitsouvent référence à d’autres dimensions que celles évoquées au début de cechapitre. Il peut s’agir de facteurs sociaux ou de facteurs plus psychologiquesque sociaux (Iles et coll., 2009).

Stress et fibromyalgie

La fibromyalgie, caractérisée par des douleurs musculaires touchant plusieurssites, accompagnées de fatigue et de problèmes de sommeil, est souventconsidérée comme associée au « stress ». Pour cette pathologie, les méca-nismes par lesquels les expositions psychosociales pourraient contribuer à lasurvenue et au développement du trouble sont probablement différents deceux à l’œuvre pour des douleurs localisées (Kivimäki et coll., 2004 ; Larssonet Balogh, 2005). Les connaissances sur le sujet sont cependant limitées, et lesétudes se heurtent à des difficultés méthodologiques, en particulier pourdéfinir exactement la date de début de la fibromyalgie.

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Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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Professions indépendanteset risque de troubles musculosquelettiques

Les données nationales issues de l’enquête SIP17 (Santé et Itinéraires Profes-sionnels) permettent de décrire la fréquence de douleurs à différents sites parmiles indépendants, et de comparer ces fréquences à celles observées dans l’ensem-ble de la population. Les résultats présentés dans le tableau 9.II montrent que lafréquence des troubles musculosquelettiques auto-déclarés est globalement fai-ble parmi les indépendants. Ceci peut avoir différentes explications, dont deseffets de sélection, ou des effets de déclaration, avec une relative sous-déclaration des troubles parmi les indépendants. Seule la prévalence des pro-blèmes de dos est observée en excès, de façon significative, parmi les hommesartisans (43 % versus 33,5 % pour l’ensemble des hommes). Une comparaisonaux hommes salariés exerçant les mêmes métiers, exposés également à descontraintes biomécaniques, ne montrerait peut-être pas de différence.

Tableau 9.II : Douleurs musculosquettiques des indépendants dans l’enquêteSIP (Santé et Itinéraires Professionnels)

Fréquence des douleurs « souvent dans les 12 derniers mois » par localisations, 30 à 74 ans (en %)a

Artisans(151 H,46 F)

Commerçants(103 H,101 F)

Chefsd’entreprise(35 H, 12 F)

Professionslibérales

(57 H, 56 F)

Infirmiers,kinés,

rééducateurs(libéral)

(11 H, 27 F)

Ensemblede la

population(6 343 H,7 648 F)

Hommes Cou ou épaules 11,9 5,8 11,4 5,3 b 13,5

Coude, poignet,main, bras

10,6 1,9 2,9 5,3 b 9,5

Dos 43,0c 31,1 25,7 19,3 b 33,5

Hanche, genou,cheville

13,2 14,6 11,4 14,0 b 16,7

Femmes Cou ou épaules 19,6 10,9 b 8,9 29,6 19,0

Coude, poignet,main, bras

19,6 4,0 b 10,7 7,4 15,2

Dos 30,43 38,6 b 32,1 48,1 36,2

Hanche, genou,cheville

17,4 14,8 b 14,3 11,1 17,8

H : Homme ; F : Femme ; a Fréquences calculées en fonction de la profession actuelle, ou de la dernière professionsi la personne ne travaille pas mais que sa dernière profession est « récente », c’est-à-dire encore exercée moinsd’un an avant l’enquête ; b Non calculé, effectif inférieur à 25 ; c Excès significatif à 5 %, comparaison à lapopulation générale de même sexe (test bilatéral)

17. Remerciements à Jean-François Chastang pour les données concernant les indépendantsdans l’enquête SIP

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Page 171: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

Facteurs psychosociaux, contraintes temporelleset troubles musculosquelettiques chez les indépendants

La littérature spécifique aux professions indépendantes, portant sur les liensentre expositions psychosociales et troubles musculosquelettiques, est limitée.Une partie des connaissances pertinentes sur ce sujet est constituée d’articlesportant sur certaines professions, souvent sans précision sur le statut salarié ouindépendant, par exemple les chauffeurs (de taxis, de camion, de bus...).Certains indépendants ont des risques élevés de TMS, mais les résultats lesconcernant sont regroupés avec ceux des salariés à côté de qui ils travaillent.C’est le cas des tâcherons dans le secteur de l’agro-alimentaire, plus précisé-ment dans les abattoirs. D’autres font partie de catégories fluctuantes et peuvisibles, aux marges du salariat, très dépendants d’entreprises ou de clients, etpeuvent mettre leur santé en danger sans que ceci soit bien repéré dans desenquêtes.

Les études portant sur les chauffeurs mettent en évidence un facteur dont onpeut penser que le rôle est assez général parmi les indépendants, le nombred’heures travaillées. La fréquence de douleurs au dos et au cou est ainsiassociée, chez des chauffeurs de bus américains (salariés) à la durée de périodede conduite sans interruption (Krause et coll., 1997). La fréquence de lombal-gie est également associée au nombre d’heures de conduite et au stress perçuparmi des chauffeurs de taxi, toujours aux États-Unis (Chen et coll., 2005). Lenombre d’heures de travail paraît être, de façon générale, une variable par-ticulièrement pertinente pour les indépendants ; dans certaines professionscomme les chauffeurs et les artisans, un plus grand nombre d’heures de travailimplique un niveau accru d’exposition à des contraintes biomécaniques. Dansd’autres professions, la conséquence négative est au contraire une trop grandesédentarité ; ceci est par exemple décrit pour les médecins (Bazargan et coll.,2009).

Les professions de santé constituent probablement les catégories d’indépen-dants les plus étudiés concernant la santé musculosquelettique, en partie dufait des contraintes posturales spécifiques à certaines professions : infirmièreset aides-soignantes, dentistes, kinésithérapeutes. Parmi les kinésithérapeutes,les douleurs aux pouces et aux poignets sont fréquentes (Albert et coll., 2008).Les dentistes et les hygiénistes dentaires (qui effectuent certaines des tâchesréalisées en France par les dentistes) ont à maintenir des positions inconfor-tables tout en effectuant des gestes très précis (Ylippää et coll., 2002 ; Palliseret coll., 2005). Une étude portant sur les infirmières met en évidence un lienentre problèmes musculosquelettiques et horaires de travail, travail le week-end ou les jours de repos, et manque de pauses (Trinkoff et coll., 2006). Lesauteurs concluent que ce sont ces contraintes temporelles qui sont impor-tantes, du fait de leurs conséquences du point de vue des expositions phy-siques, plus que les facteurs psychosociaux, définis dans cette étude à partir duquestionnaire de Karasek.156

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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Une étude menée chez les vétérinaires rappelle le rôle de la pression tempo-relle, du manque de vacances, mais également d’inquiétude sur la carrière, del’attitude des « clients » et du manque de reconnaissance de la part descollègues (Smith et coll., 2009). Une étude portant sur les dentistes rappelleles sources de stress dans cette profession : risque d’erreur, et prise en charge depatients difficiles, ceci avant les questions liées à la gestion de l’emploi dutemps et aux pannes ou aux défauts du matériel (Palliser et coll., 2005). Uneautre étude, portant sur les hygiénistes dentaires, s’interroge aussi sur lesressources qui permettent de « faire face » et suggère le rôle positif de lamaîtrise sur son travail, d’activités de loisir, et d’aide dans le domaine de lagestion (Ylippää et coll., 2002). On peut avancer l’hypothèse que les facteursévoqués dans ce paragraphe joueraient également un rôle pour d’autres caté-gories d’indépendants, qui se retrouvent face à des « clients » difficiles ou quipeuvent avoir des inquiétudes sur la gestion de leur carrière. Ils seraient àl’inverse relativement protégés par certains facteurs comme une bonne maî-trise sur leur travail.

En conclusion, le rôle du « stress au travail » dans la survenue et le maintiende troubles musculosquelettiques ne peut être négligé, mais apparaît com-plexe, en relation avec des expositions biomécaniques, et dépendant de fac-teurs « en amont » caractérisant l’organisation du travail. Les études dispo-nibles ne mettent pas suffisamment en évidence les liens entre différentsfacteurs, ce qui est une limite concernant les actions de santé publique quipourraient être suggérées.

Concernant les indépendants, les contraintes temporelles pourraient jouer unrôle important, ainsi que des sources de stress liées au contact avec le public etau fait de travailler seul. Il manque cependant d’études portant sur cettepopulation, qui permettraient de savoir ce qui dépend de la profession exercée(en tant que salarié ou qu’indépendant) et ce qui est propre aux indépendants.

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10Autres effets sur la santé

La littérature épidémiologique sur les effets des facteurs psychosociaux autravail sur les sphères mentale, cardiovasculaire et, dans une moindre mesure,musculosquelettique est abondante. En revanche, celle concernant les effetsdes facteurs psychosociaux dans d’autres domaines de santé est beaucoup plusmarginale. Quelques études peuvent néanmoins être citées. Cependant, enraison de la faiblesse du nombre d’études, ces résultats ne peuvent pas êtreconsidérés comme véritablement stabilisés.

Cancer

Les études disponibles dans ce domaine portent pour la grande majoritéd’entre elles sur la morbidité, tous cancers confondus ou par type de cancer, etpour quelques autres sur la mortalité. L’étude de Tsutsumi et coll. (2006) sur lamortalité prématurée par cancer mérite cependant d’être citée pour son résul-tat surprenant ; il n’est pas retrouvé d’excès de mortalité parmi les exposés aujob strain tandis qu’un plus faible risque de mortalité est observé parmi lestravailleurs exposés à de fortes exigences et à une grande latitude décision-nelle (active job de Karasek) avec un risque relatif de 0,55 (IC 95% : 0,30-1,00) (la catégorie de référence portant sur une exposition à de faibles exi-gences et une forte latitude décisionnelle). Les analyses étaient ajustées sur denombreux facteurs dont le niveau d’étude, la catégorie d’emploi, les consom-mations d’alcool et de tabac, l’activité physique et certaines pathologies. Cesrésultats ont également été observés (bien que non significatifs) en se restrei-gnant à la mortalité prématurée pour les cancers en lien avec le tabagisme. Ànoter qu’en revanche, pour ce qui concerne la mortalité par maladies cardio-vasculaires, un excès de risque était retrouvé parmi les exposés au job strain,comme attendu (Tsutsumi et coll., 2006).

En termes de morbidité, de manière générale, les résultats des études épidé-miologiques sur stress chronique au travail et cancer sont assez divergents etfont encore l’objet de nombreuses discussions (Chida et coll., 2008). Certainsauteurs ont plutôt travaillé en amont sur les liens entre les expositions psy-chosociales au travail et l’adoption de comportements à risque pour la surve-nue de cancers. Là encore, les résultats ne convergent pas toujours. L’étude deVan Loon et coll. (2000) sur les liens entre expositions psychosociales au

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travail et des facteurs de risque de cancer tels que le tabagisme, la consomma-tion importante d’alcool, la faible consommation de fruits et légumes et lafaible activité physique s’est révélée peu concluante (Van Loon et coll.,2000). En revanche, dans une analyse transversale, Belkic et Nedic (2007)ont montré une association entre certains facteurs psychosociaux au travail(indice de stress, manque de soutien social...) et l’obésité, le tabagisme, lemanque d’activité physique.

Le cancer du sein chez la femme a fait l’objet de quelques études sur des liensavec les facteurs psychosociaux au travail. Trois études de cohorte d’infirmiè-res américaines et danoises n’ont pas montré l’existence de tels liens (Achatet coll., 2000 ; Schernhammer et coll., 2004 ; Nielsen et coll., 2008). Uneautre étude de cohorte de femmes suédoises a rapporté un faible lien entre lasurvenue d’un cancer du sein et l’exposition au job strain (RR=1,4 ; IC 95 %[1,1-1,9]), l’exposition à la faible latitude décisionnelle et aux fortes exigencesétant à la limite de la signification (Kuper et coll., 2007). L’étude de Jansson etcoll. (2009) a montré le rôle prédictif du job strain (mais pas des dimensions dumodèle de Karasek étudiées séparément) dans la survenue des cancers del’œsophage ; en revanche, aucune association n’a été observée avec le cancerdu cardia18.

L’ensemble de ces exemples illustre bien la nécessité de mener d’autres étudesépidémiologiques dans ce domaine afin de pouvoir tirer des conclusions.

Pathologies digestives

Il existe peu d’études spécifiques explorant l’effet des contraintes de travail surle système digestif ; le rôle du travail est plus souvent évoqué parmi d’autresfacteurs de risque potentiels et son individualisation dans les résultats présen-tés n’est pas toujours possible. Par ailleurs, l’essentiel de la littérature dispo-nible concerne la pathologie ulcéreuse et les colopathies fonctionnelles.

Pour ce qui concerne les ulcères gastriques ou duodénaux, l’exposition auxcontraintes de travail pourrait être prédictive de l’apparition d’ulcères soitdirectement soit via les stratégies d’adaptation au stress. Chen et coll. (2009)ont montré dans une étude transversale un lien entre des symptômes ulcéreuxet l’exposition au stress au travail décrite au travers d’indicateurs relatifs auxdomaines suivants : carrière, compatibilité entre vie familiale et travail, rela-tions avec les collègues et la hiérarchie, organisation de travail. De plus, celien pourrait être renforcé par l’adoption de certaines stratégies d’adaptationtelles que l’intériorisation des problèmes (Chen et coll., 2009). En 1998,Susigawa et Uehata, dans une étude de cohorte de plus de 9 000 japonais, ontdécrit sur un suivi de 18 mois, l’apparition d’ulcères gastro-duodénaux en lien

18. Le cancer du cardia est une tumeur maligne de la jonction œso-gastrique.162

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avec de trop fortes responsabilités, un faible soutien social de la hiérarchie,une trop grande fréquence de réunions le soir ou pendant les vacances(Sugisawa et Uehata, 1998).

Citons aussi le rôle de modificateur d’effet que pourrait avoir le stress perçu autravail dans la relation entre le tabagisme et l’ulcère gastrique, comme décritpar Shigemi et coll. (1999) dans une étude longitudinale menée au Japon.

Pour ce qui concerne les colopathies fonctionnelles ou le syndrome du côlonirritable, les études spécifiques sur l’effet des contraintes de travail sont encoreplus rares. L’étude cas-témoins de Faresjo et coll. (2007) décrit une associationentre le syndrome du côlon irritable et d’une part, chez les femmes, la faiblelatitude décisionnelle au travail (OR=2,3 ; IC 95 % [1,64-4,62]) et d’autrepart, chez les hommes, la faible influence sur le rythme du travail (OR=4,63 ;IC 95 % [1,05-20,38]) (Faresjo et coll., 2007).

Signalons enfin, une étude transversale menée par Jansson et coll. (2010) enpopulation générale en Norvège auprès d’un échantillon important de plus de65 000 personnes. Cette étude rapporte des liens positifs, après ajustement,entre des symptômes de reflux gastro-œsophagien et la tension au travail (jobstrain) (OR=1,6 ; IC 95 % [1,2-2,1]), la pression temporelle (OR=1,5 ;IC 95 % [1,3-1,8]), la faible latitude décisionnelle (OR=1,4 ; IC 95 % [1,0-1,9]) et les fortes exigences (OR=1,5 ; IC 95 % [1,2-1,8]).

Dermatopathies

Le rôle du stress en général est souvent évoqué dans l’apparition ou l’aggrava-tion de dermatopathies. La pathologie la plus citée est le psoriasis, d’autrespathologies telles le vitiligo, les alopécies, les urticaires sont également évo-quées. Dans la plupart de ces études, le stress est mesuré au travers de ques-tionnaires d’événements de vie dits stressants. Le travail fait partie de ceslistes d’événements mais les analyses sont généralement menées sur l’exposi-tion à un nombre d’évènements et n’individualisent que très rarement chacundes facteurs. De plus, les études souffrent parfois de limites méthodologiques,portant sur de petits effectifs ou ne prenant en compte que peu de facteurs deconfusion. La littérature épidémiologique dans ce domaine est donc claire-ment insuffisante.

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11Accidents liés au travail

Il est naturel de s’interroger sur les liens entre « stress » et accidents au travail(ou liés au travail), particulièrement chez les indépendants, mais les donnéesdisponibles sur la question sont parcellaires. Les études publiées sur l’existenceet l’importance de ce lien ne portent pas spécifiquement sur des populationsd’indépendants. La plupart des facteurs en cause dans les accidents au travailconcernent cependant autant, voire plus, les indépendants que les salariés oules agriculteurs. Un autre problème, non spécifique à cette dimension desanté, est que le terme « stress » est largement utilisé par certains auteurs avecdes contenus extrêmement variés. Avant de détailler quelques résultats, ilconvient de s’interroger sur ce que recouvre la notion d’« accident ». Laquestion des mécanismes causaux est aussi à discuter, car elle conditionne cequi, dans la littérature disponible, est à privilégier sur cette question. Ici ontété considérées en priorité les études longitudinales, pour lesquelles les biaisde mémorisation sont limités ; certaines études transversales portant sur desquestions spécifiques ou comportant une discussion sur les mécanismes cau-saux ont également été prises en compte.

Accidents liés au travail, de quoi parle-t-on ?

La notion d’accident corporel paraît simple, il s’agit des conséquences d’unévénement imprévu qui peut être daté très exactement, une cause externe, leplus souvent matérielle, étant identifiable. En anglais, les termes « injury »(blessure, lésion) ou « accident » peuvent être utilisés. En pratique, la limiteentre « maladie » ou « trouble » et « accident » est cependant floue. Parmi les« accidents » ou « injuries » sont bien souvent comptabilisées des consé-quences de sur-sollicitations ou de mouvements forcés, par exemple des lom-balgies aiguës ou des tendinites, autrement dit des troubles musculosqueletti-ques. Il en est ainsi en France : une douleur aiguë au bas du dos survenue chezun salarié lors de la manipulation d’une charge lourde pourra être considéréecomme un accident du travail. La distinction entre « accidents » et « mala-die » est de fait assez arbitraire, et ceci n’est pas propre à la France : dans uneétude menée aux États-Unis, les troubles musculosquelettiques (musculoskele-tal conditions) constituent 31,9 % des accidents liés au travail (Dembe et coll.,2004). Dans une vaste enquête transversale menée au Canada, l’origine de

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26,4 % des accidents liés au travail est une sur-sollicitation ou un mouvementforcé (Wilkins et Mackenzie, 2007).

Les catégories médico-administratives ont un poids important, et rendentdifficiles les comparaisons entre études. Très souvent, les définitions utiliséescorrespondent à des catégories telles que des accidents indemnisables ouindemnisés, ou reconnus comme liés au travail. Or ces catégories diffèrentd’un pays à un autre ; en France, par exemple, les « accidents de trajet » dessalariés sont souvent regroupés avec les accidents de travail, mais ce n’est pasle cas dans tous les pays. Même si les personnes enquêtées reçoivent desexplications sur ce qu’il faut entendre sous le terme d’accidents liés au travail,il leur est probablement difficile de ne pas tenir compte des catégories qui leursont les plus habituelles. Ceci pourrait expliquer que dans une étude menée enLorraine les artisans et commerçants déclarent beaucoup moins d’« accidentsde travail » que les ouvriers, alors que ces mêmes professions se situent trèslargement en tête pour les accidents de la circulation sans précision sur le lienavec le travail (Khlat et coll., 2008). Pour les indépendants, la notion d’acci-dent de la circulation est a priori plus pertinente que celle d’accident de trajet(domicile-travail).

Réseau de causalité autour de « stress » et accident

Par rapport à la plupart des maladies, les accidents sont caractérisés parl’existence d’une cause immédiate (par exemple, un outil coupant, ou unecollision entre deux véhicules). Exercer un métier exposé de ce point de vue,du fait de la manipulation d’outils, ou de déplacements dans le travail, parexemple, est donc un facteur de risque d’accident. En amont de ces facteurs,ou en interaction avec eux, être fatigué ou « stressé » est susceptible d’aug-menter le risque d’accident. Quelques auteurs proposent des modèles decausalité relativement élaborés, incluant des facteurs personnels et des fac-teurs liés à l’organisation du travail.

Dembe et ses collègues proposent un modèle conceptuel dont une version àpeine modifiée serait pertinente pour les indépendants (Dembe et coll.,2005) : la fatigue et le stress sont considérés comme des variables intermé-diaires, d’une part causes potentielles d’accident, d’autre part conséquences defacteurs plus généraux (comme le nombre d’heures travaillées). Les facteursliés à l’activité pratiquée sont également évoqués, ainsi que les caractéris-tiques personnelles telles que l’âge, des facteurs psychologiques, la consomma-tion de certaines substances ou l’existence d’autres problèmes de santé. Parmiles variables « en amont », causes potentielles de stress, une étude mettant enévidence les liens entre stress perçu et accidents parmi les agriculteurs indiqueque les deux sources de stress les plus habituelles dans cette population étaientles problèmes financiers et le sentiment d’avoir trop de travail (Simpson etcoll., 2004). Encore en amont, les contraintes liées au contrat de travail (ou166

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au lien de subordination vis-à-vis de donneurs d’ordre) sont évoquées pard’autres auteurs (Kirschenbaum et coll., 2000). Le rôle du soutien social autravail, évoqué par Dembe, est retrouvé dans plusieurs études, mais serait àdiscuter concernant les indépendants. Si les mauvaises relations avec lescollègues augmentent le risque d’accident des salariés, qu’en est-il pour lesindépendants ? Avoir des collègues, et particulièrement des collègues aveclesquels les relations sont bonnes, pourrait être protecteur. Le fait de devoirtravailler seul pourrait être facteur d’accident, mais ceci n’est pas documenté.De même, si l’organisation du travail au niveau de l’entreprise est un facteur àprendre en compte, la liberté dont bénéficient les indépendants pourrait setraduire par plus de possibilités d’accidents du fait d’un travail moins encadré,par exemple concernant les règles de sécurité ou les équipements. Le rôlepotentiel de ces deux facteurs spécifiques aux indépendants (travailler seul,moins de « règles » dans le travail) ne semble pas être documenté. Concer-nant les relations avec les donneurs d’ordre et le contrat de travail, il est apriori pertinent d’extrapoler aux indépendants les résultats observés pour lessalariés, mais une prise en compte plus précise des situations rencontrées parles indépendants serait nécessaire.

Plusieurs auteurs insistent sur le rôle du nombre d’heures travaillées, sans quel’approche méthodologique soit toujours optimale, en effet, cette relation estattendue, car plus on travaille, plus le risque d’accident augmente (Dembe,2005).

Dans plusieurs études, le modèle de Karasek a été utilisé pour étudier les liensentre facteurs de stress et risque d’accident. Des différentes composantes de cemodèle, la dimension « demande psychologique » paraît la plus pertinente.En particulier, les liens observés entre latitude décisionnelle et risque d’acci-dent sont susceptibles de disparaître si l’on tient compte de l’environnementde travail, car les sujets les plus exposés aux accidents sont ceux qui netravaillent pas dans un bureau, qui manient des outils, situations où la latitudedécisionnelle est moindre (Swaen et coll., 2004).

Forte demande au travail et risque d’accident

Dans l’étude de cohorte de Maastricht sur la fatigue au travail, plus de7 000 salariés de tous âges, appartenant à 45 entreprises du sud des Pays-Bas,ont été suivis de 1998 à janvier 2001. Au début de l’étude, les sujets ontrépondu au questionnaire de Karasek, ainsi qu’à d’autres questions sur lesconditions de travail (Swaen, 2004). La probablilité de survenue en 2000 d’unaccident (injured in an occupational accident) ayant nécessité le recours à unmédecin ou à un kinésithérapeute est doublée ou presque doublée dans lessituations de demande psychologique élevée, de demande émotionnelle autravail élevée, de conflit avec les collègues, de conflit avec les supérieurs, ceciaprès ajustement sur l’environnement de travail.

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Accidents liés au travail

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Une étude prospective finlandaise, sur la période 1997-1999, met égalementen évidence le rôle des problèmes interpersonnels et de conflits dans lacollaboration au travail dans la survenue d’accidents touchant le personnelhospitalier (Salminen et coll., 2003). Pour les femmes, largement majoritairesdans cette étude, une charge de travail déclarée « élevée » était aussi facteurd’accident.

Une autre étude menée en Corée a porté sur 1 209 travailleurs de petites etmoyennes entreprises, suivis 6 mois et interrogés lors du second questionnairesur la survenue de blessures ou de lésions, même minimes, au travail, dans les4 derniers mois (Kim et coll., 2009). Une association significative avecl’exposition à une forte demande au travail était également trouvée, et semaintenait après ajustement sur l’ancienneté dans le travail et le typed’emploi.

Enfin, une étude prospective française a porté sur le risque d’accident de lacirculation parmi les employés d’EDF-GDF de la cohorte Gazel, en distin-guant accident au travail et accident de trajet (Chiron et coll., 2008). Pour leshommes, en tenant compte de différents facteurs tels que la catégorie hié-rarchique, déclarer que le travail est nerveusement fatigant reste significati-vement prédictif d’accidents survenus au travail.

Les auteurs de l’étude coréenne (Kim et coll., 2009) évoquent différentsmécanismes pouvant expliquer le rôle d’une forte demande au travail dans lasurvenue d’accidents. Une trop forte demande pourrait entraîner manqued’attention et fatigue. Une pression au travail intense et une surcharge detravail pourraient amener à négliger les règles de sécurité. Penser avant tout àdevoir terminer le travail dans les temps réduirait l’attention portée à d’autresdimensions, dont celles touchant à la sécurité.

Accidents et nombre d’heures travaillées

Le nombre d’heures travaillées, variable susceptible d’expliquer le lien entreforte demande et risque d’accident, a l’avantage de pouvoir être documentéassez précisément et d’être peu sensible à des biais de déclaration. Dans uneétude longitudinale menée auprès de plus de 10 000 jeunes travailleurs auxÉtats-Unis, les auteurs ont quantifié le risque d’accident par heure travaillée,dans différentes conditions (Dembe, 2005). Le risque annuel d’accident(ajusté sur l’âge, le genre, le métier, le secteur d’activité et la région) estd’environ 5 pour 100 travailleurs si la durée de travail par jour est de 8 heures,et de même niveau pour une durée de travail par semaine de 40 heures. Lesheures travaillées au-delà de ces durées sont des heures à risque accru d’acci-dent. Globalement, le risque pour une heure de travail est multiplié par 1,38pour des salariés qui font de longues semaines (60 heures ou plus), de longuesjournées (12 heures ou plus) ou des heures supplémentaires.168

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Travailler un grand nombre d’heures a des conséquences du point de vue desaccidents, mais également dans beaucoup d’autres domaines (Caruso, 2006).On peut citer le manque de sommeil, le manque de récupération après le travail,des effets neuro-cognitifs, des comportements de santé à risque, et aussi deserreurs dues à la fatigue. Les accidents et les erreurs professionnelles, telles queles erreurs médicales, ont en effet partiellement les mêmes causes. Cependant,préciser quelles sont les limites sûres en termes de temps de travail est difficile,du fait de la complexité des horaires possibles et du rôle positif des pauses ;mieux que des seuils de durée arbitraires, il paraît plus raisonnable de fixer deslimites à partir d’un niveau de fatigue (Folkard et coll., 2006).

Autres facteurs potentiellement liés aux accidents

Certains auteurs se sont intéressés à des facteurs psychologiques comme lecomportement à risque ou l’instabilité émotionnelle, et à des facteurs caracté-risant la formation et la culture en matière de sécurité au travail (Ghosh etcoll., 2004). Ces facteurs sont liés aux accidents, mais même après leur priseen compte une association significative entre accident et stress perçu semaintient (Ghosh, 2004).

Dans une étude menée en Israël, les auteurs ont interrogé 200 personness’étant présentées dans un service d’urgences médicales hospitalières pouraccident du travail, l’objectif de l’étude étant de préciser ce qui distinguait lespatients dont c’était le premier accident du travail de ceux qui en avaient déjàeu d’autres (Kirchenbaum et coll., 2000). Les facteurs liés à la propension àêtre accidenté sont de nature variée : le type de contrat joue un rôle, lestravailleurs en sous-traitance ayant un risque accru. Les mauvaises conditionsde logement augmentent également le risque d’accident. Les résultats sontdifficiles à interpréter du fait de l’absence de sujets « sans accidents » ; ceciexpliquerait une association inattendue, à savoir que l’existence de problèmesfamiliaux, et le fait de déclarer que « les choses vont mal », sont plus fréquem-ment déclarés quand il y a un seul accident, et moins souvent quand il y a eudes accidents dans le passé. Les résultats illustrent la difficulté de l’identifica-tion des « causes » d’un accident une fois que celui-ci est survenu, car lavictime cherche alors une explication à ce qui s’est passé.

En conclusion, trop peu d’études s’intéressent aux accidents dont sont vic-times les indépendants, alors même que leurs conditions de travail com-portent des dimensions spécifiques dont le rôle pourrait être particulièrementimportant : longues heures de travail, mais aussi isolement, et moindre proxi-mité de règles contraignantes en matière de sécurité au travail. Les donnéesdisponibles suggèrent fortement que des facteurs entraînant un stress perçu etde la fatigue, comme le fait de devoir travailler longtemps, augmentent lavulnérabilité vis-à-vis des accidents, mais il manque une vision globale quipermettrait de cibler des priorités en matière de prévention.

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12Bases neurobiologiqueset neuroendocriniennes du stress

Chez tout être vivant, l’équilibre des interactions sujet-environnement estglobal. Il n’y a pas un équilibre « social, émotionnel, psychique, cognitif »d’un côté, et un équilibre « somatique, biologique, cérébral » de l’autre,séparés et autonomes (pour une analyse théorique de ces questions : voir LeMoal, 2010). Ces considérations sont essentielles pour qui aborde les relationsentre stresseurs, individus et pathologies. Le concept de stress est un conceptbiologique et est l’un des plus intégratif de la biologie et la médecine. Il n’y apas de stress sans manifestations biologiques, les seules à en authentifierl’existence. Non seulement tout l’organisme est mobilisé pour des réponsesphysiologiques et comportementales mais les conditions intrinsèques et envi-ronnementales et les caractéristiques propres à l’individu (les caractéristiquesgénétiques, son historique) sont parties prenantes, souvent causales, du pro-cessus. Il convient de bien dissocier les agents, les stresseurs, les conséquences,et leurs interactions. Le stress aigu n’est pas le stress chronique et lorsque lesconséquences délétères et durables sont envisagées, les manifestationspathologiques sont aussi variées que les divers organes corporels. Aborder laquestion du stress, c’est aborder une complexité qui va du psychisme aumoléculaire et vice-versa.

Évolution du concept de stress et définitionCe qui sera au XXe dénommé « stress » fut théorisé dès l’Antiquité. Quelle quefut l’École, les Grecs concevaient la santé à partir des concepts d’équilibre, destabilité de l’existence, d’une nécessaire harmonie entre l’être et son environ-nement. Lorsque des contraintes menaçantes survenaient, des forces contrairesles contrebalançaient et permettaient de s’ajuster aux évènements émotionnelspour améliorer la qualité de la vie. Cette conception s’est cristallisée dans leconcept d’ataraxie19. À la même époque, les penseurs de l’Orient proposaientdes principes similaires, dont celui d’équanimité. Ces conceptions ont traverséles siècles avec la médecine hippocratique (Hippocrate, 460-375 avant notreère) où la santé et la maladie étaient assimilées à des principes d’harmonie et de

19. Une approche harmonieuse et modérée de l’existence où l’absence de troubles s’associe àun principe de bonheur et à une quiétude profonde.

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dysharmonie, la Nature étant la guérisseuse suprême. Elles sont retrouvées chezles fondateurs de la physiologie médicale moderne qui voyaient, sans doute àtort, l’état normal ou physiologique et l’état de maladie comme deux aspectsd’un même principe général, se renvoyant l’un à l’autre, le recouvrement de lasanté étant, ipso facto, celui de l’état physiologique normal (pour une analysecritique : voir Canguilhem, 1979).

La physiologie moderne a été marquée par ces notions d’équilibre. ClaudeBernard (1813-1878) forgera un concept clé, celui de la nécessaire fixité dumilieu intérieur, sans laquelle il ne pourrait y avoir de vie libre et indépen-dante (Bernard, 1865). L’organisme gère les changements corporels et émo-tionnels imposés par les perturbations environnementales par des mécanismesadaptatifs et vitaux construits pour rétablir les équilibres physiologiques,lesquels sont essentiellement non conscients. Sur ces bases mais en allant plusloin, Cannon (1871-1945) proposera le concept d’homéostasie, terme forgédu grec (homeoios, identique et stasis, immobile). L’homéostasie implique desservomécanismes locaux permettant de maintenir les équilibres au sein dessystèmes physiologiques. L’équilibre du milieu intérieur est assuré par le sys-tème nerveux sympathique-viscéral associé à la glande médullosurrénale quilibère l’adrénaline, laquelle ira au contact des organes (Cannon et de La Paz,1911 ; Cannon, 1929a). Ainsi, le système nerveux central est informé deschangements de l’environnement externe et des menaces quant à son inté-grité par les récepteurs et, via le système nerveux viscéral, des changementscorrélatifs dans l’environnement interne. Les mécanismes régulant l’homéo-stasie sont donc sous l’emprise des contraintes, des « forces » (stress en anglais,stresseur en français) et, de ce fait, répondent par des changements, des« déformations » (strain en anglais) que ces mécanismes devront ramener versl’état d’équilibre (Cannon, 1929b et 1935). Les interactions réciproques entreles perceptions des fluctuations de l’environnement et les mécanismes biolo-giques adaptatifs sont donc permanentes et naturelles, l’organisme entierétant mobilisé pour maintenir un équilibre, une norme physiologique,l’homéostasie. Les émotions sont reconnues comme essentielles au sein desmécanismes régulateurs de l’homéostasie.

Une perspective nouvelle sera proposée par Selye (1907-1982) dès 1936(Selye, 1936). Les agents nocifs produisent, quelle que soit leur nature etd’une manière non spécifique, un syndrome – le syndrome général d’adapta-tion – débouchant sur un état fondamentalement pathologique (Selye, 1946).Selye décrit trois étapes :• une réaction d’alarme rapide ;• suivie, si l’action de l’agent perdure, d’une étape de résistance avec augmen-tation de la sécrétion granulaire de la glande corticosurrénale contrôlée parl’hypophyse antérieure, et identifiée en 1949 (Hench et coll., 1949) commeétant la cortisone chez l’homme (corticostérone chez l’animal). Il apparaîtdivers dérèglements métaboliques, hormonaux et atteintes d’organes ;• si l’agression continue, un stade d’épuisement.172

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Il fut très vite admis que la réaction d’alarme pouvait être produite par unstimulus émotionnel. Ainsi, chez le rat soumis à une immobilisation forcéeprolongée, il est observé une turgescence des glandes surrénales, une rétrac-tion massive des thymus et des noyaux lymphatiques (système immunitaire)et une hémorragie stomacale. Chercheur prolixe et controversé, Selye défen-dra ses conceptions de non spécificité du syndrome et d’un enchaînementpathologique des évènements dans le cadre d’une causalité mécaniste etétroite. Plus grave encore, il est responsable de la diffusion planétaire du terme« stress » et partant de la confusion entre deux éléments distincts : l’agent, lestresseur (en anglais, stress) et le processus physiopathologique qui résulteraitde l’application d’un stress nocif (en anglais, strain) (Selye, 1970 et 1974).L’utilisation actuelle du mot repose sur cette confusion sémantique domma-geable aggravée par l’usage médiatique inconsidéré.

En résumé, tout organisme, par nature, est confronté en permanence à desévènements contrariants et imprévus, menaçants et générateurs d’émotionsmettant en cause les plans de vie, mineurs ou majeurs, et obligeant à denouvelles stratégies. Les stresseurs sont une permanence de l’existence et lesréponses d’ajustement sont, si les événements sont intenses et durables, par-fois coûteuses physiquement, mentalement, émotionnellement. Les méca-nismes biologiques et psychobiologiques (héritage phylogénétique, ressourcespersonnelles et sociétales) ont pour but de rétablir l’équilibre (figure 12.1).L’organisme peut en garder des traces et des mémoires. Tout ceci relève duvaste chapitre de l’Adaptation commun aux animaux et à l’homme (Weiss,1971a et b ; MacLean, 1972). Le processus de stress, c’est la vie.

Figure 12.1 : De l’équilibre (homéostasie) au stress

« Stress » en français (strain en anglais) : déformation, changement du corps déformableen raison d’une force exercée. Dans le langage courant, l’expression stress correspondsouvent au changement dû à un stresseur. « Stresseur » en français (stress en anglais) : laforce exercée sur le corps déformable.

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La réponse adaptative de l’organisme est extrêmement rapide, organisée par lesystème sympathique et la glande médullo-surrénale sous le contrôle du sys-tème nerveux central. Il s’agit d’une activation générale avec réaction émo-tionnelle. Dans un second temps, s’enclenche la libération de l’hormonecorticosurrénalienne, le cortisol, dont le rôle est d’aider au rétablissement desdivers équilibres physiologiques, l’homéostasie. Si les stresseurs durent ou sonttrop intenses, les mécanismes physiologiques, d’ajustement et d’évaluation,sont débordés et les désadaptations apparaissent. Il faut noter que la menacequant à l’intégrité physique ou psychologique peut être réelle ou interprétée.Bien naturellement, il n’y a pas d’événements psychologiques, émotionnels,subjectifs sans événement biologique, et vice-versa.

Évènements de vie et caractéristiques individuelles

Reconnaissance des stresseurs d’origine sociétale

Avant même que les bases neurobiologiques de l’adaptation et des désadapta-tions ne soient mises en évidence à partir des années 1980, les évènements« psychologiques » et « sociaux » comme stresseurs avaient été abondammentdocumentés, en particulier aux États-Unis (dès le début du XXe siècle pourl’organisation du travail), en Grande-Bretagne et en Scandinavie (Franken-haeuser et coll., 1969 ; Frankenhaeuser et Gardell, 1976).

Dès les années 1940, l’influence de systèmes sociaux, socioéconomiques et desévènements de vie délétères sur la santé de chaque individu est bien démon-trée : à société « malade » ou « pathogène », individus malades (Donnison,1938 ; Halliday, 1949 ; Insel et Moos, 1974). Au cours des années 1940-1980,un nombre considérable de travaux sont publiés tant à partir de l’animal quechez l’homme (voir une synthèse remarquable dans Henry et Stephens,1977). Ces travaux sont très généralement de nature transdisciplinaire, là oùse rencontrent les sciences sociologiques, médicales et biologiques. À cetteépoque, les « marqueurs » neuroendocriniens sont relativement limités : l’axesympathique-médullosurrénalien avec les catécholamines périphériques(adrénaline, noradrénaline), l’axe hypophyso-corticosurrénalien avec lescorticostéroïdes sanguins ou urinaires ou leurs métabolites. Des tentatives declassement des stresseurs en fonction de leurs conséquences sur la santé sontpubliées (Holmes et Rahe, 1967 ; Dohrenwend et Dohrenwend, 1974) : ellesdémontrent a posteriori que le poids relatif de ces évènements avait une valeuranthropologique et était contingent de la nature de la société et des systèmeséconomiques et sociaux. À titre d’exemple, la perte du travail dans la sociétéaméricaine des années 1960 a un faible coefficient de nocivité (eu égard à lanon existence du chômage). À l’inverse, la rupture de couple est un stresseurpuissant dans une société n’ayant pas encore vécu les révolutions sociétales,culturelles et sexuelles de la fin des années 1960. Un grand nombre de travauxsont réalisés dans le temps démontrant les effets sur la santé des individus de ladésintégration de sociétés isolées fortement structurées depuis des siècles et de174

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la disparition de leurs canons culturels en raison de leur rencontre brutaleavec les sociétés « occidentales ». C’est le cas par exemple des populationsvivant dans certaines îles du Pacifique (occupation américaine) ou dans ledésert du Kalahari (Henry et Stephens, 1977). Des études exemplaires sontréalisées en temps réel, chez l’homme en situation de combat (guerre duVietnam), avec l’apparition de troubles psychopathologiques, dont les désor-dres post-traumatiques, certains irréversibles (Bourne, 1971). Les recherchesanalysent les mécanismes – pris au sens littéral, c’est-à-dire les agencementsintégrés intervenant dans le fonctionnement d’un ensemble, ici psychobiolo-gique – en cause, jusqu’aux représentations mentales symboliques.

Importance des transactions entre le stresseur et l’individu :les mécanismes cognitivo-émotionnels

Dans les années 1960, les sciences du comportement, avec leurs aspectsneurobiologiques et psychologiques, établissent un certain nombre de prin-cipes toujours actuels (Lazarus, 1966) :• les stresseurs sont des évènements externes ayant des caractéristiques pro-pres ; ils doivent être évalués selon leurs effets, de mineurs à graves ;• les effets des stresseurs dépendent de deux mécanismes fondamentaux :d’une part une évaluation du stresseur ou de la situation, d’autre part la miseen place d’ajustements. L’évaluation joue un rôle essentiel dans la transactionentre l’environnement potentiellement stresseur et l’individu. Elle est l’ori-gine et la cause de différences individuelles quant aux effets – de négligeablesà importants – des stresseurs. Les caractéristiques individuelles sont géné-tiques et acquises et peuvent être à l’origine de vulnérabilités potentielles.L’ajustement (coping) est intrinsèquement lié à l’évaluation de la nocivité dustresseur et aux moyens disponibles d’y faire face ;• les mécanismes d’évaluation et d’ajustement sont cognitivo-émotionnels.Les processus cognitifs qui procèdent de l’évaluation ne peuvent être séparésdes processus émotionnels. Ces derniers sont d’un intérêt majeur dans lessciences biologiques et sociales : ils font passer d’un concept étroit et indiffé-rencié (le stress) à un concept plus pertinent cliniquement, l’émotion.

Les mécanismes mentaux, cognitifs et émotionnels, sont mobilisés dans lessituations de nouveauté, d’imprévisibilité, d’incertitude, de perte de contrôleet de menace de l’ego. Les évaluations dépendent de larges différences inter-individuelles. Elles mobilisent les mécanismes biologiques mentionnésci-dessus. Inversement, l’homéostasie répond aux principes de familiarité etde prévisibilité. Mécanismes psychologiques, émotionnels, biologiques serejoignent dans une perspective psycho-endocrinienne. Cependant, les voiesnerveuses connectant les processus cognitifs et émotionnels et les facteursendocriniens restaient à découvrir.

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Événements de vie et processus de stress

Cette longue période qui s’étend jusqu’aux années 1980, bien que nourrie decontroverses, eut le mérite de clarifier certains aspects du concept de stress etde proposer des principes tout à fait actuels.

Qu’elle soit « physique » ou « psychique », seule l’évaluation par le sujet etson système nerveux donnera à la menace potentielle le statut de stresseur.Pour les animaux sociaux et l’homme, les multiples subtilités de l’environne-ment social et sociétal sont sources de stresseurs. Le terme « psychosocial » estparfois utilisé pour rendre compte du développement psychologique d’unindividu en relation avec le milieu ou la culture dans lesquels il a vécu et, pluslargement, des interactions d’un sujet avec l’environnement social, en par-ticulier à l’interface du monde du travail. Corollairement, il en découlerait lanotion de « risque psychosocial ». Il paraît plus simple de parler de stresseurset de leurs conséquences.

Le stresseur a des qualités objectives à partir desquelles il est possible de luiattribuer une dangerosité générale sinon équipotente pour la population qui lesubit. Cependant, la nature des représentations mentales du stresseur est aucœur du processus de stress. Tout individu n’est en rien, à chaque moment deson histoire, une tabula rasa. Chaque sujet « personnalise » ce qu’il évalue,interprète, éprouve et ressent, ceci en fonction de sa personnalité, de sonhistoire, de ses croyances, de sa culture et des possibilités d’ajustement, de sespotentialités génétiques et des ressources sociales. De l’évaluation et del’interprétation ainsi que des mécanismes cognitifs-émotionnels en jeu, il enressort un état dit « subjectif », donc propre à un sujet en interaction avec sonenvironnement. La subjectivité est configurée par les structures universellesdes facultés mentales de l’espèce et, quoique différenciée, n’est en rien incom-municable et peut entrer en relation avec d’autres subjectivités, les subjectivi-tés pouvant se construire les unes par rapport aux autres, que des représenta-tions soient fidèles ou non à la réalité objective du stresseur. Il ne peut pas yavoir de représentation mentale propre à un sujet pensant sans distorsion parrapport à ce qui est représenté et la narration qui en est faite. La médecine etla psychiatrie nous apprennent que cette configuration subjective, avec sacharge d’affectivité, est le reflet d’un état neurobiologique et partant, démon-tre comment un évènement donné devient stresseur. Ainsi s’instaureront lesprocessus neurobiologiques et neuroendocriniens du stress. La « subjectivité -stress » s’objective et s’authentifie par son versant biologique.

Bien que dépourvus de toutes les données neurobiologiques et neuroendocri-niennes dont nous disposons actuellement, les chercheurs s’appuyaient alorssur une approche psychobiologique pour établir l’existence du processus destress, déviance autour de l’équilibre homéostatique des différentes constantesphysiologiques, retour à la normalité ou passage à la pathologie. L’affirmationselon laquelle « certaines personnes stressées vont bien alors que d’autresaffectées par peu de stress vont très mal » n’a pas de sens, sinon qu’elle reflète176

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cette réalité : le stresseur aura des effets différents, de nuls à délétères, selon lessujets (processus de stress, maîtrise de l’homéostasie, capacités d’ajustement,génétique, histoire personnelle, vulnérabilités potentielles), ce que démontreune énorme quantité de données cliniques et expérimentales à partir desituations même extrêmes (guerre, désastres, camps de concentration). Seulesles données biomédicales confirmeront l’existence du processus : les statuts de« stressé » et l’existence d’un processus de stress ne peuvent être décrétés sansanalyse objective. Le concept de résilience, d’une grande complexité, doitêtre pris en compte.

Aperçu sur les bases neurobiologiqueset neuroendocriniennes du processus de stress

Les progrès fulgurants des techniques et modèles en neurosciences ont permisde découvrir durant les années 1980-2000 l’essentiel de la neuroendocrino-logie de l’adaptation (Chrousos et Gold, 1992 ; Johnson et coll., 1992 ; deKloet et coll., 2005) (figure 12.2).

Figure 12.2 : Effet du stress aigu sur le cerveau

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Systèmes CRH et récepteurs

Les hormones hypothalamiques (Corticotropin Releasing Factor ou HormoneCRF ou CRH) responsables de la libération de l’hormone corticotrope,l’ACTH, elle-même responsable de la libération des corticoïdes, furentdécouvertes à partir de 1981 (Vale et coll., 1981 ; voir l’historique dans Tachéet Brunnhuber, 2008). De fait, il apparut très vite que les corps cellulairescontenant le CRH étaient localisés dans de nombreuses régions du cerveauantérieur, le cortex et les régions bulbo-pontiques. La distribution intracéré-brale des récepteurs de ces hormones a révélé une présence relativementubiquitaire, avec des concentrations massives dans les cortex, l’amygdale,l’hypothalamus, les divers noyaux de la formation réticulée dont le raphé etl’aire tegmentale ventrale. À côté des ligands naturels, de nombreux ligandssynthétiques ont été proposés, permettant des analyses anatomo-fonctionnelles précises des rôles post-synaptiques. Les « systèmes CRH »intracérébraux ont des actions générales et coordonnées pour ce qui concernele processus de stress :• au niveau hypothalamique, par l’action sur l’hypophyse antérieure, la libé-ration de l’hormone corticotrope (ACTH pour AdrenoCorticoTrophic Hor-mone) laquelle libérée dans le flux sanguin et agissant sur la glande corticosur-rénale, libèrera les hormones corticostéroïdes (cortisol chez l’homme,corticostérone chez les rongeurs de laboratoire) ;• au niveau des différentes régions intracérébrales, le CRH agit pour coor-donner les différentes réponses adaptatives aux stresseurs ; à titre d’exemple,de l’administration locale intra-limbique (amygdale) d’agonistes et d’antago-nistes sélectifs, puis de l’annulation de l’expression du récepteur du CRH-CR-R1 (antisens knockdown), puis encore de l’analyse comportementale de ron-geurs sans CRH-R2 (knockout) il ressort que les transmissions CRH sontimpliquées dans l’hypervigilance, l’anxiété, les réponses biologiques etcomportementales similaires aux effets du stress, des états dysphoriques etaversifs (Koob, 1999) ;• par les voies projetant sur les structures du tronc cérébral (locus coeruleus),les systèmes CRH agiront sur les régions régulant l’activation du systèmesympathique : directement, sur le fonctionnement des organes internes, ouindirectement par la glande médullosurrénale et la libération dans la circula-tion sanguine de l’adrénaline ;• enfin, le CRH module le système immunitaire : cette modulation s’effectueaussi par les corticostéroïdes, par le système nerveux sympathique, le systèmenerveux central étant informé en retour par les cytokines secrétées. En bref, lestress provoque une réduction du nombre de lymphocytes, de l’activité descellules tueuses, du rapport entre lymphocytes T helper et suppressor, desanticorps et en conséquence la réactivation des agents de l’inflammation etdes infections. L’un des aspects anatomo-fonctionnels les plus remarquables etimportants est que le système régulateur central du stress repose sur uneboucle anatomo-fonctionnelle CRH-catécholamines-CRH (Koob, 1999 ;178

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Valentino et van Bockstaele, 2008), reliant par une pro-action positive lesstructures du cerveau antérieur et limbiques (ayant les cellules CRH) avec lesnoyaux du tronc cérébral (ayant les cellules catécholaminergiques), ce quiexplique la coordination naturelle des réponses comportementales, des sys-tèmes autonomes sympathiques sur les organes internes et des régulationsimmunitaires.

Classiquement, dans la région amygdalienne, le CRH participerait auxmémoires émotionnelles, aux manifestations d’anxiété, les deux récepteursCRHR1 et CRHR2 ayant des actions opposées. Au niveau de l’hippocampe,le CRH interviendrait dans les mémoires reliées au stress. Au niveau du noyaude la strie terminale, l’hormone participerait aux manifestations anxieuses.Enfin, comme indiqué ci-dessus, la coordination CRH-noradrénaline se réa-lise au niveau du locus coeruleus, siège de neurones noradrénergiques.

Glande corticosurrénale, corticostéroïdes et récepteurs

Les recherches sur l’axe hypothalamo-hypophyso-cortico-surrénalien, sou-vent appelé l’axe neurohormonal du stress, avaient subi un reflux dans lesannées 1950-1970, en particulier après la découverte en 1949 (Hench et coll.,1949) de l’action thérapeutique anti-inflammatoire de la cortisone, l’hor-mone corticostéroïde majeure chez l’homme. Il était difficile de comprendrecomment une hormone aux effets thérapeutiques si nombreux (plus de200 affections) pouvait être l’agent délétère du stress. Cependant, au cours desannées, de nombreux arguments militaient pour une action centrale descorticoïdes (voir discussions dans Chrousos, 1992 ; Sapolsky et coll., 2000 ;Herman et coll., 2003), en particulier pour un contrôle rétroactif négatif deces hormones sur les mécanismes déclenchés par le CRH aux niveauxhypophysaire, hypothalamique et limbique. Les approches cellulaires et molé-culaires, dominantes à partir des années 1980 ont permis de compléter, avecles découvertes concernant le CRH, une conception intégrée centrale-périphérique de la neuroendocrinologie du stress.

Deux types de récepteurs ont été identifiés dans le cerveau. Les récepteurs auxminéralocorticoïdes (MRS), qui se lient à l’hormone (cortisone) avec unehaute affinité et sont trouvés en particulier dans le système limbique, et lesrécepteurs pour les glucocorticoïdes (GRS) qui se lient avec une basse affinitéet sont représentés d’une manière ubiquitaire. Toutefois, les deux récepteursexistent dans l’hippocampe. À l’état basal, les MRS sont occupés alors que lesniveaux des hormones sont bas, les GRS n’étant que partiellement occupés.Sous l’effet des stresseurs et des sécrétions pulsatiles des corticostéroïdes, lesGRS deviennent pleinement occupés. Ainsi, l’activation des MRS garantitun niveau basal stable d’activation, l’homéostasie et l’activation des GRS(associée à celle des MRS) provoquent une activation neuronale intense enrelation avec la nécessité adaptative. De nombreux agonistes et antagonistes

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ont été synthétisés. Les récepteurs MRS et GRS sont intracellulaires. L’exis-tence de récepteurs membranaires à action rapide a été suspectée, mais lespreuves expérimentales sont encore rares.

Le cortisol se lie aux récepteurs, le complexe hormone-récepteur est trans-porté vers le noyau pour se lier sous forme de dimères au sein de l’ADN à deséléments de réponse spécifiques (G/M RE pour Glucocorticoid/Mineralocorticoid Responsive Elements,) et ainsi affecter les taux de transcrip-tions des gènes répondant aux hormones. Les récepteurs, activés, peuventbloquer ou stimuler l’activité d’autres facteurs de transcription par des inter-actions protéines-protéines résultant soit en une désensibilisation, soit en unehyper-activation de ces facteurs. Il en est ainsi pour des transmissions relevantde facteurs immunitaires (de Kloet et coll., 2005 ; Glei et coll., 2007). Leschangements de l’activité transcriptionnelle induite par la liaison des récep-teurs au cortisol sur les sites G/M RE affectent en retour les diverses conduc-tances dans la membrane du neurone. Il en résulte des modifications auniveau des transmissions couplées aux protéines G, aux divers canaux ioni-ques et aux récepteurs ionotropiques.

Chronologie des évènements en réponse au stresseur

La chronologie des évènements lors d’un stress aigu et isolé, en réponse à unévènement perçu et analysé à un instant t, permet de comprendre le rôlerespectif des différentes hormones. Dès la perception de l’évènement et l’éva-luation de son caractère potentiellement menaçant ou dangereux, les trans-missions catécholaminergiques et CRH sont mises en jeu (fraction de secon-des ou secondes) suivies par l’ACTH et les autres hormones hypophysairesdont le glucagon ; les gonadotropines sont inhibées. Ce n’est que plusieursminutes plus tard que les corticostéroïdes sont libérées. Parallèlement, lalibération des stéroïdes sexuels est inhibée. Cependant, si les récepteurs spéci-fiques et les tissus répondent quasi immédiatement aux catécholamines et,suivi de peu, au CRH, il faut attendre quelques minutes pour que les effetsphysiologiques de l’ACTH, des opiacés, des gonadotropines, puis de la prolac-tine, du glucagon et de l’hormone de croissance aient lieu, puis une demi-heure à une heure plus tard, voire beaucoup plus, parfois des jours, pour que lecortisol et les hormones sexuelles affectent les tissus et organes cibles.

Les conséquences physiologiques immédiates du stresseur (figure 12.2) serontdonc, dans l’ordre chronologique, une augmentation du tonus cardio-vasculaire, l’activation immunitaire, la mobilisation des sources d’énergie, laréduction ou la disparition des potentialités sexuelles et reproductives, l’aug-mentation du flux sanguin cérébral, la perte d’appétit, et la mise en route desprocessus de consolidation mnésique (action centrale sur l’hippocampe).Dans les faits, les transmissions CRH enclenchent les mécanismes biologiqueset neuronaux de façon variable selon les différences individuelles et les pro-cessus d’évaluation. Par la suite, le cortisol module en retour la libération du180

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CRH par une rétroaction négative. Selon l’intensité perçue et évaluée dustresseur, le sujet perçoit immédiatement des modifications physiologiques péri-phériques comme l’augmentation du rythme cardiaque, puis des analyses etréactions subjectives correspondant à ce que le sujet éprouve de l’évènementavec de l’anxiété et ce qu’il va nommer « stress ». Ce n’est que près d’unedemi-heure à une heure plus tard que le cortisol sera mesurable dans la salive.Les réactions psychobiologiques recouvreront plus ou moins vite l’équilibre enraison de mécanismes relevant de l’homéostasie (Johnson et coll., 1992).

Le rôle physiologique du cortisol et de l’axe hypothalamo-hypophysaire est decontribuer à l’équilibre homéostatique. Le rôle physiologique de l’augmenta-tion des gluco-minéralocorticoïdes lors du processus de stress est de protégercontre toutes les réactions de défenses activées par le stress en les contrecar-rant et les empêchant d’aller au-delà des mécanismes homéostatiques. End’autres termes, ils ont un rôle permissif, de préparer et amorcer les méca-nismes de défense, suivi par un rôle suppresseur, de limiter ces actions. Néan-moins, si les stresseurs sont trop violents et durent, ces actions ne sont plusopérantes et les pathologies apparaissent. Il faut dissocier les effets aigus etchroniques d’un stresseur.

Stress chroniques d’origine sociale : approches récentes

Marqueurs neuroendocriniens et neurobiologiques du stress chronique

Il a fallu plus de temps pour comprendre les changements résultant de stres-seurs chroniques ou intenses, dans les situations où la récupération et le retouraux équilibres ne se font plus, alors que des « traces » perdurent dans l’orga-nisme objectivées par des symptômes biologiques et psychologiques. Il est iciquestion du passage du « normal » au « pathologique » (figure 12.3).

Figure 12.3 : Liens entre stresseurs chroniques et santé

La trace laissée par l’évènement n’est parfois qu’une vulnérabilité qui semanifestera à l’instar d’une mémoire, biologique et psychologique, et unique-ment si un autre évènement, mineur ou grave survient, qui potentialisera laréponse. Ces vulnérabilités potentielles, traces d’évènements antérieurs, ne

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seront donc révélées que par l’anamnèse (Elzinga et coll., 2008). Le problèmeest d’autant plus complexe qu’interviennent d’une part des facteurs géné-tiques révélant les vulnérabilités par l’intermédiaire de situations environne-mentales données, et d’autre part des évènements de vie parfois très précoces,voire survenus durant la vie intra-utérine (voir le chapitre sur les facteurs devulnérabilité individuelle au stress).

Les changements pathologiques se révèlent dans les jours, les semaines, voireles années qui suivent les événements stressants par une dérégulation de l’axedu stress, des changements au niveau des régulations géniques, une désensibi-lisation des récepteurs nucléaires MRS et GRS. Les conséquences résultent dudysfonctionnement de l’axe du stress, avec en principe une augmentationchronique de la sécrétion du cortisol car la rétroaction négative sur lestransmissions CRH n’est plus opérationnelle. Il est cependant admis que leniveau de cortisol n’est pas le marqueur essentiel (Miller et coll., 2007). Selonles situations, la réponse hormonale peut être soit augmentée, soit réduite (parexemple dans les désordres post-traumatiques). Seule est pertinente ladésensibilisation des récepteurs intracellulaires aux corticostéroïdes, le niveaud’expression des ARN messagers des gènes cibles de ces récepteurs (qui sontégalement des facteurs de transcription) et la régulation accrue des protéinesavec lesquelles ils interagissent. Cette régulation affecte les protéines de lasuper famille des facteurs de transcription impliqués dans la réponse immuni-taire comme le facteur nucléaire kappa B (NFkB) ainsi que les facteurs detranscription envoyant les signaux adrénergiques aux leucocytes (Miller etcoll., 2008 et 2009a et b). C’est dans cette direction que pourront êtreproposés des marqueurs de stress chronique.

Lorsque l’action des stresseurs perdure des jours ou des semaines et le plussouvent au cours des semaines qui suivent la fin des stresseurs, apparaissentoutre les transformations mentionnées ci-dessus, des modifications morpholo-giques de certaines structures du cerveau associées à une altération de laplasticité synaptique et en conséquence des troubles des fonctions cognitivo-émotionnelles (Magariños et coll., 1996 ; Sousa et coll., 2008) (figure 12.4).Depuis le milieu des années 1990, les études d’IRM chez l’homme ont montréque l’hippocampe a une taille réduite chez les dépressifs ainsi que chez lespatients souffrant du syndrome de Cushing, suggérant l’implication d’un excèsde glucocorticoïdes dans ce phénomène. Plus tard, une corrélation négativefut trouvée entre le niveau de glucocorticoïdes, la taille de l’hippocampe et lesperformances cognitives. Des études chez l’animal ont défini que l’atrophie del’hippocampe en situation de stress chronique était due à une rétraction desdendrites apicales des neurones de la région CA3 de l’hippocampe. Cetteréduction des dendrites apparaît aussi dans les neurones du cortex préfrontalmédian et est associée à une altération de l’attention. Quelques mois aprèsl’arrêt des stresseurs, les neurones reviennent à leur conformation d’origine, cequi montre la plasticité de ces phénomènes. En revanche, le stress chroniqueentraîne chez l’animal une croissance dendritique dans les neurones de182

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l’amygdale et du cortex orbitofrontal. L’hypertrophie de l’amygdale est persis-tante même après l’arrêt des stresseurs et est associée à une augmentation de lapeur conditionnée et de l’agressivité des animaux. Le cortex préfrontal, l’hip-pocampe et l’amygdale sont interconnectés et s’influencent mutuellement àtravers des activités neurales directes et indirectes. Par exemple, le stresschronique induit une altération de la potentialisation à long terme dansl’hippocampe conduisant à des troubles de la mémoire ; ces altérations sontbloquées par l’inactivation de l’amygdale. Cet ensemble de modificationscaractérise l’apparition d’un phénotype vulnérable.

Figure 12.4 : Effet du stress chronique sur le cerveau

Concept de maladie sociale chronique

Les recherches de ces dix dernières années ont radicalement transformé nosréflexions. Ces recherches prennent en compte l’histoire du sujet, particuliè-rement dans ses dimensions sociales. Tout se passe comme si les préoccupa-tions bien argumentées des années 1940-1970 reprenaient intérêt et sens avec

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les découvertes neurobiologiques et neuroendocrinologiques, cellulaires etmoléculaires, des années 1980-2000. De fait, les chercheurs vont relier direc-tement, chez l’homme, par le choix de groupes de sujets présentant descaractéristiques socioéconomiques ou psychopathologiques précises, des situa-tions données avec des marqueurs biologiques, traces inscrites au long termedans les organismes. Les stresseurs séculaires restent au devant de la scène :guerres, violences d’État meurtrières, catastrophes en tous genres aggravéespar les technosciences, famines, épidémies... Cependant, des changementssociétaux et individuels profonds ont modifié les relations du sujet avec sonenvironnement social. L’avènement progressif des sociétés démocratiques, lamontée de l’individualisme et de l’autonomie du sujet, la généralisation del’urbanisation et l’atomisation des existences, la perte de contrôle des indivi-dus sur leurs destins devenus instables, entre les mains de super-structureséconomiques anonymes dites « mondialisées », la disparition des traditions,des organisations communautaires, des normes familiales et canons culturelsqui étaient massivement acceptés et partagés..., tous ces facteurs ont donnésens à de plus en plus de stresseurs et sont devenus pourvoyeurs de pathologiesnouvelles. Les anglo-saxons et les nord-américains, les premiers, ont identifiéce qui a été appelé les « pathologies comportementales et sociales chro-niques » apparues progressivement durant ces quarante dernières années, etaussi appelées les « troubles bio-comportementaux » (Le Moal, 2007).

En 2003, dans son rapport annuel, le Directeur Général de la Santé desÉtats-Unis écrivait : « Cette augmentation des pathologies comportementaleset sociales chroniques est devenue insupportable en termes de souffrance pourles individus, les familles, les enfants, les adolescents et les communautés. Ellereprésente un fardeau problématique qui met en danger le futur de notresystème de santé, et au-delà, le futur de notre société ». La nécessité de cerneret de définir ces pathologies sociales chroniques a fait apparaître que desenvironnements socio-économiquement pauvres, un statut social et une posi-tion bas dans l’échelle sociale, les inégalités, l’exclusion, mais aussi les senti-ments d’inéquité, de dévaluation du travail (comparaison du rapport desrevenus du bas au haut de l’échelle sociale), donc de soi, laissaient des tracesbiologiques et psychologiques, lesquelles, en retour, prédisaient une plusgrande vulnérabilité aux maladies somatiques et aux pathologies comporte-mentales et psychiatriques. Les données abondent qui montrent que plus tôtces environnements délétères agissent, plus sûrement apparaîtront des traitspsychobiologiques particuliers, authentiques manières d’appréhender lemonde et d’y répondre, des traits de personnalité comme l’hostilité, la vio-lence ou le désespoir. Des altérations épigénétiques de l’expression génique seproduisent dans des régions du cerveau comme le cortex préfrontal, l’amyg-dale, l’hippocampe, lesquelles régulent les capacités d’autorégulation et decontrôle et les réponses cognitivo-émotionnelles aux stresseurs ultérieurs. Cesenvironnements délétères incluent la vie pré/postnatale. Les conséquencespsychobiologiques, les traces et altérations épigénétiques, constituent des184

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comorbidités expliquant une large part des différences inter-individuelles(voir le chapitre sur les facteurs de vulnérabilité individuelle au stress).

La question du caractère ubiquitaire des stresseurs a été évoquée : à stresseurégal les conséquences pour tous les individus seraient similaires. Les observa-tions et les évaluations cliniques vont à l’encontre d’une telle affirmation.Bien évidemment, plus les stresseurs seront violents, massifs et catastro-phiques, ou bien de longue durée, inévitables, incontrôlables, plus nombreuxseront les individus qui y succomberont. Ces différences individuelles res-sortent, au moins en partie, de l’existence de comorbidités, lesquelles sont deplus en plus largement reconnues dans le champ des addictions, des douleurschroniques, des désordres affectifs, de l’anxiété chronique, des troubles ali-mentaires, des fatigues chroniques, du suicide, et en général dans les troublesbio-comportementaux.

Perspectives nouvelles de la recherche : trois exemplesd’approches intégrées psy-socio-biologiques

Atteinte des fonctions corticales, dont les capacités de contrôleet d’autorégulation

Des recherches récentes ont montré le rôle du stress dans la dérégulation desfonctions du cortex préfrontal. Cette région est impliquée dans la prise dedécision, dans des situations d’incertitude, d’imprévisibilité et de risque. C’estla région concernée par l’autorégulation, l’évaluation et le contrôle. En situa-tion d’imprévisibilité et de risque, répondre à la situation (ou ne pas répondre)et décider de la réponse possible nécessitent une sélection des choix fondée surles conséquences. La résolution par l’individu de cette incertitude est enrayéedans les situations de stress. Ces régions corticales et les réseaux neuronauxavec lesquels elles sont connectées ont de hautes densités de récepteurs auCRH et au cortisol et elles reçoivent de nombreuses transmissions noradréner-giques. Dès la perception du stimulus s’enclenche un processus de traitement del’information intuitif, rapide, parallèle, automatique, sans effort, associatif, etessentiellement émotionnel et ce n’est que dans un second temps (fractions desecondes ou secondes) que survient un traitement fondé sur un raisonnementmais dépendant du précédent, plus lent donc, sériel, contrôlé, nécessitant uneffort, gouverné par des règles, flexible, neutre. Ce dernier traitement repose surdes représentations du passé, du présent, du futur et peut être évoqué par lelangage (Kahneman, 2003). De plus, des voies nerveuses relient le cortexpréfrontal aux noyaux hypothalamiques (noyau paraventriculaire) contrôlantla production de CRH et donc la sécrétion hypophysaire et l’axe du stress(Radley et coll., 2006). Il a été démontré que des stress imposés par l’environ-nement social (par exemple des examens compétitifs pour l’obtention d’unemploi) perturbent gravement les capacités cognitives et le contrôle cognitif,en particulier la flexibilité mentale dépendant du cortex préfrontal, ceci paral-lèlement à une réduction des arborisations dendritiques et des communications

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interneuronales, tant chez l’homme que chez l’animal (Dias-Ferreira et coll.,2009 ; Liston et coll., 2009). D’autres régions cérébrales sont affectées, enparticulier l’hippocampe, par lequel le stress est responsable de troubles cogni-tifs et de la mémoire spatiale (Oitzl et coll., 2001 ; Wong et coll., 2007). Lesatteintes de ces fonctions corticales se manifestent par la perte de l’autorégula-tion et les conduites impulsives ou violentes.

Statut socioéconomique dans l’enfance et sensibilité aux inflammations

L’un des stresseurs chroniques de l’enfance dont les effets s’inscrivent sur touteune vie est le statut socioéconomique. Les adversités résultant de la pauvreté,des conditions de vie défavorables et le contexte général de maltraitancephysique, morale, nutritionnelle qui entourent les petits enfants démunis, phy-siquement et affectivement, incluant le développement prénatal (Essex et coll.,2002 ; Entringer et coll., 2008) « entrent dans le corps » et laissent des tracesdues en particulier aux hormones du stress (Pace et coll., 2007 ; Miller et coll.,2009b). Il en est de même pour les abus divers exercés sur l’enfant. La signaturebiologique, retrouvée tout au long de la vie au niveau cellulaire est une activitétranscriptionnelle accrue des voies de signalisation qui régulent les signauxadrénergiques, les réponses immunitaires pro-inflammatoires ainsi qu’une hypo-sensibilité des voies de signalisation mises en jeu par les glucocorticoïdes (Li etcoll., 2007). Il existe donc une régulation sociale de l’expression génomique ausein de l’organisme (Cole et coll., 2007). Ces fragilités constitutives se manifes-teront par exemple par des maladies broncho-pulmonaires, de l’asthme, ou desatteintes cardiovasculaires, une sensibilité accrue aux virus et agents infectieux(Miller et coll., 2008 et 2009a). Inversement, les cytokines pro-inflammatoiressont secondairement des médiateurs des effets antineurogéniques et dépressogè-nes du stress chronique (Koo et Duman, 2008).

Humiliation, exclusion sociale, isolement, souffrance

Une troisième ligne de recherche concerne un ensemble de situations met-tant en jeu des réactivités ou symptômes psychobiologiques pour lesquels ungros travail de précision sémantique reste à faire. Ces symptômes concernentce qui est subjectivement ressenti en termes de souffrance, douleur subjective,douleur morale. Ces situations concernent l’exclusion, l’humiliation, le rejetsocial, l’inéquité, la perte des relations interpersonnelles et l’isolement. Ellessont retrouvées chez l’animal (Fraser et coll., 2008) comme chez l’homme,mettant en cause toutes les structures psychobiologiques des êtres sociaux etles constructions harmonieuses permettant la place adéquate de l’individu ausein des groupes (Baumeister et Leary, 1995 ; Berscheid, 1999 ; Reis et coll.,2000). Il a été montré que les affects, les douleurs subjectives, la souffrancemorale, tout comme l’exclusion sociale et le sentiment de rejet « font mal »,activent les circuits de la douleur et les régions cingulaires antérieures (Rain-ville et coll., 1997 ; Eisenberger et coll., 2003). L’humiliation, l’exclusion, laperte de statut, la solitude et le rejet, les niveaux élevés de douleur (ousouffrance) subjective quand elles sont prolongées, précipitent le sujet dans186

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un syndrome complexe comprenant un émoussement émotionnel avec anhé-donie, déconstruction cognitive de la conscience de soi et de l’analyse tempo-relle, des tendances dépressives et auto-destructives, un affaiblissement descapacités d’auto-régulation (Twenge et coll., 2002 ; Kendler et coll., 2003 ;Baumeister et coll., 2005 ; Twenge et coll., 2003 et 2007). Stresseurs etprocessus de stress dérégulent le fonctionnement des circuits cortico-limbiques. Comme décrit précédemment, les activités transcriptionnelles desrécepteurs aux glucocorticoïdes sont hyposensibilisées et celles des récepteursde l’immunité et de l’inflammation hypersensibilisées, profil pathologiquedéjà évoqué pour tout stress chronique.

En conclusion, tout individu fait face quotidiennement à de nombreuxstresseurs et par nature des mécanismes sont présents pour maintenir l’équili-bre biologique, l’homéostasie. Ces mécanismes cognitifs et émotionnels,dépendant du bon fonctionnement des régions cortico-frontales, permettentles évaluations et les ajustements. Il existe une grande inégalité face auxstresseurs ; outre les déterminants génétiques, de nombreuses causes de vulné-rabilité peuvent être décrites. Les facteurs sociaux, dont les inégalités, l’isole-ment, l’humiliation sont de plus en plus invoqués comme stresseurs chro-niques. Leurs conséquences biologiques sont de mieux en mieux connues.Depuis plus de 60 ans, les chercheurs, essentiellement anglo-saxons, ontdémontré que certaines sociétés pouvaient être sources de stresseurs délétèrespour la santé des citoyens. Ceci revient à définir ce qu’est une société permet-tant l’épanouissement psychobiologique des citoyens (Wilkinson, 1996 ;Adler et coll., 1999 ; Marmot et Wilkinson, 2003 ; Marmot, 2004 ; Wilkinsonet Pickett, 2010). Il reste à démontrer que les environnements actuels sontplus pathogènes qu’ils ne l’étaient il y a 50, 100, ou 500 ans, et pourquoi, oubien si ce sont les individus qui sont plus vulnérables, ou qui ont des capacitésd’évaluation différentes, ou qui ne disposent plus des capacités et moyensd’ajustements nécessaires.

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13Mécanismes associant stresset pathologies

Ce chapitre traitant des liens entre stress et pathologie n’est pas spécifique auxtravailleurs indépendants, les mécanismes physiologiques sous-jacents sont lesmêmes que pour les travailleurs salariés, et sont généralisables à toutes lessituations de stress chronique. Nous allons ici détailler les mécanismes physio-logiques par lesquels un état de stress peut aboutir à des pathologies :comprendre le passage d’un état normal à un état pathologique. En effet, laréponse de stress est une réponse de l’organisme – via la libération de neuro-transmetteurs et d’hormones – dont le but est l’adaptation à une situationévaluée comme contraignante. Toutefois, le fonctionnement de ce système dedéfense peut s’altérer en particulier en cas de sur-sollicitation : on parle alors destress chronique, état psychophysiologique pouvant aboutir à des pathologies.

L’issue pathologique du processus d’adaptation est le résultat d’une combina-toire complexe de facteurs liés :• aux caractéristiques de l’environnement ;• à la réactivité psychobiologique générale de l’individu, à ses possibilitésd’action comportementale et à l’efficacité de cette démarche ;• et enfin aux caractéristiques individuelles du fonctionnement des systèmesbiologiques impliqués qui orientent la « sortie » pathologique.

Véritables « maladies de l’adaptation », les pathologies liées au stress chro-nique ont fait l’objet de nombreuses études épidémiologiques lesquelles ontprécisé les relations statistiques entre certaines contraintes de travail et cesaltérations de santé. L’importance des pathologies concernées sur la santépublique n’est plus à démontrer. Pour certaines de ces pathologies, les évi-dences mécanistiques sont solides mais pour la plupart elles restent à établir.Quoiqu’il en soit, les mécanismes mis en jeu par la réponse de stress sontmultiples, incluant le système nerveux central, le système nerveux autonome,le système neuroendocrinien et le système immunitaire. Seront évoqués dansce chapitre les mécanismes pour lesquels les connaissances scientifiques sontsuffisamment établies.

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Santé mentale

Les données épidémiologiques montrent qu’il existe un lien entre des situa-tions de stress chronique et des altérations de la santé mentale : burnout(Ahola et coll., 2006 ; Twellaar et coll., 2008), troubles de l’humeur (anxiété,dépression) (Godin et coll., 2005 ; Melchior et coll., 2007 ; Netterstrom etcoll., 2008 ; Bonde, 2008 ; Siegrist, 2008), troubles du sommeil (Akerstedt,2006 ; Armon et coll., 2008), troubles des comportements consommatoires(toxicomanies, alcool) (Head et coll., 2004 ; Siegrist et Rödel, 2006).

Il n’existe pas à ce jour un mécanisme causal unique reliant stress et santémentale, et la littérature expérimentale à ce sujet est considérablement dense.De nombreuses modalités physiopathologiques sont identifiées grâce à desmodèles animaux, quelques uns sont suggérés chez l’homme. Parmi ces moda-lités, l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, ou axe corticotrope, semblelargement impliqué. L’hyperactivité de ce système en réponse au stress est trèscertainement pilotée par une hypersécrétion de Corticotropin-Releasing Hor-mone (CRH), encore appelée Corticotropin-Releasing Factor (CRF), au niveauhypothalamique. L’activation excessive de l’axe est également responsable del’augmentation de la sécrétion basale de glucocorticoïdes observée chez cer-tains patients déprimés, probablement due à une déficience du rétrocontrôlede l’axe (Pariante et Lightmann, 2008) (figure 13.1). Des anomalies circa-diennes telles des avances de phase du rythme de cortisol et des réductions del’amplitude des rythmes sont également évoquées comme un des liens pos-sibles reliant stress chronique et dépression (Souêtre et coll., 1989 ; Keller etcoll., 2006 ; Wirtz-Justice, 2006). En revanche, la réponse à la question« troubles des rythmes circadiens et dépression : cause ou conséquence ? »n’est pas donnée à ce jour.

Récemment, l’hypothèse d’une altération de la plasticité neuronale (structu-relle et fonctionnelle) due au stress chronique et conduisant à la dépression aété affinée ouvrant la voie à de nouvelles thérapeutiques (Fuchs et coll.,2004 ; Pittenger et Duman, 2008). Une exposition prolongée aux glucocorti-coïdes semble également impliquée dans les atrophies de l’hippocampe décri-tes par Sapolsky dès 2000 chez les patients déprimés (Sapolsky, 2000). Dans lemême sens, les déficits mnésiques rencontrés chez les dépressifs s’explique-raient par une atténuation de la potentialisation à long terme20 sous stresschronique (De Kloet, 2004).

20. Potentialisation à long terme (PLT) : processus de renforcement synaptique correspondantà une augmentation d’amplitude de la réponse post-synaptique à la suite d’une intenseactivation pré-synaptique.194

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Figure 13.1 : Processus moléculaires mis en jeu par le stress et la dépression (d’aprèsRaison et coll., 2006)

Le stress aboutit à une libération de glucocorticoïdes, de Corticotropin-Releasing Hor-mone (CRH) et de cytokines pro-inflammatoires (TNF : Tumor Necrosis Factor ; IL-1 :Interleukin-1 ; IL-6 : Interleukin-6). Dans la dépression, des modifications de la neuro-transmission de sérotonine (5-HT), noradrénaline (NE) et dopamine (DA) altèrent lesmécanismes de rétrocontrôle qui régulent la réponse de stress. L’hyperactivité sympa-thique contribue à l’activation du système immunitaire et à la libération de cytokinesinflammatoires. Ces cytokines inflammatoires iront interférer avec les signaux monoami-nergiques et neurotrophiques et vont également diminuer la sensibilité des récepteurscentraux des corticostéroïdes, aboutissant encore une fois à une réduction du contrôlefeedback. BDNF : Brain-Derived Neurotrophic Factor ; ACTH : AdrenocorticotropicHormone

Une autre hypothèse a émergé, basée sur la théorie « glucocorticoïdes » duvieillissement cérébral (Sapolsky et coll., 1986 ; Landfield et coll., 2007)selon laquelle l’exposition chronique aux glucocorticoïdes serait liée auvieillissement cérébral au niveau de l’hippocampe et à la maladie d’Alzhei-mer. Selon cette hypothèse, il existerait un continuum entre stress chronique,dépression et maladie d’Alzheimer et le stress agirait à la fois sur le déclenche-ment et sur la progression de la maladie d’Alzheimer (Sotiropoulos et coll.,

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2008). À ce stade, les données cliniques et expérimentales restent toutefoispeu nombreuses (Anisman et coll., 2008 ; Rothman et Mattson, 2010).

La littérature suggère que la résistance aux glucocorticoïdes et l’hyperactivitéde l’axe HPA qui en résulte est une cause de la dépression alors que lesatrophies de l’hippocampe observées sont une résultante de la dépression,contribuant à des troubles neurocognitifs. Une apparente contradiction existeentre des effets délétères de glucocorticoïdes en excès au niveau de l’hippo-campe, médiés par un récepteur GR fonctionnel, alors que ce même excèsdans la dépression est le résultat de mécanismes feedback de l’axe HPA défi-cients, déficience attribuée à un récepteur GR non fonctionnel. Il semble enfait que la fonction GR peut être différente dans différents tissus : un récepteurnon fonctionnel peut être observé dans l’hypophyse par exemple, (où ilcontribue à une déficience des mécanismes de rétrocontrôle et à une hyper-activité de l’axe HPA), alors qu’un récepteur GR fonctionnel sera présentdans l’hippocampe où l’on observera les effets délétères d’un excès de gluco-corticoïdes (Anacker et coll., 2010).

Les mécanismes moléculaires conduisant à l’atrophie neuronale en réponse austress sont nombreux et restent encore largement à élucider. Ils semblent faireintervenir le glutamate et son récepteur et pourraient conduire à la régulationde la production de facteurs de croissance (BDNF : Brain-Derived NeurotrophicFactor ; vEGF : vascular Endothelial Growth Factor) et à l’activation de nom-breux gènes cibles (Pittenger et Duman, 2008).

Les facteurs de stress psychologiques induisent également la production decytokines dans le système nerveux central au niveau des cellules microgliales(Dantzer et coll., 2008 ; Miller et coll., 2009). Les cytokines cérébrales pro-inflammatoires (en particulier Il1-b, Il-6 et le TNFa) vont agir sur des cellulesneurales et non-neurales par le biais de leurs récepteurs spécifiques et ainsicontribuer au développement de troubles neuropsychiatriques. Les méca-nismes par lesquels les cytokines induisent des états dépressifs ont été étudiésen particulier chez des patients traités par immunothérapie (interféron-a parexemple). Ces études montrent que les cytokines influencent le développe-ment de la dépression en agissant sur le métabolisme des monoamines.L’interféron-a ou le TNF-a, par exemple, active une enzyme(indolamine 2,3 dioxygénase) qui métabolise le tryptophane en kynurénine.Or, le tryptophane est aussi le précurseur de la sérotonine qui se trouve ainsidiminuée par l’activation de l’indolamine 2,3 dioxygénase dans le cerveau.Les cytokines auraient également un effet sur la biodisponibilité de la dopa-mine cérébrale conduisant à un ralentissement psychomoteur et à la fatigue.Enfin, des études d’imagerie cérébrale sur des patients sous immunothérapiemontrent l’activation de circuits neuronaux associés à l’anxiété et la vigilance(cortex cingulaire antérieure dorsal).

Devant la multitude des modalités physiopathologiques mises en jeu et lemanque de connaissances concernant les distinctions mécanistiques entre les196

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effets du stress aigu et du stress chronique, la question de la relation causaleentre stress et dépression reste aujourd’hui largement ouverte (Baune, 2009).

Concernant les liens entre troubles du sommeil et stress chronique chezl’homme et chez l’animal, une altération du sommeil sur un plan quantitatif etqualitatif est largement décrite : désorganisation des cycles et réduction dutemps total de sommeil, fragmentation par éveils multiples, diminution dusommeil lent profond et perturbations de l’organisation du sommeil para-doxal, en particulier raccourcissement de la latence d’apparition du premierépisode de sommeil paradoxal (Mendlewicz et coll., 1991 ; Van Reeth et coll.,2000). Les études impliquant une hypersécrétion de glucocorticoïdes dans cestroubles du sommeil sont largement controversées (Vazquez-palacios et coll.,2004). La prolactine pourrait être un des médiateurs des effets du stress sur lesommeil (Bodosi et coll., 2000). Le CRF apparaît dans de nombreuses étudeschez les rongeurs comme le composant clé des effets du stress sur le sommeil,autant de part son rôle au niveau central que dans l’activation de l’axecorticotrope (Chang et Opp, 2001 ; Pawlyk et coll., 2006). Le système séroto-ninergique est également un bon candidat : il est largement impliqué chezl’animal dans les effets du stress sur le sommeil et en particulier sur le sommeilparadoxal (Chaouloff et coll., 1999 ; Jouvet, 1999 ; Ursin, 2002).

On suppose depuis plusieurs années que le stress peut favoriser l’émergenced’une addiction. Dans les situations de stress, de grandes quantités d’hormo-nes de stress, les glucocorticoïdes, sont sécrétées. Or, ces hormones aug-mentent la sensibilité du cerveau aux psychotropes et favorisent l’émergencede comportements addictifs chez les animaux stressés de manière répétée(Piazza et Le Moal, 1996 et 1998 ; Marinelli et Piazza, 2002). Parallèlement,chez les rats rendus dépendants à une substance, l’administration de molécu-les qui réduisent l’action des hormones de stress a pour effet de diminuer laconsommation des rongeurs (Richardson et coll., 2008 ; Specio et coll.,2008). La sécrétion de glucocorticoïdes est plus ou moins élevée selon lesindividus et la concentration d’hormone conditionne la susceptibilité àl’addiction (Piazza et Le Moal, 1996). L’inverse a également été récemmentvérifié. En effet, des personnes dépendantes à la cocaïne présentent unesensibilité exacerbée aux événements stressants (Fox et coll., 2008). Le stressdevient donc un facteur de risque d’une grande importance dans le phéno-mène de rechute. Des évidences scientifiques existent en faveur d’une conver-gence des mécanismes d’action des drogues et du stress avec induction dechangements similaires au niveau du système dopaminergique mésolimbique(Piazza et Le Moal, 1998) et le rôle central du récepteur des glucocorticoïdesGR dans la médiation de ces effets (De Jong et De Kloet, 2004). Récemment,une équipe de chercheurs français a identifié les neurones impliqués dans lamodulation des addictions par le stress : ce sont des neurones sensibles à la foisaux glucocorticoïdes et à la dopamine (Ambroggi et coll., 2009).

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Maladies métaboliques et affections cardiovasculaires

Les liens entre maladies cardiovasculaires et état de stress chronique (appré-hendé principalement par les modèles de job strain de Karasek et ERI (Effort-Reward Imbalance) de Siegrist) ont fait l’objet de nombreuses études épidé-miologiques et sont aujourd’hui bien établis (Belkic et coll., 2004). Lesrésultats épidémiologiques récents montrent également que le stress chro-nique est associé à une augmentation de l’incidence de l’obésité viscérale etdu syndrome métabolique (Chandola et coll., 2006). C’est à nouveau beau-coup moins clair pour les mécanismes physiopathologiques. En cas de stresschronique, les troubles métaboliques occasionnés par la réponse neuroendo-crinienne vont agir de concert pour conduire à l’expression clinique d’uncertain nombre de comorbidités associant obésité viscérale, hypertensionartérielle (HTA), dyslipidémie et dysfonction endothéliale qui sont les com-posants du syndrome métabolique et font le lit de l’athérosclérose.

Évoquée en 2002 par l’étude transversale de Brunner et coll. (2002), lapremière évidence scientifique que le stress chronique au travail, via l’hyper-activité de l’axe corticotrope et l’hypersécrétion de catécholamines, pouvaitinduire un syndrome métabolique a été apportée par les travaux de Chandolaet coll. en 2006 (figure 13.2).

Le syndrome métabolique est un facteur de risque de diabète de type 2, demaladies cardiovasculaires et d’accidents vasculaires cérébraux (Chandola etcoll., 2006). Le cortisol interfère à différents niveaux de la production d’insu-line et de l’activation de son récepteur. Le cortisol inhibe directement lasécrétion d’insuline par les cellules b du pancréas. Sur des adipocytes enculture, la déxaméthasone (hormone glucocorticoïde de synthèse) induitprogressivement un état de résistance à l’insuline en régulant de multiplesaspects des systèmes de transport du glucose (Rosmond, 2005). Le cortisol aégalement un effet chronique sur le métabolisme des lipides : un excès decortisol active la lipoprotéine lipase, enzyme qui permet l’hydrolyse des trigly-cérides des lipoprotéines plasmatiques, aboutissant à une accumulation detriglycérides dans les adipocytes (Rosmond, 2005). Chez la souris, le stresschronique favorise également l’obésité abdominale via le neuropeptide Y(NPY), un neurotransmetteur orexigene libéré directement dans les tissusadipeux (Kuo et coll., 2008). Enfin, le stress chronique provoque une augmen-tation de la faim avec une appétence marquée pour une nourriture riche encalories, lien supplémentaire avec l’obésité (Teegarden et Bale, 2008). Sousl’effet des glucocorticoïdes, l’humain tend à augmenter sa consommationd’aliments réconfortants (comfort food) et conséquemment son poids corporel(Dallman et coll., 2003).

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Figure 13.2 : Rôle du stress dans le développement du syndrome métabolique et despathologies cardiovasculaires (d’après Rosmond, 2005)

Une augmentation chronique de sécrétion de catécholamines et de cortisol aboutit à unétat de résistance à l’insuline, une obésité viscérale, des niveaux élevés de triglycérides etdes niveaux faibles de HDL-cholestérol associés à une hypertension. Des variantesgénétiques et des facteurs environnementaux impactent le développement d’athérosclé-rose à différents niveaux via une influence sur l’obésité viscérale, le métabolisme duglucose et des lipoprotéines, et la fonction vasculaire.

L’hyperactivité de l’axe corticotrope et du système sympathique en cas destress chronique a une action directe sur l’obésité viscérale : le cortisol sup-prime l’effet bénéfique des hormones sexuelles et de l’hormone de croissanceau niveau viscéral et stimule directement la prolifération des adipocytes(Kyrou et Tsigos, 2007 et 2009). Réciproquement, l’obésité provoque un étatinflammatoire médié par les cytokines TNF-a et IL-6, dont la sécrétion estproportionnelle à la masse adipeuse. Ces cytokines pro-inflammatoires sontassociées au risque cardiovasculaire et à l’insulinorésistance et stimulent en

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retour l’axe corticotrope, créant un cercle vicieux délétère (Kyrou et Tsigos,2007 et 2009) (figure 13.3).

Le système sympathique est l’autre médiateur majeur du stress sur le systèmecardiovasculaire. Via les sécrétions d’adrénaline et de noradrénaline, il va agirsur les vaisseaux sanguins (vasoconstriction ou vasodilatation selon les récep-teurs), sur le cœur (augmentation de la fréquence cardiaque, de la pressionartérielle et du débit cardiaque) et sur le métabolisme (effet lipolytique, effethyperglycémiant) (Grippo et Johnson, 2009). Les effets du stress sur le sys-tème cardiovasculaire peuvent aussi s’expliquer par une action directe sur lavariabilité cardiaque (chute de la variabilité cardiaque) via une saturation dusystème sympathique (et une diminution du système parasympathique) quiaboutit à une instabilité électrique cardiaque (Rosmond, 2005).

Enfin, les liens entre stress chronique et altération de la structure et de laquantité de sommeil (Van Reeth et coll., 2000) ouvrent la voie à d’autresmécanismes potentiels via la dette de sommeil comme facteur de risque demaladie métabolique (Spiegel et coll., 1999 ; Knutson et coll., 2007). On saitaujourd’hui qu’une dette de sommeil est susceptible d’augmenter la sévérité demaladies comme l’obésité, le diabète, l’hypertension et la vulnérabilité auxinfections (Ohlmann et O’Sullivan, 2009). Ces dernières années, plusieursétudes épidémiologiques ont établi le lien entre un sommeil court et un indicede masse corporelle (IMC) élevé, à la fois chez l’adulte et l’enfant (Nielsen etcoll., 2010). Deux hormones clés sont impliquées dans la régulation ducomportement alimentaire : la ghréline, sécrétée par l’estomac et qui stimulel’appétit ; la leptine, produite par les cellules adipeuses et qui induit la satiété.Spiegel et coll. (2009) ont montré qu’une réduction de la durée de sommeilétait associée à une diminution de la leptine anorexigène et à une augmenta-tion de la ghréline orexigène, et que ces modifications hormonales étaienteffectivement associées à une augmentation de faim et d’appétit en particulierpour les aliments riches en graisses et en sucre (Spiegel et coll., 2009).

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Figure 13.3 : Représentation schématique des relations réciproques entre le stress chro-nique et l’obésité viscérale, aboutissant au syndrome métabolique (d’après Kyrou etTsigos, 2008)L’activation chronique de l’axe corticotrope favorise l’obésité viscérale et la réduction dela « masse maigre » (lean body mass). Le cortisol freine l’axe de l’hormone de croissanceet l’axe gonadal et stimule directement la prolifération d’adipocytes. Réciproquement,l’IL-6 et le TNF-α, produits en excès par les tissus adipeux en augmentation, stimulentl’axe corticotrope provoquant un cercle vicieux (CRH : Corticotropin-Releasing Hor-mone ; ACTH : Adrenocorticotropic Hormone ; LH : Luteinizing Hormone ; FSH :Follicle-Stimulating Hormone ; GH : Growth Hormone ; IGF-1 : Insulin-like GrowthFactor-1 ; TNF-α : Tumor Necrosis Factor-α ; IL- 6 : Interleukin-6 ; CRP : C-ReactivePprotein) ; Flèche en trait plein : activation ; Flèche en pointillé : inhibition

Pathologies digestives

Des événements de vie dits stressants sont souvent évoqués par les maladescomme facteurs responsables du déclenchement et/ou de la majoration deleurs symptômes digestifs. Une meilleure connaissance des mécanismes impli-qués dans la réponse au stress a permis de mieux appréhender l’imputabilité dustress dans les domaines essentiels de la pathologie digestive que sont lestroubles fonctionnels digestifs (TFD) et les maladies inflammatoires crypto-génétiques de l’intestin (MICI) : maladie de Crohn (MC) et rectocolite

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hémorragique (RCH). Toutefois, nos connaissances concernent essentielle-ment les stress aigus, alors que celles concernant des stress chroniques, plusproches des préoccupations cliniques et du stress au travail, demeurent trèsfragmentaires.

Les TFD constituent un ensemble de syndromes classiquement dissocié endyspepsie non ulcéreuse, douleur thoracique non angineuse, troubles fonc-tionnels intestinaux encore dénommés « syndrome de l’intestin irritable »(SII) correspondant à l’ancienne appellation de colopathie fonctionnelle. Lerôle aggravant du stress sur les symptômes est fréquemment souligné par lesmalades souffrant d’une dyspepsie fonctionnelle et surtout d’un SII. Les évé-nements de vie douloureux (séparation, deuil, situation financière critique,chômage...), lorsqu’ils sont perçus comme une menace, sont particulièrementassociés à l’exacerbation des symptômes, souvent de façon transitoire. Lestress pourrait également jouer un rôle dans l’apparition des symptômes carenviron un malade sur deux rapporte une relation chronologique entre lasurvenue d’un stress et l’apparition des premiers symptômes de TFD (Taché etcoll., 2008).

L’expérimentation animale a permis d’approcher les mécanismes des effetsmoteurs gastriques et coliques au cours d’un stress aigu. Ils impliquent l’actioncentrale du CRF agissant par l’intermédiaire de deux types de récepteurs.L’effet moteur inhibiteur gastrique du CRF implique le récepteur de type 2(CRF2) alors que l’effet stimulant sur la motricité colique met en jeu lesrécepteurs de type 1 (CRF1) (Taché et Bonaz, 2007 ; Taché et coll., 2008).

L’étiopathogénie des MICI (MC et RCH) est multifactorielle impliquant desfacteurs immunologiques, génétiques, infectieux ou environnementaux. Destravaux récents ont apporté de solides arguments en faveur de l’existenced’une relation entre stress et évolution des MICI. Parallèlement, un effetpro-inflammatoire du stress au niveau du tube digestif a été démontré, impli-quant les lymphocytes T CD4+ (Maunder et coll., 2008). Le stress pourraitnon seulement jouer un rôle dans le déclenchement d’une poussée de MICImais également dans l’apparition de la maladie. Sur le plan physiopathogéni-que, Gué et coll. (1997) ont montré chez le rat que l’aggravation d’une coliteaiguë par un stress n’impliquait pas le CRF et l’arginine vasopressine (AVP).En fait, selon d’autres travaux, le CRF central empêcherait l’aggravation del’inflammation colique. En effet, les rats Lewis femelles connus pour avoir undéfaut de sécrétion de CRF sont plus sensibles aux infections ou aux inflam-mations. À l’opposé, les rats Fischer, qui ont une hypersécrétion de CRF, sontplus résistants aux infections et/ou aux inflammations (Stohr et coll., 2000).Le CRF renforcerait l’immunité humorale aux dépens de l’immunité cellu-laire, en stimulant préférentiellement la production de cytokines immuno-régulatrices de type 2 (TH-2 pour T-helper 2), IL-4 et IL-5 par rapport à cellesde type 1 (TH-1 pour T-helper 1), IFN g et IL-2. Alors que le CRF central a unrôle protecteur de l’inflammation, le CRF périphérique a plutôt un rôlepro-inflammatoire (Dhabhar, 2009).202

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Parallèlement aux systèmes CRF central et périphérique, le système nerveuxautonome est très impliqué dans les relations stress-inflammation digestive(Vere et coll., 2009). Il existe classiquement, au cours d’un stress aigu, uneactivation du système sympathique et une inhibition du système parasympa-thique. Or, le système sympathique a un rôle délétère sur l’inflammation. Enactivant le système sympathique, le stress altérerait les fonctions immuni-taires, augmenterait la perméabilité intestinale et favoriserait des modifica-tions du mucus. La noradrénaline en tant que neurotransmetteur ou lescatécholamines circulantes affectent la circulation et la prolifération lympho-cytaire et modulent la production de cytokines et l’activité fonctionnelle dediverses cellules lymphoïdes. Le stress entraîne aussi une augmentation de laperméabilité intestinale, une augmentation de la motilité intestinale et altèrela sécrétion ionique (Caso et coll., 2008). L’effet sur la barrière intestinaleserait un des éléments à l’origine de poussées de MICI et ferait intervenir lemastocyte dont le rôle est central dans les phénomènes de perméabilitéintestinale (Keita et coll., 2010).

Concernant les pathologies ulcéreuses de l’estomac, une infection par Helico-bacter pylori est généralement associée à la survenue d’un ulcère. Toutefois,quelques données cliniques ont suggéré que cette infection n’était pas suffi-sante en soi pour provoquer un ulcère : des patients infectés par la bactérie nedéveloppent pas d’ulcère et des patients atteints d’ulcère gastrique ont unesérologie H-pylori négative (Velin et Michetti, 2006). Chez la souris, il a étémontré récemment que l’infection de l’estomac par Helicobacter pylori estpotentialisée par un stress psychologique (souris mises en présence de congé-nères subissant des chocs électriques), et que les glucocorticoïdes sont respon-sables de cet effet (Guo et coll., 2009). En fait, la revue de la littérature chezl’homme suggère que d’autres facteurs tels la consommation de médicamentsanti-inflammatoires non stéroïdiens, le régime alimentaire, le tabagisme et lestress pourraient contribuer au développement d’un ulcère peptique (gastro-duodénal) (Kurata et Nowaga, 1997), mais les cas d’ulcères sans infectiond’Helicobacter pylori restent très marginaux (revue dans Gisbert et Calvet,2009).

Le stress psychosocial influence également l’évolution des hépatites virales,cirrhoses et carcinomes hépatiques (Vere et coll., 2009). Le stress influence-rait l’évolution de l’inflammation hépatique en augmentant le niveau descytokines pro-inflammatoires IL-6 et TNFa. Le stress semble égalementinfluencer la progression tumorale en agissant, par l’intermédiaire de cytoki-nes, sur l’activité des cellules NKT (Natural Killer T) (Vere et coll., 2009). Desmodèles animaux sont en cours d’élaboration pour affiner ces mécanismes.

Troubles musculosquelettiques (TMS)

Les TMS, ou troubles musculosquelettiques, sont des maladies multifacto-rielles à composante professionnelle. Les sollicitations qui sont à l’origine des

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TMS sont biomécaniques, organisationnelles et psychosociales. Les TMS,dont certains sont reconnus comme maladies professionnelles (tableaux 57,69, 79, 97, 98)21, peuvent concerner les membres supérieurs, le dos et lesmembres inférieurs. Les plus fréquents sont le syndrome du canal carpien, lestendinites (épaules, coudes...) et les atteintes du rachis (lombalgies...).

L’existence d’un lien entre troubles musculosquelettiques et stress est large-ment suspectée suite à des études épidémiologiques qui ont montré uneassociation entre les deux (revue dans Macfarlane et coll., 2009). La questiond’une relation entre stress et TMS est posée tant du point de vue des phéno-mènes de causalité : « quoi favorise quoi », que du point vue de plausibilitébiologique : « comment est-ce possible ? ». Dans un article de synthèse, Aptelet Cnockaert (2002) évoquent 4 voies mécanistiques possibles (figure 13.4).

Figure 13.4 : Liens biologiques entre stress et TMS (selon Aptel et Cnockaert, 2002)

Premièrement, le stress via l’activation du système nerveux central accroît leniveau d’activité (« tonus ») de la formation réticulée localisée dans le tronccérébral, laquelle à son tour augmente le tonus musculaire. Cette augmenta-tion de tonus musculaire accroît la « charge biomécanique » des muscles etdes tendons et contribue ainsi à augmenter le risque de TMS (Aptel etCnockaert, 2002 ; Nilsen et coll., 2007).

Une deuxième voie sollicite le système nerveux végétatif qui déclenche lasécrétion des catécholamines (adrénaline et noradrénaline). Ces substances

21. http://www.ucanss.fr/services/textes_documents/bareme_invalidite/Tableaux_mp/tab_mp_index.html204

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libérées dans le sang provoquent, entre autres, une augmentation du tonusréticulaire, de la fréquence cardiaque et une vasoconstriction des artérioles.Pour ce qui concerne les TMS, la restriction de la micro-circulation dans lemuscle et au voisinage des tendons, dont la vascularisation est par ailleurspauvre, a deux types d’effets : d’une part, elle réduit l’apport de nutriments auxtendons et ainsi entrave les processus d’auto-réparation des micro-lésions desfibres tendineuses consécutives aux contraintes biomécaniques excessives etd’autre part, elle favorise l’apparition de la fatigue musculaire chronique et demyalgies (Aptel et Cnockaert, 2002 ; Discher et coll., 2009).

Une autre voie explorée est celle conduisant à la libération de glucocorti-coïdes par la glande corticosurrénale. Corticostérone et cortisol agissent sur lerein et peuvent perturber l’équilibre hydrominéral de l’organisme dont laconséquence la plus visible est l’œdème. Pour ce qui concerne les TMS,l’œdème peut déclencher des « syndromes canalaires » résultant de la com-pression locale des nerfs par les tissus adjacents (tendons...) œdématiés (Aptelet Cnockaert, 2002).

Enfin, le stress pourrait également agir sur le système immunitaire via laproduction/libération de cytokines. Certaines de ces cytokines, telles lesinterleukines (IL-1, IL-2, IL-10...) sont pro-inflammatoires. Pour ce quiconcerne les TMS, ces interleukines favoriseraient voire provoqueraient desTMS (inflammation des tendons). Cette dernière hypothèse a été confirméeindirectement par les résultats d’une étude sur les effets secondaires d’unetrithérapie cancéreuse qui associait deux médicaments spécifiques et l’IL-2.Les patients ainsi traités ont été victimes d’un syndrome du canal carpien troissemaines seulement après le début du traitement. Des essais croisés chez despatients au repos complet, dont les poignets ne subissaient donc pas decontraintes biomécaniques particulières, ont confirmé que l’IL-2 était bien laseule responsable du syndrome du canal carpien (Puduvalli et coll., 1996).

L’ensemble de ces hypothèses mécanistiques trouvent leur place, de façon trèsdétaillée, dans un modèle novateur de compréhension, le modèle intégré deBruxelles (Johansson et coll., 2003). Pour reprendre une terminologie deMichel Aptel, le modèle de Bruxelles est le « chaînon manquant » entre lesfacteurs psychosociaux et la physiopathologie des TMS (Aptel, 2007). Il s’agitd’un modèle holistique intégrant l’ensemble des mécanismes connus pouvantconduire à des myalgies liées au travail. Selon les auteurs (Johansson et coll.,2003), trois dimensions caractérisent le modèle : la diversité de nature desfacteurs de risque psychosociaux et biomécaniques et partant, des mécanismesphysiopathologiques qui les portent ; l’interaction étroite de ces mécanismeset de leurs rétrocontrôles qui témoigne de l’absence d’un mécanisme domi-nant ; la dimension chrono-dépendante du modèle qui induit des types diffé-rents d’expressions du processus physiopathologique en raison de la multipli-cité des voies d’actions en jeu.

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Cancer

La littérature épidémiologique liant stress et cancer n’est pas aussi consé-quente que pour d’autres pathologies. En juin 2002, le British Medical Journals’élevait contre cette croyance qui pouvait conduire les personnes atteintesd’un cancer à se culpabiliser. Le journal soulignait notamment qu’il n’existaitpas de preuve sérieuse permettant d’affirmer que le stress puisse être la causedu cancer du sein (Graham et coll., 2002). Aujourd’hui, il existe des étudessuggérant que les changements physiologiques associés au stress chroniquepourraient jouer un rôle dans le déclenchement et la progression des tumeurs(Kiecolt-Glaser et Glaser, 1999 ; Chida et coll., 2008). Les arguments scienti-fiques en faveur d’un rôle du stress dans l’étiologie des cancers sont cependantcontroversés. De nombreux biais méthodologiques sont relevés dans les étu-des épidémiologiques, expliquant des résultats souvent inconsistants voirecontradictoires (Reiche et coll., 2004 ; Schraub et coll., 2009 ; Lopez et coll.,2010).

Si le rôle des événements de vie, tels que le deuil, et plus généralement dustress est souvent invoqué par la croyance populaire comme cause du cancer,les arguments scientifiques sont aujourd’hui insuffisants. Des études expéri-mentales et cliniques montrent que le stress et l’isolation sociale chroniquecontribuent à la progression de certains cancers, en particulier le cancer dusein chez la femme (Fox et coll., 1994 ; Lillberg et coll., 2003). Une dérégula-tion de l’axe corticotrope, en particulier une altération de rythme circadien decortisol, semble liée à la mortalité par cancer du sein. Le stress pourrait agirdirectement via des altérations hormonales ou indirectement via une altéra-tion de l’efficacité des traitements anticancéreux (timing d’administration)due à la modification des rythmes circadiens par le stress (Sephton et coll.,2000 ; Sephton et Spiegel, 2003). Chez les rats de la souche Sprague-Dawley,un bon modèle d’étude du cancer du sein, l’amplitude de la sécrétion decorticostérone en réponse au stress ainsi que le temps de récupération de laréponse prédisent la vitesse de croissance des tumeurs (Yee, 2008). L’implica-tion du système CRF (neuropeptides et récepteurs) dans la régulation dudéveloppement de certains cancers chez l’homme est également largementsuspectée et ouvre la voie à de nouvelles thérapeutiques prometteuses via desagonistes et antagonistes des récepteurs au CRF (Wang et Li, 2007 ; pourrevue, Kaprara et coll., 2010).

Une autre voie de recherche s’intéressant aux connexions possibles entrestress et cancer concerne la réactivation de virus latents qui favoriseraient ledéveloppement de tumeurs (exemples du virus d’Epstein Barr et du lymphomenon hodgkinien) (Godbout et Glaser, 2006). Le stress, de par le shift qu’ilengendre au niveau du profil des cytokines (d’un type TH-1 vers un typeTH-2), pourrait favoriser la réplication de virus et augmenter la fréquence destumeurs (Glaser et coll., 2001). En résumé, ces études avancent l’hypothèseque le stress via une dérégulation du système immunitaire pourrait être un206

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cofacteur dans la promotion de certaines tumeurs, en particulier celles indui-tes par des virus oncogènes.

Le stress est également associé à une altération de l’immunité anti-tumoralevia une réduction de l’activité des cellules Natural Killer (NK) et des cellules Tcytotoxiques, cellules normalement impliquées dans la destruction de cellulesanormales (Antoni et coll., 2006 ; pour revue, Webster Marketon et Glaser,2008). Une étude récente chez la souris suggère que des hormones thyroï-diennes pourraient être impliquées dans la médiation des effets du stress surl’immunité (cellules T) et le cancer (Frick et coll., 2009).

Immunité

Les stresseurs psychosociaux affectent la circulation et l’activité des cellules dusystème immunitaire à travers la libération de médiateurs neuroendocriniens etvia des actions neurales directes du système sympathique, parasympathique etpeptidergique. Les voies neuronales majeures, à partir desquelles le stress peutaffecter les fonctions immunitaires périphériques, sont l’axe néocortico-sympathique, l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien et la voie tronccérébral - nerf vague - acétylcholine induisant la libération des médiateursmajeurs : noradrénaline, cortisol et acétylcholine. Ces hormones et neurotrans-metteurs peuvent moduler les processus inflammatoires dans les maladies auto-immunes telles que l’arthrite rhumatoïde, la sclérose en plaque ou les patholo-gies de la peau, ainsi qu’affecter la réponse immunitaire lors d’infection etinfluencer le développement et la progression de tumeur (Kemeny et Sche-dlowski, 2007). Les organes lymphoïdes primaires et secondaires sont innervéspar des fibres nerveuses noradrénergiques. Toutes les cellules lymphoïdes expri-ment des adrénorécepteurs b et une partie d’entre elles des adrénorécepteurs a.L’adrénaline et la noradrénaline peuvent ainsi altérer la circulation de sous-populations de leucocytes ainsi que la capacité fonctionnelle de cellulesimmuno-compétentes incluant la production et la libération de cytokines. Lesglucocorticoïdes régulent de multiples aspects des fonctions immunitaires avecdes effets anti-inflammatoires et immunosuppresseurs. Ces hormones régulent laréponse immunitaire innée aux infections bactériennes et virales en induisantun glissement de l’activité cellulaire de type T-H1 vers T- H2 par inhibition de laproduction de cytokines pro-inflammatoires et la stimulation de la synthèse deprotéines anti-inflammatoires. Récemment, la voie anti-inflammatoire choliner-gique a été mise en évidence. On parle de réflexe inflammatoire comprenant unbras afférent qui détecte via le nerf vague l’inflammation et un bras efférent quiinhibe les réponses immunes innées (Rosas-Ballina et Tracey, 2009).

En condition d’inflammation chronique telle que l’arthrite rhumatoïde, lesétudes expérimentales conduites chez l’homme ont démontré que les communi-cations entre les systèmes neuroendocriniens et immunitaires sont perturbéeslors d’une exposition à un stresseur et que ces mécanismes sont à la base de

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l’aggravation par le stress de ces pathologies. Les données montrent une sécré-tion inadéquate de cortisol accompagnée d’une augmentation du tonus sympa-thique au repos. Lors d’un stress, la réponse de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien et du système sympathique est altérée chez ces patients avec uneperte fonctionnelle des fibres nerveuses sympathiques synoviales. Ces modifica-tions s’accompagnent d’un déplacement de l’expression des adrénorécepteurs bvers les adrénorécepteurs a et d’une perturbation de la cascade de signalisationintra-cellulaire des adrénorécepteurs au niveau des leucocytes.

De même, chez les patients souffrant de sclérose en plaque, des événements devie stressants sont liés à une exacerbation des symptômes d’après une méta-analyse de 14 études (Mohr et coll., 2004). Les facteurs de stress ne seraientpas directement la cause des exacerbations de la sclérose en plaque mais ilsrendraient les patients vulnérables aux processus d’auto-réactivité immuni-taires de la sclérose en plaque conduisant à terme aux exacerbations. En effet,en situation de stress chronique, une résistance aux hormones glucocorti-coïdes se développe avec pour conséquence majeure la perte du pouvoiranti-inflammatoire de ces hormones. Dans ces conditions, l’inflammationauto-réactive reste incontrôlée et se poursuit jusqu’à ce que l’exacerbationéclate (Mohr, 2007). Il est important de souligner que des études se déve-loppent sur le rôle des facteurs psychologiques et sociaux dans l’interactionentre le stress et la sclérose en plaque. Les capacités d’ajustement (coping style)de l’individu et la présence de support social semblent modérer l’impact dustress sur l’exacerbation de la sclérose en plaque.

Les patients atteints de psoriasis ou de dermatite atopique diffèrent égalementdans leur réponse à un stresseur psychologique. Les facteurs de stress déclen-chent ou aggravent l’inflammation de la peau par des mécanismes encore malconnus mais faisant intervenir l’activité des mastocytes, des cellules « NaturalKiller » ou des cellules dendritiques de la peau. Cette activité est régulée parles médiateurs de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (CRH, ACTHpour Adrenocorticotropin Hormone, et glucocorticoïdes) ainsi que par les caté-cholamines et la substance P.

Les relations entre les facteurs de stress et les maladies infectieuses sont trèsétudiées, en particulier les challenges viraux, la réponse aux vaccinations et laréactivation de virus latents. Le challenge viral consiste à inoculer des indivi-dus sains avec un virus dans des conditions contrôlées. Des événements de viestressants, le stress perçu et les émotions négatives prédisent une plus grandesusceptibilité aux infections rhinovirales et au virus influenza, des titres d’anti-corps plus bas et une sécrétion plus élevée de l’interleukine-6. Les mécanismesimpliqués dans l’effet du stress sur la résistance au virus influenza proviennentd’études chez l’animal et proposent que les voies principales mettent en jeu laréponse des cytokines pro-inflammatoires, les chémokines b, et les cellules« Natural Killer ». La mesure de l’immunité suite à une vaccination contre levirus de l’influenza ou l’hépatite B montre une variabilité individuelle qui estinfluencée par des facteurs de stress tels qu’une période d’examen chez des208

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étudiants ou le stress chronique induit par l’attention apportée à un prochesouffrant de la maladie d’Alzheimer. Enfin, la réactivation de virus latents telsque le virus d’Epstein-Barr, le virus de l’herpès HSV-1 ou le cytomégalovirus aété étudiée dans des conditions stressantes. Le stress induit par des examensacadémiques par exemple est capable de réactiver ce type de virus latents etd’augmenter le titre des anticorps (Glaser, 2005).

Plusieurs études ont montré l’influence du stress sur la progression du virusVIH par la perte plus rapide de cellules T CD4. Des études chez le macaqueont appuyé ces données montrant que des stresseurs sociaux telles que desséparations ou des changements de logement de macaques inoculés avec levirus de l’immunodéficience simienne (VIS) accéléraient la progression de lamaladie et les altérations immunes associées. La noradrénaline, plutôt que lecortisol, semble impliquée dans ce processus en stimulant la réplication duvirus VIH (Miller et coll., 2009). Des interventions psychologiques de gestiondu stress chez des patients séropositifs ont résulté par exemple, en une réduc-tion des titres d’anticorps contre des virus de l’herpès (EBV pour Epstein-BarrVirus, HSV-2 pour Herpes Simplex Virus 2) ainsi que des humeurs dépressives(Carrico et Antoni, 2008).

En plus d’une libération périphérique, les facteurs de stress psychologiquesinduisent la production de cytokines dans le système nerveux central auniveau des cellules microgliales (Dantzer et coll., 2008 ; Miller, 2008), contri-buant au développement de troubles neuropsychiatriques, comme indiquédans la partie « santé mentale » de ce chapitre.

En conclusion, l’altération de la régulation de l’axe corticotrope en cas destress chronique apparaît impliquée dans les troubles de l’humeur : des aug-mentations de sécrétions basales de cortisol ont souvent été rapportées chezl’homme. Des anomalies circadiennes (avances de phase du rythme de corti-sol) sont suspectées comme lien possible entre stress chronique et dépression.L’axe corticotrope intervient également largement dans la modulation descomportements addictifs par le stress et dans les troubles du sommeil liés austress. L’hypersécrétion de cortisol et de catécholamines en cas de stresschronique peut conduire à l’apparition d’un syndrome métabolique associantplusieurs symptômes : obésité abdominale, état de résistance à l’insuline pou-vant évoluer vers un diabète, hypertension artérielle et perturbations dumétabolisme des lipides sanguins. Ces perturbations métaboliques repré-sentent un facteur de risque pour le système cardiovasculaire (athérosclérose,thrombose). Le stress est également impliqué dans le déclenchement et/ou lamajoration de symptômes digestifs. Le CRF apparaît au centre des méca-nismes physiopathologiques des effets du stress sur le tube digestif. Concer-nant les troubles musculosquelettiques, il est aujourd’hui reconnu que le stresspotentialise les effets des sur-sollicitations biomécaniques. Les effets du stresssemblent transmis par le système autonome, le système endocrine et le sys-tème immunitaire. Enfin, des liens très étroits existent entre les deux axes

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principaux du stress et le système immunitaire. Ce dernier est informé, parl’intermédiaire des systèmes nerveux autonome et central, de stimuli cogni-tifs, émotifs et physiques intégrés par le cerveau. En retour, le cerveau reçoitdes messages du système immunitaire par l’intermédiaire de neuropeptideshormonaux et de cytokines. Les conséquences pathologiques du stresspeuvent résulter d’altérations immunitaires. Le stress, via l’induction d’unetransition dans l’équilibre entre lymphocytes TH-1 et TH-2, aurait des effetsdélétères, dans l’évolution des maladies infectieuses, auto-immunes, inflam-matoires et cancéreuses.

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Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

Page 232: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

14Facteurs de vulnérabilitéindividuelle au stress

Face au stress, nous ne sommes pas égaux, que ce soit à propos de la perceptiondes facteurs stressants, de la capacité à y faire face ou de ses effets sur notreorganisme. Les déterminants psychosociaux de la résilience au stress ont ététrès étudiés. Les principaux sont la tendance aux émotions positives, la capa-cité d’autorégulation, les compétences sociales avec les pairs et le lien étroitavec un proche. Ce n’est que relativement récemment que les processusbiologiques sous-tendant la variabilité individuelle de réponse au stress ontcommencé à être étudiés.

Ce chapitre présente les connaissances acquises sur les facteurs génétiques etenvironnementaux qui expliquent les différences individuelles. Sont toutd’abord exposés les travaux montrant l’importance des facteurs génétiquesdans la perception et la réponse biologique au stress ainsi que les étudesportant sur l’identification des gènes impliqués. Ensuite, sont détaillés lesmécanismes par lesquels les événements de vie modifient le fonctionnementde l’organisme et par là même la sensibilité au stress. Un nombre importantd’études ces dernières années relate l’influence des facteurs de stress surl’épigenèse. Enfin, ce chapitre insiste sur les différences homme/femme ainsique la vulnérabilité au stress en fonction de l’âge.

Facteurs génétiques

Génétique quantitative : études de jumeaux

Chez l’homme, l’importance du fond génétique dans une pathologie ou untrait quel qu’il soit est classiquement estimée par des études de jumeaux. Enparticulier, sont comparés des jumeaux monozygotes (partageant le mêmepatrimoine génétique) à des jumeaux dizygotes (partageant 50 % de leurpatrimoine génétique en moyenne) pour le caractère d’intérêt. Une contribu-tion génétique est montrée si la concordance (estimée par le coefficient decorrélation du phénotype étudié) entre jumeaux monozygotes est plus élevéeque la concordance entre jumeaux dizygotes.

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Plusieurs études se sont intéressées à l’héritabilité22 de la sensibilité au stress.Dans une étude récente, le degré auquel le stress perçu est héritable a étéestimé par l’utilisation de trois questionnaires différents. Une héritabilitéallant de 5 % à 45 % selon les items des questionnaires a été mise en évidence.L’item « manque de reconnaissance sociale » issu du questionnaire TICS(Trier Inventory for the assessment of Chronic Stress) montre 45 % d’héritabilitéet le stress perçu mesuré par l’échelle PSS (Perceived Stress Scale) 30 %(Federenko et coll., 2006). L’héritabilité du stress perçu, mesuré par l’échellePSS, a été confirmée dans une étude récente et estimée à 44 % (Bogdan etPizzagalli, 2009).

Pour l’héritabilité des réponses biologiques au stress, une revue de littérature aété publiée en 2003 sur l’héritabilité de la réponse du cortisol au stress estiméepar des études de jumeaux et de familles (Bartels et coll., 2003). La revuepointe des résultats équivoques du fait de nombreux problèmes méthodolo-giques liés à des mesures de cortisol à différents temps de la journée (lasécrétion de cortisol suit un rythme circadien) et à des facteurs confondantsnon pris en compte comme l’exercice physique, le tabagisme, la prise de pilulecontraceptive. De plus, la comparaison entre études est difficile car le type demesure du cortisol diffère selon les études : cortisol au repos, pic du matin,nadir nocturne, réactivité à un stresseur, aire sous la courbe du cortisol aucours de la journée. Ces mesures correspondent à des phénotypes différentsqui ne sont pas nécessairement influencés par les mêmes gènes. Enfin, uneanalyse de puissance23 montre qu’aucune de ces onze études n’utilise unecohorte de taille suffisante pour pouvoir séparer l’influence des effets géné-tiques de celle des effets comportementaux. Ces auteurs ont réalisé uneanalyse combinée de 5 études utilisant des mesures comparables, comprenantun total de 209 jumeaux monozygotes et 190 dizygotes. Avec cet échantilloncorrespondant à une puissance statistique satisfaisante, l’héritabilité du corti-sol a été estimée à 62 % pour le cortisol basal le matin.

Les études les plus récentes prennent en compte des effets connus de l’environ-nement, donc l’interaction gènes/environnement, pour estimer l’effet globaldes gènes. En effet, les gènes et l’environnement influençant conjointement lesréponses de stress, l’influence des gènes peut être différente selon le contexte.Par exemple, une étude de jumeaux a mesuré la réponse du cortisol, de l’ACTHet du rythme cardiaque au test de stress social de Trier (TSST ; ce test consiste àfaire passer un entretien d’embauche au sujet devant un jury désagréable), troisfois chez les mêmes individus à une semaine d’intervalle (Federenko et coll.,2004). L’héritabilité de ces trois réponses a été trouvée modeste pour lesmesures faites après le premier test mais a augmenté avec les répétitions du test(pour le cortisol : 33 % après le premier test et 97 % après le troisième test).Dans une étude séparant des jumeaux de 19 mois ayant connus une enfance

22. Proportion de la variation phénotypique d’une population qui est d’origine génétique23. Aptitude à mettre en évidence une différence lorsqu’elle existe218

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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difficile de ceux ayant eu une enfance sans problème, l’influence génétique surla réponse du cortisol à un stress psychologique modéré a été trouvée plusmarquée chez les enfants de famille à faible adversité (Ouellet-Morin et coll.,2008). Cependant, les mêmes auteurs ont trouvé qu’une enfance difficile étaitassociée à une contribution plus forte des facteurs génétiques lorsque la sécré-tion basale de cortisol était mesurée le matin chez des jumeaux de 6 mois(Ouellet-Morin et coll., 2009). Ces résultats apparemment contradictoirespeuvent s’expliquer par la différence d’âge des jumeaux (19 versus 6 mois) et letype de mesure de cortisol (réactivité à un stress modéré versus mesure auréveil). Il est à noter que ces derniers résultats sont en accord avec le modèlede diathèse-stress selon lequel les facteurs génétiques vont s’exprimer plusfacilement en situation d’adversité. Kupper et coll. (2005) ont étudié l’hérita-bilité du cortisol chez des jumeaux adultes à différents moments de la journée :au réveil, 30 minutes après le réveil et à 11h00, 15h00, 20h00 et 22h30. Uneinfluence des gènes a été trouvée significative pour les deux premières mesuresdu matin (au réveil 34 % et 30 minutes après le réveil 32 %) mais pas pour lesautres mesures de la journée. Les résultats sur le cortisol de l’après-midi ont étéconfirmés dans une étude américaine indépendante (Wisconsin Twin Project)montrant que 62 % de la variabilité des niveaux de cortisol de l’après-midis’expliquent chez les jumeaux par un environnement partagé et pas du toutpar des facteurs génétiques (Schreiber et coll., 2006). Très récemment, uneanalyse portant sur des jumeaux de 50-60 ans (issus du projet VESTA VietnamEra Twin Study of Aging) confirme que la contribution des facteurs génétiquesdans la variation du cortisol est importante le matin : l’héritabilité du cortisolest de 56 % au réveil, 48 % 30 minutes après le réveil, 42 % à 10h00 mais nonsignificative à 12h00, 13h00, 15h00 et au coucher (Franz et coll., 2010). Ilapparaît à la lecture de ces articles qu’un problème de puissance des résultatsest souvent rencontré dans ces études car le nombre de paires de jumeauxrequis est difficile à trouver. De plus, les études sont rarement comparables dufait de la différence des types de mesures de cortisol et éventuellement de l’âgedes patients. Enfin, le contexte dans lequel les mesures de cortisol sont faitesest fondamental. Il faut aussi signaler que l’utilisation de jumeaux est critiquéepar certains auteurs arguant que les jumeaux monozygotes, quasiment iden-tiques physiquement, ne sont pas élevés et n’interagissent pas entre eux de lamême façon que les jumeaux dizygotes qui ne se ressemblent pas plus que desfrères ou sœurs. Cependant, certaines études ont pu être réalisées chez desjumeaux adoptés et élevés séparément. Les données issues de ces étudesconvergent avec celles obtenues dans les études de jumeaux élevés ensemble,renforçant de ce fait leur validité (Bouchard, 1994 ; Bouchard et McGue,2003).

De plus, l’influence des gènes dans les réponses de stress est clairementdémontrée chez l’animal grâce à des expériences d’élevage sélectif. Il s’agitdans un premier temps d’évaluer le caractère d’intérêt (par exemple le niveaude cortisol) dans une population génétiquement hétérogène. Les individusavec les valeurs extrêmes sont alors croisés entre eux sur plusieurs générations.

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Si des gènes sous-tendent le caractère mesuré alors on obtient plus ou moinsrapidement (selon le nombre de gènes impliqués) une lignée à « haute »expression et une lignée « basse » expression pour ce caractère, permettant demesurer l’héritabilité du trait et la biologie sous-jacentes (Mormede et coll.,2002). Une dizaine d’études ont validé cette approche pour les réponsesbiologiques et comportementales de stress chez les rongeurs et quelques ani-maux de ferme. Une héritabilité de 40 % en moyenne a été trouvée dans unexemple récent de sélection divergente sur la réponse de la corticostérone(équivalent du cortisol chez les rongeurs) à un stress de confinement chez lasouris (Touma et coll., 2008). Cette valeur est proche de celle obtenue dansles études de jumeaux (par exemple Federenko et coll., 2004) renforçant lavalidité de telles études.Concernant les symptômes d’épuisement professionnel ou burnout, une étudede 2005 rapporte que dans une cohorte hollandaise ces symptômes seraientexpliqués par des facteurs environnementaux et non par des facteurs géné-tiques (Middeldorp et coll., 2005). Le partage de l’environnement explique22 % de la variance dans cette population et un haut niveau d’éducation desparents apparaît être un facteur de risque. Les mêmes auteurs montrent dansune deuxième analyse, plus puissante statistiquement, que les facteurs géné-tiques influencent le burnout en particulier chez les hommes. Chez les femmes,ils confirment que le partage du même environnement est le facteur prépon-dérant. De plus, ces auteurs trouvent une corrélation significative (r=0,40)entre l’existence du burnout et de la dépression anxieuse chez les individus(Middeldorp et coll., 2006).L’implication de facteurs génétiques dans la variabilité individuelle au stressrepose essentiellement sur des études de jumeaux. Les premières études souf-frent de problèmes méthodologiques qui sont mieux contrôlés dans les ana-lyses récentes. De plus, les études chez l’animal, plus faciles à mettre en œuvre,renforcent les données obtenues chez l’homme, montrant une influence géné-tique autour de 30-40 % pour les réponses de stress biologiques ou comporte-mentales. Les études concernant directement le stress au travail sont rares ;elles portent sur le burnout et montrent une influence génétique faible etseulement chez les hommes.

Génétique moléculaire : recherche des gènes impliquésIl existe deux stratégies pour identifier les gènes impliqués dans un caractèrecomplexe tel que les réponses de stress : l’analyse de gènes candidats et lesapproches sans hypothèse de départ utilisant des marqueurs génétiques cou-vrant l’ensemble du génome (études pangénomiques). Les variants génétiquessont de divers types : insertion ou délétion de fragment d’ADN, variation dunombre de copies d’une séquence ADN ou polymorphisme d’un seul nucléo-tide (SNP pour Single Nucleotide Polymorphism). Ces derniers sont les plusfréquents, avec onze millions de SNP connus pour le génome humain consti-tué de 3 milliards de paires de base, soit 1 toutes les 300 paires de base en220

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

Page 236: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

moyenne. Ces polymorphismes SNP sont les plus utilisés dans les étudesgénétiques car en plus d’être fréquents il est possible de les détecter par lestechnologies haut débit telles que les puces ADN ou la spectrophotométrie demasse. Les mutations génétiques peuvent affecter le fonctionnement d’ungène ou bien son niveau d’activation.

Analyse de gènes candidats

Dans ces analyses, le polymorphisme d’un gène d’intérêt est analysé dans unepopulation afin d’estimer s’il est associé statistiquement à un caractère d’inté-rêt. Parfois, il ne s’agit pas d’un seul mais d’une combinaison de polymor-phismes localisés dans un même gène et hérités ensemble que l’on appellehaplotype. Les gènes candidats qui ont été analysés dans la réactivité au stressdérivent comme on peut s’y attendre des études neurobiologiques qui ont misen lumière le rôle des divers médiateurs biologiques du stress (voir le chapitresur les bases neurobiologiques et neuroendocriniennes du stress). Le tableau14.I liste les principaux gènes que l’on peut considérer comme associés à lavulnérabilité au stress soit parce que leur polymorphisme est lié à la réactivitéau stress (comme le taux de cortisol ou le rythme cardiaque), soit parce que lepolymorphisme influence le risque de développer des pathologies associées austress (en particulier les troubles de l’humeur et de l’anxiété, l’obésité et lediabète de type II et les maladies cardiovasculaires). Récemment, sont appa-rues des études génétiques utilisant l’imagerie cérébrale fonctionnelle permet-tant de valider l’implication et de mieux comprendre la signification fonc-tionnelle in vivo des variants génétiques (Scharinger et coll., 2010). En effet,l’imagerie fonctionnelle fournit un phénotype dit intermédiaire ou endophé-notype par rapport aux actions des gènes (telles que les traits d’anxiété et dedépression) et permet donc de détecter de façon plus fiable l’effet des polymor-phismes génétiques. Un certain nombre d’études porte sur l’influence d’unseul gène, d’autres études analysent l’influence conjointe de plusieurs gènescandidats (interaction gène-gène) et enfin de plus en plus d’études décriventl’influence de gène(s) en fonction de l’environnement (interaction gène-environnement). Le sexe et l’appartenance ethnique des sujets sont égale-ment toujours pris en compte car bien souvent ces deux critères modèrentl’effet des variants génétiques.

Parallèlement, la plupart des gènes candidats ont été analysés chez l’animal,principalement le macaque et les rongeurs de laboratoire, afin de faire uneétude plus fine des conséquences fonctionnelles des variants génétiques. Chezla souris, il est possible d’abolir ou d’augmenter spécifiquement l’activité d’ungène (knock-out ou surexpression par transgénèse respectivement) ou bienencore de remplacer le gène normal par un allèle muté (knock-in) correspon-dant à une mutation connue chez l’homme. Ces études précliniques per-mettent de disséquer très précisément le rôle d’un gène et d’une mutationparticulière dans les réponses de stress (Bornstein et coll., 1999 ; Erdmann etcoll., 2008).

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Tableau 14.I : Gènes impliqués dans la réponse au stress

Nom dugène

Fonction Mutation Mesures de stress associées Références

NR3C1ou GR

Récepteurglucocorticoïde =récepteur de type IIdu cortisol

SNP rs10052957SNP rs10482605SNP rs6189/6190SNP rs6195(N363S)SNP rs41423247SNP rs6198

Cortisol basalSensibilité aux glucocorticoïdesin vitroSensibilité au test de freinage àla dexamethasoneRéponse cortisol à stress social(TSST) (?≠/)

12 études revuesdans DeRijk, 2009

NR3C2ou MR

Récepteurminéralocorticoïde =récepteur de type Idu cortisol

SNP rs2070951SNP rs5522(Iso180Val)

Cortisol basalSensibilité aux glucocorticoïdesin vitroRéponse cortisol à stress social(TSST)

2 études revuesdans DeRijk, 2009

FKBP5 Protéine cytosoliquechaperone durécepteur de type IIdu cortisol(Influence liaisoncortisol-récepteurtype II)

SNP rs1360780 Sensibilité au testdexamethasone–CRH chezpatients dépressifs (cortisol etACTH)Réponse cortisol à stress social(TSST)

2 études revuesdans DeRijk, 2009+ 1 étudeIsing et coll., 2008

SNP rs9296158 Cinétique de réponse auxantidépresseurs

SNP rs3800373 Nombre épisodes dépressifs

SNP rs9296158SNP rs9296158

Interaction sévérité detraumatisme dans l’enfance etdéveloppement de PTSD

CRH NeuropeptideCorticolibérine(Sécrétagogue del’ACTH)

SNP rs503875 Sécrétion diurne de cortisol siassocié au SNPrs10052957 du gène NR3C1Inhibition comportementalechez enfants de parentsanxieux

6 études revuesdans Binder etNemeroff, 2009

CRHBP Protéine de liaisonde la corticolibérine

SNP rs10473984 Taux d’ACTHRéponse traitementantidépresseurs en particulierchez sujets atteints dedépression anxieuseTroubles anxieux et alcoolisme

4 études revuesdans Binder etNemeroff, 2009

CRHR2 Récepteur 2de la corticolibérine

Haplotypede 3 marqueursmicrosatellitesSNP rs2270007

Comportement suicidaireRéponse antidépresseur

7 études revuesdans Binder etNemeroff, 2009

CRHR1 Récepteur 1de la corticolibérine

SNP rs878886 Troubles paniques si associéau SNP rs28632197 du gèneAVPR1B

10 études revuesdans Binder etNemeroff, 2009

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Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

Page 238: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

Nom dugène

Fonction Mutation Mesures de stress associées Références

Haplotype de 3SNP (rs7209436,rs110402, rs242924)

Réponse aux antidépresseursÂge de début de dépressionInteraction traumatisme dansl’enfance et survenue dedépressionTest dexamethasone/CRH

SNP rs479887 Comportement suicidaire chezdépressifs pas exposés austress

SNP rs1876831 Interaction événementsstressants et alcoolisme

SLC6A4ou 5HTT

Transporteurde la sérotonine(cible desanti-dépresseurs)

Insertion de 43 pbdans promoteurSNP rs6354SNP rs2020936

Cortisol basal chez personnesâgéesRéponse cortisol après stresssocial (GAST) chez /Symptômes dépressifs enréponse à stress au travailchez JaponaisDépression en fonction dustress subiNeuroticismeTroubles paniquesTroublesobsessionnels-compulsifsEvitement de préjudices (harmavoidance)Activation de l’amygdale aprèsstimulus stressantConnectivité entre amygdale etcortex cingulaireVolume hippocampique enfonction vie stressante (?≠/)

> 40 étudesCoventry et coll.,2009 ; Wray et coll.,2009 ; Scharinger etcoll., 2010

COMT CathecolO-méthyltransférase(métabolisme del’adrénaline etnoradrénaline)

SNP rs4680(Val158Met)

Réponse ACTH après stresssocial (GAST) si associé VNTRMAOARéponse biologique (libérationd’opiacés endogènes) etpsychologique (affect négatif) àla douleurComportement suicidaireVolume et activation del’hippocampeActivation du cortex préfrontal

15 études revuesdans DeRijk, 2009 ;Scharinger et coll.,2010

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Nom dugène

Fonction Mutation Mesures de stress associées Références

MAOA Monoamine oxydase(métabolisme de lasérotonine et de lanoradrénaline)

VNTR danspromoteur

Sensibilité au testdexamethasone-CRHInteraction risque de dépressionet ACTH basalActivation de l’amygdale aprèsstimulus stressantConnectivité entre amygdale etcortex préfrontalEvitement de préjudicesComportement impulsif etagressifRisque de dépression (?≠/)

10 études revuesdans DeRijk, 2009 ;Scharinger et coll.,2010

BDNF Brain DerivedNeurotrophic Factor(neuroplasticité del’hippocampe enparticulier enréponse au stress)

SNP rs6265(Val66Met)

Cortisol du soirRéponse cortisol après stresssocial TSST (/≠?)Réponse pression artérielle etrythme cardiaque après stresssocial TSST (/≠?)Volume et activation del’hippocampeNeuroticismeRisque de troubles anxieuxRisque de dépressionConditionnement de peur etextinctionAffect négatif en réponse àstress social (/)

24 études revuesdans DeRijk, 2009 ;Scharinger et coll.,2010 ; Soliman etcoll., 2010 ; Caseyet coll., 2010

NPY Neuropeptide Y(anxiolytique,orexigène, libéréaprès stress)

HaplotypeSNP rs17149106rs3037354rs16147rs5573rs5574rs16475rs16139

Activation de l’amygdaleActivation de l’hippocampeRéponse biologique à stress dedouleur (libération d’opiacésendogènes)Evitement de préjudicesNeuroticisme (QuestionnaireEysenk)Dépression

3 étudesZhou et coll., 2008 ;Cotton et coll.,2009 ; Bosker etcoll., 2010

(Leu7Pro) Hyperactivité du systèmesympathiqueDépendance à l’alcoolTolérance au glucoseDiabète type IIHypertension

24 études revuesdans Pesonen,2008

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Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

Page 240: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

Nom dugène

Fonction Mutation Mesures de stress associées Références

AVPR1 Récepteur 1de l’argininevasopressine(neuropeptideimpliqué danscomportementssociaux)

2 microsatellitesdans régionpromotrice (RS1 etRS3)

Réactivité de l’amygdaleEvitement de préjudicesRecherche de nouveautéComportement altruisteDépendance aux récompensesInhibition comportementale àstimulus sonore (?)

4 études revuesdans Ebstein etcoll., 2010

OXTR Récepteurde l’oxytocine(neuropeptideimpliqué danscomportementssociaux)

SNP rs53576 Fréquence cardiaque lors d’unstress d’anticipationRéactivité au stressauto-déclaréeFréquence cardiaque enréponse à cris d’enfant chez /Empathie (test RMET)Empathie auto-déclaréeStyle d’attachement social chezdépressifs

2 études revuesdans Ebstein etcoll., 2010 ; Riem etcoll., 2010 ; Costaet coll., 2009)

SNP rs1042778 Comportement altruiste

GABAAR Récepteur du GABA(principalneurotransmetteurinhibiteur)

SNP rs3219151 Cortisol basalRéponse cortisol à repasstandardRéponse cortisol à stress social(TSST)Pression artérielle après TSST

2 études revuesdans DeRijk, 2009

MUR ouOPRM1

Récepteur µdes opiacésAnalgésie enréponse à stress

SNP rs1799971(Asn40Asp)

Réponse cortisol et ACTH àadministration de naloxone(antagoniste récepteur µ)Réponse cortisol à stress social(TSST)

4 études revuesdans DeRijk, 2009

ACTH : Adrenocorticotropin Hormone ; CRH : Corticotropin Releasing Hormone ; TSST : Trier Social Stress Test ;GAST : Groningen Acute Stress Test ; GABA : Acide gamma amino butyrique

Ce tableau, non exhaustif, montre que des variants génétiques existent chezl’homme dans les gènes codant pour les médiateurs biologiques de la réponseau stress et que ces polymorphismes expliquent une partie de la variabilitéindividuelle. Il est à noter l’importance de gènes codant pour des protéinesdites accessoires dans les systèmes biologiques concernés. Par exemple, le gènecodant pour FKBP5 a une influence au moins aussi grande que celles desrécepteurs aux glucocorticoïdes alors que son rôle est a priori moins centraldans la voie d’activation de ces hormones. On remarquera que les études lesplus nombreuses portent sur le système sérotoninergique et sur le systèmeCRH à cause de leur rôle établi dans les pathologies de l’humeur et l’utilisa-tion d’agents thérapeutiques ciblant ces systèmes. Plus récemment, le gènecodant pour le facteur neurotrophique BDNF a été très étudié depuis que sonrôle dans la plasticité cérébrale a été mis en évidence. Il faut rappeler quechacun de ces gènes n’explique qu’un très faible pourcentage de la variabilité

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individuelle. Seules les études pangénomiques décrites ci-dessous pourrontévaluer l’importance relative des gènes et l’impact de leurs interactions.

Analyses pangénomiques

L’inconvénient de l’approche « gène candidat » est que l’on étudie que lesgènes dont la fonction est bien connue alors que d’autres gènes moins étudiéspeuvent avoir des effets au moins équivalents aux gènes candidats. Les étudessans hypothèse de départ menées chez l’animal tendent à confirmer ce fait,puisqu’il est relativement rare que ces études détectent des gènes déjà connus.L’avènement des technologies à haut-débit associées au séquençage dugénome humain permet aujourd’hui de cribler de larges populations pour despolymorphismes SNP répartis sur l’ensemble du génome. Ces études, appeléespangénomiques ou GWAS pour Genome Wide Association Studies en anglais,permettent d’analyser l’ensemble des gènes ainsi que les parties de l’ADN necodant pas pour des protéines et constituant 98 % du génome. En particulier,il apparaît qu’environ 50 % du génome codent pour des microARN qui sontde petites molécules qui vont réguler l’activation des gènes. De même, legénome contient des séquences de taille allant de 1 à 100 kilobases dont lenombre de copies varie selon les individus (CNV pour Copy-NumberVariants). Des polymorphismes dans ces régions peuvent potentiellementavoir des conséquences importantes bien qu’indirectes sur la régulation desgènes et donc le fonctionnement des systèmes biologiques (Plomin et Davis,2009). De telles études GWAS se sont développées ces dernières années dontdeux portant sur le neuroticisme24. Une première étude a analysé plus de4 500 000 marqueurs SNP sur 3 600 individus pour des mesures de neuroti-cisme obtenues par le questionnaire d’Eysenk. Les résultats font ressortir l’effetdu gène CRHR1 déjà connu pour son implication dans l’anxiété, d’un gènecodant pour une phosphodiestérase de fonction inconnue (PDE4D) maisdont un inhibiteur a des effets anti-dépresseurs et enfin, un SNP localisé dansune séquence à nombre de copies variable (CNV sur chromosme 17) (Shif-man et coll., 2008). Une deuxième étude a porté sur 1 227 américains puisrépliquée sur 1 880 allemands avec 420 000 SNP pour des mesures de neuro-ticisme obtenues par les questionnaires Eysenk pour les sujets américains etNEO PI-R pour les sujets allemands. Le SNP le plus prometteur dans cetteétude concerne le gène MAMDC1 connu pour réguler la migration neuronaleet la guidance des axones, donc un gène potentiellement impliqué dans laplasticité neuronale (van den Oord et coll., 2008).

L’inconvénient de ces approches est que le nombre élevé de sujets inclus dansles études empêche de faire des mesures élaborées des réponses de stress, tellesque des mesures de cortisol à différents temps de la journée ou des analysesd’imagerie cérébrale. Cet argument est également avancé pour expliquer que

24. Neuroticisme (ou anxieté-trait) : une des 5 dimensions fondamentales du modèle de lapersonnalité faisant consensus à l’heure actuelle (voir le chapitre sur les facteurs de stress etmécanismes psychologiques)226

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des polymorphismes dans les gènes candidats, tels que ceux mentionnés dansle tableau 14.I, ne sont que très rarement retrouvés associés positivement auxmesures de stress dans les études pangénomiques.

Facteurs environnementaux

Facteurs épigénétiques

Le terme épigénétique définit les modifications transmissibles et réversibles del’activation des gènes ne s’accompagnant pas de changements de séquence del’ADN. Il s’agit principalement d’ajout de groupement méthyl (CH3) sur lamolécule d’ADN ou de groupement méthyl ou acétyl (CH3CO) sur lesprotéines autour desquelles s’enroule l’ADN, les histones, avec pour consé-quences une modification de l’empaquetage de l’ADN. Ces modificationssont assurées par des enzymes qui vont permettre l’ajout ou le retrait desgroupements méthyles ou acétyles : méthyltransférases, déméthylases, acétyl-transférases et déacétylases. La présence de groupement méthyl sur l’ADN varéprimer l’activation des gènes alors que la présence de groupement acétyl surles histones va permettre l’activation du gène associé à l’histone acétylée en« ouvrant » l’ADN à cet endroit et permettre ainsi l’accès aux facteurs detranscription.

Ce sont des études expérimentales chez le rat qui ont montré comment lestress périnatal pouvait influencer la sensibilité au stress des individus àtravers des modifications épigénétiques. Levine (1957) dans les années 1950 autilisé un paradigme dans lequel il séparait plusieurs fois par jour pendant decourtes périodes (5-15 minutes) des petits rats de leur mère. Ces ratons,devenus adultes, présentaient une réactivité au stress biologique et comporte-mentale diminuée par rapport aux rats témoins non manipulés pendant lapériode périnatale. Le groupe de M. Meaney (Université McGill, Montréal) arepris ce paradigme dans les années 1990 et a montré qu’en plus d’uneréactivité au stress diminuée, les rats manipulés pendant la période postnatale(on parle en anglais de « handling ») avaient de meilleures performancesmnésiques. Les modifications étaient associées à une augmentation del’expression du gène GR codant pour le récepteur au cortisol de type II(récepteur aux glucocorticoïdes) dans l’hippocampe, structure cérébraleimpliquée dans la mémoire et dans la réactivité émotionnelle. Plus tard, cemême groupe a montré que la brève séparation des petits de la mère entraînaitune augmentation de soins maternels et que les mêmes effets pouvaient êtreobtenus chez des petits issus de mères prodiguant beaucoup de soins maternelsmais pas chez ceux issus de mère peu maternelle. De plus, l’effet des soinsmaternels ou son absence étaient transmis au cours des générations puisqueles femelles issues de mères non maternelles devenaient elles-mêmes desmères non maternelles et produisaient une descendance vulnérable au stress.

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Grâce à des adoptions croisées, le groupe québécois a démontré que cettetransmission n’était pas génétique puisque des petits rats adoptés par une mèrematernelle devenaient des adultes normalement sensibles au stress et desfemelles normalement maternelles et vice versa. Ces auteurs ont étudié laméthylation du gène GR et ont découvert que ce gène était méthylé dans sapartie promotrice chez les rats issus de mères non maternelles. Cette méthyla-tion accompagnée d’une baisse d’acétylation de l’histone associée a pour effetune baisse d’activation du récepteur GR dans l’hippocampe et par conséquentun rétrocontrôle moins efficace de l’action des hormones glucocorticoïdes.Enfin, ce groupe a montré que la méthylation et l’acétylation des histones dugène GR et ses effets sur la sensibilité au stress étaient réversibles. Chez les ratsissus de mères non maternelles, l’administration dans le cerveau d’un inhibi-teur de déacétylase d’histone, la trichostatine, rétablit une sensibilité normaleau stress. À l’inverse, l’infusion centrale de méthionine chez des rats issus demères maternelles, augmente la méthylation du gène GR ainsi que la réacti-vité au stress des animaux (Meaney et Szyf, 2005 ; Weaver, 2007).

Trois études ont testé la validité de ces résultats chez l’homme. Dans lapremière, les auteurs ont étudié la méthylation du gène GR, à partir d’ADNextrait des monocytes sanguins du cordon ombilical, de trois groupes denouveau-nés. Le premier groupe était constitué d’enfants de femmes dépri-mées traitées aux antidépresseurs, le deuxième groupe était constituéd’enfants de femmes déprimées non traitées aux antidépresseurs et le troi-sième groupe d’enfants de femmes non déprimées et non traitées. Une hyper-méthylation du gène GR a été trouvée chez les enfants de femmes déprimées,traitées ou pas aux antidépresseurs. De plus, cette hyperméthylation étaitassociée à une réponse du cortisol salivaire à un stress modéré plus élevée chezces enfants à l’âge de trois mois (Oberlander et coll., 2008). Dans unedeuxième étude, l’expression et la méthylation du gène GR ont été mesuréesdans le cerveau de personnes suicidées. L’analyse a montré que ce gène étaitbien sous-exprimé et hyperméthylé dans l’hippocampe de suicidés ayant subides traumatismes dans l’enfance comparés aux suicidés n’ayant pas connus demaltraitances dans l’enfance ou aux personnes du même âge mortes acciden-tellement (McGowan et coll., 2009). Cette étude porte sur un petit nombred’individus (n=10 par groupe) et demande à être répliquée. La troisième étudeportant sur les effets du travail en trois-huit et incluant d’autres gènes que legène GR est décrite ci-dessous (Bollati et coll., 2010).

De nombreuses études ont été conduites chez l’animal et ont renforcé l’idéeque les expériences de stress dans la période postnatale ainsi que chez l’adultelaissaient des marques épigénétiques dans le cerveau des individus conduisantainsi à une vulnérabilité accrue au stress et au développement de psychopa-thologies. De tels effets ont été montrés pour le gène BDNF (Brain-DerivedNeurotrophic Factor) qui est sous-exprimé chez des souris soumises à un stresschronique de défaite sociale répétée (Tsankova et coll., 2006). À l’inverse, lavulnérabilité au stress de ces animaux a été prévenue par un traitement228

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chronique avec l’antidépresseur imipramine, qui augmente l’acétylation deshistones associées au gène BDNF par inhibition de l’histone déacétylase. Desmodifications épigénétiques associées à l’extinction de peur conditionnée(modèle de thérapie comportementale pour les troubles anxieux) ont ététrouvées dans le gène BDNF exprimé dans le cortex préfrontal. Ici aussi untraitement pharmacologique, à l’acide valproïque qui se trouve être un inhibi-teur de déacétylase, augmente la mémoire à long-terme de l’extinction depeur (Bredy et coll., 2007). Enfin, une étude récente montre qu’un uniquestress d’immobilisation chez le rat est associé à une baisse d’expression du gèneBDNF dans l’hippocampe et à une diminution de l’expression des histonesavoisinantes. Ces modifications épigénétiques disparaissent 24 h après l’arrêtdu stress, montrant la plasticité rapide de tels mécanismes en situation destress aigu (Fuchikami et coll., 2009).

Dans un modèle animal de stress précoce, Murgatroyd et coll. (2009) ontmontré que le gène codant pour l’arginine vasopressine était hypométhylé,conduisant à une hypersécrétion de corticostérone persistante dans le temps(>1 an). Cette hypométhylation empêche la liaison sur l’ADN de la protéineMeCP2 (methyl CpG-binding protein 2) qui a un rôle de répresseur de l’activa-tion de gènes en modulant l’activation des acétylases et déacétylases d’histo-nes. D’ailleurs, des souris portant une mutation dans le gène MeCP2 ont uneréactivité au stress et des comportements de type anxieux accrus, associés àune augmentation d’expression du gène CRH (autre sécrétagogue de l’ACTHavec l’arginine vasopressine) dans l’hypothalamus conduisant à l’hypersécré-tion de corticostérone chez ces souris (McGill et coll., 2006). De plus, ladélétion du gène MeCP2, spécifiquement dans les neurones de l’hypothala-mus, reproduit chez les souris mutantes ces modifications et induit aussi uneagressivité et une hyperphagie accrues accompagnées d’obésité (Fyffe et coll.,2008). Un deuxième exemple d’altération des réponses biologiques etcomportementales au stress due à un répresseur épigénétique de transcriptionest donné par l’étude du gène KAP1. KAP1 est un cofacteur essentiel deprotéines ayant une activité épigénétique de répression de plus de 400 gènesdans le génome humain. Une délétion spécifique du gène codant pour KAP1dans les neurones du cerveau antérieur de souris, en particulier dans l’hippo-campe, conduit à des comportements de type anxieux ainsi qu’à une vulnéra-bilité au stress chronique manifestée par des altérations de l’apprentissage etde la mémoire. La délétion du gène KAP1 dans le cerveau entraîne commeattendu la surexpression de plusieurs gènes, associés à des changements épigé-nétiques, même si ces gènes n’ont pas tous des fonctions connues (Jakobssonet coll., 2008).

Concernant le stress au travail, une étude récente a étudié les effets épigéné-tiques du travail en trois-huit sur la méthylation de l’ADN des cellulessanguines (Bollati et coll., 2010). Une population de 150 hommes a étéétudiée dont 100 travaillant en trois-huit et 50 en horaire de jour classique. Laméthylation de résidus cytosine a été examinée sur cinq marqueurs : les

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éléments répétés de l’ADN (séquence Alu et LINE) servant de substitut à laméthylation globale du génome et trois gènes spécifiques, le GR (récepteuraux glucocorticoïdes), deux cytokines TNFa (Tumor Necrosis Factor alpha) etIFNc (Interferon gamma). Par régression multiple corrigée pour l’âge, l’indicede masse corporelle et l’ancienneté, aucun effet significatif du travail entrois-huit n’a été trouvé sur la méthylation des cinq marqueurs étudiés parrapport au travail en horaire classique. En ne considérant que les travailleursen trois-huit, l’ancienneté a pour effet une hypométhylation des séquencesAlu, du gène IFNc et une hyperméthylation du gène GR. Ces études, làégalement préliminaires, vont dans le sens d’une altération de la méthylationde l’ADN pour certaines conditions de travail qui aurait pour effet uneinflammation augmentée (IFNc) et un axe corticotrope altéré (GR).

Bien que de nombreuses questions restent à résoudre, il semble que le stressinfluence les mécanismes épigénétiques en régulant finement la balance entreles molécules à activité répressive ou activatrice de gènes, et cela de façontissu-spécifique et réversible (Alter et Hen, 2008). La réversibilité des mar-ques épigénétiques délétères est bien évidemment un nouvel enjeu pour letraitement des pathologies liées au stress. Le rôle de la nutrition dans l’inter-face entre l’environnement et le génome commence à être connu pour lesyndrome métabolique et le cancer mais peu de données existent pour la santémentale. L’utilisation de S-adénosyl méthionine (SAMe) comme complé-ment alimentaire, une molécule existant naturellement et servant de donneurde groupement méthyl dans le métabolisme cellulaire humain, semble êtreefficace dans le traitement de la dépression (Papakostas et coll., 2010) etpourrait s’expliquer par la méthylation de l’ADN affectant l’expression degènes spécifiquement dans le cerveau. Un certain nombre de scientifiquessont toutefois sceptiques car les données associant les effets de l’environne-ment social sur la méthylation de l’ADN sont souvent corrélatives et parfoissur-interprétées (Buchen, 2010).

Inoculation au stress ou immunisation comportementale

La résilience au stress peut s’acquérir par une exposition préalable à des stressmodérés ou d’un niveau tolérable par l’individu. On parle d’inoculation austress ou d’immunisation comportementale. Ce phénomène a été décrit chezl’animal par Seligman et Maier (1967) qui ont observé que des chiens soumis àune série de chocs électriques modérés et entraînés à échapper à ces chocs, nemontraient pas de déficits dans la réponse d’échappement à des chocs subsé-quents. Chez l’homme, l’inoculation au stress a aussi été rapportée. Par exem-ple, les survivants d’une inondation ont montré moins de réactions anxieuseslorsqu’ils se sont trouvés exposés de nouveau à une inondation (Norris etMurrell, 1988). D’ailleurs, des thérapies d’inoculation au stress sont pratiquéesafin de traiter les psychotraumatismes y compris pour le stress au travail (Kawa-harada et coll., 2009). Ici aussi des mécanismes épigénétiques sont invoquéspour expliquer les effets de la résilience au stress (Feder et coll., 2009). Une230

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autre hypothèse, sur laquelle a travaillé un groupe israélien, implique lamémoire du système immunitaire dans l’établissement de la résilience au stressaprès une première exposition. Ces auteurs montrent chez l’animal qu’un stresspsychologique induit une mobilisation des lymphocytes dans le cerveau et quece phénomène est associé à la résistance au stress. Dans le cerveau, les lympho-cytes sont activés par des antigènes locaux et vont réguler au niveau de l’hippo-campe la production de facteurs neurotrophiques tels que le facteur BDNF,permettant de restaurer les niveaux de base de ces médiateurs de la plasticiténeuronale. Ainsi, des souris vaccinées avec un antigène spécifique du cerveau(peptide associé à la myéline) avant de les exposer à un stress, deviennent plusrésistantes au stress que les témoins chez lesquels seul l’adjuvant a été injecté(Lewitus et Schwartz, 2009). Ces données sont intéressantes mais demandent àêtre répliquées par un groupe indépendant.

En résumé, l’histoire de l’individu va profondément influencer sa vulnérabi-lité ou sa résilience au stress. La modulation de ces mécanismes épigénétiqueset/ou immunitaires par des interventions extérieures est possible et représenteun grand enjeu pour le traitement des pathologies liées au stress.

Facteurs liés au sexe et au genre

Il est bien connu que la prévalence des différentes maladies associées au stressest différente entre les hommes et les femmes. Celles-ci souffrent plus souventde maladies auto-immunes alors que les hommes développent plutôt desmaladies coronariennes ou infectieuses. Concernant les maladies psychia-triques, les femmes sont plus sensibles à l’anxiété, la dépression, les phobies etles troubles paniques alors que les hommes montrent plus fréquemment descomportements antisociaux et des addictions aux drogues. Plusieurs étudesmontrent que la réactivité au stress est variable entre les sexes et aussi lesgenres. Le genre, appelé parfois sexe social, est façonné par l’éducation et laculture contrairement au sexe biologique qui a pour origine la présence ounon du chromosome Y. Le rôle du genre sur la réponse au stress est souventignoré et assigné au sexe ce qui peut engendrer des interprétations erronéessur les mécanismes impliqués (Kudielka et Kirschbaum, 2005).

Une différence attribuée au genre plutôt qu’au sexe est que les hommes sont engénéral plus sensibles à des stress impliquant une performance alors que lesfemmes seraient plus sensibles au stress impliquant un rejet social (Pardon etRattray, 2008). Une théorie fondée sur l’évolution propose que les hommes, dontle rôle était de combattre les prédateurs, ont développé des stratégies de combatou fuite (fight or flight) alors que les femmes dont le rôle était principalement lesoin aux enfants ont adopté des stratégies du type « protéger et sociabiliser »(tend and befriend) dans les situations difficiles (Taylor et coll., 2000).

Bien qu’il soit imprudent de généraliser, les hommes montrent souvent un niveaude cortisol plus élevé que les femmes suite à un stress aigu. Cependant, le retour

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au niveau de base est plus rapide, ce qui entraîne au final une sécrétion de cortisolplus importante chez les femmes que chez les hommes après stress (Kajantie etPhillips, 2006). Par ailleurs, des différences anatomiques existent entre le cerveaudes hommes et des femmes. Par exemple, pendant l’adolescence lorsque le cer-veau est encore en cours de maturation, le volume de l’amygdale s’accroît plusvite chez les garçons alors que chez les filles le volume de l’hippocampe grossitplus vite. Chez l’adulte, les études d’imagerie fonctionnelle montrent qu’un stressva activer davantage l’amygdale de l’hémisphère droit chez les hommes et celle del’hémisphère gauche chez les femmes. De plus, les différences d’activation destructures cérébrales lors d’un stress entre hommes et femmes apparaissent surtoutdans la deuxième partie du cycle ovarien (phase folliculaire) lorsque les hormonesœstrogènes sont le plus élevées (Goldstein et coll., 2010). Chez l’animal, il a étédémontré que les hormones sexuelles influencent la plasticité neuronale quiprend place au cours du stress chronique. Par exemple, un stress chronique induitune atrophie des neurones de l’hippocampe chez les rats mâles mais pas chez lesfemelles. Le rôle protecteur des œstrogènes dans les effets du stress a été observégrâce à des expériences d’ovariectomie dans lesquelles les femelles, privées deleurs hormones sexuelles, montrent les mêmes effets du stress chronique que lesmâles sur l’architecture neuronale (McLaughlin et coll., 2009). Dans la partie surles facteurs génétiques, nous avons évoqué des études qui rapportent que l’effetd’un polymorphisme est différent selon le sexe. Par exemple, le polymorphisme dutransporteur de la sérotonine a des effets opposés sur le cortisol salivaire au réveilchez les hommes et les femmes : les femmes homozygotes pour l’allèle S ont desniveaux plus élevés de cortisol au réveil alors que chez les hommes ce sont lesindividus homozygotes pour l’allèle L (Wust et coll., 2009). De même, il existedes différences entre sexe sur les profils d’expression de la machinerie épigénéti-que. Chez l’animal, les femelles auraient des niveaux beaucoup plus élevés deméthyltransférases dans divers tissus dont le cerveau (Bale, 2009 ; McCarthy etcoll., 2009), ce qui expliquerait, entre autre, les différences entre sexes des effetsdu stress périnatal.

Jusqu’à récemment, seulement les mâles étaient étudiés dans la vaste majoritédes études précliniques à cause du caractère cyclique des hormones œstrogè-nes chez les femelles. Maintenant que certains mécanismes sont bien décritschez les mâles, les études chez les femelles se multiplient. Chez la femme, lestade du cycle ovarien ainsi que la prise de contraceptif oral, doivent être prisen compte dans les études biologiques du stress car le niveau de cortisol estfortement influencé par ces paramètres.

Facteurs liés à l’âge

L’exposition au stress chronique quel que soit l’âge a un impact sur les struc-tures du cerveau impliquées dans la régulation des émotions et de la cogni-tion, à savoir l’amygdale, l’hippocampe, et le cortex préfrontal. Cependant, de232

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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nombreuses études chez l’animal et chez l’homme ont permis d’établir que leseffets sont différents selon l’âge et la durée de l’exposition à un stress, princi-palement en raison du stade de développement ou de déclin de ces structures.Les données chez l’animal, qui sont pour la plupart confirmées chez l’homme,sont résumées dans le tableau 14.II adapté à partir de la publication récente deLupien et coll. (2009).

In utero, le fœtus est sensible au stress subi par la mère car une partie desglucocorticoïdes libérés en réponse au stress passe la barrière placentaire etaffecte le développement du cerveau du fœtus qui démarre dans les dernièressemaines de grossesse. Les études chez l’animal ont montré que le stressprénatal avait un effet persistant dans le temps, en fait tout au long de la vie,sur l’activité de l’axe corticotrope. Ce dysfonctionnement rend les animauxvulnérables à divers troubles comportementaux ainsi qu’à une baisse de per-formances mnésiques lorsqu’ils deviennent adultes. On parle d’effet de « pro-grammation ». Les études rétrospectives chez les femmes ayant subi un stressau cours de la grossesse, vont dans le même sens à savoir une suractivité del’axe corticotrope chez l’enfant associée à des troubles de type anxieux oudépressifs. Cette période est particulièrement vulnérable car toutes les struc-tures du cerveau associées à l’axe corticotrope sont en maturation. En périodepostnatale, selon le type de stress les effets sur l’axe corticotrope sont varia-bles, on parle d’effets de « différenciation ». Les effets à long terme d’uneséparation prolongée avec la mère décrits dans le tableau 14.II sont particuliè-rement saillants lorsque le stress est subi tôt dans l’enfance. L’hippocampe estprobablement la structure la plus sensible durant cette période car elle est encroissance rapide de la naissance à l’âge de 2 ans chez l’homme. Les effets dustress pendant l’adolescence ont été moins étudiés chez l’animal. Cependant,chez l’animal comme chez l’homme, il est établi que cette période est associéeà des niveaux basaux et post-stress élevés, probablement à cause d’une matu-ration incomplète des systèmes de rétrocontrôle. Le cortex préfrontal, endéveloppement majeur à ce stade, pourrait expliquer la réponse prolongée austress pendant l’adolescence dont les effets persistent à l’état adulte d’où leseffets dit de « potentialisation/incubation ». L’état adulte est la période où larésistance au stress est la plus grande. Le stress chronique va engendrer desmodifications des structures cérébrales et de l’activité de l’axe corticotropemais qui sont réversibles en quelques semaines sauf en cas de traumatismesévère. Néanmoins, à ce stade apparaissent les effets du stress subis précoce-ment, dans l’enfance et l’adolescence et qui se surajoutent éventuellement austress du moment. On parle d’effets de « maintien/manifestation ». Le déclindes structures cérébrales commence chez l’adulte et s’accélère chez la per-sonne âgée rendant cette dernière plus vulnérable. En effet, à un âge avancéles individus cumulent les effets du stress subi au cours de leur vie et ont unfonctionnement de l’axe corticotrope qui devient de moins en moins perfor-mant pour y faire face.

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En conclusion, cette analyse de la littérature montre bien que les facteurs quiexpliquent les différences individuelles dans les réponses de stress sont com-plexes et variées. La participation de facteurs génétiques est indéniable etprédispose (mais ne prédestine pas) les individus à être soit vulnérable soitrésistant aux facteurs stressants. Le patrimoine génétique est largementmodulé par les expériences positives ou négatives vécues par l’individu tout aulong de sa vie, avec des fenêtres de vulnérabilité en particulier dans l’enfanceet au cours du vieillissement. Ainsi, la vulnérabilité ou la résilience au stressrésultent d’une interaction forte entre un équipement génétique particulier etles effets des événements de vie sur notre organisme. Ces derniers laissent leurempreinte sur l’organisme par exemple par le biais de mécanismes épigénéti-ques qui régulent l’activation des gènes. Contrairement aux facteurs géné-tiques, les marques épigénétiques sont réversibles par exemple par des agentspharmacologiques mais aussi par l’alimentation, l’exercice physique et la priseen charge psychologique. L’importance des différences de sensibilité au stressliées au sexe et au genre est de plus en plus reconnue et étudiée.

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15Prévention du stress au travail :types d’interventionet évaluation de leur efficacité

Dans ce chapitre, il s’agira de présenter, à travers la littérature existante, lesdifférentes méthodes et pratiques de prévention du stress professionnel et detenter d’en évaluer leur efficacité. Comme les actions de prévention mentionnéesdans la littérature concernent presque exclusivement les salariés, sera ensuitediscutée la pertinence de telles pratiques chez les indépendants au regard descontraintes de travail spécifiques que ces derniers rencontrent dans leur activitéprofessionnelle.Depuis une trentaine d’années, les méthodes de prévention du stress chro-nique au travail se sont largement développées. Elles diffèrent selon :• la précocité de l’intervention par rapport à l’apparition du stress ;• l’objectif visé : approche individuelle versus organisationnelle ;• la rigueur de la méthode utilisée : essais contrôlés randomisés versus démar-ches empiriques en passant par les démarches « projet »... ;• le type d’évaluation de l’état de stress chronique, de ses conséquences et des« stresseurs » : approche quantitative versus qualitative.Quelle que soit la méthode utilisée, les interventions ne bénéficient pas toujoursd’une évaluation rigoureuse permettant d’en mesurer l’efficacité à court terme ouà long terme, que l’évaluation porte sur l’évolution, à l’échelle collective :• de l’état santé : diminution du stress chronique et/ou de ses conséquences(épuisement professionnel, pathologies cardiovasculaire et anxio-dépressive,troubles musculosquelettiques, absentéisme...) ;• et/ou de la perception de la situation de travail ;• et/ou des performances organisationnelles et économiques de l’entreprise.Le stress chronique n’est pas le seul risque psychosocial au travail. Les défini-tions actuellement disponibles des risques psychosociaux intègrent en plus durisque « stress », les risques de violence externe25, celle provenant de

25. Les violences externes sont des insultes ou des menaces ou des agressions (physiques oupsychologiques) exercées contre une personne sur son lieu de travail par des personnes exté-rieures à l’entreprise, y compris les clients, et qui mettent en péril sa santé, sa sécurité ou sonbien-être (Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail : http://agency.osha.eu.int).

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personnes extérieures à l’entreprise (usagers, clients, patients, élèves...) et deviolence interne26, celle qui oppose entre eux des personnels d’une mêmestructure de travail (Debout, 1999 ; Agence européenne pour la sécurité et lasanté au travail, 2002a ; European Foundation for the improvement of living andworking conditions, 2007). Le maintien de la santé mentale et physique destravailleurs ne peut se limiter à la prévention du stress ou des violencesinternes et externes, il faut également prendre en compte la souffrance oumal-être au travail évoqué dans la communication de Christophe Dejours(« La référence au « travailler » dans le rapport entre santé mentale et travail») à la fin de cet ouvrage. Les liens entre stress chronique et souffrance sontétroits. L’existence de stress chronique ou de violences au travail induit de lasouffrance mais même en leur absence, les personnes peuvent vivre au travaildes situations de profonde souffrance ou de mal-être sans qu’il ne soit forcé-ment associé un état de stress au sens biologique du terme. Les causes de cettesouffrance incluent : les conflits « enkystés » ou hyper-conflits, les relationsd’abus de pouvoir, de manipulation, mises à l’écart, qui, sans être des condui-tes « harcelantes » au sens législatif du terme, génèrent de la souffrance.Comme pour le stress chronique, la prise en charge précoce de la souffrancepermet d’en éviter ses conséquences et fait partie des bonnes pratiques degestion des risques psychosociaux (Leroy et Faulx, 2006). Ainsi, la préventiondu stress constitue l’un des aspects de la prévention des risques psychosociauxlesquels incluent les risques de stress, de violence (externe et interne) et desouffrance au travail.

Compte tenu de l’importance de la littérature disponible, on s’intéresseraprincipalement à la prévention du stress chronique tout en élargissant, dansune moindre mesure, à la prévention des risques psychosociaux. Avant des’interroger sur l’adaptation des approches de prévention des risques psycho-sociaux à la spécificité de l’exercice professionnel des travailleurs indépen-dants, on se penchera sur la littérature relative à l’évaluation de ces différentesapproches.

Concepts et règlementation

Avant de présenter les différentes méthodes de prévention, seront rappelés lesconcepts clés qui permettent de les caractériser et les contextes dans lesquelsces interventions sont engagées.

26. Les violences internes incluent à la fois la violence psychologique au travail, le harcèlementmoral, le harcèlement sexuel et correspondent à des agressions verbales ou physiquesémanant de collègues ou de responsables hiérarchiques.242

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Concepts clés pour la prévention du stress

La précocité de l’intervention de prévention est l’une des clefs de son effica-cité. Sur la figure 15.1, sont rappelées, sur la base de la définition de l’Agenceeuropéenne pour la sécurité et la santé au travail27, les étapes évolutives dustress chronique, des « stresseurs » à l’ensemble des conséquences du stress.

La prévention du stress au travail concerne le stress chronique et non le stressaigu qui fait partie intégrante de toute activité professionnelle et est nondélétère dès lors que son intensité est faible ou moyenne, un stress très intensepouvant, en revanche, entraîner un stress post-traumatique.

À l’origine du stress chronique au travail, se trouvent les « stresseurs » ou« sources du stress ».

Certains auteurs distinguent deux concepts comme sources de stress même siles termes sémantiques de l’un et de l’autre varient considérablement dans lespublications (Cox et coll., 2000 ; Stavroula et Cox, 2008) :• les contraintes qui correspondent à la perception des conditions de travail(parfois dénommées « facteurs psychosociaux ») (Vézina et coll., 2004) ;• les facteurs organisationnels qui sont les conditions de travail factuelles etrepérables dans la documentation de l’entreprise.

Figure 15.1 : Définition schématisée du stress au travail (d’après Chouanière, 2006)

27. « Un état de stress survient lorsqu’il y a déséquilibre entre la perception qu’une personne ades contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propresressources pour y faire face. Bien que le processus d’évaluation des contraintes et desressources soit d’ordre psychologique, les effets du stress ne sont pas uniquement de naturepsychologique. Il affecte également la santé physique, le bien-être et la productivité de lapersonne qui y est soumise. » (Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail :http://agency.osha.eu.int)).

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Prévention du stress au travail : types d’intervention et évaluation de leur efficacité

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Contraintes

Seront considérées en prévention, les contraintes de travail qui s’inscriventdans la durée et qui, sur la base de nombreuses études, sont connues pour êtredes facteurs de risque pour la santé.Une même contrainte, telle que la surcharge de travail, sera perçue différem-ment selon les travailleurs et pour un même salarié la perception pourra êtrevariable dans le temps. Mais elles devront être prises en compte en préventiondès lors qu’elles affectent, dans un milieu de travail donné, un grand nombrede personnes.On différencie deux types de contraintes :• celles qui sont inhérentes à l’activité professionnelle elle-même. Elles cor-respondent, par exemple dans les métiers de soins ou sociaux (assistantessociales, éducateurs, urgentistes, personnel des soins palliatifs...), à la sur-charge émotionnelle induite par l’exposition à la souffrance ou à la mortd’autrui. Ces contraintes spécifiques du métier sont bien tolérées (même si, aufil du temps, elles peuvent devenir insupportables) car elles ont été acceptéescomme faisant partie du métier et elles ont, d’une certaine manière, sélec-tionné, au cours du temps, les personnes les plus adaptées au métier, les plusvulnérables vis-à-vis de celles-ci, ayant, en général, quitté le métier ;• celles qui sont générées par le contenu du travail ou son organisation. Cesdernières qui se surajoutent aux contraintes inhérentes au métier sont, enrevanche, souvent mal perçues. Par exemple, une infirmière hospitalièresupportera émotionnellement la confrontation quotidienne à la maladie maistolérera plus difficilement le manque de marge de manœuvre qu’imposerait unmédecin chef trop directif.Pour une même personne, la perception des contraintes auxquelles son travaill’expose variera selon que les contraintes sont subies ou choisies. Un salariéqui choisit réellement un nouveau poste de travail plus complexe que leprécédent tolèrera mieux les contraintes qu’il génère (tout du moins dans lespremiers temps) que s’il y est affecté sans avoir participé à la décision.L’accumulation des contraintes est également un facteur aggravant. Comme,par exemple, dans certains centres d’appels téléphoniques, où le téléopérateurest soumis à la pression sur le nombre d’appels (par l’affichage du nombre declients en attente), sans aucune marge de manœuvre pour s’adapter à lademande du client (quand la consigne est le respect strict d’un script deconversation affiché sur l’écran), sans support technique d’un superviseur(dont le le cahier des charges est essentiellement de contrôler la productivitéet le respect du script) et soumis à une fréquente dissonance émotionnelle(« sourire » au téléphone même en cas d’insultes, menaces, agressivité..., de lapart de la clientèle).En cas de contraintes multiples, on a vu dans les chapitres précédents que lacoexistence de certaines d’entre elles antagonistes est particulièrement délé-tère pour la santé : forte demande psychologique et faible marge de manœuvre244

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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(job strain de Karasek) ou forte exigence de productivité et faibles récom-penses, qu’elles soient financières ou symboliques (déséquilibre de Siegrist).Ces déséquilibres dont le caractère délétère est avéré seront donc recherchésen priorité tout en sachant que, même s’ils sont souvent présents dans lessituations de travail, ils n’affectent pas tous les secteurs d’activités : le job strainest, par exemple, peu déclaré par les soignants hospitaliers. D’autres contrain-tes ou associations de contraintes peuvent être dans une situation de travaildonnée plus prégnantes et à rechercher en priorité même si les preuvesépidémiologiques de leur nocivité sont actuellement moins nombreuses : untraitement inéquitable entre travailleurs d’un même atelier ou entreprise, unleadership de mauvaise qualité, les conflits éthiques qui apparaissent quand lesvaleurs personnelles sont en contradiction avec les exigences du travail,l’insécurité de l’emploi, les changements permanents dans les objectifs àatteindre, les organigrammes, les produits ou les logiciels... (Chouanière,2009).

Facteurs organisationnels

Les facteurs organisationnels qui peuvent être à l’origine de contraintes fontl’objet de classifications multiples (Stavroula et Cox, 2008 ; INRS, 2007a), etévoluent au rythme des changements organisationnels du travail. Ils peuventêtre regroupés en quatre grandes catégories :• le contenu du travail : activités monotones ou répétitives, activités exi-geant de traiter un très grand nombre d’informations, exposition permanenteà la clientèle, confrontation à la mort ou la souffrance, activité impliquantune responsabilité sur la vie d’autrui... ;• l’organisation du travail ou la gestion des ressources humaines : interrup-tion fréquente dans le déroulement du travail, flux tendu, inexistence oucaractère aléatoire des plans de carrière, sous ou surqualification des agents,incompatibilité des horaires de travail avec la vie sociale et familiale, mau-vaise ou absence de définition des postes de travail... ;• la qualité des relations de travail : manque de soutien de la part des col-lègues et des supérieurs hiérarchiques, management peu participatif ou mena-çant, absence de retours sur le travail accompli, isolement social ou physique,faible communication dans l’entreprise, conflits interpersonnels fréquents,évaluation inadéquate... ;• l’environnement physique : bruit, mauvaise conception des lieux de travail,open space...

À ces facteurs propres à l’entreprise se surajoutent des facteurs liés au contexteéconomique et sociologique du monde du travail :• les évolutions sociologiques : utilisation croissante des techniques decommunication à distance, individualisation de l’activité professionnelleavec sur-responsabilisation, exigence ou agressivité de la clientèle... ;

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Prévention du stress au travail : types d’intervention et évaluation de leur efficacité

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• la situation macro-économique : intensification du travail (pression tempo-relle ou exigence de productivité), instabilité de l’emploi, importance de laconcurrence nationale et internationale, difficultés économiques conjonctu-relles...

On a vu antérieurement que certains facteurs organisationnels peuvent avoirun rôle direct sur la santé sans médiation par les contraintes (symbolisé, sur lafigure 15.1, par la flèche en pointillé) : c’est le cas par exemple d’une activitéprofessionnelle hebdomadaire prolongée qui semble affecter directement lasanté sans qu’il y ait de consensus sur le nombre d’heures à ne pas dépasser(45, 50, 55 heures ?).

Contexte réglementaire de la prévention du stress chronique au travailet des risques psychosociaux

Le contexte de la prévention du stress au travail et ses risques psychosociauxest assez différent aux États-Unis, pays pionnier dans ce domaine et dans lespays européens.

États-unis

Aux États-Unis, depuis le milieu des années 1970, les actions de préventiondu stress ont vu le jour dans les entreprises du fait du contexte « assurantiel »de l’entreprise. Les dirigeants s’en sont préoccupés pour réduire le coût dessoins de santé qu’ils assuraient et améliorer la productivité des travailleurs.Les salariés s’en sont saisis par l’intermédiaire de leurs Comités Santé-Sécuritédans le cadre d’accords sur la santé et la sécurité (Murphy, 1987 et 1988 ;Hurrell et Murphy, 1996).

Europe

En Europe, dans les années 1990, les gouvernements sont incités à réduirel’absentéisme et les départs prématurés d’employés soumis à de mauvaisesconditions de travail ou à des situations stressantes. En cela, l’introduction dela directive européenne du 12 juin 1989 (89/391/CEE)28 a été un puissantstimulant mais d’autres facteurs y ont contribué : le lien étroit existant entrele coût du travail et celui des assurances sociales (avec les conséquences qui enrésultent sur le coût des produits fabriqués dans un contexte de compétitivitéinternationale), les déficits budgétaires au niveau national et dans une moin-dre mesure les arguments éthiques et sociaux. Certains États ont ainsi été

28. La directive définit les obligations de l’employeur en terme d’évaluation des risquesprofessionnels (risques physiques, chimiques, biologiques et psychosociaux) et de mise enplace de plans de prévention en privilégiant la prévention à la source (éliminer le risque ou aminima le réduire). Vis-à-vis des risques psychosociaux, la directive inclut l’obligation pour lesemployeurs d’adapter le travail à l’individu, spécialement dans la conception des lieux, dans lechoix des équipements, des méthodes de travail et de production (avec une attention par-ticulière pour éviter le travail monotone et avec rythme prédéterminé) et en réduisant leurs effetssur la santé.246

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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poussés à prendre des dispositions réglementaires (Kompier et Cooper, 1999).Après la directive 89/391/CEE, d’autres directives européennes aux implica-tions indirectes sur le stress au travail ont été publiées, entre autres, ladirective 2003/88/CE qui demande à l’employeur d’organiser le travail selonun certain rythme qui tienne compte du principe général de l’adaptation dutravail à l’homme.

En 2003, selon le rapport de l’Agence européenne pour la sécurité et la santéau travail, aucun des États de l’Union Européenne n’avait adopté de législa-tion spécifique sur le stress au travail mais tous les cadres réglementairesévoquaient les risques psychosociaux comme étant des facteurs de stress etcertains avaient mis en place des législations sur les stresseurs. Ainsi, dans sixpays, les législations allaient plus loin que la directive cadre 89/391/CEE : loisur le bien-être au travail en Belgique (1996), réglementations sur l’organisa-tion du travail au Danemark, Pays-Bas, Allemagne, Suède et Finlande(Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail, 2002b). Enfin,certains pays avaient développé des législations spécifiques contre le harcèle-ment moral ou sexuel : Belgique, France, Suède, Pays-Bas, Danemark etFinlande (Eurogip, 2010).

Dans le cadre de la politique européenne de dialogue social, les partenairessociaux ont signé trois accords-cadre interprofessionnels « autonomes » quiont été ensuite transposés dans certains pays : le télétravail pour éviter l’isole-ment du salarié (16 juillet 2002), le stress lié au travail (8 octobre 2004) et leharcèlement et la violence au travail (26 avril 2007) (Eurogip, 2010).

Ces accords ont stimulé la prise en compte des risques psychosociaux enBelgique et aux Pays-Bas. D’autres pays ont pris en compte ou renforcé, dansleurs réglementations, l’interdiction du harcèlement et des violences au tra-vail : Irlande, Norvège, Portugal, Slovénie, Espagne (Eurogip, 2010). Mêmesans dispositifs réglementaires, la lutte contre le stress au travail et/ou lesrisques psychosociaux a pu faire l’objet, dans certains pays, de priorité straté-gique : Belgique, Danemark, France et Royaume-Uni. Un bilan de la mise enœuvre de l’accord-cadre sur le stress a été réalisé par les partenaires sociauxeuropéens en 2008. Douze pays de l’Union Européenne l’avaient transcrit enaccords nationaux (aucun en 2003 selon l’Agence européenne pour la sécu-rité et la santé au travail) et dans d’autres pays des accords d’entreprises(accords paritaires sur la prévention du stress et des risques psychosociaux),des coopérations tri-partites entre partenaires sociaux et institutions publi-ques ont été relevés (ETUC/CES, 2008).

En 2010, l’Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail a réaliséun état des lieux sur la gestion des risques liés à la santé et la sécurité au travail(bilan sur l’application de la directive 89/391/EEC du 12/6/1989) avec unfocus particulier sur les risques psychosociaux (stress, violence, harcèlement).L’enquête Esener (European Survey of Enterprises on New and Emerging Risks -Managing safety and health at work) a concerné 28 649 dirigeants et

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7 226 délégués santé sécurité d’entreprises privées et publiques de plus de10 salariés dans les 27 pays de l’Union Européenne et 4 pays additionnels(Croatie, Norvège, Suisse, Turquie). L’enquête s’est déroulée par interviewstéléphoniques au printemps 2009. Le stress est une préoccupation relative ouimportante pour 80 % des entreprises, et les violences ou menaces de violenceet les brimades ou harcèlement pour 40 %. Dans l’Union Européenne-27, lamise en place de procédures contre les brimades ou harcèlement concerne30 % des entreprises, contre la violence liée au travail et le stress lié au travail,26 %. Ces pourcentages augmentent dans les grandes entreprises (Agenceeuropéenne pour la sécurité et la santé au travail, 2010).

France

En France, il n’existe pas de réglementation spécifique à la prévention dustress au travail mais depuis 1991, en application de la directive-cadre euro-péenne 89/391/CEE, la loi définit une obligation générale de sécurité quiincombe au chef d’établissement (article L. 4121-1 du Code du travail)(annexe 2). Il revient à l’employeur d’évaluer les risques, y compris psycho-sociaux, et de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de sessalariés et protéger leur santé. Ces obligations concernent la santé physiquemais aussi la santé mentale, la loi de modernisation sociale 2002-73 du17/1/2002 ayant rappelé que la santé inclut la « santé physique et mentale ».Cette loi de 2002 a également complété le principe général de planificationde la prévention, l’employeur étant expressément invité à prendre en compteles risques liés au harcèlement moral lequel a fait son entrée dans le Code dutravail (article L.1152-1)29 et le Code pénal (interdiction mentionnée àl’article 222-33-2). Le plan « santé au travail » 2005-2009 a mis l’accent sur laprévention des risques psychosociaux et le nouveau plan de 2010-2014 met lalutte contre les risques psychosociaux au travail au rang de ses priorités(action 13 de l’objectif 4 : « Renforcer la prévention en direction de certainsrisques... ») (Direction générale du travail, 2009). Par ailleurs, les partenairessociaux français ont signé, à l’unanimité, deux accords-cadre nationaux inter-professionnels, transposés des accords-cadre européens sur le stress lié autravail, le 2 juillet 2008 (Ministère du travail, 2008) et la prévention duharcèlement et des violences au travail, le 26 mars 2010 (Dériot, 2010).

Dans un souci d’accélérer l’application de l’accord national interprofessionnelde 2008, le ministère du Travail a incité les entreprises françaises de plus de1 000 salariés à négocier dans le cadre d’accords paritaires des plans de pré-vention du stress. Ainsi, à titre d’exemple, les directions de Danone France

29. « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pourobjet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte àses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenirprofessionnel »248

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(2 500 salariés) et d’EADS ont publié in extenso leur accord sur la préventiondu stress et des risques psychosociaux30.

Enfin, en 2010, différents rapports parlementaires ont dressé un constat sur lesrisques psychosociaux en France et proposé des mesures concrètes pour amé-liorer, au niveau national, les situations de travail (Dériot, 2010 ; Lachmannet coll., 2010). Ces mesures, dont certaines sont reprises dans le Plan SantéTravail 2010-2014 vont, probablement, être progressivement mises en œuvreet modifier le paysage des risques psychosociaux et de leur prévention.

Ainsi, la prévention du stress au travail et plus largement celle des risquespsychosociaux est maintenant inscrite dans un cadre réglementaire spéci-fique, celui de la prévention des risques professionnels. À cet égard, l’évalua-tion du stress et la démarche de prévention qui en découle doivent reposer surdes méthodes éprouvées, rigoureuses et fondées sur les connaissances scienti-fiques. Les démarches empiriques ou relevant des principes de l’expérimenta-tion sociale31 peuvent faire l’objet de protocole de recherche avec évaluationde leur efficacité mais, en l’absence de certitude sur les bénéfices de cesdémarches, elles ne peuvent être proposées, en routine, aux entreprisescomme méthodes de prévention.

Différentes méthodes de prévention

La littérature sur les méthodes de prévention dans le domaine du stress estdéjà ancienne, les premières publications de référence ayant été établiesdepuis le milieu des années 1970. Sur la base de ce corpus de connaissancesbien établi, les instituts nationaux de santé au travail ou universitaires ontrédigé dans de nombreux pays (Australie, Canada, Suède, Finlande, Angle-terre, États-Unis...) des rapports et/ou des guides, théoriques et pratiques, afinde permettre aux préventeurs de s’approprier ces méthodes et de les utiliser.

En 1996, le rapport publié par la Commission Européenne, « Manuel d’orien-tation sur le stress lié au travail, piment de la vie... ou coup fatal ? » présenteles lignes directrices recommandées aux États membres de l’Union Euro-péenne en matière de gestion du stress sur le lieu de travail (Commissioneuropéenne, 2000). En 2002, l’Agence européenne pour la sécurité et la santéau travail a choisi comme thématique annuelle prioritaire la « Préventionpratique des risques psychosociaux et du stress au travail » et publié un recueil

30. Danone France : Accords de groupe sur la prévention du stress au travail. Liaisons sociales22/03/2010, N °15606, 4p, 6/5/2010 ; EADS : Accord de groupe sur la prévention du stress autravail chez EADS. Liaisons sociales, 2010, N° 15606, 6p (http://www.wk-rh.fr/)31. « L’expérimentation sociale est une innovation de politique sociale initiée dans un premiertemps à une échelle limitée, compte tenu des incertitudes existantes sur ses effets, et mise enœuvre dans des conditions qui permettent d’en évaluer les effets dans l’optique d’une générali-sation » (http://www.experimentationsociale.fr)

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Prévention du stress au travail : types d’intervention et évaluation de leur efficacité

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d’interventions réalisées dans différents pays (Agence européenne pour lasécurité et la santé au travail, 2002a). Lancé en 2007, le projet Prima-EF(Psychological Risk Management–European Framework), financé par le sixièmeprogramme cadre européen, vise à développer un cadre européen de la gestiondes risques psychosociaux en rapprochant les principales approches existantesdans les États de l’Union Européenne (Stavroula et Cox, 2008).

Les différentes méthodes de prévention du stress et des risques psychosociauxse distinguent selon la précocité de l’intervention et les objectifs visés (Kom-pier et Cooper, 1999 ; Kompier et Christensen, 2000).

Méthodes selon la précocité de l’interventionL’évolution naturelle des maladies permet d’agir plus ou moins en amont duprocessus pathogène. On distingue ainsi classiquement la prévention primor-diale32 (Farquhar, 1999 ; Bonita et coll. 2006), primaire, secondaire et ter-tiaire (figure 15.2).

Figure 15.2 : Évolution naturelle des maladies et différents types de prévention

En ce qui concerne le stress au travail (figure 15.3) (Kompier et Cooper,1999 ; Stavroula et Cox, 2008), la prévention « à la source » s’applique à deuxmoments de l’évolution :• avant l’apparition de toute contrainte, situation souhaitable mais impos-sible dans les métiers avec contraintes inhérentes à l’activité elle-même : ellepeut être assimilée à la prévention primordiale évoquée ci-dessus ;• quand les contraintes inhérentes au métier ou organisationnelles sont déjàprésentes et qu’elles débordent les ressources des agents, il s’agira alors de lesréduire avant l’apparition des premiers symptômes de stress chronique : pré-vention primaire.

Figure 15.3 : Évolution des maladies liées au stress au travail

32. La prévention primordiale consiste en des actions et mesures qui empêchent l’émergenceet l’établissement de conditions (économiques, sociales, comportementales, environnementales,culturelles...), connues pour favoriser les risques pour la santé.250

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

Page 266: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

Dans ce contexte, la prévention primordiale pourrait viser à identifier et à agirsur les facteurs propres à l’entreprise (organisation de l’activité, gestion desressources humaines, relations sociales dans l’entreprise, environnementmatériel...) avant l’apparition de déséquilibres « contraintes/ressources ». Elleconsiste à agir, en amont de toute difficulté en mettant en place, dans uneentreprise, un service ou un atelier, une organisation et des conditions detravail permettant de garantir la santé des travailleurs. Dès 1981, une scienti-fique suédoise Bertil Gardell (Gardell, 1981), définissait cinq conditionsnécessaires pour qu’un environnement psychosocial du travail soit satisfai-sant.

« Le travail doit être conçu :• de façon à ce que chacun puisse influencer la situation et les méthodes et lavitesse d’exécution ;• de façon à ce que chacun ait une vue d’ensemble et une compréhension desdifférentes opérations ;• pour donner à chacun la possibilité d’utiliser et développer la totalité de sesressources ;• pour permettre les contacts humains et la coopération entre ses acteurs ;• pour donner à chacun le temps nécessaire à la satisfaction de ses rôles etobligations extérieures tels que les tâches familiales, sociales ou engagementspolitiques. »

En 2002, le NIOSH (National Institute for Occupational Safety and Health)(CDC/NIOSH, 2002) a formulé des recommandations ci-dessous qui com-plètent celles de Bertil Gardell.

« La gestion du stress suppose :• de s’assurer que la charge de travail est en rapport avec les compétences etles ressources de chacun ;• de concevoir des postes de travail qui soient stimulants, qui donnent dusens au travail et l’opportunité aux travailleurs d’utiliser leurs compétences ;• de définir clairement les rôles et responsabilités de chacun ;• de favoriser la participation des travailleurs aux décisions et aux change-ments qui affectent directement leur travail ;• d’améliorer la communication ;• de réduire l’incertitude sur les développements de carrière et les perspec-tives de postes ;• de favoriser l’interaction sociale entre les travailleurs ;• d’établir des horaires de travail qui soient compatibles avec les exigences etles responsabilités extra-professionnelles. »

La prévention primaire a pour objectif de diminuer l’impact des contraintesintrinsèques au métier et de réduire ou d’éliminer les contraintes organisa-tionnelles afin d’éviter ou de limiter le stress chronique.

La prévention secondaire s’adresse à des travailleurs déjà soumis à un état destress chronique ; elle vise à inverser, réduire ou ralentir la progression des

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Prévention du stress au travail : types d’intervention et évaluation de leur efficacité

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maladies liées au stress chronique et à accroître les ressources individuellespour faire face au stress perçu (Kompier et Cooper, 1999 ; Stavroula et Cox,2008).

La prévention tertiaire s’adresse aux personnes déjà atteintes de différentespathologies liées au stress chronique (troubles anxio-dépressifs ou musculos-quelettiques, pathologies cardiovasculaires...). Il s’agira alors d’éviter quel’état de santé de ces personnes ne se détériore davantage. Il revient aumédecin du travail en particulier de dépister et d’orienter ces personnes versune prise en charge médicale et/ou psychologique (psychothérapies proposéeslors de dépression ou états anxieux sévères et/ou traitements médicaux). Laprévention tertiaire vise également à favoriser le retour au travail particuliè-rement difficile après une tentative de suicide, une dépression nerveuse ou unabsentéisme de longue durée pour maladie cardiovasculaire ou troubles mus-culosquelettiques liés au travail, en particulier s’ils sont rapportés par lapersonne à son travail. Ce type d’actions curatives est indispensable et pre-mier dans certains cas, mais est loin d’être suffisant. Il doit déboucher sur uneréflexion concernant les sources de stress : pourquoi telle personne en est-ellearrivée là ? D’autres personnes de son entourage professionnel présentent-elles les mêmes difficultés, même moins exacerbées ? Peut-on établir un lienentre ces difficultés et les conditions de travail ?

Ces différents types de prévention ne sont pas incompatibles et dans denombreuses situations de travail elles sont associées de façon séquentielle ouconcomitante.

Méthodes selon les objectifs visés

Les interventions de prévention du stress déployées en situation de travail sedéclinent selon un deuxième paramètre, leur finalité : optimisation de com-portements individuels ou amélioration des facteurs collectifs liés à l’organisa-tion du travail (Murphy et Schoenborn, 1987 ; Kompier et Cooper, 1999 ;Vézina et coll., 2004).

Les interventions peuvent être orientées vers l’individu ou vers des groupesd’individus de façon à renforcer les capacités de ces individus ou de sesgroupes à faire face aux contraintes du travail ou au stress chronique déjàinstallé. Mais les actions en milieu de travail peuvent viser à mieux adapter letravail aux travailleurs en améliorant l’environnement physique et/ou enmodifiant l’organisation du travail : son contenu, ses procédures...Van derHek en 1997 introduit une troisième catégorie d’interventions, celles quiagissent sur l’interface entre l’individu et l’organisation comme par exemplefavoriser les relations interindividuelles ou améliorer l’autonomie au travail(van der Heck et Plomp, 1997 ; Bergerman et coll., 2009).

Le choix de la finalité des interventions de prévention du stress en entreprisesn’est pas une simple option technique. Il s’agit de position souvent « poli-tique » voire idéologique sur la conception du travail. Ainsi, aux États-Unis,252

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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quand les dirigeants d’entreprise se sont intéressés dans les années 1980, à lagestion du stress dans la perspective de diminuer les coûts de la santé, ils ontopté pour le stress management, plaçant la responsabilité des individus (habi-tudes de vie délétères, incompatibilité de la personne avec son environne-ment) au cœur du problème et les encourageant à la relaxation, à l’exercicephysique, au régime alimentaire, alors que les salariés mettaient l’accent surles sources organisationnelles du stress telles que le manque de contrôle, lasous ou la surcharge de travail et réclamaient une prévention organisa-tionnelle (Murphy et Schoenborn, 1987). Ce débat est toujours actuel etrenvoie à des idées reçues bien ancrées : le stress est une question de fragilitéindividuelle et renforcer les ressources des individus pour y faire face varésoudre le problème. Cette position s’explique par la nature même des risquespsychosociaux. Par rapport aux risques professionnels « traditionnels » (chi-miques, physiques ou biologiques), les risques psychosociaux peuvent amenerun questionnement dans l’entreprise puisque l’évaluation des risques psycho-sociaux va « passer » par les représentations, les perceptions et les émotions,d’un ensemble d’individus. Ce regard des individus sur le travail, ses condi-tions, son organisation, ouvre la voie à une participation active des exécu-tants dans l’organisation du travail, ce qui peut représenter pour certainsmodes de managements une forte remise en cause mais représente, pourcertains auteurs, un gage d’efficacité (Harkness et coll., 2005 ; Dollard et coll.,2008 ; Lachmann et coll., 2010 ; Loriol, 2010).

Types d’interventions de prévention du stress au travail

Les interventions menées dans les entreprises combinent les deux critèresprésentés ci-dessus : précocité de l’action et objectifs de l’intervention don-nant lieu à quatre catégories (figure 15.4).

Figure 15.4 : Types d’interventions de prévention du stress au travail (d’après Kompieret Cooper, 1999)

La catégorie « 1 » regroupe les interventions qui, par exemple, enrichissent letravail, augmentent l’autonomie et la participation dans les décisions ouproposent des horaires de travail permettant le bon équilibre entre vie fami-liale et vie personnelle. En catégorie « 2 », on retrouve les mêmes interven-tions que précédemment mais chez des employés qui présentent des signes de

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stress ou des décompensations morbides. Il s’agira par exemple d’adapter leshoraires de travail aux seniors. La catégorie « 3 » correspond aux actions deformation des managers, à la mise en place de plans de carrière, aux débrie-fings (par exemple proposés à des soignants particulièrement exposés à desfortes charges émotionnelles dans les services oncologiques ou de soins pallia-tifs), aux activités de « coaching » proposées à des managers et aux actions depromotion de la santé au travail évoqués largement ci-après. La catégorie« 4 » inclut la « gestion individuelle du stress33 », les « numéros verts », lestraitements médicaux et psychothérapeutiques pour les symptômes et mala-dies liés au stress, les programmes d’assistance pour un stress post-traumatiqueou d’aide au retour au travail après absentéisme prolongé (Kompier et Cooper,1999 ; Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail, 2002b).

La majorité des interventions menées en entreprise appartenaient aux catégo-ries 3 et 4 et peu concernaient l’amélioration de l’organisation ou de l’envi-ronnement du travail (Agence européenne pour la sécurité et la santé autravail, 2002b ; Giga et coll., 2003). Cependant, il semble, selon l’enquêteEsener précédemment citée, qu’il y ait une évolution récente en faveur desmesures organisationnelles et environnementales. En effet, les « mesures pourtraiter les risques psychosociaux au travail », déclarées par les chefs d’entrepri-ses, sont les formations dans 58 % des cas, les modifications du mode d’orga-nisation du travail dans 40 %, la re-conception de l’espace du travail dans38 %, l’assistance aux salariés de façon confidentielle dans 32 %, les modifica-tions des horaires du travail dans 30 % et la mise en place d’une procédure derésolution de conflits dans 22 % (Agence européenne pour la sécurité et lasanté au travail, 2010).

Cadre méthodologique des interventions de prévention

Les interventions de prévention du stress doivent, en théorie, se concevoircomme des essais randomisés contrôlés : un groupe de travailleurs tirés au sortbénéficie d’une intervention de prévention du stress et sera comparé à ungroupe de même caractéristique sans intervention. Les essais comprennenttrois phases :

33. La gestion personnelle du stress qui vise à optimiser les stratégies individuelles du salariépour mieux gérer son état de stress s’appuie sur les méthodes de développement personnelassociant une ou plusieurs techniques de gestion des émotions ou « coping passif » (relaxation/méditation, biofeedback défini ci-dessous...) et/ou de réévaluation cognitive inspirée de lapsychothérapie cognitivo-comportementale (« coping actif »). La psychothérapie cognitivo-comportementale suppose que les émotions et le comportement humain sont influençables parl’information et la prise de conscience : une personne peut ainsi modifier son évaluation d’unesituation jusqu’ici stressante et relativiser son incapacité à y faire face amenant une atténuationdes réactions biologiques dues à l’état de stress et des émotions et comportements qui lui sontassociés.Biofeedback : méthode thérapeutique dont le but est de faire en sorte que le sujet se contrôlelui-même en conditionnant certaines fonctions qui relèvent du système neurovégétatif. Enl’occurrence après une séance de relaxation, les sujets reçoivent un « feedback » sur l’efficacitéréelle de la relaxation par un électromyogramme ou une mesure de conductance électrique de lapeau ou de leur température corporelle.254

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

Page 270: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

• définition d’un plan d’intervention : quels sont les changements nécessairesà l’amélioration de la santé ? Quels sont les meilleurs moyens pour y parvenir ?Quels sont les obstacles ?• mise en œuvre : quelles sont les activités qui ont été réellement mises enplace (en notant les écarts par rapport aux prévisions) ? Et quels sont leschangements organisationnels, conjoncturels survenus pendant l’interven-tion et indépendants de celle-ci (changement du directeur des ressourceshumaines, fusion de secteurs...), qui peuvent impacter les résultats ?• efficacité de l’intervention en termes de réduction des symptômes et mala-dies liés au stress, réduction de la perception des contraintes, conséquencesorganisationnelles et économiques, effets sur les connaissances, attitudes etcomportements des travailleurs vis-à-vis du stress et de sa gestion.

L’évaluation de l’action elle-même doit inclure l’évaluation des trois phases :le plan d’intervention était-il bien conçu ? L’implémentation a-t-elle étéoptimale ? L’efficacité était-elle correcte compte tenu des conditions réelles del’intervention (Goldenhar et coll., 2001 ; Vézina et coll., 2004) ?

Les démarches visant à améliorer les contraintes organisationnelles ontadapté la méthode des essais randomisés contrôlés et s’appuient sur les straté-gies de gestion du risque communes à l’ensemble des risques professionnels.Ces démarches de type « projet » supposent différentes phases qui vont del’alerte à l’évaluation en passant par le « diagnostic » et la mise en place duplan de prévention. L’alerte suppose d’assurer la veille sur des indicateurs deressources humaines ou de santé. Le « diagnostic » comprend l’évaluation del’importance du stress, l’identification de ses sources (contraintes et facteursorganisationnels) et/ou de son retentissement sur la santé (prévalence despathologies avérées) ainsi que le repérage des éventuels groupes à risques dansl’entreprise. Suite à cette étape, des actions correctives sont mises en place etévaluées avec si possible un groupe « témoin » (autre entreprise, atelier) ou aminima en suivant l’évolution des indicateurs de santé (et/ou la perceptiondes contraintes) et/ou des moyens et ressources mobilisés (INRS, 2007a et b).L’évaluation des interventions peut donner lieu à des mesures d’efficacité(atteinte des objectifs) et/ou d’efficience (atteinte des objectifs en tenantcompte des moyens mis en œuvre) (Stavroula et coll., 2004). Les outils demesure du stress, des contraintes et de la santé mentale sont le plus souventquantitatifs (questionnaires ou échelles) mais des méthodes qualitatives adap-tées à la problématique du stress peuvent être également utilisées. Empruntéesà l’ergonomie (voir définition ci-après) ou à la psychosociologie, ellesincluent des entretiens exploratoires ou semi-directifs individuels ou collectifs(« focus groups »), des auto-confrontations, l’observation de l’activité de tra-vail, la consultation des documents traitant des relations sociales dans l’entre-prise... (Malchaire et coll., 2007 ; Chouanière, 2009).

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Page 271: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

Autres méthodes de prévention des risques psychosociauxutilisées en France

À coté des actions de gestion individuelle du stress implantées en Francedepuis une vingtaine d’années et des plans de prévention centrés sur l’organi-sation récemment élaborés dans les grandes entreprises, coexistent d’autresméthodes d’évaluation et de prévention des risques psychosociaux dans lesentreprises. Elles relèvent de divers courants disciplinaires plus spécifi-quement français.

Ergonomie de l’activité

J. Petit définit l’ergonomie comme « une discipline de l’action orientée vers laconception ou la transformation de systèmes (situations de travail, outils,objets) » (Lerouge, 2009). Il différencie l’approche anglo-saxonne Humanfactors, discipline expérimentale, de « l’ergonomie de l’activité » qui analyseles situations réelles de travail, laquelle est dominante dans les pays franco-phones. Le travail est alors au centre de l’analyse ergonomique et il n’est passeulement considéré comme « une traduction cognitive et physiologique d’uncadre prescriptif, mais il est aussi et surtout une source de création, par lacomplexité du fonctionnement humain en situation... La compréhension del’engagement de l’homme au travail ... peut permettre non seulement decomprendre les mécanismes complexes liés aux troubles psychiques maiségalement permettre des possibilités de prévention. ». Les outils utilisés dansl’ergonomie de l’activité permettent de prendre en compte le travail réel et letravail perçu. Cette approche ergonomique spécifiée aux risques psychoso-ciaux a donné lieu à différents modèles d’analyse des causes de stress : Véro-nique De Keyser, entre autres, a proposé un modèle centré sur la perte ducontrôle de la situation de travail (De Keyser et Hansez, 1996) et BenjaminSalher, pour le réseau Anact (Agence nationale pour l’amélioration desconditions de travail) et les agences régionales Aract, a développé un modèlede compréhension de tension/régulation susceptible de générer des troublespsychosociaux (Salher et coll., 2007).

Cependant, cette conception de l’ergonomie n’est pas partagée par l’Interna-tional Ergonomics Association qui distingue trois types d’ergonomie : phy-sique34, cognitive35 et organisationnelle. L’ergonomie organisationnelle a

34. “Physical ergonomics is concerned with human anatomical, anthropometric, physiologicaland biomechanical characteristics as they relate to physical activity. (Relevant topics includeworking postures, materials handling, repetitive movements, work related musculoskeletaldisorders, workplace layout, safety and health.)”35. “Cognitive ergonomics is concerned with mental processes, such as perception, memory,reasoning, and motor response, as they affect interactions among humans and other elementsof a system. (Relevant topics include mental workload, decision-making, skilled performance,human-computer interaction, human reliability, work stress and training as these may relate tohuman-system design.)”256

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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pour but d’optimiser les systèmes socio-techniques lesquels incluent les struc-tures organisationnelles, les pratiques et procédures36, s’inscrivant donc dansla prévention primaire.

Psychodynamique

On peut également inclure dans les méthodes de prévention de la souffranceet du stress, le courant très spécifique français de la psychodynamique qui n’estpas seulement une discipline de recherche mais une démarche d’action puis-qu’elle propose à un groupe de travailleurs, guidé par un intervenant formé,d’identifier collectivement les causes d’une situation de travail délétère etd’en élaborer des solutions. En pratique, la démarche psychodynamique,compte tenu de l’investissement qu’elle suppose de la part des travailleurs, estmise en place préférentiellement dans des situations de travail déjà trèsdétériorées (suicide sur le lieu du travail, violence, conflits très aigus...) aveccomme objectif l’analyse des dysfonctionnements et l’élaboration collectivede propositions pour améliorer les situations de travail.

Approche systémique

Par ailleurs, de nombreuses autres pratiques d’intervention en entreprises dansle domaine du stress et de la souffrance se sont installées dans les entreprisesfrançaises ces dernières années. Certaines sont tout à fait expérimentales et nerentrent pas dans le cadre des méthodes de prévention « académiques » maisd’autres sont fondées sur des approches théoriques de type psychosociologiquetelles que l’approche systémique et peuvent donc être considérées commeméthode de prévention des risques psychosociaux. Principalement proposéespar des consultants libéraux qui se sont « positionnés » sur ces thématiques,ces approches relèvent plus de la prévention secondaire ou tertiaire car lesentreprises avaient jusqu’ici l’habitude de solliciter les consultants, le plussouvent, dans des situations déjà dégradées et non a priori, tendance quisemble reculer aujourd’hui (Loriol, 2010).

Promotion de la santé ou du bien-être ou de la qualité de vie au travail :une prévention du stress ?

À coté de ces actions de prévention spécifiquement dédiées à la prise encompte du stress et/ou de la souffrance au travail, se sont développés égale-ment des programmes de promotion de la santé au sein même des entreprises.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la promotion de la santéau travail a évolué. Au début des années 1970, les activités de promotion de la

36. “Organizational ergonomics is concerned with the optimization of sociotechnical systems,including their organizational structures, policies, and processes. (Relevant topics includecommunication, crew resource management, work design, design of working times, teamwork,participatory design, community ergonomics, cooperative work, new work paradigms, virtualorganizations, telework, and quality management.)”

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santé dans le monde du travail étaient généralement axées, dans une logiquepurement assurantielle, sur une maladie ou un facteur de risque particulier, ouvisaient à modifier une pratique particulièrement dangereuse chez des tra-vailleurs : lutte contre les addictions (alcool, tabac...), hygiène nutritionnelleet pratique sportive. Au début des années 1980, les programmes de « bien-être » constituaient l’essentiel des activités de promotion de la santé au travailet la majorité d’entre eux restaient centrés sur le comportement individuel,mais incluaient un éventail plus large d’interventions ciblées sur des facteursde risque définis : examens de santé, formation à la gestion du stress, diété-tique dans les cantines, programmes d’exercice physique, soins du dos etséminaires d’information sur la santé. Ces programmes de bien-être sontencore actuellement appliqués dans beaucoup de grandes entreprises. Audébut des années 1990, la prise en compte du caractère multifactoriel de lasanté au travail (incluant les facteurs environnementaux, sociaux et organisa-tionnels) et les nouvelles connaissances sur l’impact de l’organisation dutravail sur la santé ont donné naissance à des modèles intégrant la promotionde la santé au travail et le développement de l’organisation. Cette promotionde la santé au travail, plus globale et intégrative, n’utilise plus le lieu de travailcomme un endroit où les professionnels de santé peuvent appliquer aisémentdes programmes destinés à changer les individus, mais associe le personnel etla direction qui s’emploient collectivement à faire du lieu de travail un cadrepropice à la santé. Cette vision intégrative de la promotion de la santé autravail est la stratégie actuellement recommandée par l’OMS et certainsauteurs (Chu, 2003 ; LaMontagne et coll., 2007b).

Des pays tels que le Canada et l’Australie ont commencé à se doter demodèles complets intégrant la promotion de la santé au travail et le dévelop-pement de l’organisation. Ainsi trouve-t-on des manuels de pratique et dessites web décrivant cette promotion de la santé au travail intégrative d’originediverse. Ces initiatives peuvent être privées comme au Québec où le GP2S(Groupe de promotion pour la prévention en santé – Le réseau des entrepriseen santé)37 propose un accompagnement aux entreprises pour développer desinterventions dans quatre sphères : pratiques organisationnelles, environne-ment de travail, conciliation travail-famille, habitudes de vie. En Suisse, unprogramme PME - Vital38 élaboré à l’initiative de la fondation « Promotionsanté suisse » par des universitaires, des assureurs et des consultants privés,propose à des entreprises volontaires un processus en 5 étapes : sensibilisation,analyse, développement stratégique, mise en œuvre des mesures et

37. http://www.gp2s.net-Objectifs de GP2S : « Contribuer à l’accroissement du mieux-être desemployé(e)s et de la performance des entreprises et des organisations en leur fournissant uncadre de référence, des informations, des outils et un lieu d’échanges facilitant l’intégration de lasanté globale à la gestion de l’organisation. »38. PME – Vital est un programme élaboré à l’initiative de la fondation « Promotion SantéSuisse », laquelle est soutenue par les cantons et les assureurs ; l’un de ses thèmes prioritairesest la « Santé psychique et stress » qui est abordé dans le cadre de la promotion de la santé enentreprise. http://www.kmu-vital.ch -258

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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évaluation/intégration sur la base d’une conception de la promotion de lasanté au travail en entreprise. Ce programme vise à promouvoir les modes devie favorables à la santé (actions sur les comportements), et à développer desconditions de vie favorables à la santé (actions sur le contexte).

L’Organisation internationale du travail (OIT) quant à elle préconise unedémarche plus traditionnelle. Lancé en 2001, le programme « SOLVE »39

consiste en un ensemble de mesures et de matériels éducatifs permettant detraiter de façon intégrée, dans les entreprises, les problèmes du stress, de laconsommation de drogues et d’alcool, de la violence, du VIH/sida et dutabagisme, l’action sur les organisations du travail n’étant pas mentionnée.Ces problèmes ont un effet cumulatif et ne peuvent être abordés isolément. Ilssont liés entre eux et par conséquent les mesures destinées à les résoudredoivent être, elles aussi, liées entre elles. Initialement conçu pour s’appliquerà n’importe quelle branche d’activité, le programme Solve a été spécialementadapté aux secteurs de la santé, de l’aviation civile et de la fonction publique(Organisation internationale du travail, 2005).

Ces démarches de type santé publique bénéficient de la promotion par lesorganismes internationaux et de l’accès facile à de larges populations detravail mais peuvent poser un problème éthique chez des populations desalariés dans la mesure où la relation contractuelle du travail qui établit unlien de subordination de l’employé vis-à-vis de l’employeur peut polluerl’adhésion ou pervertir le volontariat de ces salariés à de tels programmes. Deplus quand ces programmes « clé en mains » sont préférentiellement ou exclu-sivement centrés sur les comportements individuels, ils n’explorent pas oupeu l’activité réelle de travail et l’ensemble des risques qu’elle engendre seprivant ainsi d’une réelle efficacité en laissant de côté des facteurs collectifs dela santé au travail propres à une situation de travail donnée (Stavroula etcoll., 2003).

Prévention du stress dans les TPE (Très petites entreprises)

Les activités de prévention évoquées ci-dessous sont généralement mises enœuvre dans de grandes ou des moyennes entreprises. Pour les petites ou trèspetites entreprises (moins de 50 travailleurs), les méthodes et les exemples sontplus limités. Dans une étude belge portant sur 180 entreprises, une sur six avaitdéjà réalisé un diagnostic « stress » et ce diagnostic n’était suivi d’actions quedans la moitié des cas, les petites entreprises étant encore moins actives pour lediagnostic (Hansez et coll., 2009). Même si les conditions matérielles et organi-sationnelles sont plus favorablement perçues par les salariés des TPE et sicertains facteurs, comme la disponibilité du chef d’entreprise, apparaissentcomme protecteurs, la vulnérabilité des travailleurs aux risques psychosociauxexiste. Quand les conditions matérielles et organisationnelles sont perçues

39. http://www.ilo.org/wow/Newsbriefs/lang--fr/WCMS_081713/index.htm

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comme mauvaises ou lorsque la reconnaissance du travail est faible, lesrépercussions sont rapides et de grande ampleur. Certains facteurs semblent plusspécifiques des petites structures : management par l’affectif, présence de jeux depouvoir, forte demande de polyvalence, faible valorisation des salariés(DRTEFP, 2007 et 2008) mais les chefs de ces entreprises sont peu sensibilisésaux risques professionnels en général et notamment aux risques psychosociaux.Néanmoins, certaines interventions de prévention se sont développées enconsidérant tout un secteur d’activités soit d’une zone géographique donnée soitd’une grande entreprise. Ainsi dans le cadre des « SME Funding Scheme 2002-2003 » gérés par l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail,un projet a été développé en Belgique, Allemagne et Pays-Bas et une démar-che de prévention du stress a été mise en œuvre dans la restauration dansplusieurs secteurs géographiques. À partir d’invitations à des conférences desensibilisation, étaient proposés, aux employés et employeurs, des séances decoaching et un travail d’analyse des contraintes et de recherche de solutions.Un autre dispositif coordonné d’envergure s’est développé, depuis 2007, enMidi-Pyrénées. Il concerne un réseau bancaire de 1 800 salariés et mobilise78 médecins du travail. À partir d’une alerte émise par plusieurs médecins dutravail, un projet multidisciplinaire a été mis en place à un niveau régional(Brun et coll., 2010). Une intervention de prévention du stress a égalementété élaborée spécifiquement pour 315 salariés exploitants agricoles etconjoints d’exploitants d’une région française. Le dispositif a consisté en unejournée de formation/action qui permettait une sensibilisation sur le thème etune investigation des facteurs stressants. Sur la base des résultats de cetteidentification des « stresseurs », un accompagnement à la mise en place desolutions a été organisé (Delanoë et coll., 2010).

Par ailleurs, deux initiatives régionales en Provence - Alpes - Côte d’Azur etMidi-Pyrénées ont abouti à la création de guides, pour les médecins du travail,sur la gestion des risques psychosociaux dans les TPE (Catéis, 2008 ; Pierre etcoll., 2010). Enfin, des outils étrangers plus spécifiquement destinés aux TPEsont également disponibles leur permettant d’être autonomes dans leursdémarches de prévention du stress : il s’agit du programme PME-Vital (voirci-avant) et d’un outil Irlandais Work Positive40 (Agence européenne pour lasécurité et la santé au travail, 2002b).

Ces différentes expériences sont intéressantes à analyser car elles pourraientêtre transposables aux travailleurs indépendants. Des actions menées chez dessalariés d’une toute petite entreprise pourraient bénéficier au chef d’entrepriselui-même en termes d’amélioration de sa propre qualité de vie au travail maisaussi en termes de productivité pour l’entreprise. Ceci nous conduit à l’éva-luation des actions de prévention, objet de la partie suivante de ce chapitre.

40. http://www.hseni.gov.uk/res_work_positive_project.pdf260

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

Page 276: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

Évaluation des différentes méthodes de prévention

Comme on l’a vu précédemment, deux grandes familles d’interventions semettent en place dans les entreprises, celles qui agissent en amont sur lesfacteurs organisationnels et les contraintes du travail (prévention primordialeou primaire souvent à visée collective) et celles qui s’adressent aux individuspour renforcer leur capacité à résister au stress ou pour traiter les maladies liéesau stress et retourner au travail (prévention secondaire et tertiaire souvent àvisée individuelle). Cette partie va tenter d’apprécier, à travers la littératuredisponible, quelle est l’efficacité respective de ces deux grands types d’inter-ventions.

Évaluation des interventions de prévention du stress

Le tableau 15.I résume quatre revues de la littérature portant sur l’évaluationde l’efficacité des interventions de prévention du stress chronique chez lessalariés (dont deux datent de 1996 et 1997) ainsi qu’une méta-analyse. Ondispose également d’un rapport de six autres revues de la littérature quianalyse l’efficacité des interventions uniquement organisationnelles (Berger-man et coll., 2009). L’ensemble des auteurs s’accorde à dire que la méthodolo-gie stricte des essais contrôlés randomisés est peu appliquée pour des raisons àla fois pratiques, éthiques et légales. Pourtant, le respect des critères de cesessais est décrit dans la littérature comme un standard de qualité de l’étude.Les essais sont décrits comme « quasi-expérimentaux », quand il y a un groupetémoin et une évaluation avant/après mais pas de randomisation, ou minima-listes avec une évaluation avant/après sans groupe témoin ni randomisation.Pour LaMontagne et coll., la qualité des études s’est nettement améliorée aucours du temps car le référentiel est mieux appliqué : 36 % des essais respec-taient les standards de qualité entre 1990-1995 contre 69 % entre 2001-2005(LaMontagne et coll., 2007a).

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Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

Page 278: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

Revues de la littérature anciennes

Les résultats des revues anciennes de Murphy (1996) et Van der Heck etPlomp (1997) quant à l’efficacité des différentes méthodes d’intervention sontdifférents. Murphy avance que l’efficacité des interventions varie avec le typede mesures de santé effectuées et met en avant l’efficacité de la combinaisonde deux interventions individuelles, la relaxation musculaire et des approchescognitivo-comportementales. Van der Heck est plus prudent relevantqu’aucune conclusion n’est possible compte tenu :• des défauts méthodologiques : manque de groupe témoin et d’évaluationpré-post intervention, absence de randomisation et donc biais de sélection,non prise en compte des facteurs de confusion, faible qualification des inter-venants, manque de pertinence de l’intervention, petits effectifs ;• de la grande hétérogénéité entre les études sur de nombreux points : tech-niques de gestion du stress ou organisationnelles utilisées, taille et qualifica-tion du groupe d’intervention, métier et secteur d’activités, durée de l’inter-vention (de 1 journée à plusieurs mois), durée du suivi, fréquence du suivi (1ou plusieurs mesures post-intervention), nature des outcomes : paramètrespsycho-physiologiques (marqueurs biologiques, tests physiologiques...), trou-bles de l’humeur (échelles psychométriques), scores auto-évalués de symp-tômes de stress, de burnout ou de satisfaction au travail, indicateurs organisa-tionnels de productivité, d’absentéisme...

Revues de la littérature récentes

La méta-analyse de van der Klink plus récente (van der Klink et coll., 2001) aporté sur 3 736 sujets issus de 48 études qui ont été sélectionnées sur la qualitéméthodologique du protocole et la fiabilité des données. Néanmoins, seules20 études sur 48 comportent une évaluation avant/après. Cette méta-analysevisait la population des personnes au travail supposées déjà présenter desproblèmes psychologiques liés au stress au travail. L’intervalle moyen entrel’évaluation pré- et post-intervention est de 9 semaines (écart-type=6 semai-nes) pour les interventions orientées vers l’individu et 38 semaines pour lesinterventions organisationnelles. Le pourcentage de perdus de vus entre lesdeux évaluations varie de 0 à 40 % du suivi avec une moyenne de 11 % pourles interventions de gestion individuelle et de 26 % pour les interventionsorganisationnelles. Les mesures de santé prises en compte sont :• la qualité de vie au travail incluant la perception des contraintes : exigence,contrôle, support social ;• les ressources psychologiques : estime de soi, capacité à faire face, maîtrisede soi ;• les marqueurs physiologiques : activité électromyographique, tension,adrénalinémie ;• les symptômes de stress, de burnout, anxio-dépressifs ;• l’absentéisme.

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Le résultat le plus surprenant est le faible effet des interventions organisa-tionnelles contrairement à l’abondante littérature qui montre une plus grandeefficacité de ce type d’intervention de prévention (Kompier et Cooper, 1999 ;Vézina et coll., 2004 ; Stavroula et Cox, 2008). Dans l’étude de Van der Klinket coll., les interventions organisationnelles ne représentaient que 10 % del’ensemble des interventions. Des paramètres spécifiques de l’entreprise(ambiance générale, qualité du leadership, justice organisationnelle) n’ontpas été pris en compte et peuvent empêcher l’amélioration d’une situationmême si l’intervention est bien faite. Deux autres facteurs sont avancés parl’auteur. D’une part les outcomes – effets des interventions – pris en comptedans les interventions organisationnelles sont individuels et un seul est orga-nisationnel : l’absentéisme. Le retentissement sur l’individu des modificationsdu contenu du travail, de son organisation, demande peut-être plus de tempsque celui dans lequel se font les évaluations. D’autre part, les interventionsorganisationnelles visent souvent à améliorer un aspect du travail (par exem-ple à augmenter le contrôle pour l’ensemble des salariés) mais sans adaptercette stratégie aux sujets. Certains travailleurs peuvent être peu adaptés auchangement en général et à cette plus grande autonomie en particulier, ce quinécessiterait qu’ils soient soutenus pendant ces périodes de changement orga-nisationnel ce que des sociologues soulignent également (Loriol, 2010).

Encore plus récemment, La Montagne et coll. ont évalué 90 interventionspubliées entre 1990 et 2005 et les ont classées, non pas selon leurs objectifsmais sur des critères méthodologiques (évaluation avant/après, randomisa-tions, groupe témoin) : 33 % ont un haut niveau d’excellence, 19 % sontintermédiaires et 48 % sont faibles sur le plan méthodologique avec, commecité précédemment, une amélioration progressive au cours du temps (LaMon-tagne et coll., 2007a). Même si la méthodologie est défectueuse, les interven-tions orientées vers l’individu ont effectivement un impact sur l’améliorationdes variables individuelles mais pas d’impact sur les variables organisa-tionnelles. À l’inverse, les interventions organisationnelles de haute etmoyenne qualité ont un impact sur les deux types de variables. Les principalesconclusions de cette revue sont d’une part que les interventions organisa-tionnelles semblent plus efficaces que celles qui visent l’individu ce qui rejointune affirmation récurrente de la littérature (Kompier et Cooper, 1999 ; Vézinaet coll., 2004 ; Stavroula et Cox, 2008) et d’autre part que les interventionsindividuelles sont un complément essentiel aux interventions organisa-tionnelles. Les auteurs concluent que les stratégies les plus efficaces doiventcombiner préventions primaire, secondaire et tertiaire (LaMontagne et coll.,2007a).

En 2007 également, Murta et coll. publient une revue qui s’intéresse auxconditions de réussite des interventions. Sur 84 études publiées entre 1977 et2003, 62 % ont au moins une composante évaluative, 58 % se situent enAmérique du Nord et 25 % en Europe. Les 2/3 sont conduites dans le secteurde la santé, 17 % dans celui de l’enseignement et 17 % en milieu industriel. Si264

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

Page 280: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

les auteurs, comme précédemment van der Heck, ne peuvent conclure sur lesdéterminants efficaces tant à la phase de l’implémentation qu’à celle del’évaluation, ils relèvent des variables bénéfiques à une intervention : l’enga-gement et le support de la direction dans l’intervention, la durée de l’inter-vention, la perception qu’ont les participants de l’intervention et l’évaluationcontinue de cette perception et de ses effets au cours de l’intervention (Murtaet coll., 2007).

En 2009, le rapport de l’Institute of Health Economics (Bergerman et coll.,2009) a sélectionné 6 revues de la littérature sur des critères de qualité dedeux outils bibliométriques spécifiques des revues de la littérature (Amstar etQuality Assessment Checklist) excluant les 5 revues de littérature citées dans letableau 15.I. Ces 6 revues, publiées entre 2003 et 2007, concernent 60 essaisportant sur l’évaluation d’interventions organisationnelles de prévention dustress au travail ; 3 revues ne concernent que les personnels de santé (Mimuraet Griffiths, 2003 ; Gilbody et coll., 2006 ; Marine et coll., 2006) et les3 autres incluent des populations d’employés et fonctionnaires divers (BritishOccupational Health Research Foundation, 2005 ; Bambra et coll., 2007 ; Eganet coll., 2007). Les auteurs relèvent la variabilité considérable des classifica-tions des interventions, des types d’interventions utilisées et des instrumentsde mesure des outcomes. Les 3 interventions les plus utilisées dans les entre-prises sont la re-définition du poste de travail, le développement de la partici-pation et de l’autonomie et la formation, lesquelles apparaissent comme lesplus efficaces sur les outcomes ce qui peut relever de leur surreprésentationdans les études. En ce qui concerne le stress, deux essais classés par les auteurs« de bonne qualité » mettent en évidence une diminution du stress chez lesemployés : il s’agit, pour l’un, d’un programme de formation psychologiquepour des infirmières d’un service d’oncologie avec des aspects théoriques, desjeux de rôle et des partages d’expériences et, pour l’autre, de la mise en placed’équipes d’actions, au sein desquelles des représentants du personnel (salariésd’un magasin de vente au détail) travaillent avec la direction et les employéspour améliorer la communication et la cohésion, les horaires de travail, larésolution des conflits et la reconnaissance du travail. Vingt-deux essais sontdétaillés dans ce rapport mettant souvent en évidence, suite à des actionsorganisationnelles, une amélioration sur les outcomes suivants : burnout, bien-être psychologique, absentéisme et turn-over. Malgré ces constatations, laconclusion générale est assez en retrait soulignant que l’amélioration sur desoutcomes des actions organisationnelles (comparées à une combinaison dedifférents types d’interventions ou à l’absence d’interventions) est limitée.Pour établir leurs conclusions, les auteurs s’appuient, d’une part, sur celles dessix revues de la littérature sélectionnées (Mimura et Griffiths, 2003 ; BritishOccupational Health Research Foundation, 2005 ; Gilbody et coll., 2006 ;Marine et coll., 2006 ; Bambra et coll., 2007 ; Egan et coll., 2007, cités parBergerman et coll., 2009) qui ne s’intéressent pas seulement aux interven-tions organisationnelles mais comparent entre elles les deux types d’interven-tions (organisationnelles versus individuelles) ; ces dernières soulignent que

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Prévention du stress au travail : types d’intervention et évaluation de leur efficacité

Page 281: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

les actions organisationnelles bénéficient sûrement aux salariés qui occupentdes postes de travail à problèmes sans forcément affecter l’ensemble dessalariés, ce qui donc n’améliore pas les indicateurs globaux. D’autre part, ils seréfèrent à leurs propres résultats, soit le nombre d’essais classés de bonnequalité améliorant la situation versus aucun effet ou effet aggravant : 2 essaispositifs sur 11 pour le stress, 2 sur 9 pour le burnout, 7 sur 26 pour le bien-êtrepsychologique, 7 sur 11 pour l’absentéisme et 3 sur 4 pour le turn-over.

Bilan de l’évaluation des interventions de prévention du stress

L’ensemble de ces revues sont concordantes sur deux aspects : importancepersistante des interventions individuelles qui représentent toujours 80 % despublications et besoin d’amélioration des méthodologies et protocoles d’inter-vention pour pouvoir attribuer les résultats aux interventions. Cependant,deux revues (van der Klink et coll., 2001 ; Bergerman et coll., 2009) remet-tent en question l’idée bien établie de la meilleure efficacité des interventionsorganisationnelles. En effet, les essais publiés sur des interventions organisa-tionnelles peinent à mettre en évidence un effet positif de leurs actions sur lesoutcomes individuels (mesures de perception du travail ou de santé). Outre lesexplications apportées par les auteurs eux-mêmes et évoquées plus haut, onpeut souligner, en sus de la très grande diversité des activités mises en placedans les situations de travail, la description très succincte, dans les articles, desinterventions souvent relatées par des termes génériques (re-définition duposte de travail, développement de la participation, formation...) dont lecontenu et la durée réels sont très différents, ce qui entrave l’évaluationglobale de l’efficacité des actions. De plus, on peut postuler que « l’apparte-nance des individus » à une même situation de travail au niveau le plusproche de ses conditions réelles de travail (atelier, service...) n’est pas prise encompte dans les études d’intervention. En effet, si on veut comparer l’amélio-ration de marqueurs individuels de salariés qui travaillent dans une mêmestructure, il faudrait considérer une analyse à au moins deux niveaux, celui del’individu et celui de son atelier ou service ou de son entreprise (si plusieursentreprises sont participantes), ce qui permettrait de prendre en compte desfacteurs de variation non mesurés propres à chaque organisation de travail(Morrison et Payne, 2003 ; Holman et coll., 2010). Une autre explication surles résultats négatifs de certaines interventions organisationnelles est avancéepar Nielsen et coll. lesquels démontrent, sur la base de 11 interventionsorganisationnelles menées au Danemark et d’un modèle d’équations structu-relles, que dans le succès ou l’échec d’une intervention, la perception a prioriqu’ont les salariés de l’intervention elle-même pourrait jouer un rôle prédomi-nant, ce qui n’est pas toujours pris en compte dans les évaluations. Enfin, il estmis en avant dans la littérature que les échecs des interventions de préventionsont souvent liés à l’erreur de type 3 (effet de l’intervention nulle mais la miseen œuvre des actions est défectueuse) et que ce n’est pas tant l’interventionelle-même qui est défectueuse mais « l’implémentation » qui s’est mal dérou-lée (Aust et coll., 2010). Pour cerner au mieux cet aspect, Randall et coll.266

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proposent un nouveau questionnaire qui mesure l’IPM, Intervention ProcessMeasure (Randall et coll., 2009). Enfin, dans l’objectif de réduire les écartsentre perception des employés et des employeurs sur les causes de stress et lesdivergences sur les actions à mettre en œuvre, trois auteurs, Kendall, Vézinaet Malchaire proposent des outils d’analyse des situations de travail stressanteset des guides pour l’action (Malchaire et coll., 2007 ; Kendall et Muenchber-ger, 2009 ; Vézina et coll., 2009).

Évaluation des interventions de promotion de la santé au travail

En ce qui concerne la promotion de la santé au travail, une revue de 46 études(menées entre 1970 et 2005) met en évidence un effet modéré de celle-ci surl’absentéisme et la capacité de travail, sur le bien-être mental mais pasphysique et aucun effet sur les rentes d’incapacités (Kuoppala et coll., 2008).La revue de LaMontagne (2007a) répertoriait 8 études sur des actions depromotion de la santé au travail (activité physique, tabagisme, consommationd’alcool et gestion du stress) : 5 sur 8 ont un haut niveau méthodologique.L’intégration de la promotion de la santé au travail avec la prévention pri-maire serait capable d’être efficace sur les niveaux organisationnel et indivi-duel. Une méta-analyse sur 17 des 22 études publiées entre 1997 et 2007(Martin et coll., 2009) étudie les effets de la promotion de la santé au travailsur les troubles anxio-dépressifs chez 3 409 employés : l’impact est faible maissignificatif sur les scores de dépression et d’anxiété mais aucun effet n’esttrouvé sur les mesures composites de santé mentale. Une autre méta-analyseportant sur 38 231 sujets ayant participé à des interventions entre 1969 et2007 (Conn et coll., 2009) a montré l’effet de l’activité physique sur tous lesmarqueurs de santé physique et sur le job stress mais, encore une fois, lesauteurs signalent des problèmes méthodologiques majeurs : décalage entre lesbénéfices théoriques attendus des activités et les outcomes mesurés, interven-tions mal définies sans effet théorique sur les effets de santé, évaluation sur leseffets de santé et non sur la perception de l’intervention, erreur de type 3.L’efficacité de la promotion de la santé au travail est suggérée à travers cesrevues et méta-analyses mais les problèmes méthodologiques sont, toutcomme pour les interventions de prévention du stress, assez majeurs nepermettant pas de conclusions définitives.

D’autres revues de la littérature portent sur les effets des interventions sur despopulations spécifiques : des soignants (Ruotsalainen et coll., 2008) ou dessujets dépressifs (Nieuwenhuijsen et coll., 2008) ou des populations présen-tant des problèmes particuliers : burnout (Awa et coll., 2010), troubles muscu-losquelettiques (Van Oostrom et coll., 2009) ou encore santé mentale (Cor-bière et coll., 2009) détaillées dans le chapitre suivant (voir le chapitre sur lasurveillance et prévention selon le secteur d’activité).

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Évaluation des interventions ergonomiques

Une publication très récente a synthétisé les procédures et conditions néces-saires pour mettre en place des interventions participatives ergonomiques àpartir d’une revue de la littérature portant sur 52 interventions qui respec-taient les critères de qualité. Ces interventions visent à réduire des dysfonc-tionnements organisationnels (absentéisme, coûts associés, accidents...) oudes troubles musculosquelettiques. Les changements induits par ces interven-tions sont documentés et les effets de l’intervention sont positifs dans 85 %des cas et négatifs dans 17 % des cas. Des recommandations sont avancéespour améliorer l’efficacité : adaptabilité des approches au contexte et auxbesoins de la situation de travail, des tâches et des travailleurs (van Eerd etcoll., 2010).

En ce qui concerne les autres approches de prévention évoquées précédem-ment pour la France, nous n’avons pas pu identifier de publications interna-tionales relatives à l’évaluation d’interventions ayant eu recours à ces appro-ches qui permettraient d’apporter des éléments sur leur efficacité.

Considérations méthodologiques sur l’évaluation des interventionsde prévention

L’évaluation des interventions de prévention renvoie à des débats plus théo-riques (Griffiths, 1999 ; Randall et coll., 2005 ; Nielsen et coll., 2006 ; Sem-mer, 2006 ; LaMontagne et coll., 2007b ; Randall et coll., 2007 ; Nielsen etcoll., 2010a et b ; Stavroula et coll., 2010) :• sur le manque de pertinence de l’essai randomisé contrôlé, héritage de lapratique des essais thérapeutiques, pour une intervention organisationnelle ;en effet, si l’outcome est souvent unique et simple dans les essais thérapeu-tiques, il est multiple et complexe dans les interventions organisationnelles ;le groupe témoin (atelier ou entreprise voisine) dans les interventions organi-sationnelles est non seulement difficile à trouver mais souvent « pollué » parle groupe d’intervention ;• sur la nécessité de considérer, pour la mise en place d’une action, nonseulement le niveau global de l’entreprise mais aussi le niveau plus spécifiquedes groupes de travail (atelier, bureau, métier) voire individuel pour adapterles actions aux différences ;• sur la nécessité d’associer aux évaluations quantitatives, des évaluationsqualitatives qui aident à mieux en cerner l’efficacité réelle et à évaluerl’impact des changements, autres que le plan d’action, qui surviennent defaçon permanente dans les entreprises ;• sur l’importance du contexte réglementaire mis en place par les pouvoirspublics pour favoriser les initiatives dans les situations de travail.

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Prévention des risques psychosociaux au travailchez les indépendants

Les interventions de prévention peuvent s’adresser aux indépendants qui ensont alors les bénéficiaires directs mais également aux salariés des indépen-dants, les indépendants eux-mêmes étant alors acteurs de la prévention. Dansla première situation, les indépendants, de part leur spécificité, peuvent béné-ficier d’actions de prévention adaptées à leur contexte de travail qui vont êtredéveloppées ci-après. Dans la deuxième situation, les descriptions précé-dentes, en particulier des actions de prévention dans les TPE et l’évaluationqu’il en est faite, sont applicables directement. En outre, si la prévention dustress et des risques psychosociaux était autrefois sans ancrage, elle est, main-tenant, en France, obligatoire car partie intégrante de la prévention desrisques professionnels.

Contraintes et facteurs organisationnels propres aux indépendants

Les trois catégories principales de non-salariés (commerçants, artisans et chefsd’entreprise) sont exposées, au sens du modèle de Karasek, à une fortedemande psychologique mais à une grande marge de manœuvre à l’exceptiondes « nouveaux/faux » indépendants qui voient leur autonomie décisionnelletrès diminuée du fait de leur subordination à une seule entreprise ; ils consen-tent des efforts importants pour leur activité professionnelle mais peuvent enretirer des bénéfices conséquents (au sens du modèle de Siegrist), sinonmonétaires mais en termes de reconnaissance de la part de la clientèle.

Certains facteurs organisationnels sont également communs aux trois catégo-ries d’indépendants : les heures de travail prolongées (ou la grande quantité detravail), les changements permanents, les difficultés à concilier travail/viepersonnelle et l’insécurité de l’emploi (Rivière et Talon, 2010). D’autrescontraintes sont propres aux professions libérales et artisans/commerçants :relations avec le public et l’exposition aux violences externes. Pour les profes-sions libérales, l’exposition à la souffrance et à la mort constitue un facteurorganisationnel spécifique.

Au-delà de l’exposition au stress les travailleurs indépendants peuvent,comme tous les professionnels en relation avec le public, être confrontés à laviolence des usagers, clients, patients (European Foundation for the Improve-ment of Living and Working Conditions, 2010).

Interventions chez les indépendants

Pour ce qui est des programmes de prévention chez les indépendants, uneseule publication, à notre connaissance, traite de l’évaluation d’un pro-gramme de thérapie cognitivo-comportementale sur le retour au travail, cellede Blonk et coll. (2006). Il était proposé à des travailleurs indépendants qui

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déclaraient à leur assurance privée une incapacité de travail pour une affec-tion psychologique de participer à une recherche-action. Après informationet examen psychiatrique, les participants ont été répartis aléatoirement dansles trois conditions d’expérimentation :• un programme structuré de thérapie cognitivo-comportementale (11 ses-sions de 45 minutes 2 fois par semaine) assuré par des psychologues formés ;• un programme d’interventions combinées orienté vers une psycho-éducation sur le stress au travail (enregistrement des symptômes et des situa-tions, relaxation, thérapie comportementale sur les émotions...) (6 sessionsd’une heure 2 fois par semaine) assuré par des labour experts, intervenants ensanté au travail aux Pays-Bas, chargés de concevoir les interventions sur leslieux du travail et d’aider les personnes en arrêt maladie à reprendre le travail ;• un groupe témoin avec deux visites de contrôle de la justification de l’arrêtmaladie (à l’annonce de l’arrêt et 4 mois plus tard) assurées par le médecin dela compagnie d’assurance.

Les outcomes pris en compte sont les durées d’arrêt du travail (jusqu’à la repriseà temps partiel et à temps complet) et les scores de deux échelles psycholo-giques sur la dépression-anxiété et le burnout. Trois mesures ont été réalisées,avant l’intervention, puis 4 mois et 10 mois après l’intervention. Les inter-ventions ont commencé 2 à 3 semaines après la déclaration à l’assurance. Leseffectifs finaux dans les trois groupes étaient respectivement de 40, 40 et42 personnes. Avant l’intervention, il n’y pas de différences entre les troisgroupes pour ce qui est des différents scores des échelles dépression-anxiété etburnout. Les résultats des programmes de prise en charge sont assez inatten-dus : le programme d’interventions combinée apparaît, sur les durées dereprise du travail à temps partiel et à temps complet, comme plus efficace quela thérapie cognitivo-comportementale pour laquelle les durées d’absentéismesont équivalentes à la situation témoin. En revanche, aucune différence n’estobservée entre les trois groupes pour les symptômes psychologiques même sion observe une diminution des symptômes psychologiques dans les troisconditions au cours du temps (Blonk et coll., 2006).

Quelle prévention pour les indépendants ?

Compte tenu de l’absence de services de santé au travail pour les travailleursindépendants, il faut concevoir une prévention globale des risques profession-nels dont l’un des volets est la prévention du stress combinant les troisapproches : prévention primaire, secondaire et tertiaire, agissant tant sur leplan individuel que collectif et intégrant la promotion de la santé au travailqui ne pose pas, chez les indépendants, les mêmes problèmes éthiques quechez les salariés. Sur le plan individuel, on peut imaginer la conception d’unsite Web « prévention du stress et des risques psychosociaux et promotion dela santé » sur la base des expériences évoquées plus haut pour les TPE (Vital-PME, Entreprises en santé, Work positive...). Sur le plan collectif, les expé-riences rapportées dans les secteurs de la restauration ou chez les agriculteurs270

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(qui ont un statut d’indépendants) pourraient servir d’exemples. Le recoursaux structures collectives déjà existantes (chambres de commerce et d’indus-trie, syndicats, ordres professionnels...) apparaît comme indispensable.

La prévention de la violence externe a fait l’objet de nombreuses publicationset les recommandations sur la prévention sont maintenant stabilisées. Enprévention primaire, il s’agira de dispositions techniques des espaces de travailaccueillant le public (conception soignée des espaces d’attente et poste detravail permettant un repli en cas de besoin) et de mesures organisationnellessur la gestion de l’attente des clients. En prévention secondaire, il est primor-dial de proposer régulièrement des formations sur la gestion du public et lagestion des conflits. Enfin, en cas de violences verbales ou physiques, il fautque le travailleur ait connaissance d’une procédure à suivre tant pour réagir àla situation immédiate (alerte, appel des numéros d’urgence...) qu’à distance(main courante, suivi psychologique...) (CARSAT Languedoc-Roussillon,1999 ; VandenBos et Bulatao, 2002 ; CARSAT Auvergne 2010).

En conclusion, la prévention du stress au travail et plus largement des risquespsychosociaux bénéficie d’une trentaine d’années d’expériences. Malgré lenombre important de publications traitant d’évaluation d’actions de préven-tion, leur très grande hétérogénéité empêche de mettre en évidence lesparamètres déterminants d’une action efficace tant dans le domaine de laprévention individuelle qu’organisationnelle.

En ce qui concerne la prévention organisationnelle, ce manque est relatif auplus faible nombre de publications et à la plus grande difficulté à mesurerl’amélioration d’une situation de travail. Comme un plan de prévention seconçoit sur mesure pour une situation de travail donnée, seule l’évaluationformelle ou le suivi d’indicateurs d’alerte permettra d’ajuster et de réajuster leplan d’action. Sans groupe témoin et randomisation, il ne sera pas scientifi-quement possible d’attribuer au plan d’action les éventuelles améliorationsobservées. Néanmoins, ce qui est souvent visé dans une intervention, c’estl’amélioration pragmatique de la situation qu’elle soit liée à l’action elle-mêmeou à la mobilisation qu’elle a engendrée. La question centrale pour l’évaluationde la prévention organisationnelle est la définition d’un référentiel de bonnespratiques adapté qui dépasse les préconisations des essais randomisés contrôléset intègre les acquis des sciences sociales qui ont également travaillé dans ledomaine de l’évaluation des pratiques, des changements...

En ce qui concerne la prévention individuelle, malgré le nombre très impor-tant d’essais on n’arrive pas non plus à déterminer les paramètres détermi-nants pour leur bonne efficacité : durée minimale d’une action de gestionindividuelle du stress, évolution dans le temps des acquis et éventuelle réacti-vation ?

Se dégagent néanmoins quelques bonnes pratiques : nécessité d’une méthoderigoureuse respectant les trois phases évoquées plus haut (conception,

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« implémentation », évaluation), combinaison des préventions primaire,secondaire et tertiaire, actions organisationnelles qui tiennent compte desdifférences entre groupes de travailleurs, associations de méthodes d’évalua-tion quantitative et qualitative.

L’ancrage de la prévention des risques psychosociaux dans celle plus généraledes risques professionnels permet de prendre en compte plus systémati-quement ces nouveaux risques et de mettre en place des plans de préventionadaptés au contexte.

La prévention des risques psychosociaux (stress et violences) pourrait, chez lesindépendants, être associée à la promotion de la santé qui ne pose pas, chezces travailleurs, les mêmes problèmes éthiques que chez les salariés. Elle doitêtre envisagée comme une prévention globale (primaire, secondaire, ter-tiaire), intégrée dans la prévention des risques professionnels, collectives’appuyant sur les organisations professionnelles existantes et individuelles’appuyant sur les nouvelles technologies de communication, et bien cibléesur les contraintes spécifiques aux indépendants.

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16Surveillance et préventionselon le secteur d’activité

Ce chapitre vise à identifier les méthodes quantitatives et qualitatives quipermettent de dépister les situations de stress chez les travailleurs et à évaluerles systèmes nationaux de surveillance des facteurs de risque psychosociaux. Ilcomplète également le chapitre sur les types d’interventions de prévention etl’évaluation de leur efficacité en abordant plus spécifiquement les interven-tions centrées sur un secteur d’activité particulier ou sur la prévention d’unepathologie liée au stress. Outre les constats de la littérature internationale, cechapitre aborde l’analyse qualitative du travail à partir de données françaisesde pathologie clinique.

En préambule, seront précisés les concepts et définitions des notions de stresset de catégorie de travailleurs dits « indépendants » utilisés dans ce chapitre.

Travailleurs indépendants : qui sont-ils, que font-ils ?

Comme le souligne Barreau dans son ouvrage « Gérer le travail » (1999), dansles années 1950, la classification des situations d’emploi est relativement sim-ple. Elle est bipolaire. La population active se partage en effet à peu prèségalement entre le travail indépendant et le travail salarié. La multiplicationdes « emplois atypiques » (par exemple, temps partiel, CDD, intérim, groupe-ment d’employeurs) et la généralisation du salariat (plus de 80 % des actifs dansles années 1980 et 1990) ont éclipsé, depuis, cette répartition des années 1950.

Depuis les années 1970, et surtout depuis les années 1990 et 2000, on assiste àun développement des situations particulières d’emploi et de la précarité. Siparticularité ne signifie pas précarité, dans les faits, les situations particulièresd’emploi sont le plus souvent précaires. Cette précarité peut toucher le travailsalarié mais également le travail indépendant. L’analyse économique de laprécarité tient compte de trois éléments : la discontinuité (portant sur letemps de travail), le revenu (dont le niveau découle du taux de rémunérationet de la discontinuité) et la protection sociale. Ces éléments sont importants àconnaître et à prendre en compte dans les études concernant les travailleursindépendants puisqu’ils sont précisément un objet de préoccupation pour eux,comme les quelques explorations cliniques ou études qualitatives le montrent.

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En 2007, selon l’enquête Emploi de l’Insee (Chevalier et coll., 2008), lestravailleurs non-salariés constituaient environ 11 % de la population active etd’après une étude en 2005 du même organisme, les effectifs des non-salariés sesont remis à croître légèrement après avoir baissé dans les années 1990 : horsagriculteurs et aides familiaux, les non-salariés étaient aux alentours de1 900 000 en 2005. Cette population se caractérise par sa grande hétérogé-néité et une variabilité d’effectifs des différentes catégories dans le temps. Ony retrouve, outre les non-salariés agricoles et les aides familiaux, les artisans etcommerçants, les professions libérales (réglementées ou non), les professionsintermédiaires de la santé et du travail social. L’émergence de nouveauxstatuts, le cumul d’activités salariées et non-salariées viennent égalementbrouiller la segmentation traditionnelle entre travailleurs salariés et indépen-dants. Au sein même de ces différentes catégories, il peut y avoir des groupesaux caractéristiques de travail très variées comme par exemple celui desemployeurs qui regroupe des PDG salariés de leur propre entreprise dont lataille peut être considérable et des employeurs de quelques salariés. Pour plusde précisions, nous conseillons au lecteur de se reporter au chapitre surl’ébauche d’une sociologie des travailleurs indépendants.

Les études sur les conditions de travail et leurs effets sur la santé dans lapopulation des travailleurs salariés tiennent compte, parmi ceux-ci, des diffé-rentes catégories socioprofessionnelles (ouvriers, employés, cadre...). De lamême manière, les travaux chez les travailleurs indépendants doivent pou-voir, outre la question du genre, tenir compte de ces différentes catégories,dont les conditions de travail peuvent être très éloignées les unes des autres.

Stress au travail : quel modèle de compréhension ?

La première difficulté à laquelle nous nous trouvons confrontés est le fait quedans le langage commun le mot « stress » sert à désigner, à la fois, les facteursd’expositions pathogènes en milieu de travail (les « stresseurs ») et leurs effetssur la santé, tant physique que psychique, des travailleurs qui y sont soumis.Son usage familier dans le grand public et sa banalisation en font un excellentmode d’entrée pour tenter d’explorer le travail et son organisation pour tellepopulation particulière d’un côté, les conséquences pour leur santé et lesmoyens pour y faire face de l’autre. La compréhension des situations de travaildépend de la posture adoptée par l’observateur : « neutre » extérieur, prenantce qui est montré dans son travail par le travailleur observé pour la seuleréalité objective, ou bien s’intéressant au rapport subjectif du travailleur à sonactivité dans une dimension de compromis entre les exigences de l’organisa-tion prévue, la rationalité (les attentes, les désirs, les capacités physiques etpsychiques, les valeurs...) de l’individu et la rationalité du collectif d’apparte-nance (existant ou non).280

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Dépister le niveau de stress dans une situation de travail, dans une profession,dans une entreprise, implique de faire une analyse à partir d’indicateurs pourrepérer les facteurs de risque et leur impact sur la santé des travailleurs.

Un diagnostic à partir de l’analyse de la situation de travail utilise le plussouvent des outils développés sur la base de questionnaires et d’échelles quifont ensuite l’objet de traitements statistiques.

Mettre en place une intervention-action visant à réduire ou prévenir lessituations de stress et améliorer la santé des travailleurs fait appel à d’autresméthodologies, voire à d’autres concepts.

D’après les travaux explorés, la prééminence de plusieurs approches, diffé-rentes mais non opposables, de compréhension du stress sert de support auxinterventions visant à prévenir le stress en entreprise. L’une, déjà plusancienne, est le modèle transactionnel du stress au travail qui a été utilisé parl’INRS (Institut national de recherche et de sécurité), s’orientant vers uneévaluation cognitive des enjeux de la situation de travail et les stratégies misesen place pour garder le contrôle de cette situation. Une autre démarche,préconisée par l’INRS actuellement, s’appuie sur l’évaluation des contraintesau travail considérées comme pathogènes. Enfin, celle de la psychodynamiquedu travail s’intéresse au rapport subjectif du sujet à son travail, disciplineconstruite par Christophe Dejours (voir sa communication « La référence au« travailler » dans le rapport entre santé mentale et travail » à la fin de cetouvrage) à partir des concepts de souffrance liée au travail, de stratégiesdéfensives (collectives et/ou individuelles), de la confiance et de la coopéra-tion dans le travail, de la reconnaissance et de l’autonomie, dans un contextede travail qui a beaucoup changé depuis le début des années 1990.

Surveillance et dépistage

Dans cette partie seront abordés les différents outils de dépistage des situationsde stress ainsi que les systèmes nationaux de surveillance des facteurs de risquepsychosociaux mis en place dans les différents pays.

Outils de dépistage

On pourra, pour cette question des outils, utilement se reporter dans cetouvrage au chapitre portant sur les modèles et concepts pour l’évaluation desfacteurs psychosociaux et à celui sur les facteurs de stress et les mécanismespsychologiques. Le dépistage des facteurs de risque de stress et des atteintes àla santé peut être envisagé à un niveau individuel ou collectif.

De nombreux articles, surtout anglo-saxons, s’intéressent au dépistage et àl’évaluation collectifs, avec l’utilisation quasi exclusive d’une méthodologie

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d’enquête par questionnaire et le recours à des outils de mesure internationa-lement validés. Il est possible de distinguer ces outils selon trois catégories :ceux qui portent sur les facteurs de risque, à savoir les « stresseurs » ou lesfacteurs de stress liés au travail ; ceux qui évaluent les processus cognitifs dustress ; ceux qui évaluent les conséquences du stress en termes d’atteintes à lasanté ou d’attitudes au travail. Dans le tableau 16.I, quelques exemples de cesquestionnaires sont donnés.

Tableau 16.I : Exemples de questionnaires de stress traduits en français

Nom de l’outil Type d’évaluation

Job Content Questionnaire (Karasek) Facteurs de stress : demande psychologique,latitude décisionnelle, soutien social

Déséquilibre efforts-récompenses (Siegrist) Facteurs de stress : efforts et récompenses

Échelle de stress perçu (PSS) (Cohen et coll., 1983) Processus cognitifs du stress : stress perçu

Way of Coping Cheklist (WCC)(Vitaliano et coll., 1985)

Processus cognitif du stress : stratégies d’adaptation

General Health Questionnaire (GHQ)(Goldberg et Hillier, 1979)

Atteinte à la santé mentale : détresse psychologique

Maslach Burnout Inventory (MBI)(Maslach et Jackson, 1986)

Atteintes à la santé mentale et des attitudesau travail : burnout ou épuisement professionnel

Les outils de dépistage les plus couramment utilisés dans les études depuis unequinzaine d’années sont, du côté de la mesure des effets sur la santé, le MBI(Malasch Burnout Inventory), principalement en santé publique pour uneévaluation du burnout, et le GHQ (General Health Questionnaire) (différentesversions existent selon le nombre de questions, le GHQ 28 à 28 questions, leGHQ 12...), alors que les modèles de Karasek et Siegrist portent sur l’évalua-tion des contraintes de travail (enquêtes Sumer et Samotrace) pour la mesuredes contraintes vécues dans le travail. Le NHP (Notthingam Health Profile)utilisé en version française dans l’enquête Estev (enquête santé travail etvieillissement) au début des années 1990, semble, depuis, avoir été délaissé auprofit des outils cités ci-dessus. Actuellement, on observe fréquemment enFrance l’utilisation conjointe de questionnaires des modèles de Karasek et deSiegrist et du GHQ pour explorer les dimensions à la fois du côté travail et ducôté santé et faire une analyse du croisement de ces données.

Des articles, en particuliers francophones, assez peu nombreux comparati-vement à l’ensemble de la littérature explorée, font état d’études ou revuesd’indicateurs de risque de stress au travail au niveau de l’organisation dutravail. L’INRS (2007) a publié des documents destinés aux acteurs dans lechamp santé travail et aux acteurs de la prévention au travail comprenantaussi les membres de CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des condi-tions de travail) et les instances représentatives du personnel, pour les aider àdépister les risques psychosociaux, réaliser un diagnostic organisationnel et282

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construire une démarche de prévention (François et coll., 2006). Vézina etcoll. ont publié en 2006 une note de recherche pour définir les risques et sur laprévention des problèmes de santé mentale (avec utilisation des modèles deKarasek et de Siegrist). L’Institut national de santé publique du Québec(Direction des risques biologiques, environnementaux et occupationnels) aproduit, sous la direction de Michel Vézina en avril 2009, une grille d’identi-fication des risques psychosociaux au travail (INSPQ, 2009).

La recherche d’un indicateur universel unique qui permettrait d’évaluer lesrisques psychosociaux liés au travail dans toutes ses composantes (cf. RapportNasse-Légeron, 2008), idée séduisante de prime abord, est aujourd’hui rejetéepar la communauté scientifique du champ de la santé au travail.

Le Collège d’expertise sur le suivi statistique des risques psychosociaux autravail, constitué à la demande du ministère du Travail en France et présidé parMichel Gollac, a élaboré et fait connaître en octobre 2009 une batterie d’indi-cateurs provisoires autour de six axes : les exigences au travail, les exigencesémotionnelles, l’autonomie ou les marges de manœuvres, les rapports sociaux etrelations au travail, les conflits de valeurs, l’insécurité de l’emploi (Collèged’expertise, 2009). Ces indicateurs sont tirés essentiellement de deux sources :l’enquête Conditions de travail de 2005 réalisée par la Dares (Direction pourl’animation de la recherche et des statistiques, ministère du Travail) (Algava etVinck, 2009) et l’enquête Santé et itinéraire professionnel (SIP, 2007) del’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques), la Dareset la Drees (Direction de la recherche et des études sur la santé, ministère de laSanté). Ces sources de données incluent des informations sur les travailleursindépendants (agriculteurs et autres non-salariés).

Les premiers résultats sur les facteurs psychosociaux auxquels sont exposés lesindépendants sont présentés dans le chapitre sur les facteurs de risque psycho-sociaux au travail chez les indépendants. De façon synthétique, il en ressortque les travailleurs non-salariés (hors agriculteurs) sont plus que les autrestravailleurs exposés à une pression temporelle, à une complexité de tâches, àdes exigences émotionnelles dues aux relations avec le public et au fait d’avoirà cacher ses émotions. Ils sont plus nombreux à craindre pour leur emploi. Enrevanche, ils ont plus de marges de manœuvre et d’autonomie, ils sont moinssoumis à des conflits, ils estiment plus souvent que leur travail est reconnu à sajuste valeur. Ils sont moins nombreux que les salariés à estimer avoir à faire deschoses qu’ils réprouvent. Ils estiment pour la plupart avoir les moyens de faireun travail de qualité et ils se sentent, plus que les salariés, en capacité decontinuer leur activité jusqu’à l’âge de la retraite.

Compte tenu du fait que la catégorie « travailleurs non-salariés » n’est pashomogène, il serait souhaitable que ces indicateurs soient appliqués de façondifférenciée aux différentes catégories de travailleurs indépendants pour pou-voir analyser chaque groupe plus finement et pouvoir adapter l’offre de pré-vention de façon spécifique à chacun.

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Il faut également citer la post-enquête qualitative en Pays de la Loire réaliséeen 2008-2009 qui fait suite à l’enquête SIP de l’Insee de 2007 en populationgénérale (Guiho-Bailly et coll., 2009). Cette post-enquête a été réaliséesimultanément par la méthodologie de la psychodynamique du travail et parla méthodologie traditionnelle avec questions fermées et enquêteur profes-sionnel. Les résultats montrent que la méthodologie traditionnelle aboutit,pour les cas étudiés, à une sous-estimation des liens entre les choix de travailet de mobilité et les problèmes de santé qui peuvent en découler ou bien desliens entre le souci de préserver sa santé et l’itinéraire professionnel choisi ousubi. Si le suivi d’un script strict de questionnement facilite le traitementstatistique ultérieur, il enferme néanmoins la pensée du sujet dans un fonc-tionnement binaire réducteur et cloisonnant. Ce résultat est un élément deconnaissance important dont il faudrait pouvoir tenir compte dans le choix deméthodologie d’une investigation auprès des travailleurs indépendants.

Évaluation des systèmes nationaux de surveillance

Dollard et coll. (2007) ont procédé à une revue internationale des systèmesnationaux de surveillance des facteurs de risque psychosociaux auxquels sontexposés les travailleurs : 35 systèmes examinés dans 20 pays différents dont laFrance, avec l’enquête Sumer (Surveillance médicale des expositions et desrisques au travail) et l’enquête Conditions de Travail de la Dares. Il apparaîtqu’il n’y pas de mesure exhaustive des facteurs de risque recherchés par un seulsystème. La majorité des enquêtes évalue à la fois les caractéristiques dutravail et le contexte organisationnel et social du travail. Ainsi, les six carac-téristiques du travail le plus souvent inclues dans les systèmes de surveillancenationaux sont, par ordre : les horaires de travail, le degré d’influence surl’organisation de son travail (autonomie), la surcharge ou la sous charge detravail, les contraintes cognitives, le manque de variété dans le travail (mono-tonie). Sur l’aspect social et organisationnel du travail, les six caractéristiquesles plus communément mesurées dans toutes les enquêtes, sont la rémunéra-tion, la formation professionnelle, l’insécurité de l’emploi, le support par lahiérarchie, la coopération des collègues, les évolutions de carrière (possibilitésde promotion). On constate que les modèles de Karasek et Siegrist sont enadéquation avec cette taxonomie émergente de tous les systèmes de sur-veillance. L’usage très largement répandu dans le monde entier de ces deuxmodèles, faisant consensus du point de vue scientifique pour les chercheursdans le domaine de la santé au travail, contribue à ce résultat. Les consé-quences pour la santé et le bien-être des travailleurs, les plus fréquemmentrecherchées et mesurées sont la santé physique, la satisfaction au travail, lasanté mentale, le stress et les arrêts de travail. Si l’Europe et le Canada sont enpointe en nombre d’études et d’enquêtes à visée statistique sur un plannational, l’Australie défend un système de surveillance « compréhensive »avec une approche plus qualitative.284

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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Par ailleurs, il faut observer que les principaux facteurs émergents validés parla recherche et qui restent à intégrer dans les systèmes de surveillanceincluent : la demande émotionnelle, le harcèlement, les stresseurs aigus, lajustice organisationnelle, les changements organisationnels, les états psycho-logiques positifs et le bien-être.

Stress et secteur d’activités

Il n’existe pas d’échelle comparative entre les professions qui permettrait defaire une sorte de classement des plus touchées par le stress. En France,l’enquête Samotrace (Cohidon et coll., 2009), qui s’est déroulée en 2006-2008 en région Centre et deux régions limitrophes, permet de repérer dessecteurs d’activité professionnelle ou des catégories socioprofessionnelles oùles salariés enquêtés présentent une prévalence plus importante de « souf-france mentale » liée à leur travail, ou bien sont plus nombreux à être ensituation de « job strain » (modèle de Karasek). Les femmes déclarent plussouvent que les hommes, dans tous les secteurs d’activité, un « mal-êtreglobal » selon le questionnaire GHQ 28. Cependant, pour le secteur hôtels-cafés-restaurants, ce sont les hommes qui sont les plus nombreux à déclarer cemal-être. L’étude explore, de façon tout à fait originale, une contrainte detravail particulière, travailler d’une façon heurtant la conscience profession-nelle, dont l’impact psychique est régulièrement souligné dans les consulta-tions de « souffrance au travail ». Une ventilation par secteur professionnel etpar sexe a été faite. Sont concernés principalement les hommes dans lessecteurs des services collectifs, sociaux et personnels, l’administration publi-que, l’immobilier, la location et les services aux entreprises, le commerce, laréparation automobile et les articles domestiques, l’industrie manufacturière.Dans le secteur de la construction, il n’est pas anodin de constater qu’environ18 % des hommes de ce secteur déclarent travailler d’une façon heurtant leurconscience professionnelle.

Pour les femmes, les secteurs les plus touchés sont la santé-action sociale, ainsique les activités financières et les transports et communications. Cependant,en analyse multivariée, l’obligation de travailler d’une manière que l’onréprouve est associée au mal-être uniquement chez les hommes (OR=1,5 ;IC 95 % [1,1-2,1]).

Les résultats ne sont représentatifs que de la population enquêtée et enl’occurrence, il s’agit de travailleurs salariés et d’une étude transversale.L’objectif du Département santé travail de l’InVS, pilote du programme, estde pouvoir aboutir à un observatoire permanent de la santé mentale dessalariés en lien avec leur travail dans un nombre significatif de régions enFrance.

L’enquête Sumer, enquête transversale répétée en 1987, 1994, 2003 et 2009,portant sur au moins 50 000 salariés, permet de répertorier les contraintes de

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travail auxquelles ces salariés sont exposés, d’apprécier les risques psycho-sociaux par l’utilisation du modèle de Karasek et de déterminer desprévalences par catégorie socioprofessionnelle ou par secteur d’activité. Onconstate, selon les résultats de 2003, que tous les salariés sont touchés maisselon des degrés variables (Guignon et coll., 2008). En particulier, les ouvriersde type industriel, les ouvriers qualifiés de la manutention et les contremaîtrescumulent le plus de contraintes physiques, organisationnelles, de rythme et demanque d’autonomie (dénommés « Zola » dans la figure 16.1A). Ces tra-vailleurs qui représentent 5 % de la population-salariée se retrouvent enbeaucoup plus grand nombre dans la catégorie « job strain » (figure 16.1B),situation liée à la survenue plus fréquente de syndromes dépressifs et demaladies cardiovasculaires.

L’intérêt du dépistage des contraintes dans le travail et des atteintes à la santéselon le sexe, le secteur d’activité ou la catégorie socioprofessionnelle résidedans la possibilité de faire des choix d’actions de prévention plus ciblés ouprioritaires et d’alimenter le débat social, tant en interne dans l’entreprisequ’en externe dans la société.

Toutefois, disposer uniquement de données par secteurs d’activité ou parcatégories socioprofessionnelles serait immanquablement radicalementréducteur puisque les situations de stress en lien avec le travail sont à analyserau regard de l’organisation du travail particulière dans laquelle un travailleurou un groupe de travailleurs sont plongés. Cette organisation, particulière àchaque entreprise, est susceptible de changer à tout moment sous l’effet desefforts conjoints ou non des organisateurs du travail et de leurs subordonnés.Parallèlement à l’approche par profession ou secteur d’activité, il convient des’intéresser au type d’organisation du travail, aux contraintes qu’elle génèrepour chacun à chaque niveau de responsabilité, et par conséquent, aux déter-minants de l’activité de travail de la population que l’on souhaite observer.

Interventions de prévention selon les secteurs d’activitéou les pathologies

Les populations qui font l’objet d’études d’évaluation des interventions visantà prévenir le stress au travail sont constituées quasi exclusivement de tra-vailleurs salariés du secteur privé ou public. Il s’agit essentiellementd’employés (« cols blancs » et « managers ») dans les secteurs du soin, dans leshôpitaux ou le soin à domicile (médecins généralistes, dentistes, psychiatres,infirmières et aides soignants, cadres de santé), du médico-social (fonctionpublique territoriale), de la Poste ou des télécommunications, du secteur desservices. Nous disposons d’une enquête chez les avocats et d’une autre chez lesdirigeants « senior ».286

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Figure 16.1 : Professions et secteurs d’activité cumulant le plus de contraintes,les « Zola » (5 % de la population-salariée) (A) et leur exposition au job strain deKarasek (B) comparée aux autres catégories de travailleurs (d’après l’enquête Sumer2003, Dares-Dgt)(A) La proportion de salariés exposés au bruit est 8,5 fois plus importante chez les« Zola » que chez les autres salariés ; (B) médiane du score du questionnaire pour latotalité des 25 000 auto-questionnaires recueillis : 71 pour la latitude décisionnelle et 21pour la demande psychologique.

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Surveillance et prévention selon le secteur d’activité

Page 303: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

Nous n’avons retrouvé qu’une étude portant sur des travailleurs indépendants(Blonk et coll., 2006). Cette étude compare deux types d’interventions, l’unede thérapie cognitivo-comportementale, l’autre d’une action combinée sur letravail et les individus, dans une population de travailleurs indépendantsprésentant des plaintes de la sphère psychique telles que anxiété, dépression etburnout.

Une évaluation des pratiques de diagnostic de stress et des interventions deprévention a été menée par Hansez et coll. (2009) au sein de 180 entreprisesbelges couvrant de nombreux secteurs d’activité. Les auteurs relèvent lesfacteurs bloquants ou stimulants pour passer du diagnostic à l’élaboration d’unplan d’actions et aux interventions. Ils constatent qu’il existe de plus en plusd’interventions centrées sur l’environnement de travail au détriment de cellesplus traditionnelles portant sur les travailleurs, et que les interventions visentmaintenant le plus souvent les facteurs de risque psychosociaux dans le travailque les stresseurs physiques. Les auteurs montrent que les facteurs facilitant lamise en place d’interventions après diagnostic sont du côté de la communica-tion, de la participation des « acteurs clés » et de la méthodologie utilisée, lesfacteurs gênants étant liés aux aspects temporels et financiers ainsi qu’auxchangements d’organisation. Des actions de sensibilisation sont d’autant plusnécessaires que la taille de l’entreprise est faible. L’usage de questionnairesdans les PME-TPE serait un outil inadapté. Il s’agit là, également, d’unélément à retenir pour d’éventuelles interventions auprès de travailleursindépendants.

La profession non-salariée pour laquelle nous disposons de quelques étudesquantitatives et/ou qualitatives est une profession libérale (profession régle-mentée en France), celle de médecin généraliste (general practitioner). Cesétudes ont été menées aux États-Unis et aux Pays-Bas (Linzer et coll., 2001),en France (Davezies et Daniellou, 2002), au Royaume-Uni (Garelick et coll.,2007), en Suède (Kjeldmand et Holmstrom, 2008 ; Peterson et coll., 2008) etau Canada (Lee et coll., 2008). L’objet de ces études vise essentiellement àdépister et évaluer l’importance du burnout dans cette profession en utilisant,le plus souvent, les critères du Malasch Burnout Inventory (MBI) et d’enévaluer l’impact sur le devenir professionnel. Quelques études se sont intéres-sées aux dispositifs spécifiques de soins mis à disposition de ces professionnels(prévention tertiaire) en termes de facilités d’accès et d’efficacité. Deux étu-des (Kjeldmand et Holmstrom, 2008 ; Peterson et coll., 2008) montrentl’efficacité de la prévention du burnout chez les médecins généralistes fondéesur la participation à des groupes Balint (travail en groupe de pairs etconstruction de règles de métier) ou l’analyse de pratiques entre pairs.

Deux études portent sur les dentistes, partant du fait que cette professionprésenterait un haut niveau de stress professionnel selon les quelques travauxdéjà menés. La première (Newton et coll., 2006) discute essentiellement dequestions méthodologiques des interventions et de la nécessité de combinerdes interventions de type « structuré » et « non structuré ». La seconde étude288

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

Page 304: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

(Gorter et coll., 2007) analyse les facteurs qui contribuent au sentiment de nepas être préparé au métier chez les jeunes dentistes. Elle attire l’attention surla nécessité d’inclure des cours sur les pratiques de management dans laformation initiale et le besoin d’un suivi régulier des praticiens pour dépisterle burnout. Pour la France, nous disposons de données quantitatives pour lapopulation des travailleurs non-salariés dans deux des enquêtes citées plushaut : l’enquête Conditions de travail de la Dares (dernière édition 2005) etl’enquête SIP de l’Insee.

Quant aux interventions ciblées selon les secteurs d’activité ou les pathologies(tableaux 16.II à 16.IX), leur objectif de prévention se double en générald’une recherche de confirmation de l’exposition d’une catégorie profession-nelle d’une part et des liens de causalité entre les facteurs psychosociaux autravail et les manifestations pathologiques d’autre part. Les pathologies phy-siques (troubles musculosquelettiques y compris les lombalgies, pathologiescardiovasculaires) comme les pathologies psychiques (dépression, burnout etdivers désordres de santé mentale) peuvent être évaluées. Il est remarquable,en outre, de constater que les niveaux de prévention visés dans ces différentesinterventions ne sont pas uniformément répartis : sur 57 articles, 35 traitentde prévention tertiaire avec des actions portant essentiellement sur les indivi-dus et leurs perceptions, ainsi que sur la gestion individuelle du stress (stressmanagement) ; seulement 11 articles traitent de prévention primaire avecanalyse du vécu du travail et action sur l’organisation du travail.

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Surveillance et prévention selon le secteur d’activité

Page 305: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

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Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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Surveillance et prévention selon le secteur d’activité

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Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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entio

npa

rtici

pativ

eet

inté

grat

ion

depa

ram

ètre

ser

gono

miq

ues

dans

l’org

anis

atio

n

Étud

elo

ngitu

dina

lede

sca

ract

éris

tique

sde

sch

ange

men

tsda

nsle

trava

il

Kara

sek

Moo

dad

ject

ive

chec

klis

tC

onfo

rtdu

trava

ilsu

ror

dina

teur

(éch

elle

de9

poin

ts)

40gr

oupe

sd’

empl

oyés

trava

illant

sur

term

inal

àéc

ran

dans

11en

trepr

ises

publ

ique

sou

priv

ées

Parti

cipa

tion

etin

tégr

atio

ner

gono

miq

ueso

ntpl

usdi

ffici

les

àm

ener

àbi

enqu

and

ily

ade

man

defo

rte,s

tress

élev

éet

supp

orts

ocia

lfai

ble.

Krau

seet

coll.

,20

10Pr

éven

tion

seco

ndai

reÉt

ude

long

itudi

nale

chez

165

télé

opér

ateu

rsEs

said

’inte

rven

tion

ergo

nom

ique

rand

omis

éeEn

quêt

epr

é-et

post

-in

terv

entio

npa

rqu

estio

nnai

re

Effo

rt-R

ewar

dIm

bala

nce

(ER

I)Te

mps

d’ut

ilisat

ion

del’o

rdin

ateu

rau

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ilet

àla

mai

son

Don

nées

ergo

nom

ique

sdu

post

ede

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ilAc

tivité

sde

lois

irsC

arac

téris

tique

sin

divi

duel

les

des

trava

illeur

s

TMS

:cou

,épa

ules

etm

embr

essu

périe

urs

Lien

sign

ifica

tifen

treun

scor

eél

evé

ERIe

taug

men

tatio

ndo

uleu

rsm

embr

esu

périe

urdr

oit

Pas

delie

nsi

gnifi

catif

avec

les

chan

gem

ents

auni

veau

duco

u,ép

aule

sou

mem

bre

supé

rieur

gauc

he

Elo

etco

ll.,2

008

Prév

entio

nte

rtiai

reIn

terv

entio

nde

gest

ion

dust

ress

Enqu

ête

pré-

etpo

st-

inte

rven

tion

à2

ans

dedi

stan

ce

Entre

tiens

qual

itatif

sM

BI-G

S1

ques

tion

sur

stre

ssW

ork

Abilit

yIn

dex

(WAI

)

Burn

out

Entre

pris

em

unic

ipal

e,fo

nctio

npu

bliq

ueLa

parti

cipa

tion

activ

ede

sem

ploy

ésa

unef

fetp

ositi

fsur

les

reto

urs

dela

hiér

arch

ieet

sur

laci

rcul

atio

nde

sin

form

atio

ns.

Leni

veau

depa

rtici

patio

nn’

estp

aslié

aubi

en-ê

trein

divi

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.O

bser

vatio

nde

sco

mpo

rtem

ents

,pa

sd’

anal

yse

dutra

vail

AN

ALY

SE

295

Surveillance et prévention selon le secteur d’activité

Page 311: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

Réf

éren

ces

Cat

égor

ieTy

pein

terv

entio

nM

étho

dolo

gie

Out

ilsEf

fets

sant

ém

esur

ésR

ésul

tats

Gat

ty,2

004

Prév

entio

nte

rtiai

re4

heur

esd’

entra

înem

enti

ndiv

idue

lch

ez16

empl

oyés

debu

reau

Essa

ilon

gitu

dina

lran

dom

isé

eten

para

llèle

Gro

upe

avec

entra

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ent

Gro

upe

cont

rôle

TMS

Stre

ssN

ivea

ud’

éner

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Impa

ctpo

sitif

auni

veau

des

yeux

,du

cou,

des

épau

les,

coud

eset

poig

nets

àla

11e

sem

aine

mai

sau

gmen

tatio

nde

scé

phal

ées

Mod

ifica

tion

min

ime

dust

ress

etdu

nive

aud’

éner

gie

Dim

inut

ion

duno

mbr

ede

jour

sd’

arrê

tdur

antl

em

ois

del’in

terv

entio

n

Hät

inen

etco

ll.,

2007

Prév

entio

nte

rtiai

reC

ompa

rais

onen

treun

ein

terv

entio

npa

rtici

pativ

eet

une

inte

rven

tion

tradi

tionn

elle

Écha

ntillo

nde

110

empl

oyés

Inte

rven

tion

sur

les

indi

vidu

s(th

érap

ieet

rela

xatio

n)et

iden

tifica

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des

élém

ents

dest

ress

autra

vail

Idem

+co

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atio

nav

ecle

sre

prés

enta

nts

dupe

rson

nele

tac

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sur

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stre

sseu

rsid

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ésM

BI-G

STi

me

pres

sure

atw

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Job

cont

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wor

kpla

cecl

imat

e,sa

tisfa

ctio

nw

ithsu

perv

isor

Burn

out

Mei

lleur

«jo

bco

ntro

l»es

tlié

àun

edi

min

utio

nde

l’épu

isem

ente

tdu

«cy

nici

sme

».La

mét

hode

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tive

estp

lus

effic

ace

pour

lapr

éven

tion

dubu

rnou

t.

Kaw

ahar

ada

etco

ll.,2

007

Prév

entio

nse

cond

aire

Étud

ede

sre

latio

nsen

trest

ress

autra

vail

etse

ptca

tégo

ries

d’em

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Auto

-que

stio

nnai

res

ERI

Job

Dem

and-

Con

trolM

odel

(JD

C)

Anxi

été

Dép

ress

ion

Stre

ssso

mat

ique

Diff

éren

cede

nive

aude

stre

sssu

ivan

tles

diffé

rent

esca

tégo

ries,

résu

ltats

diffé

rent

ssu

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tle

mod

èle

utilis

é,di

ffére

nces

hom

mes

/fem

mes

,diff

éren

ces

ouvr

iers

/tech

nici

ens

etm

anag

ers

296

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

Page 312: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

Réf

éren

ces

Cat

égor

ieTy

pein

terv

entio

nM

étho

dolo

gie

Out

ilsEf

fets

sant

ém

esur

ésR

ésul

tats

Kaw

ahar

ada

etco

ll.,2

009

Prév

entio

nte

rtiai

rePr

ogra

mm

ed’

entra

înem

entg

estio

ndu

stre

ssN

on-ra

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ized

cont

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dtri

alW

ays

ofC

opin

gC

heck

list(

WC

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,Li

cker

tsca

lePe

rcie

vehe

alth

Com

pete

nce

Scal

e(P

HC

S)

Anxi

été

Fatig

ueD

épre

ssio

nSt

ress

som

atiq

ue

Pas

d’ef

feto

bser

vé,é

chan

tillo

nde

popu

latio

ntro

ppe

tit

Kirk

etBr

own,

2003

Prév

entio

nte

rtiai

rePr

ogra

mm

ed’

assi

stan

ce,c

onse

ilset

cons

ulta

tions

sur

lelie

ude

trava

il:h

isto

rique

etdé

velo

ppem

ente

nAu

stra

lie

Éval

uatio

ndu

prog

ram

me

Bien

-être

autra

vail

Pas

d’in

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nsu

rle

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ilL’

effe

tser

aitb

énéfi

que

sur

lasa

nté

men

tale

des

empl

oyés

.

Dah

l-Jor

gens

enet

coll.

,200

5R

eche

rche

Prév

entio

npr

imai

reD

eux

inte

rven

tions

auni

veau

orga

nisa

tionn

elda

nsle

sect

eur

des

serv

ices

,une

dans

une

mun

icip

alité

,l’a

utre

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unce

ntre

com

mer

cial

Util

isat

ion

d’in

dica

teur

sde

sant

éut

ilisés

avan

t-apr

èsin

terv

entio

nO

bser

vatio

nsIn

terv

iew

s

Job

diss

atis

fact

ion

Stre

ssÉp

uise

men

tém

otio

nnel

Abse

ntéi

sme

Cha

ngem

entp

ositi

fsur

seul

emen

tde

uxva

riabl

esde

sant

éch

ezle

sem

ploy

ésdu

cent

reco

mm

erci

al,

pas

dech

ange

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tche

zle

sem

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ésm

unic

ipau

xAn

alys

equ

alita

tive

des

donn

ées

:rô

lede

sco

ntra

inte

sde

tem

ps,d

uco

ntac

tave

cle

publ

icet

des

diffé

rent

sm

odes

d’or

gani

satio

nEx

amen

d’un

epo

ssib

leex

tens

ion

dece

type

d’in

terv

entio

nda

nsle

sect

eur

des

serv

ices

AN

ALY

SE

297

Surveillance et prévention selon le secteur d’activité

Page 313: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

Tabl

eau

16.V

I:In

terv

enti

ons

pour

les

ouvr

iers

Réf

éren

ces

Cat

égor

ieTy

pein

terv

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nM

étho

dolo

gie

Out

ilsEf

fets

sant

ém

esur

ésR

ésul

tats

Tsut

sum

ietc

oll.,

2009

Prév

entio

nte

rtiai

reÉv

alua

tion

d’un

ein

terv

entio

npa

rtici

pativ

eC

lust

erR

ando

miz

edC

ontro

lled

Tria

lG

HQ

28H

ealth

and

Wor

kPe

rform

ance

Que

stio

nnai

re(H

PQ)

Vers

ion

japo

nais

edu

Kara

sek

(JC

Q)

Sant

ém

enta

leLa

parti

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tion

àl’in

terv

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nes

tlié

une

amél

iora

tion

dela

sant

ém

enta

le.

Tabl

eau

16.V

II:

Inte

rven

tion

sci

blée

ssu

rla

prév

enti

onde

str

oubl

esm

enta

ux

Réf

éren

ces

Cat

égor

ieTy

pein

terv

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nM

étho

dolo

gie

Out

ilsEf

fets

sant

ém

esur

ésR

ésul

tats

Cor

bièr

eet

coll.

,20

09R

eche

rche

Rev

uede

litté

ratu

re20

01-2

006

Prév

entio

npr

imai

re(8

inte

rven

tions

)Pr

éven

tion

seco

ndai

re(1

4in

terv

entio

ns)

Prév

entio

npr

imai

reet

seco

ndai

reco

mbi

nées

(2in

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ns)

Cot

rell’s

conc

eptu

aliz

atio

nKa

rase

kSi

egris

t

Sant

ém

enta

leFa

cteu

rsps

ycho

soci

aux

dans

l’env

ironn

emen

ttra

vail

Impo

rtanc

ed’

inte

rven

irà

deux

nive

aux

:in

divi

duel

etor

gani

satio

nnel

298

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

Page 314: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

Réf

éren

ces

Cat

égor

ieTy

pein

terv

entio

nM

étho

dolo

gie

Out

ilsEf

fets

sant

ém

esur

ésR

ésul

tats

Qui

cket

coll.

,199

2R

eche

rche

Rev

uede

litté

ratu

rePr

éven

tion

terti

aire

Ges

tion

dust

ress

Con

text

ede

prom

otio

nde

lasa

nté,

d’éd

ucat

ion

ettra

item

ent

Stre

ssSa

nté

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Néc

essi

téde

:réf

éren

ces

pour

les

conn

aiss

ance

s,re

pére

rle

sgr

oupe

risqu

e,st

anda

rdis

atio

nde

l’éva

luat

ion

dust

ress

etde

lasa

nté

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,cré

erde

sgu

ides

pour

inte

rven

tion,

étab

lirde

scr

itère

sde

mes

ure

d’im

pact

des

inte

rven

tions

Pas

d’an

alys

edu

trava

il

Van

Oos

trom

etco

ll.,

2007

Rec

herc

heIn

terv

entio

nsu

rle

lieu

detra

vail

visa

ntà

dim

inue

rla

duré

ede

sar

rêts

detra

vail

Prév

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nte

rtiai

re

«In

terv

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nm

appi

ng»

Mod

epa

rtici

patif

Gro

upe

d’en

tretie

nra

ssem

blan

tsu

jets

stre

ssés

autra

vail,

supe

rvis

eurs

etm

édec

indu

trava

il

Tem

psde

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urau

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ilLe

reto

urau

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ilse

rait

tribu

taire

d’un

chan

gem

entd

eco

mpo

rtem

ent,

prés

enta

tion

dela

mét

hode

,tra

vail

sur

les

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tions

hum

aine

set

les

perc

eptio

ns,p

asd’

expl

orat

ion

dutra

vail.

Bakk

eret

coll.

,200

7R

eche

rche

Éval

uatio

nde

l’effi

caci

téen

soin

spr

imai

res

d’un

ein

terv

entio

nch

ezde

spa

tient

sen

arrê

tde

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ilpo

urde

stro

uble

sm

enta

uxlié

sau

stre

ssPr

éven

tion

terti

aire

Com

para

ison

dede

uxgr

oupe

s(c

lust

erra

ndom

ized

trial

):M

inim

alin

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nfo

rst

ress

-re

late

dm

enta

ldis

orde

rsan

dsi

ckle

aves

(MIS

S)us

ualc

are

Arrê

tsde

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ilD

épre

ssio

nAn

xiét

éSo

mat

isat

ions

Aucu

nef

fetc

onst

até

del’in

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nTr

avai

lnon

expl

oré

Inte

rven

tion

enm

ilieu

deso

ins

Cou

ser,

2008

Rec

herc

heR

evue

delit

téra

ture

Ges

tion

dust

ress

Prév

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nde

ladé

pres

sion

autra

vail

Prév

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nte

rtiai

re

Prob

lèm

ede

défin

ition

spr

éven

tions

prim

aire

etse

cond

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:obs

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tion

uniq

uem

entd

esin

divi

dus

etde

sgr

oupe

s

Dép

ress

ion

(DSM

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Aucu

neex

plor

atio

ndu

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ilC

oncl

usio

ns:d

ével

oppe

rla

rési

lienc

ein

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le,d

épis

ter

les

indi

vidu

haut

risqu

ede

dépr

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on,a

mél

iore

rl’o

rgan

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ion

del’é

duca

tion

des

popu

latio

ns(li

tera

cy),

orga

nise

run

syst

ème

deso

ins

ensa

nté

autra

vail

perm

etta

ntl’a

ccès

àun

ein

terv

entio

nde

qual

itépr

oact

ive

AN

ALY

SE

299

Surveillance et prévention selon le secteur d’activité

Page 315: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

Réf

éren

ces

Cat

égor

ieTy

pein

terv

entio

nM

étho

dolo

gie

Out

ilsEf

fets

sant

ém

esur

ésR

ésul

tats

Mar

tinet

coll.

,200

9R

eche

rche

Inte

rven

tion

prom

otio

nde

lasa

nté

sur

lelie

ude

trava

ilPr

éven

tion

terti

aire

Mét

a-an

alys

e19

97-2

007

MBI

Dep

ress

ion,

Anxi

ety,

Stre

ssSc

ales

(DAS

S)Be

ckD

epre

ssio

nIn

vent

ory

(BD

I)G

HQ

12H

ospi

talA

nxie

tyD

epre

ssio

nSc

ale

(HAD

S)

Dép

ress

ion

etan

xiét

éAu

cune

expl

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dutra

vail

Effe

tmin

eur

des

inte

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tions

dece

type

Effe

tide

ntiq

uede

sin

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nsci

blan

tla

sant

ém

enta

ledi

rect

emen

tetd

ece

lles

cibl

antd

’aut

res

fact

eurs

deris

que

Mor

riset

Har

dest

y,20

02R

eche

rche

Poin

tsur

les

conn

aiss

ance

sD

épre

ssio

nau

trava

ilPr

éven

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terti

aire

Rev

uede

sco

ncep

tsSt

ress

Dép

ress

ion,

burn

out(

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BI)

Dép

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ion

Rôl

ede

lahi

érar

chie

:D

étec

ter

les

dépr

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fsPr

opos

erde

spr

ogra

mm

esde

gest

ion

dust

ress

Amél

iore

rle

sco

nditi

ons

detra

vail

Vezi

na,2

008

Prév

entio

npr

imai

reIn

terv

entio

nsu

rl’o

rgan

isat

ion

dutra

vail

Que

stio

nnai

res

Kara

sek

Sieg

rist

Sant

ém

enta

leSu

ppor

tsoc

ial

Dém

arch

epa

rtici

pativ

est

ruct

urée

Gro

upe

deso

utie

l’inte

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Six

étap

es:f

ocus

grou

pe,n

atur

edu

prob

lèm

e,ty

pes

d’ac

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àré

alis

er,

dési

gnat

ion

dela

pers

onne

resp

onsa

ble,

l’éch

éanc

ier,

les

critè

res

d’év

alua

tion

Inte

rven

tion

dans

unpl

ande

sant

épu

bliq

ue

300

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

Page 316: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

Réf

éren

ces

Cat

égor

ieTy

pein

terv

entio

nM

étho

dolo

gie

Out

ilsEf

fets

sant

ém

esur

ésR

ésul

tats

Arth

ur,2

002

Prév

entio

nse

cond

aire

ette

rtiai

re

Dép

ista

geet

surv

eilla

nce

desa

larié

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esps

ychi

ques

(sec

teur

publ

icen

Gra

nde-

Bret

agne

)

Que

stio

nnai

reG

HQ

12C

onse

ilset

prog

ram

mes

d’as

sist

ance

indi

vidu

elle

Sant

ém

enta

leAu

cune

expl

orat

ion

dutra

vail

Dép

ista

gede

prob

lèm

esps

ychi

ques

chez

des

sala

riés

:24

%de

parti

cipa

tion,

86%

ontu

nsc

ore

>4

avec

beso

inde

soin

sO

rigin

ede

spr

oblè

mes

(opi

nion

des

inté

ress

és):

70%

pers

onne

lle,3

0%

trava

il

Blon

ket

coll.

,200

6Pr

éven

tion

prim

aire

ette

rtiai

reco

mbi

nées

Inte

rven

tion

chez

122

trava

illeur

sin

dépe

ndan

tspa

rth

érap

ieco

gniti

vo-

com

porte

men

tale

(CBT

):co

mpa

rais

onde

deux

grou

pes

etsu

ivià

4et

10m

ois

MBI

vers

ion

NL

DAS

SG

roup

eC

BT+

inte

rven

tion

com

biné

e(c

onse

ilssu

rla

char

gede

trava

il,jo

bde

man

ds...

ette

chni

ques

indi

vidu

elle

sd’

éduc

atio

nps

ychi

que)

Gro

upe

CBT

seul

e

Arrê

tsde

trava

ilD

épre

ssio

nAn

xiét

éBu

rnou

t

Pour

legr

oupe

àin

terv

entio

nco

mbi

née

:effe

tsig

nific

atif

sur

lere

tour

autra

vail

(moi

ns20

0jo

urs

d’ar

rêt),

pas

d’ef

fets

urla

souf

franc

elié

eau

trava

il,la

repr

ise

dutra

vail

nedi

min

uepa

sla

souf

franc

eau

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ilou

cette

dim

inut

ion

n’es

tpas

néce

ssai

rem

entl

iée

àla

repr

ise

dutra

vail

Min

oet

coll.

,200

6Pr

éven

tion

seco

ndai

reet

terti

aire

Prog

ram

me

dege

stio

ndu

stre

ssR

CT

(Ran

dom

ized

cont

rolle

dtri

al)

ERI

GH

Q30

Cen

ter

for

Epid

emio

logi

cSt

udie

sfo

rD

epre

ssio

n(C

ES-D

)

Sant

ém

enta

leD

épre

ssio

nEf

fets

pote

ntie

lsou

nuld

upr

ogra

mm

e,ch

ezde

sem

ploy

ésda

nsun

trava

ilha

utem

ents

tress

ant

Pas

d’ex

plor

atio

ndu

trava

il

Pers

eius

etco

ll.,

2007

Prév

entio

npr

imai

reet

seco

ndai

reD

épis

tage

del’e

ffetd

ela

mis

een

œuv

red’

une

thér

apie

com

porte

men

tale

spéc

iale

pour

suic

idan

ts

MBI

Burn

out

Este

ffica

ce:l

etra

vail

colle

ctif,

ladi

scus

sion

entre

pairs

,la

supe

rvis

ion,

l’ent

raîn

emen

tspé

cial

pour

thér

apeu

tes

AN

ALY

SE

301

Surveillance et prévention selon le secteur d’activité

Page 317: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

Réf

éren

ces

Cat

égor

ieTy

pein

terv

entio

nM

étho

dolo

gie

Out

ilsEf

fets

sant

ém

esur

ésR

ésul

tats

Nic

kele

tcol

l.,20

07Pr

éven

tion

terti

aire

Prog

ram

me

d’en

traîn

emen

tco

mpo

rtem

enta

let

psyc

ho-é

duca

tifR

CT

pros

pect

if

Pres

sion

syst

oliq

ue(te

nsio

nar

térie

lle)

Cor

tisol

saliv

aire

auré

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Trie

rIn

vent

ory

forA

sses

smen

tof

Chr

onic

Stre

ss(T

ICS)

Stat

eTr

aitA

nger

Expr

essi

onIn

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(STA

XI)

Shor

tFor

mH

ealth

Surv

ey(S

F36)

Stre

ssAn

xiét

éSa

nté

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TAet

corti

sol

L’ap

plic

atio

ndu

prog

ram

me

min

ore

tous

les

para

mèt

res.

Effic

acité

dans

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item

entd

esho

mm

espr

ésen

tant

dust

ress

chro

niqu

elié

àun

esu

rcha

rge

detra

vail

Woo

etPo

stol

ache

,20

08Pr

éven

tion

seco

ndai

reet

terti

aire

Dép

ista

geet

prog

ram

me

d’éd

ucat

ion

Kara

sek

Sieg

rist

Trou

bles

del’h

umeu

rSu

icid

eset

idée

ssu

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aire

slié

esau

trava

il

Prog

ram

me

visa

ntà

:Pr

ise

deco

nsci

ence

,édu

catio

n,dé

pist

age

préc

oce,

«N

umér

ove

rt»

(hot

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assi

tanc

e),c

onse

ils,c

ontrô

les

méd

icau

lare

cher

che

d’id

ées

suic

idai

res

Land

sman

-Dijk

stra

etco

ll.,2

006

Prév

entio

nte

rtiai

rePr

ogra

mm

ede

gest

ion

dust

ress

par

sém

inai

reho

rstra

vail,

avec

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nsu

rle

corp

set

l’esp

rit

Res

iden

tialB

ody

Awar

enes

sPr

ogra

m(B

AP),

3-da

yspr

ogra

mW

orki

ngw

ithbo

dyW

orki

ngw

ithm

ind

Cre

ativ

ese

ssio

nbo

dily

sens

atio

nsan

dth

ough

ts

Sym

ptôm

esps

ycho

som

atiq

ues

chro

niqu

esas

péci

fique

s(C

APS)

Effic

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dupr

ogra

mm

eju

squ’

à12

moi

spl

usta

rdM

odifi

catio

ndu

styl

ede

vie

etau

gmen

tatio

ndu

cont

rôle

dust

ress

Stre

sset

ses

sym

ptôm

esm

ieux

supp

orté

sAu

cune

expl

orat

ion

dutra

vail

Sche

neet

coll.

,200

7Pr

éven

tion

terti

aire

Thér

apie

par

letra

vail

desu

jets

dépr

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fsD

SMIV

Moo

ddi

sord

ers

Que

stio

nnai

reO

rgan

isat

ion

stre

ss(Q

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Dép

ress

ion

Ret

our

autra

vail

Coû

tdu

stre

ss

Trai

tem

entm

édic

amen

teux

etth

érap

iepa

rle

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il:p

asd’

influ

ence

sur

ladé

pres

sion

,réd

uctio

ndu

nom

bre

dejo

urs

d’ar

rêtd

etra

vail,

pas

dem

odifi

catio

ndu

stre

sslié

autra

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coût

infé

rieur

ause

ultra

item

ent

méd

icam

ente

uxPa

sd’

expl

orat

ion

dutra

vail

302

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

Page 318: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

Tabl

eau

16.V

III:

Inte

rven

tion

sci

blée

ssu

rla

prév

enti

onca

rdio

vasc

ulai

re

Réf

éren

ces

Cat

égor

ieTy

pein

terv

entio

nM

étho

dolo

gie

Out

ilsEf

fets

sant

ém

esur

ésR

ésul

tats

Ree

set

coll.

,200

4R

eche

rche

Prév

entio

nte

rtiai

reR

evue

delit

téra

ture

Inte

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tions

psyc

holo

giqu

esch

ezde

sm

alad

esco

rona

riens

Prog

ram

mes

dege

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ndu

stre

ss:

com

preh

ensi

veca

rdia

cre

habi

lita-

tion

prog

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Mor

talit

épa

rtro

u-bl

eca

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que

Pas

d’ef

fets

urla

mor

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éD

imin

uel’a

nxié

téet

ladé

pres

sion

Aucu

neex

plor

atio

ndu

trava

il

Luci

niet

coll.

,200

7Pr

éven

tion

terti

aire

Prog

ram

me

dege

stio

ndu

stre

sspa

rre

stru

ctur

atio

nco

gniti

veet

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xatio

nch

ezde

cols

blan

cs»

pour

lapr

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tion

des

mal

adie

sca

rdio

vasc

ulai

res

Entre

tiens

sem

i-dire

ctifs

DSM

IVLi

cker

tlin

ear

anal

ogue

scal

eSu

bjec

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Stre

ss-re

late

dSo

mat

icSy

mpt

oms

Que

stio

nnai

re(A

S-Q

)EC

G

Dys

régu

latio

ndu

syst

ème

nerv

eux

auto

nom

eSy

mpt

ômes

dest

ress

Tens

ion

arté

rielle

L’ap

plic

atio

ndu

prog

ram

me

augr

oupe

detra

vaille

urs

quip

rése

n-ta

ient

unha

utni

veau

dest

ress

,un

ehy

perte

nsio

net

une

dysr

égul

a-tio

ndu

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ème

nerv

eux

auto

nom

ea

entra

îné

une

norm

alis

atio

nde

spa

ram

ètre

s.

Wal

ton

etco

ll.,

2005

Prév

entio

nte

rtiai

reAc

tion

sur

les

indi

vidu

spa

run

prog

ram

me

dem

édita

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trans

cen-

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ale

Stre

ss«

psyc

hoso

cial

»M

alad

ies

card

io-

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ulai

res

Plai

doye

rpo

urin

trodu

irela

mét

hode

dans

des

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ram

mes

natio

naux

etle

sas

sura

nces

écon

omie

sas

suré

es»

Réd

uctio

nd’

aum

oins

80%

des

récl

amat

ions

auni

veau

des

assu

-ra

nces

méd

ical

esAu

cune

expl

orat

ion

dutra

vail

AN

ALY

SE

303

Surveillance et prévention selon le secteur d’activité

Page 319: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

Tabl

eau

16.I

X:

Inte

rven

tion

sci

blée

ssu

rla

prév

enti

onde

slo

mba

lgie

set

trou

bles

mus

culo

sque

lett

ique

s

Réf

éren

ces

Cat

égor

ieTy

pein

terv

entio

nM

étho

dolo

gie

Out

ilsEf

fets

sant

ém

esur

ésR

ésul

tats

Shaw

etco

ll.,

2009

Rec

herc

hePr

éven

tion

prim

aire

Dév

elop

pem

entd

’une

mét

hode

pour

incl

ure

defa

çon

syst

émat

ique

lare

cher

che

des

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eurs

deris

que

autra

vail

chez

les

lom

balg

ique

sch

roni

ques

Con

fére

nce

etat

elie

rssu

r3

jour

sre

grou

pant

21ch

erch

eurs

etcl

inic

iens

Lom

balg

ies

etha

ndic

apSe

ptva

riabl

esdu

trava

ilà

rech

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ersy

stém

atiq

uem

entp

arle

scl

inic

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:de

man

dede

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ilph

ysiq

ue,p

ossi

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éde

choi

sir

lafa

çon

detra

vaille

r(le

sm

arge

sde

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œuv

res)

,job

stre

ss,l

esu

ppor

tsoc

iala

utra

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job

satis

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ion,

souh

aits

pour

lare

pris

edu

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il,la

crai

nte

d’un

ere

chut

eC

inq

critè

res

pour

l’éva

luat

ion

dela

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hode

:la

fiabi

lité,

lape

rform

ance

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ndue

,la

fais

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é,l’a

ccep

tabi

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etla

cong

ruen

ceav

ecde

sin

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nscr

édib

les

Mét

hode

par

ques

tionn

aire

,int

ervi

ewet

visi

tedu

post

ede

trava

il

War

ren,

2001

Rec

herc

heco

mpr

éhen

sive

Rev

uede

litté

ratu

rePr

éven

tion

prim

aire

Prog

ram

mes

ergo

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ique

spa

rtici

patif

sKa

rase

k

TMS

Effe

tcom

biné

duris

que

psyc

hoso

cial

dans

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vail

etdu

risqu

ebi

oméc

aniq

uepo

url’a

ppar

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deTM

S:l

apr

éven

tion

effic

ace

néce

ssite

une

actio

ner

gono

miq

ueco

mbi

née

avec

les

trava

illeur

s.

Wes

tman

etco

ll.,2

008

Prév

entio

nse

cond

aire

Dép

ista

ge

Suiv

isur

3an

sde

patie

nts

prés

enta

ntde

sdo

uleu

rsch

roni

ques

mus

culo

sque

letti

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Öre

bro

Mus

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skel

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Pain

Scre

enin

gQ

uest

ionn

aire

(ÖM

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)SF

-36

Hea

lthSu

rvey

Job

stra

inC

opin

gst

rate

gies

Que

stio

nnai

re

TMS

Lequ

estio

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reÖ

MPS

Qes

tval

idé

pour

préd

irele

sis

sues

ente

rme

deha

ndic

ap.

Lam

esur

ede

sfa

cteu

rsps

ycho

soci

aux

par

cequ

estio

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rees

tbie

nlié

eau

hand

icap

autra

vail

età

lasa

nté

perç

ue3

ans

aprè

stra

item

entc

hez

les

patie

nts

atte

ints

dedo

uleu

rsde

TMS

chro

niqu

es.

304

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

Page 320: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

Réf

éren

ces

Cat

égor

ieTy

pein

terv

entio

nM

étho

dolo

gie

Out

ilsEf

fets

sant

ém

esur

ésR

ésul

tats

Feue

rste

inet

coll.

,200

4Pr

éven

tion

seco

ndai

reet

terti

aire

Inte

rven

tion

ergo

nom

ique

com

paré

eav

ecun

ein

terv

entio

nco

mbi

née

ergo

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ique

etge

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ndu

stre

ssC

hez

des

empl

oyés

debu

reau

(éco

nom

iste

s,in

form

atic

iens

...)

Life

Stre

ssor

san

dSo

cial

Res

ourc

esIn

vent

ory

(LSR

ES)

Visu

alAn

alog

ueSc

ale

ofpa

in(V

ASpa

in)

Upp

erex

tem

ityfu

nctio

nsc

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(UEF

S)SF

-12

Job

Req

uire

men

tsan

dPh

ysic

alD

eman

dsSu

rvey

(JR

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TMS

des

mem

bres

supé

rieur

sSa

nté

glob

ale,

phys

ique

etm

enta

le

Ajou

ter

deux

sess

ions

dege

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ndu

stre

ssne

renf

orce

pas

sign

ifica

tivem

ent

l’am

élio

ratio

cour

tetm

oyen

term

eap

porté

epa

rl’in

terv

entio

ner

gono

miq

uese

ule

Liet

coll.

,200

6Pr

éven

tion

terti

aire

Prog

ram

me

d’en

traîn

emen

tsur

3se

mai

nes

pour

lere

tour

autra

vail

desu

jets

atte

ints

deTM

S

Ran

dom

ized

cont

rolle

dtri

al(R

CT)

Deu

xgr

oupe

s:

ungr

oupe

«en

traîn

emen

t»,

ungr

oupe

«té

moi

SF-3

6C

hine

seSt

ate

Trai

tand

Anxi

ety

inve

ntor

y(C

-STA

I)

Mes

ure

dust

ress

,dou

leur

,an

xiét

é

Mei

lleur

sré

sulta

tsdu

grou

peen

traîn

é:

augm

enta

tion

duno

mbr

ede

repr

ises

dutra

vail,

rédu

ctio

ndu

nive

aud’

anxi

été,

amél

iora

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dela

sant

épe

rçue

Cha

ngem

entd

eco

mpo

rtem

entp

arra

ppor

tàla

doul

eur

chro

niqu

e,la

mot

ivat

ion

néga

tive

etl’a

nxié

Mar

hold

etco

ll.,

2001

Prév

entio

nte

rtiai

rePr

ogra

mm

ed’

entra

înem

entp

our

lere

tour

autra

vail

desu

jets

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ints

deTM

S

Ges

tion

dust

ress

Rel

axat

ion

Entra

înem

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rogr

essi

fàl’a

ctiv

itéet

àl’a

ccro

isse

men

tdu

ryth

me

Nom

bre

dejo

urs

d’ar

rêtd

etra

vail

Dim

inut

ion

duno

mbr

ede

jour

sd’

arrê

tde

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ilse

ulem

entc

hez

les

patie

nts

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tés

depu

ispe

ude

tem

psPa

sd’

expl

orat

ion

dutra

vail

des

patie

nts

Sche

llet

coll.

,20

08Pr

éven

tion

terti

aire

Prog

ram

me

depr

omot

ion

dela

sant

éet

gest

ion

dust

ress

via

Inte

rnet

chez

lepe

rson

neld

uSw

edis

hBr

oadc

astin

gPu

blic

Serv

ice

Com

pani

es

Étud

elo

ngitu

dina

lesu

r12

moi

s(P

rosp

ectiv

eC

ontro

lled

Follo

w-u

p)D

oule

urs

duco

u,ép

aule

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lom

balg

ies

Pas

d’ef

fetd

el’in

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nsu

rle

sdo

uleu

rsde

TMS

oula

souf

franc

eau

trava

ilda

nsce

sm

étie

rsà

fort

nive

aude

stre

ss

AN

ALY

SE

305

Surveillance et prévention selon le secteur d’activité

Page 321: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

Réf

éren

ces

Cat

égor

ieTy

pein

terv

entio

nM

étho

dolo

gie

Out

ilsEf

fets

sant

ém

esur

ésR

ésul

tats

Van

Oos

trom

etco

ll.,2

009

Rec

herc

heM

éta-

anal

yse

etan

alys

equ

alita

tive

(est

imat

ion

duni

veau

depr

euve

)

Étud

eco

mpa

rativ

een

trein

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nsu

rle

lieu

detra

vail

etso

ins

tradi

tionn

els

quan

tàl’e

ffet

sur

lafa

cilit

atio

ndu

reto

urau

trava

ilet

suiv

antd

iver

ses

affe

ctio

nsde

sant

édo

ntTM

Set

prob

lèm

esde

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ém

enta

le

Rec

herc

heda

nsth

eC

ochr

ane

Occ

upat

iona

lHea

lthFi

eld

Tria

lsR

egis

ter,

Cen

tral,

Med

line

etEm

base

(EM

BASE

.com

),et

Psyc

INFO

data

base

s(to

Nov

embe

r20

07)

Ont

été

incl

uses

6R

CT

d’in

terv

entio

nssu

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De façon générale, il ressort des évaluations de ces interventions que si lesactions ne portent que sur les individus sans se préoccuper du travail réel et deson organisation, elles présentent un semblant d’efficacité à court terme etsont inefficaces à moyen ou long terme.

En revanche, il est remarquable d’observer que les travaux portant sur lapopulation des professionnels de santé (tableau 16.II), en particulier les méde-cins praticiens généralistes, tant en Suède, au Canada qu’aux États-Unis,montrent des résultats convergents quant à l’effet particulièrement importantde la participation à des groupes d’analyse de pratiques entre pairs sur laréduction du risque de survenue d’un burnout chez ces professionnels.

Organisations du travail pathogènes et bénéfiques

Selon les concepts développés par la psychodynamique du travail, toutesituation de travail, quel que soit le niveau hiérarchique ou le secteur d’acti-vité, génère en première instance un état de tension, de « stress », de « souf-france », lié au fait que l’exécution d’une prescription de travail se heurte à larésistance du réel, à l’épreuve de l’échec. Le questionnement qui nous inté-resse est : devant cette difficulté première que constitue tout travail à réaliser,est-ce que j’ai les moyens (temps, matériel, expérience, qualification,argent...) ou est-ce que je peux acquérir par moi-même les moyens pourarriver à surmonter cette difficulté, pour accéder au résultat escompté quipourra, alors, faire l’objet d’une reconnaissance source de fierté et de plaisir ?Ces moyens englobent les ressources individuelles mais aussi les moyenscollectifs donnés par l’organisation de mon travail, qui m’est prescrite ou quim’est imposée par les contraintes externes (marché économique, sous-traitance...).

À titre d’exemple, lorsque le but ne peut jamais être atteint, lorsqu’on estimene pas pouvoir faire un travail de bonne qualité (selon les règles de métier etles critères de qualité validés entre pairs), lorsqu’on est pris dans des conflitséthiques dont on n’arrive pas à sortir, lorsque la surcharge de travail ne permetplus d’anticiper et que les erreurs s’accumulent, alors on sait que le risqued’atteinte à la santé est majeur. Cela ne débouche cependant pas sur lesmêmes décompensations ou maladies pour tout le monde. Les conséquencessont fonction de chacun : le type de maladie, psychique et/ou somatique, lesdélais d’apparition sont en rapport avec la personnalité, l’histoire et le patri-moine génétique de chaque individu.

Au-delà des facteurs organisationnels et des contraintes évoquées plus haut,certains modes d’organisation du travail apparaissent délétères pour la santé.Selon les constats cliniques faits par le Dr Marie-Pierre Guiho-Bailly

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(communication n’ayant pas fait l’objet de publication) à partir de consulta-tions de pathologie professionnelle au CHU d’Angers (France), sont identi-fiés comme pathogènes pour les individus qui y sont soumis les modes d’orga-nisation suivants :• management par le stress, par l’urgence ;• management « par objectifs »... sans objectifs (mise en concurrence sansligne d’arrivée) ;• management « par le coût » (rentabilité, effectif, qualité) ;• restructurations « à la hache », sans accompagnement des changements etdans des délais extrêmement brefs ;• réformes perpétuelles sans évaluation ;• harcèlement moral toléré ou encouragé : vertical (descendant ou ascen-dant), horizontal, individuel, collectif ;• critères d’évaluation « anti-travail » (personnels, sociaux, quotas, primes) ;• idéologies défensives de l’encadrement : déni de perception du réel dutravail, des limites, des dysfonctionnements (« je ne veux pas le savoir », « pasde problèmes, rien que des solutions », « il n’y a pas le choix »).

Inversement, une organisation du travail bénéfique pour la santé des salariés :• tient compte des différences interindividuelles ;• autorise des marges de manœuvres, en terme de modes opératoires et derépartition des tâches ;• reconnaît et rétribue la contribution des salariés ;• reconnaît les savoir-faire de métier ;• tient compte de l’histoire de l’entreprise et des collectifs de travail ;• associe les salariés à la mise en œuvre des changements technologiques ouorganisationnels ;• ne dénie pas les dysfonctionnements et les analyse en partenariat avec lesopérateurs ;• recrute, évalue, promeut sur des critères transparents et portant sur letravail.

Toutes ces caractéristiques sont facteurs d’efficience et de résilience pour lessalariés en cas d’imprévu ou d’évènement traumatique du fait de la fiabilitédes procédures, de l’existence de la confiance et de la coopération tanthorizontales que verticales, d’un soutien social solide construit dans le temps,et enfin du fait du respect habituel de leur fonctionnement mental leurpermettant de penser et d’analyser, individuellement comme collectivement,l’événement inattendu survenant dans leur travail.

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Exemple d’analyse qualitative du travailchez des indépendants : cas d’une profession libérale,les médecins généralistes

Si nous disposons de beaucoup de connaissances, en particulier issues desenquêtes épidémiologiques, sur les effets du travail sur la santé de sujets autravail, ces connaissances concernent essentiellement les travailleurs salariés.En outre, ces études épidémiologiques ont pour limite de n’explorer, le plussouvent, les contraintes psychosociales qu’à l’aide des modèles de Karasek etSiegrist, sans compter que l’analyse à partir de résultats statistiques ne peut pastoujours mettre en évidence des relations pourtant identifiées par l’analyse etles observations issues de la clinique, faute de puissance statistique d’abord,par nécessité d’utiliser d’autres modèles explicatifs ensuite.

Par ailleurs, les travaux qui s’intéressent au travail réel, à l’organisation et auxconditions de travail de travailleurs non-salariés ne le font, jusqu’à ce jour,que de façon comparative par rapport à la population des salariés.

La nécessité de mener, de façon complémentaire, des travaux d’analyse sur leversant qualitatif et sur le mode « approche compréhensive » commence àémerger dans le milieu de la recherche en santé au travail, y compris au niveaudes systèmes nationaux de surveillance (voir l’exemple de l’enquête qualita-tive complémentaire SIP de l’Insee).

Seule la profession des médecins généralistes a fait l’objet, en France et ànotre connaissance, d’un travail qualitatif approfondi (Davezies et Daniellou,2002), après une étude sur cette même profession sur le mode quantitatifmenée en 2001 en Bourgogne par Truchot et coll. (2001).

Il nous paraît intéressant d’examiner ici, en détail, les analyses produites parces auteurs car elles sont autant de pistes à explorer dans l’idée d’appliquerleur méthodologie à d’autres professions indépendantes, afin d’une partd’accroître le corpus de connaissances concernant les travailleurs indépen-dants qui fait actuellement cruellement défaut, et d’autre part d’accéder à lapossibilité de construire de véritables recommandations du point de vue de laprévention du stress dans ces professions qui ne soient pas juste la transposi-tion des mesures préconisées pour les travailleurs salariés.

Ainsi, à partir de l’observation du travail au cours de 140 consultations chez9 médecins différents dans la région Poitou-Charentes (durée moyenne deconsultation, urgences, téléphone, charges administratives), les auteurs argu-mentent le fait que si la charge quantitative de travail provoque fatigue,difficulté à changer de rythme, troubles du sommeil, en revanche, le risque dedéshumanisation de la relation au patient, l’atteinte de l’estime de soi (com-posantes du burnout) prennent toujours leur source dans le contenu et laqualité du travail. Le soutien social des pairs et certaines formes de reconnais-sance reçues peuvent jouer un rôle favorable, tandis que leur absence joue un

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rôle nettement aggravant. Cela rejoint les conclusions des deux enquêtescitées plus haut (Kjeldmand et Holmstrom, 2008 ; Peterson et coll., 2008). Lediscours des médecins sur les évolutions des exigences des patients a unefonction défensive contre leur souffrance psychique. L’inquiétude des patientsdécoule de la réduction des liens sociaux et de l’isolement croissant tant dansla sphère familiale que professionnelle : tableaux cliniques relevant de lapsychopathologie ou de la clinique psychosociale. Les difficultés des médecinsface à cette situation révèlent les lacunes de leur formation.

Selon ces auteurs, les médecins généralistes sont face à des difficultés liées àdes conflits de logique : logique de métier (obligation de moyens imposantune démarche diagnostique conforme aux connaissances et aux techniques)et logique économique (réduction des dépenses de santé). Il est égalementconstaté qu’ils connaissent un conflit intérieur qui est de considérer commeun risque le départ de patients vers d’autres cabinets alors qu’ils sont ensituation de surcharge.

C’est un constat courant dans les activités de service : le professionnel pré-sente une sensibilité aux critiques des usagers, du collègue ou du supérieurhiérarchique qui conduit à des réactions sans proportion par rapport à laréalité de l’agression. Cela traduit une dégradation du rapport au travail, unaffaiblissement lié à une perte des repères professionnels. C’est le doute sur lefait que l’on travaille bien et la menace de crise identitaire qui rendentparticulièrement sensibles à la critique. Enfin, c’est le sentiment d’une activitéqui n’est pas toujours à la hauteur de l’idéal professionnel (accroissement del’écart).

Dans les déterminants du malaise des médecins, la question de la confianceintervient : le médecin serait responsable des dépenses et du « trou » de laSécu ? La position d’expert du médecin est questionnée par les usagers quisont de plus en plus sur-informés sur les médicaments génériques, les vaccins...(Internet, ministère de la Santé...). Ils se sentent démunis devant les évolu-tions réglementaires, le risque judiciaire, d’où un accroissement du sentimentd’impuissance et un accroissement du sentiment de ne pas avoir les moyens defaire un travail de bonne qualité : c’est la porte ouverte à la crise identitaire etaux décompensations.

Face à ces menaces, le soutien et la reconnaissance du collectif professionnel(le soutien social) sont essentiels. Qui sont les pairs ? La communauté scien-tifique ? La communauté professionnelle ? Mais ce sont des potentiels concur-rents... Face à ces évolutions, quelle attitude avoir par rapport aux clients-usagers : empathie ou sympathie ? La relation médecin-patient repose sur ledon mais, pour les médecins, il y a un manque patent de références théoriqueset de méthodologie.

Les auteurs soutiennent dans cette étude qu’un des problèmes des médecinsest qu’ils tiennent un discours d’inspiration libérale (liberté du médecin et310

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échange marchand) mais que le réel de l’activité se fait sur le mode tradition-nel comme dans les familles et la relation d’aide, relation affective (don), créeun lien par la dette générée par le don, dette qui n’est jamais soldée parl’échange marchand. Cette production de lien avec l’usager se retrouve chezles médecins dont l’activité est importante quantitativement. Elle débouchesur la routine, l’ennui, l’auto accélération, le report sur les patients de laresponsabilité des problèmes : déception et désillusion qui correspondent au« cynisme » et à la « déshumanisation », composantes du burnout. Le mode dedéfense observé est de reporter l’accusation au niveau collectif, avec desdiscours stéréotypés sur les patients « en général », sur les insuffisances deprotection sociale et juridique de la profession. Mais cette économie psychi-que indiscutable débouche sur une impossibilité de penser les contradictions.

Cependant, d’autres médecins sont dans la production d’autonomie chez leurspatients : consultations longues, écoute, travail d’élaboration. Chacun reçoitplus qu’il ne donne, chaque chose produite profite aux deux, nous sommesdans le don et le contre-don : il n’y a aucune dette de l’un envers l’autre. Cettereconnaissance mutuelle produit une liberté et non une obligation. Ainsi, ledépart des patients est une étape normale dans un parcours de vie (sentimentplus souvent rencontré chez les médecins femmes).

Les observations effectuées par les auteurs leur ont permis de dégager despistes de prévention pour cette profession :• changer le système libéral du secteur soins ? Ce n’est pas d’actualité ;• imaginer des organisations de travail nouvelles ;• sortir de la solitude par des débats collectifs ouvrant des controversesd’opinions sur le travail pour penser, par exemple les groupes Balint pour lesmédecins généralistes, (Kjeldmand et coll., 2008) ;• développer la formation initiale et la formation médicale continue portantsur les tableaux cliniques relevant de la psychopathologie ou de la cliniquepsychosociale, ce qui va dans le sens des conclusions d’une étude effectuée parSouville et coll. en 2009 auprès de 391 médecins généralistes du sud-est de laFrance.

On peut donc constater à la lecture des analyses de cette étude que ce type detravail permet d’élargir le champ des investigations et des interrogationshabituelles. La pratique clinique issue de l’analyse d’une enquête qualitativeest susceptible d’apporter des hypothèses de compréhension nouvelles pourles données issues des enquêtes quantitatives et des pistes pour la prévention.

Pistes à explorer pour une prévention chez les indépendants

Si nous voulons comprendre ce que vivent les travailleurs indépendants dansleur travail et les conséquences pour leur santé, les résultats des études quali-tatives mettent en lumière la nécessité d’explorer les aspects suivants : les

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notions de choix de métier, la formation initiale et l’évolution des connais-sances, la notion d’indépendance et d’autonomie, le risque de solitude, lesquestions de la reconnaissance, de l’action sur le réel et de son efficacité auregard d’autrui, des règles de l’art et de métier. Ces travaux explorent égale-ment le travail bien fait, la possibilité de se projeter au-delà du temps immé-diat, la question du genre, la notion de responsabilité et de sécurité, la tensiondevant les contraintes externes, la question du statut social, celle particulière-ment prégnante des revenus et de l’argent, la notion de liberté et de plaisir autravail, la souffrance due au travail et les stratégies défensives pour y faire facecomme les conduites addictives, le poids de la transmission familiale ou lerejet, le besoin de transmission de valeurs et d’un patrimoine, le risque deconfusion entre la vie professionnelle et la vie personnelle.

Le choix des notions à explorer, susceptibles d’apporter des éléments decompréhension ou d’avoir un impact sur la santé des travailleurs indépen-dants, repose également sur différents travaux.

L’enquête santé travail et vieillissement (Estev) effectuée en 1990 et complé-tée par un volet longitudinal en 1995 (Derriennic et coll., 1996) nousapprend que les salariés déclarant ne pas avoir choisi leur profession ont, danschacune des 6 dimensions du NHP (Nottingham Health Profile ou Indice desanté perceptuel de Nottingham), une perception plus dégradée de leur santépar rapport à ceux qui ont choisi leur profession (ceci étant valable pour leshommes comme pour les femmes, quelle que soit la génération). Quand onconnaît, par les études sociologiques sur les travailleurs indépendants, le poidsde la transmission des valeurs et du patrimoine entre générations, le rôle del’éducation aboutissant au rejet ou à la reprise de l’activité économique desparents, on ne peut qu’être vigilant à ne pas négliger le paramètre du choix demétier.

Dans « Travailler pour être heureux ? Le bonheur et le travail en France »(Baudelot et Gollac, 2002), les auteurs montrent que les indépendants quisont l’objet de leur enquête, plus que les autres travailleurs, désirent voir leursenfants emprunter le même chemin professionnel qu’eux. Parmi eux, ontrouve les professions libérales (58 %), les chefs d’entreprise (55 %), les agri-culteurs (45 %), les artisans (41 %) et les commerçants (35 %). Les indépen-dants qui ne souhaitent pas transmettre à leurs enfants mettent en avant letravail trop pénible, trop difficile, pas assez rémunérateur (7 % des agricul-teurs, 15 % des commerçants), les horaires de travail trop longs (10 %), lemanque de perspectives d’avenir de la profession (9 % des patrons, 6 % desagriculteurs). Il y aurait, en effet, un lien entre une durée de travail élevée àplus de 45 h/semaine et un accroissement de la souffrance ressentie. La diffé-rence pour les travailleurs indépendants par rapport aux salariés se situerait,selon cette étude, au niveau de la transmission du capital économique, dumétier et du statut d’indépendant, mais aussi des notions de liberté et deplaisir au travail.312

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Dans le tome 2 de son livre « Travail vivant : travail et émancipation »(2009), Christophe Dejours aborde la question de la peur de la solitude dansle travail par défaut de reconnaissance, reconnaissance nécessaire à laconstruction identitaire mais qui s’oppose à l’autonomie et l’émancipationtant que le sujet en reste dépendant. Le travailleur indépendant serait-ilmoins dépendant de la reconnaissance de l’autre ou des autres que le salarié,d’où une plus grande autonomie et une capacité accrue à décider de travailleren indépendant ? Mais d’où lui viendrait cette moindre dépendance de lareconnaissance des autres puisque l’activité de travail, pour être un « actetraditionnel efficace » comme nous l’apprend Sigaut (« Le triangle du sens »,1993), nécessite le jugement d’autrui attestant de l’efficacité du travail faitcomme action réelle de transformation du monde (figure 16.2) ?

Figure 16.2 : Reconnaissance et triangle de Sigaut (d’après Sigaut, 1993)Selon le modèle du triangle de Sigaut, une situation de travail implique une relationtripartite où l’individu (l’ego) doit faire face d’une part à une situation de travail qui n’estjamais totalement celle qui était prescrite (le réel) et d’autre part au regard des autres(autrui) dont il obtiendra ou pas la reconnaissance.

D’ailleurs, comme nous le rappelle Danièle Linhart dans son ouvrage « Tra-vailler sans les autres ? » (2009), on ne peut pas travailler que pour soi, letravail doit être « adressé » sous peine, sinon, de mettre en danger sa santé. Deplus, pour les travailleurs indépendants, les règles de l’art se construisent bienavec les pairs, c’est-à-dire ceux qui font le même métier. Ils se rencontrentdans des syndicats, des associations, des confréries, des salons, des expositions.Ils se comparent également lors des appels d’offre ou dans des concours. Ilspeuvent constituer de véritables corporations à l’exemple des compagnons dudevoir du tour de France dont sont issus beaucoup d’artisans et de travailleursindépendants : outre l’aspect éducatif qui est pris en charge pour les jeunesentrant chez les compagnons, l’apprentissage de l’autonomie y repose surl’apprentissage de techniques et de valeurs, sur la solidarité d’un réseau et surla notion d’accomplissement d’une œuvre, notion qui se différencie de façonradicale de celle de travail salarié.

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En conclusion, plusieurs questionnaires, validés par des études épidémiolo-giques et traduits en français, permettent actuellement de dépister les facteursde risque de stress et/ou les effets de l’exposition à ces facteurs sur la santémentale. Il serait souhaitable que ces outils soient appliqués de façon différen-ciée aux différentes catégories de travailleurs indépendants pour analyserchaque groupe plus finement et pouvoir adapter l’offre de prévention de façonspécifique à chacun.

Les évaluations des interventions de prévention ciblées selon les secteursd’activité ou les pathologies sont unanimes pour relever que si les actions neportant que sur les individus sans se préoccuper du travail réel et de sonorganisation ont un semblant d’efficacité à court terme, elles sont inefficaces àmoyen ou long terme. Les interventions de prévention permettent égalementde confirmer l’existence de liens de causalité entre les facteurs psychosociauxau travail et les manifestations pathologiques tant physiques que psychiques.

Dans l’état actuel des connaissances, les pistes à suivre pour la prévention dustress chez les travailleurs indépendants passeront par l’étude du travail réeldes différentes catégories de ces travailleurs, en alliant des enquêtes de typeépidémiologique et les études qualitatives, ainsi que par la détermination desfacteurs favorisant le débat entre pairs et la controverse sur le travail.

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Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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17Analyses coût-avantagedes interventions de préventiondu stress au travail41

Le stress au travail constitue un enjeu majeur de santé publique, comme l’ontmontré les précédents chapitres de cet ouvrage, ainsi qu’un enjeu économiqueet financier. Les maladies associées au stress au travail représentent un poidséconomique important que ce soit du point de vue des entreprises, dessystèmes de protection sociale ou du point de vue de la collectivité de façonplus large. Ainsi, le coût du stress au travail en Australie a été estimé à105,5 millions de dollars en 2000-2001 (National Occupational Health andSafety Commission, 2003). En Grande-Bretagne, le coût de la dépression et del’anxiété liées au stress professionnel était de 530 millions de livres en 2005(EASH, 2009). En France, le coût des pathologies imputables (maladiescardiovasculaires, dépression-anxiété et troubles musculosquelettiques) au jobstrain selon le modèle de Karasek a été estimé à environ 2 milliards d’euros en2000 (Bejean et Sultan-Taïeb, 2005). Même si ces évaluations sont difficile-ment comparables, elles indiquent néanmoins l’ampleur de l’enjeu écono-mique et financier que représente l’exposition au stress professionnel. Parmiles pathologies associées à cette exposition, les troubles de santé mentale ontun impact économique important, dans la mesure où ils entraînent unedétérioration de la qualité de vie, de la productivité au travail (Lim et coll.,2000 ; Stewart et coll., 2003 ; Lerner et Henke, 2008) et des dépenses de santéélevées (Luppa et coll., 2007 ; Konnopka et coll., 2009).

Les évaluations économiques en santé et sécurité au travail sont d’un intérêtmajeur en tant qu’outil d’aide à la décision pour la mise en œuvre desinterventions de prévention, à la fois pour les pouvoirs publics et pour lesentreprises (Sultan-Taïeb et coll., 2009). En effet, l’analyse comparée descoûts et des avantages des différentes interventions possibles permet de fairedes choix raisonnés et de prioriser les actions d’interventions. C’est égalementun moyen de comparer les bénéfices attendus de la mise en œuvre de l’inter-vention par rapport à une situation de statu quo, c’est-à-dire sans intervention.Ce thème constitue cependant un domaine de recherche encore relativement

41. Remerciements à Marie-José Durand et Marc Corbière (CAPRIT, Université de Sherbrookeà Montréal) pour leurs remarques sur ce chapitre.

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peu développé, par comparaison à la littérature disponible sur les analysescoût-avantage des politiques de santé et des stratégies thérapeutiques. Toute-fois, cette évaluation économique des politiques de prévention en santé autravail pose le problème particulièrement aigu de l’accès aux données en santéet sécurité au travail puisqu’il s’agit souvent de données d’entreprises (Serrieret coll., 2009).

Ce chapitre a pour objectif de faire un bilan des connaissances disponibles surl’évaluation économique des interventions de prévention du stress profession-nel et des troubles de santé mentale sur le lieu de travail. On observe unconsensus dans la littérature épidémiologique sur le rôle étiologique de l’expo-sition au stress professionnel sur les troubles de santé mentale et sur lesmaladies cardiovasculaires. En l’absence d’études d’évaluation d’interventionsde prévention spécifiquement centrées sur les maladies cardiovasculaires (ànotre connaissance), nous avons limité notre analyse de la littérature auxtroubles de santé mentale.

Réduire l’exposition au stress professionnel sur le lieu de travail et réduire laprévalence des troubles de santé mentale en lien avec le travail dans l’effectifsalarié sont deux objectifs de prévention de natures très différentes. En effet, lestress professionnel est appréhendé en tant que facteur de risque dans lesétudes coût-avantage (et non comme effet), alors que les troubles de santémentale (en particulier dépression et anxiété) sont la conséquence de mul-tiples facteurs, et notamment des facteurs d’origine professionnelle. Nousavons choisi néanmoins d’inclure ces deux types d’études dans notre revue dela littérature (tout en les distinguant), dans la mesure où les interventionspeuvent potentiellement avoir des effets communs : la prévention des troublesde santé mentale en lien avec le travail peut inclure une baisse de l’expositionau stress professionnel, et vice-versa.

Une attention particulière sera portée aux caractéristiques méthodologiquesde ces études, étape nécessaire pour apprécier leur qualité scientifique. Unepremière section donnera une brève synthèse des différents types d’analysescoût-avantage disponibles en économie de la santé pour l’évaluation despolitiques de prévention des expositions professionnelles. Ensuite, une revuedes études sur les interventions de prévention du stress au travail et de lapathologie mentale comportant une dimension économique sera menée.Dans une dernière section, seront analysées les caractéristiques méthodolo-giques des études coût-avantage appliquées à la santé au travail en général,pour en déduire des hypothèses sur les difficultés spécifiques aux interventionscentrées sur le stress et la santé mentale au travail.

Méthodes coût-avantage

Les méthodes d’évaluation coût-avantage des stratégies de santé, dont l’usages’est progressivement généralisé en économie de la santé depuis la fin des322

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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années 1980, offrent un cadre méthodologique adapté à l’analyse économiquedes politiques de prévention en santé au travail (Tompa et coll., 2008).

On distingue trois types d’analyse coût-avantage, les analyses coût-efficacité,coût-utilité et coût-bénéfice, dont les principes fondamentaux sont décritsdans le tableau 17.I (Drummond et coll., 2005).

Tableau 17.I : Analyses coût-efficacité, coût-utilité, coût-bénéfice

Analyse coût-efficacité (cost-effectiveness) : ratio coûts/efficacité

- Mesure des coûts de la politique d’intervention

- Mesure unidimensionnelle des effets de la stratégie de santé étudiée, exprimée en unités physiques (nombred’années de vie gagnées, nombre de cas évités, nombre de décès évités...).

Analyse coût-utilité (cost-utility) : ratio coûts/(durée de vie gagnée x coefficient qualité de vie)

- Mesure bidimensionnelle des effets de la stratégie de santé étudiée : durée de vie gagnée, pondérée par uncoefficient de qualité de vie (par exemple QALY, Quality Adjusted Life Years)

- Le coefficient de qualité de vie est calculé en utilisant des échelles validées.

Analyse coût-bénéfice (cost-benefit) : différence coûts–bénéfices

- Mesure multidimensionnelle des effets (bénéfices), qui sont exprimés sous forme monétarisée, donc dans lamême unité de mesure que les coûts.

- Approche des coûts évités : les bénéfices sont assimilés aux coûts évités par la stratégie de santé étudiée etcorrespondent aux coûts de la stratégie consistant à ne pas intervenir. Cette approche se heurte à un manquede données disponibles pour intégrer les coûts intangibles dans l’évaluation (souffrance psychologique, dou-leur, autonomie) et tenir compte de l’ensemble des conséquences de la stratégie de santé envisagée.

- Approche de l’évaluation contingente : l’estimation des bénéfices est basée sur les préférences individuellesqui sont révélées par la méthode de la disposition à payer.

Une étude d’évaluation économique est considérée comme faisant partie desétudes coût-avantage stricto sensu si elle compare une stratégie de santé à aumoins une autre (l’absence d’intervention étant une stratégie possible), afinde produire des éléments de choix et d’arbitrage, et si elle compare les coûts etles effets (ou avantages) de la stratégie étudiée (Drummond et coll., 2005).Selon cette définition, une étude qui ne mesure que les coûts de l’interventionsans produire de mesure quantifiée des gains de cette intervention (ou inver-sement) ne fait pas partie des études coût-avantage.

Le choix entre ces trois méthodes coût-avantage (tableau 17.I) dépend à lafois des objectifs poursuivis par l’étude et du point de vue adopté, qu’il soitcelui de la société dans sa globalité, celui du système de protection sociale, del’entreprise/organisation dans laquelle est mise en œuvre la politique d’inter-vention ou celui du travailleur. Si l’on se place dans le cas d’une politiquepublique de prévention mise en œuvre à l’échelle d’un pays, le point de vueretenu peut être celui de la collectivité dans son ensemble, ou de manière plusrestrictive celui du financeur (système de protection sociale, ou système

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Analyses coût-avantage des interventions de prévention du stress au travail

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d’assurance). La perspective adoptée joue un rôle essentiel dans l’évaluationdans la mesure où elle conditionne la nature et la mesure des coûts et desavantages pris en compte. Par exemple, une évaluation, réalisée du point devue de l’entreprise, d’une politique ayant un effet sur la fréquence d’unemaladie professionnelle, prendra en compte les effets de la politique de pré-vention sur les coûts assumés par l’entreprise : notamment les effets del’absence du salarié sur la production réalisée dans l’entreprise, les pertes deproductivité liées au présentéisme42 du salarié (avant ou après le congésmaladie, période pendant laquelle le salarié travaille à un niveau de producti-vité inférieur à la normale à cause d’un état de santé dégradé), ou les effets dela maladie professionnelle sur le taux de cotisation accident du travail/maladie professionnelle (ATMP) (même si les effets sont jusqu’à présent trèsindirects et différés en France) (Bras et Delahaye-Guillocheau, 2004 ; Bras,2007). En revanche, une analyse réalisée du point de vue du système desécurité sociale prendra en compte les coûts médicaux pris en charge par labranche Assurance maladie (ou la branche ATMP si la maladie profession-nelle est reconnue et indemnisée). La collectivité dans son ensemble consti-tue également un point de vue pertinent pour l’évaluation des politiques deprévention des troubles de santé mentale d’origine professionnelle. Une ana-lyse du poids économique des troubles de santé mentale dans la populationsalariée en Europe et en Amérique du Nord met en avant le fait que ce poidsest partagé entre les salariés et leur famille, les employeurs, le système deprotection sociale au sens large (santé, retraite, chômage) et les systèmesd’assurance (Dewa et coll., 2007). Le point de vue adopté dans l’évaluationéconomique ne conditionne pas de façon univoque et systématique le type deméthode utilisée (coût-efficacité, coût-utilité, coût-bénéfice). Cependant,adopter la perspective de la société dans une évaluation conduit souvent àprivilégier la méthode coût-bénéfice, qui permet de prendre en compte unepluralité de dimensions dans la mesure des effets de la stratégie étudiée.

Les politiques de prévention en santé et sécurité au travail offrent un champd’application spécifique à ces méthodes d’évaluation économique d’interven-tions en santé. Pourtant, ce champ d’application a été encore relativementpeu exploré dans la littérature, par comparaison aux analyses économiques despolitiques de santé en général.

42. Le présentéisme désigne le phénomène selon lequel un salarié est présent au travail maisdans un état de santé dégradé, ses capacités physiques et cognitives étant donc altérées. Leprésentéisme est source de coûts indirects (pertes de production), qui s’ajoutent aux coûts liés àl’absentéisme au travail.324

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

Page 340: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

Évaluations coût-avantage des interventions de préventiondu stress professionnel et des troubles de santé mentalesur le lieu de travail

La revue de la littérature porte sur les études d’évaluation d’interventions deprévention du stress professionnel et des troubles de santé mentale au travailcomportant une dimension économique. Les interventions incluses danscette revue de littérature sont primaires, secondaires ou tertiaires, et suiventun programme centré sur l’individu et/ou sur l’organisation du travail. Ladimension professionnelle des interventions peut prendre différentes formes,comme le soulignent Nieuwenhuijsen et coll. (2008) : l’intervention peutêtre organisationnelle et orientée vers l’environnement de travail (actions surl’organisation et les conditions de travail), ou individuelle et orientée vers letravailleur (actions psychologique, pharmacologique), celui-ci pouvant êtrerecruté en tant que patient dans une unité de soins. Dans ce dernier cas, lelien entre l’intervention et le travail provient du fait que les effets mesurésconcernent la capacité de travail du salarié/patient (nombre de jours detravail gagnés, variation de la productivité).

Méthodologie

La base bibliographique est constituée des revues de littérature disponibles surl’évaluation des interventions en santé au travail.

Différents types de revues analysés

• Revues sur les interventions de prévention du stress au travail et destroubles de santé mentale : van der Klink et coll. (2001), LaMontagne et coll.(2007), Giardini Murta et coll. (2007), Ruotsalainen et coll. (2008), Giga etcoll. (2003), Caulfield et coll. (2004), Martin et coll. (2009), Corbière et coll.(2009). Ces revues sont centrées sur l’évaluation de l’efficacité des interven-tions, et non sur l’évaluation économique des interventions. Afin d’identifierles études comportant potentiellement une dimension économique en plus dela mesure de l’efficacité, la liste des indicateurs de mesure des résultats a étéétudiée. Les études mentionnées dans ces revues comme utilisant un desindicateurs de résultats suivants ont été analysées : nombre de journéesd’absence, nombre de plaintes déposées, sommes versées aux salariés commecompensation, pertes de productivité, nombre d’accidents du travail et demaladies professionnelles, turnover de l’effectif employé. La méta-analyseréalisée par Timbie et coll. (2006) est spécifique dans la mesure où ellecompare l’ampleur des effets cliniques des interventions de prévention de ladépression sévère avec l’ampleur des effets de ces interventions sur l’offre detravail (nombre d’heures ou de jours travaillés, participation au marché dutravail), mais sans raisonner en termes de coûts (monétarisés). Les articlesinclus dans cette méta-analyse ont été également étudiés ;

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Analyses coût-avantage des interventions de prévention du stress au travail

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• Revues sur les évaluations économiques des interventions en santé etsécurité au travail, incluant différents types d’affections (troubles musculo-squelettiques (TMS), accidents, santé mentale, grippe, migraine...) : Gervaiset coll. (2009), Tompa et coll. (2009), Verbeek et coll. (2009), Uegaki et coll.(2010a). Notre objectif est d’identifier, parmi les études incluses dans cesrevues, celles qui concernent les interventions de prévention du stress et destroubles de santé mentale parmi les autres affections ;• Revues Cochrane sur les interventions de prévention des troubles de santémentale au travail : Crowther et coll. (2001), Marine et coll. (2006),Nieuwenhuijsen et coll. (2008), Peñalba et coll. (2008), Van Ostroom et coll.(2009). Dans cette dernière revue, les études doivent comporter une mesuredu nombre de jours d’absence pour être incluses, ce qui constitue un indica-teur économique potentiel.

Sur la base de ces revues, les articles identifiés comme portant sur des inter-ventions de prévention sur le lieu de travail du stress professionnel et destroubles de santé mentale et comportant une dimension économique ont étésystématiquement analysés.

Critères d’inclusion

Les critères d’inclusion des études sont les suivants :• année de publication : 1995-2009 (incluses). Étant donnée l’évolutionrapide des méthodes d’évaluation coût-avantage au cours des années 1990, lesarticles antérieurs à 1995 n’ont pas été retenus ;• type de publication : revue à comité de lecture ou ouvrage collectif dont lesujet central est le stress professionnel ou la prévention des troubles de santémentale sur le lieu de travail ;• design : sont incluses les études randomisées-contrôlées, les études quasi-expérimentales (avec groupe contrôle mais sans randomisation de l’échan-tillon) ;• taille de l’échantillon : au minimum de 100 salariés ;• mesure du coût de l’intervention, mesure des effets de l’intervention etindication de la méthode de mesure utilisée.

Programmes de promotion de la santé

Les évaluations de programmes de promotion de la santé ne sont incluses dansnotre revue de littérature que si elles permettent une évaluation des effets desinterventions sur l’exposition au stress professionnel et sur la prévalence destroubles de santé mentale sur le lieu de travail, tout en comportant unedimension économique.

Dans la revue de littérature de Uegaki et coll. (2010a), les études d’évaluationde la promotion de la santé au travail comportant une dimension économiqueconcernent des programmes de promotion du bien-être (nutrition, perte depoids, exercice physique) et de diminution des risques liés aux modes de vie(tabagisme), les indicateurs de mesure des effets de l’intervention portant sur326

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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les éléments de coûts (absentéisme, dépenses de soins médicaux, coûts duturnover) et sur l’état de santé des salariés (symptômes musculosquelettiques,pression sanguine, taux de cholestérol par exemple). Ainsi, les études inclusesdans cette revue ne comportent pas d’indicateurs d’état de santé qui isolentles effets sur le stress et la santé mentale au travail, même si ces interventionsde promotion de la santé peuvent avoir un effet bénéfique sur ces aspects. Parconséquent, ces programmes ont été laissés de côté pour notre analyse. C’estd’ailleurs l’option choisie par Tompa et coll. (2009) qui laissent de côté dansleur revue de la littérature les programmes de promotion de la santé focaliséssur la santé en général (et non sur les expositions professionnelles). En outre,la méta-analyse de Martin et coll. (2009) sur les interventions de promotionde la santé centrées sur la dépression et les symptômes anxieux ne fait pasmention d’indicateurs économiques dans les 17 études incluses.

Les informations suivantes ont été extraites des articles. Dans le tableau 17.II,les caractéristiques de chaque étude sont présentées : premier auteur, année depublication, pays de réalisation de l’étude et objectif principal de l’interven-tion, composition et taille de l’échantillon, design de l’étude, définition dugroupe contrôle et période de référence pour l’évaluation, type d’interven-tion, notamment sa durée et le niveau d’action (individuel ou organisa-tionnel). Le tableau 17.III entre dans le détail de l’évaluation économiqueréalisée dans les études, à savoir le type d’évaluation économique et la pers-pective adoptée, les indicateurs de résultats utilisés, le mode d’évaluation descoûts, la nature des analyses statistiques, les résultats de l’évaluation écono-mique et la décision concernant l’exclusion de l’étude ou l’inclusion dansnotre revue (selon les critères définis plus haut).

Analyse de la littérature : résultats

Sur la base des articles cités dans les différentes revues de littérature et issuesde la base bibliographique, 18 articles ont été analysés parmi lesquels 8 ont étéexclus (Smoot et Gonzales, 1995 ; Mynors-Wallis et coll., 1997 ; Dollard etcoll., 1998 ; Maes et coll., 1998 ; Adkins et coll., 2000 ; Munz et coll., 2001 ;Vogt et coll., 2004 ; Schene et coll., 2007). Quatre l’ont été à cause del’absence de mesure des coûts de l’intervention, 5 à cause d’un échantillon depetite taille et 3 ne comportaient pas de groupe de contrôle. Il est à noter quela taille de l’échantillon est l’unique critère d’exclusion pour deux études(Mynors-Wallis et coll., 1997 ; Schene et coll., 2007). L’étude de Maes et coll.(1998) est exclue à cause de l’absence d’évaluation économique dans l’articlepublié, même si les auteurs font état d’un retour-sur-investissement positifdans le cadre du projet Brabantia. Ces données économiques sont non dispo-nibles aujourd’hui. Les 5 autres études exclues l’ont été à cause de plusieurscritères simultanément.

Le design des études incluses (tableau 17.II) est soit randomisé-contrôlé(7 études), soit quasi-expérimental (2 études), une étant une modélisation de

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Analyses coût-avantage des interventions de prévention du stress au travail

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type Markov sur la base de données issues de la littérature (donc sans inter-vention menée sur le terrain). Cette dernière étude (Wang et coll., 2006) estincluse dans notre revue de la littérature dans la mesure où elle satisfaitl’ensemble de nos critères de sélection, mais elle se distingue nettement desautres études de par la spécificité de son design. Sept études portent sur desinterventions de prévention de troubles de santé mentale (souffrance émo-tionnelle, dépression, anxiété, détresse, troubles psychiatriques), trois portentsur la prévention du stress professionnel (en tant que facteur de risque). Parmiles interventions réalisées dans les études retenues dans cette revue de littéra-ture, seule une intervention se situe à la fois au niveau individuel et organisa-tionnel (Lourijsen, 1999), toutes les autres étant focalisées exclusivement surl’individu (tableau 17.II). Ceci est en cohérence avec les conclusions deplusieurs revues de littérature (Nieuwenhuijsen et coll., 2008 ; Corbière etcoll., 2009 ; Van Oostrom et coll., 2009) qui montrent que les interventionsde prévention des troubles de santé mentale sont largement focalisées sur laformation ou des thérapies orientées vers le salarié, et de façon beaucoup plusrare sur des changements sur le lieu de travail. Ce résultat rejoint ceux mis enavant dans le chapitre portant sur les différents types d’intervention de pré-vention du stress professionnel et leur évaluation.

Tableau 17.II : Caractéristiques des études (objectif, population, design, typed’intervention)

RéférencePaysProblème étudié

Population del’étudeÉchantillon

Design (périoded’évaluation)Groupe de contrôle

Type d’interventionDurée de l’interventionNiveau organisationnel ou individuel

Brouwers et coll.,2006Pays-BasTroubles psychiquesmineurs (souffranceémotionnelle)

Employés encongés maladie àcause de troublespsychiques mineurs(n=185)

Randomisé-contrôléÉvaluation à T0(baseline), 3, 6 et18 moisContrôle (n=90) :soins habituels(médecingénéraliste)

Intervention en trois étapes par assistantsmédico-sociaux : analyse des causes de laperte de contrôle, élaboration de stratégiesde résolution de problèmes, mise enœuvre des stratégies + visites demédecins généralistes sur demande5 séances individuelles de 50 min avec unassistant médico-social sur une période de10 semainesNiveau individuel

Dewa et coll., 2009CanadaCongés d’invaliditéà cause de troublespsychiatriques

Employés encongés d’invaliditéappartenant à unegrande entreprisedu secteurfinancier/assurance(n=124)

Quasi-expérimentalÉvaluation à12 moisContrôle (n=51) :soins habituels

Soins collaboratifs en santé mentale(SCSM) : évaluation psychiatrique de lasévérité de l’invalidité, collaboration entremédecin généraliste et psychiatre SCSM,gestion à court terme par un psychiatreSCSM pour les salariés orientés vers luipour consultation, disponibilité deconsultations psychiatriques pour lesemployés non-orientés2 à 4 séances avec psychiatre SCSM pourles employés orientés pour consultationNiveau individuel328

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

Page 344: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

RéférencePaysProblème étudié

Population del’étudeÉchantillon

Design (périoded’évaluation)Groupe de contrôle

Type d’interventionDurée de l’interventionNiveau organisationnel ou individuel

Lo Sasso et coll.,2006États-UnisDépression

Secteurs divers(n=198)

Randomisé-contrôléÉvaluation à 6, 12,18, 24 moisContrôle (n=102) :aucune intervention(soins usuels, pasde formation, pasde contact régulieravec la personneréférente)

Communication structurée entre lapersonne référente et le médecin : lesgestionnaires de soins suivaient la réponseaux traitements par contact téléphoniquerégulier afin de stimuler l’observancethérapeutique et adapter le traitement surla base d’un suivi mensuel par le médecinMise en œuvre sur une période de 2 ansNiveau individuel

Lourijsen, 1999Pays-BasStress

Employés d’hôpitauxgénéraux (n=1 142)

Randomisé-contrôléÉvaluation à 3 ansGroupe de contrôle(n=455) : aucuneintervention

Contenu du travail ; organisation dutravail ; amélioration des conditions dutravail ; rapports sociaux sur le lieu detravail ; formation aux compétencessociales pour chefs d’équipe ; absentéismeet suivi médicalMise en œuvre sur une période de 5 ansNiveau organisationnel et individuel

Nijhuis, 1996Pays-BasStress

Salariés de laconstruction,employés en géniecivil etadministration dansla construction(n=425)

Quasi-expérimentalÉvaluation à 2 ansContrôle : deuxgroupes (n=157 etn=123)

Améliorations au niveau de la structure deconsultation ; cours de formation pour lescadres intermédiaires ; cours de formationà la gestion du stress ; formation auxentretiens12 heures de gestion de stress, 8 heuresde conseils relatifs aux absences,10 heures de surveillanceNiveau individuel

Rebergen et coll.,2009Pays-BasStress, anxiété,dépression

Employés de lapolice (n=240)

Randomisé-contrôléÉvaluation à12 moisContrôle (n=115) :soins habituels desmédecins de travail

Soins fondés sur le guide de bonnespratiques : thérapie en comportementcognitif pour améliorer la capacité desindividus à résoudre les problèmesDurée de l’intervention pas préciséeNiveau individuel

Schoenbaum, 2001Etats-UnisDépression

Patients avecdépression en soinsprimaires (n=1152)

Randomisé-contrôléÉvaluation à T0(baseline), 6, 12,18, 24 moisContrôle (n=380) :soins habituels

Intervention Méd QI (n=371) : support pourl’observance à la médication parinfirmières spécialisées au moyen decontacts téléphoniques ou visitesmensuels. Intervention de 6 ou 12 mois.Intervention Thérapie QI (n=401) : thérapiecognitive comportementale individuelle eten groupe par thérapeutes. Intervention de6 mois.Niveau individuel

Uegaki et coll.,2010bPays-BasStress

Employés encongés maladiepour des raisonsliées au stress(n=184)

Randomisé-contrôléÉvaluation à12 moisContrôle (n=81) :soins habituels

Intervention minimale par généralistesSéances de formation : élaboration dediagnostics, coping, résolution deproblèmes, suivi des progrès réalisés3 consultations sur 4 semainesNiveau individuel

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329

Analyses coût-avantage des interventions de prévention du stress au travail

Page 345: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

RéférencePaysProblème étudié

Population del’étudeÉchantillon

Design (périoded’évaluation)Groupe de contrôle

Type d’interventionDurée de l’interventionNiveau organisationnel ou individuel

van Oostrom etcoll., 2010Pays-BasDétresse

Employés encongés maladie liésà la détresse danstrois grandesentreprises(université, centremédical, sidérurgie)(n=143)

Randomisé-contrôléÉvaluation à T0(baseline), 3, 6 et12 mois)Contrôle (n=70) :soins usuels parmédecins du travail

Soins donnés par médecins du travail etintervention participative sur le lieu detravail avec processus de communicationpar étapes destiné à l’identification et larésolution des obstacles au retour autravail. Intervention basée sur un accordentre le chef d’équipe et l’employé encongés maladie, avec un coordinateur duretour au travailTrois rencontres dans un maximum de 3semainesNiveau individuel

Wang et coll., 2006États-UnisDépression

Cohortehypothétique(modèleétat/transition deMarkov)

Modèle de Markovbasé sur lesdonnéessecondairesÉvaluation à 5 ansPopulation decontrôle : soinsusuels

Interventions mises en œuvre par lemanagement, combinaison d’interventionssatisfaisantes et sous-optimales d’après lalittérature (interventions non décrites)Modèle de Markov de transition entredifférents états de santé (Monte Carlo) : 6états de maladie (Enquête nationale sur lacomorbidité)Probabilités de transition entre états desanté issues de la littérature

Les évaluations incluses dans cette analyse (tableau 17.III) intègrent toutessans exception une mesure des jours de travail (nombre de jours de congésmaladie, durée de la période d’incapacité), que ce soit du côté du coût del’intervention, du côté des coûts évités grâce à l’intervention (calcul dubénéfice net), ou en tant qu’effet de l’intervention en unités physiques (ratiocoût-efficacité). La méthode de mesure de la valeur des pertes/gains de pro-duction varie selon les études. Les coefficients de productivité élaborés parPauly et coll. (2002) sont intégrés dans le calcul de pertes de production dansdeux études (Lo Sasso et coll., 2006 ; Wang et coll., 2006), la comparaisonentre une évaluation selon la méthode du capital humain et la méthode descoûts de friction est menée dans 4 études (Brouwers et coll., 2006 ; Rebergenet coll., 2009 ; Uegaki et coll., 2010b ; van Oostrom et coll., 2010). Les autresétudes privilégient la méthode du capital humain, en valorisant les pertes/gains de production à partir du salaire moyen. La plupart des études nemesurent pas les effets du présentéisme sur les coûts, qui sont pourtant impor-tants notamment dans le cas de troubles de santé mentale (Lim et coll., 2000 ;Lerner et Henke, 2008), à l’exception de Lo Sasso et coll. (2006). Uegaki etcoll. (2010b) et Rebergen et coll. (2009) tiennent compte de cette variableen menant une analyse de sensibilité sur le niveau de productivité pendant lapériode de congés maladie partiels (donc sans mesure de cette productivité surle terrain). Wang et coll. (2006) introduisent également ce paramètre dans lemodèle, sur la base des données issues de la littérature.330

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

Page 346: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

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Analyses coût-avantage des interventions de prévention du stress au travail

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Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

Page 352: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

Parmi les dix études incluses dans notre revue de littérature, trois étudescalculent un ratio incrémental coût-efficacité (ICER pour Incremental CostEffectiveness Ratio) ou coût-utilité (ICUR pour Incremental Cost Utility Ratio)(Schoenbaum et coll., 2001 ; Brouwers et coll., 2006 ; Uegaki et coll., 2010b),trois études calculent un bénéfice net par soustraction simple des coûts demise en œuvre de l’intervention aux bénéfices liés à la baisse des congésmaladie (Nijhuis et coll., 1996 ; Lourijsen, 1999 ; Lo Sasso et coll., 2006),trois études réalisent les deux types d’évaluations (Wang et coll., 2006 ;Rebergen et coll., 2009 ; van Oostrom et coll., 2010). Seule une étudeprocède au calcul du bénéfice net ajusté par régression multivariée (Dewa etcoll., 2009). Les approches par ratio incrémental utilisent la même unité demesure des effets, à savoir le nombre de jours de travail gagnés par l’interven-tion pour les analyses coût-efficacité et les QALYs (Quality Adjusted Life Years)gagnées pour les analyses coût-utilité.

Sept interventions ont un bilan coût-avantage favorable (Nijhuis et coll.,1996 ; Lourijsen, 1999 ; Schoenbaum et coll., 2001 ; Lo Sasso et coll., 2006 ;Wang et coll., 2006 ; Dewa et coll., 2009 ; Rebergen et coll., 2009). Lesrésultats obtenus sont parfois fortement sensibles aux paramètres utilisés,comme le montre par exemple l’évaluation du retour sur investissement de LoSasso et coll. (2006) qui varie entre 20 et 675 % selon les paramètres utilisés.La fourchette des résultats obtenus suite aux interventions est large, le béné-fice net par salarié des différentes interventions allant de 30 $ US à500 $ CAN (soit environ 490 $ US), sachant que les interventions et lesobjectifs poursuivis sont difficilement comparables (voir la partie suivante).

Trois interventions ont un bilan défavorable (Brouwers et coll., 2006 ; Uegakiet coll., 2010b ; van Oostrom et coll., 2010) (tableau 17.III). Dans ces 3 étu-des, l’évaluation coût-avantage conduit à un bilan défavorable car l’interven-tion n’est pas efficace (les résultats attendus de l’intervention sont non signi-ficatifs)43.

Difficultés méthodologiques spécifiques à l’évaluationdes interventions de prévention du stress au travailet des troubles de santé mentale

Parmi les dix études incluses dans notre revue de la littérature, sept concluentque l’intervention est coût-avantageuse et fournissent des données moné-taires portant sur le bénéfice net issu de l’intervention (par salarié ou pour

43. Notons qu’on peut supposer, d’après la description des interventions, que ce résultat n’estpas dû à un défaut de mise en œuvre de l’intervention, qui aurait pu jouer sur les résultatsobtenus (pour une illustration des effets que peut avoir un tel défaut de mise en œuvre, voir Austet coll. 2010).

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Analyses coût-avantage des interventions de prévention du stress au travail

Page 353: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

l’organisation dans son ensemble) ou sur le rapport coût-efficacité de l’inter-vention.

Formuler des recommandations sur les interventions de prévention quidevraient être privilégiées à partir de cette revue de la littérature suppose queles résultats obtenus par les différentes études sélectionnées soient compa-rables. Or, cette comparabilité n’est pas garantie pour différentes raisons. Toutd’abord, les objectifs visés par les études sélectionnées sont hétérogènes.Parmi les dix études retenues, trois visaient à prévenir l’exposition au stressprofessionnel (Nijhuis et coll., 1996 ; Lourijsen, 1999 ; Uegaki et coll.,2010b), quatre à prévenir la dépression (Schoenbaum et coll., 2001 ; Lo Sassoet coll., 2006 ; Wang et coll., 2006 ; Rebergen et coll., 2009), deux à prévenirla détresse émotionnelle (Brouwers et coll., 2006 ; van Oostrom et coll.,2010) et une à promouvoir le retour au travail après une période d’incapacitéliée à un trouble psychiatrique (Dewa et coll., 2009). De plus, les interven-tions sont décrites de façon peu détaillée dans les études, ce qui ne permet pasd’appréhender le degré de similitude entre les interventions. Les termes « trai-ning » et « coaching » correspondent à une variété de contenus qui ne sont pastoujours décrits dans les études. Il paraît difficile de mesurer le degré decomparabilité entre des interventions dites de « redéfinition des postes » parexemple, qui mentionnent une augmentation du degré de participation auxdécisions quotidiennes, ou bien une clarification des responsabilités et de larépartition des tâches, ou une amélioration du retour de la part des managerssur les performances réalisées. La question qui se pose également est le degréde reproductibilité des formations réalisées en entreprise ou en établissementde santé selon les experts mobilisés. La difficile appréhension du contenudétaillé des interventions de prévention dans les études publiées a déjà étésoulignée dans un autre domaine, celui des troubles musculosquelettiques(Durand et coll., 2007).

En outre, le résultat coût-avantageux d’une intervention dans un pays donnén’est pas forcément transposable à un autre pays doté d’un système de protec-tion sociale différent. Par exemple, le coût de l’absentéisme selon la perspec-tive de l’employeur peut représenter un poids économique très élevé ou aucontraire limité si les indemnités journalières sont prises en charge par lesystème de protection sociale (comme en France). De la même façon, leniveau de tarification des primes d’assurance du risque professionnel appliquéaux entreprises peut être plus ou moins sensible à la variation du nombre demaladies professionnelles et d’accidents du travail déclarés et reconnus (ce quin’est pas le cas du système de tarification français) (Bras, 2007). La méthodo-logie d’évaluation des coûts, qui dépend de la perspective adoptée pourl’évaluation, doit être adaptée à ces différences institutionnelles et réglemen-taires selon les pays. Par conséquent, les comparaisons entre des évaluationséconomiques d’interventions réalisées dans différents pays doivent êtremenées avec précautions.338

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

Page 354: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

Qualité scientifique des résultats et interprétation des études

Les résultats des études coûts-avantage des interventions de prévention peu-vent servir d’outil d’aide à la décision pour le choix et la priorisation demesures actives si la qualité scientifique des études est suffisante. En effet,certaines failles méthodologiques peuvent en affaiblir la portée : absence degroupe contrôle, absence de tests statistiques adéquats, prise en compte par-tielle de l’incertitude sur les paramètres de l’évaluation (Hoch et Dewa,2007). Il paraît indispensable de développer des recherches respectant lesguides de bonnes pratiques de l’évaluation économique et appliquées à lasanté au travail, et de disposer d’un plus grand nombre d’études suffisammenthomogènes pour établir la preuve du caractère coût-avantageux d’une inter-vention (Tompa et coll., 2009 ; Uegaki et coll., 2010a). Au-delà de cescritères de qualité scientifique des études, il est également nécessaire des’interroger sur le mode d’interprétation des résultats des études sélectionnées,et notamment sur la nature des indicateurs d’efficacité utilisés. Dans notrerevue de littérature, les trois études dont le bilan coût-avantage n’est pasfavorable correspondent à des interventions qui ont des effets non significatifssur la santé mentale et la qualité de vie. Ce bilan défavorable est donc dû àune efficacité insuffisante des interventions et non au fait qu’elles soient tropcoûteuses. Parmi les études dont le bilan coût-avantageux est favorable, cellede Rebergen et coll. (2009) porte sur une intervention qui n’a pas d’effetsignificatif sur les congés maladie, le nombre de jours d’absence étant l’indica-teur d’efficacité utilisé dans l’évaluation. Le bilan coût-avantage est cepen-dant favorable car le groupe expérimental est associé à des coûts médicauxplus bas que le groupe contrôle (faire appel aux médecins du travail et à destravailleurs sociaux permet de diminuer le recours aux soins psychologiques).Il s’agit de ne pas limiter l’interprétation des résultats au signe du ratioincrémental coût-efficacité, mais de tenir compte de l’efficacité d’une inter-vention sur l’état de santé des salariés.

Point de vue adopté dans les études

La perspective adoptée dans les études sélectionnées est celle de l’employeur(4 études), la société (2 études) ou l’employeur et la société (4 études). Onnote que lorsque le point de vue de la société est adopté, le calcul effectuécorrespond notamment à un ratio incrémental coût-utilité. Dans ce cadre, ladifférence entre le point de vue de l’employeur et celui de la société se résumeà une prise en compte des dépenses de santé (en plus des pertes ou gains deproduction) au numérateur et de la qualité de vie des salariés interrogés audénominateur. Mais ces analyses ne précisent pas la définition de la fonctionde bien-être social sous-jacente.

Certaines revues de littérature des études coût-avantage consacrent une largepart aux études réalisées du point de vue de l’employeur (Verbeek et coll.,2009 ; Uegaki et coll., 2010a). Cette perspective est pertinente à plusieurs

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Analyses coût-avantage des interventions de prévention du stress au travail

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égards. En effet, l’entreprise est le lieu privilégié de mise en œuvre d’interven-tions de prévention en santé au travail, et ces interventions ne peuvent êtrebénéfiques que si elles s’accompagnent de l’adhésion et de la collaboration dumanagement de l’entreprise. Plus encore, l’employeur est le plus souventl’initiateur de la prévention. L’effort de prévention sur le lieu de travail eststimulé par des politiques publiques (réglementation, incitations fiscales, tari-fications d’assurance), mais est aussi directement déterminé par la volonté del’employeur d’améliorer les conditions de travail dans l’entreprise. Doncdémontrer qu’une intervention de prévention est coût-avantageuse du pointde vue de l’employeur est sans aucun doute un argument de poids en faveur dela prévention. Cependant, adopter cette perspective suppose qu’on ne limitepas la mesure des effets à la variation des compensations ou indemnités payéespar l’entreprise au salarié. En effet, ces compensations représentent une petitepartie des coûts totaux des atteintes à la santé liées à une exposition profes-sionnelle, dans la mesure où seuls les cas déclarés et reconnus font l’objetd’une compensation, et de plus les coûts sont pris en charge partiellement parle système de protection sociale ou le système d’assurance du risque profes-sionnel. Centrer l’évaluation sur les compensations versées aux salariés parl’entreprise revient à sous-estimer le nombre de salariés concernés par l’expo-sition étudiée, et potentiellement l’efficacité de l’intervention de prévention.Ensuite, adopter le point de vue de l’employeur conduit souvent à axerl’analyse des coûts sur les pertes de production liées à la pathologie ou àl’accident du travail, et à laisser de côté les coûts liés à la perte de qualité devie. Enfin, les études menées du point de vue de l’employeur se heurtent à unobstacle lié au fait que certains coûts, pourtant sans doute déterminants,peuvent difficilement être quantifiés et valorisés. Par exemple, un accident dutravail grave ou une série de pathologies professionnelles identiques au seind’un même département peuvent avoir un impact délétère sur le climat socialde l’entreprise, sur la motivation des salariés et le turnover, ou sur l’image del’entreprise sur le marché du travail par exemple. Du côté des coûts del’intervention, un changement organisationnel peut entraîner des coûts liés àla redéfinition des tâches, à la modification des flux d’information par exem-ple, qui sont particulièrement difficiles à estimer.

Représentativité des études sur la santé mentale en économiede la santé au travail

Le faible nombre d’études sélectionnées dans notre revue de littérature traduitle fait que les études coût-avantage des interventions de prévention destroubles de santé mentale sont nettement moins fréquentes que celles portantsur les troubles musculosquelettiques. Par exemple, dans la revue des étudescoût-avantage de Uegaki et coll. (2010a), ce type de pathologies concernait lamoitié des 34 études incluses, l’autre moitié des études étant répartie entre laprévention de la grippe, de la migraine, la promotion de la santé et les troubles340

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de santé mentale. Dans la revue de Verbeek et coll. (2009), parmi les 26 étu-des incluses, 21 portaient sur des interventions ergonomiques de préventiondes troubles musculosquelettiques (TMS) ou de réhabilitation de salariésayant souffert d’un TMS. Les cinq études restantes portaient sur des politiquesde sélection des salariés à l’embauche, la prévention des accidents dus àl’alcoolisme, dus à un sol glissant, ou à la contamination par aiguille infectée.Parmi les six études retenues dans la revue de Van Ostroom et coll. (2009) surles interventions de prévention des incapacités au travail, cinq portaient surles TMS et seulement une sur la santé mentale. Dans la revue de littératureréalisée par Gervais et coll. (2009) sur les interventions de santé et sécurité autravail dans les PME, aucune étude ne concerne les troubles de santé mentale.En outre, trois revues de littérature sur les évaluations économiques desinterventions en santé et sécurité au travail sont exclusivement centrées surles TMS (programme ergonomique participatif, promotion de la santé visantà réduire les TMS, programme de retour au travail de salariés souffrant deTMS) (Tompa et coll., 2006 ; Nelson et Hugues, 2009 ; Tompa et coll., 2010).

Il y a donc un réel décalage entre d’un côté la quantité d’études disponiblesdans la littérature, et de l’autre la prévalence des troubles de santé mentaledans la population active ainsi que l’exposition croissante aux risques psycho-sociaux au travail. Van Oostrom et coll. (2009) interprètent ce phénomènepar le fait que les troubles de santé mentale ne sont pas reconnus dans denombreux systèmes de prise en charge du risque professionnel, et par consé-quent la mesure du nombre de déclarations de la part des salariés n’est pas unindicateur pertinent. Le nombre d’indicateurs permettant une mesure du coûtde la part de l’employeur en est donc plus limité. En outre, le lien éventuelentre un trouble de santé mentale et des expositions professionnelles (parrapport aux expositions extra-professionnelles) n’est pas toujours admis sur leterrain, ce qui rend d’autant plus difficile la reconnaissance de ces maladiescomme maladies professionnelles. Il faut également mentionner le rôle dustigma social autour de la maladie mentale, qui rend d’autant plus difficile lamise en œuvre d’un programme d’intervention et sans doute égalementl’accès aux données.

En conclusion, les évaluations économiques d’interventions de préventiondu stress professionnel et des troubles de santé mentale au travail sont encorepeu nombreuses dans la littérature disponible. Le faible nombre d’études etleur hétérogénéité rendent difficiles la comparaison entre les interventions etl’élaboration de recommandations permettant d’orienter les stratégies de pré-vention. Elles pourraient cependant constituer un levier important pourl’amélioration de la santé mentale au travail.

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Synthèse

Un article récent du Code du travail44 stipule qu’est « présumé travailleurindépendant celui dont les conditions de travail sont définies exclusivementpar lui-même ou par le contrat les définissant avec son donneur d’ordre ».Ainsi, l’autonomie décisionnelle dont est supposé être doté l’indépendantconstitue l’assise de sa position sur le marché du travail. L’indépendant estqualifié de travailleur « non subordonné » par le juriste ou de « non-salarié »par les instances fiscales et administratives45.

Une des finalités de la délimitation des frontières du non salariat s’inscrit dansune logique de structuration de la Sécurité sociale. Les spécificités profession-nelles et patrimoniales caractérisant les non-salariés ont conduit à la créationdes régimes propres à chacune des familles de professionnels indépendants :les artisans, les commerçants et industriels, les exploitants agricoles et lesprofessionnels libéraux. Au regard de la sécurité sociale sont considérésnon-salariés : les entrepreneurs individuels, les associés de sociétés civilesprofessionnelles, les gérants majoritaires de SARL, les conjoints associés oucollaborateurs et les aides familiaux. Actuellement, un mouvement d’homo-généisation des régimes est observable suite à la création en 2006 du Régimesocial des indépendants (RSI) qui gère tout ou partie des risques sociaux desnon-salariés non agricoles.

La nomenclature retenue par l’Insee (Institut national de la statistique et desétudes économiques) intègre trois classes dédiées aux non-salariés : les indé-pendants non employeurs (pilotant leur activité sans recourir à de la main-d’œuvre salariée), les employeurs (non-salariés faisant appel à de la main-d’œuvre salariée) et les aides familiaux. La définition d’indépendant est plusrestrictive comparée à celle du législateur. Bien qu’une norme juridique soitétablie, aucun consensus ontologique n’émerge des approches empiriques del’indépendance.

Selon les données de l’enquête « emploi en continu » (Insee, 2008), enFrance 10,8 % des actifs ayant un emploi sont non-salariés soit 2,8 millionsd’individus. Cette population des non-salariés hors exploitants agricoles peutêtre divisée en trois familles : commerçants (42 %), artisans (40,5 %) etprofessions libérales (17,5 %). Près de 54 % des non-salariés sont des indépen-dants au sens de l’Insee (non employeurs). La part des aides familiaux est trèsfaible – moins de 6 % – et tend à décroître régulièrement.

44. Il s’agit du récent article L8221-6-1 introduit à l’occasion de la promulgation de la loi demodernisation de l’économie (LME) en août 2008.45. Le terme de « non-salarié » est utilisé dans les enquêtes françaises.

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Caractéristiques sociodémographiques des non-salariés

D’après les données récentes en France, les non-salariés sont en moyenne plusâgés que les salariés : 45,5 ans contre 39,5 ans respectivement. L’analyse parsecteurs montre qu’ils sont plus âgés dans les secteurs du commerce et del’agriculture. La population des non-salariés se distingue par une répartitioninégale entre homme et femme. Si la parité est presque atteinte pour lessalariés, les femmes non-salariées sont en revanche 2 fois moins nombreusesque leurs homologues masculins.

La part des titulaires d’un diplôme postérieur au baccalauréat est de 32 % chezles non-salariés et de 30 % chez les salariés. Parmi les non-salariés, 50 % ontun diplôme de formation professionnelle et parmi les salariés, 49 %. Lesnon-salariés ont un peu plus de diplômes techniques de type CAP et BEP, leurformation est fondamentalement professionnelle. Plus de neuf professionnelslibéraux sur dix possèdent au minimum le baccalauréat tandis que la propor-tion est deux fois moindre pour les commerçants et quatre fois pour lesartisans. Ces différences sont l’expression d’un mode d’apprentissage adaptéaux professions. Les employeurs sont en moyenne plus diplômés que les nonemployeurs. Le non-salarié employeur tend à s’apparenter à un gestionnaired’entreprise au fur et à mesure que l’effectif salarié s’accroît tandis que lenon-salarié non employeur reste un homme de métier.

Les revenus des non-salariés sont fortement corrélés au secteur d’activité, àl’âge et au sexe de l’individu, à son ancienneté dans la profession et à la taillede l’entreprise. Dans l’artisanat, un entrepreneur indépendant sans salarié,spécialisé dans les biens de consommation, déclare en 2006 en moyenne15 000 Q par an, ce montant atteignant 40 200 Q pour le gérant d’une SARLde construction. Des revenus similaires sont observés dans le commerce. Lesprofessions libérales sont caractérisées par des revenus allant de 9 000 à198 500 Q par an, cette variation correspondant à la très forte hétérogénéitédes métiers concernés.

D’après les données de l’enquête Insee (2009), pour la majorité des personnesinterrogées l’attrait de l’indépendance reste l’un des principaux déterminantsde l’entrée dans le non salariat. Cependant, pour près d’un quart des répon-dants, l’absence d’emploi est devenu le principal motif d’entrée dans le nonsalariat. En 2002, 54 % des nouveaux non-salariés déclaraient une mise à leurcompte visant essentiellement à générer leur propre emploi, ils étaient 65 %en 2007 en relation avec l’augmentation du chômage.

Attitudes et conditions de travail propres aux indépendants

Les métiers et occupations qui constituent majoritairement les catégoriesindépendantes d’aujourd’hui sont issus d’une histoire plus ancienne que celle348

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des activités salariées. Pourtant, la notion « d’indépendance » ne prend sonsens qu’avec et en réaction au développement du salariat. Les catégoriesindépendantes ne peuvent être clairement distinguées tant que le salariatn’est pas constitué comme un groupe stable et bien défini. En effet, lescatégories indépendantes se sont construites progressivement dans un doublecombat contre la condition de salarié et contre la dérégulation du marché,favorable aux commerces et entreprises de grande taille. En se constituantcomme collectifs organisés, les différentes catégories de travailleurs indépen-dants vont progressivement rompre leur isolement et bâtir tout un réseaud’institutions, d’associations professionnelles, de syndicats, de lieux d’échangeet d’entraide...

Malgré leur grande hétérogénéité, les travailleurs indépendants présententtoutefois quelques caractéristiques communes : la non subordination et lavalorisation de l’autonomie ; la volonté de conserver la responsabilité de sesgains comme de ses pertes ; un goût plus grand pour le risque ; la référence àun métier ou à une profession ; une protection sociale généralement moinsimportante ; une moindre habitude d’arrêt maladie et de recours aux soins...

Les conditions de travail des indépendants sont globalement tout aussi variéesque celles des salariés. Au sein d’un même métier, salariés et non-salariésprésentent souvent les mêmes contraintes. Toutefois, il existe des différencesnotables sur certains points. D’après l’enquête Emploi 2007 de l’Insee, lesindépendants en France travaillent en moyenne 53 heures par semaine (lesemployeurs travaillant 57 heures) contre 38 heures pour l’ensemble de lapopulation active occupée. Par ailleurs, ils se distinguent (du reste de lapopulation active et des catégories salariées proches) par une plus grandeautonomie, une absence de routine et, en contre partie, une solitude accrue.Les catégories indépendantes, à l’exception des professions libérales, décla-rent moins souvent des possibilités d’entraide, notamment parmi les hommes.

Une catégorie qualifiée de « nouveaux indépendants » regroupe d’une part lespersonnes qui, suite à la perte d’un emploi ou face aux difficultés à en trouver,se mettent à leur compte, et d’autre part des anciens salariés poussés par leursemployeurs à prendre le statut d’indépendant. En France comme en Améri-que du Nord, ce groupe est en expansion numérique. Ces travailleurs setrouvent parfois dans des situations de forte dépendance par rapport à undonneur d’ordre unique.

Ces indépendants semblent pouvoir constituer un groupe à risque de stresspour les raisons suivantes : une dépendance par rapport à un seul client ou uneseule chaîne commerciale ; un choix contraint du statut d’indépendant sansprojet personnel faisant sens pour l’intéressé ; des contraintes légales liées austatut d’auto-entrepreneur parfois imposées par de nouveaux dispositifs juri-diques ; une absence de tradition familiale de l’indépendance ; un manqued’expérience ou de capitaux dans un contexte de crise économique et dechômage ; des protections réglementaires réduites (pas de syndicat ni de

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Synthèse

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structures professionnelles) ; une absence de support social associée à denouvelles formes de travail (télétravail, travail nomade).

Chez les nouveaux indépendants, les enquêtes qualitatives montrent que lesformes de précarisation et de réduction des protections touchent surtout lestravailleurs indépendants les moins qualifiés (secteurs du bâtiment ou de lamaintenance par exemple). Pour ceux disposant d’une compétence profes-sionnelle reconnue, l’indépendance est vécue comme l’accès à un travailmoins contraint, plus ouvert à l’initiative et à la création personnelle. Néan-moins, certains expriment des craintes et des angoisses au sujet de la viabilitéde leur entreprise. Les échecs peuvent être d’autant plus mal ressentis qu’il y aun fort investissement personnel.

Modèles et concepts pour l’évaluationdes facteurs psychosociaux au travail

Au cours des dernières décennies, la notion de stress au travail a gagné enpopularité et de nombreux questionnaires, échelles, outils de mesure, et autresinstruments d’évaluation, sont apparus. Ces instruments se sont appuyés surune théorie ou un concept se centrant sur une ou plusieurs facette(s) du stressau travail. À défaut d’aboutir à une définition consensuelle du stress, lestravaux de recherche ont surtout permis l’éclosion d’une multitude deconcepts et modèles.

Ces modèles ou concepts se focalisent sur certains aspects de l’environnementpsychosocial au travail dans le but de réduire la complexité de cet environne-ment. La notion de stress au travail a évolué, notamment en épidémiologie,vers la notion de facteurs psychosociaux au travail, probablement plus repré-sentative de la variété et de la diversité des facteurs de stress rencontrés enmilieu de travail. Ces facteurs recouvrent les contraintes psychologiques,sociales et relationnelles dérivées de l’organisation du travail, et peuvent aussise définir, par la négative, par toutes les expositions professionnelles, qui nerelèvent pas d’agents physico-chimiques.

La littérature a longtemps été dominée par le modèle conceptuel élaboré parRobert Karasek à la fin des années 1970 (job strain model). Selon Karasek, lacombinaison d’une forte demande psychologique et d’une faible latitude déci-sionnelle (job strain) conduit à une situation particulièrement à risque notam-ment pour la santé cardiovasculaire. La diffusion et la longévité de ce modèles’expliquent par le fait que très tôt des études étiologiques ont souligné leseffets prédictifs du modèle de job strain sur la santé cardiovasculaire.

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Diagramme de Karasek : Quatre situations de travail

Le modèle était à l’origine composé de deux dimensions : la demande psycho-logique, définie par la charge psychologique associée à l’exécution des tâches(quantité et complexité des tâches, contraintes temporelles), et la latitudedécisionnelle (combinant à la fois l’autonomie décisionnelle et l’utilisationdes compétences). À ces deux dimensions, s’est ajoutée celle du soutien socialtraduisant l’aide et la reconnaissance des collègues et des supérieurs hié-rarchiques. Cette troisième dimension permet d’identifier une situation de« cumul » dont les effets seraient marqués pour la santé : l’iso-strain, quicombine à la fois le job strain et l’isolement social (ou absence de soutien). Lequestionnaire dérivé du modèle de Karasek a été validé dans de nombreuseslangues, y compris en français, soulignant des qualités psychométriques satis-faisantes de l’instrument. La longue antériorité du modèle de Karasek permetaujourd’hui d’avoir un large corpus de connaissances à la fois sur l’évaluationdes expositions décrites via ce modèle, et sur leurs effets étiologiques sur lasanté, notamment sur la santé cardiovasculaire et mentale. L’exposition au jobstrain augmenterait le risque de pathologies cardiovasculaires et de troubles dela santé mentale d’environ 40 % et 80 % respectivement. Bien que largementrépandu et utilisé, ce modèle a des limites bien identifiées que d’autresconcepts sont venus combler, notamment avec le modèle de Siegrist.

Le modèle de Siegrist, élaboré dans les années 1990, est centré sur le déséqui-libre entre deux composantes de l’environnement psychosocial de travail : lesefforts (liés aux contraintes de temps, interruptions dans le travail, responsa-bilités...) et les récompenses obtenues en retour en termes d’estime, de pers-pectives de promotion et de salaire ainsi que de stabilité de la situation detravail. Selon Siegrist, l’exposition à un déséquilibre entre des efforts élevés etdes récompenses faibles constitue un facteur de risque pour la santé, notam-ment cardiovasculaire. À ces deux dimensions s’ajoute le surinvestissement(propension à se surinvestir dans le travail, caractéristique de la personnalité)

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susceptible également d’être un facteur de risque pour la santé. Le question-naire dérivé de ce modèle a été développé et validé en plusieurs langues, dontle français, et des études ont souligné des propriétés psychométriques satisfai-santes. Des études étiologiques ont mis en évidence les effets prédictifs dudéséquilibre efforts-récompenses sur les maladies cardiovasculaires et les trou-bles de la santé mentale.

Après les modèles de Karasek, puis de Siegrist, d’autres concepts ont vu le jourpermettant d’élargir l’évaluation des facteurs psychosociaux au travail à desaspects jusqu’alors négligés par ces modèles. Ces concepts, qui pour la plupartsont apparus au cours de la décennie 2000, permettent d’aborder la justiceorganisationnelle, la qualité du leadership, les violences au travail, l’insécuritéet la précarité au travail, ou encore le temps de travail prolongé.

La justice organisationnelle, concept assez ancien, mais intégré récemmentdans l’analyse des risques psychosociaux au travail, comprend trois compo-santes principales. La justice distributive relève de la justice dans la distribu-tion des ressources : salaire, protection sociale, perspectives professionnelles...La justice procédurale porte sur la justice dans les procédures et les méthodesutilisées pour obtenir les résultats. La justice relationnelle se définit parl’équité et la justice par lesquelles les personnes sont traitées sur le lieu detravail en termes de relations sociales. Les deux dernières composantes sontjugées comme les plus importantes.

La qualité de leadership est un autre concept, peu éloigné de celui de la justiceorganisationnelle. Il se focalise sur les comportements managériaux en termesd’intégrité (manager honnête, juste, fiable, sincère), de motivation (positif,optimiste, encourageant, mobilisateur, enthousiaste), d’intégration (infor-mant, communicant), d’autocratisme (autocratique, autoritaire, élitiste, dic-tatorial), et d’auto-centrage (égoïste, asocial, non-participatif).

Les violences au travail constituent une autre facette des relations sociales autravail. Mis à part les violences physiques et sexuelles qui représentent unaspect un peu particulier et plus marginal, il apparaît que les violences psycho-logiques seraient très largement répandues. Malgré un manque de consensussur la définition de ces violences, les auteurs s’accordent sur le fait que cesagissements doivent se caractériser par leur répétitivité et leur durée. Lesviolences recouvrent une multitude de situations dans lesquelles la personnevictime peut être mise à l’écart, exclue, attaquée sur des aspects personnels etsur sa vie privée, agressée verbalement et insultée, critiquée et/ou sanctionnéedans son travail.

L’insécurité et la précarité de l’emploi se recoupent au moins partiellement,l’une étant le sentiment lié à la perte éventuelle d’emploi (anticipation d’unévènement capital et non souhaité), et l’autre pouvant prendre des formesmultiples (contrat précaire, temps partiel non choisi...). Ces deux conceptssont susceptibles d’induire des effets néfastes sur la santé via notamment lapeur du chômage et/ou cumul de désavantages sociaux et professionnels. Le352

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temps de travail prolongé est quant à lui un concept apparu initialement auJapon avec les phénomènes du Karoshi (mort par excès de travail) et duKarojisatsu (suicide par excès de travail). Il n’y a cependant pas de consensuspour définir le nombre d’heures qui constitue un travail excessif.

L’ensemble de ces concepts émergents ont montré des effets prédictifs sur lasanté, notamment sur les maladies cardiovasculaires et les troubles de la santémentale.

Il apparaît que les travailleurs indépendants pourraient être particulièrementconcernés par certains facteurs, notamment une forte demande psycholo-gique, un faible soutien social, certaines formes de violence et d’insécurité, etun temps de travail excessif.

Facteurs de stress et mécanismes psychologiques

La littérature scientifique dans les différents domaines de la psychologie(différentielle – qui étudie les différences entre individus et groupes d’indivi-dus –, de la santé, du travail, des organisations...) apporte des éléments decompréhension du stress.

Dans les années 1960-1970, des travaux ont commencé à mettre en évidencel’importance des perceptions dans la survenue de l’état de stress. Proposé en1984, le modèle transactionnel du stress de Lazarus et Folkman permet dedécrire ces processus cognitifs. Les auteurs postulent que ce ne sont pas lesévènements eux-mêmes qui déterminent l’apparition d’un état de stress (avecses conséquences négatives sur la santé physique et mentale des individus)mais plutôt les perceptions et le vécu de ces évènements. Ils définissent lestress comme étant « une relation entre la personne et son environnement,qui est évaluée par la personne comme tarissant ou excédant ses ressources etmenaçant son bien-être ». Face à une situation potentiellement stressante,une première évaluation, dite « évaluation primaire », répond à la question del’enjeu de cette situation. Pour qu’il y ait stress, il faut tout d’abord que lapersonne perçoive un enjeu. Cette évaluation est aussi appelée « stressperçu ». Une seconde évaluation dite « secondaire » répond à la question desressources disponibles pour la personne face aux exigences de la situation. Elleporte sur la notion de « contrôle perçu ». Suite à ces deux évaluations et afinde répondre aux exigences de la situation perçues comme stressantes, lapersonne élabore des stratégies d’adaptation ou de coping. Le rôle intermé-diaire joué par ces processus cognitifs d’évaluation et de coping, entre lasituation aversive et les atteintes à la santé, a été vérifié.

On sait par ailleurs que les processus d’évaluation et de coping sont en partiedéterminés par la personnalité. Depuis les années 1990, le modèle de lapersonnalité en cinq dimensions est devenu un modèle de référence notam-ment en raison de sa robustesse, de sa validité et de son inter-culturalité. Il

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permet de décrire la personnalité au travers des grandes dimensions sui-vantes : le névrosisme (affectivité négative), l’extraversion, l’ouverture àl’expérience, l’agréabilité et le caractère consciencieux. On a pu démontrer àmaintes reprises le rôle du névrosisme versus la stabilité émotionnelle dans lesprocessus cognitivo-émotionnels du stress. Les autres dimensions, notammentle caractère consciencieux et l’extraversion, peuvent également intervenirdans ces processus. Ainsi, une étude montre par exemple que les cinq dimen-sions de la personnalité peuvent expliquer entre 1 % et 23 % de la variancedes processus cognitifs du stress.

Un autre pan de la littérature psychologique aborde les caractéristiques dessituations de travail potentiellement stressantes pour les personnes. Les tra-vaux effectués à partir du modèle des caractéristiques de la tâche (Job Charac-teristics Model) de Hackman et Oldham mettent en évidence cinq aspects dutravail à accomplir susceptibles d’engendrer du stress. Ils concernent la variété(complexité) de la tâche, l’impact de la tâche (portée ou importance de sontravail pour les autres), l’identité de la tâche (possibilité d’identifier claire-ment le produit de son travail, sa propre contribution dans la production debiens ou de services), l’autonomie, le feed-back sur l’efficacité de son travail.Une méta-analyse montre que les caractéristiques de la tâche peuvent expli-quer entre 15 % et 54 % des mesures de santé mentale. L’autonomie, a prioriplus importante pour les indépendants, est un aspect du travail protecteurvis-à-vis du stress. Toutefois, une compilation de plusieurs études compara-tives montre que l’intensité de la relation entre autonomie et stress n’est pasplus importante pour les indépendants comparativement aux salariés. Autre-ment dit, les indépendants ne tirent pas plus avantage de l’autonomie que lessalariés (quand ils perçoivent eux-mêmes avoir de l’autonomie).

Dans une perspective centrée non plus sur les caractéristiques de la tâche maissur les rôles professionnels, les recherches montrent que les conflits de rôles etl’ambiguïté de rôles sont générateurs de stress mais aussi (comme les caracté-ristiques de la tâche) d’insatisfaction au travail, d’absentéisme, de diminutionde la performance. Il y a conflit de rôles lorsqu’une personne fait l’objetd’attentes ou d’exigences incompatibles ou contradictoires entre elles (ouavec les valeurs de l’individu). Il y a ambiguïté de rôles lorsque les informa-tions concernant les attentes ou exigences liées au poste occupé ne sont pasassez explicites pour que la personne puisse effectuer correctement son travail.Les conflits et l’ambiguïté de rôles sont dénommés « stresseurs de rôles ». Desétudes ont montré que ces stresseurs de rôles interviennent également dans lestress chez les indépendants. Ils jouent un rôle notamment dans l’intentiond’abandonner l’activité, via l’épuisement émotionnel et l’absence de compen-sation des efforts.

Enfin, l’engagement dans le travail, qui semble être a priori une dimensioncentrale pour la réussite de l’activité des travailleurs indépendants, a faitl’objet de conceptualisation et d’études dans la littérature internationale surles processus motivationnels au travail. On distingue d’un côté l’engagement354

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positif de l’ordre de la « passion » et de l’autre côté l’addiction au travail.Cette dernière se décompose elle-même en deux facettes différentes : le fait detravailler excessivement et le fait d’être incapable de se détacher psychologi-quement de son travail. Les études montrent que c’est surtout cette compo-sante compulsive de l’addiction au travail qui est dommageable pour la santéperçue et la performance, aussi bien pour les salariés que pour les travailleursindépendants. En revanche, le fait de travailler excessivement et un fortengagement dans son travail sont associés positivement à un haut niveau deperformance perçue.

Facteurs de risque psychosociaux chez les indépendants

Il s’agit de savoir à quels facteurs de risque psychosociaux les indépendants ouplus généralement les non-salariés sont exposés au cours de leur travail.

La plupart des études sur le stress et les facteurs de risque psychosociaux autravail s’intéressent uniquement aux salariés. Le modèle de Karasek, établi àpartir des résultats obtenus chez ces travailleurs, donne une clé de lectureimportante des conditions de travail des non-salariés et de leur exposition àdes facteurs de risque psychosociaux. Différentes études convergent pourmontrer que les situations de « job strain » (tendues) ou « passives » (combi-naison de faibles exigences et de faible autonomie) sont plus fréquentes ausein des emplois peu qualifiés ou d’exécution, et particulièrement chez lesemployés. Au contraire, les situations « actives » (fortes exigences, forteautonomie) sont plus fréquentes dans le haut de la hiérarchie des professions.L’extrapolation des résultats obtenus pour les cadres aux non-salariés de cettecatégorie conduit à supposer une faible prévalence du job strain chez cesderniers, essentiellement du fait d’une plus grande latitude décisionnelle. Uneétude australienne aboutit à ce résultat attendu en montrant une prévalencedeux fois moindre du job strain chez les non-salariés. Pourtant, il est difficile deconclure que les non-salariés sont protégés du stress par leur plus grandeautonomie. Le questionnaire de Karasek ne s’adapte pas toujours bien à lasituation des non-salariés : même en restant dans ce cadre d’analyse, d’autressources et d’autres interprétations peuvent être mobilisées en matière d’auto-nomie comme d’exigences du travail.

L’autonomie des non-salariés mesurée avec les mêmes outils que ceux utiliséspour les salariés montre logiquement qu’ils disposent d’une forte latitudedécisionnelle dans leur travail, presque consubstantielle à leur statut d’indé-pendant. Même si des nécessités techniques peuvent contraindre les indépen-dants dans leur rythme de travail, leur autonomie est bien plus grande enmatière d’organisation de leur travail que celle des salariés. Mais cette autono-mie peut être fortement limitée dans certains contextes. C’est le cas notam-ment du (de la) conjoint(e) qui travaille avec le non-salarié et qui peut setrouver dans une situation de subordination proche de celle des salariés ou des

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non-salariés qui exercent une activité salariée en plus de leur activité indé-pendante. Il en est de même pour les nouvelles formes d’entreprenariatindividuel qui se développent et qui se rapprochent parfois de salariat déguiséen sous-traitance. En France, une enquête complémentaire à l’enquêteEmploi de 2004, portant sur l’organisation et les aménagements du temps detravail, permet d’estimer à 9 % la proportion d’indépendants qui travaillentrégulièrement pour un unique client. À titre de comparaison, la proportions’élève à 11 % au Royaume-Uni et 13 % en Italie et en Espagne.

En matière d’exigences du travail, le rythme et l’intensité du travail desnon-salariés ne semblent pas tellement plus élevés que ceux des salariés, ilssont même moindres à l’aune de certains critères. Ce qui distingue le plusnettement les non-salariés des salariés, ce sont leurs plages de travail beau-coup plus étendues : nombre d’heures hebdomadaires en moyenne bien plusélevé (45 % des non-salariés travaillent plus de 50 heures par semaine contre3 % des salariés), travail plus fréquent le samedi et le dimanche... Les longuesheures de travail sont reconnues comme un facteur de risque psychosocial parl’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail. En premier lieucela augmente les risques d’accidents. Or, certains non-salariés, en particulierles agriculteurs et les artisans, exercent des activités qui comportent despénibilités physiques et des risques d’accident élevés. Par rapport aux salariésqui travaillent dans les mêmes secteurs et encourent les mêmes risques,s’ajoute donc pour les non-salariés le risque lié aux horaires étendus et à lafatigue qui l’accompagne. Le risque d’accident de la circulation est sans doutelui aussi augmenté par ces horaires étendus, les non-salariés étant plus souventque les salariés amenés à conduire dans le cadre de leur travail. Au-delà del’augmentation du risque d’accidents, les horaires étendus ont des consé-quences à plus long terme sur l’état de santé général et augmentent le risquede maladies cardiovasculaires. Toutefois, plusieurs études permettent de nuan-cer ce résultat : travailler de longues heures aurait un effet atténué sur la santélorsqu’il s’agit d’un choix. Or, les non-salariés peuvent plus facilement ajusterleurs horaires et sont globalement plus satisfaits du nombre d’heures qu’ilseffectuent.

Un autre aspect de cette plus grande emprise du travail sur la vie des non-salariés concerne leur difficulté à concilier travail et vie privée ou familiale.Selon l’analyse de l’enquête Santé et itinéraire professionnel (SIP) 2007,17 % des agriculteurs et 16 % des autres non-salariés seraient concernés avecseulement 10 % pour l’ensemble des actifs. Les non-salariés rejoignent en celales cadres qui sont nombreux à connaître des difficultés (16 %).

Le modèle de Karasek a été étendu en lui adjoignant le concept de « soutiensocial » difficilement applicable aux non-salariés. En effet, l’absence de hié-rarchie modifie profondément la nature des relations de travail et les dif-ficultés que les non-salariés peuvent rencontrer. Ils sont plus fréquemmentconfrontés à un certain isolement dans leur travail et de ce fait plus souventépargnés par les conflits entre collègues. La capacité d’organisation collective356

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des indépendants autour de leur métier ou de leur statut peut venir compenserleur isolement, tandis que la concurrence directe avec les autres indépendantspeut au contraire renforcer ce sentiment. Aucune des études consultéesn’évoque les difficultés spécifiquement rencontrées vis-à-vis des subordonnéset associés au statut d’employeur.

Le Collège d’expertise sur le suivi statistique des facteurs de risques psychoso-ciaux au travail (2009) a ajouté différentes dimensions aux facteurs de risquepsychosociaux habituels issus plus ou moins directement du modèle de Kara-sek. La structuration en six dimensions qu’il a adoptée permet de faire le tourdes problématiques existantes ou émergentes sur les facteurs de risque psycho-sociaux au travail.

Structuration des risques psychosociaux en six dimensions (d’après le Collèged’expertise sur le suivi statistique des facteurs de risques psychosociaux autravail, 2009)

Dimensions du modèle de Karasek Nouvelles dimensions

Exigences du travail Exigences émotionnelles

Autonomie, marges de manœuvre Conflits de valeur

Rapports sociaux, relations de travail Insécurité socioéconomique

Trois de ces dimensions recoupent largement des concepts déjà évoqués : lesexigences au travail, l’autonomie et les marges de manœuvre, les rapportssociaux et relations au travail. Les trois autres, à savoir les exigences émotion-nelles, les conflits de valeur et l’insécurité d’emploi permettent de compléterla description des expositions des non-salariés dans leur travail.La plupart des non-salariés exercent des professions au contact du public. Lesexigences émotionnelles de leur travail peuvent être élevées, notammentpour les professions médico-sociales. S’y ajoute le fait que la reconnaissancede leur travail provient principalement du public, des patients ou des clients,ce qui les place dans une situation de plus grande vulnérabilité au risqued’épuisement professionnel ou burnout.La dimension des « conflits de valeurs » regroupe les « conflits éthiques »(faire des choses que l’on désapprouve dans son travail) et la « qualité empê-chée » (ne pas avoir les moyens de faire un travail de qualité). Les limitationsà l’autonomie des non-salariés déjà mentionnées, ainsi que la pression concur-rentielle et les exigences de rentabilité, les conduisent assez fréquemment àconnaître des formes de conflits éthiques dans leur travail : 31 % des agricul-teurs et 24 % des autres non-salariés disent faire au moins parfois des chosesqu’ils désapprouvent (33 % de l’ensemble des actifs). Les non-salariés ne sontpas non plus épargnés par les problèmes de « qualité empêchée » et ils sont untiers (non-salariés hors agriculteurs) à devoir parfois ou souvent sacrifier laqualité aux délais.

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Le sentiment d’insécurité quant à l’avenir de son emploi semble globalementpartagé entre salariés et non-salariés. L’effet des restructurations, qui sembleavéré pour les salariés, n’a pas fait l’objet d’étude pour les indépendants et plusparticulièrement les employeurs : la pression temporelle accrue en cas deréduction d’effectifs et le sentiment de culpabilité doivent les concerner toutautant. D’autres formes d’insécurité plus spécifiques aux non-salariés peuventconstituer une source importante de stress et sont rarement étudiées, tellesque l’incertitude quant au revenu et sa variabilité d’un mois à l’autre. Enrevanche, les non-salariés apprécient plus favorablement la « soutenabilité »de leur emploi : seule une minorité d’entre eux se sent incapable de faire lemême travail jusqu’à la retraite.

Cette revue de l’exposition des non-salariés aux facteurs de risque psychoso-ciaux est simplificatrice : ce groupe est très hétérogène, au-delà de quelquespoints communs (absence de subordination-salariale, horaires de travail éten-dus), les métiers exercés sont très divers et les conditions de travail d’unartisan et d’un avocat n’ont que peu de choses en commun. De plus, lestensions sont vécues diversement par les indépendants selon leur trajectoiresociale, familiale et professionnelle ainsi que l’évolution du prestige de leurgroupe social. L’incertitude est plus forte pour les indépendants « débutants »que pour les autres. Elle n’est pas de même nature pour un indépendant quireprend l’entreprise familiale et pour celui qui se met à son compte après avoirexercé une profession en tant que salarié. La dimension familiale et patrimo-niale doit aussi être prise en compte pour comprendre leur rapport au travailet leur expérience du stress.

État de santé des travailleurs indépendantsselon le secteur professionnel

Les inégalités sociales ou professionnelles devant la mort ou la maladie sontune préoccupation qui émerge dès la fin du XVIIIe siècle dans la littératureéconomique et démographique. Dès les premières observations, les démo-graphes et les statisticiens constatent le lien entre le métier, la classe sociale,la richesse et la plus grande fréquence des maladies ou les taux de mortalitéplus élevés. Les études les plus récentes confirment la persistance de cesinégalités. Ainsi, un des résultats les plus marquants de ces dernières annéesest le constat, à l’âge de 35 ans, d’un écart de 7 ans d’espérance de vie deshommes entre les ouvriers et les cadres.

La notion de travailleur indépendant recouvre des réalités très diverses,regroupant des professions intellectuelles ou manuelles, travailleurs isolés ouchefs de petites entreprises, que les conditions de vie et de travail exposent àdes risques différents et plus ou moins grands pour la santé. On ne s’étonneradonc pas de l’absence de règle applicable à tous, ni que les indicateursproposés pour la catégorie toute entière donnent un éclairage en mi-teinte de358

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leur état de santé, associant une mortalité plus faible que la moyenne, uneperception de leur état de santé plutôt positive, mais des pathologies propres àchaque profession et une utilisation plutôt moindre des prestations sociales.

Les données sur l’espérance de vie et la mortalité des travailleurs indépen-dants permettent de les situer plus favorablement que la moyenne de lapopulation française. Entre 1999 et 2003, l’espérance de vie à l’âge de 35 ansest de 44,4 ans pour les hommes indépendants et de 50,1 ans pour les femmespour une moyenne nationale respectivement de 42,8 ans et 48,8 ans. Parrapport aux ouvriers, leur sous-mortalité est frappante : les artisans, commer-çants, chefs d’entreprise ont un risque relatif de décès nettement plus faible(de 0,62 pour les hommes et 0,76 pour les femmes contre 1 pour les ouvriers).

Globalement, l’état de santé des indépendants semble plutôt satisfaisant. Àâge et sexe égal, les indépendants, identifiés par leur affiliation au Régimesocial des indépendants (RSI), se déclarent en meilleure santé que les per-sonnes appartenant au régime général, et ce, quel que soit l’indicateur desanté utilisé : santé perçue, limitations fonctionnelles et présence de maladiechronique. Ces écarts disparaissent à situation sociale équivalente (revenu,niveau d’éducation...) ce qui signifie que la situation sociale explique engrande partie les différences entre indépendants et salariés. Ce résultat nepermet toutefois pas d’exclure complètement un effet de sélection (seules lespersonnes en meilleure santé peuvent devenir indépendants) ou un effetpositif sur l’état de santé du fait d’être indépendant.

La faible fréquence des affections de longue durée (ALD) observée chez lesressortissants du RSI par rapport au régime général est plus difficile à interpré-ter. Elle peut refléter de véritables différences d’état de santé ou plus simple-ment des différences d’utilisation ou une moins grande générosité du système.Cette faible prévalence globale masque également la grande diversité déjàsoulignée de la population des indépendants. Ainsi, la prévalence des ALD ausein de la population masculine du RSI est plus élevée dans le secteur destransports, de l’alimentation et de la restauration, et de la construction. Elleest nettement en dessous de la moyenne pour les professions libérales et lesautres catégories d’artisans et commerçants.

Les caractéristiques de l’état de santé des indépendants dépendent plus de laprofession que du statut d’indépendant en tant que tel. Les données adminis-tratives issues des prestations d’invalidité du RSI montrent ainsi que lesmaladies du système ostéoarticulaire, de même que les traumatismes sont plusfréquents chez les artisans que chez les commerçants, alors que les troublespsychiatriques sont plus fréquents chez ces derniers.

Les enquêtes européennes affinent les connaissances sur ces problèmes desanté des indépendants. Par rapport aux salariés à temps plein, les employeursde petites entreprises souffrent davantage de stress et de fatigue et les entre-preneurs isolés travaillant à temps plein cumulent en plus des douleurs de dos

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et des douleurs musculaires. Parmi les travailleurs indépendants, les tra-vailleurs manuels sont plus exposés aux problèmes physiques et les travailleursnon manuels aux problèmes psychiques. Les agriculteurs et les travailleurs dusecteur primaire font exception en cumulant les deux sortes de difficultéssouffrant plus fréquemment que la moyenne des indépendants de problèmesphysiques (mal de dos, douleurs musculaires, fatigue) et tout aussi souvent deproblèmes psychologiques (mal de tête et stress). Les travailleurs des hôtels etrestaurants, et les travailleurs des services sont les plus exposés au stress.Plusieurs études confirment d’ailleurs l’existence d’un stress, ou de la percep-tion d’un stress plus élevé chez les indépendants.

Fréquence des problèmes de santé chez les travailleurs indépendants enEurope en 1996 (d’après Letourneux, 1997)

Secteurprimaire (dontagriculteurs)

(%)

Artisans(%)

Hôtels etrestaurants

(%)

Commerce(%)

Services(%)

Moyenneeuropéenne

tous secteurs(%)

« Le travail affecte ma santé » 73,5 62 63 56 58 60,5

« Ma santé ou ma sécurité estmenacée par mon travail »

52 34 27,5 26 2 30

Mal au dos 60,5 37 31 26 25 33

Fatigue générale 35 18,5 34 26 18 23

Douleur musculairedans les bras et les jambes

39 23 22 14,5 14 20

Maux de tête 18,5 10 15 9 12,5 12

Stress 34,5 31 48 30,5 35 33

Problèmes de santéchroniques ou permanents

34 16 13 21 13 17

L’état de santé des professions médicales a été particulièrement étudié. Lalittérature suggère que leur santé physique est similaire à celle de la popula-tion générale, même si les femmes médecins semblent en meilleure santé. Enrevanche, la fatigue, le stress, le risque de burnout, les problèmes de santémentale ainsi que le suicide semblent plus fréquents. En France, les médecinsgénéralistes hommes se perçoivent en meilleure santé que les hommes actifsde même âge, ils sont moins nombreux à déclarer souffrir de maladies chro-niques et sont moins limités dans leurs activités. Les femmes médecins géné-ralistes ne se différencient pas de l’ensemble des femmes actives en termes desanté perçue, mais comme les hommes, elles se déclarent moins souventatteintes de maladies chroniques et de limitations fonctionnelles.

Enfin, des prévalences plus élevées d’autres facteurs de risque, comme letabagisme, la consommation d’alcool, le niveau de LDL-cholestérol et la360

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consommation de cannabis ont été également relevées dans des populationsd’indépendants.

Cet état de santé globalement favorable peut expliquer les taux d’absentéismeplus faibles des indépendants par rapport aux salariés à temps plein : 8,2 % enmoyenne pour les indépendants, contre 20 % pour les salariés. L’incidence desarrêts de travail est plus élevée chez les artisans (9,7 %) que chez les commer-çants (7 %). Elle atteint des taux particulièrement élevés dans certains sec-teurs, comme la production et distribution d’électricité de gaz et d’eau (13 %)et la construction (11,6 %). Des écarts similaires sont observés en Europe.Toutefois, l’état de santé seul n’explique probablement pas ces différences. Lacrainte de perdre son travail, la pression financière ou celle de la clientèlepeuvent être autant de facteurs dissuasifs de déclaration des arrêts de travailpour le travailleur indépendant, tandis que la pénibilité du travail et lafréquence des accidents ou traumatismes dans certaines professions les favo-risent au contraire.

L’absence de système de reconnaissance des maladies professionnelles chez lesindépendants ne gomme pas le fait que les risques auxquels ils sont exposéssont similaires à ceux des salariés. On retrouve ainsi chez les indépendantscertaines pathologies professionnelles bien connues des salariés : lasurconsommation d’antalgiques et d’anti-inflammatoires chez les profession-nels du bâtiment et des travaux publics, ou chez les menuisiers témoignantprobablement de troubles musculosquelettiques ; la prévalence élevée d’insuf-fisances respiratoires liée à l’exposition à des particules toxiques (farines,poussières...) chez les prothésistes et les boulangers-pâtissiers indépendants.Une étude focalisée sur les artisans coiffeurs en France met en évidence queprès de la moitié d’entre eux ont une maladie qui remplirait les conditionsrequises pour la reconnaissance en tant que maladie professionnelle.

Enfin, il n’existe pas de données sur les accidents du travail chez les indépen-dants. Les deux seules enquêtes menées en France semblent montrer que leurfréquence est très liée aux risques inhérents à la profession exercée.

Santé mentale en lien avec le travail

Le terme de « santé mentale » fait référence à une altération de l’état de santéallant du « simple » mal-être caractérisé par des symptômes relatifs à la sphèrementale jusqu’à la pathologie psychiatrique. Dans le champ qui nous occupeici, les symptômes dépressifs et anxio-dépressifs sont de très loin les plusétudiés. Ils sont la plupart du temps recueillis dans les études à l’aide d’échellesexplorant un ensemble de symptômes ou, moins fréquemment, à l’aide d’outilsdits « diagnostiques » décrivant une pathologie psychiatrique avérée.

Les problèmes de santé mentale en lien avec le travail prennent une impor-tance qui semble actuellement grandissante dans notre société. Parmi les

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populations salariées, de nombreux médecins du travail rapportent une fré-quence de plus en plus élevée de problèmes de santé mentale au travail, setraduisant par une symptomatologie très large décrivant un mal-être, dessymptômes de type anxio-dépressifs ou diverses manifestations physiques. Lesprofessions indépendantes n’échappent probablement pas à cette situation.Parallèlement à cette prise de conscience sur le terrain, la littérature épidé-miologique dans ce domaine véritablement initiée depuis la fin des années1970 s’est depuis considérablement enrichie pour aboutir aujourd’hui à unnombre très important d’études.

Pour ce qui est des expositions professionnelles, on préfèrera au terme destress, tantôt employé pour désigner un facteur d’exposition ou un effet sur lasanté, le terme d’exposition aux facteurs psychosociaux au travail.

Un important corpus d’études, méthodologiquement rigoureuses, permet deconsidérer qu’il existe des liens entre des expositions professionnelles à desfacteurs psychosociaux et une altération de la santé mentale, principalementau travers d’une symptomatologie dépressive. De plus, la plupart des auteurss’accordent sur la nature causale de ces liens. En 2008, trois revues de lalittérature épidémiologique fondées exclusivement sur des études longitudi-nales concluent toutes à l’existence de liens entre les différentes dimensionsdes modèles de Karasek ou de Siegrist et certains troubles de santé mentaletels que des troubles dépressifs et anxio-dépressifs. L’exposition au job strain,combinant fortes exigences et faible latitude décisionnelle, multiplierait par 2le risque de développer des troubles dépressifs. En cas d’efforts importantsassociés à de faibles récompenses, les liens avec les troubles dépressifs sem-blent plus constants et le risque augmenterait de 2 à 4 fois selon les auteurs etla méthodologie adoptée.

Les nombreux résultats positifs ne doivent pas faire oublier les limites de cesétudes. La non indépendance des mesures d’exposition et de santé, la nonprise en compte de certains facteurs de confusion personnels, l’hétérogénéitédes études sur les outils utilisés, tant pour la mesure de l’exposition que pourcelle de la santé et le schéma d’étude transversal, sont les principales limitesrégulièrement mises en avant. Par ailleurs, il existe encore un déficit deconnaissance quant aux effets liés à la durée et l’intensité des expositions encause.

Concernant d’autres indicateurs de santé mentale, la littérature est un peumoins abondante avec des résultats qui restent à consolider. Ainsi, pour ce quiconcerne les problèmes liés à l’alcool, une revue de la littérature menée en2006, à la fois sur des études longitudinales et transversales conclut à desrésultats allant dans le sens d’une association entre problèmes d’alcool etexposition aux facteurs psychosociaux au travail. Une étude longitudinale de2007 rapporte que les hommes exposés au job strain ou à de fortes exigencesprésentent un risque accru de consommation d’antidépresseurs.362

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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Pour ce qui est des troubles du sommeil, il existe trop peu d’études épidémio-logiques et trop de résultats divergents pour tirer des conclusions générales.

Très peu de données épidémiologiques permettent actuellement de documen-ter le lien entre les actes suicidaires et les conditions de travail. Les travauxexistants (parfois entachés de sérieuses limites) décrivent certaines différencesde taux de mortalité par suicide entre professions. Seules les professions dudomaine de la santé ainsi que les agriculteurs semblent présenter assez systé-matiquement des excès de risque. Les hypothèses explicatives avancées etrelatives au travail portent principalement sur l’accessibilité des moyens desuicide mais aussi sur les contraintes psychosociales au travail.

Face à la rareté des études épidémiologiques menées spécifiquement auprès depopulations d’indépendants, une première approche est de décrire cette popu-lation en termes de prévalence de troubles de santé mentale et de la compareraux autres catégories socioprofessionnelles. Les catégories d’indépendants(artisans, commerçants et chefs d’entreprise) semblent occuper une positionintermédiaire en termes de prévalence d’épisode dépressif et de troublesanxieux, entre les catégories de salariés les moins favorisées (employés etouvriers) et les plus favorisées (cadres).

Prévalence (%) de troubles psychiatriques en France selon la catégorie socio-professionnelle (d’après Cohidon et coll., 2009)

Épisode dépressifrécent

Troubles de l’humeur(au moins un)

Troubles anxieux(au moins un)

Catégoriesocioprofessionnelle

H F H F H F

Agriculteurs exploitants 3,3 9,9 4,6 12,8 12,1 15,1

Artisans, commerçants,chefs d’entreprise

7,8 11,6 9,6 13,6 16,4 22,8

Cadres et professionsintellectuelles supérieures

5,0 7,8 7,8 9,9 13,7 20,0

Professions intermédiaires 5,9 8,3 8,4 11,0 14,8 20,9

Employés 9,5 12,9 12,5 16,1 20,9 29,3

Ouvriers 8,8 13,9 11,3 16,4 19,8 29,0

Pour ce qui concerne le suicide, les analyses des données françaises de morta-lité par suicide ne décrivent pas d’excès de risque (chez les hommes) dans lacatégorie socioprofessionnelle des artisans commerçants et chefs d’entreprise.

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Risques relatifs de décès prématuré par suicide chez les hommes en Franceselon la dernière catégorie socioprofessionnelle (CS) connue en tant qu’actifoccupé, ajustés sur l’âge (d’après Cohidon et coll., 2010)

Dernière CS connue en tant qu’actif occupé Risque relatif ICa (95 %)

Agriculteurs exploitants 2,77 1,74-4,42

Artisans, commerçants, chefs d’entreprise 1,81 1,30-2,52

Cadres et professions intellectuelles supérieures 1

Professions intermédiaires 1,37 1,01-1,86

Employés 2,34 1,73-3,18

Ouvriers 2,45 1,86-3,23a Intervalle de confiance

En revanche, quelques études indiquent un risque plus élevé de suicide chezles médecins, en particulier chez les femmes.

Par ailleurs, des études sur les conditions de travail chez les indépendantsdécrivent des fréquences d’expositions particulièrement fortes à certains fac-teurs psychosociaux ou organisationnels et que l’on pourrait envisager commepotentiellement génératrices d’atteintes de la santé psychique parmi ces popu-lations. Il s’agit principalement d’un temps de travail élevé, d’horaires atypiquespeu conciliables avec la vie privée et d’un faible soutien social du fait du statutfréquent de travailleur isolé. Cependant, l’importante autonomie décisionnellepourrait aussi venir contrebalancer les effets de ces contraintes.

Épuisement professionnel

Utilisé pour la première fois pour décrire l’épuisement au travail de profession-nels de santé mentale, le burnout est caractérisé par le fait de « ne pas y arriver,s’user, être épuisé par une exigence excessive en énergie, force ou ressources ».Il est décrit plus récemment comme un état d’épuisement physique, émotion-nel et mental résultant d’une exposition à des situations de travail émotion-nellement exigeantes. Il existe aujourd’hui de nombreuses définitions.

Bien que passé dans le langage courant, l’existence du burnout en tantqu’entité à part entière fait encore débat au sein de la communauté scienti-fique. Ainsi, il ne fait actuellement pas partie des diagnostics officiels demaladie dans les classifications internationales (CIM-10 et DSM-IV).

Plusieurs outils de mesure ont été proposés. Néanmoins, très peu d’entre euxont fait l’objet de validation scientifique. Le Maslach Burnout Inventory (MBI)est de très loin le plus utilisé, couvrant environ 90 % de la recherche dans cedomaine. Trois versions du questionnaire relatives à des populations diffé-rentes au travail ont été successivement développées : la première concernaitles professions de soins à la personne ; la seconde a été élaborée pour les364

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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professions d’enseignants et d’éducateurs ; la troisième pour être utilisée enpopulation générale au travail (1996). Le syndrome inclut trois dimensions :la première est l’épuisement, à la fois physique et psychique ; la seconde est ladépersonnalisation (ou cynisme) se traduisant par un retrait et une indiffé-rence vis-à-vis du travail ; la troisième est représentée par la perte d’efficacitéau travail et la dévalorisation de soi. Les deux premières dimensions semblentles plus prépondérantes. Le questionnaire peut être exploité soit de manièreglobale en un syndrome unique soit par dimension. Le concept de burnout estencore en cours d’évolution, en particulier du fait des modifications récentesde l’organisation du travail impliquant insécurité d’emploi, réductions d’effec-tifs et flexibilité.Pour des raisons historiques, la littérature sur le burnout est beaucoup plusabondante dans les catégories d’emploi « au service des autres » telles que lesprofessions de santé, le travail social et l’enseignement. Même si de nombreuxauteurs s’accordent aujourd’hui sur le fait que tous les types d’emploi peuventêtre concernés, le fait d’être confronté dans son métier à « l’attente » d’unepersonne est un élément supplémentaire à prendre en considération.Les contraintes de l’environnement de travail les plus souvent décrites dans ledéveloppement du burnout sont les suivantes : fortes exigences qualitatives etquantitatives, faible contrôle, faible soutien social, faibles récompenses, man-que d’équité et conflits de valeur. Le conflit de rôle et l’ambiguïté de rôle sontaussi des contraintes fréquemment rapportées comme associées au burnout.On retrouve donc classiquement les expositions aux facteurs de risque psycho-sociaux au travail, telles que celles explorées dans les modèles de Karasek et deSiegrist et auxquelles viennent s’ajouter des concepts plus novateurs. Plusrécemment, un nouveau modèle prédictif du burnout a été développé, lemodèle exigences/ressources (incluant l’autonomie, le soutien social et lespossibilités de développement).Il existe de nombreuses études sur les conséquences morbides du burnout. Lasphère mentale semble la plus concernée. Les liens avec les troubles dépressifset anxieux sont évidemment les plus décrits dans le sens où certains scienti-fiques considèrent le burnout comme une forme de dépression. Les troubles dusommeil et les problèmes d’alcool font partie des conséquences morbidesrattachées au burnout. Des conséquences cardiovasculaires, musculo-squelettiques et immunes ont également été décrites.Des données concernant le burnout chez les indépendants sont disponibles autravers des études menées parmi les professionnels de la santé et en particulierles médecins (médecins généralistes et spécialistes) et les dentistes. Plusieursrevues de la littérature font état d’une prévalence élevée de burnout chez lesmédecins. Les résultats concernant les facteurs de risque ne sont pas toujoursconvergents bien que certains soient plus souvent rapportés : fortes exigences,faible soutien social des collègues, conflit avec la famille et manque deressources. On notera que la plupart de ces études sont transversales et que ladistinction entre salariés et libéraux est rarement faite.

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Par ailleurs, les expositions spécifiques des catégories professionnelles d’indé-pendants à certaines contraintes telles qu’une charge de travail élevée, unefaiblesse de l’environnement social et un rapport au travail peut-être par-ticulier (surinvestissement dans le travail) pourraient les placer dans unesituation favorable au développement du burnout.

Conséquences au niveau cardiovasculaire

Les maladies cardiovasculaires constituent un ensemble de troubles affectant lecœur et les vaisseaux sanguins. Les maladies du cœur représentent 75 % desmaladies cardiovasculaires et comportent les affections coronariennes dont lamort subite, l’infarctus du myocarde et l’angine de poitrine. Les maladies vascu-laires comprennent les accidents vasculaires cérébraux (AVC) ou stroke (dontsont à l’origine la thrombose, l’hémorragie et l’embolie cérébrale), l’artéritedes membres inférieurs, l’embolie pulmonaire et les affections congénitales.

Les pathologies cardiovasculaires constituent depuis le début du siècle dernierla première cause de mortalité dans les pays industrialisés, bien qu’un déclinde ces pathologies ait été observé à deux reprises au milieu des années 1950ainsi que des années 1970. La moitié de ces évènements est attribuable auxfacteurs et comportements à risque classiques (cholestérol, tension artérielle,poids, tabagisme, manque d’activité physique).

Les facteurs psychosociaux dont le stress peuvent avoir une influence indi-recte sur ces affections via des facteurs de risque biocliniques et des comporte-ments de santé et/ou une influence directe via des mécanismes neuroendocri-niens ou du système autonome.

Relations directes et indirectes entre les facteurs psychosociaux et les patholo-gies cardiovasculaires selon un modèle biopsychosocial (Kittel, communica-tion personnelle)366

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

Page 382: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

Sur la base de revues de littérature et de méta-analyses, le stress, selon lemodèle de Karasek ou de Siegrist, semble être un prédicteur fiable d’incidencecardiovasculaire avec des variantes selon le type d’évènement et les variablessociodémographiques. Les facteurs sociodémographiques qui peuvent influen-cer la relation entre stress et affections cardiovasculaires incluent : le typed’occupation (où par exemple avoir une activité professionnelle joue un rôleprotecteur) ; le secteur d’activité (où même pour des indépendants, les sec-teurs de la construction, de la restauration et des professions libérales rendentle travailleur particulièrement vulnérable). L’âge, le sexe et le niveau d’ins-truction sont d’autres exemples plus classiques.

De nouveaux facteurs émergents de risque psychosocial – dont certains ontété démontrés être en rapport avec les affections cardiovasculaires – pour-raient être présents chez les indépendants : l’insécurité de l’emploi, les longshoraires de travail, l’intensification du travail, de fortes exigences émotion-nelles au travail et le déséquilibre entre vie professionnelle et privée.

Sur la base de résultats issus de méta-analyses, l’exposition au job strain dumodèle de Karasek augmenterait le risque de maladies cardiovasculaires de 16à 45 %. Le risque serait accru de 58 à 152 % en cas d’exposition au déséqui-libre efforts-récompenses du modèle de Siegrist. Toutefois, une certaine pru-dence s’impose pour le modèle de Siegrist du fait du faible nombre d’étudesprospectives.

Les études récentes confirment la relation existant entre le stress et de nom-breux facteurs de risque cardiovasculaire tels que : la pression artériellecasuelle, la pression artérielle ambulatoire, l’obésité, le diabète, le fibrinogène,l’inhibiteur de l’activateur du plasminogène de type 1 et le syndrome métabo-lique. Toutefois, une revue de la littérature portant sur 46 études ne supporteque modestement l’hypothèse d’une association constante entre stress(modèle de Karasek ou de Siegrist) et comportements à risque. Les relationsles plus fortes sont observées pour le surpoids et, chez les hommes, pourl’alcool et dans une moindre mesure pour le tabagisme.

En 2003, la Fondation nationale du cœur d’Australie indiquait que les stres-seurs ou évènements de vie aigus peuvent précipiter des évènements corona-riens ; que la dépression, l’isolement social et le manque de soutien socialpeuvent expliquer en partie la variabilité des occurrences de maladies corona-riennes et que le risque accru dû à ces facteurs est comparable à celui defacteurs de risque classiques tels que le tabagisme, l’hypercholestérolémie etl’hypertension. Les facteurs de risque psychosociaux peuvent former un clus-ter de manière analogue aux facteurs de risque conventionnels et l’attentionportée à ces facteurs psychosociaux peut améliorer les issues auprès despatients coronariens.

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Conséquences musculosquelettiques

Le terme « affections musculosquelettiques » recouvre un ensemble large dediagnostics et de symptômes. Les troubles fréquents dont les liens avec lesexpositions professionnelles, particulièrement les contraintes posturales etbiomécaniques, sont reconnus ou discutés incluent : les rachialgies (principa-lement : lombalgies et cervicalgies), les troubles musculosquelettiques (TMS)du membre supérieur, ainsi que les TMS du membre inférieur, principalementles problèmes de genou. Ces troubles sont habituellement classés selon lalocalisation des douleurs ou des limitations de mouvement, complétée ponc-tuellement par des diagnostics.

Les mécanismes reliant stress et pathologie ne suffisent pas à comprendre leseffets du stress dans le domaine musculosquelettique, qui doivent intégrer leseffets des expositions biomécaniques et posturales. Les expositions bioméca-niques jouent un rôle très important, et il serait difficile, voire impossible, deles ignorer. Il est nécessaire également de préciser les définitions utilisées dansce contexte. Du côté du stress sont évoquées des contraintes autres quebiomécaniques ou posturales, classées en deux catégories principales : exposi-tions à des facteurs psychosociaux liés au travail d’une part, et à des facteursliés à l’organisation du travail d’autre part.

Les facteurs liés à l’organisation du travail, appelés facteurs « en amont »,recouvrent les aspects structurels liés aux tâches à accomplir et à l’organisa-tion (la façon dont les processus de travail sont structurés et gérés) y comprisles contraintes temporelles, la nécessité d’effectuer des tâches dans des délaiscourts ou en prenant des risques. Les seconds types de facteurs appelés psycho-sociaux se réfèrent aux qualités de l’environnement de travail telles queperçues par le sujet, donc comportant une dimension subjective.

La littérature disponible concerne essentiellement les facteurs psychosociauxau travail et se rapporte au site de douleur ou (moins souvent) à une patholo-gie spécifique. Il est également pertinent de considérer l’ensemble des facteursde risque professionnels, qui documentent la place relative des facteurs psy-chosociaux comparée à celle d’autres types de facteurs de risque. L’analyse dela littérature permet d’évaluer l’importance des facteurs psychosociaux pourdifférentes dimensions de santé musculosquelettique.

Pour la plupart des sites de douleur, de nombreuses études montrent des liensavec les expositions aux facteurs de risque psychosociaux, mais les associa-tions sont souvent d’intensité modeste, et globalement moins fortes dans lesétudes dont la qualité méthodologique est la meilleure (études longitudi-nales). Le niveau de preuve varie également selon le site de douleur. Pour lesdouleurs cervicales et les douleurs d’épaules, les associations avec la« demande » au travail, le manque de latitude, et le manque de soutien social,sont retrouvées de façon assez constante. Pour les troubles portant sur le couet le membre supérieur, les facteurs psychosociaux sont liés de façon modeste368

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

Page 384: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

aux troubles, sans qu’il y ait d’association spécifique. Les relations sont moinsévidentes pour des pathologies spécifiques, syndrome du canal carpien oupathologies du coude. Concernant les lombalgies, les associations, habituelle-ment observées dans des études transversales, deviennent moins nettes, voireinexistantes, dès lors qu’on se limite à l’examen d’études longitudinales, apriori plus solides du point de vue méthodologique. Au niveau du membreinférieur, les conclusions sont plutôt négatives. Il est possible que certainesdes pathologies en cause, dont l’arthrose (arthrose du genou...), ne soient pasliées de façon étroite à ces facteurs de risque.

L’organisation du travail de façon générale a fait l’objet de moins d’études.Cependant, certains résultats portent sur des dimensions objectives de lademande qui pourraient être considérées comme relevant de l’organisation dutravail, tels que l’existence de contraintes temporelles dans le travail. Denombreux facteurs intervenant « en amont » (tels que la dépendance parrapport aux clients ou par rapport aux donneurs d’ordre) sont susceptiblesd’augmenter à la fois le niveau d’exposition à des facteurs biomécaniques(avec des effets sur la santé), et le niveau de stress perçu.

Parmi les limites des résultats disponibles, il faut souligner un écart certainentre les connaissances sur les effets à court terme, qui peuvent être issuesd’études expérimentales et plus faciles à documenter du point de vue de lacausalité, et les connaissances sur les effets à distance, qu’il s’agisse d’effets devariables intervenant « en amont » ou d’effets à long terme. En particulier, leseffets d’expositions sur une période relativement longue, ou les effets mainte-nus plusieurs années après l’arrêt de l’exposition, sont insuffisamment connus.

Stress et accidents liés au travail

Il est plus complexe qu’il ne paraît de savoir ce que recouvre le terme« accident », la limite entre « maladie » ou « trouble » et « accident » étantsouvent imprécise. Les accidents incluent bien souvent des conséquences desur-sollicitations ou de mouvements forcés qui pourraient aussi être rangésparmi les troubles musculosquelettiques. Le poids des catégories médico-administratives « accidents » classées comme liées au travail et souventindemnisables à ce titre, est également important, et complique les comparai-sons entre pays, ainsi que les comparaisons entre catégories (dont celle desindépendants) à l’intérieur d’un même pays.

Les études publiées sur les liens entre stress et accidents au travail (ou liés autravail) ne portent pas spécifiquement sur des populations d’indépendants.Cependant, la plupart des facteurs en cause dans les accidents au travail sontpertinents pour les indépendants.

Le stress ou la fatigue, entraînant un manque d’attention ou des réflexes moinsrapides, sont considérés comme augmentant les risques d’accidents. En

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amont, plusieurs auteurs insistent sur le rôle du nombre d’heures travaillées,qui lui-même peut être lié à une charge de travail élevée et à l’existence deproblèmes financiers. Encore en amont, les contraintes liées au contrat detravail ou au lien de subordination vis-à-vis de donneurs d’ordre sont égale-ment évoquées, dans des études portant sur des salariés.

Plusieurs études montrent de façon précise que le risque d’accident est accruen situation de demande psychologique élevée, de forte demande émotion-nelle, et de conflit avec des collègues ou le supérieur hiérarchique. Le rôle dunombre d’heures travaillées a également été documenté de façon précise, lesheures travaillées au-delà d’un horaire de 8 heures par jour ou 40 heures parsemaine étant des heures à risque accru d’accident.

Trop peu d’études s’intéressent aux accidents dont sont victimes les indépen-dants, alors même que leurs conditions de travail comportent des dimensionsspécifiques dont le rôle pourrait être particulièrement important : longuesheures de travail, mais aussi isolement, et moindre proximité de règlescontraignantes en matière de sécurité au travail.

Mécanismes associant stress et pathologies

Le terme « stress » et certains aspects du concept qui lui sont rattachés ont étéintroduits par H. Selye en 1936. Ce terme est contemporain de la notiond’homéostasie proposée par W. Cannon en continuité avec celle de fixité dumilieu intérieur due à C. Bernard.

« Stress », mot anglais, représente la contrainte, la force que l’on exerce ;« strain » signifie la déformation de l’élément de matière, la réponse donc à lasollicitation imposée. En toute rigueur, « stress » est le « stresseur » (facteur destress) et « strain » le processus en réponse au stress. Le stress peut êtreconsidéré comme un concept fondamentalement biologique, les stresseursagissant par l’intermédiaire de processus mentaux, cognitifs, émotionnels,tout phénomène mental ayant par essence une correspondance cérébrale etbiologique.

Toute personne est soumise en permanence à l’influence d’évènements de vieet de modifications environnementales. Selon ses caractéristiques, elle éva-luera les évènements selon une échelle de valeurs allant de l’indifférence àune perception mineure ou majeure et s’en suivra des retentissements varia-bles selon l’imprévisibilité, la nouveauté ou l’incertitude attachées à la situa-tion. Ces différences d’appréciation et de retentissements dépendent de fac-teurs individuels (y compris génétiques) et de l’histoire personnelle (y comprisles évènements qui se sont déroulés pendant la période pré- et périnatale et lapetite enfance).

Sommes-nous devant un nouveau paradigme médical : les pathologies socia-les (de l’anglais « social pathologies »), le stress n’en étant que l’un des éléments370

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

Page 386: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

participants ? Les pathologies sociales toucheraient-elles des individus de plusen plus nombreux en état de vulnérabilité soumis à des facteurs dits psycho-sociaux ? En effet, il est montré que des milieux socio-économiques précaires,des environnements délétères, des maltraitances, des inégalités, des situationsd’exclusion, d’humiliation, laissent des traces biologiques de nature épigéné-tique – en particulier chez le petit enfant – qui peuvent conduire à développerultérieurement des pathologies.

Quels sont les fondements biologiques ? Les travaux expérimentaux montrentqu’après un évènement isolé produisant un stress aigu, l’équilibre homéostatiqueen général se rétablit. Cet équilibre peut être de nature cognitive. De l’évalua-tion intervenant dans la transaction entre le stresseur et l’individu et de l’ajuste-ment qui en résulte naît une stratégie ayant pour but de faire face. Les processusémotionnels sont naturellement d’un intérêt majeur. L’équilibre homéostatiqueest sous la dépendance de mécanismes neuroendocriniens qui font intervenirl’axe sympathique et l’axe corticotrope. D’une part, des activations nerveusesdans les régions fronto-cortico-limbiques du cerveau entraînent la mobilisationde l’axe sympathique-médullo-surrénalien et l’activation des catécholamines(adrénaline et noradrénaline). D’autre part, des facteurs du système nerveuxcentral activent l’axe hypothalamo-hypophyso-corticosurrénalien et condui-sent, via la production de CRF (Corticotropin Releasing Factor), à la libération del’hormone cortisone (cortisol chez l’homme).

Effets du stress aigu sur le cerveau

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Si les stresseurs perdurent ou se répètent ou si le sujet est particulièrementvulnérable, les défaillances physiologiques apparaissent et, de plus en plus desystèmes sont impliqués. Il s’agit alors d’un stress chronique.

Selon les fragilités existantes chez la personne, des pathologies peuvent appa-raître, en premier lieu par l’intermédiaire de perturbations du système immu-nitaire et de processus inflammatoires. Véritables « maladies de l’adapta-tion », les pathologies liées au stress chronique ont fait l’objet de nombreusesétudes épidémiologiques lesquelles ont précisé les relations statistiques entrecertaines contraintes de travail et ces altérations de santé.

Sont concernées des pathologies dont l’importance sur la santé publique n’estplus à démontrer : troubles de l’humeur (anxiété, dépression), troubles dusommeil, troubles des comportements consommatoires (anorexie, boulimie,toxicomanies), maladies cardiovasculaires (hypertension artérielle et maladiescoronariennes) et digestives, troubles musculosquelettiques et pathologies liéesau système immunitaire voire cancer. Pour comprendre comment l’organismepasse d’un état normal à un état pathologique, il est nécessaire d’expliquer parquels mécanismes un état de stress peut aboutir à ces pathologies.

L’hypersécrétion de cortisol et de catécholamines en cas de stress chroniquepeut conduire à l’apparition d’un syndrome métabolique associant plusieurssymptômes : obésité abdominale, état de résistance à l’insuline pouvant évo-luer vers un diabète, hypertension artérielle et perturbations du métabolismedes lipides sanguins. Ces perturbations métaboliques représentent un facteurde risque pour le système cardiovasculaire (athérosclérose, thrombose).

Le stress est également impliqué dans le déclenchement et/ou la majorationde symptômes digestifs. Le CRF apparaît au centre des mécanismes physiopa-thologiques des effets du stress sur le tube digestif.

Concernant les troubles musculosquelettiques, il est aujourd’hui reconnu quele stress potentialise l’impact des sur-sollicitations biomécaniques. Les effetsdu stress semblent médiés par le système autonome, le système endocrine et lesystème immunitaire.

L’altération de la régulation de l’axe corticotrope en cas de stress chroniqueapparaît impliquée dans les troubles de l’humeur : des augmentations desécrétions basales de cortisol ont souvent été rapportées chez l’homme. Desanomalies circadiennes (avances de phase du rythme de cortisol) sont suspec-tées comme lien possible entre stress chronique et dépression. L’axe cortico-trope intervient également largement dans la modulation des comportementsaddictifs par le stress et dans les troubles du sommeil liés au stress.

Enfin, des liens très étroits existent entre les deux axes principaux du stress etle système immunitaire. Ce dernier est informé, par l’intermédiaire des sys-tèmes nerveux autonome et central, de stimuli cognitifs, émotifs et physiquesintégrés par le cerveau. En retour, le cerveau reçoit des messages du systèmeimmunitaire par l’intermédiaire de neuropeptides hormonaux et de cytokines.372

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

Page 388: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

Les conséquences pathologiques du stress peuvent résulter d’altérations immuni-taires. Le stress, via l’induction d’une transition dans l’équilibre entre lympho-cytes T helper de type 1 et de type 2, aurait des effets délétères, dans l’évolutiondes maladies infectieuses, auto-immunes, inflammatoires et cancéreuses.

Les marqueurs biologiques utilisés pour identifier les effets du stress sur la santése rapportent aux mécanismes physiologiques perturbés lors du stress. Lesmarqueurs dits primaires (cortisol, adrénaline, cytokines...) correspondentaux premiers médiateurs libérés dans le sang. Les marqueurs secondaires sontdes molécules ou des processus physiologiques modifiés suite à l’activation desmédiateurs primaires afin de compenser leurs effets. Il s’agit de marqueursmétaboliques, cardiovasculaires ou immunologiques qui atteignent desniveaux sub-cliniques après un stress prolongé. Ces marqueurs ne sont passans poser de problèmes étant donné la complexité des mécanismes mis en jeuainsi que la variabilité de réponse des individus. De nouvelles approchesd’évaluation du stress chronique s’appuient sur les outils de la génomique pourmesurer l’ensemble des gènes activés ou modifiés dans les cellules immuni-taires et sur l’imagerie cérébrale pour suivre les modifications structurelles oufonctionnelles de certaines régions du cerveau.

Facteurs individuels de vulnérabilité au stress

De nombreux travaux de recherche se sont intéressés aux facteurs individuelsde vulnérabilité au stress. La vulnérabilité individuelle au stress sembleinfluencée par une interaction complexe entre des facteurs génétiques etl’environnement au sens large. Le patrimoine génétique pourrait prédisposerun individu à subir plus ou moins intensément des évènements aversifs. Lesexpériences vécues tout au long de la vie peuvent façonner sa réactivité austress, avec des fenêtres de vulnérabilité plus grandes en particulier durant lapetite enfance, lors de la maturation du cerveau, mais aussi pendant l’adoles-cence et la vieillesse. L’épigenèse est un des mécanismes par lequel l’environ-nement marque le fonctionnement des gènes et ainsi influence la réactivité austress des individus. Cette influence est différente selon le sexe et l’âge del’individu.

Chez l’homme, c’est par des études de génétique quantitative que l’influencede facteurs génétiques sur la réactivité au stress a été étudiée. La comparaisonde jumeaux monozygotes (partageant le même patrimoine génétique) à desjumeaux dizygotes (partageant 50 % de leur patrimoine génétique) permetd’estimer l’influence de la génétique sur les réponses de stress. Une contribu-tion génétique est révélée si la concordance entre jumeaux monozygotes estplus élevée que la concordance entre jumeaux dizygotes. De l’ensemble desétudes, on peut déduire que les gènes contribuent pour environ 40 % de lavariabilité interindividuelle au stress. Les études les plus récentes prennent encompte des effets connus de l’environnement, donc l’interaction gènes et

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environnement, pour estimer l’effet global des gènes. Par exemple, la compa-raison des concordances entre jumeaux monozygotes et dizygotes se fait enséparant les jumeaux ayant connu une enfance difficile de ceux ayant uneenfance sans problème.

L’influence des gènes sur la réactivité au stress a été explorée chez l’animal, pardes études de sélection génétique portant sur une mesure de réactivité austress. La sélection génétique consiste à sélectionner dans une populationhétérogène les animaux les plus réactifs (que ce soit par des mesures compor-tementales ou par des mesures endocriniennes) et de les croiser entre eux.Parallèlement, la même sélection est faite pour les animaux les moins réactifs.Au bout de quelques générations, des lignées dites divergentes pour un trait deréactivité au stress sont établies. De telles sélections ont été faites par exemplepour des mesures comportementales d’anxiété, pour des mesures de résigna-tion ou pour des mesures de corticostérone (hormone glucocorticoïde chez lesrongeurs) en réponse à un stress.

L’identification des gènes impliqués dans la réponse au stress fait intervenir lagénétique moléculaire. Une première approche consiste à tester l’influence depolymorphismes de l’ADN à l’intérieur de gènes candidats, codant pour lesmédiateurs connus de la réponse au stress. Par exemple, une étude a montréque le gène codant pour le transporteur de la sérotonine contient un polymor-phisme qui influence l’apparition de symptômes dépressifs selon le nombred’évènements stressants ayant été subis par les individus. De même, la réacti-vité émotionnelle des individus (mesurée par imagerie cérébrale) apparaîtmodulée par leur génotype au niveau du gène codant pour le neuropeptide Y.

Aujourd’hui, avec la disponibilité de la séquence complète du génomehumain ainsi que le développement de technologies à haut-débit, il estpossible de cribler l’ensemble du génome dans une même étude sur une grandepopulation. Ce sont les études dites pan-génomiques. Concernant la réacti-vité émotionnelle à un stress, 25 marqueurs associés à des gènes ont ététrouvés très significativement influents. Ce type d’étude a l’avantage de ne pasposer d’hypothèse de départ sur les gènes en cause.

Parallèlement, d’autres travaux de recherche ont exploré comment, en inter-action avec sa génétique, les évènements de vie, l’histoire de l’individu vontfaçonner dès la période intra-utérine sa réactivité au stress. Le mécanismebiologique principal sous-jacent semble être l’épigenèse. Le terme épigénéti-que définit les modifications transmissibles et réversibles de l’activation desgènes ne s’accompagnant pas de changements de séquence de l’ADN.L’influence des stresseurs sur la méthylation de l’ADN a d’abord été montréepour le comportement maternel chez l’animal par un groupe québécois en2005. Des rats élevés par des mères prodiguant peu de soins maternels avaientune réactivité au stress accrue à l’âge adulte et un déclin cognitif plus pro-noncé au cours du vieillissement. Ces observations n’étaient pas d’originegénétique car des adoptions croisées (ratons nés de mère peu maternelle374

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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élevés par une mère maternelle) produisaient des rats adultes à la réactivité austress normale. Les études moléculaires menées chez ces animaux ont montréque la réactivité au stress chez les rats n’ayant pas eu de soins maternels étaitdue à une hyper-méthylation du gène codant pour le récepteur aux glucocor-ticoïdes (associée à une déacétylation des histones associées) dans une struc-ture cérébrale, l’hippocampe. Cette modification épigénétique et l’effet asso-cié sont réversibles puisque l’infusion dans le cerveau des rats d’un inhibiteurde déacétylase rétablit une réactivité au stress normale. Ce mécanisme sembleexister également chez l’homme. Par exemple, une étude portant sur descerveaux de suicidés montre que les traumatismes subis pendant l’enfancelaissent des marques épigénétiques sur le gène des récepteurs aux glucocorti-coïdes, ce qui rendrait les individus plus vulnérables au stress lorsqu’ilsdeviendront adultes.

De plus, de nombreuses études ont montré que la prévalence des pathologiesliées au stress n’est pas la même chez les hommes et les femmes. Les hommessont plus sensibles aux pathologies cardiovasculaires, aux infections, aux abusde drogues. Les femmes développent plus de dépression, de troubles anxieux,de phobies et de maladies auto-immunes. La réponse du cortisol au stresssemble, selon les études, montrer une différence entre les hommes et lesfemmes : le niveau de cortisol induit par un stress est en général plus élevéchez les hommes mais dure plus longtemps chez les femmes. Chez les femmes,cette différence dépend de la phase du cycle menstruel et de la prise de pilulecontraceptive. Par ailleurs, les effets du stress sur le remodelage des structurescérébrales (atrophie des neurones ou augmentation de l’arborisation) sontdifférents chez l’animal entre mâles et femelles. Les bases biologiques de cesdifférences semblent être liées en partie à la présence d’œstrogènes puisque lesfemelles ovariectomisées vont réagir comme les mâles. De même, dansl’espèce humaine, les femmes pré-pubères, en phase lutéale du cycle menstruelou encore ménopausées ne montrent plus de différences avec les hommes. Parailleurs, les hommes et les femmes ne présentent pas la même sensibilité à unmême stresseur : les hommes sont plus sensibles au stress portant sur laperformance alors que les femmes sont plus sensibles aux stress liés auxconflits interpersonnels.

Enfin, la réponse au stress varie également avec l’âge. Une revue de lalittérature récente montre comment les effets du stress sur le cerveau sontdifférents selon la période de la vie, chez l’animal comme chez l’homme. Lesvariations sont liées à la maturation de diverses structures cérébrales impor-tantes dans la sensibilité au stress. Les interactions entre les différentes pério-des jouent un rôle prépondérant, avec en particulier l’impact du stress préna-tal sur la vulnérabilité au stress retrouvée à l’état adulte.

La variabilité individuelle dans la vulnérabilité ou la résilience au stressapparaît donc comme le résultat d’interactions complexes entre des facteursgénétiques, le genre, le développement et les facteurs de l’environnement dechaque personne tout au long de sa vie.

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Types d’interventions de prévention du stress professionnel

Selon la définition de l’Agence européenne pour la sécurité et la santé autravail de Bilbao, l’état de stress chronique au travail résulte d’un déséquilibreentre la perception des contraintes imposées par l’environnement et desressources dont le travailleur dispose pour y faire face. Les contraintes autravail sont perçues différemment selon qu’elles sont inhérentes au métier(comme la confrontation à la mort pour le personnel soignant) ou qu’ellessont générées par l’environnement du travail (facteurs internes à l’entreprisecomme le manque d’effectif dans un service hospitalier). Les contraintesinhérentes au métier sont en général mieux tolérées car elles sont intégrées auchoix du métier.

Le stress chronique n’est pas le seul risque psychosocial au travail. Les risquespsychosociaux intègrent également les risques de violence externe46, violenceprovenant de personnes extérieures à l’entreprise (usagers, clients, patients,élèves...) et de violence interne47, qui oppose entre eux des personnels d’unemême structure de travail. Le maintien de la santé mentale et physique dessalariés doit également prévenir la souffrance ou le mal-être au travail.

En France, il n’existe pas de réglementation spécifique à la prévention dustress au travail. Cependant, depuis 1991 la loi définit une obligation généralede sécurité qui impose au chef d’établissement d’évaluer tous les risquesprofessionnels (physiques, chimiques, biologiques...) y compris psychosociauxet de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de ses salariés etprotéger leur santé physique mais aussi mentale.

La prévention du stress et des risques psychosociaux a donné lieu depuis 35 ansà une panoplie de méthodes de prévention à destination des salariés et /ou desorganisations. Les différences entre ces méthodes portent sur le moment où ellesse mettent en place par rapport au processus séquentiel du stress chronique(décrit dans la figure ci-dessous) mais aussi selon leurs objectifs.

46. Les violences externes sont des insultes ou des menaces ou des agressions physiques oupsychologiques exercées contre une personne sur son lieu de travail par des personnesextérieures à l’entreprise, y compris les clients, et qui mettent en péril sa santé, sa sécurité ouson bien-être.47. Elles incluent à la fois la violence psychologique au travail, le harcèlement moral, sexuel etcorrespondent à des agressions verbales ou physiques émanant de collègues ou de respon-sables hiérarchiques.376

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Chaîne causale : « stresseurs », stress et conséquences (selon l’Agence euro-péenne pour la sécurité et la santé au travail de Bilbao) et différents typesd’interventions de prévention (schéma adapté de D. Chouanière, INRS)

La prévention primordiale consiste à agir, en amont de toute difficulté enmettant en place, dans une entreprise, un service ou un atelier, une organisationet des conditions de travail (organisation de l’activité, gestion des ressourceshumaines, environnement matériel...) permettant de garantir la santé des sala-riés. La prévention primaire a pour objectif de diminuer l’impact des contrain-tes intrinsèques au métier et de diminuer les contraintes organisationnelles afinde limiter l’apparition ou l’importance du stress chronique. Il peut s’agir, parexemple, de proposer aux soignants très exposés à la mort dans des services desoins palliatifs ou d’oncologie des séances de debriefing après chaque évènementtraumatisant. L’approche est donc principalement collective.

La prévention secondaire s’adresse à des travailleurs déjà soumis à un état destress chronique ; elle vise à inverser, réduire ou ralentir la progression desmaladies liées au stress chronique et à accroître les ressources individuelles poury faire face. La prévention tertiaire s’adresse aux personnes déjà atteintes desdifférentes pathologies liées au stress chronique (troubles anxio-dépressifs oumusculosquelettiques, pathologies cardiovasculaires...). Il s’agira alors d’éviterque l’état de santé de ces personnes ne se détériore davantage et de leurpermettre le retour au travail. Ces différents types de prévention ne sont pasincompatibles et sont souvent associées de façon séquentielle ou concomitante.

Les interventions de prévention du stress se déclinent également selon leurfinalité : optimisation de comportements individuels ou amélioration desfacteurs collectifs liés à l’organisation du travail. La gestion individuelle dustress s’appuie sur des techniques de gestion des émotions (relaxation/méditation...) et/ou de psychothérapie cognitivo-comportementale. Celle-ci

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suppose que les émotions et le comportement sont influençables par l’infor-mation et la prise de conscience : une personne peut, en modifiant sonévaluation d’une situation jusqu’ici stressante, relativiser son incapacité à yfaire face, amenant une atténuation des réactions biologiques de stress. Lesdémarches visant à améliorer les contraintes organisationnelles s’appuient surles stratégies de gestion du risque communes à l’ensemble des risques profes-sionnels (démarches « projet ») avec diagnostic collectif (évaluation del’importance du problème, identification des contraintes et facteurs organisa-tionnels, évaluation de l’état de santé des travailleurs...), mise en place d’unplan de prévention et évaluation.

En France, d’autres méthodes de prévention du stress que les interventionsindividuelles et organisationnelles se sont installées, en particulier l’ergono-mie de l’activité spécifiée aux risques psychosociaux. Elle se définit commeune discipline de l’action orientée vers la conception ou la transformationd’outils ou de situations de travail. On peut également citer la psychodyna-mique du travail, discipline de recherche mais aussi démarche d’action propo-sant à un groupe de salariés, guidé par un intervenant formé, d’identifiercollectivement les causes d’une situation de travail délétère et d’élaborer dessolutions. Cette démarche est utilisée préférentiellement dans des situationsde travail déjà très détériorées (suicide sur le lieu du travail, violence, conflitstrès aigus...). De nombreuses autres pratiques d’intervention en entreprises,tout à fait expérimentales ou fondées sur des approches théoriques (approchesystémique par exemple), sont développées par des consultants libéraux sou-vent dans des situations dégradées.

À côté de ces actions de prévention spécifiquement dédiées à la prise encompte du stress et/ou de la souffrance au travail, se sont mis en place desprogrammes de promotion de la santé au sein même des entreprises. Dans lesannées 1980, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a développé desprogrammes de « bien-être » ou de qualité de vie qui étaient centrés surl’individu et intégraient l’éducation pour la santé, des examens de santé, desformations à la gestion du stress, la diététique dans les cantines et des soins dudos. Depuis 1990, la promotion de la santé selon l’OMS est devenue plusglobale et intégrative, tenant compte à la fois des facteurs de risque indivi-duels et des aspects organisationnels et environnementaux du travail. Lancéen 2001 par l’Organisation internationale du travail, le programme Solvetraite de façon intégrée, dans les entreprises, les problèmes du stress, de laconsommation de drogues et d’alcool, de la violence, du VIH/sida et dutabagisme. Ce type de programme pose néanmoins un problème éthiquevis-à-vis des salariés (qui sont liés à leur employeur par des liens de subordina-tion, lesquels peuvent polluer l’adhésion ou pervertir le volontariat) et leurcentrage sur les comportements individuels ne permet pas d’explorer l’activitéréelle de travail et ses risques.

L’efficacité des démarches de prévention est difficile à évaluer. Les interven-tions individuelles qui représentent toujours 80 % des actions rapportées dans378

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les publications, présentent souvent des défauts méthodologiques et unegrande hétérogénéité qui ne permettent pas de conclure sur les modes d’inter-vention les plus efficaces. Les actions organisationnelles pêchent égalementsur le plan méthodologique, leur évaluation se heurte au difficile recrutementd’une entreprise « contrôle » ou encore aux changements organisationnelspermanents du monde du travail. Néanmoins, il est souvent mis en avant queles actions sur l’organisation du travail ont des effets plus durables et plusimportants que les approches visant l’individu car elles agissent à la source. Eneffet, elles améliorent à la fois les variables organisationnelles (absentéisme,turn-over...) et les variables individuelles (perception des conditions de tra-vail, problèmes de santé, symptômes de stress...). Les actions de promotion dela santé semblent avoir des effets plutôt modérés tant sur les variables organi-sationnelles que sur les variables individuelles mais les problèmes méthodolo-giques ne permettent pas de conclure définitivement.

Concernant les travailleurs indépendants, une publication met également enévidence un effet discret d’un programme de thérapie psycho-comportementalesur le retour au travail après arrêt pour dépression, anxiété ou burnout.

Avec une approche qualitative, deux études portant sur les professionnels desanté et les médecins généralistes montrent l’efficacité de la prévention duburnout fondée sur la participation à des groupes Balint (travail en groupe depairs et construction de règles de métier) ou l’analyse de pratiques entre pairs.

Malgré le manque d’étude chez les indépendants, on peut penser que laprévention des risques psychosociaux (stress et violences) pourrait chez cestravailleurs, être associée à la promotion de la santé qui ne pose pas, chez lesindépendants, les mêmes problèmes éthiques que chez les salariés. Elle peutêtre envisagée comme une prévention globale (primaire, secondaire, ter-tiaire), intégrée dans la prévention des risques professionnels, collectives’appuyant sur les organisations professionnelles existantes et une préventionindividuelle par le biais de sites web spécifiques, attractifs et bien ciblés sur lescontraintes propres aux indépendants.

Analyses coût-avantage des interventions de préventiondu stress professionnel

Le stress au travail constitue un enjeu économique et financier majeur,notamment à travers le poids économique des maladies imputables à l’exposi-tion à ce facteur de risque. Parmi les pathologies associées au stress profession-nel, les troubles de santé mentale ont un impact économique important, dansla mesure où ils entraînent des dépenses de santé élevées, des pertes deproduction liées à l’absentéisme (et parfois au décès) et des pertes de produc-tivité (présentéisme), ainsi qu’une détérioration de la qualité de vie dessalariés. Face à cette préoccupation, l’évaluation économique des politiques

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de prévention constitue un outil d’aide à la décision à la fois pour les décideurspublics et les entreprises.

Les analyses coût-avantage sont définies comme l’ensemble des analyses coût-efficacité, coût-utilité et coût-bénéfice, pour lesquelles les méthodologies d’éva-luation sont aujourd’hui détaillées et largement diffusées en économie de lasanté mais beaucoup moins présentes dans le domaine de la santé au travail. Cesanalyses intègrent deux perspectives d’évaluation : d’une part une perspectivenationale, pertinente pour l’action publique, où on distingue le point de vue desfinanceurs (ATMP, branche accident du travail/maladie professionnelle etbranche assurance maladie) et le point de vue plus large de la société, prenanten compte l’ensemble des pertes de bien-être social (y compris le coût social desannées de vie perdues et les coûts en termes de qualité de vie) ; et d’autre part laperspective des entreprises, pertinente pour étudier les mécanismes d’incitationà la prévention sur le lieu de travail. Ce point de vue tient compte des pertes deproduction liées à l’absentéisme et au présentéisme, et des dépenses de l’entre-prise visant à compenser les atteintes à la santé des salariés (cotisations ATMP,indemnités versées aux salariés) qui n’interviennent pas ou peu dans les déci-sions stratégiques des entreprises jusqu’à présent en France, à la différence despays d’Amérique du Nord par exemple.

Les publications disponibles sur les évaluations économiques des interven-tions de prévention du stress professionnel et des troubles de santé mentale enmilieu de travail sont peu abondantes si l’on applique les critères d’inclusioncommunément admis dans la littérature. Parmi les 10 études sélectionnées, 9portent sur des actions focalisées au niveau individuel, et seulement une étudese situe à la fois au niveau individuel et organisationnel. En effet, les interven-tions de prévention sont largement centrées sur la formation ou sur desthérapies orientées vers le salarié, et de façon beaucoup plus rare sur deschangements sur le lieu de travail.

Sept études sur les dix sélectionnées concluent que l’intervention est coût-avantageuse et fournissent des données monétaires portant sur le bénéfice netissu de l’intervention (par salarié ou pour l’organisation dans son ensemble)ou sur le rapport coût-efficacité de l’intervention. Cependant, les objectifsvisés par les études sont hétérogènes (prévention de l’exposition au stressprofessionnel ou de la dépression, promotion du retour au travail...) et ellessont difficilement comparables entre elles. La question qui se pose égalementest le degré de reproductibilité des formations réalisées en entreprise/organisation selon les experts mobilisés. En outre, le résultat coût-avantageuxd’une intervention dans un pays donné n’est pas forcément transposable à unautre pays doté d’un système de protection sociale différent. Par exemple, lecoût de l’absentéisme selon la perspective de l’employeur peut représenter unpoids économique très élevé ou au contraire limité si les indemnités journa-lières sont prises en charge par le système de protection sociale (comme en

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France). La méthodologie d’évaluation des coûts, qui dépend de la perspec-tive adoptée pour l’évaluation, doit être adaptée aux différences institution-nelles et réglementaires selon les pays. Trois études ont un bilan coût-avantage négatif. Dans ces trois cas, le bilan est négatif non pas parce quel’intervention étudiée est trop coûteuse mais parce que l’intervention n’a pasd’effet significatif sur la santé des salariés (et donc sur les congés maladie).

Certaines failles méthodologiques peuvent aussi affaiblir la portée des étudescoût-avantage des interventions de prévention en limitant leur qualité scien-tifique : absence de groupe contrôle, absence de tests statistiques adéquats,prise en compte partielle de l’incertitude sur les paramètres de l’évaluation.De plus, la durée de mise en œuvre des interventions est souvent courte(d’une durée inférieure à trois mois). Quelques études ont un bilan coût-avantage négatif non pas parce que l’intervention étudiée est trop coûteusemais parce que l’intervention n’a pas d’effet significatif sur la santé des salariés(et donc sur les congés maladie).

La perspective adoptée dans les études sélectionnées est majoritairement cellede l’employeur. Adopter cette perspective conduit souvent à axer l’analyse descoûts sur les pertes de production liées à la pathologie ou à l’accident dutravail, et à laisser de côté les coûts liés à la perte de qualité de vie. En outre,les études menées du point de vue de l’employeur se heurtent à un obstacle liéau fait que certains coûts, pourtant sans doute déterminants, peuvent diffici-lement être quantifiés et valorisés. Par exemple, un accident du travail graveou une série de pathologies professionnelles identiques au sein d’un mêmedépartement peuvent avoir un impact délétère sur le climat social de l’entre-prise, sur la motivation des salariés et le turnover, ou sur l’image de l’entreprisesur le marché du travail par exemple.

Il y a donc un réel décalage entre d’un côté la quantité limitée d’étudesdisponibles dans la littérature, et de l’autre la prévalence des troubles de santémentale dans la population active ainsi que l’exposition croissante aux risquespsychosociaux au travail. Le fait d’imputer un trouble de santé mentaleà des expositions professionnelles (par rapport aux expositions extra-professionnelles) est une démarche encore largement débattue, ce qui rendd’autant plus difficile la reconnaissance de ces maladies comme maladiesprofessionnelles. Les données permettant une mesure du coût de la part del’employeur sont difficiles à collecter.

Les évaluations économiques d’interventions de prévention du stress profes-sionnel et des troubles de santé mentale au travail pourraient constituer unlevier important pour l’amélioration de la santé mentale au travail. Parmi lesétudes analysées, aucune ne porte spécifiquement sur les travailleurs indépen-dants, ce qui traduit une absence de données portant sur cette populationdans les évaluations coût-avantage des interventions de prévention du stressau travail.

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Recommandations

Au cours des dernières décennies, des travaux scientifiques de plus en plusnombreux ont abordé la question du stress au travail et des instrumentsd’évaluation sont apparus, fondés sur plusieurs concepts et modèles. Cesinstruments ont eux-mêmes évolué au cours de la décennie 2000 avec l’appa-rition ou la prise en compte de nouveaux concepts. On parle aujourd’hui defacteurs psychosociaux au travail, cette notion est probablement plus repré-sentative de la multiplicité et de la diversité des facteurs de stress rencontrésen milieu de travail. Ces facteurs recouvrent les contraintes psychologiques,sociales et relationnelles dérivées de l’organisation du travail, englobant ainsitoutes les expositions professionnelles qui ne relèvent pas d’agents physico-chimiques.

En 2009, le Collège d’expertise sur le suivi statistique des facteurs de risquespsychosociaux au travail (rapport intermédiaire) réuni à la demande du minis-tère du Travail a proposé six dimensions pour explorer les problématiquesexistantes ou émergentes sur les facteurs de risque psychosociaux au travail.Trois de ces dimensions recoupent largement les concepts anciens : les exi-gences au travail, l’autonomie et les marges de manœuvre, les rapports sociauxet relations au travail. Les trois autres, à savoir les exigences émotionnelles,les conflits de valeur et l’insécurité d’emploi permettent de compléter ladescription des expositions à des facteurs psychosociaux et sont particulière-ment pertinentes chez les non-salariés (indépendants).

En 2007, selon l’enquête Emploi de l’Insee, les travailleurs non-salariésconstituaient environ 11 % de la population active. Cette population secaractérise par sa grande hétérogénéité et une variabilité d’effectifs des diffé-rentes catégories dans le temps. On retrouve dans cette population, outre lesexploitants agricoles et les aides familiaux, les artisans et commerçants, cer-tains chefs d’entreprise, les professions libérales (réglementées ou non), desprofessions intermédiaires de la santé et du travail social. L’émergence denouveaux statuts, le cumul d’activités salariées et non-salariées viennentégalement brouiller la segmentation entre travailleurs salariés et indépen-dants. Au sein même des différentes catégories, il peut y avoir des groupes auxcaractéristiques de travail très variées comme par exemple celui desemployeurs qui regroupe des PDG salariés de leur propre entreprise dont lataille peut être considérable et des employeurs de quelques salariés. Lesmétiers exercés par les non-salariés sont donc très divers et les conditions detravail d’un agriculteur exploitant et d’un avocat sont très éloignées. Lesindépendants partagent néanmoins quelques points communs telsque l’absence de subordination salariale et les horaires de travail étendus.

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Chez les indépendants, certains métiers sont plus touchés par des problèmesde santé que d’autres comme en témoigne le nombre des affections de longuedurée (ALD) d’après les données du Régime social des indépendants (RSI).Au sein de la population masculine, la prévalence des ALD est plus élevéedans le secteur des transports, de l’alimentation et de la restauration, et de laconstruction. Elle est nettement en dessous de la moyenne pour les profes-sions libérales et les autres artisans et commerçants.

Au terme de l’analyse et de la synthèse de la littérature internationale sur lestress au travail chez les indépendants, et en s’appuyant sur celle beaucoupplus abondante qui se rapporte aux salariés, plusieurs axes de recommanda-tions peuvent être énoncés sur la base des connaissances acquises. Un consen-sus général émerge sur la nécessité d’inclure la prévention du stress et desrisques psychosociaux dans le cadre de la prévention générale des risquesprofessionnels. De même, promouvoir une approche globale de la santé et dubien-être des travailleurs indépendants incluant communauté, contexte,organisation, environnement et politiques de santé apparaît aujourd’huiindispensable à développer en conjonction avec les autres approches.

Politique globale et actions de prévention

La prévention du stress et des risques psychosociaux est pour les salariés durégime général de sécurité sociale, intégrée à la prévention des risques profes-sionnels, ce qui devrait contribuer à la pérenniser au sein des entreprises. Ilrevient à l’employeur d’évaluer les risques professionnels qui incluent lesrisques psychosociaux et de prendre les mesures nécessaires pour assurer lasécurité des salariés et protéger leur santé. Ces obligations concernent la santéphysique mais également la santé mentale. Le « Plan santé au travail » de2010-2014, élaboré par la Direction générale du travail (DGT), met l’accentsur la prévention du stress au travail et des risques psychosociaux. Par ailleurs,dans un plan d’urgence en octobre 2009, la DGT a incité les entreprisesfrançaises de plus de 1 000 salariés à négocier des accords paritaires de préven-tion du stress et les PME et TPE à mettre en place une politique d’informa-tion.

Il conviendrait de profiter de cette dynamique pour étendre la prévention desrisques professionnels aux travailleurs indépendants exclus du système demédecine du travail, les services de santé au travail ne couvrant que lessalariés.

METTRE EN PLACE UN SYSTÈME DE RECONNAISSANCE DE MALADIESPROFESSIONNELLES ET UN RÉFÉRENT SANTÉ-SÉCURITÉ POUR LES INDÉPENDANTS

La notion de maladie professionnelle, apparue en 1919 dans le Code desécurité sociale, a donné lieu à une liste des maladies indemnisables qui s’est384

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progressivement complétée au fil des années. Les services de médecine dutravail pour les salariés ont vu le jour en 1942. Récemment, une tertiarisationde plus en plus massive du monde du travail a contribué à l’apparition denouvelles contraintes psychosociales.

L’absence de système de reconnaissance des maladies professionnelles chez lesindépendants s’associe à une absence de système d’évaluation permettant demesurer l’ampleur du problème. La connaissance sur les accidents du travailest également très parcellaire. Il est probable cependant que les risques profes-sionnels auxquels sont soumis les indépendants recouvrent en partie ceux dessalariés.

Le groupe d’experts recommande de mettre en place un système de reconnais-sance des maladies professionnelles et des accidents du travail pour les tra-vailleurs indépendants. À coté de la liste commune des maladies profession-nelles, il conviendrait d’identifier les maladies liées aux spécificités dessecteurs d’activité des indépendants.

Le groupe d’experts préconise d’avoir en premier lieu un référent « santé-sécurité » au niveau du régime RSI, pour développer une politique générale deprévention chez les indépendants. Ce référent pourrait avoir une mission deconseil pour mettre en place cette politique générale et pour structurer etanimer un réseau. Une déclinaison par région et par famille de métiers(restauration/hôtellerie, bâtiment, santé...) serait souhaitable dans le cadre decellules de prévention pluridisciplinaires afin de répondre au plus près à lademande des indépendants.

PRIVILÉGIER LA PRÉVENTION PRIMORDIALE ET PRIMAIRE

En termes d’action de prévention des risques liés aux facteurs psychosociaux,deux grandes familles d’interventions peuvent être envisagées : celles quiagissent en amont sur les facteurs organisationnels et les contraintes du travail(prévention primordiale et primaire) et celles qui s’adressent aux individuspour renforcer leur capacité à résister au stress ou pour traiter les maladies liéesau stress et retourner au travail (prévention secondaire et tertiaire).

Les facteurs liés à l’organisation du travail recouvrent les aspects structurelsliés aux tâches à accomplir et à l’organisation (la façon dont les processus detravail sont structurés et gérés) y compris les contraintes temporelles (lanécessité d’effectuer des tâches dans des délais courts ou en prenant desrisques). La prévention primordiale consiste à prévenir l’apparition descontraintes. Elle est néanmoins particulièrement difficile à mettre en œuvredans les métiers avec des contraintes inhérentes à l’activité elle-même (parexemple exposition à la souffrance ou la mort pour les professionnels de santéou travailleurs sociaux). Quand les contraintes inhérentes au métier ou orga-nisationnelles sont déjà présentes et qu’elles débordent les ressources destravailleurs, il s’agit de les réduire par une prévention primaire avant l’appari-tion des premiers symptômes de stress chronique.

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Recommandations

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Des facteurs organisationnels sont communs aux salariés et non-salariés dansle même milieu de travail et d’autres sont communs à toutes les catégoriesd’indépendants (grande quantité de travail, difficultés à concilier travail/viepersonnelle, précarité de l’emploi...). Certaines contraintes sont propres auxprofessions libérales et artisans/commerçants : relations avec le public etexposition aux violences externes. Pour plusieurs professions libérales (méde-cins, infirmiers, avocats), l’exposition à la souffrance et à la mort constitueune caractéristique spécifique.

Dans le cadre de la prévention primordiale et primaire, le groupe d’expertsrecommande d’identifier et d’évaluer les facteurs d’organisation du travail etdes contraintes spécifiques par métier ou groupe de métiers. Sur la base decette évaluation, il préconise de proposer un plan de prévention des risquespsychosociaux selon chaque métier ou groupe de métiers. Il préconise d’éten-dre à l’employeur indépendant les contrats de prévention pour l’aménage-ment des postes de travail présentant des risques particuliers, par exemplel’aménagement d’un poste de travail protégeant de la violence des usagers.

DÉVELOPPER UNE PRÉVENTION SECONDAIRE ET TERTIAIRE ADAPTÉEÀ LA SITUATION DES TRAVAILLEURS INDÉPENDANTS ET AUX DIFFÉRENTS MÉTIERS

La prévention secondaire s’adresse à des travailleurs déjà soumis à un état destress chronique ; elle vise à inverser, réduire ou ralentir la progression desmaladies liées au stress chronique et à accroître les ressources individuellespour faire face au stress perçu.

La prévention tertiaire s’adresse aux personnes déjà atteintes de différentespathologies liées au stress chronique (troubles anxio-dépressifs, troubles mus-culosquelettiques (TMS), pathologies cardiovasculaires...). Il s’agira alorsd’éviter que l’état de santé de ces personnes ne se détériore davantage. Laprévention tertiaire vise également à favoriser le retour au travail après unetentative de suicide, une dépression ou une absence de longue durée pourmaladie cardiovasculaire ou TMS liés au travail.

S’il ne semble pas exister de pathologies propres aux indépendants, la struc-ture des métiers parmi les non-salariés fait que certains risques sont particuliè-rement présents. Plusieurs problèmes de santé (allergies, TMS, accidents...)peuvent conduire à l’abandon du métier (allergies dans le secteur de laboulangerie, accidents dans le bâtiment...), ce qui peut constituer une sourceimportante d’inquiétude dans des métiers où la reconversion présente un coûtpsychologique et économique élevé. En outre, l’isolement, les responsabilitéséconomiques, les horaires de travail excessifs particulièrement présents chezles indépendants pourraient être source de stress et faciliter l’apparition despathologies associées au stress chronique.

Le groupe d’experts recommande des actions de prévention secondaire ettertiaire, centrées sur les risques psychosociaux présents chez les travailleurs386

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indépendants. Les actions collectives ou basées sur les métiers devraient êtreprivilégiées. Il attire l’attention sur la nécessité de suivre en particulier l’étatde santé des nouveaux indépendants qui présentent un cumul de risques aucours des premières années de leur installation.

Le groupe d’experts préconise la participation du RSI au dispositif de consul-tations de pathologies professionnelles ainsi qu’aux consultations « souf-frances au travail » pour les indépendants. Il recommande de tester égalementla participation à ces dispositifs de médecins généralistes formés à la préven-tion secondaire et tertiaire des risques psychosociaux. Un objectif pourraitêtre aussi d’envisager pour les travailleurs indépendants des temps partielsthérapeutiques pour permettre le maintien dans l’emploi et le retour plusfacile au travail.

Actions d’information et de formation

Il n’existe pas actuellement d’institutions dédiées à la prévention des risquespsychosociaux chez les indépendants. Néanmoins, des « réseaux profession-nels » existants peuvent être des vecteurs de diffusion d’informations,d’actions de prévention et de protection vis-à-vis des risques du travail.

DÉVELOPPER DES ACTIONS D’INFORMATION ET D’ÉCHANGESSUR LES PRATIQUES PROFESSIONNELLES

Le recours aux structures collectives déjà existantes (chambres de commerceet d’industrie, syndicats, ordres professionnels...) apparaît comme indispen-sable. Au plan collectif, les expériences rapportées dans les secteurs de larestauration ou de l’agriculture pourraient servir d’exemples.

Ces vingt ou trente dernières années suivant les pays, se sont développées descatégories nouvelles de travailleurs autonomes moins intégrés dans les réseauxsociaux. Pour les moins qualifiés d’entre eux, il y a alors cumul des inconvé-nients du salariat (forte subordination) et de l’indépendance (insécurité éco-nomique) ; cumul potentiellement générateur d’un stress d’autant plus diffi-cile à prévenir que les réseaux sociaux ou institutionnels qui pourraient êtrevecteur d’action de santé publique font défaut.

Afin de réduire l’isolement de certains travailleurs indépendants, le grouped’experts recommande d’encourager leur regroupement par métiers pour faci-liter des actions d’entraide et de coopération permettant de réduire les situa-tions d’incertitude et de concurrence face au marché. Des associations etcoopérations dédiées aux aspects économiques et professionnels (chambres demétiers, artisanat, commerce, associations, ordres et syndicats professionnels)peuvent être des vecteurs d’échanges sur les pratiques professionnelles et deréflexion sur les risques psychosociaux liés aux pratiques inadaptées.

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Recommandations

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Dans un contexte socio-économique en évolution, le groupe d’experts préco-nise de promouvoir une réflexion prospective sur l’employabilité et la forma-tion pour faire face aux restructurations du monde du travail.

DÉVELOPPER DES ACTIONS DE FORMATION SUR LES RISQUES PROFESSIONNELSINCLUANT LES RISQUES PSYCHOSOCIAUX

Les structures responsables de la formation professionnelle (centres de forma-tion d’apprentis, écoles professionnelles, lycées professionnels...) peuvent êtresollicitées pour dispenser une information et une formation sur les risquesprofessionnels en général incluant les risques psychosociaux. De même, lesrégimes et caisses de santé principales et complémentaires, la médecine libé-rale généraliste, la presse spécialisée peuvent être impliqués dans l’informa-tion et la formation continue.

Le groupe d’experts recommande d’inclure les risques professionnels dans laformation initiale et continue des métiers. L’information et la formationpourraient être également destinées au conjoint qui est très souvent une aidechez les indépendants. Le groupe d’experts recommande d’inclure un volet« santé au travail » dans l’aide à la création d’entreprise.

Recherches avec des outils adaptés aux indépendants

L’analyse de la littérature met en lumière le manque de données sur le statut,les trajectoires, le rapport au travail des indépendants et en conséquence unedifficulté à identifier les facteurs psychosociaux à l’origine de stress et depathologies de même qu’à évaluer l’exposition à ces facteurs de cette catégoriede travailleurs.

MIEUX DÉFINIR LES DIFFÉRENTS ASPECTS DU STATUT ET DES TRAJECTOIRESDES INDÉPENDANTS

Il s’agit de mieux connaître le contexte des trajectoires professionnelles quiconduisent au statut de travailleur indépendant et d’explorer les notions dechoix de métier (facteurs économique, patrimonial, familial, migratoire,santé, genre, âge...), de parcours professionnels et de décrire les allers-retoursentre les statuts d’indépendant et de salarié.

Le groupe d’experts recommande d’approfondir les notions d’indépendance etd’autonomie appliquées généralement aux indépendants et de voir leur vali-dité dans le contexte actuel, de même que la question du statut social et celleparticulièrement prégnante des revenus et de l’argent, les notions de liberté etde plaisir au travail.388

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PROMOUVOIR DES ÉTUDES SUR LE RAPPORT SUBJECTIF AU TRAVAILCHEZ LES INDÉPENDANTS

Les différentes catégories de travailleurs indépendants n’ont pas le mêmerapport subjectif au travail. Il s’agit d’explorer les questions de la reconnais-sance, du besoin de transmission de valeurs et d’un patrimoine, des règles del’art et de métier, de ce que représente pour eux le travail bien fait, lapossibilité de se projeter au-delà du temps immédiat, la notion de responsabi-lité et de sécurité. Il serait particulièrement important d’étudier ces questionsdans le cadre du phénomène de développement des nouveaux indépendants.

Par ailleurs, il s’agit de comprendre comment on fait pour « tenir » face auxcontraintes externes, et d’appréhender le risque de solitude, les stratégiesdéfensives pour faire face à la souffrance (comme les conduites addictives), lerisque de confusion entre la vie professionnelle et la vie personnelle.

Le groupe d’experts recommande de mobiliser plusieurs champs disciplinaires(sociologique, psychologique, psychodynamique...) pour comprendre le rap-port subjectif au travail des différentes catégories de travailleurs indépendantset les déterminants qui le construisent afin de dégager des éléments utiles pourélaborer des outils adaptés aux enquêtes et à la prévention.

MIEUX IDENTIFIER LES SOURCES DE STRESS CHEZ LES TRAVAILLEURSINDÉPENDANTS

Certains facteurs, notamment une forte demande psychologique, un faiblesoutien social, certaines formes de violence et d’insécurité, et un temps detravail excessif semblent être communs à la population des indépendants.Néanmoins, il faut souligner la diversité des métiers et des situations socialesqui les caractérisent.

Il est important de mieux identifier les sources de stress chez les travailleursindépendants. Pour cela, il est nécessaire de définir et clarifier les différentescatégories de travailleurs indépendants, ainsi que leurs statuts. Il conviendraitégalement de mieux connaître les contraintes spécifiques de ces différentescatégories et de prendre en compte les conditions d’exercice de la profession,le contexte de travail, les rapports au métier et les évolutions des métiers.

Le groupe d’experts recommande d’établir une base de données à partir dedifférentes sources (enquêtes, données administratives, données sur les acci-dents...) sur les pratiques professionnelles susceptibles de générer du stress etde mauvaises conditions de vie professionnelle et privée.

AMÉLIORER LES CONNAISSANCES SUR LA SANTÉ DES INDÉPENDANTSET LES LIENS AVEC LES FACTEURS DE STRESS

Les indépendants sont exposés à des risques professionnels communs avec lessalariés ou spécifiques à leur statut d’indépendant. Les études épidémiolo-giques menées sur la santé des indépendants sont largement insuffisantes.

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Quelques données françaises permettent de décrire la santé mentale (morbi-dité et mortalité) des indépendants et de la comparer à celle des populationssalariées. Cependant, les descriptions ne sont jamais très précises et corres-pondent généralement au premier niveau de nomenclature des secteurs et desprofessions et, dans de rares cas au second niveau. Il importe également deconnaître la prévalence et l’incidence des affections cardiovasculaires, desTMS ainsi que des facteurs et comportements à risque pour la santé dans legroupe des indépendants et dans les sous-groupes qui le composent pourpermettre la comparaison avec d’autres groupes socioprofessionnels.

Il faudrait également déterminer si la relation existant chez les salariés entrefacteurs de stress et santé (santé cardiovasculaire et santé mentale en par-ticulier...) se retrouve chez les indépendants ainsi que dans les différentssous-groupes d’indépendants. Ces études devraient porter en particulier sur lesfacteurs émergents tels que l’insécurité, les exigences émotionnelles, le nom-bre d’heures travaillées et le déséquilibre entre vie professionnelle et vieprivée.

Le groupe d’experts recommande de mener des études spécifiques sur lescontraintes et la santé par métiers en ciblant notamment ceux qui restentencore peu étudiés (commerce de proximité, bâtiment et travaux publics,hôtellerie/restauration...) et les métiers très exposés au public avec des exi-gences émotionnelles importantes (par exemple, services à la personne). Parailleurs, il est important d’identifier selon les métiers les facteurs de protectionpour la santé liés au maintien dans le statut d’indépendant (réseau social etprofessionnel, formation initiale et continue...).

ADAPTER LES OUTILS D’ÉVALUATION AUX INDÉPENDANTSDANS LES ENQUÊTES NATIONALES

La littérature disponible concerne essentiellement les travailleurs salariés. Parailleurs, les outils utilisés dans les différentes enquêtes ont été élaborés pourévaluer l’exposition des personnes aux facteurs psychosociaux au travail et sesconséquences sur la santé dans un contexte de travail salarié.

Pour mener des études épidémiologiques chez les indépendants et développerdes enquêtes nationales incluant ces travailleurs, il est nécessaire d’adapter lesoutils existants de mesure d’exposition aux facteurs psychosociaux au travail(questionnaires de Karasek, Siegrist...). Ces outils, développés pour des popu-lations salariées, ne se révèlent pas forcément bien adaptés aux populationsd’indépendants. Il est important de concevoir des questions relatives auxcontraintes spécifiques des indépendants en lien avec les sources potentiellesde stress. Par exemple, ces questions pourraient appréhender l’insécurité éco-nomique, la dépendance vis-à-vis des clients, les rapports avec les pairs (lapression de la concurrence), les relations avec les salariés (notamment lesentiment de responsabilité en matière d’emploi).390

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Les nouveaux indépendants cumulent les contraintes classiquement retrou-vées chez les salariés avec celles des indépendants. Il est important de connaî-tre les raisons qui font que certains y trouvent des opportunités de développe-ment personnel et de meilleurs revenus tandis que d’autres sont au contrairefragilisés ou précarisés.

Il apparaît nécessaire de comparer les contraintes des salariés et des non-salariés au niveau de plusieurs dimensions et d’avoir une meilleure appréhen-sion de la situation des non-salariés à l’aide de questions spécifiques. Cesquestions spécifiques devraient porter entre autre sur l’autonomie réelle. Ausein des indépendants, il convient de distinguer, dans les enquêtes, les nou-veaux indépendants par des critères économiques et juridiques.

Le groupe d’experts recommande de développer des items pertinents pourrecueillir des informations sur les contraintes des indépendants, dans unpremier temps dans des enquêtes spécifiques dans ces populations, puis, dansun deuxième temps d’assurer leur intégration dans les enquêtes épidémiolo-giques nationales « santé-travail », et dans les dispositifs de suivis statistiques.

PRÉCISER LES INTERACTIONS ENTRE DIFFÉRENTS TYPES DE FACTEURS DE RISQUE

Il serait intéressant de savoir si les mêmes « métiers » ont les mêmes effets auniveau musculosquelettique, cardiovasculaire et psychique selon que les tra-vailleurs sont salariés ou indépendants. Il est admis par exemple que lesfacteurs psychosociaux au travail jouent un rôle dans les TMS ; cependant,entre salariés et indépendants, ces expositions psychosociales (et, en amont,les conditions d’organisation du travail) sont bien différentes. Ces questionsportent sur la survenue des troubles, mais aussi sur leur évolution. Concernantles conséquences de la présence de problèmes chroniques, des questionsanalogues se posent car les « réponses » (arrêt de travail, recours aux soins)que peuvent apporter les salariés et les indépendants sont différentes.

L’examen de la littérature sur le stress et les diverses affections (TMS, cardio-vasculaires, santé mentale...) met en évidence l’intérêt qu’il y aurait à mieuxpréciser les hypothèses sur les effets conjoints d’une exposition aux facteurspsychosociaux et aux autres facteurs (physiques, chimiques...) y comprisl’interaction de ces facteurs de risque professionnels avec les facteurs indivi-duels, et à en tenir compte dans les analyses. En effet, de nombreux travauxmettent « sur le même plan » ces différents types de facteurs de risque sansprendre en compte les hypothèses qui relèveraient plus d’effets d’interactionentre ces différents facteurs que d’effets propres des expositions psycho-sociales. Dans le même temps, il faudrait tenir compte de l’intervention desfacteurs d’organisation du travail et du statut de l’indépendant.

Le groupe d’experts recommande d’aborder, dans les études, les interactionsentre les facteurs psychosociaux et les autres types de facteurs de risque et celaen comparaison avec les données chez les salariés.

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Recommandations

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PRÉVOIR DES ÉTUDES D’ÉVALUATION (Y COMPRIS ÉCONOMIQUE)DES INTERVENTIONS DE PRÉVENTION

L’essai contrôlé randomisé représente encore aujourd’hui le modèle de réfé-rence pour l’évaluation des interventions de prévention du stress au travail,en particulier dans les pays anglo-saxons. Pour certains, ce type d’essai est peuadapté aux évaluations des interventions en milieu du travail dans les domai-nes des actions sociales. Des méthodologies qui combinent des évaluationsquantitatives et qualitatives fondées sur les sciences sociales pourraient êtreplus compatibles.

Enrichir les connaissances sur les interventions les plus coût-avantageusespermettrait de promouvoir des choix raisonnés parmi les différents typesd’intervention envisageables et contribuerait sans doute à développer lesinitiatives dans ce sens. L’analyse des études disponibles dans la littérature meten avant un certain nombre de points à améliorer pour que ces recherchespuissent servir d’outil d’aide à la décision de politiques de prévention.

Les effets de l’intervention peuvent être mesurés dans une évaluation écono-mique sans pour autant que celle-ci soit monétarisée. En effet, les étudescoût-efficacité peuvent mesurer par exemple le coût d’une intervention parcas de maladie évitée. La monétarisation des effets ne devrait donc pasconstituer d’obstacle à l’élaboration d’analyses coût-efficacité.

Les études disponibles ne permettent pas toujours de conclure sur le caractèrecoût-avantageux de l’intervention étant donné le design de l’étude (absencede groupe de contrôle), ou les outils statistiques mis en œuvre (pas de teststatistique de la significativité des différences de résultats entre groupe expéri-mental et groupe témoin).

Le groupe d’experts recommande de développer des cadres méthodologiquespour l’évaluation quantitative et qualitative de l’efficacité des interventionsde prévention du stress au travail (ou plus largement des risques psychoso-ciaux) pertinents pour les contextes des milieux de travail et adaptés auxactivités des indépendants.

Le groupe d’experts préconise de promouvoir des recherches respectant lesguides de bonnes pratiques de l’évaluation économique appliquées à la santéau travail.

Parmi les études économiques d’interventions en santé au travail disponiblesdans la littérature, une grande partie porte sur les troubles musculosqueletti-ques et très peu sur la santé mentale et les maladies cardiovasculaires. Parailleurs, les facteurs de risque psychosociaux comportent des spécificités parrapport aux facteurs de risque physiques qui rendent l’évaluation plus ardue.Le groupe d’experts recommande d’encourager les évaluations économiquesspécifiques à la prévention des risques psychosociaux, qui représentent unenjeu majeur à la fois financier et de santé publique.392

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ÉTUDIER LES ATTITUDES FACE AUX MODES D’INCITATION À LA PRÉVENTION

La question est de savoir comment inciter les travailleurs indépendants àpromouvoir la prévention du stress sur le lieu de travail, un thème très peuétudié dans la littérature. Cette analyse pourrait faire le lien entre plusieursdimensions : les spécificités des différentes catégories d’indépendants dansleur rapport au travail et à la santé (dimension sociologique), la réglementa-tion sur la contribution financière des indépendants au système d’assurance durisque professionnel selon leur statut (chef d’entreprise, profession libérale,artisan, commerçant...) (dimension juridique), et les différents modes d’inci-tation financière qui jouent sur les comportements d’arbitrage de ces agentséconomiques vis-à-vis de la prévention sur le lieu de travail selon leur catégo-rie (dimension économique).

Le groupe d’experts préconise une étude interdisciplinaire pouvant permettrede mieux décrire les marges de manœuvre et les leviers d’action pour promou-voir la prévention du stress au travail, en tenant compte de la grande hétéro-généité des motivations et des systèmes d’incitation des travailleurs indépen-dants. Une étude pilote sur l’efficacité d’une incitation financière à laprévention (type contrat de prévention des Carsat, Caisse d’assurance retraiteet de la santé au travail) pourrait être initiée.

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Recommandations

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Communications

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Travailleurs indépendants :des normes aux faits

Qui sont les travailleurs indépendants ? Pour anodine qu’elle puisse paraître,cette question n’appelle pas de réponse évidente. Généralement, les indépen-dants sont assimilés à ceux qui dirigent une entreprise, qui sont entrepreneurs,qui travaillent à leur compte ou en freelance. Ces typologies simplificatricesmasquent toutefois l’hétérogénéité considérable caractérisant les travailleursindépendants. Il n’est donc pas surprenant d’observer de nombreuses nomen-clatures concurrentes. L’analyse qui en est proposée invite à élaborer unetypologie cohérente susceptible de préserver un certain degré d’homogénéitécomportementale au sein de la population visée. Un portrait sociodémogra-phique général complète cette approche. La fragilité des conditions permet-tant la pleine réalisation de l’indépendance est ensuite abordée.

Cette contribution vise à préciser quelques caractéristiques fondamentales dudomaine de recherche consacré aux indépendants. La nécessité d’élaborer uncadre normatif cohérent préalablement à toute investigation est ainsi souli-gnée. Les principaux traits sociodémographiques propres aux indépendantssont ensuite rappelés. Un éclairage portant sur les conditions effectives de laréalisation d’une activité indépendante et leurs limites est finalement apporté.

De l’indépendance aux travailleurs indépendants

L’indépendance est avant tout un attribut défini légalement. Sur cette basefondamentale, une première typologie officielle met en exergue les différentsstatuts pouvant supporter cet attribut au regard de la structure entrepreneu-riale encadrant l’activité du travailleur. Toutefois, l’observation des typologiesretenues à l’occasion d’études empiriques fait émerger une absence patente deconsensus ontologique.

À la source de l’indépendance : le Code du travail

Tout l’esprit de l’indépendance est synthétisé par un simple article du Code dutravail44 stipulant qu’est « présumé travailleur indépendant celui dont les

44. Il s’agit du récent article L8221-6-1 introduit à l’occasion de la promulgation de la loi demodernisation de l’économie (LME) en août 2008.

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conditions de travail sont définies exclusivement par lui-même ou par lecontrat les définissant avec son donneur d’ordre ». Permettant enfin l’inscrip-tion explicite de l’appellation « travailleur indépendant » au sein du Code,cet article vulgarise de surcroît les termes juridiques préexistants de l’indépen-dance45.

Ainsi, l’autonomie décisionnelle dont est supposé être doté l’indépendantconstitue l’assise de sa position sur le marché du travail. Elle se traduit dans lesfaits par une organisation du travail gouvernée par trois attributs indisso-ciables :• la réalisation des tâches effectuées par le travailleur ne répond à aucunedirective hiérarchique ;• la supervision de l’activité incombe au travailleur ;• les manquements du travailleur dans son activité ne font pas l’objet desanctions disciplinaires.

Au regard des conditions de réalisation de l’activité, le législateur s’est doncattaché à définir l’indépendance en forgeant un antonyme juridique du sala-riat. En effet, le travailleur salarié est juridiquement subordonné à sonemployeur, ce qui le place dans une position strictement inverse vis-à-vis destrois points énoncés. Sous cet éclairage, il n’est pas surprenant que l’indépen-dant soit qualifié de travailleur « non-subordonné » par le juriste ou de « non-salarié » par les instances fiscales et administratives.

Toutefois, si le principe de non-subordination assure une forme de souverai-neté absolue du travailleur sur son activité, sa mise en pratique est soumise àcertaines limites d’origine conventionnelle. Le contrat d’entreprise46 conclupar l’indépendant avec un donneur d’ordre peut prévoir des clauses atténuantplus ou moins la portée des attributs fondamentaux de l’indépendance. Lecontrat de sous-traitance, intégrant un cahier des charges très contraignanttant sur les processus de production que sur les délais de livraison, en est lameilleure illustration. La perte d’autonomie concédée par l’indépendantrésulte cependant de la négociation des termes du contrat. C’est d’ailleurspour parer à tout risque d’instauration d’une relation de subordination effec-tive entre le donneur d’ordre et le prestataire que la qualité d’indépendantn’est pas irréfragable. Le cas échéant, le contrat d’entreprise peut être juridi-quement requalifié en contrat de travail avec des conséquences notables entermes de paiement de charges pour le donneur d’ordre47.

D’autre part, le choix de l’indépendance pour un travailleur induit un coûtnotable mesuré en termes de risques pris dans les domaines juridiques, sociaux

45. Ces derniers ont été précisés en 1994 dans le corps de la loi relative à l’initiative et àl’entreprise individuelle dite loi Madelin.46. Contrat par lequel l’indépendant s’oblige, contre rémunération, à exécuter pour un donneurd’ordre un travail déterminé sans le représenter et de façon indépendante.47. Il est à noter qu’une autre limite conventionnelle aux attributs de l’indépendance peut êtredécelée dans l’application des règles édictées par les institutions ordinales en charge desprofessions réglementées (Rapelli, 2006).398

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et économiques. À l’inverse du salariat où la plus grande part de ces risquessont reportés sur l’employeur – la relation de subordination justifie cetteconfiguration – l’indépendant les assume directement. Ainsi, le défaut depaiement de la part d’un client, l’incapacité temporaire de travailler ou lamise en jeu de la responsabilité civile et pénale en cas de contentieux juri-dique sont autant d’écueils mettant en péril son activité et, à terme, sonemploi. Ces aléas sont démultipliés lorsqu’il exerce sous l’égide d’une entre-prise individuelle48. Dans ce cas, il est indéfiniment responsable des dettessociales de l’entreprise et, dans la mesure où la personnalité morale de l’entre-prise est confondue avec celle du travailleur, les dettes professionnelles sontgaranties par ses biens propres. Le passage à une forme sociale de type EURL(Entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée) ou SARL (Société ano-nyme à responsabilité limitée) permet d’atténuer ces risques financiers par ladistinction du patrimoine social et personnel, mais n’assure en rien la péren-nité de l’emploi.

Sous cet éclairage, la typologie juridique de l’indépendant fondée sur laprésomption de non-subordination du travailleur véhicule une représentationsociologique exempte de neutralité. Celle-ci plonge ses racines dans la littéra-ture économique classique dédiée à l’entrepreneur qui, depuis la publicationde l’« Essai sur la nature du commerce en général » en 1755 de RichardCantillon, s’attache à décrire un individu « risquophile » animé par un espritd’initiative et d’indépendance prégnant. Toutefois, ces seules considérationsforment une vision trop parcellaire des travailleurs indépendants. De fait,l’indépendance n’a de cohérence qu’au regard de l’activité professionnellequ’elle encadre au sein d’une structure entrepreneuriale.

Professionnels indépendants

Une des finalités de la délimitation des frontières du non-salariat s’inscrit dansune logique de structuration de la Sécurité sociale. Dès sa constitution, lesindépendants ont systématiquement rejeté les principes d’un système univer-saliste s’étendant à l’ensemble des travailleurs sans distinction de statut. Lesspécificités professionnelles et patrimoniales caractérisant les non-salariéssont alors mises en avant pour justifier d’un calcul de cotisations spécifique àleur situation49. Le législateur accède à ces revendications en créant desrégimes propres à chacune des familles de professionnels indépendants : les

48. Selon les données du répertoire Sirene (Insee, 2009a), 40 % des entreprises tous secteursconfondus sont de cette nature.49. Les indépendants ne furent pas les seuls à contester les principes universalistes originelle-ment retenus par l’ordonnance du 4 octobre 1945 portant organisation de la Sécurité sociale.Les cadres ont, eux-aussi, souhaité une segmentation leur garantissant une protection enrapport avec leur rémunération (Lattès, 1996).

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artisans, les commerçants et industriels, les exploitants agricoles et les profes-sionnels libéraux. Actuellement, un mouvement d’homogénéisation des régi-mes est observable consécutivement à la création du Régime social des indé-pendants (RSI) qui gère tout ou partie des risques sociaux des non-salariésnon-agricoles50. La protection sociale des exploitants agricoles reste du ressortde la Mutualité sociale agricole (MSA).

Si la qualité d’indépendant rend obligatoire l’inscription et les cotisations àl’un de ces régimes, il s’avère que le non-salariat recouvre des statuts profes-sionnels variés. Au regard de la Sécurité sociale, est ainsi réputé non-salarié :• l’entrepreneur individuel, dont la personnalité juridique est indissociablede celle de l’entreprise ;• l’associé d’une société civile professionnelle, le membre d’une société enparticipation, le membre d’une société de fait. Dans ces structures juridiques,pouvant être assimilées à des regroupements de professionnels non-salariéscherchant à améliorer les conditions d’exercice de leur activité, les membresconservent leur statut juridique originel ;• le commandité d’une société en commandite simple ou par action ;• l’associé unique d’une EURL ;• le gérant majoritaire d’une SARL, l’associé exerçant une activité non-salariée au sein d’une SARL, le gérant d’un collège de gérance majoritaire ;• l’associé d’une société en nom collectif ;• le conjoint associé ;• le conjoint collaborateur et l’aide familial.

Cette typologie offre un premier filtre d’observation des indépendants fondésur le seul critère juridique. Sa composition appelle quelques commentairesque le chercheur doit garder à l’esprit lors de ses investigations. En premierlieu, le non-salariat est avant tout un attribut ayant un sens au regard de laprotection sociale. Ainsi, le gérant majoritaire de SARL ou l’associé uniqued’une EURL relèvent bien du régime social des non-salariés, mais peuventrelever du régime fiscal des salariés en fonction du mode d’imposition choisipour la société. Dans le cadre d’une enquête, il peut donc exister un biaisd’interprétation de la réponse au regard du statut fiscal du répondant. D’autrepart, au sein d’une société, le rôle effectif des associés bénéficiant du statut denon-salarié réclame une certaine attention. Il n’est pas certain que les ressortscomportementaux animant l’indépendant impliqué physiquement dans leprocessus de production soient identiques à ceux prévalant pour un simpleapporteur de capitaux (Storey, 1991). Un questionnement de même naturedoit être envisagé lorsque sont considérés le conjoint collaborateur ou l’aidefamilial qui participent activement à l’activité de l’entreprise sans recevoir derémunération pécuniaire (Laferrere, 2000).

50. Pour les professionnels libéraux, le RSI est en charge des seuls risques maladie-maternité.400

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Une alternative à l’ontologie strictement juridique est envisageable par lerecours à la nomenclature des positions dans l’emploi pour les actifs retenuepar l’Insee. Celle-ci intègre trois classes dédiées aux non-salariés :• les indépendants, classe qui recouvre les non-salariés pilotant leur activitésans recourir à de la main d’œuvre salariée ;• les employeurs qui regroupent tous les non-salariés faisant appel à de lamain d’œuvre salariée ;• les aides familiaux.

La dichotomie opérée entre les indépendants et les employeurs participed’une recherche d’homogénéité comportementale fondée sur la taille del’entreprise. Toutefois, la sémantique retenue porte fréquemment à confusion.La qualité d’indépendant est entendue dans un sens restrictif relativement à ladéfinition privilégiée par le Législateur. Cette modulation définitionnelledévoile le principal écueil que rencontre le chercheur au cours de ses investi-gations : bien qu’une norme juridique soit établie, aucun consensus ontolo-gique émerge des approches empiriques de l’indépendance.

Choix nécessaire d’un empirisme normatif

Parallèlement au traitement typologique de l’associé et de l’aide familial, lepolymorphisme définitionnel de l’indépendant est prégnant au sein descontributions empiriques tant internationales que nationales. Il est principa-lement lié à la prise en compte de la structure de l’entreprise dirigée par lenon-salarié51. Sous cet éclairage, quatre typologies alternatives émergent :• les entreprises individuelles unipersonnelles (Carroll et Holtz-Eakin,1996) ;• l’ensemble des entreprises individuelles qu’elles soient ou non dotées demasse salariale (Henley, 2005 ; Lurton et Toutlemonde, 2007) ;• l’ensemble des entreprises individuelles et des sociétés unipersonnelles(Parker et Robson, 2004 ; Burke et coll., 2008) ;• l’ensemble des entreprises individuelles et des sociétés avec ou sans massesalariale (Ajayi-Obe et Parker, 2005 ; Constant et Zimmermann, 2006).

Ces variations typologiques participent de l’acceptation plus ou moins impli-cite de postulats comportementaux opposant, d’une part, l’entrepreneur indi-viduel au gérant de société et les non-employeurs aux employeurs d’autre part.La première opposition semble fondée au regard des risques économiquessupportés par le non-salarié, ceux-ci étant plus limités – au moins en termesde capital personnel – dans le cadre d’une société. La seconde oppositionrelève du comportement entrepreneurial. L’employeur est ainsi directementassimilé à un chef d’entreprise alors que le non-employeur s’apparente à un

51. Un autre point de divergence concerne l’exclusion des ressortissants du secteur agricole auregard de critères patrimoniaux et de la décroissance marquée des effectifs. Ces lignesargumentaires restent toutefois peu robustes (Meager, 1992 ; Blanchflower, 2000).

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travailleur faisant le choix d’exercer son emploi sous l’égide d’une autonomiepresque parfaite. Néanmoins, rien ne garantit la robustesse de ces antago-nismes. Ainsi, le gérant majoritaire d’une petite SARL partage sans contestebeaucoup plus de points communs avec un consultant indépendant qu’avec ledirigeant d’une société de plus de cinquante salariés.

À la lumière de ces éléments, une alternative typologique peut être envisagée.Il est largement admis que le fonctionnement d’une très petite entreprise– quelle que soit sa structure juridique – repose presque intégralement surl’activité, la personnalité et la rationalité de son dirigeant (Charpentier etLepley, 2003 ; Torres, 2003). Parallèlement, les approches sociologiques sou-lignent l’importance du métier dans la construction de l’identité sociale desnon-salariés (Gresle, 1981 ; Zarca, 1988). Des travaux sociométriques vien-nent confirmer ces analyses (Beugelsdijk et Noorderhaven, 2005 ; Garner etcoll., 2006). Dès lors, il convient certainement d’intégrer un critère fondé surla pratique effective du métier, quels que soient le statut du non-salarié et lastructure de son entreprise. Bien que délicate, cette approche laisse espérerune assez grande homogénéité comportementale par l’intégration de l’objetpremier du travail indépendant : l’exercice de la profession.

Ce dernier critère n’est pas sans relation avec la détermination d’une tailled’entreprise critique au-delà de laquelle l’entrepreneur n’est plus réellementun homme de métier mais un dirigeant d’entreprise. Un tel seuil constitued’ailleurs l’un des attributs réglementaires permettant de définir une entre-prise artisanale qui ne doit pas excéder dix salariés52. Dès la création desChambres de métiers en 1925, il a été imposé par les organisations profession-nelles de l’artisanat, ces dernières ayant exigé que la qualité d’artisan soitaccordée aux seuls entrepreneurs qui exercent effectivement le métier afin del’interdire aux simples employeurs de main d’œuvre artisanale. La taille del’entreprise peut donc constituer un critère cohérent même si le choix du seuiloptimal appelle une certaine circonspection. L’objectif de la présente contri-bution n’étant pas d’arrêter une typologie, l’approche socioéconomique subsé-quente est dédiée aux travailleurs non-salariés dans leur ensemble.

Tableau socioéconomique des indépendants

Parallèlement à la prise en compte des nomenclatures statutaires et empi-riques, l’observation des caractéristiques socioéconomiques d’ordre généralpeut aider à la détermination du champ d’observation. Dans cette optique, lesprincipales caractéristiques des entreprises pilotées par les non-salariés sontabordées. Ce panorama est complété par une approche comparative mettanten exergue les spécificités sociodémographiques des non-salariés par rapport

52. Sous certaines conditions, un droit de suite permet aux entreprises artisanales préalable-ment constituées d’accroître leurs effectifs au-delà de ce seuil.402

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aux salariés, mais aussi des différents types de non-salariés – les indépendants,les employeurs et les aides familiaux – qui s’avère riche d’enseignements.

Non-salariés et leurs entreprises

Globalement, force est de constater que les non-salariés jouent un rôle pri-mordial dans le tissu économique. Au niveau national, ils dirigent 89 % desentreprises tous secteurs confondus. Pourtant, leur place dans la populationactive occupée reste modeste. Selon les données de l’enquête emploi encontinu (Insee, 2008), 10,8 % des actifs occupés – soit 2,8 millions d’indivi-dus – sont non-salariés. Bien que cette proportion soit la plus faible observéedepuis 2003, elle reste dans une tendance laissant entrevoir un accroissementde la population des non-salariés dans les décennies à venir (Rapelli etLespagnol, 2007). Comme le montre la figure 1, près de 54 % des non-salariéssont des indépendants au sens de l’Insee (non-employeurs). La part des aidesfamiliaux est très faible – moins de 6 % – et tend à décroître régulièrement.Cette évolution participe d’un double phénomène : la diminution continuedes effectifs non-salariés du secteur agricole et la recherche d’un statut garan-tissant une meilleure couverture sociale. Toutefois, le détail des famillesprofessionnelles met en valeur quelques contrastes notables.

Figure 1 : Répartition des non-salariés selon le statut dans l’emploi d’aprèsles données de l’enquête emploi (Insee, 2008)

* Y compris les chefs d’entreprise de dix salariés et plus

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Avec un effectif de 750 000 individus, les commerçants représentent 27 % desactifs non-salariés. Il est à noter que la définition du commerçant est relative-ment souple puisqu’elle est fondée sur l’acte commercial. Ainsi, sont considé-rés comme commerçants ceux qui exercent des actes de commerce et dont ilsfont leur profession habituelle. Plus de la moitié d’entre eux n’emploient pasde main d’œuvre salariée. De fait, les entreprises du secteur sont de tailleplutôt modeste : 85 % d’entre elles comptent moins de cinq salariés. Toute-fois, cette faiblesse des effectifs ne doit pas masquer une réelle importanceéconomique dans la mesure où les très petites entreprises (de un à neufsalariés) génèrent plus d’un quart de l’emploi salarié total du secteur. Bien queles structures entrepreneuriales soient de taille réduite, il est à noter que lescommerçants exercent majoritairement dans le cadre d’une société de typeSARL ou EURL. Cette caractéristique participe d’une stratégie de protectiondu patrimoine personnel au regard des risques économiques liés à la gestiondes stocks de marchandises. En outre, si la place des aides familiaux s’estconsidérablement réduite au cours des dernières décennies, la dimensionfamiliale de l’entreprise reste encore perceptible puisque trois salariés sur dixsont membres de la famille – le plus fréquemment conjointe ou conjoint – dunon-salarié.

En revanche, le caractère familial de l’activité reste très présent chez lesartisans. Certes, les nouvelles générations ont délaissé le statut d’aide familialqui est adopté par 7 % seulement des 717 000 non-salariés de l’artisanat. Enrevanche, près de trois fois sur cinq, le capital des sociétés est détenu par lecercle familial du non-salarié et deux artisans employeurs sur cinq ont recrutéau moins un membre de leur famille. Les entreprises artisanales sont néan-moins un véritable moteur d’emploi : plus de la moitié d’entre elles possède aumoins un salarié. D’autre part, l’esprit entrepreneurial semble particulière-ment enraciné chez les artisans. Ils sont 55 % à exercer sous l’égide d’uneentreprise individuelle, alors même que la charge financière du capital pro-ductif est souvent importante et que les risques de l’activité, tant physiquesqu’économiques, sont prégnants. Bien que la proportion ait été réduite de septpoints en une décennie, cette préférence statutaire est certainement la mar-que d’un attachement profond des artisans à leur métier et à leur entreprise.Cet attribut est d’ailleurs souvent mis en exergue (Zarca, 1986 et 1988).

Pour des raisons fondamentalement différentes, l’entreprise individuelle est lastructure entrepreneuriale qui prévaut dans l’exercice d’une profession libé-rale. En effet, elle est adoptée par 77 % des 650 000 professionnels libéraux etassimilés. Parallèlement, seul un tiers d’entre eux est employeur et le recoursaux aides familiaux est très rare. Cette configuration est en prise directe avecles spécificités des activités exercées qui consistent (selon les définitions envigueur) à apporter des services non-commerciaux sous des formes juridique-ment, économiquement et politiquement indépendantes. Elles sont essentiel-lement de nature intellectuelle et requièrent donc un faible investissement encapital physique relativement aux autres professions indépendantes. En outre,404

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des dispositions légales autorisent les ressortissants des professions réglemen-tées53 à exercer au sein d’une société civile professionnelle sans perdre leurpersonnalité juridique individuelle. À la lumière de ces éléments, la structu-ration entrepreneuriale des professions libérales semble donc cohérente avecle rôle central conféré au praticien dans l’accomplissement courant de l’acti-vité, quels que soient les techniques, les connaissances ou l’art qu’il maîtrise.

Le secteur des activités agricoles est lui aussi marqué par un faible nombred’employeurs qui représentent moins de 20 % des 539 000 exploitants agri-coles. Une productivité du travail importante due à une mécanisation impor-tante, la faible valorisation pécuniaire des productions, mais surtout le rôleprédominant des membres de la famille dans l’activité des exploitationscontribuent à la compression des effectifs salariés. De fait, trois quarts desentreprises n’emploient aucun salarié, mais 12 % des non-salariés agricolessont recensés sous le statut d’aide familial. L’entreprise agricole est d’ailleursavant tout une entreprise familiale. En effet, 47 % des exploitants exercentdans le cadre d’une société et les parts sociales sont détenues par des membresde la famille près de trois fois sur cinq.

Caractéristiques sociodémographiques

La première spécificité de la population des non-salariés émerge de la pyra-mide des âges. Ils sont en moyenne plus âgés que les salariés : 45,5 ans contre39,5 ans respectivement. Si les non-salariés liquident plus tardivement leursdroits à la retraite, cette configuration est aussi à rapprocher de l’âge moyen dela mise à son compte qui s’établit à 38,5 ans. La constitution d’un capitalentrepreneurial, l’accumulation d’une expérience préalable favorisant ledéveloppement de réseaux professionnels sont des paramètres qui peuvent, enpartie, expliquer cette particularité. De fait, l’entrée dans l’indépendance parle biais de la reprise d’une entreprise familiale s’effectue à un âge beaucoupmoins avancé (26 ans). L’approche sectorielle montre que les non-salariéssont en moyenne plus âgés dans les secteurs du commerce et de l’agriculture.Dans le premier cas, la configuration est inhérente à la forte attractionqu’exerce le secteur sur les créateurs d’entreprise âgés de 50 ans et plus. Enrevanche, l’agriculture est clairement marquée par une carence dans le renou-vellement des générations.

La population des non-salariés se distingue aussi par une répartition sexuelletrès inégalitaire. Si la parité est presque de mise pour les salariés, les femmesnon-salariées sont en revanche 2,17 fois moins nombreuses que leurs homo-logues masculins. Elles sont moins d’un tiers à faire appel à de la main d’œuvresalariée, alors que plus de 44 % des hommes sont des employeurs. Par ailleurs,elles représentent 71,7 % des aides familiaux. Il convient de souligner que

53. Les professions libérales réglementées sont celles dont la pratique est soumise à un cadrelégislatif ou réglementaire et dont le titre est protégé (avocat, architecte, médecin...).

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dans ce rôle, elles sont en charge d’activités essentielles à la conduite del’entreprise telles que la gestion courante, la comptabilité ou la relation avecla clientèle (Zarca, 1986). D’autre part, l’asymétrie observée s’inverse lors-qu’est considéré le détail des métiers. Ainsi, plus de huit psychothérapeutes ouinfirmiers libéraux sur dix sont des femmes. Elles représentent plus de 70 %des artisans coiffeurs, des manucures, des esthéticiens et des traducteurs-interprètes. Elles sont aussi majoritaires dans certains segments du commerce(détaillants en alimentation et en habillement, fleuristes, exploitants de café,hôteliers-restaurateurs) et des professions libérales (avocats, notaires, spécia-listes de la rééducation, moniteurs d’auto-école). En revanche, elles restenttrès minoritaires dans les métiers de l’artisanat du bâtiment.

Au regard du niveau d’enseignement, les non-salariés semblent détenir unniveau de formation plus important que celui des salariés : la part des titulairesd’un diplôme postérieur au baccalauréat est respectivement de 32 % et29,9 %. Parallèlement, les diplômés d’une formation professionnelle – BTS,DUT, baccalauréat professionnel, CAP, BEP et équivalents – sont sensible-ment plus fréquents chez les non-salariés (50,3 %) que chez les salariés(49,2 %). Cette caractéristique est d’ailleurs un peu plus marquée pour lesdiplômes techniques de type CAP et BEP. La formation scolaire des non-salariés est donc caractérisée par une double orientation pouvant paraîtreantinomique : un haut niveau de qualification et une formation fondamenta-lement professionnelle. La présence de différentes familles de métiers cou-vertes par le non-salariat explique cette configuration.

Ainsi, bien que plus de neuf professionnels libéraux sur dix possèdent auminimum le baccalauréat, la proportion est deux fois moindre pour les com-merçants et quatre fois plus réduite pour les artisans. Toutefois, il convient dese garder d’un jugement qualitatif. Ces différences sont l’expression d’un moded’apprentissage adapté aux professions. Pour les professionnels libéraux, laformation vise la maîtrise d’une science, d’une technique ou d’un art récla-mant le plus souvent un apprentissage théorique long sanctionné par unereconnaissance académique formelle. Les commerçants et les artisans s’orien-tent traditionnellement vers des formations professionnalisantes générale-ment complétées de manière informelle par une transmission intergénéra-tionnelle de savoir-faire (Rapelli et Piatecki, 2008). En outre, il faut noterque, dans l’ensemble, les employeurs sont en moyenne plus diplômés que lesnon-employeurs et que trois quarts des aides familiaux ont un niveau dediplôme inférieur ou égal au CAP. Ces caractéristiques sont sans doute àmettre en relation avec la fonction effective du non-salarié au sein de l’entre-prise. En d’autres termes, l’employeur tend à s’apparenter à un gestionnaired’entreprise au fur et à mesure que l’effectif salarié s’accroît alors que, pardéfinition, l’indépendant reste un homme de métier.

La dichotomie entre les salariés et les non-salariés est encore plus éclatantelorsqu’est considéré le temps de travail. Les premiers déclarent travaillerhebdomadairement 37,9 heures en moyenne contre 53,5 heures pour les406

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seconds. Les employeurs sont les non-salariés déclarant le volume horaire leplus important. Ils travaillent 56,7 heures, alors que les indépendants décla-rent 52 heures. La différence est en partie imputable à la gestion courante dela main d’œuvre, tant administrative que physique, et à la réalisation dedémarches commerciales. Le temps de travail des aides familiaux est estimé à43,1 heures, mais il reste difficile à évaluer en raison d’une porosité prégnanteentre les activités familiales et professionnelles. La décomposition selon lesfamilles de métiers montre que ce sont les agriculteurs et les commerçants quidéclarent le temps de travail le plus important (figure 2) : 57,1 et 55,7 heuresrespectivement. Viennent ensuite les artisans (53,2 heures) puis les profes-sionnels libéraux avec 47,8 heures. Il convient toutefois de souligner deuxéléments. D’une part, l’intensité du travail54 est sensiblement la même pourtous les non-salariés. Ils travaillent en moyenne près de 10 heures par jour,même si des variations saisonnières sont à prendre en compte notammentpour les professions agricoles ou l’artisanat du bâtiment dont l’activité restefortement corrélée au rythme des saisons. D’autre part, les exploitants agri-coles et les professionnels libéraux déclarent à plus de 65 % travailler le soir età leur domicile. Cette particularité est le signe d’un impact certain de l’exer-cice du métier sur la vie extra-professionnelle, mais aussi d’un enchevêtre-ment du capital professionnel et personnel.

Figure 2 : Temps de travail des non-salariés d’après les données de l’enquêteemploi (Insee, 2008)

Entre parenthèse : le nombre moyen de jours travaillés hebdomadairement

54. L’intensité est ici mesurée en rapportant le volume horaire hebdomadaire au nombre dejours travaillés.

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Le volume horaire important dont font état les non-salariés n’implique pasnécessairement des revenus très élevés55 (figure 3). Ces derniers sont forte-ment corrélés au secteur d’activité, à l’âge de l’individu, à son ancienneté dansla profession, à la taille de l’entreprise et au sexe (Favre, 2009). Ainsi, en2006, les exploitants agricoles tirent un revenu moyen annuel compris entre6 600 Q et 41 800 Q qui est, en outre, très dépendant des aides directes. Dansl’artisanat, un entrepreneur individuel sans salarié spécialisé dans les biens deconsommation déclare en moyenne 15 000 Q, ce montant atteignant40 200 Q pour le gérant d’une SARL de construction. Des revenus similairessont observés dans le commerce. Les professions libérales sont caractériséespar une très forte amplitude de revenus – de 9 000 Q à 198 500 Q – qui n’estpas sans rappeler la très forte hétérogénéité des métiers concernés. En effetdans ce groupe, les activités libérales non-réglementées, comme l’enseigne-ment ou certaines prestations de service aux particuliers, côtoient les activitésréglementées du droit et de la santé. Or, c’est au sein des professions non-réglementées que se développe un emploi parfois précaire, souvent partiel oud’appoint.

Figure 3 : Répartition des non-salariés par catégorie socioprofessionnelleet tranche de revenu selon les données de l’enquête emploi (Insee, 2008)

55. Dix pour cent des salariés hors aides familiaux déclarent un revenu négatif ou nul (Favre,2009).408

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Il est largement admis qu’en contrepartie de revenus modestes et un temps detravail conséquent, les non-salariés tirent une grande satisfaction de leuremploi (Benz et Frey, 2008). Outre l’intérêt du travail ou la réalisation deprojets entrepreneuriaux, cette satisfaction repose avant tout sur l’autonomiedont jouit le non-salarié. Pourtant, la pratique effective d’une activité indé-pendante se heurte de plus en plus fréquemment à des restrictions de l’indé-pendance.

Entraves à l’indépendance

Si, pour un indépendant, le risque « fait partie du jeu » et constitue sansaucun doute une source de satisfaction, il peut dans certaines circonstancesdégrader les conditions d’exercice de la profession. Cette limite émerge dèslors que le non-salarié perd tout ou partie de la maîtrise de son activité. Ainsi,une dépendance technique peut émerger dans le cadre de la location-gérance.Cette convention permet au non-salarié d’exploiter librement un fonds decommerce ou un établissement artisanal en contrepartie d’une redevanceversée à son propriétaire. Le non-salarié bénéficie donc d’un outil entrepre-neurial complet sans devoir supporter des investissements importants. Enrevanche, si le renouvellement du capital productif échoit au bailleur,l’exploitant perd le contrôle de son outil de travail. Cette configuration setraduit par un risque économique non-maîtrisable dès lors que l’adaptation ducapital physique est rendue nécessaire par sa vétusté ou l’évolution de l’envi-ronnement économique.

Le risque de dépendance technique est particulièrement sensible lorsque lenon-salarié exerce sous l’égide d’un contrat de franchise56. Le franchisé acquiertle droit d’exploiter l’enseigne, le savoir-faire et l’exclusivité de la vente desproduits et services d’une entreprise partenaire. Il peut, de plus, bénéficier d’uneassistance commerciale et/ou technique. Il s’agit d’un engagement de longterme porteur de nombreux attraits pour le franchisé et fondé sur un contratcommercial entre deux entreprises distinctes. Néanmoins, dans les faits cedernier est dépossédé d’une partie de son indépendance. Il conserve la maîtrisepartielle du domaine commercial, mais il est contractuellement contraintd’appliquer strictement les prescriptions du franchiseur attenantes à l’exploita-tion de l’objet visé par la franchise. Celles-ci portent naturellement sur desobligations de fournitures exclusives, mais concernent parallèlement desdomaines aussi divers que les prix de vente, la présentation des locaux et dupersonnel ou les objectifs commerciaux. En outre, le franchiseur peut exercerun contrôle coercitif du respect des règles d’exploitation. Dès lors, le non-salariésubit de nombreuses contraintes ordinairement appliquées au salarié tout en

56. La situation est similaire pour les concessionnaires ou les agents contractant avec unréseau d’enseigne.

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assumant l’intégralité du risque commercial. En d’autres termes, il se trouve ensituation de subordination. La requalification du contrat de franchise en contratde travail alimente d’ailleurs régulièrement la jurisprudence.

Parallèlement à ces configurations bien identifiées, les situations de subordi-nation techniques et économiques sont devenues relativement fréquentes aucours des vingt dernières années avec le développement de l’externalisation.Cette pratique productive consiste pour une entreprise à confier à un presta-taire externe la totalité d’une fonction ou d’un service qu’elle assurait aupara-vant en interne au moyen de ressources propres (Edouard, 2005). Parmi toutesles méthodes d’externalisation, l’essaimage retient l’attention. Cette appella-tion désigne les appuis et accompagnements apportés par une entreprise à unou plusieurs de ses salariés qui souhaitent créer ou reprendre une activité avecl’objectif de contribuer à leur réussite (Sabot, 2007). L’accompagnementprend des formes variées comme l’information, l’appui technique, l’apportd’expertise, l’aide financière, le parrainage ou le transfert de brevet. Si l’essai-mage constitue une aide effective au passage à l’indépendance, les risques desubordination technique et économique restent prégnants. La nature mêmedes aides apportées ainsi que les relations privilégiées pré-existantes à l’instal-lation entre le prestataire essaimé et l’entreprise externalisante devenant sonclient en sont la cause. Une relation de pouvoir asymétrique est alors suscep-tible d’émerger favorisant la mise en place d’un monopsone57.

En cas de rupture ou de non-renouvellement de la relation commerciale, cetterelation fait courir un risque démesuré sur les revenus d’activité du prestataire.En outre, elle influe directement sur les conditions d’exercice de l’activité.Comme l’enseigne la théorie microéconomique, le monopsone génère uncontrôle des prix par l’acheteur. Par un effet d’enchaînement, ce contrôles’exerce aussi sur les coûts – formels ou non – et les délais de productionsupportés par le non-salarié. Sous cet éclairage, les biais de subordination sontdonc considérables et peuvent plonger le prestataire dans des conditions detravail exécrables. Ces biais sont transposables aux relations de sous-traitanceen raison du très haut degré de spécialisation de l’outil productif des sous-traitants qui est le vecteur principal de leur compétitivité. Cette caractéris-tique rend peu aisée la reconversion de l’entreprise en cas de rejet des condi-tions édictées par le donneur d’ordre ou de défaillance de ce dernier.

Une autre limite de l’indépendance est inhérente aux conditions dans les-quelles le travailleur choisit le non-salariat. La littérature économique clas-sique repère deux stimuli alternatifs lors du choix de l’indépendance : l’espé-rance d’un revenu croissant rendu possible par la réalisation d’un projetentrepreneurial dans un contexte économique favorable ou la recherched’une option professionnelle face au chômage. Si les données d’enquête

57. Économiquement, le monopsone désigne une situation de marché sur lequel une multituded’offreurs est confrontée à un seul demandeur.410

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(Insee, 2009b) montrent que l’appel de l’indépendance reste un des princi-paux déterminants de l’entrée dans le non-salariat, l’absence d’emploi est unemotivation pour près d’un quart des répondants. En outre, pour 65 % desnouveaux non-salariés, la mise à son compte vise essentiellement à générerleur propre emploi. En 2002, ils n’étaient que 54 % à retenir cet objectif.Enfin, la part des créateurs qui se trouvaient initialement au chômage croît aucours des années, passant de 34 % en 2002 à 40 % en 2006.

Ces quelques éléments laissent à penser que le choix de l’indépendanceparticipe d’une stratégie de refuge face au chômage pour une part croissantedes nouveaux non-salariés58. Les politiques d’aide à la création d’entrepriserenforcent, sans conteste, ce mouvement (Rapelli, 2008). Un tel phénomèneconduit à s’interroger sur une possible précarisation des professions indépen-dantes et la pérennité des emplois non-salariés créés. Plus encore, le statutd’indépendant et ses caractéristiques socioéconomiques forment un ensemblecohérent aussi longtemps que le travailleur s’expose aux risques qu’il a choisid’assumer par son mode d’activité et qu’il peut maîtriser. À n’en pas douter, lesdéterminants de ce choix constituent un moteur comportemental capital.

En conclusion, l’étude comportementale des travailleurs non-salariés ne peutse départir d’un resserrement du champ d’observation. La diversité des condi-tions de travail et des statuts dans l’emploi appelle une définition cohérentede l’« indépendant » dans un souci d’homogénéité. À cette fin, il paraîtnécessaire d’imposer un critère fondé sur l’exercice effectif du métier parl’individu non-salarié. Alternativement, un critère de taille maximale del’entreprise peut être envisagé avec la limite de dix salariés, retenue dans ladéfinition d’une entreprise artisanale, qui semble pertinente. En outre,l’approche sociodémographique montre une certaine disparité des caractéris-tiques en fonction du secteur d’activité du non-salarié. Elle laisse présagerl’existence de variations comportementales selon les groupes socioprofes-sionnels. Enfin, il convient de porter une attention soutenue au contexte danslequel s’inscrit l’activité. Les entraves à la réalisation de l’indépendance sont àmême de générer des conditions de travail dégradées pour le non-salarié.

Stéphane RapelliRapelli Études Socioéconomiques, Orléans

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Travailleurs indépendants : des normes aux faits

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Des mutations du travailaux travailleurs indépendants

Un vaste dispositif d’enquêtes et de très nombreuses monographies per-mettent de dresser un tableau des mutations du travail dans les dernièresdécennies. Épidémiologistes, médecins, ergonomes, économistes ou socio-logues aboutissent, avec des méthodologies très diverses, à un même constat :le mouvement global d’amélioration progressive des conditions de travail quiavait caractérisé le XXe siècle s’est inversé au tournant des années 1990. Cedernier mouvement touche aussi bien le monde du salariat que celui desindépendants d’autant plus que la frontière entre ces deux catégories devientfloue.

De nouvelles pratiques de travail déjà anciennes

Commençons par les évolutions récentes du travail. Premièrement, lesmétiers traditionnellement pénibles n’ont pas tous disparu. Le bâtiment et lestravaux publics demeurent un monde dur cumulant exposition à des produitstoxiques, risques d’accidents, températures extrêmes ou pression sonore éle-vée. Le travail à la chaîne ou sous contrainte automatique ne régresse pas : ilconcerne encore aujourd’hui 10 % des travailleurs. En outre, de nouveauxmétiers particulièrement pénibles apparaissent dans des activités peu visiblesmais croissantes. Par exemple, le tri sélectif et recyclage implique que destravailleurs traquent et corrigent manuellement nos erreurs de tri sur un flotcontinu de déchets ménagers.

Deuxièmement, l’exposition des salariés à la plupart des risques et la pénibilitédu travail ont eu tendance à augmenter dans la dernière décennie. L’enquêteSumer qui porte sur des salariés et réalisée par les médecins du travail fournitune batterie d’indicateurs précis59.

La proportion de salariés du privé exposée à des produits chimiques a aug-menté de 34 à 37 % de 1994 à 2003. Désormais, les deux tiers des ouvrierssont concernés ; en 2003, au moins 2,4 millions de travailleurs étaient en

59. Pour une présentation de l’enquête, voir : ARNAUDO B, MAGAUD-CAMUS I, SANDRET N,COUTROT T, FLOURY MC, et coll. L’exposition aux risques et aux pénibilités du travail de 1994à 2003. Premiers résultats de l’enquête Sumer 2003. Premières Synthèses, Dares, décembre2004, n° 52.1

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contact avec des produits cancérigènes. Les contraintes physiques comme lamanutention de charge ou le piétinement pendant 20 heures par semainedéclinent en moyenne, mais augmentent pour les ouvriers. Les contraintesorganisationnelles notamment de rythmes et de délais, se généralisent.L’« incertitude au travail », comme le fait de devoir effectuer des tâches nonprévues, augmente pour toutes les catégories de salariés, accroissant la chargementale. Le contrôle par la hiérarchie décline au profit d’un quasi doublementdu contrôle informatique, concernant désormais plus du quart des salariés.

Même si la réduction du temps de travail a limité la fréquence des semaineslongues, les temps sont de plus en plus éclatés. Le travail de nuit (surtout desfemmes) se développe. Les horaires atypiques ou imprévisibles deviennent lanorme, induisant des difficultés pour conjuguer vie privée (dont l’éducationdes enfants) et vie professionnelle.

Ces évolutions tiennent en partie à la diffusion dans les secteurs des services,des méthodes d’optimisation des phases de travail issues du monde industriel.Dans l’ensemble, les inégalités se creusent, risques et pénibilité augmentantdavantage pour les ouvriers et les employés que pour les autres catégories.

Le tâcheron – travailleur indépendant – d’une usine de désossage de viande quidoit en permanence se concentrer pour préparer des pièces de viande naturelle-ment toutes différentes, doit mobiliser l’ensemble de ses capacités cognitives etphysiques. De même, la caissière d’hypermarché doit non seulement déplacerquotidiennement 2 tonnes de marchandises, mais aussi trouver l’emplacementde milliers de codes barres, les scanner, répondre aux sollicitations, anticiper lesmodes de paiement ou encore éviter la « démarque inconnue ».

De fait, contrairement aux représentations les plus répandues, les formes depénibilité traditionnelles et nouvelles ne se substituent pas : elles se cumu-lent. Et ce cumul peut se traduire par des pathologies d’hyper-sollicitation, enparticulier les troubles musculosquelettiques (TMS). D’après l’étude pilotemenée dans les Pays de la Loire en 200360, 11 % des hommes et 15 % desfemmes souffrent de troubles musculosquelettiques. Les données de la Caissenationale de l’Assurance maladie montrent une montée ininterrompue desfréquences des TMS déclarés chez les salariés. Elles suggèrent une mécaniqued’usure progressive des travailleurs – salariés comme indépendants – face à desorganisations qui se stabilisent à un haut niveau de contraintes (tableau I).

60. ROQUELAURE Y, HA C, TOURANCHET A, IMBERNON E, GOLDBERG M. Réseauexpérimental de surveillance épidémiologique des TMS dans les Pays de la Loire. Foruminternational travail santé 2004, InVS416

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Tableau I : Des contraintes qui se stabilisent à un haut niveau en France(d’après Enquêtes conditions de travail. Salariés et travailleurs indépendants,Dares61)

En % des travailleurs concernés 1984 1991 1998 2005

Rester longtemps dans une posture pénible 16,2 29,0 37,3 34,2

Devoir porter ou déplacer des charges lourdes 21,5 31,4 37,6 39,0

Rythme imposé par des normes ou délais de une heure au plus 5,2 16,2 23,2 25,0

Tensions avec le public Nd 20,9 29,7 28,6

Changer de poste en fonction des besoins de l’entreprise Nd 22,8 23,2 18,7

Devoir fréquemment abandonner une tâche pour une autre plus urgente Nd 48,1 55,7 59,5

Nd : non déterminé

Une mécanique macro-économique

Ces difficultés au travail résultent principalement des choix organisationnelset technologiques des entreprises : elles sont fondamentalement collectives.L’entreprise connaît en effet une profonde remise en cause de l’organisationdu travail, liée au fait que la capacité à être la première à arriver sur un marchéet à réagir aussi rapidement que possible aux évolutions de la demande estprogressivement devenue la clef de la compétitivité.

Un productivisme réactif s’impose, basé sur des pratiques d’organisation flexibleset innovantes comme les équipes autonomes, la rotation de postes, le « juste àtemps », pratiques associées à une sous-traitance accrue, à la réduction des ligneshiérarchiques, à la montée en puissance des normes de qualité (notammentISO). Ces pratiques se diffusent rapidement dans le secteur privé mais aussi dansle secteur public. En 2005, un tiers des établissements français de plus de20 salariés sont sous normalisation ISO. Parallèlement, bien que leur efficaciténe soit pas démontrée, les progiciels de gestion intégrés ou ERP62, peu présents ily a encore 10 ans, sont utilisés là aussi dans un tiers des établissements.

Ces changements organisationnels sont inséparables des technologies del’information et de la communication : le développement de celles-ci permetla mise en place de nouvelles configurations, et inversement. C’est de laconjonction des deux que les entreprises attendent des gains de performance.

61. Pour une présentation des enquêtes, voir l’adresse suivante : http://www.travail-solidarite.gouv.fr/etudes-recherche-statistiques-de,76/statistiques,78/conditions-de-travail,80/enquetes-conditions-de-travail,189/62. Les ERP (Enterprise Resource Planning), aussi appelés progiciels de gestion intégrés(PGI), sont des applications dont le but est de coordonner l’ensemble des activités d’uneentreprise (activités dites verticales telles que la production, l’approvisionnement ou bienhorizontales comme le marketing, les forces de vente, la gestion des ressources humaines...)autour d’un même système d’information.

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Ce mouvement est global et s’auto-entretient en modifiant en permanence lesconditions de concurrence entre entreprises et en stimulant l’innovation. Letravail est au centre de cette dynamique. Le mouvement de transformation dutravail et de l’organisation des activités économiques étant globaux, les tra-vailleurs indépendants sont aussi concernés par capillarité que les salariés. Lesindépendants n’échappent pas à la logique des donneurs d’ordre, à l’exigencede mobilité.

Néanmoins, les indépendants se distinguent a priori (nous reviendrons sur l’apriori) par leur autonomie dans le travail. De nombreux travaux internatio-naux (voir la communication de Stéphane Rapelli dans cet ouvrage) per-mettent de dresser un portrait particulier des indépendants. Les indépendantssont souvent plus satisfaits de leur travail surtout s’ils n’ont pas de salariés ; et,on n’observe pas de déclin de la satisfaction des indépendants dans les Euro-barometer Surveys. Et pourtant, ils ont des horaires plus longs mais nonextrêmes (hormis les agriculteurs). Leurs rémunérations sont généralementplus basses, surtout plus incertaines. Ils déclarent un métier plus « stressant »,mais ne sont pas nécessairement plus exposés au stress. Être indépendant estaussi un échappatoire à l’environnement de travail du monde salarié.

Des organisations moins délétères ?

Les transformations de l’économie et leurs conséquences ne sont naturelle-ment pas un monopole français. D’ailleurs, la montée des TMS ou l’intensifi-cation du travail ont été observées dans la plupart des pays développés à partirdu milieu ou de la fin des années 1980.

Cette évolution n’est cependant pas inéluctable. En témoigne le fait que lesdifficultés au travail sont inégalement distribuées. Deux entreprises aussiréactives et compétitives l’une que l’autre peuvent traiter de manière trèsdifférente leurs salariés. Les entreprises les plus délétères sont celles qui asso-cient à l’innovation dans l’organisation de la production des formes dedésorganisation du travail comme le fait de recevoir des ordres contradictoiresou de supprimer les phases d’échanges collectifs nécessaires à l’équilibre deséquipes de travail ou à la passation des consignes. Une meilleure formationdes salariés ou des démarches de qualité de vie au travail permettent aucontraire aux organisations de devenir matures.

Dans la plupart des pays européens comme en Amérique du Nord, de nom-breuses entreprises se sont efforcées de réduire l’usure au travail et d’améliorerles organisations. Dès le début des années 1990, leurs agences sanitaires ontsoulevé la question des TMS. Les élites managériales formées aux questions desanté et de sécurité au travail et à leur gestion ont été alertées par le coûtcroissant de l’absentéisme et des maladies professionnelles, sous la pression,notamment dans les pays anglo-saxons, des assureurs santé. Dans les pays418

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nordiques, le nécessaire allongement de la vie au travail a en outre induit chezles partenaires sociaux et l’État une attention particulière aux conditions detravail des seniors, mais aussi à celles des travailleurs plus jeunes pour leuréviter une usure prématurée. Ces réflexions sont entrées en résonance avec lamode de la Responsabilité sociale des entreprises (RSE)63.

Concomitamment, on assiste à une stabilisation, voire à un reflux, des effetsdélétères des nouvelles organisations, la plupart des indicateurs de « bien-être » au travail s’améliorant. Les enquêtes européennes, en particulier lesenquêtes sur les conditions de travail de la Fondation de Dublin, suggèrentune pause dans la montée des contraintes organisationnelles depuis le milieudes années 1990 alors que les fréquences d’accidents du travail décroissentsignificativement. Les États-Unis ou la Grande-Bretagne voient une réduc-tion progressive de l’ordre de 4 % par an des fréquences de TMS depuismaintenant une décennie, sans avoir pour autant renoncer au productivismeréactif. En Allemagne, cela fait également une décennie, que le nombre de casde TMS s’est stabilisé, voire décline, et que, dans le même temps, l’absen-téisme a reculé d’un tiers, alors même que la coalition rouge-verte avaitréintroduit en 1999 une indemnisation à 100 % dès le premier jour d’arrêtmaladie ; de fait, face à des perspectives démographiques particulièrementdéfavorables, les entreprises allemandes anticipent le maintien en emploi deleurs salariés, dont les compétences deviendront rares. La crise actuelle n’a pasremis en cause cette dynamique.

La France semble à la marge de cette tendance favorable. L’écart de fréquenced’accidents entre la France et la moyenne européenne se creuse. Le mouve-ment d’intensification n’y a pas décéléré significativement. Le nombre de casde TMS déclarés à la Sécurité Sociale progresse toujours annuellement de20 %. Depuis 2000, elle est même le seul grand pays à voir progresser nette-ment les accidents du travail impliquant un handicap permanent (même si lafréquence des accidents mortels continue de régresser) : plus 15 % contre, parexemple, une baisse de 10 % en Allemagne. L’absentéisme a crû dans la mêmeproportion. Même en retirant de la facture les conséquences de 30 ans deretard dans des dossiers comme celui de l’amiante, le coût des atteintes à lasanté dues au travail s’envole et participe au creusement du déficit du régimegénéral qui assume la plupart des maladies d’origine professionnelle, et auxdéséquilibres de la branche travail.

De fait, la prise de conscience de l’impact délétère de nouvelles organisationsnon matures sur la santé des travailleurs est tardive et encore balbutiante dansla plupart des entreprises françaises ; c’est seulement depuis 2005 que l’État areconnu les TMS comme un véritable problème de santé publique avec le PlanSanté Travail.

63. La Responsabilité sociale des entreprises (RSE) est un concept dans lequel les entreprisesintègrent les préoccupations sociales, environnementales et économiques dans leurs activités etdans leurs interactions avec leurs parties prenantes sur une base volontaire.

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Les indépendants en France

Ainsi, les difficultés françaises sont moins liées à la mondialisation des modesde production ou au développement d’un capitalisme cynique, qu’auxdéfaillances d’un compromis collectif caractérisé par l’inadaptation de sesrégulations et l’impréparation de ses élites.

La régulation touche non seulement le travail, mais aussi le statut même destravailleurs, dont celui des indépendants. Les conditions de travail des indé-pendants dépendent également fondamentalement de la frontière entre indé-pendants et salariés, c’est-à-dire qui sont les indépendants.

Sur 50 ans, le nombre d’indépendants (même hors agriculture) est en très fortdéclin dans l’OCDE. On assiste cependant à un rebond dans les années 1980suite à des réformes fiscales notamment en Grande-Bretagne. Inversement,des faux salariés émergent avec le portage salarial par exemple en France. Lesannées 1990-2000 ont également vu la montée des indépendants « économi-quement dépendants ». Ces derniers cumulent la plupart des contraintes dessalariés et indépendants, en gardant potentiellement une certaine autonomie.

Les changements de régulations nationales peuvent ainsi modifier profondé-ment la catégorie d’indépendant. Dans le secteur de la construction, 90 % destravailleurs sont indépendants aux Pays-Bas... contre 25 % en Belgique ! Lacroissance et la décroissance souvent massives de la part des indépendantsdans l’emploi total sur la période pourtant très courte de 2004 à 2007 d’unpays européen à un autre illustrent ces différences de régulations (figure 1).

La France n’échappe pas à la redéfinition des frontières avec la création del’auto-entreprenariat qui génère à la fois plus d’indépendants de tous types, ycompris des cumulants salariés-indépendants. Cette évolution va à rebours decelle de l’Italie depuis 2006-2007 avec l’arrivée du statut légal protecteur pourles indépendants dépendants64, la syndicalisation des indépendants dépen-dants aux États-Unis ou l’introduction de la place des indépendants dans desaccords de branche en Allemagne. Mais cette évolution française, désormaisinstallée, ouvre de nouveaux enjeux : nouveaux indépendants, nouveauxconcurrents pour les indépendants classiques... qui peuvent profondémentinfluer sur l’« état de stress » des indépendants en France par effet de compo-sition comme d’environnement concurrentiel et de contenu de travail.

64. Chez les indépendants dépendants, l’indépendance est entravée par une perte partielle outotale de la maîtrise de son activité (voir la communication de Stéphane Rapelli dans cetouvrage).420

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Figure 1 : Croissance en points de la part des indépendants de 2004 à 2007(d’après Enquêtes européennes sur les forces de travail, Eurostat 2004-2007)AT : Autriche ; BE : Belgique ; BG : Bulgarie ; CY : Chypre ; CZ : République Tchèque ;DE : Allemagne ; DK : Danemark ; EE : Estonie ; EL : Grèce ; ES : Espagne ; EU 27 : les 27pays membres de l’Union européenne ; FI : Finlande ; FR : France ; HU : Hongrie ; IE :Irlande ; IT : Italie ; LT : Lituanie ; LU : Luxembourg ; LV : Latvie ; MT : Malte ; NL :Pays-Bas ; NO : Norvège ; PL : Pologne ; PT : Portugal ; RO : Roumanie ; SE : Suède ; SI :Slovénie ; SK : République slovaque ; UK : Royaume-Uni

En conclusion, étudier le stress des indépendants impose deux pré-requis. Lepremier enjeu essentiel est de déterminer le champ exact des indépendants etsurtout d’anticiper les évolutions de la frontière entre salariat et indépendantspour pouvoir construire un suivi longitudinal au sein d’une catégorie mou-vante et ainsi ne pas « oublier » des populations nouvelles qui concentre-raient les expositions aux « stresseurs ». Le deuxième enjeu est de bâtir desindicateurs capables tout à la fois d’être adaptés aux spécificités des métiersd’indépendants – les outils type Karasek étant par nature adaptés à la relationsalariale –, et de capturer les évolution du contenu du travail.

Philippe AskenazyDirecteur de recherche au CNRS, École d’économie de Paris

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Autonomie et dépendancedes indépendants

Au sein du monde du travail, les indépendants occupent une place singulière.Représentant environ 10 % de la population active, ils y forment un groupeanachronique résistant à un mode d’emploi quasi hégémonique, celui dusalariat. Malgré une disparition maintes fois annoncée, le pourcentage destravailleurs indépendants dans la population active reste, en moyenne, stabledepuis plusieurs décennies, cette stabilité masquant cependant des transfor-mations incessantes qui affectent les différentes catégories régies par ce statut.Le groupe tend à se dilater lorsque croît le chômage associé à une récessionéconomique, il se contracte lorsque l’environnement lui devient plus hostileet que le salariat semble assurer un avenir moins incertain à ses membres lesplus proches des catégories ouvrières ou employées. Hormis les agriculteurs,les indépendants sont spécialisés dans la transformation des matières pre-mières (les artisans inscrits au répertoire des métiers avec 205 entrées pos-sibles), l’achat et la revente de biens (les commerçants inscrits au registre ducommerce) et l’exploitation d’un savoir (les professions libérales regroupantun ensemble très hétéroclite de professions : 32 sont réglementées, plus de 170ne le sont pas). Rien ne confère une unité apparente à ce groupe où seretrouvent les professions les plus prestigieuses et « la boutique », l’artisanatd’art et le maréchal ferrant consacrant désormais son activité aux chevaux deloisir, rien si ce n’est un statut et les représentations qui lui sont associées – cequi est beaucoup – ces deux dimensions structurant en effet la distinction deses membres au sein de la population active et un socle partagé d’élémentsconstitutifs de leur identité.

Après avoir très brièvement rappelé, dans ce court exposé, les grands traits dustatut des indépendants et les représentations qui y sont associées, on s’attacheraà mettre en évidence ce qui le distingue des autres « formes » de travailaujourd’hui existantes. On s’interrogera dans un deuxième temps sur les critiquesformulées par les sociologues à l’égard des privilèges dont bénéficient certainssegments de ce groupe et quelques unes des transformations qui l’affectent.

« Forme » du travail indépendant

Statut

Le point nodal du statut a trait à l’absence de subordination juridique (articleL. 120-3 du Code du travail) du travailleur indépendant qui exécute un

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travail pour autrui sans lui être subordonné, ce qui le distingue radicalementdes salariés. Le travailleur indépendant (quand bien même il se fait aider danssa tâche par des compagnons ou des aides familiaux) est censé détenir lesconnaissances et l’expertise nécessaires à la réalisation de son activité. Maiscette absence de liens de subordination n’implique évidemment pas l’absencede règles dans l’exercice de l’activité. Depuis la loi d’Allarde (2-17 mars 1791)supprimant les corporations mais instaurant une patente, la loi le Chapelier(14-18 juin 1791) prohibant les coalitions ouvrières (les organisations decompagnons) (Sewel, 1983 ; Poitrineau, 1992 ; Kaplan, 2001 ; Kaplan etMinard, 2004) en passant par l’invention de « l’artisan fiscal » sous la Troi-sième République (Zdadtny, 1999), la charte du travail corporatiste de Vichy(Le Crom, 1995 ; Margairaz et Tartakowsky, 2008, voir en particulier lapremière partie de l’ouvrage consacrée aux « Patrons et artisans, corpora-tisme, syndicalisme »), jusqu’aux toutes dernières lois concernant la créationd’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL), le statut d’auto-entrepreneur, les règles qui encadrent l’activité des travailleurs indépendantsfont florès. Elles concernent aussi bien la taille des entreprises, la fiscalité, lestatut des conjoints et des aides familiaux, le pré-requis éventuel de titres oude diplômes pour l’exercice de certains métiers ou professions... La capacitéd’auto-organisation des travailleurs indépendants varie par ailleurs fortementd’un métier à l’autre selon une multiplicité de critères (monopole ou non del’exercice d’une pratique, maîtrise reconnue d’un métier, caractéristiques dumarché...). Un certain nombre de professions réglementées, remplissant, pourcertaines, une mission de service public, sont dotées d’instances spécifiques(les ordres professionnels : des médecins, avocats, architectes...) qui exercentune véritable juridiction sur leurs membres. Pour les artisans, comme lesouligne Bernard Zarca (1986, 1987, 1998), l’identité collective se construitautour du métier conduisant à un morcellement de leur représentation au seindes chambres de métiers. Mais un même constat peut être fait pour les métiersdu commerce fourmillant d’organisations chargées de la défense de leursintérêts (à titre d’exemple, la chambre de commerce de Lyon accueille à elleseule 222 organisations) (Offerlé, 1998 et 2009 ; Rapelli et Piatecki, 2008).Ces diverses organisations sont regroupées au sein de fédérations ou confédé-rations plus ou moins puissantes, certaines intégrées au sein du Medef,d’autres non (comme l’Union nationale des professions libérales, UNAPLcréée en 1977), toutes visant les mêmes objectifs : l’obtention d’une législa-tion, notamment fiscale, qui leur soit la plus favorable possible, des formes decouverture sociale adaptée à leur situation et, le cas échéant, la régulation desrelations avec leurs salariés (conventions collectives sur les salaires et la duréedu travail, conditions d’accès à la profession...).

Représentations collectives

Malgré la grande rupture révolutionnaire, les travailleurs indépendants sontaussi les héritiers d’une longue tradition qui remonte au XIIe siècle, riche424

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d’une histoire dense qui alimente encore, même s’il s’agit le plus souventd’une forme fantasmée de cette histoire, l’imaginaire collectif (Lequin, 1992).Ils restent encore aujourd’hui les dépositaires du vieux rêve proudhoniend’une disparition possible du salariat que le maître appelait de ses vœux.Derrière le mot d’indépendant se love pour les artisans la possibilité d’unepratique autonome du métier entendu comme « un corps constitué de tech-niques, de savoir faire en vue de la production d’une gamme relativementrestreinte de biens et services qui ne s’acquièrent que dans le temps long etpositif de l’expérience professionnelle » permettant l’émergence « des compo-santes d’une culture telles que le langage, la gestuelle ou la transmissionintergénérationnelle des techniques et des coutumes » (Zarca, 1998). Lamaîtrise complète du processus, le bel ouvrage réalisé selon les règles de l’artsont leur fierté. Ce qui est vrai pour l’artisan et sans doute également pour lesmembres des professions libérales65 prend, comme le montre bien FrançoisGresle, un autre sens pour le commerçant pour qui l’indépendance « n’existeque par l’acte commercial, les relations avec « ses pratiques », la présencepublique de la boutique... L’indépendance reste le but ultime du détaillant ;elle est seulement pour l’artisan le moyen d’atteindre son idéal professionnel »(Gresle, 1980, 1981a et b).

Ce long apprentissage du métier, qu’il soit intellectuel ou manuel, « l’évasiondans la boutique » pour reprendre l’expression de Michèle Perrot, contribuentà façonner la morphologie des indépendants. Ils sont en moyenne plus âgésque ne l’est la population active – il faut du temps pour pouvoir se former etquelques moyens pour s’installer – mais ils ont un niveau de formation supé-rieur à la moyenne des actifs, ce qui s’explique à la fois par la très longue duréede formation des professions libérales et par l’exigence de diplômes dans denombreux secteurs de l’artisanat. Plusieurs enquêtes confirment leur goût pourl’indépendance et pour la possibilité d’un travail accompli de manière auto-nome. Les travaux de l’Insee sur les créateurs d’entreprise soulignent le goûtd’entreprendre autant pour développer une innovation que par souci d’uneinsertion sociale personnalisée par le biais de la création de son propre emploi(Daniel et Kergosse, 2008). On trouve proportionnellement un peu plusd’immigrés parmi eux qu’au sein de la population active, « la mise à soncompte » étant sans doute aussi un moyen pour ces derniers d’échapper àl’ostracisme de l’emploi salarié les concernant. Enfin, ces indépendants ontune durée hebdomadaire du travail et une longévité dans l’activité sanscommune mesure avec celles de leurs homologues salariés, ceci étant par-ticulièrement notoire pour les commerçants et les artisans66.

65. Les médecins du travail qui ont un statut de salariés et sont interdits de prescriptions,malgré l’obligation du respect du secret médical, vivent comme une « castration » la perte deleur indépendance (Piotet, 2002).66. Tous les chiffres sont disponibles dans Riapelli et Piatecki (2008) ainsi que sur le site del’Insee.

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De ce survol très rapide d’un groupe à la fois très hétérogène, en partieinstable, dont les diverses composantes sont plus ou moins bien étudiées (quesait-on vraiment du travail, de la carrière et des conditions de vie des petitscommerçants de quartier, des patrons de döner kébabs ou des coiffeuses àdomicile pour ne prendre que quelques exemples ?), on peut retenir la donnéela plus solide qui a trait à l’autonomie qui leur est reconnue par le droit. Il resteà comprendre ce qui en est dans les faits.

Une comparaison de « formes »

Pour mieux saisir une spécificité, il est souvent utile de procéder par compa-raison. On emprunte ici à Alain Supiot (2000), en l’adaptant, le raisonne-ment retenu pour comparer la relation au travail des agents des secteurs publicet privé lorsqu’il écrit : « Tandis que le contrat permet de faire du travail unobjet de négoce, le statut (il s’agit de celui des fonctionnaires) isole aucontraire le travail de la sphère marchande. Par le contrat, le salarié vend sontravail au plus offrant sur le marché (du travail) ; la relation est dissymétrique(l’un des contractants se place sous les ordres de l’autre) ; synallagmatique (lesalaire est la contrepartie du travail fourni) et sa durée est aléatoire. Aucun deces traits ne se retrouve dans le statut, qui implique un autre rapport au temps,au pouvoir et à l’argent ». Si le contrat de travail est bien un contrat desubordination à un employeur (subordination bornée par le code du travailmais bien réelle) dans le cadre de la fonction publique, « l’agent n’est pasassujetti à un homme déterminé, mais à une organisation et aux valeursqu’elle incarne ». Le fonctionnaire est certes soumis aux ordres de son supé-rieur hiérarchique, l’un et l’autre cependant le sont au service d’une mêmecause : le service de l’intérêt général. Le salaire est la contrepartie de la valeurestimée du travail accompli dans un système concurrentiel et conventionnel,le traitement du fonctionnaire est la contrepartie de son engagement sans lienavec une quelconque valeur marchande. Le lien qui unit un salarié à sonemployeur est précaire, le fonctionnaire a une garantie d’emploi à vie corres-pondant au principe de continuité du service public.

Si l’on intègre dans ce raisonnement les travailleurs indépendants, leur seuledépendance se manifeste à l’égard du marché et de la réception par ce dernierdes biens et services qu’ils peuvent offrir, mais aussi de l’État régulateur. Lebesoin de défendre ses intérêts (et notamment fiscaux) et le particularisme dessituations expliquent sans doute en partie la prolifération déjà évoquée desinstances de représentation corporatives dans le sens précis et hérité de ceterme. On sait la capacité protestataire et le poids politique (bien supérieur àleur nombre) de certaines catégories de travailleurs indépendants (Offerlé,1998 et 2009 ; Zdadtny, 1999). La pérennité de l’exercice de leur activitédépend fortement de l’environnement économique au sein duquel ils opèrent,et ils ne reçoivent ni un salaire, ni un traitement mais un revenu fruit de lavente de leurs prestations. Ce revenu est de l’ordre de 23 000 Q en moyennepar an (Favre, 2008) soulignant par là même que c’est bien l’indépendance et426

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l’autonomie dans l’exercice de l’activité plus que l’appât du gain qui motiventles indépendants (quand bien même certains d’entre eux ont des revenus quidépassent largement cette moyenne). Si enfin on étend la comparaison à laqualification, c’est l’emploi occupé qui définit la qualification du salarié alorsque c’est le concours passé et son niveau qui classe le fonctionnaire dans unecatégorie ; le métier et la profession exercés définissent la qualification dutravailleur indépendant et sont un élément essentiel de son patrimoine. Letableau I résume les éléments de comparaison qui viennent d’être évoqués.

Tableau I : Formes d’autonomie et de dépendance : esquisse d’une typologie

Salariés Fonctionnaires Indépendants

Types de relations à :

La collectivité de travail Le contrat Le statut Le marché

Le temps de l’engagement Indéterminé Une vie Une vie et indéterminé

Le pouvoir Subordination L’intérêt général Le marché et l’État régulateur

L’argent Le salaire Le traitement Le revenu

La qualification Le poste Fonction/grade (le concours) Le métier, la profession

Bien entendu, ces trois formes sont des idéaux-types, des faits stylisés commedisent les économistes, ayant essentiellement une valeur heuristique qui rendmal compte de la diversité et de la complexité de la réalité. Ils peuventpermettre de réfléchir aux altérations que subissent chacune d’entre elles pourdes raisons propres et par réciprocité d’effets.

Quelques éléments de réflexion sur les transformationsdu travail indépendant

Indépendance et autonomie, quelle légitimité ?

Si, comme convenu, le travail agricole est exclu de la réflexion, force est deconstater la faiblesse en nombre des travaux sociologiques français concer-nant le travail des indépendants comparés à ceux traitant du travail salarié.Les beaux travaux de Bernard Zarca sur l’artisanat et de François Gresles surles commerçants qui ont maintenant plus d’une vingtaine d’années restentdes références encore incontournables, mais n’ont pas vraiment fait école67.Économistes, historiens et sociologues s’intéressent cependant de plus en plusaux petites entreprises et à leurs dirigeants (par exemple : Bruno et Zalc,2006 ; dans le domaine des relations sociales : Verrier, 2009). La sociologie

67. Sur l’artisanat, on connaît les travaux de Didier Schwint. SCHWINT D. Artisans du bois.Travail et passion du tourneur et du tabletier jurassiens. Cêtre, Besançon, 1997

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politique contribue pour sa part à une meilleure connaissance des comporte-ments politiques et des modes de défense de leurs intérêts par les indépen-dants (Offerlé, 1998 et 2009 ; Bosc, 2009). Les professions libérales, au moinsles plus prestigieuses d’entre elles, ont en revanche fait l’objet de nombreuxtravaux tant en France qu’à l’étranger (pour la France on peut citer sansprétendre à l’exhaustivité : Karpik, 1995 ; Hassenteufel, 1997 ; Quemin,1997 ; Champy, 1998 ; Mathieu-Fritz, 2005). Bien des raisons expliquentcette attention particulière portée aux professions libérales qui reproduisentencore le mieux les traits des anciennes corporations. Le débat qu’elles ontsuscité et suscitent encore au sein de ce qui est devenu une branche par-ticulière de la discipline – la sociologie des professions – est intéressant dansla mesure où il porte précisément sur la légitimité de l’indépendance et del’autonomie qu’elles revendiquent comme étant essentielles à l’exercice deleurs pratiques (Dubar et Tripier, 1998 ; deux ouvrages défendant encore desthèses opposées viennent d’être très récemment publiés : Champy, 2009 ;Demazière et coll., 2009). Au sein de ce champ de la discipline, la controverses’est nouée essentiellement autour des médecins, ces derniers étant érigés enreprésentants archétypiques de la notion de profession.

Jusqu’à la fin des années 1960, le courant de la sociologie fonctionnalistedominant dans la discipline s’est attaché à démontrer la légitimité des privi-lèges reconnus aux professions libérales et en particulier aux médecins enanalysant les fonctions qui sont les leurs et les services qu’ils rendent à lasociété. Pour les chercheurs de ce courant, ces professions ont un certainnombre de caractéristiques spécifiques : elles se réfèrent à des connaissancesscientifiques mobilisées dans des pratiques permettant de résoudre des pro-blèmes qui se posent aux individus ou à la société. Les membres de cesprofessions partagent des valeurs communes produites à la fois par un contrôlede la socialisation de leurs membres (contrôle de l’accès au marché du travailet contrôle de la socialisation dans le cadre de la formation) et par un contrôlede leur activité (un code de déontologie appliqué par la profession elle-même).L’indépendance et l’autonomie de la profession sont justifiées par l’importancede la fonction exercée pour l’équilibre de la société. La complexité de la tâcheaccomplie et les connaissances scientifiques exigées pour l’accomplir expli-quent la nécessité du contrôle par les pairs de l’accès à la profession et de lasocialisation de leurs membres. Démuni de cette expertise, aucun profane nepeut prétendre s’immiscer dans « les affaires » de la profession.

Des sociologues du courant interactionniste qui a succédé à l’école fonction-naliste mais également des sociologues marxistes vont radicalement contestercette légitimation des privilèges des professions libérales et, en particulierceux des professions médicales. Ce courant critique va reprocher aux fonc-tionnalistes de s’être laissés séduire par la rhétorique auto justificatrice desprofessionnels qu’ils se seraient contentés de retranscrire dans leurs analyses.Les problèmes que les professionnels prétendent être seuls à même de résoudre428

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ne sont pas « donnés » mais construits par eux-mêmes qui nomment et défi-nissent les maladies. L’altruisme et le désintéressement censés caractériser leurethos sont des plus douteux et, dans tous les cas, loin d’être partagés par tousles membres de la profession. Malgré une formation et une socialisationcontrôlées par les membres, on observe, de fait, une forte hétérogénéité despratiques. Les bénéfices tirés de l’exercice de la profession, le prestige qui enest issu permettent en réalité à la profession d’être dans un rapport de forcefavorable à la construction d’un monopole d’exercice (en déléguant éventuel-lement « le sale boulot » à des professions subalternes) et d’auto-contrôle dela profession. L’indépendance et l’autonomie dont bénéficient ces profession-nels ne sont que le résultat d’une lutte victorieuse pour l’acquisition d’uneplace privilégiée au sein du marché du travail. Ils n’ont rien à voir avecl’activité elle-même. Toutes les activités de travail doivent être jugées à lamême aune, d’où l’intérêt porté par les interactionnistes à tous les métiers eten particulier les plus modestes d’entre eux. La sociologie des professionsapparue en France il y a une vingtaine d’années maintenant, se situe résolu-ment dans ce courant critique, au point même de ne plus évoquer le terme de« profession » pour lui préférer celui de « groupes professionnels » (Dubar etTripier, 1998 ; Demazière, et coll., 2009). Dans cette perspective, les statuts(salariés, fonctionnaires, indépendants) sont supposés n’avoir aucune infé-rence sur le travail.

Remise en cause de l’autonomie et de l’indépendanceCette attaque en règle contre les professions ne permet pas au courant de lasociologie critique de les défendre sans qu’ait été prise la mesure de l’impor-tance de l’autonomie et de l’indépendance sur la qualité de l’acte professionnellui-même, au moment où autonomie et indépendance sont remises en cause.Dans un article récent, Anne-Chantal Hardy-Dubernet (2002) met par-ticulièrement bien en évidence les nouvelles formes de dépendance et la perted’autonomie des médecins libéraux à partir de l’atteinte portée à trois élé-ments essentiels de la profession :• la perte de contrôle de la régulation numérique de la profession par le biaisdu numerus clausus imposé par l’État tant à l’entrée dans la profession que lorsdes orientations de spécialisation ;• l’intégration du code de déontologie dans le Code de la santé publique etles suggestions apportées en matière de prescription affectant de fait, le gestetechnique, point essentiel de l’autonomie ;• la redéfinition du système de soin : modalité de remboursement, mise enplace de réseau de soin et rôle du médecin référent restreignant très fortementl’indépendance du praticien.Florent Champy, à partir de ses recherches sur les architectes, s’alarme de lamême manière sur les atteintes portées à l’indépendance et à l’autonomie desprofessions à pratiques prudentielles, le conduisant à proposer un renouvelle-ment des problématiques de recherche évitant les excès du fonctionnalisme et

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de la sociologie critique. Il ne s’agit plus de mettre le pouvoir au cœur de laréflexion (et donc l’indépendance) comme c’est le cas dans la sociologiecritique, mais l’autonomie, l’approche proposée consistant « à se situer sur unplan cognitif : alors que le pouvoir se juge dans l’action, l’autonomie de laréflexion est plus importante que l’autonomie de décision » (Champy, 1998).Cette affirmation est sans doute fondée dans le cas des architectes fortementsoumis aux choix de leur client mais qui devraient rester maître du projetarchitectural, est-elle aussi pertinente dans le cas des médecins ? Le pointessentiel de l’approche suggérée que l’on souhaite souligner ici est l’impor-tance nouvelle accordée au lien entre autonomie et qualité de l’activité. Si laqualité de l’acte professionnel dépend de l’autonomie de celui qui l’accomplit,alors il est effectivement essentiel de défendre l’autonomie, ce que les socio-logues critiques ont ignoré. Mais l’autonomie dans l’accomplissement dutravail peut-elle être garantie sans l’indépendance qui la protège ?

Florent Champy, Pierre-Michel Menger (2003) et bien d’autres s’accordent surd’autres menaces qui pèsent sur les indépendants. On a évoqué la proliférationdes normes pesant sur l’activité de certaines professions étroitement contrô-lées : normes de résultats qui ne peuvent manquer d’influer sur les procédures detravail auxquelles s’ajoutent désormais des dérégulations supranationales (parexemple, la directive européenne concernant les services) permettant l’instal-lation sur le territoire de professionnels européens, mettant en cause la capacitéde régulation des marchés du travail spécifiques à chaque profession (on sesouvient de l’affaire du plombier polonais !). Les numerus clausus ou les dif-ficultés d’accès à certaines professions (les vétérinaires, les masseurs-kinésithérapeutes...) conduisent ceux qui y aspirent à franchir les frontières,mettant à mal le contrôle de la socialisation professionnelle par les professionselles-mêmes (ce qui ne veut pas dire que les formations reçues ailleurs soientmoins bonnes que les nôtres !). Pour les petits entrepreneurs, la dépendance àl’égard du système financier n’est plus à démontrer, la période de crise quenous vivons exacerbant les difficultés financières pour les petites entreprises.Plus généralement, l’indépendance des petits entrepreneurs est particulière-ment contrainte par l’environnement économique et par un dispositif législa-tif et réglementaire qui encadre leur activité, expliquant la multiplicité desinstances de défense des intérêts spécifiques des différentes catégories d’indé-pendants ayant pour cible essentielle l’État et son action pour obtenir desprotections supplémentaires ou des avantages spécifiques (la baisse de la TVAdans l’hôtellerie-restauration en constitue un exemple récent). La dépen-dance des petites entreprises dans le cadre de la sous-traitance ou des méca-nismes de franchise questionne de plus en plus la réalité de leur autonomie.

Des frontières brouillées entre mondes professionnels

Les idéaux-types présentés dans la première partie de cet exposé ne sont que desmodèles théoriques permettant de mettre en exergue les grands traits de cesmondes séparés que sont les salariés, les fonctionnaires et les indépendants.430

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Dans la réalité, on assiste à un brouillage identitaire de ces différents mondesdont les frontières sont de plus en plus poreuses autant sur des plans symboliquesque pratiques. Sans prétendre à l’exhaustivité, il est possible de repérer certainsindices illustrant ce propos.

Le métier, apanage du travail indépendant, est désormais au cœur des dispositifsde gestion des grandes entreprises qui se réorganisent autour de familles demétiers, qui ne parlent plus d’ouvriers mais de compagnons et qui accordent, defait, une plus grande autonomie à leurs salariés et une prescription moins précisedu travail. Les enquêtes de la Dares sur les conditions de travail (Algava etVinck, 2009) font état de cette progression de l’autonomie n’excluant évidem-ment pas le contrôle, ce dernier se situant désormais a posteriori sur les objectifsatteints et non plus, comme dans le modèle taylorien, sur le modus operandi.La qualification, longtemps définie par celle du poste occupé, se « personna-lise » dans le cadre de la mise en œuvre de ce que le Medef nomme « lalogique compétence ». Le travail en équipes, en groupes de projets, change lesrelations sociales et favorise un apprentissage de type compagnonnique. Lamodernisation de la fonction publique, sans remettre en cause radicalement lestatut, modifie profondément les conditions de travail des fonctionnaires parle biais de l’importation des pratiques de gestion du secteur privé (la RGPP,Réforme générale des politiques publiques ; la LOLF, Loi organique relativeaux lois de finances). La volonté d’individualiser les salaires (attribution deprimes de performance ou d’excellence !) fait dériver le traitement vers unsalaire. Par ailleurs, un nombre croissant d’agents contractuels dans certainesadministrations et grandes entreprises publiques conduisent à la cohabitationau sein de mêmes entités d’agents aux statuts hétérogènes. La transformationde l’usager en client affecte l’ethos même de l’engagement du fonctionnaire(Warin, 2002 ; Cartier, 2003 ; Weller, 2003), la prise en compte des situationsindividuelles se substituant progressivement à l’égalité de traitement de l’usa-ger. Paradoxalement, c’est encore dans certains grands corps de l’État que l’onretrouve le mieux préservé l’idéal des professions libérales : indépendance etautonomie dans l’exercice de la fonction (Latour, 2002).

Du côté du travail indépendant, on a évoqué, dans le point précédent,l’altération de ce statut dans le cadre des relations liant grandes entreprises àsous-traitants, relations susceptibles dans certains cas de réduire l’indépen-dance à une pure fiction68. Le développement des « franchises » dans lacoiffure, la restauration, la mode, permet à l’entrepreneur indépendant deconserver sa clientèle, mais le prive de toute autonomie dans le choix desproduits, leur mode de présentation69...

68. Les Italiens utilisent pour qualifier ce type de relation le terme très évocateur de « parasu-bordinati ».69. Anne-Chantal Hardy-Dubernet montre très bien comment, par exemple, les coiffeursfranchisés n’exercent pas du tout le même métier que les coiffeurs indépendants. « Des métierstraditionnels aux vrais métiers » In : La révolution des métiers. PIOTET F. PUF, Collection Le liensocial, Paris, 2002

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Dans une période de crise durable de l’emploi, tout est bon pour le soutenir. Laloi sur les Entreprises Uninominales à Responsabilité Limitée et celle annon-cée sur les Entreprises Individuelles à Responsabilité Limitée réduisent lanature du risque pris par les entrepreneurs. C’est sans doute une bonne chose.Il reste à s’interroger sur ce que la « responsabilité limitée » va avoir commeeffet sur le goût du risque supposé être une des qualités saillantes des entrepre-neurs indépendants. Enfin, le statut récent d’auto-entrepreneur (320 000 surles 580 000 entreprises créées en 2009) contribue encore à brouiller lesfrontières dans la mesure où il est adopté aussi bien par de vrais indépendantsque par des retraités, des salariés (29 % d’entre eux), des fonctionnaires ou desbénéficiaires de minima sociaux. Ce statut, très favorable quand il permet unappoint financier lorsque les heures supplémentaires sont introuvables ouqu’il évite le travail au noir, peut aussi permettre aux entreprises de contour-ner les contraintes du Code du travail en confiant des missions à d’ancienssalariés incités à se mettre « à leur compte » et sans droit aux Assedic, lamission terminée.

En conclusion, le groupe des travailleurs indépendants se caractérise par unerecomposition ou une déformation quasi permanente des catégories qui lecomposent. Aux franges du salariat, il en est à la fois la nostalgie et « lanouvelle frontière ». Des nouveaux métiers naissent en son sein liés auxtechnologies de l’information et de la communication alors que d’autresdéclinent ou disparaissent. Les petites boutiques de mode ou de produitsexotiques connaissent un turn-over considérable alors que les boutiques deluxe « ne connaissent pas la crise ». L’avocat au statut souvent sécurisé parcelui d’enseignant y côtoie l’architecte qui peine à gagner sa vie et l’immigréqui crée son petit restaurant ou sa boutique de produits alimentaires. Lesconditions de travail des indépendants se caractérisent par une durée dutravail beaucoup plus élevée que celles des autres catégories de salariés etl’emprise du travail sur la vie privée peut être considérable (Algava et Vinck,2009). Ils sont cependant beaucoup moins soumis que les salariés du secteurprivé à un rythme de travail contraint, plus autonomes, et vivent, le caséchéant, des relations de travail moins conflictuelles. Ils sont relativementoptimistes sur leur avenir et envisagent sans inquiétude la possibilité d’exercerjusqu’à leur retraite le métier qu’ils ont choisi. On comprend mieux pourquoi,malgré ses difficultés, ses défauts, ses ambiguïtés, le statut de travailleur indé-pendant reste attractif pour tous ceux qui rêvent « d’un travail à soi ».

Françoise PiotetProfesseur émérite, Université Paris I Panthéon-Sorbonne

Laboratoire Georges Friedmann (UMR 85 93)

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Place des travailleurs indépendantsdans l’organisation du travailet ses conséquences sur leur santé

Les changements majeurs intervenus au cours des trente dernières années ontprofondément bouleversé les organisations du travail et modifié les relationscontractuelles de travail, qu’il s’agisse du travail salarié ou non-salarié. Undossier de la revue « Problèmes politiques et sociaux »70 a rassemblé lestravaux de chercheurs qui, depuis des années, alertent sur ces transformationsmettant en péril la vie et la santé physique et mentale des travailleurs. Lesauteurs ne traitent pas spécifiquement des travailleurs indépendants, maisexaminent les conditions de production des risques psychosociaux ainsi queleurs conséquences, dont la plus dramatique – le suicide – par sa radicalité aconduit à briser le silence qui entoure habituellement les atteintes à la santéliées au travail. Il s’agissait de travailleurs salariés. En quoi cela concerne-t-illes travailleurs indépendants ?

Par comparaison avec celle des travailleurs salariés, la santé des travailleursindépendants ne peut se comprendre qu’en identifiant la ou les places qu’ilsoccupent dans l’organisation et la division sociales du travail et des risques.Ceci permet de dégager les invariants et spécificités de leur situation, auregard des risques psychosociaux et d’en examiner les conséquences, même sicelles-ci demeurent pour l’essentiel invisibles.

Place des travailleurs indépendants dans la division socialedu travail

La définition que donnent les institutions européennes des travailleurs indé-pendants est la suivante : « Un travailleur indépendant est un individu quirend des services réels et authentiques à un autre individu en échange depercevoir une rémunération. Le service peut être effectué sans rapport desubordination et de façon périodique, continue ou régulière. »71. Au niveaude l’Union Européenne, un travailleur sur six est « indépendant ». Il s’agitd’une population très hétérogène comme le montre l’exemple de la France.

70. THÉBAUD-MONY A, ROBATEL N. Stress et risques psychosociaux au travail. Problèmespolitiques et sociaux 2009, 965, La Documentation Française71. http://www.european-microfinance.org/autoemployes.php

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Selon l’Insee, en 2007, la France comptait 2,3 millions de travailleurs indé-pendants. Parmi les travailleurs indépendants, la population des agriculteursindépendants n’a cessé de décroître au cours des dernières décennies. Enrevanche, la population des travailleurs indépendants du commerce, del’industrie, du BTP et des services, a augmenté de 2 % par an environ entre2002 et 2007 pour atteindre 1,5 million en 2007. Leur revenu d’activitémoyen est de 28 400 euros par an, mais pour 13 % d’entre eux, il est nul ounégatif72.

Il faut distinguer deux types de travailleurs indépendants. Le premier typecorrespond aux professions libérales exerçant leur activité indépendante enraison de l’organisation d’une profession (médecins, pharmaciens, avocats,notaires), ou dans certains services spécialisés comme l’immobilier, les activi-tés comptables, le conseil, les activités juridiques.

Le second type correspond à ce que des inspecteurs du travail ont pu désignercomme du vrai « faux travail indépendant ». Il s’agit le plus souvent de tra-vailleurs subordonnés à un donneur d’ordre par le biais de relations de sous-traitance qui transforment les rapports de travail en une relation marchandeclient-fournisseur. Cette situation concerne certains travailleurs indépendantsrelevant des secteurs du commerce, de l’industrie, du BTP73 et des services,notamment les services à la personne74 et plus particulièrement les femmes. Ils’agit d’activités considérées comme peu qualifiées et professionnellement plu-tôt dévalorisantes. On observe une grande similitude par rapport aux autresformes d’emploi précaire : l’individualisation de l’emploi, la non-reconnaissance de l’expérience et des compétences, l’insécurité économique etl’absence de droits, l’invisibilité des travailleurs eux-mêmes du fait des postes detravail occupés. Dans des activités industrielles comme le BTP, la maintenanceou le nettoyage, ces travailleurs indépendants occupent des postes en bout decascades de sous-traitance (sous-traitance de sous-traitance à plusieursniveaux). Les relations qui s’instaurent sont alors marquées par des formes trèscontraignantes de sujétion temporelle, technique, organisationnelle. La recher-che menée sur la sous-traitance de la maintenance des centrales nucléaires enest un exemple emblématique75. Dans les services à la personne, la relationindividualisée fortement inégalitaire entre « client » et travailleuse indépen-dante met celle-ci en position dominée sans marges de manœuvre.

72. FLACHÈRE M. Les revenus d’activité des indépendants du commerce, de l’industrie, duBTP et des services en 2007. Insee Première juillet 2010, 130673. La branche professionnelle du BTP compte environ 300 000 entreprises regroupant près de1,6 million de salariés auxquels il convient d’ajouter plus de 100 000 intérimaires et près de300 000 travailleurs indépendants. http://www.preventica.com/dossier-btp-secteur-risque.php74. En 2005, environ 1,4 million de personnes exerçaient une activité (dans le cadre de laconvention collective des employés de maison), à temps plein ou temps partiel, au domicile departiculiers (http://www.pme.gouv.fr/economie/commissions/CCSDARES.pdf). En 2007, environ450 000 assistantes maternelles ou assistantes familiales agréées accueillaient des enfants enbas âge (http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATENF02309)75. THÉBAUD-MONY A. L’industrie nucléaire : sous-traitance et servitude. Inserm/EDK, collec-tion Questions en santé publique, Paris, 2000, 290p436

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Conditions de production des risques psychosociauxet transposition aux travailleurs indépendants

Les risques psychosociaux s’inscrivent dans l’articulation entre l’organisationdu travail et la santé au travail. Pour identifier comment ils concernentspécifiquement les travailleurs indépendants, il faut comprendre les dimen-sions structurelles de la « désorganisation du travail », observée dans les troisdernières décennies, et leur impact sur la santé au travail.

Désorganisation du travail et santé au travailUne revue de littérature internationale, réalisée par Quinlan et Mayhew76,spécialistes de l’impact de la précarisation du travail sur la santé au travail,montre comment la généralisation du recours à la sous-traitance, en par-ticulier lorsqu’elle s’accompagne d’une augmentation du travail indépendantet de l’intérim, peut être qualifiée de « désorganisation du travail » très préju-diciable à la santé des travailleurs. Les auteurs mettent en évidence quatredimensions majeures des conséquences qui en résultent du point de vue de lasanté au travail.La première est le creusement des inégalités dans la répartition des risques etdes conditions de travail entre travailleurs permanents des entreprises domi-nantes et les autres travailleurs impliqués dans la sous-traitance. Se situant leplus souvent en bout de cascade de sous-traitance, les travailleurs indépen-dants du second type – faux indépendants – subissent un cumul de risques etde contraintes correspondant à ce qu’exige la réalisation de tâches déléguéesd’un niveau de sous-traitance à l’autre, sans possibilité de négocier les condi-tions dans lesquelles elles doivent être réalisées. C’est souvent à leur niveauque pèse le plus l’obligation de résultats qu’implique la relation client-fournisseur.La deuxième dimension est l’inadéquation entre les conditions d’expositionaux risques et les dispositifs de prévention prévus par la réglementation dutravail. Le Code du travail est construit en référence au contrat de travail. Or,les travailleurs indépendants sont dans une relation commerciale par rapportà ceux qui leur prescrivent le travail. Il s’agit non pas d’une prescription detravail, dans le cadre du contrat qui détermine les droits et obligations dechacun dans le cadre de la relation salariale, mais d’une prestation de serviceset sa traduction financière. Les droits et obligations de chacun sont régis par ledroit commercial et le droit commun (civil ou pénal). Ainsi le droit du travailest-il inopérant, en tant que tel, pour les travailleurs indépendants. Enmatière de risques professionnels, quels que soient ces risques, le donneurd’ordre n’est pas soumis à l’obligation de sécurité du chef d’entreprise.

76. QUINLAN M, MAYHEW C. The global expansion of precarious employment, work disorga-nization, and consequences for occupational health: a review of recent research. InternationalJournal of Health Services 2001, 31 : 335-414

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La troisième dimension est l’invisibilité croissante des atteintes liées au travailsurtout dans le cas des risques à effet différé ou n’ayant pas d’impact physiquespécifique. En matière d’accident du travail et des maladies professionnelles, ilexiste une assurance volontaire pour les travailleurs indépendants qui, biensouvent, n’est pas souscrite. Quelle qu’en soit l’origine, les atteintes à la santéliées au travail des travailleurs indépendants ne sont pas identifiées commetelles.

Enfin, la quatrième dimension est « l’érosion des droits » des travailleursprécaires, salariés et non-salariés. Cette érosion, voire même une absence dedroits, se conjugue à différents niveaux :• en matière de représentation dans les instances de protection de la santé surles lieux de travail (CHSCT) ;• en matière d’accès à des droits (droit de retrait en cas d’infraction auxmesures de protection, droit d’expression sur les conditions de travail, obten-tion des attestations d’exposition) ;• en matière de reconnaissance en maladie professionnelle pour ceux quisont atteints.

Face à l’inégalité des pouvoirs entre le « client » et le travailleur indépendantqui réalise une prestation pour ce dernier, il n’existe le plus souvent pas demarges de négociation, individuelles ou collectives, des conditions etcontraintes du travail.

Stress et risques psychosociaux dans le travail

La mise en évidence de conditions et contraintes du travail ayant un impactsur la santé mentale des travailleurs s’est faite en référence à deux modèles surlesquels s’appuient les différentes enquêtes concernant les risques psychoso-ciaux. Le modèle de Karasek prend en considération trois dimensions del’activité : les exigences du travail, les marges de manœuvre et d’autonomie etle soutien social. Le modèle de Siegrist insiste, pour sa part, sur l’importancede la rétribution, en particulier l’estime (y compris l’estime de soi), le statut,les gratifications monétaires. L’enquête Sumer menée par la Dares en 2003 apermis de mettre en évidence comment le recours à ces modèles permetd’identifier des situations de risque pour la santé psychologique des tra-vailleurs salariés du secteur privé du fait des contraintes organisationnellesvécues dans l’activité de travail77. Les résultats montrent une situation à fortrisque pour les femmes, les ouvriers non qualifiés, le BTP. Ces situations sontcaractérisées par la violence au travail. Celle-ci est constituée de certainescontraintes organisationnelles, temporelles et hiérarchiques, qui caractérisentaussi les relations client-fournisseur vécues par les travailleurs indépendants,

77. BUÉ J, COUTROT T, GUIGNON N, SANDRET, N. Les facteurs de risques psychosociauxau travail. Une approche quantitative par l’enquête Sumer. Revue Française des AffairesSociales, Drees, dossier « santé et travail », n°2-3, avril-septembre 2008, 45-58438

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sachant que même « indépendants » ces travailleurs sont souvent contraintspar les hiérarchies présentes sur les sites ou chantiers dans lesquels ils inter-viennent. Ces contraintes sont aggravées par le renforcement de contraintesphysiques et des menaces de sanction en cas d’erreur. L’enquête Sumer montrequ’il existe, chez les salariés, une perception du lien entre ces situations de« stress » et la mauvaise santé, un soutien social insatisfaisant renforçantl’appréciation négative des salariés sur leur santé.

Il n’existe pas d’étude concernant spécifiquement les risques psychosociauxchez les travailleurs indépendants. Cependant, leur inscription du côté dutravail fortement contraint, sans soutien social et sans reconnaissance, miseen évidence dans l’enquête Sumer, fait penser qu’ils sont particulièrementconcernés par le stress et les risques psychosociaux au travail, sachant qu’ilsconnaissent une insécurité économique permanente, avec la hantise de neplus trouver de travail sur le marché des indépendants.

Invisibilité/visibilité des conséquences : le cas du suicide

« Il s’agit, partout et toujours, de contradictions graves entre les exigences dela vie sociale et le destin individuel »78. La définition du suicide donnée parChristian Baudelot et Roger Establet met en question ces « exigences de la viesociale » que comporte la vie professionnelle sur ce versant du travail sous-traité et des services. Le suicide au travail, comme tout acte de violencecontre soi-même, est une énigme difficile à déchiffrer.

Tout d’abord, rappelons qu’il ne s’agit pas d’un phénomène inédit. Pour laseule année 1995, le syndicat Confédération générale du travail (CGT) de lacentrale nucléaire de Chinon avait dénombré huit cas de suicide chez dessalariés d’entreprises extérieures intervenant dans la maintenance de la cen-trale... sans attirer l’attention des médias ! L’organisation du « travail irra-dié », nécessaire à cette maintenance, n’est pas étrangère à cette série desuicides. La direction du parc nucléaire obtient le respect des limites indivi-duelles d’exposition à la radioactivité fixées par la loi, en faisant se succéder,sur les postes concernés, un nombre important de travailleurs recrutés par lebiais de la sous-traitance et de l’intérim. C’est ce qu’on appelle la « gestion del’emploi par la dose ». Cette pratique, discriminatoire, fait perdre leur emploiaux travailleurs temporaires qui, ayant atteint la dose-limite, se voient inter-dits d’entrée en centrale, exclus de leurs lieux de travail. Pour ces intermit-tents du nucléaire, la contradiction entre emploi et santé se révèle insurmon-table, car ils sont seuls à l’assumer. C’est ce que l’un d’entre eux, suivi dans lecadre de l’enquête citée plus haut, a signifié peu avant son suicide. Il fautsouligner que les quelque vingt-cinq mille à trente-cinq mille travailleurs

78. BAUDELOT C, ESTABLET R. Le suicide. L’envers de notre monde. Seuil, Paris, 2006

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extérieurs intervenant en « zone contrôlée » (c’est-à-dire comportant un ris-que d’irradiation) pour la maintenance des installations nucléaires (soit envi-ron 50 % du personnel surveillé) reçoivent 80 % de la dose collective d’irra-diation subie dans l’industrie nucléaire française.

Quand, à quelques mois d’intervalle, en 2005-2006, quatre cadres et techni-ciens hautement qualifiés du Technocentre de Renault à Guyancourt mettentfin à leurs jours, sur le lieu de travail ou en imputant explicitement leur suicideau travail, une réelle inquiétude s’exprime au-delà des murs de ce fleuron del’industrie automobile française. Selon les éléments d’enquête et d’expertisemenées au Technocentre, la transformation pour les salariés de l’obligationnormale de travail en une obligation de résultats (le « Contrat 2009 ») a faitnaître des contradictions impossibles à résoudre. Ce contrat vise l’augmenta-tion du dividende par action de 250 %. Cet enjeu financier converti enobjectifs productifs supposait une croissance des ventes de huit cent millevéhicules entre 2005 et 2009 et le lancement de vingt-six nouveaux modèlesen trois ans. Chaque salarié s’est retrouvé alors personnellement engagé sur ce« Contrat 2009 », avec des objectifs à atteindre. L’évaluation continue etindividualisée de l’activité exerce une pression constante sur chaque salariésans possibilité de discuter les contradictions techniques et temporelles, indi-viduelles et collectives, d’un tel défi.

Ces deux exemples permettent d’aller plus loin que la question d’une « expo-sition aux risques psychosociaux », comme le fait Yves Clot79. Ce dernier meten lumière les limites d’une compréhension « hygiéniste » de ces risques, vuscomme menace externe supportée passivement par des travailleurs « expo-sés ». Il situe le danger au cœur d’une impossibilité d’accomplissement dutravail par ceux-là mêmes qui ont à cœur de l’accomplir. Telle est la contra-diction majeure mais aussi l’enjeu des rapports sociaux de travail, qui, selonlui, constitue l’urgence « pour en finir avec les risques psychosociaux ».

Les conditions de possibilité de suicides chez des travailleurs indépendantspuisent aux mêmes sources que celles du suicide chez les salariés. Elles invi-tent, non pas à chercher des spécificités pouvant infléchir telle ou telledimension de l’analyse, mais au contraire renforcent l’urgence à agir surl’organisation du travail en tenant compte en tout premier lieu de la critiquequ’en font les premiers intéressés.

En conclusion, la croissance du travail non-salarié, dans sa version de « vraifaux travail indépendant », met en question les règles du Code du travail dontle sens premier était de contrôler la violence née de l’inégalité structurelle desrapports de travail dans le cadre de la relation salariale. Les conséquences surla santé se lisent d’elles-mêmes, même si du fait de l’invisibilité de cestravailleurs elles demeurent également invisibles.

79. CLOT Y. Le travail à cœur. Pour en finir avec les risques psychosociaux. La Découverte,Paris, 2010440

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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La lutte contre les formes de violence vécues aujourd’hui par les travailleursindépendants suppose la mise en application des principes généraux de pré-vention contenus dans la directive cadre européenne sur la santé au travail de1989 qui voit dans la participation des travailleurs à l’évaluation des risques età la mise en place des stratégies de prévention le socle d’une véritable poli-tique de santé au travail. Alors que la connaissance des risques par les salariéseux-mêmes est reconnue comme la garantie d’une dynamique de préventiondans l’activité de travail, les relations de sous-traitance entre donneurs d’ordreet sous-traitants ont instauré une incommunicabilité entre celui qui prescrit letravail - le donneur d’ordre - et ceux qui l’exécutent dans les activités sous-traitées. Les travailleurs indépendants sont particulièrement concernés. C’estla légitimité même de ces travailleurs comme acteurs premiers de la préven-tion qui doit être établie, avec des formes de représentation à inventer, pourpermettre une compréhension des atteintes psychologiques et des moyens detransformer le travail pour les éliminer.

Annie Thébaud-MonyInstitut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS),

Inserm U 723École des hautes études en sciences sociales (EHESS), Paris

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Données de décès par suicide

Le lien entre stress au travail et suicide a été jusqu’à aujourd’hui peu étudié enFrance. Une étude détaillée de cette problématique pourrait tirer profit de labase de données de mortalité par cause de décès du CépiDc-Inserm. En effet,ces données de mortalité constituent un premier indicateur épidémiologiquefacilement utilisable, car, pour chaque décès survenu en France, un certificatmédical rapportant les causes du décès doit être établi par un médecin.

Ce chapitre décrit dans un premier temps la base de données de mortalité duCépiDc-Inserm, en présentant les principes de la certification médicale et ducodage des causes, de la description du certificat jusqu’à la sélection de lacause initiale de décès. Dans un second temps est rapporté le niveau de lamortalité par suicide en France métropolitaine, selon les caractéristiquesdémographiques habituellement utilisées en épidémiologie descriptive (sexe,âge, état matrimonial). Dans une troisième partie, la mortalité par suicide estétudiée selon les catégories socioprofessionnelles à partir des données dispo-nibles dans la base du CépiDc, en insistant sur les limites d’un tel exercice.

Base de données de mortalité par cause médicale de décès

La statistique nationale des causes médicales de décès est élaborée annuelle-ment par le Centre d’Épidémiologie sur les Causes Médicales de Décès(CépiDc-Inserm) à partir des informations fournies par les certificats médi-caux de décès.

De la certification médicale à la codification de la cause initiale de décès

Certification des décès

Selon la loi nº 2004-806 du 9 août 2004, article L.2223-42 du Code généraldes collectivités territoriales : « L’autorisation de fermeture du cercueil nepeut être délivrée qu’au vu d’un certificat, établi par un médecin, attestant ledécès. Ce certificat, rédigé sur un modèle établi par le ministère chargé de lasanté, précise la ou les causes de décès, aux fins de transmission à l’Institutnational de la santé et de la recherche médicale et aux organismes dont la listeest fixée par décret en Conseil d’État pris après avis de la Commissionnationale de l’informatique et des libertés. Ce même décret fixe les modalitésde cette transmission, notamment les conditions propres à garantir saconfidentialité... ».

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Ce court texte fixe les caractéristiques principales de la certification médicaledes décès en France : la certification est obligatoire, le certificat doit êtreétabli par un médecin et les causes du décès sont confidentielles.

Certificat médical de décès

L’enregistrement des causes médicales de décès est principalement motivé parla prévention : identifier et quantifier les causes de décès sur lesquelles il estpossible d’agir. La certification des décès par les médecins est encadrée par leformat du certificat de décès et par le concept de cause initiale du décès. Lacodification des causes de décès par des codeurs-nosologistes s’appuie sur laClassification internationale des maladies (CIM) de l’OMS (1993). Ce cadrevise à maximiser la qualité et la comparabilité internationale des données demortalité. Malgré cette standardisation, il existe des différences entre paysdans la certification et la codification qui peuvent influencer les données,comme par exemple le niveau de confidentialité des causes de décès ou lesystème de codification manuel ou automatique.

Le certificat de décès comporte deux parties qui doivent être remplies par unmédecin. Une partie supérieure comportant l’identification de la commune dedécès et l’identification du décédé. Cette partie nominative permet égalementau médecin de spécifier la date du décès et la présence ou non d’un obstaclemédico-légal. Elle est signée par le médecin qui doit également apposer soncachet. Une partie inférieure permettant de spécifier les causes médicales dudécès. Cette partie comporte certains renseignements individuels (lieu dedécès, sexe, date de naissance et de décès), les causes du décès et des informa-tions complémentaires sur le décès. Cette partie doit également comporter lasignature et le cachet du médecin. De plus, elle doit être close afin depréserver la confidentialité des causes de décès. La partie médicale du certifi-cat de décès comprend elle-même deux parties :• la partie 1 comporte 4 lignes qui permettent au médecin de décrirel’enchaînement causal ayant directement conduit à la mort, de la causeimmédiate rapportée sur la première ligne à la cause initiale mentionnée sur ladernière ligne remplie ;• la partie 2 permet de notifier les autres états morbides qui ont pu contribuerau décès.

La cause initiale de décès est définie par l’OMS comme « a) la maladie ou letraumatisme qui a déclenché l’évolution morbide conduisant directement audécès, ou b) les circonstances de l’accident ou de la violence qui ont entraînéle traumatisme mortel ». La cause initiale est donc la cause sur laquelle il fautagir pour prévenir le décès. C’est cette cause qui sera principalement utiliséepour présenter les statistiques des causes médicales de décès.

Circuit administratif du certificat

Le médecin remplit les 2 parties du certificat et le transmet à la mairie. Lamairie rédige alors 2 documents : l’avis 7 bis et le bulletin 7. L’avis 7 bis444

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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comporte le nom de la personne décédée et les informations d’état civil, il esttransmis à l’Insee. Le bulletin 7 comprend les mêmes informations indivi-duelles sur la personne décédée mais sans le nom. La mairie envoie l’avis 7 bisà l’Insee et le bulletin 7, accompagné de la partie inférieure du certificattoujours close, à la Ddass du département. La partie inférieure du certificat estensuite envoyée à l’Inserm toujours accompagné du bulletin 7. Ce circuitrelativement complexe a pour objectif de garantir la confidentialité des causesde décès : l’Insee sait qui est mort mais ne connaît pas les causes médicales dudécès, alors que l’Inserm connaît les causes du décès mais ne sait pas qui est lapersonne décédée.

En parallèle à cette procédure, en cas de mort suspecte, une investigationjudiciaire est engagée. Le corps est alors examiné dans un institut médico-légal (IML) par un médecin légiste qui rédige le certificat médical de décèsdéfinitif. Le retour d’information sur les causes de décès par les institutsmédico-légaux suite à une mort suspecte, pose parfois problème. En effet,certains IML ne transmettent pas leurs informations médicales au CépiDc-Inserm. Ce manque d’information entraîne entre autre une sous-estimationdes décès par suicide.

Codification médicale des décès

La codification médicale des décès comporte deux tâches distinctes et succes-sives :• attribuer un code à chaque maladie, traumatisme ou cause externe de décèsmentionné sur le certificat ;• sélectionner et coder la cause initiale de décès.

La Classification internationale des maladies (CIM) définit les codes, lesrègles et les directives permettant de mener ces tâches à bien.

Classification internationale des maladies (CIM)

La CIM existe depuis plus d’un siècle. Elle est révisée périodiquement et laversion actuelle est la dixième révision (CIM 10) (1993). Différentes règlespermettent au codeur de sélectionner la cause initiale du décès, en respectantle plus possible les informations rapportées par le médecin certificateur. Lacause initiale mentionnée par le médecin sur le certificat peut être ambiguë,erronée ou ne pas répondre aux besoins statistiques. Par exemple, le médecinpeut mentionner une cause initiale acceptable, comme une dépression entraî-nant un suicide, mais la présentation des statistiques de mortalité selon laseule cause initiale privilégie la sélection de la cause externe (suicide) parrapport à la maladie (dépression).

Codes utilisés dans la CIM 10 dans le cas du suicide

Les codes de la Classification internationale des maladies utilisés pour lesuicide se situent au sous chapitre « Lésions auto-infligées » (codes X60-X84)

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du chapitre XX de la dixième révision (CIM 10) intitulé « Causes externes demorbidité et de mortalité ». De plus, le code « Y87.0 » correspondant aux« Séquelles d’une lésion auto-infligée » a été retenu pour homogénéiser lesdonnées analysées.

Niveau de la mortalité par suicide en France métropolitaine

Mortalité selon le genre

En 2007, la statistique officielle recense en France 10 093 décès par suicide(tableau I). Le poids de ces décès est de 2 % dans la mortalité toutes causes(530 820 décès). Les hommes sont plus touchés que les femmes : 7 décès sur10 sont masculins, représentant plus d’un tiers des morts violentes chez leshommes. Avec 2 698 décès, la part des suicides chez les femmes est trois foismoins élevée (1 % de la mortalité générale féminine) correspondant à undécès féminin sur cinq par mort violente.

Tableau I : Effectif et taux bruts de décès selon la classe d’âge (France métropo-litaine, année 2007)

Deux sexes Masculin Féminin

Effectif % Tauxa Effectif % Tauxa Effectif % Tauxa Ratio H/F

<15 ans 21 0,2 0,2 15 0,2 0,3 6 0,2 0,1 2,4

15-24 ans 506 5,0 6,4 393 5,3 9,8 113 4,2 2,9 3,4

25-34 ans 1 039 10,3 13,1 838 11,3 21,2 201 7,4 5,1 4,2

35-44 ans 1 897 18,8 21,7 1 419 19,2 32,8 478 17,7 10,8 3,0

45-54 ans 2 254 22,3 26,8 1 644 22,2 39,9 610 22,6 14,2 2,8

55-64 ans 1 531 15,2 21,2 1 017 13,8 28,8 514 19,1 13,9 2,1

65-74 ans 1 070 10,6 21,5 755 10,2 33,3 315 11,7 11,6 2,9

75-84 ans 1 230 12,2 31,3 909 12,3 59,5 321 11,9 13,4 4,4

85 ans et + 545 5,4 41,7 405 5,5 107,6 140 5,2 15,1 7,1

Total 10 093 100,0 16,3b 7 395 100,0 27,7b 2 698 100,0 8,5b 2,9

a Taux bruts/100 000 ; b Taux standardisés/100 000 (Population de référence : France métropolitaine au RP1990)

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Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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Le taux de décès standardisé par âge s’élève à 16,3 décès pour 100 000 habi-tants. Le taux masculin atteint 27,7. Le taux féminin, de 8,5, est nettementinférieur. Le ratio de surmortalité masculine correspondant est de 2,9.

Mortalité selon l’âge

Les deux tiers des décès par suicide surviennent entre 25 et 64 ans (6 721décès). Les taux de décès progressent très fortement avec l’âge, mais cetteaugmentation n’est pas régulière (tableau I). Pour l’ensemble de la popula-tion, on distingue très nettement trois phases : une forte augmentation jusqu’à45-54 ans, suivi d’un fléchissement entre 55 et 64 ans. À partir de 65 ans, letaux de décès par suicide croît à nouveau considérablement. Ces tendancessont particulièrement marquées chez les hommes.

Mortalité selon le statut marital

Dans la population des plus de 25 ans, c’est chez les divorcés que les taux dedécès standardisés sont les plus élevés (33,2/100 000). Ils sont suivis par lesdécès des célibataires (taux de 31,0/100 000). Les personnes mariées se sui-cident deux fois moins (tableau II).

Chez les femmes, les divorcées demeurent largement touchées (18,9/100 000). Les taux de décès des veuves et des célibataires sont très proches (del’ordre de 14/100 000). Pour les hommes en revanche, ce sont les veufs qui sesuicident le plus fréquemment (taux de 78,1/100 000), suivis par les divorcés(55,5/100 000) et les célibataires (48,0/100 000). Autant chez les hommesque chez les femmes et, quel que soit l’âge, les taux de décès des mariés restentles plus faibles. La surmortalité masculine est particulièrement marquée chezles veufs (5,6/100 000) et se situe à environ 3/100 000 pour les autres statuts.

Tableau II : Taux standardisés de décès selon le sexe et le statut matrimonial(plus de 25 ans, année 2007, France métropolitaine)

Deux sexes Masculin Féminin

Effectif Tauxa Effectif Tauxa Effectif Tauxa Ratio H/F

Célibataires 2 867 31,0 2 248 48,0 619 14,3 3,4

Mariés (es) 4 152 15,9 3 180 24,2 972 7,2 3,3

Veufs (ves) 1 198 26,8 662 78,1 536 13,9 5,6

Divorcés (es) 1 377 33,2 916 55,5 461 18,9 2,9

Total 9 594 22,5 7 006 34,7 2 588 10,9 3,2

a Taux standardisés/100 000 (Population de référence : France métropolitaine au RP1990)

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Mode de suicide selon le genre

Trois modes de suicide sont majoritairement utilisés (trois quarts des suicides)(tableau III). En premier lieu, la pendaison avec près d’un décès sur deux. Cemode est suivi à part égale (15 %), par l’ingestion d’une substance liquide ousolide (principalement des médicaments) et l’utilisation d’une arme à feu. Lesaut d’un lieu élevé et la noyade représentent conjointement 12 % des décèspar suicide. Le gaz domestique ou l’arme blanche sont nettement moins usités.

La fréquence du mode de suicide diffère selon le sexe. La pendaison reste lemoyen le plus employé quel que soit le sexe, mais elle est beaucoup plusrépandue chez les hommes (un décès sur deux). Le deuxième procédé mascu-lin est l’emploi d’une arme à feu dans un cas sur cinq, précédant l’ingestion demédicaments. L’absorption de médicaments avec trois décès sur dix, est troisfois plus utilisée par les femmes que par les hommes. La chute d’un lieu élevéet la noyade sont nettement plus fréquentes chez les femmes avec un poidsavoisinant chacun 11 %.

Tableau III : Part de décès selon le mode de suicide (année 2007, Francemétropolitaine)

Deux sexes Hommes Femmes

Pendaison 48,0 53,9 31,9

Ingestion de produits 15,8 10,1 31,2

Arme à feu 13,9 18,0 2,6

Saut d’un lieu élevé 6,5 4,7 11,3

Noyade 5,3 3,3 10,6

Autres - non précisés 10,6 9,9 12,5

Total 100,0 100,0 100,0

Mortalité par suicide par professionet catégories socioprofessionnelles

La profession et la catégorie socioprofessionnelle (CSP) sont déclarées à lamairie au moment du décès. La déclaration peut aussi bien être faite par lemédecin, que les proches ou l’administration funéraire. Cette informationn’est traitée et codée par l’Insee que pour les sujets actifs, excluant ainsil’information des sujets retraités, formant la très grande majorité des décès.

Le nombre de valeurs manquantes étant particulièrement important pour lesfemmes, y compris pour les sujets d’âges actifs (66 % de valeurs manquantes),seuls les résultats pour les hommes sont présentés ici.

Par ailleurs, les indépendants ne peuvent pas être spécifiquement distinguésdans ces calculs.448

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

Page 464: Stress et au travail et santé: situation chez les indépendants

Pour la tranche d’âge des 25-59 ans, le taux de mortalité standardisé parsuicide est 4 fois plus élevé pour les agriculteurs exploitants et ouvrierscomparé aux cadres et professions intellectuelles supérieures (tableau IV). Letaux de mortalité standardisé des professions libérales et indépendantes sesitue à un niveau intermédiaire.

Tableau IV : Taux de mortalité par profession et catégories socioprofessionnel-les (CSP) chez les hommes de 25 à 59 ans (année 2006, France métropolitaine)

Tranche d’âges (année)

Catégorie socioprofessionnelle 25-29 30-34 35-39 40-44 45-49 50-54 55-59 25-59a

Agriculteurs exploitants 34,1 25,1 30,0 31,0 38,1 40,3 27,0 31,8

Artisans, commerçants, chefs d’entreprise 18,9 14,4 13,5 20,9 21,4 22,0 17,3 18,0

Cadres, professions intellectuellessupérieures

6,8 5,0 6,1 8,6 8,2 12,6 10,2 7,9

Professions intermédiaires 6,0 9,3 14,2 16,5 17,8 16,8 19,0 13,7

Employés 13,6 13,2 22,7 25,6 47,6 32,7 30,9 25,0

Ouvriers 16,4 23,0 30,3 32,7 36,2 31,6 33,7 28,4

Ensemble 12,0 14,3 19,7 22,5 26,4 23,7 21,7 19,5a Taux standardisés/100 000 (Population de référence : France métropolitaine au RP1990)

Qualité des données de mortalité

Les données de mortalité par suicide sont théoriquement exhaustives. Cepen-dant, certains suicides peuvent être « masqués » par une autre cause de décès auniveau de la certification médicale80. Les biais induits par ce phénomènepeuvent être mesurés indirectement en analysant les causes de décès « concur-rentes » définies comme des causes de décès pouvant « masquer » un suicidedans les statistiques. Ce peut être le cas des morts violentes indéterminées quantà l’intention et des causes inconnues de décès. Les résultats d’une enquêteréalisée en 2003 sur un échantillon de cas auprès des médecins certificateurs,indiquaient que l’on pouvait estimer à 35 % la part des causes indéterminéesétant en fait des suicides (Chappert et coll., 2003). Depuis 2006, le CépiDc-Inserm met en place la certification électronique des causes médicales de décèsen France (Pavillon et coll., 2007). Ce projet a pour objectif de raccourcir ledélai de mise à disposition des causes médicales de décès et d’accroître la qualitédes données. Dans le cas des causes indéterminées quant à l’intention, cetteprocédure permettra au CépiDc d’obtenir très rapidement des informationscomplémentaires auprès du médecin certificateur. L’autre source de biais consi-dérée, les causes inconnues, s’explique souvent par une absence de retour

80. Les principaux Indicateurs de mortalité : http://www.cepidc.vesinet.inserm.fr/inserm/html/pages/Indicateurs_fr.htm

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d’informations suite à une enquête médico-légale, ce qui est en particulier le caspour Paris. Deux enquêtes effectuées avec les instituts médico-légaux de Paris etde Lyon ont permis d’estimer qu’environ 25 % de ces cas étaient des suicides(Tilhet-Coartet et coll., 2000 ; Jougla et coll., 2002). Ces études ont conclu queles taux de suicides déterminés à partir des données officielles étaient sous-évalués d’environ 20 %. Une enquête réalisée plus récemment par le CépiDc acependant réévalué cette sous-estimation à 10 % (résultats non publiés). L’amé-lioration des statistiques de décès en France impose un retour exhaustif desinformations issues des instituts médico-légaux.

En conclusion, le suicide, inacceptable en ce qu’il tue en majorité des sujetsjeunes, et parce qu’il est le résultat d’une détresse non perçue par l’entourage,doit faire l’objet d’actions ciblées à partir d’indicateurs pertinents. La base dedonnées du CépiDc-Inserm permet de décrire de façon fiable un grand nom-bre de caractéristiques de la mortalité par suicide. À ce jour, elle est la seulebase de données nationale et à visée d’exhaustivité sur cette problématique.Cependant, ces données ne permettent pas à elles seules de réaliser une étudede l’impact des facteurs professionnels et sociaux sur la mortalité par suicide.En effet, l’information socioprofessionnelle sur la personne décédée est sou-vent trop partielle, peu fiable et peu précise. Elle nécessiterait une évolutiondu recueil de données au niveau de l’état-civil. Le CépiDc propose à cet égardl’inclusion de questions supplémentaires simples permettant de renseigner ladernière catégorie socioprofessionnelle pour les personnes retraitées ouanciennement actives. Des appariements entre la base de données du CépiDcet des informations socioprofessionnelles disponibles à un niveau individueldans d’autres bases, l’Echantillon démographique permanent (EDP) etl’échantillon des données DADS (Déclaration automatisées des donnéessociales), ont été effectués par le passé (Cohidon et coll., 2010a et b). Outreles apports complémentaires de ces méthodes à la connaissance épidémiolo-gique du suicide, ces analyses permettent de constater le faible écart entre lesrésultats basés sur les certificats de décès et ceux utilisant d’autres sources.

Cependant, les données les plus récentes issues de ces appariements datent de2002. Une mise à jour régulière de ces appariements ainsi qu’une évaluationdirecte de la catégorie socioprofessionnelle déclarée sur le certificat de décès àpartir de ces données permettraient une production en routine de ces résultats.

Il est enfin important de rappeler que les différentes observations présentéesici confirment l’aspect multifactoriel des facteurs de risque de suicide,incluant des dimensions d’âge, de sexe, de statut marital et de profession.L’étude d’un facteur de risque spécifique ne peut être faite sans la prise encompte de chacun de ces facteurs majeurs.

Grégoire ReyInserm, CépiDc, Le Vésinet, France450

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Données de décès par suicide

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La référence au « travailler »dans le rapport entre santé mentaleet travail

Le titre de cette communication peut paraître étrange en raison du terme « tra-vailler » ici utilisé comme verbe substantivé. Si en clinique et en psychodyna-mique du travail on a introduit ce terme, c’est pour souligner que ce qui comptedu point de vue psychologique, ce n’est pas tant le statut (salarié, bénévole,travailleur indépendant) que l’engagement du corps et de l’intelligence dans desgestes, des postures, des habiletés, orientés vers une tâche à accomplir.

La tâche, concept ergonomique, désigne l’objectif à atteindre et le modeopératoire prescrit pour atteindre cet objectif. On sait depuis une quarantained’années que les opérateurs ou les travailleurs ne respectent jamais exacte-ment les prescriptions (Daniellou et coll., 1983). Pour s’approcher au plusprès de la tâche, il faut réajuster le mode opératoire, parce que le travail ne seprésente jamais exactement comme prévu (pannes, incidents, bugs, accidents,dysfonctionnements, défection du client, retard administratif...).

De fait, les réajustements nécessaires conduisent à un travail effectif différentdu travail prescrit : c’est ce qu’en ergonomie on désigne sous le nom « d’acti-vité ». Le « travailler » c’est donc ce qu’il revient à chaque travailleurd’inventer avec son corps et son intelligence pour faire face à ce qui n’a pas étéprévu ni prescrit. Or, c’est précisément l’engagement de la personnalité et del’intelligence pour combler cet écart qui est au centre de l’analyse du rapportsubjectif (ou psychique) au travail. Et c’est à ce niveau qu’il convient de faireporter l’investigation si l’on veut comprendre les enjeux psychiques du travail.

C’est dire que dans l’intitulé « stress au travail et santé chez les indépen-dants », le terme « indépendant » constitue une catégorie analytique inadé-quate, car il ne dit rien du « travailler » de chaque individu. D’autre part, ceterme de stress est peu opératoire lui aussi, car il y a des situations où, stressés,les travailleurs se portent bien (par exemple : trader, sportif professionnel...)et des situations où l’ennui, sans stress, génère des symptômes psychopatho-logiques (pathologie du « placard », Lhuilier, 2002).

Dans les activités de service, où la part qui revient à la relation avec le client oul’usager peut générer des conflits psychiques (conflit avec le client et parfoisconflit avec soi-même lorsqu’il faut déroger à la déontologie par exemple), ilfaut recourir à une psychologie qui théorise le conflit intrapsychique, ce qui estimpossible avec les « théories » du stress. Enfin, les théories conventionnelles

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traitent de façon erronée la question de la vulnérabilité individuelle. En effet,avant que survienne la crise ou la décompensation, le même individu a parfoisété longtemps compétent et apprécié, en dépit de la vulnérabilité psycholo-gique qui était pourtant déjà là. On peut montrer que ce qui est en cause dans lavulnérabilité psychologique de l’individu est souvent à la source de ses meilleurstalents. C’est le cas lorsque le métier a pu être librement choisi. Dans ce choix,la vulnérabilité joue un rôle important, car la vocation ou l’enthousiasmerésultent d’un investissement passionné du métier précisément pour cette rai-son qu’il donne à l’individu en cause, l’occasion d’une confrontation avec lesénigmes héritées de son enfance, par le truchement d’une transposition de cesénigmes sur le théâtre du travail (sublimation). La mobilisation de l’intelli-gence et le succès apportent alors du plaisir qui profite à la construction et aurenforcement de la santé mentale (compensation de la vulnérabilité psycholo-gique).

L’évaluation du travailler est possible. Mais elle ne peut pas être quantitative.Le travailler ne se mesure pas. Au mieux peut-on mesurer le résultat dutravail, mais il n’y a aucune proportionnalité entre résultats du travail ettravail. L’évaluation doit alors être entendue au sens noble de jugement portésur la valeur d’une chose. Elle passe par des jugements qui, d’ordinaire,s’articulent dans la psychodynamique de la reconnaissance81.

Souffrance au travail

La souffrance au travail n’est pas pathologique, elle est banale. La souffranceau travail résulte de la confrontation au réel. Le réel de la tâche, c’est ce qui sefait connaître à un travailleur (adroit et expérimenté) par sa résistance à lamaîtrise (dysfonctionnement, incident, panne, anomalie...) :• travailler c’est d’abord échouer ;• c’est ensuite endurer l’échec avec obstination, le temps qu’il faut pourinventer la solution, ou trouver le chemin qui permettra de surmonter le réel ;• enfin en cas de réussite, le plaisir au travail vient d’abord du pouvoir devaincre l’échec, et ensuite de la reconnaissance par les autres de la qualité dela contribution apportée à la situation. La reconnaissance passe par deux typesde jugement : le jugement d’utilité, proféré par la ligne hiérarchique – subor-donnés et supérieurs – qui porte sur l’utilité économique, sociale ou techniquedu travail ; et le jugement de beauté, proféré par les pairs, qui porte sur laconformité aux règles de travail et de métier ainsi que sur l’originalité des

81. La psychodynamique du travail est un mode d’approche du rapport psychique entrel’individu et le travail qui se caractérise par une méthode d’investigation spécifique. Mise enœuvre sur le terrain (de l’entreprise, de l’administration ou du service), elle passe par laformation de groupes de volontaires informés de ladite méthode qui se réunissent sous ladirection des chercheurs pour parler ensemble de l’expérience qu’ils ont du travail, de sonorganisation et des incidences de cette dernière sur leur santé mentale.454

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solutions élaborées. Même pour l’indépendant, il y a des lieux de confronta-tion qui permettent les jugements de reconnaissance : séminaires, formationcontinue, syndicats professionnels, analyse de pratique... ; il en existe prati-quement dans toutes les professions. Chez les médecins, par exemple, cetexercice est institutionnalisé dans l’évaluation des pratiques professionnellesavec groupes de pairs (EPP).

Le « travailler », lorsqu’il n’est pas reconnu, génère des sentiments d’injusticeet de la souffrance. Lorsqu’il bénéficie de la reconnaissance, le travail trans-forme la souffrance en plaisir et éventuellement en accomplissement de soi.La reconnaissance est une rétribution symbolique dont l’impact est majeur surl’accroissement de l’identité et par voie de conséquence pour la santé men-tale. Car l’identité est l’armature de la santé mentale. Le processus qui, du« travailler » va de la souffrance à la reconnaissance fait du travail un média-teur central dans la santé mentale des adultes.

Être privé de travail, c’est ne plus pouvoir apporter de contribution à l’organi-sation du travail, à l’entreprise, ni à la société, et c’est par voie de conséquenceêtre privé des bénéfices psychologiques de la reconnaissance. C’est pourquoila perte d’emploi, la menace de perte d’emploi et le chômage sont délétèrespour la santé mentale.

Le travail peut donc générer le meilleur ou le pire en fonction des rapportsentre reconnaissance et organisation du travail. Au centre du processus, il y atoujours la référence à la qualité du travail, c’est-à-dire au respect d’un certainnombre de règles qui caractérisent et définissent un métier.

Travail et genre

Le travail engage la subjectivité et l’intelligence, c’est-à-dire la personnalitétout entière. Ce qui signifie que le rapport au travail a toujours des implica-tions en dehors du travail, non seulement sur la personnalité mais sur lesrelations hors travail, jusque et y compris dans la sphère privée.

De surcroît, les contraintes du travail dans la sphère domestique sont en concur-rence avec les contraintes du travail dans la sphère de la production. Ce conflitne se présente pas de la même façon pour les hommes et pour les femmes.

De longs développements seraient nécessaires pour montrer que la situationn’est pas égale pour les hommes et pour les femmes, de sorte qu’en clinique dutravail le rapport entre le « travailler » et la santé mentale ne se joue pas dutout de la même façon pour les hommes et pour les femmes. Les théoriesrécentes sur le « care »82 permettent aujourd’hui de rendre compte de cesdifférences avec précision (Gilligan, 1982 ; Tronto, 1993 ; Molinier, 2003).

82. Le « care » : concept qui inclut à la fois une attitude, se soucier des autres et une activité,s’occuper d’autrui

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En résumé, si l’on veut étudier les relations entre travail et santé mentale, ilfaut passer par des investigations de terrain, visant spécifiquement l’analyse,dans chaque situation, du décalage entre travail prescrit et travail effectif, et lecoût psychique de sa gestion au quotidien par chaque individu.

Travail collectif

Le travail n’est pas un rapport seulement individuel à la matière, l’outil oul’objet technique. Le travail implique aussi des relations : on travaille pour unchef, pour ses subordonnés, pour les collègues d’une équipe, et on travailleaussi pour des clients. La psychodynamique de la reconnaissance rendcompte, en partie, des enjeux de ces relations structurées par le travail. Maisd’une partie seulement.

De même qu’on avait rappelé le décalage entre tâche et activité au niveauindividuel, il convient d’établir une distinction entre l’organisation du travailprescrite (la coordination qui relève des ordres et prescriptions) et l’organisa-tion du travail effective (la coopération qui relève des remaniements ou de« l’interprétation » des ordres par le collectif ou l’équipe de travail). L’écartentre coordination et coopération est géré et régulé par la constructiond’accords et de normes inventés par les membres d’un collectif, sur ce qui estacceptable et ne l’est pas, sur ce qui est juste et injuste, efficace et inefficace...L’activité de production des règles (règles de travail, règles de métier, règles del’art et plus généralement tous les accords normatifs sur le faire ou le « tra-vailler ») sur lesquelles repose la coopération est décrite sous le nom d’activitédéontique. Elle ne peut pas être développée ici (Dejours, 2009). On peuttoutefois souligner deux choses :• les règles de travail construites dans l’activité déontique traitent d’abord leproblème de l’efficacité de la coopération à l’égard de la production et de larentabilité. Mais elles traitent toujours, en même temps, la question desrelations entre les membres d’un collectif : respect, entraide, prévenance,solidarité, savoir-vivre...• l’activité déontique est le ressort fondamental de la maintenance et durenouvellement de la convivialité et du vivre ensemble. On peut montrer quec’est sur la qualité des relations qui se tissent pour la coopération que reposel’essentiel de l’activité préventive en matière de santé mentale au travail (parle truchement de l’entraide et de la solidarité).

Coopération, travail indépendant et santé mentale

Chez les travailleurs indépendants, le problème de la coopération est essentielau regard de la santé mentale en dépit de l’orientation tendancielle versl’isolement et la solitude qui caractérise un grand nombre de ces emplois.456

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Dimensions de la coopération

On distingue actuellement trois dimensions dans la coopération (du Tertre,2008) :• la coopération horizontale entre pairs, entre collègues, entre membres d’uncollectif ou d’une équipe ;• la coopération verticale, avec les chefs et avec les subordonnés ;• la coopération transverse avec le client, qui devient très importante dansles activités de service.

Car en fin de compte la qualité du service dépend pour une bonne part de lacoopération avec le client. Par exemple, pour le diabétologue, la qualité de saprise en charge du patient dépend de la façon dont il parvient à obtenir lacoopération du diabétique et dont il lui permet d’accroître ses compétencesdans la conduite et l’auto-surveillance de son propre traitement. Il en va demême avec la question de la coopération des adolescents au travail de trans-mission de connaissances et de formation proposé par les enseignants dans leslycées et collèges, ou encore de la coopération que le banquier doit êtrecapable d’établir avec l’entrepreneur auquel il va prêter des fonds.

Déontique, qualité et quantité

Pour les travailleurs indépendants, il existe souvent un conflit de rationalitéentre contrainte économique (chiffre d’affaire, marge, rentabilité...) etcontrainte de qualité (règles de métier, déontologie...). À chaque fois que lacontrainte économique s’accroît, il y a un risque pour la qualité du travail. Laquantité de travail à fournir nuit tendanciellement au respect des règles demétier.

Or, les compromis avec les règles de travail peuvent menacer le respect del’éthique professionnelle, et engager dans certains cas le rapport à l’éthiquepersonnelle (consentir à des pratiques que moralement on réprouve). Il enrésulte alors l’apparition de ce qu’on désigne en clinique et psychodynamiquedu travail sous le nom de « souffrance éthique ». La souffrance éthique résul-tant des compromis voire des compromissions par rapport à l’éthique profes-sionnelle est à l’origine de la perte du sens du travail et fait le lit de nom-breuses décompensations psychopathologiques (atteinte du socle éthique del’identité et déstabilisation de la santé mentale).

Dans le travail indépendant, la multiplicité des tâches à accomplir n’engendrepas seulement un problème de compétences ou de polyvalence. Si l’on classeles tâches en quatre groupes principaux :• tâches commerciales (réseau, contacts, suivi, marketing, démarchage...) ;• tâches administratives et comptables, voire juridiques et fiscales ;• tâches de production ;• tâche de formation-information.

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On constate qu’entre ces tâches naissent aussi des contradictions de rationa-lité qui se situent au-delà des questions soulevées par l’acquisition des compé-tences spécialisées.

La difficulté principale est d’abord d’éviter la surcharge et les pathologies desurcharge. La difficulté seconde consiste à maintenir, actualiser et accroître lesconnaissances et les compétences. La troisième difficulté, c’est de faire l’arbi-trage entre les différentes tâches, à hiérarchiser les priorités, à fixer les com-promis entre les exigences propres à chacune des tâches. Cette difficulté s’estconsidérablement accrue lorsque le travailleur indépendant ne peut pasconfronter sa pratique à celle des autres, c’est-à-dire lorsqu’il se fait prendredans la spirale de l’isolement vis-à-vis de la communauté de métier, ou de lacommunauté de pairs ou d’appartenance.

En conclusion, la difficulté dans l’analyse du rapport entre santé mentale ettravail chez les indépendants résulte :• de la multiplicité des tâches à assumer conjointement ;• des conflits de rationalité entre les différentes tâches ;• de la difficulté à arbitrer et à établir un compromis entre ces rationalités ;• de la tendance à l’isolement avec ses conséquences sur les risques de pertede sens du métier, de souffrance éthique, de pathologie de surcharge (sansparler des craintes portant sur la compétitivité, l’endettement et de dépôt debilan).

Cette grande diversité et variabilité impliquent en retour des contraintesspécifiques d’investigation scientifique. Il est nécessaire de multiplier lesenquêtes de terrain analysant la situation jusque dans le détail du « tra-vailler », avec les méthodologies cliniques ad hoc. Cet effort en faveur del’investigation de terrain devrait être capitalisé sous la forme de nouvellescompétences à l’analyse du travail qu’il faudrait ensuite mettre à la dispositiondes travailleurs indépendants dans des centres de ressources soutenus par lespolitiques publiques.

Christophe DejoursLaboratoire Psychologie du travail et de l’actionConservatoire national des arts et métiers, Paris

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Réseau Anact et prise en comptedu travail dans la préventiondes risques psychosociaux

L’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail,80 personnes) est un établissement public administratif caractérisé par sagestion tripartite : État (tutelle assurée par le ministère du Travail, Directiongénérale du travail), organisations patronales (Medef, UPA, CGPME) et les5 confédérations syndicales (CGT, CFDT, CGT-FO, CFE-CGC, CFTC).L’Anact « fonctionne » en réseau avec 26 Aract (Association régionale pourl’amélioration des conditions de travail, 220 salariés) qui sont des associationsloi 1901, donc de droit privé, gérées par des conseils d’administration pari-taires.

Le projet du Réseau Anact (Anact et Aract) est d’améliorer les conditions detravail des salariés des entreprises françaises, en particulier par la productionde connaissances issues de ses expériences et destinées aux acteurs de l’entre-prise ou branches professionnelles.

Le champ des conditions de travail sur lequel le réseau intervient a été définidans le cadre du dernier contrat de progrès (CP4) qui lie le réseau à l’État, ils’agit :• de la promotion de la santé au travail ;• du développement des compétences des personnes ;• de l’organisation du travail ;• du pilotage des conditions de travail ;• d’une meilleure connaissance des populations au travail ;• du lien entre performance économique et amélioration des conditions detravail.

Concrètement, le réseau travaille sur des questions telles que les risquespsychosociaux, les troubles musculosquelettiques, l’approche globale de laprévention des risques, les approches par la simulation du travail, le dévelop-pement de diagnostics territoriaux autour des impacts du travail, l’usureprofessionnelle, l’approche des conditions de travail par le genre, la gestionprévisionnelle des emplois et des compétences, le management du travail...

Les modalités d’action du réseau sont extrêmement variées : interventions,colloques, publications, formations, manifestations... Elles visent un butultime de transfert auprès de cibles identifiées : les acteurs relais (exemples :médecins du travail, direction des ressources humaines, préventeurs,

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conseillers formation...), des partenaires sociaux (confédéraux, branches,entreprises) et les TPE, PME. L’Anact intervient plus précisément auprès desgrandes entreprises.

Approche de l’Anact sur la questiondes risques psychosociaux

Difficulté à faire émerger le sujet

L’Anact est en veille sur le sujet des risques psychosociaux depuis 1995 enrassemblant et analysant les différentes formes de production en France et àl’étranger. Les mouvements organisationnels repérés dans les entreprises(financiarisation, organisation Lean83, délocalisation...) sont autant de thè-mes qui génèrent des impacts sur les conditions de travail et le ressenti dessalariés, et l’Anact est attentive aux conséquences sur la santé des travailleurs.À cette époque, l’Anact travaillait aussi intensément sur les troubles muscu-losquelettiques de plus en plus nombreux et dont on pouvait percevoir lesconséquences sur les personnes.

Néanmoins, le sujet est parvenu à percer et c’est en 2005 que la décision a étéprise de publier en interne un ouvrage sur le stress et les risques psychosociaux(Sahler et coll., 200784), à une période (octobre 2004) où l’accord cadreeuropéen sur le stress au travail venait d’être signé. Dans cet ouvrage, noustirions les enseignements des années de réflexion et d’interventions en entre-prise sur le sujet. Il nous a permis d’en dégager une démarche qu’aujourd’huinous utilisons dans nos interventions et qui nous apporte ainsi qu’aux nom-breux consultants qui l’utilisent, une solidité pour aborder la problématique etenvisager des transformations dans l’entreprise.

Fondements de la démarche : déplacement d’une approche techniqueau profit d’une construction sociale

Cette démarche s’inscrit en tout point dans le cadre des démarches portéeshabituellement par le réseau : elle est centrée sur le travail. Elle cherche à encomprendre en situation tous les rouages, mécanismes et déterminantshumains, organisationnels, techniques, économiques et financiers.

Elle pose comme principe que dans la réalisation de leur travail, les personnessont soumises à des tensions auxquelles elles doivent faire face. Ces tensions

83. Lean : Ecole de gestion de la production, initialement développée dans l’industrie parToyota, basée sur la recherche de la performance (en matière de productivité et de qualité) parl’amélioration continue et l’élimination des gaspillages.84. SAHLER B, BERTHET M, DOUILLET P, MARY-CHERAY I. Prévenir le stress et les risquespsychosociaux au travail. Anact, Lyon, 2007462

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trouvent leur source dans des facteurs variés, de natures différentes, issus del’organisation. Ces facteurs se confrontent aux ressources dont disposent lespersonnes. Le terme de ressource, dans ce cas de figure, est à prendre dans unsens large : organisationnelle, physique, mentale, sociale... Les tensions peu-vent elles-mêmes être modifiées dans des contextes de changements et varierselon la configuration du soutien en place (collègues, hiérarchie).

L’autre volet que nous développons porte sur l’identification des facteurs derégulation, leurs forces et faiblesses. Analyse des tensions et identification desfacteurs de régulation permettent ainsi d’envisager des pistes de transforma-tion. Cette représentation, tensions/facteurs de régulation, construite pourl’intervention dans l’entreprise se veut intégratrice de dimensions présentesdans les questionnaires pour évaluer les risques psychosociaux. Ce n’est évi-demment pas un « modèle » universel mais un point d’appui, différent del’approche épidémiologique, pour favoriser l’adhésion des acteurs. Pour nousaujourd’hui, sa vertu pédagogique n’est plus à démontrer. Nous utilisonsvolontairement la métaphore du « ressort » pour favoriser la compréhensiondes acteurs et leur adhésion à la démarche. En effet, cette représentation n’ade sens que si les acteurs s’en saisissent pour enclencher leur propre progres-sion. Car l’enjeu de notre approche est là : mobiliser les acteurs pour qu’ilss’emparent des questions d’organisation du travail dans un but de préventiondes risques psychosociaux.

Traditionnellement, la plupart des interventions conduites en entreprisefonctionnent selon le modèle diagnostic/préconisations/plan d’actions. Noussavons depuis la réalisation de l’étude sur la prévention durable des troublesmusculosquelettiques (2005-2008) que nous avons conduite avec des équipesde chercheurs85 qu’un des obstacles majeurs à vaincre pour la prévention restele temps, c’est-à-dire la pérennisation de la préoccupation prévention dansl’entreprise. C’est vrai pour les troubles musculosquelettiques, pour l’ensembledes risques et aussi pour les risques psychosociaux.

Ceci nous a amenés à porter une attention particulière à cette dimensiontemporelle. Elle ne peut tenir que si au moins trois conditions sont réunies :l’intérêt maintenu des acteurs pour le sujet, l’installation d’un dispositif, lavivacité du débat social sur la question. La démarche que nous mettons enœuvre tient ensemble ces trois objectifs. Pour qu’il y ait intérêt, il faut éleverle niveau de connaissance des acteurs pour qu’ils puissent se détacher desreprésentations faciles que chacun peut avoir sur les risques psychosociaux,c’est un enjeu majeur. Le dispositif quant à lui est une création socialeoriginale spécifique à l’entreprise, certaines entreprises installent des commis-sions, d’autres mettent en place des réseaux sentinelles, des cellules, desgroupes d’analyses, des rencontres... Enfin sur le débat social, il permetl’échange, la confrontation de points de vue dans des lieux dédiés réinvestis

85. DANIELLOU F (coord.) La prévention durable des TMS. Quels freins ? Quels leviersd’action ? 2008 site anact.fr

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Réseau Anact et prise en compte du travail dans la prévention des risques psychosociaux

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pour cela comme le CHSCT (Comité d’hygiène de sécurité et des conditionsde travail) ou la rencontre avec les délégués du personnel.

Dès lors, la démarche que nous proposons met en exergue des phases clés quenous avons intitulées : « se mettre d’accord ». Derrière cette dénomination,nous parions sur la mise en mouvement des acteurs et leur capacité à se saisirensemble de la problématique. « Se mettre d’accord » ne signifie pas qu’il fautaboutir à un seul et même point de vue mais que le compromis élaboré pourentrer dans les phases suivantes de la démarche est d’une part une progressionvoire un progrès dans la compréhension du phénomène et d’autre part uneétape d’enrichissement collectif. Il construit de l’histoire partagée entre lesacteurs, fondement pour une pérennisation. Notre expérience nous apprendque l’entrée par le travail de la démarche de prévention des risques psychoso-ciaux permet d’atteindre cet objectif.

Analyser le travail pour mettre à jour les situations qui posent problème

Le repérage des situations posant problème présente deux avantages : enpremier lieu elles traduisent des difficultés éprouvées par les personnes et ensecond lieu, elles sont également un support d’émergence des débats sur letravail parce qu’elles sont identifiées collectivement.

Il s’agit de situations caractéristiques du travail porteuses de difficultés (entermes de réalisation du travail ou de relation de travail) pour les salariés.Lorsque ces situations sont pérennes, c’est-à-dire se reproduisent avec desvariabilités mais toujours de manière récurrente et sans que l’organisation yait trouvé remède, on peut alors parler de « situations problème ».

Ce travail collectif de repérage offre de nombreux avantages pour poser leshypothèses du diagnostic. Le travail est au cœur des échanges puisque ceshypothèses sont supportées par des récits d’événements passés particulière-ment perturbateurs pour les salariés. Il s’agit toujours de situations dont lestensions ou les absences de régulation sont clairement identifiées par lessalariés. Elles sont porteuses de pistes de transformations. C’est aussi un bonpoint de départ pour enclencher des analyses rétrospectives, pour remonteraux décisions ou aux événements qui ont façonné l’expression de la difficultéactuelle. C’est une porte d’entrée dans l’analyse rétrospective et dans l’objec-tivation.

Dans le même temps, l’exercice collectif de travail sur les « situations pro-blème » présente des vertus pédagogiques sur la manière de se saisir desquestions du travail, de les débarrasser des éléments qui embrouillent oumasquent la compréhension des phénomènes ou processus à l’œuvre (c’est letravail de l’intervenant). Les situations clairement exposées peuvent alorsêtre observées en situations réelles de travail pour en compléter la descriptionet en optimiser l’analyse.464

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Favoriser la reconnaissance de « l’objet » travail

Notre approche des risques psychosociaux privilégie un mode d’action « bot-tom up » (bas vers le haut). Nous pensons fondamentalement, et c’est notreparti pris, que le travail est peu pris en considération. Ce thème est margina-lisé. Il a du mal à s’imposer dans les représentations des décideurs, étant tropsouvent mis à l’écart au profit d’autres thèmes jugés plus importants commel’économie, l’emploi voire aujourd’hui l’environnement. Une des hypothèsesque nous avons bâties autour de cette émergence des risques psychosociauxprovient de ce déficit de prise en compte du travail. Globalement, on peut lireles risques psychosociaux sur le plan collectif comme la traduction d’unefaiblesse de reconnaissance de ce qui se joue dans le travail de chacun.

Nos stratégies d’intervention (mais nous ne sommes pas les seuls) visent àréhabiliter le travail dans l’entreprise, à le (re)mettre en visibilité sociale.Nous savons que les entreprises sont généralement bien structurées, y comprisles plus petites, pour faire descendre de l’information, top down (haut vers lebas). Les « autoroutes » de circulation de l’information, bien identifiées et trèsentretenues, existent : notes de service, fiches de poste, fixation d’objectifs,procédures nombreuses et diverses. Ces « autoroutes » fonctionnent toutesavec des boucles de rétroaction là encore bien connues : rapports d’encadre-ment, contrôle qualité, entretiens d’évaluation, indicateurs de production...L’organisation tient (se tient) avec ce système qui alimente les décisionsstratégiques de l’entreprise.

Face à ce système de routage de l’information descendante, le travail (celuiqui est réalisé au quotidien) ne dispose pas d’un système de circulation de soninformation aussi sophistiqué. Tout au plus, il a à sa disposition des « cheminsde traverse » (les CHSCT ou délégués du personnel) et quelques « cheminsde randonnée » quand l’encadrement met parfois en place des réunions ouéchanges de régulation sur le travail. Les informations du terrain ont doncbeaucoup de mal à remonter et pénétrer le système de décisions. Une desmissions de nos interventions est de défricher du chemin, de construire unsystème de circulation de l’information ascendant pour permettre à l’informa-tion issue du travail d’interagir avec d’autres sources et d’influencer les déci-sions stratégiques de l’entreprise.

La tâche est ardue. Dans certaines entreprises, on cherchera à élargir deschemins déjà existants ou à « débroussailler » d’anciens chemins abandonnésdepuis (par exemple des réunions d’équipe délaissées car jugées improduc-tives), dans d’autres il faudra les créer (défricher) et les faire admettre. Pour lecoup « le chemin » est long ! Les oppositions à vaincre sont nombreuses parceque les nouveaux chemins bouleversent un paysage établi. C’est là que les« situations problème » apportent leur force, véritables engins de chantier decrédibilité capables de renverser par leur pertinence bien des obstacles.

Pour que ce nouveau réseau « routier » puisse vivre et tenir dans le temps, ilest important de mobiliser les acteurs pour qu’ils prennent conscience de sa

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plus-value. Le paradoxe est que souvent ce sont les dirigeants qui accordent leplus de crédits à cette nouvelle circulation d’informations. Les salariés sou-vent résignés et déçus n’y croient plus et l’encadrement ne comprend pastoujours ce nouveau rôle qu’ils doivent jouer. Les représentants du personnelcraignent « un court-circuitage » des instances. Les règles et les objets doiventclairement être définis : ils sont l’enjeu majeur de la réussite.

Risques psychosociaux chez des travailleursqui n’ont pas le statut de salariés

La partie qui suit traite de notre expérience auprès des indépendants (gérants,patrons, artisans, commerçants et agriculteurs) et des hypothèses qui s’endégagent concernant les facteurs de risque psychosociaux propres aux indé-pendants.

Expérience auprès des agriculteurs

L’action du réseau Anact est tournée vers l’amélioration des conditions detravail des salariés principalement du secteur privé. Avant de rejoindre leréseau Anact, j’ai travaillé sur la prévention des risques professionnels au seinde la MSA (Mutualité sociale agricole). Cet organisme de sécurité socialeagricole développe des actions de prévention à destination des salariés agri-coles mais aussi depuis la loi dite Atexa86 (accidents du travail des exploitantsagricoles) en direction des exploitants. Dans ce cadre, j’ai eu à m’intéresseraux conditions d’installation de nouveaux exploitants ou entrepreneurs agri-coles.

La phase d’installation pour ces travailleurs tient à la fois de l’enthousiasme,réussir son projet d’entreprise, et du stress, affronter tous les obstacles et lesrenverser un à un. Le trait marquant dans ce milieu est le soutien dontbénéficie le candidat à l’installation. Ce soutien revêt plusieurs formes :• le soutien familial qui apporte de l’expérience, de la main d’œuvre béné-vole, de l’encouragement et parfois du capital mais aussi du soutien local ;• les pairs qui conseillent, orientent (ils sont tous présidents d’une structurelocale : assurance, mutualité, crédit, chambre consulaire, coopératives...) etaident par leurs réseaux à lever les obstacles « par un coup de fil bien adressé »disent-ils ;• les organisations professionnelles qui se sont aussi construites pour aider le« jeune agriculteur » : la chambre d’agriculture, le fonds de formation, maissurtout le syndicat professionnel qui négocie aides et avantages pour le candi-dat, les centres techniques et les organismes professionnels agricoles (OPA)

86. La loi Atexa crée en 2001 un régime obligatoire d’assurance contre les accidents du travailet les maladies professionnelles des exploitants agricoles466

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qui disposent de cellules d’accueil des nouveaux installés. Néanmoins, plus ons’éloigne du cœur de métier agricole (élevage, céréales, viticulture, arbo-riculture) pour aller vers des entreprises périphériques (paysagisme, hor-ticulture, travaux agricoles) et moins les soutiens structurels sont en place.

Quand on sait le rôle fondamental du soutien (modèle de Karasek) lorsque despersonnes ont à faire face à des situations difficiles, stressantes telles que cellesvécues lors du lancement d’une activité, le modèle mis en place par l’agricul-ture est plutôt performant. Cependant, si cette performance est battue enbrèche ou si le bouclier du soutien vient à s’effacer, la chute n’est-elle pas alorsvertigineuse ? Les résultats de l’étude centrée sur les suicides présentée lorsd’un récent colloque de l’InVS (Cohidon, 2010)87 pointait un niveau derisque trois fois supérieur à celui des cadres...

Cas du chef d’entreprise d’une TPE

Dans les métiers industriels ou commerciaux, les risques psychosociaux destravailleurs indépendants ou chefs d’entreprise de très petites entreprises(TPE) trouvent leur source dans un sentiment profond d’isolement face à unmonde hostile.

Le livre autobiographique de Régis Berthier88 raconte son histoire de chefd’une petite entreprise de moins de 10 salariés, exemple type de la TPE.Construit sous la forme d’un journal, il raconte ses tracas qui deviennent vitedes soucis pérennes, profonds qui lui minent sa vie et le tirent (ou le poussent)vers un abîme coloré de noir. Au fil du récit, il est possible de mettre à jour lestunnels dans lesquels il s’enfonce et les dédales et labyrinthes au sein desquelsil essaie d’avancer sans résultats si ce n’est celui de l’affaiblir et de le perdre.Ces tunnels et labyrinthes l’emprisonnent littéralement et d’une certainemanière le dématérialisent parce qu’il est cerné et dans plusieurs d’entre eux àla fois.

Où qu’il se tourne, il est coincé. Quatre tunnels peuvent être repérés spéci-fiques à ce statut de travailleurs. Le premier, et c’est un labyrinthe pour lui, estcelui de l’Administration (par Administration il faut entendre sécuritésociale : caisses et Urssaf, préfecture ou sous-préfecture, diverses directionsadministratives, ANPE mais aussi banque...). L’horreur des injonctions qui secontredisent, des réponses à côté des questions, des transferts infinis vers unautre service qui n’aboutissent pas, des interlocuteurs qui changent indéfini-ment et qui fournissent des réponses différentes. On pourrait croire qu’il n’apas de chance mais non ce sont des formes d’inadéquation du système à laréalité de la petite entreprise. Il faudrait des réponses fines taillées sur mesure

87. COHIDON C, SANTIN G, GEOFFROY-PEREZ B, IMBERNON E. Suicide et activitéprofessionnelle en France. Revue d’épidémiologie et de santé publique 2010, 58 : 139-15088. BERTHIER R. Mon entreprise, ma dépression et moi. Editions Persée, Aix en Provence,2007. Livre sélectionné dans le cadre du prix 2009 du livre sur le travail.

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aux problématiques de la petite entreprise. Ce n’est pas le cas. Le systèmeproduit de la réponse générale, massive éloignée de la préoccupation immé-diate de l’entrepreneur. La pression pour lui est forte car au delà de chaquequestion administrative il y a en arrière plan une sanction possible à unhorizon temporel donné. Cette pression renforce la sensation d’isolement,d’exclusion d’un système qui ne comprend pas, d’être dans un affrontement dupetit face à une énorme machinerie capable de broyer.

Il y a dans le même temps la gestion sociale des hommes (ses salariés) avecl’adéquation entre la commande et les ressources pour les honorer. Une TPEde 8 personnes, qui a donc 5 ou 6 ouvriers en production, est fragile surl’effectif : un absent, c’est près de 20 % de l’effectif de production quis’absente. La prévision est donc capitale, toute absence fortuite est une dégra-dation forte, deux absents fortuits c’est la panique. Aussitôt il cherche àpallier, il prend sur lui et fait le travail, remplaçant son ouvrier absent.Honorer la commande, ce n’est pas la fierté, c’est l’enjeu de la pérennité. Lafierté est rangée dans un placard depuis longtemps. Les sentiments de décep-tion, de colère, d’incompréhension, de jugements sur les personnes se bouscu-lent avec en plus la surcharge de travail à faire en plus du sien. C’est épuisantphysiquement, nerveusement. S’installe alors le découragement. Cette situa-tion pose la question des effectifs, de la prévision, du lissage des activités, de lagestion des ressources humaines dans les très petites entreprises et des mutua-lisations ou solidarités à inventer.

Le troisième tunnel est celui du temps. Un tunnel dont les contours ne sontpas parallèles mais qui se rétrécit en un point et dont les goulots d’étrangle-ment portent les noms d’échéances : échéance des factures, des livraisons, descontrôles des matériels, des accords ou contrats... L’échéance le suit et lepoursuit partout la nuit aussi, lui dérobant son sommeil ! Certes, chaqueentreprise doit faire face à des échéances mais dans le cas de la petite entre-prise les échéances ne sont pas réparties entre plusieurs personnes et sont, aucontraire, concentrées et portées par le seul chef d’entreprise, poids perma-nent sur les épaules, épée dont la piqûre de la pointe se fait toujours sentir audessus de la tête. Vivre avec, c’est déployer sans cesse des efforts pour contenirla charge et tenir à distance cette épée capable de se transformer si vite encouperet. La peur s’invite.

Le quatrième tunnel propre à cet entrepreneur se faufile dans le milieu despartenaires. Les partenaires sont ceux avec lesquels on travaille et ons’entraide. Ils font le même métier et sont censés vous comprendre, vous aider.Bref, dans la difficulté, on a envie de leur faire confiance. Mais la concurrenceest sévère, la compétition se cache mais reste toujours là et distille ses coupstordus, les promesses de soutien défaillantes où ceux qui les font savent paravance qu’ils ne les tiendront pas. Ils compatissent par devant alors que parderrière ils n’espèrent que la chute. Le sentiment de trahison s’installe. Cedernier interroge sur la solidité des réseaux et leur fiabilité et sur les niveauxd’investissement personnel consentis, pour quelle rétribution in fine ?468

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Isolement, épuisement, peur ou angoisse, trahison, le récit de Régis Berthierdévoile des déterminants de risques psychosociaux bien spécifiques à ce tra-vailleur particulier qu’est un chef d’entreprise. Au travers de cet exemple, onperçoit aussi la limite des modèles couramment employés pour apprécier lesrisques psychosociaux. Le chef d’entreprise dispose d’une autonomie, d’unetrès large autonomie. Sa latitude décisionnelle est apparemment étendue maiselle finit toujours par se heurter à un mur. La nuance avec l’appréciation queportent les salariés vis-à-vis de cette latitude est qu’il s’agit pour l’entrepre-neur d’un mur d’enceinte : celui du carcan administratif. Est-ce que le modèlede Siegrist, « effort récompense », est applicable à ces chefs d’entreprise ? Sansdoute la reconnaissance recherchée s’enracine moins dans le pécuniaire ou lestatut que dans l’estime portée à la défense de son entreprise et au déploie-ment des efforts pour en assurer la survie. C’est d’une reconnaissance symbo-lique dont ces chefs d’entreprise ont besoin. Il y a là matière à réfléchir dansles instances professionnelles. Par rapport au modèle d’intervention que nousportons à l’Anact, les espaces de régulation font cruellement défaut.

Expérience avec les artisans du bâtiment

Le dernier exemple que je souhaite évoquer sur la question de la populationparticulière des travailleurs indépendants provient d’une interventionconduite en Auvergne, en septembre 2005, avec un groupe d’artisans dubâtiment. La demande est intéressante. La Capeb89, par l’intermédiaire de sondélégué départemental, sollicite l’Aract à partir de cette observation :« depuis quelque temps nous avons l’impression qu’il y a de plus en plus dedivorces dans les couples d’artisans autour de nous. On se demande au Conseild’Administration si ce n’est pas leur travail qui est en cause ? ».

Ce sentiment n’est appuyé par aucun chiffre, aucune donnée d’évolution de lasituation matrimoniale de cette catégorie socioprofessionnelle. A priori, il n’ya pas de raisons particulières pour que les artisans soient concernés plus qued’autres catégories par ce phénomène par ailleurs bien identifié. Seulement laquestion du lien possible avec le travail mérite d’être creusée. Sans entrer dansle jeu « cause conséquence », la question du rapport vie professionnelle/viepersonnelle de cette catégorie se pose. Un groupe de travail composé de 4artisans dont une conjointe, non divorcés, est alors constitué pour travaillerce sujet.

L’expérience a été très riche pour tous. Pour les intervenants par le côtéinnovant mais surtout pour les artisans parce qu’elle a permis de rendre visibleune des facettes de leur statut d’artisan, celui de travailleur. Jamais cet aspectde leur statut dans leur milieu n’est mis en avant d’une façon analytiquemettant à jour ce qui détermine leur charge de travail et structure leur journée

89. Capeb (Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment) : organisationpatronale des artisans du bâtiment

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de travail. Comme à chaque fois que les personnes parlent, comprennent etd’une certaine manière découvrent comment se construit leur propre activitéde travail en présence d’autres personnes, elles éprouvent une satisfaction. Lamise en visibilité de leur activité dévoilée devant autrui est une forme dereconnaissance. Ce n’est pas spécifique des artisans, mais il y avait comme dusoulagement chez eux à décrire les enjeux de leur entreprise mêlés à leursavoir-faire de peintre, couvreur, plombier, menuisier et intriqués dans leurresponsabilité d’encadrant d’une équipe de salariés.

Après de longs échanges sur le travail qui ont permis de façonner et solidifierle groupe, deux questions différentes mais intimement liées sont alors trèsnettement apparues : celle du temps et celle de l’entourage. Le temps, ques-tion classique peu originale, a été envisagé dans ce cas sous son aspectdébordement avec ses impacts sur la vie familiale, sociale et personnelle.L’échelle habituelle des arbitrages s’est une fois de plus confirmée : chacungère le débordement en sacrifiant (en amputant), de son point de vue d’abordsa vie personnelle, puis sa vie sociale et enfin sa vie familiale. Le constat a étépartagé, cependant le groupe, et c’est là son intérêt, s’est demandé si l’entou-rage avait la même analyse. Des entretiens séparés ont été conduits avec lesconjoints sur la représentation qu’ils ont du travail de leur mari (femme)artisan. La réponse n’est pas identique : pour les conjoints, le sacrifice estd’abord au niveau de la famille. Le ressenti est donc différent. Pour lesconjoints, les artisans peuvent être à la maison physiquement mais ailleursmentalement. Autrement dit, le temps de présence et le temps de partage réelne coïncident pas, le second étant nettement plus restreint que le premier. Letravail s’invite de manière assez permanente à la maison. Les tâches réaliséesportent pour l’essentiel sur les rédactions de devis, de facturations et decomptabilité.

Avec le groupe et la Capeb locale, nous avons tiré plusieurs conclusions :• remettre régulièrement le thème du travail à l’ordre du jour dans les réu-nions courantes de cette organisation par le jeu de témoignages ;• installer un dispositif de soutien accessible aux artisans en difficulté, passeulement économique même si la difficulté économique nourrit la difficultépersonnelle ;• développer un auto-questionnaire sur les relations vie professionnelle/vieprivée ;• lancer une campagne de sensibilisation et de promotion de l’auto-questionnaire par les artisans du groupe.

L’artisan porte l’ambiguïté en lui : il est à la fois ouvrier et entrepreneur. Lafacturation, la comptabilité, les clients prennent le dessus sur son savoir-faire,son habileté, sa capacité créatrice. Tout le travail a été de le « décoller » deson entreprise pour ramener les questions sur son travail, le sien. C’est para-doxal dans une intervention classique au sein d’une entreprise avec salariés,nous recherchons toujours à conduire un mouvement de l’individuel vers lecollectif. Avec les artisans, il fallait faire le chemin inverse, les ramener à eux,470

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à leur travail pour bien en préciser le sens, les éléments de la charge, leursrapports aux autres, en premier lieu à leur famille. L’expérience a permis deparler des conditions de travail de leurs salariés, de la manière dont ilsprévoyaient leur charge de travail. Ils nous ont assuré avoir pris conscience dela notion de conditions de travail pour leurs propres salariés.

Ces trois situations présentées démontrent l’intérêt de conduire une réflexionparticulière sur les facteurs de risques psychosociaux pour cette catégorie detravailleurs. En les reprenant, il serait aussi possible de creuser davantage lesdispositifs, processus, caractéristiques ou évènements qui soutiennent les non-salariés ou au contraire les précipitent dans des difficultés. Par exemple, lemodèle développé par l’agriculture fondé sur la coopération et le mutualisme(les deux « mamelles » de la solidarité agricole) a longtemps encadré rigou-reusement les agriculteurs ne les laissant jamais seuls face à l’adversité :soutien aux investissements au travers des prêts bonifiés et de la possibilité demise en commun de matériel (Cuma90), soutien lors d’événements impromp-tus tels que la mise en place des mutuelles « coups durs ». Néanmoins, de nosjours, ce modèle se craquelle sous les effets de la concurrence agricole et desluttes pour maintenir une Politique agricole commune toujours favorable auxagriculteurs, du vieillissement de la population, de la réduction massive de lapopulation des exploitants et de la survenue du statut de double actif oùl’activité agricole est pratiquée à temps partiel. Les impacts à moyen terme surla santé mentale de cette catégorie de travailleurs risquent d’être sévères. Surle troisième exemple, nous aurions pu davantage développer les aspects sexuésdu conflit vie professionnelle/vie privée tant il nous semble que malgré tout sil’artisan est une « artisane » la répartition du travail domestique reste unecharge lourde toujours délicate à négocier dans les couples. Enfin sur ledeuxième exemple cité, il nous semble que la question de l’isolement du chefd’entreprise d’une TPE dans un système concurrentiel sans concession méri-terait d’être approfondie notamment au regard des réseaux dans lesquelss’inscrivent ces TPE qui sont des réseaux de survie pour être informé plutôtque des réseaux de soutien. Dans ces réseaux, la solidarité n’existe pas.

Il serait sans doute temps d’installer un dispositif qui puisse soutenir des étudeset des actions à l’intention de ces populations de travailleurs si particuliers !

Jack BernonResponsable du département Santé Tavail, Anact Lyon

Ancien directeur de l’Aract AuvergneErgonome, spécialiste des questions de prévention des risques professionnels

90. Cuma : Fédération nationale des coopératives d’utilisation de matériel agricole

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Annexes

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ANNEXE 1

Expertise collective Inserm

Éléments de méthode

L’Expertise collective Inserm91 apporte un éclairage scientifique sur un sujetdonné dans le domaine de la santé à partir de l’analyse critique et de lasynthèse de la littérature scientifique internationale. Elle est réalisée à lademande d’institutions souhaitant disposer des données récentes issues de larecherche utiles à leurs processus décisionnels en matière de politique publi-que. L’Expertise collective Inserm doit être considérée comme une étapeinitiale, nécessaire mais le plus souvent non suffisante, pour aboutir aux prisesde décision. Les conclusions apportées par les travaux d’expertise collectivecontribuent, mais ne peuvent se substituer, au débat des professionnelsconcernés ou au débat de société si les questions traitées sont particulièrementcomplexes et sensibles.L’Expertise collective Inserm peut être complétée, à la demande d’un com-manditaire, par une expertise « opérationnelle » qui s’intéresse à l’applicationdes connaissances et recommandations en tenant compte de facteurs contex-tuels (programmes existants, structures, acteurs, formations...). Ce typed’expertise sollicite la participation d’acteurs de terrain susceptibles de répon-dre aux aspects de faisabilité, de représentants d’administrations ou institu-tions chargées de promouvoir les applications dans le domaine concerné,d’experts ayant participé aux expertises, de représentants d’associations depatients. La mise en commun de cultures et d’expériences variées permet uneapproche complémentaire à l’expertise collective dans un objectif d’opéra-tionnalité. De même, différents travaux (recommandations de bonnes pra-tiques, audition publique...) conduits sous l’égide de la Haute autorité de santé(HAS) peuvent faire suite à une expertise collective Inserm.L’expertise collective est une mission de l’Inserm depuis 1994. Une soixan-taine d’expertises collectives ont été réalisées dans de nombreux domaines dela santé. L’Institut est garant des conditions dans lesquelles l’expertise estréalisée (exhaustivité des sources documentaires, qualification et indépen-dance des experts, transparence du processus).Le Centre d’expertise collective Inserm organise les différentes étapes del’expertise depuis la phase d’instruction jusqu’aux aspects de communicationdu rapport avec le concours des services de l’Inserm. L’équipe du Centred’expertise collective constituée d’ingénieurs, de chercheurs et d’un secréta-riat assure la recherche documentaire, la logistique et l’animation des réu-nions d’expertise, et contribue à la rédaction scientifique et à l’élaboration des

91. Label déposé par l’Inserm

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produits de l’expertise. Des échanges réguliers avec d’autres organismespublics (EPST) pratiquant le même type d’expertise collective ont permis demettre en place des procédures similaires.

Instruction de la demande

La phase d’instruction permet de définir la demande avec le commanditaire,de vérifier qu’il existe bien une littérature scientifique accessible sur la ques-tion posée et d’établir un cahier des charges qui précise le cadrage de l’exper-tise (état des lieux du périmètre et des principales thématiques du sujet), sadurée et son budget à travers une convention signée entre le commanditaireet l’Inserm.

Au cours de cette phase d’instruction sont également organisées par l’Insermdes rencontres avec les associations de patients pour prendre connaissance desquestions qu’elles souhaitent voir traitées et des sources de données dont ellesdisposent. Ces informations seront intégrées au programme scientifique del’expertise. Pour certains sujets, un échange avec des partenaires industrielss’avère indispensable pour avoir accès à des données complémentaires inac-cessibles dans les bases de données.

Mise en place d’un comité de suivi et d’une cellule d’accompagnementde l’expertise

Un comité de suivi constitué de représentants du commanditaire et del’Inserm est mis en place. Il se réunit plusieurs fois au cours de l’expertise poursuivre la progression du travail des experts, évoquer les difficultés éventuellesrencontrées dans le traitement des questions, veiller au respect du cahier descharges et examiner d’éventuels nouveaux éléments du contexte réglemen-taire et politique utiles pour le travail en cours. Le comité est également réunien fin d’expertise pour la présentation des conclusions de l’expertise avantl’établissement de la version finale du rapport.

Pour les expertises traitant de sujets sensibles, une cellule d’accompagnementest également mise en place qui réunit des représentants de la Directiongénérale de l’Inserm, du conseil scientifique, du comité d’éthique de l’Inserm,du département de la communication, des chercheurs en sciences humaineset sociales et des spécialistes d’histoire des sciences. Cette cellule a pour rôlede repérer au début de l’expertise les problématiques susceptibles d’avoir uneforte résonance pour les professionnels concernés et pour la société civile etde suggérer l’audition de professionnels des domaines connexes, de représen-tants de la société civile et d’associations de patients. En bref, il s’agit deprendre la mesure de la perception que les différents destinataires pourrontavoir de l’expertise. Avant la publication de l’expertise, la cellule d’accompa-gnement porte une attention particulière à la façon dont la synthèse et les476

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recommandations sont rédigées incluant si nécessaire l’expression de diffé-rents points de vue. En aval de l’expertise, la cellule a pour mission derenforcer et d’améliorer la diffusion des résultats de l’expertise en organisantpar exemple des colloques ou séminaires avec les professionnels du domaine etles acteurs concernés ou encore des débats publics avec les représentants de lasociété civile. Ces échanges doivent permettre une meilleure compréhensionet une appropriation de la connaissance issue de l’expertise.

Réalisation de la recherche bibliographique

Le cahier des charges, établi avec le commanditaire, est traduit en une listeexhaustive de questions scientifiques correspondant au périmètre de l’exper-tise avec l’aide de scientifiques référents du domaine appartenant aux ins-tances de l’Inserm. Les questions scientifiques permettent d’identifier lesdisciplines concernées et de construire une arborescence de mots clés quiservira à une interrogation systématique des bases de données biomédicalesinternationales. Les articles et documents sélectionnés en fonction de leurpertinence pour répondre aux questions scientifiques constituent la basedocumentaire qui sera transmise aux experts. Il sera demandé à chacun desmembres du groupe de compléter tout au long de l’expertise cette basedocumentaire.

Des rapports institutionnels (parlementaires, européens, internationaux...),des données statistiques brutes, des publications émanant d’associations etd’autres documents de littérature grise sont également repérés (sans préten-tion à l’exhaustivité) pour compléter les publications académiques et mis à ladisposition des experts. Il leur revient de prendre en compte, ou non, cessources selon l’intérêt et la qualité des informations qu’ils leur reconnaissent.Enfin, une revue des principaux articles de la presse française est fournie auxexperts au cours de l’expertise leur permettant de suivre l’actualité sur lethème et sa traduction sociale.

Constitution du groupe d’experts

Le groupe d’experts est constitué en fonction des compétences scientifiquesnécessaires à l’analyse de l’ensemble de la bibliographie recueillie et à lacomplémentarité des approches. L’Expertise collective Inserm étant définiecomme une analyse critique des connaissances académiques disponibles, lechoix des experts se fonde sur leurs compétences scientifiques, attestées parleurs publications dans des revues à comité de lecture et la reconnaissance parleurs pairs. La logique de recrutement des experts fondée sur leur compétencescientifique et non leur connaissance du terrain est à souligner, dans la mesureoù il s’agit d’une source récurrente de malentendus lors de la publication desexpertises.

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Les experts sont choisis dans l’ensemble de la communauté scientifique fran-çaise et internationale. Ils doivent être indépendants du partenaire comman-ditaire de l’expertise et de groupes de pression reconnus. La composition dugroupe d’experts est validée par la Direction générale de l’Inserm.

Plusieurs scientifiques extérieurs au groupe peuvent être sollicités pour appor-ter ponctuellement leur contribution sur un thème particulier au cours del’expertise.

Le travail des experts dure de 12 à 18 mois selon le volume de littérature àanalyser et la complexité du sujet.

Première réunion du groupe d’experts

Avant la première réunion, les experts reçoivent un document explicatif deleur mission, le programme scientifique (les questions à traiter), le plan detravail, la base bibliographique de l’expertise établie à ce jour ainsi que lesarticles qui leur sont plus spécifiquement attribués selon leur champ de com-pétence.

Au cours de la première réunion, le groupe d’experts discute la liste desquestions à traiter, la complète ou la modifie. Il examine également la basebibliographique et propose des recherches supplémentaires pour l’enrichir.

Analyse critique de la littérature par les experts

Au cours des réunions, chaque expert est amené à présenter oralement sonanalyse critique de la littérature sur l’aspect qui lui a été attribué dans sonchamp de compétence en faisant la part des acquis, incertitudes et contro-verses du savoir actuel. Les questions, remarques, points de convergence ou dedivergence suscités par cette analyse au sein du groupe sont pris en considéra-tion dans le chapitre que chacun des experts rédige. Le rapport d’analyse,regroupant ces différents chapitres, reflète ainsi l’état de l’art dans les diffé-rentes disciplines concernées par le sujet traité. Les références bibliogra-phiques utilisées par l’expert sont citées au sein et en fin de chapitre.

Synthèse et recommandations

Une synthèse reprend les grandes lignes de l’analyse de la littérature et endégage les principaux constats et lignes de force. Certaines contributionsd’intervenants extérieurs au groupe peuvent être résumées dans la synthèse.

Cette synthèse est plus spécifiquement destinée au commanditaire et auxdécideurs dans une perspective d’utilisation des connaissances qui y sontprésentées. Son écriture doit donc tenir compte du fait qu’elle sera lue par desnon scientifiques.478

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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Dès la publication du rapport, cette synthèse est mise en ligne sur le site Webde l’Inserm. Elle fait l’objet d’une traduction en anglais qui est accessible sur lesite du NCBI/NLM (National Center for Biotechnology Information de la Natio-nal Library of Medecine) et Sinapse (Scientific INformAtion for Policy Support inEurope, site de la Commission Européenne).

À la demande du commanditaire, certaines expertises collectives s’accom-pagnent de « recommandations ». Deux types de « recommandations » sontformulés par le groupe d’experts. Des « principes d’actions » qui s’appuient surun référentiel scientifique validé pour définir des actions futures en santépublique (essentiellement en dépistage, prévention et prise en charge) maisqui en aucun cas ne peuvent être considérés comme des recommandations« opérationnelles » dans la mesure où les éléments du contexte économiqueou politique n’ont pas été pris en compte dans l’analyse scientifique. Des« axes de recherche » sont également proposés par le groupe d’experts pourcombler les lacunes de connaissances scientifiques constatées au cours del’analyse. Là encore, ces propositions ne peuvent être considérées comme desrecherches « prioritaires » sans une mise en perspective qu’il revient auxinstances concernées de réaliser.

Lecture critique du rapport et de la synthèse par des grands« lecteurs »

Pour certaines expertises traitant de sujets sensibles, une note de lecturecritique est demandée à plusieurs grands « lecteurs » choisis pour leurs compé-tences scientifiques ou médicales, exerçant des fonctions d’animation oud’évaluation dans des programmes de recherche français ou européens ouencore participant à des groupes de travail ministériels. De même, le rapportet la synthèse (et recommandations) peuvent être soumis à des personnalitésayant une bonne connaissance du « terrain » et susceptibles d’appréhender lesenjeux socioéconomiques et politiques des connaissances (et propositions)qui sont présentées dans l’expertise.

Présentation des conclusions de l’expertise et mise en débat

Un séminaire ouvert à différents milieux concernés par le thème de l’expertise(associations de patients, associations professionnelles, syndicats, institu-tions...) permet une première mise en débat des conclusions de l’expertise.C’est à partir de cet échange que peut être établie la version finale dudocument de synthèse intégrant les différents points de vue qui se sontexprimés.

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Annexe 1

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ANNEXE 2

Institutions dans le champ de la santé au travail en Franceet leur évolution

Traditionnellement et historiquement, la prévention des risques pour la santédans le monde du travail en France a reposé très longtemps (depuis le débutdu XXe siècle) sur trois piliers que sont l’Inspection du travail, les services deprévention de la Sécurité Sociale et le système de Médecine du travail.Pendant toutes ces décennies, le travail n’étant pas pris comme un détermi-nant de santé par la « Santé Publique », leurs interventions se sont faites surles lieux de production considérés, dans les entreprises, comme exclus duchamp de visibilité de la société civile ou du regard du juge.

L’arrêt de la Cour de Cassation du 28/02/2002 concernant l’exposition dessalariés à l’amiante (substance cancérigène) a été l’occasion d’un passage del’obligation de moyens à l’obligation de résultats en matière de sécurité et desanté au travail, en fonction de l’état des connaissances, aussi bien pour lesemployeurs que pour l’État. La santé au travail a ainsi fait irruption dans lestribunaux.

Dans le même temps, se sont mis en place :• l’obligation pour tous les employeurs d’évaluer les risques professionnelsdans leurs entreprises et de mettre en place un plan de prévention de cesrisques (transcription en Droit Français en 2001 d’une Directive Européennede 1991) ;• le renforcement du rôle des partenaires sociaux dans le domaine de la santéau travail (Traité d’Amsterdam 1997, Mouvement de refondation sociale avecaccord de septembre 2000, Loi du 21/01/2008, Transcription de l’accordEuropéen sur le stress le 02/07/2008...) ;• l’encadrement par l’État du paritarisme social avec la création du Conseild’orientation sur les conditions de travail (COCT) et des Comités régionauxde prévention des risques professionnels (CRPRP).

La Santé publique et l’Environnement ont alors intégré le travail commedéterminant de santé pour les populations au travail, dimension qui est alorsretrouvée dans différents plans nationaux et lois : Plan Cancer, Plan nationalSanté-Environnement (PNSE 1 et 2), Loi de Grenelle de l’Environnement(2009), Loi de Santé Publique (2004), Plan national santé au travail (PNST 1et 2).

Parallèlement, à partir de 2002, l’État se réforme avec la Loi organiquerelative aux lois de finances (LOLF) – attribution de moyens financiers enfonction de résultats et non plus en fonction de normes – et crée une expertiseindépendante par la volonté de séparer l’évaluation et la gestion des risques,

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et de séparer également l’expertise scientifique de la négociation sociale à larecherche de compromis socialement acceptables d’un niveau de risques. D’oùla création du Département Santé Travail de l’Institut de veille sanitaire(InVS) dépendant du ministère de la Santé, et de l’Agence française desécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset92) sous la tutelle duministère chargé du travail.

Nous avons aujourd’hui un décloisonnement des champs d’action des diffé-rents ministères.

La Direction de la sécurité sociale93 a pour mission d’élaborer la politique et lalégislation en matière d’indemnisation des accidents du travail et des maladiesprofessionnelles, de préparer les actions gouvernementales, de préparer desprojets de textes de loi et l’élaboration des mesures réglementaires, et exercela tutelle sur :• la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés(CNAMTS), établissement public géré par les partenaires sociaux dans lecadre de la Commission des accidents du travail et des maladies profession-nelles (CATMP), et assureur du risque professionnel en France ;• les Caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat, auparavantdénommées Cram, au nombre de 16) dont la mission est de développer etcoordonner la prévention des accidents du travail et des maladies profession-nelles, avec des comités techniques régionaux où siègent les partenairessociaux (représentants employeurs et salariés). Les Carsat financent desconsultations de pathologies professionnelles situées dans des Centres hospi-taliers universitaires, et qui sont intégrées dans un réseau de veille appeléRéseau national de vigilance et de prévention des pathologies profession-nelles (RNV3P), lui même associé à l’InVS ;• les Comités techniques nationaux (CTN) (au nombre de 9) : composés dereprésentants des employeurs et des salariés, ces comités étudient les risquespropres aux professions ou groupes de profession et font des propositions derecommandations techniques par branche d’activité ;• l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des acci-dents du travail et des maladies professionnelles (INRS), organisme géré parles partenaires sociaux placé sous l’autorité de la CNAMTS, financé par lefonds national de prévention des accidents du travail et des maladies profes-sionnelles, et qui a pour mission de mieux connaître les risques professionnels(études et recherches, information, formation, contrôle des substances chimi-ques nouvelles).

92. En juillet 2010, l’Afsset a fusionné avec l’Afssa (Agence française de sécurité sanitaire desaliments) pour devenir l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, del’environnement et du travail), sous la tutelle des ministères chargés de l’agriculture, de laconsommation, de l’environnement, de la santé et du travail.93. La Direction de la sécurité sociale est rattachée à la fois au ministère du Travail, de l’Emploiet de la Santé, au ministère du Budget, des Comptes publics, de la Fonction publique et de laréforme de l’État et au ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale.482

Stress au travail et santé – Situation chez les indépendants

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Le ministère en charge du travail avec la Direction générale du travail (DGT)a en charge la politique publique nationale de prévention sur les lieux detravail, assisté d’un organe consultatif : le COCT (cf. supra) auparavantdénommé le Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels. LaDGT prépare, anime et coordonne la politique du travail afin d’améliorer lesrelations collectives et individuelles et les conditions de travail dans lesentreprises ainsi que la qualité et l’effectivité du droit qui les régit. Elle exerceson autorité sur les services déconcentrés de l’État en région : les Directionsrégionales des entreprises, de la concurrence et de la consommation, dutravail et de l’emploi (Direccte, au nombre de 23) et les Unités territoriales(ex-DDTEFP) au niveau départemental.

Les Direccte, avec le concours des médecins inspecteurs du travail et desinspecteurs du travail, exercent un contrôle sur les Services de santé au travail(SST) inter entreprises ou autonomes des différents régimes de sécuritésociale (régime général et agricole), des différentes fonctions publiques(d’État, hospitalière ou territoriale), ainsi que sur l’activité des médecins dutravail et des autres professionnels de ces services dont les intervenants enprévention des risques professionnels (IPRP), acteurs de ce qu’on appelle la« pluridisciplinarité » en médecine du travail.

D’autres organismes participent à la prévention des risques professionnels :• l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact),établissement public dont le Conseil d’administration réunit des représen-tants de l’État, des travailleurs et employeurs et des personnes qualifiées,organisé avec 24 antennes régionales (Aract) chargées du développement deméthodes novatrices de changement technique, organisationnel et socialpour l’amélioration des conditions de travail ;• l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics(OPPBTP).

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Annexe 2

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Composé et Imprimé par JOUVE, 1, rue du Docteur Sauvé, 53100 MAYENNEN° 639257D− Dépôt légal : Avril 2011

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