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D‘ICI ET D’AILLEURS Colombie: danses contre la pauvreté NOTRE PLANÈTE Venise: la dernière utopie ÉTHIQUES Performance, médecine et déontologie CONNEXIONS Calins électroniques pour cyberenfants L’autre mondialisation: l’éveil citoyen L’autre mondialisation: l’éveil citoyen Septembre 2000 Publié en 27 langues

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Page 1: The UNESCO courier; Vol.:53, 9; 2000 - ordiecole.com · 2012. 3. 17. · D ’ I C I E T D ’ A I L L E U R S Septembre 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 5 Santiago répète son rôle

D‘ICI ET D’AILLEURSColombie: dansescontre la pauvreté

NOTRE PLANÈTEVenise:la dernière utopie

ÉTHIQUESPerformance, médecineet déontologie

CONNEXIONSCalins électroniquespour cyberenfants

L’ a u t re mondialisation:

l’éveil citoyenL’ a u t re mondialisation:

l’éveil citoyen

Septembre 2000

Publié en 27

langues

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D’ICI ET D’AILLEURS

3 Danses contre la pauvreté Photos de Richard Emblin,texte d’Oscar Collazos

NOTRE PLANÈTE

9 Ve n i s e : la dernière utopie Piero Piazzano

APPRENDRE

13 Les enfants «flottants» de l’école chinoise Jeff A r c h e r

ÉTHIQUES

37 Pe r f o r m a n c e,médecine et déontologie Philippe Liotard

SIGNES DES TEMPS

40 Ko s o v o : le saccage organisé du patrimoine Entretien avec A n d ras Riedlmayer

41 Un crime contre la culture Colin Kaiser

CONNEXIONS

43 Câlins électroniques pour cybere n f a n t s Sherry Tu r k l e

ENTRETIEN

46 Tim Berners - L e e :«j’ai fait un rêve»

S o m m a i reSeptembre 2000 53e année

Mensuel publié en 27 langues et en braille par l’Organisation desNations unies pour l’éducation,la science et la culture.31,rue François Bonvin,75732 PARIS Cedex 15, FranceTélécopie:01.45.68.57.45/01.45.68.57.47Courrier électronique:[email protected]:http://www.unesco.org/courier

Directeur: René LefortRédacteur en chef: James BurnetAnglais: Cynthia GuttmanEspagnol: Octavi MartiFrançais: Sophie BoukhariSecrétariat de direction/éditions en braille:Annie Brachet (01.45.68.47.15)

R é d a c t i o nEthirajan AnbarasanIvan BriscoeLucía Iglesias KuntzAsbel LópezAmy Otchet

Tra d u c t i o nMiguel Labarca

Unité artistique/fabrication: Georges Serva t ,P h o t o g ra v u re : Annick CouéfféIllustration: Ariane Bailey (01.45.68.46.90)Documentation: José Banaag (01.45.68.46.85)Relations Editions hors Siège et presse:Solange Belin (01.45.68.46.87)

Comité éditorialRené Lefort (animateur), Jérome Bindé, Milagros del Corra l , Alcino DaC o s t a , Babacar Fa l l , Sue W i l l i a m s

Editions hors siègeRusse:Irina Outkina (Moscou)Allemand:Urs Aregger (Berne)Arabe: Fawzi Abdel Zaher (Le Caire)Italien:Giovanni Puglisi,Gianluca Formichi (Florence)Hindi:Shri Samay Singh (Delhi)Tamoul:M.Mohammed Mustapha (Madras)Persan: Jalil Shahi (Téhéran)Portugais:Alzir a Alves de Abreu (Rio de Janeiro)Ourdou:Mirza Muhammad Mushir (Islamabad)Catalan:Jordi Folch (Barcelone)Malais:Sidin Ahmad Ishak (Kuala Lumpur)Kiswahili:Leonard J. Shuma (Dar es-Salaam)Slovène:Aleksandra Kornhauser (Ljubljana)Chinois: Feng Mingxia (Beijing)Bulgare:Luba Randjeva (Sofia)Grec:Sophie Costopoulos (Athènes)Cinghalais:Lal Perera (Colombo)Basque:Juxto Egaña (Donostia)Thaï:Suchitra Chitranukroh (Bangkok)Vietnamien : Ho Tien Nghi (Hanoi)Bengali:Kafil uddin Ahmad (Dhaka)Ukrainien: Volodymyr Vasiliuk (Kiev)Galicien:Xavier Senín Fernández (Saint-Jacques-de-Compostelle)Serbe:Boris Iljenko (Belgrade)

Diffusion et pro m o t i o nTélécopie:01.45.68.57.45

Abonnements et re n s e i g n e m e n t s :Michel Ravassard (01.45.68.45.91)Relations agents et prestataires:Mohamed Salah El Din (01.45.68.49.19)Gestion des stocks et expéditions:Pham Van Dung (01.45.68.45.94)

Les articles et photos non copyright peuvent être reproduits àcondition d’être accompagnés du nom de l’auteur et de la mention «Reproduits du Courrier de l’UNESCO»,en précisant la date du numéro. Trois justificatifsdevront être envoyés à la direction du Courrier. Les photos non copyright seront fournies auxpublications qui en feront la demande .Les manuscrits non sollicités par la rédaction ne seront renvoyésque s’ils sont accompagnés d’un coupon-réponse international.IMPRIMÉ EN FRANCE (Printed in France)DÉPOT LÉGAL : C1 - SEPTEMBRE 2000COMMISSION PARITAIRE N° 71842 - Diffusé par les N.M.P.P.The UNESCO Courier (USPS 016686) is published monthly in Parisby UNESCO. Printed in France. Periodicals postage paid atChamplain NY and additional mailing offices.Photocomposition et photogravure:Le Courrier de l’UNESCO.Impression:Maulde & RenouISSN 0304-3118 N° 9-2000-OPI 00-593 F

Le Courrier de l’UNESCO, destiné à l’information,n’est pas un document officiel de l’ Organisation.Lesarticlesexpriment l’opinion de leurs auteurs et pas nécessairement celle de l’U NESCO. Les frontièressurlescartes n’impliquent pas reconnaissance officielle parl’UNESCO ou les Nations unies, de même que lesdénominations de pays ou de territoires mentionnés.

1 5 Dossier L’ a u t re mondialisation:l’éveil citoyenIls viennent des montagnes philippines ou de la Silicon Valley, de lacordillère andine ou des côtes indiennes. Mais leurs particularismesont fusionné pour donner naissance à un mouvement decontestation planétaire qui, depuis Seattle, a mis le monde en émoi. Qui sont ces nouveaux citoyens de leur ville et de leur village,mais aussi de la planète entière? Que veulent-ils? Quel est leurprojet de «gouvernance démocratique mondiale»?

Le sommaire détaillé est page 15.

RECTIFICATIFS• Crédits photos du numéro de juillet-août 2000:Couverture et page 56:Pierre Emmanuel Rastoin/l’Usine, Paris.Page 5:Dogons/Potovski/Vu, Paris.Page 39:Lalo, Colombie.• Une erreur de mise en page dans l’article sur l’Irak page 57 a fait sauter la première note que nous rétablissonsici:1.Le reste est utilisé pour le dédommagement des victimes de la guerre avec le Koweït (30%),les territoires kurdesdu Nord qui échappent au contrôle de Bagdad (13%),et les dépenses liées à l’embargo, y compris l’entretien desforces des Nations unies.

Couverture:© Michel Granger - Acrylique sur papier

RECTIFICATIFS• Crédits photos du numéro de juillet-août 2000:Couverture et page 56:Pierre Emmanuel Rastoin/l’Usine, Paris.Page 5:Dogons/Potovski/Vu, Paris.Page 39:Lalo, Colombie.• Une erreur de mise en page dans l’article sur l’Irak page 57 a fait sauter la première note que nous rétablissonsici:1.Le reste est utilisé pour le dédommagement des victimes de la guerre avec le Koweït (30%),les territoires kurdes du Nord qui échappent au contrôle de Bagdad (13%),et les dépenses liées à l’embargo, y compris l’entretien des forces des Nations unies.

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Septembre 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 3

DA NSESCON T RE LA PA U V RET É◗ Photographies de Richard Emblin, texte de Oscar Collazos.

Grâce à la passion tenace de deux chorégraphes, la danse contemporaine a ouvert un avenirà des enfants pauvres de Cartagena, en Colombie.

◗ Richard Emblin est un photographe canadien qui viten Colombie.

Oscar Collazos est éditorialiste et écrivain colombien.Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, parmilesquels: Adieu à la Vierge (1994), Mourir avec papa(1997) et La Baleine échouée (2000, à paraître).

■Le danseur et chorégraphe colombienA l varo Restrepo aurait pu trouver saroute ve rs la gloire sur n’importe quelle

scène du monde, entre New Yo r k , où il s’estf o rm é , et l’Europe,où il a connu ses premierst ri o m p h e s.Mais il en a décidé autrement.

En 1993, il renonce à sa carrière per-sonnelle pour introduire en Colombie l’en-

seignement de la danse contemporaine,très méconnue dans le pay s. Et il choisit dele faire auprès d’enfants pauvres âgés de 10à 15 ans. Pour mener à bien son projet, il fa i téquipe avec Marie-France Delieuvin, d i r e c-t rice des études au Centre national de dansecontemporaine d’Angers, en France.

Ce pas de deux exécuté par le couple ded a n s e u rs chorégraphes a produit des résul-tats inattendus. En 1997,quatre ans aprèsavoir semé la passion de la danse à Bogotaet à Cali, ils lancent le projet El Puente («lep o n t » ) , qu’ils étendent à Cartagena au boutde quelques mois. C’est là qu’Alva r o

Certains jeunes danseurs du Collège du corps pourraient bien devenir de vrais professionnels.

Restrepo est né, il y a 42 ans. Cette ville tou-ri s t i q u e, i n s c rite sur la Liste du pat ri m o i n emondial de l’UN E S C O, cache une dure réa-lité: plus de 60% de ses 700 000 habitantsy vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Le «pont» que Restrepo et Delieuvinvoudraient y construire part dans deuxd i r e c t i o n s. La première mène ces deuxartistes de renom à l’un des quartiers lesplus pauvres de Cart a g e n a ; la seconde passe par des festivals et dive rses rencontrespour impliquer dans le projet d’autresa rtistes professionnels d’Europe et d’Amé-rique latine.

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4 Le Courrier de l’UNESCO - Septembre 2000

Lobady, étudiant à Cartagena, répète dans le couvent San Francisco, devant une fresque représentant la passion du Christ.

Les cours commencent par des exercices de danse classique.

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Septembre 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 5

Santiago répète son rôle dans Les Virtuoses, un spectacle récemment mis au point par la troupe.

La vie quotidienne de ces enfants de familles pauvres est rythmée par la danse.

En 1997 et 1998, Restrepo marque unepremière «étape de sensibilisation» au CollègeInem de C a rt a g e n a, auprès de 480 élève s.A ufur et à mesure qu’il s’amenuise, le gr o u p egagne en qualité: tout d’abord, 90 petits dan-s e u rs se détachent du lot et s’accrochent à unt r avail qui leur permet de retrouver les racinesde leur identité. Après quelques mois sup-p l é m e n t a i r e s , par une sorte de sélection nat u-r e l l e , il n’en reste plus que 22. Mais ceux-làmanifestent un désir obstiné de participer àcette aventure créat rice et forment le «Groupepilote expérimental du Collège du corp s » .Ces enfants ont franchi «le pont»; ils sontpassés sur l’autre ri ve .

A u j o u r d ’ h u i , grâce au temps dérobé àl’enseignement traditionnel, ces garçons etces filles des familles les plus modestes deC a rt a g e n a ont mûri . Ils ont transformé leursvoix et leurs corp s. Chaque jour, ils répètentl e u rs créations dans le beau cloître du couve n tSan Francisco,un édifice du X V Ie siècle mis àleur disposition par une fondation religi e u s e .Cet espace, vaste et vide, voisine avec le Pa r cdu centenaire et avec le moderne Centre desc o nve n t i o n s , tout en s’adossant au vieux quar-tier de Getsemani.

Les jeunes danseurs habitent pour la plu-p a rt le quartier Nelson Mandela, le refuge desfamilles «déplacées» par la violence qui s’est

déchaînée en Colombie. Sans le Collège duc o rp s , où les cours sont totalement gr at u i t s ,ils seraient restés condamnés à errer dansles limbes d’une survie malheureuse. A l o rsqu’au cours des trois courtes années d’exis-tence de ce collège, ils ont déjà vécu unedouble métamorp h o s e : celle de l’adolescenceet celle qui en a fait des art i s t e s. De simples

é l è ves des écoles de banlieue, ils sont deve n u sa rtistes par la grâce de la danse contempo-r a i n e , une discipline qui leur avait toujourssemblé lointaine et inaccessible. M i e u x , l ac r é ativité a fait germer en eux la conscienced’un nouveau «possible»,depuis qu’avec la foidu charbonnier et la résistance du diamant,A l varo Restrepo a frappé à leurs portes pour

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6 Le Courrier de l’UNESCO - Septembre 2000

i nventer avec eux des créations qui com-mencent à voyager à trave rs le monde.

En marge de son travail de form at i o n ,l acompagnie El Puente a atteint un hautniveau de professionnalisme,au point quec e rtains anciens élèves ont été promus pro-f e s s e u rs de danse. N aturelle et quasi congé-n i t a l e , la sève du rythme caraïbe a nourri cesdanseurs formés à un langage sans douteplus abstrait – et certainement métapho-rique –, héritier des grandes conquêtes del’art contemporain.

Avec ses moyens rudimentaires et sapauvre infrastructure administrative, dontla principale richesse est l’enthousiasmedes maîtres et des disciples du Collège, lacompagnie a participé au Festival des Artsde Cartagena en 1998 et en 1999, où elle aprésenté trois créations inédites. Elle a éga-lement pris part à des événements art i s-tiques dans d’autres régions de Colombie eten Europe.

Après leurs tournées à l’étranger, c o m m ecelle qui les a conduits en av ril 2000 à Pa ri soù ils ont découvert une opulence insoup-ç o n n é e , les enfants retrouvent leurs pauvresf oye rs et les maux de leur quart i e r. Mais ilsont la conviction d’avoir commencé à fa i r equelque chose de leurs vies, quelque chosede différent et de grand.

Po u rt a n t , pour eux, le Collège n’est pastout miel. M a l gré l’enthousiasme des insti-tutions publiques et des entreprises pri v é e s ,ils y goûtent aussi le fiel des difficultés fin a n-c i è r e s. La volonté de fer d’Alvaro Restrepo etde Marie-France Delieuvin se nourrit d’unr ê ve qui se heurte parfois à la dure réalité quilui a donné corp s.Si le rêve surv i t , c’est sansdoute qu’à C a rt a g e n a, maîtres et élèves sont convaincus que les promesses de laténacité sont plus puissantes que les sirènesdu découragement. ■

Les techniques de respiration font partie de l’entraînement quotidien.

Marie-France Delieuvin et Alvaro Restrepo, les directeurs du Collège du corps.

Cartagena

Mer des Caraïbes

OcéanPacifique

COLOMBIE

VENEZUELA

ÉQUATEUR

PANAMA

PÉROU

BRÉSIL

Bogota

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Une jeune danseuse regarde ses camarades s’exercer.

Entre les cours, le temps du rire.

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Restrepo montre un pas de danse à ses élèves.

Répétition dans le cloître de style colonial du couvent San Francisco, qui a récemment été restauré.

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Septembre 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 9

V ENISE :LA DERNIÈRE UTOPIE◗ Piero Piazzano

Comment concilier l’équilibre écologique de Venise et les impératifs industriels? L’installationde digues mobiles, très contestée, serait-elle la solution? Décision avant 2001.

◗ Journaliste italien. Rédacteur en chefde la revue Airone.

■Il faut arri ver à Venise l’été, en find ’ a p r è s - m i d i , pour voir le soleil set r a n s f o rmer en un énorme disque

r o u g e , et enfler jusqu’à incendier lesd e rnières îles de la lagune avant de plongerdans la mer. Alors,quand l’ultime touristequitte la place Saint-Marc,Venise redevientmagique.

Dans ses rues enfin désertes, les habi-tants de la plus belle ville du monde ouvrentles portails de leurs maisons. Ils laissente n t r e voir aux rares visiteurs at t a r d é s , ici unescalier monumental chargé d’histoire,lézardé et patiné par le temps,là un jardinsecret ombragé où, il y a plus de deux siècleset demi, Giacomo Casanova attendait peut-être l’une de ses maîtresses. C’est le momentoù s’éteignent les enseignes des boutiquesde bimbeloterie et où s’allument les

lumières dans les foye rs des dern i e rsVénitiens.

Chaque jour moins nombreux,ils sontchaque jour un peu plus vieux. En 1951,1 7 5000 personnes vivaient dans les 118 î l e sréunies par 160 canaux, qui forment lecentre historique de Ve n i s e . En 1998, i ln’en restait plus que 68000, et ce chiffredevrait tomber à 40000 en 2005. Si l’on netient pas compte des étudiants – logés pardes propriétaires qui évitent de les déclarer

Cent dix-huit îles réunies par 160 canaux forment le centre historique de Venise.

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10 Le Courrier de l’UNESCO - Septembre 2000

pour échapper au fisc –, les résidents demoins de 19 ans ne représentent qu’unei n fime partie de la populat i o n . L’âge moye ndes Vénitiens,qui dépassait déjà 50 ans en1998, ne cesse d’augmenter.

Les Vénitiens s’en vont et avec eux lesinstitutions qui s’étaient établies dans laville: la compagnie d’assurances Assicura-zioni Generali, le quotidien Il Gazze t t i n o, l aRai (radiotélévision d’Etat) et les banques.Les touristes, qui arrivent en masse, com-blent le vide: 10 millions en 1994 et 15 m i l-lions prévus pour 2005. La ville des théâtres,des églises, des couvents, des palais et desmaisons closes se transforme en une gi g a n-tesque pizza. De 1976 à 1991, le nombre depizzerias, de restaurants et de pensions aaugmenté de 144%.

Un espace incertain,ni terre ni mer

Venise va-t-elle vieillir et mourir commeses habitants? Qui peut le dire? Il est si dif-ficile de savoir la vérité dans une ville aussil a b y rinthique que les histoires d’Hugo Prat t .Instable comme les équilibres écologiquesde la lagune,Venise est la ville du «peut-être».

Impossible d’imaginer Venise sans salagune, espace incertain, ni terre ni mer,dont le nom exprime l’absence: lacuna, enlatin, signifie «manque», le renoncement àla terre. Ce lieu précaire et provisoire s’estc o n s t ruit petit à petit grâce aux millionsde mètres cubes de sédiments charriés pen-dant des siècles par les fleuves,les torrentset les ruisseaux qui trave rsent la plaine pourse jeter dans l’Adriatique.

La lagune ne fait pas partie de la mer;elle en est séparée par 50 km de plages deterre et de sable qui se terminent par lesbouches des ports du Lido, de Malamoccoet de Chioggia. C’est par là qu’entre l’eausalée et ressort l’eau saumâtre.Toutes les sixheures va et vient la marée.La lagune res-p i r e , comme un poumon gigantesque com-posé de milliers de bronches.

La lagune n’est pas que terre ou eau.Elle est constituée d’isole suffisamment éle-vées pour que l’eau ne les recouvre pas mêmependant les marées d’équinoxe ; de b a r e n e, q u iémergent entre deux flux et qui, plus quede simples bancs de sable, sont des écosys-tèmes complexes formés d’animaux et deplantes adaptés à ce milieu oscillant entre l’airet l’eau;de velme, ces bancs de boue visiblesà marée basse; et de g h e b i, les canaux ve rts defange et d’algues empruntés par les eaux quis’évacuent de la lagune à marée basse.

La lagune est un pied de nez de la nat u r evouée à disparaître, une étape dans le pro-cessus de form ation des côtes. Mais ungroupe d’hommes hardis a décidé un jour defaire du solide avec de l’instable. P u i s , d e

g é n é r ation en générat i o n , les hommes ontlutté contre les éléments comme des funam-bules évoluant sur une corde raide. To u-j o u rs prêts à affronter à coups de pelles et depioches les forces déployées par la mer ou lat e rre pour rompre cet équilibre, ils n’ava i e n tqu’une chose en tête: p r é s e rver l’existenceet la richesse de Ve n i s e , leur ville de pierre etde marbre édifiée sur des marécages,c o m m esi c’était une ville à l’intérieur des terr e s.U n e utopie à l’image de la plus fragile detoutes les villes, mais assez puissante poursoutenir un vaste empire.

Ces gens obstinés ont commencé parassécher les terr e s , creuser des canaux,dévier les fle u ve s.A i n s i , dans le cadre d’unprojet gigantesque lancé en 1501 et achevédeux siècles plus tard, ils ont détourné lestrois cours d’eau principaux de la lagune: l eS i l e , le Piere, et le Brenta. E n s u i t e , et de plusen plus fréquemment,de grands chantiersde travaux publics ou privés ont été lancéspour favo riser le développement civil etmilitaire de la «Serenissima». Ils perm e t-taient de faire entrer jusqu’au port ou àl ’ a rsenal de Venise des navires marchands etmilitaires à plus fort tirant d’eau.

«Bien que les technologies employées fus-sent chaque fois plus agressives que les simplespelles et pioches des ori gi n e s,ces interventions ontt o u j o u rs laissé à la lagune le temps de retrouve r

un nouvel équilibre» , explique Stefano Boat o,professeur d’aménagement du territoire àl’Université de Venise. Il en a été de mêmel o rs des opérations suivantes menées dans laseconde moitié du X I Xe s i è c l e , quand Ve n i s efut défin i t i vement intégrée au Roya u m ed’Italie (1866), après être passée entre lesmains de la France et de l’Autriche.

C’est bien plus tard,entre 1952 et 1969,que la ville a reçu l’estocade fin a l e : pour queles navires pétroliers puissent accoster dansle port industriel de Marghera,on y a creuséle Canal du pétrole, rectiligne et profond de1 5m è t r e s.A la même époque, la région n’apas cessé d’accueillir des industries chimiqueset pétrochimiques hautement polluantes,qui pompaient de plus en plus d’eau dans lesnappes souterraines et déve rsaient de plus enplus de poison dans la lagune. «A ce moment-l à ,l’équilibre qui s’était toujours maintenu,et quel’on avait réussi à recomposer pendant 19 s i è c l e sd ’ i n t e r - r e l ation entre l’homme et la nat u r e , aété rompu. La situation est en train de deve n i rd ra m at i q u e» ,p o u rsuit Boat o.

Les pétroliers, les cargosLa lagune, un écosystème unique form é

d’eau douce, d’eau saumâtre et d’eau saléeest en train de se transformer inexorable-ment en bras de mer dans sa partie centraleet en marécage à la périphérie. Là où dutemps de la «Serenissima» il était interdit decreuser des canaux de plus de quatre mètresde fond, il existe aujourd’hui de véritablesautoroutes aquatiques profondes de plusde 20 mètres. Les pétroliers , les cargos et lespuissantes vedettes capables de transport e rdes centaines de touristes soulèvent desvagues qui détruisent les ve l m e et les b a r e n e,annulant les mouvements naturels qui frei-naient l’avancée des marées.

Les passerelles provisoires en bois pendant l’acqua alta.

Un groupe d’hommes hardisa décidé un jour de faired u solide avec de l’insta b l e .Les hommes ont luttécontre les élémentscomme des funambules

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N O T R E P L A N È T E

Septembre 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 11

Toutes ces pert u r b ations contri buent àaccroître l’érosion, qui ruine les fonds del a lagune et jusqu’aux fondations desi m m e u b l e s. Selon les calculs du Consort i u mVenezia Nuova , 1,2 million de mètres cubesde terre disparaissent ainsi chaque année,chiffre que la province de Venise estimequant à elle à quatre millions. Les pêcheursde moules qui «labourent» le fond de lal a g u n e , selon une technique de pêche inter-dite mais largement tolérée, c o n t ri bu e n tégalement à l’érosion.

A cela s’ajoutent les zones de pêche,c e i n-turées par des digues, qui réduisent d’autantl’aire d’expansion des marées. Vingt ans(1950-1970) de pompage des eaux souter-raines ont fait baisser de 10 cm le niveau dusol de Ve n i s e . E n fin , la ville est victime desi n o n d ations que connaît toute la région et del ’ é l é vation du niveau de l’Adri at i q u e .

Résultat: en 1990,Venise était tombée23 cm plus bas qu’en 1908. De plus, pen-dant 30 ans, de 1965 à 1995,les Vénitiensont «oublié» de nettoyer les canaux de lav i l l e , une pratique que leurs ancêtres consi-déraient comme indispensable pour desraisons physiques (faire mieux circuler l’eaudes marées) et hy giéniques (évacuer lesdéchets accumulés).

Des écarts trop importants entrel’acqua alta et les marées basses

Les conséquences sont gr ave s. D ’ u ncôté, on recense plus de 50 jours par and ’acqua alta (marée haute), qui font dis-paraître sous les eaux une grande part i edes rues et des places de Ve n i s e .De l’autre,il est de plus en plus fréquent que les maréesbasses le soient tellement qu’elles ne per-mettent plus aux chalands et aux bateaux àvapeur de naviguer sur les canaux.

Le 4 novembre 1966, une gigantesqueacqua alta a entièrement submergé Venise etles îles de la lagune pendant 24 heures. L e sdégâts économiques et artistiques ont étéénormes, mais pas autant que la vague depanique qui a parcouru le monde: un peuplus et la plus belle ville du monde suc-combait sous une avalanche d’eau... Et celapouvait se reproduire à tout moment!

Le choc a été tel qu’il a provoqué unnombre incalculable d’initiat i ve s : les comitésn ationaux et intern ationaux se sont multi-p l i é s , de même que les commissions d’étude,les lois et les projets. Les grands organismesi n t e rn ationaux se sont mis en état d’alert e ,UN E S C O en tête.L’ o r g a n i s ation a transféré àVenise son Bureau pour la science et la tech-n o l o gie en Europe et entrepris le gr a n d i o s e«Projet Ve n i s e » . Cette initiat i ve a produit unefoison d’études et de rencontres afin d’exa-miner à la loupe tous les problèmes de la villeet de sa lagune: g é o l o gie et morp h o l o gi e ,

dynamique des eaux, processus chimiques etb i o l o gi q u e s , c o n t a m i n at i o n , d é m o gr a p h i e ,t r a fic et assainissement des canaux.

Aucune autre ville au monde n’a étéétudiée aussi en détails; aucune n’a été dis-séquée à ce point afin de cerner les raisonsde son apogée et de sa décadence. E t , fa u t -il ajouter, aucun labeur aussi acharné n’asans doute produit de si maigres fruits.

Mais tout compte fa i t , et au risque detomber dans le schémat i s m e , cette complexea f faire pourrait se résumer en deux phrases.On peut les lire, rédigées dans le jargonbu r e a u c r at i q u e ,dans la loi la plus import a n t enée de la panique de 1966,celle de 1984,q u ip o rte le numéro 798. Selon la premièrep h r a s e , les travaux visant à sauver Ve n i s ed o i vent «restituer l’équilibre hy d r og é o l ogique dela lagune,freiner et inve rser le processus de dégra-d ation et éliminer les causes qui l’ont provo q u é» .

Autrement dit, il faut faire en sorte queles canaux retrouvent des niveaux accep-tables (d’autres lois vont jusqu’à spécifier1 2 mètres de profondeur), r o u v rir leslagunes de pêche, recréer les barene et lesve l m e, n e t t oyer les canaux. M a i s , dans lamême loi, une autre phrase à l’air anodinprécise que toutes ces interventions doi-vent être menées à bien «en préser vant lesintérêts productifs et économiques de la zone».

En clair, si l’on s’en tient au texte, i lfaut à la fois rehausser le fond des canaux etlaisser passer les pétroliers ,r e d i m e n s i o n n e rles ports de la lagune et maintenir le trafica c t u e l , contenir la houle et permettre let r a n s p o rt de hordes de touristes ve rs lesîles de Torcello et Murano.Autant dire queles auteurs de la loi sont les héri t i e rs directsdu dramaturge Carlo Goldoni et de sonArlequin qui servait deux maîtres.

Depuis près de 20 ans, le système dedigues ou de vannes mobiles env i s a g écomme solution est une véritable pomme ded i s c o r d e ,p r ovoquant maints débats et dis-cussions entre techniciens et politiques. Il aété baptisé MOSE, nom italien de Moïse etacronyme de Modulo Sperimentale Elettro-m e c c a n i c o, un prototype de vannes gr a n-deur nature qui a été testé dans le canal deTreporti entre 1988 et 1992.

Après des années d’études et moultva ri a n t e s , MO S E a été adopté par le Consor-tium Venezia Nuova , le groupe d’entre-prises publiques et privées chargé d’entre-prendre les travaux de préservation de lalagune par le ministère italien des Travauxpublics et l’Office des eaux de Venise.

Le projet prévoit de doter les trois entréesdes ports du Lido, de Chioggia et de M a l a-mocco d’un système de vannes mobiles,s o rtes de grands coffres de 20 mètres del a r g e , 20 à 30 mètres de haut et quatre à cinqmètres de profondeur. Dans des conditionsn o rmales et tant que l’amplitude de la maréene dépassera pas un mètre, ces coffres rem-plis d’eau reposeront sur le fond du canal. E ncas de marées plus fort e s , dites «exception-nelles» (il y en a sept par an en moyenne etexceptionnellement jusqu’à 20, comme en1 9 9 6 ) , un système hydraulique remplira lescoffres d’air afin de les suréleve r.

La construction du port industriel de Marghera et l’arrivée des pétroliers ont rompu les équilibres de Venise.

Le projet doterait les entréesdes trois ports d’un systèmede vannes mobiles, coffresd e 20 mètres de large, 20à 30 mètres de haut et quatreà cinq mètres de profondeur

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N O T R E P L A N È T E

12 Le Courrier de l’UNESCO - Septembre 2000

Comme ils sont reliés au fond par despieux plantés dans la va s e , ils agissent ens’élevant comme une porte qui se referme,et se transforment ainsi en digues qui isolentla lagune de la mer. Le plan prévoit que 18de ces vannes soient installées à l’entrée dup o rt de Chioggi a , 20 à Malamocco, et deuxséries de 20 et 21 séparées par une darseintermédiaire à l’entrée du Lido.

Ce travail de titan, selon les prévisions,demandera huit ans de travaux et 6 0 0 0o u v ri e rs par an pour un coût de 37 0 0 m i l-liards de lires (environ 1,8 milliard de dol-lars).En y ajoutant les taxes et autres frais– et sans compter les frais d’entretien quisont considérables – la municipalité deVenise a estimé le coût total du projet à5 334 milliards de lires (aux prix de 1992),soit quelque 2,6 milliards de dollars.

«Ces digues mobiles doivent se fa i r e» ,a f firme le professeur Philippe Bourdeau del’Université libre de Bruxelles,qui présidele comité international d’experts nommépar le gouve rnement italien pour évaluer lep r o j e t . «Les vannes mobiles, e s t i m e - t - i l , s o n t ,avec l’élévation du niveau du sol et les autresmesures prévues, le meilleur moyen de sauverVenise pour les 100 prochaines années».

«Ces digues mobiles doivent absolument êtreévitées»,répliquent Stefano Boato, les Verts,Italia Nostra,G r e e n p e a c e , Le Fonds mondialpour la nature (WWF) et d’autres organisa-tions écologi s t e s , qui affirment que le projetserait désastreux pour un écosystème aussif r a gi l e . Mais c’est surtout la municipalitéde Venise et le ministère de l’Env i r o n n e-ment et du Pat rimoine culturel qui en appel-lent au principe de précaution. Ils soutien-nent qu’avant de prendre une décision ausujet de ces digues mobiles, il faudra rétablirl’équilibre géomorphologique, hydrauliqueet biologique de la lagune. E n t r e p r e n d r e ,par exemple,le nettoyage des canaux com-mencé en 1998 (voir encadré) et la surélé-vation du niveau du sol.

D e rrière cette controve rs e , d ’ a u t r e squestions sont posées. Celle de l’autonomiede la ville, par exemple: le Consortium etl’Office des eaux dépendent du ministèredes Tr avaux publics, qui se trouve à Rome,et les entreprises qui forment le Consort i u msont de grandes firmes publiques et pri-vées (comme Fiat ) , qui n’ont pas ou peu deliens avec Ve n i s e . O r , les V é n i t i e n s , c ’ e s tbien connu, ont toujours eu l’habitudedepuis 2 000 ans de résoudre leurs pro-blèmes entre eux.

Et puis,il y a l’aspect économique: unesomme de 2,6 milliards de dollars, qui desurcroît augmente tous les jours , c ’ e s ténorme. Si on affecte tout cet argent à unseul projet, que restera-t-il pour d’autresi n i t i at i ves et pour les petites entreprises véni-tiennes qui pourraient s’en charger? Finale-m e n t , toutes les grosses entreprises de Milan,Tu rin et Rome remporteraient la mise etVenise devrait se contenter des miettes.

Les risques d’unepollution irréparable

Le débat a été long. En novembre 1998,la Commission d’éva l u ation de l’impact env i-ronnemental du projet,désignée par le minis-tère de l’Environnement et présidée par laprofesseur Maria Rosa V i t t a d i n i ,de la Fa c u l t éd’architecture de Ve n i s e , a rendu un av i sn é g atif et invité le Consortium à réexaminertous les aspects du projet. Un mois plus tard,une commission ministérielle a publié unavis allant dans le même sens,qui a été annuléen juin 2000 par le Tri bunal administrat i fr é gional de la V é n é t i e . Aux dernières nou-ve l l e s ,l o rs d’une réunion d’experts qui s’esttenue à Rome en juillet 2000, G i u l i a n oA m at o, président du Conseil italien, a déclaréque la décision finale lui reviendrait et aassuré qu’il la prendrait en Conseil desministres avant la fin de l’année 2000.

M a i s. . . et si le vrai problème de Ve n i s e ,c en’était pas les marées «exceptionnelles»comme celle de 1966? Et si la prochaine

catastrophe ne venait pas de la mer mais dela lagune? Chaque année, 25 millions detonnes de marchandises naviguent sur lalagune, dont la moitié est du pétrole et sesd é ri v é s. Il suffirait d’un seul accident depétrolier pour provoquer des dégâts incal-culables à l’écosystème, r e c o u v rir les canauxd’un épais manteau de naphte et laisser àjamais une trace visqueuse et grasse au pieddes églises et des palais. Le 29 nove m b r e1 9 9 5 , cinq tonnes de carburant léger se sontd é ve rsées dans la lagune, f o rmant uneimmense tache qui a flotté à la dérive pen-dant quatre jours.Etait-ce un ave rt i s s e m e n t ?

Dans la ville des masques, il se pourr a i tmême que le ciel rougeoyant du soir, quiembrase les églises et les palais et qui fa s c i n etant les touri s t e s , ne soit rien d’autre qu’uneffet de l’air contaminé s’échappant desi n s t a l l ations pétrochimiques de Marghera,et accentuant la frange rouge des radia-tions lumineuses. ■

+ …Pierre Lasserre et Angelo Mazollo, The VeniceLagoon Ecosystem, UNESCO, 2000.

INSULAET LE NETTOYAGEDES CA N A UX

On peut comparer toute ville à une gra n d emachine qui doit être régulièrement révisée

et réparée.Cette loi s’applique tout particulièrement à

Venise, avec ses quelque 50 kilomètres de ca n a u xaccumulant chaque année près d’un demi-mil-lion de mètres cubes de déchets et de boues, ses4 54 ponts et ses 100 kilomètres de rives, la plupartdonnant sur les sous-sols de palais, d’églises et decouvents, reproduits dans les livres d’art du mondee n t i e r.

Bien que l’entretien de cette ville para i s s eune nécessité évidente, il a fallu des années de dis-cussion pour en prendre la décision. Le résultats’appelle Insula, une société mixte (52 % desparts sont détenues par la municipalité et 48 %par quatre entreprises privées), née en juillet19 97 afin de gérer la machine urbaine de Ve n i s e .

En un peu moins de trois ans, Insula s’estfondée sur une énorme masse d’études réali-sées par le bureau de l’UNES CO à Venise pourd raguer plus de 22 kilomètres de canaux, extra i r e123 0 0 0 mètres cubes de boues et restaurer79 ponts. Elle va bientôt entreprendre le câblagede la ville par de la fibre optique car, pour sur-vivre, Venise doit aussi se propulser à la pointe dela science et de la recherche. ■

Quand l’amplitude de la marée dépasse un mètre,les coffres sont surélevés en les remplissant d’air.

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A P P R E N D R E

Septembre 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 13

■Tous les semestres, Li Shumei et Y iB e nyao refusent des centaines d’en-fants qui frappent à la porte de leur

é c o l e , installée dans une ancienne fa b ri q u ede peinture à l’ouest de Beijing. Pas par mau-vaise vo l o n t é ; ils savent trop bien que pources enfa n t s , ils représentent la seule chanced’aller à l’école. Mais ils n’ont tout simple-ment plus de place.

Leur école, qui n’est pas reconnue par lesa u t o ri t é s , accueille plus de 1 300 enfa n t so ri ginaires de 28 provinces différentes. « B e a u-coup d’entre eux ont deux heures de trajet etd o i vent prendre quatre bus pour arri ver ici le

m at i n, souligne Li. Et ils travaillent dur,s a c h a n tq u ’ i l s coûtent cher à leurs parents.» Ces enfa n t ssont différents des autres jeunes citadins: i l sfont partie de la «population flottante» de laC h i n e , une expression qui désigne les gensq u iv i vent ailleurs que dans leur lieu de rési-dence offic i e l .

Les parents de ces enfants sont pour lap l u p a rt des paysans pauvres partis trava i l l e rdans les grandes villes. E m p l oyés à des tâchesi n gr ates et précaires, sans sécurité sociale, i l sréalisent le gros des travaux pénibles quit r a n s f o rment le paysage urbain depuis unedizaine d’années. O f fic i e l l e m e n t , cette «popu-l ation flottante» compte 100 millions de per-s o n n e s , mais de nombreux observat e u rs

occidentaux l’estiment plus proche de1 5 0 m i l l i o n s. Elle représente l’un desphénomènes d’exode rural les plus massifsd e l ’ h i s t o i r e .

Il a débuté en 1979, avec le démantè-lement des communes populaires. A cetteé p o q u e , la productivité agricole a fait unbond en ava n t . La terre a donc demandémoins de bras et de nombreuses fa m i l l e sont migré ve rs les mégapoles comme Beijingo u S h a n g h a i . Au milieu des années 80, l eflo t a grossi suite à la chute des reve n u sru r a u x .Les autorités municipales ont durci l ar é g l e m e n t ation sur les migr at i o n s. Elles ontimposé aux candidats à l’exode de se munird’une lettre d’embauche et d’un perm i s

L ES ENFANTS «FLOTTA N T S »DE L’ É COLE CHINOISE◗ James Irwin

Malgré les succès du pays en matière d’éducation, les enfants de migrants ont du malà se faire une place à l’école. Et se rabattent, si possible, sur des circuits parallèles.

◗ Journaliste canadien basé à Shanghai.

Ecole primaire d’enfants migrants dans une banlieue de Beijing. «Dans les petites classes, nos élèves ont à peu près le même niveau que dans les écoles officielles».

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A P P R E N D R E

14 Le Courrier de l’UNESCO - Septembre 2000

d e résidence temporaire avant d’aller env i l l e .

En fa i t , des dizaines de millions de per-sonnes n’arri vent pas à obtenir ce perm i s.Elles ne sont donc pas enregistrées là oùelles vivent réellement, à la différence desm i grants perm a n e n t s , reconnus par les auto-ri t é s. La précarité de leur statut les expose àtoutes sortes de discri m i n at i o n s. Pour sco-l a riser leurs enfa n t s , elles n’ava i e n t ,j u s q u ’ àune période récente, qu’une seule option: l e si n s c rire dans un établissement non reconnu.

Li Shumei a quitté la province du Henanen 1993 pour vendre des vêtements à Beijing.A l’époque, se souvient-elle, il n’y avait pasd’écoles pour les enfants de migrants dans lac a p i t a l e . Et ils n’avaient pas le droit de s’ins-c rire dans les établissements municipaux.Comme elle avait déjà enseigné, Li Shumeia commencé à faire la classe chez elle à unepoignée d’élève s , avant d’ouvrir une écoleavec son mari . «Dans les petites classes, n o sé l è ves ont à peu près le même niveau en chinoiset en mat h é m atiques que dans les écoles offi-c i e l l e s» , estime Li.

Les enseignants ont appris à se passerde livres et de mat é riel scolaire. Mais le plusd i f fic i l e ,d i t - e l l e , est d’aider les enfants à sur-monter leur sentiment d’inféri o ri t é , lié à leurs t atut de citoyens de seconde zone. C o m m el’école n’est pas reconnue, ils ont aussi du malà réintégrer le système classique. Ils sontp o u rtant nombreux, dès l’âge de 12 ans, àr e t o u rner vivre chez des parents dans leurp r ovince d’ori gi n e , a fin de poursuivre leurs c o l a ri t é .

Dans les écoles non reconnues, les insti-t u t e u rs sont de jeunes diplômés ori gi n a i r e sdes mêmes provinces que leurs élève s ,ou desretraités de Beijing. Ils touchent à peine lamoitié du salaire officiel et n’ont aucunec o u ve rture sociale. Li doit se contenter desfaibles droits d’inscription qu’elle demande( e nviron 100 dollars par an) pour gérer soné c o l e . Elle a aussi eu la chance de recevoir ungénéreux don d’un couple de retraités deLos A n g e l e s , qui avait entendu parler de sont r avail par un journal de la diaspora. L o rs-qu’elle a été expulsée de ses locaux par lap o l i c e , cette somme lui a permis de se réins-taller ailleurs.

Selon la Fo n d ation Fo r d , la capitalechinoise abrite 200 à 300 écoles non re-c o n n u e s. Comme elles ne suffisent pas

Reconnaissant que le «miracle» économiquechinois n’a pas profité à l’intérieur du pay s ,le gouve rnement y a lancé des inve s t i s s e-ments de grande enve r g u r e . «Il semblerait queles choses s’améliorent un peu, assure DorothyS o l i n g e r. C e rtaines municipalités autorisent lesm i grants à fonder leurs propres écoles et de plusen plus d’entre eux arri vent à payer les supplé-ments de droits d’inscription exigés par les écolesm u n i c i p a l e s.Sans compter que certains migra n t sont maintenant de quoi se procurer le permis derésidence qui permet à leurs enfants de fréquenterces établissements aux mêmes conditions que lesa u t r e s.»

Mais au fil des ans, les migrants ont pri sl’habitude d’assumer seuls l’éducation del e u rs enfa n t s. «En fa i t , nous aimerions autantq u e les autorités nous oublient, explique ChenY i F u . L o rsqu’elles se manife s t e n t , c’est eng é n é ra l pour fe rmer les écoles ou leur infli ge rd e s a m e n d e s.»

Reste que selon toutes probabilités, l aChine rejoindra bientôt l’Organisation mon-diale du commerce, s’exposant à la concur-rence des marchés agricoles intern at i o n a u x .Ses 800 millions de paysans pourraient enp â t i r. Les problèmes posés par l’éducat i o ndes enfants de migrants et, plus largement,par les droits de ces «populations flo t t a n t e s »n’en deviendront que plus pressants. ■

à répondre aux besoins des quelque1 0 00 0 0e n fants de migr a n t s , nombre d’entreeux sont totalement privés d’éducat i o n .

D o r o t hy Solinger, professeur de sciencepolitique à l’Unive rsité de Californ i e , e s tl’auteur d’un ouvrage intitulé Lutte pour lac i t oyenneté dans la Chine urbaine. Selon elle,à Beijing, seuls 40% des enfants de migr a n t sde cinq à douze ans vont à l’école, c o n t r e1 0 0 % des natifs de la capitale. La situat i o nest la même dans d’autres villes en expansioncomme Shenzhen ou Shanghai.

Chen Yi Fu,directeur de l’école élémen-taire Hu Wan à Shanghai, estime que, «d a n sc e rtaines communautés de migra n t s, s e u l e m e n t2 0 à 30 % des enfants vont à l’école» . L e schiffres officiels disent autre chose. S e l o nune étude du Département de l’éducation deb a s e , le taux de scolari s ation des petitsm i grants se situait autour de 96,2% en 1996.Quant aux 4% restant, ils étaient considéréscomme victimes du manque de place dans lesé c o l e s , des droits d’inscription élevés et d’une nvironnement familial défavo r a b l e .

La pression des médias et de membres del’Assemblée nationale populaire a perm i sune évolution de la loi en mai 1998. Le gou-ve rnement central a décrété que les écolesnon reconnues seraient désormais autori-sées et que les grosses municipalités n’au-raient plus le droit de fermer les portes del e u rs écoles aux enfants de migrants âgésde 6 à 14 ans, s’ils vivaient là depuis plus desix mois. De nombreuses villes ont réagi enrendant prohibitifs les droits d’inscri p t i o n(jusqu’à 440 dollars par an, quand le reve n um oyen d’un travailleur migrant à Beijingavoisine les 600 dollars ) . Et selon le Pe o p l e ’sEconomic Jo u rn a l, seules quelques rares villescomme Wuhan ou Guiyang ont jusqu’icilégalisé le statut des écoles de migr a n t s.

«Les autorités de Shanghai ne s’estimentp a s responsables de l’éducation des enfants dem i gra n t s,a l o rs que ce sont eux qui se coltinent lest ravaux les plus durs» , r a p p o rte Chen Yi Fu.O ri ginaire de la province d’Anhui, il s’occuped ’ e n fants de 13 prov i n c e s , qui lui paye n tprès de 100 dollars par an. «Ils fo n tp a rtie desc h a n c e u x» , dit-il avant de se plaindre des7000 dollars de loyer qu’il doit payer chaqueannée à l’arm é e ,p r o p riétaire du terr a i n .

Sans parler de la loi de 1998, la situat i o nsemble néanmoins évoluer dans le bon sens.

LE GRA NDBOND ÉDUCAT IF

En 1949, quand la République populaire deChine a été proclamée, 20% des enfants en

âge de fréquenter l’école primaire étaient sco-larisés, et 80% de la population était analpha-bète. Depuis, ce pays d’1,2 milliard d’habitantsa toujours fait de l’éducation une priorité. Lepremier objectif des autorités a été d’assurerl ’ é d u cation primaire pour tous. Puis en 19 8 6 ,elles ont adopté une loi étendant à neuf ans lascolarité obligatoire.

Selon le ra p p o r t1 établi par la Chine pour leForum mondial de l’éducation de Dakar (Séné-gal, avril 2000), le taux net de scolarisation dansle primaire2 atteignait 98,9% en 1998, tandisque le taux d’analphabétisme se limitait à16 , 37%. Les efforts actuels consistent à amélio-rer l’accès à l’éducation dans les régionspauvres et abritant des populations minori-taires, à faciliter la collecte de fonds pour l’édu-cation et à élever le niveau des enseignants. ■

1. Internet: http://www2.unesco.org/efa/wef/countryreport/china2. Nombre d’enfants scolarisés appartenant à latranche d’âge officiellement définie comme celle del’enseignement primaire, exprimé en pourcentage dela population totale appartenant à cette tranche d’âge.

Seuls 40% des enfantsd e m i g rants de cinqà d o u z e ans vont à l’école,contre 10 0% des natifsde la ca p i ta l e

Le plus difficile est d’aiderles enfants à surmonterl e u r sentiment d’infériorité,l i é à leur statut de citoyensd e seconde zone

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Septembre 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 15

D o s s i e r L’ a u t re mondialisation:

l’éveil citoyenS o m m a i re

1 | Lignes de front

1 6 L’ É t a t , un alliéKidane Mengisteab

1 7 Les militants du nouveau millénaireJulie Fi s h e r

1 9 M o n d i a l i s a t i o n : un impératif «mora l »Jagdish Bhagwa t i

2 0 D e m a i n , une économie humaineJean-Louis Laville

2 2 Une croissance inégalitaire

2 | Les nouveaux citoyens

2 4 Loin de SeattleJennifer Morrow

2 5 Les Igorots dans l’arèneVictoria Ta u l i - C o r p u z

2 7 Les Indiens sur le sentierde la mondialisationMarcos A l m e i d a

2 8 La colère des gens de la bro u s s eCrépin Hilaire Dadjo

3 0 Petit pêcheurs contre gros poissonsPropos recueillis par Ivan Briscoe

3 1 La lutte des classesvue de la Silicon Va l l e yVictoria Elliott

3 3 R e c o n s t r u i re la re l a t i o nPierre Calame

3 | Le pouvoir réinventé3 4 G o u v e r n a n c e : le temps de la réforme

I van Briscoe

3 5 O N G : une pensée et un contre - p o u v o i rCandido Grzybowski

Parce que la mondialisation a atteint les coins les plusreculés de la planète, «le monde est devenu mondia-l i s é » . Pour le meilleur,a f firment les uns (pp. 1 9 - 2 0 ) , et pour

le pire, dénoncent les autres (pp. 2 0 - 2 1 ) . Ces derniers, face à l’uni-versalité et l’uniformité de cette révolution, ont donné nais-sance à une sorte d’internationale d’oppositions jusque-là écla-t é e s, car les problématiques locales et mondiales sont désormaisi n s é p a r a b l e s. Seattle a été leur révélateur.

Ce dossier invite à un voyage dans cette constellation de mou-vements qui s’opposent au cours actuel de la mondialisation,d o n tles ONG sont le fer de lance (pp. 24 à 32).Aussi différentes quesoient leurs situations, leurs revendications et leurs actions,militants environnementalistes américains,minorités ethniquesdes Philippines, mouvements indigènes de l’Equateur, p a y s a n sb u r k i n a b é s, pêcheurs indiens ou «techniciens de surface» de laSilicon Valley convergent pour dénoncer les mêmes mécanismeset promouvoir la même aspiration: une nouvelle citoyenneté quicontrebalancerait le poids des affaires, un renouveau du politiqueface à l’économique. Pour cette opposition, la mise en réseau deses expériences et la capitalisation de leurs enseignementsdevient ainsi une arme essentielle (p. 3 3 ) .

Quels contours veut-elle donner à une future «gouvernancedémocratique mondiale»? Les projets concrets restent flo u s( p p. 3 4 - 3 5 ) , bien que la légitimité de ces ONG ne repose que surla pertinence de leurs questions et de leurs propositions (pp. 3 5 -3 6 ) , ■

Dossier conçu et coordonné par Ivan Briscoe et René Lefort,respectivement journaliste au et directeur du Courrier de l’UNESCO.

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16 Le Courrier de l’UNESCO - Septembre 2000

La mondialisation est souvent considérée commeun phénomène planétaire d’ori gine techno-l o gi q u e , qui a conduit à une intensific at i o n

des relations entre nat i o n s. Ce n’est cependant làqu’une de ses fa c e t t e s , qui ne présuppose pas l’ho-m o g é n é i s ation idéologique ou la rapide réductionde l’État providence auxquelles on assiste aujour-d ’ h u i .

Le débat sur la mondialisation ne porte passur l’intensific ation des interr e l ations mondiales,mais plutôt sur la conception du système intern a-tional que la mondialisation projette. Cette concep-tion implique un système économique intern a-tional doté d’un code de conduite clairementidentifié en matière dec o m m e r c e , fin a n c e , t a x a-t i o n , politiques d’inve s-t i s s e m e n t , p r o p riété intel-lectuelle et marché desc h a n g e s , établi selon lesp rincipes du néolibéralismeet avec le minimum der é g l e m e n t ation gouve rn e-m e n t a l e . Comme le fa i tjudicieusement remarquerEllen Wo o d , une spécialistede l’économie politique,cette conception du système intern ational repré-sente une nouvelle phase du capitalisme, «plus uni-ve rs e l l e , plus incontestée et plus pure que jamais aupa-rava n t» .

Pour nombre de ses détracteurs , la mondia-l i s ation est essentiellement un processus anti-d é m o c r atique faisant fi des intérêts de nombre degr o u p e s. Mais ce processus ne résulte pas seulementdes forces du marché. Il n’existe que grâce à l’ac-c e p t at i o n , sinon au soutien actif des gouve rn e-m e n t s , notamment ceux des pays ava n c é s.

La liste des problèmes causés par la mondiali-s ation est longue. Dans les pays à faibles reve n u s ,comme ceux d’Afrique subsahari e n n e , où les gou-ve rnements n’ont pas su ou voulu garantir à lap o p u l ation la protection la plus rudimentaire contrecette nouvelle phase du capitalisme mondial et lesp r o grammes d’ajustement stru c t u r e l , la situation dupeuple est particulièrement désespérée.

Les opposants à la mondialisation s’at t a q u e n tdonc à d’authentiques problèmes. Mais il n’estpas sûr qu’ils parviennent à l’inve rs e r , ni même àen atténuer les effets négat i f s.Tout d’abord parcequ’ils sont souvent mal organisés. E n s u i t e , p a r c eque la plupart d’entre eux s’attaquent à des pro-blèmes part i c u l i e rs au lieu de formuler une contre-proposition globale. À l’heure actuelle, c e l l e - c isemble porter sur un système intern ational qui nesoit pas façonné par les intérêts mesquins du capitalmais qui tienne compte des intérêts de dive rsgroupes sociaux. Elle est cependant encore un peum i n c e .

Qui plus est, ces opposants n’ont pas encorem i s au point de strat é gi e sviables pour freiner lam o n d i a l i s at i o n . C e rt a i n sestiment qu’il faut affa i b l i rvoir abolir des institutionscomme la Banque mon-d i a l e , le FMI ou l’OMC,qu’ils considèrent commedes agents de la mondiali-s at i o n . Mais c’est bienparce qu’ils jouent ce rôlequ’on voit mal pourquoi lesintérêts commerciaux et les

g o u ve rnements le perm e t t r a i e n t . Le bien-fondéde ces organismes ne peut diminuer que si les pay sdu T i e rs Monde, notamment ceux à moye n sr e ve n u s , commencent à réduire leur dépendance àleur égard sous la pression de la populat i o n .

Le principal problème des opposants à la mon-d i a l i s ation est néanmoins que beaucoup d’entre euxne perçoivent pas le poids de l’État . Un combat vic-t o rieux en faveur d’une véritable démocratie popu-laire peut le libérer de la mainmise des intérêtscommerciaux et fin a n c i e rs , et en faire un agentessentiel de la promotion d’intérêts sociaux ausens large. Au lieu de cela, de nombreuses ONGcomptent sur la société civile, a l o rs qu’elle ne peutse substituer à l’État en tant que décisionnairep o l i t i q u e . La lutte contre la mondialisation estessentiellement une lutte en faveur de la démo-c r at i e : l ’ É t at ne peut être court - c i r c u i t é , il doitd e venir un allié. ■

O p i n i o n

L’É t a t, un allié◗ Kidane Mengisteab

◗ Directeur du départementd’Études africaineset afro-américainesà l’Université de Pennsylvanie etauteur de plusieurs ouvrages surla mondialisation et ledéveloppement enAfrique. Il estd’origine érythréenne.

Un combat victorieuxe n faveur d’une véritable

d é m o c ratie populaire peutl i b é rer l’État de la mainmise

des intérêts commerc i a u xe t fin a n c i e rs, et en faire

u n agent essentielde la promotion d’intérêts

sociaux au sens larg e

L’or qui n’estpas extraitreste poussièresur la poussière; l ’ a l o è s,s’il prend racine sur les o l ,ne semble qu’unevariété de boisqu’on fait brûlercomme tant d’autres.Tire l’or de son fil o n ,chacun en veutet veut payer;débite l’aloèset mets-le à l’encan,chacun pour en avoirdonnerait l’oren échange.Les Mille et Une Nuits

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L’ a u t re mondialisation: l’éveil citoyen

Septembre 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 17

Pa rt o u t , les bonnes nouvelles pleuvent surle front économique.Dopée par la révo-lution des communicat i o n s , la croissance

mondiale nous promet une prospérité sans finq u i ,d i t - o n ,b é n é ficiera même aux peuples lesplus démunis.

Les manifestants de Seat t l e , qui protes-taient contre le soutien de l’Organisation mon-diale du commerce aux formes actuelles de lam o n d i a l i s at i o n , ont été dépeints par cert a i n smédias comme des militants d’un genre nou-ve a u , qui se mobilisent pour des chosesmineures comme la sauvegarde des tortues dem e r. Po u rt a n t , la «bataille de Seattle» n’étaitque la partie visible d’une vieille guerre oppo-sant les ONG aux pouvo i rs en place.

Les ONG ont commencé à se multiplier ily a une trentaine d’années en réaction à troismaux inextricablement liés: la pauvreté, la sur-p o p u l ation et la dégr a d ation de l’env i r o n n e-m e n t .La croissance démographique provo q u es o u vent la déforestation et l’épuisement dess o l s , donc une augmentation de la pauvreté.Cette dernière chasse les gens ailleurs , où lemême scénario se reproduit. E n fin , la destru c-tion de l’environnement par les multinat i o-nales peut accélérer la progression de la misère.

Depuis quelques temps, les ONG et leso r g a n i s ations de base se concentrent sur cesp ri o rités et incitent les gouve rnements à less u i v r e .La vague militante actuelle ne témoignepas d’un changement d’objectif. Elle montreque de plus en plus de gens comprennent que cert a i n sde leurs problèmes communs peuvent avoir une mêmec a u s e : la mondialisat i o n . Les agences économiqueset financières intern ationales constituent depuis long-temps des cibles de choix.Mais la nouvelle vigueur desc ritiques reflète une meilleure coordination des ONGface à la rapidité des changements économiques et à lapassivité des autorités politiques.

To u t e f o i s , la vraie question est de savoir si cesa c t e u rs de la société civile, à supposer qu’ils trouve n tdes alliés résolus dans les gouve rn e m e n t s , sont à la hau-teur des extraordinaires défis globaux de notre époque.Pe rsonne ne saurait le dire, mais un survol général dup aysage non gouve rnemental mondial peut livrerquelques indices. Le déve l o p p e m e n t , l’aide huma-n i t a i r e , les réfugi é s , les droits de l’homme et la

◗ Chargée de programmeà la Kettering Foundationde Dayton (Ohio),qui travaille surles moyens d’améliorerle fonctionnementde la démocratie. Son dernierlivre, paru en 1997 chez KumarianPress, s’intitule Nongovernments:NGOsand the Political Development ofthe Third World (Non-gouvernements: les ONGet le développement politiquedans le tiers-monde).

1 Lignes de f ro n t

Les ONG ont réussi une mobilisation sans précédent à Seattle, contrela mondialisation voulue par le F MI et l’OMC.

Les m i l i t a n t sdu nouveau millénaire◗ Julie Fisher

A Seattle, les ONG ont surgi sur le devant de la scène. M a i s, depuis des décennies,elles tissaient leur toile autour du globe.Visite guidée.

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d é m o c r at i s ation sont les principales préoccupat i o n sd e s ONG intern ationales (ONGI).Depuis 1995, on enrecense environ 20 000 dotées de filiales dans plus detrois pay s.S’y ajoutent quelque 5000 ONG basées dansun pays du Nord mais déployant des activités àl ’ é t r a n g e r.

Bien que leur nombre ait quadruplé depuis 1970,les ONGI semblent bien démunies face aux urgencesh u m a n i t a i r e s. En 1995, sur les 60 milliards de dollarsd’aide au déve l o p p e m e n t , 10 milliards seulement tran-sitaient par ces organisat i o n s.

Et pourt a n t , celles-ci sont devenues des acteursm a j e u rs. Elles font pression sur les organisations et lesconférences intern ationales avec un succès gr a n d i s s a n t .Du protocole de Montréal régulant les émissionsd’ozone (1987) à la conférence du Beijing sur lesfemmes (1995), elles ont contri bué à maintenir aupremier rang des préoccupations des thèmes commel ’ e nvironnement et les droits humains.

Mais l’étape la plus marquante de leur histoire estsans doute la prolifération des ONG dans les pays duS u d . Depuis une trentaine d’années, des jeunesp o u rvus d’une solide éducation profitent de l’aideétrangère pour fonder une associat i o n . Ils créent par-fois des branches locales des ONGI, mais défin i s s e n tle plus souvent leur propre progr a m m e ,y compris pourlutter contre la répressionp o l i t i q u e .

Presque part o u t , ce pro-cessus s’est appuyé sur unp a rt e n a ri at entre deux typesd ’ O N G : les associations debase et les ONG de soutien.Les premières, gérées par dup e rsonnel local, s ’ at t a c h e n tau développement de leur propre communauté. C e r-taines – comme les groupes de femmes – sont apparu e sr é c e m m e n t . D’autres en revanche sont issues d’orga-n i s ations communautaires comme les tontines (stru c-tures de micro-crédit),qui fonctionnent depuis des mil-l i e rs d’années.

P l u s i e u rs centaines de milliers de groupes de baseexistent sans doute en A f ri q u e , en Asie et en A m é ri q u el at i n e .Face à la crise de l’environnement et à la montéede la pauvreté dans les années 80, ces associat i o n s ,p a r-fois appuyées par des initiat i ves individuelles, se sontconstituées en réseaux. Dans l’Oranji, au Pa k i s t a n ,l’un d’eux a réussi à équiper 100 000 personnes en eaupotable et en unités d’assainissement.

A l’arri è r e - p l a n ,e nviron 50 000 ONG de soutien,très professionnalisées, canalisent l’aide intern at i o n a l eve rs la base.En Bolivie par exe m p l e ,p l u s i e u rs d’entreelles se sont unies pour promouvoir les serres à énergi es o l a i r e .

D’autres organisations s’attaquent à la corru p t i o net à la défense des droits de l’homme.Au Maharashtra(Inde) un centre anti-corruption soutenu par un réseaud ’ o r g a n i s ations de base a fait démissionner 40 cadresdes impôts.Ce genre de militantisme politique accèdeparfois aux enceintes mondiales à en croire V i c t o ri aTa u l i - C o rp u z , qui raconte comment des militantsautochtones sont arrivés devant les Nations unies àG e n è ve (pp. 2 4 - 2 5 ) .

18 Le Courrier de l’UNESCO - Septembre 2000

Le recul de l’autocratie a aussi conduit à la créat i o nd’ONG spécialistes des processus démocrat i q u e s.Elles supervisent par exemple la constitution des listesélectorales et le déroulement des scru t i n s ,et ont fait élirec e rtains de leurs leaders à des postes de responsabilitél o c a l e .

Les nombreuses ONG qui militent pour des chan-gements politiques majeurs n’en appellent pas forcé-ment à la ru e . Une ONG brésilienne propose pare xemple un numéro ve rt (gr atuit) permettant auxc i t oyens de signaler les problèmes env i r o n n e m e n t a u x .Il n’existe pas toujours de frontière nette entre lesONG et les autori t é s. En Inde, l ’ I n t e gr ated ChildD e velopment Service mène ses campagnes à trave rs desa s s o c i ations et par l’intermédiaire de sections des gou-ve rnements locaux et fédéral.

De puissants acteurs de la société civile émergentaussi dans l’ancien bloc communiste. La plupart desquelque 750 0 0 ONG de cette région ont été créées ouressuscitées après 1989 par l’afflux de l’aide étran-g è r e . Elles fournissent souvent des services sociauxque l’Etat ne peut plus rendre mais sont rarementenracinées dans la vie locale – les organisations localescomme les coopérat i ves ayant laissé de trop mauva i ss o u ve n i rs. Pa rmi les plus innova n t e s ,c e rtaines ont étéfondées pour répondre à la crise env i r o n n e m e n t a l e .

Elles jouaient presque, àl ’ o ri gi n e , le rôle de mouve-ments d’opposition et conti-nuent à défier les gouve rn e-m e n t s. Le micro-crédit fa i taussi son chemin dans lar é gi o n .

Les pays riches ne sontpas en reste.Aux Etat s - U n i s ,

70% des associations ont moins de 30 ans. Les mou-vements nés du développement d’Intern e t , c o m m eceux que décrit la jeune militante Andrea del Moral (pp.2 2 - 2 3 ) , sont plus récents encore.

Ce bref tour d’horizon montre à quel point il estd i f ficile de baliser le paysage associatif mondial,aussi complexe que va s t e , aussi dynamique que pro-m e t t e u r. Il existe même des réseaux intern at i o n a u xet des ONG nationales – la Grameen Bank au Ban-gladesh ou la Working Capital aux Etats-Unis – quise veulent des stimulants pour l’économie et le com-m e r c e . Elles montrent que la lutte contre une mon-d i a l i s ation sans conscience n’est pas forcémentmotivée par la haine du profit . Le monde associat i freprésente bien plus qu’une collection d’ONG: i lr e flète la capacité des citoyens à s’unir pour améliorerla vie publique.

On a beaucoup parlé d’Internet et de sa contri bu-tion au renforcement de la société civile.C e rt e s , il a sou-vent permis de mobiliser des individus du mondee n t i e r.Mais des millions de personnes n’ont toujourspas accès au téléphone, encore moins à l’ordinat e u r.E tsi elles y parve n a i e n t , elles trouveraient plus sûrementsur le Net une publicité pour une boisson non alcoo-lisée que des conseils sur l’art et la manière de puri fie rl ’ e a u . En réalité, le rôle du virtuel dans la régulation dela mondialisation dépendra avant tout des liens humainsnoués dans la vie réelle. ■

Lorsque les gensc o m b a t t a i e n tl ’ e s c l a va g e, l ’ a p a r t h e i do u l e c o l o n i a l i s m e,ils ne demandaient pasun partagep l u s é q u i t a b l ed e s b é n é fic e s.I l s c o m b a t t a i e n tc e s systèmes en soi. D em ê m e,n o u s n e pouvons pasn o u s c o n t e n t e rd e réclamer le p a r t a g edes profit sde la mondialisation.Nous devons combattrec e s y s t è m e.Martin Khor, d i recteur du T h i rdWorld Network (Malaisie)

L’étape la plus marq u a n t ede l’histoire des ONG

est leur pro l i f é ration dansles pays du Sud

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L’ a u t re mondialisation: l’éveil citoyen

Septembre 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 19

La «mondialisation» est un terme à la mode. E l l eest aussi devenue le terrain d’affrontement dedeux groupes antagonistes: les «anti» en ont

peur et soulignent ses aspects négatifs. Ils désirentla domestiquer par des interventions musclées,voire la paralyser. Quant aux «pro» (dont je suis), i l spréfèrent la louer et mettre en lumière ses côtés posi-t i f s , tout en veillant à en arrondir les angles grâce àdes mesures appropriées pour la rendre encore plusattrayante.

Selon de nombreux opposants, le principal défa u tde la mondialisation est qu’elle est amorale, vo i r ei m m o r a l e . Mais ils en ont une approche trop géné-r a l e . Ce terme recouvre en effet la grande va riété dephénomènes qui marquent l’intégr ation de l’éco-nomie mondiale: c o m m e r c e , flux de capitaux à courtt e rm e , i nvestissements directs à l’étranger, i m m i-gr at i o n ,c o nvergence culturelle, e t c. Les péchés desuns ne peuvent faire oublier les ve rtus des autres.C e r-tains sont véniels, y compris s’ils échappent à toutes u rveillance ou réglementat i o n ; d’autres peuve n têtre fatals si on laisse le marché seul maître du jeu.

La libéralisation du commerce, par exe m p l e ,ne présente guère de danger: si j’échange un peu demon dentifrice contre quelques-unes de vos brossesà dent,chacun de nous s’en trouvera mieux que sinous n’avions rien échangé du tout. Il faudrait uneimagination débridée, et un esprit dérangé, pourpenser que cette libéralisation des échanges conduità la crise économique. En reva n c h e , il n’y a que lesidéologues pour nier que la libéralisation hâtivedes flux de capitaux à court term e , sous la pressionde ce que j’ai appelé le «complexe du Trésor publicaméricain»,a contribué à précipiter la gigantesquecrise financière asiatique.

Il n’est pas plus censé de dire,comme les non-économistes effrayés par la mondialisation, que lal i b é r a l i s ation du commerce est un mal, sous prétexteque celle des flux de capitaux à court terme a pro-voqué des crises et pourrait en provoquer d’autres.En fait, il existe des similitudes évidentes entre lelibre-échange et la libre circulation des capitaux– la segmentation des marchés provoque des pert e sde profit dans les deux cas, par exe m p l e . Mais leursdivergences sur les plans économique et politiquesont encore plus criantes,et les décideurs ne peu-vent pas les ignorer.

Les anti-mondialisation réagissent en réalité,s o u vent de façon viscérale, à un autre problème: l avictoire du capitalisme sur son principal adve rs a i r e ,le communisme. Pour les universitaires idéalistes,qui ont toujours cherché une altern at i ve au capita-l i s m e , perçu comme un unive rs cupide et dénué deconscience sociale,la situation est psychologique-ment intenable. Du coup, certains se sont tournésve rs le théâtre de ru e , le nihilisme et l’anti-intellec-tualisme qui a caractérisé ces dernières années.D ’ a u t r e s , plus fin s , ont succombé à une repré-s e n t ation stéréotypée des multinat i o n a l e s : c e sforces «du mal» se seraient emparées de l’Etat, desinstitutions démocratiques et même des instancesi n t e rn ationales comme l’Organisation mondialedu commerce.

Ce que ces opposants oublient souve n t , c’est quec e rtaines libertés économiques sont essentielles à laprospérité et au bien-être social,et sont donc de laplus haute valeur morale. La propriété et le marché,par exemple, encouragent une production et uned i s t ri bution efficaces des richesses et peuvent ensuitecréer des moyens de subsistance échappant au

La mondialisation, remède à tous les maux:des paysans indiens ne semblent pas convaincus.

M o n d i a l i s a t i o n :un impératif « m o ra l »◗ Jagdish Bhagwa t i

Selon ce spécialiste du commerce international, la réduction de la pauvreté passepar la libéralisation des marchés et l’intégration de l’économie mondiale.

◗ Expert en économieinternationale au Council onForeign Relations de New York.Actuellement en congéde l’Université de Columbia, où ilest professeur d’économie et descience politique, il est l’auteurd’une quarantaine d’ouvrages.

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20 Le Courrier de l’UNESCO - Septembre 2000

D e m a i n ,une économie h u m a i n e◗ Jean-Louis Laville

La prétention à faire du marché l’ordonnateur suprême de nos sociétés est une utopiefort ancienne mais qui ne résiste pas aux faits.

◗ Sociologue, auteuren particulier de Une TroisièmeVoie pour le travailet L’Economie solidaire:une perspective internationale,Desclée de Brouwer, Paris, 1999 et2000.

contrôle des gouve rn e m e n t s. La démocratie setrouve alors renforcée au fur et à mesure que desgroupes d’exclus, comme les femmes ou les pauvres,accèdent à l’instruction, à des emplois rémunéréset à une meilleure santé, grâce à l’augmentationd e s dépenses publiques ou à des stimulantséconomiques.

Les critiques de la mondialisation vont encoreplus loin en la rendant responsable de la pauvretép e rsistante et de la prétendue aggr avation des inéga-lités locales et intern at i o n a l e s. Dans les pays ri c h e s ,les syndicats craignent en outre que leurs adhé-rents pâtissent de l’importation de produits fabri-qués dans les pays pauvres par une main-d’œuvrebon marché.

Toutes ces inquiétudes sont infondées. O ndémontrerait aisément qu’en Inde, où vit près d’unq u a rt des pauvres de la planète, le protectionnismeet l’hostilité au marché ont fait stagner le taux decroissance à 3,5% par an pendant un quart des i è c l e , sans effet notable sur la pauvreté. E nr e va n c h e , depuis que la croissance est repart i e ,dans les années 80, la pauvreté a décliné. Le taux decroissance dépend de plusieurs fa c t e u rs ; mais ilp r o fite toujours de la libéralisation des échanges etdes investissements étrangers , combinée à unebonne gestion des marchés.

Ap a rtir du début des années 80, marquées par lesr é volutions that c h é rienne et reaganienne, l enéo-libéralisme a semblé s’imposer sur la planète

sans rencontrer d’opposition séri e u s e . Mais les réactionsse multiplient face aux dégâts occasionnés: i n é g a l i t é s ,p a u p é ri s at i o n , e x c l u s i o n , d e s t ructions env i r o n n e-m e n t a l e s. D’un côté, les intégristes du marché prônentune dérégulation poussée au point que le seul secteurmarchand finirait par intégrer toutes les activitésh u m a i n e s ; la puissance publique ne détiendrait plus queles instruments de l’exercice de sa force: a rm é e ,j u s t i c e ,e t , en part i e , police et pri s o n . De l’autre, les part i s a n sd’une économie humaine,de plus en plus nombreux,se retrouvent derrière la form u l e : «oui à l’économie dem a r c h é , non à la société de marché». Ils affirment lanécessité de rétablir plus de régulat i o n , sous des form e sn o u ve l l e s , y compris au niveau de l’espace écono-mique d’aujourd’hui: le monde.

Cette opposition est vieille de trois siècles aum o i n s.Elle est née au moment où l’ordre religieux s’este f f o n d r é .Au début du X V I Ie s i è c l e ,Galilée démontreque la Te rre tourne autour du soleil, contrairement àce qu’affirment les Ecri t u r e s. Les philosophes affir-ment que l’ordre social est ce que les individus en font.Le dogme consistant à dire que tout pouvoir vient deD i e u ,qui assigne à chacun une place «naturelle» dansla société,vole en éclat . Les sociétés sont confrontéesà un défi i n é d i t : d é finir le «contrat» qui devra les lierd é s o rm a i s.

Deux réponses radicalement opposées s’affrontent.La première, « p o l i t i q u e » , fait confiance à la volonté età la ve rtu des individus pour décider,ensemble et libre-m e n t ,de ce nouvel ordre. La seconde, « é c o n o m i q u e » ,t r o u ve la démarche politique trop confiante dans lan ature humaine, donc fragi l e : ce nouvel ordre doitreposer sur des fondements inébranlables.Ce sont les

Quant aux inégalités entre les nations, ce sontprécisément les pays qui ont opté pour l’intégr at i o nà l’économie mondiale, c’est-à-dire les quatre gr a n d sd ’ E x t r ê m e - O rient (Corée du Sud, H o n g - K o n g,Japon,Taïwan) puis les pays de l’ASEAN, (Associa-tion des nations du Sud-Est asiatique) qui ontconnu une croissance spectaculaire. Pendant cet e m p s , ceux d’Afri q u e ,d ’ A m é rique latine et d’Asiequi restaient repliés sur eux-mêmes ne parve n a i e n tni à décoller ni à lutter contre la pauvreté.

Dénoncer l’appauvrissement de nos trava i l l e u rsn’est pas plus conva i n c a n t . Selon mes recherches, l atendance à la baisse des salaires liée à l’évolutiontechnique a été freinée grâce au commerce avec lesp ays pauvres. Il apparaît que les multinat i o n a l e sutilisent à l’étranger les mêmes technologies que dansleur pays et ne profitent pas de leur influence pourassouplir à leur avantage les normes locales.

Les anti-mondialisation réclament que les loisdu commerce intern ational incluent certaines règlessur l’environnement et le trava i l . Mais en créant denouveaux «obstacles» au libre-échange, on sape laliberté du commerce; et en mêlant le commerce àla morale, on risque de ruiner la morale elle-même.Les autres pays ont alors l’impression que le discourséthique est mis au service du protectionnisme etd’intérêts particuliers. ■

Pe r s o n n ene vous obligeà mangerc h e z M c D o n a l d ’s.Paul Krugman, é c o n o m i s t eaméricain (1953-)

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«lois» de l’économie, « n aturelles» et donc immuables.La première de ces lois est que tout individu estd’abord mû par son intérêt pers o n n e l ,dont le ressortp rincipal est le désir d’abondance. Ce désir unive r-sellement partagé unifiera en quelque sorte les sociétése t , de fil en aiguille, les organisera au mieux dansleur ensemble. C’est le premier glissement de l’éco-nomie de marché ve rs l’utopie d’une société qui luiserait tout entière soumise.

Une première supercherie consiste donc à affirm e rcomme une évidence la «modernité» de cette idéologi elibérale si forte aujourd’hui, et le retour en arrière quereprésenterait la re-création de mécanismes régulat e u rsplus puissants,« p o l i t i q u e s » , pour contrebalancer la pri-mauté d’intérêts privés sur l’intérêt général. L’ E c o s-sais Adam Smith exposait les fondements de cettei d é o l o gie voilà plus de deux siècles.

C e rt e s , à un ensemble de marchés locaux et inter-n ationaux très étroitement encadrés s’est substitué auX I Xe siècle un marché beaucoup plus «libre» mais quia lui-même engendré des institutions régulat ri c e s.Par un mouvement de balancier, l’idée d’un marché

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L’ a u t re mondialisation: l’éveil citoyen

g o u ve rnant la société s’étant révélée imprat i c a b l e ,les marchés d’aujourd’hui intègrent «des règles, d e si n s t i t u t i o n s,des réseaux qui encadrent et contrôlent la ren-contre et la fo rm ation de l’offre et de la demande1» .M a i sils sont contestés par un nouvel élan de dérégula-t i o n . La définition de l’économie marchande est doncune question «p o l i t i q u e , hautement confli c t u e l l e2» , q u in ’ a rrête pas de se poser.

M y s t i fic a t i o nLa deuxième supercherie est de prétendre que

l’économie de marché est la seule productrice derichesse et de richesses pour tous: leur accroissementdepuis 20 ans s’est accompagné de l’augmentation desi n é g a l i t é s.Un seul exe m p l e : les trois personnes les plusriches du monde ont une fortune supérieure au PIBtotal des 48 pays les plus pauvres.

E n fin , et c’est la troisième my s t i fic at i o n , l ’ é c o-nomie réelle repose de fa c t o sur trois pôles,comme l’adémontré Karl Po l a ny i3.Dans l’économie marchande,les termes de l’échange sont fixés par le pri x , l e sa c t e u rs se déterminant en fonction de leur intérêt.Mais elle admet de nombreuses contri butions nonm a r c h a n d e s , ne serait-ce que les aides et les subve n-tions ve rsées aux entrepri s e s. Dans l’économie nonm a r c h a n d e , la répartition des biens et des serv i c e ss ’ e xerce largement par le biais du service public,selon des règles édictées par une autorité publique sou-mise au contrôle démocrat i q u e . C’est le «we l fa r es t at e » .Dans l’économie non monétaire,e n fin , la pri o-rité va à la réciprocité: les prestations que les gr o u p e sou les personnes s’échangent n’ont de sens que par lelien social qu’elles permettent de nouer. Elle est trèsprésente dans la famille ou dans les associations eto r g a n i s ations de solidari t é .

Les entreprises bénéficient ainsi de l’apprentissageeffectué dans le cadre domestique et héritent de ce fa i td’un «capital social». De même, en particulier dans lesecteur des services en pleine expansion, elles profi-tent de l’investissement immat é riel – comme l’édu-c ation – qui relève largement de la collectivitép u b l i q u e . Elles bénéficient de commandes et d’in-vestissements publics.Elles dépendent des choix poli-tiques des Etat s. Ces quelques exemples suffisent àp r o u ver que l’opposition entre économie marchandeet non marchande ne résiste pas aux fa i t s , pas plus quel’opinion consistant à dire que la première est la seulesource de ri c h e s s e . Mieux vaut s’inscrire dans unep e rs p e c t i ve plus réaliste et moins idéologi q u e , c e l l ed’une économie pluri e l l e . C’est en la plaçant aucentre d’un débat public qu’il devient possible des o rtir de la dictature d’un marché conçu comme unen o rme abstraite et impersonnelle s’imposant à tous.L’économie humaine de demain ne peut se constru i r equ’à trave rs l’art i c u l ation de marchés régulés, d ’ E t at set de sociétés civiles démocrat i q u e s. ■

Un manifestant thaïlandais porte un fardeau qui symbolisele Fonds Monétaire International.

1. J. Gadrey, Services, la productivité en question , Desclée deBrouwer, Paris,1996.2. Idem.3. La Grande Transformation:aux origines politiques etéconomiques de notre temps , Gallimard, Paris,1983.

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22 Le Courrier de l’UNESCO - Septembre 2000

Pe rsonnes vivant avec moins de 1 dollar par jour dans les pays en développement et en tra n s i t i o n

Evolution du produit intérieur brut mondial(en milliards de dollars de 1995)

Evolution du produit intérieur brut mondial par habitant(en dollars de 1995)

1987

1998

(xx,x% :pourcentage par rapport à la population tota-le)

417(26,6%)

278(15,3%)

474(44,9%)

6(1,9%)

522(40,0%)

217(46,6%)

291(46,3%)

9(4,3%)

78(15,6%)64

(15,3%)

1(0,2%)

24(5,1%)

2866828737

21418

10960

5 752

12547

1975 1980 1985 1990 1995 1998 1975 1980 1985 1990 1995 1998

1 880

2 970

3 740

5 150

5 9906400

Une croissance i n é g a l i t a i re

Asie de l’Est& Pacifique

Europe de l’Est& Asie centrale

Amérique latine& Caraïbes

Moyen-Orient& Afrique du Nord

Asie du Sud Afrique sub-saharienne

L'enrichissement global d'un coté, la persistance de la grande pauvreté et le cre u s e m e n td e s inégalités de l'autre : c’est l'argument massue des opposants à la globalisation.

Le produit intérieur brut mondial a été multiplié par plusde 5, en valeur réelle, pendant les 25 dernières années

(ci-dessus à gauche).Pendant la même période, le produitintérieur brut mondial par habitant n’a été multiplié que par3,5 (ci-dessus à droite). Mais cette croissance n’a pas éga-lement profité à tous.Le nombre absolu des personnes vivant avec moins de 1dollar par jour dans les pays non-développés est restépratiquement stable (un peu moins de 1,2 milliard) pendant

la dernière décennie (ci-dessous). L’écart entre la part desrevenus que s’approprient les 20% les plus riches et les 20%les plus pauvres de la population mondiale a plus quedoublé pendant les 40 dernières années (page suiva n t e,e nhaut à gauche),et pratiquement triplé si l’on se réfère auxcinq pays les plus riches et les plus pauvres de la planète(page suiva n t e,en haut à droite).Et ces écarts sont encoreplus marqués dans différents domaines: par exemple, l e s20% les plus pauvres ne comptent que 0,2% des utilisateurs

d ’ I n t e r n e t , dont 93,3% appartiennent aux 20% les plus

riches (page suiva n t e, au milieu).

E n fin , la comparaison entre la valeur des ventes de g r a n d e s

multinationales et le PIB de différents pays illustre de façon

éloquente le poids des premières dans les affaires du monde.

(page suiva n t e, en bas).

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L’ a u t re mondialisation: l’éveil citoyen

Septembre 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 23

Les ventes de grandes entreprises mondiales dépassent le produit intérieur brut de nombreux pays (1998)

Evolution du rapport entre les parts de revenu des 20% les plus richeset des 20% les plus pauvres de la population mondiale

Disparités entre riches et pauvres en termes d'opportunité à l’échelle mondiale (1997)

Evolution du produit national brut par habitant des cinq paysles plus riches et les plus pauvres (en dollars de 1990)

Entreprise

20% les plus riches Catégories intermédiaires (60%) 20% les plus pauvres

Pays

Les plus riches:Etats-Unis,Suisse, Japon,Allemagne, Danemark

Les plus pauvres:Ethiopie, Congo(ex-Zaïre), Tanzanie, Bangladesh,Myanmar

178 175166

159

146 145 143133 129 129 128 127

121 123 120 118 113 111 111 107 103 102 100

6,270

14,429

578

19,953

5444571960

1950 1973 1992

1970 1980 1990 1997

30

1 1 1 1 1

32

45

60

74

13%

86%

1%

17%

82%

1%

31%

68%

1%

6,5%

93,3%

0,2%

Parts des investissementsdirects étrangers

Part des exportations de bienset de services

Parts des utilisateursd’Internet

Parts du PIB mondial

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24 Le Courrier de l’UNESCO - Septembre 2000

◗ Journaliste indépendante baséeà New York.

«M a n ge. En Ethiopie, les enfants crève n tfa i m .» Des centaines de gamins améri-cains ont entendu ce refrain.Et répondu

aussi sec: «Vous z’avez qu’à leur envoyer mes brocolis!» Maisà 22 ans,Andrea del Moral se demande encore: p o u r-quoi des enfants meurent-ils de faim? «Je ne comprendst o u j o u rs pas, d i t - e l l e . Il y a bien assez à manger dans lem o n d e.»

A force de se poser la question, Andrea s’est mar-gi n a l i s é e . Née dans la riche ville de Seattle (Etat deWa s h i n g t o n ) , elle a refusé plusieurs emplois lucrat i f spour se consacrer à une seule chose: comprendre com-ment peuvent coexister prospérité et fa m i n e .

Mais l’énigme résiste. Après avoir passé un an àmiliter – avec manifestations contre l’OMC à Seattle etWa s h i n g t o n , actions de sensibilisat i o n , campagnes iti-nérantes dans tout le pays –, Andrea avoue sa fru s t r a-t i o n . Son expérience l’a obligée à réévaluer sa strat é gi econtre les grands groupes qui, à son av i s , nuisent à las é c u rité alimentaire.

Avec ses boucles courtes et ses pantalons tropl a r g e s , elle se décrit comme «un peu punk» mais n’a ri e nde la rebelle arr o g a n t e .R é flé c h i e ,é q u i l i b r é e , elle a le ri r efacile et ne se prend pas au séri e u x . Qu’une jeunefemme comme elle qui n’a jamais connu la faim seconsacre corps et âme à ce problème a quelque chosed ’ é t o n n a n t , même pour ses propres parents. Elle estimep o u rtant qu’ils y sont pour beaucoup. Son père estprofesseur de botanique et sa mère travaille pourl’Agence américaine de protection de l’env i r o n n e m e n t .«J’ai grandi avec cette éthique [ é c o l o ] » , dit-elle ava n td ’ a j o u t e r: «Et ma famille m’a toujours encouragée à fa i r ece que je vo u l a i s» .

Au grand dam de ses parents,Andrea a commencépar abandonner ses études à l’Unive rsité de Montréalpour devenir militante à temps plein. Elle survit alorsen donnant des cours et en travaillant dans des théâtreset prend ses premières leçons de subve rsion à Montréal,au contact d’un groupe de jeunes d’une vingtaine d’an-n é e s. Ils montent des pièces de théâtre de rues dénon-çant les manipulations génétiques, collent de fausses éti-quettes sur des produits contenant des OGM etmanifestent devant les superm a r c h é s.

Comme des milliers d’autres militants des quat r ecoins de la planète,Andrea del Moral a d’abord vent parle Web du rassemblement de Seattle contre l’OMC( n ovembre 1999). «Au débu t , je ne savais même pas cequ’était l’OMC» ,d i t - e l l e . Mais en surfant sur le Net, e l l ene tarde pas à se fa m i l i a riser avec des termes comme«s t o cks de semences industri e l l e s» ou «b i o p i rat e ri e» .

Impuissance faceà l’agriculture industrielle

Elle en apprend aussi beaucoup sur les institutionsde Bretton Woods et leur sœur, l ’ O M C .Elle réalise qu’àl ’ o ri gi n e , «ces institutions n’ont pas été créées par des ge n savides de dominer le monde mais sur la base de bonnes inten-tions qui ont mal tourn é» .Pour elle, «les grandes orga n i s a-tions sont devenues des structures de pouvoir en contra d i c-tion fla grante avec la démocratie directe» .Elle reconnaît queles institutions intern ationales sont nécessaires pourréguler et harmoniser les lois de différents pay s. M a i selle craint qu’elles ne se préoccupent plus du profit éco-nomique que des gens, et préfère les voir disparaître.

Avant Seat t l e , Andrea parcourt les Etats-Unis entous sens,p a rticipant à des manifestat i o n s , à des at e l i e rs

2 Citoyens p l a n é t a i re sLoin de S e a t t l e◗ Jennifer Morrow

Après s’être frottée au militantisme actif et à la police, une jeune Américaine re v i e n tà la terre pour combattre les multinationales de l’agro a l i m e n t a i re.

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L’ a u t re mondialisation: l’éveil citoyen

Septembre 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 25

Les I g o ro t s dans l’arène◗ Victoria Ta u l i - C o r p u z

C é l è b re pour son combat contre un barra g e, ce peuple autochtone se bat aujourd’hui contrel a l i b é ralisation de l’économie philippine. Témoignage de l’une de ses principales avocates.

J’ ai commencé à militer dans les milieux esdiantins après avoir vécu à Manille au plus fortdu mouvement contre la guerre du V i e t n a m .

Mais je savais que je retournerais un jour chez moipour aider mon peuple. Depuis l’établissement de laloi martiale en 1972, nous ne pouvions agir quesous couve rt d’ONG, si nous voulions rester dans lal é g a l i t é . J’en ai donc créé une six ans plus tard pouraider les autochtones à s’organiser et leur offrir desprogrammes de santé communautaires.

sur la désobéissance civile et à des cours d’écologi esociale – une philosophie qui milite pour une vie prochede la nature et pour une agriculture biologi q u e .Très vite,elle comprend qu’elle sait parler aux foules. Mais àforce de rencontrer des gens, elle découvre surtout leslimites de ses théori e s.

Elle se souvient d’une conve rs ation avec un ferm i e rde l’Ouest du Canada. Il était d’accord pour dire queles multinationales comme Nabisco manipulaient lesp rix de sa récolte à leur avantage mais ne voyait pas enquoi l’agriculture biologique pourrait résoudre ses pro-blèmes d’argent. «Pour lui, c’était une question de profit ,pas de production.Nous voulions faire avancer les choses,mais nous ne sommes que des gosses des villes, d i t - e l l e .Je neme vois pas dire à ces gens que j’ai les bonnes solutions.»

Déçue par cette rencontre,Andrea décide de creuserle sujet et se dit que Seat t l e , où des dizaines de milliersde militants s’apprêtent à se retrouve r , est le meilleurendroit pour comprendre l’économie mondiale. E l l ea rri ve dans sa ville natale la veille de T h a n k s giving – jourde bombance aux Etat s - U n i s. Pe rsonne ne s’at t e n da l o rs au déferlement de violence qui va avoir lieu entrele 30 novembre et le 3 d é c e m b r e .

Au fur et à mesure que les délégués de l’OMCa rri ve n t , la sécurité est renforcée.En marchant dans les

rues de son enfa n c e ,Andrea sent le sol se dérober sousses pieds.Sa première rencontre avec les brigades anti-é m e u t e s , dans un parking, est un moment de véri t é :s e samis et elle, a rmés de leurs seules idées, se retrouve n tface à face avec beaucoup plus fort qu’eux. «A cet ins-tant précis, r a c o n t e - t - e l l e , j’ai compris qu’une sorte deg u e rre était déclarée contre nous et que [la police] était soni n c a rn ation visible… J’espère m’en souvenir chaque jour dema vie.»

Pour éviter d’être arr ê t é e , Andrea recule. Mais lesnuits et les jours sans sommeil qu’elle passe à échapperà la police finissent par venir à bout de ses forces. U n efois de plus, elle se demande si elle utilise son énergi eà bon escient. «Nous ne vaincrons jamais l’agri c u l t u r ei n d u s t ri e l l e ,a l o rs à quoi bon continuer?» , se dit-elle.

Andrea del Moral reste militante dans l’âme maisn’a pas encore trouvé sa place au sein du mouve m e n tcontre la mondialisat i o n .A u j o u r d ’ h u i , elle ne se bat plusen première ligne, préférant se consacrer à l’agri c u l t u r eb i o l o gi q u e . Elle travaille à la ferm e , dans les collinestranquilles du Ve rm o n t . Elle gagne 50 dollars parsemaine à labourer la terr e , r e cycler des semences etp r atiquer des méthodes de culture ancestrales qui,p e n s e - t - e l l e , viendront un jour à bout de la faim dansle monde. ■

◗ Directrice exécutivede la Fondation Tebtebba,basée àManille ([email protected]).Ce Centre des peuples autochtonespour la recherche et l’éducation aété crééen 1996 pour promouvoirla cause de ces peupleset étudier les conséquencesde la mondialisationsur leur mode de vie.

Victoria Tauli-Corpuz (à gauche) avec la militanteguatémaltèque Rosalina Tuyuc.

1. Les Igorots sont un peuple autochtone composéde six groupes ethno-linguistiques:les Ibaloy,les Kankana-ey, les Ifugao, les Kalinga, les Apayao/Isneget les Bontoc. Ils vivent dans les montagnes du norddes Philippines et pratiquent une religion très liéeà la nature. Selon le recensement de 1995, la régioncompterait au total 1254838 Igorots.

Nous avons élevé la conscience sociale et politiquede notre peuple et l’avons mobilisé contre la dicta-ture de Ferdinand Marcos. Nous avons compris quenous étions opprimés parce que nous étions autoch-tones, et qu’il fallait se battre pour l’autodétermi-nation et l’autonomie de la région.Dans les années80, devant notre opposition persistante, le gouver-nement a renoncé à son projet de barrage sur lefle u ve Chico, qui aurait entraîné le déplacementd’environ 300000 Igorots1.

A l’époque,nous avions déjà constaté combien ilétait important de faire partie d’un réseau intern at i o n a lpour bénéficier de soutiens dans notre lutte contre ler é gime militaire. Nous avons d é c o u ve rt la Décla-ration universelle des droits de l’homme et l’avonsm i s e à notre serv i c e .Pa r a l l è l e m e n t , les peuples autoch-tones se sont mobilisés pour faire pression sur lesN ations unies afin qu’elles s’intéressent aux violat i o n s

Après la guerre froide,la quatrième guerre ac o m m e n c é .Sous-Commandant Marc o s, c h e fde l’Armée zapatisted e l i b é ration nationale, a p r è sles manifestations de Seattle

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26 Le Courrier de l’UNESCO - Septembre 2000

des droits de l’homme perpétrées à leur encontre.Depuis la création en 1982 du Groupe de travail desNations unies sur les populations autochtones, cesdernières ont régulièrement participé à la rédactiond’instruments visant la protection de leurs droits.

Quoi qu’il en soit, je reste convaincue que les lutteslocales et nationales ont plus de poids que l’actioni n t e rn at i o n a l e . Si la dictature de Marcos est tombée,c’est surtout grâce à la majorité pauvre,qui s’est mobi-lisée pendant plus de 20 ans. Il a fallu attendre que ler é gime devienne extrêmement impopulaire pour quel’élite philippine et la communauté intern at i o n a l ecommencent à lui retirer leur soutien.

J’ai vu aussi comment les conquêtes réaliséessur le terrain peuvent être contrecarrées par des ins-titutions intern ationales comme la Banque mon-diale (BM) et le Fonds monétaire intern at i o n a l( F M I ) .A la fin des années 70 et dans les années 80,j’ai contribué à la mise en place de programmes desanté pour les communautés autochtones. Puis lespolitiques d’ajustement structurel de la BM et duFMI ont entraîné des réductions drastiques des bu d-gets de la santé.

La libéralisation de la législation philippine surl’investissement et le commerce a réduit à néant laplupart des progrès réalisés. La lutte pour les droitssur nos terres ancestrales, par exe m p l e , a été sapée parla loi sur l’exploitation minière de 1995. Selon cet e x t e , les sociétés étrangères peuvent disposer entiè-rement de terres riches en minerai de 810 0 0h e c t a r e sau maximum, pendant une période pouvant at t e i n d r e75 ans. En 1998, lorsqu’a été adoptée la loi sur lesdroits des peuples autochtones (qui est loin de nousdonner sat i s fa c t i o n ) , ces sociétés sont allées jusqu’àremettre en question sa constitutionnalité devant laCour suprême.

On nous a dit que si nous voulions nous déve-l o p p e r , il fallait cesser de produire pour notreseul usage et viser le marché mondial. O r ,a u j o u r-d ’ h u i , ceux qui ont opté pour les cultures d’ex-p o rt ation font fa i l l i t e , à cause de la concurr e n c e

d é l oyale des produits agricoles import é s , f o rt e-ment subve n t i o n n é s. Des aliments bon marchécomme les frites prêtes à cuire, le blé, les orangeset les poires, le poulet surgelé, e t c. , inondent lemarché nat i o n a l ,d é t ruisant les sources de reve n u sde dizaines de milliers de villageois. Et tout celaest arrivé parce que le gouve rnement philippin ap ris des engagements dans le cadre du GAT T

(l’ancêtre de l’Organisation mondiale du com-m e r c e , O M C ) .

Cette situation n’est pas spécifique aux Philip-p i n e s. Au Pérou, les pommes de terre de nos sœursquechua pourrissent dans les champs parce qu’ellesne peuvent pas concurrencer les frites améri c a i n e stoutes prêtes.Au Mexique, les import ations de maïset de blé ont détruit la production traditionnelle desa u t o c h t o n e s. L’ i n s é c u rité alimentaire empire de jouren jour et les gens perdent leurs reve n u s.

Nous sommes souventmal représentés

C e rt e s , nos gouve rnements ont tort de signer cesaccords et de soutenir un modèle économique qui nepeut être durable, car il repose sur la dette. M a i snous sommes parfaitement conscients des pouvoirsde l’OMC, du FMI,de la BM, de l’OCDE ou du G8.Les économies qui ne rentrent pas dans le rangdeviennent des pari a s. La mondialisation des sys-tèmes de production et de consommation d’une élitede quelques pay s , sociétés commerciales et individusmenace l’existence de modes de vie autochtonesdurables qui contribuent à la biodiversité.

La Fo n d ation Tebtebba («discours» dans lalangue des kankana-ey-igorots) a été créée en 1996à cause de tout cela. En travaillant aux nive a u xlocal et nat i o n a l , j’ai découve rt qu’il y avait unefaille. Les décisions prises à l’échelon mondial ontun impact direct sur nos vies quotidiennes et peu-vent anéantir des années de travail et de progrès.Po u rt a n t , il nous est impossible de peser sur ces déci-s i o n s. Comme nous sommes absents de l’arèneg l o b a l e , d’autres parlent en notre nom et nousreprésentent,souvent mal.

Les autochtones font pression auprès des Nat i o n sunies pour qu’elles adoptent la Déclaration desdroits des peuples autochtones. Ils font aussi cam-pagne pour ralentir ou stopper le rythme effréné dela mondialisat i o n . La Fo n d ation Tebtebba a adoptéla Déclaration des peuples autochtones à Seattle.Nous demandons à l’OMC, entre autres, d ’ a n n u l e rl’accord sur les ADPIC (Aspects des droits de pro-p riété intellectuelle qui touchent au commerce,TR I P S en anglais) – un instrument juridique quip e rmet à des entreprises privées de s’appropri e rnos ressources biologiques et génétiques, a i n s ique nos savoirs traditionnels, et de breveter la vieelle-même.

Nous ne sommes pas au bout de nos peines. N o u savons besoin de toutes sortes d’alliances, y compris ave cdes gouvernements, pour établir un monde qui nousp e rmette d’exister en tant que peuples à part entière etdans lequel règnerait la justice sociale,économique etenvironnementale. ■

R e p è re sPo p u l a t i o n( m i l l i o n s, 1 9 9 8 ) : 7 2 , 9

PNB (milliards ded o l l a r s ) : 7 8 , 9

PNB par habitant( d o l l a r s ) : 1 050

Population viva n tavec moins d’un dollar parjour (%): 1 8 , 7

Source: Rapport sur le développe -

ment humain 2000, PNUD.

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L’ a u t re mondialisation: l’éveil citoyen

Septembre 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 27

Luis Macas est l’un des dirigeants et intellectuels lesplus en vue du mouvement indigène équat o ri e n .Il sacri fie à la tradition en portant le poncho et le

chapeau noirs de sa communauté saraguro,dans le suddes Andes équat o ri e n n e s. Mais cela ne l’empêchepas de s’occuper de l’édition sur Internet du bu l l e t i nde l’Institut pour la connaissance des cultures indi-g è n e s. Ni de diriger ce centre basé à Quito après avo i rété président de la Confédération des nat i o n a l i t é sindigènes d’Equateur (CO N A I E) et député du Mou-vement pour l’union pluri n ationale Pa c h a k u t i k - N u e voPa i s.La CO N A I E et sa branche politique, le mouve m e n tPa c h a k u t i k , représenté par six députés (sur 123) auParlement monocaméral, ont compté parmi les pri n-cipaux protagonistes de l’insurrection populaire dej a nvier 2000,qui a surp ris le monde entier en occupantles sièges des pouvo i rs légi s l atif et exécutif à Quito.Après s’être alliés à un groupe de jeunes offic i e rsr é voltés par la corru p t i o n , ils ont obligé le présidentJamil Mahuad à quitter le pouvoir et le pay s. E nr e va n c h e , ils n’ont pas réussi à enrayer le projet de« d o l l a ri s ation» de l’économie, qui a abouti à l’élimi-n ation de la monnaie nat i o n a l e , le sucre.

Du jamais vu en Amérique latinePour Luis Macas, r e t r o u ver son identité a un

sens non seulement pour les Indiens (30% de lapopulation) mais aussi pour la société tout entière( 1 2 millions de pers o n n e s ) . Selon lui, après unep é riode de quête identitaire – durant laquelle lespopulations indiennes revendiquent leurs terres etl e u rs cultures ancestrales –, on peut dépasser lesfrontières ethniques pour émettre des propositionspolitiques intéressant tout le monde. Macas insistesur la nécessité de se démarquer de la gauche lat i n o -a m é ricaine traditionnelle, qui proteste sans proposerd ’ a l t e rn at i ve s. Il fonde donc de grands espoirs sur lepouvoir local:en mai 2000,le mouvement indigènea conquis 27 m a i ries et cinq des 22 préfectures pro-vinciales. Du jamais vu en Amérique latine.

Cette victoire électorale,estime Macas,doit setraduire par une meilleure form ation des cadreslocaux d’origine indienne et par une participationcommunautaire plus démocrat i q u e : «Le technique et

Des I n d i e n s sur le sentierde la mondialisation◗ Marcos A l m e i d a

D ’ a c c o rd pour la mondialisation, disent les leaders indigènes équatoriens. Mais seulementsi elle préserve leurs cultures et suscite un dialogue égalitaire avec le Nord .

◗ Journaliste équatorien.Les manifestants venus de l’ensemble de l’Equateur ont échoué contre le dollar.

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28 Le Courrier de l’UNESCO - Septembre 2000

Il a la carrure d’un bûcheron,par la forme phy s i q u eet par la force morale. Ousséini Ouédraogo, l aq u a r a n t a i n e , coordonne les programmes de la

F é d é r ation nationale des organisations pay s a n n e s( FE N O P) . Cette stru c t u r e , créée en 1996, r ayo n n es u r tout le territoire du Burkina Faso à trave rs ses1 9 7u n i o n s , ses 500 associations de base et ses quelque4 0 0000 membres.

Ingénieur agr o n o m e , Ousséini Ouédraogo, d e s-cendant de la princesse Yennenga – l’ancêtre des Mossé,la principale ethnie du Burkina –, se bat pour les agri-c u l t e u rs bu r k i n a b é s. Dans ce pays sahélien, près de8 0 % de la population vit de la terr e . M é c a n i s at i o na gricole quasiment inexistante, a n a l p h a b é t i s m e , fa i-blesse des rendements, y témoignent de la précarité desp ay s a n s. Po u rt a n t , le pays leur doit tout. P ri n c i p a l esource de devises, le coton a rapporté les deux tiers des

le politique sont aussi importants l’un que l’autre; i lfaut renforcer les deux»,résume-t-il.

M a riano Curicama semble parfaitement maî-t riser et le technique et le politique. Le maire ducanton de Guamote, situé dans la province de Chim-b o r a z o, qui compte plus de 133 communautési n d i e n n e s , allie une longue expérience de leaderindigène à un dynamisme impressionnant. «Vous neme trouverez jamais dans mon bu r e a u » ,explique-t-il auxj o u rn a l i s t e s. Deux fois réélu depuis 1992, cet Indienquechua de la cordillère centrale, qui a commencécomme maçon à 17 ans, a révolutionné son cantonen encourageant la part i c i p ation citoyenne à la viepublique à trave rs desassemblées locales, et enexploitant la m i n ga. Il a miscette tradition quechua det r avail communautaire aus e rvice de projets menés avec l’aide de grandes orga-n i s ations gouve rnementales et non gouve rn e m e n t a l e sdes Etat s - U n i s , de Norv è g e , du Chili et des Pay s - B a s.Le résultat crève les ye u x :r o u t e s , eau potable, c a n a u xd ’ i rri g at i o n , reboisement et pisciculture ont surgi làoù les anciens gouve rnants n’avaient semé que pau-vreté et clientélisme. Il y a quelques mois, M a ri a n oC u ricama a créé une chambre de commerce indigènedestinée à promouvoir et commercialiser la produc-tion des Indiens, à l’échelle nationale et intern at i o n a l e .La mondialisation ne lui fait pas peur: «Il ne faut pasrater le coche, d i t - i l , ou nous serons mis à l’écart .»

Miguel Lluco, ex-député et coordinateur nat i o n a ldu mouvement Pa c h a k u t i k , est lui aussi convaincu quele pays doit élargir son hori z o n . L’ i n s u rrection tran-

quille de janv i e r ,d i t - i l , «a été une réaction inévitable àune situation – la dollari s ation et la mondialisation desé c h a n ges – qui nous est imposée et pourrait nuire à notreé volution politique. Il est donc important d’entrer encontact avec tous ceux qui,dans le monde,luttent pour pro-poser d’autres solutions.Les gens des pays industrialisés peu-vent nous apporter beaucoup, et nous, les pays du tiers -m o n d e , nous pouvons aussi leur apporter beaucoup, n o sva l e u rs et notre vision communautaire, par exe m p l e».

Miguel Lluco avait 13 ans la nuit où il a quitté sapetite maison de Sacaguan (près de Guamote) où ilv i vait avec sa fa m i l l e , des paysans analphabètes, p o u rsauter dans le camion plein de pat ates qui allait l’em-

mener ve rs les champs decanne à sucre de la côte.J u s q u e - l à , il ne connaissaitque son coin des A n d e s. Il aété ouvrier agri c o l e , c i r e u r

de chaussures, marchand de glaces, c h a rp e n t i e r ,d i ri-geant syndical et politique,d é p u t é , et aime à se défin i rcomme défenseur de «l ’ i n t é grité de l’être humain» .

C’est à la lumière de sa longue expérience qu’ilpèse le pour et le contre de la mondialisat i o n . «M o np a r c o u rs va dans ce sens: d’abord je ne connaissais queS a c a g u a n ,puis j’ai découve rt le village voisin de Guamoteet son école,et ensuite la réalité équat o rienne et lat i n o - a m é-ri c a i n e.J’ai fini par me demander:“Que pensent les ge n sdes pays industri a l i s é s, les Européens? Comment les tou-cher et établir une éventuelle coordination avec eux?”» .D ela réponse que l’on donnera à ces questions en Equa-teur et dans les pays du Nord dépendra en gr a n d ep a rtie l’avenir du premier pays d’Amérique latine àavoir renoncé à sa monnaie. ■

recettes d’export ation en 1998, soit plus 1,2 m i l l i a r dd eF F. Quant à l’éleva g e , il a représenté cette année-là1 5 % des export ations (270 millions de FF).

«Pour nous,le paysan est un citoyen à part entière,s o u-tient Ousséini Ouédraogo. Il a droit au respect.Nous tra-vaillons à va l o riser son stat u t , à défendre ses intérêts.»C’est contre un «ennemi intérieur» que la FE N O P a fa i tses premières arm e s.Dès 1997,un bras de fer l’opposeà la Société des fibres textiles (SO F I T E X) , qui règne surla filière du coton (monopole sur les intrants et la com-m e r c i a l i s at i o n ) . Sur le terr a i n , c’est la dépri m e . U nvoile noir s’est abattu sur «l’or blanc» . Les champs decoton sont envahis par des chenilles. Et cat a s t r o p h e !Les pesticides fournis par une filiale de la SO F I T E X s o n ti n e f fic a c e s.Des paysans s’exilent,d’autres se suicident.

Prenant l’opinion à témoin,Ousséini Ouédraogoet les siens font appel au «q u at rième pouvo i r» et inv i t e n t

La c o l è re des gens de la bro u s s e◗ Crépin Hilaire Dadjo

Au Burkina Fa s o, la FE N O P aide les agriculteurs à faire face à la libéralisation du secteuret du commerce agricoles, et se tourne vers les poids lourds du mouvement paysan mondial.

◗ Journaliste à l’agence Jade(Burkina Faso).

R e p è re sPo p u l a t i o n( m i l l i o n s, 1 9 9 8 ) : 1 2 , 2

PNB (milliards ded o l l a r s ) : 1 8 , 4

PNB par habitant( d o l l a r s ) : 1 520

Population viva n tavec moins d’un dollar parjour (%): 2 0 , 2

Source: Rapport sur le développe -

ment humain 2000, PNUD.

Il est important d’entrer encontact avec ceux qui luttent

dans le monde

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M o n d i a l i s a t i o n : l’éveil c i t o y e n

Septembre 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 29

un organe de la presse pri v é e ,Le Pay s, à se rendre surle terr a i n . La SO F I T E X c o n t r e - attaque en organisantpour d’autres journaux des tournées de propagandedans la zone cotonnière. C’est alors que la FE N O P

b é n é ficie du soutien inespéré de L’ I n d é p e n d a n t,d i ri g épar le célèbre journaliste d’inve s t i g ation NorbertZongo (qui sera assassiné le 13 décembre 1998). L ac o n t e s t ation enfle et le gouve rnement doit se résoudreà calmer le jeu: il efface toutes les dettes. De mémoirede pay s a n , jamais on n’avait vu l’Etat reculer deva n tla colère des gens de la brousse.

De cette victoire, la FE N O P est fiè r e . Mais il fa u tcontinuer à se bat t r e , et cette fois sur le front plus largede la libéralisation du secteur et du commerce agri c o l e s.A partir des années 80, les politiques d’ajustements t ructurel ont porté de rudes coups aux aides aux agri-c u l t e u rs (engrais subve n t i o n n é s ,f o rm at i o n ,e t c. ) . Pa ra i l l e u rs , la baisse des taxes à l’import ation a contri bu éà accroître la concurrence entre les produits nat i o n a u xet étrangers sur le marché intéri e u r.Les accords inter-g o u ve rnementaux conclus en janvier 2000 dans lecadre de la politique d’intégr ation régionale de l’Afri q u ede l’Ouest n’ont fait que renforcer cette tendance àl’abaissement des barrières douanières. Et là commes o u ve n t , le petit paysan n’a guère eu son mot à dire.

Dans ce contexte, la FE N O P a engagé deuxb at a i l l e s , contre la «banane ivo i rienne et le riz asia-t i q u e» , symboles par excellence de la libéralisat i o ndes échanges. Mais la lutte contre la banane de Côte-d ’ I voire semble va i n e . Même si elle est moins bonneque la petite bu r k i n a b é e , elle a un meilleur look etcoûte moins cher. Produite dans de grandes exploi-t ations modern e s , elle bénéficie de conditions agr o -c l i m atiques plus favo r a b l e s.

La bataille contre le riz asiatique – qui s’impose aud é t riment des céréales locales – paraît un peu mieuxe n g a g é e . A condition de démêler les fils de la cor-ru p t i o n . «Nous avons fait une enquête, raconte Ousséini

O u é d r a o g o. Pour constater que la tonne de ce riz coûte25% moins cher sur le marché de Ouaga d o u gou qu’elle nele devrait si les import at e u rs respectaient toutes les taxe s. »Il ajoute que le riz burkinabé «est de meilleure qualité caril provient de récoltes récentes,a l o rs que le riz importé estp a r fois vieux de 7 à 10 ans. Et il est certain que pour lesc o n s e rve r, on a dû lui adjoindre des produits chimiques.Mais beaucoup de consommat e u rs ignorent tout cela» .

Une agriculture citoyenneSelon ses diri g e a n t s , la FE N O P se bat pour que les

p r o d u c t e u rs ne soient plus les dindons de la fa r c emondialisée et sachent se positionner sur les marchésd ’ ave n i r. Elle va sur le terrain pour informer et form e rles pay s a n s. Elle produit et diffuse des films à la télé-vision nationale sur les filières porteuses comme leso l é a gi n e u x :a r a c h i d e ,k a ri t é ,s é s a m e .Rares sont en effetles paysans qui savent par exemple que ce dernier ar a p p o rté il y a deux ans quelque 30 millions de F F. U npactole récolté grâce à la qualité du sésame bu r k i n a b é(cultivé sans engr a i s , faute de moye n s ! ) , au momentoù les produits bio sont en vogue en Europe et en A s i e .

L’ o u ve rture des frontières a donc parfois du bon.Mais attention à ne pas vendre son âme au diable.«C ’ e s taussi cela que nous défe n d o n s. Une sorte d’agri c u l t u r ec i t oye n n e, explique Ousséini Ouédraogo. A la façon deJosé Bov é , en Fra n c e. Nous avons d’ailleurs adopté unemotion de soutien, en septembre 1999, en faveur de cep aysan français alors empri s o n n é .» Face à un Etat quicherche à diviser et à dénigrer le mouvement pay s a n ,la FE N O P sait qu’elle a besoin d’alliés. Elle a part i c i p éd é but juillet 2000 à la création d’une organisat i o nr é gionale des mouvements paysans d’Afrique del’Ouest et entretient des contacts avec la Via Campe-s i n a ,un mouvement mondial de soutien aux cultureset aux luttes des agri c u l t e u rs. Ce n’est pas encore lag u e rre du Sahel contre Mc Donald’s , mais les orga-n i s ations paysannes fourbissent leurs arm e s. ■

R e p è re sPo p u l a t i o n( m i l l i o n s, 1 9 9 8 ) : 1 1 , 3

PNB (milliards ded o l l a r s ) : 2 , 6

PNB par habitant( d o l l a r s ) : 2 4 0

Population viva n tavec moins d’un dollar parjour (%):6 1 , 2

Source: Rapport sur le développe -

ment humain 2000, PNUD.

L’«or blanc» a provoqué un endettement dramatique des paysans.

En A f r i q u e,si la mondialisation nese traduit pasp a r l’égalité de tous,elle doit encore moinsêtre la d o m i n a t i o nd u plus fortsur le plus faible.Gertrude Mongella,ancienne parlementairet a n z a n i e n n e,S e c r é t a i re généra l ede la conférence de Beijings u r les femmes (1995)

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30 Le Courrier de l’UNESCO - Septembre 2000

plus de nouveaux permis depuis 1996. Sans doutepour la première fois dans l’Histoire, des pêcheursont réussi à faire barrage à la mondialisat i o n .

Vo t re mouvement s’inquiète du développementd e l’élevage de crevettes destinées à l’exportation.

Pourquoi fait-on de l’aquaculture? Parce que telleou telle va riété de creve t t e , de seiche ou de saumon aété si exploitée qu’on ne la trouve plus en mer.To u t emonoculture est inquiétante car elle repose sur l’utili-s ation intensive de pesticides et d’engrais chimiques,q u ipolluent toute la région env i r o n n a n t e . De plus, l e srizières censées couvrir les besoins essentiels de lap o p u l ation sont réaffectées à l’aquaculture; les man-gr ove s , où quantité d’espèces se reproduisent, s o n td é t ruites et on pollue l’eau potable en introduisant del’eau salée à l’intérieur des terr e s.Au total, cette activitén o u velle [les élevages de crevettes ont envahi 2000 0 0hectares de côtes] chasse du littoral pêcheurs et habi-t a n t s. L’aquaculture intensive , financée par la Banquem o n d i a l e , est contrôlée par de grosses sociétés.Son motd’ordre pourrait être «prends l’oseille et tire-toi» : il fa u tgagner de l’argent rapidement et partir ailleurs.

En 1996, la Cour suprême a ordonné l’arrêt detous les élevages aquacoles. Loin d’obtempérer, le gou-ve rnement et les partis politiques ont pris le parti de laBanque mondiale et des multinat i o n a l e s. Ils ont demandéque la décision soit révisée et ont présenté un nouve a uprojet de loi que la chambre haute du Parlement s’ap-prête à approuve r. Les pêcheurs sont très en colère.

En quoi les pêcheurs indiens se sont-ils distingués desa u t re s ?

Tout le secteur de la pêche est contrôlé par desflottes et des entreprises industri e l l e s ,qui ont dépeuplé7 5% des zones poissonneuses.Que ce soit en Inde,a u xE t ats-Unis ou en Europe, les petits bateaux et les vil-lages de pêcheurs n’ont aucune chance de surv i e .Mais les victimes de la mondialisation peuvent changerc e rtaines choses. Du Nord au Sud, les pêcheurs se bat-tent contre une industrie destru c t rice et contre le pou-voir des multinat i o n a l e s. Les groupements locaux dep ê c h e u rs ,gardiens de ces richesses nat u r e l l e s ,d e v r a i e n tgérer les ressources. ■

Propos recueillis par Ivan Briscoe,journaliste au Courrier de l’UNE S C O.

+ …

www.south-asian-initiative.org/wff

«L a vie sur Te rr e ,dont dépendent la santé et le biêtre de l’humanité,ne doit pas être sacri fiée à lacupidité de quelques-uns» , déclarait l’année

d e rnière le père Thomas Kocherry, en recevant le pri xS o p h i e , créé par le romancier norv é gien Jo s t e i nG a a r d n e r , pour son action en faveur de l’env i r o n n e-m e n t .Ce prêtre catholique a participé à la création duFo rum mondial des pêcheurs et trava i l l e u rs de lap ê c h e , fondé en 1997,dont il est l’un des coordinat e u rs.

Les 10 dernières années ont été marq u é e spar des manifestations de pêcheurs à tra v e rstout le pays. Po u rquoi un tel mécontentement?

En 1991, l’Inde a adopté une nouvelle politiqueéconomique qui a perm i s , entre autres, le déve l o p p e-ment de la pêche hauturi è r e .D ’ é n o rmes navires étran-g e rs ont obtenu des permis de pêche dans le cadre d’en-t r e p rises mixtes et moyennant des redevances ve rs é e sau gouve rn e m e n t . Les 25 000 navires de ce type quiexistent dans le monde ont pillé toutes les mers ,s a u fl’océan Indien. Dans les pays en déve l o p p e m e n t , i l smenacent 100 millions de pers o n n e s , qui vivent de lap ê c h e . La nouvelle politique indienne aura forcémentdes conséquences à long terme sur la vie des pêcheursl o c a u x ; elle risque de les chasser de chez eux.Après lesq u atre gr è ves nationales menées par 10 millions dep ê c h e u rs à partir de 1993, le gouve rnement a nomméle comité Murari , qui a produit 21 r e c o m m a n d at i o n sen vue de changer de politique.Comme le Conseil desministres les a acceptées, le gouve rnement n’accorde

Petits pêcheursc o n t re g ros poissonsEn 10 ans, le père Kocherry a été propulsé à la tête des 10 millions d’Indiens qui luttentc o n t re la pêche industrielle, les élevages de crevettes et la pollution. I n t e r v i e w.

Un petit port indien menacé par la pêche industrielle.

R e p è re sPo p u l a t i o n( m i l l i o n s, 1 9 9 8 ) : 9 8 2 , 2

PNB (milliards ded o l l a r s ) :4 2 7 , 4

PNB par habitant( d o l l a r s ) : 4 4 0

Population viva n tavec moins d’un dollar parjour (%): 4 4 , 2

Source: Rapport sur le développe -

ment humain 2000, PNUD.

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L’ a u t re mondialisation: l’éveil citoyen

Septembre 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 31

et d’un propriétaire d’usine du Kerala (Inde).To u s ,d i t - i l , sont très conscients de leur régression sociale.

Si certaines chaînes de montage de circuits élec-troniques ont été délocalisées ve rs Ta i wa n , la Corée,l’Inde ou l’est de l’Allemagne, les agents d’entretienn ’ o n t ,e u x , pas à s’inquiéter de voir disparaître leursemployeurs. Les rutilants immeubles de bureauxsitués à Cupertino et sur le lac art i ficiel de Redwo o dShores ne sont pas prêts de s’envoler.

Mais ces trava i l l e u rs sont pri s o n n i e rs des méca-nismes de la nouvelle économie.Au fur et à mesurequ’elle s’est déve l o p p é e , les emplois sont devenus deplus en plus précaires. Selon le Working Partner-s h i p s , un bureau d’études basé à San Jo s e ,4 5 % desC a l i f o rniens occupent leur poste actuel depuismoins de deux ans. Quant aux agences d’intérim,elles ont placé, en 1998, 1 8 29 0 0 p e rsonnes de plusqu’en 1993, soit un chiffre supérieur à l’augmen-t ation nette des emplois dans les secteurs de l’élec-tronique et des logiciels.

Préférant se recentrer sur leur activité pri n c i p a l e ,les entreprises recourent de plus en plus à la sous-traitance. Il y a 14 ans, dans une société commeHewlett Pa c k a r d ,un employé non qualifié aurait étésalarié à un tarif pouvant atteindre 14 dollars del ’ h e u r e . Mais les entreprises ont profité de la réces-sion du début des années 90 pour sous-traiter lesactivités de nettoya g e , de jardinage et de sur-ve i l l a n c e . La compétition aidant, le taux horaireest tombé à huit dollars.

La lutte des classesvue de la Silicon Va l l e y◗ Victoria Elliott

En Californie, le saint des saints de la nouvelle économie est le théâtre de mouvements sociauxqui illustrent tous les grands problèmes de la mondialisation.

◗ Journaliste au San FransiscoChronicle.

V icente Mendoza, un immigré mexicain, v i ten Californie. Tous les matins, à l’heure dep o i n t e , il parcourt les 25 km qui séparent

Oakland de San Ramon, où il prend son service à9 h dans un restaurant.A 14 h , il rentre chez lui pourune halte d’une heure ou deux. P u i s , il se rend à sonsecond travail,à une quarantaine de kilomètres deson domicile. Il doit trave rser le pont San Mateo quis u rplombe la baie de San Francisco pour rejoindreles locaux de la société A d vanced Micro Devices, àS u n ny va l e .L à , il fait le ménage dans les bureaux de18 h à 2 h 30 du matin.Lorsqu’il rentre enfin chezlui,il est 3 h 15 du matin.

M a l gré ces cadences infern a l e s , Mendoza atrouvé le temps et l’énergie de participer, en avrildernier,à la manifestation qui a réuni 5500 agentsd’entretien syndiqués à la Service Employe e sI n t e rn ational Union. Ce syndicat a lancé lem o u vement Justice for Ja n i t o rs (justice pour lesagents d’entretien) et organisé le rassemblement deS u n ny vale pour réclamer de meilleurs salaires etconditions de trava i l . Les manifestants, qui trava i l l e n ten général dans l’ombre, arboraient cette fois dest-s h i rts rouges dans le but affiché de se fa i r eremarquer.

Conscients de leur régression socialeOpération réussie.Ces laissés-pour-compte de

la Silicon Va l l e y, le cœur de l’économie high-tech enplein essor, ont bel et bien attiré l’attention sureux.Alors qu’ils travaillent sans relâche pour toutjuste joindre les deux bouts, ils restent en marged’une industrie qui a déjà produit plus de richessequ’aucune autre dans l’histoire.

Les militants anti-OMC réunis à Seattle endécembre 1999 n’ont guère parlé de ce nœud del’économie mondiale. Po u rt a n t , pour cert a i n sd’entre eux comme Raj Jaya d e v, un fils d’immi-grés indiens qui a grandi à San Jo s e , au sud de la baiede San Francisco, la Silicon Valley concentre tous lesgrands problèmes de la mondialisat i o n . «La lutte dest rava i l l e u rs, la dégra d ation de l’env i r o n n e m e n t , l e sinégalités, la baisse du niveau de vie,l’importance del’immigration,tout est là,dans les usines du comté deSanta Clara» ,s o u t i e n t - i l . Il raconte comment il tra-vaille à la chaîne à monter des boîtiers chez Hew-lett Pa c k a r d , aux côtés d’un ingénieur électricien duPanjab (Inde),d’un Erythréen diplômé en finance

OCÉAN

PACIFIQUE

Baie deSan Francisco

Il y aura toujoursu n e é l i t equi dominerales autres.Détruisez l’inégalitéa u j o u r d ’ h u iet elle r é a p p a r a î t r ad e m a i n .Ralph Waldo Emers o n ,poète et essayiste américain( 1 8 0 3 - 1 8 8 2 )

Golden Gate Bridge

San Mateo Bridge

San FranciscoOakland

Santa Clara

San Jose

N

San Ramon

San Mateo

Redwood Shores

Palo Alto

Sunnyvale

Cupertino

Bay Bridge

Page 32: The UNESCO courier; Vol.:53, 9; 2000 - ordiecole.com · 2012. 3. 17. · D ’ I C I E T D ’ A I L L E U R S Septembre 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 5 Santiago répète son rôle

32 Le Courrier de l’UNESCO - Septembre 2000

Les géants de la Silicon Valley rétorquent qu’ilsne sont pas responsables de la main-d’œuvre pay é epar les sous-traitants pour balayer leurs halls enm a r b r e . Les responsables syndicaux, e u x , n’ont pashésité à présenter leur situation comme symbo-lique des disparités criantes dans la région. «Ce quia éveillé l’intérêt général,c’est une question plus large:que faire des pauvres dans une économie en plein boom?,résume Mike Garcia, président de la section localedu syndicat des agents d’entretien. Ces gens ontbesoin de plusieurs boulots pour nourrir leur famille.Etils nettoient les locaux de patrons pleins aux as, qui sontd e venus millionnaires ou milliardaires en une nuit,et quiont bien du mal à expliquer que leurs domestiques vive n tentassés à deux ou trois familles dans un garage.»

Mike Garcia et Tom Csekey, le vice-président dusyndicat, ont passé les 10 dernières années à ren-forcer la représentation syndicale des agents d’en-tretien de la régi o n .A u j o u r d ’ h u i ,7 5 % d’entre euxsont adhérents,contre 25% en 1990.En 1996,les

a u t o rités de Los Angeles ont pris un arrêté leurgarantissant un salaire minimum. Plus récemment,le syndicat a concentré ses efforts sur les problèmesd’immigration et l’assurance maladie. «Plus que surles salaires,nous avons axé notre strat é gie sur les condi-tions de vie de ces trava i l l e u rs, explique Csekey. On adit aux entrepri s e s :“Ces gens travaillent dans vos murs,vous avez une responsabilité à leur égard.”» Devant lec o n c e rt de protestations auquel se sont mêlésd’autres syndicat s , des évêques et des hommes poli-t i q u e s , les dirigeants de Genentech (biotechno-logie) et de Pacific Bell (télécommunications) ontfini par accepter cette part de responsabilité.

En juin, et sans recourir à la gr è ve , le syndicat amarqué plus de points que jamais dans son histoire.Les employés se sont vu garantir une augmentat i o nannuelle de 8% : leur taux horaire passera de 7,64 ou8 , 0 4d o l l a rs , selon le comté,à 9,64 ou 10,04 d o l l a rs.To u t e f o i s , ce genre de conquête ne leur permettra pasde quitter leurs garages réaménagés,dans une régi o noù une petite maison coûte jusqu’à 7500 0 0d o l l a rs.

Après avoir bataillé dans la baie de San Franciscoet à Los Angeles, le syndicat se tourne vers Sacra-m e n t o. Il y a négocié les contrats de telle sort equ’ils expirent en même temps partout, dans troisans. Dans toute la Californie, 14 000 agents d’en-tretien pourront alors coordonner leur action.

Quatorze heures par jourReste qu’une grande partie de la force de trava i l

de la Silicon Valley est encore inorganisée, que ce soitla main-d’œuvre bon marché ou le personnel dess t a rt-up de l’Intern e t , qui travaillent 14 heures parjour et campent dans leurs bu r e a u x . Sur les chaînesde montage de circuits électroniques, très peu syn-d i c a l i s é e s , les trava i l l e u rs d’ori gine asiatique hésitentà prendre leur cart e , parfois à cause de la fragilité deleur statut d’immigr é s. A l’inve rs e , la tradition mexi-caine de l’action collective résiste bien chez lesagents d’entretien, qui, pour beaucoup, sont aussides sans-papiers. «Nous surv i vons en fo rmant commeune famille», estime Garcia.

Il voudrait faire cause commune avec les classesmoyennes, de plus en plus fragilisées. Il a le senti-ment que la gr è ve a contri bué à refouler la vague dexénophobie qui avait déferlé sur la Californie en1994, à l’occasion d’une campagne hostile à l’im-migration. «Maintenant, les gens voient les immigrésd’un autre œil, comme des bosseurs qui cherchent à s’ensortir», dit-il.

M a rianne Steeg, la directrice du personnel auConseil pour l’emploi de South Bay, estime que cettegr è ve a donné un coup de projecteur sur la questiondu «contrat social» dans la régi o n , et replacé au premierrang des pri o rités les problèmes de logement,de trans-p o rts et de santé pour tous. «Les enseignants,les pompiers,le personnel de santé, tous ces employés qui n’ont plus lesm oyens de vivre ici ne s’identifient plus aux classes moye n n e saisées mais bien aux trava i l l e u rs défavo ri s é s» , e x p l i q u eS t e e g . Et elle ajoute que la gr è ve a séri e u s e m e n té c o rné le prestige des sociétés high-tech: «Elles ne peu-vent plus prétendre que la prospérité de la Silicon Valley ests y n o nyme de prospérité pour tous» . ■

R e p è re sPo p u l a t i o n( m i l l i o n s, 1 9 9 8 ) : 2 7 4

PNB (milliards ded o l l a r s ) : 79 0 3

PNB par habitant( d o l l a r s ) : 2 92 4 0

Population viva n tavec moins de 14,4 dollarspar jour – seuil de pauvretédans les pays industrialisés( % ) : 1 4 , 1

Source: Rapport sur le développe -

ment humain 2000, PNUD.

Manifestation des agents d’entretien le 10 avril pour de meilleures conditions de travail.

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L’ a u t re mondialisation: l’éveil citoyen

Septembre 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 33

A u début est ce sentiment, si répandu, d ’ i m-p u i s s a n c e . Il naît d’un paradoxe , plus oumoins clairement formulé mais partout pré-

s e n t : pour surv i v r e , l’humanité va devoir engager desm u t ations très profondes; o r , ses «grands acteurs »politiques et économiques, p ri s o n n i e rs de leursi n t é r ê t s , de leur myopie et de leurs contraintes,n’en prendront pas l’initiat i ve . C o n c l u s i o n : c ’ e s ta u x simples citoyens de s’organiser à l’échellemondiale pour passer de l’impuissance à la résistancepuis à l’engagement et aux propositions d’altern at i ve .

A ce constat s’en ajoutent au moins trois autres.Le premier s’inscri vait dans la raison d’être de laf o n d ation Charles Léopold Maye r1 – la Fo n d at i o npour le progrès de l’homme (FPH), créée en 1982:lier l’engagement dans le monde et la réflexion surle monde. Nos sociétés, qui n’ont jamais été aussiriches ni aussi sava n t e s , semblaient incapables d’ap-p o rter des réponses auxa s p i r ations et aux besoinsfondamentaux de l’huma-n i t é . Il fallait donc mettreen relation la réflexion etl ’ a c t i o n , le progrès desconnaissances et le progrès humain.

A ses débu t s , la fondation a soutenu des activitésreliant l’un et l’autre, o ri ginales à l’époque, m a i s q u in’en restaient pas moins des «projets». I l s ’ a gi s s a i t ,par exe m p l e , d’aider à monter dans 10 r é gions duBrésil un mécanisme pour recueillir des savo i rs tradi-tionnels et les confronter aux savo i rs scientifiq u e s ,de transformer l’enseignement agronomique en Ta n-zanie afin d’être plus respectueux du monde pay s a n .

L’exécution de ces projets nous a amenés à deuxd é c o u ve rt e s. D’une part , dans les sociétés humaines,les réponses sont toutes spécifiq u e s , mais les ques-tions sont communes. Nous avons pris conscienceque chacun de ces projets initiaux était trave rsé parles mêmes interr o g at i o n s , qui couraient commeautant de fils rouges d’un bout à l’autre de la Te rr e .Fils rouges souvent dissimulés par l’imbri c at i o n ,dans chaque situation part i c u l i è r e , de déterm i n a n t ss t ructurels et de fa c t e u rs spécifiques, et par lecloisonnement des espri t s , des institutions et desdomaines de la connaissance.

Ces questions communes sont devenues lam atière même de nos programmes et fondent la

p ri o rité accordée à la mise en réseau. E q u i p e rc e rtains partenaires de ce formidable outil poten-tiel d’aide à la démocratie qu’est l’Internet estd e venu l’une des pri o rités de la fondat i o n .

Deuxième découve rt e , la connaissance la plusutile à l’action naît de l’action elle-même, c ’ e s t - à - d i r ede l’expéri e n c e : la sienne et celle des autres. E n c o r efaut-il que cette expérience soit captée et capitalisée.D’où la nécessité de relier flux et stocks d’inform a-t i o n , de créer un instrument de communication etd’intelligence collective : à partir de 1986, la fonda-tion a peu à peu construit une banque intern at i o n a l ed’échanges d’expéri e n c e s , en commençant par éta-blir une norme commune pour ordonner l’infor-m ation et pouvoir l’échanger. Cette «mutualisat i o nde l’expérience» touche des domaines aussi dive rsque la géopolitique des drogues, l’exclusion en A s i e ,la gestion des quart i e rs dans le nord de la France ou

l e s e x p é riences éducat i ve si n n ovantes au Brési l.E l l e r e groupe plus de8 0 0 0 fiches en prove n a n c ed’individus et d’organisa-tions locales, n ationales et

r é gi o n a l e s ,i n s t i t u t i o n s , l a b o r at o i r e s ,O N G.Ces moye n s , qui permettent à certains membres

du réseau de deve n i r , dans leur domaine, plus com-pétents que les experts reconnus, est l’une des clésde l’entrée de la «société civile» dans une troisièmephase de son histoire. Après le temps de l’opposi-t i o n , après le temps de la part i c i p ation critique auxgrandes conférences mondiales, nous relions lesa l t e rn at i ves qui se cherchent, se pensent et s’in-ventent aux quatre coins de la planète pour entrerdans le temps de l’initiat i ve . Le temps de penserl o c a l e m e n t , à partir des réalités spécifiques dec h a c u n , pour agir globalement.

Cette union construite dans la durée, œ u v r a n tpour un but commun mais à partir et dans le respectde la spécificité de chacun, est le fondement mêmede l’Alliance pour un monde responsable, p l u riel ets o l i d a i r e . Née en 1993, elle réunit aujourd’hui desalliés de 115 pay s. Son dernier projet: «c o n t ri buer àla fo rm a l i s ation et à la mise en œuvre pratique d’une“ go u ve rnance mondiale”adaptée au défi du X X Ie s i è c l e» .

+ …

La fondation: h t t p / / w w w. f p h . c hL’Alliance pour un monde re s p o n s a b l e, pluriel ets o l i d a i re : h t t p / / w w w. e c h o. o rg

R e c o n s t r u i re la re l a t i o n◗ Pierre Calame

Après le temps de l’opposition, puis de la participation critique aux forums mondiaux,v o i c i venu le temps, pour la société civile, de proposer des alternatives.

◗ Directeur généralde la Fondationpour le progrèsde l’homme (FPH).

1. Charles Léopold Mayer (1881-1971) était philosophe,chimiste,philanthrope et… investisseur financier à longterme. Le budget de la FPH est exclusivement alimentépar les revenus du patrimoine qu’il lui a légué, à hauteurd’environ huit millions de dollars par an.

Nous avonssouvent remarqué quel e m o n d er é t r é c i s s a i t a v e cl e développement descommunications et destransports rapides.Mais en réalité,l e monde s’est agrandiau furet à mesureq u e d e s m i l l i o n sd e p e r s o n n e sm a r g i n a l i s é e sp a r l a c i v i l i s a t i o ndominante se f r a y a i e n tu n chemin dansl a société moderne.Martin Luther King,militant américain pourles droits civiques (1929-1968)

Le tempsde penser localementpour agir globalement

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34 Le Courrier de l’UNESCO - Septembre 2000

De toute évidence, les foules de manifestants quiont récemment conspué les représentants dela finance et du commerce, tour à tour à Seat t-

l e ,Washington et Bangkok, n ’ avaient pas gr a n d - c h o s ede commun avec une opposition classique.Chez elles,pas de véritable hiérarchie, pas de cause précise et,pour fin i r , un cocktail de nat i o n a l i t é s. Si bien qu’unlobbyiste du monde des affaires les a comparées à des«essaims de guêpes» politiques.

Aux yeux des cri t i q u e s , ces groupes d’opposants– qui comptaient aussi bien des syndicalistes de lam é t a l l u r gie que des représentants des ethnies envoie de disparition –,offraient un tableau incohérent.Mais leurs leaders affirment que cette dive rsité est jus-tement au cœur de leur projet politique. Ils sonthostiles à l’expansion uniformisante des va l e u rs com-m e r c i a l e s ,q u a l i fiées de «philosophie à taille unique» parla militante américaine Lori Wa l l a c h , une pers o n n a-lité très en vue depuisqu’elle a participé à la coor-d i n ation des manifestat i o n sde Seattle en tant que direc-t rice du Public Citizen’sGlobal Trade Wat c h . Ils plaident pour une redistri-bution des pouvo i rs qui ferait place à d’autres idées.

«Des lois commerciales injustifiables et intouchables onte nvahi des espaces où elles n’avaient rien à fa i r e, e s t i m eL o ri Wa l l a c h . Ces règles, telles qu’elles ont été imposées,c o nviennent bien mieux aux entreprises qu’à l’intérêtg é n é ra l . Le déficit démocratique de la mondialisat i o néconomique est là.»

A l o rs que le marché progresse vite, et avec labénédiction des gouve rn e m e n t s , le débat politiques’est détourné des principes qui fondent une sociétéjuste et un ordre mondial légi t i m e , disent les militants.Mais la question demeure: comment battre en brèchel’idéal du profit sans causer trop de dommages àl’économie? Quelles réformes engager, et où?

Pour Walden Bello, le directeur exécutif de l’or-g a n i s ation Focus on the Global South, basée àB a n g k o k , il faut guérir la mondialisation de son carac-tère «m o n o l i t h i q u e ,u n i fo rme et unive rs a l i s a n t» . Car il a

◗ Journaliste au Courrierde l’UNESCO.

mené à la monopolisation par les multinationales dela majorité des export ations et au creusement desinégalités mondiales, qui ont plus que doublé depuis1 9 6 0 . Le premier coupable,d i t - i l , est le trio formé parle Fonds monétaire intern ational (FMI), l ’ O r g a n i s a-tion mondiale du commerce (OMC) et la Banquemondiale (BM). Ces organisations s’opposent à lad i ve rs i t é , seule garante de l’équité. Il est vital, d i t - i l ,d eles remettre à leur juste place dans le concert pluri e ldes acteurs de l’économie mondiale.

Le problème, disent de nombreux militants, e s tque ces reve n d i c ations trouvent difficilement desr e l a i s. Les gouve rnements semblent impuissants fa c eà la fin a n c e . Les pays en développement sont para-lysés par leurs obligations enve rs les bailleurs defonds et le FMI qui contrôle les programmes deréduction de la dette.Les hommes d’affaires refusentde se faire rogner les ailes et les organisations inter-

n ationales sont entravées parl e u rs structures et leurs pra-tiques antidémocrat i q u e s.La seule solution, pour lesm i l i t a n t s , serait une refonte

des structures globales du pouvo i r.A court term e , les pri o rités sont claires. Po u r

L o ri Wa l l a c h ,l ’ O M C ,a f fa i b l i e , doit «reculer ou couler» .«Elle ne voit que des barrières commerciales dans les lois surl ’ e nv i r o n n e m e n t ,le travail et les droits humains» ,s ’ i n d i g n e -t - e l l e . Les militants demandent aussi que le FMI et laBM cessent de prescrire la même potion d’austéri t éà tous les Etat s. Selon Walden Bello, leur pouvo i rdoit être pondéré par celui d’autres organisat i o n s ,e tnotamment les unions économiques régi o n a l e scomme l’AS E A N ( A s s o c i ation des nations du Sud-Esta s i at i q u e ) . Il faudrait renforcer les agences chargéesdu travail et de l’env i r o n n e m e n t , et créer un organismereprésentant les pays en déve l o p p e m e n t . «Cela nousl a i s s e rait une plus grande marge de manœuvre pourchoisir notre voie ve rs le déve l o p p e m e n t» ,e s t i m e - t - i l .

A long term e , les idées sont plus va g u e s. E s s e n-tiellement défensive s , les ONG n’ont guère arrêté deprojets en vue de refonder la structure du pouvoir mon-

3 Le pouvoir r é i n v e n t éG o u v e r n a n c e :le temps de la r é f o r m e◗ I van Briscoe

Les ONG n’ont pas toutes les mêmes priorités, mais elles s’entendent sur un point: il fautcréer des structures mondiales pluralistes pour limiter le pouvoir des multinationales.

La seule solution sera i tune refonte des structure s

globales du pouvoir

En ce cas le mondesera pour moiu n e huître quej’ouvrirai à la pointe demon épée.William Shake s p e a re,écrivain et poète anglais( 1 5 6 4 - 1 6 1 6 )

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L’ a u t re mondialisation: l’éveil citoyen

Septembre 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 35

O N G : une p e n s é eet un c o n t re - p o u v o i r◗ Candido Grzybowski

N o u s, les ONG, quel est notre rôle? Et au nom de quoi pouvons-nous exiger une nouvelle«gouvernance mondiale», cette nécessaire re-fondation démocratique de la mondialisation?

◗ Sociologue, directeurde l’Institut d’analyses sociales etéconomiques (IBASE),Rio deJaneiro, Brésil.

Les ONG ne sont pas nées d’hier. Mais au coursdes dernières décennies, à la faveur des combat squi secouent notre monde mondialisé par le

n é o-l i b é r a l i s m e , elles se sont multipliées et dive rs i-fié e s , tandis que s’accroissaient leur notoriété et leurv i s i b i l i t é .

Qui sont aujourd’hui les acteurs fondamentauxde la mondialisation? Les gouvernements (le poli-tique) et le marché (l’économie) sont les piliers

qui soutiennent les modes de production et d’or-ganisation des sociétés modernes. Or, qui peut leschanger en toute légitimité? Les sociétés elles-m ê m e s. Car elles seules sont constitués par lesc i t oyens – qui forment un peuple, une nation ou unpays. Ce ne sont ni leurs gouvernements, ni leurss t ructures état i q u e s , ni leurs chefs d’entrepri s e s ,ni leur marché. Notre cible strat é gi q u e , en tantqu’ONG, est donc la société civile elle-même.

d i a l .Elles insistent sur la nécessité de renforcer les orga-nismes mondiaux chargés de contrôler les entrepri s e sindisciplinées de la nouvelle économie. Elles plaidentaussi pour le renforcement des pouvo i rs locaux.C e r-tains gr o u p e s , comme le Third World Netwo r k( M a l a i s i e ) , se déclarent favorables à une sorte de gou-ve rnement mondial: des Nations unies plus démo-c r atiques en inclurant des représentants de la sociétéc i v i l e , un code éthique pour le monde des affa i r e s ,e tde nouvelles agences de régulation de la compétition,de l’investissement et de la lutte contre le cri m e .

L’ E t at - n ation est le niveau de pouvoir le moinspopulaire auprès des ONG. Soulignant la responsa-bilité d’Etats comme le Brésil ou l’Inde dans le mal-d é veloppement ou la dégr a d ation de l’env i r o n n e m e n tet les échecs politiques actuels, peu de groupes plai-dent pour renforcer les exécutifs nat i o n a u x .

L’ E u r o p e ,où les syndicats arri vent à coexister ave cles pouvo i rs locaux et nat i o n a u x , est en reva n c h ecitée en exemple dans plusieurs pays en déve l o p p e-m e n t . Mais «l ’ e s p rit souve ra i n i s t e» ne baisse pas lag a r d e , ave rtit Jan A a rt Scholte, chargé de cours àl ’ U n i ve rsité de Warwick (Roya u m e - U n i ) . «Les ge n smanquent encore trop d’imagi n ation politique pour com-prendre qu’un go u ve rnement supra n ational pourra i ts e rvir leurs intérêts» ,d i t - i l .

Mais pour certaines ONG, la voie de la justice etdu développement durable ne passe ni par une réform em o n d i a l e , ni par le renforcement des pouvo i rs locaux.Il faudrait plutôt éduquer, éclairer et convaincre lesc o n s o m m at e u rs de faire évoluer leurs habitudes. «Il seraimpossible de réduire la pollution tant que nous ne chan-gerons pas notre manière de consommer,d’utiliser l’eau etl ’ a u t o m o b i l e» , assure Ngai Weng Chan, président de laM a l aysian Nature Society, qui ajoute: «L’ h u m a n i t éi rait à sa perte si tout le monde vivait comme les A m é ri c a i n set les Européens» . ■

«Mainmise».

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36 Le Courrier de l’UNESCO - Septembre 2000

A l’échelle du globe,notre tâche essentielle estde faire émerger une société civile planétaire, c o n d i-tion préalable à l’affirm ation d’une nouvelle form ede mondialisation: une «gouvernance mondiale».Nous avons pour mission d’encourager une re-fon-d ation démocrat i q u e , en intervenant dans le débatpublic, et en brandissant la notion de citoyennetémondiale. Les positions que nous prenons dans ledialogue politique et les activités de lobbying quenous exerçons ne surgissent pas ex nihilo. E l l e srelaient les tendances, les désirs et les grands mou-vements de l’opinion publique, dont nous favo ri s o n sl’émergence et la formulation.

Toute l’action des ONG repose sur un choixbien précis: accorder la priorité à la mobilisationsociale et à la pression publique lors des grandesnégociations qui se déroulent dans les sphères dup o u vo i r. C’est pour-quoi les accords quenous concluons et lesalliances que nous for-mons visent avant toutdes organisations etdes mouvements issusde la société civile.C’est aussi pourquoinous construisons desforums, des coalitionset des réseaux quienjambent les fron-tières des Etat sn at i o n a u x .A i n s i ,n o u sp o u vons penser demanière globale, é t a-blir des liens entre lep a rticulier et l’uni-ve rs e l , échanger dese x p é riences et noustenir régulièrementinformés.

Car aujourd’hui, l emode de constitutionet de fonctionnementdu pouvoir mondial,monopolisé par les grandes organisations multila-t é r a l e s , est antidémocrat i q u e . Dans leur form ea c t u e l l e , elles ne peuvent prétendre incarner ladémocratie et la citoyenneté universelles. En effet,la seule légitimité possible est celle qui émane duvo t e .O r , les exécutifs nationaux qui siègent dans lesorganisations internationales ne sont pas tous élusau suffrage populaire. Et ils sont loin de repré-senter la dive rsité des forces sociales qui composentleurs peuples.

Innover et convaincreEst-ce à dire que nous les ONG, qui sommes

censées incarner la société civile, d e v rions pré-tendre représenter ces peuples? Est-ce à dire quenotre ambition devrait être de conquérir une placeau sein d’un futur nouvel ordre démocratique mon-dial? Est-ce à dire que nous devrions revendiquer desiéger de plein droit au sein de la nouvelle stru c t u r e

de gouve rnement tri p a rtite – pouvoir politique,e n t r e p ri s e s , société civile – que certains appellent deleurs vœux? A mon sens,tout cela serait un leurre;pire,nous risquerions d’y perdre notre vocation laplus utile et la plus légitime.

En effet, la raison d’être des ONG n’est pas laconquête du pouvoir ni le gouve rn e m e n t , qu’il soitmondial, national ou local. Nous ne sommes pasconstitués comme des partis politiques, même si nosactions sont publiques et semblent très politisées.Nous ne pouvons même pas nous présenter commedes représentants de la société civile puisqu’elle nenous a confié aucun mandat de ce type.

A l o rs , que voulons-nous? To u c h e r , m o b i l i s e r ,é d u q u e r , faire entendre, proposer et innove r ,c o nvaincre et renforcer politiquement différentsgroupes de la société civile et, plus précisément,

ceux qui sont exclus.Nous voulons donnerune vo i x à des idées età des va l e u rs , à desquestionnements et àd e s p r o p o s i t i o n s , q u ic o n c e rnent la justices o c i a l e , une répart i t i o nplus équitable desri c h e s s e s , le respectd e l ’ e nv i r o n n e m e n t ,l alutte contre la pauvretéet l’exclusion sociale.

Qui sommes-nous?De petits acteurs ,quand on nous com-pare à d’autres piliersde la société civile,comme les syndicat sou les organisat i o n sp r o f e s s i o n n e l l e s , o uencore à des organisa-tions émanant de l’Etatou du marché. M a i snous sommes aussi, etc’est nouve a u , d e«grands» acteurs parce

que notre mission et notre champ d’action ne selimitent pas à une société donnée, ni à une économien ationale ou à un Etat part i c u l i e r. La tâche que nousnous donnons est de relier le local au global – c’est-à-dire à l’unive rs e l , à tout ce qui est commun àl’humanité entière.Les droits de l’homme,la crises o c i a l e , la protection de l’env i r o n n e m e n t , t o u t e sces questions sont mondiales. Nous les traitons àp a rtir de situations particulières concrètes, m a i stoujours dans une perspective mondiale.

Enfin,où réside notre seule légitimité? Dans laqualité des va l e u rs , des principes et des idéaux quenous défendons. Dans la pertinence et dans l’im-portance des questions que nous soulevons, dansl’inventivité des propositions que nous formulons.Notre seule légitimité, c’est notre capacité à déve-lopper une pensée – orientée par l’action. U n epensée qui soit à la mesure du devoir citoyen quenous voulons accomplir. ■

«L’Etat des lieux».

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É T H I Q U E S

Septembre 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 37

l ’ é p o q u e .Voilà pour la partie la plus médiat i s é edu débat .

O r , l’éthique médicale ne se réduit pas àces questions, comme il est bon de le rap-peler quelques jours avant l’ouve rture desJeux olympiques de Sydney (15 septembre-1e r octobre 2000). Mais elles sont fondamen-tales pour envisager quel type d’Humaniténotre civilisation s’apprête à engendrer. L asociété de demain se prépare au quotidien,dans le secret des cabinets médicaux. En effet,l’éthique médicale est aussi questionnée par lesp r atiques les plus banales qui confrontent lemédecin aux attentes nouvelles de ses pat i e n t s.Le médecin n’échappe ni aux mutat i o n ss o c i a l e s , ni aux normes ou aux imaginaires col-

■Les mutations des sciences du vivant etdes biotechnologies suscitent un débatéthique d’une grande ampleur. L e s

connaissances issues de la génétique, les aidesà la procréat i o n , la pers p e c t i ve du clonage etle dépistage prénatal sollicitent les comitésd ’ e x p e rt s , dont la tâche consiste aujourd’huià adapter les codes éthiques à ces évo l u t i o n s.Les règles sur l’expéri m e n t ation humaine ins-c rites en 1947 dans le Code de Nuremberg1

sont ainsi ré-interrogées par les réalités d’unemédecine et d’une recherche impensables à

lectifs propres à une époque. Et il doit tenterde concilier, au sein de la relation clinique, l e sp rincipes des codes de déontologie et cesdemandes sociales nouve l l e s , liées aux exi-gences de la société libérale en matière d’effi-c a c i t é , de rendement et de performance de sesa c t e u rs.

C’est le cas notamment du dopage sport i fqui fonctionne comme l’aboutissement d’une

PERF ORM A NCE, MÉ DECINEET DÉ ON TOLOGIE◗ Philippe Liotard

Où s’arrêtent les soins de santé et où commence le dopage? Cette frontière artificielle s’estompesous la pression de la course à la réussite. Le point à la veille des Jeux olympiques de Sydney.

◗ Université Montpellier 1, France. Co-fondateur de la revue [email protected]

L’effort brutal du jeune Sud-africain Victor Mzimango à l’entraînement aux barres parallèles dirigé par deux gymnastes russes.

1. Édicté à propos du procès de Nurembergen 1947, il vise à protéger l’individu en tantqu’objet d’expérimentation.Ce code a inspiréles principales organisations médicalesinternationales dans l’élaboration des directivesconcernant les problèmes soulevés parle développement de la recherche biomédicale.

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É T H I Q U E S

38 Le Courrier de l’UNESCO - Septembre 2000

médecine de la perform a n c e .M a i s ,c u ri e u s e-m e n t , l o rsqu’il est question de dopage, l ed é b at se réduit à un certain nombre d’incan-t at i o n s : on affirme son caractère amoral auregard d’une éthique sport i ve illusoire, o ne x h o rte à l’amélioration des tests, au durcis-sement des sanctions à l’égard des «tri c h e u rs »et de leurs complices. O r , ce débat est my s t i-fic ateur car il masque l’essentiel et renforcel ’ aveuglement des populat i o n s , des médecinset des pouvo i rs publics à l’égard des exigencesde la compétition sport i ve .

Adhésion du sportifLe dopage dans les pratiques de haut nive a u

n’est pas l’œuvre de dangereux détraqués. I lnécessite au contraire l’adhésion du sportif quigère individuellement sa préparation phy s i q u eet son entraînement. Celui-ci est amené à uti-liser quotidiennement des produits qui accrois-sent sa résistance à la fatigue et son potentielm u s c u l a i r e , ou bien qui lui permettent de ren-forcer sa capacité de récupérat i o n . Le scan-dale qui a entaché le Tour de France en 1998a dévoilé comment dans le cy c l i s m e2, les at h-lètes s’auto-administrent en toute consciencedes produits interdits, a fin de répondre auxexigences de la préparation et de l’enchaînementdes compétitions tout au long de la saison.

A i n s i , le véritable débat éthique se situe surl’unique plan de la déontologie médicale. I lsuppose une réflexion sur les réponses appor-tées par les médecins aux demandes qui leursont faites par les sportifs de tous nive a u x .Car le dopage est une pratique qui se déve-loppe également chez les sportifs amat e u rs etchez les enfa n t s.

L o rs du 43e c o n grès américain sur la santé( Wa s h i n g t o n , septembre 1996), Thomas H.M u rr ay, du Centre d’éthique biomédicale del ’ U n i ve rsité de Cleve l a n d , a par exemple rap-p o rté la demande d’une mère d’administrer àson fils des hormones de croissance afin derépondre aux exigences du sport prat i q u é .Cette sollicitation résulte de deux fa c t e u rs.D’une part , l ’ avancée des biotechnologi e s

médicales rend possible laproduction d’hormones syn-t h é t i q u e s. Par ailleurs , l ac o u rse à la réussite impliquele médecin dans l’adaptat i o nde l’organisme à des impé-r atifs d’effic a c i t é .

Tous les codes déonto-l o giques convergent pour-tant pour condamner unmédecin qui répondrait favo-rablement à ce type de désir.L’ A s s o c i ation médicale mon-d i a l e3 (AMM) demandeainsi «à tout praticien de s’op-poser et de refuser le recours àdes méthodes» qui auraientnotamment pour but «d ’ a c-croître ou de maintenir art i fi-ciellement la perfo rm a n c ed u rant la compétition» ou de«m o d i fier les cara c t é ri s t i q u e spropres à un âge ou un sexe»( D é c l a r ation de pri n c i p e spour les soins de santé enmédecine du sport ,a d o p t é een 1981, m o d i fiée en 1999).

Médecine du «désir»Po u rt a n t , un cert a i n

nombre de médecins sontconfrontés aux c o n s é q u e n c e sde la pratique sport i ve .D ’ u npoint de vue phy s i o l o gi q u e ,l ap r atique du sport tarit lesr é s e rves nat u r e l l e s , n o t a m-ment horm o n a l e s. C’est lecas de la testostérone. U nentraînement intensif conduitl’organisme à épuiser lesstocks de cette horm o n em â l e , plus vite qu’il ne lesc o n s t i t u e . Sollicité par unat h l è t e , un médecin peutainsi prescrire une thérapie dec o m p l é m e n t at i o n , c o m m eon administre du fer ou desvitamines à des pers o n n e ssouffrant de carences. Il pallierait ainsi uned é ficience organique, dont il n’aurait pas à sepréoccuper de l’ori gine (malnutri t i o n ,s u rm e-n a g e ,p at h o l o gi e … ) .

Il ne s’agit pas encore d’une médecine dela perform a n c e , mais d’un glissement récentdes missions de la médecine.Dans les pays lesplus riches et parmi l’élite des pays pauvres4,elle est sollicitée pour surmonter les consé-quences des mutations sociales, fondées sur ler e n d e m e n t . Cette logique est également trèsp r o c h e , dans ses pri n c i p e s , des thérapiesa n t i-vieillissement où il s’agit d’adapter lessoins à l’allongement de l’espérance de viedes populat i o n s. Les traitements substitutifs

d ’ h o rmones chez les personnes âgées répon-dent au projet de «gagner en qualité de vie ceq u e nous avons gagné en durée de vie» , s e l o nl e s mots du professeur Bruno Delignières,chef du service d’endocri n o l o gie de l’hôpitalN e c k e r.

Ici aussi, l’ajustement hormonal résulte àla fois des avancées de la science du vivant etde la demande des patients qui sollicitent lesmédecins pour alléger les séquelles du vieillis-s e m e n t . La médecine répond ainsi à unel o gique d’amélioration de la vie phy s i q u e . Al’instar de la chiru r gie esthétique ou des thé-rapies de l’impuissance, dynamisées par l’ap-p a rition du V i a gr a , elle se mue en une méde-

2. Mais cette réalité se retrouve dans tous lessports où les athlètes gèrent individuellement delongues plages de préparation.3. L’Association médicale mondiale (AMM ouWorld Medical Association) est une organisationinternationale de médecins. Elle a été fondée le18 septembre 1947, à Paris, où étaient présents27 pays membres. Elle visait à assurerl’indépendance des médecins et à atteindre les plushautes normes en matière d’éthique et de soins desanté. Cet objectif particulièrement importantaprès la Seconde Guerre mondiale fait aujourd’huide l’AMM une confédération indépendanted’associations professionnelles libres(www.wma.net).4. On peut parler aujourd’hui d’«apartheid sanitaire»(Martine Bulard, Le Monde diplomatique, janvier2000) pour traduire l’inégalité d’accès aux soins enfonction des richesses des Etats et des personnes.

Le marathon de New York: une épreuve prisée par les cadres.

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É T H I Q U E S

Septembre 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 39

cine du «désir», aiguillonnée par les imagi-naires du bien-être et de la jeunesse. L ademande visant à obtenir, entretenir ouc o n s e rver un corps «perform a n t » , à l’appa-rence «lisse», se fait de plus en plus pressante.Il en est de même en ce qui concerne l’at t é-n u ation de la douleur, l o rs de l’accouche-m e n t , durant la vieillesse et, bien sûr, dans lavie quotidienne et donc dans le cadre de lap r atique sport i ve .

On pourrait donc penser que rien necontredit la prescription de produits visant àaméliorer la qualité de vie d’un sportif sollicitépar une pratique intense. Lutter contre les t r e s s , récupérer d’une fatigue accumulée,réclamer des anti-infla m m atoires pour dimi-nuer une douleur contractée lors de la prat i q u edeviennent ainsi des demandes légi t i m e s ,compte tenu des attentes sociales à l’égardd’un bien-être assisté par molécules chimiques.

Pour l’administra t i o nde certains produits, se posela question du seuil entreune médecine de rééquilibra g eet une médecinede la performance

C e p e n d a n t , la testostérone et ses déri v é s(notamment la nandrolone) sont précisémentclassés dans la cat é g o rie des stéroïdes anabo-lisants et figurent au palmarès des produits lesplus souvent détectés lors des contrôles anti-d o p a g e . Administrée à forte dose, couplée àune alimentation et à un entraînement adé-q u at s , la testostérone permet l’accroissementde la masse, de la force et de la puissancemusculaires tout en développant l’agr e s s i v i t éet la résistance à la fatigue et à la douleur. D em ê m e , les corticoïdes permettent de repousserles limites de la fatigue et d’atténuer la douleurp hy s i q u e . Ces produits sont donc fort logi-quement adaptés pour pallier les conséquencesp hysiques et les impératifs psychologiques dela compétition sport i ve .

La question du seuil se pose alors pourfixer la limite entre une médecine de rééqui-librage et une médecine de la perform a n c e .Une frontière art i ficielle est ainsi élaborée.Des taux sont fixés pour apprécier le degr éd ’ a p p o rts en «compléments» et des tests médi-caux quantitatifs permettent désormais dedéceler les prises de quantité «déraisonnables»de produits qui ne sont donc plus interdits,mais tolérés dans une certaine limite.

Si l’on s’en tient à la déontologie médicale,il n’y a pas lieu de s’interroger pour savoir s’ily a «triche» du point de vue des règlementss p o rt i f s. Un médecin n’a pas à se situer vis-à-vis d’exigences élaborées pour des missions quine sont pas les siennes. Le problème posé

c o n c e rne la définition de la santé à laquelle lep r aticien se réfère et non pas celle du dopage.Sur ce point, la déclaration de Genève del’AMM (adoptée en 1949 et amendée en1983) est explicite: «La santé de mes patients serat o u j o u rs ma première préoccupat i o n» .

En conséquence, il est logique qu’ellecondamne les «procédés visant à masquer la dou-leur ou d’autres symptômes s’ils sont utilisés pourp e rmettre à un athlète de participer à une compé-t i t i o n ,a l o rs qu’il existe des signes ou des lésions ren-dant sa part i c i p ation non env i s a ge a b l e» . U nmédecin (sportif ou pas) qui agit de la sorte neremplit pas ses devo i rs vis-à-vis de ses pat i e n t s(qui consisteraient à prescrire un arrêt de l’ac-tivité traumatisante) mais répond aux exi-gences de l’institution sport i ve . Le point de vued é o n t o l o gique interdit au contraire la prise enc o m p t e , dans le diagnostic ou le traitement, d etoute considération liée à un impératif der é s u l t at .L’éthique médicale condamne en effettout acte qui serait dicté par un intérêt ou unepression ne répondant pas à ce souci de santé.

Impératifs de rendementEt c’est là que le débat est part i c u l i è r e-

ment complexe car, dans le langage courant etdans le discours sur le dopage sport i f, la santése définit comme une absence de maladies oude séquelles organiques. O r , dès 1940, l ’ O r g a-n i s ation mondiale de la santé (OMS) la défin i tcomme un état de bien-être phy s i q u e , é m o-tionnel et social complet. L’ A s s o c i ation cana-dienne pour l’éducation à la santé (Unive rs i t éd ’ O n t a rio) souligne que la santé n’est pas unefin en soi, mais un moyen pour accéder à unéquilibre de vie. La santé serait alors unerecherche de mieux-être qui intègre des dimen-sions sociales et culturelles liées aux aspira-

tions individuelles. Elle serait donc éminem-ment subjective et va riable suivant l’époque, l el i e u , le sexe , la cat é g o rie sociale, l’âge… Chaqueindividu définit en effet en fonction de son his-toire et de son environnement culturel son rap-p o rt au bien-être, à la douleur et à la maladie.

La pratique sport i ve place ainsi les méde-cins face à un paradoxe .D’un côté, ils sont enm a j o rité convaincus des bienfaits de l’activitép hysique sur l’équilibre de vie. De l’autre, i l sne peuvent que constater les effets séditieux desp r atiques compétitives sur cet équilibre etsont en mesure d’y pallier chimiquement.S ’ i l srépondent à cette demande, ils contri buent àrenforcer l’aliénation des individus aux exi-gences de performance dont la pratique spor-t i ve n’est que l’aspect le plus spectaculaire.

Mais ils peuvent toujours , en leur âme etc o n s c i e n c e , refuser de se prêter à ce jeu dedupe et dénoncer les conséquences des ry t h m e sde vie imposés par l’impératif de rendement.A gir pour le mieux-être des patients passe aussipar l’éducation à des modes de vie non trau-m at i s a n t s. Le médecin a la responsabilité d’in-f o rmer ses patients sur les ori gines des pat h o-l o gi e s. Et ce qu’il fait sans état d’âme à proposd’une surcharge pondérale, d’une pat h o l o gi eliée à la consommation de tabac ou d’alcool, i ldevrait pouvoir le faire à propos des dimensionsm o rtifères de la pratique sport i ve .

En défin i t i ve , la médecine sport i ve préfi-gure la médecine de demain,une médecine aus e rvice des institutions qui agit pour accroîtreleur efficacité et qui risque d’engendrer unen o rm a l i s ation des êtres humains au plan del’apparence (chiru r gie esthétique), des qualités(diagnostic prénatal) et des contraintes sociales(exigence de performance aux plans profes-s i o n n e l ,s e x u e l ,s p o rt i f ) . ■

L’ ÉT HIQUE DA NS LE TEXT ELe serment d’Hippocrate Je jure par Apollon, médecin, par Esculape, parHygie et Panacée, par tous les dieux et toutes lesdéesses, les prenant à témoin que je remplira i ,suivant mes forces et ma capacité, le serment etl’engagement suivants:[…] Je dirigerai le régime des malades à leur avan-tage, suivant mes forces et mon jugement, et jem’abstiendrai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai à personne du poison, si on m’endemande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareillesuggestion.Dans quelque maison que j’entre, j’y entrerai pourl’utilité des malades, me préservant de tout méfaitvolontaire et corrupteur […] Si je remplis ce serment sans l’enfreindre, qu’il mesoit donné de jouir heureusement de la vie et de maprofession, honoré à jamais parmi les hommes; si

je le viole et que je me parjure, puissé-je avoir unsort contraire!

Charte olympique selon les principes de Pierre de CoubertinL’olympisme est une philosophie de la vie, exaltantet combinant en un ensemble équilibré les qualitésdu sport, de la volonté et de l’esprit. Alliant le sportà la culture et à l’éducation, l’olympisme se veutcréateur d’un style de vie fondé sur la joie dans l’ef-fort, la valeur éducative du bon exemple et le respectdes principes éthiques fondamentaux universels.

Charte olympique contre le dopageLe dopage, selon la définition adoptée en février1999 par le Comité international olympique (CIO)est l’administration ou l’utilisation de classes pro-hibées de drogues et de méthodes interdites. ■

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S I G N E S D E S T E M P S

40 Le Courrier de l’UNESCO - Septembre 2000

Vous avez passé trois semaines au Ko s o v oen octobre 1999. Qu’avez-vous découvert?

Le pat rimoine islamique du Kosovo, v i e u xde six siècles,a gr avement souffert des opérat i o n sde «puri fic ation ethnique». Plus d’un tiers des6 0 0 mosquées ont été détruites ou très endom-m a g é e s. Une pratique courante consistait àentourer d’explosifs la base du minaret pourqu’il s’effondre et écrase le dôme. A l’intéri e u rdes mosquées,nous avons découve rt des gr a f fit i santi-albanais et anti-islamiques, des Corans auxpages arrachées et souillées de matières fécales,ainsi que des croix gr avées dans les mihrabs[niches orientées ve rs la Mecque].De précieusescollections de manuscrits ont été brûlées. L amosquée et le centre historique de Vu c i t rn ,q u id ataient de 500 ans,ont été incendiés et rasés aubulldozer par des paramilitaires serbes. Sur lesq u atre centres urbains bien préservés qui dat a i e n tde l’époque ottomane, un seul – Prizren – a puréchapper au saccage.

Autre grande pert e , les k u l l a s, ces demeuresde pierre caractéristiques de l’architecture alba-n a i s e ,qui appartenaient en général à de gr a n d e sfamilles depuis 150 à 200 ans.Regorgeant d’ob-jets et de documents, elles étaient symboliquesde la culture albanaise au Kosovo. S e u l e m e n t10% des 500 k u l l a s sont encore debout. To u tceci démontre que les dégâts n’étaient pas acci-dentels mais bien intentionnels.

On dit que le patrimoine serbe a aussi subid e s p e r t e s .

Dès le début des hostilités, le ministère del ’ I n f o rm ation de Belgrade et plusieurs agenceschargées de la conservation ont affirmé quel ’OTA N visait délibérément des sites du pat ri-moine serbe. Nous avons visité les sites en ques-tion et constaté que ces accusations n’étaient pasf o n d é e s. A la fin de la guerr e , des soldats de laKF O R1 ont eu pour mission de protéger lesmonastères et les églises les plus renommés.Mais beaucoup de petites églises ont été at t a-quées par des villageois kosova rs de retour aup ay s ,qui voulaient se ve n g e r. La majorité ava i e n t

été construites au X Xe s i è c l e , voire dans lesannées 90. Elles étaient considérées commedes monuments politiques et ont été viséespour cela.A notre connaissance, depuis la fin duc o n fli t , e nviron 40 églises ont été gr ave m e n tabîmées et 40 autres va n d a l i s é e s. La plupartétaient modernes et une douzaine anciennes.

Où en est la reconstruction?Les bâtiments en cours de restauration sont

ceux qui peuvent être réparés rapidement.Autrement dit, ceux qui ont des stru c t u r e sm o d e rnes en béton. Les Nations unies disposentd’un très faible budget pour la reconstru c t i o n ,qui n’est pas une pri o rité aux yeux de la com-munauté intern at i o n a l e . Notre Projet pour lep at rimoine culturel au Kosovo vient d’obtenirdes fonds pour restaurer trois monuments2.L’Institut pour la protection des monuments duK o s ovo a aussi été autorisé à nettoyer les gr avat s ,consolider et recouvrir de bâches une centainede monuments très menacés.Si les sites serbessont protégés par la KF O R, il y a eu peu d’ini-t i at i ves pour consolider les monuments endom-magés depuis la fin de la guerr e . En ce quic o n c e rne les mosquées, les organisations d’aideislamiques basées en Arabie saoudite imposentl e u rs choix ri g o ri s t e s , comme elles l’ont fait en

B o s n i e . Elles désapprouvent la moindre déco-r ation et considèrent des pratiques courantesdans le reste du monde musulman comme frô-lant l’idolâtri e .

Les Albanais veulent-ils reconstruirel e u rp a t r i m o i n e ?

A b s o l u m e n t . Ils entourent leur pat ri m o i n ed’une véritable ferve u r , et c’est bien pour celaqu’il a été pris pour cible. Mais ils manquent dem oyens et, s u rt o u t ,d ’ e x p e rt i s e .Très peu d’Al-banais ont la form ation adéquate et la plupartn’ont pas pu exercer leur métier depuis 10 ans.Avec notre projet, nous espérons mettre aupoint des méthodes adaptées au contexte local,et favo riser les relations entre acteurs locaux eté t r a n g e rs. ■

Propos recueillis par Cynthia Guttman, journaliste au Courrier de l’UNE S C O.

◗ Andras Riedlmayer est chercheur pour le programmeAga Khan de la Bibliothèque des Beaux-Arts del’Université de Harvard. Il a co-dirigé une étude sur lepatrimoine du Kosovo avec l’architecte AndrewHerscher. Cette étude a été financée par Harvard.

KOSOVO: LE SACCAGEORG A NISÉ DU PAT RIMOINEMosquées, manuscrits, kullas, églises ont été délibérément pris pour cible pendant la guerre,affirme Andras Riedlmayer ◗, de Harvard, qui dresse un premier bilan des dégâts.

Les décombres de la kulla de Jashar Pasha construite en 1830, incendiée en mai 1999 par des Serbes.

1.La KFOR est une force internationale menéepar l’OTAN, qui opére sous mandat des Nationsunies pour établir un climat de sécurité.Stationnée dans la région depuis juin 1999,elle compte 50000 membres de 30 pays.2.Ce projet sera mené en coopération avecune ONG basée à Boston, Friends of Bosnia,et avec les autorités locales.

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Septembre 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 41

◗ Spécialiste du patrimoine, ancien directeur du Bureaude l’UNESCO à Sarajevo.

UN CRIME CON T RELA CULT URE◗ Colin Kaiser

En ex-Yougoslavie, la destruction du patrimoine culturel a brisé l’identité communedes citadins, et satisfait un rêve archaïque dans les campagnes.

celle de crimes contre l’humanité, qui a étéretenue contre des militaires et des hommespolitiques de la région par le Tri bunal pénali n t e rn ational pour l’ex-Yo u g o s l av i e .

D’autres termes circulaient pendant lag u e rr e : «urbicide» renvoyait au bombarde-ment de villes comme Mostar ou Sarajevo ;« n e t t oyage» ou «génocide culturel», d é s i g n a i tle triste sort réservé aux mosquées, é g l i s e s ,m u s é e s , a r c h i ve s , b i b l i o t h è q u e s , é c o l e s , e t c.Ces mots ont bien sûr été utilisés par la pro-p a g a n d e , m a i s , trop souve n t , ils reflé t a i e n tbel et bien les paysages de la Croat i e , de laB o s n i e - H e r z é g ovine puis du Kosovo.

En temps de guerr e , la destruction déli-bérée du pat rimoine culturel n’a rien d’ex-

■En 1991, juste après la fin de la guerr ef r o i d e , les Européens de l’Ouest ont euun choc en regardant leur petit écran. I l s

y ont vu un déluge de bombes s’abattre surla petite cité de Vu k ova r , sur les ri ves duD a n u b e , tandis que des volutes de fumées ’ é l e vaient au-dessus de Dubrov n i k , «le joya ude l’Adri at i q u e » ,i n s c rit sur la Liste du pat ri-moine mondial. De 1991 à 1999, la guerre afait rage en ex-Yo u g o s l av i e . Les commenta-t e u rs prudents parlaient de «p u ri fic ation eth-n i q u e» , les victimes de «g é n o c i d e» . C’est pré-cisément cette dernière charge, ainsi que

c e p t i o n n e l . Elle vise tantôt le pillage desri c h e s s e s , tantôt l’anéantissement de l’en-n e m i . Pendant la Première Guerre mon-d i a l e , les églises et les centres des villes ontété transformés en champs de ruines parnécessité militaire. Au cours de la seconde,des villes allemandes, q u a l i fiées de «zones debombardement» strat é gi q u e s , ont été pilon-nées par l’av i ation alliée. Autre point: l ’ é l i-m i n ation physique des juifs d’Europe par lesnazis s’est accompagnée d’un génocide cul-turel – la destruction des synagogues, c i m e-tières et autres lieux symboliques.

En ex-Yo u g o s l av i e , les sites du pat ri-moine ont très rarement été anéantis pourdes raisons purement militaires. L’histoire

Une église détruite en Croatie lors des combats de Lipik.

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42 Le Courrier de l’UNESCO - Septembre 2000

LE PONT DE MOS TA R :LA REN A ISSA NCE D’UN SYMBOL E

Il a suffid’une petite demi-heure, le 9 novembre1993, pour que le Stari Most (le Vieux Po n t ) ,

symbole du passé multiculturel de Mostar, soitdétruit par l’artillerie croate. Conçu par l’architecteottoman Mimar Hayruddin, et achevé en 156 6après neuf ans de travaux, le pont s’élevait autre-fois au-dessus des eaux émeraude de la Neretva.

Cet édifice de pierre long de 29 mètres, inscritsur la Liste du patrimoine mondial, a donné sonnom à la ville et stimulé sa croissance, tra n s f o r m a n tun petit village médiéval en un prospère centrede commerce.

Immédiatement après sa destruction totalel’année suivante, les architectes et les experts du pa-trimoine qui avaient fui la ville ont constitué unréseau en vue de sa reconstruction. En 1997, deshommes-grenouilles du contingent hongrois desforces de l’OTAN en Bosnie ont repris les blocs depierre à la rivière, avec l’assistance technique de l’en-treprise hongroise de travaux publics Hidépito Rt.

En 1998, l’UNES CO, la Banque mondiale et la villede Mostar ont lancé un projet pour rebâtir le pont,que les dirigeants des différentes communautésreligieuses qualifient de «symbole de paix et de ré-c o n c i l i a t i o n». En raison de l’ampleur des dégâts, lesblocs sauvés des eaux seront moins réutilisés queprévu. De nouvelles pierres seront sans doutee x t raites d’une carrière voisine, utilisée par lespremiers bâtisseurs du pont. Des photos desannées 70 faciliteront le travail en permettantd e reconstituer une image en trois dimensions del’édifice original.

Déjà, les habitants de Mostar se préparent à voirrenaître l’emblème de leur cité. L’Institut pour lac o n s e rvation de Mostar affiche un écriteau portantl’inscription «Mostar 2004», l’échéance des tra v a u x .L’ i n a u g u ration est prévue pour le 15 septembre 20 0 4 ,à 17 heures, date choisie en pleine guerre par lesarchitectes de Mostar, qui se consacrent désormaisentièrement à la reconstruction de leurville. ■

nous enseigne que dans les Balkans, les édi-fices religieux ont souvent été pris pour cible.La vieille croyance voulant qu’au X Ve s i è c l e ,les Ottomans aient épargné les lieux de cultechrétiens pourrait bien n’être qu’un my t h e .Au X I Xe s i è c l e , l ’ a rmée des Habsbourg etles administrateurs catholiques en Croatieont transformé quelques mosquées enéglises, et rasé les autres. Plus récemment,pendant la Seconde Guerre mondiale, lesforces fascistes des Oustachis ont détru i tune masse d’églises serbes orthodoxes. Lesruines visibles en Slavonie et en Krajinaorientales,régions croates à majorité serbe,sont encore là pour en témoigner.

Mais les événements plus récents sontd’une tout autre nat u r e . Cette fois, il ne

s ’ a gissait pas d’armées étrangères enva h i s-sant un territoire et balayant tout sur leurp a s s a g e . Les camps adve rses étaient devieilles sociétés relat i vement intégr é e s ,m a i sen voie de rupture. En 1991,les habitantsserbes de la Krajina croate n’étaient pasnouveaux dans la région.Croates,Musul-mans et Serbes cohabitaient en Bosnie-H e r z é g ovine depuis le X V Ie s i è c l e . Et auXXe siècle, les mariages mixtes avaient res-serré le tissu social des villes.

M a i s , dans les campagnes, où les popu-l ations se sont souvent implantées en fonctionde leur appartenance ethnique, il en allaittout autrement. L o rsqu’on chassait lesM u s u l m a n s , les Croat e s , les Serbes ou lesAlbanais du Kosovo de leurs villages, de leurs

mosquées et de leurs églises, qui étaientminés ou incendiés, c’est «l’Autre»,« l ’ E t r a n g e r » ,que l’on expulsait.Le rêve affic h édes nat i o n a l i s t e s , qui rencontrait parfois celui,plus inavo u é , des villageois, se trouvait réalisé:e n fin en paix, seuls entre nous. Un monderural mythique et pur était né.

Dans les villes de Bosnie, les destru c t i o n svisaient un autre objectif.A u t r e f o i s , on disaits o u vent à Sarajevo et à Mostar que les syna-g o g u e s , les églises et les mosquées étaient à1 0 0 mètres les unes des autres. Ce n’était pasvrai en réalité, mais c’est ainsi que les gensvoyaient les choses. Ces villes s’enor-gueillissaient de leurs monuments religi e u xet abritaient un héritage ottoman de toutebeauté.Les populations s’étaient en partieintégrées grâce à leur attachement partagéaux mêmes lieux et au même espace. L acoexistence des différentes traditions reli-gieuses leur avait donné un sens commun dela propriété du pat ri m o i n e .S e r b e s ,M u s u l-mans et Croates étaient tous fiers de leursmonuments historiques, comme la biblio-thèque de l’Université de Sarajevo.

Patrimoine «ethnicisé»La guerre a tout bouleve rs é .Vues de l’ex-

t é ri e u r , les destructions sont barbares, m a i spour leurs auteurs , ce sont des actes créat i f s.Dans les campagnes de Croatie et de Bosnie,elles représentent l’avènement – où la libéra-tion – d’une société rurale my t h i q u e , qui vo i tson horizon enfin débarrassé des symbolesde l’Autre indésirable. Dans les villes bos-n i a q u e s , en reva n c h e , une identité communea été dissoute, et avec elle, «l’Autre» qui exis-tait en chaque individu. Le pat rimoine sécu-lier et sacré a été «ethnicisé». Avant la guerr e ,aucun habitant de Mostar n’aurait décrit leVieux Pont comme un monument islamique.C’est sa destruction par les tanks croates quien a fait cela. En Bosnie, l ’ a p p a u v rissement desvilles après la guerre est saisissant, et pas seu-lement parce qu’elles ont été «débarrassées» dec e rtains groupes ethniques ou de monumentsr e l i gi e u x . Les édifices qui ont survécu ne sontplus que les fantômes d’un autre âge: « l ’ A u t r e »a été purement et simplement éliminé, dans lesconsciences comme dans les ru e s.

La restauration du pat rimoine peutprendre une tournure très politique et semerla discorde. Il n’est plus question de recons-t ruire ce qu’on avait en commun,mais seule-ment «ce qui nous appart e n a i t » .Les problèmestechniques liés à la reconstruction sont infi-niment moins gr aves que ceux que pose la« d é s e t h n i c i s ation» du pat ri m o i n e .On voit malcomment les sociétés balkaniques serontcapables de les surm o n t e r. A moins que lesgroupes ethniques ou nationaux responsablesdes crimes décident eux-mêmes de restaurerun espace qui fut jadis commun. ■

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C O N N E X I O N S

Septembre 2000 - Le Courrier de l’UNESCO 43

contraire incité les enfants à les voir commedes machines «psychologi q u e s » .

M e r l i n , un jeu de morp i o n ,a p p a rt i e n tà cette première génération de jouets élec-t r o n i q u e s. Il a suscité de nombreuses réac-tions chez les enfants habitués à des par-

tenaires humains. Il était programmé pourgagner dans la majorité des cas et échouerde temps en temps. Quand les enfa n t sdécouvraient une strat é gie «gagnante» ettentaient de l’appliquer une deuxième fois,elle s’avérait en général inefficace. L a

■Les enfants ont toujours manié lesjouets comme des modèles qu’ils uti-lisent pour décrypter le monde. Il y a

50 ans, le génial psychologue suisse Je a nPiaget a démontré que l’une des gr a n d e sa f faires de l’enfance consistait à se serv i rdes objets pour élaborer des théories surl ’ e s p a c e , le temps, les nombres, les rapport sde cause à effet, la vie et l’espri t .

A cette époque, le monde des enfa n t sétait rempli d’objets faciles à comprendre.Il suffisait d’actionner les pédales d’uneb i cyclette ou de remonter le ressort d’unepetite voiture pour en saisir le fonction-nement mécanique. S’ils s’emparaientd’objets électroniques, comme des radiosde conception élémentaire, les enfa n t sp o u vaient toujours , m a l gré quelques dif-fic u l t é s , saisir leur fonctionnement en uti-lisant cette grille d’analyse «mécanique».

Le jeu de morpionAu début des années 80, une première

g é n é r ation de jouets électroniques a com-mencé à tout bouleve rs e r. Quand lese n fants ouvraient le ventre de leurs joujouspour «voir» comment ils marchaient, i l sdécouvraient une puce, une bat t e rie etquelques fil s. Pressentant qu’ils ne com-prendraient pas leur fonctionnement «phy-s i q u e m e n t » , ils ont tenté une approche« p s y c h o l o gi q u e » : ils se sont demandé sices jouets étaient conscients, doués des e n t i m e n t s , et même s’ils étaient capablesde tri c h e r. Les jouets traditionnels encou-rageaient leurs jeunes propriétaires à biendistinguer le monde de la psychologie decelui des machines. Les jouets électro-n i q u e s , plus du tout. Leur opacité a au

C Â L INS ÉL ECT RONIQUESP OUR CY BERENFA N T S◗ Sherry Turkle

Dans l’esprit des enfants, les limites du vivant et de l’affectivité se déplacent au fur et à mesureque leurs jouets deviennent plus «intelligents». L’analyse d’une «cyberpsy».

◗ Professeur au département «Sciences, technologie etsociété» du MIT (Massachusetts Institute of Technology),auteur de nombreux articles et de plusieurs ouvrages surles relations entre l’homme et les nouvelles technologies.Son dernier livre, Life on the Screen: Identity in the Ageof the Internet (La vie à l’écran: l’identité à l’ère d’Internet)est paru chez Simon and Schuster en 1995 et chezTouchstone paperback en 1997. Zhu Ying, 9 ans, essaie des Tamagotchis dans un grand magasin de Beijing.

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machine donnait l’impression de n’êtrepas assez «idiote» pour se laisser bat t r edeux fois de suite.

Un jour, R o b e rt , sept ans, a vu Craig,un autre enfa n t , utiliser un «truc» gagnanta l o rs qu’ils jouaient sur la plage. M a i squand il l’a essayé à son tour, Merlin nes’est pas fait avoir et le jeu a fini par unep a rtie nulle. F rustré et déconcert é ,R o b e rta traîné Merlin sur le sable en maugr é a n t :«Sale tri c h e u r. Je vais te casser la tête» .C r a i get Greg, six et sept ans, ont volé au secoursdu jouet déjà plein de sable avant de rai-sonner Robert . «M e rlin sait pas quand yt ri c h e, lui a expliqué Craig. Y sent ri e nquand tu le casses. Il est pas viva n t» . «Il estassez malin pour faire les bons bru i t s, mais ysait pas vraiment ce que c’est de perdre. E tquand y tri c h e , y s’en rend pas compte» , aajouté Greg. Je n ny, six ans, les a inter-rompus pour lâcher avec mépri s : «M a i sG r e g,pour tri c h e r, y faut savoir qu’on tri c h e.S avo i r, ça fait partie de la tri c h e» .

Il y a une vingtaine d’années, ce genrede scène n’était pas rare. L e se n fa n t s , confrontés à desobjets qui parlaient, é l a b o-raient des strat é gies et fin i s-saient par les bat t r e , ava i e n ttendance à parler de leurs« va l e u rs» morales en se référant àl e u rs propres psychologi e s. Les jouetsélectroniques savaient-ils ce qu’ils fa i-saient? Malgré l’objection de Je n ny –«s avoir fait partie de la tri c h e» –, ils pen-saient en général que les machines étaientdouées d’une sorte de savo i r. A i n s i , i l sremettaient en cause l’analyse de Piaget,fondée sur l’idée qu’être viva n t , c’est agi rde son propre chef.

Nouveaux objets:les machines qui pensent

En observant les enfants manipulerdes objets traditionnels, Piaget ava i tremarqué qu’ils commençaient par consi-dérer comme vivant tout objet animé, p u i stout objet bougeant sans avoir été mis enm o u vement par une intervention exté-ri e u r e . En gr a n d i s s a n t , ils affinaient leurraisonnement pour considérer commev i vants les seuls objets capables de res-p i r e r , de croître et d’évo l u e r.

Les enfants ont rompu avec tout celaen créant une nouvelle cat é g o rie d’objets:les «machines qui pensent». Ils parlentbeaucoup des propriétés «psychologi q u e s »de leur ordinat e u r. En bref, le mouve m e n tcommence à céder la place à l’émotion etla physique à la psychologie comme cri-tères du viva n t .

L’ancien système de pensée des enfa n t sa totalement volé en éclat quand sont

a p p a rus les jouets électroniques douésd’une «vie art i ficielle» (comme les jeuxS i m , où il faut créer un écosystème ouune ville en état de marche). Les enfa n t sont essayé de nouve a u , comme ils le fontt o u j o u rs , d’imposer leurs strat é gies et leurc at é g o ri e s , mais ils l’ont fait en bricolant eten inventant toutes sortes de théories surle viva n t ,p o u rvu qu’elles s’adaptent à leurn o u vel env i r o n n e m e n t .

Ils sont vivantsLa petite Holly, 11 ans, regardait un

groupe de robots équipés d’une intelli-gence art i ficielle se déplacer dans un laby-ri n t h e . Les voyant utiliser différentes stra-t é gies pour atteindre leur bu t , Holly s’estmise à évoquer leur «personnalité» et leur«côté futé». Puis elle a fini par lâcher uneconclusion inat t e n d u e : «Ils sont commeP i n o c c h i o. D ’ a b o r d , Pinocchio n’était qu’unem a ri o n n e t t e , il n’était pas vivant du tout.A p r è s, il est devenu une marionnette viva n t e ,puis un garçon viva n t , un vrai ga r ç o n .M a i sil vivait même avant ça.Ça doit être la mêmechose pour les robots. Ils sont vivants commeP i n o c c h i o, mais pas comme les vrais ga r ç o n s.»Et de conclure en toussotant: «D’une cer-taine manière, ils sont viva n t s.»

R o b b i e , 10 ans, a reçu un modempour son annive rs a i r e . Après avo i r

réfléchi aux créatures qu’elle aélaborées en créant un écosys-

tème virtuel dans lecadre du jeuS i m L i f e , elle ainsisté sur lam o b i l i t écomme cri-tère duv i va n t . «Jecrois que ces

c r é atures sont unpeu vivantes dans le jeu.Mais comme on peutpas enregi s t r e r [en éteignant], elles dispa-ra i s s e n t .Si elles avaient eu le pouvoir de se fa i r ee n r e gistrer quand le modem était allumé, e l l e ss e raient sorties de l’ordinateur et parties surA m e rica Online [un fournisseur d’accès àI n t e rn e t ] . »

I c i , le mouvement réapparaît commec a r a c t é ristique (classique, selon Piaget)du vivant mais il est lié à une psychologi ep r é s u m é e : les enfants pensent que les créa-tures des jeux Sim veulent «sortir» du sys-tème et évoluer dans un monde inform a-tique plus va s t e .

Dans les années 90, les enfants par-laient encore souvent de ce qui les ame-naient à croire que les machines électro-niques étaient faites de la même substanceque le viva n t . J’ai observé un groupe d’en-fants de sept ans aux prises avec une séri e

de jouets en plastique auxquels on peutdonner la forme de chars d’assaut, d erobots ou d’êtres humains. On peut aussileur bricoler un aspect interm é d i a i r e ,accrocher le bras d’un robot à une sil-houette humaine ou une jambe humaine àun char.Tandis que deux enfants jouaient,mélangeant parties humaines et méca-n i q u e s , un troisième a protesté: on ne doitpas fa b riquer des hy b ri d e s , d i t - i l . «Il fa u tqu’ils soient complètement des tanks ou com-plètement des ge n s» . Mais aussitôt, une fil l e t t ede huit ans est venue consoler son petitc a m a r a d e : «Tu sais, on peut très bien joueravec eux quand ils sont entre les deux. Ils sontt o u j o u rs faits pareil, avec le même “ cy - d o u g h -p l a s m ” d é g u e u l a s s e [jeu de mots intradui-sible qui se réfère à la fois au cy b e rm o n d e ,à une célèbre marque de pâte à modeler etau plasma sanguin]».

Ce commentaire reflète bien la «cy b e r-conscience» des enfants d’aujourd’hui,leur tendance à voir les systèmes infor-m atiques comme des êtres «quasi-viva n t s » ,à passer d’un concept explicatif à l’autre età se jouer des frontières entre le vivant etl ’ o b j e t .

L’affectivité des Ta m a g o t c h i se t des Fu r b i e s

L e u rs relations avec les animaux vir-tuels et les poupées numériques sont làpour en témoigner. Ces «joujous» élec-troniques sont apparus il y a quelquesa n n é e s :Tamagotchis et Furbies ont sou-levé de nouvelles questions sur ce queles enfants considèrent comme vivant carils ont une caractéristique que les anciensjouets électroniques n’avaient pas: ils ontbesoin qu’on s’occupe d’eux. L’ e n fa n tdoit évaluer «l’état d’esprit» de son jouets’il veut rester ami avec lui. A i n s i , l e sTa m a g o t c h i s , ces créatures imagi n a i r e squi évoluent sur les écrans de petits appa-reils port at i f s ,d o i vent être nourri s ,l av é set distraits pour pouvoir grandir et bien sep o rt e r. Les Furbies, petites bêtes à four-rure électroniques, sont encore plus trou-b l a n t s : ils sont capables «d’apprendre» etp e u vent simuler l’affection; ils sont câlins,parlent et jouent avec l’enfa n t . Au coursde mes recherches, j’ai découve rt quel ’ e n fant veut savoir comment va sonF u r b y, non pas pour «bien» fa i r e , m a i spour que le Furby soit heureux. Il ve u tcomprendre sa langue, non pas pour leb attre au jeu, mais pour ressentir unef o rme de reconnaissance mutuelle. Il nedemande pas comment fonctionne cetobjet chargé d’affectivité; il le prend telqu’il est.

Les enfants interrogés lors de mes pré-cédentes recherches décri vaient le stat u t

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« q u a s i - v i vant» de leurs jouets en term e sc o g n i t i f s : ils «savaient» des choses «résol-vaient» des énigmes. Dans mes études ulté-ri e u r e s , ils disaient que leur Furby était«d’une certaine manière viva n t» , ce qui reflé-tait l’attachement qu’ils lui portaient etleur fantasme de réciprocité.

«Le Furby est vivant comme un Furby,m’a expliqué Ron, six ans. Tu sais, un tru caussi malin devrait avoir des bra s. Comme ça,s’il vo u l a i t , il pourrait ramasser des choses oume prendre dans ses bra s.» Kat h e ri n e , c i n qa n s , se demandait : «Est-ce qu’il est viva n t ?Ben en tout cas, moi je l’aime. Il est plusv i vant qu’un Ta m a gotchi parce qu’il dort ave cm o i . Il aime ça» .

Danger de dériveJe n , neuf ans, ne s’intéressait pas à ce

que le jouet pouvait lui offri r , mais à cequ’elle pouvait faire pour lui. «J’aime beau-coup m’occuper de lui, a l o rs je pense qu’il estv i va n t , mais il n’a pas besoin de manger pourde vra i ,donc il est aussi vivant que quelqu’unqui ne mange pas. Un Furby est comme unec h o u e t t e , mais il est plus vivant parce qu’il saitplus de choses et qu’on peut lui parl e r.Mais cen’est pas un animal, puisqu’il a besoin deb at t e ri e s. Il n’est pas vivant comme una n i m a l .»

Les enfants d’aujourd’hui apprennentà faire la distinction entre être «viva n t

comme un Furby» et être «vivant commeun animal». La cat é g o rie «d’une cert a i n emanière vivant» est de plus en plus utilisée.L’intelligence ou le «savoir» constitue uneautre distinction clé.

Dans les 50 dernières années, les cher-c h e u rs ne sont pas arrivés à créer unemachine douée d’une intelligence prochede celle de l’homme. Mais ils ont contri bu éà galvauder le mot «intelligence». On parlede machines intelligentes alors qu’il s’agi tde simples engins qui jouent aux échecs oucalculent des crédits. L e u rs prouesses sonte x t r a o r d i n a i r e s ,c e rt e s , mais l’intelligence,c’est bien plus que cela. Nous ri s q u o n saujourd’hui d’observer la même déri velinguistique dans le domaine de l’affectif.Les enfants évoquent des êtres «viva n t scomme un Furby» ou «vivants comme una n i m a l » . Parleront-ils un jour «d’aimercomme une personne» ou «d’aimer commeun ordinat e u r » ?

Ces questions nous entraînent beau-coup plus loin que dans les années 60 à 80,quand les chercheurs se demandaient siles machines pouvaient devenir «vraiment»i n t e l l i g e n t e s. Le problème était existentia-l i s t e . Quant aux nouveaux jouets, ils nesuscitent pas de discussions sur leurs qua-lités propres mais plutôt sur les sentimentsqu’ils éveillent en nous. Quand on s’oc-cupe d’un objet, qu’on le choie et qu’en

r e t o u r , il se porte bien et offre réconfort etat t e n t i o n , on le perçoit comme intelligent.M i e u x , on se sent lié à lui. Les vieux débat ssur l’intelligence art i ficielle s’at t a c h a i e n taux capacités techniques des machines.Les nouveaux porteront sur la vulnérabilitéémotionnelle des êtres humains. ■

LE SITE DU MOISh t t p : / / w w w. u n i c e f . o r g

Tout le monde connaît l’UNICEF, le Fonds desNations unies pour l’enfance, ne serait-ce qu’à

t ravers ses cartes postales. Mais cette organisationlauréate du prix Nobel de la paix en 1965 ne secontente pas de profiter de Noël pour collecter desfonds. Ses programmes sur la santé, l’alimentation,l ’ é d u cation et le travail des enfants touchent161 pays, dépassant largement son mandat initialqui lui dictait en 1946 de répondre aux besoinsurgents des enfants de l’Europe et de la Chined’après-guerre.

Aujourd’hui, l’UNICEF continue de fournir sonassistance humanitaire dans tous les points chaudsdu globe. Son site est une mine d’information,présentant des guides pour enseignants, des jeux,des photos et de nombreuses publications dontson rapport annuel La Situation des enfants dansle monde. ■

Morts, les Tamagotchis reposent dans un cimetière: le geste ultime de l’affectivité.

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T IM BERNERS - L EE :«J’AI FAIT UN RÊVE»Idéaliste indéfectible, l’inventeur britannique du World Wide Web vaut bien plus que son poidsen or. Tim Berners-Lee a refusé des propositions alléchantes du secteur privé pour présiderun consortium international réunissant l’élite du réseau. Objectif: mettre le Web au servicede l’intérêt général.

Comment expliquez-vous la formidablecroissance du Web au cours des 10 dernièresannées?

Au départ,le réseau s’est étendu grâceà l’infrastructure existante d’Intern e t ,m i s een place dans les années 70. L o rsque j’ai eul’idée du Web, à la fin des années 80, lesordinateurs de nombreuses universités etinstituts de recherche aux Etats-Unis et enEurope étaient déjà reliés les uns aux autrespour échanger des inform at i o n s. Il fa u t

donc rendre hommage aux pionniers quiont créé ce réseau avant l’arrivée du Web.

Le réseau s’est étendu très rapidementparce qu’il était décentralisé et que per-sonne ne contrôlait sa croissance. N ’ i m-porte qui pouvait créer un serveur ou unn av i g ateur sans avoir à déposer la moindredemande auprès d’une autorité centrale.Sur toute la planète, des passionnés ontc o m p ris que le Web allait changer la face dumonde et se sont employés à le déve l o p p e r.

Le fait que la Toile soit un espace ouve rtest très at t r a c t i f. On peut non seulementlire ce qui s’y trouve mais aussi y ajouter sac o n t ri bu t i o n .Tout le monde part à égalité enquelque sort e . Cette impression d’avoir deso p p o rtunités sans limite a beaucoup joué.

Le Web peut-il profiter aux exclusde l’innovation technologique?

Il est évident que les inégalités actuellessont malsaines pour tout le monde. Mais les

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i n n ovations techniques ne peuvent pasrésoudre à elles seules les problèmes glo-baux. C’est aux gens de décider pour eux-m ê m e s , et il faut faire de grands effort sdans tous les domaines pour trouver dess o l u t i o n s. Nous avons eu de nombreuxoutils dans le passé.Internet est un instru-ment de plus qui peut aider à relever cesdéfis.

L’idée du Web est de créer un espaced ’ i n f o rm ation où les gens peuvent com-muniquer, et d’une façon bien précise: enp a rtageant leurs connaissances. Le Web estbien plus une innovation sociale que tech-nique. Il n’a rien changé de fondamentaldans la manière de penser, de lire et decommuniquer des êtres humains. Mais il aconsidérablement élargi leurs choix en four-nissant de l’inform at i o n . Le Web perm e tun tas de choses, depuis la simple lectured’un journal quelque part dans un villageisolé jusqu’à des collaborations accru e sentre des individus de pays différents.

M a i s ,m a l gré ce large éventail de choix,nous ne savons toujours pas comment enp r o fiter au mieux. J’espère que cette dive r-sité d’options offerte à chacun pourra aiderà réformer la société.

Dans votre ouvrage Weaving the Web,vous évoquez le danger de voir la Toiletomber sous le contrôle d’un petit grouped’entreprises, ou sa croissance bloquéepar des actions commerciales. Quellesen seraient les conséquences?

Il y a danger lorsque de grandes entre-p rises qui vendent des ordinat e u rs et des

l o giciels commencent à contrôler l’infor-m ation que vous recevez par Intern e t . E nd i s t ri buant des ordinat e u rs ou des nav i g a-t e u rs gr at u i t s , c e rtaines sociétés peuve n tempêcher les usagers d’accéder aux pro-grammes de leurs concurr e n t s. Les four-n i s s e u rs d’accès à Internet peuvent mêmepasser des accords commerciaux avec cer-tains sites pour les rendre plus accessiblesque d’autres.Cela commence déjà à se fa i r e .

D’un côté, les gens trouvent logi q u equ’une entreprise influence leur accès àI n t e rnet si elle leur procure des ordinat e u rset des logiciels gr at u i t s. M a i s , de l’autrec ô t é , il faut absolument garantir le droitde chacun d’accéder librement à l’infor-m at i o n . L’un ne devrait pas l’emporter surl’autre.

Je ne sais pas dans quelle mesure lesgens se rendent compte que leurs chancesd’accéder aux différents sites du Web sontinfluencées par des intérêts commerciaux.Et il est très difficile de trouver l’équilibreentre le droit des entreprises d’offrir dess e rvices gr atuits ou très peu chers et le res-pect de la liberté d’accès des individus.Nous n’avons pas encore trouvé le meilleurcompromis pour la société.

Il y a un autre danger: quand une entre-p rise se retrouve en situation de monopole,elle commence à modifier arbitrairement lesn o rmes inform atiques unive rs e l l e m e n tacceptées. Ce qui force les concurrents às’aligner sur ces nouvelles normes au lieu deproduire des idées novat rices pour amé-liorer le produit. Le développement du We bpeut s’en trouver affecté.

Le Web a permis la circulation d’un flotd’informations que certains pays cherchentà réguler et à contrôler. Qu’en pensez-vous?

Je sais que certains pays envisagent ouessayent en effet de contrôler le Web. Maisc’est très difficile car Internet permet à l’in-f o rm ation de circuler de nombreuses fa ç o n s.Chacun n’est qu’un point minuscule dansce vaste système. De plus, le contrôle de l’in-formation nuit aux relations entre le gou-ve rnement et sa populat i o n ,e t , à long term e ,à la stabilité du pays.

Des appels ont également été lancés pourinstaurer une censure sur le Net. M a i s ,d a n sla plupart des pays occidentaux, la censure estmal perçue. On admet cependant de plus enplus que les parents aient le droit ou le devo i rd’empêcher leurs enfants d’accéder à cert a i n ss i t e s. Notre consortium a ainsi déve l o p p édes systèmes comme le PI C S (protocole desélection des contenus sur Intern e t ) , q u ip e rmettent aux adultes de maîtriser l’accèsdes enfants à différents sites.

Les multiples outils de filtrage dispo-nibles sur le marché sont bien plus effic a c e sque la censure gouve rn e m e n t a l e . Une loin ationale peut censurer un site à l’intéri e u rd’un seul pay s , a l o rs que les filtres le fontd’où qu’il vienne. Fo n d a m e n t a l e m e n t ,c ’ e s taux citoyens de choisir les mécanismessociaux et le type de régulation qu’ils ve u l e n t .

Les internautes s’inquiètent de plus en plusdes atteintes à leur vie privée. Commentrésoudre ce problème?

Le respect de la confidentialité sup-pose que chacun contrôle l’usage que l’on

CI T IZ EN TIM

Dans un secteur qui fournit chaque semaineson lot de cybermillionnaires, Tim Berners-

Lee est un cas. Il lui suffirait de se mettre au ser-vice d’un géant de l’informatique pour devenir l’undes hommes les plus riches du monde. Mais ilpréfère se consacrer à faire de la Toile un outiluniversel.

Né à Londres, où il a passé toute sa jeunesse,Tim Berners-Lee est diplômé de physique de l’Uni-versité d’Oxford. En 1980, il entre au CERN

(Organisation européenne pour la recherchenucléaire), à Genève. Il y écrit un progra m m ebaptisé “Enquire”, capable de stocker et de récu-pérer des informations organisées de manièrealéatoire.

Fin 1990, Tim Berners-Lee met au point lanorme HTTP (Hyper Text Tranfer Protocol et le lan-gage HTML (HyperText Mark-up Language) quipermet de combiner en fait Internet et les liens

hypertextes, ce qu’on appelle le World Wide We b .Il imagine un système d’adresses attribuant unemplacement unique, ou URL (Universal ResourceLocator), à chaque page. En 1991, il met gratuite-ment ces programmes à la disposition des inter-nautes du monde entier. Il passe ensuite deuxans à améliorer la Toile en fonction des réactionsdes utilisateurs.

En 1994, il quitte le CERN pour le Laboratoired'informatique du Massachusetts Institute of Te c h-n o l o gy (MIT), à Boston, où il dirige le Consor-tium du World Wide Web (W3C). Cet organismeregroupe plus de 300 membres du secteur, dontdes géants comme Microsoft et IBM, et super-vise les normes techniques de la Toile.

Salué par la revue T i m e comme l’un des10 0c e rveaux du XXe siècle, Tim Berners-Lee reste,à 45 ans, un modèle de modestie, en dépit de l’ex-traordinaire succès de son invention. Il affirme

même que le Web n’en est qu’à ses premiers pas.«Le but ultime est d’encoura ger et d’améliorer lamise en réseau de l’humanité, dit-il en expliquantque le Web représente une chance sans précédentde gagner en liberté et en bien-être social. Noussommes loin d’avoir pris conscience de tout sonpotentiel.» ■

+ …Tim Berners-Lee, avec la contribution deMark Fischetti, Weaving the Web: ThePast, Present and Future of the WorldWide Web by its Inventor (Tisser la Toile,le passé, le présent et le futur du WorldWide Web, par son inventeur); OrionBusiness Books, 1999.http://www.w3.orghttp://www.cern.ch/cern

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peut faire de ses données pers o n n e l l e s. L e su s a g e rs du Net s’inquiètent parce qu’ilspensent qu’une fois qu’ils auront com-mandé un certain nombre de produits à dese n t r e p ri s e s , celles-ci auront accumulé suf-fisamment d’inform ations sur eux pourleur porter préjudice. Cela peut aller del ’ e nvoi abusif de messages publicitairesdans leur boîte aux lettres jusqu’au refus deleur procurer une assurance vie. C ’ e s tgr ave .

Les internautes devraient savoir com-ment chaque site utilise ces données per-s o n n e l l e s. Après tout, l e u rs inquiétudessont un obstacle majeur à la croissance ducommerce électronique, et je pense queles sites devraient prendre en compte lebesoin des consommat e u rs de protégerleur vie pri v é e . C’est pourquoi notrec o n s o rtium a élaboré le P3P (protocolepour faire ses choix en matière de confi-d e n t i a l i t é ) . L o rsqu’un internaute va surun site, cet outil lui permet de comparer lesp r atiques de ce site avec ses propres choix.Si les usages du site ne lui conv i e n n e n tp a s , il s’arrête là.

Un site responsable devrait afficher sarègle du jeu en matière de confidentialité aubas de la page d’accueil. A défaut, une loidevrait combler cette lacune en offrant lameilleure protection standard possible à

chacun. Ces problèmes ont été en partierèglés en Europe: les entreprises doive n tgarder secrètes les informations sur leursclients,et n’ont pas le droit de croiser cer-taines bases de données, ce qui est enr e vanche légal aux Etat s - U n i s. De nom-breux A m é ricains commencent d’ailleurs àréaliser le besoin d’une plus grande régu-l ation et d’une meilleure protection de l’in-dividu et de la société.

On a récemment assisté à une multiplicationdes brevets dans le secteur du Net. Quellessont les conséquences pour le Web?

Ces brevets mettent en danger l’uni-ve rsalité du Web et risquent de tuer lesbonnes idées. Il était largement admis, p e n-dant les cinq premières années de vie duWeb,qu’une norme universelle servirait lebien commun. A u j o u r d ’ h u i , la Toile brassebeaucoup d’affa i r e s. On peut donc fa i r eune fortune en déposant des brevets pour encontrôler un morceau. Dans certains cas, i lest même possible de gagner de l’argentne serait-ce qu’en menaçant d’intenter uneaction en justice. Pour ceux qui s’éve rt u e n tà créer un réseau unive rs e l , c’est la douchefroide.

Les professionnels du Web se rencon-trent souvent pour discuter des améliora-tions possibles, aussi bien en ce qui

c o n c e rne les systèmes de visioconférencesque l’accès des pays en déve l o p p e m e n t .Des projets de ce type, qui pourr a i e n tb é n é ficier au plus grand nombre, sont par-fois abandonnés à cause de craintes ou deru m e u rs de procès venant d’entrepri s e sr e vendiquant un brevet sur telle ou tellet e c h n o l o gi e . Aux Etats-Unis – contraire-ment à beaucoup d’autres pays – il estpossible de breveter un morceau de logi-c i e l .

C e rtains brevets délivrés récemmentont été mis à l’index par la communauté desinternautes. Ils réduisent l’usage des tech-nologies qui pourraient accroître l’univer-salité du Net.J’espère que l’on ne validerabientôt plus que les brevets représentantune véritable innovation ou des idées vrai-ment extraordinaires. Je n’en ai pas encorevu un seul dans ce secteur.

Il n’existe aucun moyen de juger de la fiabilitéde l’information en ligne, ce qui dangereuxpour les usagers. Cela peut-il changer?

C e rtaines technologi e s , que nous n’uti-lisons pas assez, sont capables de donner desi n d i c ations sur la fiabilité d’un site ou d’uninterlocuteur. Des outils encore plus per-fectionnés verront bientôt le jour. Avec lesn av i g at e u rs de nouvelle génération et lasignature électronique, on sera bientôt en

Apprentissage du Web dans un bidonville de Dakar. L’utilisation du Net en Afrique est un luxe: 3,5 pour 1000 habitants y ont accès, contre 14,1 en Asie, 88 en Europe,160,3 sur l’ensemble du continent américain et 224,5 en Océanie, selon l’Union Internationale des Télécommunications (UIT).

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E N T R E T I E N

verrez que ce sont les ordinateurs utilisantles mêmes logiciels,produits par la mêmefirme, qui sont généralement la proie despirates. Bien sûr, voir un grand nombre dep e rsonnes utiliser le même logiciel n’estpas sans avantages. Mais il faut avoir desproduits altern atifs si l’on veut être capablede mieux résister aux virus.

Des propositions ont été émises suggérant detaxer les internautes des pays riches pourconnecter le reste du monde...

Les pays développés ont une gr a n d edette à l’égard des autres. Et leurs pro-blèmes d’accès à Internet alourdissent

encore cette dette. Mais taxer tous lesi n t e rnautes n’est pas forcément une bonnei d é e . Mieux vaudrait le faire de fa ç o ns é l e c t i ve . On pourrait imposer les gros uti-l i s at e u rs d’Internet – comme ceux quil’exploitent massivement à des fins com-m e r c i a l e s.

D’un autre côté,une taxe risquerait dedécourager certains pays d’investir dans led é veloppement du Net. Le seul pays oùl’on pourrait envisager sérieusement l’in-troduction d’une taxe est les Etat s - U n i s ,et peut-être la Finlande. Les autres pay sdéveloppés, qui essaient de rattraper leurretard,seraient sans doute réticents.

mesure de vérifier qu’un document ou unsite est bien mis en ligne par la bonne per-s o n n e . Pour le courrier électronique, l e sn o u veaux protocoles de communicat i o n ,plus sûrs , p e rmettent d’être certain quep e rsonne ne s’y est introduit ni n’a altéré lemessage en cours de route.

Maintenant,la question reste de savoirsi telle ou telle source découve rte sur leWeb est fiable ou pas. C’est impossible.Rien ne permet pour l’instant de le véri fie r.Comment croire quelqu’un qu’on neconnaît pas? Il faut que les gens apprennentà qui se fier sur le réseau.

Prenez un livre.Vous le lisez parce quedes gens fiables vous l’ont recommandé.De même,une personne de votre connais-sance peut vous conseiller un site. L ac o n fiance se tisse d’un individu à un autre.Il faut créer un «Web de la confiance».

Au débu t ,c e rtaines personnes voya i e n tdans le réseau un espace anony m e , h o rsde la réalité et où aucune responsabilitéindividuelle n’était engagée. Ce n’est pas lecas. Quiconque envoie un message illégalexiste en chair et en os quelque part, où ilest soumis aux lois locales. Si quelqu’unfa l s i fie une transaction, qu’elle soit élec-tronique ne change rien à sa responsabilitédevant la loi.

On a récemment constaté une recrudescencedes attaques de pirates informatiques.Comment renforcer les défenses des systèmesinformatiques?

Bien qu’Internet soit un système décen-t r a l i s é , le principal danger qui le menace estle manque de diversité des outils utiliséspour y accéder. Si vous analysez les récentesattaques de virus [comme I love yo u ] , vo u s

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Étudiants, chômeurs (joindre un justificatif), pays en développement:1 an: 132FF ( 20 ,10 ) pour 11 numéros dont un double2 ans: 211FF ( 32 ,15 ) 22 numéros dont deux doubles

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E N T R E T I E N

européens, le Web a eu du mal à démarrerparce que les Européens ne formaient pasun énorme public monolingue et mono-c u l t u r e l . Il sera très difficile de franchircette barrière dans les pays qui pratiquentune ou des langues peu parlées.

Pouvez-vous nous parler du «Websémantique» auquel vous travaillezactuellement?

J’ai un double rêve pour le Web. D’unepart,je le vois devenir un moyen très puis-sant de coopération entre les êtres humains.Et dans un second temps, j’aimerais que cesoit les ordinat e u rs qui coopèrent. L e smachines deviennent capables d’analysertoutes les données circulant sur le réseau:c o n t e n u s , liens et transactions entre lespersonnes et les ordinateurs.

Le Web sémantique ira chercher l’in-f o rm ation dans dive rses bases de données,aussi bien dans des catalogues en ligne quesur des sites météo ou boursiers, et il per-mettra que toute cette inform ation soittraitée par les ordinat e u rs. Ce n’est paspossible dans l’état actuel des choses parceque les données en ligne ne sont pas com-p atibles ni form atées de manière à êtredirectement analysées par des machines.Les pages Web sont uniquement destinéesà la lecture humaine.

Le Web sémantique répondra aussi auxvœux de tous ceux qui voudraient disposerd’un moteur de recherche solide. Pour l’ins-tant,les moteurs de recherche vous livrentdes milliers de pages en réponse à une seuledemande.Or,il est impossible d’étudier lecontenu de toutes ces pages. Avec le Webs é m a n t i q u e , le moteur de rechercher é p o n d r a : « Voilà un objet dont je peux

m at h é m atiquement garantir qu’il répond aucritère souhaité». En bref , les moteurs derecherche deviendront plus fiables et plusefficaces. Quand mon rêve sera réalisé, leWeb sera un unive rs où la fantaisie de l’êtrehumain et la logique de la machine pourr o n tcoexister pour former un mélange idéal etpuissant. ■

Propos recueillis par Ethirajan Anbarasan,journaliste au Courrier de l’UNESCO.

Dans certains pays du Sud, il est encoredifficile de se connecter à Internet à causedu manque de lignes téléphoniques. Existe-ildes solutions?

Dans de nombreux pays en déve l o p-p e m e n t , les services de télécommunica-tions sont bu r e a u c r atiques et n’acceptentpas de renoncer à leur monopole, ce quifaciliterait l’accès à Intern e t . L’une dessolutions est d’utiliser la technique autre-m e n t : il faudrait commencer par répandreles technologies sans fil pour les commu-n i c ations de base dans les zones ru r a l e s.Une fois les réseaux mis en place, c e sé m e t t e u rs - r é c e p t e u rs pourraient conve r g e ravec Internet en contournant les minis-tères concern é s. Dans ce système décen-t r a l i s é , on n’aurait plus besoin dedemander une adresse Internet ni un nomde domaine. La recherche dans ce sec-teur se développe déjà et je suis pers u a d éque ces technologies seront bientôt com-mercialisées et répandront l’usage d’In-t e rnet dans le Sud.

N é a n m o i n s , l’expansion de ces tech-n o l o gies dans certains pays pourrait bu t e rsur les monopoles détenus par des entre-p rises de télécommunicat i o n , ou sur lavolonté des gouve rnements de garder lamainmise sur les communicat i o n s. Dans cec a s , les Nations unies pourraient inter-venir en sensibilisant leurs Etats membresaux énormes possibilités offertes par cest e c h n o l o gi e s.

Il faudrait aussi financer la traductiondes inform ations qui circulent sur Intern e tdans différentes langues. Il est importantque le réseau soutienne les cultures localeset ne serve pas seulement à répandre laculture améri c a i n e . Même dans les pay s

L ISTE DES AGENTS DE VEN T EAdressez-vous à l’agent de vente de votre choix, qui vous communiquera le montant de l’abonnement en monnaie loca l e .

A FRIQUE DU SUD: International Subscription Services, PO Box 41095,Craighall 2024. Fax: 880 6248.Mast Publications, PO Box 901, Parklands 2121. Fax: 886 4512.A L L EM AGNE: German Commission for UNESCO, Colmantstr. 15, D-53115Bonn. Fax: 63 69 12. Uno Verlag, Dag Hammarskjöld Haus, Poppelsdorfer Allee 55, D-53115Bonn. Fax: 21 74 92.A RGEN T INE: Edilyr Srl, Librería Correo de la UNESCO, Tucumán 1685,1050 Buenos Aires. Fax: 371-8194A US T RA L IE: Hunter Publications, 58A Gipps Street, Collingwood VIC3066. Fax 419 7154. ISA Australia, PO Box 709, Toowong QLD 4066. Fax: 371 5566. United Nations Assoc. of Australia/Victorian Div., 179 St George’s Road,N. Fitzroy VIC 3068. Fax: 481 7693. Gordon & Gotch Australia Pt y. Ltd., Private Bag 290, Burwood VIC 3125.Fax: 03 9888 8561A U T RICHE: Gerold & Co, Import & Export, Zeitschriften/Periodicals,Graben 31, A-1011 Vienne. Fax: 512 47 31 29.BELGIQUE: Monsieur Jean de Lannoy. 202 av du Roi, B-1060 Bruxelles.Fax: 538 08 41.BRÉSIL: Fundacão Getulio Vargas, Editora Divisão de Vendas, CaixaPostal 62.591, 22257-970 Rio de Janeiro RJ. F ax: 551-0948.CA N A DA: Renouf Publishing Company Ltd, 5369 ch. Canotek Road, Unit 1, Ottawa, Ont K1J 9J3. Fax: (1-613) 745 7660. Faxon Canada, PO Box 2382, London, Ont. N6A 5A7. Fax: (1-519) 472 1072 .CHIL I: Universitaria Textolibro Ltda., Casilla Postal 10220, Santiago. Fax: 681 9091.CHINE: China National Publications, Import & Export Corp., PO Box 88,16 Gongti East Rd, Beijing 100020. Fax: 010-65063101.CORÉE: Korean National Commission for UNESCO, CPO Box 64, Séoul 100-600. Fax: 568 7454.DA NEM A RK: Munksgaard, Norre Sogade 35, PO Box 2148, DK-1016Copenhague K. Fax: 12 93 87.ESPAGNE: Mundi Prensa Libros SA, Castelló 37, 28001 Madrid. Fax: 91575 39 98.

Librería Al Andalús, Roldana 3 y 4, 410091 Séville. Fax: 95422 53 38. UNESCO Etxea, Avenida Urquijo 60, Ppal.Dcha., 48011 Bilbao. Fax: 427 51 59/69ÉTAT S - UNIS: Bernan-Associates, 4611-F Assembly Drive, Lanham MD20706-4391. Fax: 459 0056.FINLA NDE: Stockmann/Akateeminen Kirjakauppa, PO Box 23, SF-00371Helsinki. Fax: +358 9 121 4450. Suomalainen Kirjakauppa Oy, PO Box 2, SF-01641 Vantaa. Fax: 852 7990.GRÈ CE: Librairie Kauffmann SA, Mauvrokordatou 9, GR-106 78 Athènes.Fax: 38 33 967.GU AT EM A LA: Comisión Guatemalteca de Cooperación con la UNESCO,3A Avenida 10 29, Zona 1, Apartado Postal 2630, Ciudad de Guatemala.HONG KONG: Hong Kong Government Information Services Dept., 1Battery Path Central, Hong Kong.HONGRIE: Librotrade K F T, Periodical Import/K, POB 126, H-1656Budapest. Fax: 256-87-27.INDE: UNESCO Office, 8 Poorvi Marg, Vasant Vihar, New Delhi 110057Orient Longman Ltd (Subscr. Account), Kamani Marg, Ballard Estate,Bombay 400 038. Fax: 26 91 278. ISRA ËL: Literary Transactions Inc., C/O Steimatsky Ltd., PO Box 1444,Bnei Brak 51114. Fax: 52 81 187.I TA L IE: Licosa/Libreria Comm. Sansoni SPA, Via Duca di Calabria 1/1,I-50125 Florence. Fax: 64 12 57.JA P ON: Eastern Book Service Inc., Periodicals Account, 3 13 Hongo 3Chome, Bunkyo Ku, Tokyo 113. Fax: 818 0864.LUX EMBOURG: Messageries Paul Kraus, BP 2022, L-1020 Luxembourg.Fax: 99 88 84 44.M A LT E: Sapienzas & Sons Ltd., PO Box 36, 26 Republic Street, La ValetteCMR 01. Fax: 24 61 82.MAROC: UNESCO, B.P. 1777 RP, Rabat. Fax: 212-767 03 75, Tél.: 212-767 03 74/72.MAURICE: Editions Le Printemps Ltée., 4 Route du Club, Vacoas.Fax: 686 7302MEX IQUE: Librería El Correo de la UNESCO SA, Col Roma, Guanajuato 72,Deleg Cuauhtémoc, 06700 Mexico DF. Fax: 264 09 19.

NORV ÈGE: Swets Norge AS, Østensjøvein 18-0606 Oslo, PO Box 6512,Etterstad. Fax: 47 22 97 45 45. NOU V ELLE ZÉLA NDE: GP Legislation Services, PO Box 12418, Thorndon,Wellington. Fax: 496 56 98.PAY S - BAS: Swets & Zeitlinger BV, PO Box 830, 2160 SZ Lisse. Fax: 2524 15888. Tijdschriftcentrale Wijck B V, Int. Subs. Service, W Grachtstraat 1C, 6221CT Maastricht. Fax: 32 50 103.P ORT UG A L: Livraria Portugal (Dias & Andrade Lda), Rua do Carmo 7074, 1200 Lisbonne. Fax: 34 70 264.RÉ PUBL IQUE TCHÈ QUE: Artia, Ve Smeckach 30, 111 27 Prague 1.ROYA UME - UNI: The Stationery Office Publications Ctre., 51 Nine ElmsLane, Londres SW8 5DR. Fax: 873 84 63.RUSSIE: Mezhdunarodnaja Kniga, Ul Dimitrova 39, Moscou 113095.SRI LA NKA: Lake House Bookshop, 100 Chittampalam, GardinerMawatha, Colombo 2. Fax: 44 78 48.SU È DE: Wennergren Williams AB, PO Box 1305, S-171 25 Solna. Fax: 27 00 71.SUISSE: Dynapresse Marketing SA, (ex-Naville SA), 38 av Vibert, CH-1227 Carouge. Fax: 308 08 59. Edigroup SA, Case Postale 393, CH - 1225 Chêne-Bourg. Fax: (022) 348 44 82.Europa Verlag, Ramistrasse 5, CH-8024 Zürich. Fax: 251 60 81Van Diermen Editions Techniques-ADECO, Chemin du Lacuez, CH-1807 Blonay. Fax: 943 36 05.T H A ÏLA NDE: Suksapan Panit, Mansion 9, Rajadamnern Avenue, Bangkok 2.Fax: 28 11 639 .T UNISIE: Commission Nationale Tunisienne auprès de l’UNESCO,22,rue de l’Angleterre, 1000RP Tunis. Fax: 33 10 14.URUGU AY: Ediciones Trecho SA, Cuento Periódicos, Maldonado 1090,Montevideo. Fax: 90 59 83.V ENEZ UELA: Distriplumes, Apartado 49232, Colinas Bello Monte, 1042 A Caracas. Fax: (58 2) 9798360UNESCO/CRESALC, Edif. Asovincar, Av Los Chorros, Cruce C/C Acueducto,Altos de Sebucan, Caracas. Fax: (58 2) 2860326.

IN T ERNET ET LE WEB

Comme Tim Berners-Lee l’a souligné, le Webn ’ a u rait jamais existé si le Département amé-

ricain de la défense n’avait pas créé le protocoleTC P - IP dans les années 60, à l’origine dans unbut militaire. En permettant de connecter virtuel-lement des réseaux de conceptions différentes,cette nouvelle norme technique a permis le déve-loppement d’Internet. Ce terme désigne aujour-d’hui, par extension, les millions d’ordinateursreliés entre eux par les lignes téléphoniques, lecâble ou le satellite.

Le Web, qui est un prolongement d’Internet,était aussi une norme à l’origine: le protocole detransfert de documents (HTTP) créé en 1990 auCERN (Organisation européenne pour la recherchenucléaire, voir encadré p. 47) pour rendre ra p i d eet bon marché le partage des données scienti-fiques à l’échelle internationale. Pour lancer ce sys-tème, le C ERN a développé un nouveau langage( H T ML), qui permet aux utilisateurs de seconnecter facilement à une infinité de sites et des e rvices en ligne. Dans le langage courant, onparle désormais du Web pour désigner cette col-lection mondiale de textes et de fichiers inter-connectés. ■

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le temps des écoles

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• la vie de l’École et des universités dans lemonde • des reportages et des témoignages• des infos pratiques pour aider les étudiantsdu monde entier.* h e u re de Paris

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Revue du patrimoine mondial

Les trésors de notrepatrimoine et lesefforts déployés pourle sauvegarder

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t o u t e s l e s v o i x d ’ u n s e u l m o n d e

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Dans le prochain numéro:

Le dossier du mois pro c h a i n :

C i n é m a : l ’ é c l o s i o nde «nouvelles vagues»■ La fièvre asiatique: les jeunes réalisateurs s’imposent à

t ravers le monde■ L’Occident à bout de souffle? ■ I ra n : la révolution de l’image■ Ja p o n : une génération sans tabous■ Renouveau identitaire en Corée du Sud■ Le système D argentin■ La création en exil

Et dans les rubriques:

■ P h o t o : une banlieue de Mulhouse■ L’école des nomades■ T c h e r n o b y l : un bilan polémique■ A f r i q u e : le rôle social et économique de la danse■ La peine de mort aux Etats-Unis:

un débat strictement juridique

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