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TANGER.. .NEW YORK.. .BOMBAY.. .MARSEILLE.. .LA PAZ...VANCOUVER.
Humours[JT:
TAHAR BEN JELLOUN
JEROME CHARYN
LAJPAT RAI JAGGA
ANISSA BARRAK
EMILE TEMIME
HADANI DITMARS
LUZ PACHECO
I
PATRIMOINE
§ LA CATHEDRALE
| D'AMIENS (FRANCE)ENVIRONNEMENT
s LES GRANDSS BARRAGES
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VCONFLUENCESPour cette rubrique confluences, envoyez-nous une photo (composition photographique, peinture, sculpture, ensemble architectural) où vous voyez
un croisement, un métissage créateur, entre plusieurs cultures, ou encore deux .uvres de provenance culturelle différente, où vous voyez une
ressemblance ou un lien frappant. Accompagnez-les d'un commentaire de deux ou trois lignes. Nous publierons chaque mois l'un de vos envois.
RUINES D'ORIENT 1995, photographies de Luc Maréchaux
Dans une suite de photographies prises au Liban et en Syrie, cet artiste confronte
Palmyre la majestueuse, qui dresse ses ruines face au temps, avec Beyrouth la sacrifiée,
ravagée par quinze années de guerre civile. Et il ajoute en commentaire: «On pardonne
au temps d'exercer sa lente destruction, mais que doit-on penser de l'homme?»
© Luc Maréchaux, Montreuil
LE (OU RRI ER DEL' UNESCO
LES INVITES DU MOIS
Deux écrivains de l'ex-Yougoslavie,Predrag Matvejevic et Vidosav Stevanovic
parlent de leur étrange statut entre asileet exil (p. 4).
La cathédrale d' Amiens (France),témoignage majeur de l'art gothique (p. 40).
sommaireMARS 1997
VILLES-CARREFOURS
Aufl des mois par Bahgat Elnadi et Adel Rifaat9
Tanger, théâtre d'amour et de vie10par Tahar Ben Jelloun
Alerte à New York14
parJerome Charyn
Feux de Bombay19parLajpatRaiJagga
Marseille à la croisée des chemins23
par Emile Temime
Le double versant de La Paz28
par Luz Pacheco
Vancouver ou le génie du lieu32par Hadani Ditmars
De la pluralité au métissage36parAnissa Barrak
Dossier37
Consultante: Anissa Barrak
La chronique de Federico Mayor 38
PATRIMOINE 40
Notre-Dame d'Amiens, la Bible de pierre par Cécile Romane
ESPACE VERT Les grands barrages par France Bequette44
DIAGONALES Le monde est un sanctuaire par Henryk Skoíimowskl48
NOTES DE MUSIQUE Redécouvrir Lili Boulanger par Isabelle Leymaríe49
NOS AUTEURS50
LE COURRIER DES LECTEURS50
Notre couverture (de gauche à droite et de haut en bas): Georg Gerster © Rapho, Paris;
Alain Evrard © Globe Press/Hoaqui, Pans; Didier Dorval © Explorer, Pans;
Bruno Barbey© Magnum, Paris; S. Fautre© Ask Images, Paris; Luc Girard © Explorer, Paris.
LE QïURRIER DE L UNESCO« MARS 1997 %
les invités du mois
Deux écrivains majeurs de l'ex-Yougoslavie, l'un croate de Bosnie, l'autre serbe, marqués par leur expérience de la
guerre qui a déchiré leur pays, témoignent. Dépassant le cadre de l'Europe de l'Est, ils donnent aux
enseignements qu'ils en tirent, du rôle de l'écrivain à la psychologie profonde des conflits nationalistes, une
portée générale. Ils sont interrogés par Jasmina Sopova.
Predrag MatvejevicNé à Mostar, en Bosnie-Herzégovine, d'un père russe d'Odessa et d'une mère croate de Bosnie, Predrag
Matvejevic a poursuivi sa carnerea l'Université de Zagreb, avant de s'installer à Rome où il enseigne
les littératures slaves à l'Université de la Sapienza. Grand combattant pour les droits de l'homme
il a défendu sous le régime communiste beaucoup d'intellectuels persécutés de l'Europe de l'Est
il consacre aujourd'hui l'essentiel de ses travaux à panser les blessures de la guerre fratricide qui a
ravagé son pays. Les ouvrages de ce brillant essayiste ont été traduits dans une dizaine de langues (en
français ont notamment paru Bréviaire méditerranéen, Fayard, 1992, Entre asile et exil, Epistolaire russe,
Stock, 1995, et Le monde «ex», Confessions, Fayard, 1996).
«Entre asile et exil», c'est ainsi que
vous définissez votre situation
d'intellectuel «venu de l'Est».
Predrag Matvejevic: Je no suis pas un véri¬table exilé. Personne ne m'a exilé de la
Croatie et de l'ex-Yougoslavie. J'ai quitté
la Croatie parce que je me suis rendu
compte (jue je pouvais m'exprimer plus
ouvertement, plus librement, au dehors.
Mais après mon départ, je me suis aperçu
(ju'il y avait là un piège. C'est cela que
j'appelle «entre asile et exil»: l'asile neu¬
tralise votre parole et l'exil l'éloigné deson but.
Mais cette situation n'est pas propreaux intellectuels venant de l'Est. Elle
concerne aussi les intellectuels du monde
occidental. La position plus ou moins
confortable qu'ils ont dans leur pays leuroffre un asile, une sorte d'asile «natal».
Dans le même temps, le fait de ne pas
pouvoir participer aux prises de déci¬
sion, de ne pas être là où on formule les
projets de société, les met dans une situa¬tion d'exil. Ce sont des exilés dans leur
propre patrie.
«Entre trahison et outrage» est une
autre situation dont vous parlez souvent.
P. M.: Oui. Chaque parole que je prononce
contre l'atmosphère dans laquelle je vis,
ou contre le groupe national auquel
j'appartiens, est considérée comme une
trahison. Toute critique (pie je formule
à l'encontre de l'autre est jugée calom¬
nieuse, outrageante. Cette position «entre
trahison et outrage», connue dans beau¬
coup de cultures, détruit la pensée cri¬
tique. Vous êtes pris dans un étau qui
vous empêche de vous exprimer librement.
La liberté d'expression est le motif
principal de votre exil volontaire. Ceux qui
sont restés sont-ils contraints au silence?
P. M.: Je dirai qu'ils se situent «entre
silence et obéissance». Silence par rap¬
port aux erreurs qu'on commet là
encore je ne parle pas uniquement de
l'ex-Yougoslavie , silence, parce que
vous avez peur de parler, parce que les
moyens d'expression sont contrôlés, etc.
Obéissance, parce qu'en obéissant au
pouvoir vous préservez vos privilèges.
Silence et obéissance se rejoignent donc
sous la même chape d'infidélité à soi-même?
P. M.: Pas forcément. Le silence peut
prendre diverses significations. Il y a des
silences éloquents. Le silence de Boris
Pasternak, celui d'Anna Akhmatova, sous
le régime stalinien, signifiaient: «Nousrefusons le réalisme socialiste de Jdanov,
nous refusons la terreur dans les lettres
et les arts.» Mais il y a aussi un silence qui
est un signe de conformisme, d'accepta¬
tion d'un état de fait. C'est le cas, me
semblc-t-il, de l'intelligentsia nationa¬
liste. Le silence qu'elle a observé sur ce
qui s'est passé à Vukovar, à Sarajevo,
signifie: «Taisons-nous; nous ne sommes
pas coupables.»suite page 6
«GOURRIER DEL UNESCO« MARS 1997
Entre l'asile et l'exil
>
Vidosav Stevanovic
Vidosav Stevanovic, un des écrivains serbes majeurs d'aujourd'hui, a passé trente ans de sa vie à Bel¬
grade, ville qu'il a dû quitter en 1991. Depuis 1995 il vit à l'écart dans une maison de campagne aux
environs de sa ville natale, Kragujevac. «Absent» dans son pays, il n'en est pas moins très présent sur
la scène internationale. Ses éuvres sont publiées en une vingtaine de langues (en français ont paru
notamment La neige et les chiens, Christos et les chiens, Belfond, 1993, et Prélude à la guerre, Mer¬
cure de France, 1996). Il continue à écrire et à refuser le silence.
En 1995, après l'exil que vous vous étiez
imposé, vous rentrez dans votre pays natal.
Mais vous voyagez quand même beaucoup...
Vidosav Stevanovic: Je voyage de temps en
temps. Je vais régulièrement à Paris. Pro¬
chainement je ferai un saut à Prague etaux Etats-Unis, à l'occasion d'un film qu'on
est en train de tourner à partir de L'île deslialkans, deuxième livre de ma trilogie
Sur la neige et les chiens. Le réalisateur estun Croate en exil. Nous sommes sur la
même longueur d'onde quant à l'attitudeà suivre envers nos pays respectifs. Le seulpays qui a bien voulu accorder une natio¬nalité à ce film est la République tchèque.Ainsi un Croate et un Serbe tournent un
film tchèque pour le marché européen,probablement en anglais...
Cette collaboration ne risque-t-elle pasde vous attirer des ennuis? L'écrivain croate
de Bosnie Predrag Matvejevic parle d'une
situation «entre trahison et outrage».
V. S.: Je suis d'accord avec cette thèse.
Elle traduit notre réalité. Le seul moyen
d'éviter les pièges qu'on vous tend de partet d'autre, c'est d'écrire comme vous sen¬
tez, comme vous pensez, quel que soit leprix à payer, aujourd'hui ou dans l'avenir,où il risque d'être encore plus élevé. Vousaurez du moins agi selon votre conscience,
vous n'aurez pas été souillé par le mal quisévit dans les Balkans.
Garder le silence est-il une façon de se
préserver de ce mal? Il y a des écrivains qui,dans la situation actuelle, ont choisi le
silence.
V. S.: La plupart des éeri\ ains de mon paysvivent actuellement dans le silence. Un
silence éloquent, disent certains. Je ne
suis pas d'accord avec ceux-ci. Il y a desmoments dans l'histoire où l'homme doit
sortir de l'isolement et lutter pour desvaleurs très concrètes, en l'occurrence les
valeurs de l'humanisme (si désuet qu'ilparaisse), les valeurs d'une civilisation quine sait pas se défendre. Je veux parler dela civilisation européenne. Nous devons
lutter pour ces idéaux, de même (¡ne nousdevons lutter contre ces intellectuels qui
ont forgé les programmes de guerre et lapropagande de guerre, qui ont répandu lahaine. Ne soyons pas trop indulgentsenvers ceux qui se taisent. Peut-on
admettre que la littérature d'un pays seréduise à quelques rares personnes qui
parlent dans un silence général?Quand une guerre se termine, les gens
sont frappés d'amnésie collective. «Il n'yavait pas de guerre, nous n'y avons pasparticipé; il n'y avait pas de crimes, nousn'avons rien à voir avec cela. » Ils ne se sou¬
viennent de rien. Nous qui parlons, nous
sommes des gêneurs, car nous rappelonsles faits qui ont eu lieu. Même «indési¬rables», nous continuerons à témoigner.
Un peuple ne peut sortir de ses pro¬blèmes fondamentaux sans avoir fait une
analyse approfondie de lui-même. Demême que certains malades ne peuvent
pas être guéris sans passer par une psy¬chanalyse. Le nationalisme est une maladie.Le peuple doit régler ses comptes avec lui-même, traiter ses fantasmes, ses mythes
qui sont à l'origine de tout ce qui s'est
passé. Tant qu'on n'aura pas réglé sescomptes avec sa propre conscience et
pas avec celle des autres , l'accalmiesera provisoire. Les fantasmes retombe¬ront au fond et, à la prochaine secousse, ils
suite page 7
LE ChutIRRIERDÏ L UNESCO« MARS 1997
les invités du mois
Predrag Matvejevic
J'ai refusé d'adopter cette position.
C'est une des raisons de mon départ.
On peut rapprocher cette attitude de
cette autre qui apparaît au fil de vos
derniers livres: «entre le refus et l'éloge».
P. M.: Oui. Certains ne se contentent pas
-d'obéir: ils font l'éloge du pouvoir;
d'autres, loin de se réfugier dans le
silence, expriment ouvertement leur refus
de ce même pouvoir. La distance qui
sépare ces deux positions opposées ne
fait ([lie se creuser; le nombre de ceux
(jui restent dans leur pays et exprimentleur révolte est fort réduit.
Dans votre dernier livre, Le monde
«ex», Confessions, on trouve une réflexion
approfondie sur la guerre en ex-Yougoslavie.
Vous écrivez: «Il n'y a dans cette guerre ni
vainqueurs ni vaincus. Il reste partout des
victimes...»
P. M.: Et j'ajoute: «Il n'y a pas de par¬
tage juste de la Bosnie; le seul acte de
justice serait de ne pas la partager.» La
première victime est la Bosnie elle-même.
Je me suis toujours rangé du côté des
victimes. Lors de l'agression contre la
Croatie et contre Vukovar, j'étais du côté
des victimes croates. Mais lorsque des
soldats croates ont détruit le pont de
Mostar qui, depuis sa construction en
1566, avait résisté à toutes les barba¬
ries, [mis la partie de Mostar où habitait
la majorité musulmane, je me suis à nou¬
veau rangé du côté des victimes.
Vous écrivez encore: «Perdre fait partie
de notre destin. Il est pourtant rare de
perdre un pays. Cela m'est arrivé.» Peut-on
parler d'un deuil?
P. M.: Je crois que la politique de non-
alignement de l'ancienne Yougoslavie
dans un monde qui était très divisé avait
des mérites «¡ni auraient dû connaître unmeilleur destin. Même si la volonté de ce
peuple était de se séparer, j'aurais sou¬
haité que cela se fasse sans guerre. Je
suis peut-être le seul, mais j'aime la You¬
goslavie tout entière. Où que j'aille, sur
le territoire yougoslave, je me sens chez
moi. Je ne pense usurper en rien pour
autant l'identité des différents peuples
qui la constituaient. On peut appeler
cela, à tort, du «yougoslavisme unita-
riste», ou parler de «yougo-nostalgie».
Mais c'est une nostalgie de la paix, du
bien-être de tous ces peuples. Je n'ai
aucun préjugé. J'ai seulement une grande
défiance envers ceux qui sont coupables,
même s'ils le sont à des degrés divers.
Que pensez-vous de l'émergence des
cultures nationales issues de la culture
yougoslave?
P. M.: Nous luttons tous pour le droit àune culture nationale. C'est un droit
indéniable. Mais certaines zones d'une
culture nationale se transforment sou¬
vent en idéologie nationaliste, comme cela
s'est produit dans les fascisincs. Les
régimes fascistes comptaient des hommes
de culture qui contribuèrent à forger
leur idéologie. On l'a vu en Italie, en Alle¬
magne, en Espagne; on l'a vu également,
pendant le stalinisme, en Union sovié¬
tique. 11 faut être plus critique, plus vigi¬
lant en matière de culture nationale. Il y
a là un danger dont nous ne sommes ¡tas
toujours conscients.
Dans vos derniers livres, vous mettez en
garde contre un autre danger: considérer
chaque particularité d'un peuple comme
une valeur a priori.
P. M.: Oui, on fait souvent cette confusion.
La particularité n'est pas nécessairement
une valeur. L'anthropophagie est une par¬
ticularité. Est-elle pour autant une valeur?
Si on ne sait pas faire la distinction entre
ces deux notions, on peut glisser de la par¬
ticularité au particularisme.
Le Bréviaire méditerranéen, publié
avant la guerre, était une réflexion sur la
Méditerranée qui ne se souciait pas de
l'actualité. Au contraire, dans Le monde
«ex». Confessions, paru en 1996, vous
revenez sur le même thème, mais de
manière radicalement différente. Ce
changement d'optique est-il dû à la guerre?
P. M.: Oui, la guerre a accentué chez moi
certaines prises de position. Le Bréviaire
ignorait l'actualité, il passait sous silencela difficile réalité de la Méditerranée
d'aujourd'hui. Alors que le chapitre quilui est consacré dans mon dernier livre
sonne comme un réquisitoire. J'y sou¬
ligne que la Méditerranée et l'image
qu'on en a ne s'identifient point. Cette
«patrie des mythes» a souffert des
mythologies qu'elle a engendrées. Les
décisions qui concernent son sort sont
[irises en dehors d'elle.
En quoi consiste être «ex»?
P. M.: On ne naît pas «ex», on le devient.
Du jour au lendemain on se découvre ex-
yougoslave, ou on se déclare cx-commu-nistc. Certains le vivent comme un bon¬
heur, d'autres comme un traumatisme.
La situation d'«ex» est plus ou moins
regrettable (on ne regrette pas l'ex-Union
soviétique comme on regrette l'ex-Bos-
nie-llerzégovine). De même, sur le plan
individuel, le mot «ex» n'a pas le même
sens. A la fin du siècle dernier, Nietzsche
disait qu'il voulait être inactuel, donc
«ex» par rapport au présent, mais c'était
en vue d'un temps à venir. L'inactualité de
certains «ex» d'aujourd'hui est tournée
vers un passé révolu.
Notre siècle s'achève donc en Europe
sous le signe «ex». Qu'en est-il du mythe
du progrès?
P. M.: L'idée de progrès et d'autres idées
utopiques ont été gravement compro¬
mises par le stalinisme et par tout ce qui
s'est passé dans l'ex-Union soviétique.
L'idée d'émancipation a été repoussée
dans l'ombre. Alors qu'il faudrait la dres¬ser devant nous comme une idée direc¬
trice, sans la soumettre à quelque idéo¬
logie <[ue ce soit. L'absence de cette idée,
en cette fin de siècle, équivaut à une
absence d'humanisme. C'est dans ce sens,
hors des paradigmes idéologiques, (pie jecherche ma voie. M
le G>OURRIER DE L UNESCO« MA«I997
Vidosav Stevanovic
referont surface: nous verrons alors res-
surgir, dans les Balkans, la même guerrequ'au siècle dernier, dans une versionmoderne.
Cette guerre toujours recommencée est lemotif de votre livre Prélude à la guerre
(Mercure de France, Paris, 1996). Dansl'original, paru en serbe il y a dix ans sous le
titre Testament, vous écriviez: «Aujourd'huiou demain nous perdrons la liberté. Tout ce
que mes ancêtres ont amassé nous sera
repris. Tout sera détruit, dévasté, pillé; les
hommes seront mis en pièces, les femmes
violées, les églises profanées. Rien ne
subsistera...» Lignes prophétiques...
V. S.! La critique a remarqué l'élément«prophétique» dans ce livre, mais il ne
faut pas être un génie pour prévoir laguerre! Les guerres naissent généralementpour les mêmes motifs, se produisent dela même manière et sont suivies de la
même amnésie. Il n'est pas difficile d'êtreprophète, quand on prophétise le mal.
Je ne veux être ni un prophète ni unguide du peuple. Ce n'est pas le rôle del'écrivain. Il peut tout au plus être lavoix de la conscience, la voix de l'art, lavoix d'un individu.
Je visais, en écrivant ce livre, à plongerau plus profond de l'histoire de la Serbie
et de son peuple, pour montrer la nais¬sance des mythes et leur métamorphose enmal, en débâcle. Je voulais dire aux gens:regardez où vous conduisent vos mythes!Prenez-les pour ce qu'ils sont: des his¬toires et rien de plus. Ne les laissez pas setransformer en monstruosités. J'ai essayéde les prévenir. Je n'y ai pas réussi.
Dans ce même livre, vous écrivez aussi:
«Le mal n'est pas dans le monde mais dansl'homme; seulil l'a inventé, seulil l'utilise.»
V. S.: Le mal fait partie de la naturehumaine au même titre que le bien. Avantde se lancer dans une croisade contre le
mal chez les autres, il faut en faire une à
l'intérieur de soi. S'il est partie intégrantede la nature humaine, le mal n'est pas unecomposante dominante de notre monde.
La preuve, c'est que le monde continued'exister, alors que le but ultime de toutmal est de l'anéantir.
L'écrivain peut-il exorciser ce mal, cetinstinct de destruction?
V. S.: L'écrivain dit: ne laissez pas lesmythes de la mort vous emporter. Il écritun poème sur la mort qui est un poèmesur la vie, sur la beauté de vivre. L'écrivain
écrit un poème sans fin sur un mondeéphémère.
Prélude à la guerre n'est-il pas aussi
une quête de ce poème sans fin? «Existe-t¬
il, sur quelque chose, une histoire qui sera à
jamais sans fin, (...) toujours prête àm'accepter en elle et à me sauver du
temps, dans laquelle on ne saurait jamaisquels seront la phrase, la page ou le
chapitre qui vont suivre?», écrivez-vous
encore. On pense au Livre de sable de Jorge
Luis Borges.
V. S.: Je ne suis pas borgésien, mais vousavez sans doute raison. N'oubliez pas,toutefois, (jue le héros de mon romanpose cette question sans fournir de
réponse. L'écrivain, à travers de multipleslivres, n'écrit-il pas qu'une seule etunique histoire, essayant ainsi de se sau¬ver du temps, de l'éphémère?
Et Julio Cortázar? Votre univers
imaginaire semble proche du sien.
V. S.: Toute ma vie d'écrivain, j'ai utiliséun procédé littéraire que j'ai nommé,avant Gabriel Garcia Marquez, «réalismefantastique»: il consiste à tirer du réel
des images qui peuvent se transformeren fantastique et en surréel. De là vient
sans doute le rapprochement que vousfaites entre mon (ruvre et celle d'auteurs
latino-américains. Je suis un grand admi¬rateur de la littérature latino-américaine.
Elle a apporté, ces trente dernièresannées, quelque chose de réellement nou¬
veau dans ce que nous appelons la litté¬rature mondiale.
Vous croyez à l'existence d'unelittérature mondiale?
V. S.: Oui, au sens d'une littérature quiprésente une ouverture des cultures les
unes aux autres. En revanche, je me méfiebeaucoup de la notion de «littératurenationale». Elle sous-entend, à la base, un
certain isolement. Si on ajoute à cela lesclimats politiques qui régnent parexemple chez nous exclusivité poli¬tique, dirigeants pour la plupart inca
pables, intellectuels prêts à gouverner surleur propre tas d'ordures nous obte¬
nons quelque chose qui n'est tout sim¬plement pas viable: une culture fermée.
Le morcellement politique de la
Yougoslavie a provoqué l'éclatement de sa
culture. Quelles en sont les conséquences?
V. S.: Je n'éprouve pas de nostalgie pource qui s'appelait la Yougoslavie; si elles'est disloquée, c'est que cette désagré¬gation était inévitable. Mais je regrettebeaucoup qu'on ait perdu ce qu'on appe¬lait l'espace culturel yougoslave. Aucunedes littératures de cet espace, déclaréesmaintenant «nationales», ne serait ce
qu'elle est, si elle n'avait été, pendantdes années, en interpénétration constanteavec les autres. J'ai beaucoup appris desécrivains croates, slovènes et macédoniens
qui appartenaient, selon moi, à une seuleet même culture. Celle-ci tirait un énorme
profit précisément de sa diversité. Il est
très important d'avoir la possibilité dechoisir. Si vous vous enfermez dans votre
petit enclos, vous ne pouvez [dus choisir.Je pense qu'avant d'établir des rapportsentre les nouveaux Etats des Balkans,
chose qui ne dépendra pas des écrivains,il est vital (pie les artistes continuent à
collaborer, à apprendre les uns des autres,et même, pourquoi pas, à se quereller sileurs querelles sont créatives.
Tous les nationalismes des Balkans
ont pour thèse idéologique principale:la vie commune est impossible. C'estpourquoi on en est venu à la guerre, à lacréation d'Etats nationaux, à l'épurationethnique, aux crimes. Mais chaqueguerre montre à ces gens-là que leurthèse est à la fois délirante et infondée.
Chaque guerre montre que dans cetespace qu'on appelle les Balkans etauquel s'attachent des connotations néga¬tives, souvent à tort, la vie commune est
non seulement possible mais absolument
indispensable. C'est pour cela que jepense que la culture ouïes cultures doi¬vent être les précurseurs de la réunifica¬tion, non pas en un quelconque Etat, maissur le plan intellectuel. Il y a suffisam¬
ment de parentés chez nous ¡unir donnerlieu à une seule culture et suffisamment
de différences pour que cette culturesoit forte. Et c'est ce (¡ue les Balkans ontde mieux à offrir au monde. I
LE COURRIER DE L UNESCO MARS 1097
le(ouriiierdecunesco
50e année
Mensuel publié en 29 langues et en braille
par l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation,la science et la culture
31, rue François Bonvm, 75732 Pans CEDEX 15, France.Télécopie : 01.45 68.57 45
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et un encart numéroté l-IV.
Thomas Hopker © Magnum, Pans
8 "GOURRIER DE L UNESCO« MARS 1997
par Bahgat Elnadi et Adel Rifaat
New York, Tanger, Bombay... Qu'est-ce qu'une ville-carrefour? Une ville
multiple, un microcosme, dont l'histoire est scandée par l'arrivée de
vagues successives d'immigrants, venus de tous les horizons et s'installant
côte à côte sinon les uns sur les autres.
La prospérité les rapproche, les crises les séparent, mais leurs espoirs
peu à peu se mêlent, et leurs mémoires s'emmêlent tissant les liens
d'une appartenance à géométrie variable, tantôt solidaire, tantôt conflic¬
tuelle. Le pouls des villes-carrefours bat à un rythme plus intense, plus
désordonné, que le commun des agglomérations urbaines. Mais cha¬
cune d'elles a fini par concevoir une manière, bien à elle, de gérer ses
violences, pour en tirer de la vitalité.
A première vue, ces bizarres excroissances socio-culturelles ne peu¬
vent rien nous apprendre sur les pays où elles sont enclavées. En fait,
elles nous en disent beaucoup plus long qu'il n'y paraît. Ce sont des
greffes qui ont pris. Elles n'ont pu croître et prospérer dans leur envi¬
ronnement national que parce que, dans le secret de leur singularité, elles
ontinstauré avec lui une osmose silencieuse. Parce qu'elles ont répondu
à certains de ses penchants muets, de ses désirs inavoués. Parce qu'elles
sont l'une de ses faces cachées.
Au fond, ces villes auront souvent été les poumons de la modernisation
de leur pays. Parfois à son corps défendant. Ce pays qui leur doit, même
s'il ne le reconnaît pas toujours, d'être branché sur les grands courants
d'échange, sur l'incessant va-et-vient des hommes, des idées, des capi¬
taux, des marchandises. Qui leur doit de continuer de respirer avec le
monde.
Elles lui apportent bien plus que des ressources et des savoirs
elles lui insufflent une énergie créatrice produite par la combustion des
intelligences et des imaginations les plus diverses, par la multiplicité des
sources d'inspiration, par le renouvellement des raisons de croire et
d'inventer. Et cette énergie se répand, par capillarité souterraine, dans
l'ensemble du pays environnant, porteuse des antidotes nécessaires
contre l'uniformité et le conformisme.
C'est bien pourquoi, au travers des contradictions qu'elles recèlent,
et des conflits qu'elles couvent, les villes-carrefours constituent pour leurs
pays respectifs, confrontés aux défis de la mondialisation, des labora¬
toires du futur.
LE Ç)URR1ER DE L UNESCO MARS 1997
tanger théâtre d'amour et de vie
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PAR TAHAR BEN JELLOUN
Portede l'Afrique, fenêtre sur l'Europe,Tanger se nourrit encore de ses mytheset légendes, même si la cité grossit,change de visage et ne reconnaît plus ses
enfants. C'est le sort des lieux de passage, lescarrefours de l'histoire et de la rumeur. Lieu de
départ (de fuite) et d'arrivée, port pour les rêvesfaciles et les voyages incertains, Tanger ne saitplus quoi faire de sa réputation. On lui prête tel¬lement de faits et de méfaits, on l'affuble de
tant de clichés et d'images sulfureuses, on l'écriten prose approximative et en poésie brumeuse,on la peint de toutes les couleurs, on en parledans les salons et autres galeries jusqu'à ce qu'elledevienne un fantôme habillé de soie douteuse,
une carte postale froissée qu'on n'ose pasenvoyer à l'ami qui attend dans le froid dulointain.
Un an après la mort de Marco Polo, IbnBattouta, celui qu'on appelle «le prince desvoyageurs», quitta Tanger le 14 juin 1325 (il yétait né en 1304) pour faire plusieurs fois letour du monde. Il lui arrivait rarement d'avoir
la nostalgie de cette ville, mais son image, avecses parfums et ses odeurs, avec le souvenird'une cité paisible, où rien d'extravagant ne sepasse, le poursuivait. Du Maroc, il dira: «Il estpour moi supérieur à tout autre. Pays où j'aiporté les amulettes de l'enfance et premièreterre dont la poussière à touché ma peau.» Ildictera ses carnets de voyage (Rihla) où il serapeu question de Tanger. A l'époque, ce n'étaitpas encore un carrefour. C'était surtout unport où on embarquait pour aller à la décou¬verte du monde ou pour tenter l'aventure.
M L'sil du peintreEn 1832, Eugène Delacroix séjourna à Tangeravant de continuer sa route vers Mcknès, Fès et
autres lieux. Il fut accueilli partout et ne cachapas sa surprise ni son émerveillement: «J'arrivemaintenant à Tanger; je viens de parcourir laville, je suis tout étonné de tout ce que j'ai vu.Il faudrait avoir vingt bras et quarante-huitheures par journée pour donner une idée detout cela... Je suis dans ce moment comme un
10 LE ^JURRIERDE L UNESCO MARS 1997
r age de gauche, l'avenue
d'Espagne, dans les années
trente.
Notoce juive au Maroc
(1839), huile sur toile
d'Eugène Delacroix.
homme qui rêve et qui voit des choses qu'ilcraint de lui voir échapper.»
Ce fut grâce à Abraham Benchimol, inter¬prète au consulat de France, qu'il put s'intro¬duire dans les milieux israélitcs de Tanger etqu'il peignit la fameuse Noce juive (1839).Dans une lettre adressée à son ami Pierret, datée
du 25 janvier 1832, il écrit: «Les juives sontadmirables. Je crains qu'il ne soit difficile d'enfaire autre chose que de les peindre: ce sont desperles de l'Edcn.»
Plus tard, un autre peintre, Henri Matisse,viendra à Tanger et séjournera à l'hôtel «Villade France». Une pluie torrentielle le retiendraprisonnier de la chambre. Venu pour son soleilet sa lumière, il faillit se décourager et rentreren France. Heureusement qu'il a attendu leretour du beau temps. A partir de cette année1912, le travail de Matisse prend une autredirection et une nouvelle dimension. Les
lumières de Tanger l'ont bouleversé.D'autres peintres passeront par Tanger.
Aujourd'hui c'est le Chilien Claudio Bravoqui y vit et y travaille. Il sort rarement de sabelle maison située au pied de la Vieille Mon¬tagne et peint de manière hyperréaliste des per¬sonnages de Tanger ou des natures précises
mais pas mortes. Ce n'est pas de l'orientalismeni de l'exotisme. Claudio Bravo peint la ren¬contre de deux civilisations. Il fait de ce lieu
un carrefour où se font face des manières de
voir et d'être, des visions du monde et des sen¬
sibilités, un croisement de tempéraments dif¬férents, allant jusqu'à valoriser la culture maro¬caine populaire et en faire presque le sujetprincipal de son euvre.
Ville internationale
Durant une quarantaine d'années, jusqu'en1957, Tanger eut un statut de ville internatio¬nale. Qu'est-ce que cela signifiait pour ses habi¬tants ? Tout en ayant un représentant de l'auto¬rité royale, la ville était administrée parplusieurs Etats. Mais la langue qu'on parlait leplus, en dehors de l'arabe, était l'espagnol. Demême, la monnaie qui avait principalementcours était h peseta. Rue Siaghine, entre lesbijoutiers et les bazaristes, des boutiques chan¬geaient les autres monnaies. Il y avait autantd'écoles que d'Etats présents dans la ville: lesjeunes Marocains avaient le choix entre l'Ins¬
titut espagnol et l'école italienne, entre l'écoleaméricaine et le Lycée français. C'était uneépoque où le cosmopolitisme était un mode de
L G>U RRIER DE L UNESCO MARS 1 997il
vie, où le multilinguisme se vivait sansl'encombre du problème de l'identité, où lesTangérois musulmans vivaient dans les mêmesquartiers que les chrétiens et les juifs. CalleSevilla était réputé être celui des Espagnols,mais des musulmans habitaient les mêmes
immeubles et ils se fréquentaient sans méfiance.C'était une époque où des Marocains se deman¬daient comment l'Espagne, pays si proche etassez pauvre, pouvait les coloniser. Ils ne seposaient pas cette question à propos des Fran¬çais, qui ne se mélangeaient pas aux autres etavaient souvent un comportement hautain.
Cette période de statut international a vupasser plus de trafiquants, de bandits, de faus¬saires, d'hommes d'affaires ruinés ou en passede l'être, que d'artistes. Et pourtant, les annéescinquante furent prolifiques pour le groupedes poètes de la beat generation qui découvritTanger et en fit un centre d'écriture, de dragueet de dépaysement total. Allen Ginsberg,William Burroughs, Jack Kerouac, LawrenceFerlinghetti, Paul Bowles, Tennessee Williamsse retrouvaient pour fumer, faire la fête etimproviser des spectacles autour de la poésie.
Jean Genet ne se mêlait pas à cette bande,même s'il connaissait la plupart de ces poètes.Il n'aimait pas Tanger, qu'il comparait à la Côted'Azur. Il écrivit pourtant, dans Journal duvoleur: «Cette ville pour moi représentait sibien la Trahison que c'est là, me semblait-il,que je ne pourrais qu'aborder.»
Tanger vécue, Tanger rêvéeComment un carrefour de voyageurs, de com¬merçants, de diplomates, de bandits et d'exi¬lés peut-il symboliser ce que Jean Genet appelle«la Trahison» ? C'est probablement parce quece port ouvert sur l'Occident, cette ville baignéepar deux mers l'Atlantique et la Méditerra¬née , ce mythe qui garde encore quelquesruines romaines, cette route de passage est unescène de théâtre, une scène où se jouent la vie et
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anger, vue générale.
lerrasse de café dans
le quartier Socco.
R,Luelle commerçante
dans la casbah, ou partie
haute de la ville.
la mort, où de vieux comédiens retraités se
réfugient, où des écrivains à la mémoire figée selamentent avec nostalgie sur un Tanger-qui-n'existe-plus.
Ce souvenir d'une ville au statut particulierne cesse de chercher asile chez des personnagesd'une autre époque, survivant à l'humidité desmurs fatigués, aux bourrasques du vent d'Estet à l'éternelle espérance qui sauvera un jourTanger de la décrépitude. C'est en ce sens quecette ville est romanesque, vouée à figurer dansdes fictions ou des fantaisies où rôde le mystère.
Ces trente dernières années, jusqu'à la grandecampagne d'assainissement lancée au début de1996, une économie clandestine, parallèle, liée autrafic de «la menthe» (le kif) s'était concentrée
à Tanger. Des trafiquants, des contrebandiers etmême des représentants des autorités ont étéarrêtés, jugés. En même temps, une lutte sansmerci a été engagée contre les passeurs de candi¬dats à l'émigration clandestine: Tanger étaitdevenue la dernière étape pour ceux qui espé¬raient traverser le détroit de Gibraltar et trou-
leGOURRIERDE L UNESCO MARS 1997
ver du travail en Espagne ou ailleurs. On venait
de partout, du sud du Maroc et même de cer¬
tains pays africains, pour embarquer la nuit surles barques de pêcheurs peu scrupuleux.
La ville a grossi. De nouveaux quartiers dits
«populaires et spontanés» ont surgi à sa péri¬phérie. Bcni Makada, qui était un immensebidonville, est devenu un quartier presque neuf
ans la médina, ou
vieille ville.
e port vu de la médina.
et respectable, où les habitations sont toutesen dur. Casabarata n'est plus un bidonville nonplus. Tanger n'est plus cantonnée à la vieille ville,la Casbah, Marshan et le marché aux beufs,
quartier résidentiel situé sur la route de laGrande Montagne. Tanger s'étend en long eten large. Les vieilles familles tangéroises seretrouvent isolées et en minorité. C'est peut-êtrepour cela qu'elles n'arrivent pas à faire entendreleur voix et à défendre le sort de leur ville.
Ville-carrefour, lieu d'échange et de métis¬sage, Tanger change d'identité et de statut, com¬mence à ressembler à n'importe quelle ville duMaroc moderne. Heureusement, des artistes,
pour la plupart étrangers, continuent d'avoirun amour fou pour cette ville. Certains y habi¬tent en permanence, d'autres y viennent plu¬sieurs fois dans l'année. Ni eux ni les gens de laville ne comprennent ni n'expliquent cet attraitpour ce port qui ne cesse d'être dérisoire ousimplement banal. Quelqu'un a résumé ce sen¬timent: «Je suis incapable de dire pourquoij'aime cette ville; je sais pourquoi je ne l'aimepas!» Apparemment l'amour l'emporte sur lereste et on continue de fréquenter ces lieux mal¬gré le vent et la décrépitude, malgré les contra¬riétés de la vie quotidienne et le spectacle d'unecité qui va à la dérive.
r 3LE (_OURRtER DE L UNESCO MARS 1997
^¿newyorkPAR JEROME CHARYN
New York est une créature qui res¬pire un air de justice et aboiecontre l'inégalité. C'est cela qui ena fait la merveille du 20e siècle, et
non ses gratte-ciel ou ses milliardaires. Lesgratte-ciel ont perdu leur aspect lyrique etaucun milliardaire n'a jamais réussi à entamerle cEur chaotique de cette cité la seule aumonde où les couches les plus basses se sontbattues contre les plus riches, ont imposé leurordre à elles et ont gagné.
Ces couches-là se composèrent d'abord desIrlandais qui chassèrent la majorité protestantede la mairie et devinrent les maîtres de Man¬
hattan tout de suite après la guerre de Sécession,vers 1865. Les Irlandais n'étaient jamais desbanquiers, ni des courtiers en bourse, ils sefaisaient rarement construire des palais sur laCinquième Avenue ou ailleurs. C'étaient despompiers, des flics, des maîtres d'école, desouvriers mécaniciens, des gangsters ou des poli¬ticiens qui pratiquaient une forme brutale dedémocratie bien à eux. Ils volaient sur le bud¬
get delà ville mais éduquaient et nourrissaientMrrivée d'un paquebotà New York, vers 1925.
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aussi les pauvres. Et quand les premiers immi¬grants d'Europe de l'Est arrivèrent vers 1 870,les Irlandais les embrigadèrent aussitôt dansleur propre machine politico-anarchiste. Lesnouveaux votèrent pour des maires et des
magistrats irlandais avant même de savoir épe-ler leur propre nom.
Vague après vague, d'autres immigrants sui¬virent bientôt leur exemple des Italiens, desUkrainiens, des Grecs, des Juifs polonais,russes et roumains, des Magyars, des Alba¬nais, des Slovaques, des Serbes, qui contri¬buèrent tous à la création de leur propreorchestre bigarré et turbulent jusqu'au votedu National Origins Act en 1924, qui stoppal'afflux de ces «métèques» européens. Maismême l'hystérie xénophobe du Congrès neput réussir à modifier réellement ni le visage, nila vitalité du New York des immigrants. Les«métèques» avaient appris l'anglais, ils savaientinterpréter tous les signes, tous les signaux
14 LE GOURRiER DEL UNESCO MARS 1997
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La pointe sud de Manhattan,lec de New York.
complexes de leur métropole, rassembler descapitaux pour créer leur propre entreprise, sefaire une place à la Bourse de New York. Plusimportant encore, ils aidèrent à scolariser leursenfants et ceux des autres communautés sans
jalousie ni exclusive.New York au milieu des années 30, en plein
pendant la Grande Dépression, restait le lieu leplus démocratique du monde. On y encoura¬geait l'idée même de rébellion, on y respectaitl'aspect sacré des droits de la personne et onestimait que tout gouvernement qui n'en fai¬sait pas autant devait et pouvait être écarté desaffaires. Même Hollywood comprenait cettefaçon de voir les choses et en tirait parti, film
après film. Dans Bowery, les faubourgs deNew York (1934), Rue sans issue (1937), Les
Anges aux figures sales (1938), Ville conquise(1940), les New-Yorkais, hommes, femmes,enfants et vieillards, sont décrits comme des
rebelles qui édictent eux-mêmes les règles de
leur liberté et leurs lois. Cette idéologie s'appli¬quait jusque dans le café de Rick (Casablanca,1943) où Rick Blaine (Humphrey Bogart)avertit un officier allemand (Conrad Veidt)
que si les Nazis s'aventuraient un jour du côtéde Hell's Kitchen, son vieux quartier, il nedonnerait pas cher de leur peau.
Mais de nos jours, il n'y a plus de RickBlaine. La ville est-elle en train de devenir une
sorte de monstre alors qu'approche le sièclenouveau? Ses écoles publiques sont mori¬bondes. Elles ne semblent plus capables d'édu-quer les jeunes, de leur enseigner les connais¬sances de base, ni d'ailleurs de les convaincre que
la ville existe pour eux. Cette crise de foi enelle-même, New York la partage avec chaquegrande cité américaine. Les pauvres n'y ontplus leur place. Ils ne peuvent plus se tirerd'affaire dans ce labyrinthe. Depuis 1965, dateà laquelle les vieux quotas d'immigration ontété supprimés, trois millions d'immigrants
LE GURRIERDE L UNESCO« MARS 1997 15
sont arrivés, non Blancs pour la plupart: desJamaïquains, des Dominicains, des Mexicains,des Coréens, des Pakistanais, des Indiens, des
Chinois, qui ont constitué leurs propres tribuset se sont intégrés à la trame de la ville, mais cen'est plus la même famille démocratique. LesBlancs et les Noirs n'ont jamais été aussi éloignés
les uns des autres, en dépit de l'«intégration».Les jeunes Noirs sont devenus à New York uneespèce en danger. Ils ne peuvent pas survivre auxmisérables conditions de logement, pas plusqu'aux répugnantes écoles publiques. Le gou¬vernement de l'Etat parle de peine de mort et delois plus sévères contre les crimes, mais per¬sonne, pas même le New-Yorkais le plus pas¬sionné, ne semble capable de résoudre le pro¬blème posé par cette frontière implacable quisépare les Noirs et les Blancs. Les Noirs les plus
lin haut, serment d'allégeance pendant la cérémonie denaturalisation d'immigrants à New York.
U i-dessus, les «Guardian Angels», milice de bénévoles quiassure surveillance et protection dans le métro new-
yorkais.
M gauche, dans une rue de «Chinatown», le quartierchinois.
pauvres et les Latinos ne font plus partiedu vocabulaire américain. Ils sont, comme le
décrivait le romancier Ralph Ellison voici plusde quarante ans, des hommes et des femmesinvisibles.
Cela n'a pas tellement d'importance si cer¬tains Noirs ont échappé à leur ghetto pourpoursuivre de fabuleuses carrières de chanteursde rap, généraux, acteurs ou actrices, boxeurs,'joueurs de basket ou de baseball. Les autressont misérablement restés à la traîne. Et le
désespoir, la paranoïa, la dépression ne fontqu'augmenter. Dans tout l'Etat de New York,une écrasante majorité de prisonniers vient desquartiers noirs et latinos les plus pauvres, Har¬lem, Brownsville, ou le sud du Bronx, quiconstituent la pire espèce de ghettos. Le crimey engendre le crime, les murs de chaque bloc
LE GOURRIER DEL UNESCO« MARS 1997
d'immeubles y sont décorés de peintures etde poèmes à la mémoire des guerriers noirs etlatinos tombés là. Cette forme d'art est la plusrapide à se développer hors des ghettos et lesjeunes artistes qui les réalisent sont très recher¬chés partout. Il est à la fois ironique et tristeque leur seul fonds de commerce soit la mort.
Le sud du Bronx est devenu le pire despetits laboratoires du crime. La police est trèsfière d'avoir pu utiliser la même législationfédérale qui a permis d'arrêter des patrons dela Mafia comme John Gotti, pour se lancer à lapoursuite de gangs noirs et latinos et réussir àles coffrer. On a raconté il y a quelque tempsdans le New Yorker les exploits de ces flics par¬tis en croisade, en vantant le rôle de Walter
Arsenault, le chef de la brigade d'enquête surles homicides. Il était question de «cette petite
\s i-dessus, sur la Cinquième Avenue, la communauté
Indienne de New York célèbre le 15 août, jour anniversaire
de l'indépendance de l'Inde.
M droite, aire de jeux dans la ville.
\s ¡-dessous, épicerie du quartier chinois.
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équipe de détectives et d'hommes de loi spé¬cialisée dans la lutte anti-gang et qui n'a jamaiséchoué une seule fois depuis dix ans qu'elleexiste». Arscnault, dont l'uniforme consiste
en un blue jean et une chemise blanche, res¬semble à un sorcier capable de vous épater enbrandissant le surnom de chaque accusé aucours de n'importe quel procès. Face d'iuf,Pacqualito, Popcorn, David le Dominicain.Mais le sud du Bronx ou Brownsville se por¬teraient-ils mieux sans Popcorn et David leDominicain? J'en doute.
Dès qu'un gang est extirpé de la rue, un| autre se constitue. Chacun appartient à cette1 même implacable bête fauve, cette hydre de la0 dépravation qui se nourrit de la chair des autres.1 La police ne peut résoudre les problèmes d'une| communauté qu'en en faisant partie aussi, en
rLE (jiURRIERDE L UNESCO MARS 1997
|v vivant au milieu d'elle, en partageant son déses¬poir, en baignant dans sa fange. Mais les flicsn'habitent jamais sur les lieux où ilspatrouillent et il est rare que cela constituepour eux un enjeu important. Ils sont sou¬vent complices de la corruption qui contri¬bue à détruire une communauté, en dépit deshauts faits de Walter Arsenault.
Le sud du Bronx a toujours eu ses gangs àlui, même il y a soixante ans, quand ils se com¬posaient souvent de Blancs, et les flics quiavaient affaire à eux en étaient souvent issus. A
cette époque, les pauvres devaient avoir leursuniformes bien à eux, leur territoire, leurs
petits drapeaux, afin de proclamer qu'ils étaientdes hors-la-loi dans un monde largement
t indifférent à leur existence et leurs aspirations.Jusqu'à un certain point, cela représentait uneforme d'éducation, un moyen pour un gangd'apprendre à s'exprimer et à parler aux autresgangs, à trouver un langage commun. Je ne niepas la violence et les désordres causés par lesbandes d'hier comme celles d'aujourd'hui.Mais le plus souvent, elles avaient tendance à senourrir de leurs propres entrailles et elles lefont encore. C'est ce langage commun quicontinue à les unir, et c'est la seule éducation
que beaucoup de leurs membres recevrontjamais, que ce soit les Fordham Baldies d'autre¬fois ou la Compania, les Wild Cowboys ou lesJhcri Curls de maintenant.
La police ferait donc mieux d'essayer decomprendre ce qui fait fonctionner les gangs,ainsi que leur volonté de survivre, sinon elle etla ville de New York ne leur survivront pas, les
gangs ayant déjà noyauté les prisons où on lesenferme et pris en charge l'«éducation» desautres prisonniers.
New York est devenue une gigantesque pri¬son où les riches ont leurs espaces «libres» àpart et où les pauvres sont repoussés dans desghettos qui s'étendent chaque jour davantage.Mettre des gangs sous les verrous n'est pas cequi fera disparaître les problèmes. La seulefaçon, peut-être, de changer les choses, c'estde faire preuve de réelle compassion et de s'atta¬cher à combattre la paranoïa des Blancs et celledes Noirs. New York ressemble à n'importequelle nation plongée dans une guerre civile. Ilfaut arrêter cette guerre. On n'y parviendra pasà coups de statistiques proclamant que lenombre de crimes augmente ou diminue. Lesstatistiques mentent toujours. Elles représen¬tent la forme de propagande la plus cruelle etla plus éhontée. Le nombre des crimes dimi¬nuera quand les New-Yorkais auront à nou¬veau le sentiment d'être en famille. Peut-être
que cela commence à se produire maintenant,alors que de jeunes artistes, des Noirs commedes Blancs, envahissent peu à peu les zonessinistrées parce que les loyers y sont moinschers. Mais se mêleront-ils aux pauvres? Oucréeront-ils des quartiers «à la mode» où lesloyers grimperont et d'où les pauvres serontobligés de fuir pour plonger dans d'autresghettos? Personne ne le sait vraiment.
Mais je reste optimiste. Comme tous lesenfants de la Dépression (je suis né en 1937),je crois encore à ce qui est juste. Et aucun flicmagique en blue Jeanne m'ôtera ça.
rarade de vedettes de
cinéma lors d'une collecte de
fonds publics en faveur des
victimes d'un cyclone.
B;tain de soleil dans le
quartier des affaires à l'heure
du déjeuner.
W LE GURR,ERDE L UNESCO! f
Bruno Barbey © Magnum, Pans
feuxdeBOMBAYPAR LAJPAT RAI JAGGA
Bombay est une ville tout en contrastes,
où les intérieurs somptueux des hôtels
de grand luxe coexistent avec la misère
et la crasse des taudis. Capitaleindienne du cinéma et de la finance, où tous les
espoirs sont permis, et où tous les rêves peuvent
se briser, elle fait miroiter aux yeux de ceux qui
viennent y chercher fortune un avenir radieuxsouvent illusoire. Les contes de fées modernes
que produisent à tour de bras ses studios de
cinéma ne font que perpétuer les mythes de cemonde imaginaire.
Vents d'EuropeSelon certains, le nom de Bombay, ou «Mum-bai», dériverait de celui de la déesse Mumbadevi,
vénérée des pêcheurs Kolis, les premiers habi
tants de l'archipel sur lequel la ville estconstruite. Mais il faut plus probablement yvoir une déformation de l'expression portu¬gaise «Bom bahia» (la «belle baie»). Le site,que les Portugais avaient cherché à prendre deforce en 1507, leur fut cédé en 1534 parle sul¬tan du Gujarat. A peine un siècle et demi plustard, en 1661, la reine Catherine de Braganceapportait ce territoire (sept îles émergeantd'une vaste zone marécageuse de 1 8 kilomètresde long sur 7 de large, délimitée d'un côté parla colline de Malabar et de l'autre par la mincepresqu'île de Colaba) en dot au roi Charles IId'Angleterre. Au 19= siècle un voyageur note:«Le port de Bombay offre l'un des plus beauxpanoramas qui se puisse voir, avec ses îlesenchâssées comme des pierres précieuses dans lebleu profond» de la mer d'Oman.
La présence humaine dans l'archipel est
LE GU RRIER DE l UNESCO MARS 199719
attestée de longue date. Les plus anciennesgrottes bouddhiques de Kanheri remontentau 2c siècle de l'ère chrétienne et témoignentavec d'autres, hindoues, ainsi que les célèbressanctuaires d'Elephanta (6e-8c siècle), de larichesse de son passé. Mais c'est aux Parsis,venus de Perse au 8e siècle, que le Gujarat doitson premier essor économique.
A partir du 1 7e siècle, la multiplication descomptoirs européens (portugais, hollandais,français et anglais) sur la côte occidentale del'Inde transforme l'environnement, l'économie
et l'architecture du pays, ainsi que les habi¬tudes sociales et culturelles de ses habitants.
Les riches communautés marchandes, installées
depuis des siècles dans l'arrière-pays, sont atti¬rées vers le littoral par la présence anglaise, etBombay se retrouve au cdur d'un vaste mou¬vement de circulation d'hommes et de biens
venus de tout le pays. En 1 869 l'ouverture ducanal de Suez renforce l'importance du portsur la mer d'Oman tandis que ses liaisons fer¬roviaires avec le reste du sous-continent en
font la plaque tournante économique du pays.Depuis cette époque, on peut dire que la
prospérité de Bombay repose sur l'exportationdu coton et des cotonnades. L'interruption desexportations de coton américain provoquée parla guerre de Sécession (1861-1 865) fit brusque-
La gare Victoria. Le stylenéogothique victorien est
complété par des traits de
style «mogol».
ment de Bombay la capitale mondiale du com¬merce cotonnier, et les fortunes en biens mobi¬
liers et immobiliers amassées par ses marchandsne tardèrent pas à dépasser celles des représen¬tants de la puissance coloniale. C'est là, parmi lesmilieux mercantiles, culturellement très mélan¬
gés, et l'intelligentsia cosmopolite moderne dela ville, que naquit l'idée de l'indépendance.
Ö Un mariage réussiSi le développement du commerce et de lafinance firent de Bombay la capitale écono¬mique de l'Inde, son architecture typique¬ment indienne, l'industrie cinématographiquemontante et ses ferments nationalistes en firent
la capitale culturelle. Ainsi vit le jour uneculture composite dont aucune autre ville del'empire britannique ne pouvait s'enorgueillir.Tandis que le Raj (le gouvernement britan¬nique aux Indes) cherchait à imposer les lour¬deurs du style néogothique, dont témoignentaujourd'hui encore les façades gigantesques dela gare Victoria et de l'Hôtel de ville, les com¬munautés marchandes, à commencer par lesParsis, s'efforçaient de marier influences euro¬
péennes et formes traditionnelles. L'histo¬rienne d'art américaine Norma Evenson a puécrire qu'à Bombay, les demeures du 19e siècle
LE GU RRIER DE L UNESCO MARS 1997
origines viennent des quatre coins de l'Inde,attirés à Bombay par la douceur du climat etdes mélodies qui rythment tous les filmsindiens. La ville, qui compte aujourd'hui prèsde douze millions d'habitants, a toujoursconnu la foule, le mélange des communautés,des langues et des cultures. La rareté des terresfermes à conduit dès 1890 au remblaiement
d'une partie de la baie, entreprise qui se pour¬suit encore à ce jour. La conquête de terrainsur la mer et le brassage de groupes socio¬culturels très divers sont deux réalités qui résu¬ment bien l'histoire de Bombay depuis unsiècle.
I Un pôle d'attractionChaque communauté a apporté à la ville sarichesse et son originalité propres, instaurantde ce fait un climat unique de tolérance et departage. Tous les habitants de Bombay, qu'ilsviennent d'Inde ou d'ailleurs, sont des Bom-
baywalas et parlent la langue composite de laville. Qu'ils dorment dans la rue, se tassentdans des bidonvilles ou habitent de vastes
demeures à Bandra, tous partagent la mêmecité, avec ses films à l'eau de rose, ses prome¬nades de bord de mer et ses plages, commeChaupati et Juhu. Cela dit, au fil des années, lesdisparités communautaires, religieuses etsociales ont fini par se traduire, à Bombaycomme dans bien d'autres villes de l'Inde sep¬tentrionale, par des tensions violentes.
Près de 70% de la population de Bombaysont des Hindous, de diverses castes, sectes et
confessions. Mais, depuis quelque temps, lavie politique y est dominée par une fraction de
se caractérisent par «une qualité de sculptureornementale qui n'est pas sans rappeler l'archi¬tecture traditionnelle du Gujarat», alors que lesbâtiments de cinq ou six étages évoquent «lecaractère et le charme des vieilles villes» comme
Amritsar, Lahore ou Delhi. Le dynamisme dece style s'exprime dans «les balcons aérés ornésde frises sculptées et peintes aux couleurs del'arc-en-ciel». Quant aux boiseries ajourées tra¬ditionnelles des façades des vieilles maisons,
«elles évoquent l'ordre ionique des anciensGrecs»*. Ce mélange de styles architecturauxtémoigne du vent de modernité qui soufflaitsur la ville au 19e siècle et fit de Bombay cequ'elle est aujourd'hui: une fenêtre sur lemonde.
Depuis plus d'un siècle, des gens de toutes
¡-dessus, grand marché
hindou, situé près
de la gare Victoria.
n droite, dans une rue
delà ville.
s I
r 2le Currier de L Unesco« mars 1 99 7
45% de la population parlant le maharatte. Lescommunautés marchandes gujaraties, sind-hies, punjabies ou marwaries ne continuentpas moins à y jouer un rôle économiqueimportant. Bombay compte par ailleurs 15%de Musulmans dont les plus actifs dans lemonde des affaires sont les Ismaéliens (Boho-
ras et Khodjas) à la tête desquels on trouvel'Agha khan, personnalité mondialementconnue. Les Parsis, qui tinrent longtemps lehaut du pavé, ont vu leur influence décliner,bien qu'ils pèsent toujours un certain poids auplan national par l'intermédiaire du plus puis¬sant groupe industriel et financier d'Inde. Lacommunauté chrétienne, essentiellement
catholique, est importante, et la ville compteaussi une petite communauté juive. Quant auxSikhs et aux Jaïnas, les intermariages avec lesHindous ne les empêchent pas de conserverleur identité culturelle et d'exercer une influence
certaine. A ces populations hindoues s'ajoutentdes émirs arabes ayant fait fortune dans lepétrole, des bouddhistes, des Arméniens, desChinois et des Européens qui ont tous choiside vivre à Bombay et constituent autant defils dans sa trame culturelle.
Enfin, des millions de jeunes, originaires detoute l'Inde, qui en parlent toutes les langueset tous les dialectes, sont venus y chercher dutravail, désireux de vivre, eux aussi, près de lamer, et de prendre part à la valse tourbillonnanteet colorée de l'univers cinématographique de laville.
Des contradictions nécessaires?
Chaque communauté a marqué Bombay deson empreinte culturelle (monuments, lieux deculte, modes de vie, us et coutumes) et contri¬bué à en faire ce lieu cosmopolite. Les mar¬chands hindous du Gujarat et du Maharashtrase réunissent aux temples de Walkeshwar (dieudu sable), sur la colline de Malabar, et de Maha-lakshmi (déesse de la prospérité), qui voisine
avec la mosquée bâtie en l'honneur d'un sainthomme musulman, Haji Ali. Le quartier deWorli abrite un temple bouddhiste et la basi¬lique de Mount Mary, l'une des vingt églisescatholiques de Bombay. Le principal templejaïna est situé sur la baie, près du Dhabi hat.Plus loin se dressent les dakhmas, les «tours du
silence» où les Parsis exposent leurs morts.Enfin, Bombay compte également de nom¬breux gurudwaras, lieux de culte des Sikhs.Bien que chaque communauté célèbre à sonheure, depuis un siècle, ses propres fêtes dansle plus parfait respect des croyances et convic¬tions des autres, cette belle entente laisse désor¬
mais apparaître quelques fissures.La sécession du Pakistan au moment de
l'indépendance de l'Inde (1947), avec son cor¬tège d'affrontements intercommunautairesmeurtriers entre Hindous et Musulmans, a
ouvert des blessures qui ne se sont toujours pasrefermées. Dans le reste de l'Inde, les tensionsentre les deux communautés ont exacerbé
jusqu'à l'intolérance le sentiment religieux etprovoqué des manifestations, comme à Ayod-hya, en décembre 1 992, où la mosquée Babri aété détruite. Mais le plus inquiétant à Bom¬bay est la percée électorale du mouvement poli¬tico-religieux extrémiste Shiv Sena, qui n'a pashésité à employer une rhétorique sectaire(«Bombay aux Maharattes») pour gagner desvoix. Un tel sectarisme, couplé à un régiona¬lisme borné, risque fort de détruire ce belexemple d'un mélange harmonieux des culturesque Bombay offre au reste du pays.
Toutes ces contradictions, sans lesquellesBombay ne serait pas ce qu'elle est, on lesretrouve dans un film récent du réalisateur
Mani Ratnam: Bombay, une saga de la récon¬ciliation interculturelle centrée sur une his¬
toire d'amour entre un jeune garçon musul¬man et une jeune fille hindoue. M
"' Norma Evenson, Indian Metropolis, A View towardsthe West, Yale University Press, 1989. NDA
' ans le quartier du Panier,
un jour de congé scolaire.
Immeubles récents du
quartier des affaires,
construits en bordure
de la mer.
u GOURRIER DE L UNESCO MARS 1997
MARSEILLE
PAR EMILE TEMIME
Carrefour, escale, refuge aussi, là résidela nature profonde de Marseille. Lieude rencontre entre négociants, voya¬geurs, migrants, entrepôt de mar¬
chandises, cette ville, dont l'arrière-pays s'étaleau long des fleuves et des routes, est un lieumythique ouvert sur l'espace méditerranéen.Port colonial à son heure, elle a surtout eu
pour vocation d'être un port de transit, vivantdu transit, dont la diversité fait et résume larichesse d'une longue histoire, scandée par despériodes fortes.
Au 19e siècle, la relance commerciale et
industrielle attire vers la cité phocéenne les
négociants de l'Europe du Nord selon unschéma déjà tracé avant la Révolution fran¬çaise, quand la franchise donnée à la ville enavait fait le point de rencontre privilégié entrele négoce germanique surtout et lesnavires apportant la soie et les épices du Levant,ou participant au trafic rémunérateur des Indesoccidentales. Cette relance amène aussi, parbandes, Piémontais, Gavots venus des Alpes,et marins ligures, qui trouvent dans le portune activité temporaire, puis finissent par sefixer et faire souche.
Dans un second temps, après 1 870, la Médi¬terranée charrie d'est en ouest le flot de la grande
LE ^>URRIER DE L UNESCO! MARS 1997 23
Le Vieux-Port,vers la fin du siècle dernier.
migration qui entraîne Italiens, Grecs, Armé¬niens, Levantins vers l'Eldorado américain. Pour
beaucoup, Marseille n'est plus qu'une escale,bien que, parfois, la halte se prolonge. Et si lapopulation garde une dominante européenne,Marseille n'en est pas moins déjà une cité cos¬mopolite au sens plein du terme, ouverte plusque jamais, depuis l'achèvement du canal deSuez, à tous les vents et à toutes les influences.
Au cours des décennies suivantes, de nou¬
veaux venus donneront progressivement sonaspect actuel à la mosaïque marseillaise. Lagrande vague arménienne des années 20 faitécho aux violences et aux révolutions qui agi¬tent l'est de l'Europe et le Moyen-Orient.L'appel à la main-d'iuvre «coloniale», depuisles premières années du 20e siècle, fait se croi¬ser sur le Vieux-Port des travailleurs venus
d'Extrême-Orient, des rivages de l'océan Indien(Somalis, Malgaches), de l'Afrique noire etsurtout du Maghreb. (L'industrie marseillaiseest la première en France à faire appel auxouvriers algériens.) Cet afflux de travailleursmaghrébins ne sera ralenti ni par les guerrescoloniales, ni par la décolonisation, qui vabientôt pousser en direction du port phocéenla grande foule des «rapatriés».
Les liens créés par l'épisode colonial y ontune retombée immédiate. Algériens, Tunisiens,Marocains constituent désormais la majoritédes «étrangers». Dans les. années 1970, lesComoricns viennent y retrouver les Sénéga¬lais et les Maliens, présents depuis bien long¬temps déjà. Vietnamiens, Laotiens et Cam¬bodgiens s'y sont, eux, installés par à-coups. Leralentissement de la grande navigation et ladiminution évidente du trafic voyageur depuis
24 rLE (^OURRIER DE L UNESCO MARS 1997
I960 ne semblent pas, dans l'immédiat, avoirmodifié la vocation pluraliste de Marseille.
Il ne faut pas pour autant se faire un tableauidyllique de Marseille. Diversité, tolérance,acceptation de l'autre sont autant de termes àmanier avec précaution. Les méfiances à l'égarddes nouveaux venus sont anciennes et les cli¬
vages ont toujours existé, pouvant aller jusqu'àl'exclusion des groupes minoritaires.
Passer, demeurer, cohabiter
Les pêcheurs catalans y ont fait, il y a deuxsiècles, l'objet d'une condamnation qui apoussé nombre d'entre eux au départ. Lesmanifestations anti-italiennes de la fin du 19e
siècle ont débouché, elles aussi, sur un mou¬
vement de fuite passager. Plus récemment, lesviolences commises en 1973 contre les Algé¬riens ont suscité une crainte réelle et précipitéquelques départs. Il s'agit cependant, dans tousces cas, d'épisodes limités dans le temps, quin'ont pas remis en cause une cohabitationacceptée et durable.
Reste que coexistence ne signifie pas tou¬jours vie en commun. Les routes se croisentparfois sans que les hommes se rencontrentvraiment. La brièveté du séjour y est pourbeaucoup. Marseille est avant tout une ville depassage. Combien d'étrangers à la ville n'ontconnu de celle-ci que les hôtels meublés ou lescamps d'hébergement, sans que la populationperçoive réellement leur présence? On penseaux travailleurs coloniaux regroupés durantdes années aux camps Lyautey ou Vietnam,dans les quartiers sud, aux Juifs venusd'Afrique du Nord ou rescapés des camps etdes ghettos d'Europe centrale après la Seconde
Etalages sur leVieux-Port, aujourd'hui
port de plaisance.
¿V , t --'Sr
*
Guerre mondiale, accueillis notamment au«Grand Arenas».
Mais l'installation durable des uns et des
autres dans la ville ne se traduit pas toujours parune communauté d'existence. Les barrières sub¬
sistent; le maintien des groupes ethniques nes'explique pas seulement par des rejets, maisaussi par les solidarités d'origine, de langue,par un besoin élémentaire de sécurité et de com¬munication. Longtemps on a parlé à Marseillede «quartiers italiens» pour qualifier la «Belle-de-Mai» ou «Saint-Henri», vers le nord de laville, et «Menpcnti» ou «La Capelette», à l'est.Plus tard, les Arméniens se sont établis en péri¬phérie, à «Beaumont» ou à «Saint-Antoine».Ils ne sont pas les seuls habitants de ces lieuxparticuliers, mais ils y sont assez nombreux, etsurtout assez solidaires, pour être identifiésaux quartiers qu'ils habitent. Il arrive mêmeque cette identification survive à l'évolutionde la réalité démographique.
Les clivages aussi demeurent, parfois même¡ quand les causes premières ont disparu. DurantI Pentre-deux-gucrres, Italiens et Corses habitent1 ensemble le «Panier», dans la vieille ville qui| domine la mer. Ils se comprennent aisément,1 leurs références culturelles sont assez proches,
a plage du Prado.
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LE QOURRIER DE L UNESCO MARS 109725
et ils ont à peu de choses près des conditionsd'existence identiques. Ils vivent souvent dumême métier; la plupart travaillent sur le port.Pourtant, à y regarder de près, il y a eu pendantvingt ans des rues corses et des rues napoli¬taines, des cafés corses et des cafés italiens.
La multiplicité des lieux de culte, à peu dedistance les uns des autres, traduit une tolérancede fait, une reconnaissance mutuelle forte¬
ment encouragée par les autorités. Elle est syno¬nyme de coexistence, pas nécessairement dedialogue. A la diversité ancienne des égliseschrétiennes répond aujourd'hui celle de lieuxde culte juifs ou musulmans très distincts lesuns des autres, tant par le rituel qui s'y pra¬tique que par les fidèles qui s'y retrouvent.
Il n'est donc pas dans la nature de la villed'effacer les particularismes culturels, et le renou¬vellement constant de la population contribuesans doute à maintenir, voire à renforcer des tra¬
ditions qui auraient dû s'effacer avec le temps, enfonction de nouvelles solidarités.
Appartenances multiplesCes solidarités, qui transcendent les frontièresnationales ou religieuses, tiennent d'abord auxdifférentes formes d'activité, à tous les niveauxde la société.
Le commerce, qui fait la richesse de la ville,a poussé très tôt des hommes que tout sépa¬rait (origines, croyances) à unir leurs efforts età travailler ensemble. La bourgeoisie protes¬tante, très minoritaire, a ainsi joué à Marseilleun rôle sans commune mesure avec sa faible
importance numérique. Par ailleurs, desalliances étonnantes se sont nouées, comme
celle que contractent au 19e siècle la familleAltaras, israélites pratiquants, et la familleCaune, catholiques militants, pour fonderensemble une société d'armement.
Les négociants grecs prennent à la mêmeépoque une place remarquable parmi les
w ¡-dessous, un matelot
américain s'est joint à un
carnaval organisé par des
Marseillais d'origine antillaise.
lin bas, immigrés espagnolssur la Canebière,
une des artères les plus
animées de Marseille, partantdu Vieux-Port.
notables marseillais sans éprouver pour cela lebesoin de demander, du moins dans un pre¬mier temps, leur naturalisation. Technicienset ingénieurs d'origine anglaise, allemande ousuisse viennent également offrir leurs talents etcontribuer à la modernisation de la ville.
Plus récemment, on a vu s'édifier, à partir denouveaux réseaux et d'un nouveau commerce,
des fortunes d'un autre style, dues à des ini¬tiatives d'origine maghrébine. Ainsi, le quartiercommerçant du centre (Belsunce) a vu se croi¬ser, se défaire et se reconstruire un tissu com¬
mercial bâti par des Arméniens, des Juifs etdes Musulmans d'Afrique du Nord, où laconcurrence n'exclut pas les solidarités, par-delà les frontières nationales et religieuses,même si elle éveille souvent les méfiances et
suscite parfois des incompréhensions.Les immigrés ont cependant rempli essen;
tiellement, jusqu'à une date assez récente, la
fonction de main-d' peu qualifiée, indis¬pensable au fonctionnement des ports et desusines masse ouvrière mal payée et surex¬ploitée qui mêle sur le lieu de travail des hommeset des femmes venus de toutes les latitudes. Ita¬
liens, d'abord, puis Algériens dominent sur leport, mais ils se mélangent jusque dans lesannées 60 à des Espagnols, des Grecs, des Armé¬niens, bref à tous ceux qui sont contraintsd'accepter une besogne pénible pour survivre. Laconcurrence, ici, a nourri les affrontements,
mais, à la longue, la conscience d'intérêts com¬muns rapproche ces ouvriers et leur fait oublierles anciennes accusations. Les vrais clivages nesont assurément pas nationaux, mais sociaux.
Le repli de la bourgeoisie quelles quesoient sa nature et ses origines sur les quar¬tiers sud ne date pas du 20e siècle. L'oppositionnord-sud s'accentue encore dans les années
> le GOURRIER DEL UNESCO! MARS 19<>7
1960-70 avec l'édification de cités ouvrières,
construites surtout dans les quartiers du nord,pour une population qui s'accroît alors dansun contexte de plein emploi ce qui a évi¬demment bien changé depuis.
Lieux intégrateursCette séparation se retrouve naturellementdans la vie quotidienne, à commencer parl'école. Celle-ci n'a pas perdu son caractère«intégrateur» celui qu'évoquent inévita¬blement les anciens des quartiers populaires:des classes où se côtoient des enfants de toutes
origines, qui parlent un langage commun, par¬fois réinventé, un français qu'ils patoisent
IVI anifestation anti-raciste
dans une rue de la ville.
travailleurs marseillais.
nécessairement de vocables étrangers etd'expressions locales. Mais il est vrai que lesdiscriminations sociales s'accentuant, il peutarriver que l'on ferme une école parce qu'ellen'est plus assez fréquentée comme on décided'abattre une cité abandonnée par ceux de seshabitants qui étaient les moins déshérités.
Mais il est d'autres lieux intégrateurs où seretrouvent les différentes composantes de lapopulation phocéenne. Ce sont d'abord leslieux festifs, et au premier rang le stade defootball. C'est là sans doute que beaucoup sesentent ou se retrouvent «marseillais». Mais il
en est de moins connus à l'extérieur: les
«plages» récemment aménagées qui bordentles quartiers sud, les lieux culturels (comme laMaison de l'Etranger), où les diverses culturespeuvent s'exprimer. La réussite toute fraîche dela «fiesta des docks», organisée dans les hangarsabandonnés du port, est un autre exempleconvaincant de ce genre d'entreprise. Des mil¬liers de personnes, surtout des jeunes, venuesde tous les quartiers de la ville, de tous leslieux qui constituent désormais le nouvelespace marseillais, s'y sont retrouvées.
Un nouvel espace, qui s'étend à l'ouestjusqu'à l'étang de Bcrrc et au nord jusqu'à larégion d'Aix-en-Provence, est en effet entrain de naître; mais il y a fort à parier que laville ne résoudra véritablement ses problèmesd'emploi, d'efficacité économique et decoexistence harmonieuse des communautés
qu'en réhabilitant sa voie traditionnelle entreEurope et Méditerranée. Le grand dangerserait un repli sur la région (même prise ausens large) et une rupture entre les deux rivesde la Méditerranée.
LE Çp" RRILR DEL UNESCO« MARS 1997
PAR LUZ PACHECO
Nuestra Señora de La Paz (Notre-
Dame de La Paz) a été fondee parles Espagnols le 20 octobre 1548dans la vallée du torrent Chu¬
queyapu. Située à la charnière des hauts-pla¬teaux andins (l'Altiplano) et des vallées menantau versant amazonien de la cordillère, elle était
un point de passage obligé sur le chemin reliantles mines d'argent de Potosí à Cuzco et à lacôte Pacifique.
La ville consistait à l'origine en deux bour¬gades, l'une pour les «Indiens», sur la rivedroite du Chuqueyapu, à proximité del'actuelle Plaza Alonzo de Mendoza, l'autre
pour les Espagnols et leurs descendants, sur larive gauche, autour de la Plaza Murillo. Bienque proches dans l'espace, les populations indi¬gènes-métisses et espagnoles-créoles étaientdans le quotidien séparées par des frontières detoutes sortes, matérielles et symboliques. Lestorrents et ravines qui creusent les versantsentourant la ville historique séparaient alors ¿les différents quartiers, et, lors du soulève- sment aymara de 1780, une muraille fut même férigée pour protéger la population blanche. |
es
M Une Babel sociale
La Paz est la seule ville d'Amérique hispaniqueà porter aujourd'hui encore deux noms: l'offi¬ciel et celui de Chuquigo, ou ChukiwayuMarka, employé par les Aymarás, Indiens del'Altiplano. Ainsi, malgré les transformationssubies au cours des siècles, le déplacement desquartiers occupés par les différentes popula¬tions et le métissage de celles-ci, La Paz aconservé sa dualité de ville indienne et blanche.
Cette polarité est inscrite dans son sitemajestueux, dominé par le mont Illimani, quiculmine à plus de 6 400 mètres. En effet, lacapitale la plus haute du monde s'étage, avec ses
' ue aérienne de La Paz
diverses couches sociales, entre 4 200 et 3 200
mètres d'altitude. Sur les hauteurs, versants et
bords de l'Altiplano, habitent les immigrants -aymarás, venus des campagnes. Au milieu del'agglomération, vers 3 600 mètres, près ducentre administratif et commercial (La Paz estdevenue le siège du gouvernement à partir de1900), vivent les strates intermédiaires. En-
dessous de 3 500 mètres, on trouve les quar¬tiers résidentiels, où une population aisée,essentiellement blanche, habite de coûteuses
maisons entourées de jardins entretenus à lafaveur d'un climat plus clément.
28 LE ÇpiURRILR DE L UNESCO! MARS 1997
Entre le «haut» et le «bas», sur les 1 000
mètres de dénivelé qui séparent les faubourgsindiens d'El Alto des élégants quartiers deCalacoto, la Florida ou Achumani, s'échelon¬
nent les contrastes climatiques, ethniques, éco¬nomiques et sociaux.
{InterdépendanceLa peur d'un encerclement de la ville par lesindigènes, tel celui organisé par Tupaq Katarien 1781, est longtemps restée ancrée dans l'ima¬ginaire des Blancs. Mais la conquête oureconquête de la ville par les indigènes a prisd'autres formes, plus pacifiques en mêmetemps qu'irréversibles. Du 16e au début du20e siècle, le territoire de la population autoch¬tone, accaparé par les propriétaires blancs etmétisses, n'a cessé de se réduire. Privée de ses
terres, ne pouvant plus pratiquer l'agricultureni l'élevage, elle dut se spécialiser dans l'artisa¬nat et le commerce, constituant par là une caté¬gorie intermédiaire, partiellement urbanisée:les cholos, «Indiens des villes» ou métis (voirl'encadré ci-après).
Après la révolution de 1 952, les mesures detransformation du pays (réforme agraire, droitde vote universel, éducation pour tous . . .) attei¬gnent profondément ses structures écono¬miques et sociales, et favorisent un vaste pro¬cessus d'intégration nationale. Un marchéintérieur se développe, le monde rural se tournevers les villes (comme La Paz, Cochabamba etSanta Cruz) et vers les nouveaux pôles de déve¬loppement éclos dans les basses terres de l'Estbolivien.
Venus de communautés où les terres sont
pauvres et morcelées, attirés par des emploismieux rémunérés et plus prestigieux, les immi¬grants indiens et les paysans aymarás se sont
implantés dans des faubourgs situés sur les col¬lines qui entourent la ville et sur le plateau. Làs'est formée une gigantesque agglomération: ElAlto. En 1950, La Paz comptait 321 000 habi¬tants. Cette population avait presque quadru¬plé en 1992; et un tiers occupait El Alto, où lesinfrastructures, équipements et services fontencore souvent cruellement défaut.
Aujourd'hui, les deux villes sont étroite¬ment dépendantes: la ville «blanche» et métissene peut pas vivre sans la main-d' four¬nie par les immigrants, employés dans les sec¬teurs inférieurs de l'économie urbaine (confec¬
tion, transport, construction, petit commerce,travaux domestiques), mais qui ont rarementrompu les liens avec leur village d'origine.
I Naissance de l '«Indien»
Quand vinrent les Espagnols, cette région desAndes était habitée par diverses chefferics ayma¬rás (Pacajes, Lupacas, Collas...). Ces anciennesunités ethniques et territoriales furent déman¬telées par les colonisateurs et l'on employa leterme générique d'«Indicn» pour désignerl'ensemble des populations autochtones. Cetteperception des Indiens en tant que masse uni¬forme prévaut encore de nos jours, bien quechaque région et communauté rurale ait main¬tenu une identité particulière reconnaissable parles vêtements portés, les styles de musique, lesdialectes, etc. Refusé par la plupart des indi¬gènes, qui le perçoivent comme une insulte etl'associent à une situation marquée par l'exploi¬tation et la discrimination, ce terme est, parcontre, revendiqué par les mouvements india¬nistes qui, depuis une vingtaine d'années, cher¬chent à mettre fin au statut discriminatoire des
Indiens dans leur ensemble.
Quoi qu'il en soit, les immigrants ont
'ans le quartier indiend'El Alto.
\±Çç.OURRIER DE L UNESCO« MARS 199729
introduit dans la ville des modèles culturels
qui ont donné à La Paz sa physionomie parti¬culière. A la différence d'autres capitales d'Amé¬rique latine, entourées de ceintures de misère, lesquartiers pauvres de La Paz exhibent de nom¬breuses caractéristiques des communautésrurales d'origine de leurs habitants. Ainsi, pourdes raisons à la fois économiques et culturelles,les nouveaux arrivants construisent d'abord
une maison en adobe (briques de terre mouléeet séchée) couverte d'un toit de tôle, semblable
à celle du village qu'ils ont quitté consti¬tuée d'une vaste pièce commune et d'une cui¬sine où loge toute la famille. Ils agrandis¬sent ensuite la maison en ajoutant de nouvellespièces construites en briques industrielles.Celles-ci sont souvent laissées apparentes parcequ'il est trop coûteux de les recouvrir de plâtreet de chaux, mais aussi parce que, dans les pre¬miers temps de la migration, ce matériau estperçu comme une marque de prestige.
Signes et codes extérieurs corporels, ves¬timentaires, culinaires, linguistiques impo-
V/es danseurs indiens
costumés et tenant une
crécelle célèbrent la fête
chrétienne de l'Assomption.
ses, maintenus, voire revendiqués témoignentde l'extrême diversité ethnique des groupes enprésence, en même temps qu'ils accentuent lecontraste entre les élites économiques et poli¬tiques associées à un mode de vie «occiden¬tal» et les groupes originaires des commu¬nautés rurales, paysannes et indigènes.
Depuis sa fondation, La Paz est façonnée encontinu par un double processus d'intégra¬tion et de discrimination. Bien que nié, leracisme transparaît dans les relations interper¬sonnelles qui, dans la vie quotidienne, met¬tent en présence des individus appartenant à desstrates différentes de la société. Les emploisles plus pénibles et les salaires les plus basreviennent aux immigrants d'origine paysanne,qui sont aussi exclus du système de sécuritésociale et ne bénéficient que d'un accès limitéaux services scolaires et sanitaires.
M L'union festiveL'imbrication des différents secteurs de la société
est perceptible au moment des fêtes qui jalon¬nent le calendrier. Dans les quartiers à domi¬nante indigène, les saints patrons sont, commedans les communautés rurales, l'objet de fêtescolorées, organisées et financées par des volon¬taires qui veulent témoigner de leur dévotion enmême temps qu'acquérir, dans la société urbaine,un prestige à la mesure des dépenses engagées(boissons et nourritures offertes aux assistants,costumes des danseurs, fanfares).
Plusieurs manifestations d'origine andineet rurale se sont, depuis quelques décennies,étendues à d'autres secteurs de la population.La fête des alasitas, dédiée à Ekeko, ancienne
9cène de rue dans le centre.
30 LE Qu RRIER DE L UNESCO« MARS 1997
divinité de l'abondance, est désormais célébrée
dans toute la ville chaque 24 janvier. Ce jour-là,à midi, toute la population se rue pour ache¬ter des miniatures d'objets et de biens divers(maisons, voitures, billets de banque...) dontla possession portera chance.
La fête du Señor del Gran Poder, qui a lieuau mois de juin, était autrefois célébrée par lesseuls habitants de la paroisse du même nom.Depuis une vingtaine d'années, elle est pré¬texte à un défilé qui conduit le long des avenuesprincipales de la ville des dizaines de groupescostumés qui dansent sur des rythmesempruntés aux cultures métisse, indigène etchola. Y participent même depuis peu desgroupes de personnes issues de classes quiauraient naguère rejeté de telles manifestations,jugées par trop populaires et «indiennes».
Il est aussi courant, désormais, de réaliser
une ch'alla pour l'inauguration d'une maisondans un quartier résidentiel, lors d'un rassem¬blement politique, ou en toute autre occasionpour attirer la chance et la fortune. Lors de cettecérémonie, on invoque les divinités andines (laPacha Marna ou les achachilas, les montagnessacrées) et on leur apporte des offrandes achetéesdans la «rue des Sorcières». On a même occa¬
sionnellement recours à des chamanes, des «sor¬
ciers» indigènes, plus efficaces dans les négocia¬tions avec les divinités aymarás.
ente de fruits
sur un marché indien.
LES GENS DU MILIEULe terme cho/odéslgne des individus qui appartiennent à un
monde socialement et ethniquement intermédiaire. Pour
ceux qui se perçoivent comme «Blancs», le cholo est le fils
d'un Indien qui a abandonné le vêtement traditionnel de son
père et reçu une éducation jugée plus valorisante. Pour
d'autres, il est le fils métis d'un mariage mixte blanc-indien,
ou bien le fils d'un cholo. Pour être considéré comme tel, il
faut remplir deux conditions: avoir émigré en ville et occu¬
per un emploi assez prestigieux pour ne plus être défini
comme «Indien». Ainsi, un paysan émigré, maçon ou plom¬
bier, sera traité d'Indien, tandis que s'il a un travail plus pres¬
tigieux (chauffeur, boucher, par exemple) il sera considéré
comme un cholo.
Dans l'imaginaire blanc, la situation intermédiaire
qu'occupent les cholos dans la société pacénienne serait
liée à un ensemble de qualités et de défauts (rebelles, sou¬
mis, complexés...). Passer de la catégorie de cholo à celle
de «monsieur» implique que l'on dispose d'une certaine
richesse et que l'on a reçu une certaine éducation de
préférence à l'étranger. Néanmoins, pour beaucoup de
«Blancs», ceux qui sont «arrivés» c'est-à-dire devenus
des «messieurs» restent des demi-c/io/os. «Il fait le cholo-
est une façon insultante de dire qu'une personne n'a pas de
bonnes manières et conserve des coutumes reprehensibles.
S'il n'existe pas de différences très marquées dans
l'habillement des hommes en ville, qui reste déterminé par
des facteurs essentiellement économiques, il en va autre¬
ment pour celui des femmes. Dans le langage courant, on
fait le départ entre la «femme en robe», habillée à l'occi¬
dentale, et la chola, qui porte la pollera( large robe avec un
pli au milieu).
Les cholas, qui contrôlent notamment la vente des pro¬
duits alimentaires sur les marchés, constituent un groupe
craint et respecté. Elles savent réagir avec fierté et fermeté
quand le terme de chola leur est appliqué dans un sens
péjoratif par ceux qui n'appartiennent pas à leur univers
socio-culturel. L. P.
Toutes ces manifestations montrent, à tra¬
vers la généralisation de pratiques et de croyancesil y a peu inaccessibles ou méprisées, l'interpé¬nétration des différentes classes et cultures de la
société pacénienne. Reste qu'il est encore troptôt pour dire si ces emprunts ne sont qu'unefolklorisation par les secteurs dominants desproductions culturelles d'un «autre» récupéré etneutralisé, ou bien l'amorce d'un processus quiconduira à terme à une reconnaissance véritable
de ces cultures.
r
: ~?ftMAi*-.- ^
*1<J7^».- i
V/ i-contre, maison dans le
quartier résidentiel de
Calacoto.
M gauche, un bidonville duhaut de la ville.
LE Í^ÍU RRIER DE L UNESCO« MARS 199731
VANCOUVERou le génie du lieu
PAR HADANI DITMARS
M.I asque d'inspiration
amérindienne, représentantun être humain avec un
corbeau et une grenouille, dû à
l'artiste Bob Dempsey.
Vancouver, jolie petite ville au borddu Pacifique, où j'ai grandi, entre lescèdres et les flots bleus, sur fond de
montagnes neigeuses et de légendesindiennes... Quand je t'ai retrouvée, bien desannées plus tard, je ne t'ai pas reconnue.
Dans certains quartiers, la langue mêmeavait changé, et l'anglais avait cédé le pas au chi¬nois, au panjabi ou à l'espagnol. Il y avait desenseignes chinoises un peu partout, et tousles chauffeurs de taxi étaient des réfugiés. Van¬couver était passée du statut de ville provincialeà celui de métropole, pour entrer dans l'ère dutélescopage des cultures. La ville de mon enfanceétait désormais peuplée de gens en majoritévenus d'ailleurs.
Il faut dire que même au Canada, pays plu-riculturel par excellence, Vancouver constitueun cas à part. Peut-être parce qu'elle est coupéedu reste du pays par les montagnes Rocheuseset qu'elle est tournée spirituellement vers l'Asieet le Pacifique.
Cette ville à peine centenaire a été bâtie sur lesvestiges des anciennes cultures indigènes par des
colons majoritairement britanniques et unemain-d'suvre recrutée en Chine et au Japon.
Pendant ce temps, les petits Indiens de larégion étaient systématiquement enlevés à leursparents pour être enfermés dans des «pension¬nats» où on leur inculquait les valeurs chré¬tiennes et la langue des Blancs à la place de leurculture, de leur langue et de leurs traditions.
Depuis que le premier ministre PierreElliott Trudeau a fait adopter sa politiquerésolument pluriculturclle, les Canadiens sontinvités à oublier ce passé parfois douloureux et
D oîte en bois avec un
masque à l'intérieur, création
de Ken Mowatt.
LE QîU RRIER DE L UNESCO MARS 1997
à accepter leurs différences. Mais cette recherched'un rapprochement à travers les dissonancesculturelles ne s'est pas faite sans mal. Ainsi, lesassociations de Canadiens d'origine japonaiseont parfois obtenu des excuses pour le traite¬ment qui leur a été infligé durant la SecondeGuerre mondiale (où ils avaient été traités enressortissants d'un pays ennemi), mais ilsattendent toujours des compensations pour lepréjudice moral et financier qu'ils ont subi.
De leur côté, les représentants des nationsindiennes sont toujours engagés dans d'inter¬minables procès pour faire valoir leurs droitssur leurs terres ancestrales. Quant aux descen¬dants des colons britanniques, il leur a bienfallu s'adapter à la véritable révolution cultu¬relle due à l'arrivée massive d'immigrants deHongkong.
Fort heureusement, l'isolement géogra¬phique et, dans une certaine mesure, culturel deVancouver vis-à-vis du reste du Canada donne
à cette ville sans passé quelque chose de parti¬culier qui fait que le métissage culturel y estnon seulement possible mais inévitable. A Van¬couver, la tradition n'est pas une question demémoire. Elle reste à inventer.
La beauté du vide
Quand j'étais étudiante, je souffrais du pro¬vincialisme de Vancouver et je rêvais de villes aupassé prestigieux comme Paris ou Rome. Maisaujourd'hui, après des années passées dans ceslieux chargés d'histoire, je m'aperçois que c'estsa nouveauté qui est le principal atout de Van¬couver. Cette ville a la beauté du vide. Délestée
e port intérieur de
Vancouver, troisième ville
du Canada.
du poids culturel qui peut être un avantagemais aussi un handicap de tant d'autresvilles, Vancouver est un lieu où tout peut arri¬ver, et où les nouveaux venus parviennent faci¬lement à prendre racine.
Il ne faut pas chercher là un «creuset» sur lemodèle de la société américaine, où intégrationfut longtemps synonyme d'assimilation. Van¬couver est une ville où les cultures transplantéesdans un sol neuf peuvent continuer à s'épanouiret prospérer, souvent en conservant leur langueet leurs traditions. D'où un phénomène de pol¬linisation croisée qui donne lieu à des confron¬tations étonnantes et souvent fécondes.
Il suffit pour s'en convaincre de se prome¬ner dans les différents quartiers ethniques dela ville, qui tous ont leur personnalité et leuratmosphère spécifiques, sans qu'on puisse pour
| autant parler de ghettos, car il n'existe pas vrai-| ment de barrières entre les communautés.
| Le quartier chinois, par exemple, avec ses| plaques de rue bilingues (chinois-anglais), estg l'un des plus peuplés d'Amérique du Nord.1 Mais même si la plupart des résidents sont asia-| tiques, il abrite aussi une colonie non négligeable
I otem indien dans le parcStanley.
LE ÇiURRIER DE L UNESCO MARS I
d'artistes canadiens-anglais attirés par l'anima¬tion, les sons et les couleurs de cet endroit pit¬toresque. (De leur côté, les Chinois sont de plusen plus nombreux à s'installer dans les enclavestraditionnellement britanniques, à commencerpar le quartier des affaires.) Et dans cette villeoù la cuisine asiatique est très prisée (le manie¬ment des baguettes n'a pas de secret pour leshabitants de Vancouver, friands de dim sum et
de susbi) beaucoup de gens de toutes originesviennent faire leur marché à «Chinatown».
C'est aussi le cas des adeptes des médecinesparallèles, qui vont y consulter des herboristesou se faire soigner par un acupuncteur. Onconstate même un engouement pour l'art de lagéomancie chinoise lefeng shui d'inspira¬tion taoïste dont on vient consulter les
maîtres lorsqu'on veut construire sa maison ou* aménager son intérieur en canalisant les cou¬
rants maléfiques pour bien capter l'énergie etl'harmonie du lieu.
D'autres enfin viennent tout simplementgoûter la paix du parc Sun Yat-sen, jardin dansle style Ming où des hérons bleus se perchent prèsdes bambous qui entourent les bassins où évo- Le groupe «Asza», basé à
Vancouver, est composé de
musiciens d'origines diverses.
luent des poissons exotiques. (La même impres¬sion de sérénité se dégage du jardin japonais deNitobe. A des milliers de kilomètres de Kyoto,il préserve fidèlement l'esprit du shintoïsme dansle décor forestier de la côte Ouest, qui n'est passans rappeler certains paysages japonais.)
I Les portes de l'AsieAvec un habitant sur quatre qui parle chinois,Vancouver mérite de plus en plus son surnomde porte de l'Asie. Mais la réalité culturelle dela ville est beaucoup plus complexe.
A l'est, le quartier de Commercial Drive,qui fut pendant longtemps un fief italien, estdevenu une sorte de boulevard multiculturel
fréquenté par les adeptes de l'univers des cafés.Italiens bien sûr, mais aussi artistes et bohèmes
canadiens-anglais, nouveaux immigrants por¬tugais ou sud-américains, tous se retrouventassis à l'une des innombrables terrasses pourdéguster un caffe latte. Commercial Drive estaussi le lieu de rendez-vous d'une foule de per¬sonnes de nationalités diverses, mais toutes
d'origine méditerranéenne, qui vont dans lescabarets se griser de musique flamenco ou defado portugais, passion que partagent de nom¬breux Américains B.C.B.G. de la côte Est quise sentent l'âme gitane.
Autre lieu de dépaysement garanti, le quar¬tier indien, à l'intersection de Main Street et de
la49c rue: on dirait qu'une part du vieux Delhia été transplantée d'un coup de baguettemagique au Canada. Je me souviens d'y avoir faitmon marché un jour où le blizzard soufflait etoù les trottoirs étaient recouverts d'une couche
de neige de soixante centimètres. Au plus fort duféroce hiver canadien, les marchands de saris etde soieries, les vendeurs de confiseries, sucre¬ries et autres douceurs travaillaient comme si
de rien n'était. Simplement, les femmes en habitschatoyants étaient chaussées d'après-skis et lesjeunes en turban qui se pressaient chez le mar¬chand de disques pour se procurer les dernierstubes de bhangra (musique pop indienne)étaient tous à la dernière mode, vêtus de blou¬
sons de cuir et pourvus de téléphones portables.Quelques rues plus loin, la symphonie de cou¬leurs et de parfums s'estompa peu à peu avec lebruit de la musique et, me retournant, je vis«Chinatown» scintiller comme un joyau dansla grisaille urbaine.
Le long de West Broadway, un nouveauvoyage attend le visiteur qui découvre le quartiergrec: tavernes, restaurants et cafés typiques ysont rassemblés dans un périmètre fermé parcinq rues. Les caves du Greek Club, une taverneà la mode, sont particulièrement prisées des noc¬tambules amateurs de bouzouki, d'ouzo
authentique et de chansons d'amour déchirantesbramées par une fille aux yeux de rêve. On sortde là à l'aube, en songeant à Athènes avec nos¬talgie, les yeux embués par la fatigue et la fuméedes cigarettes douces, pour se trouver confronté
34 LE GOURRIER DEL UNESCO! MARS 1997
lors des violents bombardements sur le sud du
Liban, des associations humanitaires juives etarabes ont uni leurs efforts pour collecter desfonds en vue de venir en aide aux réfugiés.
Du point de vue spirituel également, Van¬couver est une mosaïque d'expériences les plusdiverses. En quel autre endroit du monde trou¬verait-on des chrétiens convertis au chama-
nisme, des juifs devenus derviches tourneursou des luthériens Scandinaves transformés en
bouddhistes tibétains?
Je pense à un maître soufi iranien, quienseigne chaque semaine dans son appartementde l'est de la ville les arcanes de la poésie per¬sane, commentant les textes de Saadi, Hafiz et
Roumi à des étudiants de confession juive,musulmane ou chrétienne, sans oublier les Asia¬
tiques, les Canadiens-anglais et même des Amé¬rindiens. Cette assistance disparate se reconnaît
n haut, restaurant italien
dans Water Street.
w i-dessus de gauche à droite,
étalages de maraîchers dans
le quartier asiatique; une rue
proche de l'océan; dans le
centrede la ville.
à des réalités qui vous rappellent aussitôt qu'onest bien en Amérique du Nord: les néons d'unMcDonald ou le supermarché du coin.
Malgré un passé qui n'a pas toujours étéidyllique, les différentes cultures cohabitent icidans une paix et une harmonie relatives. L'unedes raisons pour lesquelles les immigrants sontattirés par Vancouver, c'est que cette ville leurapparaît, dans une certaine mesure, comme unhavre, ou un sanctuaire.
Récemment, Vancouver a ainsi accueilli un
groupe de réfugiés tsiganes originaires d'Europecentrale, qui fuyait l'agressivité croissante desgroupuscules skinheads et néonazis. La com¬munauté tsigane locale, aidée de sympathisants,s'est immédiatement mobilisée pour leur pro¬curer un logement et des vêtements chauds. Plu¬sieurs d'entre eux ont tout de suite été engagéscomme musiciens dans un café où un groupecomposite (un guitariste indien, un danseurgitan venu d'Angleterre et un chanteur fran¬çais d'origine basque) anime tous les soirs unspectacle de flamenco. Pour ces nouveaux arri¬vants, Vancouver est un paradis où ils peuventenvisager de vivre normalement, sans avoir tropà souffrir du racisme.
Autre geste de solidarité spontanée qu'onimaginerait difficilement dans un autre contextegéographique et culturel: au printemps 1996,
dans l'enseignement du soufisme qui nousapprend que nous sommes tous des esprits exi¬lés dans le monde de la matière et que l'unitéréside dans le dépassement des contraires.
Je connais aussi un guérisseur Cree quiorganise des séances hebdomadaires de purifi¬cation où l'on chante des mélopées indiennes,assis en cercle, au rythme des tambours, et enfaisant circuler une plume d'aigle. La premièrefois que j'ai assisté à cette cérémonie, l'assistanceétait vraiment cosmopolite. Je côtoyais entreautres une secrétaire polonaise, un professeurafricain, un naturaliste suisse et un peintrefrançais. Selon le chamane, nous étions tous
unis par le fait d'avoir partagé l'expérience del'esprit du lieu.
Oui, ce qui me relie aux autres, comme àmes ancêtres venus du Liban, du Danemark,
de France, d'Angleterre et d'Irlande, c'est bience sentiment d'appartenance commune,l'empreinte en nous de ce que D. H. Lawrenceappelle le «génie du lieu».
Les sombres forêts, les eaux profondes etles nobles montagnes de Vancouver sont notrepatrimoine commun. Personne, disent lesIndiens d'Amérique, ne «possède» la terre carelle «appartient» à tous. A condition que cha¬cun, en retour, lui appartienne un peu.
LE GOURRIER DE L UNESCO« MARS 1997
DE LA PLURALITE AU METISSAGE
Les villes-carrefours se sont consti¬
tuées au fil du temps, au gré de mou¬vements de populations, de migra¬tions volontaires ou forcées, qui ont
vu se rencontrer, se croiser, puis cohabiter lescultures et les ethnies les plus diverses. Agrégatsd'éléments disparates, ces villes, situées au cpurde régions économiquement stratégiques, senourrissent des apports multiples de ceuxqu'elles ont accueillis. Leur organisation socialesuit une dynamique créatrice qui fait de cha¬cune d'elles la source de sa propre pluralitéconstamment renouvelée.
Mais gérer, avec plus ou moins de succès, lesdifficultés inhérentes à ces sociétés plurielles
avec leur multitude d'ethnies, de langues, dereligions , impose de savoir faire face àl'adversité, à l'exclusion, au cloisonnement et
au rejet de l'autre, qui en découlent. Théâtre descontrastes les plus saisissants, les villes-carre¬four peuvent être celui des conflits les plusexacerbés.
Plus ou moins nombreuses ou influentes,
ce sont les minorités religieuses, nationalesou ethniques qui donnent toutes sesnuances au caractère pluriel des villes-carre¬fours. L'organisation de l'espace urbain estsouvent un reflet de la place qu'elles y occupent:ainsi, les ghettos (quartiers où sont reléguéesles populations minoritaires) sont générale-
PAR ANISSA
BARRAK
En haut,
la Neuvième Avenue en fête,
à Manhattan (New York).
Des échoppes vendent des
spécialités culinaires de
diverses communautés.
ment le signe d'une discrimination, d'une dif¬férenciation juridique, voire d'une marginali¬sation sociale ou économique. Une répartitionplus uniforme de l'ensemble de ces populationsest souvent la marque d'un régime plus tolérantet plus égalitaire.
Les villes qui ont pu se développer et s'épa¬nouir dans la diversité de leurs composantesculturelles et humaines y sont parvenues grâceà la protection des minorités par le pouvoircentral. Celui-ci est le garant d'une cohabitationpacifique, même si cette cohabitation n'est pastoujours synonyme de traitement juste et éga¬litaire, encore moins de bonne entente entre les
communautés. Les nuances restent multiples:ici, métissage épanoui car assumé; là, sépara¬tion communautaire à l'ombre de lois plus oumoins égalitaires; ailleurs, fidélité à des tradi¬tions spécifiques unies sous le couvert d'uneappartenance nationale réalisée.
Certains voient dans le métissage un appau¬vrissement des cultures sous l'effet d'une
fusion qui uniformise et nivelle; d'autres yvoient au contraire un enrichissement mutuel,
fruit des apports multiples des uns aux autres.Mais ce dilemme révèle le paradoxe qui est auc de toute ville-carrefour: le métissage,
prôné comme l'aboutissement idéal des citésplurielles, ne porte-t-il pas en lui-même lamort de cette pluralité?
LE GOURRIER DE L UNESCO MARS 1997
DOSSIER
UNE URBANISATIONGALOPANTE
La population de la planète ne cesse de s'urba¬
niser. En 1950, 30% seulement de l'humanité
vivaient dans les villes, petites ou grandes,
contre 45% en 1995. En l'an 2000, on prévoit
qu'une personne sur deux vivra dans une zone
urbaine. Cette augmentation, pour sa plus
grande part, concernera les centres urbains
de petite et moyenne importance. Les méga¬
lopoles qui comptent plus de 10 millions d'habi¬
tants ne représentent actuellement que 4% de
la population mondiale.
Source: Nations Unies, 1996
L'UNESCO
ET LES VILLES
«Les villes: gestion des transformations
sociales et de l'environnement» est un projet de
recherche-action lancé par I'Unesco, qui s'éche¬
lonne sur six années (1996-2001). Les quatre
premières années, des activités-pilotes sont
conçues et mises en euvre. Les deux dernières
seront employées à faire une évaluation com¬
parative de ces expériences, puis à élaborer
des propositions en vue d'améliorer les poli¬
tiques de la ville, en particulier l'aide aux com¬
munautés locales.
Ce projet, qui s'articule avec deux pro¬
grammes de I'Unesco, MOST (Gestion des
transformations sociales) et MAB (l'Homme
et la Biosphère), sera réalisé en partenariat
avec les autorités locales, les organisations
non gouvernementales et le tissu associatif.
La coopération avec des organisations Inter¬
nationales et des communautés scientifiques
est activement recherchée.
MOST
ET LA VIABILITE
SOCIALE
DES VILLES
Pour bien gérer une ville, il faut adopter des
politiques ayant pour objectif la «viabilité
sociale». Tel est le fil conducteur d'un des pro¬
jets du Programme MOST: «Vers des villes
socialement viables: édification d'une base de
connaissances pour la gestion urbaine.»
Par une recherche orientée vers la formu¬
lation de politiques, le Programme MOST vise
à créer un cadre favorable à la participation
de groupes culturels et sociaux divers, tout en
encourageant l'intégration sociale et en amé¬
liorant les conditions de vie de toutes les
couches de la population.
Les projets de recherche internationale
couvrent un vaste domaine, notamment les
problèmes socio-économiques liés aux méga¬
lopoles, les relations sociales entre femmes
et hommes, l'industrialisation et la décentra¬
lisation dans les villes moyennes en Inde.
Unesco, secrétariat MOST
1, rue Miollis, 75732 Paris CEDEX 15 France
Téléphone: +33 1 45 68 37 99
Télécopie: +33 1 45 68 57 24
Internet: www.unesco.org/most
Pour le thème «Villes comme lieux de
transformations sociales»:
Courrier électronique: [email protected]
METROPOLIS
«Metropolis»: ce projet international veut sus¬
citer une recherche multidiscipllnalre sur les
effets de la migration internationale dans les
centres urbains.
Il vise deux objectifs:
«r fournir aux décideurs institutionnels à tous
les niveaux, ainsi qu'aux responsables de com¬
munautés et aux chefs d'entreprise, des infor¬
mations fiables pour l'élaboration de leurs poli¬
tiques;
dresser un inventaire des «meilleures pra¬
tiques internationales», c'est-à-dire les solu¬
tions les plus efficaces en usage dans les pays
dont les grands centres urbains accueillent un
nombre élevé de personnes nées à l'étranger.
Metropolis rassemble, dans un partena¬
riat souple, gouvernements, instituts de
recherche et organismes internationaux. Il
compte parmi ses membres le Canada, les
Etats-Unis, l'Argentine, la Nouvelle-Zélande,
Israël, l'Italie, le Royaume-Uni, la France, l'Alle¬
magne, les Pays-Bas, la Suède, la Norvège, le
Danemark, la Suisse, l'Autriche, et, outre
I'Unesco, l'Organisation de coopération et de
développement économique (OCDE) et l'Union
européenne.
Le projet comprend une série de grandes
conférences annuelles qui se tiendront dans
les pays partenaires. La première a été orga¬
nisée en 1996 par l'Italie. La conférence de
1997 aura lieu à Copenhague (Danemark) du
25 au 28 septembre.
Pour plus ample information, s'adressera:
Projet Metropolis, Département de la
citoyenneté et de l'immigration du Canada.
Téléphone: 613 957 5970.
Télécopie: 613 957 5968.
TENDANCES DE L'URBANISATION DANS LE MONDE 1970-2025
%
100
Pourcentage de la population résidant dans les zones urbaines Moyenne de la croissance urbaine annuelle
Afrique Asie Europe Amérique Amériquelatine du Nord
Afrique Asie Europe Amérique Amériquelatine du Nord
1970 1995 2025
Source: Division de la population des Nations Unies, 1995
1970-1975 1995-2000 2020-2025
LE QxiRRIER DE L UNESCO MARS I <X>707
La chronique de Federico Mayor
va science et nous (1)
' ym A ,9 > «'aT«T«T«T«T/
1 H -*,*?
Le savant, le politicienet la recherche sdentifique
Les relations entre science et pouvoir ont changé du
tout au tout pendant la Seconde Guerre mondiale,
lorsqu'un scientifique est entré pour la première fois
comme conseiller à la Maison Blanche. Des personnes qui,
jusque-là, n'avaient eu que des activités de chercheur
et d'enseignant, allaient être dorénavant investies d'une
responsabilité entièrement nouvelle.
En même temps que la recherche scientifique et le
pouvoir politique devenaient indispensables l'un à
l'autre, les procédures traditionnelles de prise de déci¬
sion volaient en éclats.
Une dérive dangereuse
L'omniprésence des sciences et des techniques dans notre
vie quotidienne reflète notre foi en l'action scientifique,
mais elle nous fait aussi douter de notre capacité à en
contrôler toutes les applications. De plus en plus, la
science doit répondre aux attentes, parfois contradic¬
toires, de la société, et dialoguer avec différents groupes
sociaux ou d'intérêt: l'industrie, les ministères, les uni¬
versitaires, le contribuable, etc. La frontière entre la
pratique scientifique et la politique en matière de science
en a été considérablement brouillée. Loin d'être seule¬
ment scientifiques, les enjeux sont devenus économiques,
politiques, sociaux et culturels. Les mécanismes actuels
de prise de décision où des spécialistes de chaque
discipline donnent confidentiellement leur avis à des
[OURRIER DEL UNESCO« MARS 1097
décideurs dont les intérêts et les réflexes demeurent
plus politiques que scientifiques tombent chaque jour
un peu plus en désuétude.
Les politiques à suivre en matière de recherche scien¬
tifique sont décidées par un ministère, ou son équivalent.
Mais lié comme il l'est à la politique générale du gou¬
vernement en place, cet organisme ministériel se révèle
souvent incapable de fixer les perspectives à long terme
indispensables dans ce domaine. De plus, les secteurs res¬
ponsables de ses orientations ne communiquent pas tou¬
jours bien entre eux. D'où diverses entraves au déve¬
loppement d'une politique commune et d'une méthode
interdisciplinaire cohérente. A cela s'ajoute une ten¬
dance fâcheuse à sacrifier l'intérêt de la science aux
besoins du moment considérations économiques ou
réalisation immédiate d'ambitions visant au maintien des
pouvoirs en place.
Dérisions et discordances
La présence de différents conseillers scientifiques auprès
du pouvoir pose des problèmes supplémentaires. Et
d'abord ceux de la multiplicité des avis et de leur objec¬
tivité. Il est rare que les scientifiques s'accordent entre
eux une fois sortis du champ clos de la recherche pure.
Comme le fait remarquer Frederick Seitz, ancien président
de l'Académie nationale des sciences des Etats-Unis,
«lorsqu'il s'agit de questions scientifiques et techniques
à forte implication politique, il n'est jamais bien difficile
de trouver des savants aux qualifications profession¬
nelles indéniables pour défendre, parfois avec véhé¬
mence, des points de vue radicalement opposés». Les
décideurs peuvent alors abuser du pouvoir qu'ils détien¬
nent en justifiant certains choix apriori, qu'ils ont fait en
suivant leurs intérêts immédiats ou leurs préjugés, sous
le couvert d'un raisonnement scientifique qui va à l'appui
de leurs propres conclusions.
Ces divergences entre scientifiques ne font que reflé¬
ter la complexité des questions posées, qui se situent
souvent à la jonction de plusieurs disciplines et qui exi¬
gent leur décloisonnement. Les scientifiques ne pouvant
apporter séparément tous les éléments de réponse,
l'éventail des avis autorisés doit être élargi afin que
soient consultées toutes les instances concernées.
Changement d'attitude
Il est urgent de renoncer aux vieux réflexes «décision-
nistes» (où le gouvernement s'appuie presque exclusi¬
vement sur la communauté scientifique pour prendre
ses décisions) et de privilégier une approche où les points
de vue de tous les intéressés sont pris en considération
par le pouvoir. De plus, un effort d'amélioration du
niveau de culture scientifique général de la société per¬
mettrait au plus grand nombre de participer plus acti¬
vement aux débats.
Mais cela implique un changement d'attitude impor¬
tant dans la communauté scientifique autant que parmi
la classe politique. Les scientifiques devront se montrer-
plus sensibles aux impacts sociaux et politiques de leurs
avis. Les politiciens, ([liant à eux, devront céder une
partie de leur pouvoir décisionnel aux spécialistes consul¬
tés, tout en acceptant la marge d'erreur inévitablement
liée au conseil donné.
Il faut donc redéfinir le conseil d'expert en renforçant
la part du raisonnement scientifique dans la prise de déci¬
sion, mais sans pour autant idéaliser les effets de cette
rationalité. Il s'agit, par la concentration et la confronta¬
tion des avis donnés, d'aboutir aux choix les mieux adap¬
tés à chaque situation. Outre qu'il doit être aussi com¬
plet que possible, le diagnostic en fonction duquel sera
rédigée l'ordonnance politique doit également être établi
à temps. S'il tarde à l'être, le «patient» risque de mourir
ou de subir des séquelles irréversibles. Ce point de non-
retour, cette irréversibilité est ici le critère essentiel.
11 convient également de reconsidérer les institutions,
de plus en plus lourdes et lentes, avec leurs multiples
centres décisionnels. Ramener celles-ci à une échelle plus
maniable permettrait de mieux déterminer les responsabi¬
lités et de gagner en efficacité. A condition de ne pas tom¬
ber dans l'excès inverse: la planification à outrance. La
créativité scientifique ne saurait être réglementée. L'orien¬
tation à suivre dans certains domaines de la recherche fon¬
damentale doit rester l'affaire des savants concernés.
L'autonomie est la condition de base d'une avancée véri¬
table des savoirs qui est aussi importante pour les sciences
appliquées que pour les sciences fondamentales, tant il
est vrai, comme le disait Bernardo Iloussay, «qu'il n'y a pas
de sciences appliquées sans science à appliquer». M
LE ÇmjRRIERDE L UNESCO« MARS 190/ %
PATRIMOINE nerre
Notre-Dame d' miens
par Cécile Romane
Chef-d'suvre du gothique rayonnant, la
monumentale cathédrale d'Amiens (France) est
célèbre en particulier pour les sculptures en pierre
de ses portails occidentaux. Elle est inscrite sur la
liste du Patrimoine mondial depuis 1981.
Au premier plan,
Salomé tenant la
tête de Jean-Baptiste.
Sculpture anonymedu 16e siècle située à
l'intérieur de la
cathédrale.
| Notre-Dame d'Amiens, la
plus vaste cathédrale deFrance, chef-d'ouvre du gothiquerayonnant, pourrait contenir deuxNotre-Dame de Paris. Pourtant,
nulle impression d'écrasement oude gigantisme ne s'en dégage. Bienau contraire. Harmonie, éléganceet rythme sont les mots qui vien¬nent à l'esprit (levant l'élan despiliers, l'audace des fenêtreshautes, la proportion des ogives.On est frappé par la clarté inté¬rieure et, lorsqu'on lève la tête,charmé par l'éclat, tantôt rose,tantôt vert, qui colore les pans devoûte. Même si d'autres cathé¬
drales françaises suscitent l'admi¬ration générale (Chartres ouReims, par exemple), nombreuxsont ceux qui voient en Notre-Dame d'Amiens la cathédrale
gothique par excellence.
L'ÉLAN BÂTISSEUR
En 1218, la première église
gothique d'Amiens, consacrée en1152, brûle. 11 faut en construire
une autre. Comme la plupart deleurs contemporains, les Amiénoisveulent surpasser ce qui s'est déjàfait. Us en ont les moyens. Grâce àses drapiers, ses fdateurs et sesproducteurs de plantes tinctoriales(jui fournissent le bleu d'Amiens,très demandé, la ville est prospère.
L'afflux de pèlerins a aussi enrichile chapitre. L'évêque Evrard de
KgOURR1ER DE L UNESCO MARS 1907
La Face de saint Jean-Baptiste, relique du
trésor de la cathédrale.
et son fils Renaud, succéderont à
Robert de Liizarches. La réussite
de la cathédrale tient tant aux
plans et aux méthodes du premierqu'aux innovations maîtrisées paí¬ses deux successeurs. Première
cathédrale bâtie sur un plan àéchelle réduite, elle est aussi la
première où le travail des tailleursde pierre est rationalisé. Abritéssous des loges aménagées dans lacarrière, ils taillent durant la mau¬
vaise saison: ces éléments préfa¬briqués sont ensuite stockés pourêtre mis en place aux beaux jours.
D'ordinaire, une église se com¬mence par le cheur, où doit sedérouler le culte. Comme le terrain
destiné à l'accueillir n'est pas libre,on commence ici par la nef, et lesfenêtres hautes sont posées sur un
trif'orium aveugle, comme cela se
fait alors. Mais après la mort de
Robert de Liizarches (vers 1223),
à l'époque où se construisent lech(ur et le chevet, on sait déjàbâtir un triforium ajouré. C'est
Fouilloy confie aussitôt à l'archi¬tecte. Robert de Luzarches le soin
de construire la cathédrale, qui
sera en style ogival (gothique), néau siècle précédent, et alors en
pleine floraison les cathédralesde Chartres, de Bourges et même
de Paris sont déjà sorties de terre.L'élan bâtisseur du Moyen Age
(pie certains alors ne se priventpas de qualifier de morbus mdi-
ficandi (maladie de bâtir)
couvre le pays de monuments dont
il reste encore aujourd'hui la moi¬
tié, soit 1 300 exemples. L'édifi¬
cation d'Amiens (1220-1280)s'inscrit dans ce moment fécond
où l'émulation vers la splendeur et
la nouveauté favorise le progrès
technique.
Au fil du temps, deux autres
architectes, Thomas de Cormont
La façade de lacathédrale Notre-
Dame d'Amiens (13e
siècle). Les deuxtours ne furent
achevées qu'aux 14eet 15« siècles.
L'ensemble de
l'édifice fut restauré
au 19e siècle parViollet-le-Duc.
Détail des stalles
sculptées du ch
(début du 16« siècle).
PATRIMOINE
pourquoi, à Amiens, la lumière sedéverse en abondance au fond et
confère à la cathédrale une grâcesensible au visiteur profane commeau fidèle.
La conception gothique del'architecture donne dès le 12«'
siècle plus d'importance aux videsqu'aux pleins, tend vers le cielavec la beauté comme guide. Cesouci de clarté et d'unité de
l'espace commande certains amé¬nagements qui font, entre autres,l'originalité d'Amiens.
LES ÉCRITURES DE PIERRE
Sur la façade ouest, le vasteporche du Beau Dieu est flanquéde ceux de la Mère Dieu et de
saint Firmin, de moindres dimen¬
sions. La profusion de sculpturesrelatant l'histoire sainte a valu à la
cathédrale le nom de «Bible de
pierre». La hiérarchie qui sous-tend cette (Buvre s'ordonne autour
de 55 statues principales, avec,au centre, les douze apôtresautour du Christ bénissant, tandis
(jue le tympan détaille le Juge¬ment dernier. Le porche de droiteabrite l'histoire de la Merge, celuide gauche, la vie de saint Firmin,venu de Pampelune au 3(; sièclepour évangéliser la ville, etd'autres saints locaux.
Les porches servaient autrefoisd'abri autant que d'entrée; on yrendait même la justice. A hau¬teur d'homme, sous chaque sta¬tue, courent deux lignes dequatre-feuilles, motif gothiquetypiquement français. Aux piedsdes apôtres sont représentés lesvices et les vertus. Ils se Usent ver¬
ticalement courage plus hautque crainte et symétriquement:chaque vertu renvoie à sa symé¬trique de l'autre côté du porche
ainsi l'amour fait face à la chas¬
teté. Le don d'un manteau à un
mendiant nu figure la charité.Cette allégorie rappelle que c'està Amiens que saint Martin parta¬gea son manteau d'un coup d'épéepour en donner la moitié à unpauvre. Le portail saint Finninprésente les travaux de l'année etles signes du zodiaque.
Très haut, au-dessus de la gale¬rie des Rois, que l'on retrouve sur
Un des portails
occidentaux, orné
de sculptures du
13« siècle, avec le
Dieu» et le
Jugement dernier
(détail).
toutes les cathédrales gothiquesde France, resplendit une rose dont
le fin réseau de ¡lierre et de verre
s'étend sur près de treize mètresde diamètre. Ce cercle colossal a
les dimensions d'une piste de
cirque: on pourrait y faire galoperdouze chevaux. Depart et d'autres'élèvent deux tours de hauteur
inégale achevées, ¡»our l'une, à lafin du 14'' siècle, pour l'autre, au1 5<" siècle. Lors de sa construction,la cathédrale d'Amiens était la
plus haute du monde à l'intérieur:
la voûte centrale s'élève à ¡»lus de42 mètres, l'équivalent de quinze
étages.
Mais l'architecture n'est ¡»as son
seul intérêt. Les cent dix stalles de
chêne du ch sculptées avecune virtuosité à couper le souffle,constituent le plus beau chef-d'de bois qu'on puisse voir enFrance. Il est né en quatorze années(1508-1522) des mains de troisartistes locaux. Sur les sellettes,
les accoudoirs, les pendentifs, desmilliers de petits personnages, tousdifférents et vêtus à la mode du
début du 16e siècle, miment des
scènes bibliques ou profanes.Autour du ch et du tran¬
sept, quatre séries de hauts-reliefs de pierre polychrome pré¬sentent plusieurs dizaines depersonnages, aussi vivants que desportraits, qui retracent, en cos¬tume des 15e et 16« siècles, laBible et la vie de saint Firmin.
Le trésor de la cathédrale
conserve, outre une Vierge àl'enfant en bois polychrome du 15esiècle, la châsse d'argent de saintFinnin, une merveille de l'art mosan
du 13e siècle, ainsi que la Face desaint Jean-Baptiste, rapportée deConstantinople en 1206. Cetteimpressionnante relique, protégéepar un gros cristal de roche évidé,est présentée sur un plat d'or aucouvercle émaillé d'un beau visagede saint Jean.
LASER ET POLLUTION
Notre-Dame d'Amiens est perpé¬tuellement en travaux. L'amateur
et critique d'art anglais John Rus-kin écrivait, en 1880, que lesFrançais ne peuvent pas laisserleurs cathédrales tranquilles dixminutes.
Le siècle passé vit une succes¬sion de chantiers, dont le plusgrand fut celui de Viollet-lc-Duc,
Un chef-d'
d'orfèvrerie du
13e siècle, la châsse
de saint Firmin,
premier évêque
d'Amiens, est l'une
des plus belles pièces
du trésor de la
cathédrale.
42 LE ÇjURRIERDE L'UNESCOB MARS 1997
qui dura de 1849 à 1874. Le
chantier actuel s'en approche parl'envergure, mais la comparaisons'arrête là. Aucun architecte
n'irait aujourd'hui créer, comme
il le fit, une galerie en façade, niajouter son propre portraitmême caché derrière un autel.
Les pratiques actuelles respec¬tent tout, jusqu'aux modificationsde Viollet-le-Duc. Les statues des
rois de France qui ornent lafaçade sont souriantes; celles
datant de Viollet-le-Duc ¡dussèches; elles le resteront.
L'UlSESCO a inscrit la cathé¬
drale d'Amiens sur la liste du
patrimoine mondial en 1981 laFrance finançant les travaux de
restauration. L'effort le plus consi¬dérable porte actuellement sur lafaçade ouest, le but étant de lafaire entrer sans échafaudagesdans le troisième millénaire. La
rose, déposée à la fin de l'année1996, sera remise en place au prin¬temps 1997. On nettoie les sculp¬tures au laser (une première enFrance), ce qui a permis de retrou¬ver, sous la saleté, de minuscules
traces des anciennes polychromieset de se faire une idée des cou¬
leurs gaies de la décoration d'ori¬gine: rouge, vert, blanc, or.
Les galeries et les pinaclesretrouvent leur propreté grâce aumicrogommage (calibre de l'abrasif:29 microns!). Pour les protéger dusoufre de l'atmosphère urbaine,polluant moderne qui les noircit,on enduit certaines ¡lierres d'unminéralisant, d'autres d'hydro-fuges. On remplace celles qui sonttrop abîmées en taillant et en sculp¬tant des ¡»ierres neuves, de bonnequalité et de coloris analogues.Rien n'est perdu du merveilleuxsavoir-faire qui a donné les nom¬breux chefs-d'ruvre d'Amiens.
Malheureusement, quels quesoient le talent des restaurateurs et
les efforts financiers engagés, lapollution travaille très vite. Ondéplore que, ces dix dernièresannées, la cathédrale se soit ¡»lus
salie qu'au cours du demi-siècleprécédent. E
La cathédrale a des dimensions £impressionnantes: 133 mètres de í
longueur et 42, 30 mètres de hauteur sous ¡r
les grandes voûtes. Ci-contre, la nef. S
"GOURRIER DE L UNESCO MARS 1907
par France Bequette
Aménagement
hydroélectrique de
Tucurui, sur le
Tocantins, dans
l'Etat de Para
(Brésil).
F «Lorsque le jardin regorge defruits, c'est le moment d'en
mettre en conserve pour l'hiver. De
même, les barrages constituent uneréserve d'eau dont on aura besoin en
saison sèche», explique Jacques
Lecornu, secrétaire général de laCommission internationale des
grands barrages (CIGB).Selon la Charte de la CIGB sur
les barrages et l'environnement,
l'écrêtement des crues qui fontquelque 100 000 victimes chaque
année «a depuis toujours été l'un
des premiers buts recherchés desbarrages». Ils servent également à«maîtriser les sécheresses et facili
tent la régulation des débits naturels
variables en les adaptant à lademande en eau pour l'irrigation,
l'hydroélectricité, l'eau potable etindustrielle et la navigation fluviale.Ils favorisent aussi loisirs, tourisme,
pêche et pisciculture, et peuvent
améliorer parfois les conditions éco¬logiques». A cela, l'ingénieur suisseNicholas Schnitter, auteur d'une His¬
toire des barrages (A History ofDams, 1994), ajoute qu'ils protègent
aussi des dégâts provoqués par laremontée des eaux dans les estuaires.
Cette vision positive est cepen¬
dant de ¡»lus en ¡»lus contestée par
les écologistes et par certains seien-
arrages
tinques qui fournissent, à l'appuide leurs thèses, des arguments depoids. Déjà, lors d'un congrès de laCIGB réuni à Madrid en 1973, la
question avait été formulée en cestermes: «Le vrai ¡»róbleme à résoudreest de savoir si les barrages sontutiles ou nocifs; si, globalement, ilsaméliorent notre environnement et ,le bien-être de l'homme ou s'ils le
dégradent, et de savoir, dans chaquecas, s'il y a lieu de les réaliser, etselon quelles caractéristiques.»
D'hier à aujourd'hui
Le plus ancien barrage dont onconserve la trace a été construit il y a5 000 ans en Jordanie ¡»our alimenteren eau potable la ville de Javva. Douzesiècles plus tard, vers 1800 avantnotre ère, sous le règne du pharaonAmménémès III, les Egyp tiens creu¬sèrent dans la vallée du Fayoum, à90 kilomètres au sud-ouest du Caire,
un réservoir d'une incroyable capa¬cité de 275 millions de m-1!, le lac
Moeris (actuel lac Karoun), demeuré3 600 ans en service.
On compte aujourd'hui sur laplanète, selon Jacques Lecornu, prèsde 40 000 grands barrages (10 à 15mètres de hauteur au moins, selon
les critères du registre mondial de laCIGB), dont plus de la moitié ontété réalisés depuis 35 ans seulement.
On distingue, selon leur usage,deux catégories de barrages. Lesbarrages à niveau constant, destinésà réguler le cours d'un fleuve pour lerendre navigable, et les barrages-réservoirs qui, comme leur noml'indique, créent une retenue d'eaupour des besoins divers. La concep¬tion des uns et des autres varie. La
plupart des barrages-réservoirs(83%) sont remblayés, technique deconstruction plus économique quecelle des barrages en maçonnerie.
Les barrages remblayés le sont enenrochements (Assouan, en Egypte),ou en terre (Nurek, au Tadjikistan),ou encore mixtes. Plus coûteux, les
ouvrages en béton, ou maçonnerie,présentent diverses formes: les bar¬rages-poids, constitués d'un grosmur de forme triangulaire (la
OURRIER DE L UNESCO MARS 1 997
Grande-Dixence, en Suisse); les bar¬rages-voûte, à courbure convexetournée vers l'amont (Kariba, auZimbabwe); et les barrages à contre¬forts (Alcantara II, en Espagne). Plusde 52% des barrages mondiaux setrouvent en Chine, 16% aux Etats-
Unis et 6% au Japon.
Des économies,mais à quel prix?
Les premières fonctions des bar¬rages-réservoirs sont l'irrigation,l'approvisionnement en eau potableet la production d'énergie. Si leschutes d'eau sont utilisées depuisdes siècles pour fournir de l'éner¬gie, la production d'hydroélectri¬cité s'est particulièrement accrueces trente dernières années et couvre
environ 20% des besoins mondiaux
en électricité (mais seulement 7%
des besoins énergétiques globaux).En économisant charbon et pétrole,l'hydroélectricité limite la pollutionde l'air entraînée par leur combus¬tion. Elle pourrait être avantageu¬sement développée si elle n'était, leplus souvent, associée à des barrageslourds de conséquences, surtoutdans les écosystèmes secs.
Un document intitulé Fres/itca-
ter Resources (Les ressources en eaudouce), publié par I'UNESCO et le Pro¬gramme des Nations Unies pour l'envi¬ronnement (PNUE) décrit les effetsqu'un barrage peut avoir sur l'envi¬ronnement: modification des écosys¬
tèmes, perte de terres agricoles due àla création d'un lac de retenue, déve¬
loppement des maladies liées à l'eau(bilharziose, paludisme surtout),régulation des cours d'eau, modifi¬cation des sédiments et de la qualité
de l'eau, risques d'inondation à lasuite d'une rupture du barrage, modi¬fication du régime des pêches, del'agriculture, des transports etd'autres activités économiques, dépla¬cement des populations, perte dezones de loisirs, accroissement de la
sismicité(parlepoidsdulae). A cela,
Ci-dessus, tundes
plus vieux
barrages du
monde, construit à
Marib, l'ancienne
capitale du
royaume de Saba
(Yémen).
Il fonctionna du
5e siècle avant J.-C.
au 6« siècle
après J.-C.
En haut à droite,
retenue d'eau d'un
barrage
d'irrigation situé
près de Jogjakarta,
à Java (Indonésie).
Barrage du lac
Powell, dans
l'Utah (Etats-
Unis).
il faut ajouter les effets sur le climatde la région, ainsi que la disparitiond'une flore et d'une faune, parfoisuniques, qui vivaient dans les zonessubmergées. Dans les années 70, cetimpact social et environnemental apris des proportions considérables: iln'était ¡»lus question d'ignorer le sortréservé aux populations concernées,parfois déplacées sans ménagementni contrepartie.
La construction de 50 barrages a
déraciné, selon la Banque mondiale,environ 830 000 personnes; la moitiéseulement d'entre elles a été trans¬
plantée de manière satisfaisante. AuKenya, par exemple, le nouveau bar¬rage de Kiambere fournit, dès 1990,30% de l'énergie du pays et permetainsi d'économiser 25 millions de
dollars de pétrole. Il n'aurait dûdéplacer (¡ne 1 778 personnes: autotal, 7 500 furent dépossédées.Elles reçurent une compensationfinancière, suffisante ¡»our se marierou ¡»ayer leurs dettes, mais insuffi¬sante ¡»our acheter de la terre. Quit-
.
ter leur région d'origine les aréduites à la pauvreté. On rencontrel'exemple inverse en Chine. Le bar¬rage de Lubuge, achevé en 1992,couvre 21% des besoins énergé¬tiques de la province du Yunnan. Les2 320 personnes déplacées eurent àchoisir entre cultiver les nouvelles
terres irriguées ou apprendre unnouveau métier. Conséquence duprojet, elles ont toutes désormaisaccès à l'eau potable, à l'électricitéet aux moyens de communication.
Effets secondaires
Il existe maintenant, à l'initiative de la
Banque mondiale, un «code de bonneconduite» en matière de construction
de barrages. La CIGB, de son côté,multiplie publications et colloquespour mettre les enseignements dupassé et les techniques du futur à laportée de tous. Toutefois, on paie auprésent le prix des constructions pas¬sées dont les ingénieurs n'ont pas suprévoir toutes les conséquences.
Professeur de géographie à l'Uni¬versité de Reims (France), MoniqueMainguet rappelle dans son livreL'homme et la sécheresse (1995) lebilan du barrage de Sélingué, édi¬fié en 1981 sur un affluent du Niger,en amont de Bamako (Mali). Il a privéd'un coup les agriculteurs des cruesnaturelles qui irriguaient 100 000hectares de terres et permettaient laculture du riz; l'industrie du poissons'est effondrée trois ans ¡»lus tard.De même, les barrages de Diama surle Sénégal et de Manantali sur leBating, l'un de ses affluents, ne rem¬plissent pas leur rôle. Diama ne par¬vient pas à barrer le chemin à l'eaumarine qui remonte le fleuve sur 200kilomètres en saison sèche. Manan¬
tali, pour sa part, «est responsablede la destruction de 10 000 hec¬
tares boisés; il accélère l'érosion etl'ensablement de la vallée et retient
les limons fertilisant le delta».
Quant au célèbre barraged'Assouan, en Egypte, s'il remplit
r 45LE (_OURRIER DE L UNESCO« MARS 1997 '
bien son rôle initial (la régularisationdes crues et la production d'hydro¬électricité), il n'est pas non plus sansreproches. Son lac artificiel de 500
t kilomètres de long reçoit environ 100millions de tonnes de limons fertiles
charriés et déposés par le Nil lorsde ses crues annuelles. Or, «ces
limons, autrefois utilisés pour lafabrication des briques et engraisnaturels, doivent depuis être rem¬placés par des matériaux artificielset des engrais chimiques coûteux».En l'absence de la pellicule protec¬trice qu'ils formaient sur les terressableuses, celles-ci sont rongées parl'érosion éolienne. D'autre part, lelac perd par evaporation ¡»lus de 10milliards de m3 par an et s'infiltrefortement dans le sous-sol: il en
résulte une salinisation croissante
des eaux souterraines dans un sol
riche en évaporites. Mais il a permisà l'Egypte de faire face aux grandessécheresses qui ont frappé le Sahelau cours des dernières décennies.
Alerte au gigantisme!
C'est en 1918 que Sun Yat-sen, pèrede la République chinoise, eutl'idée du barrage des Trois-Gorges,sur le Yangzi jiang, dans la provincede Hubei, au centre de la Chine.
Après de nombreuses péripéties, lapremière pierre de ce qui devraitêtre le plus grand barrage du mondea été posée en 1994. Bien qu'il pro¬mette 10% de la production d'élec¬tricité du ¡tays et la régulation ducours du fleuve sur près de 300 kilo¬mètres, la controverse fait rage.Depuis des millénaires, poètes etpeintres louent la beauté rare dusite choisi. La digue de béton, hautede 175 mètres, va retenir un lac de
500 à 650 kilomètres de long qui vanoyer un paysage merveilleux. Unedizaine de villes seront englouties,entièrement ou partiellement, etenviron 1,5 million de Chinois
devront être relogés. Sans compterles risques de pollution massive etd'envasement dus au ralentissement
Barrage Atatiirk
sur l'Euphrate
(Turquie).
du débit: sédiments et effluents
divers charriés par le fleuve Bleuviendront s'accumuler dans le lac de
retenue. Le coût total du projetpourrait bien atteindre d'après cer¬taines estimations 160 milliards de
francs. L'UiNliSCO et le Programmedes Nations Unies pour l'environne¬ment (PNUE) ¡»osent ouvertementla question: «Le barrage des Trois-Gorges doit-il être construit?»
En Malaisie, le projet de Bakun,dans l'Etat du Sarawak, devrait coû¬
ter, lui, près de 6 milliards de dol¬lars. Situé en montagne sur l'île deBornéo, il doit noyer de 70 000 à80 000 hectares de forêt tropicale,ce qui pourrait entraîner le déplace¬ment d'environ 10 000 aborigènes.Les travaux préliminaires ont déjàcommencé. Les organisations écolo¬gistes locales protestent vigoureuse¬ment. Mais, dans la mesure où laMalaisie est membre de la Commis¬
sion internationale des grands bar¬rages, elle adhère aux termes de saCharte, dans laquelle on peut lire:«Dans toutes nos activités, les aspectsdes barrages-réservoirs (¡ni touchentà l'environnement naturel et social
doivent rester notre souci primordial,au même titre que la sécurité. Nousvoulons harmoniser le développementnécessaire des ressources en eau et
la protection de l'environnement,selon un schéma (¡ni ne compromettepas l'avenir des générations futures.»
Malgré les controverses qu'ils sus¬citent et une réserve croissante des
milieux scientifiques et financiers,les grands projets pharaoniques sonttoujours de mise. Depuis 1986 laBanque mondiale a approuvé 39 pro¬jets de très grands barrages et prêté7,4 milliards de dollars (soit 3% dela totalité de ses prêts depuis dixans) ¡»ourles construire. Ne vaudrait-il pas mieux répartir les énormesinvestissements qu'ils exigent entrede nombreux petits ouvrages plusacceptables par les populations etl'environnement? Selon JacquesLecornu, entre 1 200 et 1 400 deceux-ci sont mis en chantier dans le
monde chaque année...
POUR EN SAVOIR PLUS:
/ The Impact of Large Water Projects on theEnvironment, actes d'un symposium
international réuni à I'Unesco en 1986,
Unesco-PNUE, 1990
/ Freshwater Resources, Unesco-PNUE, 1995
/ L'homme et la sécheresse, Monique Mainguet,Paris, 1995
/ Charte CIGB sur les barrages etl'environnement, 1995.
(CIGB, 151, bd. Haussmann, 75008 Paris, France.Tél.: (33) 01 40 42 68 24.
Télécopie: (33) 01 40 42 60 71).
/ L'Egypte et le haut-barrage ¡¡'Assouan,M. Bakre, J. Bethemont, Presses de l'Université
de Saint-Etienne, Saint-Etienne, 1980
initiativesLe CREM, champion de l'urbistique
La petite ville de Martigny (15 000 habitants), en Suisse, a juste la taille voulue pour servir delaboratoire grandeur nature au Centre de recherches énergétiques et municipales (CREM)qui s'appuie sur une notion originale: l'urbistique, ou la gestion urbaine informatisée.
Le CREM vise à réconcilier environnement et développement en milieu urbain. Cela impliquede rapprocher, par exemple, urbanistes, ingénieurs, constructeurs et exploitants des réseauxde transport, d'eau, d'énergie, de télécommunications, qui ne sont pas toujours sur la même lon¬gueur d'onde. Grâce au partenariat avec l'école polytechnique fédérale de Lausanne, la ¡»otiteéquipe pluridisciplinaire et passionnée du CREM rassemble des données sur tout ce (¡niconcerne la ville et son fonctionnement. Les connaissances acquises permettent de développer,de tester et de proposer des outils et des méthodes de planification, de gestion et d'entretiendes infrastructures municipales. Le but est de limiter les investissements, de diminuer leseffluents, de minimiser les atteintes à l'environnement et de valoriser les ressources disponiblesen mettant en place tout un réseau de mesures informatisées.
Ainsi le CREM a mis sur pied un programme d'assainissement des installations de chauffagedes bâtiments communaux. Il a aussi montré (¡ne l'alimentation centralisée au gaz propaneliquéfié (GPL) des agglomérations éloignées des réseaux distribuant du gaz naturel permet deréduire les eofits d'approvisionnement en énergie et les impacts environnementaux. En 1995, ila achevé la mise au point d'un logiciel de surveillance de l'utilisation des ressources énergétiques
utilisable par un particulier sur un ordinateur individuel: l'éeonomètre SyCREM® (version4.0), dont plusieurs entreprises locales se sont dotées.
Le CREM organise aussi des cours et des séminaires sur des sujets très divers, qu'il publieainsi qu'un périodique d'information: le Vecteur. M
KENSEIGMÎMENTS:
CREM, Rue des Morasses 5, ease postale 2Ô6, 1920 Martigny, Valais, Suisse.Tél.: (+11) 027/721 25 10. Télécopie: (+11) 027/722 99 77. Courrier électronique: creni@piii{!iiet.eh
46 l*GOURRIERDE L UNESCO MARS 1097
REUNION AU SOMMET
La Sierra Nevada de Santa Marta, en
Colombie, culmine à 5 775 mètres.
C'est à la fois le sommet entier le plushaut du monde et une Réserve de bio¬
sphère de TUiNESCO. Elle couvre 17 000km2 et donne naissance à 36 cours
'eau qui alimentent 1,5 million depersonnes. Au début des années 80,l'expansion des cultures de marijuanaavait détruit 100 000 hectares de
forêt et mis en danger toute la gammedes écosystèmes, ainsi que la cultureindigène et l'approvisionnement en eaudes plaines. La Fondation pour la pro¬tection de la Sierra Nevada de Santa
Marta a commence ses travaux en 1986
et une stratégie de conservation a étémise en enivre en 1992. Aujourd'hui,la création d'une association des muni¬
cipalités de la Sierra Nevada est lapreuve des progrès accomplis enmatière de coopération. Un exploit,quand on sait qu'il a fallu pour celaréunir autour d'une même table les
guérilleros, les forces armées, les pro¬ducteurs de drogue, les grands pro¬priétaires terriens, les paysans, ainsique les représentants du gouverne¬ment et des populations autochtonespour leur faire prendre conscience desintérêts communs qu'ils avaient dans lasauvegarde de l'environnement. H
LATURQUIEETLAFORET
En Turquie, la forêt couvre environ lequart du territoire, soit 20,2 millionsd'hectares. Elle appartient pour 98%à l'Etat et sa gestion relève d'un minis¬tère spécifique. Il existe 30 ¡»arcs natio¬naux, plusieurs ¡»ares naturels, et desréserves d'animaux sauvages y ont étécréées dès 1958. De ¡»lus, la llore régio¬nale, exceptionnellement riche, com¬prend 9 000 des 11 000 espèces de¡liantes européennes. Rrcf, c'est le para¬dis des botanistes. Autant de raisons,
donc,pours'intéresscr au 11«" Congrèsforestier mondial, (¡ni se tiendra, à l'ini¬tiative du ministère turc des Forêts et
de l'Organisation des Nations Unies¡»oui- l'alimentation et l'agriculture
(FAO), du 13 au 22 octobre 1997, àAntalya (Turquie). «1
L'EAU EN REGION
MÉDITERRANÉENNE
Organisée par le Plan Rleu (un desrameaux du Plan d'action ¡»our laMéditerranée du Programme desNations Unies pour l'environnement),une conférence sur la gestion de l'eaudans le bassin méditerranéen s'est
tenue à Marseille (France) en novembre1996. Elle a donné lieu à une très inté¬
ressante publication (bilingue fran¬çais-anglais) (¡ni aborde la questionsous trois angles: état actuel des res¬sources, prospective, et conditionsd'une gestion durable. Dans son dis¬cours d'ouverture, Michel Ratisse
réclamait «une amélioration des rapa¬cités de gestion au plan économique,social et environnemental, avec ren¬
forcement des institutions juridiqueset financières appropriées, dévelop¬pement de la participation des utili¬sateurs, notamment les agriculteurs, etformation ¡»lus intensive dans lesmétiers de l'eau». I
Kcn^ci^iienuMil".: Ccnlrc d'aclivilc-tic-ioiialcs .lu Plan Bleu (CAK/l'Ii),Place Sopliic-Laffille, Sopliia-Aiitipoli;.,06 560 Yallmimc, France.
Tél.: (33) (()) 1 93 65 39 59.Télécopie: (33) (0) I 93 65 35 28.Coiirrier élcclroniqnc: planl)[email protected]
L'OR MOU
Au centre de la Côte d'Ivoire, la mise en culture de l'aca¬
cia gommier suscite de grands espoirs chez les paysans. Ce
petit arbre de 4 à 6 mètres de haut produit une résine, la
gomme arabique, très recherchée sur les marchés mon¬diaux, où elle vaut de 2 000 à 4 000 dollars la tonne. Elle
entre dans la composition de produits chimiques, de médi¬
caments, et de certains types de pneumatiques. Dans le
département de Katiola, l'Agence inlerafricaine pour le
développement et l'environnement, une organisation non
gouvernementale créée par de jeunes ruraux, en a déjà
¡liante 60 hectares. De culture facile, déjà bien implanté
au Mali, au Niger, au Nigeria et au Soudan, l'acacia gom¬mier devrait contribuer à l'amélioration du niveau de vie des
cultivateurs ivoiriens. I
LES LEÇONS DE LA TRADITIONChaque année, en Ethiopie, pays montagneux et semi-aride,environ 1,5 milliard de tonnes de sol est dégradé par l'éro¬sion. Pour y remédier, les scientifiques se sont inspirés destechniques de culture traditionnelles des Konsos, installésprès du lac Turkana, dans le sud du pays. En effet, cesderniers sont parvenus à mettre en valeur des pentes escar¬pées qui ne reçoivent (¡ue de courtes et brutales précipi¬tations. Pour cela, ils construisent des (ligues, étagent etalternent les cultures, creusent des mini-bassins où ils dépo¬sent les déchets végétaux, contrôlent le pâturage des trou¬peaux et pratiquent l'agroforesterie. Ils fabriquent mêmedes tuyaux de ¡»aille et de sorgho ¡»our drainer les eaux deruissellement qui, autrement, entraîneraient la mincecouche fertile qui recouvre le sol. Une belle leçon de déve¬loppement. B
DROLE DE PECHE A LA LIGNE!
Depuis (¡ne les immenses filets dérivants à mailles fines ontété en principe interdits, un autre engin meurtrier afait son apparition dans les océans: une ligne longue dequelque 130 kilomètres, armée parfois de plus de 3 000hameçons. Des milliers de navires en sont équipés. Plussélective (¡ne le filet, elle est moins dangereuse pour lesmammifères marins et se révèle d'une redoutable efficacité.
A tel point (¡ne certaines espèces qui mordent trop facile¬ment à l'hameçon, comme l'espadon, sont menacées. Cer¬tains biologistes estiment, au vu de la taille de plus en ¡duspetite des spécimens mis en vente sur les marchés améri¬cains, qu'on en est venu à «manger les bébés». Autres vic¬times innocentes de la longue ligne: les grands albatros,attirés par les appâts, qui meurent noyés après avoir morduà l'hameçon.
LE ÇiURRIERDELUNtSCO« MARS 1997
IMA<,0\Al.h>
LE MONDE EST UN SANCTUAIREPAR HENRYK SKOLIMOWSKI
II est temps d'abandonner la métaphore qui a silongtemps dominé notre vision du monde et de nousdéfaire de cette idée dangereuse selon laquelle lemonde est un mécanisme d'horloge dont nous nesommes que de petits rouages. Elle nous a amenés àréduire tout, y compris la vie de l'être humain, au sta¬tut de simple composant d'une vaste machine, avecdes conséquences désastreuses. C'est seulementlorsque nous aurons trouvé une autre métaphore etinventé une autre conception du monde que nouspourrons nous opposer aux forces destructrices etabsurdes qui ont submergé nos vies.
L'un des principes de la pensée écologique veutque le monde soit un sanctuaire et que nous le trai¬tions comme tel. Dès lors, il nous faut porter unregard radicalement différent sur l'univers et laplace que nous y occupons: si nous habitons un sanc¬tuaire, nous devons le traiter avec soin et respect.Nous devons être les gardiens et les bergers de laTerre, et nous en devenons, tout naturellement, les
régisseurs.Voici les éléments fondamentaux de ce que
j'appelle la «métanoïa» écologique: à la fois changernotre métaphore du monde, notre attitude à sonégard et notre réflexion à son sujet. Nous en sommescapables et nous avons déjà commencé de le faire.Certes, c'est une entreprise vaste et ardue, qui pro¬gresse lentement, par à-coups, parfois de mauvaisegrâce. Pour des raisons psychologiques et histo¬riques, nous rechignons au changement, mais dansnotre for intérieur, nous savons que nous devons chan¬ger. Mais nous sommes encore loin du compte. Il fau¬dra d'autres changements profonds ¡tour parvenirenfin à établir un monde doué de sens, durable, et
épanouissant.Cette recherche d'un sens pose la question de
la finalité de l'existence et des préoccupations fon¬damentales de l'humanité.
Notre époque se caractérise, entre autres, parl'atrophie du sens. Religieux et laïcs savent qu'il ya dans la société moderne une quête éperdue d'unsens à laquelle ne répondent ni la consommation, nile divertissement, ni le travail ordinaire. Nous recher¬
chons une finalité plus vaste, sans la trouver, car elleexige une dimension qui transcende notre existence.
C'est ici qu'intervient l'eschatologie, ce domainede la pensée qui s'attache aux fins dernières de lavie humaine, et demande: qu'est-ce qui donne sensau sens? Les fins que l'eschatologie assigne tradi¬tionnellement à l'existence sont des fins transcen¬
dantes, (¡ui sont souvent, mais pas toujours, reli¬gieuses . Il ne faut pas confondre fins transcendantesavec activités ou croyances religieuses.
Pourquoi ce besoin d'une eschatologie nouvelle,d'une nouvelle finalité transcendante qui donne unsens à la vie? Parce que l'eschatologie laïque, quinous promet l'accomplissement personnel en termesuniquement laïcs et matérialistes, a échoué lamen¬tablement. Loin d'apporter bonheur et épanouis
sement, elle nous a volé les dimensions les plus pro¬fondes de l'existence. Quelques humanistes laïcsl'ont compris et tentent, pour y remédier, de gref¬fer sur la laïcité une nouvelle finalité transcendante.
Ils nous fixent une tâche perpétuelle: travailler ànous améliorer, dans une poursuite continuelle dela liberté et de la perfectibilité. Mais ce ne sontque des mots. Pour acquérir un sens, la perfecti¬bilité et l'amélioration doivent s'enraciner dans une
notion de transcendance bien plus ample, qui ailleau-delà de la laïcité.
Le temps est donc venu d'abandonner nos modesde pensée linéaires et notre comportement d'exploi¬teur à l'égard de la nature, au profit d'une pers¬pective écologique et d'une nouvelle forme de spi¬ritualité.
Voici, très succinctement, les principaux axes dela nouvelle vision du monde écologique, (¡ui fontaussi partie de cette eschatologie nouvelle. L'uni¬vers poursuit un voyage chargé de sens, au coursduquel il se réalise lui-même, voyage dont noussommes partie intégrante. L'univers ne constituepas une masse de matière assemblée au hasard etnous ne sommes pas d'insignifiantes ¡»articules quierrent à l'intérieur. La nouvelle astrophysique, lanouvelle physique et le principe anthropiquel'attestent: nous vivons dans un univers intelligent,qui se régénère tout seul. Il y a une cohérence mer¬veilleuse dans cet autodépassement, que la scienceactuelle tend à confirmer. Je ne dis pas qu'il a été«vérifié» scientifiquement; la science ne peut pasprouver ce genre de choses. Mais un physiciencontemporain de premier plan, Freeman Dyson,constate: «Quand on considère toutes les "coïnci¬
dences" qui ont eu lieu au cours de l'évolution ducosmos, on ne peut éviter de conclure que celui-cis'est comporté comme s'il avait su que nous allionsvenir.» De son côté, John Archibald Wheeler, un
astrophysicien réputé, affirme que lorsque nousregardons l'univers, c'estl'univers lui-même qui seregarde à travers nos yeux et nos esprits. Nousvivons dans un univers étonnamment participatif etsommes intimement associés à cet extraordinaire
phénomène de participation.Nous sommes les yeux grâce auxquels l'univers
se regarde et les esprits grâce auxquels il s'envisage.Une soif inextinguible de transcendance nous habiteparce que la volonté de l'univers son autotrans¬cendance constante est inscrite en nous. Etres
cosmiques, nous partageons avec l'univers dans sonintégralité la dimension transcendantale et le besoinde nous autoréaliser. Ce sont là les bases de toute
spiritualité véritable.Un voyage merveilleux nous attend. Un voyage
au cours duquel nous cherchons à donner vie ausens cosmique dont nous sommes porteurs, à aiderl'univers et toutes ses créatures à progresser dansla réalisation d'eux-mêmes et à hâter la guérison dela Terre pour la voir fleurir à nouveau. B
48 -GOURRIER DE l UNESCO MARS 1997
NOTES DE MUSIQUEredécouvrir LILI BOULANGER
PAR ISABELLE LEYMARIE
Compositrice d'une précocité
géniale, Lili Boulangera ébloui le
monde de la musique au début du
20e siècle. Morte très jeune, elle
laisse une duvre émouvante et
forte que sa sKur Nadia s'est
efforcée de faire connaître, mais
qui n'a pas encore tout le
retentissement qu'elle mérite.
«Les ouvres de Lili Boulanger,écrit le compositeur et chefd'orchestre Igor Markevitch, me
frappent par leur solitude. Elles dédaignentla mode et paraissent ignorer ce (¡ui s'écritautour d'elles. J'y trouve la raison de leurpérennité, et peut-être la cause de l'étrangedélai (¡u'il aura fallu pour les voir recon¬nues dans leur signification réelle.»
Ce long «délai» semble durer aujourd'huiencore. Or Lili Boulanger, morte à l'âge devingt-quatre ans, nous a légué une musiqueexpressive et lumineuse, (¡ui ne cesse d'émou¬voir et de subjuguer. Son génie s'est révélé etsa vocation s'est accomplie avec une urgenceexacerbée par l'imminence de la mort.
D'origine russe par sa mère, françaisepar son père, «Lili» (Juliette Marie Olga)Boulanger naît à Paris le 21 août 1893 dansune famille mélomane depuis plusieursgénérations. Sa mère était cantatrice, sonpère compositeur (d'opéras-comiquesnotamment) et professeur de chant auConservatoire de Paris (il avait obtenu legrand prix de Rome de composition avec sacantate Achille). Sa svur Nadia, de six ansson aînée, l'un des plus admirables profes¬seurs d'harmonie du 201' siècle, a formé
d'innombrables interprètes et composi¬teurs, entre autres Aaron Copland, VirgilThompson, Astor Piazzolla, Quincy Joneset le trompettiste Donald Byrd.
Lili manifeste très tôt des dons musi¬
caux exceptionnels. A six ans, elle chantedes mélodies de Fauré, accompagnée au
piano par Fauré lui-même. Malgré unesanté précaire, elle apprend l'orgue et com¬pose dès l'âge de douze ans (elle rédigeValse en mi majeur et La lettre de mort en1905). Attirée par la musique sacrée, elle
frappe son entourage par son recueille¬ment, sa maturité et son élévation spiri¬
tuelle. «Il y a un monument achevé, écrit lecompositeur français Henri Barraud à pro¬pos de son ruvre, fermement établi dans saplénitude, dans la sobriété de son style,dans un classicisme qui ne doit rien à l'écolemais seulement à l'équilibre naturel, à lafusion du savoir et du don. Nulle trace de
faiblesse dans la pensée, d'inexpériencedans l'écriture, nul gaspillage juvénile demoyens ou de sève, nulle flambée de passionmal contenue ou, si passion il y a, elle aperdu tout visage charnel pour n'être plusque lumière rayonnante.»
Ancienne élève de Fauré et organisteelle-même, Nadia enseigne l'harmonie etle contrepoint à Lili, qui bénéficie aussides conseils de Roger Durasse, ami desBoulanger et autre disciple de Fauré. Ellesuit en outre des cours avec le pianisteRaoul Pugno, homme fin et cultivé voisin dela famille à Hanneucourt-Gargenville, dansla région parisienne, où elle compose defaçon prolifique. Sous la direction deGeorges Caussade, professeur de fugue etde contrepoint au Conservatoire de Paris etharmoniste reconnu, elle maîtrise très vite
l'écriture musicale. De 1911 à 1912, elle
compose des chfurs et des cantates, dontHymne au soleil.
Entrée au Conservatoire l'année suivante,
elle étudie avec Paul Vidal, ancien ami de
Debussy et de Liszt, et Maurice Emmanuel,passionné de musique modale, et s'exerce¡»our le prix de Rome avec la cantate Pourles funérailles d'un soldat, aux parolestirées d'un pièce d'Alfred de Musset. Elleaffectionne tout particulièrement Debussy,surtout Pelléas et Mélisande et le Prélude
àl'après-midi d'unfaune, dont on retrouvel'influence dans plusieurs de ses (ouvres.Mais, en avance sur son temps, elle se dégageprogressivement de l'impressionnisme ¡»ourtrouver sa propre voix. En 1913, âgée dedix-neuf ans, elle est la première composi-triiee à obtenir, pour sa cantate Faust etHélène, le grand prix de Rome. Sessont alors éditées; Faust et Hélène est jouépar les concerts Colonne en novembre 1913.
En 1914, sa santé décline. Elle entre¬
prend cependant un périple ébloui en Italie,composant à Rome lors de son séjour, puis sereplie à Nice, esquissant le cycle vocal desClairières dans le ciel sur un poème deFrancis Jammes, des morceaux instrumen¬
taux, ainsi que les Psaumes. Al'avènementde la guerre, Lili et Nadia fondent un comitéfranco-américain d'aide aux soldats, expé¬diant lettres et colis aux combattants. Mal¬
gré le, repos puis une opération en 1917, Liline, parvient pas à se rétablir et elle témoigne,face à l'adversité, d'un courage et d'unesérénité exemplaires. Durant les deux der¬nières années de sa vie elle achève les trois
Psaumes et la Vieille prière bouddhique,pour voix et orchestre, Un matin de prin¬temps, pièce pour violon (ou flûte) et piano,et son chef-d'uvre, Pie Jesu (pour voix,orgue, quatuor à cordes et harpes) que, tropaffaiblie ¡»our écrire, elle dictera à Nadia deson lit. Réfugiée à Mézy, près de Paris, elley meurt le 15 mars 1918.
Lili restera un exemple pour Nadia, (¡uien louera la «supériorité morale et spiri¬tuelle» et la «pureté». Toute sa vie durant,elle entretiendra inlassablement la mémoire
de sa s propagera son cuvre et com¬muniquera à ses élèves la même ferveursacrée (¡ni animait Lili. B
LE (JOURRIER DE L UNESCO« MARS 199749
NOS AUTEURS LE COURRIER DES LECTEURS
TAHAR BEN JELLOUN, romancier et poète né au
Maroc, a publié, entre autres, La nuit sacrée
(Seuil, Paris, 1987, prix Goncourt) ei Jour de
silence à 7anger (Seuil, Pans, 1990). Son
nouveau roman, La nuit de l'erreur, vient de
paraître aux éditions du Seuil.
JEROME CHARYN, des Etats-Unis, enseigne
l'histoire du cinéma à l'Université américaine de
Paris (France). Auteur de nombreux romans et de
plusieurs essais, dont New York, Chronique
d'une ville saura^e (Gallimard, Paris, 1993), il
vient de publier El Bronx(1997, en anglais), ainsi
qu'un récit pour la jeunesse intitulé La belle
ténébreuse de Biélorussie (Gallimard, Paris,
1997).
LAJPAT RAI JAGGA, de l'Inde, est professeur
d'histoire à l'université Jawaharlal Nehru de New
Delhi.
EMILE TEMIME, historien français, se consacre
depuis une vingtaine d'années aux migrations
internationales. Co-auteur de plusieurs ouvrages
sur l'Espagne, il a publié Migrance, Histoire des
migrations à Marseille, 4 vols. (Edisud, Aix en
Provence, 1989-91) et Marseille transit, Les
passagers de Belsunce (Autrement, Paris, 1995).
LUZ PACHECO, socio-anthropologue bolivienne,
est une spécialiste du monde rural andln.
HADANI DITMARS, journaliste canadienne, est
spécialisée dans les relations et phénomènes
interculturels.
ANISSA BARRAK, journaliste tunisienne, est
attachée culturelle à la délégation de Tunisie
auprès de I'Unesco. Secrétaire de rédaction de la
revue Confluences Méditerranée, elle a
notamment dirigé la publication de Villes
exemplaires, Villes déchirées (L'Harmattan, Paris,
1994).
CÉCILE ROMANE, écrivain franco-britannique, a
notamment publié LaNépa/a/se(Orban/Plon,
Paris, 1987) et Les téméraires (Flammarion, Pans,
1993).
FRANCE BEQUETTE, journaliste franco-
américaine, est spécialisée dans
l'environnement.
ISABELLE LEYMARIE, musicologue franco-
américaine, est l'auteur de Du tango au reggae,
Musiques noires d'Amérique latine et des
Caraïbes (Flammarion, Paris, 1996) et Musiques
caraïbes (Actes Sud, Arles, 1996).
HENRYK SKOLIMOWSKI, de Pologne, est
professeur de philosophie écologiste àl'Université technique de Lodz. Il est l'auteur denombreux livres et articles.
TOUTE LA VERITE SUR
BOGDAN KHMELNITSKI
Dans le numéro de décembre 1996 du Courrier
(«A la poursuite de l'éphémère»), vous avezpublié un article très intéressant de IaroslavIssaieviteh sur Bogdan Khmclnitski. Ce per¬sonnage historique, mal connu dans beaucoup depays, a joué en effet un rôle très important dansl'histoire de l'Ukraine.
Mais une de ses facettes est passée soussilence. Dans l'histoire du peuple juif, Khmcl¬nitski est connu comme l'archétype du nieneu rde pogroms, du massacreur de juifs. Le livretrès documenté et objectif de l'historien PaulJohnson, Une Histoire des juifs (Lattes, Paris,1989) que l'auteur de votre article ne semblemalheureusement pas avoir lu, montre que sesexploits n'ont été dépassés que par celui (piequelqu'un a appelé le... «Khmclnitski du2 01' siècle». Les moyens dont disposait le nazismepour rendre son action meurtrière ¡»lus efficaceétaient évidemment sans commune mesure.
L'objectivité dans l'analyse des grands per¬sonnages historiques est aussi une façon d'ensei¬gner la tolérance et le respect mutuels.
Avec mes félicitations pour l'excellente qua¬lité de votre revue.
G. Finkelstein
Jérusalem
(Israël)
MASSACRES ET
POGROMS
Lors de la révolte des paysans et des cosaquesukrainiens contre les Polonais pour établir uneUkraine autonome, les troupes de IîogdanKhmclnitski firent preuve d'une sauvagerie etd'une cruauté inouïes à l'égard des juifs.
La plupart des massacres furent commisentre mai et novembre 1618. Les communau¬
tés situées à l'est du Dniepr furent exterminéesdès le début de la révolte. Pendant l'été, lespersécutions s'étendirent à la rive occidentale dullcuve; à la mi-juin, il ne restait ¡dus de juifsdans les villages et les villes de Volhynie (cesprécisions viennent de VEncyclopedia Judaica,vol. r», Jérusalem, pages 180-481).
II est impossible de chiffrer avec exacti¬tude le nombre des victimes (pie firent cespogroms, qui se poursuivirent jusqu'en 1619.Les chroniques juives font état de 100 000morts et de .'500 communautés anéanties.
Emmanuel Moses
Paris (France)
NOUS AVONS TOUS
UN ANCÊTRE COMMUNLes habitudes de pensée qui entraînent intolé¬rance et préjugés viendraient-elles d'une carencedes systèmes d'éducation en vigueur dans lemonde?
Nous, êlre humains, savons aujourd'hui quenous avons pour ancêtre commun Vllomo erec-tus, qui a donné VHomo sapiens, et s'estrépandu à partir de l'Afrique sur la planète.Oui, nous, être humains, sommes tous les des¬cendants d'un même ancêtre.
Faudra-t-il chaque jour, à l'école comme àl'université, marteler celte vérité aux élèv es et
aux étudiants pour voir enfin disparaître deshabitudes de pensée qui mènent à l'intoléranceet aux préjugés?
Martin J. O'Malley, Jr.
Passaic, New Jersey
(Etats-Unis)
LE PROGRES AVEC L'EQUITE«Il faut aider les ¡»ays pauvres à se doter desnouvelles technologies, à s'équiper, à formerleurs personnels, à s'intégrer aux réseaux exis¬tants, bref, à s'embarquer avec les autres pourle grand voyage de la modernité» , écrit Federico¡Mayor dans sa chronique parue dans votrenuméro de décembre 1996 («A la poursuite del'éphémère», page 39).
A mon sens, cela relève d'une gageure. L'aideau développement en provenance des pays richesne cesse de diminuer depuis quelques années.
Le jour où l'on arrivera à « faire prévaloir leprogrès avec l'équité», l'homme vivra dans lemeilleur des mondes.
Abdou Tini Kano
Tibîri (Niger)
CITOYENS DU MONDE
Dans son entretien sur l'éducation pour la paix(numéro de janvier 1997, «Inclure les exclus»),le professeur JohanGaltung développe nombrede considérations intéressantes que je partage.
Mais il n'a pas saisi, à mon sens, que le confli test stérile tandis que la ¡»aix est féconde. Sesétudes pour la paix risquent fort de ne pusdénouer « l'écheveau des problèmes de la vio¬lence» (même s'il a vu que la communication etl'éducation sont les outils de base ¡tour y par¬venir), car il s'agit d'élaborer un sy s term; capablede promouvoir la collaboration parifique, tâcheexaltante.
Le temps où nous étions des Chinois, desFrançais, des Indiens ou des Chiliens, est révolu.Nous sommes tous, à ¡(résent, des citoyens dumonde, et tous responsables de la planète.
Claudia Merazzi
Bienne (Suisse)
UN PALMARES DU NUMEROEN BANDES DESSINÉES
Habitué aux belles illustrations que vouspubliez, j'ai trouvé esthétiquement inégales lesbandes dessinées qui composent votre numéro dejuillet-août 1996 («Dessine-moi l'UlNKSCO»).
Voici le classement (pie j'en ai fait:1>'"-: «Egypte»21' : «Dictature militaire»
31' : Patrimoine mondial (pages 46-5.Ï)4'':«L'Ui\i:.sc()(leran3000»
!»<' : «Pas de repos pour I'UmîSCO»Quant à «Nomade», cette bande m'aurait
vraiment plu si les personnages n'avaient pasdes gueules de chiens. Les Touaregs, les Massaiset leurs semblables méritaient mieux qu'unecaricature.
Guy BarreréTamanrasset (Algérie)
Merci de ce regard approfondi porté sur notrenuméro en bandes dessinées. Quant à Juno,l'auteur de. « Nomade», c'est un dessinateur
»animalier» qui a l'habitude, de représentertous les personnages de ses histoires, où qu'ellesse passent, sous des traits d'animaux.
ET LES AUTEURS?
Pourquoi ne présentez-vous plus, même enquelques lignes, les auteurs des articles? Qu'onsache au moins leur métier et leur pays...
Yolande Briffa
Houilles (France)
Les notes biographiques des auteurs, commecous l'aurez constaté, sont désormais placéesà la fin du numéro, dans l'ordre de leur appa¬rition au sommaire.
50 LE QjURRIERDE L UNESCO« MARS 1097
ejoígnez I'Unesco sur Interneten vous connectant au serveur
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Vous y trouverez le sommaire des 22 derniers numéros du Courrier de ¡'Unesco, les
communiqués de presse, adresses, numéros de télécopie, télex et messagerie
électronique des bureaux régionaux, commissions nationales et Clubs de I'Unesco, un
répertoire des bases de données et des services d'information de I'Unesco, des images
en couleur du jardin japonais et d'autres vues du bâtiment du siège de l'Organisation,
ainsi que des reproductions des tuvres d'art qu'il abrite, comme la «Silhouette au repos»
du sculpteur britannique Henry Moore.
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LE l OURRIER DE L'UNESCO
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4. Autres productions: bons, timbres...
5. Eléments d'actualité (le journal)6. Comment participer
7. Comment solliciter un appui
8. Pourquoi se rendre à I'Unesco9. Votre avis sur le 3615 Unesco
A la rubrique «Publications», vous pourrez lire les résumés des derniers numéros du
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